1. Les dérives de la lutte contre
l'antisémitisme par Michel Habib-Deloncle
in France Pays-Arabes du mois de février
2005
(Avocat honoraire, Michel Habib-Deloncle à été ministre
du Général Charles de Gaulle.)
[France - Pays Arabes est un mensuel fondé en
1968 et dirigé par Lucien Bitterlin. La revue ne disposant pas encore de site
internet et sa distribution dans les kiosques étant limitée, vous pouvez vous y
abonner. Abonnement annuel : 25 euros (pour la France) 35 euros (pour
l'étranger) par chèque bancaire à l'ordre de France - Pays Arabes - 12 / 14, rue
Augereau - 75007 Paris - Tél. 01 45 55 27 52 - Fax. 01 45 51 27
26]
Il existe des choses qu’on ne devrait pas avoir besoin de
redire. Nous avions déjà écrit ici (1) notre condamnation totale,
inconditionnelle et définitive de l’antisémitisme, tel qu’il avait jadis
pratiqué par la Russie tsariste et porté au comble de l’horreur par le nazisme,
sous la forme de la « Shoah ». Cet antisémitisme-là, le vrai, nous le
combattrons toujours, comme les plus anciens l’ont combattu en résistant à
l’occupant.
Qu’est-ce que l’antisémitisme ? C’est une forme du racisme qui
rejette l’autre, en l’occurrence le Juif, non pour ce qu’il fait, mais parce
qu’il est ! Les nazis n’ont pas fait de choix dans leur entreprise
d’élimination. Même des anciens combattants de la première Guerre mondiale, qui
s’étaient illustrés dans les armées du Kaiser, ont subi, comme les autres, les
affres de la « solution finale ». C’est intolérable, comme est intolérable le
génocide des Arméniens ou celui des Tutsis par les Hutus au Rwanda ; comme doit
être condamné le racisme anti-arabe ou anti-noir, que l’on voit se manifester
ici ou là. Si nous nous voulons humanistes, respectons l’Homme, dans son
être.
Mais respecter l’Homme dans son être n’enlève rien au droit de juger
les humains sur leurs actes. Du seul fait qu’il est un homme, l’Arabe, le Noir,
le Tutsi, l’Arménien, le….Juif, n’a pas droit à un brevet d’infaillibilité. Dans
chaque catégorie, comme aussi parmi les Français, les Allemands, les Anglais,
les Américains, tous les autres et les Juifs aussi, il y a les bons, les moins
bons, les médiocres et les mauvais. Condamner les erreurs, les fautes les
exactions, les massacres commis par tel ou tel d’entre eux, cela n’est pas du
racisme. Dire qu’en plusieurs circonstances, les autorités israéliennes et les
forces armées israéliennes ont violé les droits de l’homme, ce n’est pas, ce ne
peut pas être de l’antisémitisme.
Cependant, certains dirigeants de l’Etat
d’Israël, certaines organisations qui le soutiennent, en France et ailleurs,
n’hésitent pas à faire l’amalgame. Critique-t-on Ariel Sharon, son gouvernement,
tel ou tel aspect de sa politique, les opérations de son armée, l’édification
d’un mur en plein milieu des exploitations agricoles des malheureux paysans
arabes de Palestine ? on est antisémite ! Quel abus ! On en arrive à la « police
de la pensée », telle qu’Orwell l’a décrite.
Nous nous élevons avec vigueur
contre les sanctions prises, par la radio d’Etat, (s’il vous plaît !), pour
cause d’antisémitisme, contre un éminent journaliste français Alain Ménargues,
qui a couvert, parfois au risque de sa vie le conflit libanais, un de nos
meilleurs connaisseurs du Proche Orient Qu’a-t-il fait, pour mériter sa
révocation ? Il a commis le crime (!) de traiter le Mur construit par les
Israéliens en Palestine de « Mur de l’apartheid » et de « Mur de la Honte » ; Eh
bien ! nous reprenons à notre compte cette appellation, en rappelant que la Cour
Internationale de Justice de La Haye a ordonné la destruction de ce mur, que
l’Assemblée générale de l’ONU l’a formellement condamné et que la Cour suprême
de l’Etat d’Israël, elle-même, a jugé que son tracé s’écartait trop des lignes
de démarcation qui séparent l’Eta d’Israël des Territoires palestiniens occupés.
Qu’attend-on pour les accuser d’antisémitisme ?
Une bonne fois pour toutes, à
l’adresse de chacun, et notamment des organisations juives de France, -qui
rendraient plus service à l’Etat d’Israël en observant une attitude plus neutre
à, l’égard de certains de ses dirigeants- : la critique de la politique d’Israël
est libre. Ce n’est pas, ce ne sera jamais de l’antisémitisme de même que ce
n’est pas de l’antisémitisme que de condamner le Juif qui a assassiné Ithzak
Rabin !
La liberté de penser et d’exprimer sa pensée, dans le respect de la
Loi, est la conquête majeure de la démocratie. Ce sont les tribunaux qui en sont
les gardiens, non le CRIF ou la LICRA. Nous leur reconnaissons volontiers le
droit de défendre des politiques que nous n’approuvons pas. Nous revendiquons la
réciprocité. Mais nous refusons que des mesures législatives, justifiées, qui
ont été décidées pour réprimer le racisme et l’antisémitisme, soient invoquées
contre nous, qui ne jugeons pas les hommes ou les Etats pour ce qu’ils sont,
mais pour ce qu’ils font.
(1) France-Pays
Arabes, n°235, novembre 2003.
2. Israël envisage de bâtir 6.000 maisons
de colons en Cisjordanie
Dépêche de l'agence Reuters du vendredi 25
février 2005, 10h15
JERUSALEM - Israël envisage de construire plus de
6.000 nouvelles maisons dans des colonies juives de Cisjordanie en 2005,
rapporte vendredi le Yedioth Ahronoth. S'il était confirmé, ce projet
entraînerait une accélération spectaculaire de l'extension des implantations de
Cisjordanie, où 1.783 nouveaux logements ont été crées en 2004 et 1.225 en 2003.
Il coïnciderait en outre avec la mise en oeuvre du plan de retrait de Gaza et
irait à l'encontre des exigences internationales sur le gel des activités de
colonisation. Les Palestiniens soupçonnent le gouvernement israélien d'Ariel
Sharon de profiter du retrait de Gaza pour accroître la présence de colons juifs
en Cisjordanie.
D'après le Yedioth Ahronoth, l'Administration foncière
israélienne, qui dépend du gouvernement, souhaite construire 6.391 maisons en
2005 dans les colonies de Cisjordanie. Le journal ajoute que le ministre de la
Défense, Shaul Mofaz, a d'ores et déjà donné son feu vert à la commercialisation
de ces projets immobiliers.
En outre, toujours selon le Yedioth Ahronoth, le
gouvernement envisagerait de rendre légales 120 implantations construites sans
autorisation en Cisjordanie et qu'il s'est pourtant engagé à démanteler auprès
des Etats-Unis.
Aucun responsable de l'Administration foncière n'a pu être
joint dans l'immédiat et un porte-parole du ministère de la Défense s'est refusé
à tout commentaire à ce sujet. Saëb Erekat, principal négociateur palestinien, a
exhorté le président américain George Bush à obtenir d'Israël l'abandon de ce
projet et le gel des activités de colonisation.
L'Etat juif considère que
l'extension des colonies existantes répond à ce qu'il qualifie d'accroissement
démographique naturel de ces implantations.
Le Yedioth Ahronoth précise qu'un
tiers de ces nouvelles maisons seront construites à Maaleh Adumim, situé à la
lisière de Jérusalem et qui, avec 30.000 habitants, est déjà le plus grand bloc
de colonies juives en territoire palestinien.
Environ 225.000 Israéliens
vivent dans 120 colonies de Cisjordanie. Sharon souhaite qu'Israël conserve les
principaux blocs de colonies de Cisjordanie dans le cadre d'un règlement
définitif du conflit israélo-palestinien.
3. C’est bon que tu sois rentré à la maison
! par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 25
février 2005
[traduit de l'hébreu par Michel
Ghys]
Joie contenue, cette semaine, à Jénine, avec la libération d’une poignée de
prisonniers dont Jamal Zubeidi, l’oncle de l’homme recherché le plus
célèbre.
Les accolades et les embrassades étaient très retenues. Même quand il
embrassait ses enfants, on n’aurait pas pu dire qu’il s’agissait d’un père
rentrant chez lui après de longs mois de prison. Et lorsque Zakariya, son neveu
recherché et pour lequel, en prison, il s’inquiétait par-dessus tout, est entré
dans la pièce, les deux hommes se sont contentés d’une brève accolade. Il était
convaincu qu’il ne le reverrait pas vivant, mais ici on n’affiche pas ses
sentiments. Dans cette maison qui a déjà tout connu – assassinat, arrestations,
destruction et gêne financière – on renferme tout ce qu’on éprouve. Son épouse,
Sanaa, n’a pas éclaté en pleurs ou en cris de joie, les enfants se sont
approchés de lui l’un après l’autre pour une courte embrassade, et voilà
tout.
Jamal Zubeidi, une des personnes les plus aimées et les plus estimées du
camp de réfugiés de Jénine, membre du comité du camp, est rentré à la maison.
L’homme qui, au cours de l’opération « Muraille de protection », a enterré de
ses mains des dizaines de cadavres d’habitants dont plusieurs étaient des
proches parents, est maintenant maigre comme il ne l’a jamais été, démontrant
par son apparition comme on peut avoir l’air mal après quelques mois dans une
prison israélienne. Il a déjà connu pas mal d’arrestations et de détentions dans
sa vie mais jamais cela ne lui a été aussi dur. Peut-être est-ce l’âge,
reconnaît-il, à bientôt 49 ans. Et peut-être sont-ce les conditions qui se sont
aggravées, une nourriture pauvre et peu abondante, la surpopulation dans les
cellules et dans les tentes, l’absence de médicaments adéquats.
Quatre mois en prison, apparemment sans raison : la proximité familiale
avec le célèbre homme recherché, le fait de connaître Tali Fahima, d’avoir des
liens avec deux ou trois journalistes israéliens qui viennent de temps en temps
à Jénine. L’agent des Services de la sécurité générale [Shabak] ne l’a
questionné que là-dessus, lors de l’interrogatoire qui a duré à peu près trois
heures. Après quoi il a été envoyé pour une nouvelle détention administrative,
six mois de détention, sans accusation, sans procès, sans terme fixé d’avance,
sans savoir jusqu’au dernier moment si sa détention ne sera pas de nouveau
prolongée. Il a été libéré cette semaine, parmi les « gestes » qu’Israël a fait
pleuvoir sur les Palestiniens pour leur plus grand bien. Lever à deux heures
vingt du matin dans la tente de Ketsiot, comme pour prendre un avion le matin,
et une demi journée plus tard, Zubeidi était déjà assis comme auparavant dans le
salon de sa maison, dans le haut du camp, ce salon détruit par un tir de char
lors de l’incursion de 2002. C’est bon que tu sois rentré à la maison,
Jamal.
A huit heures du matin, un jeune homme était déjà assis dans son fauteuil
roulant électrique face aux jeeps des garde-frontières, au barrage de Salem, et
il attendait. Ce barrage est totalement fermé depuis quatre ans déjà et ce n’est
qu’en l’honneur des prisonniers libérés que l’armée israélienne a décidé de
l’ouvrir un moment, comme dans une vision. Derrière, près d’un espace vert à
l’avant d’une station essence, attendaient des centaines de membres des
familles. Le garde-frontière maintenait sa mitrailleuse pointée en permanence
vers eux : pas de relâchement pour lui dans le cadre des allègements. La plupart
de ceux qui patientent sont des hommes : les femmes attendent à la maison. Un
jeune entrepreneur a extrait un réchaud d’une Subaru fatiguée et il a préparé du
café à un shekel. Il n’y a presque personne ici qui n’ait fait l’expérience de
la prison. Le visage de la majorité des gens est sombre et fatigué. Seuls 136
fils de la ville sont libérés aujourd’hui, et pourtant il se dessine un petit
moment de bonheur, de légère trêve, si rare, dans la misérable routine. Dans le
centre de la ville, attendent les nombreux hommes en arme ; ils n’osent pas
encore s’approcher d’ici.
L’un après l’autre, les prisonniers sont descendus de l’autobus du «
Transporteur Sud de Zvika » et sont passés à l’autobus des « Transports Peretz
Hananiya » devenu en fin de vie autobus palestinien. Les libérations antérieures
ont rendu familières ces images : l’émotion des mains qui s’agitent à la vitre
de l’autobus, le baiser à la terre, la première interview (et la dernière) à
Al-Jazeera, les soldats qui, contrairement à leur habitude, se tiennent sur le
côté, s’abstenant de tyranniser et d’aboyer des ordres. Quelques minutes de
gloire qui ne reviendront pas. Le commandant du Fatah dans le camp, Ala Abou
Ramila, lui aussi prisonnier libéré à un tarif de fin de saison, 14 mois au lieu
de 40, dit ce qu’ici tout le monde dit : « La majorité est restée derrière.
Israël se moque de nous ».
Arafat est encore présent, davantage que son successeur, dans les objets
fabriqués par les prisonniers. Dans chaque autobus, il y a au moins trois
mosquées Al Aqsa en allumettes et un Arafat sur un tissu, aucun Abou Mazen pour
se remonter. « Tu restes la conscience de la nation », a écrit un prisonnier en
lettres d’argent sur un tissu rouge vif, sous la photo d’Arafat. Peut-être
l’a-t-il écrit il y a longtemps. L’officier du service des porte-parole de
l’armée israélienne recommande d’interviewer le commandant local du Front
Populaire qui descend, lui aussi, de l’autobus. La plupart des prisonniers ont
les mains vides, ils ont été arrêtés et ont été libérés sans rien. Le convoi de
la joie s’approche lentement de la ville, accompagné sans arrêt de coups de
klaxon et de coups de feu. Une poignée d’habitants agitent les mains sur les
côtés de la route, mais seulement une poignée. La quantité de munitions tirées
dans le cimetière, pour les morts de l’Intifada, premier arrêt sur le chemin de
la maison, suffirait à l’entraînement d’un régiment. Mais Jénine n’a pas pris
les parures de fête.
Zubeidi s’est dépêché de descendre de l’autobus et d’aller, seul, à pied,
chez lui, son sac tout râpé à la main. Il a renoncé à l’agitation au cimetière
et à la cérémonie à la mouqata'a de Jénine. La foule l’en a dissuadé. Il ira sur
la tombe de ceux qui lui étaient chers un autre jour. Plus tard, il a aussi
décliné la proposition que lui ont faite ses amis, de courir au Conseil
législatif au nom du camp de Jénine. Il veut rester un homme simple. Les onze
derniers jours de prison ont été extrêmement durs, à cause de la tension et de
l’incertitude à propos de la liste des prisonniers libérés. Des noms
apparaissaient puis disparaissaient. La dernière nuit, la plupart des
prisonniers n’ont pas fermé l’œil. Au cours de ses quatre mois de détention,
Zubeidi n’a pas eu droit à la moindre visite de famille. Pendant la première
semaine, sa famille n’a pas pu savoir où il était retenu. Quand les soldats sont
venus l’arrêter, il était sûr qu’ils venaient pour un de ses fils. « Je suis
déjà vieux pour ça », a-t-il dit à ceux qui venaient l’arrêter. Il a été emmené
au centre de détention de Salem et de là au centre de Hawara, puis à la prison
d’Ofer et de là, à la prison de Ketsiot.
C’est à Hawara que c’était le plus dur. C’est à peine si on y donnait à
manger. On leur a un jour apporté une boîte de biscuits portant 1995 comme date
de péremption. A Ketsiot, raconte-t-il, il y a un nouveau régime : tout s’achète
avec de l’argent. Depuis la télévision jusqu’aux cigarettes, depuis les
ustensiles de cuisine jusqu’à la nourriture ; les familles envoient de l’argent
et il y a moyen de tout acheter. Mais cela crée des statuts différents en
prison, des riches et des pauvres, et essentiellement le Hamas et le Jihad, qui
ont de l’argent à profusion, et les organisations laïques qui n’ont qu’un maigre
budget. Les plus pauvres, ce sont ceux du Front Populaire. Sanaa envoyait à
Jamal, qui n’a pas de source de revenu fixe, 100 shekels par mois pour les
cigarettes. Lors de détentions antérieures, l’armée israélienne distribuait des
cigarettes. « En dehors de l’eau et de l’électricité, et d’un peu de nourriture,
tout a maintenant un coût à Ketsiot ».
Son état d’esprit est lourd. Même pendant ses premières minutes chez lui,
après tous ces jours et ces nuits en prison, il a bien de la peine à
esquisser un faible sourire, même à la vue de ses enfants. « Nous avons laissé
derrière nous encore 7500 prisonniers. N’oubliez pas qu’il y a aussi beaucoup de
tués. Je pense tout le temps à ces gens-là. Nous craignons qu’on n’oublie tous
les tués. Il y a 3700 personnes enterrées – s’il y a la paix, c’est d’accord,
mais il faut obtenir un prix qui soit égal à tous ces morts. Pas qu’à la fin, il
n’y ait rien. Qu’est-ce que vous pouvez dire à la mère d’un shahid, si
l’occupation ne prend pas fin et s’ils ne démolissent pas la clôture et s’ils ne
libèrent pas tous les prisonniers ? S’il y a une vraie paix, alors d’accord.
Vous pouvez aller chez la mère du shahid et lui dire qu’il y a la paix, pleine
et entière. Mais s’il ne s’est rien passé de tel, alors on peut dire que nous
avons vendu le sang de nos shahids. Imaginez la joie que ça aurait été si tout
le monde avait été libéré. Ils en ont libéré 500 et il en reste 7500. »
Il n’y a pas beaucoup de gens à venir lui rendre visite dans les premières
heures. Seuls les hommes en armes ne sonnent pas avant d’entrer. La maison n’a
pas été décorée. Il n’y a pas de buffet, simplement du café. On n’est pas à la
fête. Pendant sa détention, Zubeidi a eu le temps de lire beaucoup : l’écrivain
algérienne Ahlam Mosteghanemi et l’égyptien Abdel-Rahman Mounif et la poésie
d’Ahmed Fouad Najam. Cinq livres par mois. « Yediot Aharonot » et « Maariv »,
chaque jour. Il n’y a pas « Haaretz » à Ketsiot. Une antenne parabolique payée
par les détenus. Son hébreu s’est un peu amélioré. On entend tout le temps des
coups de feu qui viennent du centre du camp et qui se rapprochent.
Durant son interrogatoire, on lui a posé des questions sur ses contacts
avec des journalistes israéliens. C’est interdit ? a-t-il demandé à son
interrogateur. On lui a posé des questions sur le trajet que nous avons fait un
jour ensemble, accompagnés de l’éditeur de Haaretz, Amos Schocken, jusqu’au camp
de Jénine et jusqu’[au village de] Bourkin, tout proche. Avez-vous téléphoné à
votre neveu Ismaïl Abou Shadouf qui est recherché et lui avez-vous organisé une
rencontre avec ces journalistes ? lui a demandé le type de la Sécurité [Shabak].
« Je n’ai pas besoin de téléphoner. On est allé là-bas en voiture. Ils ont fait
un article. Qu’y a-t-il d’interdit là-dedans ? » Zakariya est-il votre hôte ?
lui a demandé l’enquêteur et Zubeidi a répondu : « Vous connaissez la maison de
Zakariya ? Je vous dis que vous ne la connaissez pas. A quelle distance est sa
maison de la mienne ? Vous ne savez pas. 90 centimètres. Il va chez lui, pas
chez moi. » Entre temps, l’habitation de Zakariya a été détruite et la voiture
de son voisin Jamal qui était garée en dessous a été complètement écrasée. Vous
l’aidez financièrement, a poursuivi l’enquêteur. « Zakariya a besoin d’argent de
moi ? » La détention de Jamal a été prolongée de 15 jours. Ensuite on l’a
condamné à six mois de détention administrative.
Avec un revolver dans sa gaine et, à l’épaule, un fusil M-16 avec viseur
télescopique, l’homme recherché numéro un entre dans la pièce. La nuit dernière,
il s’est blessé à la main : à trois heures du matin, il a pincé un voleur qui
s’était introduit dans une épicerie et il a immédiatement téléphoné à la police
de Jénine qui n’a pas voulu envoyer de patrouille. Alors Zakariya Zubeidi a été
contraint d’entrer dans la ville au milieu de la nuit pour livrer le voleur à la
police. Au cours de l’altercation qui a éclaté entre le voleur et celui qui
l’avait attrapé, l’homme recherché a eu la main cassée. Quand il aura fini de
s’occuper de « trois dossiers », comme il dit, il rejoindra l’Autorité
palestinienne : le dossier des familles des tués, le dossier des blessés et le
dossier des prisonniers. Ils ont tous cessé de recevoir leurs allocations de
l’Autorité. « Depuis [l’opération] ‘Muraille de protection’, personne à Jénine
n’a reçu un shekel », dit-il. « Quand j’en aurai fini avec ces dossiers,
j’entrerai ». Pourquoi ne pas entrer maintenant et s’occuper de ça de
l’intérieur ? « Celui qui est assis dans le fauteuil, oublie. Même Zakariya.
C’est vrai ou pas ? » Se cache-t-il moins actuellement ? Non, il ne se fie pas
aux Israéliens. Il va bientôt avoir une petite fille, une sœur pour Hamoudi qui
est âgé d’un an et demi, et qui s’appuie sur les genoux de son père, entre le
fusil et le revolver. La petite fille s’appellera Samira, d’après le nom de la
mère de Zakariya, que des soldats de l’armée israélienne ont tuée chez
elle.
Un enfant de voisins entre dans la pièce. Son père, Ziad Abou Al Haija,
était sur le point d’être libéré mais ne l’a pas été. Le visage d’Ahmed, 11 ans,
exprime la tristesse. Jamal : « Comme j’aimerais aider cet enfant. Nous pensions
que Ziad allait être libéré avant moi et qu’il prendrait soin de mes enfants.
Maintenant, c’est moi qui vais les aider eux ». Le portable de Zakariya n’arrête
pas de gazouiller une chanson d’amour arabe en guise de sonnerie. Après une de
ces chansons d’amour, on lui apprend qu’un jeune garçon a été tué dans la ville
par les tirs de fête. Son visage devient grave et il sort immédiatement. La
maison se vide à nouveau et Jamal se replie dans sa tristesse. « En prison, je
ne pensais pas à mes enfants. Je ne pensais qu’à Zakariya, que je ne le
reverrais pas. Tout le temps, j’étais triste à cause de lui. Les prisonniers me
demandaient pourquoi j’étais triste et je leur disais que c’était à cause de
Zakariya. Que je sortirais et que je ne le verrais pas. »
Un vieux voisin sonne à la porte. Abdel Noursi, dont le fils, Rushdie, a
été blessé dans un incendie qui a éclaté à Ketsiot suite à un court-circuit. Il
est venu demander des nouvelles de son fils. « J’aime tous les détenus de la
prison et pour moi, la libération des prisonniers est meilleure qu’un Etat
palestinien », dit le vieil homme. Rushdie est censé être libéré dans un mois.
Il est marié et il a une fille. Son père ne l’a pas vu depuis six mois déjà. Et
sa fille, il ne l’a vue qu’une fois. Jamal accompagne ses hôtes dehors et tout à
coup, il aperçoit, collée au mur de la maison d’en face, la photo d’un homme qui
a été tué et son regard reste pris, refusant de se porter
ailleurs.
4. Le Parlement palestinien a investi le
gouvernement Qoreï remanié
on LeMonde.fr avec l'Agence France Presse
et Reuters le jeudi 24 février 2005, 13h14
Le nouveau gouvernement palestinien, qui a obtenu jeudi l'investiture du
Parlement, doit comprendre quinze nouveaux ministres sur vingt- quatre en tout.
Le Conseil législatif palestinien (CLP, Parlement) a approuvé jeudi 24 février
en fin de matinée par 54 voix contre 12 le nouveau cabinet profondément remanié
du premier ministre Ahmed Qoreï. Après trois jours de tensions et de querelles
internes, le président de l'Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas, avait obtenu,
mercredi 23 février, l'accord des députés du Fatah qui, avec 62 sièges sur 83,
dominent le CLP, pour la nouvelle mouture du cabinet palestinien. "La comité
central du Fatah et les membres du Fatah au Conseil législatif sont tombés
d'accord sur la constitution d'un nouveau gouvernement dirigé par Abou Alaa
[Ahmed Qoreï] comprenant 24 ministres", a déclaré, mercredi, le député du Fatah
Mofid Abed Rabbo. Ce n'est donc qu'après d'intenses négociations que Mahmoud
Abbas et Ahmed Qoreï, le chef du gouvernement, sont parvenus à décrocher un
accord avec des parlementaires qui jugeaient la version initiale de la
composition de l'équipe trop peu réformiste. Il a fallu une nouvelle réunion de
quatre heures pour débloquer la situation. Le nouveau gouvernement palestinien
doit comprendre quinze nouveaux ministres sur vingt-quatre en tout, a-t-on
appris auprès du mouvement Fatah. M. Qoreï avait été contraint de remanier son
cabinet après le refus du CLP, lundi, de lui accorder sa confiance dans sa
composition initiale. Les députés, y compris ceux du Fatah, avaient estimé que
le cabinet tel que présenté ne serait pas à même d'appliquer des réformes, et
exigé un changement radical par rapport au cabinet sortant, en place depuis
novembre 2003.
GOUVERNEMENT DE TECHNOCRATES
Selon M. Abbas Zaki, député et membre du comité central du Fatah, il s'agit
d'un "gouvernement totalement différent, un gouvernement de technocrates avec
seulement deux députés". Parmi les nominations significatives, Nabil Chaath,
ministre sortant des affaires étrangères, devient vice-premier ministre et
ministre de l'information. Il est remplacé à la tête de la diplomatie par Nasser
Al-Qidwa. Le général Nasr Youssef, qui était en délicatesse avec le défunt
dirigeant Yasser Arafat, devient ministre de l'intérieur et de la sécurité
nationale. Le ministre des finances sortant, Salam Fayad, dont les efforts pour
assainir les finances de l'Autorité ont été salués à l'étranger, est maintenu à
son poste. Mohammad Dahlane, 43 ans, homme fort de la bande de Gaza et ancien
ministre délégué à la sécurité, se voit confier le portefeuille des affaires
civiles dans le nouveau cabinet. Ce cabinet, profondément remanié par rapport au
gouvernment sortant, est censé se maintenir jusqu'aux élections législatives
palestiniennes prévues en juillet. Cet accord marque un important progrès sur le
plan de la politique intérieure. La mise en place d'un gouvernement remanié est
essentielle pour permettre à Mahmoud Abbas d'assainir l'Autorité palestinienne,
minée par la corruption, et de fusionner une dizaine de services de sécurité
souvent concurrents afin de lutter plus efficacement contre les activistes
anti-israéliens.
Composition du nouveau gouvernement palestinien
:
- Premier ministre: Ahmed Qoreï (Abou Alaa)
- Vice-premier ministre et
ministre de l'information: Nabil Chaath (change de portefeuille)
- Ministre
des finances: Salam Fayad (inchangé)
- Ministre de la santé: Zihni Al-Wihedi
(nouveau)
- Ministre des affaires étrangères: Nasser Al-Qidwa (nouveau)
-
Ministre de l'éducation: Naïm Aboul Homous (inchangé)
- Ministre des
collectivités locales: Khaled Al-Qawasmeh (nouveau)
- Ministre des travaux
publics et logement: Mohammad Shtayyeh (nouveau)
- Ministre de l'intérieur et
de la sécurité nationale: Nasr Youssef (nouveau)
- Ministre de l'économie:
Mazen Sounoukrot (nouveau)
- Ministre de la justice: Farid Al-Jalad
(nouveau)
- Ministre du travail et des affaires sociales: Hassan Abou Libdeh
(nouveau)
- Ministre des communications et de la technologie: Sabri Saydam
(nouveau)
- Ministre chargé des prisonniers: Soufiane Abou Zaydeh
(nouveau)
- Ministre de la culture: Yehya Yakhlaf (inchangé)
- Ministre de
la planification: Ghassan Al-Khatib (change de portefeuille)
- Ministre du
tourisme: Ziyad Al-Bandak (nouveau)
- Ministre des transports: Saadeddine
Kharma (nouveau)
- Ministre de l'agriculture: Walid Abed Rabbo (nouveau)
-
Ministre des sports et de la jeunesse: Sakher Bseisso (nouveau)
- Ministre
des affaires civiles: Mohammad Dahlane (nouveau)
- Ministre de la condition
féminine: Zahira Kamal (inchangée)
- Ministre des affaires religieuses et du
Waqf: Youssef Salameh (nouveau)
- Secrétaire d'Etat: Hind Khoury
(nouveau)
- Secrétaire d'Etat: Ahmad Majdalani (nouveau)
- Secrétaire
général du gouvernement: Samir Hleileh (nouveau).
5. Le Liban après l'assassinat de Rafic
Hariri : Un coup de grâce infligé à Damas par Aziza Nait
Sibaha
in Le Matin (quotidien marocain) du jeudi 24
février 2005
L'assassinat de Rafic Hariri invite aux grandes
réflexions sur les relations syro-libanaises, mais aussi sur le Liban d'après
Hariri. Ce fut d'ailleurs le thème d'une conférence organisée au Centre
d'accueil de la presse étrangère à Paris. A ce débat furent invités : Patrick
Seale, écrivain et spécialiste de la Syrie et du Moyen-Orient, et Nabil Bayhom,
professeur de sociologie et d'urbanisme.
Il y a plus d'une semaine, le
monde entier apprenait la disparition tragique de l'ancien premier ministre
libanais Rafic Hariri. Le petit pays du Cèdre s'est alors retrouvé sous les feux
de la rampe, devenant l'une des plus importantes inconnues de la très complexe
équation de la paix au Proche-Orient. Les accusations se sont tout de suite
dirigées vers le voisin syrien, sans se poser de questions sur les autres
éventualités qui pouvaient se présenter. “ La Syrie est un pays rationnel. Ce
n'est pas un Etat suicidaire qui, face à toutes les pressions qui pèsent déjà
sur lui, va s'aventurer à tuer Rafic Hariri ”, tente pourtant d'expliquer le
spécialiste du Moyen-Orient, Patrick Seale.
“ Pour identifier les assassins de Rafic Hariri, il faut aussi regarder
ailleurs. Les ennemis de la Syrie ont tout à gagner de cet assassinat. Sa mort
est un coup de grâce infligé à Damas ”. Rappelons que Israël est la spécialiste
des assassinats ciblés, à Beyrouth même, Tunis ou Amman “Les Frères musulmans
aussi peuvent avoir à gagner de la mort de Rafic Hariri, tout comme les
extrémistes chrétiens. Il faut étudier toutes les pistes avant de tirer des
conclusions”, ajoute ce connaisseur de la Syrie. L'heure est aux défis
historiques dans la région.
Mais la grande question reste : qui a tué Rafic Hariri? Sur l'hypothèse
syrienne, Patrick Seal a des arguments différents. Même s'il continue de
confirmer que ce geste serait un suicide politique de Damas si cet assassinat
s'avère être signé par la Syrie. “Si la Syrie a abattu Hariri, elle fait un saut
dans l'inconnu. Rien ne confirme cette hypothèse.
Pour le moment, on peut envisager les deux probabilités. Il est vrai que
d'un côté Rafic Hariri après sa démission a rejoint l'opposition libanaise,
hostile à la présence syrienne. Il était pour la résolution 1559 (du Conseil de
sécurité demandant l'année dernière le départ de la Syrie NDLR) et il aurait
gagné les prochaines élections. Mais d'un autre côté, Hariri n'était pas
réellement un ennemi de la Syrie. Il a été chef du gouvernement sous son égide.
Il voulait plus être un médiateur entre l'opposition et Damas. Il se préparait
même, paraît-il, à visiter Damas ”. La seule façon de trancher serait donc
d'attendre les résultats de l'enquête internationale onusienne, défendue par la
France et les Etats-Unis. Néanmoins, les participants à ce débat s'accordent à
dire que c'est la troisième grande crise syro-libanaise que la région est en
train de vivre, après celles de 1976 et 1982.
Le rôle de la Syrie
Rafic Hariri est une grande figure
qui a marqué la renaissance de Beyrouth, et le nouveau Liban d'après la guerre
civile. “L'ancien Premier ministre était un artisan des accords de Taëf. Il
était connu pour l'étendue de ses connaissances dans la région et dans le
monde”, explique Patrick Seale. Rafic Hariri restera à toujours associé à
l'image de ce “ laboratoire de coexistence” qu'était le Liban jusqu'à sa mort.
De grandes interrogations sont aujourd'hui soulevées par son assassinat, portant
surtout sur les éventualités de l'après-Hariri.
Quel est le rôle de la Syrie dans la région ? dans la crise actuelle ? et
dans l'après-Hariri ? Des questions qui s'entremêlent mais qui doivent trouver
leurs réponses dans une même équation. Pour l'inconditionnel de Hafed Al Assad,
qu'est Patrick Seale, ce pays traverse actuellement une phase caractérisée par “
une dilapidation du capital de respect que le monde entier avait pour lui, un
effritement du pouvoir et un échec dans la gestion du dossier libanais ”. Le
tout couronné par la démarche de Damas pour le prolongement du mandat du
Président libanais Emile Lahoud.
Chose qui avait poussé Rafic Hariri à la démission en octobre dernier. De
son côté le professeur Nabil Bayhom refuse de parler d'une position syrienne vis
à vis du dossier libanais entre autres choses. “Je n'ai pas toujours été
d'accord avec Hariri sur sa vision et sa politique de la reconstruction de
Beyrouth. Mais j'ai beaucoup d'estime pour cet homme qui savait discuter, sans
jamais menacer ni mettre en danger ceux qui s'opposaient à sa vision.
D'un autre côté, j'ai noté qu'on entend souvent parler de la Syrie et des
Syriens, comme s'ils s'avaient tous la même position alors qu'au Liban on parle
de partis, de divisions, de clans...est-ce qu'il ne faut pas parler aujourd'hui
aussi de lutte de clans en Syrie ? ”. “Il y a des rumeurs sur des tiraillements
au sein du pouvoir syrien. Mais on ne peut rien confirmer pour le moment.
L'urgence aujourd'hui est dans la révision des relations syro-libanaises. Ces
deux pays ont une histoire commune et un destin commun face à un ennemi commun
”, confirme pour sa part Patrick Seale.
Et Nabil Bayhom d'ajouter ; “ il y a des clans qui se sont installés dans
le pouvoir à Damas, pour eux, se retirer du Liban c'est sortir de Damas ”. Le
retrait des troupes syriennes du Liban semblaient aux deux intervenants, une
question secondaire. Même si le secrétaire général de la Ligue arabe, Amr
Moussa, a confirmé lors de sa visite, cette semaine, à Damas, l'intention de
celle-ci de s'engager sur ce front. “ Les Syriens ne sont plus qu'aux
frontières, le problème aujourd'hui ce sont les services secrets de Damas qui
ont infiltrés les services secrets libanais et leur donnent des ordres. Ils sont
devenus la colonne vertébrale de l'Etat libanais.
C'est cela même qu'il faut régler si on veut avancer dans les relations
syro-libanaises”, explique M. Bayhom. Quoi qu'il en soit, le statu quo n'est
plus envisageable. Il faut trouver des solutions pour sortir de la crise et les
trouver vite. Les Etats-Unis continuent de mettre la pression dans ce sens, et
la France vient de les rejoindre, même si les enjeux et les raisons des deux
pays diffèrent complètement.
Position de la France
Le dossier libanais rentre dans
une problématique régionale, encore plus globale. A ce niveau, les Libanais ne
peuvent jouer le jeu de la politique nationale, et ne sont même pas invités à le
faire. La Syrie est en guerre avec Israël par pays interposé : le Liban. Elle
n'a pas renoncé au Golan occupé depuis 1967.
D'un autre côté, il faut savoir qu'elle fait partie du front oriental qui
menacerait Israël. Celui-ci comprend en plus de Damas, l'Irak et l'Iran. Ce qui
explique l'agenda américain dans la région. Mais si Washington se trouve
aujourd'hui, soutenue par Paris dans le dossier syrien, il est clair qu'il ne
s'agit là que d'une manoeuvre tactique de la part de la France. Quand Bachar Al
Assad est devenu président, après un rapide changement constitutionnel qui était
contesté dans bien des pays, le Président français était l'un des seuls à le
soutenir ouvertement en Europe. Mieux encore, le chef de l'Etat français a même
tout misé sur ce jeune docteur, qui était alors porteur d'espoir.
Il a même été jusqu'à le défendre auprès des autres pays de l'Union,
demandant à ce qu'on lui fasse confiance pour réformer son pays. Sauf qu'une
fois en place, Al Assad Junior a tardé à réformer. “ Si la France est en froid
actuellement avec la Syrie, et si elle a voté pour la résolution 1559, c'est
surtout parce qu'elle a été déçue par Bachar Al Assad. L'ouverture promise par
le jeune Président à l'Elysée n'a pas eu lieu.
C'est la paralysie totale. Le prolongement du mandat de Lahoud fut la
goutte qui a fait déborder le vase à Paris ”, confie, Patrick Seale à ce propos.
Avec ce soutien de Bachar Al Assad et les amitiés de Jacques Chirac avec Rafic
Hariri, la France pensait pouvoir avoir les deux , le Liban et la Syrie. Elle
sent qu'elle a été lâchée par la Syrie, d'où cette envie de remettre les choses
en ordre. Paris ne peut pas se permettre de laisser le champs libre aux
Américains dans cette région.
“Ce qui va se passer à partir d'aujourd'hui donnera un sens politique à la
mort de Rafic Hariri. Aucun acte de violence n'est gratuit : tout a un sens
politique. Le colonnel Massoud a été tué juste avant les événements du 11
septembre. Deux, trois jours après l'assassinat de Hariri on a assisté à la
nomination d'un nouveau chef de renseignements à Damas. D'un autre côté, il ne
faut pas sousestimer les revendications de la rue arabe.
Comme disait Walid Joumblatt (le chef de file de l'opposition libanaise
NDLR), l'important aujourd'hui c'est la démocratie ”, tente de résumer Nabil
Bayhom. Conflit local ou conflit régional ? Tout semble confirmer la deuxième
proposition. Une intervention internationale est-elle donc nécessaire pour
régler le problème ? La question se pose aujourd'hui au Liban et partout où on a
envie d'avancer dans ce dossier. Nabil Bayhom présente les choses à sa manière ;
“ Le problème qui se pose au Liban c'est celui qui se pose en Irak aussi: qui va
gouverner réellement ? Faut-il une tutelle internationale ? Quel rôle pour les
Américains ? ”. Autant de questions qui démontrent que le Liban peut devenir une
cible fragile dans une période de crise telle celle qu'il traverse en ce moment.
A part une paix régionale qui pourrait être la voie du salut, Patrick Seale
pense aussi à un ensemble de démarches à entreprendre par Damas, pour éviter la
confrontation avec la communauté internationale et aller de l'avant dans cette
crise. “ Pour trouver une issue, les Syriens peuvent commencer par annoncer un
retrait jusqu'à la Bekaa, rappeler Rostom Ghazalé à Damas, accepter des
observateurs étrangers aux prochaines élections, coopérer avec la commission
d'enquête sur l'assassinat de Rafic Hariri, engager des réformes politiques et
économiques et envisager surtout un autre traitré avec le Liban ”.
Le besoin
d'une médiation ou tutelle internationale se fait aussi ressentir dans ce
dossier.
Mais qui jouera le rôle du médiateur ? Du côté arabe Nabil Bayhom pense que
“ l'Egypte est encore occupée par le dossier palestinien, la Jordanie est très
proche d'Israël pour avoir la confiance de Damas. On peut penser à l'Arabie
saoudite, encore en colère car Hariri était considéré un des siens ”, une
affaire à suivre...
Côté libanais, il semble qu'un gouvernement d'union nationale soit la seule
solution, afin d'éviter tout déchirement entre les différentes communautés.
Rappelons que le Hezbollah libanais a lancé une interdition de toute dispute
entre chiites et sunnites. Car, comme le rappelait son secrétaire général,
Hassan Nassrallah, “ aucune partie n'annule au Liban ”.
6. Entretien avec Elias Sanbar "Émergence d’une
nouvelle donne au Proche-Orient ?" réalisé par Françoise
Germain-Robin
in L'Humanité du mercredi 23 février
2005
L’intellectuel palestinien Elias Sanbar voit dans les
évolutions récentes et le changement de ton de Washington des raisons d’espérer.
Elias Sanbar est directeur de la Revue d’études palestinien-nes, et auteur de
plusieurs ouvrages consacrés à la Palestine (1).
- Le gouvernement israélien a adopté le plan d’évacuation des
colonies de la bande de Gaza. Mais dans le même temps, il autorise la
construction d’une nouvelle colonie en Cisjordanie et continue la construction
du mur. Comment interpréter ces contradictions ?
- Elias Sanbar. La question est de savoir ce qu’il y a au bout de ce plan.
Si le retrait de Gaza est un prélude à d’autres démantèlements de colonies en
Cisjordanie, cela peut permettre la reprise de réelles négociations de paix
entre Israéliens et Palestiniens. Si le retrait s’arrête à Gaza et constitue le
prélude à l’annexion de la Cisjordanie, on va immanquablement plonger dans une
nouvelle crise. Quant aux contradictions que vous relevez, elles s’expliquent à
mon sens par le fait que le plan Sharon ne dépend plus seulement d’Ariel Sharon.
Il est pris dans un engrenage qu’il a lui-même déclenché. C’est cela qui
constitue la nouvelle donne. Dans l’esprit d’Ariel Sharon le retrait de Gaza
n’était que la première partie d’un couple dont la seconde était l’occupation de
la Cisjordanie. Mais les Américains l’ont pris au mot sur la question du retrait
et sur celle de l’État palestinien. Ils veulent une solution qui passe par un
vrai État, véritablement indépendant, pas par des bantoustans épars. C’est tout
à fait clair dans les déclarations du président Bush. Ça l’était déjà depuis la
venue de Condoleezza Rice dans la région. D’ailleurs, la rencontre de Charm
el-Cheikh ne s’est pas du tout passée comme l’espérait Sharon : pour la première
fois, il a dû accepter la réciprocité d’un cessez-le-feu bilatéral, qu’il avait
toujours rejeté. J’y ai vu, pour ma part, l’empreinte américaine.
- Cette trêve annoncée par le président palestinien Mahmoud
Abbas a-t-elle quelque chance de tenir ?
- Elias Sanbar. Oui, je le crois. Si on regarde l’histoire récente, on se
rend compte que les trêves précédentes ont volé en éclats pour deux raisons :
quand les négociateurs palestiniens revenaient les mains vides et quand les
Israéliens continuaient à procéder aux assassinats ciblés. Si ces assassinats
s’arrêtent comme Israël s’y est engagé, la trêve tiendra.
- Est-ce que Mahmoud Abbas est mieux placé que son
prédécesseur, Yasser Arafat, pour tenir en respect les groupes armés comme le
Djihad ou le Hamas ?
- Elias Sanbar. Non, pas du tout. Mais on n’a pas donné au président Arafat
ce que l’on donne aujourd’hui à son successeur : les libérations de prisonniers,
l’arrêt des assassinats et l’arrêt des démolitions de maisons. D’ailleurs, il
faut se souvenir que Mahmoud Abbas lui-même, quand il était premier ministre,
n’avait rien obtenu de tout cela et que la trêve qu’il avait négociée n’avait
pas tenu. Et pourtant, il tenait le même discours qu’aujourd’hui.
- Qu’est-ce qui a changé, alors ?
- Elias Sanbar. Ce qui a changé, c’est la pression extérieure et en premier
lieu la pression américaine. Il y a un changement très net dans la position des
États-Unis. Ils ont intérêt, en ce moment, à ce qu’il y ait une solution au
Proche-Orient. George Bush veut même réintroduire les Européens dans le jeu, ce
qui n’est pas du tout bien vu en Israël. C’est une sorte de cadeau qu’il est
prêt à leur faire pour qu’ils s’impliquent davantage dans l’affaire irakienne.
Il est en train de se passer ce qui s’était déjà passé après la première guerre
du Golfe, en 1991 : c’est après l’avoir gagnée que les Américains ont déclenché
le processus de paix de Madrid. Aujourd’hui, ils ont à nouveau le sentiment
d’avoir gagné, donc ils bougent.
- Qu’ont-ils gagné ?
- Elias Sanbar. Ils ont le sentiment d’avoir gagné en Irak, d’avoir réussi
les élections afghanes, irakiennes et palestiniennes. Ils viennent aussi de
réussir leur réconciliation avec l’Union européenne et ils sont sur le point de
réussir un coup contre la Syrie au Liban. Il faut ajouter à cela la bataille
présidentielle que George W. Bush a gagnée et les changements qui ont suivi dans
son entourage : Rumsfeld est pratiquement hors jeu et c’est Condoleezza Rice qui
tient tout. Elle n’est ni mieux ni pire, mais elle travaille autrement. Par
exemple, c’est sur son injonction personnelle que le gouvernement israélien a dû
renoncer à appliquer à Jérusalem-Est la loi sur les biens des absents, qui lui
aurait permis de confisquer les propriétés de milliers de Palestiniens. Elle a
compris que c’était là une véritable bombe prête à exploser.
- Pourquoi, dans ce cas, laisser Sharon poursuivre la
construction du mur, qui est aussi un obstacle à la paix ?
- Elias Sanbar. C’est effectivement un des éléments qui fragilisent le plus
la situation. Mais Sharon vient de dire que ce n’était pas du tout une frontière
et les Américains pensent qu’il y aura effectivement moyen, quand on sera
parvenu à une solution, d’en changer le tracé. Ils en ont d’ailleurs eux-mêmes
préparé un et ils ont leurs propres cartes.
- Pour revenir à la situation palestinienne, comment conjurer
la menace d’une reprise des attentats par des organisations comme le Hamas ou le
Djihad islamique ?
- Elias Sanbar. Les négociations avec ces organisations ont commencé il y a
plus de deux ans pour tenter de les amener à entrer dans la vie politique
palestinienne, et peut-être même à participer au gouvernement. Ces négociations
continuent. Quant aux groupes armés, le nouveau ministre de l’Intérieur, Nasser
Youcef, qui vient d’être nommé, est chargé de les réintégrer tous dans les
forces de sécurité officielles de l’Autorité palestinienne. Je crois qu’il a
l’autorité nécessaire, c’est un ancien dirigeant des bases de fedayin au Liban
et un homme d’une très grande probité et d’une grande fermeté. Les brigades
d’El-Aqsa ont déjà accepté. Reste le Hamas. Je pense que son attitude dépendra
beaucoup de son intégration à la vie politique : il y aura des élections
municipales au printemps, des législatives en juillet. Mais tout dépendra aussi
beaucoup du sentiment qu’auront les gens que leur vie s’améliore ou non, et du
retour ou non d’un espoir dans le processus de paix.
- À Charm el-Cheikh, Ariel Sharon a dit aux Palestiniens qu’ils
devaient « renoncer à leurs rêves », ce qui voulait dire très clairement :
renoncer à Jérusalem et au retour des réfugiés. Est-ce possible, selon vous
?
- Elias Sanbar. Évidemment non. Quand les négociations commenceront
vraiment, c’est encore sur cela qu’elles vont buter. Mahmoud Abbas le sait, et
il est très clair sur ces questions.
(1) Figures du Palestinien
(Éditions Gallimard, 2004) et le Bien des absents (Éditions Actes Sud,
2002).
7. Egypte-USA : La bisbille par
Mona Salem
in Aujourd'hui Le Maroc (quotidien marocain) du lundi 21 février
2005
La conférence G8-pays arabes prévue pour le 3 mars au
Caire, a été reportée sine die au moment où se multiplient les critiques
américaines sur l'absence de démocratie en Egypte, notamment après l'arrestation
d'un dirigeant de l'opposition.
Le report a été annoncé dans un communiqué laconique du ministre des
Affaires étrangères, Ahmed Aboul Gheit, expliquant que les pays arabes l’avaient
souhaité pour que la réunion se tienne après le Sommet d'Alger, prévu les 22 et
23 mars et qu'une nouvelle date serait envisagée "à travers les canaux
diplomatiques". La remise de la conférence est intervenue après une visite,
mardi, à Washington de M. Aboul Gheit au cours de laquelle l'Egypte a été
critiquée publiquement par la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice,
après la mise en détention, le 21 janvier, du chef du nouveau parti d'opposition
libérale Al-Ghad (Demain), Ayman Nour.
Cette interpellation avait été
critiquée par la presse américaine, qui a multiplié ces derniers temps les
attaques contre le régime du président Hosni Moubarak, le qualifiant de
"dictature". Un porte-parole de Mme Rice avait laissé clairement entendre que la
nouvelle responsable de la diplomatie américaine ne comptait pas assister à la
réunion G8-pays arabes. Elle avait quelques jours auparavant sauté l'étape
égyptienne lors de sa première visite en Israël et dans les territoires
palestiniens. C'était la première fois depuis des années que le chef de la
diplomatie américaine faisait l'impasse sur Le Caire lors d'une tournée au
Proche-Orient.
A l'issue de ses entretiens à Washington avec M. Aboul Gheit,
Mme Rice avait exprimé la "vive inquiétude" de son gouvernement après
l'arrestation de M. Nour, en exprimant l'espoir qu'une "solution rapide" serait
trouvée à cette épineuse affaire. L'affaire Nour est en train de troubler les
relations égypto-américaines comme l'avait fait quelques années auparavant
l'affaire Saâd Eddine Ibrahim, président du centre Ibn Khaldoun pour les droits
de l'Homme, libéré en 2002 sous la pression des Etats-Unis, après son
incarcération pour "atteinte à l'image de l'Egypte" à l'étranger. M. Ibrahim,
professeur de sociologie à l'Université américaine du Caire bénéficiant de la
double nationalité américaine et égyptienne, s'est fait le chantre depuis une
dizaine d'années de la démocratie en Egypte. Il s'est porté candidat à la
prochaine élection présidentielle contre M. Moubarak, 76 ans, au pouvoir depuis
23 ans et qui doit briguer un cinquième mandat de six ans en mai prochain.
Le
quotidien américain “Washington Post” qui, dans un de ses derniers articles,
avait demandé au président George W. Bush d'intervenir directement auprès de M.
Moubarak pour qu'il ne se représente pas, est revenu à la charge la semaine
dernière, accusant le chef de l'Etat égyptien de "marchander" son appui au
processus de paix israélo-palestinien contre le soutien américain à son maintien
au pouvoir. Selon le quotidien américain, le Département d'Etat aurait préparé
un projet de lettre qu'il comptait adresser aux pays concernés suggérant
l'annulation de la conférence G8-Pays arabes.
A la suite des remarques
acerbes de Mme Rice, le porte-parole de la présidence égyptienne, Souleimane
Awad, avait rejeté les critiques américaines et "toute intervention étrangère
dans les affaires intérieures égyptiennes". Il a expliqué que l'affaire Nour
était une affaire "pénale et non politique" et qu'elle était entre les mains de
la justice égyptienne, dont, selon lui, "l'impartialité est reconnue"
Les
trois principaux partis de l'opposition égyptienne que sont le Wafd (libéral),
le Tagamoo (gauche) et le Parti nassérien (centre gauche) se sont alarmés de la
mise en détention de M. Nour, dont ils ont demandé la libération. Ils ont rejeté
en même temps "l'immixtion de l'Administration américaine dans les affaires
intérieures égyptiennes" après les déclarations de Mme Rice.
8. Au pied du mur par Valérie
Féron
in L'Humanité du samedi 19 février
2005
Des élus communistes et socialistes viennent de
séjourner en Israël et Palestine.
Jérusalem, correspondance particulière - « Balafre, blessure,
déchirure, cicatrice » sont les mots qui reviennent le plus souvent pour
qualifier le mur qu’Israël continue de construire en Cisjordanie, dans les
propos des élus communistes et socialistes français membres d’une délégation (1)
en visite cette semaine dans la région. Certains, pour qui ce voyage était le
premier en Israël et dans les territoires palestiniens, avaient du mal à trouver
leurs mots, comme Didier Cujives, conseiller régional de la région Midi-Pyrénées
et maire de Paulhac : « Ce béton, ces miradors rappellent de biens mauvais
souvenirs de guerre. Cette idée qu’en 2005 on peut séparer ainsi des humains et
empêcher de vivre tout un peuple est inimaginable. Et cela ne résout pas à mes
yeux le problème de la sécurité d’Israël. » Comme beaucoup d’autres
participants, il avoue qu’il aura besoin de temps pour digérer la somme
d’informations accumulées pendant ces quatre jours au programme chargé, entre
les moments passés dans des camps de réfugiés palestiniens, la visite de la
colonie de Maale Adoumim en banlieue de Jérusalem et les rencontres avec des
officiels des deux parties.
Les élus de la délégation se montraient souvent dubitatifs à l’égard des
discours entendus, qui leur ont paru bien optimistes tant la réalité de terrain
semble en contradiction avec la reprise du dialogue affiché. Certains, très
choqués, se demandaient ouvertement « ce qu’il y a encore à négocier ». « Le mur
accompagne parfaitement le plan de continuité territoriale des colonies »,
expliquait Michel Beaumale, le maire de Stains, ville jumelée avec le camp de
réfugiés d’Al Amari près de Ramallah, ajoutant que « l’intervention de la
communauté internationale s’impose » plus que jamais. Marc Everbecq, maire de
Bagnolet, jumelée avec le camp de réfugiés de Chatila au Liban, qui effectuait
lui aussi sa première visite en Israël et dans les territoires palestiniens, se
demandait pour sa part sur quoi peut « déboucher cette politique israélienne de
domination du territoire » qu’il compare à « une fuite en avant ». Côté
palestinien, il a déclaré espérer que les « problèmes d’unité interne ne
pèseront pas trop » dans l’avenir sur les défis nationaux. Au-delà des problèmes
posés par le mur et la colonisation, il estimait que rien n’était « irréversible
» et que la vraie question restait de définir « comment aider à la création d’un
État palestinien viable », une question qui était au coeur de ce voyage.
Quant à Mouloud Aounit, le secrétaire général du MRAP, il résume ce qui l’a
frappé en trois mots : « humiliation » et « dignité » des Palestiniens et «
mépris » des Israéliens vis-à-vis des Palestiniens mais aussi de la loi
internationale : « La sécurité que réclame Israël ne peut être portée que par la
justice et le droit, souligne-t-il. Et ce qui se joue ici à des résonances,
qu’on le veuille ou non, chez nous, en France. Car ces questions relèvent de
l’universel et interpellent par conséquent chacun d’entre nous dans son
humanité. »
(1) La délégation d’élus qui a séjourné
toute la semaine dernière en Israël et en Palestine était conduite par Fernand
Thuil.
9. Jéricho mise sur son casino pour séduire
les touristes par Sophie Claudet
Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 16 février
2005, 11h20
JERICHO (Cisjordanie) - Les rutilantes machines à sous ont beau être
silencieuses et les roulettes figées faute de joueurs, Jéricho mise plus que
jamais sur son casino pour relancer son économie dès la prise en charge de la
sécurité par les forces palestiniennes. Propriété de l'Autorité palestinienne et
d'un consortium autrichien, l'établissement ultra-moderne, qui s'étend sur 9.400
m2 à l'entrée de la ville, avait ouvert en fanfare en 1998. Mais, un mois après
le déclenchement de l'Intifada dans les territoires palestiniens en septembre
2000, il a été contraint à la fermeture.
"Cela fait quatre ans que nous sommes prêts à rouvrir mais la situation ne
le permettait pas", confie Brett Anderson, directeur général de l'Oasis, unique
casino des territoires palestiniens et d'Israël. "Si les Israéliens sont de
nouveau autorisés à venir à Jéricho, les affaires reprendront", espère M.
Anderson. A ses débuts, les promoteurs du projet semblaient pourtant avoir
réussi leur pari en attirant chaque soir quelques 2.500 joueurs, qui venaient
presque tous d'Israël où les maisons de jeu sont interdites.
La fermeture de l'Oasis et le limogeage de ses quelque 2.000 employés, dont
des centaines de Palestiniens, a porté un sévère coup à l'économie de Jéricho
qui avait connu un boum sans précédent grâce au casino et aux milliers de
touristes qu'il attirait chaque jour. "Si Israël veut vraiment améliorer la vie
des Palestiniens, il peut
certainement le faire rapidement en autorisant les
Israéliens à revenir à Jéricho", estime M. Anderson, ajoutant qu'il lui faudrait
au moins huit semaines pour recruter un nouveau personnel. Originaire de
Nouvelle Zélande, M. Anderson passe son temps libre à s'entraîner sur les
collines sablonneuse de Jéricho en vue d'un marathon auquel il doit participer
dans son pays natal.
Dans le restaurant Green Valley près du casino, Khalil Hachem s'occupe de
quatre rares clients venus manger chez lui. "J'étais croupier dans le casino et
je gagnais 1.200 dollars par mois alors qu'aujourd'hui j'en gagne à peine 250",
regrette-il. Selon lui, la levée des restrictions israéliennes à l'entrée de
Jéricho est vitale pour l'économie de la ville, saignée à blanc par plus de
quatre années de violences.
"Jéricho tire ses revenus de l'agriculture et du tourisme et les deux
secteurs ont été dévastés par les blocus imposés par l'armée israélienne", se
lamente M. Hachem. "C'est d'autant plus injuste que notre ville a été totalement
calme pendant l'Intifada", ajoute-t-il.
Marasme économique oblige, Ishaq Nousseibeh est devenu un touche-à-tout
pour s'en sortir. "J'ai planté des laitues mais cela n'a pas rapporté d'argent
car je n'ai pas pu les écouler hors de Jéricho", soupire-t-il. Espérant une plus
grande réussite, M. Nousseibeh a tenté de vendre des antennes satellitaires mais
son commerce a vite périclité. "Les gens n'ont pas d'argent à dépenser" pour
capter ainsi des programmes télévisés, explique-t-il. Ni d'ailleurs pour noyer
leur chagrin dans l'alcool, à en juger par la faible fréquence dans le bar que
M. Nousseibeh tient à présent. "Un verre ça coûte aussi de l'argent", fait-il
remarquer.
Encouragé par le transfert attendu de la ville à la Sécurité palestinienne,
Riad Hamad, qui gère la Jericho Resort, un complexe de chalets et de piscines, a
commencé à préparer des forfaits destinés aux agences de voyage en Israël "Je ne
sais pas exactement qu'est-ce qu'Israël va nous transférer mais si cela signifie
le retour des touristes, j'y suis favorable", confie-t-il.
10. Qui a quelque chose à gagner de
l’assassinat de Hariri ? par Michael Jansen
on Jordan Times
(quotidien jordanien) du mercredi 16 février 2005
[traduit de l’anglais par Marcel
Charbonnier]
Le premier tournant fut la conséquence
des déclarations du sommet de Sharm El-Sheikh, engageant l’Autorité
Palestinienne Autonome (APA) et Israël à cesser les hostilités. Il fut suivi par
les tentatives déployées par divers mouvements de la résistance palestinienne
afin de mettre un terme aux attaques contre les soldats et les colons
israéliens. En acceptant un cessez-le-feu unilatéral, le Hamas, le Djihad
islamique et les Brigades des Martyrs d’Al-Aqça ont acquis un avantage certain,
tant sur l’APA que sur Israël.
En particulier, le Hamas peut désormais exiger
du président palestinien Mahmoud Abbas (Abou Mazen) qu’il tienne parole en
permettant à cette formation de jouer pleinement son rôle dans la vie politique
consensuelle.
Le dirigeant palestinien disparu Yasser Arafat refusait de
donner au Hamas un tel rôle parce que le mouvement islamiste représentait une
menace très sérieuse pour l’hégémonie du Fatah. Arafat avait repoussé à
plusieurs reprises les élections municipales en Cisjordanie et dans la bande de
Gaza. Il redoutait que le Hamas, qui assure divers services indispensables aux
Palestiniens nécessiteux, et qui a une réputation d’intégrité, n’obtienne
beaucoup de voix. Arafat avait raison, comme les élections l’ont démontré : le
Hamas a pris le contrôle des conseils municipaux de Cisjordanie et de la bande
de Gaza, lors des élections qui se sont déroulées en décembre et janvier
derniers.
La résistance a elle aussi été renforcée, car elle a désormais un
certain degré de « contrôle » de la situation et elle peut dicter, dans une
certaine mesure, à Israël ce qu’il doit faire. La résistance a indiqué qu’elle
ne tirerait pas sur des Israéliens aussi longtemps qu’Israël se tiendrait
tranquille, et cesserait ses incursions dans des zones palestiniennes, mettrait
un terme aux assassinats de dirigeants de la résistance et dissuaderait les
colons et les militaires israéliens d’attaquer les Palestiniens. Si la
résistance réussit dans cette entreprise, le prestige international du mouvement
sera considérablement rehaussé.
De plus, la résistance a également cassé la
baraque d’Israël en promettant de cesser le feu tant qu’Israël ne tuera plus de
Palestiniens, n’effectuera plus de raids dans les villes et les villages
palestiniens ni ne démolira plus de maisons palestiniennes. Ceci signifie
qu’Israël doit se départir de son usage disproportionné de sa puissance
militaire à l’encontre des Palestiniens. Israël a l’habitude de taper à tours de
bras sur les Palestiniens vivant dans les territoires occupés. Les militaires
israéliens ainsi que les colons – armés – tirent de manière routinière sur les
Palestiniens en train d’effectuer leurs tâches quotidiennes et parfaitement
innocentes. Une grande partie des
3 585 Palestiniens tués depuis le début de
la Seconde Intifada, en 2000, furent les victimes de soldats et de colons
israéliens à la gâchette facile, opérant sous des règlements militaires des plus
nébuleux.
Si Israël veut faire obtempérer ses militaires, il devra changer
ces règlements et punir les soldats qui tirent sur les Palestiniens en l’absence
de tout motif réel, ou encore qui tirent sur des civils palestiniens ou les
agglomérations palestiniennes. Israël devra également imposer des contrôles très
stricts à l’usage fait par les colons de leurs armes, lesquels colons sont
peut-être d’ores et déjà déterminés à faire feu sur les Palestiniens afin de
briser le cessez-le-feu et de susciter des représailles de la résistance, avec
pour objectif de parachever l’accord de Sharm al-Sheikh.
Si le Premier
ministre israélien Ariel Sharon a concédé une cessation des hostilités, c’est
parce qu’il est déterminé à mettre en application son plan de retrait des colons
et de l’armée israélien de la bande de Gaza, ainsi que de quatre petites
colonies du nord de la Cisjordanie. Sharon ne veut pas effectuer ce retrait «
sous le feu » de la résistance palestinienne. Il ne souhaite pas recréer le
traumatisme du retrait israélien du Sud-Liban, qui fut perçu comme la
conséquence des tirs du mouvement Hizbollah (en l’occurrence : à juste
titre).
Sharon veut également s’assurer que l’Autorité palestinienne prendra
la bande de Gaza sous son contrôle quand Israël s’en retirera. Il est prêt à
accepter le fait que le Hamas ainsi que d’autres mouvements de résistance se
soient rangés, le moment venu, sous le parapluie politique de l’OLP et donc sous
le contrôle de l’Autorité. Pour lui, cela serait préférable de toutes manières à
la situation actuelle, dans laquelle ces groupes peuvent agir à leur
guise.
Sharon espère que son schéma pour Gaza supplantera la « feuille de
route » qui envisage l’évacuation par Israël de la plus grande partie de la
Cisjordanie et de la bande de Gaza, ainsi que la création d’un Etat palestinien
indépendant dans ces deux territoires (aujourd’hui occupés par Israël). Mais
Sharon reste inflexible quant au maintien du contrôle israélien sur la plus
grande partie de la Cisjordanie – qu’il insiste à appeler « Judée et Samarie » -
dans le camp du Grand Israël, et il est convaincu que son retrait de Gaza
représentera l’unique évacuation majeure de territoires palestiniens.
Tandis
que le reste du monde sera focalisé sur son projet de retrait de Gaza, Sharon
accélèrera la construction du mur et des routes réservées aux colons en
Cisjordanie et il agrandira les blocs de colonies déjà existants, afin de rendre
psychologiquement « impossible » pour Israël de restituer de grandes zones de la
Cisjordanie aux Palestiniens où ceux-ci y établiraient leur Etat viable. On le
voit : si Sharon a concédé un avantage politique immédiat, c’est uniquement au
profit d’un gain territorial sur le long terme.
Le second développement
majeur fut l’assassinat, il y a une dizaine de jours, de l’ex-Premier ministre
libanais Rafiq Hariri. Celui-ci a été tué au moment où les Etats-Unis et leurs
alliés [dont la France, ndt] accentuaient leurs pressions sur Damas afin de la
contraindre à quitter le Liban. L’opposition libanaise anti-syrienne a accusé
Damas d’être impliquée dans l’assassinat. D’autres, notamment les Etats-Unis,
ont accusé tant les Syriens que le gouvernement libanais de n’avoir su ni
protéger Hariri, ni imposer la sécurité.
Les analystes les plus équilibrés
ont dit que pour rien au monde la Syrie n’aurait compromis son rôle de garante
de la stabilité du Liban en assassinat le seul politicien libanais d’envergure,
lequel avait été, jusqu’à tout récemment (octobre dernier) un allié de Damas. La
Syrie aurait difficilement pu prétendre être un gardien efficace dès lors qu’un
attentat aussi choquant aurait pu se produire.
Rim Allaf, analyste au Royal
Institute of International Affairs de Londres, a fait observer que « qui que ce
soit qui ait fait le coup, l’attentat visait à créer le chaos au Liban et à
désigner la Syrie du doigt. Je ne puis me résoudre à penser que quiconque, en
Syrie, a pu estimer que cela pouvait aider en quoi que ce soit le régime syrien.
»
En assassinant Hariri, a-t-elle affirmé, « la Syrie se serait tiré une
balle dans le pied ».
Quelle que soit la partie qui a perpétré l’attentat à
la bombe contre Hariri, elle était assurée que Damas se retrouverait en position
d’accusée. Par conséquent, on doit se demander à qui profite l’assassinat de
Hariri ? Israël, bien entendu, fut le coupable immédiatement désigné par les
nationalistes arabes de Beyrouth Ouest. Ils avancent l’argumentation suivante :
Israël cherche à démontrer que la présence syrienne n’est plus désormais un
facteur de stabilité au Liban, afin de contraindre Damas à s’en retirer. Ils
disent aussi que l’attentat a averti le Liban qu’il doit maîtriser le Hizbollah,
qu’Israël accuse d’entraîner et d’armer des activistes islamistes palestiniens
en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Cette frappe, au cœur de la capitale
libanaise, pourrait aussi contraindre la Syrie à mettre un terme au soutien
qu’elle apporte au Hizbollah et à la résistance palestinienne.
Les
adversaires de cette interprétations affirment que Sharon aurait dû réfléchir à
deux fois avant de déstabiliser le Liban avant d’avoir mené à bien le retrait
israélien de la bande de Gaza. Cela lui convient sans doute parfaitement de voir
Damas empêtré au Liban, car cela lui évite d’avoir à s’occuper de deux fronts
actifs à la fois, au sud et au nord, en des temps où il se retrouvera sous le
feu de la droite israélienne extrémiste, opposée au retrait israélien de la
bande de Gaza.
Alors : qui est le principal bénéficiaire de l’assassinat de
Hariri ? C’est l’administration Bush. Washington tripatouille au Liban depuis
plus d’un demi-siècle. Il a même eu recours aux voitures piégées, et à plus
d’une occasion : dans les années 1980, la CIA a tenté, en vain, d’assassiner le
Sheikh Hussein Fadlallah, chef spirituel du Hizbollah, au moyen d’une bombe
surpuissante.
Dès l’annonce de la mort de Hariri, Washington a tiré profit de
l’avantage politique que lui donnait l’événement pour accroître ses pressions
sur la Syrie afin de la contraindre à se retirer du Liban, à cesser d’apporter
son soutien aux résistants palestiniens et à sévir contre les éléments de la
résistance irakienne qui tenteraient de franchir la frontière syro-irakienne
pour s’infiltrer en Irak [sous occupation américaine, ndt].
Le rappel très
prompt de l’ambassadrice des Etats-Unis à Damas « pour consultations » et les
menaces d’aggraver des sanctions encore limitées montrent que l’administration
Bush est prête à prendre des mesures très sérieuses à l’encontre de la Syrie.
Par la simple publication de telles menaces, les Etats-Unis se sont assurés d’un
levier politique accru au Levant.
George Bush et ses responsables
néoconservateurs ont à l’esprit un scénario pour la Syrie et le Liban depuis
leur accession aux manettes, en 2001. En contraignant la Syrie à retirer ses
troupes et son influence politique du Liban, l’administration Bush, tel Israël
en 1982, rêve peut-être d’installer ses hommes liges aux postes de Président et
de Premier ministre à Beyrouth. Bush pourrait ainsi tirer gloriole d’avoir «
libéré » le Liban et apporté la démocratie à ce pays. Si l’administration Bush
réussit dans son entreprise, elle aura imposé un deuxième changement de régime à
son profit dans le monde arabe – après l’Irak – et [« jamais deux sans trois… »]
elle pourrait, de ce fait, être encouragée à envisager une troisième
cible…
11. La presse divisée sur les
commanditaires par Saïd Aït Hatrit
in El Watan (quotidien algérien) du mercredi 16
février 2005
De l’Europe à l’Afrique, en passant par
l’Asie et l’Amérique, la communauté internationale a unanimement condamné hier
l’attentat qui a coûté la vie, lundi dernier, à l’ancien Premier ministre
libanais Rafic Hariri ainsi qu’à quinze autres personnes.
La presse a été aussi unanime à mettre en garde contre un retour du chaos
dans ce pays poudrière du Proche-Orient, ravagé par quinze ans de guerre civile
(1975-1990). Mais alors que la presse européenne et américaine, dans son
ensemble, voit dans l’Etat syrien le principal bénéficiaire de cet assassinat,
les pays arabes préfèrent y voir un complot israélien visant à jeter le
discrédit sur Damas. Au lendemain de l’attentat, la presse libanaise, stupéfiée,
se préoccupait avant tout de maintenir l’unité nationale. « Ils veulent tuer
l’espoir », titrait le quotidien francophone l’Orient le Jour, tout aussi
effondré que le Daily Star, pour qui « le Liban, qui a renoué avec les pires
moments de la guerre civile, risque de nouveau d’être plongé dans les ténèbres
». « L’enfer s’est de nouveau emparé de Beyrouth », écrivait le quotidien
d’opposition An Nahar, appelant les Libanais à « surmonter l’épreuve » et à «
resserrer les rangs ». As-Safir et Al Moustaqbal, le journal de l’homme d’Etat
assassiné, précisant que Rafic Hariri « est mort en martyr ». « Si on pose la
question à qui ce crime profite, la première réponse est bien la Syrie », estime
le quotidien français de gauche Libération. Expliquant que les assassins du
riche homme d’affaires « avaient pour but de déstabiliser le Liban et d’y
empêcher toute remise en cause du statu quo, c’est-à-dire de l’occupation
syrienne ». Comme Libération, Le Parisien voit dans l’attentat « un message
adressé à Jacques Chirac », « très proche ami de Hariri », et « une réponse à la
résolution 1559 de l’ONU », soutenue par la France et les Etats-Unis, et qui
réclame le retrait des troupes syriennes du Liban. « Faut-il pourtant porter
uniquement son regard vers Damas pour situer les commanditaires présumés de ce
crime ? », s’interroge La Croix. Le quotidien catholique français juge que l’on
« ne saurait évacuer la piste d’un règlement de comptes de nature non politique.
Ni la piste iranienne », Téhéran pouvant chercher à envoyer un message aux
Etats-Unis à travers l’un de ses « pions ». De même, le Sueddeutsche Zeitung, en
Allemagne (centre gauche), constate que « les regards se portent automatiquement
sur la Syrie. Mais un acte terroriste dans son Etat satellite peut-il
représenter un intérêt pour la Syrie ? », s’interroge le média. Pour le reste,
la presse en Europe est unanime pour désigner Damas comme le principal « présumé
coupable ». En Italie, où le Corriere della Sera titre sur « Un complot pour
interrompre les adieux à Damas », en Espagne où El Pais estime que « tous les
soupçons se portent sur le régime de Damas » ou encore en Grande-Bretagne où The
Times (droite) voit dans l’assassinat de Rafic Hariri « une atrocité marquée de
la main sinistre de la Syrie ». Dans son éditorial, le New York Times, qui en
appelle à une « enquête internationale », voit plus loin et juge que «
l’assassinat de M. Hariri pourrait temporairement effrayer les critiques de
Damas au Liban, mais que son effet à long terme devrait provoquer un effort
renouvelé pour que la Syrie quitte le Liban ». Al-Watan, au Koweït, est l’un des
rares journaux arabes à risquer d’évoquer la piste de Damas. Concluant de toute
façon que « si la Syrie est incapable de préserver la sécurité, comme certains
incidents l’indiquent, elle doit quitter le Liban immédiatement ». Mais pour
Al-Khalee, aux Emirats arabes unis, comme pour l’essentiel de la presse arabe, «
ce crime ne profite qu’à l’ennemi israélien ». « On ne peut pas dissocier cet
acte terroriste des développements critiques dans la région et dans lesquels
Israël joue un rôle primordial », analyse ainsi le quotidien qatari Al-Raya. La
presse syrienne, sur la défensive, accuse elle-même Israël de chercher à semer «
l’anarchie et la division au Liban ». Le journal gouvernemental Techrine
explique qu’« Israël a adopté une position hostile au rôle arabe du Liban depuis
la fin de son occupation du sud du pays (en mai 2000, ndlr) et qu’il continue
d’œuvrer pour saboter les réalisations libanaises afin de ramener l’anarchie
dans ce pays » et de « voler les eaux et les richesse du Sud libanais ». De la
même façon, écrit Al-Watan, en Arabie Saoudite, « ceux qui rejettent
l’accusation sur la Syrie feignent d’ignorer les relations excellentes entre le
Liban et la Syrie (...), comme ils feignent d’ignorer (...) les menaces
auxquelles elle est exposée de la part des Etats-Unis et d’Israël ». De leur
côté, les analystes égyptiens - anciens ministres, politologues ou militaires -
refusent de croire à la culpabilité de la Syrie. Raouf Ghoneim, ancien
vice-ministre des Affaires étrangères, qui s’exprimait sur la chaîne publique
Nile-TV et dont les propos sont rapportés par l’AFP, penche pour une « diversion
américaine » ou une action israélienne destinée à déstabiliser le Liban et à
accroître la pression sur la Syrie. « J’écarte totalement la piste syrienne »,
déclarait, pour sa part, le politologue Gamal Salama sur la chaîne Al Akhbar. «
Au contraire, c’est la Syrie qui est visée par cet attentat. »
12. Entretien avec Alain Ménargues : "Je
suis viscéralement opposé à l’intolérance" propos recueillis par F.
Amalou
in La Nouvelle République (quotidien algérien) du mardi 15 février
2005
(Alain Ménargues est grand-reporter,
envoyé spécial permanent au Moyen-Orient et directeur adjoint chargé des
antennes et de l’information à RFI.)
- La Nouvelle République : Que voulez-vous dire
par «je suis résolu à me battre contre tous ceux qui accusent injustement des
gens honnêtes» ?
- Alain Ménargues : Je dis tout
simplement que je suis fondamentalement, viscéralement, opposé à l’intolérance.
J’écris des choses sur les Israéliens et sur le mur de Sharon, c’est parce que
j’ai fait des recherches, j’en suis arrivé à ces conclusions et je suis honnête.
Il ne s’agit pas pour moi de renier ce que j’ai dit. Si quelqu’un n’est pas
d’accord avec moi, je trouve cela normal, c’est le débat démocratique, mais on
n’accuse pas les gens de choses qui ne sont pas uniquement pour Israël. Mais
c’est une méthode de communication propre aux Israéliens et à leur
gouvernement, qui a un service de l’armée, le 5e bureau, avec des
agents d’influence comme le fameux avocat Goldnadel à Paris. Je vais essayer de
me battre contre ces gens-là, et je le fais avec détermination. C’est le type de
combat qu’il faut réfléchir. J’ai commencé maintenant à faire un certain nombre
de déclarations, à faire construire un site à ce sujet de manière à arrêter ce
type de propagande complètement fasciste. Ces gens-là sont de l’extrême-droite
israélienne, ils sont pires que Le Pen.
- Quelle a été la réaction de votre hiérarchie à
l’accusation d’antisémitisme ?
- Ils m’ont licencié. Pour faute
grave, c’est un prétexte, car c’est un licenciement politique. Mais j’attaque le
président Schwartz sur la base de l’article 122/45 du code du travail qui dit
que nul ne peut être licencié pour ses opinions politiques. C’est la première
fois depuis 32 ans que la justice devra se prononcer sur l’application de ce
texte. Je trouve scandaleux que dans un pays de liberté, il y ait des
bavures comme cela de la part d’un commis de l’Etat. Le porte-parole du quai
d’Orsay a, lui, déclaré que mes propos étaient scandaleux. Mais je crois qu’il
va être obligé de s’expliquer devant la justice.
- Comment pouvez-vous expliquer les mécanismes
qui ont provoqué votre licenciement ?
- Cela s’est passé très
vite, c’est un des facteurs. C’est d’abord 4 ou 5 journalistes que j’appelle,
moi, des fonctionnaires, sans grande valeur professionnelle et militants
pro-israéliens de droite qui ont protesté en interne contre mon livre, puis ont
fait appel à Goldnadel, l’avocat, dont le communiqué a été repris par ces
journalistes. Et en s’appuyant mutuellement, ils ont fait monter la mayonnaise :
en petite assemblée générale (100 journalistes sur 600), le PDG, en grand
fonctionnaire et énarque qu’il est, a eu peur et a préféré ne pas avoir de
problèmes. Schwartz n’a pas été seul, le porte-parole du quai d’Orsay a pris
position parce que c’est arrivé le jour où le ministre des Affaires étrangères,
Barnier, partait en Israël. La question qui lui a été posée, c’est parce que
Barnier allait en Israël. C’est un montage, il y a une manipulation derrière,
c’est évident.
- Mais face à une manipulation telle que vous en
avez été victime, on se demande si on est France, pays de Victor Hugo et d’Emile
Zola, figures emblématiques d’un humanisme universel, ou en Israël, un gros
gabarit ?
- On est en France, et j’estime que mon affaire est
une bavure, je demande à la France de la réparer. Cela ne veut pas dire autant
qu’elle ait changé de statut, la France reste un pays de liberté, mais la
liberté, il faut se battre tout le temps pour la conserver. Pour ce qui concerne
Israël, elle peut paraître comme un gros gabarit, parce qu’ils n’ont personne en
face d’eux, le monde arabe n’a pas de communication.
Jusqu’à la
mondialisation, ceux qui détenaient le secret, détenaient le pouvoir.
Depuis la mondialisation, ceux qui détiennent la communication détiennent le
pouvoir : l’Amérique a fait la guerre sur une communication de mensonges, mais
les dirigeants du monde arabe n’ont pas compris qu’il faut communiquer
sainement.
- Quel est ce lobby qui manipule l’information,
en France, selon vous ?
- Pour ce qui concerne le
Proche-Orient, il y a un lobby israélien d’extrême-droite, pro- Sharon, de
colons qui sont plus à droite que Le Pen. Pourtant, la France a peur de Le Pen,
mais elle devrait avoir plus peur de l’extrême-droite israélienne qui est
terrible. La gauche israélienne, notamment vis-à-vis des Palestiniens, est
encore plus à droite que Le Pen. L’extrême-droite, elle, est un véritable
fascisme.
- Lors de votre passage sur LCI, vous repreniez
votre interlocuteur sur la définition de l’Etat d’Israël, présenté comme un Etat
démocratique, en lui précisant qu’on avait plutôt affaire à un Etat raciste et
lui expliquant la discrimination dont sont victimes les Arabes fichés comme
arabes sur leurs papiers d’identité…
- Ils sont fichés comme
non-juifs. Israël n’a pas de Constitution pour des raisons religieuses parce que
la religion dit qu’il n’y aura d’Etat d’Israël que lorsque le messie arrivera.
Donc ils sont régis par des lois fondamentales au nombre de 12. Il y en a une
qui a été votée en 1952 qui définit une citoyenneté israélienne pour les
habitants d’Israël et cette citoyenneté est subdivisée en nationalités : ils
disent que le peuple juif est une nation, que les musulmans sont une nation et
les chrétiens, une troisième nation. Ce que nous appelons une religion, eux
l’appellent une nation. Donc les papiers d’identité et en particulier les
passeports de citoyens israéliens de nationalité autre que juive ont leurs noms
soulignés pour que la police voit s’il s’agit de juifs ou non.
Sur LCI,
parliez-vous comme l’envoyé spécial au Moyen-Orient qui a été témoin des
humiliations dont sont victimes les Palestiniens ou comme un homme de bon sens
?
Les deux. L’homme que je suis a été formaté par mes études, par mes
parents, par mon environnement. A ce titre, c’est Ménargues qui parlait en tant
qu’invité, auteur venant parler de son livre et pas en tant que directeur de
l’information. D’ailleurs, je n’ai jamais donné la moindre consigne aux
journalistes de RFI, ni dans un sens, ni dans un autre, mais j’estime que les
journalistes ont un droit d’expression, à commencer par les dirigeants de ces
journalistes.
- Vos collègues vous ont-ils défendu
?
- (Sourire).
- Sourire très éloquent, monsieur Ménargues
!
- Certains m’ont passé des coups de téléphone, d’autres ont
agi dans la discrétion, mais personne publiquement.
- C’est par peur de représailles ou…
?
- Par terreur, parce qu’il y a une véritable terreur et je
reproche au gouvernement français d’avoir laissé cette peur s’installer. Il faut
savoir que jamais quelqu’un qui a été traîné devant les tribunaux par les
associations d’extrême-droite israéliennes pour antisémitisme, jamais ces
associations n’ont gagné, elles ont toujours perdu, les victimes ont gagné leurs
procès. Mais c’est une campagne de pression et les journalistes ne sont pas
courageux.
- C’est du terrorisme intellectuel
!
- Oui, du terrorisme intellectuel ! Je regrette que les
hommes politiques français n’aient pas beaucoup de courage, eux aussi. C’est la
bêtise et la lâcheté des hommes politiques et fonctionnaires français et la
disparition d’une fibre de philosophie politique. Il n’y a plus de valeurs ! Je
vous donne un exemple, on vient de passer le soixantième anniversaire
d’Auschwitz, il y a beaucoup de Français, de résistants, dans le Vercors, à
Paris, qui ont été tués ou amenés en déportation et qui étaient juifs, ils sont
morts dans les camps de concentration parce qu’ils étaient résistants.
On a
barré leur fonction de résistants pour les installer comme juifs. C’est de la
manipulation de l’Histoire et c’est fait par ces associations-là qui sont en
train d’installer dans les écoles françaises des listes d’enfants juifs morts en
déportation. Pourquoi ne met-on pas les noms de ceux qui n’étaient pas juifs
morts en déportation aussi ?
- Comment expliquez-vous cette attitude des
autorités françaises ?
- Le clientélisme politique, la bêtise
politique.
- Comment pouvez-vous expliquer une réaction
aussi rapide à l’évocation d’Israël, Etat théocratique, ne serait-ce pas lié à
la shoah ?
- Oui et non, il faut remonter dans l’histoire et
prendre cela en géopolitique : jusqu’en 1982, à la guerre du Liban, Israël était
un Etat victime, puis il y a eu Sabra et Chatila et la première et surtout la
deuxième Intifadha. Du coup, dans l’image, Israël est devenu un Etat agresseur
qui fait tout maintenant pour que cette image d’Etat agresseur disparaisse. Tous
ceux qui accusent Israël sont attaqués de même que le rapporteur des Nations
unies qui parle du camp de Jénine. Pourtant, il y a une résolution des Nations
unies qui dit que le sionisme est une philosophie politique raciste, Israël a
mis 13 ans pour rayer cela. Quand je dis, moi, qu’Israël est un Etat raciste, je
suis attaqué.
- Pourquoi maître Goldnadel, qui a changé
l’intitulé de son Association des avocats juifs en Association des avocats
semant ainsi la confusion avec celle des Avocats de France, persécute-t-il ainsi
les journalistes ?
- Qui est M. Goldnadel ? C’est un agent
d’influence, en termes de renseignement. Un combattant sioniste extrémiste de
droite. Il a tenté de lier des liens entre Sharon et Le Pen, mais ce dernier a
refusé. Je suis attaqué parce que je suis passé sur Radio Courtoisie (radio
d’extrême-droite française) alors que lui y est passé en août. Etre attaqué par
lui est pour moi un honneur.
- Pourquoi, en France, y a-t-il autant d’attaques
de la sorte et pas dans les autres pays européens ?
- Parce que
sur le plan géostratégique, l’Amérique est trop proche des Israéliens et il n’y
a que l’Europe qui pose problème, et qui en Europe ? Pas l’Allemagne, pour cause
de camps de concentration, pas les Britanniques, pour cause de mandat, alors ils
essaient de rappeler à la France qu’il y a eu les trains de la déportation. Cela
avait marché longtemps quand les hommes politiques avaient connu cette époque de
la guerre.
- C’est une façon d’imposer insidieusement un
pouvoir…
- Non, un contrôle. Israël fait partie du monde arabe
et ce n’est pas parce que les dirigeants sont des Ashkénaze venus d’Europe
que l’équipe de football joue en Coupe d’Europe qu’ils vont rentrer dans
l’Europe. Ils poussent actuellement la Turquie à rentrer dans l’Europe pour la
déstabiliser, mais cela ne les fera pas rentrer, eux, dans l’Europe. Ils se
disent la tête de pont de l’Occident, dans le monde arabe, mais il n’y a pas de
tête de pont dans le monde arabe. On n’a pas besoin d’intermédiaire israélien
avec le monde arabe.
Parlons lexique maintenant, si vous le permettez.
Pourquoi les Israéliens s’approprient-ils le concept de «sémites», les Arabes,
le sont aussi, sémites ? Même les intellectuels et les journalistes abondent
dans cette idée-là ?
Même Arafat a été traité d’antisémite. Mais les Arabes
ne leur ont jamais dit, nous aussi, nous sommes des sémites. Ils n’ont jamais
défendu leur position, il faut qu’ils revoient leur méthode de communication.
Voyez comment les Américains sont entrés en guerre sur un coup de communication
de mensonges.
- Votre fondation, M. Ménargues, des 100
journalistes, s’agit-il d’un comité d’experts chargé du traitement de ce type
d’accusation, de son décryptage et de son explication dans le contexte
géopolitique de l’heure ?
- Non. Par expérience, c’est en
étudiant les dossiers précédents que je me suis aperçu que les accusateurs
mettaient en lumière les accusés d’antisémitisme et disparaissaient.
Moi, je
veux qu’ils restent à la lumière, c’est pourquoi je veux créer un site où je
dirais M. Goldnadel c’est ceci et cela. Je veux démonter les processus. Il ne
m’appartient pas et n’appartient pas aux journalistes le droit de dire ceci est
bien et cela est mal, mais on peut dire qui est qui et qui fait quoi. Si vous
prenez Dieudoné, il a eu
17 procès, en France. Je veux connaître les 17
personnes qui l’ont traduit en justice et mettre leurs photos sur internet. Que
tout le monde les voit.
- Les journalistes qui vous ont rejoint
partagent-ils tous vos opinions ?
- Ils partagent totalement
mes opinions de ras-le-bol de cette pression et de ce terrorisme
intellectuel.
- Ont-ils connu ou peuvent-ils connaître des
frondes semblables ?
- Non, ils sont écœurés par cette espèce
d’attaque sans consistance. Donc ils ont décidé de collecter toutes les
informations. Par exemple, je dis Goldnadel, tout le monde va chercher qui est
cette personne, où elle habite, qui est sa femme, dans quelle association
milite-t-il, qui le paye, comment il le paye et on dit, M. Goldnadel,
c’est lui. Croyez-moi, cela va changer beaucoup de choses.
Quand les gens
attaquent en étant sûrs de leur impunité, ils peuvent attaquer n’importe qui,
mais quand ils seront simplement connus, cela va être différent. C’est une
affaire de communication. Faisons de la communication.
- Cette fondation est-elle ouverte à tout le
monde ?
- A tout le monde ! Savez-vous que les premiers
journalistes à adhérer à cette fondation sont des journalistes israéliens. J’ai
des journalistes arabes et américains. C’est ouvert à tout le monde. Ce que je
contrôle, c’est l’honnêteté des journalistes. Pour moi, c’est le critère ;
objectif ne veut rien dire. Qu’ils disent ce qu’ils pensent comme ils le
pensent, même s’ils ne sont pas d’accord entre eux.
- Comment pouvez-vous expliquer ce manque de
considération d’Israël pour l’ONU ?
- Pourtant, ils sont nés
grâce à l’ONU, dont ils ont décidé de passer outre. Ils ne peuvent pas le faire
longtemps, on ne peut pas faire partie d’une société sans en respecter les
règles. Il y a la société internationale, elle a des règles, ils vont être
obligés de rentrer dedans sinon ils vont être boycottés.
- Quel est le rôle des Etats-Unis dans cette
arrogance ?
- Pierre Jémayel, un leader arabe chrétien, a dit
un jour à Itzhak Rabin, vous êtes le 51ème Etat des Etats-Unis. Je me demande si
les Etats-Unis ne sont pas une province d’Israël. Si vous regardez le
gouvernement américain, beaucoup sont des juifs américains avec la double
nationalité israélienne.
Les lectures de Bush, dit un article du Monde, sont
des philosophes du Likoud. Le vice-ministre de la Défense, Wolfowitz, est
conseiller de Sharon.
On oublie souvent que le régime américain est un
régime religieux. Donc, à partir de là ils ont vis-à-vis d’Israël une position
religieuse avant d’être politique. J’ai souvent en tête une phrase de Malraux
qui disait que le XXIe siècle sera spirituel ou ne sera pas.
- Dans votre ouvrage Les secrets de la guerre du
Liban vous écriviez qu’Ariel Sharon ne voulait qu’une chose, pouvoir entrer en
force à Beyrout Ouest et «nettoyer». Il fulminait contre les pressions
américaines qui l’empêchaient de faire le ménage. Croyez-vous que Sharon soit
revenu actuellement à de meilleurs sentiments en acceptant de rencontrer Abou
Mazen et de céder certaines parties des territoires occupés ?
-
Sharon n’a absolument pas changé d’avis, mais c’est un réaliste. Il y a 7 000
colons à Ghaza, il faut trois fois plus de soldats pour les protéger. Les villes
qui vont être cédées coûtent très cher en hommes et en argent. Cela renvoie la
responsabilité sur les palestiniens. Si Sharon avait envie de quitter Ghaza, il
l’aurait fait tout de suite, pourquoi attendre des mois jusqu’à ce que les
colons s’organisent. Il les connaît bien puisqu’il a été leur ministre.
- Comment voyez-vous la suite des événements en
Palestine ?
- Le climat a changé, certes, mais la réalité est
la même sur le terrain. Sharon a besoin de convaincre les Israéliens, comme Abou
Mazen de convaincre les palestiniens. Chacun s’organise vis-à-vis de sa propre
population. Sharon a besoin de faire croire qu’il va faire la paix, il n’attaque
plus les palestiniens.
Quand Abou Mazen va dire à Sharon, il faut détruire le
mur, que va-t-il se passer ? A mon avis, chacun d’entre eux est en train de se
retourner dans son camp pour assurer ses arrières. Je ne crois pas à la paix
pour l’instant. Quel signe y a-t-il eu vers la paix ? On ne tire plus, mais
est-ce pour autant la paix ?
- Ce mur de la honte…
- Israël
veut en faire sa frontière, cela veut dire qu’il n’y a pas d’Etat palestinien
viable. Quand Sharon dit, il faut un Etat palestinien laïque, Israël est laïque
? Il y a beaucoup de contradictions. C’est pour masquer ces contradictions que
les organisations extrémistes manipulent le côté judaïque.
- Et cette montée au créneau du gouvernement
américain concernant l’Iran qu’il accuse de développer l’arme atomique
?
- Parce que c’est la crainte d’Israël. On ne peut pas parler
des relations des Etats-Unis avec quelque pays arabe que ce soit sans inclure la
donnée israélienne.
- Si nous parlions du métier de journaliste dans
un pays comme l’Algérie…
- Il y a un grand coup de chapeau à
donner à la presse algérienne, en général. Elle a su se battre pour garder sa
liberté. Bravo ! Qu’il y ait une rivalité entre journaux, c’est normal, que le
gouvernement mette sa main dedans, je trouve cela anormal. Dans la loi
algérienne, comme la française, il y a assez de règlements pour permettre de
punir ceux qui mentaient, mais encore faut-il prouver qu’ils aient menti ou
diffamé. L’histoire a montré que chaque fois, par exemple, où on a voulu
interdire au nom de la morale, c’était au nom de la politique. Il y a 15 ans à
peu près, dans les pays arabes, il n’y a jamais eu de grandes signatures si ce
n’est dans l’ombre d’un chef d’Etat. Depuis la guerre du Golfe et la création
d’Al Jazeera, les choses ont beaucoup changé. Mais les pays arabes n’ont pas
compris l’importance de la communication : la Syrie, par exemple, a été désignée
comme un pays terroriste par Bush, qu’a-t-elle répondu ? Rien. Comment
voulez-vous que les attaques ne se poursuivent pas ?
- Que pensez-vous de l’interdiction d’El Manar
?
- C’est encore de pression qu’il s’agit. Le feuilleton pour
lequel Al Manar a été interdite est passé en Syrie et en Egypte, pourquoi Israël
n’a pas réagi ? Baudis, le directeur du Conseil supérieur de l’audivisuel (CSA)
fait partie du bureau de l’Association France-Israël.
- Pourquoi ce flirt continuel entre la France et
Israël ?
- Parce que la France a joué un rôle dans la création
et l’armement d’Israël. L’Angleterre et la France ont, d’autre part, été
toujours concurrentes, eux soutenaient les Arabes, nous, les juifs jusqu’à la
bombe atomique. Le jour où ils en ont trop fait, De Gaulle a tapé du poing sur
la table en disant «ça suffi» dans son discours du 12 novembre 1967, après la
guerre (de 1967) où il prend acte de l’occupation des territoires occupés et
dit, je le cite de mémoire : «Dans ce pays, une résistance va naître que les
Israéliens auront appelée terrorisme, mais jamais ils ne parviendront à bout de
ce terrorisme.» Aujourd’hui, la France a bien changé et ce n’est pas un homme
comme Barnier qui va marquer l’histoire, dans ce côté lénifiant.
13. Barbouzes israéliens, syrophobie et une
paix qui a du mal à percer par Robert Fisk
in The Independent
(quotidien britannique) du mardi 15 février 2005
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
On savait qu’il allait se produire
quelque chose. J’avais rencontré un vieux collègue journaliste, autour d’un
café, samedi, et nous nous étions confié mutuellement qu’il y avait une ambiance
nouvelle – menaçante – à Beyrouth. Nous n’évoquions pas la vie hors de prix ni
les sempiternelles histoires de corruption, mais le langage incendiaire dans
lequel s’exprimait désormais la vie politique libanaise. « Walid Jumblatt a
intérêt à compter ses abattis », observa mon collègue. J’acquiesçai. Tout juste
en janvier dernier, le dirigeant druze du Liban avait annoncé que c’était des «
éléments » [sans doute : « ‘anâçir », ndt] du parti Baath syrien qui avaient
trucidé son père, Kamal Junblatt, en 1975.
Que voilà des propos explosifs –
et ces propos, Walid les a tenus devant un public chrétien maronite à
l’Université Saint-Joseph ! La réponse, la semaine dernière, fut encore plus
lourde de dangers. Le parti Baath a exigé de l’Etat libanais qu’il poursuive M.
Junblatt pour diffamation et haute trahison. Puis Omar Karaméh, le Premier
ministre libanais insipide et outrageusement pro-syrien – qui succède à Rafiq
Hariri – a affirmé que les représentants de l’opposition politique libanaise qui
exigent le retrait de la Syrie du Liban sont en train de « travailler pour
Israël ». D’autres ont utilisé le mot « Mossad », à la place du mot « Israël ».
Au Liban, ce genre de discours conduit généralement à la déflagration.
Les
élections à venir – accompagnée d’une tentative de charcutage électoral
susceptible de priver les factions anti-syriennes d’une partie de leurs sièges
parlementaires – ont eu le don d’aggraver la controverse déjà largement entamée
par l’adoption au Conseil de Sécurité de l’ONU de la résolution 1559,
principalement soutenue par les Etats-Unis et la France, et qui exige le retrait
de toutes les troupes syriennes du Liban.
Bien sûr, on le sait, ces troupes
sont venues ici, au Liban, en 1976, en vertu d’un accord de la Ligue Arabe
permettant, espérait-on, de mettre fin à la guerre civile – ce qui ne se
produisit malheureusement pas – et cet accord avait à l’époque été approuvé par
le président Jimmy Carter, et aussi – pour partie – par Israël. Mais l’accord
signé après la guerre civile, en 1989, à Taïf [Arabie saoudite], préconisait un
retrait des troupes syriennes dans la vallée de la Biqâ’, située dans la partie
orientale du Liban, chose que la Syrie n’a pas fait. Ses protégés au Liban ont
annoncé à grands cris qu’ils ne voulaient à aucun prix que les Syriens s’en
aillent.
Le président français Jacques Chirac n’a cessé d’insister sur la
nécessité de leur départ. Hariri était l’un des meilleurs amis de Chirac. Ils
avaient même pris une bière ensemble dans le centre restauré de neuf de
Beyrouth, lors de la dernière visite du président français au Liban. A l’époque
: aucun garde du corps. Pas de sécurité. Mais les choses ont drôlement changé,
depuis…
Voici quelques semaines, les Américains s’en sont mêlés, avertissant
qu’ils ne tolèreraient aucune violence avant la tenue des élections libanaises –
ce qui s’est passé hier a montré où les ennemis de l’Amérique se mettaient cet
avertissement – et réitérant leur exigence d’un retrait de la Syrie. « Pas
question, tant que toutes les autres résolutions de l’ONU n’auront pas été mises
en application », a répliqué Emile Lahoud, le Président de la République
libanaise, constamment opposé à M. Hariri et en permanence fidèle à la
Syrie.
Les Israéliens doivent quitter la Cisjordanie avant que la Syrie ne
parte du Liban. Les chrétiens libanais, opposés à la Syrie, ont insisté sur la
violation des accords de Ta’if par Damas – ce qui est exact. Karaméh et Nabih
Berri, président du Parlement, ont tenu une grande conférence afin de faire
observer que les exigences des Américains et de l’opposition libanaise –
comportant notamment le désarmement du Hizbollah – n’étaient rien d’autres que
des politiques américaine et israélienne. Ce qui n’est pas faux non
plus.
Dimanche dernier, des véhicules blindés libanais ont descendu la
Corniche (front de mer) à Beyrouth. Je connais deux amis qui ont d’ores et déjà
acheté de grandes quantités d’eau minérale en bouteilles. L’un d’entre eux a
acheté un nouveau générateur. Manœuvres de routine, allez-vous me dire ?
Précautions contre un été particulièrement brûlant, ou en vue des habituelles
pannes du réseau électrique beyrouthin ? Va savoir, Charles…
Les Libanais
n’ont plus le moindre appétit pour la guerre. Le conflit qui a pris fin en 1990
a détruit leurs familles et leurs domiciles, ôtant presque tout sens à leur vie.
Une nouvelle génération est revenue, après avoir étudié à l’étranger,
ambitieuse, irritée par le confessionnalisme impénitent de la vie officielle
tout autant que par la présence militaire syrienne, pourtant considérablement
réduite. Mais les services du renseignement syrien sont bien encore là – leur QG
est situé dans la ville d’Aanjar, dans l’est du Liban – et leur chasse aux
espions israéliens et aux traîtres éventuels a tourné à l’obsession.
Dans ce
sombre scénario, M. Hariri envisageait l’avenir avec confiance, ne voyant le mal
nulle part et prétendant n’entendre aucun signe préoccupant. On peut dès lors se
demander quel rôle réel il jouait, dans l’opposition ? Etait-il ce simple
observateur désintéressé, regardant avec condescendance depuis la terrasse de
son palais les petits nains de la politique libanaise en train de se chamailler
autour de frontières politiques charcutées ?
Ou bien avait-il d’autres
ambitions ?
Ce qui s’est passé hier a montré que quelqu’un, quelque part,
pensait que tel était le cas…
14. Chirac rejette la demande du ministre
israélien des Affaires étrangères, Silvan Shalom, d’ajouter le Hezbollah à la
liste européenne des organisations terroristes par Aluf Benn
in
Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 14 février 2005
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Le président français Jacques Chirac a
rejeté, ce lundi, la demande du ministre israélien des Affaires étrangères
Silvan Shalom, de placer l’organisation activiste Hezbollah sur la liste des
organisations terroristes de l’Union européenne.
Au cours d’une rencontre
officielle avec Shalom, ce lundi après-midi, Chirac a indiqué que les efforts de
la France, durant les semaines à venir, se concentreront essentiellement sur le
processus démocratique au Liban et aux élections annoncées, dans ce pays, dans
les deux mois.
Shalom avait présenté sa requête au cours d’une rencontre avec
son homologue français Michel Barnier, voici quelques jours de cela.
L’Union
européenne procèdera à une discussion préliminaire à la demande d’Israël, fondée
sur le danger potentiel que le Hezbollah (est censé) représente(r) pour le
nouveau président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas.
Des sources
tant israéliennes que palestiniennes ont accusé le Hezbollah de chercher à
organiser des attaques palestiniennes contre Israël, aux fins de torpiller les
accords de cessez-le-feu obtenus entre Abbas est le Premier ministre Ariel
Sharon, à Sharm el-Sheikh, la semaine passée.
Le rôle de la France a été
décisif dans le blocage de l’ajout du Hezbollah à la liste européenne des
organisations terroristes, jusqu’à nouvel ordre.
Shalom demande à la France
d’user de son influence dans le monde arabe pour encourager un réchauffement des
relations arabo-israéliennes.
Il a également demandé à la France d’user de
son influence dans le monde arabe afin de contribuer l’instauration de relations
arabo-israéliennes plus chaleureuses. Il a demandé également à la France
d’utiliser son influence dans le monde arabe afin d’aider à promouvoir de
meilleures relations entre Israël et les pays du Golfe et d’Afrique du
Nord.
S’exprimant après avoir rencontré en tête-à-tête le président Jacques
Chirac, Shalom a indiqué que la France pourrait jouer également un « rôle clé »
en isolant des groupes voués au sabotage des efforts de paix entre Israéliens et
Palestiniens.
« J’ai demandé au Président Chirac de nous aider à avoir de
meilleures relations avec les pays d’Afrique du Nord et du Golfe », a déclaré
Shaom, qui a ajouté : « et aussi d’user de son influence dans ces pays afin que
s’instaure une meilleure compréhension entre Israël et ces pays. »
Il a
également indiqué qu’il avait été « très encouragé » par les efforts récents
déployés par le gouvernement français afin de frapper l’antisémitisme et par sa
« détermination » à mettre un terme aux activités de groupes relevant de
l’extrême droite.
15. Hans Blix : "La politique menée par les
Américains pourrait provoquer un engrenage" propos recueillis par Inès
Eissa
in A-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 9 février 2005
Hans Blix, ancien directeur de l’AIEA
et chef de l’équipe des inspecteurs sur les armes en Iraq, est actuellement
président de la commission indépendante sur les armes de destruction massive. Il
fait le point sur le TNP et les conditions d’établissement d’une zone sans ADM
au Moyen-Orient.
— Al-Ahram Hebdo : Quelles sont les conditions qui
peuvent contribuer à l’établissement d’une zone sans armes nucléaires au
Moyen-Orient ?
— Hans Blix : Un progrès sur le plan politique s’avère indispensable ; il
n’y a aucune chance d’engager un dialogue sérieux à ce sujet, alors que
l’Intifada bat son plein. Quand les Israéliens se sentent menacés, ils
considèrent que l’arme nucléaire représente une sorte d’assurance-vie. Mais je
crois que l’établissement d’une zone sans armes de destruction massive est la
solution la plus viable pour les deux parties. Je rappelle à cet égard que les
Israéliens votent en faveur de cette résolution aux Nations-Unies. Le problème
est que ce sujet ne fait pas partie des priorités.
— Pensez-vous que l’article 6 du Traité de Non-Prolifération (TNP)
relatif à l’élimination totale des armes nucléaires est réaliste
?
— L’article 6 du traité prévoit l’élimination progressive et totale des
armes nucléaires. A l’heure actuelle, cela paraît un but difficile à atteindre.
Pourtant, les pays dotés de l’arme nucléaire se sont engagés à la Conférence de
révision du TNP en 2000 à adopter treize mesures qui contribueraient, à terme, à
l’élimination de ces armes. Parmi ces mesures, les pays nucléaires se sont
engagés notamment à mettre en vigueur le traité interdisant les essais
nucléaires (CTBT) ainsi que le traité prohibant la production de matériel
fissionnable (FMCT).
Maintenant, les Etats-Unis semblent prendre de la distance par rapport à
ces engagements. L’Administration américaine justifie cela par les violations
répétées, selon leur point de vue, du traité par la Corée du Nord, la Libye,
l’Iraq et l’Iran. De leur côté, les pays qui n’ont pas l’arme nucléaire
éprouvent une frustration, d’autant plus qu’ils ont accepté l’extension
indéfinie du Traité, gardant à l’esprit les promesses faites. Cette frustration,
à mon avis, pourrait mener à l’érosion du traité. Je ne crois pas que les
arguments américains soient valables, les pays responsables de ce type de
violations ne sont pas des Etats voyous ou des terroristes. La politique menée
par les Américains pourrait en revanche provoquer un engrenage qui risquerait de
déboucher sur une nouvelle course à l’armement nucléaire.
— A votre avis, une conférence de révision du TNP peut-elle
réussir ?
— A présent, tout le monde est pessimiste. En général, le processus de
révision du Traité subit l’influence du climat politique sur la scène
internationale. La position de l’Administration américaine serait décisive à cet
égard. Personnellement, j’ai détecté quelques signes positifs émis par le
vice-secrétaire d’Etat à la Défense récemment, lorsqu’il a exprimé le soutien
aux pourparlers en cours entre l’Iran d’une part, et les trois pays européens,
d’autre part. Cela indique que l’option d’attaquer l’Iran est exclue, au moins
pour le moment. S’agissant du dossier de la Corée du Nord, il y a aussi des
signes encourageants liés à la reprise des discussions multilatérales. Je pense
que si l’on arrive à une issue diplomatique sur ces deux dossiers, la conférence
de révision du TNP aura des chances de marquer un succès. Mais je dois rappeler
que, pour le moment, l’image qui se présente est plutôt grisâtre.
— Quelle est votre opinion au sujet du programme nucléaire
iranien ?
— Les Iraniens n’ont pas respecté leurs engagements, conformément aux
accords en vigueur. L’Iran est tenu responsable de n’avoir pas notifié à l’AIEA
certaines activités. Il est logique que lorsqu’un pays dissimule des activités
quelconques, il en découle des suspicions. L’utilisation d’un réacteur d’eau
dense alimente la méfiance vu qu’il sert à produire du plutonium nécessaire à la
fabrication des armes nucléaires. Cependant, je tiens à rappeler que l’AIEA a
estimé à plusieurs reprises que rien ne prouvait que le programme nucléaire
iranien a pour objectif d’acquérir l’arme nucléaire.
La question qui se pose à présent est de savoir si les Iraniens doivent
continuer à enrichir de l’uranium, d’autant plus qu’ils ont prouvé leur maîtrise
des techniques d’enrichissement. Le gouvernement iranien justifie la nécessité
de continuer par les besoins en fuel nucléaire des deux réacteurs de Boushar.
L’enrichissement n’est pas interdit selon le TNP à condition que ce soit fait à
des fins pacifiques. Mais, à mon sens, parce que l’Iran se trouve dans cette
région très tendue qu’est le Moyen-Orient, il serait plus sage de suspendre
toute activité liée à l’enrichissement de l’uranium et cela sans échéances. En
échange, l’Iran devrait pouvoir bénéficier de garanties lui assurant du fuel
nucléaire par le biais d’un mécanisme multilatéral. Cela ne devrait pas poser de
problèmes puisque la France, l’Allemagne, la Russie et la Chine ont déjà fait
part de leur prédisposition à garantir l’uranium nécessaire aux réacteurs
iraniens. Quant aux garanties de sécurité, seuls les Américains peuvent prendre
cela en charge. D’autre part, j’ai appris ici au Caire que plusieurs pays de la
région seraient disposés à soutenir l’Iran dans ce sens, car cela encouragerait
Israël à joindre les efforts visant à débarrasser la région des armes de
destruction massive.
— Que pensez-vous de ce qui se passe en Iraq aujourd’hui ? Ne
croyez-vous pas que la situation sécuritaire s’est détériorée depuis l’invasion
américaine ?
— La guerre en Iraq n’était pas justifiable. Probablement, le seul résultat
positif de cette guerre est que l’Iraq se soit débarrassé d’un régime oppressif
et autoritaire. Par contre, sur le plan de la sécurité et de la lutte contre le
terrorisme, les résultats de cette guerre se sont avérés plutôt négatifs. A cet
égard, on constate que l’Iraq est devenu le berceau du terrorisme, ce qui est le
résultat contraire de l’objectif affiché par l’Administration Bush en décidant
de faire la guerre. Pour ce qui est de l’impact de cette guerre sur la question
de non-prolifération, il s’est avéré minime, puisqu’il n’y avait pas d’armes de
destruction massive en Iraq. L’évolution concernant les négociations avec des
pays comme la Libye, la Corée du Nord ou l’Iran, n’est pas non plus un résultat
de l’attaque américaine contre l’Iraq, il s’agit de négociations qui étaient
déjà en cours depuis longtemps, traitées loin des tensions qui ont entouré le
contexte iraqien. Je pense que les Américains devraient explicitement annoncer
qu’ils sont prêts à quitter l’Iraq dès que le gouvernement issu de l’élection le
leur demande. Ils devraient aussi déclarer qu’ils n’ont aucune intention
d’implanter des bases militaires en Iraq.
— L’Administration américaine a-t-elle exercé des pressions
directes sur les inspecteurs en Iraq ?
— L’Administration américaine n’avait rien à voir avec l’équipe des
inspecteurs. Au contraire, j’avais de très bonnes relations avec Condoleezza
Rice et le secrétaire d’Etat, Colin Powell. Seulement, au terme de notre
travail, l’Administration américaine nous a reproché de ne pas leur avoir fait
part de certaines choses qu’on avait vues en Iraq. En revanche, la presse
américaine, elle, avait exercé une forte pression sur l’équipe des inspecteurs.
Les journalistes américains sont allés trop loin, je peux même dire qu’ils ont
souvent été très pervers avec l’Unscom.
— Finalement, que pensez-vous des capacités nucléaires
égyptiennes actuellement ?
— L’Egypte dispose d’une infrastructure technologique avancée ainsi que de
capacités de recherches de pointe dans le domaine nucléaire. Dans ce contexte,
je pense que les autorités égyptiennes devraient revoir leur politique dans le
domaine de l’énergie nucléaire. Depuis l’accident de Tchernobyl en 1987,
l’Egypte a décidé de ne pas donner la priorité à l’énergie nucléaire. De nos
jours, les réacteurs nucléaires sont encadrés par des mesures de sécurité
beaucoup plus pointues qu’en 1987, lors de l’accident de Tchernobyl. A long
terme, leressources en hydrocarbures vont s’épuiser et c’est aujourd’hui que
l’Egypte devrait faire le choix de produire de l’énergie nucléaire.
— Pourquoi pensez-vous que l’Administration américaine s’oppose
à la réélection de l’Egyptien Mohamad Al-Baradei à la tête de l’AIEA ? La Maison
Blanche ne va-t-elle pas un peu trop loin ?
— Je crois que les Américains, en adoptant cette position vis-à-vis de la
réélection d’Al-Baradei, vont trop loin. L’Administration Bush devrait
comprendre que c’est dans son intérêt d’avoir des fonctionnaires à la tête des
organisations internationales qui respectent la charte qui constitue le statut
fondateur des règles qui régissent le travail de ces organisations. Ceci revêt
une importance d’autant plus accrue lorsqu’il s’agit d’organisations comme les
Nations-Unies et l’AIEA. A ce propos, je tiens à souligner que Mohamad
Al-Baradei a fait un excellent travail, qu’il s’agisse du dossier iraqien ou
iranien. Mon jugement sur le travail accompli par le directeur général est
partagé par la majorité des pays membres de l’AIEA et, bien que les Américains
ne partagent pas cet avis, je crois qu’ils devraient se plier au soutien dont
Al-Baradei bénéficie de la part de tous. Cela dit, bien que je puisse comprendre
l’argument que les Américains avancent officiellement pour consolider leur
position, celui du respect des règles de Genève suggérant que les fonctionnaires
occupant ce type de poste ne devraient pas le faire pour plus de deux mandats,
je tiens à rappeler que ce n’est pas là une règle rigide.
— Savez-vous que vous êtes très populaire en Egypte
?
— C’est étonnant l’accueil que m’a réservé le peuple égyptien durant cette
visite ! Quelqu’un dans la rue m’a carrément dit : « Mister Blix, I love you !
». Je dois dire que cela m’a beaucoup flatté, mais je n’ai fait simplement que
mon devoir en tant que haut fonctionnaire sans plus.
16. Un Frankenstein koweïtien par
Subhi Hadidi
in Le Nouvel Afrique Asie du mois de février
2005
Après l’Arabie Saoudite, cet émirat pétrolier est à
son tour menacé par le monstre islamiste que ses dirigeants avaient enfanté dans
l’espoir de le voir terrasser les forces de progrès et de changement. Il se
retourne aujourd’hui contre ses propres géniteurs.
Si Oussama Ben Laden n’était pas apparu au royaume d’Arabie Saoudite – où
il a été nourri au sein de l’école de pensée wahhabite avant de faire ses
premiers pas jihadistes dans les montagnes afghanes contre les “communistes
athées” –, il ne fait pas l’ombre d’un doute qu’il serait apparu dans cet émirat
pétrolier du Golfe, qui offre le même terrain fertile. Les conditions qui
avaient favorisé son avènement en Arabie sont en effet toutes, ou presque,
réunies au Koweït. Lorsqu’il s’agit d’étudier l’instrumentalisation de l’islam
politique par les deux familles régnantes à Ryadh et à Koweït City, le premier
exemple qui vient à l’esprit est celui de Frankenstein. Les Saoud et les Sabah
se sont toujours évertués à créer un monstre qui aura pour fonction de se
substituer à eux dans la lutte contre le communisme, le libéralisme et les idées
de réforme ou de défense de la société civile. Mais ce monstre islamiste s’est
retourné contre ses créateurs jusqu’à devenir aujourd’hui le principal danger
pour leurs trônes.
Le Frankenstein koweïtien le plus célèbre aujourd’hui
s’appelle Souleimane Abou Gaith (photo ci-contre). Certains spécialistes des
réseaux islamistes le considèrent comme le “cerveau” d’Al-Qaïda, le plus habile
dans le domaine de la communication et de l’agit-prop. Le monde entier l’a vu
sur une bande-vidéo célèbre diffusée après le 11 septembre, assis à droite de
Ben Laden, menaçant de faire tomber davantage de tours. En 1990, Abou Gaith
passait déjà pour l’un des orateurs religieux les plus célèbres de l’émirat et
ses sermons incendiaires incitaient les Koweïtiens à résister et à déclencher le
djihad contre Saddam Hussein et les troupes d’invasion irakiennes. Entre 1991 et
2000, il avait quitté le Koweït pour un nouveau djihad en Bosnie, d’où il
observait de loin et avec indignation l’inféodation à Washington de la famille
régnante au Koweït, les Sabah, et voyait s’évaporer les rêves qu’il avait
caressés après la “libération”. Ce fut alors la rupture avec le gouvernement
koweïtien. Ce dernier, après l’avoir déchu de sa nationalité, a même refusé, en
juillet 2003, de demander son extradition aux autorités iraniennes, à la suite
de rumeurs faisant état de son arrestation par Téhéran, qui s’était dit disposé
à le livrer à l’émirat.
La dynastie régnante au Koweït fait face aujourd’hui
aux conséquences catastrophiques de sa stratégie basée durant de longues années
sur un flirt coupable avec les courants islamistes, qu’elle a longtemps
encouragés à contrôler le secteur sensible de l’éducation, les associations
caritatives et les prêches du vendredi dans les mosquées. Mais ce qui a le plus
gravement contribué à l’essor de l’islamisme, c’était sans doute l’obstination
des dirigeants koweïtiens à coller sans nuance à la stratégie américaine, au
prix d’une rupture totale avec le monde arabo-musulman. L’exemple le plus
flagrant et le plus édifiant de cette stratégie de soumission aux Etats-Unis a
été donné à la veille de l’invasion américaine de l’Irak, lors de la réunion
d’un conseil ministériel de la Ligue arabe consacré à cette question. Alors que
tous les participants, y compris les représentants de Bahreïn et d’Arabie
Saoudite – pourtant fidèles alliés de Washington –, ont voté contre cette
guerre, le Koweït a choisi, non pas de s’abstenir, mais de voter pour !
Le
courant islamiste koweïtien se compose de trois organisations : le Mouvement
constitutionnel islamique, le Mouvement salafiste et le Rassemblement populaire
salafiste. S’il est vrai que ces partis ne constituent pas des prolongements
directs d’Al-Qaïda ou du monstre intégriste que la famille régnante a créé,
force est de constater que le discours prosélyte pur et dur que propagent ces
mouvements ne pourra qu’apporter de l’eau au moulin d’Abou Gaith et de ses
partisans.
Aujourd’hui, le Koweït apparaît comme un vrai champ de bataille.
Les chars investissent les rues. L’armée est en état permanent de mobilisation
et d’alerte tandis que les forces de sécurité ne gardent pas seulement les
édifices publics, mais également les écoles, les universités et les mosquées. Ce
climat est encore alourdi par la persistance de rumeurs. On laisse entendre en
effet qu’après la dernière bande-vidéo de Ben Laden – où il avait appelé à
cibler les installations pétrolières en Arabie Saoudite et au Koweït – et à la
suite de l’occupation américaine de la ville martyre de Falloujah en Irak, les
mouvements islamistes ont procédé à un redéploiement général décidant d’engager
une partie de leurs opérations hors d’Irak, et plus particulièrement au Koweït.
Ce qui donne du crédit à ces informations, c’est le fait que les autorités
syriennes, qui coopèrent étroitement avec les Américains sur le plan du
renseignement dans ce qu’ils appellent la “campagne contre le terrorisme”, ont
extradé vers le Koweït un islamiste recherché. Ce dernier aurait dévoilé un
certain nombre d’opérations projetées sur le territoire koweïtien.
Depuis,
ce qui relevait jusqu’ici de la rumeur devient réalité au fil des attentats
commis ou avortés. C’est ainsi qu’une source autorisée koweïtienne, proche des
services de sécurité, a révélé que quinze militaires koweïtiens, dont quatre
officiers de haut rang, ont été arrêtés et subissent des interrogatoires. Un
journal local, proche de l’enquête, a annoncé que le groupe de militaires
projetait d’engager une série d’opérations terroristes à l’occasion de la fête
du sacrifice, plus exactement vers le 21 janvier. Auparavant, une unité des
services de sécurité, qui traquait un islamiste recherché, s’était accrochée
avec lui. Ce dernier a tiré sur eux, abattant deux officiers de sécurité, avant
de s’échapper pour être recueilli par un groupe armé qui l’attendait. Il sera
cependant poursuivi jusqu’à la banlieue de Hawalli. Blessé, il succombera à ses
blessures à l’hôpital. Cet affrontement n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une
série d’opérations qui ont eu pour cible principale, depuis 2002, la présence
américaine dans cet émirat, qui s’élève à vingt-cinq mille hommes.
C’est
sans doute cette montée en puissance des islamistes qui a fait dire à l’une des
figures de proue de la famille Sabah, le cheikh Saoud Nasser al-Sabah, que le
Koweït était “pris en otage par les courants islamistes qui bénéficient d’une
grande influence politique, financière et sociale, leur permettant d’imposer
leur diktat au gouvernement”. Et de préciser que “cette influence leur a été
accordée par les gouvernements koweïtiens successifs…” Pour lui, l’ultime
objectif des islamistes est d’exercer “leur tutelle sur la société koweïtienne
et de consolider leur mainmise sur les sociétés caritatives et les institutions
financières du pays, et c’est à travers ces canaux que des fonds échouent entre
les mains des organisations terroristes”. “Il y a, conclut-il, un silence
gouvernemental clair à propos des agissements de ces groupes, qui exercent un
chantage vis-à-vis du gouvernement. Il est temps que ce gouvernement les
affronte avec fermeté !”
Dans une autre déclaration, le même cheikh dresse un
état des lieux terrifiant de la situation de l’émirat : “Les courants islamistes
extrémistes au Koweït sont comme le feu sous les cendres. Il y a des cellules
dormantes, y compris – c’est triste à dire – au sein de l’armée et des services
de sécurité. Nous n’avons pas cessé depuis des années de mettre en garde contre
cet état de fait. Avec le temps, de nouvelles cellules vont
apparaître.”
Personne d’autre que ce cheikh, qui, comme tous les membres de
la famille régnante, bénéficie d’une immunité totale, ne pourrait tenir des
propos aussi alarmistes sans être sanctionné. Il se trouve aussi –est-ce un
hasard ? – que le cheikh Saoud avait occupé pendant une douzaine d’années le
poste d’ambassadeur de son pays auprès de Washington. C’est lui qui, en 1990, a
été l’instigateur de la plus scandaleuse manipulation de l’opinion publique pour
pousser le Congrès américain à voter l’entrée en guerre. Cette année, une boîte
de communication américaine, Hill & Knowlton, grassement payée par le
Koweït, a manipulé l’opinion publique américaine et internationale avec le
témoignage poignant, mais absolument faux, d’une Koweïtienne nommée Nayrah (qui
s’avérera plus tard être la fille de l’ambassadeur du Koweït aux Etats-Unis),
selon laquelle, lors de l’invasion du Koweït, les soldats irakiens avaient jeté
les bébés hors de leurs couveuses. A ce titre, il passe pour être l’allié le
plus sûr de Washington au sein de la famille Sabah. Cela ne l’a pas pour autant
protégé de la colère du Frankenstein islamiste puisqu’il sera contraint, face
aux menaces d’interpellation brandies par les députés islamiques, de
démissionner de son poste de ministre de l’Information en 1998 pour être affecté
au poste de ministre du Pétrole, dont il démissionnera en 2000.
Il ne fait
pas de doute que plus d’un Frankenstein islamiste et armé sillonnent ces
jours-ci les rues du Koweït et d’Arabie Saoudite, animés par la volonté de punir
ces deux gouvernements pour le rôle qu’ils ont joué dans l’invasion de l’Irak en
autorisant les envahisseurs à utiliser leurs territoires comme base de départ
et, plus tard, comme base arrière permanente de l’occupation. Il ne fait pas de
doute non plus que les Sabah, comme les Saoud, ne sont pas encore prêts à
comprendre que la protection américaine sauvera peut-être leur trône de toute
menace extérieure, mais ne peut rien faire face aux menaces intérieures. Ils
n’ont pas médité suffisamment l’exemple irakien. Les cent cinquante mille
militaires américains qui occupent ce pays ont-ils réussi à y instaurer la
sécurité et la stabilité ? Vont-ils pouvoir protéger le gouvernement d’Allaoui
de ses ennemis intérieurs ?
La pieuvre intégriste
Durant les deux dernières
décennies, les groupes islamistes ont représenté le centre de pression le plus
important dans les Parlements koweïtiens successifs. Cette force, ils la
tiennent surtout de leur savoir-faire dans le domaine de l’organisation et du
lobbying et de leur contrôle de l’une des banques les plus importantes de
l’émirat. Ils la doivent aussi aux dizaines de sociétés caritatives, d’unions
syndicales et de coopératives qu’ils dirigent. Les islamistes contrôlent
également depuis vingt-six ans l’Union des étudiants du Koweït.
Leur
influence est déterminante au ministère de l’Education et dans les commissions
chargées des programmes scolaires. Et bien que leur nombre soit passé de vingt
députés en 1992 à treize dans la présente législature, il n’en demeure pas moins
qu’il constitue toujours le groupe le plus puissant, grâce notamment à leur
alliance avec les blocs représentant les tribus qui partagent avec eux leur
conservatisme dans les questions touchant aux “mœurs” et leur opposition aux
droits de la femme.
La dernière fois qu’ils ont eu à démontrer leur
toute-puissance aura été le dernier bras de fer qu’ils ont eu avec le ministre
de l’Information, Mohammad Abou al-Hassan, seul membre chiite du gouvernement,
et qui s’est soldé par la “démission” de ce dernier. Les députés sunnites se
préparaient à l’interroger sur son échec à “préserver les valeurs morales de la
société”. Ses accusateurs lui reprochent d’avoir autorisé, en novembre 2004, la
tenue de concerts de musique pop durant la fête de l’Aïd-el-Fitr, qui marque la
fin du ramadan, mois du jeûne musulman.
En particulier, les services du
ministre avaient permis aux organisateurs de la Star Academy version arabe de
réaliser au Koweït un épisode de l’émission diffusée par la chaîne satellitaire
libanaise LBCI.
Cette initiative avait soulevé un tollé, le ministre se
retrouvant accusé de s’écarter du “cadre licite” dans lequel devraient s’insérer
les émissions de variétés. Ses détracteurs ont vu dans cette autorisation “une
atteinte à la morale islamique de la société koweïtienne”. En sept ans, deux
autres ministres de l’Information avaient perdu leur fauteuil à cause
d’accusations similaires portées contre eux par les députés islamistes.
17. Le dilemme d’Abou Mazen par Khalil
Attyah
in Le Nouvel Afrique Asie du mois de février
2005
Démocratiquement élu président d’une Autorité
palestinienne en lambeaux, Mahmoud Abbas, alias Abou Mazen, se retrouve plus
vite que prévu dans la même impasse que son prédécesseur. Après avoir été
couvert de louanges par tous, y compris Sharon, le voilà accablé de toutes les
critiques pour n’avoir pas donné les ordres de liquider la résistance armée à
l’occupation. Faute de partenaire sérieux du côté israélien, l’état de grâce
sera de courte durée.
Faut-il se joindre au chœur des louanges hypocrites qui, de toutes parts,
saluent la “démocratie palestinienne naissante” ? Tout en soulignant la maturité
politique dont ont fait preuve les Palestiniens, toutes tendances confondues, en
assurant, à travers l’élection de Mahmoud Abbas, une succession pacifique à la
tête de l’Autorité palestinienne, force est de constater que ce n’est pas la
première fois qu’ils exercent un tel droit. Nul besoin de rappeler aujourd’hui
les règles démocratiques et représentatives qui régissaient l’Organisation de
libération de la Palestine, alors en exil. Mais il ne faudrait pas oublier que
le même exercice électoral démocratique s’était déjà produit en 1996, quand
Yasser Arafat a été élu président de l’Autorité palestinienne dans des
conditions autrement plus libres que cette fois-ci.
Outre la présence
d’observateurs internationaux, les élections de 1996 s’étaient déroulées en
l’absence des troupes d’occupation israéliennes, qui, longtemps auparavant,
s’étaient retirées des principales villes palestiniennes pour permettre aux
électeurs d’exercer librement leur choix. Ce qui n’était pas tout à fait le cas
avec l’élection de Mahmoud Abbas qui a eu lieu sans enthousiasme populaire,
boycottée par le Hamas, et où des forces politiques bénéficiant d’un grand
enracinement populaire ont été obligées de taire leur opposition et de se
rallier au candidat officiel dans un souci d’unité. C’est ainsi que, depuis sa
prison israélienne, Marwan Barghouti, membre du Fatah comme Abbas et seul
adversaire sérieux, a été persuadé sans ménagements par les dirigeants du
mouvement de retirer sa candidature. Mais toutes ces péripéties n’enlèvent rien
au caractère démocratique de cette élection, ni à la légitimité du nouveau
président élu de l’Autorité palestinienne.
Mais depuis que le 6 février 2001,
Ariel Sharon – responsable des massacres de Sabra et Chatila de septembre 1982 –
a été choisi par les électeurs israéliens, en dépit de son passé criminel, comme
Premier ministre avec pour programme d’achever la conquête de la totalité de la
Palestine, tous les prétextes sont devenus bons pour lui permettre de mener à
terme cette stratégie du pire. Il fallait, en d’autres termes, discréditer
Arafat, le premier dirigeant palestinien à avoir engagé son peuple sur la voie
de la paix et au prix d’un compromis historique largement favorable à Israël.
Que ne lui a-t-on reproché ? D’avoir refusé les prétendues “offres généreuses”
d’Ehoud Barak et de Bill Clinton à Camp David, favorisé la militarisation de la
seconde Intifada, entretenu la corruption et, last but not least, l’absence de
démocratie. Pendant des années, Arafat avait pourtant demandé la tenue
d’élections présidentielle et législatives, comme le prévoit la Constitution de
l’Autorité palestinienne, mais c’est le gouvernement Sharon qui avait refusé de
jouer le jeu sous prétexte que c’était impossible avec le
“terrorisme”.
Autant de prétextes fallacieux pour occulter un fait, celui-là
avéré : l’enterrement du processus d’Oslo, publiquement revendiqué par Sharon.
Inconditionnellement soutenu par Bush, le successeur de Barak a mené sans être
inquiété une entreprise systématique de destruction de l’Autorité palestinienne,
reconquis la plupart des territoires restitués en vertu du processus d’Oslo,
construit un mur, développé les colonies, assiégé le président élu des
Palestiniens, désigné comme un interlocuteur indésirable. Le prix de cette
politique de la terre brûlée a été exorbitant pour la population palestinienne,
mais aussi pour les Israéliens eux-mêmes qui n’ont pas retrouvé la sécurité
promise par Sharon et encore moins la prospérité économique. A tel point qu’à la
veille de la mort de Yasser Arafat, assassiné par trois années de siège
humiliant, Ariel Sharon s’est trouvé contraint d’annoncer un plan de retrait
unilatéral de Gaza et d’une partie de la Cisjordanie.
Avec l’élection de
Mahmoud Abbas, fortement soutenu par le Fatah et les hommes d’Arafat, et sur un
programme quasi identique à celui de son prédécesseur, les Etats-Unis, embourbés
en Irak, pensaient trouver une sortie de l’impasse. Mais c’était sans compter
avec les louvoiements de Sharon, qui persiste à exiger du nouveau raïs
palestinien la liquidation des branches armées du Fatah, du Hamas et du Djihad,
avant toute reprise du processus de paix. Abou Mazen a toujours refusé ce diktat
qui ouvre la voie à une guerre civile. Il propose, en revanche, de persuader ces
branches armées de décréter une longue trêve, à condition qu’elle soit également
observée par l’armée israélienne. Une tâche qu’il avait essayé de mener à bien
quand Yasser Arafat l’avait choisi comme Premier ministre. Il était
effectivement parvenu à faire accepter une trêve par les différentes
organisations armées. Mais Sharon l’avait rejetée en ordonnant la poursuite des
assassinats contre leurs dirigeants. Ce fut d’ailleurs l’une des principales
raisons qui avaient alors contraint Abbas à la démission.
En ordonnant le gel
des contacts, après une attaque palestinienne contre des cibles israéliennes,
elle-même consécutive à des attaques très meurtrières de l’armée israélienne,
Sharon donne l’impression de vouloir acculer le nouveau raïs à commettre
l’irréparable : soit il déclenche une tuerie fratricide inter-palestinienne,
soit il démissionne. Dans les deux cas, la reprise du processus de paix est
renvoyée aux calendes grecques. Cependant la nouvelle donne créée par la
disparition de Yasser Arafat, la réélection de G.W. Bush, le pourrissement de la
situation en Irak, l’entrée des travaillistes dans le gouvernement et la
poursuite des attentats contre des cibles israéliennes réduisent
considérablement la marge de manœuvre du Premier ministre israélien. Pour
preuve, il a dû reculer devant ses nouveaux “alliés” travaillistes qui lui
avaient reproché d’avoir gelé les contacts avec l’Autorité palestinienne sans
les consulter. Entre ses anciens alliés ultranationalistes, qui l’ont quitté et
brandissent désormais le spectre d’une guerre civile, et ses nouveaux
partenaires travaillistes, qui, tenant à être associés effectivement au pouvoir
et non comme cinquième roue du carrosse, voudraient débloquer une situation
politique stratégiquement préjudiciable aux intérêts de l’Etat hébreu, Ariel
Sharon se retrouve sur la défensive, d’autant qu’il ne jouit plus que d’une
courte majorité.
Ayant constaté l’échec de sa stratégie sécuritaire et ne
voulant toujours pas s’engager dans la seule voie raisonnable, celle d’une paix
fondée sur les accords de Taba (janvier 2001) et l’initiative de Genève
(décembre 2003), il n’a plus le choix que de s’accrocher à des arrangements
boiteux de sécurité, mais cette fois-ci avec la collaboration de l’Autorité
palestinienne. Cette dernière est tentée de jouer cette carte, qui permettrait à
la population palestinienne de reprendre son souffle, en posant toutefois comme
unique condition une reprise du processus de paix basé sur la feuille de route
et les fondamentaux que Mahmoud Abbas n’a pas cessé de rappeler durant sa
campagne : le droit des réfugiés palestiniens à rentrer chez eux, selon les
résolutions de l’Onu, la création d’un Etat palestinien indépendant avec comme
capitale la partie arabe de Jérusalem, le démantèlement des colonies... Cette
accalmie donnera sans doute à Sharon les moyens d’appliquer son plan de retrait
de Gaza et de la Cisjordanie du Nord et de faire face en même temps aux menaces
de dissidence et de guerre civile au sein de son propre camp. Force cependant
est de constater qu’il ne s’agit, dans les meilleures hypothèses, que d’un
répit, tant que le conflit n’est pas abordé sur le fond, comme le stipule la
feuille de route, qui implique la Communauté internationale. Seule une
intervention extérieure est aujourd’hui de nature à sauver la paix et à sauver
Israël de ses utopies suicidaires. Les Etats-Unis sont les mieux placés pour
conduire une telle intervention.
Or Mme Condoleezza Rice, la nouvelle
secrétaire d’Etat américaine, n’a laissé aucune ambiguïté sur le sujet. Exposant
sa politique proche-orientale devant les sénateurs lors de son investiture, elle
a certes pressé les Palestiniens et les Israéliens à “faire le choix de la
paix”. Elle s’est dite même prête à s’impliquer dans la recherche de cette paix.
Mais l’essentiel de son message est résumé dans son refus d’exercer la moindre
pression sur son protégé israélien : “Je m’attends à consacrer d’énormes efforts
à cela, mais je ne peux pas me substituer aux parties et à leur disposition à
prendre leurs responsabilités, et c’est le message que nous devons adresser.”
Mais à qui ? Il ne fait pas l’ombre d’un doute que ce message trouvera une
oreille sourde de la part de Sharon. A quelques encablures de la retraite, il ne
souhaite pas terminer sa vie politique en trahissant sa “réputation” d’homme de
guerre. Ce n’est pas en tout cas à 75 ans qu’il va commencer une nouvelle
carrière de faiseur de paix ! Au grand désarroi de Mahmoud Abbas, qui va se
trouver plus vite qu’il ne le pensait dans une situation peu enviable. Même s’il
parvient à imposer le silence des armes aux radicaux de son camp, il n’a aucune
chance d’être entendu par l’autre camp. Après les louanges dont il a été
généreusement couvert, voici venu le temps des récriminations, annonciateur
d’une confrontation déjà inscrite dans les faits. L’avant-goût de ce changement
a été donné par l’un des conseillers d’Ariel Sharon, Assaf Shariv, moins d’une
semaine après l’investiture de celui qu’on présentait comme l’homme
providentiel. “La période de grâce que nous avions accordée à Mahmoud Abbas est
finie, et il n’est plus question pour au moins un bon moment d’une rencontre
entre lui et le Premier ministre.”
Quoi que fera Abou Mazen, il n’est pas à
envier. Avec Sharon comme interlocuteur et Bush comme arbitre, il n’aura rien à
espérer tant qu’ils seront aux commandes.
18. L'éditorial de Michel Tubiana
in le
Bulletin de la Ligue des Droits de l'Homme du mois de janvier
2005
(Michel Tubiana est président de la Ligue des Droits de
l'Homme.)
La terre de Gaza ne laisse aucune place libre : tout y est
habité ou cultivé, surpeuplé ou militarisé. Les seuls espaces vacants, ce sont
ces champs de ruines qui bordent les frontières ou qui s'incrustent comme le
chancre d'une maladie au cœur des camps de réfugiés. Irrésistiblement, ces
étendues de débris parsemées de moignons noircis, ves-tiges d'anciennes
demeures, réveillent la mémoire d'autres images, d'autres guerres, d'autres
violences. La vie s'accroche à la périphérie dans des habitations aux murs
troués. Les plus coura-geux y vivent le jour et déguerpissent la nuit. Circuler
à Gaza, c'est ne pas savoir quand on arrive, éviter les fondrières, multiplier
les détours pour éviter les zones interdites et se prendre d'angoisse devant la
témérité des enfants, des myriades d'enfants qui campent dans les rues et les
chemins. C'est zigzaguer entre les plots de béton, sous l'œil de militaires que
l'on ne voit pas. Enfermés dans les casemates, ils ont pris la forme désincarnée
de hauts parleurs : avancez, reculez, attendez, les mots sont difficilement
compréhensibles ; impossible de dire que l'on ne comprend pas, aucun micro ne
remplace les uniformes invisibles. 61 ans, le chauffeur n'a pas entendu les
ordres crachés par la boîte en fer. Un autre morceau de métal a craché une
rafale. Il est mort. Et puis attendre. Attendre, pour entrer dans Gaza, attendre
pour aller du nord au sud, d'est en ouest. À côté d'une implantation, 200
villageois attendent depuis plus d'un mois de retourner chez eux. Ils sont
partis, sans savoir, qu'ils ne pourraient qu'attendre au lieu de revenir. “
Check point ” : une barrière, à gauche un blockhaus, à droite un mirador, en
face quatre museaux menaçants dépourvus de regard guettent : quatre blindés
menacent les pauvres hères regroupés sous un toit précaire dressé à la hâte.
Nous voulons pénétrer dans ce village, vivant sur ses seules ressources et d'un
seul convoi de vivres en plus d'un mois : “ faites attention, dit l'officier de
liaison en parlant de ses camarades, ils peuvent tirer ”. Le chemin sera ouvert
le jour des élections à midi. Nous n'y sommes pas allés. Les villageois ont
quand même voté. L'Egypte est de l'autre côté des champs de ruines, d'un mur
d'acier et d'une route de service. Au point de pas-sage, plusieurs milliers de
personnes patientent. Nul ne peut entrer ou sortir au sud de Gaza depuis
plusieurs semaines. Ceux-là ne voteront pas. “ Security reasons ” disent les
militaires : raisons de sécurité, mystérieuses, permanentes, incompréhensibles,
répon-dant à des ressorts que l'on devine impénétrables. L'expression tombe et,
à chaque fois, coupe net le voyage, le champ ou la maison. Elle résume la
destinée de ceux qui y sont soumis. La mer, elle-même, est clôturée par la terre
qui fait digue pour protéger les colonies installées en bord de plage. Ici, la
Méditerranée n'est qu'un horizon dont on est séparé, intouchable, sectionné du
reste. Ailleurs, la mer n'est qu'une bande de plage et quel-ques miles au large.
“ Ce soir vous pouvez sortir”, “ Ce soir vous ne pouvez pas sortir ”, la voix de
l'officier, en quelques mots au téléphone, règle l'activité nocturne des
pêcheurs de Gaza. La prison n'est pas composée de cellules, elle a la dimension
d'une terre, mais n'en reste pas moins une geôle à ciel ouvert. L'enfermement
des corps entraîne l'enfer-mement des esprits. L'alcool est clandestin et la
mixité un défi. La violence tourne en boucle et oblitère toute imagination. De
l'autre côté de la frontière, les rockets tombent à l'aveuglette tuant et
blessant des vies qui valent autant que celles des 7 enfants de djabelaya ; à
Gaza, c'est chaque minute de vie qui subit une violence. Ce jour-là, pourtant,
s'est installé comme un bonheur orgueilleux : les écoles ont ac-cueilli un autre
public que les enfants, joyeux d'être dispensés de classe. Des hommes, des
femmes, souvent plus nombreuses, sont assis derrière des tables sur lesquelles
s'étalent des listes, un carnet de bulletins de vote et un flacon d'encre à
mettre sur le pouce. Au milieu de la pièce, une boîte d'un plastique triste,
scellée de rouge ou de bleu, presque vulgaire dans cette atmosphère sérieuse
etfière. Et puis d'autres hom-mes et d'autres femmes ; ils représentent les
partis, les candidats ou nos homologues palestiniens et surveillent avec
attention les votes. Ils seront encore là tard le soir pour surveiller le
dépouillement. L'accueil des étrangers est chaleureux. Nulle honte face à ce
regard extérieur, mais la fierté de montrer que l'on vote, que l'on a fait
campagne, qu'en quelques semaines à peine, on a pu, malgré les barrages, la
violence et la misère, organiser des élections. “ Notre peuple existe,
l'occupation n'enlève rien à notre désir de vivre et nos votes sont autant de
victoires sur l'injustice que nous subissons ”, semble dire chaque main qui
lâche un papier dans l'urne. Les Palestiniens de Gaza ont élu, sous occupation,
un président le 9 janvier 2005. Ils ont construit une parcelle d'espoir.
19. L'Autorité palestinienne critique la
décision de l'ONU concernant Peter Hansen
Dépêche de
l'Agence de Presse Xinhuanet (Chine) du jeudi 27 janvier
2005, 14h44
GAZA - L'Autorité palestinienne a critiqué
mercredi la décision des Nations unies de ne pas renouveler le mandat de
Peter Hansen, Commissaire général de l'Office de secours et de travaux des
Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient
(UNRWA).
Dans un communiqué, l'Autorité palestinienne a demandé au secrétaire
général de l'ONU, Kofi Annan, de revenir sur cette décision prise sous la
pression des Etats-Unis et d'Israël.
"Peter Hansen est l'image de la paix, il est le témoin des crimes
israéliens contre les Palestiniens et il paie le prix de son courage en
étant confronté chaque jour aux démolitions et aux assassinats commis par
Israël", indique le communiqué.
L'Autorité palestinienne a appelé les Palestiniens à manifester lundi
prochain devant le bureau du représentant du secrétaire général de l'ONU
dans la bande de Gaza pour protester contre cette décision.
M. Annan a décidé lundi de ne pas renommer Peter Hansen à la tête de
l'agence de l'ONU suite à une longue campagne menée contre lui par les
Etats-Unis et Israël.
Peter Hansen, de nationalité danoise, dirige l'UNRWA depuis 1996 et
était prêt à effectuer un autre mandat de quatre ans, à l'issue de son
troisième mandat qui arrive à échéance fin
mars.
20. Une façon, parmi d’autres, d’en
finir par Terry Eagleton
in The Guardian (quotidien britanique) du
mercredi 26 janvier 2005
[traduit de l’anglais
par Marcel Charbonnier]
(Terry Eagleton
enseigne la théorie culturelle à l’Université de Manchester.)
Depuis que des insurgés se font exploser en Israël et en Irak,
on tait les significations des attentats à la bombe kamikazes. A l’instar des
grévistes de la faim, les kamikazes n’ont pas nécessairement un ticket avec la
mort. S’ils se tuent délibérément, c’est parce qu’ils ne voient aucune autre
manière d’obtenir justice ; et le fait même qu’ils doivent faire cela est partie
constitutive de l’injustice. Il arrive que l’on agisse d’une manière qui rend sa
propre mort inévitable, sans effectivement la désirer. Les malheureux qui se
sont précipités du haut des gratte-ciel du World Trade Center afin d’échapper à
leur inéluctable incinération vivants n’aspiraient pas à la mort, même s’ils
n’auraient pu en aucune manière l’éviter.
Généralement, les suicidaires non-politiques sont des gens à qui leur
existence a fini par sembler dénuée de valeur et qui ont, de ce fait, besoin
d’en finir au plus vite. Les martyrs sont plus ou moins à l’exact opposé de
ceux-ci. Des personnes telles Rosa Luxemburg ou Steve Biko ont renoncé à ce
qu’ils considéraient avoir de plus précieux – leur propre vie – au service d’une
cause encore plus noble. Les martyrs ne meurent pas parce qu’ils considèrent la
mort désirable en soi, mais au nom d’une vie plus abondante, plus pleine qu’ils
ne la voient autour d’eux.
Les kamikazes qui se font sauter avec leur bombe, eux aussi, meurent au nom
d’une vie meilleure pour autrui ; il est exacte qu’à la différence des martyrs,
ils emmènent d’autres, avec eux, dans la mort. Si le martyr fait le pari que le
sacrifice de sa propre vie amènera un avenir de justice et de liberté, le
kamikaze, quant à lui, mise votre vie avec la sienne propre. Mais l’un comme
l’autre pensent qu’une vie n’est digne d’être vécue que si elle comporte une
dimension pour laquelle il vaille la peine de mourir. Dans cette théorie, ce qui
donne sens à la vie, c’est ce à quoi vous êtes prêt à renoncer pour elle. Cela
s’appelait jadis : « Dieu ». De nos jours, c’est plus connu sous le nom de
Patrie. Pour les islamistes radicaux, c’est les deux à la fois.
Inséparablement.
Vous faire sauter la tronche pour des raisons politiques, c’est un acte
symbolique complexe, un acte qui mêle désespoir et défi. Cet acte proclame que
même la mort est préférable à votre vie misérable. L’acte de dépossession de soi
écrit en lettres dramatiquement capitales la dépossession de soi à quoi se
résume votre existence ordinaire. Porter une main violente sur vous-même, voilà
qui est une image de ce que votre ennemi vous fait déjà, de toute façon.
Simplement, elle est un peu plus frappante. En même temps, le kamikaze impose un
contraste entre l’autodétermination extrême impliquée par le fait de supprimer
sa propre vie et l’absence d’une identique autodétermination dans sa vie de tous
les jours. S’il pouvait vivre de la manière qu’il a de mourir, il n’aurait pas
besoin de mourir. Au moins : sa vie peut lui appartenir, d’où son sentiment de
liberté. La seule forme de souveraineté qui vous est laissée, c’est le pouvoir
de choisir votre mort à votre guise. Le suicide, comme l’a diagnostiqué
Dostoïevski, signifie la mort de Dieu, puisqu’en vous suicidant, vous usurpez
son monopole divin sur la vie et la mort. Pourrait-il exister forme plus
vertigineuse d’omnipotence que celle consistant à en terminer avec vous-même,
pour les siècles des siècles ?
Les kamikazes et les grévistes de la faim ne pensent qu’à une chose : faire
d’une faiblesse un pouvoir. Parce qu’ils sont prêts à mourir alors que leurs
ennemis ne le sont pas, ils remportent sur leurs ennemis une victoire morale. Le
summum de la liberté, c’est de ne pas redouter de mourir. Si vous n’avez plus
peur de la mort, aucun pouvoir politique ne saurait avoir prise sur vous. Des
gens n’ayant plus rien à perdre sont profondément dangereux. Mais les kamikazes
volent aussi à leurs adversaires le seul aspect d’eux-mêmes qu’ils ne sauraient
contrôler : leur propre corps. En privant leurs tourmenteurs et maîtres de cette
partie manipulable d’eux-mêmes, ils deviennent invulnérables. Rien n’est moins
maîtrisable que rien. S’écoulant tels du sable impalpable entre les doigts du
pouvoir, qui se retrouve impuissant et ridicule à essayer de les attraper en
vain, les kamikazes le contraignent à trahir sa propre vacuité. C’est là, à n’en
pas douter, une victoire à la Pyrrhus. Mais cette victoire à la Pyrrhus proclame
que ce que votre ennemi ne saurait anéantir, c’est votre volonté
d’auto-annihilation. A l’instar du héros de la tragédie classique, le kamikaze
s’élève au-dessus de sa propre destruction par la résolution même avec laquelle
il s’y adonne.
Pour le kamikaze, le jour où il se fait sauter en lambeaux de chair dans un
marché bondé représente vraisemblablement l’événement historique le plus
important de toute son existence. Rien, dans sa vie – pour citer Macbeth – ne
saurait lui procurer un plaisir plus grand que de la quitter. C’est à la fois
son triomphe et sa défaite. Aussi misérable et appauvri soient-ils, la plupart
des hommes et des femmes disposent d’un pouvoir formidable : le pouvoir de
mourir de la manière la plus dévastatrice possible. Et non seulement de mourir
de la manière la plus dévastatrice possible, mais aussi de la manière la plus
surréaliste possible. Il y a un petit goût de théâtre d’avant-garde, dans cet
acte horrifiant. Dans un ordre social qui semble de plus en plus sans
profondeur, de plus en plus transparent, rationalisé et instantanément
communicable, le massacre brutal de l’innocent, comme quelque happening
dadaïste, défigure l’âme tout autant que le corps. L’assaut atteint le sens, et
pas seulement la chair. C’est un acte ultime de dé-solation, qui transforme le
quotidien en monstruosité méconnaissable.
21. Horizon 2020
: un rapport de la CIA prévoit la fin de l’hégémonie mondiale américaine d’ici
quinze ans par Fred Kaplan
on Slate (e-magazine étasunien) du
mercredi 26 janvier 2005
[traduit de l'anglais
par Marcel Charbonnier]
Qui sera le premier homme
politique assez courageux pour déclarer publiquement que les Etats-Unis sont une
puissance sur le déclin et que les dirigeants américains doivent toutes affaires
cessantes examiner ce qui doit être fait à ce sujet ? Ce pronostic de déclin ne
parvient pas (pas seulement…) de scribouilleurs gauchistes entichés de décadence
de l’impérialisme. Non, il est émis par le Conseil National du Renseignement
[National Intelligence Council : appelons-le « NIC »…], « haut lieu de la «
pensée stratégique » » au sein des milieux américains du renseignement.
Les
conclusions du NIC sont sobrement présentées dans un document récent, comportant
119 pages, et intitulé « Cartographie du Futur Mondial : Rapport du Projet
du NIC à l’horizon 2020» [Mapping the Global Future: Report of the National
Intelligence Council's 2020 Project]. Ce document est public, et disponible en
ligne sur le site de la CIA. Il a bénéficié d’une attention des plus modeste des
milieux journalistiques, ces dernières semaines : sans doute est-ce en raison de
sa prédiction qu’en 2020, « l’Islam politique » sera toujours « une force avec
laquelle il faudra compter ». Seuls, quelques reportages ou éditoriaux ont pris
note de sa principale conclusion :
« L’émergence probable de la Chine et de
l’Inde… s’affirmant comme de nouveaux actants majeurs sur le plan mondial (qui
n’est pas sans évoquer l’avènement d’une Allemagne unifiée, au dix-neuvième
siècle, ou l’instauration de la puissance états-unienne au début du vingtième)
bouleversera le paysage géopolitique, et les impacts de ce bouleversement seront
potentiellement aussi dramatiques que ceux constatés au cours des deux siècles
écoulés. »
Dans ce monde nouveau, qui nous pend au nez (dans quinze ans…),
les Etats-Unis resteront « un important modeleur de l’ordre international », et
probablement le pays le plus puissant de la planète, pris isolément. Mais sa «
position relative de pouvoir » aura été « érodée ». Les nouvelles puissances «
arrivistes », pas seulement la Chine et l’Inde, mais également le Brésil,
l’Indonésie, et peut-être d’autres encore, accélèreront cette érosion, en
mettant en œuvre des « stratégies conçues afin d’exclure ou d’isoler les
Etats-Unis », de manière à nous « contraindre ou à nous [nous = les Américains,
ndt] persuader en douceur » de jouer dans leur camp.
La politique étrangère
américaine actuelle corrobore cette tendance, conclut le NIC.
« L’obsession
américaine de livrer sa croisade contre le terrorisme est dans une large mesure
à côté de la plaque, quand on sait quelles sont les préoccupations sécuritaires
de la plupart des Asiatiques », affirme le rapport. Ses auteurs ne minimisent
pas l’importance de la guerre au terrorisme, loin de là. Mais ils écrivent
néanmoins que la « question clé » pour le futur du pouvoir et de l’influence
américaines est celle de savoir si les décideurs politiques états-uniens «
peuvent offrir aux états asiatiques une vision sexy en matière de sécurité et
d’ordre régionaux, capable de rivaliser, sinon surpasser, celle que leur propose
la Chine ». Si ce n’est pas le cas, « le désengagement des Etats-Unis des
préoccupations qui comptent au plus haut point pour les alliés de l’Amérique en
Asie ne ferait qu’accroître la vraisemblance de les voir prendre en marche le
train de Pékin, permettant à la Chine de créer sa propre sécurité régionale,
excluant les Etats-Unis. »
Si tant est que ces puissances émergentes aient
besoin d’un modèle, elles pourraient se tourner vers l’Union européenne, et non
vers les Etats-Unis, et la prendre comme « modèle de gouvernance, tant globale
que régionale ».
Ce glissement vers un monde (à nouveau) multipolaire « ne
s’opèrera pas sans douleur », poursuit le rapport, « et il frappera en
particulier les classes moyennes du monde développé », avec de nouvelles
délocalisations d’emplois, et de nouvelles fuites de capitaux et
d’investissements. Bref, la prévision du NIC suggère non seulement un
rééquilibrage de puissance au niveau mondial, mais aussi les conséquences dudit
rééquilibrage en termes de perte de richesse, de revenus, ainsi, dans tous les
sens de ce terme, que de sécurité [pour les Americain, ndt].
Les tendances
devraient d’ores et déjà sauter aux yeux de quiconque sait lire un journal. Il
ne se passe pas une journée sans une énième histoire sur notre manie de gager
notre futur sur les banques centrales de la Chine et du Japon. Le déficit
budgétaire états-unien, qui frise le demi trillion de dollars, est financé grâce
aux achats, par ces deux pays, de bons du trésor américain [Treasury notes]. Le
déficit commercial américain, creusé dans une très large mesure par l’achat de
biens « made in China », excède désormais les 3 trillons de dollars. Et pendant
ce temps, la Chine est en train d’évincer les Etats-Unis d’un bout à l’autre de
l’Asie, dans tous les domaines : commerce, investissements, formation, culture
et tourisme…
La Chine, de surcroît, se taille des croupières sur les marchés
des biens en Amérique latine. (Aujourd’hui, le Chili est son premier marché à
l’export, le Brésil étant le second sur la liste). Les étudiants asiatiques en
ingénierie, qui seraient venus étudier, naguère au MIT [Massachusetts Institute
of Technology] ou à la Cal Tech [Université technologique de Californie]
préfèrent aller étudier, aujourd’hui, dans les universités de Pékin.
Sur ces
entrefaites, l’Union européenne devenant une entité de plus en plus cohésive, la
valeur du dollar par rapport à l’euro a chuté d’un tiers au cours des deux
années écoulées [dont un huitième seulement depuis septembre 2004]. Le taux
d’escompte du dollar déclinant, les investisseurs financiers, y compris ceux qui
s’ingéniaient à combler notre déficit, commence à diversifier leurs avoirs. En
Chine, au Japon, en Russie et au Moyen-Orient, les banques centrales se
débarrassent de leurs dollars pour acquérir des euros. La politique de Bush, en
creusant notre dette, a mis en danger le statut du dollar en tant que devise de
réserve mondiale.
Vous allez sans doute vous demander : « Et que fait donc
l’administration Bush pour redresser l’avion, ou au moins pour amortir le choc ?
» Difficile à dire. Au cours des auditions de « confirmation » d’avec Douceur
[Condoleezza !] [sans doute une antiphrase, comme l’Océan « pacifique » ou le
cap « de Bonne Espérance » ! ndt] Rice, la semaine dernière, le sénateur Paul
Sarbanes [démocratie, Maryland] a soulevé quelques petites questions concernant
la relation entre l’économie mondiale et la puissance politique. Rice l’a
renvoyé sur la touche, en lui demandant de poser sa question au secrétaire
d’Etat au Trésor.
Le NIC a rendu public son rapport quelques semaines avant
le discours d’intronisation de Bush, mais il est bon de verser encore un peu
plus d’eau glacée sur la fantasmagorie condescendante d’une Amérique apportant
la liberté aux peuples opprimés, partout dans le monde. En Asie, nous dit le
rapport, « les dirigeants actuels et à venir sont parfaitement agnostiques en
matière de démocratie, et ils sont intéressés avant tout à développer ce qui est
à leur sens le modèle de gouvernance le plus efficace. » Si le président voulait
véritablement répandre la liberté et la démocratie partout sur notre planète, il
chercherait à faire de l’Amérique ce fameux « modèle de gouvernance efficace »,
capable de montrer au monde, par son exemplarité, que les démocraties libres
peuvent réussir et qu’il vaut le coup de les imiter.
Il faut néanmoins
admettre, pour le regretter, que le rapport du NIC dépeint un monde où il y a de
moins en moins de gens pour voir dans l’Amérique un modèle de quoi que ce
soit.
Comment des gens qui sont incapables, comme nous, de se vendre
eux-mêmes pourraient-ils vendre la liberté ? ! ?
22. Déjouer les chausse-trappes
par Azmi Bishara
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 13
janvier 2005
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
En des temps où un individu issu de
n’importe quelle couche sociale, n’importe où dans le monde, peut saisir ce que
signifie la liberté politique, la souveraineté politique ne peut plus longtemps
trouver une expression en l’absence de démocratie. Il semble tout aussi
impossible d’imaginer une démocratie, en l’absence d’un processus électoral
visant à sélectionner des gouvernants, que ce soit grâce à des délégués élus
votant à leur tour, soit à travers un scrutin direct. Mais les élections
n’interviennent jamais dans un monde parfait. Non ; bien plutôt, elles nous
tombent dessus telles quelles, avec tous leurs défauts. Il y a l’influence, les
pressions, l’argent, les mensonges, la fraude et la tromperie ; tous moyens
utilisés de diverses manières afin de manipuler l’électorat. Autrement dit : les
campagnes électorales sont des exercices de distorsion de la volonté populaire.
Le bidouillage délibéré des élections, en supprimant des noms ou en ajoutant des
noms fictifs aux listes électorales, la falsification ou l’invention de
résultats ou encore la falsification des totalisations des voix, deviennent dès
lors superfétatoires. Le bidouillage a tendance à représenter le recours de
forces politiques sous-développées ou de gouvernants faibles, ou ne pouvant se
payer le luxe de coûteuses campagnes électorales. Mais une élection exempte de
cette première catégorie de tares : voilà qui serait véritablement l’oiseau
rare. On a la forte impression que les dernières élections en Ukraine ont
enregistré la victoire de la première catégorie de fraudes sur la seconde.
Mais y a-t-il vraiment une différence entre les deux ? Comme la seconde, la
première catégorie de fraude se contente de falsifier la volonté populaire et
elle affecte à des degrés divers tous les processus électoraux, à commencer par
la découpe sur mesure du processus électoral lui-même, en passant par les
méthodes de financement, l’achat de votes au moyen de paiement directs ou grâce
à des promesses d’emplois ou de services rendus, le contrôle sur l’accès aux
médias, les fausses promesses, pour finir par les mensonges et les insinuations
répandues à l’encontre des candidats rivaux. Cela arrive partout, même dans les
démocraties les mieux établies. Et puis, bien entendu, il y a aussi le problème
tout récent de l’intervention américaine dans des élections étrangères, via les
ambassadeurs et autres envoyés, les agences d’aide et de financement, sans
oublier les officines de notation en matière de performances
démocratiques…
Falsifier la volonté populaire en achetant des consciences, en répandant
des ragots ou en avertissant que tout vote « erroné » attirera la colère de
l’Amérique est une attitude qui a au moins le mérite de reconnaître la méthode
démocratique, sans égard quant à la manière dont elle est détournée à l’avantage
d’un candidat de prédilection. Plus grave : les électeurs conservent une
certaine liberté de choix et les force politiques qui veulent lutter contre
cette forme de falsification de la volonté populaire conservent la possibilité
d’en appeler à l’intelligence des électeurs. Dans l’isoloir, l’électeur un peu
malin peut éviter les fraudes du premier type, mais il est totalement impossible
que son vote survive à la falsification directe. Sans doute les résultats
seraient-ils identiques, dans les deux cas. Mais, du moins, des élections
honnêtes, aussi sales qu’aient été les campagnes, traduisent un plus grand
développement de mécanismes permettant de gérer une société et sa vie politique
; des mécanismes qui incluent les moyens d’amener les hommes politiques à rendre
des comptes sur des promesses faites et (éventuellement) non tenues. La deuxième
forme de corruption électorale, d’un autre côté, semble plus prospérer dans une
société organisée d’une manière plus rudimentaire et généralement moins
politiquement consciente. Inévitablement, la différence entre les deux approches
se traduit par des différences dans la qualité de vie.
A n’en pas douter Le débat portant sur la question de savoir si des
élections sont indispensables à d’autres droits de la citoyenneté et si la
rotation de l’autorité est un préalable de l’expression de la souveraineté
populaire continuera encore quelque temps. Toutefois, mis à part leurs aspects
purement techniques, les élections palestiniennes ne sont pas pertinentes sur
ces questions, étant donné qu’à la différences des élections tenues partout
ailleurs dans le monde, elles n’avaient rien, pour commencer, de l’expression
d’on ne sait trop quelle « souveraineté nationale ».
Considérer les élections palestiniennes comme une expression de
souveraineté requerrait une imagination extraordinairement élastique. La notion
supposerait que le peuple palestinien ne serait composé que des seuls habitants
de la Cisjordanie et de Gaza et que ceux-ci pourraient, en quelque sorte, fermer
les yeux sur la présence de l’occupation (israélienne) et sur les crimes qu’il a
perpétrés jusqu’à la veille des élections. Elle supposerait que la question de
savoir si les partis politiques les plus importants y ont participé (ou non)
n’aurait aucune importance, de même que n’aurait aucune importance le fait qu’un
tiers seulement des électeurs qualifiés, en Cisjordanie et à Gaza, se soient
enregistrés sur les listes électorales et que seulement les deux tiers desdits
inscrits aient voté. Personne ne va traiter longuement de ces questions et peu
importe l’ardeur que mettent des observateurs à l’ardent esprit démocratique à
faire des grands gestes et à élever la voix. Ceux qui le firent étaient, tout
simplement, à côté de la plaque : en effet, ces élections n’avaient pour but que
de confirmer la légitimité populaire de la direction post-Arafat en Cisjordanie
et à Gaza et de confirmer quelles sont les régions qui définissent le peuple
palestinien, du point de vue des forces non-palestiniennes tellement
enthousiastes pour la tenue desdites élections parce qu’elles leur permettait
d’avoir leur direction palestinienne, dûment munie d’un timbre de caoutchouc a)
pour approuver les propositions de négociations et b) pour remettre les choses
en ordre dans les territoires (dans cet ordre, c’est important…)
Ceci dit, ces élections représentaient un processus politique, et ceux qui
y ont pris part furent poussés à énoncer leurs opinions et objectifs politiques
et à exprimer leurs appréhensions en laissant le dernier mot à l’électeur, sans
égard pour les puissants facteurs en jeu sur les plans tant régional
qu’international. Les partis politiques palestiniens avaient pour responsabilité
de marquer leur territoire : ils devaient donc soit participer aux élections,
soit les boycotter en définissant clairement les raisons de leur recours à cette
forme de protestation.
Ils auraient également dû se sentir poussés à prendre en considération
l’impact du passage de l’OLP + la diaspora à l’Autorité palestinienne – premier
cadre pour une vie politique en leur pouvoir – sur l’influence qui est la leur,
voire peut-être même sur leur survie. Ayant échoué à se livrer à un tel
processus d’introspection du temps des premières élections législatives de
l’Autorité palestinienne, les forces politiques palestiniennes ont succombé à
une forme de crise d’identité qui les vit hésiter, des années durant, entre
l’Autorité palestinienne et les mouvements islamistes.
Les récentes élections présidentielles palestiniennes ressemblaient à un
essayage de costumes pour les législatives à venir : les différentes composantes
palestiniennes feraient bien d’évaluer leurs performances à venir à la lumière
des résultats. Comment se fait-il, par exemple, qu’un profil médiatique haut en
relief (Abu Mazen ? ndt) ait pu faire de l’ombre à un long état de service dans
l’activisme politique (Mustafa al-Barghuthi ? ndt) ? Ce n’est là qu’une (parmi
des dizaines) des questions soulevées par les résultats. Des partis politiques
ne sauraient survivre en se reposant simplement sur leurs lauriers, ni en
revendiquant la responsabilité d’une opération de résistance, de temps à autre.
S’ils ont une politique ou un programme auxquels ils adhèrent véritablement, ils
doivent les exposer à l’opinion publique.
Nous constatons néanmoins aujourd’hui que certains partis ne jugent même
plus nécessaire d’éditer un journal, ni même de tenir des réunions publiques ou
d’autres formes de mobilisation populaire. Il semble que le problème tienne à
l’absence de vie politique au sens le plus basique de ce terme. Dans les
dernières élections présidentielles palestiniennes, le facteur déterminant fut
moins la fanfare médiatique que le vide qui s’était emparé des médias, comme de
tout le reste. Sans doute, certains aimeraient croire (ou donner à accroire) que
les meetings politiques, les journaux, les conventions, les conférences etc., ne
sont que des instruments purement conventionnels. C’est peut-être vrai. Mais nul
parti politique ne saurait exister sans s’engager dans les activités
conventionnelles propres aux partis politiques. Les roues, elles aussi, sont
conventionnelles, mais aucune voiture ne peut avancer sans elles, aussi bien
conçu en soit le moteur.
Le président nouvellement élu de l’Autorité palestinienne est salué comme
s’il était réellement un président. C’est tout du moins l’impression que toutes
ces félicitations, à partir de la Maison Blanche et en descendant dans la
hiérarchie, semblent vouloir convoyer. Mais c’est précisément là le résultat que
le monde occidental (dont Israël) voulait et qu’il n’a même jamais fait mine de
vouloir dissimuler. Cette adhésion internationale va-t-elle faire avancer la
cause palestinienne, ou bien s’agit-il de l’étreinte de l’ours ?
Personnellement, je redoute la seconde possibilité…
Sur la question palestinienne, Israël n’a pas avancé d’un centimètre. Il
continue à voir dans la missive envoyée par Bush à Sharon une conquête politique
majeure. Il se peut qu’il soit prêt à négocier avec la nouvelle direction
palestinienne, comme il se peut aussi qu’il veuille prendre certaines
initiatives afin d’ « alléger les difficultés » du peuple palestinien (un peu
comme s’il s’agissait d’otages…), histoire de faciliter les choses à ses
nouveaux dirigeants. Mais au-delà de çà, rien n’est ouvert à la discussion. Même
la simple idée d’accepter la notion d’un cessez-le-feu est hors de question,
pour Sharon. Il attend de l’Autorité palestinienne qu’elle fasse le boulot qu’il
en attend, « éliminant les sources de la terreur », ou déclarant une trêve
unilatérale. En bref, tout cessez-le-feu relève de l’exclusive responsabilité
des Palestiniens. Ceci implique que le « terrorisme » palestinien serait la
cause première et que la répression israélienne en serait la conséquence. Et
cette cause doit être éliminée si l’on veut une avancée sur la feuille de route
(ou, tout du moins, sur la lecture qu’Israël en fait…). Même l’accord qui a
présidé à la formation de la nouvelle coalition en Israël ne s’est pas contenté
de régurgiter les quatorze « réserves » de Tel-Aviv sur la feuille de route ;
elle y a inclus la lettre envoyée par Weisglass (celui du « formol », ndt) à
Condoleezza Rice afin de lui rappeler lesdites réserves, ainsi que la
déclaration d’icelle, indiquant que Washington en convient. Telle fut la base du
rapprochement entre Sharon et Pérès. De plus, ce document a été paraphé au
lendemain de la disparition de Yasser Arafat, c’est-à-dire après la disparition
du « principal obstacle » à la paix.
Sharon est peut-être prêt à négocier. Mais, très loin de tenir compte des
principes des deux parties, les négociations telles qu’il les veut ne pourront
que se focaliser exclusivement sur la création d’un Etat palestinien, et la
seule marge de jeu diplomatique qu’il sera prêt à accepter, même de la part des
Américains, est celle qui sera susceptible de convaincre les Palestiniens
d’accepter la notion d’un Etat, et rien de plus. Il ne sera en aucun cas
question de satisfaire à des exigences palestiniennes aussi fondamentales que la
mise en application du droit au retour. Et une fois un Etat palestinien créé,
toutes les questions de frontières importantes seront réduites à des retouches
mineures susceptibles d’être négociées entre (les) deux « Etats », par des
moyens pacifiques. Tout ce qu’il incombe aux Etats-Unis et aux Européens de
faire, c’est convaincre les Palestiniens qu’il s’agit là de leur seule
possibilité et qu’une fois qu’il auront accepté l’inéluctable, leur Etat
(s’étendant sur 40 % de la superficie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza…)
sera transformé en Paradis sur Terre. Si Sharon n’obtient pas ce qu’il veut au
moyen d’un accord, il réitèrera la ruse du retrait unilatéral et sans accord.
Mais, bien entendu, seulement si l’Autorité palestinienne se montre capable de
gérer la sécurité, en monopolisant le recours aux armes et en unifiant ses
services de sécurité.
Tout ce qui s’est jusqu’ici passé n’est qu’un avant-goût de ce qui attend
l’Autorité palestinienne nouvellement élue. Elle devra décider – ou non – de
lire les résultats des élections à travers les lunettes que Washington et
Tel-Aviv lui tendent. Cette lecture lui dira qu’elle a désormais le feu vert
pour arrêter l’Intifada armée et exposer les plans consistant à accepter un Etat
palestinien en échange du maintien en suspens – ad vitam aeternam – des
questions ressortissant au règlement définitif : Jérusalem, colonies
israéliennes, réfugiés palestiniens et frontières. Ou bien elle peut décider
d’interpréter les résultats des élections en y voyant un mandat partiel pour
administrer les affaires de la société palestinienne en Cisjordanie et à Gaza
tout en négociant avec Israël, sans abandonner les principes d’une justice et
d’une équité relatives.
Cette dernière interprétation impliquera également la nécessité d’œuvrer à
l’unification des rangs de l’Autorité palestinienne, comme de la société
palestinienne, afin de permettre à celle-ci de vivre et de se développer, fût-ce
dans les circonstances les plus défavorables, dans l’attente de l’obtention
d’une solution réellement juste, définitive et globale.
23. Une abstention très politique
par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 12 janvier
2005
[traduit de l’hébreu par Michel
Ghys]
« Jusqu’à cinq ou six heures de l’après-midi, je me
sentais fier et joyeux, et puis tout a basculé » : l’avocat Raji Sourani
décrivait ainsi devant les juges de la cour d’appel, ce qu’ont éprouvé des
milliers de personnes le jour des élections pour la présidence de l’Autorité
palestinienne.
L’impression initiale était que la participation aux élections était forte
et le respect sévère des règles et des règlements était impressionnant. Mais
dans l’après-midi, la sensation de solennité a laissé la place à de
l’inquiétude. Le taux de participation se révélait plus faible que prévu.
L’annonce faite par la commission électorale qu’on prolongeait de deux heures le
temps de vote, n’a pas surpris : « Il était parfaitement possible d’interpréter
cela comme un souci du bien général, à cause des barrages, des obstacles
israéliens, à cause des craintes », poursuivait Sourani dans sa description de
l’enchaînement des événements, devant les trois juges du tribunal spécialement
chargé des questions électorales.
Dans la salle d’audience de Gaza, étaient présents d’autres avocats,
collègues de Sourani au « Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme » [PCHR]
qu’il dirige, des enquêteurs du Centre et trois observateurs internationaux. La
plupart d’entre eux, y compris Sourani, ont circulé dans les Territoires pendant
la journée des élections. Tout à coup, à cinq heures et demie du soir en
quelques endroits et à six heures et demie en d’autres, la confusion a démarré.
Peu avant le temps initialement prévu pour la fin du scrutin, et deux heures
avant le nouveau terme, une foule de gens a commencé à affluer : beaucoup
étaient amenés en voitures et en camionettes, personne ne prenait la peine de
cacher que les zélés transporteurs étaient des activistes du Fatah.
Ici et là, la lumière s’est éteinte, mystérieusement, dans plusieurs
bureaux de vote, l’enregistrement se faisant alors à la lumière des bougies. A
l’extérieur d’un ou deux bureaux de vote, on a même entendu des coups de feu. A
leur stupéfaction, les observateurs – dont beaucoup avaient été formés pendant
trois mois par le Centre – ont vu mise au rencard la liste du « registre de
population » d’après laquelle étaient autorisés à voter ceux qui n’étaient pas
inscrits dans la liste des électeurs. Une instruction orale, non écrite, est
parvenue aux responsables des bureaux de vote, pour autoriser le vote de toute
personne présentant une carte d’identité.
Il était difficile de cacher que la commission électorale opérait sous la
pression du Fatah. Et le Fatah, en tant que parti au pouvoir, avait des raisons
de se sentir sous pression : le principal adversaire, le mouvement Hamas, qui
avait appelé à ne pas participer aux élections, pourrait tirer un avantage
politique du faible taux de participation : déclarer que les abstentionnistes
ont agi à son instigation, soutenir que sa force est grande au sein de la
population et que la politique du Fatah sous Abou Mazen ne représente pas la
majorité du peuple.
Mais la voie choisie – contourner et violer ce que le Conseil législatif a
fixé dans la Loi – a porté préjudice au Fatah, entaché la commission électorale
et n’a fait que renforcer les vieilles allégations du Hamas selon lesquelles le
Fatah n’autoriserait jamais des élections loyales qui refléteraient fidèlement
les positions du public. Ce qu’il y a de ridicule c’est que la confusion des
deux dernières heures n’a pas amené un surcroît spectaculaire de voix
d’électeurs. Le Centre palestinien a introduit au tribunal une demande que soit
déclarée illégale la décision de la commission électorale. Il n’a même pas
réclamé l’annulation des résultats de certains bureaux de vote mais seulement
que soit transmis au public le message qu’aucune autorité n’est au-dessus de la
Loi, que les instances judiciaires n’admettront pas des autorités politiques et
autres qu’elles faussent des processus légaux, et que les électeurs lors du
scrutin vraiment important qui doit se tenir en juillet pour l’assemblée
législative n’auront pas à mettre en doute la fiabilité des résultats.
La requête a été rejetée, pour des motifs formels. On éprouve, au Centre,
une légère déception, mais comme Sourani l’a dit aux juges : la démocratie est
une action continue, un processus d’apprentissage. La requête en est partie
intégrante.
Il reste à examiner les raisons de ce faible taux de participation : 45% du
corps électoral. La société palestinienne est hautement politisée. L’abstention
est dès lors très politique. Elle démontre que le public palestinien ne nourrit
pas d’illusions quant au véritable maître de leur vie. Pas Abou Mazen, pas le
Fatah, mais le gouvernement israélien et son émissaire : l’armée. A aucun
moment, le jour des élections, il n’a été possible de l’oublier : dans le bureau
de vote installé dans une école de Jabalya qui a essuyé plusieurs tirs de
missiles ; dans la localité agricole de Beit Lahia dont les serres et les
vergers ont été rayés de la carte sur ordre de l’armée ; dans le bureau de vote
de Khan Younes dont la route d’accès passe près des monceaux de ruines laissées
par l’armée israélienne pour la défense des colonies du Goush Katif ; à Tel
al-Sultan, à Rafah, dont les rues dévastées par les chars n’ont pas encore été
remises en état.
Rien d’étonnant, par conséquent, qu’une part significative, peut-être la
part du lion, de l’activité du Centre Palestinien pour les Droits de l’Homme se
concentre depuis des années sur la domination israélienne sur les Palestiniens.
Risquant leur vie, les enquêteurs du Centre rassemblent des données sur les
attaques dans la Bande de Gaza, les morts et les destructions que les forces
israéliennes laissent quotidiennement derrière elles, les champs fertiles
transformés en désert, les limitations draconiennes imposées à la liberté de
mouvement. En dépit de très maigres espoirs, ils introduisent diverses plaintes
auprès de l’armée, et de temps à autres des requêtes à la Cour suprême
israélienne. Ils fonctionnent ici comme des enseignants donnant un cours sur
l’essence non démocratique d’une société occupante. Mais les élèves ne sont pas
intéressés à participer au cours.
24. Qui casse, paie ! (Normalement…) par
Naomi Klein
in The Nation (hebdomadaire étasunien) du lundi 10 janvier
2004
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
Ainsi, il s’avère que le magasin de la
Vaisselle Blanche n’a même pas de pancarte indiquant : « Si vous cassez, c’est
pour votre pomme ! » D’après un porte-parole de la compagnie, « dans les cas
(rares) où quelque chose est cassé, cela sort de la comptabilité, au chapitre
des pertes ». Reste que l’absence de toute politique en la matière dans un
magasin qui vend des tire-bouchons à 80 dollars continue à être bien plus
remarquée, aux Etats-Unis, que les Conventions de Genève et les Règlements de
l’Armée américaine en matière de conquêtes territoriales combinés. Comme l’a
fait observer Bob Woodward, Colin Powell a invoqué « le règlement Vaisselle
Blanche » avant l’invasion, tandis que John Kerry a juré ses grands dieux qu’il
y adhérait, durant le premier débat pour les élections présidentielles. Et ce
règlement imaginaire reste l’instrument favori permettant de claquer le beignet
à quiconque oserait suggérer que le temps est venu de retirer notre armée de
l’Irak. « Bien sûr, la guerre est un véritable désastre », dit l’argumentation
oiseuse, « Mais nous ne pouvons pas nous arrêter. Pas maintenant : Si t’y
casses, t’y emportes ! »
Sans aller jusqu’à citer nommément la célèbre chaîne
de magasins, Nicholas Kristof a resservi l’argument dans un récent éditorial du
New York Times. « Notre invasion erronée laisse des millions d’Irakiens
désespérément vulnérables et il serait inhumain, aujourd’hui, de les laisser
tomber. Si nous restons en Irak, il y aura encore quelque espoir que les
Irakiens puissent connaître la sécurité et une vie meilleure. Mais si nous nous
retirions, nous condamnerions les Irakiens à l’anarchie, au terrorisme et à la
faim, causant des centaines de milliers de morts d’enfants dans les dix ans à
venir. »
Commençons par cette idée, qui voudrait que les Etats-Unis
aideraient à assurer la sécurité des Irakiens. Au contraire, la présence des
troupes états-uniennes est cause de violences quotidiennes. La vérité, c’est
qu’aussi longtemps que les troupes américaines resteront en Irak, l’ensemble de
l’appareil sécuritaire de ce pays (tant les forces d’occupation que les soldats
et les officiers de police irakiens) devront se consacrer entièrement à
repousser les attaques de la résistance, laissant un vide sécuritaire là où
s’agirait de protéger les Irakiens ordinaires. Si les troupes se retiraient, les
Irakiens n’en continueraient certes pas moins à être confrontés à l’insécurité,
mais ils pourraient consacrer leurs ressources locales, en la matière, à la
reconquête du contrôle de leurs villes et de leurs quartiers. Quant à la
prévention de l’ « anarchie », parlons-en : le projet américain d’élections en
Irak semble fait sur mesure pour déclencher une guerre civile – cette guerre
civile dont on a absolument besoin pour justifier une présence maintenue de
troupes américaines, quelle que soit l’issue desdites élections. Il a toujours
été évident, depuis le début, que la majorité chiite, qui appelle à des
élections immédiates depuis plus d’un an, n’allait jamais accepter un quelconque
délai dans le calendrier électoral. Et il était tout aussi clair qu’en
détruisant la ville de Falloujah, au motif de « préparer cette ville à la tenue
des élections », la majorité du leadership sunnite serait contrainte à en
appeler au boycott desdites élections.
Quand Kristof affirme que les forces
américaines devraient rester en Irak afin de sauver des « centaines de milliers
d’enfants » de la famine, il est bien difficile d’imaginer ce qu’il a derrière
la tête. La faim, en Irak, n’est pas simplement une conséquence dramatique de la
guerre : c’est le résultat direct de la décision prise par les Etats-Unis
d’administrer une politique brutale de « thérapie de choc » à un pays qui était
déjà rendu malade et terriblement affaibli par douze années de sanctions
économiques. Le premier acte de Paul Bremer, dans ses nouvelles fonctions, fut
de mettre sur la paille plus de 500 000 Irakiens en les chassant de leur emploi
et son premier succès – pour lequel il se vit remettre rien moins que la
Médaille Présidentielle de la Liberté ( !) – consista à superviser un programme
de « reconstruction » qui vola systématiquement à des Irakiens nécessiteux leurs
emplois afin de les refiler à des firmes étrangères, portant le chômage à des
sommets jamais vus, atteignant les 67 %. Et les chocs les pires sont encore à
venir. Le 21 novembre dernier, le groupe de pays industrialisés connu sous le
nom de Club de Paris a fini par dévoiler son projet au sujet de la dette d’un
Irak insolvable. Plutôt que de l’annuler tout de go, le Club de Paris a présenté
un plan en trois ans, pour l’effacer à hauteur de 80 %, mais à la condition
expresse que les futurs gouvernements irakiens adhèrent à un strict programme
d’austérité du Fonds Monétaire International. D’après des pré-projets rendus
publics, ce programme comporte « la restructuration (lire : privatisation) des
entreprises étatiques », un projet dont le ministre irakien de l’Industrie
prévoit qu’il conduira à la mise au chômage de 145 000 travailleurs irakiens
supplémentaires.
Au nom de « réformes instaurant la liberté des marchés », le
FMI veut aussi que soit supprimé le système qui assure à chaque famille
irakienne un panier de ravitaillement, qui représente le seul viatique évitant
la famine à des millions d’Irakiens. Il y a, de plus, d’autres pressions visant
à supprimer le rationnement alimentaire, qui émanant de l’Organisation Mondiale
du Commerce [OMC], laquelle envisage (à l’instigation de Washington, faut-il le
préciser ?) d’intégrer l’Irak comme Etat membre – à la condition expresse qu’il
adopte certaines « réformes »…
Alors, soyons clairs, ne mâchons pas nos mots
: les Etats-Unis, après avoir bousillé l’Irak, ne sont pas en train (ni même en
mesure) de le réparer. Ils continuent tout simplement à casser ce pays et son
peuple par d’autres moyens, recourant non seulement aux avions de chasse F-16 et
aux véhicules blindés Bradley mais aussi, désormais, à ces armes (certes, moins
rutilantes) que sont les diktats du FMI et de l’OMC, ainsi qu’à des élections
conçues afin de transférer aussi peu de pouvoir que possible aux Irakiens. C’est
ce que le célèbre écrivain argentin Rodolfo Walsh écrivait, peu avant son
assassinat par la junte militaire, en 1977, décrivant une « misère planifiée ».
Et plus les Etats-Unis resteront en Irak, plus ils en planifieront la
misère.
Mais si le fait de rester en Irak n’est pas la solution, les
autocollants apposés sur les pare-chocs des bagnoles, appelant au retrait des
troupes et au financement des écoles et des hôpitaux « à la maison », avec les
fonds ainsi épargnés, n’en sont pas non plus une. Certes, les troupes
américaines doivent quitter l’Irak, mais ce retrait ne saurait représenter autre
chose qu’une planche, parmi d’autres, d’une plate-forme anti-guerre morale et
crédible. Qu’en est-il des écoles et des hôpitaux, en Irak – ceux qui auraient
déjà dû être construits par Bechtel, mais qui ne sont jamais sortis de terre ?
Trop souvent, les forces anti-guerre n’ont pas osé parler de ce que nous, les
Américains, devons à l’Irak.
Le mot « compensation » est trop rarement
évoqué. Quant aux « réparations », mieux vaut, par charité, ne pas en
parler…
Les mouvements anti-guerre n’ont offert aucun soutien concret aux
demandes politiques émanant de l’Irak. Ainsi, par exemple, lorsque l’Assemblée
Nationale Irakienne a véhémentement condamné le compromis du Club de Paris
contraignant le peuple irakien à honorer les dettes « odieuses » de Saddam
Hussein et lui volant sa souveraineté économique, le mouvement anti-guerre est
resté coi, mis à part le mouvement résolu Jubilee Irak, malheureusement
insuffisamment soutenu. Et si les militaires américains ne protègent pas les
Irakiens contre la faim, les rations alimentaires (irakiennes) le font, à
l’évidence – alors : pourquoi la continuité de ce programme absolument vital ne
fait-elle pas partie de nos revendications fondamentales ?
L’incapacité de
mettre au point un programme allant plus loin que le slogan : « Troupes
américaines : hors d’Irak ! » est sans doute la raison pour laquelle le
mouvement anti-guerre stagne, alors même que l’opposition à la guerre s’accroît
aux Etats-Unis.
Voulez-vous savoir pourquoi ? C’est parce que les gérants de
la Maison de la Vaisselle Blanche ont un argument de poids : casser un pays n’a
aucune conséquence, pour ceux qui l’ont cassé !
Certes, gageons qu’aucun
desdits gérants ne se considérera jamais propriétaire de l’Irak bousillé.
Mais : comment payer les pots cassés ?
25.
De Khan Younes, vous ne voyez pas de colons par Gideon
Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 9 janvier
2005
[traduit de l’hébreu par Michel
Ghys]
On pourrait croire que le désengagement a déjà eu lieu ici. De
Khan Younes, vous ne voyez presque plus de colons ni de colonies. Si en
Cisjordanie, les fenêtres de chaque maison palestinienne s’ouvrent sur des toits
rouges et des châteaux d’eau, ici, au centre de la Bande de Gaza, on ne voit que
des tours de guet, des filets de camouflage et des murs de béton. Les colons,
les colonies, les soldats, tout se cache à l’autre bout d’énormes espaces qui
ont été « déblayés », tout se barricade derrière les positions fortifiées, les
murs d’acier, les chars et les clôtures.
Même le soldat au tristement fameux barrage d’Abou Houli qui coupe la
grand-route venant de Gaza jusqu’ici, distribue ses ordres à des conducteurs
qu’il voit mais qui ne le voient pas. On entend seulement sa voix dans le
haut-parleur enroué, tout en haut de la tour qui domine la route, et les
conducteurs, soumis, s’empressent d’obéir à ses ordres. Auparavant, on pouvait
voir des voitures de colons traverser le carrefour et on savait alors que
c’était à eux que l’on devrait un retard de plusieurs heures. Maintenant, les
colons passent en voitures, là haut, sur le pont, cachés derrière des murs de
béton et les Palestiniens roulent, ou sont retenus sans savoir pourquoi, sur la
route, en bas. L’occupation cachée à la vue est ici parfois même plus cruelle
que l’occupation visible des barrages de Cisjordanie. Le soldat et le colon
n’ont pas figure humaine, pas de visage, pas de corps, seulement une voix qui
distribue des ordres, des bulldozers qui détruisent et des localités aux allures
de forteresses.
A Khan Younes, il n’est nul besoin d’attendre que les colons exécutent
leurs menaces de s’opposer par la force aux décisions du gouvernement pour en
arriver à la conclusion que la démocratie israélienne est atteinte. En
elle-même, la présence de Ganei Tal et de Neveh Dekalim – présentés par les
médias comme des localités florissantes, avec jardins d’enfants, synagogues,
champs verdoyants et des habitants placés maintenant dans une grande détresse
affective – témoigne de l’existence de l’apartheid. D’un côté, par la force de
l’armée qui la protège et qui instaure, sur le terrain, une séparation absolue,
une minorité vivant dans de spacieuses localités dicte sa vie à la majorité qui
est autour d’elle. De l’autre côté, face aux terrifiantes tours de guet qui
entourent les deux colonies : le camp de réfugiés de Khan Younes, avec ses rues
de sable et de boue, à la vue desquelles la majorité des Israéliens n’est pas
exposée. Les attaques contre les colons sont présentées comme un terrorisme
meurtrier né ex nihilo, d’une soif de sang, alors qu’on ne montre pas la
souffrance quotidienne causée aux Palestiniens du fait des colonies.
Le camp de réfugiés de Khan Younes est plongé dans le deuil de ses fils
tués et de ses maisons détruites. Ici, on ne parle pas du désengagement ni des
élections qui ont lieu aujourd’hui. Ici, on est occupé par une guerre cruelle de
subsistance. A chaque coin du camp, on peut voir une tente de deuil. De
nouvelles affiches commémoratives sont collées chaque jour sur les murs. L’une
d’elle présente le visage d’Ahmed Touman, un jeune garçon de 17 ans atteint du
syndrome de Down et qui a été tué il y a quelques jours. Dans le rapport de
l’hôpital, il est écrit que des balles ont été trouvées dans sa tête, dans son
cœur, dans ses côtes, et des éclats dans sa jambe et à la hanche. Le
porte-parole de l’armée israélienne a communiqué que les soldats lui avaient
tiré dans les jambes en signe d’avertissement.
Dans les ruelles boueuses, des enfants, nu-pieds, terrorisés, fouillent les
nouvelles ruines. Chaque averse transforme le camp en un vaste marais, et avec
les maisons détruites, on a l’impression d’être sur le site d’une catastrophe.
Une part appréciable des souffrances des habitants sont dues aux colonies qui
les étranglent à l’ouest et les dépossèdent de leurs terres, et quand, par suite
de cela, des hommes armés tirent en direction des colonies, l’armée israélienne
réplique d’une manière disproportionnée qui entraîne d’intenses souffrances pour
des milliers d’innocents. Mais nous est-il permis de ne contempler que le
présent et d’oublier le passé qui a conduit à ces vies misérables ? Ce passé ne
devrait-il pas au moins éveiller un sentiment et une volonté de réparation ?
Chaque famille, ici, porte en elle le souvenir d’une autre vie, dans les rues de
Majdal, dans les champs d’Isdad, les vergers de Kastina, les champs de Faluja –
les 45 villages et bourgades de la région qui ont été détruits et qu’ils ont
perdus. Tous ceux dont les maisons sont détruites aujourd’hui sous les chenilles
des bulldozers de l’armée israélienne sont les enfants de familles qui ont jadis
connu déjà semblables destructions.
Ici, il ne se passe quasiment pas un jour sans opérations de déblaiement et
de destruction. Il n’y a qu’à la mer argentée des pépinières de Ganei Tal et
Neveh Dekalim qu’on ne touche pas. Dans ces champs-là, à la limite du camp, se
révèle encore un autre aspect de la laideur des nouveaux pionniers : 35 à 48
shekels par jour pour une poignée de travailleurs de Khan Younes qui ont le
privilège de travailler, pour les colons, sur des terres de culture d’épices
destinées à l’exportation. Dans le Goush Katif, on n’a pas entendu parler de
salaire minimum ni de justice.
Difficile de décrire avec des mots l’aspect du camp de réfugiés de Khan
Younes. Il ne parvient à la conscience israélienne que par le biais des
opérations de représailles de l’armée israélienne, « Fer violet » ou « Vent
d’automne ». Peu de gens demandent quel est le péché de ces habitants dont la
majorité n’a qu’une unique aspiration : vivre, enfin, dans des conditions
humaines. La vraie réponse est qu’ils souffrent essentiellement à cause de
l’occupation qui demeure ici à cause des colonies et dont la fin, vue de Khan
Younes, parait encore très éloignée. A l’heure où les colons brandissent des «
considérations d’ordre moral » contre « l’évacuation de Juifs de leur terre »,
nous sommes tenus de rappeler à quoi ressemble la vie à Khan Younes, à qui
appartient cette terre, qui est la véritable victime et qui lui inflige cette
souffrance.
26. Mes rencontres avec Yasser
Arafat par Eric Rouleau
in Le Monde diplomatique du mois de décembre
2004
Doté d’un solide psychisme, Yasser Arafat a très rarement
manifesté – dans les situations les plus dramatiques – le moindre désespoir ou
découragement. Il paraissait animé par un optimisme sans faille, par une volonté
inébranlable de poursuivre son combat, par une capacité étonnante de rebondir
après chaque chute. Ayant suivi son itinéraire depuis plus de trente-cinq ans,
l’ayant rencontré des dizaines de fois en ma qualité de journaliste ou de
diplomate chargé de mission auprès de l’Organisation de libération de la
Palestine (OLP), j’ai été surpris de le trouver lors de nos derniers entretiens,
l’année dernière, dans une humeur qui ressemblait fort à un état
dépressif.
Pâle, les traits tirés, confiné dans un bâtiment en ruine, vivant
dans une pièce sans fenêtre, sachant qu’il risquait d’être exilé ou assassiné à
n’importe quel moment, il n’excluait pas, pour la première fois, que « les
vestiges de l’Autorité palestinienne soient annihilés ». Il ne comprenait pas
comment on avait pu le diaboliser, alors qu’il avait tant œuvré pour conclure la
« paix des braves » avec Israël. L’émotion lui montait à la gorge toutes les
fois qu’il se référait à son « partenaire Itzhak Rabin ».
Résigné, il
s’apprêtait à nommer un premier ministre sur la triple injonction d’Israël, des
Etats-Unis et, ce qui était le comble pour lui, de l’Union européenne. Il
feignait ne pas comprendre qu’on veuille lui imposer un premier ministre alors
qu’il n’était « que le chef d’une entité non étatique ». A la question de savoir
s’il était obligé d’obtempérer, Arafat baissa la tête, laissant la parole à un
collaborateur assis à ses côtés qui lâcha : « C’est Bush qui le veut... »
Au
déjeuner qui suit l’entretien, auquel il a convié plusieurs ministres, une
discussion animée s’engage sur la question de la laïcité du futur Etat
palestinien. M. Nabil Shaath, le ministre des affaires étrangères de l’Autorité,
chargé de rédiger un projet de constitution, précise que, pour des raisons
politiques évidentes, il s’est senti obligé d’intégrer la formule : « L’islam
est la religion de l’Etat. » Il provoque un tollé de protestations autour de la
table. MM. Saeb Ereikat et Yasser Abd Rabbo, membres du gouvernement, sont les
plus véhéments. Mme Maie Sarraf, conseillère pour les affaires européennes,
s’écrie en fixant Arafat : « En ma qualité de chrétienne, je n’accepterai jamais
de vivre dans un tel Etat ! » Curieusement, le raïs observe le silence tout au
long de la controverse, le regard fixé sur son assiette. Pressé de s’exprimer,
il déclare prudemment : « Je n’ai pas eu le temps de jeter un coup d’œil sur le
projet de Constitution... »
*** Lors de notre première rencontre, en janvier
1969, avant qu’il ne fût encore élu à la tête de l’OLP, Yasser Arafat
s’exprimait avec aplomb sur le même sujet. Assis à la table de l’ambassadeur
d’Algérie au Caire, M. Lakhdar Brahimi (1), le chef du Fatah expliquait avec
enthousiasme comment il allait édifier un « Etat unifié démocratique sur
l’ensemble de la Palestine » dans lequel « juifs, chrétiens et musulmans
seraient des citoyens égaux ». Il ne prononça pas le mot de laïcité, dont le
concept est inconnu en islam, mais la description qu’il fit du futur Etat
n’avait rien à envier à une démocratie de type occidental. Il se disait confiant
dans le fait que la majorité des Israéliens se rallieraient à cette formule qui
leur assurerait la paix et la sécurité ; il fit à cet égard l’éloge des juifs
séfarades, majoritaires en Israël, dont la culture et la mentalité en faisaient
les « frères jumeaux » des Arabes. Il les connaissait bien pour les avoir
fréquentés en Egypte, dans sa jeunesse, et lors de son séjour clandestin dans
les territoires occupés après la guerre de six jours...
Lui emboîtant le pas,
Salah Khalaf, dit Abou Iyad, qui devint le numéro deux de l’OLP, eut recours à
une parabole pour indiquer que la réalisation de ce projet était prématurée :
les Palestiniens, annonça-t-il, allaient secouer le pommier du Proche-Orient,
faisant ainsi tomber tous les fruits pourris, qu’il assimila aux Etats arabes ;
c’est ensuite seulement, ajoutait-il avec un sourire malicieux, que les
Palestiniens pourront cueillir la seule pomme saine qui resterait sur l’arbre, à
savoir Israël. Un silence prolongé se fit autour de la table, où siégeaient
plusieurs ambassadeurs arabes. Aucun d’eux ne répondit à l’injure ; aucun ne
quitta les lieux. La débâcle arabe de juin 1967 était encore toute proche, et
l’avenir, croyait-on à l’époque, appartenait aux « révolutionnaires palestiniens
».
Les événements, dès l’année suivante, devaient dissiper les fantasmes des
dirigeants palestiniens, dont on connaissait la rancune tenace à l’égard des
régimes arabes qui auraient trahi leur cause dès les origines du conflit avec le
mouvement sioniste. Le bras de fer engagé avec la Jordanie du roi Hussein en
1969-1970 se termina par le massacre des fedayins (Septembre noir), avant leur
expulsion définitive du royaume. Les propos que nous tenait, à Amman, Yasser
Arafat, d’une rare dureté à l’égard de « l’entourage » du monarque, pouvaient
laisser croire que le raïs, tout autant que ses alliés du Front populaire de
libération de la Palestine (FPLP) de George Habache et du Front démocratique
pour la libération de la Palestine (FDLP) de M. Nayef Hawatmeh, cherchait à
renverser la monarchie hachémite.
Quelques heures avant l’offensive de
l’armée jordanienne, Abou Iyad me confiait sur un ton désespéré qu’il redoutait
le pire : « C’est certain, me disait-il, nous sortirons vaincus de cette
épreuve... » Il était parfaitement conscient de la puissance de l’armée du roi
Hussein, du soutien dont celui-ci bénéficiait de la part d’Israël, des
Etats-Unis et du Royaume-Uni, tandis que l’OLP n’avait pris aucune disposition
d’ordre sécuritaire. Il paraissait reprocher à Yasser Arafat, qui partageait son
analyse du rapport des forces, de n’avoir pas su agir selon ses convictions
intimes, notamment en consentant au roi Hussein les concessions que ce dernier
exigeait (2).
*** Peu après le conflit armé, Yasser Arafat, qui vivait dans
une semi-clandestinité à Amman, se livra à une sorte d’« autocritique »
systématique. Il admit, au cours d’un entretien, que les fedayins avaient commis
des provocations, se livrant, selon ses termes, à de l’« exhibitionnisme
révolutionnaire », à des « comportements inacceptables » à l’égard des membres
de l’armée jordanienne, sans oublier les « détournements d’avions », qu’il
condamnait fermement. Cependant, à y regarder de plus près, sa critique visait
essentiellement les organisations rivales de la sienne, le FPLP et le FDLP, qui
appartenaient, il est vrai, à l’OLP, dont il était le président, et donc,
théoriquement, le suprême responsable.
*** Le raïs, qui se targuait d’être le
commandant en chef des forces unies de la résistance, avait grand mal à
reconnaître une défaite. Selon lui, il avait vaincu l’armée jordanienne en 1970
et l’armée israélienne lors de l’invasion du Liban, en 1982. Au sujet de cette
dernière confrontation, il me disait non sans une apparente conviction : « Ne
trouvez-vous pas que résister héroïquement, pendant trois mois, à l’une des
armées les plus puissantes du monde est en soi une victoire retentissante ? »
L’évacuation des fedayins du pays du Cèdre avec armes et bagages en 1982 n’avait
d’autre motivation, selon lui, que de « mettre fin aux tueries des populations
civiles par l’armée de l’Etat hébreu ».
*** En septembre 1982, le massacre de
centaines de réfugiés palestiniens dans les camps de Sabra et Chatila après son
départ de Beyrouth le bouleversa. M’accordant, peu après, un entretien à Damas,
où il s’était provisoirement réfugié, il évoqua la tragédie, les yeux embués de
larmes. Il avait été trahi, se plaignait-il, par les Etats-Unis et la France,
qui avaient retiré leurs troupes prématurément alors qu’ils s’étaient engagés à
protéger les Palestiniens du Liban. Il accusa nommément le général Ariel Sharon,
alors ministre de la défense, d’avoir impliqué ses forces spéciales et ses
commandos dans la tuerie. En colère, il s’exclama : « Begin et Sharon ne sont
pas juifs ; les crimes qu’ils commettent ne sont conformes ni à la morale ni à
la tradition juive ; les vrais juifs, ce sont ceux qui refusent de s’associer à
l’entreprise d’annihilation du peuple palestinien... » Et il concluait : « A
tous les pacifistes et démocrates israéliens ou juifs, j’adresse l’estime et la
reconnaissance du peuple palestinien, qui n’oubliera jamais leur solidarité dans
l’épreuve. » Arafat faisait allusion aux centaines de milliers d’Israéliens qui
avaient manifesté leur solidarité avec les victimes de Sabra et Chatila, alors
que la « rue arabe » était demeurée figée. Il se sentait également redevable à
Pierre Mendès France, à Nahum Goldmann et à bien d’autres personnalités juives
de la diaspora qui avaient exprimé leur désapprobation face à l’offensive
israélienne contre le mouvement palestinien. C’est sans doute à cette époque
qu’il décida de recevoir à son siège tunisois des représentants de la société
civile israélienne et d’œuvrer pour la reconnaissance réciproque de l’Etat
d’Israël et de l’OLP, projet qu’il réalisa une dizaine d’années plus tard à
Oslo.
*** A Tunis, il s’adressa à plus d’une reprise à l’ambassadeur de
France que j’étais, soit directement, soit par le truchement d’Abou Iyad, le
numéro deux de l’OLP, pour faciliter les contacts avec des personnalités juives
ou israéliennes, ainsi qu’avec le gouvernement de Jérusalem. En 1985, au
lendemain du bombardement par l’aviation israélienne du quartier général de
l’OLP, auquel il échappa de justesse, Yasser Arafat m’invita à visiter sa
minuscule chambre à coucher atteinte par une fusée de Tsahal. Il retira de sa
bibliothèque l’autobiographie du général Ezer Weizmann, une « colombe » parmi
les « faucons » du parti nationaliste de M. Begin et futur président de l’Etat
d’Israël, et me dit avec un large sourire : « Voici un homme que je respecte et
que j’aimerais beaucoup rencontrer... »
*** François Mitterrand avait réussi
à établir des relations confiantes avec Yasser Arafat bien avant la visite
mémorable de celui-ci à Paris en 1989. Il lui avait ainsi demandé début 1986,
par mon entremise, de faciliter la libération des otages français détenus au
Liban par des groupes islamistes liés à l’Iran. L’administration française
croyait savoir que ces groupes étaient infiltrés par des agents de l’OLP. Ravi
de pouvoir rendre service, Arafat convoqua en ma présence deux de ses proches
collaborateurs pour leur demander de se rendre sans tarder l’un à Beyrouth,
l’autre à Téhéran, où je devais également aller moi-même. Il leur donna une
consigne prioritaire : veiller à ce que les otages demeurent en vie et en bonne
santé, en attendant que les négociations en vue de leur libération que je devais
engager à Téhéran soient conduites à leur terme.
*** Yasser Arafat a fait de
faux calculs et commis des erreurs de jugement ; ses défauts, ses défaillances,
ses comportements ambigus ou contradictoires sont tout autant indéniables. Mais
les Palestiniens, qui ne se privaient pas de critiquer sévèrement celui qu’ils
considéraient comme leur père, les lui pardonnent, tout en lui vouant un culte
inébranlable : un demi-siècle durant, il a réussi le tour de force de résister à
des ennemis redoutables tout autant sur la scène internationale – Israël, les
Etats-Unis, la plupart des régimes arabes – qu’au sein de son propre mouvement –
les maximalistes, qui n’ont cessé, eux aussi, d’élever des obstacles sur le
chemin qui menait au « compromis historique » qu’il appelait de ses vœux. Il
rêvait de devenir le Mandela palestinien, le premier président de la Palestine
souveraine, fût-elle réduite à sa plus simple expression. La mort l’a terrassé
au seuil de sa « Terre promise ».
- NOTES
:
(1) Lequel devait devenir ministre des affaires étrangères avant
d’effectuer des missions en Afghanistan et en Irak comme représentant spécial du
secrétaire général des Nations unies.
(2) Il s’agissait de limter strictement
les activités de la résistance palestinienne en Jordanie.
27. Feminin @ arabe.com par Dina
Darwich
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire
égyptien) du mercredi 22 décembre 2004
Femmes arabes
. Elles partagent la même culture, les mêmes discriminations mais chaque pays a
sa spécificité. Une mosaïque où les évolutions notoires sont souvent le fruit de
décisions hautement politiques. Enquête à l’occasion de l’inauguration du
premier site Internet, fait par la femme arabe, pour la femme
arabe.
Lors de la dernière rencontre de la femme arabe
qui s’est tenue en mai 2004, l’échange d’expériences entre les activistes et les
ONG a mis l’accent sur une question très importante : « Bien que la langue arabe
soit la même, les soucis des femmes arabes diffèrent », explique Nihad
Aboul-Qomsane, présidente du Centre égyptien pour les droits de la femme et
membre active du mouvement féministe égyptien et arabe.
Le facteur commun
est que la culture masculine reste encore dominante dans beaucoup de pays
arabes.
Le taux de participation politique limité et l’accès aux postes-clés
restent la préoccupation essentielle des activistes et ONG qui œuvrent pour la
femme dans le monde arabe. Le taux moyen de participation politique féminine
dans le monde arabe, selon les chiffres dégagés lors de cette rencontre, varie
entre 0 % et 2 %.
Seul le Maroc enregistre un chiffre record, avec 30 députés au Parlement
sur 300, soit 10 %. Autre détail important : la femme a pu accéder en 2002 au
poste de conseillère auprès du roi, sans oublier de mentionner que lors du
dernier remaniement ministériel, 3 femmes sur 37 ont été nommées au sein des
ministères.
En Egypte, la participation des femmes reste limitée : 2,4 % au Parlement
et 1 % dans les municipalités. En Arabie saoudite, l’image est plus sombre. La
femme est carrément écartée de la vie politique, elle n’a pas droit au vote. Et
malgré l’initiative du gouvernement koweïtien d’ouvrir aux femmes l’accès aux
urnes, les députés conservateurs ont réussi à paralyser le projet.
L’accès aux postes-clés reste toujours un défi à braver. A Bahreïn, malgré
un taux plus élevé de femmes qui ont réussi ces dernières années à s’intégrer
dans la vie active, rares sont celles qui ont pu accéder à des postes
importants. Aucune femme n’a pu obtenir le portefeuille de ministre et seule une
a été nommée par le ministère des Affaires étrangères comme ambassadrice. Dans
le Sultanat d’Oman, 4 femmes sont cadres au Conseil d’Etat, qui compte 41
membres, alors que la première ambassadrice omanaise aux Pays-Bas a été nommée
en 1999. De plus, la femme représente 20 % de la force laborieuse dans le
Sultanat et seules 13 % peuvent espérer être promues à des postes-clés.
A noter que l’accès des femmes à certains postes importants a subi un recul
dans certains pays arabes, comme le Yémen. Avant l’union du Yémen du nord et
celui du sud en 1994, la femme avait réussi à être nommée à des postes
importants. Presque la moitié des juges au Yémen du sud étaient des femmes.
Aujourd’hui, après l’union, les conservateurs ont réduit le rôle des femmes
juges à néant et les ont dirigées vers des postes administratifs et
rédactionnels. Résultat : très peu de femmes occupent ce poste dans la ville
d’Aden et ses environs.
Une évolution à double vitesse
Les lois relatives au statut personnel, malgré les divergences d’opinions,
restent un grand dilemme. La charia demeure, dans presque tous les pays arabes,
une source de législation, d’interprétation nuancée. La Tunisie est considérée,
selon les dernières estimations internationales, comme étant le pays qui
applique le Code civil le plus conforme aux droits de l’homme dans le monde
arabe. Selon Amal Samoud, rédactrice en chef de la revue La Femme et présidente
de l’Alliance des femmes journalistes, assure que l’égalité entre les deux sexes
est l’un des piliers du Code civil tunisien. Et, bien que le Code civil ne fasse
aucune référence directe à la charia musulmane, la Tunisie ne la renie pas, car
elle a adopté des interprétations plus libérales répondant aux évolutions du
temps.
La Tunisie s’avère être le paradis des femmes arabes sur ce point-là, mais
il n’en demeure pas moins que les Tunisiennes ont toujours du mal à accéder à
des postes politiques.
Dans certains pays comme l’Arabie saoudite, il n’existe pas de code de la
famille. Ainsi, le sort de la femme dépend des tendances et interprétations des
juges et suivant leur perception de la charia.
« Les prochaines élections seront un défi »
La même situation s’observe à Bahreïn. Au Liban, la situation de la femme
connaît des divergences, selon la communauté à laquelle elle appartient (on en
compte 19).
« En Egypte, et malgré les réformes qu’a connues la loi sur le statut
personnel ces dernières années, l’expérience pratique a révélé beaucoup de
lacunes, surtout en ce qui concerne le kholea, sans compter les subterfuges
qu’utilisent les hommes pour anéantir l’efficacité de ces réformes », assure
Aboul-Qomsane.
A chacune ses soucis
Or, si le manque de
participation politique, l’accès aux postes-clés et les questions du Code civil
sont des soucis communs que partagent beaucoup de femmes, chaque pays arabe à
son tour a ses propres problèmes dus à ses conditions.
Selon les critères internationaux, le développement de la société est jugé
d’après l’évolution de la femme et celle du livre. La première reflète les
conditions sociales alors que la seconde reflète la vie intellectuelle. C’est
pourquoi il existe de grandes divergences entre les conditions des femmes dans
différents pays arabes.
En Tunisie, comme l’explique Samoud, un des plus grands défis que la femme
doit relever à l’aube de 2005 est la création d’une presse qui s’intéresse à la
femme. « La question que l’on pourrait se poser, face à ce progrès que connaît
la Tunisie actuellement et au moment où la femme négocie un tournant décisif de
son histoire, plusieurs fois millénaire, est la suivante : Quelle place occupe
l’information féminine spécialisée dans le paysage médiatique national ? Une
information, quasi absente des kiosques à journaux, une chose surprenante pour
tous ceux qui croient en son efficacité et au rôle qu’elle peut jouer pour la
cause des femmes », s’interroge Samoud.
Un souci jugé par d’autres femmes arabes comme un véritable luxe mais qui
pourrait donner une certaine idée du niveau auquel a pu accéder la Tunisienne.
Un luxe pour la Saoudienne qui, jusqu’à présent, n’a pas le droit de conduire
une voiture, et qui, pour obtenir une ligne de portable, doit avoir
l’autorisation de son mari. Et à qui encore on vient tout récemment d’accorder
le droit d’avoir une carte d’identité. Une chose qui pourrait lui donner un
minimum d’indépendance dans la vie active, comme l’explique Nahed Bachtah,
activiste.
Dans les territoires occupés, la femme palestinienne a d’autres
préoccupations. Elle souffre de la colonisation et est constamment exposée à la
violence politique. « Les familles font tout pour protéger leurs filles des
viols des soldats israéliens, en les mariant très tôt, d’autant plus que la loi
permet ce mariage dès l’âge de 14 ans. Autre chose, le mur de séparation a isolé
beaucoup de familles palestiniennes modestes. Les filles ont été contraintes par
leurs parents de quitter l’école à cause du prix élevé des moyens de transport
», assure Chaza Auf, présidente du Centre de la femme pour l’orientation
juridique et sociale (voir encadré).
En Jordanie, les crimes d’honneur restent le problème majeur des femmes vu
que la condamnation du coupable demeure insignifiante. Une peine qui ne dépasse
pas parfois les 6 mois. Aujourd’hui, beaucoup de filles se mettent à la
disposition de l’Etat pour être protégées. Selon Lamis Osmane, membre du Conseil
national des droits de l’homme en Jordanie, beaucoup d’hommes commettent souvent
de tels crimes au moindre soupçon ou bien par convoitise pour profiter de
l’héritage d’une sœur. Une fois ce meurtre perpétré, on découvre que la fille
est encore vierge. Pour les oubliés du monde arabe, tels que la Somalie et
Djibouti, c’est la femme qui assume en premier lieu les conséquences des
conflits régionaux et de la pauvreté.
Reste à dire que le degré d’évolution de la femme et les fruits qu’elle
peut récolter dépendent de plusieurs facteurs déterminants. Selon Aboul-Qomsane,
tout dépend de l’ouverture de chaque été sur le monde extérieur et du degré de
flexibilité de chaque pays. « A quel point sommes-nous prêtes à voir et à
accepter autrui ? », lance-t-elle. Autre point important et qui joue en faveur
des femmes, c’est le rôle que peut jouer l’Etat. Le Maroc en est le meilleur
exemple. L’adoption de la Moudaouana (Code civil), qui prévoit le recours au
juge en cas de divorce, et donc l’annulation de la répudiation, et en cas de
polygamie et d’annulation du tuteur, a soulevé un tollé. Il a fallu
l’intervention du roi Mohamad VI lui-même pour adopter le code.
En Egypte, c’est l’épouse du président, Mme Suzanne Moubarak, qui a joué un
rôle essentiel dans le droit d’obtention, des enfants nés de pères étrangers, de
la nationalité de leurs mères égyptiennes, ou encore le kholea (le droit de la
femme à divorcer moyennant la restitution de la dot). La reine de Jordanie a
également joué un rôle prépondérant dans la lutte contre les crimes d’honneur.
Plus il y a un désintéressement de la part de la première dame, plus la mission
des organismes qui œuvrent dans le domaine devient plus compliquée. L’expérience
libanaise, qui porte le nom des « Faiseurs de décisions dans l’ombre »,
argumente cet avis. Cette expérience, pratiquée par le Comité national pour les
affaires de la femme libanaise, fondé suite à un décret ministériel présidé par
la première dame libanaise, englobe en son sein l’épouse du président du
Parlement, celle du vice-président du Parlement et trois députés au Parlement
libanais. Cet organisme a pour but d’aider les responsables à mettre l’accent
sur les problèmes réels de la société.
« Grâce à ce moyen, on a pu s’opposer à beaucoup de lois injustes envers la
femme », conclut Hala Al-Zein, membre du Conseil national libanais pour les
affaires de la
femme.
28. Face à l’occupation israélienne, la
femme palestinienne vit une réalité très différente. Entretien avec Chaza Auf,
présidente du Centre de la femme pour l’orientation juridique et
sociale
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 22 décembre 2004
— Al-Ahram Hebdo : En quoi la
situation de la femme palestinienne diffère-t-elle de celle des autres femmes
arabes ?
— Chaza Auda : Si toutes les femmes arabes sont exposées à la violence
conjugale, la Palestinienne, elle, subit en plus la violence politique. Cette
dernière a toujours joué un rôle essentiel soutenant l’homme dans ce long
périple de lutte contre le colonialisme. Aujourd’hui, de nouveaux problèmes ont
surgi et préoccupent la femme palestinienne. Avant l’Intifada, le taux de femmes
qui assumaient la responsabilité de la famille variait entre 18 % et 22 %, ce
taux a subi une forte hausse après l’Intifada, vu le nombre important d’hommes
tombés sur le champ de bataille et ceux qui sont dans les geôles. Point
important, la famille palestinienne a toujours tenu à donner une bonne éducation
à ses enfants, aujourd’hui le nombre des filles contraintes de quitter l’école a
atteint les 11 %. Le mur de séparation construit par les Israéliens a contribué
à hausser le tarif des moyens de transports. Aussi, pour limiter leurs dépenses,
les familles modestes retirent-elles leurs filles de l’école pour laisser la
priorité aux garçons de poursuivre ses études.
— Comment ces femmes sont-elles aidées ?
— Il existe plus de 3 000 ONG dans les territoires occupés qui défendent
les droits de la femme, outre les parties qui ont formé des comités qui
s’intéressent à la femme. En réponse aux efforts déployés par ces organismes et
sous pression populaire, un ministère de la Femme a été créé. Son travail est de
lutter contre la pauvreté et d’encourager la participation de la femme dans la
vie sociale et économique .
— Quel est l’agenda de ce ministère ?
— Parmi les objectifs les plus importants figurent la lutte contre le
phénomène de l’école buissonnière des filles et l’abrogation de toutes les lois
injustes envers la femme, notamment celle concernant le mariage précoce afin
d’élever l’âge du mariage à 18 ans au lieu de 14 ans.
— Qu’en est-il de la participation politique ?
— Les prochaines élections seront un défi. Actuellement, 5 femmes seulement
sur 88 font partie du Conseil législatif. Seules 2 ont la chance d’accéder au
portefeuille de ministre, et même dans les autres institutions politiques, la
participation de la femme est faible, il suffit de signaler que l’OLP ne compte
qu’une seule femme. Le défi est de donner plus de chance à la femme de
participer dans la vie politique et la prise de décision.
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