APPEL TRES URGENT - Point d'information Palestine - Qui gagne, perd ?
                       
Marseille, le lundi 21 février 2005 - CHERS AMIS, PARTENAIRES, LECTEURS,
Le vendredi 28 janvier 2005, le Tribunal Correctionnel de Marseille a prescrit l'action publique et civile engagée contre Marcel Charbonnier et moi-même, autrement dit, nous avons gagné ce procès.
Le Consistoire Israélite de Marseille qui nous intentait ce procès pour "incitation à la haine raciale" au prétexte d'un article publié dans un Point d'information Palestine au printemps 2003, a par ailleurs été déclaré irrecevable compte tenu de ses statuts ! Cette victoire sur la forme, puisque le fond de l'affaire n'a pu être abordée, nous la devons à deux avocats exceptionnels, qui ont compris dès notre premier entretien, que l'accusation dont nous faisions l'objet était une tentative politique de nous réduire au silence et nous empêcher de poursuivre notre travail d'information sur le conflit israélo-palestinien.
ET POURTANT... Qui gagne, perd ?
Bien que ce procès soit définitivement terminé, le bilan reste amer ! Nous reviendrons prochainement, sur le fond de cette affaire, pour expliquer comment, 22 mois de procédures diverses (campagne de presse et déclarations radio diffamatoires, instruction du procès, messages électroniques et téléphoniques, pressions...) ont pu avoir des conséquence politiques, humaines et personnelles,  effroyables. Mais d'ores et déjà, je souhaite citer Pascal Boniface : "Qui pourrait assumer l'accusation infamante d'antisémitisme ? L'accusation d'antisémitisme même injustifiée fait de vous un paria dans de nombreux cercles. Peu de gens iront vérifier si les accusations ont un réel fondement ou si elles sont simplement un moyen d'exclure de la vie de la cité une personne dont le seul tort est d'avoir critiqué le gouvernement israélien. En ce cas, c'est au défenseur d'apporter la preuve de son innocence et non à l'accusation de prouver la culpabilité. Il suffit de l'affirmer (1)."
Le coût financier de ce procès s'élève à ce jour à plus de 16.290 Euros, soit 106.863 Francs français ! (2). Et la question qui se pose est la suivante : Peut-on continuer à militer bénévolement, et de bonne foi et se retrouver ruiné par une action en justice abusive ? La criminalisation en France des opinions politiques et plus particulièrement des adversaires à la politique criminelle du gouvernement Sharon, est à la fois inquiétante, mais surtout dévastatrice. La "caporalisation" des esprits est en marche, et sans une véritable mobilisation citoyenne, le risque de voir petit à petit chacun "fermer sa gueule" par peur de faire l'objet d'un procès est réelle.
Nous souhaitons poursuivre, plus que jamais, la réalisation du Point d'information Palestine (3). Nous avons gagné devant la justice un procès, mais nos adversaires nous ont entraînés dans un abîme financier.
Notre situation financière n'est pas préoccupante, comme nous vous l'indiquons à l'occasion de notre "appel annuel aux dons", elle est aujourd'hui CATASTROPHIQUE !
Depuis plus de cinq ans, enterré à plusieurs reprises par nos adversaires, à travers des dizaines d'attaques informatiques, des centaines d'insultes, de diffamations, de menaces, un procès... le Point d'information Palestine poursuit sa route envers et contre tout, il continue d'apporter à ses lecteurs, des points de vues différents et complémentaires pour une meilleur perception de ce qui se passe en Palestine, en Israël, en Irak... nous espérons contribuer, à notre manière, à démontrer que la période que nous traversons, n'a rien avoir avec un "Choc des civilisations" imaginaire, mais bel et bien le résultat d'un "Choc des ignorances".
Nous ne bénéficions toujours d'aucune subvention et notre travail ainsi que celui de nos collaborateurs est toujours totalement bénévole... Nous en appelons à votre solidarité, une fois encore, et à votre mobilisation. Il y a urgence.
Salutations amicales, citoyennes et plus combatives que jamais !
Pierre-Alexandre Orsoni - Rédacteur en chef
- NOTES : (1) - De la critique à l'antisémitisme par Pascal Boniface in Libération du mercredi 3 novembre 2004
(2) - Honoraires des 2 avocats : 12.019,80 euros TTC (près de la moitié de cette somme hors taxes ayant à ce jour été réglée, par "une amie providentielle" de La Maison d'Orient...) + 2.392,00 euros d'honoraires pour un troisième avocat auprès de la cours de cassation de Paris, qui a formé un pourvoi à la suite de l'Ordonnance de rejet de notre demande de constatation de la prescription auprès de la Cours d'Appel d'Aix-en-Provence (nous avons pu régler cette facture grâce à vos dons, reçus à la suite de notre appel aux dons du printemps 2004) + Frais annexes liés notre défense : 1878,30 euros = 16.290,10 euros.
(3) - Le  Point d'information Palestine est une expérience d'information alternative débutée en novembre 1999. Depuis, ce bulletin est devenu un véritable outil d'information. Nous avons réalisé et diffusé 251 Points d'information Palestine, soit 5926 pages, 5948 articles, témoignages, tribunes libres, communiqués, annonces de sortie de livres et de revues, rendez-vous, etc... et nous adressons gratuitement cet outil de travail et de réflexion à quelques 10.118 destinataires (au 21 février 2004).
                   
Opération SOS Point d'information Palestine 2005 [jusqu'au 31 mars 2005]
Aidez-nous à poursuivre la réalisation du Point d'information Palestine en nous faisant parvenir d'urgence, un don, en France, par chèque à l'ordre de :
La Maison d'Orient - BP 40105 - 13192 Marseille Cedex 20 FRANCE
- Depuis l'étranger, par mandat ou par virement bancaire :
Banque : 15889 - Guichet : 07985 - N° de compte : 00020075640 - Clé : 54 - IBAN : FR76 1588 9079 8500 0200 7564 054 - BIC : CMCIFR2A
Domiciliation : Crédit Mutuel La Phocéenne - 8, avenue de la Corse - 13007 Marseille FRANCE
Titulaire du compte : La Maison d'Orient - BP 105 - 13192 Marseille Cedex 20 FRANCE
(Nous vous adresserons sous trois mois un reçu fiscal à joindre à votre déclaration Impôts sur le revenu 2005.)
 
                               
"La décomposition du Liban en cinq provinces préfigure le sort qui attend le monde arabe tout entier, y compris l'Egypte, la Syrie, l'Irak et toute la péninsule arabique ; au Liban, c'est déjà un fait accompli. La désintégration de la Syrie et de l'Irak en provinces ethniquement ou religieusement homogènes, comme au Liban, est l'objectif prioritaire d'Israël."
                                   
Oded Yinon - Haut fonctionnaire du ministère israélien des Affaires étrangères (Février 1982)
 
                 
                       
Point d'information Palestine N° 251 du 21/02/2005
Newsletter privée réalisée par La Maison d'Orient - BP 40105 - 13192 Marseille Cedex 20 - FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail :
lmomarseille@wanadoo.fr
Association loi 1901 déclarée à la Préfecture des Bouches-du-Rhône sous le N° 0133099659
Rédacteur en chef : Pierre-Alexandre Orsoni
                                              
Nous pouvons, si vous le souhaitez, vous adresser le Point d'information Palestine en format pièce-jointe RTF sur simple demande à : lmomarseille@wanadoo.fr
Cette newsletter est envoyée directement à un réseau strictement privé de 10.118 destinataires et n'est adossée à aucun site internet. Les propos publiés dans cette lettre d'information n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs et ne représentent pas nécessairement le point de vue de La Maison d'Orient. L'accès au Point d'information Palestine est gratuit. Vous en bénéficiez parce que vous êtes déjà inscrit ou que quelqu'un a voulu vous en faire profiter. Conformément à la loi [art.34 de la loi "informatique et Libertés" du 6 janvier 1978], vous disposez d'un droit d'accès, de modification et de suppression des données qui vous concernent. Si vous vous ne souhaitez plus le recevoir, vous pouvez vous désinscrire en renvoyant un message à lmomarseille@wanadoo.fr avec pour objet “Désinscription”. Consultez régulièrement les sites francophones de référence :
http://www.reseauvoltaire.net - http://www.mom.fr/guides/palestine/palestine.html - http://www.oulala.net
                           
                      
à Samira, sans laquelle, le 250ème Point d'information Palestine aurait été le dernier...
                      
Au sommaire
               
Témoignages
1. Au lendemain des élections palestiniennes par Claude Abou-Samra (13 janvier 2005)
2. La mort traque les habitants de Khan Younis par Mohammed Omer (31 décembre 2004) [traduit de l’anglais par Taskin Sabri]
                             
                    
Rendez-vous
1. Les élections palestiniennes de janvier 2005 : Bilan et perspectives avec Leïla Shahid ce lundi 21 février 2005 à 18h30 à l'Institut du Monde Arabe (Salle du Haut-Conseil) à Paris
2. Rencontres autour de la Palestine à Marseille, Aix-en-Provence et Aubagne du mardi 22 au samedi 26 février 2005
                   
Dernières parutions
1. Souvenirs de Jérusalem de Sirine Husseini Shahid (Préface de Edward Saïd) aux éditions Fayard
2. Verbicide - Du bon usage des cerveaux disponibles de Christian Salmon aux éditions Climat
3. Revue d'études palestiniennes N° 94 (Hiver 2005) : Yasser Arafat aux Editions de Minuit
                     
Réseau
1. La santé et le Mur : l'art et les droits de l'Homme - Lancement d'une campagne franco-israélo-palestinienne sur l'impact du Mur sur la Santé (14 février 2005)
2. Au nom de qui parle le CRIF ? par l'Union Juive Française pour la paix - Communiqué de presse du jeudi 17 février 2005
3. "Vivre la théorie de la modernisation coloniale" un courrier de Sari Hanafi (27 janvier 2005)
4. Noël à Bethléem par Istico Battistoni (27 janvier 2005)
5. Un exercice de résistance civile par Istico Battistoni (19 janvier 2005)
6. Irak : "Si ces élections avaient eu lieu au Zimbabwe, l’Occident les aurait dénoncées" par David Pestieau et Mohammed Hassan (Février 2005)
7. Mobilisation - Vers une intégration d'Israël dans l'Union Européenne ?
8. Juifs et arabes : histoire d’une symbiose par Leïla Salam (30 janvier 2005)
9. D’Auschwitz à Marseille - Extrait de la lettre d'information de l'Union Juive Française pour la paix du lundi 31 janvier 2005
                          
Revue de presse
1. Le souffle sinistre de la mort par Rudolf El-Kareh in la Revue d'études palestiniennes N° 94 - Hiver 2005
2. Alain Minc : "Cukierman franchit la ligne jaune" propos recueillis par Alexis Lacroix in Le Figaro du vendredi 18 février 2005
3. L’ONU : "Les femmes palestiniennes souffrent de carences alimentaires" in Hürriyet (quotidien turc) du mercredi 16 février 2005 [traduit du turc par Marcel Charbonnier]
4. Hariri, Damas, Tel-Aviv et Téhéran par Richard Labévière on Radio France internationale le mardi 15 février 2005
5. Interview d’Hanna Siniora : "Le tournant résulte de nos élections (totalement) libres" propos recueillis par Umberto De Giovannangeli in L’Unità (quotidien italien) du mercredi 9 février 2005 [traduit de l’italien par Marcel Charbonnier]
6. Entretien avec Mahmoud Ould Mohamedou, Directeur-adjoint à l’université de Harvard : "Mensonges, dérapages et intoxication" propos recueillis par Hichem Ben Yaïche in Le Quotidien d'Oran (quotidien algérien) du dimanche 6 février 2005
7. Scénarios pour une paix improbable par Roger Cohen in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 6 février 2005
8. Conflit israélo-palestinien : "Il faut aller très vite en besogne", selon Leïla Shahid - Dépêche de l'Agence Associated Press du jeudi 3 février 2005, 10h45
9. Le négationnisme colonial par Olivier Le Cour Grandmaison in Le Monde du mercredi 2 février 2005
10. Des Palestiniens dénoncent la confiscation de leurs terres par Patrick Saint-Paul in Le Figaro du mardi 1er février 2005
11. Abou Mazen, le dernier Palestinien - Marge étroite pour le nouveau Président par Hussein Agha et Robert Malley in Le Monde diplomatique du mois de février 2002
12. Tali Fahima, pacifiste israélienne, accusée, sans preuves à charge, de collusion avec l’“ennemi palestinien” par Thérèse Liebmann in Points Critiques du mois de février 2005
13. Tsunami : le châtiment pour ceux qui soutiennent le plan Sharon (Grand-rabbin israélien Mordechaï Eliahou) - Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 31 janvier 2005, 11h38
14. La démocratie, prétexte pour s’ingérer dans les affaires arabes et étendre l’hégémonie israélienne par Melhem Karam in La Revue du Liban (hebdomadaire libanais) du samedi 29 janvier 2005
15. Incidents - Extrait de la revue de presse réalisée par l'Ambassade de France en Israël (Tel-Aviv) du jeudi 27 janvier 2005
16. Tsunami israélien et Tsunami américain par Xavière Jardez in AFI-Flash N° 40 du jeudi 27 janvier 2005
17. Non à la censure à la source par Charles Enderlin in Le Figaro du jeudi 27 janvier 2005
18. Une façon, parmi d’autres, d’en finir par Terry Eagleton in The Guardian (quotidien britannique) du mercredi 26 janvier 2005 [traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]
19. Le président chilien Ricardo Lagos : "Nous voulons renforcer nos relations avec le monde arabe" propos recueillis par Randa Achmawi in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 26 janvier 2005
20. Leïla Shahid, fille de famille par Mouna Naïm in Le Monde du mercredi 26 janvier 2005
21. Commémoration onusienne - La Palestine hante la commémoration de la libération des camps nazis par Mazin Qumsiyeh on Media Monitors Network (e-magazine étasunien) du mercredi 26 janvier 2005 [traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]
22. Les fraises de la colère par Gideon Lévy in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 14 janvier 2005 [traduit de l’hébreu par Michel Ghys]
23. "Un tsunami provoqué par l'homme" par Terry Jones in The Guardian (quotidien britannique) du mardi 11 janvier 2005 [Traduit de l'anglais par le Réseau Voltaire]
24. Liban - Un officier français tué par des tirs israéliens in L'Humanité du lundi 10 janvier 2005
25. Florence Aubenas - Leïla Shahid et le Conseil des démocrates musulmans de France soutiennent la journaliste on NouvelObs.com le dimanche 9 janvier 2005
26. Entretien avec David Baran : "Le processus politique en Irak a été vidé de son contenu" propos recueillis par Mouna Naïm in Le Monde du jeudi 6 janvier 2005
27. Le rapport fédéral sur l’extrémisme crispe les responsables juif et musulman par Emmanuelle Drevon in La Tribune de Genève (quotidien suisse) du lundi 3 janvier 2005
28. Les assassins de l’espoir par Majed Nehmé in Le Nouvel Afrique Asie du mois de décembre 2004
29. Quand l’Histoire bégaye par Subhi Hadidi in Le Nouvel Afrique Asie du mois de décembre 2004
30. Malbrunot, l'humilité du journalisme de terrain par Pierre Prier in Le Figaro du mercredi 22 décembre 2004
31. Relire autrement le Coran ? Quatre sommités mondiales en parlent par Chafik Laâbi et karim douichi in La Vie Economique (hebdomadaire marocain) du vendredi 17 décembre 2004
32. Obstacle par Alain Gresh in Le Monde diplomatique du mois de décembre 2004
33. Le Canada et les réfugiés palestiniens par Olivier Roy in Le Bulletin de la Ligue des Droits et Libertés (Québec) du mois de novembre 2004
                               
[- A paraître dans un prochain Point d'information Palestine : TEMOIGNAGE : - Journal quotidien de Gaza [extraits] par Mohammed Omer (du 8 au 22 janvier 2005) [traduit de l’anglais par Taskin Sabri]. PRESENTATION DE LIVRES- En finir avec le sionisme de Jean Baumgarten (Préface de Maurice Rajfus) aux Editions Baumgarten - Figures du Palestinien - Identité des origines, identité de devenir de Elias Sanbar aux éditions Gallimard (NRF Essais) - Contre-Croisade - Origines et Conséquences du 11 Septembre de Mahmoud Ould Mohamedou aux éditions de L'Harmattan suivi d'un extrait du livre. RESEAUPalestine : quelles perspectives ? par Bertrand Badie (19 janvier 2004). REVUE DE PRESSE- Jéricho mise sur son casino pour séduire les touristes par Sophie Claudet - Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 16 février 2005, 11h20 - Entretien avec Alain Ménargues : "Je suis viscéralement opposé à l’intolérance" propos recueillis par F. Amalou in La Nouvelle République (quotidien algérien) du mardi 15 février 2005 - Hans Blix : "La politique menée par les Américains pourrait provoquer un engrenage" propos recueillis par Inès Eissa in A-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 9 février 2005 - Un Frankenstein koweïtien par Subhi Hadidi in Le Nouvel Afrique Asie du mois de février 2005 - Le dilemme d’Abou Mazen par Khalil Attyah in Le Nouvel Afrique Asie du mois de février 2005 - L'éditorial de Michel Tubiana in le Bulletin de la Ligue des Droits de l'Homme du mois de janvier 2005 - Horizon 2020 : un rapport de la CIA prévoit la fin de l’hégémonie mondiale américaine d’ici quinze ans par Fred Kaplan on Slate (e-magazine étasunien) du mercredi 26 janvier 2005 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier] - Une abstention très politique par Amira Hass in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 12 janvier 2005  [traduit de l’hébreu par Michel Ghys] - Qui casse, paie ! (Normalement…) par Naomi Klein in The Nation (hebdomadaire étasunien) du lundi 10 janvier 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier] - De Khan Younes, vous ne voyez pas de colons par Gideon Lévy in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 9 janvier 2005 [traduit de l’hébreu par Michel Ghys] - Mes rencontres avec Yasser Arafat par Eric Rouleau in Le Monde diplomatique du mois de décembre 2004 - Feminin @ arabe.com par Dina Darwich in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 22 décembre 2004 - Face à l’occupation israélienne, la femme palestinienne vit une réalité très différente. Entretien avec Chaza Auf in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 22 décembre 2004.]
                           
Témoignages

                           
1. Au lendemain des élections palestiniennes par Claude Abou-Samra (13 janvier 2005)
(Claude Abou-Samra est "citoyenne" de Ramallah en Palestine, si tenté que le concept de citoyenneté puisse s'appliquer en Palestine occupée...)
Contrairement à ce que l'euphorie des médias laisse penser, nous n'avons pas vécu les élections comme un évènement extraordinaire. Des élections importantes, certes, mais dont la particularité nous posait beaucoup de questions. Comment participer à un scrutin alors que nous sommes sous occupation ? Beaucoup d'entre nous ne pouvaient se résoudre à aller voter dans ces conditions, craignant de cautionner ainsi cette occupation. Ce fut l'un des débats qui ont précédé les élections, et finalement nous sommes allés voter  le dimanche 9 janvier. A la sortie du bureau de vote des journalistes nous demandent ce que ces élections représentent pour nous. Youssef ne dira rien de plus que : "1 % d'espoir".  S'adressant à moi, qui ait acquis la nationalité palestinienne par choix,  l'un d'eux - japonais il me semble -  insiste : "êtes-vous fière d'être Palestinienne malgré le pessimisme de votre mari ?" "Oui, je suis fière de faire partie de ce peuple qui relève encore un défi. Malgré les conditions extrêmement difficiles de l'occupation, ces élections se déroulent bien. Je me sens aussi libre qu'en France pour accomplir mon devoir de citoyenne, le peuple palestinien se révèle être aussi démocratique - si ce n'est plus - que beaucoup d'Etats, mais il n'a pas d'Etat !"
Et au lendemain des élections on est surpris  de voir à quel point les commentateurs politiques relayés par les médias découvrent que les Palestiniens sont un peuple civilisé : "ils ont mené une vraie campagne avec des candidats de toutes tendances qui ont pu s'exprimer, ils ont  voté dans l'ordre et le calme, ils ne se sont pas disputés ni pendant la campagne ni devant les urnes, ni à l'annonce des résultats ....Et, en plus, ils ont bien voté ! "(comprenez : ils ont fait ce qu'on attendait d'eux !) Dans cette positivité voulue et affirmée, on relevera à peine le faible taux de participation (moins de 50 %), dû en partie aux conditions de l'occupation et qui a conduit a changer la loi électorale dans la journée ... mais aussi révélateur de la lassitude des Palestiniens qui maintenant se posent la question :  que va-t-on nous demander encore ? de donner encore des preuves de notre sens des responsabilités, de notre volonté de paix, d' accepter les faits accomplis qui nous ont tant éloignés de ce que nous avions accepté lors des accords d'Oslo ? Cela a un goût de déjà vu pour nous ... A moins que les milliers de morts, de blessés, de prisonniers, et la destruction des capacités d'une grande partie de notre pays à laquelle nous avons résisté plaident en notre faveur. Qu'on comprenne enfin qu'il ne s'agit pas de donner de l'aide aux Palestiniens, qu'il faut que l'occupation cesse avec toutes ses formes d'humiliation et de destruction, qu'Israël applique les résolutions internationales et qu'enfin soit créé un Etat palestinien viable et indépendant. Les Palestiniens, "même s'ils ont bien voté pour un bon président" n'accepteront pas moins que cela.... Et si la communauté internationale n'impose pas -tout de suite -  la reprise des négociations  sur la base de la Feuille de route, les élections n'auront pas servi à grand chose. Si Israël continue la colonisation, la construction du mur, la liquidation des militants, il y aura des actions violentes en réponse. Et l'excuse de ne pas avoir de partenaire pour la paix reprendra le pas. C'est le nouveau président élu par les Palestiniens (Arafat l'était aussi, ne l'oublions pas) qui a besoin d'un partenaire pour la paix, tout de suite ! Il ne faut pas se bercer d'illusions, la fenêtre vers des jours meilleurs est à peine entr'ouverte et il faut plus que jamais rester mobilisés pour qu'elle ne se referme pas !
                                           
2. La mort traque les habitants de Khan Younis par Mohammed Omer (31 décembre 2004)
[traduit de l’anglais par Taskin Sabri]
(Ce texte est extrait du journal de Mohammed Omer, un photojournaliste palestinien de 20 ans, habitant de Rafah dans la bande de Gaza. Vous pouvez retrouver en anglais, l'ensemble de ses témoignages sur le site
www.rafahtoday.org (en anglais) et informez vos amis, les médias et tous ceux qui sont autour de vous.)
Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza en Palestine occupée, le vendredi 31 décembre 2004 - Il fait nuit noire dans le quartier de Nimsawi du camp de réfugiés de Khan Younis, au sud de la bande de Gaza ; 250 000 personnes habitent dans cette zone, proche de la colonie israélienne de Neve Dakalim. Soudain, l’obscurité s’embrase sous les tirs automatiques des hélicoptères Apaches qui tournent dans le ciel ; puis ce sont les éclats blancs des obus et mortiers lancés par les tanks dernier-cri qui envahissent les rues bondées. On aperçoit dans l’éclair rouge ou blanc des tirs automatiques, des vagues successives d’hommes, de femmes, de bambins, d’enfants et de vieillards qui fuient la destruction.
Le déroulement de l’attaque est bien connu des habitants de Gaza, quatre ans après le début de l’Intifada. D’abord un appel des hauts parleurs : l’armée israélienne ordonne aux gens de quitter leurs maisons ; puis commencent les tirs de mitrailleurs des hélicoptères Apaches qui tournent dans le ciel. Morts et blessés sont malheureusement des scènes familières. Seuls les noms et les raisons des incursions -car l’armée donne toujours un nom à une action prolongée -changent. Celle ci a été nommée opération « Orange Iron», et d’après les déclarations officielles, il s’agit d’une réponse à un tir de rocket Qassam que les militants ont envoyée sur la colonie de Neve Dakalim, et qui a blessé un soldat israélien.
C’est la plus meurtrière des incursions depuis la mort de Yasser Arafat le 11 Novembre. Il y a pour l’instant 11 civils tués et 71 blessés ; c’est la troisième nuit de l’attaque, et elle a commencé quelques heures après que le Premier Ministre israélien Ariel Sharon ait annoncé une perspective de paix à la presse internationale.
En observant la destruction à distance, relativement à l’abri, des images se gravent à jamais dans la tête : celle d’un vieil homme, pas vraiment capable de courir mais qui court tout de même, les sandales à la main, en essayant d’enjamber les parties de la chaussée défoncées par les tanks ; une petite fille, d’une dizaine d’années, à enfilé un manteau d’hiver par dessus sa chemise de nuit ; elle court en serrant dans ses bras son cartable d’écolière. Elle sait probablement que sa maison sera bientôt un tas de ruines, et c’est son cartable qu’elle a décidé de sauver. A côté d’elle court une femme en désarroi, qui porte son bébé et exhorte ses quatre autre enfants à la suivre de près.  Difficile de savoir quelle image est la plus obsédante, celle des personnes agées qui disent à leurs enfants de les laisser se débrouiller seuls et de s’occuper des petits enfants, ou celle des gosses accrochés d’une main à leur mère, tenant de l’autre un jouet.
Assister à la destruction d’une maison est aussi une scène poignante. En bruit de fond, le bulldozer massif, made in America, dont le grondement est noyé sous les gémissements des maisons en ciment qui s’écroulent. Il y a un tel fracas lorsque les murs, les planchers, les toits se plient et se tordent avant de s’éffondrer, qu’on dirait que les maisons elles-mêmes protestent contre leur destruction.
Dans la nuit glacée, sous la pluie, une mer humaine se précipite vers le centre du camp, mais il y a peu d’endroits où prendre refuge. Quelques familles trouvent un abri provisoire dans une classe de l’école de l’UNRWA. « C’était certainement la même chose lorsque les israéliens nous ont forcés à quitter nos maisons pendant la Nakba » dit un père d’une trentaine d’années.
La Nakba, c’est « la catastrophe », l’attaque de 1948 sur des villes et des villages de Palestine, et qui a transformé en réfugiés quelques millions de palestiniens. L’homme qui dit cela n’est visiblement pas assez âgé pour avoir vécu la Nakba, mais il en a sans aucun doute entendu parler par ses parents. Il est vrai que tous les enfants de Gaza et de Cisjordanie peuvent raconter la Nakba en détail. Les enfants se sont mis à poser des questions d’adultes, comme Ahlam, 11 ans, qui demande : « Pourquoi les soldats sont ils dans notre pays ? Pourquoi est ce qu’ils nous font ça ? Pourquoi est ce qu’ils nous tuent ? Qu’est ce qu’on a fait ? »
Au cours de la dernière nuit de l’attaque « Opération Orange Iron », environ 300 civils ont dû fuir leur maison. Des dizaines de maisons ont été démolies, laissant des centaines de personnes sans abri, mais on n’en connaîtra le nombre exact que dans quelques jours. Seuls les habitants du quartier peuvent dire quelle pile de débris était une maison à un ou à plusieurs étages. Les premiers rapports parlent de 30 ou 40 maisons aplaties, mais on ne le saura que lorsque l’armée israélienne arrêtera le bombardement aérien et le pilonnage d’artillerie. La déclaration officielle des forces d’occupation israéliennes est que l’opération « Orange Iron » va se poursuivre « aussi longtemps que nécessaire pour stopper les attaques de rocket Qassam depuis  le quartier de Al Nimsawi ».
Mais à Khan Younis, on suspecte que la férocité de l’attaque sur leur ville a été déclanchée par la tentative de coup des militants sur la tour de garde du terminal frontière de Rafah dimanche dernier. Après avoir creusé un tunnel de 800 mètres pendant plusieurs mois, les militants ont placé environ une tonne d’explosif sous un poste militaire israélien à la frontière entre l’Egypte et Gaza. La  presse israélienne confirme que l’explosion a tué 6 soldats israéliens et en a blessé 8. Deux tireurs palestiniens ont été tués dans la fusillade, deuxième phase de l’attaque des militants…
Hopitaux et ambulances sont des cibles
L’hôpital Nasser de Khan Younis est envahi de blessés, accompagnés par leur famille blottie dans l’espace réduit du hall d’entrée. Au département de chirurgie orthopédique, Hassan Abu Samrah, 45 ans, chauffeur d’ambulance, est allongé sur le ventre pendant que le médecin soigne sa jambe. On lui a tiré dessus pendant qu’il essayait de secourir deux civils blessés par un tir de tank tout près de l’hôpital. Ensuite c’est lui qui a dû être secouru. Il explique « Avant d’être dans le champ de vision d’un tank, je mets en route le gyrophare de l’ambulance et je lance la sirène à fond» Le mot AMBULANCE est écrit en grosses lettres sur tous les cotés de la voiture.
« Ils auraient dû m’entendre, dit-il, mais ils ont fait feu sur l’ambulance. J’ai pensé qu’il fallait tout de même que je ramasse ces blessés et que je parte en vitesse, mais tout d’un coup je me suis retrouvé face à terre et j’ai vu que ma jambe était en sang. Ils m’avaient tiré dessus. » C’est l’équipe d’une autre ambulance qui les a finalement transportés tous les trois jusqu’à l’hôpital Nasser. L’hôpital a aussi été la cible de tirs, contrairement à toutes les lois internationales. Les bulldozers israéliens ont détruit la partie ouest de l’hôpital dans les premières heures de l’incursion, et il y a des tirs périodiques. Le directeur de l’hôpital, Dr. Mohia Al Deen Al Faraa, explique « nous sommes constamment bombardés. Certains de nos patients risquent d’être à nouveau blessés dans leur lit d’hôpital. Jusqu’à présent, nous avons reçu 11 morts et 71 blessés. La plupart sont des civils, blessés à la tête et la poitrine». Les snippers israéliens ont la réputation d’être de bons tireurs, et toutes les blessures dans le haut du corps laisse penser qu’ils ont l’ordre de tirer pour tuer.
Les journalistes sont des cibles
Journalistes et photographes qui couvrent cette incursion prennent toutes les précautions pour être identifiables. Un groupe de cinq photographes et journalistes a été néanmoins la cible d’un tank israélien. Malgré leurs gilets pare- balle et leurs vestes marquées « TV » et « Presse » en lettres phosphorescentes, leur groupe à reçu un obus tiré par un tank. Mahmoud Al Hums, de l’AFB, Mohammed Saber de l’ABI, and Hatem Mussa de l’Associated Press ont été blessés, d’après un autre journaliste du groupe qui s’en est tiré : «  Ce ne pouvait pas être un accident, le tireur du tank ne pouvait pas ignorer que nous étions des reporters. Nos vestes et nos gilets sont identifiables. Les lettres se voient bien la nuit. Mais ils ont tiré ; nous nous sommes dispersés, et trois de mes collègues ont été  touchés par les éclats d’obus. D’après le médecin, deux d’entre eux ont des blessures graves au visage et à la tête et sont sous surveillance médicale, le troisième est dans un état stable.
Pénurie dans toute la ville
Bien que  le quartier de Al Nimsawi ait connu le pire dans l’opération « Orange Iron », c’est l’ensemble des 250 000 habitants de Khan Younis qui souffre des coupures. La plus grande partie de la ville est sans eau et sans électricité depuis les premières heures de l’attaque qui a duré trois jours. Les familles n’ont plus de bouteilles d’eau potable non plus, mais elles ne peuvent pas être ré-approvisionnées par le Croissant Rouge/Croix Rouge ou autre agence de secours car l’armée israélienne cordonne la ville.
On n’en voit pas la fin : « les troupes sont prêtes à rester dans le camp de réfugiés aussi longtemps qu’il le faudra pour assurer la tranquillité de la communauté israélienne » a déclaré le Lieutenant Colonel Ofer Vinter à une station de radio israélienne.
Dans tout Gaza, l’impression de « déjà vu » domine et inquiète. La même chose s’est produite pendant l’opération « Rainbow » à Rafah en mai dernier. Une attaque qui a tué 40 personnes a entraîné des protestations dans la communauté internationale. Khan Younis assiégé n’avait même plus assez de place pour enterrer ses morts. En mai, les chambres froides de la morgue étaient pleines, les familles en deuil étaient sous attaque et ne pouvaient pas quitter leur maison pour enterrer leurs morts. On a dû amasser les corps dans les frigos des magasins de légumes.
Voilà que quelques mois plus tard, le même scénario sordide se reproduit, les chambres mortuaires de l’hôpital Nasser sont bourrées de cadavres et le cimetière est attaqué par l’armée israélienne. Les familles en deuil ne peuvent pas enterrer les leurs. A Gaza, les morts aussi sont des sans abri.
Le premier ministre israélien Sharon parlait de paix future quelques heures avant le début du carnage de l’opération « Orange Iron » à Khan Younis. Le premier ministre britannique Tony Blair est attendu dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, pour discuter du redémarrage du processus de paix avec le chef du PLO,  Mahmoud Abbas et le premier minister Ahmed Qurie ;  et pendant ce temps, les Apaches continuent de bombarder Khan Younis. Comme on pouvait le prévoir, l’autorité palestinienne a condamné cette dernière attaque sur des populations civiles. « L’escalade des agressions va ruiner toute chance d’avancer dans le processus de paix » a déclaré le porte-parole de l’Autorité palestinienne Nabil Abu Rudinah.
Les diplomates confortablement installés dans leurs salles de conférence font des déclarations modérées pendant que les palestiniens meurent dans les rues. Les habitants de Gaza connaissent bien le scénario.
Comme le dit un vieil homme « Nos combattants parviennent parfois à tuer un soldat ou un colon israélien, et ils ripostent en tuant 10 ou 20 personnes chez nous. Est cela la justice ? Peuvent-ils imaginer un instant que cela apaisera notre colère ? » Et une mère, qui serre ses enfants contre elle dans le hall d’entrée de l’hôpital « nous ne rêvons plus de paix ; nous nous contentons des nuits où nous pouvons dormir sans entendre les tirs d’obus et les Apaches au-dessus de nos têtes, sans craindre de devoir fuir  dès qu’arrivent les tanks. »
                                           
Rendez-vous
                           
1. Les élections palestiniennes de janvier 2005 : Bilan et perspectives avec Leïla Shahid ce lundi 21 février 2005 à 18h30
à l'Institut du Monde Arabe (Salle du Haut-Conseil) à Paris

Une table ronde organisée par le Club IMA autour de Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France, René Backman, Rédacteur en chef au Nouvel Observateur, Thierry Le Roy, Membre du Conseil d’Etat et Membre de la délégation d’observateurs européens pour les élections en Palestine, et Elias Sanbar, Rédacteur en chef de la Revue d’études palestiniennes. - Modérateur : Farouk Mardam-Bey
[Institut du Monde Arabe - 1, rue des Fossés-Saint-Bernard / Place Mohammed-V - Paris 5ème - Tél. 01 40 51 38 38 - http://www.imarabe.org - Entrée libre dans la limite des places disponibles.]
                               
2. Rencontres autour de la Palestine à Marseille, Aix-en-Provence et Aubagne du mardi 22 au samedi 26 février 2005
Associations Grandir à Gaza et la Courte échelle / Editions Transit vous invitent à trois rencontres autour de la Palestine, à la suite du séjour que Alain Castan et Muriel Modr ont effectué en Palestine du 25 janvier au 7 février 2005 (Jérusalem, Ramallah et Bande de Gaza). Ils feront un compte rendu de leurss échanges dans la Bande de Gaza avec les jardins et centres d'enfants et avec l'Institut Tamer à Ramallah et Gaza. Une occasion, aussi, de revenir sur l'actualité politique et sociale en Palestine.
- Mardi 22 février 2005 à 18h30, à la Maison Méditerranéenne des Droits de l'Homme - 34, Cours Julien - Marseille 6ème (M° Notre Dame du Mont)
- Vendredi 25 février 2005 à 19h00, au Centre Social les Amandiers - Rue des Amandiers - Jas de Bouffan - Aix-en-Provence (à l'invitation du Rassemblement franco-palestinien pour la paix)
- Samedi 26 février 2005 à 16h30, à la Maison de la Vie Associative - Avenue Robert Govi - Quartier des Défensions - Aubagne (Débat organisé par le collectif aubagnais "Justice et Paix en Palestine")
                                                          
Dernières parutions

                            
1. Souvenirs de Jérusalem de Sirine Husseini Shahid (Préface de Edward Saïd)
aux éditions Fayard
[302 pages - 19 euros - ISBN : 2213623090]
(Traduit de l'anglais par Odile Demange)
Par petites touches, Sirine Husseini Shahid nous brosse le portrait d'une famille palestinienne, la sienne, installée à Jérusalem et contrainte en 1936 de prendre la route de l'exil pour se réfugier à Beyrouth.
Née en 1920, l'auteur passe son enfance et le début de son adolescence dans cette ville cosmopolite où différentes nationalités et différentes religions se côtoient sans hostilité. Mais les souvenirs, teintés de nostalgie, de ces jours heureux n'occultent pas la montée des troubles et de la répression britannique. La résistance palestinienne des années 1930 et 1940 est décrite de façon admirable, comme un mouvement d'hommes cultivés, courageux, se battant pour empêcher l'occupation étrangère de leur pays.Cette succession d'images intimistes, disposées sur une trame chronologique qui sert de fil conducteur à la narration, permet de prendre toute la mesure du déchirement du peuple palestinien. Mais Sirine Husseini Shahid ne se contente pas de raconter l'existence de ces classes privilégiées et cultivées qui ont choisi l'exode. Elle dépeint également le sort des Palestiniens restés à Jérusalem, de ceux aussi qui, issus de milieux modestes, ont été plus douloureusement frappés que sa famille par la paupérisation et la déculturation qui leur ont été imposées.
Ce récit au style simple, très attachant, est plus qu'un témoignage personnel : une fascinante leçon d'histoire.Sirine Husseini Shahid vit toujours à Beyrouth. Elle a eu trois filles, dont Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France.
                                   
2. Verbicide - Du bon usage des cerveaux disponibles de Christian Salmon
aux éditions Climat
[164 pages - 13 euros - ISBN : 2841582698]

Ce livre traite du 11 septembre, du triomphe de la télé réalité, des formes nouvelles de domination symbolique, du capitalisme culturel, mais il gravite autour d’un seul et même foyer: la destruction du récit. Il s’agit des minutes d’un procès ouvert depuis le 11 septembre 2001, que l’auteur(1)qualifie de crise mondiale de narration, et dont le symptôme le plus visible serait une inflation narrative, la substitution de l’anecdote (story) au récit (narrative).
Qu’il emprunte la forme de l’essai ou du récit, ce livre décrit la situation d’un homme sans recours narratif face à l’expérience. Un homme pour qui la distinction entre fait et fiction (c’est-à-dire la réalité de l’expérience), et entre vrai et faux (c’est-à-dire les normes de la pensée), n’existe plus. Un homme qui caractérisait pour Hannah Arendt, “le sujet idéal du règne totalitaire”. Un homme, en somme, sans récit.
Aux pieds des tours en ruines, c'est le récit américain qui gît en pièces. C’est, face à l’empire, le manque et l'impossibilité d'une contre-narration que Christian Salmon explore – et déplore – ici.
Christian Salmon est notamment l'auteur de Tombeau de la fiction (Denoël, 1999), Censure !, Censure ! (Stock, 2000), et Devenir minoritaire (Denoël, 2003). Il a fondé en 1994, avec l'appui de plus de trois cents intellectuels des cinq continents, le Parlement international des écrivains et le Réseau des Villes Refuges. Il est le directeur de la revue Autodafe.
                       
3. Revue d'études palestiniennes N° 94 (Hiver 2005) : Yasser Arafat
aux Editions de Minuit
[160 pages - 14,50 euros - ISBN : 2707319031]
SOMMAIRE :
- YASSER ARAFAT : 37 pages de témoignages de Saeb Ereqat, Ilan Halevi, Mamdouh Nofal, René Backman, Sami Musallem, Uri Avnery, Kenneth Brown et José Maria Ridao qui dressent des portraits du président palestinien. Ils l'ont connu, côtoyé, accompagné, travaillé avec lui...
- Terre de feu (pièce de théâtre) par Jean-Claude Pons
Terre de feu est inspirée des événements de 1983 au Liban : siège de Tripoli et départ des Palestiniens du Proche-Orient. La pièce fut prête un an après. Tentant de trouver une production pour qu'elle soit représentée, je l'ai envoyée à quantité de théâtres. Elle a toujours été refusée. Motif : trop politique. En réalité, je pense qu'elle était trop directement politique. Et le nom du personnage principal était... Arafat. Je me suis résolu à remplacer le nom d'Arafat par celui de Shalaan, choisi au hasard, dans l'urgence. En vain. Avec ou sans le nom d'Arafat, la pièce restait trop clairement " engagée ", et toujours trop directement. Au bout de presque dix ans, elle a un jour abouti entre les mains du metteur en scène Gabriel Monnet qui l'a appréciée et en a proposé une mise en scène à un ami commun, Yves Gourmelon, qui dirige le théâtre Le Chai du Terral à Montpellier. Terre de feu, telle que la proposait Gabriel Monnet, a été présentée le 15 juillet 1993 à la Chartreuse-lèz-Avignon, pendant le Festival d'Avignon, puis, le lendemain, à Montpellier. Je n'ai pas cru, pour cette publication, devoir rétablir le nom d'Arafat : il est immédiatement reconnaissable et même encore plus reconnaissable que s'il était nommé.
- Géopolitique de Ramallah par Tareq Arar
- La prison d'Abû Ghraib :
Guerres, tortures et homophobie par V. Casanova Fernandez
Votre route s'arrête à Bagdad par A. Ben Salem
- Derrida ou la sur-vie. La traduction originaire par Kadhim Jihad
- Maxime Rodinson et les Arabes par Hassan Chami
- Le souffle sinistre de la mort par Rudolf El-Kareh
[Nous publions dans ce numéro du Point d'information Palestine, l'intégralité de cette boulversante chronique de Rudolf El-Kareh.]
- L'observatoire de la colonisation
- Chronologie du 1er juin au 31 août 2004 réalisée par Rachid Akel
                                       
Réseau

                                           
1. La santé et le Mur : l'art et les droits de l'Homme
Lancement d'une campagne franco-israélo-palestinienne sur l'impact du Mur sur la Santé (14 février 2005)
Trois organisations médicales, Médecins du Monde (MDM) - France, Physicians for Human Rights (PHR) - Israël et la Société du Croissant Rouge Palestinien (PRCS) lancent une campagne sur l'impact du Mur sur la Santé. S'appuyant sur les oeuvres d'artistes israéliens et palestiniens de renom, cette campagne ciblera le public local avant de se déplacer dans plusieurs villes d'Europe.
Depuis juin 2002, la construction du Mur a ajouté une nouvelle série d'obstacles venus isoler, fragmenter et ainsi détériorer le système de santé palestinien.
CHIFFRES :
- Sur les 622 km prévus pour le Mur, 255 km sont déjà construits ou en cours de construction. 85 % du tracé prévu du Mur ne suit pas le tracé de la Ligne Verte et empiète sur la Cisjordanie. La longueur prévue du Mur est le double de celle de la Ligne verte.
- Une fois le Mur terminé, 93 200 Palestiniens habiteront entre le Mur et la Ligne verte.
- 32,7 % de tous les villages de Cisjordanie n'auront pas accès libre et ouvert à leur système de santé à cause du Mur. Ce chiffre atteindra 80,7 % dans les zones fermées et dans les enclaves.
- 10 000 patients souffrant de maladies chroniques n'ont pas accès aux services médicaux essentiels. 117 600 femmes enceintes, dont 17 640 ayant des grossesses à risque pourraient avoir des difficultés à accéder aux soins prénataux, à l'accouchement en hôpital et aux soins postnataux. 133 000 enfants de moins de cinq ans risquent de ne pas pouvoir bénéficier à temps, ou même du tout, de tous les vaccins nécessaires.
- 26 centres de soins de santé primaire ont été isolés du reste du système de santé palestinien par le Mur. 52 % des médecins travaillant dans ces cliniques sont retardés pour accéder à leur lieu de travail, ou ne peuvent y accéder.
Le Mur est le symbole final et le plus visible d'un ensemble de barrières physiques et administratives, qui restreignent la vie et la liberté de mouvement des Palestiniens dans les Territoires occupés. Parce qu'il ne respecte pas la Ligne verte et empiète à l'intérieur de la Cisjordanie, le tracé du Mur est à la fois disproportionné dans son impact sur la santé et illégal. Il ne respecte ni les Droits de l'Homme, ni le Droit international humanitaire.
Les présidents des trois associations, Dr Françoise Jeanson, Dr Ruchama Marton and Younis Al Khatib parleront d'une même voix et présenteront un positionnement commun sur la question lors de deux conférences de presse, le 14 février à Tel Aviv et le 15 février à Ramallah. A cette occasion, Médecins du Monde rendra public un rapport intitulé L'ultime barrière, impact du Mur sur le système de santé palestinien, basé sur 83 témoignages recueillis sur le terrain auprès de patients et de personnel médical.
Afin de sensibiliser le grand public à la question, les associations ont collaboré avec 14 artistes israéliens et palestiniens. Un ensemble de posters sur le Mur a été réalisé sous le direction artistique de Miki Kratsman, photographe israélien, et de Amer Derbas, photographe et peintre palestinien. Ces oeuvres présentent différentes expressions artistiques du Mur et mettent en avant la collaboration entre les deux sociétés civiles, comme moyen d'apporter un changement positif dans la région. Le 17 février prochain, les posters, composés des ouvres artistiques et d'informations médicales liées au Mur, seront insérés dans Ha'ir, magazine de Tel Aviv et dans Al Quds, quotidien palestinien. La campagne artistique sera ensuite déclinée à travers une exposition  qui se déplacera dans plusieurs villes d'Europe.
[Pour accéder à l'ensemble de la campagne : www.healthandwall.org - Contact presse : Laure Weisgerber - Tél.: +972-57-727-0229 - +972-2 582 66 60]
                               
2. Au nom de qui parle le CRIF ? par l'Union Juive Française pour la paix
Communiqué de presse du jeudi 17 février 2005
Une des tâches primordiales de l’UJFP est de faire entendre la diversité réelle de pensée, d’opinion, et de sensibilité des Français d’origine juive qui sont plus d’un demi million en France. A ce titre il nous paraît scandaleux que le dîner du CRIF* soit considéré ces dernières années par toute la classe politique comme la troisième chambre du parlement français.
Chaque année le gouvernement entier, et de nombreux parlementaires s’y précipitent pour  montrer patte blanche et faire la démonstration qu’ils ne sont pas antisémites. Et chaque fois le piège tendu par cette « instance communautaire » et son président Roger Cukierman se referme un peu plus, sur les politiques français entraînés dans  une logique infernale : démontrer que l’on n’est pas antisémite ne peut se faire selon le CRIF qu’en acceptant toujours plus l’assimilation de l’antisionisme à l’antisémitisme, et en se taisant de plus en plus sur la politique israélienne d’occupation.
En 2003 Cukierman désignait les ennemis antisémites : « verts bruns rouges » accusant ainsi des forces progressites d’antisémitisme parce qu’elles se mobilisent pour la Palestine et contre le gouvernement de Sharon. Aujourd’hui il rend les copies au gouvernement : sur l’antisémitisme, assez bien, mais sur la politique étrangère du gouvernement concernant le monde arabe, très médiocre. Et ce au nom des Juifs de France !
Les Juifs français ont toutes les opinions politiques sur leur gouvernement, et votent dans tous les partis, leurs choix sont individuels et non communautaires, contrairement à ce que veut faire croire Monsieur Cukierman. Pratiquant le pire des communautarismes il associe publiquement Juifs et Israéliens, antisémitisme et antisionisme, faisant croire qu’il y a dans ce pays une « communauté » qui voterait d’une seule voix pour des intérêts  qui sont aujourd’hui ceux de Sharon.
Quant à nous, nous considérons que  ceux qui  tentent d’embrigader tous les Juifs de France dans un soutien systématique de la politique de Sharon, et qui manipulent  l'antisémitisme dans ce pays comme une arme pour faire taire toute critique à l'égard de la politique israélienne, portent une responsabilité grave dans les tensions qu'ils réveillent et entretiennent.
Nous attendons du gouvernement qu’il agisse en matière de racisme avec fermeté et détermination contre toutes les  discriminations et violences racistes, antisémitisme inclus, en montrant ainsi qu’il respecte le principe d’égalité de tous les citoyens devant la loi. En tant que Juifs nous ne souhaitons pas de régime privilégié, qui ferait de nous des citoyens « protégés », nous revendiquons les mêmes droits, les mêmes devoirs et le même respect que tous les citoyens.
Nous attendons de la politique étrangère de la France  des mesures fermes de sanctions contre les violations des droits de l’homme commises par le gouvernement israélien, l'arrêt de toute coopération militaire avec Israël, l’application des décision de la Cour internationale de justice de la Haye concernant le Mur, l’application du vote du parlement européen demandant la suspension de l’Accord d’association entre l’Union européenne et Israël. Pour nous la législation internationale est la même pour tous les Etats, le rôle de la France est d’exiger son application par tous et de condamner toute violation de ce droit. Nous avons par ailleurs été sensibles aux honneurs rendus par notre gouvernement au Président Arafat, représentant défunt de tout son peuple.
Les citoyens français juifs que nous sommes condamnent avec la plus grande fermeté les propos communautaristes et sectaires tenus par Monsieur Cukierman, et affirment avec force : non il ne parle pas en notre nom !
* CRIF : Conseil représentatif des institutions juives de France. « Quand le président de ce dernier, Roger Cukierman, prend position, il engage - au maximum - un Juif français sur sept... » in "Le mal-être juif, entre repli, assimilation & manipulations", Dominique Vidal.
                           
3. "Vivre la théorie de la modernisation coloniale" un courrier de Sari Hanafi (27 janvier 2005)
(Sari Hanafi est sociologue, directeur du Palestinian Refugee and Diaspora Centre à Ramallah ainsi que chercheur au Centre d’études et de documentation économique juridique et sociale au Caire (CEDEJ). Il a publié, entre autres, (avec la collaboration de Sarah Ben Néfissa) Pouvoir et associations dans le monde arabe (CNRS, 2002) ainsi que (avec la collaboration de Linda Taber) Donors, International organizations and Local NGOs. The Emergence of Palestinian Globalized Elite (London 2000 & Ramallah, MUWATIN, 2002).)
Cher(e)s Ami(e)s - J’ai trouvé dans de la Revue Diaspora, un revue scientifique publié par le CNRS (FRAMESPA UMR 5136), un article d’Ilan Greilsammer (professeur du sciences politiques à l’Université de Bar Ilan). Je cite :
« L’une des idées fondamentales du mouvement sioniste est que l’implantation juive en Palestine, depuis la fin du XIXe siècle, avait été bénéfique non seulement au peuple juif, mais aussi à tous les peuples de la région. Les différentes vagues d’immigration juive auraient apporté le développement économique et social à des populations endormies et peu dynamiques, et vivant sous un régime féodal. C’est l’un des éléments de la légitimation du projet sioniste. Sur le plan du strict développement économique, cette thèse  n’est d’ailleurs guère contestable. En revanche, elle contient une affirmation politique plus discutable : parmi les conséquences modernisatrices de l’implantation juive figurerait la naissance d’un peuple qui n’existait pas auparavant – le peuple palestinien- et qui aurait pris conscience de lui-même en réaction à l’immigration juive. » (Souligné en gras par moi) 
Source : « Généalogies rêvées en Cisjordanie et à Gaza. La filiation problématique entre ‘colons’ des territoires occupés et valeureux pionniers du temps jadis  », Diaspora, Toulouse : CNRS, no 5, 2005, p. 45.
Vivre la théorie de la modernisation lorsqu’elle aux mains des coloniaux et lorsqu’elle est légitimée par une revue très scientifique…
                               
4. Noël à Bethléem par Istico Battistoni (27 janvier 2005)
(Istico Battistoni est Conseiller italien au Parlement Européen. Il vit actuellement en Cisjordanie. Ce texte, inédit, peut-être repris librement sur tout support militant ou associatif. Par contre, si vous souhaitez publier ce texte sur un support écrit commercial - journal, revue... - vous devez en faire la demande auprès de l'auteur : ibattistoni@terra.es. Les textes de Istico Battistoni sont également disponibles en espagnol, en italien et en portugais.)
La Veille de la Nativité tombe une lourde pluie. Pour remonter les pentes qui mènent à l’église, il faut marcher à travers des ruisseaux avides d’eaux. Pour qui n’a pas d’autre image que celle d’une terre sèche et aride, cette eau désoriente et stupéfie. Désorientation et stupeur sont justement de mise pour une veille de Noël. Noël 2004, Bethléem, Territoires palestiniens. Une émotion subtile me gagne quand j’en prononce simplement le nom. J’ai dans ma poche deux invitations (rigoureusement gratuites) pour la Messe de Minuit, envoyées par un père du Patriarcat Latin de Jérusalem. Se mettre en route pour Bethléem donne de l’allégresse, mais il me faudra 3h et demie pour parcourir 30km de Birzeit, au nord de Ramallah, jusqu’à Bethléem, au sud de Jérusalem - en changeant cinq fois de moyens de transport, traversant trois checkpoints et effleurant trois fois le Mur de la ségrégation.
Pourtant je suis prêt à payer ce prix: rejoindre Bethléem, c’est un défi qui me donne la légèreté de la Mère de Christ, qui traversa la Judée à dos de mulet pour se faire enregistrer dans la ville de David, Bethléem, lors du recensement exigé par César Auguste. Bethléem, en arabe Beit Lahm, signifie „la maison de la chair“. Bethléem, la maison du Verbe. „Le Verbe se fit chair et vint habiter parmi nous” (Jean, 1, 14). Cette inscription accueille le visiteur qui entre dans le cloître du couvent des Franciscains à côté de la Basilique de la Nativité. En hébreu, au contraire, Bayt Lekhem est „la maison du pain“. Mais le nom de la ville trouve ses origines dans deux mots issus du cananéen, soit lehaamah, nourriture, soit Lahmu, ancien dieu païen de la guerre. Toutes les significations du Mystère de la Terre Sainte sont recueillies dans ce nom de ville!
Atteindre Bethléem coûte que coûte, aller au-delà des barrières. Pour qui s’est déjà rendu à Bethléem en des temps plus propices, la voir se faire toute petite à l’ombre d’une muraille de béton grise est aussi douloureux que d’écouter les histoires de ceux qui vivent au pied de la barrière et ne peuvent plus s’aventurer au-delà. Mais je respire profondément et me tiens droit, car le Christ est né ici et il a porté la lumière au monde. Jadallah Shihadeh, pasteur luthérien de Beit Jala, la ville palestinienne voisine de Bethléem, a cette année fait travailler les enfants à la réalisation d’une crèche de papier mâché où se télescopent l’ancien et le moderne, où l’on peut voir, outre le berceau et les pâtres, les voitures et les colonies israéliennes, et tout autour, des murs et des postes de contrôle. “C’est comme ça que les enfants vivent, et ils ressentent l’Enfant Jésus dans leur quotidien” – raconte le pasteur.
Bethléem est suspendue entre les abricotiers et les vignobles de Beit Jala, sur son versant occidental, et les prairies et les oliviers bas de Beit Sahour sur son versant oriental, entre la fraîcheur et la sécheresse, comme si elle était en équilibre entre la fécondité et les restrictions. Le Monastère salésien du Crémisan recueille la fertilité de cette terre dans les vins délicieux qu’il produit... mais la terre est en train de se transformer en une misérable peau de châgrin, et le Mur s’approchera des portes du Monastère, dérobant à ce même Monastère sa beauté et aux citoyens de Beit Jala leurs meilleurs champs. Comme compensation, les moines recevront une paire de clefs pour passer à travers le Mur et atteindre Beit Jala.
“Mon père, âgé de 90 ans, signa un misérable contrat de vente de ses terres à un agent des services israéliens qui prétendit être un envoyé du Vatican, et depuis lors, nous n’avons plus été capables de récupérer les terres” – déclare Abdallah M. Abueid, avocat, professeur de droit international à l’Université de Birzeit et ancien résidant de Beit Jala.
“Beit Jala a perdu a peu près la moitié de ses meilleures terres comme ça, ou bien par confiscation. Il y a 9 lois qui permettent aux autorités israéliennes de confisquer les terres autour des zones de peuplement palestiniennes, et à ceci s’est ajouté le Mur” – continue-t-il, plein de frustration. “Quand le Mur sera achevé, nous ne pourrons plus aller nous promener dans le parc du Monastère”.
Jamal Zahlan quant à lui est architecte et il travaille dans la Commune de Beit Sahour. Lui qui s’en alla jusqu’à Venise pour obtenir son diplôme ne peut plus séjourner à Jérusalem, qu’il ne voit plus depuis 5 ans. “Aller à Jérusalem est devenu presque impossible. Il n’est pas facile d’obtenir un permis, et même avec le permis, on peut être repoussé au checkpoint” – me dit-il en italien.  Selon le Bureau pour la Coordination des Affaires Humanitaires des Nations Unies de Ramallah (OCHA), Bethléem est isolée par la présence de 9 colonies, une section du Mur et 78 obstacles aux voies d’accès (entre checkpoints et blocages routiers de toute sorte). Bethléem, 75.000 personnes, un ghetto.
Il pleut sur les collines qui mènent à la Basilique, et des centaines de gens se réfugient dans les taxis, les cafés et les salons des hôtels. L’accès à la Basilique sera possible uniquement à partir de 10h du soir, mais les gens sont déjà là. Quelques étudiants ne savent pas encore où ils dormiront, d’autres ne dormiront pas.
Une petite grotte obscure, où une étoile d’argent indique le lieu de la Nativité, et au-dessus d’elle une église ancienne comme l’histoire et les Croyances qui l’ont constituée. La Reine Hélène, durant l’Empire de Constantin, fut peut-être la première à ériger un temple sacré sur la Grotte, élargi et rénové ensuite par l’Empereur Justinien au VIème siècle après J.C.  Et à présent les Grecs orthodoxes, les Arméniens et les catholiques l’ont transformé en un mixte de rituels cohabitant entre eux, comme s’ils défiaient le destin contraire qui écrase aujourd’hui la ville. Chacun peut y retrouver un coin propice à la fascination. Issa Ghattaas, membre du chœur de la Basilique, regarde le visage du Christ peint sur une colonne à la droite de l’autel principal, et il raconte que cette colonne-là pleura du sang quelques mois avant les événements du 2002, lorsque l’église se retrouva au centre d’une bataille entre l’armée israélienne et la résistance palestinienne. Il n’est pas important d’y croire. Ce qui est important dans une nuit de Veille de Noël est de se fatiguer en écoutant pendant des heures les chants et les mots sacrés.
Quand le Patriarche Latin Monseigneur Michel Sabbah entre dans l’église de Sainte Catherine, la multitude se fait silencieuse. Sainte Catherine est l’église franciscaine de 1881 qui longe la Basilique, et où se célèbre le Noël catholique (orthodoxes et arméniens le célèbrent quelques semaines plus tard). Nous nous resserrons pour nous réchauffer, car il n’y a pas d’âne ni de bœuf, et dehors il continue de pleuvoir. Il n’y a pas d’espace pour le froid, ni pour la discrimination. Et les Franciscains, fidèles à leur mission, font de leur mieux pour que même ceux qui restent assis sur la pierre nue jusqu’au petit matin emportent avec eux un peu de l’Esprit. Et l’Esprit parle à tout le monde, en portugais, la langue qui ouvre la prière, et ensuite en français, arabe, italien, allemand, espagnol, anglais, alors que la liturgie se déroulera en latin. Même François d’Assise parle, par la voix de son disciple Thomas de Celano, qui raconte comment Francesco adorait prononcer le mot “Bethléem” et mourait d’envie de voir de ses propres yeux les conditions difficiles dans lesquelles Jésus était né.
Selon quels critères auront-ils choisi la langue des lectures de cette nuit-là? Difficile de trouver la réponse. La prière des fidèles parlera de paix en allemand, de famille en italien, de la Foi en français, du pèlerinage en anglais, du Salut en espagnol et de Bethléem en arabe.
La concentration est seulement troublée par les cortèges des autorités, comme lorsqu’arrivent les ambassadeurs et Abu Mazen, la nouvelle voix du peuple palestinien. Et c’est à ce peuple que le Patriarche adresse ses premiers mots dans son homélie bilingue arabo-française, en souhaitant à qui incarnera les aspirations de justice et de liberté d’agir sous le signe de la responsabilité, de l’unité, de l’ordre, du droit et de la fermeté. Ensuite, il s’adresse à tous afin que l’Esprit guérisse ce qui semble incurable. “Les valeurs des hommes ne sont pas toujours celles de Dieux, en particulier en Terre Sainte” – prophétise le Patriarche. “Mais nous ne devons pas pleurer ou crier, nous devons plutôt nous demander où se trouve Dieu, faire silence pour le voir et l’écouter”. “Libérons-nous de la loi de la quantité et du grand nombre!” – invoque-t-il avant de s’adresser aux chrétiens de sa terre.
“Vivre en Terre Sainte est une vocation, vocation pour une vie difficile, vocation à porter le témoignage du Christ dans Sa terre”. Le Patriarche parle de l’occupation militaire, du Mur de séparation, des “villes-prisons” (c’est ainsi qu’il les nomme), mais il fait appel à la défense du droit et de la liberté pour construire une société fraternelle, au-delà du sang des empires. Et il parle de réconciliation basée sur la justice et l’égalité, car “la bonté de Dieu triomphera du mal de la guerre et de la haine”. “Que tombent les murs autour des villes palestiniennes et les murs dans nos cœurs. Que la paix de Dieux règne” – conclut le Patriarche.
Quand s’achève après trois heures la célébration, l’assemblée se disperse très lentement, peut-être en raison du froid dehors ou de la Gloire finale qui ne veut pas s’éteindre. On se dit au revoir sans se connaître. Les Arméniens prient dans la Basilique, il est deux heures du matin. Les prêtres qui ont célébré le culte dans l’église de Sainte Catherine descendent dans la Grotte pour adorer l’étoile. Celle-là même qui a conduit et conduira à l’avenir d’autres pasteurs et Rois Mages en cette caverne. Une légende raconte que l’étoile, après avoir conduit les Mages et avoir vu l’Enfant, ne voulut plus retourner au Ciel et mourir avec les autres étoiles. Alors l’Archange Michel la transforma en fleur pour qu’elle reste parmi les hommes. Naquit donc l’étoile de Bethléem, une fleur des champs à six pétales. C’est aussi pour cela qu’il pleut ce jour de Noël : les étoiles de Bethléem auront besoin de beaucoup d’eau pour fleurir là où le béton de l’oppression et les pierres de la souffrance ont planté leurs racines.
                                                    
5. Un exercice de résistance civile par Istico Battistoni (19 janvier 2005)
(Istico Battistoni est Conseiller italien au Parlement Européen. Il vit actuellement en Cisjordanie. Ce texte, inédit, peut-être repris librement sur tout support militant ou associatif. Par contre, si vous souhaitez publier ce texte sur un support écrit commercial - journal, revue... - vous devez en faire la demande auprès de l'auteur : ibattistoni@terra.es. Les textes de Istico Battistoni sont également disponibles en espagnol, en italien et en portugais.)
Ce que j’ai vu en tant qu’“Observateur international” lors des élections en Palestine
J’étais l’un des 659 “Observateurs internationaux” accrédités par la Commission électorale centrale palestinienne lors des élections du 9 janvier dernier, quand le nouveau représentant de l’Autorité Palestinienne a été choisi. Et alors que je pensais devoir “surveiller” des élections, j’ai plutôt assisté à une extraordinaire performance de responsabilité civile de la part des Palestiniens vivant dans les Territoires occupés. Mis à part la signification politique de ces élections visant à trouver un successeur à Arafat respecté par tous les Palestiniens, mis à part le défi entre Abu Mazen, qui garantissait la continuité de l’Autorité Palestinienne, et Mustafa Barghouti qui en attaquait l’establishment en proposant des réformes radicales, ces élections ont constitué une preuve de la maturité d’un peuple qui vit sous occupation militaire depuis 37 ans, et qui se rend au scrutin en traversant des checkpoints, en ignorant les provocations des colons et en surmontant les obstacles administratifs et politiques imposés par les autorités israéliennes, en particulier à Jérusalem.
“Les dispositions pour la participation au scrutin des Palestiniens de Jérusalem ne sont pas conformes aux critères d’une élection libre, juste et transparente” – notifie la Commission électorale centrale palestinienne. Et ce jugement est partagé par l’ex-président américain Jimmy Carter, qui se trouvait à Jérusalem pour encadrer les élections avec le National Democratic Institute. En fait, il n’a pas été possible pour la Commission électorale d’installer les bureaux de vote à Jérusalem Est, annexée par Israël contre le droit international, ni d’y installer des centres d’enregistrement des électeurs. C’est ainsi que sur les 120.000 Palestiniens de Jérusalem Est ayant droit au vote, seuls 5.367 ont obtenu le droit de voter à Jérusalem, en utilisant toutefois six bureaux de poste contrôlés par du personnel israélien, et non des bureaux de vote similaires à ceux qui ont été installés dans le reste des Territoires occupés! Les autres Palestiniens de Jérusalem Est qui ont voulu voter, eh bien, ils ont été obligés de traverser les checkpoints et le “Mur” de séparation qui entoure la Ville Sainte, leur déplacement ayant pu prendre jusqu’à une heure.
Mustafa Barghouti, le grand adversaire de Abu Mazen, a même été arrêté trois fois, c’est-à-dire toutes les fois qu’il a essayé de faire campagne à Jérusalem. “J’ai été agressé ou bloqué par l’armée huit fois au cours de cette campagne électorale, et arrêté trois fois à Jérusalem pour m’empêcher de célébrer un acte électoral, alors que je suis en possession de permis d´accès tout à fait réguliers”, a expliqué Barghouti lors d’un tête-à-tête avec une délégation du Parlement européen, réunie à la veille du vote et à laquelle j’ai pu prendre part. La candidature de Barghouti, un protagoniste de la société civile reconnu pour ses campagnes en faveur de la santé et des droits civils et politiques des Palestiniens, a fait de ces élections un véritable exercice de démocratie, car les électeurs ont eu la possibilité de choisir une candidature dans le cadre d’une alternative réelle. Al Mubadara (Initiative en arabe), le parti que Barghouti a fondé avec le grand intellectuel, écrivain et musicien palestinien Edward Said, disparu récemment, a représenté la seule vraie opposition politique au Fatah (Mouvement pour la Libération de la Palestine). “Abu Mazen a changé trois fois son programme électoral au cours de la dernière semaine avant le vote suite à nos propositions” – ajoute Barghouti avec une pointe d’orgueil. Et Mahmoud Abbas “Abu Mazen”, s’adressant à la délégation du Parlement européen à quelques heures du vote, a mis l’accent sur les réformes: “Je m’engage à poursuivre toutes les réformes financières, administratives, judiciaires et économiques qui soient nécessaires”.
Les Israéliens semblent loin ces jours-ci, et le discours politique se concentre sur l’avenir des institutions palestiniennes, à savoir un Etat qui n’existe pas encore mais qui existera peut-être. Parler de ses propres problèmes sans toujours en rendre les Israéliens responsables est aussi un signe de maturité. Les Palestiniens savent souffrir en silence, et ils savent parler de leur avenir bien que 82% d’entre eux ne peuvent pas sortir de leurs propres villes et villages, et que 10.000 à 15.000 citoyens de la Bande de Gaza se virent interdire l’accès au checkpoint de Rafah durant les 27 jours qui ont précédé la journée électorale. Au bout du compte, 71% des personnes ayant le droit au vote se sont inscrites sur les listes électorales (en tenant compte des Palestiniens de la diaspora des années passées), et parmi eux, 70% ont participé au scrutin du 9 janvier. Si nous considérons les difficultés du processus d’inscription d’une communauté à mobilité réduite, partiellement dispersée á l’étranger et soumise à de fréquentes opérations militaires, nous devons reconnaître l’importance de l’effort qui a été fait pour être présent à ce rendez-vous électoral, pendant lequel la Commission électorale a même essayé de donner la possibilité de voter à ceux qui n’étaient pas encore inscrits, par le moyen de bureaux de vote ad hoc.
Beaucoup d’observateurs ont qualifié ces élections de premières vraies élections démocratiques du monde arabe moderne. Il s’agit d’une leçon pour tous ces pays arabes où monarques ou présidents sont au pouvoir depuis des décennies, et où les élections relèvent de la plaisanterie. Les Palestiniens ont ainsi secoué les autres peuples arabes pour qu’ils se réveillent de leur sommeil. Si un peuple a voulu et su pratiquer la démocratie dans des conditions aussi difficiles, quelles justifications pourront encore apporter les régimes arabes pour ne pas s’y essayer?
Je me trouvais quant à moi en observation à Naplouse, la quatrième ville des Territoires – située en Cisjordanie septentrionale, entre les oliviers, les ruines romaines et les colonies israéliennes – qui est restée assiégée par l’armée pendant des mois dans le but de neutraliser la résistance à l’occupation. Notre première préoccupation a été celle de surveiller le comportement des soldats aux checkpoints, pour vérifier qu’ils permettent le passage aux Palestiniens. J’étais en compagnie des activistes israéliens de l’organisation pour les droits de l’homme B’tselem. Eliezer Moav, en particulier, m’apprenait comment se comporter avec les soldats, mais il n’a pas pu empêcher que soit arrêté un jeune au checkpoint de Beit Iba et qu’il soit enlevé dans une jeep, les yeux bandés, vers une destination inconnue. Un soldat s’approche de moi et justifie l’opération en disant qu’il s’agissait d’un membre de Hamas recherché, mais Eliezer m’explique que souvent, ils enlèvent des jeunes pour leur faire peur et les convaincre de “collaborer”. Les choses changent quand arrive Amram Mitzna, l’ex-leader du parti travailliste israélien qui perdit la dernière confrontation électorale avec Sharon. “Je fais partie d’un groupe de onze membres de la Knesset qui fait campagne contre les checkpoints et je suis là pour les encadrer” – nous explique-t-il. Et sa présence ne sera pas inutile. Ex-chef de l’armée dans la province de Naplouse lors de la première Intifada, il est encore respecté, et grâce à son intervention, les soldats laissent partir une famille qui avait été retenue pendant deux heures pour une vérification de papiers. Tracasserie administrative ordinaire, heureusement sans conséquences!
Le reste de la journée, je le passe avec deux observateurs danois dans les bureaux de vote du Champ de refugiés d’Askar ainsi que dans le principal point de vote de la médina de Naplouse. Avec surprise, j’observe que le “silence électoral” est mieux respecté à Askar qu’à Naplouse. L’appareil du Fatah n’est pas encore habitué à respecter les règles du jeu, et ses activistes ont collé des posters sur les façades des bâtiments devant les bureaux de vote, ils distribuent des brochures à l’entrée des lieux de vote, ou bien encore ils y accompagnent en voiture leurs sympathisants. Au cours des premières heures du vote, je fais remarquer au président du bureau de vote 0257, situé dans l’école primaire Al Masri, l’irrégularité de cette situation, et quand je reviens dans la soirée pour assister au dépouillement, une partie des posters a été arrachée. Il y aura des traces de campagne électorale un peu partout autour des bâtiments habilités au vote ce jour-là dans les Territoires, mais à l’intérieur, une rigueur de fer sera appliquée dans les plus petits détails. C’est un jour important, et ils veulent bien faire. La présence extraordinaire des femmes, derrière les bancs des bureaux de vote ainsi que dans les isoloirs, est un signe de force et de cohésion: nous nous sentons tous plus sereins et protégés par leur présence. Il y a même de la place pour la dhiiaafa, l’hospitalité tellement sacrée aux yeux des Palestiniens, et les observateurs qui restent jusqu’au dépouillement final reçoivent du thé, du houmous et des gâteaux.
Et quand nous fermons la porte derrière nous dans les bureaux de vote pour commencer le dépouillement - avec deux heures de retard car Ramallah a donné l’ordre de laisser les bureaux ouverts plus longtemps pour neutraliser en partie les difficultés de déplacement et de vote que beaucoup ont rencontrées - nous sommes presque congelés, mais très émus. Dans l’air humide, on respire le sentiment de force et de dignité d’un peuple qui a transformé un rendez-vous électoral impossible à organiser en une opportunité de résistance civile et pacifique.
                       
6. Irak : "Si ces élections avaient eu lieu au Zimbabwe, l’Occident les aurait dénoncées" par David Pestieau et Mohammed Hassan (Février 2005)
(Mohammed Hassan est un ancien diplomate, spécialiste du Moyen-Orient et David Pestieau est journaliste à l’hebdomadaire belge "Solidaire". Ils sont les auteurs de "L’Irak face à l’occupation" aux éditions EPO - 176 pages - 15 euros - ISBN : 2872622152 - Bruxelles 2004. Ce texte est paru sur le site "InvestigAction" réalisé par le journaliste et écrivain belge Michel Collon : http://www.michelcollon.info.)
«Les principes élémentaires pour la tenue d’élections sont tellement peu respectés que si elles avaient eu lieu en Syrie ou au Zimbabwe, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne auraient été les premiers à les dénoncer» affirme Salim Lone, ancien directeur de communication du représentant spécial de l’ONU en Irak, Sergio Vieira de Mello. Démonstration. 
Un ancien officiel des Nations Unies en Irak déclare : «Si ces élections avaient eu lieu au Zimbabwe, l’Occident les aurait dénoncées»
57% des électeurs inscrits ont participé aux élections, affirme la Commission électorale irakienne, désignée par l’autorité occupante américaine. 57% des inscrits, la nuance est importante quand on sait que dans les régions centrales d’Irak (les plus peuplées), le taux d’inscription était très faible.
Dans les villes de Mossoul et Baquba, les bureaux de vote étaient déserts. Dans la ville rebelle de Samarra par exemple, seuls 1.400 des 200.000 habitants sont allés voter. A Bagdad, selon la télévision arabe Al-Jazeera, la participation était jugée très basse, particulièrement dans les quartiers populaires du centre et de l’ouest.
Même si certains chefs religieux chiites avaient appelé à voter, d’autres avaient appelé au boycott comme les cheikhs Al-Baghdadi et Al-Hasni, ainsi que le mouvement de Moqtada Al-Sadr. Ainsi dans le Sud à majorité chiite, la participation était beaucoup plus basse dans la grande ville industrielle de Bassora (où le parti chiite Hezbollah avait refusé de participer) que dans les campagnes et les villes saintes.
A l’étranger, où les problèmes de sécurité étaient totalement absents, seuls 25% des Irakiens se sont inscrits sur les listes. Tous ces éléments indiquent qu’en réalité, moins de la moitié des Irakiens, voire même moins d’un tiers sont allés voter.
Les chaînes de télé ont filmé 5 bureaux de vote dans tout l’Irak
«Un exemple de démocratie» affirment a contrario les grands médias. Mais aucun journaliste indépendant n’a pu se rendre hors de certains quartiers de Bagdad, de Bassora et du Kurdistan irakien. Ce qui les rend complètement dépendants des informations de l’armée américaine et des partis pro-occupation. Les grandes chaînes de télé n’ont d’ailleurs été autorisées à filmer que devant… 5 bureaux de vote dans tout l’Irak. Quatre des cinq se trouvaient dans des régions à majorité chiite du Sud où la participation était plus importante.
Un semblant de mission internationale de contrôle a été mise sur pied: elle comprenait… 20 experts internationaux (à titre de comparaison, 2.400 observateurs ont été envoyés en Ukraine pour les dernières élections). Pourtant, les grands médias osent annoncer que «peu de fraudes ont été constatées par les observateurs».
Enfin, l’immense majorité des candidats étaient inconnus des électeurs car les partis ne les avaient pas rendus publics. D’autre part, «les bulletins étaient si compliqués que même Jalal Talabani, le dirigeant kurde, a dû recevoir un briefing pour savoir comment l’utiliser» affirme Salim Lone. Autrement dit, même ceux qui ont voté ne savent pas exactement pour qui ils ont voté et encore moins souvent pour quel programme.
Quel pouvoir pour les élus?
Quel sera le pouvoir réel de ceux qui recevront le titre de ministres en Irak? Pratiquement aucun. «Ils n’ont pas le contrôle sur le pétrole, aucune autorité sur les rues de Bagdad, pas d’armée opérationnelle et de police loyale. Leur seul pouvoir est celui de l’armée américaine» affirme le journaliste Robert Fisk.
Ceux qui auront voté en pensant donner le pouvoir à un gouvernement irakien qui améliorera leurs conditions et obtiendra le départ des troupes US, en seront pour leurs frais. Les mois qui viendront le démontreront. Car rien n’indique que leur situation matérielle s’améliorera et que les Marines quitteront l’Irak d’eux-mêmes: 16 bases militaires américaines sont déjà en construction. Un haut-gradé US à Bagdad a reconnu samedi dernier que les Etats-Unis faisaient face à une insurrection à long terme qui ne cesserait pas avant… une décennie.
                       
7. Mobilisation - Vers une intégration d'Israël dans l'Union Européenne ?
Plusieurs correspondants du Point d'information Palestine nous informent que deux sites de "désinformation" et de propagande israéliens, ont annoncés le 25 janvier dernier que le nouvel ambassadeur de l'Union Européenne en Israël, Monsieur Ramiro Cibrian Uzal, avait déclaré lors d'une conférence de presse tenue à Tel-Aviv, que l'accueil de l'état israélien au sein de l'Union Européenne était actuellement envisagé, sous certaines conditions. Il aurait déclaré : ‘’Si vous êtes prêts, nous le sommes aussi.’’ Ramiro Cibrian Uzal aurait aussi déclaré qu'il comptait lancer une campagne de communication pour restaurer l'image de l'Union européenne auprès des Israéliens...
Compte-tenu du manque de crédibilité des sites Internet à la source de cette information, la prudence reste de mise. Aussi, nous vous invitons à demander fermement des explications aux responsables de la Commission Européenne, quant à une éventuelle proposition d'intégration d'Israël dans l'UE. Ce pays pratiquant une politique meurtrière d'épuration ethnique, d'apartheid, de punitions collectives, de destructions d'habitations et d'assassinats contre des civils, en violation permanente des conventions internationales, des résolutions votées par l'Organisation des Nations Unies et de la Cours internationale de Justice...
- M. Ramiro Cibrian Uzal, Délégué de la Commission Européenne en Israël : delegation-israel@cec.eu.int
- M. José Manuel Barroso, Président de la Commission Européenne :  josé.barroso@cec.eu.int
- Mme Bénita Ferrero-Waldner, Commissaire Européen aux Relations Extérieures : benita.ferrero-waldner@cec.eu.int
- M. Olli Rehn, Commissaire Européen à l'Élargissement : olli.rehn@cec.eu.int
- M. Joseph M Borrell Fontelles, Président du Parlement Européen :  jborrellfontelles@europarl.eu.int
                   
8. Juifs et arabes : histoire d’une symbiose par Leïla Salam (30 janvier 2005)
(Leila Salam est professeur de mathématiques et militante à l'Association France Palestine Solidarité.)
Les relations entre juifs et musulmans remontent à l’époque préislamique mais c’est pendant l’âge d’or de la civilisation musulmane que les liens vont se renforcer pour donner naissance à une symbiose judéo-arabe exceptionnelle.
L’orient de cette époque était celui du délice, des merveilles et de l’harmonie ; c’était aussi celui de la passion du savoir et de la connaissance, « alors que l’Europe se débattait dans un moyen âge de conflits et de blocage, le monde arabe était le théâtre d’une admirable civilisation » écrit Sigrid Hunke. Et c’est en Andalousie, lieu de nostalgie et d’enchantement, que la civilisation arabe avait atteint son apogée ; et c’est aussi en Andalousie que la symbiose judéo-arabe a été au zénith de sa splendeur. Lorsque en 711 le soleil d’Allah brilla sur l’occident, les juifs d’Espagne accueillirent les musulmans en libérateurs. A l’époque, ils vivaient des périodes difficiles sous le règne des rois wisigoths ; ils subissaient les spoliations, les conversions massives et les expulsions. La conquête musulmane va non seulement les libérer du joug de leurs oppresseurs mais va permettre à « l’histoire juive de connaître sa période la plus florissante - celle qui exerça une influence exceptionnelle sur la destinée des juifs et du judaïsme » affirme Eliyahu Ashtor.
Cette rencontre de l’islam et du judaïsme a été facilitée d’une part du fait des grandes similitudes entre les deux religions et d’autre part grâce à la tolérance musulmane de l’époque.
En effet, les deux religions reposent sur la communication directe entre Dieu et l’homme et sur la loi (Shari’a pour l’islam et Halakha pour le judaïsme). Si le judaïsme a pour source la Torah écrite (Pentateuque) et la Torah orale (Mishna et Talmud), l’islam se base sur le Livre (Coran) et les traditions prophétiques (Sunna). Les deux religions possèdent aussi de multiple similitudes comme le manger, le vestimentaire, la circoncision et autres rites.
L’autre raison de la réussite de la rencontre judéo-arabe se trouve dans les prescriptions coraniques mêmes « Il ne doit pas y avoir de contrainte en matière de foi » et « Vous avez votre religion et j’ai la mienne ». Les musulmans n’ont essayé ni d’imposer leur religion par la coercition aux peuples soumis à leur pouvoir ni de s’immiscer dans leurs vies privées ; chacun pouvait pratiquer librement sa religion et conserver ses lieux de culte.
En plus de cette tolérance religieuse, la générosité légendaire de l’homme arabe du désert des temps préislamiques a fait émerger « un sentiment d’humanité universel, qui ignore les frontières, une générosité dont bénéficient jusqu’aux ennemis » écrit Sigrid Hunke. « Ils (les musulmans) sont équitables, ne nous font aucun tort et ne se livrent à aucun acte de violence envers nous » écrit le patriarche de Jérusalem à celui de Constantinople au IXe siècle.
Les arabes refusaient toute logique d’assimilation ou d’enfermement communautariste ; cette tolérance a permis aux juifs de conserver leur identité tout en étant une partie active de la société. Ils s’ancrèrent dans la société arabe, participèrent avec enthousiasme et loyauté à la réalisation de cette prestigieuse civilisation.
Des poètes, des musiciens, des philosophes, des médecins, des talmudistes coopèrent avec les scientifiques et les philosophes musulmans ; ils créèrent et innovèrent.
Même si les juifs furent fortement enracinés dans la culture arabe, ils restèrent fidèles à leurs traditions et donnèrent un essor nouveau à leur langue et à leur culture « cette exceptionnelle symbiose excluait tout danger d’assimilation. Si les juifs d’Espagne adoptèrent la langue des conquérants arabes et, inévitablement, leurs schémas de pensée et leurs idées, il reste que les juifs préservèrent, voire enrichirent, leurs singularités avec une vigueur et une détermination inconnue jusqu’alors » ajoute Eliyahu Ashtor.
Averroès-Maïmonide : un modèle du "vivre-ensemble"
« Au début, c’étaient [les musulmans] des gens simples, sans intérêt pour les arts. Mais, peu à peu, avec le développement de l’état, ils adoptèrent une culture sédentaire, tel que nul jusqu’alors n’en avait connu. Ils devinrent versés dans maints arts et maintes sciences [...] Des missions étaient chargées de trouver les traités scientifiques grecs et de les mettre en arabe[...] Ils excellèrent dans différentes disciplines, au point que nul n’aurait pu faire mieux » rapporte ibn Khaldoun dans sa Al muquaddima.
Le travail de recherche et de traduction des traités grecs fut colossal et à cet effet de nombreuses écoles « Baït Al Hikma (maison de la sagesse) » ont fleuries ; ceci a permis de restaurer et de conserver les œuvres d’Aristote, de Platon, de Porphyre... et de donner naissance à la philosophie arabe : Al falsafa
Parmi les plus grands philosophes arabes ( falasifas), on citera Al-Kindi, Al-Farabi qui a montré l’accord de Platon et d’Aristote avec la pensée Islamique ; puis plus tard les deux maîtres à penser de générations d’Orientaux et d’Occidentaux : Abû-Ali Ibn Sîna (Avicenne) pour l’Orient musulman à tendance néoplatonicienne et le cadi Abû-I-Walid Ibn Rushd (Averroès) pour l’occident musulman à tendance aristotélicienne.
Les falasifas ont confronté la religion à la raison et la révélation à la philosophie. Pour eux la vérité de la raison doit en définitive retrouver celle de la foi car la vérité est une, quelque soit son origine arabe ou non, révélée ou obtenue par la raison.
Ils ont expliqué qu’une lecture littérale au premier degré d’un texte révélé ne permet pas de déceler son sens profond et caché. Seul le raisonnement et la réflexion du philosophe peut éclairer un texte et expliquer ses contradictions. De ce point de vue la philosophie et l’interprétation sont, aux yeux de la loi musulmane obligatoires.
Dans ce foisonnement de la pensée et sous l’influence de la falasafa, la pensée juive qui est restée jusqu’ici hors de la philosophie (à l’exception de Philon D’Alexandrie) sort de sa léthargie pour atteindre son summum. La falsafa fut décisive dans la constitution de la philosophie juive et le Kalam (théologie musulmane) influença des penseurs juifs notamment ceux dont s’inspira le Karaïsme[4]. Parmi les plus grands philosophes juifs on retient David Al-Muqammis, Sa’adya Gaon, Abraham ibn Daoud et surtout Abu Imran Musa ibn Maymun dit Maïmonide.
Les rencontres entre les philosophes musulmans et juifs furent fécondes et fructueuses et le plus bel exemple est donné par les deux précurseurs de la libre pensée, de l’esprit scientifique et du dialogue interreligieux : Avérroès[12] et Maïmonide[13]. Les deux philosophes ont tenté de concilier la foi et la raison, le texte révélé et la philosophie grecque. Respectueux et tolérants « chacun [Avérroès et Maïmonide] parlait avec vénération de la religion de l’autre, qu’ils considéraient comme la forme la plus haute du monothéisme » et « chacun considérait le vieil Abraham comme le père commun de leurs religions jumelle et Aristote comme le maître fascinant » comme nous l’explique Jacques Attali. Ils débattirent de politique et de philosophie, firent avancer les sciences et la médecine et affrontèrent les attaques de leurs coreligionnaires qu’ils nommèrent les marchands de la religion.
Avec amour et intelligence, les deux philosophes ont su surmonter toutes les contradictions et ont pu prouver que l’islam et le judaïsme sont parfaitement compatibles. Ils ont su contourner l’exclusivisme et la compétition qu’entretiennent habituellement les religions ce qui a permis une meilleure connaissance de l’autre et une coexistence harmonieuse.
La langue savante et la langue du cœur
Le travail de traduction entrepris par les musulmans était loin d’être passif ; il fut accompagné de la création d’un vocabulaire technique et d’une terminologie philosophique et théologiques de telle sorte que l’arabe est devenue la langue savante par excellence et fut pratiquée par les philosophes et autres savants musulmans (arabes ou non) et juifs. Ainsi, Maïmonide, comme la plupart des ses coreligionnaires, a rédigé la plupart de ses oeuvres en arabe y compris son ouvrage monumental « le guide des égarés ». L’amour et l’enthousiasme des juifs pour la langue arabe n’a pas empêché l’émergence du renouveau de l’hébreu « en écrivant en arabe, en pratiquant les méthodes et les terminologies arabes, les érudits juifs se livrèrent à une investigation minutieuse de l’hébreu biblique, qui fut rapidement suivie de celle de l’hébreu michnaïque et post-biblique. Pour la première fois, la prononciation de l’hébreu, la grammaire et le vocabulaire hébraïque eurent droit à un traitement scientifique[...]. Ainsi, sous l’influence de l’arabe, l’hébreu devint un moyen d’expression structuré et raisonné » écrit Goitein.
La maturité culturelle atteinte dans certains centres juifs de l’Andalousie est frappante, explique Esther Benbessa et l’effervescence poétique juive en Espagne musulmane fut l’une des caractéristiques de cet âge d’or. Le contact avec la culture musulmane a donné naissance à une nouvelle poésie juive où le profane côtoya le sacré contrairement à la période préislamique où la poésie profane hébraïque était inexistante et la littérature juive se limitait à des textes liturgique. Les modèles arabes furent repris par les poètes juifs et les chants des plaisirs, de l’amour ou du vin s’ajoutèrent aux poèmes liturgiques. Même si elle fut composée en hébreu « la poésie hébraïque en Espagne fut un produit de la civilisation musulmane » conclut Goitein.
Une transformation profonde et irréversible
Selon Michel Arbitol, la transformation du judaïsme à la suite de sa rencontre avec l’islam fut profonde et irréversible ; elle ne se limita pas aux aspects littéraires et intellectuels mais affecta les autres domaines de la vie économique et sociale. Les juifs pratiquèrent divers métiers et certains, comme Hasdai Ibn Shaprut et Samuel Ibn Naghdela, occupèrent des postes importants dans le gouvernement du calife.
En plus de sa position d’homme d’état, Ibn Shaprut fut un grand mécène et aida de nombreux hommes de lettres juifs dont les œuvres comptent parmi les plus belles créations. Parmi les bénéficiaires, on retrouve Menachem b. Saruq, auteur du premier dictionnaire hébraïque ainsi que Dunash b. Labrat, le premier à introduire la métrique arabe dans la poésie hébraïque.
Sur le plan économique la situation des juifs a radicalement changé. En effet, la plupart des juifs méditerranéens qui étaient agriculteurs avant l’islam se convertirent à l’artisanat et au commerce.
De gros commerçants et banquiers, dont les opérations s’étendirent à tout le bassin méditerranéen et à l’océan indien, émergèrent ; certains accédèrent à des fonctions politiques et financières très importantes et eurent une grande influence sur les gouvernants et sur l’administration de la vie communautaire juive.
Les juifs des autres parties de l’Europe
Pendant que les juifs Andalous menaient une vie libre, raffinée et savante, leurs coreligionnaires dans les autres contrées de l’Europe subissaient des mesures antijuives draconiennes. Il n’y eu aucun âge d’or pour eux : ni philosophes, ni poètes , ni savants. Rarement épargnés mais souvent chassés, pillés, convertis de force et même massacrés : ils ne connurent aucun répit. Tantôt accusés de tuer des enfants chrétiens tantôt mis responsables de l’expansion de la lèpre ou de la peste ; ils furent traqués, humiliés et finirent, dès la seconde moitié du XIVème siècle, isolés dans des quartiers séparés qu’on allait appeler par la suite « ghettos ».
Il faut « restreindre les excès des juifs afin qu’ils ne lèvent plus la tête, sur laquelle pèse le joug de l’esclavage perpétuel [...] Ils doivent se reconnaître comme les esclaves de ceux que la mort du Christ a libéré alors qu’elle asservissait les juifs » écrit le pape Innocent III.
Malheureusement, les juifs d’Espagne ne tardèrent pas à subir le même sort que leurs coreligionnaires d’Europe et l’ère de tolérance et de liberté s’acheva au XIIIe siècle avec le déclin de l’islam en Espagne.
Après la bataille de 1212, les musulmans ne conservèrent que le royaume de Grenade et la majorité des juifs d’Espagne allait vivre désormais sous des régimes chrétiens. L’élite juive dans l’Espagne chrétienne se détourna des sciences et de la philosophie, se consacra à l’étude des textes sacrés et versa dans la mysticité. Les juifs s’éloignèrent progressivement de la religion rationnelle ; les anti-maïmonidiens dénoncèrent les œuvres du maître auprès des ecclésiastiques qui n’hésitèrent pas à brûler « le guide des égarés » et « le livre de la connaissance » sur la place publique.
Néanmoins, à cette époque la vie des juifs était plus ou moins foisonnante comparée à celle des autres juifs d’Europe et le Sefer ha-Zohar, grand ouvrage du courant ésotérique de la Kabbale, fut écrit à cette époque.
Cependant le zèle religieux croissant combiné à la crise économique des années 1380 raviva l’hostilité des chrétiens envers les juifs et les violences s’accentuèrent. Désormais, les juifs n’avaient guère le choix qu’entre la conversion ou le bûcher.
L’Espagne d’inquisition ne s’arrêta pas à une intolérance religieuse et glissa progressivement vers un racisme d’état qui finit en une déportation et en une épuration ethnique. Ainsi tous les « marranos » (« porc » en espagnol pour désigner les juifs convertis de force) et tous les morisques (musulmans convertis de force) furent déportés hors du royaume d’Espagne avec des pertes humaines considérables[14].
La plupart des juifs se réfugia dans les pays musulmans où les portes leur restaient grandes ouvertes : en Afrique du nord, en Turquie, en Palestine, en Egypte, en Syrie... Ils s’y installèrent, constituèrent les foyers de séfarades et conservèrent leur langue, la liberté du culte et leur culture d’origine.
Nostalgie et espoir
La période florissante judéo-arabe est « à coup sûr la plus profuse, la plus vaste et la plus créative peut-être des vingt siècles d’histoire [du judaïsme] » affirme G. Bensoussan. L’essoufflement de la pensée juive qui s’ensuivit a laissé place à des sociétés closes, superstitieuses et renfermées : il n’y eu aucune philosophie juive de la Renaissance.
Après l’expulsion ibérique, la kabbale Sefer Zohar, qui était limitée à un cercle restreint d’érudits et de savants, se popularisa et se transforma en un courant messianique : la kabbale de Safed (ou le lourianique).
Ce courant donnait un sens aux malheurs et aux tragédies des exilés comme une rédemption divine. Le Lourianisme se mua ensuite en le mouvement du Sabataïsme, une forme pervertie et dévoyée qui menaça l’existence même du judaïsme.
Puis, le désespoir de ne voir le messie Sabataï renverser le sultan turc et lui prendre Eretz-Israël pour sauver les Juifs des persécutions de Pologne du XVIIIe siècle détourna les juifs vers un autre mouvement : le Hassidisme.
Ce courant mystique se répandit très vite parmi les Juifs polonais et renforça leur sentiment religieux. En même temps il obscurcit les esprits, s’opposa à tout enseignement profane et à la culture européenne et enferma les juifs dans un autre type de ghetto maintenu par les rabbins.
La relève de la philosophie juive de la période arabo-médiéval ne fut assurée que beaucoup plus tard par la Haskala (lumières juives allemande). Ce mouvement hostile au Hassidisme fut initiée par Mendelssohn qui s’est inspiré de Maïmonide pour concilier la religion et la raison.
Les tenants de la Haskala étaient, d’une part favorables à l’émancipation des juifs et à leur dissolution complète dans le reste du monde mais par ailleurs, ils prônaient l’établissement d’un état juif, qui selon eux, est la seule garantie de liberté et de sécurité pour les juifs opprimés. Cependant l’assimilation des juifs à la société allemande a fini par un divorce tragique et l’établissement de l’Etat d’Israël n’a pu apporter aux juifs ni sécurité ni liberté puisqu’il les a emmurés dans un nouveau ghetto.
La réussite de la coexistence judéo-arabe reste donc un modèle du « vivre-ensemble » à méditer.
Toutes les civilisations ne sont pas éternelles et la civilisation musulmane n’échappa pas à cette règle. De cette période reste la nostalgie et l’espoir d’une reconnaissance de la splendeur d’une période qui a marqué profondément les consciences et le cours de l’aventure humaine.
Le dénigrement voire la négation des apports civilisationnels arabo-musulmans dans l’essor de l’Europe moderne est une entreprise non sans arrières pensées colonialistes. Ce négationnisme tente de légitimer les conquêtes coloniales comme une œuvre civilisatrice.
Et comment peut-on civiliser un peuple si ce même peuple vous a guidé vers la lumière de la civilisation !
- NOTES :
[1]Jews of Moslem Spain Vol 1/2/3 by Ashtor, Eliyeah., Jewish Pubn Society/1993
[2] Jews And Arabs : A Concise History Of Their Social And Cultural Relations de S. D. Goitein Dover Publications / 2005
[3] La Confrérie des Eveillés de Jacques Attali chez Fayard
[4] Qu’est-ce que la philosophie juive ? Gérard Benbessa, Midrash,2003
[5] Le soleil d’Allah brille sur l’occident, Sigrid Hunke, Albin Michel, 1963
[6] Histoire des juifs sépharades, Esther Benbessa et Aron Rodrigue, Histoire, 2002
[7] Le passé d’une discorde, Michel abitol, Perrin, 2003
[8] Le judaïsme moderne, Maurice-Ruben Hayoun, Presse universitaire de France, 1989
[9] AufklärungLes lumières allemandes, Gérard Raulet, Flammarion, 1995
[10] Les grandes questions juives, Encyclopédie planète,
[11] Al Muqaddima Ibn Khaldoun Traduction par Vincent Monteil, Sinbad, 1967
[12] Avvéroès :
http://fr.wikipedia.org/wiki/Averro%C3%A8s
[13]
http://fr.wikipedia.org/wiki/Ma%C3%AFmonide
[14]
http://www.oulala.net/Portail/article.php3?id_article=1157
                               
9. D’Auschwitz à Marseille
Extrait de la lettre d'information de l'Union Juive Française pour la paix du lundi 31 janvier 2005
A des centaines de kilomètres de là, l’Institut universitaire de formation de maîtres (IUFM) de Marseille a monté une très émouvante exposition sur les camps d’extermination. Une cérémonie commémorative a eu lieu à l’IUFM le 21 janvier, où notre camarade Michel Barak, enfant caché pendant la Seconde guerre mondiale et membre de l’UJFP-Provence, a pris la parole. Après avoir raconté son expérience comme enfant sous l’occupation, Michel a exprimé sa solidarité avec le peuple palestinien. Changement d’ambiance : il fut expulsé de la salle manu militari aux cris de " va retrouver tes amis palestiniens ! ". Le problème, c’est que la cérémonie n’était pas organisée uniquement par des amicales d’anciens déportés, mais également par le... CRIF. On a encore du travail à faire pour que le devoir de mémoire soit lié aux principes de justice universelle et d’amitié entre les peuples...
                                   
Revue de presse

                             
1. Le souffle sinistre de la mort par Rudolf El-Kareh
in la Revue d'études palestiniennes N° 94 - Hiver 2005
Palestine qui saigne, Irak détruit, Asie meurtrie…
Suspendre ne serait ce qu’un moment, en cette fin d’année, l’austérité de l’analyse froide et distanciée. Laisser s’exprimer l’exaspération retenue. Non pour se libérer des exigences de la rigueur, mais pour retrouver la dimension humaine d’un courroux légitime devant tant d’indignité, d’hypocrisie et de cynisme. En finir avec la déshumanisation des neuf dixièmes des êtres vivants de cette planète. Dénoncer l’arrogance, le mensonge, la fourberie, la duplicité, l’imposture. Prendre des faits, au fil des événements et les mettre en contrepoint.
Motifs de la colère ? Prenons l’exemple de la Palestine.
Il suffit seulement d’observer ou de prêter l’oreille.
Prenons le cas de la novlangue accouchée par les rapports de force du moment. Désormais tout s’inverse. Ce n’est plus l’occupation israélienne et l’idéologie qui en est le ferment qui sont le problème, c’est la persistance de la capacité d’endurance des Palestiniens. Plus précisément notamment leur capacité de résistance civile et politique malgré l’acharnement à en détruire les potentiels et les structures par tous les déchaînements imaginables. Et l’imagination de la machine israélienne à humilier et à détruire atteint désormais des degrés de sophistication et d’ingénierie inégalés.
Ce ne sont plus les Israéliens qui doivent être sommés de respecter les dispositions du droit international. Ce sont les Palestiniens qui sont requis de s’accommoder de l’occupation, et de démontrer en répondant à des charades à tiroirs – chaque « exigence » de Sharon en cache une autre et ainsi de suite - qu’ils « seront aptes à être « désoccuppés ».
Le terme libération est devenu une insulte. Les Palestiniens sortiront ainsi de l’enfer  lorsqu’ils « deviendront des Finlandais », selon la formule méprisante pour les uns et les autres de Dov Weisglass, le père Joseph d’Ariel Sharon. En d’autres termes aux calendes grecques, ces temps qui ne viendront jamais.
Propos tenus dans une interview publiée à l’automne  2003 par Haaretz, dans laquelle Weisglass expliquait aussi que le fameux « retrait unilatéral » annoncé à grand fracas de Gaza, avait pour objectif de geler définitivement toute possibilité de création d’un Etat palestinien en le plongeant, disait-il textuellement, «dans du formol », ce produit utilisé pour conserver les organes inertes ou les foetus. L’acide formique est un produit dont l’image s’associe à la mort et à la morbidité pathologique. C’est dans du formol raconte la poétesse et journaliste sud-africaine afrikaaner –  blanche - Antje Krog, dans La douleur des mots [1], qu’un commissariat conservait la main coupée d’un supplicié noir au temps de l’apartheid. Ce n’est pas la main, ce n’est pas la langue – «la langue coupée du palestinien » comme le disait dans son effrayante métaphore Itshak Laor [2] – c’est tout simplement la vie des Palestiniens que Dov Weisglass veut plonger dans le formol. Quand la brutalité de l’armée israélienne ne les précipite pas directement dans le néant.
…La vie démocratique est l’une des formes de d’expression de la vitalité, de la vigueur et de l’énergie d’une société. La société palestinienne, fragmentée, disloquée, déchirée par une politique délibérée inscrite dans l’armature même de l’idéologie sioniste, avait réussi à élaborer, y compris dans l’exil, des institutions démocratiques étonnantes, que la propagande israélienne s’est acharnée à tenter de discréditer. Mouvement de libération nationale, l’Organisation de Libération de la Palestine n’a pas connu les dévoiements  « unificateurs par élimination » y compris l’élimination physique, qui ont durablement marqué d’autre mouvements anticoloniaux du même type. Cela gêne sans doute beaucoup. Les institutions palestiniennes de l’exil ont fonctionné même si la vie politique palestinienne a été durement imprégnée par les aléas de l’évolution du Moyen-Orient et du monde depuis plus d’un demi-siècle.
Les élections palestiniennes ( municipales, législatives et présidentielles ) qui se sont déroulées dans les territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza, dans le cadre des accords  d’Oslo – au delà des conditions surréalistes du contexte dans lequel elles ont été tenues - bénéficiaient d’un terrain propice au sein de la société palestinienne. Elles n’avaient pas besoin de la procréation artificielle assistée  au dollar qui semble être devenue le modèle de nouvelles formes d’ingérence impériale, qui dévoient les aspirations démocratiques réelles et profondes des sociétés concernées.
Cahin caha, sous occupation militaire, dans la partie de la Palestine historique que les Palestiniens ont accepté comme territoire de leur futur Etat, sur les décombres des accords d’Oslo, les institutions palestiniennes tentent de maintenir ce souffle démocratique, malgré le souffle de la mort toujours présente, la destruction des maisons et des infrastructures et des sources de la vie, malgré les terres sans cesse confisquées par un mouvement expansionniste israélien, plus que jamais déchaîné, maintenant qu’il bénéficie de son idylle fusionnelle avec l’empire.
Le souffle sinistre de la mort…
Le 4 janvier 2005, au moment où le candidat Mahmoud Abbas se trouve à Gaza pour une tournée électorale,  sept palestiniens qui ramassent des fraises dans une ferme de la localité, parmi lesquels cinq adolescents de seize et dix-sept ans et un enfant de onze ans, sont pulvérisés par un obus de char. Le porte parole de l’armée israélienne affirme comme d’habitude que « les soldats ont pris pour cible un groupe de six à huit activistes, un groupe de terroristes masqués qui se préparait à tirer au mortier ». Le porte parole est un menteur : le lendemain un autre porte parole « présente des excuses », pour ce qu’il est contraint de reconnaître comme une « bavure ». Bavure ?
Non, le souffle sinistre de la mort…
Le culte morbide de la mort est devenu un élément clé pour comprendre la psychologie de masse de l’armée et d’une fraction importante de la société israélienne.
Bien sûr « les tueurs d’enfants sont toujours les Palestiniens, les soldats israéliens ne font que nous défendre » comme l’écrit avec ironie Gideon Levy le 17 octobre 2004 dans Haaretz, en énumérant la liste tragique des trente enfants assassinés au cours des deux premières semaines de l’opération dite « Jours de pénitence » à Gaza. Assassinés dit-il, par une « politique déterminée (…) et la déshumanisation des Palestiniens ». Sans compter l’exhibitionnisme de « soldats » se faisant prendre en photo devant les cadavres de militants palestiniens tués et dénudés, comme l’ont fait les tortionnaires de la prison américaine d’AbouGraib, en Irak. Dans les territoires occupés c’est en effet « feu à volonté » selon les directives directes de l’état-major militaire, comme l’indique Reuven Pedatzur, un autre éditorialiste du même quotidien. Pourquoi s’en étonner lorsque le premier ministre israélien, Ariel Sharon a lui-même renouvelé publiquement sa décision de donner « carte blanche » à l’armée dans les territoires occupés, en recommandant aux militaires, dans la même déclaration, de « faire preuve de sensibilité et de comprendre la douleur des colons »…Doit-on s’attendre à des gestes d’humanité de la part d’un homme au passé si lourd de crimes, et qui n’hésite pas à annoncer publiquement alors que les obsèques de Yasser Arafat sont à peine terminées « son intention de lancer une campagne de propagande pour salir sa mémoire ».
Le souffle sinistre de la mort sur la « société » israélienne…
Un livre impressionnant l’aborde de front. Celui d’Idith Zertal, « la Nation et la Mort , la Shoah dans le discours et la politique d’Israël [3] ». Livre miroir d’une société malade dont on ne sort pas indemne, et sur lequel nous reviendrons.
Ces quelques mots : « Dans cet univers où toutes les significations sont inversées et toutes les projections permises, les peuples conquis deviennent conquérants, les persécuteurs sont transformés en persécutés, les criminels en victimes, et ce monde à l’envers est sanctionné par le sceau suprême d’Auchwitz ». 
En contrepoint, ce fragment d’un discours de Moshe Dayan parlant des Palestiniens : « (…) Pourquoi devrions-nous nous plaindre de la haine féroce qu’ils nous vouent ? Pendant huit ans [le discours est prononcé en 1956] ils ont vécu dans des camps de réfugiés à Gaza, et ils ont contemplé la façon dont, sous leurs propres yeux, nous transformons en notre propre foyer la terre et les villages où eux et leurs ancêtres ont demeuré ».(…). Dayan prononçait l’oraison funèbre d’un colon activiste…qui devait devenir un élément du culte et de la mythologie de la mort dans l’idéologie israélienne.
Le souffle sinistre de la mort qui entretient et renouvelle, dans le froid d’un discours glaçant d’arrogance cynique, les mythes « fondateurs »…
Comment ne pas se rappeler alors ce culte de la mort exalté par le lugubre « Viva la muerte » des fascistes franquistes et surtout, et en dépit de tout, le courage magnifique de Miguel de Unamuno et ses paroles de résistance : « Je viens d’entendre un cri nécrophile et insensé, (…) ce paradoxe barbare est pour moi répugnant. Le général Millan Astray est un infirme.(…). Cervantès l’était aussi. Malheureusement, il y a aujourd’hui en Espagne, beaucoup trop d’infirmes (…) Un infirme qui n’a pas la grandeur spirituelle d’un Cervantès recherche habituellement son soulagement dans les mutilations qu’il peut faire subir autour de lui (…) Vous vaincrez par ce que vous possédez plus de force brutale qu’il n’en faut. Mais vous ne convaincrez pas. Car pour convaincre il faudrait que vous ayez des arguments. Or pour cela il vous faudrait avoir ce qui vous manque : la Raison et le Droit avec vous (…) ». (Rudolf El-Kareh - 31 décembre 2004)
- NOTES :
[1] Actes Sud, Arles, 2004, 404 pages.
[2] REP, N°60, Eté 1996.
[3] Ed. La Découverte, Paris 2004, 290p.
                       
2. Alain Minc : "Cukierman franchit la ligne jaune" propos recueillis par Alexis Lacroix
in Le Figaro du vendredi 18 février 2005
Après les déclarations du du président du Crif sur la politique étrangère de la France - Essayiste, consultant, président d'AM Conseil, auteur de Ce monde qui vient (Grasset), Alain Minc commente les déclarations de Roger Cukierman.
LE FIGARO. – Le discours tenu par Roger Cukierman lors du dîner annuel du Crif, samedi dernier, suscite de vives réactions. Qu'en pensez-vous ?
Alain MINC. – Je suis profondément scandalisé par ces déclarations. Le discours de Roger Cukierman devrait provoquer une indignation beaucoup plus massive. Le juif que je suis n'a vraiment pas l'habitude de se mêler de la vie de ce qu'on appelle la communauté juive. La faute, sans doute à mon penchant instinctif à l'universalisme... Mais la gravité des propos tenus pousse à réagir. Il n'est pas admissible que le président du Crif, au nom de la communauté qu'il croit représenter, ait prononcé des paroles si dénuées de mesure et de maîtrise de soi.
- Etait-ce à ce point impensable de remettre en question certaines préférences de la diplomatie française ?
- De telles interrogations sont bien sûr toujours envisageables, et parfois même souhaitables. Mais pas comme ça! Mais pas sous cette forme accusatoire et, au fond, populiste.
- Que voulez-vous dire ?
- Le président du Crif instruit contre les plus hauts dirigeants français un réquisitoire totalement infondé. Il est absurde et, pour tout dire, grotesque de désigner à la vindicte des juifs français les hommes qui exercent leurs fonctions au sommet de l'Etat. Je ne suis pas suspect de chiraquisme, mais je trouve impeccable l'attitude dont le président de la République n'a jamais dévié depuis dix ans. Roger Cukierman a-t-il oublié que c'est Jacques Chirac qui a eu le courage de nommer une réalité que ses prédécesseurs ont inlassablement déniée: la responsabilité de l'Etat français dans la déportation des juifs français? Le président du Crif n'a-t-il pas observé que, depuis quatre ans, les juifs français trouvent dans le président de la République un homme qui n'accepte aucun accommodement avec l'antisémitisme en ses différentes formes? Que c'est cet homme qui, après avoir prononcé cet été son discours de Chambon-sur-Lignon, a redit, très récemment, contre toutes les tentatives de banalisation de la haine, que l'antisémitisme, cette «perversion», «n'a pas sa place en France»?
- Il y a d'autres arguments dans le discours de M. Cukierman, qui se réfère aussi aux positions «pro-arabes» de la diplomatie, en s'interrogeant sur leurs possibles dérives...
- Un responsable communautaire juif a le droit de poser ces questions. Mais il franchit la ligne jaune quand il suggère que son appréciation de l'action politique de la France est tributaire des analyses israéliennes les moins nuancées. Si l'on voulait réveiller le fantasme antisémite de la «double allégeance», qui empoisonne la relation des Français juifs avec leur pays depuis 1967, on ne s'y prendrait pas autrement. Lorsqu'on s'exprime au nom des Français juifs, on n'est pas comptable des intérêts légitimes de l'Etat d'Israël. Samedi dernier, M. Cukierman s'est comporté comme un ambassadeur in partibus de l'Etat d'Israël.
- Jean-Christophe Rufin, dans le rapport sur l'antisémitisme qu'il a remis au ministre de l'Intérieur, explique lui-même qu'il faut tout tenter «pour rééquilibrer l'appréciation par l'opinion publique de la situation au Moyen-Orient»...
- Roger Cukierman s'est cru autorisé à citer cet extrait du rapport de Jean-Christophe Rufin. Mais – c'est sa troisième et plus lourde erreur –, il en a fait un usage qui n'est pas recevable.
- Pourquoi ? Est-il absurde de s'interroger sur la compatibilité «entre la politique étrangère de la France et la politique intérieure de lutte contre l'antisémitisme» ?
- A condition de ne pas se leurrer sur le diagnostic de fond! Les préférences et les préventions qu'on impute à juste titre à une certaine tradition de la diplomatie française ne sont pour rien dans la fermentation du nouvel antisémitisme. Ce dernier est le produit des errances d'une extrême gauche qui combine anticapitalisme, antiaméricanisme et ressentiment contre les juifs. Tout à son combat contre l'idée qu'il se fait de la diplomatie française, le président du Crif passe totalement sous silence ce «socialisme des imbéciles». Il faudrait tout de même se rappeler aussi que le racisme antiarabe est largement plus répandu en France que l'antisémitisme.
- Ce «précipité idéologique» d'extrême gauche ne peut-il pas trouver un allié de circonstance chez les tenants d'une géopolitique violemment antiatlantiste, inspirée par les thèses de Maurras ou de Bainville ?
- Un axe Dieudonné-Bainville ? Mais non ! La vision du monde d'un Bainville n'exerce plus guère une influence décisive. Roger Cukierman aggrave sa maladresse par l'aveuglement. Il a cru dénoncer les formes contemporaines de l'antisémitisme: il s'est trompé sur leur nature réelle. La matrice de la haine, ce n'est pas tel ou tel avatar de la géopolitique gaullienne, c'est cette réaction antilibérale qui amalgame dans son délire la mondialisation, l'argent et les juifs. Je suis très étonné qu'une faute si manifeste de jugement et une défaillance si patente de discernement n'incitent pas davantage de représentants de la communauté juive à exiger la démission de Roger Cukierman. 
                                       
3. L’ONU : "Les femmes palestiniennes souffrent de carences alimentaires"
in Hürriyet (quotidien turc) du mercredi 16 février 2005
[traduit du turc par Marcel Charbonnier]

New York - Le secrétaire général de l’ONU Kofi Annan affirme dans un rapport consacré à la situation des femmes palestiniennes que les femmes vivant dans les territoires palestiniens sous occupation israélienne souffrent de graves carences alimentaires, particulièrement graves pour les femmes malades et enceintes. Le rapport insiste sur la très grande précarité dans laquelle vivent les Palestiniennes qui ont perdu leur mari.
Dans ce rapport présenté par Kofi Annan à la Commission du Statut des Femmes au sein du Conseil Economie et Social des Nations Unies et à la rédaction duquel l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) a participé, on indique qu’entre octobre 2003 et septembre 2004, 69,7 % des 1 768 femmes palestiniennes dans leur huitième mois de grossesse présentaient des symptômes d’anémie.
La FAO [Organisation de l’Agriculture et de l’Alimentation], agence liée à l’ONU, indique par ailleurs que les restrictions imposées par Israël aux mouvements de marchandises et aux déplacements des personnes en Palestine ont des conséquences très dommageables pour la sécurité alimentaire. Ainsi, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, 73 % des habitants ont fait état de leurs difficultés à se procurer une nourriture satisfaisante, tant en quantité qu’en qualité. La FAO indique que 4 foyers sur 10 connaissent des difficultés dans le domaine de l’alimentation.
Une mortalité néonatale (enfants et parturientes) attribuable à Israël
Le Fonds de la Population (UNFPA) de l’ONU attire quant à lui l’attention sur le fait que les attentes excessives imposées par Israël à ses checkpoints provoquent beaucoup trop de décès, tant de nouveaux nés que de parturientes. L’UNFPA a affirmé que les retards imposés aux déplacements des femmes palestiniennes par les checkpoints font également parfois obstacle au planning familial. 
Le Comité des Droits du Peuple Palestinien indique que les difficultés rencontrées par les femmes palestiniennes dans leur vie quotidienne n’ont cessé d’augmenter, en particulier pour celles d’entre elles dont les conjoints sont décédés, prisonniers ou au chômage. Rappelons qu’entre septembre 2000 et septembre 2004, plus de 2 600 hommes, plus de 650 enfants et plus de 250 femmes ont été tués en Palestine.
Il est indiqué dans le rapport que le ministère des Questions Féminines, récemment institué, s’attachera notamment à améliorer l’emploi féminin : aujourd’hui, 11 % seulement de la main-d’œuvre féminine palestinienne est employée.
L’Organisation International du Travail [OIT] indique pour sa part que les traditions propres à la société palestinienne, qui voient d’un mauvais œil le travail des femmes, représentent l’obstacle principal à l’emploi salarié des femmes palestiniennes.
                                   
4. Hariri, Damas, Tel-Aviv et Téhéran par Richard Labévière
on Radio France internationale le mardi 15 février 2005
Quelque soit leur appartenance confessionnelle, tous les Libanais ont vécu la disparition de Rafic Hariri comme la remise en cause la plus radicale de la reconstruction, sinon de la résurrection de leur pays après quinze ans d'une guerre régionale fratricide.
En effet, l'ancien Premier ministre libanais incarne non seulement la reconstruction de Beyrouth, mais aussi la signature des accords de Taëf qui ont mis fin en 1989 à la guerre du Liban. S'attaquer à un tel symbole, c'est bien évidemment spéculer sur le redémarrage morbide de la machine confessionnelle, c'est, bien évidemment ré-ouvrir la boîte de Pandore du fractionnisme communautaire sinon communautariste.
Le premier examen des modalités pratiques de l'attentat est édifiant: une charge explosive de 350 kilos placée dans les canalisations d'égout et dotée d'un dispositif de mise à feu très sophistiqué, échappant au système de détection radar dont était équipées les voitures de tête et de queue du convoi. En trois mots: une opération militaire lourde estiment plusieurs services spécialisés, une opération qui ne peut être que le fait d'un Etat, sinon d'appareils d'Etat estiment les mêmes sources. Et s'ils peuvent toujours sous-traiter ce type d'opération avec des organisations terroristes transnationales, trois Etats sont, aujourd'hui, capables de mettre sur pied une telle opération en plein cœur de Beyrouth:
- Tous les soupçons se tournent prioritairement et spontanément vers la Syrie. Mais le plus probable n'est pas toujours le plus crédible. Une telle initiative se révèlerait, actuellement proprement suicidaire pour Damas qui se placerait non seulement encore un peu plus dans le collimateur de Washington, mais qui renoncerait, surtout à ses indispensables soutiens financiers et politiques saoudiens, autre façon de se tirer dans le pied...
- En second lieu, on ne peut pas ne pas examiner l'hypothèse d'une opération des services israéliens passés maître dans l'exécution de ce type d'opération sophistiquée. Historiquement, le dérivatif libanais a permis à Tel-Aviv de contourner - à plusieurs reprises - les difficultés du face à face israélo-palestinien. Et il est parfaitement clair qu'une nouvelle déstabilisation du Liban, voire de la Syrie rendrait inapplicable la Feuille de route, sinon le retrait annoncé de Gaza.
En troisième lieu, il faut se tourner vers Téhéran, actuellement engagé dans une triple confrontation avec les Etats-Unis, l'Union européenne et son vieil adversaire sunnite. L'installation d'un pouvoir chi'ite en Irak ravive le bras de fer toujours latent entre Riyad et Téhéran, une confrontation de mille ans.
Hier soir, Anis Naccache, ex-activiste proche de Téhéran expliquait sur la chaîne quatarienne al-Djazira qu'il faut prendre au sérieux la revendication d'une organisation inconnue qui se fait appeler «la victoire et le Jihad en grande Syrie». Cet éclairage comme d'autres commentaire d'Al-Djazira interprètent la mort de Rafic Hariri comme une conséquence des interventions américaines dans la région, nous ramenant au différend principal qui oppose aujourd'hui Washington et Téhéran.
Dans tous les cas de figure, cet assassinat ouvre encore un peu plus les portes de l'enfer proche-oriental.
                                   
5. Interview d’Hanna Siniora : "Le tournant résulte de nos élections (totalement) libres" propos recueillis par Umberto De Giovannangeli
in L’Unità (quotidien italien) du mercredi 9 février 2005
[traduit de l’italien par Marcel Charbonnier]
« Sharm el-Sheikh est le premier fruit du « printemps » de la démocratie qui a porté, le 9 janvier, la grande majorité des Palestiniens à utiliser l’ « arme » du bulletin de vote contre la folie destructrice des kamikazes. Abou Mazen a tiré force et légitimité de cette investiture populaire. Mais le cessez-le-feu doit être immédiatement suivi par le redémarrage très rapide du processus de paix tous azimuts. Le facteur temps est en effet essentiel. Nous ne devons pas laisser aux ennemis du dialogue le temps d’organiser une nouvelle offensive de terreur ». Tel est le jugement exprimé, à chaud, par Hanna Siniora, directeur de la revue Jerusalem Times, représentant de l’aile réformatrice de la direction palestinienne, l’un des promoteurs de l’ « Initiative de Genève », ce plan paix mis au point par des hommes politiques, des intellectuels, des militaires… israéliens et palestiniens.
- Sans les élections du 9 janvier, dans les Territoires, Sharm el-Sheikh était-il concevable ?
- « Sans doute : non. La paix et la démocratie vont de pair, et la démonstration de leur maturité apportée le 9 janvier dernier par les Palestiniens est d’autant plus significative qu’il faut tenir compte du fait que l’on a voté sous occupation, et que ces élections représentent une « première » sans aucun précédent dans le monde arabe. Abou Mazen a tiré sa force de cette investiture populaire, et non plus, en tous cas plus seulement, des ouvertures de crédit accordés par la communauté internationale… »
- Et par Israël…
- « Sans aucun doute. Même si Sharon a tout de suite compris clairement, y compris lors du récent sommet, de quel bois est fait Mahmoud Abbas… »
- Pouvez-vous être plus explicite ? De quel « bois » s’agit-il ?
- « Du bois d’un négociateur tenace, qui sait faire valoir ses arguments à la table des négociations et des tractatives. Abou Mazen n’est pas quelqu’un qui pratique un double jeu, il croit réellement dans le dialogue, et il a fait preuve d’un grand courage en dénonçant, à plusieurs reprises, y compris durant la campagne électorale, les dégâts provoqués par la dérive militariste de l’Intifada. Il veut traiter, mais il ne conçoit pas la négociation comme une ratification des rapports de force enregistrés sur le terrain. Israël se tromperait gravement s’il prenait la disponibilité d’Abbas pour le dialogue pour du défaitisme de sa part. Sur des points cruciaux, Abou Mazen n’est pas disposé à signer des accords au rabais. »
- Parmi les questions cruciales, sur la table des négociations, il y a le droit au retour (des réfugiés). L’alternative est-elle entre le renoncement pur et simple et la mise en œuvre mécaniste ?
- « Plus que de renoncement, je parlerais de reformulation de ce droit, dans son application concrète. Dans le « Pacte de Genève » est énoncée une vérité historique, qui établit que le problème des réfugiés est un problème politique et non pas une question simplement humanitaire. Concrètement, [dans ce projet] des compensations économiques sont prévus et on reconnaît le droit des réfugiés et de leurs familles à s’installer dans l’Etat palestinien ».
- Et en échange, les Palestiniens reconnaissent à Israël le droit à l’existence en tant qu’Etat juif ?
- « L’option pour les deux Etats est une alternative à la réalisation d’un Etat unique et binational. A ce propos, il faut prendre acte du fait que le maintien de l’identité juive de l’Etat d’Israël restera un des points clés, dans tout accord de paix. »
- Est-ce là une approche à laquelle y compris Abou Mazen est susceptible de souscrire ?
- « Dans le contexte d’un accord de paix global, je pense que oui. »
- A votre avis, la paix peut-elle être importée de l’extérieur ?
- « La pression internationale est très importante, elle est même fondamentale, et elle doit être sollicitée en particulier dans un moment crucial comme celui que nous sommes en train de vivre. Toutefois, cette pression, à elle seule, ne saurait suffire. C’est pourquoi il faut multiplier les efforts afin de construire et d’enraciner un mouvement venu de la base. La diplomatie des peuple n’est pas moins importante que celle des gouvernements. »
- Au Moyen-Orient, « communauté internationale », cela signifie avant tout « Etats-Unis »… Vous avez relevé un changement, dans l’attitude de la Maison Blanche ?
- « La mission du nouveau secrétaire d’Etat Condoleezza Rice semble démontrer la volonté qui est celle du président Bush de raccourcir les temps de la négociation et de marquer sa deuxième mandature par un résultat historique : la paix entre Israéliens et Palestiniens. Une paix fondée sur le principe de deux Etats pour deux peuples. Unis par un destin commun et un choix partagé de la démocratie. »
                                 
6. Entretien avec Mahmoud Ould Mohamedou, Directeur-adjoint à l’université de Harvard : "Mensonges, dérapages et intoxication" propos recueillis par Hichem Ben Yaïche
in Le Quotidien d'Oran (quotidien algérien) du dimanche 6 février 2005
(Arabe d’origine mauritanienne, Mahmoud Ould Mohamedou est directeur adjoint du programme de politique humanitaire et de recherches sur les conflits de la prestigieuse université de Harvard. Il vient de publier en France une contre-enquête sur les attentats du 11 septembre [Dans le prochain Point d'information Palestine, nous vous présenterons "Contre-Croisade - Origines et Conséquences du 11 Septembre" de Mahmoud Ould Mohamedou paru aux éditions de L'Harmattan ] .)
La qualité de son travail, les propos iconoclastes et les analyses dérangeantes développées dans son ouvrage méritent le détour. C’est le premier regard arabe sur cet événement dont les conséquences ne cessent d’être d’actualité. Il explique ici, avec une réelle liberté de ton, les dessous des cartes. Entretien.
- Avant d’être publié aux éditions L’Harmattan, quel a été l’accueil des autres maisons d’édition au contenu de «Contre-Croisade - Origines et Conséquences du 11 Septembre» ?
- Mahmoud Ould Mohamedou : Il était prévisible qu’un ouvrage qui s’attelle à traiter d’une question essentiellement politique, et bordée de non-dits culturels, comme celle des opérations du 11 septembre 2001 et leurs implications, fasse l’objet de réticences de la part des grandes maisons d’édition parisiennes. La plupart ont poliment décliné de le publier. Certains ont marqué leur intérêt, mais exprimé des réserves équivalentes à de la censure, ce que je ne saurais accepter. Toute l’idée de cet ouvrage est de briser le tabou sur ce débat et analyser, de manière clinique, la nature profonde du conflit révélé depuis septembre 2001. Une autre dimension-clé est qu’alors même qu’ils sont les premiers concernés, les intellectuels arabes et musulmans n’ont droit de voix au chapitre que lorsqu’ils adoptent un discours d’Oncles Tom. Face à la propagande, aux mensonges, aux dérapages et à l’intoxication - et en l’absence de véritables enquêtes -, quelques rectificatifs s’imposaient.
- Pourquoi avoir choisi, malgré de nombreux autres ouvrages, de faire une contre-enquête sur les attentats du 11 septembre 2001 ?
- M.M.: Les attaques contre les Etats-Unis ont constitué un véritable tournant dans les relations internationales. Peu d’événements ont eu, dans l’histoire récente, un impact aussi fort et aussi durable. Malgré la surmédiatisation de l’événement, il demeure paradoxalement beaucoup d’ignorance sur ce sujet. Il me semblait, alors, important de reconstruire et retracer minutieusement, dans la première partie du livre, les faits et les analyser objectivement. La plupart des questions relatives au 11 septembre n’ont, en effet, pas encore été posées rationnellement et objectivement, ce qui n’a cessé de favoriser ambiguïtés et conjectures. La compartimentalisation et la rétention d’informations, la systématique répétition d’informations invérifiables, l’exagération et la complicité des grands médias américains et européens auront permis de «vendre» une version simplifiée des origines et conséquences du 11 septembre à une opinion américaine à l’attention limitée et une opinion internationale pour laquelle ces événements n’ont pas la même importance. Un sentiment anti-arabe, autrefois latent, est désormais affiché en Europe et en Amérique du Nord, et la griserie de l’action militaire en Afghanistan et en Irak a fait le reste. Avec plus de superficialité et de sentimentalisme que de connaissance du problème, on ne cesse de répéter, ici et là, des lieux communs sur «le terrorisme islamique», sur «les fous de Dieu» et leur «haine de l’Occident». De fait, il était temps de dire ce que quelques-uns savent, ce que beaucoup pressentent, et qui, quatre ans après, sous-tend encore la situation internationale.
- Dans votre livre, vous avez pris le temps de vous attarder sur les faits, suivant une grille de lecture anglo-saxonne - les faits d’abord, le commentaire après -, quels sont les «trous noirs» des attentats du 11 septembre ? Qu’est-ce qu’on a essayé de cacher et pourquoi ?
- M.M.: Votre remarque est juste, ce choix est délibéré car il me semble étonnant qu’en France, les ouvrages sur l’actualité politique sont peu regardants sur les sources et dénotent souvent un manque de rigueur professionnelle. Cette approche ne devrait d’ailleurs pas forcément être l’apanage des Anglo-Saxons. Je pense que la précision et la clarté dans les informations, surtout lorsqu’elles sont aussi conséquentes, sont impératives. C’est la même approche que j’avais adoptée pour mon précédent ouvrage sur l’Irak et la guerre du Golfe (Iraq and the Second Gulf War: State-Building and Regime Security, 2001). La méthode, «un exposé pour comprendre, un essai pour réfléchir», permet au lecteur d’aborder l’analyse, ayant, au préalable, été parfaitement informé. Pour ce qui est des zones obscures et ce qui s’est réellement passé le 11 septembre, il demeure, indéniablement, des éléments à clarifier. Je les aborde en détail dans l’ouvrage. Les historiens de l’avenir s’étonneront sans doute que - premier conflit à être internationalement médiatisé en temps réel - le 11 septembre est fort rapidement devenu un événement sur lequel subsiste un grand nombre de mystères. Je dirais que ces derniers concernent moins quelques conspirations que des aspects de la réaction américaine, en particulier les avions à destination de Washington. Après quatre ans de recherches poussées sur le sujet, je considère que nous ne connaissons pas toute la vérité. Aujourd’hui ceux qui ont intérêt à cacher certaines informations contrôlent encore une partie du pouvoir au Pentagone ou ailleurs. Mais, puisque le pouvoir change de main, ce n’est qu’une question de temps avant que certains éléments fassent surface.
- Qu’est-ce qui vous a le plus frappé dans la série de portraits des kamikazes ? Comment en sont-ils arrivés là ? Par quel processus mental et culturel ?
- M.M.: Je pense que les approches cherchant à diagnostiquer le «profil psychologique» des assaillants sont erronées et dénotent quelque paternalisme. Ces jeunes hommes, éduqués, modernes, redoutablement efficaces étaient - comme un certain nombre d’entre eux l’ont déclaré de vive voix dans des testaments filmés, diffusés plus tard sur la chaîne de télévision Al Jazira - simplement (mais cette simplicité fait précisément partie des tabous) motivés par un sentiment d’injustice à l’égard de la politique américaine vis-à-vis du monde arabe et musulman. Le fait qu’ils soient passés à l’action représente précisément ce changement de paradigme que la guerre actuelle entre le gouvernement américain et Al-Qaïda constitue. Le processus mental que vous mentionnez est à la fois simple et complexe, c’était d’ailleurs le titre original de l’ouvrage: «l’impulsion de l’évidence». Ce sentiment est très présent chez nombre d’Arabes et de musulmans, aujourd’hui, car il n’y a rien de plus frustrant qu’avoir à expliquer et convaincre de ce que l’on ressent dans sa chair comme évident.
- Soixante mille personnes ont été formées, entraînées et encadrées par Al-Qaïda. Disposons-nous aujourd’hui d’une cartographie détaillée de tous ces éléments dispersés dans la nature ? Avons-nous les moyens d’en venir à bout ? Surtout après la mise en commun de la base de données de quelque soixante pays...
- M.M.: Al-Qaïda est un phénomène nouveau dans le champ des relations internationales. Toute la portée de son apparition fracassante sur la scène mondiale n’a pas encore était entièrement saisie. C’est moins la dimension quantitative - le nombre des attentats ou le chiffre de ses combattants formés entre 1995 et 2001 qui oscille effectivement entre vingt et soixante-dix mille hommes - que l’aspect qualitatif lié au nouveau type de conflit dont elle participe. L’approche de cette formation comme d’une simple organisation criminelle, que l’administration américaine et ses alliés combattent, est trompeuse. Ce n’est pas de quelques brigands qu’il faudrait simplement appréhender qu’il s’agit. Aujourd’hui le droit international fait face au défi de définir les paramètres d’un nouveau type de guerre entre une entité sub-étatique transnationale qui a l’intention politique déclarée et les moyens militaires avérés de mener le combat globalement et de remporter des victoires tactiques. Le mouvement est une structure ouverte et les cellules se multiplient de manière spontanée et indépendante, comme on l’a vu à l’automne dernier avec la demande de ralliement du groupe d’Abou Moussab el Zarqawi. Le Pentagone qui commence à réaliser la nature du danger se rend compte de la difficulté qu’il aura à empêcher d’éventuelles cellules d’apparaître aux Etats-Unis ou de pénétrer en provenance du Canada ou du Mexique avec des papiers parfaitement en règle.
- L’explication qui revient comme une sorte de leitmotiv dans la bouche des dirigeants US: «les terroristes haïssent notre mode de vie et notre démocratie». Vous qui vivez aux Etats-Unis, comment analysez-vous ce discours ?
- M.M.: C’est là une question importante, que je traite longuement dans l’ouvrage, et qui a trait à la délégitimisation de l’ennemi. Les membres du commando du 11 septembre 2001, Oussama Ben Laden, Aymen el Zawahiri et tous ceux qui luttent militairement contre les Etats-Unis ont communiqué, à maintes reprises, leurs motivations, qui n’ont rien à voir avec le mode de vie occidental - aussi détestable puisse-t-il être. Les attaques et la guerre sont motivées par des éléments éminemment politiques: la présence américaine au Moyen-Orient et le soutien politique et militaire à un Israël prédateur. Le gouvernement américain et les intellectuels, ici et en Europe, je pense à la troïka André Glusckmann-Alain Finkelkraut-Bernard Henry-Levy qui fait main basse sur toutes ces questions en France par exemple, cherchent simplement à égarer l’opinion publique sur les raisons du conflit. La question de fond est assez simple pourtant. C’est la même qui a motivé Mohamed Atta et son commando: le sentiment d’impuissance face à l’injustice continue perpétrée par les Etats-Unis et Israël. Seul cet argument doit être retenu. A nouveau, il est malheureux de voir des commentateurs arabes reprendre maladroitement ce discours (Mohamed Sifaoui et Tahar Ben Jelloun, par exemple) qui, par la même faiblesse qui caractérise les dirigeants arabes, se sentent obligés de condamner d’un même mouvement les réactions de ceux qui subissent l’injustice. La confusion est telle que certains sont poussés à croire que si les Etats-Unis ont été attaqués le 11 septembre 2001, c’est parce qu’il n’y a pas de démocratie dans le monde arabe.
- Dans la seconde partie de votre livre, vous considérez que les Etats-Unis d’Amérique sont entrés dans une guerre de civilisations avec le monde musulman. C’est un argument que vous développez en multipliant les citations et les exemples. Pourtant, cette théorie est-elle vraiment justifiable ?
- M.M.: Malheureusement, oui. J’en suis convaincu et, n’en déplaise aux internationalistes cosmopolites, les faits en attestent. Ce que le gouvernement américain appelle «la guerre contre le terrorisme» (un non-sens sémantique et juridique) est une croisade moderne à peine dissimulée - qui n’est d’ailleurs que dans son premier mouvement. Les soupçons d’une campagne régionale imminente qui commencerait par le bombardement des installations nucléaires iraniennes (à partir de l’été ou l’automne 2005) ont été confirmés il y a quelques jours par le journaliste Seymour Hersh dans le magazine The New Yorker. Aujourd’hui, avec le retour du colonialisme en Afghanistan et en Irak, la stigmatisation de l’Islam, la criminalisation des communautés musulmanes en Occident et la rationalisation de toutes ces actions par un grand nombre d’intellectuels occidentaux, à quelques exceptions près, il est impératif de prendre acte de cette réalité et comprendre que la période qui s’ouvre - un nouveau mandat pour George W. Bush, poursuite de la guerre en Irak et décès du Président Yasser Arafat - ne fera que confirmer ces dynamiques. Cette disposition confrontationnelle de l’Occident à l’égard des musulmans n’en finit pas de se décliner à travers des politiques américaines et israéliennes plus que jamais hégémoniques, ouvertement quasi racistes, bafouant le droit international, restant obstinément sourdes aux appels de la communauté internationale, et dont la négligence criminelle contredit et le discours universalisant humanitaire et l’éthique démocratique dont il se prévaut. Parce qu’ils ont récolté la tempête du vent d’injustice qu’ils ont semé de par le monde, les Etats-Unis ont décrété une guerre contre l’Islam qui ne dit pas son nom. C’est à ce nouveau conflit que les Arabes et musulmans doivent aujourd’hui faire face.
- Le Grand Moyen-Orient vit à l’heure de la «démocratie héliportée» made in US, comme dit une partie de la presse arabe. Vous qui êtes un universitaire de Harvard, comment jugez-vous cette vision américaine de la démocratie ? S’agit-il ici d’un scénario de politique-fiction ?
- M.M.: Le Grand Moyen-Orient est une notion américaine héritière des processus de refaçonnement dans lesquels le Foreign Office britannique se spécialisait au début du siècle dernier. Au Mashreq et au Maghreb arabe, des régimes dictatoriaux, qui n’en finissent pas de déposséder leurs populations, se sont accommodés du nouveau diktat américain. C’est bien entendu de politique-fiction qu’il s’agit, puisque ni les uns ni les autres ne sont animés d’intentions de libéralisation politique. Quant à la méthode américaine, de son illégitimité originelle aux crimes et chaos auxquels elle a abouti en Irak, nous avons, malheureusement, eu l’occasion de la voir à l’oeuvre. Que l’Irak domine ses misères, que les Etats-Unis n’en ressentent point de rancoeur, ce serait cela l’essentiel. Le reste est subordonné. Mais nous n’y serons qu’après de longues années de souffrances pour les peuples arabes et musulmans.
- Depuis la réélection de Bush, celui-ci dit et répète qu’il ne changera pas de cap et appliquera jusqu’au bout sa politique étrangère... Etes-vous inquiet par cette perspective ? Et comment analysez-vous les conséquences de l’antiaméricanisme dans le monde arabo-musulman ?
- M.M.: Imaginer, un instant, que le président américain puisse modérer ses ardeurs serait une sérieuse erreur d’appréciation. Il était parfaitement prévisible que, peur et consensus mou de la population des Etats-Unis aidant, une fois réélu il allait poursuivre son dessein politique. Les premières nominations et limogeages polis ont d’ailleurs confirmé cette tendance qui ira en s’affermissant, avec une probable campagne de surenchère (dont la forme surprendra peut-être). Pour autant, les guerres américaines ne régleront rien et seront probablement des défaites. Elles procèdent, en réalité, d’une politique contre-productive sous-tendue par une logique émotionnelle, presque hystérique et reflétant la frustration de la première puissance du monde qui n’arrive pas à convaincre diplomatiquement ni asseoir définitivement sa domination militaire et qui a perdu presque tous ses alliés européens. De plus, le jeu politicien de surenchère à Washington entre l’exécutif et le Congrès impose au pays une position inflexible irrationnelle. Pour ce qui est des conséquences pour l’Amérique de ces décisions historiques, je crains fort qu’elles ne soient très lourdes à moyen et long terme. En normalisant la répression des Arabes, les autorités américaines auront irrigué le champ international d’une violence sans impunité s’exerçant principalement aux dépens de sociétés désemparées. A l’évidence, cela ne saurait rester sans retour de bâton comme on l’a vu avec le 11 septembre.
                                   
7. Scénarios pour une paix improbable par Roger Cohen
in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 6 février 2005
L'un des patrons des services de renseignements de l'État hébreu évalue les chances d'un hypothétique règlement israélo-palestinien.
Ce qui suit est un résumé des principales questions de sécurité nationale auxquelles Israël est confronté. Il est l'oeuvre de l'un des patrons des services de renseignements de l'État hébreu. Le responsable en question est pessimiste par tempérament, mais aussi parce qu'il est payé pour imaginer les pires scénarios. Mais l'histoire du demi-siècle écoulé suggère qu'au Moyen-Orient le pessimisme n'est rien d'autre que le réalisme. Voici comment cet officier voit la situation sécuritaire en 2005.
« La décision de démanteler les colonies à Gaza est irrévocable. La société israélienne s'est divisée en deux camps : ceux qui sont hostiles à cette entreprise et ceux qui, tout en pensant qu'elle est nécessaire, ne l'apprécient pas. L'opération aura néanmoins lieu, et les risques qu'elle implique ne doivent pas être sous-estimés.
Imaginons le scénario suivant. Nous avons entrepris d'évacuer cinq mille habitants des colonies de Gush Katif, au sud de Gaza. Les colons sont rejoints par quinze mille sympathisants venus des quatre coins du pays. Des enfants pleurent, des femmes hurlent, des hommes crient. L'évacuation, réalisée à l'aide de camions et d'autobus, mobilise des milliers de policiers et d'officiers. Au milieu de cette pagaille, des obus de mortier sont tirés depuis Khan Yunis, la ville palestinienne voisine, peut-être par une faction soucieuse de renforcer l'impression que nous partons sous le feu. Dix Israéliens sont blessés. Dans ces conditions, pouvons-nous poursuivre l'exécution du plan ?
Des problèmes peuvent se poser avant même d'en arriver là. Le gouvernement a arrêté sa décision de se retirer de Gaza, mais les citoyens concernés n'ont encore reçu aucune notification officielle. Il n'est pas exclu que des gens qui vivent là depuis un quart de siècle reçoivent l'injonction écrite de quitter les lieux avec un préavis de trois mois. Ils s'adresseront alors à la Cour suprême, dont la décision est incertaine.
La détermination du Premier ministre est telle que nous devons mener à bien l'opération, peut-être en septembre, quels que soient les obstacles. Beaucoup sont convaincus que notre sécurité s'améliorera par la suite, à tout le moins dans la zone de Gaza, parce que les Palestiniens n'auront plus de raison de nous combattre. Cette hypothèse est dangereuse.
L'absence de Gaza de nos forces armées et de nos services de renseignements peut conduire à un renforcement de la capacité militaire des Palestiniens. Je pense aux roquettes à longue portée et au trafic clandestin de missiles sol-air à partir de l'Égypte... L'hypothèse qu'une ville côtière comme Ashkelon soit frappée n'est pas à écarter. Comment, alors, pourrions-nous riposter ?
Si Mahmoud Abbas parvenait à transformer l'Autorité palestinienne, à en faire une institution forte, sur laquelle on puisse compter, il serait possible d'envisager une action résolue pour mettre fin aux attaques. Mais nous sommes convaincus qu'il n'existe pas de pouvoir capable de démanteler les groupes terroristes, à commencer par le Hamas. Les pressions du Hezbollah, de l'Iran et de la Syrie pour maintenir une pression militaire sur Israël seront sans nul doute insistantes. Le maximum qu'Abbas pourra obtenir sera une trêve. Laquelle ne pourra que compliquer notre situation politique.
Retenons l'hypothèse de l'accalmie. Les Palestiniens, soutenus par les Européens et le monde arabe, diront : vous voyez, tous les problèmes viennent de l'occupation israélienne. Il suffirait qu'Israël fasse en Cisjordanie ce qu'il a fait à Gaza, qu'il se retire au-delà des frontières de 1967, pour que le conflit prenne fin. Nous, nous savons que tout cela est illusoire, mais notre point de vue est loin d'être partagé. C'est illusoire parce que de nombreux Palestiniens rêvent encore d'un État qui, loin de cohabiter avec Israël, prendrait tout simplement sa place. Abbas ne manquerait pas de moyens pour faire pression sur nous.
Il pourrait invoquer la mise en place d'une démocratie palestinienne qui ne serait assurément pas pire que celle pratiquée dans le monde arabe, l'assainissement des finances publiques, la réorganisation des services de sécurité... Il pourrait souligner que les armes se sont tues... Il pourrait rappeler au président George W. Bush sa déclaration sur l'existence d'un État palestinien en 2005... Il se pourrait même qu'il soit pressé. C'est alors que les complications vont commencer parce que, nous, nous ne le sommes pas.
La feuille de route est claire. Le chemin de la paix qu'elle trace diffère des accords d'Oslo sur un point crucial. Avec Oslo, c'est la paix qui était censée conduire à la sécurité. Avec la feuille de route, c'est l'inverse : la sécurité vient en premier et la paix ensuite. Tant que notre sécurité ne sera pas garantie, nous ne discuterons pas d'une solution politique. Nous ne sommes pas en présence d'une décision des Palestiniens de renoncer à toute forme de violence, conçue comme le moyen d'atteindre un objectif politique. Dans ces conditions, une trêve ou un cessez-le-feu ne suffisent pas. Nous voulons qu'Abbas arrête, juge et condamne à la prison à perpétuité les militants qui ont tué des Israéliens - ce qui n'est jamais arrivé. Nous voulons qu'une loi interdise le port d'armes. Tant que le démantèlement des cellules terroristes palestiniennes n'aura pas eu lieu, nous devons résister aux pressions visant à nous amener à la table des négociations, en vue d'un règlement définitif. On pourrait penser que la route vers la paix est désormais ouverte, mais ce n'est pas aussi simple.
Malgré mon pessimisme, je perçois néanmoins quelques signes d'espoir. Le Hamas a été affaibli. Jusqu'ici, 70 % de ses fonds provenaient de l'Arabie saoudite. La manne s'étant récemment tarie, il s'est tourné vers l'Iran, avec un certain succès. Mais, comme tout business, une organisation terroriste a besoin d'argent pour réussir. Or le Hamas est aujourd'hui moins bien pourvu.
Par ailleurs, les deux parties ont compris la nécessité de parvenir à un compromis sur les territoires et, notamment, sur Jérusalem. Le fossé qui les sépare s'est réduit. Un leadership crédible existe des deux côtés. Le soutien de Washington, de l'Égypte, de la Turquie est acquis. Si les Palestiniens acceptent l'idée d'un État avec des frontières provisoires, - dans le cadre d'un accord qui ne soit pas définitif -, nous pouvons aller de l'avant.
Abbas a compris que, dans le monde de l'après-11 Septembre, la violence est contre-productive. Le prix en est trop élevé. On doit le croire lorsqu'il s'oppose à la militarisation de l'Intifada. Mais qu'en est-il de sa force réelle et de sa marge de manoeuvre sur des questions comme le droit au retour des réfugiés palestiniens ?
En conclusion, je ne vois pas de solution au conflit israélo-palestinien dans un avenir prévisible. Mais nous devons, si nous voulons être réalistes, entrer dans une période d'accalmie marquée par la volonté de coopération et l'intention sincère de résoudre les problèmes. C'est le meilleur scénario possible : non pas un accord de paix, mais plusieurs accords qui vont dans le sens de la paix.
Quoi qu'il en soit, parce que les Palestiniens vont vouloir obtenir davantage, et parce que nos calendriers ne sont pas synchronisés, il sera, comme toujours, difficile d'éviter le pire. »
                               
8. Conflit israélo-palestinien : "Il faut aller très vite en besogne", selon Leïla Shahid
Dépêche de l'Agence Associated Press du jeudi 3 février 2005, 10h45

PARIS - «Il faut aller très vite en besogne» dans la mise en oeuvre du processus de paix, car le temps est «très vite remplacé par la violence», a plaidé jeudi matin la déléguée générale de la Palestine en France, Leïla Shahid.
«Je crois qu'aujourd'hui, il faut aller très vite en besogne, si on veut profiter de cette petite opportunité», c'est-à-dire «un nouveau président palestinien, un nouveau gouvernement israélien, une nouvelle administration européenne et, je pense, une nouvelle relation euro-américaine», a-t-elle observé sur LCI.
«Si nous voulons profiter de ce moment, il ne faut pas perdre du temps parce que le temps est très vite remplacé par la violence, parce qu'il y a une occupation militaire qui continue pour les Palestiniens», a-t-elle souligné.
«Je pense qu'après 56 années de conflit et 38 années d'occupation militaire, on ne peut pas dire qu'on aille vite», a renchéri la représentante palestinienne. «Au contraire, on a perdu beaucoup de temps. C'est une des raisons pour lesquelles nous avons vécu les quatre dernières années qui ont été tragiques pour les Palestiniens, mais aussi pour les Israéliens».
Selon elle, si le Premier ministre israélien Ariel Sharon «a la volonté politique, il a les moyens aujourd'hui d'aller très loin». Il «est depuis plusieurs années l'homme qui a le plus les moyens réellement de rentrer dans un processus de paix, car il est l'homme qui aujourd'hui a un gouvernement qui a la majorité de l'opinion: 70% des Israéliens soutiennent le retrait de Gaza, c'est très important».
Par ailleurs, elle a dit attendre de la rencontre entre Ariel Sharon et le président de l'Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, prévue mardi prochain en Egypte, la «mise en oeuvre de la feuille de route» élaborée par le Quartet «Etats-Unis, Russie, Union européenne, Nations unies».
Enfin, elle a réagi au discours du président américain George W. Bush sur l'état de l'Union, qui a promis l'aide des Etats-Unis pour parvenir à l'objectif de «deux Etats démocratiques vivant côte à côte en paix». «Nous avons trop cru jusqu'à maintenant toutes les promesses pour uniquement nous contenter d'encore un voeu».
Cette promesse est «importante», «puisque pendant son premier mandat, le président Bush ne s'est pas du tout intéressé au conflit israélo-palestinien et encore moins à la création d'un Etat palestinien. J'espère que les actes suivront les paroles».
                               
9. Le négationnisme colonial par Olivier Le Cour Grandmaison
in Le Monde du mercredi 2 février 2005

(Olivier Le Cour Grandmaison enseigne à l'université d'Evry-Val-d'Essonne et au Collège internationnal de philosophie.)
La récente polémique provoquée par les déclarations obscènes de Jean-Marie Le Pen sur le massacre d'Oradour-sur-Glane et le rôle de la Gestapo pendant l'Occupation occulte un autre négationnisme qui, portant sur la période coloniale, prospère allégrement aujourd'hui.
Mercredi 5 mars 2003. Conformément aux règles de la procédure législative, la présidence de l'Assemblée nationale enregistre ce jour-là la proposition de loi n° 667 déposée par de nombreux députés. Parmi eux se trouve Philippe Douste-Blazy, aujourd'hui ministre de la santé.
Les attendus de cette loi, comme le texte lui-même, sont brefs ; ils sont ainsi rédigés : "L'histoire de la présence française en Algérie se déroule entre deux conflits : la conquête coloniale, de 1840 à 1847, et la guerre d'indépendance qui s'est terminée par les accords d'Evian en 1962. Pendant cette période, la République a cependant apporté sur la terre d'Algérie son savoir-faire scientifique, technique et administratif, sa culture et sa langue, et beaucoup d'hommes et de femmes, souvent de condition modeste, venus de toute l'Europe et de toutes confessions, ont fondé des familles sur ce qui était alors un département français. C'est en grande partie grâce à leur courage et leur goût d'entreprendre que le pays s'est développé. C'est pourquoi (...) il nous paraît souhaitable et juste que la représentation nationale reconnaisse l'oeuvre de la plupart de ces hommes et de ces femmes qui par leur travail et leurs efforts, et quelquefois au prix de leur vie, ont ! représenté pendant plus d'un siècle la France de l'autre côté de la Méditerranée."
Suit l'article unique de cette proposition de loi, présenté par Jean Leonetti, député UMP des Alpes-Maritimes : "L'oeuvre positive de l'ensemble de nos concitoyens qui ont vécu en Algérie pendant la période de la présence française est publiquement reconnue." Sereinement exprimé au coeur des institutions par des parlementaires sûrs de leur fait et de leur bon droit, ce stupéfiant négationnisme soutient une histoire édifiante que les signataires de ce texte voudraient, en plus, sanctionner par un vote pour en faire une "vérité" officielle engageant la nation et l'Etat.
Envers et contre toute vérité historique, ces représentants défendent le mythe d'une colonisation généreuse et civilisatrice conforme aux idéaux que la France est réputée avoir toujours défendus en cette terre algérienne. Qu'a fait l'actuelle opposition pour porter à la connaissance du public cette scandaleuse proposition de loi et répondre à ceux qui en ont pris l'initiative ?
Oubliés donc les centaines de milliers de morts, civils pour la plupart, tués par les colonnes infernales de Bugeaud et de ses successeurs entre 1840 et 1881, entraînant une dépopulation aussi brutale que spectaculaire au terme de laquelle près de 900 000 "indigènes", comme on disait alors, disparurent. Oubliées les razzias meurtrières et systématiques, et les spoliations de masse destinées à offrir aux colons venus de métropole les meilleures terres. Oublié le code de l'indigénat, ce monument du racisme d'Etat, adopté le 28 juin 1881 par la IIIe République pour sanctionner, sur la base de critères raciaux et cultuels, les "Arabes" soumis à une justice d'exception, expéditive et dérogatoire enfin à tous les principes reconnus par les institutions et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Oubliés les massacres de Sétif et Guelma perpétrés, le 8 mai 1945, par l'armée française avec le soutien de l'ensemble des forces partisanes de l'épo! que, Parti communiste compris, le jour même où le pays fêtait dans l'allégresse sa libération. Oubliés les 500 000 morts, les 3 000 disparus - ce dernier chiffre est équivalent à celui des desaparecidos victimes de la dictature du général Pinochet - et les milliers de torturés de la dernière guerre d'Algérie.
Plus récemment, la presse locale et nationale a rendu compte du projet, déjà bien avancé, de la municipalité de Marignane de construire un monument en hommage aux "fusillés" et aux "combattants tombés pour que vive l'Algérie française".
Parmi les "héros" de cette période, on trouve Bastien-Thiry, chef du commando de l'OAS qui organisa et dirigea la tentative d'assassinat perpétrée contre le général de Gaulle le 22 août 1962 au Petit-Clamart. Jean-Paul Alduy, membre de l'UMP et maire de la ville de Perpignan, a déjà inauguré en 2003 un mémorial du même type. Qu'en pense l'actuel président de cette formation politique, lui qui prétend "parler vrai" et vouloir rénover la politique française et qui, comme beaucoup d'autres, s'est indigné des propos tenus par le chef du Front national ?
Quarante-trois ans après la fin de la guerre d'Algérie, les tueurs de l'OAS qui ont assassiné, à l'époque, plusieurs milliers d'Algériens et commis de nombreux attentats dans la colonie et en métropole sont officiellement célébrés dans certaines communes de France avec le silence complice des membres du gouvernement et des principaux responsables de l'actuelle majorité, tous plus amoureux du pouvoir que de la vérité historique, surtout lorsqu'elle est susceptible de porter atteinte à leurs intérêts électoraux et à leurs alliances politiques locales.
Singulière époque, étrange conception du "devoir de mémoire" qui se révèle partiel parce qu'il est partial, déterminé qu'il est par des préoccupations partisanes. Remarquable exemple qui illustre, jusqu'à la caricature, la puissance de représentations idéologiques qu'aucun événement, fait ou argument ne parvient à entamer. De là cet aveuglement pris pour une preuve de courage et de lucidité. Extraordinaire persistance, enfin, de ce passé-présent qui, inlassablement, continue d'affecter notre actualité en y instillant le mensonge et la falsification mis au service de sordides considérations électoralistes et d'ambitions présidentielles.
                                   
10. Des Palestiniens dénoncent la confiscation de leurs terres par Patrick Saint-Paul
in Le Figaro du mardi 1er février 2005
Après la construction du «mur», des terrains ont été annexés par Israël à Bethléem
Une bavure israélienne, qui a coûté la vie à une petite fille palestinienne dans le camp de réfugiés de Rafah et suscité une riposte du Hamas contre une colonie juive, a mis à l'épreuve hier la fragile accalmie prévalant depuis deux semaines dans la bande de Gaza. Le premier ministre palestinien, Ahmed Qoreï, a qualifié de «crime» la mort de Norane Dib, 10 ans, touchée à la tête par une balle israélienne dans la cour de son école. Des groupes armés palestiniens ont menacé de reprendre les attaques contre Israël si son armée ne cessait pas immédiatement ses opérations.
Bethléem de notre envoyé spécial - Depuis sa maison en pierres de Bethléem, Johnny Atik peut contempler l'oliveraie qu'il a cultivée toute sa vie. Mais comme des centaines de propriétaires palestiniens, dont les terres se trouvent du mauvais côté de la barrière de séparation entre la Cisjordanie et Jérusalem, il n'a plus le droit d'approcher sa propriété. Tombant sous le coup de la «loi des absents», sa terre lui a été confisquée. Adoptée par l'Etat hébreu en 1950, pour annexer les propriétés appartenant à des Palestiniens ayant quitté Israël au moment de sa création entre 1947 et 1948, cette loi a été réactivée secrètement par le gouvernement israélien cet été, a révélé le quotidien Haaretz.
Lorsque commence la construction de la barrière de sécurité séparant Jérusalem-Est de Bethléem, il y a deux ans, Johnny Atik fait appel à un avocat israélien pour obtenir le droit de continuer à exploiter sa terre. La clôture, qui traverse sa propriété, le sépare de trois hectares d'oliveraie. Les autorités militaires expliquent à son avocat qu'il lui faudra obtenir un permis pour accéder à ses oliviers en franchissant un portail métallique. Mais celui-ci ne lui sera jamais délivré. Au bout d'un an de vains efforts, l'administration finira par répondre à l'avocat que la terre, réquisitionnée par le gouvernement, n'appartient plus à son client, considéré comme «absent».
Johnny Atik, dont la maison se situe à 100 mètres de la terre confisquée, reste incrédule. «Je suis là, en chair et en os, devant vous, dit-il. Comment peut-on affirmer que je suis absent ? Je ne suis pas comme ces Israéliens vivant aux Etats-Unis, qui viennent ici deux fois par an pour les fêtes. Cette terre, c'est ma vie. Sans elle je suis ruiné.» Un bruit lointain de marteaux piqueurs accompagne la conversation. Au bout de la vallée où se trouvent les oliviers de Johnny Atik, sur une colline, est juchée la colonie juive de Har Homa. Les grues s'activent pour étendre les frontières de la colonie. Et des projets de construction existent déjà pour les terres confisquées à Bethléem.
La décision secrète du gouvernement israélien a provoqué la colère des Palestiniens. Elle confirme leur crainte selon laquelle la construction de la barrière de béton et de métal en construction en Cisjordanie et à Jérusalem utilise le prétexte de la sécurité pour confisquer leurs terres. «Le gouvernement transforme une barrière provisoire en un fait irréversible en construisant des maisons inamovibles, explique Daniel Seidemann, un avocat israélien, qui défend les familles palestiniennes spoliées. C'est un acte très agressif visant à asseoir la souveraineté israélienne sur Jérusalem-Est.»
En 1967, lorsque Israël annexe la partie orientale de la Ville sainte, il étend considérablement les frontières de Jérusalem, en y incluant de nombreux villages arabes voisins. Sous souveraineté jordanienne de 1948 à 1967, la partie orientale de la ville s'étendait sur 38 km2. Dans le «grand Jérusalem», la partie arabe annexée par Israël (une initiative jugée illégale par la communauté internationale) mesure 108 km2. La barrière de sécurité épouse le contour de cette frontière élargie, privant des centaines de Palestiniens de Cisjordanie de leurs terres. Selon les chiffres avancés par le Haaretz, près de la moitié des propriétés de Jérusalem-Est appartiendraient à des résidents de Cisjordanie, qui n'ont pas le droit de se rendre dans la ville sainte sans un permis spécial.
Depuis les années 50, les gouvernements successifs s'étaient abstenus d'appliquer la «loi des absents», car de nombreux résidents de Cisjordanie vivaient à proximité de leurs terres. Mais depuis que la barrière de sécurité a été érigée, la frontière invisible qu'ils traversaient chaque jour a été matérialisée par des grillages et des murs de béton. Après que la loi eut été réactivée, le 8 juillet dernier, plusieurs centaines d'hectares ont été confisqués sans que leurs propriétaires ne reçoivent la moindre notification écrite.
«C'est un véritable vol d'État, affirme Hanna Nasser, le maire de Bethléem. C'est la preuve que ce mur n'est pas une barrière sécuritaire mais une frontière. C'est un nouvel obstacle pour Abou Mazen. Ce n'est pas ainsi que l'on parviendra à faire la paix un jour.» L'Autorité palestinienne a protesté officiellement auprès de l'Administration américaine, la semaine dernière auprès de l'envoyé spécial du département d'État venu préparer la visite de la nouvelle secrétaire d'État, Condoleeza Rice, prévue ce dimanche. Selon la presse israélienne, le gouvernement d'Ariel Sharon envisagerait de s'engager auprès de l'Administration Bush pour réexaminer cette question avant l'arrivée dans la région de Condoleeza Rice.
                               
11. Abou Mazen, le dernier Palestinien - Marge étroite pour le nouveau Président par Hussein Agha et Robert Malley
in Le Monde diplomatique du mois de février 2002
(Hussein Agha est spécialiste des questions israélo-palestiniennes, Senior Associate à St Antony’s College (Oxford). Robert Malley est un ancien conseiller du président Clinton, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à l’International Crisis Group (Bruxelles).)
Moins d’un mois après son élection, le Président palestinien Abou Mazen semblait en passe de réussir son pari : obtenir un cessez-le-feu du Hamas, du Djihad islamique et des Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa, intégrées dans les forces de sécurité. M. Ariel Sharon tiendra-t-il pour autant ses promesses ? Pour le Quartet (Etats-Unis, Union européenne, ONU, Russie), le retrait de Gaza s’inscrit dans la « feuille de route » destinée à créer un Etat palestinien dans les territoires occupés par Israël en 1967.
L’homme choisi par les institutions et par le peuple palestinien pour succéder à Yasser Arafat, M. Mahmoud Abbas (Abou Mazen), est presque en tout point différent de son prédécesseur, mais semblable à lui dans un domaine fondamental. Si l’ascension politique de Yasser Arafat a donné forme à l’entité palestinienne contemporaine, sa mort va la bouleverser. Abou Ammar était un dirigeant à part, remarquablement adapté aux conditions auxquelles son peuple a dû faire face aux lendemains de la guerre de 1948 [1] : défait, dépossédé privé d’Etat capable de le défendre, de territoire susceptible de le contenir et de stratégie politique capable de le rassembler. Les Palestiniens souffraient de divisions familiales, claniques et sociales, étaient disséminés à travers la région et au-delà, aux prises avec les ambitions de plusieurs et en proie aux convoitises de chacun. Grâce à son parcours historique et à sa personnalité, à son charisme et à sa roublardise, faisant usage de persuasion et de pression, homme chanceux et extraordinairement besogneux à la fois, Arafat aura réussi à les représenter tous, à leurs yeux comme à ceux du monde.
L’objectif prioritaire d’Arafat était, depuis le départ, l’unité nationale, sans laquelle il estimait que rien ne pouvait se faire. Il fut le lien entre Palestiniens de la diaspora et de l’intérieur, Palestiniens dépossédés en 1948 et occupés en 1967, résidents de la Cisjordanie et de Gaza, jeunes et vieux, riches et pauvres, honnêtes gens et personnages véreux, modernistes et traditionalistes, militants et pacifistes, islamistes et laïques. On le vit tout à la fois dirigeant national, homme de tribu, patriarche, employeur, bon samaritain, chef d’un mouvement laïque et profondément religieux, se voulant le représentant prééminent de chacun de ces groupes disparates, même lorsqu’ils adhéraient à des vues contraires ou contradictoires. Son style fut souvent l’objet de critiques et de dérision, mais son statut rarement remis en cause. Il est douteux qu’un autre leader palestinien reprenne ses méthodes politiques ; probablement pas tant que durera l’occupation, et certainement pas dans l’avenir immédiat.
Abou Mazen appartient, comme Arafat, à une espèce rare : celle des figures palestiniennes authentiquement nationales. Mais de façon radicalement autre. Alors qu’Arafat devint un symbole national en s’identifiant avec chaque groupe ou faction politique, Abou Mazen l’est devenu en ne s’identifiant avec aucun. Arafat s’immisçait dans chaque problème local ; Abou Mazen, lui, les survole, se considérant principalement comme le serviteur du mouvement national dans son ensemble. Le « Vieux », avec une énergie inépuisable, gouvernait grâce à une présence physique et rhétorique envahissante. Doté d’une voix à peine audible et d’un physique sans relief particulier, le nouveau président a construit sa carrière en fuyant les projecteurs. Avec la mort d’Arafat, la politique palestinienne sera passée de l’ère de la lourdeur à celle de l’apesanteur.
Arafat habitait un monde à la Borges, où une chose et son contraire pouvaient cohabiter dans un même lieu et en même temps ; où comptait l’impact du langage et non le sens des mots, et où les mythes se mêlaient aux faits pour constituer la réalité. Le monde d’Abou Mazen s’ancre davantage dans ce qui lui est familier, reconnu par la plupart comme appartenant à l’ordre des choses. Son discours paraît plus acceptable, sa réalité moins hantée par les démons du passé. Adieu la politique de l’ambiguïté ; bienvenue à celle de la raison, froide et logique.
La violence, une option illogique
Abou Mazen est un homme politique de convictions – en d’autres termes, pas un véritable politicien. Il n’est pas du genre à manigancer, ses actions reflétant le plus souvent naturellement son caractère et son tempérament. De là découlent ses multiples succès, mais aussi ses nombreux déboires. Inspiré par un profond sens éthique, un mépris pour l’opportunisme politique et une confiance exagérée dans le pouvoir de la raison, il est rare qu’il se rende ou se batte lorsqu’il est contredit ou ignoré. Persuadé d’avoir la logique et la raison de son côté, et également convaincu que les autres suivent la logique et la raison, il préfère attendre patiemment que les gens voient les choses comme lui. Il n’a rien d’un manipulateur, d’un fourbe ou d’un comploteur, ce qui explique sans doute pourquoi il tolère si mal les manipulations, fourberies ou complots des autres. De là découle le secret de ses relations en dents de scie avec Arafat : parce qu’il n’hésitait pas à s’opposer au « Vieux », il préférati opter ensuite pour l’isolement plutôt que de mener bataille ou de rechercher un compromis ; parce qu’Arafat savait qu’Abou Mazen – à l’inverse de la plupart de ses collègues – était sincère plutôt qu’opportuniste, il perdait rarement confiance en lui et lui pardonnait toujours.
Abou Mazen est également un musulman profondément pieux. Inspiré par l’islam, mais allergique à ce que celui-ci se mêle de politique, il prie quotidiennement et jeûne pendant le ramadan sans afficher ni ses prières ni son jeûne sur la place publique. Pour lui, la religion est affaire de croyance privée, non de manifestation et encore moins de régulation publique. Dans ses contacts, désormais fréquents, avec les chefs du Hamas ou du Djihad islamique, cela lui donne un avantage certain : convaincu de n’être pas moins bon musulman qu’eux, lorsqu’il rencontre un « politicien islamiste », il ne voit en lui que le politicien, et non l’islamiste.
Plus important : il tient à une série de principes qu’il hésite à diluer et dont il répugne à se détacher. A l’automne 1999, à la suite de l’élection de M. Ehoud Barak comme premier ministre d’Israël, Abou Mazen a présenté aux officiels américains une proposition simple en vue d’un accord final : un Etat palestinien dans les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est comme capitale et la reconnaissance du droit au retour pour les réfugiés. Dans le cadre de ces paramètres, et en harmonie avec le droit international, il laissait place aux discussions : il pourrait y avoir des échanges de territoire mineurs et équitables, afin de prendre en compte certaines colonies de peuplement israéliennes ; aux juifs serait accordé un accès sans entrave à leurs lieux saints ; et le principe du droit au retour serait mis en œuvre de façon à sauvegarder les intérêts démographiques d’Israël.
Mais l’adhésion préalable à ses propositions était primordiale, faute de quoi il ne pouvait y avoir ni légitimité internationale, ni paix juste. Les Etats-Unis et Israël ont ignoré ses suggestions. Les négociations qui ont eu lieu ont pris un tour de marchandage de bazar, détaché de tout principe de base : le pourcentage de la Cisjordanie devant être restitué aux Palestiniens changeait de jour en jour, de même que l’attribution de la souveraineté sur les quartiers de Jérusalem-Est ou que le nombre de réfugiés pouvant être admis en Israël. Cette manière d’opérer était en tout point étrangère à Abou Mazen, qui croyait que rien de bon ne pouvait en déboucher : il l’estimait dommageable aux Palestiniens, et – dans la mesure où elle soulevait de faux espoirs sur l’étendue des compromis palestiniens possibles – malhonnête envers les Israéliens.
Mal à l’aise avec le déroulement des négociations qui précédèrent le sommet de Camp David de juillet 2000 [2], Abou Mazen s’opposait foncièrement au déclenchement de l’insurrection armée qui le suivit. Pour lui, la violence constitue depuis longtemps une option à la fois inutile et illogique, un peu comme si l’on choisissait sciemment d’user de l’arme palestinienne la plus faible contre le flanc israélien le plus puissant. Il compare les coûts et les bénéfices de la violence et, alors qu’il voit des coûts nombreux, il ne distingue que de trop maigres bénéfices : Israël a resserré ses rangs, les Etats-Unis ont choisi leur camp, la « communauté internationale » a tourné le dos aux Palestiniens et l’Autorité palestinienne est à genoux.
Selon lui, l’objectif devait être au contraire de renouer avec divers groupes israéliens, de parler un langage compréhensible pour Washington et de rallier le monde à la cause palestinienne. Pour ce faire, les Palestiniens devaient stabiliser la situation, remettre de l’ordre dans leur demeure, contrôler les milices armées, établir des institutions transparentes et centralisées et, surtout, cesser les attaques dirigées contre Israël. A ses yeux, moyens et fins ne doivent faire qu’un, car de la manière dont sera menée la lutte dépendra l’écho qu’elle rencontrera. De la retenue palestinienne découleront à la fois un soutien international plus fort et une plus grande réceptivité de la part du peuple palestinien à des demandes logiques.
Pour bien des Palestiniens, le fait de privilégier la persuasion plutôt que la pression est un pari risqué. Ils contestent la vision d’Abou Mazen : à leurs yeux, ce ne sont pas les Palestiniens qui ont militarisé la confrontation, c’est Israël ; au cours des premières semaines de la deuxième Intifada, la majorité des victimes furent palestiniennes, et non israéliennes ; lorsque des cessez-le-feu informels furent tentés, c’est Israël qui les fit capoter ; et si les Palestiniens arrêtaient de se battre, cela équivaudrait à un désarmement unilatéral, les privant de tout moyen de pression.
La vision d’Abou Mazen se nourrit de sa longue expérience d’Israël et des Israéliens. Naguère, au cours des années 1970, il formait avec Arafat et Khalil al-Wazir (Abou Jihad) [3] un trio chargé des contacts avec les Israéliens. Ceux-ci furent d’abord noués avec des éléments marginaux et des militants antisionistes. Puis, petit à petit, le cercle s’élargit pour inclure les citoyens arabes d’Israël, la gauche sioniste, d’anciens officiers modérés et des membres du Parti travailliste. Après les accords secrets d’Oslo de l’été 1993, dans lesquels il joua un rôle pivot, Abou Mazen alla plus loin encore, dialoguant avec des groupes moins intéressants à première vue, mais selon lui plus déterminants : le Likoud et les juifs orthodoxes.
De tous ces échanges, il tira la conclusion que, paradoxalement, la société israélienne se révélait à la fois étrangement compliquée dans son architecture et remarquablement simple dans ses aspirations : sécurité et tranquillité. Si on peut les lui proposer, estime-t-il, la vaste majorité des Israéliens acceptera de faire les concessions requises pour une paix stable et juste – une conviction qui, selon certains Palestiniens, représente le comble de la naïveté, et pour d’autres l’apogée du pragmatisme.
Homme sans fidèles loyaux, Abou Mazen est devenu l’homme sans opposition véritable. Voilà qui explique son accession, relativement fluide et incontestée, au pouvoir. Après quatre années de combats acharnés et dévastateurs, et ayant perdu leur seul dirigeant historique, les Palestiniens étaient sous le choc, anxieux, et fatigués. Pas plus la société civile que les groupes armés ne souhaitaient s’engager dans une bataille de succession. Aucune des factions politiques ne semblait disposée à faire d’Abou Mazen son premier choix ; il est devenu le choix naturel de chacune d’entre elles. Il s’agit en effet du dernier Palestinien doté d’une légitimité historique, le seul qui puisse authentiquement parler au nom de tous. La sélection de tout autre dirigeant aurait inévitablement provoqué une lutte prolongée, coûteuse et fratricide. Son élection ne lui aura pas conféré sa légitimité : elle l’aura tout simplement confirmée.
Une multitude d’intérêts divergents se sont rassemblés autour de lui. Les Palestiniens effrayés à l’idée que la mort d’Arafat puisse entraîner un chaos plus grand encore voient en Abou Mazen un symbole réconfortant de sécurité personnelle et de stabilité collective. Ceux, nombreux, qui sont tout simplement épuisés par l’Intifada et les représailles israéliennes le perçoivent comme le seul capable d’apporter un peu de calme et, peut-être, une amélioration de leur situation. Pour les militants pourchassés par Israël, il pourrait être l’homme par qui arrivera une amnistie leur permettant de retrouver une existence normale. Les hommes d’affaires et l’élite sociale considèrent qu’il comprend leurs besoins et qu’il pourra créer un climat plus propice à leurs intérêts. Les membres de la bureaucratie, produits du développement de l’Autorité palestinienne et rêvant de reconquérir les avantages d’antan, perdus lors de l’Intifada, font le pari qu’Abou Mazen les y aidera.
Ses origines – Safad, ville désormais israélienne – ainsi que son soutien affiché et répété au droit au retour rassurent un tant soit peu les réfugiés et membres de la diaspora, inquiets à l’idée que leurs intérêts soient sacrifiés lors des négociations à venir. Enfin, nombre de Palestiniens se sont ralliés à celui qui a, pensent-ils, l’aval des Etats-Unis, la seule puissance qui compte désormais, leur choix étant en quelque sorte le reflet des préférences présumées des autres.
D’abord reconstruire les institutions
La situation a donné lieu à d’étranges convergences. La méfiance entre habitants de la Cisjordanie (qui craignent que le prochain retrait israélien ne coupe le lien avec Gaza) et habitants de Gaza (qui craignent que ceux de la Cisjordanie ne fassent leur possible pour le contrarier) ne fait que croître. Pourtant, tous se sont mis d’accord sur Abou Mazen, car il est perçu comme n’étant allié ni aux uns ni aux autres, et donc ne représentant une menace pour aucun. Certains avaient misé sur une rébellion de la nouvelle génération du Fatah [4]. Mais la succession est venue trop tôt : défier les instances dirigeantes d’un mouvement déjà terriblement divisé aurait été trop risqué. Ceux qui estiment devoir être les futurs dirigeants palestiniens ont donc vu en Abou Mazen un homme sans attaches politiques particulières, un garant de la continuité et, surtout, une figure de transition idéale, apte à préparer le terrain à ceux qui, un jour prochain, lui succéderont. Au même moment, les anciens fidèles d’Arafat, qui tiennent à conserver leurs privilèges et leur statut – en tout premier lieu les membres du comité central du Fatah –, s’accrochent à Abou Mazen, considéré comme un ultime rempart contre les ambitions trop empressées de ces nouveaux venus.
Le Hamas et le Djihad islamique sont, pour leur part, bien conscients que le programme d’Abou Mazen n’est en rien compatible avec le leur et qu’il rejette en particulier la violence, le chaos des armes et l’existence de milices armées. Mais ils l’ont déjà subi par le passé et croient connaître sa façon d’agir, qui est de coopter et non de réprimer. Convaincus qu’Israël ne lui donnera pas les moyens de réussir, ils sont prêts, si nécessaire, à patienter jusqu’à ce que les hostilités s’ouvrent à nouveau. Quant aux Etats-Unis, à Israël, à l’Europe et au monde arabe, Abou Mazen représente pour eux à la fois tous les objectifs auxquels ils aspirent – la fin des attaques armées, le renforcement des institutions palestiniennes, le règne de la loi – et le dirigeant le plus à même de les réaliser.
Parmi ce très large éventail de soutien interne et international, ceux qui adhèrent à l’ensemble de son programme politique sont bien moins nombreux que ceux qui estiment qu’il finira par se ranger à leur avis. Mais, pour le moment, Abou Mazen est relativement libre de parler et d’agir, bien plus libre sans doute qu’il ne l’espérait ou que ne le pensaient nombre d’observateurs. Parce que ce sont eux qui sont venus vers lui et non l’inverse, les groupes palestiniens qui, autrefois, faisaient pression sur Arafat et qu’Arafat tentait de satisfaire restent plutôt silencieux. Les centres de pouvoir qui existaient naguère semblent, pour l’instant, en hibernation, ne pouvant ou ne voulant pas former une opposition organisée et efficace. Cette position, Abou Mazen la doit avant tout au fait d’être – plus que n’importe quel autre dirigeant palestinien actuel – en phase avec les priorités immédiates de son peuple : la sécurité et le retour à une vie normale, débarrassée de la crainte d’attaques de l’armée israélienne ou de gangs palestiniens ; l’amélioration de son niveau de vie et la reprise des activités économiques ; et la possibilité de se mouvoir à nouveau, libéré des barrages, des couvre-feux et autres pratiques humiliantes. Ultime paradoxe : les Palestiniens aspirent à en revenir à la situation qui prévalait à la veille de leur soulèvement, situation qui justement l’avait provoqué et que, à leurs yeux, Abou Mazen paraît le plus à même de rétablir.
M. Ariel Sharon a remporté cette manche du conflit israélo-palestinien. Il a toujours eu l’ambition de faire en sorte que les Palestiniens se lassent de leur combat national. Les appauvrir ou les désespérer ne constitue pas, pour lui, une fin en soi, mais un instrument au service de son objectif. Epuisés et désemparés, les Palestiniens cesseront de penser aux questions politiques pour se concentrer sur des intérêts plus quotidiens, plus immédiats.
Voilà qui semble désormais à portée de main, conformément au scénario qu’Abou Mazen avait prédit dès le début de l’insurrection armée et qui explique son opposition au déclenchement de celle-ci. La lassitude palestinienne convient donc aux deux hommes, mais ils diffèrent sensiblement par ce qu’ils comptent en faire. Pour M. Sharon, il s’agit d’un moyen commode de dépolitiser le mouvement national palestinien ; pour Abou Mazen, au contraire, d’une étape nécessaire à sa repolitisation sur des bases nouvelles, et plus saines.
Le président palestinien ne mise guère sur un accord final avec M. Sharon. Trop de choses les séparent, en premier lieu la prédilection du premier ministre israélien pour un accord intérimaire et partiel à long terme, dans le cadre duquel la négociation des questions les plus délicates – les frontières, le statut de Jérusalem, le destin des réfugiés – sera renvoyé à plus tard. Dans de telles conditions, la période immédiate ne sera pas celle des accords bilatéraux, mais des décisions unilatérales, Israël se retirant de Gaza et du nord de la Cisjordanie, et les Palestiniens remettant de l’ordre dans leurs affaires.
Présenter le retrait de Gaza comme un acquis
Certes, l’objectif ultime d’Abou Mazen demeure de négocier une paix durable, mais il ne croit pas qu’Israël y soit prêt. En reconstruisant les institutions palestiniennes et le mouvement national lui-même, en renonçant pour de bon à la lutte armée, en renouant les liens internationaux et en articulant clairement les demandes constantes et inaliénables des Palestiniens, il estime que l’après-Sharon peut être préparé et que, dans l’intervalle, son peuple pourra enfin bénéficier du calme auquel il aspire.
Cela constitue, sans nul doute, un audacieux pari. Le soutien dont bénéficie Abou Mazen est aussi large que fragile, résultant de conditions spécifiques plutôt que d’une adhésion franche à sa personne ou à son programme. La peur, l’anxiété et l’épuisement ne dureront pas éternellement. Lorsqu’ils toucheront à leur fin, des demandes autrement plus politiques – la libération des prisonniers palestiniens, le gel des colonies de peuplement, la fin de l’occupation – referont très certainement surface. Plus le temps passera, plus les choix deviendront difficiles et plus nombreux seront ses adversaires déclarés.
Parmi ceux qui le soutiennent pour l’instant du bout des lèvres, certains le lâcheront, l’attrait d’une opposition organisée et efficace augmentera et les appels au retour à la lutte armée se feront davantage entendre. Abou Mazen espère que, lorsque ce moment arrivera, il aura obtenu des progrès tangibles – stabilité, ordre, amélioration des conditions de vie, liberté de mouvement – lui permettant d’accumuler un capital politique qu’il n’aura pas à dilapider aussi rapidement : autrement dit, il compte compenser la perte de soutien de la part de certains groupes par le renforcement du soutien d’autres.
La réussite d’Abou Mazen dépend largement de la « communauté internationale », et des Etats-Unis en particulier. Mettre un terme à la violence et réaliser les réformes institutionnelles sont des tâches auxquelles il tient et qu’il poursuivra de toute manière pour le bien du pays. Mais il y voit aussi un bénéfice secondaire, qui est de confronter le président George W. Bush à ses propres engagements et de le mettre dos au mur. Plus d’une fois, le président américain a affirmé que, si les Palestiniens parvenaient à contrôler les groupes armés et à démocratiser leur système, ils jouiraient enfin d’un Etat viable et souverain. Le pari d’Abou Mazen est simple : si les Palestiniens respectent leurs engagements, les Etats-Unis devront respecter les leurs et faire pression sur Israël, insistant pour que celui-ci fasse les pas politiques dont le président palestinien aura désespérément besoin.
Abou Mazen compte aussi sur les changements à venir en Israël, espérant que le retour au calme amène ses citoyens à exiger une paix globale plutôt qu’à se satisfaire du statu quo. Si cette évolution peut se produire dans des délais relativement courts, Abou Mazen pense pouvoir maîtriser l’impatience populaire et éviter un retour à la lutte armée. En somme, il a besoin d’arracher assez de gestes à Israël et à la « communauté internationale » pour éviter que la population palestinienne, déjà lasse de sa situation, ne se lasse également de lui. Il avait déjà fait – et perdu – ce pari lors de son bref bail au poste de premier ministre, du 29 avril au 7 septembre 2003. Mais trois données au moins ont changé : Arafat n’est plus, les Palestiniens apparaissent davantage disposés à lui donner une chance, et Israël comme les Etats-Unis ont eu le temps de méditer les leçons de ce triste précédent.
Là encore, la différence avec Arafat est palpable. Alors qu’Abou Mazen bénéficie de sa position actuelle parce que l’humeur populaire est en phase avec lui, Arafat a pu bénéficier de sa position pendant de si longues années parce qu’il s’efforçait inlassablement d’être en phase avec l’humeur populaire. En restant en contact permanent avec toutes les composantes de la société palestinienne, Arafat faisait en sorte que son statut soit indépendant des circonstances ; en restant au-dessus de la mêlée, Abou Mazen risque d’être à jamais prisonnier de celle-ci. Ce dernier dispose d’un pouvoir à la fois plus absolu et plus temporaire. Comme il s’est libéré de la nécessité de satisfaire toutes les demandes, sa marge de manœuvre paraît remarquablement vaste. Mais, si le sentiment populaire change, si les Etats-Unis n’exercent pas de pressions sur Israël ou si celui-ci ne propose pas les concessions attendues, le consensus autour de sa personne se dissoudra aussi brusquement qu’il s’est formé.
Abou Mazen fait face à deux autres défis en forme de paradoxe. Il doit plus son pouvoir à son crédit international qu’à sa crédibilité populaire, et l’opinion palestinienne est convaincue que les Etats-Unis disposent des moyens – que n’ont pas les Palestiniens – de faire bouger Israël : les Palestiniens attendront donc plus de lui qu’ils n’espéraient d’Arafat. Ensuite, dans la mesure où le soutien dont il dispose repose avant tout sur l’épuisement de la population, plus il réussira à améliorer la situation, et plus ce soutien risque de s’amoindrir.
A l’horizon, deux écueils significatifs se profilent. Le premier réside dans le retrait attendu de Gaza. C’est une initiative à laquelle il ne peut s’opposer : Israël rétrocède des territoires aux Palestiniens, et, pour la première fois depuis l’origine du conflit, des colonies de peuplement sur les terres palestiniennes doivent être évacuées. Libérée de la présence israélienne, Gaza pourra être rebâtie et servir de modèle pour le reste des territoires occupés. Mais c’est également une opération qu’il ne peut accueillir avec enthousiasme : de nombreux Palestiniens craignent que le retrait, concentrant toute l’attention internationale sur Gaza, n’aide M. Sharon à construire de nouvelles colonies, en Cisjordanie comme à Jérusalem, et à poursuivre l’édification du mur de séparation, deux éléments d’un plan israélien visant à imposer arbitrairement des frontières et à diviser la Cisjordanie en cantons. Naviguant entre ces deux considérations, Abou Mazen présentera le retrait de Gaza comme un acquis palestinien dans le cadre de la feuille de route [5], en minimisant toute coordination avec les Israéliens et en s’efforçant d’attirer l’attention internationale sur la Cisjordanie.
Le second écueil tient à la proposition israélienne d’établir un Etat palestinien dans des frontières provisoires pour Gaza et certaines parties de la Cisjordanie. Appâtés par l’idée d’un pas en avant, obsédés par la volonté de bâtir de nouvelles institutions, les Etats-Unis et l’Union européenne le presseront vraisemblablement de dire oui ; il en ira de même de certains pays arabes, désireux de stabiliser la situation à tout prix et de donner un signe de progrès, quel qu’il soit, à leurs citoyens. Mais ce que d’aucuns percevront comme une concession israélienne apparaît à Abou Mazen comme un piège : une tentative de diluer le conflit, de lui ôter son caractère émotionnel, de le réduire à une simple question de frontières, et de retarder ainsi l’accord global et définitif. Le président palestinien fera à la fois en sorte de rester fidèle à ses convictions et de ne pas mécontenter la « communauté internationale » - bien que lui-même, pour l’instant, ne sache pas trop comment y parvenir.
L’exercice du pouvoir affectera sans aucun doute Abou Mazen comme tous ceux qui s’y essaient. Déjà, on sent qu’il a acquis – ou feint d’acquérir – le goût des grands discours et du contact humain auxquels Arafat devait sa célébrité. Plus généralement, sa survie politique exigera qu’il s’adonne aux délicats jeux politiques qu’il avait coutume de dédaigner et laissait volontiers au « Vieux » : accorder la priorité aux progrès immédiats sans pour autant négliger les questions politiques ; maintenir la confiance américaine et israélienne sans pour autant perdre celle du Hamas ou du Secours islamique ; discipliner les milices armées sans pour autant s’y confronter ; protéger la vieille garde du Fatah sans pour autant décevoir les jeunes ; préserver l’unité du mouvement national sans pour autant en devenir l’otage ; répondre aux attentes des Etats-Unis sans pour autant donner l’impression de se plier à leurs injonctions ; mettre fin à la violence sans pour autant se soumettre à Israël – et, bien évidemment, prendre ses distances avec l’héritage d’Arafat sans pour autant l’ignorer.
Avec le temps, son principal défi sera d’harmoniser les espoirs nombreux qu’il incarne et de transformer le fragile soutien dont il dispose de la part de groupes souvent rivaux en appui solide pour sa personne et sa politique. Dans ce sens, il est à la fois plus fort et plus faible que ne l’indiquent ses résultats électoraux. Les plus de 60 % qui ont voté pour lui ne sont pas tous de fidèles supporteurs, et les plus de 30 % qui ont voté pour ses rivaux ne constituent pas une opposition organisée ou unifiée [6].
Restent toutes les questions actuellement sans réponse. Que se passera-t-il si Abou Mazen ne peut accomplir ce qu’Israël et les Etats-Unis attendent de lui et si MM. Bush et Sharon ne lui donnent pas ce dont il a besoin ? Qu’adviendra-t-il si Abou Mazen ne parvient pas à obtenir un accord avec le Hamas, le Djihad islamique, ou si l’accord passé avec les Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, pour leur intégration dans les forces de sécurité, ne tient pas, ou si celui-ci tient mais qu’Israël persiste à attaquer leurs militants ? A quoi ressemblera l’avenir si le consensus politique dont il jouit se désagrège ou si une guerre civile vient à éclater ?
Pour le moment, Abou Mazen est l’objet de désirs multiples et souvent contradictoires. Protecteur et sauveur, figure de transition ou dernier espoir d’une génération révolue, diable pour certains et moindre mal pour d’autres, aux yeux des Palestiniens, Abou Mazen incarne désormais tout cela et pour tous. A contempler le chemin à parcourir, il doit parfois se demander d’où sont sortis tous ceux qui comptent maintenant sur lui, combien de temps encore ils resteront à ses côtés, et ce qu’il a bien pu faire pour mériter leur abondante et encombrante compagnie.
[Cet article est tiré d’un texte de la New York Review of Books, que les auteurs ont eux-mêmes traduit et adapté.]
- NOTES :
[1] : Pour une brève biographie, cf.
www.monde-diplomatique.fr/dossiers/arafat/
[2] : Lire Alain Gresh, « Le « vrai visage » de M. Ehoud Bartak », Le Monde diplomatique, juillet 2002.
[3] : Fondateur avec Yasser Arafat, en 1959, du Fatah, Abou Jihad a été assassiné par les services israéliens en 1988, en Tunisie, alors qu’il coordonnait la première Intifada.
[4] : Lire Graham Usher, « Impasse stratégique pour la résistance palestinienne », Le Monde diplomatique, septembre 2003.
[5] : Adoptée le 30 avril 2003 par le Quartet (ONU, Etats-Unis, Russie, Union européenne), elle prône la création d’un « Etat palestinien indépendant, démocratique et viable » en 2005, sur la base des résolutions des Nations unies, mais aussi des documents de la conférence de Madrid (1991), des accords conclus entre Palestiniens et Israéliens et du plan arabe de Beyrouth (2002). Cette création est conditionnée par la fin des violences et du terrorisme, les réformes démocratiques de l’Autorité palestinienne et le retrait d’Israël des territoires palestiniens réoccupés depuis le 28 septembre 2000.
[6] : Selon les résultats définitifs de l’élection présidentielle du 9 janvier, Abou Mazen a obtenu 62,35 % des voix, suivi du candidat indépendant Mustafa Barghouti (19,80%), de Tayssir Khaled, du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP, 3,5 %), de Bassam Salhi, du Parti du peuple (PPP, ex-communiste, 2,69 %), d’Abdelhalim Al-Ashqar, islamiste indépendant assigné à résidence aux Etats-Unis (2,68%), de l’islamiste indépendant Sayyed Barakah (1,27 %) et d’Abdelkarim Choubeir (0,67 %). Environ 70 % des inscrits auraient participé au vote.
                       
12. Tali Fahima, pacifiste israélienne, accusée, sans preuves à charge, de collusion avec l’“ennemi palestinien” par Thérèse Liebmann
in Points Critiques du mois de février 2005
(Points Critiques est le mensuel de l'Union des Progressistes Juifs de Belgique - 61, rue de la Victoire - 1060 Bruxelles - Belgique)
Le 26 décembre 2004, la Cour du District de Tel-Aviv a inculpé Tali Fahima de plusieurs chefs d’accusation, dont celui d’avoir assisté l’ennemi en temps de guerre, notamment en traduisant en son intention des informations secrètes.
Si la culpabilité de Tali devait être étayée de preuves, elle risquerait de nombreuses années de prison, voire l’emprisonnement à perpétuité.
Tali Fahima (28 ans) est une Israélienne sépharade de Kiryat-Gat, petite ville au Nord du Négev. Elle a dit elle-même qu’elle avait été élevée dans la haine et la crainte des Arabes et qu’ aux dernières élections elle avait encore voté pour le Likoud.
Sa métamorphose se produisit il y a environ un an et demi lorsqu’elle avait vu le film “les Enfants d’Arna” et lu une interview de Zacharia Zubeidi, précisément un de ces “enfants”. Il expliquait comment, à la suite des raids israéliens sur Jenin, de pacifiste, il était devenu un commandant des Brigades des Martyrs d’El Aqsa de sa ville. Sachant qu’il était recherché par l’armée israélienne, Tali s’est rendue à Jenin et a déclaré publiquement être prête à lui servir de bouclier humain.
Entre-temps, en mai 2004, elle avait commencé à organiser un programme théâtral pour les enfants du camp, comme l’avait fait la pacifiste israélienne Arna Mer (qui était venue à l’UPJB en décembre 1993, en revenant de Stockholm où elle avait reçu le prix Nobel Alternatif de la Paix). Ce programme pédagogico-culturel fut interrompu lors de son arrestation.
En effet, l’opération lancée par Tsahal contre Jenin en mai 2004 ayant échoué (de par la négligence d’un soldat israélien qui avait perdu le document indiquant les maisons des personnes recherchées), Tali fut accusée de s’en être emparé, d’avoir transmis des informations à l’ennemi et de l’avoir soutenu en temps de guerre.
Dès son arrestation le 8 août dernier, elle fut livrée au “Service de Sécurité Général” (Shabak) qui la soumit à 28 jours d’interrogatoires intensifs, souvent depuis l’aube jusque tard dans la nuit. Pendant ces longues heures, elle était entravée par des menottes très serrées qui maintenaient ses mains attachées dans le dos à une chaise, alors que cette pratique est interdite par un arrêt de la Cour Suprême d’Israël.
Aucune preuve n’ayant été recueillie contre elle, Fahima fut placée, le 5 septembre, sur ordre du Ministre de la Défense Shaul Mofaz, en détention administrative (c’est-à-dire sans accusation). Elle passa ainsi trois mois à la prison de Neve Tirza où elle subit des conditions encore plus dures que les prisonnières politiques palestiniennes car elle y était presque constamment en détention solitaire, empêchée de cantine et privée de tout contact, même téléphonique, si ce n’est avec son avocat.
Transférée, le 5 décembre, aux Services de Sécurité, elle y subit à nouveau, pendant 12 jours, de longs interrogatoires.
Ces services durent admettre qu’il n’y avait pas de preuve avérée permettant de poursuivre Tali devant un tribunal. En outre, le Procureur de l’Etat admit devant la Cour Suprême, saisie par la défense d’un recours contre le maintien en détention administrative, que celle-ci pouvait être levée. Il subordonnait cependant cette remise en liberté à deux conditions : qu’elle soit assignée à résidence et qu’elle soit gardée constamment - et à ses frais - par un membre des Services de Sécurité.
Mais dès le 26 décembre et en dépit de ces deux prises de position de l’Accusation, le Tribunal du District de Tel Aviv a spécialement retenu contre elle le chef d’inculpation suivant : elle aurait aidé des membres des Brigades des Martyrs d’El-Aqsa et notamment leur commandant à Jenin, Zacharia Zubeidi, à éviter leur capture par des Forces de Défense israéliennes.
Depuis lors, malgré les audiences du 11, du 18 et du 19 janvier, le Tribunal n’a même pas encore entamé l’examen de cette affaire. Il s’est donné jusqu’au 30 janvier pour départager les parties sur le point de savoir si un procès peut se dérouler en matière criminelle sans que la défense ait accès aux documents qui, selon l’accusation, fondent celle-ci. Elle soutient que les dévoiler mettrait en péril la sécurité de l’Etat et de ses citoyens et a déclaré qu’elle se contentait désormais de requérir contre Tali Fahima une peine de prison à perpétuité.
On se rappelle que le Conseil de Guerre qui avait jugé Dreyfus avait répondu positivement à cette question.
Israël s’apprête-t-il à suivre ces “Français antisémites” qui avaient injustement condamné un capitaine juif en traitant aussi mal et aussi injustement une pacifiste juive d’Israël?
Pourquoi un tel acharnement contre cette jeune femme aussi honnête et courageuse que naïve et imprudente, alors que toutes les charges contre elle semblent rejetées?
En réalité, son seul vrai crime aux yeux des autorités israéliennes - qui ne peuvent l’avouer depuis qu’il a été question de conclure la paix avec “l’ennemi palestinien” - c’est d’avoir voulu, en se rendant sur place, connaître le sort des Palestiniens de Cisjordanie et de leur manifester sa compréhension et sa sympathie.
La condamner pour des faits qu’on ne se donne même pas la peine d’énoncer et, a fortiori, de prouver ne serait pas commettre une erreur judiciaire mais un crime d’Etat.
Décidément, de plus en plus d’Israéliens s’enferment derrière le Mur, en même temps que, de l’autre côté de celui-ci, ils enferment le peuple palestinien.
De tels actes doivent être dénoncés et portés à la connaissance de l’opinion publique internationale dont Israël a dû déjà plusieurs fois tenir compte.
Pour soutenir Tali Fahima, cliquez sur www.freetalifahima.org (version anglaise)
                   
13. Tsunami : le châtiment pour ceux qui soutiennent le plan Sharon (Grand-rabbin israélien Mordechaï Eliahou)
Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 31 janvier 2005, 11h38
Le tsunami, qui a fait plus de 283.000 morts le 26 décembre dans l'océan Indien, est le châtiment divin qui a frappé le monde pour son soutien au plan de retrait de Gaza, selon un ancien Grand-rabbin d'Israël."Lorsque le Tout-Puissant se fâche contre les Nations qui n'aident pas Israël, qui veulent une évacuation, un désengagement (de la bande de Gaza, ndlr), se mêlent de nos affaires et nous font du tort, (Dieu) joint les mains, et cela provoque le tremblement de terre", explique Mordechaï Eliahou dans une publication orthodoxe, "Les Sources de la Rédemption", diffusée dans des milliers de synagogues d'Israël.Selon le Yediot Aharonot, qui cite lundi cette revue, les propos du Grand-rabbin, considéré dans le monde juif comme une sommité, "dépassent de loin les inepties les plus extrêmes" entendues après cette catastrophe naturelle.Le quotidien à grand tirage indique que Mordechaï Eliahou a l'intention de rassembler une dizaine d'autres rabbins dans le Goush Katif, le bloc d'implantations de la bande de Gaza que le Premier ministre Ariel Sharon compte évacuer en été, afin de prier pour empêcher ce retrait."C'est un retrait qui anticipe une chute. Il n'aura pas lieu. Je demande à nouveau à tous les chefs d'Etat étrangers de se désengager vis-à-vis du désengagement", a poursuivi le Grand-rabbin.Le Yédiot Aharonot rapporte aussi que des responsables politiques israéliens ont fait part de leur "stupéfaction" et de leur irritation face à de tels propos qu'ils ont qualifiés de "dénués de bon sens".Plus de 130.000 manifestants israéliens se sont rassemblés dimanche soir à Jérusalem pour protester contre le plan de retrait unilatéral de la bande de Gaza de M. Sharon.
                                       
14. La démocratie, prétexte pour s’ingérer dans les affaires arabes et étendre l’hégémonie israélienne par Melhem Karam
in La Revue du Liban (hebdomadaire libanais) du samedi 29 janvier 2005

L’idéologie sioniste ne reconnaît pas les changements dans le monde et ne prend pas en considération les rôles et les équations qui surviennent sur la scène internationale. Depuis la conférence de Bâle jusqu’en 1948, aux stations de 1967 et 1973; puis, à la conférence de Madrid et aux accords d’Oslo, les constantes de la vision israélienne concernant le conflit n’ont pas changé.
Puis, des évolutions à caractère sismique se sont produites dans le monde, tels l’effondrement du mur de Berlin, le démembrement de l’empire rouge, le changement politique global en Europe orientale, l’absence de leaders historiques au Proche-Orient, le choc du 11 septembre 2001, la guerre d’Irak, les deux Intifadas et la trêve américano-égypto-jordanienne.
Tous ces changements n’ont pas ébranlé le projet sioniste. Quiconque considère que la visite de Mahmoud Abbas à la Maison-Blanche peut influer sur l’agenda sharonien et la droite israélienne, se trompe. En tout cas, les observations de Bush et de sa conseillère pour la sécurité nationale, Condoleezza Rice, ne sont pas suffisantes pour arrêter la construction du “mur isolant”, intégrer le flux colonisateur, libérer les pri-sonniers et appliquer la “feuille de route”en vue d’édifier un Etat palestinien indépendant en 2005.
Car ce qui se passe maintenant, n’est qu’une action de relation publique nécessitée par l’impasse irakienne de Bush, à laquelle s’est impliqué Tony Blair, Premier ministre britannique, à travers une nouvelle “Déclaration Balfour” garantissant l’extension à Israël et imposant la “médication démocratique” aux Arabes. Deux projets ont été posés, dernièrement: selon le premier, le conflit palestino-israélien est devenu plus impérieux aujourd’hui dans le monde. Il en fera la prio-rité de son second mandat, s’il parvient à évincer Gordon Brown, mi-nistre du Trésor, en promettant à son allié, le président américain d’en faire de même. Le second projet vise “à propager la démocratie dans les mondes arabe et islamique”.
C’est un jeu des convenances, si ce n’est pas un jeu de relations publiques. C’est que Tony Blair est un allié de Washington, non un cheval traînant le caravane ou en prenant la tête, celle-ci étant, en parole et en action, au président Bush qui commence un second mandat en modifiant le décor, le ton et certains visages. Mais il conserve les bases de la ligne, du style et des objectifs comme au cours du premier mandat.
Sans procéder à de multiples comparaisons historiques, il semble que l’environnement politique qui exige la démocratie en tant que mission civilisatrice, a entrepris dans le passé les campagnes “colonialistes” les plus féroces, celles-là même qui s’emploient à Londres et Washington, à masquer des problèmes qui se posent dans d’autres endroits, dont l’Irak.
Dans ses “Mémoires”, Sharon dit que la grande ambition de sa vie, du temps où il était un élément ordinaire de la Haganah et, ensuite, parachutiste dans la première unité régulière de l’armée, est d’être l’un des pères fondateurs de l’Etat d’Israël, à l’instar de David Ben Gourion. Il avoue dans ces “Mémoires” que lui a rédigés un journaliste du “Likoud” et ont été traduits en anglais et en français, que Zaïf Jabontinsky (1880-1940) était son modèle et son exemple, celui-ci ayant été le fondateur du sionisme qui s’est opposé au partage de la Palestine et a œuvré en vue de créer l’“Etat des fils d’Israël” sur l’ensemble du territoire de la Palestine historique. En 1932, il a écrit son célèbre article: “Derrière le mur, nous et les Arabes” où il a soutenu: “Je ne vise pas à affirmer l’impossibilité de parvenir à un accord avec les Arabes sur la terre d’Israël. Seul l’accord facultatif est impossible. Tant qu’ils conservent une lueur d’espoir qu’ils réussiront à nous expulser un jour, rien au monde ne les dissuadera de cet espoir, parce que ce ne sont pas des éléments dispersés; c’est un peuple qui vit sur cette terre. A cause de cela, ils ne renonceront aux questions vitales que lorsqu’ils perdront tout espoir de garder la terre et d’en chasser les colons étrangers”.
Disciple de Jabotinsky, Sharon a joint l’acte à la parole. Le mur en fer n’est que le mur qui se dresse en Cisjordanie. La force de l’armée spartiate poursuit la mission de l’assassinat et de la destruction jusqu’aux “colombes du Travail”. C’est un nouveau leurre ayant berné les Arabes qui sont tombés dans le piège de la distinction entre “les faucons et les colombes” ayant repris les propositions de Jabotinsky, le plus en vue ayant été Ben Gourion lui-même quand il a écrit: “Le dé-sespoir des Palestiniens provient de l’accroissement de notre force et, alors, les Arabes accepteront l’existence d’Israël la “juive”.
Ces textes effroyables ont été lus, sans doute, par de grands hommes au Liban, en Syrie, en Palestine, en Egypte et en Arabie saoudite. Najib Azoury, Amine Rihani, Charles Malek, Kamal Joumblatt et Michel Chiha y ont mis en garde, en incitant ceux qui prennent la décision politique et financière de mobiliser une force pour y faire face. Mais leurs voix se sont perdues comme un mirage. Pour toutes ces raisons, l’Administration du président Bush a besoin d’un mur ou d’un écran de fumée diplomatique pour cacher le spectacle irakien qui est dans l’impasse et s’est retrouvée dans la “feuille de route”. Dans ce contexte, elle pourrait recevoir Abou Mazen et se préparer à accueillir Sharon, tout en laissant croire que “tout va pour le mieux Madame la marquise”. Mais tout débouche sur un jeu de tromperie. Après maints refus, Sharon a accepté de libérer des centaines de détenus de droit commun. Mais il n’a pas gelé les travaux du “mur”, ni la judaïsation de la Cisjordanie. Il pourrait faire exploser une bombe de lourd calibre, pareille à celle au 29 septembre 2000 et ouvrir l’esplanade de la mosquée d’Al-Aqsa devant les religieux juifs, afin de paralyser les efforts des colombes ayant succédé à Arafat.
Rien ne prouve mieux cette impasse, que l’exclusion de Colin Powell, la colombe, en menaçant de le remplacer par Henry Kissinger dont l’âge constitue un handicap l’empêchant d’assumer une charge bureaucratique harrassante. C’est l’hiver du tsunami venant après un été caniculaire, les comptes chauds et les chasses sanglantes.
Le temps n’est pas encore passé par rapport aux Arabes pour concrétiser une position commune, parce que tous sont menacés. Le président Bush est embarrassé en Irak et celui qui cherche un gilet de sauvetage auprès de ses alliés et de ses adversaires à la fois, pourrait se venger des Arabes. Dans sa tête existent bien des plans qu’on peut détecter à travers la troïka juive au Pentagone, formée de Richard Perle, Paul Wolfowitz et Douglas Fith qui proclame: “Plus de saddamisme après Saddam”. La route mène, alors, vers la porte de l’inconnu.
D’autres vents s’amoncellent à l’horizon et pourraient être plus violents que d’autres vents ayant soufflé sur la région depuis le premier revers, suivi d’autres défaites.
                               
15. Incidents
Extrait de la revue de presse réalisée par l'Ambassade de France en Israël (Tel-Aviv) du jeudi 27 janvier 2005

Les journaux, en particulier le Yediot Aharonot et le Haaretz, rapportent que des officiers palestiniens venus hier à Neveh Dkalim, dans la Bande de Gaza, pour coordonner avec leurs homologues israéliens le déploiement de leurs forces dans le sud de la bande – afin d’empêcher les tirs de Qassam et d’obus de mortier – ont « reçu un accueil très inamical ». Des colons du Goush Katif sont venus semer la zizanie, ont crevé les pneus de la voiture des Palestiniens, invectivé les soldats en faction et commencé à les frapper ; ils ont aussi lancé des pierres et se sont violemment heurtés aux policiers qui venaient rétablir l’ordre.
La rencontre a dû être suspendue et les officiers israéliens ont présenté des excuses aux Palestiniens – contraints de repartir à pied. Les milieux sécuritaires affirment que « les colons ont franchi une ligne rouge ».
                               
16. Tsunami israélien et Tsunami américain par Xavière Jardez
in AFI-Flash N° 40 du jeudi 27 janvier 2005

[AFI-Flash est une publication des Amitiés Franco-Irakiennes - Contact Gilles Munier : gilmun@club-internet.fr - Fax : 02 23 20 96 58 - Site : http://iraqtual.com]
On aurait aimé pouvoir apprécier sans arrière- pensée, sans retenue le formidable élan de solidarité qui a déferlé sur le monde, occidental en particulier, en faveur de l’Asie du sud-est, frappée par un raz-de-marée que les Japonais appellent tsunami et Condolizza Rice, « occasion miraculeuse » pour les Etats-Unis. On aurait pu penser, que cet emballement psychologique des Etats et des individus, magnifiquement happé par la machine médiatique, opérait en Occident une réflexion sur soi-même, sur les responsabilités quant à  l’avenir du monde, politique, économique, social, à la résolution de conflits cruciaux, en terme de vie pour des peuples entiers.
Nenni. Il n’a fait que confirmer ce que nous savions déjà, à savoir qu’une catastrophe détient un potentiel de marketing où s’exerce une surenchère au plus offrant à des fins de rédemption morale…et d’aide à la reconstruction, elle remboursable. Que valent alors les 350 millions d’aide, promis par les Etats-Unis alors qu’un jour de guerre en Irak coûte 4 milliards de dollars, qu’une rallonge de 80 milliards de dollars est à l’étude au Congrès pour les guerres en Irak et en Afghanistan,  et que des milliards réservés pour la reconstruction en Irak, 29 millions seuls,  provenant des revenus pétroliers irakiens, ont été dépensés pour payer des mercenaires protégeant des étrangers.
Quelle est la nature de cette « solidarité » quand, par médias interposés, elle ignore systématiquement les victimes palestiniennes de la répression israélienne et les victimes irakiennes de l’agression américaine, qu’elle choisit entre les victimes à honorer, les « pures » et les « impures » selon l’expression caustique de Rony Brauman, ancien de Médecins sans Frontières, à l’émission « Arrêt sur images », les « impures » étant celles seules responsables de leur mal-être, du désastre dans lequel elles se trouvent.
Entre Noël et le 3 janvier 2005- au moment donc du cataclysme en Asie- 23 Palestiniens ont été tués, dix maisons ont été démolies, d’autres terres palestiniennes ont été confisquées et d’autres colonies juives, édifiées. Pas un Israélien n’a été tué ou blessé pendant cette semaine-là. Les Israéliens ont  tué plus de Palestiniens (entre 5000 et 6000) depuis septembre 2000 que d’Américains ne sont morts lors des attaques du 11 septembre. Pour l’année 2004 seulement, 808 Palestiniens ont été tués contre 37 Israéliens lors d’attentats-suicide !! Depuis octobre 2000, 9 970 Palestiniens se sont retrouvés sans abri, - au cours de la seule année 2004, 102 320 arbres ont été déracinés, etc…etc…. L’occupation  israélienne de la Palestine, et la répression qui en le pendant, ne s’évalue pas uniquement en termes matériels comme on chiffre les dommages d’un tsunami. Elle constitue une main mise totale sur la vie du peuple palestinien et conduit à son enfermement physique, matériel, moral et psychologique.
Qui se préoccupe de dénombrer les civils tués en Irak ? Certes pas les Américains pour qui la vie d’un Irakien ne vaut pas une chiquenaude mais qui offrent des statistiques détaillées sur le nombre de leurs soldats tués ou blessés. La vague meurtrière qu’est un tsunami entraîne l’Irak dans un chaos de plus en plus profond ; tous les jours, des centaines d’Irakiens innocents meurent par un recours disproportionné de la force par les Américains ou dans des circonstances douteuses. On considère que le chiffre de tués tourne autour de 100 000 à 150 000 ; un enfant sur huit meurt avant l’âge de cinq ans de malnutrition ce qui en fait une des mortalités infantiles les plus élevées dans le monde. A l’instar de leur mentor israélien, les Américains s’appliquent à la politique de la terre brûlée, détruisant  maisons, véhicules, mobiliers sans aucune justification ou « confisquant » des biens au cours d’une arrestation.
Qui, d’ailleurs, dans le monde occidental ou à l’ONU, s’est soucié des conséquences de l’embargo sur la population irakienne, pendant douze ans, avec son cortège de maladies, de malnutrition, des retombées de l’emploi, au cours de la Guerre du Golfe I, par les Américains d’armes à uranium appauvri résultant en une augmentation du nombre de cancers et de  malformations à la naissance, souvent niées dans la presse ? Qui a jeté un cri d’alarme et précipité les peuples dans une opération de solidarité semblable à celle d’aujourd’hui ? Personne car les Irakiens étaient des victimes impures, coupables de soutenir le régime baasiste et méritaient leur sort. Décidément, les catastrophes naturelles sont moins cruelles que celles déclenchées par l’homme.
                   
17. Non à la censure à la source par Charles Enderlin
in Le Figaro du jeudi 27 janvier 2005

(Charles Enderlin est journaliste à Jérusalem.)
Qui a tué le jeune Palestinien de Netzarin, le 30 septembre 2000 ?

Je dois remercier Denis Jeambar et Daniel Leconte pour leur tribune publiée par Le Figaro (1). Evoquant la mort à Gaza du petit Mohammed al-Dura le 30 septembre 2000 et filmée par Talal Abou Rahmeh de France 2, ils admettent qu'il ne s'agit pas d'une mise en scène. Le directeur de L'Express et mon excellent confrère, journaliste de télévision, considèrent que la Metula News Agency (NDLR : citée sous l'abréviation «Mena» dans leur article) a voulu les «instrumentaliser». Ouf !
Pour en arriver là, il aura fallu que France 2 retourne dans le camp de réfugiés al-Boureij à Gaza chez le père, Jamal al-Dura, pour lui demander de montrer ses cicatrices devant la caméra. Il a répété sur la tombe de son fils qu'il était prêt à témoigner.
Les lecteurs du Figaro doivent savoir que cette «Agency» et d'autres sites Web mènent, depuis quatre ans, une campagne diffamatoire affirmant que toute cette histoire n'est que du cinéma tourné par les génies de la propagande palestinienne. Certains allant même jusqu'à affirmer que l'enfant serait encore vivant ! Bizarre ? Oui, mais cela a eu pour résultat que ma famille et moi-même avons reçu des menaces considérées comme sérieuses par la police israélienne.
Nous avons été obligés de prendre des mesures de sécurité avant de changer de domicile. Plusieurs plaintes en diffamation ont été déposées. En France, un individu qui m'a menacé de mort a été condamné et jugé.
Mais revenons à l'article de Denis Jeambar et Daniel Leconte. Ils posent la question suivante : pourquoi Enderlin a-t-il dit dans son reportage que les balles venaient de la position israélienne ? Voici les réponses :
D'abord, parce que, au moment de la diffusion, le correspondant de France 2 à Gaza, Talal, qui a filmé la scène, indiquait que tel était le cas. Là, je dois répéter que, journaliste reporteur d'images, Talal travaille en toute confiance pour notre chaîne depuis 1988. Dans les jours suivants, d'autres témoignages – de journalistes et de certaines sources – sont venus me confirmer les faits. Il en était de même pour les réactions des chefs de l'armée qui allaient dans le même sens tout en rejetant sur les Palestiniens la responsabilité des affrontements et, plus tard, en lançant un débat sur l'origine des tirs. Toutes choses dont j'ai rendu compte dans les journaux de France 2.
Mais, à aucun moment, l'armée ne nous a écrit pour nous proposer de collaborer à une enquête en bonne et due forme. Proposition que nous avons malgré tout faite par écrit auprès du porte-parole de Tsahal sans jamais recevoir de réponse. Sans cela, pour les uns et les autres, le débat ne sera jamais clos.
Ensuite, parce que, pour moi, l'image correspondait à la réalité de la situation non seulement à Gaza, mais aussi en Cisjordanie. L'armée israélienne ripostait au soulèvement palestinien par l'utilisation massive de tirs à balles réelles. D'ailleurs, Ben Kaspit du quotidien israélien Maariv révélera un secret militaire deux années plus tard : durant le premier mois de l'Intifada, Tsahal avait tiré un million de cartouches de calibre divers, 700 000 en Cisjordanie et 300 000 à Gaza (2). Des enfants palestiniens se sont retrouvés en première ligne. Du 29 septembre à la fin octobre 2000, 118 Palestiniens sont morts, parmi eux 33 avaient moins de 18 ans. Onze Israéliens ont été tués, tous adultes (3). Les envoyés spéciaux sur place et les reportages filmés sur le terrain peuvent le confirmer.
Dans ce contexte, Denis Jeambar et Daniel Leconte évoquent l'utilisation qui a été faite de l'image de la mort de l'enfant et posent ainsi un problème fondamental : lors de la réalisation de son reportage, un journaliste doit-il tenir compte de l'usage malhonnête qui pourrait en être fait ultérieurement par des groupes extrémistes ? Une telle exigence signifierait une inacceptable censure à la source.
Quant aux éléments de mon reportage qu'ils relèvent par ailleurs, je suis à leur disposition pour leur fournir toutes les explications nécessaires.
- NOTES :
(1) Le Figaro du 25 janvier 2005.
(2) Maariv, 6 septembre 2002. Ben Kaspit cite le général Amos Malka, chef des renseignements militaires.
(3) Chiffres du Btselem, l'organisation israélienne des droits de l'homme (http ://www.btselem. org/English/Statistics/index.asp).
                       
18. Une façon, parmi d’autres, d’en finir par Terry Eagleton
in The Guardian (quotidien britannique) du mercredi 26 janvier 2005
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]
(Terry Eagleton enseigne la théorie culturelle à l’Université de Manchester.)
Depuis que des insurgés se font exploser en Israël et en Irak, on tait les significations des attentats à la bombe kamikazes. A l’instar des grévistes de la faim, les kamikazes n’ont pas nécessairement un ticket avec la mort. S’ils se tuent délibérément, c’est parce qu’ils ne voient aucune autre manière d’obtenir justice ; et le fait même qu’ils doivent faire cela est partie constitutive de l’injustice. Il arrive que l’on agisse d’une manière qui rend sa propre mort inévitable, sans effectivement la désirer. Les malheureux qui se sont précipités du haut des gratte-ciel du World Trade Center afin d’échapper à leur inéluctable incinération vivants n’aspiraient pas à la mort, même s’ils n’auraient pu en aucune manière l’éviter.
Généralement, les suicidaires non-politiques sont des gens à qui leur existence a fini par sembler dénuée de valeur et qui ont, de ce fait, besoin d’en finir au plus vite. Les martyrs sont plus ou moins à l’exact opposé de ceux-ci. Des personnes telles Rosa Luxemburg ou Steve Biko ont renoncé à ce qu’ils considéraient avoir de plus précieux – leur propre vie – au service d’une cause encore plus noble. Les martyrs ne meurent pas parce qu’ils considèrent la mort désirable en soi, mais au nom d’une vie plus abondante, plus pleine qu’ils ne la voient autour d’eux.
Les kamikazes qui se font sauter avec leur bombe, eux aussi, meurent au nom d’une vie meilleure pour autrui ; il est exacte qu’à la différence des martyrs, ils emmènent d’autres, avec eux, dans la mort. Si le martyr fait le pari que le sacrifice de sa propre vie amènera un avenir de justice et de liberté, le kamikaze, quant à lui, mise votre vie avec la sienne propre. Mais l’un comme l’autre pensent qu’une vie n’est digne d’être vécue que si elle comporte une dimension pour laquelle il vaille la peine de mourir. Dans cette théorie, ce qui donne sens à la vie, c’est ce à quoi vous êtes prêt à renoncer pour elle. Cela s’appelait jadis : « Dieu ». De nos jours, c’est plus connu sous le nom de Patrie. Pour les islamistes radicaux, c’est les deux à la fois. Inséparablement.
Vous faire sauter la tronche pour des raisons politiques, c’est un acte symbolique complexe, un acte qui mêle désespoir et défi. Cet acte proclame que même la mort est préférable à votre vie misérable. L’acte de dépossession de soi écrit en lettres dramatiquement capitales la dépossession de soi à quoi se résume votre existence ordinaire. Porter une main violente sur vous-même, voilà qui est une image de ce que votre ennemi vous fait déjà, de toute façon. Simplement, elle est un peu plus frappante. En même temps, le kamikaze impose un contraste entre l’autodétermination extrême impliquée par le fait de supprimer sa propre vie et l’absence d’une identique autodétermination dans sa vie de tous les jours. S’il pouvait vivre de la manière qu’il a de mourir, il n’aurait pas besoin de mourir. Au moins : sa vie peut lui appartenir, d’où son sentiment de liberté. La seule forme de souveraineté qui vous est laissée, c’est le pouvoir de choisir votre mort à votre guise. Le suicide, comme l’a diagnostiqué Dostoïevski, signifie la mort de Dieu, puisqu’en vous suicidant, vous usurpez son monopole divin sur la vie et la mort. Pourrait-il exister forme plus vertigineuse d’omnipotence que celle consistant à en terminer avec vous-même, pour les siècles des siècles ?
Les kamikazes et les grévistes de la faim ne pensent qu’à une chose : faire d’une faiblesse un pouvoir. Parce qu’ils sont prêts à mourir alors que leurs ennemis ne le sont pas, ils remportent sur leurs ennemis une victoire morale. Le summum de la liberté, c’est de ne pas redouter de mourir. Si vous n’avez plus peur de la mort, aucun pouvoir politique ne saurait avoir prise sur vous. Des gens n’ayant plus rien à perdre sont profondément dangereux. Mais les kamikazes volent aussi à leurs adversaires le seul aspect d’eux-mêmes qu’ils ne sauraient contrôler : leur propre corps. En privant leurs tourmenteurs et maîtres de cette partie manipulable d’eux-mêmes, ils deviennent invulnérables. Rien n’est moins maîtrisable que rien. S’écoulant tels du sable impalpable entre les doigts du pouvoir, qui se retrouve impuissant et ridicule à essayer de les attraper en vain, les kamikazes le contraignent à trahir sa propre vacuité. C’est là, à n’en pas douter, une victoire à la Pyrrhus. Mais cette victoire à la Pyrrhus proclame que ce que votre ennemi ne saurait anéantir, c’est votre volonté d’auto-annihilation. A l’instar du héros de la tragédie classique, le kamikaze s’élève au-dessus de sa propre destruction par la résolution même avec laquelle il s’y adonne.
Pour le kamikaze, le jour où il se fait sauter en lambeaux de chair dans un marché bondé représente vraisemblablement l’événement historique le plus important de toute son existence. Rien, dans sa vie – pour citer Macbeth – ne saurait lui procurer un plaisir plus grand que de la quitter. C’est à la fois son triomphe et sa défaite. Aussi misérable et appauvri soient-ils, la plupart des hommes et des femmes disposent d’un pouvoir formidable : le pouvoir de mourir de la manière la plus dévastatrice possible. Et non seulement de mourir de la manière la plus dévastatrice possible, mais aussi de la manière la plus surréaliste possible. Il y a un petit goût de théâtre d’avant-garde, dans cet acte horrifiant. Dans un ordre social qui semble de plus en plus sans profondeur, de plus en plus transparent, rationalisé et instantanément communicable, le massacre brutal de l’innocent, comme quelque happening dadaïste, défigure l’âme tout autant que le corps. L’assaut atteint le sens, et pas seulement la chair. C’est un acte ultime de dé-solation, qui transforme le quotidien en monstruosité méconnaissable.
                                       
19. Le président chilien Ricardo Lagos : "Nous voulons renforcer nos relations avec le monde arabe" propos recueillis par Randa Achmawi
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 26 janvier 2005
Récemment en visite en Egypte, le président chilien Ricardo Lagos parle du prochain Sommet monde arabe-Amérique du Sud ainsi que de la crise en Iraq et de la question palestinienne. 
Al-Ahram Hebdo : Quels seront les grands thèmes qui seront discutés lors du Sommet monde arabe-Amérique du Sud qui devrait se tenir en mai prochain à Brasilia ?
 Ricardo Lagos : J’espère que le Sommet représentera une sorte de mise à jour des relations entre le monde arabe et l’Amérique du Sud. Il y a 60 ans, quand la Ligue arabe est née, le monde arabe a travaillé conjointement avec l’Union panaméricaine pour qu’il fût inclus, dans la charte des Nations-Unies, un chapitre spécial sur les blocs régionaux. Déjà à cette époque, nous avons travaillé ensemble et échangé mutuellement nos idées. Et la charte des Nations-Unies est elle-même, dans ce sens, un document qui prouve notre capacité à travailler ensemble. Malheureusement, depuis, nous avons interrompu notre collaboration pour un certain moment.
Mais je pense que la période de l’après-sommet représentera une grande opportunité pour la reprise de cette collaboration et de ce travail commun sur les grands thèmes du XXIe siècle comme le multilatéralisme. Il est évident que lorsque nous aborderons ensemble ces questions, nous trouverons un grand nombre de thèmes où il y aura des positions communes. Pour le moment, nous discutons de la réforme du Conseil de sécurité des Nations-Unies. Aussi bien les Arabes que les Sud-Américains souhaitent qu’il y ait une réforme au niveau des membres permanents de cette instance. Ils veulent qu’elle soit représentative de la réalité de nos jours, en ce qui concerne le droit au veto, par exemple.
— Vous venez d’effectuer la première visite d’un chef d’Etat chilien en Egypte. Quelles étaient les raisons de votre visite ?
— J’ai décidé de visiter l’Egypte parce que ce pays a un double rôle de grande importance aussi bien dans le monde arabe qu’en Afrique. J’ai déjà rendu visite à l’Afrique du Sud. Maintenant, il est nécessaire de suivre les affaires du continent à partir de la perspective égyptienne. La deuxième raison de ma visite est liée à nos relations bilatérales, plus spécifiquement au fait que nous, au Chili, avons constaté que l’échange commercial entre les deux pays était très faible par rapport au potentiel des deux pays. Si nous observons le niveau de développement, tant de l’Egypte que du Chili, nous remarquons qu’il existe de nombreuses possibilités de coopération et de travail conjoints qui doivent être davantage exploités. La troisième raison de ma visite est liée au fait que dans mon pays, nous avons constaté qu’il y a en Egypte un regain d’intérêt culturel, et très important, pour le Chili, où vit une importante communauté d’origine arabe. Par ailleurs, nous aimerions suivre de plus près le développement des activités de la Ligue arabe. De cette manière, nous pourrons trouver de nouvelles formes de dynamiser, aussi bien les relations culturelles que commerciales avec tous les pays arabes. Le Chili participe activement à un ensemble significatif de forums internationaux en Amérique du Sud, en Asie, au Pacifique et sûrement au sein des Nations-Unies. Le Chili, qui maintient déjà un échange culturel et économique très intense avec l’Union Européenne (UE), aimerait avoir ce même type de rapport avec le monde arabe. Et c’est avec cet objectif que j’ai fait mon discours à la Ligue arabe où nous avons signé un mémorandum de collaboration avec cette institution.
— Pensez-vous que les élections en Iraq, prévues pour le 30 janvier, ont une crédibilité étant donné la violence qui sévit et le boycott déclaré par les sunnites ?
— Je pense qu’il faut mettre en évidence le rapport entre le multilatéralisme et l’usage de la force. L’appel à la force ne peut être possible que lorsqu’il est fait par les organisations multilatérales. Le Chili a toujours été opposé à l’usage de la force en Iraq. Je suis par contre conscient des positions des Etats-Unis, de ce que le 11 septembre a représenté, de la nécessité de punir les responsables. Mais je crois que la légitimité de l’usage de la force ne peut être donnée qu’à partir des organisations internationales. Sinon, chacun viendra imposer ses propres règles et moi personnellement, je crois profondément à l’Etat de droit. Je suis clairement pour des organes multilatéraux forts et qui ont le pouvoir d’appliquer leurs décisions. Sinon, à quoi cela peut bien servir, de prendre une décision et de ne pas l’appliquer ?
— Et sur la question palestinienne ?
— La question palestinienne doit être réglée conformément à la résolution 181 des Nations-Unies de 1947, qui a partagé la Palestine historique entre deux Etats palestinien et israélien. Pour l’instant, il n’y a qu’un seul Etat qui a été créé, celui d’Israël. Alors que 50 ans après, l’Etat palestinien n’a toujours pas vu le jour.
— Israël refuse de négocier avec l’Autorité palestinienne tant que la résistance armée se poursuit. Qu’en pensez-vous ?
— Je comprends que tout le monde cherche à parvenir à un cessez-le-feu dans le conflit israélo-palestinien. Cependant, si on déclare qu’on ne peut pas négocier parce qu’il y a de la violence, alors on est automatiquement en train de transférer le pouvoir de décision entre les mains des ceux qui propagent la violence. Ceci est une contradiction. Une minorité violente ne doit pas être un obstacle au dialogue. Sur ce sujet, j’aimerai ajouter que le président de l’Autorité palestinienne a déjà confirmé sa présence au Sommet monde arabe-Amérique du Sud et je lui ai dit que celui-ci serait une bonne occasion pour parler de ce thème, entre autres et pour qu’on puisse accorder l’appui à une décision civilisée sur cette question.
                           
20. Leïla Shahid, fille de famille par Mouna Naïm
in Le Monde du mercredi 26 janvier 2005
Les souvenirs de sa mère, Sirine, publiés en français, racontent les origines de la déléguée générale de Palestine en France, descendante des Husseini
Leïla shahid exulte. Dans un de ces moments de lucidité qu'autorise parfois la maladie d'Alzheimer, Sirine, sa mère, a compris que l'ouvrage qu'on vient de lui soumettre, ces Souvenirs de Jérusalem, tout juste publiés en français (Fayard), est le sien. Une consécration à laquelle elle n'osait croire. Lorsque l'édition originale en anglais avait été publiée à Londres, en 2000, elle avait eu cette réflexion : "Plus rien ne compte désormais ; je peux mourir."
Sirine Shahid semblait enfin apaisée d'avoir apporté sa contribution à l'histoire de "sa" ville, par le simple récit d'une vie ordinaire avant l'exil, au sein de l'une des familles palestiniennes les plus prestigieuses et les plus impliquées dans le mouvement national du temps du mandat britannique, les Husseini. De cette famille sont issus l'ancien mufti de Jérusalem, Amin Al-Husseini, personnage controversé, ainsi que le héros de la révolte des années 1930 contre les Britanniques, Abdel Qader Al-Husseini, et son fils, Fayçal Husseini, ancien directeur de la Maison d'Orient. "Tragique ironie de l'histoire, qui veut que Sirine perde la mémoire au moment où paraissent ses Mémoires", commente la déléguée générale de Palestine en France, sa fille.
"Ce sont ces histoires vraies, et non les contes du Petit Poucet ou du Chaperon rouge que, à Beyrouth, où nous vivions, Sirine nous racontait à l'heure du marchand de sable, dit une Leïla Shahid attendrie. A cause des soins et de l'attention qu'exigeaient mes crises d'asthme – ou peut-être grâce à cela –, j'ai bénéficié, plus que mes sœurs, de ces scènes de vraie vie dans un pays d'origine dont je n'ai pu fouler le sol qu'en 1994." Plus tard, ajoute-t-elle, "j'ai compris qu'en racontant ces histoires Sirine cherchait à sauvegarder sa mémoire, celle de son enfance, de sa jeunesse et d'un pays".
Ce sont ces mêmes histoires que Leïla, devenue, en 1978 l'épouse de l'écrivain marocain Mohammed Berrada et vivant au Maroc, racontera, à son tour, aux enfants de ses amis marocains.
C'est peut-être dans cette tendre enfance qu'il faut trouver le déclic qui a conduit Leïla à la recherche de ses racines, attirée "comme par un aimant"dans les lieux parfois les plus improbables, puisque "l'histoire des Palestiniens est celle d'un perpétuel mouvement de départs et d'arrivées, de constants déplacements".
Après les accords d'Oslo, en 1993 entre Israéliens et Palestiniens, elle se rend partout où ont vécu les siens : à Jérusalem, bien sûr, où la grande maison de sa mère est occupée par des familles israéliennes ; à Charafat, près de Jérusalem, où se trouvait la maison de campagne ; à Saint-Jean-d'Acre, où est né son père ; à Haïfa, où il a grandi et où sa demeure est aujourd'hui un conservatoire de musique ; à Jéricho et ailleurs... "On peut déplacer les gens, mais les lieux gardent leur mémoire. La présence israélienne n'est pas arrivée à occulter la mémoire palestinienne."
1967 est une année charnière. Le 5 juin – "le jour où je devais passer mon bac" – éclate la guerre dite de six jours. Le choc de la défaite est "si brutal et si humiliant qu'il est impossible de ne pas s'intégrer à une famille politique". "Je suis alors convaincue que quelque chose va se passer", dit-elle. Un départ prévu pour Londres passe aux oubliettes et, avec lui, un projet d'études de médecine, dans les pas d'un père professeur et praticien à l'hôpital américain de Beyrouth. Leïla décide de suivre des études d'anthropologie et de sociologie à l'université américaine, foyer historique de la contestation politique à l'échelle arabe.
Membre du Fatah, le principal mouvement de l'Organisation de libération de la Palestine, dès 1968 elle découvre avec "fascination l'anthropologie des camps de réfugiés palestiniens". "C'était un bonheur, dit-elle, de retrouver là une Palestine refabriquée, par familles, par quartiers, villages et villes, une Palestine qui remplaçait le pays perdu. Ma Palestine, c'était les camps ! Ce n'était pas un sacerdoce, ou quelque entrée taciturne dans les ordres, mais une joie immense, un plaisir intense, une vraie fête."
Ce dont nul ne se souvient, mais qui a profondément marqué la jeune étudiante, c'est l'Intifada, la première, bien avant celle qui allait s'emparer de la Cisjordanie et de Gaza en 1987, et qui allait devenir le sujet de sa thèse de maîtrise. C'était en 1969. Les quelque 400 000 habitants de ces quinze lieux de misère se révoltent contre le corset de fer que leur impose l'armée libanaise et conquièrent leur liberté dans les camps. "Dès lors, tous les soirs c'était la fête. Jean Genet est le seul à avoir senti et compris cela. Lui qui a toujours traversé les lieux sans s'y arrêter, pourquoi a-t-il passé tant de temps dans les camps palestiniens entre 1970 et 1986 ? Parce qu'il était au cœur d'une euphorie, d'un bonheur sensuel, drôle, enrichissant. C'est cela qu'il a raconté dans Un captif amoureux."
L'euphorie ne va pas durer. Leïla Shahid vit la guerre du Liban comme une déchirure, comme la métaphore d'une guerre entre deux pays qu'elle aime : son pays d'origine et celui dont elle est citoyenne. Son "exil" marocain, après son mariage, agit comme une cure. Mais avec l'Intifada des territoires occupés, en 1987, la Palestine la rattrape. Elle y revient, en écrivant dans la Revue d'études palestiniennes.
Deux ans plus tard, "Yasser Arafat, qui a compris le rôle des femmes dans l'Intifada, décide qu'il veut nommer des femmes ambassadeurs". Trois sont sollicitées. D'abord hésitante, manquant de confiance en elle-même, mais très vivement encouragée par son époux, Leïla est la seule à accepter. Ce fut d'abord l'Irlande, puis les Pays-Bas (1990) qu'elle cumulera l'année suivante avec le Danemark (1992) avant l'Unesco, puis Paris.
Compte tenu de son parcours et de celui de sa mère, Leïla Shahid aurait beaucoup de choses à écrire, mais son rôle, dit-elle, "est de parler, d'expliquer ce qui se passe en Palestine." C'est un sujet d'autant plus compliqué que, selon elle, "les Palestiniens subissent les conséquences de deux faits historiques qui ont lieu sur le continent européen : le génocide du peuple juif et l'antisémitisme d'une part, la colonisation et le racisme anti-arabe de l'autre".
                                   
21. Commémoration onusienne - La Palestine hante la commémoration de la libération des camps nazis par Mazin Qumsiyeh
on Media Monitors Network (e-magazine étasunien) du mercredi 26 janvier 2005
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

(Mazin Qumsiyeh Ph. D. est l'auteur de "Partager la Terre de Canaan : Les Droits de l’homme et le conflit israélo-palestinien" - en anglais - "Sharing the Land of Canaan : Human Rights and the Israeli Palestinian Struggle".)
Au cours d’une session spéciale destinée à commémorer la libération des camps de concentration nazis, [le secrétaire général] Kofi Annan a rappelé qu’il s’agissait en l’occurrence de la raison même pour laquelle l’ONU avait été instituée et que des documents tels la Déclaration universelle des Droits de l’Homme avait été adoptée. Il a omis de mentionner qu’un haut responsable de l’ONU avait été démis de ses fonctions pour avoir défendu les droits humains des Palestiniens. Il s’agit de Peter Hansen. Les orateurs sionistes qui prirent la parole à la suite d’Annan ont prétendu que soutenir le sionisme était la belle manière de soutenir les victimes des nazis. Confondre la souffrance historique des juifs avec les intérêts du gouvernement israélien et le sionisme équivaut à faire l’amalgame entre les souffrances des autochtones amérindiens avec les intérêts du gouvernement des Etats-Unis et le capitalisme.
Mais l’histoire n’est pas tendre pour ce genre de fiction. L’influence sioniste a été utilisée afin de briser le boycott imposé à l’Allemagne nazie, dans les années 1930 (boycott initié par les socialistes juifs), tout en assénant l’idée que la seule issue laissée ouverte devant les juifs européens était celle de la colonisation de la Palestine. David Ben Gourion, le père de l’Etat d’Israël et son premier Premier ministre, a déclaré : « Si je savais possible de sauver tous les enfants (juifs) d’Allemagne en les faisant venir en Angleterre, mais seulement la moitié d’entre eux en les amenant en Eretz Yisrael, alors, oui : j’aurais opté pour la seconde solution. Car nous ne devons pas nous arrêter au prix de la vie de ces enfants : il nous faut prendre en considération le prix historique du « peuple d’Israël » [Am Yisrael] ».
Pour quelle raison les juifs non-sionistes ont-ils été tenus à l’écart de cette conférence ? Il y a tellement d’auteurs (juifs) qui ont écrit des ouvrages traitant du sionisme : « Les Scandales de Ben Gourion » (Naeim Giladi) ; « L’Industrie de l’Holocauste » (Norman Finkelstein » ; « Les Mythes du sionisme » (Rose) ; « 51 Documents concernant la collaboration des sionistes avec les nazis » (Brenner), pour ne citer que quelques titres parmi des centaines. J’affirme que les sionistes sont les produits d’une ère révolue, et je laisse les lecteurs évaluer ces ouvrages. Mais, en tant que Palestino-Américain, je déplore que les orateurs sionistes aient manqué l’opportunité qui se présentait à eux, à l’ONU, de reconnaître leurs victimes et d’entamer sincèrement un processus de réconciliation. Le théologien juif Marc Ellis explique dans son livre « Sortis des cendres » pourquoi une cicatrisation des plaies béantes est absolument indispensable, après les atrocités perpétrées par les nazis. Mais il explique aussi pour quelles raisons cette cicatrisation implique la reconnaissance des atrocités commises, depuis plus de soixante ans, contre les Palestiniens.
Dans le concret, le sionisme s’est traduit par la transformation de la Palestine, d’un pays à 94 % musulman et chrétien, en un « état juif » exclusiviste autoproclamé, aujourd’hui aux prises avec une grave crise d’identité et, dit-on, une « menace démographique ». Les 20 % de Palestiniens qui sont restés en Palestine, devenue Israël, après la guerre de 1947 – 1949, et qui étaient au nombre de 220 000, sont aujourd’hui près d’1,3 millions (ce qui représente 20 % de la population d’Israël). 3,5 millions de Palestiniens vivent, également, dans les 22 % du territoire palestinien occupé en 1967. La loi israélienne stipule que tout juif (y compris, converti) est un citoyen de l’état d’Israël et qu’il peut, sur simple demande, acquérir la citoyenneté israélienne automatique, alors que les Palestiniens nés sur le territoire aujourd’hui israélien ne peuvent y retourner au motif qu’ils ne sont pas juifs. Près de cinq millions de Palestiniens sont, de ce fait, des réfugiés ou des personnes déplacées.
C’est la raison pour laquelle les sionistes sont de plus en plus nombreux à promouvoir l’idée d’un mini-état (en fait : une réserve) destiné aux Palestiniens. Ce projet est contesté par un mouvement pour la justice et l’égalité, à la fois juif israélien et palestinien, qui prend de plus en plus d’ampleur. Il est possible d’inscrire dans la réalité une paix juste et durable, bénéfique pour tous, en substituant aux concepts du nationalisme ethnocentrique et / ou religieux ceux de l’égalité et de la citoyenneté. Tous les problèmes, y compris celui des réfugiés, peuvent être résolus, dès lors qu’on se fonde sur l’égalité et les droits de l’homme.
Grâce à des milliards de dollars payés par le contribuable américain, et grâce à l’impunité que lui assure, à l’ONU, l’unique superpuissance restante, les dirigeants sionistes ignorent le droit international et persistent à perpétrer de grossières violations des droits de l’homme fondamentaux (ce sont toutes les associations de protection des droits de l’homme qui ont étudié la situation qui l’affirment). La Déclaration universelle des droits de l’homme, mentionnée par Kofi Annan, telle est la véritable voie royale vers la paix. Ce n’est en aucun cas le chiffon de papier appelé « feuille de route » par les Américains. Bien que comportant exactement 2 218 mots, celle-ci ne mentionne nulle part ni les « droits de l’homme », ni le « droit international ». Le mot « droits » n’y figure même pas !
Un changement, dans la politique étrangère des Etats-Unis, dans le sens d’une réelle promotion de la liberté et de la démocratie, s’impose, et nous devons commencer avec nos alliés liges aux Etats-Unis : la Jordanie, l’Egypte, et Israël. Il y faut des dirigeants courageux. Mandela n’aurait rien pu faire sans un DeKlerk, lequel sut reconnaître que l’apartheid, en Afrique du Sud, était incompatible tant avec une paix durable qu’avec la sécurité des Sud-Africains.
Faire des deux tiers des Palestiniens des réfugiés ou des personnes déplacées n’équivaut certes pas aux horreurs perpétrées durant la Seconde guerre mondiale. Mais la session solennelle de l’ONU aurait pu fournir la meilleure des opportunités d’adopter une déclaration affirmant que lorsque nous disons « jamais plus ! », nous pensons ce que nous disons, et nous nous engageons à ce qu’une telle souffrance ne soit plus jamais infligée à aucun peuple. Fût-ce le peuple palestinien.
                                   
22. Les fraises de la colère par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 14 janvier 2005
[traduit de l’hébreu par Michel Ghys]
Un obus de char dans un champ de fraises : sept enfants tués, quatre enfants amputés des deux jambes et un père qui a perdu trois fils, deux neveux et un petit-fils. Le porte-parole de l’armée israélienne n’exprime même pas de désolation.
Quatre enfants amputés des deux jambes, des moitiés d’êtres humains, sont maintenant alités à l’hôpital Shifa, à Gaza. Trois d’entre eux sont conscients, le quatrième est sous assistance respiratoire. Chez eux, dans la bourgade de Beit Lahia, au nord de la Bande de Gaza, leurs parents portent le deuil de leurs frères tués. Maryam et Kamal Raban, par exemple, ont perdu, en une fois, trois fils, deux neveux et un petit-fils. Un autre de leurs fils est couché, sous assistance respiratoire, dans le département des soins intensifs : il a perdu les deux jambes, une main et un œil. Son père ne sait pas encore que son fils est amputé des deux jambes, on ne lui a parlé que d’une seule. Combien de pertes un être humain peut-il supporter ?
La vie de 12 enfants et adolescents qui jouaient un matin, tôt, mardi passé, premier jour de congé de la Fête du Sacrifice, dans le champ de fraises de la famille, a été anéantie en une fois. Sept d’entre eux ont été tués, quatre resteront amputés de membres, gravement mutilés pour toute leur vie. Voilà ce que peut faire un seul obus de l’armée israélienne. Aucun enfant n’est sorti indemne du champ de fraises situé près de leur maison. Un officier supérieur de l’armée israélienne a communiqué, après la catastrophe, qu’au moins une partie des victimes étaient des « activistes du Hamas ». Qui ? Raja, 11 ans ? Issa, 13 ans ? Bisaam, 14 ans ? Mahmoud, 14 ans ? Jabir, 15 ans ? Hanni, 16 ans ? Mohammed, 17 ans, le plus âgé ?
Celui qui est arrivé sur place juste après le drame a vu un spectacle terrible : les 12 enfants et adolescents étaient étendus sur le sentier de sable, à côté du champ de fraises, leurs membres dispersés en tous sens et beaucoup de sang ruisselant. Il régnait un grand silence. Seul Islam, blessé, appelait encore à l’aide. Quatre jours plus tard, lorsque nous sommes allés à Beit Lahia, on voyait encore des débris humains. Les blessés sont allongés à l’hôpital Shifa et leurs parents implorent pour qu’Israël, au moins, soigne les blessures de leurs enfants, à tout jamais infirmes.
Des champs de fraises pour l’éternité : des sillons verdoyants avec des taches de fraises rouges recouvertes de nylon argenté à l’entrée de la zone des maisons de la famille Raban (‘Aban) à Beit Lahia. Leurs fraises sont vendues à la société israélienne d’exportation agricole « Agrexco » qui les vend en Europe où elles seront recouvertes de crème fouettée. Sur les chaises blanches en plastique placées dans le sable, à côté des fraises, sont assis les paysans endeuillés qui ont ajouté au nombre de leurs jours de deuil en raison des dimensions de la perte. Maryam, la mère qui porte un triple deuil, a fait ce matin le trajet pour se rendre aux urnes et voter pour Abou Mazen. Son beau-frère, Abdallah Raban, a travaillé pendant des années à Kfar Hess, Gan Haïm et Kfar Saba ; il a même été blessé et est devenu invalide dans un accident de travail en Israël. De la catastrophe présente, il s’en sort avec la perte d’un seul fils, Jabir, 15 ans. Non rasé, le visage exprimant une grande douleur, cela fait quatre jours qu’il n’a pas fermé l’œil, il parle en hébreu de son malheur.
Son neveu, Ghassan Raban, a perdu son fils Raja, 11 ans, et il parle de son malheur en arabe. Ghassan a été témoin de l’horreur. D’une distance de quelques dizaines de mètres, il a vu les enfants qui s’étaient rassemblés tôt matin dans le champ de fraises, frères et neveux avec les enfants des voisins, jouant aux billes, cueillant et mangeant des fraises avec délice, le premier jour des congés. Ceux qui avaient tiré des obus de mortiers étaient partis depuis longtemps, raconte-t-il. Chaque nuit, ils les entendent. « Nous sommes des gens perdus entre les Israéliens et les Palestiniens », dit le père endeuillé, « Si nous tentions d’empêcher les Palestiniens de tirer des Qassam, ils nous tireraient dessus. Nous sommes perdus entre les deux côtés. Parfois ils viennent ici, ils tirent un Qassam et nous essayons de les en empêcher. Mais ils nous disent : "Ils nous tirent dessus, ils détruisent nos maisons, alors comment arrêterions-nous les tirs ?" Quand nous faisons pression sur eux, ils disent : "Il ne nous reste rien, ni terre ni maison". Maintenant nous espérons que l’élection d’Abou Mazen amènera le calme. Nous sommes extrêmement proches des Juifs et ils doivent veiller sur nous et nous sur eux. Mais nous sommes perdus entre les grands. »
Le char se tenait sous la tour de guet qui se dresse au dessus de la colonie de Nisnit, recouverte d’un effrayant treillis de camouflage, comme une œuvre de l’artiste Christo, et qui observe leurs maisons depuis la colline, au nord. Quelque 800 mètres séparent la colonie barricadée comme une forteresse des maisons des paysans exposés à tous les coups. Un obus, un coup direct, une moisson d’enfants parmi les billes et les fraises. Voilà leurs photos, sur l’affiche à leur mémoire, une affiche avec le plus grand nombre d’enfants qui soit sortie jusqu’ici : sept enfants, certains d’entre eux souriants, certains avec un regard perplexe, pas encore l’ombre de la première barbe, des gouttes de sang dessinées les enveloppent. Ghassan : « Mofaz [ministre israélien de la défense - NdT] a dit que vous aviez tué des terroristes. C’est ça les enfants d’un Qassam ? Celui-là est capable de soulever un missile ? Notre cœur est consumé pour eux. »
Enveloppé dans une cape, un sweet-shirt, un manteau et une écharpe aux bords dorés, Kamal Raban, de tous le plus frappé par le sort, arrive d’un pas peu assuré : trois fils, deux neveux et un petit-fils tués, et encore un fils qui lutte pour la vie, à Shifa. Il était aux obsèques d’un cousin quand il a reçu l’appel téléphonique : viens vite, il y a eu une grande catastrophe. Hanni, 16 ans, voulait devenir enseignant ; Bisaam, 15 ans, voulait être ingénieur ; Mahmoud, 14 ans, voulait être médecin ; et puis Mohammed, 17 ans, dont les jambes, un œil et une main ont été arrachés et qui est sous assistance respiratoire. Tous étaient ses fils.
Maryam, son épouse, revient du bureau de vote : « Nous en appelons à Sharon et à Mofaz et à tous les gens de bonne volonté, de bon cœur et de miséricorde : toutes les chairs de mes enfants, que j’ai ramassées et nouées dans un linge, jamais je n’oublierai ça. Le premier jour des congés, ils ont reçu un cadeau, un obus. Si je voyais un Israélien tué, je pleurerais pour lui. Je pleurerais pour sa mère. Nous ne méritons pas que Sharon et Mofaz tuent nos enfants, des enfants de cet âge occupés à cueillir des fraises. J’en appelle à Sharon et Mofaz qui m’ont tué trois enfants : je n’ai personne pour m’aider. Il me reste un enfant à l’hôpital. Je demande qu’on l’emmène dans un hôpital en Israël. Que simplement on le prenne dans un hôpital et nous pardonnerons pour les enfants tués. S’ils les prennent et les soignent, nous dirons merci. Nous regardons vers Dieu et vers l’Etat d’Israël, pas vers les pays arabes. Nous avons grandi avec l’Etat d’Israël ».
Il n’y a pas de Zaka ici et les champs de fraises sont encore semés de débris humains. Ils disent avoir trouvé une main, hier. Des lambeaux de vêtements roussis, imprégnés de sang, dispersés à côté de la pompe à eau. Ghassan raconte que depuis quelques temps, il pensait vendre la brebis de la famille. Raja, son fils, insistait pour qu’on ne la vende pas et qu’on la garde pour la Fête du Sacrifice, qui approchait. « Maintenant que la fête arrive, la brebis est restée et Raja n’est plus là ».
Le porte-parole de l’armée : « A la date du 4.1.2005, deux obus de mortier ont été tirés en direction de la zone industrielle d’Erez. Un des obus est tombé près du territoire israélien et a fait un blessé, un citoyen israélien. A un moment proche de cet incident, dans la région de Beit Lahia, un détachement de l’armée israélienne a identifié un groupe de tireurs d’obus de mortier dont une partie des membres appartient à l’organisation du Hamas. Le détachement a ouvert le feu en direction du groupe dans le but de l’atteindre. Il faut signaler que le groupe de terroristes opérait depuis un  territoire palestinien peuplé. L’armée israélienne enquête sur l’incident et au terme de celle-ci, les résultats en seront présentés ».
Pas même un mot pour exprimer de la désolation pour la mort des enfants, pas même un mot pour demander pardon aux familles en deuil, et un désintérêt flagrant, une absence de cœur, à l’égard de la question adressée au porte-parole sur le non-transfert des blessés pour des soins en Israël. L’armée israélienne, comme d’habitude, enquête.
Sur le chemin de l’hôpital Shifa, les souvenirs des employeurs israéliens remontent à la surface. Dans le taxi, deux pères endeuillés et un proche de la famille se rappellent les propriétaires israéliens dont ils ne se souviennent qu’en bien. Moshe Kishana de Kidron dont Ghassan dit qu’il l’aimait comme son père, et Yaakov de Yad Mordechai qui leur a un jour dit que son âme à lui n’était pas plus précieuse que la leur et qui alors les amenaient chez eux en voiture pour aller chercher la carte magnétique qu’ils avaient oubliée. Mounir, le chauffeur du taxi, demande si quelqu'un dans le taxi hait les Juifs et ils répondent comme un seul homme : non, on n’a pas de haine. Dans les sacs noirs, ils emportent des fraises pour les fils blessés.
C’était le jour des élections et ils s’acharnaient sur Abou Mazen : « Regardez quels yeux il a, des yeux de voleurs », dit Yihie Galia, qui va rendre visite à son neveu blessé, et il montre du doigt un taxi qui porte la photo du candidat en tête. « Tous des voleurs. Qui a tué Abou Amar ? Abou Mazen, qui voulait son fauteuil ». Une odeur de poisson frais monte du marché du camp de réfugiés de Shati. Dans ses ruelles, on perçoit difficilement les préparatifs d’élections. « D’ici, on jettera Abou Mazen à la mer », prophétise quelqu'un dans le taxi. « Si seulement pouvait revenir le temps de la piscine à vagues de Yad Eliahou [palais des sports au sud de Tel Aviv - NdT] », espère un autre. Et nous voilà déjà dans la cour de Shifa.
Premier étage, soins intensifs : Mohammed Raban, 17 ans, sous assistance respiratoire. De temps en temps, il ouvre tout grand le seul œil qu’il lui reste et jette des regards déments dans tous les sens. De temps en temps, passe aussi sur son visage un sourire nerveux, dont on ne sait s’il s’agit d’une convulsion, sans signification. De son corps, il reste la moitié, à peine une main entière. En est-il conscient ?
Deuxième étage, le département d’orthopédie : Issa Relia, 13 ans, ses deux jambes amputées au dessus du genou. Dans un lange. Un transistor près de l’oreille. Il se souvient des gens du Hamas qui ont tiré puis ont fui. Sur un vieux bout de carton, il a dessiné un char qui tire sur des enfants. Le couloir du deuxième étage, près de la fenêtre : Imad Al-Kaseeh, 16 ans, et Ibrahim Al-Kaseeh, 14 ans. Deux cousins, tous deux amputés des deux jambes. Maintenant, on les a amenés dans le couloir pour qu’ils voient un peu le monde. Deux enfants amputés des deux jambes, jetant depuis leur lit des regards égarés par la fenêtre de l’hôpital Shifa.
Pour l’information du soldat qui a tiré, du commandant qui l’a approuvé et du porte-parole qui n’est pas désolé et ne s’excuse de rien.
                   
23. "Un tsunami provoqué par l'homme" par Terry Jones
in The Guardian (quotidien britannique) du mardi 11 janvier 2005
[Traduit de l'anglais par le Réseau Voltaire]
(Scénariste, acteur et réalisateur, Terry Jones est membre des Monty Python.)
EXTRAIT - Je suis déconcerté par les réactions mondiales à la tragédie du tsunami. Pourquoi les journaux, la télévision et les politiciens en font-ils autant ? Pourquoi les Britanniques ont-ils donné plus de 100 millions de livres sterling aux survivants et pourquoi Tony Blair a-t-il promis des centaines de millions ? Pourquoi l'Australie promet-elle 435 millions de livres, l'Allemagne 360 millions et George W. Bush 187 millions. Bien sûr, c'est merveilleux de voir la race humaine se rassembler pour aider les victimes du désastre, mais pourquoi aider ces victimes là et pas celles d'Irak ?
D'après la seule estimation scientifique dont on dispose, la guerre aurait fait près de 100 000 morts chez les civils irakiens tandis que le tsunami en a fait 150 000. Pourtant, concernant l'Irak, les médias semblent refuser de montrer les images de ces victimes. Pas de reporters à Fallouja pour expliquer qu'en 30 ans de métier, il n'a jamais rien vu de tel. Le Pape n'a pas appelé les croyants à se souvenir des Irakiens dans leurs prières et MTV n'a pas fait de minute de silence pour eux. Au contraire, George W. Bush et Tony Blair cherchent à minimiser le nombre de morts (malgré le sérieux méthodologique de l'étude publiée) tout en interdisant tout décompte.
Les morts causés par les bombes et les coup de feu méritent-ils moins de pitié que ceux causés par une vague géante ? Une vie irakienne veut-elle moins qu'une vie indonésienne, thaï, indienne ou suédoise ? Pourquoi les télévisions et les journaux ne cherchent-ils pas à lever des fonds pour les victimes irakiennes ? Pourquoi ne pleurent-ils pas sur ce tsunami que nous avons provoqué au Proche-Orient ? C'est déroutant.
                   
24. Liban - Un officier français tué par des tirs israéliens
in L'Humanité du lundi 10 janvier 2005
La Force intérimaire des Nations unies au Liban sud (FINUL) a confirmé hier courant de l’après-midi qu’un officier de nationalité française, membre de l’Organisme des Nations unies chargé de la surveillance de la trêve (ONUST), a été victime de tirs israéliens au Liban sud. Le porte-parole de la FINUL, Milos Srwjer, a indiqué à l’AFP qu’un observateur français a été tué et un observateur suédois de l’ONUST blessé, ainsi que leur chauffeur libanais, par des coups de feu en provenance du « côté israélien de la ligne bleue », tracée par l’ONU et qui sert de frontière entre le Liban et Israël. Il a ajouté que les tirs israéliens « ont été provoqués par des tirs en provenance du côté libanais » de la ligne bleue. La police libanaise avait indiqué auparavant que la patrouille de l’ONU a été atteinte par des tirs israéliens dans le secteur de Kfarchouba, qui fait face au secteur controversé des fermes de Chebaa, à la frontière. Des échanges de tirs avaient opposé l’armée israélienne au Hezbollah dans les fermes de Chebaa, où la milice libanaise chiite a affirmé avoir fait exploser une charge au passage d’un véhicule militaire israélien.
                   
25. Florence Aubenas - Leïla Shahid et le Conseil des démocrates musulmans de France soutiennent la journaliste
on NouvelObs.com le dimanche 9 janvier 2005
"Le CDMF exige que toute la lumière soit faite sur le sort de notre compatriote qui s'est rendue en Irak en tant que grand reporter pour témoigner et ainsi lutter pour la liberté d'expression."
Le Conseil des démocrates musulmans de France (CDMF) a réclamé dimanche "que toute la lumière soit faite sur le sort" de la journaliste de Libération Florence Aubenas, disparue depuis mercredi en Irak. La déléguée générale de Palestine en France Leïla Shahid s'est jointe à cet appel en estimant que les ravisseurs de l'envoyée spéciale faisaient "le plus grand tort à leur cause". "Attristé et inquiet, le CDMF se mobilise afin d'obtenir des nouvelles de la journaliste Florence Aubenas comme il l'avait fait pour Christian Chesnot et Geroges Malbrunot, heureusement libérés", indique le président du CDMF Abderrahmane Dahmane dans un communiqué. "Le CDMF exige que toute la lumière soit faite sur le sort de notre compatriote qui s'est rendue en Irak en tant que grand reporter pour témoigner et ainsi lutter pour la liberté d'expression", poursuit le texte en appelant à "rester vigilants et solidaires de ses proches" afin que tout soit fait pour la retrouver ainsi que son accompagnateur. Issu en octobre 2003 de la Coordination des musulmans de France, le CDMF cherche à rassembler des musulmans qui s'affirment laïques et désireux de démocratiser la gestion de l'islam de France. Florence Aubenas, 43 ans, et son interprète irakien Hussein Hanoun ont disparu depuis mercredi matin en Irak.
                                       
26. Entretien avec David Baran : "Le processus politique en Irak a été vidé de son contenu" propos recueillis par Mouna Naïm
in Le Monde du jeudi 6 janvier 2005
(David Baran est chercheur, consultant pour l'International Crisis Group. David Baran est l'auteur de Vivre la tyrannie et lui survivre. L'Irak en transition, Paris, Mille et une nuits, 2004.)
- Les Américains et le pouvoir intérimaire irakien peuvent-ils ou doivent-ils se résoudre à un report des élections prévues le 30 janvier en Irak ?
- C'est un véritable dilemme, dont certains Américains rendent compte par l'expression "damned if you do, damned if you don't". A l'évidence, les circonstances actuelles ne permettent pas de tenir des élections crédibles. Mais le processus politique a été vidé de son contenu, au point de se réduire au respect d'un calendrier strictement formel et, à bien des égards, factice.
Plus les progrès réalisés en matière de reconstruction économique, de formation d'un nouvel appareil de coercition, ou encore de réorganisation de l'appareil d'Etat irakien, s'avèrent décevants, plus la "victoire" dépend d'événements essentiellement symboliques, qui s'organisent en un agenda totalement déconnecté des réalités du terrain. Cette vacuité exagère l'importance des dates-clés du processus de transition, toute remise en question de leur pertinence risquant de décrédibiliser le processus tout entier. D'où la poursuite presque obsessionnelle de ces dates-clés.
- Outre les sunnites, des chiites et des Kurdes seraient-ils favorables à un report du scrutin ?
- Certains se sont déjà exprimés en ce sens, à l'instar du ministre de la défense. Des élections dont les résultats seraient largement perçus comme illégitimes nuiraient à l'ensemble du pays en fragilisant les autorités élues et le processus de transition lui-même. A l'heure actuelle, aucun mouvement politique ni aucune coalition n'a concrètement les moyens de gouverner sans un certain consensus sur sa légitimité.
- Quelles sont les raisons qui, selon vous, plaideraient pour un report du scrutin ?
- Un report ne verrait sans doute pas s'installer des conditions de sécurité plus favorables. En revanche, il pourrait servir à mieux préparer les élections, voire à modifier un système électoral contestable. Surtout, il permettrait d'anticiper les lendemains du scrutin. Les futures institutions élues courent en effet le risque de décevoir rapidement les Irakiens, en se montrant incapables de satisfaire leurs attentes matérielles, de restaurer un semblant d'ordre, de s'émanciper de la tutelle des Etats-Unis (dont l'aide est indispensable, en matière de sécurité notamment), de transcender les divisions partisanes et sectaires qui ne manqueront pas de surgir lorsqu'il s'agira de rédiger une Constitution.
Il faudrait donc veiller à ce que les capacités de gouvernance des autorités irakiennes rattrapent leur retard par rapport à l'agenda formel du processus de transition, qui voudrait que le gouvernement actuel soit déjà pleinement "souverain". Telles qu'elles se présentent, les élections pourraient discréditer la notion de scrutin populaire - et partant, de légitimité démocratique - tout comme la passation de pouvoir du 28 juin 2004 a gravement nuit à celle de "souveraineté".
- Comment expliquer que malgré la chute de Fallouja et des opérations militaires américaines de grande envergure ailleurs, les insurgés, quels qu'ils soient, bénéficient encore d'une grande capacité de nuisance pratiquement partout ?
- Les Etats-Unis et certaines personnalités irakiennes actuellement au pouvoir commettent l'erreur de concevoir l'opposition armée comme un phénomène limité à des acteurs extérieurs à la population irakienne (islamistes étrangers infiltrés, éléments de l'ancien régime, etc.), qu'il suffirait donc de détruire.
En pratique, les combattants se meuvent au sein de la population et dépendent fondamentalement du soutien, ne serait-ce que tacite, de celle-ci. Ce qu'il faut expliquer, c'est donc ce soutien largement passif, malgré certaines pratiques abjectes de l'opposition armée, les entraves qu'elle pose à toute reconstruction et son incapacité à formuler une alternative politique.
La peur ressentie par les civils n'est ici qu'un facteur. Beaucoup d'entre eux seraient prêts à la surmonter s'ils estimaient que le processus politique avait toutes les chances de produire un gouvernement crédible, capable d'assurer leur protection et de leur offrir des jours meilleurs.
- Faut-il imputer aux seuls attentats, sabotages et autres actes de violence la lenteur de la reconstruction du pays ?
- Non. Les Etats-Unis et leurs partenaires irakiens tendent naturellement à se défausser de certaines de leurs responsabilités, en accusant systématiquement l'opposition de tous les dysfonctionnements. Les accusations faites régulièrement aux Etats voisins de l'Irak relèvent, elles aussi, en partie d'une tentation d'exporter les responsabilités.
Cela dit, l'insécurité ambiante et les attaques perpétrées contre les infrastructures de l'Irak compliquent de fait, de plus en plus sérieusement, tout effort de reconstruction. Mais parmi les causes de cette insécurité et de ces attaques figurent justement les incroyables défaillances des Etats-Unis en des périodes beaucoup plus propices. De très nombreux Irakiens redistribuent ainsi les torts, en reprochant aux Etats-Unis de se servir de l'opposition armée pour prolonger indéfiniment sa présence militaire en Irak et défendre ses intérêts.
                           
27. Le rapport fédéral sur l’extrémisme crispe les responsables juif et musulman par Emmanuelle Drevon
in La Tribune de Genève (quotidien suisse) du lundi 3 janvier 2005

Violence - Alfred Donath réclame une modification substantielle du document.
Alfred Donath est outré. Le président de la Fédération suisse des communautés israélites (FSCI) n'a toujours pas digéré la page sur l'extrémisme politique juif dans le rapport du Conseil fédéral sur l'extrémisme. Il affirme qu'il n'existe aucune preuve de l'existence de ces «mouvements potentiellement dangereux ou violents». Le rapport publié en août 2004 répondait à un postulat du Parti démocrate-chrétien demandant un compte rendu décrivant «le phénomène de l'extrémisme de manière détaillée et faisant état de ses répercussions sur la sécurité de la Suisse».
Dans ce rapport, l'extrémisme politique juif occupe un peu moins d'une page. En conclusion, les auteurs précisent qu'aucun acte violent n'a encore été perpétré par «des sionistes militants présents en Suisse», mais «il n'est toutefois pas exclu que les personnes de ces milieux en viennent à rendre la justice eux-mêmes au cas où des actes d'hostilité antisémites surviendraient».
Une supposition qui déplaît fortement à Alfred Donath: «Laisser croire que l'on a des groupes extrémistes prêts à intervenir par la violence nous fait du tort. Je ne peux pas l'admettre. Ce type d'arguments ne repose sur rien de concret.»
«Référence trompeuse»
Pour justifier l'existence d'un mouvement extrémiste juif, le rapport cite l'Association des étudiants israélites de Genève (ADEIG). Un exemple qu'Alfred Donath ne peut admettre; une version corrigée devrait d'ailleurs voir le jour prochainement: «La Commission juridique du Conseil des Etats avoue qu'il faut supprimer cette référence, mais cette modification doit encore être débattue au parlement. Cet exemple ne repose sur rien de concret.»
Une délégation de la FSCI doit d'ailleurs rencontrer Christoph Blocher le 18 janvier prochain, et Alfred Donath n'hésitera pas à revenir sur ce qu'il appelle «un dérapage. Je réclame la suppression complète de cette page dans ce rapport. Je demanderai à Christoph Blocher sur quoi il se base pour affirmer ce qu'il y a dans le rapport. Et s'il a des preuves, qu'il me les montre.»
«Extrémisme musulman»
Le rapport indique enfin que certains membres de l'ADEIG sont armés. Ce fait, Alfred Donath ne le contredit pas, mais il tient à le nuancer: «Il existe des groupes de surveillance sollicités pour de grands événements. Certains membres peuvent parfois être armés, mais ils sont en règle avec la loi et ont tous un port d'arme. Tous les autres, non armés, sont surtout formés pour exercer une surveillance et ils savent à quoi il faut faire attention.»
Si l'extrémisme politique juif occupe un peu moins d'une page de ce rapport qui en compte 75, huit pages sont consacrés aux différentes mouvances islamistes. Une abondance que ne comprend pas Hafid Ouardiri: «L'extrémisme islamiste n'existe pas en Suisse». Le porte-parole de la mosquée et de la Fondation culturelle islamique de Genève tient d'ailleurs à apporter une précision linguistique: «Il est faux de dire que l'on peut être extrémiste et musulman en même temps, l'islam condamne l'extrémisme. Et puis, le terme d'islamiste n'existe pas pour nous, nous nous en tenons à musulman.» Et si Hafid Ouardiri approuve une des conclusions du rapport précisant que «dans leur ensemble, les activités des islamistes en Suisse s'en tiennent à la loi», il tient cependant à mettre en garde les auteurs du rapport.
Le porte-parole de la mosquée de Genève préfère miser sur la vigilance: «C'est vrai qu'il faut rester attentif, mais il ne faut pas peindre le diable sur la muraille. Cette diabolisation risque surtout de donner de l'importance à des hurluberlus très minoritaires.»
Mesures de prévention déjà prises
Quant au rapport, tout en concluant qu'«à l'heure actuelle, aucun groupe extrémiste ne compromet gravement la sécurité intérieure de la Suisse», il se garde de tout optimisme en précisant que «s'agissant des extrémismes religieux, la situation peut être décrite comme calme, mais tendue». Et les auteurs d'indiquer que le Conseil fédéral a déjà pris toutes les mesures nécessaires pour prévenir et combattre les activités illégales de ces organisations.
                       
28. Les assassins de l’espoir par Majed Nehmé
in Le Nouvel Afrique Asie du mois de décembre 2004
Mais de quoi Yasser Arafat est-il mort ? A-t-il été, comme la rumeur publique qui ne cesse d’enfler le laisse croire, empoisonné par ses geôliers israéliens ? Et si le tapage médiatique autour de cette question subsidiaire n’était là que pour étouffer une autre question, autrement plus fondamentale, à savoir la responsabilité directe de Sharon et de Bush dans ce meurtre programmé ? Cessons de tourner autour du pot : Yasser Arafat n’est pas mort, comme l’a diplomatiquement laissé entendre à Paris le ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne, Nabil Chaath, à cause de ses soixante-quinze ans d’âge ou de sa dure vie de combattant – combat mené durant près d’un demi-siècle contre un ennemi implacable, qui ne s’est pas contenté de le spolier de sa patrie, mais s’était acharné à lui ôter son identité même. Ce combat qui d’ailleurs lui donnait plus que jamais des raisons de survivre et de vaincre.
Le vrai poison que le père de la nation palestinienne a bu jusqu’à la lie aura été l’insoutenable souffrance morale et physique qu’il a dû endurer durant les trois dernières années qu’il a passées reclus dans les ruines de sa Mouqata’a, mal nourri, mal soigné et surtout lâché par les grands, et moins grands, de ce monde qui pensent, à tort sans doute, qu’ils viennent de se débarrasser d’un “obstacle” sur la voie d’une paix fallacieuse. Les grandioses adieux populaires que lui a réservés son peuple devraient plutôt les inciter à revoir leurs calculs. L’assassinat de Yasser Arafat est plus qu’un crime contre l’espoir de paix en Palestine. C’est une monstrueuse faute politique. Il n’est pas sûr que ses successeurs auront le courage d’accepter ce qu’il était lui-même capable de concéder en contrepartie d’un compromis historique, certes réaliste, mais immoral car injuste.
Paradoxalement, ceux qui, à l’instar de Bush et de Sharon, avaient décrété que le raïs palestinien n’était plus un interlocuteur valable ont provoqué l’élimination du seul dirigeant palestinien qui pouvait faire admettre par son peuple ce compromis historique. Les concessions étaient colossales : il a reconnu l’Etat israélien, fondé, faut-il le souligner, sur la terre spoliée de ses ancêtres, contre une vague promesse d’un Etat palestinien bâti sur moins de 20 % de la Palestine historique. Il a accepté le partage de la Jérusalem arabe. Il a accepté dans les faits que le droit au retour des 6 millions de Palestiniens expulsés de leur patrie – un droit pourtant imprescriptible – ne s’applique que dans ce mini-Etat cantonné aux seuls territoires palestiniens occupés par Israël en juin 1967. Last, but not least : le mini-Etat en question sera démilitarisé et ses frontières internationales entièrement contrôlées par l’armée israélienne.
Malgré ces concessions, Sharon, soutenu par G.W. Bush, a tout refusé. Il a refusé publiquement les accords d’Oslo. Il a refusé le démantèlement des colonies de peuplement existantes et en a construit d’autres. Il a construit un mur d’apartheid. Bloqué toute négociation de paix. Détruit les infrastructures de l’Autorité. Conduit une politique de la terre brûlée dans les territoires occupés. Assassiné des milliers de Palestiniens sous prétexte de lutter contre le terrorisme tout en assiégeant le président de l’Autorité palestinienne dans les conditions dégradantes que l’on sait.
Yasser Arafat est parti sans signer ce compromis historique que lui seul pouvait signer sans être accusé de trahison. Les successeurs de Sharon devront payer maintenant un prix autrement plus élevé aux successeurs d’Arafat s’ils sont vraiment intéressés par la paix. Il faudra sans doute attendre longtemps avant qu’une nouvelle génération de dirigeants israéliens ne prenne la relève et sauve Israël de ses pulsions suicidaires.
                               
29. Quand l’Histoire bégaye par Subhi Hadidi
in Le Nouvel Afrique Asie du mois de décembre 2004
En mettant à feu et à sang la ville martyre de Falloujah, les généraux américains suivent à la trace les pas des généraux britanniques qui avaient investi en 1920 cette même ville après avoir tué dix mille Irakiens. Ils avaient gagné une bataille mais perdu la guerre.
Comme toutes les puissances occupantes de l’Histoire, les forces américaines qui occupent aujourd’hui l’Irak ne sortent d’une impasse que pour entrer dans une autre, qui est souvent le prolongement de la précédente. Ce fut Falloujah au printemps dernier. La ville sainte chiite de Najaf en août. En septembre, ce fut le tour de Samarra. En octobre, c’est Sadre City dans les faubourgs de Bagdad et aujourd’hui, c’est de nouveau Falloujah… Mossoul, Baakouba, Ramadi, et bien d’autres villes irakiennes connaîtront à leur tour le même sort. Le scénario est quasi immuable : recours massif et exclusif à la force armée, qui commence par des bombardements aériens et des tirs d’artillerie lourde avant de passer à l’invasion, le ratissage et, selon le jargon militaire consacré, au “nettoyage”, avec son cortège habituel d’exactions, de barbarie et de crimes de guerre. Comme nous en avons eu l’illustration avec le spectacle d’un soldat américain achevant un prisonnier irakien blessé dans une mosquée de Falloujah, non pas avec une seule balle, mais une rafale de mitraillette. Les villes ciblées par les “libérateurs” américains sont auparavant assiégées, soumises à un embargo alimentaire et sanitaire. L’eau et l’électricité sont coupées…
Les généraux américains ont la mémoire courte. Car la ville martyre de Falloujah avait déjà été en 1998 la cible d’une vague de répression et d’intimidation de la part de l’armée irakienne de l’ancien régime. Elle fut même soumise à un siège sévère et à une campagne punitive en représailles au refus de ses imams de chanter les louages de Saddam Hussein, le jour de son anniversaire, du haut de ses mille mosquées. Les généraux américains savent pertinemment que la cause directe du déclenchement de la résistance à Falloujah n’est ni Abou Mouss’ab al-Zarkaoui, ni Ben Laden et encore moins les “baassistes saddamistes” comme le martèle la machine de propagande et de désinformation américaine. La cause immédiate du soulèvement fut le carnage perpétré par les forces américaines à Falloujah le 28 septembre 2003 à l’encontre des élèves qui manifestaient pacifiquement en réaction à l’occupation de leurs écoles et lycées par les “libérateurs” américains. Ce jour-là on a compté dix-huit morts et deux cents blessés parmi les manifestants. L’écrivain et universitaire irakien Sami Ramadani, à qui la Grande-Bretagne avait accordé l’asile politique pour son opposition au régime de Saddam Hussein, a écrit un article dans le Guardian dans lequel il affirmait qu’aucun coup de feu n’avait été tiré contre les Américains avant ce massacre.
Le comportement des forces d’occupation américaines à Falloujah semble indiquer que Washington a d’ores et déjà défini les contours de l’“Irak nouveau” qu’il veut voir émerger. Ce projet reposera sur deux piliers, chiite et kurde. La composante sunnite y sera marginalisée. D’où l’option prise par la Maison Blanche qui serait de nettoyer, pacifier et priver de toute capacité de résistance politique ou militaire ce qu’il est désormais convenu d’appeler le “triangle sunnite”. L’assaut contre le bastion sunnite de Falloujah s’expliquerait donc par la nécessité d’assurer le succès des élections prévues en janvier 2005, en faisant miroiter aux Kurdes et aux chiites des semi-garanties et des promesses qu’ils pourraient remporter.
Si cette stratégie devait être celle adoptée effectivement par Washington, les conséquences sur le terrain pourraient être catastrophiques, dans la mesure où elle changerait de fond en comble le rapport des forces sur le terrain. Elle conduirait d’abord à la réunification des rangs sunnites qui sont actuellement divisés selon des appartenances politiques et ethniques complexes. Les Kurdes, aujourd’hui alliés au gouvernement intérimaire d’Allaoui et pactisant avec l’occupation, sont dans leur écrasante majorité des sunnites. Ils sont certes des musulmans modérés, mais ne pourront pas accepter éternellement que leurs coreligionnaires à Falloujah, Mossoul, Baaqouba et Ramadi soient massacrés de la sorte. Les Turkmènes, qui vivent majoritairement dans le Nord du pays, bien que partagés entre le sunnisme et le chiisme, sont farouchement opposés à l’occupation et soutiennent la résistance.
Il serait par ailleurs réducteur d’affirmer que seul l’islam sunnite est en révolte contre l’occupation américaine. D’autres catégories de la société irakienne, qui sont loin d’être marginales, ont intérêt à se rallier à la résistance. Si elles ne le font pas encore, c’est parce qu’elles sont actuellement dispersées et considèrent que les conditions ne sont pas encore mûres pour franchir ce pas. Dans ce contexte, la bataille de Falloujah fera tâche d’huile, d’abord en s’étendant du Centre vers le Nord de l’Irak, avant de gagner finalement les bastions chiites dans le Sud. Mais quelle que soit l’évolution de la situation sur le terrain, il ne fait pas de doute que les diverses composantes de la résistance irakienne sont trop diversifiées, trop complexes et trop étendues pour qu’on puisse les réduire à des “cellules terroristes”, des “salafistes”, des “moudjahidin” ou des “Afghans arabes”, comme le laisserait entendre le jargon utilisé par l’occupant américain et le Premier ministre intérimaire, Iyad Allaoui. La réalité est toute autre. Il y a un rejet populaire profond de l’occupation et des institutions qu’elle projette de construire. Il y a aussi l’insupportable situation économique, sociale et sécuritaire générée par l’occupation et qui pèse sur toutes les composantes de la société irakienne. A tout cela s’ajoute les violations des droits des gens, la destruction des rapports sociaux, la confiscation de la souveraineté nationale et le pillage des ressources du pays…
Il y a quelques semaines, le vice-Premier ministre intérimaire, Barham Saleh, était parti à Tokyo pleurnicher devant la conférence des donateurs, pour quémander des aides financières urgentes pour l’Irak. En même temps, James Baker – ancien secrétaire d’Etat américain sous Bush père et actuel représentant de la Maison Blanche dans la négociation pour un rééchelonnement de la dette irakienne – se rendait au Proche-Orient en jouant sur deux tableaux : d’une part accomplir, selon les propres termes de G.W. Bush, la “noble mission” qui consiste à effacer ou à rééchelonner les deux cents milliards de dollars de dettes irakiennes ; d’autre part remplir une autre mission, qu’on peut difficilement qualifier de “noble”, et qui consiste à amener l’Irak à s’acquitter de ses dettes vis-à-vis du gouvernement koweïtien dont l’ancien secrétaire d’Etat défend les intérêts à travers le groupe américain Carlyle, dont il possède 180 millions de dollars d’actions ! C’est en tout cas la journaliste d’investigation Naomi Klein qui l’affirme, dans son excellente enquête publiée par l’hebdomadaire progressiste américain The Nation. Par les temps qui courent, ce conflit d’intérêts flagrant n’a pas choqué outre mesure, même si certains médias, comme le New York Times, avaient déjà mis en garde contre ce genre de pratiques dès décembre 2003 en demandant que, compte tenu des conflits d’intérêts potentiels, James Baker démissionne de Carlyle et de son cabinet d’avocats Baker Botts. “M. Baker, écrit-il, est trop impliqué dans des relations d’affaires lucratives qui le font apparaître comme quelqu’un de potentiellement intéressé, quelle que soit la formule retenue de restructuration de la dette.”
Pis encore, le gouvernement intérimaire irakien continue à observer le plus grand mutisme à propos des revenus du pétrole irakien : quelle est la quantité de pétrole extraite ? Où va l’argent de ce pétrole ? Qui en a le contrôle ? Quand sera-t-il enfin mis à la disposition des Irakiens ? Selon les sources officielles, la totalité du produit de vente du gaz et du pétrole, en plus d’un milliard de dollars retiré du programme onusien “Pétrole contre nourriture”, ont été affectés au Fonds pour le développement de l’Irak, créé il y a plus d’un an par la résolution 1483 du Conseil de sécurité de l’Onu.
Ladite résolution a confié ce Fonds à la puissance occupante pour l’utiliser d’une manière transparente, en vue de faire face aux besoins humanitaires du peuple irakien. A cette fin, elle a nommé un organisme chargé de contrôler les postes de dépense et de s’assurer de la régularité des contrats conclus entre l’occupation et les divers contractants. Mais ce que l’opinion publique ignore, mais que le président irakien intérimaire, Ghazi al-Yaouar, et son Premier ministre, Iyad Allaoui, connaissent parfaitement, c’est que cet organisme de contrôle n’a jamais pu jusqu’ici s’acquitter correctement de sa mission. Notamment en ce qui concerne le contrôle des contrats de complaisance concédés par l’occupant au géant Halliburton, dont les liens anciens et récents avec le vice-président Dick Cheney ne sont plus qu’un secret de Polichinelle.
L’organisation “Contrôle des revenus de l’Irak”, qui dépend de l’Institut de la société ouverte (Open Society Institute), accuse ouvertement les autorités d’occupation d’obstruction en affirmant que les contrôleurs ont été interdits de pénétrer dans le périmètre de la zone verte au centre de Bagdad. Et depuis le transfert de la souveraineté au gouvernement intérimaire et le départ progressif de tous les membres de l’administration civile de l’occupation, il est devenu quasi impossible de contrôler la manière dont des milliards de dollars appartenant au peuple irakien ont été dépensés !
Par ailleurs, et contrairement aux idées largement répandues, l’autorité d’occupation n’a jusqu’ici dépensé, selon le Washington Post, que 500 millions de dollars sur les 18,7 milliards alloués par le Congrès pour la reconstruction de l’Irak. Le New York Times va encore plus loin et affirme que seulement 400 millions de dollars ont été dépensés, en fait dans la plupart des cas à des sociétés américaines qui n’ont employé que quinze mille Irakiens. Pour l’anecdote, la part allouée au ministère de la Culture des immenses revenus pétroliers irakiens en une année a été de 20 000 dollars !
Voilà donc quelques-unes des raisons qui assurent à elles seules l’extension de la résistance. Les généraux américains qui gèrent l’occupation se tromperaient lourdement s’ils ne méditaient pas sur les enseignements ténus de l’Histoire qui nous apprennent que la force, mal utilisée, est une arme à double tranchant qui se retourne en faveur des faibles qui en sont victimes.
Falloujah, l’indomptable...
Au printemps 1920, les forces coloniales britanniques avaient perpétré un massacre à Falloujah, qui s’est soldé par la mort de dix mille Irakiens et mille soldats britanniques et indiens. Malgré la disproportion des forces, la plus puissante armée du monde à l’époque n’avait pas réussi à mettre au pas l’Irak ou à soumettre cette ville rebelle. Commentant ce carnage, T. E. Lawrence, le célèbre Lawrence d’Arabie, écrivait : “Le peuple britannique a été poussé dans un piège dont il lui est difficile de sortir avec honneur et dignité. Les communiqués en provenance de Bagdad sont tronqués et inexacts. Les choses sont pires que ce qu’on nous dit et notre gouvernement est plus sanguinaire que ce que croit le public. C’est une honte pour notre bilan impérial. La situation ne tardera pas à s’embraser à tel point qu’il nous sera difficile de trouver le remède. Aujourd’hui, nous ne sommes pas si loin de la catastrophe…”
Lors de cette bataille de 1920 à Falloujah, on comptait parmi les victimes irakiennes le notable de la ville, le cheikh Al-Dhari, grand-père du cheikh Harith al-Dhari, actuel notable de Falloujah, qui avait négocié avec les assaillants américains les termes du cessez-le-feu à l’issue de la première bataille de Falloujah, il y a quelques mois. De l’autre côté, à la tête des morts britanniques, se trouvait le général Gerald Leachman, qui pourrait être le grand-père de l’un des soldats britanniques qui occupent l’Irak aujourd’hui. Entre 1920 et 2004, le monde a-t-il vraiment changé ?
                           
30. Malbrunot, l'humilité du journalisme de terrain par Pierre Prier
in Le Figaro du mercredi 22 décembre 2004
Si Georges Malbrunot a fait l'actualité autour de sa personne, c'est bien malgré lui. La frime n'est pas son genre. Personne ne peut se vanter de l'avoir surpris vêtu d'un gilet plein de poches. On ne l'a jamais entendu clamer dans les hôtels des idées simples sur le destin du Proche-Orient. Il n'est pas fils d'archevêque. Sa carrière, il l'a construite avec son seul travail. Quand il débarque pour la première fois dans la région, c'est pour participer à un prix Hachette réservé aux jeunes journalistes. Il deviendra un professionnel réputé et assuré du seul respect qui compte, celui de ses pairs.
Le malaise de la communauté chrétienne palestinienne lui fournit son premier sujet. Et la première occasion de confronter les propagandes de tous bords avec la réalité forcément complexe.
A Jérusalem, où il collaborait régulièrement au Figaro, il était devenu une autorité sur le conflit. Quand la deuxième intifada a éclaté en septembre 2000, Georges était déjà installé depuis six ans et connaissait sur le bout des doigts les acteurs de ce nouveau déchirement. Vivant à Jérusalem-est, côté arabe, il était l'un des meilleurs spécialistes de la société palestinienne, tout en arpentant avec sagacité les coulisses israéliennes, de Jérusalem à Tel-Aviv. Ce séjour prolongé lui interdisait les certitudes. Et lui permettait en revanche de sourire au passage des innombrables «experts» attirés par les projecteurs.
Georges a l'indulgence des vrais sages, rien ne l'amuse plus que de se faire expliquer le Proche-Orient par un vantard qui vient de se faire refiler le dernier rapport secret «de source sûre» ou l'entrevue exclusive avec un brave chômeur palestinien qui, pour 200 dollars versés à un intermédiaire lui aussi nanti d'une famille à nourrir, est prêt à vous révéler son rôle caché de dirigeant suprême de la résistance contre Israël.
A Jérusalem, Georges était un atypique. Son ancienneté lui permettait de s'affranchir des usages. Il n'adhérait à aucune association, ne chassait jamais en bande, et semblait se rire de toutes les règles. Personne ne comprenait comment il arrivait à circuler dans une 205 hors d'âge dégageant une fumée noirâtre, oubliée de toutes les autorités et dont l'immatriculation française lui donnait le privilège d'entrer et de sortir de la bande de Gaza, interdite aux véhicules à plaques jaunes israéliennes. La malheureuse automobile termina sa vie sur le parking de la frontière israélo-jordanienne, où l'armée israélienne l'envoya à la casse, non à cause de son pedigree administratif incertain, mais parce qu'elle était persuadée d'avoir affaire à une épave. Cette aventure ne choquera que ceux qui lient qualité professionnelle et cylindrée du 4 x 4.
Ce dédain des apparences n'allait pas jusqu'aux vêtements. Georges a toujours observé la mise de bon aloi qui prévaut au sud de la Méditerranée, ce qui lui permettait de ne pas attirer l'attention et de se fondre dans les populations. Son expérience du terrain l'autorisait également à éviter les «fixeurs», ces guides interprètes palestiniens qui font partie du paysage, et dont 5% environ sont réellement fiables et introduits. Georges avait ses propres contacts. Il fréquentait des chefs de la police palestinienne, des «gunmen» islamistes, des soldats israéliens et des espions de diverses nationalités. Il les connaissait trop bien et il avait la tête trop solide pour se faire l'avocat de l'un ou de l'autre côté, selon une mode répandue. Son livre sur l'Intifada détaille sans complaisance les combines et les coups tordus qui forment la toile de fond de l'affrontement.
Le mot d'Albert Londres : «Je ne connais qu'une seule ligne, celle du chemin de fer», lui irait comme un gant s'il y avait encore des trains au Levant. Il ne s'est d'ailleurs jamais limité à la répétitive bisbille israélo-palestinienne, voyageant régulièrement en Jordanie, au Liban, en Iran ou aux quatre coins de l'Europe pour débusquer par exemple, l'ancien médecin de Saddam Hussein.
Le Georges Malbrunot que j'ai connu à Jérusalem-est, on l'aura compris, est un journaliste, un vrai. Il a su garder la tête froide là où beaucoup d'autres ont perdu la leur. Après la chute de Saddam, il a quitté en un jour son appartement de Jérusalem. «Maintenant, c'est à Bagdad que ça se passe», dit-il alors comme une évidence.
                           
31. Relire autrement le Coran ? Quatre sommités mondiales en parlent par Chafik Laâbi et karim douichi
in La Vie Economique (hebdomadaire marocain) du vendredi 17 décembre 2004
Interprété par des hommes et figé dans le temps, le Coran nécessite aujourd’hui une relecture à la lumière de l’évolution de la société. Des outils existent permettant de lire différemment le texte sans porter atteinte à sa sacralité.
Relire autrement le Coran ? le sujet est tellement délicat et le tabou tenace que la simple discussion sur ce sujet provoque inmanquablement une levée de boucliers. Le colloque intitulé : «De l’exégèse du Coran aux lectures modernes du fait coranique», organisé à Casablanca par la Fondation du Roi Abdul-Aziz Al Saoud pour les études islamiques et les sciences humaines, les 10 et 11 décembre 2004, n’a pas échappé à la règle. La veille (9 décembre), le quotidien islamiste Attajdid tirait à boulets rouges sur l’événement en lui consacrant son principal titre de une. Un titre qui ne laissait aucun doute sur le contenu de l’article : «Invasion laïque d’institutions saoudiennes» ! Le point de vue exprimé dans l’article, un long texte de deux pages, est résumé par une déclaration de l’ex-président de Attawhid wal Islah, Ahmed Raissouni. Selon lui, le but inavoué de ce genre de colloque est de «vider le Coran de son sens et de la désacraliser». La messe est dite... Mais pas encore terminée. Car, tout au long des deux jours qu’aura duré le colloque, une salle comble, majoritairement islamiste, restera à l’affût de la moindre déclaration pouvant donner prétexte à fondre sur des chercheurs auxquels on prêtait, a priori, les pires intentions. Enfin, le 15 décembre, le même Attajdid enfonçait le clou avec un article de synthèse des travaux du colloque trempé dans le même vitriol.
Et pourtant, les intervenants du colloque en question sont des sommités dans leurs domaines respectifs et ont fait preuve de maestria dans de brillants exposés. Un plateau qui méritait le déplacement: Mohamed Arkoun, Nasr Hamed Abou Zaïd, Abdou Filaly-Ansary, Moncef Ben Abdeljalil, Mohamed Cherif Ferjani, Youssef Saddik, Fayçal Awwami, chiite et saoudien, ainsi que Oulfa Youssef une brillante représentante - qui a impressionné l’assistance - de l’école critique tunisienne des sciences religieuses.
Chaque génération doit reprendre la relecture de son héritage religieux
Le public était foncièrement choqué de voir des chercheurs étudier le texte coranique à l’aide de la linguistique, de l’analyse littéraire, de la psychanalyse... Ils n’admettaient pas que le Coran soit ainsi décortiqué. D’où, parfois, des réactions agressives, accusatrices, voire xénophobes.
Et pourtant, tous les chercheurs invités à s’exprimer l’ont affirmé, chacun à sa manière. Il allait de soi pour eux que l’on ne peut demander au texte sacré de l’Islam, le Coran, de changer. Par contre, notre lecture de ce texte doit changer. Une idée exprimée dans une élégante formule par Abdou Filali Ansary, directeur de l’Institut d’étude des civilisations musulmanes de Londres : «Chaque génération est appelée à reprendre la relecture de son héritage religieux. Chaque génération hérite des interprétations accumulées du passé et ajoute la sienne et contribue ainsi à une immense sédimentation».
Mais pourquoi une nouvelle relecture du Coran ? À l’aide de quels outils d’analyse? Et cela ne risque-t-il pas de désacraliser le Coran ? (voir les contributions en pages 46 à 48). Pour une raison évidente, les exégèses (interprétations exhaustives du Coran) coraniques consacrées sont marquées par leur époque. Aujourd’hui, une très sérieuse actualisation des conceptions théologiques s’impose. La théologie musulmane classique a été très fortement influencée par le niveau des connaissances de l’époque en médecine, en physique, en astronomie... Un travail de mise à niveau des conceptions théologiques est nécessaire parce que nos connaissances (du monde et de nous mêmes) ont été, depuis, bouleversées dans tous les domaines. En d’autres termes, une mise à niveau des conceptions théologiques musulmanes est indispensable.
Cela permettra aux Musulmans de vivre sereinement leur religiosité tout en étant pleinement intégrés dans la modernité matérielle et intellectuelle universelle. Autrement, ils continueront à être des musulmans schizophrènes qui s’appuyent sur le texte pour interpréter le présent au lieu de partir du présent pour interpréter le texte.
Le Coran est sacré mais la Charia l’est-elle ?
Abdelmajid Charfi, chercheur en sciences islamiques à l’Université de Tunis, nous disait, il y a quelques mois (voir La Vie éco datée du 5 mars 2004), qu’il était urgent de changer notre rapport aux textes sacrés. Mais sur quoi doit porter le changement ? La réponse de M. Charfi est limpide : «Lorsqu’on parle d’Islam, il faut distinguer trois niveaux différents. Le premier, celui du texte coranique, a pour le croyant une valeur ahistorique. Quant au deuxième, celui de la pratique historique de l’interprétation des textes, il est soumis aux aléas du temps et il est donc susceptible de critique et de changement. Le troisième et dernier niveau, pratiquement indéfinissable, est celui de la foi personnelle. La réforme de l’Islam porte sur le niveau de la pratique historique».
A l’appui de cette thèse, il ne faut pas perdre de vue le fait que les grands exégètes classiques étaient des hommes et avaient produit des interprétations qui répondaient aux besoins de leur société et aux questions de leur époque. Ces sociétés ont connu des bouleversements fondamentaux et l’humanité de notre temps se pose de nouvelles questions.
D’où vient donc cette fausse idée, par ailleurs très répandue chez les musulmans, de la sacralité des exégèses et de la Charia ? D’après Mohamed Arkoun, cette sacralité a été construite et produite dans l’histoire. Ainsi, ce qui n’était au départ que des lectures, certes savantes, du Coran, sont devenues des textes fondateurs et incontournables de l’Islam. Ils étaient parfois mis sur le même pied d’égalité que le Coran.
Cela a jeté le trouble dans les esprits des simples croyants. Pour ces derniers, tout ce qui relève de la Charia ne peut donc souffrir aucune critique fût-elle scientifique et rationnelle. Les textes produits par des mortels relèvent désormais de l’ordre du sacré.
Encore une fois, le débat et la polémique autour de ce colloque ont démontré, si besoin est, la nécessité de revisiter, non seulement le Coran, mais également les approches et les méthodes utilisées dans l’appréhension du fait religieux... Un vaste chantier est ouvert .
                               
32. Obstacle par Alain Gresh
in Le Monde diplomatique du mois de décembre 2004

Vendredi 5 novembre, M. Elie Wiesel, Prix Nobel, a déclaré que Yasser Arafat était « le plus grand obstacle à la paix entre Israël et les Palestiniens ». « Avec la sortie de Yasser Arafat, a-t-il poursuivi, disparaît le plus grand obstacle à la paix entre Israël et les Palestiniens. Sa disparition marque le début d’une nouvelle ère d’espérance au Proche-Orient (1).  »
Passons sur la délicatesse qu’il y a à enterrer quelqu’un avant son décès. Mais M. Wiesel est-il bien placé pour parler d’espérance au Proche-Orient, lui qui n’a jamais eu un mot pour les victimes palestiniennes, qui nie que les Palestiniens aient été expulsés en 1948 et qui, interrogé sur les massacres de Sabra et Chatila, n’eut pas un mot pour les morts ?
Lors des négociations de Camp David, en juillet 2000, entre M. Ehoud Barak et Yasser Arafat, la partie israélienne avait envisagé, de manière encore très floue, le partage de Jérusalem, décrétée en 1967 « capitale éternelle » d’Israël. La ville pourrait devenir la capitale des deux Etats, même s’il restait encore à déterminer ce qui appartiendrait à chacun. Cette dernière proposition suscita une levée de boucliers en Israël, mais aussi dans les communautés juives du monde. C’est Elie Wiesel, qui écrivit un texte dans Le Monde du 18 janvier 2001, titré « Jérusalem, il est urgent d’attendre », reprochant au premier ministre israélien ses concessions. Mieux vaut le Mur des lamentations que la paix, expliquait en substance cette « grande conscience ».
- NOTE :
(1) Le Monde du 6 novembre 2004.
                                       
33. Le Canada et les réfugiés palestiniens par Olivier Roy
in Le Bulletin de la Ligue des Droits et Libertés (Québec) du mois de novembre 2004
[Fondée à Montréal en 1963, sous le nom de Ligue des droits de l'homme, la Ligue des droits et libertés est aujourd'hui l’une des plus anciennes organisations de défense et de promotion des droits des Amériques. La LDL est affiliée à la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH).]
Promulgation d’une nouvelle loi sécuritaire et restrictive sur l’immigration, mise au jour de corruption au sein de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, persistance de nominations partisanes au sein de ladite Commission, plaçant à des postes de décision des individus qui n’en ont pas nécessairement les compétences, le tout combiné à une détérioration de la situation politique au Moyen-Orient. On se retrouve donc dans une situation où une centaine de réfugiés palestiniens, demandeurs du statut de réfugié au Canada, se voient refuser leur demande et placer devant une possible expulsion du pays.
C’est dans ce contexte qu’est née, en février 2003, la Coalition contre la déportation des réfugiés palestiniens, afin d’aider légalement ces réfugiés et de faire connaître leur situation au grand public.
Le Canada préside le Groupe de travail sur les réfugiés, qui avait été créé pour trouver des solutions aux problèmes humanitaires auxquels font face les réfugiés palestiniens au Liban, en Syrie, en Jordanie et dans les Territoires occupés et qui a effectivement mis en oeuvre des projets importants dans divers camps de réfugiés. Toutefois, le groupe, qui réunit des représentants des pays impliqués dans les négociations (excepté le Liban et la Syrie), ne s’est plus réuni depuis 1996 et la dernière visite organisée dans les camps remonte à quelques années déjà. Le ministère canadien des Affaires étrangères affirme que la reprise des rencontres est sujette à la volonté des Israéliens et des Palestiniens, se lavant ainsi les mains de sa propre inaction. À l’image de l’ensemble de la politique étrangère du Canada, pour le moins ambiguë,le gouvernement n’a jamais reconnu officiellement le droit au retour des réfugiés palestiniens et affirme que la question des réfugiés devra être traitée dans le cadre d’hypothétiques négociations sur le statut final. Et aujourd’hui, ayant en plus modifié la loi sur l’immigration peu après le 11 septembre 2001, le Canada refuse d’accorder le statut de réfugié à des Palestiniens, soucieux de ne pas prendre une initiative individuelle qui changerait la donne et de ne pas apparaître trop favorable aux Palestiniens. Citoyenneté et Immigration Canada (C.I.C.) menace donc de déportation plusieurs dizaines de Palestiniens. Pour ajouter à l’ironie, le gouvernement canadien avait annoncé, en janvier 2001, être prêt à accueillir un grand nombre de réfugiés palestiniens dans le cadre d’une solution générale.
Le droit international
La Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés avait inclus le principe de « non-refoulement » dans le droit international. L’article 33.1 de cette Convention dit : « Aucun pays signataire ne doit expulser ou refouler un réfugié, d’une quelconque façon que ce soit, vers les frontières d’un territoire où sa vie ou sa liberté seront menacées sur la base de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social particulier ou de ses opinions politiques.»
N’obligeant pas les pays à accorder la citoyenneté à ces réfugiés, la Convention les oblige toutefois à leur accorder certains droits : des papiers d’identité (article 27), des documents de voyage (article 28), la liberté de mouvement (article 26), l’absence de restriction quant au travail (articles 17 et 18), un logement décent (article 21), des soins de santé (article 23), un accès à l’éducation (article 22), la protection de leurs droits sociaux et de travail (article 24) et la liberté de religion (article 4).En vertu de l’article 33.1, le Canada a donc l’obligation légale de ne pas déporter les réfugiés palestiniens. En effet, la plupart de ceux qui sont menacés d’expulsion proviennent des camps du Liban, où ils n’ont pas la moindre liberté, ou bien des Territoires occupés, où leur vie est en danger en plus de vivre une sévère restriction de leurs libertés. (1)
À ce jour, quelques réfugiés ont déjà été déportés. Ahmed Abdel-Majeed, du camp d’Ein el-Hilweh au Liban a été arrêté par C.I.C. le 4 novembre 2003 et reconduit à la frontière états-unienne deux jours plus tard, où il a été incarcéré avec des détenus de droit commun en attendant sa déportation vers le Liban. Mariam Ahmad, de Jordanie, et sa fillette de 3 ans ont été arrêtées le 20 octobre 2003 par C.I.C. Ses deux fils de 12 et 18 ans qui étaient alors à l’école ont été menacés par C.I.C. de ne plus revoir leur mère et leur soeur s’ils ne se rendaient pas d’eux-mêmes aux bureaux de C.I.C.. Ils ont tous été déportés aux États-Unis le 28 octobre 2003. En ce moment même, trois réfugiés palestiniens ont trouvé refuge dans l’église Notre-Dame-de-Grâce de Montréal pour échapper à l’ordre de déportation émis contre eux le 3 février dernier. Nabih Ayoub, 69 ans, ainsi que son épouse Thérèse Haddad, 62 ans, et son frère Khalil Ayoub, 67 ans, viennent du camp d’Ein el-Hilweh et sont arrivés au Canada en 2001, via les États-Unis. Ils ont demandé le statut de réfugié, mais celui-ci leur a été refusé par les juges de C.I.C.. Ayant épuisé tous les recours légaux, ils seront donc déportés au Liban si le Parlement ou la ministre de l’Immigration n’interviennent pas pour renverser la décision des juges. Étant chrétiens, les Ayoub, en cas de retour au Liban, seraient probablement relocalisés dans le camp de Dbayeh au nord-est de Beyrouth.
Le camp de réfugiés d’Ein el-Hilweh
Plus vaste camp de réfugiés palestiniens du Liban, Ein el-Hilweh rassemble quelque 70,000 personnes sur un peu plus de deux kilomètres carrés, dont environ 45,000 réfugiés enregistrés auprès de l’UNRWA, l’organisation des Nations Unies créée en 1949 pour porter assistance aux réfugiés palestiniens du Liban, de Syrie, de Jordanie, de Cisjordanie et de la Bande de Gaza.
Construit en 1949, le camp a complètement été détruit par les bombardements et les bulldozers israéliens en 1982 et un millier de ses habitants sont morts. Reconstruit depuis ce temps, c’est un microcosme du monde politique palestinien. La majeure partie du camp est sous le contrôle des miliciens du Fatah de Yasser Arafat, mais une autre partie est sous le contrôle d’Asbat al-Ansar et d’Asbat an-Nour, deux groupes islamistes, le premier fondé en 1989 et le second au milieu des années 90, plutôt marginaux et avec une bien faible base populaire en dehors de ce camp, voire pas du tout. Les rivalités y sont exacerbées par l’exiguïté et de fréquents accrochages ont lieu entre factions « ennemies ». Au début des années 90, c’est le Fatah-Conseil révolutionnaire (Groupe Abu Nidal) qui avait essayé en vain de prendre le contrôle du camp. Depuis quelques années, ce sont les deux groupes islamistes précédemment mentionnés qui tentent de prendre le contrôle du camp. Régulièrement, des accrochages ont lieu entre factions rivales. En mai 2001, un responsable du Fatah a été assassiné. Deux ans plus tard, des affrontements entre miliciens du Fatah et ceux d’Asbat an-Nour ont fait sept morts dont trois civils et quelques mois plus tard, d’autres affrontements faisaient 15 blessés au sein des deux mêmes groupes. Tout récemment, le dernier héritier du fondateur d’Asbat al-Ansar a été assassiné (son frère avait subi le même sort en 2003 et son père en 1991). Les plus récents rapports font état d’accrochages presque quotidiens (le 30 août dernier, trois personnes ont trouvé la mort, dont une fillette de 14 ans), et l’armée libanaise a pratiquement fermé l’accès au camp pour les étrangers (qui doivent maintenant demander un permis spécial de l’armée), en plus de resserrer les contrôles d’identité pour les Palestiniens eux-mêmes, apportant ainsi une détérioration supplémentaire de leur situation. En plus de cela, le camp est encore occasionnellement sujet à des survols à basse altitude d’avions de chasse israéliens.
Ces affrontements s’ajoutent à la misère généralisée. Les entrées du camp étant contrôlées par l’armée libanaise, les allées et venues peuvent être surveillées, sans compter que les militaires empêchent l’entrée de tout matériaux de construction puisque la construction de nouveaux bâtiments dans les camps de réfugiés exige l’obtention de permis spéciaux que les autorités libanaises accordent rarement.
Comme dans les autres camps, la situation sanitaire est précaire. Le personnel médical de l’UNRWA a des ressources limitées et l’accès aux hôpitaux libanais est sévèrement restreint (1 lit pour 4,000 personnes), L’eau potable et les égouts sont accessibles pour guère plus que la moitié des habitants. Quant à l’éducation, les écoles de l’UNRWA sont surpeuplées et, encore là, l’accès aux écoles libanaises est restreint à quelques élèves par classe. Pour pallier à cette restriction qui empêchait les jeunes Palestiniens de faire des études secondaires, l’UNRWA a construit une école secondaire pour les habitants d’Ein el-Hilweh (quatre autres écoles secondaires ont été construites au Liban), mais elle ne peut accueillir que quelques centaines d'élèves.
Le camp de réfugiés de Dbayeh
Le petit camp de Dbayeh a été construit dans la banlieue nord-est de Beyrouth au milieu des années cinquante. C’était alors un des trois camps de réfugiés dans cette partie de Beyrouth à prédominance chrétienne. Déjà à cette époque, la plupart de ses habitants étaient des Palestiniens chrétiens. Toutefois, lors de la guerre civile de 1975- 76, Dbayeh a été assiégé, puis envahi et détruit en même temps que les deux autres camps de ce secteur (Jisr al-Basha et Tel el-Za’atar). Trois milles personnes ont été tuées dans ce dernier camp par les milices phalangistes de l’extrême droite chrétienne. Dbayeh a été partiellement repeuplé par la suite, par des réfugiés palestiniens chrétiens et aussi par des Libanais déplacés lors des combats. En 1990, lors du dernier épisode de la guerre civile libanaise, 25% des maisons du camp ont été détruites et une centaine de familles palestiniennes ont été déplacées. Encore aujourd’hui, le camp subit la pression d’anciens militants de l’extrême droite chrétienne libanaise et les autorités libanaises cherchent à le fermer définitivement.
Dû à l’éloignement du camp par rapport aux installations de l’UNRWA à Beyrouth, Dbayeh ne reçoit qu’une aide partielle de l’agence et les ONG palestiniennes, souvent dirigées par des musulmans, ne peuvent s’y rendre en toute sécurité à cause de la présence des anciens militants phalangistes aux abords du camp. L’essentiel de l’aide que reçoit ce camp provient d’organisations chrétiennes occidentales et de missionnaires. La situation sanitaire y est la même que dans les autres camps, tout comme l’éducation. Être réfugié palestinien au Liban La vie des réfugiés palestiniens au Liban se résume à l’absence presque totale de liberté. Plus de 78 professions leur sont interdites, y compris la médecine, le droit, l’ingénierie, etc... Ceux parmi les réfugiés qui ne sont pas handicapés par des problèmes physiques ou psychologiques graves issus des années de guerre sont donc limités à des petits métiers qui ne leur permettent que de subsister : travailleurs agricoles, ouvriers de la construction, mécaniciens, simple vendeurs au bord de la route, etc... en plus des divers commerces à l’intérieur des camps.
En 2001, le parlement libanais a promulgué une loi qui interdit à toute personne qui n’a pas la citoyenneté libanaise d’acquérir ou de léguer une propriété immobilière au Liban. Comme il n'y a que quelques dizaines de milliers de réfugiés palestiniens qui ont pu obtenir la citoyenneté libanaise, tous les autres sont donc directement concernés par cette loi. Par conséquent, tout réfugié qui aurait réussi à économiser suffisamment d'argent pour pouvoir s’acheter ou offrir à un fils un appartement à l'extérieur des camps n'a plus que deux possibilités. Soit il vend immédiatement, à rabais car les acheteurs savent qu'ils n’ont guère d'autre solution, ou bien il garde cette propriété, mais celle-ci deviendra propriété de l’État à sa mort, sans aucun dédommagement pour ses héritiers.
Pire que cela,entre 1995 et 1999, tous les réfugiés palestiniens qui voulaient quitter le Liban, que ce soit pour un voyage, des études ou autre, devaient demander un visa de sortie,puis un visa d'entrée pour revenir, ce qui a considérablement diminué leur liberté de mouvement, d'autant plus que le simple fait de se présenter dans une ambassade avec des papiers de réfugié palestinien suscite des regards inquisiteurs.
Conclusion
Comme on peut le voir, les ordres de déportation que le gouvernement canadien s'apprête à émettre contre plusieurs dizaines de réfugiés palestiniens, sont contraires au droit international, en plus d'être tout à fait immoraux. Le gouvernement canadien a le devoir de protéger les individus, quelle que soit leur origine, de l'oppression qu'ils sont susceptibles de subir dans leur pays d'exil ou d'origine. À l'heure actuelle, cinq réfugiés palestiniens vivent dans la clandestinité, à Montréal seulement, et les Ayoub, huit mois après avoir trouvé refuge dans l’église Notre-Dame-de-Grâce, y sont encore reclus en attendant que leur cause soit reconnue. La campagne médiatique menée autour de leur cas a permis de recueillir le soutien de nombreuses personnes (députés du Bloc Québécois, du NPD, du Parti libéral même et de syndicalistes, entre autres) et, de par le fait même, une pression plus grande est exercée sur Citoyenneté et Immigration Canada. Dans les dernières semaines, un réfugié palestinien de Cisjordanie, Oussama, a obtenu de la Cour fédérale un sursis, 24 heures avant la date prévue de son expulsion. Après présentation, par la Coalition contre la déportation des réfugiés palestiniens, des arguments contre sa déportation, la Cour fédérale a accepté d'examiner son dossier et une audience aura lieu le 9 novembre.
[Pour en savoir plus : Coalition contre la déportation des réfugiés palestiniens - Email : refugees@riseup.net - Web : http://refugees.resist.ca - Tél. : (514)591-3171]
- NOTE :
(1) Pour une description détaillée de la protection à laquelle les réfugiés palestiniens ont droit selon la loi internationale, voir Susan M. Akram, Reinterpreting Palestinian Refugee Rights Under International Law, dans Palestinian Refugees ; The Right of Return aux éditions Pluto Press, 2001.

                                                                                           
[Selon le logiciel de messagerie que vous utilisez, les accents peuvent présenter des défauts d'affichage. Nous vous remercions de votre compréhension.]