1. Les incidents interpalestiniens gagnent
la Cisjordanie par Gilles Paris
in Le Monde du dimanche 9 octobre
2005
JÉRUSALEM de notre correspondant - Les tensions entre
factions palestiniennes, contenues jusqu'à présent à la bande de Gaza, se sont
étendues, au cours des derniers jours, à la Cisjordanie, avec l'enlèvement de
quatre responsables du Mouvement de la résistance islamique (Hamas) à Naplouse,
Toulkarem, Bethléem et Hébron. Tous ont été rapidement relâchés, vendredi 7
octobre. Ces enlèvements sont monnaie courante à Gaza, où ils sont perpétrés en
général par des miliciens issus du Fatah, qui constitue la colonne vertébrale de
l'Autorité palestinienne. Ceux de Cisjordanie ont été revendiqués par des
groupes inconnus jusqu'à présent. Ces derniers ont indiqué qu'ils constituaient
"une réponse aux violations de la loi" dont le mouvement islamiste s'est rendu,
selon eux, coupable. Le Hamas a mis en cause directement des membres des
services de sécurité de l'Autorité palestinienne. Cette dernière a nié toute
responsabilité.
Après une explosion meurtrière survenue au cours d'une parade
militaire du Hamas dans le camp de Jabaliya, à Gaza, le 22 septembre, les
relations entre le Mouvement de la résistance islamique et l'Autorité
palestinienne s'étaient une première fois dégradées. Le ministère de l'intérieur
avait assuré, en effet, que l'explosion avait été accidentelle et qu'Israël n'y
était pas mêlé, contrairement aux affirmations du Hamas. La tension a ensuite
été alimentée par un accrochage survenu également à Gaza, le 2 septembre, entre
des policiers et des miliciens islamistes qui ont pris d'assaut un poste de
police. Trois personnes, dont un policier, ont été tuées à cette
occasion.
Ces heurts interviennent alors que les sujets de conflit ne
manquent pas entre le Hamas et l'Autorité palestinienne. Le premier porte sur la
question des armes détenues par les factions radicales palestiniennes à Gaza, à
commencer par le Hamas. Sommée par Israël de le désarmer par la force,
l'Autorité palestinienne s'y refuse, à la fois pour ne pas apparaître comme une
force supplétive et pour éviter une épreuve de force incertaine. L'Autorité se
contenterait pour l'instant de voir disparaître ces armes des rues de Gaza. Le
deuxième sujet de rivalité renvoie aux élections législatives prévues le 25
janvier. Le Fatah redoute de voir la majorité confortable qu'il détient depuis
1996 au Conseil législatif palestinien menacée par le Hamas, lequel participera
pour la première fois à des élections générales. Le mouvement islamiste jouit en
effet d'une réelle popularité au sein de la population palestinienne alors que
le Fatah et l'Autorité palestinienne sont au contraire synonymes de corruption
et d'inefficacité.
Des policiers ont interrompu, le 3 septembre, à Gaza, une
séance du Conseil législatif pour réclamer du gouvernement une politique claire
et des moyens face au Hamas. Ce même Conseil a, de son côté, mis en demeure le
chef de l'Autorité palestinienne de remanier au plus vite un gouvernement jugé
incapable, à commencer par le ministre de l'intérieur, Nasser Youssef.
Hospitalisé pour des examens de routine en Jordanie, le premier ministre, Ahmed
Qoreï, pourrait être remplacé. Il envisageait déjà de démissionner de ses
fonctions à la fin du mois de novembre pour pouvoir se lancer dans la campagne
pour les élections législatives.
MILITANTS ARRÊTÉS
Les tensions entre le
Fatah et le Hamas sont compliquées par l'offensive lancée par le gouvernement
israélien contre une participation du mouvement islamiste aux élections
législatives. Des centaines de militants politiques du Hamas ont été arrêtés au
cours des dernières semaines en Cisjordanie, en représailles aux tirs de
roquettes artisanales sur Israël déclenchés par le mouvement après l'explosion
de Jabaliya.
Ces arrestations pourraient peser sur le scrutin. Des membres du
Fatah et d'autres factions palestiniennes de Cisjordanie estiment en effet qu'en
concentrant ses attaques sur le Hamas, Israël risque de renforcer son image dans
la population palestinienne. Selon la presse israélienne du 7 octobre, les
Etats-Unis auraient fait savoir au gouvernement israélien que ce dernier serait
bien avisé de faire quelques gestes en direction de l'Autorité palestinienne
pour la renforcer, notamment lors de la rencontre prévue le 11 octobre entre M.
Abbas et le premier ministre Ariel Sharon.
2. Leïla Shahid : "personne n’a le
droit d’enlever la vie d’un être humain" entretien réalisé par
Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du samedi 8 octobre
2005
LE JOURNAL DE L'ABOLITION
- Vous êtes
contre la peine de mort. L’avez-vous toujours été ou votre position a-t-elle
évolué avec le temps ? Et l’êtes-vous dans tous les cas ?
-
Leïla Shahid. J’ai toujours été contre la peine de mort, même si en Palestine
aujourd’hui il y a une législation qui permet l’exécution de criminels et des
collaborateurs. Il faut comprendre qu’il s’agit d’une situation particulière,
d’un état de guerre. Des gens sont tués, victimes d’assassinats ciblés à la
suite d’informations données à l’armée israélienne par ces collaborateurs.
Pourtant, c’est pour moi une conviction éthique que personne n’a le droit
d’enlever la vie d’un être humain. Et j’espère que nous arriverons en Palestine
à promulguer une loi qui interdise le recours à la peine capitale. Mais je ne me
fais aucune illusion. Cela prendra du temps. Beaucoup de gens pensent encore
aujourd’hui, et je pense que c’est aussi le cas en Europe et en France, où elle
a été abolie, que la peine de mort a une valeur d’exemple, qu’elle est un moyen
de dissuasion.
- Avez-vous une idée de l’opinion des Palestiniens
à ce sujet ?
- Leïla Shahid. Je ne pense pas qu’il y ait eu de
sondage sur cette question, mais je ne suis pas sûre, si l’on en faisait un, que
l’on trouverait une majorité de Palestiniens pour approuver les exécutions. Il
n’y a pas eu non plus de débat sur cette question au plan législatif. En
réalité, nous sommes à peine au début de la rédaction de notre Constitution. Et
il y a tellement de sujets à débattre pour la mise en place d’un corpus
juridique que la peine de mort n’est pas, pour l’instant, apparue comme une
priorité. Il faut se souvenir qu’en France l’abolition de la peine de mort date
de moins d’un quart de siècle. Cela n’a été fait qu’en 1981, par un gouvernement
de gauche, même si François Mitterrand avait lui-même pendant la guerre
d’Algérie fait exécuter des condamnés. L’abolition fut le résultat d’un très
long combat mené par l’opinion publique et de grands juristes comme Robert
Badinter. Je crois que pour la Palestine ce sera le même processus, avec
l’apport important que représente le combat mené au plan international pour
l’abolition totale de la peine de mort.
- N’y a-t-il pas un débat
sur le problème particulier que pose le sort des collaborateurs
?
- Leïla Shahid. C’est en effet un débat que nous devons avoir
au sein de la société palestinienne. Le fait que nous allons bientôt avoir des
élections, allié aux événements qui viennent de se produire dans la bande de
Gaza, fait que nous devons avoir sur la question des collaborateurs un débat
public. Sinon, leurs victimes recourront à la vendetta. C’est d’ailleurs
malheureusement ce qui se passe aujourd’hui en Palestine. On ne peut donc pas
éviter un débat public, un débat citoyen. C’est ma position et c’est celle que
défendent aussi un certain nombre de militants des organisations de droits de
l’homme et de citoyens qui demandent publiquement la fin de l’exécution des
collaborateurs. C’est un problème qu’ont connu toutes les sociétés qui ont eu à
subir l’occupation. Mais, nous, Palestiniens, la connaissons depuis près de
trente-huit années, avec les manipulations terribles que cela permet dans
certains milieux fragiles comme les toxicomanes, par exemple. C’est donc un
débat très difficile. Mais il faut l’affronter, car le pire serait de laisser la
population faire justice elle-même. Il faut que la question se règle par le
recours au droit, que les collaborateurs aient la possibilité de se défendre
devant la justice. L’idéal étant de déboucher un jour sur une commission Vérité
et réconciliation, comme en Afrique du Sud. Mais cela ne sera possible qu’après
la fin de l’occupation. On ne peut pas brûler les étapes de l’histoire. Pour
l’instant, l’armée d’occupation qui s’est retirée de Gaza a emmené ses
collaborateurs dans ses bagages, comme elle l’avait déjà fait au Liban. C’est
une tragédie de plus.
- L’appartenance des Palestiniens au monde
arabe et, très majoritairement, au monde musulman pose-t-elle un problème
particulier ?
- Leïla Shahid. Sur vingt-deux pays arabes, seule
l’Arabie saoudite pratique la forme la plus barbare d’exécution capitale, avec
la décapitation publique, en se fondant sur des textes religieux. Un seul autre
pays, mais qui n’est pas arabe, pratique aussi les exécutions publiques et les
lapidations sur des bases religieuses. Je crois surtout que tant que la première
puissance du monde, qui se prétend la plus démocratique et la plus moderne,
c’est-à-dire les États-Unis, continue d’utiliser la peine de mort, c’est
difficile de dire que la peine de mort est un acte barbare et universellement
condamné. Les États-Unis donnent un exemple terrible qui permet à d’autres pays,
comme la Chine, première au monde en nombre d’exécutions, de continuer.
3. Face à
l'afflux des plaintes contre MM. Sharon et Bush père, la Belgique a dû faire
machine arrière par Jean-Pierre Stroobants
in Le Monde du vendredi 7
octobre 2005
BRUXELLES de notre correspondant - Le 19
septembre, un juge bruxellois a délivré un mandat d'arrêt international à
l'encontre de l'ancien dictateur tchadien Hissène Habré, que la Belgique
souhaite juger. Cet épisode a pu laisser entendre que les autorités belges
poursuivaient toujours l'objectif d'établir la compétence universelle de leur
système judiciaire. En réalité, Bruxelles a abandonné l'essentiel de
dispositions adoptées en 1993 et qui ont causé beaucoup de tracas au
gouvernement du libéral Guy Verhofstadt.
Ce sont des mesures transitoires qui
ont permis à 21 victimes de Hissène Habré, qui vit aujourd'hui en exil au
Sénégal, de garder l'espoir. Des actes d'instruction avaient eu lieu avant la
refonte de la loi, votée en août 2003, et trois des plaignants possédaient la
nationalité belge. Avant 2003, la justice belge pouvait poursuivre les auteurs
de génocides et de crimes graves quels que soient le lieu où ils avaient été
commis et la nationalité des victimes. Les nouvelles dispositions font que les
plaintes ne sont recevables que si l'auteur présumé des faits est belge ou
réside en Belgique. Si la victime est belge, la plainte est recevable mais la
procédure ne se déclenchera qu'après avis positif du procureur fédéral.
C'est
une plainte déposée en mars 2003 contre les dirigeants américains George Bush
père, Colin Powell, Dick Cheney et Norman Schwarzkopf par les victimes
irakiennes d'un bombardement américain à Bagdad, en 1991, qui a scellé la fin
d'une loi que les dirigeants belges voulaient emblématique. L'administration
américaine avait riposté en évoquant le "problème grave" que représentait cette
disposition. Officiellement, les dirigeants de Washington s'inquiétaient de voir
l'un d'eux arrêté s'il venait à mettre le pied sur le sol belge. Officieusement,
ils menaçaient de délocaliser le siège de l'OTAN installé en Belgique ou de
boycotter le port d'Anvers.
Auparavant, c'est Israël qui avait promis de
rompre ses relations diplomatiques, d'arrêter les investissements en Belgique ou
d'encourager l'émigration de juifs belges si la justice bruxelloise persistait à
vouloir traduire Ariel Sharon devant une cour d'assises. Le premier ministre
avait été visé dès juin 2001 par la plainte d'un groupuscule arabe qui
l'accusait de complicité dans les massacres des camps palestiniens de Sabra et
Chatila, en 1982. Selon Jérusalem, M. Sharon avait déjà été jugé pour ces faits.
Une commission d'enquête israélienne avait conclu à sa responsabilité, mais
n'avait pu mettre en évidence une "intention criminelle" , ce qui lui
interdisait de prononcer une sanction pénale. La justice belge a rendu plusieurs
arrêts successifs et contradictoires qui ont fait douter de la portée d'une loi
de compétence universelle.
La loi a permis de juger et de condamner, au cours
de deux procès, six complices du génocide antitutsi de 1994 au Rwanda. Elle a
cependant entraîné une multiplication des plaintes qui, si elles avaient abouti,
auraient sans doute rendu intenable la position du gouvernement belge. Elles
visaient des dictateurs comme Augusto Pinochet, Fidel Castro et Saddam Hussein,
mais aussi George Bush père, Colin Powell, Yasser Arafat ou Tony Blair. Une
action a même été intentée contre Louis Michel, ex-ministre belge des affaires
étrangères, accusé par un parti flamand d'avoir favorisé la vente d'armes
destinées à la police népalaise.
La première initiative du deuxième
gouvernement Verhofstadt a été, au cours de l'été 2003, d'en revenir à une
notion classique de compétence extraterritoriale fondée sur la nationalité de
l'auteur ou de la victime. Elle a eu pour effet d'enterrer la plupart des
plaintes, sauf celles visant Hissène Habré, des dirigeants guatémaltèques et les
responsables de l'assassinat de dix parachutistes belges au Rwanda. Israël a
applaudi au gommage d'une "aberration juridique" et diverses capitales se sont
gaussées de la volonté d'un petit pays de jouer les justiciers internationaux.
Pour des juristes favorables à la loi, cette dernière, même émasculée, continue
d'exister, et elle a tracé une nouvelle voie dans la lutte contre l'impunité.
Les magistrats les plus pragmatiques rappellent que, si elle a développé de
grandes ambitions, la Belgique n'a jamais adapté les moyens de sa justice à
celles-ci. L'incapacité de ces juges à traiter, faute de moyens, des dossiers
d'une grande complexité aurait, de toute manière, entraîné un abandon de la loi
de 1993.
4. Gaza retombe dans la violence par Hasan Abu
Nimah
in The Jordan Times (quotidien jordanien) du mercredi 5 octobre
2005
[traduit de l’anglais par Michel
Ghys]
En dépit de tous les propos optimistes sur les
perspectives ouvertes à Gaza après le retrait des colons israéliens, la
situation a rapidement sombré dans la violence. C’était prévisible dans la
mesure où il n’y a aucun signe indiquant que la communauté internationale, et en
particulier le Quartet, ait la moindre intention de faire de cet événement le
début de la mise en œuvre de la Feuille de Route. Ce qui signifie que la
violence remplira le vide laissé là où aurait dû se tenir un véritable processus
politique visant à mettre fin totalement et rapidement à l’occupation
israélienne.
En apparence, la responsabilité dans l’éclatement de la
violence revient aux Palestiniens. En partie au Hamas, pour avoir tiré des
roquettes sur la ville israélienne de Sdérot et en partie à l’Autorité
Palestinienne et à son Président, Mahmoud Abbas, pour n’avoir pas démantelé les
organisation « terroristes », condition préalable posée par Israël, Washington
et le Quartet bien que cela ne fasse pas partie de la Feuille de Route.
Il
est clair que les dirigeants du Hamas ont mal calculé. Ils ont surestimé leur
rôle dans l’éviction des colons israéliens de Gaza. Ce faisant, ils ont mis
l’Autorité Palestinienne dans l’embarras en dévoilant son échec à réaliser ce
pour quoi elle est censée exister : libérer le pays de l’occupant et conduire
les Palestiniens à une complète indépendance. Les festivités de rue pendant
lesquelles le Hamas a affiché tout l’éventail de son armement a ouvert les yeux
sur le redoutable potentiel militaire de l’organisation, augmentant la pression
de promoteurs du processus de paix et de l’Autorité Palestinienne pour retirer
les armes « illégales » des mains de ceux qui y mettent tant de provocation.
Jusqu’ici, l’Autorité Palestinienne a dit qu’elle ne ferait rien qui
ressemblerait à une guerre civile palestinienne pour désarmer le Hamas par la
force comme les partisans d’Israël à Washington et au sein de l’Union Européenne
le demandent. L’Autorité Palestinienne n’a souscrit qu’en paroles au principe
qu’il ne devrait y avoir d’autres armes que celles se trouvant « légalement »
aux mains de l’Autorité Palestinienne.
Il y a bien sûr une grosse différence
entre les armes du Hamas et celles de l’Autorité Palestinienne. L’Autorité
Palestinienne ne fait aucune tentative pour employer ses armes à la défense de
sa population contre les agressions et les crimes de guerres israéliens. Au
contraire, l’Autorité Palestinienne a été conçue pour protéger l’occupant contre
l’occupé. Pendant ce temps, le Hamas est perçu par le public comme un mouvement
de résistance parfaitement légitime tournant ses armes contre l’oppresseur, même
si beaucoup de gens questionnent et critiquent à juste titre certaines tactiques
de l’organisation.
Israël, en attendant, poursuit ses habituelles
provocations. En Cisjordanie, ses forces d’occupation continuent à faire des
incursions dans les villages, commettant des exécutions extrajudiciaires et
arrêtant des centaines de militants politiques.
Juste avant que n’éclate la
violence à Gaza, des escadrons de la mort israéliens ont attaqué et tué trois
Palestiniens à Tulkarem, clamant qu’ils avaient résisté à leur arrestation,
comme si pareille arrestation était parfaitement normale. Israël n’a jamais
reconnu la trêve observée par des Palestiniens depuis le début de l’année.
Chacun des meurtres de ce genre a été justifié comme un acte d’autodéfense ou
comme visant à prévenir une attaque terroriste contre une cible israélienne et,
en dépit du fait que beaucoup dans tout cela s’est révélé faux, le monde
extérieur, pour l’essentiel, continue d’accepter les justifications
israéliennes.
Là où le Hamas se trompe dans ses calculs, c’est précisément
en ne comprenant pas le fait que toutes les provocations israéliennes, qu’elles
viennent avant ou après des représailles palestiniennes, sont destinées à amener
davantage de blâme sur le camp palestinien. Le Hamas n’est pas parvenu à prendre
en considération la position hautement sensible de l’Autorité Palestinienne,
puisant dans la faiblesse de l’Autorité Palestinienne et dans son indécision
davantage d’encouragement et par conséquent davantage de défi. Mais le pire
c’est que les dirigeants du Hamas ont dû être aveugles sur des faits plus
évidents : premièrement, si le départ israélien offre à la résistance la liberté
de riposter, il offre aussi à Israël la liberté de frapper férocement partout
dans un Gaza sans colons ni soldats ; deuxièmement, le Hamas peut avoir cru
qu’Israël hésiterait à employer toute sa force si tôt au risque d’anéantir la
lune de miel de bienveillance internationale créée par l’évacuation de Gaza.
Pour aggraver encore la situation, tous les doigts, non seulement du monde
extérieur mais aussi de l’Autorité Palestinienne, sont pointés sur le Hamas, le
blâmant d’avoir causé l’explosion qui a tué 16 Palestiniens et blessé des
dizaines d’autres au cours d’une parade et d’avoir « provoqué » de dures «
représailles » israéliennes aux tirs de roquettes palestiniennes contre Sdérot.
Les réactions du Hamas à la provocation d’Israël font le jeu d’un
gouvernement israélien satisfait du statu quo et qui ne souhaite la reprise
d’aucun processus de paix sérieux. Il ne fait pas de doute non plus que la
prompte déclaration du Hamas disant qu’il cesserait toutes les attaques contre
Israël et observerait la trêve, a dévoilé davantage encore la position déjà
vulnérable du Hamas. Peut-être cela était-il néanmoins inévitable. Quoi que le
Hamas ait fait ou n’ait pas fait cette fois, Israël aurait poursuivi, comme par
le passé, dans l’escalade de ses atrocités jusqu’à parvenir, comme il l’attend,
à provoquer une réaction palestinienne, roquettes sur Sdérot ou attaque-suicide
à l’intérieur des frontières de 1948. Le Hamas aurait dû comprendre le jeu
d’Israël et ne pas sauter dans le piège.
C’est dans ce contexte que, dans le
courant de la prochaine quinzaine, Abbas se rendra à Washington où il sera
probablement confronté à encore plus de pressions pour un désarmement du Hamas.
Son échec, qui est assuré, procurera seulement à Israël un surcroît d’excuses
qui l’exonèrera sans qu’il soit tenu compte de ce qu’Israël lui-même fait.
Le processus de paix que les dirigeants israéliens ont ouvertement déclaré
souhaiter sera gelé, mis dans le formol. Ce qui sera loin d’être gelé, c’est la
campagne israélienne de grande envergure visant à achever la colonisation des
Territoires occupés – ce que Sharon a déclaré à la tribune des Nations Unies et
à quoi aucun membre du Quartet n’a le cran de s’opposer.
Si c’était un jeu,
plutôt qu’un mortel cauchemar, les Israéliens pourraient clairement être
déclarés vainqueurs de la partie et faire la fête. Mais c’est du destin de toute
une région, Israël inclus, qu’il s’agit, et pas d’un match de football. Peu
importe qui est à blâmer ou qui a mal calculé, le gel de la situation et la
liberté d’Israël vers davantage d’expansion et de colonisation plongera une
nouvelle fois la région dans une violence horrible. Il est difficile de croire
que le Quartet ne comprend pas cela. Son inaction et son absence de volonté de
tenir tête à Israël n’en sont que plus condamnables.
5. Entretien avec Philippe Douste-Blazy - "Gaza ne
doit pas être une grande prison" propos recueillis par Khaled Saad
Zaghloul
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 5 octobre
2005
En visite cette semaine au Caire, le ministre français des Affaires
étrangères,Philippe Douste-Blazy, évoque les moyens de régler le conflit
israélo-palestinien après le retrait de Gaza, la crise en Iraq et les relations
avec l’Egypte.
- Al-Ahram Hebdo : C’est votre première visite en Egypte. Comment
évaluez-vous la nature des relations bilatérales franco-égyptiennes ?
- Philippe Douste-Blazy : Les relations bilatérales sont très
anciennes et profondément amicales. Il y a une « égyptomanie » en France. Dans
le domaine politique, la concertation entre nos deux pays est étroite et nos
positions sont convergentes, notamment en ce qui concerne le processus de paix
israélo-palestinien, la situation en Iraq, le dossier libanais, et le terrorisme
international qui frappe aveuglément à travers le monde et dont l’Egypte n’est
pas exempte.
Au niveau économique et commercial, l’engagement de grands
groupes français, l’importance des investissements réalisés et le renforcement
des exportations égyptiennes en Europe et en France témoignent de l’importance
de l’Egypte pour nos entreprises. J’ai notamment à l’esprit le contrat gazier
qui lie nos deux pays pour les années à venir ; il s’agit du plus important
contrat jamais signé entre la France et l’Egypte et qui confirme le rôle-clef de
ce secteur pour le développement économique de l’Egypte. Notre présence
culturelle constitue une dimension spécifique de notre relation avec l’Egypte.
Il y a un réel dynamisme dans ce domaine, qu’il s’agisse de notre coopération
dans le domaine de l’archéologie ou de l’enseignement du français. L’Université
française d’Egypte, qui a vu le jour en septembre 2002, est aujourd’hui en phase
d’expansion grâce au soutien de nombreuses entreprises françaises et
égyptiennes.
- Quelle est votre vision des premières élections
présidentielles pluralistes en Egypte ?
- Nous considérons qu’elles
constituent un moment très important pour l’Egypte. La réforme constitutionnelle
engagée par le président Moubarak a permis la tenue des premières élections
présidentielles pluralistes. Nous nous félicitons du débat ouvert auquel elles
ont donné lieu. Ces élections sont un signal positif pour la région. Elles ont
été saluées par l’ensemble de la communauté internationale. Nous nous tenons aux
côtés de l’Egypte pour la poursuite de ces avancées positives dans le sens de
l’ouverture et de la démocratisation. La tenue d’élections législatives au mois
de novembre devrait être une étape supplémentaire dans ce processus important
que nous suivrons avec beaucoup d’intérêt.
- Comment évaluez-vous la
situation actuelle en Palestine après le retrait israélien de la bande de Gaza ?
Et pensez-vous que Gaza puisse devenir une grande prison pour les Palestiniens
?
- Ce retrait est un acte positif et courageux de la part du
gouvernement israélien. C’est un vrai succès pour les Israéliens et pour les
Palestiniens. Il s’agit d’une étape qui doit permettre de relancer le processus
de paix dans le cadre de la Feuille de route. Je voudrais aussi saluer ici le
rôle majeur qu’a joué l’Egypte pour que ce retrait soit un succès et pour
assurer un contrôle efficace de la frontière de Rafah. J’ai effectué une visite
officielle dans les territoires palestiniens et en Israël les 7 et 8 septembre à
ce moment historique. Mes entretiens avec les plus hauts responsables politiques
israéliens et palestiniens m’ont convaincu qu’il existe aujourd’hui une
véritable volonté de part et d’autre de faire du retrait de Gaza une véritable
opportunité pour la paix. Gaza ne doit pas être une « grande prison ». C’est
pourquoi les questions de l’établissement d’un lien fixe vers la Cisjordanie, de
l’ouverture d’un port et de la sécurisation des points de passage, en
particulier vers l’Egypte, doivent être les priorités. Votre pays a une action
très positive dans ce domaine.
- Quelle est votre vision pour
parvenir à une solution durable du conflit israélo-palestinien ? Comment la
France peut-elle mettre son poids diplomatique à profit pour participer à la
formation d’un Etat palestinien souverain et indépendant ?
- Le
texte de référence est la Feuille de route. Cela veut dire que les engagements
que les parties avaient pris avant le début du retrait sont toujours valables.
Israël doit geler sa colonisation de la Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est.
Il s’agit d’un impératif absolu. Notre objectif reste la création d’un Etat
palestinien viable en Cisjordanie et à Gaza. Dans le même temps, les
Palestiniens doivent montrer qu’ils font tous leurs efforts pour empêcher les
groupes radicaux de faire échouer le processus qui démarre. Le peuple
palestinien veut la paix et sait que la violence entraîne une violence en retour
qui le frappe durement. Personne ne peut le souhaiter.
La France entend sur
le plan diplomatique rappeler le principe du parallélisme des obligations qui
s’impose aux deux parties. C’est un point essentiel pour la France et la
condition de la mise en œuvre de la Feuille de route ; chacun doit, à chaque
étape du processus, faire sa part du chemin. J’ai, lors de ma visite, réaffirmé
notre engagement à aider, avec nos partenaires européens, les Palestiniens à
reconstruire leurs institutions. J’ai rappelé notre plein soutien, que ce soit
en matière de police, d’infrastructures, de création d’emplois, de formation des
cadres et d’appui au secteur de la santé et de l’éducation. L’Etat palestinien
doit aussi se construire sur le terrain.
La France, de concert avec les
Etats-Unis, exerce de fortes pressions sur la Syrie, concernant notamment le
dossier libanais. Est-ce un prélude à des sanctions internationales ? Est-il
exact que le président Chirac possède une cassette où il y a la preuve que
Bachar Al-Assad menace Rafiq Hariri ? - La communauté internationale s’est
mobilisée pour permettre au Liban de retrouver sa pleine souveraineté et son
indépendance. C’est là le seul objectif de la résolution 1 559 du Conseil de
sécurité de l’Onu, qui est de permettre au Liban de renforcer ses institutions
hors des interférences étrangères. Nous n’avons aucun objectif hostile vis-à-vis
de la Syrie. Nous souhaitions simplement que ce pays réponde aux demandes de la
communauté internationale, ce qu’il a d’ailleurs commencé à faire en retirant
ses troupes du Liban. Quant à la cassette que vous mentionnez, qui concernerait
une autre affaire importante, celle de l’enquête en cours de la commission
internationale sur l’assassinat de M. Rafiq Hariri, j’ignore son existence.
Méfions-nous des rumeurs qui tiennent du roman d’espionnage !
-
Quelle est votre évaluation du texte de la Constitution iraqienne que rejettent
les sunnites ?
- Il ne m’appartient pas de commenter ce projet, sur
lequel il reviendra à l’ensemble des Iraqiens de se prononcer lors du référendum
du 15 octobre 2005. Je forme en revanche le vœu qu’un véritable dialogue
national puisse s’instaurer dans les semaines à venir à partir de ce texte, afin
qu’un consensus se dessine entre les différentes composantes de la société
iraqienne sur les futures institutions du pays. Il est indispensable qu’aucune
des parties de la population iraqienne ne se sente exclue du processus
politique. Il faut surtout qu’une solution politique permette de sortir du cycle
de la violence dont la population civile est si tragiquement victime.
Cette
exigence d’ouverture et d’inclusivité restera plus que jamais nécessaire au-delà
du 15 octobre. Car l’évolution des institutions politiques iraqiennes dépendra
en grande partie des choix de la nouvelle Assemblée et du nouveau gouvernement
qui devront voir le jour avant la fin de l’année, aux termes de la résolution 1
546.
Le retrait des troupes étrangères n’est pas à lui seul la clé de la
sortie de crise en Iraq. C’est, selon la résolution 1 546, au gouvernement
iraqien de décider ce qu’il souhaitera à l’échéance du 31 décembre. Ce qui est
essentiel, c’est que la perspective de retrait soit intégrée parmi les éléments
du processus politique iraqien, et que la population iraqienne ait véritablement
la perspective d’une issue politique qui lui donne la maîtrise de son
destin.
- Que pensez-vous du plan du président Georges W. Bush sur le
grand Moyen-Orient ? Croyez-vous que la démocratie peut être installée de
l’extérieur par la force, selon les modèles iraqien et afghan ?
-
Lors du sommet des pays du G8 de Sea Island en 2004, nous nous sommes engagés
ensemble à mieux accompagner les changements en cours dans le monde arabe, dans
le cadre de l’initiative BMENA, afin de promouvoir un avenir partagé de paix, de
démocratie, de prospérité et de sécurité.
Notre approche des réformes n’est
pas d’imposer de l’extérieur un seul modèle de démocratie « clé en main » pour
l’ensemble des pays de la région. Compte tenu de la diversité des situations, il
faut se garder de toute approche globalisante. Il s’agit plutôt pour la
communauté internationale, dans un esprit de partenariat, de mieux accompagner
les projets de réformes institutionnelles, économiques et sociales menées par
les Etats de la région qui se sont eux-mêmes engagés dans cette voie, notamment
à travers la déclaration du Sommet arabe de Tunis en 2004. L’Egypte a été un
acteur majeur de cette démarche, notamment avec les réunions d’Alexandrie, très
riches et constructives. Pour autant, ce processus de réformes ne dispense pas
de se réengager avec force dans le règlement des crises et des conflits
régionaux.
Enfin, il est important aussi de rappeler le rôle essentiel joué
par l’Union Européenne (UE) à travers le processus de Barcelone, dont nous
célébrerons fin novembre le 10e anniversaire. Depuis dix ans, 9 milliards
d’euros de dons et 12 milliards d’euros de prêts ont été consacrés par l’UE dans
le cadre du partenariat euro-méditerranéen qui est pour nous un espace essentiel
de coopération, de développement et de dialogue.
6. Rotation dans les représentations palestiniennes à
l'étranger
in L'Economiste (quotidien marocain) du mardi 4 octobre
2005
L'Autorité palestinienne a procédé à une vaste rotation dans ses
représentations à l'étranger, nommant de nouveaux "ambassadeurs" à Washington, à
l'Onu et auprès de l'Union européenne, a indiqué lundi 3 octobre un haut
responsable des Affaires étrangères. Le représentant palestinien à Londres, Afif
Safyeh, a été désigné chef de la mission de l'Organisation de libération de la
Palestine (OLP)à Washington en replacement de Hassan Abdelrahmane, muté à Rabat,
a affirmé à l'AFP le sous-secrétaire du ministère des Affaires étrangères,
Abdallah Abdallah.
La déléguée générale de Palestine en France, Leïla Shahid,
a été, quant à elle, nommée représentante auprès de l'Union européenne à
Bruxelles à la place de Shawqi Armali, qui part à la retraite, selon la même
source.
Le successeur de Shahid à Paris n'est pas encore connu mais le nom de
Mahmoud al-Labadi, ancien porte-parole de l'OLP et directeur général du Conseil
législatif palestinien (Parlement), revient avec insistance. La rotation
concerne aussi plusieurs pays arabes, notamment l'Egypte où Mounzer al-Dajani
remplacera Zouhdi al-Qidra, nommé en Arabie saoudite à la place de Moustapha
Cheikh Dib.
7. Aérospatial - Israel Aircraft Industries
signe un contrat de plus de 50 millions de dollars avec Israel Air
Force
in BE Israël N° 40 du lundi 3 octobre 2005Israel
Aircraft Industries (IAI) a été choisi par le ministère de la Défense pour
fournir le drone Heron aux forces aériennes israéliennes (IAF, Israel Air
Force). Le premier appareil devrait être livré très prochainement. Le poids
maximum du Heron au décollage est de 1100 kg et sa charge utile peut atteindre
250 kg. L'envergure du drone est de 16,60 m pour une longueur totale de 8,50 m.
Le Heron sera vendu à l'IAF sous le nom de "Machatz1" : il possèdera des
caractéristiques uniques : capacité à voler à l'altitude de 30.000 pieds et
autonomie de vol de plus de 40 heures. Le Machatz1 pourra également être équipé
de plusieurs capteurs tels qu'un radar maritime, un radar à synthèse
d'ouverture, des systèmes COMINT et ELINT.
[Source :
Communiqué de presse d'IAI du 11 septembre, http://www.iai.co.il - Cette
information est un extrait du BE Israël numéro 40 du 3/10/2005 rédigé par
l'Ambassade de France en Israël. Les Bulletins Electroniques (BE) sont un
service ADIT et sont accessibles gratuitement sur www.bulletins-electroniques.com.]
8. Le Fatah remporte 51 municipalités en
Cisjordanie, le Hamas 13
Dépêche de l'agence Reuters du samedi 1er
octobre 2005, 13h12
RAMALLAH, Cisjordanie - Le Fatah du
président palestinien Mahmoud Abbas a remporté 51 conseils lors des élections
municipales en Cisjordanie et le Hamas en a obtenu 13, au vu des résultats
définitifs annoncés samedi par un responsable palestinien.
Sur les 104
municipalités en lice en Cisjordanie lors de la troisième phase des municipales
palestiniennes jeudi, 40 sont revenues aux autres factions, a déclaré Djamal
Chobaki, responsable du Fatah et chef de la Commission supérieure des élections
locales.
Une quatrième phase de ces élections municipales gazaouites et
cisjordaniennes échelonnées dans le temps doit intervenir avant la fin de
l'année.
Ces résultats sont considérés par certains comme un indicateur de
tendance à l'approche des élections législatives palestiniennes qui doivent se
tenir en janvier 2006.
Avis que ne partagent pas les radicaux du Hamas, dont
le porte-parole à Gaza, Sami Abou Zouhri, a rappelé que seul un petit nombre
d'électeurs - 144.000 - avaient pris part à la troisième phase des élections.
"Les grandes villes attendent pour la quatrième phase(...) qui fait de l'étape
de jeudi, indépendamment des résultats, une phase sans grande importance à côté
de ce qui est à venir", a-t-il dit.
Le Hamas avait estimé que les chiffres
préliminaires du scrutin de jeudi ne reflétaient pas son soutien véritable dans
l'opinion, faisant remarquer qu'il n'avait pas présenté de candidats dans
certains secteurs de peur qu'ils soient arrêtés par les
Israéliens.
PARTICIPATION ÉLEVÉE
"Le processus électoral s'est très bien
déroulé et a été salué par les observateurs palestiniens et internationaux(...).
C'est un succès pour l'ensemble du peuple palestinien", s'est félicité quant à
lui Chobaki.
Le résultat, a-t-il estimé, est décevant pour le Hamas, tandis
que le Fatah sera probablement en mesure de prendre le contrôle de nombreux
conseils municipaux où il n'a pas obtenu la majorité absolue.
"Nous nous
attendons à ce que le Hamas ne s'assure que le contrôle d'une seule municipalité
de plus tandis que le Fatah fera probablement alliance avec d'autres factions
dans des municipalités remportées par d'autres (...)", a ajouté Chobaki, faisant
allusion aux jeux de coalition qui vont intervenir désormais.
Selon lui, le
taux de participation a été de 84% jeudi.
Le score du Fatah, qui cherche à
surmonter l'image de corruption et de mauvaise gestion donnée à l'opinion par
l'Autorité palestinienne, est meilleur que dans les deux précédentes phases en
regard des percées qu'avait alors réalisées le Hamas.
Le scrutin de jeudi
était le premier dans les territoires palestiniens depuis qu'Israël a achevé son
retrait de la bande de Gaza le 12 septembre. Le Hamas a boycotté les seules
élections législatives tenues jusque-là, en 1996, mais compte bien aligner des
candidats au scrutin de janvier.
9. Crise et réforme dans le monde
arabe par Hicham Ben Abdallah El
in Le Journal (hebdomadaire
marocain) du vendredi 30 septembre 2005
(Hicham Ben Abdallah
El est fondateur de l'Institut d'études contemporaines sur l'Afrique du Nord, le
Moyen-Orient et l'Asie centrale à l'Université de Princeton -
Etats-Unis.)
Les idéologues de Washington avaient promis une
transition rapide vers un Etat irakien indépendant, stable, unifié, laïque - un
modèle de démocratisation pour le Proche-Orient. Au lieu de quoi l'intervention
a débouché sur une tragédie.
L'invasion et l'occupation de l'Irak ont mis en branle des tendances
géopolitiques puissantes et imprévisibles au Proche-Orient et au-delà. L'une
d'elles est la dynamique de démocratisation et de réforme engagée dans le monde
arabe, dont l'administration américaine s'attribue le mérite. Cette
revendication tardive s'appuie sur les élections irakiennes et sur les récents
événements au Liban. La réalité paraît plus complexe : contradictoire dans ses
effets, la politique américaine constitue l'une des trois voies potentielles de
réforme, à côté de celles que l'on peut qualifier d'"islamiste" et
d'"autochotone progressiste". (…) Face à ce terrorisme qui peut, à tout moment,
recourir aux armes de destruction massive, chimiques, bactériologiques, voire
nucléaires, l'Amérique, selon les "néocons", ne peut attendre que les Etats se
réforment eux-mêmes : elle doit agir pour modifier le cours de l'histoire dans
le monde arabo-islamique, en liquider les tares et le contraindre à se
démocratiser. Seuls les Etats-Unis peuvent s'en charger, en recourant si
nécessaire à la force. Avec sa cohérence, ce wilsonisme (1) de droite a de quoi
séduire. L'invocation abstraite de la "démocratie" sert de justification ultime
aux actions de l'Amérique, un peu à la manière du "socialisme", naguère, pour
l'Union soviétique. L'importance de la guerre d'Irak tient non seulement aux
bienfaits qu'elle est censée apporter à ce pays mais aussi à l'étape qu'elle
représenterait dans la création d'un nouveau cadre géopolitique, un système
global de sécurité et de réforme, administré depuis Washington, prétendument au
bénéfice de tous, y compris d'un monde arabe souffrant. (…) Les idéologues de
Washington avaient promis une transition rapide vers un Etat irakien
indépendant, stable, unifié, laïque - un modèle de démocratisation pour le
Proche-Orient. Au lieu de quoi l'intervention a débouché sur une tragédie qui a
coûté la vie à des milliers de soldats et à des dizaines de milliers de civils,
détruit des villes entières et réouvert des salles de tortures, sans parvenir
pour autant à garantir la sécurité des citoyens ni leur approvisionnement en
eau, électricité ou gaz : une société en ruines, au bord de la guerre civile,
devenue, selon les services de renseignements, une énorme fabrique de
terrorisme.
Les observateurs les plus perspicaces voient là un échec sans précédent,
voire un crime qu'aucun scénario de réforme régionale ne peut justifier ni
réparer. "Nous avons réussi les élections", rétorquent les néoconservateurs,
dont un théoricien vante l'"irrésistible participation populaire" de janvier
2005, qui aurait "rendu le pouvoir à 80% de la population irakienne- les Kurdes
et les chiites". Selon lui, ce serait même le point de départ des événements du
Liban, d'Egypte et du Golfe. Et de citer le dirigeant druze Walid Joumblatt,
pour qui la "révolution" libanaise "a débuté suite à l'invasion américaine de
l'Irak", les élections symbolisant "le début d'un nouveau monde arabe". Ce
scrutin, conclut Charles Krauthammer, marque un "tournant historique", prouve
que "l'Amérique est vraiment attachée à la "doctrine Bush, synonyme de politique
étrangère néo-conservatrice" (2). Cet enthousiasme laisse sceptique. Les
Etats-Unis, à l'origine, ne voulaient pas de ces élections, imposées par le
grand Ayatollah Ali Sistani. Les partis victorieux promettaient tous un retrait
américain. L'"irrésistible participation" plafonna à 58% des électeurs inscrits,
et à… 2% dans les régions sunnites. Et le rédacteur en chef du Beirut Daily Star
persifle : "Je n'ai jamais entendu (l'idée selon laquelle les Libanais se
seraient inspirés de l'Irak) ailleurs que dans la bouche de Walid Joumblatt". La
suite des événements a d'ailleurs douché les euphoriques. Comme le dit un haut
fonctionnaire américain, "ce que nous voulions accomplir n'a jamais été
réaliste. (…) Nous sommes en train de nous débarrasser de ce "non-réalisme" qui
l'emportait au début " (3). La dernière fois que les Américains se dirent
"surpris et touchés" par "l'importance de la participation" à une élection",
malgré une campagne terroriste de déstabilisation" (4), le pourcentage de
votants avait atteint 83% : cela se passait au Vietnam, en 1967… La montée en
puissance des partis chiites confirme le caractère faustien du pacte que les
Etats-Unis ont conclu avec le clergé chiite conservateur : les liens de ce
dernier avec l'Iran s'opposent évidemment aux prétentions démocratiques du
projet américain. Dans la laborieuse élaboration de la Constitution, Washington
a fait pression pour éviter toute rupture des négociations, mais aussi toute
solution embarrassante sur les questions controversées du fédéralisme et du rôle
de l'islam. Les deux points se tiennent : le fondamentalisme d'inspiration
iranienne a pris si fortement racine localement - comme à Bassora, où les
Britanniques ont acheté un calme relatif en laissant se construire un régime
social strictement fondamentaliste- que certains chiites proposent
l'établissement d'une région autonome gouvernée par leur interprétation de la
charia, ce que les Américains auront bien du mal à empêcher. Quel paradoxe !
"Nous planifions l'établissement d'une démocratie, commente un fonctionnaire
américain, mais nous réalisons progressivement que nous aboutirons à une forme
de république islamique". (5) L'histoire du Proche-Orient a été marquée, de
longue date, par la tension entre domination occidentale et exigence arabe
d'indépendance, focalisée sur le pétrole, la guerre froide, la création
d'Israël. Dans la dernière période, l'islamisme a succédé au nationalisme et au
socialisme arabes à la tête de la résistance aux pressions de l'Occident. Et
pourtant, malgré les antagonismes apparents, Washington et ses alliés européens
ont toujours cohabité, d'une manière ou d'une autre, avec les mouvements
islamistes. (…) Comme le chercheur Mahmoud Mamdani le souligne, (6) ce qui guide
la politique de l'Amérique, c'est moins le refus de principe du fondamentalisme,
ou le soutien permanent à la démocratie, que la recherche du meilleur moyen
d'assurer sa domination. L'actuelle administration joue, depuis peu, une
nouvelle carte : elle se déclare prête à bousculer le statu-quo au nom de la
démocratie. Ainsi la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice a-t-elle récemment
annoncé la remise en cause radicale de soixante ans d'une diplomatie qui
"tendait à la stabilité aux dépens de la démocratie (….) sans atteindre aucun
des deux" (7) Que vaut cet engagement envers l'idéal "universel" de la
"démocratie en-soi et pour-soi" ? (8) Washington avalisera-t-il une victoire
démocratique des Frères musulmans en Egypte, des partisans de M. Oussama Ben
Laden en Arabie Saoudite, du Hezbollah au Liban, du Hamas en Palestine ou encore
du fondamentalisme chiite en Irak ? La difficulté est si manifeste que même
certains défenseurs du président Bush "désespèrent" de la "déviation
démocratique" de la "guerre contre l'islam militant" (9). De fait, compte tenu
des contradictions engendrées par leur action, de leurs intérêts bien compris et
des faits, comment expliquer que des officiels américains s'enferment dans cette
stratégie contre-productive de "démocratie pour-soi" ? Ou bien croient-il
pouvoir défaire plus aisément les islamistes radicaux une fois ceux-ci au
pouvoir ? S'agit-il de l'exposé rationnel d'une politique aux objectifs
inavouables - ou qu'ils ignorent ? Conscients de l'influence du Likoud sur les
néoconservateurs, certains observateurs suggèrent que ces derniers entendent en
fait déstabiliser et affaiblir les Etats arabes, fut-ce au prix du
fondamentalisme. L'administration Bush constitue presque une énigme, tant les
intentions affichées sont incompatibles avec les intérêts américains. Lorsque
des chefs religieux fondamentalistes chiites prirent le pouvoir en Iran, les
Etats-Unis firent marche arrière sur leur rhétorique des "droits de l'Homme".
Ayant eux-mêmes conduit des dirigeants fondamentalistes chiites au pouvoir en
Irak, vont-ils adoucir leur posture "anti-islamiste" ? Et si, demain, un
mouvement comme le Hamas accédait au pouvoir dans d'autres pays, en
reviendraient-ils à des pactes de stabilité "anti-fondamentalistes" avec des
élites autoritaires, comme avant le 11 septembre ? La confusion des positions
occidentales sur l'islamisme et la démocratie ne nous dispense pas, nous les
Arabes et les musulmans, de clarifier notre propre position. Il existe, chez
nous, de nombreuses formes de "fondamentalisme", mais la relation simple et pure
que chacune revendique avec la religion musulmane est en réalité complexe. La
plupart héritent d'une histoire de "quiétisme" politique, favorable à la réforme
au nom de principes islamiques. Certains militent politiquement : ils assimilent
la corruption comme l'autocratie des Etats arabes à des formes de laïcité et
d'apostasie, et prônent la réforme par la ré-islamisation de l'Etat -soit en en
prenant le contrôle, soit en provoquant une lame de fond dans ce sens. Les plus
mécontents ont donné naissance à un nouveau type d'islamisme : ces jihadistes
considèrent les sociétés arabes modernes comme corrompues par leur assimilation
des valeurs occidentales hérétiques et prétendent donc leur faire la guerre pour
reconstruire et purifier l'Oumma. Ils exploitent avec finesse les tensions
existant parmi les populations musulmanes d'Europe devenues le vecteur premier
de la diffusion de cette idéologie. On ne saurait comprendre le succès des
fondamentalistes sans mesurer combien religion, questions de classe, problèmes
de culture et politiques s'entremêlent. Dans bien des pays musulmans, les masses
populaires sont piégées par la pauvreté, perturbées par l'ébranlement des mœurs
traditionnelles, enragées par les promesses non tenues de la mondialisation,
souvent désespérées mais incapables de quitter leur pays alors que les élites
occidentalisées, elles, parcourent le monde. Voilà qui, en l'absence d'une
alternative séculière et populaire, offre un terrain sensible aux sirènes du
fondamentalisme. Du coup, toute possibilité réelle de démocratisation sera
souvent synonyme d'islamisation. Peut-êre avons-nous été trop présomptueux
devant l'essor de ces idéologies drapées dans le Coran. Nous avons cependant les
moyens de faire face efficacement, dans le respect de nos traditions et de notre
culture. Dans mon pays, le roi Mohammed VI a courageusement mis en œuvre la
modernisation du Code de la famille, malgré la forte opposition des groupes
islamistes qui intimidaient bien des partis laïques. Bref, nous pouvons relever,
dans nos pays, le défi fondamentaliste. Que ma position soit claire : je suis
favorable à une politique modérée, progressiste et ouverte à tous les citoyens,
tolérante à l'égard des diverses visions du rôle de la religion dans la vie
politique. Si l'indépendance des sphères politique et religieuse ne constitue
pas une garantie contre la corruption ou les politiques réactionnaires, je
m'oppose à toute forme de régime théocratique, incompatible avec une saine
culture démocratique. Tout en respectant l'islam, l'Etat doit rester indépendant
des autorités religieuses, mais aussi éviter de "punir" les plus religieux en
réduisant leur accès à l'éducation ou à la vie publique. Ces questions doivent
êtres résolues dans un cadre constitutionnel démocratique accepté par tous les
partis. Cela requiert de sérieuses garanties institutionnelles, mais, dans un
contexte de véritable équité politique et de séparation des pouvoirs, les
mouvements islamistes peuvent être partie intégrante de la vie politique de leur
pays. Il ne suffit pas de craindre l'islamisme comme force potentielle de
déstabilisation. Encore faut-il comprendre qu'on peut le transformer en
l'intégrant dans la vie démocratique. Douloureux pour nos sociétés, le débat sur
l'islamisme et la démocratie devient explosif dès lors que s'y mêlent le "deux
poids deux mesures" à l'œuvre en Palestine comme en Irak, l'obsédante "guerre
contre le terrorisme" et les préjugés omniprésents dès qu'il est question de
l'islam. Parmi les facteurs qui ont radicalisé les fondamentalistes figurent la
suffisance des Arabes, mais aussi l'arrogance de l'Occident. Le monde arabe a
donc bien besoin de débattre du chemin qu'il lui faut emprunter vers la réforme
et la démocratisation et aussi vers une reconfiguration progressive de la foi et
du politique. (…) Ce qui émerge sous nos yeux, c'est une nouvelle et puissante
configuration politique, mêlant le fondamentalisme chrétien de droite, le
sionisme américain militant et un militarisme sans limites. Enroulée dans le
mythe du drapeau, de la famille et de l'Eglise, la politique intérieure
américaine se projette au-dehors sous la forme d'une politique extérieure
agressive, unilatérale et arrogante. Ce "bloc" conduit l'intervention en Irak et
au-delà, justifiant ainsi la violence et démentant ses propres discours
altruistes. D'où la difficulté à modifier cette politique indissociablement
nationale et étrangère. (…) Sans doute cette symbiose explique-t-elle la
facilité avec laquelle on tolère la torture et on investit le principal
dirigeant de pouvoirs illimités, lui permettant d'emprisonner indéfiniment des
personnes qui ne sont ni jugées, ni même inculpées. Mais, aussi, l'incapacité
d'une nation si puissante à relativiser sa propre place dans le monde, à
reconnaître ses échecs et ses fautes, à comprendre que tous les pays du monde ne
l'imitent pas. Et sa propension à prendre l'ignorance pour de l'innocence,
l'arrogance pour de la superpuissance, et le mélange des deux pour de la
naïveté. Il est temps que ces questions fassent l'objet, aux Etats-Unis, d'un
débat national. Amis respectueux, nous y encouragerons les résolutions
compatibles, à nos yeux, avec les traditions démocratiques qui fondent depuis
toujours notre admiration pour ce pays. Voilà pourquoi, en matière de réforme,
nous ne voulons ni du chemin néo-conservateur, ni de celui des fondamentalistes.
S'en ouvrira-t-il un autre dans un futur proche ? Le concevoir est en tout cas
difficile, vu les répercussions aussi profondes qu'imprévisibles de la guerre
d'Irak. Que va faire l'Amérique face à l'Iran ? Pour les observateurs
raisonnables, le bourbier irakien rend inconcevable l'hypothèse d'une nouvelle
action militaire, d'autant que le leadership chiite irakien rejette toute
velléité d'agression. Et les excuses présentées à Téhéran par les nouveaux
dirigeants de Bagdad pour la guerre Iran-Irak (1980-1988) posent les fondations
d'une nouvelle alliance militaire : n'ont-ils pas juré qu'ils ne permettraient
jamais une attaque contre leur voisin depuis leur territoire ? Ces
considérations n'ont pourtant pas fait taire la rhétorique agressive contre
Téhéran, sous couvert, cette fois encore, d'armes de destruction massive. Le
vice-président Richard Cheney menace même d'attaquer l'Iran avec des armes
nucléaires dans l'éventualité d'un attentat terroriste aux Etats-Unis - même si
Téhéran n'avait rien à voir. Pour les néo-conservateurs, si le Hamas ou le
Hezbollah peuvent attendre, l'Iran, en revanche, est un Etat puissant que la
destruction de son principal ennemi (les talibans, le régime irakien) a encore
renforcé. Il exerce désormais une influence majeure sur l'Irak et inspire une
sphère régionale d'influence chiite transnationale. C'est, de surcroît, une
puissance militaire redoutable, à même de produire des armes nucléaires - même
si rien n'atteste un tel dessein. Voilà qui pourrait amener Washington à
considérer la destruction de l'Iran comme la seule manière d'empêcher ce pays de
devenir un obstacle irréversible à la domination américano-israélienne sur la
région. Il s'agirait en outre, pour le "néo-conservatisme au pouvoir", d'une
extension logique de sa stratégie de "destruction créatrice " (10). Une telle
attaque, même menée par des forces israéliennes avec l'accord des Etats-Unis,
plongerait toutefois le Proche-Orient dans un engrenage désastreux de violence
et d'instabilité. Le Proche-Orient continue par ailleurs à évoluer. Signe de
faiblesse de la Syrie, son retrait du Liban peut aussi lui permettre de
rassembler ses forces, sans savoir si cela conduira à une réforme démocratique,
à la répression d'une possible rébellion (sunnite ou kurde), ou à une résistance
contre les menaces américaines. Libéré de l'occupation syrienne, le Liban
replongera-t-il dans la guerre civile ou réconciliera-t-il démocratiquement,
sans ingérence étrangère, ses dix-sept confessions, des maronites aux chiites ?
En Egypte, venons-nous d'assister au début ou à la fin de l'ouverture
démocratique ? En Arabie Saoudite, des élections municipales très contrôlées ont
profité à des wahhabites rigoristes. Ailleurs, il sera difficile d'apprivoiser
des sociétés civiles arabes enhardies. Dans ce contexte incertain, des pays
modérés comme le Maroc, le Bahrein et la Jordanie ont fait des pas hésitants
vers la réforme. Mais une véritable réforme - autochtone, progressiste et apte à
satisfaire les besoins et aspirations de nos peuples - doit aller au-delà de
cette timide démocratisation, faite d'élections restreintes et de
constitutionnalisme limité. Elle exige qu'on en finisse avec ce que le Programme
des Nations Unies pour le Développement (PNUD) qualifie dans son "Rapport sur le
développement humain arabe (2004)", de "trou noir de l'Etat arabe " (11). Selon
ce document, la concentration du pouvoir entre les mains du pouvoir exécutif -
qu'il soit monarchique, militaire, dictatorial ou issu d'élections
présidentielles dans lesquelles se présente un candidat unique - a créé "une
sorte de "trou noir" au cœur de la vie politique" et "réduit son environnement
social à un ensemble statique où rien ne bouge". Pour en sortir, il faut des
réformes politiques et juridiques fortes et immédiates respectant les libertés
fondamentales d'opinion, d'expression et d'association, garantissant
l'indépendance de la justice et abolissant cet "état d'urgence (…) devenu
permanent même en l'absence de dangers qui le justifient".(…) L'ampleur de la
tâche nous accable. Il peut même sembler impossible, voire futile, de chercher
une issue à l'apocalypse préparée par les deux adversaires-complices de la
"destruction créatrice " (12) - qui voient chacun dans l'autre l'incarnation du
"mal" à anéantir par une guerre totale. Telle est pourtant notre mission.
Parfois, dans une situation marquée par tant de facteurs négatifs, le devoir des
progressistes consiste simplement à maintenir en vie la possibilité du positif.
Le politique reviendra. Ville après ville, pays après pays, région après région,
nous devons multiplier le nombre des acteurs qui refusent l'apocalypse et
préfèrent jouer le rôle de bâtisseurs d'une existence libre et
meilleure.
- NOTES :
1 - Du nom
du président Andrew Wilson qui, au lendemain de la première Guerre mondiale,
avec ses "Quatorze points", plaida vigoureusement pour le droit à
l'autodétermination des peuples… et la relève de la Grande-Bretagne par les
Etats-Unis au Proche-Orient.
2 - Charles Krauthammer, "The Neoconservative
Convergence" Commentary, New York, juillet-août 2005.
3 - Robin Wright, Ellen
Knickmeyer, "U.S. Lowers Sights On What Can Be Achieved in Iraq", Washington
Post, 14 août 2005.
4 - "US Encouraged by Vietnam Vote", New York Times, 4
septembre 1967.
5 - R Robin Wright, Ellen Knickmeyer, op. cit.
6 - Good
Muslim, Bad Muslim, America, the Cold War and the Roots of Terror, Three Leaves
Publishing, New York, 2005.
7- Secretary Rice Urges Democratic Change in the
Middle East",http://usinfo.state.gov/mena/Archive/2005/Jun/20-589679.html, 20
juin 2005.
8 - Charles Krauthammer, op. cit.
9 - Andrew C. McCarthy, cité
in Justin Raimondo, "Recanting the War : The neocons can't keep their troops in
line", www.antiwar.com/justin, 24 août 2005.
10 - Michael Ledeen, "Creative Destruction : How to
Wage a Revolutionary War", National Review Online (http://www.nationalreview.com/contributors/ledeen092001.shtml), 20 septembre 2001.
11 - PNUD, Rapport sur le
développement humain dans le monde arabe, 2004. Les citations qui suivent en
sont tirées.
12 - Lire Walid Charara, "Instabilité constructive", Le Monde
diplomatique, juillet 2005.
10. Paroles interdites par Hichem
Ben Yaïche
in L'Economiste (bimensuel tunisien) du mercredi 28 septembre
2005
L'été de 2005 aura été dominé, entre autres, par l'actualité du
Proche-Orient : le départ des colons israéliens de la bande de Gaza; un départ
hypermédiatisé, où les télévisions du monde – par un effet d'amplification
massif, eu égard à l'aspect inédit de l'opération – lui ont donné le caractère
d'un véritable spectacle mondialisé. C'est là aussi, au-delà de l'événementiel
abondamment traité, qu'on a revu d'une certaine façon le film de la tragédie
palestinienne, en filigrane : le "Gaza, prison à ciel ouvert", la promiscuité,
la pauvreté et le mal-vivre des Palestiniens, vivant à quelques pas, pour
certains, de zones surprotégées, véritable eldorado au milieu de cet océan
de misère. Le choc visuel est difficilement acceptable !
Tout cela pour dire
que le nœud gordien israélo-palestinien continue à diffuser, à travers le monde,
ses miasmes et ses effets pervers, en transposant en Europe particulièrement,
des tensions – et des frictions parfois – entre Juifs et Arabes, mais pas
seulement… Une extension néfaste et funeste dans d'autres contrées et sur
d'autres théâtres. C'est en France que l'intensité des débats et les prises de
position avaient atteint son paroxysme, dans une dramaturgie qui avait échappé à
tout contrôle. Comme toujours, les médias étaient tout à la fois l'épicentre et
le sismographe de cet exercice oratoire !
La flambée de violence en France,
qui s'ensuivit l'Infadha II, contre des bâtiments juifs – écoles, synagogues,
etc. – s'orienta, de mois en mois, vers un débat de fond centré sur la
résurgence d'un "nouvel antisémitisme", qui serait celui-là d'origine arabe et
musulmane. Guerre des mots, guerre des chiffres, expertises en tout genre… Entre
vrai et faux débat, on ne s'y retrouvait plus, tant les passions à vif et les
imaginations enflammées prenaient le dessus.
Que n'a-t-on pas dit sur la
France et son passé "indécrottablement antisémite", sur son autisme actuel, sur
l'absence de mesures pour stopper cette judéophobie que certains tentent de
détecter derrière tout geste et tout propos enoncé ? Il était impossible de
quitter cette bulle, où l'on passa de la quête de la vérité, afin de prendre la
vraie mesure de ce fléau de l'antisémitisme mille fois condamnable, à la
fabrication d'une sorte de discours accusateur, univoque et unanimiste,
empêchant implicitement tout avis contraire de s'exprimer. En parler
aujourd'hui, c'est tenter de clarifier les idées et dénoncer les erreurs pour ne
pas être condamné à les répéter.
Des théories bâties sur du vide…
Le politologue Pascal
Boniface, auteur de Peut-on critiquer Israël ? (éd. Robert Laffont), un livre
remarquablement documenté, fut – le premier – la cible d'une campagne haineuse,
visant à le disqualifier, et qui faillit le "carboniser" professionnellement, à
travers une série de manœuvres pour l'écarter de la direction de l'Institut des
relations internationales et stratégiques (IRIS). Echec et mat (de ses
adversaires) ! Mais à quel prix ? Que de temps et d'énergie perdus !
Dans le
même ordre d'idées, il est impossible de ne pas rompre le silence et briser la
chape de plomb qui entoure la publication du livre Une haine imaginaire ?
(contre-enquête sur le "nouvel antisémitisme" (éd. Armand Colin). Son auteur est
Guillaume Weill-Raynal, avocat à Paris. Depuis la sortie du livre, en mai
dernier, aucun article digne de ce nom n'a traité de cet ouvrage, qui met le
doigt là où cela fait mal. Ce travail sur un cas exemplaire de désinformation
aurait dû être fait par un journaliste. Mais l'inhibition générale et
l'autocensure ont joué à plein dans cette affaire.
De quoi s'agit-il ?
Guillaume Weill-Raynal (GWR), à défaut d'une excommunication en bonne et due
forme, est ostracisé aujourd'hui du fait de ce livre, dont le contenu
extrêmement dérangeant, réfute, preuves à l'appui, l'interprétation faite sur le
retour de l'antisémitisme. L'auteur écrit : « Le succès et l'influence de ce
discours [la "particulière" haine des juifs et le silence des médias français]
ont dépassé l'espérance de ses initiateurs. Personne ne l'ayant jamais réfuté,
oser le mettre en doute devient déjà suspect et peut prêter à représailles.
Accepté sans réserves par la communauté juive de France, il a conquis en Israël
l'opinion publique et les élites dirigeantes. Loin de s'arrêter en si bon
chemin, il a gagné, aussi l'Amérique. Des théories bâties sur du vide ont acquis
valeur de vérité scientifiquement acquise. » Et d'ajouter : « Ce discours n'est
pas seulement faux. Il est surtout destructeur.» Tout est dit ! GWR pulvérise,
avec une rare minutie les thèses développées, entre autres, par Jacques Tarnéro,
Pierre-André Taguieff, Alain Finkielkraut, Gilles-William Golnadel et d'autres.
Une trentaine d'intellectuels avaient ainsi érigé en dogme un corpus d'idées
reconstruites sur le "nouvel antisémitisme". Sans que personne ne trouve à
redire.
Il n'est pas possible de reproduire, ici, les termes de ce débat
gigogne. Mais les propos développés dans le cadre de cette contre-enquête font
véritablement mouche ! Guillaume Weill-Raynal – juif – est attaché
profondément à sa judéïté. Il est loin donc de pratiquer la "haine de soi". Jour
après jour, ce livre s'est construit dans sa tête à travers une lecture
attentive de tout ce qui se dit dans la presse, et dans les livres. Chaque mot
est pesé, au point de ressembler presque à une thèse universitaire, tellement
l'économie des mots prend tout son sens, afin de privilégier les faits. Le souci
de vérité reste au cœur de cet ouvrage lucide et exemplaire.
Cependant,
retenons, parmi tant de points abordés, cette idée qui va être l'axe stratégique
qui traversera la société française, pendant les années à venir. Ces dernières
décennies, la France s'est considérablement métissée, parfois à son corps
défendant. L'émergence, en termes de visibilité et d'influence, de nouveaux
Français d'origine arabe ou musulmane, fait peur. Les sept cent mille juifs
français, majoritairement issus des pays arabes et musulmans, éprouvent un
profond désarroi devant le changement des rapports de force qui, à terme, auront
nécessairement une traduction politique. C'est pour cette raison que Roger
Cukiermann (président du CRIF), dont les embardées verbales ne se comptent plus,
est obsédé par cette réalité, qu'il rappelle constamment : "cinq cent mille
juifs face à cinq millions d'Arabo-musulmans", répète-t-il à un grand nombre de
ses visiteurs. Voici ce que GWR en dit à ce sujet : «Peut-on avancer, ne
serait-ce qu'à titre d'hypothèse, que l'angoisse réelle des juifs français
aurait pour véritable origine le commencement visible de l'ascension sociale des
Arabes de France, qui réactiverait un conflit dont l'origine se situe aux
alentours de 1870 ? Derrière l'image de "l'importation en France" du conflit du
Proche-Orient apparaîtrait, en réalité, celle d'un conflit beaucoup plus ancien…
» On ne peut mieux conclure sur ce point.
Malgré ce psychodrame permanent et
savamment orchestré, il faut cependant travailler inlassablement à rapprocher
Juifs et Arabes. Une action pédagogique majeure, pour casser le processus
d'enfermement actuel. Mais, restons réalistes, tant que ce conflit demeurera à
l'œuvre, les risques d'un choc entre communautés pourra devenir plus que réel.
Ne pas masquer la vérité est le moyen le plus sûr d'établir un bon diagnostic de
la situation, afin d'agir efficacement contre les véritables causes du
malentendu.
Immense travail de déconstruction de ce faux discours, qui
mérite qu'on s'y attelle au plus vite !
11. Israël, l’ethnocentrisme colonise
- Interview de Michel Warschavsky réalisée par Thomas
Schaffroth
in Il Manifesto (quotidien italien) du mardi 27 septembre 2005
[traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio]
(Thomas Schaffroth Journaliste free lance et historien,
documentariste, ancien correspondant à Paris et Pékin de la télévision suisse
alémanique, vit et travaille actuellement à Marseille.)Une
interview de Michel Warschavsky, universitaire, journaliste et essayiste
israélien. Les bases ethniques d’Israël et la crise de la société israélienne,
symbolisée par la « fuite » de nombreux israéliens, sont le fond sur lequel
s’opère l’affrontement entre les colons et Ariel Sharon. Un conflit qui efface
de la scène politique tout projet de démocratisation de l’état d’Israël.
Juif
israélien qui se définit comme « militant antisioniste », Michel
Warschawsky est le co-directeur de l’Alternative Information Center, centre
d’information et de documentation israélo-palestinien (
www.alternaivecenternews.org ).
Voix parmi les plus radicales de la gauche israélienne, et pacifiste de longue
date, Warschawsky lutte depuis plus de trente ans pour une « paix juste » avec
les palestiniens et pour une démocratisation de l’état d’Israël. Il y a
quelques années, en plein contre-courant, et suscitant un vif débat jusque dans
les pays arabes, il a reproposé la vieille idée d’un état binational et
démocratique dans Israel-Palestine. Le défi binational, (Editions Textuel,
2001). Parmi ses autres livres plus récents, Sur la frontière (en collaboration
avec Michèle Sibony, Stock, 2002), A tombeau ouvert. La crise de la société
israélienne (Paris, 2003) A contre chœur. Les voix dissidentes en Israël, avec
M.Sibony. (Paris, 2003). L’entrevue a eu lieu fin août à Jérusalem, en marge de
la rencontre mondiale des « Femmes en noir ».
- Le retrait de Gaza a souvent été décrit par les medias
français, et dans d’autres pays européens aussi, comme un conflit entre l’armée
et les colons. Si l’on se réfère aux réflexions de certains de vos écrits,
pourrait-on dire qu’il s’est agi surtout d’une opposition entre la « Synagogue »
et l’état de droit démocratique ?
- Je resterais prudent avant d’évoquer une opposition entre la Synagogue et
l’état de droit. En Israël, nous connaissons les pratiques génériques
démocratiques comme élections, liberté de la presse, de pensée et d’association.
Dans la constitution de notre pays il manque cependant un article qui garantisse
le principe fondamental de l’égalité de tous les citoyens et de toutes les
citoyennes. Ça explique aussi les discriminations législatives à l’encontre de
la population arabe et de façon plus générale envers toutes les personnes non
juives qui vivent en Israël. En fait, dans sa charte constitutionnelle Israël se
définit comme un état juif, plus précisément un état juif démocratique.
De
fait, un état ne peut pas se définir démocratique et juif en même temps. En
fait, celui qui se proclame ouvertement état (mono) ethnique, ne peut pas être
démocratique parce qu’il exclut automatiquement toutes les autres ethnies.
- Définiriez-vous cela comme une manifestation de racisme
?
- Je définis tout cela comme une forme particulière d’état que j’appelle
ethnocratie, ou démocratie de l’ethnie dominante, qui se prétend par
ailleurs propriétaire du sol et des terres. D’autres groupes ethniques
peuvent aussi être tolérés, mais on leur nie collectivement la
souveraineté de citoyens de l’état d’Israël, qui est réservée
exclusivement à tous les juifs et juives, qu’ils vivent à Brooklyn ou à
Marseille. Une forme politique insoutenable d’un point de vue de l’état de
droit. Par ailleurs, il y a aujourd’hui des citoyennes et des citoyens de ce
pays qui demandent l’abolition du cadre juridique qui rend cette pratique
possible. En fait si la loi assure des privilèges à une partie de la population
et les refuse à l’autre, l’état peut être, de façon plausible, défini
comme raciste.
- Existe-t-il dans votre pays un milieu politico intellectuel
qui aborde les thèmes du « post-sionisme » ? L’idée fondatrice qui a abouti à la
fondation de l’état d’Israël et à la situation actuelle de conflit est-elle,
peut-être, en déclin ?
- Non, la doctrine fondatrice de l’état d’Israël est toujours le sionisme.
C’est-à-dire que tout le territoire géographique de la Palestine appartienne
exclusivement aux juifs. Le « retrait » de Gaza, en fait, ne change rien à cette
idéologie. Par conséquent, ces intellectuels qui, surtout dans les années 90,
parlaient et rêvaient de « post-sionisme » étaient plutôt myopes. Dans divers
discours récents, Sharon, en faisant continuellement référence à Ben Gourion, a
souligné que nous devons encore porter à terme la « Guerre d’Indépendance » de
1948. De cette façon, il veut rendre tout à fait claire l’idée selon laquelle la
réalisation du sionisme, comme idéologie fondatrice de l’état, est une page
d’histoire qui reste encore à écrire.
Le laïc est antisioniste. A partir de
là, la séparation complète de la construction étatique ethnico religieuse
dominante, c’est-à-dire l’essence du sionisme, est réduite à un lien pervers
entre état et religion.
Si nous observons la gauche du parlement israélien,
on note qu’elle est bien loin de réclamer une séparation entre l’état et
religion, ou une réduction des subventions d’état aux organisations
religieuses.
- Vous avez écrit à diverses occasions comment le sionisme,
avec l’assassinat de Rabin, s’est imposé comme la doctrine
d’état…
- Je suis convaincu de cela. Au début des années 90, s’imposait en Israël
de façon croissante une société civile bourgeoise qui essayait d’occidentaliser
le pays, de l’américaniser. Elle ne s’était pas rendu compte cependant qu’en un
même temps était née une autre classe sociale qui avait l’intention de renforcer
le caractère juif de l’état. C’est en ce sens que l’assassinat de Rabin a marqué
la fin du processus d’ouverture à l’Occident et la restauration des forces
réactionnaires et conservatrices. Le slogan de Bibi Netannyahou contre
Rabin pendant la campagne électorale était « pour un état juif ! ». Rabin
a été tué par un juif orthodoxe et Netannyahou est devenu premier
ministre.
- Tout cela ne reflète-t-il pas aussi peut-être l’ascension de
nouveaux groupes sociaux, qui ont grandi à l’ombre de la collaboration entre
le pouvoir politico-économique et le parti conservateur de Sharon
?
- Exactement. Ça a été une réaction au processus de néo-libéralisme, mais
aussi à une tentative de libéralisation en termes politiques, soit plus de
démocratie et dé-sionisation de l’état. Cela a abouti à la création d’un bloc
politique, né de l’assemblage de communautés qui refusent le modernisme lié à la
social-démocratie, et qui donnaient ses voix au Likoud de Netannyahou. Lequel a
promu une forme de libéralisme brutal, qui a réussi en peu de temps à détruire
une partie des structures existantes de l’état social et de la fonction
publique. Paradoxalement, il est arrivé à mobiliser les couches populaires
contre les socio démocrates, en subvertissant ainsi les rapports de force
politiques.
- Les israéliens d’origine ashkénaze (est européens) continuent
à représenter l’élite politique et économique du pays, alors que les séfarades
(les juifs d’origines orientale et espagnole) sont discriminés dans l’appareil
du pouvoir et appartiennent d’habitude à des niveaux socio-économiques plus bas.
Cette disparité, dans un avenir proche, ne pourrait-elle pas aboutir à une sorte
de « guerre civile » entre les deux composantes ethniques et de classe, avec des
issues destructrices pour l’identité nationale ?
- A la fin des années 90, il y a eu un moment où on pouvait penser
que la société israélienne était au bord de l’implosion. Ce n’est pas arrivé,
mais le plan de Ben Gourion de construire en Israël une sorte de société juive
multiculturelle a raté. Une des conséquences, entre autres, est la
tentation toujours plus forte dans les classes moyennes d’émigrer hors du pays,
ou pour le moins de vivre avec un pied en Israël et l’autre en Occident. Pour
faire court, le lien avec la terre de ancêtres, avec Eretz Israël, est
devenu beaucoup plus ténu, et celui qui peut se le permettre financièrement, se
procure un deuxième passeport.
- Qu’est-ce que ça signifie pour Israël ?
- Ça signifie que les couches sociales qui ont (ou ont eu) des idées
politiques libérales, qu’on pourrait définir comme post-sionistes, seront
politiquement liquidées. Dans tous les cas elles n’ont plus de projet qui puisse
endiguer l’extrémisme religieux croissant. La lutte qui est mise en avant
aujourd’hui est celle entre les colons et Sharon, qui dans ce contexte apparaît
comme un homme de gauche… Il n’existe pratiquement aucune alternative organisée
à ces deux positions.
- Pendant, un meeting international des « Femmes en noir » qui
s’est tenu à Jérusalem, face à l’attitude critique des palestiniennes, certaines
représentantes juives israéliennes ont réclamé une indulgence pour Israël, le
pays qui était en train de le accueillir…
- C’est une générosité qui révèle justement la nature ethnique de
l’état d’Israël. Même ceux qui s’expriment en faveur du retrait partiel des
territoires occupés soulignent leur générosité, et dans tous les cas au motif du
bien de leur pays. En d’autres termes : nous, nous avons les droits, aux autres
nous laissons la « charité ». Selon les sionistes les « autres », les
palestiniens, ne peuvent pas réclamer des droits, mais doivent dire « merci »
parce qu’on les laisse vivre en Israël.
Nous sommes en train de vivre une
horrible régression politique et culturelle qui naît de la peur de l’ « autre ».
Une démocratisation de la société israélienne signifierait cependant : a) une
paix sans conditions avec la Palestine ; b) une attitude différente envers nos
voisins. C’est-à-dire la naissance d’un état d’Israël différent. L’autre motif
de peur vient de la fracture dans l’unité nationale, par la fin possible du
sionisme. La défaite politique de Simon Perès en 2000 a été le résultat de cette
atmosphère, renforcée bien sûr par l’Intifada. Beaucoup de juifs ont pensé : ça
c’est trop ! Et l’idée d’une guerre permanente contre les populations arabes
s’est insinuée aussi dans la gauche israélienne.
- Une vision pessimiste, vous ne croyez pas
?
- Pendant l’été à Tel Aviv, les opposants au retrait des territoires
occupés ont mobilisé dix mille personnes. De l’autre côté, il n’y a pas
d’alternative politique en mesure d’organiser des démonstrations de masse en
faveur du retrait des territoires. Il y a certainement des
milliers
d’israéliens qui adhèrent à des organisations comme les « Femmes en
noir », « Refuznik » (soldats et officiers contre le service dans les
territoires occupés), ou d’autres organisations contre l’occupation, mais tout
ça ne suffit pas pour être optimiste. Cette situation représente un gros
problème pour un état qui a peu de familiarité avec les règles du jeu
démocratique et qui court le risque d’une crise institutionnelle et d’une
désintégration sociale. Un facteur important sera dans tous les cas représenté
par le développement des rapports politiques avec les pays voisins…
- Comment évaluez-vous les deux options, celle d’ « un état »
qui accueille toutes les ethnies vivant dans le pays et l’option de « deux états
», un juif et un palestinien ?
- Pour résoudre les problèmes de réfugiés, de l’économie et de l’écologie,
la réponse la plus rationnelle et économique ne peut être que celle du principe
de l’état unique, dans lequel les différentes ethnies –par exemple-
cohabitent dans une formule fédérale. Ce serait la solution la plus juste, parce
que, de cette façon, les palestiniens seraient de nouveau chez eux, sur leur
sol, et ça permettrait aussi aux juifs de se sentir chez eux. Pour réaliser un
tel modèle, il y a cependant deux obstacles. Premièrement, le fondement
même de l’idée de l’état d’Israël : l’ethnocratie serait définitivement remise
en question. Deuxièmement, la cohabitation démocratique signifie parité des
droits entre la population juive et la population palestinienne : cette parité
aujourd’hui n’existe pas. C’est pour cela que de nombreux palestiniens
déclarent aujourd’hui que s’ils devaient choisir entre vivre ensemble – comme
ils sont aujourd’hui obligés de le faire- ou avoir leur propre état, même petit,
ils choisiraient certainement la deuxième alternative. Nous israéliens nous ne
pouvons pas faire autrement que soutenir la volonté de la majorité des
palestiniens de constituer leur état sur des territoires de la Cisjordanie et de
Gaza.
(Cet article a été rédigé en allemand par l’auteur
et traduit une première fois en italien par Elisabetta d’Erme. La traduction de
l’italien a été soumise à l’auteur, que la traductrice remercie de sa constante
aménité à son égard.... et surtout le mercredi.)
12. L'alibi Gaza par Richard
Labévière
on Radio France Internationale le lundi 26 septembre
2005
Opérations héliportées, interventions de la chasse israélienne
sur Gaza et bouclage des territoires de Cisjordanie.
«Ces attaques nous
ramènent à la case départ et tombent à point nommé pour Ariel Sharon qui
n'attendait que ça»...
C'est le président palestinien Mahmoud Abbas qui
parle, condamnant l'escalade de la violence dans la bande de Gaza et la campagne
massive d'arrestations menée en Cisjordanie... «une réaction totalement
disproportionnée», ajoute le président palestinien.
Des opérations destinées,
notamment à montrer la détermination militaire intacte d'Ariel Sharon confronté,
en ce moment même, à son avenir politique. Les trois mille membres du Comité
central du Likoud doivent se prononcer - aujourd'hui - sur la tenue éventuelle
d'élections primaires anticipées, demandées par Benjamin Netanyahu, le principal
rival de M. Sharon au sein de la droite israélienne.
Sur le plan strictement
militaire, la reprise des opérations montre, à l'envie, que le retrait israélien
de Gaza ne modifie pas foncièrement la donne et que ce retrait s'apparente
davantage à un redéploiement de l'armée israélienne... Une situation qui augure
mal de l'avenir d'une bande de Gaza encerclée, germe d'un futur Etat palestinien
bien improbable. En effet, c'est sur le plan politique que les dégâts
collatéraux sont les plus importants. Tout d'abord, les autorités de Tel-Aviv
ont décidé de retarder, symboliquement la rencontre Sharon/Abbas - première
rencontre depuis le retrait de Gaza - qui devait avoir lieu dimanche
prochain.
Et on peut se demander s'il est bien judicieux de pénaliser ainsi
l'Autorité palestinienne qui a pourtant fermement condamné, ce week-end, le
Hamas ayant pris la responsabilité de violer la trêve décrétée par Mahmoud Abbas
lui-même. En cherchant à intégrer le Hamas à la préparation des élections
législatives palestiniennes prévues le 25 janvier prochain, Mahmoud Abbas
voudrait parvenir à un désarmement du mouvement islamiste. Mais cette option a,
d'ores et déjà, été rejetée par le gouvernement Sharon qui en continuant sa
campagne d'assassinats dits «ciblés» contre le mouvement islamiste mise, à
l'évidence, sur la continuation de son option «tout militaire et tout
sécuritaire».
Depuis longtemps l'état-major israélien mise stratégiquement
sur le démantèlement de l'Autorité palestinienne au profit d'une confrontation
directe et fontale avec les islamistes du Hamas et du Djihad islamique.
En
minant ainsi le processus électoral palestinien, Ariel Sharon a beau jeu de
répéter que Mahmoud Abbas doit encore faire des efforts pour démanteler les
infrastructures terroristes, alors qu'il poursuit très activement les travaux de
colonisation de Cisjordanie avec l'aval de l'administration Bush.
L'escalade
militaire de ce week-end permet au Premier ministre israélien de conforter la
droite et l'extrême-droite israéliennes, mais elle lui permet surtout
d'enterrer, encore un peu plus, la Feuille de route... renvoyant aux callendes
grecques le retrait de Cisjordanie, l'ouverture des négociations sur le statut
final, et par conséquent la possibilité même d'un futur Etat palestinien de plus
en plus improbable...
13. Quand Gaza occupe BHL... par
Pierre Marcelle
in Libération du vendredi 23 septembre
2005
Oh, je me doutais bien, en évoquant ici (le 14
septembre) [article
ci-dessous] la «tache de duplicité» en quoi consista la
non-destruction des ex-synagogues de Gaza par l'armée israélienne, que ce propos
courait le risque d'être mal entendu. Que Bernard-Henri Lévy y trouve un
prétexte à me qualifier d'antisémite (en son bloc-notes du Point et à mots
couverts - car il est prudent autant qu'il est retors) ne me surprend qu'à
moitié. En revanche, qu'il n'ait pas vu dans la livraison des symboles
ex-cultuels aux furieux du Hamas une provocation me surprend tout à fait. Ne
lit-il plus le Monde, «BHL» ? Son journal de référence évoquait pourtant très
explicitement, à l'origine de la décision qui a «contraint l'armée à abandonner
derrière elle les vingt-quatre synagogues encore debout dans le Gouch Katif»,
des «considérations politiciennes». Et précisait même, à usage sans doute des
mal-comprenants, que «le Premier ministre Ariel Sharon et les ministres, de
droite comme de gauche, qui se sont finalement opposés aux destructions, ne
souhaitaient apparemment pas froisser leur électorat religieux». On n'aurait su
mieux le dire ici, ni plus diplomatiquement... Ainsi, et sauf à imaginer qu'il
me cherche noise pour agrémenter son ordinaire journalistique, j'entends mal où
Lévy situe ce «débat politique» dont il m'accuse d'avoir franchi «les limites».
Il est pourtant censé savoir, lui qui valida un temps le plan de paix de Genève,
que pour être viable, et paisible, et démocratique, l'Autorité palestinienne a
besoin de volonté politique et de moyens financiers, et de l'Europe, et des
Etats-Unis ; que les Palestiniens n'ont en revanche pas du tout besoin d'être
livrés, dans Gaza décolonisée, au Hamas auquel Sharon (et lui aussi, BHL)
prétend tous les assimiler - et ce faisant, les livrer ; et que la société
israélienne aussi a grand besoin d'être laïcisée. Mais peut-être «BHL» ne
veut-il pas entendre cela. Il faudra alors qu'il nous explique, en son prochain
bloc-notes, que c'est toute la gauche israélienne qui est antisémite.
14. Le coup des synagogues par
Pierre Marcelle
in Libération du mercredi 14 septembre 2005
Il ne
s'en sera pas fallu de beaucoup pour qu'à Gaza le retrait de l'armée israélienne
se fasse aussi proprement que se fit le mois dernier l'évacuation des colons.
Demeurera cependant, même si elle semble ne pas devoir excessivement porter à
conséquence, cette petite tache de duplicité que révéla, de la part de Sharon
(et aussi de son opposition), le refus d'exploiter la défaite des ultras
religieux en ordonnant à Tsahal de détruire derrière elle, avec tous autres
bâtiments de l'ex-occupant et comme il était prévu, les synagogues. Les rabbins
les avaient banalisées en emportant en processions les rouleaux de la Torah,
mais la tentation d'offrir au monde quelques images de barbares palestiniens en
meutes farouches, incendiant et saccageant des lieux ex-cultuels, fut la plus
forte. Pour leur faciliter le boulot, on vit même, apposé sur un de ces murs
encore debout, un panonceau indiquant «Holly Place» (holly: saint, sacré). On
s'étonna presque que n'y aient pas été remisés un peu de bois mort, quelques
barils de poudre et des allumettes... La manoeuvre, si bien téléphonée qu'elle
virait au gag, fit long feu. Quelques caméras, embusquées près des synagogues
afin de mettre en boîte un peu de haine, sont rentrées pas tout à fait
bredouilles, mais déçues. Hormis les furieux du Hamas, les Palestiniens avaient
à l'évidence autre chose à foutre (à moins ne rêvons pas que ce ne
fût simplement pas le jour). Lundi, se désintéressant dans leur très grande
majorité des symboles de ciment, ils se rendirent sur les plages enfin
accessibles, derrière des vestiges de barbelés. L'impression que donnèrent
d'autres images est qu'ils s'y rendirent pour découvrir la mer, la goûter comme
ces gamins de nos belles banlieues que le Secours catholique emmène une fois
l'an sur un littoral nordiste, entre Le Havre et Fécamp. Comme symbole de la fin
de l'occupation et pour un jour de fête, la mer, soudain autorisée, ça leur
avait tout de même une autre gueule. De n'y avoir jamais appris à nager, cinq
s'y noyèrent.
15. Le dialogue malgré tout par
Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du lundi 19 septembre
2005
L’annulation forcée d’une délégation n’a pas empêché de très
nombreux habitants de Bagnolet de manifester leur solidarité à leurs amis de
Chatila.
Soif d’explications, pas mal de colère et d’incompréhension, mais
aussi, et toujours, volonté d’affirmer sa solidarité avec les Palestiniens, tels
étaient les sentiments qui animaient, vendredi soir, les très nombreux habitants
et habitantes de Bagnolet qui avaient pris place dans la grande salle de réunion
du Centre culturel Pierre-et-Marie-Curie. Une réunion prévue de longue date,
comme la délégation qui devait partir du 15 au 18 septembre dans les camps de
réfugiés palestiniens du Liban, notamment celui de Chatila, jumelé avec
Bagnolet.
La date n’avait pas été choisie au hasard : ce geste d’amitié
aurait coïncidé avec la commémoration des massacres de Sabra et Chatila, commis
il y a vingt-trois ans par les milices d’extrême droite libanaises sous la
supervision du général Ariel Sharon.
Aurait, car la délégation (1) a été
annulée mardi, à la veille du départ, sur demande pressante du ministère
français des Affaires étrangères et de l’ambassade de France au Liban, demande
relayée par la déléguée générale de Palestine Leila Shahid. Raison évoquée : de
graves menaces sur la sécurité de la délégation. Seul partit malgré tout un
groupe de quatre personnes, conduit par Fernand Tuil, président de l’AFPF
(Association pour le jumelage des camps palestiniens avec les villes
françaises). La déception, à Bagnolet, fut à la hauteur de l’enthousiasme mis
dans la préparation de ce voyage par la ville et ses associations, qui venaient
d’accueillir pour les vacances des enfants de Chatila. Elle n’empêcha pourtant
pas les gens d’affluer au meeting prévu. C’est devant une salle archicomble,
débordante de jeunes, que le maire Marc Everbecq et Leila Shahid (2) prirent la
parole pour répondre aux questions sur cette annulation si mal ressentie. Nombre
de participants y voyaient une pression politique du gouvernement, avec la
volonté d’éviter qu’on rappelle le rôle joué dans les massacres par Ariel
Sharon, aujourd’hui reçu en « homme de paix » à l’ONU.
Sans exclure de telles
arrière-pensées, l’un et l’autre redirent les raisons de sécurité évoquées par
le gouvernement français, estimant qu’il y avait là des menaces à prendre au
sérieux compte tenu de la situation au Liban. Marc Everbecq insista surtout sur
sa détermination à « poursuivre, envers et contre tout, le programme du jumelage
avec Chatila, ce qui est le plus important », et promit d’y conduire la
délégation dès que possible, demandant aux associations de continuer leur
travail de solidarité sans se décourager.
Une demande reprise comme en écho
lors du - duplex téléphonique réalisé entre la salle et le camp de Chatila, où
le président du Comité de jumelage du camp, Mahmoud Khallam, dit la tristesse
des habitants d’être privés de la présence de Bagnolet à un tel moment. « Nous
avons décidé de porter le drapeau de Bagnolet dans la marche de commémoration
des massacres », annonçait-il, salué par un tonnerre d’applaudissements. «
Aidez-nous à faire en sorte que les criminels soient punis par la justice
internationale », concluait-il avant que le groupe d’enfants venus en vacances à
Bagnolet n’entonne un chant dédié à l’amitié.
Un moment intense, comme
l’avait été auparavant l’évocation par Leila Shahid de sa visite à Chatila avec
l’écrivain Jean Genêt le lendemain des massacres. Un moment terrible qui,
dit-elle « ramena Jean à l’écriture » et donna naissance à ce texte inouï qu’est
« Quatre heures à Chatila », publié plus tard par la Revue d’études
palestiniennes. Pour Leila Shahid, qui cite Derrida, « le texte de Genêt est la
seule sépulture de ces milliers de martyrs qui n’ont toujours pas de tombe, dont
les corps ont été enterrés au bulldozer sous les maisons et dans des fosses
communes ». Soulignant « le silence et la solitude » qui fut alors le sort des
Palestiniens, elle met en garde contre le risque de « nouveaux massacres ». «
Les Palestiniens sont toujours aussi vulnérables, dit-elle. L’encerclement des
camps organisé par Sharon, au vu et au su de tous, rappelle ce qui se passe
aujourd’hui en Palestine. J’en appelle à la responsabilité internationale pour
qu’elle ne se contente pas des discours de Sharon et fasse appliquer le droit.
»
- NOTES :
(1) La délégation
devait notamment comprendre les députés communistes Marie-George Buffet, Francis
Wurtz, Jean Claude Lefort ainsi que de nombreux élus.
(2) Ont également
participé au débat animé par Marouane Hakkem : Mouloud Aounit, président du
MRAP, Doucha Belgrave de l’UJFP et Françoise Germain-Robin, de
l’Humanité.
16. On tire et on touche par Shahar
Ginossar
in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du vendredi 16 septembre
2005
[traduit de l'hébreu par Michel
Ghys]
« Je vais te casser ta caméra », a dit l’officier en menaçant ses soldats
alarmés. « C’est la caméra de l’unité », a marmonné l’un d’eux. « Alors moi je
suis la merde de cette unité », a dit le commandant, irrité. Passe encore qu’on
critique l’opération militaire, mais en conserver un enregistrement vidéo
?
Cette échange nerveux avait lieu à mi-voix, étant donné que la caméra était
placée dans le salon d’une famille palestinienne de Naplouse, dans une maison
dont l’unité avait pris le contrôle durant l’opération « Eaux calmes ». Début
2004. Les soldats dont certains avaient déjà trouvé l’occasion de tuer des
civils non armés au cours de l’opération, ont composé une chanson macabre. Avant
l’arrivée du commandant, la caméra avait eu le temps de les enregistrer chantant
d’une voix rauque : « Encore un pédiatre et encore un boulanger qui ont reçu une
balle dans la figure, de l’unité de parachutistes. Toute la journée, nous
ratissons des maisons et tuons des enfants ». L’un d’entre eux a expliqué par la
suite : « Ça m’a beaucoup troublé, ce mépris de la vie humaine. Des commandants
de bataillon, de compagnie et de brigade peuvent faire ce qui leur passe par la
tête et personne pour les contrôler, c’est vraiment le Far West ».
A la fin
du mois, s’achèvera la cinquième année de confrontations violentes dans les
Territoires et l’armée de défense d’Israël ne croit plus dans l’idée de rédiger
les instructions d’ouverture du feu. Il se peut que le meurtre de dizaines de
civils innocents, le Far West comme disait le soldat, aurait été limité si des
consignes de tir régulières avaient été transmises aux combattants. Si dans le
passé, il y avait un carnet officiel de consignes d’ouverture du feu qui était
remis à chaque soldat qui servait en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, il a
été mis au rencard au moment où la deuxième Intifada a éclaté en 2000. Les
instructions, les soldats les reçoivent oralement de leurs commandants sur le
terrain, et elles varient d’un secteur à l’autre, d’une unité à l’autre, d’un
commandant à l’autre. Cette zone grise permet de cligner des yeux et de
détourner le regard, soit nonchalance soit mépris de la vie des
Palestiniens.
Le dernier rappel a été donné il y a trois semaines dans le
camp de réfugiés de Tulkarem. Cinq Palestiniens tués et un communiqué du
porte-parole de l’armée israélienne disant sèchement : « Un commando de l’armée
israélienne s’est heurté à un certain nombre d’hommes recherchés, armés et
appartenant à la base du Jihad Islamique. » Le commandant de la brigade Nahal,
le colonel Roni Numa, a expliqué : « Aucun des tués n’était un passant innocent.
Des tirs ont commencé à être échangés entre nos forces et les terroristes, des
cocktails Molotov et des charges explosives ont été lancés dans leur direction
». Après coup, il est apparu qu’aucun des Palestiniens n’était armé, qu’il
n’était pas sûr qu’aucun d’eux fût recherché et dangereux et qu’il n’y avait, en
tout cas, pas eu échange de tirs. Suite à l’agitation médiatique qui a entouré
cette affaire, une enquête a été ouverte dans l’armée – ce qui constitue en soi
une démarche inhabituelle.
Les conséquences meurtrières de cette politique
trouble autour des tirs contre des civils sont parvenues à la Cour suprême qui a
examiné une requête déposée par l’Association pour les Droits du Citoyen [ACRI -
Association for Civil Rights in Israel]. L’armée israélienne elle-même ne
conteste pas les chiffres dans leur dureté : au nombre des tués, on compte
environ 70 femmes, 11 enfants de moins de trois ans, 90 enfants âgés de trois à
douze ans et 304 enfants âgés entre 13 et 17 ans.
Far West
Quelles sont alors les consignes officielles d’ouverture du feu ? En
décembre 2004, la députée Zehava Galon (Meretz) s’est adressée au Ministre de la
Défense Shaul Mofaz, proposant de diffuser par écrit auprès des soldats les
consignes d’ouverture du feu, comme cela se faisait dans le passé, afin de «
garantir que ne se développe pas une loi orale ». Une réponse en provenance du
secrétariat du haut commandement de l’armée est parvenue en début d’année : « En
raison des changements pouvant être opérés du jour au lendemain dans les
consignes d’ouverture du feu et en raison aussi des différences entre secteurs,
il est apparu que porter les consignes à la connaissance des soldats par le
biais d’un carnet comme dans le passé n’était pas efficace et pouvait même
conduire à des erreurs. C’est pourquoi la diffusion des consignes se fait par
l’intermédiaire des commandants ».
Cette explication se heurte à une réalité autre où beaucoup d’ « erreurs »
ont lieu ainsi que commencent à le raconter maintenant des combattants d’unités
d’élite. Les soldats qui ont été interviewés pour cet article soulignent que les
consignes ont été reçues avec une certaine réflexion, pas dans un moment de
pression, et qu’elles ont été transmises au niveau du combattant par voie orale
uniquement. Parfois, dans leur cheminement vers le bas de la hiérarchie, elles
prenaient une signification tranchante. « La raison pour laquelle l’armée
israélienne refuse de diffuser les consignes par écrit est claire », estime
Avihaï Sharon, 24 ans, qui était jusque tout récemment sergent dans le régiment
Golani, « Personne ne peut se tenir ouvertement derrière certaines d’entre elles
qui sont devenues la routine dans tous les secteurs. C’est dommage car, à en
croire les déclarations, l’armée est intéressée par l’idée d’empêcher que des
innocents soient touchés. La transparence pourrait réduire les dommages. Au
moins ça clarifierait ce qui est interdit. Chez nous, dans Golani, personne ne
savait, et quant à ce qui se pratiquait au niveau des tirs, parler de Far West
est encore gentil ».
Les résultats des tirs ne sont pas parfaitement clairs pour l’armée.
L’armée israélienne a déclaré dans sa réponse aux juges qu’ « en plus de ceux
qui nous combattent, des civils innocents sont également touchés ». Combien
d’innocents ? « Pour ce qui est des données chiffrées dont dispose l’armée
israélienne, on ne peut garantir leur précision et leur fiabilité », est-il
écrit dans la réponse de l’armée israélienne qui ne dément pas les chiffres d’un
préjudice massif subi par des civils. Le procureur militaire en chef, le
lieutenant-colonel Liron Liebman se dit convaincu qu’il s’agit seulement de cas
exceptionnels. Mais les juges ont été d’un avis différent et ont ordonné à
l’armée d’instaurer d’ici le mois prochain un dispositif qui fasse rapport sur
les tirs ayant tué des civils. Ceci afin que le procureur militaire ne décide
pas sur la seule base des enquêtes internes que l’armée lui transmet, de ce
qu’il y a lieu d’investiguer.
Les récits qui suivent illustrent la situation nébuleuse dans laquelle se
trouvent les soldats. Une partie des informations provient d’une source d’un
collectif de soldats appelé « On brise le silence » (Shovrim Shtika – Breaking
The Silence [*] ) et a été contrôlée par la rédaction de « 7 jours » en présence
de témoins visuels, d’un porte-parole de l’armée et de l’organisation « B’Tselem
».
Tuer toute personne qui circule dans la rue
« Mon équipe a tué six personnes innocentes ou présumées innocentes », dit
R, commandant d’une unité d’élite de parachutistes. « On en riait et on leur
donnait des noms de code : le boulanger, la femme, l’enfant, le vieux, le
tambour. Pour certains c’était par erreur, mais comme je vois la chose, ils ont
simplement été exécutés sur ordres illégaux. »
« Il y avait beaucoup de nuits où nous recevions des ordres selon lesquels
toute personne qu’on voyait dans la rue entre deux et quatre heures du matin,
peu importe quoi, encourait la mort. C’étaient exactement les mots. Nous étions
à Naplouse et nous avons commencé à progresser suivant la "procédure du ver",
pour ne pas être exposés. Les maisons sont contiguës et elles ont un mur commun.
On fait sauter un mur, on passe d’une maison à l’autre, on fait sauter un mur,
on passe d’une maison à l’autre. Nous avons progressé lentement jusqu’à ce qu’à
la fin nous nous soyons arrêtés en prenant ce qu’on appelle une "maison de
contrôle". »
« Nous avons installé aux fenêtres des positions de tir et nous avons
attendu. Un des tireurs d’élite a repéré un homme sur un toit. A deux maisons de
nous, à une distance de sept mètres, à deux heures du matin, un homme non armé
marchait sur le toit. J’ai vu de mes yeux que l’homme n’était pas armé. C’est
aussi le rapport que nous avons fait par radio. Et le commandant de compagnie a
dit : "Descendez-le". Comme ça, par radio, il a décidé ça. Vous pensez à ça,
qu’aux Etats-Unis existe la peine de mort, qu’il y a mille recours, des
condamnations et des juges. Ici, un homme de 26 ans, mon commandant de
compagnie, a donné de loin l’ordre de tuer quelqu'un et le sniper a tiré et l’a
tué. Le commandant de compagnie l’avait qualifié de "guetteur". Mais c’est quoi,
un guetteur ? D’où sait-il ce qu’il est ? Il ne sait pas. »
« Le suivant, ç’a été le boulanger. Nous sommes entrés dans la vieille
ville de Naplouse et les consignes d’ouverture du feu, comme d’habitude, étaient
que toute personne circulant en rue encourait la mort. Le commandant de l’équipe
a dit que ça venait du commandant de régiment. Le prétexte était évidemment
qu’il y avait des informations de la Sécurité Générale [Shabak]. Vraiment. La
Sécurité Générale sait si Ahmed le boulanger ou Salim le menuisier doivent se
lever pour travailler ? Nous sommes entrés suivant la procédure " veuve de
paille" – on entre dans une maison, on rassemble la famille dans une pièce et on
installe des positions de tirs aux fenêtres. Le matin, nous faisons sortir des
véhicules, comme appâts, dans l’espoir d’attirer les hommes armés et alors on
leur tire dessus. L’idée est de descendre les hommes armés. »
« Cette nuit-là, nous avions pris une maison qui avait une excellente
position et vers quatre heures du matin, le poste des tireurs d’élite a repéré
un homme qui marchait en portant un sac. Moi, je l’ai vu dans la rue Jamia
el-Kebir, portant un sac à la main. Je suis descendu pour faire rapport, et le
tireur d’élite, mon copain, était de faction. J’ai fait rapport au commandant
qui a fait rapport au commandant de compagnie. L’ordre a été : "Descendez-le".
C’est comme ça qu’un homme est tombé, à 70 mètres de chez lui. »
Deux habitants furent témoins de la scène qui s’est déroulée sous la
fenêtre de Assad Hanoun, une femme de 50 ans, vivant à Naplouse. « Le coup de
feu m’a réveillée », a-t-elle expliqué, il y a quelques mois, aux gens de
B’Tselem. « Après le coup de feu, j’ai entendu un cri dans la rue : "Frères, je
suis blessé, hé, je suis blessé !" La voix venait de tout près et j’avais peur
de regarder dehors. Après quelques minutes, j’ai ouvert la fenêtre. La rue était
obscure et je n’ai pas vu le blessé mais j’ai vu le fils des voisins. Je lui ai
demandé qui était blessé et il a répondu que c’était un jeune homme et qu’il
était devant lui. Je suis descendue immédiatement pour essayer d’apporter de
l’aide. Le blessé était assis par terre et portait un chapeau blanc ».
Un combattant de l’unité, qui observait depuis la maison d’en face,
poursuit : « Tout de suite est arrivée une jeep du poste de commandement et le
commandant de compagnie en est descendu, a fait une de ces barbares
confirmations de la mort, à la grenade, et il a aussi criblé le corps de balles.
C’est une bonne chose que le porte-parole de l’armée de défense d’Israël
conteste qu’il existe pareille procédure. Puis ils sont allés vérifier ce qu’il
avait dans son sac. Qu’est-ce que vous pensez qu’il y avait ? Des pitas. »
« J’ai vu approcher une jeep israélienne », raconte encore la voisine. «
J’ai eu peur qu’ils ne tirent et je suis retournée dans la ruelle. La rue s’est
trouvée éclairée par des projecteurs allumés par l’armée. Ensuite j’ai entendu
10-12 coups de feu en continu. Je n’ai pas vu qui tirait mais j’ai entendu crier
le blessé. Après le dernier coup de feu, j’ai entendu le bruit d’une explosion
et après, je n’ai plus rien entendu, ni coups de feu ni cris. Il était clair
qu’il était mort car il ne donnait aucun signe de vie ». La voisine a identifié
celui qui avait été tué comme étant Ala a-Din, qui travaillait à la boulangerie
a-Silawi. « Dans le sac », corrige-t-elle, « il y avait des vêtements de
travail. Pas des pitas ».
K, combattant dans les blindés, témoigne avoir reçu un ordre identique dans
la Bande de Gaza. « Nous sommes sortis de la base en char suite à des tirs de
mortiers sur les localités et nous avons suivi l’axe Tancher jusqu’à ce que nous
arrivions à Deir al-Balah. Par radio, le commandant de bataillon a fait savoir
les consignes d’ouverture du feu : toute personne que nous voyons dans la rue,
nous tirons sur elle avec l’intention de tuer. Sans poser de questions. Je me
souviens que quand nous sommes entrés, quelqu'un a couru, là, sans armes, et
immédiatement nous avons tiré sur lui sans raison particulière jusqu’à ce qu’il
soit clairement mort. C’est-à-dire qu’il est tombé dans les buissons et
qu’ensuite nous avons vidé énormément de balles sur lui. Dans la compagnie, ça
ne nous enthousiasmait pas de tuer mais on était content qu’il y ait de
l’action. On ne pensait pas à des notions de juste ou pas juste. »
A, commandant d’une autre unité de parachutistes, a servi à Jénine et dit
avoir reçu des ordres sous la forme de : « Quelqu'un d’innocent n’a aucune
raison de circuler dans la rue pendant la nuit ». Pour lui, « Dans toute grande
ville, il y a des gens qui vont dans les rues, même à trois heures du matin.
Alors est-il juste de les tuer, de loin ? »
Réponse du procureur militaire, le lieutenant-colonel Liron Liebman : « Il
y a des règles établies selon lesquelles on ne tire que sur des combattants. Ces
mots apparaissent dans les règles et sont censés être transmis aux soldats par
l’intermédiaire de leurs commandants. D’après le droit international, il est
permis de tirer pour tuer pas seulement quand on vous tire dessus : il existe
une notion appelée autodéfense préventive ».
Le tambour
A l’approche du lever du jour, une des nuits du mois de Ramadan, un
habitant de Naplouse parcourait les rues avec un tambour pour réveiller les
habitants avant le jeûne. « Personne ne nous avait dit que les matins de
Ramadan, il y avait un usage comme celui-là », dit R. « Nous l’avons vu avec un
objet en main et, comme dans la plupart des cas, une procédure importante
d’arrestation rapide a été lancée. C’est-à-dire qu’on crie rapidement "halte !
halte !", conformément au protocole, puis tout de suite on tire en l’air et s’il
ne s’arrête pas, on tire pour tuer. Il n’y a pas de tirs dans les jambes
».
Le tambour, terrifié, s’est mis à fuir et est entré dans une ruelle,
rapporte R, et ils se sont lancés à sa poursuite jusqu’à ce que finalement ils
le tuent dans une des ruelles. « Ils ont fait une confirmation de la mort selon
les procédures qui leur sont connues : grenades puis une balle dans la tête.
C’est seulement alors qu’il est apparu que ce qu’il portait était un tambour. Ce
n’est qu’après coup, au cours de l’enquête, que nous avons appris que pendant le
Ramadan, il était de coutume de réveiller ainsi les gens. Soit, nous autres,
simples soldats, ne savions pas. Mais à la tête du régiment non plus, personne
ne savait ? Il se pourrait bien qu’il faudrait être plus prudent et rendre plus
modérées les consignes d’ouverture du feu. »
D’après le porte-parole de l’armée israélienne, le tambour s’appelait Jihad
al-Natour et avait 24 ans. Un officier du bureau du procureur militaire a réagi
en déclarant que la mort du « tambour » faisait l’objet d’une enquête et qu’ «
une des leçons à retenir est qu’il est important d’être informé sur le Ramadan
et les tambours ».
Le procureur militaire dit que c’était un accident. « Les soldats ont
rencontré des gens qui portaient quelque chose qui leur a paru bizarre et ils
ont eu peur d’être attaqués, ils ont fait une mise en garde et demandé de
s’arrêter et les gens se sont mis à fuir. Il apparaît qu’un autre groupe
de soldats avait été positionné par erreur en face du premier groupe. Cela
aurait pu se terminer aussi par la mort d’un soldat. Des erreurs sont
susceptibles de se produire en cours d’opération. Mais nous avons fait un examen
sérieux. Nous n’avons pas dit, bien, soit, un Palestinien a été tué. » Des
poursuites judiciaires ? Elles n’ont pas lieu d’être, selon Liebman, « parce que
les soldats ont agi subjectivement en se croyant attaqués. Nous n’avons pas
entendu parler de confirmation de la mort. J’entends parler de cette allégation
pour la première fois et je ne pourrai pas la commenter ».
Tir à balles réelles dans les genoux d’un enfant
L’unité de M, un combattant du régiment Givati, a été mise en position près
de la colonie de Ganei-Tal : « On appelle ça "facile" quand on tire à balles
réelles dans les genoux d’un enfant. Une longue ligne sépare les localités
juives de Khan Younes et en certains endroits, il n’y a pas de clôture. Face à
Ganei-Tal il y avait une dune qui constituait un angle mort pour nos
possibilités de surveillance. Pour qu’il n’y ait pas d’infiltrations dans les
localités, nous avons instauré une situation dans laquelle les Palestiniens
savent exactement jusqu’où il leur est permis de sortir de la limite du
quartier. »
« Le sommet de la dune était un dépôt d’immondices près duquel des enfants
jouaient chaque jour. Quand le ballon tombe, nous opérons un tir de dissuasion
pour les éloigner, d’abord en l’air puis à maximum 50 mètres d’eux pour qu’ils
filent. C’est la procédure. Pendant une longue période, ça a été comme le chat
et la souris, et ça a duré très longtemps jusqu’à ce qu’un jour, le commandant
en second de ma compagnie a décrété que ça suffisait. Que ce n’était pas
efficace, que les enfants jouaient trop à cet endroit. Il nous a dit : "La
prochaine fois, appelez-moi". Il est venu et il a tiré à balle réelle, avec un
fusil M-16 amélioré, à lunette télescopique, dans la jambe d’un des enfants. Un
enfant qui n’avait à l’évidence rien sur lui et qui n’était pas même suspecté
d’avoir quelque chose, en dehors du fait d’avoir franchi une ligne imaginaire.
Tirer sur un enfant de neuf ou dix ans qui joue au football et poursuit
innocemment son ballon et le rendre invalide pour le restant de ses jours, c’est
plus que problématique à mes yeux. Les enfants ont fui tant qu’ils en ont eu le
souffle et des adultes sont arrivés pour évacuer l’enfant qui était étendu. Ils
ont compris le message agressif. Au moins pendant quelques jours, les enfants
ont eu peur de franchir la ligne ».
R, celui qui appartient aux parachutistes et qui a parlé déjà du « guetteur
» et du « boulanger », raconte – cette fois, sur base de ce qu’il a entendu sur
le réseau radio – ce qui est arrivé à « l’enfant ». Ça s’est passé quand le
commandant du régiment, à Naplouse, a été remplacé et qu’ « il y a eu une
opération que nous avons appelée, pour rire, "le spectacle d’horreur du
commandant du régiment". Dans la dernière phase, des barrages étaient installés
sur les routes, des barrages en plastique qu’on appelle "New Jerseys" et qu’en
permanence les enfants, ceux qui lancent des pierres, viennent déplacer. C’était
le bordel complet, alors le commandant de bataillon a donné un ordre à tout le
monde, par radio : celui qui touche à un "New Jersey", on lui tire dans les
jambes. A balles réelles. »
« Nous étions dans mon Abir [véhicule militaire] et nous avons dit,
directement : "Il est complètement sonné ou quoi ? Celui qui touche au barrage,
on lui tire dans les jambes ? Pour sûr, c’est juste pour remuer de l’air". Mais
non. Ce commandant de bataillon était réellement un bon gars. Donner
personnellement l’exemple était pour lui très important. Au barrage, où je
n’étais pas personnellement mais où il y avait des amis à moi, le bonhomme a vu
un enfant et il l’a visé à la jambe. Mais vous savez comment c’est avec les
hauts gradés : ils ont tellement de réunions qu’ils n’ont pas le temps de faire
la mise au point de leur arme. Il a raté la jambe et a atteint l’enfant à la
poitrine. Je n’étais pas là mais quand on est rentré d’opération à la base, tout
le monde en parlait. Tous disaient que le commandant de bataillon avait touché
un enfant et ils disaient qu’il était comme un "assassin d’enfants". Est-ce que
l’enfant est mort ? Je ne présumerai pas que quelqu'un soit allé contrôler son
pouls, mais très peu d’enfants survivent à une balle dans la poitrine ».
Au sein de l’unité, on donne une explication confuse. « Le commandant de
bataillon n’a pas raté son coup mais a tiré avec l’intention de tuer », a dit
avec assurance un des officiers, « Nous lui avons parlé et il a personnellement
mené son enquête. Son arme était parfaitement réglée et tout a été fait avec
l’intention de tuer. Il s’agissait d’un activiste du Fatah, Hani Qandoul, 17
ans. Il fomentait des troubles graves qui mettaient les soldats en danger. C’est
pourquoi il a été abattu. Les ordres permettent d’abattre un chef provocateur
».
Sauf que la carte d’identité de Qandoul révèle qu’il n’avait que 13 ans et
demi à sa mort. C’est ça le dangereux activiste sur lequel le commandant de
bataillon a tiré avec l’intention de tuer ? Il s’avère que Hani Qandoul a été
tué à un autre moment. Un témoin oculaire l’a raconté à un enquêteur de
B’Tselem, peu de temps après l’événement : « Hani qui avait 13 ans se tenait à
20 mètres de nous avec son frère de 7 ans. Tout à coup, j’ai entendu tirer (…)
J’ai vu Hani tomber par terre ».
Mais alors, si le commandant de bataillon a tué Qandoul en mai 2004, qu’en
est-il de « l’enfant » dont parle le soldat R ? « Nous ne savons rien au sujet
d’un tel tir ou d’un enfant tué », dit-on du côté de l’unité. « S’il y avait un
ordre de tirer dans les jambes, il découlait d’une information des services de
renseignement sur des intentions de mettre nos soldats en danger ». L’opération
« Eaux calmes » s’est conclue par la mort de cinq mineurs d’âge.
Réponse du procureur militaire : « Dommage que le soldat vous ait raconté
cela. S’il nous avait fait rapport, il aurait été possible d’en traiter avec
plus de précision. Je n’ai entendu parler d’aucun "facile" [voir plus haut]
spécifique. »
Toute personne qui se trouve sur un toit
A, un officier de l’unité Shaldag [martin-pêcheur], avait été posté dans la
zone de Rafah lors de l’opération « Arc-en-ciel dans les nuages » en mai de l’an
passé, et « depuis mon poste, j’avais un accès direct au commandant de régiment,
sans intermédiaire. J’étais dans le 2e groupe de commandement de Pinky (Pinhas
Zwartz, qui était alors le commandant du régiment sud – Sh. G.). Au début de
l’opération, je commandais une équipe et un ami à moi commandait une autre
équipe, la mission étant de placer des "veuves de paille" [voir plus haut] et
des tireurs d’élite aux étages supérieurs des maisons ».
« Quand nous sommes entrés, nous avons vu qu’il n’y avait vraiment aucun
risque. C’est une zone bâtie mais pas densément, avec des serres. En face, il y
avait nos chars et des bulldozers D-9 qui détruisaient des maisons et des
serres. Nous nous sommes trouvés là plus de 24 heures et nous n’avons pas vu
d’hommes armés et nous n’avons pas tiré et tout le monde s’ennuyait plutôt, si
on peut le dire comme ça. Mais on nous demandait en permanence par radio,
environ toutes les une ou deux heures, depuis le poste de commandement :
"Pourquoi vous ne tirez pas ?". Mais notre impression de danger était très
basse. Personne ne tirait sur nous. Nous n’étions pas dans un état de nervosité.
»
« Les consignes d’ouverture du feu étaient plutôt claires : tout
Palestinien se trouvant sur un toit est un guetteur présumé et les tireurs
d’élite lui tirent dessus séance tenante. Et tout civil se trouvant dans la rue,
penché vers le sol, est suspecté d’être occupé à déposer des charges explosives
et on lui tire dessus. A un moment donné, nous avons vu quelqu'un qui se tenait
sur un toit. Il était là comme ça, sans jumelles. Il n’y avait aucune raison de
supposer qu’il faisait le guet plutôt que de penser qu’il était simplement allé
prendre l’air. J’avais pouvoir d’autoriser de tirer mais nous hésitions. J’ai
été d’accord de donner l’autorisation. Aujourd’hui encore je me demande
pourquoi. »
« La procédure est que les trois tireurs d’élite tirent en même temps. Il a
reçu deux balles dans la poitrine et est mort sur le coup. Ensuite nous avons
entendu des ambulances. La main sur le cœur, j’avais le sentiment que ce n’était
pas OK, mais les copains ont fait pression et j’ai cédé. Il y avait trois
tireurs d’élite qui avaient passé vraiment beaucoup de temps à s’entraîner et
qui voulaient laisser s’exprimer leurs talents. A la fin de la journée, un
officier du département des opérations du régiment a fait une enquête à la hâte,
deux minutes environ. La question de savoir si le tir était le moins du monde
justifié n’a pas été soulevée. Après ça, moi-même et quatre autres officiers qui
avaient vu des cas semblables, nous étions tellement surpris que nous avons
décidé d’écrire une lettre à notre commandant de corps, avec copie au chef
d’état-major, pour dire ce qui se passait vraiment ». Au terme de l’opération «
Arc-en-ciel dans les nuages », un porte-parole de l’armée israélienne a fait
savoir que des dizaines d’hommes armés avaient été tués ainsi que 14
civils.
Au commandement sud, on sait que la consigne d’ouvrir le feu sur toute
personne se trouvant sur un toit n’est pas légale. La question avait été
clarifiée six mois plus tôt, quand un soldat dans les parachutistes avait refusé
un ordre semblable. « J’ai servi à Netzarim où il y a des dizaines de postes de
gardes », raconte Zafrir Goldberg. « Au cours du briefing, ils ont expliqué les
consignes d’ouverture du feu et j’ai été consterné. J’ai discuté avec le
commandant de compagnie et il m’a dit qu’il était désolé mais que c’étaient les
ordres. J’ai discuté également avec l’officier des renseignements et avec le
commandant de bataillon en second. L’Association pour les Droits du Citoyen
[ACRI] s’est adressée à l’avocat militaire général en protestant contre "un
ordre clairement illégal". Début janvier 2004, l’avocat militaire général a
répondu : "Nous avons donné instructions aux éléments de commandement de
s’assurer que les consignes données aux soldats n’incluent pas un tel ordre
».
Réponse du procureur militaire : « Le droit international permet d’attaquer
tout combattant y compris celui qui fait le guet et guide les autres. La
question est de savoir comment déterminer que quelqu'un est un guetteur et pas
quelqu'un simplement monté pendre du linge. Je ne connais pas les cas
spécifiques mais théoriquement, il se peut que le soldat qui tire ne voie pas
tout le tableau. La nécessité d’une autorisation venant de la hiérarchie
enseigne une certaine prudence. Un soldat qui repère un terroriste armé tire
sans cette autorisation ».
On n’identifie pas. On tire.
L’unité de K, combattant dans le régiment de Nahal orthodoxe, avait été
placée au-dessus de Ramallah pour dominer le quartier d’al-Bireh. Il raconte : «
notre position était relativement calme, avec de temps à autres des tirs de
kalachnikov dans notre direction. C’étaient des tirs inefficaces à cause de la
distance et parce que ceux qui nous tiraient dessus étaient en bas. Mais il
était clair que d’après les ordres, nous ne devons pas rester inactifs et que
nous sommes censés riposter aux tirs et "retourner les tirs vers la source des
tirs". Le problème est qu’il n’y a pas moyen d’identifier la source des tirs et
pratiquement, nous répliquions par un tir "général" en direction des maisons.
»
« Au début, chaque fois qu’il y avait des tirs en direction de nos
positions, nous entamions immédiatement la procédure de tirs de riposte : nous
tirions comme des fous en direction du quartier. On leur déversait une pluie de
balles de MAG [mitrailleuse, produite par la FN - NdT] et des milliers de balles
de M-16 sans avoir identifié la source des tirs. Il était clair à mes yeux que
ce n’était pas rationnel. Je suis allé chez le commandant de compagnie et je lui
ai dit que c’était de l’argent jeté. N’est-ce pas dommage ? Je ne lui ai pas
expliqué que des gens habitaient là, et des enfants, parce que n’importe qui
comprend ça. Je lui ai seulement dit que ça faisait des sommes folles. J’ai
proposé qu’ils fassent venir des tireurs d’élite qui essaieraient de les
descendre un par un. »
« Les premières maisons étaient à environ 600 mètres de nous. Le foyer des
tirs était encore au-delà, à 900 mètres de nous. Il n’y avait aucun risque
qu’ils nous atteignent avec une kalachnikov et évidemment aucun espoir de les
atteindre en retour. Un mois et demi plus tard, les choses ont changé : quand
ils ne nous tiraient pas dessus, on s’ennuyait. Alors les soldats ont décidé de
ne pas attendre que les autres commencent. Ils ont dit quelque chose du genre :
aujourd’hui, c’est à nous de commencer et nous tirerons les premiers. »
« Nous appelions ça "initier". C’était une espèce de routine que toute la
compagnie connaissait et qui s’est produite des dizaines de fois. Tout le monde
connaissait le mot "initier" et sa signification : simplement commencer à
arroser librement en direction de al-Bireh. On se contentait de tirer et, si
possible, dans la direction des fenêtres quand elles étaient ouvertes. Il était
clair que si quelqu'un devait venir se plaindre, nous dirions que les
Palestiniens avaient tiré les premiers. On vidait chaque jour plusieurs "bruces"
(caisses à munitions, en bois – Sh. G.) de munitions. Il est arrivé que je voie
entrer des ambulances mais je ne savais pas ce qui était arrivé. Une fois au
moins, je sais que nous avons blessé une fillette parce que j’ai vu une
ambulance et que le lendemain, il y avait une information dans le journal qui
disait que l’armée israélienne avait répliqué à des tirs en direction de leur
source à al-Bireh et qu’il y avait une enfant dont nous avions arraché la jambe.
»
« Le staff était au courant de tout et nous a laissé entendre qu’il n’y
avait aucun problème. Par exemple, quand il était nécessaire de faire le réglage
de l’arme, le commandant de compagnie nous encourageait à viser les lampes
fluorescentes de la mosquée. Je suis sûr que le commandant de régiment était au
courant parce qu’une fois au moins, rapport lui en a été fait, quand un officier
d’une autre unité a visité la position et lui a fait rapport. Il a entendu tirer
et il a demandé au soldat ce qu’il faisait. Le soldat lui a dit qu’on lui avait
tiré dessus et l’officier a répondu : "Un instant ! J’ai entendu, ne mentez
pas". Il a fait rapport au commandant de régiment et ils ont parlé de ça pendant
plusieurs jours mais il ne s’est rien passé. Pendant toute cette période, nous
étions en contact avec les gens de la colonie de Pisgot que nous protégions et,
après une semaine, ils nous ont dit que l’affaire était jugée, qu’un officier
comme lui ne ferait bientôt plus partie du régiment ».
Le porte-parole de l’armée israélienne, dans une première réponse : « Les
commandants de l’unité ont été remplacés et ont pris leur retraite et il est
difficile d’obtenir un commentaire de leur part ». Le porte-parole de l’armée
israélienne, dans une deuxième réponse : « Aux dires des commandants, ils
n’étaient pas sur place à ce moment-là ». Le lieutenant-colonel Liebman : « Il
n’existe pas de règles d’ouverture du feu "simplement pour tirer". Il y a une
directive qui a pour objet le tir en direction d’une source de tirs non
identifiée et cette directive est subordonnée à la règle de base qu’on ne tire
pas en direction d’un lieu où on met en danger une population civile. Cette
directive est censée être communiquée aux soldats lors des briefings et avant
chaque action, et elle établit clairement ce qui est interdit ».
M, du régiment Givati, parle des mêmes procédures non écrites, quand il a
été en service dans un poste en face de Rafah, en mai 2004. A l’extrémité du
quartier, il y avait une maison abandonnée depuis laquelle des hommes armés
tiraient régulièrement et les soldats ripostaient par des tirs, entre autres
avec un lance-grenades de 40 mm. « Le problème est que pour bien viser avec un
lance-grenade, c’est comme quand jadis, dans les blindés, on tirait des obus.
D’abord on manque la cible, on repère le point d’impact et à partir de là on
corrige et on améliore. Un écart de cent mètres, ce sont quelques millimètres
dont il faut bouger le lance-grenades. Quand on tire un coup, cela fait environ
20 grenades. Chaque fois qu’on tire à droite d’un bâtiment, on touche le
quartier. C’est comme ça aussi qu’on règle le lance-grenade. Il est clair qu’on
ne peut pas toucher au but immédiatement et évidemment, des grenades tombaient
au cœur du quartier. Je me souviens de cas où nous avons repéré des ambulances
après nos tirs. Pourquoi sont-elles venues ? Je ne crois pas que quelqu'un dans
le quartier ait justement eu une crise cardiaque. Il est raisonnable de penser
que simplement nous avions touché des gens. Ce tir s’est fait régulièrement et
avait reçu toutes les autorisations d’en haut, au moins au niveau du commandant
de division ».
Des tirs sur la population, il y en a eu également à Naplouse comme le
racontent des soldats d’une unité de parachutistes. R se rappelle d’une jeune
femme de 24 ans qui a reçu une balle dans le cou à cause de ce qu’il appelle «
un tir irresponsable » de lui et de ses amis en direction de maisons. Il se
rappelle aussi d’un vieil homme qui a pris une balle dans le ventre, balle
qu’apparemment R lui-même avait tirée dans des circonstances semblables. Lui
aussi décrit une réalité où l’on croit dans la phrase « il faut riposter en
direction de l’origine des tirs » même quand personne ne l’a identifiée. « En
pratique, tout le monde tire librement sur 360 degrés, dans les réservoirs d’eau
sur les toits et sur toute personne qu’on repère aux fenêtres ».
« Dire que nous étions sous pression, c’est stupide », répond R à la
question qui s’impose. « Selon moi, la plupart du temps quand mes amis et moi
nous tirions, ce n’était pas par nervosité ou par peur, mais par désir de mettre
un X sur son arme. Tous ceux qui ont été soldats dans une unité de combat savent
à quel point ils ont envie de ce X sur leur arme. Sans cela, tu n’es pas un
homme. Il y a dans mon équipe un gars avec cinq X et il ne s’en soucie pas. On
vous dit : "Ecoute, ils ne sont pas innocents. Qu’est-ce qu’elle faisait à sa
fenêtre ?" ou "Un regrettable accident". Pour moi c’est simplement le résultat
d’un tir irresponsable. Une mort superflue et stupide. »
Le procureur militaire en chef : « Venez témoigner ».
« Les allégations de tirs à l’étourdie ou illégaux ne sont pas justes »,
dit le procureur militaire en chef, le lieutenant-colonel Liron Liebman. « Il
s’agit uniquement d’incidents exceptionnels, à un échelon local. Cela a été, en
réalité, un dilemme de savoir s’il fallait distribuer les consignes par écrit.
Mais la réalité ne ressemble pas à celle du passé. Précisément parce que nous
avons étendu la gamme des instruments mis à la disposition des commandants, nous
ne voulions pas qu’un soldat reçoive un document dont il pourrait conclure que
nous lui permettons tout ce qui est permis à des commandants. Nous voulions
qu’il entende de la bouche du commandant exactement ce qui lui est permis.
Parole et débat à voix haute s’assimilent et entrent plus profondément qu’un
bout de papier. Si nous faisions passer un bout de papier, on pourrait prétendre
que c’est pour couvrir nos arrières. Les consignes ne sont effectivement pas
transmises par le biais d’un livret, mais elles sont communiquées aux soldats
lors des briefings avant toute opération. En outre, sont distribuées par écrit
les règles de conduite dans les territoires, d’où il ressort évidemment qu’il
est interdit de porter atteinte aux civils. Nous agissons en conformité avec le
droit international et aussi avec les pratiques d’autres états en semblables
situations de conflit. »
« Vous me demandez comment, alors qu’il y a des règles, des gens s’en
écartent ? En fait vous me demandez pourquoi j’aurai toujours du travail comme
procureur. Parce que les gens sont les gens. Il y a 139 enquêtes pour des
incidents de tirs, y compris quelques condamnations. Une question plus
pertinente est de se demander si cela atteint des proportions déraisonnables et
là vous avancez sur un terrain moins ferme. Ils sont des milliers à servir dans
les territoires, avec une grande intensité d’actions contre le terrorisme, des
tirs sur des soldats, sur des civils qui se déplacent dans les territoires, des
terroristes-suicide avec des ceintures d’explosifs qui se font sauter aux
barrages et en d’autres endroits. Chaque innocent, c’est tout un monde précieux
mais si vous vérifiez combien ont été blessés, examinez si les exceptions sont
tellement déraisonnables. Moi, d’où je suis, je ne le pense pas. Il y a des
écarts et notre rôle est de les repérer, de les traiter, mais je pense que le
soldat normal et le commandant normal ont la tête sur les épaules, ils ont les
idées à l’endroit, ils ont une conscience et ils opèrent selon les règles.
»
« Il est important que des soldats viennent chez nous avec des témoignages
sur des actes apparemment criminels. J’y vois un rapport important qui fera
l’objet d’une investigation. Il est important pour nous de ne pas être
déconnectés, occupés à dire que tout est en ordre. Nous sommes en contact
quotidien avec des organisations des droits de l’homme. Chaque incident est
examiné avec les commandants présents sur le terrain qui vérifient s’il y avait
sur place des forces de l’armée et comment elles ont agi. Il y a des cas où
l’armée israélienne n’était absolument pas dans le secteur et au cours des
enquêtes, il y a parfois des réponses qui expliquent pourquoi, si désolant que
ce soit, il était impossible d’éviter de toucher des personnes innocentes. Et
parfois il y a aussi des comparutions devant un tribunal. »
« La procédure judiciaire est très difficile dans ces investigations. Il y
a à juger de tous les détails, avec tous les droits de l’accusé, avec les règles
de l’exercice de la preuve, et ce n’est pas simple. Nous demandons la
collaboration des Palestiniens et nous y sommes parfois arrivés. Il y a des cas
où les tués ou les blessés arrivent dans un hôpital israélien et alors les
poursuites ont plus de chances ».
17. Orient arabe : l'expertise US en cause
par Hichem Ben Yaïche
in L'Economiste (bimensuel tunisien) du mercredi 14
septembre 2005Depuis les attentats du 11 septembre 2001 sur le sol
des États-unis, les paradigmes déterminant et architecturant la politique
étrangère de ce pays ont été profondément réorientés. Le monde arabe et musulman
est devenu un objectif prioritaire et un axe stratégique majeur de
l'Administration Bush. Après avoir mené deux guerres en Afghanistan et en Irak
afin de "terrasser" les terroristes et bouter hors du pouvoir Saddam Hussein, en
mettant fin à son système de gouvernement, les stratèges US - incarnant la ligne
dure de la pensée néoconservatrice -, croyaient, avec une déconcertante naïveté,
que la théorie de "destruction créatrice" allait s'opérer tout naturellement en
créant un ordre régional nouveau. Si la situation en Afghanistan est loin d'être
stabilisée, où l'hydre talibane est en train de renaître dans un pays décomposé,
en revanche, on sait, avec plus de détails, ce qu'il advint de l'Irak.
Malgré le discours développé par les officiels US, puisant abondamment dans
une sorte de "pensée magique", niant effrontément ce qui se passe réellement sur
le terrain, il n'est plus possible aujourd'hui de masquer le désastre irakien,
où les militaires américains ne savent plus où donner de la tête. Les violences,
les attentats, les morts… et, surtout, l'expression dévastatrice du terrorisme
qui frappe partout, sont devenus le lot quotidien des Irakiens, plus que jamais
"recommunautarisés" - pour ne pas dire retribalisés.
Fédéralisme ou pas,
nouvelle constitution ou pas, l'éclatement de l'Irak est inscrit en pointillés,
même si aujourd'hui ses dirigeants donnent l'impression de jouer encore la carte
de l'unité.
Comment en sortir ? Cette interrogation va être le sujet majeur
des prochaines semaines.
Dans ce contexte, et prolongeant le propos d'avant,
une autre question vient s'imposer d'elle-même. Les mauvais choix, les erreurs
commises, les hommes mis en avant…, tout ce résultat qu'on observe est le
produit d'une expertise détournée et biaisée par les décisionnaires politiques.
A-t-on bien compris les sociétés et les peuples de cette région ? Pourquoi
a-t-on fait tout de travers ? Pourquoi les bonnes intentions américaines ont été
mal expliquées et mal interprétées à ce point ? Pourquoi en est-on arrivé là ?
Dans quelques semaines ou mois, on saura véritablement quelle est l'étendue de
l'usure de pouvoir du président Bush. L'ouragan Katrina dégonfle la bulle dans
laquelle il avait enfermé l'Amérique (lire à ce propos la chronique de Pascal
Boniface). Il y un vrai début d'éveil. Il se passe quelque chose comme si les
yeux des Américains sont dessillés tout d'un coup. Cependant, les conséquences
sont encore à l'œuvre. George W. Bush se trouve dans un moment de vérité, une
phase cruciale de son exercice de pouvoir. Car si l'affaiblissement actuel se
poursuit, c'est tout le système qu'il a mis en place qui risque de s'effondrer.
Cette donne pèsera incontestablement et conditionnera son action extérieure,
particulièrement en Irak. Ne tentons pas de vaticiner sur un épisode déterminant
pour la suite des opérations. D'ores et déjà, les réponses sont en train de se
dessiner sous nos yeux.
Cela dit, revenons sur les projets géopolitiques US
dans l'Orient arabe. Les responsables américains sont plus que jamais décidés à
aller jusqu'au bout de leur projet du Grand Moyen-Orient. La machine est bien
lancée : Maison-Blanche, Conseil national de sécurité, Pentagone, Département
d'Etat, services de renseignement sont en première ligne. Au mois de novembre
prochain, la deuxième édition du Forum du futur aura lieu à Bahreïn. Mais il y a
une problématique de fond – prégnante et urgente - qui ressurgit dans ce
contexte. Pourquoi l'expertise US sur le monde arabe et musulman est si mauvaise
? Répondre à cette question, c'est pointer du doigt les erreurs commises sur ce
sujet. Malgré la pertinence du diagnostic, on peut dire, sans risque de se
tromper, que c'est l'interprétation idéologique qui pose problème. Moderniser le
monde arabe? Introduire le pluralisme politique ? Démocratiser ? C'est le vœu de
millions d'Arabes ! Reste cette question récurrente : comment le traduire dans
les faits ? Pour l'opinion arabe, les guerres menées en Afghanistan et en Irak
ont été perçues, à tort ou à raison, comme des "guerres de conquêtes".
L'Amérique, obsédée par ses intérêts, n'a pas su expliquer sa démarche, ni
comprendre la psychologie des peuples de la région. Aujourd'hui, dans la
perception collective, les États-unis d'Amérique sont l'objet d'une détestation
inégalée dans ce qu'ils préfèrent appeler le Grand Moyen-Orient (GMO). Les
dégâts sont considérables. De ce point de vue même les mea culpa sont inaudibles
et rejetés en bloc. Championne du pragmatisme, l'Amérique admet et reconnaît
avoir commis "certaines" erreurs. Trop tard, le mal est fait !
Pendant ce
temps, il est impossible de ne pas reconnaître les forces en mouvement de la
société civile arabe. De ce point de vue, la "Déclaration d'Alexandrie" [1],
l'oeuvre d'un groupe d'intellectuels arabes, détaillant point par point les
conditions des réformes dans cette aire, est à suivre de très près. Le temps
presse : les actes doivent suivre et s'appuyer sur les facteurs réels de
changement à l'intérieur des sociétés arabes. Comme toujours, ce sont les moyens
qui manquent le plus pour asseoir ces idées modernisatrices. Cette faiblesse
structurelle se pose avec acuité. Que faire face au pouvoir politique qui a les
moyens de ses ambitions ? L'Amérique a choisi, dans l'émergence de la démocratie
au forceps qu'elle a choisie, d'augmenter la pression sur les régimes
politiques, afin de les forcer à ouvrir le jeu, mais le résultat reste
aléatoire. Car il dépend de multiples facteurs, dont personne ne peut prévoir,
ni prédire l'articulation finale.
Doute américain et frémissement arabe
s'inscrivent dans une trame de fond où l'Islam, les Arabes et leur civilisation
vont être au cœur de l'actualité géopolitique, pour
longtemps[2].
- NOTES :
[1]
Pour accéder au texte intégral de la "Déclaration d'Alexandrie", consultez
ce site www.bibalex.org.
[2] Aux États-unis, mais aussi en Europe, les livres qui paraissent
sur l'Orient arabe sont nombreux et traduisent cette préoccupation où la
mauvaise expertise a la part belle hélas !
18. Retrait israélien - Que d’interrogations…
par Pascal Boniface
in L’Economiste (bimensuel tunisien) du mercredi 31 août
2005
Ça y est, c'est fait. Le désengagement israélien de Gaza et le
démantèlement des colonies qui y avaient été établies a eu lieu sans heurts. Les
colons n'ont pas résisté par la force et n'ont pas commis les violences que
certains menaçaient de déclencher. Le Hamas n'a pas commis d'attentats qui
auraient eu pour principal effet de remettre en cause le retrait israélien. Les
habitants de Gaza n'auront plus à subir sur leur territoire les effets
douloureux de l'occupation. Il convient donc de saluer ce geste historique
d'Israël. Mais cela n'empêche pas de conserver un regard lucide.
Sharon après
tout ne fait que rendre aux Palestiniens une petite partie de leur territoire.
Il ne fait que respecter très partiellement et très tardivement les règles du
droit international qui interdisent d'occuper des territoires acquis par la
force militaire.
Les télévisions occidentales ont beaucoup montré la douleur
des familles de colons qui devaient quitter leur maison. Mais elles étaient
établies illégalement et étaient la cause de la privation des droits des
Palestiniens. A Gaza 8000 colons occupent directement ou indirectement 40% des
terres (colonies, zone d'exclusion, route de contournement), 1,4 millions de
Palestiniens ayant le reste. De plus en plus, les colons ont été évacués en
douceur, prévenus longtemps en avance, et seront indemnisés. Rien de tout cela
ne s'applique aux Palestiniens qui en nombre beaucoup plus important ont vu leur
maison détruite par les soldats israéliens pour des "raisons de sécurité".
Au delà du principe du retrait , ce sont ses conditions qui sont
importantes. Les Palestiniens auront-ils le contrôle de leurs frontières
maritimes et terrestres ? Il semble qu’Israël, en échange de garanties de
sécurité, soit d’accord pour leur laisser ce contrôle, en liaison avec les
Egyptiens. C’est indispensable tant d’un point de vue économique que politique.
Outre le libre passage entre Gaza et l’Egypte, la liberté de déplacement entre
Gaza et la Cisjordanie devrait être rétablie. Il faut tout simplement que les
Palestiniens puissent circuler librement, ce qu’ils ne font plus depuis près de
quatre ans. Mahmoud Abbas doit prouver à la population palestinienne que la fin
de l’Intifada armée débouche sur une amélioration de leur situation, tout en
dégageant de réelles perspectives (un Etat viable) à terme.
Sans perspective
politique et économique, le Hamas progressera chez les Palestiniens. Par contre
coup, cela renforcera en Israël ceux qui s’opposent au dialogue avec les
Palestiniens.
Premier pas vers un règlement juste et durable ou moyen de
conserver plus facilement le contrôle d’une partie de la Cisjordanie et de
Jérusalem Est ?
Sharon a conscience qu’il faut faire des concessions, ne
serait-ce que pour des raisons démographiques. Se retirer de Gaza, c’est aussi
se débarrasser de 1,4 million de Palestiniens.
Gaza n’est qu’une partie du
problème. Il a fallu évacuer 2 à 3000 unités d’habitation. Or les Israéliens
sont en train d’en construire deux fois plus en Cisjordanie. Par ailleurs, la
construction du mur se poursuit, et son tracé empiète largement sur la ligne
verte tandis que l’expulsion progressive des Palestiniens continue à Jérusalem
Est.
Le problème du mur réside en effet beaucoup plus dans son tracé que
dans son principe. Il constitue de fait une frontière et donc la perspective
d’un Etat pour les Palestiniens. Mais si les choses en demeuraient là, on aurait
finalement un accord de paix moins favorable encore pour les Palestiniens, que
les propositions faussement généreuses de Barak à Camp David à l'été 2000. Ce
serait Gaza, au mieux les 9/10èmes de la Cisjordanie et rien sur Jérusalem. Les
Palestiniens pourraient-ils l’accepter par lassitude ? Les Israéliens peuvent
parier sur le fait qu’ils ne sont pas prêts à supporter de nouveau ce qu’ils ont
vécu au cours des quatre dernières années. Mais si cette lassitude est réelle,
elle n’a jamais été dans cette région gage de sagesse. Une telle situation
conduirait nécessairement à la reprise du terrorisme palestinien sur laquelle se
grefferait une troisième Intifada incontrôlée et incontrôlable. Par ailleurs,
Jérusalem n’est pas un problème palestinien, mais musulman. L’annexion de
Jérusalem par Israël apparaîtrait comme étant définitive si elle se faisait
parallèlement à la création d’un Etat palestinien réduit. Elle entraînerait une
mutation du conflit qui serait catastrophique. Ce conflit, après avoir été
israélo-arabe, est devenu israélo-palestinien. Mais sa diminution géographique
s’est néanmoins accompagnée d’un intensification stratégique. Le non-partage de
Jérusalem le transformerait en conflit israélo-musulman. Avec des conséquences
dramatiques pour l’ensemble de la planète.
19. Israël annexe de nouvelles terres en
Cisjordanie par Mounia Daoudi
on Radio France Internationale le
jeudi 25 août 2005
A peine terminée l’évacuation des civils israéliens
de ce territoire, les autorités ont annoncé la confiscation de quelque 120
hectares de terres palestiniennes en Cisjordanie. Officiellement, il s’agit de
poursuivre la construction du «mur», cette barrière de sécurité censée protéger
Israël de l’infiltration de kamikazes. Dans la réalité, le tracé de cette
clôture va englober des terres autour de plusieurs colonies et isoler un peu
plus Jérusalem-Est dont les Palestiniens veulent faire la capitale de leur futur
Etat.
Le Premier ministre Ariel Sharon avait prévenu. Le retrait de la bande
de Gaza ne signifie en aucune façon la fin de la colonisation des terres
palestiniennes. Le 17 août, jour du début de l’évacuation forcée des colons de
ce territoire occupé au lendemain de la guerre des Six-Jours, le chef du Likoud
déclarait en effet que la colonisation allait «se poursuivre et se développer»
en Cisjordanie. Et de préciser : «il s’agit d’un programme sérieux». Ce qui
aurait pu apparaître comme un discours de circonstance destiné à contrer les
attaques particulièrement virulentes de ses adversaires, a pris tout son sens
mercredi. En homme de parole, Ariel Sharon, en effet, n’aura pas attendu
longtemps avant de dévoiler ses plans. Dès le lendemain de la fin de
l’évacuation des vingt et une colonies de la bande de Gaza et des quatre petites
implantations du nord de la Cisjordanie, son gouvernement annonçait l’annexion
de nouvelles terres palestiniennes.
En tout quelque 120 hectares vont ainsi
être confisqués afin de permettre la poursuite de la construction de la très
controversée barrière de sécurité qu’Israël érige en Cisjordanie. Un édifice
jugé illégal par la Cour internationale de Justice de La Haye et que l’Etat
hébreu justifie pour empêcher l’infiltration de kamikazes palestiniens sur son
territoire. Le tracé de cette barrière a été approuvé au plus haut niveau de
l’Etat, par le conseiller juridique du gouvernement Menahem Mazouz. Il devrait
permettre l’élargissement de la colonie de Maale Adoumim et relier cette
implantation –la plus importante de Cisjordanie avec quelque 28 000 habitants–
aux quartiers juifs construits à Jérusalem-Est qu’Israël occupe et annexe depuis
juin 1967. Il devrait également englober les colonies voisines de Mishor
Admoumim, Kedar, Almon et Allon. Une fois le feu vert donné par le conseiller
juridique, l’armée israélienne a commencé à émettre les ordres de confiscation
des terres palestiniennes. Leurs propriétaires ont une semaine pour faire
appel.
Un nouveau QG de la police israélienne en
Cisjordanie
La décision d’Israël de poursuivre sa politique de
colonisation a, comme il fallait s’y attendre, soulevé un tollé chez les
Palestiniens qui accusent l’Etat hébreu de «vouloir couper le nord de la
Cisjordanie du sud de ce territoire et modifier ainsi la démographie de
Jérusalem à son profit». Selon Khalil Toufaqjin un expert palestinien également
cartographe, le nouveau tracé de la barrière de sécurité va en effet s’enfoncer
en Cisjordanie sur 15 à 20 km en direction de la mer Morte et sur une largeur de
20 km. Selon lui, en érigeant ce «mur», Israël va mettre définitivement en péril
l’édification d’un Etat palestinien viable.
Au risque de s’attirer de
nouvelles critiques du grand allié américain –en mars dernier la décision
d’Ariel Sharon de construire 3 500 logements à Maale Adoumim avait été vivement
condamnée par la Maison Blanche–, les autorités israéliennes ont annoncé jeudi
leur intention de bâtir le quartier général de la police pour la Cisjordanie
dans cette implantation située à une dizaine de kilomètres de Jérusalem. «Ce
projet a obtenu toutes les autorisations nécessaires et va bientôt être lancé»,
a affirmé un responsable du gouvernement qui a précisé que «le QG de la police
sera érigé sur des terres domaniales palestiniennes». L’annonce a été violemment
critiquée par le Premier ministre palestinien Ahmed Qoreï pour qui ce projet
«constitue une opération criminelle». «Aucun musulman, aucun Arabe, personne qui
souhaite la paix ne peut accepter un tel plan. Il faut une initiative
internationale rapide», a-t-il insisté. Le chef des négociateurs, Saëb Erakat,
n’a pour sa part pas caché son pessimisme. «Nous espérions que le retrait de la
bande de Gaza et d’une partie de la Cisjordanie préfigurerait une époque de paix
et de progrès vers la Feuille de route, mais il est clair qu’Israël continue à
parler le langage de l’agression», a-t-il déploré.
Plus impliquée que jamais
dans le processus en cours au Proche-Orient, l’administration Bush, qui espérait
que le retrait de Gaza relancerait la Feuille de route, a pris ses distances
avec le gouvernement Sharon dans cette affaire. Le porte-parole du département
d’Etat, Sean McCormack, a en effet rappelé aux autorités israéliennes leurs
obligations en vertu des engagements qu’elles avaient elles-mêmes pris. «Le
président Bush et le Premier ministre Sharon se sont accordés, dans un échange
de lettres en avril 2004, sur le fait que la barrière érigée par Israël devait
être une mesure de sécurité et non une mesure politique et que son itinéraire
devait tenir compte de l'impact sur les Palestiniens qui ne sont pas engagés
dans des activités terroristes», a souligné le responsable américain. «Nous
avons clairement fait savoir que la barrière ne devait ni préjuger des
frontières finales, ni confisquer des terres palestiniennes ou affecter
davantage le peuple palestinien», a-t-il ajouté dans ce qui s’apparente à une
condamnation nette de la politique de colonisation relancée par le gouvernement
Sharon.
20. Tout change, rien ne change ! par Subhi
Hadidi
in Le Nouvel Afrique Asie N° 190 -
juillet-août 2005
LIBAN - Depuis le retrait de l’armée
syrienne sous la pression conjuguée de Washington, de Paris et de la rue, le
pays du Cèdre a renoué avec ses anciens démons confessionnels. Comme l’a montré
la dernière campagne électorale (photo), qui a vu le triomphe de l’opposition
sous la houlette de Saad Hariri, fils de l’ancien Premier ministre dont
l’assassinat a ouvert la voie aux spectaculaires changements survenus ces
derniers mois.
Depuis la mi-mars 2005, le Liban a été le théâtre d’une
succession d’événements centraux, notamment l’adoption par le Conseil de
sécurité de l’Onu de la résolution 1559 exigeant le retrait des forces
étrangères du pays du Cèdre, l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic
Hariri, la formation d’un front d’opposition soutenu par un large mouvement
populaire, la démission du gouvernement d’Omar Karamé soutenu par Damas, le
retrait des forces militaires syriennes et, pour finir, la tenue d’élections
parlementaires, les premières depuis trente ans à se dérouler en l’absence des
troupes syriennes. Tous les ingrédients étaient donc en place pour que le
“printemps de Beyrouth” – selon la formule utilisée par l’opposition au pouvoir
prosyrien pour qualifier ces développements – aboutisse, en fin de course, au
déclenchement de la “révolution du Cèdre”, comme se plaît à dire Condoleezza
Rice, la secrétaire d’Etat américaine.
Ces pronostics, qui péchaient sans
doute par trop d’optimisme, seront cependant vite démentis par les faits. Le
retour sur terre sera brutal. Ceux qui avaient parié gros sur la révolution du
Cèdre en auront été pour leurs frais. Outre leur optimisme béat, ils ont surtout
une grave méconnaissance de ce pays et des fondamentaux qui ont toujours régi le
jeu politique interne libanais : divisions confessionnelle et communautaire,
antagonismes partisans, politiciens et électoralistes. La déception fut telle
que le chef druze Walid Joumblatt et l’un des principaux meneurs de l’opposition
a pu dire que la Syrie était sortie par la porte pour rentrer par la fenêtre !
Joumblatt ne faisait que décrire la réalité sur le terrain. Car il faut une
certaine dose de naïveté pour penser que le retrait militaire syrien du Liban
signifie un désengagement total de la Syrie de la scène politique libanaise, son
abandon volontaire de ses réseaux d’influence dans les diverses forces
politiques et les services de sécurité libanais ou sa perte d’influence
sécuritaire directe sur le terrain, particulièrement dans le Nord, le Sud et
l’Est du pays. La victoire électorale de l’opposition, qui a amené au Parlement
une majorité conjoncturelle composée d’une coalition hétéroclite, n’y changera
pas fondamentalement la donne stratégique sur le terrain. Ce retour de Damas par
la fenêtre s’est concrétisé, pour le moment du moins, par la nomination, avec
l’accord d’une coalition composée des principaux partis politiques – qu’ils
soient ou non partisans de la Syrie – de Najib Miqati comme Premier ministre
chargé d’organiser les élections. Ce dernier, rappelons-le, a toujours été très
proche du régime syrien et, à en croire certains rapports, deux de ses frères
entretiennent des relations d’affaires portant sur de gros contrats et marchés
avec des membres de la famille du président Bachar Assad.
Un autre aspect du
maintien de la main lourde du régime syrien sur les affaires libanaises aura été
l’assassinat du journaliste et écrivain libanais de gauche, Samir Kassir, l’un
des principaux animateurs du “Printemps de Beyrouth” et le plus implacable des
opposants à la présence syrienne au Liban, qui, depuis des années, appelait
courageusement à son retrait sans effet de style, alors même que la soldatesque
du régime syrien et ses services de sécurité faisaient régner au pays du Cèdre
un climat de terreur et d’intimidation. De surcroît, Samir Kassir a été l’un des
rares intellectuels libanais à appeler de ses vœux une alliance avec les forces
de l’opposition démocratique en Syrie, liant la libération du Liban à celle de
la Syrie. Il ne fait pas de doute que ce sont les derniers points d’appui de
Damas au Liban, notamment au sein des services de sécurité libanais – et sans
doute avec la l’implication active d’éléments des services syriens – qui ont
perpétré ce crime.
Le système du partage confessionnel du pouvoir et de
l’Etat entre les différentes communautés chrétiennes et musulmanes facilitait
particulièrement la mainmise de Damas sur le pays, dans la mesure où ce système
lui permettait de les affaiblir toutes en les montant les unes contre les autres
et en attisant au sein de chaque communauté les rivalités de personnes. Or ce
système confessionnel est non seulement toujours en vigueur, mais il a
fonctionné à plein régime lors des dernières élections législatives, entraînant
une exacerbation sans précédent du fanatisme et du sectarisme. Ainsi, et grâce à
la loi électorale promulguée en 2000, qui favorise les listes confessionnelles,
le sunnite Saad Hariri, fils et héritier de l’ancien Premier ministre assassiné
et l’un des leaders de l’opposition antisyrienne, a pu rafler, avec ses alliés,
les dix-neuf sièges de Beyrouth et les vingt-huit sièges de la région de
Tripoli. Dans le Sud du pays, ce sont les deux listes coalisées du mouvement
Amal et du Hezbollah qui ont remporté les vingt-trois sièges à pourvoir. Au
Mont-Liban et dans la Békaa, sur les cinquante-huit sièges à pourvoir, les
listes conduites par le général chrétien Michel Aoun en remportent vingt et un,
le Hezbollah chiite, dix, et la coalition menée par le chef druze Walid
Joumblatt, vingt-sept.
Ces résultats ont amené Joumblatt à décrier le
général Aoun, dont le score a pour le moins surpris par son ampleur de “Tsunami
libanais”. D’autant plus que ce bouillant général, ancien commandant en chef de
l’armée libanaise, vient tout juste de rentrer de son exil français après quinze
ans de traversée du désert. Il avait été chassé du pouvoir et délogé du palais
présidentiel de Baabda, où il a avait élu résidence, en octobre 1990, grâce aux
troupes syriennes et avec la complicité de Washington. A quelques mois de la
Tempête du désert – déclenchée par les Etats-Unis contre l’Irak avec la
participation militaire d’une trentaine de pays, dont la Syrie de Hafez al-Assad
–, l’administration américaine de l’époque de Bush père donna son feu vert à
cette opération pour remercier le régime syrien de son embrigadement sous la
bannière étoilée. Le général Aoun, qui s’était auparavant autoproclamé président
de la République, avant de créer dans l’exil un mouvement baptisé “Courant
patriotique libre”, n’a pas oublié les heures d’humiliation qu’il a dû subir
quand, traqué, il s’était réfugié, en pyjama, à l’ambassade française au Liban.
Il sera lâché, voire moqué et méprisé, par toute la classe politique libanaise,
toutes confessions confondues, dont les représentants s’étaient
inconditionnellement ralliés au régime syrien avant de se retourner contre lui
et de prendre la tête de l’opposition actuelle. La “rue chrétienne”, tout comme
le général lui-même, n’ont pas eu la mémoire courte. Elle a sévèrement
sanctionné les candidats chrétiens accusés d’avoir dans le passé “trahi” non
seulement le général, mais surtout le camp chrétien !
Bien que le général
Aoun ne soit pas parvenu à opérer des percées dans les listes parrainées par le
chef druze Joumblatt, il a remporté une victoire écrasante dans les fiefs
chrétiens du Mont-Liban, infligeant une défaite sévère aux principales
personnalités chrétiennes passées à l’opposition, dont certaines étaient connues
pour leur modération et leur respectabilité, comme c’est le cas de Nassib
Lahoud, l’un des principaux adversaires de la présence militaire syrienne au
Liban. La victoire du général Aoun a constitué aussi un sérieux revers pour le
patriarche maronite Nasrallah Sfeir, qui a vu tous ses poulains balayés et le
camp chrétien divisé. En fait, les électeurs chrétiens ont voulu, d’une part,
récompenser le général pour ses années d’exil forcé et, d’autre part, punir les
personnalités chrétiennes qui soit ont gardé le silence face à la présence
syrienne au Liban, soit s’y sont ralliées, soit enfin en ont longtemps
bénéficié. Mais au-delà de ces considérations politiciennes, la victoire du
général Aoun a surtout contrarié les plans de Joumblatt, qui voulait voir
émerger au Mont-Liban un camp chrétien uni dans son hostilité à la présence
syrienne et au maintien en fonction de l’actuel président de la République,
Emile Lahoud. Pari perdu, puisque, avec la victoire du général Aoun, la nouvelle
opposition, quoique majoritaire au Parlement, n’atteint pas le nombre requis
(deux tiers) pour destituer le président.
La nouvelle majorité devra donc,
sauf incident de parcours, cohabiter pour au moins deux ans encore avec lui.
Quant à la conjoncture internationale, ou plus précisément la position des deux
puissances directement concernées par le dossier libanais, les Etats-Unis et la
France se sont contentés globalement d’observer le déroulement des événements,
n’hésitant pas, le cas échéant – comme ne cesse de le faire le président
américain G.W. Bush – à exercer une pression verbale sur la Syrie en accusant
les services secrets syriens de continuer leurs activités au Liban, à dresser
une liste des personnalités à abattre, ou, enfin, à tenir à Paris une conférence
sur le Liban, à laquelle ont participé les ambassadeurs américain, français et
britannique à Beyrouth. Selon des informations véhiculées par certains médias
libanais, ce serait des chancelleries occidentales directement impliquées dans
la gestion de la question libanaise qui auraient conseillé au général Aoun de
rentrer au Liban afin de mesurer sa véritable popularité en affrontant l’épreuve
des urnes. Paris et Washington voulaient en effet que toutes les forces
politiques libanaises sans exception participent au processus électoral, ce qui
aurait pour résultat d’éviter que les conflits politiques sous-jacents et les
divisions confessionnelles ne leur explosent à la figure et d’une manière
violente. Une telle perspective catastrophique contraindrait la communauté
internationale à faire face à de nouvelles difficultés et en premier lieu à
intervenir militairement. Un scénario qui s’est déjà déroulé dans les années
quatre-vingt, après l’invasion israélienne du Liban et les massacres de Sabra et
Chatila, en juin et septembre 1982, et qui a conduit à un véritable fiasco
américain et français.
Certes le paysage géopolitique libanais reste ouvert à
de nombreuses options, liées entre autres à une conjoncture régionale instable
et explosive, et en premier lieu à l’évolution de la situation en Syrie même,
qui a quitté le Liban militairement, tout en y maintenant une présence politique
et sécuritaire. Il n’en demeure pas moins que ce pays est encore loin de la
“révolution du Cèdre”, saluée par Condoleezza Rice.
21. En attendant Godot par Azmi Bishara
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 2 juin
2005
[traduit de l’anglais par Marcel
Charbonnier]
Un projet palestinien
prétendant être un Etat et imitant les rituels de souveraineté israéliens, tout
en étant dépourvu d’Etat. « Mais la libération, elle est où ? » s’interroge Azmi
Bishara.
La question de savoir si Oslo a mis le projet de l’OLP
en crise, ou bien si ce n’est pas plutôt une crise inhérente à ce projet qui a
conduit à Oslo : telle est la teneur de l’une de ces discussions du type «
est-ce la poule qui fait l’œuf, ou est-ce l’œuf qui fait la poule ? » portant
sur des phénomènes sociaux complexes. Il est cependant clair que ce projet n’a
émergé d’Oslo ni intact, ni en bonne santé. Il y a eu toute une période au cours
de laquelle le keffiyéh d’Arafat recouvrait bien plus que sa tête. Et, une fois
Arafat disparu, l’Autorité palestinienne n’avait plus rien à sa disposition pour
dissimuler des réalités amères.
Arafat était le deus ex-machina d’Oslo. Il
était convaincu que cet accord pourrait servir le projet d’Etat qu’il avait fait
sien dès les années 1970. Ce projet d’Etat en lui-même se fondait sur une
corruption à grande échelle de l’esprit et des valeurs de la libération.
Toutefois, Arafat continuait à donner aussi à des combattants de la liberté, à
l’intérieur de l’establishment de l’OLP, de l’argent, des armes et un soutien
moral. En retour, ils lui apportaient leur soutien. D’aucuns disaient que sa
politique était duplice. D’autres affirmaient qu’elle était à multiples
facettes. D’autres encore disaient qu’il n’y avait pas de politique du tout,
dans un monde arafatien essentiellement fait de pragmatisme. Nous ne le saurons
probablement jamais avec certitude. Mais une chose est sûre : Arafat
participait, à parts égales, d’au moins deux traditions antithétiques.
A
Ramallah, le jour du dernier anniversaire de la Naqbah (la « catastrophe »,
c’est-à-dire la défaite arabe de 1948, consécutive à la création de l’Etat
d’Israël), les sirènes se sont mises à hurler, à une heure largement annoncée à
l’avance. Les télévisions satellitaires arabes étaient sur place, afin de
couvrir l’occasion (pouvait-il en aller autrement ?). Les gens étaient supposés
laisser en plan tout ce qu’ils étaient en train de faire, où qu’ils se soient
trouvés, afin d’observer une minute de silence.
Si ce comportement traduit
quelque chose, c’est bien la tragédie de la politique palestinienne découlant de
la Naqbah. Je ne suggère pas ici qu’il ne demeure rien d’autre qu’un souvenir de
la naqbah, ni que ce jour ne devrait pas être commémoré. Ni qu’il y aurait
quelque chose d’intrinsèquement erroné à commémorer ce jour, comme les
Israéliens commémorent l’Holocauste, d’une manière qui les fait apparaître
fallacieusement comme s’ils étaient idéologiquement identiques entre eux.
Toutefois, c’est pousser les choses un peu trop loin que de singer le rituel
israélien jusque dans les moindres détails: tout se fige, tout le monde est
cloué sur place, au hululement d’une sirène, dans tous les lieux, publics comme
privés. On dirait bien que la victime a décidé que la seule manière de
commémorer sa tragédie consiste à reproduire les cérémonies de celui qui a
perpétré ladite tragédie.
Ce phénomène me rappelle ce fameux passe-temps
palestinien consistant à inventer une solution magique au « problème palestinien
», comme s’il s’agissait d’une charade qui requerrait une seule réponse
pertinente. Presque inévitablement, les joueurs qui se croient particulièrement
malins à ce petit jeu proposent des « solutions » imitées du modèle sioniste : «
On pourrait créer une Agence palestinienne, comme l’Agence juive ! », ou bien :
« Il faut qu’on prenne le contrôle des médias ! ». Un dirigeant palestinien m’a
dit, un jour, qu’il envisageait « la convocation d’une conférence… Tiens,
pourquoi pas à Bâle » ! Tout ce que je puis faire, c’est qualifier de
colonisation des esprits cette attraction qu’exerce l’entreprise de colonisation
sur un peuple de colonisés, tant sont enfiévrées leurs imaginations, à un point
tel qu’ils semblent tout à fait incapables d’imaginer une quelconque forme de
résistance.
A aucun moment, le projet de l’OLP n’a atteint son objectif. Et
pourtant, il a perdu tous les avantages d’un mouvement de libération. Les
phénomènes décrits plus haut sont les manifestations évidentes de ce dilemme. La
naqbah a été transformée en un rite officiel, modelé d’après les cérémonies d’un
Etat qui a trouvé sa concrétisation dans la réalité, tandis que la tragédie
palestinienne, elle, perdure. Aujourd’hui, en réalité, nous sommes en présence
d’un projet national palestinien qui prétend être un Etat, et qui imite les
Israéliens – même dans leurs rituels nationaux – mais sans avoir atteint
lui-même à la nationalité. Non seulement ce projet national palestinien a
éliminé le mouvement de libération, en tant que programme (politique) possible,
mais il a fini par se reposer entièrement sur les diplomaties américaine et
israélienne.
Ceci, nous le savons tous, vise non pas à trouver une solution
au problème, mais à le dissoudre et c’est ce sur quoi certains de nos amis les
moins fiables au Liban sont en train de miser lorsqu’ils soulèvent la question
des réfugiés palestiniens (première conséquence de la naqbah : il conviendrait
de nous en souvenir, si nous voulons que nos commémorations aient une quelconque
signification).
Comment le problème palestinien peut-il être dissout, plutôt
que résolu ? Très simplement : il suffit de créer un Etat palestinien. Dès lors,
les réfugiés peuvent être transformés en « expatriés », simplement en leur
fournissant des passeports. Leurs papiers d’identité portent l’emblème d’un
Etat, il est totalement indifférent que cet Etat ait été créé en tant que phase
intérimaire de long terme, ou en tant que solution définitive. L’important, ici,
étant que ces papiers d’identité obèrent toute possibilité d’un retour. Cela ne
doit rien à la coïncidence si l’on parle aujourd’hui d’une « solution au
problème des réfugiés », et non pas « du droit au retour »…
Quant aux
questions de Jérusalem, des colonies israéliennes et des autres sujets de
négociations listés par Oslo sous le titre de « questions du statut final » – un
de ces nombreux termes abscons entrés dans le pauvre lexique diplomatique
palestinien – ce sont là aussi des questions qu’il est tout aussi aisé de
diluer. Créez un Etat palestinien, et ces questions deviendront, toutes, de
simples sujets de « dispute territoriale » entre deux Etats. Dès lors, tout ce
qui restera, ce sera une minute de silence quand les sirènes se déclencheront,
exactement de la même manière que les Israéliens commémorent les victimes de
l’holocauste et leur « guerre de libération », que les Palestiniens nomment,
pour leur part, « la naqbah ».
Nous pouvons dès lors avoir, vivant côte à
côte, deux mémoires, deux narrations – chacune avec leurs vérités relatives et
toutes sortes d’inventions qui transforment la subjectivité de la défaite en une
forme de pluralité culturelle, et le conflit entre un mouvement de libération
nationale et une entreprise coloniale en différentes versions également valables
(fussent-elles conflictuelles entre elles) d’une réalité inéquitable. Comment
convaincrions-nous ceux qui ont subjectivé la défaite de rentrer chez eux, si ne
nous imposions ces rituels, lesquels signifient que nous acceptons cette défaite
?
Si beaucoup de termes ont fait leur entrée dans le lexique officiel
palestinien, d’autres ont disparu, tel le mot « ennemi », comme dans « ennemi
israélien », pour ne pas parler de l’ « ennemi sioniste ». Comment ne
l’auraient-ils pas fait, dès lors qu’un traité a été signé entre « les deux
parties » ? Ce traité n’a certes pas apporté de paix juste, mais il a fait des «
deux parties » des « partenaires », étant entendu qu’il revenait à la « partie »
palestinienne de démontrer au monde et à Israël qu’elle méritait d’être
qualifiée de « partenaire ». Le « partenariat en vue de la paix » englobe
l’économie, les projets conjoints, la société civile (« civile » : ô combien !),
les modérés, les extrémistes et encore beaucoup d’autres choses.
Ce n’est pas
l’Autorité palestinienne qui a publié l’appel à un boycott universitaire et
culturel d’Israël ; ce sont des militants palestiniens qui l’ont fait, de leur
propre initiative. Mais quelle est la position de l’Autorité palestinienne, sur
ce boycott ? Le président de l’Université Al-Quds s’est élevé véhémentement
contre la décision prise par l’Association Britannique des professeurs
d’université (AUT – Association of University Teachers) de boycotter des
universités israéliennes. Cette condamnation n’était pas sans importance,
formulée comme elle l’était par le président de l’université palestinienne
située à Jérusalem Est. Elle était par conséquent extrêmement offensante, non
seulement pour les sympathisants de la cause nationale palestinienne, mais même
pour les sympathisants de toute cause humanitaire. Néanmoins, aussi longtemps
que des organisations universitaires ou des syndicats seront tentés de gueuler
contre telle ou telle individualité, cela ne les dispensera nullement de se
poser la question de la position adoptée par l’Autorité palestinienne sur ce
boycott. Le soutient-elle ? Bien sûr que non !
Non que l’on sache à quoi,
précisément, appelle l’Autorité palestinienne. Elle appelle à une cessation de
la lutte armée, mais elle ne cherche pas pour autant à organiser une lutte
civile collective contre l’occupation israélienne, qui pourrait s’y substituer.
On le sait, elle n’a jamais appelé à des mesures punitives internationales
contre Israël, pas même au niveau de l’opinion publique mondiale. Elle
préférerait que tous les militants unis contre les Etats-Unis et Israël le
fassent à sa place, s’épargnant, du même coup, l’embarras d’être prise sur le
fait, après avoir laissé toutes ses cartes dans les mains de Washington et de
Tel Aviv.
Le plus que je comprenne, c’est que si l’Autorité palestinienne
appelle à quelque chose, c’est à la patience. « Wait and see », nous
intime-t-elle, jusqu’à ce que les élections américaines soient passées, ou que
la visite de Sharon à Washington soit derrière nous, jusqu’à ce que l’on sache
les résultats de sa prochaine visite à Washington et de ses rencontres avec Avi,
Yossi et Dani – ces officiers d’état major auxquels on s’adresse familièrement
par leur prénom – jusqu’à ce que telle ou telle conférence ou tel ou tel sommet
ait eu quelque chance de montrer à quoi ils pouvaient bien servir.
Quand on
est un (vrai) dirigeant, perd-on son temps à attendre ? Peu vraisemblable. Mais
nous ne devons pas minimiser l’importance de l’attente ; cela occupe le brave
monde beaucoup plus que vous ne l’imagineriez. D’aucuns tirent sur leur clope,
totalement absents, à l’arrêt de bus. D’autres font de l’attente un art qu’ils
mettent au service de leurs projets d’auto-promotion. Le projet national
palestinien a été entièrement privatisé avant même d’être atteint. Cela a ouvert
les portes devant toutes sortes de possibilités : élever les échelons de
positions sociales existantes, voire en créer de nouvelles, produire des
élections et des lois électorales qui autorisent la réélection de ceux qui ont
la patience d’attendre, des projets économiques [nationaux] par dizaines et des
centaines de projets [individuels] pour les Palestiniens, en Palestine et à
l’étranger.
Au lieu de privatiser le secteur de la production matérielle, le
monde arabe a privatisé le secteur de la conscience individuelle. En même temps,
l’Etat est devenu le domaine des entreprises détenues par des particuliers, mais
gérées par ses élites politiques et militaires, et leurs familles.
Dans le
monde entier, les gouvernements procèdent à des privatisations. Dans le monde
arabe, c’est l’Etat lui-même qui a été privatisé : il est devenue une entreprise
familiale. En Palestine, le projet national est en train d’être vendu par
appartements, divisé entre diverses entreprises privées, avant même la création
de l’Etat, et le concept mutilé d’Etat que Bush et Sharon ont en tête ne pourra
que pérenniser durablement ce type de privatisations.
Une fois l’Etat
(palestinien) créé, le problème pendant entre l’Etat nouveau-né et Israël sera
un contentieux frontalier – il ne saurait mériter le qualificatif de « conflit »
- sur lequel les deux camps pourront chipoter, des générations durant. Si tel
est le cas, quels seront vos mérites ? Tout restera à régler pour les
générations futures, comme si cette médiation, comme si ce bain de sang, comme
si cette exaltation des espoirs du peuple et cette parade sanglante et ceux qui
en bénéficient n’avaient jamais existé. Des intérêts communs entre entrepreneurs
privés, en Palestine et en Israël, peuvent contrebalancer une simple dispute sur
un tracé de frontière !
Ces temps-ci, le fric se déverse sur la Palestine. Il
noie des segments entiers de l’élite politique, les classes moyennes et d’autres
secteurs de la populace qui sont soit achetés, soit impliqués dans la
préservation du calme et dans le maintien de nos différends avec Israël comme en
en suspens. Les avenues vers la grande vie sont largement dégagées, mais ces
avenues dépendront dans une large mesure de la continuation de la production
d’une cause palestinienne en tant que question d’identité, et aussi du maintien
de la production de cette version de la cause et de ses produits dérivés
culturels dans les mains d’une élite profiteuse.
En ces temps de « pétrole
contre richesse », le monde arabe accueille à bras ouvert le « retour de
conscience » concernant les Palestiniens. Après avoir encouragé les Palestiniens
dans cette voie, le monde arabe ne peut plus désormais se montrer plus
palestinien que les Palestiniens eux-mêmes. Par conséquent, les Palestiniens ne
peuvent que devenir les fers de lance de la « normalisation », dans le contexte
de laquelle les dirigeants de l’establishment palestinien propre à cette phase
historique auront pour mission de vendre à l’opinion publique arabe des
personnages suspects, tant israéliens qu’arabes.
Une grande partie du monde
arabe non seulement accepte Israël, mais reconnaît même qu’Israël est une
puissance majeure de cette région du monde, et la clé permettant d’accéder au
cœur de l’Amérique. Pourrait-il y avoir d’incitation plus grande à s’acharner à
correspondre à l’agenda politique de Sharon et à obtenir de lui qu’il leur rende
les choses plus faciles ? Comme il est étrange, également, que certains « Arabes
israéliens » (j’utilise cette expression à dessein) aient grandi en prestige, en
raison de leurs accointances israéliennes ? La dissolution morale a tout
bouleversé, cul par-dessus tête. Elle menace de saper le moral de ceux qui ne
veulent pas capituler, alors même que d’autres prennent désormais le refus de
capituler pour une insulte personnelle.
Dans de telles conditions, la
conscience nationale palestinienne ne peut trouver de salut que dans des forces
oeuvrant à l’extérieur du cadre national traditionnel. Bien que ces forces
n’aient pas de programme politique, il suffit désormais que les têtes de leurs
dirigeants soient mises à prix par l’occupant. En même temps, Israël accélérant
la construction des colonies, la judaïsation de Jérusalem et l’infrastructure
d’annexion en général, et puisque Sharon déclare qu’il ne commencera même pas à
négocier avec les Palestiniens sur un règlement définitif, l’attention des
Palestiniens est en train d’être détournée vers des chamailleries internes
autour de postes, d’intérêts et de prérogatives. Tout ceci fait partie d’une
tendance insidieuse à tirer le mouvement de résistance vers les conflits
internes afin d’en miner l’énergie.
Si les mouvements de résistance
islamistes n’ont pas de programme, au moins, ils agissent comme s’ils avaient
une cause autre que l’avancement personnel. S’ils ont conquis le soutien d’une
large majorité du peuple palestinien, c’est précisément parce qu’ils ont montré
qu’ils étaient prêts à mourir pour leurs idées. Bien que dépourvu de vision
politique, leur mouvement de résistance défend au moins quelque chose. Mais ce
mouvement, même lui, est en train d’être entraîné dans les marécages des
dissensions intestines. La gestion de la cause palestinienne est entrée dans une
nouvelle phase. Pour Israël et les Etats-Unis, créer un Etat palestinien sur un
vieux morceau de territoire représente la clé permettant de résoudre tous les
torts portés au peuple palestinien depuis la naqbah. Beaucoup de gouvernements
arabes ont été séduits par cette approche et, de plus, ils ont adopté la formule
d’un « Etat palestinien viable » comme condition (bien que le mot « prétexte »
serait sans doute mieux adapté) à la normalisation de leurs relations avec
Israël. Plusieurs régimes et organisations arabes maintiennent un silence
sournois, voire même crient leurs encouragements aux Palestiniens, lors des
confrontations armées avec l’occupant, tout en priant secrètement afin que cette
confrontation échoue et que les Palestiniens tombent dans la dépression. Ils
misent sur leur temps jusqu’à ce que le temps soit mûr pour la normalisation.
Contrairement à leurs objurgations, ces régimes, ou ces groupes, ne sont ni
démocratiques, ni intéressés à une quelconque réforme. De fait, la normalisation
est la monnaie d’échange avec laquelle ils espèrent échapper à la réforme. Des
forces authentiquement démocratiques en appelleraient à la justice pour le
peuple palestinien, de la même manière qu’elles en appellent à la justice et à
la démocratie pour leur propre peuple.
Les forces politiquement dépravées,
moralement dissolues, humanitairement faillies qui sont en train de capitaliser
sur l’agressivité américaine tout en tentant d’échapper aux pressions
américaines dans le sens de la réforme ont inauguré la phase « pétrole contre
richesse ».
Ces forces, qui fleurissent concomitamment au déclin des
mouvements de masse, à l’affaiblissement de l’esprit de résistance et à
l’apathie née du désespoir, sont en train d’inciter le peuple – désespérément –
à accepter quoi que ce soit que les Américains veuillent. Car ce n’est qu’alors
qu’ils auront la paix et le calme qui les dispensera de recourir à leurs
connexions avec l’Etat, ou à leurs connexions avec leurs pairs ou d’autres
canaux d’influence afin de s’enrichir et de répandre encore plus de corruption
afin de devenir encore plus riches. C’est ce qu’ils espèrent mener à bien, sur
fond de calme imposé militairement, une poignée de réformes étant jetée pour
décorer la vitrine avec, en retour, un énorme influx d’aide étrangère, qui en
engraisse certains, tout en laissant les autres crever de faim.
[Note : Le régime irakien déchu plaça son peuple dans la situation la
plus déplorable qu’il eut jamais, au cours de la phase « pétrole contre
nourriture ». Empruntant à cette terminologie, j’ai utilisé l’expression
«pétrole contre richesse » afin de décrire la transition entre la phase où des
régimes rentiers corrompaient et politisaient la religion dans le but de prouver
leur légitimité et celle où ces régimes entrent en collusion afin de corrompre
la culture, de manière générale, en capitalisant sur la bellicosité de
l’Amérique et, ce, afin de marquer des points contre leurs adversaires, tout en
essayant d’éviter les répercussions internes potentielles de cette bellicosité,
en faisant quelques concessions (pour la galerie et payées d’avance) aux
exigences américaines en matière de démocratie.]
22. "Il s'agit d'Israel : rien à voir avec
l'antisémitisme" par Ken Livingstone
in The Guardian (quotidien
britannique) du vendredi 4 mars 2005
[traduit de
l'anglais par ISM]
Ne pas s'exprimer sur
cette injustice serait plus qu'une erreur, ce serait ignorer une menace qui pèse
sur nous tous, par Ken Livingstone, maire de Londres, le 4 mars
2005.
Le racisme est une idéologie réactionnaire unique,
brandie pour justifier les plus grands crimes de l'histoire : traite négrière,
extermination des habitants originaires dans les Caraïbes, élimination de tous
les habitants indigènes de Tasmanie, apartheid. L'Holocauste a été l'expression
fianle, « industrialisée » de la barbarie raciste. Le racisme, c'est la ligne de
démarcation des mouvements les plus réactionnaires. Une idéologie qui commence
par déclarer qu'un être humain est inférieur à un autre est la pente qui
débouche sur Auschwitz. Voilà pourquoi je déteste le racisme. Aucun commentateur
sérieux n'a prétendu que mes commentaires à un reporter du Evening Standard, le
mois dernier, en dehors de City Hall, étaient antisémites. Aussi je suis heureux
que Henry Grunwalk, président du conseil représentatif des juifs britanniques [«
Board of Deputies of British Jews »], ait reconnu ici même que « Ken est sincère
quand il affirme qu'il considère l'Holocauste comme le pire crime du siècle
dernier ». La contribution de personnes juives à la civilisation humaine et à la
culture est indépassable autant qu'extraordinaire. Pensez simplement à Einstein,
Freud et Marx, pour réaliser que la civilisation humaine serait aussi diminuée
que méconnaissable, sans les prouesses des juifs. Et c'est pareil pour ce qui
est de la contribution juive à notre ville de Londres
aujourd'hui. En tant
que maire, j'ai réclamé l'action de la police contre les attaques antisémites au
plus haut niveau, et mon administration a soutenu une série d'initiatives
d'importance pour la communauté juive, ce qui inclut une exposition sur Anna
Frank à l'Hôtel de Ville et des mesures pour assurer l'avancée du projet d'eruv
[mur symbolique visant à séparer le pur de l'impur, notion centrale de la
religion juive] au nord de Londres.
Tout au long des années 1970, j'ai
travaillé avec joie avec le conseil représentatif [ci-dessus], dans le cadre de
campagnes contre le National Front. Les problèmes ont commencé lorsque, en tant
que président du Conseil e la communauté urbaine de Londres, j'ai rejeté leur
demande de ne financer que les initiatives approuvées par les organisations
juives. Ils étaient mécontents que je finance des organisations juives qui font
campagne pour les droits des gays et d'autres qui sont en désaccord avec la
politique du gouvernement israélien.
Mes rapports avec ce groupe prirent un
tour dramatique lorsque je m' opposai à l'invasion illégale du Liban par Israël,
qui a culminé avec les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila. Ils
n'ont pas apprécié non plus que je m'engage dans la campagne de 1982 pour
convaincre le parti travailliste de reconnaître l'OLP comme la voix légitime du
peuple palestinien. Le point fondamental de nos désaccords, comme le sait
parfaitement Henry Grunwald, ce n'est pas l'antisémitisme -que mon
administration combat bec et ongles- mais la politique des gouvernements
israéliens successifs. Pour éviter des ambiguïtés artificiellement entretenues,
rappelons que la
politique des gouvernements israéliens n'est pas analogue au
nazisme. Ils ne visent pas l'extermination systématique des Palestiniens à la
façon dont les nazis cherchaient l'anéantissement des juifs. L'expansion
d'Israël comporte depuis le début le nettoyage ethnique. Les Palestiniens qui
ont vécu sur cette terre pendant des siècles en ont été
chassés par la
violence systématique et la terreur programmées pour nettoyer ethniquement le
territoire qui est devenu la plus grande partie de l'Etat israélien. Les
méthodes de groupes tels que Irgoun et le gang Stern étaient les mêmes que
celles du dirigeant serbeKaradzic en Bosnie : chasser les gens par la
terreur.
Aujourd'hui le gouvernement israélien continue à faire main-basse
sur la terre palestinienne pour y implanter des colonies, les incursions
militaires dans les pays voisins continuent, et le déni du droit au retour des
Palestiniens chassés par la terreur continue. Ariel Sharon, premier ministre
israélien est un criminel de guerre qui devrait être en prison, et non pas dans
un bureau. La commission Kahane isrélienne elle-même a reconnu que Sharon
avait une part de responsabilité dans les massacres de Sabra et Chatila. Sharon
continue à organiser la terreur. Plus de trois fois plus de Palestiniens que
d'Israéliens ont été tués dans le conflit actuel, et il y a plus de 7000
Palestiniens en prison. Pour dissimuler ces vérités, ceux qui entourent le
gouvernement actuel israélien ont recours à la diabolisation. Au départ, les
cibles étaient les Palestiniens ; maintenant ce sont les musulmans. Prenez le
Middle East Media Research Institute, dirigé par un ancien colonel dans les
services de renseignement militaires israéliens, qui se veut source
d'information objective mais qui traduit en réalité de façon sélective des
textes de l'arabe, et qui présente les musulmans et les Arabes sous le jour le
plus noir possible.
Aujourd'hui le gouvernement israélien contribue à
promouvoir un tableau entièrement faussé du racisme et de la
discrimination religieuse en Europe, de façon à faire apparaître que la poussée
la plus grave de haine et de discrimination vise les juifs. Toutes les attaques
racistes et antisémites doivent être stigmatisées. Cependant, le fait est que la
plus grande masse des attaques racistes en Europe visent les Noirs, les
asiatiques et les musulmans, et que ce sont les cibles primaires de l'extrême
droite. Pendant 20 ans les gouvernements israéliens ont tenté de dénigrer tous
ceux qui critiquent avec force la politique israélienne, en tant qu'antisémites.
La vérité est à l'opposé : les mêmes valeurs universelles qui reconnaissent
l'Holocauste comme le plus grand crime raciste du 20ème siècle exigent la
condamnation de la politique des gouvernements israéliens successifs, non pas en
les traitant de façon absurde de nazis ou équivalents dans leur rapport à
l'Holocauste, mais parce que le nettoyage ethnique, la discrimination et la
terreur sont immorales.
Ils attisent en outre la colère et la violence dans
le monde entier. Pour le maire de Londres, ne pas s'exprimer à voix haute contre
une semblable injustice serait non seulement une erreur, mais ce serait surtout
ignorer la menace que cela fait peser sur la sécurité de tous les habitants de
Londres.
23. Des faussaires ont "tenté de réécrire l’histoire
biblique" par Conal Urquhart
in The Guardian (quotidien britannique)
du vendredi 31 décembre 2004
[traduit de
l’anglais par Marcel Charbonnier]
Des centaines
d’objets historiques bibliques, exposés dans des musées du monde entier sont
peut-être des faux, c’est tout du moins ce qui ressort des révélations
d’enquêteurs israéliens au sujet de ce qu’ils ont qualifié de réseau sophistiqué
de contrefaçon. Quatre hommes ont été accusés d’avoir fabriqué de toutes pièces
certaines des plus importantes découvertes bibliques de ces dernières années.
Parmi les objets mis en cause : un ossuaire supposé avoir renfermé les ossements
de Saint Jacques, frère du Christ, et une tablette comportant une inscription
attribuée à un roi juif du neuvième siècle avant J.C..
La mise en examen des
hommes soupçonnés, à Jérusalem, indique : « Au cours des vingt dernières années,
plusieurs objets archéologiques ont été vendus, ou ont été proposés à la vente,
en Israël et dans le monde entier, qui n’étaient pas en réalité des trouvailles
remontant à l’antiquité. Ces objets, dont plusieurs étaient (supposés) d’une
grande valeur scientifique, religieuse, sentimentale, politique et économique,
avaient été fabriqués avec une intention manifeste de tromperie ». Les
faussaires ont non seulement extorqué aux acquéreurs des millions de dollars,
ont indiqué des officiels du Service israélien des Antiquité ; ils ont aussi
porté atteinte à la science et à l’archéologie, en jetant le doute sur
l’authenticité de tous les objets qui n’auraient pas été découverts au cours de
fouilles archéologiques officielles.
Des doutes au sujet de ces objets ont
émergé après que la police israélienne eut commencé à entendre des rumeurs
concernant un artisan égyptien vivant en Israël qui se serait vanté de son rôle
dans les falsifications, dans un bar de Tel-Aviv où il s’imbibait. Des
détectives ont alors lancé une enquête, voici deux ans de cela, qui ne tarda pas
à prendre une envergure planétaire.
La mise en examen liste 124 témoins, dont
des collectionneurs d’antiquités, des archéologues, des responsables officiels
du cabinet de commissaire priseur Sotheby et des représentants du British
Museum, ainsi que du Musée de Brooklyn (New York). Les faussaires ont été
accusés de recourir à des objets authentiques, auxquels ils ont ajouté des
inscriptions. Après quoi, ils passaient généralement une sorte de vernis donnant
une patine très semblable à celle causée par le passage des siècles. Les faux
ont échappé à la perspicacité des experts durant des années, et c’est ainsi que
des objets virtuellement sans valeur ont atteint des prix astronomiques.
Les
quatre mis en examen sont un collectionneur de Tel Aviv, Oded Golan,
propriétaire de l’ « ossuaire de Saint Jacques » et de la « tablette de Josué »
; Robert Deutsch, un expert en épigraphie, qui enseigne à l’université de Haïfa
; Shlomo Cohen, un collectionneur et Faiz al-Amaleh, un antiquaire.
Mercredi
dernier, M. Golan a déclaré qu’ « il n’y a(vait) pas une once de vérité dans les
allégations fantaisistes portées à mon encontre », et que l’enquête visait à «
détruire la collecte et le commerce des antiquités en Israël ». M. Deutsch a
rejeté sa mise en examen, en la qualifiant de « ridicule ».
Shuka Dorman,
chef du Service israélien des Antiquités, a indiqué que le cercle des faussaires
opérait depuis plus de vingt ans et avait « tenté de changer l’histoire ». Des
spécialistes ont expliqué que les faussaires exploitaient le profond besoin
émotionnel qu’ont certains juifs et certains chrétiens à trouver une preuve
matérielle afin de renforcer leur foi. « Ceci ne discrédite nullement la
profession. En revanche, cela discrédite les revendeurs indélicats et les
collectionneurs », a déclaré Eric Myes, professeur d’archéologie à l’Université
Duke de Caroline du Nord.
Parmi les autres contrefaçons, notons cette grenade
en ivoire dont les spécialistes pensaient qu’elle était le seul objet subsistant
du Temple du Roi Salomon. L’ossuaire « de Saint Jacques », portant l’inscription
« Jacques, fils de Joseph, frère de Jésus » était censé représenter le seul lien
encore existant avec la vie de Jésus-Christ, voici deux millénaires. Shaul Naim,
de la police israélienne, a déclaré : « Nous avons des raisons de penser que de
nombreuses fausses antiquités, qui n’ont pas encore été identifiées, sont
détenues par des collectionneurs privés, en Israël et à l’étranger, ainsi que
dans des musées israéliens et étrangers. » L’archéologue israélien Shimon Gibson
a affirmé que les musées se devaient d’écarter de leurs collections des objets
d’origine douteuse. « Maintenant, j’ai comme l’impression que nous allons devoir
revenir en arrière et vérifier toutes nos informations, afin de nous assurer que
ce que nous pensions avéré l’était véritablement… »
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remercions de votre
compréhension.]