" Chaque être humain a plusieurs identités. Je suis un être humain. Je suis égyptien lorsque les Égyptiens sont opprimés. Je suis noir lorsque les Noirs sont opprimés. Je suis juif lorsque les Juifs sont opprimés et je suis palestinien lorsque les Palestiniens sont opprimés."
                                       
Chehata Haroun - Ecrivain et avocat juif égyptien, décédé le 16 mars 2001 au Caire. Ce texte est gravé sur sa tombe.
                                     
                       
Point d'information Palestine N° 252 du 03/03/2005
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Au sommaire
               
Témoignages
1. Chronique d’un retour à Jénine : Occupation-Liberté AR par Rana El-Khatib (Janvier 2005) [traduit de l’anglais de Gérard Jugant]
2. Journal quotidien de Gaza [extraits] par Mohammed Omer (du 8 au 22 janvier 2005) [traduit de l’anglais par Taskin Sabri]
                                   
Rendez-vous
1. Terre de femmes de Jean-Khalil Chamoun (Liban - 2003 - 58 min) le dimanche 6 mars 2005 à 17h00 à l'Espace Cézanne (Cinémathèque) - 31 bis, Boulevard d'Athènes - Marseille 1er
2. Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France à Aubagne et Aix-en-Provence le mardi 8 et le mercredi 9 mars 2005
                   
Dernières parutions
1. En finir avec le sionisme de Jean Baumgarten (Préface de Maurice Rajfus) aux Editions Baumgarten [86 pages - 10 euros - ISBN : 2952322910]
2. Figures du Palestinien - Identité des origines, identité de devenir de Elias Sanbar aux éditions Gallimard (NRF Essais) [304 pages - 19,50 euros - ISBN : 2070759369]
                     
Réseau
- Palestine : quelles perspectives ? par Bertrand Badie (19 janvier 2004)
                          
Revue de presse
1. Les dérives de la lutte contre l'antisémitisme par Michel Habib-Deloncle in France Pays-Arabes du mois de février 2005
2. Israël envisage de bâtir 6.000 maisons de colons en Cisjordanie Dépêche de l'agence Reuters du vendredi 25 février 2005, 10h15
3. C’est bon que tu sois rentré à la maison ! par Gideon Lévy in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 25 février 2005 [traduit de l'hébreu par Michel Ghys]
4. Le Parlement palestinien a investi le gouvernement Qoreï remanié on LeMonde.fr avec l'Agence France Presse et Reuters le jeudi 24 février 2005, 13h14
5. Le Liban après l'assassinat de Rafic Hariri : Un coup de grâce infligé à Damas par Aziza Nait Sibaha in Le Matin (quotidien marocain) du jeudi 24 février 2005
6. Entretien avec Elias Sanbar "Émergence d’une nouvelle donne au Proche-Orient ?" réalisé par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du mercredi 23 février 2005
7. Egypte-USA : La bisbille par Mona Salem in Aujourd'hui Le Maroc (quotidien marocain) du lundi 21 février 2005
8. Au pied du mur par Valérie Féron in L'Humanité du samedi 19 février 2005
9. Jéricho mise sur son casino pour séduire les touristes par Sophie Claudet Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 16 février 2005, 11h20
10. Qui a quelque chose à gagner de l’assassinat de Hariri ? par Michael Jansen on Jordan Times (quotidien jordanien) du mercredi 16 février 2005 [traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]
11. La presse divisée sur les commanditaires par Saïd Aït Hatrit in El Watan (quotidien algérien) du mercredi 16 février 2005
12. Entretien avec Alain Ménargues : "Je suis viscéralement opposé à l’intolérance" propos recueillis par F. Amalou in La Nouvelle République (quotidien algérien) du mardi 15 février 2005
13. Barbouzes israéliens, syrophobie et une paix qui a du mal à percer par Robert Fisk in The Independent (quotidien britannique) du mardi 15 février 2005 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
14. Chirac rejette la demande du ministre israélien des Affaires étrangères, Silvan Shalom, d’ajouter le Hezbollah à la liste européenne des organisations terroristes par Aluf Benn in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 14 février 2005 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
15. Hans Blix : "La politique menée par les Américains pourrait provoquer un engrenage" propos recueillis par Inès Eissa in A-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 9 février 2005
16. Un Frankenstein koweïtien par Subhi Hadidi in Le Nouvel Afrique Asie du mois de février 2005
17. Le dilemme d’Abou Mazen par Khalil Attyah in Le Nouvel Afrique Asie du mois de février 2005
18. L'éditorial de Michel Tubiana in le Bulletin de la Ligue des Droits de l'Homme du mois de janvier 2005
19. L'Autorité palestinienne critique la décision de l'ONU concernant Peter Hansen - Dépêche de l'Agence de Presse Xinhuanet (Chine) du jeudi 27  janvier 2005, 14h44
20. Une façon, parmi d’autres, d’en finir par Terry Eagleton in The Guardian (quotidien britanique) du mercredi 26 janvier 2005 [traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]
21. Horizon 2020 : un rapport de la CIA prévoit la fin de l’hégémonie mondiale américaine d’ici quinze ans par Fred Kaplan on Slate (e-magazine étasunien) du mercredi 26 janvier 2005 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
22. Déjouer les chausse-trappes par Azmi Bishara in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 13 janvier 2005 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
23. Une abstention très politique par Amira Hass in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 12 janvier 2005 [traduit de l’hébreu par Michel Ghys]
24. Qui casse, paie ! (Normalement…) par Naomi Klein in The Nation (hebdomadaire étasunien) du lundi 10 janvier 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
25. De Khan Younes, vous ne voyez pas de colons par Gideon Lévy in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 9 janvier 2005 [traduit de l’hébreu par Michel Ghys]
26. Mes rencontres avec Yasser Arafat par Eric Rouleau in Le Monde diplomatique du mois de décembre 2004
27. Feminin @ arabe.com par Dina Darwich in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 22 décembre 2004
28. Face à l’occupation israélienne, la femme palestinienne vit une réalité très différente. Entretien avec Chaza Auf, présidente du Centre de la femme pour l’orientation juridique et sociale in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 22 décembre 2004
                               
[- A paraître dans un prochain Point d'information Palestine : Présentation des livres : Si vous détruisez nos maisons vous ne détruirez pas nos âmes de Daniel Vanhove (Préface de Ilan Halevi) accompagné d'un DVD du film "Au bord de la mort, nous cultivons l'espoir" (55 minutes) aux Edition Oser Dire [336 pages - 25 euros - ISBN : 2919937006] - Contre-Croisade - Origines et Conséquences du 11 Septembre de Mahmoud Ould Mohamedou aux éditions de L'Harmattan [186 pages - 17 euros - ISBN : 2747569748] suivi d'un extrait du livre. Dans la rubrique Réseau : Quelques remarques sur la violence, la démocratie et l’espoir par Jean Bricmont (20 février 2005). Dans notre revue de presse : Etats-Unis, de l'eau dans leur bourbon par Pascal Boniface in Libération du lundi 28 février 2005 - Le Jérusalem de Sirine Husseini Shahid par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du samedi 26 février 2005 - Pour les religieux de "Neturei Karta", l’État d’Israël est contraire à la Torah - "Juifs et arabes peuvent vivre ensemble", assurent des rabbins ultraorthodoxes à Beyrouth in L'Orient - Le Jour (quotidien libanais) du jeudi 24 février 2005 - Le bercail de Bush par Luciana Castellina in Il Manifesto (quotidien italien) du mardi 22 février 2005 [traduit de l'italien par Marie-Ange Patrizio] - Stratégies en Palestine : un château croulant en Espagne, des plans sur la comète par Michael Neumann on CounterPunch (e-magazine étasunien) du lundi 21 février 2005 [traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier] - Le remodelage du Moyen-Orient par Béchir Ben Yahmed in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 20 février 2005.]
                           
Témoignages

                           
1. Chronique d’un retour à Jénine : Occupation-Liberté AR par Rana El-Khatib (Janvier 2005)
[traduit de l’anglais de Gérard Jugant]
(Ce récit du retour d’un enfant palestinien, Shahadeh, à son village des environs de Jénine, fait suite à "Vol d’Une Enfance", diffusé sur différents sites et publications électroniques solidaires du peuple palestinien (ISM - Analyses du 10/12/2004 ; in la newsletter de La Maison d’Orient "Point d'information Palestine" N° 249 du 24/12/2004, etc...). Le texte en anglais de Rana El-Khatib, sous le titre "Home bitter home", est sur le site rense.com. Rana El-Khatib vit actuellement à Beyrouth, Liban. Elle est l’auteur de l’ensemble de poésie politique, BRANDED : The Poetry of a so-called ‘Terrorist’. Une partie de son travail poétique a été traduit en français et publié par : La Courte Echelle - Editions Transit - 29 La Canebière - 13001 Marseille - Email : courtechel@club-internet.fr.)
Les pluies de la veille n’avaient fait qu’accentuer les énormes nids-de-poule que la camionnette dans laquelle nous nous trouvions devait péniblement surmonter alors que nous nous rapprochions du village où vit Shahadeh, situé dans les faubourgs de Jénine, en Cisjordanie.
Il était évident, au simple coup d’oeil à Shahadeh, que la prise de conscience du retour à la maison était suspendue sur sa tête comme la menace d’un nuage sombre. Chaque nouveau soubresaut de la camionnette dans les trous gorgés d’eau signifiait pour lui et pour moi le retour à la maison, un retour à la vie et à l’existence dévastée qui était sienne quatre mois en arrière, avant son séjour aux Etats-Unis pour y recevoir une prothèse de la jambe qu’une bombe israélienne lui avait arraché 16 mois précédemment. Périodiquement, il me jetait un regard furtif, comme pour me dire que je pourrais peut-être le garder, qu’il pourrait peut-être retourner avec moi dans notre maison de Phoenix, en Arizona, où il venait de passer les trois derniers mois dans la paix et la tranquillité. Mais tout ce que je pouvais faire était de passer mon bras autour de lui pour le consoler un peu et lui faire comprendre que j’étais toujours là, pour le moment.
L’émotion de voir les parents de Shahadeh et de le leur ramener sans encombre, fut de courte durée. Leurs visages souriants pendant que nous passions de l’autre côté du cantonnement des soldats israéliens avec ses barbelés, ses portes d’acier et les cabines du check-point de Jalameh, changèrent quand ils virent Shahadeh assis dans la camionnette, immobile, avec seulement des larmes coulant de son visage. Ses larmes n’étaient pas de joie, mais au contraire les larmes d’un enfant qui retourne à une vie de souffrance et d’oppression. Je voulais m’excuser auprès d’eux mais qu’aurais-je pu dire ? "Je suis désolée, mais Shahadeh n’est pas heureux de rentrer à la maison. Comprenez que ce n’est pas à cause de vous, ni même de nous ou de moi. C’est Israël. C’est la misère qu’ils vous ont infligé".
Mais je restai là assise, silencieuse à regarder Shahadeh dont les grands yeux magnifiques se remplissaient de larmes à la pensée du futur qui l’attendait.
L’atmosphère dans la camionnette devenait étouffante et insupportable, comme si se reflétaient mes propres sentiments de désespoir à la pensée que je renvoyais Shahadeh à son existence de douleur et de mépris. J’ouvris la fenêtre dans l’espoir de respirer, malgré la fraîcheur moite des jours de pluie. Mais la vitre ouverte n’apportait que les odeurs de gazole mélangées à la puanteur des eaux usées provenant d’un système d’égout de plus en plus malmené par les chars israéliens qui délibérément écrasent le sol sur leur passage, laissant partout leur empreinte destructrice
Les rivières de sang des moutons abattus nous entouraient en ce premier jour de l’Aïd Al Adha. A l’intérieur de la camionnette, Shahadeh pleurait en silence. A l’extérieur de la camionnette, le beau paysage de Jénine montrait les signes des viols subis par une armée abusive et criminelle. La combinaison seulement composait mes sentiments de culpabilité et de douleur à devoir abandonner Shahadeh, sa famille et les Palestiniens. Alors que nous nous rapprochions de sa maison, il semblait avoir pratiquement atteint un état catatonique (du grec kata, "en-dessous" et tonos, "tension", ndt). Mon bras autour de ses épaules ne pouvait plus rien faire pour améliorer les choses. Shahadeh rentrait à la maison. La conversation avec la famille, avec tout le cérémonial, avait commencé. Mon meilleur ami se chargeait de compenser mon silence embarrassé. Tous les garçons dans les rues semblaient porter des revolvers en jouet. Je ne les voyais que visant quelqu’un ou quelque chose dans des jeux de bataille. Certains pistolets semblaient presque réels. Tous ces enfants nés et grandis sous l’occupation ne faisaient que reproduire ce qu’ils connaissaient. A l’exception de Shahadeh, ces enfants n’ont jamais vu un parc et n’ont jamais joui des libertés basiques. Quand ils rêvent, ils ne rêvent que d’échapper au cruel soldat et à l’occupation qui ne semble pas devoir finir prochainement. Leurs rêves commencent et finissent là.
Je sus que nous étions arrivés à la maison de Shahadeh lorsqu’après un virage nous avons vu une foule de gens venus accueillir son retour. Les sourires de la multitude de visages étaient aussi nets que le chagrin de Shahadeh semblait incommensurable. En un instant la portière de la camionnette fut ouverte et Shahadeh s’en alla à pied vers sa maison en tirant derrière lui une de ces énormes valises que nous lui avions confectionnée et remplie des choses dont nous l’avions comblé en Amérique.. L’amour familial qui l’entourait était réconfortant mais il semblait à peine y prêter attention. Les béquilles qu’il avait laissé il y a seulement trois mois étaient désormais remplacées par des jambes à nouveau. Il marchait vers la foule qui venait fourmiller autour de lui. Son comportement et sa tenue n’étaient plus les mêmes. Il se distinguait de sa famille. En à peine trois mois de paix, de calme et de liberté, il avait changé. Je désirais plus que tout que ce moment soit heureux. Mais au lieu de cela, cet enfant avait de la peine. Il savait parfaitement où il était et ce qu’il n’aurait plus.
Tout l’amour du monde ne pouvait pas lui donner ce qu’il avait découvert, la liberté. Là-bas à Phoenix, il pouvait se promener dehors et jouer au ballon avec moi n’importe quand sans aucune crainte. Il aimait aller à la rencontre de notre facteur et prendre le courrier du jour. Il pouvait dormir la nuit entière sans peur. Il pouvait se doucher autant qu’il voulait. Il avait toujours de l’électricité. Quand il avait chaud, on mettait l’air conditionné. Et quand il avait froid, le chauffage. Il voyait des rues propres. Il pouvait apprécier l’ordre et la tranquillité. Il faisait des tours de manège. Il jouait dans le parc. Il nageait dans une piscine et glissait sur la neige. Il avait pu goûter d’un peu de normalité et d’enfance.
Les visages souriants se précipitèrent pour accueillir ceux encore dans la camionnette. On nous introduisit dans la maison des parents de Shahadeh. En peu de temps, c’est tout le clan qui était là, allant et venant dans la maison pleine de courants d’air mais si chaude d’amour. Shahadeh s’est assis silencieux près de moi. Les larmes avaient cessé mais je pouvais sentir le vide et la confusion. L’amour et l’attention l’entourant étaient supérieurs à ce que seule je pouvais lui avoir donné aux Etats-Unis. Shahadeh ne semblait pas à cet instant encore trop préoccupé de retrouver l’occupation qui avait dévasté la vie palestinienne. C’était une journée d’émotions mêlées, heureuses et tristes. La journée était faite des larmes de Shahadeh, de la joie partout des membres de la famille et des bavardages animés. La journée fila à toute allure jusqu’au coucher du soleil qui signifiait qu’il nous fallait partir.
Nous nous sommes levés et avons fait nos adieux à la famille qui nous a suivi jusqu’à la camionnette. Shahadeh revint s’asseoir près de moi. Comme à toute tombée de la nuit en Palestine occupée, on éprouve toujours un frisson sinistre, un sentiment de vulnérabilité et de solitude. Un sentiment de mélancolie vint s’accrocher à moi comme des chaînes à mon âme. Les rues étaient sombres. Le silence qui nous entourait était perturbant et l’anormalité de la vie palestinienne palpable. Au check-point précédent Jalameh, nous avons dû attendre dans la nuit. Notre chauffeur avait l’habitude. Il éteignit ses feux et alluma les lumières intérieures du véhicule afin que les soldats israéliens puissent nous voir sans qu’on les voient. C’est peut-être dans ces moments-là qu’on se sent le plus vulnérable et seul. On a fini par avancer sous la lumière de la torche d’un soldat israélien.
De retour au check-point de Jalameh, l’instant était venu de nous dire au revoir. Après ces trois mois avec Shahadeh dans ma vie, je savais aussi qu’une partie de moi restait derrière avec lui. J’éprouvais un énorme sentiment de douleur. Je ne pouvais rien faire pour arrêter la folie qu’est son monde. Tout ce que je pouvais était de lui dire d’être bon, de bien étudier à l’école, que je reviendrais. Il se cramponna à moi en sanglotant. Sentant les larmes qui montaient en moi et alors que je me détachais, je sentis comme un poignard qui me déchirait impitoyablement la gorge. J’aurais voulu le reprendre, lui donner une nouvelle chance. Mais je ne pouvais rien faire d’autre que de m’éloigner. Deux jours plus tard, les Israéliens firent une incursion dans sa ville, bombardèrent les collines fatiguées de Jénine. A la suite de cela, ils arrêtèrent une vingtaine de jeunes hommes pour des raisons de "sécurité". Shahadeh m’appela pour me dire : "Les Juifs sont revenus chez moi, maman Rana...". Et tout ce que je pouvais faire était d’écouter.
                               
2. Journal quotidien de Gaza [extraits] par Mohammed Omer (du 8 au 22 janvier 2005)
[traduit de l’anglais par Taskin Sabri]
(Ces textes sont extraits du journal de Mohammed Omer, un photojournaliste palestinien de 20 ans, habitant de Rafah dans la bande de Gaza. Vous pouvez retrouver en anglais, l'ensemble de ses témoignages sur le site
www.rafahtoday.org (en anglais) et informez vos amis, les médias et tous ceux qui sont autour de vous.)
RAFAH TODAY - 8 janvier 2005 - La petite Isra Abu Shaluof (3 ans) est la victime civile d’aujourd’hui à Rafah. Elle est morte pendant les bombardements incessants des quartiers résidentiels de la frontière entre Rafah et l’Egypte. Beaucoup d’enfants ont été tués ces jours derniers dans le camp de réfugiés de Rafah. Les funérailles qui viennent de se dérouler étaient celles de Rezk Musleh (14 ans), tué pendant qu’il posait une affiche du candidat à la présidence palestinienne, Dr Mustapha Al Barhgouti. Mahmoud Al Arja (21 ans) a été sérieusement blessé à l’abdomen pendant le pilonnage des maisons de civils dans le quartier de Hay al Salam. Le Dr. Ali Mussa, directeur de l’hopital Abu Yousif Al Najjar de Rafah a déclaré que les blessures de Al Arja étaient sérieuses et qu’on avait du mal à arrêter l’hémorragie. Transporté à l’hopital Nasser de Khan Younis mieux équipé et malgré une intervention chirurgicale d’urgence, Mahmoud Al Arja est mort quelques jours plus tard. Khan Younis est à nouveau envahi par les soldats israéliens, et pendant les dernières séries d’attaques, 11 personnes ont été tuées et 30 ont blessées en moins de 24 heures.
Bien que l’opération « orange iron » (fer orange) ait été bouclée en trois jours, cette nouvelle série d’incursions nommée « violet iron » (fer violet) a fait beaucoup de morts et de blessés. Les axes routiers principaux de Gaza sont complètement bouclés depuis plusieurs jours, et les ambulances qui essaient de transporter les blessés d’un hôpital à l’autre sont constamment retardées….
…Il y a deux heures, Abdelkader Jaber, un petit garçon de six ans a été sérieusement blessé à la colonne vertébrale dans sa maison, pendant un bombardement qui visait des maisons de civils.
GAZA REPORT - 8 janvier 2005 - Quelques heures après le discours (électoral) de Mohammed Abbas, l’artillerie israélienne a tué 8 enfants de moins de 17 ans, tous de la même famille, dans  le camp de réfugiés de Beit Lahia, au nord de Gaza. Les enfants avaient entre 11 et 17 ans. Ils ont été atteints par les tirs d’obus pendant qu’ils cueillaient des fraises dans leur champ. Les forces d’occupation israélienne ont déclaré que les victimes étaient des militants armés ; d’après le premier rapport de presse, un photographe d’Associated Press aurait personnellement vu des enfants parmi les morts. L’attaque à la roquette a pulvérisé les corps des jeunes victimes dont on a retrouvé des fragments dans tout le champ de fraises, et que l’on a ensuite eu du mal à identifier car ils étaient mêlés aux plants détruits. Les équipes médicales ont travaillé pendant des heures pour rassembler les fragments de corps humains.
Dans un autre incident, un palestinien de 24 ans a été tué et cinq autres blessés à l’est de Gaza. Rezeq Mushle, 17 ans, du camp de réfugiés de Rafah, a été tué d’un tir israélien pendant qu’il posait une affiche  de Mustapha Al Barghouti sur le mur de sa maison, dans le quartier de Tal al Sultan.
Ce ne sont que les principales attaques d’une journée, qui interviennent juste après les incursions récentes de Khan Younis, et que l’armée a désigné sous le nom de « orange iron » (fer orange) et de « violet iron » (fer violet). L’armée israélienne a aussi attaqué Jebalya, au nord de Gaza, et l’incursion a reçu le sobriquet de « autumn winds » (vents d’automne).
Interviewé au téléphone, Mohammed Al Atar, 39 ans, habitant de Bethlehem a déclaré « je ne sais pas comment nous allons pouvoir voter dans un climat démocratique alors que le carnage continue à Gaza et dans les camps palestiniens ! »
RAFAH TODAY - 14 jnvier 2005 - Aux yeux du monde, l’élection présidentielle du 9 janvier en Palestine, gagnée par Mahmoud Abbas, un proche associé de Yasser Arafat et son ancien premier ministre, a changé le visage de la Palestine. Autrefois, l’éternelle kuffiya d’Arafat ornée de barbelés noirs et blancs symbolisaient la Palestine. Maintenant la Nouvelle Palestine s’incarne en costume cravate. L’Ouest a  accueilli tout à fait positivement l’élection de Mahmoud Abbas., on s’est félicité de voir s’exercer la démocratie malgré les restrictions imposées par des décades d’occupation militaire et quatre années d’Intifada.
Mais tout ceci est déconcertant pour la population de Cisjordanie et de Gaza qui supporte des décades d’occupation, qui subit toutes sortes d’oppressions et d’injustices tout en restant  totalement invisible pour la communauté internationale.
En 1996 les observateurs internationaux étaient satisfaits du bon déroulement des élections qui amenèrent au pouvoir Yasser Arafat, premier président de l’Autorité palestinienne. Puis au début de l’intifada, les américains et l’administration israélienne ont posé l’étiquette de terroriste sur Arafat, et le président Bush et d’autres officiels de son administration se sont mis à le snober. Aujourd’hui, les symboles de la démocratie et l’apparence extérieure du chef de l’exécutif palestinien semblent être plus du goût des Etats Unis, et le président américain a déjà invité Mahmoud Abbas à la Maison Blanche. Abbas, qui est le président du PLO et le chef du party du Fatah, a reçu 62,32% des voix, 483,039 de plus que son rival Dr. Mustapha Al Barghouti, qui se présentait comme indépendant et qui a obtenu 12,8% des voix, soit 153,16 votes selon le chef de la commission électorale, Hana Nasser. Cinq autres candidats s’étaient présentés, mais aucun d’eux n’a obtenu plus de 3,5 % des voix.
Question sécurité, les forces d’occupation israéliennes ont tué un homme de 61 ans, Mahmoud al Farra, de deux balles : une dans le cou et une dans la tête. Al Farra est mort, victime d’une déclaration d’Israël que les check points et les routes seraient ouverts pendant 72 heures en période électorale.
Pendant les élections de dimanche, l’occupation israélienne a bombardé les quartiers palestiniens. Dans un cas, les forces d’occupation ont ouvert le feu avec des mitrailleuses sur l’école Tarek Ben Ziad, transformée en centre électoral dans le camp de réfugiés de Khan Younis. Les électeurs ont dû s’enfuir en courant du centre de vote pour se mettre à l’abri. A Rafah, deux enfants ont été blessés pendant les élections. La plupart des écoles ont été transformées en centre de vote.
Ce matin le journal israélien Ma’ariv rapporte que l’IDF a demandé au gouvernement la permission de détruire 3000 maisons de plus à Rafah, « pour raison de sécurité ». Il semble qu’on n’en finit plus de répéter les mêmes vieux schémas : Israël envoie sa liste d’exigeances aux palestiniens tout en continuant à délivrer sa dose quotidienne de mort et de destruction sur les civils de Gaza et de Cisjordanie.
Si 3000 autres maisons sont détruites, cela signifie qu’on tente de gommer Rafah et tout le sud de la bande de Gaza, et qu’on provoque une nouvelle tragédie pour des familles qui vont se retrouver sans abri, et qui vont s’ajouter à celles dont les maisons ont déjà été démolies (2600, n. du Tr) pendant que le monde regarde sans rien dire !
RAFAH TODAY - 16 janvier 2005 - Quelques jours après les élections palestiniennes, les forces d’occupation ont continué à envahir la bande de Gaza ; quelques dizaines de personnes ont été blessées ou tuées depuis l’élection de dimanche.
Ce matin à Khan Younis, l’armée israélienne à bombardé une des écoles de L’UNRWA…. et a bouclé la route principale qui mène au checkpoint d’Abu Holi, Des centaines de personnes ont dû attendre dans la nuit glacée pendant plusieurs heures. Deux personnes ont été arrétées au check point : Hamza Adwan et Fathi Musleh….
Ce matin encore, des dizaines de tanks et de bulldozers ont envahi le cam de réfugiée de Al Burji, où six personnes ont été arrêtées, deux blessées ; l’opération continue  les hélicoptères apaches et les tanks bombardent sans répit et détruisent en outre des propriétés agricoles.
Hier, les forces d’occupation israélienne ont envahi le quartier de Al Sheikh Ejleen dans la ville de Gaza, et cinq personnes ont été arrêtées.
La bande de Gaza est encore dans une situation très difficile, et l’autorité palestinienne n’est parvenue à aucune sorte de négociation.
RAFAH TODAY - 22 janvier 2005 - Il est dangereux de faire ses courses au marché de Rafah. Dimanche dernier, Umm Samier, 42 ans, est sortie acheter deux kilos de tomates et n’est jamais rentrée chez elle. Les tirs israéliens sur le marché ont dispersé fermiers et acheteurs qui cherchaient à se mettre à l’abri.
Cette action de l’armée israélienne sur un marché en plein air aurait été provoquée par un groupe d’enfants palestiniens qui auraient traversé le no man’s land de la frontière entre Gaza et l’Egypte (bande rasée par Israël), pour planter deux drapeaux palestiniens du côté palestinien du mur de fer de 9 mètres de haut (érigé par Israël). Lorsque deux enfants du groupe se sont approchés de la porte de la tour de garde des militaires israéliens, les francs tireurs les ont tués sur le coup, et ont déclaré qu’il s’agissait de militants. Les témoins palestiniens affirment le contraire.
Il y a eu d’autres blessés, et les tirs ont aussi atteint le marché du dimanche. Il a fallu des heures aux ambulances pour s’approcher afin de recueillir les morts et les blessés. On s’est demandé pourquoi la Croix Rouge était absente, car elle est supposée porter secours et aider les locaux à transporter les morts et les blessés jusqu’à l’hôpital de Al Najjar.
Les balles perdues lors de fusillades nocturnes sont maintenant courants à Rafah. Il est dangereux d’éclairer ou de s’aventurer dehors après la tombée de la nuit. Il est fort improbable que l’on ait un peu de répit pour célébrer Eid al Adha.
Israël a de nouveau, et ce n’est pas la première fois, complètement scellé l’entrée de la bande de Gaza, interrompant les livraisons de provisions et de médicaments. L’effondrement de l’économie de Gaza pendant les quatre années d’intifada et la destruction massive de terre cultivable a rendu de plus en plus de gens dépendants de provisions importées. Les journalistes étrangers et les travailleurs humanitaires ne peuvent plus entrer à Gaza et témoigner de la pénurie.
La situation est beaucoup plus désespérée au sud de Gaza, autour du poste frontière de Rafah avec l’Egypte, qui est complètement fermé depuis le 12 décembre. A de rares exceptions près, les palestiniens de Gaza n’ont pas le droit de passer par Israël ; la frontière avec l’Egypte est donc la seule issue pour les palestiniens qui veulent voyager à l’étranger. La file d’attente des voyageurs potentiels, pour la plupart des gens qui cherchent un traitement médical spécialisé, ne cesse de grossir à Rafah. Beaucoup de ceux qui attendent ne peuvent même pas rentrer chez eux à Gaza, car les fermetures de check-point à l’intérieur de la bande de Gaza sont très fréquentes et imprévisibles ainsi que les incidents d’agression armée des soldats sur les civils qui attendent au check point.
Umm Sami, une femme de 39 ans, raconte : « Mon visa pour les Emirats Arabes Unis a expiré pendant que j’attendais de pouvoir passer la frontière. J’ai changé ma date de départ quatre fois, et j’ai perdu mon visa. Voilà ce que j’endure, voilà à quoi ressemble ma vie ici. Que puis je faire ? Israël est la raison de tous ces obstacles et de ces troubles. 
A quelques mètres de Umm Sami, une femme et son bébé est encore plus bouleversée : « J’essaie de partir à l’étranger pour faire opérer mon bébé. Il va certainement mourir si on ne l’opère pas. Je cherche simplement à le sauver. Pourquoi les israéliens ne regardent ils pas nos enfants ?Ils devraient voir ce qui arrive à nos enfants ! Nous faisons appel à vous, gens décents et éduqués, où que vous soyez- mais où êtes vous ? Nous sommes des humains comme vous ! Ne voulez-vous pas voir ce qui arrive à nos enfants ? »
Bien entendu, Israël annonce que la frontière est fermée « pour raison de sécurité ».
On se demande comment laisser un enfant en danger de mort quitter la bande de Gaza peut représenter un danger pour qui que ce soit.
Les gens qui attendent du côté de Rafah sont pourtant moins à plaindre que les 7000 palestiniens laissés en rade en Egypte, entre le Caire et Gaza. Certains ont trouvé un logement dans les villes frontalières ; d’autres qui ont accompli les formalités de sortie d’Egypte, en espérant que la frontière ouvrirait bientôt, ne peuvent pas ré-entrer l’Egypte, et ont de sérieux problèmes. Beaucoup d’entre eux se retrouvent à la rue depuis des semaines, sans nourriture, sans facilités d’hygiène suffisantes et sans endroit pour s’abriter. Il n’y a ni douche ni couverture. Ils sont maintenant à court d’argent et sont ravitaillés par le Croissant Rouge égyptien.
La fête de Eid al Adha approche, et ils ont demandé à Israël de ré-ouvrir la frontière de Rafah pour passer les vacances en famille. Israël a refusé. La fin du pèlerinage de Haj approche, et les autorités égyptiennes estiment qu’environ 2000 palestiniens viendront grossir les rangs de ceux qui attendent à la frontière.
Les gens malades qui essaient de rentrer à Gaza après avoir reçu un traitement à l’étranger sont ceux qui paient le plus lourd tribut, car ils sont forcés de camper dans des conditions où même les gens bien portants tombent malades. A ce jour on rapporte la mort de sept personnes qui étaient malades et attendaient de rentrer à Gaza. Les familles ont demandé le rapatriement des corps pour les enterrer selon la tradition islamique, mais Israël a refusé. Les familles ont été forcées de trouver un moyen de les faire enterrer en Egypte.
Ce matin, un jeune garçon de 13 ans, Salam, fils de al Eaish, a été tué près de la rue Salah el Deen à Rafah. L’enfant a été tué le premier jour de la fête de Eid al Adha,  le jour même où le président israélien Sharon envoie ses félicitations au nouveau président Mahmour Abbas et à Ahmed Qorie pour la fête de Eid.
                                           
Rendez-vous

                           
1. Terre de femmes de Jean-Khalil Chamoun (Liban - 2003 - 58 min)
le dimanche 6 mars 2005 à 17h00 à l'Espace Cézanne (Cinémathèque) - 31 bis, Boulevard d'Athènes - Marseille 1er
A l'occasion de la Journée internationale des Femmes, l'association Aflam et le Collectif Droit des Femmes vous présentent ce film documentaire de la série "Elles, pionnières". Cette série de onze documentaires a été produit par Misr International Film (Egypte) et Ognon Pictures (France).
Deux générations de femmes palestiniennes, trois pionnières. Kifah Afifi, incarcérée, poursuit son combat. Libérée, elle noue des relations avec ses aînées : la poétesse Fadwa Touqan et Samiha Khalil qui a incessamment combattu pour la justice, la paix et les droits de l'homme.
Projection en présence du réalisateur, Jean-Khalil Chamoun, né en 1944 au Liban. Avec une maîtrise d'étude cinématographique de l'Université de Paris VIII et un diplôme d'études supérieures d'art dramatique de l'Université libanaise, il est aussi titulaire d'un BTS de l'école Louis-Lumière, il enseigne le cinéma à l'Institut des Beaux-Arts de l'Université libanaise de 1976 à 1983 et travaille pour la télévision, la radio et le théâtre. Avec son épouse, la réalisatrice palestinienne Maï Masri, il fonde MTC et Nour Productions. Il produit et réalise plusieurs films et documentaires : en 1992, Rêves suspendus ; en 1994, Otage de l'attente, film sur le Liban-Sud à travers le regard d'une jeune médecin. Il signe en 2000 L'Ombre de la ville, l'histoire d'un garçon qui grandit dans un pays en guerre.
[Renseignements auprès de Aflam : aflamarseille@club-internet.fr ou marcelsiguret@wanadoo.fr]
                           
2. Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France à Aubagne et Aix-en-Provence
le mardi 8 et le mercredi 9 mars 2005
Le mardi 8 mars 2005, la ville d’Aubagne (Bouches-du-Rhône) accueille la Déléguée générale de Palestine en France. «De tous les politiques palestiniens, elle est celle qui s’est le plus identifiée à l’objectif d’une réconciliation, avec toute la souffrance que cela implique lorsqu’elle est impossible », déclarait au journal Libération l’écrivain Michel Warschawski. Pacifiste israélien très actif au sein du Centre d’information alternative qu’il dirige à Jérusalem, il sera d'ailleurs à ses côtés pour répondre aux questions que se posent élus, représentants associatifs et jeunes Aubagnais sur le conflit et le processus de paix, le sens qu’on leur donne en France.
En fin d’après-midi, un débat réunira ainsi autour de ces personnalités une centaine de jeunes habitants conviés par les Maisons de quartier ou par des associations comme le Power Club au Charrel, Génération Proximité ou le collectif « Large et élastique ».
Le débat sera filmé par le cinéaste Jean-Louis Comolli qui suit depuis plusieurs mois les rencontres de Leïla Shahid avec des habitants des quatre coins de l’hexagone. « Du conflit israélo-palestinien, les interrogations des jeunes se déplacent très souvent sur l’accès à la culture, à l’emploi, au logement », indique le secrétaire général des Amis du Monde diplomatique, association co-organisatrice de la rencontre. « Notre volonté est de les aider à prendre conscience de la nécessité d’un combat commun contre l’exclusion, un véritable combat politique qui ne peut se jouer sur des bases ethniques ou religieuses. »
Le mercredi 9 mars 2005, nouvelle rencontre avec Leïla Shahid autour d'un débat ayant pour thème : "Israël / Palestine : une fenêtre ouverte sur la paix ?", à 20h30 à la salle du Bois de L’Aune - Quartier Jas de Bouffan à Aix-en-Provence. Réunion publique à l’initiative d’Aix Solidarité et des Amis du Monde Diplomatique.
[Renseignements auprès de l'Association des Amis du Monde Diplomatique - Gérald Ollivier : Tél. : 06 76 31 35 47 - g.ollivier1@free.fr]
                                           
Dernières parutions

                            
1. En finir avec le sionisme de Jean Baumgarten (Préface de Maurice Rajfus) aux Editions Baumgarten
[86 pages - 10 euros - ISBN : 2952322910]
Jean Baumgarten avait dix ans en 1942. Il a vécu l'occupation nazie et s'en est tiré grâce au courage d'un certain nombre de Frabçais et à la chance... A grenoble occupée par les troupes italiennes où il est allé en septembre 1942, il avait adhéré aux... Eclaireurs Israélites de France ! Après la libération, il a adhéré à la 4ème Internationale à seize ans, en 1948. Il faisait partie du Mouvement Laïque des Auberges de la Jeunesse et il participera dès 1949 aux représentations du groupe "Spartacus", où il demeurera jusqu'en 1952. Il adhèrera à la Nouvelle Gauche en 1956 et se battit contre la guerre d'Algérie. Au début des années soixante, il participera à à la création du PSU et fit parti, avec et contre Michel Rocard, du bureau fédéral de la région parisienne, qu'il quittera en 1976. Il rejoint les Verts de 1995 à 2000, avant d'adhérer, depuis, à la LCR. La boucle militante amorcée en 1948 est terminée ! Auteur, compositeur et interprète il a publié plusieurs livres dont : "Raison et déraison du commerce" aux éditions Delachaux et Niestlé en 1989, "Allergie française" aux éditions L'Harmattan en 2001 et en 2004, une opérette satyrico-tragique intitulée "Mais où est donc passé Ben Laden diffusé par la Librairie La Brèche - 27, rue Taine - 75012 Parie.
- Introduction de "En finir avec le sionnisme" -
Lorsque j'avais 10 ans, en octobre 1942, je franchis seul la ligne de démarcation avec l'aide d'un paysan du sud-ouest (près de Dax) et je rejoignis mon père qui se trouvait à Grenoble, dans une zone occupée par l' armée italienne, moins féroce que l'armée allemande. J'adhérai aux Eclaireurs israélites, vers octobre 1942... : nous étions dans une semi-clandestinité. Un an plus tard, en septembre 1943, l'armée allemande supplanta l'armée italienne, et ce fut l'horreur : toute une série de camarades, à commencer par mon chef de patrouille (il s'appelait Kestenberg, mais nous l'appelions par son nom de totem -Biquette-) furent arrêtés et déportés.
L'UGIF (l'Union Générale des Israélites de France), qui avait pignon sur rue (son siège officiel se trouvait sur la célèbre place Grenette) fut décapitée, et ses fichiers récupérés par la Milice. Ma mère était venue nous rejoindre en ayant réussi à fuir Paris, et nous ne dûmes qu'au courage de nos voisins (qui déclarèrent ignorer notre existence) de ne pas être arrêtés. Notre chef de troupe, Ourson (je ne me souviens plus du tout de son nom) qui était en réalité agent de liaison dans le maquis du Vercors, fut blessé au cours d'une opération puis achevé par les miliciens dans l'hôpital où il avait été accueilli.
Il y avait dans notre troupe des cadres sionistes « haut placés » : je me souviens de l'un d'entre eux qui avait le surnom de « Choucas » ( il avait environ trente ans) et que nous revîmes jusqu'en 1946 ou 1947 à Paris, avant son départ en Palestine ( avant la constitution de l'Etat israélien.) Nous chantions la « Hatikva » (l'espoir), devenue après le 15 mai 1948 l'hymne national israélien, et nous dansions la Hora sur l'air des « joyeux enfants de la Bourgogne » ! L'UGIF en zone non occupée par l'armée allemande était parfaitement noyautée par les milieux sionistes.
Les arrestations nombreuses au sein de la troupe, furent liées au fait que les Sionistes étaient obsédés par une seule idée: avoir de l'influence sur les jeunes Juifs qui étaient là, et faire de la propagande pour peupler la Palestine… Aujourd'hui me revient ce nom de «Trumpeldor » qui était le nom officiel de notre troupe. Comme par hasard c' était le nom d'un célèbre combattant sioniste mort en 1929, nom repris par le BETAR, organisation de jeunesse d'extrême droite (fondée précisément en 1929) que l'on trouve dans de nombreux pays dont la France, et qui est chargée des basses besognes du gouvernement israélien dans la jeunesse.
Le mouvement des Eclaireurs Israélites, semi-clandestin, dont je faisais partie, était donc infiltré par l'organisation sioniste, et il faut se souvenir que c'était la principale vocation à sa création au milieu des années trente. Après septembre 1943, c'est-à-dire après les arrestations massives entreprises par la milice appuyée sur la Gestapo, tout s'écroula… J'adhérai alors aux Eclaireurs de France à Grenoble. Remontant à Paris après la Libération, je rejoignis dans mon quartier la troupe du Moulin-Vert où je devins chef de patrouille et où je restai jusqu'au début de l'été 1947. Je rejoignis immédiatement après le Mouvement Laïque des Auberges de la Jeunesse, dans lequel je fus gagné par les idées du trotskisme : je devins très vite anti-sioniste, avant et après la création de l'Etat d'Israël, ce que je suis resté depuis.
Durant quarante ans je ne fus pas particulièrement préoccupé par le conflit israélo-palestinien : en tous cas pas plus que par la critique des gouvernements de droite ou de gauche dans le monde. Il me semblait au début que l'Etat israélien, au fil des temps, deviendrait un Etat comme un autre, avec ses problèmes, la différenciation sociale aidant, la lutte des classes reprendrait son cours normal : c'était en réalité oublier les caractéristiques essentielles de cet Etat ! Et puis il y a plus d'une dizaine d'années, il apparaissait que les négociations secrètes d'Oslo aboutissant, on se dirigeait vers une paix (relativement) juste pour les Palestiniens.
Hélas, depuis, très vite tout a capoté. Le 25 février 1994 un jeune Israélien d'extrême - droite, venant des Etats-Unis, Baruch Goldstein (on dirait aujourd'hui un «Sharognard »), a froidement assassiné une trentaine de Palestiniens au sein du caveau des Patriarches, à Hébron. Il n'était visiblement pas seul, mais lui seul a été condamné. ( Dans une colonie proche d'Hébron on peut voir aujourd'hui encore des slogans à sa mémoire !) Puis Itzhac Rabin a été assassiné le 5 novembre 1995, 6 semaines après la signature des accords d'Oslo, par un autre forcené d'extrême-droite , aux applaudissements de ses pairs et, depuis, insensiblement, la situation des Palestiniens (et aussi celle des Israéliens) se dégrade, et tourne à la catastrophe Quand je vois aujourd'hui des jeunes Juifs fanatisés par leurs mentors se conduire comme des gestapistes, comme des miliciens, je vois rouge et j'ai envie moi aussi de jeter ma pierre sur ces jeunes crétins fanatisés.
Je n'ai malheureusement plus l'âge de me battre physiquement comme dans ma jeunesse où, à la Faculté de Droit de Paris, nous affrontions un certain Le Pen qui était le Président (par urnes bourrées) de la « Corpo » de Droit… J'ai donc décidé d'écrire ce petit livre où j'expose l'essentiel de mes réflexions sur ce qu'on appelle « le conflit israélo-palestinien. » Je vais reprendre l'essentiel des arguments qui mènent à un jugement négatif sur l'Etat d'Israël, sa nature, sa fonction, son rôle, ainsi que sur l' action à mener sur le plan national et international pour contrer sa politique malfaisante. Je ne ferai pas de différence fondamentale, au niveau des principes, entre le Sionisme de droite et le Sionisme de gauche qui tous les deux ont en commun: le rejet de l'autre, c'est-à-dire de l'Arabe.
Il est vrai que d'un côté (le Sionisme de droite) la méthode est brutale, répressive, et se rapproche étrangement des techniques nazies, mais de l' autre (le Sionisme dit « de gauche ») la méthode est plus insidieuse, plus lente, moins brutale en apparence, mais conduit indirectement aux mêmes résultats (par la logique de l'alternance, son inéluctabilité), c'est-à-dire à l'impasse, à la situation inextricable, à la catastrophe. Je demeure toujours, comme il y a plus de cinquante ans, un antisioniste convaincu, et je pense que ce qui est en question dans l'Etat israélien, c' est la notion même d'Etat juif, conçu par et pour des Juifs, et par conséquent mon anti-sionisme ne débouche pas sur la « destruction de l'Etat d'Israël » mais sur la destruction de l'Etat juif, de l'Etat hébraïque, colonial, et son remplacement par un Etat laïque, où chaque citoyen aurait exactement les mêmes droits et les mêmes devoirs, et où chacun pourrait avoir, dans la sphère privée, des croyances d
ifférentes allant de l'athéisme radical au Judaïsme, du Christianisme à l'Islamisme….
Il se trouve que cet anti-sionisme est opposé à la conception de l'Etat juif ! En attendant la création dans la Palestine entière d'un Etat fédéral (appelons le de cette manière pour commencer) et laïque, je suis aujourd'hui partisan de la constitution d'un véritable Etat palestinien, viable, qui soit conforme aux frontières de 1967, et qui ne fonctionne pas comme fournisseur de main-d'œuvre à bon marché pour l'Etat israélien. Mais un tel Etat, en raison des mesures racistes et coloniales prises depuis la fin de l'année 1995 et atrocement amplifiées depuis le règne de l' hitlérien Sharon, demandera pour sa constitution des efforts politiques colossaux et des efforts financiers importants…
Je traiterai en conclusion de cet anti-antisémitisme systématiquement utilisé par les milieux sionistes pour donner mauvaise conscience à tous ceux qui critiquent la politique israélienne, et qui, comme toujours, se manifeste avec la violence et l'outrecuidance que l'on sait et sert d'alibi pour pousser certains Juifs à émigrer en Israël. Je n'aime pas spécialement de Gaulle (notamment celui du coup d'Etat du 13 mai 1958), mais je dois reconnaître qu'en juin 1967, où la France refusa d'aider plus avant le gouvernement israélien, je trouvai « intelligent » son discours sur « le peuple sûr de lui et dominateur » en réponse à Golda Meir, Première Ministre israélienne venue en France.
Faut-il s'étonner que la droite actuelle, (cf. l'interview donnée par François Léotard récemment à un journal israélien) (2), juge aujourd'hui « déplacés » les propos du Président de la République d'il y a 37 ans ! Il est évident que la droite française ne peut que conforter le Sionisme dans sa politique d'oppression, d'exploitation et de mort. Tout comme autrefois l' Etat israélien soutenant l'opération de Suez (en octobre 1956), ainsi que le colonialisme français en Algérie, puis enfin l'OAS, ce qui bien entendu a laissé des traces aujourd'hui sur la position de l'extrême droite en France ( dont il convient de souligner qu'une bonne partie, soutient aujourd'hui le Sionisme !).
Je terminerai en saluant le courage des «Refuzniks» israéliens qui montrent clairement la voie à suivre, et en appelant (encore et toujours !) à la pression indispensable (malgré la lâcheté des grands pays comme la France, la Grande Bretagne, l'Allemagne, et des pays dirigés par une clique de droite comme l'Italie), en n'oubliant pas bien sûr les Etats-Unis qui portent la plus grande responsabilité du soutien sans faille, de cet Etat Israélien, raciste et colonial.
Cette pression ne pourra se manifester que s'il existe dans chaque pays, un fort mouvement populaire pour la paix au Proche Orient, pour la reconnaissance de l' Etat palestinien sur la base des frontières de 1967, avec bien sûr le dépeuplement nécessaire de toutes les colonies juives, et qui devra s'accompagner de la reconnaissance du droit au retour des Palestiniens (ou de leur dédommagement… ) et de l'arrêt du droit au retour des Juifs en Israël, avec en corollaire, l'instauration d'une véritable Constitution, laïque, équitable, universelle, qui s'applique aussi bien aux citoyens d'origine juive qu'aux citoyens d'origine arabe, ou autres...
[Vous pouvez vous procurer ce livre, franco de port, en envoyant un chèque de 10 euros, directement auprès de Jean Baumgarten - BP 17 - 84220 Goult]
                   
2. Figures du Palestinien - Identité des origines, identité de devenir de Elias Sanbar
aux éditions Gallimard (NRF Essais)
[304 pages - 19,50 euros - ISBN : 2070759369]
"Bousculant les critères communs - antériorité, origines éternelles et immuables - de la définition de "l'identité", la palestinienne en l'occurrence, l'historien franco-palestinien Elias Sanbar propose une autre grille de lecture : l'identité ne devient objet d'inquiétude que lorsque des individus et des groupes sont "confrontés à ce qui les attend". Elle s'agrège au cours de l'Histoire. Elle est en constant "devenir". Cette approche très documentée tire son intérêt du fait qu'elle n'est pas un récit historique linéaire, mais une décantation, dans l'écheveau des éléments constitutifs de l'Histoire, des ciments qui ont soudé l'identité palestinienne. Ainsi se profile, au fil des pages, la prise de conscience et l'affirmation par les Palestiniens de cette identité, à des moments-clés et heurtés de leur histoire. Trois "figures du Palestinien" se dégagent, qui laissent la porte ouverte à l'avènement - probable - d'une autre "figure"..." Mouna Naïm in Le Monde.
                               
Réseau

                                           
- Palestine : quelles perspectives ? par Bertrand Badie (19 janvier 2004)
[Ce texte est la retranscription d'un enregistrement de l'intervention de Bertrand Badie prononcée lors d'une conférence donnée à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, le mercredi 19 janvier 2004. Bertrand Badie est professeur à Sciences PO-Paris, il intervenait à l’invitation des étudiants palestiniens en France (associations Adala et GUPS). Ce texte a été publié sur le site de The International Solidarity Movement http://www.ism-france.org, grace à Silvia Cattori et avec l'autorisation de l'auteur. Bertrand Badie est l'auteur, entre autre, de L'État importé (1992), La Fin des territoires (1995), Un monde sans souveraineté (1992), La Diplomatie des droits de l'homme (2002) Impuissance de la puissance et de Essai sur les nouvelles relations internationales (2004) publié aux Editions Fayard.]
Ce conflit n’est pas comparable aux autres. Il ne s’agit pas d’un conflit entre deux Etats. C’est le conflit d’un Etat contre un peuple, d’une puissance institutionnalisée économiquement forte contre des acteurs sociaux, très largement démunis.
C’est un des derniers conflits coloniaux. Un conflit où l’exceptionnalité de l’occupant est de ne pas avoir une lointaine métropole. Le colonisateur est l’Etat d’Israël. Il a annexé 78 % du territoire. Laissé de fait aux colonisés 22 %.
Tout le monde joue sur cette ambiguïté. La situation est aggravée par l’asymétrie. La bi-polarité avait donné à la Palestine un semblant de puissance. La disparition de la bi-polarité a distendu les rapports entre les Palestiniens et les Etats Arabes.
Les Etats arabes garantissaient un semblant de puissance au mouvement palestinien. Aujourd’hui, il n’y a plus de superpuissance pour soutenir les Palestiniens. L’Europe s’éloigne du champ moyen-oriental avec la fin de la bi-polarité.
La chose grave qui me préoccupe est cette disparition de puissance équilibrée. Les Palestiniens se retrouvent orphelins de Puissance, condamnés à disparaître du jeu international classique, obligés donc de se réfugier dans des formes nouvelles et dangereuses de violence.
Ce phénomène, que je crois évident et facile à observer, est nié par le système international ce qui l’aggrave. Et ceci est quelque chose qui me frappe beaucoup lorsque l’on étudie la diplomatie mondiale à propos du conflit israélo-palestinien.
Les Palestiniens sont condamnés à disparaître du jeu international classique, obligés donc de se réfugier dans des formes nouvelles et dangereuses de violence.
De voir que cette asymétrie fondamentale, que nous avons besoin d’avoir face à nous pour comprendre ce conflit, est niée par la communauté internationale. Elle est niée de deux manières.
Premièrement par cette dynamique de la Communauté internationale visant à toujours introduire cette fausse symétrie.
Vous avez ce discours qui m’étonne beaucoup quand on parle de la crise du conflit israélo-palestinien qui consiste à dire : il faut que chacun fasse preuve de bonne volonté. Il faut que chacun y mette du sien. Il faut que chacun fasse un pas vers l’autre. Il faut, d’une part qu’Israël soit plus modéré, mais il faut aussi que les Palestiniens renoncent à la violence.
C'est-à-dire que tout le jeu diplomatique international, aux Etats-Unis, mais également en Europe comme dans l’enceinte des Nations Unies, repose sur la proclamation de cette symétrie, que chacun y mette du sien, que chacun fasse un pas vers l’autre !
Or, précisément, ce que je voudrais dire, c’est que dans cette situation asymétrique, dans cette situation qui prive les Palestiniens de puissance, qui prive le mouvement palestinien de puissance, cette symétrie ne fait aucun sens.
On ne peut pas demander la même chose, en grammaire des relations internationales si vous me permettez l’expression, à un Etat, et à un non-Etat. On ne peut pas demander la même chose à quelqu’un qui a tout et à quelqu’un qui n’a rien. Et ceci est extraordinairement dangereux. Car, j’y reviendrai, c’est une source de violence, de radicalisation de la violence, qui est fort préoccupant.
Le deuxième symptôme de cette négation par le système international, de l’asymétrie de puissance dont est victime le mouvement palestinien, c’est la suspension du multilatéralisme.
Tout se passe comme si le jeu multilatéral était fait pour tout le monde, sauf pour l’Etat d’Israël. Tout se passe comme si il y avait un article secret de la charte des Nations Unies, qui dispense un Etat membre des NU de l’obligation de respecter les résolutions du Conseil de Sécurité.
Cette suspension du multilatéralisme, dans un contexte où précisément la seule façon de sortir de cette aporie de l’impuissance c’est d’avoir le soutien du multilatéralisme, la seule chance de la communauté internationale d’équilibrer ce déficit de puissance c’est précisément de réintroduire le multilatéralisme.
On est dans une situation de blocage complet. Blocage qui se voit autant à travers la capacité de veto qu’ont les Etats-Unis ou, on l’a vu encore récemment, ce formidable isolement des Etats-Unis flanqué de la Micronésie et de Paanao à l’Assemblée générale des Nations Unies, mais qui, là aussi n’a aucune signification car ces votes de l’AG n’ont pas d’effet exécutoire.
Ce qui est un grand problème.
Il y a un autre problème que je vois apparaître dans l’évolution de la géo-politique c’est la crise montante du nationalisme. Il faut voir que l’un des contreforts de l’existence passée du Mouvement palestinien, c’est quand même l’arme du nationalisme ; c’était quand même la grande époque du nationalisme arabe qui mobilisait, structurait la géo-politique régionale.
Il faut voir que les vrais piliers solides de l’ordre proche- oriental dans les années cinquante et soixante c’était le nationalisme. Il structurait les régimes, il mobilisait les individus.
On est entré maintenant dans un autre monde dans lequel le nationalisme perd de sa crédibilité. Il y a une régression du nationalisme dans le monde, pas besoin de développer, c’est quelque chose qui est connu, dont les conséquences ne sont pas suffisamment prises en compte.
C'est-à-dire, au moment où le nationalisme ne mobilise plus, il ne faut pas s’étonner que les diplomaties d’état dans le monde arabe, ont du mal à se définir par rapport à la question palestinienne et qu’il est tellement difficile aussi pour le mouvement palestinien de construire ou reconstruire son identité.
Je dirais même que le nationalisme palestinien, devenu une aporie suite à l’échec du processus d’Oslo, notamment, conduit peu à peu à donner une surprime à ceux qui jouent d’autres cartes que le nationalisme et, bien entendu, apparaît là cette compensation du nationalisme que constitue l’identitarisme et, effectivement, la montée de mouvements de type islamiste.
Autre paramètre que nous devons prendre en compte, c’est effectivement l’extraordinaire danger que constitue je dirais, non pas le processus d’Oslo, mais je dirais le processus d’échec d’Oslo.
Il y a le fait que ce processus d’Oslo, en quoi je ne croyais pas dès 1993, est finalement apparu comme extraordinairement coûteux, pour une raison qui est très importante : c’est qu’Oslo avait marqué un début d’institutionnalisation du mouvement palestinien avec la création de l’Autorité palestinienne et que l’échec d’Oslo a marqué quelque chose dont le mouvement palestinien n’avait pas besoin. A savoir un processus de désinstitutionalisation.
Le mouvement palestinien, le monde palestinien, le peuple palestinien – vous voyez parfois j’hésite même à trouver le mot juste - se trouve victime des effets pervers du processus d’institutionnalisation.
Cela est quelque chose de bien connu de la science politique. Je ne veux pas jouer les pédants, mais la science politique vous explique qu’à partir du moment où une société se désinstitutionalise qu’est-ce qu’elle devient ? Elle devient une foule. Une société moins institution égale foule.
Le phénomène est très dangereux. Un peuple livré à lui-même qui est en quête de son émancipation et de sa liberté prend des risques, produit de la violence, c’est certain.
Mais un peuple qui a commencé à rentrer dans la logique institutionnelle et qui est victime, qui est frappé de désinstitutionalisation, connaît quelque chose de beaucoup plus inquiétant qui est effectivement le passage à l’état de foule.
Quand vous êtes une société, qu’on vous prive d’institution, qu’on démantèle les institutions de façon systématique, qu’on leur fait perdre la crédibilité, leur signification nationale ou internationale, on entre dans une logique de foule. Cette logique de foule n’est compensable que, justement, par l’identitarisme. Et là aussi c’est à nouveau le nationalisme palestinien qui s’en trouve affaibli au profit des mouvements d’inspiration fondamentaliste.
Premier point.
Je termine par un dernier paramètre. Ce que j’ai décrit en termes, veuillez m’en excuser, plutôt pessimistes et inquiets, aboutit à découvrir deux tendances actuellement.
Tout ce que j’ai exposé là de façon un peu schématique et brève tend à produire de façon hélas banale, quelque chose qui est de moins en moins de la violence politique et de plus en plus de la violence sociale.
C'est-à-dire une violence qui est de plus en plus difficile à encadrer, à institutionnaliser, à organiser.
La violence politique est une violence qui est pensée par une organisation politique à des fins politiques. Cela peut être la violence d’un Etat contre un autre Etat, une guerre inter-étatique classique. Mais cela peut être aussi la violence conduite par une organisation de libération en vue de s'émanciper d'une domination.
La violence sociale, c’est autre chose. C’est une violence qui se produit dans un contexte de désinstitutionalisation, de perte de capacité des organisations.
Donc, la violence sociale, c’est quelque chose d’individuel, c’est quelque chose de non contrôlable, c’est quelque chose de non maîtrisable. Quelque chose qui est intimement lié à un certain nombre de facteurs que le sociologue Durkheim a su étudier : l’humiliation, la frustration.
L’humiliation et la frustration créent un manque d’intégration sociale ; le manque d’intégration sociale produit de la violence sociale, ce que Durkheim appelle l’anomie. Hélas nous en sommes là.
Si je cite Durkheim, ce n’est pas par hasard. Il a écrit un livre à propos des effets de la violence sociale et nationale et à propos de la violence anomique : c’est le suicide.
Effectivement cette découverte du suicide comme instrument d’action violente va tout à fait dans le sens d’une violence qui n’en est plus au stade politique mais au stade de la production sociale. C’est quelque chose que je tiens comme très dangereux car, ni canalisable, ni maîtrisable.
L’autre point.
C’est la folie de répondre à cette violence sociale montante par des pulsions de puissances et la coercition. Voilà où nous en sommes. C'est-à-dire, d’un côté l’Etat, en face le non-Etat et la désinstitutionalisation. Du côté de la désinstitutionalisation, une violence sociale à laquelle on répond par puissance et coercition. Ceci m’amène à deux constatations pour conclure.
Premièrement, on n’a jamais vu dans l’histoire du monde une puissance qui parvient à arrêter la violence sociale.
Cela n’a jamais existé. Ce n’est pas possible. C’est une équation impossible. Je me permets d’apporter très modestement mes connaissances de sociologue pour vous dire : M. Sharon, vous n’y arrivez pas, ce n’est pas possible. L’idée que l’on puisse utiliser les instruments de coercition pour contenir une violence sociale, elle-même produite par l’humiliation et la frustration, c’est quelque chose d’impossible
Deuxièmement. Trois fois hélas, c’est l’un des paramètres les plus pénibles du conflit actuellement :
La puissance telle qu’elle est déployée par l’Etat d’Israël fonctionne dans le court terme.
Pourquoi ? Parce que les territoires soumis à contrôle de puissance et coercitif sont discontinus donc techniquement contrôlables sur le court terme.
On s’aperçoit qu’Israël est plus protégé qu’hier à court terme.
On s’aperçoit que, dans sa configuration, l’Etat d’Israël se trouve davantage protégé par les effets de violence aujourd’hui qu’hier.
C’est vrai qu’à court terme cela marche suffisamment pour reproduire l’illusion de la puissance, pour être réélu et, en tous les cas, pour vendre de la sécurité à un électorat et une population crédule.
Mais à moyen terme et à long terme cela ne peut pas marcher.
A moyen et long terme, cette violence sociale très conjoncturellement contenue, s’aggrave, se renforce et, ce que je crains, c’est que de cet effet de renforcement et de manque de compassion naissent quelque chose de bien plus terrible encore.
Alors ma conclusion c’est de dire, bon, ces élections, ce discours, ce pari qui peut être un pari courageux de Mahmoud Abbas, qui est de dire on va renoncer à la violence et, sur la base de cette renonciation, on va renouer le fil du dialogue, j’aimerais bien y croire.
Mais je suis sceptique pour les raisons que j’ai avancées et je suis sceptique aussi par le fait que dans cette situation d’asymétrie où il est, sans violence le peuple palestinien est dans une situation de totale faiblesse.
En face de lui on vous explique qu’il n’est pas question de changer quoi que ce soit. Et, s’il n’est pas question de changer, ce que l’on veut faire c’est créer un contexte dans lequel le refus de changer reçoive au moins l’adhésion tacite et pacifique de l’adversaire ; c’est quand même une très cruelle équation.
Pardon de ces éléments de conclusion qui ne prêtent pas à l’optimisme.
                                           
Revue de presse

                                       
1. Les dérives de la lutte contre l'antisémitisme par Michel Habib-Deloncle
in France Pays-Arabes du mois de février 2005
(Avocat honoraire, Michel Habib-Deloncle à été ministre du Général Charles de Gaulle.)
[France - Pays Arabes est un mensuel fondé en 1968 et dirigé par Lucien Bitterlin. La revue ne disposant pas encore de site internet et sa distribution dans les kiosques étant limitée, vous pouvez vous y abonner. Abonnement annuel : 25 euros (pour la France) 35 euros (pour l'étranger) par chèque bancaire à l'ordre de France - Pays Arabes - 12 / 14, rue Augereau - 75007 Paris - Tél. 01 45 55 27 52 - Fax. 01 45 51 27 26]
Il existe des choses qu’on ne devrait pas avoir besoin de redire. Nous avions déjà écrit ici (1) notre condamnation totale, inconditionnelle et définitive de l’antisémitisme, tel qu’il avait jadis pratiqué par la Russie tsariste et porté au comble de l’horreur par le nazisme, sous la forme de la « Shoah ». Cet antisémitisme-là, le vrai, nous le combattrons toujours, comme les plus anciens l’ont combattu en résistant à l’occupant.
Qu’est-ce que l’antisémitisme ? C’est une forme du racisme qui rejette l’autre, en l’occurrence le Juif, non pour ce qu’il fait, mais parce qu’il est ! Les nazis n’ont pas fait de choix dans leur entreprise d’élimination. Même des anciens combattants de la première Guerre mondiale, qui s’étaient illustrés dans les armées du Kaiser, ont subi, comme les autres, les affres de la « solution finale ». C’est intolérable, comme est intolérable le génocide des Arméniens ou celui des Tutsis par les Hutus au Rwanda ; comme doit être condamné le racisme anti-arabe ou anti-noir, que l’on voit se manifester ici ou là. Si nous nous voulons humanistes, respectons l’Homme, dans son être.
Mais respecter l’Homme dans son être n’enlève rien au droit de juger les humains sur leurs actes. Du seul fait qu’il est un homme, l’Arabe, le Noir, le Tutsi, l’Arménien, le….Juif, n’a pas droit à un brevet d’infaillibilité. Dans chaque catégorie, comme aussi parmi les Français, les Allemands, les Anglais, les Américains, tous les autres et les Juifs aussi, il y a les bons, les moins bons, les médiocres et les mauvais. Condamner les erreurs, les fautes les exactions, les massacres commis par tel ou tel d’entre eux, cela n’est pas du racisme. Dire qu’en plusieurs circonstances, les autorités israéliennes et les forces armées israéliennes ont violé les droits de l’homme, ce n’est pas, ce ne peut pas être de l’antisémitisme.
Cependant, certains dirigeants de l’Etat d’Israël, certaines organisations qui le soutiennent, en France et ailleurs, n’hésitent pas à faire l’amalgame. Critique-t-on Ariel Sharon, son gouvernement, tel ou tel aspect de sa politique, les opérations de son armée, l’édification d’un mur en plein milieu des exploitations agricoles des malheureux paysans arabes de Palestine ? on est antisémite ! Quel abus ! On en arrive à la « police de la pensée », telle qu’Orwell l’a décrite.
Nous nous élevons avec vigueur contre les sanctions prises, par la radio d’Etat, (s’il vous plaît !), pour cause d’antisémitisme, contre un éminent journaliste français Alain Ménargues, qui a couvert, parfois au risque de sa vie le conflit libanais, un de nos meilleurs connaisseurs du Proche Orient  Qu’a-t-il fait, pour mériter sa révocation ? Il a commis le crime (!) de traiter le Mur construit par les Israéliens en Palestine de « Mur de l’apartheid » et de « Mur de la Honte » ; Eh bien ! nous reprenons à notre compte cette appellation, en rappelant que la Cour Internationale de Justice de La Haye a ordonné la destruction de ce mur, que l’Assemblée générale de l’ONU l’a formellement condamné et que la Cour suprême de l’Etat d’Israël, elle-même, a jugé que son tracé s’écartait trop des lignes de démarcation qui séparent l’Eta d’Israël des Territoires palestiniens occupés. Qu’attend-on pour les accuser d’antisémitisme ?
Une bonne fois pour toutes, à l’adresse de chacun, et notamment des organisations juives de France, -qui rendraient plus service à l’Etat d’Israël en observant une attitude plus neutre à, l’égard de certains de ses dirigeants- : la critique de la politique d’Israël est libre. Ce n’est pas, ce ne sera jamais de l’antisémitisme de même que ce n’est pas de l’antisémitisme que de condamner le Juif qui a assassiné Ithzak Rabin !
La liberté de penser et d’exprimer sa pensée, dans le respect de la Loi, est la conquête majeure de la démocratie. Ce sont les tribunaux qui en sont les gardiens, non le CRIF ou la LICRA. Nous leur reconnaissons volontiers le droit de défendre des politiques que nous n’approuvons pas. Nous revendiquons la réciprocité. Mais nous refusons que des mesures législatives, justifiées, qui ont été décidées pour réprimer le racisme et l’antisémitisme, soient invoquées contre nous, qui ne jugeons pas les hommes ou les Etats pour ce qu’ils sont, mais pour ce qu’ils font.
(1) France-Pays Arabes, n°235, novembre 2003.
                       
2. Israël envisage de bâtir 6.000 maisons de colons en Cisjordanie
Dépêche de l'agence Reuters du vendredi 25 février 2005, 10h15

JERUSALEM - Israël envisage de construire plus de 6.000 nouvelles maisons dans des colonies juives de Cisjordanie en 2005, rapporte vendredi le Yedioth Ahronoth. S'il était confirmé, ce projet entraînerait une accélération spectaculaire de l'extension des implantations de Cisjordanie, où 1.783 nouveaux logements ont été crées en 2004 et 1.225 en 2003. Il coïnciderait en outre avec la mise en oeuvre du plan de retrait de Gaza et irait à l'encontre des exigences internationales sur le gel des activités de colonisation. Les Palestiniens soupçonnent le gouvernement israélien d'Ariel Sharon de profiter du retrait de Gaza pour accroître la présence de colons juifs en Cisjordanie.
D'après le Yedioth Ahronoth, l'Administration foncière israélienne, qui dépend du gouvernement, souhaite construire 6.391 maisons en 2005 dans les colonies de Cisjordanie. Le journal ajoute que le ministre de la Défense, Shaul Mofaz, a d'ores et déjà donné son feu vert à la commercialisation de ces projets immobiliers.
En outre, toujours selon le Yedioth Ahronoth, le gouvernement envisagerait de rendre légales 120 implantations construites sans autorisation en Cisjordanie et qu'il s'est pourtant engagé à démanteler auprès des Etats-Unis.
Aucun responsable de l'Administration foncière n'a pu être joint dans l'immédiat et un porte-parole du ministère de la Défense s'est refusé à tout commentaire à ce sujet. Saëb Erekat, principal négociateur palestinien, a exhorté le président américain George Bush à obtenir d'Israël l'abandon de ce projet et le gel des activités de colonisation.
L'Etat juif considère que l'extension des colonies existantes répond à ce qu'il qualifie d'accroissement démographique naturel de ces implantations.
Le Yedioth Ahronoth précise qu'un tiers de ces nouvelles maisons seront construites à Maaleh Adumim, situé à la lisière de Jérusalem et qui, avec 30.000 habitants, est déjà le plus grand bloc de colonies juives en territoire palestinien.
Environ 225.000 Israéliens vivent dans 120 colonies de Cisjordanie. Sharon souhaite qu'Israël conserve les principaux blocs de colonies de Cisjordanie dans le cadre d'un règlement définitif du conflit israélo-palestinien.
                           
3. C’est bon que tu sois rentré à la maison ! par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 25 février 2005
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]
Joie contenue, cette semaine, à Jénine, avec la libération d’une poignée de prisonniers dont Jamal Zubeidi, l’oncle de l’homme recherché le plus célèbre.
Les accolades et les embrassades étaient très retenues. Même quand il embrassait ses enfants, on n’aurait pas pu dire qu’il s’agissait d’un père rentrant chez lui après de longs mois de prison. Et lorsque Zakariya, son neveu recherché et pour lequel, en prison, il s’inquiétait par-dessus tout, est entré dans la pièce, les deux hommes se sont contentés d’une brève accolade. Il était convaincu qu’il ne le reverrait pas vivant, mais ici on n’affiche pas ses sentiments. Dans cette maison qui a déjà tout connu – assassinat, arrestations, destruction et gêne financière – on renferme tout ce qu’on éprouve. Son épouse, Sanaa, n’a pas éclaté en pleurs ou en cris de joie, les enfants se sont approchés de lui l’un après l’autre pour une courte embrassade, et voilà tout.
Jamal Zubeidi, une des personnes les plus aimées et les plus estimées du camp de réfugiés de Jénine, membre du comité du camp, est rentré à la maison. L’homme qui, au cours de l’opération « Muraille de protection », a enterré de ses mains des dizaines de cadavres d’habitants dont plusieurs étaient des proches parents, est maintenant maigre comme il ne l’a jamais été, démontrant par son apparition comme on peut avoir l’air mal après quelques mois dans une prison israélienne. Il a déjà connu pas mal d’arrestations et de détentions dans sa vie mais jamais cela ne lui a été aussi dur. Peut-être est-ce l’âge, reconnaît-il, à bientôt 49 ans. Et peut-être sont-ce les conditions qui se sont aggravées, une nourriture pauvre et peu abondante, la surpopulation dans les cellules et dans les tentes, l’absence de médicaments adéquats.
Quatre mois en prison, apparemment sans raison : la proximité familiale avec le célèbre homme recherché, le fait de connaître Tali Fahima, d’avoir des liens avec deux ou trois journalistes israéliens qui viennent de temps en temps à Jénine. L’agent des Services de la sécurité générale [Shabak] ne l’a questionné que là-dessus, lors de l’interrogatoire qui a duré à peu près trois heures. Après quoi il a été envoyé pour une nouvelle détention administrative, six mois de détention, sans accusation, sans procès, sans terme fixé d’avance, sans savoir jusqu’au dernier moment si sa détention ne sera pas de nouveau prolongée. Il a été libéré cette semaine, parmi les « gestes » qu’Israël a fait pleuvoir sur les Palestiniens pour leur plus grand bien. Lever à deux heures vingt du matin dans la tente de Ketsiot, comme pour prendre un avion le matin, et une demi journée plus tard, Zubeidi était déjà assis comme auparavant dans le salon de sa maison, dans le haut du camp, ce salon détruit par un tir de char lors de l’incursion de 2002. C’est bon que tu sois rentré à la maison, Jamal.
A huit heures du matin, un jeune homme était déjà assis dans son fauteuil roulant électrique face aux jeeps des garde-frontières, au barrage de Salem, et il attendait. Ce barrage est totalement fermé depuis quatre ans déjà et ce n’est qu’en l’honneur des prisonniers libérés que l’armée israélienne a décidé de l’ouvrir un moment, comme dans une vision. Derrière, près d’un espace vert à l’avant d’une station essence, attendaient des centaines de membres des familles. Le garde-frontière maintenait sa mitrailleuse pointée en permanence vers eux : pas de relâchement pour lui dans le cadre des allègements. La plupart de ceux qui patientent sont des hommes : les femmes attendent à la maison. Un jeune entrepreneur a extrait un réchaud d’une Subaru fatiguée et il a préparé du café à un shekel. Il n’y a presque personne ici qui n’ait fait l’expérience de la prison. Le visage de la majorité des gens est sombre et fatigué. Seuls 136 fils de la ville sont libérés aujourd’hui, et pourtant il se dessine un petit moment de bonheur, de légère trêve, si rare, dans la misérable routine. Dans le centre de la ville, attendent les nombreux hommes en arme ; ils n’osent pas encore s’approcher d’ici.
L’un après l’autre, les prisonniers sont descendus de l’autobus du « Transporteur Sud de Zvika » et sont passés à l’autobus des « Transports Peretz Hananiya » devenu en fin de vie autobus palestinien. Les libérations antérieures ont rendu familières ces images : l’émotion des mains qui s’agitent à la vitre de l’autobus, le baiser à la terre, la première interview (et la dernière) à Al-Jazeera, les soldats qui, contrairement à leur habitude, se tiennent sur le côté, s’abstenant de tyranniser et d’aboyer des ordres. Quelques minutes de gloire qui ne reviendront pas. Le commandant du Fatah dans le camp, Ala Abou Ramila, lui aussi prisonnier libéré à un tarif de fin de saison, 14 mois au lieu de 40, dit ce qu’ici tout le monde dit : « La majorité est restée derrière. Israël se moque de nous ».
Arafat est encore présent, davantage que son successeur, dans les objets fabriqués par les prisonniers. Dans chaque autobus, il y a au moins trois mosquées Al Aqsa en allumettes et un Arafat sur un tissu, aucun Abou Mazen pour se remonter. « Tu restes la conscience de la nation », a écrit un prisonnier en lettres d’argent sur un tissu rouge vif, sous la photo d’Arafat. Peut-être l’a-t-il écrit il y a longtemps. L’officier du service des porte-parole de l’armée israélienne recommande d’interviewer le commandant local du Front Populaire qui descend, lui aussi, de l’autobus. La plupart des prisonniers ont les mains vides, ils ont été arrêtés et ont été libérés sans rien. Le convoi de la joie s’approche lentement de la ville, accompagné sans arrêt de coups de klaxon et de coups de feu. Une poignée d’habitants agitent les mains sur les côtés de la route, mais seulement une poignée. La quantité de munitions tirées dans le cimetière, pour les morts de l’Intifada, premier arrêt sur le chemin de la maison, suffirait à l’entraînement d’un régiment. Mais Jénine n’a pas pris les parures de fête.
Zubeidi s’est dépêché de descendre de l’autobus et d’aller, seul, à pied, chez lui, son sac tout râpé à la main. Il a renoncé à l’agitation au cimetière et à la cérémonie à la mouqata'a de Jénine. La foule l’en a dissuadé. Il ira sur la tombe de ceux qui lui étaient chers un autre jour. Plus tard, il a aussi décliné la proposition que lui ont faite ses amis, de courir au Conseil législatif au nom du camp de Jénine. Il veut rester un homme simple. Les onze derniers jours de prison ont été extrêmement durs, à cause de la tension et de l’incertitude à propos de la liste des prisonniers libérés. Des noms apparaissaient puis disparaissaient. La dernière nuit, la plupart des prisonniers n’ont pas fermé l’œil. Au cours de ses quatre mois de détention, Zubeidi n’a pas eu droit à la moindre visite de famille. Pendant la première semaine, sa famille n’a pas pu savoir où il était retenu. Quand les soldats sont venus l’arrêter, il était sûr qu’ils venaient pour un de ses fils. « Je suis déjà vieux pour ça », a-t-il dit à ceux qui venaient l’arrêter. Il a été emmené au centre de détention de Salem et de là au centre de Hawara, puis à la prison d’Ofer et de là, à la prison de Ketsiot.
C’est à Hawara que c’était le plus dur. C’est à peine si on y donnait à manger. On leur a un jour apporté une boîte de biscuits portant 1995 comme date de péremption. A Ketsiot, raconte-t-il, il y a un nouveau régime : tout s’achète avec de l’argent. Depuis la télévision jusqu’aux cigarettes, depuis les ustensiles de cuisine jusqu’à la nourriture ; les familles envoient de l’argent et il y a moyen de tout acheter. Mais cela crée des statuts différents en prison, des riches et des pauvres, et essentiellement le Hamas et le Jihad, qui ont de l’argent à profusion, et les organisations laïques qui n’ont qu’un maigre budget. Les plus pauvres, ce sont ceux du Front Populaire. Sanaa envoyait à Jamal, qui n’a pas de source de revenu fixe, 100 shekels par mois pour les cigarettes. Lors de détentions antérieures, l’armée israélienne distribuait des cigarettes. « En dehors de l’eau et de l’électricité, et d’un peu de nourriture, tout a maintenant un coût à Ketsiot ».
Son état d’esprit est lourd. Même pendant ses premières minutes chez lui, après tous ces jours et ces nuits en prison, il  a bien de la peine à esquisser un faible sourire, même à la vue de ses enfants. « Nous avons laissé derrière nous encore 7500 prisonniers. N’oubliez pas qu’il y a aussi beaucoup de tués. Je pense tout le temps à ces gens-là. Nous craignons qu’on n’oublie tous les tués. Il y a 3700 personnes enterrées – s’il y a la paix, c’est d’accord, mais il faut obtenir un prix qui soit égal à tous ces morts. Pas qu’à la fin, il n’y ait rien. Qu’est-ce que vous pouvez dire à la mère d’un shahid, si l’occupation ne prend pas fin et s’ils ne démolissent pas la clôture et s’ils ne libèrent pas tous les prisonniers ? S’il y a une vraie paix, alors d’accord. Vous pouvez aller chez la mère du shahid et lui dire qu’il y a la paix, pleine et entière. Mais s’il ne s’est rien passé de tel, alors on peut dire que nous avons vendu le sang de nos shahids. Imaginez la joie que ça aurait été si tout le monde avait été libéré. Ils en ont libéré 500 et il en reste 7500. »
Il n’y a pas beaucoup de gens à venir lui rendre visite dans les premières heures. Seuls les hommes en armes ne sonnent pas avant d’entrer. La maison n’a pas été décorée. Il n’y a pas de buffet, simplement du café. On n’est pas à la fête. Pendant sa détention, Zubeidi a eu le temps de lire beaucoup : l’écrivain algérienne Ahlam Mosteghanemi et l’égyptien Abdel-Rahman Mounif et la poésie d’Ahmed Fouad Najam. Cinq livres par mois. « Yediot Aharonot » et « Maariv », chaque jour. Il n’y a pas « Haaretz » à Ketsiot. Une antenne parabolique payée par les détenus. Son hébreu s’est un peu amélioré. On entend tout le temps des coups de feu qui viennent du centre du camp et qui se rapprochent.
Durant son interrogatoire, on lui a posé des questions sur ses contacts avec des journalistes israéliens. C’est interdit ? a-t-il demandé à son interrogateur. On lui a posé des questions sur le trajet que nous avons fait un jour ensemble, accompagnés de l’éditeur de Haaretz, Amos Schocken, jusqu’au camp de Jénine et jusqu’[au village de] Bourkin, tout proche. Avez-vous téléphoné à votre neveu Ismaïl Abou Shadouf qui est recherché et lui avez-vous organisé une rencontre avec ces journalistes ? lui a demandé le type de la Sécurité [Shabak]. « Je n’ai pas besoin de téléphoner. On est allé là-bas en voiture. Ils ont fait un article. Qu’y a-t-il d’interdit là-dedans ? » Zakariya est-il votre hôte ? lui a demandé l’enquêteur et Zubeidi a répondu : « Vous connaissez la maison de Zakariya ? Je vous dis que vous ne la connaissez pas. A quelle distance est sa maison de la mienne ? Vous ne savez pas. 90 centimètres. Il va chez lui, pas chez moi. » Entre temps, l’habitation de Zakariya a été détruite et la voiture de son voisin Jamal qui était garée en dessous a été complètement écrasée. Vous l’aidez financièrement, a poursuivi l’enquêteur. « Zakariya a besoin d’argent de moi ? » La détention de Jamal a été prolongée de 15 jours. Ensuite on l’a condamné à six mois de détention administrative.
Avec un revolver dans sa gaine et, à l’épaule, un fusil M-16 avec viseur télescopique, l’homme recherché numéro un entre dans la pièce. La nuit dernière, il s’est blessé à la main : à trois heures du matin, il a pincé un voleur qui s’était introduit dans une épicerie et il a immédiatement téléphoné à la police de Jénine qui n’a pas voulu envoyer de patrouille. Alors Zakariya Zubeidi a été contraint d’entrer dans la ville au milieu de la nuit pour livrer le voleur à la police. Au cours de l’altercation qui a éclaté entre le voleur et celui qui l’avait attrapé, l’homme recherché a eu la main cassée. Quand il aura fini de s’occuper de « trois dossiers », comme il dit, il rejoindra l’Autorité palestinienne : le dossier des familles des tués, le dossier des blessés et le dossier des prisonniers. Ils ont tous cessé de recevoir leurs allocations de l’Autorité. « Depuis [l’opération] ‘Muraille de protection’, personne à Jénine n’a reçu un shekel », dit-il. « Quand j’en aurai fini avec ces dossiers, j’entrerai ». Pourquoi ne pas entrer maintenant et s’occuper de ça de l’intérieur ? « Celui qui est assis dans le fauteuil, oublie. Même Zakariya. C’est vrai ou pas ? » Se cache-t-il moins actuellement ? Non, il ne se fie pas aux Israéliens. Il va bientôt avoir une petite fille, une sœur pour Hamoudi qui est âgé d’un an et demi, et qui s’appuie sur les genoux de son père, entre le fusil et le revolver. La petite fille s’appellera Samira, d’après le nom de la mère de Zakariya, que des soldats de l’armée israélienne ont tuée chez elle.
Un enfant de voisins entre dans la pièce. Son père, Ziad Abou Al Haija, était sur le point d’être libéré mais ne l’a pas été. Le visage d’Ahmed, 11 ans, exprime la tristesse. Jamal : « Comme j’aimerais aider cet enfant. Nous pensions que Ziad allait être libéré avant moi et qu’il prendrait soin de mes enfants. Maintenant, c’est moi qui vais les aider eux ». Le portable de Zakariya n’arrête pas de gazouiller une chanson d’amour arabe en guise de sonnerie. Après une de ces chansons d’amour, on lui apprend qu’un jeune garçon a été tué dans la ville par les tirs de fête. Son visage devient grave et il sort immédiatement. La maison se vide à nouveau et Jamal se replie dans sa tristesse. « En prison, je ne pensais pas à mes enfants. Je ne pensais qu’à Zakariya, que je ne le reverrais pas. Tout le temps, j’étais triste à cause de lui. Les prisonniers me demandaient pourquoi j’étais triste et je leur disais que c’était à cause de Zakariya. Que je sortirais et que je ne le verrais pas. »
Un vieux voisin sonne à la porte. Abdel Noursi, dont le fils, Rushdie, a été blessé dans un incendie qui a éclaté à Ketsiot suite à un court-circuit. Il est venu demander des nouvelles de son fils. « J’aime tous les détenus de la prison et pour moi, la libération des prisonniers est meilleure qu’un Etat palestinien », dit le vieil homme. Rushdie est censé être libéré dans un mois. Il est marié et il a une fille. Son père ne l’a pas vu depuis six mois déjà. Et sa fille, il ne l’a vue qu’une fois. Jamal accompagne ses hôtes dehors et tout à coup, il aperçoit, collée au mur de la maison d’en face, la photo d’un homme qui a été tué et son regard reste pris, refusant de se porter ailleurs.
                           
4. Le Parlement palestinien a investi le gouvernement Qoreï remanié
on LeMonde.fr avec l'Agence France Presse et Reuters le jeudi 24 février 2005, 13h14
Le nouveau gouvernement palestinien, qui a obtenu jeudi l'investiture du Parlement, doit comprendre quinze nouveaux ministres sur vingt- quatre en tout. Le Conseil législatif palestinien (CLP, Parlement) a approuvé jeudi 24 février en fin de matinée par 54 voix contre 12 le nouveau cabinet profondément remanié du premier ministre Ahmed Qoreï. Après trois jours de tensions et de querelles internes, le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, avait obtenu, mercredi 23 février, l'accord des députés du Fatah qui, avec 62 sièges sur 83, dominent le CLP, pour la nouvelle mouture du cabinet palestinien. "La comité central du Fatah et les membres du Fatah au Conseil législatif sont tombés d'accord sur la constitution d'un nouveau gouvernement dirigé par Abou Alaa [Ahmed Qoreï] comprenant 24 ministres", a déclaré, mercredi, le député du Fatah Mofid Abed Rabbo. Ce n'est donc qu'après d'intenses négociations que Mahmoud Abbas et Ahmed Qoreï, le chef du gouvernement, sont parvenus à décrocher un accord avec des parlementaires qui jugeaient la version initiale de la composition de l'équipe trop peu réformiste. Il a fallu une nouvelle réunion de quatre heures pour débloquer la situation. Le nouveau gouvernement palestinien doit comprendre quinze nouveaux ministres sur vingt-quatre en tout, a-t-on appris auprès du mouvement Fatah. M. Qoreï avait été contraint de remanier son cabinet après le refus du CLP, lundi, de lui accorder sa confiance dans sa composition initiale. Les députés, y compris ceux du Fatah, avaient estimé que le cabinet tel que présenté ne serait pas à même d'appliquer des réformes, et exigé un changement radical par rapport au cabinet sortant, en place depuis novembre 2003.
GOUVERNEMENT DE TECHNOCRATES
Selon M. Abbas Zaki, député et membre du comité central du Fatah, il s'agit d'un "gouvernement totalement différent, un gouvernement de technocrates avec seulement deux députés". Parmi les nominations significatives, Nabil Chaath, ministre sortant des affaires étrangères, devient vice-premier ministre et ministre de l'information. Il est remplacé à la tête de la diplomatie par Nasser Al-Qidwa. Le général Nasr Youssef, qui était en délicatesse avec le défunt dirigeant Yasser Arafat, devient ministre de l'intérieur et de la sécurité nationale. Le ministre des finances sortant, Salam Fayad, dont les efforts pour assainir les finances de l'Autorité ont été salués à l'étranger, est maintenu à son poste. Mohammad Dahlane, 43 ans, homme fort de la bande de Gaza et ancien ministre délégué à la sécurité, se voit confier le portefeuille des affaires civiles dans le nouveau cabinet. Ce cabinet, profondément remanié par rapport au gouvernment sortant, est censé se maintenir jusqu'aux élections législatives palestiniennes prévues en juillet. Cet accord marque un important progrès sur le plan de la politique intérieure. La mise en place d'un gouvernement remanié est essentielle pour permettre à Mahmoud Abbas d'assainir l'Autorité palestinienne, minée par la corruption, et de fusionner une dizaine de services de sécurité souvent concurrents afin de lutter plus efficacement contre les activistes anti-israéliens.
Composition du nouveau gouvernement palestinien :
- Premier ministre: Ahmed Qoreï (Abou Alaa)
- Vice-premier ministre et ministre de l'information: Nabil Chaath (change de portefeuille)
- Ministre des finances: Salam Fayad (inchangé)
- Ministre de la santé: Zihni Al-Wihedi (nouveau)
- Ministre des affaires étrangères: Nasser Al-Qidwa (nouveau)
- Ministre de l'éducation: Naïm Aboul Homous (inchangé)
- Ministre des collectivités locales: Khaled Al-Qawasmeh (nouveau)
- Ministre des travaux publics et logement: Mohammad Shtayyeh (nouveau)
- Ministre de l'intérieur et de la sécurité nationale: Nasr Youssef (nouveau)
- Ministre de l'économie: Mazen Sounoukrot (nouveau)
- Ministre de la justice: Farid Al-Jalad (nouveau)
- Ministre du travail et des affaires sociales: Hassan Abou Libdeh (nouveau)
- Ministre des communications et de la technologie: Sabri Saydam (nouveau)
- Ministre chargé des prisonniers: Soufiane Abou Zaydeh (nouveau)
- Ministre de la culture: Yehya Yakhlaf (inchangé)
- Ministre de la planification: Ghassan Al-Khatib (change de portefeuille)
- Ministre du tourisme: Ziyad Al-Bandak (nouveau)
- Ministre des transports: Saadeddine Kharma (nouveau)
- Ministre de l'agriculture: Walid Abed Rabbo (nouveau)
- Ministre des sports et de la jeunesse: Sakher Bseisso (nouveau)
- Ministre des affaires civiles: Mohammad Dahlane (nouveau)
- Ministre de la condition féminine: Zahira Kamal (inchangée)
- Ministre des affaires religieuses et du Waqf: Youssef Salameh (nouveau)
- Secrétaire d'Etat: Hind Khoury (nouveau)
- Secrétaire d'Etat: Ahmad Majdalani (nouveau)
- Secrétaire général du gouvernement: Samir Hleileh (nouveau).
                           
5. Le Liban après l'assassinat de Rafic Hariri : Un coup de grâce infligé à Damas par Aziza Nait Sibaha
in Le Matin (quotidien marocain) du jeudi 24 février 2005
L'assassinat de Rafic Hariri invite aux grandes réflexions sur les relations syro-libanaises, mais aussi sur le Liban d'après Hariri. Ce fut d'ailleurs le thème d'une conférence organisée au Centre d'accueil de la presse étrangère à Paris. A ce débat furent invités : Patrick Seale, écrivain et spécialiste de la Syrie et du Moyen-Orient, et Nabil Bayhom, professeur de sociologie et d'urbanisme. 
Il y a plus d'une semaine, le monde entier apprenait la disparition tragique de l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri. Le petit pays du Cèdre s'est alors retrouvé sous les feux de la rampe, devenant l'une des plus importantes inconnues de la très complexe équation de la paix au Proche-Orient. Les accusations se sont tout de suite dirigées vers le voisin syrien, sans se poser de questions sur les autres éventualités qui pouvaient se présenter. “ La Syrie est un pays rationnel. Ce n'est pas un Etat suicidaire qui, face à toutes les pressions qui pèsent déjà sur lui, va s'aventurer à tuer Rafic Hariri ”, tente pourtant d'expliquer le spécialiste du Moyen-Orient, Patrick Seale.
“ Pour identifier les assassins de Rafic Hariri, il faut aussi regarder ailleurs. Les ennemis de la Syrie ont tout à gagner de cet assassinat. Sa mort est un coup de grâce infligé à Damas ”. Rappelons que Israël est la spécialiste des assassinats ciblés, à Beyrouth même, Tunis ou Amman “Les Frères musulmans aussi peuvent avoir à gagner de la mort de Rafic Hariri, tout comme les extrémistes chrétiens. Il faut étudier toutes les pistes avant de tirer des conclusions”, ajoute ce connaisseur de la Syrie. L'heure est aux défis historiques dans la région.
Mais la grande question reste : qui a tué Rafic Hariri? Sur l'hypothèse syrienne, Patrick Seal a des arguments différents. Même s'il continue de confirmer que ce geste serait un suicide politique de Damas si cet assassinat s'avère être signé par la Syrie. “Si la Syrie a abattu Hariri, elle fait un saut dans l'inconnu. Rien ne confirme cette hypothèse.
Pour le moment, on peut envisager les deux probabilités. Il est vrai que d'un côté Rafic Hariri après sa démission a rejoint l'opposition libanaise, hostile à la présence syrienne. Il était pour la résolution 1559 (du Conseil de sécurité demandant l'année dernière le départ de la Syrie NDLR) et il aurait gagné les prochaines élections. Mais d'un autre côté, Hariri n'était pas réellement un ennemi de la Syrie. Il a été chef du gouvernement sous son égide. Il voulait plus être un médiateur entre l'opposition et Damas. Il se préparait même, paraît-il, à visiter Damas ”. La seule façon de trancher serait donc d'attendre les résultats de l'enquête internationale onusienne, défendue par la France et les Etats-Unis. Néanmoins, les participants à ce débat s'accordent à dire que c'est la troisième grande crise syro-libanaise que la région est en train de vivre, après celles de 1976 et 1982.
Le rôle de la Syrie
Rafic Hariri est une grande figure qui a marqué la renaissance de Beyrouth, et le nouveau Liban d'après la guerre civile. “L'ancien Premier ministre était un artisan des accords de Taëf. Il était connu pour l'étendue de ses connaissances dans la région et dans le monde”, explique Patrick Seale. Rafic Hariri restera à toujours associé à l'image de ce “ laboratoire de coexistence” qu'était le Liban jusqu'à sa mort. De grandes interrogations sont aujourd'hui soulevées par son assassinat, portant surtout sur les éventualités de l'après-Hariri.
Quel est le rôle de la Syrie dans la région ? dans la crise actuelle ? et dans l'après-Hariri ? Des questions qui s'entremêlent mais qui doivent trouver leurs réponses dans une même équation. Pour l'inconditionnel de Hafed Al Assad, qu'est Patrick Seale, ce pays traverse actuellement une phase caractérisée par “ une dilapidation du capital de respect que le monde entier avait pour lui, un effritement du pouvoir et un échec dans la gestion du dossier libanais ”. Le tout couronné par la démarche de Damas pour le prolongement du mandat du Président libanais Emile Lahoud.
Chose qui avait poussé Rafic Hariri à la démission en octobre dernier. De son côté le professeur Nabil Bayhom refuse de parler d'une position syrienne vis à vis du dossier libanais entre autres choses. “Je n'ai pas toujours été d'accord avec Hariri sur sa vision et sa politique de la reconstruction de Beyrouth. Mais j'ai beaucoup d'estime pour cet homme qui savait discuter, sans jamais menacer ni mettre en danger ceux qui s'opposaient à sa vision.
D'un autre côté, j'ai noté qu'on entend souvent parler de la Syrie et des Syriens, comme s'ils s'avaient tous la même position alors qu'au Liban on parle de partis, de divisions, de clans...est-ce qu'il ne faut pas parler aujourd'hui aussi de lutte de clans en Syrie ? ”. “Il y a des rumeurs sur des tiraillements au sein du pouvoir syrien. Mais on ne peut rien confirmer pour le moment. L'urgence aujourd'hui est dans la révision des relations syro-libanaises. Ces deux pays ont une histoire commune et un destin commun face à un ennemi commun ”, confirme pour sa part Patrick Seale.
Et Nabil Bayhom d'ajouter ; “ il y a des clans qui se sont installés dans le pouvoir à Damas, pour eux, se retirer du Liban c'est sortir de Damas ”. Le retrait des troupes syriennes du Liban semblaient aux deux intervenants, une question secondaire. Même si le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr Moussa, a confirmé lors de sa visite, cette semaine, à Damas, l'intention de celle-ci de s'engager sur ce front. “ Les Syriens ne sont plus qu'aux frontières, le problème aujourd'hui ce sont les services secrets de Damas qui ont infiltrés les services secrets libanais et leur donnent des ordres. Ils sont devenus la colonne vertébrale de l'Etat libanais.
C'est cela même qu'il faut régler si on veut avancer dans les relations syro-libanaises”, explique M. Bayhom. Quoi qu'il en soit, le statu quo n'est plus envisageable. Il faut trouver des solutions pour sortir de la crise et les trouver vite. Les Etats-Unis continuent de mettre la pression dans ce sens, et la France vient de les rejoindre, même si les enjeux et les raisons des deux pays diffèrent complètement.
Position de la France
Le dossier libanais rentre dans une problématique régionale, encore plus globale. A ce niveau, les Libanais ne peuvent jouer le jeu de la politique nationale, et ne sont même pas invités à le faire. La Syrie est en guerre avec Israël par pays interposé : le Liban. Elle n'a pas renoncé au Golan occupé depuis 1967.
D'un autre côté, il faut savoir qu'elle fait partie du front oriental qui menacerait Israël. Celui-ci comprend en plus de Damas, l'Irak et l'Iran. Ce qui explique l'agenda américain dans la région. Mais si Washington se trouve aujourd'hui, soutenue par Paris dans le dossier syrien, il est clair qu'il ne s'agit là que d'une manoeuvre tactique de la part de la France. Quand Bachar Al Assad est devenu président, après un rapide changement constitutionnel qui était contesté dans bien des pays, le Président français était l'un des seuls à le soutenir ouvertement en Europe. Mieux encore, le chef de l'Etat français a même tout misé sur ce jeune docteur, qui était alors porteur d'espoir.
Il a même été jusqu'à le défendre auprès des autres pays de l'Union, demandant à ce qu'on lui fasse confiance pour réformer son pays. Sauf qu'une fois en place, Al Assad Junior a tardé à réformer. “ Si la France est en froid actuellement avec la Syrie, et si elle a voté pour la résolution 1559, c'est surtout parce qu'elle a été déçue par Bachar Al Assad. L'ouverture promise par le jeune Président à l'Elysée n'a pas eu lieu.
C'est la paralysie totale. Le prolongement du mandat de Lahoud fut la goutte qui a fait déborder le vase à Paris ”, confie, Patrick Seale à ce propos. Avec ce soutien de Bachar Al Assad et les amitiés de Jacques Chirac avec Rafic Hariri, la France pensait pouvoir avoir les deux , le Liban et la Syrie. Elle sent qu'elle a été lâchée par la Syrie, d'où cette envie de remettre les choses en ordre. Paris ne peut pas se permettre de laisser le champs libre aux Américains dans cette région.
“Ce qui va se passer à partir d'aujourd'hui donnera un sens politique à la mort de Rafic Hariri. Aucun acte de violence n'est gratuit : tout a un sens politique. Le colonnel Massoud a été tué juste avant les événements du 11 septembre. Deux, trois jours après l'assassinat de Hariri on a assisté à la nomination d'un nouveau chef de renseignements à Damas. D'un autre côté, il ne faut pas sousestimer les revendications de la rue arabe.
Comme disait Walid Joumblatt (le chef de file de l'opposition libanaise NDLR), l'important aujourd'hui c'est la démocratie ”, tente de résumer Nabil Bayhom. Conflit local ou conflit régional ? Tout semble confirmer la deuxième proposition. Une intervention internationale est-elle donc nécessaire pour régler le problème ? La question se pose aujourd'hui au Liban et partout où on a envie d'avancer dans ce dossier. Nabil Bayhom présente les choses à sa manière ; “ Le problème qui se pose au Liban c'est celui qui se pose en Irak aussi: qui va gouverner réellement ? Faut-il une tutelle internationale ? Quel rôle pour les Américains ? ”. Autant de questions qui démontrent que le Liban peut devenir une cible fragile dans une période de crise telle celle qu'il traverse en ce moment.
A part une paix régionale qui pourrait être la voie du salut, Patrick Seale pense aussi à un ensemble de démarches à entreprendre par Damas, pour éviter la confrontation avec la communauté internationale et aller de l'avant dans cette crise. “ Pour trouver une issue, les Syriens peuvent commencer par annoncer un retrait jusqu'à la Bekaa, rappeler Rostom Ghazalé à Damas, accepter des observateurs étrangers aux prochaines élections, coopérer avec la commission d'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri, engager des réformes politiques et économiques et envisager surtout un autre traitré avec le Liban ”.
Le besoin d'une médiation ou tutelle internationale se fait aussi ressentir dans ce dossier.
Mais qui jouera le rôle du médiateur ? Du côté arabe Nabil Bayhom pense que “ l'Egypte est encore occupée par le dossier palestinien, la Jordanie est très proche d'Israël pour avoir la confiance de Damas. On peut penser à l'Arabie saoudite, encore en colère car Hariri était considéré un des siens ”, une affaire à suivre...
Côté libanais, il semble qu'un gouvernement d'union nationale soit la seule solution, afin d'éviter tout déchirement entre les différentes communautés. Rappelons que le Hezbollah libanais a lancé une interdition de toute dispute entre chiites et sunnites. Car, comme le rappelait son secrétaire général, Hassan Nassrallah, “ aucune partie n'annule au Liban ”.
                                    
6. Entretien avec Elias Sanbar "Émergence d’une nouvelle donne au Proche-Orient ?" réalisé par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du mercredi 23 février 2005
L’intellectuel palestinien Elias Sanbar voit dans les évolutions récentes et le changement de ton de Washington des raisons d’espérer. Elias Sanbar est directeur de la Revue d’études palestinien-nes, et auteur de plusieurs ouvrages consacrés à la Palestine (1).
- Le gouvernement israélien a adopté le plan d’évacuation des colonies de la bande de Gaza. Mais dans le même temps, il autorise la construction d’une nouvelle colonie en Cisjordanie et continue la construction du mur. Comment interpréter ces contradictions ?
- Elias Sanbar. La question est de savoir ce qu’il y a au bout de ce plan. Si le retrait de Gaza est un prélude à d’autres démantèlements de colonies en Cisjordanie, cela peut permettre la reprise de réelles négociations de paix entre Israéliens et Palestiniens. Si le retrait s’arrête à Gaza et constitue le prélude à l’annexion de la Cisjordanie, on va immanquablement plonger dans une nouvelle crise. Quant aux contradictions que vous relevez, elles s’expliquent à mon sens par le fait que le plan Sharon ne dépend plus seulement d’Ariel Sharon. Il est pris dans un engrenage qu’il a lui-même déclenché. C’est cela qui constitue la nouvelle donne. Dans l’esprit d’Ariel Sharon le retrait de Gaza n’était que la première partie d’un couple dont la seconde était l’occupation de la Cisjordanie. Mais les Américains l’ont pris au mot sur la question du retrait et sur celle de l’État palestinien. Ils veulent une solution qui passe par un vrai État, véritablement indépendant, pas par des bantoustans épars. C’est tout à fait clair dans les déclarations du président Bush. Ça l’était déjà depuis la venue de Condoleezza Rice dans la région. D’ailleurs, la rencontre de Charm el-Cheikh ne s’est pas du tout passée comme l’espérait Sharon : pour la première fois, il a dû accepter la réciprocité d’un cessez-le-feu bilatéral, qu’il avait toujours rejeté. J’y ai vu, pour ma part, l’empreinte américaine.
- Cette trêve annoncée par le président palestinien Mahmoud Abbas a-t-elle quelque chance de tenir ?
- Elias Sanbar. Oui, je le crois. Si on regarde l’histoire récente, on se rend compte que les trêves précédentes ont volé en éclats pour deux raisons : quand les négociateurs palestiniens revenaient les mains vides et quand les Israéliens continuaient à procéder aux assassinats ciblés. Si ces assassinats s’arrêtent comme Israël s’y est engagé, la trêve tiendra.
- Est-ce que Mahmoud Abbas est mieux placé que son prédécesseur, Yasser Arafat, pour tenir en respect les groupes armés comme le Djihad ou le Hamas ?
- Elias Sanbar. Non, pas du tout. Mais on n’a pas donné au président Arafat ce que l’on donne aujourd’hui à son successeur : les libérations de prisonniers, l’arrêt des assassinats et l’arrêt des démolitions de maisons. D’ailleurs, il faut se souvenir que Mahmoud Abbas lui-même, quand il était premier ministre, n’avait rien obtenu de tout cela et que la trêve qu’il avait négociée n’avait pas tenu. Et pourtant, il tenait le même discours qu’aujourd’hui.
- Qu’est-ce qui a changé, alors ?
- Elias Sanbar. Ce qui a changé, c’est la pression extérieure et en premier lieu la pression américaine. Il y a un changement très net dans la position des États-Unis. Ils ont intérêt, en ce moment, à ce qu’il y ait une solution au Proche-Orient. George Bush veut même réintroduire les Européens dans le jeu, ce qui n’est pas du tout bien vu en Israël. C’est une sorte de cadeau qu’il est prêt à leur faire pour qu’ils s’impliquent davantage dans l’affaire irakienne. Il est en train de se passer ce qui s’était déjà passé après la première guerre du Golfe, en 1991 : c’est après l’avoir gagnée que les Américains ont déclenché le processus de paix de Madrid. Aujourd’hui, ils ont à nouveau le sentiment d’avoir gagné, donc ils bougent.
- Qu’ont-ils gagné ?
- Elias Sanbar. Ils ont le sentiment d’avoir gagné en Irak, d’avoir réussi les élections afghanes, irakiennes et palestiniennes. Ils viennent aussi de réussir leur réconciliation avec l’Union européenne et ils sont sur le point de réussir un coup contre la Syrie au Liban. Il faut ajouter à cela la bataille présidentielle que George W. Bush a gagnée et les changements qui ont suivi dans son entourage : Rumsfeld est pratiquement hors jeu et c’est Condoleezza Rice qui tient tout. Elle n’est ni mieux ni pire, mais elle travaille autrement. Par exemple, c’est sur son injonction personnelle que le gouvernement israélien a dû renoncer à appliquer à Jérusalem-Est la loi sur les biens des absents, qui lui aurait permis de confisquer les propriétés de milliers de Palestiniens. Elle a compris que c’était là une véritable bombe prête à exploser.
- Pourquoi, dans ce cas, laisser Sharon poursuivre la construction du mur, qui est aussi un obstacle à la paix ?
- Elias Sanbar. C’est effectivement un des éléments qui fragilisent le plus la situation. Mais Sharon vient de dire que ce n’était pas du tout une frontière et les Américains pensent qu’il y aura effectivement moyen, quand on sera parvenu à une solution, d’en changer le tracé. Ils en ont d’ailleurs eux-mêmes préparé un et ils ont leurs propres cartes.
- Pour revenir à la situation palestinienne, comment conjurer la menace d’une reprise des attentats par des organisations comme le Hamas ou le Djihad islamique ?
- Elias Sanbar. Les négociations avec ces organisations ont commencé il y a plus de deux ans pour tenter de les amener à entrer dans la vie politique palestinienne, et peut-être même à participer au gouvernement. Ces négociations continuent. Quant aux groupes armés, le nouveau ministre de l’Intérieur, Nasser Youcef, qui vient d’être nommé, est chargé de les réintégrer tous dans les forces de sécurité officielles de l’Autorité palestinienne. Je crois qu’il a l’autorité nécessaire, c’est un ancien dirigeant des bases de fedayin au Liban et un homme d’une très grande probité et d’une grande fermeté. Les brigades d’El-Aqsa ont déjà accepté. Reste le Hamas. Je pense que son attitude dépendra beaucoup de son intégration à la vie politique : il y aura des élections municipales au printemps, des législatives en juillet. Mais tout dépendra aussi beaucoup du sentiment qu’auront les gens que leur vie s’améliore ou non, et du retour ou non d’un espoir dans le processus de paix.
- À Charm el-Cheikh, Ariel Sharon a dit aux Palestiniens qu’ils devaient « renoncer à leurs rêves », ce qui voulait dire très clairement : renoncer à Jérusalem et au retour des réfugiés. Est-ce possible, selon vous ?
- Elias Sanbar. Évidemment non. Quand les négociations commenceront vraiment, c’est encore sur cela qu’elles vont buter. Mahmoud Abbas le sait, et il est très clair sur ces questions.
(1) Figures du Palestinien (Éditions Gallimard, 2004) et le Bien des absents (Éditions Actes Sud, 2002).
                       
7. Egypte-USA : La bisbille par Mona Salem
in Aujourd'hui Le Maroc (quotidien marocain) du lundi 21 février 2005
La conférence G8-pays arabes prévue pour le 3 mars au Caire, a été reportée sine die au moment où se multiplient les critiques américaines sur l'absence de démocratie en Egypte, notamment après l'arrestation d'un dirigeant de l'opposition.
Le report a été annoncé dans un communiqué laconique du ministre des Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, expliquant que les pays arabes l’avaient souhaité pour que la réunion se tienne après le Sommet d'Alger, prévu les 22 et 23 mars et qu'une nouvelle date serait envisagée "à travers les canaux diplomatiques". La remise de la conférence est intervenue après une visite, mardi, à Washington de M. Aboul Gheit au cours de laquelle l'Egypte a été critiquée publiquement par la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, après la mise en détention, le 21 janvier, du chef du nouveau parti d'opposition libérale Al-Ghad (Demain), Ayman Nour.
Cette interpellation avait été critiquée par la presse américaine, qui a multiplié ces derniers temps les attaques contre le régime du président Hosni Moubarak, le qualifiant de "dictature". Un porte-parole de Mme Rice avait laissé clairement entendre que la nouvelle responsable de la diplomatie américaine ne comptait pas assister à la réunion G8-pays arabes. Elle avait quelques jours auparavant sauté l'étape égyptienne lors de sa première visite en Israël et dans les territoires palestiniens. C'était la première fois depuis des années que le chef de la diplomatie américaine faisait l'impasse sur Le Caire lors d'une tournée au Proche-Orient.
A l'issue de ses entretiens à Washington avec M. Aboul Gheit, Mme Rice avait exprimé la "vive inquiétude" de son gouvernement après l'arrestation de M. Nour, en exprimant l'espoir qu'une "solution rapide" serait trouvée à cette épineuse affaire. L'affaire Nour est en train de troubler les relations égypto-américaines comme l'avait fait quelques années auparavant l'affaire Saâd Eddine Ibrahim, président du centre Ibn Khaldoun pour les droits de l'Homme, libéré en 2002 sous la pression des Etats-Unis, après son incarcération pour "atteinte à l'image de l'Egypte" à l'étranger. M. Ibrahim, professeur de sociologie à l'Université américaine du Caire bénéficiant de la double nationalité américaine et égyptienne, s'est fait le chantre depuis une dizaine d'années de la démocratie en Egypte. Il s'est porté candidat à la prochaine élection présidentielle contre M. Moubarak, 76 ans, au pouvoir depuis 23 ans et qui doit briguer un cinquième mandat de six ans en mai prochain.
Le quotidien américain “Washington Post” qui, dans un de ses derniers articles, avait demandé au président George W. Bush d'intervenir directement auprès de M. Moubarak pour qu'il ne se représente pas, est revenu à la charge la semaine dernière, accusant le chef de l'Etat égyptien de "marchander" son appui au processus de paix israélo-palestinien contre le soutien américain à son maintien au pouvoir. Selon le quotidien américain, le Département d'Etat aurait préparé un projet de lettre qu'il comptait adresser aux pays concernés suggérant l'annulation de la conférence G8-Pays arabes.
A la suite des remarques acerbes de Mme Rice, le porte-parole de la présidence égyptienne, Souleimane Awad, avait rejeté les critiques américaines et "toute intervention étrangère dans les affaires intérieures égyptiennes". Il a expliqué que l'affaire Nour était une affaire "pénale et non politique" et qu'elle était entre les mains de la justice égyptienne, dont, selon lui, "l'impartialité est reconnue"
Les trois principaux partis de l'opposition égyptienne que sont le Wafd (libéral), le Tagamoo (gauche) et le Parti nassérien (centre gauche) se sont alarmés de la mise en détention de M. Nour, dont ils ont demandé la libération. Ils ont rejeté en même temps "l'immixtion de l'Administration américaine dans les affaires intérieures égyptiennes" après les déclarations de Mme Rice.
                       
8. Au pied du mur par Valérie Féron
in L'Humanité du samedi 19 février 2005
Des élus communistes et socialistes viennent de séjourner en Israël et Palestine.
Jérusalem, correspondance particulière - « Balafre, blessure, déchirure, cicatrice » sont les mots qui reviennent le plus souvent pour qualifier le mur qu’Israël continue de construire en Cisjordanie, dans les propos des élus communistes et socialistes français membres d’une délégation (1) en visite cette semaine dans la région. Certains, pour qui ce voyage était le premier en Israël et dans les territoires palestiniens, avaient du mal à trouver leurs mots, comme Didier Cujives, conseiller régional de la région Midi-Pyrénées et maire de Paulhac : « Ce béton, ces miradors rappellent de biens mauvais souvenirs de guerre. Cette idée qu’en 2005 on peut séparer ainsi des humains et empêcher de vivre tout un peuple est inimaginable. Et cela ne résout pas à mes yeux le problème de la sécurité d’Israël. » Comme beaucoup d’autres participants, il avoue qu’il aura besoin de temps pour digérer la somme d’informations accumulées pendant ces quatre jours au programme chargé, entre les moments passés dans des camps de réfugiés palestiniens, la visite de la colonie de Maale Adoumim en banlieue de Jérusalem et les rencontres avec des officiels des deux parties.
Les élus de la délégation se montraient souvent dubitatifs à l’égard des discours entendus, qui leur ont paru bien optimistes tant la réalité de terrain semble en contradiction avec la reprise du dialogue affiché. Certains, très choqués, se demandaient ouvertement « ce qu’il y a encore à négocier ». « Le mur accompagne parfaitement le plan de continuité territoriale des colonies », expliquait Michel Beaumale, le maire de Stains, ville jumelée avec le camp de réfugiés d’Al Amari près de Ramallah, ajoutant que « l’intervention de la communauté internationale s’impose » plus que jamais. Marc Everbecq, maire de Bagnolet, jumelée avec le camp de réfugiés de Chatila au Liban, qui effectuait lui aussi sa première visite en Israël et dans les territoires palestiniens, se demandait pour sa part sur quoi peut « déboucher cette politique israélienne de domination du territoire » qu’il compare à « une fuite en avant ». Côté palestinien, il a déclaré espérer que les « problèmes d’unité interne ne pèseront pas trop » dans l’avenir sur les défis nationaux. Au-delà des problèmes posés par le mur et la colonisation, il estimait que rien n’était « irréversible » et que la vraie question restait de définir « comment aider à la création d’un État palestinien viable », une question qui était au coeur de ce voyage.
Quant à Mouloud Aounit, le secrétaire général du MRAP, il résume ce qui l’a frappé en trois mots : « humiliation » et « dignité » des Palestiniens et « mépris » des Israéliens vis-à-vis des Palestiniens mais aussi de la loi internationale : « La sécurité que réclame Israël ne peut être portée que par la justice et le droit, souligne-t-il. Et ce qui se joue ici à des résonances, qu’on le veuille ou non, chez nous, en France. Car ces questions relèvent de l’universel et interpellent par conséquent chacun d’entre nous dans son humanité. »
(1) La délégation d’élus qui a séjourné toute la semaine dernière en Israël et en Palestine était conduite par Fernand Thuil.
                           
9. Jéricho mise sur son casino pour séduire les touristes par Sophie Claudet
Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 16 février 2005, 11h20
JERICHO (Cisjordanie) - Les rutilantes machines à sous ont beau être silencieuses et les roulettes figées faute de joueurs, Jéricho mise plus que jamais sur son casino pour relancer son économie dès la prise en charge de la sécurité par les forces palestiniennes. Propriété de l'Autorité palestinienne et d'un consortium autrichien, l'établissement ultra-moderne, qui s'étend sur 9.400 m2 à l'entrée de la ville, avait ouvert en fanfare en 1998. Mais, un mois après le déclenchement de l'Intifada dans les territoires palestiniens en septembre 2000, il a été contraint à la fermeture.
"Cela fait quatre ans que nous sommes prêts à rouvrir mais la situation ne le permettait pas", confie Brett Anderson, directeur général de l'Oasis, unique casino des territoires palestiniens et d'Israël. "Si les Israéliens sont de nouveau autorisés à venir à Jéricho, les affaires reprendront", espère M. Anderson. A ses débuts, les promoteurs du projet semblaient pourtant avoir réussi leur pari en attirant chaque soir quelques 2.500 joueurs, qui venaient presque tous d'Israël où les maisons de jeu sont interdites.
La fermeture de l'Oasis et le limogeage de ses quelque 2.000 employés, dont des centaines de Palestiniens, a porté un sévère coup à l'économie de Jéricho qui avait connu un boum sans précédent grâce au casino et aux milliers de touristes qu'il attirait chaque jour. "Si Israël veut vraiment améliorer la vie des Palestiniens, il peut
certainement le faire rapidement en autorisant les Israéliens à revenir à Jéricho", estime M. Anderson, ajoutant qu'il lui faudrait au moins huit semaines pour recruter un nouveau personnel. Originaire de Nouvelle Zélande, M. Anderson passe son temps libre à s'entraîner sur les collines sablonneuse de Jéricho en vue d'un marathon auquel il doit participer dans son pays natal.
Dans le restaurant Green Valley près du casino, Khalil Hachem s'occupe de quatre rares clients venus manger chez lui. "J'étais croupier dans le casino et je gagnais 1.200 dollars par mois alors qu'aujourd'hui j'en gagne à peine 250", regrette-il. Selon lui, la levée des restrictions israéliennes à l'entrée de Jéricho est vitale pour l'économie de la ville, saignée à blanc par plus de quatre années de violences.
"Jéricho tire ses revenus de l'agriculture et du tourisme et les deux secteurs ont été dévastés par les blocus imposés par l'armée israélienne", se lamente M. Hachem. "C'est d'autant plus injuste que notre ville a été totalement calme pendant l'Intifada", ajoute-t-il.
Marasme économique oblige, Ishaq Nousseibeh est devenu un touche-à-tout pour s'en sortir. "J'ai planté des laitues mais cela n'a pas rapporté d'argent car je n'ai pas pu les écouler hors de Jéricho", soupire-t-il. Espérant une plus grande réussite, M. Nousseibeh a tenté de vendre des antennes satellitaires mais son commerce a vite périclité. "Les gens n'ont pas d'argent à dépenser" pour capter ainsi des programmes télévisés, explique-t-il. Ni d'ailleurs pour noyer leur chagrin dans l'alcool, à en juger par la faible fréquence dans le bar que M. Nousseibeh tient à présent. "Un verre ça coûte aussi de l'argent", fait-il remarquer.
Encouragé par le transfert attendu de la ville à la Sécurité palestinienne, Riad Hamad, qui gère la Jericho Resort, un complexe de chalets et de piscines, a commencé à préparer des forfaits destinés aux agences de voyage en Israël "Je ne sais pas exactement qu'est-ce qu'Israël va nous transférer mais si cela signifie le retour des touristes, j'y suis favorable", confie-t-il.
                           
10. Qui a quelque chose à gagner de l’assassinat de Hariri ? par Michael Jansen
on Jordan Times (quotidien jordanien) du mercredi 16 février 2005
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Le premier tournant fut la conséquence des déclarations du sommet de Sharm El-Sheikh, engageant l’Autorité Palestinienne Autonome (APA) et Israël à cesser les hostilités. Il fut suivi par les tentatives déployées par divers mouvements de la résistance palestinienne afin de mettre un terme aux attaques contre les soldats et les colons israéliens. En acceptant un cessez-le-feu unilatéral, le Hamas, le Djihad islamique et les Brigades des Martyrs d’Al-Aqça ont acquis un avantage certain, tant sur l’APA que sur Israël.
En particulier, le Hamas peut désormais exiger du président palestinien Mahmoud Abbas (Abou Mazen) qu’il tienne parole en permettant à cette formation de jouer pleinement son rôle dans la vie politique consensuelle.
Le dirigeant palestinien disparu Yasser Arafat refusait de donner au Hamas un tel rôle parce que le mouvement islamiste représentait une menace très sérieuse pour l’hégémonie du Fatah. Arafat avait repoussé à plusieurs reprises les élections municipales en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Il redoutait que le Hamas, qui assure divers services indispensables aux Palestiniens nécessiteux, et qui a une réputation d’intégrité, n’obtienne beaucoup de voix. Arafat avait raison, comme les élections l’ont démontré : le Hamas a pris le contrôle des conseils municipaux de Cisjordanie et de la bande de Gaza, lors des élections qui se sont déroulées en décembre et janvier derniers.
La résistance a elle aussi été renforcée, car elle a désormais un certain degré de « contrôle » de la situation et elle peut dicter, dans une certaine mesure, à Israël ce qu’il doit faire. La résistance a indiqué qu’elle ne tirerait pas sur des Israéliens aussi longtemps qu’Israël se tiendrait tranquille, et cesserait ses incursions dans des zones palestiniennes, mettrait un terme aux assassinats de dirigeants de la résistance et dissuaderait les colons et les militaires israéliens d’attaquer les Palestiniens. Si la résistance réussit dans cette entreprise, le prestige international du mouvement sera considérablement rehaussé.
De plus, la résistance a également cassé la baraque d’Israël en promettant de cesser le feu tant qu’Israël ne tuera plus de Palestiniens, n’effectuera plus de raids dans les villes et les villages palestiniens ni ne démolira plus de maisons palestiniennes. Ceci signifie qu’Israël doit se départir de son usage disproportionné de sa puissance militaire à l’encontre des Palestiniens. Israël a l’habitude de taper à tours de bras sur les Palestiniens vivant dans les territoires occupés. Les militaires israéliens ainsi que les colons – armés – tirent de manière routinière sur les Palestiniens en train d’effectuer leurs tâches quotidiennes et parfaitement innocentes. Une grande partie des
3 585 Palestiniens tués depuis le début de la Seconde Intifada, en 2000, furent les victimes de soldats et de colons israéliens à la gâchette facile, opérant sous des règlements militaires des plus nébuleux.
Si Israël veut faire obtempérer ses militaires, il devra changer ces règlements et punir les soldats qui tirent sur les Palestiniens en l’absence de tout motif réel, ou encore qui tirent sur des civils palestiniens ou les agglomérations palestiniennes. Israël devra également imposer des contrôles très stricts à l’usage fait par les colons de leurs armes, lesquels colons sont peut-être d’ores et déjà déterminés à faire feu sur les Palestiniens afin de briser le cessez-le-feu et de susciter des représailles de la résistance, avec pour objectif de parachever l’accord de Sharm al-Sheikh. 
Si le Premier ministre israélien Ariel Sharon a concédé une cessation des hostilités, c’est parce qu’il est déterminé à mettre en application son plan de retrait des colons et de l’armée israélien de la bande de Gaza, ainsi que de quatre petites colonies du nord de la Cisjordanie. Sharon ne veut pas effectuer ce retrait « sous le feu » de la résistance palestinienne. Il ne souhaite pas recréer le traumatisme du retrait israélien du Sud-Liban, qui fut perçu comme la conséquence des tirs du mouvement Hizbollah (en l’occurrence : à juste titre).
Sharon veut également s’assurer que l’Autorité palestinienne prendra la bande de Gaza sous son contrôle quand Israël s’en retirera. Il est prêt à accepter le fait que le Hamas ainsi que d’autres mouvements de résistance se soient rangés, le moment venu, sous le parapluie politique de l’OLP et donc sous le contrôle de l’Autorité. Pour lui, cela serait préférable de toutes manières à la situation actuelle, dans laquelle ces groupes peuvent agir à leur guise.
Sharon espère que son schéma pour Gaza supplantera la « feuille de route » qui envisage l’évacuation par Israël de la plus grande partie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, ainsi que la création d’un Etat palestinien indépendant dans ces deux territoires (aujourd’hui occupés par Israël). Mais Sharon reste inflexible quant au maintien du contrôle israélien sur la plus grande partie de la Cisjordanie – qu’il insiste à appeler « Judée et Samarie » - dans le camp du Grand Israël, et il est convaincu que son retrait de Gaza représentera l’unique évacuation majeure de territoires palestiniens.
Tandis que le reste du monde sera focalisé sur son projet de retrait de Gaza, Sharon accélèrera la construction du mur et des routes réservées aux colons en Cisjordanie et il agrandira les blocs de colonies déjà existants, afin de rendre psychologiquement « impossible » pour Israël de restituer de grandes zones de la Cisjordanie aux Palestiniens où ceux-ci y établiraient leur Etat viable. On le voit : si Sharon a concédé un avantage politique immédiat, c’est uniquement au profit d’un gain territorial sur le long terme.
Le second développement majeur fut l’assassinat, il y a une dizaine de jours, de l’ex-Premier ministre libanais Rafiq Hariri. Celui-ci a été tué au moment où les Etats-Unis et leurs alliés [dont la France, ndt] accentuaient leurs pressions sur Damas afin de la contraindre à quitter le Liban. L’opposition libanaise anti-syrienne a accusé Damas d’être impliquée dans l’assassinat. D’autres, notamment les Etats-Unis, ont accusé tant les Syriens que le gouvernement libanais de n’avoir su ni protéger Hariri, ni imposer la sécurité.
Les analystes les plus équilibrés ont dit que pour rien au monde la Syrie n’aurait compromis son rôle de garante de la stabilité du Liban en assassinat le seul politicien libanais d’envergure, lequel avait été, jusqu’à tout récemment (octobre dernier) un allié de Damas. La Syrie aurait difficilement pu prétendre être un gardien efficace dès lors qu’un attentat aussi choquant aurait pu se produire.
Rim Allaf, analyste au Royal Institute of International Affairs de Londres, a fait observer que « qui que ce soit qui ait fait le coup, l’attentat visait à créer le chaos au Liban et à désigner la Syrie du doigt. Je ne puis me résoudre à penser que quiconque, en Syrie, a pu estimer que cela pouvait aider en quoi que ce soit le régime syrien. »
En assassinant Hariri, a-t-elle affirmé, « la Syrie se serait tiré une balle dans le pied ».
Quelle que soit la partie qui a perpétré l’attentat à la bombe contre Hariri, elle était assurée que Damas se retrouverait en position d’accusée. Par conséquent, on doit se demander à qui profite l’assassinat de Hariri ? Israël, bien entendu, fut le coupable immédiatement désigné par les nationalistes arabes de Beyrouth Ouest. Ils avancent l’argumentation suivante : Israël cherche à démontrer que la présence syrienne n’est plus désormais un facteur de stabilité au Liban, afin de contraindre Damas à s’en retirer. Ils disent aussi que l’attentat a averti le Liban qu’il doit maîtriser le Hizbollah, qu’Israël accuse d’entraîner et d’armer des activistes islamistes palestiniens en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Cette frappe, au cœur de la capitale libanaise, pourrait aussi contraindre la Syrie à mettre un terme au soutien qu’elle apporte au Hizbollah et à la résistance palestinienne.
Les adversaires de cette interprétations affirment que Sharon aurait dû réfléchir à deux fois avant de déstabiliser le Liban avant d’avoir mené à bien le retrait israélien de la bande de Gaza. Cela lui convient sans doute parfaitement de voir Damas empêtré au Liban, car cela lui évite d’avoir à s’occuper de deux fronts actifs à la fois, au sud et au nord, en des temps où il se retrouvera sous le feu de la droite israélienne extrémiste, opposée au retrait israélien de la bande de Gaza.
Alors : qui est le principal bénéficiaire de l’assassinat de Hariri ? C’est l’administration Bush. Washington tripatouille au Liban depuis plus d’un demi-siècle. Il a même eu recours aux voitures piégées, et à plus d’une occasion : dans les années 1980, la CIA a tenté, en vain, d’assassiner le Sheikh Hussein Fadlallah, chef spirituel du Hizbollah, au moyen d’une bombe surpuissante.
Dès l’annonce de la mort de Hariri, Washington a tiré profit de l’avantage politique que lui donnait l’événement pour accroître ses pressions sur la Syrie afin de la contraindre à se retirer du Liban, à cesser d’apporter son soutien aux résistants palestiniens et à sévir contre les éléments de la résistance irakienne qui tenteraient de franchir la frontière syro-irakienne pour s’infiltrer en Irak [sous occupation américaine, ndt].
Le rappel très prompt de l’ambassadrice des Etats-Unis à Damas « pour consultations » et les menaces d’aggraver des sanctions encore limitées montrent que l’administration Bush est prête à prendre des mesures très sérieuses à l’encontre de la Syrie. Par la simple publication de telles menaces, les Etats-Unis se sont assurés d’un levier politique accru au Levant.
George Bush et ses responsables néoconservateurs ont à l’esprit un scénario pour la Syrie et le Liban depuis leur accession aux manettes, en 2001. En contraignant la Syrie à retirer ses troupes et son influence politique du Liban, l’administration Bush, tel Israël en 1982, rêve peut-être d’installer ses hommes liges aux postes de Président et de Premier ministre à Beyrouth. Bush pourrait ainsi tirer gloriole d’avoir « libéré » le Liban et apporté la démocratie à ce pays. Si l’administration Bush réussit dans son entreprise, elle aura imposé un deuxième changement de régime à son profit dans le monde arabe – après l’Irak – et [« jamais deux sans trois… »] elle pourrait, de ce fait, être encouragée à envisager une troisième cible…
                           
11. La presse divisée sur les commanditaires par Saïd Aït Hatrit
in El Watan (quotidien algérien) du mercredi 16 février 2005
De l’Europe à l’Afrique, en passant par l’Asie et l’Amérique, la communauté internationale a unanimement condamné hier l’attentat qui a coûté la vie, lundi dernier, à l’ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri ainsi qu’à quinze autres personnes.
La presse a été aussi unanime à mettre en garde contre un retour du chaos dans ce pays poudrière du Proche-Orient, ravagé par quinze ans de guerre civile (1975-1990). Mais alors que la presse européenne et américaine, dans son ensemble, voit dans l’Etat syrien le principal bénéficiaire de cet assassinat, les pays arabes préfèrent y voir un complot israélien visant à jeter le discrédit sur Damas. Au lendemain de l’attentat, la presse libanaise, stupéfiée, se préoccupait avant tout de maintenir l’unité nationale. « Ils veulent tuer l’espoir », titrait le quotidien francophone l’Orient le Jour, tout aussi effondré que le Daily Star, pour qui « le Liban, qui a renoué avec les pires moments de la guerre civile, risque de nouveau d’être plongé dans les ténèbres ». « L’enfer s’est de nouveau emparé de Beyrouth », écrivait le quotidien d’opposition An Nahar, appelant les Libanais à « surmonter l’épreuve » et à « resserrer les rangs ». As-Safir et Al Moustaqbal, le journal de l’homme d’Etat assassiné, précisant que Rafic Hariri « est mort en martyr ». « Si on pose la question à qui ce crime profite, la première réponse est bien la Syrie », estime le quotidien français de gauche Libération. Expliquant que les assassins du riche homme d’affaires « avaient pour but de déstabiliser le Liban et d’y empêcher toute remise en cause du statu quo, c’est-à-dire de l’occupation syrienne ». Comme Libération, Le Parisien voit dans l’attentat « un message adressé à Jacques Chirac », « très proche ami de Hariri », et « une réponse à la résolution 1559 de l’ONU », soutenue par la France et les Etats-Unis, et qui réclame le retrait des troupes syriennes du Liban. « Faut-il pourtant porter uniquement son regard vers Damas pour situer les commanditaires présumés de ce crime ? », s’interroge La Croix. Le quotidien catholique français juge que l’on « ne saurait évacuer la piste d’un règlement de comptes de nature non politique. Ni la piste iranienne », Téhéran pouvant chercher à envoyer un message aux Etats-Unis à travers l’un de ses « pions ». De même, le Sueddeutsche Zeitung, en Allemagne (centre gauche), constate que « les regards se portent automatiquement sur la Syrie. Mais un acte terroriste dans son Etat satellite peut-il représenter un intérêt pour la Syrie ? », s’interroge le média. Pour le reste, la presse en Europe est unanime pour désigner Damas comme le principal « présumé coupable ». En Italie, où le Corriere della Sera titre sur « Un complot pour interrompre les adieux à Damas », en Espagne où El Pais estime que « tous les soupçons se portent sur le régime de Damas » ou encore en Grande-Bretagne où The Times (droite) voit dans l’assassinat de Rafic Hariri « une atrocité marquée de la main sinistre de la Syrie ». Dans son éditorial, le New York Times, qui en appelle à une « enquête internationale », voit plus loin et juge que « l’assassinat de M. Hariri pourrait temporairement effrayer les critiques de Damas au Liban, mais que son effet à long terme devrait provoquer un effort renouvelé pour que la Syrie quitte le Liban ». Al-Watan, au Koweït, est l’un des rares journaux arabes à risquer d’évoquer la piste de Damas. Concluant de toute façon que « si la Syrie est incapable de préserver la sécurité, comme certains incidents l’indiquent, elle doit quitter le Liban immédiatement ». Mais pour Al-Khalee, aux Emirats arabes unis, comme pour l’essentiel de la presse arabe, « ce crime ne profite qu’à l’ennemi israélien ». « On ne peut pas dissocier cet acte terroriste des développements critiques dans la région et dans lesquels Israël joue un rôle primordial », analyse ainsi le quotidien qatari Al-Raya. La presse syrienne, sur la défensive, accuse elle-même Israël de chercher à semer « l’anarchie et la division au Liban ». Le journal gouvernemental Techrine explique qu’« Israël a adopté une position hostile au rôle arabe du Liban depuis la fin de son occupation du sud du pays (en mai 2000, ndlr) et qu’il continue d’œuvrer pour saboter les réalisations libanaises afin de ramener l’anarchie dans ce pays » et de « voler les eaux et les richesse du Sud libanais ». De la même façon, écrit Al-Watan, en Arabie Saoudite, « ceux qui rejettent l’accusation sur la Syrie feignent d’ignorer les relations excellentes entre le Liban et la Syrie (...), comme ils feignent d’ignorer (...) les menaces auxquelles elle est exposée de la part des Etats-Unis et d’Israël ». De leur côté, les analystes égyptiens - anciens ministres, politologues ou militaires - refusent de croire à la culpabilité de la Syrie. Raouf Ghoneim, ancien vice-ministre des Affaires étrangères, qui s’exprimait sur la chaîne publique Nile-TV et dont les propos sont rapportés par l’AFP, penche pour une « diversion américaine » ou une action israélienne destinée à déstabiliser le Liban et à accroître la pression sur la Syrie. « J’écarte totalement la piste syrienne », déclarait, pour sa part, le politologue Gamal Salama sur la chaîne Al Akhbar. « Au contraire, c’est la Syrie qui est visée par cet attentat. »
                           
12. Entretien avec Alain Ménargues : "Je suis viscéralement opposé à l’intolérance" propos recueillis par F. Amalou
in La Nouvelle République (quotidien algérien) du mardi 15 février 2005

(Alain Ménargues est grand-reporter, envoyé spécial permanent au Moyen-Orient et directeur adjoint chargé des antennes et de l’information à RFI.)
- La Nouvelle République : Que voulez-vous dire par «je suis résolu à me battre contre tous ceux qui accusent injustement des gens honnêtes» ?
- Alain  Ménargues : Je dis tout simplement que je suis fondamentalement, viscéralement, opposé à l’intolérance. J’écris des choses sur les Israéliens et sur le mur de Sharon, c’est parce que j’ai fait des recherches, j’en suis arrivé à ces conclusions et je suis honnête. Il ne s’agit pas pour moi de renier ce que j’ai dit. Si quelqu’un n’est pas d’accord avec moi, je trouve cela normal, c’est le débat démocratique, mais on n’accuse pas les gens de choses qui ne sont pas uniquement pour Israël. Mais c’est une méthode de communication  propre aux Israéliens et à  leur gouvernement, qui a un service de  l’armée, le 5e  bureau, avec des agents d’influence comme le fameux avocat Goldnadel à Paris. Je vais essayer de me battre contre ces gens-là, et je le fais avec détermination. C’est le type de combat qu’il faut réfléchir. J’ai commencé maintenant à faire un certain nombre de déclarations, à faire construire un site à ce sujet de manière à arrêter ce type de propagande complètement fasciste. Ces gens-là sont de l’extrême-droite israélienne, ils sont pires que Le Pen.
- Quelle a été la réaction de votre hiérarchie à l’accusation d’antisémitisme ?
- Ils m’ont licencié. Pour faute grave, c’est un prétexte, car c’est un licenciement politique. Mais j’attaque le président Schwartz sur la base de l’article 122/45 du code du travail qui dit que nul ne peut être licencié pour ses opinions politiques. C’est la première fois depuis 32 ans que la justice devra se prononcer sur l’application de ce texte. Je trouve scandaleux que dans un  pays de liberté, il y ait des bavures comme cela de la part d’un commis de l’Etat. Le porte-parole du quai d’Orsay a, lui, déclaré que mes propos étaient scandaleux. Mais je crois qu’il va être obligé de s’expliquer devant la justice.
- Comment pouvez-vous expliquer les mécanismes qui ont provoqué votre licenciement ?
- Cela s’est passé très vite, c’est un des facteurs. C’est d’abord 4 ou 5 journalistes que j’appelle, moi, des fonctionnaires, sans grande valeur professionnelle et militants pro-israéliens de droite qui ont protesté en interne contre mon livre, puis ont fait appel à Goldnadel,  l’avocat, dont le communiqué a été repris par ces journalistes. Et en s’appuyant mutuellement, ils ont fait monter la mayonnaise : en petite assemblée générale (100 journalistes sur 600), le PDG, en grand fonctionnaire et énarque qu’il est, a eu peur et a préféré ne pas avoir de problèmes. Schwartz n’a pas été seul, le porte-parole du quai d’Orsay a pris position parce que c’est arrivé le jour où le ministre des Affaires étrangères, Barnier, partait en Israël. La question qui lui a été posée, c’est parce que Barnier allait en Israël. C’est un montage, il y a une manipulation derrière, c’est évident.
- Mais face à une manipulation telle que vous en avez été victime, on se demande si on est France, pays de Victor Hugo et d’Emile Zola, figures emblématiques d’un humanisme universel, ou en Israël, un gros gabarit ?
- On est en France, et j’estime que mon affaire est une bavure, je demande à la France de la réparer. Cela ne veut pas dire autant qu’elle ait changé de statut, la France reste un pays de liberté, mais la liberté, il faut se battre tout le temps pour la conserver. Pour ce qui concerne Israël, elle peut paraître comme un gros gabarit, parce qu’ils n’ont personne en face d’eux, le monde arabe n’a pas de communication.
Jusqu’à la mondialisation, ceux qui détenaient le secret, détenaient  le pouvoir. Depuis la mondialisation, ceux qui détiennent la communication détiennent le pouvoir : l’Amérique a fait la guerre sur une communication de mensonges, mais les dirigeants du monde arabe n’ont pas compris qu’il faut communiquer sainement.
- Quel est ce lobby qui manipule l’information, en France, selon vous ?
- Pour ce qui concerne le Proche-Orient, il y a un lobby israélien d’extrême-droite, pro- Sharon, de colons qui sont plus à droite que Le Pen. Pourtant, la France a peur de Le Pen, mais elle devrait avoir plus peur de l’extrême-droite israélienne qui est terrible. La gauche israélienne, notamment vis-à-vis des Palestiniens, est encore plus à droite que Le Pen. L’extrême-droite, elle, est un véritable fascisme.
- Lors de votre passage sur LCI, vous repreniez votre interlocuteur sur la définition de l’Etat d’Israël, présenté comme un Etat démocratique, en lui précisant qu’on avait plutôt affaire à un Etat raciste et lui expliquant la discrimination dont sont victimes les Arabes fichés comme arabes sur leurs papiers d’identité…
- Ils sont fichés comme non-juifs. Israël n’a pas de Constitution pour des raisons religieuses parce que la religion dit qu’il n’y aura d’Etat d’Israël que lorsque le messie arrivera. Donc ils sont régis par des lois fondamentales au nombre de 12. Il y en a une qui a été votée en 1952 qui définit une citoyenneté israélienne pour les habitants d’Israël et cette citoyenneté est subdivisée en nationalités : ils disent que le peuple juif est une nation, que les musulmans sont une nation et les chrétiens, une troisième nation. Ce que nous appelons une religion, eux l’appellent une nation. Donc les papiers d’identité et en particulier les passeports de citoyens israéliens de nationalité autre que juive ont leurs noms soulignés pour que la police voit s’il s’agit de juifs ou non.
Sur LCI, parliez-vous comme l’envoyé spécial au Moyen-Orient qui a été témoin des humiliations dont sont victimes les Palestiniens ou comme un homme de bon sens ?
Les deux. L’homme que je suis a été formaté par mes études, par mes parents, par mon environnement. A ce titre, c’est Ménargues qui parlait en tant qu’invité, auteur venant parler de son livre et pas en tant que directeur de l’information. D’ailleurs, je n’ai jamais donné la moindre consigne aux journalistes de RFI, ni dans un sens, ni dans un autre, mais j’estime que les journalistes ont un droit d’expression, à commencer par les dirigeants de ces journalistes.
- Vos collègues vous ont-ils défendu ?
- (Sourire).
- Sourire très éloquent, monsieur Ménargues !
- Certains m’ont passé des coups de téléphone, d’autres ont agi dans la discrétion, mais personne publiquement.
- C’est par peur de représailles ou… ?
- Par terreur, parce qu’il y a une véritable terreur et je reproche au gouvernement français d’avoir laissé cette peur s’installer. Il faut savoir que jamais quelqu’un qui a été traîné devant les tribunaux par les associations d’extrême-droite israéliennes pour antisémitisme, jamais ces associations n’ont gagné, elles ont toujours perdu, les victimes ont gagné leurs procès. Mais c’est une campagne de pression et les journalistes ne sont pas courageux.
- C’est du terrorisme intellectuel !
- Oui, du terrorisme intellectuel ! Je regrette que les hommes politiques français n’aient pas beaucoup de courage, eux aussi. C’est la bêtise et la lâcheté des hommes politiques et fonctionnaires français et la disparition d’une fibre de philosophie politique. Il n’y a plus de valeurs ! Je vous donne un exemple, on vient de passer le soixantième anniversaire d’Auschwitz, il y a beaucoup de Français, de résistants, dans le Vercors, à Paris, qui ont été tués ou amenés en déportation et qui étaient juifs, ils sont morts dans les camps de concentration parce qu’ils étaient résistants.
On a barré leur fonction de résistants pour les installer comme juifs. C’est de la manipulation de l’Histoire et c’est fait par ces associations-là qui sont en train d’installer dans les écoles françaises des listes d’enfants juifs morts en déportation. Pourquoi ne met-on pas les noms de ceux qui n’étaient pas juifs morts en déportation aussi ?
- Comment expliquez-vous cette attitude des autorités françaises ?
- Le clientélisme politique, la bêtise politique.
- Comment pouvez-vous expliquer une réaction aussi rapide à l’évocation d’Israël, Etat théocratique, ne serait-ce pas lié à la shoah ?
- Oui et non, il faut remonter dans l’histoire et prendre cela en géopolitique : jusqu’en 1982, à la guerre du Liban, Israël était un Etat victime, puis il y a eu Sabra et Chatila et la première et surtout la deuxième Intifadha. Du coup, dans l’image, Israël est devenu un Etat agresseur qui fait tout maintenant pour que cette image d’Etat agresseur disparaisse. Tous ceux qui accusent Israël sont attaqués de même que le rapporteur des Nations unies qui parle du camp de Jénine. Pourtant, il y a une résolution des Nations unies qui dit que le sionisme est une philosophie politique raciste, Israël a mis 13 ans pour rayer cela. Quand je dis, moi, qu’Israël est un Etat raciste, je suis attaqué.
- Pourquoi maître Goldnadel, qui a changé l’intitulé de son Association des avocats juifs en Association des avocats semant ainsi la confusion avec celle des Avocats de France, persécute-t-il ainsi les journalistes ?
- Qui est M. Goldnadel ? C’est un agent d’influence, en termes de renseignement. Un combattant sioniste extrémiste de droite. Il a tenté de lier des liens entre Sharon et Le Pen, mais ce dernier a refusé. Je suis attaqué parce que je suis passé sur Radio Courtoisie (radio d’extrême-droite française) alors que lui y est passé en août. Etre attaqué par lui est pour moi un honneur.
- Pourquoi, en France, y a-t-il autant d’attaques de la sorte et pas dans les autres pays européens ?
- Parce que sur le plan géostratégique, l’Amérique est trop proche des Israéliens et il n’y a que l’Europe qui pose problème, et qui en Europe ? Pas l’Allemagne, pour cause de camps de concentration, pas les Britanniques, pour cause de mandat, alors ils essaient de rappeler à la France qu’il y a eu les trains de la déportation. Cela avait marché longtemps quand les hommes politiques avaient connu cette époque de la guerre.
- C’est une façon d’imposer insidieusement un pouvoir…
- Non, un contrôle. Israël fait partie du monde arabe et ce n’est pas parce que les dirigeants  sont des Ashkénaze venus d’Europe que l’équipe de football joue en Coupe d’Europe qu’ils vont rentrer dans l’Europe. Ils poussent actuellement la Turquie à rentrer dans l’Europe pour la déstabiliser, mais cela ne les fera pas rentrer, eux, dans l’Europe. Ils se disent la tête de pont de l’Occident, dans le monde arabe, mais il n’y a pas de tête de pont dans le monde arabe. On n’a pas besoin d’intermédiaire israélien avec le monde arabe.
Parlons lexique maintenant, si vous le permettez. Pourquoi les Israéliens s’approprient-ils le concept de «sémites», les Arabes, le sont aussi, sémites ? Même les intellectuels et les journalistes abondent dans cette idée-là ?
Même Arafat a été traité d’antisémite. Mais les Arabes ne leur ont jamais dit, nous aussi, nous sommes des sémites. Ils n’ont jamais défendu leur position, il faut qu’ils revoient leur méthode de communication. Voyez comment les Américains sont entrés en guerre sur un coup de communication de mensonges.
- Votre fondation, M. Ménargues, des 100 journalistes, s’agit-il d’un comité d’experts chargé du traitement de ce type d’accusation, de son décryptage et de son explication dans le contexte géopolitique de l’heure ?
- Non. Par expérience, c’est en étudiant les dossiers précédents que je me suis aperçu que les accusateurs mettaient en lumière les accusés d’antisémitisme et disparaissaient.
Moi, je veux qu’ils restent à la lumière, c’est pourquoi je veux créer un site où je dirais M. Goldnadel c’est ceci et cela. Je veux démonter les processus. Il ne m’appartient pas et n’appartient pas aux journalistes le droit de dire ceci est bien et cela est mal, mais on peut dire qui est qui et qui fait quoi. Si vous prenez Dieudoné, il a eu
17 procès, en France. Je veux connaître les 17 personnes qui l’ont traduit en justice et mettre leurs photos sur internet. Que tout le monde les voit.
- Les journalistes qui vous ont rejoint partagent-ils tous vos opinions ?
- Ils partagent totalement mes opinions de ras-le-bol de cette pression et de ce terrorisme intellectuel.
- Ont-ils connu ou peuvent-ils connaître des frondes semblables ?
- Non, ils sont écœurés par cette espèce d’attaque sans consistance. Donc ils ont décidé de collecter toutes les informations. Par exemple, je dis Goldnadel, tout le monde va chercher qui est cette personne, où elle habite, qui est sa femme, dans quelle association milite-t-il, qui le paye, comment  il le paye et on dit, M. Goldnadel, c’est lui. Croyez-moi, cela va changer beaucoup de choses.
Quand les gens attaquent en étant sûrs de leur impunité, ils peuvent attaquer n’importe qui, mais quand ils seront simplement connus, cela va être différent. C’est une affaire de communication. Faisons de la communication.
- Cette fondation est-elle ouverte à tout le monde ?
- A tout le monde ! Savez-vous que les premiers journalistes à adhérer à cette fondation sont des journalistes israéliens. J’ai des journalistes arabes et américains. C’est ouvert à tout le monde. Ce que je contrôle, c’est l’honnêteté des journalistes. Pour moi, c’est le critère ; objectif ne veut rien dire. Qu’ils disent ce qu’ils pensent comme ils le pensent, même s’ils ne sont pas d’accord entre eux.
- Comment pouvez-vous expliquer ce manque de considération d’Israël pour l’ONU ?
- Pourtant, ils sont nés grâce à l’ONU, dont ils ont décidé de passer outre. Ils ne peuvent pas le faire longtemps, on ne peut pas faire partie d’une société sans en respecter les règles. Il y a la société internationale, elle a des règles, ils vont être obligés de rentrer dedans sinon ils vont être boycottés.
- Quel est le rôle des Etats-Unis dans cette arrogance ?
- Pierre Jémayel, un leader arabe chrétien, a dit un jour à Itzhak Rabin, vous êtes le 51ème Etat des Etats-Unis. Je me demande si les Etats-Unis ne sont pas une province d’Israël. Si vous regardez le gouvernement américain, beaucoup sont des juifs américains avec la double nationalité israélienne.
Les lectures de Bush, dit un article du Monde, sont des philosophes du Likoud. Le vice-ministre de la Défense, Wolfowitz, est conseiller de Sharon.
On oublie souvent que le régime américain est un régime religieux. Donc, à partir de là ils ont vis-à-vis d’Israël une position religieuse avant d’être politique. J’ai souvent en tête une phrase de Malraux qui disait que le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas.
- Dans votre ouvrage Les secrets de la guerre du Liban vous écriviez qu’Ariel Sharon ne voulait qu’une chose, pouvoir entrer en force à Beyrout Ouest et «nettoyer». Il fulminait contre les pressions américaines qui l’empêchaient de faire le ménage. Croyez-vous que Sharon soit revenu actuellement à de meilleurs sentiments en acceptant de rencontrer Abou Mazen et de céder certaines parties des territoires occupés ?
- Sharon n’a absolument pas changé d’avis, mais c’est un réaliste. Il y a 7 000 colons à Ghaza, il faut trois fois plus de soldats pour les protéger. Les villes qui vont être cédées coûtent très cher en hommes et en argent. Cela renvoie la responsabilité sur les palestiniens. Si Sharon avait envie de quitter Ghaza, il l’aurait fait tout de suite, pourquoi attendre des mois jusqu’à ce que les colons s’organisent. Il les connaît bien puisqu’il a été leur ministre.
- Comment voyez-vous la suite des événements en Palestine ?
- Le climat a changé, certes, mais la réalité est la même sur le terrain. Sharon a besoin de convaincre les Israéliens, comme Abou Mazen de convaincre les palestiniens. Chacun s’organise vis-à-vis de sa propre population. Sharon a besoin de faire croire qu’il va faire la paix, il n’attaque plus les palestiniens.
Quand Abou Mazen va dire à Sharon, il faut détruire le mur, que va-t-il se passer ? A mon avis, chacun d’entre eux est en train de se retourner dans son camp pour assurer ses arrières. Je ne crois pas à la paix pour l’instant. Quel signe y a-t-il eu vers la paix ? On ne tire plus, mais est-ce pour autant la paix ?
- Ce mur de la honte…
- Israël veut en faire sa frontière, cela veut dire qu’il n’y a pas d’Etat palestinien viable. Quand Sharon dit, il faut un Etat palestinien laïque, Israël est laïque ? Il y a beaucoup de contradictions. C’est pour masquer ces contradictions que les organisations extrémistes manipulent le côté judaïque.
- Et cette montée au créneau du gouvernement américain concernant l’Iran qu’il accuse de développer l’arme atomique ?
- Parce que c’est la crainte d’Israël. On ne peut pas parler des relations des Etats-Unis avec quelque pays arabe que ce soit sans inclure la donnée israélienne.
- Si nous parlions du métier de journaliste dans un pays comme l’Algérie…
- Il y a un grand coup de chapeau à donner à la presse algérienne, en général. Elle a su se battre pour garder sa liberté. Bravo ! Qu’il y ait une rivalité entre journaux, c’est normal, que le gouvernement mette sa main dedans, je trouve cela anormal. Dans la loi algérienne, comme la française, il y a assez de règlements pour permettre de punir ceux qui mentaient, mais encore faut-il prouver qu’ils aient menti ou diffamé. L’histoire a montré que chaque fois, par exemple, où on a voulu interdire au nom de la morale, c’était au nom de la politique. Il y a 15 ans à peu près, dans les pays arabes, il n’y a jamais eu de grandes signatures si ce n’est dans l’ombre d’un chef d’Etat. Depuis la guerre du Golfe et la création d’Al Jazeera, les choses ont beaucoup changé. Mais les pays arabes n’ont pas compris l’importance de la communication : la Syrie, par exemple, a été désignée comme un pays terroriste par Bush, qu’a-t-elle répondu ? Rien. Comment voulez-vous que les attaques ne se poursuivent pas ?
- Que pensez-vous de l’interdiction d’El Manar ?
- C’est encore de pression qu’il s’agit. Le feuilleton pour lequel Al Manar a été interdite est passé en Syrie et en Egypte, pourquoi Israël n’a pas réagi ? Baudis, le directeur du Conseil supérieur de l’audivisuel (CSA) fait partie du bureau de l’Association France-Israël.
- Pourquoi ce flirt continuel entre la France et Israël ?
- Parce que la France a joué un rôle dans la création et l’armement d’Israël. L’Angleterre et la France ont, d’autre part, été toujours concurrentes, eux soutenaient les Arabes, nous, les juifs jusqu’à la bombe atomique. Le jour où ils en ont trop fait, De Gaulle a tapé du poing sur la table en disant «ça suffi» dans son discours du 12 novembre 1967, après la guerre (de 1967) où il prend acte de l’occupation des territoires occupés et dit, je le cite de mémoire : «Dans ce pays, une résistance va naître que les Israéliens auront appelée terrorisme, mais jamais ils ne parviendront à bout de ce terrorisme.» Aujourd’hui, la France a bien changé et ce n’est pas un homme comme Barnier qui va marquer l’histoire, dans ce côté lénifiant.
                                 
13. Barbouzes israéliens, syrophobie et une paix qui a du mal à percer par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britannique) du mardi 15 février 2005
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

On savait qu’il allait se produire quelque chose. J’avais rencontré un vieux collègue journaliste, autour d’un café, samedi, et nous nous étions confié mutuellement qu’il y avait une ambiance nouvelle – menaçante – à Beyrouth. Nous n’évoquions pas la vie hors de prix ni les sempiternelles histoires de corruption, mais le langage incendiaire dans lequel s’exprimait désormais la vie politique libanaise. « Walid Jumblatt a intérêt à compter ses abattis », observa mon collègue. J’acquiesçai. Tout juste en janvier dernier, le dirigeant druze du Liban avait annoncé que c’était des « éléments » [sans doute : « ‘anâçir », ndt] du parti Baath syrien qui avaient trucidé son père, Kamal Junblatt, en 1975.
Que voilà des propos explosifs – et ces propos, Walid les a tenus devant un public chrétien maronite à l’Université Saint-Joseph ! La réponse, la semaine dernière, fut encore plus lourde de dangers. Le parti Baath a exigé de l’Etat libanais qu’il poursuive M. Junblatt pour diffamation et haute trahison. Puis Omar Karaméh, le Premier ministre libanais insipide et outrageusement pro-syrien – qui succède à Rafiq Hariri – a affirmé que les représentants de l’opposition politique libanaise qui exigent le retrait de la Syrie du Liban sont en train de « travailler pour Israël ». D’autres ont utilisé le mot « Mossad », à la place du mot « Israël ». Au Liban, ce genre de discours conduit généralement à la déflagration.
Les élections à venir – accompagnée d’une tentative de charcutage électoral susceptible de priver les factions anti-syriennes d’une partie de leurs sièges parlementaires – ont eu le don d’aggraver la controverse déjà largement entamée par l’adoption au Conseil de Sécurité de l’ONU de la résolution 1559, principalement soutenue par les Etats-Unis et la France, et qui exige le retrait de toutes les troupes syriennes du Liban.
Bien sûr, on le sait, ces troupes sont venues ici, au Liban, en 1976, en vertu d’un accord de la Ligue Arabe permettant, espérait-on, de mettre fin à la guerre civile – ce qui ne se produisit malheureusement pas – et cet accord avait à l’époque été approuvé par le président Jimmy Carter, et aussi – pour partie – par Israël. Mais l’accord signé après la guerre civile, en 1989, à Taïf [Arabie saoudite], préconisait un retrait des troupes syriennes dans la vallée de la Biqâ’, située dans la partie orientale du Liban, chose que la Syrie n’a pas fait. Ses protégés au Liban ont annoncé à grands cris qu’ils ne voulaient à aucun prix que les Syriens s’en aillent.
Le président français Jacques Chirac n’a cessé d’insister sur la nécessité de leur départ. Hariri était l’un des meilleurs amis de Chirac. Ils avaient même pris une bière ensemble dans le centre restauré de neuf de Beyrouth, lors de la dernière visite du président français au Liban. A l’époque : aucun garde du corps. Pas de sécurité. Mais les choses ont drôlement changé, depuis…
Voici quelques semaines, les Américains s’en sont mêlés, avertissant qu’ils ne tolèreraient aucune violence avant la tenue des élections libanaises – ce qui s’est passé hier a montré où les ennemis de l’Amérique se mettaient cet avertissement – et réitérant leur exigence d’un retrait de la Syrie. « Pas question, tant que toutes les autres résolutions de l’ONU n’auront pas été mises en application », a répliqué Emile Lahoud, le Président de la République libanaise, constamment opposé à M. Hariri et en permanence fidèle à la Syrie.
Les Israéliens doivent quitter la Cisjordanie avant que la Syrie ne parte du Liban. Les chrétiens libanais, opposés à la Syrie, ont insisté sur la violation des accords de Ta’if par Damas – ce qui est exact. Karaméh et Nabih Berri, président du Parlement, ont tenu une grande conférence afin de faire observer que les exigences des Américains et de l’opposition libanaise – comportant notamment le désarmement du Hizbollah – n’étaient rien d’autres que des politiques américaine et israélienne. Ce qui n’est pas faux non plus.
Dimanche dernier, des véhicules blindés libanais ont descendu la Corniche (front de mer) à Beyrouth. Je connais deux amis qui ont d’ores et déjà acheté de grandes quantités d’eau minérale en bouteilles. L’un d’entre eux a acheté un nouveau générateur. Manœuvres de routine, allez-vous me dire ? Précautions contre un été particulièrement brûlant, ou en vue des habituelles pannes du réseau électrique beyrouthin ? Va savoir, Charles…
Les Libanais n’ont plus le moindre appétit pour la guerre. Le conflit qui a pris fin en 1990 a détruit leurs familles et leurs domiciles, ôtant presque tout sens à leur vie. Une nouvelle génération est revenue, après avoir étudié à l’étranger, ambitieuse, irritée par le confessionnalisme impénitent de la vie officielle tout autant que par la présence militaire syrienne, pourtant considérablement réduite. Mais les services du renseignement syrien sont bien encore là – leur QG est situé dans la ville d’Aanjar, dans l’est du Liban – et leur chasse aux espions israéliens et aux traîtres éventuels a tourné à l’obsession.
Dans ce sombre scénario, M. Hariri envisageait l’avenir avec confiance, ne voyant le mal nulle part et prétendant n’entendre aucun signe préoccupant. On peut dès lors se demander quel rôle réel il jouait, dans l’opposition ? Etait-il ce simple observateur désintéressé, regardant avec condescendance depuis la terrasse de son palais les petits nains de la politique libanaise en train de se chamailler autour de frontières politiques charcutées ?
Ou bien avait-il d’autres ambitions ?
Ce qui s’est passé hier a montré que quelqu’un, quelque part, pensait que tel était le cas…
                           
14. Chirac rejette la demande du ministre israélien des Affaires étrangères, Silvan Shalom, d’ajouter le Hezbollah à la liste européenne des organisations terroristes par Aluf Benn
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 14 février 2005
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le président français Jacques Chirac a rejeté, ce lundi, la demande du ministre israélien des Affaires étrangères Silvan Shalom, de placer l’organisation activiste Hezbollah sur la liste des organisations terroristes de l’Union européenne.
Au cours d’une rencontre officielle avec Shalom, ce lundi après-midi, Chirac a indiqué que les efforts de la France, durant les semaines à venir, se concentreront essentiellement sur le processus démocratique au Liban et aux élections annoncées, dans ce pays, dans les deux mois.
Shalom avait présenté sa requête au cours d’une rencontre avec son homologue français Michel Barnier, voici quelques jours de cela.
L’Union européenne procèdera à une discussion préliminaire à la demande d’Israël, fondée sur le danger potentiel que le Hezbollah (est censé) représente(r) pour le nouveau président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.
Des sources tant israéliennes que palestiniennes ont accusé le Hezbollah de chercher à organiser des attaques palestiniennes contre Israël, aux fins de torpiller les accords de cessez-le-feu obtenus entre Abbas est le Premier ministre Ariel Sharon, à Sharm el-Sheikh, la semaine passée.
Le rôle de la France a été décisif dans le blocage de l’ajout du Hezbollah à la liste européenne des organisations terroristes, jusqu’à nouvel ordre.
Shalom demande à la France d’user de son influence dans le monde arabe pour encourager un réchauffement des relations arabo-israéliennes.
Il a également demandé à la France d’user de son influence dans le monde arabe afin de contribuer l’instauration de relations arabo-israéliennes plus chaleureuses. Il a demandé également à la France d’utiliser son influence dans le monde arabe afin d’aider à promouvoir de meilleures relations entre Israël et les pays du Golfe et d’Afrique du Nord.
S’exprimant après avoir rencontré en tête-à-tête le président Jacques Chirac, Shalom a indiqué que la France pourrait jouer également un « rôle clé » en isolant des groupes voués au sabotage des efforts de paix entre Israéliens et Palestiniens.
« J’ai demandé au Président Chirac de nous aider à avoir de meilleures relations avec les pays d’Afrique du Nord et du Golfe », a déclaré Shaom, qui a ajouté : « et aussi d’user de son influence dans ces pays afin que s’instaure une meilleure compréhension entre Israël et ces pays. »
Il a également indiqué qu’il avait été « très encouragé » par les efforts récents déployés par le gouvernement français afin de frapper l’antisémitisme et par sa « détermination » à mettre un terme aux activités de groupes relevant de l’extrême droite.
                           
15. Hans Blix : "La politique menée par les Américains pourrait provoquer un engrenage" propos recueillis par Inès Eissa
in A-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 9 février 2005
Hans Blix, ancien directeur de l’AIEA et chef de l’équipe des inspecteurs sur les armes en Iraq, est actuellement président de la commission indépendante sur les armes de destruction massive. Il fait le point sur le TNP et les conditions d’établissement d’une zone sans ADM au Moyen-Orient.  
— Al-Ahram Hebdo : Quelles sont les conditions qui peuvent contribuer à l’établissement d’une zone sans armes nucléaires au Moyen-Orient ?
— Hans Blix : Un progrès sur le plan politique s’avère indispensable ; il n’y a aucune chance d’engager un dialogue sérieux à ce sujet, alors que l’Intifada bat son plein. Quand les Israéliens se sentent menacés, ils considèrent que l’arme nucléaire représente une sorte d’assurance-vie. Mais je crois que l’établissement d’une zone sans armes de destruction massive est la solution la plus viable pour les deux parties. Je rappelle à cet égard que les Israéliens votent en faveur de cette résolution aux Nations-Unies. Le problème est que ce sujet ne fait pas partie des priorités.
— Pensez-vous que l’article 6 du Traité de Non-Prolifération (TNP) relatif à l’élimination totale des armes nucléaires est réaliste ?
— L’article 6 du traité prévoit l’élimination progressive et totale des armes nucléaires. A l’heure actuelle, cela paraît un but difficile à atteindre. Pourtant, les pays dotés de l’arme nucléaire se sont engagés à la Conférence de révision du TNP en 2000 à adopter treize mesures qui contribueraient, à terme, à l’élimination de ces armes. Parmi ces mesures, les pays nucléaires se sont engagés notamment à mettre en vigueur le traité interdisant les essais nucléaires (CTBT) ainsi que le traité prohibant la production de matériel fissionnable (FMCT).
Maintenant, les Etats-Unis semblent prendre de la distance par rapport à ces engagements. L’Administration américaine justifie cela par les violations répétées, selon leur point de vue, du traité par la Corée du Nord, la Libye, l’Iraq et l’Iran. De leur côté, les pays qui n’ont pas l’arme nucléaire éprouvent une frustration, d’autant plus qu’ils ont accepté l’extension indéfinie du Traité, gardant à l’esprit les promesses faites. Cette frustration, à mon avis, pourrait mener à l’érosion du traité. Je ne crois pas que les arguments américains soient valables, les pays responsables de ce type de violations ne sont pas des Etats voyous ou des terroristes. La politique menée par les Américains pourrait en revanche provoquer un engrenage qui risquerait de déboucher sur une nouvelle course à l’armement nucléaire.
— A votre avis, une conférence de révision du TNP peut-elle réussir ?
— A présent, tout le monde est pessimiste. En général, le processus de révision du Traité subit l’influence du climat politique sur la scène internationale. La position de l’Administration américaine serait décisive à cet égard. Personnellement, j’ai détecté quelques signes positifs émis par le vice-secrétaire d’Etat à la Défense récemment, lorsqu’il a exprimé le soutien aux pourparlers en cours entre l’Iran d’une part, et les trois pays européens, d’autre part. Cela indique que l’option d’attaquer l’Iran est exclue, au moins pour le moment. S’agissant du dossier de la Corée du Nord, il y a aussi des signes encourageants liés à la reprise des discussions multilatérales. Je pense que si l’on arrive à une issue diplomatique sur ces deux dossiers, la conférence de révision du TNP aura des chances de marquer un succès. Mais je dois rappeler que, pour le moment, l’image qui se présente est plutôt grisâtre.
— Quelle est votre opinion au sujet du programme nucléaire iranien ?
— Les Iraniens n’ont pas respecté leurs engagements, conformément aux accords en vigueur. L’Iran est tenu responsable de n’avoir pas notifié à l’AIEA certaines activités. Il est logique que lorsqu’un pays dissimule des activités quelconques, il en découle des suspicions. L’utilisation d’un réacteur d’eau dense alimente la méfiance vu qu’il sert à produire du plutonium nécessaire à la fabrication des armes nucléaires. Cependant, je tiens à rappeler que l’AIEA a estimé à plusieurs reprises que rien ne prouvait que le programme nucléaire iranien a pour objectif d’acquérir l’arme nucléaire.
La question qui se pose à présent est de savoir si les Iraniens doivent continuer à enrichir de l’uranium, d’autant plus qu’ils ont prouvé leur maîtrise des techniques d’enrichissement. Le gouvernement iranien justifie la nécessité de continuer par les besoins en fuel nucléaire des deux réacteurs de Boushar. L’enrichissement n’est pas interdit selon le TNP à condition que ce soit fait à des fins pacifiques. Mais, à mon sens, parce que l’Iran se trouve dans cette région très tendue qu’est le Moyen-Orient, il serait plus sage de suspendre toute activité liée à l’enrichissement de l’uranium et cela sans échéances. En échange, l’Iran devrait pouvoir bénéficier de garanties lui assurant du fuel nucléaire par le biais d’un mécanisme multilatéral. Cela ne devrait pas poser de problèmes puisque la France, l’Allemagne, la Russie et la Chine ont déjà fait part de leur prédisposition à garantir l’uranium nécessaire aux réacteurs iraniens. Quant aux garanties de sécurité, seuls les Américains peuvent prendre cela en charge. D’autre part, j’ai appris ici au Caire que plusieurs pays de la région seraient disposés à soutenir l’Iran dans ce sens, car cela encouragerait Israël à joindre les efforts visant à débarrasser la région des armes de destruction massive.
— Que pensez-vous de ce qui se passe en Iraq aujourd’hui ? Ne croyez-vous pas que la situation sécuritaire s’est détériorée depuis l’invasion américaine ?
— La guerre en Iraq n’était pas justifiable. Probablement, le seul résultat positif de cette guerre est que l’Iraq se soit débarrassé d’un régime oppressif et autoritaire. Par contre, sur le plan de la sécurité et de la lutte contre le terrorisme, les résultats de cette guerre se sont avérés plutôt négatifs. A cet égard, on constate que l’Iraq est devenu le berceau du terrorisme, ce qui est le résultat contraire de l’objectif affiché par l’Administration Bush en décidant de faire la guerre. Pour ce qui est de l’impact de cette guerre sur la question de non-prolifération, il s’est avéré minime, puisqu’il n’y avait pas d’armes de destruction massive en Iraq. L’évolution concernant les négociations avec des pays comme la Libye, la Corée du Nord ou l’Iran, n’est pas non plus un résultat de l’attaque américaine contre l’Iraq, il s’agit de négociations qui étaient déjà en cours depuis longtemps, traitées loin des tensions qui ont entouré le contexte iraqien. Je pense que les Américains devraient explicitement annoncer qu’ils sont prêts à quitter l’Iraq dès que le gouvernement issu de l’élection le leur demande. Ils devraient aussi déclarer qu’ils n’ont aucune intention d’implanter des bases militaires en Iraq.
— L’Administration américaine a-t-elle exercé des pressions directes sur les inspecteurs en Iraq ?
— L’Administration américaine n’avait rien à voir avec l’équipe des inspecteurs. Au contraire, j’avais de très bonnes relations avec Condoleezza Rice et le secrétaire d’Etat, Colin Powell. Seulement, au terme de notre travail, l’Administration américaine nous a reproché de ne pas leur avoir fait part de certaines choses qu’on avait vues en Iraq. En revanche, la presse américaine, elle, avait exercé une forte pression sur l’équipe des inspecteurs. Les journalistes américains sont allés trop loin, je peux même dire qu’ils ont souvent été très pervers avec l’Unscom.
— Finalement, que pensez-vous des capacités nucléaires égyptiennes actuellement ?
— L’Egypte dispose d’une infrastructure technologique avancée ainsi que de capacités de recherches de pointe dans le domaine nucléaire. Dans ce contexte, je pense que les autorités égyptiennes devraient revoir leur politique dans le domaine de l’énergie nucléaire. Depuis l’accident de Tchernobyl en 1987, l’Egypte a décidé de ne pas donner la priorité à l’énergie nucléaire. De nos jours, les réacteurs nucléaires sont encadrés par des mesures de sécurité beaucoup plus pointues qu’en 1987, lors de l’accident de Tchernobyl. A long terme, leressources en hydrocarbures vont s’épuiser et c’est aujourd’hui que l’Egypte devrait faire le choix de produire de l’énergie nucléaire.
— Pourquoi pensez-vous que l’Administration américaine s’oppose à la réélection de l’Egyptien Mohamad Al-Baradei à la tête de l’AIEA ? La Maison Blanche ne va-t-elle pas un peu trop loin ?
— Je crois que les Américains, en adoptant cette position vis-à-vis de la réélection d’Al-Baradei, vont trop loin. L’Administration Bush devrait comprendre que c’est dans son intérêt d’avoir des fonctionnaires à la tête des organisations internationales qui respectent la charte qui constitue le statut fondateur des règles qui régissent le travail de ces organisations. Ceci revêt une importance d’autant plus accrue lorsqu’il s’agit d’organisations comme les Nations-Unies et l’AIEA. A ce propos, je tiens à souligner que Mohamad Al-Baradei a fait un excellent travail, qu’il s’agisse du dossier iraqien ou iranien. Mon jugement sur le travail accompli par le directeur général est partagé par la majorité des pays membres de l’AIEA et, bien que les Américains ne partagent pas cet avis, je crois qu’ils devraient se plier au soutien dont Al-Baradei bénéficie de la part de tous. Cela dit, bien que je puisse comprendre l’argument que les Américains avancent officiellement pour consolider leur position, celui du respect des règles de Genève suggérant que les fonctionnaires occupant ce type de poste ne devraient pas le faire pour plus de deux mandats, je tiens à rappeler que ce n’est pas là une règle rigide.
— Savez-vous que vous êtes très populaire en Egypte ?
— C’est étonnant l’accueil que m’a réservé le peuple égyptien durant cette visite ! Quelqu’un dans la rue m’a carrément dit : « Mister Blix, I love you ! ». Je dois dire que cela m’a beaucoup flatté, mais je n’ai fait simplement que mon devoir en tant que haut fonctionnaire sans plus.
                           
16. Un Frankenstein koweïtien par Subhi Hadidi
in Le Nouvel Afrique Asie du mois de février 2005

Après l’Arabie Saoudite, cet émirat pétrolier est à son tour menacé par le monstre islamiste que ses dirigeants avaient enfanté dans l’espoir de le voir terrasser les forces de progrès et de changement. Il se retourne aujourd’hui contre ses propres géniteurs.
Si Oussama Ben Laden n’était pas apparu au royaume d’Arabie Saoudite – où il a été nourri au sein de l’école de pensée wahhabite avant de faire ses premiers pas jihadistes dans les montagnes afghanes contre les “communistes athées” –, il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’il serait apparu dans cet émirat pétrolier du Golfe, qui offre le même terrain fertile. Les conditions qui avaient favorisé son avènement en Arabie sont en effet toutes, ou presque, réunies au Koweït. Lorsqu’il s’agit d’étudier l’instrumentalisation de l’islam politique par les deux familles régnantes à Ryadh et à Koweït City, le premier exemple qui vient à l’esprit est celui de Frankenstein. Les Saoud et les Sabah se sont toujours évertués à créer un monstre qui aura pour fonction de se substituer à eux dans la lutte contre le communisme, le libéralisme et les idées de réforme ou de défense de la société civile. Mais ce monstre islamiste s’est retourné contre ses créateurs jusqu’à devenir aujourd’hui le principal danger pour leurs trônes.
Le Frankenstein koweïtien le plus célèbre aujourd’hui s’appelle Souleimane Abou Gaith (photo ci-contre). Certains spécialistes des réseaux islamistes le considèrent comme le “cerveau” d’Al-Qaïda, le plus habile dans le domaine de la communication et de l’agit-prop. Le monde entier l’a vu sur une bande-vidéo célèbre diffusée après le 11 septembre, assis à droite de Ben Laden, menaçant de faire tomber davantage de tours. En 1990, Abou Gaith passait déjà pour l’un des orateurs religieux les plus célèbres de l’émirat et ses sermons incendiaires incitaient les Koweïtiens à résister et à déclencher le djihad contre Saddam Hussein et les troupes d’invasion irakiennes. Entre 1991 et 2000, il avait quitté le Koweït pour un nouveau djihad en Bosnie, d’où il observait de loin et avec indignation l’inféodation à Washington de la famille régnante au Koweït, les Sabah, et voyait s’évaporer les rêves qu’il avait caressés après la “libération”. Ce fut alors la rupture avec le gouvernement koweïtien. Ce dernier, après l’avoir déchu de sa nationalité, a même refusé, en juillet 2003, de demander son extradition aux autorités iraniennes, à la suite de rumeurs faisant état de son arrestation par Téhéran, qui s’était dit disposé à le livrer à l’émirat.
La dynastie régnante au Koweït fait face aujourd’hui aux conséquences catastrophiques de sa stratégie basée durant de longues années sur un flirt coupable avec les courants islamistes, qu’elle a longtemps encouragés à contrôler le secteur sensible de l’éducation, les associations caritatives et les prêches du vendredi dans les mosquées. Mais ce qui a le plus gravement contribué à l’essor de l’islamisme, c’était sans doute l’obstination des dirigeants koweïtiens à coller sans nuance à la stratégie américaine, au prix d’une rupture totale avec le monde arabo-musulman. L’exemple le plus flagrant et le plus édifiant de cette stratégie de soumission aux Etats-Unis a été donné à la veille de l’invasion américaine de l’Irak, lors de la réunion d’un conseil ministériel de la Ligue arabe consacré à cette question. Alors que tous les participants, y compris les représentants de Bahreïn et d’Arabie Saoudite – pourtant fidèles alliés de Washington –, ont voté contre cette guerre, le Koweït a choisi, non pas de s’abstenir, mais de voter pour !
Le courant islamiste koweïtien se compose de trois organisations : le Mouvement constitutionnel islamique, le Mouvement salafiste et le Rassemblement populaire salafiste. S’il est vrai que ces partis ne constituent pas des prolongements directs d’Al-Qaïda ou du monstre intégriste que la famille régnante a créé, force est de constater que le discours prosélyte pur et dur que propagent ces mouvements ne pourra qu’apporter de l’eau au moulin d’Abou Gaith et de ses partisans.
Aujourd’hui, le Koweït apparaît comme un vrai champ de bataille. Les chars investissent les rues. L’armée est en état permanent de mobilisation et d’alerte tandis que les forces de sécurité ne gardent pas seulement les édifices publics, mais également les écoles, les universités et les mosquées. Ce climat est encore alourdi par la persistance de rumeurs. On laisse entendre en effet qu’après la dernière bande-vidéo de Ben Laden – où il avait appelé à cibler les installations pétrolières en Arabie Saoudite et au Koweït – et à la suite de l’occupation américaine de la ville martyre de Falloujah en Irak, les mouvements islamistes ont procédé à un redéploiement général décidant d’engager une partie de leurs opérations hors d’Irak, et plus particulièrement au Koweït. Ce qui donne du crédit à ces informations, c’est le fait que les autorités syriennes, qui coopèrent étroitement avec les Américains sur le plan du renseignement dans ce qu’ils appellent la “campagne contre le terrorisme”, ont extradé vers le Koweït un islamiste recherché. Ce dernier aurait dévoilé un certain nombre d’opérations projetées sur le territoire koweïtien.
Depuis, ce qui relevait jusqu’ici de la rumeur devient réalité au fil des attentats commis ou avortés. C’est ainsi qu’une source autorisée koweïtienne, proche des services de sécurité, a révélé que quinze militaires koweïtiens, dont quatre officiers de haut rang, ont été arrêtés et subissent des interrogatoires. Un journal local, proche de l’enquête, a annoncé que le groupe de militaires projetait d’engager une série d’opérations terroristes à l’occasion de la fête du sacrifice, plus exactement vers le 21 janvier. Auparavant, une unité des services de sécurité, qui traquait un islamiste recherché, s’était accrochée avec lui. Ce dernier a tiré sur eux, abattant deux officiers de sécurité, avant de s’échapper pour être recueilli par un groupe armé qui l’attendait. Il sera cependant poursuivi jusqu’à la banlieue de Hawalli. Blessé, il succombera à ses blessures à l’hôpital. Cet affrontement n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une série d’opérations qui ont eu pour cible principale, depuis 2002, la présence américaine dans cet émirat, qui s’élève à vingt-cinq mille hommes.
C’est sans doute cette montée en puissance des islamistes qui a fait dire à l’une des figures de proue de la famille Sabah, le cheikh Saoud Nasser al-Sabah, que le Koweït était “pris en otage par les courants islamistes qui bénéficient d’une grande influence politique, financière et sociale, leur permettant d’imposer leur diktat au gouvernement”. Et de préciser que “cette influence leur a été accordée par les gouvernements koweïtiens successifs…” Pour lui, l’ultime objectif des islamistes est d’exercer “leur tutelle sur la société koweïtienne et de consolider leur mainmise sur les sociétés caritatives et les institutions financières du pays, et c’est à travers ces canaux que des fonds échouent entre les mains des organisations terroristes”. “Il y a, conclut-il, un silence gouvernemental clair à propos des agissements de ces groupes, qui exercent un chantage vis-à-vis du gouvernement. Il est temps que ce gouvernement les affronte avec fermeté !”
Dans une autre déclaration, le même cheikh dresse un état des lieux terrifiant de la situation de l’émirat : “Les courants islamistes extrémistes au Koweït sont comme le feu sous les cendres. Il y a des cellules dormantes, y compris – c’est triste à dire – au sein de l’armée et des services de sécurité. Nous n’avons pas cessé depuis des années de mettre en garde contre cet état de fait. Avec le temps, de nouvelles cellules vont apparaître.”
Personne d’autre que ce cheikh, qui, comme tous les membres de la famille régnante, bénéficie d’une immunité totale, ne pourrait tenir des propos aussi alarmistes sans être sanctionné. Il se trouve aussi –est-ce un hasard ? – que le cheikh Saoud avait occupé pendant une douzaine d’années le poste d’ambassadeur de son pays auprès de Washington. C’est lui qui, en 1990, a été l’instigateur de la plus scandaleuse manipulation de l’opinion publique pour pousser le Congrès américain à voter l’entrée en guerre. Cette année, une boîte de communication américaine, Hill & Knowlton, grassement payée par le Koweït, a manipulé l’opinion publique américaine et internationale avec le témoignage poignant, mais absolument faux, d’une Koweïtienne nommée Nayrah (qui s’avérera plus tard être la fille de l’ambassadeur du Koweït aux Etats-Unis), selon laquelle, lors de l’invasion du Koweït, les soldats irakiens avaient jeté les bébés hors de leurs couveuses. A ce titre, il passe pour être l’allié le plus sûr de Washington au sein de la famille Sabah. Cela ne l’a pas pour autant protégé de la colère du Frankenstein islamiste puisqu’il sera contraint, face aux menaces d’interpellation brandies par les députés islamiques, de démissionner de son poste de ministre de l’Information en 1998 pour être affecté au poste de ministre du Pétrole, dont il démissionnera en 2000.
Il ne fait pas de doute que plus d’un Frankenstein islamiste et armé sillonnent ces jours-ci les rues du Koweït et d’Arabie Saoudite, animés par la volonté de punir ces deux gouvernements pour le rôle qu’ils ont joué dans l’invasion de l’Irak en autorisant les envahisseurs à utiliser leurs territoires comme base de départ et, plus tard, comme base arrière permanente de l’occupation. Il ne fait pas de doute non plus que les Sabah, comme les Saoud, ne sont pas encore prêts à comprendre que la protection américaine sauvera peut-être leur trône de toute menace extérieure, mais ne peut rien faire face aux menaces intérieures. Ils n’ont pas médité suffisamment l’exemple irakien. Les cent cinquante mille militaires américains qui occupent ce pays ont-ils réussi à y instaurer la sécurité et la stabilité ? Vont-ils pouvoir protéger le gouvernement d’Allaoui de ses ennemis intérieurs ?
La pieuvre intégriste
Durant les deux dernières décennies, les groupes islamistes ont représenté le centre de pression le plus important dans les Parlements koweïtiens successifs. Cette force, ils la tiennent surtout de leur savoir-faire dans le domaine de l’organisation et du lobbying et de leur contrôle de l’une des banques les plus importantes de l’émirat. Ils la doivent aussi aux dizaines de sociétés caritatives, d’unions syndicales et de coopératives qu’ils dirigent. Les islamistes contrôlent également depuis vingt-six ans l’Union des étudiants du Koweït.
Leur influence est déterminante au ministère de l’Education et dans les commissions chargées des programmes scolaires. Et bien que leur nombre soit passé de vingt députés en 1992 à treize dans la présente législature, il n’en demeure pas moins qu’il constitue toujours le groupe le plus puissant, grâce notamment à leur alliance avec les blocs représentant les tribus qui partagent avec eux leur conservatisme dans les questions touchant aux “mœurs” et leur opposition aux droits de la femme.
La dernière fois qu’ils ont eu à démontrer leur toute-puissance aura été le dernier bras de fer qu’ils ont eu avec le ministre de l’Information, Mohammad Abou al-Hassan, seul membre chiite du gouvernement, et qui s’est soldé par la “démission” de ce dernier. Les députés sunnites se préparaient à l’interroger sur son échec à “préserver les valeurs morales de la société”. Ses accusateurs lui reprochent d’avoir autorisé, en novembre 2004, la tenue de concerts de musique pop durant la fête de l’Aïd-el-Fitr, qui marque la fin du ramadan, mois du jeûne musulman.
En particulier, les services du ministre avaient permis aux organisateurs de la Star Academy version arabe de réaliser au Koweït un épisode de l’émission diffusée par la chaîne satellitaire libanaise LBCI.
Cette initiative avait soulevé un tollé, le ministre se retrouvant accusé de s’écarter du “cadre licite” dans lequel devraient s’insérer les émissions de variétés. Ses détracteurs ont vu dans cette autorisation “une atteinte à la morale islamique de la société koweïtienne”. En sept ans, deux autres ministres de l’Information avaient perdu leur fauteuil à cause d’accusations similaires portées contre eux par les députés islamistes.
                                       
17. Le dilemme d’Abou Mazen par Khalil Attyah
in Le Nouvel Afrique Asie du mois de février 2005

Démocratiquement élu président d’une Autorité palestinienne en lambeaux, Mahmoud Abbas, alias Abou Mazen, se retrouve plus vite que prévu dans la même impasse que son prédécesseur. Après avoir été couvert de louanges par tous, y compris Sharon, le voilà accablé de toutes les critiques pour n’avoir pas donné les ordres de liquider la résistance armée à l’occupation. Faute de partenaire sérieux du côté israélien, l’état de grâce sera de courte durée.
Faut-il se joindre au chœur des louanges hypocrites qui, de toutes parts, saluent la “démocratie palestinienne naissante” ? Tout en soulignant la maturité politique dont ont fait preuve les Palestiniens, toutes tendances confondues, en assurant, à travers l’élection de Mahmoud Abbas, une succession pacifique à la tête de l’Autorité palestinienne, force est de constater que ce n’est pas la première fois qu’ils exercent un tel droit. Nul besoin de rappeler aujourd’hui les règles démocratiques et représentatives qui régissaient l’Organisation de libération de la Palestine, alors en exil. Mais il ne faudrait pas oublier que le même exercice électoral démocratique s’était déjà produit en 1996, quand Yasser Arafat a été élu président de l’Autorité palestinienne dans des conditions autrement plus libres que cette fois-ci.
Outre la présence d’observateurs internationaux, les élections de 1996 s’étaient déroulées en l’absence des troupes d’occupation israéliennes, qui, longtemps auparavant, s’étaient retirées des principales villes palestiniennes pour permettre aux électeurs d’exercer librement leur choix. Ce qui n’était pas tout à fait le cas avec l’élection de Mahmoud Abbas qui a eu lieu sans enthousiasme populaire, boycottée par le Hamas, et où des forces politiques bénéficiant d’un grand enracinement populaire ont été obligées de taire leur opposition et de se rallier au candidat officiel dans un souci d’unité. C’est ainsi que, depuis sa prison israélienne, Marwan Barghouti, membre du Fatah comme Abbas et seul adversaire sérieux, a été persuadé sans ménagements par les dirigeants du mouvement de retirer sa candidature. Mais toutes ces péripéties n’enlèvent rien au caractère démocratique de cette élection, ni à la légitimité du nouveau président élu de l’Autorité palestinienne.
Mais depuis que le 6 février 2001, Ariel Sharon – responsable des massacres de Sabra et Chatila de septembre 1982 – a été choisi par les électeurs israéliens, en dépit de son passé criminel, comme Premier ministre avec pour programme d’achever la conquête de la totalité de la Palestine, tous les prétextes sont devenus bons pour lui permettre de mener à terme cette stratégie du pire. Il fallait, en d’autres termes, discréditer Arafat, le premier dirigeant palestinien à avoir engagé son peuple sur la voie de la paix et au prix d’un compromis historique largement favorable à Israël. Que ne lui a-t-on reproché ? D’avoir refusé les prétendues “offres généreuses” d’Ehoud Barak et de Bill Clinton à Camp David, favorisé la militarisation de la seconde Intifada, entretenu la corruption et, last but not least, l’absence de démocratie. Pendant des années, Arafat avait pourtant demandé la tenue d’élections présidentielle et législatives, comme le prévoit la Constitution de l’Autorité palestinienne, mais c’est le gouvernement Sharon qui avait refusé de jouer le jeu sous prétexte que c’était impossible avec le “terrorisme”.
Autant de prétextes fallacieux pour occulter un fait, celui-là avéré : l’enterrement du processus d’Oslo, publiquement revendiqué par Sharon. Inconditionnellement soutenu par Bush, le successeur de Barak a mené sans être inquiété une entreprise systématique de destruction de l’Autorité palestinienne, reconquis la plupart des territoires restitués en vertu du processus d’Oslo, construit un mur, développé les colonies, assiégé le président élu des Palestiniens, désigné comme un interlocuteur indésirable. Le prix de cette politique de la terre brûlée a été exorbitant pour la population palestinienne, mais aussi pour les Israéliens eux-mêmes qui n’ont pas retrouvé la sécurité promise par Sharon et encore moins la prospérité économique. A tel point qu’à la veille de la mort de Yasser Arafat, assassiné par trois années de siège humiliant, Ariel Sharon s’est trouvé contraint d’annoncer un plan de retrait unilatéral de Gaza et d’une partie de la Cisjordanie.
Avec l’élection de Mahmoud Abbas, fortement soutenu par le Fatah et les hommes d’Arafat, et sur un programme quasi identique à celui de son prédécesseur, les Etats-Unis, embourbés en Irak, pensaient trouver une sortie de l’impasse. Mais c’était sans compter avec les louvoiements de Sharon, qui persiste à exiger du nouveau raïs palestinien la liquidation des branches armées du Fatah, du Hamas et du Djihad, avant toute reprise du processus de paix. Abou Mazen a toujours refusé ce diktat qui ouvre la voie à une guerre civile. Il propose, en revanche, de persuader ces branches armées de décréter une longue trêve, à condition qu’elle soit également observée par l’armée israélienne. Une tâche qu’il avait essayé de mener à bien quand Yasser Arafat l’avait choisi comme Premier ministre. Il était effectivement parvenu à faire accepter une trêve par les différentes organisations armées. Mais Sharon l’avait rejetée en ordonnant la poursuite des assassinats contre leurs dirigeants. Ce fut d’ailleurs l’une des principales raisons qui avaient alors contraint Abbas à la démission.
En ordonnant le gel des contacts, après une attaque palestinienne contre des cibles israéliennes, elle-même consécutive à des attaques très meurtrières de l’armée israélienne, Sharon donne l’impression de vouloir acculer le nouveau raïs à commettre l’irréparable : soit il déclenche une tuerie fratricide inter-palestinienne, soit il démissionne. Dans les deux cas, la reprise du processus de paix est renvoyée aux calendes grecques. Cependant la nouvelle donne créée par la disparition de Yasser Arafat, la réélection de G.W. Bush, le pourrissement de la situation en Irak, l’entrée des travaillistes dans le gouvernement et la poursuite des attentats contre des cibles israéliennes réduisent considérablement la marge de manœuvre du Premier ministre israélien. Pour preuve, il a dû reculer devant ses nouveaux “alliés” travaillistes qui lui avaient reproché d’avoir gelé les contacts avec l’Autorité palestinienne sans les consulter. Entre ses anciens alliés ultranationalistes, qui l’ont quitté et brandissent désormais le spectre d’une guerre civile, et ses nouveaux partenaires travaillistes, qui, tenant à être associés effectivement au pouvoir et non comme cinquième roue du carrosse, voudraient débloquer une situation politique stratégiquement préjudiciable aux intérêts de l’Etat hébreu, Ariel Sharon se retrouve sur la défensive, d’autant qu’il ne jouit plus que d’une courte majorité.
Ayant constaté l’échec de sa stratégie sécuritaire et ne voulant toujours pas s’engager dans la seule voie raisonnable, celle d’une paix fondée sur les accords de Taba (janvier 2001) et l’initiative de Genève (décembre 2003), il n’a plus le choix que de s’accrocher à des arrangements boiteux de sécurité, mais cette fois-ci avec la collaboration de l’Autorité palestinienne. Cette dernière est tentée de jouer cette carte, qui permettrait à la population palestinienne de reprendre son souffle, en posant toutefois comme unique condition une reprise du processus de paix basé sur la feuille de route et les fondamentaux que Mahmoud Abbas n’a pas cessé de rappeler durant sa campagne : le droit des réfugiés palestiniens à rentrer chez eux, selon les résolutions de l’Onu, la création d’un Etat palestinien indépendant avec comme capitale la partie arabe de Jérusalem, le démantèlement des colonies... Cette accalmie donnera sans doute à Sharon les moyens d’appliquer son plan de retrait de Gaza et de la Cisjordanie du Nord et de faire face en même temps aux menaces de dissidence et de guerre civile au sein de son propre camp. Force cependant est de constater qu’il ne s’agit, dans les meilleures hypothèses, que d’un répit, tant que le conflit n’est pas abordé sur le fond, comme le stipule la feuille de route, qui implique la Communauté internationale. Seule une intervention extérieure est aujourd’hui de nature à sauver la paix et à sauver Israël de ses utopies suicidaires. Les Etats-Unis sont les mieux placés pour conduire une telle intervention.
Or Mme Condoleezza Rice, la nouvelle secrétaire d’Etat américaine, n’a laissé aucune ambiguïté sur le sujet. Exposant sa politique proche-orientale devant les sénateurs lors de son investiture, elle a certes pressé les Palestiniens et les Israéliens à “faire le choix de la paix”. Elle s’est dite même prête à s’impliquer dans la recherche de cette paix. Mais l’essentiel de son message est résumé dans son refus d’exercer la moindre pression sur son protégé israélien : “Je m’attends à consacrer d’énormes efforts à cela, mais je ne peux pas me substituer aux parties et à leur disposition à prendre leurs responsabilités, et c’est le message que nous devons adresser.” Mais à qui ? Il ne fait pas l’ombre d’un doute que ce message trouvera une oreille sourde de la part de Sharon. A quelques encablures de la retraite, il ne souhaite pas terminer sa vie politique en trahissant sa “réputation” d’homme de guerre. Ce n’est pas en tout cas à 75 ans qu’il va commencer une nouvelle carrière de faiseur de paix ! Au grand désarroi de Mahmoud Abbas, qui va se trouver plus vite qu’il ne le pensait dans une situation peu enviable. Même s’il parvient à imposer le silence des armes aux radicaux de son camp, il n’a aucune chance d’être entendu par l’autre camp. Après les louanges dont il a été généreusement couvert, voici venu le temps des récriminations, annonciateur d’une confrontation déjà inscrite dans les faits. L’avant-goût de ce changement a été donné par l’un des conseillers d’Ariel Sharon, Assaf Shariv, moins d’une semaine après l’investiture de celui qu’on présentait comme l’homme providentiel. “La période de grâce que nous avions accordée à Mahmoud Abbas est finie, et il n’est plus question pour au moins un bon moment d’une rencontre entre lui et le Premier ministre.”
Quoi que fera Abou Mazen, il n’est pas à envier. Avec Sharon comme interlocuteur et Bush comme arbitre, il n’aura rien à espérer tant qu’ils seront aux commandes.
                                           
18. L'éditorial de Michel Tubiana
in le Bulletin de la Ligue des Droits de l'Homme du mois de janvier 2005

(Michel Tubiana est président de la Ligue des Droits de l'Homme.)
La terre de Gaza ne laisse aucune place libre : tout y est habité ou cultivé, surpeuplé ou militarisé. Les seuls espaces vacants, ce sont ces champs de ruines qui bordent les frontières ou qui s'incrustent comme le chancre d'une maladie au cœur des camps de réfugiés. Irrésistiblement, ces étendues de débris parsemées de moignons noircis, ves-tiges d'anciennes demeures, réveillent la mémoire d'autres images, d'autres guerres, d'autres violences. La vie s'accroche à la périphérie dans des habitations aux murs troués. Les plus coura-geux y vivent le jour et déguerpissent la nuit. Circuler à Gaza, c'est ne pas savoir quand on arrive, éviter les fondrières, multiplier les détours pour éviter les zones interdites et se prendre d'angoisse devant la témérité des enfants, des myriades d'enfants qui campent dans les rues et les chemins. C'est zigzaguer entre les plots de béton, sous l'œil de militaires que l'on ne voit pas. Enfermés dans les casemates, ils ont pris la forme désincarnée de hauts parleurs : avancez, reculez, attendez, les mots sont difficilement compréhensibles ; impossible de dire que l'on ne comprend pas, aucun micro ne remplace les uniformes invisibles. 61 ans, le chauffeur n'a pas entendu les ordres crachés par la boîte en fer. Un autre morceau de métal a craché une rafale. Il est mort. Et puis attendre. Attendre, pour entrer dans Gaza, attendre pour aller du nord au sud, d'est en ouest. À côté d'une implantation, 200 villageois attendent depuis plus d'un mois de retourner chez eux. Ils sont partis, sans savoir, qu'ils ne pourraient qu'attendre au lieu de revenir. “ Check point ” : une barrière, à gauche un blockhaus, à droite un mirador, en face quatre museaux menaçants dépourvus de regard guettent : quatre blindés menacent les pauvres hères regroupés sous un toit précaire dressé à la hâte. Nous voulons pénétrer dans ce village, vivant sur ses seules ressources et d'un seul convoi de vivres en plus d'un mois : “ faites attention, dit l'officier de liaison en parlant de ses camarades, ils peuvent tirer ”. Le chemin sera ouvert le jour des élections à midi. Nous n'y sommes pas allés. Les villageois ont quand même voté. L'Egypte est de l'autre côté des champs de ruines, d'un mur d'acier et d'une route de service. Au point de pas-sage, plusieurs milliers de personnes patientent. Nul ne peut entrer ou sortir au sud de Gaza depuis plusieurs semaines. Ceux-là ne voteront pas. “ Security reasons ” disent les militaires : raisons de sécurité, mystérieuses, permanentes, incompréhensibles, répon-dant à des ressorts que l'on devine impénétrables. L'expression tombe et, à chaque fois, coupe net le voyage, le champ ou la maison. Elle résume la destinée de ceux qui y sont soumis. La mer, elle-même, est clôturée par la terre qui fait digue pour protéger les colonies installées en bord de plage. Ici, la Méditerranée n'est qu'un horizon dont on est séparé, intouchable, sectionné du reste. Ailleurs, la mer n'est qu'une bande de plage et quel-ques miles au large. “ Ce soir vous pouvez sortir”, “ Ce soir vous ne pouvez pas sortir ”, la voix de l'officier, en quelques mots au téléphone, règle l'activité nocturne des pêcheurs de Gaza. La prison n'est pas composée de cellules, elle a la dimension d'une terre, mais n'en reste pas moins une geôle à ciel ouvert. L'enfermement des corps entraîne l'enfer-mement des esprits. L'alcool est clandestin et la mixité un défi. La violence tourne en boucle et oblitère toute imagination. De l'autre côté de la frontière, les rockets tombent à l'aveuglette tuant et blessant des vies qui valent autant que celles des 7 enfants de djabelaya ; à Gaza, c'est chaque minute de vie qui subit une violence. Ce jour-là, pourtant, s'est installé comme un bonheur orgueilleux : les écoles ont ac-cueilli un autre public que les enfants, joyeux d'être dispensés de classe. Des hommes, des femmes, souvent plus nombreuses, sont assis derrière des tables sur lesquelles s'étalent des listes, un carnet de bulletins de vote et un flacon d'encre à mettre sur le pouce. Au milieu de la pièce, une boîte d'un plastique triste, scellée de rouge ou de bleu, presque vulgaire dans cette atmosphère sérieuse etfière. Et puis d'autres hom-mes et d'autres femmes ; ils représentent les partis, les candidats ou nos homologues palestiniens et surveillent avec attention les votes. Ils seront encore là tard le soir pour surveiller le dépouillement. L'accueil des étrangers est chaleureux. Nulle honte face à ce regard extérieur, mais la fierté de montrer que l'on vote, que l'on a fait campagne, qu'en quelques semaines à peine, on a pu, malgré les barrages, la violence et la misère, organiser des élections. “ Notre peuple existe, l'occupation n'enlève rien à notre désir de vivre et nos votes sont autant de victoires sur l'injustice que nous subissons ”, semble dire chaque main qui lâche un papier dans l'urne. Les Palestiniens de Gaza ont élu, sous occupation, un président le 9 janvier 2005. Ils ont construit une parcelle d'espoir.
                           
19. L'Autorité palestinienne critique la décision de l'ONU concernant Peter Hansen  
Dépêche de l'Agence de Presse Xinhuanet (Chine) du jeudi 27  janvier 2005, 14h44

GAZA - L'Autorité palestinienne a  critiqué mercredi la décision des Nations unies de ne pas  renouveler le mandat de Peter Hansen, Commissaire général de  l'Office de secours et de travaux des Nations unies pour les  réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA). 
Dans un communiqué, l'Autorité palestinienne a demandé au  secrétaire général de l'ONU, Kofi Annan, de revenir sur cette  décision prise sous la pression des Etats-Unis et d'Israël. 
"Peter Hansen est l'image de la paix, il est le témoin des  crimes israéliens contre les Palestiniens et il paie le prix de  son courage en étant confronté chaque jour aux démolitions et aux  assassinats commis par Israël", indique le communiqué. 
L'Autorité palestinienne a appelé les Palestiniens à manifester lundi prochain devant le bureau du représentant du secrétaire  général de l'ONU dans la bande de Gaza pour protester contre cette décision. 
M. Annan a décidé lundi de ne pas renommer Peter Hansen à la  tête de l'agence de l'ONU suite à une longue campagne menée contre lui par les Etats-Unis et Israël. 
Peter Hansen, de nationalité danoise, dirige l'UNRWA depuis  1996 et était prêt à effectuer un autre mandat de quatre ans, à  l'issue de son troisième mandat qui arrive à échéance fin mars. 
                                    
20. Une façon, parmi d’autres, d’en finir par Terry Eagleton
in The Guardian (quotidien britanique) du mercredi 26 janvier 2005
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

(Terry Eagleton enseigne la théorie culturelle à l’Université de Manchester.)
Depuis que des insurgés se font exploser en Israël et en Irak, on tait les significations des attentats à la bombe kamikazes. A l’instar des grévistes de la faim, les kamikazes n’ont pas nécessairement un ticket avec la mort. S’ils se tuent délibérément, c’est parce qu’ils ne voient aucune autre manière d’obtenir justice ; et le fait même qu’ils doivent faire cela est partie constitutive de l’injustice. Il arrive que l’on agisse d’une manière qui rend sa propre mort inévitable, sans effectivement la désirer. Les malheureux qui se sont précipités du haut des gratte-ciel du World Trade Center afin d’échapper à leur inéluctable incinération vivants n’aspiraient pas à la mort, même s’ils n’auraient pu en aucune manière l’éviter.
Généralement, les suicidaires non-politiques sont des gens à qui leur existence a fini par sembler dénuée de valeur et qui ont, de ce fait, besoin d’en finir au plus vite. Les martyrs sont plus ou moins à l’exact opposé de ceux-ci. Des personnes telles Rosa Luxemburg ou Steve Biko ont renoncé à ce qu’ils considéraient avoir de plus précieux – leur propre vie – au service d’une cause encore plus noble. Les martyrs ne meurent pas parce qu’ils considèrent la mort désirable en soi, mais au nom d’une vie plus abondante, plus pleine qu’ils ne la voient autour d’eux.
Les kamikazes qui se font sauter avec leur bombe, eux aussi, meurent au nom d’une vie meilleure pour autrui ; il est exacte qu’à la différence des martyrs, ils emmènent d’autres, avec eux, dans la mort. Si le martyr fait le pari que le sacrifice de sa propre vie amènera un avenir de justice et de liberté, le kamikaze, quant à lui, mise votre vie avec la sienne propre. Mais l’un comme l’autre pensent qu’une vie n’est digne d’être vécue que si elle comporte une dimension pour laquelle il vaille la peine de mourir. Dans cette théorie, ce qui donne sens à la vie, c’est ce à quoi vous êtes prêt à renoncer pour elle. Cela s’appelait jadis : « Dieu ». De nos jours, c’est plus connu sous le nom de Patrie. Pour les islamistes radicaux, c’est les deux à la fois. Inséparablement.
Vous faire sauter la tronche pour des raisons politiques, c’est un acte symbolique complexe, un acte qui mêle désespoir et défi. Cet acte proclame que même la mort est préférable à votre vie misérable. L’acte de dépossession de soi écrit en lettres dramatiquement capitales la dépossession de soi à quoi se résume votre existence ordinaire. Porter une main violente sur vous-même, voilà qui est une image de ce que votre ennemi vous fait déjà, de toute façon. Simplement, elle est un peu plus frappante. En même temps, le kamikaze impose un contraste entre l’autodétermination extrême impliquée par le fait de supprimer sa propre vie et l’absence d’une identique autodétermination dans sa vie de tous les jours. S’il pouvait vivre de la manière qu’il a de mourir, il n’aurait pas besoin de mourir. Au moins : sa vie peut lui appartenir, d’où son sentiment de liberté. La seule forme de souveraineté qui vous est laissée, c’est le pouvoir de choisir votre mort à votre guise. Le suicide, comme l’a diagnostiqué Dostoïevski, signifie la mort de Dieu, puisqu’en vous suicidant, vous usurpez son monopole divin sur la vie et la mort. Pourrait-il exister forme plus vertigineuse d’omnipotence que celle consistant à en terminer avec vous-même, pour les siècles des siècles ?
Les kamikazes et les grévistes de la faim ne pensent qu’à une chose : faire d’une faiblesse un pouvoir. Parce qu’ils sont prêts à mourir alors que leurs ennemis ne le sont pas, ils remportent sur leurs ennemis une victoire morale. Le summum de la liberté, c’est de ne pas redouter de mourir. Si vous n’avez plus peur de la mort, aucun pouvoir politique ne saurait avoir prise sur vous. Des gens n’ayant plus rien à perdre sont profondément dangereux. Mais les kamikazes volent aussi à leurs adversaires le seul aspect d’eux-mêmes qu’ils ne sauraient contrôler : leur propre corps. En privant leurs tourmenteurs et maîtres de cette partie manipulable d’eux-mêmes, ils deviennent invulnérables. Rien n’est moins maîtrisable que rien. S’écoulant tels du sable impalpable entre les doigts du pouvoir, qui se retrouve impuissant et ridicule à essayer de les attraper en vain, les kamikazes le contraignent à trahir sa propre vacuité. C’est là, à n’en pas douter, une victoire à la Pyrrhus. Mais cette victoire à la Pyrrhus proclame que ce que votre ennemi ne saurait anéantir, c’est votre volonté d’auto-annihilation. A l’instar du héros de la tragédie classique, le kamikaze s’élève au-dessus de sa propre destruction par la résolution même avec laquelle il s’y adonne.
Pour le kamikaze, le jour où il se fait sauter en lambeaux de chair dans un marché bondé représente vraisemblablement l’événement historique le plus important de toute son existence. Rien, dans sa vie – pour citer Macbeth – ne saurait lui procurer un plaisir plus grand que de la quitter. C’est à la fois son triomphe et sa défaite. Aussi misérable et appauvri soient-ils, la plupart des hommes et des femmes disposent d’un pouvoir formidable : le pouvoir de mourir de la manière la plus dévastatrice possible. Et non seulement de mourir de la manière la plus dévastatrice possible, mais aussi de la manière la plus surréaliste possible. Il y a un petit goût de théâtre d’avant-garde, dans cet acte horrifiant. Dans un ordre social qui semble de plus en plus sans profondeur, de plus en plus transparent, rationalisé et instantanément communicable, le massacre brutal de l’innocent, comme quelque happening dadaïste, défigure l’âme tout autant que le corps. L’assaut atteint le sens, et pas seulement la chair. C’est un acte ultime de dé-solation, qui transforme le quotidien en monstruosité méconnaissable.
                       
21. Horizon 2020 : un rapport de la CIA prévoit la fin de l’hégémonie mondiale américaine d’ici quinze ans par Fred Kaplan
on Slate (e-magazine étasunien) du mercredi 26 janvier 2005
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Qui sera le premier homme politique assez courageux pour déclarer publiquement que les Etats-Unis sont une puissance sur le déclin et que les dirigeants américains doivent toutes affaires cessantes examiner ce qui doit être fait à ce sujet ? Ce pronostic de déclin ne parvient pas (pas seulement…) de scribouilleurs gauchistes entichés de décadence de l’impérialisme. Non, il est émis par le Conseil National du Renseignement [National Intelligence Council : appelons-le « NIC »…], « haut lieu de la « pensée stratégique » » au sein des milieux américains du renseignement.
Les conclusions du NIC sont sobrement présentées dans un document récent, comportant 119 pages, et intitulé « Cartographie du Futur Mondial : Rapport du Projet  du NIC à l’horizon 2020» [Mapping the Global Future: Report of the National Intelligence Council's 2020 Project]. Ce document est public, et disponible en ligne sur le site de la CIA. Il a bénéficié d’une attention des plus modeste des milieux journalistiques, ces dernières semaines : sans doute est-ce en raison de sa prédiction qu’en 2020, « l’Islam politique » sera toujours « une force avec laquelle il faudra compter ». Seuls, quelques reportages ou éditoriaux ont pris note de sa principale conclusion :
« L’émergence probable de la Chine et de l’Inde… s’affirmant comme de nouveaux actants majeurs sur le plan mondial (qui n’est pas sans évoquer l’avènement d’une Allemagne unifiée, au dix-neuvième siècle, ou l’instauration de la puissance états-unienne au début du vingtième) bouleversera le paysage géopolitique, et les impacts de ce bouleversement seront potentiellement aussi dramatiques que ceux constatés au cours des deux siècles écoulés. »
Dans ce monde nouveau, qui nous pend au nez (dans quinze ans…), les Etats-Unis resteront « un important modeleur de l’ordre international », et probablement le pays le plus puissant de la planète, pris isolément. Mais sa « position relative de pouvoir » aura été « érodée ». Les nouvelles puissances « arrivistes », pas seulement la Chine et l’Inde, mais également le Brésil, l’Indonésie, et peut-être d’autres encore, accélèreront cette érosion, en mettant en œuvre des « stratégies conçues afin d’exclure ou d’isoler les Etats-Unis », de manière à nous « contraindre ou à nous [nous = les Américains, ndt] persuader en douceur » de jouer dans leur camp.
La politique étrangère américaine actuelle corrobore cette tendance, conclut le NIC.
« L’obsession américaine de livrer sa croisade contre le terrorisme est dans une large mesure à côté de la plaque, quand on sait quelles sont les préoccupations sécuritaires de la plupart des Asiatiques », affirme le rapport. Ses auteurs ne minimisent pas l’importance de la guerre au terrorisme, loin de là. Mais ils écrivent néanmoins que la « question clé » pour le futur du pouvoir et de l’influence américaines est celle de savoir si les décideurs politiques états-uniens « peuvent offrir aux états asiatiques une vision sexy en matière de sécurité et d’ordre régionaux, capable de rivaliser, sinon surpasser, celle que leur propose la Chine ». Si ce n’est pas le cas, « le désengagement des Etats-Unis des préoccupations qui comptent au plus haut point pour les alliés de l’Amérique en Asie ne ferait qu’accroître la vraisemblance de les voir prendre en marche le train de Pékin, permettant à la Chine de créer sa propre sécurité régionale, excluant les Etats-Unis. »
Si tant est que ces puissances émergentes aient besoin d’un modèle, elles pourraient se tourner vers l’Union européenne, et non vers les Etats-Unis, et la prendre comme « modèle de gouvernance, tant globale que régionale ».
Ce glissement vers un monde (à nouveau) multipolaire « ne s’opèrera pas sans douleur », poursuit le rapport, « et il frappera en particulier les classes moyennes du monde développé », avec de nouvelles délocalisations d’emplois, et de nouvelles fuites de capitaux et d’investissements. Bref, la prévision du NIC suggère non seulement un rééquilibrage de puissance au niveau mondial, mais aussi les conséquences dudit rééquilibrage en termes de perte de richesse, de revenus, ainsi, dans tous les sens de ce terme, que de sécurité [pour les Americain, ndt].
Les tendances devraient d’ores et déjà sauter aux yeux de quiconque sait lire un journal. Il ne se passe pas une journée sans une énième histoire sur notre manie de gager notre futur sur les banques centrales de la Chine et du Japon. Le déficit budgétaire états-unien, qui frise le demi trillion de dollars, est financé grâce aux achats, par ces deux pays, de bons du trésor américain [Treasury notes]. Le déficit commercial américain, creusé dans une très large mesure par l’achat de biens « made in China », excède désormais les 3 trillons de dollars. Et pendant ce temps, la Chine est en train d’évincer les Etats-Unis d’un bout à l’autre de l’Asie, dans tous les domaines : commerce, investissements, formation, culture et tourisme…
La Chine, de surcroît, se taille des croupières sur les marchés des biens en Amérique latine. (Aujourd’hui, le Chili est son premier marché à l’export, le Brésil étant le second sur la liste). Les étudiants asiatiques en ingénierie, qui seraient venus étudier, naguère au MIT [Massachusetts Institute of Technology] ou à la Cal Tech [Université technologique de Californie] préfèrent aller étudier, aujourd’hui, dans les universités de Pékin.
Sur ces entrefaites, l’Union européenne devenant une entité de plus en plus cohésive, la valeur du dollar par rapport à l’euro a chuté d’un tiers au cours des deux années écoulées [dont un huitième seulement depuis septembre 2004]. Le taux d’escompte du dollar déclinant, les investisseurs financiers, y compris ceux qui s’ingéniaient à combler notre déficit, commence à diversifier leurs avoirs. En Chine, au Japon, en Russie et au Moyen-Orient, les banques centrales se débarrassent de leurs dollars pour acquérir des euros. La politique de Bush, en creusant notre dette, a mis en danger le statut du dollar en tant que devise de réserve mondiale.
Vous allez sans doute vous demander : « Et que fait donc l’administration Bush pour redresser l’avion, ou au moins pour amortir le choc ? » Difficile à dire. Au cours des auditions de « confirmation » d’avec Douceur [Condoleezza !] [sans doute une antiphrase, comme l’Océan « pacifique » ou le cap « de Bonne Espérance » ! ndt] Rice, la semaine dernière, le sénateur Paul Sarbanes [démocratie, Maryland] a soulevé quelques petites questions concernant la relation entre l’économie mondiale et la puissance politique. Rice l’a renvoyé sur la touche, en lui demandant de poser sa question au secrétaire d’Etat au Trésor.
Le NIC a rendu public son rapport quelques semaines avant le discours d’intronisation de Bush, mais il est bon de verser encore un peu plus d’eau glacée sur la fantasmagorie condescendante d’une Amérique apportant la liberté aux peuples opprimés, partout dans le monde. En Asie, nous dit le rapport, « les dirigeants actuels et à venir sont parfaitement agnostiques en matière de démocratie, et ils sont intéressés avant tout à développer ce qui est à leur sens le modèle de gouvernance le plus efficace. » Si le président voulait véritablement répandre la liberté et la démocratie partout sur notre planète, il chercherait à faire de l’Amérique ce fameux « modèle de gouvernance efficace », capable de montrer au monde, par son exemplarité, que les démocraties libres peuvent réussir et qu’il vaut le coup de les imiter.
Il faut néanmoins admettre, pour le regretter, que le rapport du NIC dépeint un monde où il y a de moins en moins de gens pour voir dans l’Amérique un modèle de quoi que ce soit.
Comment des gens qui sont incapables, comme nous, de se vendre eux-mêmes pourraient-ils vendre la liberté ? ! ?
                                       
22. Déjouer les chausse-trappes par Azmi Bishara
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 13 janvier 2005
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

En des temps où un individu issu de n’importe quelle couche sociale, n’importe où dans le monde, peut saisir ce que signifie la liberté politique, la souveraineté politique ne peut plus longtemps trouver une expression en l’absence de démocratie. Il semble tout aussi impossible d’imaginer une démocratie, en l’absence d’un processus électoral visant à sélectionner des gouvernants, que ce soit grâce à des délégués élus votant à leur tour, soit à travers un scrutin direct. Mais les élections n’interviennent jamais dans un monde parfait. Non ; bien plutôt, elles nous tombent dessus telles quelles, avec tous leurs défauts. Il y a l’influence, les pressions, l’argent, les mensonges, la fraude et la tromperie ; tous moyens utilisés de diverses manières afin de manipuler l’électorat. Autrement dit : les campagnes électorales sont des exercices de distorsion de la volonté populaire. Le bidouillage délibéré des élections, en supprimant des noms ou en ajoutant des noms fictifs aux listes électorales, la falsification ou l’invention de résultats ou encore la falsification des totalisations des voix, deviennent dès lors superfétatoires. Le bidouillage a tendance à représenter le recours de forces politiques sous-développées ou de gouvernants faibles, ou ne pouvant se payer le luxe de coûteuses campagnes électorales. Mais une élection exempte de cette première catégorie de tares : voilà qui serait véritablement l’oiseau rare. On a la forte impression que les dernières élections en Ukraine ont enregistré la victoire de la première catégorie de fraudes sur la seconde.
Mais y a-t-il vraiment une différence entre les deux ? Comme la seconde, la première catégorie de fraude se contente de falsifier la volonté populaire et elle affecte à des degrés divers tous les processus électoraux, à commencer par la découpe sur mesure du processus électoral lui-même, en passant par les méthodes de financement, l’achat de votes au moyen de paiement directs ou grâce à des promesses d’emplois ou de services rendus, le contrôle sur l’accès aux médias, les fausses promesses, pour finir par les mensonges et les insinuations répandues à l’encontre des candidats rivaux. Cela arrive partout, même dans les démocraties les mieux établies. Et puis, bien entendu, il y a aussi le problème tout récent de l’intervention américaine dans des élections étrangères, via les ambassadeurs et autres envoyés, les agences d’aide et de financement, sans oublier les officines de notation en matière de performances démocratiques…
Falsifier la volonté populaire en achetant des consciences, en répandant des ragots ou en avertissant que tout vote « erroné » attirera la colère de l’Amérique est une attitude qui a au moins le mérite de reconnaître la méthode démocratique, sans égard quant à la manière dont elle est détournée à l’avantage d’un candidat de prédilection. Plus grave : les électeurs conservent une certaine liberté de choix et les force politiques qui veulent lutter contre cette forme de falsification de la volonté populaire conservent la possibilité d’en appeler à l’intelligence des électeurs. Dans l’isoloir, l’électeur un peu malin peut éviter les fraudes du premier type, mais il est totalement impossible que son vote survive à la falsification directe. Sans doute les résultats seraient-ils identiques, dans les deux cas. Mais, du moins, des élections honnêtes, aussi sales qu’aient été les campagnes, traduisent un plus grand développement de mécanismes permettant de gérer une société et sa vie politique ; des mécanismes qui incluent les moyens d’amener les hommes politiques à rendre des comptes sur des promesses faites et (éventuellement) non tenues. La deuxième forme de corruption électorale, d’un autre côté, semble plus prospérer dans une société organisée d’une manière plus rudimentaire et généralement moins politiquement consciente. Inévitablement, la différence entre les deux approches se traduit par des différences dans la qualité de vie.
A n’en pas douter Le débat portant sur la question de savoir si des élections sont indispensables à d’autres droits de la citoyenneté et si la rotation de l’autorité est un préalable de l’expression de la souveraineté populaire continuera encore quelque temps. Toutefois, mis à part leurs aspects purement techniques, les élections palestiniennes ne sont pas pertinentes sur ces questions, étant donné qu’à la différences des élections tenues partout ailleurs dans le monde, elles n’avaient rien, pour commencer, de l’expression d’on ne sait trop quelle « souveraineté nationale ».
Considérer les élections palestiniennes comme une expression de souveraineté requerrait une imagination extraordinairement élastique. La notion supposerait que le peuple palestinien ne serait composé que des seuls habitants de la Cisjordanie et de Gaza et que ceux-ci pourraient, en quelque sorte, fermer les yeux sur la présence de l’occupation (israélienne) et sur les crimes qu’il a perpétrés jusqu’à la veille des élections. Elle supposerait que la question de savoir si les partis politiques les plus importants y ont participé (ou non) n’aurait aucune importance, de même que n’aurait aucune importance le fait qu’un tiers seulement des électeurs qualifiés, en Cisjordanie et à Gaza, se soient enregistrés sur les listes électorales et que seulement les deux tiers desdits inscrits aient voté. Personne ne va traiter longuement de ces questions et peu importe l’ardeur que mettent des observateurs à l’ardent esprit démocratique à faire des grands gestes et à élever la voix. Ceux qui le firent étaient, tout simplement, à côté de la plaque : en effet, ces élections n’avaient pour but que de confirmer la légitimité populaire de la direction post-Arafat en Cisjordanie et à Gaza et de confirmer quelles sont les régions qui définissent le peuple palestinien, du point de vue des forces non-palestiniennes tellement enthousiastes pour la tenue desdites élections parce qu’elles leur permettait d’avoir leur direction palestinienne, dûment munie d’un timbre de caoutchouc a) pour approuver les propositions de négociations et b) pour remettre les choses en ordre dans les territoires (dans cet ordre, c’est important…)
Ceci dit, ces élections représentaient un processus politique, et ceux qui y ont pris part furent poussés à énoncer leurs opinions et objectifs politiques et à exprimer leurs appréhensions en laissant le dernier mot à l’électeur, sans égard pour les puissants facteurs en jeu sur les plans tant régional qu’international. Les partis politiques palestiniens avaient pour responsabilité de marquer leur territoire : ils devaient donc soit participer aux élections, soit les boycotter en définissant clairement les raisons de leur recours à cette forme de protestation.
Ils auraient également dû se sentir poussés à prendre en considération l’impact du passage de l’OLP + la diaspora à l’Autorité palestinienne – premier cadre pour une vie politique en leur pouvoir – sur l’influence qui est la leur, voire peut-être même sur leur survie. Ayant échoué à se livrer à un tel processus d’introspection du temps des premières élections législatives de l’Autorité palestinienne, les forces politiques palestiniennes ont succombé à une forme de crise d’identité qui les vit hésiter, des années durant, entre l’Autorité palestinienne et les mouvements islamistes.
Les récentes élections présidentielles palestiniennes ressemblaient à un essayage de costumes pour les législatives à venir : les différentes composantes palestiniennes feraient bien d’évaluer leurs performances à venir à la lumière des résultats. Comment se fait-il, par exemple, qu’un profil médiatique haut en relief (Abu Mazen ? ndt) ait pu faire de l’ombre à un long état de service dans l’activisme politique (Mustafa al-Barghuthi ? ndt) ? Ce n’est là qu’une (parmi des dizaines) des questions soulevées par les résultats. Des partis politiques ne sauraient survivre en se reposant simplement sur leurs lauriers, ni en revendiquant la responsabilité d’une opération de résistance, de temps à autre. S’ils ont une politique ou un programme auxquels ils adhèrent véritablement, ils doivent les exposer à l’opinion publique.
Nous constatons néanmoins aujourd’hui que certains partis ne jugent même plus nécessaire d’éditer un journal, ni même de tenir des réunions publiques ou d’autres formes de mobilisation populaire. Il semble que le problème tienne à l’absence de vie politique au sens le plus basique de ce terme. Dans les dernières élections présidentielles palestiniennes, le facteur déterminant fut moins la fanfare médiatique que le vide qui s’était emparé des médias, comme de tout le reste. Sans doute, certains aimeraient croire (ou donner à accroire) que les meetings politiques, les journaux, les conventions, les conférences etc., ne sont que des instruments purement conventionnels. C’est peut-être vrai. Mais nul parti politique ne saurait exister sans s’engager dans les activités conventionnelles propres aux partis politiques. Les roues, elles aussi, sont conventionnelles, mais aucune voiture ne peut avancer sans elles, aussi bien conçu en soit le moteur.
Le président nouvellement élu de l’Autorité palestinienne est salué comme s’il était réellement un président. C’est tout du moins l’impression que toutes ces félicitations, à partir de la Maison Blanche et en descendant dans la hiérarchie, semblent vouloir convoyer. Mais c’est précisément là le résultat que le monde occidental (dont Israël) voulait et qu’il n’a même jamais fait mine de vouloir dissimuler. Cette adhésion internationale va-t-elle faire avancer la cause palestinienne, ou bien s’agit-il de l’étreinte de l’ours ? Personnellement, je redoute la seconde possibilité…
Sur la question palestinienne, Israël n’a pas avancé d’un centimètre. Il continue à voir dans la missive envoyée par Bush à Sharon une conquête politique majeure. Il se peut qu’il soit prêt à négocier avec la nouvelle direction palestinienne, comme il se peut aussi qu’il veuille prendre certaines initiatives afin d’ « alléger les difficultés » du peuple palestinien (un peu comme s’il s’agissait d’otages…), histoire de faciliter les choses à ses nouveaux dirigeants. Mais au-delà de çà, rien n’est ouvert à la discussion. Même la simple idée d’accepter la notion d’un cessez-le-feu est hors de question, pour Sharon. Il attend de l’Autorité palestinienne qu’elle fasse le boulot qu’il en attend, « éliminant les sources de la terreur », ou déclarant une trêve unilatérale. En bref, tout cessez-le-feu relève de l’exclusive responsabilité des Palestiniens. Ceci implique que le « terrorisme » palestinien serait la cause première et que la répression israélienne en serait la conséquence. Et cette cause doit être éliminée si l’on veut une avancée sur la feuille de route (ou, tout du moins, sur la lecture qu’Israël en fait…). Même l’accord qui a présidé à la formation de la nouvelle coalition en Israël ne s’est pas contenté de régurgiter les quatorze « réserves » de Tel-Aviv sur la feuille de route ; elle y a inclus la lettre envoyée par Weisglass (celui du « formol », ndt) à Condoleezza Rice afin de lui rappeler lesdites réserves, ainsi que la déclaration d’icelle, indiquant que Washington en convient. Telle fut la base du rapprochement entre Sharon et Pérès. De plus, ce document a été paraphé au lendemain de la disparition de Yasser Arafat, c’est-à-dire après la disparition du « principal obstacle » à la paix.
Sharon est peut-être prêt à négocier. Mais, très loin de tenir compte des principes des deux parties, les négociations telles qu’il les veut ne pourront que se focaliser exclusivement sur la création d’un Etat palestinien, et la seule marge de jeu diplomatique qu’il sera prêt à accepter, même de la part des Américains, est celle qui sera susceptible de convaincre les Palestiniens d’accepter la notion d’un Etat, et rien de plus. Il ne sera en aucun cas question de satisfaire à des exigences palestiniennes aussi fondamentales que la mise en application du droit au retour. Et une fois un Etat palestinien créé, toutes les questions de frontières importantes seront réduites à des retouches mineures susceptibles d’être négociées entre (les) deux « Etats », par des moyens pacifiques. Tout ce qu’il incombe aux Etats-Unis et aux Européens de faire, c’est convaincre les Palestiniens qu’il s’agit là de leur seule possibilité et qu’une fois qu’il auront accepté l’inéluctable, leur Etat (s’étendant sur 40 % de la superficie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza…) sera transformé en Paradis sur Terre. Si Sharon n’obtient pas ce qu’il veut au moyen d’un accord, il réitèrera la ruse du retrait unilatéral et sans accord. Mais, bien entendu, seulement si l’Autorité palestinienne se montre capable de gérer la sécurité, en monopolisant le recours aux armes et en unifiant ses services de sécurité.
Tout ce qui s’est jusqu’ici passé n’est qu’un avant-goût de ce qui attend l’Autorité palestinienne nouvellement élue. Elle devra décider – ou non – de lire les résultats des élections à travers les lunettes que Washington et Tel-Aviv lui tendent. Cette lecture lui dira qu’elle a désormais le feu vert pour arrêter l’Intifada armée et exposer les plans consistant à accepter un Etat palestinien en échange du maintien en suspens – ad vitam aeternam – des questions ressortissant au règlement définitif : Jérusalem, colonies israéliennes, réfugiés palestiniens et frontières. Ou bien elle peut décider d’interpréter les résultats des élections en y voyant un mandat partiel pour administrer les affaires de la société palestinienne en Cisjordanie et à Gaza tout en négociant avec Israël, sans abandonner les principes d’une justice et d’une équité relatives.
Cette dernière interprétation impliquera également la nécessité d’œuvrer à l’unification des rangs de l’Autorité palestinienne, comme de la société palestinienne, afin de permettre à celle-ci de vivre et de se développer, fût-ce dans les circonstances les plus défavorables, dans l’attente de l’obtention d’une solution réellement juste, définitive et globale.
                       
23. Une abstention très politique par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 12 janvier 2005
[traduit de l’hébreu par Michel Ghys]
« Jusqu’à cinq ou six heures de l’après-midi, je me sentais fier et joyeux, et puis tout a basculé » : l’avocat Raji Sourani décrivait ainsi devant les juges de la cour d’appel, ce qu’ont éprouvé des milliers de personnes le jour des élections pour la présidence de l’Autorité palestinienne.
L’impression initiale était que la participation aux élections était forte et le respect sévère des règles et des règlements était impressionnant. Mais dans l’après-midi, la sensation de solennité a laissé la place à de l’inquiétude. Le taux de participation se révélait plus faible que prévu. L’annonce faite par la commission électorale qu’on prolongeait de deux heures le temps de vote, n’a pas surpris : « Il était parfaitement possible d’interpréter cela comme un souci du bien général, à cause des barrages, des obstacles israéliens, à cause des craintes », poursuivait Sourani dans sa description de l’enchaînement des événements, devant les trois juges du tribunal spécialement chargé des questions électorales.
Dans la salle d’audience de Gaza, étaient présents d’autres avocats, collègues de Sourani au « Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme » [PCHR] qu’il dirige, des enquêteurs du Centre et trois observateurs internationaux. La plupart d’entre eux, y compris Sourani, ont circulé dans les Territoires pendant la journée des élections. Tout à coup, à cinq heures et demie du soir en quelques endroits et à six heures et demie en d’autres, la confusion a démarré. Peu avant le temps initialement prévu pour la fin du scrutin, et deux heures avant le nouveau terme, une foule de gens a commencé à affluer : beaucoup étaient amenés en voitures et en camionettes, personne ne prenait la peine de cacher que les zélés transporteurs étaient des activistes du Fatah.
Ici et là, la lumière s’est éteinte, mystérieusement, dans plusieurs bureaux de vote, l’enregistrement se faisant alors à la lumière des bougies. A l’extérieur d’un ou deux bureaux de vote, on a même entendu des coups de feu. A leur stupéfaction, les observateurs – dont beaucoup avaient été formés pendant trois mois par le Centre – ont vu mise au rencard la liste du « registre de population » d’après laquelle étaient autorisés à voter ceux qui n’étaient pas inscrits dans la liste des électeurs. Une instruction orale, non écrite, est parvenue aux responsables des bureaux de vote, pour autoriser le vote de toute personne présentant une carte d’identité.
Il était difficile de cacher que la commission électorale opérait sous la pression du Fatah. Et le Fatah, en tant que parti au pouvoir, avait des raisons de se sentir sous pression : le principal adversaire, le mouvement Hamas, qui avait appelé à ne pas participer aux élections, pourrait tirer un avantage politique du faible taux de participation : déclarer que les abstentionnistes ont agi à son instigation, soutenir que sa force est grande au sein de la population et que la politique du Fatah sous Abou Mazen ne représente pas la majorité du peuple.
Mais la voie choisie – contourner et violer ce que le Conseil législatif a fixé dans la Loi – a porté préjudice au Fatah, entaché la commission électorale et n’a fait que renforcer les vieilles allégations du Hamas selon lesquelles le Fatah n’autoriserait jamais des élections loyales qui refléteraient fidèlement les positions du public. Ce qu’il y a de ridicule c’est que la confusion des deux dernières heures n’a pas amené un surcroît spectaculaire de voix d’électeurs. Le Centre palestinien a introduit au tribunal une demande que soit déclarée illégale la décision de la commission électorale. Il n’a même pas réclamé l’annulation des résultats de certains bureaux de vote mais seulement que soit transmis au public le message qu’aucune autorité n’est au-dessus de la Loi, que les instances judiciaires n’admettront pas des autorités politiques et autres qu’elles faussent des processus légaux, et que les électeurs lors du scrutin vraiment important qui doit se tenir en juillet pour l’assemblée législative n’auront pas à mettre en doute la fiabilité des résultats.
La requête a été rejetée, pour des motifs formels. On éprouve, au Centre, une légère déception, mais comme Sourani l’a dit aux juges : la démocratie est une action continue, un processus d’apprentissage. La requête en est partie intégrante.
Il reste à examiner les raisons de ce faible taux de participation : 45% du corps électoral. La société palestinienne est hautement politisée. L’abstention est dès lors très politique. Elle démontre que le public palestinien ne nourrit pas d’illusions quant au véritable maître de leur vie. Pas Abou Mazen, pas le Fatah, mais le gouvernement israélien et son émissaire : l’armée. A aucun moment, le jour des élections, il n’a été possible de l’oublier : dans le bureau de vote installé dans une école de Jabalya qui a essuyé plusieurs tirs de missiles ; dans la localité agricole de Beit Lahia dont les serres et les vergers ont été rayés de la carte sur ordre de l’armée ; dans le bureau de vote de Khan Younes dont la route d’accès passe près des monceaux de ruines laissées par l’armée israélienne pour la défense des colonies du Goush Katif ; à Tel al-Sultan, à Rafah, dont les rues dévastées par les chars n’ont pas encore été remises en état.
Rien d’étonnant, par conséquent, qu’une part significative, peut-être la part du lion, de l’activité du Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme se concentre depuis des années sur la domination israélienne sur les Palestiniens. Risquant leur vie, les enquêteurs du Centre rassemblent des données sur les attaques dans la Bande de Gaza, les morts et les destructions que les forces israéliennes laissent quotidiennement derrière elles, les champs fertiles transformés en désert, les limitations draconiennes imposées à la liberté de mouvement. En dépit de très maigres espoirs, ils introduisent diverses plaintes auprès de l’armée, et de temps à autres des requêtes à la Cour suprême israélienne. Ils fonctionnent ici comme des enseignants donnant un cours sur l’essence non démocratique d’une société occupante. Mais les élèves ne sont pas intéressés à participer au cours.
                                           
24. Qui casse, paie ! (Normalement…) par Naomi Klein
in The Nation (hebdomadaire étasunien) du lundi 10 janvier 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Ainsi, il s’avère que le magasin de la Vaisselle Blanche n’a même pas de pancarte indiquant : « Si vous cassez, c’est pour votre pomme ! » D’après un porte-parole de la compagnie, « dans les cas (rares) où quelque chose est cassé, cela sort de la comptabilité, au chapitre des pertes ». Reste que l’absence de toute politique en la matière dans un magasin qui vend des tire-bouchons à 80 dollars continue à être bien plus remarquée, aux Etats-Unis, que les Conventions de Genève et les Règlements de l’Armée américaine en matière de conquêtes territoriales combinés. Comme l’a fait observer Bob Woodward, Colin Powell a invoqué « le règlement Vaisselle Blanche » avant l’invasion, tandis que John Kerry a juré ses grands dieux qu’il y adhérait, durant le premier débat pour les élections présidentielles. Et ce règlement imaginaire reste l’instrument favori permettant de claquer le beignet à quiconque oserait suggérer que le temps est venu de retirer notre armée de l’Irak. « Bien sûr, la guerre est un véritable désastre », dit l’argumentation oiseuse, « Mais nous ne pouvons pas nous arrêter. Pas maintenant : Si t’y casses, t’y emportes ! »
Sans aller jusqu’à citer nommément la célèbre chaîne de magasins, Nicholas Kristof a resservi l’argument dans un récent éditorial du New York Times. « Notre invasion erronée laisse des millions d’Irakiens désespérément vulnérables et il serait inhumain, aujourd’hui, de les laisser tomber. Si nous restons en Irak, il y aura encore quelque espoir que les Irakiens puissent connaître la sécurité et une vie meilleure. Mais si nous nous retirions, nous condamnerions les Irakiens à l’anarchie, au terrorisme et à la faim, causant des centaines de milliers de morts d’enfants dans les dix ans à venir. »
Commençons par cette idée, qui voudrait que les Etats-Unis aideraient à assurer la sécurité des Irakiens. Au contraire, la présence des troupes états-uniennes est cause de violences quotidiennes. La vérité, c’est qu’aussi longtemps que les troupes américaines resteront en Irak, l’ensemble de l’appareil sécuritaire de ce pays (tant les forces d’occupation que les soldats et les officiers de police irakiens) devront se consacrer entièrement à repousser les attaques de la résistance, laissant un vide sécuritaire là où s’agirait de protéger les Irakiens ordinaires. Si les troupes se retiraient, les Irakiens n’en continueraient certes pas moins à être confrontés à l’insécurité, mais ils pourraient consacrer leurs ressources locales, en la matière, à la reconquête du contrôle de leurs villes et de leurs quartiers. Quant à la prévention de l’ « anarchie », parlons-en : le projet américain d’élections en Irak semble fait sur mesure pour déclencher une guerre civile – cette guerre civile dont on a absolument besoin pour justifier une présence maintenue de troupes américaines, quelle que soit l’issue desdites élections. Il a toujours été évident, depuis le début, que la majorité chiite, qui appelle à des élections immédiates depuis plus d’un an, n’allait jamais accepter un quelconque délai dans le calendrier électoral. Et il était tout aussi clair qu’en détruisant la ville de Falloujah, au motif de « préparer cette ville à la tenue des élections », la majorité du leadership sunnite serait contrainte à en appeler au boycott desdites élections.
Quand Kristof affirme que les forces américaines devraient rester en Irak afin de sauver des « centaines de milliers d’enfants » de la famine, il est bien difficile d’imaginer ce qu’il a derrière la tête. La faim, en Irak, n’est pas simplement une conséquence dramatique de la guerre : c’est le résultat direct de la décision prise par les Etats-Unis d’administrer une politique brutale de « thérapie de choc » à un pays qui était déjà rendu malade et terriblement affaibli par douze années de sanctions économiques. Le premier acte de Paul Bremer, dans ses nouvelles fonctions, fut de mettre sur la paille plus de 500 000 Irakiens en les chassant de leur emploi et son premier succès – pour lequel il se vit remettre rien moins que la Médaille Présidentielle de la Liberté ( !) – consista à superviser un programme de « reconstruction » qui vola systématiquement à des Irakiens nécessiteux leurs emplois afin de les refiler à des firmes étrangères, portant le chômage à des sommets jamais vus, atteignant les 67 %. Et les chocs les pires sont encore à venir. Le 21 novembre dernier, le groupe de pays industrialisés connu sous le nom de Club de Paris a fini par dévoiler son projet au sujet de la dette d’un Irak insolvable. Plutôt que de l’annuler tout de go, le Club de Paris a présenté un plan en trois ans, pour l’effacer à hauteur de 80 %, mais à la condition expresse que les futurs gouvernements irakiens adhèrent à un strict programme d’austérité du Fonds Monétaire International. D’après des pré-projets rendus publics, ce programme comporte « la restructuration (lire : privatisation) des entreprises étatiques », un projet dont le ministre irakien de l’Industrie prévoit qu’il conduira à la mise au chômage de 145 000 travailleurs irakiens supplémentaires.
Au nom de « réformes instaurant la liberté des marchés », le FMI veut aussi que soit supprimé le système qui assure à chaque famille irakienne un panier de ravitaillement, qui représente le seul viatique évitant la famine à des millions d’Irakiens. Il y a, de plus, d’autres pressions visant à supprimer le rationnement alimentaire, qui émanant de l’Organisation Mondiale du Commerce [OMC], laquelle envisage (à l’instigation de Washington, faut-il le préciser ?) d’intégrer l’Irak comme Etat membre – à la condition expresse qu’il adopte certaines « réformes »…
Alors, soyons clairs, ne mâchons pas nos mots : les Etats-Unis, après avoir bousillé l’Irak, ne sont pas en train (ni même en mesure) de le réparer. Ils continuent tout simplement à casser ce pays et son peuple par d’autres moyens, recourant non seulement aux avions de chasse F-16 et aux véhicules blindés Bradley mais aussi, désormais, à ces armes (certes, moins rutilantes) que sont les diktats du FMI et de l’OMC, ainsi qu’à des élections conçues afin de transférer aussi peu de pouvoir que possible aux Irakiens. C’est ce que le célèbre écrivain argentin Rodolfo Walsh écrivait, peu avant son assassinat par la junte militaire, en 1977, décrivant une « misère planifiée ». Et plus les Etats-Unis resteront en Irak, plus ils en planifieront la misère.
Mais si le fait de rester en Irak n’est pas la solution, les autocollants apposés sur les pare-chocs des bagnoles, appelant au retrait des troupes et au financement des écoles et des hôpitaux « à la maison », avec les fonds ainsi épargnés, n’en sont pas non plus une. Certes, les troupes américaines doivent quitter l’Irak, mais ce retrait ne saurait représenter autre chose qu’une planche, parmi d’autres, d’une plate-forme anti-guerre morale et crédible. Qu’en est-il des écoles et des hôpitaux, en Irak – ceux qui auraient déjà dû être construits par Bechtel, mais qui ne sont jamais sortis de terre ? Trop souvent, les forces anti-guerre n’ont pas osé parler de ce que nous, les Américains, devons à l’Irak.
Le mot « compensation » est trop rarement évoqué. Quant aux « réparations », mieux vaut, par charité, ne pas en parler…
Les mouvements anti-guerre n’ont offert aucun soutien concret aux demandes politiques émanant de l’Irak. Ainsi, par exemple, lorsque l’Assemblée Nationale Irakienne a véhémentement condamné le compromis du Club de Paris contraignant le peuple irakien à honorer les dettes « odieuses » de Saddam Hussein et lui volant sa souveraineté économique, le mouvement anti-guerre est resté coi, mis à part le mouvement résolu Jubilee Irak, malheureusement insuffisamment soutenu. Et si les militaires américains ne protègent pas les Irakiens contre la faim, les rations alimentaires (irakiennes) le font, à l’évidence – alors : pourquoi la continuité de ce programme absolument vital ne fait-elle pas partie de nos revendications fondamentales ?
L’incapacité de mettre au point un programme allant plus loin que le slogan : « Troupes américaines : hors d’Irak ! » est sans doute la raison pour laquelle le mouvement anti-guerre stagne, alors même que l’opposition à la guerre s’accroît aux Etats-Unis.
Voulez-vous savoir pourquoi ? C’est parce que les gérants de la Maison de la Vaisselle Blanche ont un argument de poids : casser un pays n’a aucune conséquence, pour ceux qui l’ont cassé !
Certes, gageons qu’aucun desdits gérants ne se considérera jamais propriétaire de l’Irak bousillé.
Mais : comment payer les pots cassés ?
                           
25. De Khan Younes, vous ne voyez pas de colons par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 9 janvier 2005
[traduit de l’hébreu par Michel Ghys]
On pourrait croire que le désengagement a déjà eu lieu ici. De Khan Younes, vous ne voyez presque plus de colons ni de colonies. Si en Cisjordanie, les fenêtres de chaque maison palestinienne s’ouvrent sur des toits rouges et des châteaux d’eau, ici, au centre de la Bande de Gaza, on ne voit que des tours de guet, des filets de camouflage et des murs de béton. Les colons, les colonies, les soldats, tout se cache à l’autre bout d’énormes espaces qui ont été « déblayés », tout se barricade derrière les positions fortifiées, les murs d’acier, les chars et les clôtures.
Même le soldat au tristement fameux barrage d’Abou Houli qui coupe la grand-route venant de Gaza jusqu’ici, distribue ses ordres à des conducteurs qu’il voit mais qui ne le voient pas. On entend seulement sa voix dans le haut-parleur enroué, tout en haut de la tour qui domine la route, et les conducteurs, soumis, s’empressent d’obéir à ses ordres. Auparavant, on pouvait voir des voitures de colons traverser le carrefour et on savait alors que c’était à eux que l’on devrait un retard de plusieurs heures. Maintenant, les colons passent en voitures, là haut, sur le pont, cachés derrière des murs de béton et les Palestiniens roulent, ou sont retenus sans savoir pourquoi, sur la route, en bas. L’occupation cachée à la vue est ici parfois même plus cruelle que l’occupation visible des barrages de Cisjordanie. Le soldat et le colon n’ont pas figure humaine, pas de visage, pas de corps, seulement une voix qui distribue des ordres, des bulldozers qui détruisent et des localités aux allures de forteresses.
A Khan Younes, il n’est nul besoin d’attendre que les colons exécutent leurs menaces de s’opposer par la force aux décisions du gouvernement pour en arriver à la conclusion que la démocratie israélienne est atteinte. En elle-même, la présence de Ganei Tal et de Neveh Dekalim – présentés par les médias comme des localités florissantes, avec jardins d’enfants, synagogues, champs verdoyants et des habitants placés maintenant dans une grande détresse affective – témoigne de l’existence de l’apartheid. D’un côté, par la force de l’armée qui la protège et qui instaure, sur le terrain, une séparation absolue, une minorité vivant dans de spacieuses localités dicte sa vie à la majorité qui est autour d’elle. De l’autre côté, face aux terrifiantes tours de guet qui entourent les deux colonies : le camp de réfugiés de Khan Younes, avec ses rues de sable et de boue, à la vue desquelles la majorité des Israéliens n’est pas exposée. Les attaques contre les colons sont présentées comme un terrorisme meurtrier né ex nihilo, d’une soif de sang, alors qu’on ne montre pas la souffrance quotidienne causée aux Palestiniens du fait des colonies.
Le camp de réfugiés de Khan Younes est plongé dans le deuil de ses fils tués et de ses maisons détruites. Ici, on ne parle pas du désengagement ni des élections qui ont lieu aujourd’hui. Ici, on est occupé par une guerre cruelle de subsistance. A chaque coin du camp, on peut voir une tente de deuil. De nouvelles affiches commémoratives sont collées chaque jour sur les murs. L’une d’elle présente le visage d’Ahmed Touman, un jeune garçon de 17 ans atteint du syndrome de Down et qui a été tué il y a quelques jours. Dans le rapport de l’hôpital, il est écrit que des balles ont été trouvées dans sa tête, dans son cœur, dans ses côtes, et des éclats dans sa jambe et à la hanche. Le porte-parole de l’armée israélienne a communiqué que les soldats lui avaient tiré dans les jambes en signe d’avertissement.
Dans les ruelles boueuses, des enfants, nu-pieds, terrorisés, fouillent les nouvelles ruines. Chaque averse transforme le camp en un vaste marais, et avec les maisons détruites, on a l’impression d’être sur le site d’une catastrophe. Une part appréciable des souffrances des habitants sont dues aux colonies qui les étranglent à l’ouest et les dépossèdent de leurs terres, et quand, par suite de cela, des hommes armés tirent en direction des colonies, l’armée israélienne réplique d’une manière disproportionnée qui entraîne d’intenses souffrances pour des milliers d’innocents. Mais nous est-il permis de ne contempler que le présent et d’oublier le passé qui a conduit à ces vies misérables ? Ce passé ne devrait-il pas au moins éveiller un sentiment et une volonté de réparation ? Chaque famille, ici, porte en elle le souvenir d’une autre vie, dans les rues de Majdal, dans les champs d’Isdad, les vergers de Kastina, les champs de Faluja – les 45 villages et bourgades de la région qui ont été détruits et qu’ils ont perdus. Tous ceux dont les maisons sont détruites aujourd’hui sous les chenilles des bulldozers de l’armée israélienne sont les enfants de familles qui ont jadis connu déjà semblables destructions.
Ici, il ne se passe quasiment pas un jour sans opérations de déblaiement et de destruction. Il n’y a qu’à la mer argentée des pépinières de Ganei Tal et Neveh Dekalim qu’on ne touche pas. Dans ces champs-là, à la limite du camp, se révèle encore un autre aspect de la laideur des nouveaux pionniers : 35 à 48 shekels par jour pour une poignée de travailleurs de Khan Younes qui ont le privilège de travailler, pour les colons, sur des terres de culture d’épices destinées à l’exportation. Dans le Goush Katif, on n’a pas entendu parler de salaire minimum ni de justice.
Difficile de décrire avec des mots l’aspect du camp de réfugiés de Khan Younes. Il ne parvient à la conscience israélienne que par le biais des opérations de représailles de l’armée israélienne, « Fer violet » ou « Vent d’automne ». Peu de gens demandent quel est le péché de ces habitants dont la majorité n’a qu’une unique aspiration : vivre, enfin, dans des conditions humaines. La vraie réponse est qu’ils souffrent essentiellement à cause de l’occupation qui demeure ici à cause des colonies et dont la fin, vue de Khan Younes, parait encore très éloignée. A l’heure où les colons brandissent des « considérations d’ordre moral » contre « l’évacuation de Juifs de leur terre », nous sommes tenus de rappeler à quoi ressemble la vie à Khan Younes, à qui appartient cette terre, qui est la véritable victime et qui lui inflige cette souffrance.
                                       
26. Mes rencontres avec Yasser Arafat par Eric Rouleau
in Le Monde diplomatique du mois de décembre 2004

Doté d’un solide psychisme, Yasser Arafat a très rarement manifesté – dans les situations les plus dramatiques – le moindre désespoir ou découragement. Il paraissait animé par un optimisme sans faille, par une volonté inébranlable de poursuivre son combat, par une capacité étonnante de rebondir après chaque chute. Ayant suivi son itinéraire depuis plus de trente-cinq ans, l’ayant rencontré des dizaines de fois en ma qualité de journaliste ou de diplomate chargé de mission auprès de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP), j’ai été surpris de le trouver lors de nos derniers entretiens, l’année dernière, dans une humeur qui ressemblait fort à un état dépressif.
Pâle, les traits tirés, confiné dans un bâtiment en ruine, vivant dans une pièce sans fenêtre, sachant qu’il risquait d’être exilé ou assassiné à n’importe quel moment, il n’excluait pas, pour la première fois, que « les vestiges de l’Autorité palestinienne soient annihilés ». Il ne comprenait pas comment on avait pu le diaboliser, alors qu’il avait tant œuvré pour conclure la « paix des braves » avec Israël. L’émotion lui montait à la gorge toutes les fois qu’il se référait à son « partenaire Itzhak Rabin ».
Résigné, il s’apprêtait à nommer un premier ministre sur la triple injonction d’Israël, des Etats-Unis et, ce qui était le comble pour lui, de l’Union européenne. Il feignait ne pas comprendre qu’on veuille lui imposer un premier ministre alors qu’il n’était « que le chef d’une entité non étatique ». A la question de savoir s’il était obligé d’obtempérer, Arafat baissa la tête, laissant la parole à un collaborateur assis à ses côtés qui lâcha : « C’est Bush qui le veut... »
Au déjeuner qui suit l’entretien, auquel il a convié plusieurs ministres, une discussion animée s’engage sur la question de la laïcité du futur Etat palestinien. M. Nabil Shaath, le ministre des affaires étrangères de l’Autorité, chargé de rédiger un projet de constitution, précise que, pour des raisons politiques évidentes, il s’est senti obligé d’intégrer la formule : « L’islam est la religion de l’Etat. » Il provoque un tollé de protestations autour de la table. MM. Saeb Ereikat et Yasser Abd Rabbo, membres du gouvernement, sont les plus véhéments. Mme Maie Sarraf, conseillère pour les affaires européennes, s’écrie en fixant Arafat : « En ma qualité de chrétienne, je n’accepterai jamais de vivre dans un tel Etat ! » Curieusement, le raïs observe le silence tout au long de la controverse, le regard fixé sur son assiette. Pressé de s’exprimer, il déclare prudemment : « Je n’ai pas eu le temps de jeter un coup d’œil sur le projet de Constitution... »
*** Lors de notre première rencontre, en janvier 1969, avant qu’il ne fût encore élu à la tête de l’OLP, Yasser Arafat s’exprimait avec aplomb sur le même sujet. Assis à la table de l’ambassadeur d’Algérie au Caire, M. Lakhdar Brahimi (1), le chef du Fatah expliquait avec enthousiasme comment il allait édifier un « Etat unifié démocratique sur l’ensemble de la Palestine » dans lequel « juifs, chrétiens et musulmans seraient des citoyens égaux ». Il ne prononça pas le mot de laïcité, dont le concept est inconnu en islam, mais la description qu’il fit du futur Etat n’avait rien à envier à une démocratie de type occidental. Il se disait confiant dans le fait que la majorité des Israéliens se rallieraient à cette formule qui leur assurerait la paix et la sécurité ; il fit à cet égard l’éloge des juifs séfarades, majoritaires en Israël, dont la culture et la mentalité en faisaient les « frères jumeaux » des Arabes. Il les connaissait bien pour les avoir fréquentés en Egypte, dans sa jeunesse, et lors de son séjour clandestin dans les territoires occupés après la guerre de six jours...
Lui emboîtant le pas, Salah Khalaf, dit Abou Iyad, qui devint le numéro deux de l’OLP, eut recours à une parabole pour indiquer que la réalisation de ce projet était prématurée : les Palestiniens, annonça-t-il, allaient secouer le pommier du Proche-Orient, faisant ainsi tomber tous les fruits pourris, qu’il assimila aux Etats arabes ; c’est ensuite seulement, ajoutait-il avec un sourire malicieux, que les Palestiniens pourront cueillir la seule pomme saine qui resterait sur l’arbre, à savoir Israël. Un silence prolongé se fit autour de la table, où siégeaient plusieurs ambassadeurs arabes. Aucun d’eux ne répondit à l’injure ; aucun ne quitta les lieux. La débâcle arabe de juin 1967 était encore toute proche, et l’avenir, croyait-on à l’époque, appartenait aux « révolutionnaires palestiniens ».
Les événements, dès l’année suivante, devaient dissiper les fantasmes des dirigeants palestiniens, dont on connaissait la rancune tenace à l’égard des régimes arabes qui auraient trahi leur cause dès les origines du conflit avec le mouvement sioniste. Le bras de fer engagé avec la Jordanie du roi Hussein en 1969-1970 se termina par le massacre des fedayins (Septembre noir), avant leur expulsion définitive du royaume. Les propos que nous tenait, à Amman, Yasser Arafat, d’une rare dureté à l’égard de « l’entourage » du monarque, pouvaient laisser croire que le raïs, tout autant que ses alliés du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) de George Habache et du Front démocratique pour la libération de la Palestine (FDLP) de M. Nayef Hawatmeh, cherchait à renverser la monarchie hachémite.
Quelques heures avant l’offensive de l’armée jordanienne, Abou Iyad me confiait sur un ton désespéré qu’il redoutait le pire : « C’est certain, me disait-il, nous sortirons vaincus de cette épreuve... » Il était parfaitement conscient de la puissance de l’armée du roi Hussein, du soutien dont celui-ci bénéficiait de la part d’Israël, des Etats-Unis et du Royaume-Uni, tandis que l’OLP n’avait pris aucune disposition d’ordre sécuritaire. Il paraissait reprocher à Yasser Arafat, qui partageait son analyse du rapport des forces, de n’avoir pas su agir selon ses convictions intimes, notamment en consentant au roi Hussein les concessions que ce dernier exigeait (2).
*** Peu après le conflit armé, Yasser Arafat, qui vivait dans une semi-clandestinité à Amman, se livra à une sorte d’« autocritique » systématique. Il admit, au cours d’un entretien, que les fedayins avaient commis des provocations, se livrant, selon ses termes, à de l’« exhibitionnisme révolutionnaire », à des « comportements inacceptables » à l’égard des membres de l’armée jordanienne, sans oublier les « détournements d’avions », qu’il condamnait fermement. Cependant, à y regarder de plus près, sa critique visait essentiellement les organisations rivales de la sienne, le FPLP et le FDLP, qui appartenaient, il est vrai, à l’OLP, dont il était le président, et donc, théoriquement, le suprême responsable.
*** Le raïs, qui se targuait d’être le commandant en chef des forces unies de la résistance, avait grand mal à reconnaître une défaite. Selon lui, il avait vaincu l’armée jordanienne en 1970 et l’armée israélienne lors de l’invasion du Liban, en 1982. Au sujet de cette dernière confrontation, il me disait non sans une apparente conviction : « Ne trouvez-vous pas que résister héroïquement, pendant trois mois, à l’une des armées les plus puissantes du monde est en soi une victoire retentissante ? » L’évacuation des fedayins du pays du Cèdre avec armes et bagages en 1982 n’avait d’autre motivation, selon lui, que de « mettre fin aux tueries des populations civiles par l’armée de l’Etat hébreu ».
*** En septembre 1982, le massacre de centaines de réfugiés palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila après son départ de Beyrouth le bouleversa. M’accordant, peu après, un entretien à Damas, où il s’était provisoirement réfugié, il évoqua la tragédie, les yeux embués de larmes. Il avait été trahi, se plaignait-il, par les Etats-Unis et la France, qui avaient retiré leurs troupes prématurément alors qu’ils s’étaient engagés à protéger les Palestiniens du Liban. Il accusa nommément le général Ariel Sharon, alors ministre de la défense, d’avoir impliqué ses forces spéciales et ses commandos dans la tuerie. En colère, il s’exclama : « Begin et Sharon ne sont pas juifs ; les crimes qu’ils commettent ne sont conformes ni à la morale ni à la tradition juive ; les vrais juifs, ce sont ceux qui refusent de s’associer à l’entreprise d’annihilation du peuple palestinien... » Et il concluait : « A tous les pacifistes et démocrates israéliens ou juifs, j’adresse l’estime et la reconnaissance du peuple palestinien, qui n’oubliera jamais leur solidarité dans l’épreuve. » Arafat faisait allusion aux centaines de milliers d’Israéliens qui avaient manifesté leur solidarité avec les victimes de Sabra et Chatila, alors que la « rue arabe » était demeurée figée. Il se sentait également redevable à Pierre Mendès France, à Nahum Goldmann et à bien d’autres personnalités juives de la diaspora qui avaient exprimé leur désapprobation face à l’offensive israélienne contre le mouvement palestinien. C’est sans doute à cette époque qu’il décida de recevoir à son siège tunisois des représentants de la société civile israélienne et d’œuvrer pour la reconnaissance réciproque de l’Etat d’Israël et de l’OLP, projet qu’il réalisa une dizaine d’années plus tard à Oslo.
*** A Tunis, il s’adressa à plus d’une reprise à l’ambassadeur de France que j’étais, soit directement, soit par le truchement d’Abou Iyad, le numéro deux de l’OLP, pour faciliter les contacts avec des personnalités juives ou israéliennes, ainsi qu’avec le gouvernement de Jérusalem. En 1985, au lendemain du bombardement par l’aviation israélienne du quartier général de l’OLP, auquel il échappa de justesse, Yasser Arafat m’invita à visiter sa minuscule chambre à coucher atteinte par une fusée de Tsahal. Il retira de sa bibliothèque l’autobiographie du général Ezer Weizmann, une « colombe » parmi les « faucons » du parti nationaliste de M. Begin et futur président de l’Etat d’Israël, et me dit avec un large sourire : « Voici un homme que je respecte et que j’aimerais beaucoup rencontrer... »
*** François Mitterrand avait réussi à établir des relations confiantes avec Yasser Arafat bien avant la visite mémorable de celui-ci à Paris en 1989. Il lui avait ainsi demandé début 1986, par mon entremise, de faciliter la libération des otages français détenus au Liban par des groupes islamistes liés à l’Iran. L’administration française croyait savoir que ces groupes étaient infiltrés par des agents de l’OLP. Ravi de pouvoir rendre service, Arafat convoqua en ma présence deux de ses proches collaborateurs pour leur demander de se rendre sans tarder l’un à Beyrouth, l’autre à Téhéran, où je devais également aller moi-même. Il leur donna une consigne prioritaire : veiller à ce que les otages demeurent en vie et en bonne santé, en attendant que les négociations en vue de leur libération que je devais engager à Téhéran soient conduites à leur terme.
*** Yasser Arafat a fait de faux calculs et commis des erreurs de jugement ; ses défauts, ses défaillances, ses comportements ambigus ou contradictoires sont tout autant indéniables. Mais les Palestiniens, qui ne se privaient pas de critiquer sévèrement celui qu’ils considéraient comme leur père, les lui pardonnent, tout en lui vouant un culte inébranlable : un demi-siècle durant, il a réussi le tour de force de résister à des ennemis redoutables tout autant sur la scène internationale – Israël, les Etats-Unis, la plupart des régimes arabes – qu’au sein de son propre mouvement – les maximalistes, qui n’ont cessé, eux aussi, d’élever des obstacles sur le chemin qui menait au « compromis historique » qu’il appelait de ses vœux. Il rêvait de devenir le Mandela palestinien, le premier président de la Palestine souveraine, fût-elle réduite à sa plus simple expression. La mort l’a terrassé au seuil de sa « Terre promise ».
- NOTES :
(1) Lequel devait devenir ministre des affaires étrangères avant d’effectuer des missions en Afghanistan et en Irak comme représentant spécial du secrétaire général des Nations unies.
(2) Il s’agissait de limter strictement les activités de la résistance palestinienne en Jordanie.
                                       
27. Feminin @ arabe.com par Dina Darwich
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 22 décembre 2004
Femmes arabes . Elles partagent la même culture, les mêmes discriminations mais chaque pays a sa spécificité. Une mosaïque où les évolutions notoires sont souvent le fruit de décisions hautement politiques. Enquête à l’occasion de l’inauguration du premier site Internet, fait par la femme arabe, pour la femme arabe. 
Lors de la dernière rencontre de la femme arabe qui s’est tenue en mai 2004, l’échange d’expériences entre les activistes et les ONG a mis l’accent sur une question très importante : « Bien que la langue arabe soit la même, les soucis des femmes arabes diffèrent », explique Nihad Aboul-Qomsane, présidente du Centre égyptien pour les droits de la femme et membre active du mouvement féministe égyptien et arabe.
Le facteur commun est que la culture masculine reste encore dominante dans beaucoup de pays arabes.
Le taux de participation politique limité et l’accès aux postes-clés restent la préoccupation essentielle des activistes et ONG qui œuvrent pour la femme dans le monde arabe. Le taux moyen de participation politique féminine dans le monde arabe, selon les chiffres dégagés lors de cette rencontre, varie entre 0 % et 2 %.
Seul le Maroc enregistre un chiffre record, avec 30 députés au Parlement sur 300, soit 10 %. Autre détail important : la femme a pu accéder en 2002 au poste de conseillère auprès du roi, sans oublier de mentionner que lors du dernier remaniement ministériel, 3 femmes sur 37 ont été nommées au sein des ministères.
En Egypte, la participation des femmes reste limitée : 2,4 % au Parlement et 1 % dans les municipalités. En Arabie saoudite, l’image est plus sombre. La femme est carrément écartée de la vie politique, elle n’a pas droit au vote. Et malgré l’initiative du gouvernement koweïtien d’ouvrir aux femmes l’accès aux urnes, les députés conservateurs ont réussi à paralyser le projet.
L’accès aux postes-clés reste toujours un défi à braver. A Bahreïn, malgré un taux plus élevé de femmes qui ont réussi ces dernières années à s’intégrer dans la vie active, rares sont celles qui ont pu accéder à des postes importants. Aucune femme n’a pu obtenir le portefeuille de ministre et seule une a été nommée par le ministère des Affaires étrangères comme ambassadrice. Dans le Sultanat d’Oman, 4 femmes sont cadres au Conseil d’Etat, qui compte 41 membres, alors que la première ambassadrice omanaise aux Pays-Bas a été nommée en 1999. De plus, la femme représente 20 % de la force laborieuse dans le Sultanat et seules 13 % peuvent espérer être promues à des postes-clés.
A noter que l’accès des femmes à certains postes importants a subi un recul dans certains pays arabes, comme le Yémen. Avant l’union du Yémen du nord et celui du sud en 1994, la femme avait réussi à être nommée à des postes importants. Presque la moitié des juges au Yémen du sud étaient des femmes. Aujourd’hui, après l’union, les conservateurs ont réduit le rôle des femmes juges à néant et les ont dirigées vers des postes administratifs et rédactionnels. Résultat : très peu de femmes occupent ce poste dans la ville d’Aden et ses environs.
Une évolution à double vitesse
Les lois relatives au statut personnel, malgré les divergences d’opinions, restent un grand dilemme. La charia demeure, dans presque tous les pays arabes, une source de législation, d’interprétation nuancée. La Tunisie est considérée, selon les dernières estimations internationales, comme étant le pays qui applique le Code civil le plus conforme aux droits de l’homme dans le monde arabe. Selon Amal Samoud, rédactrice en chef de la revue La Femme et présidente de l’Alliance des femmes journalistes, assure que l’égalité entre les deux sexes est l’un des piliers du Code civil tunisien. Et, bien que le Code civil ne fasse aucune référence directe à la charia musulmane, la Tunisie ne la renie pas, car elle a adopté des interprétations plus libérales répondant aux évolutions du temps.
La Tunisie s’avère être le paradis des femmes arabes sur ce point-là, mais il n’en demeure pas moins que les Tunisiennes ont toujours du mal à accéder à des postes politiques.
Dans certains pays comme l’Arabie saoudite, il n’existe pas de code de la famille. Ainsi, le sort de la femme dépend des tendances et interprétations des juges et suivant leur perception de la charia.
« Les prochaines élections seront un défi »
La même situation s’observe à Bahreïn. Au Liban, la situation de la femme connaît des divergences, selon la communauté à laquelle elle appartient (on en compte 19).
« En Egypte, et malgré les réformes qu’a connues la loi sur le statut personnel ces dernières années, l’expérience pratique a révélé beaucoup de lacunes, surtout en ce qui concerne le kholea, sans compter les subterfuges qu’utilisent les hommes pour anéantir l’efficacité de ces réformes », assure Aboul-Qomsane.
A chacune ses soucis
Or, si le manque de participation politique, l’accès aux postes-clés et les questions du Code civil sont des soucis communs que partagent beaucoup de femmes, chaque pays arabe à son tour a ses propres problèmes dus à ses conditions.
Selon les critères internationaux, le développement de la société est jugé d’après l’évolution de la femme et celle du livre. La première reflète les conditions sociales alors que la seconde reflète la vie intellectuelle. C’est pourquoi il existe de grandes divergences entre les conditions des femmes dans différents pays arabes.
En Tunisie, comme l’explique Samoud, un des plus grands défis que la femme doit relever à l’aube de 2005 est la création d’une presse qui s’intéresse à la femme. « La question que l’on pourrait se poser, face à ce progrès que connaît la Tunisie actuellement et au moment où la femme négocie un tournant décisif de son histoire, plusieurs fois millénaire, est la suivante : Quelle place occupe l’information féminine spécialisée dans le paysage médiatique national ? Une information, quasi absente des kiosques à journaux, une chose surprenante pour tous ceux qui croient en son efficacité et au rôle qu’elle peut jouer pour la cause des femmes », s’interroge Samoud.
Un souci jugé par d’autres femmes arabes comme un véritable luxe mais qui pourrait donner une certaine idée du niveau auquel a pu accéder la Tunisienne. Un luxe pour la Saoudienne qui, jusqu’à présent, n’a pas le droit de conduire une voiture, et qui, pour obtenir une ligne de portable, doit avoir l’autorisation de son mari. Et à qui encore on vient tout récemment d’accorder le droit d’avoir une carte d’identité. Une chose qui pourrait lui donner un minimum d’indépendance dans la vie active, comme l’explique Nahed Bachtah, activiste.
Dans les territoires occupés, la femme palestinienne a d’autres préoccupations. Elle souffre de la colonisation et est constamment exposée à la violence politique. « Les familles font tout pour protéger leurs filles des viols des soldats israéliens, en les mariant très tôt, d’autant plus que la loi permet ce mariage dès l’âge de 14 ans. Autre chose, le mur de séparation a isolé beaucoup de familles palestiniennes modestes. Les filles ont été contraintes par leurs parents de quitter l’école à cause du prix élevé des moyens de transport », assure Chaza Auf, présidente du Centre de la femme pour l’orientation juridique et sociale (voir encadré).
En Jordanie, les crimes d’honneur restent le problème majeur des femmes vu que la condamnation du coupable demeure insignifiante. Une peine qui ne dépasse pas parfois les 6 mois. Aujourd’hui, beaucoup de filles se mettent à la disposition de l’Etat pour être protégées. Selon Lamis Osmane, membre du Conseil national des droits de l’homme en Jordanie, beaucoup d’hommes commettent souvent de tels crimes au moindre soupçon ou bien par convoitise pour profiter de l’héritage d’une sœur. Une fois ce meurtre perpétré, on découvre que la fille est encore vierge. Pour les oubliés du monde arabe, tels que la Somalie et Djibouti, c’est la femme qui assume en premier lieu les conséquences des conflits régionaux et de la pauvreté.
Reste à dire que le degré d’évolution de la femme et les fruits qu’elle peut récolter dépendent de plusieurs facteurs déterminants. Selon Aboul-Qomsane, tout dépend de l’ouverture de chaque été sur le monde extérieur et du degré de flexibilité de chaque pays. « A quel point sommes-nous prêtes à voir et à accepter autrui ? », lance-t-elle. Autre point important et qui joue en faveur des femmes, c’est le rôle que peut jouer l’Etat. Le Maroc en est le meilleur exemple. L’adoption de la Moudaouana (Code civil), qui prévoit le recours au juge en cas de divorce, et donc l’annulation de la répudiation, et en cas de polygamie et d’annulation du tuteur, a soulevé un tollé. Il a fallu l’intervention du roi Mohamad VI lui-même pour adopter le code.
En Egypte, c’est l’épouse du président, Mme Suzanne Moubarak, qui a joué un rôle essentiel dans le droit d’obtention, des enfants nés de pères étrangers, de la nationalité de leurs mères égyptiennes, ou encore le kholea (le droit de la femme à divorcer moyennant la restitution de la dot). La reine de Jordanie a également joué un rôle prépondérant dans la lutte contre les crimes d’honneur. Plus il y a un désintéressement de la part de la première dame, plus la mission des organismes qui œuvrent dans le domaine devient plus compliquée. L’expérience libanaise, qui porte le nom des « Faiseurs de décisions dans l’ombre », argumente cet avis. Cette expérience, pratiquée par le Comité national pour les affaires de la femme libanaise, fondé suite à un décret ministériel présidé par la première dame libanaise, englobe en son sein l’épouse du président du Parlement, celle du vice-président du Parlement et trois députés au Parlement libanais. Cet organisme a pour but d’aider les responsables à mettre l’accent sur les problèmes réels de la société.
« Grâce à ce moyen, on a pu s’opposer à beaucoup de lois injustes envers la femme », conclut Hala Al-Zein, membre du Conseil national libanais pour les affaires de la femme.
                                     
28. Face à l’occupation israélienne, la femme palestinienne vit une réalité très différente. Entretien avec Chaza Auf, présidente du Centre de la femme pour l’orientation juridique et sociale
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 22 décembre 2004
— Al-Ahram Hebdo : En quoi la situation de la femme palestinienne diffère-t-elle de celle des autres femmes arabes ?
— Chaza Auda : Si toutes les femmes arabes sont exposées à la violence conjugale, la Palestinienne, elle, subit en plus la violence politique. Cette dernière a toujours joué un rôle essentiel soutenant l’homme dans ce long périple de lutte contre le colonialisme. Aujourd’hui, de nouveaux problèmes ont surgi et préoccupent la femme palestinienne. Avant l’Intifada, le taux de femmes qui assumaient la responsabilité de la famille variait entre 18 % et 22 %, ce taux a subi une forte hausse après l’Intifada, vu le nombre important d’hommes tombés sur le champ de bataille et ceux qui sont dans les geôles. Point important, la famille palestinienne a toujours tenu à donner une bonne éducation à ses enfants, aujourd’hui le nombre des filles contraintes de quitter l’école a atteint les 11 %. Le mur de séparation construit par les Israéliens a contribué à hausser le tarif des moyens de transports. Aussi, pour limiter leurs dépenses, les familles modestes retirent-elles leurs filles de l’école pour laisser la priorité aux garçons de poursuivre ses études.
— Comment ces femmes sont-elles aidées ?
— Il existe plus de 3 000 ONG dans les territoires occupés qui défendent les droits de la femme, outre les parties qui ont formé des comités qui s’intéressent à la femme. En réponse aux efforts déployés par ces organismes et sous pression populaire, un ministère de la Femme a été créé. Son travail est de lutter contre la pauvreté et d’encourager la participation de la femme dans la vie sociale et économique .
— Quel est l’agenda de ce ministère ?
— Parmi les objectifs les plus importants figurent la lutte contre le phénomène de l’école buissonnière des filles et l’abrogation de toutes les lois injustes envers la femme, notamment celle concernant le mariage précoce afin d’élever l’âge du mariage à 18 ans au lieu de 14 ans.
— Qu’en est-il de la participation politique ?
— Les prochaines élections seront un défi. Actuellement, 5 femmes seulement sur 88 font partie du Conseil législatif. Seules 2 ont la chance d’accéder au portefeuille de ministre, et même dans les autres institutions politiques, la participation de la femme est faible, il suffit de signaler que l’OLP ne compte qu’une seule femme. Le défi est de donner plus de chance à la femme de participer dans la vie politique et la prise de décision.
                       
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