Point d'information Palestine N° 255 du 11/10/2005
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Au sommaire
               
Témoignage
- Une journée dans une colonie juive par Istico Battistoni (5 avril 2005)
                    
Dernières parutions
1. L’Attentat de Yasmina Khadra aux éditions Julliard
2. La Revue d’études Palestiniennes N° 97 (Automne 2005)
3. Les Emmurés - La société israélienne dans l'impasse de Sylvain Cypel aux éditions La Découverte
                     
Réseau
- Radio France Internationale : Non aux diktats de l'Ambassade d'Israël en France (29 septembre 2005)
                          
Revue de presse
1. Les incidents interpalestiniens gagnent la Cisjordanie par Gilles Paris in Le Monde du dimanche 9 octobre 2005
2. Leïla Shahid : "personne n’a le droit d’enlever la vie d’un être humain" entretien réalisé par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du samedi 8 octobre 2005
3. Face à l'afflux des plaintes contre MM. Sharon et Bush père, la Belgique a dû faire machine arrière par Jean-Pierre Stroobants in Le Monde du vendredi 7 octobre 2005
4. Gaza retombe dans la violence par Hasan Abu Nimah in The Jordan Times du mercredi 5 octobre 2005
5. Entretien avec Philippe Douste-Blazy - "Gaza ne doit pas être une grande prison" propos recueillis par Khaled Saad Zaghloul in Al-Ahram Hebdo du mercredi 5 octobre 2005
6. Rotation dans les représentations palestiniennes à l'étranger in L'Economiste du mardi 4 octobre 2005
7. Aérospatial - Israel Aircraft Industries signe un contrat de plus de 50 millions de dollars avec Israel Air Force in BE Israël N° 40 du lundi 3 octobre 2005
8. Le Fatah remporte 51 municipalités en Cisjordanie, le Hamas 13 - Dépêche de l'agence Reuters du samedi 1er octobre 2005, 13h12
9. Crise et réforme dans le monde arabe par Hicham Ben Abdallah El in Le Journal du vendredi 30 septembre 2005
10. Paroles interdites par Hichem Ben Yaïche in L'Economiste du mercredi 28 septembre 2005
11. Israël, l’ethnocentrisme colonise - Interview de Michel Warschavsky réalisée par Thomas Schaffroth in Il Manifesto du mardi 27 septembre 2005
12. L'alibi Gaza par Richard Labévière on Radio France Internationale le lundi 26 septembre 2005
13. Quand Gaza occupe BHL... par Pierre Marcelle in Libération du  vendredi 23 septembre 2005
14. Le coup des synagogues par Pierre Marcelle in Libération du mercredi 14 septembre 2005
15. Le dialogue malgré tout par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du lundi 19 septembre 2005
16. On tire et on touche par Shahar Ginossar in Yediot Aharonot du vendredi 16 septembre 2005
17. Orient arabe : l'expertise US en cause par Hichem Ben Yaïche in L'Economiste du mercredi 14 septembre 2005
18. Retrait israélien - Que d’interrogations… par Pascal Boniface in L’Economiste du mercredi 31 août 2005
19. Israël annexe de nouvelles terres en Cisjordanie par Mounia Daoudi on Radio France Internationale le jeudi 25 août 2005
20. Tout change, rien ne change ! par Subhi Hadidi in Le Nouvel Afrique Asie N° 190 - juillet-août 2005
21. En attendant Godot par Azmi Bishara in Al-Ahram Weekly du jeudi 2 juin 2005
22. "Il s'agit d'Israel : rien à voir avec l'antisémitisme" par Ken Livingstone in The Guardian du vendredi 4 mars 2005
23. Des faussaires ont "tenté de réécrire l’histoire biblique" par Conal Urquhart in The Guardian du vendredi 31 décembre 2004
                           
Témoignage

                           
- Une journée dans une colonie juive par Istico Battistoni (5 avril 2005)
(Istico Battistoni est Conseiller italien au Parlement Européen. Il vit actuellement en Egypte mais a vécu jusqu'au mois d'avril dernier, en Cisjordanie occupée. Ce texte, inédit, peut-être repris librement sur tout support militant ou associatif. Par contre, si vous souhaitez publier ce texte sur un support écrit commercial - journal, revue... - vous devez en faire la demande auprès de l'auteur : ibattistoni@terra.es. Les textes de Istico Battistoni sont également disponibles, sur demande, en espagnol, en italien et en portugais.)
Alors que les autorités gouvernementales israéliennes et palestiniennes reprennent contact en ce début d’ère post-Arafat, quatre cents mille colons continuent leur vie dans les colonies, urbanisations hyper protégées à l’intérieur des Territoires Occupés (Cisjordanie, Bande de Gaza, Jérusalem Est). Depuis qu’il occupe les Territoires palestiniens,  le gouvernement israélien a développé un mécanisme complexe légal et bureaucratique qui lui a permis le transfert de 50% du territoire de la Cisjordanie et de 20% de celui de la Bande de Gaza sous son contrôle, essentiellement pour construire des colonies et se procurer des réserves de terrain en vue d’une future expansion. Cela a été rendu possible grâce a différentes outils: déclaration et enregistrement des terres comme “propriétés de l’Etat”; confiscation pour raisons militaires; terres déclarées “propriétés abandonnées” et confiscation successive; ou bien encore : achat des terres, souvent par le biais de négociations illégales.
Les colons représentent 8% de la population israélienne, 9% de celle de la Cisjordanie et 0,6% de celle de la Bande de Gaza. Si le gouvernement israélien est prêt à faire déménager les 7.800 colons de Gaza, nous ne savons rien, en revanche, de ses intentions en Cisjordanie. Que se passera-t-il s’il devait se présenter de nouvelles opportunités pour la création d’un Etat palestinien? A part les plans israéliens de retrait de Gaza, tout est actuellement organisé pour conserver les colonies en Cisjordanie, au point que les colons qui ont décidé volontairement de quitter la Cisjordanie pendant cette Intifada et qui avaient demandé un soutien au gouvernement ne l’ont jamais obtenu. Devenir colon aujourd’hui signifie devenir otage de la politique “coloniale” du gouvernement...
Je savais tout cela quand Rafi m’a conduit chez lui, dans la colonie de Peduel, à côté de la Ligne Verte de 1967 qui sépare la Cisjordanie d’Israël, à  hauteur de Tel Aviv. J’avais connu ce colon pendant la récolte des olives dans le village palestinien adjacent de Dir Ballout. Un soir, je l’ai rencontré au pressoir alors qu’il parlait avec des amis palestiniens. Ce soir-là, Rafi avait enlevé sa kipa, le couvre-chef juif, et il portait le kefieh, l’écharpe palestinienne. Rafi fit 8 ans de guerre au Liban dans les années 80, et maintenant il veut vivre tranquille, parmi les arabes qu’il n’a jamais cessé d’aimer, malgré tout. De père turc juif et mère juive tunisienne, il naquit à Israël, mais il vit depuis son enfance avec les arabes israéliens de Lod. Et maintenant, depuis 15 ans, il vit dans cette colonie. “La guerre est une sale affaire. Mon fils, après le service, s’est refusé à faire une carrière militaire, et il ne veut pas utiliser les armes au milieu des Palestiniens” – raconte-il. Lui, il en sait quelque chose, il boite d’une jambe depuis ces années-là. Il a quatre enfants à lui et cinq orphelins adoptés, sa maison n’a jamais été vide. Pour la rejoindre, on passe deux barrages de contrôle routier,  puis une succession de villas avec jardin, les unes á côté des autres. Nous visitons la synagogue, la bibliothèque – mise en place par les mères de la communauté urbaine – nous passons devant l’école primaire, et nous faisons un tour aussi dans la colonie avoisinante, Ali Zahav. Dans les deux colonies il y a 800 familles. “Beaucoup d’entre eux sont venus ici car les maisons n’étaient pas chères, et ils ont transformé ce lieu avec leusr mains”. Il est facile de comprendre pourquoi ils y vinrent. Les militaires sont partout, Tel Aviv est à 40 minutes de voiture, et la vue est absolument superbe. Vers l’orient, les collines d’oliviers de la Cisjordanie. Vers l’occident, quand le ciel est clair, on voit la mer méditerranéenne briller derrière les tours de Tel Aviv, et on reconnaît les villes côtières, depuis Gaza jusqu’à Haifa.
Les colonies ne sont guère plus que de modernes quartiers résidentiels arborés, mais elles pourraient se trouver ici comme ailleurs. Le design est celui des “lotissements individuels”, avec des toits en tuiles rouges et des jardins sur l’arrière-cour, et elles se distinguent de l’architecture des villages palestiniens. Situées sur les créneaux des collines, les colonies se font remarquer même la nuit: leurs lumières sont jaunes et puissantes, celles des villages palestiniens blanches et discrètes. Implantations urbaines au cœur du milieu rural palestinien, les colonies n’ont aucun ancrage dans le territoire, si ce n’est pour le sol et l’eau qu’elles utilisent. Le contrôle des ressources hydrauliques est extraordinaire. Selon la Foundation for Middle East Peace (“Settlement Report 2002”), la consommation d’eau des colons par personne est 6 fois plus grande que celle des Palestiniens Le cas le plus emblématique est celui des colonies de la Vallée du Jourdan. Selon l’organisation israélienne des droits de l’homme B’Tselem, la consommation d’eau des cinq mille colons de la Vallée du Jourdan, qui utilisent l’irrigation intensive pour leur cultures, est équivalente à 75% de la consommation urbaine et domestique de toute la population palestinienne de Cisjordanie (presque deux millions et demi de personnes).
Rafi descend de temps en temps au village de Dir Ballout, il emmène des médicaments et il accompagne dans un hôpital israélien les malades graves. Ou bien, il intervient en cas d’abus sérieux au checkpoint aux portes du village. “Un jour, j’ai dénoncé un soldat qui traînait au checkpoint, allongé de tout son long pour se reposer, et laissait les gens attendre pendant des heures sans les faire passer. Il écopa de 21 jours de prison” – dit-il avec un ton de défi. Rafi sait que lui seul pouvait faire cela, car il est un colon. “L’Intifada a fait empirer la situation pour les Palestiniens” – ajoute-il convaincu. Avant l’Intifada, les entreprises israéliennes de meubles, verre et outils en fer situées entre Peduel et Ali Zahav employaient du personnel palestinien, maintenant tout est plus difficile. Rafi conduit une bataille personnelle pour rouvrir les portes de Peduel aux ouvriers et aux femmes de ménage palestiniennes, mais jusqu’à présent, sa ligne ne s’est pas imposée. Il voudrait qu’il y ait des réalisations communes “avec les arabes”, comme ouvrir un jardin public commun ou bien organiser des matchs de foot pour les enfants, mais il doit vaincre l’hostilité interne. Et la méfiance palestinienne. Rafi est un personnage explicite, et il critique la corruption parmi les “notables” de l’Autorité Palestinienne : “Pourquoi ne réparent-ils pas les rues de Dir Ballout? Pourquoi ne construisent-ils pas d’hôpitaux, d’écoles?” – dit-il en levant la voix. En réalité, un nouveau bâtiment scolaire était en construction à Dir Ballout, mais ils furent obligés d’interrompre définitivement les travaux quand les soldats annoncèrent qu’il se trouvait à l’extérieur du village... mais peut-être que  les colons ignorent ces choses-là.
“Tous les colons ne sont pas des orthodoxes, mais moi, je ne suis pas parmi ceux qu’ils laisseraient parler à la télé, car je ne suis pas extrémiste” – explique Rafi. Les juifs orthodoxes l’accusent d’être “faible” envers les arabes. Ils ont raison. Rafi recueillit des signatures, appela la presse et écrivit aux autorités israéliennes pour que le “Mur de la séparation” ne passe pas entre Peduel et Dir Ballout. Son initiative a contribué à faire intervenir la Cour Suprême israélienne, et le mur pour l’instant passera derrière Dir Ballout, un petit peu plus près de la Ligne Verte de 1967. Mais il fera toutefois des victimes: “Dans un mois, quand le Mur s’approchera, je quitterai la région et je déménagerai à Hébron à pied” – dit Ismaël, un bédouin qui fait pâturer 300 chèvres entre Dir Ballout et la Ligne Verte. Le Mur lui  interdira l’accès aux pâturages, et les onze autres bédouins utilisant ce pâturage seront comme lui obligés de partir, sans recevoir aucune compensation, et de rejoindre Hébron. Là, en raison de la pauvreté des pâturages, ils devront vendre la moitié de leur troupeau.
Je demande à Rafi : “Est-il vrai que vous recevez des subventions pour vivre dans les colonies” “Non, ce n’est pas vrai. Vois-tu la route dans la vallée? Pour moitié, c’est nous qui l’avons payée” – me répond-il. Est-ce vrai ? Dans son cas, peut-être. “Tous les gouvernements israéliens ont soutenu une vigoureuse et systématique politique pour encourager les citoyens israéliens à déménager d’Israël vers la Cisjordanie” – fait remarquer B’Tselem dans son document Terre volée: politique d’Israël dans les colonies de la West Bank. Ceci a été rendu possible, d’une part, par le biais d’un soutien direct aux colons – exonérations fiscales, subsides pour la maison et pour l’implantation d’entreprises, aides pour les enseignants ainsi que pour les partenaires sociaux et réduction des taxes scolaires – et, d’autre part, par le biais de financements préférentiels pour les administrations des colonies. Le bilan financier des administrations des colonies, en effet, est supérieur de 45% à celui des administrations locales situées en Israël. A cela, il faut ajouter les investissements pour les infrastructures routières d’accès et pour la sécurité militaire, qui représentent les conditions préalables à l’existence des colonies.
Je lui demande encore : “Et que feras-tu si on devait instituer un Etat palestinien?” “S’ils me donnaient la possibilité de choisir où vivre, je vivrais ici, même dans un Etat palestinien, pourvu qu’il soit démocratique. Je crois qu’ils sont nombreux les colons qui seraient prêts de continuer à vivre ici. Et les colons orthodoxes qui ne peuvent pas voir les arabes, bien, je crois qu’Israël possède la force pour les faire déménager” – répond-il.
Je lui réplique : “Mais comment se fait-il que les colons ou une partie d’entre eux puissent rester dans un Etat palestinien sans tenir compte du droit de retour des réfugiés palestiniens? La terre est limitée.”
“Ce n’est pas vrai qu’il y a beaucoup de réfugiés” – essaie-t-il de me convaincre. En réalité, ils sont 5 millions, éparpillés dans le monde entier, dont 3,5 enregistrés auprès de l’Agence pour les réfugiés palestiniens des Nations Unies (UNRWA).
Rafi est un homme de bonne volonté. Il est optimiste et  voudrait continuer à vivre où il vit. Mais si l’avenir de l’Etat palestinien est incertain, aussi incertain est celui des colons. Aujourd’hui, je ne crois pas que les colons puissent envisager de vivre dans un Etat palestinien, sans les soldats à proximité. Salim, un ami très proche de Rafi, est palestinien, et il vit dans le village adjacent de Dir Ballout. Il a travaillé dans le passé à Peduel, et Rafi lui rend visite fréquemment. En l’absence de Rafi, Salim me confie comment il voit les choses: “Il n’y aura jamais de paix si on n’accorde pas le droit à ceux qui ont dû fuir de retourner sur leur terre.” Selon le droit international et la législation internationale concernant les droits de l’homme, les colonies sont illégales, tout comme l’usage des terres confisquées aux Palestiniens et destinées à l’avantage exclusif des colonies.
Pendant que j’étais en train d’attendre Rafi au checkpoint au pied de Peduel et d’Ali Zahav, les soldats qui savaient que je me rendais aux colonies m’avaient offert le thé. Cela ne m’était jamais arrivé! Deux jours plus tard, en rentrant du village palestinien de Dir Ballout, situé de l’autre côté du même checkpoint, quand j’ai salué l’un de ces soldats, il ne m’a pas répondu. Colons et palestiniens vivent proches les uns des autres, mais ils se parlent très peu. La route vers une paix juste est encore à construire.
[Renseignements : B’Tselem - www.btselem.org / Foundation for Middle East Peace, Israeli Settlements in the Occupied Territories - www.fmep.org]
                                                                       
Dernières parutions

                            
1. L’Attentat de Yasmina Khadra    
aux éditions Julliard
[270 pages - 18 euros - ISBN : 2260016936]
Un sujet très fort parfaitement maîtrisé: Yasmina Khadra réussit la gageure de mettre en scène à travers le destin singulier d’un seul personnage le déchirement tragique de deux peuples condamnés à vivre ensemble.
Amine, chirurgien israélien d’origine palestinienne, a toujours refusé de prendre parti dans le conflit qui oppose son peuple d’origine et son peuple d’adoption, et s’est entièrement consacré à son métier et à sa femme, Sihem, qu’il adore. Jusqu’au jour où, au coeur de Tel Aviv, un kamikaze se fait sauter dans un restaurant, semant la mort et la désolation. Toute la journée, Amine opère les victimes de l’attentat, avec pour tout réconfort l’espoir de trouver le soir l’apaisement dans les bras de Sihem. Mais quand il rentre enfin chez lui, au milieu de la nuit, elle n’est pas là. C’est à l’hôpital, où le rappelle son ami Naveed, un haut fonctionnaire de la police, qu’il apprend la nouvelle terrifiante: non seulement, il doit reconnaître le corps mutilé de sa femme mais on l’accuse elle, Sihem, d’être la kamikaze…
Amine ne peut tout d’abord admettre que sa femme, qui n’a jamais manifesté un attachement particulier à la cause palestinienne, ait pu commettre un acte aussi barbare. Pourtant, il doit se résoudre à accepter l’impossible quand il reçoit le mot qu’elle lui a laissé. Alors, pour comprendre comment elle a pu en arriver à une telle extrémité, il s’efforce de rencontrer tous ceux qui l’ont poussée à ce geste fou. Et doit écouter sans répit une vérité qu’il ne peut pas entendre.
En retraçant le cheminement cauchemardesque de cet homme confronté à l’intolérable qui le frappe au plus intime de son être, Yasmina Khadra aborde avec beaucoup de brio un des sujets le plus douloureux de notre époque et nous livre un roman d’une incroyable audace. 
Yasmina Khadra, de son vrai nom Mohammed Moulessehoul, est né en 1955 dans le Sahara algérien. Il est aujourd’hui l’une des plus importantes voix du monde arabe et un digne ambassadeur de la langue française. Ses romans sont traduits dans 17 pays et rencontrent un succès sans cesse grandissant. «Les Hirondelles de Kaboul», traduit aux USA par John Cullen et soutenu par les plus importants libraires américains et canadiens, a été élu Meilleur livre de l’année aux États-Unis par le San Francisco Chronicle et le Christian Sciences Monitor. Le Prix Nobel J. M. Coetzee voit en cet écrivain prolifique un romancier de premier ordre.
                                   
2. La Revue d’études Palestiniennes N° 97 (Automne 2005)
[160 pages - 15 euros - ISBN : 2707319376]
Sommaire
HOMMAGES A SAMIR KASSIR, 1960-2005
Samir par Elias Sanbar
La conscience assassinée ne meurt pas par Gisèle Khoury
« Tel qu’en lui-même l’éternité... » par Joseph Bahout
L’amant de la liberté par Mahmoud Darwich
Lettre ouverte à Samir Kassir par Farouk Mardam-Bey
Ils t’ont assassiné, mon frère chéri par Elias Khoury
Une lueur s’est éteinte dans nos cœurs par Joseph Samaha
Entretien posthume avec Samir Kassir par Joumana Haddad
- A l’ami Robert Scemla, 1939-2005 par Elias Sanbar
- Le désengagement israélien de la bande de Gaza par Ilan Halevi
- Le mur, frontière de non-paix par Alain Joxe
- La Palestine, l’apartheid et la revendication des droits par Raef Zreik
- Le rôle de la Norvège dans les pourparlers sur le Moyen-Orient par Hilde Henriksen Waage
- Barcelone dix ans après par Rudolf El-Kareh
- Le roman palestinien par Kadhim Jihad
- LETTRES ARABES Flashback par Riad Beidas
- CHRONIQUES par Ilan Halevi, Rudolf El-Kareh et Jean-Claude Pons
- NOTES DE LECTURE par S. Ben Abda, R. El-Kareh, K. Jihad Hassan, L. Lema
- L’OBSERVATOIRE DE LA COLONISATION par Geoffrey Aronson
- Chronologie du 1er mars au 31 mai 2005 par Rachid Akel
                       
3. Les Emmurés - La société israélienne dans l'impasse de Sylvain Cypel
aux éditions La Découverte
[444 pages - 23 euros - ISBN : 2707143022]

La société palestinienne est sortie exsangue de quatre années d’Intifada, après une répression sans précédent depuis l’occupation israélienne des territoires palestiniens, en 1967. Mais la société israélienne est, elle aussi, épuisée et désorientée. Le terrorisme largement défait, rien n’est réglé des problèmes de fond de la relation israélo-palestinienne. C’est une plongée dans la société israélienne que propose cet ouvrage. À travers l’étude d’institutions telles que l’armée et le système scolaire, l’analyse des discours politiques israéliens et les controverses intellectuelles, notamment sur la construction de l’identité nationale, Sylvain Cypel met au jour les représentations mentales de cette société complexe et contradictoire. « Brutalisation » sociale, « pied-noirisation » des mentalités : l’auteur décrit une société israélienne en crise, engagée dans une impasse dont le « mur de protection » – que construit Israël en Cisjordanie – est la manifestation la plus visible. Il apparaît alors que les « emmurés » ne sont pas seulement ceux qu’on croit. Ce livre, qui combine analyses, entretiens et témoignages personnels, étude du passé et lecture du présent, offre un portrait lucide et saisissant des Israéliens, dont on ne peut pas parler sans évoquer leur « autre » : les Palestiniens. Sylvain Cypel montre alors comment deux sociétés imbriquées en viennent à s’ignorer alors même que leurs destins sont inextricablement liés. Sylvain Cypel, rédacteur en chef au quotidien Le Monde, a effectué de nombreux reportages dans la région. Dans sa jeunesse, il a vécu douze ans en Israël. 
Extrait : « Que nous sommes malheureux, dit un Palestinien. Si nous n’étions pas tombés sur les Juifs, il y a très longtemps qu’Israël aurait été forcé par la communauté internationale de quitter nos territoires et que nous aurions notre indépendance. » « Imbécile » rétorque l’autre. « C’est l’inverse : quelle chance d’être tombés sur les Juifs. Qui s’intéresserait à nous si nous étions Tchétchènes, Tibétains ou Africains ? »
                           
Réseau

                                           
- Radio France Internationale : Non aux diktats de l'Ambassade d'Israël en France (29 septembre 2005)
Nous vous demandons de réagir d’urgence auprès de la direction de la rédaction de Radio France Internationale (RFI) qui vient d’annoncer au journaliste Richard Labévière la suppression de son émission matinale (7H15), "Propose ?" (89.00 FM en région parisienne et sur le Web : http://www.rfi.fr/actufr/statiques/001/mondevu.asp) à partir de la fin octobre 2005. Il y a actuellement bien peu de journalistes qui soient aussi bien informés et aussi honnêtes s’agissant de la situation au Proche-Orient. Or, on veut faire taire ce spécialiste qui n’a pas l’air de plaire à l’ambassade d’Israël, et nous priver par la même occasion de son éditorial fort intéressant et très écouté.
L’hebdomadaire Politis écrit : "Spécialiste reconnu du Proche et Moyen-Orient, Richard Labevière propose chaque matin à 7h 15 un rendez-vous apprécié des auditeurs de RFI." Propose ?" On se dépêche d’user du présent. Car les jours de la chronique de Richard Labévière sont comptés. Elle disparaitra à partir de fin octobre. Le directeur de la rédaction, Bernard Brigouleix, l’a signifié à l’interessé. Simple renouvellement de la grille matinale ? Pas si sûr ! On se souvient que l’ambassadeur d’Israël, Nissim Zvili, invité de la rédaction de RFI, s’était plaint en juin dernier des analyses jugées par lui "déséquilibrées" de RFI sur le Proche-Orient. " On y travaille", avait sobrement répondu le PDG, Antoine Schwartz, devant une rédaction médusée. Manifestement le "travail" commence à porter ses fruits. Il se murmure aussi que le directeur de communication de RFI, André Serfaty, par ailleurs membre éminent de l’Association pour le Bien-être du Soldat Israélien, n’a pas ménagé ses critiques contre le chroniqueur indocile. De la belle ouvrage." (Politis, 15 septembre)
Richard Labévière est donc mis au placard à la demande de toutes ces officines israéliennes qui font la pluie et le beau temps dans la plupart des rédactions en France ces derniers temps. Elles ont eu la tête de Alain Ménargues, qui a été licencié parce qu’il avait osé dire à la télévision qu’Israël est un Etat raciste, et après que Nissim Zvili, l’ambassadeur d’Israël en France, avait lourdement insisté pour avoir sa tête. Contrairement à ce qui avait été annoncé, aucune enquête administrative n’a été conduite sur ce sujet.
Et la "normalisation" de l’antenne ne s’arrêtera pas là, si nous ne réagissons pas. Un autre journaliste de RFI, Kamel Djaïder est le suivant sur la liste. Il est actuellement surveillé de près, et son travail à l’antenne est entravé. Il ne fera pas de vieux os non plus sur cette antenne s’il ne se paye pas une conduite convenant à M. Zvili, qui a ses entrées à RFI, quand il ne déjeune pas au Fouquet’s avec Antoine Schwartz, le PDG de la chaine.
Une situation dont le Quai d’Orsay est plus que complice puisque RFI est sous sa tutelle et que 70% de son budget est financé par le Ministère des Affaires étrangères.
Allons-nous laisser faire ? Il est urgent de faire entendre un autre son de cloche à MM Schwartz, Brigouleix comme à notre Ministre des Affaires étrangères.
>>> Appelez, écrivez, faxez d'urgence :
- au Pdg de RFI :
antoine.schwartz@rfi.fr
- au Directeur de la rédaction de RFI : bernard.brigouleix@rfi.fr
- au Ministère des Affaires Etrangères : jean-baptiste.mattei@diplomatie.gouv.fr
- à la Direction de la rédaction de RFI - 116, avenue du Président Kennedy - 75762 Paris Cedex 16 - Tél. 01 56 40 40 62 - Fax. 01 56 40 45 35
[Cette information a été réalisée à partir d'une dépêche de la CAPJPO-EuroPalestine : http://www.europalestine.com]
                       
Revue de presse

                             
1. Les incidents interpalestiniens gagnent la Cisjordanie par Gilles Paris
in Le Monde du dimanche 9 octobre 2005

JÉRUSALEM de notre correspondant - Les tensions entre factions palestiniennes, contenues jusqu'à présent à la bande de Gaza, se sont étendues, au cours des derniers jours, à la Cisjordanie, avec l'enlèvement de quatre responsables du Mouvement de la résistance islamique (Hamas) à Naplouse, Toulkarem, Bethléem et Hébron. Tous ont été rapidement relâchés, vendredi 7 octobre. Ces enlèvements sont monnaie courante à Gaza, où ils sont perpétrés en général par des miliciens issus du Fatah, qui constitue la colonne vertébrale de l'Autorité palestinienne. Ceux de Cisjordanie ont été revendiqués par des groupes inconnus jusqu'à présent. Ces derniers ont indiqué qu'ils constituaient "une réponse aux violations de la loi" dont le mouvement islamiste s'est rendu, selon eux, coupable. Le Hamas a mis en cause directement des membres des services de sécurité de l'Autorité palestinienne. Cette dernière a nié toute responsabilité.
Après une explosion meurtrière survenue au cours d'une parade militaire du Hamas dans le camp de Jabaliya, à Gaza, le 22 septembre, les relations entre le Mouvement de la résistance islamique et l'Autorité palestinienne s'étaient une première fois dégradées. Le ministère de l'intérieur avait assuré, en effet, que l'explosion avait été accidentelle et qu'Israël n'y était pas mêlé, contrairement aux affirmations du Hamas. La tension a ensuite été alimentée par un accrochage survenu également à Gaza, le 2 septembre, entre des policiers et des miliciens islamistes qui ont pris d'assaut un poste de police. Trois personnes, dont un policier, ont été tuées à cette occasion.
Ces heurts interviennent alors que les sujets de conflit ne manquent pas entre le Hamas et l'Autorité palestinienne. Le premier porte sur la question des armes détenues par les factions radicales palestiniennes à Gaza, à commencer par le Hamas. Sommée par Israël de le désarmer par la force, l'Autorité palestinienne s'y refuse, à la fois pour ne pas apparaître comme une force supplétive et pour éviter une épreuve de force incertaine. L'Autorité se contenterait pour l'instant de voir disparaître ces armes des rues de Gaza. Le deuxième sujet de rivalité renvoie aux élections législatives prévues le 25 janvier. Le Fatah redoute de voir la majorité confortable qu'il détient depuis 1996 au Conseil législatif palestinien menacée par le Hamas, lequel participera pour la première fois à des élections générales. Le mouvement islamiste jouit en effet d'une réelle popularité au sein de la population palestinienne alors que le Fatah et l'Autorité palestinienne sont au contraire synonymes de corruption et d'inefficacité.
Des policiers ont interrompu, le 3 septembre, à Gaza, une séance du Conseil législatif pour réclamer du gouvernement une politique claire et des moyens face au Hamas. Ce même Conseil a, de son côté, mis en demeure le chef de l'Autorité palestinienne de remanier au plus vite un gouvernement jugé incapable, à commencer par le ministre de l'intérieur, Nasser Youssef. Hospitalisé pour des examens de routine en Jordanie, le premier ministre, Ahmed Qoreï, pourrait être remplacé. Il envisageait déjà de démissionner de ses fonctions à la fin du mois de novembre pour pouvoir se lancer dans la campagne pour les élections législatives.
MILITANTS ARRÊTÉS
Les tensions entre le Fatah et le Hamas sont compliquées par l'offensive lancée par le gouvernement israélien contre une participation du mouvement islamiste aux élections législatives. Des centaines de militants politiques du Hamas ont été arrêtés au cours des dernières semaines en Cisjordanie, en représailles aux tirs de roquettes artisanales sur Israël déclenchés par le mouvement après l'explosion de Jabaliya.
Ces arrestations pourraient peser sur le scrutin. Des membres du Fatah et d'autres factions palestiniennes de Cisjordanie estiment en effet qu'en concentrant ses attaques sur le Hamas, Israël risque de renforcer son image dans la population palestinienne. Selon la presse israélienne du 7 octobre, les Etats-Unis auraient fait savoir au gouvernement israélien que ce dernier serait bien avisé de faire quelques gestes en direction de l'Autorité palestinienne pour la renforcer, notamment lors de la rencontre prévue le 11 octobre entre M. Abbas et le premier ministre Ariel Sharon.
                               
2. Leïla Shahid : "personne n’a le droit d’enlever la vie d’un être humain" entretien réalisé par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du samedi 8 octobre 2005

LE JOURNAL DE L'ABOLITION
- Vous êtes contre la peine de mort. L’avez-vous toujours été ou votre position a-t-elle évolué avec le temps ? Et l’êtes-vous dans tous les cas ?
- Leïla Shahid. J’ai toujours été contre la peine de mort, même si en Palestine aujourd’hui il y a une législation qui permet l’exécution de criminels et des collaborateurs. Il faut comprendre qu’il s’agit d’une situation particulière, d’un état de guerre. Des gens sont tués, victimes d’assassinats ciblés à la suite d’informations données à l’armée israélienne par ces collaborateurs. Pourtant, c’est pour moi une conviction éthique que personne n’a le droit d’enlever la vie d’un être humain. Et j’espère que nous arriverons en Palestine à promulguer une loi qui interdise le recours à la peine capitale. Mais je ne me fais aucune illusion. Cela prendra du temps. Beaucoup de gens pensent encore aujourd’hui, et je pense que c’est aussi le cas en Europe et en France, où elle a été abolie, que la peine de mort a une valeur d’exemple, qu’elle est un moyen de dissuasion.
- Avez-vous une idée de l’opinion des Palestiniens à ce sujet ?
- Leïla Shahid. Je ne pense pas qu’il y ait eu de sondage sur cette question, mais je ne suis pas sûre, si l’on en faisait un, que l’on trouverait une majorité de Palestiniens pour approuver les exécutions. Il n’y a pas eu non plus de débat sur cette question au plan législatif. En réalité, nous sommes à peine au début de la rédaction de notre Constitution. Et il y a tellement de sujets à débattre pour la mise en place d’un corpus juridique que la peine de mort n’est pas, pour l’instant, apparue comme une priorité. Il faut se souvenir qu’en France l’abolition de la peine de mort date de moins d’un quart de siècle. Cela n’a été fait qu’en 1981, par un gouvernement de gauche, même si François Mitterrand avait lui-même pendant la guerre d’Algérie fait exécuter des condamnés. L’abolition fut le résultat d’un très long combat mené par l’opinion publique et de grands juristes comme Robert Badinter. Je crois que pour la Palestine ce sera le même processus, avec l’apport important que représente le combat mené au plan international pour l’abolition totale de la peine de mort.
- N’y a-t-il pas un débat sur le problème particulier que pose le sort des collaborateurs ?
- Leïla Shahid. C’est en effet un débat que nous devons avoir au sein de la société palestinienne. Le fait que nous allons bientôt avoir des élections, allié aux événements qui viennent de se produire dans la bande de Gaza, fait que nous devons avoir sur la question des collaborateurs un débat public. Sinon, leurs victimes recourront à la vendetta. C’est d’ailleurs malheureusement ce qui se passe aujourd’hui en Palestine. On ne peut donc pas éviter un débat public, un débat citoyen. C’est ma position et c’est celle que défendent aussi un certain nombre de militants des organisations de droits de l’homme et de citoyens qui demandent publiquement la fin de l’exécution des collaborateurs. C’est un problème qu’ont connu toutes les sociétés qui ont eu à subir l’occupation. Mais, nous, Palestiniens, la connaissons depuis près de trente-huit années, avec les manipulations terribles que cela permet dans certains milieux fragiles comme les toxicomanes, par exemple. C’est donc un débat très difficile. Mais il faut l’affronter, car le pire serait de laisser la population faire justice elle-même. Il faut que la question se règle par le recours au droit, que les collaborateurs aient la possibilité de se défendre devant la justice. L’idéal étant de déboucher un jour sur une commission Vérité et réconciliation, comme en Afrique du Sud. Mais cela ne sera possible qu’après la fin de l’occupation. On ne peut pas brûler les étapes de l’histoire. Pour l’instant, l’armée d’occupation qui s’est retirée de Gaza a emmené ses collaborateurs dans ses bagages, comme elle l’avait déjà fait au Liban. C’est une tragédie de plus.
- L’appartenance des Palestiniens au monde arabe et, très majoritairement, au monde musulman pose-t-elle un problème particulier ?
- Leïla Shahid. Sur vingt-deux pays arabes, seule l’Arabie saoudite pratique la forme la plus barbare d’exécution capitale, avec la décapitation publique, en se fondant sur des textes religieux. Un seul autre pays, mais qui n’est pas arabe, pratique aussi les exécutions publiques et les lapidations sur des bases religieuses. Je crois surtout que tant que la première puissance du monde, qui se prétend la plus démocratique et la plus moderne, c’est-à-dire les États-Unis, continue d’utiliser la peine de mort, c’est difficile de dire que la peine de mort est un acte barbare et universellement condamné. Les États-Unis donnent un exemple terrible qui permet à d’autres pays, comme la Chine, première au monde en nombre d’exécutions, de continuer.
                               
3. Face à l'afflux des plaintes contre MM. Sharon et Bush père, la Belgique a dû faire machine arrière par Jean-Pierre Stroobants
in Le Monde du vendredi 7 octobre 2005

BRUXELLES de notre correspondant - Le 19 septembre, un juge bruxellois a délivré un mandat d'arrêt international à l'encontre de l'ancien dictateur tchadien Hissène Habré, que la Belgique souhaite juger. Cet épisode a pu laisser entendre que les autorités belges poursuivaient toujours l'objectif d'établir la compétence universelle de leur système judiciaire. En réalité, Bruxelles a abandonné l'essentiel de dispositions adoptées en 1993 et qui ont causé beaucoup de tracas au gouvernement du libéral Guy Verhofstadt.
Ce sont des mesures transitoires qui ont permis à 21 victimes de Hissène Habré, qui vit aujourd'hui en exil au Sénégal, de garder l'espoir. Des actes d'instruction avaient eu lieu avant la refonte de la loi, votée en août 2003, et trois des plaignants possédaient la nationalité belge. Avant 2003, la justice belge pouvait poursuivre les auteurs de génocides et de crimes graves quels que soient le lieu où ils avaient été commis et la nationalité des victimes. Les nouvelles dispositions font que les plaintes ne sont recevables que si l'auteur présumé des faits est belge ou réside en Belgique. Si la victime est belge, la plainte est recevable mais la procédure ne se déclenchera qu'après avis positif du procureur fédéral.
C'est une plainte déposée en mars 2003 contre les dirigeants américains George Bush père, Colin Powell, Dick Cheney et Norman Schwarzkopf par les victimes irakiennes d'un bombardement américain à Bagdad, en 1991, qui a scellé la fin d'une loi que les dirigeants belges voulaient emblématique. L'administration américaine avait riposté en évoquant le "problème grave" que représentait cette disposition. Officiellement, les dirigeants de Washington s'inquiétaient de voir l'un d'eux arrêté s'il venait à mettre le pied sur le sol belge. Officieusement, ils menaçaient de délocaliser le siège de l'OTAN installé en Belgique ou de boycotter le port d'Anvers.
Auparavant, c'est Israël qui avait promis de rompre ses relations diplomatiques, d'arrêter les investissements en Belgique ou d'encourager l'émigration de juifs belges si la justice bruxelloise persistait à vouloir traduire Ariel Sharon devant une cour d'assises. Le premier ministre avait été visé dès juin 2001 par la plainte d'un groupuscule arabe qui l'accusait de complicité dans les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila, en 1982. Selon Jérusalem, M. Sharon avait déjà été jugé pour ces faits. Une commission d'enquête israélienne avait conclu à sa responsabilité, mais n'avait pu mettre en évidence une "intention criminelle" , ce qui lui interdisait de prononcer une sanction pénale. La justice belge a rendu plusieurs arrêts successifs et contradictoires qui ont fait douter de la portée d'une loi de compétence universelle.
La loi a permis de juger et de condamner, au cours de deux procès, six complices du génocide antitutsi de 1994 au Rwanda. Elle a cependant entraîné une multiplication des plaintes qui, si elles avaient abouti, auraient sans doute rendu intenable la position du gouvernement belge. Elles visaient des dictateurs comme Augusto Pinochet, Fidel Castro et Saddam Hussein, mais aussi George Bush père, Colin Powell, Yasser Arafat ou Tony Blair. Une action a même été intentée contre Louis Michel, ex-ministre belge des affaires étrangères, accusé par un parti flamand d'avoir favorisé la vente d'armes destinées à la police népalaise.
La première initiative du deuxième gouvernement Verhofstadt a été, au cours de l'été 2003, d'en revenir à une notion classique de compétence extraterritoriale fondée sur la nationalité de l'auteur ou de la victime. Elle a eu pour effet d'enterrer la plupart des plaintes, sauf celles visant Hissène Habré, des dirigeants guatémaltèques et les responsables de l'assassinat de dix parachutistes belges au Rwanda. Israël a applaudi au gommage d'une "aberration juridique" et diverses capitales se sont gaussées de la volonté d'un petit pays de jouer les justiciers internationaux. Pour des juristes favorables à la loi, cette dernière, même émasculée, continue d'exister, et elle a tracé une nouvelle voie dans la lutte contre l'impunité. Les magistrats les plus pragmatiques rappellent que, si elle a développé de grandes ambitions, la Belgique n'a jamais adapté les moyens de sa justice à celles-ci. L'incapacité de ces juges à traiter, faute de moyens, des dossiers d'une grande complexité aurait, de toute manière, entraîné un abandon de la loi de 1993.
                                   
4. Gaza retombe dans la violence par Hasan Abu Nimah
in The Jordan Times (quotidien jordanien) du mercredi 5 octobre 2005
[traduit de l’anglais par Michel Ghys]

En dépit de tous les propos optimistes sur les perspectives ouvertes à Gaza après le retrait des colons israéliens, la situation a rapidement sombré dans la violence. C’était prévisible dans la mesure où il n’y a aucun signe indiquant que la communauté internationale, et en particulier le Quartet, ait la moindre intention de faire de cet événement le début de la mise en œuvre de la Feuille de Route. Ce qui signifie que la violence remplira le vide laissé là où aurait dû se tenir un véritable processus politique visant à mettre fin totalement et rapidement à l’occupation israélienne.
En apparence, la responsabilité dans l’éclatement de la violence revient aux Palestiniens. En partie au Hamas, pour avoir tiré des roquettes sur la ville israélienne de Sdérot et en partie à l’Autorité Palestinienne et à son Président, Mahmoud Abbas, pour n’avoir pas démantelé les organisation « terroristes », condition préalable posée par Israël, Washington et le Quartet bien que cela ne fasse pas partie de la Feuille de Route.
Il est clair que les dirigeants du Hamas ont mal calculé. Ils ont surestimé leur rôle dans l’éviction des colons israéliens de Gaza. Ce faisant, ils ont mis l’Autorité Palestinienne dans l’embarras en dévoilant son échec à réaliser ce pour quoi elle est censée exister : libérer le pays de l’occupant et conduire les Palestiniens à une complète indépendance. Les festivités de rue pendant lesquelles le Hamas a affiché tout l’éventail de son armement a ouvert les yeux sur le redoutable potentiel militaire de l’organisation, augmentant la pression de promoteurs du processus de paix et de l’Autorité Palestinienne pour retirer les armes « illégales » des mains de ceux qui y mettent tant de provocation.
Jusqu’ici, l’Autorité Palestinienne a dit qu’elle ne ferait rien qui ressemblerait à une guerre civile palestinienne pour désarmer le Hamas par la force comme les partisans d’Israël à Washington et au sein de l’Union Européenne le demandent. L’Autorité Palestinienne n’a souscrit qu’en paroles au principe qu’il ne devrait y avoir d’autres armes que celles se trouvant « légalement » aux mains de l’Autorité Palestinienne.
Il y a bien sûr une grosse différence entre les armes du Hamas et celles de l’Autorité Palestinienne. L’Autorité Palestinienne ne fait aucune tentative pour employer ses armes à la défense de sa population contre les agressions et les crimes de guerres israéliens. Au contraire, l’Autorité Palestinienne a été conçue pour protéger l’occupant contre l’occupé. Pendant ce temps, le Hamas est perçu par le public comme un mouvement de résistance parfaitement légitime tournant ses armes contre l’oppresseur, même si beaucoup de gens questionnent et critiquent à juste titre certaines tactiques de l’organisation.
Israël, en attendant, poursuit ses habituelles provocations. En Cisjordanie, ses forces d’occupation continuent à faire des incursions dans les villages, commettant des exécutions extrajudiciaires et arrêtant des centaines de militants politiques.
Juste avant que n’éclate la violence à Gaza, des escadrons de la mort israéliens ont attaqué et tué trois Palestiniens à Tulkarem, clamant qu’ils avaient résisté à leur arrestation, comme si pareille arrestation était parfaitement normale. Israël n’a jamais reconnu la trêve observée par des Palestiniens depuis le début de l’année. Chacun des meurtres de ce genre a été justifié comme un acte d’autodéfense ou comme visant à prévenir une attaque terroriste contre une cible israélienne et, en dépit du fait que beaucoup dans tout cela s’est révélé faux, le monde extérieur, pour l’essentiel, continue d’accepter les justifications israéliennes.
Là où le Hamas se trompe dans ses calculs, c’est précisément en ne comprenant pas le fait que toutes les provocations israéliennes, qu’elles viennent avant ou après des représailles palestiniennes, sont destinées à amener davantage de blâme sur le camp palestinien. Le Hamas n’est pas parvenu à prendre en considération la position hautement sensible de l’Autorité Palestinienne, puisant dans la faiblesse de l’Autorité Palestinienne et dans son indécision davantage d’encouragement et par conséquent davantage de défi. Mais le pire c’est que les dirigeants du Hamas ont dû être aveugles sur des faits plus évidents : premièrement, si le départ israélien offre à la résistance la liberté de riposter, il offre aussi à Israël la liberté de frapper férocement partout dans un Gaza sans colons ni soldats ; deuxièmement, le Hamas peut avoir cru qu’Israël hésiterait à employer toute sa force si tôt au risque d’anéantir la lune de miel de bienveillance internationale créée par l’évacuation de Gaza.
Pour aggraver encore la situation, tous les doigts, non seulement du monde extérieur mais aussi de l’Autorité Palestinienne, sont pointés sur le Hamas, le blâmant d’avoir causé l’explosion qui a tué 16 Palestiniens et blessé des dizaines d’autres au cours d’une parade et d’avoir « provoqué » de dures « représailles » israéliennes aux tirs de roquettes palestiniennes contre Sdérot.
Les réactions du Hamas à la provocation d’Israël font le jeu d’un gouvernement israélien satisfait du statu quo et qui ne souhaite la reprise d’aucun processus de paix sérieux. Il ne fait pas de doute non plus que la prompte déclaration du Hamas disant qu’il cesserait toutes les attaques contre Israël et observerait la trêve, a dévoilé davantage encore la position déjà vulnérable du Hamas. Peut-être cela était-il néanmoins inévitable. Quoi que le Hamas ait fait ou n’ait pas fait cette fois, Israël aurait poursuivi, comme par le passé, dans l’escalade de ses atrocités jusqu’à parvenir, comme il l’attend, à provoquer une réaction palestinienne, roquettes sur Sdérot ou attaque-suicide à l’intérieur des frontières de 1948. Le Hamas aurait dû comprendre le jeu d’Israël et ne pas sauter dans le piège.
C’est dans ce contexte que, dans le courant de la prochaine quinzaine, Abbas se rendra à Washington où il sera probablement confronté à encore plus de pressions pour un désarmement du Hamas. Son échec, qui est assuré, procurera seulement à Israël un surcroît d’excuses qui l’exonèrera sans qu’il soit tenu compte de ce qu’Israël lui-même fait.
Le processus de paix que les dirigeants israéliens ont ouvertement déclaré souhaiter sera gelé, mis dans le formol. Ce qui sera loin d’être gelé, c’est la campagne israélienne de grande envergure visant à achever la colonisation des Territoires occupés – ce que Sharon a déclaré à la tribune des Nations Unies et à quoi aucun membre du Quartet n’a le cran de s’opposer.
Si c’était un jeu, plutôt qu’un mortel cauchemar, les Israéliens pourraient clairement être déclarés vainqueurs de la partie et faire la fête. Mais c’est du destin de toute une région, Israël inclus, qu’il s’agit, et pas d’un match de football. Peu importe qui est à blâmer ou qui a mal calculé, le gel de la situation et la liberté d’Israël vers davantage d’expansion et de colonisation plongera une nouvelle fois la région dans une violence horrible. Il est difficile de croire que le Quartet ne comprend pas cela. Son inaction et son absence de volonté de tenir tête à Israël n’en sont que plus condamnables.
                           
5. Entretien avec Philippe Douste-Blazy - "Gaza ne doit pas être une grande prison" propos recueillis par Khaled Saad Zaghloul
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 5 octobre 2005
En visite cette semaine au Caire, le ministre français des Affaires étrangères,Philippe Douste-Blazy, évoque les moyens de régler le conflit israélo-palestinien après le retrait de Gaza, la crise en Iraq et les relations avec l’Egypte. 
- Al-Ahram Hebdo : C’est votre première visite en Egypte. Comment évaluez-vous la nature des relations bilatérales franco-égyptiennes ?
- Philippe Douste-Blazy : Les relations bilatérales sont très anciennes et profondément amicales. Il y a une « égyptomanie » en France. Dans le domaine politique, la concertation entre nos deux pays est étroite et nos positions sont convergentes, notamment en ce qui concerne le processus de paix israélo-palestinien, la situation en Iraq, le dossier libanais, et le terrorisme international qui frappe aveuglément à travers le monde et dont l’Egypte n’est pas exempte.
Au niveau économique et commercial, l’engagement de grands groupes français, l’importance des investissements réalisés et le renforcement des exportations égyptiennes en Europe et en France témoignent de l’importance de l’Egypte pour nos entreprises. J’ai notamment à l’esprit le contrat gazier qui lie nos deux pays pour les années à venir ; il s’agit du plus important contrat jamais signé entre la France et l’Egypte et qui confirme le rôle-clef de ce secteur pour le développement économique de l’Egypte. Notre présence culturelle constitue une dimension spécifique de notre relation avec l’Egypte. Il y a un réel dynamisme dans ce domaine, qu’il s’agisse de notre coopération dans le domaine de l’archéologie ou de l’enseignement du français. L’Université française d’Egypte, qui a vu le jour en septembre 2002, est aujourd’hui en phase d’expansion grâce au soutien de nombreuses entreprises françaises et égyptiennes.
- Quelle est votre vision des premières élections présidentielles pluralistes en Egypte ?
- Nous considérons qu’elles constituent un moment très important pour l’Egypte. La réforme constitutionnelle engagée par le président Moubarak a permis la tenue des premières élections présidentielles pluralistes. Nous nous félicitons du débat ouvert auquel elles ont donné lieu. Ces élections sont un signal positif pour la région. Elles ont été saluées par l’ensemble de la communauté internationale. Nous nous tenons aux côtés de l’Egypte pour la poursuite de ces avancées positives dans le sens de l’ouverture et de la démocratisation. La tenue d’élections législatives au mois de novembre devrait être une étape supplémentaire dans ce processus important que nous suivrons avec beaucoup d’intérêt.
- Comment évaluez-vous la situation actuelle en Palestine après le retrait israélien de la bande de Gaza ? Et pensez-vous que Gaza puisse devenir une grande prison pour les Palestiniens ?
- Ce retrait est un acte positif et courageux de la part du gouvernement israélien. C’est un vrai succès pour les Israéliens et pour les Palestiniens. Il s’agit d’une étape qui doit permettre de relancer le processus de paix dans le cadre de la Feuille de route. Je voudrais aussi saluer ici le rôle majeur qu’a joué l’Egypte pour que ce retrait soit un succès et pour assurer un contrôle efficace de la frontière de Rafah. J’ai effectué une visite officielle dans les territoires palestiniens et en Israël les 7 et 8 septembre à ce moment historique. Mes entretiens avec les plus hauts responsables politiques israéliens et palestiniens m’ont convaincu qu’il existe aujourd’hui une véritable volonté de part et d’autre de faire du retrait de Gaza une véritable opportunité pour la paix. Gaza ne doit pas être une « grande prison ». C’est pourquoi les questions de l’établissement d’un lien fixe vers la Cisjordanie, de l’ouverture d’un port et de la sécurisation des points de passage, en particulier vers l’Egypte, doivent être les priorités. Votre pays a une action très positive dans ce domaine.
- Quelle est votre vision pour parvenir à une solution durable du conflit israélo-palestinien ? Comment la France peut-elle mettre son poids diplomatique à profit pour participer à la formation d’un Etat palestinien souverain et indépendant ?
- Le texte de référence est la Feuille de route. Cela veut dire que les engagements que les parties avaient pris avant le début du retrait sont toujours valables. Israël doit geler sa colonisation de la Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est. Il s’agit d’un impératif absolu. Notre objectif reste la création d’un Etat palestinien viable en Cisjordanie et à Gaza. Dans le même temps, les Palestiniens doivent montrer qu’ils font tous leurs efforts pour empêcher les groupes radicaux de faire échouer le processus qui démarre. Le peuple palestinien veut la paix et sait que la violence entraîne une violence en retour qui le frappe durement. Personne ne peut le souhaiter.
La France entend sur le plan diplomatique rappeler le principe du parallélisme des obligations qui s’impose aux deux parties. C’est un point essentiel pour la France et la condition de la mise en œuvre de la Feuille de route ; chacun doit, à chaque étape du processus, faire sa part du chemin. J’ai, lors de ma visite, réaffirmé notre engagement à aider, avec nos partenaires européens, les Palestiniens à reconstruire leurs institutions. J’ai rappelé notre plein soutien, que ce soit en matière de police, d’infrastructures, de création d’emplois, de formation des cadres et d’appui au secteur de la santé et de l’éducation. L’Etat palestinien doit aussi se construire sur le terrain.
La France, de concert avec les Etats-Unis, exerce de fortes pressions sur la Syrie, concernant notamment le dossier libanais. Est-ce un prélude à des sanctions internationales ? Est-il exact que le président Chirac possède une cassette où il y a la preuve que Bachar Al-Assad menace Rafiq Hariri ? - La communauté internationale s’est mobilisée pour permettre au Liban de retrouver sa pleine souveraineté et son indépendance. C’est là le seul objectif de la résolution 1 559 du Conseil de sécurité de l’Onu, qui est de permettre au Liban de renforcer ses institutions hors des interférences étrangères. Nous n’avons aucun objectif hostile vis-à-vis de la Syrie. Nous souhaitions simplement que ce pays réponde aux demandes de la communauté internationale, ce qu’il a d’ailleurs commencé à faire en retirant ses troupes du Liban. Quant à la cassette que vous mentionnez, qui concernerait une autre affaire importante, celle de l’enquête en cours de la commission internationale sur l’assassinat de M. Rafiq Hariri, j’ignore son existence. Méfions-nous des rumeurs qui tiennent du roman d’espionnage !
- Quelle est votre évaluation du texte de la Constitution iraqienne que rejettent les sunnites ?
- Il ne m’appartient pas de commenter ce projet, sur lequel il reviendra à l’ensemble des Iraqiens de se prononcer lors du référendum du 15 octobre 2005. Je forme en revanche le vœu qu’un véritable dialogue national puisse s’instaurer dans les semaines à venir à partir de ce texte, afin qu’un consensus se dessine entre les différentes composantes de la société iraqienne sur les futures institutions du pays. Il est indispensable qu’aucune des parties de la population iraqienne ne se sente exclue du processus politique. Il faut surtout qu’une solution politique permette de sortir du cycle de la violence dont la population civile est si tragiquement victime.
Cette exigence d’ouverture et d’inclusivité restera plus que jamais nécessaire au-delà du 15 octobre. Car l’évolution des institutions politiques iraqiennes dépendra en grande partie des choix de la nouvelle Assemblée et du nouveau gouvernement qui devront voir le jour avant la fin de l’année, aux termes de la résolution 1 546.
Le retrait des troupes étrangères n’est pas à lui seul la clé de la sortie de crise en Iraq. C’est, selon la résolution 1 546, au gouvernement iraqien de décider ce qu’il souhaitera à l’échéance du 31 décembre. Ce qui est essentiel, c’est que la perspective de retrait soit intégrée parmi les éléments du processus politique iraqien, et que la population iraqienne ait véritablement la perspective d’une issue politique qui lui donne la maîtrise de son destin.
- Que pensez-vous du plan du président Georges W. Bush sur le grand Moyen-Orient ? Croyez-vous que la démocratie peut être installée de l’extérieur par la force, selon les modèles iraqien et afghan ?
- Lors du sommet des pays du G8 de Sea Island en 2004, nous nous sommes engagés ensemble à mieux accompagner les changements en cours dans le monde arabe, dans le cadre de l’initiative BMENA, afin de promouvoir un avenir partagé de paix, de démocratie, de prospérité et de sécurité.
Notre approche des réformes n’est pas d’imposer de l’extérieur un seul modèle de démocratie « clé en main » pour l’ensemble des pays de la région. Compte tenu de la diversité des situations, il faut se garder de toute approche globalisante. Il s’agit plutôt pour la communauté internationale, dans un esprit de partenariat, de mieux accompagner les projets de réformes institutionnelles, économiques et sociales menées par les Etats de la région qui se sont eux-mêmes engagés dans cette voie, notamment à travers la déclaration du Sommet arabe de Tunis en 2004. L’Egypte a été un acteur majeur de cette démarche, notamment avec les réunions d’Alexandrie, très riches et constructives. Pour autant, ce processus de réformes ne dispense pas de se réengager avec force dans le règlement des crises et des conflits régionaux.
Enfin, il est important aussi de rappeler le rôle essentiel joué par l’Union Européenne (UE) à travers le processus de Barcelone, dont nous célébrerons fin novembre le 10e anniversaire. Depuis dix ans, 9 milliards d’euros de dons et 12 milliards d’euros de prêts ont été consacrés par l’UE dans le cadre du partenariat euro-méditerranéen qui est pour nous un espace essentiel de coopération, de développement et de dialogue.
                           
6. Rotation dans les représentations palestiniennes à l'étranger
in L'Economiste (quotidien marocain) du mardi 4 octobre 2005

L'Autorité palestinienne a procédé à une vaste rotation dans ses représentations à l'étranger, nommant de nouveaux "ambassadeurs" à Washington, à l'Onu et auprès de l'Union européenne, a indiqué lundi 3 octobre un haut responsable des Affaires étrangères. Le représentant palestinien à Londres, Afif Safyeh, a été désigné chef de la mission de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP)à Washington en replacement de Hassan Abdelrahmane, muté à Rabat, a affirmé à l'AFP le sous-secrétaire du ministère des Affaires étrangères, Abdallah Abdallah.
La déléguée générale de Palestine en France, Leïla Shahid, a été, quant à elle, nommée représentante auprès de l'Union européenne à Bruxelles à la place de Shawqi Armali, qui part à la retraite, selon la même source.
Le successeur de Shahid à Paris n'est pas encore connu mais le nom de Mahmoud al-Labadi, ancien porte-parole de l'OLP et directeur général du Conseil législatif palestinien (Parlement), revient avec insistance. La rotation concerne aussi plusieurs pays arabes, notamment l'Egypte où Mounzer al-Dajani remplacera Zouhdi al-Qidra, nommé en Arabie saoudite à la place de Moustapha Cheikh Dib.
                       
7. Aérospatial - Israel Aircraft Industries signe un contrat de plus de 50 millions de dollars avec Israel Air Force
in BE Israël N° 40 du lundi 3 octobre 2005

Israel Aircraft Industries (IAI) a été choisi par le ministère de la Défense pour fournir le drone Heron aux forces aériennes israéliennes (IAF, Israel Air Force). Le premier appareil devrait être livré très prochainement. Le poids maximum du Heron au décollage est de 1100 kg et sa charge utile peut atteindre 250 kg. L'envergure du drone est de 16,60 m pour une longueur totale de 8,50 m. Le Heron sera vendu à l'IAF sous le nom de "Machatz1" : il possèdera des caractéristiques uniques : capacité à voler à l'altitude de 30.000 pieds et autonomie de vol de plus de 40 heures. Le Machatz1 pourra également être équipé de plusieurs capteurs tels qu'un radar maritime, un radar à synthèse d'ouverture, des systèmes COMINT et ELINT.
[Source : Communiqué de presse d'IAI du 11 septembre, http://www.iai.co.il - Cette information est un extrait du BE Israël numéro 40 du 3/10/2005 rédigé par l'Ambassade de France en Israël. Les Bulletins Electroniques (BE) sont un service ADIT et sont accessibles gratuitement sur www.bulletins-electroniques.com.]
                               
8. Le Fatah remporte 51 municipalités en Cisjordanie, le Hamas 13
Dépêche de l'agence Reuters du samedi 1er octobre 2005, 13h12
RAMALLAH, Cisjordanie - Le Fatah du président palestinien Mahmoud Abbas a remporté 51 conseils lors des élections municipales en Cisjordanie et le Hamas en a obtenu 13, au vu des résultats définitifs annoncés samedi par un responsable palestinien.
Sur les 104 municipalités en lice en Cisjordanie lors de la troisième phase des municipales palestiniennes jeudi, 40 sont revenues aux autres factions, a déclaré Djamal Chobaki, responsable du Fatah et chef de la Commission supérieure des élections locales.
Une quatrième phase de ces élections municipales gazaouites et cisjordaniennes échelonnées dans le temps doit intervenir avant la fin de l'année.
Ces résultats sont considérés par certains comme un indicateur de tendance à l'approche des élections législatives palestiniennes qui doivent se tenir en janvier 2006.
Avis que ne partagent pas les radicaux du Hamas, dont le porte-parole à Gaza, Sami Abou Zouhri, a rappelé que seul un petit nombre d'électeurs - 144.000 - avaient pris part à la troisième phase des élections. "Les grandes villes attendent pour la quatrième phase(...) qui fait de l'étape de jeudi, indépendamment des résultats, une phase sans grande importance à côté de ce qui est à venir", a-t-il dit.
Le Hamas avait estimé que les chiffres préliminaires du scrutin de jeudi ne reflétaient pas son soutien véritable dans l'opinion, faisant remarquer qu'il n'avait pas présenté de candidats dans certains secteurs de peur qu'ils soient arrêtés par les Israéliens.
PARTICIPATION ÉLEVÉE
"Le processus électoral s'est très bien déroulé et a été salué par les observateurs palestiniens et internationaux(...). C'est un succès pour l'ensemble du peuple palestinien", s'est félicité quant à lui Chobaki.
Le résultat, a-t-il estimé, est décevant pour le Hamas, tandis que le Fatah sera probablement en mesure de prendre le contrôle de nombreux conseils municipaux où il n'a pas obtenu la majorité absolue.
"Nous nous attendons à ce que le Hamas ne s'assure que le contrôle d'une seule municipalité de plus tandis que le Fatah fera probablement alliance avec d'autres factions dans des municipalités remportées par d'autres (...)", a ajouté Chobaki, faisant allusion aux jeux de coalition qui vont intervenir désormais.
Selon lui, le taux de participation a été de 84% jeudi.
Le score du Fatah, qui cherche à surmonter l'image de corruption et de mauvaise gestion donnée à l'opinion par l'Autorité palestinienne, est meilleur que dans les deux précédentes phases en regard des percées qu'avait alors réalisées le Hamas.
Le scrutin de jeudi était le premier dans les territoires palestiniens depuis qu'Israël a achevé son retrait de la bande de Gaza le 12 septembre. Le Hamas a boycotté les seules élections législatives tenues jusque-là, en 1996, mais compte bien aligner des candidats au scrutin de janvier.
                           
9. Crise et réforme dans le monde arabe par Hicham Ben Abdallah El
in Le Journal (hebdomadaire marocain) du vendredi 30 septembre 2005

(Hicham Ben Abdallah El est fondateur de l'Institut d'études contemporaines sur l'Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l'Asie centrale à l'Université de Princeton - Etats-Unis.)
Les idéologues de Washington avaient promis une transition rapide vers un Etat irakien indépendant, stable, unifié, laïque - un modèle de démocratisation pour le Proche-Orient. Au lieu de quoi l'intervention a débouché sur une tragédie.
L'invasion et l'occupation de l'Irak ont mis en branle des tendances géopolitiques puissantes et imprévisibles au Proche-Orient et au-delà. L'une d'elles est la dynamique de démocratisation et de réforme engagée dans le monde arabe, dont l'administration américaine s'attribue le mérite. Cette revendication tardive s'appuie sur les élections irakiennes et sur les récents événements au Liban. La réalité paraît plus complexe : contradictoire dans ses effets, la politique américaine constitue l'une des trois voies potentielles de réforme, à côté de celles que l'on peut qualifier d'"islamiste" et d'"autochotone progressiste". (…) Face à ce terrorisme qui peut, à tout moment, recourir aux armes de destruction massive, chimiques, bactériologiques, voire nucléaires, l'Amérique, selon les "néocons", ne peut attendre que les Etats se réforment eux-mêmes : elle doit agir pour modifier le cours de l'histoire dans le monde arabo-islamique, en liquider les tares et le contraindre à se démocratiser. Seuls les Etats-Unis peuvent s'en charger, en recourant si nécessaire à la force. Avec sa cohérence, ce wilsonisme (1) de droite a de quoi séduire. L'invocation abstraite de la "démocratie" sert de justification ultime aux actions de l'Amérique, un peu à la manière du "socialisme", naguère, pour l'Union soviétique. L'importance de la guerre d'Irak tient non seulement aux bienfaits qu'elle est censée apporter à ce pays mais aussi à l'étape qu'elle représenterait dans la création d'un nouveau cadre géopolitique, un système global de sécurité et de réforme, administré depuis Washington, prétendument au bénéfice de tous, y compris d'un monde arabe souffrant. (…) Les idéologues de Washington avaient promis une transition rapide vers un Etat irakien indépendant, stable, unifié, laïque - un modèle de démocratisation pour le Proche-Orient. Au lieu de quoi l'intervention a débouché sur une tragédie qui a coûté la vie à des milliers de soldats et à des dizaines de milliers de civils, détruit des villes entières et réouvert des salles de tortures, sans parvenir pour autant à garantir la sécurité des citoyens ni leur approvisionnement en eau, électricité ou gaz : une société en ruines, au bord de la guerre civile, devenue, selon les services de renseignements, une énorme fabrique de terrorisme.
Les observateurs les plus perspicaces voient là un échec sans précédent, voire un crime qu'aucun scénario de réforme régionale ne peut justifier ni réparer. "Nous avons réussi les élections", rétorquent les néoconservateurs, dont un théoricien vante l'"irrésistible participation populaire" de janvier 2005, qui aurait "rendu le pouvoir à 80% de la population irakienne- les Kurdes et les chiites". Selon lui, ce serait même le point de départ des événements du Liban, d'Egypte et du Golfe. Et de citer le dirigeant druze Walid Joumblatt, pour qui la "révolution" libanaise "a débuté suite à l'invasion américaine de l'Irak", les élections symbolisant "le début d'un nouveau monde arabe". Ce scrutin, conclut Charles Krauthammer, marque un "tournant historique", prouve que "l'Amérique est vraiment attachée à la "doctrine Bush, synonyme de politique étrangère néo-conservatrice" (2). Cet enthousiasme laisse sceptique. Les Etats-Unis, à l'origine, ne voulaient pas de ces élections, imposées par le grand Ayatollah Ali Sistani. Les partis victorieux promettaient tous un retrait américain. L'"irrésistible participation" plafonna à 58% des électeurs inscrits, et à… 2% dans les régions sunnites. Et le rédacteur en chef du Beirut Daily Star persifle : "Je n'ai jamais entendu (l'idée selon laquelle les Libanais se seraient inspirés de l'Irak) ailleurs que dans la bouche de Walid Joumblatt". La suite des événements a d'ailleurs douché les euphoriques. Comme le dit un haut fonctionnaire américain, "ce que nous voulions accomplir n'a jamais été réaliste. (…) Nous sommes en train de nous débarrasser de ce "non-réalisme" qui l'emportait au début " (3). La dernière fois que les Américains se dirent "surpris et touchés" par "l'importance de la participation" à une élection", malgré une campagne terroriste de déstabilisation" (4), le pourcentage de votants avait atteint 83% : cela se passait au Vietnam, en 1967… La montée en puissance des partis chiites confirme le caractère faustien du pacte que les Etats-Unis ont conclu avec le clergé chiite conservateur : les liens de ce dernier avec l'Iran s'opposent évidemment aux prétentions démocratiques du projet américain. Dans la laborieuse élaboration de la Constitution, Washington a fait pression pour éviter toute rupture des négociations, mais aussi toute solution embarrassante sur les questions controversées du fédéralisme et du rôle de l'islam. Les deux points se tiennent : le fondamentalisme d'inspiration iranienne a pris si fortement racine localement - comme à Bassora, où les Britanniques ont acheté un calme relatif en laissant se construire un régime social strictement fondamentaliste- que certains chiites proposent l'établissement d'une région autonome gouvernée par leur interprétation de la charia, ce que les Américains auront bien du mal à empêcher. Quel paradoxe ! "Nous planifions l'établissement d'une démocratie, commente un fonctionnaire américain, mais nous réalisons progressivement que nous aboutirons à une forme de république islamique". (5) L'histoire du Proche-Orient a été marquée, de longue date, par la tension entre domination occidentale et exigence arabe d'indépendance, focalisée sur le pétrole, la guerre froide, la création d'Israël. Dans la dernière période, l'islamisme a succédé au nationalisme et au socialisme arabes à la tête de la résistance aux pressions de l'Occident. Et pourtant, malgré les antagonismes apparents, Washington et ses alliés européens ont toujours cohabité, d'une manière ou d'une autre, avec les mouvements islamistes. (…) Comme le chercheur Mahmoud Mamdani le souligne, (6) ce qui guide la politique de l'Amérique, c'est moins le refus de principe du fondamentalisme, ou le soutien permanent à la démocratie, que la recherche du meilleur moyen d'assurer sa domination. L'actuelle administration joue, depuis peu, une nouvelle carte : elle se déclare prête à bousculer le statu-quo au nom de la démocratie. Ainsi la secrétaire d'Etat Condoleezza Rice a-t-elle récemment annoncé la remise en cause radicale de soixante ans d'une diplomatie qui "tendait à la stabilité aux dépens de la démocratie (….) sans atteindre aucun des deux" (7) Que vaut cet engagement envers l'idéal "universel" de la "démocratie en-soi et pour-soi" ? (8) Washington avalisera-t-il une victoire démocratique des Frères musulmans en Egypte, des partisans de M. Oussama Ben Laden en Arabie Saoudite, du Hezbollah au Liban, du Hamas en Palestine ou encore du fondamentalisme chiite en Irak ? La difficulté est si manifeste que même certains défenseurs du président Bush "désespèrent" de la "déviation démocratique" de la "guerre contre l'islam militant" (9). De fait, compte tenu des contradictions engendrées par leur action, de leurs intérêts bien compris et des faits, comment expliquer que des officiels américains s'enferment dans cette stratégie contre-productive de "démocratie pour-soi" ? Ou bien croient-il pouvoir défaire plus aisément les islamistes radicaux une fois ceux-ci au pouvoir ? S'agit-il de l'exposé rationnel d'une politique aux objectifs inavouables - ou qu'ils ignorent ? Conscients de l'influence du Likoud sur les néoconservateurs, certains observateurs suggèrent que ces derniers entendent en fait déstabiliser et affaiblir les Etats arabes, fut-ce au prix du fondamentalisme. L'administration Bush constitue presque une énigme, tant les intentions affichées sont incompatibles avec les intérêts américains. Lorsque des chefs religieux fondamentalistes chiites prirent le pouvoir en Iran, les Etats-Unis firent marche arrière sur leur rhétorique des "droits de l'Homme". Ayant eux-mêmes conduit des dirigeants fondamentalistes chiites au pouvoir en Irak, vont-ils adoucir leur posture "anti-islamiste" ? Et si, demain, un mouvement comme le Hamas accédait au pouvoir dans d'autres pays, en reviendraient-ils à des pactes de stabilité "anti-fondamentalistes" avec des élites autoritaires, comme avant le 11 septembre ? La confusion des positions occidentales sur l'islamisme et la démocratie ne nous dispense pas, nous les Arabes et les musulmans, de clarifier notre propre position. Il existe, chez nous, de nombreuses formes de "fondamentalisme", mais la relation simple et pure que chacune revendique avec la religion musulmane est en réalité complexe. La plupart héritent d'une histoire de "quiétisme" politique, favorable à la réforme au nom de principes islamiques. Certains militent politiquement : ils assimilent la corruption comme l'autocratie des Etats arabes à des formes de laïcité et d'apostasie, et prônent la réforme par la ré-islamisation de l'Etat -soit en en prenant le contrôle, soit en provoquant une lame de fond dans ce sens. Les plus mécontents ont donné naissance à un nouveau type d'islamisme : ces jihadistes considèrent les sociétés arabes modernes comme corrompues par leur assimilation des valeurs occidentales hérétiques et prétendent donc leur faire la guerre pour reconstruire et purifier l'Oumma. Ils exploitent avec finesse les tensions existant parmi les populations musulmanes d'Europe devenues le vecteur premier de la diffusion de cette idéologie. On ne saurait comprendre le succès des fondamentalistes sans mesurer combien religion, questions de classe, problèmes de culture et politiques s'entremêlent. Dans bien des pays musulmans, les masses populaires sont piégées par la pauvreté, perturbées par l'ébranlement des mœurs traditionnelles, enragées par les promesses non tenues de la mondialisation, souvent désespérées mais incapables de quitter leur pays alors que les élites occidentalisées, elles, parcourent le monde. Voilà qui, en l'absence d'une alternative séculière et populaire, offre un terrain sensible aux sirènes du fondamentalisme. Du coup, toute possibilité réelle de démocratisation sera souvent synonyme d'islamisation. Peut-êre avons-nous été trop présomptueux devant l'essor de ces idéologies drapées dans le Coran. Nous avons cependant les moyens de faire face efficacement, dans le respect de nos traditions et de notre culture. Dans mon pays, le roi Mohammed VI a courageusement mis en œuvre la modernisation du Code de la famille, malgré la forte opposition des groupes islamistes qui intimidaient bien des partis laïques. Bref, nous pouvons relever, dans nos pays, le défi fondamentaliste. Que ma position soit claire : je suis favorable à une politique modérée, progressiste et ouverte à tous les citoyens, tolérante à l'égard des diverses visions du rôle de la religion dans la vie politique. Si l'indépendance des sphères politique et religieuse ne constitue pas une garantie contre la corruption ou les politiques réactionnaires, je m'oppose à toute forme de régime théocratique, incompatible avec une saine culture démocratique. Tout en respectant l'islam, l'Etat doit rester indépendant des autorités religieuses, mais aussi éviter de "punir" les plus religieux en réduisant leur accès à l'éducation ou à la vie publique. Ces questions doivent êtres résolues dans un cadre constitutionnel démocratique accepté par tous les partis. Cela requiert de sérieuses garanties institutionnelles, mais, dans un contexte de véritable équité politique et de séparation des pouvoirs, les mouvements islamistes peuvent être partie intégrante de la vie politique de leur pays. Il ne suffit pas de craindre l'islamisme comme force potentielle de déstabilisation. Encore faut-il comprendre qu'on peut le transformer en l'intégrant dans la vie démocratique. Douloureux pour nos sociétés, le débat sur l'islamisme et la démocratie devient explosif dès lors que s'y mêlent le "deux poids deux mesures" à l'œuvre en Palestine comme en Irak, l'obsédante "guerre contre le terrorisme" et les préjugés omniprésents dès qu'il est question de l'islam. Parmi les facteurs qui ont radicalisé les fondamentalistes figurent la suffisance des Arabes, mais aussi l'arrogance de l'Occident. Le monde arabe a donc bien besoin de débattre du chemin qu'il lui faut emprunter vers la réforme et la démocratisation et aussi vers une reconfiguration progressive de la foi et du politique. (…) Ce qui émerge sous nos yeux, c'est une nouvelle et puissante configuration politique, mêlant le fondamentalisme chrétien de droite, le sionisme américain militant et un militarisme sans limites. Enroulée dans le mythe du drapeau, de la famille et de l'Eglise, la politique intérieure américaine se projette au-dehors sous la forme d'une politique extérieure agressive, unilatérale et arrogante. Ce "bloc" conduit l'intervention en Irak et au-delà, justifiant ainsi la violence et démentant ses propres discours altruistes. D'où la difficulté à modifier cette politique indissociablement nationale et étrangère. (…) Sans doute cette symbiose explique-t-elle la facilité avec laquelle on tolère la torture et on investit le principal dirigeant de pouvoirs illimités, lui permettant d'emprisonner indéfiniment des personnes qui ne sont ni jugées, ni même inculpées. Mais, aussi, l'incapacité d'une nation si puissante à relativiser sa propre place dans le monde, à reconnaître ses échecs et ses fautes, à comprendre que tous les pays du monde ne l'imitent pas. Et sa propension à prendre l'ignorance pour de l'innocence, l'arrogance pour de la superpuissance, et le mélange des deux pour de la naïveté. Il est temps que ces questions fassent l'objet, aux Etats-Unis, d'un débat national. Amis respectueux, nous y encouragerons les résolutions compatibles, à nos yeux, avec les traditions démocratiques qui fondent depuis toujours notre admiration pour ce pays. Voilà pourquoi, en matière de réforme, nous ne voulons ni du chemin néo-conservateur, ni de celui des fondamentalistes. S'en ouvrira-t-il un autre dans un futur proche ? Le concevoir est en tout cas difficile, vu les répercussions aussi profondes qu'imprévisibles de la guerre d'Irak. Que va faire l'Amérique face à l'Iran ? Pour les observateurs raisonnables, le bourbier irakien rend inconcevable l'hypothèse d'une nouvelle action militaire, d'autant que le leadership chiite irakien rejette toute velléité d'agression. Et les excuses présentées à Téhéran par les nouveaux dirigeants de Bagdad pour la guerre Iran-Irak (1980-1988) posent les fondations d'une nouvelle alliance militaire : n'ont-ils pas juré qu'ils ne permettraient jamais une attaque contre leur voisin depuis leur territoire ? Ces considérations n'ont pourtant pas fait taire la rhétorique agressive contre Téhéran, sous couvert, cette fois encore, d'armes de destruction massive. Le vice-président Richard Cheney menace même d'attaquer l'Iran avec des armes nucléaires dans l'éventualité d'un attentat terroriste aux Etats-Unis - même si Téhéran n'avait rien à voir. Pour les néo-conservateurs, si le Hamas ou le Hezbollah peuvent attendre, l'Iran, en revanche, est un Etat puissant que la destruction de son principal ennemi (les talibans, le régime irakien) a encore renforcé. Il exerce désormais une influence majeure sur l'Irak et inspire une sphère régionale d'influence chiite transnationale. C'est, de surcroît, une puissance militaire redoutable, à même de produire des armes nucléaires - même si rien n'atteste un tel dessein. Voilà qui pourrait amener Washington à considérer la destruction de l'Iran comme la seule manière d'empêcher ce pays de devenir un obstacle irréversible à la domination américano-israélienne sur la région. Il s'agirait en outre, pour le "néo-conservatisme au pouvoir", d'une extension logique de sa stratégie de "destruction créatrice " (10). Une telle attaque, même menée par des forces israéliennes avec l'accord des Etats-Unis, plongerait toutefois le Proche-Orient dans un engrenage désastreux de violence et d'instabilité. Le Proche-Orient continue par ailleurs à évoluer. Signe de faiblesse de la Syrie, son retrait du Liban peut aussi lui permettre de rassembler ses forces, sans savoir si cela conduira à une réforme démocratique, à la répression d'une possible rébellion (sunnite ou kurde), ou à une résistance contre les menaces américaines. Libéré de l'occupation syrienne, le Liban replongera-t-il dans la guerre civile ou réconciliera-t-il démocratiquement, sans ingérence étrangère, ses dix-sept confessions, des maronites aux chiites ? En Egypte, venons-nous d'assister au début ou à la fin de l'ouverture démocratique ? En Arabie Saoudite, des élections municipales très contrôlées ont profité à des wahhabites rigoristes. Ailleurs, il sera difficile d'apprivoiser des sociétés civiles arabes enhardies. Dans ce contexte incertain, des pays modérés comme le Maroc, le Bahrein et la Jordanie ont fait des pas hésitants vers la réforme. Mais une véritable réforme - autochtone, progressiste et apte à satisfaire les besoins et aspirations de nos peuples - doit aller au-delà de cette timide démocratisation, faite d'élections restreintes et de constitutionnalisme limité. Elle exige qu'on en finisse avec ce que le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) qualifie dans son "Rapport sur le développement humain arabe (2004)", de "trou noir de l'Etat arabe " (11). Selon ce document, la concentration du pouvoir entre les mains du pouvoir exécutif - qu'il soit monarchique, militaire, dictatorial ou issu d'élections présidentielles dans lesquelles se présente un candidat unique - a créé "une sorte de "trou noir" au cœur de la vie politique" et "réduit son environnement social à un ensemble statique où rien ne bouge". Pour en sortir, il faut des réformes politiques et juridiques fortes et immédiates respectant les libertés fondamentales d'opinion, d'expression et d'association, garantissant l'indépendance de la justice et abolissant cet "état d'urgence (…) devenu permanent même en l'absence de dangers qui le justifient".(…) L'ampleur de la tâche nous accable. Il peut même sembler impossible, voire futile, de chercher une issue à l'apocalypse préparée par les deux adversaires-complices de la "destruction créatrice " (12) - qui voient chacun dans l'autre l'incarnation du "mal" à anéantir par une guerre totale. Telle est pourtant notre mission. Parfois, dans une situation marquée par tant de facteurs négatifs, le devoir des progressistes consiste simplement à maintenir en vie la possibilité du positif. Le politique reviendra. Ville après ville, pays après pays, région après région, nous devons multiplier le nombre des acteurs qui refusent l'apocalypse et préfèrent jouer le rôle de bâtisseurs d'une existence libre et meilleure.
- NOTES :
1 - Du nom du président Andrew Wilson qui, au lendemain de la première Guerre mondiale, avec ses "Quatorze points", plaida vigoureusement pour le droit à l'autodétermination des peuples… et la relève de la Grande-Bretagne par les Etats-Unis au Proche-Orient.
2 - Charles Krauthammer, "The Neoconservative Convergence" Commentary, New York, juillet-août 2005.
3 - Robin Wright, Ellen Knickmeyer, "U.S. Lowers Sights On What Can Be Achieved in Iraq", Washington Post, 14 août 2005.
4 - "US Encouraged by Vietnam Vote", New York Times, 4 septembre 1967.
5 - R Robin Wright, Ellen Knickmeyer, op. cit.
6 - Good Muslim, Bad Muslim, America, the Cold War and the Roots of Terror, Three Leaves Publishing, New York, 2005.
7- Secretary Rice Urges Democratic Change in the Middle East",http://usinfo.state.gov/mena/Archive/2005/Jun/20-589679.html, 20 juin 2005.
8 - Charles Krauthammer, op. cit.
9 - Andrew C. McCarthy, cité in Justin Raimondo, "Recanting the War : The neocons can't keep their troops in line",
www.antiwar.com/justin, 24 août 2005.
10 - Michael Ledeen, "Creative Destruction : How to Wage a Revolutionary War", National Review Online (
http://www.nationalreview.com/contributors/ledeen092001.shtml), 20 septembre 2001.
11 - PNUD, Rapport sur le développement humain dans le monde arabe, 2004. Les citations qui suivent en sont tirées.
12 - Lire Walid Charara, "Instabilité constructive", Le Monde diplomatique, juillet 2005.
                               
10. Paroles interdites par Hichem Ben Yaïche
in L'Economiste (bimensuel tunisien) du mercredi 28 septembre 2005
L'été de 2005 aura été dominé, entre autres, par l'actualité du Proche-Orient : le départ des colons israéliens de la bande de Gaza; un départ hypermédiatisé, où les télévisions du monde – par un effet d'amplification massif, eu égard à l'aspect inédit de l'opération – lui ont donné le caractère d'un véritable spectacle mondialisé. C'est là aussi, au-delà de l'événementiel abondamment traité, qu'on a revu d'une certaine façon le film de la tragédie palestinienne, en filigrane : le "Gaza, prison à ciel ouvert", la promiscuité, la pauvreté et le mal-vivre des Palestiniens, vivant à quelques pas, pour certains, de zones surprotégées, véritable eldorado au milieu de cet océan  de misère. Le choc visuel est difficilement acceptable !
Tout cela pour dire que le nœud gordien israélo-palestinien continue à diffuser, à travers le monde, ses miasmes et ses effets pervers, en transposant en Europe particulièrement, des tensions – et des frictions parfois – entre Juifs et Arabes, mais pas seulement… Une extension néfaste et funeste dans d'autres contrées et sur d'autres théâtres. C'est en France que l'intensité des débats et les prises de position avaient atteint son paroxysme, dans une dramaturgie qui avait échappé à tout contrôle. Comme toujours, les médias étaient tout à la fois l'épicentre et le sismographe de cet exercice oratoire !
La flambée de violence en France, qui s'ensuivit l'Infadha II, contre des bâtiments juifs – écoles, synagogues, etc. – s'orienta, de mois en mois, vers un débat de fond centré sur la résurgence d'un "nouvel antisémitisme", qui serait celui-là d'origine arabe et musulmane. Guerre des mots, guerre des chiffres, expertises en tout genre… Entre vrai et faux débat, on ne s'y retrouvait plus, tant les passions à vif et les imaginations enflammées prenaient le dessus.
Que n'a-t-on pas dit sur la France et son passé "indécrottablement antisémite", sur son autisme actuel, sur l'absence de mesures pour stopper cette judéophobie que certains tentent de détecter derrière tout geste et tout propos enoncé ? Il était impossible de quitter cette bulle, où l'on passa de la quête de la vérité, afin de prendre la vraie mesure de ce fléau de l'antisémitisme mille fois condamnable, à la fabrication d'une sorte de discours accusateur, univoque et unanimiste, empêchant implicitement tout avis contraire de s'exprimer. En parler aujourd'hui, c'est tenter de clarifier les idées et dénoncer les erreurs pour ne pas être condamné à les répéter.
Des théories bâties sur du vide…
Le politologue Pascal Boniface, auteur de Peut-on critiquer Israël ? (éd. Robert Laffont), un livre remarquablement documenté, fut – le premier – la cible d'une campagne haineuse, visant à le disqualifier, et qui faillit le "carboniser" professionnellement, à travers une série de manœuvres pour l'écarter de la direction de l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS). Echec et mat (de ses adversaires) ! Mais à quel prix ? Que de temps et d'énergie perdus !
Dans le même ordre d'idées, il est impossible de ne pas rompre le silence et briser la chape de plomb qui entoure la publication du livre Une haine imaginaire ? (contre-enquête sur le "nouvel antisémitisme" (éd. Armand Colin). Son auteur est Guillaume Weill-Raynal, avocat à Paris. Depuis la sortie du livre, en mai dernier, aucun article digne de ce nom n'a traité de cet ouvrage, qui met le doigt là où cela fait mal. Ce travail sur un cas exemplaire de désinformation aurait dû être fait par un journaliste. Mais l'inhibition générale et l'autocensure ont joué à plein dans cette affaire.
De quoi s'agit-il ? Guillaume Weill-Raynal (GWR), à défaut d'une excommunication en bonne et due forme, est ostracisé aujourd'hui du fait de ce livre, dont le contenu extrêmement dérangeant, réfute, preuves à l'appui, l'interprétation faite sur le retour de l'antisémitisme. L'auteur écrit : « Le succès et l'influence de ce discours [la "particulière" haine des juifs et le silence des médias français] ont dépassé l'espérance de ses initiateurs. Personne ne l'ayant jamais réfuté, oser le mettre en doute devient déjà suspect et peut prêter à représailles. Accepté sans réserves par la communauté juive de France, il a conquis en Israël l'opinion publique et les élites dirigeantes. Loin de s'arrêter en si bon chemin, il a gagné, aussi l'Amérique. Des théories bâties sur du vide ont acquis valeur de vérité scientifiquement acquise. » Et d'ajouter : « Ce discours n'est pas seulement faux. Il est surtout destructeur.» Tout est dit ! GWR pulvérise, avec une rare minutie les thèses développées, entre autres, par Jacques Tarnéro, Pierre-André Taguieff, Alain Finkielkraut, Gilles-William Golnadel et d'autres. Une trentaine d'intellectuels avaient ainsi érigé en dogme un corpus d'idées reconstruites sur le "nouvel antisémitisme". Sans que personne ne trouve à redire.
Il n'est pas possible de reproduire, ici, les termes de ce débat gigogne. Mais les propos développés dans le cadre de cette contre-enquête font véritablement mouche ! Guillaume Weill-Raynal ­– juif – est attaché profondément à sa judéïté. Il est loin donc de pratiquer la "haine de soi". Jour après jour, ce livre s'est construit dans sa tête à travers une lecture attentive de tout ce qui se dit dans la presse, et dans les livres. Chaque mot est pesé, au point de ressembler presque à une thèse universitaire, tellement l'économie des mots prend tout son sens, afin de privilégier les faits. Le souci de vérité reste au cœur de cet ouvrage lucide et exemplaire.
Cependant, retenons, parmi tant de points abordés, cette idée qui va être l'axe stratégique qui traversera la société française, pendant les années à venir. Ces dernières décennies, la France s'est considérablement métissée, parfois à son corps défendant. L'émergence, en termes de visibilité et d'influence, de nouveaux Français d'origine arabe ou musulmane, fait peur. Les sept cent mille juifs français, majoritairement issus des pays arabes et musulmans, éprouvent un profond désarroi devant le changement des rapports de force qui, à terme, auront nécessairement  une traduction politique. C'est pour cette raison que Roger Cukiermann (président du CRIF), dont les embardées verbales ne se comptent plus, est obsédé par cette réalité, qu'il rappelle constamment : "cinq cent mille juifs face à cinq millions d'Arabo-musulmans", répète-t-il à un grand nombre de ses visiteurs. Voici ce que GWR en dit à ce sujet : «Peut-on avancer, ne serait-ce qu'à titre d'hypothèse, que l'angoisse réelle des juifs français aurait pour véritable origine le commencement visible de l'ascension sociale des Arabes de France, qui réactiverait un conflit dont l'origine se situe aux alentours de 1870 ? Derrière l'image de "l'importation en France" du conflit du Proche-Orient apparaîtrait, en réalité, celle d'un conflit beaucoup plus ancien… » On ne peut mieux conclure sur ce point.
Malgré ce psychodrame permanent et savamment orchestré, il faut cependant travailler inlassablement à rapprocher Juifs et Arabes. Une action pédagogique majeure, pour casser le processus d'enfermement actuel. Mais, restons réalistes, tant que ce conflit demeurera à l'œuvre, les risques d'un choc entre communautés pourra devenir plus que réel. Ne pas masquer la vérité est le moyen le plus sûr d'établir un bon diagnostic de la situation, afin d'agir efficacement contre les véritables causes du malentendu.
Immense travail de déconstruction de ce faux discours, qui mérite qu'on s'y attelle au plus vite !
                           
11. Israël, l’ethnocentrisme colonise - Interview de Michel Warschavsky réalisée par Thomas Schaffroth
in Il Manifesto (quotidien italien) du mardi 27 septembre 2005
[traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio]
(Thomas Schaffroth Journaliste free lance et historien, documentariste, ancien correspondant à Paris et Pékin de la télévision suisse alémanique, vit et travaille actuellement à Marseille.)
Une interview de Michel Warschavsky, universitaire, journaliste et essayiste israélien. Les bases ethniques d’Israël et la crise de la société israélienne, symbolisée par la « fuite » de nombreux israéliens, sont le fond sur lequel s’opère l’affrontement entre les colons et Ariel Sharon. Un conflit qui efface de la scène politique tout projet de démocratisation de l’état d’Israël.
Juif israélien qui se définit  comme « militant antisioniste », Michel Warschawsky est le co-directeur de l’Alternative Information Center, centre d’information et de documentation israélo-palestinien  (www.alternaivecenternews.org ). Voix parmi les plus radicales de la gauche israélienne, et pacifiste de longue date, Warschawsky lutte depuis plus de trente ans pour une « paix juste » avec les palestiniens et pour une démocratisation  de l’état d’Israël. Il y a quelques années, en plein contre-courant, et suscitant un vif débat jusque dans les pays arabes, il a reproposé la vieille idée d’un état binational et démocratique dans Israel-Palestine. Le défi binational, (Editions Textuel, 2001). Parmi ses autres livres plus récents, Sur la frontière (en collaboration avec Michèle Sibony, Stock, 2002), A tombeau ouvert. La crise de la société israélienne (Paris, 2003) A contre chœur. Les voix dissidentes en Israël, avec M.Sibony. (Paris, 2003). L’entrevue a eu lieu fin août à Jérusalem, en marge de la rencontre mondiale des « Femmes en noir ».
- Le retrait de Gaza a souvent été décrit par les medias français, et dans d’autres pays européens aussi, comme un conflit entre l’armée et les colons. Si l’on se réfère aux réflexions de certains de vos écrits, pourrait-on dire qu’il s’est agi surtout d’une opposition entre la « Synagogue » et l’état de droit démocratique ?
- Je resterais prudent avant d’évoquer une opposition entre la Synagogue et l’état de droit. En Israël, nous connaissons les pratiques génériques démocratiques comme élections, liberté de la presse, de pensée et d’association. Dans la constitution de notre pays il manque cependant un article qui garantisse le principe fondamental de l’égalité de tous les citoyens et de toutes les citoyennes. Ça explique aussi les discriminations législatives à l’encontre de la population arabe et de façon plus générale envers toutes les personnes non juives qui vivent en Israël. En fait, dans sa charte constitutionnelle Israël se définit comme un état juif, plus précisément un état juif démocratique.
De fait, un état ne peut pas se définir démocratique et juif en même temps. En fait, celui qui se proclame ouvertement état (mono) ethnique, ne peut pas être démocratique parce qu’il exclut automatiquement toutes les autres ethnies.
- Définiriez-vous cela comme une manifestation de racisme ?
- Je définis tout cela comme une forme particulière d’état que j’appelle ethnocratie, ou  démocratie de l’ethnie dominante, qui se prétend par ailleurs propriétaire du sol et des terres. D’autres groupes ethniques peuvent  aussi être tolérés, mais on leur nie collectivement la souveraineté de citoyens de l’état d’Israël, qui est réservée  exclusivement à tous les juifs et juives, qu’ils vivent à Brooklyn ou à Marseille. Une forme politique insoutenable d’un point de vue de l’état de droit. Par ailleurs, il y a aujourd’hui des citoyennes et des citoyens de ce pays qui demandent l’abolition du cadre juridique qui rend cette pratique possible. En fait si la loi assure des privilèges à une partie de la population et les refuse à l’autre, l’état  peut être, de façon plausible, défini comme raciste.
- Existe-t-il dans votre pays un milieu politico intellectuel qui aborde les thèmes du « post-sionisme » ? L’idée fondatrice qui a abouti à la fondation de l’état d’Israël et à la situation actuelle de conflit est-elle, peut-être, en déclin ?
- Non, la doctrine fondatrice de l’état d’Israël est toujours le sionisme. C’est-à-dire que tout le territoire géographique de la Palestine appartienne exclusivement aux juifs. Le « retrait » de Gaza, en fait, ne change rien à cette idéologie. Par conséquent, ces intellectuels qui, surtout dans les années 90, parlaient et rêvaient de « post-sionisme » étaient plutôt myopes. Dans divers discours récents, Sharon, en faisant continuellement référence à Ben Gourion, a souligné que nous devons encore porter à terme la « Guerre d’Indépendance » de 1948. De cette façon, il veut rendre tout à fait claire l’idée selon laquelle la réalisation du sionisme, comme idéologie fondatrice de l’état, est une page d’histoire qui reste encore à écrire.
Le laïc est antisioniste. A partir de là, la séparation complète de la construction étatique ethnico religieuse dominante, c’est-à-dire l’essence du sionisme, est réduite à un lien pervers entre état et religion.
Si nous observons la gauche du parlement israélien, on note qu’elle est bien loin de réclamer une séparation entre l’état et religion, ou une réduction des subventions d’état aux organisations religieuses.
- Vous avez écrit à diverses occasions comment le sionisme, avec l’assassinat de Rabin, s’est imposé comme la doctrine d’état…
- Je suis convaincu de cela. Au début des années 90, s’imposait en Israël de façon croissante une société civile bourgeoise qui essayait d’occidentaliser le pays, de l’américaniser. Elle ne s’était pas rendu compte cependant qu’en un même temps était née une autre classe sociale qui avait l’intention de renforcer le caractère juif de l’état. C’est en ce sens que l’assassinat de Rabin a marqué la fin du processus d’ouverture à l’Occident et la restauration des forces réactionnaires et conservatrices. Le slogan de Bibi Netannyahou  contre Rabin pendant la campagne électorale était  « pour un état juif ! ». Rabin a été tué par un juif orthodoxe et Netannyahou est devenu premier ministre.
- Tout cela ne reflète-t-il pas aussi peut-être l’ascension de nouveaux groupes sociaux, qui ont grandi à l’ombre de la collaboration entre le  pouvoir politico-économique et le parti conservateur de Sharon ?
- Exactement. Ça a été une réaction au processus de néo-libéralisme, mais aussi à une tentative de libéralisation en termes politiques, soit plus de démocratie et dé-sionisation de l’état. Cela a abouti à la création d’un bloc politique, né de l’assemblage de communautés qui refusent le modernisme lié à la social-démocratie, et qui donnaient ses voix au Likoud de Netannyahou. Lequel a promu une forme de libéralisme brutal, qui a réussi en peu de temps à détruire une partie des structures existantes de l’état social et de la fonction publique. Paradoxalement, il est arrivé à mobiliser les couches populaires contre les socio démocrates, en subvertissant ainsi les rapports de force politiques.
- Les israéliens d’origine ashkénaze (est européens) continuent à représenter l’élite politique et économique du pays, alors que les séfarades (les juifs d’origines orientale et espagnole) sont discriminés dans l’appareil du pouvoir et appartiennent d’habitude à des niveaux socio-économiques plus bas. Cette disparité, dans un avenir proche, ne pourrait-elle pas aboutir à une sorte de « guerre civile » entre les deux composantes ethniques et de classe, avec des issues destructrices pour l’identité nationale ?
- A la fin des années 90, il y a eu un moment où on pouvait penser  que la société israélienne était au bord de l’implosion. Ce n’est pas arrivé, mais le plan de Ben Gourion de construire en Israël une sorte de société juive multiculturelle a raté. Une des conséquences, entre autres,  est la tentation toujours plus forte dans les classes moyennes d’émigrer hors du pays, ou pour le moins de vivre avec un pied en Israël et l’autre en Occident. Pour faire court, le lien  avec la terre de ancêtres, avec Eretz Israël, est devenu beaucoup plus ténu, et celui qui peut se le permettre financièrement, se procure un deuxième passeport.
- Qu’est-ce que ça signifie pour Israël ?
- Ça signifie que les couches sociales qui ont (ou ont eu) des idées politiques libérales, qu’on pourrait définir comme post-sionistes, seront politiquement liquidées. Dans tous les cas elles n’ont plus de projet qui puisse endiguer l’extrémisme religieux croissant. La lutte qui est mise en avant aujourd’hui est celle entre les colons et Sharon, qui dans ce contexte apparaît comme un homme de gauche… Il n’existe pratiquement aucune alternative organisée à ces deux positions.
- Pendant, un meeting international des « Femmes en noir » qui s’est tenu à Jérusalem, face à l’attitude critique des palestiniennes, certaines représentantes juives israéliennes ont réclamé une indulgence pour Israël, le pays qui était en train de le accueillir…
- C’est une générosité qui révèle justement  la nature ethnique de l’état d’Israël. Même ceux qui s’expriment en faveur du retrait partiel des territoires occupés soulignent leur générosité, et dans tous les cas au motif du bien de leur pays. En d’autres termes : nous, nous avons les droits, aux autres nous laissons la « charité ». Selon les sionistes les « autres », les palestiniens, ne peuvent pas réclamer des droits, mais doivent dire « merci » parce qu’on les laisse vivre en Israël.
Nous sommes en train de vivre une horrible régression politique et culturelle qui naît de la peur de l’ « autre ». Une démocratisation de la société israélienne signifierait cependant : a) une paix sans conditions avec la Palestine ; b) une attitude différente envers nos voisins. C’est-à-dire la naissance d’un état d’Israël différent. L’autre motif de peur vient de la fracture dans l’unité nationale, par la fin possible du sionisme. La défaite politique de Simon Perès en 2000 a été le résultat de cette atmosphère, renforcée bien sûr par l’Intifada. Beaucoup de juifs ont pensé : ça c’est trop ! Et l’idée d’une guerre permanente contre les populations arabes s’est insinuée aussi dans la gauche israélienne.
- Une vision pessimiste, vous ne croyez pas ?
- Pendant l’été à Tel Aviv, les opposants au retrait des territoires occupés ont mobilisé dix mille personnes. De l’autre côté, il n’y a pas d’alternative politique en mesure d’organiser des démonstrations de masse en faveur du retrait des territoires. Il y a certainement des milliers
d’israéliens qui adhèrent à des organisations comme les « Femmes en noir », « Refuznik » (soldats et officiers contre le service dans les territoires occupés), ou d’autres organisations contre l’occupation, mais tout ça ne suffit pas pour être optimiste. Cette situation représente un gros problème pour un état qui a peu de familiarité avec les règles du jeu démocratique et qui court le risque d’une crise institutionnelle et d’une désintégration sociale. Un facteur important sera dans tous les cas représenté par le développement des rapports politiques avec les pays voisins…
- Comment évaluez-vous les deux options, celle d’ « un état » qui accueille toutes les ethnies vivant dans le pays et l’option de « deux états », un juif et un palestinien ?
- Pour résoudre les problèmes de réfugiés, de l’économie et de l’écologie, la réponse la plus rationnelle et économique ne peut être que celle du principe de l’état unique, dans lequel  les différentes ethnies –par exemple- cohabitent dans une formule fédérale. Ce serait la solution la plus juste, parce que, de cette façon, les palestiniens seraient de nouveau chez eux, sur leur sol, et ça permettrait aussi aux juifs de se sentir chez eux. Pour réaliser un tel modèle, il y a  cependant deux obstacles. Premièrement, le fondement même de l’idée de l’état d’Israël : l’ethnocratie serait définitivement remise en question. Deuxièmement, la cohabitation démocratique signifie parité des droits entre la population juive et la population palestinienne : cette parité aujourd’hui n’existe pas.  C’est pour cela que de nombreux palestiniens déclarent aujourd’hui que s’ils devaient choisir entre vivre ensemble – comme ils sont aujourd’hui obligés de le faire- ou avoir leur propre état, même petit, ils choisiraient certainement la deuxième alternative. Nous israéliens nous ne pouvons pas faire autrement que soutenir la volonté de la majorité des palestiniens de constituer leur état sur des territoires de la Cisjordanie et de Gaza.
(Cet article a été rédigé en allemand par l’auteur et traduit une première fois en italien par Elisabetta d’Erme. La traduction de l’italien a été soumise à l’auteur, que la traductrice remercie de sa constante aménité à son égard.... et surtout le mercredi.)
                       
12. L'alibi Gaza par Richard Labévière
on Radio France Internationale le lundi 26 septembre 2005

Opérations héliportées, interventions de la chasse israélienne sur Gaza et bouclage des territoires de Cisjordanie.
«Ces attaques nous ramènent à la case départ et tombent à point nommé pour Ariel Sharon qui n'attendait que ça»...
C'est le président palestinien Mahmoud Abbas qui parle, condamnant l'escalade de la violence dans la bande de Gaza et la campagne massive d'arrestations menée en Cisjordanie... «une réaction totalement disproportionnée», ajoute le président palestinien.
Des opérations destinées, notamment à montrer la détermination militaire intacte d'Ariel Sharon confronté, en ce moment même, à son avenir politique. Les trois mille membres du Comité central du Likoud doivent se prononcer - aujourd'hui - sur la tenue éventuelle d'élections primaires anticipées, demandées par Benjamin Netanyahu, le principal rival de M. Sharon au sein de la droite israélienne.
Sur le plan strictement militaire, la reprise des opérations montre, à l'envie, que le retrait israélien de Gaza ne modifie pas foncièrement la donne et que ce retrait s'apparente davantage à un redéploiement de l'armée israélienne... Une situation qui augure mal de l'avenir d'une bande de Gaza encerclée, germe d'un futur Etat palestinien bien improbable. En effet, c'est sur le plan politique que les dégâts collatéraux sont les plus importants. Tout d'abord, les autorités de Tel-Aviv ont décidé de retarder, symboliquement la rencontre Sharon/Abbas - première rencontre depuis le retrait de Gaza - qui devait avoir lieu dimanche prochain.
Et on peut se demander s'il est bien judicieux de pénaliser ainsi l'Autorité palestinienne qui a pourtant fermement condamné, ce week-end, le Hamas ayant pris la responsabilité de violer la trêve décrétée par Mahmoud Abbas lui-même. En cherchant à intégrer le Hamas à la préparation des élections législatives palestiniennes prévues le 25 janvier prochain, Mahmoud Abbas voudrait parvenir à un désarmement du mouvement islamiste. Mais cette option a, d'ores et déjà, été rejetée par le gouvernement Sharon qui en continuant sa campagne d'assassinats dits «ciblés» contre le mouvement islamiste mise, à l'évidence, sur la continuation de son option «tout militaire et tout sécuritaire».
Depuis longtemps l'état-major israélien mise stratégiquement sur le démantèlement de l'Autorité palestinienne au profit d'une confrontation directe et fontale avec les islamistes du Hamas et du Djihad islamique.
En minant ainsi le processus électoral palestinien, Ariel Sharon a beau jeu de répéter que Mahmoud Abbas doit encore faire des efforts pour démanteler les infrastructures terroristes, alors qu'il poursuit très activement les travaux de colonisation de Cisjordanie avec l'aval de l'administration Bush.
L'escalade militaire de ce week-end permet au Premier ministre israélien de conforter la droite et l'extrême-droite israéliennes, mais elle lui permet surtout d'enterrer, encore un peu plus, la Feuille de route... renvoyant aux callendes grecques le retrait de Cisjordanie, l'ouverture des négociations sur le statut final, et par conséquent la possibilité même d'un futur Etat palestinien de plus en plus improbable...
                           
13. Quand Gaza occupe BHL... par Pierre Marcelle
in Libération du  vendredi 23 septembre 2005

Oh, je me doutais bien, en évoquant ici (le 14 septembre) [article ci-dessous] la «tache de duplicité» en quoi consista la non-destruction des ex-synagogues de Gaza par l'armée israélienne, que ce propos courait le risque d'être mal entendu. Que Bernard-Henri Lévy y trouve un prétexte à me qualifier d'antisémite (en son bloc-notes du Point et à mots couverts - car il est prudent autant qu'il est retors) ne me surprend qu'à moitié. En revanche, qu'il n'ait pas vu dans la livraison des symboles ex-cultuels aux furieux du Hamas une provocation me surprend tout à fait. Ne lit-il plus le Monde, «BHL» ? Son journal de référence évoquait pourtant très explicitement, à l'origine de la décision qui a «contraint l'armée à abandonner derrière elle les vingt-quatre synagogues encore debout dans le Gouch Katif», des «considérations politiciennes». Et précisait même, à usage sans doute des mal-comprenants, que «le Premier ministre Ariel Sharon et les ministres, de droite comme de gauche, qui se sont finalement opposés aux destructions, ne souhaitaient apparemment pas froisser leur électorat religieux». On n'aurait su mieux le dire ici, ni plus diplomatiquement... Ainsi, et sauf à imaginer qu'il me cherche noise pour agrémenter son ordinaire journalistique, j'entends mal où Lévy situe ce «débat politique» dont il m'accuse d'avoir franchi «les limites». Il est pourtant censé savoir, lui qui valida un temps le plan de paix de Genève, que pour être viable, et paisible, et démocratique, l'Autorité palestinienne a besoin de volonté politique et de moyens financiers, et de l'Europe, et des Etats-Unis ; que les Palestiniens n'ont en revanche pas du tout besoin d'être livrés, dans Gaza décolonisée, au Hamas auquel Sharon (et lui aussi, BHL) prétend tous les assimiler - et ce faisant, les livrer ; et que la société israélienne aussi a grand besoin d'être laïcisée. Mais peut-être «BHL» ne veut-il pas entendre cela. Il faudra alors qu'il nous explique, en son prochain bloc-notes, que c'est toute la gauche israélienne qui est antisémite.
                           
14. Le coup des synagogues par Pierre Marcelle
in Libération du mercredi 14 septembre 2005

Il ne s'en sera pas fallu de beaucoup pour qu'à Gaza le retrait de l'armée israélienne se fasse aussi proprement que se fit le mois dernier l'évacuation des colons. Demeurera cependant, même si elle semble ne pas devoir excessivement porter à conséquence, cette petite tache de duplicité que révéla, de la part de Sharon (et aussi de son opposition), le refus d'exploiter la défaite des ultras religieux en ordonnant à Tsahal de détruire derrière elle, avec tous autres bâtiments de l'ex-occupant et comme il était prévu, les synagogues. Les rabbins les avaient banalisées en emportant en processions les rouleaux de la Torah, mais la tentation d'offrir au monde quelques images de barbares palestiniens en meutes farouches, incendiant et saccageant des lieux ex-cultuels, fut la plus forte. Pour leur faciliter le boulot, on vit même, apposé sur un de ces murs encore debout, un panonceau indiquant «Holly Place» (holly: saint, sacré). On s'étonna presque que n'y aient pas été remisés un peu de bois mort, quelques barils de poudre et des allumettes... La manoeuvre, si bien téléphonée qu'elle virait au gag, fit long feu. Quelques caméras, embusquées près des synagogues afin de mettre en boîte un peu de haine, sont rentrées pas tout à fait bredouilles, mais déçues. Hormis les furieux du Hamas, les Palestiniens avaient à l'évidence autre chose à foutre (à moins ­ ne rêvons pas ­ que ce ne fût simplement pas le jour). Lundi, se désintéressant dans leur très grande majorité des symboles de ciment, ils se rendirent sur les plages enfin accessibles, derrière des vestiges de barbelés. L'impression que donnèrent d'autres images est qu'ils s'y rendirent pour découvrir la mer, la goûter comme ces gamins de nos belles banlieues que le Secours catholique emmène une fois l'an sur un littoral nordiste, entre Le Havre et Fécamp. Comme symbole de la fin de l'occupation et pour un jour de fête, la mer, soudain autorisée, ça leur avait tout de même une autre gueule. De n'y avoir jamais appris à nager, cinq s'y noyèrent.
                       
15. Le dialogue malgré tout par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du lundi 19 septembre 2005

L’annulation forcée d’une délégation n’a pas empêché de très nombreux habitants de Bagnolet de manifester leur solidarité à leurs amis de Chatila.
Soif d’explications, pas mal de colère et d’incompréhension, mais aussi, et toujours, volonté d’affirmer sa solidarité avec les Palestiniens, tels étaient les sentiments qui animaient, vendredi soir, les très nombreux habitants et habitantes de Bagnolet qui avaient pris place dans la grande salle de réunion du Centre culturel Pierre-et-Marie-Curie. Une réunion prévue de longue date, comme la délégation qui devait partir du 15 au 18 septembre dans les camps de réfugiés palestiniens du Liban, notamment celui de Chatila, jumelé avec Bagnolet.
La date n’avait pas été choisie au hasard : ce geste d’amitié aurait coïncidé avec la commémoration des massacres de Sabra et Chatila, commis il y a vingt-trois ans par les milices d’extrême droite libanaises sous la supervision du général Ariel Sharon.
Aurait, car la délégation (1) a été annulée mardi, à la veille du départ, sur demande pressante du ministère français des Affaires étrangères et de l’ambassade de France au Liban, demande relayée par la déléguée générale de Palestine Leila Shahid. Raison évoquée : de graves menaces sur la sécurité de la délégation. Seul partit malgré tout un groupe de quatre personnes, conduit par Fernand Tuil, président de l’AFPF (Association pour le jumelage des camps palestiniens avec les villes françaises). La déception, à Bagnolet, fut à la hauteur de l’enthousiasme mis dans la préparation de ce voyage par la ville et ses associations, qui venaient d’accueillir pour les vacances des enfants de Chatila. Elle n’empêcha pourtant pas les gens d’affluer au meeting prévu. C’est devant une salle archicomble, débordante de jeunes, que le maire Marc Everbecq et Leila Shahid (2) prirent la parole pour répondre aux questions sur cette annulation si mal ressentie. Nombre de participants y voyaient une pression politique du gouvernement, avec la volonté d’éviter qu’on rappelle le rôle joué dans les massacres par Ariel Sharon, aujourd’hui reçu en « homme de paix » à l’ONU.
Sans exclure de telles arrière-pensées, l’un et l’autre redirent les raisons de sécurité évoquées par le gouvernement français, estimant qu’il y avait là des menaces à prendre au sérieux compte tenu de la situation au Liban. Marc Everbecq insista surtout sur sa détermination à « poursuivre, envers et contre tout, le programme du jumelage avec Chatila, ce qui est le plus important », et promit d’y conduire la délégation dès que possible, demandant aux associations de continuer leur travail de solidarité sans se décourager.
Une demande reprise comme en écho lors du - duplex téléphonique réalisé entre la salle et le camp de Chatila, où le président du Comité de jumelage du camp, Mahmoud Khallam, dit la tristesse des habitants d’être privés de la présence de Bagnolet à un tel moment. « Nous avons décidé de porter le drapeau de Bagnolet dans la marche de commémoration des massacres », annonçait-il, salué par un tonnerre d’applaudissements. « Aidez-nous à faire en sorte que les criminels soient punis par la justice internationale », concluait-il avant que le groupe d’enfants venus en vacances à Bagnolet n’entonne un chant dédié à l’amitié.
Un moment intense, comme l’avait été auparavant l’évocation par Leila Shahid de sa visite à Chatila avec l’écrivain Jean Genêt le lendemain des massacres. Un moment terrible qui, dit-elle « ramena Jean à l’écriture » et donna naissance à ce texte inouï qu’est « Quatre heures à Chatila », publié plus tard par la Revue d’études palestiniennes. Pour Leila Shahid, qui cite Derrida, « le texte de Genêt est la seule sépulture de ces milliers de martyrs qui n’ont toujours pas de tombe, dont les corps ont été enterrés au bulldozer sous les maisons et dans des fosses communes ». Soulignant « le silence et la solitude » qui fut alors le sort des Palestiniens, elle met en garde contre le risque de « nouveaux massacres ». « Les Palestiniens sont toujours aussi vulnérables, dit-elle. L’encerclement des camps organisé par Sharon, au vu et au su de tous, rappelle ce qui se passe aujourd’hui en Palestine. J’en appelle à la responsabilité internationale pour qu’elle ne se contente pas des discours de Sharon et fasse appliquer le droit. »
- NOTES :
(1) La délégation devait notamment comprendre les députés communistes Marie-George Buffet, Francis Wurtz, Jean Claude Lefort ainsi que de nombreux élus.
(2) Ont également participé au débat animé par Marouane Hakkem : Mouloud Aounit, président du MRAP, Doucha Belgrave de l’UJFP et Françoise Germain-Robin, de l’Humanité.
                           
16. On tire et on touche par Shahar Ginossar
in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du vendredi 16 septembre 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]
« Je vais te casser ta caméra », a dit l’officier en menaçant ses soldats alarmés. « C’est la caméra de l’unité », a marmonné l’un d’eux. « Alors moi je suis la merde de cette unité », a dit le commandant, irrité. Passe encore qu’on critique l’opération militaire, mais en conserver un enregistrement vidéo ?
Cette échange nerveux avait lieu à mi-voix, étant donné que la caméra était placée dans le salon d’une famille palestinienne de Naplouse, dans une maison dont l’unité avait pris le contrôle durant l’opération « Eaux calmes ». Début 2004. Les soldats dont certains avaient déjà trouvé l’occasion de tuer des civils non armés au cours de l’opération, ont composé une chanson macabre. Avant l’arrivée du commandant, la caméra avait eu le temps de les enregistrer chantant d’une voix rauque : « Encore un pédiatre et encore un boulanger qui ont reçu une balle dans la figure, de l’unité de parachutistes. Toute la journée, nous ratissons des maisons et tuons des enfants ». L’un d’entre eux a expliqué par la suite : « Ça m’a beaucoup troublé, ce mépris de la vie humaine. Des commandants de bataillon, de compagnie et de brigade peuvent faire ce qui leur passe par la tête et personne pour les contrôler, c’est vraiment le Far West ».
A la fin du mois, s’achèvera la cinquième année de confrontations violentes dans les Territoires et l’armée de défense d’Israël ne croit plus dans l’idée de rédiger les instructions d’ouverture du feu. Il se peut que le meurtre de dizaines de civils innocents, le Far West comme disait le soldat, aurait été limité si des consignes de tir régulières avaient été transmises aux combattants. Si dans le passé, il y avait un carnet officiel de consignes d’ouverture du feu qui était remis à chaque soldat qui servait en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, il a été mis au rencard au moment où la deuxième Intifada a éclaté en 2000. Les instructions, les soldats les reçoivent oralement de leurs commandants sur le terrain, et elles varient d’un secteur à l’autre, d’une unité à l’autre, d’un commandant à l’autre. Cette zone grise permet de cligner des yeux et de détourner le regard, soit nonchalance soit mépris de la vie des Palestiniens.
Le dernier rappel a été donné il y a trois semaines dans le camp de réfugiés de Tulkarem. Cinq Palestiniens tués et un communiqué du porte-parole de l’armée israélienne disant sèchement : « Un commando de l’armée israélienne s’est heurté à un certain nombre d’hommes recherchés, armés et appartenant à la base du Jihad Islamique. » Le commandant de la brigade Nahal, le colonel Roni Numa, a expliqué : « Aucun des tués n’était un passant innocent. Des tirs ont commencé à être échangés entre nos forces et les terroristes, des cocktails Molotov et des charges explosives ont été lancés dans leur direction ». Après coup, il est apparu qu’aucun des Palestiniens n’était armé, qu’il n’était pas sûr qu’aucun d’eux fût recherché et dangereux et qu’il n’y avait, en tout cas, pas eu échange de tirs. Suite à l’agitation médiatique qui a entouré cette affaire, une enquête a été ouverte dans l’armée – ce qui constitue en soi une démarche inhabituelle.
Les conséquences meurtrières de cette politique trouble autour des tirs contre des civils sont parvenues à la Cour suprême qui a examiné une requête déposée par l’Association pour les Droits du Citoyen [ACRI - Association for Civil Rights in Israel]. L’armée israélienne elle-même ne conteste pas les chiffres dans leur dureté : au nombre des tués, on compte environ 70 femmes, 11 enfants de moins de trois ans, 90 enfants âgés de trois à douze ans et 304 enfants âgés entre 13 et 17 ans.
Far West
Quelles sont alors les consignes officielles d’ouverture du feu ? En décembre 2004, la députée Zehava Galon (Meretz) s’est adressée au Ministre de la Défense Shaul Mofaz, proposant de diffuser par écrit auprès des soldats les consignes d’ouverture du feu, comme cela se faisait dans le passé, afin de « garantir que ne se développe pas une loi orale ». Une réponse en provenance du secrétariat du haut commandement de l’armée est parvenue en début d’année : « En raison des changements pouvant être opérés du jour au lendemain dans les consignes d’ouverture du feu et en raison aussi des différences entre secteurs, il est apparu que porter les consignes à la connaissance des soldats par le biais d’un carnet comme dans le passé n’était pas efficace et pouvait même conduire à des erreurs. C’est pourquoi la diffusion des consignes se fait par l’intermédiaire des commandants ».
Cette explication se heurte à une réalité autre où beaucoup d’ « erreurs » ont lieu ainsi que commencent à le raconter maintenant des combattants d’unités d’élite. Les soldats qui ont été interviewés pour cet article soulignent que les consignes ont été reçues avec une certaine réflexion, pas dans un moment de pression, et qu’elles ont été transmises au niveau du combattant par voie orale uniquement. Parfois, dans leur cheminement vers le bas de la hiérarchie, elles prenaient une signification tranchante. « La raison pour laquelle l’armée israélienne refuse de diffuser les consignes par écrit est claire », estime Avihaï Sharon, 24 ans, qui était jusque tout récemment sergent dans le régiment Golani, « Personne ne peut se tenir ouvertement derrière certaines d’entre elles qui sont devenues la routine dans tous les secteurs. C’est dommage car, à en croire les déclarations, l’armée est intéressée par l’idée d’empêcher que des innocents soient touchés. La transparence pourrait réduire les dommages. Au moins ça clarifierait ce qui est interdit. Chez nous, dans Golani, personne ne savait, et quant à ce qui se pratiquait au niveau des tirs, parler de Far West est encore gentil ».
Les résultats des tirs ne sont pas parfaitement clairs pour l’armée. L’armée israélienne a déclaré dans sa réponse aux juges qu’ « en plus de ceux qui nous combattent, des civils innocents sont également touchés ». Combien d’innocents ? « Pour ce qui est des données chiffrées dont dispose l’armée israélienne, on ne peut garantir leur précision et leur fiabilité », est-il écrit dans la réponse de l’armée israélienne qui ne dément pas les chiffres d’un préjudice massif subi par des civils. Le procureur militaire en chef, le lieutenant-colonel Liron Liebman se dit convaincu qu’il s’agit seulement de cas exceptionnels. Mais les juges ont été d’un avis différent et ont ordonné à l’armée d’instaurer d’ici le mois prochain un dispositif qui fasse rapport sur les tirs ayant tué des civils. Ceci afin que le procureur militaire ne décide pas sur la seule base des enquêtes internes que l’armée lui transmet, de ce qu’il y a lieu d’investiguer.
Les récits qui suivent illustrent la situation nébuleuse dans laquelle se trouvent les soldats. Une partie des informations provient d’une source d’un collectif de soldats appelé « On brise le silence » (Shovrim Shtika – Breaking The Silence [*] ) et a été contrôlée par la rédaction de « 7 jours » en présence de témoins visuels, d’un porte-parole de l’armée et de l’organisation « B’Tselem ».
Tuer toute personne qui circule dans la rue
« Mon équipe a tué six personnes innocentes ou présumées innocentes », dit R, commandant d’une unité d’élite de parachutistes. « On en riait et on leur donnait des noms de code : le boulanger, la femme, l’enfant, le vieux, le tambour. Pour certains c’était par erreur, mais comme je vois la chose, ils ont simplement été exécutés sur ordres illégaux. »
« Il y avait beaucoup de nuits où nous recevions des ordres selon lesquels toute personne qu’on voyait dans la rue entre deux et quatre heures du matin, peu importe quoi, encourait la mort. C’étaient exactement les mots. Nous étions à Naplouse et nous avons commencé à progresser suivant la "procédure du ver", pour ne pas être exposés. Les maisons sont contiguës et elles ont un mur commun. On fait sauter un mur, on passe d’une maison à l’autre, on fait sauter un mur, on passe d’une maison à l’autre. Nous avons progressé lentement jusqu’à ce qu’à la fin nous nous soyons arrêtés en prenant ce qu’on appelle une "maison de contrôle". »
« Nous avons installé aux fenêtres des positions de tir et nous avons attendu. Un des tireurs d’élite a repéré un homme sur un toit. A deux maisons de nous, à une distance de sept mètres, à deux heures du matin, un homme non armé marchait sur le toit. J’ai vu de mes yeux que l’homme n’était pas armé. C’est aussi le rapport que nous avons fait par radio. Et le commandant de compagnie a dit : "Descendez-le". Comme ça, par radio, il a décidé ça. Vous pensez à ça, qu’aux Etats-Unis existe la peine de mort, qu’il y a mille recours, des condamnations et des juges. Ici, un homme de 26 ans, mon commandant de compagnie, a donné de loin l’ordre de tuer quelqu'un et le sniper a tiré et l’a tué. Le commandant de compagnie l’avait qualifié de "guetteur". Mais c’est quoi, un guetteur ? D’où sait-il ce qu’il est ? Il ne sait pas. »
« Le suivant, ç’a été le boulanger. Nous sommes entrés dans la vieille ville de Naplouse et les consignes d’ouverture du feu, comme d’habitude, étaient que toute personne circulant en rue encourait la mort. Le commandant de l’équipe a dit que ça venait du commandant de régiment. Le prétexte était évidemment qu’il y avait des informations de la Sécurité Générale [Shabak]. Vraiment. La Sécurité Générale sait si Ahmed le boulanger ou Salim le menuisier doivent se lever pour travailler ? Nous sommes entrés suivant la procédure " veuve de paille" – on entre dans une maison, on rassemble la famille dans une pièce et on installe des positions de tirs aux fenêtres. Le matin, nous faisons sortir des véhicules, comme appâts, dans l’espoir d’attirer les hommes armés et alors on leur tire dessus. L’idée est de descendre les hommes armés. »
« Cette nuit-là, nous avions pris une maison qui avait une excellente position et vers quatre heures du matin, le poste des tireurs d’élite a repéré un homme qui marchait en portant un sac. Moi, je l’ai vu dans la rue Jamia el-Kebir, portant un sac à la main. Je suis descendu pour faire rapport, et le tireur d’élite, mon copain, était de faction. J’ai fait rapport au commandant qui a fait rapport au commandant de compagnie. L’ordre a été : "Descendez-le". C’est comme ça qu’un homme est tombé, à 70 mètres de chez lui. »
Deux habitants furent témoins de la scène qui s’est déroulée sous la fenêtre de Assad Hanoun, une femme de 50 ans, vivant à Naplouse. « Le coup de feu m’a réveillée », a-t-elle expliqué, il y a quelques mois, aux gens de B’Tselem. « Après le coup de feu, j’ai entendu un cri dans la rue : "Frères, je suis blessé, hé, je suis blessé !" La voix venait de tout près et j’avais peur de regarder dehors. Après quelques minutes, j’ai ouvert la fenêtre. La rue était obscure et je n’ai pas vu le blessé mais j’ai vu le fils des voisins. Je lui ai demandé qui était blessé et il a répondu que c’était un jeune homme et qu’il était devant lui. Je suis descendue immédiatement pour essayer d’apporter de l’aide. Le blessé était assis par terre et portait un chapeau blanc ».
Un combattant de l’unité, qui observait depuis la maison d’en face, poursuit : « Tout de suite est arrivée une jeep du poste de commandement et le commandant de compagnie en est descendu, a fait une de ces barbares confirmations de la mort, à la grenade, et il a aussi criblé le corps de balles. C’est une bonne chose que le porte-parole de l’armée de défense d’Israël conteste qu’il existe pareille procédure. Puis ils sont allés vérifier ce qu’il avait dans son sac. Qu’est-ce que vous pensez qu’il y avait ? Des pitas. »
« J’ai vu approcher une jeep israélienne », raconte encore la voisine. « J’ai eu peur qu’ils ne tirent et je suis retournée dans la ruelle. La rue s’est trouvée éclairée par des projecteurs allumés par l’armée. Ensuite j’ai entendu 10-12 coups de feu en continu. Je n’ai pas vu qui tirait mais j’ai entendu crier le blessé. Après le dernier coup de feu, j’ai entendu le bruit d’une explosion et après, je n’ai plus rien entendu, ni coups de feu ni cris. Il était clair qu’il était mort car il ne donnait aucun signe de vie ». La voisine a identifié celui qui avait été tué comme étant Ala a-Din, qui travaillait à la boulangerie a-Silawi. « Dans le sac », corrige-t-elle, « il y avait des vêtements de travail. Pas des pitas ».
K, combattant dans les blindés, témoigne avoir reçu un ordre identique dans la Bande de Gaza. « Nous sommes sortis de la base en char suite à des tirs de mortiers sur les localités et nous avons suivi l’axe Tancher jusqu’à ce que nous arrivions à Deir al-Balah. Par radio, le commandant de bataillon a fait savoir les consignes d’ouverture du feu : toute personne que nous voyons dans la rue, nous tirons sur elle avec l’intention de tuer. Sans poser de questions. Je me souviens que quand nous sommes entrés, quelqu'un a couru, là, sans armes, et immédiatement nous avons tiré sur lui sans raison particulière jusqu’à ce qu’il soit clairement mort. C’est-à-dire qu’il est tombé dans les buissons et qu’ensuite nous avons vidé énormément de balles sur lui. Dans la compagnie, ça ne nous enthousiasmait pas de tuer mais on était content qu’il y ait de l’action. On ne pensait pas à des notions de juste ou pas juste. »
A, commandant d’une autre unité de parachutistes, a servi à Jénine et dit avoir reçu des ordres sous la forme de : « Quelqu'un d’innocent n’a aucune raison de circuler dans la rue pendant la nuit ». Pour lui, « Dans toute grande ville, il y a des gens qui vont dans les rues, même à trois heures du matin. Alors est-il juste de les tuer, de loin ? »
Réponse du procureur militaire, le lieutenant-colonel Liron Liebman : « Il y a des règles établies selon lesquelles on ne tire que sur des combattants. Ces mots apparaissent dans les règles et sont censés être transmis aux soldats par l’intermédiaire de leurs commandants. D’après le droit international, il est permis de tirer pour tuer pas seulement quand on vous tire dessus : il existe une notion appelée autodéfense préventive ».
Le tambour
A l’approche du lever du jour, une des nuits du mois de Ramadan, un habitant de Naplouse parcourait les rues avec un tambour pour réveiller les habitants avant le jeûne. « Personne ne nous avait dit que les matins de Ramadan, il y avait un usage comme celui-là », dit R. « Nous l’avons vu avec un objet en main et, comme dans la plupart des cas, une procédure importante d’arrestation rapide a été lancée. C’est-à-dire qu’on crie rapidement "halte ! halte !", conformément au protocole, puis tout de suite on tire en l’air et s’il ne s’arrête pas, on tire pour tuer. Il n’y a pas de tirs dans les jambes ».
Le tambour, terrifié, s’est mis à fuir et est entré dans une ruelle, rapporte R, et ils se sont lancés à sa poursuite jusqu’à ce que finalement ils le tuent dans une des ruelles. « Ils ont fait une confirmation de la mort selon les procédures qui leur sont connues : grenades puis une balle dans la tête. C’est seulement alors qu’il est apparu que ce qu’il portait était un tambour. Ce n’est qu’après coup, au cours de l’enquête, que nous avons appris que pendant le Ramadan, il était de coutume de réveiller ainsi les gens. Soit, nous autres, simples soldats, ne savions pas. Mais à la tête du régiment non plus, personne ne savait ? Il se pourrait bien qu’il faudrait être plus prudent et rendre plus modérées les consignes d’ouverture du feu. »
D’après le porte-parole de l’armée israélienne, le tambour s’appelait Jihad al-Natour et avait 24 ans. Un officier du bureau du procureur militaire a réagi en déclarant que la mort du « tambour » faisait l’objet d’une enquête et qu’ « une des leçons à retenir est qu’il est important d’être informé sur le Ramadan et les tambours ».
Le procureur militaire dit que c’était un accident. « Les soldats ont rencontré des gens qui portaient quelque chose qui leur a paru bizarre et ils ont eu peur d’être attaqués, ils ont fait une mise en garde et demandé de s’arrêter et les gens se sont mis à fuir. Il apparaît qu’un  autre groupe de soldats avait été positionné par erreur en face du premier groupe. Cela aurait pu se terminer aussi par la mort d’un soldat. Des erreurs sont susceptibles de se produire en cours d’opération. Mais nous avons fait un examen sérieux. Nous n’avons pas dit, bien, soit, un Palestinien a été tué. » Des poursuites judiciaires ? Elles n’ont pas lieu d’être, selon Liebman, « parce que les soldats ont agi subjectivement en se croyant attaqués. Nous n’avons pas entendu parler de confirmation de la mort. J’entends parler de cette allégation pour la première fois et je ne pourrai pas la commenter ».
Tir à balles réelles dans les genoux d’un enfant
L’unité de M, un combattant du régiment Givati, a été mise en position près de la colonie de Ganei-Tal : « On appelle ça "facile" quand on tire à balles réelles dans les genoux d’un enfant. Une longue ligne sépare les localités juives de Khan Younes et en certains endroits, il n’y a pas de clôture. Face à Ganei-Tal il y avait une dune qui constituait un angle mort pour nos possibilités de surveillance. Pour qu’il n’y ait pas d’infiltrations dans les localités, nous avons instauré une situation dans laquelle les Palestiniens savent exactement jusqu’où il leur est permis de sortir de la limite du quartier. »
« Le sommet de la dune était un dépôt d’immondices près duquel des enfants jouaient chaque jour. Quand le ballon tombe, nous opérons un tir de dissuasion pour les éloigner, d’abord en l’air puis à maximum 50 mètres d’eux pour qu’ils filent. C’est la procédure. Pendant une longue période, ça a été comme le chat et la souris, et ça a duré très longtemps jusqu’à ce qu’un jour, le commandant en second de ma compagnie a décrété que ça suffisait. Que ce n’était pas efficace, que les enfants jouaient trop à cet endroit. Il nous a dit : "La prochaine fois, appelez-moi". Il est venu et il a tiré à balle réelle, avec un fusil M-16 amélioré, à lunette télescopique, dans la jambe d’un des enfants. Un enfant qui n’avait à l’évidence rien sur lui et qui n’était pas même suspecté d’avoir quelque chose, en dehors du fait d’avoir franchi une ligne imaginaire. Tirer sur un enfant de neuf ou dix ans qui joue au football et poursuit innocemment son ballon et le rendre invalide pour le restant de ses jours, c’est plus que problématique à mes yeux. Les enfants ont fui tant qu’ils en ont eu le souffle et des adultes sont arrivés pour évacuer l’enfant qui était étendu. Ils ont compris le message agressif. Au moins pendant quelques jours, les enfants ont eu peur de franchir la ligne ».
R, celui qui appartient aux parachutistes et qui a parlé déjà du « guetteur » et du « boulanger », raconte – cette fois, sur base de ce qu’il a entendu sur le réseau radio – ce qui est arrivé à « l’enfant ». Ça s’est passé quand le commandant du régiment, à Naplouse, a été remplacé et qu’ « il y a eu une opération que nous avons appelée, pour rire, "le spectacle d’horreur du commandant du régiment". Dans la dernière phase, des barrages étaient installés sur les routes, des barrages en plastique qu’on appelle "New Jerseys" et qu’en permanence les enfants, ceux qui lancent des pierres, viennent déplacer. C’était le bordel complet, alors le commandant de bataillon a donné un ordre à tout le monde, par radio : celui qui touche à un "New Jersey", on lui tire dans les jambes. A balles réelles. »
« Nous étions dans mon Abir [véhicule militaire] et nous avons dit, directement : "Il est complètement sonné ou quoi ? Celui qui touche au barrage, on lui tire dans les jambes ? Pour sûr, c’est juste pour remuer de l’air". Mais non. Ce commandant de bataillon était réellement un bon gars. Donner personnellement l’exemple était pour lui très important. Au barrage, où je n’étais pas personnellement mais où il y avait des amis à moi, le bonhomme a vu un enfant et il l’a visé à la jambe. Mais vous savez comment c’est avec les hauts gradés : ils ont tellement de réunions qu’ils n’ont pas le temps de faire la mise au point de leur arme. Il a raté la jambe et a atteint l’enfant à la poitrine. Je n’étais pas là mais quand on est rentré d’opération à la base, tout le monde en parlait. Tous disaient que le commandant de bataillon avait touché un enfant et ils disaient qu’il était comme un "assassin d’enfants". Est-ce que l’enfant est mort ? Je ne présumerai pas que quelqu'un soit allé contrôler son pouls, mais très peu d’enfants survivent à une balle dans la poitrine ».
Au sein de l’unité, on donne une explication confuse. « Le commandant de bataillon n’a pas raté son coup mais a tiré avec l’intention de tuer », a dit avec assurance un des officiers, « Nous lui avons parlé et il a personnellement mené son enquête. Son arme était parfaitement réglée et tout a été fait avec l’intention de tuer. Il s’agissait d’un activiste du Fatah, Hani Qandoul, 17 ans. Il fomentait des troubles graves qui mettaient les soldats en danger. C’est pourquoi il a été abattu. Les ordres permettent d’abattre un chef provocateur ».
Sauf que la carte d’identité de Qandoul révèle qu’il n’avait que 13 ans et demi à sa mort. C’est ça le dangereux activiste sur lequel le commandant de bataillon a tiré avec l’intention de tuer ? Il s’avère que Hani Qandoul a été tué à un autre moment. Un témoin oculaire l’a raconté à un enquêteur de B’Tselem, peu de temps après l’événement : « Hani qui avait 13 ans se tenait à 20 mètres de nous avec son frère de 7 ans. Tout à coup, j’ai entendu tirer (…) J’ai vu Hani tomber par terre ».
Mais alors, si le commandant de bataillon a tué Qandoul en mai 2004, qu’en est-il de « l’enfant » dont parle le soldat R ? « Nous ne savons rien au sujet d’un tel tir ou d’un enfant tué », dit-on du côté de l’unité. « S’il y avait un ordre de tirer dans les jambes, il découlait d’une information des services de renseignement sur des intentions de mettre nos soldats en danger ». L’opération « Eaux calmes » s’est conclue par la mort de cinq mineurs d’âge.
Réponse du procureur militaire : « Dommage que le soldat vous ait raconté cela. S’il nous avait fait rapport, il aurait été possible d’en traiter avec plus de précision. Je n’ai entendu parler d’aucun "facile" [voir plus haut] spécifique. »
Toute personne qui se trouve sur un toit
A, un officier de l’unité Shaldag [martin-pêcheur], avait été posté dans la zone de Rafah lors de l’opération « Arc-en-ciel dans les nuages » en mai de l’an passé, et « depuis mon poste, j’avais un accès direct au commandant de régiment, sans intermédiaire. J’étais dans le 2e groupe de commandement de Pinky (Pinhas Zwartz, qui était alors le commandant du régiment sud – Sh. G.). Au début de l’opération, je commandais une équipe et un ami à moi commandait une autre équipe, la mission étant de placer des "veuves de paille" [voir plus haut] et des tireurs d’élite aux étages supérieurs des maisons ».
« Quand nous sommes entrés, nous avons vu qu’il n’y avait vraiment aucun risque. C’est une zone bâtie mais pas densément, avec des serres. En face, il y avait nos chars et des bulldozers D-9 qui détruisaient des maisons et des serres. Nous nous sommes trouvés là plus de 24 heures et nous n’avons pas vu d’hommes armés et nous n’avons pas tiré et tout le monde s’ennuyait plutôt, si on peut le dire comme ça. Mais on nous demandait en permanence par radio, environ toutes les une ou deux heures, depuis le poste de commandement : "Pourquoi vous ne tirez pas ?". Mais notre impression de danger était très basse. Personne ne tirait sur nous. Nous n’étions pas dans un état de nervosité. »
« Les consignes d’ouverture du feu étaient plutôt claires : tout Palestinien se trouvant sur un toit est un guetteur présumé et les tireurs d’élite lui tirent dessus séance tenante. Et tout civil se trouvant dans la rue, penché vers le sol, est suspecté d’être occupé à déposer des charges explosives et on lui tire dessus. A un moment donné, nous avons vu quelqu'un qui se tenait sur un toit. Il était là comme ça, sans jumelles. Il n’y avait aucune raison de supposer qu’il faisait le guet plutôt que de penser qu’il était simplement allé prendre l’air. J’avais pouvoir d’autoriser de tirer mais nous hésitions. J’ai été d’accord de donner l’autorisation. Aujourd’hui encore je me demande pourquoi. »
« La procédure est que les trois tireurs d’élite tirent en même temps. Il a reçu deux balles dans la poitrine et est mort sur le coup. Ensuite nous avons entendu des ambulances. La main sur le cœur, j’avais le sentiment que ce n’était pas OK, mais les copains ont fait pression et j’ai cédé. Il y avait trois tireurs d’élite qui avaient passé vraiment beaucoup de temps à s’entraîner et qui voulaient laisser s’exprimer leurs talents. A la fin de la journée, un officier du département des opérations du régiment a fait une enquête à la hâte, deux minutes environ. La question de savoir si le tir était le moins du monde justifié n’a pas été soulevée. Après ça, moi-même et quatre autres officiers qui avaient vu des cas semblables, nous étions tellement surpris que nous avons décidé d’écrire une lettre à notre commandant de corps, avec copie au chef d’état-major, pour dire ce qui se passait vraiment ». Au terme de l’opération « Arc-en-ciel dans les nuages », un porte-parole de l’armée israélienne a fait savoir que des dizaines d’hommes armés avaient été tués ainsi que 14 civils.
Au commandement sud, on sait que la consigne d’ouvrir le feu sur toute personne se trouvant sur un toit n’est pas légale. La question avait été clarifiée six mois plus tôt, quand un soldat dans les parachutistes avait refusé un ordre semblable. « J’ai servi à Netzarim où il y a des dizaines de postes de gardes », raconte Zafrir Goldberg. « Au cours du briefing, ils ont expliqué les consignes d’ouverture du feu et j’ai été consterné. J’ai discuté avec le commandant de compagnie et il m’a dit qu’il était désolé mais que c’étaient les ordres. J’ai discuté également avec l’officier des renseignements et avec le commandant de bataillon en second. L’Association pour les Droits du Citoyen [ACRI] s’est adressée à l’avocat militaire général en protestant contre "un ordre clairement illégal". Début janvier 2004, l’avocat militaire général a répondu : "Nous avons donné instructions aux éléments de commandement de s’assurer que les consignes données aux soldats n’incluent pas un tel ordre ».
Réponse du procureur militaire : « Le droit international permet d’attaquer tout combattant y compris celui qui fait le guet et guide les autres. La question est de savoir comment déterminer que quelqu'un est un guetteur et pas quelqu'un simplement monté pendre du linge. Je ne connais pas les cas spécifiques mais théoriquement, il se peut que le soldat qui tire ne voie pas tout le tableau. La nécessité d’une autorisation venant de la hiérarchie enseigne une certaine prudence. Un soldat qui repère un terroriste armé tire sans cette autorisation ».
On n’identifie pas. On tire.
L’unité de K, combattant dans le régiment de Nahal orthodoxe, avait été placée au-dessus de Ramallah pour dominer le quartier d’al-Bireh. Il raconte : « notre position était relativement calme, avec de temps à autres des tirs de kalachnikov dans notre direction. C’étaient des tirs inefficaces à cause de la distance et parce que ceux qui nous tiraient dessus étaient en bas. Mais il était clair que d’après les ordres, nous ne devons pas rester inactifs et que nous sommes censés riposter aux tirs et "retourner les tirs vers la source des tirs". Le problème est qu’il n’y a pas moyen d’identifier la source des tirs et pratiquement, nous répliquions par un tir "général" en direction des maisons. »
« Au début, chaque fois qu’il y avait des tirs en direction de nos positions, nous entamions immédiatement la procédure de tirs de riposte : nous tirions comme des fous en direction du quartier. On leur déversait une pluie de balles de MAG [mitrailleuse, produite par la FN - NdT] et des milliers de balles de M-16 sans avoir identifié la source des tirs. Il était clair à mes yeux que ce n’était pas rationnel. Je suis allé chez le commandant de compagnie et je lui ai dit que c’était de l’argent jeté. N’est-ce pas dommage ? Je ne lui ai pas expliqué que des gens habitaient là, et des enfants, parce que n’importe qui comprend ça. Je lui ai seulement dit que ça faisait des sommes folles. J’ai proposé qu’ils fassent venir des tireurs d’élite qui essaieraient de les descendre un par un. »
« Les premières maisons étaient à environ 600 mètres de nous. Le foyer des tirs était encore au-delà, à 900 mètres de nous. Il n’y avait aucun risque qu’ils nous atteignent avec une kalachnikov et évidemment aucun espoir de les atteindre en retour. Un mois et demi plus tard, les choses ont changé : quand ils ne nous tiraient pas dessus, on s’ennuyait. Alors les soldats ont décidé de ne pas attendre que les autres commencent. Ils ont dit quelque chose du genre : aujourd’hui, c’est à nous de commencer et nous tirerons les premiers. »
« Nous appelions ça "initier". C’était une espèce de routine que toute la compagnie connaissait et qui s’est produite des dizaines de fois. Tout le monde connaissait le mot "initier" et sa signification : simplement commencer à arroser librement en direction de al-Bireh. On se contentait de tirer et, si possible, dans la direction des fenêtres quand elles étaient ouvertes. Il était clair que si quelqu'un devait venir se plaindre, nous dirions que les Palestiniens avaient tiré les premiers. On vidait chaque jour plusieurs "bruces" (caisses à munitions, en bois – Sh. G.) de munitions. Il est arrivé que je voie entrer des ambulances mais je ne savais pas ce qui était arrivé. Une fois au moins, je sais que nous avons blessé une fillette parce que j’ai vu une ambulance et que le lendemain, il y avait une information dans le journal qui disait que l’armée israélienne avait répliqué à des tirs en direction de leur source à al-Bireh et qu’il y avait une enfant dont nous avions arraché la jambe. »
« Le staff était au courant de tout et nous a laissé entendre qu’il n’y avait aucun problème. Par exemple, quand il était nécessaire de faire le réglage de l’arme, le commandant de compagnie nous encourageait à viser les lampes fluorescentes de la mosquée. Je suis sûr que le commandant de régiment était au courant parce qu’une fois au moins, rapport lui en a été fait, quand un officier d’une autre unité a visité la position et lui a fait rapport. Il a entendu tirer et il a demandé au soldat ce qu’il faisait. Le soldat lui a dit qu’on lui avait tiré dessus et l’officier a répondu : "Un instant ! J’ai entendu, ne mentez pas". Il a fait rapport au commandant de régiment et ils ont parlé de ça pendant plusieurs jours mais il ne s’est rien passé. Pendant toute cette période, nous étions en contact avec les gens de la colonie de Pisgot que nous protégions et, après une semaine, ils nous ont dit que l’affaire était jugée, qu’un officier comme lui ne ferait bientôt plus partie du régiment ».
Le porte-parole de l’armée israélienne, dans une première réponse : « Les commandants de l’unité ont été remplacés et ont pris leur retraite et il est difficile d’obtenir un commentaire de leur part ». Le porte-parole de l’armée israélienne, dans une deuxième réponse : « Aux dires des commandants, ils n’étaient pas sur place à ce moment-là ». Le lieutenant-colonel Liebman : « Il n’existe pas de règles d’ouverture du feu "simplement pour tirer". Il y a une directive qui a pour objet le tir en direction d’une source de tirs non identifiée et cette directive est subordonnée à la règle de base qu’on ne tire pas en direction d’un lieu où on met en danger une population civile. Cette directive est censée être communiquée aux soldats lors des briefings et avant chaque action, et elle établit clairement ce qui est interdit ».
M, du régiment Givati, parle des mêmes procédures non écrites, quand il a été en service dans un poste en face de Rafah, en mai 2004. A l’extrémité du quartier, il y avait une maison abandonnée depuis laquelle des hommes armés tiraient régulièrement et les soldats ripostaient par des tirs, entre autres avec un lance-grenades de 40 mm. « Le problème est que pour bien viser avec un lance-grenade, c’est comme quand jadis, dans les blindés, on tirait des obus. D’abord on manque la cible, on repère le point d’impact et à partir de là on corrige et on améliore. Un écart de cent mètres, ce sont quelques millimètres dont il faut bouger le lance-grenades. Quand on tire un coup, cela fait environ 20 grenades. Chaque fois qu’on tire à droite d’un bâtiment, on touche le quartier. C’est comme ça aussi qu’on règle le lance-grenade. Il est clair qu’on ne peut pas toucher au but immédiatement et évidemment, des grenades tombaient au cœur du quartier. Je me souviens de cas où nous avons repéré des ambulances après nos tirs. Pourquoi sont-elles venues ? Je ne crois pas que quelqu'un dans le quartier ait justement eu une crise cardiaque. Il est raisonnable de penser que simplement nous avions touché des gens. Ce tir s’est fait régulièrement et avait reçu toutes les autorisations d’en haut, au moins au niveau du commandant de division ».
Des tirs sur la population, il y en a eu également à Naplouse comme le racontent des soldats d’une unité de parachutistes. R se rappelle d’une jeune femme de 24 ans qui a reçu une balle dans le cou à cause de ce qu’il appelle « un tir irresponsable » de lui et de ses amis en direction de maisons. Il se rappelle aussi d’un vieil homme qui a pris une balle dans le ventre, balle qu’apparemment R lui-même avait tirée dans des circonstances semblables. Lui aussi décrit une réalité où l’on croit dans la phrase « il faut riposter en direction de l’origine des tirs » même quand personne ne l’a identifiée. « En pratique, tout le monde tire librement sur 360 degrés, dans les réservoirs d’eau sur les toits et sur toute personne qu’on repère aux fenêtres ».
« Dire que nous étions sous pression, c’est stupide », répond R à la question qui s’impose. « Selon moi, la plupart du temps quand mes amis et moi nous tirions, ce n’était pas par nervosité ou par peur, mais par désir de mettre un X sur son arme. Tous ceux qui ont été soldats dans une unité de combat savent à quel point ils ont envie de ce X sur leur arme. Sans cela, tu n’es pas un homme. Il y a dans mon équipe un gars avec cinq X et il ne s’en soucie pas. On vous dit : "Ecoute, ils ne sont pas innocents. Qu’est-ce qu’elle faisait à sa fenêtre ?" ou "Un regrettable accident". Pour moi c’est simplement le résultat d’un tir irresponsable. Une mort superflue et stupide. »
Le procureur militaire en chef : « Venez témoigner ».
« Les allégations de tirs à l’étourdie ou illégaux ne sont pas justes », dit le procureur militaire en chef, le lieutenant-colonel Liron Liebman. « Il s’agit uniquement d’incidents exceptionnels, à un échelon local. Cela a été, en réalité, un dilemme de savoir s’il fallait distribuer les consignes par écrit. Mais la réalité ne ressemble pas à celle du passé. Précisément parce que nous avons étendu la gamme des instruments mis à la disposition des commandants, nous ne voulions pas qu’un soldat reçoive un document dont il pourrait conclure que nous lui permettons tout ce qui est permis à des commandants. Nous voulions qu’il entende de la bouche du commandant exactement ce qui lui est permis. Parole et débat à voix haute s’assimilent et entrent plus profondément qu’un bout de papier. Si nous faisions passer un bout de papier, on pourrait prétendre que c’est pour couvrir nos arrières. Les consignes ne sont effectivement pas transmises par le biais d’un livret, mais elles sont communiquées aux soldats lors des briefings avant toute opération. En outre, sont distribuées par écrit les règles de conduite dans les territoires, d’où il ressort évidemment qu’il est interdit de porter atteinte aux civils. Nous agissons en conformité avec le droit international et aussi avec les pratiques d’autres états en semblables situations de conflit. »
« Vous me demandez comment, alors qu’il y a des règles, des gens s’en écartent ? En fait vous me demandez pourquoi j’aurai toujours du travail comme procureur. Parce que les gens sont les gens. Il y a 139 enquêtes pour des incidents de tirs, y compris quelques  condamnations. Une question plus pertinente est de se demander si cela atteint des proportions déraisonnables et là vous avancez sur un terrain moins ferme. Ils sont des milliers à servir dans les territoires, avec une grande intensité d’actions contre le terrorisme, des tirs sur des soldats, sur des civils qui se déplacent dans les territoires, des terroristes-suicide avec des ceintures d’explosifs qui se font sauter aux barrages et en d’autres endroits. Chaque innocent, c’est tout un monde précieux mais si vous vérifiez combien ont été blessés, examinez si les exceptions sont tellement déraisonnables. Moi, d’où je suis, je ne le pense pas. Il y a des écarts et notre rôle est de les repérer, de les traiter, mais je pense que le soldat normal et le commandant normal ont la tête sur les épaules, ils ont les idées à l’endroit, ils ont une conscience et ils opèrent selon les règles. »
« Il est important que des soldats viennent chez nous avec des témoignages sur des actes apparemment criminels. J’y vois un rapport important qui fera l’objet d’une investigation. Il est important pour nous de ne pas être déconnectés, occupés à dire que tout est en ordre. Nous sommes en contact quotidien avec des organisations des droits de l’homme. Chaque incident est examiné avec les commandants présents sur le terrain qui vérifient s’il y avait sur place des forces de l’armée et comment elles ont agi. Il y a des cas où l’armée israélienne n’était absolument pas dans le secteur et au cours des enquêtes, il y a parfois des réponses qui expliquent pourquoi, si désolant que ce soit, il était impossible d’éviter de toucher des personnes innocentes. Et parfois il y a aussi des comparutions devant un tribunal. »
« La procédure judiciaire est très difficile dans ces investigations. Il y a à juger de tous les détails, avec tous les droits de l’accusé, avec les règles de l’exercice de la preuve, et ce n’est pas simple. Nous demandons la collaboration des Palestiniens et nous y sommes parfois arrivés. Il y a des cas où les tués ou les blessés arrivent dans un hôpital israélien et alors les poursuites ont plus de chances ».
                                              
17. Orient arabe : l'expertise US en cause par Hichem Ben Yaïche
in L'Economiste (bimensuel tunisien) du mercredi 14 septembre 2005

Depuis les attentats du 11 septembre 2001 sur le sol des États-unis, les paradigmes déterminant et architecturant la politique étrangère de ce pays ont été profondément réorientés. Le monde arabe et musulman est devenu un objectif prioritaire et un axe stratégique majeur de l'Administration Bush. Après avoir mené deux guerres en Afghanistan et en Irak afin de "terrasser" les terroristes et bouter hors du pouvoir Saddam Hussein, en mettant fin à son système de gouvernement, les stratèges US - incarnant la ligne dure de la pensée néoconservatrice -, croyaient, avec une déconcertante naïveté, que la théorie de "destruction créatrice" allait s'opérer tout naturellement en créant un ordre régional nouveau. Si la situation en Afghanistan est loin d'être stabilisée, où l'hydre talibane est en train de renaître dans un pays décomposé, en revanche, on sait, avec plus de détails, ce qu'il advint de l'Irak.
Malgré le discours développé par les officiels US, puisant abondamment dans une sorte de "pensée magique", niant effrontément ce qui se passe réellement sur le terrain, il n'est plus possible aujourd'hui de masquer le désastre irakien, où les militaires américains ne savent plus où donner de la tête. Les violences, les attentats, les morts… et, surtout, l'expression dévastatrice du terrorisme qui frappe partout, sont devenus le lot quotidien des Irakiens, plus que jamais "recommunautarisés" - pour ne pas dire retribalisés.
Fédéralisme ou pas, nouvelle constitution ou pas, l'éclatement de l'Irak est inscrit en pointillés, même si aujourd'hui ses dirigeants donnent l'impression de jouer encore la carte de l'unité.
Comment en sortir ? Cette interrogation va être le sujet majeur des prochaines semaines.
Dans ce contexte, et prolongeant le propos d'avant, une autre question vient s'imposer d'elle-même. Les mauvais choix, les erreurs commises, les hommes mis en avant…, tout ce résultat qu'on observe est le produit d'une expertise détournée et biaisée par les décisionnaires politiques. A-t-on bien compris les sociétés et les peuples de cette région ? Pourquoi a-t-on fait tout de travers ? Pourquoi les bonnes intentions américaines ont été mal expliquées et mal interprétées à ce point ? Pourquoi en est-on arrivé là ? Dans quelques semaines ou mois, on saura véritablement quelle est l'étendue de l'usure de pouvoir du président Bush. L'ouragan Katrina dégonfle la bulle dans laquelle il avait enfermé l'Amérique (lire à ce propos la chronique de Pascal Boniface). Il y un vrai début d'éveil. Il se passe quelque chose comme si les yeux des Américains sont dessillés tout d'un coup. Cependant, les conséquences sont encore à l'œuvre. George W. Bush se trouve dans un moment de vérité, une phase cruciale de son exercice de pouvoir. Car si l'affaiblissement actuel se poursuit, c'est tout le système qu'il a mis en place qui risque de s'effondrer. Cette donne pèsera incontestablement et conditionnera son action extérieure, particulièrement en Irak. Ne tentons pas de vaticiner sur un épisode déterminant pour la suite des opérations. D'ores et déjà, les réponses sont en train de se dessiner sous nos yeux.
Cela dit, revenons sur les projets géopolitiques US dans l'Orient arabe. Les responsables américains sont plus que jamais décidés à aller jusqu'au bout de leur projet du Grand Moyen-Orient. La machine est bien lancée : Maison-Blanche, Conseil national de sécurité, Pentagone, Département d'Etat, services de renseignement sont en première ligne. Au mois de novembre prochain, la deuxième édition du Forum du futur aura lieu à Bahreïn. Mais il y a une problématique de fond – prégnante et urgente - qui ressurgit dans ce contexte. Pourquoi l'expertise US sur le monde arabe et musulman est si mauvaise ? Répondre à cette question, c'est pointer du doigt les erreurs commises sur ce sujet. Malgré la pertinence du diagnostic, on peut dire, sans risque de se tromper, que c'est l'interprétation idéologique qui pose problème. Moderniser le monde arabe? Introduire le pluralisme politique ? Démocratiser ? C'est le vœu de millions d'Arabes ! Reste cette question récurrente : comment le traduire dans les faits ? Pour l'opinion arabe, les guerres menées en Afghanistan et en Irak ont été perçues, à tort ou à raison, comme des "guerres de conquêtes". L'Amérique, obsédée par ses intérêts, n'a pas su expliquer sa démarche, ni comprendre la psychologie des peuples de la région. Aujourd'hui, dans la perception collective, les États-unis d'Amérique sont l'objet d'une détestation inégalée dans ce qu'ils préfèrent appeler le Grand Moyen-Orient (GMO). Les dégâts sont considérables. De ce point de vue même les mea culpa sont inaudibles et rejetés en bloc. Championne du pragmatisme, l'Amérique admet et reconnaît avoir commis "certaines" erreurs. Trop tard, le mal est fait !
Pendant ce temps, il est impossible de ne pas reconnaître les forces en mouvement de la société civile arabe. De ce point de vue, la "Déclaration d'Alexandrie" [1], l'oeuvre d'un groupe d'intellectuels arabes, détaillant point par point les conditions des réformes dans cette aire, est à suivre de très près. Le temps presse : les actes doivent suivre et s'appuyer sur les facteurs réels de changement à l'intérieur des sociétés arabes. Comme toujours, ce sont les moyens qui manquent le plus pour asseoir ces idées modernisatrices. Cette faiblesse structurelle se pose avec acuité. Que faire face au pouvoir politique qui a les moyens de ses ambitions ? L'Amérique a choisi, dans l'émergence de la démocratie au forceps qu'elle a choisie, d'augmenter la pression sur les régimes politiques, afin de les forcer à ouvrir le jeu, mais le résultat reste aléatoire. Car il dépend de multiples facteurs, dont personne ne peut prévoir, ni prédire l'articulation finale.
Doute américain et frémissement arabe s'inscrivent dans une trame de fond où l'Islam, les Arabes et leur civilisation vont être au cœur de l'actualité géopolitique, pour longtemps[2].
- NOTES :
[1] Pour  accéder au texte intégral de la "Déclaration d'Alexandrie", consultez ce site
www.bibalex.org.
[2] Aux États-unis, mais aussi en Europe, les livres qui paraissent sur l'Orient arabe sont nombreux et traduisent cette préoccupation où la mauvaise expertise a la part belle hélas !
                           
18. Retrait israélien - Que d’interrogations… par Pascal Boniface
in L’Economiste (bimensuel tunisien) du mercredi 31 août 2005

Ça y est, c'est fait. Le désengagement israélien de Gaza et le démantèlement des colonies qui y avaient été établies a eu lieu sans heurts. Les colons n'ont pas résisté par la force et n'ont pas commis les violences que certains menaçaient de déclencher. Le Hamas n'a pas commis d'attentats qui auraient eu pour principal effet de remettre en cause le retrait israélien. Les habitants de Gaza n'auront plus à subir sur leur territoire les effets douloureux de l'occupation. Il convient donc de saluer ce geste historique d'Israël. Mais cela n'empêche pas de conserver un regard lucide.
Sharon après tout ne fait que rendre aux Palestiniens une petite partie de leur territoire. Il ne fait que respecter très partiellement et très tardivement les règles du droit international qui interdisent d'occuper des territoires acquis par la force militaire.
Les télévisions occidentales ont beaucoup montré la douleur des familles de colons qui devaient quitter leur maison. Mais elles étaient établies illégalement et étaient la cause de la privation des droits des Palestiniens. A Gaza 8000 colons occupent directement ou indirectement 40% des terres (colonies, zone d'exclusion, route de contournement), 1,4 millions de Palestiniens ayant le reste. De plus en plus, les colons ont été évacués en douceur, prévenus longtemps en avance, et seront indemnisés. Rien de tout cela ne s'applique aux Palestiniens qui en nombre beaucoup plus important ont vu leur maison détruite par les soldats israéliens pour des "raisons de sécurité".
Au delà du principe du retrait , ce sont ses conditions qui sont importantes. Les Palestiniens auront-ils le contrôle de leurs frontières maritimes et terrestres ? Il semble qu’Israël, en échange de garanties de sécurité, soit d’accord pour leur laisser ce contrôle, en liaison avec les Egyptiens. C’est indispensable tant d’un point de vue économique que politique. Outre le libre passage entre Gaza et l’Egypte, la liberté de déplacement entre Gaza et la Cisjordanie devrait être rétablie. Il faut tout simplement que les Palestiniens puissent circuler librement, ce qu’ils ne font plus depuis près de quatre ans. Mahmoud Abbas doit prouver à la population palestinienne que la fin de l’Intifada armée débouche sur une amélioration de leur situation, tout en dégageant de réelles perspectives (un Etat viable) à terme.
Sans perspective politique et économique, le Hamas progressera chez les Palestiniens. Par contre coup, cela renforcera en Israël ceux qui s’opposent au dialogue avec les Palestiniens.
Premier pas vers un règlement juste et durable ou moyen de conserver plus facilement le contrôle d’une partie de la Cisjordanie et de Jérusalem Est ?
Sharon a conscience qu’il faut faire des concessions, ne serait-ce que pour des raisons démographiques. Se retirer de Gaza, c’est aussi se débarrasser de 1,4 million de Palestiniens.
Gaza n’est qu’une partie du problème. Il a fallu évacuer 2 à 3000 unités d’habitation. Or les Israéliens sont en train d’en construire deux fois plus en Cisjordanie. Par ailleurs, la construction du mur se poursuit, et son tracé empiète largement sur la ligne verte tandis que l’expulsion progressive des Palestiniens continue à Jérusalem Est.
Le problème du mur réside en effet beaucoup plus dans son tracé que dans son principe. Il constitue de fait une frontière et donc la perspective d’un Etat pour les Palestiniens. Mais si les choses en demeuraient là, on aurait finalement un accord de paix moins favorable encore pour les Palestiniens, que les propositions faussement généreuses de Barak à Camp David à l'été 2000. Ce serait Gaza, au mieux les 9/10èmes de la Cisjordanie et rien sur Jérusalem. Les Palestiniens pourraient-ils l’accepter par lassitude ? Les Israéliens peuvent parier sur le fait qu’ils ne sont pas prêts à supporter de nouveau ce qu’ils ont vécu au cours des quatre dernières années. Mais si cette lassitude est réelle, elle n’a jamais été dans cette région gage de sagesse. Une telle situation conduirait nécessairement à la reprise du terrorisme palestinien sur laquelle se grefferait une troisième Intifada incontrôlée et incontrôlable. Par ailleurs, Jérusalem n’est pas un problème palestinien, mais musulman. L’annexion de Jérusalem par Israël apparaîtrait comme étant définitive si elle se faisait parallèlement à la création d’un Etat palestinien réduit. Elle entraînerait une mutation du conflit qui serait catastrophique. Ce conflit, après avoir été israélo-arabe, est devenu israélo-palestinien. Mais sa diminution géographique s’est néanmoins accompagnée d’un intensification stratégique. Le non-partage de Jérusalem le transformerait en conflit israélo-musulman. Avec des conséquences dramatiques pour l’ensemble de la planète.
                       
19. Israël annexe de nouvelles terres en Cisjordanie par Mounia Daoudi
on Radio France Internationale le jeudi 25 août 2005

A peine terminée l’évacuation des civils israéliens de ce territoire, les autorités ont annoncé la confiscation de quelque 120 hectares de terres palestiniennes en Cisjordanie. Officiellement, il s’agit de poursuivre la construction du «mur», cette barrière de sécurité censée protéger Israël de l’infiltration de kamikazes. Dans la réalité, le tracé de cette clôture va englober des terres autour de plusieurs colonies et isoler un peu plus Jérusalem-Est dont les Palestiniens veulent faire la capitale de leur futur Etat.
Le Premier ministre Ariel Sharon avait prévenu. Le retrait de la bande de Gaza ne signifie en aucune façon la fin de la colonisation des terres palestiniennes. Le 17 août, jour du début de l’évacuation forcée des colons de ce territoire occupé au lendemain de la guerre des Six-Jours, le chef du Likoud déclarait en effet que la colonisation allait «se poursuivre et se développer» en Cisjordanie. Et de préciser : «il s’agit d’un programme sérieux». Ce qui aurait pu apparaître comme un discours de circonstance destiné à contrer les attaques particulièrement virulentes de ses adversaires, a pris tout son sens mercredi. En homme de parole, Ariel Sharon, en effet, n’aura pas attendu longtemps avant de dévoiler ses plans. Dès le lendemain de la fin de l’évacuation des vingt et une colonies de la bande de Gaza et des quatre petites implantations du nord de la Cisjordanie, son gouvernement annonçait l’annexion de nouvelles terres palestiniennes.
En tout quelque 120 hectares vont ainsi être confisqués afin de permettre la poursuite de la construction de la très controversée barrière de sécurité qu’Israël érige en Cisjordanie. Un édifice jugé illégal par la Cour internationale de Justice de La Haye et que l’Etat hébreu justifie pour empêcher l’infiltration de kamikazes palestiniens sur son territoire. Le tracé de cette barrière a été approuvé au plus haut niveau de l’Etat, par le conseiller juridique du gouvernement Menahem Mazouz. Il devrait permettre l’élargissement de la colonie de Maale Adoumim et relier cette implantation –la plus importante de Cisjordanie avec quelque 28 000 habitants– aux quartiers juifs construits à Jérusalem-Est qu’Israël occupe et annexe depuis juin 1967. Il devrait également englober les colonies voisines de Mishor Admoumim, Kedar, Almon et Allon. Une fois le feu vert donné par le conseiller juridique, l’armée israélienne a commencé à émettre les ordres de confiscation des terres palestiniennes. Leurs propriétaires ont une semaine pour faire appel.
Un nouveau QG de la police israélienne en Cisjordanie
La décision d’Israël de poursuivre sa politique de colonisation a, comme il fallait s’y attendre, soulevé un tollé chez les Palestiniens qui accusent l’Etat hébreu de «vouloir couper le nord de la Cisjordanie du sud de ce territoire et modifier ainsi la démographie de Jérusalem à son profit». Selon Khalil Toufaqjin un expert palestinien également cartographe, le nouveau tracé de la barrière de sécurité va en effet s’enfoncer en Cisjordanie sur 15 à 20 km en direction de la mer Morte et sur une largeur de 20 km. Selon lui, en érigeant ce «mur», Israël va mettre définitivement en péril l’édification d’un Etat palestinien viable.
Au risque de s’attirer de nouvelles critiques du grand allié américain –en mars dernier la décision d’Ariel Sharon de construire 3 500 logements à Maale Adoumim avait été vivement condamnée par la Maison Blanche–, les autorités israéliennes ont annoncé jeudi leur intention de bâtir le quartier général de la police pour la Cisjordanie dans cette implantation située à une dizaine de kilomètres de Jérusalem. «Ce projet a obtenu toutes les autorisations nécessaires et va bientôt être lancé», a affirmé un responsable du gouvernement qui a précisé que «le QG de la police sera érigé sur des terres domaniales palestiniennes». L’annonce a été violemment critiquée par le Premier ministre palestinien Ahmed Qoreï pour qui ce projet «constitue une opération criminelle». «Aucun musulman, aucun Arabe, personne qui souhaite la paix ne peut accepter un tel plan. Il faut une initiative internationale rapide», a-t-il insisté. Le chef des négociateurs, Saëb Erakat, n’a pour sa part pas caché son pessimisme. «Nous espérions que le retrait de la bande de Gaza et d’une partie de la Cisjordanie préfigurerait une époque de paix et de progrès vers la Feuille de route, mais il est clair qu’Israël continue à parler le langage de l’agression», a-t-il déploré.
Plus impliquée que jamais dans le processus en cours au Proche-Orient, l’administration Bush, qui espérait que le retrait de Gaza relancerait la Feuille de route, a pris ses distances avec le gouvernement Sharon dans cette affaire. Le porte-parole du département d’Etat, Sean McCormack, a en effet rappelé aux autorités israéliennes leurs obligations en vertu des engagements qu’elles avaient elles-mêmes pris. «Le président Bush et le Premier ministre Sharon se sont accordés, dans un échange de lettres en avril 2004, sur le fait que la barrière érigée par Israël devait être une mesure de sécurité et non une mesure politique et que son itinéraire devait tenir compte de l'impact sur les Palestiniens qui ne sont pas engagés dans des activités terroristes», a souligné le responsable américain. «Nous avons clairement fait savoir que la barrière ne devait ni préjuger des frontières finales, ni confisquer des terres palestiniennes ou affecter davantage le peuple palestinien», a-t-il ajouté dans ce qui s’apparente à une condamnation nette de la politique de colonisation relancée par le gouvernement Sharon.
                           
20. Tout change, rien ne change ! par Subhi Hadidi
in Le Nouvel Afrique Asie N° 190 - juillet-août 2005
LIBAN - Depuis le retrait de l’armée syrienne sous la pression conjuguée de Washington, de Paris et de la rue, le pays du Cèdre a renoué avec ses anciens démons confessionnels. Comme l’a montré la dernière campagne électorale (photo), qui a vu le triomphe de l’opposition sous la houlette de Saad Hariri, fils de l’ancien Premier ministre dont l’assassinat a ouvert la voie aux spectaculaires changements survenus ces derniers mois.
Depuis la mi-mars 2005, le Liban a été le théâtre d’une succession d’événements centraux, notamment l’adoption par le Conseil de sécurité de l’Onu de la résolution 1559 exigeant le retrait des forces étrangères du pays du Cèdre, l’assassinat de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri, la formation d’un front d’opposition soutenu par un large mouvement populaire, la démission du gouvernement d’Omar Karamé soutenu par Damas, le retrait des forces militaires syriennes et, pour finir, la tenue d’élections parlementaires, les premières depuis trente ans à se dérouler en l’absence des troupes syriennes. Tous les ingrédients étaient donc en place pour que le “printemps de Beyrouth” – selon la formule utilisée par l’opposition au pouvoir prosyrien pour qualifier ces développements – aboutisse, en fin de course, au déclenchement de la “révolution du Cèdre”, comme se plaît à dire Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat américaine.
Ces pronostics, qui péchaient sans doute par trop d’optimisme, seront cependant vite démentis par les faits. Le retour sur terre sera brutal. Ceux qui avaient parié gros sur la révolution du Cèdre en auront été pour leurs frais. Outre leur optimisme béat, ils ont surtout une grave méconnaissance de ce pays et des fondamentaux qui ont toujours régi le jeu politique interne libanais : divisions confessionnelle et communautaire, antagonismes partisans, politiciens et électoralistes. La déception fut telle que le chef druze Walid Joumblatt et l’un des principaux meneurs de l’opposition a pu dire que la Syrie était sortie par la porte pour rentrer par la fenêtre !
Joumblatt ne faisait que décrire la réalité sur le terrain. Car il faut une certaine dose de naïveté pour penser que le retrait militaire syrien du Liban signifie un désengagement total de la Syrie de la scène politique libanaise, son abandon volontaire de ses réseaux d’influence dans les diverses forces politiques et les services de sécurité libanais ou sa perte d’influence sécuritaire directe sur le terrain, particulièrement dans le Nord, le Sud et l’Est du pays. La victoire électorale de l’opposition, qui a amené au Parlement une majorité conjoncturelle composée d’une coalition hétéroclite, n’y changera pas fondamentalement la donne stratégique sur le terrain. Ce retour de Damas par la fenêtre s’est concrétisé, pour le moment du moins, par la nomination, avec l’accord d’une coalition composée des principaux partis politiques – qu’ils soient ou non partisans de la Syrie – de Najib Miqati comme Premier ministre chargé d’organiser les élections. Ce dernier, rappelons-le, a toujours été très proche du régime syrien et, à en croire certains rapports, deux de ses frères entretiennent des relations d’affaires portant sur de gros contrats et marchés avec des membres de la famille du président Bachar Assad.
Un autre aspect du maintien de la main lourde du régime syrien sur les affaires libanaises aura été l’assassinat du journaliste et écrivain libanais de gauche, Samir Kassir, l’un des principaux animateurs du “Printemps de Beyrouth” et le plus implacable des opposants à la présence syrienne au Liban, qui, depuis des années, appelait courageusement à son retrait sans effet de style, alors même que la soldatesque du régime syrien et ses services de sécurité faisaient régner au pays du Cèdre un climat de terreur et d’intimidation. De surcroît, Samir Kassir a été l’un des rares intellectuels libanais à appeler de ses vœux une alliance avec les forces de l’opposition démocratique en Syrie, liant la libération du Liban à celle de la Syrie. Il ne fait pas de doute que ce sont les derniers points d’appui de Damas au Liban, notamment au sein des services de sécurité libanais – et sans doute avec la l’implication active d’éléments des services syriens – qui ont perpétré ce crime.
Le système du partage confessionnel du pouvoir et de l’Etat entre les différentes communautés chrétiennes et musulmanes facilitait particulièrement la mainmise de Damas sur le pays, dans la mesure où ce système lui permettait de les affaiblir toutes en les montant les unes contre les autres et en attisant au sein de chaque communauté les rivalités de personnes. Or ce système confessionnel est non seulement toujours en vigueur, mais il a fonctionné à plein régime lors des dernières élections législatives, entraînant une exacerbation sans précédent du fanatisme et du sectarisme. Ainsi, et grâce à la loi électorale promulguée en 2000, qui favorise les listes confessionnelles, le sunnite Saad Hariri, fils et héritier de l’ancien Premier ministre assassiné et l’un des leaders de l’opposition antisyrienne, a pu rafler, avec ses alliés, les dix-neuf sièges de Beyrouth et les vingt-huit sièges de la région de Tripoli. Dans le Sud du pays, ce sont les deux listes coalisées du mouvement Amal et du Hezbollah qui ont remporté les vingt-trois sièges à pourvoir. Au Mont-Liban et dans la Békaa, sur les cinquante-huit sièges à pourvoir, les listes conduites par le général chrétien Michel Aoun en remportent vingt et un, le Hezbollah chiite, dix, et la coalition menée par le chef druze Walid Joumblatt, vingt-sept.
Ces résultats ont amené Joumblatt à décrier le général Aoun, dont le score a pour le moins surpris par son ampleur de “Tsunami libanais”. D’autant plus que ce bouillant général, ancien commandant en chef de l’armée libanaise, vient tout juste de rentrer de son exil français après quinze ans de traversée du désert. Il avait été chassé du pouvoir et délogé du palais présidentiel de Baabda, où il a avait élu résidence, en octobre 1990, grâce aux troupes syriennes et avec la complicité de Washington. A quelques mois de la Tempête du désert – déclenchée par les Etats-Unis contre l’Irak avec la participation militaire d’une trentaine de pays, dont la Syrie de Hafez al-Assad –, l’administration américaine de l’époque de Bush père donna son feu vert à cette opération pour remercier le régime syrien de son embrigadement sous la bannière étoilée. Le général Aoun, qui s’était auparavant autoproclamé président de la République, avant de créer dans l’exil un mouvement baptisé “Courant patriotique libre”, n’a pas oublié les heures d’humiliation qu’il a dû subir quand, traqué, il s’était réfugié, en pyjama, à l’ambassade française au Liban. Il sera lâché, voire moqué et méprisé, par toute la classe politique libanaise, toutes confessions confondues, dont les représentants s’étaient inconditionnellement ralliés au régime syrien avant de se retourner contre lui et de prendre la tête de l’opposition actuelle. La “rue chrétienne”, tout comme le général lui-même, n’ont pas eu la mémoire courte. Elle a sévèrement sanctionné les candidats chrétiens accusés d’avoir dans le passé “trahi” non seulement le général, mais surtout le camp chrétien !
Bien que le général Aoun ne soit pas parvenu à opérer des percées dans les listes parrainées par le chef druze Joumblatt, il a remporté une victoire écrasante dans les fiefs chrétiens du Mont-Liban, infligeant une défaite sévère aux principales personnalités chrétiennes passées à l’opposition, dont certaines étaient connues pour leur modération et leur respectabilité, comme c’est le cas de Nassib Lahoud, l’un des principaux adversaires de la présence militaire syrienne au Liban. La victoire du général Aoun a constitué aussi un sérieux revers pour le patriarche maronite Nasrallah Sfeir, qui a vu tous ses poulains balayés et le camp chrétien divisé. En fait, les électeurs chrétiens ont voulu, d’une part, récompenser le général pour ses années d’exil forcé et, d’autre part, punir les personnalités chrétiennes qui soit ont gardé le silence face à la présence syrienne au Liban, soit s’y sont ralliées, soit enfin en ont longtemps bénéficié. Mais au-delà de ces considérations politiciennes, la victoire du général Aoun a surtout contrarié les plans de Joumblatt, qui voulait voir émerger au Mont-Liban un camp chrétien uni dans son hostilité à la présence syrienne et au maintien en fonction de l’actuel président de la République, Emile Lahoud. Pari perdu, puisque, avec la victoire du général Aoun, la nouvelle opposition, quoique majoritaire au Parlement, n’atteint pas le nombre requis (deux tiers) pour destituer le président.
La nouvelle majorité devra donc, sauf incident de parcours, cohabiter pour au moins deux ans encore avec lui. Quant à la conjoncture internationale, ou plus précisément la position des deux puissances directement concernées par le dossier libanais, les Etats-Unis et la France se sont contentés globalement d’observer le déroulement des événements, n’hésitant pas, le cas échéant – comme ne cesse de le faire le président américain G.W. Bush – à exercer une pression verbale sur la Syrie en accusant les services secrets syriens de continuer leurs activités au Liban, à dresser une liste des personnalités à abattre, ou, enfin, à tenir à Paris une conférence sur le Liban, à laquelle ont participé les ambassadeurs américain, français et britannique à Beyrouth. Selon des informations véhiculées par certains médias libanais, ce serait des chancelleries occidentales directement impliquées dans la gestion de la question libanaise qui auraient conseillé au général Aoun de rentrer au Liban afin de mesurer sa véritable popularité en affrontant l’épreuve des urnes. Paris et Washington voulaient en effet que toutes les forces politiques libanaises sans exception participent au processus électoral, ce qui aurait pour résultat d’éviter que les conflits politiques sous-jacents et les divisions confessionnelles ne leur explosent à la figure et d’une manière violente. Une telle perspective catastrophique contraindrait la communauté internationale à faire face à de nouvelles difficultés et en premier lieu à intervenir militairement. Un scénario qui s’est déjà déroulé dans les années quatre-vingt, après l’invasion israélienne du Liban et les massacres de Sabra et Chatila, en juin et septembre 1982, et qui a conduit à un véritable fiasco américain et français.
Certes le paysage géopolitique libanais reste ouvert à de nombreuses options, liées entre autres à une conjoncture régionale instable et explosive, et en premier lieu à l’évolution de la situation en Syrie même, qui a quitté le Liban militairement, tout en y maintenant une présence politique et sécuritaire. Il n’en demeure pas moins que ce pays est encore loin de la “révolution du Cèdre”, saluée par Condoleezza Rice.
                           
21. En attendant Godot par Azmi Bishara
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 2 juin 2005
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Un projet palestinien prétendant être un Etat et imitant les rituels de souveraineté israéliens, tout en étant dépourvu d’Etat. « Mais la libération, elle est où ? » s’interroge Azmi Bishara.
La question de savoir si Oslo a mis le projet de l’OLP en crise, ou bien si ce n’est pas plutôt une crise inhérente à ce projet qui a conduit à Oslo : telle est la teneur de l’une de ces discussions du type « est-ce la poule qui fait l’œuf, ou est-ce l’œuf qui fait la poule ? » portant sur des phénomènes sociaux complexes. Il est cependant clair que ce projet n’a émergé d’Oslo ni intact, ni en bonne santé. Il y a eu toute une période au cours de laquelle le keffiyéh d’Arafat recouvrait bien plus que sa tête. Et, une fois Arafat disparu, l’Autorité palestinienne n’avait plus rien à sa disposition pour dissimuler des réalités amères.
Arafat était le deus ex-machina d’Oslo. Il était convaincu que cet accord pourrait servir le projet d’Etat qu’il avait fait sien dès les années 1970. Ce projet d’Etat en lui-même se fondait sur une corruption à grande échelle de l’esprit et des valeurs de la libération. Toutefois, Arafat continuait à donner aussi à des combattants de la liberté, à l’intérieur de l’establishment de l’OLP, de l’argent, des armes et un soutien moral. En retour, ils lui apportaient leur soutien. D’aucuns disaient que sa politique était duplice. D’autres affirmaient qu’elle était à multiples facettes. D’autres encore disaient qu’il n’y avait pas de politique du tout, dans un monde arafatien essentiellement fait de pragmatisme. Nous ne le saurons probablement jamais avec certitude. Mais une chose est sûre : Arafat participait, à parts égales, d’au moins deux traditions antithétiques.
A Ramallah, le jour du dernier anniversaire de la Naqbah (la « catastrophe », c’est-à-dire la défaite arabe de 1948, consécutive à la création de l’Etat d’Israël), les sirènes se sont mises à hurler, à une heure largement annoncée à l’avance. Les télévisions satellitaires arabes étaient sur place, afin de couvrir l’occasion (pouvait-il en aller autrement ?). Les gens étaient supposés laisser en plan tout ce qu’ils étaient en train de faire, où qu’ils se soient trouvés, afin d’observer une minute de silence.
Si ce comportement traduit quelque chose, c’est bien la tragédie de la politique palestinienne découlant de la Naqbah. Je ne suggère pas ici qu’il ne demeure rien d’autre qu’un souvenir de la naqbah, ni que ce jour ne devrait pas être commémoré. Ni qu’il y aurait quelque chose d’intrinsèquement erroné à commémorer ce jour, comme les Israéliens commémorent l’Holocauste, d’une manière qui les fait apparaître fallacieusement comme s’ils étaient idéologiquement identiques entre eux. Toutefois, c’est pousser les choses un peu trop loin que de singer le rituel israélien jusque dans les moindres détails: tout se fige, tout le monde est cloué sur place, au hululement d’une sirène, dans tous les lieux, publics comme privés. On dirait bien que la victime a décidé que la seule manière de commémorer sa tragédie consiste à reproduire les cérémonies de celui qui a perpétré ladite tragédie.
Ce phénomène me rappelle ce fameux passe-temps palestinien consistant à inventer une solution magique au « problème palestinien », comme s’il s’agissait d’une charade qui requerrait une seule réponse pertinente. Presque inévitablement, les joueurs qui se croient particulièrement malins à ce petit jeu proposent des « solutions » imitées du modèle sioniste : « On pourrait créer une Agence palestinienne, comme l’Agence juive ! », ou bien : « Il faut qu’on prenne le contrôle des médias ! ». Un dirigeant palestinien m’a dit, un jour, qu’il envisageait « la convocation d’une conférence… Tiens, pourquoi pas à Bâle » ! Tout ce que je puis faire, c’est qualifier de colonisation des esprits cette attraction qu’exerce l’entreprise de colonisation sur un peuple de colonisés, tant sont enfiévrées leurs imaginations, à un point tel qu’ils semblent tout à fait incapables d’imaginer une quelconque forme de résistance.
A aucun moment, le projet de l’OLP n’a atteint son objectif. Et pourtant, il a perdu tous les avantages d’un mouvement de libération. Les phénomènes décrits plus haut sont les manifestations évidentes de ce dilemme. La naqbah a été transformée en un rite officiel, modelé d’après les cérémonies d’un Etat qui a trouvé sa concrétisation dans la réalité, tandis que la tragédie palestinienne, elle, perdure. Aujourd’hui, en réalité, nous sommes en présence d’un projet national palestinien qui prétend être un Etat, et qui imite les Israéliens – même dans leurs rituels nationaux – mais sans avoir atteint lui-même à la nationalité. Non seulement ce projet national palestinien a éliminé le mouvement de libération, en tant que programme (politique) possible, mais il a fini par se reposer entièrement sur les diplomaties américaine et israélienne.
Ceci, nous le savons tous, vise non pas à trouver une solution au problème, mais à le dissoudre et c’est ce sur quoi certains de nos amis les moins fiables au Liban sont en train de miser lorsqu’ils soulèvent la question des réfugiés palestiniens (première conséquence de la naqbah : il conviendrait de nous en souvenir, si nous voulons que nos commémorations aient une quelconque signification).
Comment le problème palestinien peut-il être dissout, plutôt que résolu ? Très simplement : il suffit de créer un Etat palestinien. Dès lors, les réfugiés peuvent être transformés en « expatriés », simplement en leur fournissant des passeports. Leurs papiers d’identité portent l’emblème d’un Etat, il est totalement indifférent que cet Etat ait été créé en tant que phase intérimaire de long terme, ou en tant que solution définitive. L’important, ici, étant que ces papiers d’identité obèrent toute possibilité d’un retour. Cela ne doit rien à la coïncidence si l’on parle aujourd’hui d’une « solution au problème des réfugiés », et non pas « du droit au retour »…
Quant aux questions de Jérusalem, des colonies israéliennes et des autres sujets de négociations listés par Oslo sous le titre de « questions du statut final » – un de ces nombreux termes abscons entrés dans le pauvre lexique diplomatique palestinien – ce sont là aussi des questions qu’il est tout aussi aisé de diluer. Créez un Etat palestinien, et ces questions deviendront, toutes, de simples sujets de « dispute territoriale » entre deux Etats. Dès lors, tout ce qui restera, ce sera une minute de silence quand les sirènes se déclencheront, exactement de la même manière que les Israéliens commémorent les victimes de l’holocauste et leur « guerre de libération », que les Palestiniens nomment, pour leur part, « la naqbah ».
Nous pouvons dès lors avoir, vivant côte à côte, deux mémoires, deux narrations – chacune avec leurs vérités relatives et toutes sortes d’inventions qui transforment la subjectivité de la défaite en une forme de pluralité culturelle, et le conflit entre un mouvement de libération nationale et une entreprise coloniale en différentes versions également valables (fussent-elles conflictuelles entre elles) d’une réalité inéquitable. Comment convaincrions-nous ceux qui ont subjectivé la défaite de rentrer chez eux, si ne nous imposions ces rituels, lesquels signifient que nous acceptons cette défaite ?
Si beaucoup de termes ont fait leur entrée dans le lexique officiel palestinien, d’autres ont disparu, tel le mot « ennemi », comme dans « ennemi israélien », pour ne pas parler de l’ « ennemi sioniste ». Comment ne l’auraient-ils pas fait, dès lors qu’un traité a été signé entre « les deux parties » ? Ce traité n’a certes pas apporté de paix juste, mais il a fait des « deux parties » des « partenaires », étant entendu qu’il revenait à la « partie » palestinienne de démontrer au monde et à Israël qu’elle méritait d’être qualifiée de « partenaire ». Le « partenariat en vue de la paix » englobe l’économie, les projets conjoints, la société civile (« civile » : ô combien !), les modérés, les extrémistes et encore beaucoup d’autres choses.
Ce n’est pas l’Autorité palestinienne qui a publié l’appel à un boycott universitaire et culturel d’Israël ; ce sont des militants palestiniens qui l’ont fait, de leur propre initiative. Mais quelle est la position de l’Autorité palestinienne, sur ce boycott ? Le président de l’Université Al-Quds s’est élevé véhémentement contre la décision prise par l’Association Britannique des professeurs d’université (AUT – Association of University Teachers) de boycotter des universités israéliennes. Cette condamnation n’était pas sans importance, formulée comme elle l’était par le président de l’université palestinienne située à Jérusalem Est. Elle était par conséquent extrêmement offensante, non seulement pour les sympathisants de la cause nationale palestinienne, mais même pour les sympathisants de toute cause humanitaire. Néanmoins, aussi longtemps que des organisations universitaires ou des syndicats seront tentés de gueuler contre telle ou telle individualité, cela ne les dispensera nullement de se poser la question de la position adoptée par l’Autorité palestinienne sur ce boycott. Le soutient-elle ? Bien sûr que non !
Non que l’on sache à quoi, précisément, appelle l’Autorité palestinienne. Elle appelle à une cessation de la lutte armée, mais elle ne cherche pas pour autant à organiser une lutte civile collective contre l’occupation israélienne, qui pourrait s’y substituer. On le sait, elle n’a jamais appelé à des mesures punitives internationales contre Israël, pas même au niveau de l’opinion publique mondiale. Elle préférerait que tous les militants unis contre les Etats-Unis et Israël le fassent à sa place, s’épargnant, du même coup, l’embarras d’être prise sur le fait, après avoir laissé toutes ses cartes dans les mains de Washington et de Tel Aviv.
Le plus que je comprenne, c’est que si l’Autorité palestinienne appelle à quelque chose, c’est à la patience. « Wait and see », nous intime-t-elle, jusqu’à ce que les élections américaines soient passées, ou que la visite de Sharon à Washington soit derrière nous, jusqu’à ce que l’on sache les résultats de sa prochaine visite à Washington et de ses rencontres avec Avi, Yossi et Dani – ces officiers d’état major auxquels on s’adresse familièrement par leur prénom – jusqu’à ce que telle ou telle conférence ou tel ou tel sommet ait eu quelque chance de montrer à quoi ils pouvaient bien servir.
Quand on est un (vrai) dirigeant, perd-on son temps à attendre ? Peu vraisemblable. Mais nous ne devons pas minimiser l’importance de l’attente ; cela occupe le brave monde beaucoup plus que vous ne l’imagineriez. D’aucuns tirent sur leur clope, totalement absents, à l’arrêt de bus. D’autres font de l’attente un art qu’ils mettent au service de leurs projets d’auto-promotion. Le projet national palestinien a été entièrement privatisé avant même d’être atteint. Cela a ouvert les portes devant toutes sortes de possibilités : élever les échelons de positions sociales existantes, voire en créer de nouvelles, produire des élections et des lois électorales qui autorisent la réélection de ceux qui ont la patience d’attendre, des projets économiques [nationaux] par dizaines et des centaines de projets [individuels] pour les Palestiniens, en Palestine et à l’étranger.
Au lieu de privatiser le secteur de la production matérielle, le monde arabe a privatisé le secteur de la conscience individuelle. En même temps, l’Etat est devenu le domaine des entreprises détenues par des particuliers, mais gérées par ses élites politiques et militaires, et leurs familles.
Dans le monde entier, les gouvernements procèdent à des privatisations. Dans le monde arabe, c’est l’Etat lui-même qui a été privatisé : il est devenue une entreprise familiale. En Palestine, le projet national est en train d’être vendu par appartements, divisé entre diverses entreprises privées, avant même la création de l’Etat, et le concept mutilé d’Etat que Bush et Sharon ont en tête ne pourra que pérenniser durablement ce type de privatisations.
Une fois l’Etat (palestinien) créé, le problème pendant entre l’Etat nouveau-né et Israël sera un contentieux frontalier – il ne saurait mériter le qualificatif de « conflit » - sur lequel les deux camps pourront chipoter, des générations durant. Si tel est le cas, quels seront vos mérites ? Tout restera à régler pour les générations futures, comme si cette médiation, comme si ce bain de sang, comme si cette exaltation des espoirs du peuple et cette parade sanglante et ceux qui en bénéficient n’avaient jamais existé. Des intérêts communs entre entrepreneurs privés, en Palestine et en Israël, peuvent contrebalancer une simple dispute sur un tracé de frontière !
Ces temps-ci, le fric se déverse sur la Palestine. Il noie des segments entiers de l’élite politique, les classes moyennes et d’autres secteurs de la populace qui sont soit achetés, soit impliqués dans la préservation du calme et dans le maintien de nos différends avec Israël comme en en suspens. Les avenues vers la grande vie sont largement dégagées, mais ces avenues dépendront dans une large mesure de la continuation de la production d’une cause palestinienne en tant que question d’identité, et aussi du maintien de la production de cette version de la cause et de ses produits dérivés culturels dans les mains d’une élite profiteuse.
En ces temps de « pétrole contre richesse », le monde arabe accueille à bras ouvert le « retour de conscience » concernant les Palestiniens. Après avoir encouragé les Palestiniens dans cette voie, le monde arabe ne peut plus désormais se montrer plus palestinien que les Palestiniens eux-mêmes. Par conséquent, les Palestiniens ne peuvent que devenir les fers de lance de la « normalisation », dans le contexte de laquelle les dirigeants de l’establishment palestinien propre à cette phase historique auront pour mission de vendre à l’opinion publique arabe des personnages suspects, tant israéliens qu’arabes.
Une grande partie du monde arabe non seulement accepte Israël, mais reconnaît même qu’Israël est une puissance majeure de cette région du monde, et la clé permettant d’accéder au cœur de l’Amérique. Pourrait-il y avoir d’incitation plus grande à s’acharner à correspondre à l’agenda politique de Sharon et à obtenir de lui qu’il leur rende les choses plus faciles ? Comme il est étrange, également, que certains « Arabes israéliens » (j’utilise cette expression à dessein) aient grandi en prestige, en raison de leurs accointances israéliennes ? La dissolution morale a tout bouleversé, cul par-dessus tête. Elle menace de saper le moral de ceux qui ne veulent pas capituler, alors même que d’autres prennent désormais le refus de capituler pour une insulte personnelle.
Dans de telles conditions, la conscience nationale palestinienne ne peut trouver de salut que dans des forces oeuvrant à l’extérieur du cadre national traditionnel. Bien que ces forces n’aient pas de programme politique, il suffit désormais que les têtes de leurs dirigeants soient mises à prix par l’occupant. En même temps, Israël accélérant la construction des colonies, la judaïsation de Jérusalem et l’infrastructure d’annexion en général, et puisque Sharon déclare qu’il ne commencera même pas à négocier avec les Palestiniens sur un règlement définitif, l’attention des Palestiniens est en train d’être détournée vers des chamailleries internes autour de postes, d’intérêts et de prérogatives. Tout ceci fait partie d’une tendance insidieuse à tirer le mouvement de résistance vers les conflits internes afin d’en miner l’énergie.
Si les mouvements de résistance islamistes n’ont pas de programme, au moins, ils agissent comme s’ils avaient une cause autre que l’avancement personnel. S’ils ont conquis le soutien d’une large majorité du peuple palestinien, c’est précisément parce qu’ils ont montré qu’ils étaient prêts à mourir pour leurs idées. Bien que dépourvu de vision politique, leur mouvement de résistance défend au moins quelque chose. Mais ce mouvement, même lui, est en train d’être entraîné dans les marécages des dissensions intestines. La gestion de la cause palestinienne est entrée dans une nouvelle phase. Pour Israël et les Etats-Unis, créer un Etat palestinien sur un vieux morceau de territoire représente la clé permettant de résoudre tous les torts portés au peuple palestinien depuis la naqbah. Beaucoup de gouvernements arabes ont été séduits par cette approche et, de plus, ils ont adopté la formule d’un « Etat palestinien viable » comme condition (bien que le mot « prétexte » serait sans doute mieux adapté) à la normalisation de leurs relations avec Israël. Plusieurs régimes et organisations arabes maintiennent un silence sournois, voire même crient leurs encouragements aux Palestiniens, lors des confrontations armées avec l’occupant, tout en priant secrètement afin que cette confrontation échoue et que les Palestiniens tombent dans la dépression. Ils misent sur leur temps jusqu’à ce que le temps soit mûr pour la normalisation. Contrairement à leurs objurgations, ces régimes, ou ces groupes, ne sont ni démocratiques, ni intéressés à une quelconque réforme. De fait, la normalisation est la monnaie d’échange avec laquelle ils espèrent échapper à la réforme. Des forces authentiquement démocratiques en appelleraient à la justice pour le peuple palestinien, de la même manière qu’elles en appellent à la justice et à la démocratie pour leur propre peuple.
Les forces politiquement dépravées, moralement dissolues, humanitairement faillies qui sont en train de capitaliser sur l’agressivité américaine tout en tentant d’échapper aux pressions américaines dans le sens de la réforme ont inauguré la phase « pétrole contre richesse ».
Ces forces, qui fleurissent concomitamment au déclin des mouvements de masse, à l’affaiblissement de l’esprit de résistance et à l’apathie née du désespoir, sont en train d’inciter le peuple – désespérément – à accepter quoi que ce soit que les Américains veuillent. Car ce n’est qu’alors qu’ils auront la paix et le calme qui les dispensera de recourir à leurs connexions avec l’Etat, ou à leurs connexions avec leurs pairs ou d’autres canaux d’influence afin de s’enrichir et de répandre encore plus de corruption afin de devenir encore plus riches. C’est ce qu’ils espèrent mener à bien, sur fond de calme imposé militairement, une poignée de réformes étant jetée pour décorer la vitrine avec, en retour, un énorme influx d’aide étrangère, qui en engraisse certains, tout en laissant les autres crever de faim.
[Note : Le régime irakien déchu plaça son peuple dans la situation la plus déplorable qu’il eut jamais, au cours de la phase « pétrole contre nourriture ». Empruntant à cette terminologie, j’ai utilisé l’expression «pétrole contre richesse » afin de décrire la transition entre la phase où des régimes rentiers corrompaient et politisaient la religion dans le but de prouver leur légitimité et celle où ces régimes entrent en collusion afin de corrompre la culture, de manière générale, en capitalisant sur la bellicosité de l’Amérique et, ce, afin de marquer des points contre leurs adversaires, tout en essayant d’éviter les répercussions internes potentielles de cette bellicosité, en faisant quelques concessions (pour la galerie et payées d’avance) aux exigences américaines en matière de démocratie.]
                           
22. "Il s'agit d'Israel : rien à voir avec l'antisémitisme" par Ken Livingstone
in The Guardian (quotidien britannique) du vendredi 4 mars 2005
[traduit de l'anglais par ISM]

Ne pas s'exprimer sur cette injustice serait plus qu'une erreur, ce serait ignorer une menace qui pèse sur nous tous, par Ken Livingstone, maire de Londres, le 4 mars 2005.
Le racisme est une idéologie réactionnaire unique, brandie pour justifier les plus grands crimes de l'histoire : traite négrière, extermination des habitants originaires dans les Caraïbes, élimination de tous les habitants indigènes de Tasmanie, apartheid. L'Holocauste a été l'expression fianle, « industrialisée » de la barbarie raciste. Le racisme, c'est la ligne de démarcation des mouvements les plus réactionnaires. Une idéologie qui commence par déclarer qu'un être humain est inférieur à un autre est la pente qui débouche sur Auschwitz. Voilà pourquoi je déteste le racisme. Aucun commentateur sérieux n'a prétendu que mes commentaires à un reporter du Evening Standard, le mois dernier, en dehors de City Hall, étaient antisémites. Aussi je suis heureux que Henry Grunwalk, président du conseil représentatif des juifs britanniques [« Board of Deputies of British Jews »], ait reconnu ici même que « Ken est sincère quand il affirme qu'il considère l'Holocauste comme le pire crime du siècle dernier ». La contribution de personnes juives à la civilisation humaine et à la culture est indépassable autant qu'extraordinaire. Pensez simplement à Einstein, Freud et Marx, pour réaliser que la civilisation humaine serait aussi diminuée que méconnaissable, sans les prouesses des juifs. Et c'est pareil pour ce qui est de la contribution juive à notre ville de Londres
aujourd'hui. En tant que maire, j'ai réclamé l'action de la police contre les attaques antisémites au plus haut niveau, et mon administration a soutenu une série d'initiatives d'importance pour la communauté juive, ce qui inclut une exposition sur Anna Frank à l'Hôtel de Ville et des mesures pour assurer l'avancée du projet d'eruv [mur symbolique visant à séparer le pur de l'impur, notion centrale de la religion juive] au nord de Londres.
Tout au long des années 1970, j'ai travaillé avec joie avec le conseil représentatif [ci-dessus], dans le cadre de campagnes contre le National Front. Les problèmes ont commencé lorsque, en tant que président du Conseil e la communauté urbaine de Londres, j'ai rejeté leur demande de ne financer que les initiatives approuvées par les organisations juives. Ils étaient mécontents que je finance des organisations juives qui font campagne pour les droits des gays et d'autres qui sont en désaccord avec la politique du gouvernement israélien.
Mes rapports avec ce groupe prirent un tour dramatique lorsque je m' opposai à l'invasion illégale du Liban par Israël, qui a culminé avec les massacres des camps palestiniens de Sabra et Chatila. Ils n'ont pas apprécié non plus que je m'engage dans la campagne de 1982 pour convaincre le parti travailliste de reconnaître l'OLP comme la voix légitime du peuple palestinien. Le point fondamental de nos désaccords, comme le sait parfaitement Henry Grunwald, ce n'est pas l'antisémitisme -que mon administration combat bec et ongles- mais la politique des gouvernements israéliens successifs. Pour éviter des ambiguïtés artificiellement entretenues, rappelons que la
politique des gouvernements israéliens n'est pas analogue au nazisme. Ils ne visent pas l'extermination systématique des Palestiniens à la façon dont les nazis cherchaient l'anéantissement des juifs. L'expansion d'Israël comporte depuis le début le nettoyage ethnique. Les Palestiniens qui ont vécu sur cette terre pendant des siècles en ont été
chassés par la violence systématique et la terreur programmées pour nettoyer ethniquement le territoire qui est devenu la plus grande partie de l'Etat israélien. Les méthodes de groupes tels que Irgoun et le gang Stern étaient les mêmes que celles du dirigeant serbeKaradzic en Bosnie : chasser les gens par la terreur.
Aujourd'hui le gouvernement israélien continue à faire main-basse sur la terre palestinienne pour y implanter des colonies, les incursions militaires dans les pays voisins continuent, et le déni du droit au retour des Palestiniens chassés par la terreur continue. Ariel Sharon, premier ministre israélien est un criminel de guerre qui devrait être en prison, et non pas dans un bureau. La commission Kahane  isrélienne elle-même a reconnu que Sharon avait une part de responsabilité dans les massacres de Sabra et Chatila. Sharon continue à organiser la terreur. Plus de trois fois plus de Palestiniens que d'Israéliens ont été tués dans le conflit actuel, et il y a plus de 7000 Palestiniens en prison. Pour dissimuler ces vérités, ceux qui entourent le gouvernement actuel israélien ont recours à la diabolisation. Au départ, les cibles étaient les Palestiniens ; maintenant ce sont les musulmans. Prenez le Middle East Media Research Institute, dirigé par un ancien colonel dans les services de renseignement militaires israéliens, qui se veut source d'information objective mais qui traduit en réalité de façon sélective des textes de l'arabe, et qui présente les musulmans et les Arabes sous le jour le plus noir possible.
Aujourd'hui le gouvernement israélien contribue à promouvoir un tableau entièrement faussé  du racisme et de la discrimination religieuse en Europe, de façon à faire apparaître que la poussée la plus grave de haine et de discrimination vise les juifs. Toutes les attaques racistes et antisémites doivent être stigmatisées. Cependant, le fait est que la plus grande masse des attaques racistes en Europe visent les Noirs, les asiatiques et les musulmans, et que ce sont les cibles primaires de l'extrême droite. Pendant 20 ans les gouvernements israéliens ont tenté de dénigrer tous ceux qui critiquent avec force la politique israélienne, en tant qu'antisémites. La vérité est à l'opposé : les mêmes valeurs universelles qui reconnaissent l'Holocauste comme le plus grand crime raciste du 20ème siècle exigent la condamnation de la politique des gouvernements israéliens successifs, non pas en les traitant  de façon absurde de nazis ou équivalents dans leur rapport à l'Holocauste, mais parce que le nettoyage ethnique, la discrimination et la terreur sont immorales.
Ils attisent en outre la colère et la violence dans le monde entier. Pour le maire de Londres, ne pas s'exprimer à voix haute contre une semblable injustice serait non seulement une erreur, mais ce serait surtout ignorer la menace que cela fait peser sur la sécurité de tous les habitants de Londres.
                               
23. Des faussaires ont "tenté de réécrire l’histoire biblique" par Conal Urquhart
in The Guardian (quotidien britannique) du vendredi 31 décembre 2004
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Des centaines d’objets historiques bibliques, exposés dans des musées du monde entier sont peut-être des faux, c’est tout du moins ce qui ressort des révélations d’enquêteurs israéliens au sujet de ce qu’ils ont qualifié de réseau sophistiqué de contrefaçon. Quatre hommes ont été accusés d’avoir fabriqué de toutes pièces certaines des plus importantes découvertes bibliques de ces dernières années. Parmi les objets mis en cause : un ossuaire supposé avoir renfermé les ossements de Saint Jacques, frère du Christ, et une tablette comportant une inscription attribuée à un roi juif du neuvième siècle avant J.C..
La mise en examen des hommes soupçonnés, à Jérusalem, indique : « Au cours des vingt dernières années, plusieurs objets archéologiques ont été vendus, ou ont été proposés à la vente, en Israël et dans le monde entier, qui n’étaient pas en réalité des trouvailles remontant à l’antiquité. Ces objets, dont plusieurs étaient (supposés) d’une grande valeur scientifique, religieuse, sentimentale, politique et économique, avaient été fabriqués avec une intention manifeste de tromperie ». Les faussaires ont non seulement extorqué aux acquéreurs des millions de dollars, ont indiqué des officiels du Service israélien des Antiquité ; ils ont aussi porté atteinte à la science et à l’archéologie, en jetant le doute sur l’authenticité de tous les objets qui n’auraient pas été découverts au cours de fouilles archéologiques officielles.
Des doutes au sujet de ces objets ont émergé après que la police israélienne eut commencé à entendre des rumeurs concernant un artisan égyptien vivant en Israël qui se serait vanté de son rôle dans les falsifications, dans un bar de Tel-Aviv où il s’imbibait. Des détectives ont alors lancé une enquête, voici deux ans de cela, qui ne tarda pas à prendre une envergure planétaire.
La mise en examen liste 124 témoins, dont des collectionneurs d’antiquités, des archéologues, des responsables officiels du cabinet de commissaire priseur Sotheby et des représentants du British Museum, ainsi que du Musée de Brooklyn (New York). Les faussaires ont été accusés de recourir à des objets authentiques, auxquels ils ont ajouté des inscriptions. Après quoi, ils passaient généralement une sorte de vernis donnant une patine très semblable à celle causée par le passage des siècles. Les faux ont échappé à la perspicacité des experts durant des années, et c’est ainsi que des objets virtuellement sans valeur ont atteint des prix astronomiques.
Les quatre mis en examen sont un collectionneur de Tel Aviv, Oded Golan, propriétaire de l’ « ossuaire de Saint Jacques » et de la « tablette de Josué » ; Robert Deutsch, un expert en épigraphie, qui enseigne à l’université de Haïfa ; Shlomo Cohen, un collectionneur et Faiz al-Amaleh, un antiquaire.
Mercredi dernier, M. Golan a déclaré qu’ « il n’y a(vait) pas une once de vérité dans les allégations fantaisistes portées à mon encontre », et que l’enquête visait à « détruire la collecte et le commerce des antiquités en Israël ». M. Deutsch a rejeté sa mise en examen, en la qualifiant de « ridicule ».
Shuka Dorman, chef du Service israélien des Antiquités, a indiqué que le cercle des faussaires opérait depuis plus de vingt ans et avait « tenté de changer l’histoire ». Des spécialistes ont expliqué que les faussaires exploitaient le profond besoin émotionnel qu’ont certains juifs et certains chrétiens à trouver une preuve matérielle afin de renforcer leur foi. « Ceci ne discrédite nullement la profession. En revanche, cela discrédite les revendeurs indélicats et les collectionneurs », a déclaré Eric Myes, professeur d’archéologie à l’Université Duke de Caroline du Nord.
Parmi les autres contrefaçons, notons cette grenade en ivoire dont les spécialistes pensaient qu’elle était le seul objet subsistant du Temple du Roi Salomon. L’ossuaire « de Saint Jacques », portant l’inscription « Jacques, fils de Joseph, frère de Jésus » était censé représenter le seul lien encore existant avec la vie de Jésus-Christ, voici deux millénaires. Shaul Naim, de la police israélienne, a déclaré : « Nous avons des raisons de penser que de nombreuses fausses antiquités, qui n’ont pas encore été identifiées, sont détenues par des collectionneurs privés, en Israël et à l’étranger, ainsi que dans des musées israéliens et étrangers. » L’archéologue israélien Shimon Gibson a affirmé que les musées se devaient d’écarter de leurs collections des objets d’origine douteuse. « Maintenant, j’ai comme l’impression que nous allons devoir revenir en arrière et vérifier toutes nos informations, afin de nous assurer que ce que nous pensions avéré l’était véritablement… »
                               
[Selon le logiciel de messagerie que vous utilisez, les accents peuvent présenter des défauts d'affichage. Nous vous remercions de votre compréhension.]