Point d'information Palestine N° 253 du 11/03/2005
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Au sommaire
                    
Rendez-vous
- Soirée Palestine à La Roque d'Anthéron (Bouches-du-Rhône) le vendredi 18 mars 2005 à 20h00
                        
Dernières parutions
1. Rester sur la montagne de Mustafa Bargouthi aux éditions La Fabrique à paraître le 15 mars 2005
2. Si vous détruisez nos maisons vous ne détruirez pas nos âmes de Daniel Vanhove (Préface de Ilan Halevi) accompagné d'un DVD du film "Au bord de la mort, nous cultivons l'espoir" (55 minutes) aux Edition Oser Dire
3. Contre-Croisade - Origines et Conséquences du 11 Septembre de Mahmoud Ould Mohamedou aux éditions de L'Harmattan - suivi d'un extrait
                                        
Réseau
1. L'attaire Ménargues : un constat accablant pour la liberté d'expression par Philippe Bilger (2004)
2. Israël, au cœur du secret par Hichem Ben Yaïche (9 mars 2005)
3. Gaza Beach par Istico Battistoni (3 mars 2005)
4. Palestine : un avenir lourd de menaces (19 janvier 2005)
5. Quelques remarques sur la violence, la démocratie et l’espoir par Jean Bricmont (20 février 2005)
                          
Revue de presse
1. Comment Israël a orchestré la colonisation "sauvage" par Patrick Saint-Paul in Le Figaro du jeudi 10 mars 2005
2. Traiter avec les terroristes ? Ce qui compte le plus est la vie humaine par Giulio Andreotti on Aprile (quotidien online italien) du jeudi 10 mars 2005
3. Bush tance la Syrie par Jean-Christophe Ploquin in La Croix du mercredi 9 mars 2005
4. Le triangle libanais par Richard Labévière on Radio France Internationale du mercredi 9 mars 2005
5. La préparation de la "révolution des cèdres" - Les plans de l'US Committee for a Free Lebanon in Voltaire du mardi 8 mars 2005
6. Réponse aux chantres de la normalisation avec Israël par Hannibal Barca on TUNeZINE (e-magazine tunisien hébergé à Paris) du lundi 7 mars 2005
7. Il suffit de lire le journal par Danny Rubinstein in Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 7 mars 2005
8. Israël, l’antisionisme et l’antisémitisme par Avi Shlaim in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 6 mars 2005
9. L’occupation, ça suffit. Mais seulement au Liban par Zvi Barel in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 6 mars 2005
10. Le maire de Londres qualifie Ariel Sharon de "criminel de guerre" Dépêche de l'agence Associated Press du vendredi 4 mars 2005, 12h50 
11. Vincent-Mansour Monteil, un maître de l'Ecole française d'islamologie par Malek Chebel in Le Monde du vendredi 4 mars 2005
12. Pas l’Etat, mais la libération par Amira Hass in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 2 mars 2005
13. Il tirera et ne pleurera pas par Gideon Lévy in Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 28 février 2005
14. Etats-Unis, de l'eau dans leur bourbon par Pascal Boniface in Libération du lundi 28 février 2005
15. Le Jérusalem de Sirine Husseini Shahid par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du samedi 26 février 2005
16. Pour les religieux de "Neturei Karta", l’État d’Israël est contraire à la Torah - "Juifs et arabes peuvent vivre ensemble", assurent des rabbins ultraorthodoxes à Beyrouth in L'Orient - Le Jour (quotidien libanais) du jeudi 24 février 2005
17. Le bercail de Bush par Luciana Castellina in Il Manifesto (quotidien italien) du mardi 22 février 2005
18. Stratégies en Palestine : un château croulant en Espagne, des plans sur la comète par Michael Neumann on CounterPunch (e-magazine étasunien) du lundi 21 février 2005
19. Le remodelage du Moyen-Orient par Béchir Ben Yahmed in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 20 février 2005
20. Un sioniste de la variété peccamineuse par Meron Benvenisti in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 10 février 2005
21. Sans justice, il n’y aura pas de paix au Moyen-Orient par Robert Fisk in The Independant (quotidien britannique) du mercredi 9 février 2005
22. La Turquie et son jeu de triangulation régionale par Philip Robins in The Daily Star (quotdien libanais) du jeudi 13 janvier 2005
23. Le drame palestinien - La responsabilité de l’Occident par Roland Laffitte in Témoignage Chrétien du samedi 11 mai 1991
                                                           
Rendez-vous
                           
- Soirée Palestine à La Roque d'Anthéron (Bouches-du-Rhône)
le vendredi 18 mars 2005 à 20h00
[Maison des associations (au-dessus de l'Office du tourisme) - Cours Foch - 13640 La Roque d'Anthéron - Renseignements : jb.fichant@free.fr]
L'association "Pour une action citoyenne" organise une soirée consacrée à la Palestine, avec la projection du film "Gens de Yanoun", suivie de témoignages et d'un débat en présence de Myriam Khelfi, membre de l'association Palestine 13. 
- Gens de Yanoun un film documentaire de Catherine Shammas et Jean-Claude Perron [2003 - 47 mn - Disponible en cassette VHS PAL]
Depuis 1997, les colons d'Itamar multiplient les agressions violentes contre les habitants de Yanoun, village palestinien de 150 habitants.
Après une attaque meurtrière des colons, les derniers habitants quittent le village le 18 octobre 2002.
Deux jours après, des pacifistes israéliens, accompagnés de pacifistes internationaux, proposent aux habitants de Yanoun de retourner au village et d'assurer une présence permanente à leurs côtés. Le film, tourné à Yanoun en 2003, donne la parole aux femmes et aux hommes qui vivent dans ce village. Il dévoile une réalité quotidienne ravagée par la férocité rampante de la progression coloniale.
(Réalisation : Jean-Claude Perron - Entretiens : Catherine Shammas - Traduction : Näjma Micheline Shammas - Croquis : Anne-Leïla Ollivier - Produit par Artis avec le soutien de la Campagne Civile internationale pour la protection du Peuple Palestinien (CCIPPP) www.protection-palestine.org et de l'AFPS.]
"Le film remplace tous les discours, les débats, les interrogations. Il en ressort une chronique sobre mais émouvante et révoltante où la peur, l'angoisse et l'injustice sont omniprésentes chez ces quelques familles qui tentent de survivre. Toujours dignes et sans haine, ces Palestiniens ne demandent qu'à vivre de leur terre. Résister en allant à l'école, à l'université pour les plus jeunes. Résister par l'art en dessinant, en peignant, en chantant. Résister pour témoigner..." JC Honnoré, in Le Dauphiné Libéré du 6 février 2004. [Vous pouvez vous procurer un exemplaire de cette vidéo auprès de : ARTIS - 2, Boulevard Gambetta - 07200 Aubenas - au prix de 20,00 euros / port inclus - Chèque à l'ordre de ARTIS.]
                                      
Dernières parutions

                            
à paraître le 15 mars 2005
1. Rester sur la montagne de Mustafa Bargouthi
aux éditions La Fabrique
[96 pages - 12 euros - ISBN : 2913372457]
Ce livre est la transcription d'une série d'entretiens menés à Ramallah en octobre 2004. C'est à la fois le récit d'un parcours personnel, une analyse de la situation actuelle en Palestine et une série de propositions pour y faire face. Barghouti raconte en détail son expérience de négociateur à Madrid, et comment les accords d'Oslo, signés par une direction coupée du peuple, sont venus réduire à néant les espoirs d'une paix dans la justice. Il explique pourquoi la lutte contre l'occupation de la Palestine et la lutte pour la démocratie à l'intérieur du mouvement national sont inséparables. Partisan depuis toujours d'une résistance populaire non-violente, il ironise sur ceux qui viennent lui parler de Gandhi, à lui dont l'homme serait plutôt Gramsci.
Une lutte menée sur deux fronts - contre l'occupation et contre la bourgeoisie palestinienne parasitaire et collaboratrice -, une résistance non armée menée par la société civile, un souci de protéger et d'aider un peuple opprimé en menant de front les activités sociales et le mouvement politique, tels sont les principes défendus par Mustafa Barghouti dans ce livre. Ce sont les propos d'un homme libre, indépendant tant de l'Autorité palestinienne que du Hamas et des partis "d'opposition", dont il explique que, touchant de l'argent de l'Autorité, ils lui sont soumis de fait. Un livre passionnant qui donne une nouvelle vision de la résistance palestinienne à venir.
Mustafa Barghouti est médecin. Il dirige à Ramallah le Health, Development, Information and Policy Institut. En 2002, il a fondé Al-Mudabara, la " Nouvelle Initiative palestinienne ", avec deux grandes figures de la Palestine, Edward Said et Haider Abdel-Shafi.
Eric Hazan est éditeur. Il a publié "L'Invention de Paris" (2001) et "Chronique de la guerre civile" (2003).
                       
2. Si vous détruisez nos maisons vous ne détruirez pas nos âmes de Daniel Vanhove (Préface de Ilan Halevi)
accompagné d'un DVD du film "Au bord de la mort, nous cultivons l'espoir" (55 minutes)
aux Edition Oser Dire
[336 pages - 25 euros - ISBN : 2919937006]
Au travers d’une chronique forte et émouvante, Daniel Vanhove retrace dans le détail, les huit Missions d'observateurs civils belges qu’il a encadrées et accompagnées pour l’ABP (Association belgo-palestinienne), de novembre 2001 jusqu’en juillet 2002, terminant par un épilogue amer au retour des deux dernières Missions d'avril 2004.
Son témoignage, centré sur les conséquences effroyables du conflit sur les populations civiles palestiniennes et israéliennes, donne la parole à un grand nombre d'acteurs du terrain. Il relate le travail de soutien et de solidarité auprès du peuple palestinien, des délégations civiles confrontées sur place à la dégradation continue des conditions de vie des populations de la région. Il souligne sans ménagement, le manque de volonté politique des gouvernements occidentaux dans cette injustice flagrante faite à tout un peuple, depuis des décennies.
Particularité de l’ouvrage : un DVD intitulé "Au bord de la mort, nous cultivons l'espoir" y est joint. Ce documentaire relate la Mission d'avril 2002 qui a parcouru le pays en même temps que s'organisait l'opération « Rempart » menée par le gouvernement Sharon, et permet de prendre conscience du travail indispensable effectué par les volontaires civils, aux côtés des populations terrorisées par une brutale occupation armée.
Né en 1952, Daniel Vanhove a une formation en psycho-pédagogie. Par ailleurs, il est bénévole à l’ABP (Association Belgo-Palestinienne) de Bruxelles, où il participe à la formation des candidats et à la coordination des Missions Civiles d’Observation en Palestine. Il a encadré une trentaine de Missions et en a accompagné huit sur le terrain, entre Novembre 2001 et Avril 2004. Au fil de ses voyages dans la région, l’urgence s’est manifestée de témoigner de l’insoutenable réalité de ce qu’il a vu et entendu, au coeur des hommes et des femmes obligés de survivre à l’enfer quotidien dans lequel l’occupant tente de les anéantir.
Au bord de la mort, nous cultivons l’espoir (Mahmoud Darwich)
Tourné en 2002 lors d’une Mission civile belge, ce sont 55 minutes de témoignages accablants sur la séquestration des Palestiniens depuis 50 ans dans des camps de réfugiés. Une démonstration de l’arrogance des Israéliens implantés dans des colonies en pleine expansion.
Ce film dénonce une violence majeure : le silence de la Communauté internationale, de l’Europe et des Nations Unies.
                                     
3. Contre-Croisade - Origines et Conséquences du 11 Septembre de Mahmoud Ould Mohamedou
aux éditions de L'Harmattan
[186 pages - 17 euros - ISBN : 2747569748]

Les attaques contre les Etats-Unis ont changé l'ordre international. Mais que sait-on réellement de ces opérations ? Se penchant sur le film des événements, et retraçant les préparatifs de l'opération qui a mené aux attentats, cet ouvrage développe l'idée que le 11 septembre constitue le prix de l'injustice de la politique des Etats-Unis à l'égard du monde arabe, et d'une inimitié historique entre Orient et Occident. Investigation, contribution de politologue et essai polémique, ce livre a pour objectif d'identifier la nature réelle du différend révélé par les événements du 11 septembre.
Arabe d’origine mauritanienne, Mahmoud Ould Mohamedou est directeur adjoint du programme de politique humanitaire et de recherches sur les conflits de la prestigieuse université de Harvard.
- EXTRAIT DU LIVRE :
Sommes-nous réellement en présence d’une guerre de religions ? Contrairement à ce que continue à penser un grand nombre d’historiens, il s’agit à l’évidence d’un conflit de civilisations, et cela pour au moins trois raisons. Premièrement, le différent est perçu comme tel par les partis — et la perception, on le sait, constitue (à tort) l’essentiel des facteurs de motivation. Selon le vice-sous-secrétaire à la défense américaine lui-même, le lieutenant-général William Boykin, le conflit est une guerre de religions[1].
    Deuxièmement, les données géopolitiques et, à nouveau, le comportement des acteurs eux-mêmes confirment cette dimension. Ainsi, par exemple, l’alliance stratégique entre les États-Unis et l’Arabie Saoudite, vieille de quatre-vingt ans, s’effritera en quelques semaines durant l’automne 2001. Il faudra attendre moins de quelques mois pour que les Américains en arrivent à reconsidérer leur amitié avec les Saoudiens.
    Début juillet 2002, Laurent Murawiec, un analyste à la Rand Corporation, le centre de recherches affilié au gouvernement américain basé en Californie et qui fonctionne comme tête pensante des services de renseignements, rédige un mémorandum dans lequel il décrit, sans ambages, l’Arabie Saoudite comme étant un ennemi des États-Unis. Recommandant qu’un ultimatum soit donné aux Saoudiens de mettre fin à leur soutien au terrorisme, Murawiec (un ancien consultant du ministère de la défense français) écrit : « Les Saoudiens sont à l’œuvre à tous les niveaux de la chaîne de la terreur, des planificateurs aux financiers, de l’encadrement aux exécutants, des idéologues aux propagandistes […] L’Arabie Saoudite soutient nos ennemis et attaque nos alliés […] C’est le fond du mal, le principal intriguant, l’adversaire le plus dangereux »[2]. À l’initiative de Richard Perle, le document en question est présenté le 10 juillet au Comité de conseil politique (Defense Policy Board) — qui compte parmi ses membres l’ancien secrétaire d’état Henry Kissinger, l’ex-vice-président Dan Quayle et les anciens porte-parole de la Chambre des représentants New Gingrich et Thomas Foley.
    Murawiec propose que les États-Unis exigent des Saoudiens qu’ils mettent fin à leur financement des réseaux islamistes, cessent leurs déclarations anti-américaines et anti-israéliennes et procèdent à l’arrestation de tous ceux soupçonnés d’activités terroristes. Si les Saoudiens refusent d’obtempérer, le consultant français suggère de viser leurs champs pétrolifères ainsi que les avoirs financiers de la famille Saoud à l’étranger et de menacer implicitement d’occuper les lieux saints[3]. La présentation, composée de vingt-quatre tableaux, conclut que dans la nouvelle « Grande Stratégie pour le Moyen-Orient : l’Irak est le pivot tactique, l’Arabie Saoudite le pivot stratégique et l’Egypte, la récompense »[4]. Quelques mois plus tard, en avril 2003, un major-général israélien, Yaakov Amidror, fait, sous les auspices du Jerusalem Center for Public Affairs, écho à cet appel : « l’Irak n’est pas l’objectif absolu. L’objectif ultime est le Moyen-Orient, le monde arabe et le monde musulman. L’Irak ne sera que le premier pas dans cette direction ; remporter la guerre contre le terrorisme signifie modifier la région entière de manière structurelle ».
    À titre de rappel, l’Arabie Saoudite était, avec Israël et un demi-siècle durant, l’un des deux piliers de la politique étrangère américaine. Quelques temps après la présentation de Murawiec, un autre ancien analyste de la Rand Corporation publie un article au terme duquel il conclut que « les États-Unis ne peuvent compter sur la coopération de Riyad dans leurs efforts pour détruire le réseau international de financement des terroristes […] Washington doit adopter des méthodes unilatérales, sans se soucier des sensibilités saoudiennes […] Nous devons être agressifs — et cela veut dire que le conflit avec les Saoudiens est inévitable »[5]. (Les tensions entre les deux pays allaient, en réalité, devenir inévitables lorsqu’en 1990 la famille régnante des Saoud avait, en dépit d’une forte opposition populaire et sans preuves réelles, invité les Américains à déployer leur armée dans le royaume afin de se prévenir d’une invasion irakienne.)
    Le choc culturel est, troisièmement, une réalité indéniable au vu du fait que les relations entre l’Occident et le monde islamique ont historiquement toujours été conflictuelles, au point que l’on peut, sans emphase, parler d’antinomie civilisationnelle. Les différences existent, elles sont légion et, de plus en plus, celles-ci sont reconnues publiquement, de part et d’autre. Aussi, le problème se résume simplement au fait que l’Occident est la civilisation qui a le plus systématiquement cherché à dominer le monde, et la civilisation arabo-musulmane représente dans ce domaine son challenger le plus persistant.
    La réaction de l’Occident aux attaques du 11 septembre 2001 suffit en elle-même à démontrer qu’il s’agit bien d’un conflit civilisationnel. Celle-ci prend d’abord la forme d’une recrudescence d’opinions haineuses à l’égard de l’islam et la prolifération de textes anti-Arabes, comme le démontre l’ouvrage de la journaliste italienne Orianna Fallaci qui a trouvé et trouve aujourd’hui en Europe et aux États-Unis d’innombrables relais et lecteurs sympathiques à ses thèses racistes. Fallaci appelle, de fait, au soupçon général contre les immigrés arabes et musulmans en Occident : « Et les fils d’Allah que nous accueillons, sont-ils tous des petits saints ? N’ont-ils rien à voir avec ce qui s’est passé et se passe ? »[6]. Son sermon, il faut le constater, trouve preneur et d’aucuns pensent qu’elle fait preuve d’un véritable courage politique[7]. Combien de lecteurs du best-seller mondial de Fallaci partagent-ils ces propos belliqueux qu’elle adresse aux musulmans : « Maintenant je vous dis : Guerre vous avez voulue, guerre vous voulez ? D’accord. En ce qui me concerne, que ce soit.  Jusqu’au dernier soupir »[8].
    Faisant écho à Fallaci, dans un entretien au quotidien espagnol El Pais, le sociologue italien Giovanni Sartori, l’un des maîtres à penser de la gauche libérale européenne, professeur à l’université Columbia à New York et à l’université de Florence, déclare que la présence de populations immigrées en Europe qui ne veulent pas s’intégrer constitue une menace pour le pluralisme et la démocratie[9]. « En ce qui concerne l’argument que la civilisation occidentale et l’islam sont fondamentalement incompatible, je pense que cela est vrai et je suis prêt à le défendre », ajoute-t-il.
    Aux États-Unis, le télévangéliste américain Jerry Falwell, un des dirigeants de la Convention baptiste du sud, qualifie, le 6 octobre 2002 sur la chaîne CBS, le prophète Mohammed de « terroriste ». Son confrère, le pasteur Jerry Vines, renchérit traitant l’homme saint de l’islam de « possédé du démon ». En France, c’est l’écrivain Michel Houellebecq qui, quelques jours avant les attaques du 11 septembre, exprime publiquement son hostilité gratuite à la religion musulmane. À la question « Pour l’islam, ce n’est plus du mépris que vous exprimez, mais de la haine ? », le titulaire du prix Goncourt 2000 répond « Oui, oui, on peut parler de haine ». Et d’ajouter, « la religion la plus con, c’est quand même l’islam […] L’islam est une religion dangereuse, et ce depuis son apparition. Heureusement, il est condamné »[10]. On laissera à un officiel israélien le soin de résumer la perception ambiante et dire les choses telles qu’il les souhaite :
"l’islam est en voie de disparition. Ce à quoi nous assistons présentement dans le monde musulman n’est pas une montée en puissance de la foi, mais les derniers rougeoiements des braises de l’islam. […] Dans quelques années, on lancera contre l’islam une croisade chrétienne qui sera le grand événement de ce millénaire. De toute évidence, nous aurons un vrai problème quand il n’y aura plus que deux grandes religions, le judaïsme et le christianisme, mais nous avons le temps de voir venir[11]."
Tabou de tous les tabous, le racisme ne l’est plus. En Occident, c’est à la libération de la parole raciste à l’égard des Arabes et des musulmans que l’on assiste brusquement à partir de l’automne 2001. Désormais, les campagnes antiracistes irritent, voire génèrent invectives et racisme en retour. Le sentiment touche toutes les couches de la société occidentale, y compris les jeunes qui, traditionnellement,  échappent à ces travers. En France, par exemple, un nombre croissant d’adolescents et de jeunes adultes expriment leur rejet de l’étranger, et leur haine des Arabes en particulier[12].  À celle-ci, s’ajoute un refus obstiné de comprendre que plus d’un milliard de musulmans vivent quotidiennement dans leur chaire un sentiment d’injustice nourri de frustration continue et dont le générateur identifié est l’Occident. Quand bien même, on s’évertue à qualifier les attentats éminemment politique d’antipolitique. Ironiquement, à la suite des événements du 11 septembre 2001, ceux qui condamnent « la barbarie de la violence terroriste arabe » se mettent à appeler à des représailles même si celles-ci coûteraient la vie à des innocents, faisant le lit des horreurs perpétrées en Irak.
    De fait, il est avéré qu’aujourd’hui, les victimes les plus nombreuses de l’impérialisme américain sont, quelle que soit leur race ou leur situation géographique, de religion musulmane. Ainsi, les États-Unis colonisent deux pays musulmans (l’Afghanistan et l’Irak), soutiennent activement l’occupation d’un troisième (la Palestine), en menacent ouvertement deux autres (l’Iran et la Syrie), isolent diplomatiquement deux autres (La Libye, jusqu’à ce que son leader, Mouammar el Qaddafi, se soit plié, et le Soudan) et tolèrent la répression de musulmans en Tchétchènie et au Kashmir. Peut-on, dès lors, s’étonner de la véhémence du ressentiment des militants islamistes à l’égard des Américains, partagée par plus de musulmans « modérés » qu’ils ne l’admettront ?
    La stratégie de déni des Arabes joue aussi sur un autre registre, celui de la culpabilisation de leurs intellectuels dont on attend qu’ils s’expriment principalement, voire exclusivement, sur le déficit démocratique de leur région, le danger islamiste et la nécessaire émulation des sociétés occidentales. Si le manque de démocratie dans le monde  arabe est indéniable, le conflit avec l’Occident est une question substantiellement différente du problème entre l’état et la société arabe. Il serait utile ici de revoir le bien fondé de l’argument qui veut que ce soit l’incapacité des sociétés arabes à se démocratiser qui est à l’origine du terrorisme musulman.
    Il est, en réalité, parfaitement possible de soutenir que si les vingt-deux pays arabes avaient tous été des états démocratiques, les attaques du 11 septembre auraient tout de même eu lieu, de la même façon qu’un Irak réellement démocratique ou une Arabie Saoudite libérée du joug des Saoud pourront, à l’avenir, tout aussi bien se retrouver en conflit avec les États-Unis. La raison en est que les motivations de Atta étaient, tout comme celles de Ben Laden demeurent, éminemment politiques. Celles-ci tiennent, en effet, plus des questions d’asymétrie de pouvoir que des luttes locales ou des processus de libéralisation politique. Avec le 11 septembre, c’est réellement à un phénomène de remplacement que nous avons été témoins. L’échec des régimes arabes à protéger les intérêts de leurs sociétés, combiné à leur assujettissement par les puissances occidentales, a conduit à l’entrée en scène d’acteurs non-étatiques, telle Al-Qaida, qui sont venus combler un vide de pouvoir arabe et musulman. Cette même velléité de pouvoir arabo-musulman, que l’on a tenu à étouffé dans l’œuf avec la seconde guerre du Golfe, lorsqu’en 1991 l’Irak de Saddam Hussein commençait à se donner les moyens de remettre en cause la domination régionale d’Israël et la mainmise pétrolière américaine, est aujourd’hui libérée anarchiquement.
Outre qu’il révèle, comme nous venons de le voir, l’avènement des chocs civilisationels, en quoi le 11 septembre 2001 a-t-il changé le monde ? Essentiellement en deux aspects : l’éclosion d’une forme de fascisme aux États-Unis, et l’apparition de la tentative d’imposition d’un empire américain global. Si, désormais, l’hostilité du reste de la planète à l’ambition impériale des États-Unis et le problème d’une suprématie américaine à double tranchant sont devenus le débat international central de ce début de siècle, aux États-Unis, les retombées de l’ampleur des attaques contre New York et Washington se sont immédiatement traduites par un frein apporté par le gouvernement américain aux droits fondamentaux — des étrangers arabes et musulmans, mais également des citoyens américains eux-mêmes. La poursuite agressive et aveugle de l’empire américain commence, dès lors, à faire perdre aux États-Unis leur nature démocratique, et le pays est, selon le mot du romancier Norman Mailer, en passe de devenir une « méga-république bananière » dans laquelle l’armée prend de plus en plus de place annonçant un retour du proto-fascisme que ce pays a connu dans les années cinquante[13]. Les tendances fascisantes sont déjà visibles.
Exit les droits de l’homme et l’état de droit
À la suite des attaques du 11 septembre, les autorités américaines multiplient ainsi, du jour au lendemain, les atteintes aux libertés publiques. À l’extérieur comme à l’intérieur des États-Unis, la plupart des gardes-fous législatifs qui avaient été érigés durant les années 1970 suite aux excès du FBI et de la CIA dans les années 1950 et 1960 (espionnage domestique, surveillance de citoyens, coups d’états, assassinats de leaders étrangers) sont supprimés. Le tout a lieu sans clameur publique, ni débat véritable. De fait, la tête d’Oussama Ben Laden est littéralement mise à prix par le chef de l’état américain, et, mettant fin à une ligne politique vieille de quarante ans, le président George Bush autorise la CIA à développer des opérations clandestines afin d’assassiner le président Saddam Hussein. Pour la première fois de son histoire, durant la campagne d’Afghanistan à l’automne 2001, la CIA est autorisée à déployer des missiles (de type Hellfire montés sur des véhicules). L’agence, à vocation extérieure, peut également désormais agir à l’intérieur du territoire américain, en violation de sa propre charte.
    Alors même qu’il n’existe pas de définition internationale légalement acceptée du terrorisme, le diktat de la sécurité s’impose au nom d’une « guerre globale contre le terrorisme ». Les espaces de libertés et les droits de la personne sont restreints par des lois extraordinaires que les États-Unis institutionnalisent, parfois secrètement. Ainsi, le gouvernement américain adopte une législation permettant la détention, durant une période indéfinie, des ressortissants étrangers étant sous le coup d’une menace d’expulsion. De même, en Grande-Bretagne, une mesure d’urgence autorise la détention, sans inculpation ni jugement, de ressortissants étrangers. Parallèlement, on assiste aux États-Unis à la militarisation de la justice criminelle par laquelle les droits des prisonniers sont violés, et toutes sortes d’entorses aux droits, telle l’utilisation de preuves acquises illégalement, ont lieu. Le 13 novembre 2001, le président Bush signe un ordre militaire ordonnant la création de commissions militaires spéciales afin de juger les membres d’Al-Qaida[14]. Le décret présidentiel ordonne que les immigrés (en situation régulière) soupçonnés d’activités terroristes peuvent désormais être jugés par des tribunaux militaires, sans les principes habituels de droit et de preuves et les recours civils traditionnels tels la possibilité d’appel, ou que leurs avocats puissent prendre connaissance des dossiers d’accusation. Le 7 février 2002, le président Bush décide que la Troisième Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre ne s’applique pas aux membres d’Al-Qaida. Par décret présidentiel, les individus arretés sont déclarés « combattant ennemi » et transférés en détention militaire.
    Les décisions unilatérales extrêmes prises par l’administration Bush — l’établissement de tribunaux militaires pour les étrangers, la désignation de deux citoyens américains (Yasser Essam Hamdi et José Padilla) et d’un citoyen qatari (Ali Saleh Qahlah el Merri) comme « combattant ennemis » (enemy combatant) et les déportations secrètes — l’ont été en violation de l’esprit et de la lettre de la constitution américaine[15] comme ils sont en violation du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (adopté en 1966), qui spécifie le principe de non-discrimination devant les cours, la présomption d’innocence et le droit d’appel[16].
    En l’espèce, les mesures de justice ad hoc adoptés en quelques semaines par le Département de la justice américain ont visé presque exclusivement des individus musulmans originaires du Moyen-Orient, de l’Afrique du Nord et de l’Asie du Sud. Ces mesures ont mené à l’incarcération, la déportation et l’interrogation de centaines d’individus de ces régions. Selon l’organisation américaine Human Rights Watch, les indications utilisées pour interroger, puis détenir, la très grande majorité de ces individus n’a été que celle du « profiling » sur la base de la nationalité (arabe), la religion (musulmane) et le sexe (masculin). Selon une autre organisation de droits de l’homme américaine, le Lawyers Committee for Human Rights, ces nouvelles lois et politiques sont simplement en contradiction avec l’essence même des valeurs américaines et avec les principes internationaux des droits de l’homme[17].
    Dix jours après les attentats, le directeur du FBI informe le président américain, qu’après quatre cent dix-sept entretiens, le FBI a placé trois cent trente-et-un individus sous surveillance. Puis, le Bureau se met à la recherche de quatre mille cent douze autres individus (dont quarante-cinq pour cent ne seront pas retrouvés). Au bout du compte, mille cent quarante-sept personnes sont arrêtées aux États-Unis dont des ressortissants de presque tous les pays arabes. Un agent des services secrets américains d’origine arabe, en charge de la protection rapprochée du président Bush, sera ainsi détenu à bord d’un avion commercial au motif qu’il agissait de manière suspecte et que son sac de voyage contenait la version anglaise de l’ouvrage de l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, Les Croisades Vues par les Arabes[18].
    Selon les autorités américaines elles-mêmes, entre l’automne 2001 et l’été 2003, près de trois mille individus furent arrêtés au motif qu’ils seraient membre d’Al-Qaida[19]. Selon un décompte indépendant, le nombre de détenus aurait atteint cinq mille hommes[20]. Puis, six cent quatre-vingt individus de quarante-deux nationalités différentes — cent-cinquante saoudiens et cinquante pakistanais, pour la plupart arrêtés en Afghanistan, dont des enfants de dix et douze ans — furent emprisonnés dans un camp, ouvert le 10 janvier 2002, dans la base navale américaine de Guantánamo Bay à Cuba, et une centaine remis aux autorités de pays amis (en particulier, la Jordanie et la Syrie), dont les services secrets sont requis de les faire parler.
    Dans plusieurs bases militaires américaines, telle la base de Bagram en Afghanistan et celle de Diego Garcia en océan Indien, la CIA — qui depuis le 11 septembre a étendu ce qu’elle nomme sa « flexibilité opérationnelle » — a eu recours à des méthodes d’interrogations qui correspondent à diverses formes de torture, telles que le rapport annuel du département d’état sur les droits humains les considère, pour obliger les détenus accusés d’être membres d’Al-Qaida a faire quelques révélations. Les prisonniers, détenus dans des conditions les poussant parfois au suicide, n’ont pas eu accès à des avocats ni aux organisations humanitaires[21]. Ceux de Guantánamo Bay n’ont, ainsi, pu recevoir que des visites, sporadiques et supervisées, du Comité international de la croix rouge (CICR).
    Selon un officiel américain responsable de la capture et du transfert des prisonniers en Afghanistan : « Si vous ne violez pas les droits humains de quelqu’un de temps à autre, cela veut dire que vous ne faites probablement pas votre travail ». Une telle philosophie aboutira à la mort d’aux moins deux prisonniers dans le camp de Bagram et à celle de près d’une quarantaine à la prison d’Abou Ghrai en Irak. Par ailleurs, les autorités américaines n’ont trouvé aucun membre important d’Al-Qaida parmi les centaines de détenus à Guantánamo Bay. Un an après les événements du 11 septembre 2001, les États-Unis et leurs alliés détenaient environ deux mille sept cent membres présumés du réseau Al-Qaida dont un grand nombre avait été arrêté par erreur ou remis aux autorités américaines par les tribus pakistanaises et afghanes en échange de subsides. L’administration Bush admettra, plus tard, que certains d’entre eux étaient innocents[22].
    La situation dans les deux camps (dits X-Ray et Delta) ouverts sur l’île de Guantánamo est particulièrement alarmante. Les prisonniers y sont jugés par des tribunaux militaires, et ne peuvent invoquer l’habeas corpus pour déterminer si leur détention est justifiée. Les autorités militaires agissent en tant qu’interrogateurs, procureurs, avocats, juges et bourreaux. Les procès ont lieu dans le secret et aucune des garanties de base d’un procès équitable n’est respectée. Enfin, alors que la juridiction des cours américaines est exclue, le contrôle militaire est en tout point — même en ce qui concerne les questions de culpabilité et d’innocence — soumis aux décisions personnelles du président des États-Unis[23].
La trahison des clercs
Puissante motivation de la répression et des comportements cruels, la peur facilite le développement d’artifices et de mythes protecteurs de la sorte, comme elle génère la diabolisation et la radicalisation à l’égard de l’ennemi. En l’espèce, et en reprenant la formule du politologue syrien Burhan Ghalioun, un anti-arabisme viscéral et de plus en plus répandu qui, à partir des actes individuels ou des effervescences conjoncturelles cherche à essentialiser de la manière la plus négative l’identité arabe a vu le jour[24]. Ajoutant à la confusion générale, les médias d’information mais également un grand nombre d’intellectuels occidentaux présentent, depuis l’automne 2001, presque systématiquement une image négative de l’islam et des Arabes. Aux États-Unis, ce rôle est tenu par de très nombreux journalistes et universitaires tels Judith Miller, Fouad Ajami, Laurie Mylroie, Milton Viorst et Bernard Lewis. En France, les analyses sont distillées par Bernard Henry-Lévy, Alain Finkelkraut, André Glucksmann, Alexandre Adler, Michèle Tribalat, Pierre André Taguieff, Alexandre Del Valle, Elisabeth Lévy, Daniel Sibony, Jack-Alain Léger et Pascal Bruckner, entre autres.
    Il faut, à cet égard, consigner le fait que dans un système républicain, tel celui de la France, par exemple, des intellectuels et des journalistes israélites, mais non israéliens, prétendant être objectif, ce qu’ils ne sauraient être complètement dans un conflit aux soubassements confessionnels, nourrissent la cécité de leurs concitoyens. L’amalgame avec la peur terroriste depuis les événements du 11 septembre facilite la mission des André Glucksmann et autres Alain Finkelkraut (qui culpabilisa naguère l’empathie sincère de l’actrice Juliette Binoche sur un plateau de télévision français). L’argumentaire du philosophe Bernard-Henry Lévy sur le « danger islamiste » durant les années quatre vingt dix et celui de l’écrivain André Glucksmann — pour qui guerre humanitaire et guerre contre le terrorisme sont une seule et même chose[25] — dans la décennie actuelle sur la nature du terrorisme sont insidieusement trompeurs, et le paternalisme condescendant de ces intellectuels s’étendant à leurs propres sociétés[26] — le mode étant celui de « la déclinaison inversée d’une rhétorique néo-stalinienne…remixée dans une version néo-conservatrice »[27].
    Surmédiatisés, ils sèment surtout eux-mêmes les graines du regain d’un antisémitisme qui n’a jamais réellement quitté l’Europe et auquel Arabes et musulmans sont parfaitement étrangers. S’il revient aujourd’hui partiellement sous les traits d’une frange de la jeunesse d’origine maghrébine, ressentant dans sa chaire la frustration de millions de Palestiniens et d’Irakiens, c’est pour des raisons autrement politiques. Stigmatiser cet antisémitisme — à juste titre — sans en examiner les raisons non communautaires mais bien politiques, c’est se donner le change. La France est, à cet égard, un pays qui, à l’instar des États-Unis avec ses minorités hispaniques durant les années soixante-dix, vit une transformation démographique accélérée qui ne permet plus à sa politique étrangère de s’aliéner tout un pan de sa (nouvelle) population ou à fortiori d’épouser exclusivement les positions minoritaires d’une frange.
    Il est d’ailleurs significatif que seul l’islam s’attire les foudres des donneurs de leçons s’érigeant en moralisateurs face aux « excès » des monothéismes. Pour Alexandre Adler, par exemple, la « lutte contre Ben Laden, c’est d’abord la lutte pied à pied, dans chaque pays, dans chaque ville, pour arracher la population à sa misère, au désespoir, à la violence ». Mission néocivilisatrice matinée d’humanisme. Pourquoi ne pas simplement éviter de couvrir des injustices criantes au lieu rationaliser quotidiennement l’occupation israélienne des territoires palestiniens et celle de l’Irak par les États-Unis en invoquant le vrai-faux argument massue d’absence de démocratie dans le monde arabe ? Le journaliste Adler poursuit « ce surgissement d’archaïsme métaphysique ne pourra être terrassé que par l’émergence d’un réalisme politique puissant et potentiellement démocratique dans les principales régions du monde musulman ». Nous avons là une version volontairement militante et digérée de la stratégie impérialiste de l’administration Bush, à savoir l’imposition de la formule de mise en place de gouvernements fantôches non-élus ; « réalisme politique puissant » étant simplement une version revue de la formule de « pays islamique modéré », à une autre époque « collaborateurs » : Hamid Karzai en Afghanistan, Iyad el Alawi en Irak. À qui le tour ?
    Le climat politique et intellectuel ambiant anti-musulman permit également au premier ministre italien Silvio Berlusconi de déclarer, le 28 septembre 2001, avec l’aplomb que peut donner l’ignorance de l’histoire, que la civilisation occidentale est « supérieure » à l’islam (provoquant l’exécution, en avril 2004, d’un otage italien en Irak dont le rapt était, en partie, lié par les ravisseurs aux propos de Berlusconi), à l’éditorialiste et fondateur du magazine français Le Point, Claude Imbert, de revendiquer son islamophobie et à l’écrivain français Michel Houellebecq d’afficher publiquement, quelques jours avant les attaques du 11 septembre, sa haine gratuite à l’égard de l’islam. (Dans son ouvrage Plateforme, une des meilleures ventes de l’été 2001 en France, le personnage principal du roman explique que rien ne lui fait plus plaisir que d’apprendre au bulletin d’informations qu’une femme palestinienne, de préférence enceinte, a été tuée.) Concernant les musulmans, la journaliste américaine Ann Coulter est d’avis qu’il faudrait « envahir leurs pays, tuer leurs dirigeants et les convertir au christianisme »[28].
    Ces figures publiques disent-elles à haute voix ce qu’une majorité hypocrite pense tout bas ? Auquel cas, la preuve qu’il s’agit d’une guerre de civilisation n’est plus à faire. En réalité, la mission de satanisation des Arabes, afin de légitimer l’agressivité à leur égard, a, au lendemain des attaques contre New York et Washington, connue un succès inespéré comme en atteste la prolifération des ouvrages explicitement ou subtilement hostiles à l’islam et aux Arabes.
    Aussi, la continuelle partialité des gouvernements et de certains intellectuels occidentaux à l’égard de la politique expansioniste israélienne et le divorce entre les Arabes (et entre les peuples arabes et leurs gouvernants) et les États-Unis ont été crescendo depuis le 11 septembre. Ce qui est particulièrement significatif aujourd’hui, c’est, d’une part, l’étendue de la rationalisation de l’inaction face aux atteintes israéliennes à la légalité internationale, et, d’autre part, les manifestations de la force militaire américaine qui s’exerce presque exclusivement au dépens des Arabes et des musulmans. Concernant le premier point, certains intellectuels n’hésitent pas à justifier les assassinats et actes criminels perpetrés par le gouvernement Sharon[29]. Les Américains, note l’écrivain américain Joan Didion,  
"sont devenus incapables de débattre de leur relation avec Israël. […] La question même de la relation des États-Unis avec Israël est devenue, à Harvard, à New York, à Washington, insoulevable, potentiellement mortelle... Nous nous cachons. Nous nous dissimulons. Nous attendons que le sujet entier soit désarmorcé, protégés sans danger derrière un écran d’invectives et de contre-invectives. Beaucoup d’opinions sont exprimées. Peu sont autorisés à développer [leurs idées]. Encore moins en changent[30]."
Malgré quelques protestations d’intellectuels occidentaux qui attendent un langage de force et de vérité et à qui la « lâcheté » de leurs gouvernements fait honte, l’incapacité de l’écrasante majorité des pays occidentaux — et nous prenons la mesure d’une telle généralisation — à confronter les injustices américaines et israéliennes met à jour l’hypocrisie de tout l’édifice politique, médiatique et culturel occidental, dont l’indignation vertueuse et affectée est à géométrie variable.
    Lorsque le quotidien français Le Monde, pour diluer une critique mineure faite à Ariel Sharon qui est jugé « pas crédible » (doux euphémisme s’il en fut jamais pour un criminel de guerre) écrit, à propos d’attentats-suicides perpétrés par des kamikazes palestiniennes de dix-huit ans, que « les moyens déterminent les fins et ceux utilisés dans la lutte nationale disent toujours quelque chose sur ceux qui seront employés lorsqu’il faudra gouverner la Palestine indépendante », on entrevoit quelque peu l’idéologie qui se cache derrière ces jérémiades. Les auteurs de cet éditorial[31] pensent-ils vraiment infirmer la légitimité du recours à la force par un peuple faisant face au joug du colonialisme ? Entre autres sanglantes sagas impériales, l’histoire de la guerre d’Algérie et les moyens utilisés pour réprimer les luttes nationales de libération nous ont en effet beaucoup appris sur ceux qui les ont utilisés.
    L’argument du quotidien parisien fut amplifié deux jours plus tard par le directeur du Monde, Jean-Marie Colombani, qui qualifia les attentats palestiniens comme étant « de très mauvais augure pour le futur du peuple palestinien et la forme de son État ». N’est-ce pas là un procès d’intention ? Ce même argument peut être, par ailleurs, appliqué à la lettre aux israéliens eux-mêmes dont le pays a été enfanté dans le terrorisme anti-britannique et anti-palestinien. Cela est excessif de la part de Colombani puisque le Washington Post, que l’on peut difficilement soupçonner de sympathies palestiniennes, notait dans un éditorial trois jours plus tard que « le terrorisme est parfois utilisé au nom de causes légitimes ». Nous sommes tous des plus américains que les Américains…
    Confirmant que le nouveau conflit est d’ordre culturel, Colombani prolongea sa réflexion dans un ouvrage arguant que la solidarité avec les États-Unis est « essentielle » et non pas simplement émotionnelle. Cette essentialité se fonderait sur une réciprocité avec une Amérique qui, après la seconde guerre mondiale, s’est sentie similairement concernée par le sort de l’Europe. Mais il s’agit surtout d’une communauté de valeurs ; de la même façon que des millions d’Arabes et de musulmans se sentent « tous Palestiniens » ou « tous Irakiens », les occidentaux sont « tous Américains » et « tous Espagnols ». Un an après les attaques de New York et Washington, Colombani persistait en notant que « pour quelques solides années, nous sommes toujours, nous restons des Américains, tant nos sorts sont liés »[32]. C’est là une nouvelle manifestation du choc des civilisations.
    Hypocrisie également des médias occidentaux qui reprennent souvent instinctivement à leur compte la phraséologie des dirigeants américains, et qui, faisant écho à la campagne de dénigrement initiée par le gouvernement Bush, mènent leur petite guerre contre la chaîne de télévision arabe Al Jazira. Une rapide consultation des articles américains et européens à propos de la chaîne d’information par satellite parus avant le 11 septembre 2001 démontre que son éthique journalistique combinée à sa liberté de ton forçaient le respect dans ces mêmes médias occidentaux — c’est-à-dire tant que les débats animés, de l’émission hebdomadaire al ittijah al mou’akiss (« le sens opposé ») par exemple, étaient confinés aux questions intra-arabes[33]. Dès lors que la chaîne osait arborer une ambition internationale, exclusivités en Afghanistan et en Irak à l’appui — c’est à dire dès que les questions de pouvoir et d’intérêt entraient en jeu —, la machine à faire douter de l’objectivité se mit en marche (toute la déferlante CNN-New York Times-Fox-Le Monde-BBC-El Pais s’ingéniant à démontrer subtilement le « parti pris » de la chaîne). (Même l’islamologue français Gilles Kepel indexe les chaînes satellitaires arabes, dont Al Jazira, qu’il accuse de donner « un rôle fondamental à la violence, au terrorisme, et qui nourrissent des approches confrontationnelles »[34].) Il est d’ailleurs assez étonnant de la part des médias occidentaux de s’attaquer à l’un des rares organes d’informations arabe indépendant, oubliant cavalièrement les parti-pris grossiers de la majorité des chaînes de télévision, des radios et de la presse dans le camp occidental. Ce faisant, ils ont, en fait, déjà perdu la bataille des médias, en s’aliénant le public arabe et musulman. Aujourd’hui plus que jamais, chacun se retranche derrière son camp médiatique.
    Hypocrisie toujours des grands médias occidentaux qui, à l’exception peut-être de la chaîne américaine d’information Fox News (caractérisée par son patriotisme d’extrême-droite, sa légèreté de ton et le traitement quasi-ludique des informations), s’obstinent à nier leur point de vue essentiellement anti-arabe, et dont les colonnes et ondes ne s’ouvrent qu’aux (proto-)Arabes et musulmans dont le discours, qui se décline sur le mode de la séduction et de la justification au lieu de celui de l’argumentation décomplexée, est souvent étonnamment plus réactionnaire que celui de leurs hôtes.
    En effet, de nombreux intellectuels arabes résidants en Occident ou « d’occidentaux d’origine arabe » se prêtent par trop aisément au jeu de la critique facile de leurs sociétés — en France, par exemple, Tahar Ben Jelloun, Rachid Kaci, Malek Boutih, Soheib Bencheikh, Fadela Amara, Mohamed Sifaoui et Loubna Meziane. De fait, dans l’immédiat après-11 septembre, plus de vérités ont été dites sur le rapport de l’Occident au monde arabe et à l’islam par les écrivains français Marc-Édouard Nabe et Alain Soral que par l’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun ou le religieux algérien Soheib Bencheikh (« Mufti » de la mosquée de Marseille), pour ne citer que ceux-là, dont l’opportunisme a contribué à éloigner nombre d’occidentaux — qui ne sont pas tous dupes ou complices — des vérités de ce conflit. Étrange Tahar Ben Jelloun, par exemple, qui fait fi de ne pas comprendre les raisons qui ont motivé Mohammed Atta et ses complices (« Pourquoi et comment en est-on arrivé là ?…D’où vient cette mystique de la mort ? », écrit-il) et qui, de manière iconoclaste, attribue celles-ci, au fait que « la société arabe et musulmane ne reconnaît pas l’individu »)[35]. L’expérience essentiellement parisienne de Ben Jelloun lui fait voir le monde à travers les valeurs locales que l’immigré de première classe qu’il est aura, au bout du compte, intériorisé au point de blâmer systématiquement sa société d’origine afin de payer le prix d’une illusoire acceptation.
    En vérité, et au-delà de ce que le chercheur français Vincent Geisser identifie comme « la quasi-invisibilité médiatique des argumentaires musulmans »[36], l’arabo-pessimisme a toujours été de mise en Occident, l’arabo-optimisme étant foncièrement suspect. Le premier est résumé par ce diagnostic sans appel de l’universitaire américain Fouad Ajami : « La société arabe a usé tous ses mythes, et ce qui subsiste, en dépit de la multitude de déclarations orgueilleuses que les Arabes font à propos d’eux-mêmes et de leur histoire, n’est qu’un monde de cruauté, de gaspillage et de chaos »[37]. La complexité des enjeux des sociétés arabes face au poids de leur histoire et au défis de la modernité est systématiquement réduite à une opposition entre un passé idéalisé et une modernité occidentale — réduisant toute une civilisation à une pathologie destructrice[38]. Comme le note le sociologue américain Clifford Geertz, aujourd’hui, « l’effort pour ‘comprendre l’islam’, le localiser, le décrire et le réduire à un résumé intelligible, est pris dans les excitations du moment présent. C’est un phénomène de réponses et de réactions — de mises en garde, d’assurances, de conseils et d’attaques »[39].
L’âge de l’empire américain
Dans un tel contexte d’antagonisme pensé à plusieurs niveaux, l’idée d’un empire américain récalcitrant apparaît comme étant trompeuse. L’expansionisme est, en réalité, inscrit dans le parcours historique américain récent comme il est le résultat d’une destinée non pas manifeste mais désirée. Aujourd’hui, les intellectuels occidentaux, de droite comme de gauche, non seulement débattent des mérites de l’impérialisme américain, mais un grand nombre d’entre eux appellent, en fait, à le soutenir au nom de l’action humanitaire et de la stabilité internationale. De plus, ce qui est débattu n’est pas simplement l’influence du capitalisme et du modèle socioculturel américain, mais un type d’impérialisme plus rigide, à savoir celui de l’intimidation coercitive et des soldats sur le terrain. Pour autant, si, géopolitiquement, les attaques du 11 septembre 2001 furent une aubaine pour les États-Unis leur permettant de progresser sur deux importants fronts, en Afghanistan et en Irak, la politique de la vengeance augure tout autant le délitement de l’empire américain en tant qu’idéal politique et modèle de société[40].
- NOTES :
[1] Voir Richard T. Cooper, « General Casts War in Religious Terms », The Los Angeles Times, 16 octobre 2003.
[2] Thomas E. Ricks, « Briefing Depicted Saudis as Enemies: Ultimatum Urged to Pentagon Board », The Washington Post, 6 août 2002, p. 1. Voir également l’ouvrage de Murawiec, La Guerre d’Après, Albin Michel, Paris, 2003. Le livre de Murawiec est un véritable brûlot contre les Saoudiens dont le style n’a rien à envier à ceux d’Orianna Fallaci contre les musulmans. Il écrit, notamment, des Saoudiens qu’ils s’apparentent à « une masse agglomérée de bactéries » (p. 33), « une sous-espèce qui pullule comme des lapins » (p. 263), des « nomades illettrés et grossiers » (p. 263) vivant une « vie misérable et isolée d’oasis perdues dans les dunes » (p. 175). Lorsqu’il est moins vindictif, Murawiec reproche à l’Arabie Saoudite le fait qu’elle « pratique l’extraterritorialité de ses méthodes, et refuse toute réciprocité » (p. 176), ce qui, on peut en convenir, s’applique de la même façon aux États-Unis.
[3] Ces idées seront développées dans la conclusion de son ouvrage intitulée « Dé-saoudiser l’Arabie ». Murawiec écrit : « Au cas où le régime saoudien ne satisferait pas aux conditions de l’ultimatum, lesdits champs devraient être occupés. […] La fortune privée et publique de l’Arabie Saoudite doit faire l’objet de mesures confiscatoires » (pp. 275-276).
[4] Jack Shafer, « The PowerPoint That Rocked the Pentagon », slate.com, 7 août 2002.
[5] Alex Alexiev, « The End of an Alliance », The National Review 54, 20, 28 octobre 2002, pp. 38-42.
[6] Orianna Fallaci, La Rage et l’Orgueil, Plon, Paris, 2002, p. 98. Le livre de Fallaci est truffé d’erreurs sur l’histoire des Arabes, sur les préceptes de l’islam et sur les événements du 11 septembre 2001. Publié plusieurs mois après les attaques, et alors que les éléments factuels essentiels avaient été avérés, Fallaci écrit, par exemple, que des Syriens, des Irakiens, des Palestiniens, des Algériens et des Tunisiens faisaient partie des dix-neuf kamikazes (p. 95).
[7] Maurice Szafran, « Anatomie d’un Livre Abject », Marianne, 3-9 juin 2002, p. 15. L’article originel, publié par Corriere Della Sera le 29 septembre 2001, fut défendu par le ministre italien de la culture, Giuliano Urbani. Trois ans plus tard, Fallaci publiera un second livre anti-islam intitulé La Force de la Raison (Rizzoli, 2004). 
[8] Fallaci, La Rage et l’Orgueil, p. 42.
[9] Giovanni Sartori, « La Inmigración Sin Limites es Una Amenaza », El Pais, 8 avril 2002.
[10] Entretien avec Didier Sénécal, Lire, septembre 2001, pp. 28-36.
[11] Propos tenus par le ministre israélien du tourisme, Beny Elon. Voir Daniel Ben Simon, « All Mapped Out », Haaretz, 8 mai 2003.
[12] Philippe Broussard, « Ces Jeunes qui Rejettent l’Étranger », Le Monde, 28 mai 2002, p. 15.
[13] Norman Mailer, « Gaining an Empire, Losing Democracy ? », discours devant le Los Angeles Institute for the Humanities, 22 février 2003. Voir également Kevin Baker, « We’re in the Army Now », Harper’s Magazine, 307, octobre 2003, pp. 35-46.
[14] Département de la défense américain, Military Order, Detention, Treatment, and Trial of Certain Non-Citizens in the War against Terrorism , 66 Fed., Reg. 57833, 16 novembre 2001; et Military Commissions Order No. 1, Procedures for Trials by Military Commissions for Certain Non-United States Citizens in the War against Terrorism, 21 mars 2002.
[15] Voir Charles Lane, « Has Bush Infringed the Constitution? The Debate Heats Up », The International Herald Tribune, 3 septembre 2002. pp. 1 et 8 ; et Richard B. Schmitt, « Patriot Act Author Has Concerns », The Los Angeles Times, 30 novembre 2003, p. 1.
[16] L’article 14 du Pacte dispose : « Tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal compétent, indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil. »
[17] Human Rights Watch, Presumption of Guilt: Human Rights Abuses of Post-September 11 Detainees, New York, août 2002 ; Lawyers Committee for Human Rights, A Year of Loss: Reexamining Civil Liberties since September 11, New York, septembre 2002.
[18] Darryl Fears, « Prudence or Profiling : Arab-American Secret Service Agent Rebuts Airline », The Washington Post, 15 janvier 2002. Comme le note Ronald Dworkin : « Tout Américain qui n’est pas musulman et qui n’a pas de relations musulmanes ne court aucun risque de se voir décrété ‘combattant ennemi’ et d’être enfermé dans une prison militaire ». Voir Dworkin, « Terror and the Attack on Civil Liberties », The New York Review of Books, 6 novembre 2003, p. 38.
[19] Par ailleurs, en quelques mois, le Trésor américain bloque les actifs de deux cent-deux individus ou organisations à travers le monde, pour une valeur de cent-quatre millions de dollars.
[20] Anthony Lewis, « Un-American Activities », The New York Review of Books, 50, 17, 23 Octobre 2003, p. 17.
[21] Carlotta Gall et Neil A. Lewis, « Freed Guantánamo Captives Tell of Suicidal Despair », The International Herald Tribune, 18 juin 2003, pp. 1 et 4.
[22] Dana Priest et Barton Gellman, « US Decries Abuse but Defends Interrogations », The Washington Post, 26 décembre 2002, p. A1 ; Raymond Bonner, Don Van Natta Jr. et Amy Waldman, « Questioning Terror Suspects in a Dark and Surreal World », The New York Times, 9 mars 2003, p. 1 et p. 14 ; et Bob Drogin, « US Has Found No Qaeda Leaders Among Captives at Guantánamo », The Los Angeles Times, 18 août 2002.
[23] Johan Steyn, « A Monstrous Failure of Justice », The International Herald Tribune, 27 novembre 2003, p. 6 ; et Deborah Pearlstein, « Detained at the Whim of the President », The International Herald Tribune, 10 décembre 2003, p. 8. Voir également l’enquête d’Augusta Conchiglia, « Les Droits de l’Homme Bafoués : Dans le Trou Noir de Guantánamo », Le Monde Diplomatique, 598, janvier 2004, pp.1 et 20-21.
[24] Burhan Ghalioun, Le Malaise Arabe — L’État Contre la Nation, La Découverte, Paris, 1991, p. 137.
[25] « L’Après-11 Septembre — Irak, Terrorisme : Glucksmann face à Todorov », Le Monde, 5 septembre 2003.
[26] Voir l’enquête de Maurice T. Maschino, « Intellectuels Médiatiques — Les Nouveaux Réactionnaires », Le Monde Diplomatique 583, octobre 2002, pp. 1 et 28. Maschino, qui note les caractéristiques de ces reporters d’un jour aux essais hâtifs — « bruyante défense des droits humains,…incessante apologie des États-Unis, constante critique du tiers-mondisme,…inlassable et inconditionnel soutien au gouvernement d’Israël » —, consigne également leurs traits communs : « la morgue aristocratique et le mépris du peuple, la disqualification injurieuse de ceux qui pensent autrement, l’incohérence, une sensibilité beaucoup plus vive à l’antisémitisme qu’à l’islamophobie et une certaine indifférence à l’égard des victimes de guerres, embargos, famines et maladies qui ravagent le tiers-monde ».
[27] Jean-François Kahn, Le Camp de la Guerre — Critique de la Déraison Impure, Fayard, Paris, 2004, p. 225.
[28] Avec les opérations en Afghanistan et en Irak, et les assassinats de Uday et Qusay Hussein, l’administration Bush avait, en moins de deux ans, réalisé partiellement deux de ces voeux. Concernant le troisième, Coulter ajoutera : « L’Occident commence d’ailleurs à convertir les musulmans au christianisme ». Voir John Colapinto, « The Cult of Coulter », Elle (édition américaine), 18, 13, 217, septembre 2003, pp. 312-320.
[29] Tel que le font, en France, Pascal Bruckner et Michèle Tribalat dans « Cheikh Yassine : Faux Martyr et Vrai Coupable », Le Monde, 4-5 avril 2004.
[30] Joan Didion, Fixed Ideas — America Since 9/11, New York Review Books, New York, 2003, pp. 22-24.
[31] « Non-Assistance », Le Monde, 31 mars-1 avril 2002, p. 21.
[32] Jean-Marie Colombani, « L’Impasse Américaine », Le Monde, numéro spécial 11 Septembre, 11 septembre 2002, p. 14 ;Tous Américains ? Le Monde après le 11 Septembre 2001, Fayard, Paris, 2002.
[33] Par exemple, Thomas L. Friedman, « An Arab TV Station Nourishes Democracy », The International Herald Tribune, 28 février 2001, p. 9; « Satellite Channel Sets a New Standard in the Arab World », The Baltimore Sun, 30 juillet 2001. Voir également le documentaire de Jihane Noujaim, Control Room : An Inside Look at Al Jazeera, Magnolia Pictures, 2004.
[34] Xavier Ternisien, « L’Islam face à la Suspicion Occidentale », Le Monde, 5 décembre 2002.
[35] Tahar Ben Jelloun, « Pour Sortir de la Malédiction », Le Monde, 5 novembre 2001. Voir également sa défense de l’interdiction du port du voile dans les écoles françaises, « Contaminations », Le Monde, 27 janvier 2004, p. 16.
[36] Vincent Geisser, La Nouvelle Islamophobie, La Découverte, Paris, 2003, p. 47.
[37] Fouad Ajami, The Dream Palace of the Arabs — A Generation’s Odyssey, Pantheon Books, New York, 1998, p. 123.
[38] Sur la complexité de ces enjeux, voir le travail de l’universitaire marocain Mohammed Abed al-Jabri, Introduction à la Critique de la Raison Arabe, La Découverte, Paris, 1995.
[39] Clifford Geertz, « Which Way to Mecca ? », The New York Review of Books, 50, 10, 12 juin 2003, p. 27.
[40] Stephen Peter Rosen, « An Empire, If You Can Keep It », The National Interest, 71, printemps 2003, p. 51. Pour d’intéressantes contributions à ce débat, voir Andrew J. Bacevich, American Empire :The Realities and Consequences of U.S. Diplomacy, Harvard University Press, Cambridge, 2002 ; et Chalmers Johnson, The Sorrows of Empire — Militarism, Secrecy, and the End of the Republic, Metropolitan Books, Londres, 2004,
                               
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1. L'attaire Ménargues : un constat accablant pour la liberté d'expression par Philippe Bilger (2004)
(Philippe Bilger est magistrat, avocat général près la Cour d'appel de Paris et responsable de la Délégation juridique de l'UIJPLF - Union internationale des journalistes et de la presse de langue française - il a publié plusieurs livres dont :  Flammarion "Le Guignol et le magistrat", un livre entretien avec Bruno Gaccio (Canal +) publié chez Flammarion, "Plaidoyer pour une presse décriée" aux éditions Filippachi, ou encore "Un avocat général s'est échappé" avec Stéphane Durand-Souffland au Seuil.)
Ainsi, Alain Ménargues, directeur général adjoint chargé des antennes et de l'information de RFI (Radio France Internationale), a été obligé de démissionner de ses fonctions. Lors d'un débat sur LCI le 30 septembre dernier au sujet de son livre « Le mur de Sharon », Ménargues avait affirmé: « Vous dites qu'Israël est un Etat démocratique, permettez-moi de dire, très rapidement, c'est aussi un Etat raciste ».
La Société des Journalistes a aussitôt jugé ces propos « inacceptables », de même que le ministère des Affaires étrangères, principal bailleur de fonds de RFI. Ménargues a tenté de se défendre sur le fond, arguant « qu'encore une fois, les associations de protection d'Israël ou de défense d'Israël pratiquent l'amalgame pour faire passer les commentaires sur la loi politique sioniste comme étant du racisme ou de l'antisémitisme ». Il aura donc suffi d'une polémique créée artificiellement pour qu'une carrière professionnelle soit contrainte de changer son orientation. Ce terme « inacceptables » a été jeté comme un décret de condamnation, sans qu'à aucun moment on ait opposé à Ménargues, qui s'obstinait à se justifier, l'ombre d'une réplique argumentée.
Le ministère des Affaires étrangères, fournissant à RFI un appui financier important, en affichant la même hostilité, a nécessairement contribué à la démission de Ménargues. Certes, on peut comprendre que la double « casquette » de ce dernier, même s'il a bien précisé être intervenu sur LCI en qualité d'auteur et non pas de responsable d'information, ait fait courir le risque à RFI d'être engagé par une opinion strictement personnelle. Il n'empêche que ce problème aurait pu être réglé après coup sans aboutir à l'extrémité d'une démission forcée. Sur le fond, la controverse s'inscrit dans un mouvement général inquiétant qui, ostensiblement ou subtilement, vient réduire la liberté d'expression, mais comme si cette entrave allait de soi et n'avait pas besoin d'être expliquée. En dehors de la loi qui est appelée à régir et, éventuellement, à réprimer les infractions de caractère médiatique - en l'occurrence, personne n'en a brandi la menace -, une infinité d'instances, dans la vie civile, se constituent comme tribunaux et, pour se faciliter la tâche accusatrice, font mécaniquement dégénérer la controverse intellectuelle (qu'ils ne peuvent soutenir) en disqualification morale (qui clôt toute discussion avant même de l'avoir ouverte). « Inacceptables » signifie par conséquent que la vérité d'une expression orale ou écrite d'une pensée n'a pas à être prise en considération, pas davantage que la liberté du locuteur mais que seule doit compter sa légitimation par celui qui écoute ou qui lit - particuliers ou groupes... Les propos de Ménargues, n'ayant pas été « acceptés », n'ont pas lieu d'être et ne méritent même pas qu'on leur oppose une riposte intellectuelle qui risquerait de leur donner force et sens.
Jean-Christophe Ruffin, qui a remis récemment un rapport sur l'antisémitisme, a dénoncé justement un anti-sionisme frénétique qui n'était que le masque d'un profond antisémitisme. Mais l'inverse est aussi vrai, qui conduit trop souvent, pour défendre un Etat, à taxer d'antisémitisme ceux qui prétendent en dénoncer les tares. Le silence assourdissant, à l'extérieur de RFI, qui a accompagné cette affaire Ménargues, est accablant pour les médias et dévastateur pour la sauvegarde de la liberté d'expression.
                       
2. Israël, au cœur du secret par Hichem Ben Yaïche (9 mars 2005)
(Ce texte est à paraître sur le site Vigirak.com.)
S’il est une question que l’on évoque peu ou pas du tout, c’est celle des services de renseignements israéliens. L’Etat hébreu en a fait l’élément-clé de sa stratégie en temps de guerre et de paix. Cette culture du renseignement, unique en son genre, avait été mise au service, en partie, des agences de renseignements américaines, après les attentats du 11 septembre 2001. Le savoir-faire, l’expertise et la maîtrise de l’arabe et de ses différents dialectes ont placé Israël, particulièrement ces dernières années, en position de « leader d’opinion », sur toutes questions, auprès des Américains.
Pour comprendre de l’intérieur les structures et le fonctionnement du Mossad, un service d’élite, il faut lire le témoignage – bien rare, il faut bien le dire – d’un ancien agent des services israéliens, Victor Ostrovsky, réfugié aujourd’hui au Canada [1]. Même s’il faut largement réactualiser les propos de l’ancien espion, ce que l’on apprend sur l’univers interne et les méthodes de travail de cette institution est extrêmement utile et éclairant.
Israël a fait des pays arabes et islamiques une cible suprême de ses services. Au-delà de l’utilisation des technologies de pointe – écoutes, surveillance, brouillage, sabotage, etc. –, il s’appuie, dans cette guerre de l’ombre, sur le renseignement humain : la présence sur place de vraies « taupes » –  des agents autochtones – dans les échelons décisionnaires arabes [2]. On est loin de la fiction ! De nombreuses sources attestent et  confirment cette réalité. Autre terrain de déploiement : les Etats-Unis et l’Europe. Les communautés arabes et islamiques constituent de vraies sources d’informations. Ces dernières années, sur le sol américain, plusieurs dizaines d’instituts de recherche sur le Moyen-Orient avaient vu le jour, très souvent à l’initiative de juifs américains. Un quadrillage et un maillage du territoire US qui se sont révélés éminemment utiles dans l’avant et l’après-11 septembre. Un autre témoignage, qui est passé presque inaperçu, révèle l’univers dans lequel évoluent ces nouveaux acteurs ; lesquels centrent leurs efforts sur les 98% de renseignements de « sources ouvertes » : documentations, décryptage, recoupement des informations, travail d’identification, etc. Ce livre est intitulé « L’infiltrée. Une femme au cœur des réseaux terroristes islamistes » [3]. L’auteure, qui vit aux Etats-Unis – une juive d’origine irakienne, parlant et maîtrisant parfaitement l’arabe –, a préféré ne pas décliner son identité, car elle est toujours en activité.
Deux facteurs vont accélérer l’évolution de la stratégie israélienne, l’Intifadha II et les attentats du 11 septembre 2001.
L’Intifadha II. Une fois Ariel Sharon au pouvoir, celui-ci avait vite compris l’effet dévastateur de la « guerre des pierres » sur l’image d’Israël dans le monde. Pour allumer le contre-feu, il s’est crée une cellule spéciale afin de mener une véritable bataille de l’information. Ces relais ? Ce sont d’abord les responsables communautaires de la diaspora, comme par exemple le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Objectif : impliquer et souder les juifs du monde entier dans ce combat. Son argument de base : les critiques que suscitent l’Etat hébreu ne seraient que l’expression de la « haine d’Israël » et du sentiment « éternellement judéophobe » (une thèse caricaturallement développée par Pierre-André Taguieff, CNRS).  Le point de vue israélien a été – et est – toujours dominant aux Etats-Unis, mais c’est la France qui sera au cœur de cette pression, et ses médias accusés d’être « pro-arabes ». Le premier ministre a été, à plusieurs reprises, en pointe sur cette question. Au minimum, cette position révèle, chez lui, une vraie arabophobie, qui n’a l’air de choquer personne ! Cette façon de vouloir brouiller les pistes, de cultiver le confusionnisme et d’être un allumeur de feu permanent montre les obsessions d’un homme, dont le moins qu’on puisse dire est qu’il est d’une psycho-rigidité presque pathologique. On le reverra dans les prochains mois.
Les attentats du 11 septembre 2001. Pour Israël, cet événement est proprement « providentiel ». C’est l’occasion de faire valoir ses thèses et imposer ses vues à l’Amérique de Bush. Les néoconservateurs, dont l’attachement à Israël et ses combats est aujourd’hui mille fois vérifié, scellent cette alliance et poussent l’Administration US à approfondir et pérenniser ce lien d’ordre, peut-on dire, « divin », puisque la religion vient mettre son nez dans cette histoire au goût messianique.
Au-delà de cette influence dans les sphères les plus influentes, des centaines de structurent oeuvrent, d’une façon formelle ou informelle, dans cette bataille de conquête du cœur et des esprits. On connaît l’action de lobbying, notoire, de l’AIPAC, du travail de veille de la league anti-diffamation, mais il y a aussi bien d’autres officines, lesquels ont souvent  le label fondations, qui conseillent, orientent et servent de relais au point de vue israélien. Il suffit de lire, par exemple, les études de la fondation Wexner (www.wexnerfoundation.com) sur « Les priorités de la communication israélienne en 2003 », pour juger de l’ampleur de l’action entreprise [4].
Tout cela apparaîtrait de bonne guerre s’il n’y avait pas cette dimension dévastatrice de la guerre psychologique, où l’on fabrique de l'Arabe et du Musulman le masque hideux de l’extrémiste permanent. Il est temps de sortir de cette logique néfaste, et d’entrer dans une pédagogie de la paix. Serait-ce trop tard ?
- NOTES :
[1] « Mossad. Un agent des services secrets israéliens parle », de Victor Ostrosvky, avec Claire Hoy, éditions Presses de la Cité. Au moment de sa sortie, aux Etats-Unis, l’Etat d’Israël avait demandé son interdiction, tellement les informations contenues dans l’ouvrage étaient une source de gêne pour ce pays. Le livre avait été réédité en Algérie, en 1996.
[2] La population d’Israël est composée de 105 origines ethniques. Le recrutement des espions dans ce vivier donne un avantage comparatif unique.
[3] « Terrorist Hunter, mai 2003. The extraordinary Story of a Woman Who Went Undercover to Infiltrate Radical Islamic Groups Living in America » ecco, harpercollins publishers. Un livre qui montre l'extraordinaire infiltration des réseaux israéliens aux Etats-Unis. Un exemple édifiant ! Traduction française : édition Grasset. « L'Infiltrée, une femme au cœur des réseaux islamistes », 2003.
[4] Document publié par Point d’information Palestine n°222, du 25 juin 2003. Il est possible d’obtenir un spécimen gratuit de cette étude en envoyant un email à cette adresse : lmomarseille@wanadoo.fr.
                       
3. Gaza Beach par Istico Battistoni (3 mars 2005)
(Istico Battistoni est Conseiller italien au Parlement Européen. Il vit actuellement en Cisjordanie. Ce texte, inédit, peut-être repris librement sur tout support militant ou associatif. Par contre, si vous souhaitez publier ce texte sur un support écrit commercial - journal, revue... - vous devez en faire la demande auprès de l'auteur : ibattistoni@terra.es. Les textes de Istico Battistoni sont également disponibles en espagnol, en italien et en portugais.)
Introduction
Le Gaza Strip Disengagement Plan du Gouvernement Sharon prévoit l’isolement total de la Bande de Gaza d’Israël, d’Egypte ainsi que de la Mer Méditerranée. À Rafah, frontière avec l’Egypte (Philadelphi Route), la construction d’un grand fossé est prévue ainsi que la démolition de 3.000 maisons palestiniennes. Ce plan a été pour l’instant gelé par l’armée israélienne dans l’attente de l’avis de la Cour Suprême (Attorney General). Durant cette Intifada, environ 25.000 Palestiniens de la Bande ont perdu leur maison suite à la politique de démolition d’Israël. Selon les Nations Unies (OCHA), au cours des neuf premiers mois de l’année passée, le rythme moyen des démolitions dans la Bande était de 4 maisons par jour. Israël recourt aussi aux démolitions comme mesures punitives collectives. Selon B’Tselem, organisation israélienne pour les droits de l’Homme, 675 maisons ont été démolies en guise de représaillles dans les Territoires Occupés depuis le début de cette Intifada. Le témoignage suivant de Gaza nous parle de maisons détruites et de ségrégation, signes d’une oppression que le “Cessez-le-feu” récemment négocié entre Sharon et Abu Mazen ne pourra pas effacer sans une réponse globale, juste et durable aux aspirations de liberté des palestiniens.
* * *
La Bande de Gaza a la forme d’un fusil, et son nom évoque les fantômes. C’est un cordon de terre de 46 km de longueur et de 5 à 10 km de largeur, où 8.000 colons israéliens rivalisent pour le contrôle des terre - en occupant 1/5ème de la surface - avec 1.450.000 Palestiniens. Suspendue entre Israël et le Sinaï, la Bande est quelque chose d‘artificiel, coupée des terres et de la mer, surgie des cendres de la résistance lors de l’avancée israélienne dans la Palestine historique. C’est une zone blindée par les forces de sécurité israéliennes, où entrer et sortir représentent une aventure dans l’inconnu. Quand le matin du 6 novembre 1998 mourut soudainement la mère du professeur d’arabe à l’Université de Birzeit (Cisjordanie), M.Sami Shaat, celui-ci se présenta aux autorités israéliennes de la colonie la plus proche pour demander une autorisation de passage pour se rendre à Khan Younis, dans la Bande de Gaza, où vivait sa mère. Il était 7 h du matin. Il passa toute la journée à donner des coups de fil pour pouvoir finalement obtenir une autorisation de 24 heures. Il était 16 h. Il regarda la date de validité de cette autorisation et se rendit compte que les 24 heures commençaient depuis 5 h du matin de ce même jour. Il se mit à pleurer, car il n'aurait jamais pu rejoindre Khan Younis et revenir le lendemain avant 5h du matin, en tenant compte des checkpoints. Il ne vit jamais le cercueil de sa mère, ni son tombeau, ni son village, étant donné qu’il ne reçut jamais plus d’autorisation depuis ce jour-là. La roue de la fortune tourne en sens inversé pour qui va et vient de Gaza.
Erez et les nombrils
Mais nous arrivons depuis Jérusalem au checkpoint de Erez, au nord de la Bande de Gaza, en une heure et demi. Un coup de vent. Je suis avec une délégation du Parlement Européen et je ne veux pas perdre l’opportunité de rentrer dans Gaza, privilège que très peu d’étrangers peuvent avoir.
Erez est comme la douane d’un aéroport. J’ai l’impression de m’embarquer pour un vol, et quand on me redonne mon passeport en criant mon nom et que je sors du bâtiment administratif, j’ai l’impression de me retrouver sur une piste. Mais ici, il n’y  pas d’aéroports. Le seul véritable aéroport, inauguré en 1998, sera bombardé par les avions de chasse israéliens trois ans plus tard, et il ne sert plus à rien. Au contraire, le checkpoint de Erez sert : il sert à faire passer au compte-gouttes les gens de Gaza. Quand ils arrivent, ils sont soumis à de stricts contrôles à hauteur du noyau central de la station militaire, et ensuite, ils doivent parcourir à pied 300 mètres de tunnel, l’un après l’autre, avant d’arriver au dernier avant-poste israélien. C’est comme un acte de pénitence, un misérable rituel qui a lieu au-dessous d’une toiture de modeste architecture industrielle.
Nous avons quant à nous plus de chances, ils nous font marcher à côté du tunnel, au soleil, en avançant à zigzag parmi des blocs de béton anti-char placés au milieu du goudron. Ils nous sourient et ils portent des pantalons militaires en-dessous de la ceinture, larges et bas sur le derrière, comme ont l’habitude de le faire les adolescents européens. “Travailler” au checkpoint avec la mitraillette au bras doit être devenu quelque chose d’aussi naturel qu’aller à un concert de rap. Les jeunes filles soldats montrent leur nombril... d’une beauté insidieuse, la beauté dévastatrice de la force qui a pris possession de l’intimité quotidienne. Mais le quotidien est autre pour qui ne jouit pas du calme relatif des checkpoints. C’est un quotidien de destruction et de mort.
Cinecittà
Ils appellent cela « punitions collectives ». Pour chaque rafale, chaque roquette lancée et chaque soldat mort s’effondrent comme châteaux de cartes des quartiers entiers avec leurs habitants. C’est ainsi qu’ils ont démoli un orphelinat, puis une école, et qu’ils ont fait un trou dans le terrain de jeu de l’école. Ensuite ils ont mitraillé les façades de tous les nouveaux logements sociaux payés par le Scheik Zayed : ils sont trop proches de la base militaire. Désormais, personne ne veut aller y habiter. Le quartier vide fait penser à un scénario de Cinecittà. Un sentiment de malaise et d’insécurité me gagne soudainement. Quelle musique écoutèrent les vengeurs de la nuit en pénètrerant avec leurs chars jusqu’ici et en entrant dans le camp de réfugiés de Jabalyia? La même peut-être qu’on écoute dans les rave parties, où l’on porte les pantalons en-dessous de la ceinture? Mais comment puis-je décrire les ruines des maisons sur lesquelles restent assis les vieux survivant à l’effondrement de leurs demeures? Que dire des femmes qui nous regardent depuis les tentes qu’elles ont montées sur le terrain vague des ruines?
A Jabalyia ils vivent à 120.000, les uns sur les autres. En octobre 2004, les soldats pénétrèrent dans le camp 17 nuits de suite avec leurs chars, bulldozers et hélicoptères. Non, ce n’était pas Cinecittà, mais Hollywood, car ils firent les choses en grand. Bilan du tournage : 141 maisons rasées et 140 morts. Nous sommes en train de parler de réfugiés, c’est-à-dire de gens qui ont fui l’avancée sioniste de 1948 et trouvèrent refuge ici, à proximité de la mer et du sable. Que ressent-on quand on perd sa maison une seconde fois ?
Peluches et tricycles
Alors que la délégation du Parlement prend des photos, je rédige quant à moi une liste de tout ce qui s’étale sous mes yeux, résidus des incursions nocturnes: une couverture, une petite chaussure, un drap, le guidon d’un tricycle, un demi matelas, une chaussette, une grille de maison déformée, un ours en peluche. Et encore une chaussure, et une chemise. Le petit ours est ce qu’il y a de plus triste - abandonné par terre loin des mains d’enfants pour le caresser.
Nous montons dans le bus et traversons le centre de Jabalyia, un méli-mélo de chariots de fruits et légumes poussés par un âne, et de vendeurs ambulants pour toute nécessité. Et de la poussière. On m’en avaient parlé. C’est comme regarder à travers des empreintes digitales imprimées sur des lunettes. Mais que de belles bananes et de beaux légumes, miracles d’une terre fertile, hélas toujours plus étreinte! Là où il y avait des arbres à goyaves et des palmiers s’érigent maintenant des îlots en briques de béton. Et là où les Palestiniens n’ont pas construit, ce sont les bulldozers qui ont fait table rase, avec pour conséquence une raréfaction des arbres. Il reste les rond-points aux carrefours - certains vraiment ronds, d’autres obliques – petites oasis où se réfugient les grains transportés par le vent au-de-là des chars et du béton. Et dans les rond-points, des monuments démodés dédiés à la nation et aux martyrs, décorés avec les chenilles des chars israéliens restées sur le champ de bataille.
Heures au fil de l’air
Nous aurions dû rencontrer Jamal Zaqout, le promoteur de l’initiative de paix de Genève, mais il est resté coincé à l’extérieur de la Bande, au checkpoint de Rafah, en attendant inutilement pendant des heures l’ouverture des portes. Ce ne sera que pour le lendemain. Qui attend, il se débrouille et cultive un réseau de connaissances familiales aux postes-frontières pour s'assûrer un logement pour la nuit. Jamal rentrait du Caire, où il avait rendu visite à son fils Mashid. Mashid étudie à l’American School. Quand ses parents l’ont inscrit, l’école était à Gaza, mais ensuite l’endroit est devenu trop dangereux, et les Américains décidèrent de la déplacer au Caire. Et avec elle les élèves. Gaza se trouve au rang 4 de l’échelle de danger selon les Nations Unies, l’Irak au rang 5, le dernier.
Jamal est marié à Naila Ayesh, directrice du « Centre pour les femmes » de Gaza. Naila avorta en prison en 1987 à cause des tortures subies. Mashid naquit au contraire le jour où elle fut déportée. Naila passa par le Liban, l’Egypte et la Jordanie avec son enfant, et ensuite elle fut emprisonnée une deuxième fois, et resta avec lui en détention sept mois. Avec Oslo, elle rentra à Gaza. Nahila n’a jamais touché une arme. Son mari aussi a été détenu. Tous deux travaillent pour la paix et le dialogue avec Israël: il est extraordinaire de voir qu’ils y croient malgré les souffrances subies.
Gaza, c’est aussi cela, pas seulement les déguisés de Hamas qui crient vengeance. Mais les promoteurs de paix ne passent pas à la télé!
Feux
Quand ils inaugurèrent le premier feu routier ce fut une grande fête pour tout le monde. C’était en 1994. Il n’y en avait jamais eu avant cette époque-là. Avec Oslo l’Autorité Palestinienne avait atterri dans la Bande, et avec elles, les feux aux carrefours ainsi que le premier parc public. Puis survint la deuxième Intifada, et avec elle les bombardements et les morts quotidiens.
Personne ne croit à la bonne volonté de M. Sharon: son Plan d’évacuation des colons n’a pas été négocié avec les Palestiniens, qui savent que le statut de ghetto ne changera pas, et que l’accès à Gaza restera soumis au bon gré des soldats. Selon Ziyad Abu Amer et Kamal El Shrafi, députés au Conseil Législatif Palestinien élus à Gaza, que nous rencontrons lors de notre visite, le plan ne sera pas porteur de davantage de sécurité pour Israël, et ce que vivent pour l’instant les gens de la Bande, ce sont des opérations de confiscation et de démolition pour élargir les couloirs de sécurité aux frontières externes de la Bande même. Eux-mêmes en paient les conséquences, car ils ne peuvent pas se rendre au Conseil Législatif à Ramallah, mais doivent travailler par vidéo-conférence. Une manière comme une autre de se débrouiller. Mais il y a tout de même une limite à tout.
Selon les Nations Unies, 60% des habitants de la Bande vit en-dessous du seuil de pauvreté (2 dollars/jour). Le chômage a dépassé le seuil des 50% avec l’Intifada. Les hommes forts d’Arafat n’ont peut-être pas favorisé la libre entreprise et la concurrence, mais il y a autre chose. Beaucoup de Palestiniens ont perdu leur travail en Israël en raison de l’impossibilité de sortir de Gaza. Les exportations de fruits et légumes pâtissent pour la même raison. La zone industrielle israélo-palestinienne à la frontière de Erez, qui avait été inaugurée avec Oslo, a été bombardée, même si 4.500 ouvriers palestiniens continuent à y travailler, car il ne sied pas aux entreprises israéliennes de la fermer: les salaires sont beaucoup plus bas qu’en Israël, à savoir 1500 shekels/mois (270 euros) contre le salaire minimal israélien de 4500 shekels (810 euros).
La plage
La ville de Gaza vous fait respirer un air de liberté : la mer ne divise pas, mais elle unit, et son parfum nous fait oublier où nous nous trouvons. Gaza porte encore les signes de splendeur d’une ville méditerranéenne qui a joui de l’autonomie dans les années 90. Ses hôtels et ses promenades vous remplissent de tranquillité. Gaza: des tours, des jardins, la lumière méditerranéenne et les drapeaux verts du Hamas. Gaza: des fleurs, le désespoir et la rage. Tout est vent, soleil, silence et mer. Une mer agitée, mais pas trop. Une mer fermée, car les pécheurs ne peuvent pas s’aventurer en mer ouverte, surveillée par les avions militaires de l’Etat juif. Mais peu importe! La mer est aussi belle quand elle est seule, et ses plages désertes sont un bien toujours plus rare sur cette mer. Gaza: un mot qui déclenche l’indignation, un mot qui fait peur.
Je suis triste quand nous rentrons à Erez le soir, en traversant une campagne sans lumière. Le douanier palestinien nous reçoit en pantoufles, les soldats en bottes et mitraillette. Deux heures d’inspection à l’intérieur d’une cabine où la voix de l’agent de sécurité nous parvient déformée par le haut-parleur. Un bus nous frôle, ramenant à la maison les familles des prisonniers de retour d’une visite à leurs proches. Aujourd’hui encore, quelques semaines après mon passage par Gaza, je sens le parfum de la plage.
                               
4. Palestine : un avenir lourd de menaces (19 janvier 2005)
[Conférence donnée le mercredi 19 janvier 2005 à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Salle E.Boutrmy, par Jean-François Legrain, chercheur en sciences politiques au CNRS, spécialiste du Proche-Orient. Conférence enregistrée par Silvia Cattori, à laquelle nous devons le compte-rendu ci-dessous, ou Jean-François Legrain  intervenait à l’invitation des étudiants palestiniens en France (associations Adala et GUPS). Voir le répertoire de toutes les sources à l’adresse : http://www.mom.fr/guides.]
La disparition d’Arafat, qui cumulait à lui seul plusieurs responsabilités et présidences, a ouvert plusieurs successions.
Les postes de responsabilité les plus importants – les présidences du Fatah, du Comité exécutif de l’OLP, de l’Autorité Autonome Palestinienne – ont été attribués respectivement à :
- Farouk Faddoumi, qui a été désigné chef du parti Fatah, et qui occupe par conséquent un poste qui n’existe pas. La direction du Fatah était jusqu’ici un pouvoir partagé. Il s’agit de la principale organisation au sein de l’OLP qui, dès les années soixante, avait pris le contrôle du combat national des Palestiniens et lancé - avec d’autres forces - la lutte de libération de la Palestine. La nomination de Farouk a été pour le moins une surprise. Considéré comme le plus farouche opposant à l’autonomie, il vit à Tunis et n’a jamais mis les pieds dans les territoires autonomes. Le Fatah tient d’ailleurs ses réunions à Ramallah en son absence !
- Mahmoud Abbas a été désigné président du Comité exécutif de l’OLP. C’est un poste très important, car l’OLP, seule institution reconnue internationalement, est donc seule habilitée à représenter le peuple palestinien et à signer des accords internationaux. L’ensemble des accords avec Israël ont été signés par l’OLP et non pas par l’Autorité Palestinienne. C’est l’OLP, et elle seule, qui bénéficie d’un siège d’observateur aux Nations Unies.
Mahmoud Abbas a été également désigné président de l’Autorité autonome palestinienne, ce qui pratiquement le désignait comme le candidat de l’OLP à la présidence du pays.
Il convient de relever que depuis quelques années on a pu observer un glissement de l’OLP vers l’Autorité palestinienne, que certains peuvent qualifier de sournois - glissement encouragé par la communauté internationale, mais aussi par ceux des Palestiniens qui se sont prêtés au jeu. Les médias ont suivi. L’idée à été amplement avalisée que l’interlocuteur palestinien ne serait apte à négocier au nom des Palestiniens que si sa légitimité était sanctionnée par un scrutin.
On en est donc venus à considérer que celui qui serait habilité à signer un accord ne serait pas le président de l’OLP, mais le président de l’Autorité palestinienne - ce qui est une aberration juridique puisque, dans ses fondements mêmes, l’Autorité autonome telle qu’établie en 1993 était privée de toute compétence en matière de défense. En outre, l’Autorité palestinienne était limitée dans le temps, puisqu’elle était censée disparaître en 1999, date à laquelle la période de cinq années dite « intérimaire » devait prendre terme en même temps que le conflit israélo-arabe aurait été résolu !
Aujourd’hui, cette Autorité n’a plus de fondement juridique clair. Elle est privée de compétences diplomatiques et ses compétences administratives ne concernent qu’une petite partie du peuple Palestinien. Or cet état de fait a été entériné, voire encouragé par la communauté internationale, ce qui amène, tout à coup, cette petite partie du peuple en charge des affaires aujourd’hui, à se voir investie de la légitimité requise afin de négocier le sort de l’ensemble du peuple palestinien.
Dans une telle logique, il fallait que Mahmoud Abbas, et nul autre, soit la personnalité qui accède à la présidence de l’Autorité autonome palestinienne. C’est donc lui qui devait être le vainqueur du scrutin à la présidence et il devait arriver en tête, notamment pour avoir clairement choisi l’option de la négociation et de la démilitarisation de l’Intifada.
Au lendemain de l’élection de Mahmoud Abbas, le monde a considéré que les Palestiniens s’étaient bel et bien pliés de leur plein gré à l’injonction qui leur était faite en ce sens par la communauté internationale, ainsi que le montrait le programme sur la base duquel ils l’avaient élu, de manière « massive », président de l’Autorité autonome.
Or, quand on examine les faits d’un peu plus près, les choses ne se sont pas passées comme on le prétend. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle, si on continue d’alimenter cette fausse représentation de la réalité palestinienne, on ne peut aller que vers de nouveaux contresens et, malheureusement, la désillusion ne va pas tarder. Ensuite il va falloir trouver le responsable de ce nouvel échec et, une fois encore, ce sera la partie palestinienne, et non pas la partie israélienne, qui sera accusée.
Qu’en est-il de la participation ?
Il y a eu 775 000 participants au vote, soit 71% des un million cent mille électeurs inscrits, qui ne représenteraient eux- mêmes que 60% du million huit cent mille électeurs potentiels.
Ces 71% ne représentent que 43% de l’électorat potentiel. Ce qui relativise la mobilisation de la société palestinienne, et indique que le score de Mahmoud Abbas n’était pas de 62% comme présenté officiellement, mais se réduisait à 27%, soit un peu plus du quart, seulement, de l’électorat potentiel.
Donc l’élection de Mahmoud Abbas n’a pas été un raz-de-marée en sa faveur. Il s’est agi d’un vote légitimiste en faveur du président de l’OLP, qui nous renvoie à l’effritement de la capacité à mobiliser de cette organisation, laquelle était capable, par le passé, d’obtenir un plus large suffrage.
Une partie de l’électorat a voté pour les six autres candidats. Toutefois une grande partie de l’électorat n’a pas voté ; ce qui tend à indiquer que les mouvements religieux Hamas et Jihad - qui ont préconisé le boycott - ont une large audience.
Qu’en est-il de l’avenir ?
En dépit des élections et de la réouverture de la négociation, l’avenir, pour les Palestiniens, s’annonce sombre.
On a présenté Mahmoud Abbas comme celui qui était seul à même de pouvoir ouvrir la voie de la négociation et qu’Arafat était un obstacle à la paix.
Or, ce discours ne fait que masquer les enjeux réels. Dans le dossier Israël / Palestine, toutes les conditions de la non-paix sont toujours là.
En conclusion : les propositions faites aux Palestiniens sont loin de répondre à leurs aspirations minimales.
Sur le terrain, les coups de boutoir israéliens continuent, sans qu’il y ait une mobilisation internationale pour les dénoncer. Le quotidien des Palestiniens ne cesse de se dégrader : il leur est de plus en plus difficile de se déplacer, le mur continue sa progression, la situation économique est catastrophique.
Un avenir, par conséquent, lourd de violences. D’autant que les risques de heurts entre Palestiniens est maintenant très grand.
C’est dans ce contexte lourd de menaces que le Président Mahmoud Abbas sera amené à prendre des décisions.
                               
5. Quelques remarques sur la violence, la démocratie et l’espoir par Jean Bricmont (20 février 2005)
[1] Nous avons tous crié « pas de sang pour le pétrole », mais cela fait longtemps que pétrole et sang coulent ensemble. Depuis la trahison du monde arabe par les Français et les Britanniques lors de la chute de l’empire turc en 1917 jusqu’à la guerre actuelle, en passant par le soutien constant accordé à l’Arabie Saoudite et à Israël, la guerre du Golfe de 1991 et l’embargo imposé à l’Irak, la politique occidentale a été dominée par le pétrole et a fait couler beaucoup de sang. En 1945, le département d’Etat américain qualifiait les réserves de l’Arabie Saoudite de « prodigieuse source de puissance stratégique » et de « plus grande valeur matérielle de l’histoire mondiale »[2]. A l'époque, les Américains  étaient au moins sincères.
Aujourd’hui, tout le monde semble se réjouir du remplacement de la dictature de Saddam Hussein par ce qu'ils appellent la démocratie en Irak, comme si adversaires et partisans de la guerre admettaient tous que le Pentagone a, en fin de compte, fait quelque chose de bien. Dorénavant, toute résistance armée face à l'occupant américain sera dénoncée comme étant anti-démocratique.
Je voudrais réagir face à cette unanimité, et brièvement aborder trois questions qui préoccupent le mouvement anti-guerre : la question de la violence, celle des élections et de la démocratie et finalement celle de l’espoir dans l’avenir.
Premièrement, dans sa lutte d’émancipation, le tiers monde n’a pas produit que des "Saddams" : Ho Chi Minh, Mao Tse Tung et Chou en Lai, Gandhi et Nehru, Martin Luther King et Malcolm X, Lumumba, Arafat, Ben Bella, Ben Barka, Nasser en Egypte, Mossadegh en Iran, Arbenz au Guatémala , Goulart  au Brésil, Juan Bosch en République Dominicaine, Allende au Chili, Fidel Castro à Cuba, Amilcar Cabral  en Guinée, les Sandinistes au Nicaragua, Soekarno en Indonésie, ou Othelo de Carvalho au Portugal, tous, qu’ils soient réformistes ou révolutionnaires, socialistes ou nationalistes, croyants ou athées, qu’ils utilisent ou non la violence, ont été, eux ou leur pays, à un moment ou un autre, comme Saddam Hussein, subvertis, démonisés, envahis, mis en prison ou assassinés par l’Occident[3]. Mandela est aujourd’hui traité en héros, mais il ne faut jamais oublier qu’il a été mis 27 ans en prison avec la complicité de la CIA.
Lorsque le tiers monde tente de se libérer par des moyens essentiellement pacifiques et démocratiques, qu'il s'agisse des Palestiniens pendant la période d'Oslo, d'Allende, des Sandinistes, ou aujourd'hui de Chavez au Vénézuéla, on leur vole leurs terres et on les subvertit de mille façons. Quand ils se révoltent de façon violente, qu'il s'agisse de Castro, des kamikazes palestiniens, ou de la résistance irakienne aujourd'hui, la machine à démoniser (diaboliser)se met en route et les humanistes occidentaux poussent des cris d'indignation.
Il serait fort aimable de la part des oppresseurs de dire une fois pour toute aux opprimés quelles armes ils estiment qu'ils ont le droit d'utiliser pour se défendre.
C'est une vieille histoire, celle de la violence révolutionnaire qui répond à la violence contre-révolutionnaire, mais qui ne la précède pas ; c'est aussi toute notre histoire, celle de la Commune de Paris, de la Révolution russe, de la guerre d'Espagne, de la lutte contre le fascisme et de la décolonisation.
Venons–en aux élections. L'invocation rituelle de la démocratie et des droits de l'homme  comme justification de la domination impériale est aujourd'hui le véritable opium des intellectuels, opium qui leur permet de s’illusionner sur la réalité du monde. Imaginons par exemple que l'Ukraine soit occupée par des troupes russes et que des élections y soient organisées, sans observateurs indépendants, sans presse libre et avec des candidats approuvés par l'occupant. Imaginons de plus que l'élection soit  vendue à la population par des dirigeants religieux comme un moyen de récupérer leur souveraineté, bien que d'autres opposants à l'occupation recommandent le boycott de ces élections. Je doute fort que, dans de telles circonstances, un taux de participation soi-disant élevé, mais incontrôlable[4], serait vu en Occident comme un immense "merci" adressé aux occupants. Or cette expression est exactement celle utilisée par une journaliste américaine[5] à propos des élections en Irak et résume bien le point de vue de ceux qui considèrent ces élections comme une victoire de la démocratie. Autre exemple : qui, parmi ceux qui célèbrent chez nous la liberté de la presse, s’indignera parce que celle-ci, concentrée entre des mains de plus en plus restreintes, est arrivée à convaincre, à la veille de l'élection présidentielle, 50% des Américains que l’Irak était lié à Al Qaida, thèse qui est probablement l’une  des mieux réfutées de toute l'histoire humaine[6]? Finalement, la CIA vient de publier un rapport disant que l'Irak n'avait plus d'armes chimiques depuis 1991[7]. Ce qui revient à admettre, mezzo voce, que l'embargo génocidaire contre le peuple irakien était en fait totalement illégitime. On se souviendra que Madeleine Albright, secrétaire d’Etat sous le démocrate Clinton, déclarait que, même s’il entraînait la mort de 500.000 enfants, cet embargo en valait la peine[8]. On peut douter qu’une quelconque organisation de défense des droits de l'homme ne relève ces faits.
Abordons finalement la question de l’espoir. En 1991, avec la chute de l’URSS, son incertain protecteur, le tiers monde semblait être à genoux. On pouvait rêver d’éliminer la résistance palestinienne à travers les accords d’Oslo. Le mécanisme de l’endettement pouvait être mis au service d’un hold-up gigantesque sur leurs matières premières et leurs industries. Néanmoins, l’espoir est en train de changer de camp.  Le New York Times admettait, après les manifestations contre la guerre de février 2003, qu’il existe encore, après tout, deux superpuissances : les États-Unis et l’opinion publique mondiale, qui s’oppose à leur politique[9]. L’arme de la critique refait surface contre la force des armes et nul ne peut prédire où cela nous mènera. En Amérique Latine, les illusions néo-libérales ont fait long feu et le système néo-colonial y fait eau de toute part.  La résistance des Irakiens ébranle depuis deux ans les certitudes de la partie du monde qui se croit civilisé. En immobilisant, même temporairement, l'armée américaine, et en mettant en doute son invincibilité, les Irakiens, comme les Vietnamiens dans le temps, luttent et meurent pour l'humanité entière.
Finalement, regardons  l’histoire sur le long terme : au début du 20ème siècle, toute l’Afrique et une partie de l’Asie étaient entre les mains des puissances européennes.  Les empires russes, chinois et ottomans étaient impuissants face aux ingérences occidentales. L’Amérique Latine était envahie encore plus souvent qu’aujourd’hui. A Shanghai, les Anglais contrôlaient un parc dont ils interdisaient l’accès « aux chiens et aux Chinois ». Si tout n’a pas changé, au moins le colonialisme a été jeté, au prix de millions de morts, dans les poubelles de l’histoire (à l’exception de la Palestine). C’est cela qui constitue sans doute le plus grand progrès social de l’humanité au 20ème siècle. Les gens qui veulent faire renaître le système colonial en Irak, même avec ce que Lord Curzon appelait, à l’époque de la  monarchie contrôlée par les Britanniques, une « façade arabe », rêvent tout éveillés. Le 21ème siècle sera celui de la lutte contre le néo-colonialisme, comme le 20ème a été celui de la lutte contre le colonialisme.
Dans la mesure où le progrès de la majorité de l’humanité est lié aux défaites européennes dans les conflits coloniaux, un point de vue étroitement eurocentriste nous pousse à voir l’évolution du monde en terme de décadence, ce qui est sans doute une des raisons profondes du pessimisme qui domine chez tant d’intellectuels occidentaux. Mais une autre vision des choses est possible : pendant toute la période coloniale, nous, les Européens, avons pensé que nous pouvions dominer le monde par la terreur et par la force. Le sentiment absurde de notre supériorité et notre volonté d’hégémonie nous ont  amené à nous entretuer, et avec nous une partie du reste du monde, au cours des deux guerres mondiales. Tous ceux qui préfèrent la paix à la puissance et le bonheur à la gloire devraient remercier les peuples colonisés de leur mission civilisatrice : en se libérant de notre joug, ils nous ont rendu, nous les Européens, plus modestes, moins racistes et plus humains. Pourvu que cela continue et que les Américains finissent par être forcés de suivre cette voie.
- NOTES :
[1] Exposé fait au Beursschouwburg, le 20 février 2005, au cours d'une action organisée par le  Brussells Tribunal contre la visite de Bush en Belgique .
[2] Voir Noam Chomsky: Dominer le monde ou sauver la planète ? L’Amérique en quête d’hégémonie mondiale. Traduit par Paul Chemla. Fayard, Paris, 2004, chapitre 6.
[3] Voir William Blum, L’Etat voyou et, du même auteur, Les guerres scélérates, Parangon, pour une description détaillée des interventions américaines depuis la guerre.
[4] Sur le site Israélien Debka, on peut lire que « DEBKAfile’s Iraq experts reveal that, while the turnout is officially estimated at 60%, the real figure will probably turn out to be quite a bit lower, no more than 40-45% - in itself an exceptional feat… The Shiite turnout was disappointing in other ways too. Long queues and 80% percentage of eligible voters appeared only in the two shrine cities of Najef and Karbala. Further south in the densely populated Diwanya, Mussana, Qadasiya and Amara, the proportion did not go beyond 40%. In Basra, Iraq’s second largest town, the turnout was 32-35%, although Iraqi election officials claimed 90%.  (voir http://www.debka.com/article.php?aid=974)
[5] Betsy Hart, écrivant pour le Scripps Howard News Service ; citée par Naomi Klein, « Sorry George, but Iraq has given you the purple finger », The Guardian , 12 février 2005.
[6] Voir « Americans and Iraq on the Eve of the Presidential Election »,
A  PIPA/KN Study, sur le site http://www.pipa.org/ du Program on International  Policy Attitudes (PIPA). D’après cette étude, 54% des Américains  pensaient, à la veille de l’élection, que l’Irak avait des armes de destruction massive.
[7] Voir, A report, the first of its kind, says Baghdad ended its chemical weapons program in '91, par Greg Miller, Times Staff Writer, February 1, 2005, http://207.44.245.159/article7938.htm
[8] Emission “ Sixty Minutes ” (CBS) du 12 mai 1996.
[9] Patrick Tyler, New York Times, 17 février 2003.
                       
Revue de presse

                            
1. Comment Israël a orchestré la colonisation "sauvage" par Patrick Saint-Paul
in Le Figaro du jeudi 10 mars 2005

Un rapport officiel dénonce l'implication du gouvernement d'Ariel Sharon
Jérusalem de notre correspondant - Les autorités israéliennes ont encouragé et financé en sous-main la construction de colonies dites «sauvages» en Cisjordanie, celles qui sont jugées illégales même au regard du droit israélien. L'affaire était un secret de Polichinelle. La publication, hier, d'un rapport officiel, commandé par le bureau du premier ministre, Ariel Sharon, a fait l'effet d'une bombe : le document met en lumière le système qui a permis les dérives. Il recommande d'examiner la possibilité de poursuivre en justice plusieurs responsables gouvernementaux.
«Les violations de la loi sont devenues la norme au sein de plusieurs organismes officiels pour ce qui concerne ces colonies sauvages», a déploré Me Talia Sasson, une avocate auteur du document. Elle s'est plainte de ne pas avoir eu accès à tous les documents au cours de ses recherches. Me Sasson a recommandé de transmettre les résultats de son enquête au procureur général, afin qu'il décide d'éventuelles poursuites. Le gouvernement doit se saisir du document dimanche lors du Conseil des ministres.
L'exemple le plus marquant est celui de la colonie sauvage de Migron, à travers lequel la juriste décrit comment une fausse antenne de relais pour téléphone cellulaire s'est transformée en point de peuplement. En avril 2002, des colons ont réclamé la mise en place d'une antenne sur une colline. De nombreux Israéliens habitant en Cisjordanie étant victimes de tireurs isolés palestiniens sur les routes, l'armée a approuvé sans délai cette mesure visant à améliorer la communication. Un poteau a été dressé sur la colline, une propriété privée palestinienne. Un grillage a été installé pour protéger l'antenne. Un garde a été désigné pour prévenir tout sabotage. Un cabanon a été construit pour le confort du vigile. Une ligne électrique a été tirée pour l'éclairer. Puis une route a été construite, pour faciliter l'accès à la zone. Tout cela avec l'assentiment de l'armée, de l'administration civile et de la compagnie d'électricité israélienne.
Au bout de quelques semaines, cinq caravanes se sont installées à Migron. L'armée, qui s'est interrogée un temps quant à l'opportunité de les déloger, affirme que les caravanes ne disposaient pas de permis pour s'installer, mais qu'il n'existait pas non plus d'autorisation pour les chasser. Aujourd'hui, trois ans après les faits, plusieurs dizaines de familles vivent à Migron. Dans son rapport, Me Sasson note que «les fonds pour financer les infrastructures de Migron ont été fournis par le ministère de l'Habitat, qui a investi 4 millions de shekels (696 000 euros) pour aménager le terrain, y amener l'eau et le tout à l'égout et goudronner la route».
Me Sasson a évalué à 105 le nombre de colonies sauvages, dont 22 ont été créées après l'accession au pouvoir d'Ariel Sharon, considéré comme le père de la colonisation, en mars 2002. Elle affirme qu'aucune colonie sauvage, jugées illégales au regard du droit israélien alors que le droit international considère comme illégales toutes les colonies construites dans les Territoires palestiniens, n'a été évacuée. Pourtant dans six cas au moins, l'armée dispose de toutes les autorisations nécessaires. Mardi, l'Administration de George W. Bush a prévenu que si Israël ne respectait pas ses engagements de démanteler toutes les colonies sauvages construites depuis mars 2001, cela pourrait porter tort aux relations entre les deux pays et avoir un impact sur l'aide américaine à Israël.
La secrétaire d'État, Condoleezza Rice, a demandé au gouvernement israélien de donner suite immédiatement aux recommandations formulées par le rapport. Me Sasson a suggéré toute une série de réformes et de procédures de contrôle qui permettraient de mettre fin aux pratiques illégales, recommandant notamment que le ministère de
l'Habitat soit privé de toute autorité concernant la construction de colonies en Cisjordanie.
                                                         
2. Traiter avec les terroristes ? Ce qui compte le plus est la vie humaine par Giulio Andreotti
on Aprile (quotidien online italien) du jeudi 10 mars 2005
[traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio]

(Giulio Andreotti est italien, plusieurs fois Président du Conseil italien, sénateur à vie, ancien dirigeant de la Démocratie Chrétienne, notamment au moment de l’assassinat Aldo Moro - http://biografieonline.it/biografia.htm?BioID=397&biografia=Giulio+Andreotti. Voir aussi "L’Affaire Moro" de Leonardo Sciascia aux éditions Grasset - Coll. Les Cahiers Rouges - ISBN : 2246423627.)
Enlèvements. Nous publions l’intervention du sénateur Andreotti lors du débat d’hier [1] sur la libération de Giuliana Sgrena et la mort de Nicola Calipari.
Monsieur le Président, je prends la parole avec embarras car dans des moments comme celui-ci on est plus enclin au silence et à la méditation. Cependant, il est nécessaire que notre petit  Gruppo senatoriale per le Autonomie [2] n’échappe pas à son rôle, qui n’est pas corrompu par ces questions préalables de coalition qui malheureusement nécrosent souvent –mais pas aujourd’hui- notre travail.
La dernière implication d’italiens dans la chronique noire de l’Irak ne pouvait pas, à cause du rôle joué par des militaires étasuniens, ne pas susciter des polémiques et des spéculations bien au-delà du cas particulier. Dans la brièveté de cette intervention, je ne m’attarderai pas sur cela, parce que, aussi, sans me référer à toute notre histoire, les américains sont avec nous dans une Alliance qui fut contestée au départ, mais qui depuis 1976 a recueilli l’accord de tous les Groupes politiques ou presque. Il n’est pas utile, donc, de répéter que nous sommes amis.
Je souhaite par contre attirer l’attention du Président du Conseil sur deux problèmes, avec un petit préambule : l’enquête italo-américaine sur la triste fusillade constitue une solution sage et opportune, mais engage aussi à réfléchir sur l’anormalité de la situation là-bas. De fait, malgré l’existence d’un Gouvernement, fut-il même provisoire, et après les élections, ce sont les occupants qui doivent mener les enquêtes sans aucune participation des irakiens.
Je n’ai pas partagé, ces dernières semaines, les positions de ceux qui exigeaient notre retrait immédiat et, le 30 juin demeurant le terme fixé par la loi de financement que nous avons approuvée, nous avons l’engagement du Gouvernement  de promouvoir rapidement un débat approfondi sur toutes nos présences militaires au-delà des frontières. C’est à ce moment-là qu’on approfondira aussi la nature de notre intervention irakienne, advenue sur la base d’une menace qui s’est avérée dépourvue de fondement.
Mais je soumets aujourd’hui un autre problème. Ces jours-ci, les projecteurs internationaux se focalisent sur le Liban. Hier soir, notre télévision a retransmis le passage d’un discours du président Bush dans lequel il somme les syriens de quitter immédiatement le Liban, en invoquant les résolutions de l’ONU.
A part le fait que depuis cinquante ans et plus, les résolutions de l’ONU pour cette zone sont inappliquées, on ne peut pas oublier qu’une initiative imprévoyante de l’ambassadeur américain itinérant Habib aboutît à un accord fragile entre le Liban et Israël, qui coûta la vie au pauvre président libanais Gemayel. Mais plus encore. Ces jours-ci, on parle beaucoup du Liban, mais personne ne parle des centaines de milliers de réfugiés palestiniens, concentrés au Liban même, mal vus par la population libanaise. Qu’arrivera-t-il à ces pauvres gens si vraiment les syriens se retirent à l’improviste ? Au moment justement où naissent des lueurs  d’espoir entre palestiniens et israéliens, il convient de faire très attention de ne pas accomplir de pas hâtifs.
Je me souviens bien de la position de Assad père au moment de la Conférence de Madrid. Il est juste –disait-il- de prévoir des ententes bilatérales entre Israël et la Jordanie, la Syrie, le Liban et les palestiniens, mais la conclusion devait être simultanée. Nous ne sommes pas disposés à finir comme les Horaces et les Curiaces.
Un pays comme le nôtre qui a toujours été politiquement très attentif au Moyen-Orient, doit aider tout le monde à ne pas faire de faux pas. Nous avons toujours apprécié, par exemple, la position silencieuse de la Syrie à propos de l’occupation  de leur province du Golan.
Vous qui en avez les moyens, Monsieur le Président, rappelez l’attention du président Bush sur cela. Peut-être que personne ne l’a jamais informé.
Mais je dois, pour finir, faire une glose. Je ne sais pas s’il est vrai qu’aient été payées des rançons pour sauver cette vie et d’autres vies humaines. Je comprends qu’il est douloureux de donner de l’argent à des malfrats et peut-être même de prendre le risque de les encourager, mais le droit à la vie, quoi qu’il en soit, prévaut.
A cette occasion, on s’est rappelé que pendant la détention d’Aldo Moro, le refus de traiter avec les brigadistes -qui voulaient, à travers cela, devenir un sujet politique en soustrayant la représentation du prolétariat de gauche au Parti Communiste - étant décidé, il est pourtant vrai qu’une tentative de rançon se fit, avec notre approbation totale – notre gratitude, même- au nom du Saint Père Paul VI. Malheureusement, leur intermédiaire se révéla inefficace ou carrément hâbleur. Il était nécessaire de ma part que je saisisse cette occasion pour le préciser ici ce soir.
- NOTES :
[1] Débat à Montecitorio, Chambre des députés.
[2] Groupe sénatorial pour les Autonomies,  auquel appartenait aussi Gianni Agnelli.
                                         
3. Bush tance la Syrie par Jean-Christophe Ploquin
in La Croix du mercredi 9 mars 2005

Le président des États-Unis a appelé, dans un discours prononcé mardi 8 mars, les peuples du Moyen-Orient à prendre avec «courage» leur destin en main
George W. Bush s’est attardé sur le Liban et sur le conflit israélo-palestinien mardi 8 mars, dans un discours consacré au Moyen-Orient. Intervenant devant une assistance spécialisée dans les questions de défense, le président américain s’est directement adressé au «peuple libanais». «La dynamique de la liberté est de votre côté et la liberté prévaudra au Liban», a-t-il lancé.
Le président américain s’est montré très critique envers la Syrie, qualifiant de «tactiques dilatoires» et de «demi-mesure» la décision de repli annoncée samedi dernier par le président Bachar Al Assad et les mouvements de troupes constatés depuis lors. «Toutes les forces militaires et les agents des services de renseignement syriens doivent se retirer avant les élections libanaises, pour que ces élections soient libres et justes», a-t-il martelé. Ce scrutin législatif est prévu en mai.
George W. Bush a aussi dénoncé le soutien que la Syrie et l’Iran apportent, selon lui, à des actions terroristes en Israël. «Le temps est venu pour la Syrie et l’Iran d’arrêter d’utiliser le meurtre comme un instrument politique et d’en finir avec tout soutien au terrorisme», a-t-il souligné, mentionnant l’attentat du 25 février dernier à Tel-Aviv qui a fait six morts, dont le kamikaze palestinien.
Le président américain a donné les orientations de son administration vis-à-vis du conflit israélo-palestinien. «Les États arabes doivent en finir avec l’incitation (au terrorisme) dans leurs médias, couper les fonds publics et privés au terrorisme, arrêter de soutenir des programmes d’éducation extrémistes, et établir des relations normales avec Israël, a-t-il détaillé. Israël doit geler le développement des colonies, aider les Palestiniens à bâtir une économie robuste, et faire en sorte qu’un nouvel État palestinien soit vraiment viable, avec une continuité territoriale en Cisjordanie. Les responsables palestiniens doivent combattre la corruption, encourager la libre entreprise, demeurer une véritable autorité avec le peuple, et combattre activement les groupes terroristes.» 
La stabilité du Proche-Orient passe par une rupture du statu quo
Sur l’Irak, le président américain a été bref, soulignant que l’élaboration d’une nouvelle Constitution devra s’y dérouler «sans influence extérieure».
Dans ce discours tout entier consacré au «Grand Moyen-Orient», George W. Bush s’est une nouvelle fois arrimé aux attentats du 11 septembre 2001 aux États-Unis, dressant un parallèle avec l’attaque japonaise sur Pearl Harbor en 1941 pour indiquer que «deux fois en soixante ans, une attaque soudaine sur les États-Unis a lancé notre pays dans un conflit total», cette fois-ci contre le terrorisme. Au-delà de la traque des terroristes, il a expliqué combien la sécurité des États-Unis exigeait le basculement du Moyen-Orient dans une ère de «progrès, d’espoir et de liberté».
De passage mercredi 9 mars à Paris, l’un des responsables du département d’État chargé du Moyen-Orient, Scott Carpenter, a souligné que les États-Unis n’entendaient pas agir seuls. Il a reconnu que les Européens avaient déjà mis la démocratisation du bassin méditerranéen à leur programme il y a dix ans en lançant le «processus de Barcelone». «Nous avons des partenaires, nous voulons des partenaires», a-t-il souligné devant quelques journalistes. Selon lui, la stabilité de la région passe par une rupture du statu quo politique qui a figé l’évolution des États arabes depuis de longues années.
Scott Carpenter est responsable de l’Initiative de partenariat au Moyen-Orient (Middle East partnership Initiative), un programme bilatéral doté de 300 millions de dollars (227 millions d’euros), qui vise à promouvoir la démocratie, l’économie de marché, une éducation de qualité et l’accès des femmes aux responsabilités. Ses relais dans les pays arabes sont le plus souvent des organisations non gouvernementales, parfois dans l’opposition. Les États-Unis, qui ont lancé par ailleurs l’an dernier au sein du G8 une autre initiative pour le Moyen-Orient, cette fois multilatérale, envisagent à moyen terme la création d’un Forum régional.
                           
4. Le triangle libanais par Richard Labévière
on Radio France Internationale du mercredi 9 mars 2005
«Le Liban n'est ni la Somalie, ni l'Ukraine ni la Géorgie. Le Liban, c'est le Liban», lance Hassan Nasrallah à une foule qui rassemble plus d'un million de personnes -et pas seulement des chiites- à savoir près d'un tiers du pays. Aucun emblème du Hezbollah, seulement des drapeaux libanais afin de bien signifier la dimension nationale de cette énorme mobilisation destinée à répondre, sinon contrer, la vague anti-syrienne qui semblait submerger le pays depuis l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri.
Les Etats-Unis sont abondamment conspués. La France, un peu aussi. Et c'est surtout la résolution 1559 des Nations unies qui est dénoncée, résolution réclamant un retrait syrien total du Liban et le désarmement du Hezbollah. Depuis plusieurs jours la Syrie a entamé le retrait de ses 14 000 soldats mais personne, ou presque, n'a jugé utile ou possible de rappeler que la Syrie est aussi un pays occupé, l'armée israélienne campant sur le plateau du Golan depuis juin 1967. Quant au désarmement réclamé du Hezbollah, il ne tient absolument pas compte d'un contexte régional qui demeure extrêmement déséquilibré et qui signifierait que le Liban s'engage, de fait, à conclure une paix séparée avec Israël.
Depuis le retrait de l'armée israélienne du Sud-Liban, en mai 2000, le Hezbollah a confirmé qu'il est un des acteurs importants de la vie politique libanaise. Avec douze députés au parlement libanais, l'organisation chiite incarne également une indéniable capacité de dissuasion appréciée par de nombreux Libanais. L'armée israélienne ne peut plus attaquer le Liban, à tout bout de champ, comme elle le fit pendant des années, sans s'exposer aux représailles des combattants chiites.
On touche ici à la quadrature du triangle libanais. Le premier côté se constitue, bien-sûr, d'une relation syro-libanaise complexe. C'est à la demande des Libanais eux-mêmes, au début de la guerre civile, que Damas est intervenu. Le deuxième côté, on l'a noté, c'est la confrontation entre Damas et Tel-Aviv avec l'occupation israélienne du plateau du Golan. Enfin, la base du triangle nous ramène inévitablement à la dimension israélo-palestinienne. Car si l'attention s'est focalisée sur le désarmement du Hezbollah, n'oublions pas que 400 000 Palestiniens restent cantonnés au Liban, et que cette population pèse aussi sur l'avenir politique tant qu'elle ne peut regagner son pays.
Il reste difficile, par conséquent, d'envisager une application pure et simple de la résolution 1559 sans tenir compte de ce contexte régional triangulaire. Depuis 1948, plus de quatre cents résolutions du Conseil de sécurité, de l'Assemblée générale ou de la Commission des droits de l'homme des Nations unies ont été adoptées.
A ce jour, aucune d'entre elles n'a connu le plus petit début de mise en application et la posture du "deux poids-deux mesures" est de plus en plus difficilement tenable à l'heure où l'on vante tant les bienfaits irradiants de la démocratie planétaire. 
                           
5. La préparation de la "révolution des cèdres" - Les plans de l'US Committee for a Free Lebanon
in Voltaire du mardi 8 mars 2005

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Pendant huit ans, l'U.S. Committee for a Free Lebanon a patiemment élaboré un dossier médiatique et juridique pour créer la situation actuelle. Cette association, liée aux phalangistes et proche des gouvernements israélien et états-unien, a préparé l'attaque de la Syrie et manipulé l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafik Hariri. Elle est parvenue à intoxiquer l'opinion publique internationale et à faire croire à la culpabilité des ba'asistes dans cet attentat. Jusqu'à ce que, hier, un million et demi de Libanais manifestent contre l'ingérence US et en soutien à la Syrie.
Le Comité états-unien pour un Liban libre (U.S. Committee for a Free Lebanon - USCFL) a été créé fin 1997 par un banquier de Wall Street, Ziad K. Abdelnour. De double nationalité états-unienne et libanaise, ce financier est issu d'une famille de politiciens libanais : son père, Khalil Abdelnour, fut député de 1992 à 2000 ; son oncle, Salem Abdelnour, de 1960 à 64, puis de 1972 à 92 ; son cousin par alliance, Karim Pakradouni, est le président des Phalanges.
La création de cette association répondait au vœu des néoconservateurs de « remodeler le Proche-Orient », elle correspondait à une stratégie formulée à l'intérieur de l'American Enterprise Institute et de sa branche électorale, le Project for a New American Century, et coordonnée avec le Likoud israélien via le Jewish Institute for National Security Affairs (JINSA). L'USCFL était conçu pour jouer, dans sa zone d'action, un rôle équivalent à l'Iraqi National Congress d'Ahmed Chalabi pour l'Irak. D'ailleurs, son objectif principal n'était pas de prendre le pouvoir au Liban, mais de « renverser le régime en Syrie ».
À partir de 1999, le Comité commença à publier le Middle East Intelligence Bulletin (MEIB). La rédaction de ce mensuel est composée de Michael Rubin et Thomas Patrick Carroll, sous l'autorité de Gary C. Gambill.
Ces trois hommes sont connus pour leurs liens avec la CIA. Michael Rubin s'est trouvé pendant l'année et demi qui a suivi l'invasion de l'Irak, conseiller spécial de Donald Rumsfeld et de L. Paul Bremer III ; Thomas Patrick Caroll est un ancien agent de la CIA. Quant au rédacteur-en-chef, Gary C. Gambill, c'est un salarié de la Freedom House (une officine de l'Agence).
En mai 2000, l'USCL et le Middle East Forum de Daniel Pipes [1] se sont associés pour créer un Groupe de travail commun sur le Liban et publier un rapport intitulé Mettre fin à l'occupation syrienne du Liban : le rôle des États-Unis [2]. Il assure que l'intérêt des États-Unis est d'utiliser le Liban comme moyen de pression sur la Syrie afin de la contraindre à accepter l'occupation israélienne du Golan et à cesser de soutenir les revendications palestiniennes. Il préconise de soutenir l'opposition libanaise, de prendre des sanctions économiques contre la Syrie, voire d'engager une action militaire contre elle. À ce propos, le rapport indique que Washington ne doit pas tarder car Damas serait en train de se doter d'armes de destruction massive. Rétrospectivement, la lecture de ce document, passé presque inaperçu à l'époque, surprend par sa franchise. Il emprunte certains éléments à un projet rédigé en 1996 pour Benjamin Netanyahu, Une rupture nette : une nouvelle stratégie pour sécuriser le royaume (d'Israël) [3]. La rhétorique et les objectifs de la future administration Bush y sont déjà entièrement énoncés. Le rapport est signé par les 31 membres du Groupe de travail, tous des personnalités néoconservatrices ou sionistes. Plusieurs d'entre eux occupent aujourd'hui des postes clé dans l'administration Bush : Elliott Abrams [4] est n°2 du Conseil national de sécurité ; Paula Dobriansky est sous-secrétaire d'État ; Douglas Feith est sous-secrétaire à la Défense ; Jeane Kirkpatrick est ambassadrice à Genève ; Richard Perle est le conseiller de l'ombre au Pentagone ; David Wurmser est devenu conseiller du vice-président Cheney.
En 2002, l'équipe rédactionnelle du MEIB est rejointe par Daniel Pipes. Du coup, les liens entre l'USCFL et le Middle East Forum paraissent plus étroits que jamais.
Le 18 avril 2002, le représentant (républicain) du Texas, Dick Armey, déposait à la Chambre un projet de loi sur la « responsabilité syrienne » [5] avec son ami Eliot Engel, représentant (démocrate) du Bronx.
Engel était membre du Groupe de travail conjoint sur le Liban du MEF et de l'USCFL. Il s'était déjà illustré en menant campagne pour la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d'Israël. Cette initiative est soutenue implicitement par le président George W. Bush, le 24 juin 2002, dans de son célèbre appel pour un nouveau leadership palestinien, que l'on sait aujourd'hui inspiré par le ministre israélien Natan Sharansky [6]. Dès lors, il apparaît clairement que la stratégie du MEF/USCFL a été adoptée par la Maison-Blanche : il s'agit de couper le soutien syrien aux mouvements de résistance palestinien, en utilisant le Liban comme moyen de pression sur Damas.
Cependant, ce texte s'avère insuffisant. Aussi, le 12 avril 2003, c'est-à-dire deux semaines après le début des opérations militaires en Irak, Eliot Engel revient à la charge en introduisant un nouveau projet de loi sur « la responsabilité syrienne et la restauration de la souveraineté libanaise » [7]. L'article premier en explicite les objectifs :« Pour arrêter le soutien syrien au terrorisme, mettre fin à son occupation du Liban, stopper son développement d'armes de destruction massive, cesser son importation illégale de pétrole irakien et ses cargaisons illégales d'armes et d'autres matériels militaires irakiens, et ce faisant pour rendre la Syrie responsable des sérieux problèmes de sécurité internationale qu'elle a causé au Proche-Orient, et pour d'autres buts » [8]. Les débats parlementaires se voulurent martiaux.
Le 17 septembre, le général Michel Aoun témoigne devant les Représentants et demande aux États-Unis d'intervenir militairement pour lui rendre le pouvoir qu'il a perdu quinze ans plus tôt. Pour les membres du Congrès, il était si clair que la Syrie serait leur prochaine cible qu'ils donnèrent carte blanche au président Bush pour l'attaquer lorsque cela lui paraîtrait nécessaire. La loi ne sera définitivement adoptée que le 15 octobre 2003. Mais le dispositif est déjà en place.
En septembre 2003, David Wurmser, un membre du Groupe de travail joint du MEF/USCFL, est nommé a cabinet du vice-président Dick Cheney pour préparer l'attaque de la Syrie. Wurmser et son épouse, Meyrav, ont participé à la rédaction du projet de 1996 pour Netanyahu. Meyrav est aussi l'une des fondatrices du MEMRI, une officine de propagande de Tsahal.
Le 5 octobre, jour du trentième anniversaire de la guerre du Kippour, Tsahal viole l'espace aérien syrien et bombarde des villages autour de Damas, qui auraient abrité des « camps terroristes ». Au passage, les avions israéliens vont faire quelques loopings au-dessus de la maison familiale de Bachar el-Assad, montrant ainsi qu'ils sont capables de frapper où ils veulent et quand ils veulent le président syrien.
En novembre, la National Endowment for Democracy (NED/CIA) crée à Washington un groupe fantoche, la Syrian Democratic Coalition, autour du Reform Party of Syria, présidé par le marchand d'armes Farid N. Ghadry. Un congrès est organisé à Bruxelles les 18 et 19 janvier 2004, mais il échoue à trouver une personnalité à placer à la tête de la Syrie en cas de « libération » par les États-Unis.
Dès lors, les membres de l'USCFL cherchent à étoffer le dossier contre la Syrie [9]. Celle-ci est accusée de servir de refuge à Saddam Hussein en fuite, puis de cacher les armes de destruction massive irakiennes que l'on ne parvient pas à trouver, puis de relancer le terrorisme palestinien, etc.
L'USCFL active des soutiens politiques à l'étranger en s'appuyant sur les services du cabinet de relations publiques Benador Associates. Ainsi, une délégation comprenant Farid N. Ghadry, un représentant du général Aoun et Walid Phares, rencontre en France les anciens ministres François Léotard, Alain Madelin et Philippe de Villiers, en juillet 2004.
Il faut aussi préparer des justifications juridiques. Le 2 septembre 2004, les États-Unis, soutenus par le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne, font adopter par le Conseil de sécurité des Nations Unies la résolution 1559 enjoignant les forces étrangères (c'est-à-dire à la fois syriennes et israéliennes) de quitter le Liban.
La montée de la tension est soigneusement planifiée :
Le 31 mars 2004, Farid N. Ghadry lance Radio Free Syria depuis la zone turque de Chypre. La station est évidemment financée par la NED/CIA.
Dans son discours sur l'état de l'Union du 2 février 2005, le président Bush déclare aux parlementaires : « Afin de promouvoir la paix dans le Grand Moyen-Orient, nous devons affronter des régimes qui continuent d'abriter des terroristes et cherchent à se doter d'armes de destruction massive. La Syrie permet encore que son territoire, ainsi que certaines parties du Liban, soient utilisés par des terroristes qui cherchent à détruire toute chance de paix dans la région. Vous avez adopté et nous appliquons la Loi sur la responsabilisation de la Syrie  : nous attendons du gouvernement syrien qu'il cesse tout appui au terrorisme et ouvre la porte à la liberté ». [10]
Le 7 février 2005, le Dr Imad Mustafa, ambassadeur syrien à Washington, est convoqué au département d'État. Il est reçu par le responsable du département Proche-Orient, David Satterfield, qui le prie de transmettre au président Bachar el-Assad la « dernière sommation » de retirer ses troupes du Liban.
Le 14 février, l'assassinat de l'ancien Premier ministre libanais, Rafic Hariri, donne le signal des opérations. L'attentat est conçu de manière particulièrement spectaculaire pour frapper les esprits. Dans les minutes qui suivent, l'USCFL diffuse un communiqué intitulé : Mettons fin au régime ba'asiste syrien et mettons le président Émile Lahoud et les autres fantoches libanais à genoux. En voici le texte : « Avec l'assassinat du Premier ministre Rafic Hariri au Liban, les ba'asistes syriens sont hors de contrôle. Qui est le prochain ? Les Syriens tuent des Américains, des Irakiens, et des Libanais et nous sommes toujours en train de discuter avec eux par la voie diplomatique. S'il vous plaît, rejoignez-nous et soyons entendus autant que nous le pouvons en écrivant et en intervenant dans chaque média possible pour faire avancer le calendrier du changement de régime en Syrie. C'est la seule manière de sauver les États-Unis des politiques extrémistes ba'asistes, de libérer le Liban, et de sauver les Syriens des nazis ba'asistes. Bien sûr, avec le Premier ministre Hariri rejoignant l'opposition et formant une équipe avec le leader druze Walid Jumblatt, cette Coalition allait obtenir la majorité des sièges à Beyrouth et faire gagner le vote chrétien… c'était la seule manière pour les Syriens d'arrêter ce processus. Les jours de la Syrie au Liban sont comptés » [11]. Ainsi est lancée, sans aucune preuve et contre toute logique, l'accusation selon laquelle des éléments incontrôlés du Ba'as syrien auraient organisé l'assassinat. En quelques minutes, la rumeur est relayée dans le monde entier par les hommes de l'USFCL, manifestement mobilisés à l'avance.
- NOTES :
[1] « Daniel Pipes, expert de la haine », Voltaire, 5 mai 2004.
[2] Ending Syria's Occupation of Lebanon : The U.S. Role
[3] A Clean Break, a New Strategy for Securing the Realm, Institute of Advanced Strategic and Political Studies, Jérusalem-Washington.
[4] « Elliott Abrams, le gladiateur converti à la Théopolitique » par Thierry Meyssan, Voltaire, 14 février 2005.
[5] Syrian Accountabilty Act, H.R. 4483, S. 2215.
[6] « Natan Sharansky, idéologue de la démocratisation forcée », Voltaire, 7 mars 2005.
[7] The Syria Accountability and Lebanese Sovereignty Restauration Act, H.R. 1828, S. 982.
[8] « To halt Syrian support for terrorism, end its occupation of Lebanon, stop its development of weapons of mass destruction, cease its illegal importation of Iraqi oil and illegal shipments of weapons and other military items to Iraq, and by so doing hold Syria accountable for the serious international security problems it has caused in the Middle East, and for other purposes ».
[9] « La cible syrienne » par Paul Labarique, Voltaire, 27 janvier 2004.
[10] To promote peace in the broader Middle East, we must confront regimes that continue to harbor terrorists and pursue weapons of mass murder. Syria still allows its territory, and parts of Lebanon, to be used by terrorists who seek to destroy every chance of peace in the region. You have passed, and we are applying, the Syrian Accountability Act -- and we expect the Syrian government to end all support for terror and open the door to freedom.
[11] « End Syria's Ba'athist Regime and bring President Emile Lahoud and other Lebanese puppets to their knees (February 14, 2005) With the killing of Prime Minister Rafik Hariri in Lebanon, Syrian Ba'athists are out of control. Who's next ? It is anybody's guess at this time given the timid policies of the United States vis-a-vis Syria ? Syrians are killing Americans, Iraqis, and Lebanese and we still "talk" to them through diplomacy. Please join us in being as voiceful as you can by writing and appearing on every media outlet you can think of to push for the agenda of REGIME CHANGE in Syria. This is the ONLY way to save the United States from the egregious Ba'athist policies, to liberate Lebanon, and to save Syrians from the Nazi Ba'athists. Obviously, with Prime Minister Hariri joining the opposition and teaming up with Druze leader Walid Jumblatt, his block was going to win the majority of the seats for Beirut and win the Christian vote... which was the only way for the Syrians to stop him. Syria's days in Lebanon are numbered ».
                                
6. Réponse aux chantres de la normalisation avec Israël par Hannibal Barca
on TUNeZINE (e-magazine tunisien hébergé à Paris) du lundi 7 mars 2005

Plusieurs personnes ont exprimé l’idée qu’il fallait normaliser les relations entre la Tunisie et Israël. Que nous n’avions pas à être plus royaliste que le roi (ou plus palestinien que les palestiniens), qu’il ne fallait pas se mettre en marge de l’histoire, et reconnaître finalement en Israël un état légitime consacré par les résolutions de l’Onu, et bénéficiant du soutien des grandes puissances.
Bref qu’il faut oublier ce vieux leitmotiv panarabe faisant de la cause palestinienne un fond de commerce, où dominerait selon leurs dires la démagogie et le manque de clairvoyance politique.
Plusieurs textes dans les forums tunisiens semblent converger en ce sens, l’interprétation des faits et de la situation peuvent certes différer, mais la conclusion est la même la Tunisie devrait ou doit en toute logique normaliser ses relations avec Israël !
Je tiens à rappeler à toutes ces personnes qu’une normalisation entre des pays en conflit ne se fait qu’après et seulement après la conclusion d’une paix, la situation actuelle ne répond pas à ce critère. Il y a toujours une occupation sur le terrain, une usurpation des droits et des terres, une paupérisation et une ghettoïsation délibérée du peuple palestinien, la pratique d’un terrorisme d’État israélien soutenant un plan de colonisation et de nettoyage ethnique au profit de colons juifs, à Gaza et en Cisjordanie, toujours en vigueur d’ailleurs. Bref, je ne comprends pas que certains parlent de paix, c’est une guerre, et la plus sale qui soit puisque c’est des civils (des deux bords d’ailleurs) qui sont en majorité tués.
Je passe au deuxième point, à savoir que nous tunisiens n’avons pas à être plus palestinien que les palestiniens eux-mêmes. Je rassure ces messieurs, nous ne le sommes pas. Si les palestiniens sont obligés de négocier face à un ennemi d’occupation, jouissant d’une suprématie militaire et économique, tel n’est pas le cas de la Tunisie. Notre conflit avec Israël à nous n’est pas territoriale, il en est un de principes, soit le refus de toute forme de colonisation, d’occupation territoriale par la force, et la résistance à toute forme d’usurpation des droits humains et des peuples quelle qu’elle soit. Pour l’heure, il serait aberrant de réévaluer notre position, vu qu’Israël transgresse toujours tous ces droits. Établir une normalisation dans ces conditions reviendrait à renier nos principes, renier notre sens de la justice et de la dignité, bref tout simplement renier son humanité au profit de vils gains matériels ou politiques.
La Tunisie, en tant que peuple et gouvernement se doit de renforcer dans la mesure de ses moyens, la position déséquilibrée des palestiniens dans leurs pourparlers. Les palestiniens contrairement aux israéliens n’ont pas de moyens de pression militaires ou économiques pour influer sur le cours des événements. Leur seule carte de pression encore viable est l’aspiration ardente des israéliens de jouir d’une forme de sécurité mais d’une certaine normalité avec une majorité de pays encore hostiles. Cette normalité recherchée est prioritairement celle d’une reconnaissance et d’une pacification avec ses voisins directs (le Monde Arabe et la Tunisie). Une telle normalisation soulagerait stratégiquement Israël, au niveau militaire (baisse des dépenses, baisse du niveau d’alerte des forces armées), économiquement (accès aux ressources et matières premières de la région, ouverture de nouveaux marchés) et politiquement (reconnaissance de l’état, fin de la marginalisation d’Israël par une partie de la communauté Internationale).
Dans ce contexte, l’invitation de Sharon à Tunis s’inscrit dans un processus de normalisation de fait, les palestiniens qui compte sur le soutien de pays comme la Tunisie, perde leur seul atout et moyen de pression à un moment crucial des négociations. L’invitation de Sharon dans ce contexte revient à trahir les palestiniens qui faute de compter sur le soutien d’une stratégie arabe concertée face à Israël sont laminés, par qui ? Par ceux qui sont sensés être leurs alliés, leurs frères indéfectibles (Égypte, Jordanie, Tunisie et j’en passe).
Alors prière, qu’on ne parle pas de normalisation avant la proclamation et l’établissement d’un état palestinien viable, jouissant d’une réelle souveraineté. Cessons d’avoir une attitude conciliante et défaitiste, dont la seule conséquence concrète est notre affaiblissement géostratégique et politique. Tergiverser sur les principes et condamner ceux qui manifestent actuellement contre la venue de Sharon, est déplacé, injustifié et indigne. Avec un ennemi on peut négocier mais nullement capituler.
La négociation suggère l’établissement peut être des contacts mais jamais l’invitation d’un ennemi au plus haut niveau de représentation gouvernementale (le premier ministre Sharon), surtout si ce dernier reste intransigeant et ferme dans ses prises de positions politiques. Ariel Sharon reste logique et cohérent dans sa dialectique à savoir l’établissement d’une paix, non pas de justice et de droits, mais une paix fallacieuse, une paix israélienne ou les palestiniens n’auront que pour seule option d’accepter les diktats imposés. Sharon et Israël sont fermes dans leurs principes (bons ou mauvais d’ailleurs), soyons de même. J’espère seulement que le gouvernement entendra au final l’appel de la raison et surtout celui de son peuple, qu’il revienne sur sa décision et se sauve, nous sauve, la face d’une humiliation supplémentaire qu’on peut éviter.
                           
7. Il suffit de lire le journal par Danny Rubinstein
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 7 mars 2005
[traduit de l'hébreu Michel Ghys]

On connaît l’exigence – légitime – d’Israël à l’égard de l’Autorité Palestinienne de mettre un terme aux incitations anti-israéliennes dans les médias et dans le système d’enseignement. Depuis la signature de l’Accord d’Oslo, il y a plus de dix ans, le thème est revenu bien des fois à l’avant-plan ; les livres scolaires ont été examinés en Cisjordanie et à Gaza, des commissions communes ont été mises sur pied qui n’ont pas fait grand-chose et dans presque chaque discours du chef du gouvernement et de ses ministres apparaît la demande que cesse cette incitation.
L’incitation est définie par le dictionnaire comme excitation, provocation ou tentation offerte en direction d’une transgression. Toutefois, celui qui écoute les émissions palestiniennes de radio et de télévision peut en témoigner : ces derniers temps, un changement s’y est produit. On n’y trouve plus ce ton véhément comme par le passé. Mais il y a dans les médias palestiniens, et à foison, des nouvelles sur ce qui se passe sur le terrain. Des informations détaillées, quotidiennes, sous des titres dramatiques accompagnés de nombreuses photographies, sur ce que l’armée israélienne et les colons font en Cisjordanie et à Gaza.
Voici quelques exemples : tous les jours de la semaine écoulée, les médias palestiniens ont révélé, avec beaucoup d’insistance, l’existence de deux plans israéliens, de grande ampleur, visant à l’expropriation de terres arabes et à la construction de nouvelles unités de logement dans les colonies de Cisjordanie. L’expropriation porte sur 10 677 dounams appartenant à des villages du sud du Mont Hébron, en vue de l’érection de la clôture de séparation et de la construction de 6 400 unités de logement dans les colonies. La source de ces informations, ce sont les médias israéliens, et elles sont accompagnées des réactions de porte-parole palestiniens. Il est évident que tout Arabe est rempli de colère en entendant ces nouvelles.
Et tout ça n’est rien à côté des dizaines d’informations sur les « petites » injustices qui se produisent en permanence dans les Territoires. Par exemple : dans la petite ville de Doura, sur le Mont Hébron, « trois enfants ont été blessés lors de heurts avec l’armée d’occupation ». « A Hébron, les colons ont renouvelé leur tentative de tracer une route sur les terres des Arabes ». « Un adolescent du camp de Jénine est décédé de ses blessures ». « Un enfant de Rafah a été blessé par le tir d’un char ». « Les bulldozers de l’occupation ont arraché des dizaines d’oliviers à Maskha, à l’ouest de Ramallah ». « L’armée d’occupation a annoncé son intention de détruire un bâtiment et trois puits dans l’oued Poukine ». « Des unités d’occupation ont harcelé un civil de la petite ville de Yata, transformant sa maison en avant-poste militaire ». « Couvre-feu dans le village de Salam et dans les villes d’Abou Dis et d’Azzariyeh ». « Très importants retards au barrage d’Atara ».
Et ce ne sont que deux ou trois exemples pris parmi tout ce qui a été publié. Ce samedi, il y a eu un déluge de nouvelles et d’images à propos des heurts qui ont opposé l’armée aux habitants de Beit Sourik, Safa, Balin et Deir Balout, dans le district ouest de Ramallah. Les habitants de ces villages, était-il rapporté, tentent de protéger leurs terres contre les projets d’expropriation de l’armée d’occupation qui menace d’y ériger la « clôture de séparation raciste ». Les photos montraient de vieux fellah agenouillés pour la prière du vendredi, des femmes, en robes villageoises, pleurant dans un cortège, une vieille dame tenant un drapeau, le visage malheureux. Ces comptes-rendus et ces photos proviennent de journalistes locaux et de l’agence de presse palestinienne officielle Wafa.
Cette information est devenue routinière, communiquée dans une langue sèche, toute entière à décrire vol, humiliation, mauvais traitements à l’encontre de gens sans défense, femmes, enfants, détenus malades placés en isolement ou dont la détention administrative est prolongée, encore, et encore. Un Palestinien qui lit et entend, jour après jour, ce déluge de nouvelles, n’a besoin d’aucune incitation, aucune provocation à l’encontre d’Israël. Même quand les faits ne l’atteignent pas personnellement, il comprend parfaitement ce que les autorités israéliennes font à son peuple.
                           
8. Israël, l’antisionisme et l’antisémitisme par Avi Shlaim
in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 6 mars 2005

(Né en 1945, à Bagdad, dans une famille juive fortunée, Avraham (« Avi ») Shlaim a grandi en Israël. Historien de renommée internationale et spécialiste du conflit israélo-palestinien, il enseigne aujourd’hui au St. Anthony’s College d’Oxford, au Royaume-Uni. Il est l’auteur de nombreux ouvrages dont le plus connu est sans doute The Iron Wall : Israel and the Arab World (« Le Mur de fer : Israël et le monde arabe »), publié en 1999 chez W.W. Norton.)
L'Etat d'Israël fut longtemps un symbole de liberté et une source de fierté pour tous les Juifs de la diaspora. En raison du traitement qu’il inflige aux Palestiniens, il est aujourd’hui une honte et un fardeau pour la fraction libérale de la communauté juive. L’occupation illégale, depuis 1967, des territoires palestiniens est le problème de fond. Elle a fait du sionisme, qui était, à l’origine, le mouvement de libération nationale du peuple juif, une puissance coloniale. Par sionisme, j’entends aujourd’hui les colons ultranationalistes et leurs soutiens au sein du gouvernement à majorité Likoud. Ces colons ne sont qu’une petite minorité, mais ils bloquent le système politique israélien. Le sionisme n’est évidemment pas une forme de racisme, mais une partie des colons fanatisés sont des racistes éhontés. Leurs excès conduisent certains à remettre en question non seulement le projet colonialiste sioniste, dont la caractéristique est de ne tenir aucun compte des frontières de 1967, mais la légitimité même de l’État d’Israël à l’intérieur de ces frontières.
Le Premier ministre Ariel Sharon incarne cet aspect xénophobe, agressif et expansionniste du sionisme. L'une des figures les plus emblématiques du judaïsme est le rodeph shalom, le pacificateur. Mais Sharon est tout sauf un homme de paix. C'est un homme de guerre, un Rambo juif aux antipodes des valeurs traditionnelles juives de vérité, de justice et de tolérance. Son plan d'évacuation de Gaza n'est que le prélude à l'annexion d'une partie de la Cisjordanie. Sa politique, c'est la confiscation de la terre ; la destruction des maisons ; l'arrachage des vergers ; les couvre-feux, les barrages et les postes de contrôle ; la violation systématique des droits des Palestiniens et la construction illégale du mur de Cisjordanie, qui sert autant à annexer des parcelles de territoires qu'à assurer la sécurité des Israéliens.
On parle beaucoup actuellement de l'apparition d'un « nouvel antisémitisme ». La thèse est, pour faire vite, que la résurgence de l'antisémitisme n'a rien à voir, ou très peu, avec le comportement d'Israël. L'antisionisme ne serait qu'un nouvel habit du vieil antisémitisme. Mais, d'abord, qu'est-ce que l'antisémitisme ? Isaiah Berlin disait qu'un antisémite est « quelqu'un qui déteste les Juifs un peu plus qu'il n'est nécessaire ». Cette définition malicieuse a le mérite de s'appliquer aux deux antisémitismes, l'ancien et le nouveau. Mais il faut aller plus loin. Y a-t-il aujourd'hui des survivances de l'antisémitisme classique ? La réponse est : oui. L'antisémitisme connaît-il un regain en Europe ? Oui, avec une force inquiétante. Y a-t-il des gens qui utilisent l'antisionisme comme une couverture pour leur méprisable judéophobie ? Hélas ! oui encore. Quel est le poids relatif de la haine d'Israël et de la judéophobie dans le nouvel antisémitisme ? Je ne sais pas. Ce que je sais, en revanche, c'est que nombre de personnes de qualité qu'on ne saurait soupçonner d'antisémitisme en veulent beaucoup à Israël du sort qu'il inflige aux Palestiniens. Il ne fait aucun doute que l'attitude à l'égard d'Israël évolue à mesure de sa propre évolution vers le sionisme de l'extrême droite et des rabins radicaux. Pendant les années du processus d'Oslo, Israël avait les faveurs de l'Occident parce qu'il paraissait prêt à se retirer des territoires occupés. Son image actuelle est négative non pas parce qu'il est un État juif, mais parce qu'il transgresse les normes d'un comportement international acceptable. En vérité, Israël est de plus en plus perçu comme un État voyou et une menace pour la paix mondiale.
C'est là un facteur important de la récente résurgence de l'antisémitisme, en Europe et ailleurs. Et c'est une tragédie qu'un État censé constituer un refuge pour le peuple juif après l'Holocauste soit aujourd'hui l'un des endroits de la terre où les Juifs sont le moins en sécurité. Israël devrait évacuer les territoires occupés non pas pour le bien des Palestiniens, mais pour son bien propre. Et celui de tous les Juifs du monde. Comme le disait Karl Marx, un peuple qui en opprime un autre n'est pas un peuple libre.
                       
9. L’occupation, ça suffit. Mais seulement au Liban par Zvi Barel
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 6 mars 2005
[traduit de l'hébreu Michel Ghys]

La joie qui a saisi les défenseurs de la démocratie en Israël était compréhensible. Voilà qu’enfin une opinion publique arabe, ou ce qu’on a coutume d’appeler « la rue arabe », se dresse contre son créateur, révoque son gouvernement installé et demande à être libéré de l’occupation pour préserver un Etat indépendant. Il ne s’agit bien sûr pas de l’Autorité Palestinienne, qui a organisé des élections libres et demande à être libérée de l’occupation israélienne : elle devra encore parcourir un long chemin, l’Autorité Palestinienne, avant que la démocratie israélienne reconnaisse la démocratie palestinienne. Et nous ne trouverons apparemment rien à lire à ce propos dans la copie de Nathan Charansky sur la démocratie.
Cette fois, c’est le Liban qu’Israël s’excitait tellement de voir comment il écartait le gouvernement fantoche lié à la Syrie, au point qu’Ouri Loubrani s’est empressé de rapporter que des « personnalités libanaises » s’étaient tournées vers Israël pour les aider dans le processus. Afin que le Liban, si la démocratie s’y installe, se rappelle à qui il le doit. La nostalgie de l’époque des phalanges est effectivement dure à porter.
Juste pour modérer ceux qui parlent des « moments historiques » vécus au Moyen-Orient, le Liban est l’Etat le plus libre de la région avec un parlement qui a un véritable pouvoir et une presse et des médias électroniques qui ont dessiné les frontières de la liberté d’expression bien avant Al Jazira. La satyre contre les régimes y existe depuis belle lurette, et ses citoyens, plus encore que les citoyens turcs, se considèrent comme plus occidentaux qu’arabes.
Mais là n’est pas l’essentiel. Il reste trois Etats occupants au Moyen-Orient : la Syrie, Israël et les Etats-Unis. Les deux Etats occupants occidentaux exigent maintenant que l’Etat occupant arabe mette fin à son occupation. En son honneur, ils ont tout fait pour concocter la Loi sur la responsabilité syrienne [« Syria Accountability Act »] – une loi permettant d’infliger des sanctions – et rédiger la résolution 1559 des Nations Unies.
Le statut de cette résolution ne diffère pas de celui des résolutions 242 et 338 qui exigent d’Israël d’évacuer les territoires qu’il a conquis. A ces résolutions, Israël a opposé un argument légaliste selon lequel il ne s’agit pas d’occupation mais de libération, ou tout au plus de territoires administrés. C'est-à-dire, un dépôt. La Syrie a, elle aussi, son argument littéraire qui ressemble à celui d’Israël : elle a été invitée par le gouvernement libanais. Quant aux Etats-Unis, ils sont évidemment venus en Irak pour détruire des armes de destruction massive. Mais en l’absence de telles armes, ils se contentent de l’établissement d’une démocratie.
Là n’est pas non plus l’essentiel. L’hypocrisie des Etats occupants n’est pas neuve, et la tentative de trouver des différences entre un occupant et un autre impose des tours de passe-passe sémantiques. L’essentiel de ce qui se passe au Liban, du point de vue israélien, n’est pas non plus la démocratie libanaise dont, pour le moment, on n’attend pas qu’elle nous rapproche d’un accord de paix entre Israël et le Liban. Ce qui doit préoccuper Israël, c’est l’effondrement d’un autre paradigme politique et des services de renseignements, qui veut que la Syrie contrôle et dirige tout ce qui bouge au Liban. Il se pourrait bien que la Syrie contrôle difficilement ce qui se passe en Syrie. Durant les années de la guerre du Liban et les cinq années écoulées depuis le retrait de l’armée israélienne du Liban, Israël s’est dissimulé le fait qu’à l’intérieur du Liban, agissent des forces qui peuvent déterminer l’avenir du pays. Des forces qui n’ont pas moins horreur de la Syrie que d’Israël.
L’idée israélienne était que si on frappait la Syrie, le Hezbollah se calmerait lui aussi et que peut-être même l’Iran se montrerait plus prudent. Et tout à coup, il se révèle que même le Hezbollah avait maintenu des contacts étroits avec le défunt chef du gouvernement libanais, Rafik Hariri, dans le but de parvenir à un accord politique d’un genre ou d’un autre. Maintenant, l’opposition se presse chez Hassan Nasrallah pour lui rappeler que c’est envers le Liban qu’il s’est engagé et pas envers la Syrie. Cette même organisation terroriste contre laquelle Israël met en œuvre toutes ses forces diplomatiques, est susceptible de se révéler comme une organisation qui aiguisera la force politique d’une opposition démocratique que tout le monde appelle maintenant, et à juste titre, à grands cris. Si le Hezbollah la rejoint, l’opposition pourra former un gouvernement et faire une belle moisson de voix aux élections parlementaires.
Tout à coup, est susceptible d’apparaître aux yeux d’Israël que le relâchement du contrôle syrien sur le Liban renforce le pouvoir de l’ennemi le plus dangereux, le Hezbollah. Israël a, évidemment, un moyen de neutraliser la menace du Hezbollah, ou du moins de la réduire. Il peut se retirer des fermes de Shaba qui ne répondent plus à aucun besoin de sécurité. Mais pourquoi diable irait-il faire cela ? Que l’occupant syrien commence par sortir du Liban et après, on verra.
                       
10. Le maire de Londres qualifie Ariel Sharon de "criminel de guerre"
Dépêche de l'agence Associated Press du vendredi 4 mars 2005, 12h50 
LONDRES - Le maire de Londres Ken Livinsgtone qualifie vendredi le Premier ministre israélien Ariel Sharon de "criminel de guerre" et accuse l'Etat hébreu de nettoyage ethnique. Dans une tribune publiée par "The Guardian", Ken Livingstone, déjà auteur d'une remarque controversée après avoir comparé un journaliste juif à un gardien de camp de concentration nazi, a également accusé Sharon d'avoir organisé le terrorisme contre les Palestiniens et mettre les Londoniens en danger en alimentant la colère dans le monde. A Jérusalem, un responsable des services d'Ariel Sharon a déclaré que les commentaires du maire de Londres étaient "trop bas pour être relevés". "Ariel Sharon, le Premier ministre d'Israël, est un criminel de guerre qui devrait être en prison plutôt qu'à ce poste", écrit notamment Livingstone avant de faire clairement allusion à l'implication de Sharon dans les massacres de centaines de Palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatilla au Liban en 1982. "L'expansion d'Israël inclut le nettoyage ethnique", poursuit le maire de Londres avant de souligner que "Sharon continue d'organiser le terrorisme": "Plus de trois fois plus de Palestiniens que d'Israéliens ont été tués au cours des violences actuelles". Livingstone répondait ainsi à un autre article écrit par Henry Grunwald, le président de l'association des parlementaires juifs britanniques, exhortant le maire de Londres à présenter des excuses après sa remarque en direction du journaliste juif.
                                   
11. Vincent-Mansour Monteil, un maître de l'Ecole française d'islamologie par Malek Chebel
in Le Monde du vendredi 4 mars 2005

(Malek Chebel est anthropologue.)
Vincent Monteil, grand spécialiste de l'islam, qui fut militaire puis universitaire, est mort, dimanche 27 février, à son domicile parisien. Il était âgé de 91 ans.
Il est donc mort le professeur inspiré, le poète shirazien, l'ami fidèle. Celui qui se convertira à l'islam sous le nom de Vincent-Mansour Monteil, et qui, des années durant, traversera le monde arabe et les pays d'islam, d'abord sous les couleurs de l'armée française, puis en tant que chercheur infatigable, a été l'un des savants les plus féconds de sa discipline et un des plus pudiques.
Avec sa bienveillance d'un autre âge, son écriture translucide, ses trouvailles stylistiques et sa profonde connaissance de la psychologie arabe, Vincent-Mansour Monteil a été la fierté de la corporation, aujourd'hui en désuétude, des "ethnologues coloniaux" et des administrateurs de l'armée.
De fait, la première partie de la carrière de ce brillant soldat, né le 27 mai 1913 à Bellac (Haute-Vienne), lui a permis d'arpenter les terres ocres de l'Afrique du Nord, jusqu'à Dakar où il séjourna au milieu des années 1960, et de pratiquer la plupart des idiomes du sud et de l'est de la Méditerranée, persan compris, allant jusqu'à mettre sa connaissance du dialecte local au service des autochtones eux-mêmes.
RIGUEUR ET ÉLÉGANCE
Mais, contrairement à d'autres chercheurs dont la carrière allait s'arrêter à l'uniforme, Vincent-Mansour Monteil embrassera, à la fin des années 1950, une deuxième carrière, universitaire celle-là, qui débouchera presque aussitôt sur une troisième - que nous lui connaissons tous -, celle d'auteur et de traducteur.
En quelques années, l'officier de réserve est devenu le penseur, l'enseignant, l'écrivain. Plus de trente ouvrages à son actif, tout aussi riches et substantiels les uns que les autres. Son Islam noir (Seuil, 1982) me semble encore inégalé à ce jour, comme le sont aussi, dans un autre genre, ses belles fresques ajourées qui ont pour titre Le Vin, le Vent, la Vie d'Abû Nûwas (Sinbad, 1998) ou, autre merveilleux titre, L'Amour, l'amant, l'aimé de Hafez Shirazi (Sinbad, 1990).
Les étudiants d'aujourd'hui lui doivent aussi les Prolégomènes (Al-Muqaddimah) d'Ibn Khaldûn (1332-1406), qu'il traduisit avec rigueur et élégance dès 1967. Le prénom Mansour, littéralement "Le Victorieux", a été porté, entre autres, par un grand mystique iranien, sans doute le plus emblématique de tous, Hussayn ibn Mansour al-Hallaj (857-922). Ceci explique peut-être cela. En effet, Al-Hallaj a été rendu célèbre en France par Louis Massignon (1893-1962), c'est-à-dire par l'un des maîtres à penser de l'Ecole française d'islamologie, à laquelle appartient de plein droit Vincent-Mansour Monteil.
Cette filiation n'est pas gratuite, et je l'ai senti dès le premier jour où il m'avait reçu, rue Jacob, à Paris, dans son appartement gorgé de livres, lorsque nous devions mettre la dernière main à la thèse d'anthropologie que j'ai soutenue devant lui en 1982. Ce jour-là, celui que nous appelions encore Vincent Monteil m'avait parlé de Louis Massignon et de Jacques Berque. Or, dans Parole donnée, un petit livre de la collection 10/18 qui reprend un certain nombre d'articles de Louis Massignon, et que Vincent Monteil a préfacé, j'ai retrouvé cette phrase énigmatique du mystique Al-Hallaj que j'ai entendue chez mon professeur, une "phrase-clé", disait-il : "Deux prosternations suffisent dans la prière du désir, mais l'ablution préalable doit se faire dans le sang."
La conversion de Vincent-Mansour Monteil restera ainsi comme "un sceau en cristal de roche" - c'est encore un mot de lui -, un secret bien gardé.
                               
12. Pas l’Etat, mais la libération par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 2 mars 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]

L’excitation qui a accompagné le rejet de la composition initiale du gouvernement par le Conseil législatif palestinien, la semaine passée, a voilé le fait que le débat demandé sur les visées du gouvernement palestinien n’a tout simplement pas eu lieu. On n’a pas vu contester la manière dont les gouvernements palestiniens, depuis 1994, se tiennent pour le « gouvernement d’un Etat qui est en route ». Cette conception des choses a trouvé place à côté de la croyance – qui a été partagée aussi par beaucoup d’Israéliens – qu’il suffisait qu’un accord nébuleux soit signé pour créer une dynamique devant forcément conduire en fin de compte à un état. Il s’agit, autrement dit, de la croyance que la mission de libération du territoire destiné à cet état s’accomplirait d’elle-même.
Mais la thèse selon laquelle le processus d’Oslo devait conduire de lui-même à un état palestinien digne de ce nom, s’est effondrée. Les années d’Oslo ont démontré que les gouvernements israéliens ont profité de la période de négociations pour approfondir la colonisation en Cisjordanie et à Jérusalem-Est. Cette construction – qui se poursuit aujourd’hui encore – sape l’espoir d’un règlement de paix fondé sur un état palestinien indépendant à côté d’Israël.
Durant les années d’Oslo, Yasser Arafat et les parrains de l’Accord étaient pressés d’en agir comme s’il s’agissait déjà d’un véritable état, et pas d’un état qui serait en route. Arafat aimait le titre de Président de l’Etat de Palestine et il prenait plaisir à développer les appareils de pouvoir et de contrainte qui sont ceux de vrais états. Dans le cadre du budget limité, il a continué à verser un salaire honteux aux travailleurs les plus vitaux pour l’avenir palestinien, en particulier dans le domaine de la santé et de l’éducation. Il a ainsi renoncé aux conditions nécessaires à un processus de libération nationale : la création d’une solidarité sociale et l’investissement dans le potentiel humain de toutes les classes sociales. Les systèmes de charité et de protection corrompues ont prospéré parce que l’Autorité a renoncé à toute tentative de créer une société de bien-être (ce qui signifie un partage équitable des revenus) et par là, de gagner la confiance de la société.
Les états européens et les Etats-Unis étaient, eux aussi, tout heureux de voir dans la « Palestine » un Etat. Ils se sont dégagés de l’obligation oppressante de traiter Israël comme un état occupant, qui continue de contrôler toute la réserve territoriale de l’état naissant. Comme à la conférence de Londres, ils ont voué leurs efforts au contrôle des premiers signes d’écarts et de la corruption de l’administration palestinienne. Comme à Londres, à côté des slogans sur les deux états, ils ont accordé à Israël de poursuivre sa corruption parfaitement anti-démocratique : le vol de la terre du peuple palestinien. Avec leurs généreuses contributions en faveur de l’Autorité, ils ont régulé et régulent encore les dégâts de l’occupation.
Ce n’est pas la question de la libération de leur peuple qui a guidé la pensée d’Arafat et de ses collaborateurs, mais la question du contrôle sur le peuple. La pensée de la libération signifie que même du côté de l’opprimé, du peuple sous occupation, il y a un espace de manœuvre dans le rapport de forces, qu’il faut exploiter en dépit de l’inégalité. Elle ne prône pas une « lutte armée ». Bien évidemment pas des actions terroristes en Israël, ni la rivalité dans le genre de celle qui a existé entre les organisations palestiniennes où c’est à qui parviendra à la meilleure vengeance. Les opérations de représailles ont démontré leur échec complet pendant ces quatre dernières années. L’idée de libération n’est pas le renoncement à la transparence et à la nomination des personnes compétentes aux postes adéquats. Dans le contexte de l’occupation israélienne, elle signifie l’enrôlement de toutes les institutions et de la population dans une désobéissance civile massive et continue. Elle signifie la « nationalisation » de la créativité présente, individuellement, chez les Palestiniens pour les besoins de leur combat contre l’occupation israélienne.
La pensée de la libération est contrainte de poser des défis aux états du monde occidental afin qu’ils se dégagent du cocktail répugnant créé par Israël – mélange d’occupation, de colonisation et de discrimination ethnique. Un tel désengagement serait aussi un véritable soutien à la paix et à l’avenir du peuple juif dans la région. Les Palestiniens peuvent, par exemple, établir de nouveaux ordres de priorités dans le transfert des dons pour que ceux-ci cessent de subventionner l’occupation. Une désobéissance civile signifie de renoncer à investir les dons dans l’infrastructure inférieure – tant que cet investissement ne pourrait se faire que dans les enclaves palestiniennes et pas en territoire C – au profit d’un investissement dans les gens : amélioration des structures d’enseignement et de santé, accent mis, par-dessus tout, sur les camps de réfugiés et les villages, « importation » temporaire de l’étranger d’enseignants et de médecins de qualité, formations de perfectionnement pour les enseignants et les médecins, identification et ouverture de classes pour tous les analphabètes, allongement de la journée d’école.
La pensée de la libération métamorphoserait le « bureau des affaires civiles » qui cesserait d’être un symbole de collaboration docile avec l’occupation pour devenir l’avant-garde de la désobéissance civile populaire. Un peuple capable de résister aux bombardements incessants et au manque chronique de nourriture, pourra trouver des voies pour ébranler la confiance en soi de la bureaucratie de l’administration civile, avec l’octroi de permis pour toute action vitale, si ses dirigeants démontrent leur intérêt pour cette libération et pas pour le cérémonial étatique. Le peuple palestinien est capable de tenir face à des malheurs terribles : physiques, psychiques et économiques. Il pourra certainement y résister si ces malheurs sont transformés en instruments dans le cadre d’une action stratégique à la fois planifiée, coordonnée et dirigée, qui visera à rompre des règles du jeu qui se limitent à contrefaire une paix et un Etat, règles qui ont été établies pendant les années Oslo et qui reviennent nous abuser maintenant.
                                               
13. Il tirera et ne pleurera pas par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 28 février 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]

La nomination du général Dan Haloutz comme chef d’état-major, c’est la nomination de l’homme qu’il faut, quand il faut. L’armée de défense d’Israël mérite aujourd’hui un homme qui s’exprime sans inhibition morale, après ces trois années où la fonction a été remplie par un chef d’état-major dont les actes étaient marqués par très peu d’inhibitions morales.
Les protestations suscitées à gauche par la nomination de Haloutz étaient superflues, tout comme la tempête qui avait été soulevée en son temps par ses propos, lorsqu’il avait déclaré à propos du largage d’une bombe d’une tonne sur une maison d’habitation à Gaza, que dans de tels cas, tout ce qu’il ressentait c’était « un léger tremblement dans l’aile de l’avion ». D’un point de vue moral, il n’y a aucune différence entre Haloutz, homme « de droite », et son prédécesseur, Moshe Ya’alon, homme « de gauche ». Tous deux sont responsables de la politique brutale contre les Palestiniens.
Dans ses déclarations, Haloutz représente fidèlement la politique de la force aérienne et de l’armée de défense d’Israël de ces dernières années, politique dans laquelle il n’y a plus place pour les débats moraux sur notre guerre au terrorisme. Selon cette politique, larguer une lourde bombe sur des maisons d’habitation est un moyen légitime et juste, et le fait de tuer des civils innocents, dont des enfants, ne ressemble en rien à la cruauté du terrorisme palestinien. Il faut mettre un terme à cette hypocrisie. Et donc un chef d’état-major comme Haloutz, qui dira ce qu’on pense vraiment dans l’armée de défense d’Israël, est préférable à un chef d’état-major qui se dissimule derrière une trompeuse honorabilité morale, comme a fait Ya’alon.
Et puis pourquoi ce que ressent un pilote au moment où il largue une bombe d’une tonne sur des maisons d’habitation serait-il important ? Dès lors qu’il fait cela, ses sentiments et ses déclarations n’ont aucun poids. Et même si Haloutz se tourmentait violemment à l’intérieur de son cockpit en pensant à ses victimes, cela ne changerait encore rien. Pas même au niveau de l’image morale de sa force aérienne.
La mort semée par la bombe que le général Haloutz a donné l’ordre de larguer exprimait bien davantage que tout ce que pouvait lui dire l’aile de son avion. Quand on a vu les ruines laissées par la bombe qui visait Salah Shehadeh dans le quartier Daraj de Gaza, le 22 juillet 2002, quand on a rencontré les rescapés, le lendemain, on ne pouvait plus porter aucun intérêt à ce que pouvait dire le général. Quand on a vu le berceau brisé d’Ayman Mattar dont le petit corps n’a été retrouvé que deux jours après le largage de la bombe, on ne pouvait se consoler avec aucune excuse morale. Quand on a parlé avec Mohamed Mattar, au milieu des ruines de sa maison, lui qui a travaillé 30 ans en Israël, qui a perdu dans l’explosion sa fille, sa belle-fille et quatre petits-enfants et qui a lui-même été blessé comme trois de ses fils, on ne serait pas consolé même par un commandant moins arrogant que Haloutz. Celui qui avait vu les maisons à appartements détruites, savait aussi que l’armée de défense d’Israël et la force aérienne mentaient effrontément quand elles ont essayé, au début, de diffuser l’argument qu’il n’y avait là que des cabanes dont on ne pouvait pas savoir que des gens y habitaient. La véritable image morale de la force aérienne apparaît au milieu des ruines du quartier Daraj bien plus que dans toutes les déclarations de son commandant.
Dès lors, peu importe ce que dira ou pensera en son fors intérieur le chef d’état-major Haloutz. Ce qui importe, c’est ce qu’il fera et, de ce point de vue, on peut estimer qu’il sera exactement aussi moral que son prédécesseur. Le fait que Ya’alon soit tout à coup dépeint comme une autorité morale et comme un héros de la Gauche est tout à fait révoltant. C’est sous son mandat que l’armée de défense d’Israël a adopté à l’égard des Palestiniens une politique plus cruelle que par le passé, et voyez, ô miracle : à peine a-t-il été limogé par le Ministre de la défense, lui-même collaborateur majeur de cette politique, que les dirigeants du mouvement kibboutzique, les représentants de la morale, sont sortis manifester contre ce limogeage et que, dans les colonnes même de ce quotidien, Ya’alon s’est vu conféré, dans un article d’Ari Shavit, le titre de « chef d’état-major de l’intégrité », pas moins (Haaretz, 24 février). L’homme qui a été responsable de dizaines d’assassinats, de la destruction de centaines de maisons et de l’emprisonnement d’un peuple, est décrit comme « l’homme qui incarne un Israël de valeurs, un Israël intègre, en train de disparaître sous nos yeux ». De quelles valeurs parle-t-on ? De quelle intégrité ? Quel Israël ?
Il n’y aura plus place pour cette vertu-là avec la nomination d’un chef d’état-major qui ne présentera plus une trompeuse façade morale. Haloutz n’est pas un kibboutznik de Grofit, pas un ancien soldat de Nahal, ni un garçon d’étable occasionnel. C’est un soldat de métier. Le temps est venu de se dégager de ceux qui tirent puis pleurent, qui mènent une politique cruelle et jouissent d’une image d’humanité. Haloutz tirera et ne pleurera pas. Les gens des kibboutz ne manifesteront pas en sa faveur et les éditorialistes ne pourront pas le décrire comme un personnage modèle, et c’est mieux ainsi.
La nomination de Haloutz aidera dès lors à arracher ce qu’il reste du masque de moralité dont se couvre l’armée de défense d’Israël. Lorsqu’à la tête de la pyramide se trouve un homme qui a formulé ses principes moraux d’une manière aussi brutale et obtuse, il sera très difficile de maintenir, dans l’armée israélienne, des journées de discussions sur « les droits de l’homme », « la pureté des armes », « la dignité de l’homme et sa liberté », ou de commander un « code éthique » à un philosophe.
Avec la nomination de Haloutz, le cercle est bouclé dans l’armée israélienne. Maintenant se tiendra à sa tête un chef d’état-major qui donnera l’expression la plus exacte de sa véritable image morale. Ce seront maintenant la brutalité et l’arrogance qui parleront, non seulement dans les comportements sur le terrain mais aussi dans le bureau du chef d’état-major.
                               
14. Etats-Unis, de l'eau dans leur bourbon par Pascal Boniface
in Libération du lundi 28 février 2005

(Pascal Boniface directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques. Dernier ouvrage paru : l'Année stratégique, Armand Colin, 2005.)
Le fiasco irakien, entre autres, aura conduit les Américains à parcourir un chemin vers les Européens.
'est à une véritable opération de séduction que George W. Bush s'est livré au cours de son séjour en Europe. Confirmant les messages délivrés quelques jours auparavant par Condoleezza Rice et Donald Rumsfeld, le Président a voulu enterrer la hache de guerre que l'Irak avait fait surgir entre Washington et les Européens.
Lorsque la France et l'Allemagne s'étaient opposées aux projets américains de guerre contre l'Irak, de nombreuses voix s'étaient élevées pour les mettre en garde contre les dangers qu'elles couraient à s'opposer à la première puissance mondiale, quelle que soit la justesse de leurs arguments.
Lorsque la guerre fut terminée, en avril 2003, les mêmes ­ ou presque ­ recommandaient à Paris et à Berlin de se joindre à l'occupation militaire de l'Irak, l'opposition aux Etats-Unis pouvant les exposer à de graves déconvenues. On entendit de nouveau ce genre d'arguments après la capture de Saddam Hussein en décembre, et après la mise en place d'un gouvernement provisoire irakien en juin 2004. En novembre 2004, on nous affirmait que, Bush ayant été réélu, ceux qui s'étaient mis en travers de son chemin allaient payer le prix de leur dissidence. Or, depuis le mois de janvier, c'est exactement le contraire qui se produit : Condoleezza Rice, qui parlait de «punir la France», a fait de Paris le moment fort de son séjour européen. Donald Rumsfeld s'est moqué de lui-même à propos de la distinction entre vieille et nouvelle Europe. Et le président Bush a fait assaut d'amabilités tant envers le président Chirac que le chancelier Schröder.
Cela montre que, si le monde n'est pas multipolaire (les Etats-Unis n'ont pas de rivaux en terme de puissance), il n'est pas non plus unipolaire, car les Américains ne peuvent ni faire face seuls aux grands défis internationaux, ni imposer aux autres leur agenda stratégique. Il est toujours possible d'avoir une politique différente de Washington pour peu qu'elle soit fondée sur des arguments qui résistent à l'épreuve du temps et qui aient un écho auprès de l'opinion publique internationale.
Si un rapprochement euroaméricain a bien eu lieu, les Etats-Unis ont parcouru plus de chemin que les Européens. Les réunions au sommet n'ont pas fait disparaître la longue liste des désaccords (Iran, Chine, protocole de Kyoto, etc.). Du moins peut-on éviter qu'ils ne dégénèrent en motifs de crises . Les Américains acceptent de mettre de côté le principe selon lequel «ceux qui ne sont pas avec [eux], sont contre [eux]». Ils prennent acte que la situation n'est pas aussi confortable en Irak qu'ils veulent bien le dire. L'ayatollah Sistani est le net vainqueur des élections, et le candidat proaméricain, Iyad Allaoui, est le perdant malgré les moyens mis à sa disposition. Il faudra aussi contenir la poussée sécessionniste kurde. Enfin la violence n'a pas cessé, loin de là. Ici comme ailleurs, la première puissance mondiale a besoin du soutien, de l'appui des autres pays.
Les Américains prennent également acte du caractère vain de leur effort de casser le couple franco-allemand renforcé par le changement de majorité politique en Espagne qui a fait basculer la majorité stratégique en Europe. Ils prennent acte, plus que les Européens eux-mêmes, de la montée en puissance de l' Europe. Les Etats-Unis ne sont pas devenus un pays multilatéraliste soucieux de respecter le droit international. Disons que leur slogan «Multilatéraux si nous pouvons, unilatéraux si nous devons» s'est transformé en : «Unilatéraux si nous pouvons, multilatéraux si nous devons». Le multilatéralisme est dicté par les réalités des rapports de force.
Les Etats-Unis maintiennent la même politique avec une plus grande dose de réalisme moins d'arrogance et un peu plus souriante. Après avoir mis le feu à l'Irak, ils ont besoin des pompiers des autres pays.
                       
15. Le Jérusalem de Sirine Husseini Shahid par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du samedi 26 février 2005
La mère de Leïla Shahid, la déléguée générale de la Palestine en France, raconte son enfance à Jérusalem dans un livre particulièrement émouvant.
Une enfance à Jérusalem, c’est ce que raconte le très émouvant livre publié par Sirine Husseini Shahid (1), qui n’est autre que la maman de Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France. Des souvenirs qui nous touchent d’autant plus qu’ils ont été écrits par une très vieille dame - elle est née en 1920 - aujourd’hui malade, mais qui a voulu, comme un dernier message, faire savoir au monde que des Palestiniens et des Palestiniennes avaient pu avoir, eux aussi, des enfances heureuses, pleines de promesses, avant que leur monde ne s’écroule et que la création d’Israël ne fasse d’eux et d’elles des réfugiés. « L’espoir d’un avenir meilleur ne peut se nourrir que d’une vraie connaissance du passé », dit-elle en préambule. « La première chose que je tiens à dire est que rien ne nous distinguait des autres habitants de cette planète, mais notre destinée ne fut pas la même. »
Le livre se présente comme une succession de récits d’événements, heureux ou tragiques - le départ à la campagne avec la rencontre des Bédouins, la mort de sa petite soeur - et un « recueil d’images » fait de nombreux portraits. Parmi ces portraits, celui du père, Jamal Al Husseini, occupe une place toute particulière. La petite fille lui est très attachée. À travers lui, elle comprend dès son plus jeune âge que son univers, aussi privilégié soit-il, est fragile et menacé. Elle n’a que quatre ans quand, lui montrant le flot des réfugiés arméniens fuyant le génocide turc et tout juste arrivés à Jéricho, il lui dit : « Si nous, Palestiniens, ne travaillons pas de toutes nos forces, ce sera bientôt à nous de parcourir le monde en quête d’un refuge. » Quelques années plus tard, ce père visionnaire sera arrêté par les Britanniques puis exilé, avec d’autres militants nationalistes palestiniens. Il finira par s’installer avec sa famille à Beyrouth, alors que Sirine n’est encore qu’une adolescente. Rien, pas même la fortune, n’aura pu leur épargner les chemins de l’exil et les malheurs qui l’accompagnent, jusqu’à l’éclatement de la famille et sa dispersion.
On est frappé par l’importance que prennent, dans les récits de Sirine Husseini Shahid, les maisons de son enfance, jusqu’à en devenir des personnages vivants. La famille Husseini, l’une des plus illustres de Palestine, en possédait plusieurs à Jérusalem même, dans les environs, et à Jéricho. Ces maisons furent toutes confisquées par l’État d’Israël, sauf celle de Jéricho, en Cisjordanie, où elle retournera plus tard, pour assister sa mère dans ses derniers moments. C’est là que se situe un moment saisissant, celui où Jamal Husseini, convoqué par le gouverneur de Jéricho, un juif yéménite qui lui demande si la paix entre juifs et Arabes lui semble possible, répond en citant un poète yéménite : « Quand la guerre est jeune, elle séduit les jeunes gens comme une jolie femme parée de bijoux. Mais lorsqu’elle vieillit et que ses traits sont défigurés, les jeunes gens s’enfuient, dégoûtés. »
C’était en 1977. Jamal Husseini est mort en 1982. Depuis, la guerre a encore vieilli.
(1) Sirine Husseini Shahid, Souvenirs de Jérusalem. Préface d’Edward Said. Fayard (265 pages, 19 euros).
                               
16. Pour les religieux de "Neturei Karta", l’État d’Israël est contraire à la Torah - "Juifs et arabes peuvent vivre ensemble", assurent des rabbins ultraorthodoxes à Beyrouth
in L'Orient - Le Jour (quotidien libanais) du jeudi 24 février 2005
La salle de conférences de l’hôtel « Safir Heliopolitan » à Raouché a été le théâtre hier d’une scène pour le moins rarissime à Beyrouth : la présence, côte à côte, de représentants du Hamas, de députés iraniens et palestiniens, de représentants du Hezbollah ... et de rabbins. Des rabbins d’un genre un peu particulier toutefois puisqu’il s’agissait de cinq religieux ultraorthodoxes venus apporter leur soutien à la cause palestinienne dans le cadre d’une conférence sur le droit au retour des Palestiniens.
Difficile de les rater entre les turbans et les abayas avec leurs papillotes, leurs longs manteaux noirs et leur chapeau. Hier, cinq rabbins venus des États-Unis et de Grande-Bretagne, à l’invitation du forum organisé par l’Union internationale pour la défense de la cause palestinienne, ont créé l’événement. Membres du mouvement « Neturei Karta » (« Gardiens de la cité »), ces juifs ultraorthodoxes étaient porteurs d’un message assurément doux aux oreilles des autres participants, à savoir une condamnation en bonne et due forme du sionisme.
« Nous sommes ici pour corriger l’idée répandue à travers le monde selon laquelle Arabes et juifs sont en conflit. C’est une erreur tragique ! Nous avons vécu ensemble pendant des milliers d’années en paix et en harmonie. Juifs et Arabes peuvent vivre ensemble ! C’est le sionisme qui a créé, voilà une centaine d’années, cette rupture entre juifs et Arabes. Or le sionisme est diamétralement opposé au judaïsme », déclare Yisroel Dovid Weiss, un rabbin de Monsey, dans l’État de New York, aux États-Unis. « En tant que juifs, nous avons été envoyés en exil. Et selon la Torah, il nous est interdit d’avoir notre propre État. Leur terre doit être rendue aux Palestiniens, Jérusalem doit devenir leur capitale et bien sûr, ils doivent pouvoir revenir sur leurs terres », ajoute-t-il, arborant sur son manteau un autocollant où l’on peut lire « Juif n’est pas sioniste ».
Étant donné les conditions actuelles, quelle est alors la solution ? « L’État israélien doit être démantelé car c’est la voie prescrite par Dieu. Nous devons vivre dans un État en nous soumettant aux règles palestiniennes. Nous étudions et nous prions pour cela, et cela arrivera un jour. Oslo n’a pas marché, et rien ne marchera, car Dieu interdit l’établissement d’un État juif », assure-t-il.
Des juifs ultraorthodoxes, notamment ceux du parti Shass, ont toutefois participé à des coalitions gouvernementales israéliennes. « Ils ont rejoint ces coalitions pour des raisons pratiques, pour ne pas être misérables. Ils nous ont dit qu’ils lutteraient contre le sionisme de l’intérieur. Mais nous les avions prévenus qu’ils seraient pris au piège. Et beaucoup d’entre eux aujourd’hui sont tombés sous l’influence de la propagande qui vise à faire croire que si les Arabes récupèrent leurs terres, ils tueront les juifs ».
Concernant leur visite à Beyrouth, les rabbins se disent ravis. « C’est un grand honneur pour nous d’être à Beyrouth. Le Liban a toujours été une terre de refuge pour nous, et ce depuis l’Inquisition en Europe. Nous remercions les pays musulmans pour leur hospitalité », a conclu le rabbin Weiss.
L’arrivée du groupe à Beyrouth n’a toutefois pas été des plus aisées. « On nous avait expliqué qu’un visa nous serait donné à l’aéroport de Beyrouth. Mais la Middle East Airlines n’a pas voulu nous laisser embarquer. Ensuite, Air France nous a orientés vers la Lufthansa. Mais quand nous sommes finalement arrivés à Beyrouth, nous avons reçu un traitement de VIP », s’exclame le rabbin Aron Cohen, venu de Grande-Bretagne. Symbole de leur engagement aux côtés des Palestiniens, des représentants de « Neturei Karta » rendaient de fréquentes visites à Yasser Arafat, auprès duquel ils s’étaient également recueillis lors de son hospitalisation à Paris.
Les participants à la conférence semblent également heureux de cette présence. « Nous n’avons rien contre les Juifs en tant que peuple et que religion », assure Abdallah Kassir, député du Hezbollah. « Nous sommes opposés aux sionistes en tant que représentants d’une pensée raciste visant à asservir les Palestiniens. Mais les juifs appartiennent à une religion divine et sont une communauté comme n’importe quelle autre communauté dans le monde que nous respectons et avec laquelle nous pouvons coexister », ajoute-t-il.
« Notre conflit à nous Palestiniens n’est pas avec les Juifs, renchérit Oussama Hamdane, représentant du Hamas à Beyrouth. Notre problème concerne l’occupation sioniste. »
Présents pour une semaine à Beyrouth, les rabbins devraient visiter le camp de réfugiés de Sabra et Chatila.
                               
17. Le bercail de Bush par Luciana Castellina
in Il Manifesto (quotidien italien) du mardi 22 février 2005
[traduit de l'italien par Marie-Ange Patrizio]
(Luciana Castellina, plusieurs fois élue député  (PCI puis  Rifondazione Comunista), est une des fondatrices du journal Il Manifesto, et membre du comité de rédaction de La rivista del manifesto.)
Il n’est pas vraiment exact, comme on l’a dit ces jours ci, (peut-être pour donner encore plus de relief à la mission de Bush en Europe) que la visite d’hier a été la première qu’un président américain ait faite aux institutions européennes. En 1985, quarante ans après la fin de la guerre, Ronald Reagan vint même parler au Parlement européen. Mais comme on était au fort de l’installation des missiles, une grosse tranche de l’assemblée de Strasbourg accueillit son discours en montant debout sur les bancs, avec des pancartes sur la poitrine, qui disaient « non » et réclamaient le désarmement. Parmi eux, non seulement l’extrême gauche mais aussi de nombreux, et influents, députés socio-démocrates, anciens ministres, ou ministres : anglais, allemands, grecs, espagnols. Cette fois – les temps ont changé- tout le monde semble beaucoup plus « correct » (du reste la rencontre a été restreinte aujourd’hui aux représentants des exécutifs)) ; mais il n’est pas vrai du tout que le sourire inédit arboré par Condoleeza Rice et le ton captivant de Bush aient ramené tout le monde au bercail atlantique, malgré les termes courtois de circonstance. Le plus franc est le chancelier allemand, qui du reste avait déjà exprimé ses humeurs il y deux semaines à la conférence pour la sécurité de l’OTAN, à Munich,  en proposant qu’une commission d’experts indépendants étudie une réforme de l’institution méritante, dont le statut est désormais, depuis des décennies, totalement privé  de toute correspondance avec la réalité. Et ceci afin que l’Europe compte davantage et qu’ainsi se crée un lieu où les américains discutent leurs projets mondiaux, tous décidés aujourd’hui de façon unilatérale. Mais Rumsfeld, qui avait tout de suite abandonné sa nouvelle jovialité, lui avait répondu sèchement que les américains faisaient ce qui leur semblait bon.  Même les polonais, champions de la nouvelle sujétion à Washington,  se sont mis en colère. Et quand la nouvelle délégation Us a développé ses dernières idées sur ce qu’il y aurait  à faire en Irak, c’est-à-dire : un « contrat entre Etats-Unis et Europe » dans lequel cette dernière devrait engager et entraîner 5 000 fonctionnaires et 25 000 policiers irakiens ; verser un milliard de dollars pour reconstruire tout ce qu’ils avaient, eux, détruit dans le pays et annuler 50 pour cent de sa dette, c’est le chancelier Helmut Schmit, toujours très autorisé, qui a pris la plume pour dire qu’il fallait en finir avec l’utilisation de l’alliance atlantique pour « des actions destinées à la diffusion de la liberté et de la démocratie au-delà des frontières géographiques » ; que, bien que les européens craignent la prolifération des armes nucléaires, ils sont conscients qu’ « un espoir dans ce sens ne pourrait s’obtenir que si c’était les états privilégiés par le Traité qui donnaient le bon exemple », ceux qui les détiennent déjà, Etats-Unis en tête, « à travers une autolimitation efficace » ; que pour Bush il ne sera pas facile d’ « effacer l’impression que Washington, même dans l’avenir aura tendance à agir sans égards vis-à-vis des traités et des institutions internationales, encore moins vis-à-vis de l’UE » ; enfin qu’il serait bon de faire comprendre « à l’opinion publique américaine que nous, européens, ne voulons pas être des vassaux ».
Au-delà des belles paroles que Bush a prononcées à Bruxelles, il n’a en effet pas changé d’une virgule la substance de sa ligne qui se heurte maintenant à pas mal de pays (en plus de la grande majorité de l’opinion publique de notre continent). Sur des points non secondaires : avant tout la perspective néfaste d’une extension sans limites de la guerre préventive, qui voit déjà  Syrie et Iran comme premières victimes, mais, dans une perspective à plus longue échéance,  n’exclut pas non plus de sa liste la Chine, devenue dangereusement compétitive sur le marché mondial. En échange d’un renoncement à la possession d’armes nucléaires, la France, la Grande-Bretagne et l’Allemagne ont en fait offert à l’Iran un accord économique qui prévoit une aide technologique et financière ; à la Chine, ils ont promis de mettre fin à l’embargo sur les armes (que bien sûr nous préfèrerions qu’ils n’aient pas, mais il est difficile de le soutenir si les autres l’ont et que déjà certains sont prêts à l’avoir parmi les états voyous). Sur ces deux points, l’administration américaine a fait comprendre qu’il ne fallait même pas en parler, affirmant que dans les deux cas une action militaire punitive n’était pas à exclure (comme du reste signer le protocole de Kyoto ou renoncer au statut privilégié de ses soldats de par le monde, non soumis à la justice comme le reste du commun des mortels). Il ne s’agit pas de détails. En ce moment se joue une partie décisive : ne pas le voir tout de suite et ne pas dénoncer le danger que court le monde à cause de cette folle stratégie de guerre sans fin signifie conforter Washington dans l’idée que l’Amérique peut désormais faire ce qu’elle veut.  Les divers votes sur la présence militaire en Irak ont d’ailleurs cette signification : ne pas légitimer une telle ligne, arrêter la chaîne des « agressions » menées au nom de la démocratie. Répondre avec des sourires cordiaux aux sourires de Condoleeza Rice et de son président, est dangereux. Malheureusement, et même un politologue américain pro européen mais appartenant à l’establishment comme Arthur Shlesinger, l’écrit, en ce moment nous ne pouvons pas ne pas être pessimistes ; d’autant plus au moment où en Irak, à Ramadi, se prépare une deuxième Falluja. Difficile franchement, face à ce scénario, de comprendre l’optimisme de Romano Prodi qui, à propos de la stratégie du sourire inaugurée avec ce voyage par la Maison Blanche, a parlé d’ « un pas extraordinaire, d’une nouvelle phase de dialogue ». Il n’est malheureusement pas isolé : une large tranche des Ds paraît aussi être pathétiquement séduite, à la différence d’une grande partie de ses camarades européens, bien plus prudents.
                               
18. Stratégies en Palestine : un château croulant en Espagne, des plans sur la comète par Michael Neumann
on CounterPunch (e-magazine étasunien) du lundi 21 février 2005
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]
(Michael Neumann est professeur de philosophie à l’Université Trent, dans l’Ontario, Canada. Ses opinions ne sont pas représentatives de celles de son université. Son livre What's Left: Radical Politics and the Radical Psyche vient d’être republié par Broadview Press. Il a contribué à l’essai « What is Anti-Semitism » [Qu’est-ce que l’antisémitisme ?] ainsi qu’à l’ouvrage édité par CounterPunch : The Politics of Anti-Semitism. On peut le joindre à son adresse courriel : mneumann@trentu.ca.)
Dans la période à venir, nous allons sans doute assister à la répétition d’un certain pattern en Palestine. Diverses avancées vers la paix et négociations vont se poursuivre.
Israël va faire des gestes de bonne volonté. Mahmoud Abbas apportera des réponses gratifiantes, et entrera en conflit avec des groupes divers, dits activistes ou encore extrémistes. Enfin, mais nullement moins important, il y aura des attaques palestiniennes contre des Israéliens : des soldats, des colons, voire même des civils, en Israël proprement dit.
A l’extrême droite, la réaction à ces événements se caractérisera par une indignation extrême et par des débordements. Les Israéliens modérément à droite, les racistes chaleureux et les musulmans de service chouchous de l’Occident parleront avec une douleur pleine de compassion de la mentalité retorse des « Arabes ». Plus près du « centre » et en allant un petit peu vers la gauche, nous entendrons beaucoup parler de « haine » et « des fanatiques » en train de casser la baraque des Bons Palestiniens.
Puis nous arrivons à la gauche du spectre politique : c’est là où l’analyse se difracte en diverses directions. Là, on nous dit que les Israéliens sont tout simplement aussi mauvais que les autres, non sans embarras, car on fera tout pour énoncer clairement l’implication évidente que les Palestiniens, en ce cas, doivent être eux-mêmes « mauvais ». Nous aurons droit à quelques psychologismes au sujet des mentalités des peuples marginalisés, ghettoïsés, opprimés. Nous entendrons des explications sur la manière dont le fanatisme du Hamas trouve son homologue dans le fanatisme chrétien de l’Occident. Nous entendrons opposer beaucoup de réfutations peu convaincantes à l’aveu de mauvaise interprétation. Ainsi par exemple, le « problème », ce ne serait pas la violence palestinienne, mais le fait que les Etats-Unis fournissent des bulldozers blindés et d’autres armes à Israël. Nous entendrons un tas d’excuses justifiant les attaques, pour la bonne raison que des excuses sembleront appropriées à la situation.
Mais, dans tout ceci, un message sous-jacent sera véhiculé par des auteurs de toutes obédiences politiques, parfois peu intelligemment, la plupart du temps au moyen de sous-entendus et de préjugés, mais aussi parfois tout de go, à haute et intelligible voix, en particulier lorsque des gringalets « amis » des Palestiniens offriront généreusement de partager avec nous leurs audacieuses visions stratégiques, glanées sur les campus bucoliques des universités américaines. Le message sera le suivant : soit les Palestiniens sont fous, soit ils sont idiots. Plus vous passerez de la droite à la gauche, plus « les Palestiniens » seront vilipendés – oh, pas tous les Palestiniens : non, simplement ceux qui sont favorables aux attentats. En continuant dans la même direction, vous entendrez tout d’abord que « les Palestiniens » seraient de vils antisémites poussés par la haine, puis que la plupart d’entre eux sont des gens charmants, mais qu’il y a ces fanatiques, enfin que ces connards de Palestiniens recommencent leurs conneries. Et les gens vont demander : « Pourquoi ? Pourquoi ? » Les réponses contraindront le fondamentalisme islamique à de profondes ruminations, avec un petit peu de Franz Fanon pour épicer le plat.
Autre théorie possible sur les raisons qu’auraient les Palestiniens de continuer à procéder à des attaques : les Palestiniens sont rationnels. Le fait que ces attaques soient une réponse logique ne signifie ni qu’elles soient justifiées, ni qu’elles soient efficaces ; cela signifie simplement qu’une personne dotée de raison peut être amenée, à l’analyse des alternatives offertes aux Palestiniens, à le penser. Les attaques palestiniennes peuvent être une réponse erronée, pour toutes sortes de considérations stratégiques que je n’ai pas la prétention de connaître : personne ne saurait affirmer connaître l’effet sur leur sort final d’une stratégie palestinienne quelle qu’en soit la nature. Mais parmi toutes les stratégies incertaines que les Palestiniens pourraient adopter, la continuation des attaques n’est certainement pas la plus stupide ni la plus suicidaire, et elle ne saurait par conséquent être écartée au motif de fanatisme. Même si des fanatiques « sont derrière » ces attaques, les Palestiniens ordinaires et rationnels auraient de bonnes raisons, quand bien même elles ne seraient pas décisives, d’adopter une telle stratégie.
Pour comprendre la rationalité inhérente à la réponse palestinienne, il n’est pas inutile de comparer la Palestine à l’Algérie du début des années 1960. Dans ce pays, aussi, la population indigène combattait une puissance occupante et des « colons » bien implantés. Les Français ayant fini par comprendre qu’ils ne pourraient pas éliminer les révolutionnaires indépendantistes algériens, il y eut des négociations, qui durèrent pas mal de temps. Les colons tentèrent par tous les moyens de saper ces négociations au moyen d’une campagne de terreur ; les Algériens ne les ont pas imités. Pour quelles raisons la situation dans les territoires (palestiniens) occupés est-elle différente ?
La différence – cruciale – tient à ce qu’en Algérie, tout au moins du point de vue des révolutionnaires, la situation était statique. Les colons n’étendaient pas leurs activités de colonisation. En Israël, non seulement ils les étendent, mais ils les étendent au-delà de leurs besoins d’espace « vital » ! Comme l’indique le mouvement pacifiste israélien Gush Shalom, « Bien qu’il y ait quelque 3 700 maisons inoccupées dans les colonies juives de la bande de Gaza et de Cisjordanie, ce sont pas moins de 6 130 maisons supplémentaires qui sont aujourd’hui en chantier. Dans la plus grande colonie de Cisjordanie, Maale Adumim, 47 % des unités d’habitation n’ont toujours pas trouvé acquéreur, et ce chiffre culmine 97 % dans la colonie de Givat Ze’ev, au nord de Jérusalem ». La journaliste israélienne Amira Hass nous informe du fait que la dépossession des Palestiniens continue, en application d’une véritable politique gouvernementale. « A partir de juillet 2005 », explique-t-elle, « les Palestiniens habitant à Jérusalem Est, titulaires de cartes d’identité israéliennes, ne seront plus autorisés à se rendre à Ramallah. C’est (en effet) à cette époque que le mur sera achevé, ainsi que le point de passage de Kalandia, du type Erez, situé dans la profondeur du territoire palestinien. Seuls ceux d’entre eux qui obtiendront une autorisation (israélienne) de pénétrer en territoire palestinien (et l’expérience a montré à quel point c’est difficile) pourront franchir ce point de contrôle. J’ai demandé au bureau du cabinet du Premier ministre et à l’armée israélienne si cette mesure ne risquait pas d’entrer en contradiction avec deux développements récents : a) la permission accordée aux résidents palestiniens de Jérusalem Est d’aller voter aux élections destinées à la désignation du chef de l’Autorité palestinienne et, b) la possibilité d’un retour du calme et de la reprise des négociations sur le statut définitif. Je n’ai pas reçu de réponse… Ce silence assourdissant, tout comme les bulldozers et les militaires qui empêchent d’ores et déjà les Palestiniens hyérosolomitains de se rendre à Ramallah, nous indiquent qu’Israël poursuit son plan : Jérusalem Est sera séparée de Ramallah et, bien entendu, de Bethléem. »
Le tracé du mur israélien « de séparation », qui devait initialement suivre la frontière de 1967 [la « ligne verte », ndt], serpente désormais en Cisjordanie, et pas seulement autour de Jérusalem, faisant de l’accaparement des terres par les colons un fait accompli lourdement imposé sur le terrain. En Palestine, de ce fait, la situation – le « statu quo » - est loin d’être statique. Les Palestiniens qui poursuivent leurs attaques n’essaient nullement de « casser » tout ce qui pourrait ressembler, de près ou de loin, à un quelconque processus de paix : ils tentent de contrer un processus d’incrustation (des colons) qui travaille constamment contre eux, et sur lequel le processus de paix – il l’a amplement démontré – n’a absolument aucun effet.
Les gestes de bonne volonté d’Israël – aussi sincères soient-ils – concernent tous les aspects possibles et imaginables du problème, sauf le principal : l’incrustation. Des checkpoints sont supprimés ou allégés, des troupes sont retirées, des prisonniers sont élargis. Certaines colonies sont évacuées. Mais l’activité de colonisation se poursuit au même rythme, grosso modo, qu’avant et les colonies continuent à s’agrandir, comme en compensation : on assiste à un véritable phénomène de vases communicants. Ceci se traduit, jusqu’ici, par des souffrances toujours accrues pour les Palestiniens : moins de terres arables, moins de revenus, des conditions de déplacement plus difficiles, des services sanitaires en constante dégradation, la malnutrition et l’implantation de populations hostiles, protégées par l’armée israélienne et arc-boutées à chasser les Palestiniens des derniers pieds carrés de terres qui leur restaient.
Quant à l’avenir ? C’est simple : les colonies s’inscrivent dans une politique israélienne, qui ne date pas d’hier, consistant à créer des faits accomplis servant à étendre un Etat juif absolument unique en son  genre, aux dépens de l’autre population de cette région. Ce fut la raison pour laquelle les premiers sionistes se sont acharnés à encourager une immigration juive illimitée en Palestine et pour laquelle, en 1948, Ben Gourion transféra d’énormes superficies de terres d’Etat au Fonds National Juif. C’est aussi pourquoi en 1967 les colonies ont été encouragées. De nos jours, ce processus est tombé dans une large mesure aux mains de juifs fanatiques, venus essentiellement des Etats-Unis, qui s’acharnent à « rédimer » la Palestine et à « reconstruire » un empire juif, lequel n’a d’ailleurs jamais existé historiquement - c’est aujourd’hui une quasi certitude.
De ceci, il découle que tout ce qui nous est présenté comme une pause dans le conflit n’est en réalité qu’une situation dans laquelle les Palestiniens sont contraints de rester assis sur leurs mains, tandis que l’incrustation mortelle des colons continue au même rythme qu’auparavant. Et à quelle fin ? Sans doute pour s’enthousiasmer sur le genre de processus de paix qui a échoué tellement de fois déjà, dépourvu non seulement de garanties, mais même de la moindre assurance qu’il y aura un gel de la colonisation… Tandis que les Palestiniens doivent se contenter d’un château en Espagne toujours plus réduit, les colons se voient accorder l’autorisation de s’accaparer autant de territoires qu’ils le peuvent, impunément. Même là où les colonies ne peuvent plus s’étendre, ils déploieront des efforts acharnés afin de s’enterrer eux-mêmes si profondément que les enclaves israéliennes en Cisjordanie, qui empêchent la création d’un Etat palestinien viable, deviendront irréversibles. Sans attaques (palestiniennes), et avec des négociations en cours, le mouvement colon aura beaucoup plus de facilités à trouver de nouvelles recrues pour ses activités de déplacement de populations. De plus, les colons actuels ne verront plus aucune raison d’envisager de partir – ce que très peu d’entre eux font, d’ailleurs, pour le moment. Des « faits accomplis sur le terrain » plus amples, plus forts, plus étendus seront créés, minute après minute, et tous les Israéliens ordinaires, dont la plupart honnissent les colons, cesseront de se plaindre : en effet, il y aura moins de violence, moins de risques pour les militaires et moins de dépenses budgétaires : donc moins de motifs de mécontentement.
Pendant ce temps-là, les Palestiniens, impuissants et enfermés dans les restes de leur territoire surpeuplés d’une manière affolante, seront encore un peu plus pressurisés, et encore un peu plus, et encore un peu plus… Jusqu’à quand les Palestiniens continueront-ils ainsi à capituler, à souffrir une défaite s’aggravant lentement mais sûrement ? Eh bien, tous les gens qui sont impliqués dans le processus de paix assurent (en s’en réjouissant) que cela prendra du temps, beaucoup de temps. Personne ne se risque à faire de pronostic. Le 13 novembre dernier, le Washington Post a annoncé que « Le Président Bush s’est fixé pour but, hier, d’assurer la création d’un Etat palestinien pacifique et démocratique, aux côtés d’Israël, avant la fin de son deuxième mandat, en 2009 » [http://www.washingtonpost.com] [Soit : dans quatre ans]. La moitié de ce délai, ce serait déjà bien trop long, pour les Palestiniens, car cela donne aux colons, leurs ennemis, carte blanche pour intensifier un processus de dépossession déjà dévastateur.
Dès maintenant, il est fréquent qu’on entende des commentateurs (et même des commentateurs soi-disant « pro-palestiniens ») affirmer que les colonies sont trop bien établies pour pouvoir les démanteler. Alors qu’en sera-t-il a fortiori dans un ans, dans deux ans ou dans cinq ans, délais durant lesquels le mouvement des colons aura carte blanche ? Que se passera-t-il si, en dépit d’un arrêt de toute attaque (palestinienne), le processus de paix s’effondre et laisse les colonies ainsi renforcées en place ? C’est là une réelle possibilité, que seul un fou pourrait écarter.
Il est irrationnel de renoncer à vous défendre alors même que votre ennemi poursuit son agression. Même s’il y avait un gel total de la colonisation, la destruction de la Palestine n’en ferait pas moins un endroit où les Palestiniens auraient de moins en moins d’espoirs de pouvoir y édifier un jour leur société.
Ce qui est rationnel, c’est poursuivre la résistance, continuer à rendre la vie des colons invivable, continuer à exercer la pression sans laquelle il n’y aurait jamais eu aucune concession israélienne, pour commencer. Si cette pression cessait, les colons se terreraient encore plus profondément en Palestine, laissant de moins en moins de terres et de moins en moins d’espoir aux Palestiniens.
Cela ne signifie pas que la continuation des attaques soit la meilleure politique possible.
Peut-être cette meilleure politique possible consisterait-elle à manifester pacifiquement, avec des fleurs dans les cheveux ? Tout est envisageable. Mais la poursuites des attaques est une politique rationnelle ; c’est une politique qui a autant de chances de réussir que n’importe quelle autre.
Pour comprendre cette réponse à la situation, il n’est nul besoin de comprendre quoi que ce soit à l’Islam, au fondamentalisme musulman ou à je ne sais trop quels traits spécifiques de la culture palestinienne, et encore moins à la psychologie de la haine.
Il suffit simplement de voir dans les Palestiniens des êtres humains dotés de raison.
                               
19. Le remodelage du Moyen-Orient par Béchir Ben Yahmed
in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 20 février 2005

Le Moyen-Orient est réputé « compliqué » et, plus que d'autres parties du monde, sécrète en permanence « du bruit et de la fureur ».
Si vous avez du mal à trouver la signification de ce qui s'y passe en ce moment, prenez ceci pour fil conducteur : tout procède du plan de remodelage de la carte de la région par les États-Unis et Israël.
Bush et Sharon ont décidé de conjuguer les moyens de leurs deux pays pour refaçonner le Moyen-Orient. Il s'agit, pour eux, d'en éliminer ou de réduire toutes les forces hostiles à l'Amérique ou à Israël, et de les remplacer par des entités favorables.
Rien de moins.
Ce qu'ils ont fait en Irak depuis deux ans, ce qu'ils ont initié en Palestine il y a deux mois et ce qu'ils entreprennent en ce moment même pour régler son compte à la Syrie entrent dans ce cadre. Ils sont aidés principalement par Tony Blair et Silvio Berlusconi - et bénéficient de la passivité-inertie des dirigeants arabes : apeurés, ces derniers préfèrent courber l'échine, attendre que « ça se passe... ».
1. L’Irak : c’est le 9 avril 2003, le jour où l’armée américaine a occupé sa capitale, que Saddam Hussein a perdu le pouvoir. Ses troupes se sont alors liquéfiées et son gouvernement s’est désintégré ; lui-même a dû se résoudre à devenir… un clandestin dans le pays dont, la veille encore, il se disait (et se croyait) le chef.
Et c'est le 13 décembre de la même année, lorsqu'il a été débusqué dans « un trou à rats », qu'il a perdu la liberté.
Tout de suite après, Saddam a été exhibé à son peuple et au monde dans des positions humiliantes avant de se retrouver dans la condition de vulgaire détenu incomunicado.
Mais ce n'est qu'à l'issue du scrutin tenu le 30 janvier dernier, et seulement après que les résultats de ce vote sont devenus officiels - ce 13 février -, que le régime qu'il avait instauré le 16 juillet 1971 a définitivement rendu l'âme : ce jour-là, la minorité sunnite (le quart de la population) qui, sous son règne plus encore qu'auparavant, a tenu les rênes du pouvoir, l'a perdu, pour toujours, je pense.
Deux fois plus nombreux, les chiites vont enfin accéder au pouvoir, et ce n'est que justice !
En ce mois de février 2005 est en train de naître, à côté de l'Iran gouverné (depuis cinq siècles) par les chiites, le premier État arabe chiite de l'époque contemporaine.
Sa naissance introduit plus de justice dans la société irakienne. Mais aussi un facteur d'incertitude, voire d'instabilité.
Nul ne sait, en effet, comment le pouvoir chiite irakien se comportera :
- à l'intérieur vis-à-vis des autres composantes minoritaires de la nation irakienne (sunnites, Kurdes et Turkmènes)
- et à l'extérieur vis-à-vis de son voisin iranien (et chiite), des pays arabes, gouvernés, eux, par des sunnites, vis-à-vis de son parrain américain (allié d'Israël).
Puissance occupante, ayant beaucoup investi dans l'affaire, l'Amérique a, en principe, les moyens - et les hommes - qui lui permettront de « tenir » le pays, de le mettre dans son orbite. Elle le pense, en tout cas, et agit en conséquence.
Cela dit, il faut le souligner : l'événement que constitue la conquête du pouvoir en Irak par les chiites est aussi considérable que l'arrivée au pouvoir de la majorité noire en Afrique du Sud, au début des années 1990. Elle en a alors écarté la minorité blanche qui l'avait accaparé, elle aussi, pendant près d'un siècle.
Dans ce même Moyen-Orient, consécutifs à la conquête de l'Irak qui les a rendus possibles, sont intervenus deux autres événements de même amplitude et qui procèdent, eux aussi, de la volonté israélo-américaine de remodeler la carte de la région.
2. Israël-Palestine
Les meilleurs observateurs de cette affaire croient que la mort d'Arafat a donné naissance à un « nouveau Sharon » : de même que le général de Gaulle s'est résigné à l'indépendance de l'Algérie et au rapatriement des Français qui s'y étaient installés, s'inclinant devant les réalités politiques et démographiques, le général Sharon ferait évacuer la Cisjordanie après Gaza pour y faire place à l'État palestinien dont il a accepté la création.
C'est du moins ce que croient pouvoir annoncer ces observateurs.
Je ne crois pas une seconde à cette étonnante et tardive conversion de Sharon au processus d'Oslo ou au plan de Genève, que lui-même dit continuer à combattre.
Je pense qu'en faisant le pronostic résumé ci-dessus, ces observateurs, de très bonne foi, prêtent à Sharon une évolution qu'il n'a pas faite - et ne fera pas.
Plus manoeuvrier et plus têtu qu'ils ne le pensent, l'actuel Premier ministre israélien applique le plan qu'il avait en tête lorsqu'il a accédé au pouvoir il y a quatre ans et qu'il a formulé plusieurs fois : garder pour Israël 52 % de la Cisjordanie et n'en concéder aux Palestiniens que 48 % (plus Gaza) pour qu'ils y installent « l'État » palestinien, soit quelques bantoustans où ils s'entasseront comme ils pourront, cernés de tous côtés et surveillés tout le temps par un Israël riche et puissant.
Ce plan, dont l'exécution va débuter par l'évacuation des 7 000 colons de Gaza - réinstallés en... Cisjordanie ! -, Sharon l'a fait approuver - explicitement - par George W. Bush.
Et, Dieu les ayant opportunément débarrassés d'Arafat, Israël et les États-Unis se font fort désormais d'amener l'Autorité palestinienne à se contenter de ce qu'on lui accorde, agrémenté d'une aide financière « généreuse ». Ils comptent en particulier sur son président Mahmoud Abbas, sur le ministre des Finances Salem Fayyad et sur l'homme de la Sécurité Mohamed Dahlan, jugés acquis à une coopération avec Israël.
Ils comptent sur Abdallah II de Jordanie et sur Moubarak Ier d'Égypte pour les aider à réussir leur entreprise : faire de la Palestine une deuxième Jordanie, un mini-État amical, inféodé et dépendant.
3. Liban-Syrie
Dans une confidence faite à son ami William Safire à la fin de 2004, Ariel Sharon a murmuré :
« La Syrie ? Après l'Irak, les choses changeront aussi avec la Syrie : un problème à la fois... »
On ne saurait mieux dire !
Bush et Sharon ont dû estimer qu'avec les élections du 30 janvier dernier le cas de l'Irak était virtuellement réglé puisque, comme chacun peut s'en rendre compte, l'attaque du tandem États-Unis/Israël contre la Syrie vient de commencer.
On en est pour l'heure à l'intimidation et aux escarmouches. Mais le but est affiché, et l'on ne s'arrêtera pas avant l'évacuation du Liban par les Syriens, la renonciation par eux à leur soutien au Hezbollah et, très probablement, « le changement de régime ».
Après avoir détruit en 2003 l'armée et le Baas irakiens, considérés par Israël comme une menace, il faut, en 2005, toujours dans le cadre du remodelage de la carte du Moyen-Orient, changer la donne à Damas : se débarrasser d'un pouvoir minoritaire lui aussi, semi-dictatorial, pas assez coopératif, et... baasiste de surcroît, comme celui qu'on a abattu à Bagdad.
Dirigé par un président inexpérimenté et faible, tenu par des dinosaures dépourvus de toute imagination politique (comme d'ailleurs les collaborateurs de Saddam), le pouvoir syrien ne tiendra pas longtemps devant l'attaque américano-israélienne.
                                   
20. Un sioniste de la variété peccamineuse par Meron Benvenisti
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 10 février 2005
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Il y avait longtemps que le sionisme n’avait été tellement à l’ordre du jour. Tout le monde y va de son mot, affirmant les avis les plus contradictoires sur ce qui est censé incarner le cœur et l’âme du sionisme, à savoir : la « rédemption de la terre »…
La décision prise par l’avocat général [d’Israël] de mettre un terme aux discriminations du Fonds National Juif [KKL] en matière de location de terres à des Arabes – et aussi, il faut le dire, le biais qu’il a trouvé afin de perpétuer cette discrimination en recourant à la notion de « terres de rechange » – a suscité les louanges de Yossi Beilin, qui y a vu rien moins qu’une « renaissance du sionisme » et qui a condamné les députés de droite à la Knesseth, qui avaient accusé cette décision d’être « antisioniste ».
Le ministre des Finances (Benjamin Netanyahou) est même allé jusqu’à mobiliser le sionisme pour rendre légitime l’injustice consistant à appliquer la loi sur les propriétaires absents à Jérusalem Est, qualifiant cette mesure de « décision authentiquement sioniste ».
Quand le sionisme est ainsi invoqué afin de justifier le vol et la discrimination, de les rendre légitimes, et lorsque des faits bien connus sont manifestement déformés, cela finit par devenir embarrassant et outrageant. Les gens capables de se vanter d’agissements répréhensibles qu’il vaudrait mieux taire sont les premiers à s’insurger lorsque des contempteurs d’Israël et du sionisme excipent de leur exemple afin d’étayer leurs accusations.
Prenons l’exemple de la « décision authentiquement sioniste » concernant le vol de propriétés d’habitants de la Cisjordanie, qu’on a définis « absents » de leurs terres, à l’intérieur de l’emprise territoriale de Jérusalem Est… A nouveau, le gouvernement israélien vient de tirer du fourreau le sabre rouillé jadis utilisé par l’Etat d’Israël qui n’avait alors que deux ans d’existence, afin de s’arroger plus d’un million de dounoms (soit plus de cent mille hectares, ndt) de propriétés abandonnées, et il a décidé derechef de recourir à la « loi » afin de continuer à « racheter la terre »…
Comme en écho aux Palestiniens qui prônent « le retour », Netanyahou a déclaré que « Jérusalem ne diffère en rien de Jaffa, de Ramléh, de Saint-Jean d’Acre et de Haïfa », ouvrant ainsi la boîte de Pandore du supposé « absentéisme » des Arabes de Jérusalem-Ouest…
Les données sont bien connues : elles sont sur la table, et personne ne les conteste. Entre 60 % et 70 % des terres de Jérusalem Ouest appartenaient à des Palestiniens « absents » (= non résidents), dont beaucoup étaient des Hyérosolomitains auxquels étaient revenues en mémoire leurs maisons situées dans les quartiers de Katamon, Baka et Malha. Si les juifs peuvent tirer de l’ « absence » de gens qui sont bel et bien là un « acte de souveraineté sioniste », alors leur reflet dans le miroir [= les Palestiniens partisans du droit au retour, ndt] peut considérer sans ambages le retour des absents comme un objectif national légitime. L’approche consistant à dépeindre le « retour » [des réfugiés palestiniens, ndt] sous les traits d’une volonté terroriste de détruire Israël, tout en considérant que le vol de terres par la force et par la haute fantaisie juridique seraient de nobles hauts-faits sionistes, n’est acceptable que pour des gens qui pensent que les valeurs universelles s’appliquent à tout le monde, sauf à eux-mêmes !
C’est précisément cette contradiction que les gens qui avaient décidé en 1968 de NE PAS appliquer la loi des propriétaires absents à Jérusalem Est s’efforçaient de neutraliser, en s’appliquant à démontrer que ce qui avait été admissible en 1948 – au plus fort de la tourmente de la guerre – était totalement exclu en 1967. Et ces gens n’étaient certes pas moins sionistes que Benjamin Netanyahou ! Ils étaient assurément plus intelligents que lui : ils voulaient disjoindre le « cas » de 1948 du « cas » de 1967 et faire de la victoire [acquise] en six jours un levier grâce auquel les relations israélo-palestiniennes pourraient être tirées vers le haut, jusqu’à un nouveau palier : celui de la paix et de la réconciliation. Cette aspiration fut par la suite rapidement condamnée par ces gens qui ne voient dans le sionisme qu’une sorte de révolution permanente et donc, inéluctablement, une idéologie imposant [à autrui] une éternelle hostilité.
Ce contexte justifie les discriminations racistes cleptomaniaques à l’encontre de l’ « ennemi » arabe, et il permet les déformations de l’histoire. Les détails sont déjà connus, concernant les fausses allégations du KKL selon lesquelles la terre aurait été acquise « contre des kopeks, des pennies et des centimes recueillis jour après jour dans les fameuses petites tirelires bleues ». Les Palestiniens déracinés, dont des dizaines de milliers de citoyens israéliens « absents-présents », n’ont pas perçu une seule agora [= centime de shekel, ndt] pour leur terre, qui fut donnée au KKL, alors même que le gouvernement israélien s’est vu dédommagé, en leur lieu et place, en vertu d’un marché dont l’illégalité a été avouée y compris par les responsables du KKL !
Ce pacte entre voleurs a créé délibérément un écran de fumée à base d’acquisition volontaire de terres auprès de propriétaires [terriens palestiniens] à l’époque du Mandat britannique et de « rachat de la terre » par le gouvernement d’Israël. Le tout, pour la simple raison que David Ben-Gourion aurait nourri quelque inquiétude au sujet du pouvoir réel des Nations Unies. Il avait promis, conformément à la résolution de partage [de la Palestine – 1947, ndt] « qu’il ne serait procédé à aucune expropriation de propriétés arabes par l’Etat juif » : c’est donc par les voies détournées de ventes au Fonds National Juif qu’il avait décidé de contourner cette interdiction.
Mais Ben-Gourion apprit très vite qu’il n’y avait absolument rien à craindre : le besoin de recourir au Fonds National Juif s’évanouit donc. Mais un fait accompli avait été posé : un mécanisme de discrimination à l’encontre des citoyens arabes de l’Etat [d’Israël] avait été institué… Et voici qu’aujourd’hui, en 2005, on voudrait le remettre à l’ordre du jour…
Deux conclusions sont à retirer de cette éruption de sionisme exacerbé.
La première sera personnelle : si c’est çà, le sionisme, il vaut mieux ne pas être sioniste !
Quant à la seconde, la voici : une société ne saurait s’appuyer très longtemps sur une fondation pourrissante faite de vol et de tromperie : si elle n’en change pas totalement, elle est condamnée.
                                   
21. Sans justice, il n’y aura pas de paix au Moyen-Orient par Robert Fisk
in The Independant (quotidien britannique) du mercredi 9 février 2005
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

A aucun moment, hier, personne n’a jamais mentionné le mot « occupation ». C’est comme le sexe : de ces choses-là, on ne parle pas…
Ainsi, les Palestiniens vont mettre fin à leur occupation d’Israël. Les tanks palestiniens n’écraseront plus tout sur leur passage, en fonçant sur Haïfa ou Tel-Aviv. Les F-18 palestiniens ne bombarderont plus les concentrations de population civile israélienne. Les hélicoptères palestiniens Apache n’effectueront plus d’ « assassinats ciblés » [lire : d’assassinats de dirigeants israéliens].
Les Palestiniens ont promis de mettre un terme à « tous les actes de violence » à l’encontre des Israéliens, et ceux-ci ont promis de cesser « toute activité militaire » contre les Palestiniens. Donc : ça y est. La paix ! Enfin ! Et de notre vivant !…
Un Martien – même un Martien très au courant de l’actualité – aurait pu comprendre que tel était le message, à supposer qu’il lui ait pris la fantaisie d’aller se poser un moment dans le monde fantasmatique de Sharm el-Sheikh, hier. Les Palestiniens commettaient des « violences », les Israéliens se contentant d’effectuer d’ « innocentes » opérations militaires. Ainsi, la « violence », ou « la terreur et la violence » palestiniennes  - la seconde expression étant nettement plus en vogue, puisqu’elle véhiculait les stigmates des attentats du 11 septembre 2001 – a donc pris fin. Mahmoud Abbas, qui  a dit l’année dernière à un ami libanais très proche que s’il portait le costard-cravate, c’était afin de se « différencier » de Yasser Arafat – a supporté tout ça. Simplement, la question de savoir lequel des deux peuples occupait les maisons de l’autre peuple est restée un mystère.
Le cheveu grisonnant, confit dans la bonne conscience, Mahmoud Abbas a bien joué. Force nous a bien été d’oublier que ce fut ce même Abbas qui écrivit les accords d’Oslo, lesquels ne mentionnent pas même une seule fois le mot « occupation » en quelque mille pages, et qui parla non pas d’un « retrait » israélien des territoires palestiniens, mais d’un « redéploiement ».
Hier, à aucun moment, personne n’a parlé d’occupation. Comme le sexe, l’ « occupation » a été expurgée du discours historique. Comme d’habitude – comme à Oslo – les véritables problèmes ont été renvoyés à plus tard. Les réfugiés, le « droit au retour », Jérusalem Est en tant que capitale de la Palestine : nous en parlerons, mais pas maintenant : plus tard…
Jamais auparavant nous n’avions eu autant besoin de la voix acerbe du regretté Edward Said. Les colonies – ces colonies juives, destinées à être habitées par des juifs, et seulement des juifs – n’ont pas, bien entendu, été discutées hier. Ni Jérusalem Est. Ni le « droit au retour » des réfugiés palestiniens de 1948. Tout ceci, ce sont les « rêves irréalistes » auxquels les Israéliens ont fait allusion, hier.
Tout ceci sera examiné « plus tard » - comme cela était censé l’avoir été lors de la signature, par Abbas, des funestes accords d’Oslo. Dès lors que vous pouvez renvoyer à plus tard l’examen des causes véritables de la guerre, c’est parfait. « Une fin de la violence » qui a causé 4 000 morts : tout a été dit, hier, si ce n’est ce petit détail : les deux tiers de ceux qui ont perdu la vie étaient palestiniens. Paix, paix, paix ! On aurait cru réentendre : « Terrorisme, terrorisme, terrorisme ! ». Le genre de truc que vous pouvez trouver en rayon au supermarché. Et encore : si ça pouvait être vrai ? ! ? A la fin de la journée, voici à quoi on en était arrivé : les Israéliens vont-ils démanteler leurs colonies massives en Cisjordanie, y compris celles qui cernent Jérusalem ? Aucune allusion à cela, hier. Vont-ils mettre un terme à l’expansion des colonies juives – réservées aux seuls juifs, dans l’ensemble du territoire – palestinien – de Cisjordanie ? Rien n’a été dit à ce sujet, hier. Vont-ils permettre aux Palestiniens d’avoir leur capitale à Jérusalem Est ? Rien non plus, à ce sujet… Les Palestiniens vont-ils réellement mettre un terme à leur « intifada » - y compris à leurs attentats suicides meurtriers – en réponse à ces promesses non-existantes ? Comme les élections en Irak – elles aussi tenues sous occupation militaire étrangère – les pourparlers israélo-palestiniens furent historiques parce qu’ils furent… comment dire ? … « historiques » ! La Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice a « averti » les Palestiniens qu’ils doivent « contrôler la violence ». Mais, comme d’habitude, nulle exigence que l’armée israélienne « contrôle » sa violence ne s’est fait entendre.
La raison ? C’est tout simplement que la condition sine qua non de l’équation était que les coupables étaient les Palestiniens. Que les Palestiniens étaient le parti « violent » - d’où l’admonition que les Palestiniens doivent mettre fin à la « violence », alors que les Israéliens mettraient à la rigueur fin à leurs « opérations ». Les Palestiniens, semble-t-il, sont intrinsèquement violents. Les Israéliens, eux, sont intrinsèquement respectueux de la loi ; eux, ils procèdent à des « opérations ». Nuance ! Pas un seul instant, Mahmoud Abbas n’a tiqué devant ces absurdités.
Tout ceci était par trop évident dans les reportages sur les événements d’hier. Ce qui était proposé, a dit la chaîne CNN, c’était « une fin à toutes les formes de violence » - comme si l’occupation et la colonisation illégale n’étaient pas des formes de violence ! L’agence américaine Associated Press a parlé sans gêne de « villes [palestiniennes] qui, jusqu’à nouvel ordre, continuent à être soumises au contrôle sécuritaire israélien » - comprendre : « sous occupation israélienne ». Mais, cela, ils ne le diront jamais à leurs lecteurs.
Ainsi, Mahmoud Abbas est en passe de devenir le Hamid Karzai de Palestine, sa cravate étant l’équivalent de la tunique verte de Karzai. Mahmoud Abbas est en passe d’être « notre » nouvel homme de confiance en Palestine, le « tsunami » qui a balayé la contagion de Yasser Arafat, duquel Condoleezza Rice a réussi – véritable tour de force - à ne pas voir le tombeau. Mais les chausse-trappes demeurent : Jérusalem Est, les colonies juives et le « droit au retour » des Palestiniens chassés en 1948 dans les maisons qu’ils perdirent alors.
Si nous nous apprêtons à applaudir comme les « faiseurs de paix » de Sharm El-Sheikh hier, nous ferions mieux de nous rendre compte qu’à moins que nous ne résolvions ces grands problèmes d’injustice, et au plus vite, ce nouveau chapitre dans la « fabrication de la paix » s’avèrera tout aussi sanglant que celui d’Oslo.
Posez donc la question à Mahmoud Abbas.
Lui, il sait : c’est lui qui a signé ce premier accord désastreux !
                               
22. La Turquie et son jeu de triangulation régionale par Philip Robins
in The Daily Star (quotdien libanais) du jeudi 13 janvier 2005
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Philip Robins est maître de conférence en sciences politiques et relations internationales à l’Université d’Oxford. Il est membre du St Antony’s College. Auteur de l’ouvrage « Suits and Uniforms : Turkish Foreign Policy Since the Cold War » [Smokings et uniformes : La politique étrangère turque depuis la Guerre froide] (Hurst & University of Washington Press), Philip Robins a réservé ce commentaire au Daily Star.)
Au début des années 1990, le ministre turc des Affaires étrangères de l’époque, Hikmet Çetin, se rendit en visite officielle en Israël à trois reprises, dans le cadre de premiers pas (chaotiques et spasmodiques) visant à rapprocher les deux pays. Avant l’une de ces visites programmées, les hommes en costard d’Ankara firent carrément avorter tout le pan israélien de la tournée régionale de Çetin, alors même que celui-ci se trouvait déjà en Jordanie, en raison des très vives réserves soulevées par la dernière opération militaire israélienne en date, au Liban. Mais la partie turque en vint très rapidement à regretter cette décision. Avant même qu’un mois se soit écoulé, les négociations secrètes menées à Oslo par les Israéliens et les Palestiniens furent rendues publiques, révélant une percée majeure dans le processus de paix. La presse turque fustigea les diplomates et les hommes politiques turcs pour leur pusillanimité et pour leur myopie : la diplomatie turque venait de manquer une opportunité d’être partie prenante, d’une certaine façon, en un moment clé de la décennie passée.
C’est avec bien moins de réticence (disons même : de haut-le-cœur) que le ministre turc des Affaires étrangères Abdüllah Gül effectua sa première visite depuis sa prise de fonction en Israël et en Palestine, la semaine passée. Contrairement à l’hésitant Çetin, Gül a pris à bras-le-corps les incertitudes de l’heure, sa visite intervenant juste après la disparition du dirigeant palestinien Yasser Arafat et peu après la publication du résultat de l’élection de son successeur à la présidence de l’Autorité palestinienne. Ayant su percevoir des vibrations palpables dans l’air, Gül a compris, instinctivement, que l’endroit où il fallait être, pour discuter des perspectives d’action dans la reprise du processus de paix, c’était sur place. Ce faisant, il s’est montré à la hauteur des hommes d’Etat occidentaux de quelque importance, qui ont parlé d’opportunités renouvelées d’amener les Israéliens et les Palestiniens à la table de négociations. Gül a également joué le rôle du petit télégraphiste pour le compte des Syriens, en apportant un « message de paix » de Damas aux dirigeants de l’Etat et du gouvernement, en Israël.
« Le temps est venu de servir la paix », a déclaré Gül avant de quitter Ankara pour le Moyen-Orient. De même que le style de relaxation zen de Gül contrastait avec l’anxiété névrotique de Çetin, on relèvera des différences substantielles, dans la politique extérieure de la Turquie, par rapport à ce qu’elle était voici douze ans. Si l’establishment diplomatique turc – séculier et européen – du temps de Çetin, était généralement très méfiant vis-à-vis du Moyen-Orient, et attentif avant tout à s’y engager le moins possible afin d’éviter de se brûler les doigts, le gouvernement actuel du Parti de la Justice et du Développement [AKP] met l’accent sur la nécessité de tenir compte des voisins de la Turquie. Le meilleur signe en fut la déclaration du Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan, résumant le moment dynamique impulsé à la stratégie turque par la visite de Gül. Erdogan a parlé du désir de la Turquie de remplir le vide qu’elle a créé dans la région, par le passé, en se repliant sur elle-même. « Nous ne pouvons nous payer le luxe de rester insensibles aux problèmes de nos voisins », a-t-il déclaré, évoquant, comme justifications de cette nouvelle attitude : « notre situation géographique, notre histoire, notre civilisation et nos intérêts nationaux ». En s’exprimant en ces termes, Erdogan a voulu signifier qu’à l’avenir, son gouvernement a l’intention de mener une politique beaucoup plus active dans la région. L’accueil, généralement positif, reçu par ces déclarations, en tous les cas par l’opinion publique, fournit une bonne indication de l’assurance qui caractérise dans une large mesure la politique extérieure de la Turquie depuis deux ans.
En reconnaissance de ce que Gül faisait, le Département d’Etat américain a déclaré que la Turquie pourrait jouer un rôle constructif dans les efforts internationaux visant à promouvoir la paix et le dialogue entre Israéliens et Palestiniens. Les Etats-Unis estiment depuis longtemps que, quelle que soit la nature de l’implication de la Turquie dans le processus de paix israélo-palestinien, cette implication ne saurait aller qu’apporter de l’eau au moulin de Washington. L’armée turque est susceptible de jouer un rôle important dans un désengagement militaire sur le terrain. Une présence turque dans le cadre d’une force internationale modeste, à Hébron, a montré le professionnalisme des forces armées turques, ainsi que leur acceptabilité par les deux camps. Les pays arabes, la Syrie en tête, sont généralement très satisfaits de voir le gouvernement AKP actuel aux manettes en Turquie. En raison de ses racines islamiques, ils le considèrent instinctivement plus favorables à leurs positions que la plupart des gouvernements turcs laïcs précédents. Les Syriens, en particulier, sont satisfaits de l’excellence et du dynamisme de leurs relations avec la Turquie, qui représente désormais un important interlocuteur défendant leurs positions face à Israël et aux Etats-Unis. Les Palestiniens, eux aussi, sont conscients depuis longtemps de l’importance qu’il y a, pour eux, à développer de bonnes relations avec la Turquie, en particulier en raison de l’alliance très ancienne de ce pays avec les Etats-Unis.
C’est dans le domaine des relations bilatérales turco-israéliennes que l’ambiguïté est le plus vivement ressentie. La tournée proche-orientale de Gül fut conçue, en partie, comme une visite d’apaisement après le discours tranchant tenu par Erdogan, l’an dernier, au sujet du « terrorisme d’Etat » pratiqué par Israël à l’encontre des Palestiniens. Très peu de dirigeants, dans le monde, se seraient estimés quittes après ce langage fleuri. Mais le prestige régional de la Turquie est tel, aujourd’hui, que bien loin de châtier Gül pour les rodomontades de son patron, Israël a décidé, au contraire, de lui offrir des douceurs. Le geste israélien consista à éliminer les obstacles aux investissements (israéliens) dans la partie nord de Chypre (occupée par la Turquie, ndt). C’est là  un geste extrêmement habile : en effet, Ankara a été fortement désappointé par les pays de l’Union européenne, qui n’ont pas honoré leur promesse de savoir gré aux Chypriotes du Nord d’avoir plébiscité cet autre processus de paix en Méditerranée orientale : le processus chypriote. Quand la Turquie a réalisé sa toute récente percée dans les négociations d’admission au sein de l’Union européenne, il y a tout juste trois semaines, l’observateur généraliste aurait pu être excusé d’avoir pensé que l’intérêt de la Turquie pour le Moyen-Orient se serait affaibli, plutôt qu’accru. Toutefois, la visite de Gül en Isaël, et l’insistance mise par Erdogan sur la destinée régionale de la Turquie indiquent que la direction du parti AKP est déterminée à éviter à son pays la bévue que représenterait pour la Turquie une politique étrangère mono-régional et exclusivement azimutée « Europe ». Pour Erdogan, la situation géographique de la Turquie, ainsi que son  histoire et sa civilisation, lui imposent d’avoir une orientation aussi bien moyen-orientale qu’européenne. De fait, Erdogan pourrait même invoquer l’argument que, dans les circonstances présentes, les relations moyen-orientales de la Turquie l’ont rendue plus attractive pour les Européens, du point de vue stratégique, qu’elle ne l’a jamais été à l’époque d’Hikmet Çetin.
                               
23. Le drame palestinien - La responsabilité de l’Occident par Roland Laffitte
in Témoignage Chrétien du samedi 11 mai 1991

Le simple fait qu'Israël ait représenté un enjeu de la guerre que nous venons de vivre suffirait à jeter un doute sur la prétention de contenir la Palestine dans les limites d'un « conflit israélo-arabe ».
La réalité est qu' « à travers Israël, c'est l'Occident qui pèse (...) de tout son poids sur le peuple palestinien » (1). L'immense responsabilité de l'Occident tient en ceci : il « n'a pas commencé à régler sa dette infinie envers les Juifs, et l'a fait payer à un peuple innocent, les Palestiniens » (2). Sans tenir aucune culture pour une entité homogène, rigide et close, nous devons dire que l'Occident n'a pas éradiqué en lui le mal qui a produit le génocide des Juifs. Car ce mal, bien au delà des Juifs, c'est la négation de l'autre.
Nous avons connu l'extermination des Indiens d'Amérique par les émigrés européens, les WASP - White Anglo-Saxon Protestants -, ainsi que la traite des Noirs d'Afrique, leur déportation massive vers l'Amérique, ces Noirs dont l'Eglise décréta fort opportunément qu'ils « n'avaient pas d'âme » ! Jamais aucune civilisation, pour cruelle quelle fut - même la mongole, tristement célèbre pour ses dévastations -, n'en a décimé d'autres avec une telle ampleur et une telle rage.
Nous avons connu la négation des Juifs, brûlés sur les bûchers de l'Inquisition médiévale sous prétexte d'avoir « livré le Christ » puis d'être la « cinquième colonne de l'Islam » - mais avant eux les Cathares, premiers bénéficiaires de cette sainte institution , et ensuite et avec eux et en nombre plus grand encore, les Musulmans d'Espagne. Nous avons connu la négation des Juifs, à l'époque contemporaine déportés puis gazés dans les camps nazis sous prétexte d' infériorité absolue dans l'échelle des races - mais avec les Tziganes et combien d'autres hommes pour leurs idées.
Les sentinelles de l’Occident
D'abord persécutés comme symbole de l'altérité au sein de l'Occident, les Juifs ont donc été arrachés par la démocratie universaliste à l'Orient imaginaire où ils étaient jusque là fixés. Mais c'est pour être finalement retournés contre l' Orient réel, transmués là en sentinelles de l'Occident. Et les voilà entrés en Palestine - providentiellement reconnue par Théodore Herzl comme « terre sans peuple pour un peuple sans terre » -, sous le drapeau du sionisme et la tête pleine de la l'épopée biblique de Josué entrant dans Canaan : on ne compte pas les Jericho modernes qui, comme Deir Yassin et Kafr Kassem, furent voués à l'interdit.
A-t-on vraiment guéri le mal occidental, la schizophrénie du rapport à l'autre? L'Occident démocratique victorieux du nazisme s'est lavé du génocide juif en le stigmatisant dans sa forme paroxystique chez le vaincu, désigné comme responsable exclusif. Mais le 8 mai 1945 que la France fête comme Libération du joug nazi, ce même jour, elle évacue l'extermination de 45.000 Algériens de Sétif, Guelma et Constantine par l'armée et les milices des colons sous le prétexte que la protestation nationale était manipulée par des agitateurs nazis... Ainsi se clôt la boucle des justifications.
L'Occident et son « droit international » ont érigé le génocide des Juifs en « crime contre l'humanité ». Il en fut un, abominable. Mais conférer au génocide de l'autre annexé et érigé en symbole d'identification, l'exclusivité de cette dénomination, cela revient à évacuer et à justifier la massive et monstrueuse négation de l'autre figé dans sa différence absolue: négation d'hier, celle des Indiens et des Noirs qui se perpétue sous d'autres formes, négation d'aujourd'hui, dont les Palestiniens déracinés et déportés sont un exemple et un symbole.
L’œil des caméras de télévision a longuement braqué notre regard sur l'angoisse des familles israéliennes sous la menace des scuds - une menace qui a pris dans la psyché occidentale une force d'évidence démesurée de sa mise en résonance avec le gazage d'Auschwitz, fiché au cœur du grand sacrifice fondateur de l'Occident contemporain. Mais cet oeil a effacé la douleur des familles palestiniennes soumises au couvre-feu israélien, quand aller chercher de l'eau à la fontaine expose à la mort.
Il ne s'agit pas là de simple propagande de guerre. La croisade du Golfe a vu une armada technologique frapper avec une sauvagerie inouïe un pays tout entier sous prétexte d'« éviter les pertes humaines », signifiant par là que les centaines de milliers d'Irakiens sacrifiés à l'idole du « droit international » étaient bannis de l'humanité. Et l'on ne distinguait pas encore en ce temps là les Kurdes, soumis au même titre que les autres Irakiens aux bombardements de la coalition...
Sionisme n’est pas judaïsme
Le 10 novembre 1975, l'Assemblée générale de l'ONU « considère que le sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale »: insupportable offense pour la conscience occidentale, où s'est établie l'identification judaïsme/sionisme qui rend toute critique du sionisme sacrilège. Cependant, pris dans l'ivresse de ses auto-justifications, l'Occident prête peu d'attention au fait cette identification soit niée par des voix qui témoignent du sein même du judaïsme.
C'est le cas du rabbin Moshe Hirsch, de Jérusalem. Pour lui, « le sionisme est diamétralement opposé au judaïsme. Le sionisme veut définir le peuple juif comme entité nationale (...). C'est une hérésie. Les Juifs n'ont pas reçu de Dieu la mission de forcer le retour en Terre Sainte contre la volonté de ceux qui l'habitent. S'ils le font, ils en assument les conséquences » (3). Son attitude s'inscrit dans la grande tradition spirituelle du judaïsme qui ne saurait justifier aucun privilège national.
Dans un magnifique documentaire d'Eyal Sivan intitulé Izkor, les esclaves de la mémoire, le professeur Yeshayahou Leibovitz livre ces paroles : « Rien n'est plus commode que de nous définir par rapport à ce que les autres nous ont fait subir. Cela nous permet d'éviter de nous demander ce que nous voulons, ce que nous valons. Toutes ces horreurs nous d‚gagent de notre responsabilité (...) et nous pouvons tirer sur des Arabes dans un camp de réfugiés » (4).
Plus royaliste que le roi
Au lieu d'attaquer le mal à la racine, à savoir la négation de l'autre, le sionisme se love dans cette négation: pour mériter de l'Occident, il se fait plus royaliste que le roi, devient négateur acharné du Palestinien et de l'Arabe. Mais cette conduite pathologique ne saurait guérir les Juifs de la peur secrète de leur négation par l'Occident, qui perdure chez eux.
« La Shoah n'est pas une question pour les Juifs, mais une question pour les non-Juifs » (5), affirme encore le professeur Yeshayahou Leibovitz. Elle n'est pas en tout cas de la responsabilité des Arabes et des Musulmans, mais de celle de l'Occident, lui qui croit s'en libérer en idolâtrant le sionisme comme combattant de l'Occident sur la frontière de l'altérité absolue tracée en Palestine. Mais la fuite de cette responsabilité opère en lui comme retour du refoulé, comme culpabilité qui pervertit toute la société : toute critique du sionisme devient suspecte d'" antisémitisme ", toute critique de la démocratie occidentale dans sa négation de l'autre est clouée au pilori du " tiers-mondisme ", devient blasphème de l'Universel.
Sur le terreau fertile de la négation de l'autre par l'universalisme exclusif, se développe dans la société un climat d'inquisition sourde qui nourrit le racisme qu'elle prétend combattre. Et le Juif - pas plus qu'un autre - n'est épargné par cette montée du racisme, dont il pense se protéger par la puissance de réaction du sionisme.
Il existe ainsi une sorte de complicité diabolique entre un Occident exclusif et le sionisme, une complicité interne à l'Occident. Et comme elle a besoin, pour se lier, du feu de la négation de l'autre, la Palestine est le foyer de cette fusion: elle est le lieu symbolique où se noue, non tant le rapport entre Juifs et Arabes - nombreux sont les Juifs arrachés à la nationalité arabe et à la culture arabo-islamique -, que le rapport entre l'Occident et le Monde arabo-islamique et, bien au-delà, tous les exclus d'un Occident fermé, négateur et brutal.
Tout allègement momentané du sort des Palestiniens serait naturellement une bénédiction. Mais bannir l'injustice radicale qui s'enracine en Palestine exige d'éradiquer en Occident même la prétention à se considérer comme le « peuple élu » - de Dieu ou de l'Universel, cela revient au même -, et à justifier ainsi l'interdit des autres cultures. Cela exige que se fortifient en son sein les tendances qui reconnaissent, par une plongée dans l' intériorité de sa propre culture, que l'autre est en soi et qu'il faut apprendre à vivre avec lui. Nous en sommes encore loin aujourd'hui. C'est dire que n'est pas terminé le martyre de la Palestine.
- NOTES :
(1) Thierry Hentsh, " La responsabilité de l'Occident ", Proche-Orient, une guerre de cent ans, publication du Monde diplomatique, mars 1991.
(2) Gilles Deleuze, " Les pierres ", in Les pierres qui t'ont fait renaître, Ed. Contexte, Paris, 1989.
(3) Washington Post du 3/10/1978.
(4) "Océaniques", FR3, le 25/3/1991.
(5) Toujours "Océaniques".
 
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