Revue de
presse
1. Au lendemain des fêtes par
Mohamed Moustapha
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 21
septembre 2005
Gaza. Les Palestiniens ont célébré le
départ des Israéliens de Gaza, mais certains problèmes restent entiers,
notamment la crise économique et le désarmement des islamistes.
Gaza, de notre correspondant - Les dirigeants des factions
palestiniennes et des milliers de personnes s’étaient rassemblés à Neve Dekalim,
l’ex-« capitale » des colons de la bande de Gaza pour fêter le retrait
israélien, tentant pour l’occasion de mettre leurs divergences de côté. Cette
terre qui, il y a encore un mois, abritait quelque 2 000 Israéliens, est devenue
une mer de drapeaux arborés par des partisans des différents groupes
palestiniens. Les Israéliens sont donc partis. Les fêtes et les cérémonies de ce
genre se sont terminées. Les Palestiniens sont à présent face à leurs
responsabilités, notamment une unité des rangs permettant de répondre aux défis
qui s’imposent et de traiter à la base l’état de chaos et de dérapage dans la
rue palestinienne. Il faut aussi songer à reconstruire ce que la machine de
guerre israélienne a détruit au cours de la période de la deuxième Intifada. De
plus, cette libération de Gaza est incomplète. Israël maintient son contrôle des
passages, des frontières, des eaux territoriales et de l’espace aérien. Israël
s’est retiré après avoir détruit presque toute l’infrastructure palestinienne.
Selon les chiffres de l’Autorité palestinienne, plus de 60 % des habitants du
secteur, estimés à un million et demi, vivent en dessous du seuil de pauvreté.
Le taux de chômage est estimé à 40 %. Avant le déclenchement de l’Intifada le 28
septembre 2000, 100 000 ouvriers de Gaza travaillaient à l’intérieur de la ligne
verte en Israël. Aujourd’hui, ils sont sans emploi. Dans ce secteur de Gaza, il
y a 600 000 réfugiés palestiniens qui vivent dans les camps. Autre chiffre
triste et révélateur : 10 000 habitations ont été détruites par Tsahal. Des
milliers d’hectares de terres agricoles ont été ravinés par les forces
d’occupation au cours des 5 dernières années. La moitié de la population compte
sur les assistances qu’apporte l’UNRWA (Agence des Nations-Unies pour le secours
des réfugiés). Selon Mazen Soncrate, ministre palestinien de l’Economie, le
gouvernement palestinien a décidé de créer une zone industrielle dans les
territoires pour développer l’économie palestinienne, l’industrie devant servir
d’ossature fondamentale pour relancer l’économie et assurer des emplois. Ces
zones seraient installées à Beit Hanoun, dans le nord de Gaza, à Rafah, au sud,
sur la frontière égypto-palestinienne, et à Tarkomya, Hébron, en Cisjordanie,
outre une zone à Jénine, au nord-ouest de la Cisjordanie.
Les conditions du sauvetage
Le ministre relève que
selon les études auxquelles ont participé des experts américains et
palestiniens, la première zone industrielle permettra, dans une première étape,
d’absorber 5 ouvriers pour culminer à 10 000 lors de l’étape définitive. Outre
ces zones, le plan prévoit des projets d’investissement dans les zones libres,
notamment pour des projets agricoles et touristiques. Il est prévu aussi de ne
pas réaliser de constructions immobilières pour assurer le maximum de surface
aux projets productifs.
Dans le contexte d’une économie fragilisée à laquelle
font défaut tous les facteurs, dont l’infrastructure et les ressources, le
secteur de Gaza se dirigerait vers la famine s’il n’obtenait pas une aide
étrangère. L’Autorité palestinienne a reçu des promesses dans ce sens des pays
donateurs. La Banque mondiale a promis d’accorder une assistance pour la
réalisation de projets productifs. Mais le hic de l’affaire est que ces
assistances sont liées à l’application par l’Autorité palestinienne de ses
engagements découlant de la Feuille de route, dont la lutte contre le «
terrorisme », c’est-à-dire détruire l’infrastructure de la résistance et
désarmer cette dernière. C’est là le plus grand défi que l’Autorité
palestinienne doit relever au cours de cette étape.
A la suite du retrait
militaire israélien qui s’est terminé le 12 septembre, les responsables
palestiniens ont multiplié les déclarations selon lesquelles l’Autorité est
déterminée à désarmer la résistance et à mettre fin au chaos du port d’armes
dans la rue palestinienne. Rafiq Al-Hussein, chef du cabinet présidentiel, a
affirmé que le dirigeant palestinien Mahmoud Abbass allait commencer dans les
jours qui viennent à désarmer le groupe des Martyrs d’Al-Aqsa, l’aile militaire
du Fatah, avant de procéder au désarmement des autres factions. Abou-Mazen
demandera à ces factions de s’autodissoudre et de fusionner dans les forces de
sécurité palestiniennes. Les Martyrs d’Al-Aqsa sont composés de plusieurs
groupesarmés dont les Brigades d’Aboul-Riche, du martyr Aymane Gouda, des
Martyrs de Jénine et de Yasser Arafat.
Le non ferme du Hamas et du Djihad
Les Martyrs
d’Al-Aqsa n’éprouveront aucune difficulté à rejoindre les forces de sécurité
palestiniennes. La plupart de leurs éléments appartiennent en fait à ces forces.
Mais le gros problème se pose avec les organisations de résistance islamique du
Hamas et du Djihad, qui refusent absolument de dissoudre leurs ailes militaires
Ezzeddine Al-Qassam et les Brigades d’Al-Qods.
Les autres factions qui
disposent de bras armés, à savoir le Front Populaire pour la Libération de la
Palestine (FPLP) et le Front Démocratique pour la Libération de la Palestine
(FDLP), ainsi que les comités de résistance populaire, ont peu d’éléments
militaires par rapport aux deux organisations islamistes. Il serait facile pour
l’Autorité palestinienne de s’accorder avec eux sur une formule permettant de
les désarmer et de les intégrer dans les services de sécurité palestiniens.
Mohamad Al-Hindi, un des principaux membres du Djihad, rappelle que ce qui
s’est passé à Gaza est une victoire pour la résistance palestinienne et celle du
peuple. Sans une telle résistance et si Israël n’avait pas subi de pertes, Ariel
Sharon n’aurait pas pris la décision d’évacuer Gaza. Ce qui lui fait dire que le
Djihad ne renoncera pas à ses armes.
La résistance est la route vers la
liberté. On ne peut parier sur les négociations avec Israël et les Etats-Unis.
Israël poursuit la colonisation, la judaïsation de Jérusalem, l’expansion des
colonies et la construction du mur de séparation. Pour Hind, le plan de Sharon
est d’établir un Etat indépendant provisoire à Gaza et dans 40 % de la
Cisjordanie, dans le meilleur des cas, abstraction faite de Jérusalem et du
retour des réfugiés palestiniens. Un tel Etat déformé n’aura pas de souveraineté
sur ses frontières terrestres et maritimes. D’ailleurs, lors de la grande
cérémonie, Mahmoud Zahar, un des principaux chefs du Hamas, a dit : « Ceux qui
sont rassemblés ici aujourd’hui doivent savoir qu’ils le doivent à nos armes, à
la résistance du Hamas et au sang de nos martyrs (...). Nous disons à Abou-Mazen
(Abbass) que nous ne permettrons pas la confiscation de la moindre des armes
destinées à la résistance ».
2. "Nos valeurs" et les terroristes par Michel
Lelong
in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 18 septembre
2005
(Michel Lelong, père blanc, a été secrétaire de la
Commission épiscopale française pour les relations avec
l’islam.)
Comme tous ceux qui les ont précédés, les attentats
terroristes de Londres et de Charm el-Cheikh doivent, bien entendu, être
condamnés sans réserve. Ils sont, en effet, la négation d'une valeur humaine
fondamentale, valeur affirmée tant par la civilisation des « Lumières » que par
les religions - toutes les religions, y compris l'islam. Peut-être n'est-il pas
inutile de le rappeler au moment où, dans les pays occidentaux, comme dans ceux
de l'Oumma, certains semblent ignorer que le Coran interdit formellement de tuer
un innocent. Les porte-parole les plus représentatifs de l'islam l'ont dit à
maintes reprises et ils l'ont rappelé encore ces dernières semaines, de la façon
la plus claire.
Croyants et incroyants se retrouvent donc ensemble pour
approuver la nécessaire et difficile action que doivent mener tous les États, de
l'ouest à l'est et du nord au sud, pour combattre le terrorisme et le vaincre.
Mais il ne suffit pas, pour y parvenir, de disposer d'excellents services de
renseignements, d'armées puissantes et de policiers efficaces. Il faut aussi une
vision politique, fondée sur une analyse exacte des situations régionales et des
relations internationales. Il faut enfin que cette vision prenne en compte la
dimension « humaine » et, disons-le, « morale » de ce qui se passe actuellement
dans le monde.
Comment, tout d'abord, ne pas s'interroger sur le fait que
des hommes, des jeunes, dont certains sont instruits, cultivés et nullement
marginaux, choisissent librement de mourir pour se faire entendre ? À cette
question, il ne suffit pas de répondre - comme on le fait souvent - que ces
terroristes « veulent détruire les valeurs démocratiques de l'Occident ». Parmi
eux, certes, il y a des fanatiques, endoctrinés, manipulés et conduits à des
actes aussi insensés que cruels, par une interprétation aberrante de leur
religion. Ceux-là, il faut les trouver, les arrêter, découvrir qui les
endoctrine, qui les utilise et prendre toutes les mesures adéquates pour que
cessent ces entreprises criminelles.
Ce faisant, il est, bien entendu,
essentiel de ne pas soupçonner systématiquement de « terrorisme » tous ceux qui,
parmi ces musulmans, sont attachés au strict exercice de leur culte et à
certaines pratiques traditionnelles telles que le voile, par exemple.
Mais,
il faut aussi - et surtout - se poser une autre question : est-ce vraiment à nos
« valeurs occidentales » que s'attaquent les terroristes ? Ne serait-ce pas
plutôt au fait que tout en proclamant fièrement ces valeurs - la démocratie, les
droits de l'homme, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, l'égalité entre
tous, quelles que soient la nationalité, la race et la religion de chacun - les
États occidentaux sont bien loin d'y être toujours fidèles ?
Les États-Unis
ont déclaré la guerre à l'Irak sans l'accord des Nations unies et même en
violation des décisions du Conseil de sécurité. Ils ont conduit cette guerre
d'une manière qui a entraîné de terribles souffrances humaines. Ils ont traité
des prisonniers de façon barbare. Quant à la situation en Terre sainte, elle
est, depuis des années, tragique, car les démocraties occidentales ont été
incapables d'imposer à l'État d'Israël ce qu'elles exigent partout ailleurs dans
le monde : le respect du droit international.
Il ne suffit pas de proclamer
de beaux principes. Il faut les appliquer. Les États-Unis et leurs complices le
font-ils vraiment au Proche-Orient ?
3. Le cri de Chatila : "Droit au retour" par
Stefano Chiarini
in Il Manifesto (quotidien italien) du samedi 17 septembre
2005
[traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio]De notre envoyé à Beyrouth - « Nous
sommes là, avec nos vivants et avec nos morts, en ce vingt-troisième
anniversaire du massacre de Sabra et Chatila et nous n’avons aucune intention de
disparaître de la scène du Moyen-Orient et de renoncer à notre droit au retour
et à l’indemnisation pour les propriétés que les israéliens nous ont volées, ni
à la possibilité de défendre nos camps avec les armes. La déstabilisation du
Liban et de la Syrie et la résolution 1559 même, tendent à aboutir elles
aussi au résultat qu’Ariel Sharon se proposait : effacer les camps,
effacer l’existence politique de millions de réfugiés palestiniens, nous obliger
à émigrer toujours plus loin de la Palestine, mais nous serons toujours,
comme le dit un de nos poèmes, comme un morceau de verre dans la gorge de
nos oppresseurs et de leurs complices ». Abu Mohammed, soixante-cinq ans,
instituteur, vient à notre rencontre en boitant mais avec la détermination d’un
jeune homme. Devant nous, de l’autre côté de la route pour l’aéroport, il y a
l’immeuble couleur crème, à cent mètres à peine de Chatila, d’où les
commandants israéliens, les officiers des Forces Libanaises comme Elia Hobeika
(1), les hommes des services israéliens, et, bien entendu, Ariel Sharon, alors
ministre de la défense, et ses généraux, allaient suivre pas à pas le
déroulement du massacre commencé l’après-midi du 16 septembre et terminé, mais
en partie seulement, le samedi dix-huit. Les victimes furent plus de 3.000, en
grandes parties palestiniennes, mais aussi libanaises et immigrées venant de
différents pays arabes. Quelques heures plus tôt, le soir du 14 septembre, avait
été tué, à peine élu, le président Béchir Gemayel, leader des Forces
libanaises, et Ariel Sharon avait profité de la situation pour oublier la
promesse qu’il avait faite à l’émissaire du président étasunien, Philip Habib,
de ne pas entrer avec son armée dans Beyrouth ouest, où se tenaient les camps
palestiniens, désormais sans défense, après le retrait des fedayin de l’OLP. Les
Forces multinationales qui auraient du défendre les camps avaient au contraire
quitté précipitamment Beyrouth jours plus tôt, à la demande des USA. Ariel
Sharon, une fois les camps encerclés par les blindés « afin de les nettoyer des
terroristes » y fit entrer environ 600 phalangistes, qui massacrèrent,
éventrèrent, violèrent, volèrent et tuèrent sans répit. Sans s’arrêter même
devant des enfants et des nouveaux-nés, dans certains cas coupés en morceaux et
recomposés ensuite sur des tables ensanglantées pour former d’horribles poupons
de mort. Les photos de ces victimes innocentes représentées à certains moments
importants de leur vie, des nouveaux-nés au berceau aux plus grands, en habits
de fête et les cheveux bien coiffés pour leur mariage, ou bien ces enfants en
col amidonné et chemise à petits carreaux des classes élémentaires, ou les
jeunes avec la coupe et la permanente des fiançailles, avec la toque de la thèse
ou dans les rues d’un quelconque pays lointain, elles étaient là ces photos hier
matin, décolorées par le temps et par les larmes, portées par des mères, des
pères, des sœurs, ouvrant le cortège unitaire pour rappeler au monde cette
offense inouïe à la vie. Pour rappeler l’existence de ces 700 corps jetés l’un
sur l’autre entre deux couches de chaux, là bas dans cette terre rouge remuée et
dans le sable de ce qui, avant l’arrivée des réfugiés chassés hors de Palestine
avec quelques objets ménagers, puis installés là sous les tentes de l’ONU, était
un affaissement de terrain entre les dunes de sable d’une pinède d’où l’on
voyait la mer, au sud de Beyrouth. Derrière eux, pendant qu’un important service
d’ordre veillait sur le cortège, défilaient les fanfares avec les cornemuses des
scouts, les drapeaux des différentes organisations politiques, pour une fois
réunies en une occasion aussi importante, et les nombreuses délégations
internationales : de la délégation italienne organisée par le Comité pour ne pas
oublier Sabra et Chatila, aux arabes américains de l’Arab America
Antidiscrimination Comittee, à une centaine de femmes pacifistes, venant d’une
trentaine de pays. Le cortège international et les ONG s’est ensuite dirigé vers
le camp de Chatila en parcourant en sens opposé la route le long de laquelle, en
ce début d’après-midi du 16 septembre 1982, un groupe de vieillards, avec des
drapeaux blancs, se dirigea vers les positions israéliennes, pour remettre aux
occupants les clés du camp. Personne n’a plus jamais rien su d’eux après. Leurs
pas –et leur destin- allaient être suivis peu après par un petit cortège de
femmes qui demandaient la fin des bombardements : beaucoup d’entre elles furent
violées et tuées dans les ruelles adjacentes au stade qui est juste à côté ;
d’autres, les plus jeunes, embarquées sur des camion, et emmenées, pour avoir la
même fin, dans les casernes des Forces libanaises. Le tout sous les yeux des
soldats de Sharon.
Le cortège dense et bariolé a ensuite conflué vers un
grand espace à l’entrée du camp, où se trouve la fosse commune. En 1982, c’était
une lande de terre et de ruines creusée au bulldozer et ombragée aujourd’hui par
les grands arbres qui ont poussé pendant ces vingt trois années, solides comme
la mémoire que les réfugiés ont de leur terre lointaine. L’aire, réduite en
décharge jusqu’à il y a trois ans, sera maintenant – comme annoncé dans le
discours de clôture de la manifestation par le maire Abu Said al Qansa- l’objet
d’un concours international de projets pour l’aménagement définitif.
« Le
cortège d’aujourd’hui a rompu le sentiment d’isolement des réfugiés – nous dit
Nabil, un jeune technicien de Chatila- avec les deux autres événements
importants : la décision du ministère du travail de lever l’interdiction pour
les palestiniens d’accéder à plus de 50 métiers, et les possibilités plus
importantes de travail à la suite du départ des travailleurs syriens, ont
contribué à nous donner quelque espoir pour l’avenir. Mais, quand même, sous ces
améliorations, nos craintes ne se dissipent pas, surtout après la demande des
USA de désarmer les camps, et la réapparition simultanée, ces jours ci, du
groupe le plus férocement anti-palestinien du pays, celui des « gardiens du
cèdre » : une organisation connue pendant la guerre civile pour avoir eu
l’habitude d’écarteler, après les avoir attachés à deux voitures qui partaient
dans les directions opposées , les prisonniers palestiniens et progressistes
tombés dans leurs mains ». Leurs chefs prirent la fuite ensuite en Israël et
l’on ne sut plus rien d’eux. Et voici que, juste à l’occasion de l’anniversaire
du massacre, certains dirigeants ont convoqué une conférence de presse pour
relancer leurs slogans préférés : « tout libanais doit tuer un palestinien »
jusqu’à ce « Qu’il n’y ait plus un seul palestinien sur le sol libanais ».
Nombreux sont ceux qui craignent que ce tragique septembre pour les réfugiés
palestiniens ne soit pas encore fini.
-
NOTE :
(1) Elie Hobeika, chef des services de renseignements des
Forces Libanaises (FL, milice chrétienne armée) surnommé « le tueur froid » a
supervisé en personne les massacres (de l’avis des historiens et journaliste de
tous bords). Son désir d’aller témoigner à Bruxelles sur la tragédie de Sabra et
Chatila ne semble pas forcément relever d’une volonté de protéger ou attaquer
Ariel Sharon, le donneur d’ordre, mais surtout de tenter par ses « révélations »
de sauver son propre sort. Voir les articles de Chantal Rayes dans Libération
(http://www.liberation.com/israel/actu/20010731marg.html) et Pierre Vaudan dans 24 Heures (http://www.entrefilets.com/Cobra_1.html ) sur la responsabilité de « HK » dans la massacre ;
et http://www.humanite.presse.fr/2002.01.26/27882 sur l’assassinat non revendiqué de celui-ci en
janvier 2002. (Notes de la traductrice).
4. Qui cherche à noyer le… poison ? par Ryadh
Fékih
in Réalités (hebdomadaire tunisien) du jeudi 15 septembre
2005
Les circonstances de la mort de l’ancien leader de
l’Organisation de Libération de la Palestine et président de l’Autorité autonome
palestinienne, le 11 novembre 2004, à l’âge de 75 ans, à l’hôpital militaire
Percy, à Clamart, dans la banlieue parisienne, où il avait été emmené d’urgence
depuis son QG de Ramallah, en Cisjordanie, le 29 octobre, nourrissent de nouveau
les supputations des médias… israéliens et américains.
Le 8 septembre, des
confrères des quotidiens américain New York Times et israélien Haaretz ont cru
pouvoir affirmer, sur la base du dossier médical du défunt, qu’Arafat a été
victime “d’une attaque résultant d’un problème sanguin lié à une infection
indéterminée”. Ils ajoutent que les médecins français qui ont soigné Arafat
n’ont pas réussi à identifier la nature exacte de l’infection qui a entraîné un
effondrement du taux de plaquettes sanguines fatal au dirigeant palestinien.
Cette affirmation, trop vague pour constituer un scoop, ne lève pas le mystère
qui a entouré – et entoure toujours – la mort d’Arafat. Au contraire: elle
l’épaissit davantage. Car dire qu’“Arafat est mort de mort naturelle, mais d’une
maladie qui reste mystérieuse” est presque une contradiction. Elle ne suffit
pas, en tout cas, à dissiper les soupçons de ceux qui soutiennent l’hypothèse
selon laquelle le leader de l’OLP est mort d’empoisonnement.
Hémorragie cérébrale massive, provoquée par une infection, le sida
ou autres “saloperies” inconnues !
Liés par le secret médical, les
médecins français avaient refusé de rendre public ce dossier médical d’Arafat
qui contient 558 pages. Ils l’ont alors confié à la veuve d’Arafat, Souha
Arafat, et à son neveu, Nacer Al-Qodwa, actuel ministre des Affaires étrangères
de l’Autorité palestinienne, qui l’a gardé jusqu’ici jalousement. Le New York
Times affirme cependant que c’est “un haut responsable palestinien” qui a
transmis le dossier à deux journalistes israéliens : Avi Isacharoff, de Radio
Israël et son collègue Amos Harel, qui l’ont reproduit dans une nouvelle édition
de leur livre intitulé “La septième guerre”, réédité la semaine dernière en
hébreu. Ces derniers ont accepté de le partager avec les quotidiens américain et
israélien.
Le journal new-yorkais affirme avoir demandé à des experts
médicaux anonymes et indépendants d’examiner le dossier du défunt président.
Selon le journal, le rapport médical rédigé par le docteur Bruno Pats, chef du
service de soins intensifs de l’hôpital militaire de Percy, élimine presque
complètement la piste d’un empoisonnement. On y apprend notamment que le
président de l’Autorité palestinienne, assigné à résidence dans son QG de
Ramallah et d’abord soigné pour une “grippe”, a reçu des antibiotiques seulement
deux semaines après le début de sa maladie, soit deux jours avant son transfert
en France et “probablement trop tard”. Selon les médecins français, Arafat a
souffert de problèmes digestifs une trentaine de jours avant son décès. Il a
également été victime d’une affection sanguine aiguë, une coagulation
intra-vasculaire disséminée (CIVD). Le raïs a vu son état de santé s’améliorer,
avant de sombrer dans un coma profond à partir du 3 novembre.
Selon les
spécialistes consultés par le quotidien, l’empoisonnement est “hautement
improbable”. Car, affirme-t-il, les examens toxicologiques réalisés dans
plusieurs laboratoires français n’ont détecté aucune substance anormale.
“Les chercheurs disent qu’Arafat ne souffrait pas des lésions étendues aux
reins et au foie que l’on constate en cas d’empoisonnement, bien qu’il ait eu
effectivement une jaunisse”, poursuit le New York Times.
Les experts
écartent également la possibilité d’un décès dû au sida “à cause de l’irruption
soudaine de troubles intestinaux”. Ils regrettent néanmoins qu’aucun test du
virus HIV, responsable du sida, n’ait été pratiqué, ce qui aurait permis de
faire taire une rumeur insistante à ce sujet colportée par des sources
israéliennes.
Ainsi, le Dr Gil Lugassi, président de l’Association
Israélienne d’Hémato- logie, cité par Haaretz, juge que les syndromes décrits
dans le dossier pourraient être ceux du sida. “Ce qui est inacceptable et rend
particulièrement perplexe, c’est que la possibilité de sida ait été totalement
ignorée”, a-t-il ajouté.
En outre, le rapport français indique que des
biopsies réalisées sur le défunt ne sont jamais parvenues au laboratoire
d’anatomie pathologique de Tunis, qui les avait demandées. “Cette disparition
est très étrange, car elle aurait permis de déterminer clairement de quoi
souffrait Yasser Arafat”, estime Avi Isacharov.
Le 7 novembre, les médecins
français ont demandé, à leur tour, à la famille l’autorisation de procéder à une
biopsie du foie. “Cette biopsie hépatique a été proposée le 07/11/04 à la
famille qui l’a refusée”, lit-on dans le rapport officiel français. “Ce refus de
la famille est révélateur d’une volonté de ne pas parvenir à une conclusion
claire sur les causes du décès”, explique Avi Isacharof, qui cherche visiblement
à faire accréditer la thèse d’une mort dont la cause serait honteuse: le sida
par exemple ?
Le journaliste israélien relève un autre fait, étrange à ses
yeux: le rapport toxicologique français établi par les médecins porte le nom
inconnu de Étienne Louvet, tandis qu’il s’agit d’Arafat. Le rapport médical
français a-t-il été manipulé ? “Des examens ont disparu, les conclusions sont
floues, les symptômes sont ceux du sida, mais le mot n’apparaît pas, et le
rapport toxicologique porte un faux nom”, énumère Isacharov.
De son côté,
l’ancien médecin personnel d’Arafat, le Jordanien Ashraf Al-Kourdi, qui n’a pas
participé aux soins médicaux de son patient durant les dernières semaines de sa
vie, affirme, sans avancer de preuves, que des médecins français lui auraient
confié avoir trouvé des traces de HIV dans le sang du raïs, lors d’un test qui
aurait été soustrait au dossier. Il ajoute que le VIH a pu être inoculé à Arafat
par des agents israéliens dans le but d’effacer les traces d’empoisonnement,
cause réelle du décès.
“Une discussion parmi un grand nombre d’experts
médicaux (...) montre qu’il est impossible de désigner une cause qui
expliquerait la combinaison de symptômes qui ont conduit à la mort du patient”,
conclut cependant le quotidien israélien. Autrement dit, les experts – si tant
est qu’ils aient pu consulter les bons dossiers et non des rapports manipulés –
ne donnent pas de résultats convaincants sur les causes du décès d’Arafat.
D’autant que le dossier reste muet sur la cause possible de l’hémorragie
cérébrale massive qui l’a emporté, comme sur les raisons de la détérioration
rapide de son état de santé. Tout le monde est donc renvoyé à la case départ...
La thèse de l’empoisonnement est-elle crédible ?
Après
l’annonce de la mort d’Arafat, le 11 novembre 2004, les médecins français qui se
sont occupés de lui durant ses deux dernières semaines étaient catégoriques :
“Il n’y a aucun mystère sur la mort du leader palestinien. Après des examens
classiques, l’équipe a pu établir un diagnostic. Ce n’est en aucun cas un
empoisonnement, et les causes du décès n’ont rien d’exceptionnelles”. Philippe
Douste-Blazy, alors ministre de la Santé, a confirmé, de son côté: “Rien ne
porte à penser qu’il y a eu un empoisonnement”, tout en reconnaissant ne pas
avoir eu en main le dossier médical du défunt. “C’est la famille, et uniquement
la famille, qui a eu accès à l’ensemble du dossier médical.
L’équipe
médicale de Percy à Clamart a montré évidemment en temps réel et en résumé le
dossier à la famille. Mais, ni comme médecin ni comme ministre de la Santé, je
n’en ai eu connaissance”, a-t-il dit. Et de préciser : “Toutefois, je peux vous
dire que rien dans le dossier médical, semble-t-il [on appréciera, au passage,
la précision], n’a montré qu’il pouvait y avoir un tel cas d’empoisonnement,
sinon ce serait la Justice qui aurait eu, alors, à prendre en considération ce
dossier.”
Durant l’hospitalisation d’Arafat à l’hôpital français, les
informations sur l’état du patient palestinien étaient plutôt rares. Le chef de
service d’hématologie de Percy, qui a pris directement en charge le leader
palestinien, n’avait même pas de visage, puisqu’il n’apparut jamais, ni avant ni
après le décès. Durant l’hospitalisation, les cinq communiqués du médecin
général ont été lapidaires (à l’exception de la dénégation du diagnostic de
leucémie).
Côté palestinien, la famille d’Arafat, en l’occurrence sa femme,
qui a eu accès à la totalité du dossier médical, n’a pas été très loquace. Le
médecin palestinien, qui est arrivé à Paris peu après l’hospitalisation et qui a
eu aussi accès à tout le dossier, n’a pas été bavard lui non plus. Cependant, au
lendemain du décès du raïs, la représentante de l’Autorité palestinienne en
France Leïla Shahid, n’a pas hésité à dire, à plusieurs reprises, qu’elle
n’écartait pas l’hypothèse qu’Arafat ait pu être empoisonné par les Israéliens
qui avaient déjà tenté de le faire. Farouk Kaddoumi, chef du Fatah, a déclaré,
dans un entretien à la chaîne satellitaire arabe Al-Arabiya, qu’Arafat était
mort des suites d’un “empoisonnement” provoqué par Israël. Kaddoumi est revenu à
la charge, le 23 novembre, soit douze jours après le décès du raïs, en
affirmant, au cours d’une conférence de presse à Beyrouth: “Arafat est mort
empoisonné. Les traitements et les examens médicaux ont écarté toutes les
maladies auxquelles on aurait pu penser, comme la leucémie ou une déficience des
mécanismes immunitaires”. Et d’ajouter: “Pourquoi les plaquettes sanguines
continuaient-elles, alors, à se briser ? Il n’y a pas d’autre explication que le
poison”.
Lui répondant, mais de façon indirecte, Nasser Al-Qodwa a déclaré,
le lendemain, dans une conférence de presse à Paris, que le dossier médical
d’Arafat ne fournit pas les causes précises du décès du raïs et ne permet pas
d’écarter complètement la thèse de l’empoisonnement. “Un point d’interrogation
subsiste” sur les causes de sa mort”, a-t-il dit. Et d’ajouter :
“Personnellement, je pense que la question ne sera pas tranchée avant
longtemps.”
Les jours suivants, plusieurs journaux arabes, citant divers
services de renseignements, ont affirmé qu’Arafat avait été empoisonné par une
substance habituellement extraite d’une plante asiatique. Cette substance, qui
peut être instantanément dissoute dans des liquides, ne peut plus être détectée
de façon médico-légale dans le corps d’un humain douze heures après son
inoculation. Elle a des effets fatals sur la circulation du sang, ainsi que les
systèmes nerveux et digestif. Il est probable qu’Arafat a été empoisonné de
manière graduelle, puisque trois à cinq milligrammes du poison en question
suffiraient pour causer la mort. L’un des assistants du raïs aurait donc pu
mettre une telle substance dans ses repas durant le mois de ramadan, causant
ainsi sa mort lente.
Le 20 décembre, le quotidien arabe basé à Londres,
Al-Hayat, a relayé, de nouveau, les accusations d’empoisonnement d’Arafat,
formulées par Ahmad Abdul Rahman, qui fut le secrétaire du cabinet du défunt. Le
Palestine Media Center (PMC) s’en fait l’écho sur son site, dans un éditorial
non signé, intitulé “Ahmad Abdul Rahman: Arafat a été empoisonné le 25 septembre
2003”. “Quelque chose d’étrange est arrivé à Yasser Arafat, il y a environ un
an”, confie-t-il. “C’était le 25 septembre 2003. Le président avait serré les
mains d’une trentaine de personnes, avant de sortir pour aller vomir. C’est à
partir de ce moment que l’état de santé du président a commencé à se détériorer
lentement.”
Le responsable palestinien ajoute des précisions sur les
visiteurs : “Arafat avait serré les mains de gens qui étaient venus lui exprimer
leur solidarité dans son lieu de réclusion. Il s’agissait d’un mélange de
Palestiniens, d’étrangers et d’Israéliens”. Abdul Rahman rappelle que, plus
tard, Arafat s’était demandé à haute voix: “Se pourrait-il qu’ils m’aient eu ?
[faisant ainsi allusion aux Israéliens] Est-il possible que dix docteurs ne
puissent découvrir de quoi je souffre ?” Et de commenter : “Le Président a été
exposé à quelque chose, et j’incline à croire que cela pourrait être du gaz, ou
quelque chose d’autre. Je ne connais pas tous les types de poisons, mais il y en
a quelque 700 qui sont inconnus ? La dernière fois qu’il est tombé malade, le 12
octobre 2004, il a eu les mêmes symptômes: refus de manger et tous les symptômes
de la grippe sans grippe.”
Le 14 août dernier, soit neuf mois après le décès
de son leader, l’Autorité palestinienne semble avoir décidé d’adopter
officiellement la théorie de l’empoisonnement d’Arafat. L’Autorité a en effet
souscrit aux conclusions d’une commission d’enquête palestinienne créée au
lendemain de la mort du leader, suite aux “soupçons” d’intoxication. Le
directeur du cabinet du Chef de l’Autorité, Samir Halila, a alors déclaré que
“les informations obtenues jusqu’à aujourd’hui, associées aux entretiens avec le
ministre de la Santé, Dahni Al-Wahidi, confirment que le raïs a été empoisonné”.
Qui cherche à brouiller les pistes ?
La thèse de
l’empoisonnement d’Arafat par Israël – avec ou sans des complicités dans son
entourage immédiat – est, comme on le voit, la plus répandue parmi les
Palestiniens, qui ont toujours soupçonné les médecins français d’user du secret
médical pour leur cacher un terrible secret. Ils sont d’autant plus convaincus
de la véracité de cette thèse que, quelques mois avant la mort du leader
palestinien, le gouvernement d’Ariel Sharon avait sérieusement envisagé de le
liquider physiquement. Le Premier ministre israélien l’a même dit publiquement,
en ayant recours à des formules sibyllines.
Aussi, à l’instar du Dr
Al-Kurdi, qui connaît très bien les antécédents de santé d’Arafat pour avoir été
pendant vingt ans l’un de ses médecins personnels, plusieurs responsables des
services de sécurité palestiniens, tels Mohammad Dahlan et Jibril Rajoub, ont
réaffirmé aux auteurs de “La septième guerre” qu’ils sont persuadés qu’Arafat a
été empoisonné. Selon eux, le dirigeant palestinien n’était pas assez prudent et
pouvait être facilement empoisonné car il mangeait des friandises et prenait des
médicaments que lui amenaient des hôtes de passage sans contrôle médical.
Selon des experts israéliens qui ont examiné le rapport français, cités par
le Haaretz, l’empoisonnement du dirigeant palestinien aurait pu avoir lieu lors
d’un dîner, le 12 octobre 2004, dans son quartier général de la Mouqata, à
Ramallah. A la suite de ce repas, l’état de santé d’Arafat s’était, en effet,
dégradé rapidement. Il a souffert de pertes de mémoire et de brutales sautes
d’humeur, tandis que des taches rouges suspectes étaient apparues sur son
visage. Si les médecins français n’ont trouvé aucune trace de poison dans le
sang du raïs, c’est peut-être parce qu’on lui a inoculé un poison
ultrasophistiqué indétectable. Des agents du Mossad israélien avaient déjà
utilisé un poison inconnu il y a quelques années pour tenter d’assassiner le
dirigeant du Hamas Khaled Mechâl à Amman, en Jordanie.
Saura-t-on un jour
toute la vérité sur cette mort pour le moins suspecte ? Les récentes
vraies-fausses révélations du NewYork Times et du Haaretz n’aident pas à faire
la lumière sur le problème. Elles brouillent plutôt les pistes.
5. Joha l’Israélien ! par Elias Khoury
in
Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 13 septembre
2005
[traduit de l’arabe par Aziz
Hilal]
Joha occupe une place à part dans la culture
populaire. C’est l’idiot-intelligent qui incarne la sagesse, combat l’autorité
par l’humour et défend la vie en affectant la stupidité. Son histoire, dont
l’origine serait turque, a incarné la relation de l’individu à l’autorité lors
du pouvoir des Janissaires. A cette époque, l’individu ne jouissait d’aucun
droit car la notion de citoyen n’était pas encore née. Ce n’était qu’une simple
victime des puissants. L’émergence de ce personnage narquois aux histoires sans
fin nous dit que le conte ironique est un moyen de résistance parmi d’autres et
que raconter peut être une façon de continuer à vivre. Je ne sais pas pour
quelle raison la littérature arabe ne s’est pas sérieusement penchée sur cette
personnalité extraordinaire.
En effet, non seulement les histoires de Joha se
prêtent à des interprétations multiples, mais elles invitent également le
lecteur à enrichir à sa guise cet intarissable réservoir oral. Avec le
personnage de Saïd le peptimiste, Emile Habibi a su retrouvé l’ambiance de Joha.
Bien plus, il a su inventer un Joha adapté au temps de la Nakba et son roman est
un cri de protestation qui allie l’humour noir à la profondeur tragique.
Mais
ce Joha populaire, qui se moque aussi bien de lui-même que du pouvoir, qui est
la synthèse entre une extrême sagesse et une extrême connaissance, celui dont la
plaisanterie provoque aussi bien l’éclat de rire que la réflexion, ce Joha-là a
cédé la place, dans la culture populaire arabe, à des personnages qui n’ont pas
sa profondeur tragique et restent à la surface des choses , tel Abou Abd le
Beyrouthin, devenu, aux temps de l’occupation israélienne et la domination
syrienne, un moyen de se moquer de soi-même.
Mais Joha demeure parmi nous
même si nous ne lui attribuons aucune place dans notre littérature moderne,
incarnant la capacité du conte à défendre la vie et à ruser avec la mort. Il est
un étonnant mélange d’excentricité, d’intelligence, de naïveté et d’ironie. Il
permet au pauvre de résister au puissant et à l’homme de déconsidérer
l’autorité. L’histoire de « Joha et le juge » en est le meilleur exemple : elle
montre à quel point Joha se moque de la justice au temps du despotisme et de
l’effondrement des valeurs.
On raconte que Joha prit la place du juge afin de
trancher dans un conflit entre un homme et sa femme. Il écouta tout d’abord la
plainte de l’épouse, souvent frappée et humiliée par son mari sans raison. Et
Joha de donner raison à l’épouse. Il écouta ensuite le mari qui se plaignait de
sa femme qui lui désobéissait et ne s’occupait pas de ses enfants. Et Joha de
donner raison au mari également. Là surgit un homme de l’assistance pour dire au
juge qu’il n’était pas logique que les deux pussent avoir raison, sinon la
justice n’aurait plus aucun sens. Joha le juge resta perplexe ne sachant quoi
dire. Puis il trouva la réponse adéquate ; il se tourna alors vers celui qui
l’avait interpellé : « Et toi aussi tu as raison » lui dit-il, avant de quitter
le tribunal.
Les réponses à la Joha surgissent toujours ainsi. Il déploie des
trésors d’ingéniosité pour faire passer l’ironie du « petit » à l’endroit de
l’autorité, transformant ainsi le tragique en comique et brandissant l’arme du
conte contre l’arme de la peur. C’est pourquoi les oeuvres de Joha n’existent
pas, pas plus que Joha lui-même d’ailleurs. Les gens ont crée une œuvre
collective, un personnage populaire et des contes s’enchaînant à
l’infini.
C’est tout naturellement que les pauvres et les persécutés
éprouvent de la sympathie envers Joha et intègrent ses histoires dans un
processus psychique de compensation que la littérature populaire élabore. Mais
que l’occupant, le puissant et l’arrogant viennent à se reconnaître en Joha...
Voilà qui ne peut arriver qu’en Israël.
En effet, avec cette réappropriation
forcé de Joha - qui ressemble plutôt à une plaisanterie usée - les Israéliens
essaient encore et encore de faire passer en douce l’idée que ce sont eux les
victimes. Après avoir volé les falâfels, le taboulé et le homos, ils se mettent
à faire les Joha avec cette plaisanterie éculée concoctée par le gouvernement
israélien en accord avec les rabbins, en nous refaisant le coup du « clou de
Joha » à Gaza après leur déroute pour montrer que les Palestiniens profanent les
lieux de culte juifs « épargnés » par l’armé israélienne de la grande
destruction entreprise dans les colonies de Gaza !
Ce qui est extraordinaire
dans cette histoire, c’est que la synagogue avait été vidée de ses objets de
culte, c’est-à-dire des ustensiles et des livres sacrés, et que la cour suprême
d’Israël avait décidé sa destruction. Malgré cela, le gouvernement a décidé de
ne pas la détruire pour que les Israéliens puissent faire croire que les
Palestiniens profanent leurs lieux sacrés. Selon cette logique, il n’y aurait
par conséquent aucune différence entre le bourreau et la victime et les
synagogues des colonies de Gaza seraient mises sur le même plan que les
centaines de mosquées et d’églises que les Israéliens avaient détruites en 1948
ou transformées en étables et en bars.
Cette fantaisie israélienne digne de
Joha montre surtout l’effondrement de la politique israélienne devant le
fondamentalisme qui envahit la société et le chantage que pratiquent les
religieux au soir des élections israéliennes.
« Le clou de Joha » avec lequel
les Israéliens essaient dangereusement de jouer à Gaza qui, malgré le retrait,
demeure sous occupation effective, est rouillé et ne tient plus. On ne peut pas
déclarer sacrés des bâtiments de colons, construits sur des terres confisquées ;
on ne peut non plus faire de l’expulsion des colons et des occupants de Gaza un
drame humain, lequel drame est devenu un téléfilm, long et ennuyeux.
Cette
mascarade médiatique est pathétique, car ceux qui ont ouvert des sépultures pour
emporter leurs morts avec eux n’ont pas le droit de jouer avec cette histoire de
synagogue, qui plus est complètement vide.
Telle est l’erreur de Charon. Pour
être juste avec l’histoire, il faut dire que cet homme a provoqué un revirement
dramatique en Israël. C’est avec lui qu’avaient commencé les crimes publics
après lesquels on allait rapidement découvrir ceux commis en secret, de Qana à
Sabra et Chatila, et de Jenine à la synagogue de Gaza.
Mais pourquoi, à la
fin de sa vie, le général cherche-t-il à se mettre dans les habits de Joha ?
Cherche-t-il à nous faire rire ? Ou cherche-t-il à montrer que les généraux
israéliens, à court de ruses, se sont mis à faire le Joha, convaincus que le «
le clou de Joha » peut être utilisé par d’autres que les pauvres qui l’ont
fabriqué ?
6. Et que fait Israël des mosquées
? par Meron Benvenisti
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 8
septembre 2005
[traduit de l’hébreu par Michel
Ghys]
Il n’est pas question de mettre en doute la
sincérité des motivations de ceux qui s’opposent à la décision prise par le
gouvernement de démolir les synagogues du Goush Katif. Au nombre de ceux qui ont
élevé la voix contre cette décision, on trouve à la fois ceux qui ont appuyé le
désengagement et ont même proposé de remettre intégralement aux Palestiniens les
maisons du Goush Katif, et face à eux, ceux qui étaient farouchement opposés au
désengagement et qui voient dans le maintien en place des synagogue une
ouverture pour le retour de Juifs à Gaza. A côté de motifs relevant de la loi
rabbinique et interdisant la destruction de « sanctuaires miniatures », on
entend aussi l’argument que la démolition des synagogues apporterait une
légitimité aux antisémites qui méditent la destruction des synagogues devenues
inactives dans des centres juifs anéantis.
Mais à côté de la volonté de
conserver les synagogues, émerge clairement une considération utilitaire et
conjecturale : si la chose est tranchée, mieux vaut que ce soient les
Palestiniens qui les démolissent, et pas les Israéliens, « car alors le monde
entier découvrira leur infamie ». Cette position qui fait porter sur les
Palestiniens la responsabilité du sort des édifices saints s’accompagne de
l’énumération détaillée et documentée de leur attitude scandaleuse à l’égard de
tout ce qui touche à la conservation de ce qui est lieu saint pour les Juifs -
depuis la profanation du cimetière juif du Mont des Oliviers pendant la période
jordanienne jusqu’à l’incendie du Tombeau de Joseph au début de l’Intifada. Et
pour ne pas être accusés d’hypocrisie - car enfin, s’il est effectivement sûr
que les Palestiniens détruiront les synagogues, quel sens y a-t-il à leur
demander d’en prendre la responsabilité ? - les opposants à la démolition
rapportent aussi, à contrecoeur, des « précédents plus encourageants ».
Toute
cette question est débattue, comme d’habitude, entre Israéliens eux-mêmes et
sans considération pour les Palestiniens à qui on veut faire porter la
responsabilité et la faute. La cour suprême ne se contente pas du refus
catégorique des Palestiniens de prendre la responsabilité de veiller sur les
synagogues et elle a, avant-hier, donné instruction au chef du gouvernement
d’envisager de leur demander « officiellement de veiller sur les synagogues ».
Mais là ne s’arrête pas l’unitaléralisme : l’histoire de la lutte pour les lieux
saints n’est pas seulement celle de la guerre des Fils, juifs, de la Lumière
contre les Fils, palestiniens, des Ténèbres, mais celle d’une guerre où les deux
camps ont perpétré des actes barbares à l’encontre de ce qui est sacré pour
l’autre.
Les Palestiniens sont en droit de se demander si le principe qui
interdit de toucher à des lieux saints ne s’applique qu’aux synagogues ou si des
fois il ne s’appliquerait pas aussi aux mosquées et aux églises qui ont été
abandonnées. L’exigence que les Palestiniens - ou une instance internationale -
prennent la responsabilité des synagogues, ne concerne-t-elle pas aussi le
gouvernement israélien à l’égard des mosquées abandonnées qui sont sur son
territoire ? Celui qui s’empresse d’exposer la vilenie des Palestiniens est-il
prêt à étaler aussi le comportement scandaleux d’Israël à l’égard des lieux
saints musulmans ?
Sur environ 140 mosquées des villages abandonnés à la
suite de la guerre de 1948, une centaine a été entièrement démolie. Celles qui
restent, une quarantaine donc, se trouvent dans un état avancé d’abandon et de
dégradation ou bien sont utilisées par les habitants juifs à des usages
auxquelles elles n’étaient pas destinées. Dans un moshav des monts Carmel, se
trouve une mosquée dont la splendeur a laissé des traces encore visibles ; elle
est à l’abandon, ses murs s’effritent et elle est clôturée de fils de fer
barbelé. Les demandes adressées par des réfugiés « présents-absents » pour
pouvoir s’en occuper, ont été rejetées par les autorités. Une grande mosquée au
cœur d’un moshav des montagnes de Judée sert d’entrepôt et de garage pour des
engins agricoles. Comme elles, il y en a encore une vingtaine, menaçant ruine.
En 1997, lorsque des habitants d’un moshav de Galilée occidentale ont eu envie
de « s’élargir », ils ont attaqué au bulldozer, au milieu de la nuit, les
vestiges de la mosquée du village abandonné et l’ont entièrement démolie. Non
loin de là, les autorités refusent d’autoriser la prière dans la vieille mosquée
d’un autre village abandonné, sous prétexte que ce serait « un arrangement
politique, quasiment une colonie et constituerait un précédent pour un accord
donné au retour des réfugiés ».
Plusieurs mosquées servent d’habitation et
d’autres sont employées à des usages commerciaux et culturels. Une mosquée d’un
village abandonné, à l’entrée de la vallée Iron, sert de menuiserie pour un
kibboutz de la Shomer Hatzaïr ; une mosquée dans une localité d’artistes du
Carmel sert en partie de bar et de restaurant ; d’autres mosquées servent de
musées et de galeries. La grande synagogue d’une bourgade proche de Rehovot est
établie dans la mosquée du village abandonné, dont le minaret a été détruit et
dont l’emblème en demi croissant au sommet de sa coupole a été remplacé par une
menora. Et nous n’avons encore rien dit des tombeaux de cheiks, transformés en
tombeaux de saints juifs, comme le « Tombeau de Dan » qui a pris la place de
Cheikh Gharib, un saint homme local, ou le Tombeau de Sit Sakina à Tibériade
devenu miraculeusement le Tombeau de Rachel, l’épouse de Rabbi Akiva. Moins de
40 cimetières musulmans subsistent sur les 150 et plus qu’il y avait dans les
villages abandonnés, et ceux-là même sont à l’état d’abandon et en danger
permanent de destruction de tombes, d’intrusions et d’expropriations.
Le
gouvernement israélien sait pourquoi il n’est pas porté exiger des Palestiniens
la préservation des synagogues. Qu’arriverait-il si les Palestiniens posaient en
contrepartie l’obligation pour le gouvernement israélien de prendre soin des
mosquées qui se dégradent sur son propre territoire ? Et toutes ces âmes
généreuses dont le cœur s’afflige à la perspective de la démolition des
synagogues, élèveront-elles la voix pour sauver les mosquées de Ijzim, Lajjoun
et Ghabbasiyah ? Qu’au moins elles reconnaissent que les émotions soulevées par
la destruction de synagogues abandonnées sont aussi le lot de centaines de
milliers de musulmans israéliens au spectacle de l’anéantissement de leurs biens
sacrés. Peut-être, lorsque tous reconnaîtront que la douleur de la destruction
est universelle, les guerres des lieux saints prendront-elles fin.
7. Leïla Shahid : "Les Israéliens ont atomisé le tissu
social de Gaza" entretien réalisé par Emilie Sueur
in L’Orient-Le
Jour (quotidien libanais) du jeudi 25 août 2005
Au lendemain de
l’évacuation totale des colons de 25 colonies israéliennes, la Déléguée générale
de Palestine en France, Leila Shahid, évoque, dans un entretien avec le journal
libanais L’Orient-le Jour, l’après-retrait israélien.
Le plan de retrait
unilatéral d’Ariel Sharon parachevé, Leila Shahid, déléguée générale de
Palestine en France, revient sur la stratégie du Premier ministre israélien et
tire la sonnette d’alarme quant à ses projets concernant la Cisjordanie. Au
lendemain du retour à Paris du preneur de son français, retenu une semaine
durant en otage à Gaza, elle revient également sur les causes du chaos
sécuritaire qui sévit en ce moment dans ce territoire palestinien.
Alors que
le monde salue le parachèvement du plan Sharon, dont Mme Shahid se félicite
également, la responsable palestinienne tire néanmoins la sonnette d’alarme : «
Le retrait de Gaza n’est qu’un écran de fumée pour cacher l’extension de la
colonisation en Cisjordanie . »
Concernant le chaos sécuritaire qui règne
actuellement dans la bande de Gaza, Mme Shahid en impute la responsabilité à
l’État hébreu et à sa stratégie pernicieuse visant à « atomiser le tissu social
» de cette bande de terre palestinienne.
- Leïla Shahid : « L’évacuation de Gaza est un écran de fumée. Une
semaine...Tel aura été finalement le temps nécessaire aux soldats israéliens
pour mettre fin à 38 ans d’occupation par les colons des terres palestiniennes
de Gaza. »
- Quel bilan tirez-vous de cette opération
?
- L S : « Nous ne pouvons que nous féliciter des bonnes
conditions du déroulement de ce plan qui s’est achevé plus rapidement que prévu.
Ceci est le résultat d’un travail de coopération sécuritaire de fait entre
l’armée israélienne et l’Autorité palestinienne, même si Ariel Sharon continue
de qualifier son plan de “redéploiement unilatéral”. Nous avons en effet déployé
plus de 7 500 policiers car nous pensions qu’il était très important, pour
l’avenir, que ce retrait se fasse dans les meilleures conditions.
»
- Certains ont parlé d’une mise en scène du retrait
israélien.
- L S : « Je pense que le gouvernement israélien a
un peu “gonflé”, avant la mise en œuvre du plan, la menace que posaient les
colons. Mais, si leur réaction a été effectivement ferme et passionnée, les
colons ont très bien compris qu’ils ne pouvaient résister à une décision
entérinée par le gouvernement et par le Parlement. Ils ne souhaitaient pas, en
outre, ternir un peu plus encore leur image au sein de la société
israélienne.
Israël, de son côté, a également profité de l’occasion pour
redorer son blason. Les méthodes employées étaient en effet très différentes de
celles généralement mises en œuvre contre les Palestiniens, confrontés à des
soldats armés de M16 et à des tanks venus raser leurs maisons.
Il n’en
demeure pas moins que, pour les Palestiniens, ce retrait est très positif car
c’est la première fois, en 38 ans, qu’Israël démantèle des colonies. Ce retrait,
sa rapidité et les conditions dans lesquelles il s’est réalisé crée un précédent
prouvant que si la volonté politique est là, les forces d’occupation
israéliennes peuvent rapidement libérer un territoire. »
-
Comment, précisément, expliquez-vous que la volonté politique ait été à l’ordre
du jour ?
- L S : « Pour trois raisons. D’abord, Ariel Sharon a
été contraint de reconnaître qu’il n’y avait pas moyen de gagner militairement
contre les Palestiniens. Depuis le début de la deuxième intifada, nous avons
subi une répression militaire inégalée en 57 ans de pouvoir israélien. Et
pourtant, la résistance militaire et civile s’est poursuivie.
Ensuite, Ariel
Sharon a compris qu’il ne pouvait rester dans cette situation de paralysie
totale. Au sein de sa propre armée, qui devait mobiliser 1 500 soldats pour
protéger les 8 000 colons de Gaza, a commencé à se faire sentir un véritable
ras-le-bol incarné par le mouvement des “refuzniks”. Ensuite, le mouvement pour
la paix en Israël a senti qu’il devait recommencer à s’exprimer. Les États-Unis
se sont également rapprochés des Européens sur la nécessité de revenir à un
processus de paix avec la promotion de la “Feuille de route” en 2003.
D’où
l’élaboration de cette stratégie très intelligente, incarnée par les
déclarations du conseiller d’Ariel Sharon, Dov Weissglass, au Haaretz : réagir
avant que la pression internationale ne devienne trop forte. Pour ne pas être
contraint de mettre en œuvre la “feuille de route”, Ariel Sharon a jeté à la
communauté internationale un os à ronger : le plan unilatéral de retrait. De
quoi plonger le processus de paix dans le formol et empêcher la création d’un
État palestinien viable en annexant Jérusalem-Est et les blocs de colonies de
Cisjordanie, comme l’a dit Weissglass. »
- Précisément, Israël a
ordonné hier la confiscation de nouvelles terres palestiniennes pour ériger une
barrière autour de la plus grande colonie de Cisjordanie, Maalé
Adoumim.
- L S : « Le retrait de Gaza est clairement utilisé
comme un écran de fumée pour cacher l’extension de la colonisation en
Cisjordanie. Avec la poursuite de la construction du mur, qui annexe les trois
blocs de colonies de Ariel, Maalé Adoumim et du Goush Etzion, la Cisjordanie va
être transformée en trois bantoustans et Jérusalem sera annexée à Israël. Ceci
est une négation totale de la “Feuille de route”. Une Feuille de route qui
prévoit notamment le gel de la colonisation. Or une partie des colons de Gaza
évacués la semaine dernière sont partis s’installer dans les colonies de
Cisjordanie. Et on continue de parler de Sharon comme s’il était Charles de
Gaulle ! C’est surréaliste ! »
- En ce qui concerne Gaza, où en
sont les négociations autour des frontières, de l’aéroport, du port...
?
- L S : « Toutes les réunions depuis l’arrivée au pouvoir de
Mahmoud Abbas n’ont rien donné de sérieux sur le plan bilatéral.
Aujourd’hui,
sur Gaza, nous n’avons aucune réponse à nos questions. Ni sur le passage entre
l’Égypte et Rafah, ni sur celui d’Erez vers la Cisjordanie, alors que les
accords d’Oslo prévoient un corridor, ni sur l’aéroport, dont la piste a été
détruite, ni sur l’accès aux zones maritimes. Nous avons seulement repris les
discussions sur le port. Mais tout le monde sait que la construction d’un port
nécessite au moins cinq ans de travaux.
Or Gaza ne recèle aucune ressource
naturelle. Le seul moyen de relancer l’économie est le commerce, ce qui
nécessite une liberté de circulation des capitaux, des biens et des personnes.
Les Israéliens et les Américains ont toujours reporté ces points de discussions
à l’après-retrait. Aujourd’hui, il n’y a plus d’excuses. »
- Quel
est le rôle de la communauté internationale dans ce contexte
?
- L S : « La situation actuelle n’est pas seulement la
conséquence d’un échec des Israéliens et des Palestiniens. La responsabilité de
la communauté internationale est également en cause. Or, les Européens
considèrent toujours Israël comme l’État des survivants du génocide de la
Seconde Guerre mondiale, et les États-Unis comme leur cinquante et unième État.
Ça les paralyse.
Aujourd’hui, toutefois, je sens une prise de conscience au
niveau international du fait que la crise mondiale actuelle qui mène à un tel
radicalisme dans le monde arabo-musulman n’est pas étrangère à la colère des
opinions publiques par rapport à la non-application du droit en Palestine.
Aujourd’hui, la balle est dans le camp du Quartette. »
- Côté
palestinien, nous avons assisté à une série d’affrontements et d’enlèvements,
notamment d’étrangers, dans la bande de Gaza. Comment expliquez-vous cette
situation ?
- L S : « La situation dans la bande de Gaza est
effectivement très inquiétante. Elle résulte de quatre années d’une stratégie
pernicieuse israélienne visant à atomiser la société palestinienne, à fragmenter
le tissu social. Prétextant la nécessité d’empêcher la circulation de kamikazes,
les autorités israéliennes ont érigé des barrages autour des villes, villages et
camps de réfugiés. Si, avant 2001, nous pouvions organiser par exemple des
réunions communes de toutes les branches du Fateh, ceci était devenu impossible
ces dernières années. Résultat : la population s’est repliée sur le plus petit
et le plus rétrograde dénominateur commun, à savoir la famille, le clan.
Dans
une société arabe et majoritairement paysanne, ce phénomène a fait ressortir
tous les démons archaïques du tribalisme et de la vendetta. Et ce d’autant plus
que les infrastructures policières et sécuritaires ont été systématiquement
cassées par les autorités israéliennes. Nous revenons donc à des pratiques qui
avaient disparu de Palestine depuis 40 ans. Il n’est pas aisé de reconstruire
une autorité réelle rapidement, mais nous sommes déterminés à le faire.
»
- Depuis plusieurs semaines, les visites de responsables
palestiniens au Liban se multiplient. Quelle en est la raison
?
- L S : « Au Liban, en raison de l’histoire de la guerre
civile et de l’équilibre des communautés confessionnelles, la situation des
réfugiés palestiniens est absolument tragique. Nous avons toutefois senti,
depuis l’arrivée au pouvoir de Mahmoud Abbas, une volonté de la part des
autorités libanaises d’améliorer la situation. Il ne faut en outre absolument
pas avoir peur d’une installation des réfugiés. Nous ne renoncerons jamais au
droit au retour et à la résolution 194. En attendant, nous devons bénéficier de
droits civiques. Il faut également qu’un interlocuteur palestinien soit désigné
au Liban. »
- Ces visites ne sont-elles pas liées à la résolution
1559 qui prévoit le désarmement des groupes armés au Liban ?
-
L S : « La résolution 1559 n’est pas le centre de tout. Mais typiquement, c’est
pour traiter de ce genre de sujets qu’il faut un représentant officiel
palestinien.
»
8. On dit que Tulkarem a été
libéré par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi
23 mars 2005
[traduit de l'hébreu par Michel
Ghys]
M., 52 ans, est un habitant de Tulkarem. «
Alors, vous voilà libérés ? », s’est-il entendu demander hier matin. « C’est ce
qu’on dit », a-t-il répondu. « Les enfants (les jeunes gens armés du Fatah –
A.H.) circulent en tirant en l’air, pour se convaincre qu’ils ont été libérés.
Si et quand l’armée israélienne veut entrer de nouveau, elle entrera. Qu’est-ce
que ça change pour nous que les soldats sont entrés de nuit et puis sont partis
? Rien. On dit qu’ils enlèvent le barrage d’Anavta, mais on sait par expérience
qu’ils mettront immédiatement un barrage mobile à la place. Et le barrage du
carrefour de Shoufa (à la sortie sud-est de Tulkarem) n’a pas été retiré. La
police palestinienne a toujours circulé en ville, qu’est-ce que ça change pour
nous que leur fusil soit dans la voiture ou à leur épaule ? L’indice de la
liberté, ce n’est pas la présence de policiers ni leurs armes. Quand les
Israéliens comprendront-ils qu’on ne peut pas parler de libération d’une ville
isolée quand toute la Cisjordanie est occupée ? Je me sentirai libre seulement
lorsque je pourrai aller sur ma terre – dont la plus grande partie est barrée
par la clôture de séparation –, lorsqu’il n’y aura plus sur mon chemin aucun
barrage israélien, ni mobile ni fixe, lorsque les colonies auront été évacuées
».
Des photos des policiers palestiniens à l’exercice ont été choisies pour
représenter l’événement insignifiant du changement de polices à Tulkarem. C’est
un héritage de l’époque d’Oslo, quand les Israéliens – encouragés par le show
produit par le mouvement du Fatah – ont vu dans les uniformes des Palestiniens
l’expression suprême du phénomène virtuel de « la fin de l’occupation ». Les
médias israéliens ont reflété les attentes de l’armée israélienne et des
responsables des renseignements, qui voyaient les forces de sécurité
palestiniennes agir à leur manière contre ceux qui auraient l’intention de
frapper des soldats ou des colons en Cisjordanie, et des civils en Israël. C’est
encore leur attente aujourd’hui. En d’autres termes : les Israéliens attendent
une fois encore que l’occupé protège l’occupant. En échange : de très partielles
et très nébuleuses promesses.
Mais supposons que cette attente soit logique,
compte tenu de l’équilibre des forces. Pour réussir dans cette mission, sans se
faire l’instrument d’une oppression civile qui ne susciterait que de la
résistance, la police, dans la mesure où elle représente l’Autorité
palestinienne, se doit de démontrer qu’elle est aussi capable de protéger les
citoyens palestiniens face à la criminalité intérieure et face à
l’occupant.
Même en l’absence d’une autorité fonctionnelle, nous dit M., il
n’y a pas, à Tulkarem, de cambriolages ni de peur d’atteintes aux biens. Il
souligne le fait que, précisément sous l’égide des incursions prolongées de
l’armée israélienne, des cambriolages avaient lieu, mais que des coordinations
entre clans réussissaient à faire revenir les biens volés. Son explication : des
traditions familiales encouragent la solidarité interne et la responsabilité
mutuelle. Tout cela est venu remplacer non seulement les prisons que l’Armée de
Défense d’Israël a détruites mais aussi l’autorité de la Loi : avant septembre
2000, des gens ayant pouvoir, argent et influence, pouvaient porter atteinte à
d’autres (fraude, litiges entre voisins et mainmise sur des terres, par exemple)
tout en parvenant à échapper à la justice et à toute sanction. Autrement dit,
occupation ou pas, il revient à l’Autorité d’entreprendre une réforme sérieuse
du système judiciaire.
A Tulkarem, ces derniers jours, beaucoup plus que de
la relève de la garde, on s’occupe de l’assassinat d’une enfant de 15 ans qui
habitait la ville. Son père l’avait violée et elle s’était rendue à l’hôpital
pour se faire avorter. Les médecins savaient qui étaient le violeur mais ils
l’ont renvoyée chez elle. Quand elle est rentrée, un de ses frères l’a
assassinée. A Bethléem, quelques jours plus tôt, un père a assassiné sa fille
qui avait été violée. D’après le code pénal, héritage jordanien encore, un
assassinat motivé par ce qu’on appelle « l’honneur de la famille » entraîne une
peine de six mois de prison seulement. L’Autorité doit se prononcer contre des
traditions sociales et modifier la loi. Ministère chargé des questions de la
femme, organisations féminines, travailleurs sociaux, police, tous débattent des
moyens permettant de mettre un terme au phénomène des assassinats de femmes,
protégés par la loi et la tradition. Les médias publient des détails qui, dans
le passé, étaient tabous. On peut voir les signes d’une disposition à affronter
le phénomène et non plus à l’enterrer sous l’excuse que « nous sommes sous
occupation ».
Et qu’en est-il de la sécurité de la part de l’occupant ? Il a
déjà été démontré que la police palestinienne, en tant que représentante de
l’Autorité, ne peut offrir aucune protection aux citoyens face aux atteintes des
soldats. Dans le village de Balein, par exemple, les constructeurs de la clôture
de séparation ont déraciné, avant-hier, une soixantaine d’oliviers appartenant
aux habitants. Des camions appartenant à une société israélienne ont chargé les
arbres puis ont disparu avant que les villageois aient eu le temps de les
prendre pour au moins les sauver. Là, la police palestinienne ne sera d’aucun
secours. Elle n’a pas non plus pu protéger les habitants du village de Boudrous
qui sont, en particulier ces derniers jours, exposés aux raids incessants des
soldats qui ont même fait sortir les hommes de leur lit, au milieu de la nuit,
et les ont photographiés. Cela s’est passé, il est vrai, loin de Tulkarem, mais
la crainte de M. est que l’outrage fait à l’Autorité dans des situations
pareilles ne l’affaiblisse aussi dans ses tentatives d’assurer une sécurité
intérieure, dans des situations qui ne dépendent pas de la présence de
l’occupant.
9. Arabes : les mots des maux par
Hichem Ben Yaïche
in Le Quotidien d'Oran (quotidien algérien) du mardi 22
mars 2005
Quel que soit l’angle de vue où l’on se place, il est impossible d’échapper
à ce constat terrifiant : les Arabes ont mal. Un « mal » qu’on va tenter de
comprendre, d’expliquer et d’analyser, à grands traits. Devant l’urgence de la
situation – et sans jouer pour autant la dramatisation à outrance –, j’ai envie
de dire : se rendent-ils vraiment compte de ce qui leur arrive aujourd’hui
? En tout état de cause, ils donnent franchement l’impression d’être dans un
navire sans gouvernail. Inutile de réactiver, dans une énième tentative de fuite
en avant, la théorie de conspiration. Les Arabes doivent faire un sérieux examen
de conscience, se mettre en mouvement, afin d’enrayer la descente aux enfers en
cours. De quoi s’agit-il concrètement ? J’articulerai les réponses à cette
interrogation autour de deux points.
Des décennies
d’immobilismeLes Arabes sont fiers de leur civilisation. Il suffit
de les écouter ou de discuter avec eux pour se rendre compte de ce sentiment qui
imprègne, très souvent, leur discours. Cette fierté est légitime et est
totalement justifiée. Mais les Arabes oublient ou feignent d’oublier qu’ils ne
sont plus, depuis six siècles, les acteurs de l’Histoire. Les raisons qui ont
conduit à cette décadence avaient été répertoriées, méditées et pensées, mais le
dilemme sur le «comment en sortir ?» est toujours d’actualité. Plusieurs
expériences politiques avaient été menées, dans le passé, pour moderniser et
amorcer un processus vertueux de renaissance. Elles ont débouché, pour ainsi
dire, sur le vide. Comment ? Pourquoi ? Que s’est-il passé ?…, les
interrogations sont, encore aujourd’hui, à l’ordre du jour. Ne trouvant pas de
solutions à leurs problèmes existentiels, les Arabes, devant la puissance de
l’impuissance, se sont tournés massivement, ces dernières années, vers la
religion. Une manière de se rassurer et de se protéger contre un monde
incertain, anxiogène, hostile. Mais, là, les régimes politiques arabes portent
une responsabilité majeure dans cette marche… à reculons ! La montée de
l’intégrisme dans les sociétés arabes, ces dernières années, et les violences
qu’il génère, à l’intérieur et à l’extérieur de l’aire arabe va amplifier les
incertitudes et renforcer les courants rétrogrades. Mais ce sont les attentats
du 11 septembre 2001 qui vont confirmer, aux yeux de l’Amérique surtout, et de
l’Occident ensuite, le degré de «dangerosité» d’une certaine «culture islamique»
existant dans le monde arabe. Au-delà des raccourcis développés ici ou là sur ce
sujet, la responsabilité des élites dirigeantes arabes est cependant
considérable ; ces derniers, plutôt gestionnaires que visionnaires, n’ont jamais
su s’attaquer aux blocages réels des sociétés arabes, ni anticiper l’expression
d’un radicalisme religieux prenant de plus en plus la forme d’un nihilisme
dévastateur. Cette situation est, on le sait aujourd’hui, le produit des
atermoiements, des hésitations, et de l’absence de réformes audacieuses, pouvant
conduire cette civilisation à sortir d’une profonde crise structurelle. Des
décennies ont été ainsi gâchées, du temps perdu et, toujours, le retour à la
case départ. Les Arabes doivent apprendre à se regarder en
face…
S'approprier le GMO [Grand
Moyen-Orient]
Depuis 2001, Bush et ses collaborateurs ont un
grand projet à réaliser : démocratiser le monde arabe. Ce dessein est loin
d’être une œuvre philanthropique en direction des Arabes. L’Amérique défend
d’abord ses intérêts stratégiques. Hier, la guerre froide avait fini par venir à
bout de l’Union soviétique et son système communiste, donnant à l’Amérique le
statut de puissance mondiale unique. Aujourd’hui, la guerre mondiale contre le
terrorisme s’accompagne d’une volonté de réformer – et démocratiser – le
monde arabe. Cela a donné naissance au plan le « Grand Moyen-Orient ». Les
dirigeants US partent de cette idée de base : si les Arabes ne se réforment pas
de l’intérieur, nous, Américains, nous allons le leur imposer de l’extérieur.
Depuis quelques semaines, le président américain, en saturant tous les canaux de
communication, voit des réformes partout, en se félicitant de l’avoir initié.
S’il est vrai qu’on observe bel et bien un électrochoc dans cette région, force
est de constater cependant qu’il est prématuré de tirer une quelconque
conclusion quant à la tournure que prendra ce processus.
L’attentisme ne paie
pas. Les Arabes ont tout intérêt à s'approprier le GMO, en faisant travailler
hommes politiques, universitaires, chercheurs, experts, etc., pour retravailler
ce projet et l’adapter à la réalité arabe [1]. C’est la meilleure façon de
prendre le taureau par les cornes, en coupant l’herbe sous les pieds de l’Oncle
Sam, qui joue au maître d’école. La Ligue des Etats arabes – rénovée et
retructurée – pourrait se voir confiée ce genre de mission, mettant ainsi à
terre les accusations d’inutilité. Le temps presse. Les Arabes ont là une
occasion unique de ne plus subir l’Histoire, mais de la conduire. Est-ce un vœu
pieux ?
- NOTE :
[1] On
peut s'appuyer sur des documents qui existent, comme par exemple les rapports du
Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qu'il faut compléter
et approfondir. Un "véto" américain avait empêché le dernier rapport d'être
publié. Un comble ![Hichem Ben
Yaïche peut être contacté à l'adresse suivante : benyaiche@hotmail.com]
10. La tournée de Leïla Shahid dans les
lycées crée la polémique par Marie-Estelle Pech
in Le Figaro du
jeudi 17 mars 2005
Des conférences données dans des
lycées, sur le temps scolaire, par des défenseurs de la cause palestinienne,
avec l'accord du corps enseignant : la tournée de Leïla Shahid dans les
établissements scolaires suscite une vive polémique.
Plusieurs
lycées ont refusé la venue de la représentante de l'Autorité palestinienne en
France, accompagnée du rédacteur en chef du Monde diplomatique et d'une
Israélienne militante d'une organisation pacifiste. Mais d'autres proviseurs
leur ouvrent largement leurs portes pour des «conférences-débats» sur le conflit
israélo-palestinien.
Ainsi, alors qu'elle avait été refoulée d'un
établissement public de la banlieue de Nancy, Leïla Shahid s'est, mardi
après-midi, rabattue sur un lycée professionnel privé catholique ! Après avoir
consulté son rectorat, le proviseur du lycée public s'était, il y a un mois,
opposé à cette venue au nom du «principe de neutralité», inhérent à tout
établissement public. «Ces trois personnes sont fortement marquées sur un plan
politique et soutiennent les mêmes idées. Ce ne pouvait être un débat
contradictoire», explique Pierre-Jean Vergès, le directeur de cabinet du recteur
de Nancy-Metz.
Le recteur d'Aix-Marseille, également sollicité en février par
un proviseur de sa région, a soutenu la même position. «Il y aurait une
contradiction grave à ce qu'un débat soucieux d'apporter la paix crée, par son
existence même, une occasion de conflit interne ou externe à l'établissement
l'accueillant», lui avait-il écrit. Pour ces deux recteurs, Leïla Shahid peut
faire entendre sa voix mais surtout pas dans un établissement scolaire.
Ce
n'est pas l'avis du directeur du lycée privé Claude-Daunot de Nancy, qui a
souhaité recevoir le trio mardi, par souci «d'ouverture d'esprit». Selon
l'équipe pédagogique, la réunion a remporté un «grand succès» auprès des
quatre-vingts élèves «émus et impressionnés». «La volonté de paix était bien
présente. On ne nous a pas présenté le conflit de façon simpliste avec les
méchants et les gentils», assure une enseignante d'histoire qui assistait au
débat, entouré d'une grande discrétion.
Aux lycéens qui lui ont posé des
questions sur la situation des enfants palestiniens ou sur l'Intifada, Leïla
Shahid a cependant expliqué que le conflit était une «lutte politique au même
titre que la lutte nationale de libération de l'Algérie». Bref, «un occupé» face
à «un occupant». «Certes, on n'avait pas de contradicteur», admet du bout des
lèvres l'enseignante.
Les trois intervenants se sont déjà rendus dans
d'autres établissements scolaires. En octobre dernier, ils étaient dans un lycée
public du Havre (Seine-Maritime). Ils devraient aussi se rendre le 20 mai au
lycée Camille-Sée de Colmar (Haut-Rhin). «J'ai dit que j'étais prêt à les
accueillir mais je vais discuter avec le recteur avant de prendre une décision
définitive», indique le proviseur de cet établissement public.
Ces
conférences-débats sont organisées depuis un an et demi dans le cadre d'une
«tournée des banlieues» par l'association des Amis du Monde diplomatique et
soutenue par un collectif de vingt-cinq associations, dont France Palestine
Solidarité ou la Ligue des droits de l'homme. On y traite pêle-mêle des
répercussions en France du conflit israélo-palestinien, de la montée de
l'antisémitisme, du racisme et du communautarisme.
Dominique Francescetti,
secrétaire général des Amis du Monde diplomatique, se défend de tout
prosélytisme : «Nous allons dans des lieux publics ou des lycées, à la rencontre
des jeunes de banlieue qui n'ont pas toujours accès à l'information pour défaire
certaines idées reçues.»
Pour Michel Richard, secrétaire national du Syndicat
national du personnel encadrant de l'Education nationale (SNPDEN), le sujet
reste cependant épineux. «Ce thème est susceptible de provoquer des tensions. Il
est difficile de l'aborder autrement que sous un angle polémique, dit-il. Mieux
vaut maintenir ces débats en dehors des locaux de l'Éducation nationale.»
11. Des munitions pour repousser toute
critique par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du
mercredi 16 mars 2005
[traduit de l'hébreu par
Michel Ghys]
La visite en grand nombre de dirigeants
du monde entier au nouveau musée de l’histoire du génocide juif de Yad Vashem
témoigne de la position de force de l’Etat d’Israël en Occident. Dans leurs
pays, Israël est l’objet de critiques. Beaucoup verront là les signes d’un
antisémitisme sous- jacent ou manifeste. Les Palestiniens et les activistes de
Gauche – dont de nombreux Juifs – découvriront que, dans tous ces pays,
l’information sur l’occupation israélienne est pauvre et très mince l’intérêt
qu’y portent les populations. Le pèlerinage à Jérusalem de si nombreux et si
honorables représentants européens élus montre clairement que la critique ne les
dissuade pas ; ils prennent part à un événement médiatique qu’il est difficile
de ne pas interpréter comme un soutien à l’Etat d’Israël d’aujourd’hui.
Les
plus accommodants interpréteront cette visite comme un encouragement à ce que
les deux côtés s’attachent au « processus de paix renouvelé ». Mais que
s’agit-il d’encourager ? Les rencontres de Mohamed Dahlan et Nasser Youssef avec
Shaul Mofaz, comme il y en a eu et comme il y en aura encore des centaines ? La
clôture de séparation dont la construction se poursuit avec entrain, malgré
l’arrêt du Tribunal de La Haye ? Les « gestes » souverains d’Israël (encore 200
permis de déplacement pour des commerçants, une route ouverte aux véhicules
palestiniens privés et pas aux seuls transports publics), ou bien la poursuite
de l’écrasement de Jérusalem-Est, palestinienne, et sa coupure d’avec le reste
des territoires palestiniens, en violation de l’exigence internationale selon
laquelle Jérusalem-Est sera la capitale de l’Etat palestinien ? Le ministre
allemand des affaires étrangères et les chefs de gouvernement hollandais et
suédois ont-ils l’intention – après s’être signés et avoir démontré qu’ils se
souvenaient du génocide juif – de rappeler à Israël que non seulement les
avant-postes, mais que toutes les colonies sont illégales et d’exiger, dès lors,
qu’Israël les évacue ? Qui parmi les participants à la cérémonie ira voir les
routes-pour-Juifs-uniquement et pour-Palestiniens-uniquement ? L’un quelconque
d’entre eux protestera-t-il contre les Lois qui discriminent des citoyens
israéliens, simplement parce qu’ils sont non-juifs, qu’ils sont arabes, et
fera-t-il peser la menace de sanctions si ces Lois ne sont pas abrogées ?
Une
des absurdités révoltantes de tout crime, a fortiori un crime aux dimensions
inconcevables comme l’industrie allemande de meurtre (avec un large appui
européen), c’est que les victimes et leurs descendants s’en souviennent et le
vivent jour après jour, tandis que ses auteurs le refoule et l’oublie, et qu’il
est facile pour leurs descendants de l’ignorer. Alors : que cette théorie de
diplomates qui se présente aujourd’hui, pleine de sollicitation, à la porte
d’Ariel Sharon, s’en retourne parler chez elle, et pas en Israël, de la
responsabilité européenne dans le génocide juif. Berlin, Paris, Amsterdam,
Cracovie, Sarajevo, et les villages et les forêts aux alentours, sont imprégnés
des souvenirs de nos parents, de l’oubli des responsables et de leurs
descendants, et aussi de la faiblesse et de l’indifférence de ceux qui se
tiennent à l’écart. Que les chefs de gouvernement et les ministres des affaires
étrangères réveillent, là-bas chez eux, le souvenir, la connaissance, la
compréhension historique. Et pas simplement une fois dans l’année, par devoir,
au jour de la libération d’Auschwitz ou de la capitulation de
l’Allemagne.
Nous nous souvenons et nous souffrons jour après jour de cette
extermination, de cet anéantissement ; confrontons-les jour après jour à cette
extermination, à cet anéantissement. Que par exemple, sur chaque maison où
habitaient des Juifs, soit écrit sur une grande plaque de marbre, à quelle
destination ils ont été déportés et où ils ont été assassinés ; que dans chaque
gare d’où sont partis les convois humains, il y ait l’information : quand,
combien de trains par jour, combien de personnes. Que soient écrits les noms des
responsables du convoi : à la police, à la société de chemin de fer, à l’hôtel
de ville.
La lutte contre l’oubli ne se fait pas seulement par des monuments
et des cérémonies. Mais essentiellement par le rejet sans compromis de
l’idéologie des seigneurs, qui partageait le monde entre « races » supérieures
et inférieures. Qui niait le principe de l’égalité entre les êtres humains. Nous
étions placés au bas de l’échelle de ceux qui étaient inférieurs, instaurée par
l’idéologie nazie. Cette idéologie n’eût-elle pas été criminelle si nous avions
été rangés aux échelons supérieurs ?
Une idéologie qui partage le monde entre
ceux qui ont plus de valeur et ceux qui en ont moins, entre supérieurs et
inférieurs, n’a pas besoin d’atteindre les proportions du crime allemand pour
être inacceptable dans son principe. L’apartheid en Afrique du Sud, par exemple.
38 années de domination israélienne sur le peuple palestinien ont habitué des
générations d’Israéliens à penser que les Palestiniens sont inférieurs et qu’ils
ne méritent dès lors pas ce à quoi nous avons droit. Mais il est interdit de
dire cela à voix haute, sous peine d’entendre crier : « qu’allez-vous comparer
là ! ».
Cette visite médiatisée nous enseigne que la destruction des Juifs
d’Europe est devenue un atout entre les mains d’Israël. Nos proches assassinés
sont enrôlés pour qu’Israël puisse continuer de se moquer éperdument des
résolutions internationales contre l’occupation israélienne. Les souffrances
endurées par nos parents dans les ghettos et dans les camps de concentration
dont l’Europe était entièrement couverte, les tourments psychiques et physiques
qui n’ont pas quitté même un jour nos parents depuis la « libération », servent
de munitions pour repousser toute critique internationale portant sur la société
que nous fabriquons ici. Une société où la discrimination sur base nationale est
structurelle, enracinée et répandue des deux côtés de la Ligne Verte. Une
société qui continue de déposséder et d’expulser méthodiquement le peuple
palestinien de sa terre, de le priver de ses droits en tant que peuple et de ses
perspectives d’un avenir humain.
12. Graffitis à Sabra et Chatila par Jalel El
Gharbi
in BabelMed Newsletter N° 32 du mercredi 16 mars 2005
A
peine entré dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila à la périphérie de
Beyrouth, je ressens le besoin d’une langue autre. Il me faut une syntaxe
torturée, des phrases mutilées, une rhétorique et un lexique ourdis de silence,
de colère et de colère silencieuse. A droite se trouve le charnier. Quelques
inscriptions couleur sang sur un fond noir répondent au devoir de mémoire. Le 16
septembre 1982 plus d’un millier de civils palestiniens, chrétiens ou musulmans,
tombent sous les serres de miliciens de la droite libanaise et de soldats
israéliens: ils sont massacrés, torturés, lynchés, suppliciés, charcutés. Les
tueurs sont des hommes de M. Elie Hobeika(3), qui deviendra par la suite
ministre dans le gouvernement libanais et ils ont été entraînés, aguerris et
équipés par M. Ariel Sharon, actuel Premier ministre d’Israël. Certains parmi
les miliciens ont la nausée et se retirent. Les autres, pris dans l’engrenage du
crime, continuent. Ils reprennent des forces en se servant dans les boutiques:
pâtisserie et belles pommes libanaises, chantées jadis par Abu Nawas. Et le
crime se poursuit associant sang et plaisir, rancœur et désir, celui d’en finir
avec ces sous-hommes de Palestiniens. Femmes enceintes éventrés, gamines violées
et hommes empalés. On m’a raconté qu’un milicien, boucher de son état, aurait
conclu qu’il n’y avait pas de différence entre hommes et bêtes d’abattoir et
qu’il suffisait de procéder de la même manière pour accéder aux abats. Les
victimes sont toutes enterrées dans des sacs en plastique offerts par Tsahal. Et
voilà vite remblayées les fosses communes.
A la suite du scandale que fut la
découverte de ce charnier, les témoignages les plus incontestables vinrent en
révéler l’ampleur. Jean Genet(2), l’un des premiers arrivés sur les lieux avec
Leila Shahid l’actuelle déléguée de Palestine en France, témoignent de
l’atrocité des faits. En Israël, la commission Itzhak Kahane(3), que personne ne
peut accuser d’antisémitisme, conclut à la responsabilité personnelle de M.
Ariel Sharon.
On ne sort pas indemne après avoir vu Sabra et Chatila. On en
sort, tout au moins paranoïaque. Ce bon père de famille qui presse le pas pour
que la baguette de pain de ses enfants ne refroidisse pas a peut-être tué. Et
cet autre qui choisit scrupuleusement des pommes. Il y a surtout cet autre qui,
ayant pris une poupée, s’inquiète de savoir de quelle couleur sera le papier
cadeau. Ce n’est pas moi qui m’égare, la question demeure posée: qu’est-ce qui
fait qu’un citoyen paisible se métamorphose en assassin, en insulte à l’humanité
tout entière. Ou encore: qu’est-ce qui fait que l’humanité accepte que
l’anathème soit jeté sur un peuple? Il n’y a pas de réponse. Il suffira de
creuser la question. Et je constate que la poésie est encore possible après Deir
Yassine (massacre commis contre les Palestiniens en 1948) et après Sabra et
Chatila, comme si l’oubli était possible. Et pourtant la beauté de cette jeune
Palestinienne qui entrouvre une fenêtre est encore possible. Serions-nous promis
à l’oubli des laideurs?
La grande rue, celle qui menait à l’hôpital Gaza,
prétend être aujourd’hui une rue commerçante. Que de petites échoppes où
foisonnent des marchandises de toutes sortes venues des pays d’Asie. De la
pacotille qui se vend très bon marché. La clientèle se recrute dans tout
Beyrouth. Je me suis même laissé dire que certains miliciens ayant participé à
la boucherie viennent s’approvisionner ici en électroménager made in Turquie,
made in Taiwan ou made dieu seul sait où. Il y a aussi des marchands aux quatre
saisons: étals disposés avec un art qui contraste avec l’insalubrité ambiante.
Les Palestiniens, surtout les enfants, ont droit à ces produits: ils doivent
seulement attendre la fin du marché pour aller fouiller dans les poubelles ou
dans les décharges : joie de l’enfant qui a trouvé une poupée à laquelle il ne
manque que la tête; joie de l’enfant qui a déniché une tomate bien fraîche et
joie de la chèvre à se délecter d’une salade.
Quelques chèvres. Le bestiaire
de Sabra et Chatila est à étudier. Quelques mulets, des rats, quelques chèvres,
des rats, quelques chats et des rats. Aujourd’hui, le camp se vide. Les
Palestiniens, interdits d’accès à plus de 70 professions ou métiers quittent le
camp: Australie, Etats-Unis (quand ils le peuvent), pays scandinaves. Pour ne
pas faciliter leur implantation définitive, la loi libanaise ne leur accorde ni
le droit de travailler ni des papiers, ni eau, ni électricité, ni voierie. Des
intellectuels libanais, des partis politiques, surtout le puissant Hezbollah,
revendiquent des conditions plus humaines pour les réfugiés.
Il y a de moins
en moins de Palestiniens à Sabra ou à Chatila. Une autre population aussi
indigente tend à les remplacer: des Syriens, des Libanais pauvres, des
Asiatiques… qui très vite prennent le faciès des hommes privés de lumière: il
fait toujours sombre dans les rues des camps.
La misère prend un nouveau
visage, celui d’une profusion de pacotille qui profite à de grands négociants ou
trafiquants qui, eux, ne mettent jamais les pieds à Sabra. Impossible de savoir
qui gère ce commerce.
Dans les «ruelles» du camp, je marche sous une immense
toile d’araignée qui approvisionne les maisons en électricité. Ces maisons de la
promiscuité, du surpeuplement n’ont pas toutes quatre murs et un toit. Nombre
d’entre elles ont en guise de mur ou de toit des draps ou des couvertures ou des
plaques de taule. Il y a ici des représentations des groupes politiques
palestiniens, des marchands de légumes, un médecin et un centre culturel. Les
jeunes qui fréquentent ce centre ont calligraphié des poèmes sur les murs.
J’avoue que j’ai trouvé un plaisir tout aussi immense qu’indécent à lire ces
textes, à voir ce portrait très réussi de Che Guevara, du cheikh Yassine,
assassiné sur son fauteuil roulant à Ramallah, ou ce portrait de Arafat.
Le
camp, cette preuve de la rémanence des crimes contre l’humanité, exhale une
odeur d’égouts à ciel ouvert, près de certains étals de produits de «luxe»,
l’odeur écoeurante des parfums bon marché et des relents de crimes contre
l’humanité. Je n’ai jamais mis les pieds à Auschwitz mais je suis sûr qu’il y
règne la même odeur de crimes. Je me pose surtout cette question: comment nous –
hommes et femmes – pouvons-nous admettre qu’il existe encore des apatrides? Un
moment, je suis tiraillé entre ce désespoir foncier de l’humanité de l’homme et
la foi qu’un peuple qui a donné autant d’artistes, de poètes (je pense surtout à
Darwich), de victimes reviendra un jour chez lui sur les rivages d’Akka.
- NOTES :
[1] Elie Hobeika a
été assassiné le 24 janvier 2002: «quelqu’un» avait intérêt à ce qu’il ne vînt
pas témoigner à Bruxelles.
[2] Genet à Chatila, textes réunis par Jérôme
Hankins, Babel, 1992
[3] Rapport de la commission Kahane, Stock,
1983
13. Les vérités cachées par
Gabriele Polo
in Il Manifesto (quotidien italien) du samedi 12 mars
2005
[traduit de l’italien par
Marie-Ange Patrizio]
(Gabriele Polo est Directeur du quotidien Il
Manifesto.)
Les américains savaient. Ils ne pouvaient pas ignorer la
nature de la mission de Nicola Calipari à Bagdad, le penser signifierait les
prendre pour des imbéciles. Il est vrai que les autorités italiennes n’avaient
pas formalisé aux autorités étasuniennes ce qu’étaient en train de faire les
agents du Sismi arrivés au début de l’après-midi du 4 mars dans la capitale
irakienne : elles n’étaient pas tenues de le faire et elles ne pouvaient pas le
faire parce qu’elles auraient officialisé une mission que les alliés américains
considéraient comme erronée et hostile à leur politique. Ils auraient, en somme,
« contraint » les Usa à arrêter Nicola Calipari à son arrivée à Bagdad, ou
–pire- à intervenir militairement au moment de la libération de Giuliana Sgrena,
en provoquant qui sait quel carnage. Choisir l’informalité –ou le « profil bas
», comme on l’a appelé- pour cette opération était la seule chose possible et
l’Italie, pour cette raison, a demandé aux américains le minimum
nécessaire, une collaboration technique qui, par ailleurs, a été très laborieuse
à obtenir ; ce qui pourrait avoir entraîné les « retards » de la journée et
compliqué les choses. Cependant il est difficile de penser que parmi les deux
mille agents de la Cia (c’est leur nombre à Bagdad), et nous ne savons combien
d’officiers de l’armée étasunienne, personne ne savait que Giuliana allait être
libérée pour ensuite aller à l’aéroport avec deux agents du Sismi. Dans cette
voiture, sur cette route réservée aux diplomates et aux militaires. Penser le
contraire serait faire violence à la « professionnalité » des hommes de la plus
grande puissance du monde. Peut-être ne le saurons-nous jamais avec certitude –
parfois les commissions se constituent pour omettre et les enquêtes se font pour
enterrer une affaire- mais envoyer une patrouilles de petits jeunes armés, sur
une route à la tombée de la nuit, dans un pays en guerre, dans les environs d’un
aéroport, revient à créer les conditions pour donner un cours qui s’est traduit
en un enfer de feu sur l’habitacle d’une voiture de civils ( et non contre le
moteur du véhicule comme il est stipulé dans les futiles règles d’engagement
américaines).
Il y a des ordres qu’il n’est même pas nécessaire de dispenser,
ils sont exécutés « naturellement », surtout dans une situation de guerre
incontrôlée. Au pire, la vraie question à poser est « pourquoi n’a-t-on pas
donné l’ordre de ne pas tirer sur cette voiture ? ». Nous, nous n’en n’avons pas
la preuve, mais nombre de gens savent qu’il en est ainsi, même ceux qui
soutiennent le contraire pour des raisons qui n’ont rien à faire avec la
recherche de la vérité mais beaucoup à voir avec la politique intérieure et
internationale.
C’est pour cela que nous parlons d’ « homicide préventif »,
parfaite continuation sur le terrain des intrigues internationales de la «
guerre préventive ». Cet homicide a été le message clair de ceux qui pensent que
l’ennemi doit simplement être éliminé, qu’il ne peut y avoir de
négociation d’aucune sorte, que la solution doit être toujours et seulement liée
à la force. Et que cette religion doit dicter aussi les relations
politiques, même celles avec les « alliés ». Négocier, par contre, aurait été –
pouvait être si l’issue n’avait pas été sanglante – un acte de paix, une réponse
de la politique à la guerre, un geste de civilisation. Celui qui différenciait,
avant, les démocraties des tyrannies. Mais dans l’abîme de ce 21ème siècle,
c’est le sens même du mot démocratie qui s’est démantelé.
C’est dans ce
climat que la logique de la fermeté refait surface chez nous aussi. Comme à
l’époque du terrorisme intérieur, mais pire qu’alors parce que le contexte est
celui d’un pays occupé par des troupes étrangères, d’une guerre qui continue non
seulement militairement mais politiquement aussi, avec l’exclusion hors de la
vie publique d’une partie –les sunnites-
de la population irakienne. C’est
ainsi que la fermeté ne devient rien autre qu’un acte de subordination à
l’administration de Washington.
Nous préférons une autre fermeté, celle de
Nicola Calipari que nous avons commémoré hier soir au Campidoglio, celle
pacifiste qui se manifestera samedi 19 mars sur de nombreuses places, dans la
journée mondiale contre la guerre, parce que le retrait des troupes d’Irak se
conjugue avec cette autre simple requête : connaître la
vérité.
14. Violées, enlevées, égorgées, l’enfer au carré des
Irakiennes par Anne Sophie Le Mauff
in L'Humanité du samedi 12 mars
2005
La situation des femmes s’est fortement dégradée
depuis la guerre et sous l’occupation américaine. Reportage dans un pays en
proie au chaos et à l’arbitraire des groupes extrémistes et
fondamentalistes.
Bagdad, correspondance particulière - Tabassés, ligotés, les
hommes sont entassés dans un pick-up, visage plaqué contre la tôle. Après leur
avoir asséné quelques coups de pied, les militaires irakiens s’engouffrent dans
la rue Sadoun, une des principales artères de Bagdad, en tirant des rafales de
kalachnikov. La pêche aura été miraculeuse. Une vaste opération menée
conjointement par la police et l’armée irakienne a conduit la semaine passée au
démantèlement d’un réseau terroriste d’envergure. Une dizaine de jeunes femmes,
enlevées puis violées ont été découvertes dans le quartier Betwain, au coeur de
Bagdad, réputé pour abriter des gangs de Soudanais et d’extrémistes arabes.
Selon les autorités, plusieurs d’entre elles auraient été données en pâture aux
kamikazes pour un « avant-goût du paradis », avant d’être exécutées ou égorgées.
Les arrestations ont eu lieu en pleine rue, devant une nuée de badauds
hébétés.
Ces scènes, dignes des plus mauvais westerns, sont devenues le
quotidien des Irakiens. Parmi les victimes de ce conflit armé qui s’éternise,
les femmes, majoritaires dans le pays. Dans une récente étude, Amnesty
International dénonce les violences et les menaces accrues dont elles font
l’objet. L’organisation exige que la nouvelle constitution les protège contre
toutes formes de discriminations. « Plusieurs femmes politiques et militantes
des droits des femmes ont été tuées par des groupes d’opposition armés »,
précise-t-elle, avant d’ajouter qu’après « des décennies de violences, les
femmes méritent un sort meilleur ». Depuis plus d’un an, les actes terroristes
commis par des groupes islamistes sur des femmes ont considérablement augmenté.
Ces violations auraient, - selon diverses associations, atteint leur paroxysme
durant le mois de Ramadan. Le Conseil islamique de - Falouja devait, avant
l’offensive américaine dirigée contre Falouja, édicter une fatwa incitant les
moudjahidin à violer les filles de dix ans avant qu’elles ne le soient par les
Américains.
Mossoul, la ville du nord de l’Irak, est devenue à son tour la
plaque tournante du crime. L’insurrection armée, qui contrôle la cité, y fait
régner la terreur. Les cas de femmes enlevées, violées et exécutées viennent
gonfler les victimes de la guérilla. L’Organisation pour la liberté des femmes
en Irak rapporte que deux d’entre elles, des chrétiennes, ont subi ce sort avant
d’être vendues comme des - esclaves sexuelles. « Ce n’est qu’après quatre jours
de viols sans interruption que ces deux femmes sont parvenues à s’enfuir »,
explique-t-elle. Des exactions, qui touchent un nombre considérable d’étudiantes
vivant en zones rebelles. Dans la province d’Al-Anbar, théâtre de violents
affrontements entre la résistance sunnite et les troupes américaines, des tracts
exhortent les femmes à sortir voilées, à ne pas serrer la main des hommes ou
encore à ne pas les fréquenter.
« Nous vivons un enfer, explique Nidal, une
étudiante en médecine originaire de Ramadi. Plusieurs de mes amies ont cessé
l’université après avoir reçu des menaces de morts. Nous vivons en sursis »,
souligne-t-elle. Certains quartiers de Bagdad subissent aussi la foudre des plus
radicaux. À Adhamia, un des hauts lieux sunnites de la capitale, plusieurs
coiffeurs ou magasins de vêtements pour femmes ont été sommés par des groupes
religieux de cesser d’employer des hommes. Noura, une fonctionnaire, en a été
témoin. « Le phénomène est nouveau mais simple : on vous glisse une lettre sous
la porte en vous menaçant de faire exploser votre commerce ou de vous tuer. Si
en tant que femme vous fréquentez les lieux, vous pouvez être fusillée »,
dit-elle. Écoeurée par la violence, la jeune fille envisage de quitter l’Irak
avec sa famille.
Ces mauvais traitements qui, - selon plusieurs ministres
femmes, « touchent sans - distinction aussi bien les hommes que les femmes » ne
doivent pas rendre invisible « l’amélioration de la condition féminine en Irak
». « Regardez-moi, je porte un voile et je peux conduire. L’Irak n’est pas
l’Arabie saoudite », soutient, sourire aux lèvres, Leila Abdul Latif, ministre
des Affaires sociales. Au sein de la nouvelle Assemblée - nationale, les
Irakiennes - représentent plus de 30 % des députés. La constitution provisoire,
adoptée en mars 2004 par le Conseil de gouvernement, exige que 25 % des sièges
reviennent aux femmes. Un droit qu’elles entendent bien inclure dans la nouvelle
constitution.
« Le droit des femmes va être un des plus gros défis de la
constitution, c’est pourquoi nous travaillons avec des groupes de femmes pour -
former une plate-forme qui représente le point de vue des femmes et influence la
constitution », explique Nesreen Mustafa Berouari, ministre des Travaux publics
et épouse du président irakien. Consciente néanmoins de la radicalisation de la
société irakienne et de l’enfer que - vivent les Irakiennes « d’en bas », elle
affirme craindre - davantage la montée du « conservatisme et du fondamentalisme
» que de « l’islamisme ». Housan Mahmoud, une activiste kurde, ne partage pas
son opinion. Pour elle, les groupes islamistes ont imposé le voile tout en
utilisant la prostitution à leur propre fin. « Actuellement, des mariages de
divertissement sont contractés. Les hommes riches épousent temporairement des
femmes, souvent pour quelques heures, en échange d’argent. Cloisonnées à la
maison et privées de leur indépendance, les femmes sont aujourd’hui confrontées
à une autre forme de misère », dénonce-t-elle.
Après plus de quarante-cinq
années d’oppression politique, Zakya Al Zaidi poursuit sa lutte. Elle est la
plus ancienne militante communiste d’Irak, à la tête elle aussi d’une
organisation féminine, et elle se raccroche à quelques signes positifs de la
situation des femmes. « Leur participation massive aux élections a accru leur
légitimité au sein de la société », croit-elle pouvoir affirmer. Avant d’ajouter
cependant aussitôt : « Il ne faut pas en oublier pour autant la menace des
islamistes qui tentent de contrôler le pays. C’est en mobilisant nos amis à
l’intérieur et à l’extérieur du pays que nous parviendrons à faire baisser cette
fièvre, ennemie de tout progrès. »
Pascale Icho Warda, actuelle ministre de
l’Immigration, se veut, elle aussi, rassurante sur l’avenir des Irakiennes : «
Il n’y a aucune raison d’avoir peur si les principes de la démocratie sont
respectés. L’espoir est dans l’âme du peuple irakien qui veut aller en avant et
changer ! » insiste cette francophone, experte en droit international. Cet
optimisme de bon aloi de ces femmes de « l’élite » ne saurait toutefois faire
oublier la réalité de ces millions d’Irakiennes que dépeint le rapport d’Amnesty
pour qui les conditions de vie depuis la guerre et l’occupation américaine sont
devenues littéralement infernales.
15. Un oiseau ne passera pas par
Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 11 mars
2005
[traduit de l'hébreu par Michel
Ghys]
Ainsi la colonie de Kedoumim a emprisonné le village voisin de
Kadoum.
Même une ambulance ne passe plus sur la route.
Un village emprisonné, Kadoum. 4000 habitants sans issue. Seul un sentier
rocailleux, d’environ quatre kilomètres de long, sert d’issue de secours.
Lorsqu’il pleut, le chemin est impraticable. Lorsqu’il ne pleut pas, on y est
durement secoué. Même par beau temps, seules des voitures hautes sur châssis
peuvent passer.
Femmes sur le point d’accoucher, malades et blessés doivent se traîner en
ambulance sur ce long et rude chemin, parmi les oliveraies, simplement parce que
les officiers armés de la sécurité de Daniella Weiss ne les laissent pas
emprunter la route directe. La honte est visible depuis chaque maison de
Kedoumim et on y vit en paix avec elle. Au cours de ces trois dernières années,
trois Palestiniens malades sont morts en route. Ces dernières semaines, un
nouveau-né malade a été retardé, et puis aussi un enfant blessé à la tête, un
enfant qui avait subi une opération à la jambe et un vieil homme qui avait eu
une attaque et qui est mort. Voilà ce que sont les rapports de voisinage en
Samarie, même en période de trêve, mais cela, on ne l’appelle pas
terrorisme.
La route rapide pour Kadoum : on gare la voiture particulière à Haja et on
monte dans un taxi Transit palestinien qui, aussi accoutumé qu’une jeep aux
chemins de terre, bringuebale sur le chemin qui mène au village. Ils appellent
ce chemin agricole la « Route six », la Trans-israélienne, la Voie courtoise. Il
n’y a pas d’autre chemin vers le monde extérieur. Le village est quasiment vide
de voitures. On ne sait rien faire avec ça ici. C’est un des plus beaux villages
de Samarie, avec sa profusion de vieilles maisons en pierres, et durant la
deuxième Intifada, ça a été un village très calme. Ici aussi le drapeau blanc a
été hissé et il flotte par-dessus cette prison, la prison Kadoum.
Le chef du conseil, Assad Shatiwi, énonce les principaux malheurs : les
terres expropriées et l’interminable siège. Le village avait 21000 dounams,
d’oliveraies et de champs. 7000 dounams ont été expropriés au profit des voisins
de la colonie de Kedoumim qui ne cesse de s’étendre, sautant d’une colline à
l’autre et étranglant Kadoum ; il y a environ 2000 dounams dont les habitants se
tiennent éloignés et qu’ils ne cultivent donc pas, par peur des colons ; 4500
autres dounams sont censés être pris pour la clôture de séparation qui sera
érigée ici. Plus de la moitié des terres du village ne sont donc déjà plus des
terres du village.
Au moment de la récolte, ils n’ont pas pu aller à toute une partie des
oliviers, à cause des voisins déchaînés. Les villageois comptent 3500 oliviers
dont ils n’ont pas récolté les olives cette année ou dont les colons se sont
approprié la récolte. L’armée israélienne n’avait fixé aux villageois qu’un
nombre très limité de jours de récolte, trop peu de jours, et c’était les seuls
où ils étaient autorisés à sortir dans leurs champs. Parfois ils s’y rendaient
furtivement pour gagner une heure ou deux, jusqu’à ce que les colons armés
surgissent et les chassent. Il y a Abou Jihad sur l’étagère de Shatiwi, le chef
du conseil. Daniella Weiss, la collègue de Shatiwi de l’autre côté de la
barrière, a aussi, récemment, chassé à grands cris un groupe de soldats et
d’officiers de l’armée israélienne d’une journée de réflexion qu’ils avaient
pensé organiser à Kedoumim.
La seule route asphaltée qui parte du village passe à la limite de
Kedoumim, longeant les maisons les plus extrêmes mais sans entrer dans la
colonie. Les colons ont dressé deux barrières métalliques sur la route, et la
route est barrée. Des colons armés se tiennent aux barrages ; nous les
rencontrerons encore. L’emprisonnement s’est fait graduellement. Le plan par
étapes des colons a débuté avec l’Intifada, par l’inspection de chaque voiture
qui entrait au village ou en sortait. Seuls les villageois étaient autorisés à
passer. Pas de passage pour des invités. Cela a duré deux mois environ. Ensuite,
les conditions ont empiré et les colons n’ont plus autorisé que les malades, les
étudiants et les employés de l’Autorité travaillant à Naplouse, à sortir du
village par la route. Cette folle liberté à duré encore six mois. Puis les
barrières ont été verrouillés. Cela fait trois ans qu’ils le sont pour les
Palestiniens, en dehors de quelques cas exceptionnels.
N’ayant pas d’autre choix, les villageois ont réparé le chemin agricole qui
mène à leurs champs et qui était destiné aux tracteurs et aux mules. Le chemin
de terre est maintenant la voie royale. Il y a environ deux semaines, un certain
Gilad, de l’Administration civile, est venu à bord d’une jeep, et a décrété que
ce chemin était normal et qu’il suffisait au confort des habitants. Gilad leur a
proposé d’adresser au tribunal leurs éventuelles doléances. Le chef du conseil,
Shatiwi, affirme que même la jeep de Gilad est restée calée en route et qu’il a
fallu le dégager. Il y a 180 étudiants au village. Ils poursuivent leurs études
à Naplouse et Qalqiliya. Il y a aussi 150 employés du village qui travaillent à
Naplouse. Ils se traînent maintenant chaque jour sur une distance double de la
distance habituelle, et parmi les pierres. Le nouveau prix de la course avec le
Transit : 20 shekels au lieu de 5. Quand le chemin parmi les champs était boueux
et ses ornières remplies d’eau, ils sont restés chez eux.
Mais le vrai problème est celui des malades. Le chef du conseil dit que
trois habitants sont morts ces dernières années à cause du chemin qui s’est
allongé pour aller à l’hôpital. Que faire d’un enfant qui s’est blessé, d’un
vieillard qui a une attaque pendant la nuit ou d’une femme enceinte qui commence
à avoir des contractions ? Majd Shatiwi est le chauffeur de l’ambulance du
village. Il se souvient de tous les cas graves. Le 14 janvier, les fils de
Mahmoud Da’as, un homme de 72 ans, se sont réveillés au milieu de la nuit pour
découvrir que leur père avait perdu connaissance. Ils ont alerté le médecin du
village qui a déterminé qu’il s’agissait d’un accident cérébral et qu’il fallait
transférer d’urgence le malade à l’hôpital. Chaque minute était critique. Les
fils ont appelé Majd avec son ambulance qui ne dispose pas d’un équipement de
réanimation. L’état du malade se dégradait rapidement. Son pouls n’était déjà
plus régulier. Majd s’est mis en route vers la barrière métallique mais le garde
qui s’y trouvait ne l’a pas laissé passer. Il a tenté de lui expliquer qu’il
transportait un malade sur le point de mourir dans l’ambulance mais le garde lui
a expliqué que c’était une route militaire et qu’il n’y avait pas de passage
pour les Palestiniens. Les supplications n’ont servi à rien et Majd a été obligé
d’emprunter le chemin de terre sur lequel son ambulance ne peut avancer qu’avec
beaucoup de difficultés, d’ornière en ornière. Quand ils sont arrivés, le
médecin a constaté le décès du malade. Un fils du défunt, Mohamed, fait le récit
de cette nuit-là, le visage fermé.
Rawda Abdel Rahman, 60 ans, a eu plus de chance, elle. Il y a deux semaines
environ, elle aussi a eu une attaque, mais c’était pendant les jours de pluie,
quand le chemin au milieu des champs était totalement impraticable, et les
colons, compatissants, ont alors autorisé pendant quelques jours le passage par
la route. En 16 minutes, l’ambulance de Majd est arrivée à l’hôpital
gouvernemental de Naplouse et la malade a eu la vie sauve. Mais les portes de la
miséricorde n’ont été ouvertes que quelques jours.
Un enfant, Sari Shatiwi, a eu moins de chance. Agé de six ans, il a été
blessé, le 15 février, d’une pierre à la tête. Sari saignait et il a perdu
connaissance. Majd, le chauffeur, l’a emmené dare-dare dans son ambulance
jusqu’à la barrière de la charité de la colonie mais le colon armé qui y était a
refusé de les laisser passer. Un quart d’heure s’est passé en vaines
supplications. L’état de l’enfant qui perdait son sang dans l’ambulance,
s’aggravait. A la barrière, se trouvait Dani, un colon, la terreur des
villageois. Nous reviendrons encore à lui. « Ça m’est égal. Contactez l’armée »,
a dit Dani au père de Sari. Ce n’est qu’après la venue de l’armée que l’enfant a
été autorisé à passer. A l’hôpital Rafidiya de Naplouse, on a diagnostiqué une
fracture du crâne. Nous avons rencontré Sari, cette semaine, juché sur les
épaules de son oncle. Il n’est pas encore retourné pleinement à l’école, mais
seulement pour quelques heures par jour. Les marques de sa blessure sont encore
visibles.
Un bébé, Rajd Ousama, avait deux semaines quand ses parents ont découvert
qu’elle bleuissait, qu’elle vomissait et qu’elle avait la diarrhée. Les parents,
paniqués, se sont dépêchés d’appeler Majd qui était alors à Naplouse avec un
autre malade. C’était il y a trois semaines environ. Il s’est empressé de
revenir au village et, en cours de route, il a contacté la Direction
palestinienne de coordination et de liaison afin qu’elle coordonne le passage de
l’ambulance à la barrière, avec la Direction de coordination et de liaison de
l’armée israélienne afin que celle-ci coordonne le passage avec les colons. Mais
lorsque l’ambulance est arrivée à la barrière métallique, elle a de nouveau dû
attendre près d’un quart d’heure, malgré les explications adressées au garde
qu’il s’agissait d’une urgence, jusqu’à ce qu’une patrouille de l’armée
israélienne arrive sur place et autorise le passage. La petite Rajd est arrivée
à Naplouse en état de mort cérébrale et elle est, encore aujourd’hui,
hospitalisée dans le département des soins intensifs. Majd se loue d’avoir eu la
présence d’esprit de contacter la Direction de coordination et de liaison alors
qu’il était encore en route et d’avoir ainsi gagné un temps précieux.
Le lendemain de l’incident avec le bébé, Majd a été appelé pour ramener un
enfant de sept ans et demi, Nihad Hamzi, de l’hôpital de Naplouse chez lui, au
village. Hamzi est né avec une jambe plus courte que l’autre de 10 centimètres
et il avait été opéré à Naplouse. C’était le soir, aux alentours de neuf heures.
Majd voulait éviter à l’enfant, après son opération, les cahots du chemin
rocailleux. Il a tenté de coordonner le passage par l’intermédiaire de la
Direction de coordination et de liaison, mais la Direction israélienne de
coordination et de liaison n’a pas donné son accord. Il a proposé d’amener
l’enfant dans les bureaux de la Direction de coordination et de liaison pour
leur montrer qu’il sortait d’une opération à la jambe, mais en vain. « Un oiseau
ne passera pas à neuf heures du soir », ont-ils dit à Majd. N’ayant pas le
choix, il a transporté l’enfant par le chemin rocailleux, un quart d’heure de
rudes secousses, après une opération. Maintenant Nihad est étendu dans le lit de
ses parents, dans la vieille maison de pierres de la famille et il répand son
charmant sourire. Sa jambe est encore pansée sur toute sa longueur et il n’est
pas autorisé à descendre du lit.
Les femmes sur le point d’accoucher, Majd les emmène toujours par le chemin
rocailleux pour ne pas perdre de temps. A Kadoum, il y a environ 80 naissances
par an, et toutes après être passé par le chemin rocailleux. Le trajet qui
devrait ne prendre qu’un quart d’heure dure environ 45 minutes. Pour Naplouse,
il faut encore passer par un barrage fixe, à Beit Iba ou à Hawara, et deux ou
trois barrages inopinés qu’on rencontre toujours en route. L’entrée à Naplouse
est actuellement autorisée, à pied seulement, aux habitants ayant plus de 25
ans. Allègements : avant qu’Abou Mazen n’accède au pouvoir, le droit exorbitant
de pouvoir entrer à Naplouse était le privilège de ceux qui avaient 35 ans et
plus.
Nous roulons dans l’ambulance en direction de la première barrière
métallique. Une barrière blanche, actionnée à la main, et un colon armé qui
sort, l’air indifférent, et ne demande rien. La barrière reste fermée. Ensuite,
nous sommes allés en ambulance sur le chemin de terre, secoués d’un côté à
l’autre. Il y a des endroits où l’ambulance est obligée de s’arrêter presque,
pour franchir le lit d’un torrent ou un trou profond. Même à vitesse nulle, le
corps est battu, à droite, à gauche, en avant, en arrière. Quand nous nous
sommes approchés de la seconde barrière, de l’autre côté de Kedoumim, nos
accompagnateurs palestiniens se sont empressés de quitter les lieux : le garde
Dany, leur terreur, était là, à la barrière.
De la guérite est sorti un colon plus tout jeune, avec un fusil, un accent
américain, qui est très vite passé des paroles à la violence, jetant des objets
hors de notre voiture. Dany a immédiatement rameuté, avec son appareil de
liaison, la brigade de gardes de la colonie, une collection de gaillards armés
de la tête aux pieds, de revolvers et de fusils, surgis en un clin d’œil à bord
de pick-up japonais flambant neufs. « C’est pas chez vous ici », ont aboyé les
brutes, menaçant d’alerter la police qui s’occupera vite fait des envahisseurs
de Tel Aviv.
16. Jamais elle ne sera achevée
par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 9 mars
2005
[traduit de l'hébreu par
Michel Ghys]
Des milliers d’hommes battent leur femme, d’une manière régulière ; tous
les quelques jours ou toutes les quelques semaines, un homme assassine sa femme
; des hommes assassinent des prostituées, des hommes réduisent des femmes à un
esclavage sexuel, les violent, les harcèlent sur les lieux de travail, sur la
plage, dans la rue. Des hommes, parce qu’ils contrôlent les centres du pouvoir,
établissent la discrimination économique des femmes dans la société.
Mais alors, théoriquement, la moitié féminine de la population est menacée
par beaucoup de ceux qui appartiennent à la moitié masculine. Pourtant il ne
viendra à l’idée de personne de proposer qu’on impose, la nuit, le couvre-feu
aux hommes lorsque, par exemple, un violeur en série court les rues ; personne
n’a osé proposer, par exemple, que tout homme signe un engagement de
non-violence à l’égard de sa conjointe, engagement dont la violation
entraînerait une peine de prison ou une suspension de son travail. On ne verrait
pas d’un meilleur œil la proposition fantaisiste de placer tous les hommes en
détention préventive ou d’instaurer des classes d’études destinées à tous les
hommes et où ceux-ci tenteraient d’extirper de leur conscience leur rapport aux
femmes comme à une propriété privée.
Les moyens choisis pour contrer une atteinte violente visant des civils
sont fonction de la place respective occupée dans la société par ceux qui sont
menacés et par ceux qui menacent, ils sont fonction de l’avenir que la société
et ceux qui concentrent le pouvoir et qui prennent les décisions octroient à
ceux qui menacent et à ceux qui sont menacés. La décision qui établit à partir
de quel moment une menace – physique, économique, psychologique – sur un grand
nombre de particuliers semblables au sein de la société cesse d’être
individuelle mais devient stratégique, c’est-à-dire sape les fondements de
l’existence, cette décision est politique, elle n’est pas une science exacte.
C’est de cette décision que dérive la qualité des moyens de prévention et de
lutte.
Dans l’ambiance créée au sein du public, en Israël, au cours de l’année
2001, les attentats-suicides des Palestiniens ont été perçus comme un danger
stratégique. La peur de chacun pris individuellement allait de soi. Le fait que
la peur était alimentée par l’ignorance et par la volonté délibérée de ne pas
voir et de refouler la violence de l’occupation israélienne, n’abolit pas sa
réalité. Mais les décideurs de la politique israélienne ont manipulé et
continuent de manipuler la peur. Ils ont présenté la menace réelle qui pesait
sur les civils israéliens comme une menace stratégique pesant sur l’existence
même de l’Etat. Ils ont profité du sentiment d’inquiétude individuelle justifiée
de beaucoup de citoyens pour promouvoir leur solution au problème de la peur et
de la menace : la clôture de séparation. Ils se sont appuyés sur le consensus de
la peur créé par les attentats terroristes à l’intérieur d’Israël, pour
présenter la clôture, avec son tracé envahissant et rapace, comme l’unique
solution hors de laquelle il n’est rien. Mais le choix du moyen et du tracé
s’est fait non pas en fonction de la menace réelle mais d’après les projets
immobiliers et politiques d’Israël.
La construction de la clôture de séparation se réalise dans ce langage de
la domination qui s’est façonné chez nous depuis 1947 et qui n’a pas été changé
même pendant les années de négociations politiques de la fin du 20e siècle. La
propagande part de la victime, de celui qui est attaqué et à qui tout est permis
pour se protéger. Il n’y a aucun lien entre, d’une part, le sentiment subjectif
de la victime et, d’autre part, la puissance objective – militaire – et le
solide statut international d’Israël. Le tracé – avec ou sans le cachet de
cachrout de la Cour suprême – montre de manière transparente les intentions
d’annexion (et d’une annexion qui ne lambine pas), qu’il promeut et qui ne se
sont pas arrêtées en 1994, avec l’accord d’Oslo, mais ont été accélérées.
De même qu’Israël a dépossédé les Arabes d’Israël de leurs terres au profit
des Juifs et les empêche d’accéder à des terres déclarées terres d’Etat, de même
qu’Israël a dépossédé les habitants palestiniens de Cisjordanie des terres de la
collectivité devenues synonymes de terres pour colons juifs, Israël porte un
coup mortel à la terre privée et collective palestinienne tout le long de la
clôture. Tout le processus de construction et d’arrachage et de destruction
d’arbres, de plantations, de serres, de puits, combine insolence et mépris pour
qui n’est pas juif et pour la position internationale – et cela, dans le cadre
d’un programme directeur de base, à la fois déclaré et secret, de dépossession.
Au milieu de tout le nectar doucereux qui dégouline du verbiage militaire
concernant les « passages humanitaires », Israël transforme les zones
palestiniennes florissantes en désert, retournement cynique de l’ancien
mensonge. Au milieu de tout ce qui se dit sur son caractère « temporaire », la
clôture fixe la frontière entre Israël et un Etat d’enclos, et entre les enclos
et les colonies.
La clôture est construite et elle détruit avec entrain. Mais jamais la
clôture ne sera achevée : parce que même après la fin de sa construction, elle
perpétuera la politique de l’annexion, de la dépossession, de l’isolement. Elle
continuera d’amener des catastrophes autour d’elle. Et on en revient une fois
encore à la rengaine – ce qui ne la rend pas caduque, en particulier en ces
temps de discussions sur le départ de l’armée israélienne de telle ville ou de
telle autre : parfois, les Palestiniens donnent l’impression qu’ils se sont
habitués et adaptés et qu’ils ont accepté le diktat de la dépossession. Mais
après une période d’accoutumance, la dépossession continuelle et l’amertume
engendrent une nouvelle période d’insurrection, qui elle engendre des «
solutions » israéliennes toujours plus souveraines, qui éloignent toujours plus
tout espoir d’un accord de paix loyal dans la région.
17. De l’arabisation à l’internationalisation
par Samir Sobh
in La Gazette du Maroc (hebdomadaire marocain) du lundi 7 mars
2005
Liban acte II
Dans son discours très attendu qui n’a pas duré d’une heure, le président
syrien, Bachar al-Assad, a annoncé le retrait total de ses troupes vers la
région de la Békaâ en premier temps, pour se replier à l’intérieur des
frontières syriennes dans une deuxième phase. Ainsi, la Syrie aurait appliqué
les termes des accords de Taëf et le volet le concernant de la résolution 1559
du Conseil de sécurité. La balle est, dès à présent, dans le camp des Libanais
qui, jusqu’ici restent divisés.
Bachar al-Assad
A Beyrouth comme à Damas ou
encore à Paris et Washington, les analystes étaient quasi-certains que le
président syrien allait prendre une décision qui participe à l’atténuation des
pressions exceptionnelles qui sont exercées sur lui depuis l’assassinat de
l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Une décision que le chef de
l’Etat syrien n’a prise, d’une part, qu’après une visite éclair en Arabie
Saoudite et, de l’autre, après avoir dépêché l’étoile montante de la diplomatie
syrienne, l’ambassadeur, Walid al-Mouallem, à Moscou.
A la veille de ce
discours pointu, ciblé, plein de messages à qui de droit, au Liban tout comme en
direction du monde arabe, le président américain, George Bush a anticipé sur
l’événement en déclarant que "le retrait total syrien est demandé avant les
élections législatives du mois de mai au Liban" et d’affirmer : “qu’il ne serait
pas négociable”. Maintenant, après cette annonce du haut de la tribune du
Parlement syrien à travers lequel Bachar al-Assad a associé son peuple à cette
délicate décision, la Syrie sera, selon ce dernier, plus libre quant à la
manière de traiter avec le pays du Cèdre. Toutefois, force est de souligner que
ce retrait militaire du Liban ne peut en aucun cas se traduire par l’absence du
rôle de Damas. Fatalité géographique exige.
"Le retrait renforcera sans
doute les intérêts syriens et non le contraire" a indiqué une demi-heure après
le discours à La Gazette du Maroc, le vice-président syrien, Abdelhalim Khaddam
et de poursuivre: "Nous aurons désormais plus de temps pour s’occuper de notre
situation interne". Quoi qu’il en soit, le jeune Bachar al-Assad a montré une
maturité remarquable en faisant une autocritique à l’égard des erreurs commises
par les représentants de son pays au Liban. Pis, en affirmant que faire la
lumière sur l’assassinat de Rafic Hariri est une "nécessité syrienne", il aurait
ainsi pris un engagement envers la communauté sunnite libanaise. Cette dernière,
quel que soit le degré de son amertume, ne peut se ranger aux côtés des ennemis
de la Syrie.
Autre fait marquant de ce discours, la révélation faite par le
président syrien concernant les dessous de la résolution 1559 qui comprend, à
part le retrait en question et la démilitarisation du Hezbollah, l’implantation
définitive d’environ 400 000 palestiniens au Liban et l’imposition à nouveau de
l’accord du 17 mai. Ce dernier, stipulant la mise en place des mécanismes
aboutissant à la signature d’un traité de paix imposé avec l’Etat hébreu. Ces
deux points sont capables de déstabiliser le Liban et briser toute stabilité
dans l’avenir.
Prix de la "Fatalité géographique"
Si
les médias occidentaux et certains médias arabes présentent ce qui se passe
actuellement au Liban comme étant une "révolution du printemps", semblable à
celle de l’Ukraine, ils se trompent sans doute. Car, finalement, les Libanais,
au moins la majorité d’entre eux, n’acceptent jamais de remplacer une "tutelle"
par un "mandat indirect" même s’il porte la casquette de l’Onu. Les équilibres
sont tellement délicats au point que le moindre faux pas dans le traitement de
la situation pourrait faire sauter à nouveau la baraque. De ce fait, le
principal leader de l’opposition, le druze Walid Joumblat, en visite samedi
dernier en Arabie saoudite, n’a pas tardé à commenter le discours de Bachar
al-Assad le qualifiant d’objectif ; en ajoutant qu’il était prêt à se rendre à
Damas. Pis, il a passé un message très clair selon lequel il serait prêt à
combattre une deuxième fois, aux côtés de Damas, toute tentative visant à faire
renaître l’accord du 17 mai 1983 de ses cendres.
La balle est désormais dans
le camp des Libanais. Ces derniers, toutes tendances confondues, n’ont aucune
vision d’avenir jusqu’ici. Ils attendent les initiatives promises de l’Arabie
Saoudite et de l’Egypte pour les aider à former un gouvernement d’union
nationale dans lequel participeront tous les chefs de clans politiques et
religieux. Une tâche qui s’annonce d’ores et déjà difficile si Damas s’abstient
à donner un coup de main.
Parallèlement, le State department étudie, à
l’heure actuelle, l’augmentation du nombre des forces de la Finul basées au Sud
Liban afin qu’elles puissent se répartir sur le reste des territoires libanais
en remplacement des troupes syriennes qui se seraient retirées avant le mois de
mai. Lors de son passage jeudi dernier à Paris et sa rencontre avec le président
français, Jacques Chirac, le ministre qatari des Affaires étrangères, Jassem ben
Hamad ben Jabr Al-Thani, a laissé entendre qu’un plan dans ce sens est encore en
concertation entre la France et d’autres pays et de préciser qu’aucune décision
finale n’a été prise jusqu’ici.
Les observateurs estiment qu’il serait quasi
impossible pour les forces de la Finul (formée actuellement de 2000 soldats),
même si leur nombre atteindrait les 15000, ce qui est exclu, de contrôler un
pays assez complexe comme le Liban. Les sages dans toutes les communautés
conseillent les opposants de compter jusqu’à mille avant de pousser la Syrie
dans le camp adverse, rappelant l’importance de la fatalité géographique, les
liens historiques, culturels et familiaux avec le puissant voisin. Ce dernier,
qui jusqu’à cette date refuse d’instaurer des relations diplomatiques.
Même
si Damas a été forcée de retirer ses troupes du Liban au-delà des frontières,
son influence restera assez considérable. La raison est très simple : la région
frontalière de la Bekaâ est à 90% pro-syrienne, également le Liban Nord. Ce qui
représente déjà un peu moins de la moitié de la population libanaise. Autre
facteur assez significatif qui joue historiquement en faveur de la Syrie, les
relations économiques, commerciales et financières existantes entre les deux
pays. A cet égard, les milieux bancaires libanais commencent à paniquer de peur
que le gouvernement syrien ne donne ses consignes aux hommes d’affaires, aux
commerçants et aux investisseurs, de retirer leurs dépôts des établissements
beyrouthins. A la veille du discours de Bachar al-Assad, le président des
Chambres de commerce de Syrie, Rateb al-Challah, a déclaré que les dépôts
syriens auprès des banques libanaises dépassent les 10 milliards de $. Une sorte
de menace masquée qui a perturbé le marché monétaire et obligé la Banque
centrale d’intervenir pour soutenir la livre libanaise attaquée. Autre signe
inquiétant, la fuite de milliers d’ouvriers syriens après avoir été attaqués par
des manifestants. Ce qui a gelé 70% des activités des secteurs de l’immobilier,
de l’agriculture et des petites industries.
Cela dit, Damas a, entre les
mains, beaucoup de cartes à jouer le moment opportun, en plus de la principale :
la fermeture des frontières au cas où une crise s’installerait entre les deux
pays. Les Libanais, notamment les plus avertis, se rappellent bien les
conséquences d’une telle situation sur l’économie de leur pays. De ce fait, ils
doivent faire de leur mieux pour éviter ce clash qui ne sera pas certainement en
leur faveur.
En acceptant d’appliquer les accords de Taëf et d’ "abdiquer"
en faveur de la résolution 1559, les Syriens veulent laisser passer la tempête
en attendant des jours meilleurs ; et de miser sur le facteur temps, notamment
en ce qui concerne le Liban qui ne sortira sûrement pas facilement de la rude
épreuve après l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri. En
déclarant au Parlement qu’il "serait inconcevable de dire que nous ne voulons
pas coopérer avec les Etats-Unis et de ramer contre le courant d’une opinion
publique internationale", Bachar al-Assad aurait ainsi dégoupillé la bombe qui
visait son régime. Après tout l’habileté des Omayyades de Damas est réputée pour
être plus efficace de la bravoure des Abbassides de Baghdad. De plus, les
dirigeants syriens sont conscients que ni les Etats-Unis ni Washington ne
s’arrêteront là. Ils veulent aller beaucoup plus jusqu’à déstabiliser leur
régime voire le changer. C’est pour cette raison qu’ils ont mis, bien avant le
repli vers l’intérieur, le paquet dans le domaine de la préparation des réformes
politique et socio-économique. Le président syrien l’a d’ailleurs mentionné à la
fin de son discours en promettant que le prochain congrès du Parti Baas
apportera des surprises de taille.
Un avenir gris
Parce qu’il est certain que le système
arabe a perdu depuis longtemps sa capacité à gérer les crises, à commencer par
la question palestinienne, le Sahara marocain, en passant par les guerres d’Irak
et le Soudan, Bachar al-Assad a fini par céder aux conditions des Occidentaux.
"Il a préféré la pression des grands à celle des intermédiaires arabes", nous
disait samedi soir, le poète palestinien, Mahmoud Darwiche. Plusieurs indices
montrent la décadence des Arabes. D’où leur incapacité et incompétence à gérer
le dossier libanais et faire sortir ce pays du goulot d’étranglement dans lequel
il se trouve actuellement. En effet, la Troïka, formée de Riyad , du Caire et de
Damas, ne constitue plus comme avant un pôle d’attraction qui avait l’habitude
de faire éviter les dérapages et les crises. Pis, ces trois pays sont sujets à
des pressions américaines sans précédent qui les obligent à faire des
concessions en permanence aussi bien sur le plan externe qu’interne. Dans
foulée, Damas n’a pas encore digéré le vote de l’Algérie, ce pays arabe qui
présidera le sommet dans moins de deux semaines, en faveur du communiqué
présidentiel de Kofi Annan concernant la résolution 1559.
Tous ces éléments
et bien d’autres rendent les Libanais et les Arabes de plus en plus pessimistes
quant à l’avenir du Liban. Ce, malgré les images d’euphorie et les déclarations
des chefs de clans libanais transmises chaleureusement par les médias du monde
entier. Si l’émergence d’une troisième force politique au Liban ne se réalise
pas rapidement, la confrontation entre les opposants et les loyalistes au
président, Emile Lahoud et, de là à la Syrie sera alors inévitable. Et un
éventuel retour à la guerre civile sera une forte probabilité. Les efforts
déployés actuellement par l’ancien Premier ministre, Salim Hoss, sont toujours
contrecarrés. En attendant le vide constitutionnel est de mise et la situation
socio-économique devient de plus en plus alarmante, en l’absence de la garantie
qui s’appelait Rafic Hariri. Le passage de l’arabisation à
l’internationalisation de la crise libanaise ne semble pas combler tout ce vide.
18. Le coût caché de la politique israélienne
d'occupation par Chris McGreal
in The Guardian (quotidien
britannique) du vendredi 25 février 2005
[traduit de l'anglais par
l'AFPS]
Les Israéliens paient un prix social et
économique élevé - rarement admis - pour une occupation de près de dix ans,
affirme un rapport commandé par OXFAM [1] et publié
aujourd'hui.
Le rapport affirme que les dépenses militaires, le
coût de la construction des colonies juives à des fins d'appropriation de la
terre des Palestiniens, l'effondrement du tourisme et d'autres entreprises à
cause des deux intifadas ont miné l'économie et accru la pauvreté dans des
proportions considérables.
Le rapport émanant du Centre Adva de Tel Aviv,
qui suit les tendances sociales et économiques, conclut que les conséquences en
sont plus profondes, biaisant la politique israélienne et créant une société
encore plus divisée.
On y lit : "La seconde Intifada a frappé durement
Israël, provoquant un arrêt de la croissance économique, un abaissement du
niveau de vie, une détérioration des services sociaux, un affaiblissement des
aides et protections sociales ainsi qu'un accroissement et une aggravation de la
pauvreté."
"Ce prix … place les 37 années d'occupation dans une perspective
radicalement nouvelle." L'occupation qui a provoqué la mort de 4 000 personnes
des deux côtés, a en outre entraîné une instabilité de plus d'une décennie,
incluant la chute de cinq gouvernements et l'assassinat de Yitzak Rabin.
Au
cours des vingt premières années qui suivirent l'occupation de la Cisjordanie
par Israël, le coût fut relativement modique. Les Territoires Occupés étaient
contrôlés par un petit nombre de soldats et le gouvernement faisait un minimum
d'investissements dans les zones palestiniennes.
Israël bénéficiait d'un
marché captif pour ses marchandises et d'une main d'œuvre exploitée. De fait, le
gouvernement forçait les Palestiniens à subventionner l'occupation en prélevant
sur eux 250 millions de dollars [2] de contributions pour la sécurité sociale
alors qu'il les empêchait de bénéficier de pensions de retraites et
d'allocations familiales.
Mais Israël a effectivement dépensé des milliards
de livres sterling pour construire des colonies qui, selon le rapport, imposent
une charge économique énorme en termes de subventions et de défense. Le coût est
difficile à chiffrer, en partie parce que le budget du Ministère de la Défense
est secret. Mais depuis 1967 le gouvernement a ajouté 6,5 milliards de dollars à
ses dépenses militaires ordinaires en raison « d'évènements dans les Territoires
».
« C'est de l'argent qui a été détourné du programme social interne », dit
l'auteur, Shlomo Swirski.
Il y a deux coûts principaux. Le premier est tout
simplement le coût économique, en particulier la baisse de PIB résultant des
pertes subies par le tourisme, etc. Le second est plus important, parce qu'il
est à long terme. C'est l'abandon de l'objectif visant à édifier une société où
la majorité de la population appartiendrait aux classes moyennes.
Le coût de
la dernière Intifada a été particulièrement élevé. L'économie est passée d'un
taux de croissance de 8% en 2000 à un taux avoisinant à peine 1% trois ans plus
tard parce que les investissements étrangers ont accusé une chute libre et que
le tourisme s'est effondré. Les budgets des services sociaux, de la santé et de
l'éducation ont été lourdement amputés.
Leur effet cumulé peut probablement
être comparé aux changements structuraux qui se sont produits dans les pays de
l'Est à la suite de l'éclatement de l'Union soviétique, ou aux changements
structuraux imposés par les institutions financières internationales aux pays
qui ont subi des crises financières graves.
Comme le chômage a augmenté de
même que la pauvreté, de nombreux avantages sociaux ont été drastiquement
réduits, y compris une diminution de près d'un tiers des revenus d'assistance
aux pauvres et aux mères isolées. « Le résultat le plus tangible a été la
multiplication des soupes populaires et des associations proposant des «
articles d'occase », ce qui était auparavant inconnu en Israël sauf dans les
communautés juives orthodoxes, indique le rapport.
Le coût ne va pas cesser
de s'alourdir même lorsque Israël évacuera la bande de Gaza, versera des
indemnités aux colons et démantèlera peut-être d'autres colonies en
contre-partie d'un accord final avec les Palestiniens.
Un coût très lourd à payer
Des dépenses militaires
supplémentaires s'ajoutant au budget normal de la défense pour faire face à la
résistance palestinienne depuis le début de la première Intifada en 1987 : 6, 5
milliards de dollars.
- Coût de la construction des colonies juives dans les
Territoires Occupés : 10 milliards de dollars
- Coût de la construction du
Mur en Cisjordanie : plus de 1 milliard de dollars
- Estimation des
indemnités versées par le gouvernement aux Israéliens blessés par suite du
conflit pour la seule année 2003 : 230 millions de dollars
- Estimation de
perte de PIB de 2000 à 2004 : entre 7 et 12 milliards de dollars
-
Croissance économique : 2000 : +5,2 % PIB par habitant 2003 : -0,5 % PIB par
habitant
En 2003 : 19,2% des Israéliens vivaient sous le seuil de
pauvreté.
- NOTES :
[1] OXFAM : Oxford
Committee for Famine Relief
[2] 190,7 millions d'euros
19. Bonjour, la Gauche par Gideon Lévy
in
Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 13 février 2005
[traduit de l'hébreu par Michel
Ghys]
Bonjour à la Gauche israélienne. Après une
hibernation qui a duré une éternité, elle commence maintenant à faire entendre
les voix du réveil. C’est seulement parce que le vent souffle à nouveau dans sa
direction et non par son propre mérite, que la Gauche extraparlementaire
s’aventure hors de l’armoire où elle s’est enfermée il y a plus de quatre ans.
Peut-être faut-il bénir ces signes de réveil mais il est impossible de ne pas
prendre en compte le silence scandaleux, la constante couardise et cet abandon
de la rue à la droite et aux colons.
Pendant quatre ans et plus, Israël a
fait tout ce que bon lui semblait dans les territoires sous occupation, sans
presque aucune critique venue de l’intérieur. Israël a tué, détruit, déraciné,
maltraité et personne, ou presque, n’a élevé la voix. Le monde a vu et s’est
fait entendre, mais pas nous. Quand Israël priait pour un discours alternatif,
l’écho d’une protestation claire, presque aucun son ne s’est fait entendre en
dehors de la voix de quelques petites organisations courageuses.
Il est alors
difficile de pardonner à ceux qui n’ont pas desserré les lèvres, qui ont
détourné le regard et se sont drapé dans leur indifférence, dépeignant Israël
comme fait d’une seule et même étoffe, celle du gouvernement. Le bruissement
qui, maintenant, commence à s’élever dans le camp sioniste de la paix ne l’a pas
encore lavé de sa responsabilité : par son silence, il s’est fait le
collaborateur de tout ce que le gouvernement a fait en son nom au cours de ces
dernières années.
Avec l’évaporation du parti Travailliste et aussi la peur
et l’impuissance qui ont saisi les autres groupes de la Gauche sioniste, le seul
élément actif au sein de la société israélienne, ç’a été les colons. Le
gouvernement a ainsi réussi à poursuivre sa politique brutale et les colons ont
nourri leur entreprise sans y être dérangés. Maintenant, sous l’égide d’un chef
de gouvernement de droite, la Gauche se rappelle tout à coup qu’elle aussi a, en
fait, quelque chose à dire, comme un écho ténu et pâle à Ariel Sharon.
Les
premiers à s’être réveillés sont, comme d’habitude, les écrivains d’avant-garde
qui marchent en tête du camp. Il y a quelques jours, dans une déclaration
travaillée et stylée, Amos Oz, A.B. Yehoshoua, David Grossman, Meir Shalev, Agi
Mishol et encore quelques autres éminents écrivains ont lancé un appel « à
opérer un changement de conscience et de sensibilité ». Quel changement ? Quelle
conscience ? Soutien au plan de désengagement de Sharon. Ils ont également
appelé à une reprise des négociations politiques, démarche particulièrement
audacieuse après le sommet de Sharm el Cheikh, et ont proposé au gouvernement de
reconnaître la souffrance des Palestiniens, en échange, bien entendu, de la
reconnaissance par ceux-ci de notre souffrance.
A cet appel profond et
courageux des écrivains, s’est associé un groupe de cinéastes et de musiciens, à
cette différence près que dans la déclaration de Daniel Baremboim, Pinhas
Zuckerman et Zubin Mehta, il y a au moins la reconnaissance que l’occupation est
la source directe de la souffrance des Palestiniens, avec un appel clair à y
mettre fin ; les écrivains ne sont pas prêts, eux, à s’engager à cela.
C’est
difficile à croire, mais après quasiment 38 années d’occupation et quatre années
d’Intifada, les écrivains majeurs du camp de la paix distribuent encore de
manière symétrique, entre les deux côtés, la responsabilité de ce qui se déroule
: « A nos yeux, chacun des deux côtés porte une part de responsabilité dans les
préjudices, la souffrance et la situation tragique où les deux peuples se
retrouvent piégés », écrivent-ils vertueusement.
Ce « nous sommes tous
coupables » n’est pas moins révoltant que le silence prolongé. Comment
brise-t-on le silence dans le camp de la paix ? En attribuant à l’occupant et à
l’occupé, au fort et au faible, la même mesure de responsabilité. En appelant le
soldat du barrage et ses sujets dont la vie a été foulée sous ses pieds à «
opérer un changement de conscience et de sensibilité », et cela avant même que
le barrage soit retiré. En prêchant l’assassin et l’assassiné pour qu’ils
tombent dans les bras l’un de l’autre. En établissant une analogie entre un
peuple dont la vie a été totalement détruite à tout point de vue – économique,
social, culturel, psychique – et un peuple dont la vie se poursuit largement
comme à la normale ; un peuple emprisonné et humilié face à un peuple libre dans
son Etat souverain.
Même sans faire le compte des victimes – trois fois plus
de Palestiniens – il n’y a aucune place pour une comparaison, ni dans la
souffrance, ni dans la mesure de la responsabilité. Les écrivains sont-ils
aveuglés au point de ne pas voir le poids décisif de l’occupant dans l’origine
des préjudices ou ont-ils simplement manqué de courage pour le reconnaître – par
crainte de fâcher leurs lecteurs ?
Immédiatement après les écrivains, le
mouvement « La paix maintenant » est sorti de syncope, lui aussi. D’ici deux
semaines, a-t-il été communiqué, il reviendra sur la place publique. La «
Coalition de la majorité », l’organisation parapluie des partis de la Gauche et
des mouvements de protestation (appellations hautement contestables) rassemblera
une manifestation de masse. Pourquoi n’ont-il pas fait ça plus tôt, pendant les
années sombres des assassinats et des destructions, quand le besoin en était
infiniment plus critique ? Les explications et les excuses sont ridicules :
désir de conserver un large dénominateur commun et peur d’un échec. Mais c’est
le silence qui aura été, de tous, le plus grand échec.
Il est impossible de
ne pas demander maintenant où ils étaient tous, face aux centaines (643)
d’enfants et d’adolescents qu’Israël a tués. Qu’avons-nous entendu d’eux pendant
l’assassinat de 211 personnes recherchées, mises à mort sans jugement, avec en
outre 125 passants innocents ? (d’après les données de l’Association
palestinienne pour la défense des droits de l’homme – PHRMG). La destruction de
la moitié de Rafah, l’arrachage des oliviers en Cisjordanie, l’érection du mur,
les routes de ségrégation pour Juifs uniquement, l’emprisonnement d’un peuple
derrière des barrages pendant des années : rien n’a réveillé la majorité des
artistes ni la Coalition de la majorité. Ils ont gardé le silence. Ils avaient
peur. Ils sont complices.
Les voix alternatives, comme celles des mouvements
de protestation et des écrivains, ont un rôle vital dans la société, bien
au-delà du seul contenu de leurs paroles. Elles sont censées tracer la voie et
en préserver le caractère pluraliste et démocratique. Mais après quatre années
et demie pendant lesquelles la société a parlé d’une seule voix dans le honteux
silence de la Gauche, un camp qui se réveille seulement sous les auspices du
chef du gouvernement est un camp lâche.
20. Le Goush Katif d’en bas par Gideon
Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 11 février
2005
[traduit de l'hébreu par Michel
Ghys]
Ce qu’il y a dans le Goush Katif n’est pas pour
les 8500 habitants de la zone du Mouassi. C’est tout juste s’il est possible de
les apercevoir, dans leur petite prison.
Il y a le Goush Katif d’en haut,
dont les habitants se déplacent librement sur leur bout de pays, accompagnés
d’une protection qui n’a pas son pareil, et sur lesquels se porte l’attention du
monde. Ils habitent de belles maisons, disposent de centres de loterie et de
centres communautaires, d’un système de transport scolaire ou vers les
formations pour adultes, ils jouissent d’une liberté de mouvement et d’une
aisance économique. Ils sont nouveaux arrivants sur ce bout de terre mais
maintenant, ils sont les victimes qu’il faut indemniser généreusement et qu’il
faut traiter avec miséricorde, humanité et sensibilité. Et puis il y a le Goush
Katif d’en bas.
Tout ce qu’ont les habitants d’en haut, ceux d’en bas ne
l’ont pas, eux qui sont, sans commune mesure, depuis plus longtemps sur ce
morceau de pays à la fois beau et fertile, le long de la côte de Gaza, entre
Deir Al Balah, Khan Younes et Rafah. Emprisonnés comme dans un safari, pauvres,
misérables, une partie d’entre eux travaillent chez les voisins dans des
conditions d’exploitation scandaleuses, leur sort n’intéresse personne. Une
partie d’entre eux sont des réfugiés de 1948, tous vivent sous occupation depuis
1967. Il n’y a que leur nombre qui soit comparable : environ 8500 personnes, un
peu plus que le nombre de leurs voisins colons. Leur amour ne sera pas vaincu,
leur vie n’intéresse personne, personne n’a jamais manifesté en leur faveur,
leur emprisonnement ne suscite pas d’appels à la miséricorde chez les Israéliens
sensibles, et lorsqu’il est question de « référendum populaire » sur l’avenir du
Goush, il ne vient à l’esprit de personne de le leur demander aussi, eux les
véritables vétérans du Goush et qui sont peut-être aussi le « peuple ».
On ne
les aperçoit que difficilement. Suivre l’ « axe Kissoufim » qui conduit aux
localités du Goush Katif, c’est voyager au pays du refoulement et de
l’évitement. Quel enivrant sentiment israélien : une terre sans Arabes sur le
coin de terre le plus densément peuplé d’Arabes au monde. Les murs de béton, les
clôtures, les ponts et surtout les ‘déblaiements’ ont éloigné d’ici la vue des
Arabes, au point qu’il vous semble parcourir les routes du Sharon [entre Ramat
Hasharon et Herzlia – note de la version anglaise de l’article]. Khan Younes qui
est au-delà du rempart ? Deir Al Balah qui est derrière le mur ? Rafah qui est
au-delà de la clôture ? Le barrage d’Abou Khouli, le « barrage du Goush », qui
se trouve sous le pont où passe la route ? Qui les voit ? Même l’interminable
embouteillage d’Abou Khouli est caché à la vue.
Contrairement à la
Cisjordanie, ici il n’y a pas de barrages apparents. Pas ce spectacle
désagréable de gens retenus, pas de villages arabes en cours de route : rien.
Tel Aviv – Morag d’une traite, sans interruption, à peine un Arabe en chemin, à
peine un barrage d’ailleurs parfaitement ouvert aux Juifs. Seule une tache, une
vilaine tache, gâche le tableau. Que sont ces pauvres maisons qui apparaissent
tout à coup sur le côté de la route ? Comment se fait-il qu’on n’ait pas encore
déblayé ces misérables cabanes en tôle ? Par quelle omission sont restés ici,
chez eux, des milliers de réfugiés, malgré ce voisinage avec les seigneurs du
pays ? Et la sécurité ? Mais cette image ne dure pas car la route serpente en
s’éloignant rapidement et cette image discordante d’Arabes sur la terre des
Juifs disparaît comme si elle n’avait pas été.
C’est la région du Mouassi.
Des milliers d’agriculteurs et de pêcheurs, dont un tiers sont des réfugiés de
1948, un tiers sont Bédouins, pour partie des réfugiés venus du Néguev, et un
tiers d’anciens du lieu, cernés et étranglés de toute part : les colonies du
Goush Katif au nord, au sud et à l’est ; à l’ouest : la mer dont l’accès leur
est barré par une clôture, avec quelques maisons de colons sur la plage qui
était la leur ; et un barrage, « Toupah », vers les chefs-lieux de Rafah et Khan
Younes, dont les conditions de passage sont pareilles à celles d’un barrage
international entre deux états en guerre. Essayez de faire passer un sac
d’oignons d’un champ du Mouassi vers un marché de Khan Younes derrière le coin…
Et nous ne disons rien de la femme sur le point d’accoucher ou du
malade.
Dans l’obscurité, un pêcheur est assis, occupé à réparer son filet.
Il lui est interdit d’aller sur la plage qui est face à sa maison, à quelques
centaines de mètres : là, il y a une clôture et des colons. Il lui est aussi
interdit d’aller en barque sur la mer depuis toute autre plage. L’occupation
éclairée l’autorise à aller dans la mer avec une chambre à air et de pêcher
comme ça, seulement depuis la chambre à air, et ça non plus pas sur sa plage à
lui. Cela fait quatre ans que celui qui répare le filet n’est pas sorti pêcher
en mer, mais il répare tout de même.
Difficile de dire que dans le Mouassi,
on perçoive des signes d’émotion liés à l’évacuation prévue des voisins qui
n’avaient pas été invités et s’étaient implantés là, sous leurs yeux, dans leur
vie. Peut-être n’y croit-on pas, peut-être ne veut-on pas susciter d’espérances.
Surtout, ils craignent de dire ce qu’ils ont sur le cœur tant que les colons
sont là. Il y a 120 agriculteurs qui travaillent chez les colons, pour un
salaire raisonnable de cinq shekels de l’heure [moins de 0,90 euros], et il y a
encore d’autres liens économiques tortueux, pas toujours clairs, comme le
commerce des concombres et des oignons que les colons leur achètent pour une
croûte de pain et qui sont vendus, illégalement, à Tel Aviv aux prix de la
ville. Il leur est interdit de commercer avec les colons ; quand cela se produit
quand même, ce sont ces derniers qui fixent le prix. Actuellement, c’est 11
shekels pour le sac de concombres.
Les habitants ont un peu de liberté de
mouvement sur les chemins de sable et ils ont aussi les maisons, qui n’ont pas
été détruites – ici, l’armée israélienne n’a pour ainsi dire pas « déblayé » une
seule maison : il y a encore beaucoup à perdre. C’est pourquoi ce bout de pays
emprisonné reste calme, se contentant de miettes et se taisant.
Le pêcheur
est assis, entouré d’amis, à l’intérieur d’une tente aux allures de cabane : un
plafond en tôle posé sur des murs en plastique et un mur de briques. C’est le
diwan, le lieu de réunion du Mouassi – Khan Younes. Il y a le Mouassi-Khan
Younes et il y a le Mouassi-Rafah, et les colonies embrassent les deux. Personne
ici ne veut être identifié par son nom, la peur dicte tout. Ils ont peur de
circuler avec nous dans les ruelles de sable, crainte que les soldats ne les
voient en notre compagnie, et ils ont peur de se déplacer dans notre voiture et
d’avoir des ennuis. « Les soldats connaissent tout le monde dans le Mouassi et
s’ils voient tout à coup quelqu'un avec des lunettes, nous aurons des problèmes
». Où sont les soldats ? Là-bas sur la tour et ici, sur la tour, de tous les
côtés.
Récemment, le barrage de Toupah, le seul point de sortie hors d’ici, a
été fermé pendant 65 jours d’affilée et ils ne pouvaient pas sortir de leur
prison, aller nulle part. En voiture, de toute façon, il est interdit de sortir,
depuis déjà quatre ans. Seulement à pied. Marchandises, femmes enceintes,
seulement à pied. Ici, une voiture-jouet ou une trottinette sans moteur
suffirait : les bons jours, il leur est permis de se déplacer entre Mouassi-Khan
Younes et Mouassi-Rafah, une affaire d’un ou deux kilomètres. Le passage au
barrage de Toupah : seulement pour aller à la ville, et seulement à pied.
Au
barrage, on attend des heures. Les soldats font passer par groupes de cinq,
disent-ils, en général jusqu’à cinq groupes par jour, tout au plus. 20 à 25
personnes autorisées, sur une population de 8500. Pour les moins de 35 ans, la
sortie est tout à fait interdite. C’est là un des gestes d’Israël à l’égard
d’Abou Mazen : avant que celui-ci n’arrive au pouvoir, l’âge minimum pour
pouvoir sortir était de 50 ans. On l’a maintenant abaissé, par un esprit
éclairé, au nom de la coexistence et de l’allègement du bouclage.
Même quand
le barrage est ouvert, il ne fonctionne pas toujours. Une fois, c’est l’appareil
de radiographie qui est en panne, une fois c’est le chien qui les contrôle qui
est fatigué ou malade. Sans chien, pas de passage. « C’est pour la sécurité »,
explique-t-on dans le diwan. Voici l’honorable cheikh qui entre maintenant dans
le diwan, il s’est présenté ce matin, à cinq heures et demie, de l’autre côté du
barrage, pour avoir une place dans la file et rentrer chez lui, et maintenant, à
deux heures et demie de l’après-midi, il arrive enfin chez lui. Il en parle avec
le sourire. Il faisait froid et pluvieux, il n’y a aucun abri digne de ce nom au
barrage, pas de toilettes. Tout est pour le mieux.
Parmi les élèves du coin,
qui suivent l’enseignement secondaire, il y en a qui, n’ayant pas le choix,
louent, seuls, un appartement à Khan Younes, car il y a peu d’espoir de pouvoir
passer chaque jour le barrage qui est ouvert un jour, fermé l’autre jour, et qui
ferme toujours à quatre heures de l’après-midi au grand plus tard. Le Mouassi
est la banlieue de Khan Younes, plus proche que Ramat Aviv ne l’est de Tel Aviv,
mais pour passer, il faut une autorisation. Une femme enceinte qui sort en
ambulance pour aller accoucher – en ambulance, il est permis de passer – ne sait
jamais quand elle sera autorisée à revenir. On est parfois bloqué pendant deux
ou trois semaines à Khan Younes avant que le barrage ne s’ouvre à
nouveau.
Lorsque le barrage est ouvert et qu’en plus il fonctionne, on y
contrôle tout. Chaque sac d’oignons qui passe pour aller du champ au marché de
Khan Younes doit passer à la radiographie. « On met les oignons sur le tapis
roulant et ils examinent l’écran de télévision », racontent-ils. « La viande,
c’est difficile à faire passer, seulement la volaille. A la fête, nous avons
mangé du mouton spécialement abattu à Khan Younes, mais qui a été retenu 40
jours au barrage et est arrivé gelé du frigidaire ». Il est interdit de passer
au barrage avec une montre et il est aussi interdit de passer avec un téléphone
portable. « Un portable, c’est de la dynamite ». Si votre porte-plume fait
siffler l’appareil, vous devez retourner chez vous. Impossible de simplement le
jeter sur le côté. Peut-être risquerait-il d’exploser ? Et alors vous
recommencez la file, une affaire d’un jour, ou deux. Il y a déjà eu des
accouchées retenues pendant 40 jours sans pouvoir retourner chez elles avec leur
nouveau-né. Pour inviter des proches à venir de la ville à un mariage, il faut
toute une procédure : transmettre les noms au service de coordination et de
liaison, et garder bon espoir.
Chez eux, à l’intérieur, il fait en général
calme. Ici ou là, on organise pour eux un peu d’activités. Ainsi, juste jeudi
passé, les soldats sont venus à cinq heures du matin et ont donné ordre à tous
les membres d’une famille de sortir. Environ 80 personnes ont été contraintes de
sortir de chez elles dans le froid, les 19 hommes ont dû se déshabiller et
rester en sous-vêtements dans le froid glacial. On les a fait se déshabiller et
habiller deux fois, ils ont été interrogés puis libérés 13 heures plus tard. Un
est resté en détention. Mais en général, il fait calme.
L’espace du diwan
s’emplit de la fumée du feu allumé pour réchauffer l’air et préparer du café. Le
vent fouette le mur en plastique. Les vétérans parmi les ouvriers agricoles
gagnent 70 shekels par jour [12, 40 euros], mais ils sont peu nombreux. Ils ont
une attestation, un « Permis de travail dans les colonies dans le district de
Gaza et la zone industrielle d’Erez. Est tenu de sortir et de rentrer par le
passage de Ganei Tal. N’est pas autorisé à travailler par roulement. N’est
autorisé à conduire aucun type de véhicule ». Précieux permis de travail, pour
trois mois, à cinq shekels de l’heure [moins de 0,90 euros].
Non, il n’y a
pas du tout de problème avec les colons, disent-ils. Il y en a eu jadis, mais ça
fait longtemps qu’il n’y en a plus. La coexistence demeure comme elle doit être
: les colons en haut et les Palestiniens en bas. Ou pour reprendre les paroles
prudentes de l’un d’entre eux, moukhtar des réfugiés : « Les colons à
l’intérieur de leur clôture et nous à l’intérieur de notre prison ». Et tout de
suite, il ajoute : « Nous ne voulons pas faire de problèmes. C’est un endroit
calme. Maintenant on voit une lueur de paix. Bien sûr il y a un espoir. Bush le
veut comme ça. A la fin, à la fin la paix gagnera ». Irez-vous à Ganei Tal ? «
Les terres seront transférées de gouvernement à gouvernement », dit-il. « Il y a
eu les Turcs, il y a eu les Anglais, il y a eu les Egyptiens, il y a eu les
Israéliens. Ça passera de gouvernement à gouvernement. Si nous ne retournons pas
à Ashkelon, notre situation restera la même ».
Séparation ? Pas du tout. « En
aucune façon, nous ne nous séparerons des Israéliens. Les Palestiniens et les
Israéliens sont comme la peau et la chair. Ça ne se séparera pas. Il y a une
maladie et il y a un remède. Soit nous sommes la maladie et vous êtes le remède,
soit vous êtes la maladie et nous sommes le remède. Mais se séparer n’est pas
possible. Je n’ai pas d’amis colons, mais j’ai beaucoup d’amis en Israël.
J’étais entrepreneur en mosaïques et celui-là était entrepreneur en carrelage et
celui-là entrepreneur en fondations et gros œuvre, et tous, nous avons des amis
et tous, nous attendons le moment où il y aura la paix et que nous pourrons
gagner notre vie en Israël. Je pense qu’il faut donner un nouveau nom à Israël,
un pays pour tous. Y compris le Mouassi. Mardi, j’apprends qu’il y a un grand
sommet. Avec l’aide de Dieu, ce sera aussi un bon sommet ». Ce sera la fête au
départ des colons ? Prudence extrême : « Nous ferons la fête parce qu’il y aura
la paix, pas parce que les colons seront partis. Nous sommes mêlés, tous
ensemble ».
L’épouse du moukhtar des réfugiés doit revenir aujourd’hui de
Khan Younes. Son mari n’a pas la moindre idée de l’endroit où elle est et pour
le moment, à une heure de l’après-midi, elle n’est pas encore arrivée. Est-il
nécessaire de ré-expliquer que Khan Younes est leur ville et qu’elle est à deux
pas de leurs maisons ?
Des monceaux d’immondices sur la route de sable qui
mène à la mer. Ici, l’UNRWA ne ramasse que les immondices des réfugiés. Tout le
reste s’enfonce dans le sable. Il n’y a pas l’eau courante dans les maisons,
seulement dans les champs. Tout cela se voit depuis les fenêtres de toutes les
maisons de Neveh Dekalim ou de Ganei Tal. Au bout du chemin de sable qui file à
l’ouest, entre les maisons, il y a une clôture et il n’est pas possible
d’atteindre le bord de l’eau. Derrière des murs de bétons habite une poignée de
colons, vraiment les pieds dans l’eau, et des soldats sur les tours de guet
veillent sur eux. Notre accompagnateur local est très tendu, assis dans notre
voiture, près de la clôture des colons. Ne vous arrêtez pas, roulez vite. Ici,
ils tirent.
Le chemin sud vers Mouassi-Rafah passe à quelques mètres de la
mer. Des vestiges de sites touristiques, ceux des colons et les leurs, sont là,
en ruines, sur la superbe plage. Le restaurant Hof Ashalim était ouvert jadis
pendant le shabbat. Il ne reste maintenant que désolation. La route de Rafah est
fermée, la route de Rafah-Yam n’est ouverte qu’aux Juifs.
Dans la maison de
réfugiés de Raanam Draousha, il n’y a pas deux pierres l’une sur l’autre. Tout
est amoncellement de tôle et de toile, de petites cages pour les bêtes et pour
les gens, enfants et adultes pieds nus dans le sable humide, tremblants de
froid. « Abou Mazen apportera la paix et la sécurité », dit quelqu'un occupé à
peindre le mur de la chaumière. Draousha s’est rendu, lui aussi, la semaine
passée, à des funérailles à Khan Younes et a été bloqué pendant plusieurs jours
sans pouvoir revenir.
Le vieux Hadhoud Abou Mediya, qui est ici le moukhtar
des bédouins, souffle sur les braises éteintes : « S’il y a la paix, celui qui
ira à droite gagnera de l’argent et celui qui ira à gauche gagnera de l’argent
et aussi celui qui restera sur place gagnera de l’argent ». Au barrage de
Toupah, plusieurs charrettes sont stationnées, chargées d’oignons, abandonnées.
Peut-être demain.
21. Naissance d’une nouvelle langue, dont l’étude est
susceptible de révéler les fondements d’une "grammaire humaine"
in
Le Scienze (magazine italien) du mardi 8 février 2005
[traduit de l’italien par Marcel
Charbonnier]
Comment une langue prend-elle naissance ?
Quels en sont les éléments fondamentaux ? Grâce à une langue flambante neuve,
née dans un petit village du désert du Néguev, en « Israël », les linguistes
sont en train d’acquérir de nouvelles informations qui permettront peut-être de
répondre à ces questions ancestrales.
La langue des signes utilisée par les
bédouins de la tribu Al-Sayyid [ABSL : Al-Sayyid Beduin Signs Language], qui
sert de langue auxiliaire à une communauté d’environ 3 500 personnes, tant
sourdes qu’entendant, a développé dès les premières phases de son évolution une
structure grammaticale distincte, qui favorise un ordre particulier des mots
dans la phrase, les verbes étant énoncés après les objets. L’étude – portant sur
la première analyse jamais effectuée jusqu’ici d’une langue spontanée n’ayant
subi aucune influence extérieure – a été présentée dans un article de Mark
Aronoff, de l’Université Stony Brook et d’Irit Meir et Wendy Sandler, de
l’Université de Haïfa, ainsi que de Carol Padden de l’Université de Californie
(San Diego), publié par la revue « Proceedings of the National Academy of
Sciences » [Annales de l’Académie Nationale des Sciences].
L’ABSL s’est mis
en place sur une durée d’environ soixante-dix ans : elle est aujourd’hui
utilisée par la troisième génération de locuteurs. En observant les utilisateurs
de cette langue racontant des histoires et décrivant diverses actions, les
chercheurs ont découvert que cette langue représente bien plus qu’un lexique de
termes décrivant les actions, les objets, les personnes, etc. Dans la langue
ABSL, les phrases respectent un ordre « sujet – objet – verbe » [ex : Jean la
pomme mange], et non pas l’ordre « sujet – verbe – objet » [ex : Jean mange la
pomme] de l’anglais ou d’autres langues parlées dans la région.
« La
structure grammaticale du langage des signes utilisé par les bédouins – explique
M. Padden – n’indique aucune influence des dialectes arabes parlés par les
membres non muets de la communauté, ni du langage des signes généralement
utilisé dans la région. En raison du fait qu’il s’est développé de manière
totalement indépendante, le langage ABSL pourrait donner des indications sur les
propriétés fondamentales du langage, en général, et fournir des indications
précieuses répondant ne partie aux questions sur l’origine du développements des
langages humains. »
22. Seul Bush sait ce qui attend les néocons au
tournant… par David Ignatius
in The Daily Star (quotidien libanais)
du lundi 7 février 2005
[traduit de l’anglais par
Marcel Charbonnier]
Les néconservateurs ont-ils « le
vent en poupe », ou sont-ils « sur le déclin », avec le second mandat Bush ?
Leur agenda consistant à provoquer des changements de régimes politiques au
Moyen-Orient sera-t-il toujours dominant, sous Bush II, ou bien auront-ils
quelque peu les ailes coupées ?
La réponse, c’est que nul ne le sait, mis à
part le président américain George W. Bush. Et le fait que nul, à Washington, ne
puisse être certain de qui a l’oreille du président en matière de politique
étrangère illustre le délicat équilibre – et le fort potentiel de tiraillements
internes – qui coloreront le second mandat présidentiel.
Certes, les deux
discours marquants de Bush, cette année, ont repris l’ambitieuse rhétorique des
néocons. En évoquant au cours de son discours d’intronisation la mission
mondiale de l’Amérique consistant à répandre partout la liberté, et quand il a
admonesté la Syrie et l’Iran, dans son discours sur l’Etat de l’Union, mercredi
dernier, on aurait dit, à n’en pas douter, qu’on entendait le néoconservateur en
chef.
Bush a même semblé donner un gage aux néocons, en matière de changement
de régime, proclamant : « Et au peuple iranien, je dis ce soir : dès lors que
vous vous battrez pour votre propre liberté, l’Amérique sera à vos côtés.
»
Néanmoins, il y a quelque raison de ne pas prendre ces propos audacieux
entièrement pour argent comptant. Derrière la rhétorique, les changements de
personnes, dans le gouvernement Bush II semblent, de fait, orienter Bush plus
vers les rivaux des néoconservateurs, vers cette école en matière de politique
étrangère que l’on qualifie de « réaliste ». Au Département d’Etat, la
secrétaire d’Etat Condoleezza rice a fait observer qu’elle entend marcher dans
les brisées de Colin Powell, c’est-à-dire de suivre le consensus du parti
républicain en matière de politique extérieure ; en même temps, le néocon en vue
au Département d’Etat, le sous-secrétaire John R. Bolton, devra quitter bientôt
son poste. Au Pentagone, l’un des plus puissants des personnages néocons, le
sous –secrétaire à la Défense Douglas Feith, partira l’été prochain, pour
convenances personnelles. Et au Conseil National de Sécurité, le successeur de
Rice, Steve Hadley, semble opérer un virage vers une trajectoire pragmatique et
« réaliste ». Il a écrit une tribune publiée voici une quinzaine de jours par le
Washington Post, consacrée à l’Irak, qui a tracé l’esquisse d’une grande
rhétorique carrément en faveur d’une discussion nuancée au sujet du fragile
équilibre ethnique qui caractérise ce pays.
Richard Perle, le gourou
intellectuel des néocons, ne considère certes pas l’administration du second
mandat Bush comme une terre néoconservatrice. « Bush est quelqu’un de très
personnel », dit-il. Perle regrette que « les avis qui parviennent aux oreilles
du président ne sont probablement pas de ceux qui l’amèneraient à s’aligner sur
les positions des néoconservateurs. La plupart de ces avis auraient plutôt
l’effet contraire : je parle des avis donnés par la CIA, le Département d’Etat,
le Conseil National de Sécurité, etc. Bush obtient les certitudes
conventionnelles qu’affectionne la bureaucratie. »
Ce qui vient aiguiser le
débat idéologique sous Bush II, c’est le fait que le FBI continue une enquête
sur l’AIPAC[American Israel Public Affairs Committee], principal lobby
pro-israélien qui, à l’instar des néoconservateurs, est un soutien
inconditionnel d’Israël. L’enquête semble avoir touché certains néoconservateurs
éminents, favorables à l’AIPAC. Le journaliste Edwin Black a analysé les
conséquences de cette enquête dans un article publié le 31 décembre dernier par
Forward, intitulé : « Brisbille entre les néocons et les milieux du
renseignement. »
Black y décrivait ce qui avait toutes les apparences d’une
volonté du FBI d’utiliser le responsable du Pentagone qui fut à le premier
suspect dans l’enquête, Larry Franklin, dans un « coup monté » raté, visant à
inciter Perle à transmettre de l’information au dirigeant irakien chouchou des
néocons : Ahmad Chalabi.
L’enquête du FBI a reçu étonnamment peu d’intérêt
dans les médias consensuels, mais elle suit son cours. Un éminent ex-responsable
gouvernemental, qui avait accès à des documents top secrets m’a confié, la
semaine passée, avoir été interrogé, fin janvier, par deux agents du FBI,
notamment au sujet de ses rencontres, au cours de repas, avec Steve Rosen, le
directeur de la section « politique étrangère » de l’AIPAC. Il m’a dit avoir
indiqué aux deux agents qu’il n’avait jamais confié à Rosen d’information
classifiée (secrète), et que Rosen ne lui en avait d’ailleurs jamais demandé.
L’enquête du FBI semblait être, aux yeux de cet ancien responsable
gouvernemental, dans une grande mesure une « partie de pêche ».
Le FBI a
perquisitionné les locaux de l’AIPAC à deux reprises, la dernière fois, le 1er
décembre dernier, et ce sont au moins quatre de ses responsables qui ont été
amenés, a-t-il été rapporté, à témoigner devant un grand jury. (Les responsables
de l’AIPAC ont refusé de répondre à ma demande de commentaire sur l’enquête).
Par ailleurs, je me suis laissé dire qu’une demi-douzaine de responsables de
l’administration Bush, apparemment suspectés d’avoir organisé la fuite
d’informations classifiées au bénéfice de l’AIPAC ont dû prendre des
avocats.
« Nous ne voulons pas cacher les choses ; s’il y a eu des
magouilles, qu’elles soient étalées aux yeux du public. Nous sommes certains
qu’il n’y en a pas eu », a dit Malcolm Hoenlein, vice-secrétaire exécutif de la
Conférence des Présidents des Principales Organisations Juives Américaines, dans
une récente déclaration. Mais il a averti : « Ni l’AIPAC, ni la communauté juive
ne seront jamais contraints au silence. »
L’enquête du FBI est un rappel des
batailles souterraines qui se déroulent souvent, à Washington. Même dans une
administration apparemment unie sur sa politique, des philippiques féroces font
parfois rage, dans les profondeurs. La chose qui est certaine, avec la présente
administration, c’est que personne ne parle véritablement en son nom, en
définitive, mis à part le président lui-même. Et comme le dit très justement
Perle : « La présidence de George W. Bush est une réponse aux attentats du 11
septembre 2001, pas aux néoconservateurs ! »
23. Israël redoute Condi, la Mère-Fouettarde de la
paix par Tony Allen-Mills & Uzi Mahnaimi
in The Sunday Times
(hebdomadaire britannique) du dimanche 6 février 2005
[traduit de l’anglais par Marcel
Charbonnier]
Par Tony Allen-Mills (Washington)
& Uzi Mahnaimi (Jérusalem) - Le nouveau secrétaire d’Etat américain,
Condoleezza Rice, arrive aujourd’hui à Jérusalem, alors qu’Israël s’inquiète de
ne plus pouvoir compter désormais sur le soutien politique inconditionnel de
Washington.
La perspective d’un regain d’activisme américain en faveur de la
création d’un Etat palestinien durant la seconde mandature du président George
W. Bush fait sentir ses ondes de choc dans l’ensemble des cercles
gouvernementaux à Jérusalem. Le statut unique de Rice, en sa qualité à la fois
de diplomate la plus glamour de l’Amérique et de principal conseillère
rapprochée de Bush en matière de politique étrangère hypnotise l’attention sur
sa mission d’ange de la paix au féminin.
Après quatre longues années
d’indifférence totale américaine pour la négociation moyen-orientale, les
responsables israéliens craignent que les priorités de Washington ne soient en
train de changer, et que l’arrivée aux manettes de Rice ne marque le début d’une
période de pressions intenses en vue d’un marchandage palestinien.
La
disparition de Yasser Arafat et l’émergence de Mahmoud Abbas en nouveau
dirigeant de l’Autorité palestinienne ont transformé le paysage politique dans
la région, et soulevé la possibilité tentatrice d’une fin d’une intifada durant
depuis quatre ans, cette insurrection palestinienne imbibée de sang contre
l’occupation israélienne.
Arrivant en Israël en un moment critique pour le
processus de paix embourbé depuis si longtemps, Rice rencontrera tant Abbas
qu’Ariel Sharon, le premier ministre israélien, au moment où ces deux hommes se
préparent pour la tenue d’un sommet dans la villégiature égyptienne de Sharm
al-Sheikh, mardi prochain.
Rice ne participera pas au sommet, mais d’aucuns,
dans la région, la soupçonnent d’être prête à jouer un rôle important dans le
déblocage d’un marasme politique que Bush jusqu’ici était trop content d’ignorer
royalement.
Dès l’instant où Rice a fait un pas sur le tarmac de l’aéroport
(londonien) d’Heathrow, mercredi, drapée dans un manteau long bordé de fourrure,
il était clair qu’une nouvelle ère flashy de la diplomatie américaine venait de
commencer. Jamais depuis Henry Kissinger un secrétaire d’Etat américain n’aura
eu une telle influence sur la Maison Blanche qu’elle ; et personne n’a jamais
pris Kissinger en photo pour un défilé de mode dans le magazine
Vogue…
L’Europe n’a pas mis longtemps à prendre conscience du fait que Rice,
cinquante ans, n’est pas une simple émissaire présidentielle. Son ascension
depuis son quartier déshérité de Birmingham, dans l’état d’Alabama, qui a fait
d’elle la première femme afro-américaine à la tête du Département d’Etat
appartient désormais à la légende politique des Etats-Unis ; sa décontraction,
face aux questions pleines d’agressivité d’un public hostile, la semaine
dernière, tant à Londres qu’à Berlin, a confirmé en douceur qu’elle mérite
amplement sa réputation de charme et de rigueur intellectuelle.
Néanmoins,
Rice devra déployer des trésors de persuasion, tandis qu’elle risque un orteil
timide dans le marécage jusqu’ici plutôt ingrat de la fabrication de la paix au
Moyen-Orient. La disparition de Yasser Arafat, l’an dernier, a ouvert la porte à
une possible percée, mais la manière dont Bush et Rice vont pouvoir avancer
lorsque des crises inévitables vont intervenir dans la négociation est loin
d’être claire.
Israël, c’est clair, est secoué. Auprès de Tony Blair, en
novembre dernier, Bush a déclaré qu’il espérait voir la création d’un Etat
palestinien « dans les quatre ans ». Il a ajouté, lors de son discours sur
l’Etat de l’union, la semaine dernière, que « l’objectif de deux Etats
démocratiques – Israël et la Palestine – est à portée de la main …
»
Impressionné par les efforts très rapidement déployés par Abbas afin de
réduire le terrorisme palestinien, l’administration (américaine) a promis 350
millions de $ d’aide exceptionnelle (aux Palestiniens). Et même le Congrès
américain, de tout temps un bastion des sentiments pro-israéliens, vient
d’adopter une résolution bipartisane saluant en Abbas un « dirigeant crédible
».
Les Israéliens redoutent que Bush ne soit en train de céder aux pressions
européennes en vue d’une nouvelle approche du Moyen-Orient. Ils craignent que le
soutien dont Bush a un besoin impérieux en Irak n’ait fait de la réparation de
ses haies de voisinage avec l’Europe une priorité sur son soutien à Israël.
L’itinéraire du périple de Rice est le reflet des objectifs mêlés de
Washington : sa visite au Moyen-Orient est prise en sandwich au milieu d’une
virée non-stop dans huit capitales européennes, qui l’amènera d’Allemagne en
Pologne, puis en Turquie, hier, et qui se poursuit, cette semaine, avec un
discours important à Paris.
La semaine passée, les journaux de Washington
étaient remplis de publicités occupant des pages entières des lobbyistes
pro-israéliens, suppliant l’administration américaine de ne pas « abandonner »
Israël.
Même Dov Weisglass, le plus proche conseiller de Sharon en matière de
politique extérieure, aurait été, dit-on, secoué par le comportement de Rice,
lors de leur rencontre à Washington, la semaine dernière. « Elle reste, à n’en
pas douter, une amie d’Israël. Mais elle a désormais un programme différent », a
indiqué une source bien informée. « Le président [Bush] veut un Etat
palestinien… »
A Washington, le moins qu’on puisse dire est que les avis
divergent sur l’intensité des pressions que Bush veut voir exercées par Rice sur
Israël afin qu’il accélère ses concessions en retirant des colons israéliens des
territoires palestiniens. Certains analystes voient dans son engagement un
effort visant à satisfaire l’Europe, et pensent que Washington n’a pas
[réellement] l’intention de forcer la main à Sharon.
La tâche de Rice sera
rendue de plus en plus compliquée par la suspicion croissante, en Europe, que le
Pentagone soit en conflit avec les responsables militaires israéliens au sujet
d’une éventuelle frappe contre des installations nucléaires en Iran. Bien que
Rice ait insisté, à Londres, sur le fait qu’il y avait « beaucoup de moyens
diplomatiques » permettant de « traiter » la menace iranienne, elle n’en a pas
moins laissé clairement entendre qu’une option militaire restait
envisageable.
On pense que l’Iran était à l’ordre du jour de sa réunion avec
Sergeï Lavrov, le ministre russe des Affaires Etrangères, hier soir. On
s’attendait également à Moscou à ce que Rice réitère la préoccupation de
Washington au sujet d’un « recul » du Kremlin en matière de respect de la
démocratie.
Le tout forme un formidable défi pour l’ex-conseillère ès
sécurité nationale, qui fut, au début de sa carrière, essentiellement une
soviétologue. Néanmoins, la proximité de Rice vis-à-vis de Bush reste sa
principale force, et personne, en Israël, ne doute qu’elle ait l’oreille de
Bush. Elle fera son rapport au président à son retour à Washington, cette
semaine, et le reste du monde pourrait découvrir très rapidement si l’engagement
de Washington à faire la paix est réel, ou bien si c’est du bidon.
24. Lifta, et pas Mei Naftoah par Daphna
Golan-Agnon
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 2 février
2005
[traduit de l'hébreu par Michel
Ghys]
(Daphna Golan-Agnon est sociologue
et enseigne à la faculté de Droit de l’Université Hébraïque de
Jérusalem.)
La commission municipale de l’urbanisme et de la
construction à Jérusalem doit présenter ces jours-ci à la commission régionale
ses recommandations à propos du projet de construction à Lifta. La commission
recommande d’approuver un projet qui signifie, en fait, l’effacement du souvenir
du village palestinien abandonné que l’on peut voir dans toute sa beauté depuis
la route qui part de Jérusalem.
Lifta est le cas le plus frappant à l’œil
israélien d’un village palestinien détruit en 1948. Ses maisons vides, à flanc
de colline, sont un témoignage silencieux des centaines de localités qui ont été
détruites à l’époque de la création de l’Etat. La projet de construction
propose, il est vrai, de conserver les maisons du village mais de les absorber
au cœur d’un nouveau quartier qui s’appellera Mei Naftoah. Le changement de nom
participe aussi de l’effacement d’un témoignage historique de l’existence d’un
village palestinien fondé des centaines d’années avant l’Etat
d’Israël.
L’association « Bimkom – Urbanistes pour les droits de l’Homme » et
l’association « Zokhrot » se sont adressées, en septembre, à la commission
municipale de l’urbanisme et de la construction, avec la demande d’annuler le
projet Lifta et d’en faire l’objet d’un débat public. Elles ont demandé que
soient fixées de nouvelles directives assurant la préservation des vestiges du
village, du cimetière et de la mosquée. Les opposants au projet ont rappelé les
conclusions de la Commission Or qui avait établi que « la création de l’Etat
d’Israël que le peuple juif a fêtée comme la réalisation du rêve transmis de
génération en génération, était liée dans la mémoire historique (des citoyens
arabes) au plus dur traumatisme collectif de leur histoire : la ‘Nakba’
».
Les membres de la Commission municipale, qui représentent la collectivité,
ont réagi par le mépris aux oppositions, un mépris affiché. Un membre de la
Commission, Yaïr Gabaï, a sans arrêt coupé les propos des opposants par des cris
du genre « Ceux-là, ils touchent un salaire de l’Europe » ou « Qu’est devenue la
maison de mon père à Bagdad ? » Des membres de la Commission ont, de fait,
promis de ne pas construire d’unités d’habitation dans la mosquée abandonnée,
mais les membres orthodoxes, dont le président de la Commission, Yehoshoua
Pollack, ont proposé de construire, dans la mosquée, une nouvelle synagogue qui,
de toute façon, restera apparemment inutilisée.
Les membres de la Commission
n’ont évidemment pas entendu les représentants des familles dont les maisons ont
été confisquées et qui n’ont jamais été autorisées à y retourner. Une grande
partie des réfugiés de Lifta vivent à Jérusalem-Est mais le projet de
construction les ignore complètement. Par contre l’opposition venant d’habitants
juifs dont une partie squatte les maisons vides ou les ont achetées « sous une
certaine constellation » comme a dit l’un d’entre eux, cette opposition-là a été
entendue, patiemment.
La Commission a décidé de répondre positivement à la
demande du représentant de l’association Al-Aqsa de marquer le cimetière
musulman comme une zone qui ne pourra pas être bâtie. Mais lorsqu’il a osé
demander si lui aussi pourrait acheter une maison dans le nouveau quartier, la
salle s’est emplie de rires. Gabaï lui a répondu avec mépris : « La cour suprême
a établi qu’il n’était pas possible de faire une discrimination dans l’octroi de
terrains à bâtir », et des membres de la Commission lui ont expliqué qu’en
vérité, il n’y a pas de projet de construction d’une église ni d’une mosquée
dans le nouveau quartier, seulement d’une synagogue, mais que ce n’est pas eux
qui décident à qui sont destinées les maisons du quartier.
Il est possible,
et il serait bon, de développer Lifta en tant que village conservant la mémoire
historique palestinienne. La préservation du souvenir du village et de son
histoire peut être un symbole de réconciliation entre citoyens juifs et arabes
et un geste vers une solution de paix avec nos voisins. Dans un Etat qui
sanctifie la mémoire, l’effacement de l’histoire palestinienne n’est pas
seulement un acte immoral, c’est aussi une stupidité. Nous ne pourrons pas bâtir
un avenir digne de ce nom ici, si nous effaçons, nions, le souvenir des réfugiés
palestiniens. On peut prendre leurs maisons et effacer leurs villages, mais
comme nous le savons de l’histoire juive : la nostalgie pour les racines et la
maison demeure pendant des siècles. Il est encore possible de préserver le
village, de restaurer ses maisons et de le transformer en un lieu d’étude du
passé et de fondation d’un dialogue sur l’avenir commun des Israéliens et des
Palestiniens.
25. Le procès de qui ? par Akiva Eldar
in
Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 31 janvier 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]
La
polémique autour des terres du Keren Kayemet [KKL, Fonds National Juif], comme
le débat à propos de la Loi du Retour, touchent à la ligne délicate sur laquelle
le sionisme pratique s’efforce depuis plus de cent ans de vivre en coexistence
avec la démocratie. En ouverture à sa réponse à la pétition sur la question de
l’octroi de ses terres aux seuls Juifs, le KKL rappelle qu’il a été fondé en
1901 par le cinquième congrès sioniste « pour servir d’organe de l’Organisation
sioniste mondiale pour l’acquisition des terres – terres acquises pour le peuple
juif ».
Peu nombreux sont ceux qui donnent leur avis sur le fait que les
institutions du « peuple juif » sont devenues le bras long et cruel de
l’occupation, le grand ennemi du sionisme, de la démocratie et de la paix.
Beaucoup ne sont pas conscients que les institutions du peuple juif servent
depuis 30 ans d’instrument aux mains des gouvernements israéliens pour les
besoins de l’acquisition de terres en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza et
pour le financement des colonies situées en dehors du consensus.
Des dizaines
de milliers de dounams sur lesquels ont été construites des colonies, des zones
industrielles et des routes ont été acquis par « Himnouta », une filiale de KKL
qui s’est spécialisée dans l’acquisition de terres palestiniennes par
l’entremise d’hommes de paille. Le rapport du contrôleur de l’Etat pour l’année
2003 signale que « le département colonisation [qui dépend de l’Organisation
sioniste mondiale – note d’A. Eldar] agit au nom de l’Etat pour la promotion et
le développement de la colonisation rurale en Judée-Samarie, dans la région de
Gaza et sur les hauteurs du Golan. » Les rapports du contrôleur, comme le
rapport, publié hier, de Talia Sasson – ancien haut fonctionnaire à l’office du
procureur de l’Etat – révèlent une petite partie des actions de ces deux
institutions ; d’autres se cachent entre les pages des programmes et les
paragraphes budgétaires connus de quelques uns seulement.
Voici quelques
exemples : en juin dernier, Haaretz rapportait l’existence d’un plan destiné à
créer un quartier près du village de Wallajeh dans le but d’entourer Jérusalem
d’une ceinture de colonisation juive et de couper ainsi Jérusalem de Bethlehem.
L’Administration des Terres d’Israël a communiqué que le plan était mis en œuvre
par Himnouta. Est-ce à cela que faisait référence la réponse donnée par le KKL à
la Cour suprême, déclarant que la situation et la législation existantes «
reflètent un point d’équilibre convenable entre le caractère juif-sioniste de
l’Etat et son caractère démocratique » ? Ou peut-être faisait-elle référence au
plan préparé en 1998 par le Département colonisation, de concert avec le Conseil
de la région de Gaza, « visant à employer des terres d’Etat libres au-delà de
l’axe des colonies israéliennes dans la région de Gaza » (Rapport du Contrôleur,
2000) ? Suite à cela, le Conseil avait signé des accords pour l’exécution de
travaux de développement et de défrichage dans la zone concernée maintenant par
le « désengagement ».
La contribution de l’Organisation sioniste mondiale à
l’instauration de la confiance avec les Palestiniens est détaillée dans un plan
secret préparé en novembre 1993 au Département colonisation, juste après
l’accord d’Oslo. Le plan présente les cartes des « agencements de colonies entre
localités proches, en vue de permettre le renforcement de leur structure
socio-économique ». En janvier 1997, ce plan a été mis à jour, de nouveau
secrètement, « en vue d’offrir aux décideurs un instrument mis à jour et
pertinent, à la suite de la signature de l’accord d’Oslo 2 et du transfert aux
Palestiniens de territoires en Judée-Samarie ». Le document révèle une donnée
consternante : « les "agencements de colonies" incluent 1,1 million de dounams
de terres en propriété privée arabe, constituant environ 35,6% du territoire
».
Un sondage d’opinion que le KKL a publié ces jours-ci révèle que 85% des
sondés (uniquement des Juifs) considèrent que « le peuple juif a le droit de
garder des terres au profit du peuple juif ». On ne leur a pas demandé si le
peuple juif avait le droit de prendre pour lui possession de terres au cœur de
la Bande de Gaza et dans la banlieue de Naplouse. Sous le titre « Le sionisme en
procès », Yehiel Leket, président du KKL, écrit que lorsque Chaïm Herzog a
déchiré la résolution de l’ONU qui définissait le sionisme comme un racisme, «
il ne soupçonnait évidemment pas qu’une génération plus tard, un tribunal
israélien serait appelé à juger de la question de savoir si un des principaux
organes du sionisme était coupable de racisme ». Herzog n’imaginait évidemment
pas non plus que ces mêmes organes sionistes collaboreraient au péché de
l’occupation raciste dont les graines étaient alors semées au premier «
avant-poste », Sebastia, qui avait valeur de réponse sioniste à cette
malheureuse résolution de l’ONU. Le sionisme est aujourd’hui en procès ; dans le
rapport Sasson et dans la lutte pour le droit à une vie sans occupation.
26. Route 443 par Gideon Lévy
in Ha'Aretz
(quotidien israélien) du vendredi 21 janvier 2005
[traduit de l'hébreu par Michel
Ghys]
Ce qu’on voit et ce qu’on ne veut
pas voir sur la route de Maccabim-Reout à Jérusalem.
Combien de
fois avez-vous emprunté la route 443 et regardé sur votre droite et votre gauche
? Combien de fois avez-vous choisi de monter sur cette autoroute rapide de
Maccabim-Reout à la capitale et pensé aux dizaines de milliers d’habitants qui
se retrouvent emprisonnés à cause d’elle ? Combien de fois avez-vous aperçu les
12 routes barrées qui y aboutissent ? Combien de fois avez-vous prêté attention
aux habitants des 22 villages des alentours, occupés à se faire péniblement, à
pied, un chemin sur le terrain rocailleux ? Vous êtes-vous jamais arrêté un
instant à côté du panneau indicateur qui conduit au « camp d’Ofer », formule
expurgée servant à désigner un camp de détention de masse où sont emprisonnés
actuellement 800 Palestiniens environ, la plupart sans jugement ?
Il n’y a
pas deux routes de l’apartheid comme celle-là, pas d’axe du mal comme cette voie
royale. Une route à quatre bandes et à une seule nation, pour Israéliens
uniquement, construite sur des terres palestiniennes, interdite aux déplacements
des Palestiniens, en voiture comme à pied. Une route d’occupation, avec un
barrage à l’entrée et un barrage à la sortie, où contrairement aux autres routes
de l’occupation, le trafic est important, chaque jour, morceau inséparable
d’Israël, au cœur du consensus, comme s’il n’y avait jamais rien eu là
d’incongru.
Pas d’Arabes, pas d’attentats. Ceux qui ont pensé cette route ont
tout fait pour cacher les Arabes au regard, même pour qui est fatigué de
détourner le sien et de se voiler la face. A l’interdiction absolue pour les
Palestiniens de circuler sur cette route, comme aussi de marcher sur le côté, on
a ajouté le tronçon le plus délirant qui soit, le dernier tronçon en direction
de Jérusalem. On y a caché la route par des murs en béton sur lesquels est
peinte l’incarnation du rêve israélien : sous des arches peintes apparaissent
des pelouses vertes à tout jamais sur fond de ciel d’un éternel azur, le tout
peint en couleurs par la main d’un artiste sur le béton gris qui cache les
maisons des Arabes. On peut ainsi rouler non seulement en confiance, mais dans
la fiction. Un tunnel sans toit, un monde sans Arabes, un peuple sans terre est
arrivé, ici aussi, sur une terre sans peuple, exactement comme ce conte qu’on
nous racontait dans notre enfance. A faire des randonnées vers nulle part, loin,
parmi les signaux du chemin. Simplement, ici, des blocs de béton remplacent les
pierres blanches de la chanson.
Deux silhouettes marchant d’un pas rapide,
sur la crête. Une vieille chaîne stéréo, un réservoir à gaz portable et un
toaster rouillé dans les mains d’Ibrahim Otman, un ouvrier de 27 ans, de Beit
Our. Il rentre chez lui, à pied, de Modi’in, avec son ami, Ramez Jedallah, 26
ans. Sept kilomètres à pied, chaque jour, quelque soit le temps, quatorze
kilomètres aller et retour pour essayer de trouver une journée de travail dans
la construction. L’entrepreneur s’est volatilisé, n’a pas même téléphoné, le
salaire d’un mois de travail apparemment perdu et les deux ouvriers rentrent
chez eux, honteux et humiliés. Il y en a parmi les entrepreneurs du pays qui
profitent de leur faiblesse ; les travailleurs palestiniens n’ont pas de permis
de travail en Israël et rien n’est plus facile que de retenir leur salaire et de
les menacer d’une plainte à la police. Ils sont partis de la maison à cinq
heures du matin, reviennent à midi les mains vides, en dehors des alte sachen
qu’ils ont ramassés, poubelles de Modi’in – deux hommes en séjour
illégal.
Couvert de sueur, Ahmed Moustafa descend lui aussi des collines. Il
est en chemin de Ramle à Harbata, son village. Homme à tout faire quand
l’occasion se présente, mais aujourd’hui est un jour sans occasion. Il est parti
à quatre heures et demie et maintenant il s’en retourne, les mains vides. Au
moins, le propriétaire l’a amené en voiture jusqu’à Modi’in. 22 villages
entourent la 443. Dans chacun d’entre eux habitent des milliers de personnes.
Harbata, Beit Lakia, Koufer Naama, Ras Karkar, Safa, Beit Sira, A-Tira. Certains
de ces noms sont connus par les panneaux indicateurs mais tous les panneaux sont
un leurre : ils conduisent à une route barrée. Cela aussi est une façon
d’étrangler des villages : on déverse des gravats et déchets de construction et
des immondices sur la route pour en barrer le passage et humilier encore
davantage les habitants. Votre route, comme votre vie, est dans les
ordures.
Y a-t-il un autre endroit au monde où les autorités gouvernementales
déversent des monceaux d’immondices pour barrer des routes ? Il y a des endroits
où l’occupant, en notre nom, se montre plus délicat et place des cubes de béton
de la société Ackerstein que l’armée israélienne peut déplacer chaque fois
qu’elle veut entrer dans le village. Mais immondices ou béton, il n’y a ici
aucun village dont l’accès est ouvert sur la route. Aucun village dont les
habitants peuvent emprunter la route directe. De Bidu à Ramallah ? Jadis une
vingtaine de minutes et aujourd’hui, des heures. Cette semaine, une journaliste
hollandaise s’est traînée pendant trois heures et demie sur ce trajet, à cause
des barrages.
Le trafic sur la route est pourtant rapide. Depuis qu’ici les
attentats par coups de feu ont cessé, il y a environ deux ans, il passe ici
chaque jour des milliers de voitures israéliennes, au moins vingt mille selon
une estimation non officielle. Sur les crêtes, aux alentours, d’autres routes
énormes se construisent encore. Venant d’où ? Pour aller où ? Nul ne sait au
juste. Des bergers, sur le côté de la vieille route étroite, essaient de nous
diriger vers leur village, Safa, mais toutes les voies sont barrées. Eux-mêmes
ne savent pas comment on accède en voiture. Une jeep ou un char pourrait entrer,
mais pas une voiture. « Ce sont des Juifs ? Ils ne vont pas nous rosser ? » Dans
la colonie voisine de Kiryat Sefer, se construit une ville terrifiante : le
squelette de dizaines de maisons à étages se lancent vers le ciel, enserrant,
comme pour l’étouffer, le village emprisonné.
A la sortie vers le prochain
village, Harbata, il manque visiblement un bloc de béton et le barrage a l’air
ouvert d’une brèche. Mais quand on descend de la grand-route, on découvre encore
une autre rangée de blocs. Il n’y a pas de passage. Sur le chemin que nous
parcourons à pied vers le village, nous buvons du thé dans la famille Atia, la
dernière maison avant la route. Un pare-soleil tourné face aux voitures qui
passent lourdement et dont le bruit porte au loin. Il n’y a ici aucun mur
acoustique pour protéger les habitants du vacarme, surtout celui des camions, la
nuit. Un groupe de fringants jeunes gens au chômage passe encore un jour
ouvrable sur le toit. De quoi parlaient-ils avant que nous n’arrivions ? De
travail ? De politique ? D’Abou Mazen ? Peu importe. Mais Abou Mazen est collé,
en bas, sur les murs de l’étroit tunnel qui passe sous la 443, seule issue de
Harbata sur le monde. C’est ici qu’a été tué par les tirs des soldats Rafaat
Ahmadan, un chauffeur, du camp de Shouafat, en septembre 2001. Il était le
dernier tué de la première année de la deuxième Intifada.
Les Juifs en haut,
sur la route rapide, les Arabes en bas, dans le goulet obscur, vers le
chef-lieu, Ramallah, à une ou deux heures de là. Parfois des soldats se tiennent
près de l’entrée et interdisent tout mouvement. C’était le cas hier. Pendant
cinq heures, les soldats sont restés là et Harbata n’avait plus d’issue. Une
caméra est installée au-dessus de l’entrée du tunnel, tournant silencieusement
d’un côté à l’autre, Big Brother voit tout. Il n’y a pas longtemps, un de ces
jeunes gens a osé traverser la 443 à pied. Au bout du compte, tout ça, jadis,
c’était ses oliveraies. 1750 shekels d’amende. Il est interdit de marcher sur la
route.
La majorité des habitants de ce village circulent avec une détention
avec sursis pour séjour illégal en Israël. Les a-t-on indemnisés pour les terres
expropriées ? Grand rire. « Il y a de nombreux peuples qui ont fait tomber des
gouvernements, mais l’opinion publique israélienne se tait et ne fait rien. Elle
accepte tout », dit un des jeunes gens sur le toit, face à l’autoroute.
Un
panneau indicateur : Beit Horon, Camp de la police des frontières de Beit Horon
et A-Tira : à droite. La route est ouverte vers deux de ces endroits, devinez
lesquels. Des blocs de béton à la sortie vers A-Tira et un pont pour les colons
et la police des frontières de Beit Horon.
Deux jeunes filles palestiniennes,
éblouissantes, descendent d’un taxi jaune près des blocs de béton. Elles sont de
A-Ram, à côté de Jérusalem, elles sont venues rendre visite à leur sœur et font
maintenant le chemin de retour chez elles. Essaient de faire le chemin de retour
chez elles. Elles n’ont pas idée de la manière dont elles vont y arriver, ni qui
s’arrêtera pour elle sur la 443. Impuissantes, elles se tiennent sur le
bas-côté, peut-être viendra-t-il un taxi de Jérusalem-Est qui les prendra. Vous
partez de chez vous le matin sans savoir ni comment ni quand vous
reviendrez.
A l’intérieur d’A-Tira, une file de voitures avec des plaques
israéliennes, stationnent à côté du barrage. Ces voitures-là se sont retrouvées
coincées dans le village, sans possibilité d’en sortir. A-Tira est barré. Des
blocs de béton à l’entrée principale venant de la 443 ; une voie sans issue
donnant sur les vergers et aussi un chemin de terre qui mène, d’une manière ou
d’une autre, vers l’extérieur, vers le village voisin de Harbata et à partir de
là, plus loin vers Ramallah en passant par le tunnel. Mais ce chemin-là est
réservé aux véhicules hauts et puissants.
Le taxi Transit de Mohammed Yassin
Hamed, un des deux chauffeurs du village, ne fait que des allers et venues à
l’intérieur du village, se démenant dans tous les sens comme un animal en cage.
Un shekel et demi la course, de l’épicerie à la maison, du barrage à l’école. Le
Transit ne peut pas franchir la route de gravier pour aller à Harbata et de là,
vers le monde extérieur. L’essence, on la lui apporte en jerricanes, qu’on
s’échange, près des blocs de béton, par la méthode du dos à dos, celle qu’on
emploie pour amener les autres marchandises. Un village de 2500 habitants, dit
le panneau sur la route. Une Ford Fiesta remplie d’œufs stationne maintenant à
côté du barrage de blocs de béton, attendant d’être déchargée. Qu’advient-il des
malades ? Et des femmes sur le point d’accoucher ?
A-Tira est un beau
village. Pas mal de magnifiques maisons en pierres, propriétés, dans bien des
cas, de citoyens américains qui reviennent régulièrement rendre visite à leur
village assiégé. Même le chef du conseil local, Issa Amin, est citoyen américain
; pour preuve, les deux aigles noirs, en pierre, placés à l’entrée de sa maison.
Hamed, le chauffeur, a été pendant dix ans, l’électricien de Givat Zeev qui est
voisin, jusqu’au jour où il a été congédié et où il est devenu le chauffeur du
village. Son certificat d’électricien diplômé reste inutilisé, à un mur de sa
petite maison.
Et qu’est-ce que ce petit goulet là-bas en bas, au bout de
l’escalier de pierres qui descend en serpentant depuis le village jusqu’à la
vallée des oliviers ? C’est le chemin vers l’école des filles. L’ancien bâtiment
en pierres est situé de l’autre côté de la route des Juifs et les jeunes filles
sont obligées de s’y rendre en passant par ce tunnel pour piétons, étroit,
sombre, pas plus haut que la taille d’un homme, et qui a été creusé sous la
route, là sous notre nez, sous les voitures qui passent à toute allure. Le
chemin du lycée.
27. Arafat vu par "Le Monde"
in
Le Monde du jeudi 11 novembre 2004
Au fil des
années, des événements et des retournements, les correspondants de notre
quotidien se sont succédé pour tenter de cerner la personnalité du chef de
l'OLP. Voici des extraits de leurs articles, depuis
1969.
LE GUÉRILLERO - Eric Rouleau dans Le Monde
du 21 Février 1969
La première interview de
Yasser Arafat, deux semaines après son élection à la tête du comité exécutif de
l'OLP le 4 février 1969.
(...) "Nous ne serons ni les lapins des
contre-révolutionnaires arabes ni les Peaux-Rouges des juifs." M. Yasser Arafat,
dit Abou Ammar, dirigeant d'El Fath -Fatha- et, depuis peu, président de
l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), se crispe. Il vient de
répondre à la question désormais rituelle : que deviendront les guérilleros
palestiniens si la Jordanie et l'Egypte parviennent à régler pacifiquement leur
conflit avec Israël ?
M. Yasser Arafat avait interrompu en pleine nuit une
tournée qu'il effectuait dans les "bases" des fedayins, qui recouvrent, telle
une toile d'araignée, le territoire jordanien, pour rencontrer l'envoyé spécial
du Monde au siège d'El Fath à Amman. Vêtu d'un blouson, la "kouffieh" bédouine
sur la tête, l'inséparable mitraillette en bandoulière, il était venu,
disait-il, s'excuser de ne pouvoir faire des déclarations à la presse. "Le
comité exécutif de l'OLP, ajoutait-il, m'a interdit de donner des interviews. Et
à juste titre. La presse à sensation a déformé mes propos. En outre, nous ne
voulons pas répéter les erreurs commises avant la guerre de six jours par les
dirigeants arabes, qui parlaient à tort et à travers. Après tout, je ne suis pas
un politicien. Je suis un combattant, et la mitraillette est mon mode
d'expression."
A l'âge de 39 ans, en effet, notre interlocuteur se prévaut de
vingt ans de lutte armée, y compris les périodes plus ou moins longues de
préparation militaire, dans le but de "libérer la Palestine de l'emprise
sioniste." (...)
"Nous ne sommes pas de ceux qui croient à la fable des
"colombes" et des "faucons" en Israël. Tenez, je vous livre un secret : après la
guerre de juin, j'ai vécu clandestinement en Israël pendant quatre mois... Sous
une fausse identité, j'ai pu fréquenter tous les milieux politiques, de
l'extrême droite à l'extrême gauche. Je pense en particulier à une soirée
mémorable que j'ai passée à Tel-Aviv chez un juif originaire d'un pays arabe, en
compagnie de convives de diverses tendances. C'est dire que je connais
intimement le monde politique israélien. Je peux affirmer catégoriquement que,
sous une forme ou une autre, les responsables sionistes sont tous
expansionnistes.
Leurs divergences ne portent que sur la manière de procéder.
Quelle différence y a-t-il, en effet, entre l'homme politique qui préconise
l'annexion pure et simple et celui qui veut installer des troupes tout au long
du Jourdain et dans le Sinaï, et celui encore qui pose comme condition la
création d'un prétendu marché commun moyen-oriental que dominera forcément
Israël ? Les monopoles internationaux, associés aux capitaux sionistes, veulent
contribuer à recueillir les bénéfices scandaleux de l'extraction et de la
commercialisation du pétrole arabe.
Non, nous ne voulons pas vivre, nos
enfants ne vivront pas, sous la férule de ce trust mondial qui a fait d'Israël
le fer de lance de sa pénétration économique au Moyen-Orient. En d'autres
termes, c'est le régime sioniste que nous visons, non les juifs de Palestine.
C'est dans leur intérêt tout autant que dans le nôtre que nous voulons créer une
Palestine démocratique, libérée de la mainmise impérialiste, et dans laquelle
musulmans, chrétiens et juifs vivront sur un pied d'égalité.
Croyez-vous que
l'opinion mondiale vous suivra sur la voie qui conduit à la destruction de
l'Etat d'Israël ? D'ailleurs, toutes les grandes puissances sont d'accord pour
assurer sa sécurité et son avenir.
Nous le savons. Mais notre action
révolutionnaire les amènera à changer d'avis. L'attitude de l'URSS, nous
semble-t-il, commence à évoluer en notre faveur. Les réalités commencent à
l'emporter sur les vœux pieux." (...)
L'ORATEUR - Henri Pierre dans Le Monde du 15
novembre 1974
Arafat à la tribune de l'Assemblée générale de l'ONU le 13 novembre
1974.
Jamais la cause de la Palestine n'avait été présentée aussi complètement
devant le public américain, et avec une éloquence tranchant sensiblement sur la
retenue et le détachement compassé qui caractérisent les discours devant
l'aréopage international. M. Arafat a tenu un langage imagé, celui d'un tribun
populaire, ou plutôt d'un conteur arabe ; son discours était plein de fleurs de
rhétorique, d'images poétiques, ponctué par des mimiques et des gestes de
mains.
Le grand public américain a sûrement pris davantage conscience d'un
problème dont il n'avait jusqu'alors qu'une faible connaissance. Sur ce terrain,
le leader de l'OLP a atteint son objectif : ramener au centre de l'attention
générale le problème palestinien, jusqu'à présent ignoré ou considéré comme un
simple problème de réfugiés.
En quelques heures également, il s'est assuré une respectabilité
internationale, confirmée dans la soirée par son apparition à une grande
réception offerte par l'ambassadeur d'Egypte ; les représentants des Etats-Unis
ne répondirent pas à l'invitation, mais on nota, en revanche, la cordiale
poignée de main et les propos aimables échangés entre le leader palestinien et
M. de Guiringaud, représentant de la France aux Nations unies. Les vétérans de
l'Organisation ne pouvaient s'empêcher d'évoquer l'époque où, l'Algérie étant
considérée comme un département français, aucun membre de la délégation
française n'aurait songé à serrer la main d'un "terroriste" du FLN.
Il est vrai que M. Yasser Arafat n'a pas tenu un langage de violence ; Il
avait laissé son "arme au vestiaire", littéralement parlant. Lorsque, les deux
mains au-dessus de la tête comme un champion de boxe, il salua l'Assemblée qui,
debout, lui faisait une ovation, l'étui de son revolver apparaissait, mais il
était vide... Certes, le leader palestinien est fidèle à son image. Il portait
très long le keffieh à carreaux blancs et noirs, le blouson ouvert sur une
chemise brune, sans cravate. Mais il s'était rasé, et il déposa ses fameuses
lunettes noires sur le pupitre de la tribune. En revanche, en bon chef
révolutionnaire, il dédaigna le fauteuil d'apparat que lui avait réservé
(abusivement selon beaucoup de délégués, qui rappelaient que le fauteuil n'est
accordé qu'aux chefs d'Etat) M. Bouteflika.
Quant à son discours, il n'apporta rien de fondamentalement nouveau sur le
fond. M. Yasser Arafat a répété que l'objectif de l'OLP était de créer un Etat
palestinien démocratique et laïque. "Pourquoi ne pas rêver et espérer, a-t-il
dit, que je reviendrai un jour d'exil avec mon peuple, pour vivre dans
l'égalité, la fraternité et la justice avec nos frères chrétiens, juifs et
musulmans ?" Il évoqua Washington, Lincoln et Wilson pour demander l'appui des
Américains qui, eux aussi dans leur histoire, furent des terroristes... Il
invita les juifs à se détourner du sionisme, à sortir de leur "isolement moral",
pour travailler à la création d'une Palestine libre et démocratique.
Mais, en dehors du ton généralement conciliant, des appels à "l'homme
juif", de la distinction qu'il fit entre le judaïsme et le "sionisme
impérialiste et raciste", le discours de M. Yasser Arafat ne contenait rien qui
permette d'entrevoir un compromis, notamment sur la question essentielle de la
reconnaissance du droit à l'existence d'Israël, toujours assimilé à un ennemi, à
un "envahisseur" (...).
LE CATALYSEUR - Edouard Saab dans Le Monde
du 15 novembre 1974
Portrait
Grand, brun, le teint blême, le regard à la fois aigu et doux, une large
bouche ourlée de lèvres gourmandes, toujours entrouvertes sur des dents
éclatantes, l'allure débonnaire, le leader de l'OLP n'évoque guère, pour qui le
rencontre, le redoutable guérillero que d'aucuns imaginent derrière ses
perpétuelles lunettes noires, qui accentuent l'aspect peu engageant d'une barbe
de plusieurs jours. Quant à sa tenue d'aspect martial - keffieh noir et blanc
des fedayins, tunique Mao kaki, revolver à la hanche, bottines de crêpe, - elle
contribue, dit-on dans son entourage, à lui donner une "prestance
révolutionnaire", et, ajoutent certains, "l'aide à vaincre une certaine
timidité". (...)
Il n'a rien de son bruyant prédécesseur -à la tête de l'OLP, Ahmed
Choukeiri-. Piètre orateur, il déteste les envolées théâtrales et se montre en
toute circonstance discret, pondéré, pragmatique. On le prend un moment pour un
guérillero de salon, inoffensif, en quête d'un rôle qui lui permette de sortir
de la clandestinité du maquis pour siéger autour d'une table de conférence. Or
il se révèle une tête politique à l'occasion de la guerre civile
jordano-palestinienne de 1970. Son autorité était alors contestée, et par les
organisations palestiniennes rivales qui l'accablaient pour ses prises de
position attentistes et sa "complaisance" envers les régimes arables de droite,
et par les gouvernements "frères", qui lui reprochaient de se laisser déborder
par les groupuscules extrémistes, à tel point que ceux-ci avaient engagé, malgré
lui, l'épreuve de force contre l'armée de Hussein. Pour toute réponse, M. Arafat
s'est employé à "tirer sa force de sa faiblesse", selon le dicton arabe.
Tout en reconnaissant les abus dont les organisations rivales du Fath
s'étaient rendues responsables, il prend quand même fait et cause pour ces
dernières mais s'impose à la fois aux gouvernements arabes comme l'interlocuteur
le plus valable, parce que le plus pondéré et le moins démagogue. Il ne se
réclame pas, en fait du marxisme-léninisme : c'est un musulman pratiquant et
sobre, qui jeûne tout le mois du ramadan. Dans l'épreuve du "septembre noir" de
1970, il est apparu comme une sorte de catalyseur de tous les courants
politiques et idéologiques qui animaient la révolution palestinienne.
Son habileté a toujours été de jouer les gouvernements arabes les uns
contre les autres, sans jamais s'inféoder à l'un d'eux, au risque de se voir
privé pour un temps des subsides indispensables à la guérilla.
S'il a su, pour le plus grand profit de la cause de l'OLP, exploiter les
contradictions inter-arabes, tout en prêchant, et avec quelle ferveur, "l'unité
des rangs face à l'ennemi commun, Israël", M. Arafat n'a jamais accepté de
cautionner une action disciplinaire destinée à mettre de l'ordre au sein de la
résistance. Non qu'il refuse, comme il dit, d'endosser l'impopularité, mais il
estime qu'une "cassure" de la résistance serait plus grave par rapport aux
objectifs stratégiques de celle-ci que les conséquences d'une faute dont se
rendrait coupable un groupuscule égaré, "ou qui veut faire parler de lui".
Cette faiblesse calculée lui fut souvent reprochée ; elle l'a en fait aidé
à neutraliser un certain nombre de ses détracteurs. En fin de compte, si
contesté soit-il par la frange "extrémiste" de la résistance, il s'est révélé
progressivement comme le leader le plus qualifié pour défendre la cause des
Palestiniens.
LE "VIEUX" - Françoise Chipaux dans Le Monde
du 11 septembre 1993
La bataille décisive de Yasser Arafat.
Le "Vieux" est devenu un symbole. Mais il prend aujourd'hui la décision la
plus risquée de sa vie. Une fois encore, le "Vieux", comme l'appellent
familièrement ses compagnons, a surpris tout le monde. Les ors de la salle de
conférence de Madrid où s'étaient solennellement ouvertes, il y a deux ans, les
négociations de paix, Yasser Arafat avait dû les regarder à la télévision
marocaine. Nombreux alors étaient ceux qui le vouaient aux oubliettes de
l'Histoire.
Tous les regards étaient tournés vers ces Palestiniens de l'intérieur, ces
"gens raisonnables et seuls concernés" avec lesquels Israël acceptait de parler.
Mis sur pied par une Amérique triomphante au lendemain de la guerre du Golfe, le
processus de paix n'était-il pas une manière d'écarter, à la plus grande
satisfaction de tous, une OLP qui avait choisi le camp du vaincu ?
C'était sans compter sur les prodigieuses capacités de ce vieux renard de
la politique de retourner les situations les plus désespérées. Qui eût pu croire
alors qu'Israël, l'ennemi de toujours, pour lequel il n'était qu'un
"terroriste", en viendrait, deux ans après, à accepter l'inexorable : il n'y
avait pas de solution sans lui. Il avait la haute main sur la délégation
palestinienne, et ne manquait pas de rappeler à ses membres : "Qui vous a fait
roi ?" Il n'a donc pas hésité, le moment venu, à lui faire faire de la
figuration quand ses proches négociaient dans le plus grand secret.
Pour ce militant de toujours, qui n'a pas passé plus de cinq ans de sa vie
en "Palestine", pouvoir peut-être y mettre bientôt le pied est plus qu'un rêve,
une revanche sur l'injustice d'une Histoire qu'il a faite sienne très tôt.
(...)
C'est pour s'être longtemps dit marié à la "révolution" que son mariage, en
1992, avec Souha Tawil, de trente ans sa cadette, jettera sur le "Vieux" une
ombre persistante parmi la population palestinienne. Le mythe est égratigné. Car
plus qu'un chef, Yasser Arafat est devenu pour tous, au-delà des critiques de
plus en plus nombreuses et acerbes, le symbole de la Palestine.
Au fil des années, n'a-t-il pas confondu la cause et sa personne ? Beaucoup
en sont convaincus, même autour de lui, qui dénoncent sa manière de plus en plus
autocratique de gouverner et sa faiblesse coupable devant des courtisans très
éloignés de la base.
L'homme, c'est clair, n'aime pas la critique et a la colère facile. Depuis
la mort d'Abou Iyad et d'Abou Jihad, ses vieux compagnons de lutte, nul n'a plus
guère de prise sur lui. Il a tout fait pour cela. Il est indispensable.
L'angoisse ressentie par tous, lors de son accident d'avion, au mois d'avril
1992, en Libye, en fut le révélateur.
Brusquement, c'était la Palestine qui paraissait engloutie dans les sables
du désert tant il est vrai que nul ne jouit de son aura et n'a la capacité
d'imposer une décision contre vents et marées. Celle d'aujourd'hui est sans
doute la plus risquée de sa vie et il lui faudra plus que de l'habileté pour la
faire accepter.
Les contacts avec Israël ? Depuis longtemps, Yasser Arafat les souhaitait
et encourageait en sous-main ses proches à en prendre, convaincu qu'il était,
depuis 1974, du caractère inéluctable de l'existence de l'Etat juif. L'un des
premiers à se risquer à ce jeu, Issam Sartaoui -conseiller politique de Yasser
Arafat-, le paiera de sa vie, assassiné par les hommes d'Abou Nidal -terroriste
dissident de l'OLP-, le 10 avril 1983, au Portugal. Dix ans plus tard, la
reconnaissance paraît d'autant plus chèrement payée qu'elle est davantage
imposée par les circonstances que librement consentie.
Dans cette partie de poker inégale, Yasser Arafat n'a pas en main les
cartes maîtresses. Lui qui s'est toujours sorti de toutes les situations paraît
d'autant plus vulnérable qu'aujourd'hui "son" peuple hésite. Tacticien plus que
stratège, saura-t-il triompher des pièges que ne manqueront pas de lui tendre
ses adversaires de tous bords ? Son légitime désir de prendre pied en Palestine
ne risque-t-il pas de se retourner contre lui ? En ce moment crucial, le
malaise, qui confine à la crise de confiance au sein de l'OLP, ne met-il pas en
doute le combat de cet homme qui n'a pas livré le plus gros de ses secrets
?
LE "CHEF DE VILLAGE" - Jean-Pierre
Langellier dans Le Monde du 13 septembre 1994
Yasser Arafat à l'épreuve de Gaza.
Nul n'est prophète en son pays. Le vieux proverbe tourmente-t-il Yasser
Arafat ? Depuis son retour d'exil le 1er juillet, depuis ce jour où il a choisi
d'inscrire son destin dans les limites du réel, "entrant en géographie" par
crainte d'être une fois pour toutes chassé de l'Histoire, le chef de l'OLP a
bien du mal à incarner son propre mythe.
Comment pourrait-il en être autrement ? Pendant un quart de siècle, le
leader palestinien, adulé ou haï, eut le monde pour théâtre de ses chimères.
Gaza, où il a enfin élu domicile, est un rivage trop étriqué pour préserver sa
légende. Ce territoire minuscule et surpeuplé ne forme, avec Jéricho, qu'un
"fœtus d'Etat", un "noyau de patrimoine" dont Yasser Arafat, en cette période
d'autonomie, n'est qu'un locataire sous étroite surveillance. La Palestine lui
reste une "terre promise".
Longtemps hanté par l'infortune du grand mufti de Jérusalem, dont
l'entêtement aveugle avait contribué à la défaite palestinienne de 1948, Yasser
Arafat ne voulait pas mourir, comme lui, en exil. Cette inquiétude personnelle
joua son rôle dans le renoncement à l'objectif sacré de la "reconquête" sur les
décombres de l'Etat juif, dans l'abandon des rêves et la conversion au réalisme.
Qui lui reprochera d'avoir, il y a un an, tourné le dos à l'intransigeance
suicidaire et choisi la "paix des braves" qui lui permit de retrouver sa patrie
? Mais si Yasser Arafat ne semble pas aujourd'hui à la hauteur du défi que
l'Histoire lui lance, c'est d'abord parce que guerre et paix, révolution et
gestion, s'accommodent mal des mêmes hommes, que les guides des mouvements de
libération font rarement les meilleurs bâtisseurs d'Etat. Conduire une lutte
d'émancipation nationale et construire un pays démocratique et moderne exigent
des qualités différentes, et parfois contraires.
N'est pas de Gaulle qui veut, ni même, dans un autre registre, Habib
Bourguiba ou Jomo Kenyatta -le premier président du Kenya indépendant en 1964-.
Rien d'étonnant donc que ses disciples lui reprochent maintenant les traits de
caractère qu'ils appréciaient hier au plus fort du combat : ses ruses, ses
penchants autoritaires, son désir de tout contrôler, son obsession du détail,
son goût et sa culture du secret. Peut-on devenir un Yasser Arafat, rassembleur
et tolérant, quand on était, il y a peu, un Abou Ammar chef de guerre ombrageux
et tranchant ?
Le leader de l'OLP connaît le principal danger qui le guette : être
marginalisé tout en s'usant à la tâche, dilapider son prestige dans les aléas de
l'intendance, rester pour longtemps l'administrateur d'un "bantoustan
palestinien", le "maire de Gaza". "Je n'oublie pas, confiait-il voilà près de
deux ans, que Churchill a perdu sa victoire. Peut-être que cela m'arrivera
aussi." Une comparaison abusive, mais lucide.
Vivant désormais parmi son peuple, avec ses clans et ses conflits, ses
espoirs et ses soucis, Yasser Arafat est contraint de se comporter comme un
mukar, un chef de village traditionnel arabe, donnant audience aux notables
comme aux chômeurs, écoutant les doléances et distribuant les avis. Hier un des
personnages les plus "médiatisés" de cette fin de siècle, il ne se montre plus
guère, officiellement pour des raisons de sécurité. (...)
L'ÉLU - Patrice Claude dans Le Monde du 23
janvier 1996
Yasser Arafat "couronné" premier président élu du Conseil de
l'autonomie en Cisjordanie et à Gaza.
Le pistolet Smith et Wesson à crosse de nacre qu'il portait jadis en toute
occasion à la hanche droite est enfermé depuis des mois dans le placard à
souvenirs. Yasser Arafat n'a conservé de son long passé de chef de guerre que
trois attributs : "Abou Ammar", son pseudonyme dans la clandestinité, l'uniforme
militaire qu'il revêt en toute occasion et le ton sans réplique de l'ancien
dirigeant révolutionnaire habitué à l'obéissance de ses subordonnés.
"Couronné" par le scrutin de samedi, au-delà peut-être des espérances de
ses partenaires israéliens et occidentaux, à la tête de l'organe exécutif qui
gérera, jusqu'en mai 1999, l'autonomie accordée en diverses enclaves par Israël,
M. Arafat abandonnera-t-il une parcelle de son pouvoir aux quatre-vingt-huit
membres du Conseil intérimaire nouvellement élu ? Beaucoup dépendra de ces
derniers, certes, et de la manière dont ils sauront se faire entendre.
Mais, s'il choisit d'en passer par là, Yasser Arafat devra faire violence à
sa nature profonde. En fait, rien ne l'y oblige. En théorie, le Conseil s'occupe
exclusivement des affaires civiles de l'autonomie et le président conserve le
droit de convoquer, ou pas, les sessions, de signer, ou pas, les lois votées et
de prendre en compte, ou pas, les desiderata de l'Assemblée dans les
négociations avec Israël.
Visionnaire et tyrannique, obstiné et oscillant, gaffeur et imprévisible,
l'homme-au-keffieh s'est toujours fié, d'abord et avant tout, à son instinct.
Miraculé d'une demi-douzaine de complots et d'aventures mortelles, combats au
Liban, tentatives, israéliennes et autres, d'assassinat, accidents de voiture et
même d'avion, etc., ce petit diable d'homme, chauve, bedonnant, colérique et
théâtral, a survécu à tout. (...)
LE PRISONNIER - Gilles Paris dans Le Monde
du 14 mars 2002
Yasser Arafat entre deux cages.
Beyrouth hier. Beyrouth demain ? Comme si un sortilège opiniâtre unissait,
pour le pire et pour le meilleur, la capitale libanaise au "raïs" de l'Autorité
palestinienne. "Beyrouth ? Si Dieu le veut", glisse ce soir-là un Yasser Arafat
songeur, enfermé depuis trois mois à Ramallah, en Cisjordanie, quelques jours
avant qu'Ariel Sharon, le premier ministre israélien, ne lève la sanction.
L'homme qui quitte prestement son bureau et pose devant une reproduction de
l'esplanade des Mosquées (le mont du Temple pour les juifs) est plus vieux de
vingt ans que celui qui échappait au siège imposé par l'armée israélienne à une
ville déchirée par la guerre civile. La maigre barbe a blanchi et la silhouette
est un peu plus replète, mais la détermination n'a pas été altérée par les
années. Dans la nuit, non loin de son camp retranché, la canonnade retentit. Une
guerre se poursuit. Mardi 12 mars, les chars de Tsahal quadrillaient la
quasi-totalité de Ramallah. Lui patiente, et compte bien pouvoir triompher d'un
autre siège et de la même armée pour revenir à Beyrouth et assister en vainqueur
au sommet de la Ligue arabe qui s'y tiendra à la fin du mois de mars.
Début février, le premier ministre israélien, Ariel Sharon, qui avait
engagé son pays dans cette aventure libanaise, avouait regretter de ne pas
l'avoir "liquidé" à l'époque. Magnanime, le miraculé avait presque aussitôt
répondu à des journalistes israéliens qu'il "pardonnait" à l'impudent. Puis il
s'était adressé directement à lui pour l'inviter à revenir à la table des
négociations et pour lui rappeler sardoniquement "le bon vieux temps" des
palabres, en 1997, lorsqu'il avait conclu avec lui et Benyamin Nétanyahou, dont
il était le ministre, un accord resté lettre morte. "Arafat a un rapport au
temps qui défie l'entendement, glisse un diplomate européen. Il agit toujours
comme s'il n'avait aucune limite, comme s'il avait l'éternité devant lui. Comme
s'il n'avait pas déjà dépassé 72 ans." "Il a toujours été croyant mais je crois
qu'il a changé après l'accident d'avion dont il avait réchappé en Libye. Depuis,
il est convaincu d'avoir une destinée un peu à part", assure un proche.
"Arafat : revient toujours de loin." Dans le dictionnaire des idées reçues
du Proche-Orient, son article n'a toujours pas à être réactualisé. En décembre
2001, le chef de l'Autorité se trouve pourtant dans la pire passe jamais
traversée depuis le début du processus de paix, en 1993. Son enfermement à
Ramallah, décrété par le gouvernement israélien après des attentats sanglants
perpétrés par le Mouvement de la résistance islamique (Hamas), est présenté par
la presse israélienne comme la probable fin politique de celui dont le ministre
israélien de la défense, Benyamin Ben Eliezer, assure alors que son rôle
historique est "achevé". En janvier, après l'affaire du Karine-A, ce navire
chargé d'armes de contrebande arraisonné par les Israéliens et dont l'Autorité
palestinienne ne parvient pas à se dépêtrer, la Mouqata'a, ce quartier général
sans grâce hérité de l'administration militaire israélienne, apparaît comme un
mausolée en puissance, où le repos du vieux "raïs" est à peine troublé par les
visites et par les rugissements des blindés israéliens. Aujourd'hui autorisé à
se déplacer entre Gaza et la Cisjordanie, M. Arafat peut, selon l'expression du
directeur de cabinet de M. Sharon, Ouri Chani, "passer d'une cage à
l'autre".
Cette réclusion conclut une année noire. Perçu comme celui qui a refusé les
propositions "généreuses" des Israéliens à Camp David puis à Taba, même si la
réalité est autrement plus complexe, incapable de maîtriser l'Intifada, M.
Arafat a pu constater enfin qu'à Washington la nouvelle administration
républicaine lui est résolument hostile. Pendant de longues semaines, M. Sharon
pousse méthodiquement son avantage contre l'Autorité palestinienne qualifiée
d'"entité soutenant le terrorisme", puis contre son chef jugé en hébreu
"irrelevanti" ("hors jeu"), immobilisé et humilié. Mais M. Sharon ne peut aller
jusqu'au bout, se débarrasser de son vieil ennemi. Les Etats-Unis s'y opposent
et son effort faiblit, comme un pendule en bout de course. (...)
[Selon le logiciel de messagerie que
vous utilisez, les accents peuvent présenter des défauts d'affichage. Nous vous
remercions de votre
compréhension.]