DERNIER APPEL - Le 21 févier dernier, nous avons lancé un appel aux dons intitulé : "Qui gagne, perd ?", dans lequel nous vous informions, qu'après 22 mois de procédures (éprouvantes), nous avions gagné le procès que nous avait intenté le Consistoire Israélite de Marseille. Nous vous informions aussi que le coût financier global de cette affaire s'élevait à 16.290 euros. Sur 10.118 destinataires du Point d'information Palestine (au 21/02/2005) nous avons reçu à ce jour, 496 messages de soutien... et 42 dons par chèque ou par virement, pour un montant de 1695 euros... Au mois d'avril, nous avons encore été l'objet d'une attaque informatique, qui a nécessité l'intervention de trois informaticiens. La faible participation à notre opération de soutien financier nous a amené à nous interroger sur la poursuite de cette expérience d'information alternative. Toujours est-il, qu'après avoir très sérieusement songé à mettre un terme définitif à ce travail que nous réalisons bénévolement depuis le 21 novembre 1999, nous avons décidé de continuer, ainsi que de prolonger notre campagne de soutien... Nous comptons plus que jamais sur votre mobilisation financière aussi modeste soit-elle... Merci d'avance. La situation du peuple palestinien est loin de s'améliorer, malgré "l'excellente campagne de communication" menée par le service de presse de l'armée israélienne autour du "retrait" de Gaza, et les perspectives politiques très incertaines. Nous devons plus que jamais rester mobilisés. Il est de notre devoir d'informer sur ce qui se passe réellement en Palestine occupée.
           
Point d'information Palestine N° 254 du 23/09/2005
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Rédacteur en chef : Pierre-Alexandre Orsoni

                                       
Nous pouvons, si vous le souhaitez, vous adresser le Point d'information Palestine en format pièce-jointe RTF sur simple demande à : lmomarseille@wanadoo.fr
Cette newsletter est envoyée directement à un réseau strictement privé de 10.398 destinataires et n'est adossée à aucun site internet. Les propos publiés dans cette lettre d'information n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs et ne représentent pas nécessairement le point de vue de La Maison d'Orient. L'accès au Point d'information Palestine est gratuit. Vous en bénéficiez parce que vous êtes déjà inscrit ou que quelqu'un a voulu vous en faire profiter. Conformément à la loi [art.34 de la loi "informatique et Libertés" du 6 janvier 1978], vous disposez d'un droit d'accès, de modification et de suppression des données qui vous concernent. Si vous vous ne souhaitez plus le recevoir, vous pouvez vous désinscrire en renvoyant un message à lmomarseille@wanadoo.fr avec pour objet “Désinscription”. Consultez régulièrement les sites francophones de référence :
      
                       
Opération SOS Point d'information Palestine 2005 [prolongée jusqu'au 21 novembre 2005]
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Au sommaire
                   
Dernières parutions
1. Vers la 4e guerre mondiale ? de Pascal Boniface aux éditions Armand Colin
2. Rester sur la montagne de Moustapha Barghouti Entretiens sur la Palestine avec Eric Hazan
3. Israéliens – Palestiniens, que peut le cinéma ? de Janine Halbreich-Euvrard (Préface de Kenizé Mourad) aux éditions Michalon
4. Allers-Retours de Ilan Halevi aux éditions Flammarion
5. Alternatives Sud N° 12 (Mars 2005) Palestine : mémoire et perspectives Points de vue palestiniens, coordonnés par Bichara Khader aux éditions Syllepse
                                                        
Réseau
1. Israël est occupé à transformer Abbas en bouc émissaire, comme il l’a fait pour Arafat par Hanan Ashrawi (11 avril 2005)
2. Discours de Nurit Peled-Elhanan à la Journée Internationale des Femmes au Parlement Européen de Strasbourg (8 mars 2005)
3. Irak : On reproche aux forces américaines de tirer sur les journalistes (Mars 2005) Un dossier réalisé par l'IFEX (Échange international de la liberté d'expression)
                          
Revue de presse
1. Au lendemain des fêtes par Mohamed Moustapha in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 21 septembre 2005
2. "Nos valeurs" et les terroristes par Michel Lelong in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 18 septembre 2005
3. Le cri de Chatila : "Droit au retour" par Stefano Chiarini in Il Manifesto du samedi 17 septembre 2005
4. Qui cherche à noyer le… poison ? par Ryadh Fékih in Réalités du jeudi 15 septembre 2005 
5. Joha l’Israélien ! par Elias Khoury in Al-Quds Al-Arabi du mardi 13 septembre 2005
6. Et que fait Israël des mosquées ? par Meron Benvenisti in Ha'Aretz du jeudi 8 septembre 2005
7. Leïla Shahid : "Les Israéliens ont atomisé le tissu social de Gaza" entretien réalisé par Emilie Sueur in L’Orient-Le Jour du jeudi 25 août 2005 
8. On dit que Tulkarem a été libéré par Amira Hass in Ha'Aretz du mercredi 23 mars 2005
9. Arabes : les mots des maux par Hichem Ben Yaïche in Le Quotidien d'Oran du mardi 22 mars 2005
10. La tournée de Leïla Shahid dans les lycées crée la polémique par Marie-Estelle Pech in Le Figaro du jeudi 17 mars 2005
11. Des munitions pour repousser toute critique par Amira Hass in Ha'Aretz du mercredi 16 mars 2005
12. Graffitis à Sabra et Chatila par Jalel El Gharbi in BabelMed Newsletter N° 32 du mercredi 16 mars 2005
13. Les vérités cachées par Gabriele Polo in Il Manifesto du samedi 12 mars 2005
14. Violées, enlevées, égorgées, l’enfer au carré des Irakiennes par Anne Sophie Le Mauff in L'Humanité du samedi 12 mars 2005
15. Un oiseau ne passera pas par Gideon Lévy in Ha'Aretz du vendredi 11 mars 2005
16. Jamais elle ne sera achevée par Amira Hass in Ha'Aretz du mercredi 9 mars 2005
17. De l’arabisation à l’internationalisation par Samir Sobh in La Gazette du Maroc du lundi 7 mars 2005
18. Le coût caché de la politique israélienne d'occupation par Chris McGreal in The Guardian du vendredi 25 février 2005
19. Bonjour, la Gauche par Gideon Lévy in Ha'Aretz du dimanche 13 février 2005
20. Le Goush Katif d’en bas par Gideon Lévy in Ha'Aretz du vendredi 11 février 2005
21. Naissance d’une nouvelle langue, dont l’étude est susceptible de révéler les fondements d’une "grammaire humaine" in Le Scienze du 8 février 2005
22. Seul Bush sait ce qui attend les néocons au tournant… par David Ignatius in The Daily Star du lundi 7 février 2005
23. Israël redoute Condi, la Mère-Fouettarde de la paix par Tony Allen-Mills & Uzi Mahnaimi in The Sunday Times du dimanche 6 février 2005
24. Lifta, et pas Mei Naftoah par Daphna Golan-Agnon in Ha'Aretz du mercredi 2 février 2005
25. Le procès de qui ? par Akiva Eldar in Ha'Aretz du lundi 31 janvier 2005
26. Route 443 par Gideon Lévy in Ha'Aretz du vendredi 21 janvier 2005
27. Arafat vu par "Le Monde" in Le Monde du jeudi 11 novembre 2004
LE GUÉRILLERO - Eric Rouleau dans Le Monde du 21 Février 1969 La première interview de Yasser Arafat, deux semaines après son élection à la tête du comité exécutif de l'OLP le 4 février 1969.
L'ORATEUR - Henri Pierre dans Le Monde du 15 novembre 1974
 Arafat à la tribune de l'Assemblée générale de l'ONU le 13 novembre 1974.
LE CATALYSEUR - Edouard Saab dans Le Monde du 15 novembre 1974 Portrait.
LE "VIEUX" - Françoise Chipaux dans Le Monde du 11 septembre 1993 La bataille décisive de Yasser Arafat.
LE "CHEF DE VILLAGE" - Jean-Pierre Langellier dans Le Monde du 13 septembre 1994 Yasser Arafat à l'épreuve de Gaza.
L'ÉLU - Patrice Claude dans Le Monde du 23 janvier 1996 Yasser Arafat "couronné" premier président élu du Conseil de l'autonomie en Cisjordanie et à Gaza.
LE PRISONNIER - Gilles Paris dans Le Monde du 14 mars 2002 Yasser Arafat entre deux cages.
                               
                               
Dernières parutions

                            
1. Vers la 4e guerre mondiale ? de Pascal Boniface
aux éditions Armand Colin
[172 pages - 17 euros - ISBN : 2200269099]
La guerre contre le terrorisme, aux dimensions planétaires, est de plus en plus souvent présentée comme la 4e guerre mondiale. En effet, face à ce défi majeur, le monde occidental est appelé, comme il le fut pendant la 3e guerre mondiale, la guerre froide, à former un bloc sous leadership américain.
La condamnation du terrorisme ne doit cependant pas interdire toute réflexion. Certaines questions doivent être posées, en toute liberté. L'actuelle politique des États-Unis ne nourrit-elle pas autant le terrorisme qu'elle le combat ? N'est-on pas précisément, au Proche-Orient, en Irak et ailleurs, en train de créer les conditions d'un choc des civilisations qu'on affirme refuser ? A cet égard, le conflit israélo-palestinien, autrefois marginal, est devenu un enjeu majeur qui dépasse largement le cadre régional. L'avenir de la sécurité internationale se joue dans cette zone devenue l'épicentre d'un éventuel choc des civilisations. Or celui-ci n'est pas inéluctable. Il est encore temps, si l'on y met suffisamment de bonne volonté politique, d'arrêter l'engrenage infernal qui menace de conduire le monde à la ruine.
Pascal Boniface est directeur de l’ Institut de Relations internationales et stratégiques (IRIS). Auteur d’une quarantaine d’ouvrages sur les questions géopolitiques, il enseigne à l’Institut d’Études Européennes de l’Université Paris VIII. Il est membre du Comité Consultatif sur le désarmement auprès du Secrétaire général de l’ONU.
- Sommaire : Introduction - De la Guerre froide au choc des civilisations - Le conflit israélo-palestinien : la matrice d'un éventuel choc des civilisations - De la création d'Israël à l'ONU à l'isolement d'Israël à l'ONU - Un diagnostic largement partagé - États-Unis/Israël : une alliance singulière - Guerre contre le terrorisme : un combat pour l'éternité ? - États-Unis, monde musulman : les limites de l'impopularité - La tentation de l'extension du conflit - Quel rôle pour l'Europe ? - Espérer dans les ressorts de la société israélienne - Conclusion - Annexe : Liste des vetos américains au Conseil de Sécurité des Nations unies concernant le conflit israélo-palestinien.
                                
2. Rester sur la montagne de Moustapha Barghouti
Entretiens sur la Palestine avec Eric Hazan
[96 pages - 12 euros - ISBN : 2913372457]

Ce livre est la transcription d’une série d’entretiens menés à Ramallah en octobre 2004. C’est à la fois le récit d’un parcours personnel, une analyse de la situation actuelle en Palestine et une série de propositions pour y faire face. Barghouti raconte en détail son expérience de négociateur à Madrid, et comment les accords d’Oslo, signés par une direction coupée du peuple, sont venus réduire à néant les espoirs d’une paix dans la justice. Il explique pourquoi la lutte contre l’occupation de la Palestine et la lutte pour la démocratie à l’intérieur du mouvement national sont inséparables. Partisan depuis toujours d’une résistance populaire non-violente, il ironise sur ceux qui viennent lui parler de Gandhi, à lui dont l’homme serait plutôt Gramsci. Une lutte menée sur deux fronts - contre l’occupation et contre la bourgeoisie palestinienne parasitaire et collaboratrice -, une résistance non armée menée par la société civile, un souci de protéger et d’aider un peuple opprimé en menant de front les activités sociales et le mouvement politique, tels sont les principes défendus par Mustafa Barghouti dans ce livre. Ce sont les propos d’un homme libre, indépendant tant de l’Autorité palestinienne que du Hamas et des partis "d’opposition", dont il explique que, touchant de l’argent de l’Autorité, ils lui sont soumis de fait. Un livre passionnant qui donne une nouvelle vision de la résistance palestinienne à venir.
                           
3. Israéliens – Palestiniens, que peut le cinéma ? de Janine Halbreich-Euvrard (Préface de Kenizé Mourad)
aux éditions Michalon
[320 pages - 22 euros - ISBN : 284186247X]
Trois ans après le début de la deuxième Intifada (octobre 2000) Janine Euvrard organisait, dans le cinéma parisien des Trois Luxembourg, une manifestation en images, avec la diffusion d’une cinquantaine de films, donnant à voir les deux côtés de la guerre. Il était temps, à travers le cinéma, de réexaminer le sujet, d’évaluer le chemin parcouru, le présent et les perspectives.
Au-delà d’Amos Gitaï et d’Elia Suleiman, le cinéma israélien et palestinien existe bel et bien, vivace, controversé, engagé.
Janine Euvrard est partie cette année à la rencontre de cinéastes en Palestine et en Israël, pérégrination clandestine et éreintante dont elle rapporte des entretiens, des questionnements, des points de vue et un carnet de route.
Ce livre, c’est ce voyage subjectif, personnel, intime à travers les images et les idées d’un conflit de l’Histoire. Le cinéma peut-il et doit-il jouer un rôle dans ce conflit ?
Israéliens – Palestiniens, que peut le cinéma ? veut croire que oui. Que le cinéma a toujours son mot à dire.
Janine Halbreich-Euvrard est critique de cinéma. Elle a organisé, en 1975 à Royan, le premier Festival du film du tiers-monde et des minorités. Et en 1976, la toute première rencontre européenne entre cinéastes palestiniens et israéliens.
                   
4. Allers-Retours de Ilan Halevi
aux éditions Flammarion
[350 pages - 20 euros - ISBN : 2082103390]
Ce livre mélange délibérément l’autobiographie, la fiction et le témoignage. On y découvre la vie de Naïm Hacohen, double fort probable de l’auteur, lequel Naïm est un diplomate de l’OLP depuis 1982 et se définit avec agacement, quand on le presse, comme un « juif palestinien ». Sur ses traces, on entre  dans l’histoire peu connue des mouvements d’extrême gauche israéliens, déboucher en Palestine, participer aux combats menés par l’OLP comme à ses déchirements internes, ainsi qu’à la cuisine des négociations israélo-palestiniennes. On y rencontre différents personnages, réels, inspirés ou purement fictifs – agents doubles ou triples, dont les manœuvres donnent le vertige, politiques manipulateurs ou militants généreux d’une cause qui leur vaut la haine et le mépris… Par des des détours nécessaires dans l’espace et dans le temps : à Istanbul et à Jérusalem, dans les années 1870, on comprend comment Naïm a pu naître à Lyon, en 1943 ; au Yémen, au milieu du XIXe siècle, pour revenir sur les origines de Yehiel, un Israélien au teint un peu trop foncé ; en Afrique pour suivre Jonathan, un Palestinien de Saint-Jean-d’Acre …
Un texte qui remet en cause de manière radicale le cloisonnement des identités.
Ilan Halevi est né en France en 1943 de parents résistants. Il a sillonné le monde avant de s’établir en Israël où il s’engage dans des mouvements d’extrême-gauche rapidement réprimés par le pouvoir en raison de leurs positions pro-palestiniennes. Il est l’un des seuls dans cette mouvance à avoir « franchi la frontière » dans les années soixante-dix pour devenir palestinien. Proche de Yasser Arafat et actuellement vice-ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, il est depuis vingt-deux ans le porte-parole de la Palestine auprès de l’Internationale socialiste et a participé, en tant que membre de la délégation palestinienne, aux négociations de Madrid et de Washington. Il est notamment l’auteur de "Question juive : la tribu, la loi, l’espace" (Minuit, 1981), ouvrage traduit dans plusieurs langues, et de "Face à la guerre. Lettre de Ramallah" (Actes Sud, 2003), ainsi que l'indispensable (mais hélas épuisé) "Sous Israël, la Palestine" (Le Sycomore, 1984).
                       
5. Alternatives Sud N° 12 (Mars 2005) Palestine : mémoire et perspectives
Points de vue palestiniens, coordonnés par Bichara Khader
aux éditions Syllepse
[194 pages - 18 euros - ISBN : 2849500429]

L’histoire contemporaine des Palestiniens s’apparente à un long fleuve tumultueux et à une accumulation de déchirures. L’État d’Israël s’est construit au détriment d’un peuple jeté sur les routes de l’exil ou victime de l’occupation. Pourtant - et c’est sans doute l’une des surprises de l’histoire - les Palestiniens, que les dirigeants sionistes se sont échinés à effacer de leur champ de vision, en gommant leur mémoire ou en les noyant dans « l’océan arabe », apparaissent plus visibles que jamais, d’abord dans la figure du « réfugié-résistant », ensuite dans celle de l’« occupé » qui se soulève. Cette sortie de l’invisibilité permet de déterrer la mémoire palestinienne des gravats de l’histoire officielle des vainqueurs. Les conditions de vie actuelles de la population palestinienne plaident d’elles-mêmes pour une issue urgente et juste au conflit, qui ne pourra pas se résoudre par la formule explosive du « eux ou nous ». Une autre démarche morale s’impose, une démarche visant à surmonter les douleurs du passé et du présent, pour écrire les pages d’un futur partagé, susceptible de mettre fin à l’occupation et à l’exil.
SOMMAIRE
Editorial par Bichara Khader
Nakba, Naksa, Nahda : mémoire et histoire de la Palestine de 1904 à 2004 par Bichara Khader
L’enjeu démographique en Palestine à l’aube du 21e siècle par Youssef Courbage
Le projet colonial israélien : "spatiocide" et "biopolitique" par Sari Hanafi
La création d’un Etat palestinien viable : une priorité sioniste ? par Asem Khalil
Le rapatriement vers le futur Etat palestinien : une solution au problème des réfugiés ? par Jalal Al Husseini
Le système éducatif palestinien en état d'urgence par Omar Massalha
Les Palestiniens des territoires occupés face aux stratégies israéliennes d’insécurisation par Jalal Al Husseini, Jamil Rabah, Matthias Brunner, Isabelle Daneels, Riccardo Bocco et Frédéric Lapeyre
L'épuration ethnique de 1948 et "l'historiophobie" dans l'actuel processus de paix par Ilan Pappe
                                   
Réseau

                                           
1. Israël est occupé à transformer Abbas en bouc émissaire, comme il l’a fait pour Arafat par Hanan Ashrawi (11 avril 2005)
[traduit de l'anglais par Claude Zurbach]
Ce texte est basé sur des remarques faites le 11 avril 2005 par le Docteur Hanan Ashrawi, membre élu du Conseil Législatif Palestinien et Secrétaire Général du Miftah.
Le monde politique palestinien évolue en ce moment vers la « politisation » des groupes islamiques tels le Hamas et le Jihad Islamique, dont l’impact aux élections législatives de juillet 2005 peut déjà être évalué. Cependant, si Israël persiste à chercher la paix en dictant aux Palestiniens une solution qui passe par l’expansion des colonies, l’étranglement de l’économie palestinienne et des actions unilatérales - plutôt que d’engager des négociations directes - il y aura alors, de façon certaine, une « islamisation » de la politique en Palestine, explique Hanan Ashrawi, une élue du Conseil Législatif Palestinien.
Parlant le 11 avril 2005 à l’occasion d’une réunion, Ashrawi a pressé les Etats-Unis de changer de politique vis-à-vis d’Israël. « L’attitude des Etast-unis, leur influence et leur crédibilité dans la région ont été déterminées par le comportement d’Israël sur le terrain », a fait savoir Ashrawi. « C’est l’intérêt des Etats-Unis d’avoir une paix viable dans la région ».
Ashrawi s’appuie sur le fait qu’une paix viable peut contrecarrer le fondamentalisme et la violence. Une solution au problème palestinien apporterait la stabilité dans la région et contrebalancerait les dégâts subis par l’image des Etats-Unis au Moyen-Orient.
« Les Palestiniens attendent du président américain qu’il développe une politique qui lui fasse dire qu’Israël est allé trop loin », ajoute Ashrawi. De plus, les Palestiniens attendent de l’administration américaine qu’elle s’engage et qu’elle mette un terme aux actions unilatérales d’Israël et crée une atmosphère propice à des négociations sérieuses.
C’est d’une telle approche de la part des Etats-Unis qu’a besoin le président Mahmoud Abbas de façon à relever les défis qui lui font face. Abbas a été élu sur la base de la non-violence et d’une issue négociée au conflit. Cependant, sa capacité à proposer une solution politique a été diminuée par le manque de disponibilité des Israéliens à travailler avec lui. « Abbas a besoin d’être renforcé aussi bien par les Israéliens que par un sérieux réengagement de l’administration des Etats-Unis », a déclaré Ashrawi. Au contraire, le gouvernement israélien est « occupé à transformer Abbas en bouc émissaire » comme il l’avait fait pour le dernier Président Palestinien, Yasser Arafat.
Ashrawi met en évidence que le premier ministre israélien, Ariel Sharon ,va utiliser son désengagement unilatéral de la bande de Gaza pour s’assurer un appui américain pour son plan d’expansion des colonies en Cisjordanie. Ashrawi souligne également que la décision israélienne d’étendre les colonies de Maal Adumin et d’implanter le plan E-1 vont lier les colonies à Jérusalem. S’il est mis en œuvre, E-1 va disséquer la Cisjordanie et complètement détruire toute chance de construire un Etat Palestinien viable.
Les Etats-Unis attendent des Palestiniens « qu’ils acceptent les changements démographiques sur le terrain » et plutôt que de se préoccuper des menaces sur le processus de paix, ils sont focalisés sur la construction de l’Etat. Les Etats-Unis, pour s’engager dans des négociations, attendent des Palestiniens qu’ils mettent en place un système parfait de bonne gouvernance. « Ceci est difficle sous occupation militaire et lorsque vous n’avez aucun choix politique possible », note Ashrawi.
Malgré les difficultés, la réforme est un point dominant dans l’agenda d’Abbas. La réforme, argumente Ashrawi, sera définie selon les besoins et les priorités des Palestiniens, et non pas par les pressions israéliennes et américaines. Elle ajoute que plusieurs cas ont été déférés devant le ministre de la Justice et que le mouvement vers la réforme est déterminé, en accord avec les règles légales.
La réforme dans l’appareil de sécurité s’est avérée difficile pour Abbas. Israël et les Etats-Unis veulent imposer leur définition de la réforme de la sécurité alors que les Palestiniens veulent un système judiciaire indépendant pour mener à bien ce processus. Abbas, d’un autre côté, doit composer avec des pouvoirs de base centralisés, c’est-à-dire des responsables de la sécurité avec leurs fidèles, et avec la jeune génération qui dispose de milices.
Ashrawi insiste sur l’importance de résoudre le problème de la réforme du système de sécurité d’une façon qui « garantisse la viabilité du système politique palestinien dans son intégralité ».
Un élément crucial du besoin de réforme est le Fatah, le parti politique d’Abbas. Selon Ashrawi, le Fatah a perdu beaucoup de son audience pour avoir soutenu un processus de paix qui a failli dans les années 90. De plus, en tant que Parti au pouvoir, le Fatah est à présent accusé de tous les maux qui frappent l’Autorité Palestinienne. Ceci est la cause du basculement du soutien populaire en faveur du Hamas ou d’autres groupes islamiques.
« Le Fatah a besoin de remettre rapidement de l’ordre dans sa maison s’il veut gagner en influence aux élections de juillet », dit Ashrawi. Elle relève que cela sera difficile, vu que le Fatah est englué dans sa crise interne à cause des luttes pour le pouvoir entre jeune et vieille gardes, faisant référence à la plus jeune génération qui a grandi sous l’occupation israélienne au contraire de ceux qui ont fait partie de l’OLP en exil ; cette jeune génération impose la mentalité née de l’occupation plutôt que celle de la construction d’un Etat.
Ashrawi prévient que s’il n’y a pas de développements positifs et que si Israël continue à se comporter comme un occupant, le Fatah et les réformateurs seront ébranlés. « La carte politique est en train de basculer. A moins qu’il n’y ait un sérieux changement et une contribution à la construction d’un Etat qui renforcent le camp des modérés, nous allons nous orienter vers l’islamisation de la politique palestinienne », prévient Ashrawi.
- Pour plus d'informations : Jerusalem-based Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue & Democracy http://www.miftah.org.
                                       
2. Discours de Nurit Peled-Elhanan à la Journée Internationale des Femmes au Parlement Européen de Strasbourg (8 mars 2005)
(Nurit Peled-Elhanan a obtenu, avec Izzat Ghazzawi, en 2001, le Prix Sakharov, une sorte de prix "Nobel de la paix" du Parlement Européen. Professeur de linguistique et éducation à l'Université de Jérusalem, Nurit Peled-Elhanan est la fille du célèbre général Matti Peled, décédé en 1995, qui était une figure du mouvement pacifiste israélien. Nurit Peled-Elhanan a perdu une fille agée de treize ans, Smadar, victime d'un attentat kamikaze revendiqué par le Hamas, le 4 septembre 1997. Aujourd'hui, Nurit et son époux sont membres de l'association "Forum de Parents pour la Paix" qui regroupe des parents juifs et palestiniens qui ont perdu leur(s) enfant(s) dans la tragédie meurtrière que vivent les deux peuples depuis des décennies. Ses deux fils sont refuzniks. Invitée le 8 mars dernier à s'exprimer devant le Parlement européen, à l'occasion de la Journée des Femmes, voici ce qu'elle a déclaré.)
"Merci de m'avoir invitée à cette journée. C'est toujours un honneur et un plaisir d'être ici, parmi vous. Cependant, je dois admettre que je crois que vous devriez avoir invité une femme palestinienne à ma place, parce que les femmes qui souffrent le plus de la violence dans mon pays sont les femmes palestiniennes. Et je voudrais dédier mon discours à Miriam R'aban et à son mari Kamal, de Bet Lahiya dans la bande de Gaza, dont les cinq petits enfants ont été tués par des soldats israéliens alors qu'ils ramassaient des fraises dans le champ de fraises de la famille. Personne ne passera jamais en jugement pour ce meurtre.
Lorsque j'ai demandé aux gens qui m'ont invitée ici pourquoi ils n'invitaient pas de femme palestinienne, leur réponse a été que cela rendrait la discussion "trop localisée".
Je ne sais pas ce qu'est la violence non localisée. Le racisme et la discrimination peuvent être des concepts théoriques et des phénomènes universels, mais leur impact est toujours local, et bien réel. La douleur est locale, l'humiliation, les abus sexuels, la torture et la mort sont tous très locaux, de même que les cicatrices.
Il est malheureusement vrai que la violence locale infligée aux femmes palestiniennes par le gouvernement d'Israël et l'armée israélienne s'est étendue sur toute la planète. En fait la violence d'Etat et la violence de l'armée, la violence individuelle et collective, sont le lot des femmes musulmanes aujourd'hui, pas seulement en Palestine mais partout où le monde occidental éclairé pose son grand pied impérialiste. C'est une violence qui n'est presque jamais abordée et que la plupart des gens en Europe et aux Etats-Unis excusent du bout des lèvres.
C'est ainsi parce que le soi-disant monde libre a peur de l'utérus musulman.
La grande France de la liberté l'égalité et la fraternité [en Français dans le texte] est effrayée par des petites filles avec des foulards sur la tête, le Grand Israël juif a peur de l'utérus musulman que ses ministres qualifient de menace démographique. L'Amérique toute-puissante et la Grande-Bretagne contaminent leurs citoyens respectifs avec une crainte aveugle des Musulmans, qui sont dépeints comme vils, primitifs et assoiffés de sang - en plus d'être non démocratiques, chauvins/ machistes et des producteurs en masse de futurs terroristes. Cela en dépit du fait que les gens qui détruisent le monde aujourd'hui ne sont pas musulmans. L'un d'entre eux est un Chrétien dévot, l'un est Anglican et l'autre est un Juif non pieux.
Je n'ai jamais vécu la souffrance que les femmes palestiniennes subissent tous les jours, toutes les heures, je ne connais pas le genre de violence qui fait de la vie d'une femme un enfer constant. Cette torture physique et mentale quotidienne des femmes qui sont privées de leurs droits humains fondamentaux et de leurs besoins fondamentaux d'une vie privée et de dignité, des femmes dont on entre par effraction dans la maison à toute heure du jour et de la nuit, à qui on ordonne sous la menace d'une arme de se mettre nue en se déshabillant devant des étrangers et devant leurs propres enfants, dont les
maisons sont détruites, qui sont privées de leurs moyens d'existence et de toute vie de famille normale. Ceci ne fait pas partie de mon épreuve personnelle. Mais je suis une victime de la violence contre les femmes dans la mesure où la violence contre les enfants est en fait une violence contre les femmes. Les femmes palestiniennes, irakiennes, afghanes sont mes sœurs parce que nous sommes toutes prises dans l'étreinte des mêmes criminels sans scrupules qui se désignent comme les dirigeants du monde éclairé libre et qui, au nom de cette liberté et de ces lumières, nous volent nos enfants. De plus, les mères israéliennes, américaines, italiennes et britanniques ont été, pour la plupart, violemment aveuglées et décervelées à un point tel qu'elles ne peuvent pas se rendre compte que leurs seules soeurs, leurs seules alliées dans le monde sont les mères musulmanes palestiniennes, irakiennes ou afghanes dont les enfants sont tués par nos enfants ou qui se font exploser en morceaux avec nos fils et nos filles. Elles sont toutes infectées par les mêmes virus engendrés par les politiciens. Et les virus, bien qu'ils puissent avoir divers noms illustres comme Démocratie, Patriotisme, Dieu, Patrie, sont tous les mêmes. Ils font tous partie d'idéologies fausses et truquées qui ont pour intention d'enrichir les riches et de donner du pouvoir aux puissants.
Nous sommes toutes les victimes de la violence mentale, psychologique et culturelle qui fait de nous un seul groupe homogène de mères endeuillées ou potentiellement endeuillées. Les mères occidentales à qui on apprend à croire que leur utérus est un atout national tout comme on leur apprend à croire que l'utérus musulman est une menace internationale.
On les éduque pour qu'elles ne s'exclament pas : « Je lui ai donné naissance, je lui ai donné le sein, il est à moi et je ne le laisserai pas être celui dont la vie vaut moins que le pétrole, dont l'avenir a moins de valeur qu'un lopin de terre".
Chacune d'entre nous est terrorisée par une éducation qui infecte l'esprit pour que nous croyions que tout ce que nous pouvons faire c'est soit prier pour que nos fils reviennent à la maison ou être fières de leurs corps morts.
Et nous avons toutes été élevées pour supporter tout ceci en silence, pour contenir notre crainte et notre frustration, pour prendre du prozac pour l'anxiété, mais jamais acclamer Mère Courage en public. Ne jamais être de vraies mères juives ou italiennes ou irlandaises.
Je suis une victime de la violence d'Etat. Mes droits naturels et civils en tant que mère ont été violés et sont violés parce que j'ai à craindre le jour où mon fils atteindra son 18ème anniversaire et me sera enlevé pour être l'instrument du jeu de criminels tels que Sharon, Bush, Blair et leur clan de généraux assoiffés de sang, assoiffés de pétrole, assoiffés de terre.
Vivant dans le monde dans lequel je vis, dans l'Etat dans lequel je vis, dans le régime dans lequel je vis, je n'ose pas offrir aux femmes musulmanes quelque idée que ce soit sur la manière de changer leurs vies. Je ne veux pas qu'elles enlèvent leurs foulards ou éduquent leurs enfants différemment, et je ne les presserai pas de constituer des Démocraties à l'image des démocraties occidentales qui les méprisent elles et les gens de leur sorte. Je veux juste leur demander humblement d'être mes soeurs, exprimer mon admiration pour leur persévérance et leur courage de continuer, d'avoir des enfants et de maintenir une vie de famille pleine de dignité en dépit des conditions impossibles dans lesquelles mon monde les met. Je veux leur dire que nous sommes toutes liées par la même douleur, nous sommes toutes les victimes des mêmes sortes de violences même si elles souffrent bien davantage, parce que ce sont elles qui sont maltraitées par mon gouvernement et son armée, avec l'aide de mes impôts.
L'islam en soi, comme le judaïsme en soi et le christianisme en soi, n'est pas une menace pour moi ou pour qui que ce soit. C'est l'impérialisme américain, c'est l'indifférence et la coopération européennes, et le régime israélien raciste et cruel d'occupation qui en sont une. C'est le racisme, la propagande dans l'éducation et la xénophobie inculquée qui convainquent les soldats israéliens d'ordonner aux femmes palestiniennes, sous la menace des armes, de se déshabiller en face de leurs enfants pour des raisons de sécurité, c'est le manque de respect le plus profond pour l'autre qui permet aux soldats américains de violer des femmes irakiennes, qui donne une licence aux geôliers israéliens pour garder des jeunes femmes dans des conditions inhumaines, sans les aides hygiéniques nécessaires, sans électricité en hiver, sans eau propre ou matelas propres et pour les séparer de leurs bébés et de leurs tout-petits nourris au sein. Pour leur barrer la route vers les hôpitaux, pour bloquer leur chemin vers l'éducation, pour confisquer leurs terres, pour déraciner leurs arbres et les empêcher de cultiver leurs champs.
Je ne peux pas complètement comprendre les femmes palestiniennes ou leur souffrance. Je ne sais pas comment j'aurais survécu à une telle humiliation, à un tel manque de respect de la part du monde entier. Tout ce que je sais est que la voix des mères a été étouffée pendant trop longtemps sur cette planète dévastée par la guerre. Le cri des mères n'est pas entendu parce que les mères ne sont pas invitées aux forums internationaux comme celui-ci. Cela je le sais, et c'est très peu. Mais c'est assez pour que je me souvienne que ces femmes sont mes soeurs et qu'elles méritent que je crie pour elles et me batte pour elles. Et quand elles perdent leurs enfants dans des champs de fraises ou sur des routes crasseuses près des check points, quand leurs enfants sont abattus sur le chemin de l'école par des enfants israéliens qui ont été élevés pour croire que l'amour et la compassion s'exercent en dépendant de la race et de la religion, la seule chose que je puisse faire est de me tenir à leurs côtés et à ceux de leurs bébés trahis et de demander ce qu'Anna Akhmatova, une autre mère qui a vécu dans un régime de violence contre les femmes et les enfants, avait demandé : Pourquoi ce filet de sang déchire-t-il le pétale de ta joue ?"
[La traduction en français de ce texte a été diffusée par nord-palestine@nord-palestine.org et diffusée par la CAPJPO - Euro-Palestine www.paixjusteauproche-orient.asso.fr]
                                       
3. Irak : On reproche aux forces américaines de tirer sur les journalistes (Mars 2005)
Un dossier réalisé par l'IFEX (Échange international de la liberté d'expression)
L'armée américaine subit de nouveau les critiques des groupes de défense de la liberté de la presse pour son rôle dans les homicides de journalistes en Irak, à la suite des blessures infligées la semaine dernière à la journaliste italienne Giuliana Sgrena et du décès d'un journaliste kurde.
L'Institut international de la presse (IIP), Reporters sans frontières (RSF), la Fédération internationale des journalistes (FIJ) et le Comité pour la protection des journalistes (CPJ) exigent des explications suffisantes sur les raisons pour lesquelles des soldats américains ont ouvert le feu le 4 mars 2005 sur la voiture qui transportait la journaliste Sgrena.
Accompagnée par des agents des services secrets italiens, Sgrena se dirigeait vers l'aéroport de Bagdad après avoir été libérée par les insurgés irakiens qui l'ont retenue en otage pendant un mois. Les soldats américains présents à un barrage militaire ont fait feu sur la voiture, tuant l'agent du service secret et blessant la journaliste.
Le gouvernement américain prétend que les soldats ont ouvert le feu après que la voiture, qui se déplaçait à grande vitesse, eut refusé de ralentir tandis qu'elle s'approchait du poste de contrôle. Selon Sgrena, le véhicule n'allait pas particulièrement vite et a essuyé un « déluge de feu ». Elle se remet d'une opération mineure à l'épaule, d'où on a retiré des éclats d'obus.
D'après RSF, les Nations Unies doivent enquêter sur cet incident parce que la fiche du Pentagone en matière d'enquêtes sur les incidents de tirs sur les journalistes par les troupes américaines n'inspire pas beaucoup confiance. « L'armée américaine, surtout dans le cas de [l'incident] de l'Hôtel Palestine, a produit des rapports qui visent uniquement à exonérer les militaires », dit le groupe.
En avril 2003, deux journalistes sont morts lorsqu'un char américain a fait feu sur l'Hôtel Palestine à Bagdad (voir : http://www.rsf.org/article.php3?id_article=9043). L'armée américaine nie toute responsabilité dans ces pertes de vie.
Par ailleurs, le 12 février 2005, Dler Karam Ali a succombé aux blessures qu'il avait subies dans un échange de coups de feu trois jours plus tôt lorsque des soldats américains ont tiré sur sa voiture, selon ce que rapporte la Fédération internationale des journalistes (FIJ). Ali franchissait un barrage militaire américain situé entre Bagdad et la ville septentrionale de Darbandikhan quand des soldats ont donné l'ordre à son véhicule de s'arrêter. Après que le chauffeur d'Ali eut refusé, les soldats américains ont ouvert le feu.
Ali était un journaliste kurde qui travaillait pour deux journaux ? « Al-Ittihad Al-Isalmi » et « Al-Ofoq Al-Islami ». Il était également membre du Syndicat des journalistes du Kurdistan.
La FIJ indique que Ali est le treizième journaliste tué depuis mars 2003 par des soldats américains en Irak. D'après le CPJ, les tirs de l'armée américaine constituent la deuxième cause de décès chez les journalistes dans le pays.
Consulter :
- RSF : http://www.rsf.org/article.php3?id_article=12760
- FIJ : http://www.ifj.org/default.asp?Index=3002&Language=FR
- IIP : http://www.freemedia.at/Protests2005/pr_Iraq08.03.05.htm
- CPJ : http://www.cpj.org/Briefings/2003/gulf03/iraq_conflict_main.html
- Des questions demeurent quant au traitement des journalistes par les États-Unis : http://www.cpj.org/op_ed/comment_jcamp_17feb05.html
- Incident de l'Hôtel Palestine : htp://www.cpj.org/Briefings/2003/palestine_hotel/palestine_hotel.html
- International News Safety Institute :
http://www.newssafety.com/casualties/iraqcasualties.doc
- Les « tirs amis » prélèvent un lourd tribut chez les civils irakiens : http://www.editorandpublisher.com/eandp/news/article_display.jsp?vnu_content_id=1000828863
                           
Revue de presse

                             
1. Au lendemain des fêtes par Mohamed Moustapha
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 21 septembre 2005

Gaza. Les Palestiniens ont célébré le départ des Israéliens de Gaza, mais certains problèmes restent entiers, notamment la crise économique et le désarmement des islamistes. 
Gaza, de notre correspondant
- Les dirigeants des factions palestiniennes et des milliers de personnes s’étaient rassemblés à Neve Dekalim, l’ex-« capitale » des colons de la bande de Gaza pour fêter le retrait israélien, tentant pour l’occasion de mettre leurs divergences de côté. Cette terre qui, il y a encore un mois, abritait quelque 2 000 Israéliens, est devenue une mer de drapeaux arborés par des partisans des différents groupes palestiniens. Les Israéliens sont donc partis. Les fêtes et les cérémonies de ce genre se sont terminées. Les Palestiniens sont à présent face à leurs responsabilités, notamment une unité des rangs permettant de répondre aux défis qui s’imposent et de traiter à la base l’état de chaos et de dérapage dans la rue palestinienne. Il faut aussi songer à reconstruire ce que la machine de guerre israélienne a détruit au cours de la période de la deuxième Intifada. De plus, cette libération de Gaza est incomplète. Israël maintient son contrôle des passages, des frontières, des eaux territoriales et de l’espace aérien. Israël s’est retiré après avoir détruit presque toute l’infrastructure palestinienne. Selon les chiffres de l’Autorité palestinienne, plus de 60 % des habitants du secteur, estimés à un million et demi, vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le taux de chômage est estimé à 40 %. Avant le déclenchement de l’Intifada le 28 septembre 2000, 100 000 ouvriers de Gaza travaillaient à l’intérieur de la ligne verte en Israël. Aujourd’hui, ils sont sans emploi. Dans ce secteur de Gaza, il y a 600 000 réfugiés palestiniens qui vivent dans les camps. Autre chiffre triste et révélateur : 10 000 habitations ont été détruites par Tsahal. Des milliers d’hectares de terres agricoles ont été ravinés par les forces d’occupation au cours des 5 dernières années. La moitié de la population compte sur les assistances qu’apporte l’UNRWA (Agence des Nations-Unies pour le secours des réfugiés). Selon Mazen Soncrate, ministre palestinien de l’Economie, le gouvernement palestinien a décidé de créer une zone industrielle dans les territoires pour développer l’économie palestinienne, l’industrie devant servir d’ossature fondamentale pour relancer l’économie et assurer des emplois. Ces zones seraient installées à Beit Hanoun, dans le nord de Gaza, à Rafah, au sud, sur la frontière égypto-palestinienne, et à Tarkomya, Hébron, en Cisjordanie, outre une zone à Jénine, au nord-ouest de la Cisjordanie.
Les conditions du sauvetage
Le ministre relève que selon les études auxquelles ont participé des experts américains et palestiniens, la première zone industrielle permettra, dans une première étape, d’absorber 5 ouvriers pour culminer à 10 000 lors de l’étape définitive. Outre ces zones, le plan prévoit des projets d’investissement dans les zones libres, notamment pour des projets agricoles et touristiques. Il est prévu aussi de ne pas réaliser de constructions immobilières pour assurer le maximum de surface aux projets productifs.
Dans le contexte d’une économie fragilisée à laquelle font défaut tous les facteurs, dont l’infrastructure et les ressources, le secteur de Gaza se dirigerait vers la famine s’il n’obtenait pas une aide étrangère. L’Autorité palestinienne a reçu des promesses dans ce sens des pays donateurs. La Banque mondiale a promis d’accorder une assistance pour la réalisation de projets productifs. Mais le hic de l’affaire est que ces assistances sont liées à l’application par l’Autorité palestinienne de ses engagements découlant de la Feuille de route, dont la lutte contre le « terrorisme », c’est-à-dire détruire l’infrastructure de la résistance et désarmer cette dernière. C’est là le plus grand défi que l’Autorité palestinienne doit relever au cours de cette étape.
A la suite du retrait militaire israélien qui s’est terminé le 12 septembre, les responsables palestiniens ont multiplié les déclarations selon lesquelles l’Autorité est déterminée à désarmer la résistance et à mettre fin au chaos du port d’armes dans la rue palestinienne. Rafiq Al-Hussein, chef du cabinet présidentiel, a affirmé que le dirigeant palestinien Mahmoud Abbass allait commencer dans les jours qui viennent à désarmer le groupe des Martyrs d’Al-Aqsa, l’aile militaire du Fatah, avant de procéder au désarmement des autres factions. Abou-Mazen demandera à ces factions de s’autodissoudre et de fusionner dans les forces de sécurité palestiniennes. Les Martyrs d’Al-Aqsa sont composés de plusieurs groupesarmés dont les Brigades d’Aboul-Riche, du martyr Aymane Gouda, des Martyrs de Jénine et de Yasser Arafat.
Le non ferme du Hamas et du Djihad
Les Martyrs d’Al-Aqsa n’éprouveront aucune difficulté à rejoindre les forces de sécurité palestiniennes. La plupart de leurs éléments appartiennent en fait à ces forces. Mais le gros problème se pose avec les organisations de résistance islamique du Hamas et du Djihad, qui refusent absolument de dissoudre leurs ailes militaires Ezzeddine Al-Qassam et les Brigades d’Al-Qods.
Les autres factions qui disposent de bras armés, à savoir le Front Populaire pour la Libération de la Palestine (FPLP) et le Front Démocratique pour la Libération de la Palestine (FDLP), ainsi que les comités de résistance populaire, ont peu d’éléments militaires par rapport aux deux organisations islamistes. Il serait facile pour l’Autorité palestinienne de s’accorder avec eux sur une formule permettant de les désarmer et de les intégrer dans les services de sécurité palestiniens.
Mohamad Al-Hindi, un des principaux membres du Djihad, rappelle que ce qui s’est passé à Gaza est une victoire pour la résistance palestinienne et celle du peuple. Sans une telle résistance et si Israël n’avait pas subi de pertes, Ariel Sharon n’aurait pas pris la décision d’évacuer Gaza. Ce qui lui fait dire que le Djihad ne renoncera pas à ses armes.
La résistance est la route vers la liberté. On ne peut parier sur les négociations avec Israël et les Etats-Unis. Israël poursuit la colonisation, la judaïsation de Jérusalem, l’expansion des colonies et la construction du mur de séparation. Pour Hind, le plan de Sharon est d’établir un Etat indépendant provisoire à Gaza et dans 40 % de la Cisjordanie, dans le meilleur des cas, abstraction faite de Jérusalem et du retour des réfugiés palestiniens. Un tel Etat déformé n’aura pas de souveraineté sur ses frontières terrestres et maritimes. D’ailleurs, lors de la grande cérémonie, Mahmoud Zahar, un des principaux chefs du Hamas, a dit : « Ceux qui sont rassemblés ici aujourd’hui doivent savoir qu’ils le doivent à nos armes, à la résistance du Hamas et au sang de nos martyrs (...). Nous disons à Abou-Mazen (Abbass) que nous ne permettrons pas la confiscation de la moindre des armes destinées à la résistance ».
                 
2. "Nos valeurs" et les terroristes par Michel Lelong
in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 18 septembre 2005

(Michel Lelong, père blanc, a été secrétaire de la Commission épiscopale française pour les relations avec l’islam.)
Comme tous ceux qui les ont précédés, les attentats terroristes de Londres et de Charm el-Cheikh doivent, bien entendu, être condamnés sans réserve. Ils sont, en effet, la négation d'une valeur humaine fondamentale, valeur affirmée tant par la civilisation des « Lumières » que par les religions - toutes les religions, y compris l'islam. Peut-être n'est-il pas inutile de le rappeler au moment où, dans les pays occidentaux, comme dans ceux de l'Oumma, certains semblent ignorer que le Coran interdit formellement de tuer un innocent. Les porte-parole les plus représentatifs de l'islam l'ont dit à maintes reprises et ils l'ont rappelé encore ces dernières semaines, de la façon la plus claire.
Croyants et incroyants se retrouvent donc ensemble pour approuver la nécessaire et difficile action que doivent mener tous les États, de l'ouest à l'est et du nord au sud, pour combattre le terrorisme et le vaincre. Mais il ne suffit pas, pour y parvenir, de disposer d'excellents services de renseignements, d'armées puissantes et de policiers efficaces. Il faut aussi une vision politique, fondée sur une analyse exacte des situations régionales et des relations internationales. Il faut enfin que cette vision prenne en compte la dimension « humaine » et, disons-le, « morale » de ce qui se passe actuellement dans le monde.
Comment, tout d'abord, ne pas s'interroger sur le fait que des hommes, des jeunes, dont certains sont instruits, cultivés et nullement marginaux, choisissent librement de mourir pour se faire entendre ? À cette question, il ne suffit pas de répondre - comme on le fait souvent - que ces terroristes « veulent détruire les valeurs démocratiques de l'Occident ». Parmi eux, certes, il y a des fanatiques, endoctrinés, manipulés et conduits à des actes aussi insensés que cruels, par une interprétation aberrante de leur religion. Ceux-là, il faut les trouver, les arrêter, découvrir qui les endoctrine, qui les utilise et prendre toutes les mesures adéquates pour que cessent ces entreprises criminelles.
Ce faisant, il est, bien entendu, essentiel de ne pas soupçonner systématiquement de « terrorisme » tous ceux qui, parmi ces musulmans, sont attachés au strict exercice de leur culte et à certaines pratiques traditionnelles telles que le voile, par exemple.
Mais, il faut aussi - et surtout - se poser une autre question : est-ce vraiment à nos « valeurs occidentales » que s'attaquent les terroristes ? Ne serait-ce pas plutôt au fait que tout en proclamant fièrement ces valeurs - la démocratie, les droits de l'homme, le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, l'égalité entre tous, quelles que soient la nationalité, la race et la religion de chacun - les États occidentaux sont bien loin d'y être toujours fidèles ?
Les États-Unis ont déclaré la guerre à l'Irak sans l'accord des Nations unies et même en violation des décisions du Conseil de sécurité. Ils ont conduit cette guerre d'une manière qui a entraîné de terribles souffrances humaines. Ils ont traité des prisonniers de façon barbare. Quant à la situation en Terre sainte, elle est, depuis des années, tragique, car les démocraties occidentales ont été incapables d'imposer à l'État d'Israël ce qu'elles exigent partout ailleurs dans le monde : le respect du droit international.
Il ne suffit pas de proclamer de beaux principes. Il faut les appliquer. Les États-Unis et leurs complices le font-ils vraiment au Proche-Orient ?
                                                               
3. Le cri de Chatila : "Droit au retour" par Stefano Chiarini
in Il Manifesto (quotidien italien) du samedi 17 septembre 2005
[traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio]

De notre envoyé à Beyrouth - « Nous sommes là, avec nos vivants et avec nos morts, en ce vingt-troisième anniversaire du massacre de Sabra et Chatila et nous n’avons aucune intention de disparaître de la scène du Moyen-Orient et de renoncer à notre droit au retour et à l’indemnisation pour les propriétés que les israéliens nous ont volées, ni à la possibilité de défendre nos camps avec les armes. La déstabilisation du Liban et de la Syrie et la résolution 1559 même, tendent à aboutir elles aussi  au résultat qu’Ariel Sharon se proposait : effacer les camps, effacer l’existence politique de millions de réfugiés palestiniens, nous obliger à émigrer toujours plus loin de la Palestine, mais nous serons toujours, comme  le dit un de nos poèmes, comme un morceau de verre dans la gorge de nos oppresseurs et de leurs complices ». Abu Mohammed, soixante-cinq ans, instituteur, vient à notre rencontre en boitant mais avec la détermination d’un jeune homme. Devant nous, de l’autre côté de la route pour l’aéroport, il y a l’immeuble couleur crème, à  cent mètres à peine de Chatila, d’où les commandants israéliens, les officiers des Forces Libanaises comme Elia Hobeika (1), les hommes des services israéliens, et, bien entendu, Ariel Sharon, alors ministre de la défense, et ses généraux, allaient suivre pas à pas le déroulement du massacre commencé l’après-midi du 16 septembre et terminé, mais en partie seulement, le samedi dix-huit. Les victimes furent plus de 3.000, en grandes parties palestiniennes, mais aussi libanaises et immigrées venant de différents pays arabes. Quelques heures plus tôt, le soir du 14 septembre, avait été tué, à peine élu,  le président Béchir Gemayel, leader des Forces libanaises, et Ariel Sharon avait profité de la situation pour oublier la promesse qu’il avait faite à l’émissaire du président étasunien, Philip Habib, de ne pas entrer avec son armée dans Beyrouth ouest, où se tenaient les camps palestiniens, désormais sans défense, après le retrait des fedayin de l’OLP. Les Forces multinationales qui auraient du défendre les camps avaient au contraire quitté  précipitamment Beyrouth jours plus tôt, à la demande des USA. Ariel Sharon, une fois les camps encerclés par les blindés « afin de les nettoyer des terroristes » y fit entrer environ 600 phalangistes, qui massacrèrent, éventrèrent, violèrent, volèrent et tuèrent sans répit. Sans s’arrêter même devant des enfants et des nouveaux-nés, dans certains cas coupés en morceaux et recomposés ensuite sur des tables ensanglantées pour former d’horribles poupons de mort. Les photos de ces victimes innocentes représentées à certains moments importants de leur vie, des nouveaux-nés au berceau aux plus grands, en habits de fête et les cheveux bien coiffés pour leur mariage, ou bien ces enfants en col amidonné et chemise à petits carreaux des classes élémentaires, ou les jeunes avec la coupe et la permanente des fiançailles, avec la toque de la thèse ou dans les rues d’un quelconque pays lointain, elles étaient là ces photos hier matin, décolorées par le temps et par les larmes, portées par des mères, des pères, des sœurs, ouvrant le cortège unitaire pour rappeler au monde cette offense inouïe à la vie. Pour rappeler l’existence de ces 700 corps jetés l’un sur l’autre entre deux couches de chaux, là bas dans cette terre rouge remuée et dans le sable de ce qui, avant l’arrivée des réfugiés chassés hors de Palestine avec quelques objets ménagers, puis installés là sous les tentes de l’ONU, était un affaissement de terrain entre les dunes de sable d’une pinède d’où l’on voyait la mer, au sud de Beyrouth. Derrière eux, pendant qu’un important service d’ordre veillait sur le cortège, défilaient les fanfares avec les cornemuses des scouts, les drapeaux des différentes organisations politiques, pour une fois réunies en  une occasion aussi importante, et les nombreuses délégations internationales : de la délégation italienne organisée par le Comité pour ne pas oublier Sabra et Chatila, aux arabes américains de l’Arab America Antidiscrimination Comittee, à une centaine de femmes pacifistes, venant d’une trentaine de pays. Le cortège international et les ONG s’est ensuite dirigé vers le camp de Chatila en parcourant en sens opposé la route le long de laquelle, en ce début d’après-midi du 16 septembre 1982, un groupe de vieillards, avec des drapeaux blancs, se dirigea vers les positions israéliennes, pour remettre aux occupants les clés du camp. Personne n’a plus jamais rien su d’eux après. Leurs pas –et leur destin- allaient être suivis peu après par un petit cortège de femmes qui demandaient la fin des bombardements : beaucoup d’entre elles furent violées et tuées dans les ruelles adjacentes au stade qui est juste à côté ; d’autres, les plus jeunes, embarquées sur des camion, et emmenées, pour avoir la même fin, dans les casernes des Forces libanaises. Le tout sous les yeux des soldats de Sharon.
Le cortège dense et bariolé a ensuite conflué vers un grand espace à l’entrée du camp, où se trouve la fosse commune. En 1982, c’était une lande de terre et de ruines creusée au bulldozer et ombragée aujourd’hui par les grands arbres qui ont poussé pendant ces vingt trois années, solides comme la mémoire que les réfugiés ont de leur terre lointaine. L’aire, réduite en décharge jusqu’à il y a trois ans, sera maintenant – comme annoncé dans le discours de clôture de la manifestation par le maire Abu Said al Qansa- l’objet d’un concours international de projets pour l’aménagement définitif.
« Le cortège d’aujourd’hui a rompu le sentiment d’isolement des réfugiés – nous dit Nabil, un jeune technicien de Chatila- avec les deux autres événements importants : la décision du ministère du travail de lever l’interdiction pour les palestiniens d’accéder à plus de 50 métiers,  et les possibilités plus importantes de travail à la suite du départ des travailleurs syriens, ont contribué à nous donner quelque espoir pour l’avenir. Mais, quand même, sous ces améliorations, nos craintes ne se dissipent pas, surtout après la demande des USA de désarmer les camps, et la réapparition simultanée, ces jours ci, du groupe le plus férocement anti-palestinien du pays, celui des « gardiens du cèdre » : une organisation connue pendant la guerre civile pour avoir eu l’habitude d’écarteler, après les avoir attachés à deux voitures qui partaient dans les directions opposées , les prisonniers palestiniens et progressistes tombés dans leurs mains ». Leurs chefs prirent la fuite ensuite en Israël et l’on ne sut plus rien d’eux. Et voici que, juste à l’occasion de l’anniversaire du massacre, certains dirigeants ont convoqué une conférence de presse pour relancer leurs slogans préférés : « tout libanais doit tuer un palestinien » jusqu’à ce « Qu’il n’y ait plus un seul palestinien sur le sol libanais ». Nombreux sont ceux qui craignent que ce tragique septembre pour les réfugiés palestiniens ne soit pas encore fini.
- NOTE :
(1) Elie Hobeika, chef des services de renseignements des Forces Libanaises (FL, milice chrétienne armée) surnommé « le tueur froid » a supervisé en personne les massacres (de l’avis des historiens et journaliste de tous bords). Son désir d’aller témoigner à Bruxelles sur la tragédie de Sabra et Chatila ne semble pas forcément relever d’une volonté de protéger ou attaquer Ariel Sharon, le donneur d’ordre, mais surtout de tenter par ses « révélations » de sauver son propre sort. Voir les articles de Chantal Rayes dans Libération (
http://www.liberation.com/israel/actu/20010731marg.html) et Pierre Vaudan dans 24 Heures (http://www.entrefilets.com/Cobra_1.html ) sur la responsabilité de « HK » dans la massacre ; et  http://www.humanite.presse.fr/2002.01.26/27882  sur l’assassinat non revendiqué de celui-ci en janvier 2002. (Notes de la traductrice).
                                       
4. Qui cherche à noyer le… poison ? par Ryadh Fékih  
in Réalités (hebdomadaire tunisien) du jeudi 15 septembre 2005
Les circonstances de la mort de l’ancien leader de l’Organisation de Libération de la Palestine et président de l’Autorité autonome palestinienne, le 11 novembre 2004, à l’âge de 75 ans, à l’hôpital militaire Percy, à Clamart, dans la banlieue parisienne, où il avait été emmené d’urgence depuis son QG de Ramallah, en Cisjordanie, le 29 octobre, nourrissent de nouveau les supputations des médias… israéliens et américains.
Le 8 septembre, des confrères des quotidiens américain New York Times et israélien Haaretz ont cru pouvoir affirmer, sur la base du dossier médical du défunt, qu’Arafat a été victime “d’une attaque résultant d’un problème sanguin lié à une infection indéterminée”. Ils ajoutent que les médecins français qui ont soigné Arafat n’ont pas réussi à identifier la nature exacte de l’infection qui a entraîné un effondrement du taux de plaquettes sanguines fatal au dirigeant palestinien. Cette affirmation, trop vague pour constituer un scoop, ne lève pas le mystère qui a entouré – et entoure toujours – la mort d’Arafat. Au contraire: elle l’épaissit davantage. Car dire qu’“Arafat est mort de mort naturelle, mais d’une maladie qui reste mystérieuse” est presque une contradiction. Elle ne suffit pas, en tout cas, à dissiper les soupçons de ceux qui soutiennent l’hypothèse selon laquelle le leader de l’OLP est mort d’empoisonnement.
Hémorragie cérébrale massive, provoquée par une infection, le sida ou autres “saloperies” inconnues !
Liés par le secret médical, les médecins français avaient refusé de rendre public ce dossier médical d’Arafat qui contient 558 pages. Ils l’ont alors confié à la veuve d’Arafat, Souha Arafat, et à son neveu, Nacer Al-Qodwa, actuel ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, qui l’a gardé jusqu’ici jalousement. Le New York Times affirme cependant que c’est “un haut responsable palestinien” qui a transmis le dossier à deux journalistes israéliens : Avi Isacharoff, de Radio Israël et son collègue Amos Harel, qui l’ont reproduit dans une nouvelle édition de leur livre intitulé “La septième guerre”, réédité la semaine dernière en hébreu. Ces derniers ont accepté de le partager avec les quotidiens américain et israélien.
Le journal new-yorkais affirme avoir demandé à des experts médicaux anonymes et indépendants d’examiner le dossier du défunt président. Selon le journal, le rapport médical rédigé par le docteur Bruno Pats, chef du service de soins intensifs de l’hôpital militaire de Percy, élimine presque complètement la piste d’un empoisonnement. On y apprend notamment que le président de l’Autorité palestinienne, assigné à résidence dans son QG de Ramallah et d’abord soigné pour une “grippe”, a reçu des antibiotiques seulement deux semaines après le début de sa maladie, soit deux jours avant son transfert en France et “probablement trop tard”. Selon les médecins français, Arafat a souffert de problèmes digestifs une trentaine de jours avant son décès. Il a également été victime d’une affection sanguine aiguë, une coagulation intra-vasculaire disséminée (CIVD). Le raïs a vu son état de santé s’améliorer, avant de sombrer dans un coma profond à partir du 3 novembre.
Selon les spécialistes consultés par le quotidien, l’empoisonnement est “hautement improbable”. Car, affirme-t-il, les examens toxicologiques réalisés dans plusieurs laboratoires français n’ont détecté aucune substance anormale.
“Les chercheurs disent qu’Arafat ne souffrait pas des lésions étendues aux reins et au foie que l’on constate en cas d’empoisonnement, bien qu’il ait eu effectivement une jaunisse”, poursuit le New York Times.
Les experts écartent également la possibilité d’un décès dû au sida “à cause de l’irruption soudaine de troubles intestinaux”. Ils regrettent néanmoins qu’aucun test du virus HIV, responsable du sida, n’ait été pratiqué, ce qui aurait permis de faire taire une rumeur insistante à ce sujet colportée par des sources israéliennes.
Ainsi, le Dr Gil Lugassi, président de l’Association Israélienne d’Hémato- logie, cité par Haaretz, juge que les syndromes décrits dans le dossier pourraient être ceux du sida. “Ce qui est inacceptable et rend particulièrement perplexe, c’est que la possibilité de sida ait été totalement ignorée”, a-t-il ajouté.
En outre, le rapport français indique que des biopsies réalisées sur le défunt ne sont jamais parvenues au laboratoire d’anatomie pathologique de Tunis, qui les avait demandées. “Cette disparition est très étrange, car elle aurait permis de déterminer clairement de quoi souffrait Yasser Arafat”, estime Avi Isacharov.
Le 7 novembre, les médecins français ont demandé, à leur tour, à la famille l’autorisation de procéder à une biopsie du foie. “Cette biopsie hépatique a été proposée le 07/11/04 à la famille qui l’a refusée”, lit-on dans le rapport officiel français. “Ce refus de la famille est révélateur d’une volonté de ne pas parvenir à une conclusion claire sur les causes du décès”, explique Avi Isacharof, qui cherche visiblement à faire accréditer la thèse d’une mort dont la cause serait honteuse: le sida par exemple ?
Le journaliste israélien relève un autre fait, étrange à ses yeux: le rapport toxicologique français établi par les médecins porte le nom inconnu de Étienne Louvet, tandis qu’il s’agit d’Arafat. Le rapport médical français a-t-il été manipulé ? “Des examens ont disparu, les conclusions sont floues, les symptômes sont ceux du sida, mais le mot n’apparaît pas, et le rapport toxicologique porte un faux nom”, énumère Isacharov.
De son côté, l’ancien médecin personnel d’Arafat, le Jordanien Ashraf Al-Kourdi, qui n’a pas participé aux soins médicaux de son patient durant les dernières semaines de sa vie, affirme, sans avancer de preuves, que des médecins français lui auraient confié avoir trouvé des traces de HIV dans le sang du raïs, lors d’un test qui aurait été soustrait au dossier. Il ajoute que le VIH a pu être inoculé à Arafat par des agents israéliens dans le but d’effacer les traces d’empoisonnement, cause réelle du décès.
“Une discussion parmi un grand nombre d’experts médicaux (...) montre qu’il est impossible de désigner une cause qui expliquerait la combinaison de symptômes qui ont conduit à la mort du patient”, conclut cependant le quotidien israélien. Autrement dit, les experts – si tant est qu’ils aient pu consulter les bons dossiers et non des rapports manipulés – ne donnent pas de résultats convaincants sur les causes du décès d’Arafat. D’autant que le dossier reste muet sur la cause possible de l’hémorragie cérébrale massive qui l’a emporté, comme sur les raisons de la détérioration rapide de son état de santé. Tout le monde est donc renvoyé à la case départ...
La thèse de l’empoisonnement est-elle crédible ?
Après l’annonce de la mort d’Arafat, le 11 novembre 2004, les médecins français qui se sont occupés de lui durant ses deux dernières semaines étaient catégoriques : “Il n’y a aucun mystère sur la mort du leader palestinien. Après des examens classiques, l’équipe a pu établir un diagnostic. Ce n’est en aucun cas un empoisonnement, et les causes du décès n’ont rien d’exceptionnelles”. Philippe Douste-Blazy, alors ministre de la Santé, a confirmé, de son côté: “Rien ne porte à penser qu’il y a eu un empoisonnement”, tout en reconnaissant ne pas avoir eu en main le dossier médical du défunt. “C’est la famille, et uniquement la famille, qui a eu accès à l’ensemble du dossier médical.
L’équipe médicale de Percy à Clamart a montré évidemment en temps réel et en résumé le dossier à la famille. Mais, ni comme médecin ni comme ministre de la Santé, je n’en ai eu connaissance”, a-t-il dit. Et de préciser : “Toutefois, je peux vous dire que rien dans le dossier médical, semble-t-il [on appréciera, au passage, la précision], n’a montré qu’il pouvait y avoir un tel cas d’empoisonnement, sinon ce serait la Justice qui aurait eu, alors, à prendre en considération ce dossier.”
Durant l’hospitalisation d’Arafat à l’hôpital français, les informations sur l’état du patient palestinien étaient plutôt rares. Le chef de service d’hématologie de Percy, qui a pris directement en charge le leader palestinien, n’avait même pas de visage, puisqu’il n’apparut jamais, ni avant ni après le décès. Durant l’hospitalisation, les cinq communiqués du médecin général ont été lapidaires (à l’exception de la dénégation du diagnostic de leucémie).
Côté palestinien, la famille d’Arafat, en l’occurrence sa femme, qui a eu accès à la totalité du dossier médical, n’a pas été très loquace. Le médecin palestinien, qui est arrivé à Paris peu après l’hospitalisation et qui a eu aussi accès à tout le dossier, n’a pas été bavard lui non plus. Cependant, au lendemain du décès du raïs, la représentante de l’Autorité palestinienne en France Leïla Shahid, n’a pas hésité à dire, à plusieurs reprises, qu’elle n’écartait pas l’hypothèse qu’Arafat ait pu être empoisonné par les Israéliens qui avaient déjà tenté de le faire. Farouk Kaddoumi, chef du Fatah, a déclaré, dans un entretien à la chaîne satellitaire arabe Al-Arabiya, qu’Arafat était mort des suites d’un “empoisonnement” provoqué par Israël. Kaddoumi est revenu à la charge, le 23 novembre, soit douze jours après le décès du raïs, en affirmant, au cours d’une conférence de presse à Beyrouth: “Arafat est mort empoisonné. Les traitements et les examens médicaux ont écarté toutes les maladies auxquelles on aurait pu penser, comme la leucémie ou une déficience des mécanismes immunitaires”. Et d’ajouter: “Pourquoi les plaquettes sanguines continuaient-elles, alors, à se briser ? Il n’y a pas d’autre explication que le poison”.
Lui répondant, mais de façon indirecte, Nasser Al-Qodwa a déclaré, le lendemain, dans une conférence de presse à Paris, que le dossier médical d’Arafat ne fournit pas les causes précises du décès du raïs et ne permet pas d’écarter complètement la thèse de l’empoisonnement. “Un point d’interrogation subsiste” sur les causes de sa mort”, a-t-il dit. Et d’ajouter : “Personnellement, je pense que la question ne sera pas tranchée avant longtemps.”
Les jours suivants, plusieurs journaux arabes, citant divers services de renseignements, ont affirmé qu’Arafat avait été empoisonné par une substance habituellement extraite d’une plante asiatique. Cette substance, qui peut être instantanément dissoute dans des liquides, ne peut plus être détectée de façon médico-légale dans le corps d’un humain douze heures après son inoculation. Elle a des effets fatals sur la circulation du sang, ainsi que les systèmes nerveux et digestif. Il est probable qu’Arafat a été empoisonné de manière graduelle, puisque trois à cinq milligrammes du poison en question suffiraient pour causer la mort. L’un des assistants du raïs aurait donc pu mettre une telle substance dans ses repas durant le mois de ramadan, causant ainsi sa mort lente.
Le 20 décembre, le quotidien arabe basé à Londres, Al-Hayat, a relayé, de nouveau, les accusations d’empoisonnement d’Arafat, formulées par Ahmad Abdul Rahman, qui fut le secrétaire du cabinet du défunt. Le Palestine Media Center (PMC) s’en fait l’écho sur son site, dans un éditorial non signé, intitulé “Ahmad Abdul Rahman: Arafat a été empoisonné le 25 septembre 2003”. “Quelque chose d’étrange est arrivé à Yasser Arafat, il y a environ un an”, confie-t-il. “C’était le 25 septembre 2003. Le président avait serré les mains d’une trentaine de personnes, avant de sortir pour aller vomir. C’est à partir de ce moment que l’état de santé du président a commencé à se détériorer lentement.”
Le responsable palestinien ajoute des précisions sur les visiteurs : “Arafat avait serré les mains de gens qui étaient venus lui exprimer leur solidarité dans son lieu de réclusion. Il s’agissait d’un mélange de Palestiniens, d’étrangers et d’Israéliens”. Abdul Rahman rappelle que, plus tard, Arafat s’était demandé à haute voix: “Se pourrait-il qu’ils m’aient eu ? [faisant ainsi allusion aux Israéliens] Est-il possible que dix docteurs ne puissent découvrir de quoi je souffre ?” Et de commenter : “Le Président a été exposé à quelque chose, et j’incline à croire que cela pourrait être du gaz, ou quelque chose d’autre. Je ne connais pas tous les types de poisons, mais il y en a quelque 700 qui sont inconnus ? La dernière fois qu’il est tombé malade, le 12 octobre 2004, il a eu les mêmes symptômes: refus de manger et tous les symptômes de la grippe sans grippe.”
Le 14 août dernier, soit neuf mois après le décès de son leader, l’Autorité palestinienne semble avoir décidé d’adopter officiellement la théorie de l’empoisonnement d’Arafat. L’Autorité a en effet souscrit aux conclusions d’une commission d’enquête palestinienne créée au lendemain de la mort du leader, suite aux “soupçons” d’intoxication. Le directeur du cabinet du Chef de l’Autorité, Samir Halila, a alors déclaré que “les informations obtenues jusqu’à aujourd’hui, associées aux entretiens avec le ministre de la Santé, Dahni Al-Wahidi, confirment que le raïs a été empoisonné”.
Qui cherche à brouiller les pistes ?
La thèse de l’empoisonnement d’Arafat par Israël – avec ou sans des complicités dans son entourage immédiat – est, comme on le voit, la plus répandue parmi les Palestiniens, qui ont toujours soupçonné les médecins français d’user du secret médical pour leur cacher un terrible secret. Ils sont d’autant plus convaincus de la véracité de cette thèse que, quelques mois avant la mort du leader palestinien, le gouvernement d’Ariel Sharon avait sérieusement envisagé de le liquider physiquement. Le Premier ministre israélien l’a même dit publiquement, en ayant recours à des formules sibyllines.
Aussi, à l’instar du Dr Al-Kurdi, qui connaît très bien les antécédents de santé d’Arafat pour avoir été pendant vingt ans l’un de ses médecins personnels, plusieurs responsables des services de sécurité palestiniens, tels Mohammad Dahlan et Jibril Rajoub, ont réaffirmé aux auteurs de “La septième guerre” qu’ils sont persuadés qu’Arafat a été empoisonné. Selon eux, le dirigeant palestinien n’était pas assez prudent et pouvait être facilement empoisonné car il mangeait des friandises et prenait des médicaments que lui amenaient des hôtes de passage sans contrôle médical.
Selon des experts israéliens qui ont examiné le rapport français, cités par le Haaretz, l’empoisonnement du dirigeant palestinien aurait pu avoir lieu lors d’un dîner, le 12 octobre 2004, dans son quartier général de la Mouqata, à Ramallah. A la suite de ce repas, l’état de santé d’Arafat s’était, en effet, dégradé rapidement. Il a souffert de pertes de mémoire et de brutales sautes d’humeur, tandis que des taches rouges suspectes étaient apparues sur son visage. Si les médecins français n’ont trouvé aucune trace de poison dans le sang du raïs, c’est peut-être parce qu’on lui a inoculé un poison ultrasophistiqué indétectable. Des agents du Mossad israélien avaient déjà utilisé un poison inconnu il y a quelques années pour tenter d’assassiner le dirigeant du Hamas Khaled Mechâl à Amman, en Jordanie.
Saura-t-on un jour toute la vérité sur cette mort pour le moins suspecte ? Les récentes vraies-fausses révélations du NewYork Times et du Haaretz n’aident pas à faire la lumière sur le problème. Elles brouillent plutôt les pistes.
                                                                           
5. Joha l’Israélien ! par Elias Khoury
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 13 septembre 2005
[traduit de l’arabe par Aziz Hilal]

Joha occupe une place à part dans la culture populaire. C’est l’idiot-intelligent qui incarne la sagesse, combat l’autorité par l’humour et défend la vie en affectant la stupidité. Son histoire, dont l’origine serait turque, a incarné la relation de l’individu à l’autorité lors du pouvoir des Janissaires. A cette époque, l’individu ne jouissait d’aucun droit car la notion de citoyen n’était pas encore née. Ce n’était qu’une simple victime des puissants. L’émergence de ce personnage narquois aux histoires sans fin nous dit que le conte ironique est un moyen de résistance parmi d’autres et que raconter peut être une façon de continuer à vivre. Je ne sais pas pour quelle raison la littérature arabe ne s’est pas sérieusement penchée sur cette personnalité extraordinaire.
En effet, non seulement les histoires de Joha se prêtent à des interprétations multiples, mais elles invitent également le lecteur à enrichir à sa guise cet intarissable réservoir oral. Avec le personnage de Saïd le peptimiste, Emile Habibi a su retrouvé l’ambiance de Joha. Bien plus, il a su inventer un Joha adapté au temps de la Nakba et son roman est un cri de protestation qui allie l’humour noir à la profondeur tragique.
Mais ce Joha populaire, qui se moque aussi bien de lui-même que du pouvoir, qui est la synthèse entre une extrême sagesse et une extrême connaissance, celui dont la plaisanterie provoque aussi bien l’éclat de rire que la réflexion, ce Joha-là a cédé la place, dans la culture populaire arabe, à des personnages qui n’ont pas sa profondeur tragique et restent à la surface des choses , tel Abou Abd le Beyrouthin, devenu, aux temps de l’occupation israélienne et la domination syrienne, un moyen de se moquer de soi-même.
Mais Joha demeure parmi nous même si nous ne lui attribuons aucune place dans notre littérature moderne, incarnant la capacité du conte à défendre la vie et à ruser avec la mort. Il est un étonnant mélange d’excentricité, d’intelligence, de naïveté et d’ironie. Il permet au pauvre de résister au puissant et à l’homme de déconsidérer l’autorité. L’histoire de « Joha et le juge » en est le meilleur exemple : elle montre à quel point Joha se moque de la justice au temps du despotisme et de l’effondrement des valeurs.
On raconte que Joha prit la place du juge afin de trancher dans un conflit entre un homme et sa femme. Il écouta tout d’abord la plainte de l’épouse, souvent frappée et humiliée par son mari sans raison. Et Joha de donner raison à l’épouse. Il écouta ensuite le mari qui se plaignait de sa femme qui lui désobéissait et ne s’occupait pas de ses enfants. Et Joha de donner raison au mari également. Là surgit un homme de l’assistance pour dire au juge qu’il n’était pas logique que les deux pussent avoir raison, sinon la justice n’aurait plus aucun sens. Joha le juge resta perplexe ne sachant quoi dire. Puis il trouva la réponse adéquate ; il se tourna alors vers celui qui l’avait interpellé : « Et toi aussi tu as raison » lui dit-il, avant de quitter le tribunal.
Les réponses à la Joha surgissent toujours ainsi. Il déploie des trésors d’ingéniosité pour faire passer l’ironie du « petit » à l’endroit de l’autorité, transformant ainsi le tragique en comique et brandissant l’arme du conte contre l’arme de la peur. C’est pourquoi les oeuvres de Joha n’existent pas, pas plus que Joha lui-même d’ailleurs. Les gens ont crée une œuvre collective, un personnage populaire et des contes s’enchaînant à l’infini.
C’est tout naturellement que les pauvres et les persécutés éprouvent de la sympathie envers Joha et intègrent ses histoires dans un processus psychique de compensation que la littérature populaire élabore. Mais que l’occupant, le puissant et l’arrogant viennent à se reconnaître en Joha... Voilà qui ne peut arriver qu’en Israël.
En effet, avec cette réappropriation forcé de Joha - qui ressemble plutôt à une plaisanterie usée - les Israéliens essaient encore et encore de faire passer en douce l’idée que ce sont eux les victimes. Après avoir volé les falâfels, le taboulé et le homos, ils se mettent à faire les Joha avec cette plaisanterie éculée concoctée par le gouvernement israélien en accord avec les rabbins, en nous refaisant le coup du « clou de Joha » à Gaza après leur déroute pour montrer que les Palestiniens profanent les lieux de culte juifs « épargnés » par l’armé israélienne de la grande destruction entreprise dans les colonies de Gaza !
Ce qui est extraordinaire dans cette histoire, c’est que la synagogue avait été vidée de ses objets de culte, c’est-à-dire des ustensiles et des livres sacrés, et que la cour suprême d’Israël avait décidé sa destruction. Malgré cela, le gouvernement a décidé de ne pas la détruire pour que les Israéliens puissent faire croire que les Palestiniens profanent leurs lieux sacrés. Selon cette logique, il n’y aurait par conséquent aucune différence entre le bourreau et la victime et les synagogues des colonies de Gaza seraient mises sur le même plan que les centaines de mosquées et d’églises que les Israéliens avaient détruites en 1948 ou transformées en étables et en bars.
Cette fantaisie israélienne digne de Joha montre surtout l’effondrement de la politique israélienne devant le fondamentalisme qui envahit la société et le chantage que pratiquent les religieux au soir des élections israéliennes.
« Le clou de Joha » avec lequel les Israéliens essaient dangereusement de jouer à Gaza qui, malgré le retrait, demeure sous occupation effective, est rouillé et ne tient plus. On ne peut pas déclarer sacrés des bâtiments de colons, construits sur des terres confisquées ; on ne peut non plus faire de l’expulsion des colons et des occupants de Gaza un drame humain, lequel drame est devenu un téléfilm, long et ennuyeux.
Cette mascarade médiatique est pathétique, car ceux qui ont ouvert des sépultures pour emporter leurs morts avec eux n’ont pas le droit de jouer avec cette histoire de synagogue, qui plus est complètement vide.
Telle est l’erreur de Charon. Pour être juste avec l’histoire, il faut dire que cet homme a provoqué un revirement dramatique en Israël. C’est avec lui qu’avaient commencé les crimes publics après lesquels on allait rapidement découvrir ceux commis en secret, de Qana à Sabra et Chatila, et de Jenine à la synagogue de Gaza.
Mais pourquoi, à la fin de sa vie, le général cherche-t-il à se mettre dans les habits de Joha ? Cherche-t-il à nous faire rire ? Ou cherche-t-il à montrer que les généraux israéliens, à court de ruses, se sont mis à faire le Joha, convaincus que le « le clou de Joha » peut être utilisé par d’autres que les pauvres qui l’ont fabriqué ?
                                                   
6. Et que fait Israël des mosquées ? par Meron Benvenisti
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 8 septembre 2005
[traduit de l’hébreu par Michel Ghys]

Il n’est pas question de mettre en doute la sincérité des motivations de ceux qui s’opposent à la décision prise par le gouvernement de démolir les synagogues du Goush Katif. Au nombre de ceux qui ont élevé la voix contre cette décision, on trouve à la fois ceux qui ont appuyé le désengagement et ont même proposé de remettre intégralement aux Palestiniens les maisons du Goush Katif, et face à eux, ceux qui étaient farouchement opposés au désengagement et qui voient dans le maintien en place des synagogue une ouverture pour le retour de Juifs à Gaza. A côté de motifs relevant de la loi rabbinique et interdisant la destruction de « sanctuaires miniatures », on entend aussi l’argument que la démolition des synagogues apporterait une légitimité aux antisémites qui méditent la destruction des synagogues devenues inactives dans des centres juifs anéantis.
Mais à côté de la volonté de conserver les synagogues, émerge clairement une considération utilitaire et conjecturale : si la chose est tranchée, mieux vaut que ce soient les Palestiniens qui les démolissent, et pas les Israéliens, « car alors le monde entier découvrira leur infamie ». Cette position qui fait porter sur les Palestiniens la responsabilité du sort des édifices saints s’accompagne de l’énumération détaillée et documentée de leur attitude scandaleuse à l’égard de tout ce qui touche à la conservation de ce qui est lieu saint pour les Juifs - depuis la profanation du cimetière juif du Mont des Oliviers pendant la période jordanienne jusqu’à l’incendie du Tombeau de Joseph au début de l’Intifada. Et pour ne pas être accusés d’hypocrisie - car enfin, s’il est effectivement sûr que les Palestiniens détruiront les synagogues, quel sens y a-t-il à leur demander d’en prendre la responsabilité ? - les opposants à la démolition rapportent aussi, à contrecoeur, des « précédents plus encourageants ».
Toute cette question est débattue, comme d’habitude, entre Israéliens eux-mêmes et sans considération pour les Palestiniens à qui on veut faire porter la responsabilité et la faute. La cour suprême ne se contente pas du refus catégorique des Palestiniens de prendre la responsabilité de veiller sur les synagogues et elle a, avant-hier, donné instruction au chef du gouvernement d’envisager de leur demander « officiellement de veiller sur les synagogues ». Mais là ne s’arrête pas l’unitaléralisme : l’histoire de la lutte pour les lieux saints n’est pas seulement celle de la guerre des Fils, juifs, de la Lumière contre les Fils, palestiniens, des Ténèbres, mais celle d’une guerre où les deux camps ont perpétré des actes barbares à l’encontre de ce qui est sacré pour l’autre.
Les Palestiniens sont en droit de se demander si le principe qui interdit de toucher à des lieux saints ne s’applique qu’aux synagogues ou si des fois il ne s’appliquerait pas aussi aux mosquées et aux églises qui ont été abandonnées. L’exigence que les Palestiniens - ou une instance internationale - prennent la responsabilité des synagogues, ne concerne-t-elle pas aussi le gouvernement israélien à l’égard des mosquées abandonnées qui sont sur son territoire ? Celui qui s’empresse d’exposer la vilenie des Palestiniens est-il prêt à étaler aussi le comportement scandaleux d’Israël à l’égard des lieux saints musulmans ?
Sur environ 140 mosquées des villages abandonnés à la suite de la guerre de 1948, une centaine a été entièrement démolie. Celles qui restent, une quarantaine donc, se trouvent dans un état avancé d’abandon et de dégradation ou bien sont utilisées par les habitants juifs à des usages auxquelles elles n’étaient pas destinées. Dans un moshav des monts Carmel, se trouve une mosquée dont la splendeur a laissé des traces encore visibles ; elle est à l’abandon, ses murs s’effritent et elle est clôturée de fils de fer barbelé. Les demandes adressées par des réfugiés « présents-absents » pour pouvoir s’en occuper, ont été rejetées par les autorités. Une grande mosquée au cœur d’un moshav des montagnes de Judée sert d’entrepôt et de garage pour des engins agricoles. Comme elles, il y en a encore une vingtaine, menaçant ruine. En 1997, lorsque des habitants d’un moshav de Galilée occidentale ont eu envie de « s’élargir », ils ont attaqué au bulldozer, au milieu de la nuit, les vestiges de la mosquée du village abandonné et l’ont entièrement démolie. Non loin de là, les autorités refusent d’autoriser la prière dans la vieille mosquée d’un autre village abandonné, sous prétexte que ce serait « un arrangement politique, quasiment une colonie et constituerait un précédent pour un accord donné au retour des réfugiés ».
Plusieurs mosquées servent d’habitation et d’autres sont employées à des usages commerciaux et culturels. Une mosquée d’un village abandonné, à l’entrée de la vallée Iron, sert de menuiserie pour un kibboutz de la Shomer Hatzaïr ; une mosquée dans une localité d’artistes du Carmel sert en partie de bar et de restaurant ; d’autres mosquées servent de musées et de galeries. La grande synagogue d’une bourgade proche de Rehovot est établie dans la mosquée du village abandonné, dont le minaret a été détruit et dont l’emblème en demi croissant au sommet de sa coupole a été remplacé par une menora. Et nous n’avons encore rien dit des tombeaux de cheiks, transformés en tombeaux de saints juifs, comme le « Tombeau de Dan » qui a pris la place de Cheikh Gharib, un saint homme local, ou le Tombeau de Sit Sakina à Tibériade devenu miraculeusement le Tombeau de Rachel, l’épouse de Rabbi Akiva. Moins de 40 cimetières musulmans subsistent sur les 150 et plus qu’il y avait dans les villages abandonnés, et ceux-là même sont à l’état d’abandon et en danger permanent de destruction de tombes, d’intrusions et d’expropriations.
Le gouvernement israélien sait pourquoi il n’est pas porté exiger des Palestiniens la préservation des synagogues. Qu’arriverait-il si les Palestiniens posaient en contrepartie l’obligation pour le gouvernement israélien de prendre soin des mosquées qui se dégradent sur son propre territoire ? Et toutes ces âmes généreuses dont le cœur s’afflige à la perspective de la démolition des synagogues, élèveront-elles la voix pour sauver les mosquées de Ijzim, Lajjoun et Ghabbasiyah ? Qu’au moins elles reconnaissent que les émotions soulevées par la destruction de synagogues abandonnées sont aussi le lot de centaines de milliers de musulmans israéliens au spectacle de l’anéantissement de leurs biens sacrés. Peut-être, lorsque tous reconnaîtront que la douleur de la destruction est universelle, les guerres des lieux saints prendront-elles fin.
                                                   
7. Leïla Shahid : "Les Israéliens ont atomisé le tissu social de Gaza" entretien réalisé par Emilie Sueur
in L’Orient-Le Jour (quotidien libanais) du jeudi 25 août 2005

Au lendemain de l’évacuation totale des colons de 25 colonies israéliennes, la Déléguée générale de Palestine en France, Leila Shahid, évoque, dans un entretien avec le journal libanais L’Orient-le Jour, l’après-retrait israélien.
Le plan de retrait unilatéral d’Ariel Sharon parachevé, Leila Shahid, déléguée générale de Palestine en France, revient sur la stratégie du Premier ministre israélien et tire la sonnette d’alarme quant à ses projets concernant la Cisjordanie. Au lendemain du retour à Paris du preneur de son français, retenu une semaine durant en otage à Gaza, elle revient également sur les causes du chaos sécuritaire qui sévit en ce moment dans ce territoire palestinien.
Alors que le monde salue le parachèvement du plan Sharon, dont Mme Shahid se félicite également, la responsable palestinienne tire néanmoins la sonnette d’alarme : « Le retrait de Gaza n’est qu’un écran de fumée pour cacher l’extension de la colonisation en Cisjordanie . »
Concernant le chaos sécuritaire qui règne actuellement dans la bande de Gaza, Mme Shahid en impute la responsabilité à l’État hébreu et à sa stratégie pernicieuse visant à « atomiser le tissu social » de cette bande de terre palestinienne.
- Leïla Shahid : « L’évacuation de Gaza est un écran de fumée. Une semaine...Tel aura été finalement le temps nécessaire aux soldats israéliens pour mettre fin à 38 ans d’occupation par les colons des terres palestiniennes de Gaza. »
- Quel bilan tirez-vous de cette opération ?
- L S : « Nous ne pouvons que nous féliciter des bonnes conditions du déroulement de ce plan qui s’est achevé plus rapidement que prévu. Ceci est le résultat d’un travail de coopération sécuritaire de fait entre l’armée israélienne et l’Autorité palestinienne, même si Ariel Sharon continue de qualifier son plan de “redéploiement unilatéral”. Nous avons en effet déployé plus de 7 500 policiers car nous pensions qu’il était très important, pour l’avenir, que ce retrait se fasse dans les meilleures conditions. »
- Certains ont parlé d’une mise en scène du retrait israélien.
- L S : « Je pense que le gouvernement israélien a un peu “gonflé”, avant la mise en œuvre du plan, la menace que posaient les colons. Mais, si leur réaction a été effectivement ferme et passionnée, les colons ont très bien compris qu’ils ne pouvaient résister à une décision entérinée par le gouvernement et par le Parlement. Ils ne souhaitaient pas, en outre, ternir un peu plus encore leur image au sein de la société israélienne.
Israël, de son côté, a également profité de l’occasion pour redorer son blason. Les méthodes employées étaient en effet très différentes de celles généralement mises en œuvre contre les Palestiniens, confrontés à des soldats armés de M16 et à des tanks venus raser leurs maisons.
Il n’en demeure pas moins que, pour les Palestiniens, ce retrait est très positif car c’est la première fois, en 38 ans, qu’Israël démantèle des colonies. Ce retrait, sa rapidité et les conditions dans lesquelles il s’est réalisé crée un précédent prouvant que si la volonté politique est là, les forces d’occupation israéliennes peuvent rapidement libérer un territoire. »
- Comment, précisément, expliquez-vous que la volonté politique ait été à l’ordre du jour ?
- L S : « Pour trois raisons. D’abord, Ariel Sharon a été contraint de reconnaître qu’il n’y avait pas moyen de gagner militairement contre les Palestiniens. Depuis le début de la deuxième intifada, nous avons subi une répression militaire inégalée en 57 ans de pouvoir israélien. Et pourtant, la résistance militaire et civile s’est poursuivie.
Ensuite, Ariel Sharon a compris qu’il ne pouvait rester dans cette situation de paralysie totale. Au sein de sa propre armée, qui devait mobiliser 1 500 soldats pour protéger les 8 000 colons de Gaza, a commencé à se faire sentir un véritable ras-le-bol incarné par le mouvement des “refuzniks”. Ensuite, le mouvement pour la paix en Israël a senti qu’il devait recommencer à s’exprimer. Les États-Unis se sont également rapprochés des Européens sur la nécessité de revenir à un processus de paix avec la promotion de la “Feuille de route” en 2003.
D’où l’élaboration de cette stratégie très intelligente, incarnée par les déclarations du conseiller d’Ariel Sharon, Dov Weissglass, au Haaretz : réagir avant que la pression internationale ne devienne trop forte. Pour ne pas être contraint de mettre en œuvre la “feuille de route”, Ariel Sharon a jeté à la communauté internationale un os à ronger : le plan unilatéral de retrait. De quoi plonger le processus de paix dans le formol et empêcher la création d’un État palestinien viable en annexant Jérusalem-Est et les blocs de colonies de Cisjordanie, comme l’a dit Weissglass. »
- Précisément, Israël a ordonné hier la confiscation de nouvelles terres palestiniennes pour ériger une barrière autour de la plus grande colonie de Cisjordanie, Maalé Adoumim.
- L S : « Le retrait de Gaza est clairement utilisé comme un écran de fumée pour cacher l’extension de la colonisation en Cisjordanie. Avec la poursuite de la construction du mur, qui annexe les trois blocs de colonies de Ariel, Maalé Adoumim et du Goush Etzion, la Cisjordanie va être transformée en trois bantoustans et Jérusalem sera annexée à Israël. Ceci est une négation totale de la “Feuille de route”. Une Feuille de route qui prévoit notamment le gel de la colonisation. Or une partie des colons de Gaza évacués la semaine dernière sont partis s’installer dans les colonies de Cisjordanie. Et on continue de parler de Sharon comme s’il était Charles de Gaulle ! C’est surréaliste ! »
- En ce qui concerne Gaza, où en sont les négociations autour des frontières, de l’aéroport, du port... ?
- L S : « Toutes les réunions depuis l’arrivée au pouvoir de Mahmoud Abbas n’ont rien donné de sérieux sur le plan bilatéral.
Aujourd’hui, sur Gaza, nous n’avons aucune réponse à nos questions. Ni sur le passage entre l’Égypte et Rafah, ni sur celui d’Erez vers la Cisjordanie, alors que les accords d’Oslo prévoient un corridor, ni sur l’aéroport, dont la piste a été détruite, ni sur l’accès aux zones maritimes. Nous avons seulement repris les discussions sur le port. Mais tout le monde sait que la construction d’un port nécessite au moins cinq ans de travaux.
Or Gaza ne recèle aucune ressource naturelle. Le seul moyen de relancer l’économie est le commerce, ce qui nécessite une liberté de circulation des capitaux, des biens et des personnes. Les Israéliens et les Américains ont toujours reporté ces points de discussions à l’après-retrait. Aujourd’hui, il n’y a plus d’excuses. »
- Quel est le rôle de la communauté internationale dans ce contexte ?
- L S : « La situation actuelle n’est pas seulement la conséquence d’un échec des Israéliens et des Palestiniens. La responsabilité de la communauté internationale est également en cause. Or, les Européens considèrent toujours Israël comme l’État des survivants du génocide de la Seconde Guerre mondiale, et les États-Unis comme leur cinquante et unième État. Ça les paralyse.
Aujourd’hui, toutefois, je sens une prise de conscience au niveau international du fait que la crise mondiale actuelle qui mène à un tel radicalisme dans le monde arabo-musulman n’est pas étrangère à la colère des opinions publiques par rapport à la non-application du droit en Palestine. Aujourd’hui, la balle est dans le camp du Quartette. »
- Côté palestinien, nous avons assisté à une série d’affrontements et d’enlèvements, notamment d’étrangers, dans la bande de Gaza. Comment expliquez-vous cette situation ?
- L S : « La situation dans la bande de Gaza est effectivement très inquiétante. Elle résulte de quatre années d’une stratégie pernicieuse israélienne visant à atomiser la société palestinienne, à fragmenter le tissu social. Prétextant la nécessité d’empêcher la circulation de kamikazes, les autorités israéliennes ont érigé des barrages autour des villes, villages et camps de réfugiés. Si, avant 2001, nous pouvions organiser par exemple des réunions communes de toutes les branches du Fateh, ceci était devenu impossible ces dernières années. Résultat : la population s’est repliée sur le plus petit et le plus rétrograde dénominateur commun, à savoir la famille, le clan.
Dans une société arabe et majoritairement paysanne, ce phénomène a fait ressortir tous les démons archaïques du tribalisme et de la vendetta. Et ce d’autant plus que les infrastructures policières et sécuritaires ont été systématiquement cassées par les autorités israéliennes. Nous revenons donc à des pratiques qui avaient disparu de Palestine depuis 40 ans. Il n’est pas aisé de reconstruire une autorité réelle rapidement, mais nous sommes déterminés à le faire. »
- Depuis plusieurs semaines, les visites de responsables palestiniens au Liban se multiplient. Quelle en est la raison ?
- L S : « Au Liban, en raison de l’histoire de la guerre civile et de l’équilibre des communautés confessionnelles, la situation des réfugiés palestiniens est absolument tragique. Nous avons toutefois senti, depuis l’arrivée au pouvoir de Mahmoud Abbas, une volonté de la part des autorités libanaises d’améliorer la situation. Il ne faut en outre absolument pas avoir peur d’une installation des réfugiés. Nous ne renoncerons jamais au droit au retour et à la résolution 194. En attendant, nous devons bénéficier de droits civiques. Il faut également qu’un interlocuteur palestinien soit désigné au Liban. »
- Ces visites ne sont-elles pas liées à la résolution 1559 qui prévoit le désarmement des groupes armés au Liban ?
- L S : « La résolution 1559 n’est pas le centre de tout. Mais typiquement, c’est pour traiter de ce genre de sujets qu’il faut un représentant officiel palestinien. »
                                                               
8. On dit que Tulkarem a été libéré par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 23 mars 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]

M., 52 ans, est un habitant de Tulkarem. « Alors, vous voilà libérés ? », s’est-il entendu demander hier matin. « C’est ce qu’on dit », a-t-il répondu. « Les enfants (les jeunes gens armés du Fatah – A.H.) circulent en tirant en l’air, pour se convaincre qu’ils ont été libérés. Si et quand l’armée israélienne veut entrer de nouveau, elle entrera. Qu’est-ce que ça change pour nous que les soldats sont entrés de nuit et puis sont partis ? Rien. On dit qu’ils enlèvent le barrage d’Anavta, mais on sait par expérience qu’ils mettront immédiatement un barrage mobile à la place. Et le barrage du carrefour de Shoufa (à la sortie sud-est de Tulkarem) n’a pas été retiré. La police palestinienne a toujours circulé en ville, qu’est-ce que ça change pour nous que leur fusil soit dans la voiture ou à leur épaule ? L’indice de la liberté, ce n’est pas la présence de policiers ni leurs armes. Quand les Israéliens comprendront-ils qu’on ne peut pas parler de libération d’une ville isolée quand toute la Cisjordanie est occupée ? Je me sentirai libre seulement lorsque je pourrai aller sur ma terre – dont la plus grande partie est barrée par la clôture de séparation –, lorsqu’il n’y aura plus sur mon chemin aucun barrage israélien, ni mobile ni fixe, lorsque les colonies auront été évacuées ».
Des photos des policiers palestiniens à l’exercice ont été choisies pour représenter l’événement insignifiant du changement de polices à Tulkarem. C’est un héritage de l’époque d’Oslo, quand les Israéliens – encouragés par le show produit par le mouvement du Fatah – ont vu dans les uniformes des Palestiniens l’expression suprême du phénomène virtuel de « la fin de l’occupation ». Les médias israéliens ont reflété les attentes de l’armée israélienne et des responsables des renseignements, qui voyaient les forces de sécurité palestiniennes agir à leur manière contre ceux qui auraient l’intention de frapper des soldats ou des colons en Cisjordanie, et des civils en Israël. C’est encore leur attente aujourd’hui. En d’autres termes : les Israéliens attendent une fois encore que l’occupé protège l’occupant. En échange : de très partielles et très nébuleuses promesses.
Mais supposons que cette attente soit logique, compte tenu de l’équilibre des forces. Pour réussir dans cette mission, sans se faire l’instrument d’une oppression civile qui ne susciterait que de la résistance, la police, dans la mesure où elle représente l’Autorité palestinienne, se doit de démontrer qu’elle est aussi capable de protéger les citoyens palestiniens face à la criminalité intérieure et face à l’occupant.
Même en l’absence d’une autorité fonctionnelle, nous dit M., il n’y a pas, à Tulkarem, de cambriolages ni de peur d’atteintes aux biens. Il souligne le fait que, précisément sous l’égide des incursions prolongées de l’armée israélienne, des cambriolages avaient lieu, mais que des coordinations entre clans réussissaient à faire revenir les biens volés. Son explication : des traditions familiales encouragent la solidarité interne et la responsabilité mutuelle. Tout cela est venu remplacer non seulement les prisons que l’Armée de Défense d’Israël a détruites mais aussi l’autorité de la Loi : avant septembre 2000, des gens ayant pouvoir, argent et influence, pouvaient porter atteinte à d’autres (fraude, litiges entre voisins et mainmise sur des terres, par exemple) tout en parvenant à échapper à la justice et à toute sanction. Autrement dit, occupation ou pas, il revient à l’Autorité d’entreprendre une réforme sérieuse du système judiciaire.
A Tulkarem, ces derniers jours, beaucoup plus que de la relève de la garde, on s’occupe de l’assassinat d’une enfant de 15 ans qui habitait la ville. Son père l’avait violée et elle s’était rendue à l’hôpital pour se faire avorter. Les médecins savaient qui étaient le violeur mais ils l’ont renvoyée chez elle. Quand elle est rentrée, un de ses frères l’a assassinée. A Bethléem, quelques jours plus tôt, un père a assassiné sa fille qui avait été violée. D’après le code pénal, héritage jordanien encore, un assassinat motivé par ce qu’on appelle « l’honneur de la famille » entraîne une peine de six mois de prison seulement. L’Autorité doit se prononcer contre des traditions sociales et modifier la loi. Ministère chargé des questions de la femme, organisations féminines, travailleurs sociaux, police, tous débattent des moyens permettant de mettre un terme au phénomène des assassinats de femmes, protégés par la loi et la tradition. Les médias publient des détails qui, dans le passé, étaient tabous. On peut voir les signes d’une disposition à affronter le phénomène et non plus à l’enterrer sous l’excuse que « nous sommes sous occupation ».
Et qu’en est-il de la sécurité de la part de l’occupant ? Il a déjà été démontré que la police palestinienne, en tant que représentante de l’Autorité, ne peut offrir aucune protection aux citoyens face aux atteintes des soldats. Dans le village de Balein, par exemple, les constructeurs de la clôture de séparation ont déraciné, avant-hier, une soixantaine d’oliviers appartenant aux habitants. Des camions appartenant à une société israélienne ont chargé les arbres puis ont disparu avant que les villageois aient eu le temps de les prendre pour au moins les sauver. Là, la police palestinienne ne sera d’aucun secours. Elle n’a pas non plus pu protéger les habitants du village de Boudrous qui sont, en particulier ces derniers jours, exposés aux raids incessants des soldats qui ont même fait sortir les hommes de leur lit, au milieu de la nuit, et les ont photographiés. Cela s’est passé, il est vrai, loin de Tulkarem, mais la crainte de M. est que l’outrage fait à l’Autorité dans des situations pareilles ne l’affaiblisse aussi dans ses tentatives d’assurer une sécurité intérieure, dans des situations qui ne dépendent pas de la présence de l’occupant.
                           
9. Arabes : les mots des maux par Hichem Ben Yaïche
in Le Quotidien d'Oran (quotidien algérien) du mardi 22 mars 2005
Quel que soit l’angle de vue où l’on se place, il est impossible d’échapper à ce constat terrifiant : les Arabes ont mal. Un « mal » qu’on va tenter de comprendre, d’expliquer et d’analyser, à grands traits. Devant l’urgence de la situation – et sans jouer pour autant la dramatisation à outrance –, j’ai envie de dire : se  rendent-ils vraiment compte de ce qui leur arrive aujourd’hui ? En tout état de cause, ils donnent franchement l’impression d’être dans un navire sans gouvernail. Inutile de réactiver, dans une énième tentative de fuite en avant, la théorie de conspiration. Les Arabes doivent faire un sérieux examen de conscience, se mettre en mouvement, afin d’enrayer la descente aux enfers en cours. De quoi s’agit-il concrètement ? J’articulerai les réponses à cette interrogation autour de deux points.
Des décennies d’immobilisme
Les Arabes sont fiers de leur civilisation. Il suffit de les écouter ou de discuter avec eux pour se rendre compte de ce sentiment qui imprègne, très souvent, leur discours. Cette fierté est légitime et est totalement justifiée. Mais les Arabes oublient ou feignent d’oublier qu’ils ne sont plus, depuis six siècles, les acteurs de l’Histoire. Les raisons qui ont conduit à cette décadence avaient été répertoriées, méditées et pensées, mais le dilemme sur le «comment en sortir ?» est toujours d’actualité. Plusieurs expériences politiques avaient été menées, dans le passé, pour moderniser et amorcer un processus vertueux de renaissance. Elles ont débouché, pour ainsi dire, sur le vide. Comment ? Pourquoi ? Que s’est-il passé ?…, les interrogations sont, encore aujourd’hui, à l’ordre du jour. Ne trouvant pas de solutions à leurs problèmes existentiels, les Arabes, devant la puissance de l’impuissance,  se sont tournés massivement, ces dernières années, vers la religion. Une manière de se rassurer et de se protéger contre un monde incertain, anxiogène, hostile. Mais, là, les régimes politiques arabes portent une responsabilité majeure dans cette marche… à reculons ! La montée de l’intégrisme dans les sociétés arabes, ces dernières années, et les violences qu’il génère, à l’intérieur et à l’extérieur de l’aire arabe va amplifier les incertitudes et renforcer les courants rétrogrades. Mais ce sont les attentats du 11 septembre 2001 qui vont confirmer, aux yeux de l’Amérique surtout, et de l’Occident ensuite, le degré de «dangerosité» d’une certaine «culture islamique» existant dans le monde arabe. Au-delà des raccourcis développés ici ou là sur ce sujet, la responsabilité des élites dirigeantes arabes est cependant considérable ; ces derniers, plutôt gestionnaires que visionnaires, n’ont jamais su s’attaquer aux blocages réels des sociétés arabes, ni anticiper l’expression d’un radicalisme religieux prenant de plus en plus la forme d’un nihilisme dévastateur. Cette situation est, on le sait aujourd’hui, le produit des atermoiements, des hésitations, et de l’absence de réformes audacieuses, pouvant conduire cette civilisation à sortir d’une profonde crise structurelle. Des décennies ont été ainsi gâchées, du temps perdu et, toujours, le retour à la case départ. Les Arabes doivent apprendre à se regarder en face…
S'approprier le GMO [Grand Moyen-Orient]
Depuis 2001, Bush et ses collaborateurs ont un grand projet à réaliser : démocratiser le monde arabe. Ce dessein est loin d’être une œuvre philanthropique en direction des Arabes. L’Amérique défend d’abord ses intérêts stratégiques. Hier, la guerre froide avait fini par venir à bout de l’Union soviétique et son système communiste, donnant à l’Amérique le statut de puissance mondiale unique. Aujourd’hui, la guerre mondiale contre le terrorisme s’accompagne d’une volonté de réformer –  et démocratiser – le monde arabe. Cela a donné naissance au plan le « Grand Moyen-Orient ». Les dirigeants US partent de cette idée de base : si les Arabes ne se réforment pas de l’intérieur, nous, Américains, nous allons le leur imposer de l’extérieur. Depuis quelques semaines, le président américain, en saturant tous les canaux de communication, voit des réformes partout, en se félicitant de l’avoir initié. S’il est vrai qu’on observe bel et bien un électrochoc dans cette région, force est de constater cependant qu’il est prématuré de tirer une quelconque conclusion quant à la tournure que prendra ce processus.
L’attentisme ne paie pas. Les Arabes ont tout intérêt à s'approprier le GMO, en faisant travailler hommes politiques, universitaires, chercheurs, experts, etc., pour retravailler ce projet et l’adapter à la réalité arabe [1]. C’est la meilleure façon de prendre le taureau par les cornes, en coupant l’herbe sous les pieds de l’Oncle Sam, qui joue au maître d’école. La Ligue des Etats arabes – rénovée et retructurée – pourrait se voir confiée ce genre de mission, mettant ainsi à terre les accusations d’inutilité. Le temps presse. Les Arabes ont là une occasion unique de ne plus subir l’Histoire, mais de la conduire. Est-ce un vœu pieux ?
- NOTE :
[1]  On peut s'appuyer sur des documents qui existent, comme par exemple les rapports du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), qu'il faut compléter et approfondir. Un "véto" américain avait empêché le dernier rapport d'être publié. Un comble !

[Hichem Ben Yaïche peut être contacté à l'adresse suivante : benyaiche@hotmail.com]
                               
10. La tournée de Leïla Shahid dans les lycées crée la polémique par Marie-Estelle Pech
in Le Figaro du jeudi 17 mars 2005

Des conférences données dans des lycées, sur le temps scolaire, par des défenseurs de la cause palestinienne, avec l'accord du corps enseignant : la tournée de Leïla Shahid dans les établissements scolaires suscite une vive polémique.
Plusieurs lycées ont refusé la venue de la représentante de l'Autorité palestinienne en France, accompagnée du rédacteur en chef du Monde diplomatique et d'une Israélienne militante d'une organisation pacifiste. Mais d'autres proviseurs leur ouvrent largement leurs portes pour des «conférences-débats» sur le conflit israélo-palestinien.
Ainsi, alors qu'elle avait été refoulée d'un établissement public de la banlieue de Nancy, Leïla Shahid s'est, mardi après-midi, rabattue sur un lycée professionnel privé catholique ! Après avoir consulté son rectorat, le proviseur du lycée public s'était, il y a un mois, opposé à cette venue au nom du «principe de neutralité», inhérent à tout établissement public. «Ces trois personnes sont fortement marquées sur un plan politique et soutiennent les mêmes idées. Ce ne pouvait être un débat contradictoire», explique Pierre-Jean Vergès, le directeur de cabinet du recteur de Nancy-Metz.
Le recteur d'Aix-Marseille, également sollicité en février par un proviseur de sa région, a soutenu la même position. «Il y aurait une contradiction grave à ce qu'un débat soucieux d'apporter la paix crée, par son existence même, une occasion de conflit interne ou externe à l'établissement l'accueillant», lui avait-il écrit. Pour ces deux recteurs, Leïla Shahid peut faire entendre sa voix mais surtout pas dans un établissement scolaire.
Ce n'est pas l'avis du directeur du lycée privé Claude-Daunot de Nancy, qui a souhaité recevoir le trio mardi, par souci «d'ouverture d'esprit». Selon l'équipe pédagogique, la réunion a remporté un «grand succès» auprès des quatre-vingts élèves «émus et impressionnés». «La volonté de paix était bien présente. On ne nous a pas présenté le conflit de façon simpliste avec les méchants et les gentils», assure une enseignante d'histoire qui assistait au débat, entouré d'une grande discrétion.
Aux lycéens qui lui ont posé des questions sur la situation des enfants palestiniens ou sur l'Intifada, Leïla Shahid a cependant expliqué que le conflit était une «lutte politique au même titre que la lutte nationale de libération de l'Algérie». Bref, «un occupé» face à «un occupant». «Certes, on n'avait pas de contradicteur», admet du bout des lèvres l'enseignante.
Les trois intervenants se sont déjà rendus dans d'autres établissements scolaires. En octobre dernier, ils étaient dans un lycée public du Havre (Seine-Maritime). Ils devraient aussi se rendre le 20 mai au lycée Camille-Sée de Colmar (Haut-Rhin). «J'ai dit que j'étais prêt à les accueillir mais je vais discuter avec le recteur avant de prendre une décision définitive», indique le proviseur de cet établissement public.
Ces conférences-débats sont organisées depuis un an et demi dans le cadre d'une «tournée des banlieues» par l'association des Amis du Monde diplomatique et soutenue par un collectif de vingt-cinq associations, dont France Palestine Solidarité ou la Ligue des droits de l'homme. On y traite pêle-mêle des répercussions en France du conflit israélo-palestinien, de la montée de l'antisémitisme, du racisme et du communautarisme.
Dominique Francescetti, secrétaire général des Amis du Monde diplomatique, se défend de tout prosélytisme : «Nous allons dans des lieux publics ou des lycées, à la rencontre des jeunes de banlieue qui n'ont pas toujours accès à l'information pour défaire certaines idées reçues.»
Pour Michel Richard, secrétaire national du Syndicat national du personnel encadrant de l'Education nationale (SNPDEN), le sujet reste cependant épineux. «Ce thème est susceptible de provoquer des tensions. Il est difficile de l'aborder autrement que sous un angle polémique, dit-il. Mieux vaut maintenir ces débats en dehors des locaux de l'Éducation nationale.»
                                       
11. Des munitions pour repousser toute critique par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 16 mars 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]

La visite en grand nombre de dirigeants du monde entier au nouveau musée de l’histoire du génocide juif de Yad Vashem témoigne de la position de force de l’Etat d’Israël en Occident. Dans leurs pays, Israël est l’objet de critiques. Beaucoup verront là les signes d’un antisémitisme sous- jacent ou manifeste. Les Palestiniens et les activistes de Gauche – dont de nombreux Juifs – découvriront que, dans tous ces pays, l’information sur l’occupation israélienne est pauvre et très mince l’intérêt qu’y portent les populations. Le pèlerinage à Jérusalem de si nombreux et si honorables représentants européens élus montre clairement que la critique ne les dissuade pas ; ils prennent part à un événement médiatique qu’il est difficile de ne pas interpréter comme un soutien à l’Etat d’Israël d’aujourd’hui.
Les plus accommodants interpréteront cette visite comme un encouragement à ce que les deux côtés s’attachent au « processus de paix renouvelé ». Mais que s’agit-il d’encourager ? Les rencontres de Mohamed Dahlan et Nasser Youssef avec Shaul Mofaz, comme il y en a eu et comme il y en aura encore des centaines ? La clôture de séparation dont la construction se poursuit avec entrain, malgré l’arrêt du Tribunal de La Haye ? Les « gestes » souverains d’Israël (encore 200 permis de déplacement pour des commerçants, une route ouverte aux véhicules palestiniens privés et pas aux seuls transports publics), ou bien la poursuite de l’écrasement de Jérusalem-Est, palestinienne, et sa coupure d’avec le reste des territoires palestiniens, en violation de l’exigence internationale selon laquelle Jérusalem-Est sera la capitale de l’Etat palestinien ? Le ministre allemand des affaires étrangères et les chefs de gouvernement hollandais et suédois ont-ils l’intention – après s’être signés et avoir démontré qu’ils se souvenaient du génocide juif – de rappeler à Israël que non seulement les avant-postes, mais que toutes les colonies sont illégales et d’exiger, dès lors, qu’Israël les évacue ? Qui parmi les participants à la cérémonie ira voir les routes-pour-Juifs-uniquement et pour-Palestiniens-uniquement ? L’un quelconque d’entre eux protestera-t-il contre les Lois qui discriminent des citoyens israéliens, simplement parce qu’ils sont non-juifs, qu’ils sont arabes, et fera-t-il peser la menace de sanctions si ces Lois ne sont pas abrogées ?
Une des absurdités révoltantes de tout crime, a fortiori un crime aux dimensions inconcevables comme l’industrie allemande de meurtre (avec un large appui européen), c’est que les victimes et leurs descendants s’en souviennent et le vivent jour après jour, tandis que ses auteurs le refoule et l’oublie, et qu’il est facile pour leurs descendants de l’ignorer. Alors : que cette théorie de diplomates qui se présente aujourd’hui, pleine de sollicitation, à la porte d’Ariel Sharon, s’en retourne parler chez elle, et pas en Israël, de la responsabilité européenne dans le génocide juif. Berlin, Paris, Amsterdam, Cracovie, Sarajevo, et les villages et les forêts aux alentours, sont imprégnés des souvenirs de nos parents, de l’oubli des responsables et de leurs descendants, et aussi de la faiblesse et de l’indifférence de ceux qui se tiennent à l’écart. Que les chefs de gouvernement et les ministres des affaires étrangères réveillent, là-bas chez eux, le souvenir, la connaissance, la compréhension historique. Et pas simplement une fois dans l’année, par devoir, au jour de la libération d’Auschwitz ou de la capitulation de l’Allemagne.
Nous nous souvenons et nous souffrons jour après jour de cette extermination, de cet anéantissement ; confrontons-les jour après jour à cette extermination, à cet anéantissement. Que par exemple, sur chaque maison où habitaient des Juifs, soit écrit sur une grande plaque de marbre, à quelle destination ils ont été déportés et où ils ont été assassinés ; que dans chaque gare d’où sont partis les convois humains, il y ait l’information : quand, combien de trains par jour, combien de personnes. Que soient écrits les noms des responsables du convoi : à la police, à la société de chemin de fer, à l’hôtel de ville.
La lutte contre l’oubli ne se fait pas seulement par des monuments et des cérémonies. Mais essentiellement par le rejet sans compromis de l’idéologie des seigneurs, qui partageait le monde entre « races » supérieures et inférieures. Qui niait le principe de l’égalité entre les êtres humains. Nous étions placés au bas de l’échelle de ceux qui étaient inférieurs, instaurée par l’idéologie nazie. Cette idéologie n’eût-elle pas été criminelle si nous avions été rangés aux échelons supérieurs ?
Une idéologie qui partage le monde entre ceux qui ont plus de valeur et ceux qui en ont moins, entre supérieurs et inférieurs, n’a pas besoin d’atteindre les proportions du crime allemand pour être inacceptable dans son principe. L’apartheid en Afrique du Sud, par exemple. 38 années de domination israélienne sur le peuple palestinien ont habitué des générations d’Israéliens à penser que les Palestiniens sont inférieurs et qu’ils ne méritent dès lors pas ce à quoi nous avons droit. Mais il est interdit de dire cela à voix haute, sous peine d’entendre crier : « qu’allez-vous comparer là ! ».
Cette visite médiatisée nous enseigne que la destruction des Juifs d’Europe est devenue un atout entre les mains d’Israël. Nos proches assassinés sont enrôlés pour qu’Israël puisse continuer de se moquer éperdument des résolutions internationales contre l’occupation israélienne. Les souffrances endurées par nos parents dans les ghettos et dans les camps de concentration dont l’Europe était entièrement couverte, les tourments psychiques et physiques qui n’ont pas quitté même un jour nos parents depuis la « libération », servent de munitions pour repousser toute critique internationale portant sur la société que nous fabriquons ici. Une société où la discrimination sur base nationale est structurelle, enracinée et répandue des deux côtés de la Ligne Verte. Une société qui continue de déposséder et d’expulser méthodiquement le peuple palestinien de sa terre, de le priver de ses droits en tant que peuple et de ses perspectives d’un avenir humain.
                           
12. Graffitis à Sabra et Chatila par Jalel El Gharbi
in BabelMed Newsletter N° 32 du mercredi 16 mars 2005

A peine entré dans les camps palestiniens de Sabra et Chatila à la périphérie de Beyrouth, je ressens le besoin d’une langue autre. Il me faut une syntaxe torturée, des phrases mutilées, une rhétorique et un lexique ourdis de silence, de colère et de colère silencieuse. A droite se trouve le charnier. Quelques inscriptions couleur sang sur un fond noir répondent au devoir de mémoire. Le 16 septembre 1982 plus d’un millier de civils palestiniens, chrétiens ou musulmans, tombent sous les serres de miliciens de la droite libanaise et de soldats israéliens: ils sont massacrés, torturés, lynchés, suppliciés, charcutés. Les tueurs sont des hommes de M. Elie Hobeika(3), qui deviendra par la suite ministre dans le gouvernement libanais et ils ont été entraînés, aguerris et équipés par M. Ariel Sharon, actuel Premier ministre d’Israël. Certains parmi les miliciens ont la nausée et se retirent. Les autres, pris dans l’engrenage du crime, continuent. Ils reprennent des forces en se servant dans les boutiques: pâtisserie et belles pommes libanaises, chantées jadis par Abu Nawas. Et le crime se poursuit associant sang et plaisir, rancœur et désir, celui d’en finir avec ces sous-hommes de Palestiniens. Femmes enceintes éventrés, gamines violées et hommes empalés. On m’a raconté qu’un milicien, boucher de son état, aurait conclu qu’il n’y avait pas de différence entre hommes et bêtes d’abattoir et qu’il suffisait de procéder de la même manière pour accéder aux abats. Les victimes sont toutes enterrées dans des sacs en plastique offerts par Tsahal. Et voilà vite remblayées les fosses communes.
A la suite du scandale que fut la découverte de ce charnier, les témoignages les plus incontestables vinrent en révéler l’ampleur. Jean Genet(2), l’un des premiers arrivés sur les lieux avec Leila Shahid l’actuelle déléguée de Palestine en France, témoignent de l’atrocité des faits. En Israël, la commission Itzhak Kahane(3), que personne ne peut accuser d’antisémitisme, conclut à la responsabilité personnelle de M. Ariel Sharon.
On ne sort pas indemne après avoir vu Sabra et Chatila. On en sort, tout au moins paranoïaque. Ce bon père de famille qui presse le pas pour que la baguette de pain de ses enfants ne refroidisse pas a peut-être tué. Et cet autre qui choisit scrupuleusement des pommes. Il y a surtout cet autre qui, ayant pris une poupée, s’inquiète de savoir de quelle couleur sera le papier cadeau. Ce n’est pas moi qui m’égare, la question demeure posée: qu’est-ce qui fait qu’un citoyen paisible se métamorphose en assassin, en insulte à l’humanité tout entière. Ou encore: qu’est-ce qui fait que l’humanité accepte que l’anathème soit jeté sur un peuple? Il n’y a pas de réponse. Il suffira de creuser la question. Et je constate que la poésie est encore possible après Deir Yassine (massacre commis contre les Palestiniens en 1948) et après Sabra et Chatila, comme si l’oubli était possible. Et pourtant la beauté de cette jeune Palestinienne qui entrouvre une fenêtre est encore possible. Serions-nous promis à l’oubli des laideurs?
La grande rue, celle qui menait à l’hôpital Gaza, prétend être aujourd’hui une rue commerçante. Que de petites échoppes où foisonnent des marchandises de toutes sortes venues des pays d’Asie. De la pacotille qui se vend très bon marché. La clientèle se recrute dans tout Beyrouth. Je me suis même laissé dire que certains miliciens ayant participé à la boucherie viennent s’approvisionner ici en électroménager made in Turquie, made in Taiwan ou made dieu seul sait où. Il y a aussi des marchands aux quatre saisons: étals disposés avec un art qui contraste avec l’insalubrité ambiante. Les Palestiniens, surtout les enfants, ont droit à ces produits: ils doivent seulement attendre la fin du marché pour aller fouiller dans les poubelles ou dans les décharges : joie de l’enfant qui a trouvé une poupée à laquelle il ne manque que la tête; joie de l’enfant qui a déniché une tomate bien fraîche et joie de la chèvre à se délecter d’une salade.
Quelques chèvres. Le bestiaire de Sabra et Chatila est à étudier. Quelques mulets, des rats, quelques chèvres, des rats, quelques chats et des rats. Aujourd’hui, le camp se vide. Les Palestiniens, interdits d’accès à plus de 70 professions ou métiers quittent le camp: Australie, Etats-Unis (quand ils le peuvent), pays scandinaves. Pour ne pas faciliter leur implantation définitive, la loi libanaise ne leur accorde ni le droit de travailler ni des papiers, ni eau, ni électricité, ni voierie. Des intellectuels libanais, des partis politiques, surtout le puissant Hezbollah, revendiquent des conditions plus humaines pour les réfugiés.
Il y a de moins en moins de Palestiniens à Sabra ou à Chatila. Une autre population aussi indigente tend à les remplacer: des Syriens, des Libanais pauvres, des Asiatiques… qui très vite prennent le faciès des hommes privés de lumière: il fait toujours sombre dans les rues des camps.
La misère prend un nouveau visage, celui d’une profusion de pacotille qui profite à de grands négociants ou trafiquants qui, eux, ne mettent jamais les pieds à Sabra. Impossible de savoir qui gère ce commerce.
Dans les «ruelles» du camp, je marche sous une immense toile d’araignée qui approvisionne les maisons en électricité. Ces maisons de la promiscuité, du surpeuplement n’ont pas toutes quatre murs et un toit. Nombre d’entre elles ont en guise de mur ou de toit des draps ou des couvertures ou des plaques de taule. Il y a ici des représentations des groupes politiques palestiniens, des marchands de légumes, un médecin et un centre culturel. Les jeunes qui fréquentent ce centre ont calligraphié des poèmes sur les murs. J’avoue que j’ai trouvé un plaisir tout aussi immense qu’indécent à lire ces textes, à voir ce portrait très réussi de Che Guevara, du cheikh Yassine, assassiné sur son fauteuil roulant à Ramallah, ou ce portrait de Arafat.
Le camp, cette preuve de la rémanence des crimes contre l’humanité, exhale une odeur d’égouts à ciel ouvert, près de certains étals de produits de «luxe», l’odeur écoeurante des parfums bon marché et des relents de crimes contre l’humanité. Je n’ai jamais mis les pieds à Auschwitz mais je suis sûr qu’il y règne la même odeur de crimes. Je me pose surtout cette question: comment nous – hommes et femmes – pouvons-nous admettre qu’il existe encore des apatrides? Un moment, je suis tiraillé entre ce désespoir foncier de l’humanité de l’homme et la foi qu’un peuple qui a donné autant d’artistes, de poètes (je pense surtout à Darwich), de victimes reviendra un jour chez lui sur les rivages d’Akka. 
- NOTES :
[1] Elie Hobeika a été assassiné le 24 janvier 2002: «quelqu’un» avait intérêt à ce qu’il ne vînt pas témoigner à Bruxelles.
[2] Genet à Chatila, textes réunis par Jérôme Hankins, Babel, 1992
[3] Rapport de la commission Kahane, Stock, 1983
                   
13. Les vérités cachées par Gabriele Polo
in Il Manifesto (quotidien italien) du samedi 12 mars 2005
[traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio]
(Gabriele Polo est Directeur du quotidien Il Manifesto.)

Les américains savaient. Ils ne pouvaient pas ignorer la nature de la mission de Nicola Calipari à Bagdad, le penser signifierait les prendre pour des imbéciles. Il est vrai que les autorités italiennes n’avaient pas formalisé aux autorités étasuniennes ce qu’étaient en train de faire les agents du Sismi arrivés au début de l’après-midi du 4 mars dans la capitale irakienne : elles n’étaient pas tenues de le faire et elles ne pouvaient pas le faire parce qu’elles auraient officialisé une mission que les alliés américains considéraient comme erronée et hostile à leur politique. Ils auraient, en somme, « contraint » les Usa à arrêter Nicola Calipari à son arrivée à Bagdad, ou –pire- à intervenir militairement au moment de la libération de Giuliana Sgrena, en provoquant qui sait quel carnage. Choisir l’informalité –ou le « profil bas », comme on l’a appelé- pour cette opération était la seule chose possible et l’Italie, pour cette raison,  a demandé aux américains le minimum nécessaire, une collaboration technique qui, par ailleurs, a été très laborieuse à obtenir ; ce qui pourrait avoir entraîné les « retards » de la journée et compliqué les choses. Cependant il est difficile de penser que parmi les deux mille agents de la Cia (c’est leur nombre à Bagdad), et nous ne savons combien d’officiers de l’armée étasunienne, personne ne savait que Giuliana allait être libérée pour ensuite aller à l’aéroport avec deux agents du Sismi. Dans cette voiture, sur cette route réservée aux diplomates et aux militaires. Penser le contraire serait faire violence à la « professionnalité » des hommes de la plus grande puissance du monde. Peut-être ne le saurons-nous jamais avec certitude – parfois les commissions se constituent pour omettre et les enquêtes se font pour enterrer une affaire- mais envoyer une patrouilles de petits jeunes armés, sur une route à la tombée de la nuit, dans un pays en guerre, dans les environs d’un aéroport, revient à créer les conditions pour donner un cours qui s’est traduit en un enfer de feu sur l’habitacle d’une voiture de civils ( et non contre le moteur du véhicule comme il est stipulé dans les futiles règles d’engagement américaines).
Il y a des ordres qu’il n’est même pas nécessaire de dispenser, ils sont exécutés « naturellement », surtout dans une situation de guerre incontrôlée. Au pire, la vraie question à poser est « pourquoi n’a-t-on pas donné l’ordre de ne pas tirer sur cette voiture ? ». Nous, nous n’en n’avons pas la preuve, mais nombre de gens  savent qu’il en est ainsi, même ceux qui soutiennent le contraire pour des raisons qui n’ont rien à faire avec la recherche de la vérité mais beaucoup à voir avec la politique intérieure et internationale.
C’est pour cela que nous parlons d’ « homicide préventif », parfaite continuation sur le terrain des intrigues internationales de la « guerre préventive ». Cet homicide a été le message clair de ceux qui pensent que l’ennemi doit simplement être éliminé, qu’il ne peut y avoir de  négociation d’aucune sorte, que la solution doit être toujours et seulement liée à la force. Et que cette religion  doit dicter aussi les relations politiques, même celles avec les « alliés ». Négocier, par contre, aurait été – pouvait être si l’issue n’avait pas été sanglante – un acte de paix, une réponse de la politique à la guerre, un geste de civilisation. Celui qui différenciait, avant, les démocraties des tyrannies. Mais dans l’abîme de ce 21ème siècle, c’est le sens même du mot démocratie qui s’est démantelé.
C’est dans ce climat que la logique de la fermeté refait surface chez nous aussi. Comme à l’époque du terrorisme intérieur, mais pire qu’alors parce que le contexte est celui d’un pays occupé par des troupes étrangères, d’une guerre qui continue non seulement militairement mais politiquement aussi, avec l’exclusion hors de la vie publique d’une partie –les sunnites-
de la population irakienne. C’est ainsi que la fermeté ne devient rien autre qu’un acte de subordination à l’administration de Washington.
Nous préférons une autre fermeté, celle de Nicola Calipari que nous avons commémoré hier soir au Campidoglio, celle pacifiste qui se manifestera samedi 19 mars sur de nombreuses places, dans la journée mondiale contre la guerre, parce que le retrait des troupes d’Irak se conjugue avec cette autre simple requête : connaître la vérité.
                           
14. Violées, enlevées, égorgées, l’enfer au carré des Irakiennes par Anne Sophie Le Mauff
in L'Humanité du samedi 12 mars 2005

La situation des femmes s’est fortement dégradée depuis la guerre et sous l’occupation américaine. Reportage dans un pays en proie au chaos et à l’arbitraire des groupes extrémistes et fondamentalistes.
Bagdad, correspondance particulière - Tabassés, ligotés, les hommes sont entassés dans un pick-up, visage plaqué contre la tôle. Après leur avoir asséné quelques coups de pied, les militaires irakiens s’engouffrent dans la rue Sadoun, une des principales artères de Bagdad, en tirant des rafales de kalachnikov. La pêche aura été miraculeuse. Une vaste opération menée conjointement par la police et l’armée irakienne a conduit la semaine passée au démantèlement d’un réseau terroriste d’envergure. Une dizaine de jeunes femmes, enlevées puis violées ont été découvertes dans le quartier Betwain, au coeur de Bagdad, réputé pour abriter des gangs de Soudanais et d’extrémistes arabes. Selon les autorités, plusieurs d’entre elles auraient été données en pâture aux kamikazes pour un « avant-goût du paradis », avant d’être exécutées ou égorgées. Les arrestations ont eu lieu en pleine rue, devant une nuée de badauds hébétés.
Ces scènes, dignes des plus mauvais westerns, sont devenues le quotidien des Irakiens. Parmi les victimes de ce conflit armé qui s’éternise, les femmes, majoritaires dans le pays. Dans une récente étude, Amnesty International dénonce les violences et les menaces accrues dont elles font l’objet. L’organisation exige que la nouvelle constitution les protège contre toutes formes de discriminations. « Plusieurs femmes politiques et militantes des droits des femmes ont été tuées par des groupes d’opposition armés », précise-t-elle, avant d’ajouter qu’après « des décennies de violences, les femmes méritent un sort meilleur ». Depuis plus d’un an, les actes terroristes commis par des groupes islamistes sur des femmes ont considérablement augmenté. Ces violations auraient, - selon diverses associations, atteint leur paroxysme durant le mois de Ramadan. Le Conseil islamique de - Falouja devait, avant l’offensive américaine dirigée contre Falouja, édicter une fatwa incitant les moudjahidin à violer les filles de dix ans avant qu’elles ne le soient par les Américains.
Mossoul, la ville du nord de l’Irak, est devenue à son tour la plaque tournante du crime. L’insurrection armée, qui contrôle la cité, y fait régner la terreur. Les cas de femmes enlevées, violées et exécutées viennent gonfler les victimes de la guérilla. L’Organisation pour la liberté des femmes en Irak rapporte que deux d’entre elles, des chrétiennes, ont subi ce sort avant d’être vendues comme des - esclaves sexuelles. « Ce n’est qu’après quatre jours de viols sans interruption que ces deux femmes sont parvenues à s’enfuir », explique-t-elle. Des exactions, qui touchent un nombre considérable d’étudiantes vivant en zones rebelles. Dans la province d’Al-Anbar, théâtre de violents affrontements entre la résistance sunnite et les troupes américaines, des tracts exhortent les femmes à sortir voilées, à ne pas serrer la main des hommes ou encore à ne pas les fréquenter.
« Nous vivons un enfer, explique Nidal, une étudiante en médecine originaire de Ramadi. Plusieurs de mes amies ont cessé l’université après avoir reçu des menaces de morts. Nous vivons en sursis », souligne-t-elle. Certains quartiers de Bagdad subissent aussi la foudre des plus radicaux. À Adhamia, un des hauts lieux sunnites de la capitale, plusieurs coiffeurs ou magasins de vêtements pour femmes ont été sommés par des groupes religieux de cesser d’employer des hommes. Noura, une fonctionnaire, en a été témoin. « Le phénomène est nouveau mais simple : on vous glisse une lettre sous la porte en vous menaçant de faire exploser votre commerce ou de vous tuer. Si en tant que femme vous fréquentez les lieux, vous pouvez être fusillée », dit-elle. Écoeurée par la violence, la jeune fille envisage de quitter l’Irak avec sa famille.
Ces mauvais traitements qui, - selon plusieurs ministres femmes, « touchent sans - distinction aussi bien les hommes que les femmes » ne doivent pas rendre invisible « l’amélioration de la condition féminine en Irak ». « Regardez-moi, je porte un voile et je peux conduire. L’Irak n’est pas l’Arabie saoudite », soutient, sourire aux lèvres, Leila Abdul Latif, ministre des Affaires sociales. Au sein de la nouvelle Assemblée - nationale, les Irakiennes - représentent plus de 30 % des députés. La constitution provisoire, adoptée en mars 2004 par le Conseil de gouvernement, exige que 25 % des sièges reviennent aux femmes. Un droit qu’elles entendent bien inclure dans la nouvelle constitution.
« Le droit des femmes va être un des plus gros défis de la constitution, c’est pourquoi nous travaillons avec des groupes de femmes pour - former une plate-forme qui représente le point de vue des femmes et influence la constitution », explique Nesreen Mustafa Berouari, ministre des Travaux publics et épouse du président irakien. Consciente néanmoins de la radicalisation de la société irakienne et de l’enfer que - vivent les Irakiennes « d’en bas », elle affirme craindre - davantage la montée du « conservatisme et du fondamentalisme » que de « l’islamisme ». Housan Mahmoud, une activiste kurde, ne partage pas son opinion. Pour elle, les groupes islamistes ont imposé le voile tout en utilisant la prostitution à leur propre fin. « Actuellement, des mariages de divertissement sont contractés. Les hommes riches épousent temporairement des femmes, souvent pour quelques heures, en échange d’argent. Cloisonnées à la maison et privées de leur indépendance, les femmes sont aujourd’hui confrontées à une autre forme de misère », dénonce-t-elle.
Après plus de quarante-cinq années d’oppression politique, Zakya Al Zaidi poursuit sa lutte. Elle est la plus ancienne militante communiste d’Irak, à la tête elle aussi d’une organisation féminine, et elle se raccroche à quelques signes positifs de la situation des femmes. « Leur participation massive aux élections a accru leur légitimité au sein de la société », croit-elle pouvoir affirmer. Avant d’ajouter cependant aussitôt : « Il ne faut pas en oublier pour autant la menace des islamistes qui tentent de contrôler le pays. C’est en mobilisant nos amis à l’intérieur et à l’extérieur du pays que nous parviendrons à faire baisser cette fièvre, ennemie de tout progrès. »
Pascale Icho Warda, actuelle ministre de l’Immigration, se veut, elle aussi, rassurante sur l’avenir des Irakiennes : « Il n’y a aucune raison d’avoir peur si les principes de la démocratie sont respectés. L’espoir est dans l’âme du peuple irakien qui veut aller en avant et changer ! » insiste cette francophone, experte en droit international. Cet optimisme de bon aloi de ces femmes de « l’élite » ne saurait toutefois faire oublier la réalité de ces millions d’Irakiennes que dépeint le rapport d’Amnesty pour qui les conditions de vie depuis la guerre et l’occupation américaine sont devenues littéralement infernales.
                           
15. Un oiseau ne passera pas par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 11 mars 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]
Ainsi la colonie de Kedoumim a emprisonné le village voisin de Kadoum.
Même une ambulance ne passe plus sur la route.
Un village emprisonné, Kadoum. 4000 habitants sans issue. Seul un sentier rocailleux, d’environ quatre kilomètres de long, sert d’issue de secours. Lorsqu’il pleut, le chemin est impraticable. Lorsqu’il ne pleut pas, on y est durement secoué. Même par beau temps, seules des voitures hautes sur châssis peuvent passer.
Femmes sur le point d’accoucher, malades et blessés doivent se traîner en ambulance sur ce long et rude chemin, parmi les oliveraies, simplement parce que les officiers armés de la sécurité de Daniella Weiss ne les laissent pas emprunter la route directe. La honte est visible depuis chaque maison de Kedoumim et on y vit en paix avec elle. Au cours de ces trois dernières années, trois Palestiniens malades sont morts en route. Ces dernières semaines, un nouveau-né malade a été retardé, et puis aussi un enfant blessé à la tête, un enfant qui avait subi une opération à la jambe et un vieil homme qui avait eu une attaque et qui est mort. Voilà ce que sont les rapports de voisinage en Samarie, même en période de trêve, mais cela, on ne l’appelle pas terrorisme.
La route rapide pour Kadoum : on gare la voiture particulière à Haja et on monte dans un taxi Transit palestinien qui, aussi accoutumé qu’une jeep aux chemins de terre, bringuebale sur le chemin qui mène au village. Ils appellent ce chemin agricole la « Route six », la Trans-israélienne, la Voie courtoise. Il n’y a pas d’autre chemin vers le monde extérieur. Le village est quasiment vide de voitures. On ne sait rien faire avec ça ici. C’est un des plus beaux villages de Samarie, avec sa profusion de vieilles maisons en pierres, et durant la deuxième Intifada, ça a été un village très calme. Ici aussi le drapeau blanc a été hissé et il flotte par-dessus cette prison, la prison Kadoum.
Le chef du conseil, Assad Shatiwi, énonce les principaux malheurs : les terres expropriées et l’interminable siège. Le village avait 21000 dounams, d’oliveraies et de champs. 7000 dounams ont été expropriés au profit des voisins de la colonie de Kedoumim qui ne cesse de s’étendre, sautant d’une colline à l’autre et étranglant Kadoum ; il y a environ 2000 dounams dont les habitants se tiennent éloignés et qu’ils ne cultivent donc pas, par peur des colons ; 4500 autres dounams sont censés être pris pour la clôture de séparation qui sera érigée ici. Plus de la moitié des terres du village ne sont donc déjà plus des terres du village.
Au moment de la récolte, ils n’ont pas pu aller à toute une partie des oliviers, à cause des voisins déchaînés. Les villageois comptent 3500 oliviers dont ils n’ont pas récolté les olives cette année ou dont les colons se sont approprié la récolte. L’armée israélienne n’avait fixé aux villageois qu’un nombre très limité de jours de récolte, trop peu de jours, et c’était les seuls où ils étaient autorisés à sortir dans leurs champs. Parfois ils s’y rendaient furtivement pour gagner une heure ou deux, jusqu’à ce que les colons armés surgissent et les chassent. Il y a Abou Jihad sur l’étagère de Shatiwi, le chef du conseil. Daniella Weiss, la collègue de Shatiwi de l’autre côté de la barrière, a aussi, récemment, chassé à grands cris un groupe de soldats et d’officiers de l’armée israélienne d’une journée de réflexion qu’ils avaient pensé organiser à Kedoumim.
La seule route asphaltée qui parte du village passe à la limite de Kedoumim, longeant les maisons les plus extrêmes mais sans entrer dans la colonie. Les colons ont dressé deux barrières métalliques sur la route, et la route est barrée. Des colons armés se tiennent aux barrages ; nous les rencontrerons encore. L’emprisonnement s’est fait graduellement. Le plan par étapes des colons a débuté avec l’Intifada, par l’inspection de chaque voiture qui entrait au village ou en sortait. Seuls les villageois étaient autorisés à passer. Pas de passage pour des invités. Cela a duré deux mois environ. Ensuite, les conditions ont empiré et les colons n’ont plus autorisé que les malades, les étudiants et les employés de l’Autorité travaillant à Naplouse, à sortir du village par la route. Cette folle liberté à duré encore six mois. Puis les barrières ont été verrouillés. Cela fait trois ans qu’ils le sont pour les Palestiniens, en dehors de quelques cas exceptionnels.
N’ayant pas d’autre choix, les villageois ont réparé le chemin agricole qui mène à leurs champs et qui était destiné aux tracteurs et aux mules. Le chemin de terre est maintenant la voie royale. Il y a environ deux semaines, un certain Gilad, de l’Administration civile, est venu à bord d’une jeep, et a décrété que ce chemin était normal et qu’il suffisait au confort des habitants. Gilad leur a proposé d’adresser au tribunal leurs éventuelles doléances. Le chef du conseil, Shatiwi, affirme que même la jeep de Gilad est restée calée en route et qu’il a fallu le dégager. Il y a 180 étudiants au village. Ils poursuivent leurs études à Naplouse et Qalqiliya. Il y a aussi 150 employés du village qui travaillent à Naplouse. Ils se traînent maintenant chaque jour sur une distance double de la distance habituelle, et parmi les pierres. Le nouveau prix de la course avec le Transit : 20 shekels au lieu de 5. Quand le chemin parmi les champs était boueux et ses ornières remplies d’eau, ils sont restés chez eux.
Mais le vrai problème est celui des malades. Le chef du conseil dit que trois habitants sont morts ces dernières années à cause du chemin qui s’est allongé pour aller à l’hôpital. Que faire d’un enfant qui s’est blessé, d’un vieillard qui a une attaque pendant la nuit ou d’une femme enceinte qui commence à avoir des contractions ? Majd Shatiwi est le chauffeur de l’ambulance du village. Il se souvient de tous les cas graves. Le 14 janvier, les fils de Mahmoud Da’as, un homme de 72 ans, se sont réveillés au milieu de la nuit pour découvrir que leur père avait perdu connaissance. Ils ont alerté le médecin du village qui a déterminé qu’il s’agissait d’un accident cérébral et qu’il fallait transférer d’urgence le malade à l’hôpital. Chaque minute était critique. Les fils ont appelé Majd avec son ambulance qui ne dispose pas d’un équipement de réanimation. L’état du malade se dégradait rapidement. Son pouls n’était déjà plus régulier. Majd s’est mis en route vers la barrière métallique mais le garde qui s’y trouvait ne l’a pas laissé passer. Il a tenté de lui expliquer qu’il transportait un malade sur le point de mourir dans l’ambulance mais le garde lui a expliqué que c’était une route militaire et qu’il n’y avait pas de passage pour les Palestiniens. Les supplications n’ont servi à rien et Majd a été obligé d’emprunter le chemin de terre sur lequel son ambulance ne peut avancer qu’avec beaucoup de difficultés, d’ornière en ornière. Quand ils sont arrivés, le médecin a constaté le décès du malade. Un fils du défunt, Mohamed, fait le récit de cette nuit-là, le visage fermé.
Rawda Abdel Rahman, 60 ans, a eu plus de chance, elle. Il y a deux semaines environ, elle aussi a eu une attaque, mais c’était pendant les jours de pluie, quand le chemin au milieu des champs était totalement impraticable, et les colons, compatissants, ont alors autorisé pendant quelques jours le passage par la route. En 16 minutes, l’ambulance de Majd est arrivée à l’hôpital gouvernemental de Naplouse et la malade a eu la vie sauve. Mais les portes de la miséricorde n’ont été ouvertes que quelques jours.
Un enfant, Sari Shatiwi, a eu moins de chance. Agé de six ans, il a été blessé, le 15 février, d’une pierre à la tête. Sari saignait et il a perdu connaissance. Majd, le chauffeur, l’a emmené dare-dare dans son ambulance jusqu’à la barrière de la charité de la colonie mais le colon armé qui y était a refusé de les laisser passer. Un quart d’heure s’est passé en vaines supplications. L’état de l’enfant qui perdait son sang dans l’ambulance, s’aggravait. A la barrière, se trouvait Dani, un colon, la terreur des villageois. Nous reviendrons encore à lui. « Ça m’est égal. Contactez l’armée », a dit Dani au père de Sari. Ce n’est qu’après la venue de l’armée que l’enfant a été autorisé à passer. A l’hôpital Rafidiya de Naplouse, on a diagnostiqué une fracture du crâne. Nous avons rencontré Sari, cette semaine, juché sur les épaules de son oncle. Il n’est pas encore retourné pleinement à l’école, mais seulement pour quelques heures par jour. Les marques de sa blessure sont encore visibles.
Un bébé, Rajd Ousama, avait deux semaines quand ses parents ont découvert qu’elle bleuissait, qu’elle vomissait et qu’elle avait la diarrhée. Les parents, paniqués, se sont dépêchés d’appeler Majd qui était alors à Naplouse avec un autre malade. C’était il y a trois semaines environ. Il s’est empressé de revenir au village et, en cours de route, il a contacté la Direction palestinienne de coordination et de liaison afin qu’elle coordonne le passage de l’ambulance à la barrière, avec la Direction de coordination et de liaison de l’armée israélienne afin que celle-ci coordonne le passage avec les colons. Mais lorsque l’ambulance est arrivée à la barrière métallique, elle a de nouveau dû attendre près d’un quart d’heure, malgré les explications adressées au garde qu’il s’agissait d’une urgence, jusqu’à ce qu’une patrouille de l’armée israélienne arrive sur place et autorise le passage. La petite Rajd est arrivée à Naplouse en état de mort cérébrale et elle est, encore aujourd’hui, hospitalisée dans le département des soins intensifs. Majd se loue d’avoir eu la présence d’esprit de contacter la Direction de coordination et de liaison alors qu’il était encore en route et d’avoir ainsi gagné un temps précieux.
Le lendemain de l’incident avec le bébé, Majd a été appelé pour ramener un enfant de sept ans et demi, Nihad Hamzi, de l’hôpital de Naplouse chez lui, au village. Hamzi est né avec une jambe plus courte que l’autre de 10 centimètres et il avait été opéré à Naplouse. C’était le soir, aux alentours de neuf heures. Majd voulait éviter à l’enfant, après son opération, les cahots du chemin rocailleux. Il a tenté de coordonner le passage par l’intermédiaire de la Direction de coordination et de liaison, mais la Direction israélienne de coordination et de liaison n’a pas donné son accord. Il a proposé d’amener l’enfant dans les bureaux de la Direction de coordination et de liaison pour leur montrer qu’il sortait d’une opération à la jambe, mais en vain. « Un oiseau ne passera pas à neuf heures du soir », ont-ils dit à Majd. N’ayant pas le choix, il a transporté l’enfant par le chemin rocailleux, un quart d’heure de rudes secousses, après une opération. Maintenant Nihad est étendu dans le lit de ses parents, dans la vieille maison de pierres de la famille et il répand son charmant sourire. Sa jambe est encore pansée sur toute sa longueur et il n’est pas autorisé à descendre du lit.
Les femmes sur le point d’accoucher, Majd les emmène toujours par le chemin rocailleux pour ne pas perdre de temps. A Kadoum, il y a environ 80 naissances par an, et toutes après être passé par le chemin rocailleux. Le trajet qui devrait ne prendre qu’un quart d’heure dure environ 45 minutes. Pour Naplouse, il faut encore passer par un barrage fixe, à Beit Iba ou à Hawara, et deux ou trois barrages inopinés qu’on rencontre toujours en route. L’entrée à Naplouse est actuellement autorisée, à pied seulement, aux habitants ayant plus de 25 ans. Allègements : avant qu’Abou Mazen n’accède au pouvoir, le droit exorbitant de pouvoir entrer à Naplouse était le privilège de ceux qui avaient 35 ans et plus.
Nous roulons dans l’ambulance en direction de la première barrière métallique. Une barrière blanche, actionnée à la main, et un colon armé qui sort, l’air indifférent, et ne demande rien. La barrière reste fermée. Ensuite, nous sommes allés en ambulance sur le chemin de terre, secoués d’un côté à l’autre. Il y a des endroits où l’ambulance est obligée de s’arrêter presque, pour franchir le lit d’un torrent ou un trou profond. Même à vitesse nulle, le corps est battu, à droite, à gauche, en avant, en arrière. Quand nous nous sommes approchés de la seconde barrière, de l’autre côté de Kedoumim, nos accompagnateurs palestiniens se sont empressés de quitter les lieux : le garde Dany, leur terreur, était là, à la barrière.
De la guérite est sorti un colon plus tout jeune, avec un fusil, un accent américain, qui est très vite passé des paroles à la violence, jetant des objets hors de notre voiture. Dany a immédiatement rameuté, avec son appareil de liaison, la brigade de gardes de la colonie, une collection de gaillards armés de la tête aux pieds, de revolvers et de fusils, surgis en un clin d’œil à bord de pick-up japonais flambant neufs. « C’est pas chez vous ici », ont aboyé les brutes, menaçant d’alerter la police qui s’occupera vite fait des envahisseurs de Tel Aviv.
                               
16. Jamais elle ne sera achevée par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 9 mars 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]
Des milliers d’hommes battent leur femme, d’une manière régulière ; tous les quelques jours ou toutes les quelques semaines, un homme assassine sa femme ; des hommes assassinent des prostituées, des hommes réduisent des femmes à un esclavage sexuel, les violent, les harcèlent sur les lieux de travail, sur la plage, dans la rue. Des hommes, parce qu’ils contrôlent les centres du pouvoir, établissent la discrimination économique des femmes dans la société.
Mais alors, théoriquement, la moitié féminine de la population est menacée par beaucoup de ceux qui appartiennent à la moitié masculine. Pourtant il ne viendra à l’idée de personne de proposer qu’on impose, la nuit, le couvre-feu aux hommes lorsque, par exemple, un violeur en série court les rues ; personne n’a osé proposer, par exemple, que tout homme signe un engagement de non-violence à l’égard de sa conjointe, engagement dont la violation entraînerait une peine de prison ou une suspension de son travail. On ne verrait pas d’un meilleur œil la proposition fantaisiste de placer tous les hommes en détention préventive ou d’instaurer des classes d’études destinées à tous les hommes et où ceux-ci tenteraient d’extirper de leur conscience leur rapport aux femmes comme à une propriété privée.
Les moyens choisis pour contrer une atteinte violente visant des civils sont fonction de la place respective occupée dans la société par ceux qui sont menacés et par ceux qui menacent, ils sont fonction de l’avenir que la société et ceux qui concentrent le pouvoir et qui prennent les décisions octroient à ceux qui menacent et à ceux qui sont menacés. La décision qui établit à partir de quel moment une menace – physique, économique, psychologique – sur un grand nombre de particuliers semblables au sein de la société cesse d’être individuelle mais devient stratégique, c’est-à-dire sape les fondements de l’existence, cette décision est politique, elle n’est pas une science exacte. C’est de cette décision que dérive la qualité des moyens de prévention et de lutte.
Dans l’ambiance créée au sein du public, en Israël, au cours de l’année 2001, les attentats-suicides des Palestiniens ont été perçus comme un danger stratégique. La peur de chacun pris individuellement allait de soi. Le fait que la peur était alimentée par l’ignorance et par la volonté délibérée de ne pas voir et de refouler la violence de l’occupation israélienne, n’abolit pas sa réalité. Mais les décideurs de la politique israélienne ont manipulé et continuent de manipuler la peur. Ils ont présenté la menace réelle qui pesait sur les civils israéliens comme une menace stratégique pesant sur l’existence même de l’Etat. Ils ont profité du sentiment d’inquiétude individuelle justifiée de beaucoup de citoyens pour promouvoir leur solution au problème de la peur et de la menace : la clôture de séparation. Ils se sont appuyés sur le consensus de la peur créé par les attentats terroristes à l’intérieur d’Israël, pour présenter la clôture, avec son tracé envahissant et rapace, comme l’unique solution hors de laquelle il n’est rien. Mais le choix du moyen et du tracé s’est fait non pas en fonction de la menace réelle mais d’après les projets immobiliers et politiques d’Israël.
La construction de la clôture de séparation se réalise dans ce langage de la domination qui s’est façonné chez nous depuis 1947 et qui n’a pas été changé même pendant les années de négociations politiques de la fin du 20e siècle. La propagande part de la victime, de celui qui est attaqué et à qui tout est permis pour se protéger. Il n’y a aucun lien entre, d’une part, le sentiment subjectif de la victime et, d’autre part, la puissance objective – militaire – et le solide statut international d’Israël. Le tracé – avec ou sans le cachet de cachrout de la Cour suprême – montre de manière transparente les intentions d’annexion (et d’une annexion qui ne lambine pas), qu’il promeut et qui ne se sont pas arrêtées en 1994, avec l’accord d’Oslo, mais ont été accélérées.
De même qu’Israël a dépossédé les Arabes d’Israël de leurs terres au profit des Juifs et les empêche d’accéder à des terres déclarées terres d’Etat, de même qu’Israël a dépossédé les habitants palestiniens de Cisjordanie des terres de la collectivité devenues synonymes de terres pour colons juifs, Israël porte un coup mortel à la terre privée et collective palestinienne tout le long de la clôture. Tout le processus de construction et d’arrachage et de destruction d’arbres, de plantations, de serres, de puits, combine insolence et mépris pour qui n’est pas juif et pour la position internationale – et cela, dans le cadre d’un programme directeur de base, à la fois déclaré et secret, de dépossession. Au milieu de tout le nectar doucereux qui dégouline du verbiage militaire concernant les « passages humanitaires », Israël transforme les zones palestiniennes florissantes en désert, retournement cynique de l’ancien mensonge. Au milieu de tout ce qui se dit sur son caractère « temporaire », la clôture fixe la frontière entre Israël et un Etat d’enclos, et entre les enclos et les colonies.
La clôture est construite et elle détruit avec entrain. Mais jamais la clôture ne sera achevée : parce que même après la fin de sa construction, elle perpétuera la politique de l’annexion, de la dépossession, de l’isolement. Elle continuera d’amener des catastrophes autour d’elle. Et on en revient une fois encore à la rengaine – ce qui ne la rend pas caduque, en particulier en ces temps de discussions sur le départ de l’armée israélienne de telle ville ou de telle autre : parfois, les Palestiniens donnent l’impression qu’ils se sont habitués et adaptés et qu’ils ont accepté le diktat de la dépossession. Mais après une période d’accoutumance, la dépossession continuelle et l’amertume engendrent une nouvelle période d’insurrection, qui elle engendre des « solutions » israéliennes toujours plus souveraines, qui éloignent toujours plus tout espoir d’un accord de paix loyal dans la région.
                                   
17. De l’arabisation à l’internationalisation par Samir Sobh
in La Gazette du Maroc (hebdomadaire marocain) du lundi 7 mars 2005
Liban acte II
Dans son discours très attendu qui n’a pas duré d’une heure, le président syrien, Bachar al-Assad, a annoncé le retrait total de ses troupes vers la région de la Békaâ en premier temps, pour se replier à l’intérieur des frontières syriennes dans une deuxième phase. Ainsi, la Syrie aurait appliqué les termes des accords de Taëf et le volet le concernant de la résolution 1559 du Conseil de sécurité. La balle est, dès à présent, dans le camp des Libanais qui, jusqu’ici restent divisés.
Bachar al-Assad 
A Beyrouth comme à Damas ou encore à Paris et Washington, les analystes étaient quasi-certains que le président syrien allait prendre une décision qui participe à l’atténuation des pressions exceptionnelles qui sont exercées sur lui depuis l’assassinat de l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri. Une décision que le chef de l’Etat syrien n’a prise, d’une part, qu’après une visite éclair en Arabie Saoudite et, de l’autre, après avoir dépêché l’étoile montante de la diplomatie syrienne, l’ambassadeur, Walid al-Mouallem, à Moscou.
A la veille de ce discours pointu, ciblé, plein de messages à qui de droit, au Liban tout comme en direction du monde arabe, le président américain, George Bush a anticipé sur l’événement en déclarant que "le retrait total syrien est demandé avant les élections législatives du mois de mai au Liban" et d’affirmer : “qu’il ne serait pas négociable”. Maintenant, après cette annonce du haut de la tribune du Parlement syrien à travers lequel Bachar al-Assad a associé son peuple à cette délicate décision, la Syrie sera, selon ce dernier, plus libre quant à la manière de traiter avec le pays du Cèdre. Toutefois, force est de souligner que ce retrait militaire du Liban ne peut en aucun cas se traduire par l’absence du rôle de Damas. Fatalité géographique exige.
"Le retrait renforcera sans doute les intérêts syriens et non le contraire" a indiqué une demi-heure après le discours à La Gazette du Maroc, le vice-président syrien, Abdelhalim Khaddam et de poursuivre: "Nous aurons désormais plus de temps pour s’occuper de notre situation interne". Quoi qu’il en soit, le jeune Bachar al-Assad a montré une maturité remarquable en faisant une autocritique à l’égard des erreurs commises par les représentants de son pays au Liban. Pis, en affirmant que faire la lumière sur l’assassinat de Rafic Hariri est une "nécessité syrienne", il aurait ainsi pris un engagement envers la communauté sunnite libanaise. Cette dernière, quel que soit le degré de son amertume, ne peut se ranger aux côtés des ennemis de la Syrie.
Autre fait marquant de ce discours, la révélation faite par le président syrien concernant les dessous de la résolution 1559 qui comprend, à part le retrait en question et la démilitarisation du Hezbollah, l’implantation définitive d’environ 400 000 palestiniens au Liban et l’imposition à nouveau de l’accord du 17 mai. Ce dernier, stipulant la mise en place des mécanismes aboutissant à la signature d’un traité de paix imposé avec l’Etat hébreu. Ces deux points sont capables de déstabiliser le Liban et briser toute stabilité dans l’avenir.
Prix de la "Fatalité géographique"
Si les médias occidentaux et certains médias arabes présentent ce qui se passe actuellement au Liban comme étant une "révolution du printemps", semblable à celle de l’Ukraine, ils se trompent sans doute. Car, finalement, les Libanais, au moins la majorité d’entre eux, n’acceptent jamais de remplacer une "tutelle" par un "mandat indirect" même s’il porte la casquette de l’Onu. Les équilibres sont tellement délicats au point que le moindre faux pas dans le traitement de la situation pourrait faire sauter à nouveau la baraque. De ce fait, le principal leader de l’opposition, le druze Walid Joumblat, en visite samedi dernier en Arabie saoudite, n’a pas tardé à commenter le discours de Bachar al-Assad le qualifiant d’objectif ; en ajoutant qu’il était prêt à se rendre à Damas. Pis, il a passé un message très clair selon lequel il serait prêt à combattre une deuxième fois, aux côtés de Damas, toute tentative visant à faire renaître l’accord du 17 mai 1983 de ses cendres.
La balle est désormais dans le camp des Libanais. Ces derniers, toutes tendances confondues, n’ont aucune vision d’avenir jusqu’ici. Ils attendent les initiatives promises de l’Arabie Saoudite et de l’Egypte pour les aider à former un gouvernement d’union nationale dans lequel participeront tous les chefs de clans politiques et religieux. Une tâche qui s’annonce d’ores et déjà difficile si Damas s’abstient à donner un coup de main.
Parallèlement, le State department étudie, à l’heure actuelle, l’augmentation du nombre des forces de la Finul basées au Sud Liban afin qu’elles puissent se répartir sur le reste des territoires libanais en remplacement des troupes syriennes qui se seraient retirées avant le mois de mai. Lors de son passage jeudi dernier à Paris et sa rencontre avec le président français, Jacques Chirac, le ministre qatari des Affaires étrangères, Jassem ben Hamad ben Jabr Al-Thani, a laissé entendre qu’un plan dans ce sens est encore en concertation entre la France et d’autres pays et de préciser qu’aucune décision finale n’a été prise jusqu’ici.
Les observateurs estiment qu’il serait quasi impossible pour les forces de la Finul (formée actuellement de 2000 soldats), même si leur nombre atteindrait les 15000, ce qui est exclu, de contrôler un pays assez complexe comme le Liban. Les sages dans toutes les communautés conseillent les opposants de compter jusqu’à mille avant de pousser la Syrie dans le camp adverse, rappelant l’importance de la fatalité géographique, les liens historiques, culturels et familiaux avec le puissant voisin. Ce dernier, qui jusqu’à cette date refuse d’instaurer des relations diplomatiques.
Même si Damas a été forcée de retirer ses troupes du Liban au-delà des frontières, son influence restera assez considérable. La raison est très simple : la région frontalière de la Bekaâ est à 90% pro-syrienne, également le Liban Nord. Ce qui représente déjà un peu moins de la moitié de la population libanaise. Autre facteur assez significatif qui joue historiquement en faveur de la Syrie, les relations économiques, commerciales et financières existantes entre les deux pays. A cet égard, les milieux bancaires libanais commencent à paniquer de peur que le gouvernement syrien ne donne ses consignes aux hommes d’affaires, aux commerçants et aux investisseurs, de retirer leurs dépôts des établissements beyrouthins. A la veille du discours de Bachar al-Assad, le président des Chambres de commerce de Syrie, Rateb al-Challah, a déclaré que les dépôts syriens auprès des banques libanaises dépassent les 10 milliards de $. Une sorte de menace masquée qui a perturbé le marché monétaire et obligé la Banque centrale d’intervenir pour soutenir la livre libanaise attaquée. Autre signe inquiétant, la fuite de milliers d’ouvriers syriens après avoir été attaqués par des manifestants. Ce qui a gelé 70% des activités des secteurs de l’immobilier, de l’agriculture et des petites industries.
Cela dit, Damas a, entre les mains, beaucoup de cartes à jouer le moment opportun, en plus de la principale : la fermeture des frontières au cas où une crise s’installerait entre les deux pays. Les Libanais, notamment les plus avertis, se rappellent bien les conséquences d’une telle situation sur l’économie de leur pays. De ce fait, ils doivent faire de leur mieux pour éviter ce clash qui ne sera pas certainement en leur faveur.
En acceptant d’appliquer les accords de Taëf et d’ "abdiquer" en faveur de la résolution 1559, les Syriens veulent laisser passer la tempête en attendant des jours meilleurs ; et de miser sur le facteur temps, notamment en ce qui concerne le Liban qui ne sortira sûrement pas facilement de la rude épreuve après l’assassinat de l’ancien Premier ministre, Rafic Hariri. En déclarant au Parlement qu’il "serait inconcevable de dire que nous ne voulons pas coopérer avec les Etats-Unis et de ramer contre le courant d’une opinion publique internationale", Bachar al-Assad aurait ainsi dégoupillé la bombe qui visait son régime. Après tout l’habileté des Omayyades de Damas est réputée pour être plus efficace de la bravoure des Abbassides de Baghdad. De plus, les dirigeants syriens sont conscients que ni les Etats-Unis ni Washington ne s’arrêteront là. Ils veulent aller beaucoup plus jusqu’à déstabiliser leur régime voire le changer. C’est pour cette raison qu’ils ont mis, bien avant le repli vers l’intérieur, le paquet dans le domaine de la préparation des réformes politique et socio-économique. Le président syrien l’a d’ailleurs mentionné à la fin de son discours en promettant que le prochain congrès du Parti Baas apportera des surprises de taille.
Un avenir gris
Parce qu’il est certain que le système arabe a perdu depuis longtemps sa capacité à gérer les crises, à commencer par la question palestinienne, le Sahara marocain, en passant par les guerres d’Irak et le Soudan, Bachar al-Assad a fini par céder aux conditions des Occidentaux. "Il a préféré la pression des grands à celle des intermédiaires arabes", nous disait samedi soir, le poète palestinien, Mahmoud Darwiche. Plusieurs indices montrent la décadence des Arabes. D’où leur incapacité et incompétence à gérer le dossier libanais et faire sortir ce pays du goulot d’étranglement dans lequel il se trouve actuellement. En effet, la Troïka, formée de Riyad , du Caire et de Damas, ne constitue plus comme avant un pôle d’attraction qui avait l’habitude de faire éviter les dérapages et les crises. Pis, ces trois pays sont sujets à des pressions américaines sans précédent qui les obligent à faire des concessions en permanence aussi bien sur le plan externe qu’interne. Dans foulée, Damas n’a pas encore digéré le vote de l’Algérie, ce pays arabe qui présidera le sommet dans moins de deux semaines, en faveur du communiqué présidentiel de Kofi Annan concernant la résolution 1559.
Tous ces éléments et bien d’autres rendent les Libanais et les Arabes de plus en plus pessimistes quant à l’avenir du Liban. Ce, malgré les images d’euphorie et les déclarations des chefs de clans libanais transmises chaleureusement par les médias du monde entier. Si l’émergence d’une troisième force politique au Liban ne se réalise pas rapidement, la confrontation entre les opposants et les loyalistes au président, Emile Lahoud et, de là à la Syrie sera alors inévitable. Et un éventuel retour à la guerre civile sera une forte probabilité. Les efforts déployés actuellement par l’ancien Premier ministre, Salim Hoss, sont toujours contrecarrés. En attendant le vide constitutionnel est de mise et la situation socio-économique devient de plus en plus alarmante, en l’absence de la garantie qui s’appelait Rafic Hariri. Le passage de l’arabisation à l’internationalisation de la crise libanaise ne semble pas combler tout ce vide.
                           
18. Le coût caché de la politique israélienne d'occupation par Chris McGreal
in The Guardian (quotidien britannique) du vendredi 25 février 2005
[traduit de l'anglais par l'AFPS]
Les Israéliens paient un prix social et économique élevé - rarement admis - pour une occupation de près de dix ans, affirme un rapport commandé par OXFAM [1] et publié aujourd'hui.
Le rapport affirme que les dépenses militaires, le coût de la construction des colonies juives à des fins d'appropriation de la terre des Palestiniens, l'effondrement du tourisme et d'autres entreprises à cause des deux intifadas ont miné l'économie et accru la pauvreté dans des proportions considérables.
Le rapport émanant du Centre Adva de Tel Aviv, qui suit les tendances sociales et économiques, conclut que les conséquences en sont plus profondes, biaisant la politique israélienne et créant une société encore plus divisée.
On y lit : "La seconde Intifada a frappé durement Israël, provoquant un arrêt de la croissance économique, un abaissement du niveau de vie, une détérioration des services sociaux, un affaiblissement des aides et protections sociales ainsi qu'un accroissement et une aggravation de la pauvreté."
"Ce prix … place les 37 années d'occupation dans une perspective radicalement nouvelle." L'occupation qui a provoqué la mort de 4 000 personnes des deux côtés, a en outre entraîné une instabilité de plus d'une décennie, incluant la chute de cinq gouvernements et l'assassinat de Yitzak Rabin.
Au cours des vingt premières années qui suivirent l'occupation de la Cisjordanie par Israël, le coût fut relativement modique. Les Territoires Occupés étaient contrôlés par un petit nombre de soldats et le gouvernement faisait un minimum d'investissements dans les zones palestiniennes.
Israël bénéficiait d'un marché captif pour ses marchandises et d'une main d'œuvre exploitée. De fait, le gouvernement forçait les Palestiniens à subventionner l'occupation en prélevant sur eux 250 millions de dollars [2] de contributions pour la sécurité sociale alors qu'il les empêchait de bénéficier de pensions de retraites et d'allocations familiales.
Mais Israël a effectivement dépensé des milliards de livres sterling pour construire des colonies qui, selon le rapport, imposent une charge économique énorme en termes de subventions et de défense. Le coût est difficile à chiffrer, en partie parce que le budget du Ministère de la Défense est secret. Mais depuis 1967 le gouvernement a ajouté 6,5 milliards de dollars à ses dépenses militaires ordinaires en raison « d'évènements dans les Territoires ».
« C'est de l'argent qui a été détourné du programme social interne », dit l'auteur, Shlomo Swirski.
Il y a deux coûts principaux. Le premier est tout simplement le coût économique, en particulier la baisse de PIB résultant des pertes subies par le tourisme, etc. Le second est plus important, parce qu'il est à long terme. C'est l'abandon de l'objectif visant à édifier une société où la majorité de la population appartiendrait aux classes moyennes.
Le coût de la dernière Intifada a été particulièrement élevé. L'économie est passée d'un taux de croissance de 8% en 2000 à un taux avoisinant à peine 1% trois ans plus tard parce que les investissements étrangers ont accusé une chute libre et que le tourisme s'est effondré. Les budgets des services sociaux, de la santé et de l'éducation ont été lourdement amputés.
Leur effet cumulé peut probablement être comparé aux changements structuraux qui se sont produits dans les pays de l'Est à la suite de l'éclatement de l'Union soviétique, ou aux changements structuraux imposés par les institutions financières internationales aux pays qui ont subi des crises financières graves.
Comme le chômage a augmenté de même que la pauvreté, de nombreux avantages sociaux ont été drastiquement réduits, y compris une diminution de près d'un tiers des revenus d'assistance aux pauvres et aux mères isolées. « Le résultat le plus tangible a été la multiplication des soupes populaires et des associations proposant des « articles d'occase », ce qui était auparavant inconnu en Israël sauf dans les communautés juives orthodoxes, indique le rapport.
Le coût ne va pas cesser de s'alourdir même lorsque Israël évacuera la bande de Gaza, versera des indemnités aux colons et démantèlera peut-être d'autres colonies en contre-partie d'un accord final avec les Palestiniens.
Un coût très lourd à payer
Des dépenses militaires supplémentaires s'ajoutant au budget normal de la défense pour faire face à la résistance palestinienne depuis le début de la première Intifada en 1987 : 6, 5 milliards de dollars.
- Coût de la construction des colonies juives dans les Territoires Occupés : 10 milliards de dollars
- Coût de la construction du Mur en Cisjordanie : plus de 1 milliard de dollars
- Estimation des indemnités versées par le gouvernement aux Israéliens blessés par suite du conflit pour la seule année 2003 : 230 millions de dollars
- Estimation de perte de PIB de 2000 à 2004 : entre 7 et 12 milliards de dollars
- Croissance économique : 2000 : +5,2 % PIB par habitant 2003 : -0,5 % PIB par habitant
En 2003 : 19,2% des Israéliens vivaient sous le seuil de pauvreté.
- NOTES :
[1] OXFAM : Oxford Committee for Famine Relief
[2] 190,7 millions d'euros
                       
19. Bonjour, la Gauche par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 13 février 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]

Bonjour à la Gauche israélienne. Après une hibernation qui a duré une éternité, elle commence maintenant à faire entendre les voix du réveil. C’est seulement parce que le vent souffle à nouveau dans sa direction et non par son propre mérite, que la Gauche extraparlementaire s’aventure hors de l’armoire où elle s’est enfermée il y a plus de quatre ans. Peut-être faut-il bénir ces signes de réveil mais il est impossible de ne pas prendre en compte le silence scandaleux, la constante couardise et cet abandon de la rue à la droite et aux colons.
Pendant quatre ans et plus, Israël a fait tout ce que bon lui semblait dans les territoires sous occupation, sans presque aucune critique venue de l’intérieur. Israël a tué, détruit, déraciné, maltraité et personne, ou presque, n’a élevé la voix. Le monde a vu et s’est fait entendre, mais pas nous. Quand Israël priait pour un discours alternatif, l’écho d’une protestation claire, presque aucun son ne s’est fait entendre en dehors de la voix de quelques petites organisations courageuses.
Il est alors difficile de pardonner à ceux qui n’ont pas desserré les lèvres, qui ont détourné le regard et se sont drapé dans leur indifférence, dépeignant Israël comme fait d’une seule et même étoffe, celle du gouvernement. Le bruissement qui, maintenant, commence à s’élever dans le camp sioniste de la paix ne l’a pas encore lavé de sa responsabilité : par son silence, il s’est fait le collaborateur de tout ce que le gouvernement a fait en son nom au cours de ces dernières années.
Avec l’évaporation du parti Travailliste et aussi la peur et l’impuissance qui ont saisi les autres groupes de la Gauche sioniste, le seul élément actif au sein de la société israélienne, ç’a été les colons. Le gouvernement a ainsi réussi à poursuivre sa politique brutale et les colons ont nourri leur entreprise sans y être dérangés. Maintenant, sous l’égide d’un chef de gouvernement de droite, la Gauche se rappelle tout à coup qu’elle aussi a, en fait, quelque chose à dire, comme un écho ténu et pâle à Ariel Sharon.
Les premiers à s’être réveillés sont, comme d’habitude, les écrivains d’avant-garde qui marchent en tête du camp. Il y a quelques jours, dans une déclaration travaillée et stylée, Amos Oz, A.B. Yehoshoua, David Grossman, Meir Shalev, Agi Mishol et encore quelques autres éminents écrivains ont lancé un appel « à opérer un changement de conscience et de sensibilité ». Quel changement ? Quelle conscience ? Soutien au plan de désengagement de Sharon. Ils ont également appelé à une reprise des négociations politiques, démarche particulièrement audacieuse après le sommet de Sharm el Cheikh, et ont proposé au gouvernement de reconnaître la souffrance des Palestiniens, en échange, bien entendu, de la reconnaissance par ceux-ci de notre souffrance.
A cet appel profond et courageux des écrivains, s’est associé un groupe de cinéastes et de musiciens, à cette différence près que dans la déclaration de Daniel Baremboim, Pinhas Zuckerman et Zubin Mehta, il y a au moins la reconnaissance que l’occupation est la source directe de la souffrance des Palestiniens, avec un appel clair à y mettre fin ; les écrivains ne sont pas prêts, eux, à s’engager à cela.
C’est difficile à croire, mais après quasiment 38 années d’occupation et quatre années d’Intifada, les écrivains majeurs du camp de la paix distribuent encore de manière symétrique, entre les deux côtés, la responsabilité de ce qui se déroule : « A nos yeux, chacun des deux côtés porte une part de responsabilité dans les préjudices, la souffrance et la situation tragique où les deux peuples se retrouvent piégés », écrivent-ils vertueusement.
Ce « nous sommes tous coupables » n’est pas moins révoltant que le silence prolongé. Comment brise-t-on le silence dans le camp de la paix ? En attribuant à l’occupant et à l’occupé, au fort et au faible, la même mesure de responsabilité. En appelant le soldat du barrage et ses sujets dont la vie a été foulée sous ses pieds à « opérer un changement de conscience et de sensibilité », et cela avant même que le barrage soit retiré. En prêchant l’assassin et l’assassiné pour qu’ils tombent dans les bras l’un de l’autre. En établissant une analogie entre un peuple dont la vie a été totalement détruite à tout point de vue – économique, social, culturel, psychique – et un peuple dont la vie se poursuit largement comme à la normale ; un peuple emprisonné et humilié face à un peuple libre dans son Etat souverain.
Même sans faire le compte des victimes – trois fois plus de Palestiniens – il n’y a aucune place pour une comparaison, ni dans la souffrance, ni dans la mesure de la responsabilité. Les écrivains sont-ils aveuglés au point de ne pas voir le poids décisif de l’occupant dans l’origine des préjudices ou ont-ils simplement manqué de courage pour le reconnaître – par crainte de fâcher leurs lecteurs ?
Immédiatement après les écrivains, le mouvement « La paix maintenant » est sorti de syncope, lui aussi. D’ici deux semaines, a-t-il été communiqué, il reviendra sur la place publique. La « Coalition de la majorité », l’organisation parapluie des partis de la Gauche et des mouvements de protestation (appellations hautement contestables) rassemblera une manifestation de masse. Pourquoi n’ont-il pas fait ça plus tôt, pendant les années sombres des assassinats et des destructions, quand le besoin en était infiniment plus critique ? Les explications et les excuses sont ridicules : désir de conserver un large dénominateur commun et peur d’un échec. Mais c’est le silence qui aura été, de tous, le plus grand échec.
Il est impossible de ne pas demander maintenant où ils étaient tous, face aux centaines (643) d’enfants et d’adolescents qu’Israël a tués. Qu’avons-nous entendu d’eux pendant l’assassinat de 211 personnes recherchées, mises à mort sans jugement, avec en outre 125 passants innocents ? (d’après les données de l’Association palestinienne pour la défense des droits de l’homme – PHRMG). La destruction de la moitié de Rafah, l’arrachage des oliviers en Cisjordanie, l’érection du mur, les routes de ségrégation pour Juifs uniquement, l’emprisonnement d’un peuple derrière des barrages pendant des années : rien n’a réveillé la majorité des artistes ni la Coalition de la majorité. Ils ont gardé le silence. Ils avaient peur. Ils sont complices.
Les voix alternatives, comme celles des mouvements de protestation et des écrivains, ont un rôle vital dans la société, bien au-delà du seul contenu de leurs paroles. Elles sont censées tracer la voie et en préserver le caractère pluraliste et démocratique. Mais après quatre années et demie pendant lesquelles la société a parlé d’une seule voix dans le honteux silence de la Gauche, un camp qui se réveille seulement sous les auspices du chef du gouvernement est un camp lâche.
                               
20. Le Goush Katif d’en bas par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 11 février 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]

Ce qu’il y a dans le Goush Katif n’est pas pour les 8500 habitants de la zone du Mouassi. C’est tout juste s’il est possible de les apercevoir, dans leur petite prison.
Il y a le Goush Katif d’en haut, dont les habitants se déplacent librement sur leur bout de pays, accompagnés d’une protection qui n’a pas son pareil, et sur lesquels se porte l’attention du monde. Ils habitent de belles maisons, disposent de centres de loterie et de centres communautaires, d’un système de transport scolaire ou vers les formations pour adultes, ils jouissent d’une liberté de mouvement et d’une aisance économique. Ils sont nouveaux arrivants sur ce bout de terre mais maintenant, ils sont les victimes qu’il faut indemniser généreusement et qu’il faut traiter avec miséricorde, humanité et sensibilité. Et puis il y a le Goush Katif d’en bas.
Tout ce qu’ont les habitants d’en haut, ceux d’en bas ne l’ont pas, eux qui sont, sans commune mesure, depuis plus longtemps sur ce morceau de pays à la fois beau et fertile, le long de la côte de Gaza, entre Deir Al Balah, Khan Younes et Rafah. Emprisonnés comme dans un safari, pauvres, misérables, une partie d’entre eux travaillent chez les voisins dans des conditions d’exploitation scandaleuses, leur sort n’intéresse personne. Une partie d’entre eux sont des réfugiés de 1948, tous vivent sous occupation depuis 1967. Il n’y a que leur nombre qui soit comparable : environ 8500 personnes, un peu plus que le nombre de leurs voisins colons. Leur amour ne sera pas vaincu, leur vie n’intéresse personne, personne n’a jamais manifesté en leur faveur, leur emprisonnement ne suscite pas d’appels à la miséricorde chez les Israéliens sensibles, et lorsqu’il est question de « référendum populaire » sur l’avenir du Goush, il ne vient à l’esprit de personne de le leur demander aussi, eux les véritables vétérans du Goush et qui sont peut-être aussi le « peuple ».
On ne les aperçoit que difficilement. Suivre l’ « axe Kissoufim » qui conduit aux localités du Goush Katif, c’est voyager au pays du refoulement et de l’évitement. Quel enivrant sentiment israélien : une terre sans Arabes sur le coin de terre le plus densément peuplé d’Arabes au monde. Les murs de béton, les clôtures, les ponts et surtout les ‘déblaiements’ ont éloigné d’ici la vue des Arabes, au point qu’il vous semble parcourir les routes du Sharon [entre Ramat Hasharon et Herzlia – note de la version anglaise de l’article]. Khan Younes qui est au-delà du rempart ? Deir Al Balah qui est derrière le mur ? Rafah qui est au-delà de la clôture ? Le barrage d’Abou Khouli, le « barrage du Goush », qui se trouve sous le pont où passe la route ? Qui les voit ? Même l’interminable embouteillage d’Abou Khouli est caché à la vue.
Contrairement à la Cisjordanie, ici il n’y a pas de barrages apparents. Pas ce spectacle désagréable de gens retenus, pas de villages arabes en cours de route : rien. Tel Aviv – Morag d’une traite, sans interruption, à peine un Arabe en chemin, à peine un barrage d’ailleurs parfaitement ouvert aux Juifs. Seule une tache, une vilaine tache, gâche le tableau. Que sont ces pauvres maisons qui apparaissent tout à coup sur le côté de la route ? Comment se fait-il qu’on n’ait pas encore déblayé ces misérables cabanes en tôle ? Par quelle omission sont restés ici, chez eux, des milliers de réfugiés, malgré ce voisinage avec les seigneurs du pays ? Et la sécurité ? Mais cette image ne dure pas car la route serpente en s’éloignant rapidement et cette image discordante d’Arabes sur la terre des Juifs disparaît comme si elle n’avait pas été.
C’est la région du Mouassi. Des milliers d’agriculteurs et de pêcheurs, dont un tiers sont des réfugiés de 1948, un tiers sont Bédouins, pour partie des réfugiés venus du Néguev, et un tiers d’anciens du lieu, cernés et étranglés de toute part : les colonies du Goush Katif au nord, au sud et à l’est ; à l’ouest : la mer dont l’accès leur est barré par une clôture, avec quelques maisons de colons sur la plage qui était la leur ; et un barrage, « Toupah », vers les chefs-lieux de Rafah et Khan Younes, dont les conditions de passage sont pareilles à celles d’un barrage international entre deux états en guerre. Essayez de faire passer un sac d’oignons d’un champ du Mouassi vers un marché de Khan Younes derrière le coin… Et nous ne disons rien de la femme sur le point d’accoucher ou du malade.
Dans l’obscurité, un pêcheur est assis, occupé à réparer son filet. Il lui est interdit d’aller sur la plage qui est face à sa maison, à quelques centaines de mètres : là, il y a une clôture et des colons. Il lui est aussi interdit d’aller en barque sur la mer depuis toute autre plage. L’occupation éclairée l’autorise à aller dans la mer avec une chambre à air et de pêcher comme ça, seulement depuis la chambre à air, et ça non plus pas sur sa plage à lui. Cela fait quatre ans que celui qui répare le filet n’est pas sorti pêcher en mer, mais il répare tout de même.
Difficile de dire que dans le Mouassi, on perçoive des signes d’émotion liés à l’évacuation prévue des voisins qui n’avaient pas été invités et s’étaient implantés là, sous leurs yeux, dans leur vie. Peut-être n’y croit-on pas, peut-être ne veut-on pas susciter d’espérances. Surtout, ils craignent de dire ce qu’ils ont sur le cœur tant que les colons sont là. Il y a 120 agriculteurs qui travaillent chez les colons, pour un salaire raisonnable de cinq shekels de l’heure [moins de 0,90 euros], et il y a encore d’autres liens économiques tortueux, pas toujours clairs, comme le commerce des concombres et des oignons que les colons leur achètent pour une croûte de pain et qui sont vendus, illégalement, à Tel Aviv aux prix de la ville. Il leur est interdit de commercer avec les colons ; quand cela se produit quand même, ce sont ces derniers qui fixent le prix. Actuellement, c’est 11 shekels pour le sac de concombres.
Les habitants ont un peu de liberté de mouvement sur les chemins de sable et ils ont aussi les maisons, qui n’ont pas été détruites – ici, l’armée israélienne n’a pour ainsi dire pas « déblayé » une seule maison : il y a encore beaucoup à perdre. C’est pourquoi ce bout de pays emprisonné reste calme, se contentant de miettes et se taisant.
Le pêcheur est assis, entouré d’amis, à l’intérieur d’une tente aux allures de cabane : un plafond en tôle posé sur des murs en plastique et un mur de briques. C’est le diwan, le lieu de réunion du Mouassi – Khan Younes. Il y a le Mouassi-Khan Younes et il y a le Mouassi-Rafah, et les colonies embrassent les deux. Personne ici ne veut être identifié par son nom, la peur dicte tout. Ils ont peur de circuler avec nous dans les ruelles de sable, crainte que les soldats ne les voient en notre compagnie, et ils ont peur de se déplacer dans notre voiture et d’avoir des ennuis. « Les soldats connaissent tout le monde dans le Mouassi et s’ils voient tout à coup quelqu'un avec des lunettes, nous aurons des problèmes ». Où sont les soldats ? Là-bas sur la tour et ici, sur la tour, de tous les côtés.
Récemment, le barrage de Toupah, le seul point de sortie hors d’ici, a été fermé pendant 65 jours d’affilée et ils ne pouvaient pas sortir de leur prison, aller nulle part. En voiture, de toute façon, il est interdit de sortir, depuis déjà quatre ans. Seulement à pied. Marchandises, femmes enceintes, seulement à pied. Ici, une voiture-jouet ou une trottinette sans moteur suffirait : les bons jours, il leur est permis de se déplacer entre Mouassi-Khan Younes et Mouassi-Rafah, une affaire d’un ou deux kilomètres. Le passage au barrage de Toupah : seulement pour aller à la ville, et seulement à pied.
Au barrage, on attend des heures. Les soldats font passer par groupes de cinq, disent-ils, en général jusqu’à cinq groupes par jour, tout au plus. 20 à 25 personnes autorisées, sur une population de 8500. Pour les moins de 35 ans, la sortie est tout à fait interdite. C’est là un des gestes d’Israël à l’égard d’Abou Mazen : avant que celui-ci n’arrive au pouvoir, l’âge minimum pour pouvoir sortir était de 50 ans. On l’a maintenant abaissé, par un esprit éclairé, au nom de la coexistence et de l’allègement du bouclage.
Même quand le barrage est ouvert, il ne fonctionne pas toujours. Une fois, c’est l’appareil de radiographie qui est en panne, une fois c’est le chien qui les contrôle qui est fatigué ou malade. Sans chien, pas de passage. « C’est pour la sécurité », explique-t-on dans le diwan. Voici l’honorable cheikh qui entre maintenant dans le diwan, il s’est présenté ce matin, à cinq heures et demie, de l’autre côté du barrage, pour avoir une place dans la file et rentrer chez lui, et maintenant, à deux heures et demie de l’après-midi, il arrive enfin chez lui. Il en parle avec le sourire. Il faisait froid et pluvieux, il n’y a aucun abri digne de ce nom au barrage, pas de toilettes. Tout est pour le mieux.
Parmi les élèves du coin, qui suivent l’enseignement secondaire, il y en a qui, n’ayant pas le choix, louent, seuls, un appartement à Khan Younes, car il y a peu d’espoir de pouvoir passer chaque jour le barrage qui est ouvert un jour, fermé l’autre jour, et qui ferme toujours à quatre heures de l’après-midi au grand plus tard. Le Mouassi est la banlieue de Khan Younes, plus proche que Ramat Aviv ne l’est de Tel Aviv, mais pour passer, il faut une autorisation. Une femme enceinte qui sort en ambulance pour aller accoucher – en ambulance, il est permis de passer – ne sait jamais quand elle sera autorisée à revenir. On est parfois bloqué pendant deux ou trois semaines à Khan Younes avant que le barrage ne s’ouvre à nouveau.
Lorsque le barrage est ouvert et qu’en plus il fonctionne, on y contrôle tout. Chaque sac d’oignons qui passe pour aller du champ au marché de Khan Younes doit passer à la radiographie. « On met les oignons sur le tapis roulant et ils examinent l’écran de télévision », racontent-ils. « La viande, c’est difficile à faire passer, seulement la volaille. A la fête, nous avons mangé du mouton spécialement abattu à Khan Younes, mais qui a été retenu 40 jours au barrage et est arrivé gelé du frigidaire ». Il est interdit de passer au barrage avec une montre et il est aussi interdit de passer avec un téléphone portable. « Un portable, c’est de la dynamite ». Si votre porte-plume fait siffler l’appareil, vous devez retourner chez vous. Impossible de simplement le jeter sur le côté. Peut-être risquerait-il d’exploser ? Et alors vous recommencez la file, une affaire d’un jour, ou deux. Il y a déjà eu des accouchées retenues pendant 40 jours sans pouvoir retourner chez elles avec leur nouveau-né. Pour inviter des proches à venir de la ville à un mariage, il faut toute une procédure : transmettre les noms au service de coordination et de liaison, et garder bon espoir.
Chez eux, à l’intérieur, il fait en général calme. Ici ou là, on organise pour eux un peu d’activités. Ainsi, juste jeudi passé, les soldats sont venus à cinq heures du matin et ont donné ordre à tous les membres d’une famille de sortir. Environ 80 personnes ont été contraintes de sortir de chez elles dans le froid, les 19 hommes ont dû se déshabiller et rester en sous-vêtements dans le froid glacial. On les a fait se déshabiller et habiller deux fois, ils ont été interrogés puis libérés 13 heures plus tard. Un est resté en détention. Mais en général, il fait calme.
L’espace du diwan s’emplit de la fumée du feu allumé pour réchauffer l’air et préparer du café. Le vent fouette le mur en plastique. Les vétérans parmi les ouvriers agricoles gagnent 70 shekels par jour [12, 40 euros], mais ils sont peu nombreux. Ils ont une attestation, un « Permis de travail dans les colonies dans le district de Gaza et la zone industrielle d’Erez. Est tenu de sortir et de rentrer par le passage de Ganei Tal. N’est pas autorisé à travailler par roulement. N’est autorisé à conduire aucun type de véhicule ». Précieux permis de travail, pour trois mois, à cinq shekels de l’heure [moins de 0,90 euros].
Non, il n’y a pas du tout de problème avec les colons, disent-ils. Il y en a eu jadis, mais ça fait longtemps qu’il n’y en a plus. La coexistence demeure comme elle doit être : les colons en haut et les Palestiniens en bas. Ou pour reprendre les paroles prudentes de l’un d’entre eux, moukhtar des réfugiés : « Les colons à l’intérieur de leur clôture et nous à l’intérieur de notre prison ». Et tout de suite, il ajoute : « Nous ne voulons pas faire de problèmes. C’est un endroit calme. Maintenant on voit une lueur de paix. Bien sûr il y a un espoir. Bush le veut comme ça. A la fin, à la fin la paix gagnera ». Irez-vous à Ganei Tal ? « Les terres seront transférées de gouvernement à gouvernement », dit-il. « Il y a eu les Turcs, il y a eu les Anglais, il y a eu les Egyptiens, il y a eu les Israéliens. Ça passera de gouvernement à gouvernement. Si nous ne retournons pas à Ashkelon, notre situation restera la même ».
Séparation ? Pas du tout. « En aucune façon, nous ne nous séparerons des Israéliens. Les Palestiniens et les Israéliens sont comme la peau et la chair. Ça ne se séparera pas. Il y a une maladie et il y a un remède. Soit nous sommes la maladie et vous êtes le remède, soit vous êtes la maladie et nous sommes le remède. Mais se séparer n’est pas possible. Je n’ai pas d’amis colons, mais j’ai beaucoup d’amis en Israël. J’étais entrepreneur en mosaïques et celui-là était entrepreneur en carrelage et celui-là entrepreneur en fondations et gros œuvre, et tous, nous avons des amis et tous, nous attendons le moment où il y aura la paix et que nous pourrons gagner notre vie en Israël. Je pense qu’il faut donner un nouveau nom à Israël, un pays pour tous. Y compris le Mouassi. Mardi, j’apprends qu’il y a un grand sommet. Avec l’aide de Dieu, ce sera aussi un bon sommet ». Ce sera la fête au départ des colons ? Prudence extrême : « Nous ferons la fête parce qu’il y aura la paix, pas parce que les colons seront partis. Nous sommes mêlés, tous ensemble ».
L’épouse du moukhtar des réfugiés doit revenir aujourd’hui de Khan Younes. Son mari n’a pas la moindre idée de l’endroit où elle est et pour le moment, à une heure de l’après-midi, elle n’est pas encore arrivée. Est-il nécessaire de ré-expliquer que Khan Younes est leur ville et qu’elle est à deux pas de leurs maisons ?
Des monceaux d’immondices sur la route de sable qui mène à la mer. Ici, l’UNRWA ne ramasse que les immondices des réfugiés. Tout le reste s’enfonce dans le sable. Il n’y a pas l’eau courante dans les maisons, seulement dans les champs. Tout cela se voit depuis les fenêtres de toutes les maisons de Neveh Dekalim ou de Ganei Tal. Au bout du chemin de sable qui file à l’ouest, entre les maisons, il y a une clôture et il n’est pas possible d’atteindre le bord de l’eau. Derrière des murs de bétons habite une poignée de colons, vraiment les pieds dans l’eau, et des soldats sur les tours de guet veillent sur eux. Notre accompagnateur local est très tendu, assis dans notre voiture, près de la clôture des colons. Ne vous arrêtez pas, roulez vite. Ici, ils tirent.
Le chemin sud vers Mouassi-Rafah passe à quelques mètres de la mer. Des vestiges de sites touristiques, ceux des colons et les leurs, sont là, en ruines, sur la superbe plage. Le restaurant Hof Ashalim était ouvert jadis pendant le shabbat. Il ne reste maintenant que désolation. La route de Rafah est fermée, la route de Rafah-Yam n’est ouverte qu’aux Juifs.
Dans la maison de réfugiés de Raanam Draousha, il n’y a pas deux pierres l’une sur l’autre. Tout est amoncellement de tôle et de toile, de petites cages pour les bêtes et pour les gens, enfants et adultes pieds nus dans le sable humide, tremblants de froid. « Abou Mazen apportera la paix et la sécurité », dit quelqu'un occupé à peindre le mur de la chaumière. Draousha s’est rendu, lui aussi, la semaine passée, à des funérailles à Khan Younes et a été bloqué pendant plusieurs jours sans pouvoir revenir.
Le vieux Hadhoud Abou Mediya, qui est ici le moukhtar des bédouins, souffle sur les braises éteintes : « S’il y a la paix, celui qui ira à droite gagnera de l’argent et celui qui ira à gauche gagnera de l’argent et aussi celui qui restera sur place gagnera de l’argent ». Au barrage de Toupah, plusieurs charrettes sont stationnées, chargées d’oignons, abandonnées. Peut-être demain.
                               
21. Naissance d’une nouvelle langue, dont l’étude est susceptible de révéler les fondements d’une "grammaire humaine"
in Le Scienze (magazine italien) du mardi 8 février 2005
[traduit de l’italien par Marcel Charbonnier]

Comment une langue prend-elle naissance ? Quels en sont les éléments fondamentaux ? Grâce à une langue flambante neuve, née dans un petit village du désert du Néguev, en « Israël », les linguistes sont en train d’acquérir de nouvelles informations qui permettront peut-être de répondre à ces questions ancestrales.
La langue des signes utilisée par les bédouins de la tribu Al-Sayyid [ABSL : Al-Sayyid Beduin Signs Language], qui sert de langue auxiliaire à une communauté d’environ 3 500 personnes, tant sourdes qu’entendant, a développé dès les premières phases de son évolution une structure grammaticale distincte, qui favorise un ordre particulier des mots dans la phrase, les verbes étant énoncés après les objets. L’étude – portant sur la première analyse jamais effectuée jusqu’ici d’une langue spontanée n’ayant subi aucune influence extérieure – a été présentée dans un article de Mark Aronoff, de l’Université Stony Brook et d’Irit Meir et Wendy Sandler, de l’Université de Haïfa, ainsi que de Carol Padden de l’Université de Californie (San Diego), publié par la revue « Proceedings of the National Academy of Sciences » [Annales de l’Académie Nationale des Sciences].
L’ABSL s’est mis en place sur une durée d’environ soixante-dix ans : elle est aujourd’hui utilisée par la troisième génération de locuteurs. En observant les utilisateurs de cette langue racontant des histoires et décrivant diverses actions, les chercheurs ont découvert que cette langue représente bien plus qu’un lexique de termes décrivant les actions, les objets, les personnes, etc. Dans la langue ABSL, les phrases respectent un ordre « sujet – objet – verbe » [ex : Jean la pomme mange], et non pas l’ordre « sujet – verbe – objet » [ex : Jean mange la pomme] de l’anglais ou d’autres langues parlées dans la région.
« La structure grammaticale du langage des signes utilisé par les bédouins – explique M. Padden – n’indique aucune influence des dialectes arabes parlés par les membres non muets de la communauté, ni du langage des signes généralement utilisé dans la région. En raison du fait qu’il s’est développé de manière totalement indépendante, le langage ABSL pourrait donner des indications sur les propriétés fondamentales du langage, en général, et fournir des indications précieuses répondant ne partie aux questions sur l’origine du développements des langages humains. »
                   
22. Seul Bush sait ce qui attend les néocons au tournant… par David Ignatius
in The Daily Star (quotidien libanais) du lundi 7 février 2005
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Les néconservateurs ont-ils « le vent en poupe », ou sont-ils « sur le déclin », avec le second mandat Bush ? Leur agenda consistant à provoquer des changements de régimes politiques au Moyen-Orient sera-t-il toujours dominant, sous Bush II, ou bien auront-ils quelque peu les ailes coupées ?
La réponse, c’est que nul ne le sait, mis à part le président américain George W. Bush. Et le fait que nul, à Washington, ne puisse être certain de qui a l’oreille du président en matière de politique étrangère illustre le délicat équilibre – et le fort potentiel de tiraillements internes – qui coloreront le second mandat présidentiel.
Certes, les deux discours marquants de Bush, cette année, ont repris l’ambitieuse rhétorique des néocons. En évoquant au cours de son discours d’intronisation la mission mondiale de l’Amérique consistant à répandre partout la liberté, et quand il a admonesté la Syrie et l’Iran, dans son discours sur l’Etat de l’Union, mercredi dernier, on aurait dit, à n’en pas douter, qu’on entendait le néoconservateur en chef.
Bush a même semblé donner un gage aux néocons, en matière de changement de régime, proclamant : « Et au peuple iranien, je dis ce soir : dès lors que vous vous battrez pour votre propre liberté, l’Amérique sera à vos côtés. »
Néanmoins, il y a quelque raison de ne pas prendre ces propos audacieux entièrement pour argent comptant. Derrière la rhétorique, les changements de personnes, dans le gouvernement Bush II semblent, de fait, orienter Bush plus vers les rivaux des néoconservateurs, vers cette école en matière de politique étrangère que l’on qualifie de « réaliste ». Au Département d’Etat, la secrétaire d’Etat Condoleezza rice a fait observer qu’elle entend marcher dans les brisées de Colin Powell, c’est-à-dire de suivre le consensus du parti républicain en matière de politique extérieure ; en même temps, le néocon en vue au Département d’Etat, le sous-secrétaire John R. Bolton, devra quitter bientôt son poste. Au Pentagone, l’un des plus puissants des personnages néocons, le sous –secrétaire à la Défense Douglas Feith, partira l’été prochain, pour convenances personnelles. Et au Conseil National de Sécurité, le successeur de Rice, Steve Hadley, semble opérer un virage vers une trajectoire pragmatique et « réaliste ». Il a écrit une tribune publiée voici une quinzaine de jours par le Washington Post, consacrée à l’Irak, qui a tracé l’esquisse d’une grande rhétorique carrément en faveur d’une discussion nuancée au sujet du fragile équilibre ethnique qui caractérise ce pays.
Richard Perle, le gourou intellectuel des néocons, ne considère certes pas l’administration du second mandat Bush comme une terre néoconservatrice. « Bush est quelqu’un de très personnel », dit-il. Perle regrette que « les avis qui parviennent aux oreilles du président ne sont probablement pas de ceux qui l’amèneraient à s’aligner sur les positions des néoconservateurs. La plupart de ces avis auraient plutôt l’effet contraire : je parle des avis donnés par la CIA, le Département d’Etat, le Conseil National de Sécurité, etc. Bush obtient les certitudes conventionnelles qu’affectionne la bureaucratie. »
Ce qui vient aiguiser le débat idéologique sous Bush II, c’est le fait que le FBI continue une enquête sur l’AIPAC[American Israel Public Affairs Committee], principal lobby pro-israélien qui, à l’instar des néoconservateurs, est un soutien inconditionnel d’Israël. L’enquête semble avoir touché certains néoconservateurs éminents, favorables à l’AIPAC. Le journaliste Edwin Black a analysé les conséquences de cette enquête dans un article publié le 31 décembre dernier par Forward, intitulé : « Brisbille entre les néocons et les milieux du renseignement. »
Black y décrivait ce qui avait toutes les apparences d’une volonté du FBI d’utiliser le responsable du Pentagone qui fut à le premier suspect dans l’enquête, Larry Franklin, dans un « coup monté » raté, visant à inciter Perle à transmettre de l’information au dirigeant irakien chouchou des néocons : Ahmad Chalabi.
L’enquête du FBI a reçu étonnamment peu d’intérêt dans les médias consensuels, mais elle suit son cours. Un éminent ex-responsable gouvernemental, qui avait accès à des documents top secrets m’a confié, la semaine passée, avoir été interrogé, fin janvier, par deux agents du FBI, notamment au sujet de ses rencontres, au cours de repas, avec Steve Rosen, le directeur de la section « politique étrangère » de l’AIPAC. Il m’a dit avoir indiqué aux deux agents qu’il n’avait jamais confié à Rosen d’information classifiée (secrète), et que Rosen ne lui en avait d’ailleurs jamais demandé. L’enquête du FBI semblait être, aux yeux de cet ancien responsable gouvernemental, dans une grande mesure une « partie de pêche ».
Le FBI a perquisitionné les locaux de l’AIPAC à deux reprises, la dernière fois, le 1er décembre dernier, et ce sont au moins quatre de ses responsables qui ont été amenés, a-t-il été rapporté, à témoigner devant un grand jury. (Les responsables de l’AIPAC ont refusé de répondre à ma demande de commentaire sur l’enquête). Par ailleurs, je me suis laissé dire qu’une demi-douzaine de responsables de l’administration Bush, apparemment suspectés d’avoir organisé la fuite d’informations classifiées au bénéfice de l’AIPAC ont dû prendre des avocats.
« Nous ne voulons pas cacher les choses ; s’il y a eu des magouilles, qu’elles soient étalées aux yeux du public. Nous sommes certains qu’il n’y en a pas eu », a dit Malcolm Hoenlein, vice-secrétaire exécutif de la Conférence des Présidents des Principales Organisations Juives Américaines, dans une récente déclaration. Mais il a averti : « Ni l’AIPAC, ni la communauté juive ne seront jamais contraints au silence. »
L’enquête du FBI est un rappel des batailles souterraines qui se déroulent souvent, à Washington. Même dans une administration apparemment unie sur sa politique, des philippiques féroces font parfois rage, dans les profondeurs. La chose qui est certaine, avec la présente administration, c’est que personne ne parle véritablement en son nom, en définitive, mis à part le président lui-même. Et comme le dit très justement Perle : « La présidence de George W. Bush est une réponse aux attentats du 11 septembre 2001, pas aux néoconservateurs ! »
                           
23. Israël redoute Condi, la Mère-Fouettarde de la paix par Tony Allen-Mills & Uzi Mahnaimi
in The Sunday Times (hebdomadaire britannique) du dimanche 6 février 2005
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Par Tony Allen-Mills (Washington) & Uzi Mahnaimi (Jérusalem) - Le nouveau secrétaire d’Etat américain, Condoleezza Rice, arrive aujourd’hui à Jérusalem, alors qu’Israël s’inquiète de ne plus pouvoir compter désormais sur le soutien politique inconditionnel de Washington.
La perspective d’un regain d’activisme américain en faveur de la création d’un Etat palestinien durant la seconde mandature du président George W. Bush fait sentir ses ondes de choc dans l’ensemble des cercles gouvernementaux à Jérusalem. Le statut unique de Rice, en sa qualité à la fois de diplomate la plus glamour de l’Amérique et de principal conseillère rapprochée de Bush en matière de politique étrangère hypnotise l’attention sur sa mission d’ange de la paix au féminin.
Après quatre longues années d’indifférence totale américaine pour la négociation moyen-orientale, les responsables israéliens craignent que les priorités de Washington ne soient en train de changer, et que l’arrivée aux manettes de Rice ne marque le début d’une période de pressions intenses en vue d’un marchandage palestinien.
La disparition de Yasser Arafat et l’émergence de Mahmoud Abbas en nouveau dirigeant de l’Autorité palestinienne ont transformé le paysage politique dans la région, et soulevé la possibilité tentatrice d’une fin d’une intifada durant depuis quatre ans, cette insurrection palestinienne imbibée de sang contre l’occupation israélienne.
Arrivant en Israël en un moment critique pour le processus de paix embourbé depuis si longtemps, Rice rencontrera tant Abbas qu’Ariel Sharon, le premier ministre israélien, au moment où ces deux hommes se préparent pour la tenue d’un sommet dans la villégiature égyptienne de Sharm al-Sheikh, mardi prochain.
Rice ne participera pas au sommet, mais d’aucuns, dans la région, la soupçonnent d’être prête à jouer un rôle important dans le déblocage d’un marasme politique que Bush jusqu’ici était trop content d’ignorer royalement.
Dès l’instant où Rice a fait un pas sur le tarmac de l’aéroport (londonien) d’Heathrow, mercredi, drapée dans un manteau long bordé de fourrure, il était clair qu’une nouvelle ère flashy de la diplomatie américaine venait de commencer. Jamais depuis Henry Kissinger un secrétaire d’Etat américain n’aura eu une telle influence sur la Maison Blanche qu’elle ; et personne n’a jamais pris Kissinger en photo pour un défilé de mode dans le magazine Vogue…
L’Europe n’a pas mis longtemps à prendre conscience du fait que Rice, cinquante ans, n’est pas une simple émissaire présidentielle. Son ascension depuis son quartier déshérité de Birmingham, dans l’état d’Alabama, qui a fait d’elle la première femme afro-américaine à la tête du Département d’Etat appartient désormais à la légende politique des Etats-Unis ; sa décontraction, face aux questions pleines d’agressivité d’un public hostile, la semaine dernière, tant à Londres qu’à Berlin, a confirmé en douceur qu’elle mérite amplement sa réputation de charme et de rigueur intellectuelle.
Néanmoins, Rice devra déployer des trésors de persuasion, tandis qu’elle risque un orteil timide dans le marécage jusqu’ici plutôt ingrat de la fabrication de la paix au Moyen-Orient. La disparition de Yasser Arafat, l’an dernier, a ouvert la porte à une possible percée, mais la manière dont Bush et Rice vont pouvoir avancer lorsque des crises inévitables vont intervenir dans la négociation est loin d’être claire.
Israël, c’est clair, est secoué. Auprès de Tony Blair, en novembre dernier, Bush a déclaré qu’il espérait voir la création d’un Etat palestinien « dans les quatre ans ». Il a ajouté, lors de son discours sur l’Etat de l’union, la semaine dernière, que « l’objectif de deux Etats démocratiques – Israël et la Palestine – est à portée de la main … »
Impressionné par les efforts très rapidement déployés par Abbas afin de réduire le terrorisme palestinien, l’administration (américaine) a promis 350 millions de $ d’aide exceptionnelle (aux Palestiniens). Et même le Congrès américain, de tout temps un bastion des sentiments pro-israéliens, vient d’adopter une résolution bipartisane saluant en Abbas un « dirigeant crédible ».
Les Israéliens redoutent que Bush ne soit en train de céder aux pressions européennes en vue d’une nouvelle approche du Moyen-Orient. Ils craignent que le soutien dont Bush a un besoin impérieux en Irak n’ait fait de la réparation de ses haies de voisinage avec l’Europe une priorité sur son soutien à Israël.
L’itinéraire du périple de Rice est le reflet des objectifs mêlés de Washington : sa visite au Moyen-Orient est prise en sandwich au milieu d’une virée non-stop dans huit capitales européennes, qui l’amènera d’Allemagne en Pologne, puis en Turquie, hier, et qui se poursuit, cette semaine, avec un discours important à Paris.
La semaine passée, les journaux de Washington étaient remplis de publicités occupant des pages entières des lobbyistes pro-israéliens, suppliant l’administration américaine de ne pas « abandonner » Israël.
Même Dov Weisglass, le plus proche conseiller de Sharon en matière de politique extérieure, aurait été, dit-on, secoué par le comportement de Rice, lors de leur rencontre à Washington, la semaine dernière. « Elle reste, à n’en pas douter, une amie d’Israël. Mais elle a désormais un programme différent », a indiqué une source bien informée. « Le président [Bush] veut un Etat palestinien… »
A Washington, le moins qu’on puisse dire est que les avis divergent sur l’intensité des pressions que Bush veut voir exercées par Rice sur Israël afin qu’il accélère ses concessions en retirant des colons israéliens des territoires palestiniens. Certains analystes voient dans son engagement un effort visant à satisfaire l’Europe, et pensent que Washington n’a pas [réellement] l’intention de forcer la main à Sharon.
La tâche de Rice sera rendue de plus en plus compliquée par la suspicion croissante, en Europe, que le Pentagone soit en conflit avec les responsables militaires israéliens au sujet d’une éventuelle frappe contre des installations nucléaires en Iran. Bien que Rice ait insisté, à Londres, sur le fait qu’il y avait « beaucoup de moyens diplomatiques » permettant de « traiter » la menace iranienne, elle n’en a pas moins laissé clairement entendre qu’une option militaire restait envisageable.
On pense que l’Iran était à l’ordre du jour de sa réunion avec Sergeï Lavrov, le ministre russe des Affaires Etrangères, hier soir. On s’attendait également à Moscou à ce que Rice réitère la préoccupation de Washington au sujet d’un « recul » du Kremlin en matière de respect de la démocratie.
Le tout forme un formidable défi pour l’ex-conseillère ès sécurité nationale, qui fut, au début de sa carrière, essentiellement une soviétologue. Néanmoins, la proximité de Rice vis-à-vis de Bush reste sa principale force, et personne, en Israël, ne doute qu’elle ait l’oreille de Bush. Elle fera son rapport au président à son retour à Washington, cette semaine, et le reste du monde pourrait découvrir très rapidement si l’engagement de Washington à faire la paix est réel, ou bien si c’est du bidon.
                                   
24. Lifta, et pas Mei Naftoah par Daphna Golan-Agnon
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 2 février 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]

(Daphna Golan-Agnon est sociologue et enseigne à la faculté de Droit de l’Université Hébraïque de Jérusalem.)
La commission municipale de l’urbanisme et de la construction à Jérusalem doit présenter ces jours-ci à la commission régionale ses recommandations à propos du projet de construction à Lifta. La commission recommande d’approuver un projet qui signifie, en fait, l’effacement du souvenir du village palestinien abandonné que l’on peut voir dans toute sa beauté depuis la route qui part de Jérusalem.
Lifta est le cas le plus frappant à l’œil israélien d’un village palestinien détruit en 1948. Ses maisons vides, à flanc de colline, sont un témoignage silencieux des centaines de localités qui ont été détruites à l’époque de la création de l’Etat. La projet de construction propose, il est vrai, de conserver les maisons du village mais de les absorber au cœur d’un nouveau quartier qui s’appellera Mei Naftoah. Le changement de nom participe aussi de l’effacement d’un témoignage historique de l’existence d’un village palestinien fondé des centaines d’années avant l’Etat d’Israël.
L’association « Bimkom – Urbanistes pour les droits de l’Homme » et l’association « Zokhrot » se sont adressées, en septembre, à la commission municipale de l’urbanisme et de la construction, avec la demande d’annuler le projet Lifta et d’en faire l’objet d’un débat public. Elles ont demandé que soient fixées de nouvelles directives assurant la préservation des vestiges du village, du cimetière et de la mosquée. Les opposants au projet ont rappelé les conclusions de la Commission Or qui avait établi que « la création de l’Etat d’Israël que le peuple juif a fêtée comme la réalisation du rêve transmis de génération en génération, était liée dans la mémoire historique (des citoyens arabes) au plus dur traumatisme collectif de leur histoire : la ‘Nakba’ ».
Les membres de la Commission municipale, qui représentent la collectivité, ont réagi par le mépris aux oppositions, un mépris affiché. Un membre de la Commission, Yaïr Gabaï, a sans arrêt coupé les propos des opposants par des cris du genre « Ceux-là, ils touchent un salaire de l’Europe » ou « Qu’est devenue la maison de mon père à Bagdad ? » Des membres de la Commission ont, de fait, promis de ne pas construire d’unités d’habitation dans la mosquée abandonnée, mais les membres orthodoxes, dont le président de la Commission, Yehoshoua Pollack, ont proposé de construire, dans la mosquée, une nouvelle synagogue qui, de toute façon, restera apparemment inutilisée.
Les membres de la Commission n’ont évidemment pas entendu les représentants des familles dont les maisons ont été confisquées et qui n’ont jamais été autorisées à y retourner. Une grande partie des réfugiés de Lifta vivent à Jérusalem-Est mais le projet de construction les ignore complètement. Par contre l’opposition venant d’habitants juifs dont une partie squatte les maisons vides ou les ont achetées « sous une certaine constellation » comme a dit l’un d’entre eux, cette opposition-là a été entendue, patiemment.
La Commission a décidé de répondre positivement à la demande du représentant de l’association Al-Aqsa de marquer le cimetière musulman comme une zone qui ne pourra pas être bâtie. Mais lorsqu’il a osé demander si lui aussi pourrait acheter une maison dans le nouveau quartier, la salle s’est emplie de rires. Gabaï lui a répondu avec mépris : « La cour suprême a établi qu’il n’était pas possible de faire une discrimination dans l’octroi de terrains à bâtir », et des membres de la Commission lui ont expliqué qu’en vérité, il n’y a pas de projet de construction d’une église ni d’une mosquée dans le nouveau quartier, seulement d’une synagogue, mais que ce n’est pas eux qui décident à qui sont destinées les maisons du quartier.
Il est possible, et il serait bon, de développer Lifta en tant que village conservant la mémoire historique palestinienne. La préservation du souvenir du village et de son histoire peut être un symbole de réconciliation entre citoyens juifs et arabes et un geste vers une solution de paix avec nos voisins. Dans un Etat qui sanctifie la mémoire, l’effacement de l’histoire palestinienne n’est pas seulement un acte immoral, c’est aussi une stupidité. Nous ne pourrons pas bâtir un avenir digne de ce nom ici, si nous effaçons, nions, le souvenir des réfugiés palestiniens. On peut prendre leurs maisons et effacer leurs villages, mais comme nous le savons de l’histoire juive : la nostalgie pour les racines et la maison demeure pendant des siècles. Il est encore possible de préserver le village, de restaurer ses maisons et de le transformer en un lieu d’étude du passé et de fondation d’un dialogue sur l’avenir commun des Israéliens et des Palestiniens.
                               
25. Le procès de qui ? par Akiva Eldar
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 31 janvier 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]

La polémique autour des terres du Keren Kayemet [KKL, Fonds National Juif], comme le débat à propos de la Loi du Retour, touchent à la ligne délicate sur laquelle le sionisme pratique s’efforce depuis plus de cent ans de vivre en coexistence avec la démocratie. En ouverture à sa réponse à la pétition sur la question de l’octroi de ses terres aux seuls Juifs, le KKL rappelle qu’il a été fondé en 1901 par le cinquième congrès sioniste « pour servir d’organe de l’Organisation sioniste mondiale pour l’acquisition des terres – terres acquises pour le peuple juif ».
Peu nombreux sont ceux qui donnent leur avis sur le fait que les institutions du « peuple juif » sont devenues le bras long et cruel de l’occupation, le grand ennemi du sionisme, de la démocratie et de la paix. Beaucoup ne sont pas conscients que les institutions du peuple juif servent depuis 30 ans d’instrument aux mains des gouvernements israéliens pour les besoins de l’acquisition de terres en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza et pour le financement des colonies situées en dehors du consensus.
Des dizaines de milliers de dounams sur lesquels ont été construites des colonies, des zones industrielles et des routes ont été acquis par « Himnouta », une filiale de KKL qui s’est spécialisée dans l’acquisition de terres palestiniennes par l’entremise d’hommes de paille. Le rapport du contrôleur de l’Etat pour l’année 2003 signale que « le département colonisation [qui dépend de l’Organisation sioniste mondiale – note d’A. Eldar] agit au nom de l’Etat pour la promotion et le développement de la colonisation rurale en Judée-Samarie, dans la région de Gaza et sur les hauteurs du Golan. » Les rapports du contrôleur, comme le rapport, publié hier, de Talia Sasson – ancien haut fonctionnaire à l’office du procureur de l’Etat – révèlent une petite partie des actions de ces deux institutions ; d’autres se cachent entre les pages des programmes et les paragraphes budgétaires connus de quelques uns seulement.
Voici quelques exemples : en juin dernier, Haaretz rapportait l’existence d’un plan destiné à créer un quartier près du village de Wallajeh dans le but d’entourer Jérusalem d’une ceinture de colonisation juive et de couper ainsi Jérusalem de Bethlehem. L’Administration des Terres d’Israël a communiqué que le plan était mis en œuvre par Himnouta. Est-ce à cela que faisait référence la réponse donnée par le KKL à la Cour suprême, déclarant que la situation et la législation existantes « reflètent un point d’équilibre convenable entre le caractère juif-sioniste de l’Etat et son caractère démocratique » ? Ou peut-être faisait-elle référence au plan préparé en 1998 par le Département colonisation, de concert avec le Conseil de la région de Gaza, « visant à employer des terres d’Etat libres au-delà de l’axe des colonies israéliennes dans la région de Gaza » (Rapport du Contrôleur, 2000) ? Suite à cela, le Conseil avait signé des accords pour l’exécution de travaux de développement et de défrichage dans la zone concernée maintenant par le « désengagement ».
La contribution de l’Organisation sioniste mondiale à l’instauration de la confiance avec les Palestiniens est détaillée dans un plan secret préparé en novembre 1993 au Département colonisation, juste après l’accord d’Oslo. Le plan présente les cartes des « agencements de colonies entre localités proches, en vue de permettre le renforcement de leur structure socio-économique ». En janvier 1997, ce plan a été mis à jour, de nouveau secrètement, « en vue d’offrir aux décideurs un instrument mis à jour et pertinent, à la suite de la signature de l’accord d’Oslo 2 et du transfert aux Palestiniens de territoires en Judée-Samarie ». Le document révèle une donnée consternante : « les "agencements de colonies" incluent 1,1 million de dounams de terres en propriété privée arabe, constituant environ 35,6% du territoire ».
Un sondage d’opinion que le KKL a publié ces jours-ci révèle que 85% des sondés (uniquement des Juifs) considèrent que « le peuple juif a le droit de garder des terres au profit du peuple juif ». On ne leur a pas demandé si le peuple juif avait le droit de prendre pour lui possession de terres au cœur de la Bande de Gaza et dans la banlieue de Naplouse. Sous le titre « Le sionisme en procès », Yehiel Leket, président du KKL, écrit que lorsque Chaïm Herzog a déchiré la résolution de l’ONU qui définissait le sionisme comme un racisme, « il ne soupçonnait évidemment pas qu’une génération plus tard, un tribunal israélien serait appelé à juger de la question de savoir si un des principaux organes du sionisme était coupable de racisme ». Herzog n’imaginait évidemment pas non plus que ces mêmes organes sionistes collaboreraient au péché de l’occupation raciste dont les graines étaient alors semées au premier « avant-poste », Sebastia, qui avait valeur de réponse sioniste à cette malheureuse résolution de l’ONU. Le sionisme est aujourd’hui en procès ; dans le rapport Sasson et dans la lutte pour le droit à une vie sans occupation.
                                   
26. Route 443 par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 21 janvier 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]
Ce qu’on voit et ce qu’on ne veut pas voir sur la route de Maccabim-Reout à Jérusalem.
Combien de fois avez-vous emprunté la route 443 et regardé sur votre droite et votre gauche ? Combien de fois avez-vous choisi de monter sur cette autoroute rapide de Maccabim-Reout à la capitale et pensé aux dizaines de milliers d’habitants qui se retrouvent emprisonnés à cause d’elle ? Combien de fois avez-vous aperçu les 12 routes barrées qui y aboutissent ? Combien de fois avez-vous prêté attention aux habitants des 22 villages des alentours, occupés à se faire péniblement, à pied, un chemin sur le terrain rocailleux ? Vous êtes-vous jamais arrêté un instant à côté du panneau indicateur qui conduit au « camp d’Ofer », formule expurgée servant à désigner un camp de détention de masse où sont emprisonnés actuellement 800 Palestiniens environ, la plupart sans jugement ?
Il n’y a pas deux routes de l’apartheid comme celle-là, pas d’axe du mal comme cette voie royale. Une route à quatre bandes et à une seule nation, pour Israéliens uniquement, construite sur des terres palestiniennes, interdite aux déplacements des Palestiniens, en voiture comme à pied. Une route d’occupation, avec un barrage à l’entrée et un barrage à la sortie, où contrairement aux autres routes de l’occupation, le trafic est important, chaque jour, morceau inséparable d’Israël, au cœur du consensus, comme s’il n’y avait jamais rien eu là d’incongru.
Pas d’Arabes, pas d’attentats. Ceux qui ont pensé cette route ont tout fait pour cacher les Arabes au regard, même pour qui est fatigué de détourner le sien et de se voiler la face. A l’interdiction absolue pour les Palestiniens de circuler sur cette route, comme aussi de marcher sur le côté, on a ajouté le tronçon le plus délirant qui soit, le dernier tronçon en direction de Jérusalem. On y a caché la route par des murs en béton sur lesquels est peinte l’incarnation du rêve israélien : sous des arches peintes apparaissent des pelouses vertes à tout jamais sur fond de ciel d’un éternel azur, le tout peint en couleurs par la main d’un artiste sur le béton gris qui cache les maisons des Arabes. On peut ainsi rouler non seulement en confiance, mais dans la fiction. Un tunnel sans toit, un monde sans Arabes, un peuple sans terre est arrivé, ici aussi, sur une terre sans peuple, exactement comme ce conte qu’on nous racontait dans notre enfance. A faire des randonnées vers nulle part, loin, parmi les signaux du chemin. Simplement, ici, des blocs de béton remplacent les pierres blanches de la chanson.
Deux silhouettes marchant d’un pas rapide, sur la crête. Une vieille chaîne stéréo, un réservoir à gaz portable et un toaster rouillé dans les mains d’Ibrahim Otman, un ouvrier de 27 ans, de Beit Our. Il rentre chez lui, à pied, de Modi’in, avec son ami, Ramez Jedallah, 26 ans. Sept kilomètres à pied, chaque jour, quelque soit le temps, quatorze kilomètres aller et retour pour essayer de trouver une journée de travail dans la construction. L’entrepreneur s’est volatilisé, n’a pas même téléphoné, le salaire d’un mois de travail apparemment perdu et les deux ouvriers rentrent chez eux, honteux et humiliés. Il y en a parmi les entrepreneurs du pays qui profitent de leur faiblesse ; les travailleurs palestiniens n’ont pas de permis de travail en Israël et rien n’est plus facile que de retenir leur salaire et de les menacer d’une plainte à la police. Ils sont partis de la maison à cinq heures du matin, reviennent à midi les mains vides, en dehors des alte sachen qu’ils ont ramassés, poubelles de Modi’in – deux hommes en séjour illégal.
Couvert de sueur, Ahmed Moustafa descend lui aussi des collines. Il est en chemin de Ramle à Harbata, son village. Homme à tout faire quand l’occasion se présente, mais aujourd’hui est un jour sans occasion. Il est parti à quatre heures et demie et maintenant il s’en retourne, les mains vides. Au moins, le propriétaire l’a amené en voiture jusqu’à Modi’in. 22 villages entourent la 443. Dans chacun d’entre eux habitent des milliers de personnes. Harbata, Beit Lakia, Koufer Naama, Ras Karkar, Safa, Beit Sira, A-Tira. Certains de ces noms sont connus par les panneaux indicateurs mais tous les panneaux sont un leurre : ils conduisent à une route barrée. Cela aussi est une façon d’étrangler des villages : on déverse des gravats et déchets de construction et des immondices sur la route pour en barrer le passage et humilier encore davantage les habitants. Votre route, comme votre vie, est dans les ordures.
Y a-t-il un autre endroit au monde où les autorités gouvernementales déversent des monceaux d’immondices pour barrer des routes ? Il y a des endroits où l’occupant, en notre nom, se montre plus délicat et place des cubes de béton de la société Ackerstein que l’armée israélienne peut déplacer chaque fois qu’elle veut entrer dans le village. Mais immondices ou béton, il n’y a ici aucun village dont l’accès est ouvert sur la route. Aucun village dont les habitants peuvent emprunter la route directe. De Bidu à Ramallah ? Jadis une vingtaine de minutes et aujourd’hui, des heures. Cette semaine, une journaliste hollandaise s’est traînée pendant trois heures et demie sur ce trajet, à cause des barrages.
Le trafic sur la route est pourtant rapide. Depuis qu’ici les attentats par coups de feu ont cessé, il y a environ deux ans, il passe ici chaque jour des milliers de voitures israéliennes, au moins vingt mille selon une estimation non officielle. Sur les crêtes, aux alentours, d’autres routes énormes se construisent encore. Venant d’où ? Pour aller où ? Nul ne sait au juste. Des bergers, sur le côté de la vieille route étroite, essaient de nous diriger vers leur village, Safa, mais toutes les voies sont barrées. Eux-mêmes ne savent pas comment on accède en voiture. Une jeep ou un char pourrait entrer, mais pas une voiture. « Ce sont des Juifs ? Ils ne vont pas nous rosser ? » Dans la colonie voisine de Kiryat Sefer, se construit une ville terrifiante : le squelette de dizaines de maisons à étages se lancent vers le ciel, enserrant, comme pour l’étouffer, le village emprisonné.
A la sortie vers le prochain village, Harbata, il manque visiblement un bloc de béton et le barrage a l’air ouvert d’une brèche. Mais quand on descend de la grand-route, on découvre encore une autre rangée de blocs. Il n’y a pas de passage. Sur le chemin que nous parcourons à pied vers le village, nous buvons du thé dans la famille Atia, la dernière maison avant la route. Un pare-soleil tourné face aux voitures qui passent lourdement et dont le bruit porte au loin. Il n’y a ici aucun mur acoustique pour protéger les habitants du vacarme, surtout celui des camions, la nuit. Un groupe de fringants jeunes gens au chômage passe encore un jour ouvrable sur le toit. De quoi parlaient-ils avant que nous n’arrivions ? De travail ? De politique ? D’Abou Mazen ? Peu importe. Mais Abou Mazen est collé, en bas, sur les murs de l’étroit tunnel qui passe sous la 443, seule issue de Harbata sur le monde. C’est ici qu’a été tué par les tirs des soldats Rafaat Ahmadan, un chauffeur, du camp de Shouafat, en septembre 2001. Il était le dernier tué de la première année de la deuxième Intifada.
Les Juifs en haut, sur la route rapide, les Arabes en bas, dans le goulet obscur, vers le chef-lieu, Ramallah, à une ou deux heures de là. Parfois des soldats se tiennent près de l’entrée et interdisent tout mouvement. C’était le cas hier. Pendant cinq heures, les soldats sont restés là et Harbata n’avait plus d’issue. Une caméra est installée au-dessus de l’entrée du tunnel, tournant silencieusement d’un côté à l’autre, Big Brother voit tout. Il n’y a pas longtemps, un de ces jeunes gens a osé traverser la 443 à pied. Au bout du compte, tout ça, jadis, c’était ses oliveraies. 1750 shekels d’amende. Il est interdit de marcher sur la route.
La majorité des habitants de ce village circulent avec une détention avec sursis pour séjour illégal en Israël. Les a-t-on indemnisés pour les terres expropriées ? Grand rire. « Il y a de nombreux peuples qui ont fait tomber des gouvernements, mais l’opinion publique israélienne se tait et ne fait rien. Elle accepte tout », dit un des jeunes gens sur le toit, face à l’autoroute.
Un panneau indicateur : Beit Horon, Camp de la police des frontières de Beit Horon et A-Tira : à droite. La route est ouverte vers deux de ces endroits, devinez lesquels. Des blocs de béton à la sortie vers A-Tira et un pont pour les colons et la police des frontières de Beit Horon.
Deux jeunes filles palestiniennes, éblouissantes, descendent d’un taxi jaune près des blocs de béton. Elles sont de A-Ram, à côté de Jérusalem, elles sont venues rendre visite à leur sœur et font maintenant le chemin de retour chez elles. Essaient de faire le chemin de retour chez elles. Elles n’ont pas idée de la manière dont elles vont y arriver, ni qui s’arrêtera pour elle sur la 443. Impuissantes, elles se tiennent sur le bas-côté, peut-être viendra-t-il un taxi de Jérusalem-Est qui les prendra. Vous partez de chez vous le matin sans savoir ni comment ni quand vous reviendrez.
A l’intérieur d’A-Tira, une file de voitures avec des plaques israéliennes, stationnent à côté du barrage. Ces voitures-là se sont retrouvées coincées dans le village, sans possibilité d’en sortir. A-Tira est barré. Des blocs de béton à l’entrée principale venant de la 443 ; une voie sans issue donnant sur les vergers et aussi un chemin de terre qui mène, d’une manière ou d’une autre, vers l’extérieur, vers le village voisin de Harbata et à partir de là, plus loin vers Ramallah en passant par le tunnel. Mais ce chemin-là est réservé aux véhicules hauts et puissants.
Le taxi Transit de Mohammed Yassin Hamed, un des deux chauffeurs du village, ne fait que des allers et venues à l’intérieur du village, se démenant dans tous les sens comme un animal en cage. Un shekel et demi la course, de l’épicerie à la maison, du barrage à l’école. Le Transit ne peut pas franchir la route de gravier pour aller à Harbata et de là, vers le monde extérieur. L’essence, on la lui apporte en jerricanes, qu’on s’échange, près des blocs de béton, par la méthode du dos à dos, celle qu’on emploie pour amener les autres marchandises. Un village de 2500 habitants, dit le panneau sur la route. Une Ford Fiesta remplie d’œufs stationne maintenant à côté du barrage de blocs de béton, attendant d’être déchargée. Qu’advient-il des malades ? Et des femmes sur le point d’accoucher ?
A-Tira est un beau village. Pas mal de magnifiques maisons en pierres, propriétés, dans bien des cas, de citoyens américains qui reviennent régulièrement rendre visite à leur village assiégé. Même le chef du conseil local, Issa Amin, est citoyen américain ; pour preuve, les deux aigles noirs, en pierre, placés à l’entrée de sa maison. Hamed, le chauffeur, a été pendant dix ans, l’électricien de Givat Zeev qui est voisin, jusqu’au jour où il a été congédié et où il est devenu le chauffeur du village. Son certificat d’électricien diplômé reste inutilisé, à un mur de sa petite maison.
Et qu’est-ce que ce petit goulet là-bas en bas, au bout de l’escalier de pierres qui descend en serpentant depuis le village jusqu’à la vallée des oliviers ? C’est le chemin vers l’école des filles. L’ancien bâtiment en pierres est situé de l’autre côté de la route des Juifs et les jeunes filles sont obligées de s’y rendre en passant par ce tunnel pour piétons, étroit, sombre, pas plus haut que la taille d’un homme, et qui a été creusé sous la route, là sous notre nez, sous les voitures qui passent à toute allure. Le chemin du lycée.
                       
27. Arafat vu par "Le Monde"
in Le Monde du jeudi 11 novembre 2004

Au fil des années, des événements et des retournements, les correspondants de notre quotidien se sont succédé pour tenter de cerner la personnalité du chef de l'OLP. Voici des extraits de leurs articles, depuis 1969.
LE GUÉRILLERO - Eric Rouleau dans Le Monde du 21 Février 1969
La première interview de Yasser Arafat, deux semaines après son élection à la tête du comité exécutif de l'OLP le 4 février 1969.
(...) "Nous ne serons ni les lapins des contre-révolutionnaires arabes ni les Peaux-Rouges des juifs." M. Yasser Arafat, dit Abou Ammar, dirigeant d'El Fath -Fatha- et, depuis peu, président de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), se crispe. Il vient de répondre à la question désormais rituelle : que deviendront les guérilleros palestiniens si la Jordanie et l'Egypte parviennent à régler pacifiquement leur conflit avec Israël ?
M. Yasser Arafat avait interrompu en pleine nuit une tournée qu'il effectuait dans les "bases" des fedayins, qui recouvrent, telle une toile d'araignée, le territoire jordanien, pour rencontrer l'envoyé spécial du Monde au siège d'El Fath à Amman. Vêtu d'un blouson, la "kouffieh" bédouine sur la tête, l'inséparable mitraillette en bandoulière, il était venu, disait-il, s'excuser de ne pouvoir faire des déclarations à la presse. "Le comité exécutif de l'OLP, ajoutait-il, m'a interdit de donner des interviews. Et à juste titre. La presse à sensation a déformé mes propos. En outre, nous ne voulons pas répéter les erreurs commises avant la guerre de six jours par les dirigeants arabes, qui parlaient à tort et à travers. Après tout, je ne suis pas un politicien. Je suis un combattant, et la mitraillette est mon mode d'expression."
A l'âge de 39 ans, en effet, notre interlocuteur se prévaut de vingt ans de lutte armée, y compris les périodes plus ou moins longues de préparation militaire, dans le but de "libérer la Palestine de l'emprise sioniste." (...)
"Nous ne sommes pas de ceux qui croient à la fable des "colombes" et des "faucons" en Israël. Tenez, je vous livre un secret : après la guerre de juin, j'ai vécu clandestinement en Israël pendant quatre mois... Sous une fausse identité, j'ai pu fréquenter tous les milieux politiques, de l'extrême droite à l'extrême gauche. Je pense en particulier à une soirée mémorable que j'ai passée à Tel-Aviv chez un juif originaire d'un pays arabe, en compagnie de convives de diverses tendances. C'est dire que je connais intimement le monde politique israélien. Je peux affirmer catégoriquement que, sous une forme ou une autre, les responsables sionistes sont tous expansionnistes.
Leurs divergences ne portent que sur la manière de procéder. Quelle différence y a-t-il, en effet, entre l'homme politique qui préconise l'annexion pure et simple et celui qui veut installer des troupes tout au long du Jourdain et dans le Sinaï, et celui encore qui pose comme condition la création d'un prétendu marché commun moyen-oriental que dominera forcément Israël ? Les monopoles internationaux, associés aux capitaux sionistes, veulent contribuer à recueillir les bénéfices scandaleux de l'extraction et de la commercialisation du pétrole arabe.
Non, nous ne voulons pas vivre, nos enfants ne vivront pas, sous la férule de ce trust mondial qui a fait d'Israël le fer de lance de sa pénétration économique au Moyen-Orient. En d'autres termes, c'est le régime sioniste que nous visons, non les juifs de Palestine. C'est dans leur intérêt tout autant que dans le nôtre que nous voulons créer une Palestine démocratique, libérée de la mainmise impérialiste, et dans laquelle musulmans, chrétiens et juifs vivront sur un pied d'égalité.
Croyez-vous que l'opinion mondiale vous suivra sur la voie qui conduit à la destruction de l'Etat d'Israël ? D'ailleurs, toutes les grandes puissances sont d'accord pour assurer sa sécurité et son avenir.
Nous le savons. Mais notre action révolutionnaire les amènera à changer d'avis. L'attitude de l'URSS, nous semble-t-il, commence à évoluer en notre faveur. Les réalités commencent à l'emporter sur les vœux pieux." (...)
L'ORATEUR - Henri Pierre dans Le Monde du 15 novembre 1974
Arafat à la tribune de l'Assemblée générale de l'ONU le 13 novembre 1974.
Jamais la cause de la Palestine n'avait été présentée aussi complètement devant le public américain, et avec une éloquence tranchant sensiblement sur la retenue et le détachement compassé qui caractérisent les discours devant l'aréopage international. M. Arafat a tenu un langage imagé, celui d'un tribun populaire, ou plutôt d'un conteur arabe ; son discours était plein de fleurs de rhétorique, d'images poétiques, ponctué par des mimiques et des gestes de mains.
Le grand public américain a sûrement pris davantage conscience d'un problème dont il n'avait jusqu'alors qu'une faible connaissance. Sur ce terrain, le leader de l'OLP a atteint son objectif : ramener au centre de l'attention générale le problème palestinien, jusqu'à présent ignoré ou considéré comme un simple problème de réfugiés.
En quelques heures également, il s'est assuré une respectabilité internationale, confirmée dans la soirée par son apparition à une grande réception offerte par l'ambassadeur d'Egypte ; les représentants des Etats-Unis ne répondirent pas à l'invitation, mais on nota, en revanche, la cordiale poignée de main et les propos aimables échangés entre le leader palestinien et M. de Guiringaud, représentant de la France aux Nations unies. Les vétérans de l'Organisation ne pouvaient s'empêcher d'évoquer l'époque où, l'Algérie étant considérée comme un département français, aucun membre de la délégation française n'aurait songé à serrer la main d'un "terroriste" du FLN.
Il est vrai que M. Yasser Arafat n'a pas tenu un langage de violence ; Il avait laissé son "arme au vestiaire", littéralement parlant. Lorsque, les deux mains au-dessus de la tête comme un champion de boxe, il salua l'Assemblée qui, debout, lui faisait une ovation, l'étui de son revolver apparaissait, mais il était vide... Certes, le leader palestinien est fidèle à son image. Il portait très long le keffieh à carreaux blancs et noirs, le blouson ouvert sur une chemise brune, sans cravate. Mais il s'était rasé, et il déposa ses fameuses lunettes noires sur le pupitre de la tribune. En revanche, en bon chef révolutionnaire, il dédaigna le fauteuil d'apparat que lui avait réservé (abusivement selon beaucoup de délégués, qui rappelaient que le fauteuil n'est accordé qu'aux chefs d'Etat) M. Bouteflika.
Quant à son discours, il n'apporta rien de fondamentalement nouveau sur le fond. M. Yasser Arafat a répété que l'objectif de l'OLP était de créer un Etat palestinien démocratique et laïque. "Pourquoi ne pas rêver et espérer, a-t-il dit, que je reviendrai un jour d'exil avec mon peuple, pour vivre dans l'égalité, la fraternité et la justice avec nos frères chrétiens, juifs et musulmans ?" Il évoqua Washington, Lincoln et Wilson pour demander l'appui des Américains qui, eux aussi dans leur histoire, furent des terroristes... Il invita les juifs à se détourner du sionisme, à sortir de leur "isolement moral", pour travailler à la création d'une Palestine libre et démocratique.
Mais, en dehors du ton généralement conciliant, des appels à "l'homme juif", de la distinction qu'il fit entre le judaïsme et le "sionisme impérialiste et raciste", le discours de M. Yasser Arafat ne contenait rien qui permette d'entrevoir un compromis, notamment sur la question essentielle de la reconnaissance du droit à l'existence d'Israël, toujours assimilé à un ennemi, à un "envahisseur" (...).
LE CATALYSEUR - Edouard Saab dans Le Monde du 15 novembre 1974
Portrait
Grand, brun, le teint blême, le regard à la fois aigu et doux, une large bouche ourlée de lèvres gourmandes, toujours entrouvertes sur des dents éclatantes, l'allure débonnaire, le leader de l'OLP n'évoque guère, pour qui le rencontre, le redoutable guérillero que d'aucuns imaginent derrière ses perpétuelles lunettes noires, qui accentuent l'aspect peu engageant d'une barbe de plusieurs jours. Quant à sa tenue d'aspect martial - keffieh noir et blanc des fedayins, tunique Mao kaki, revolver à la hanche, bottines de crêpe, - elle contribue, dit-on dans son entourage, à lui donner une "prestance révolutionnaire", et, ajoutent certains, "l'aide à vaincre une certaine timidité". (...)
Il n'a rien de son bruyant prédécesseur -à la tête de l'OLP, Ahmed Choukeiri-. Piètre orateur, il déteste les envolées théâtrales et se montre en toute circonstance discret, pondéré, pragmatique. On le prend un moment pour un guérillero de salon, inoffensif, en quête d'un rôle qui lui permette de sortir de la clandestinité du maquis pour siéger autour d'une table de conférence. Or il se révèle une tête politique à l'occasion de la guerre civile jordano-palestinienne de 1970. Son autorité était alors contestée, et par les organisations palestiniennes rivales qui l'accablaient pour ses prises de position attentistes et sa "complaisance" envers les régimes arables de droite, et par les gouvernements "frères", qui lui reprochaient de se laisser déborder par les groupuscules extrémistes, à tel point que ceux-ci avaient engagé, malgré lui, l'épreuve de force contre l'armée de Hussein. Pour toute réponse, M. Arafat s'est employé à "tirer sa force de sa faiblesse", selon le dicton arabe.
Tout en reconnaissant les abus dont les organisations rivales du Fath s'étaient rendues responsables, il prend quand même fait et cause pour ces dernières mais s'impose à la fois aux gouvernements arabes comme l'interlocuteur le plus valable, parce que le plus pondéré et le moins démagogue. Il ne se réclame pas, en fait du marxisme-léninisme : c'est un musulman pratiquant et sobre, qui jeûne tout le mois du ramadan. Dans l'épreuve du "septembre noir" de 1970, il est apparu comme une sorte de catalyseur de tous les courants politiques et idéologiques qui animaient la révolution palestinienne.
Son habileté a toujours été de jouer les gouvernements arabes les uns contre les autres, sans jamais s'inféoder à l'un d'eux, au risque de se voir privé pour un temps des subsides indispensables à la guérilla.
S'il a su, pour le plus grand profit de la cause de l'OLP, exploiter les contradictions inter-arabes, tout en prêchant, et avec quelle ferveur, "l'unité des rangs face à l'ennemi commun, Israël", M. Arafat n'a jamais accepté de cautionner une action disciplinaire destinée à mettre de l'ordre au sein de la résistance. Non qu'il refuse, comme il dit, d'endosser l'impopularité, mais il estime qu'une "cassure" de la résistance serait plus grave par rapport aux objectifs stratégiques de celle-ci que les conséquences d'une faute dont se rendrait coupable un groupuscule égaré, "ou qui veut faire parler de lui".
Cette faiblesse calculée lui fut souvent reprochée ; elle l'a en fait aidé à neutraliser un certain nombre de ses détracteurs. En fin de compte, si contesté soit-il par la frange "extrémiste" de la résistance, il s'est révélé progressivement comme le leader le plus qualifié pour défendre la cause des Palestiniens.
LE "VIEUX" - Françoise Chipaux dans Le Monde du 11 septembre 1993
La bataille décisive de Yasser Arafat.
Le "Vieux" est devenu un symbole. Mais il prend aujourd'hui la décision la plus risquée de sa vie. Une fois encore, le "Vieux", comme l'appellent familièrement ses compagnons, a surpris tout le monde. Les ors de la salle de conférence de Madrid où s'étaient solennellement ouvertes, il y a deux ans, les négociations de paix, Yasser Arafat avait dû les regarder à la télévision marocaine. Nombreux alors étaient ceux qui le vouaient aux oubliettes de l'Histoire.
Tous les regards étaient tournés vers ces Palestiniens de l'intérieur, ces "gens raisonnables et seuls concernés" avec lesquels Israël acceptait de parler. Mis sur pied par une Amérique triomphante au lendemain de la guerre du Golfe, le processus de paix n'était-il pas une manière d'écarter, à la plus grande satisfaction de tous, une OLP qui avait choisi le camp du vaincu ?
C'était sans compter sur les prodigieuses capacités de ce vieux renard de la politique de retourner les situations les plus désespérées. Qui eût pu croire alors qu'Israël, l'ennemi de toujours, pour lequel il n'était qu'un "terroriste", en viendrait, deux ans après, à accepter l'inexorable : il n'y avait pas de solution sans lui. Il avait la haute main sur la délégation palestinienne, et ne manquait pas de rappeler à ses membres : "Qui vous a fait roi ?" Il n'a donc pas hésité, le moment venu, à lui faire faire de la figuration quand ses proches négociaient dans le plus grand secret.
Pour ce militant de toujours, qui n'a pas passé plus de cinq ans de sa vie en "Palestine", pouvoir peut-être y mettre bientôt le pied est plus qu'un rêve, une revanche sur l'injustice d'une Histoire qu'il a faite sienne très tôt. (...)
C'est pour s'être longtemps dit marié à la "révolution" que son mariage, en 1992, avec Souha Tawil, de trente ans sa cadette, jettera sur le "Vieux" une ombre persistante parmi la population palestinienne. Le mythe est égratigné. Car plus qu'un chef, Yasser Arafat est devenu pour tous, au-delà des critiques de plus en plus nombreuses et acerbes, le symbole de la Palestine.
Au fil des années, n'a-t-il pas confondu la cause et sa personne ? Beaucoup en sont convaincus, même autour de lui, qui dénoncent sa manière de plus en plus autocratique de gouverner et sa faiblesse coupable devant des courtisans très éloignés de la base.
L'homme, c'est clair, n'aime pas la critique et a la colère facile. Depuis la mort d'Abou Iyad et d'Abou Jihad, ses vieux compagnons de lutte, nul n'a plus guère de prise sur lui. Il a tout fait pour cela. Il est indispensable. L'angoisse ressentie par tous, lors de son accident d'avion, au mois d'avril 1992, en Libye, en fut le révélateur.
Brusquement, c'était la Palestine qui paraissait engloutie dans les sables du désert tant il est vrai que nul ne jouit de son aura et n'a la capacité d'imposer une décision contre vents et marées. Celle d'aujourd'hui est sans doute la plus risquée de sa vie et il lui faudra plus que de l'habileté pour la faire accepter.
Les contacts avec Israël ? Depuis longtemps, Yasser Arafat les souhaitait et encourageait en sous-main ses proches à en prendre, convaincu qu'il était, depuis 1974, du caractère inéluctable de l'existence de l'Etat juif. L'un des premiers à se risquer à ce jeu, Issam Sartaoui -conseiller politique de Yasser Arafat-, le paiera de sa vie, assassiné par les hommes d'Abou Nidal -terroriste dissident de l'OLP-, le 10 avril 1983, au Portugal. Dix ans plus tard, la reconnaissance paraît d'autant plus chèrement payée qu'elle est davantage imposée par les circonstances que librement consentie.
Dans cette partie de poker inégale, Yasser Arafat n'a pas en main les cartes maîtresses. Lui qui s'est toujours sorti de toutes les situations paraît d'autant plus vulnérable qu'aujourd'hui "son" peuple hésite. Tacticien plus que stratège, saura-t-il triompher des pièges que ne manqueront pas de lui tendre ses adversaires de tous bords ? Son légitime désir de prendre pied en Palestine ne risque-t-il pas de se retourner contre lui ? En ce moment crucial, le malaise, qui confine à la crise de confiance au sein de l'OLP, ne met-il pas en doute le combat de cet homme qui n'a pas livré le plus gros de ses secrets ?
LE "CHEF DE VILLAGE" - Jean-Pierre Langellier dans Le Monde du 13 septembre 1994
Yasser Arafat à l'épreuve de Gaza.
Nul n'est prophète en son pays. Le vieux proverbe tourmente-t-il Yasser Arafat ? Depuis son retour d'exil le 1er juillet, depuis ce jour où il a choisi d'inscrire son destin dans les limites du réel, "entrant en géographie" par crainte d'être une fois pour toutes chassé de l'Histoire, le chef de l'OLP a bien du mal à incarner son propre mythe.
Comment pourrait-il en être autrement ? Pendant un quart de siècle, le leader palestinien, adulé ou haï, eut le monde pour théâtre de ses chimères. Gaza, où il a enfin élu domicile, est un rivage trop étriqué pour préserver sa légende. Ce territoire minuscule et surpeuplé ne forme, avec Jéricho, qu'un "fœtus d'Etat", un "noyau de patrimoine" dont Yasser Arafat, en cette période d'autonomie, n'est qu'un locataire sous étroite surveillance. La Palestine lui reste une "terre promise".
Longtemps hanté par l'infortune du grand mufti de Jérusalem, dont l'entêtement aveugle avait contribué à la défaite palestinienne de 1948, Yasser Arafat ne voulait pas mourir, comme lui, en exil. Cette inquiétude personnelle joua son rôle dans le renoncement à l'objectif sacré de la "reconquête" sur les décombres de l'Etat juif, dans l'abandon des rêves et la conversion au réalisme. Qui lui reprochera d'avoir, il y a un an, tourné le dos à l'intransigeance suicidaire et choisi la "paix des braves" qui lui permit de retrouver sa patrie ? Mais si Yasser Arafat ne semble pas aujourd'hui à la hauteur du défi que l'Histoire lui lance, c'est d'abord parce que guerre et paix, révolution et gestion, s'accommodent mal des mêmes hommes, que les guides des mouvements de libération font rarement les meilleurs bâtisseurs d'Etat. Conduire une lutte d'émancipation nationale et construire un pays démocratique et moderne exigent des qualités différentes, et parfois contraires.
N'est pas de Gaulle qui veut, ni même, dans un autre registre, Habib Bourguiba ou Jomo Kenyatta -le premier président du Kenya indépendant en 1964-. Rien d'étonnant donc que ses disciples lui reprochent maintenant les traits de caractère qu'ils appréciaient hier au plus fort du combat : ses ruses, ses penchants autoritaires, son désir de tout contrôler, son obsession du détail, son goût et sa culture du secret. Peut-on devenir un Yasser Arafat, rassembleur et tolérant, quand on était, il y a peu, un Abou Ammar chef de guerre ombrageux et tranchant ?
Le leader de l'OLP connaît le principal danger qui le guette : être marginalisé tout en s'usant à la tâche, dilapider son prestige dans les aléas de l'intendance, rester pour longtemps l'administrateur d'un "bantoustan palestinien", le "maire de Gaza". "Je n'oublie pas, confiait-il voilà près de deux ans, que Churchill a perdu sa victoire. Peut-être que cela m'arrivera aussi." Une comparaison abusive, mais lucide.
Vivant désormais parmi son peuple, avec ses clans et ses conflits, ses espoirs et ses soucis, Yasser Arafat est contraint de se comporter comme un mukar, un chef de village traditionnel arabe, donnant audience aux notables comme aux chômeurs, écoutant les doléances et distribuant les avis. Hier un des personnages les plus "médiatisés" de cette fin de siècle, il ne se montre plus guère, officiellement pour des raisons de sécurité. (...)
L'ÉLU - Patrice Claude dans Le Monde du 23 janvier 1996
Yasser Arafat "couronné" premier président élu du Conseil de l'autonomie en Cisjordanie et à Gaza.
Le pistolet Smith et Wesson à crosse de nacre qu'il portait jadis en toute occasion à la hanche droite est enfermé depuis des mois dans le placard à souvenirs. Yasser Arafat n'a conservé de son long passé de chef de guerre que trois attributs : "Abou Ammar", son pseudonyme dans la clandestinité, l'uniforme militaire qu'il revêt en toute occasion et le ton sans réplique de l'ancien dirigeant révolutionnaire habitué à l'obéissance de ses subordonnés.
"Couronné" par le scrutin de samedi, au-delà peut-être des espérances de ses partenaires israéliens et occidentaux, à la tête de l'organe exécutif qui gérera, jusqu'en mai 1999, l'autonomie accordée en diverses enclaves par Israël, M. Arafat abandonnera-t-il une parcelle de son pouvoir aux quatre-vingt-huit membres du Conseil intérimaire nouvellement élu ? Beaucoup dépendra de ces derniers, certes, et de la manière dont ils sauront se faire entendre.
Mais, s'il choisit d'en passer par là, Yasser Arafat devra faire violence à sa nature profonde. En fait, rien ne l'y oblige. En théorie, le Conseil s'occupe exclusivement des affaires civiles de l'autonomie et le président conserve le droit de convoquer, ou pas, les sessions, de signer, ou pas, les lois votées et de prendre en compte, ou pas, les desiderata de l'Assemblée dans les négociations avec Israël.
Visionnaire et tyrannique, obstiné et oscillant, gaffeur et imprévisible, l'homme-au-keffieh s'est toujours fié, d'abord et avant tout, à son instinct. Miraculé d'une demi-douzaine de complots et d'aventures mortelles, combats au Liban, tentatives, israéliennes et autres, d'assassinat, accidents de voiture et même d'avion, etc., ce petit diable d'homme, chauve, bedonnant, colérique et théâtral, a survécu à tout. (...)
LE PRISONNIER - Gilles Paris dans Le Monde du 14 mars 2002
Yasser Arafat entre deux cages.
Beyrouth hier. Beyrouth demain ? Comme si un sortilège opiniâtre unissait, pour le pire et pour le meilleur, la capitale libanaise au "raïs" de l'Autorité palestinienne. "Beyrouth ? Si Dieu le veut", glisse ce soir-là un Yasser Arafat songeur, enfermé depuis trois mois à Ramallah, en Cisjordanie, quelques jours avant qu'Ariel Sharon, le premier ministre israélien, ne lève la sanction.
L'homme qui quitte prestement son bureau et pose devant une reproduction de l'esplanade des Mosquées (le mont du Temple pour les juifs) est plus vieux de vingt ans que celui qui échappait au siège imposé par l'armée israélienne à une ville déchirée par la guerre civile. La maigre barbe a blanchi et la silhouette est un peu plus replète, mais la détermination n'a pas été altérée par les années. Dans la nuit, non loin de son camp retranché, la canonnade retentit. Une guerre se poursuit. Mardi 12 mars, les chars de Tsahal quadrillaient la quasi-totalité de Ramallah. Lui patiente, et compte bien pouvoir triompher d'un autre siège et de la même armée pour revenir à Beyrouth et assister en vainqueur au sommet de la Ligue arabe qui s'y tiendra à la fin du mois de mars.
Début février, le premier ministre israélien, Ariel Sharon, qui avait engagé son pays dans cette aventure libanaise, avouait regretter de ne pas l'avoir "liquidé" à l'époque. Magnanime, le miraculé avait presque aussitôt répondu à des journalistes israéliens qu'il "pardonnait" à l'impudent. Puis il s'était adressé directement à lui pour l'inviter à revenir à la table des négociations et pour lui rappeler sardoniquement "le bon vieux temps" des palabres, en 1997, lorsqu'il avait conclu avec lui et Benyamin Nétanyahou, dont il était le ministre, un accord resté lettre morte. "Arafat a un rapport au temps qui défie l'entendement, glisse un diplomate européen. Il agit toujours comme s'il n'avait aucune limite, comme s'il avait l'éternité devant lui. Comme s'il n'avait pas déjà dépassé 72 ans." "Il a toujours été croyant mais je crois qu'il a changé après l'accident d'avion dont il avait réchappé en Libye. Depuis, il est convaincu d'avoir une destinée un peu à part", assure un proche.
"Arafat : revient toujours de loin." Dans le dictionnaire des idées reçues du Proche-Orient, son article n'a toujours pas à être réactualisé. En décembre 2001, le chef de l'Autorité se trouve pourtant dans la pire passe jamais traversée depuis le début du processus de paix, en 1993. Son enfermement à Ramallah, décrété par le gouvernement israélien après des attentats sanglants perpétrés par le Mouvement de la résistance islamique (Hamas), est présenté par la presse israélienne comme la probable fin politique de celui dont le ministre israélien de la défense, Benyamin Ben Eliezer, assure alors que son rôle historique est "achevé". En janvier, après l'affaire du Karine-A, ce navire chargé d'armes de contrebande arraisonné par les Israéliens et dont l'Autorité palestinienne ne parvient pas à se dépêtrer, la Mouqata'a, ce quartier général sans grâce hérité de l'administration militaire israélienne, apparaît comme un mausolée en puissance, où le repos du vieux "raïs" est à peine troublé par les visites et par les rugissements des blindés israéliens. Aujourd'hui autorisé à se déplacer entre Gaza et la Cisjordanie, M. Arafat peut, selon l'expression du directeur de cabinet de M. Sharon, Ouri Chani, "passer d'une cage à l'autre".
Cette réclusion conclut une année noire. Perçu comme celui qui a refusé les propositions "généreuses" des Israéliens à Camp David puis à Taba, même si la réalité est autrement plus complexe, incapable de maîtriser l'Intifada, M. Arafat a pu constater enfin qu'à Washington la nouvelle administration républicaine lui est résolument hostile. Pendant de longues semaines, M. Sharon pousse méthodiquement son avantage contre l'Autorité palestinienne qualifiée d'"entité soutenant le terrorisme", puis contre son chef jugé en hébreu "irrelevanti" ("hors jeu"), immobilisé et humilié. Mais M. Sharon ne peut aller jusqu'au bout, se débarrasser de son vieil ennemi. Les Etats-Unis s'y opposent et son effort faiblit, comme un pendule en bout de course. (...)
                               
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