Un problème sans solution est un problème mal posé.  Albert Einstein
                                     
                       
Point d'information Palestine N° 250 du 08/01/2005
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La Maison d'Orient vous présente ses meilleurs vœux pour l'année 2005
                       
Au sommaire
               
Témoignage
Meilleurs vœux de Ramallah par Claude Abou-Samra (4 janvier 2005)
                    
Rendez-vous
- Exposition des dernières œuvres du peintre Vonick Laubreton à Marseille à la Galerie Sordini du mardi 11 janvier au samedi 12 février 2005
                   
Réseau
1. Extrait de l'allocution de Jacques Chirac lors de la présentation des voeux du corps diplomatique (6 janvier 2004)
2. "La lutte pour un seul état, démocratique, sans aucune forme de discrimination ethnique ou religieuse ne doit jamais cesser" - Entretien avec Ahmed Saadat propos recueillis par Mireille Terrin et Chris Den Hond (31 décembre 2004)
3. Entretien avec Yossi Beilin : "Il n’y a pas d´alternative, il faut négocier" propos recueillis par Istico Battistoni (Novembre 2004)
4. Journalistes contre l'interdiction d'Al-Manar - Contre la décision du Conseil d'Etat visant Al-Manar
5. Message de Noël 2004 par Mgr Michel Sabbah, Patriarche Latin de Terre Sainte
6. De la “démocratie” menée par la terreur : a propos de Fallouja et plus généralement de l’Irak aujourd’hui par Nahla Chahal (27 novembre 2004)
                                     
Revue de presse
1. Parcours du combattant pour l’électeur palestinien de Jérusalem par Valérie Féron in L'Humanité du vendredi 7 janvier 2005
2. Vote de raison pour les Palestiniens par Agnès Rotivel in La Croix du vendredi 7 janvier 2005
3. "Election ou pas, moi je n'ai plus confiance en personne" par Luis Lema in Le Temps (quotidien suisse) du vendredi 7 janvier 2005
4. Intifada : radiographie d’un échec par Jean-Paul Mari in Le Nouvel Observateur du jeudi 6 janvier 2005
5. A Gaza, Mahmoud Abbas cible le Hamas et "l'ennemi sioniste" par Christophe Ayad in Libération du mercredi 5 janvier 2005
6. Richard Gere encourage les Palestiniens à aller voter - Dépêche de l'agence Associated Press du mardi 4 janvier 2005, 17h37
7. Le baobab lumineux par Francis Laloupo in Le Nouvel Afrique Asie du mois de décembre 2004
8. En colère contre Tali Fahima par Orit Shohat in Ha'Aretz du vendredi 31 décembre 2004
9. L'héritage de Yasser Arafat par Richard Labévière on Radio France Internationale le mercredi 29 décembre 2004
10. Susan Sontag - De l’art à la politique, une passion au-delà de toute reddition par Francesca Borelli in Il Manifesto du mercredi 29 décembre 2004
11. Angelina Jolie en tournée dans les orphelinats et les camps de réfugiés palestiniens au Liban - Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 24 décembre 2004, 14h27
12. Libérer Barghouti par Luisa Morgantini in Il Manifesto du vendredi 24 décembre 2004
13. Les Palestiniens élisent des conseils municipaux, une première depuis 1976 - Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 23 décembre 2004, 11h46
14. L’armée pour débutants par Gideon Lévy in Ha'Aretz du dimanche 19 décembre 2004
15. Votons Barghouti libre par Tommaso De Francesco in Il Manifesto du samedi 18 décembre 2004
16. Al-Manar et après ? par Richard Labévière on Radio France Internationale du mercredi 15 décembre 2004
17. Convoi sans convoyeurs par Héba Nasreddine in Al-Ahram Hebdo du mercredi 15 décembre 2004
18. Ballet diplomatique par Cherif Ouazani in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 12 décembre 2004
19. Le dernier sondage du SIS : Abou Mazen remporte 53,4 des votes - Dépêche du Centre de Presse Internationale du samedi 11 décembre 2004
20. Frappez à la porte par Gideon Lévy in Ha'Aretz du vendredi 10 décembre 2004
21. Nouveau couac dans les relations israélo-françaises - Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 10 décembre 2004, 13h54
22. Hans Blix : réformer l'ONU après la guerre d'Irak in Voltaire du jeudi 9 décembre 2004
23. Rebondissements dans le procès AIPAC par Ron Kampeas & Matthew E. Berger in The Baltimore Jewish Times du mardi  7 décembre 2004
24. La nouvelle Guerre froide. Nous menons une "guerre de civilisation". Pas seulement contre l’Islam ! par Justin Raimondo on Antiwar.com le lundi 6 décembre 2004
25. Regards coraniques sur les chrétiens par Maurice Borrmans in Etudes du mois de décembre 2004
26. Paul-Marie de La Gorce - Notre collaborateur est décédé le 1er décembre à Paris par Hamid Barrada in Jeune Afrique - L'intelligent du 5 décembre 2004
27. Elections, vous avez dit : "Elections" ? par Immanuel Wallerstein in Commentary N° 150 du mercredi 1er décembre 2004
                               
Témoignage

                           
- Meilleurs vœux de Ramallah par Claude Abou-Samra (4 janvier 2005)
(Claude Abou-Samra est "citoyenne" de Ramallah en Palestine, si tenté que le concept de citoyenneté puisse s'appliquer en Palestine occupée...)
[Le 1er janvier 2005, j'ai envoyé à quelques amis, une carte de vœux électronique représentant ma fille et accompagnée d'un poème de Mahmoud Darwich : "J'ai écrit vingt lignes sur l'amour / Et il m'a semblé / Que ce siège / Avait reculé de vingt mètres !" J'ai pensé que la réponse de Claude Abou-Samra pouvait être partagée avec l'ensemble des lecteurs du Point d'information Palestine et c'est avec son accord, que nous la publions.  Pierre-Alexandre Orsoni]
Ramallah, le mardi 4 janvier 2005 - Merci pour ce beau sourire de votre petite fille et ces lignes de Mahmoud Darwich. On va essayer, cette année encore, de garder en nous ce "mal incurable" dont il disait que chaque Palestinien était atteint : l'espoir ! Bonne année à votre famille, aux amis de la Maison d'Orient, que vous puissiez continuer votre mission d'information envers et contre tout !  Ce qui se passe en ce moment avec la médiatisation à outrance et l'orchestration de la générosité spontanée vis à vis des sinistrés d'Asie nous confirme l'ampleur de la tâche ! Comme tous les citoyens du monde les Palestiniens ont exprimé une grande compassion pour les vicitimes de cette catastrophe. Tant d'entre eux savent ce que signifie perdre sa maison en quelques minutes, voir disparaitre sous les bulldozers les arbres et les cultures qu'ils ont mis tant d'années à faire pousser pour faire vivre leur famille, être sans nouvelles d'un des leurs, le rechercher dans les hôpitaux...  Et ils se réjouissent que le monde comprenne cette souffrance et se mobilise pour la soulager. Mais, encore une fois, quelle disparité dans l'information ! Comme on voudrait que toutes les victimes suscitent la même présence des médias, le même élan de solidarité, surtout quand elles ne sont pas victimes d'une catastrophe naturelle mais de conflits voulus par les hommes auxquels on pourrait mettre fin ... s'il y avait cette même mobilisation. Comme on voudrait voir lancer une campagne pour venir en aide aux habitants de Falloujah dont la ville a été entièrement dévastée et dont on est sans nouvelles ... Comme on voudrait ... Pardonnez-moi, je voulais m'en tenir à des voeux ...mais je sais que vous comprenez que, d'ici, on peut difficilement envoyer des voeux ordinaires ... mais  ils n'en sont que plus sincères. Cordialement, Claude Abou-Samra
                                           
Rendez-vous
                           
- Exposition des dernières œuvres du peintre Vonick Laubreton à Marseille
à la Galerie Sordini du mardi 11 janvier au samedi 12 février 2005
Vernissage le mercredi 12 janvier de 17h00 à 21h00
[Galerie Sordini - 51, rue Sainte - 13001 Marseille (M° Vieux-Port - Tél/Fax : 04 91 55 59 99 - Ouvert du mardi au vendredi de 14h30 à 19h30. Vous pouvez visiter le site de Vonick Laubreton à l'adresse suivante : http://perso.wanadoo.fr/laubreton]
Vonick Laubreton est un artiste rare. Peintre reconnu, il est aussi un ami fidèle du peuple palestinien. C'est lui qui est à l'origine de la publication de "Tabadolat", notre revue d'échanges culturels franco-palestiniens. Il a déjà exposé à l'occasion d'évènements organisés autour de la Palestine, entre autre, à Marseille à l'occasion des "Images réfugiées de Palestine" en juin 2000 et à Toulon, à l'occasion du passage de la compagnie palestinienne Inad-Théâtre de Bethléem au Théâtre de la Méditerranée en juin 2004. De retour en Provence depuis quelques mois, après un "exil" de deux ans en Guadeloupe, il présentera à l'occasion de cette exposition, ses dernières créations.
                                                       
Réseau

                                      
1. Extrait de l'allocution de Jacques Chirac, Président de la République française, lors de la présentation des voeux du corps diplomatique (6 janvier 2004)
Palais de l'Elysée - [...] "Iraq. Proche-Orient. Côte d'Ivoire. Darfour. Attentats, à Madrid, Istanbul, Beslan... L'année qui vient de s'achever fut encore marquée par la violence, le terrorisme et la guerre. Pourtant, par-delà les crises et les désordres du monde, des perspectives se sont ouvertes [...] En Iraq, nous avons mis en place, avec la résolution 1546, les prémices d'un processus politique sous l'égide des Nations Unies. Au Proche-Orient, la maturité du peuple palestinien, confronté à la succession de Yasser Arafat, qui incarnait ses aspirations depuis tant d'années, ainsi que la décision courageuse du gouvernement israélien de se désengager de Gaza, laissent entrevoir, pour la première fois depuis quatre ans, la possibilité de sortir de l'impasse. [...] Le Proche-Orient et l'Iraq constituent la première urgence. Dans ces deux foyers de crise, le destin hésite.
Dans trois jours, les Palestiniens éliront leur Président, avant de désigner un nouveau Parlement. Ce qui est en jeu, c'est la mise en place d'institutions légitimes et fortes, qui doit aller de pair avec le redémarrage du processus de paix.
Au lendemain de l'élection présidentielle palestinienne, rassemblons-nous pour faire du retrait de Gaza un succès. Cela suppose d'y associer pleinement l'Autorité palestinienne, et de l'aider à faire face à ses responsabilités, comme l'Union européenne s'y est engagée. Mais cela suppose aussi que ce retrait soit articulé avec la feuille de route, qui doit être relancée sans délai.
Nous devons dès à présent inciter les parties à s'y engager avec détermination. Tirant les leçons du passé, n'hésitons pas à aller au plus vite vers un règlement définitif. C'est ainsi que nous aboutirons à la création d'un Etat palestinien viable, pacifique et démocratique, vivant aux côtés d'Israël dans la paix et la sécurité.
Amie d'Israël et amie des pays arabes, la France, avec l'Union européenne, est à leur écoute et les accompagnera dans leur marche vers la paix. Tel est le message que j'ai demandé au ministre des Affaires étrangères de porter très prochainement dans la région.
La recherche de la paix au Proche-Orient ne saurait s'accommoder de la persistance de schémas archaïques. La mise en œuvre de la résolution 1559, affirmation de notre attachement profond à un Liban indépendant, souverain et démocratique, requerra toute notre vigilance, en particulier dans la perspective des élections législatives du printemps prochain.
En Iraq, la France soutient le processus politique défini par la résolution 1546 ainsi que la reconstruction du pays. Le scrutin du 30 janvier, dont nous souhaitons le succès, doit permettre l'établissement d'un gouvernement démocratique et légitime. Il est essentiel que le plus grand nombre d'Iraqiens y participent et manifestent ainsi leur refus de la violence.
D'autres étapes suivront qui devront garantir à toutes les composantes de la société et de la vie politique iraqiennes de trouver leur juste place dans les futures institutions du pays. Le parcours sera long et exigeant. Mais c'est le seul qui puisse permettre à l'Iraq de retrouver la paix civile, la stabilité et la pleine indépendance, dans l'unité et la sécurité. Tout au long du chemin, la France sera aux côtés du peuple iraqien, comme elle l'a été pour trouver une solution exceptionnelle à la question de la dette. C'est l'esprit dans lequel je recevrai la semaine prochaine le Président iraqien." [...]
                   
2. "La lutte pour un seul état, démocratique, sans aucune forme de discrimination ethnique ou religieuse ne doit jamais cesser" - Entretien avec Ahmed Saadat, Secrétaire général du Front Populaire de Libération de la Palestine, dans sa prison palestinienne de Jéricho propos recueillis par Mireille Terrin et Chris Den Hond (31 décembre 2004)
Jéricho -Palestine - Ahmed Saadat, secrétaire général du FPLP, est détenu dans une prison palestinienne près de Jéricho, avec les trois membres du commando qui ont exécuté, en octobre 2001 le ministre du tourisme d'extrême droite Zeevi, en réponse à l'assassinat par les Israéliens d'Abu Ali Mustafa, dirigeant du FPLP. Tout comme la mascarade de procès qui s'était déroulé en avril 2002 à l'intérieur de la Mouqata de Ramallah assiégée, pour se plier aux exigences de Sharon, leurs conditions de détention sont ubuesques. Ils sont gardés par des Palestiniens, mais surveillés depuis les toits et écoutés en permanence par des soldats américains et britanniques, dans des locaux truffés de micros et de systèmes de brouillage des communications, le tout au nom de leur "protection". Un des membres du commando, condamné à un an de prison en avril 2002, est  toujours détenu, dans son propre intérêt, bien sûr, alors qu'il aurait dû être libéré il y a huit mois. A quelques jours de l'annonce du soutien du FPLP à  la candidature de Mustafa Barghouti aux élections présidentielles, nous avons rencontré Saadat et ses camarades dans leur prison.
- La Haute cour palestinienne a ordonné votre remise en liberté il y a plusieurs mois, pourquoi êtes vous toujours en prison ?
- Ahmed Saadat : Ce n'est pas la première fois qu'une décision de la Haute cour n'est pas appliquée, il y a des dizaines d'autres décisions qui n'ont jamais été appliquées. Une partie des obligations "sécuritaires" de l'Autorité palestinienne est de se plier aux exigences des Américains et des Israéliens. C'est pour cela que nous restons ici, détenus en otages, comme gages de la bonne volonté de l'Autorité palestinienne.
- Yasser Arafat était décrit par les Israéliens et les Américains comme un "obstacle à la paix". Est ce que sa disparition va changer quelque chose ?
- Ahmed Saadat : Il faut d'abord définir ce qu'est un obstacle. Pour Israël tout dirigeant palestinien qui n'accepte pas l'intégralité de ses exigences est un obstacle. Si Abu Mazen et le prochain gouvernement défendent les droits fondamentaux des Palestiniens, ils seront eux aussi considérés comme des obstacles. D'ailleurs Olmert vient de déclarer qu'il serait impossible de signer un accord de paix avec Abu Mazen à cause de son soutien à la revendication du droit au retour des réfugiés!
- Le FPLP ne présente pas de candidat aux élections du 9 janvier, alors que le PPP, le FDLP ont chacun leur candidat, n'était pas possible de présenter une candidature unique de la gauche ?
- Ahmed Saadat : Nous ne présentons pas de candidat d'abord parce que nous refusons de cautionner l'Autorité palestinienne issue des accords d'Oslo. Il est déjà inacceptable de participer à des élections sous l'occupation mais nous pensons en plus que ces élections auraient dû être globales, avec le renouvellement de toutes les institutions de l'Autorité palestinienne, le Conseil législatif palestinien, les municipalités. La séparation dans le temps des élections présidentielles et des législatives nous fait douter qu'il s'agisse d'un pas vers la démocratie. Ces élections devraient être aussi un moyen de lutter contre l'occupation, un mécanisme pour le droit à l'auto détermination. Israël et les USA prétendent nous imposer un changement démocratique qui correspond à leurs besoins et nous refusent le droit à l'autodétermination. Nous avons quand même essayé d'initier une candidature commune de la gauche. Nous avons eu des rencontres avec d'autres groupes, avec le parti du peuple palestinien (PPP, ex Parti communiste palestinien), avec le FDLP (Front démocratique de libération de la Palestine) et même avec la FIDAH, dont une partie soutient les accords de Genève. Nous avons entrepris les discussions autour d'un programme, ce qui était le principal enjeu pour nous, plus que les questions de personne. Nous voulions un programme qui soit réellement de gauche. Nous avions des divergences avec le FDLP, qui inclut la "Feuille de route" dans son programme, et le PPP qui accepte les principes de "l'initiative arabe" sur le droit au retour des réfugiés, une conception qui détruit le principe même du droit au retour puisqu'elle introduit des quotas, et qu'elle donne à Israël le pouvoir d'accepter ou non le retour des réfugiés. Malgré ces divergences, nous avons continué les discussions. Et puis nous avons eu la désagréable surprise d'apprendre que le PPP et le FDLP avaient déjà désigné leur candidat, Bassam Sahali pour le PPP et Tayser Khaled pour le FDLP.
- Le FPLP a décidé de soutenir la candidature de Mustafa Barghouti dans cette élection. Est ce que vous pensez qu'il est un candidat vraiment à gauche ?
- Ahmed Saadat : Nous aurions préféré une candidature nettement anti-capitaliste, c'est vrai que Mustafa Barghouti n'est pas un révolutionnaire. Mais il a été clair et honnête avec nous, il a accepté les points de notre programme qui étaient essentiels pour nous, comme le droit au retour et le soutien à la résistance du peuple palestinien sous toutes ses formes. Mustafa Barghouti est un symbole, en tant que président du PMRC (la plus grande ONG médicale palestinienne) au niveau national et international. Ses positions n'ont peut être pas toujours été très claires, notre rôle est de l'aider à évoluer. Si nous n'y arrivons pas, nous n'avons rien à perdre. Nous avons nos propres positions politiques, notre propre programme.
- Si Marwan Barghouti s'était finalement présenté, auriez vous soutenu sa candidature ?
- Ahmed Saadat : Marwan Barghouti est un dirigeant du Fatah, il a été formé par le Fatah et se pliera toujours à la ligne du parti. Bien sûr nous faisons la distinction entre Abu Mazen et lui, mais au bout du compte, ils représentent tous les deux  la même idéologie, le même programme au service de la bourgeoisie palestinienne.
- Pensez vous que la solution des deux états est viable ?
- Ahmed Saadat : La solution des deux états est un point de départ qui créera le climat nécessaire à une solution pacifique. Bien sûr, la lutte pour un seul état, démocratique, sans aucune forme de discrimination ethnique ou religieuse ne doit jamais cesser, car c'est la seule solution possible pour résoudre les problèmes, celui des Palestiniens de 48 et celui du droit au retour. Dans ce combat nous avons besoin de la solidarité internationale et de l'unité de ceux qui se battent à nos côtés. En  tant que Palestiniens et aussi en tant que FPLP, nous sommes fiers de toutes ces actions de solidarité avec le peuple palestinien.
                         
3. Entretien avec Yossi Beilin : "Il n’y a pas d´alternative, il faut négocier" propos recueillis par Istico Battistoni (Novembre 2004)
(Istico Battistoni est Conseiller italien au Parlement Européen. Il vit actuellement en Cisjordanie. Ce texte, inédit, peut-être repris librement sur tout support militant ou associatif. Par contre, si vous souhaitez publier ce texte sur un support écrit commercial - journal, revue... - vous devez en faire la demande auprès de l'auteur : ibattistoni@terra.es. Les textes de Istico Battistoni sont également disponibles en espagnol, en italien et en portugais.)
L´Accord de Genève fut négocié secrètement pendant deux ans par des personnalités relevant des institutions palestiniennes et de l´opposition israélienne, de concert avec des personnalités internationales. Il fut signé à Genève au mois de décembre 2003. L´Accord prévoit en particulier:
- la reconnaissance réciproque entre les Etats israélien et palestinien;
- le retrait d´Israël des Territoires occupés en 1967. Israël garderait quelques colonies, comme situées autour de Jérusalem-Est, en échange de la cession à l´Etat palestinien d´autres portions de territoire actuellement en Israël;
- la création d´un Etat palestinien avec pour capitale Jérusalem. Jérusalem serait la capitale des deux Etats, et un Comité consultatif inter-religieux se chargerait des questions religieuses;
- la solution du problème des réfugiés par le biais d’un mécanisme de compensation concernant leur statut de réfugiés et les propriétés perdues. Les réfugiés pourraient choisir comme lieu de résidence l´Etat palestinien, une partie de l´Etat d´Israël, des Etats tiers ou les Etats qui les accueillent actuellement (comme le Liban ou la Jordanie), qui auraient dès lors droit à une compensation internationale pour faciliter l´intégration des réfugiés.
L´Accord, qui prévoit  le déploiement d´une force multinationale garantissant la sécurité durant son application, est, en l’état actuel des choses, le seul accord de résolution globale et permanente du problème en question. Bien que ce ne soit pas un accord officiel entre le Gouvernement israélien et l´Organisation pour la Libération de la Palestine, il a obtenu un large consensus au niveau international et s´est révélé être le seul compromis réaliste possible, dans une phase où tout paraît se résoudre selon la loi du plus fort. Yossi Beilin, ex-ministre des cabinets Rabin, Peres et Barak, est le promoteur, côté israélien, de l´Accord de Genève. Il est membre du parti Yahad, qui promeut le dialogue avec les Palestiniens. Les propos suivants ont été recueillis lors d’une rencontre avec une délégation du Parlement européen à Tel Aviv, dans les bureaux de Heskem, l´organisation promotrice de l´Initiative de Genève côté israélien.
- Comment jugez-vous le Plan Sharon de retrait unilatéral de Gaza ?
- Yossi Beilin : "Nous sommes dans une phase intéressante. Aucun d’entre nous ne doute du fait que Sharon avec son plan de retrait de Gaza voudrait payer le prix le plus faible possible face au public israélien et à la communauté internationale en échange de l´annexion de la Cisjordanie. Toutefois, alors qu´il pensait obtenir un soutien total de ses compatriotes et espérait que sa politique de colonisation de la Cisjordanie lui serait "pardonnée" à l’échelle mondiale en échange de la cession de Gaza, la droite israélienne a décidé de lui faire la guerre, comme si le retrait de Gaza était le retrait de Jérusalem. La raison en est très simple: si le démantèlement des colonies à Gaza devait se révéler aisé, il le serait aussi en Cisjordanie. Sharon s’est trouvé ainsi dans une dynamique imprévue plus forte que lui, à savoir : faire face aux colons, qui l´accusent d´être un traître. S’il avait explicitement dit qu’il faisait tout cela pour conserver la Cisjordanie, les colons auraient accepté, mais Sharon, préférant "mentir" au monde, ne l’a pas fait.
Psychologiquement, non idéologiquement, il s´est mis dans la situation typique d´un leader de gauche qui lutte pour faire des concessions. Son plan de retrait de Gaza a été approuvé par la Knesset avec les voix de la gauche, et maintenant il se trouve devoir rendre des comptes au camp de la paix, qui a peut-être là une nouvelle opportunité, et peut décider comment et quand l’appuyer afin d’abandonner Gaza et reprendre les négociations. Et si de nouvelles élections devaient avoir lieu un jour, son parti, le Likoud, pourrait aller jusqu’à se diviser, favorisant ainsi le camp de la paix qui regagnerait du terrain."
- Comment ?
- Yossi Beilin : "Avec l´Initiative de Genève, nous avons démontré que le conflit peut trouver une solution définitive, et que la condition à toute solution est la négociation avec les Palestiniens, ce que Sharon ne veut pas. Ce qui intéresse à Sharon, c’est de maintenir l´identité juive de l´Etat d´Israël, et de neutraliser la croissance démographique des Palestiniens. Il veut le faire en annexant de nouvelles terres. Pour cela, il ne peut pas négocier, car il voudrait laisser aux Palestiniens seulement la moitié de la Cisjordanie. Contrairement à Sharon, nous croyons que le retrait de Gaza doit être l´occasion de retourner à l’esprit de Genève. Sharon a utilisé le "facteur Arafat-partenaire non fiable" pour se refuser à toute négociation, en convainquant les Américains et beaucoup d´Israéliens".
- Quelles sont d´après vous les conséquences sur la reprise des négociations de la disparition d´Arafat de la scène politique ?
- Yossi Beilin : "Avec la disparition d´Arafat, Sharon n´aura plus d’alibi pour se refuser au dialogue. En plus, je crois qu’un leadership crédible et concrêt émergera, j´espère en la personne d’Abu Mazen, chef politique et premier candidat de l´OLP aux élections du 9 janvier. Abu Mazen n’a pas le charisme d´Arafat, mais il est plus explicite et concret que lui. Il a déjà rencontré Sharon. Avec Arafat, il était difficile de comprendre ce qu’il voulait, il utilisait des slogans, alors qu’Abu Mazen va droit au but. A partir d’une position de gouvernant, Abu Mazen pourrait avec le temps gagner le respect et la confiance de son peuple. Si le nouveau leader devait travailler pour réformer la société palestinienne sans utiliser d’arguments idéologiques, en rejetant toute responsabilité sur Israël, il aurait notre soutien et aurait besoin de nous. Il serait difficile pour Sharon ou Bush de se refuser au dialogue. Abu Mazen est le "visage affable" de la révolution  palestinienne".
- Pensez-vous que l’Europe puisse jouer un rôle dans cette phase ?
- Yossi Beilin : "Je crois que l´Europe a renoncé à jouer un rôle important car elle est trop divisée de l’intérieur, et elle n´est pas capable de parler de manière autonome face aux Américains. Le fait que l´Union Européenne n’ait pratiquement pas voix au chapitre dans le Quartet qui préside la Road Map pour la reprise des négociations le démontre".
- Mais l’Europe a appuyé l’Initiative de Genève.
- Yossi Beilin :"C´est vrai! L´Union Européenne finance les initiatives de promotion de l´Accord de Genève, et beaucoup de ses représentants se sont exprimés en disant que Genève est le type d´accord qu´il faut pour trouver une solution définitive à la question israélo-palestinienne. Certains parlements comme le Bundestag allemand ont approuvé des résolutions de soutien à Genève. Mais l´Europe devrait maintenant peser de tout son poids pour dire qu´il n´y a pas d´autre voie que la négociation afin de trouver une vraie solution. Genève a joué son rôle en donnant une nouvelle dynamique à une situation pourrie par l’application partielle d’Oslo, le manque de solution négociée aux questions ouvertes, et la radicalisation du conflit."
- Croyez-vous qu’une politique de sanctions de la part de l’Europe pourrait faciliter le retour d’Israël aux négociations ?
- Yossi Beilin : "Au contraire, isoler Israël maintenant signifierait faire le jeu de Sharon et affaiblir le camp de la paix comme le nôtre, en-dedans et en-dehors de la Knesset. Nos adversaires nous diraient que nous nous appuyons sur les ennemis d´Israël. Dans la mentalité israélienne, un attaque politique de ce type produirait un effet d´endurcissement et d´hostilité majeure chez nous. Il serait plus utile que l´Europe demande la reprise immédiate des négociations et qu’elle intervienne contre la destruction des infrastructures financées par l´UE, comme par exemple l’aéroport de Gaza".
- Que dit Israël de Genève ? On lit des déclarations qui qualifient même Genève d’"hommage au terrorisme", car Israël offrirait des concessions alors que les Palestiniens s’en tiendraient au terrorisme.
- Yossi Beilin : "Les journaux disent que l’Accord de Genève est mort, mais s’ils continuent de le répéter, cela veut dire qu´il est plus vivant que jamais et qu´il fait peur à beaucoup de gens, car il s´agit de la seule initiative qui s’est donné comme objectif celui de résoudre de façon définitive le conflit. Nos sondages sont beaucoup plus significatifs que ce que dit la presse: alors que 39% des Israéliens interpellés se disent favorables au retrait unilatéral de Gaza, 33% reconnaissent qu’il est nécessaire de négocier, et le reste est sans opinion. Donc, malgré la politique de Sharon, l’unilatéralisme n´est pas dominant. Genève a spécifié que nous devons être prêts à négocier, sans attendre la disparition du terrorisme. Si Sharon devait encore utiliser cet argument pour ne pas négocier, il démontrerait une fois pour toutes qu’il ne veut pas trouver de solution au conflit".
- Mais les résultats des élections américaines ne sont pas encourageants...
- Yossi Beilin : "Bush ne pourra pas ignorer la question comme il l’a fait jusqu´à présent, s’il veut légitimer sa politique pour un Proche-Orient démocratique, il devra comprendre que la solution à cette question l’aiderait à résoudre la crise irakienne".
- Quel est le rôle des juifs orthodoxes ?
- Yossi Beilin : "Les juifs orthodoxes jouent leur rôle, ils sont bien organisés et très engagés. Mais leur poids est exagéré. Au bout du compte, si Israël devait décider de démanteler les colonies, il le ferait, et les colons obtiendraient des compensations. Les extrémistes disposés à résister coûte que coûte seront peut-être 500. La grande publicité faite aux colons de Gaza opposés au retrait est due au fait que le retrait n´est pas la chose la plus importante, ni pour les orthodoxes, ni pour le champ de la paix . C’est pour cela qu’on laisse les colons de Gaza protester tant qu´ils veulent".
- Revenons à la question de la succession d’Arafat. Pensez-vous que Marwan Barghouti (le leader de l´Intifada actuelle en prison depuis deux ans et demi) puisse représenter la nouvelle direction palestinienne ?
- Yossi Beilin : "Barghouti était un membre relevant du Fatah (la parti de Arafat). Le Fatah n’avait jamais été un mouvement violent, mais sous la direction de Barghouti, il a commencé à faire concurrence au Hamas et à prendre en considération l’utilisation de moyens de lutte violents par le biais de sa Brigade militaire des Martyrs de Al-Aqsa. Barghouti est celui qui a appelé à une escalade de l´Intifada pour convaincre les Israéliens par tous les moyens possibles que la paix ne peut pas être atteinte sous le régime de l’occupation. Or, le problème, c´est que Barghouti fit l´erreur de justifier l’usage de moyens violents pendant les négociations, en combinant terrorisme et diplomatie, et cela a affaibli le champ de la paix en Israël. Barghouti est toutefois une personne raisonnable, et je n´exclurais pas la possibilité de le libérer".
- Quel est le mérite le plus important de l´Initiative de Genève ?
- Yossi Beilin : "Celui d´avoir lancé le message de la nécessité de retourner aux négociations et d´avoir proposé une solution globale et permanente à la question israélo-palestinienne, en y incluant la question du droit au retour des réfugiés, sujet tabou dans mon pays. Même Sharon reconnaît avoir proposé le retrait unilatéral de Gaza pour "neutraliser" Genève et poursuivre ses plans".
- Que faites-vous pour diffuser cette initiative auprès du public ?
- Yossi Beilin : "Nous menons une campagne de sensibilisation pour préparer le public israélien à l’idée de trouver une solution globale et permanente. Nous en avons déjà discuté avec des dizaines de milliers de gens. Nous promouvons l´Accord de Genève dans tous les cinémas à l’aide d’un spot. Au niveau parlementaire, nous avons constitué à la Knesset un groupe de soutien transversal. Nous avons beaucoup de travail devant nous".
[Pour aller plus loin : The Israeli Geneva Team website - www.heskem.org.il / The Geneva Accord - www.bitterlemons.org/docs/geneva.html]
                               
4. Journalistes contre l'interdiction d'Al-Manar - Contre la décision du Conseil d'Etat visant Al-Manar
Statuant en référé, la section de contentieux du Conseil d'Etat s'est prononcé en faveur de l'interdiction de diffusion sur le territoire français d'Al-Manar, la chaîne de télévision de la Résistance Libanaise.
Cette décision comporte des attendus inadmissibles, inquiétants, lourds de dangers pour la liberté de la presse dans notre pays - une liberté qui, faut-il le rappeler, n'a pas été octroyée par l'Etat, mais arrachée de haute lutte par la Révolution Française, prolongée par les sacrifices des combattants de la Résistance patriotique contre l'occupation nazie.
Le Conseil d'Etat ne tire, certes, pas argument du feuilleton inacceptable, raciste et vulgaire diffusé par la chaîne il y a quelques mois, à la suite d'une défaillance de contrôle, corrigée depuis. C'est heureux. Car s'il fallait interdire, sur les chaînes de télévision françaises, ou diffusées en France, toutes les émissions racistes, vulgaires, etc, il ne resterait plus grand chose. Où irions-nous ?
Il est aujourd'hui reproché à la chaîne de télévision de la Résistance Libanaise la diffusion d'informations et de commentaires "contenant une incitation à la haine ou à la violence pour des raisons de religion ou de nationalité."
Mais alors, sauf à admettre que le Conseil d'Etat se prostititue en adoptant "deux poids et deux mesures", comment tolérer la diffusion de LCI, dont un des principaux éditorialistes, aujourd'hui, fort heureusement, mais pour d'autres raisons, écarté des écrans, avait publiquement affiché sa peur, son horreur, son aversion violente et sa haine pour une grande religion, l'islam ? ("islamophobie: aversion haineuse pour l'islam ; judéophobie: aversion haineuse pour la religion juive, ou pour les Juifs, en général). Et comment tolérer que la presse de caniveau, qui s'est livré, tout le monde s'en souvient, pendant plusieurs jours, au mois de juillet dernier, à un lynchage raciste contre les "jeunes de banlieue" indisctinctement et faussement accusés d'une agression antisémite purement imaginaire continue à bénéficier des subsides de l'Etat, sans lesquels son pitoyable niveau de diffusion ne lui permettrait pas de survivre ?
Plus grave encore, ce sont clairement les reportages et commentaires d'Al-Manar sur la Résistance du peuple palestinien contre l'oppression coloniale et la discrimination raciale qui sont aujourd'hui spécifiquement visés par le Conseil d'Etat. Et cela au moment où, précisément, dans Gaza occupée, au terminal de rafah, ce 12 décembre, la Résistance Palestinienne vient de réaliser une de ses opérations les plus glorieuses en plaçant une forte charge d'explosifs sous un poste militaire de l'armée d'occupation raciste - prouvant par là-même la possibilité d'une stratégie de résistance militaire populaire frappant directement les forces d'occupation coloniales, même sur leurs points forts, comme l'avait toujours recommandé  le Président Arafat (Abou Ammar), le de Gaulle palestinien.
Nous journalistes français, ou journalistes étrangers travaillant en France, fidèles aux valeurs universelles de la Résistance des peuples face à l'humiliation, la discrimination et l'oppression, fidèles aux valeurs fondatrices de la Révolution Française et de la République Française, et plaçant notre action de défense de notre profession dans la tradition et les valeurs du Conseil National de la Résistance :
- apportons notre soutien à nos confrères d'Al-Manar, touchés par une mesure injuste et discriminatoire, dont il n'est pas possible à ce jour de dire s'il faut l'attribuer à un parti-pris politique, à une haine politique, ou à un a-priori purement et simplement raciste, islamophobe et pro-Israélien.
- au travers de ce soutien à nos frères et soeurs journalistes, nous confirmons notre soutien à la Résistance Libanaise, comme à la Résistance des peuples palestinien et irakien confrontés à des guerres d'agression coloniale, immorales autant qu'illégales, et à celle du peuple iranien menacé d'agression ou de sanctiosns pour son refus d'accepter le monopole nucléaire d'Israël dans la région.
- dans un esprit positif, dans un souci de conciliation et de mesure, nous proposons qu'un groupe de journalistes professionneles français ou travaillant sur le sol de France entreprenne une mission d'étude et de conseil auprès d'Al-Manar, pour permettre à la chaîne de poursuivre son travail en toute liberté, en résistant au harcèlement de groupes de pression à la solde d'un Etat étranger, et aux persécutions judiciaires.
- nous appelons toute la profession à se mobiliser, comme les meilleurs d'entre nous l'ont fait pour soutenir nos confrères Jacques-Marie Bourget, de Match, victime d'une tentative d'assassinat par un "sniper" israélien, au cours d'un reportage, à Ramallah (il souffre toujours des séquelles d'un tir de précision à longue distance visant le thorax gauche - le coeur) et Alain Ménargues, licencié de RFI après une campagne haineuse de certains syndicats de journalistes, pour avoir déclaré, hors antenne, et à l'occasion de la diffusion d'un livre, qu'Israël est "un Etat Raciste".
Sur ces bases, qui incluent, bien entendu, la condamnation de toute forme de racisme, sans hierarchie ni exclusive, nous appelons à la création d'un Conseil National de la Résistance des Journalistes, pour la liberté de la presse et la liberté de tous, pour la dignité de l'information, contre la discimination et la censure.
[CNRJ - Contact provisoire Jean-Paul Cruse : JPCruse@ifrance.com (Libération : 1977-1994. VSD : 1998-2002. Carte professionnelle N° 41 574.]
                       
5. Message de Noël 2004 par Mgr Michel Sabbah, Patriarche Latin de Terre Sainte
“J’écoute. Que dit le Seigneur ? Dieu dit: paix pour son peuple et ses amis, pourvu qu’ils ne reviennent á leur folie” (Ps 84/85, 9).
1. A tous ceux qui cherchent la paix et la justice en cette terre sainte, Bonne fête de Noël. Que la paix et la joie de Noël remplissent vos coeurs et vos esprits.  Avec vous tous, et avec le psalmiste “J’écoute. Que dit le Seigneur? Dieu dit: paix pour son peuple et ses amis, pourvu qu’ils ne reviennent á leur folie” (Ps 84/85, 9).
Nous célébrons et nous nous réjouissons, afin de renouveler nos énergies, afin de pouvoir patienter et de vaincre les forces du mal dans notre terre. Nous célébrons Noël, nous prions, nous redoublons de prière, nous jeûnons et nous purifions nos coeurs et nos intentions afin que la fête nous remplisse de sainteté, de vie, d’amour et de la force de l’esprit par laquelle nous arriverons à construire une paix qui semble très difficile sinon impossible.
2. Les jours présents semblent annoncer la paix. Nous l’espérons, après tant de prières, de vies sacrifiées, après tant de larmes et de grandes souffrances. Nous espérons que les chefs politiques auront le courage nécessaire pour signer une paix juste et définitive, même au prix de sacrifices, personnels et communautaires, même s’ils sont douloureux.
Chacun, aujourd’hui, doit avoir appris les leçons de la violence passée qui a également démoli l’image de Dieu dans les bourreaux et les victimes á la fois, dans les oppresseurs et les opprimés. Il y eut dans ces dernières années beaucoup de victimes, beaucoup de peur, beaucoup de demeures humaines démolies, beaucoup d’agriculture dévastée, et malgré tout cela, nous sommes au même point. Les Israéliens sont toujours dans une recherche difficile de leur sécurité et les Palestiniens ne cessent de demander la fin de l’occupation, leur liberté et leur indépendance.
Et cependant, les deux peuples sont destinés à vivre ensemble en paix. Et cela est possible et nous y croyons.
3. Le peuple doit se libérer de la peur, et rentrer dans la confiance et ses chefs doivent l’aider à cela.. Les dirigeants palestiniens préparent leurs élections dans le calme. Ils sont rentrés dans des plans de paix. Les chefs israéliens sont appelés à entrer dans les mêmes dispositions, et pour cela arrêter les actions de guerre, arrêter la construction du mur, et de même les poursuites de ceux qui sont recherchés : cela ne cesse de faire plus de prisonniers et plus de morts. La paix ne peut être laissée en otage entre les mains de ceux qui voient encore dans la violence une voie pour la justice et la paix.
Le mur de séparation, de son côté, ne séparera pas et ne protègera pas. Au contraire, il augmentera la haine, l’ignorance de l’autre, et donc l’hostilité á son égard et donc la violence et l’insécuritè. Il faut chercher, dans l’humilité, les causes de la violence. Dans l’humilité et la sincérité, il faut écouter les cris des pauvres et des opprimés. Mettre fin aux oppressions et aux humiliations imposées aux Palestiniens c’est par le fait même mettre fin à la peur et l’insécurité des Israéliens. C’est aussi mettre fin à l’exploitation de l’oppression et de la pauvreté.
Le mur de séparation ne fera pas les frontières sûres. Seuls les coeurs amis sont les frontières sûres. Avec les coeurs amis, toutes les frontières deviendront un pur symbole; elles seront débordées par la vie et la joie de la paix et de la fraternité.
4. Les chefs religieux ont un double rôle en en ces jours: continuer à insister sur la justice, sur la dignité de la personne humaine, sur la sécurité et sur la fin de l’occupation, mais en même temps, ils ont le devoir de montrer les voies de la paix. Car aucun des deux peuples n’est condamné á continuer á offrir ses jeunes á la mort. Chaque peuple a la volonté et le droit de voir ses jeunes vivre comme tous les jeunes du monde. Les Israéliens ne sont pas condamnés á vivre éternellement dans l’insécurité et dans la guerre. Les Palestiniens, non plus, ne sont pas condamnés á vivre éternellement á réclamer la fin de l’occupation et rester pour cela sur les chemins de la mort.
5. Nous avons vu la vie et nous avons écouté ce que dit le Seigneur. “Il dit: paix à son peuple et à ses amis, pourvu qu’ils ne reviennent á leur folie” (Ps 84/85, 9).  Le sens chrétien de Noël dit que le Verbe de Dieu a fait son entrée dans le monde et nous a porté la vie. Noël est une promesse de vie, de joie, et de dignité dans la présence de Dieu qui a choisi notre terre pour sa demeure. “Nul n’a jamais vu Dieu; le Fils unique qui est dans le sein du Père , lui, l’a fait connaître. Et de sa plénitude nous avons tous reçu” (Jn 1,18.16). C’est dans cette vision et dans cette présence de Dieu que se construit la paix à Jérusalem et dans la Terre Sainte.
Bonne fête de Noël. Paix, justice et joie à tous.
                       
6. De la “démocratie” menée par la terreur : a propos de Fallouja et plus généralement de l’Irak aujourd’hui par Nahla Chahal (27 novembre 2004)
(Nahla Chahal est coordinatrice de la Campagne Civile Internationale pour la Protection du Peuple Palestinien - CCIPPP.)
Alors que le sommet de Sharm-el Sheikh autour de l’Irak ( le 23 et 24 novembre) se terminait par ce qui est considéré comme une victoire politique des américains : reconnaissance internationale du fait accompli, alignement sur l’idée que les prochaines élections établiront un pouvoir “légitime” et qu’il existe actuellement un processus
“transitoire” vers l’indépendance, alors que le Club de Paris annulait pratiquement la dette irakienne, cadeau fait au moment du sommet au gouvernement Allawi... Fallouja dévoilait le drame dont elle a été le théâtre. Un pur cauchemar.
Fallouja est une ville d’à peine 300 000 habitants, située à 65 km à l’ouest de Bagdad, à l’entrée du désert. C’est une ville qui n’avait d’autres ressources qu’un peu d’élevage et la fonction publique, notamment l’armée, où les jeunes étaient soldats, les plus éduqués pouvaient aller à l’école militaire et devenir officiers. La ville est entourée de petits hameaux qui lui sont rattachés par les conditions de vie mais aussi par la parenté. Tous appartiennent à 2 ou 3 grandes tribus qui, dans le temps, pratiquaient l’élevage nomade mais aussi la contrebande avec la Jordanie et la Syrie, les deux pays situés de l’autre côté de ce petit désert de “ Badiat a-Sham”, qui n’est pas impossible à sillonner. C’est dire que les liens avec les tribus de Syrie et de Jordanie sont très forts, et que les unes sont les
extensions des autres, qu’elles appartiennent souvent aux mêmes racines tribales. Si la solidarité tribale est très forte dans cet endroit, celle de mémoire de la misère qui y a sévit longuement avant l’Etat-providence, celle de la manne pétrolière de Saddam Hussein, l’est encore plus. Ce dernier a justement beaucoup profité de ce dénuement de
ressources, de cette “ nomadité étouffée”, et du côté tribal, pour faire de cette région un réservoir d’enrôlés dans l’armée et une des assises de son régime. Jusqu’à ce qu’un groupe d’officiers de la région soit pris d’ambitions... découvertes par Saddam dont le châtiment fut terrible. Description hâtive d’une réalité sociologique afin d’expliquer
certaines manifestations et traits, mais aussi pour souligner à quel point la thèse de “bastion de l’ex-régime” (comme s’il s’agissait d’une essence quasi immuable) est un peu courte, ne serait-ce que parce qu’ici aussi la dictature a commis l’irréparable. Comme la thèse d’un Zarkawi qui mènerait les grandes tribus de la région par le bout du nez l’est encore plus.
A Fallouja, il y a certes beaucoup d(ex)’officiers expérimentés, beaucoup d’(ex) soldats, et beaucoup de liens tribaux. Tout ça peut expliquer la volonté et la capacité à résister aux américains et peut être la présence de quelques combattants arabes ( c’est à dire non irakiens). Mais c’est limité à ça. Et “ça” ne change en rien la nature des forces principales qui résistent aux américains, à Fallouja comme ailleurs en Irak, où les études de terrain menées par des centres américains et britanniques disent que 85% de la population est hostile à l’occupation, où même les membres du gouvernement de Allawi sont obligés de dire qu’ils ont, en fait, accepté d’être là parce qu’ils pensent que c’est “le meilleur moyen d’en finir avec l’occupation” !! même les collabos justifient leur position par la haine de l’occupation...
Fallouja ne représentait pas un danger plus grand pour les américains que les autres villes et régions d’Irak. Pourquoi alors ce déchaînement ? Les américains ont utilisé une charge démesurée de forces contre Fallouja, finalement une petite ville dont les bâtiments, de deux étages généralement, sont en brique et qui gît à découvert au milieu du désert.
Ils l’ont fait avec préméditation, et selon une stratégie qui vise à terroriser l’ensemble de la population irakienne. En commettant à Fallouja “l’innommable”, les US espèrent que le reste de l’Irak se rendra et considérera la présence américaine comme une fatalité qui ne peut être écartée, qui ne peut être vaincue. C’est là la vérité de ce qui s’est passé à Fallouja, où une volonté de tuer a été exercée.
Officiellement, le gouvernement irakien présente le chiffre de 2085 morts et de 1600 prisonniers. Les sources britanniques disent que 85% des victimes sont civiles. Officiellement aussi, ils disent n’avoir pas trouvé de combattants arabes et que l’explication serait qu’ils ont pris la fuite la veille ! Maintenant les US les cherchent à Mossoul, Mahmoudiyya, Samarrah, et même tout au sud du pays, à Bassora etc...La vérité est que, à Fallouja, les chiens et les chats errants ont mangé les cadavres des habitants, hommes, femmes et enfants, qui gisaient dans
les rues. Les aides civils et médicaux ont été délibérément interdits, puis interminablement empêché d’arriver à la ville, plusieurs blessés ( et pas uniquement celui qu’une télévision a filmé) ont été abattus. CETTE HORREUR EST CALCULÉE. ELLE VEUT SIGNIFIER QU’IL N’Y A PAS DE LIMITES. Tout a été humilié, les mosquées ont été détruites ou saccagées par les troupes US, puis utilisées sans ménagement comme lieux de repos pour les soldats ( tout le monde a vu ces photos où des soldats américains dormaient dans les mosquées avec leurs armes, leur bottes
etc)... Le massacre et l’humiliation, la terreur, sont les armes de la guerre préventive, totale et permanente, “tous ceux qui ne sont pas avec nous sont contre nous, et ceux qui sont contre nous doivent savoir que ce qui les attend c’est soit la mort soit l’arrestation” d’après un haut officier américain à Bagdad au début de l’opération de Fallouja .
Il y a quelques mois, c’était Najaf, une ville sainte chiite. Demain ça sera d’autres villes d’Irak que le monde découvrira par le biais des massacres commis. Tant que le peuple irakien refuse de se soumettre, la résistance éclatera un peu partout et d’une façon ambulante, et la répression aussi sera ambulante.
Mais la terreur ne peut pas pacifier un pays occupé et spolié, comme l’est l’Irak. L’alternative politique proposée est l’acceptation d’un gouvernement bidon, sans consensus national. Ce gouvernement a instauré au début de novembre l’état d’urgence alors qu’il dit vouloir déclencher “le processus politique”, c’est à dire des élections. A-t-on vu une
démocratie se construire sous l’état d’urgence et, à côté de cela, avec des bains de sang effroyables et répétitifs ? Drôle de démocratie et de processus politique !! En plus, refuser d’y participer est considéré comme un acte de guerre. C’est très officiellement ce qui a été avancé pour justifier les opérations contre Moktada Sadr à Najaf, et il a été non moins officiellement dit que ces opérations visaient à le convaincre de participer au “processus politique”. En plus, l’ensemble du dispositif électoral - mode de candidature et d’élection - est verrouillé, taillé à l’avance, c’est à dire falsifié.
Malgré tout ce qu’il a enduré durant ces dernières décades, le peuple irakien n’est pas écrasé ni dans un état d’atonie. La résistance irakienne est surtout le reflet du refus populaire et généralisé de l’occupation et de ses fantoches. Celle par les armes est multiple, allant de petits groupes appartenant à des milieux islamiques très
divers ( qu’ils soient sunnites ou chiites), à certains milieux baassistes ( pas tous des loyaux de l’ex-régime, certains le sont toutefois), et beaucoup de groupes constitués d’une façon locale, fortuite. Certains groupes sont de gauche aussi. La résistance est à ses débuts, elle n’a pas encore de direction unifiée, n’a pas encore de stratégie confirmée et ne maîtrise pas tout ce qui se passe sur le terrain ou se fait en son nom. Mais le besoin de se doter de coordination et d’un cadre d’action politique se font sentir. Car si cet “état” de la résistance ne cessera d’exploser à la face des américains, à différentes occasions et par tous les moyens, ses limites ont été par contre bien démontrées et le besoin de les dépasser qualitativement s’impose. Ceci est actuellement, et de plus en plus, ressenti comme une urgente nécessité par les différentes sensibilités politiques militantes irakiennes.
Le gouvernement irakien établi par l’occupation est totalement contrôlé par les américains. Dans chaque ministère, il y a un responsable américain, ministre de l’ombre mais dont le nom est presque public, qui décide de tout. C’est plus que de la collaboration, c’est un pouvoir direct exercé par l’occupation, le paravent étant si mince qu’il ne camoufle pas cette réalité. La participation de certains courants politiques au gouvernement ne change en rien sa nature et son
fonctionnement. Cette participation a engendré d’importantes scissions dans ces courants, déjà extrêmement affaiblis par la longue répression dictatoriale. Il n’en reste pas moins que la participation du Parti communiste irakien (lui aussi a scissionné à cette occasion) est particulièrement grave, du fait de sa portée symbolique et du
“brouillage” qu’elle engendre, surtout sur le plan international. Si les PC dans les différents pays arabes n’ont pas hésité, presque unanimement, à condamner cette position du PC irakien, il n’empêche qu’elle a fourni un prétexte à de la perplexité et à de l’attentisme... Quoique ceux-là qui sont perturbés par la présence du PC irakien au gouvernement, comme par la prétendue “transition” en cours, n’en sont pas moins hypocrites, car le sens de ce qui se passe en Irak est d’une totale clarté.
Parler de gouvernement “intérimaire” ou “transitoire” ne signifie pas qu’on est dans une période de passage vers un pouvoir souverain et indépendant. Pas plus que ce qui est appelé “ opération politique “ n’est pas un pas vers le recouvrement de l’indépendance ou de la souveraineté. Les américains entendent par ces mots rendre la situation actuelle plus stable, plus “légitime”. Il ne s’agit pas de passer à autre chose mais de consolider, de renforcer l’état actuel existant. c’est le but des élections, si elles auront lieu (elles pourront ne pas avoir lieu, toujours reculées à cause des combats ici et là). Les élections consacreront “démocratiquement” l’occupation !! la terreur aura auparavant convaincu les irakiens qu’il n’y a pas d’espoir. Voilà pourquoi Fallouja a eu lieu en ce moment et de cette façon.
Ce n’est certainement pas ce que veulent les Irakiens, ou de quoi ils se contenteraient. Des élections menées par la terreur et par la falsification ne pacifieront pas la situation dans le pays. La supériorité de feu des forces de l’occupation non plus. La corruption rampante que l’occupation initie et encourage encore moins. Que faire ?
La conférence de Beyrouth en août dernier, où plus de 350 irakiens, représentatifs de toutes les composantes du pays, se sont réunis, a bien souligné la nécessité d’un “Congrès constituant”. Ce Congrès n’est pas un parti politique, même pas un front de partis, c’est une Assemblée fondatrice de la vie politique du pays, une sorte d’Etats généraux qui se tiendraient aussi longtemps qu’il le faudrait pour parvenir à un consensus national, sans lequel le processus politique ne pourra pas s’établir. C’est une démarche nécessaire après une étape de l’histoire moderne de l’Irak tissée de désastre : 35 ans de dictature d’une inégalable férocité, 3 effroyables guerres dont une longue de 8 ans et
particulièrement sanglante (avec l’Iran), et deux qui ont été menées par des forces “mondiales”( 1991 et 2003 ), un embargo qui a duré 12 ans et qui a fini par délabrer ce que les guerres n’avaient pas détruit, enfin l’invasion et l’occupation par la superpuissance mondiale américaine. Ce Congrès constituant, cet espace politique, est l’alternative à l’occupation, à son gouvernement fantoche et à ses élections truquées.
Une pétition dans ce sens est en train de circuler en Irak, pour obtenir le plus de signatures possibles. Cette pétition interpelle les instances internationales, leur demandant de prendre en compte la volonté des Irakiens, et de les aider à l’accomplir. Elle interpelle également les forces vives du monde entier, les mouvements militants, altermondialistes et anti-guerre, leur demandant un soutien sans équivoque.
Puisque l’hégémonie américaine est assurée par la présence directe de troupes militaires là où elle veut affirmer et accélérer son établissement sans entraves, par des gouverneurs décisionnaires qui accompagnent les troupes (Négroponti a remplacé Bremer), par un mix sans précédent entre les multinationales et les politiques - c’est ça la
pratique de la globalisation néolibérale, non ? - intégrons donc dans notre conscience politique et intellectuelle ce qui a changé dans ce monde. Pour être efficace, pour participer à la modification du rapport de force sur le terrain, pour influer sur le cours des événements, il ne suffit pas - ou plus - de se contenter de position de principe :
évidemment contre la guerre et l’occupation, bien sûr avec le droit du peuple irakien à résister à l’occupation et à la spoliation sans limite de ses richesses...
Il faut peser sur les mécanismes réels par les biais desquels cette hégémonie se réalise. Ceci signifie, entre autre, soutenir les alternatives politiques qui s’élaborent face à l’exercice pratiqué par l’occupation, en résistance aux modalités spécifiques de son installation et de sa pérennité. C’est comme ça qu’on fait “converger” les luttes qui se déroulent partout dans le monde. C’est notre façon d’aller, nous aussi, sur le terrain.
                   
Revue de presse

                             
1. Parcours du combattant pour l’électeur palestinien de Jérusalem par Valérie Féron
in L'Humanité du vendredi 7 janvier 2005

À deux jours du scrutin présidentiel, les autorités israéliennes ont multiplié les contraintes pour limiter l’ampleur des opérations de vote dans la partie est de la ville qu’elles occupent.
Jérusalem, correspondance particulière - À deux jours du scrutin présidentiel palestinien, rien ne permet réellement dans la partie occupée de Jérusalem de « sentir » que l’on est en période électorale. Dans la Vieille Ville et les rues commerçantes proches, pas d’affiche ni de slogan permettant au simple passant de se renseigner sur les candidats en lice ou sur les programmes. Non que les quelque 250 000 Palestiniens de la Ville sainte ne soient pas concernés par cette élection, mais l’occupation ici « verrouille », plus que partout ailleurs dans les territoires palestiniens, leur présence politique.
Les candidats ont tout de même tenté de relever le défi, comme Mustafa Barghouti, qui y a annoncé sa candidature le 29 novembre dernier, date anniversaire de la partition de la Palestine par les Nations unies en 1947. Le numéro un de l’OLP, Mahmoud Abbas, candidat du Fatah, y est attendu ce vendredi. Associations des droits de l’homme et élus ne cessent en conséquence de dénoncer les entraves multiples faites aux électeurs palestiniens de Jérusalem. Entraves d’abord physiques, avec les interdits de passer aux check-points et le mur qui boucle la ville. Le gouvernement israélien a beau assurer qu’il facilitera la libre circulation, « rien ici ne peut conforter les Palestiniens dans l’idée qu’ils pourront se rendre sereinement aux bureaux de vote », dénonce la députée indépendante Hanane Ashraoui. Les pressions sont aussi d’ordre psychologique. Comme en 1996, les « rumeurs » sont nombreuses, jouant le rôle d’intimidation indirecte. La plupart concernent le risque pour les Palestiniens de Jérusalem de perdre leur carte bleue de « résident » de leur ville natale s’ils vont voter. Celle-ci leur garantit les prestations sociales israéliennes et une certaine liberté de mouvement sans leur donner les mêmes droits que les citoyens israéliens. Voter est également un défi, parce que les bureaux d’enregistrement ont été fermés en septembre et octobre par les forces d’occupation, empêchant l’enregistrement normal des votants ; ou encore parce qu’Israël a ramené, selon les associations des droits de l’homme, à 5 767 le nombre de votants palestiniens sur les 124 000 que compte la ville, forçant le reste à s’inscrire ailleurs.
« Les arrangements pour Jérusalem n’ont pas été assez clairement définis avec l’Autorité palestinienne, regrette Hanane Ashraoui, Israël a donc imposé sa volonté. » Les électeurs devront en outre voter dans des bureaux de poste et non dans des bureaux officiels, ce qui revient à en faire des électeurs votant « par correspondance » sur leur propre territoire. Face à ces défis, élus, associations et hauts dignitaires religieux musulmans et chrétiens multiplient les appels aux Palestiniens de Jérusalem, en particulier aux militants du Hamas et du Djihad islamique, mouvements qui boycottent le scrutin, à se rendre aux urnes malgré les multiples obstacles pour accomplir à la fois un « acte de citoyen » et montrer « qu’ils font bien partie du peuple palestinien ».
                   
2. Vote de raison pour les Palestiniens par Agnès Rotivel
in La Croix du vendredi 7 janvier 2005

Les Palestiniens éliront dimanche 9 janvier le successeur de Yasser Arafat. Sans suspense, puisque Mahmoud Abbas, le candidat du Fatah, est largement favori. En Cisjordanie, la principale préoccupation porte sur le grignotage des terres par les colonies israéliennes.
La route 60 relie les grandes villes de Cisjordanie, Hébron, au sud, à Jérusalem, Ramallah, Naplouse et Jénine, au nord. Elle dessert les bourgs palestiniens situés à droite et à gauche de cet axe, véritable épine dorsale de la Cisjordanie. Beit Furik est à une heure et demi au nord-est de Ramallah.
Une petite route, à droite, y mène une fois passé le barrage militaire israélien installé à Huwwara, puis celui de Kafr Qallil qui bloque l’accès à Naplouse, la grande ville du nord. Des plots de béton installés par l’armée israélienne ont été déplacés par les villageois pour laisser entrer les véhicules.
Sur les premières maisons, quelques affiches de Moustapha Barghouti, médecin et directeur d’une organisation non gouvernementale, côtoient celles de Bassam Al Salhi du Parti du peuple (ex-communiste). Candidats à l’élection du dimanche 9 janvier, qui permettra de désigner le nouveau président de l’Autorité palestinienne, deux mois après la mort de Yasser Arafat, tous deux sont venus en personne à Beit Furik, ainsi que Taysir Khaled, du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP).
Plus loin, apparaissent des photos de jeunes Palestiniens morts depuis le début de la deuxième intifada et une banderole flanquée du drapeau du parti islamique Hamas où il est inscrit : «Nous avons choisi la résistance.»
La lutte contre l’occupation israélienne a été cher payée : plus de cent Palestiniens de Beit Furik et des villages alentour ont été tués, et une cinquantaine de maisons détruites. Les membres du conseil municipal sont réunis dans le bureau de Muhammed Najah. Parmi eux, son successeur, Hussam Hanini, membre du Hamas, stature de géant à barbe rousse, qui prendra ses fonctions à la fin de la semaine.
Aux dernières élections municipales, deux partis ont remporté chacun 50% des voix : le Hamas et le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP). Ils se sont entendus pour gouverner chacun à leur tour durant deux ans. «Nous devons nous entraider», dit l’un des membres du conseil.
Manque d'eau et d'équipements scolaires
En effet, les problèmes s’amoncellent à Beit Furik. Le bourg n’est raccordé à aucun système de distribution souterraine d’eau potable. Auparavant, celle-ci venait par camions, livrée de Naplouse. Or depuis le début de l’Intifada en 2000, les Israéliens imposent un blocus de la ville et les livraisons d’eau sont soumises à leur autorisation. Les familles doivent récupérer les eaux de pluie. La pénurie d’eau potable devient cruciale pour Beit Furik et ses 10.000 habitants.
Autre dossier brûlant, l’école secondaire. «Nous ne pouvons plus loger nos 700 élèves et 28 professeurs, et la commune n’a pas d’argent pour construire de nouveaux bâtiments», explique Oussama Samour, son directeur. La cour exiguë fait office de lieu de récréation, de terrain de foot et de basket. De chaque côté, les portes ouvrent sur des classes défraîchies : 45 élèves par classe et les premiers rangs ont le nez sur le tableau noir.
«Le professeur n’a même pas la place pour circuler entre les tables», poursuit le directeur. La bibliothèque tient dans un mouchoir de poche, et l’école n’a pas d’ordinateur car pas d’espace et pas d’argent. «Les résultats scolaires s’en ressentent. On a dû remonter les notes des élèves sinon beaucoup auraient échoué à leurs examens l’an dernier», déplore Oussama Samour. Pour l’heure, la mairie a installé deux classes de fortune dans deux magasins loués juste en face.
"On ne peut qu’espérer l’aide d’Abou Mazen"
Dans la rue, de vieux Palestiniens, enroulés dans leur dishdasha, keffieh sur la tête, assis sur le trottoir malgré le froid, se souviennent des temps difficiles. «Je crois que beaucoup d’habitants de Beit Furik voteront pour Abou Mazen (candidat du Fatah), explique Muhammad Najah, l’ancien maire. Par raison. Lorsque l’Autorité palestinienne avait été créée, elle avait construit des routes, des écoles en Cisjordanie. On vivait plutôt bien. Mais depuis que les Israéliens occupent la Cisjordanie, le village est à genoux, le chômage touche 70% des habitants ! Alors on ne peut qu’espérer l’aide d’Abou Mazen.»
Les nombreux barrages militaires israéliens qui bloquent les routes empêchent la circulation des biens et des personnes, perturbent l’économie locale, mais ils ne sont qu’un aspect du problème. Ils se rajoutent à celui, plus grave, de la présence et de l’agrandissement des colonies juives en Cisjordanie. La colline qui surplombe Beit Furik est occupée par la colonie d’Itamar, construite en 1984. Un peu plus loin, se trouve celle de Majoulah construite en 1972. 
2003, une année record pour l'extension des colonies juives
Les deux s’étendent sur les terres confisquées du village arabe. Ces dernières années, de nouveaux baraquements israéliens ont été installés à l’est d’Itamar. L’extension de cette colonie, par petits blocs, coupe et isole Beit Furik des villages palestiniens situés au sud. Une route de contournement construite par les Israéliens encercle la localité palestinienne par le nord. Par cette route, les colons peuvent rejoindre la vallée du Jourdain. Mais Beit Furik et Beit Dajan sont de plus en plus isolées.
Ainsi en va-t-il du découpage de la Cisjordanie, opéré morceau par morceau par le gouvernement israélien. Des blocs de villages palestiniens sont coupés les uns des autres par des implantations juives installées sur des terres confisquées – 2003 a été une année record dans ce domaine – reliées par des routes de contournement encerclant les villages palestiniens réduits à des enclaves qui ne peuvent pas se développer.
De retour sur la route 60, Mah moud, le chauffeur, prend une petite route pour rejoindre A’qraba. Les nids de poule l’obligent à ralentir. À perte de vue, des deux côtés de la route, des champs d’oliviers s’étendent. Dans le bureau du maire, cheikh Khaled Mayadmeh, le drapeau frappé du sceau du village est tendu, deux brins de blé enserrent un palmier, plus vieil arbre du village, surmonté de six étoiles représentant les grandes familles locales. 
A A’qraba, l'espoir de récupérer des terres semble éteint
Les hectares de terres des 12.000 habitants s’étendent à l’est jusqu’à la frontière jordanienne, à quarante kilomètres de là. Une grande partie d’entre elles ont été confisquées en 1967. Sur celles-ci ont été construites, à l’est, les colonies juives de Gittit et Maale Efrayim, au sud, celle de Migdalim. Bonnes pour l’élevage et l’agriculture, elles recèlent de nombreuses nappes d’eau souterraines.
«L’organisation gouvernementale américaine Usaid a fait des sondages et ouvert un grand réservoir d’eau à l’est du village, mais celui-ci est réservé aux colons», explique l’ingénieur Ayman Fawzi. Depuis l’occupation israélienne de 1967, les Palestiniens ne sont pas autorisés à creuser des puits. «Pour aller dans mes champs, j’ai besoin d’une autorisation de l’administration israélienne. Elle ne me l’accorde jamais. Je ne peux donc pas les cultiver», poursuit-il.
L’avenir s’annonce donc très sombre pour A’qraba. Selon les accords d’Oslo signés en 1993, ces terres sises dans la vallée du Jourdain devaient être restituées à leurs propriétaires. Mais l’espoir semble désormais éteint. Il est doublé d’une nouvelle inquiétude qui porte sur un projet de mur israélien, à l’est de la Cisjordanie, qui rejoindrait celui de l’ouest dont la construction est déjà très avancée. Celui de l’est aussi commence à s’élever. Il atteindra bientôt, au nord, la localité palestinienne de Tubas.
Si rien n’est fait pour stopper sa construction, en encerclant les villages arabes de Cisjordanie, il profitera à l’expansion des colonies juives installées dans la vallée du Jourdain, qui ne seront donc pas démantelées. Du même coup, il privera A’qraba et les autres villages de leurs terres. Un paysan palestinien désabusé résume la situation : «Le plan Sharon pour la Cisjordanie, c’est comme si dans un appartement de quatre chambres qui nous appartient, on nous supprimait l’accès à trois d’entre elles et on nous disait : vous devez vous serrer maintenant dans la quatrième chambre et on contrôle vos portes et vos fenêtres.»
                                   
3. "Election ou pas, moi je n'ai plus confiance en personne" par Luis Lema
in Le Temps (quotidien suisse) du vendredi 7 janvier 2005

Vivant dans un camp de Gaza et sans emploi depuis quatre ans, Haïdar Abou Ismaïl n'ira probablement pas voter dimanche. 
Il fut un temps presque heureux où Haïdar Abou Ismaïl se levait toutes les nuits à 2 heures du matin. Comme des milliers d'autres Palestiniens, il s'engouffrait dans le passage d'Erez, cette sorte de long couloir à bestiaux fait de murs, de grillages et de tôle ondulée. C'était là, au terme des contrôles des soldats qui prenaient plusieurs heures, que se trouvait son moyen de subsistance: conduisant un autobus, il amenait ses compatriotes travailler sur des chantiers en Israël. Lui, passait sa journée dans un entrepôt, attendant de refaire le parcours inverse bien avant que la nuit ne soit tombée.
Tuer le temps
Plus aucun Palestinien, ou presque, ne passe désormais par ce long corridor vide, rendu encore plus sinistre depuis qu'il tombe en ruine. Haïdar Abou Ismaïl n'a pas pu voir le renforcement du dispositif mis en place par l'armée, à la suite de divers attentats-suicides visant les soldats au point de passage: caméras de surveillance, lourd tourniquet en fer, et cette voix qui hurle dans un haut-parleur des ordres incompréhensibles aux rares visiteurs, les sommant de lever leur chemise pour débusquer une éventuelle charge explosive.
Haïdar Abou Ismaïl reste assis sur une chaise en plastique dans la cour de sa maison, ses sandales faisant de petits dessins dans le sable pour tuer le temps. «Vous voyez à quoi j'occupe mes journées? Parfois, je dors plus longtemps, sinon, je bois du thé.» L'homme, 45 ans, a bien pensé à ouvrir une petite épicerie près de sa maison. Mais dans le camp de réfugiés de Jabalia, l'heure n'est pas vraiment à l'accomplissement des initiatives personnelles. «Nous sommes 27 à habiter ici», explique-t-il, sans accompagner ses mots du moindre geste. Seul l'un des trois frères travaille: comme conducteur de taxi, il gagne l'équivalent de 10 francs suisses par jour, alors que les prix, alignés sur ceux d'Israël, n'ont rien à envier aux standards européens. Les neuf enfants d'Abou Ismaïl ont entre 4 et 18 ans. Les plus jeunes vont à l'école, administrée par les Nations unies. C'est aussi l'ONU qui, avec ses distributions de farine, de sucre ou de lentilles permet de faire vivre la famille. Aujourd'hui, dans la bande de Gaza, plus de deux Palestiniens sur trois vivent sous le seuil de pauvreté.
«J'étais un passionné de politique»
Haïdar Abou Ismaïl ira-t-il voter, dimanche, pour désigner un successeur à Yasser Arafat? Pour la première fois, le Palestinien se permet un petit mouvement: c'est un haussement d'épaules. «Autrefois, j'étais un passionné de politique. Mais maintenant, à quoi bon? Les gens vous diront qu'ils vont voter pour Abou Mazen (Mahmoud Abbas). Mais c'est simplement parce que la télévision leur a dit qu'il était le bon candidat. Moi je n'ai plus confiance en personne.»
«Abou Mazen est un combattant», rétorque pourtant la grand-mère, Aicha, 65 ans, ravie de se mêler à la conversation en défendant celui qu'elle appelle déjà «notre président». Le fils, piqué au vif: «Moi aussi je suis en faveur de la lutte. Mais il faut que cela nous mène quelque part. Et où en sommes-nous? Je préférerai encore vivre en Somalie plutôt qu'ici.»
Haïdar Abou Ismaïl a perdu son travail il y a près de quatre ans. L'un de ses collègues, qui faisait le même trajet que lui, avait lancé son autobus sur une foule d'Israéliens, provoquant un carnage près de Tel-Aviv. Progressivement, les permis de travail délivré par les Israéliens se sont taris. Une tendance qui devrait encore se renforcer si le plan de désengagement d'Ariel Sharon devait être mené à bien cette année, comme prévu. D'ores et déjà, il est prévu de fermer la zone industrielle d'Erez où quelque 6000 Palestiniens produisaient des métaux, des meubles, des jouets ou des appareils électriques pour des entreprises israéliennes.
«Les Israéliens veulent nous voir disparaître une fois pour toutes, affirme Haïdar Abou Ismaïl. C'est cela leur plan. Et nous, nous avons quel plan? Voter pour Abou Mazen et attendre tranquillement que le diable nous emporte.»
                                   
4. Intifada : radiographie d’un échec par Jean-Paul Mari
in Le Nouvel Observateur du jeudi 6 janvier 2005

Les Palestiniens élisent dimanche le successeur de Yasser Arafat
Après quatre ans d’Intifada, 3613 morts palestiniens, 970 israéliens, une économie dévastée, beaucoup de Palestiniens, comme Yasser Abed Rabbo, signataire des accords de Genève, estiment que le recours à la violence contre les civils israéliens a été une erreur majeure
De notre envoyé spécial - Il y a un grand soleil d’hiver, une lumière blanche et l’odeur de l’herbe verte qui pousse haut entre les pierres. Il a beaucoup plu récemment. Ici, depuis quatre ans, il pousse régulièrement des tombes. Le cimetière de Ramallah est un chantier permanent. Au plus fort des combats, quelques balles sont venues écorner les pierres tombales, si serrées, qu’il faut les contourner en piétinant. Certaines sont toutes fraîches, la terre encore retournée, plantées d’une jeune tige d’olivier; d’autres sont plus anciennes, bordées de fleurs et d’un petit banc sous un grand pin, à l’époque où il y avait encore de la place et le choix.
Il suffit d’errer, de relever un nom, une date, deux drapeaux croisés, un mot, «martyr», pour relire dans le désordre l’histoire de l’Intifada Al-Aqsa, le deuxième «soulèvement». Il y a les morts historiques et les autres, oubliés. Ici, le premier manifestant tué en l’an 2000 à Ramallah; là, Abou Ali Mustapha, chef du Front populaire de Libération de la Palestine, le premier grand dirigeant palestinien abattu le 27 août 2001, retrouvé assis sur son fauteuil, le corps carbonisé par deux missiles entrés par la fenêtre de son bureau. Plus loin, une mort ordinaire, Aïda Fathia, une femme qui rentrait chez elle un soir d’avant la fête de l’Aïd, les bras chargés de cadeaux, tuée de deux balles dans la poitrine.
Dans un coin, un mort effrayant, Dia Hussein Tawill, jeune homme solitaire, silencieux et trop pieux, kamikaze qui s’est fait exploser dans le quartier de French Hill à Jérusalem et dont le père, furieux, jure qu’il l’aurait ligoté sur son lit s’il avait pu deviner son projet. Il y a les morts absurdes, comme cette tombe de 7 mètres de long, celle d’une femme et des quatre enfants qu’elle conduisait à l’école en empruntant le véhicule de son mari, Abou Kouek, leader du Hamas, visé par le missile tiré de l’hélicoptère. Quatre années d’Intifada de Ramallah à Jérusalem, de Hébron à Gaza, de Jénine à Naplouse, 3600 Palestiniens tués, par conviction ou par hasard. Et si tous ces hommes, femmes, enfants, vieillards, étaient morts pour rien?
La première Intifada de 1987, la «guerre des pierres», a débouché sur les accords d’Oslo en 1993, un processus de paix, le retour de Yasser Arafat et la création de l’Autorité palestinienne. Mais aujourd’hui Mahmoud Abbas, le nouveau chef de l’OLP, l’homme qui promet d’être le prochain président, affirme: «Le recours aux armes dans l’Intifada actuelle nous a fait du tort et cela doit cesser.» En clair, la militarisation de l’Intifada et notamment les attaques suicides en Israël ont abouti à l’échec.
Au départ, il ne s’agissait pourtant que d’un soulèvement populaire, frère jumeau de l’Intifada des pierres. Le 28 septembre 2000, quand Ariel Sharon pénètre sur l’Esplanade des Mosquées, troisième lieu saint de l’islam à Jérusalem-Est, la visite du chef du Likoud fait l’effet d’une énorme provocation. Elle déclenche une émeute qui fait plusieurs dizaines de blessés. Dès le lendemain, 7 Palestiniens sont tués à Jérusalem. Le surlendemain 30 septembre, la Cisjordanie et Gaza s’embrasent, 16 morts et des centaines de blessés. Les Israéliens envoient des blindés vers Naplouse et tirent des roquettes antichar. A Gaza, la mort filmée de Mohammed al-Dourra, 12 ans, tué dans les bras de son père, devient le symbole de l’Intifada. En Galilée, une manifestation d’Arabes israéliens est durement réprimée: 13 morts. En dix jours, l’Intifada fait une centaine de victimes et pas un seul mort israélien.
Chez les Palestiniens, vétérans de la première Intifada, c’est la stupeur. Ils n’ont pas d’armes et ont repris les pierres du soulèvement de 1987, mais la réponse cette fois est différente: peu d’arrestations, pas de matraques, pas de consignes de «briser les os», mais des tirs à balles réelles, pour tuer. Devant la colonie de Netzarim à Gaza, à l’endroit où le jeune Mohammed Al-Durra est tombé, les jeunes manifestants qui s’élancent, pierres et drapeaux à la main, se font faucher dans un sinistre ball-trap par les tirs des snipers de Netzarim postés à 500 mètres d’eux. En fin de journée, des cris éclatent: «A quoi bon se faire massacrer? A quoi servent nos pierres? Il nous faut des armes!»
Le 12 octobre, deux soldats israéliens égarés et pris à l’entrée de Ramallah se font happer par la foule à l’intérieur même du commissariat de la ville. Ils sont piétinés, lynchés et défenestrés: les deux premiers morts israéliens. La scène d’horreur, filmée par la télévision, marque un tournant de la crise. Quelques heures plus tard, le commissariat est détruit par deux missiles tirés d’hélicoptère et Israël impose un premier blocus des villes palestiniennes. Et l’escalade continue! Le 20 novembre, un attentat à la bombe contre un bus scolaire tue deux colons israéliens. En représailles, des hélicoptères de combats et des navires de guerre pilonnent la bande de Gaza. Sommet arabe au Caire, conférence à Charm el-Cheikh, négociations de Taba... rien n’y fait, personne ne parvient à arrêter l’embrasement.
Six mois plus tard, Ariel Sharon est au pouvoir quand, le 21 mars 2001, le premier kamikaze se fait exploser au cœur d’Israël. D’un côté, kalachnikovs, mines, roquettes artisanales, ceintures d’explosifs et série d’attentats suicides; de l’autre, tanks, hélicoptères de combat, avions F-16, assassinats ciblés, arrestations massives, bouclages, incursions, siège des villes, réoccupation des territoires et construction du Mur... les quatre années à venir ne sont que douleur, mort et destruction.
«Le résultat? C’est une catastrophe historique! On a subi une terrible hémorragie, développé une culture du sacrifice qui nous était étrangère et nous vivons tous désormais dans une grande prison», dit le Dr Abdulhadi, directeur d’un institut d’études palestinien. Du côté des combattants, Saïd, un cadre des Tanzim, l’unité combattante du Fatah, ne cache pas sa colère: «Rien! On n’a rien gagné! Politiquement, on a reculé.» Du côté des victimes, Jamal al-Durra, gravement blessé et père du jeune Mohammed tué à Netzarim, est amer: «Notre sacrifice n’a servi à rien.» Exténué, un habitant de Ramallah reconnaît: «Au début, on se battait pour Jérusalem et le droit au retour des réfugiés. Aujourd’hui, je rêve de voir disparaître ce check-point en bas de chez moi!»
Les barrages. Ici, ils sont devenus l’obsession du quotidien. La Cisjordanie en compte 703 au total. Trente-neuf sont tenus en permanence par des soldats, dont dix-sept sur la ligne verte et douze dans la seule ville d’Hébron. Ceux-là sont connus, voire célèbres, comme le check-point de Qalandia, véritable caserne de béton et de barbelés, où des centaines de Palestiniens de tous âges piétinent parfois quatre heures, papiers à la main, sous la pluie ou le soleil, pour se voir accorder ou refuser le passage. 700 kilomètres de voies sont ainsi condamnés ou réservés à la circulation des colons. Les bouclages vers Israël et les barrages à l’intérieur des territoires forment une infernale toile d’araignée. Dans certains villages de montagne, les femmes prêtes à accoucher préfèrent une césarienne avant terme plutôt que de voir l’ambulance arrêtée ou refoulée à l’inévitable check-point.
Avant l’Intifada, Ihsan Roukab gérait une flottille de camions qui ravitaillait une cinquantaine de supermarchés à Beït-Hanina, Jénine, Naplouse, Hébron et jusqu’en Israël. Ici, Roukab est la plus grande marque de glaces, un label, un nom que des hommes d’affaires de Tel-Aviv ont proposé d’acheter 6 millions de dollars. A l’automne 2000, les trois frères Roukab gagnaient 1 million de shekels par an et produisaient 8000 pièces par jour, esquimaux ou cornets. Ihsan Roukab est doté d’un passeport américain, d’un master en chimie et ses fils étudient à Boston et à Cleveland, mais cela ne lui donne pas le droit d’aller jusqu’à Jérusalem.
Roukab venait à peine d’acheter à crédit une machine d’un demi-million de dollars capable de fournir 5000 pièces à l’heure quand Ariel Sharon a pénétré sur l’Esplanade des Mosquées. Depuis, ses camions doivent s’arrêter aux barrages, décharger la marchandise, la faire transporter de l’autre côté et la recharger sur un autre camion réfrigéré, en moins de dix minutes, sous peine de perdre sa marchandise. Il y a deux ans, une rafale de mitrailleuse a crevé son freezer géant: «A l’intérieur, on pataugeait dans une épaisse bouillie qui empestait la fraise et le chocolat.» Écœuré, l’industriel, qui a perdu les deux tiers de son chiffre d’affaires, pense à ouvrir un magasin à Prague ou à Milan: «Ici, en Palestine, l’économie est en ruines.»
John Wetter, expert et coauteur d’un rapport de la Banque mondiale, ne dit pas autre chose: «En termes d’économie, l’Intifada est un désastre.» En deux ans, le PIB a chuté de 40% et les revenus sont inférieurs d’un tiers par rapport à la première Intifada. Le chômage touche 27% de la population, contre 10% autrefois, essentiellement des jeunes. Dès la signature des accords d’Oslo, Israël avait commencé à boucler les territoires. Les 150000 ouvriers sous-payés qui travaillaient sur les chantiers ou dans les champs d’Ashdod ou de Tel-Aviv n’étaient plus que 120000 à l’automne de l’Intifada, mais ils assuraient encore un cinquième des revenus. Ils ne sont plus qu’un millier à peine.
Aujourd’hui, un Palestinien sur deux vit au-dessous du seuil de pauvreté avec moins de 1,6 euro par jour et 16% ont des problèmes de malnutrition. Sur l’échelle du développement des Nations unies, Israël est au 22e rang et les Palestiniens au 102e. Ici, on vit sept ans de moins et les enfants meurent quatre fois plus nombreux, en attendant le mur de séparation qui mettra la touche finale à l’enfermement. Aujourd’hui, seuls le réseau familial de solidarité et le milliard de dollars annuel de l’aide internationale permettent d’empêcher l’effondrement du système palestinien. Mais les experts préviennent que l’aide ne sert à rien sans la levée des barrages: «Pauvreté, désespoir, violence et extrémisme... le lien est direct, dit John Wetter. Si le bouclage continue, tous les territoires seront atteints du syndrome de Gaza.»
Pas besoin d’aller si loin. Il suffit de marcher dans les rues de Naplouse ou de Bethléem pour constater que l’Intifada a changé le visage des villes, le visage des hommes, jusqu’à l’intérieur d’eux-mêmes. Dans Ramallah, capitale intellectuelle de la Palestine, un psychiatre a lancé une enquête sur l’état psychologique des jeunes de 15-20 ans, soit 35% de la population. «J’ai trouvé partout des désordres post-traumatiques, de l’angoisse, des phobies, de la paranoïa et beaucoup d’agressivité, dit le docteur Sahwill. Un tiers des jeunes souffrent d’un vrai syndrome dépressif.» Un homme sur deux a été arrêté et emprisonné une ou plusieurs fois et les femmes passent leurs journées au téléphone à essayer de savoir si le fils ou le mari est arrivé au collège ou au travail.
Professeur, médecin ou notable, un Palestinien fouillé et humilié au check-point par un jeune soldat n’est plus rien face au regard de ses enfants. Mustapha Bargouthi, candidat en campagne pour la présidentielle, interpellé à l’entrée de Naplouse, a dû rester assis une heure dans l’herbe à côté de son assistante. Sortir, travailler, se déplacer, tout est porteur de risque et de frustration. Du coup, le cabinet du docteur Sahwill reçoit beaucoup d’appels de mères ou de jeunes femmes qui se plaignent de violences domestiques. Les effets de la deuxième Intifada sont beaucoup plus dévastateurs que ceux de la première guerre des pierres; cette fois les bouclages, les bombardements mais aussi les attentats suicides – la barbarie de l’acte, moralement injustifiable contre des civils innocents – ont affecté profondément l’image que les Palestiniens avaient d’eux-mêmes.
Qui est responsable de cet énorme gâchis? L’Intifada ou la façon dont elle a été menée? Beaucoup ici sont convaincus que le soulèvement était inévitable. L’application des accords d’Oslo exigeait de la bonne volonté et, après l’assassinat de Rabin, le nouveau Premier ministre Benjamin Netanyahou, hostile à ces accords, a passé son mandat à claquer toutes les portes entrouvertes. Oslo s’embourbait, les colonies augmentaient, la logique sécuritaire faisait office de politique, les leaders palestiniens perdaient leur crédit et la rue grondait, autant contre la paralysie du processus que contre l’inertie, l’archaïsme et la corruption avérée de l’Autorité palestinienne. Face au soulèvement populaire, le gouvernement d’Ehoud Barak a réagi en militaire en ouvrant le feu. Quelques mois d’escalade et plusieurs centaines de morts plus tard, l’Intifada s’était transformée en guérilla. Et avec Sharon au pouvoir, l’escalade était sans limite. «Nous saignons. Il faut qu’ils souffrent aussi!»: cet argument, désespoir et vengeance, mille fois entendu dans Gaza pour justifier les attentats suicides, a engendré une politique de kamikazes au cœur d’Israël. Bus, écoles, cafés, restaurants... le terrorisme aveugle tue, choque Jérusalem, Haïfa ou Tel-Aviv, mais ne fera pas craquer le pays. Bien au contraire.
Le grand tournant se produit avec un fait majeur du XXIe siècle, un événement dont la direction palestinienne sera incapable de tirer la leçon: les attentats suicides contre le World Trade Center. «Jusqu’au 11 septembre 2001, tout était encore possible, dit Saïd Zedani, philosophe à l’université de Bir-Zeït. L’Intifada avait atteint son but: dire au monde que les Palestiniens ne renonceraient pas à un véritable Etat. En fait, elle aurait dû s’arrêter ce jour-là. Le reste, inutile, n’a été que souffrance et malheur.»
Parmi ceux qui ont senti le danger, il y a Yasser Arafat, qui convoque aussitôt une réunion de toutes les factions. Yasser Abed Rabbo, un des négociateurs des accords d’Oslo, se souvient de la discussion. Arafat propose deux mesures, l’une purement symbolique, offrir son sang pour les victimes de New York, l’autre, capitale, mettre un terme à la militarisation de l’Intifada. Mais les jeunes combattants au sein du Fatah s’inquiètent de perdre du terrain par rapport au Hamas, Arafat lui-même est obsédé par un risque de guerre entre Palestiniens, il veut jouer l’équilibre entre les courants; il ne prend pas de décision nette et progressivement va perdre une partie du contrôle des choses.
Le reste est écrit: George Bush déclare solennellement la «guerre à la terreur», Sharon montre du doigt ses terroristes locaux et accuse systématiquement Arafat après chaque attentat du Hamas, les bombes humaines qui se multiplient et le fanatisme, l’horreur et la répulsion qui transforment l’image des Palestiniens: les «victimes» du début de l’Intifada ne sont plus que des «terroristes» fanatiques islamistes. «Notre erreur majeure a été d’attaquer des civils en Israël! Une erreur que Sharon a su exploiter au maximum, dit Yasser Abed Rabbo, qui ne décolère pas. Si le but de l’Intifada était d’attirer l’attention du monde, le résultat est démesurément bas par rapport à nos pertes: la destruction de toute une génération! Et ceux qui continuent à parler de "résistance absolue par les armes" jouent avec le sang des Palestiniens.»
Au sein de l’Autorité palestinienne, des cadres du Fatah, des combattants Tanzim ou des simples citoyens, on ne remet pas en cause la légitimité d’une lutte, même armée, dans la limite des territoires: «J’ai le droit de me battre contre des soldats qui occupent mon pays depuis trente-sept ans, dit Saïd, militant impressionnant de solidité, vingt ans de lutte, deux fois emprisonné et torturé, devenu un cadre influent des Tanzim, mais personne ne peut justifier moralement l’assassinat de civils innocents.» Ne lui parlez pas d’échec, ni même d’erreur de l’Intifada! Ces mots lui écorchent les lèvres. Comme beaucoup d’autres, universitaires ou combattants, il croit que l’Intifada a tracé des lignes rouges sur les questions de l’État palestinien, de Jérusalem, des lieux saints et des colonies qui n’ont jamais cessé de croître. Et qu’elle démontre qu’aucun des deux adversaires, palestinien ou israélien, ne peut vaincre l’autre par la force.
Il n’empêche, entre les deux communautés s’est creusé désormais un énorme fossé de sang, de haine, de rage, de méfiance et de vengeance. Les dégâts sont immenses. Et l’erreur historique: «Je ne peux pas dire que l’Intifada soit un échec. Résister est légitime. Mais nous n’avons pas le droit d’aider l’occupant à nous maintenir en esclavage, enrage Yasser Abed Rabbo. Nous n’avons pas le droit d’ajouter la stupidité à l’oppression!» Pendant la campagne électorale, le nouveau chef de l’OLP, Mahmoud Abbas, a condamné le recours aux armes et aux attentats contre les civils: «C’est courageux, dit Yasser Abed Rabbo, mais nous sommes en retard, très en retard sur l’histoire... On a perdu dix ans.»
                                       
5. A Gaza, Mahmoud Abbas cible le Hamas et "l'ennemi sioniste" par Christophe Ayad
in Libération du mercredi 5 janvier 2005

Le chef de l'OLP fait campagne en rappelant les principes d'Arafat.
Gaza, envoyé spécial - La campagne électorale se corse pour Mahmoud Abbas, le successeur d'Arafat à la tête de l'OLP, et bientôt de l'Autorité palestinienne tant il est le favori incontesté. Au dernier jour de sa tournée triomphale à Gaza un drame est venu rappeler les limites de l'élection présidentielle palestinienne de dimanche, alors que l'occupation israélienne se poursuit. Sept jeunes paysans palestiniens, dont un enfant de 11 ans, ont été tués hier par des obus de chars israéliens dans le village de Beit Lehya, au nord de la bande. Six autres ont été grièvement blessés.
Abbas qui tenait peu après un meeting à Khan Younès a vivement réagi en qualifiant Israël d'«ennemi sioniste», une première dans la bouche de cet homme considéré comme un modéré. Depuis son arrivée, vendredi, dans la bande de Gaza, Mahmoud Abbas avait dû slalomer pour éviter une incursion israélienne ayant tué 11 Palestiniens à Khan Younès, puis une autre à Beit Hanoun.
Hier, il a décidé de marquer le coup en durcissant le ton. D'autant que le drame de Beit Lehya intervient en pleine polémique entre Abbas et les islamistes du Hamas, très populaires à Gaza, sur l'opportunité de tirer des roquettes artisanales vers Israël et les colonies.
Ire du Hamas. Dimanche, le leader palestinien avait provoqué l'ire du Hamas en condamnant publiquement ces tirs «inutiles» dont celui-ci s'est fait une spécialité. Il citait le cas d'une fillette de 10 ans tuée la veille dans le camp de Jabaliya par un tir palestinien. Le porte-parole du Hamas, Sami Abou Zohri, a réagi immédiatement : «Il inverse le problème, déclarait-il à Libération. Nous sommes occupés. Notre rôle est de résister. Peu importe où tombent les roquettes, tant qu'elles effrayent l'ennemi.» Le Hamas a exigé des excuses. Lundi, Mahmoud Abbas a enfoncé le clou : «Tirer ces roquettes n'a pas d'utilité. [Elles] ne touchent que notre peuple et entraînent des agressions [israéliennes].»
Hier matin, des activistes du Hamas tiraient quatre roquettes Qassam vers la zone industrielle d'Erez et une colonie israélienne, faisant un blessé. L'armée israélienne a répliqué dans le secteur. Bilan : sept morts palestiniens, probablement des civils, les activistes décampant tout de suite après la mise à feu. CQFD. Avant de quitter Gaza pour Ramallah, Mahmoud Abbas a réitéré sa double condamnation : celle de l'«acte barbare» commis par l'armée israélienne et celle à l'encontre des tirs de roquettes qu'il a qualifiés d'«actes erronés». Pour avoir le dernier mot, le Hamas a tiré une nouvelle salve vers la ville israélienne voisine de Sderot, sans faire ni victimes ni dégâts.
Ce bras de fer avec le Hamas est la seule ombre au tableau de la tournée de cinq jours qu'a effectuée le candidat du Fatah.
A Rafah, il a même été porté en triomphe par les activistes des Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, affiliées, il est vrai, au Fatah. Avec quelque 3 000 maisons détruites et des centaines de morts, Rafah est la ville la plus touchée par l'Intifada, avec Jénine. Les groupes armés, bien plus puissants qu'une Autorité palestinienne en ruines, y font la loi. Cette étape était donc très attendue après les déclarations du candidat en faveur d'une «démilitarisation» de l'Intifada et du retour au «règne de la loi». Le soutien massif et discret de Mohammed Dahlan - qui avait été ministre de l'Intérieur sous l'éphémère gouvernement de Mahmoud Abbas -, qui contrôle indirectement la moitié des Brigades Al-Aqsa de la bande de Gaza, a certes facilité les choses.
Etat indépendant. Sans renier ses convictions, Abbas a insisté sur sa fidélité aux «lignes rouges» tracées par Arafat : un Etat indépendant et souverain sur les terres de 1967 avec Jérusalem-Est pour capitale, le droit au retour des réfugiés, le démantèlement des colonies. Surtout, il a rassuré les activistes, «nos combattants de la liberté», qui «devraient pouvoir vivre de manière digne et en sécurité». Il a écarté toute mise au pas des groupes armés, plaidant pour le dialogue.
Ces déclarations ont «dérangé» Colin Powell, le secrétaire d'Etat américain, qui les a mis sur le compte de la campagne. A l'inverse, les activistes voient dans les appels d'Abbas à la «démilitarisation» de l'Intifada, «un discours destiné à faire plaisir à la communauté internationale», comme le confie l'un d'entre eux. Jusqu'ici, tout va bien pour Abbas. Mais il lui faudra bien lever le malentendu. Après les élections.
                   
6. Richard Gere encourage les Palestiniens à aller voter
Dépêche de l'agence Associated Press du mardi 4 janvier 2005, 17h37
JERUSALEM - L'acteur américain Richard Gere encourage les Palestiniens à aller voter dimanche pour élire le successeur de Yasser Arafat.
"Bonjour, je suis Richard Gere et je m'adresse au monde entier. Nous sommes avec vous pendant cette période électorale. C'est vraiment important: sortez de chez vous et allez voter", affirme l'acteur américain dans un spot qui doit être diffusé dans les jours qui viennent sur une chaîne de télévision palestinienne et sur des chaînes arabes par satellite.
L'association "One Voice", qui milite pour la paix, a fait appel à des stars et à des religieux pour soutenir son appel à aller voter. Elle bénéficie notamment du soutien de Danny DeVito, Rhea Perlman, Brad Pitt, Jennifer Aniston et Edward Norton.
"Nous avons choisi Richard parce qu'il croit que la liberté, c'est pour tout le monde", a expliqué Fathi Darwish, un responsable palestinien de l'association. "On connaît son soutien pour les Palestiniens".
                       
7. Le baobab lumineux par Francis Laloupo
in Le Nouvel Afrique Asie du mois de décembre 2004

On voulait le croire immortel. En réalité, cela fait longtemps que Yasser Arafat appartient, aux yeux des Africains, à une dimension particulière, celle de l’intemporel, qui donnait à sa course incessante une formidable densité. On se souvient de lui, présent parmi ses pairs lors de multiples sommets de l’Organisation de l’Union africaine. Il était parmi les siens. Les Africains garderont en mémoire le sourire d’Arafat contrastant discrètement avec un regard reflétant une sorte de mélancolie éternelle. Ce regard-là était un miroir, celui dans lequel des millions d’Africains retrouvaient le leur. Celui avec lequel ils se sont penchés depuis des décennies sur leur propre histoire. Le Journal du Jeudi, publié à Ouagadougou, rappelle dans son édition du 11 novembre dernier : “Yasser Arafat a bénéficié du soutien logistique de l’Afrique blanche, mais aussi du soutien moral de l’Afrique noire. Lorsque les soldats israéliens prennent d’assaut, en mars 2002, le quartier général du président de l’Autorité palestinienne, des manifestations se multiplient en Afrique subsaharienne : Mali, Soudan, Niger, Congo, Mauritanie, Sénégal ou encore Nigéria. Une telle mobilisation pour un évènement non-africain est quasiment inédite sur le continent. ‘Chaque Africain porte en lui un peu de la Palestine’, scande un manifestant de Bamako. L’Afrique noire, aussi ‘mal partie’ que la Palestine, ressent comme une communauté de destin avec la nation d’Arafat. A Gaza, comme à Lagos ou à Prétoria, résonnent les mots colonie, autodétermination, reconnaissance d’un Etat, même si les frontières de celui-ci sont taillées à la serpette…”
L’histoire du peuple palestinien que Yasser Arafat a restituée au monde a trouvé en Afrique un territoire, une famille et une tribune. Parce que le leader palestinien était le véhicule prédestiné de cette histoire-là, sa parole n’a jamais été celle d’un simple visiteur des instances africaines. Non pas un appendice, une greffe ou un anachronisme. Sa quête et son combat furent une évidence, se confondant naturellement avec ceux inscrits dans le destin contemporain des Africains. Quête d’autonomie, d’indépendance, de justice… Quête légitime. Aspirations basiques du genre humain. La mémoire encore vive de la colonisation, le parcours inachevé de la décolonisation, l’insoutenable réalité de l’apartheid… Histoire commune, cause partagée dans la galaxie commune de l’oppression où les peuples hurlent, simplement, leur désir de vie, leur besoin d’exister pleinement. Désir de respect, urgence de s’extraire du purgatoire des humiliations, du mépris, de la non-existence. Histoire d’Africains et de Palestiniens. Lors des obsèques d’Arafat, le chef de l’Etat sénégalais, Abdoulaye Wade, traduisant le sentiment de l’ensemble de ses concitoyens, a parlé de la disparition d’un “symbole dynamique de la lutte d’un peuple pour la justice, la paix et la liberté dans la dignité”. Le président sénégalais souligne “une grande perte pour la communauté internationale tout entière” et rappelle que "le Sénégal a résolument soutenu le combat du président de l’Autorité palestinienne parce que fondé sur les impératifs de la résistance à l’occupation et sur les exigences de la paix pour que triomphe à nouveau en Palestine l’esprit de partage que véhicule la coexistence [...] des trois religions révélées”. Rappelons que le Sénégal préside depuis 1975 le comité des Nations unies pour l’exercice du droit inaliénable du peuple palestinien.
Les Africains se sont approprié la cause du peuple de Yasser Arafat, s’y sont associés, en ont fait la leur. Comme une évidence, une logique historique, voire ontologique. Mais au-delà de la cause partagée, nous avons aimé Yasser Arafat. Pour l’homme qu’il était. L’un des plus grands de l’histoire de la tumultueuse édification de la communauté des nations acquises aux valeurs essentielles d’égalité, de justice, de respect et de liberté. “Profondément affligé” par la disparition d’Arafat, le gouvernement malien rend hommage à “un combattant infatigable de la juste cause”. En saluant la mémoire du “président de l’Etat de Palestine”, il renouvelle “sa solidarité totale et son soutien indéfectible au peuple palestinien”. Le communiqué affirme que “le peuple malien se souviendra toujours de ce grand homme d’Etat résolument engagé dans le combat pour la libération de sa patrie, qui n’a ménagé ni son temps, ni ses efforts pour hisser le flambeau de la lutte contre l’oppression, la domination et l’hégémonie sioniste.” Les chefs d’Etat africains présents en nombre aux obsèques de Yasser Arafat ont réaffirmé le même “soutien indéfectible” au peuple palestinien, et renouvelé leur sentiment de respect à l’égard du combat mené par le grand homme, à présent installé dans le prestigieux cénacle des ancêtres lumineux et éternellement présents. Plus présent encore qu’auparavant, dans la plus subtile dimension de l’expression du vivant.
Nous avons aimé un géant, inlassable coureur de fond, inépuisable diseur de sa vérité. L’élémentaire vérité nichée au fond de tous. Jusqu’à ses dernières apparitions publiques, il aura conservé sur son visage, cette détermination, l’inébranlable permanence de cette vérité non négociable, qui se justifie d’elle-même, jamais soumise à l’esquive et à l’altération.
Un baobab est-il mortel ? Même si son rêve ne s’est pas réalisé durant sa vie terrestre, il aura, entraînant son peuple dans son sillage, parcouru l’essentiel du chemin : il a planté le rêve, dont les couleurs sont, pour toujours, imprimées dans la chair et le sang de ses concitoyens. Alors, qui pourrait désormais douter que l’Etat palestinien est, depuis quelque temps déjà, redevenu une réalité ? Et les manœuvres politiciennes qui tiennent lieu de gestion de la “réalité internationale” ne pourront plus jamais annuler ce qui est déjà ancré dans ce territoire inviolable et ineffaçable : la conscience humaine. Les tréfonds de l’être. Les baobabs sont éternels…
                       
8. En colère contre Tali Fahima par Orit Shohat
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 31 décembre 2004
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]
Il y a quatre mois, le Ministre de la Défense, Shaul Mofaz, a décidé de placer Tali Fahima en détention administrative. Les descriptions du danger qu’elle faisait planer sur la population étaient impressionnantes. Mofaz a dit : « Je connais tous ses faits et gestes. Elle était impliquée et elle a pris part à la préparation d’un attentat en Israël ». Ensuite le juge Ouri Goren, qui a confirmé sa détention sans jugement, a déclaré : « Je suis arrivé à la conclusion que Tali Fahima est déterminée a perpétrer un attentat contre des objectifs israéliens et à obtenir du matériel de combat auprès d’activistes terroristes palestiniens ». On a ensuite publié qu’elle avait un lien avec l’engin qui a explosé au barrage de Kalandia. Le Procureur de l’Etat a lui aussi apporté sa contribution à la construction de l’image de Fahima en terroriste lorsqu’il a dit : « Le dossier confidentiel qui m’est parvenu révèle un danger grave et immédiat pour la vie humaine ».
Cette semaine, a été déposé contre Fahima un acte d’accusation qui ne porte aucune mention de ces accusations-là. Il apparaît qu’elle ne s’est pas occupée de terrorisme, n’a pas transmis de matériel de combat, n’a pas organisé d’attentat et plus personne ne prétend qu’elle a mis en danger la vie humaine. Au lieu de lui demander pardon et de la renvoyer chez elle, l’Etat s’est mobilisé pour souffler encore un peu d’air dans le ballon déjà gonflé. Non seulement sa détention est de nouveau prolongée, mais à mesure que les soupçons se font moins sérieux, les articles de l’accusation s’aggravent. Fahima comparait en justice pour les charges les plus graves des textes de lois, et pour lesquels la peine maximum est la prison à perpétuité.
L’histoire de Fahima n’est pas une histoire banale. Il y a un an et demi, elle a lu une interview de Zakariya Zubeidi, commandant des Brigades des Martyrs d’Al Aqsa à Jénine, dans laquelle il racontait comment, de pacifiste, il était devenu terroriste. Elle a ensuite vu le film « Les enfants d’Arna » dont Zubeidi enfant est un des héros. Après avoir compris que Zubeidi se trouvait en tête de la liste des assassinats ciblés de l’armée israélienne, Tali Fahima, 28 ans, a décidé de se rendre à Jénine, de s’installer chez lui et de lui servir de bouclier humain. A partir de ce jour-là, elle allait et venait dans la maison de Zubeidi et tous deux sont devenus des célébrités médiatiques.
A sa manière naïve et impulsive, Fahima est devenue l’opposante la plus authentique à la politique des liquidations. C’est précisément parce qu’elle n’était pas connue à gauche, précisément parce qu’elle votait Likoud, a été sous-off chargée des conditions du service dans les forces blindées et qu’elle habitait Kiryat Gat, qu’elle a apparemment réussi à susciter la colère et aussi à devenir un exutoire commode pour des frustrations.
L’Etat l’accuse d’avoir fait échouer une opération de l’armée visant à attraper des personnes recherchées à Jénine. Lorsqu’on détaille l’accusation, il apparaît que le 18 mai, au cours d’une opération à Jénine, un soldat a perdu une carte de photos aériennes sur laquelle étaient indiquées les maisons des personnes recherchées dans la ville et que cette carte est parvenue aux Brigades des Martyrs d’Al Aqsa. Au lieu de faire passer en justice le soldat négligent, il a été décidé d’accuser Fahima de l’échec de l’opération.
D’après l’acte d’accusation, Fahima, qui était chez Zubeidi au moment de l’opération, lui a « expliqué », à lui et à ses amis, ce qui était écrit sur le document tombé entre leurs mains. Trois jours plus tard, la photo de Zubeidi était publiée en première page de « Yediot Aharonot » avec la carte qui avait été égarée ; l’affront était cuisant pour l’armée israélienne.
Fahima est accusée de soutien à une organisation terroriste, de transmission d’informations à l’ennemi et de soutien à l’ennemi en temps de guerre. Si elle est condamnée à de la prison, fût-ce pour une courte période, elle deviendra une nouvelle édition de Abie Nathan, qui a passé un an en prison pour une rencontre interdite avec des Palestiniens. Il suffirait de le vouloir pour envoyer des centaines d’Israéliens en prison pour avoir rencontré des Palestiniens pendant les années d’Intifada. Eux aussi, on peut les accuser faussement d’avoir soutenu l’ennemi. Le premier candidat serait Ouri Avnéry qui s’est offert comme bouclier humain à Yasser Arafat.
On peut espérer qu’après avoir manifesté une affligeante impuissance en confirmant une détention administrative superflue d’une durée de quatre mois, les juges ne s’assoupiront pas à leur poste lors de l’examen des preuves et qu’ils ne s’effraieront pas, même si l’accusation devait leur présenter des photos aériennes prises par un drone, montrant Fahima faisant bouillir de l’eau pour du café dans la cuisine de Zubeidi. Cela aussi, c’est du soutien à organisation terroriste.
                       
9. L'héritage de Yasser Arafat par Richard Labévière
on Radio France Internationale le mercredi 29 décembre 2004

Le nouveau chef de l'OLP Mahmoud Abbas, candidat favori à l'élection présidentielle palestinienne du 9 janvier prochain a compris qu'il ne pouvait pas ne pas s'inscrire dans le sillage et l'héritage de Yasser Arafat qui a incarné pendant près de quarante ans l'aspiration du peuple palestinien.
Devant plus de deux mille personnes réunies dans un! stade de Jéricho, Abou Mazen - le nom de guerre de Mahmoud Abbas - lève toute ambiguïté en proclamant, et je cite: «le souvenir d'Abou Ammar est toujours dans nos coeurs et nous continuerons à marcher dans la voie qu'il a tracée». Et sur ses affiches électorales, on le voit aux côtés d'Arafat avec ce slogan: «Ensemble sur la route de Jérusalem et pour la fin de l'occupation».
Ces signes extérieurs de légitimité historique visent un double objectif:
- tout d'abord rompre avec le sophisme récurrent d'un Yasser Arafat empêcheur de paix, sophisme central du discours israélien et de l'idéologie de la fenêtre d'opportunité selon laquelle tout redeviendrait possible depuis la disparition du vieux chef palestinien.
- il s'agit ensuite de rallier la base sociale des camps de réfugiés, en! phase avec le prisonnier palestinien le plus célèbre Ma rwan Barghouti, porte-voix de la résistance et des différentes composantes du mouvement de libération de la Palestine.
Et pour être parfaitement clair, le discours du candidat Abbas ajoute, et je cite encore: «l'occupation, les restrictions, le mur de l'apartheid, l'oppression, les tueries programmées, les assassinats ciblés sont nos ennemis communs et nous devons être unis pour mettre fin à l'abjecte occupation». Cette filiation assumée n'annonce rien de bon estime, pour sa part le ministre israélien des affaires étrangères Sylvan Shalom qui a déjà condamné tout discours se réclamant d'Arafat «dont l'héritage se résume au terrorisme», affirme-t-il. Cette rhétorique connue fait craindre à Amr Moussa, le secrétaire général de la Ligue Arabe, qu'il soit proposé aux Pales! tiniens seulement la création d'un Etat croupion à titre provisoire ce qui, bien évidemment, ne favorise aucune lueur d'espoir.
La Feuille de route est au point mort;du reste plus personne n'en parle.Tony Blair et la diplomatie britannique viennent de se ridiculiser en proposant dernièrement la tenue d'une conférence internationale à Londres qui, à défaut de mettre en oeuvre la Feuille de route, aurait pu au moins en fixer les préalables.. Washington et Tel-Aviv ont immédiatement calmé les ardeurs britanniques en ramenant l'objectif de la conférence londonienne à un rendez-vous visant strictement à parfaire les réformes institutionnelles de la nouvelle administration palestinienne. Et pour qu'on comprenne bien, Tel-Aviv vient, à nouveau, de refuser toute espèce de rôle politique et diplomatique à l'Europe dans la recherche et la mise en oe! uvre d'une solution de paix, cette même Europe qui est pourtant membre à part entière avec les Etats-Unis, la Russie et l'ONU du Quartette, parrain de la fameuse Feuille de route, dont plus personne ne parle.
                   
10. Susan Sontag - De l’art à la politique, une passion au-delà de toute reddition par Francesca Borelli
in Il Manifesto (quotidien italien) du mercredi 29 décembre 2004
[traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio]
Ecrivain, réalisatrice de théâtre et de cinéma, essayiste explosive, Susan Sontag restera dans l’histoire de la pensée critique comme une icône « malgré elle » [1]. Elle est morte hier matin à New York [2], elle avait 71 ans, dix-sept livres publiés chez les plus grands éditeurs dans le monde entier. Elle avait récemment ré abordé au roman, après les préambules des années 60 ; mais son dernier travail revenait à la photographie pour traquer l’alliance historique entre l’objectif et les images de guerre.
Elle n’avait jamais assez de temps, elle dérobait des heures au sommeil pour économiser sur la nuit ce qui lui servait à voir quelque fois trois films à la suite, ou pour suivre jusque dans leurs loges les compagnies théâtrales qui avaient conquis ses enthousiasmes. Et aucun art figuratif ne la laissait indifférente : Susan Sontag était une explosion de vitalité. Même la maladie la plus obstinée, qui s’était de nouveau  présentée sans aucune clémence, a dû démordre plusieurs fois jusqu ‘à hier, où elle l’a vaincue. Et la nouvelle ressemble maintenant à une sorte d’affront : sa survie avait été mise en doute plusieurs fois, la greffe de moelle effectuée il y a quelques mois n’avait été que la dernière étape d’une douleur qu’elle avait préféré cherché à connaître chez les autres, se demandant à qui correspondait ce « nous » que nous prononçons un peu sans savoir quand nous nous trouvons face à celui qui souffre, en croyant comprendre. On a dit d’elle qu’elle était « la femme la plus intelligente d’Amérique » et elle en riait, vaguement indignée ; après le 11 septembre, elle a été associée aux pires ennemis du drapeau, et elle s’en vantait quasiment. La rencontrer  vous réservait ce genre de surprise dont on ne court pas le risque de prendre l’habitude : elle était dotée d’un tempérament qui faisait  envie, il y avait parmi ses qualités évidentes une générosité particulière, l’intolérance à toute dérive conformiste, un mélange de rigueur et de vivacité intellectuelle qui se traduisaient par une capacité à cultiver des intérêts hétérogènes sans tomber dans l’à peu près. C’est cette vitalité irréductible qui s’est acharnée sur sa résistance, ne la livrant à aucune reddition. La mèche blanche qui traversait comme une flamme ses cheveux de jais avait disparu depuis longtemps, mais elle restera toujours liée à son image : que la gauche radicale avait convertie en icône depuis le milieu des années 60, quand, dans Contre l’interprétation elle débuta dans la critique en contestant l’analyse de contenu appliquée à toute forme de texte artistique. Ensuite, les écrits militants de Styles de la volonté radicale, et le reportage sur le Vietnam, Voyage à Hanoi [3], exportèrent dans le monde entier son jugement sur l’agressivité de la politique américaine.
L’exercice de la fiction narrative l’avait déjà tenté plusieurs fois, mais le succès vint tardivement, sur ce rivage là. Ce qui apportait de plus en plus d’autorité à son nom étaient plutôt les essais, comme ceux qu’on trouve dans Sur la photographie [4], qui ouvrirent, à la fin des années 70, le chapitre d’une passion à laquelle elle est revenue il y a un peu plus de deux ans : quand les images de guerre lui ont dicté des observations recueillies dans un livre au titre éloquent, Devant la douleur des autres [5].
De la littérature d’essai au roman
C’est d’une autre douleur, plus privée, et objet même d’une sorte de condamnation sociale, dont elle parle dans La maladie comme métaphore [6], où la réflexion de sa propre expérience éclaire d’une lumière radicale les lieux communs que la culture de l’efficience et du succès réservent à celui qui ne jouit pas d’une bonne santé. Dans les années 90 seulement, la vocation au roman, en partie nécrosée pendant la saison de l’engagement militant, était revenue occuper la première place  dans l’écriture de Susan Sontag sans toutefois l’éloigner totalement du terrain des contingences réelles.  Nous nous rencontrâmes, une première fois, en novembre 2000 : Mondadori avait tout juste publié In America [7], le dernier roman qu’elle ait porté à terme, une trame tissée autour du personnage de la grande actrice polonaise de la fin du 19ème siècle, Helena Modrzejewska, livrée à la fiction sous le nom de Maryna Zalezowska. Dans ce livre, elle avait déversé l’idéal d’un personnage féminin exceptionnel, à l’intelligence cultivée, à l’esprit révolutionnaire, délicieusement égocentrique. Et elle lui avait offert les idéaux utopiques de Fourrier, grâce auxquels Maryna avait réuni autour d’elle l’acolyte des amis les plus chers, les entraînant en un projet qui se réaliserait dans l’émigration. Au sommet de sa carrière l’actrice était donc partie, d’abord dans un vieux village de montagne, au sud de la Pologne, puis en Californie où la scène coïncidait avec le grand théâtre du nouveau monde. Dans ces pages, l’intelligence proverbiale de Susan Sontag avait restitué une sorte de virginité  au panorama séduisant , émouvant même, d’une Amérique déjà décrite infiniment de fois, prisonnière dans ses lieux et ses moments les plus suggestifs de décennies de cinéma, photographie, documentaires : une Amérique à laquelle elle revenait par la fiction, après les grandes distances idéales gagnées par la dissidence politique qui l’avait éloignée des affaires des nombreux présidents qu’elle avait combattus : Bush n’était que le dernier.
Susan Sontag était fière de son dernier personnage romanesque, elle en parlait volontiers, mais elle réservait plus d’énergie encore aux contingences réelles, quelle que soit la géographie où elles se trouvaient : elle avait dédié In America « aux amis de Sarajevo », qu’elle avait été visiter plusieurs fois. Elle allait et venait sur les souvenirs en traversant les latitudes des nombreux lieux auxquels elle avait abordé, ses réflexions couraient le long des années accostant dans sa mémoire les nombreux amis rencontrés. Elle racontait l’époque où elle étudiait pour son doctorat de philosophie à Harvard, elle vivait alors à Cambridge avec son mari Philipp Rieff et Herbert Marcuse vint habiter avec eux : « quelqu’un d’extraordinaire, à cette époque –dans les années 50- il n’était pas encore très connu, mais pour moi il était déjà une présence magique chez nous. On passait des heures à discuter, il était ironique, un grand enthousiaste, il aimait énormément la littérature, il adorait Goethe. Comme beaucoup dans sa génération –je me souviens que Hannah Arendt était aussi comme ça- il ne cultivait pas des goûts à la mode. A l’époque je n’aurais pas imaginé que Marcuse serait devenu une figure d’importance mondiale et lui non plus ne le soupçonnait pas.  Une fois il me demanda d’appeler Francfort : à cette époque donner un coup de fil à une si grande distance était tout autre que banal. Mais il se trouve qu’aujourd’hui c’est l’anniversaire de Teddy. Il parlait d’Adorno. Finalement je lui téléphonai, ce fut une scène très curieuse : je fus ébahie par sa nervosité. Il était là figé comme devant un maître, c’était intéressant de l’entendre parler, de voir avec quelle déférence il s’adressait à Adorno. Il tenait le téléphone d’une main  et avec la tête il faisait oui, oui, oui… ». Susan Sontag reparcourrait sans complaisance les mythes d’un siècle désormais passé et dont, malgré elle, elle allait faire partie. Je ne sais pas comment on se souviendra d’elle en Amérique, maintenant que personne ne pourra plus avoir peur de sa voix ; il est certain qu’après l’attentat au World Trade Center de New York peu de gens montrèrent leur approbation de son éditorial, publié sur le New York Times, dans lequel on appelait à la « conscience historique » de l’Amérique, à sa conscience politique toute autre qu’immune de responsabilité dans le fait d’avoir induit une aussi grave rétorsion de la part de l’intégrisme islamique. En ces jours là, le partage de la douleur d’une ville très aimée alternait avec l’indignation contre l’étalage d’un patriotisme dont personne ne semblait vouloir se dispenser : Susan Sontag fut exposée à la réprobation publique, tous les médias l’accablèrent, l’inscrivant sur le registre des hôtes indésirables. Chez Farrar & Giroux, quelque jours plus tôt, venait de sortir son dernier recueil d’essais intitulés Where the stress falls, mais l’actualité exigeait, dans ces semaines là, que tout autre question se rétracte face à l’attaque qui se préparait contre l’Afghanistan, avant l’invasion de l’Irak.
Susan Sontag accepta ainsi de répondre à quelque question, ses paroles fraîches encore d’émotion ; il ne fut pas difficile pour elle de se faire prophète et de prévoir que  ce ne seraient pas « les terroristes et leurs alliés qui allaient souffrir des conséquences d’une réponse guerrière à grande échelle de la part des Etats-Unis, mais d’autres civils innocents, en Afghanistan et ailleurs ». « Et ces morts », dit-elle encore dans une interview qui serait ensuite  publiée dans ces pages, « ne feront qu’attiser la haine semée par le fondamentalisme le plus radical, autant contre les Etats-Unis que, plus généralement, contre l’occident laïc ».  Mais elle avait aussi une tonalité très sombre à l’égard de l’autre front, la démagogie n’a jamais pollué sa lucidité politique. Ainsi, disait-elle, « la réparation des injustices subies n’est pas l’objectif de ces terroristes, bien que leurs remontrances  soient légitimes. L’attaque vise notre monde moderne, dont la profonde vulnérabilité a été démontrée ; et  la culture qui rend possible l’émancipation des femmes, et oui, le capitalisme ».
L’année suivante Susan Sontag la passera à réfléchir sur la prédilection que la photographie a eue pour les images de guerre : il en sortit un essai –dernier travail publié à ce jour en italien- intitulé Devant la douleur des autres,  reprenant un intérêt qui avait débuté environ trente ans auparavant. De tous les arts qui ont attiré l’attention de Susan Sontag, la photographie est restée pendant des décennies celle pour qui elle a gardé l’affection la plus constante ; probablement à cause de la séduction exercée par son caractère de lisibilité universelle, pour le caractère démocratique  intrinsèque de sa valeur de témoignage,  qui traverse les frontières établies par les langues et les décors culturels.
Sous le signe de l’histoire
Le livre, cependant, ne reprenait qu’en apparence les écrits présents dans Sur la photographie. L’argument d’actualité était, de fait, devenu  un, un seul : l’alliance historique entre deux mises à feu, celle de l’objectif et celle des armes. La contemplation d’une image nous transforme en voyeur –observe-t-elle dans ces pages- quand elle représente des violences et des horreurs de la guerre, elle nous amène à la compassion ; mais on sait que nos émotions sont instables, donc on ne peut pas leur faire confiance. Surtout parce que « on ne devrait jamais tenir un « nous » pour sûr quand il s’agit de regarder la douleur des autres ». Nous en parlâmes l’été 2003, quand elle vint pour la dernière fois à Rome, pour présenter son livre : « Nous avons grandi en accumulant des archives d’images mentales –expliquait-elle- images qui dans certains cas nous font nous souvenir autrement que nous ne le ferions si nous n’avions accès qu’à des informations non visuelles. La mémoire n’est  faite que de ce que nous acceptons de nous rappeler ; quelques fois pour rendre une réconciliation possible il faut aussi s’accorder sur la nécessité d’oublier. Avec le temps, mon intérêt pour la photographie a acquis une valeur plus politique. En vieillissant je suis devenue plus futée, j’ai commencé à m’interroger sur la différence qui se trouve entre « nous », qui de notre position protégée et économiquement aisée nous permettons de changer de chaîne face à la vision d’un journal télévisé, et, par exemple, les spectateurs de Al Jazeera. Je ne crois pas qu’ils partagent le désenchantement de Baudrillard pour lequel il n’existerait aujourd’hui que des réalités simulées. Je me demande comment il est possible d’être aussi décollés de la réalité, de vivre aussi peu présents à soi-même et à l’histoire ».
C’était une des plus fortes motivations qui ont gardé Susan Sontag en vie, au-delà de  la limite signée plusieurs fois par la maladie : se tenir très fort à tout ce qui laisse une trace sur nos jours, définir ce signe et l’intepréter, ne pas laisser que les faits de la vie quotidienne glissent sur nous, disposer son regard à prendre tout ce qui s’offre sur la scène du monde, que ce soit des traits de guerre, de calamités naturelles ou d’éblouissantes fractures artistiques. Ne pas se distraire était, beaucoup plus qu’un impératif, une disposition naturelle ; une attitude cultivée  dans la grande dépense d’énergie que Susan Sontag a dispensée jusqu’à ses derniers jours. Et dans ses réflexions venait toujours, tôt ou tard, la phrase de Henry James qu’elle gardait serrée comme un talisman, cette phrase où il disait de ne jamais avoir un dernier mot.
(NDT : On pourra se reporter aussi aux articles publiés sur les sites suivants : http://www.liberation.fr/page.php?Article=264650 ; http://www.lalibre.be/article.phtml?id=5&subid=103&art_id=199484 ; http://www.susansontag.com et particulièrement à l’article paru dans L’Humanité reprenant l’intervention de Susan Sontag lors de la remise du prix Oscar-Romero (l’archevêque du Salvador assassiné par les escadrons de la mort de la dictature soutenue par les États-Unis) à Ishai Menuchin, président du mouvement des soldats israéliens qui refusent d’exécuter les actes contre la population civile palestinienne. Cette intervention a été publiée par The Nation, le 5 mai 2003 : http://www.humanite.presse.fr/journal/2004-12-30/2004-12-30-453858.)
- NOTES :
[1] En français dans le texte
[2] 28 décembre 2004
[3] Voyage à Hanoi (Seuil, 1969, épuisé)
[4] Sur la photographie (Bourgois, 1993, épuisé)
[5] Devant la douleur des autres (Bourgois, 2003)
[6] La maladie comme métaphore (Bourgois, 1993
[7] En Amérique (Bourgois, 2000)
                       
11. Angelina Jolie en tournée dans les orphelinats et les camps de réfugiés palestiniens au Liban
Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 24 décembre 2004, 14h27

BEYROUTH - L'actrice américaine et ambassadrice de bonne volonté de l'Onu Angelina Jolie, en visite privée à Beyrouth avec son fils adoptif cambodgien Maddox (trois ans), a visité des orphelinats et des camps de réfugiés palestiniens au Liban.
En venant à la veille de Noël au Liban, pays qui a subi pendant 15 ans les ravages d'une guerre qui a fait des milliers d'orphelins, la star a sans doute "souhaité établir des contacts directs avec les enfants abandonnés et les réfugiés, et donner à son fils un sens de la solidarité avec les plus défavorisés", a indiqué à l'AFP un responsable humanitaire qui a requis l'anonymat.
Agée de 29 ans, Angelina Jolie, célèbre pour avoir incarné à l'écran Lara Croft dans les films adaptés du jeu vidéo "Tomb Raider", est ambassadrice du Haut commissariat des Nations-unies aux réfugiés (HCR) et a déjà visité à ce titre le Darfour (Soudan) cette année et des camps de réfugiés en Thaïlande en 2002.
Sa visite au Liban s'effectue dans la plus grande discrétion. Elle réside sous une fausse identité dans un grand hôtel au nord de Beyrouth afin d'éviter le harcèlement des médias et s'est refusée à toute déclaration à la presse.
                           
12. Libérer Barghouti par Luisa Morgantini
in Il Manifesto (quotidien italien) du vendredi 24 décembre 2004
[traduit. de l’italien par Marie-Ange Patrizio]
(Luisa Morgantini est Députée européenne.)

Marwan Barghouti a été séquestré dans les Territoires  autonomes palestiniens le 15 avril 2002, au cours de l’opération « bouclier défensif » qui a mis en pièces les accords d’Oslo avec la réoccupation israélienne des territoires autonomes palestiniens. La séquestration et le transfert en Israël de Barghouti, élu au parlement palestinien, sont une illégalité de plus du gouvernement israélien. Le 6 juin dernier, anniversaire de l’occupation militaire de 67, Marwan est condamné à 5 réclusions à vie plus 40 ans de prison. Marwan, secrétaire de Al Fatah en Cisjordanie et de l’organisation (Tanzim), après avoir passé de nombreuses années dans les prisons israéliennes pendant la première Intifada, a été déporté et a vécu en Tunisie. Revenu en Palestine après les accords d’Oslo, il n’a jamais été considéré comme un « tunisien », un leader revenu de l’étranger. Il s’est battu en même temps que d’autres parlementaires pour la transparence de l’Autorité nationale palestinienne et contre la corruption ; et il a été en grande partie le dirigeant qui a su expliquer et faire accepter les accords d’Oslo à la population des camps de réfugiés. Il le répétait aussi dans nos diverses rencontres à Ramallah, quand il était déjà dans la clandestinité, après que le mandat d’arrêt contre lui ait été émis le 23 septembre 2001 : « il n’y a pas d’autre voie qu’une négociation qui amène à la réalisation d’un état palestinien en coexistence avec l’état israélien … Israël doit cesser l’occupation militaire et appliquer les résolutions de l’ONU ». De cette seconde Intifada, qu’on n’appelait pas d’Al Aqsa mais de l’indépendance et de la paix, il a été le dirigeant acclamé dans les rues à côté des shabab.  Pendant le procès, sa défense a été un acte d’accusation contre l’illégalité de l’occupation ; et, tout en revendiquant le droit, garanti par la Convention de Genève, à la défense même armée du peuple palestinien contre la domination coloniale et militaire, il a condamné toute attaque palestinienne contre les civils israéliens et confirmé sa volonté de paix. Aux élections du 9 janvier, où les palestiniens choisiront leur président, Marwan a renoncé à se porter candidat. Une fois encore il a eu à cœur l’unité du peuple palestinien et il a prouvé avec dignité sa conviction d’une vie démocratique à Al Fatah et à l’Anp, en demandant aussi que lors de chaque négociation  la libération de prisonniers politiques soit une priorité. Libérer Marwan, ne pas tolérer qu’il pourrisse dans la cellule de deux mètres sans fenêtre où il est enfermé dans un isolement total, la lumière allumée 23 heures par jour, faire qu’il puisse reprendre sa place dans la construction d’un état palestinien – comme a écrit Tommaso De Francesco [1] -, doit être un engagement des individus, mouvements, partis, gouvernements qui placent le droit et la justice dans leurs fondations. Peut-être est-ce un rêve, vue l’ « irréductibilité » de Sharon et l’approbation de la communauté internationale.  Mais pour Mandela aussi, ça nous semblait un rêve ! Pour cette raison, Action for Peace accueille l’appel de la campagne palestinienne www.freebarghouti.org , et adhère à la campagne internationale pour la libération de Marwan et de tous les prisonniers politiques. Chacun pourra faire quelque chose, signer l’appel, écrire à Marwan dans la prison du Neghev, recueillir des fonds pour sa famille et les dépenses judiciaires des prisonniers politiques. La libération de Marwan signera un pas décisif pour la fin de l’occupation israélienne et une paix juste en Palestine et Israël. (Info : lmorgantini@europarl.eu.int Tél. : 06 69 95 02 17, fax : 06 69 95 02 00)
- [1] "Votons Barghouti libre" Editorial de Il Manifesto du samedi 18 décembre 2004 [traduit dans ce numéro du Point d'information Palestine] http://www.ilmanifesto.it/Quotidiano-archivio/18_Dicembre-2004/art55.html.
                   
13. Les Palestiniens élisent des conseils municipaux, une première depuis 1976
Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 23 décembre 2004, 11h46

ABOU DIS (Cisjordanie) - Les Palestiniens élisaient jeudi, pour la première depuis 28 ans, des conseils municipaux dans des localités de Cisjordanie, un scrutin marqué par la participation du groupe radical Hamas qui va en revanche boycotter l'élection présidentielle du 9 janvier.
Le scrutin, qui s'est ouvert à 07H00 locales (05H00 GMT) se déroule dans 26 localités de Cisjordanie et doit être suivi dans les prochains mois par des élections similaires, par étapes, dans le reste des territoires palestiniens.
Le principal enjeu de ces élections est le score qui sera réalisé par le Hamas face au Fatah, le mouvement du défunt dirigeant Yasser Arafat et "parti au pouvoir" de l'Autorité palestinienne.
Plus des 140.000 électeurs doivent départager 886 candidats, dont 139 femmes, qui briguent 306 sièges dans les conseils municipaux des 26 localités. Un quota de deux femmes par conseil municipal a été fixé.
Le Premier ministre palestinien Ahmad Qoreï a voté dans sa localité d'origine, Abou Dis, un faubourg de Jérusalem en Cisjordanie.
Chapka sur la tête et entouré d'une meute de photographes, M. Qoreï a déposé son bulletin de vote dans une urne placée dans "le club de jeunesse d'Abou Dis", l'un des quatre bureaux de vote ouverts dans la localité.
"C'est un premier pas vers la démocratie et l'établissement de notre futur Etat", a-t-il déclaré à la presse après avoir voté.
"Le succès de ces élections nous fournira des indications sur l'élection présidentielle ainsi que sur les législatives prévues à la mi-2005", a-t-il ajouté.
"Ces élections, les premières depuis 1976, se déroulent dans des conditions difficiles. Elles reflètent la voie démocratique que nous avons choisie pour bâtir l'Etat palestinien", a-t-il poursuivi.
M. Qoreï a en outre a salué la participation du Hamas au scrutin.
"Nous accueillons favorablement leur participation aux élections municipales. Ils disent qu'ils veulent participer à la prise de décision et ils sont les bienvenus, que ce soit par les urnes ou par une entente", avec l'Autorité palestinienne, a-t-il ajouté.
Dans un communiqué publié à Ramallah, le chef de l'OLP Mahmoud Abbas, grand favori pour succéder à Arafat à la tête de l'Autorité palestinienne, a appelé les Palestiniens concernées par les municipales à voter en masse.
"Par ces élections vous déterminez votre avenir et vous décidez de la gestion de vos affaires municipales d'une manière démocratique, sans ingérence extérieure et à l'abri des problèmes créés par l'occupation israélienne", a-t-il dit.
Il a qualifié ces élections de "grand défi national et démocratique", car elles se déroulent sous occupation israélienne.
Les 156 bureaux de vote disséminés dans les 26 localités doivent fermer leurs portes à 19H00 (17H00 GMT). Les résultats des élections doivent âtre annoncés officiellement samedi.
Le ministre palestinien de Collectivités locales Jamal Chobaki a estimé dans des déclarations à la presse à Abou Dis que le "taux de participation pourrait atteindre 90%".
Les listes qui s'affrontent regroupent notamment des membres du Fatah, le principal mouvement palestinien, le Hamas, ainsi que d'autres mouvements palestiniens de moindre importance et des indépendants.
A Abou Dis, qui compte 11.000 habitants dont près de la moitié ont le droit de voter, quatre listes regroupant 54 candidats -- du Fatah, du Hamas, du Front populaire de libération de la Palestinien et des indépendants -- briguent les 13 sièges du Conseil municipal.
"J'espère que les gens vont élire les candidats qui sont les plus à même de les servir, sans tenir compte de leur appartenance politique ou clanique", dit Ahmad Abou Hilal, 60 ans, en entrant dans un bureau de vote.
                   
14. L’armée pour débutants par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du dimanche 19 décembre 2004
[traduit de l’hébreu par Michel Ghys]
Dans un système d’enseignement qui transmet à ses élèves une narration elle-même enrôlée et qui tient la préparation au service militaire pour un objectif éducatif, le rattachement d’officiers au corps enseignant n’est que la poursuite de la politique existante.
Maintenant qu’il a fini d’orner toutes les écoles du pays de drapeaux israéliens, le Ministère de l’éducation vient avec une nouvelle initiative, en collaboration avec l’armée : dans les prochaines semaines, des lieutenants colonels seront rattachés à des dizaines d’écoles de l’enseignement moyen dans tout le pays, avec pour objectif « d’accompagner les élèves depuis la 10e jusqu’à la conscription ». Ce qu’inclura précisément ce nouveau service d’accompagnement n’est pas encore clair. S’agit-il de la version juive de la mise en place d’agents des services [israéliens] de la sécurité générale [Shabak] dans les écoles arabes ? Que fera au juste l’officier avec ses élèves : leur inculquera-t-il les valeurs de l’occupation ? Et comment sera établie la chaîne de commandement : le directeur de l’école sera-t-il subordonné à l’officier ou l’inverse ? Où voit-on, ailleurs dans le monde, des officiers de l’armée siéger dans les écoles ?
Pourtant, les 150 enseignants et intellectuels qui ont déjà signé la pétition contre ce projet, font erreur. A l’utilité marginale pour la sécurité d’Israël, qui proviendra du fait que chaque journée où ces officiers traîneront dans les salles de professeurs, ils ne seront pas dans la casbah de Naplouse, s’ajoutera que, comme dans beaucoup d’autres domaines, une situation où la vérité paraît au grand jour est préférable à une situation de dissimulation, de simulation et de refoulement. Il est préférable d’avoir un officier en uniforme dans une école qu’un officier de réserve comme directeur, ainsi qu’il arrive fréquemment. Dans un système d’enseignement qui transmet à ses élèves une narration elle-même enrôlée et qui tient la préparation au service militaire pour un objectif éducatif, comme il est écrit dans une des dernières circulaires de la direction générale, le rattachement d’officiers au corps enseignant n’est que la poursuite de la politique existante.
Et puis aussi, il vaut peut-être mieux exposer précocement la jeunesse à l’armée de défense d’Israël afin de la préparer comme il faut à servir dans l’armée d’occupation. Par le biais de ces officiers qui seront envoyés dans les écoles – bien qu’il faille supposer qu’ils n’appartiendront pas à la crème du corps des officiers qui est évidemment prise par la guerre contre le terrorisme et par l’occupation – la jeunesse sera exposée à l’image de ses futurs chefs. Les jeunes étudiants pourront les entendre parler de quelques unes des opérations de l’armée de défense d’Israël – détruire des maisons, assassiner des personnes recherchées, faire attendre des femmes en couches et empêcher l’accès aux soins médicaux, ‘déblayer’ des terres, encercler, imposer couvre-feu et bouclages – et ainsi sera formée une nouvelle génération d’occupants.
Lorsque la directrice générale du Ministère de l’éducation, Ronit Tirosh, voit dans les officiers de l’armée de défense d’Israël (une armée dont les rapports à la morale sont pourtant problématiques) « des gens qui règnent sur la tradition des valeurs » et comme « experts dans le domaine des valeurs », on peut comprendre à quel point le système de l’enseignement est lui-même atteint par quelque chose de problématique au plan moral. Un système pédagogique qui invite des officiers supérieurs à inculquer des « valeurs » aux élèves est un système dans une mauvaise passe. Ce n’est pas un officier de l’armée israélienne qu’il faut dépêcher dans les écoles mais des intellectuels qui transmettront à la jeunesse des valeurs humaines constituant un contrepoids aux dommages éducatifs, moraux et psychologiques qu’entraîne le service militaire dans les Territoires.
« L’armée doit demeurer dans ses bases », a déclaré à Maariv le professeur Devora Bernstein qui compte parmi les opposants au projet. Sauf que jamais l’armée de défense d’Israël ne s’est contentée de ses bases. Elle est présente, par le biais de ses officiers à la retraite, dans presque tous les domaines de notre vie. Depuis le président de la Seconde Autorité, en passant par le directeur général de l’Association des Pharmaciens, le directeur du Centre Israélien de Management, le président de l’Union des Industriels, le directeur général de l’Union des Entrepreneurs et tant d’autres, y compris, bien évidemment, les chefs de gouvernement et même la plupart des candidats du principal parti de gauche au poste de chef du gouvernement : les positions-clés dans la société israélienne sont occupées par des colonels à la retraite qui apportent avec eux la tradition militaire avec ses conceptions bornées et distordues. Plus que jamais, tout le peuple est une armée. Et maintenant, l’armée de défense d’Israël entrera aussi à l’école.
Pourtant, du point de vue de l’armée israélienne, il s’agit d’une démarche du désespoir. On y a compris apparemment que la composition sociale, principalement dans les unités de terrain, ne cessait de se modifier, en dépit des fréquentes déclarations solennelles du chef d’état-major lors de ses visites au bureau de recrutement, à propos d’une élévation de la motivation chez les recrues. C’est un secret de Polichinelle que la population du Nord de Tel Aviv (par exemple) s’oriente de moins en moins vers les unités de combat et qu’elle y est remplacée par des soldats religieux et provenant de populations économiquement faibles. Le nouveau programme est destiné à lutter contre la baisse de motivation au sein des populations nanties et contre l’augmentation du refus maquillé. Mais peut-être aura-t-il l’effet inverse. Peut-être ce contact préalable avec l’armée de défense d’Israël amènera-t-il justement, chez les jeunes gens, les difficiles questions que tout adolescent, avant la conscription, doit se poser à lui-même comme à son prochain : Où nous envoyez-vous ? Que nous faites-vous ? Pour quoi sommes-nous tués ? Pour quoi tuons-nous ?
                                
15. Votons Barghouti libre par Tommaso De Francesco
in Il Manifesto (quotidien italien) du samedi 18 décembre 2004
[traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio]

(Tommaso De Francesco est co-rédacteur en chef de Il Manifesto.)
Silence sur la Palestine. Pendant que l’acné du leader ukrainien Youschenko parvient aux 5 continents, sur la mort d’Arafat –« viré », marginalisé, effacé- est tombé un silence inexorable. Pendant que, en ce moment-même, les chars d’assaut israéliens continuent à envahir et à tuer dans des exécutions féroces autant que ciblées. Sharon fait dire que 2005 sera l’année du tournant « historique » avec les palestiniens. En attendant il les tue. Dommage que restent les nœuds « géographiques » de son retrait unilatéral pour Gaza seulement et non, n’est-ce-pas, pour la Cisjordanie, où les implantations et la présence militaire sont par contre encouragées. Comment, à la fin, la Palestine, sans continuité territoriale, perdue dans un guêpier de colonies et avant-postes militaires, pourra-t-elle se définir comme « état » ?
Abu Mazen, le leader palestinien et nouveau candidat à la présidence de l’ANP, -salué avec ferveur par Israël et les USA, qui cependant sont prêts à le traiter pire qu’Arafat dès qu’il commencera à dire non- commence à se défier des offres de Sharon (et de Péres). Il sait que dès que le brouillard se dissipera, l’obscurité la plus sombre émergera avec clarté sur les problèmes de fond : le retrait de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, le retour aux frontières de 67, la destruction du Mur qui vole la terre des palestiniens, le retour des réfugiés, Jérusalem-Est comme capitale. Connaissance consciente aussi, chez lui, de la faiblesse actuelle du front palestinien et du Fatah en particulier, par qui il a été désigné et qui pourtant s’était immédiatement réorganisé après la mort d’Arafat. Bien sûr , le boycott du Hamas pèse, mais ce qui pèse surtout c’est  que le crédit d’Abu Mazen était, et reste probablement, égal à celui de Marwan Barghouti, le leader incontesté du mouvement de la deuxième Intifada. Le fait que Barghouti  qui est dans les prisons israéliennes depuis deux ans et demi, ait retiré sa candidature en invitant à « voter et soutenir avec force Abu Mazen » suffit-il à renforcer l’équipe palestinienne ? Non, ça ne peut pas suffire. Il est temps que non seulement, les palestiniens mais nous tous, la gauche qu’on « consulte » et qui a à cœur la paix au Moyen-Orient –que Bush veut démocratiser à coups  de cannons- nous élevions la voix, en demandant la libération de Barghouti. Seul leader à pouvoir renforcer toute table de négociations et qui s’est toujours adressé directement au peuple israélien –même en hébreu. « Je souhaite tout succès à Abou Mazen dans sa mission pour obtenir la libération, le retour des réfugiés, l’indépendance et la démocratie nationale- a dit Barghouti en se retirant- mais dans les négociations il faut maintenir l’option de l’Intifada et de la résistance».
Bien sûr. L’Intifada. Une révolte de masse contre l’arrogance de l’occupation militaire israélienne qui n’a pas hésité à utiliser les F-16 contre les camps de réfugiés ; elle a démarré en octobre 2000 après la promenade de Sharon sur l’esplanade des Mosquées, qui a coûté plus de trois mille morts palestiniens et environ mille israéliens, des milliers de maisons démolies, des plantations entières déracinées pour une terre nettoyée ethniquement à jamais. Ce mouvement ne peut pas être réduit à la séquence honteuse et sanglante des attentas kamikazes contre les civils israéliens. C’était, ça, une dégénérescence contre laquelle Barghouti lui-même s’est élevé plusieurs fois, en revendiquant cependant le droit à la résistance contre l’occupant et ses avant-postes coloniaux. Dans la plus totale solitude palestinienne. Ceux qui ont essayé de se solidariser en arrêtant les scrapers de Sharon avec leur propre corps, ont été écrasés, comme Rachel Corrie. Barghouti est enfermé dans la prison de Bersheva, condamné à 5 réclusions à perpétuité, il « sortira » dans 100 ans. Mais un mouvement d’opinion peut demander sa libération. Tout de suite. Même le président de la république israélienne Katzav est un interlocuteur : il a déclaré être « prêt à discuter de la grâce de Barghouti si on la demande ». En attendant,  silence de mort. Et farce. L’état major israélien fait savoir que pour le 9 janvier, date des élections palestiniennes, l’armée se retirera pendant 72 heures afin de garantir le « vote libre ». Après elle réoccupera.
                                
16. Al-Manar et après ? par Richard Labévière
on Radio France Internationale du mercredi 15 décembre 2004

En décidant elle-même,  hier, de suspendre la diffusion de ses programmes en direction de l'Europe, la chaîne libanaise Al-Manar se soumet à la décision du Conseil d'Etat et recherche une solution négociée avec Paris.
Lundi dernier, la plus haute instance administrative française a rendu une ordonnance prescrivant l'arrêt de la diffusion de la chaîne à qui différents mouvements et associations reprochaient des propos racistes et antisémites. Al-Manar avait pourtant déprogrammé, en août dernier, un feuilleton syrien précisément antisémite qui avait suscité un tollé en France.
Hormis l'Europe et le Moyen-Orient, Al-Manar est diffusé par satellite sur l'Afrique et l'Amérique du nord. En vertu du premier amendement, la chaîne libanaise émet aux Etats-Unis, sans aucune condition posée quant au contenu de ses programmes. Par ailleurs, il existe un moyen encore plus simple de regarder Al-Manar, échappant à toute espèce de contrôle: son site Web, sur lequel est disponible la majorité de ses programmes. C'est dire à quel point l'affaire est symbolique, revêtant désormais une dimension essentiellement politique.
En cherchant l'apaisement, la direction de la chaîne rappelle qu'elle a opté elle-même pour le conventionnement, manifestant sa volonté de se conformer à la législation française. Ce vendredi, le directeur général de la chaîne Mohammad Haïdar et son adjoint seront à Paris pour négocier avec le CSA une sortie de crise. «Sans renoncer à son engagement en faveur de la résistance du peuple palestinien», explique l'avocat d'Al-Manar, «la chaîne se dit prête à faire des efforts pour comprendre et tenir compte de la différence de perception qu'il peut y avoir entre eux et nous». Et la chaîne annonce qu'elle va se doter d'un comité déontologique, chargé d'élaborer un guide pratique du conventionnement à l'usage des salariés afin d'éviter les dérapages.
Certes, Al-Manar n'est pas Disney-Channel
Cette télévision est l'organe d'expression d'une organisation politique, le Hezbollah libanais, qu'il faut, bien évidemment, remettre dans son biotope régional des plus complexes, dans son contexte d'un région en guerre où des mouvements politico-militaires sont confrontés à une des plus puissantes armées du monde. Aussi, et c'est une évidence dans l'Orient compliqué, il n'est pas toujours si simple de dire le droit.
Mais l'affaire est également révélatrice d'une évolution significative de la société française où les communautés, sinon les communautarismes pèsent de plus en plus à travers des relais associatifs et autres outils d'influence drainant de plus en plus d'argent, afin d'influencer les choix des pouvoirs publics. En la matière, l'affaire Al-Manar fera jurisprudence.
Et, il est désormais nécessaire de voir appliquer la même rigueur à l'encontre des autres médias communautaires et communautaristes - radios, télévisions et sites internet -, notamment ceux qui continuent, en toute impunité, de cultiver l'arabophobie et la démonisation, sinon la criminalisation de la résistance palestinienne.
                                   
17. Convoi sans convoyeurs par Héba Nasreddine
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 15 décembre 2004

Aide humanitaire . Les gardes-frontières égyptiens ont empêché la délégation composée de plus de 300 personnes, dont 60 Européens, accompagnant le convoi du Comité populaire de soutien à l’Intifada, d’atteindre la ville de Rafah.
Nord-Sinaï, de notre envoyée spéciale - C’est devant l’Ordre des avocats, au Caire, que les membres du convoi s’étaient donné rendez-vous vendredi 10 décembre. Dès six heures du matin, les militants ont afflué. Parmi eux, des membres du Comité populaire de soutien à l’Intifada, des représentants des organisations de défense des droits de l’homme et des différents partis politiques de même que de la confrérie interdite mais tolérée des Frères musulmans. Des personnalités du monde de la culture et des arts ont été également présentes. L’écrivain Fathiya Al-Assal, l’acteur Mohamad Nagui, le poète Mohamad Hégazi, le scénariste et le musicien et chanteur Mohamad Ezzat. Des membres d’associations françaises, grecques, italiennes, britanniques, irlandaises, suisses, tunisiennes, autrichiennes, allemandes, turques et espagnoles ont aussi fait le déplacement en Egypte. Destination du convoi : Rafah, à la frontière égypto-palestinienne, pour délivrer des vivres et des couvertures aux Palestiniens. « L’Intifada palestinienne entre dans sa cinquième année et le peuple palestinien est plongé dans la souffrance. Les assassinats de Palestiniens et la destruction des maisons se poursuivent. Je suis venu aujourd’hui pour participer à une action en solidarité avec le peuple palestinien et exprimer ma colère et mon indignation face à la politique sanguinaire de Sharon », annonce Pissias Gaugelos, professeur à l’Université d’Athènes.
Le convoi est à quelques minutes du départ. Tandis que les organisateurs sont occupés à compter les passagers des cinq autobus qui forment le cortège, des militants se mettent à coller sur les flancs des autobus des banderoles sur lesquelles on peut lire : « A bas le sionisme ! » et « La Palestine est arabe ! ».
7h du matin, tout est prêt. Les cinq autobus du convoi se mettent en route pour Rafah, suivis de près par un véhicule de la sécurité centrale. A bord des véhicules, on discute, on fait connaissance et on récite des poèmes sur la résistance palestinienne. Les cinq véhicules égrènent les kilomètres au rythme des chansons patriotiques de cheikh Imam, chanteur très populaire parmi les intellectuels de gauche. Chawqi Zidane est un avocat égyptien. La quarantaine, farouche militant communiste, il est venu manifester son soutien au peuple palestinien. « Si nous ne faisons rien, la situation actuelle ne changera jamais. Après 1973, les Etats-Unis et Israël ont imposé leur hégémonie sur tout le Proche-Orient », affirme-t-il. Tout comme la plupart des militants de gauche, il ne croit pas que dans les conditions actuelles, la paix puisse régner dans la région. Tandis qu’une vidéo diffuse des images de massacres de civils et d’enfants palestiniens, une pétition sur la rupture des relations avec Israël est organisée à l’intérieur des cinq bus du convoi.
A 10h du matin, le convoi s’arrête à Qantara-Charq, après Ismaïliya, à 380 kilomètres du Caire. Il est rejoint par six camions transportant des vivres et des couvertures. « Dans ces camions, il y a 180 tonnes de riz, 170 tonnes de farine ainsi que 6 500 couvertures collectées de la population égyptienne, d’une valeur totale de 800 000 L.E. », affirme Mohamad Agati, membre du comité, en surveillant des yeux de jeunes militants en train de coller sur les camions des drapeaux palestiniens. Une demi-heure après, le convoi accompagné d’un autre autobus et de deux minibus transportant une soixantaine de membres du comité venus du Delta redémarre, toujours sous escorte policière.
Mais à mi-chemin, les problèmes commencent. Arrivé à 150 kilomètres d’Al-Arich, le convoi est arrêté par les gardes-frontières. Après avoir minutieusement fouillé les camions et photocopié cartes grises et permis de conduire, ils autorisent les camions à continuer vers Rafah. Mais les membres du convoi devront rester sur place. Leurs papiers ont été confisqués. Ils ne les récupéreront que lorsqu’ils reviendront au Caire. Face à ce « blocage », plusieurs personnes descendent pour négocier avec la sécurité. Vêtue de noir et tenant à la main un drapeau palestinien, Fathiya Al-Assal surgit en hurlant : « Nous avons une autorisation de la police pour nous rendre à Rafah et livrer cette cargaison. Laissez-nous passer ! ». Mais la réponse de la sécurité fait monter le tension. « Il est interdit de passer Madame », assurent les officiers. Des membres étrangers du convoi tentent de poursuivre les négociations pour convaincre la sécurité de leur délivrer un droit de passage. « Nous avons réussi à obtenir l’autorisation des autorités israéliennes pour le passage du convoi en Palestine. Et, vous, les Arabes, vous nous interdisez l’accès à Rafah. C’est insensé. Laissez-nous passer ! », hurle Robin Horseman, président du groupe britannique. Mais la sécurité est intraitable. Elle craint que le passage du convoi ne perturbe la sécurité à Al-Arich et à Rafah, où 3 officiers égyptiens ont été récemment tués par des tirs israéliens. Par ailleurs, et suite aux attentats de Taba, 3 500 personnes ont été arrêtées à Al-Arich et les habitants de cette ville, sur des charbons ardents, pourraient saisir l’occasion pour se révolter.
« Nous sacrifions notre sang et notre âme pour toi, Palestine » 
Outrés par l’attitude des forces de l’ordre, les membres de la délégation se rebellent. « La police ne veut pas nous laisser passer pour rejoindre le convoi », crie Mohamad Agati. Il appelle ses compagnons à marcher dans le désert et chanter pour la Palestine. Répondant à son appel, les 400 membres du convoi descendent de leur autobus. Les drapeaux à la main, les membres de la délégation se mettent à chanter à haute voix. « Non à la normalisation ! », « Nous sacrifions notre sang et notre âme pour toi, Palestine ! », scandent les manifestants, qui portent des pancartes en arabe, en français et en anglais.
Après une heure de manifestation, les Frères musulmans lancent l’appel à la prière du vendredi. Sur la route, une centaine de personnes, hommes et femmes, prient Dieu de « sauver le peuple palestinien et de mettre fin à l’hégémonie américaine au Proche-Orient ». Quelques instants plus tard, ils apprennent que la police a arrêté les six membres du Comité de soutien à l’Intifada à Al-Arich qui devaient les accueillir. La tension monte à nouveau. Un groupe décide de bloquer le passage des véhicules au poste-frontière. « Nous ne bougerons pas d’ici », crient-ils. D’autres membres du convoi commencent alors à lancer des slogans hostiles à la sécurité. D’autres se mettent à hurler : « Nous ne nous laisserons pas faire ! » et appellent à reprendre le trajet à pied jusqu’à Al-Arich. Mais soudain, comme tombés du ciel, plusieurs centaines d’agents de sécurité font leur apparition. Ils s’alignent de manière à faire barrage aux membres du convoi. Des altercations ont lieu. Des coups de gourdins partent ici et là et la scène se transforme en véritable champ de bataille. Une Britannique et une Egyptienne perdent connaissance. Un membre du comité de soutien est atteint d’un malaise cardiaque. Des hurlements se font entendre. Un journaliste d’Al-Jazeera se voit confisquer sa caméra. « C’est vraiment désolant. Le monde arabe a besoin de plus de démocratie, plus de liberté d’expression. Les Israéliens peuvent dormir tranquilles », déclare Alima Boumediene, sénatrice française.
14h. La bagarre s’est calmée, mais les esprits restent échaudés. « Si on ne nous laisse pas aller à Rafah, nous allons camper ici jusqu’à demain », lance Racha Azab, membre du comité. Cette proposition est accueillie par les applaudissements, que certains tempèrent : « Ça suffit pour aujourd’hui. Nous avons pris des photos. Nous allons leur faire un scandale médiatique », hurle Fathiya Al-Assal. Plusieurs jeunes décident néanmoins de rester. « Vous voyez que nous sommes en nombre limité et que nous n’avons pas la capacité d’affronter des policiers. Rentrons au Caire maintenant pour participer demain à une manifestation qui seorganisée devant le palais de justice. Nous dénoncerons l’interdiction qui nous a été faite de nous rendre à Rafah », leur est-il proposé. L’enthousiasme affiché par les membres du comité commence à s’estomper. Le convoi décide finalement de faire demi-tour et de repartir vers Le Caire. L’amertume se lit sur les visages. « Nous n’avons pas le droit d’aller combattre auprès de nos frères dans les territoires occupés, ni même de leur exprimer notre soutien. On nous interdit toujours de passer et c’est toujours pour des raisons de sécurité. Nos dirigeants sont devenus des marionnettes », déplore le jeune poète Mohamad Hégazi.
                               
18. Ballet diplomatique par Cherif Ouazani
in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 12 décembre 2004

La période de deuil n'est pas achevée que la nouvelle direction palestinienne solde les comptes de l'ère Arafat : « nettoyage » des services de sécurité à Gaza - qui, au mieux, se disputaient les quelques prérogatives et compétences que voulait bien leur laisser l'occupant, au pire, se livraient à des exactions -, dissolution des unités spéciales, réorganisation de la chaîne de commandement... Le type même de réformes auxquelles le défunt était opposé.
En dehors des territoires occupés, cette nouvelle direction, incarnée par Mahmoud Abbas, successeur de Yasser Arafat à la tête de l'OLP, en attendant mieux, et par Ahmed Qoreï, le Premier ministre, se prévaut donc d'un droit d'inventaire par rapport au disparu. Le couple Abbas-Qoreï s'est rendu, le 6 décembre, à Damas, qui boudait Arafat depuis 1986, bien avant qu'il n'ait l'outrecuidance de signer, en 1993, sans se concerter avec le grand frère syrien, les accords d'Oslo.
« Nous avons atteint, lors de notre visite en Syrie, tous les objectifs que nous nous étions fixés », a affirmé Abbas à l'issue de son séjour damascène. Les objectifs ? Une réconciliation durable avec le dernier régime baasiste au monde et un dialogue avec les chefs des mouvements palestiniens en exil. La rencontre avec Khaled Mechaal, chef du bureau politique du Hamas, s'est révélée moins délicate que prévu. Il est vrai que le rejet de l'élection présidentielle du 9 janvier par le mouvement islamiste est surtout de pure forme. Pas de boycottage actif donc, ni d'opérations susceptibles de mettre en danger le processus électoral. Autrement dit, pas de provocation. Une trêve ? Le Hamas répond à sa manière : « Nous nous contenterons d'un État palestinien sur la bande de Gaza et la Cisjordanie. » Pragmatisme chez les radicaux ? Acceptation, à tout le moins, d'une solution négociée, thème de campagne du candidat Mahmoud Abbas.
Le couple Abbas-Qoreï s'est ensuite rendu à Beyrouth, la seule capitale arabe, outre Mogadiscio, qui n'abrite pas de représentation officielle palestinienne. Le Liban compte pourtant sur son territoire quelque 350 000 réfugiés palestiniens. Les retrouvailles étaient en tout cas empreintes d'une chaleur tout orientale : accolades et chapelet, primauté de la réconciliation sur les sujets qui fâchent (comme le nombre élevé de milices armées dans les camps de réfugiés).
Mahmoud Abbas en a profité pour faire campagne, même si les réfugiés palestiniens au Liban ne jouissent pas du statut d'électeur. « Jamais nous ne renoncerons au droit au retour », a-t-il réaffirmé au cours d'un meeting devant plus de cinq mille Palestiniens. Une manière de couper l'herbe sous le pied à Marwane Barghouti, son principal rival à la présidentielle du 9 janvier. Une façon aussi de rassurer les Libanais, qui redoutent par-dessus tout l'installation définitive dans le pays du Cèdre des réfugiés palestiniens.
Abbas et Qoreï ne comptent pas s'arrêter là. Ils s'apprêtent à effectuer une tournée dans le Golfe. Koweït et Riyad devraient être leurs prochaines étapes. Ils espèrent convaincre leurs interlocuteurs d'oublier les querelles du passé et de mettre la main à la poche pour contribuer au financement du scrutin et à la reconstruction de la Palestine (4 milliards de dollars au bas mot, selon Nabil Chaath, chef de la diplomatie de l'Autorité). Les Al Sabbah, dynastie régnante au Koweït, semblent prêts à absoudre la direction de l'OLP, qui avait soutenu l'invasion de l'émirat par les troupes de Saddam Hussein, le 2 août 1990. Les Al Saoud, eux, donneront sans hésitation leur bénédiction au ticket Abbas-Qoreï.
À ce jour, les États-Unis ont d'ores et déjà décaissé 20 millions de dollars pour les opérations de vote. Quant à l'Union européenne, elle a promis de tout faire pour que les élections soient un succès. Une promesse réitérée par l'Allemand Joschka Fischer, le Britannique Jack Straw et l'Espagnol Miguel Angel Moratinos, à l'occasion de leur passage à Ramallah.
La nouvelle direction palestinienne emprunte également les relais de la diplomatie parallèle. C'est ainsi que Djibril Rajoub, ancien patron de la sécurité préventive en Cisjordanie et qui fait un retour remarqué sur le devant de la scène, aurait rencontré, à Londres, Omri Sharon, fils du Premier ministre israélien, pour étudier les modalités de l'organisation du scrutin et du redéploiement de Tsahal dans les Territoires. D'autres réunions ont regroupé Israéliens et Palestiniens sur le même thème. Cependant, les engagements pris le 8 décembre par l'État hébreu ont fait long feu. Le 9 décembre, un drone israélien a lancé un missile sur un véhicule circulant à Gaza. Bilan : trois militants palestiniens gravement blessés. Si ce n'est pas de la provocation, cela y ressemble...
                   
19. Le dernier sondage du SIS : Abou Mazen remporte 53,4 des votes
Dépêche du Centre de Presse Internationale (Palestine) du samedi 11 décembre 2004
GAZA - Le nouvel sondage d'opinion publié par le State Information Service (SIS), montre que Mahmoud Abbas, le président de l'Organisation de Libération de la Palestine, qui participe comme principal candidat du Fatah dans les élections présidentielles, a gagné 53,3% de soufrages de ceux questionnés par le SIS. Le troisième de ce type, effectué entre 7 et 8 décembre, 2004, le sondage indique que les autres candidats ont gagné des différents pourcentages. Le nombre de ces questionnés par SIS est de 2 762, au-dessus de 18 ans, dont 1 064 dans la bande de Gaza et 1 698 en Cisjordanie et dans le Jérusalem-est. Les pourcentages des autres candidats se présentent de cette manière : Marwan Barghouti 18,8%, Mustafa Barghouti 8,9%, Abdelsatar Qasem, 2%, Tayseer Khaled 1,1%, Hassan Khraisha, 1%, Bassam Alsahi 0,8%, Abdul Karim Shbair, 0,2%, Alsayed Baraka,0,4%, Abdulkarim Shbair, 0,2%, alors que 13,3% de ceux questionnés étaient indécis.
80,2% des participants à l'échantillon ont exprimé leur bonne volonté de voter le 9 janvier, alors que 12,6 ont décliné et 7,2% étaient indécis.
Dans la bande de Gaza, par exemple, 81,9% étaient prêts à voter, 11,7% ne voulaient pas voter et 6,4 étaient indécis, comparé à la Cisjordanie, où 79,1 ont montré leur désir de voter, 13,1 disaient que non, et 7,8 étaient indécis. Le peuple palestinien dans la bande de Gaza, Cisjordanie et le Jérusalem d'est, va choisir le 9 janvier, 2005, leur nouveau président, après le décès d'Yasser Arafat, le Président de l'Autorité Nationale, le 11 novembre 2004.
                     
20. Frappez à la porte par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 10 décembre 2004

[traduit de l’hébreu par Michel Ghys]
200 nouveaux sans-abri en un jour
En un jour de la semaine passée, Israël a fait encore d’environ 200 personnes des sans-abri, jetés à la rue. Les nouveaux sans-abri ont été abandonnés à leur sort sans que personne ne les écoute ou s’intéresse à leur devenir. Lorsqu’il s’agit de Palestiniens et de Bédouins, déracinement et destructions de maisons ne font pas une histoire. Avec eux, personne ne parle, personne ne discute ; il n’y a aucun débat public sur les évacuations ; d’indemnités, bien sûr, ils peuvent seulement rêver ; de soutien psychologique, on peut seulement fantasmer. Eux n’ont pas de traumatismes – qui sont-ils d’ailleurs ? – et leur expulsion n’est pas un déracinement. Les maisons qu’ils ont bâties sur leurs terres privées sont parfaitement « illégales » et pour elles il n’y a qu’une Loi dans un Etat de droit. Autour d’eux, tout est légal et casher au plus haut degré : les avant-postes et les colonies, les postes d’observation et les saisies, les expropriations et les expulsions, le vols des terres et le pillage des olives – et seul le petit nombre misérable de leurs baraques et de leurs maisons est « illégal ».
La Loi et l’Ordre doivent veiller. Alors, lundi de la semaine passée, les bulldozers sont montés à l’assaut de dizaines de maisons et de baraques illégales à Anata et les ont rasées. Pour ce méprisable travail, il n’y a pas de refuzniks : les garde-frontières et la police, dirigés par Zohar, de l’administration civile – c’est comme ça qu’il est connu parmi les habitants – en compagnie d’un groupe de travailleurs étrangers d’Afrique, ont exécuté le travail sans scrupule et sans faire de taches. Les rabbins ne formulent pas de décret rabbinique, leurs étudiants ne lèvent pas les yeux au ciel, les hommes de Zohar vont dormir tranquilles à la fin de leur journée de labeur. Ici, on détruit, on déracine, on dévaste, et voilà tout. Environ 200 habitants, dont une majorité d’enfants, se retrouvent, terrassés, parmi les décombres, sans « Administration chargée de l’Evacuation » et sans indemnisation, sans protestation et sans manifestations d’opposition, seulement avec la perte de leurs biens et la destruction de leur vie. Ils n’ont nulle part où aller. Pour une partie d’entre eux, c’est déjà la troisième expulsion et destruction dans leur vie.
Mais ils ne sont pas seuls. D’après les chiffres de B’Tselem, au cours des quatre dernières années, Israël a détruit plus de 4100 maisons, privant d’abri 17 000 enfants dont les maisons ont été détruites pour « dégager » le terrain, comme « punition », ou en tant que « construction illégale ». Dans les Territoires occupés, tout prétexte est bon pour détruire la maison d’un non-Juif. On a la gâchette facile, et la commande du bulldozer aussi.
Des tours de guet verdâtres, comme les tours d’une forteresse au temps des croisés, s’élèvent au dessus de la nouvelle maison d’arrêt stylisée de Jérusalem sur la colline face à Anata. Le camp des Russes, Moskobiya, la terreur des Palestiniens, est maintenant ici. Les chiens de garde ne cessent d’aboyer. Dorénavant, les prisonniers palestiniens seront interrogés et torturés sur cette haute colline. Sur la colline proche, de lourds camions déchargent encore et encore des monticules de terre. On dit que l’armée israélienne construit là un nouveau terrain d’entraînement. Il y a ici place pour tout : pour la nouvelle maison d’arrêt de la police, pour le nouveau champ de tir de l’armée israélienne, pour le mur de séparation qui arrivera bientôt ici, pour les immeubles à appartements de la méga-colonie de Maaleh-Adoumim et pour la nouvelle route en train de déchirer la vallée et qui est destinée relier la colline française au camp d’Anatot, une affaire vitale comme il n’en est pas deux. La place ne manque que pour la famille Kaboua.
Les tours d’ivoire de l’Université Hébraïque sur la Colline des Guetteurs (Har HaTsofim), guettent, silencieuses, selon leur habitude, ce qui se déroule au pied du campus. L’œil de qui parmi les professeurs a aperçu les décombres qui se sont amoncelés sous leur nez, la semaine dernière ? Y a-t-il un étudiant quelconque qui ait prêté attention aux dizaines de baraques qui ont été écrasées en son nom ?
Un four se trouve là comme un tison sauvé des décombres. Une boîte à conserve de petits maquereaux à l’huile végétale traîne par terre, la fourchette encore fichée dans la chair du poisson, témoignage préservé que jusqu’à la semaine passée, il y avait de la vie, ici. La date de péremption des maquereaux est encore éloignée : 17.01.07, mais leur temps est passé. Un haut-parleur Sony, un matelas crevé, une machine à lessiver renversée, débris de vies. Seuls les tiges métalliques qui pointent parmi les décombres implorent le ciel.
Omar Kaboua, 19 ans, est le fils d’une nouvelle famille de sans-abri. Son père, Bédouin, citoyen israélien, est arrivé ici, de Beer Sheva, au début des années 80, à la recherche de travail. Il en a trouvé ici comme gardien et s’est construit une maison en 1995 sur une terre privée qu’il s’était achetée. Toutes ses tentatives pour obtenir un permis de bâtir avant que la maison ne soit construite ont échoué, comme d’habitude ici. 21 personnes vivaient dans cette maison : le père, ses trois filles et leurs enfants, dans quatre appartements de la maison en pierre à deux niveaux qu’ils avaient bâtie. Tout a été maintenant foulé aux pieds.
Lundi de la semaine passée, les démolisseurs sont arrivés le matin à neuf heures moins le quart. Presque tout le monde était à la maison, jusqu’au petit dernier, âgé de deux mois. Ils ont vu les jeeps et les bulldozers, sous les ordres de Zohar, de l’administration civile de Beit El, monter de la vallée, et ils se sont empressés de rappeler de l’école tous les enfants. Des travailleurs noirs ont commencé à enlever les armoires et alors, les bulldozers sont entrés en action. Le réfrigérateur aussi, ils l’ont sorti. Tenez, il est ici. Après deux heures et demie, ils avaient achevé leur saint ouvrage. Sur tout, raconte Kabouah, ils sont venus, ils ont détruit, ils sont repartis. Maintenant, ils habitent dans des baraques, en haut. Mais où habiteront-ils ? « Où irons-nous ? C’est notre terre. »
La première femme, Sabha Kaboua, première épouse du chef de la maison, surgit elle aussi. A 40 ans, elle ne se rappelle pas le nombre de ses enfants. Omar dit qu’il y en a dix : huit encore à la maison et deux qui sont mariés. « On avait économisé chaque shekel. On ne s’habillait pas bien et on ne mangeait pas bien, pour pouvoir bâtir cette maison. Zohar arrive et en deux secondes, il efface notre avenir. » La maison de sa sœur, on l’a détruite il y a six mois et ils l’ont déjà reconstruite, abri temporaire pour la journée. La nuit, elle la passe dans une cabane, en haut. Son mari est allé à Beer Sheva, une des autres épouses a trouvé refuge chez ses parents, elle ne sait pas où, et l’autre habite avec elle dans la cabane. « Dieu aidera. Si nous étions des terroristes, peut-être qu’ils ne nous feraient pas ça. Nous ne sommes pas le Hamas, ni le Fatah. Nous sommes des Bédouins. Ils savent que nous sommes Bédouins, alors pourquoi nous ont-ils fait ça ? Où vont-ils nous envoyer ? Chez Abdallah qui nous jettera dans le Jourdain ? Chez Moubarak qui nous jettera dans le Nil ? ». Kaboua se tait.
Un toboggan rose pour enfants se dresse, tout entier, au cœur des décombres de la maison suivante sur le parcours des destructions. A la balançoire non plus, on n’a pas touché. Dans les rues d’Anata partagé en deux, une partie sur le territoire de Jérusalem Est occupé et une partie en Cisjordanie occupée, les décombres s’amoncellent. Là une maison détruite il y a quatre mois, celle-ci il y a six mois. Dans les rues ravagées, les ordures traînent, que personne n’évacue d’ici. La file s’allonge à l’entrée de la bourgade, au barrage qui la boucle nuit et jour. Ici, dans ce lieu saint, a vécu jadis le prophète Jérémie.
Les démolisseurs sont passés de la maison de la famille Kaboua à la maison suivante, dans la pente. La propriétaire de la maison, Hoda Dandis, sort de la maison des voisins, un bébé d’un an et demi dans les bras, Rassan, et un petit enfant qui se traîne derrière elle, agrippé à sa robe, Ramadan, trois ans et demi. A tout jamais, ces enfants emporteront avec eux le souvenir de la destruction de la maison de leur enfance. Agée de 28 ans, Dandis a appris l’hébreu à l’école. Six enfants. Son mari est chauffeur dans la société d’électricité de Jérusalem Est. La maison a été construite il y a 13 ans. Ils se sont réveillés lundi matin à six heures en entendant déjà le bruit de la troupe de démolition. Un bulldozer et trois autres engins, accompagnés de nombreuses jeeps de la police des frontières et de la police. La troupe a progressé vers le haut, passant devant leur maison et Dandis était persuadée qu’elle allait vers une autre maison. Mais après avoir achevé de démolir la maison des Kaboua, ils sont descendus vers la sienne.
Dandis a décidé de se barricader dans sa maison. Elle a envoyé ses enfants et son mari dehors et n’a pas été d’accord d’évacuer elle-même. Mouvement contre le désengagement. Les policiers lui ont dit par la fenêtre : « Faites comme vous voulez, nous, on démolit. » Parce que son père malade, alerté, est accouru, elle s’est inquiétée pour sa santé et est finalement sortie. Comme sanction, on ne l’a presque rien autorisée à sortir de la maison. Elle n’a eu le temps de sauver que la nouvelle machine à lessiver qu’ils avaient achetée, qui était encore dans son emballage en carton, et le réfrigérateur. Mais la chambre à coucher, elle n’a pas eu le temps de la sauver.
Elle a passé trois nuits à la belle étoile avec ses enfants, refusant d’aller chez les voisins. « Je ne voulais tomber sur personne, m’imposer à personne. Je veux être maîtresse de moi-même. Et si je suis l’hôte de quelqu'un pour quelques jours, qu’est-ce qu’il en sera après ? Je retournerai à la rue ? » Finalement, le froid l’y a fait consentir et elle est allée dans une maison qui lui a été offerte pour un mois. En journée, elle reste dans la tente blanche que la Croix Rouge Internationale a installée et la nuit, elle la passe dans la maison provisoire.
On retire des planches et on pénètre sur le terrain de la maison détruite. C’était une maison de plain pied, le rêve israélien absolu. Le petit coin ornemental et de jeux qu’ils ont construit ici pour les enfants est merveilleusement soigné. Une petite pelouse, un toboggan et une balançoire, des arbres fruitiers, presque toutes les sept espèces, une rangée de petits cyprès, et les deux chiens de la maison, attachés. Le husky aboie de désespoir. Il est attaché par une chaîne métallique au volant d’une carcasse de voiture, les yeux étincelants de colère, l’un bleu clair, l’autre vert, comme des yeux de husky. Depuis que la maison est détruite, il reste ici, attaché au volant. La tente de la Croix Rouge est à l’ombre du figuier. L’aspect de la chambre à coucher jetée de côté, derniers débris du lit de mariage. Le carton de la nouvelle machine à lessiver traîne sur le côté. La maison voisine dont le propriétaire est en prison pour atteintes à la sécurité, n’a pas été détruite, elle. Parmi les décombres, je trouve un vieux masque à gaz. Dandis dit qu’ils ne reconstruiront pas leur maison.
« Vous avez des jacuzzis et nous, on a ça ». Na’al Amrin, un jeune homme rieur, célibataire de 27 ans, explore avec nous l’énorme site des destructions qui ont frappé des membres de sa tribu et d’autres tribus et il pointe le doigt vers une misérable cabine de toilettes restée en place. Par ici habitaient et habitent 158 membres des familles Amrin, Jahalin et Tabana, dont une majorité de petits enfants. Quand l’administration civile a eu terminé de démolir les maisons de pierre en haut, les hommes de la troupe de Zohar se sont tournés vers cette zone de tentes et de baraques au pied de la nouvelle maison d’arrêt, et ont détruit pas moins de 95 cabanes en toile, baraques, bâtiments d’habitation et enclos. Le tout en un jour, avec une efficacité qui suscite l’admiration.
Les traces des bulldozers sont encore marquées dans le sol. « Pourquoi viennent-ils toujours en hiver ? », demande Amrin. Lui et les membres de sa tribu ont l’habitude des destructions et des expulsions. En 1948, ils ont été chassés du Néguev. Il y a une dizaine d’années, ils ont été chassés du terrain sur lequel la base militaire d’Anatot a été construite et maintenant, on a parlé de les chasser d’ici aussi. « Il n’y a plus nulle part où aller », dit Amrin, sèchement, « Tout le temps, on nous dit : bougez-vous un peu plus loin. Quand ils sont venus lundi, ils nous ont dit : allez en Jordanie ou en Arabie Saoudite. » Sur la porte d’une baraque à moitié détruite, un autocollant du Seigneur des Anneaux, et un autocollant des Soldats de l’Anarchie sur la table en formica où sont servies des pitas sorties du four, des olives amères et de l’huile d’olive de la récolte de l’année. Tout autour : Maaleh Adoumim et la maison d’arrêt.
Il était déjà deux heures de l’après-midi : le temps pressait les démolisseurs. « Vous avez cinq minutes pour tout évacuer. Pas six minutes, seulement cinq. », a-t-on dit aux Bédouins consternés. Cinq minutes de remue-ménage : les Bédouins se sont dépêchés de sauver tout ce qu’il était possible de sauver en cinq minutes. Du gaz lacrymogène a été lancé pour plus de sécurité : en voilà, éparpillées par terre, les cartouches de la police israélienne. Les hommes de Zohar ont menacé de revenir le lendemain pour démolir ce que les Bédouins auraient reconstruit mais ils n’ont jusqu’à présent pas mis leurs menaces à exécution et la ville de tentes est déjà partiellement reconstituée. Lorsqu’une femme d’ici doit accoucher, il faut l’emmener d’urgence à l’hôpital de Ramallah, une affaire d’une heure et demie, les bons jours, avec des barrages accueillants. La route vers Augusta Victoria, un hôpital de Jérusalem visible juste là haut, leur est fermée. « Dieu les mettra en morceaux comme ils nous ont mis en morceaux », dit un homme âgé, Hussein Amrin, père de Na’al, qui se souvient de la première expulsion, du Néguev, et de la seconde, d’Anatot. La porte-parole de l’administration civile, Talia Somekh, s’est contentée d’une réponse brève à propos de toutes ces destructions : « Il s’agit de constructions bâties sans permis légal et contraires à la Loi, c’est pourquoi elles ont été détruites ».
Un marchand de ferraille annonce sa venue dans un haut-parleur rauque. Maintenant, il a ici beaucoup de marchandise, restes d’enclos et de maisons, y compris les étuis en aluminium des « cartouches de gaz à fragmentation. Police d’Israël. A employer dans les cinq ans à compter de la date de fabrication ».
                       
21. Nouveau couac dans les relations israélo-françaises
Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 10 décembre 2004, 13h54

Les propos de l'ambassadeur de France en Israël Gérard Araud, selon lesquels les Israéliens étaient atteints d'une "névrose anti-française", ont provoqué un couac dans les relations souvent tumultueuses entre les deux pays.
"Il y a une sorte de névrose dans ce pays. Une névrose anti-française. C'est très clair", a déclaré jeudi M. Araud à la radio militaire israélienne.
Le chef du parti travailliste israélien Shimon Peres a cependant minimisé l'affaire soulignant la nécessité de reprendre le dialogue pour éviter des frictions inutiles. "Je ne suis pas un expert en psychologie mais je peux dire que je n'ai pas de problème avec la France" a-t-il ajouté à des journalistes.
"Il y a eu des hauts, parfois très hauts et des bas parfois très bas dans les relations et j'aspire à remonter le pente", a souligné M. Peres qui devrait rejoindre prochainement le gouvernement d'Ariel Sharon.
Les médias israéliens traitaient plutôt l'affaire avec ironie. "Sacrebleu", titre ainsi en français le quotidien en langue anglaise Jérusalem Post, et d'ajouter: "maintenant le représentant de Paris affirme que nous détestons les Français".
L'ambassadeur "n'arrive pas à décider s'il doit nous verser des cuillerées de café de sucre ou des cuillerées de soupe de vinaigre", écrit le journal en référence à une interview que lui avait accordée M. Araud et dans laquelle il estimait qu'Israël s'efforce de "faire preuve de retenue" face à l'Intifada.
Le quotidien populaire Maariv titre "La France contre Yaztpan", un humoriste israélien dénoncé nommément par l'ambassadeur pour ces attaques au vitriol contre la France et les Français, et accuse M. Araud d'avoir "oublié les règles de la politesse diplomatique".
Le quotidien à grand tirage Yediot Aharonot met l'accent sur la visite prévue la semaine prochaine de l'ancien ministre français Nicolas Sarkozy, le chef de l'Union pour un mouvement populaire (UMP), le principal parti de la droite française.
Le journal annonce qu'Israël déroulera le "tapis rouge" pour M. Sarkozy, qui participera le 14 décembre à la conférence annuelle de Herzlya près de Tel-Aviv et sera reçu par les principaux responsables israéliens, selon une source officielle.
Un commentateur de la radio militaire israélienne a réagi sans acrimonie aux propos de l'ambassadeur.
"Au lieu de parler de névrose, l'ambassadeur aurait mieux fait de parler de schizophrénie, puisque les Israéliens censés détester les Français adorent se rendre en France, seconde destination préférée de par le monde monde par les touristes israéliens", a-t-il relevé avec humour.
En dépit des relations aigres-douces entre Israël et la France, Paris reste aux yeux des Israéliens, et encore plus des Israéliennes, la "ville la plus romantique" du monde, selon un sondage publié en juillet. Paris devance dans l'ordre des préférences Venise, Prague, et de très loin New York.
Néanmoins selon le sondage effectué auprès de la population juive en Israël quelques mois plus tôt, 57% des personnes interrogées disaient éprouver de l'antipathie envers la France contre 25% qui éprouvent de la sympathie.
Le ministère israélien des Affaires étrangères a jugé dans un communiqué jeudi les propos de l'ambassadeur "inacceptables" et "ne contribuant pas aux efforts de la France et d'Israël pour améliorer leurs relations".
Mais un porte-parole du ministère, Yigal Palmor, a estimé qu'ils "n'affecteraient pas les relations entre les deux pays" et en particulier la visite de M. Sarkozy.
L'ambassadeur d'Israël à Paris, Nissim Zvili, a déclaré comprendre la "colère" de M. Araud. "Je pense qu'il est très proche de la vérité. Je pense qu'il existe une sensibilité exacerbée en Israël envers l'attitude française, ainsi qu'en France envers le comportement israélien".
                           
22. Hans Blix : réformer l'ONU après la guerre d'Irak
in Voltaire du jeudi 9 décembre 2004
["Voltaire" est un magazine quotidien d'analyses internationales publié par le Réseau Voltaire. Recevez chaque jour le magazine en PDF dans votre boîte à lettres électronique, et accédez à tous les articles du site (les articles de moins de trois mois sont réservés aux abonnés). Renseignements : http://www.reseauvoltaire.net/abonnement.php]
(Version française : Réseau Voltaire - Cette leçon magistrale, reproduite avec l'aimable autorisation de l'université de Cambridge, a été prononcée par le Dr Hans Blix au Hersch Lauterpacht Memorial de Cambridge, le mercredi 24 novembre 2004. Hans Blix analyse les motivations juridiques de la guerre d'Irak et leurs conséquences en droit. L'ancien directeur des inspecteurs de l'ONU récuse point par point les argumentaires britannique et états-unien. S'appuyant sur le récent rapport des seize sages, il plaide pour une réforme de l'ONU qui élargisse la représentativité du Conseil de sécurité pour prévenir la reproduction de ces abus. Hans Blix est Président de la Commission sur les armes de destruction massive (WMDC) ; ancien président exécutif de la commission de surveillance, de vérification et d'inspection des Nations-Unies en Irak (UNMOVIC) ; directeur-général émérité de l'Agence internationale de l'énergie (IAEA) il a publié "Irak, les armes introuvables" aux éditions Fayard - 456 pages - 22 euros - ISBN : 2213618305.)
Dans ma première leçon magistrale, j'ai parlé de la manière dont a évolué, particulièrement durant les 150 dernières années, l'attitude du monde au sujet du recours à la force entre les États. Dans cette troisième leçon, je vais me concentrer sur l'attitude radicalement différente vis-à-vis de l'usage de la force entre la Guerre du Golfe de 1991 et la Guerre d'Irak de 2003.
Les règles de la Charte de l'ONU sur l'usage de la force et la sécurité collective
Dans la philosophie post-Seconde Guerre mondiale de la Charte des Nations-Unies, la sécurité collective doit être assurée par le Conseil de Sécurité, ses cinq membres permanents endossant la plus grande responsabilité. L'article 2:4 définissait le principe selon lequel les membres doivent s'abstenir de menacer ou d'avoir recours à la force contre l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un quelconque État. Le chapitre VII envisageait que le Conseil de sécurité décide au nom de tous les membres de l'action, ce qui inclue l'action armée, qui doit être menée en cas de menace à l'encontre de la paix, de non-respect de la paix ou actes d'agression.
Sachant que durant les longues années de Guerre froide, l'action réelle avait de grandes chances de tomber sous le coup d'un véto de la part de l'un ou plusieurs membres du Conseil, le système de sécurité collective était, en pratique, paralysé. Pour leur protection contre les agressions, l'article 51 de la Charte laissait les États membres s'en remettre comme par le passé à leur « droit naturel de légitime défense individuelle ou collective ».
La Guerre du Golfe de 1991
Avec la fin de la Guerre froide, la situation a changé. Un consensus entre les cinq membres permanents du conseil n'était dorénavant plus indésirable. Il fut obtenu en 1990, lorsque l'Irak attaqua et occupa l'État du Koweït.
Le président Bush père avait construit une coalition internationale d'États, incluant des États arabes, et avec l'autorisation du Conseil de sécurité une action militaire fut engagée en 1991, qui chassa les forces irakiennes du Koweït. Il s'agissait là d'un acte de légitime défense collective conforme aux principes de la Charte. On put observer une euphorie à l'ONU et dans le monde au sujet du fait que le système de sécurité et la Charte puissent enfin fonctionner comme envisagé à San Francisco. Le président Bush père parla d'un « nouvel ordre international ». Des commentateurs plus sceptiques notèrent que cette opération collective coûteuse n'aurait pas vu le jour si ce n'est dans l'inquiétude que Saddam Hussein, s'il était laissé sans surveillance, aurait pu continuer à partir du Koweït vers d'autres États riches en pétrole. Il n'existait aucune garantie, ajoutèrent des commentateurs, qu'un « nouvel ordre international » préviendrait les agressions contre des États stratégiquement moins importants. La décision de ne pas avoir recours à la force militaire pour chasser Saddam Hussein du pouvoir était perçue par les mêmes sceptiques comme un calcul visant à maintenir en place un régime irakien pouvant contrebalancer le gouvernement théocratique d'Iran.
Les inspections et les sanctions économiques (1991-2003)
J'ai décrit le système d'inspection et de surveillance très intrusif qui fut imposé à l'Irak par la résolution 687 (1991) pour s'assurer que tous les programmes d'armes de destruction massive et leurs vecteurs soient éradiqués. Nous savons aujourd'hui que la combinaison d'inspections, de sanctions économiques, de pressions diplomatiques et militaires a fonctionné. Concernant le désarmement, l'ONU et le monde connurent un succès, sans vraiment le savoir.
C'est uniquement au sujet du programme nucléaire qu'un point de vue généralement partagé par les gouvernements concluait que rien de significatif ne subsistait fin 1998, une fois tous les inspecteurs retirés. L'AIEA rapporta en 1997 qu'elle pouvait se faire une idée techniquement cohérente du nucléaire passé, mais mettait en garde sur le fait qu' « une incertitude était inévitable dans tout programme de vérification technique à l'échelle d'un pays entier, visant à prouver l'absence de matériel et d'activités facilement dissimulables. » Il ajoutait que « la limite en deçà de laquelle une telle incertitude est acceptable relève du jugement politique ».
Bien que M Ekeus et son successeur au poste de président exécutif de l'UNSCOM, M Butler, aient déclaré que selon eux la plupart des éléments interdits liés aux points B et C ainsi que les programmes de missiles avaient été détruits, il demeurait fin 1998 une considérable et troublante incertitude. Des preuves satisfaisantes de la destruction de quantités significatives de différentes armes et matériaux prohibées ne pouvaient être trouvées, alors que des études avaient par le passé montré que l'Irak en possédait. On jugea alors ces armes et matériaux comme « non comptabilisés ». Ils ont peut-être été effectivement détruits ou utilisés lors de la guerre contre l'Iran, mais jusqu'à ce que des documents ou autres preuves soient présentées, on ne pouvait exclure qu'ils existent.
Les soupçons sur le fait que des armes et autres matériaux prohibés étaient toujours dissimulés furent renforcés par la conduite de l'Irak vis-à-vis des inspecteurs de l'ONU, et particulièrement ceux de l'UNSCOM, durant les années 90. Des refus ou délais d'accès à de nombreux sites eurent lieu, des déclarations « entières, finales et complètes » successives étaient souvent incomplètes ou manifestement trompeuses. Après l'invasion et l'occupation de l'Irak en 2003, quand il était devenu clair qu'il n'y avait presque certainement pas de matériaux prohibés sur un quelconque de ces sites, un monde en proie au doute demanda pourquoi l'Irak s'était comporté d'une manière qui suggérait une dissimulation de matériaux. À partir de 2002 cette attitude fut interprétée à tort par beaucoup comme la preuve d'une dissimulation. Nous pouvons maintenant identifier différentes autres raisons pour cette attitude :
 Le gouvernement irakien avait d'une part affirmé à l'ONU, avec justesse, que toutes les armes illégales avaient été détruites ou déclarées, et demandait la levée des sanctions. Néanmoins, simultanément Saddam Hussein voulait donner l'impression, surtout à l'Iran, qu'il possédait peut-être toujours des armes de destruction massive ; c'était un exemple de situation où l'on affiche une pancarte « Attention chien méchant » sans avoir de chien ;
 Le gouvernement irakien doutait du fait que les sanctions seraient levées même s'il coopérait pleinement avec les inspecteurs. Alors pourquoi se donner de la peine ? L'obstruction devait être particulièrement tentante lorsque les demandes ou actions des équipes d'inspection semblaient provocantes ou touchaient leur fierté et leur dignité ;
 Le gouvernement irakien était conscient du fait que les équipes d'inspection pouvaient comprendre des « experts », qui étaient des agents de renseignement nationaux, et pensait que de telles personnes pouvaient fournir des informations de ciblage pour les bombardements ;
9/11 - La nouvelle doctrine de sécurité états-unienne - le dossier britannique de septembre 2002
Avant les attaques terroristes contre les États-Unis du 11 septembre 2001 et même plusieurs mois après les attaques, de hauts responsables côté états-unien, dont le vice-président, tout en étant soupçonneux vis-à-vis de Saddam Hussein, maintenaient leur point de vue selon lequel l'Irak ne constituait somme toute pas une menace pour la paix. Toutefois, parallèlement à un intérêt croissant dans l'administration U.S. pour un « changement de régime » en Irak, émergeait la conviction - sans aucune preuve pour l'appuyer - selon laquelle l'Irak conservait bel et bien des armes de destruction massive et était même en train de ressusciter un programme nucléaire. Les dissidents irakiens, qui souhaitaient une action armée des États-Unis pour écarter Saddam Hussein, fournissaient généreusement des rapports infondés sur l'existence de programmes prohibés. Les rapports étaient chaleureusement et aveuglément accueillis par certains gouvernements et services de renseignement car ils confortaient les conclusions auxquelles ils souhaitaient aboutir. Globalement, les autorités d'inspection de l'ONU n'utilisaient pas les dissidents comme sources.
Le 17 septembre 2002, la nouvelle Stratégie nationale de sécurité U.S. fut publiée, donnant son soutien et des arguments à de possibles actions préventives contre les organisations terroristes et les « États voyous ». Dans un résumé, elle déclarait que « La stratégie nationale U.S. sera basée sur un internationalisme distinctivement américain qui reflète l'union de nos valeurs et de nos intérêts nationaux. L'objectif de cette stratégie est non seulement de rendre le monde plus sûr mais aussi meilleur... »(Sec.1)
Sur la légalité des frappes préventives, le document apportait les éléments suivants :
« Pendant des siècles, la loi internationale reconnaissait le fait qu'il n'est pas nécessaire pour les nations d'être victimes d'une attaque avant qu'elles puissent légalement entreprendre une action pour se défendre contre des forces qui présentent un danger offensif immédiat. Les chercheurs en droit et les juristes internationaux conditionnaient souvent la légitimité de l'action préventive à l'existence d'une menace immédiate - en général une mobilisation visible d'armées, de forces navales et aériennes se préparant à attaquer.
Nous devons adapter le concept de menace imminente aux capacités et objectifs des adversaires d'aujourd'hui. Les États voyous et les terroristes ne cherchent pas à nous attaquer par des moyens conventionnels. Ils s'appuient sur (…) l'utilisation d'armes de destruction massive, des armes qui peuvent être facilement cachées, livrées secrètement et utilisées sans avertissement. »
Le message principal était que « Les États-Unis se sont longtemps réservé l'option des actions préventives pour contrer une menace conséquente pour notre sécurité nationale. Plus grande est la menace, plus grand est le risque engendré par l'inaction, et plus convaincant est l'argument d'une action anticipatoire pour nous défendre, même si l'incertitude demeure quand au moment et au lieu de l'attaque ennemie. Pour saper ou prévenir de tels actes hostiles de la part de nos adversaires, les États-Unis comptent bien, si nécessaire, agir préventivement. »
La Stratégie poursuit en expliquant que pour justifier les mesures préventives, les États-Unis « se doteront de capacités de renseignement meilleures et plus intégrées qui puissent fournir des informations précises et datées sur les menaces, où qu'elles émergent... »
On réalisa donc que si les contre-attaques devaient avoir lieu avant que les attaques n'aient lieu, il y aurait un besoin crucial de les justifier par des « informations précises sur les menaces ». Il est quelque peu ironique de lire cette phrase de septembre 2002, une période durant laquelle l'ambition dominante des services de renseignement et des gouvernements aux États-Unis et au Royaume-Uni était de consulter des informations disponibles qui confirmaient la notion préconçue et erronée d'une menace sérieuse.
Le 24 septembre 2002, le dossier du renseignement britannique fut publié. Dans la lettre par laquelle il était transmis au président du Conseil de sécurité, il était décrit comme « basé sur une quantité significative de nouveaux renseignements, il montre clairement comment l'Irak a développé des armes chimiques et biologiques, a acquis des missiles capables d'attaquer des pays avoisinants avec ces armes et a constamment tenté de développer une bombe nucléaire. »
La lettre se poursuivait en affirmant que « même à l'heure actuelle, l'Irak s'organise toujours pour dissimuler ses programmes d'armes de destruction massive ».
L'avant-propos du dossier, rédigé par le Premier ministre Blair contenait le désormais notoire (en bien ou en mal) passage au sujet de l'organisation militaire irakienne permettant à « certaines des armes de destruction massive d'être prêtes en 45 minutes après un ordre pour leur utilisation ». Cependant, à l'inverse de l'équivalent états-unien qui fut publié à peu près au même moment, la préface précisait que « les inspecteurs doivent être autorisés à retourner effectuer leur travail correctement ; et si [Saddam] refuse, ou s'il les empêche de faire leur travail, comme il l'a fait par le passé, la communauté internationale devra agir. »
La guerre était-elle « prédéterminée » ?
Beaucoup de commentateurs ont exprimé la conviction que la guerre en Irak était « prédéterminée », c'est-à-dire non pas décidée en mars 2003, mais à un moment-donné en 2002. Nous le saurons lorsque les documents pertinents seront dévoilés. Il est vrai que le déploiement militaire dans la zone du Golfe commenca à l'été et à l'automne 2002 ; que le soutien doctrinaire à l'action préventive survint à la même période, de même que les déclarations de responsables états-uniens influents sur la nécessité d'un changement de régime en Irak et l'inutilité des inspections. Sur le souhait d'une poursuite des inspections, on pouvait clairement noter des différences d'opinion entre les faucons de l'administration états-unienne, comme le vice-président Dick Cheney, ainsi que d'autres. Il apparaît aussi clairement, dans les mots de Tony Blair que j'ai cités, que s'il doutait du fait que Saddam Hussein coopère avec les inspecteurs, la conclusion qu'il tira du dossier du renseignement était qu'il y avait un besoin de renouveler les inspections de l'ONU. Les différents points de vue semblent avoir été conciliés par deux conclusions :
 que les armes de destruction massive de l'Irak devraient être éliminées, et
 que les demandes d'inspections, que les USA et le Royaume-Uni avaient longtemps soutenues à l'ONU, étaient confirmées, mais sans grande conviction qu'elles seraient acceptées par l'Irak et que les inspections seraient couronnées de succès.
La résolution 1441 du Conseil de sécurité (2002)
La même attitude quelque peu ambivalente fut adoptée tout au long du reste de l'année 2002. Dans son discours devant l'Assemblée générale des Nations-Unies de septembre, le président Bush défia l'ONU de faire respecter ses résolutions sur l'Irak, mais nulle part il ne mentionna les inspections. Lorsque peu après l'Irak accepta les inspections, une nouvelle résolution du Conseil de sécurité fut élaborée à Washington, proposant une nouvelle sorte d'« inspections armées » sous la direction formelle de l'ONU, mais sous le commandement réel du P5 (les 5 membres permanents du Conseil de Sécurité à l'exception des 10 membres non permanents) ! Sans surprise, cette approche ne fut pas vendeuse à New York. Après des négociations tendues, la résolution du Conseil de sécurité n° 1441 fut adoptée à l'unanimité. Elle n'incluait pas la participation du P5.
La nouvelle résolution donnait explicitement aux inspecteurs tous les droits qu'ils pouvaient souhaiter, y compris le droit de conduire des citoyens privés irakiens hors de leur pays pour les interroger à l'étranger, et le droit d'effectuer des inspections de sites présidentiels de la même manière que pour les autres sites. Différentes demandes spécifiques concernant les inspections à venir, que j'avais formulées avec le directeur-général de l'AIEA dans une lettre à l'Irak à laquelle une réponse relativement évasive avait été faite, furent généreusement déclarées applicables en Irak par le Conseil. Ainsi que je l'ai noté dans mon livre sur les inspections, ce fut le seul moment de ma vie où une lettre que j'avais écrite était élevée au rang de loi mondiale !
Il est possible que certains décideurs politiques à Washington aient espéré que la nouvelle résolution serait trop dure à accepter pour les Irakiens ; qu'elle serait rejetée et que, de ce fait, un argument contre l'action militaire serait écarté. Néanmoins, indubitablement averti du déploiement militaire continu dans le Golfe, l'Irak accepta la résolution en faisant des contorsions. Je doute que sans déploiement l'accord eut été donné. Je suis pas en désacord avec l'opinion selon laquelle la diplomatie a parfois besoin d'être appuyée par une pression significative. La difficulté survient lorsque les pressions ne fonctionnent pas et que le besoin se fait sentir de montrer que les menaces ne sont pas creuses. Là où les gouvernements sont incertains quant à leur disposition à laisser l'action succéder aux menaces, ils doivent veiller à ajuster les pressions/menaces pour ne pas se montrer dos au mur. Je suppose pour ma part qu'en ce qui concerne les pressions militaires exercées sur l'Irak durant l'automne 2002 et l'hiver 2003, le gouvernement U.S. ne voulait effectivement pas se retrouver dos au mur. Une partie de l'administration était décidée à y aller aussi vite que possible. Le gouvernement britannique était vraisemblablement moins enthousiaste pour cette aventure.
Il est inutile que je relate la période d'inspection de trois mois et demi entre novembre 2002 et mars 2003, mais quelques commentaires s'imposent peut-être.
Tout d'abord, une fois les inspections démarrées, le soutien concret non seulement du Royaume-Uni, mais aussi des États-Unis était bon. Si quelque chose nous inquiétait, c'était plutôt un soutien états-unien trop rapproché : une proposition d'évaluation bilatérale de la manière dont les inspections devaient être menées, davantage de personnel et d'experts états-uniens dans les équipes d'inspection, etc. Nous devions préserver notre indépendance, ce que le Conseil de Sécurité souhaitait pour nous, et nous le fîmes.
Deuxièmement, il existait un soutien aux inspections au niveau pratique - peut-être avec des conseils destinés à mener à des actions qui conduiraient les Irakiens à se braquer et se retrouver coupables de violation de la résolution. Au niveau politique existait une indéniable ambition de conclure aussi rapidement que possible à la non coopération et au non respect de la résolution par l'Irak. L'implication d'une telle conclusion était que le moment approchait pour entreprendre une action armée.
Troisièmement, alors que le nombre de sites inspectés et le nombre d'inspections réalisées augmentaient - pour un bilan final d'environ 500 sites et 700 inspections - il devint clair qu'aucun des nombreux sites proposés par les services de renseignement que nous avions inspectés ne contenait de « preuves accablantes ». Cette expérience et notre examen de divers éléments de preuve censés prouver que l'Irak conservait des matériaux interdits fit naître des doutes dans nos esprits sur la fiabilité des preuves avancées par les gouvernements U.S. et britannique.
Ce que nos inspections mirent au jour étaient des résidus d'anciens programmes d'armement ainsi que des violations et indications de violations des restrictions imposées à l'Irak sur la portée des missiles. Si l'accès aux sites que nous souhaitions visiter était presque invariablement et promptement autorisé, nous avons senti que jusqu'à environ la fin janvier 2003 le côté irakien ne faisait pas d'effort réel pour clarifier le passé. Nous avions fidèlement rapporté nos découvertes et expériences au Conseil de sécurité ainsi qu'aux services de renseignement qui nous avaient indiqué des sites. J'ai peu de doutes sur le fait que nos rapports aient contribué à influencer la majorité des membres du Conseil de sécurité et, de fait, de l'ONU, lorsqu'ils décidèrent que les inspections devaient continuer et que le moment n'était pas venu pour l'action armée.
J'ai remarqué que le rapport de Lord Butler exprimait sa « surprise » que les autorités britanniques n'aient pas réévalué leurs preuves à la lumière de ce que les inspecteurs de l'ONU avaient rapporté. On peut malheureusement conclure que la diminution progressive de la force de persuasion des preuves avancées en faveur de l'action armée était accompagnée d'un renforcement progressif de la détermination à lancer l'offensive. Les initiatives de la part du Royaume-Uni pour faire un dernier effort dans le sens des inspections échouérent.
Après l'invasion et son unique résultat souhaitable, à savoir le renversement de Saddam Hussein, il ne suffit que de quelques mois pour comprendre grâce aux interrogatoires états-uniens de scientifiques, militaires et autres fonctionnaires irakiens qu'il n'y avait pas de stocks d'armes de destruction massive. En septembre 2003 David Kay, en tant que chef du Iraq Survey Group constitué par les États-Unis et en octobre 2004 son successeur, Charles Duelfer, confirmaient cette conclusion.
J'ai eu vent de critiques portant sur les organisations d'inspection de l'ONU et moi-même, selon lesquelles nous n'avons pas présenté ces conclusions qui auraient pu prévenir la guerre. La réponse simple à ces critiques est que si l'examen critique que nous avons fait de toutes les preuves conduisait au rejet d'une partie des preuves avancées par les États-Unis et le Royaume-Uni et au doute concernant d'autres, nous ne pouvions cependant pas exclure que des éléments « non comptabilisés » existent. Même si les infirmer totalement demeurait impossible, quelques mois d'inspections en plus auraient été importants. Ils auraient permis aux inspecteurs de se rendre dans tous les sites proposés par les services de renseignement et de s'apercevoir qu'aucun d'entre eux ne renfermait d'armes de destruction massive. En mars 2003, nous n'en avions pas la possibilité.
Justifications de la guerre
Avant la guerre d'Irak la présence continue d'armes de destruction massive prohibées et la menace sérieuse que cela constituait était la principale justification avancée pour une action armée. J'y reviendrai en évoquant la permissibilité des attaques préventives. Après la guerre particulièrement, un certain nombre d'autres explications furent données quant à l'objectif de l'action. Bien que le fait de donner des explications n'est pas nécessairement la même chose que de donner des justifications, on peut présumer que certaines explications ont été fournies dans ce but.
Par exemple, il a été dit que l'un des objectifs était de renverser un régime brutal, pour réintroduire le respect des droits de l'homme et pour établir une démocratie qui puisse constituer un modèle au Moyen-Orient. S'il est évident que la chute de Saddam Hussein était une grande avancée, la praticabilité, dans le cas de l'Irak, de l'établissement d'une démocratie et des droits de l'homme par la guerre et l'occupation semble douteuse. Cet argument aurait difficilement persuadé le Congrès états-unien, le Parlement britannique ou le Conseil de sécurité de soutenir l'action armée.
De plus, il a été avancé que l'occupation de l'Irak était destinée à servir d'avertissement à tout État ou groupe sur le fait que la prolifération d'armes de destruction massive et le terrorisme feraient l'objet de mesures sévères. On peut noter à ce sujet qu'il est peu probable que l'action ait eu une influence sur la Libye ; que les problèmes en Iran et en Corée du Nord ne semblent pas avoir été affectés et que le terrorisme s'en est plutôt trouvé stimulé. Encore une fois, les soutiens à la guerre auraient difficilement pu être obtenus sur cette base.
Justifications légales
Si ces dernières explications/justifications attirent l'attention du débat public, les justifications légales avancées semblent être relativement peu discutées en dehors des milieux professionnels de l'ONU et de la loi. Ces arguments semblent avoir été identiques ou similaires pour les États-Unis et le Royaume-Uni. Concernant le Royaume-Uni le ministre de la justice, Lord Goldsmith, a déclaré « La légitimité de l'usage de la force contre l'Irak émane de l'effet combiné des résolutions 678, 687 et 1441. Toutes ces résolutions furent adoptées selon le Chapitre VII de la Charte qui autorise l'usage de la force dans le seul but de restaurer la paix et la sécurité internationales. »
Le fait que le Conseil de sécurité ait été légalement en mesure de donner son feu vert pour l'action armée n'est pas mis en doute. La question qui se pose est plutôt de savoir si un membre individuel du Conseil pouvait à n'importe quel moment entreprendre une action armée contre l'Irak, en se déclarant autorisé par le Conseil - même lorsqu'il était clair qu'une majorité du Conseil n'acceptait pas, peut-être même s'opposait à une telle action.
En 2002, avant que soit adoptée la résolution 1441, les États-Unis insistaient sur le fait qu'il n'avaient pas besoin de mandat particulier pour entreprendre une action armée. Après la guerre, le Dr Condoleezza Rice, qui est maintenant secrétaire d'État des États-Unis, suggéra que les États qui se lançaient dans la guerre « faisaient respecter » l'autorité du Conseil... L'idée semble pour le moins étrange : les États qui s'abstinrent de soumettre une résolution à un vote, sachant qu'elle ne serait pas votée, auraient eu le mandat que précisément ils n'avaient pas obtenu. Qu'auraient donc pu faire les opposants à l'action armée du Conseil ? Soumettre une résolution interdisant l'action armée ? Pour faire l'objet d'un véto des membres de la minorité ?
De plus, si les États-Unis, le Royaume-Uni ainsi que d'autres États de l'« alliance des volontaires » estimaient qu'ils étaient libres, sans aucune autorisation explicite du Conseil, d'intervenir par la force afin de « faire respecter » l'autorité du Conseil, on devrait logiquement conclure que la Chine, la France et la Russie ainsi que les alliés de ces États pouvaient entreprendre les actions qu'eux-mêmes jugeaient appropriées afin de faire respecter cette même autorité. Il est difficile d'éviter la conclusion selon laquelle une décision du Conseil en tant qu'autorité était requise et que les membres individuels du Conseil n'avaient pas de permission préalable datant de 1990, 1991 ou même 2002.
Le ministre de la Justice britannique a argumenté que la résolution 1441 donnait à l'Irak « une dernière occasion de se conformer à ses obligations en matière de désarmement » et que l'Irak ne l'a pas saisie. Néanmoins, n'était-ce pas au Conseil plutôt qu'aux membres individuels de juger cette question ? Du reste, pendant combien de temps cette occasion devait-elle être donnée ? Aucune limite particulière de temps ne fut donnée. La seule limite de temps qui fut donnée en ce qui concerne les inspections était que l'UNMOVIC et l'AIEA fassent leur rapport au Conseil dans un délai de 60 jours après la reprise des inspections. Cette date de rapport se trouva être le 27 janvier, mais aurait pu être des semaines plus tard, si la reprise des inspections s'était avérée plus lente qu'elle ne le fut. En février et mars 2003 les inspections ont bien fonctionné : le 7 mars j'ai dit au Conseil de sécurité que « le travail d'inspection avance et pourrait fournir des résultats. » Il est difficile d'envisager d'autre raison évidente pour l'empressement en dehors du fait qu'une armée de 200 000 soldats attendait et que la saison chaude approchait.
Un droit à l'action préventive
Dans ma première conférence, je me suis référé aux débats de la récente campagne éléctorale états-unienne et j'ai dit que les deux candidats adoptaient le point de vue selon lequel les États-Unis devaient pouvoir prendre des mesures préventives dans certaines situations. Semble-t-il une différence entre eux était que le Sénateur Kerry a déclaré qu'une telle action devrait passer un « test global », alors que le président Bush méprisait l'idée d'une quelconque « permission » de la part de quiconque.
L'Article 51 de la Charte des Nations-Unies stipule que rien dans la Charte n'entrave « le droit naturel à la légitime défense individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l'objet d'une agression armée, jusqu'à ce que le Conseil de sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales... »
En elle-même la règle est très simple et directe.Lorsquel'attaque survient, vous la voyez et pouvez en toute légitimité agir par légitime défense. Elle fut écrite avec à l'esprit les vieilles guerres de confrontation directe. Déjà pendant la Guerre froide des difficultés d'interprétation survinrent avec de nouveaux types de conflits sous la forme d'actions subversives ou de guerresparprocuration.Lapossibilitéquel'unedescinqgrandespuissances puisse lancer de soudaines et dévastatrices attaques nucléaires n'allait pas dans le sens d'un droit à la légitime défense par anticipation, mais au contraire de systèmes de détection rapide et la conservation d'une capacité de frappe secondaire comme moyen de dissuasion. La situation plus récente dans laquelle des assaillants moins stables - « des États voyous ou des groupes terroristes »- peuvent rester insensibles aux frappes de représailles dissuasives a compliqué la situation.
La Stratégie Nationale de Sécurité états-unienne, qui fut écrite après les attaques terroristes de 2001 sur les États-Unis, faisait référence à l'impératif souvent cité en provenance du Caroline case (19ème siècle) selon lequel une attaque connue à l'avance doit être « imminente » pour autoriser une action préventive, et la considérait comme trop rigide. On cite souvent le président Bush disant que lorsque l'attaque est « imminente » il est déjà trop tard. Il a mentionné « un danger croissant » comme suffisant. On l'a également cité disant que le 11 septembre était le Pearl Harbor de la Troisième Guerre mondiale, la guerre contre le terrorisme, alors que le vice-président Cheney est cité disant que cette nouvelle guerre pourrait durer des générations. Cela veut-il dire que les États-Unis se considèrent maintenant comme engagés dans une « guerre mondiale » dans laquelle ils s'autorisent à attaquer partout où ils perçoivent un « danger croissant » ?
La nouvelle secrétaire d'État, Condoleezza Rice, a déclaré qu'il n'est pas nécessaire d'attendre un « champignon atomique » avant d'entreprendre une action pour se défendre. Cela implique-t-il que l'Inde aurait eu raison d'attaquer les installations nucléaires pakistanaises pour l'enrichissement de l'uranium avant que les pakistanais ne testent une arme nucléaire ? Cela implique-t-il qu'Israël avait le droit en 1981 d'attaquer et de détruire le réacteur de recherche OSIRAK, une action qui fut condamnée par le Conseil de Sécurité ? À cette occasion les États-Unis se sont ralliés à la conclusion du Conseil qui considérait qu'Israël n'avait pas épuisé les autres moyens d'écarter le danger que représentait pour lui le réacteur. Quelqu'un peut-il déduire des déclarations de Dr Rice le fait que les États-Unis - ou Israël - se sentiraient aujourd'hui dans leur droit en attaquant les installations nucléaires iraniennes pour l'enrichissement de l'uranium, ou que les États-Unis pourraient se sentir autorisés à attaquer les mêmes installations en Corée du Nord ?
Si les réponses aux questions que j'ai posées s'avèrent affirmatives, cela voudrait-il dire que selon les États-Unis tous les États seraient autorisés à attaquer ce qu'ils voient comme des « dangers croissants » - ou seulement les États-Unis ?
En observant les attaques-surprise contre les États-Unis en 2001, tous les gouvernements affirmeraient probablement qu'ils considèreraient comme un devoir envers leur population de réagir - si besoin est par l'action unilatérale armée - pour tenter de prévenir une attaque terroriste dont ils avaient appris l'imminence. Comme les États-Unis, ils ne demanderaient de « mot de permission » à personne.
Il se pose, cependant, des problèmes cruciaux lorsqu'on proclame le droit à de telles actions de légitime défense par anticipation :
 Avant qu'une attaque de l'étranger ait lieu, la connaissance de celle-ci incombe vraisemblablement au renseignement. L'affaire de l'Irak ne rassure pas beaucoup sur le fait que les services de renseignement nationaux soient une base fiable. Lorsqu'il s'avère qu'il n'y a aucune base fiable, ce qui était censé être de la légitime défense par anticipation peut devenir une attaque totalement injustifiée.
 Bien que l'« imminence » puisse être un impératif de temps sévère, « un danger croissant » serait un critère intolérablement laxiste et ne serait pas cohérent avec la notion généralement acceptée selon laquelle la force ne doit intervenir qu'en dernier recours.
À l'évidence, nous avons besoin de discuter de ces sujets dans le conseil du village global. Ceci m'amène à la dernière partie de ma conférence.
Une réforme de l'ONU ?
Les conclusions d'une commission nommée par le secrétaire-général Kofi Annan sur le fonctionnement de l'ONU seront bientôt publiques. Il ne fait aucun doute qu'un débat sur un large spectre de questions est nécessaire, mais on peut se demander si des discussions intergouvernementales auraient des chances d'être productives à l'heure acutelle, alors que l'administration du membre le plus puissant de l'organisation lui exprime son dédain.
Nous avons appris avant l'action armée en Irak que selon l'administration états-unienne, le Conseil de Sécurité avait le choix entre voter avec les USA pour l'action armée ou être non compétent. La majorité du Conseil n'a pas accepté d'être forcée de soutenir l'action et l'invasion a eu lieu. Beaucoup y ont vu une perte de prestige pour le Conseil et une crise pour l'ONU. D'une certaine façon ce fut, et c'est le cas. Les institutions de l'ONU telles que le Conseil de sécurité sont comme des instruments avec lesquels on joue. Si des membres importants décident de ne pas jouer ou sont complètement désacordés avec les autres membres, il n'en résulte aucun orchestre cohérent. C'est seulement lorsque la fabrication des instruments est défectueuse ou démodée qu'une réparation présente une utilité.
Le refus de la majorité du Conseil de sécurité de jouer la partition que les États-Unis voulaient qu'ils jouent l'année dernière peut aussi être vu comme bénéfique pour sauver l'autorité et la respectabilité du Conseil. On peut se demander comment le monde aurait perçu le Conseil aujourd'hui, si il avait cautionné une action armée pour éradiquer les armes de destruction massive qui n'existaient pas et les preuves qui étaient souvent cuisinées, voire inventées.
Aujourd'hui la plupart des pays et des gens dans le monde considèrent l'action armée lancée en Irak comme une grave erreur ou pire, et une grande partie de l'opinion publique états-unienne - peut-être même la majorité - partage ce point de vue. Pourtant, la nouvelle administration semble considérer la victoire à l'élection présidentielle non seulement comme un soutien à ses positions et actions musclées contre les menaces terroristes, ce qui est probablement une interprétation justifiée, mais aussi comme un soutien à sa décision de lancer une guerre contre l'Irak et à son dédain pour l'ONU. C'est comme si l'ONU avait insulté les USA. La Convention républicaine qui a nommé Bush s'est levée en applaudissant lorsque le vice-président a dit que M Bush ne « demanderait jamais de permission pour défendre le peuple Américain ». Soit, excepté que l'Irak n'était pas une menace, ni une menace croissante et probablement même pas une menace lointaine.
Nous constatons également une intense et large campagne de calomnies dépeignant l'ONU comme « corrompue » par le programme « pétrole contre nourriture », qui fut instauré et supervisé par le Conseil de Sécurité et ses membres les plus puissants, dont les États-Unis, et aurait permis à l'Irak, aux acheteurs de pétrole irakien et aux vendeurs de biens à l'Irak de détourner frauduleusement des fonds et de les renvoyer illégalement au régime.
L'existence d'une quelconque corruption dans le vrai sens du terme, au sein du programme « pétrole contre nourriture », fait l'objet d'un examen par M Volcker. La fraude que l'Irak et les parties contractantes ont commise, même si elle est largement soupçonnée et même évaluée dans les médias à l'époque à quelque chose comme un milliard de dollars par an, n'était probablement pas facile à tracer et à prouver pour l'administration du programme de l'ONU. Le Conseil et ses membres l'ont constaté avec de grands yeux comme ils constatèrent que des milliards allaient dans les coffres de Saddam Hussein en provenance des exportations de pétrole vers les États avoisinants. Le programme fonctionnait comme un frein efficace à l'importation d'armes et de matériaux à usage double, ce qui était son principal objectif. Aujourd'hui il sert de base pour une campagne contre l'ONU. Tant que le climat actuel persistera il semble improbable qu'une discussion significative à propos de la réforme de l'ONU puisse avoir lieu.
Il y a quelque chose de paradoxal à propos de la crise actuelle de l'ONU et des critiques de l'ONU comme un bureau où l'on brasse de l'air. Nous n'entendions pas cela durant les longues années de Guerre Froide, quand le Conseil était habituellement empêché d'agir par la menace ou l'utilisation du véto russe. Il n'y a aucun obstacle russe ou chinois systématique à l'action du Conseil aujourd'hui. De nombreuses opérations de maintien de la paix furent entreprises dans la première période de détente et, soyons honnêtes, un certain nombre de décisions sont toujours prises par consensus au Conseil. Pourtant, l'atmosphère reste actuellement empoisonnée.
Il a été suggéré que dans le rapport sur le fonctionnement de l'ONU un effort soit fait pour examiner les circonstances dans lesquelles l'usage de la force peut et doit être autorisé. Certains souhaiteraient que l'on fasse davantage usage du pouvoir du Conseil pour faire en sorte que les membres observent leurs devoirs de protection de leurs propres citoyens, pour intervenir par la force, si nécessaire, dans les situations de génocide, comme au Rwanda ou au Darfour. D'autres veulent se pencher sur une reformulation de l'article 51 de la Charte pour accorder une place à l'action préventive. Je ne suis pas optimiste quant aux amendements sur la Charte dans l'un ou l'autre des cas, et je ne suis pas certain que ce soit nécessaire.
Beaucoup de membres demeureront sceptiques au sujet de toute intervention armée internationale. Ils émettent des soupçons envers toute interférence extérieure, même par l'ONU dans le but de faire respecter les droits de l'homme. D'autres membres ne seront peut-être pas persuadés de dépenser des ressources ou risquer la vie de leurs soldats, à moins que des intérêts nationaux conséquents soient en jeu, comme c'était le cas pendant la Guerre du Golfe de 1991 et comme on considérait que c'était le cas pour la guerre d'Irak en 2003. Là où l'intervention sera à la fois justifiée comme seul moyen de prévenir de graves violations des droits de l'homme, et comme acceptable par une large proportion de membres, je ne crois pas que la règle de la Charte - dans l'article 2:7 - se posera en obstacle.
Je crois de plus qu'il est improbable qu'un terrain commun quelconque puisse être trouvé, autorisant explicitement les membres à avoir recours à la force premptivement ou préventivement sans autorisation du Conseil de Sécurité. Il est plus probable qu'une réponse au problème émerge progressivement au travers des précédents. Il est également important, comme l'a noté Kofi Annan, que le Conseil de Sécurité considère et surveille activement les menaces posées par les possibles armes de destruction massive, donnant à tous les membres le sentiment que le problème est pris au sérieux et qu'il existe une disposition à envisager des actions communes, lorsqu'il y a des preuves convaincantes d'une menace significative et rapprochée dans le temps.
Je concluerai en affirmant que le Conseil de Sécurité reste potentiellement une institution vitale. La guerre d'Irak a démontré le handicap qui résulte d'une action menée sans son autorisation.
Le Conseil bénéficierait même d'une autorité plus grande si sa composition était modifiée. En 1945, le pouvoir était le pouvoir militaire des États victorieux. Quand des sanctions et pressions économiques doivent être exercées, ce qui est préférable à l'exercice du pouvoir militaire, la présence d'États ayant un grand pouvoir économique présente un avantage.
Pour gagner en légitimité le Conseil doit représenter une large proportion de la population mondiale. D'où la nécessité d'une présence au Conseil des pays les plus peuplés de tous les continents. Une proposition fréquemment avancée, et que je trouve totalement réfutable, veut que les États payant la plus grande contribution au budget de l'ONU méritent un siège. Les sièges ne devraient pas être à vendre.
                       
23. Rebondissements dans le procès AIPAC par Ron Kampeas & Matthew E. Berger
in The Baltimore Jewish Times (hebdomadaire américain) du mardi  7 décembre 2004
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Envoyés spéciaux à Washington – La décision prise par un procureur fédéral américain de porter l’enquête concernant l’American Israel Public Affairs Committee [Aipac] devant un grand jury constitue, à dire le moins, un contretemps importun pour le principal lobby israélien. D’aucuns redoutent que cette anicroche n’écorne quelque peu l’efficacité de l’Organisme.
Des agents du FBI ont perquisitionné le siège de l’Aipac, ici à Washington, hier, et ont saisi des dossiers liés à deux des principaux responsables, qui avaient déjà été interrogés, en août dernier, dans un contexte d’allégations suivant lesquelles un document « secret défense » du Pentagone avait été exfiltré et transmis à Israël.
Ces agents ont aussi délivré quatre mise en examen concernant quatre autres hauts responsables, lesquels devront comparaître devant un grand jury, fin décembre : Howard Kohr [directeur exécutif] ; Richard Fishman [manager] ; Renee Rothstein [communications] et Raphael Danziger [recherche].
Bien que l’Aipac se soit efforcé, ces derniers mois, de présenter l’enquête comme « en train de se dégonfler », diverses sources ont indiqué à la Jewish Telegraphic Agency que des enquêteurs fédéraux avaient interrogé plusieurs employés de l’Aipac, au cours des semaines précédentes.
Les responsables de l’Aipac démentent que l’un quelconque de ses responsables ait commis une quelconque faute.
« Ni l’Aipac, ni aucun membre de notre personnel n’a enfreint une quelconque loi », a déclaré l’Aipac dans un communiqué. « Nous coopérons totalement avec les autorités gouvernementales. Nous sommes convaincus que tout tribunal ou tout grand jury conclura que les employés de l’Aipac se sont toujours comportés d’une manière respectueuse des lois, de la déontologie et de la bienséance ».
Mais les délibérations du grand jury ne manqueront pas de mettre sur le gril les principaux responsables de l’Aipac, en des temps où le gouvernement israélien est à la recherche de soutiens au sein de l’administration américaine et du Congrès en vue de la reprise de négociations avec les Palestiniens et en préparation d’un retrait (déjà sur les rails, mais controversé) des forces israéliennes de la bande de Gaza.
« Bien évidemment, c’est un problème très sérieux » a estimé Laurie Levenson, professeur(e) de droit à la Loyola Law School de Los Angeles, et ancienne procureur(e). « Cela ne veut pas dire nécessairement qu’il y aura des mises en examen, ou que nous sachions quelles sont les cibles visées par l’enquête… Mais un grand jury détient un pouvoir très étendu : il peut convoquer des témoins, il peut ordonner des enquêtes, faire venir des suspects qui ne peuvent être assistés d’un avocat – tout ceci est, généralement, éreintant. »
Des responsables d’autres organisations juives américaines ont continué à se tenir aux côtés de l’Aipac, et se sont déclarés outrés devant la tournure prise par l’enquête.
« Nous assistons à un comportement très étrange ; dix types font une descente dans une organisation qui a, depuis le début, manifesté sa coopération », a dit Malcolm Hoenlein, vice directeur de la Conférence des Présidents des Plus Grandes Associations Juives Américaines [Conference of Presidents of Major American Jewish Organizations], dont l’Aipac fait partie. « Apparemment, les méthodes, dans le cas qui nous occupe, font problème – et ce genre de comportement dure depuis des mois, sinon des années. »
Des partisans du lobby pro-israélien ont suggéré que l’enquête serait une sorte de chasse aux sorcières, menée par un ou deux mauvais garçons du FBI connus pour leur harcèlement des juifs et des associations juives.
Les personnes proches de l’Aipac ont protesté vigoureusement de son intégrité.
« Je n’ai pas souvenance d’un seul moment où les dirigeants, depuis Howard Kohr, et en descendant dans la hiérarchie des responsabilités, n’auraient pas su ce qu’il était approprié et digne de faire », a ainsi déclaré Steve Grossman, président de l’Aipac entre 1992 et 1997. « Je ne vois pas ; non – il n’y a pas eu un seul instant où j’aie eu le sentiment qu’une quelconque information, transmise, ou débattue, ait pu être en quoi que ce soit inappropriée. Ils ont toujours eu le plus grand sens de ce qui était convenable. »
En raison de la nature confidentielle des enquêtes du FBI et des procédures du grand jury, rares sont ceux qui connaissent l’objet de l’enquête, voire qui savent, même, si l’Aipac ou les deux responsables interrogés en août – Steve Rosen (directeur des questions de politique étrangère) et Keith Weissman (adjoint au directeur de la politique étrangère) - sont bien les cibles qu’elle vise.
Des personnes introduites à l’Aipac, depuis août dernier, disent que l’affaire semblerait en voie de faire « pshittt ! ». Les mises en examen et les perquisitions de mercredi dernier ont coupé court à cette interprétation, et la question est redevenue centrale, et obsédante, pour l’organisation.
Préoccupés par la tournure prise par les événements, la plupart des dirigeants de l’Aipac ont laissé de côté leurs activités coutumières, mercredi et jeudi derniers.
D’autres ex-employés ont suggéré l’idée que le groupe pourrait être sous enquête parce qu’il aurait servi les intérêts israéliens illégalement, jouant le rôle d’agent israélien aux Etats-Unis. Sous l’empire du Foreign Agent Registration Act, est considéré « agent de l’étranger » toute personne ou tout groupe travaillant sous la supervision d’un gouvernement étranger.
Toutefois, l’Aipac a toujours affirmé qu’il représentait les Américains partisans de l’Etat d’Israël, et non Israël lui-même.
Dans le cas où l’interrogatoire devant le grand jury aboutirait à des mises en examen et à la culpabilité de membres du personnel de l’Aipac, l’organisation pourrait en pâtir, a déclaré un observateur des lobbies de Washington.
« S’il s’avère que des personnels de l’Aipac ont été impliqués dans des activités illégales, cela portera atteinte à la réputation de l’Aipac sur la Colline [du Capitole, ndt] », a dit Larry Noble, directeur exécutif du Center for Responsive Politics [Centre pour des politiques responsables (devant les citoyens)]. « Cela posera problème, pour les gens qui auront à traiter avec eux. »
La suite dépendra de la question de savoir si ceux qui sont au centre d’un scandale en train de faire surface, quelle qu’en soit la nature, sont des indélicats, ou bien s’ils appartiennent carrément à un réseau [d’espionnage], a-t-il poursuivi.
« L’Aipac est une puissante organisation de lobbying, dont le crédit – indéniable – risque de s’effriter très rapidement, au cas où la situation serait réellement dommageable », a-t-il expliqué.
Un ancien responsable au ministère de la Justice a suggéré que le fait qu’on en soit arrivé au grand jury indiquait que l’enquête était passée à  une phase contradictoire.
« On ne peut pas sonner l’alarme à chaque fois, mais le plus souvent, cela signifie qu’ils ne sont pas persuadés » que les personnes faisant l’objet de l’enquête « ont été totalement coopératives », a indiqué Bill Mateja, ex-avocat général fédéral au Texas, qui occupait jusqu’à il y a un mois la fonction de supervision des contraventions commises par les entreprises privées.
« Plus rarement, mais cela arrive parfois », a expliqué M. Mateja, « un avocat général fédéral peut transmettre une affaire à un grand jury, à seule fin de conclure, en mettant les barres sur les « t » et les points sur les « i » ».
Il a indiqué qu’il jugeait significatif que ni Weissman ni Rosen ne figurent au nombre des personnes mises en examen.
Mme Levenson a dit, pour sa part, que les personnes visées par une enquête n’étaient jamais convoquées devant un grand jury avant les premières phases de l’enquête.
« Généralement, les gens qui sont amenés devant un jury, durant les premières phases d’une enquête, sont convoqués en qualité de témoins, plus que de personnes visées par l’enquête », a-t-elle expliqué, expliquant : « on travaille dans le sens : de l’extérieur, vers l’intérieur. Les cibles sont les gens qui se retrouvent cernés au milieu. »
Après que les enquêteurs eurent perquisitionné les bureaux de l’Aipac pour la première fois, saisissant des fichiers informatiques et interrogeant Rosen et Weissman, beaucoup de commentateurs ont suggéré que l’Aipac était concerné, marginalement, par une enquête centrée en réalité sur Larry Franklin, un employé du Pentagone suspecté d’avoir transmis des documents secrets défense à l’Iran.
Toutefois, des personnes bien informées disent que l’enquête semble s’éloigner, depuis quelque temps, de Franklin, et se focaliser désormais sur Rosen et l’Aipac.
Mme Levenson a indiqué que le fait qu’un grand jury avait été réuni devrait servir de coup de semonce.
Des informations publiées par les médias ont indiqué que l’Aipac fait l’objet d’une enquête gouvernementale depuis plus de deux ans, et que de hauts responsables de l’administration américaine étaient au courant, avant même que le président Bush demande à parler à l’Aipac, en mai dernier.
Des responsables de l’Aipac confirment que les événements de mercredi dernier concernaient essentiellement Rosen et Weissman. Un porte-parole de l’avocat représentant Rosen et Weissman, qui restent des employés en service actif à l’Aipac, n’avait aucun commentaire à faire sur l’enquête, et un avocat de l’Aipac n’a pas répondu à nos demandes de commentaires.
Un officiel du FBI a confirmé qu’une enquête est effectivement en cours, mais a décliné tout commentaire supplémentaire, et un porte-parole du cabinet du procureur général des Etats-Unis a observé la même attitude.
Plusieurs personnes se sont dites surprises de la mise en examen de Fishman et de Rothstein. Fishman s’occupe principalement de management et de collecte de fonds, et Rothstein est connu essentiellement pour organiser les conférences destinées à déterminer la politique de l’Aipac.
Steve Pomerantz, un ancien inspecteur (enquêteur) du FBI, et qui est aujourd’hui consultant auprès de diverses associations juives, a dit quant à lui que la nature des mises en examen suggère que les enquêteurs du FBI savent pertinemment ce qu’ils sont en train de chercher.
« Ce n’est pas une partie de pêche », a-t-il dit, ajoutant : « Pour moi, c’est évident : ils ont des informations très précises, qui sont en train de les mettre sur une piste bien définie. »
Une enquête devant un grand jury permettrait au cabinet du procureur général des Etats-Unis de contraindre certains témoins à répondre à ses questions, sans l’assistance d’un avocat et à huis clos. Les témoins pourraient se voir offrir une immunité les protégeant contre toute poursuite, au cas où ils penseraient que leurs réponses présenteraient le risque des les incriminer.
L’enquête sur l’Aipac a semblé dormante, durant quelques mois, d’aucuns spéculant que cette enquête avait été placardisée, à cause des élections présidentielles. Pendant ce temps-là, l’Aipac a pu acquérir le soutien très puissant de certains législateurs et de dirigeants d’associations juives américaines, et elle a même utilisé l’enquête pour encourager les donateurs à se montrer généreux.
Condoleezza Rice, conseillère ès sûreté nationale du président Bush, et nominée pour le poste de Secrétaire d’Etat, a pris la parole devant le sommet national de l’Aipac, tenu en Floride en octobre dernier.
Certains officiels d’associations juives ont fait état de leurs soupçons, par le passé, au sujet de David Szady, haut responsable du contre-espionnage au FBI, qui supervise le procès, allant jusqu’à faire mine de s’interroger : « S’en prend-il aussi aux juifs qui travaillent au FBI ? ».
Pomerantz a dit qu’il n’avait jamais été le témoin de quoi que ce soit qui fût de nature à suggérer que Szady soit antisémite. Il a ajouté que l’idée qu’un simple quidam puisse prendre en otage la première agence exécutive de la nation (américaine) pour régler ses petits comptes personnels était « à tout le moins tirée par les cheveux ».
« Les types du FBI ne sont pas suicidaires », a-t-il ajouté. « Ils ne prennent pas l’Aipac à la légère, et ils ne sont pas sans savoir que c’est là une très puissante organisation, très bien vue par l’administration américaine actuelle. »
                   
24. La nouvelle Guerre froide. Nous menons une "guerre de civilisation". Pas seulement contre l’Islam ! par Justin Raimondo
on Antiwar.com le lundi 6 décembre 2004
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Les efforts états-uniens visant à exporter la « démocratie » en Ukraine laissent la plupart des sceptiques anti-interventionnisme pantois et confus. Une sorte de fantôme de l’ère soviétique, Léonide Kuchma, et son prince héritier préféré, le gardien du sérail Viktor Yanukovich, passent très largement pour avoir volé la récente élection présidentielle et la Cour suprême ukrainienne – supposée jusqu’ici n’être qu’un instrument docile, aux mains du régime – en a convenu. S’il est loisible de se poser la question de savoir, dans cette affaire, QUI a triché et jusqu’à quel point, la bande à Yanukovich ressemble plus, dans tous les cas de figure, aux mafiosi de la série Les Sopranos qu’à une meute de boy-scouts et n’importe quel autre équipe ne peut que sembler préférable. Des centaines de milliers de protestataires, tout d’orange vêtus, semblent le penser. Mais les choses, vues de Kiev, sont bien différentes de ce que l’on perçoit à Washington, où la fracture ukrainienne est présentée en des termes beaucoup plus réalistes : elle est censée opposer deux camps, de part et d’autre du dernier front d’une lutte géostratégique pour le pouvoir…
Ecoutons le pamphlétaire néoconservateur Charles Krauthammer, qui décrit avec une clarté limpide l’hypocrisie et le deux poids – deux mesures des champions libéraux occidentaux de Yuschchenko, qui osent remettre en question la bonne foi des efforts déployés par les Etats-Unis en vue d’implanter la « démocratie » en Irak :
« Zbigniew Brzezinski, opposant féroce au projet démocratique de l’administration Bush pour l’Irak, écrit avec passion au sujet de l’importance de la démocratie en Ukraine, dont il explique, entre autres, qu’elle pourrait produire un « effet domino », répandant la démocratie dans la Russie, sa voisine. Et pourtant, quand George Bush et Tony Blair invoquent le même argument à propos de l’effet salutaire de l’établissement de la démocratie au Moyen-Orient, où nous pouvons effectivement avoir les premières élections authentiquement libres, dans deux mois, si nous persévérons [dans notre politique], ces critiques soi-disant « réalistes » écartent cette hypothèse, en la qualifiant de naïve au dernier degré. »
Le conflit qui divise l’Ukraine, écrit Krauthammer, est une guerre « civilisationnelle », avec d’un côté une Russie méchante et autoritaire et, de l’autre, les anges de l’Occident :
« Bien volontiers, nous joignons les mains et nous félicitons ces jeunes gens qui bravent le froid dans les rues de Kiev. Mais dites-moi, alors, pourquoi un tel silence au sujet des Irakiens, jeunes et courageux, qui bravent les balles et les bombes, organisant les listes d’électeurs et négociant afin de former des coalitions, à l’heure où je vous parle ? Où est-il écrit : « La démocratie ? Seulement en Ukraine ! » ? »
Les contempteurs de l’intervention occidentale en Irak ont remis en question la bonne foi démocratique et libérale d’une « opposition » dirigée par un corrompu dont la réputation d’opportuniste à tout crin n’est en rien surfaite, et dont le Congrès National Irakien financé par les Etats-Unis a alimenté nos services de renseignement et les médias américains avec un régime constant de mensonges concernant d’inexistantes « armes de destruction massive » irakiennes. Mais leur scepticisme s’évapore telle rosée au soleil du matin lorsqu’il est question de ces deux modèles de « démocratie » à la mode ukrainienne : l’ex-Premier ministre et directeur de la banque centrale Viktor Yuschchenko et l’oligarque Yulia Timoshenko (son acolyte et la probable Premier ministre d’un gouvernement « réformiste ».)
A la tête de la Banque Nationale d’Ukraine (BNU), Yuschchenko a présidé à une fraude sans précédent, qui a enrichi certains oligarques, et tout particulièrement le tison de discorde Timoshenko et ses séides, qui contrôlent la partie occidentale du pays : leur pouvoir est ancré dans le monopole de l’énergie, qui est le domaine de la « Princesse du Gaz », comme on appelle populairement la Grajdanka Timoshenko. Il faut se souvenir que Chalabi, lui aussi, était un banquier. Mais il y a une différence : alors que l’Ali Baba des néocons a chouravé des milliards, non seulement à la banque jordanienne Petra, mais aussi aux contribuables américains, et les a utilisés directement à son bénéfice personnel, le scandale rôde AUTOUR de Yuschchenko, mais il ne l’affecte jamais directement. Il est perçu comme un « réformateur », précisément parce qu’il ne s’est jamais enrichi personnellement : il n’a fait qu’arroser ses bons copains, ses hommes de main et ses soutiens politiques. Nuance !
Le patron de la Timoshenko, le corrupteur Pavlo Lazarenko, qui a volé, avec la complicité de la BNU, une grande partie du prêt du Fonds Monétaire International et l’a passé à la machine à laver en Occident, a dû en fin de compte prendre la fuite. Mis en examen, il a fini en tôle, aux Etats-Unis.
La fâcheuse tendance chalabioïde qu’a Yuschchenko à inventer des contes à dormir debout est illustrée par son insistance à soutenir qu’il a été empoisonné par on ne sait quelle sinistre conspiration impliquant les forces pro-Yanukovich, sous-entendant par là, à mots couverts, que ce serait, en réalité, le KGB qui aurait fait le coup. Cette histoire a été annoncée avec tambours et trompettes, jusqu’à Pétaouchnoque, par les médias occidentaux pro-Yuschchenko, mais son ubiquité rappelle le sort de la crédulité pantoise qui accompagna les bobards chalabiens au sujet des « armes de destruction massive » : comme l’a dit un jour Gertrude Stein, parlant d’Oakland (Californie) : « Une fois là-bas, il n’y a plus de là-bas ! ». Le New York Times a publié un article démentant totalement les affirmations de Yuschchenko, suivi d’un récit plus favorable, mais toujours aussi sceptique, et en tous les cas fort révélateur :
« Le candidat a refusé qu’on procède à une biopsie à son visage, parce qu’il ne voulait pas « faire sa campagne avec des points de suture »… Mais la dioxine et les toxines similaires sont détectables, dans l’organisme, des années après une éventuelle exposition. La chargée de presse de Yuschchenko, Irina Geraschchenko, a indiqué que de tels tests n’avaient pas encore été effectués. »
O.K. Voyons si nous avons bien compris ? Il voulait bien faire campagne avec une tronche à la Frankenstein, et avec un cathéter dans la colonne vertébrale pour lui éviter de hurler de douleur. Mais : oh (chochotte…) ; surtout : pas de points ! De qui se moque-t-on ? L’incision requise par une biopsie n’a rien de véritablement chirurgical. C’est tout au plus une simple piqûre. Rien de plus.
Une biopsie aurait montré si, oui ou non, le candidat avait contracté un dysfonctionnement auto-immunitaire, rare, mais dévastateur, tel le myxœdème cutané qui provoque des défigurements identiques aux symptômes inesthétiques de Yuschchenko. Elle aurait aussi permis de détecter la présence éventuelle de toxines, telle la dioxine, dans l’épiderme, prouvant ainsi – ou écartant – le scénario de l’ « empoisonnement », une bonne fois.
Je me demande bien pourquoi Yuschchenko a refusé de se soumettre à cet examen très simple et indolore. Ce qu’en revanche, je ne me demande pas, c’est si Krauthammer dit vrai lorsqu’il décline les motivations des Européens à pousser dans le sens d’un « changement de régime » en Ukraine :
« C’est une question de « La Russie d’abord ; la démocratie, en second lieu ». Cet épisode ukrainien est un retour inopiné, presque nostalgique, aux temps de la Guerre froide. La Russie tente de s’accrocher aux derniers restes de son empire. L’Occident veut terminer le boulot entrepris avec la chute du mur de Berlin : il veut poursuivre l’avancée de l’Europe, en direction de l’est. »
C’est tout à fait vrai. Mais les pressions dans le sens de la « libération » de l’Ukraine ne relèvent pas du seul expansionnisme de l’Union européenne ; il ne s’agit pas seulement du premier véritable acte d’agression de la part d’un pouvoir impérialiste émergent : ces pressions s’inscrivent, aussi, dans une confrontation rôdant dans l’air, et voulue par l’Amérique, avec Moscou.
Ce que prennent pour cible les promoteurs d’une « guerre entre civilisation », ce n’est pas seulement le monde islamique : la Russie, elle aussi, est dans le collimateur du Parti de la Guerre, comme je l’ai déjà fait observer dans d’autres rubriques publiées sur ce même site. Etant l’épicentre de la civilisation slave orthodoxe, la Russie se trouve attaquée sur plusieurs fronts : non seulement en Ukraine, mais aussi en Tchétchénie, où les néoconservateurs américains ont pris fait et cause pour des « combattants de la liberté » liés à Al-Qa’ida, et dénoncé le président russe Vladimir Poutine, qu’ils qualifient de « dictateur en puissance ».
L’Occident s’est retourné contre Poutine, curieusement, au moment où celui-ci s’en prenait aux « oligarques », d’anciens responsables du Parti communiste, qui usaient de leur influence, dans l’Union soviétique en décomposition, pour piller les industries d’Etat, « propriété collective », dont des grands groupes industriels et des infrastructures, laissant place nette et exfiltrant leurs biens mal acquis à l’étranger. Le fait que ce pillage ait été perpétré sous couvert de « privatisation » a rendu odieuse toute idée de libéralisme et d’économie de marché en Russie, pavant la voie à l’ascension de Poutine, qui fut porté au pouvoir par une forte déferlante de rancœur contre la mise en coupe réglée des richesses du pays par lesdits oligarques.
Ceux-ci, toutefois, ayant déjà légitimé leur fortune en blanchissant l’argent volé via des investissements dans des entreprises toutes neuves, répliquèrent et attaquèrent en retour. Ils ne tardèrent pas à recevoir le renfort de leurs alliés occidentaux et de leurs agents stipendiés.
A l’Ouest, la réaction à la nouvelle réaffirmation de Poutine fut immédiate : elle prit la forme d’une campagne similaire à celle qui avait précédé la démonisation, puis le déboulonnage de Saddam Hussein et de Manuel Noriega, dans les médias occidentaux, des néoconservateurs du même acabit que Krauthammer prenant la tête de l’offensive. George W. Bush fit écho à leurs cris de guerre, quoique faiblement, lorsqu’il fit état de sa « préoccupation » quant à l’avenir de la « démocratie » en Russie : simultanément, une « lettre (ouverte » des cent », adressée à Poutine, bénéficia de la sponsorisation du Projet pour un Nouveau Siècle Américain : elle fut signée par un conglomérat des estropiés, allant des néocons militants jusqu’aux « progressistes » compatibles (c’est-à-dire : jusqu’aux fauteurs de guerre peints en rose). Cette lettre ouverte condamnait essentiellement Poutine et appelait à faire front, dans le style de la guerre froide, à la « menace » antidémocratique émanant du Kremlin. Anne Applebaum a donné le ton de cette campagne, lorsqu’elle a déclaré qu’un « Rideau de Fer » s’était abaissé, en travers des frontières orientales de l’Europe :
« Pour des Américains, il est vrai, tous ces endroits semblent obscurs et fort éloignés. Mais il en allait de même, soixante ans en arrière, en Pologne, tout au moins jusqu’à ce qu’il devint clair que les événements s’inscrivaient, en fait, dans une sorte de scénario : 1946 fut aussi l’année où Winston Churchill prononça son célèbre discours où il évoqua le « rideau de fer » qui s’était abaissé sur l’Europe, prédisant le début de la Guerre froide. En regardant en arrière, nous pourrions fort bien voir aussi, dans l’année 2004, l’année où un nouveau rideau de fer se sera abattu sur l’Europe, divisant le continent non plus en passant par le centre de l’Allemagne, mais tout au long de la frontière (orientale) de la Pologne. »
On ne sache que Poutine ou ses alliés aient jamais construit, ni en Ukraine, ni en Biélorussie, ni dans les environs, une quelconque nouvelle version du mur de Berlin : les citoyens de ces pays, et les Russes eux-mêmes, sont libres d’en sortir, et les Ukrainiens le feront par troupes entières lorsque leur absorption planifiée au sein de l’Union européenne sera éventuellement accomplie. Où sont les goulags ukrainiens, voire même russes, à propos ? Leur Guerre froide II – Le Retour se résume à des bobards autour de l’empoisonnement, par le KGB, de leur marionnette-chaussette ukrainienne.
Que vise, en réalité, la déclaration selon laquelle un « nouveau rideau de fer » se serait abattu, sinon à conjurer le spectre d’une confrontation militaire, dans le style de la (véritable) Guerre froide avec les restes de l’ex-Union soviétique ? Un conflit qui ne manquera pas de se produire, si nous persistons à montrer nos biscoteaux à Poutine, dans sa propre arrière-cour ?
Imaginez… Imaginez si la Chine et, disons, la France ou le Canada, exigeaient que des élections au Mexique soient cassées et refaites afin que leur candidat préféré puisse les remporter ? Au Kremlin, c’est la consternation, tandis que les néocons exultent, qui voient dans la Russie (et aussi, dans la Chine) le principal obstacle à l’hégémonie planétaire des Etats-Unis. Krauthammer, qui est à la fois le Clausewitz ET le Napoléon des généraux en peau de lapin, ne peut s’empêcher de s’exclamer :
« On ne peut presque s’empêcher d’être désolé, pour les Russes. (Presque, j’y insiste). Au cours d’une seule génération, ils ont perdu l’un des plus grands empires de toute l’histoire : tout d’abord, ils ont perdu leurs dépendances dans le Tiers-monde, qui s’étendirent, à un moment donné, du Nicaragua et de l’Angola jusqu’à l’Indochine ; puis ils ont perdu leur glacis, leur empire extérieur est-européen, aujourd’hui phagocyté par l’Otan et l’Union européenne ; et voilà que leur empire intérieur, celui des républiques soviétiques, est à son tour menacé…
« Les Islami-‘stans’ s’éloignent, lentement, mais sûrement. Les républiques baltes sont déjà dans l’Otan. La région transcaucasienne est instable et ensanglantée par les conflits. Toute ce qui reste de la Russie, ce sont les républiques slaves. La Biélorussie est, de fait, une colonie russe. Mais le gros morceau, c’est l’Ukraine, pour des raisons stratégiques (la Crimée…), historique (Kiev est considérée par le Russes comme le berceau de la civilisation slave) et, enfin, identitaires (la partie orientale de l’Ukraine est russe orthodoxe et russophone). »
Qu’excellentes nouvelles ce sont là, pour les guerriers civilisationnels, qui veulent s’en prendre à l’orthodoxie orientale, aussi bien qu’à l’Islam, dans leur folle entreprise visant à imposer la suprématie américaine à la planète ! Et quelles nouvelles exécrables, pour ceux qui redoutent les conséquences d’une politique étrangère (américaine) qui a réussi, jusqu’ici, à créer un approvisionnement inépuisable en ennemis de fraîche date, dans le monde entier. Le « bluff » de Poutine a échoué, s’esclaffe Krauthammer, qui ajoute :
« Il n’a pas le pouvoir de faire à l’Ukraine ce que ces prédécesseurs soviétiques ont fait à la Hongrie et à la Tchécoslovaquie, à l’époque de la Guerre froide. D’où le clash des civilisations avec pour enjeu l’Ukraine et, dans une certaine mesure, à l’intérieur de l’Ukraine : entre l’est, autoritaire et l’ouest, démocratique. »
Faire un lien entre la Communauté des Etats Indépendants [CEI] mise sur pied par les Russes, afin de constituer une zone de libre commerce et un nœud de coopération économique, et le Pacte de Varsovie, c’est tourner délibérément le dos à la réalité : le modèle qui correspond au vieux moule de Varsovie, c’est précisément l’Union européenne, à laquelle l’Ukraine sera rattachée si Yuschchenko et ses potes réussissent leur coup. L’Union européenne est non seulement vouée à une certaine forme de socialisme, bien que quelque peu allongé d’eau, et il est également très difficile d’en sortir, sinon quasi impossible. Comme le fait observer à juste titre le site Euabc.com :
« Aujourd’hui, un pays ne peut quitter l’Union européenne qu’après une décision prise à l’unanimité (ou alors, en violant la loi européenne). La Constitution de l’Union européenne comporte une clause permettant à un pays membre d’en sortir, après avoir négocié un accord à cette fin avec l’Union, ou unilatéralement, mais seulement après un délai de deux ans. »
Quand les Autrichiens ont élu un gouvernement politiquement incorrect, après des élections tout à fait libres et honnêtes, l’Union européenne a imposé des sanctions à l’Autriche, et elle a menacé de faire pire. Cela ne l’empêche nullement, aujourd’hui, de se draper de la toge des démocrates, en Ukraine…
Examinons qui est derrière les foules aisément manipulées et toutes d’orange vêtues, dans les rues d’Ukraine, qui sont favorables, on peut le comprendre, à tout changement, quel qu’il soit, qu’ils considèrent ne pouvoir être que pour le mieux. La version ukrainienne du Congrès National Irakien est encore plus équivoque et idéologiquement dérangée que la bande à Chalabi ne le fut jamais. Voici, par exemple, ce qu’a déclaré au quotidien pro-Yuschchenko, Ukrainska Pravda, Yulia Timoshenko, l’oligarque-métamorphosée-en-Robespierre de la Révolution Orange :
« [Timoshenko a juré de donner à la Russie une révolution similaire] : « Dès que notre révolution orange aura abouti, nous la porterons en Russie ». Timoshenko a ajouté qu’on pouvait d’ores et déjà voir des voitures ornées de rubans orange, à Moscou. »
Avec cette princesse Amazone transcaucasienne au poste de Premier ministre putatif de l’Ukraine, doit-on encore s’étonner si les Russes sont inquiets devant le risque qu’elle laisse son pays être utilisé à la manière d’un pion, sur l’échiquier de la nouvelle Guerre froide ?
Poutine a raison de redouter l’expansionnisme de l’Otan. Sans doute se souvient-il des assurances du secrétaire d’Etat James Baker et du ministre allemand des Affaires Etrangères Hans Dietrich Genscher, lors d’un sommet tenu à Moscou au sujet de la réunification allemande ; assurances rappelées par l’universitaire russe Susan Eisenhower :
« [Genscher] défendit le concept de la « non-expansion de l’Otan », une idée que Baker, lui aussi, avait avancée. Ce fut au cours de cette réunion, en février, que les mots clés furent prononcés, des mots qui font toujours l’objet de débats. Si une Allemagne unifiée était ancrée dans l’Otan, dit le Secrétaire d’Etat Baker à Gorbatchev, « la juridiction, et les forces (militaires) de l’Otan ne s’étendraient pas vers l’Est. »
« Apparemment, Gorbatchev fut réceptif à ces assurances, et il les reprit, insistant sur le fait que « toute extension de la zone Otan est inacceptable. »
« Je suis d’accord avec vous », répondit Baker.
Oh. Super ! Bravo pour CET accord-LA…
Maintenant que l’Occident est en train de pénétrer en Ukraine, et de parler ouvertement de l’incapacité des pays orientaux, dont la Russie, à se hisser au niveau du système politique en vigueur à Chicago, Brooklyn ou New York, Poutine a toutes les raisons de regretter la décision de Gorbatchev, ou tout du moins de s’en souvenir avec une certaine colère : la Géorgie, elle aussi, est vouée à l’adhésion à l’Otan, et les républiques russophones semi-indépendante et en rébellion, telles l’Abkhazie et l’Ossétie, sont des endroits à problèmes, qui n’attendent qu’une chose : l’intervention de l’Otan, à l’instar de la partie occidentale de l’Ukraine, qui menace de faire sécession, en cas de victoire des forces favorables à Yuschchenko.
Les Etats-Unis, au moyen de leur Fonds National pour la Démocratie, ont déversé des milliards de dollars afin de financer, de former, et d’assurer la logistique de l’organisation de Yuschchenko, qui a réussi à couper Kiev du monde et à tenir le gouvernement ukrainien en otage. Aujourd’hui, ils espèrent que leur investissement sera payant, sous la forme de l’isolement militaire, politique et économique, de la Russie.
Si Poutine est tellement détesté par les élites occidentales, ce n’est pas tant parce qu’il aspirerait à être un dictateur, qu’en raison de sa méfiance face à cet assaut tous azimuts. Il a détruit le pouvoir des oligarques russes, et il a misé sur le mauvais cheval oligarchique en Ukraine : Mme Timoshenko, alias « Princesse du Gaz » ukrainienne et ses alliés vont énormément profiter de leur alliance avec l’Occident. Le pipeline Odessa-Brody va commencer à couler à flots, et il en ira de même des subventions du gouvernement américain aux projets anti-économiques (de l’Ukraine).
Le vent glacial d’une nouvelle guerre froide doit être stoppé avant qu’il n’entraîne une congélation à cœur généralisée. L’intervention américaine en Ukraine, quelle qu’en soit la forme, n’est pas admissible, et elle devrait être illégale, tout comme est hors-la-loi tout financement d’une quelconque campagne électorale étrangère par les Etats-Unis. La tragédie de la « révolution orange » ukrainienne, toutefois, tient au fait qu’un jour, lorsque les Ukrainiens « libérés » se réveilleront et découvriront qu’ils ont été vendus contre des marchandises, le certificat de garantie de ces marchandises sera déjà périmé. Lorsque ces jeunes « révolutionnaires orange », dans les rues de Kiev, qui proclament les vertus de la paix et de la liberté, découvriront qu’on les a trompés afin de transformer leur pays en rampe de lancement pour les interventions militaires de l’Otan dans le Caucase, et au-delà, que feront-ils ? Rien, probablement, leur « révolution » ayant été déclarée officiellement terminée, et totalement trahie, depuis belle lurette.
                         
25. Regards coraniques sur les chrétiens par Maurice Borrmans
in Etudes du mois de décembre 2004

(Maurice Borrmans est professeur émérite du Pontificio Istituto di Studi Arabi et d’Islamistica de Rome. A été longtemps rédacteur en chef de la revue Islamochristiana. A notamment publié : aux Ed. Saint-Paul, Dialogue islamo-chrétien à temps et contretemps (2002) ; aux Ed. Desclée : « Jésus et les musulmans d’aujourd’hui (1996).)
Un précédent article, « Foi chrétienne et versets coraniques [1] », évoquait les « paradoxes sans nombre » que la lecture attentive de la Bible et du Coran ne cesse de faire apparaître aux yeux de qui s’interroge sur l’avenir des relations entre chrétiens et musulmans. Certes, le musulman ne saurait s’étonner qu’il n’y ait aucune allusion à l’islam en tant que tel dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament, puisqu’il n’apparaît dans l’histoire qu’au septième siècle, bien que l’attitude spirituelle signifiée par le mot ‘islâm’, soumission totale et confiante à la volonté de Dieu, soit maintes fois évoquée et personnalisée dans de nombreux chapitres de la Bible, tous Testaments confondus. Le Coran, en revanche, n’est pas sans faire mention des chrétiens, qui s’y trouvent désignés sous le nom de Nasârâ (14 occurrences), ou Gens du Livre lorsqu’ils y sont confondus avec les juifs (32 occurrences), ou Gens de l’Evangile (5,47) quand ils ne sont pas appelés ‘ceux qui ont suivi Jésus’ (57,27). Il n’est donc pas sans intérêt d’interroger les versets coraniques à leur sujet et de découvrir comment ils sont connus ou reconnus, estimés ou contestés, car il y va du dialogue amical que chrétiens et musulmans s’efforcent de vivre aujourd’hui, malgré les difficultés de l’heure.
Des chrétiens proches des musulmans
Le chrétien qui s’y trouve engagé à titre personnel y entend souvent ses amis musulmans répéter ce verset de l’amitié : « Tu trouveras, certes, que les plus proches de ceux qui ont cru [il s’agit des musulmans] par l’amitié sont ceux qui disent : « Nous sommes chrétiens », et cela parce qu’il y a, parmi eux, des prêtres et des moines et parce qu’ils ne sont pas orgueilleux » (5,82) ; bien que la première partie du même verset ne soit guère agréable envers les « autres », puisqu’il y est dit : « Tu trouveras, certes, que les plus hostiles envers ceux qui ont cru sont les juifs et ceux qui donnent des associés à Dieu [en bref, les polythéistes]. » Mais qui sont exactement ces chrétiens appelés ‘Nasârâ’ par le Coran, dont il est précisé aussitôt que « lorsqu’ils entendent ce qu’on a fait descendre vers l’Envoyé, tu vois leurs yeux déborder de larmes à cause de ce qu’ils savent de vérité » (5,83) ? S’agit-il d’un groupe bien spécifique de chrétiens que Muhammad aurait rencontré en Arabie, qu’il faudrait appeler ‘Nazaréens’ (comme le font aujourd’hui certains traducteurs musulmans du Coran), et qui y étaient proches des premiers musulmans ? Ou s’agit-il bien de tous les chrétiens d’hier, d’aujourd’hui et de demain, comme le pensent nombre de commentateurs modernes ? Dans ce cas, il conviendrait de donner une interprétation extensive au terme coranique ‘Nasârâ’, même si, depuis toujours, les chrétiens arabes s’appellent ‘Masîhiyyûn’, ce qui serait à traduire « chrétiens » ou « messianistes », puisque Jésus est également nommé Messie dans les dernières sourates médinoises du Coran (11 occurrences), même si, pour la plupart des commentateurs musulmans, cela ne signifie pas qu’il soit « l’oint » du Seigneur, mais qu’il guérissait les malades en les « oignant ».
C’est bien dans cette deuxième perspective qu’il conviendrait d’accueillir ce verset, même si son contexte n’annonçait guère une telle « amitié » entre musulmans et chrétiens. En effet, la sourate 5, à laquelle il appartient, est médinoise et a pour titre « La Table servie ». Elle développe à partir du verset 41 une longue diatribe contre les Gens du Livre (les juifs et les chrétiens). Les hypocrites et les juifs médinois sont d’abord pris à parti, pendant que juifs et chrétiens sont invités à arbitrer selon la Torah et l’Evangile (5,41-50). Les croyants (les musulmans) se voient ensuite interdire toute alliance avec les juifs et les chrétiens : « Ne prenez point les juifs et les chrétiens comme alliés : ils sont alliés les uns avec les autres » (5,51). Et c’est après avoir renouvelé ses accusations contre les juifs (5,78-81) que le verset 82, cité plus haut, vient préciser l’état des rapports entre musulmans et non musulmans. Le fait est que le Coran prend acte de la grande diversité des nations et des religions, tout en insistant sur l’unité d’origine de l’espèce humaine, puisqu’Allâh y rappelle aux musulmans : « Nous vous avons créés d’un mâle et d’une femme et nous vous avons constitués en peuples et en tribus pour que vous vous connaissiez » (49,13) ; et un hadîth célèbre affirme que tous les humains sont « la famille de Dieu » au nom d’une même dignité qui remonte à Adam que Dieu a créé « en la plus belle prestance » (95,4) et dont « il a honoré tous les descendants » (17,70). Le précédent article [2] a insisté, à juste titre, sur cette commune « adamité » de tous les humains, qui fonde ainsi leurs droits et leurs devoirs tant vis-à-vis de Dieu que de tous leurs frères en Adam.
Des chrétiens qui « errent »
Si l’amitié des musulmans avec les chrétiens est ainsi possible au titre de la création et en raison d’une proximité mystérieuse, il n’en reste pas moins que la première sourate du Coran soupçonne ces derniers d’être dans « l’erreur » (1,7), et que l’une des dernières sourates, dans l’ordre chronologique, les admoneste en ces termes : « Ne soyez pas extravagants en votre religion » (5,77). Car il y est successivement affirmé : « Impies sont ceux qui disent : « Allâh est le Messie, fils de Marie » (5,17 et 72), et « Impies sont ceux qui disent : « Allâh est le troisième de trois » » (5,73), alors qu’ « il n’y a de dieu qu’un Dieu unique » (5,73). Il reste entendu que « le Messie, fils de Marie, n’est qu’un Envoyé » (5,75) semblable à beaucoup d’autres : en effet, le Jésus coranique (‘Isâ), à la différence du Jésus des évangiles (Yasû’), n’est qu’un prophète, sans doute exceptionnel, parmi les vingt-cinq prophètes dont parle le Coran, venu prêcher aux siens le pur monothéisme de la religion primordiale telle qu’Allâh l’a inscrite dans la nature (fitrah) d’Adam. Comme on peut l’entrevoir, il y a méprise sur la véritable Trinité telle que la professe la foi des chrétiens. De fait, le texte coranique poursuit, plus loin : « Quand Allâh demanda : « O Jésus, fils de Marie, est-ce toi qui as dit aux humains : Prenez-nous, moi et ma mère, comme deux dieux en sus de Dieu ? » » (5,116). Et ‘Isâ de répondre qu’il n’en a jamais rien dit et que Dieu sait bien qu’il n’a jamais dit cela : « Tu sais ce qui est en moi et je ne sais pas ce qui est en toi. » Telle serait l’erreur en laquelle se trouveraient être les chrétiens : accusés d’un étrange polythéisme (croire en trois dieux !), ils seraient infidèles au strict monothéisme tel que Jésus le leur aurait transmis. D’autant plus que celui-ci, ‘Isâ, ignore tout de Dieu, son Père, et le fait savoir « aux tout petits […], car nul ne connaît le Fils si ce n’est le Père, comme nul ne connaît le Père si ce n’est le Fils, et celui à qui le Fils veut bien le révéler » (Mt 11,25-27).
Curieuse méprise, qui brouille les relations amicales entrevues, car elle entretient le soupçon, même si les représentants actuels de l’islam reconnaissent que les chrétiens sont des monothéistes et si certains de leurs théologiens sont mieux informés quant au mystère chrétien du « Dieu unique en trois personnes, Père, Fils et Saint-Esprit ». Comment interpréter ce profond malentendu, si souvent exprimé par le Coran ? Maintes fois, celui-ci dénonce le fait qu’ « Allâh se soit pris [ait adopté@ un enfant » (2,115 ; 10,68 ; 18,4 ; 19,88 ; 21,26 ; 23,91), car alors il ne serait plus l’omnipotent, puisqu’il aurait besoin d’un fils pour poursuivre ou achever son entreprise ! Qui plus est, on peut lire ailleurs : « Notre Seigneur ne s’est pris ni compagne ni enfant » (72,3), avant que le témoignage du pur monothéisme ne soit finalement proclamé : « Dis : « Il est Allâh, unique, Allâh le seul. Il n’engendre pas et n’est pas engendré. Nul à lui n’est égal » » (112,1-4). On sait aussi que le Coran, s’il affirme, deux fois, la naissance virginale de Jésus et s’il fait souvent l’éloge de sa mère, tout en reconnaissant qu’il fut « confirmé par l’Esprit de sainteté » (2,87 ; 2,253 ; 5,110), qu’il lui fut donné « le Livre, la Sagesse, la Torah et l’Evangile » (3,48 ; 5,110) – et plus spécialement « l’Evangile » (5,46 ; 57,27) –, refuse qu’il soit mort crucifié (3,55 ; 4,158) et déclare qu’il a été élevé au ciel d’où il reviendra à la fin des temps comme « signe de l’heure » et mahdî musulman. Un verset décisif dit assez quelle est son identité dans le contexte qui précède : « Le Messie, Jésus, fils de Marie, est seulement l’Envoyé d’Allâh, Son Verbe jeté par Lui en Marie et un Esprit [émanant] de Lui. Croyez en Allâh et en Ses Envoyés et ne dites point : « Trois ! » Cessez. C’est un bien pour vous. Allâh n’est qu’un dieu unique » (4,171).
Quelques versets coraniques se font l’écho des querelles christologiques qui agitaient alors les communautés chrétiennes : « Les factions se sont opposées entre elles » (3,19 ; 19,37 ; 43,65) à propos de « Jésus, fils de Marie, parole de vérité qu’ils révoquent en doute » (19,34). Il est aussi affirmé que les Nasârâ ont oublié une partie de l’alliance nouée avec Dieu, si bien que celui-ci dit alors : « Nous avons excité entre eux l’hostilité et la haine jusqu’au Jour de la Résurrection » (5,14 ; 5,64). Tels sont les versets qui font obstacle à l’amitié entrevue plus haut, car comment serait-elle possible avec des chrétiens accusés de pratiquer un « shirk [polythéisme] mineur », comme le disait Ibn Taymiyya (1263-1328), hanbalite de stricte observance, d’autant plus qu’ils font du Messie un Verbe incarné, mort sur la croix pour une rédemption universelle et ressuscité pour une assomption divine, ce qui donnerait à sa mère, Marie, une relation privilégiée à sa divinité ? Qui plus est, ces mêmes chrétiens sont loin de partager la même foi et la même communion : leurs divisions ne donneraient-elles pas raison aux affirmations mêmes du Coran ? Telles sont les questions sur lesquelles chrétiens et musulmans se doivent donc de s’expliquer, dans la clarté et le respect, d’autant plus qu’un certain verset les y invite : « Ô Gens du Livre ! Venez-en à une parole commune entre nous et vous : nous n’adorons que Dieu (Allâh), nous ne Lui associons rien, et nul parmi nous ne se donne de Seigneur en sus de Lui » (3,64). Invitation pressante à s’expliquer sur le monothéisme des uns et des autres, car il est bien vrai que les chrétiens n’adorent que Dieu seul, le proclament Seigneur à l’exclusion de tout autre, et ne lui associent personne, de leur propre initiative, même si leur foi reconnaît que « Dieu a voulu avoir besoin des hommes ». Que les musulmans et les chrétiens prennent donc acte de ce que leurs approches de la transcendance divine s’avèrent de plus en plus divergentes ! S’il apparaît aux premiers qu’Allâh ne saurait jamais « sortir » de sa transcendance, au risque d’en trahir la grandeur (d’où le Allâh akbar musulman, car « Allâh est plus grand » que tout autre), il est clair, pour les seconds, que Dieu peut d’autant mieux affirmer sa transcendance en y renonçant partiellement pour s’abîmer dans l’immanence ; d’où la merveille de l’incarnation du Verbe et de son pouvoir rédempteur à travers l’œuvre re-créatrice de la crucifixion et de la résurrection de Jésus.
C’est ici que, pour mieux se reconnaître différents en vérité, les uns et les autres devraient s’expliquer sur leur approche différenciée du mystère divin, par nature inconnaissable selon les musulmans – car Allâh seul « connaît parfaitement les mystères » (5,116) – et, par grâce, connaissable selon les chrétiens, car « nul n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique, qui est dans le sein du Père, lui, l’a fait connaître » (Jn 1,18). Certes, les musulmans insistent à bon droit, et non sans fierté, sur la quadruple dimension de leur monothéisme (tawhîd) : tawhîd de l’essence divine, tawhîd de ses attributs, tawhîd de ses actes et tawhîd du culte qui lui est rendu – le tout soulignant et exaltant une « passion de l’unité ». Mais les chrétiens, confidents privilégiés (mais sans mérite de leur part) du Dieu unique qui se révèle Père par Jésus Christ dans l’unité de l’Esprit, pourraient insister tout autant sur ce mystère d’unité qui fait que les trois personnes divines (hypostases, en bonne théologie) ne font qu’un : les trois personnes sont consubstantielles l’une à l’autre, car la substance divine est unique, tout comme leurs attributs et leurs actes leur sont communs, même si la communication des idiomes attribue plus particulièrement la création au Père, la rédemption au Fils et la sanctification au Saint-Esprit, car ce sont les trois personnes, dans leur unité même, qui ensemble créent, rachètent et sanctifient. Splendide mystère d’unité, qui se manifeste encore dans le culte chrétien et la divine liturgie de l’Eucharistie, puisque « tout honneur et toute grâce y sont offerts au Père par Jésus-Christ dans l’unité du Saint-Esprit pour les siècles des siècles ». Tel est donc le monothéisme chrétien où l’unité de Dieu s’épanouit, par pure révélation gratuite, en ce dévoilement intime du mystère des trois personnes qui se consume dans l’unité. Chrétiens et musulmans auraient ainsi bien des choses à se dire quant à leur prière – dont Bâjûrî, théologien égyptien, disait qu’elle est « le banquet des monothéistes » - et quant aux modèles qui les inspirent dans leur fidélité à « Dieu, premier servi ».
Des chrétiens « évangéliques »
Comment ne pas lire alors, avec surprise, les versets coraniques qui renvoient les chrétiens à l’Evangile et « à le traduire en actes » (bien que l’on ne sache pas s’il s’agit de leurs quatre évangiles et de leur message commun ou du livre donné à ‘Isâ, mais disparu, ou bien transmis « falsifié » par les chrétiens) : « Que les Gens de l’Evangile arbitrent d’après ce qu’Allâh y a révélé » (5,47) ; et surtout : « O Gens du Livre, vous ne serez pas dans le vrai avant d’avoir observé la Torah, l’Evangile et ce qu’on a fait descendre vers vous » (5,68). Si l’amitié est possible entre musulmans et chrétiens, c’est parce que, aux dires des auteurs du Commentaire du Manâr (1898-1935), les prêtres et les moines savent transmettre à ces derniers les valeurs de l’Evangile. Si Dieu est proclamé « lumière sur lumière », à la ressemblance d’une certaine « lampe dans une niche » (24,35), n’est-ce pas parce que « [cette lampe] se trouve dans les maisons qu’Allâh a permis d’élever, où son nom est invoqué, où des hommes célèbrent ses louanges à l’aube et au crépuscule. Nul négoce et nul troc ne les distraient du souvenir de Dieu (Allâh), de la prière et de l’aumône » (24,36) ? Eloge merveilleux de ces lieux où des chrétiens consacrés vivent le « Dieu premier servi » de leur spiritualité monacale ; ou, tout simplement, intérêt étonné pour ces béatitudes évangéliques que nombre de chrétiens pratiquent dans leur vie quotidienne partagée avec leurs voisins musulmans ! Certes, il est aussi dit que beaucoup n’ont pas observé la Torah et l’Evangile, mais « il existe, parmi eux, une communauté qui agit avec droiture (umma muqtasida) » (5,66).
Il est vrai que le monachisme (rahbâniyya) suscite étonnement et respect chez les musulmans : ne s’inscrit-il pas dans la droite ligne des vertus évangéliques ? Le Coran affirme : « Nous [Allâh] lui [Jésus] avons donné l’Evangile. Nous avons mis dans les cœurs de ceux qui le suivent compassion et miséricorde, ainsi que du monachisme » (57,27) ; même si c’est pour affirmer aussitôt que les disciples « l’ont inventé – Nous ne le leur avions pas prescrit –, uniquement poussés par la recherche de la satisfaction d’Allâh. Mais ils ne l’ont pas observé comme ils auraient dû le faire » (57,27). Verset difficile, qui autorise deux interprétations, car un hadîth de Muhammad annonce péremptoirement : « Il n’y a ni monachisme ni virginité consacrée en Islam », tandis qu’un autre enseigne que « notre monachisme, c’est le jihâd », cet effort pour accomplir la volonté de Dieu sous forme pacifique et parfois belliqueuse. Il n’empêche que le monachisme des chrétiens n’est pas sans exercer un certain attrait, surtout auprès des musulmans sensibles aux valeurs du soufisme, même s’ils sont accusés d’ « avoir pris leurs moines, ainsi que le Messie, fils de Marie, comme « seigneurs » en sus d’Allâh » (9,31), et si certains de ces moines « dévorent les biens des gens illégalement » (9,34). Echo lointain de rencontres multiples qui a laissé maintes traces dans la littérature arabe. Certains « spirituels » en islam n’ont-ils pas manifesté une curieuse nostalgie du monachisme ? Et pourquoi n’en serait-il pas de même aujourd’hui ? Les moines trappistes de Tibhirine, en Algérie, pourraient nous en parler longuement s’ils étaient encore des nôtres !
Une « table servie » qui demeure une énigme
Il s’avère néanmoins que les chrétiens évangéliques ne lisent pas sans intérêt les derniers versets de la sourate de « La Table servie », où les disciples de Jésus sollicitent de celui-ci un miracle des plus significatifs à leurs yeux : « Ô Jésus, fils de Marie ! Ton Seigneur peut-il, du ciel, faire descendre sur nous une Table servie ? » (5,112). Et puisque Jésus, selon le Coran, leur répond d’abord : « Craignez Dieu, si vous êtes croyants » (5,112), ils se permettent d’insister en ces termes : « Nous voulons en manger et que nos cœurs soient rassurés ; nous voulons être sûrs que tu nous a dit la vérité, et nous trouver parmi les témoins » (5,113). Curieuse insistance et requête paradoxale de leur part, qui incitent alors Jésus à en solliciter le don auprès du Seigneur qui est toute « Providence » ; d’où cette merveilleuse prière qui n’est pas sans parfum évangélique : « Ô Dieu (Allâh), notre Seigneur ! Du ciel, fais descendre sur nous une Table servie qui soit pour nous une Fête, pour le premier et le dernier d’entre nous, et un Signe venu de Toi. Donne-nous [notre pain], Toi qui est le meilleur de ceux qui [le] donnent ! » (5,114).
Quelle serait donc cette Fête – ‘îd en arabe – (ce mot n’apparaît qu’une fois dans le Coran, et c’est, ici, au seul avantage des chrétiens !) ? Le texte n’en dit rien, mais de nombreux commentateurs musulmans ont voulu y voir une allusion à la « multiplication des pains » par Jésus (Mt 14,13-21 et 15,32-39 ; Mc 6,30 et 8,1-10 ; Lc 9,10-17 ; Jn 6,1-13), ou bien à la demande d’une « manne céleste », faite par le peuple d’Israël au désert (Ps 78,17-20), ou bien encore à la « grande nappe » qui, à Césarée, descendit devant Pierre pour lui révéler que tout es licite (Ac 10,11-16). En revanche, les chrétiens y devinent d’instinct (mais seraient-ils « dans l’erreur » ?) une allusion à la Sainte Cène d’un certain Jeudi soir, devenue leur Eucharistie dominicale, sinon quotidienne, d’autant plus que la promesse divine que relate le Coran n’est pas sans leur rappeler les objurgations de Paul au terme de son récit de l’institution de l’Eucharistie (1 Co 11,27) : « Moi, en vérité, y dit Allâh, je la fais descendre sur vous ; mais quiconque d’entre vous sera incrédule (à son sujet), moi, je le châtierai d’un châtiment dont je n’ai encore jamais châtié personne dans l’univers » (5,115). Lectures parallèles, vraiment contrastées et apparemment opposées, et pourtant reliées entre elles par le désir d’une Fête qui soit aussi ce « banquet des monothéistes » dont il a été parlé plus haut. Ceux et celles qui aiment « partager le pain et le sel » en compagnons de route savent bien que tout dialogue passe par le repas de l’hospitalité, à l’image de celui qu’Abraham offrit jadis à ses hôtes inconnus, comme nous le rapportent la Bible et le Coran.
Chrétiens et musulmans en dialogue
Deux fois il est dit dans le Coran : « Ceux qui croient [les musulmans], ceux qui pratiquent le judaïsme, les chrétiens, les sabéens – ceux qui croient en Allâh et au Dernier Jour et accomplissent œuvre pie –, ont leur rétribution auprès de leur Seigneur. Sur eux nulle crainte et ils ne seront point attristés » (2,62 ; 5,69), même si les sabéens précèdent les chrétiens dans le second de ces versets [3]. La droiture du cœur et la récompense de l’au-delà seraient ainsi garanties à tous ceux qui croient et accomplissent le bien. Double affirmation, qui devrait rassurer les uns et les autres, même si beaucoup pensent qu’elle est abrogée par un verset subséquent qui ordonne : « Combattez ceux qui ne croient ni en Allâh ni au Jour Dernier, qui ne déclarent pas illicite ce qu’Allâh et son Envoyé ont déclaré illicite, qui ne pratiquent pas la religion de la vérité, parmi les Gens du Livre, jusqu’à ce qu’ils paient directement le tribut tout en étant humiliés » (9,29). Si ce dernier verset est à l’origine du « statut de dhimmitude » en islam, il n’élimine pas pour autant la teneur des versets précédents, ainsi que celui qui affirme qu’il n’y a « pas de contrainte en religion » (2,256), d’autant plus qu’on peut aussi lire, dans le Coran : « Si Allâh avait voulu, Il aurait fait de vous une communauté unique. [Il ne l’a] toutefois [pas fait], afin de vous éprouver en ce qu’Il vous a donné. Devancez-vous donc mutuellement dans les bonnes actions » (5,48). Nombreuses sont ici les interprétations possibles, mais beaucoup y voient aujourd’hui un verset en faveur d’un pluralisme communautaire respectueux et d’un dialogue interreligieux possible. Ne suffit-il pas alors, pour tous les croyants sincères, de pratiquer une « émulation spirituelle » sous le regard du Dieu qui entend rassembler, un jour, « sa famille » ? D’ailleurs, n’a-t-il pas pour « beau nom » le « Rassembleur » (al-Jâmi’) ?
Un autre verset pourrait alors être médité, qui rappelle aux uns et aux autres : « La bonté pieuse ne consiste pas à tourner votre face du côté de l’orient et de l’occident, mais l’homme bon est celui qui croit en Allâh et au Dernier Jour, aux Anges, au Livre et aux Prophètes, qui donne du bien – quelqu’amour qu’il en ait – aux Proches, aux Orphelins, aux Pauvres, au Voyageur, aux Mendiants et pour l’affranchissement des Esclaves, qui accomplit la Prière et donne l’Aumône. Et ceux qui remplissent leurs engagements quand ils les ont contracté, les Constants dans l’adversité, dans le malheur et au moment du danger, ceux-là sont ceux qui sont véridiques, ceux-là sont ceux qui craignent Dieu » (2,177). De plus, d’autres versets conseillent de s’encourager mutuellement « à la vérité et à la patience » (103,3), ainsi qu’ « à la patience et à la mansuétude » (90,17), tout en reconnaissant que « le plus noble d’entre vous, auprès de dieu, est le plus craignant [Dieu]. » (49,13). Qui ne voit les amples perspectives qu’ouvrent, aux uns et aux autres, ces versets qui semblent très proches des meilleurs enseignements de l’Ancien Testament et encouragent les croyants sincères à imiter, à leur manière toute humaine, ces admirables attributs divins que sont la paix, la justice, la miséricorde, la patience et le pardon ?
Telles sont les réflexions paradoxales que ne manque pas de susciter une lecture attentive et critique des versets coraniques quant à ce qu’ils disent des chrétiens et de leur christianisme. Il faut bien avouer qu’on en peut faire des lectures contradictoires, qui iraient dans le sens de l’amitié ou de l’inimitié. Certains versets sont en faveur d’un « rapprochement », mais auraient-ils un sens global et absolu ? D’autre semblent proposer du christianisme une image partielle et partiale, dans laquelle les chrétiens ne se reconnaissent pas : s’agirait-il alors d’un christianisme dévoyé de quelque secte disparue que le Moyen-Orient aurait connue au septième siècle ? Le fait est que la théologie classique musulmane a assumé, non sans amalgames et malentendus, toutes les critiques formulées à l’endroit du christianisme tel que les chrétiens l’affirment et le vivent. Si les chrétiens se voient ainsi soupçonnés en leur monothéisme, n’est-il pas souhaitable qu’ils s’en expliquent, comme tentent de le faire maints colloques amicaux de dialogue spirituel depuis une quarantaine d’années ? Il n’en reste pas moins vrai que le Coran se fait l’écho de certaines valeurs évangéliques, que les musulmans aimeraient voir pratiquer par les  chrétiens, même s’ils estiment qu’il n’en est pas de même pour eux. La conscience des uns et des autres ne demeure-t-elle pas, en fin de compte, le temple où l’Unique parle au cœur de tout homme pour lui révéler l’expression de sa volonté ou l’intimité de son être ? C’est jusque-là que les hommes et les femmes de dialogue devraient faire porter leurs échanges, pour d’autant mieux s’engager dans la « cité des hommes » qui attend un commun témoignage et un engagement solidaire des croyants de toutes traditions religieuses au nom du Dieu unique, qui est Paix, Justice, Pardon et Réconciliation pour tous, alors qu’Il a des noms plus secrets qu’Il réserve à ses intimes – et les chrétien sen savent quelque chose ! Malgré les malentendus répétés que réveillent, hélas, les tragiques événements actuels et leurs horreurs sans nombre, n’est-il pas plus urgent que jamais, pour les croyants, de relire leurs livres sacrés et d’y redécouvrir les promesses d’une hospitalité réciproque, telle qu’Abraham l’offrit en son temps à des hôtes mystérieux qui s’avèrent être aujourd’hui tous nos frères en humanité ?
- NOTES :
[1] : Dans Etudes, juillet-août 2003, pp. 59-70.
[2] : Ibidem.
[3] : Les Sabéens, monothéistes baptistes, seraient à identifier avec les Mandéens ou les Elkasaïtes, non sans lien avec les Ebionites ou bien avec des « astrolâtres » de Harrân, en Haute-Mésopotamie.
                               
26. Paul-Marie de La Gorce - Notre collaborateur est décédé le 1er décembre à Paris par Hamid Barrada
in Jeune Afrique - L'intelligent du dimanche 5 décembre 2004

Philadelphie. Danièle et Paul-Marie de La Gorce s’attardent aux États-Unis après la réélection de George W. Bush. Ils sont en train de quitter leur hôtel. « Attention à la marche », lance Paul-Marie, en retenant affectueusement son épouse. Et c’est lui qui tombe. Il a très mal mais n’en a cure. Il ne consulte un médecin que deux jours après. Fracture au pied. Verdict : plâtre et huit semaines de repos. « Impossible », proteste Paul-Marie, je dois être en janvier à Bagdad. Les de La Gorce retrouvent leur fille Nathalie à New York et le 10 novembre ils fêtent ensemble le 76e anniversaire de Paul-Marie.
Dans l’avion du retour, le 12, Paul-Marie, par ailleurs cardiaque, ne peut plus donner le change. On craint le pire. Et c’est en ambulance qu’il est conduit à l’Hôpital Pompidou. Il n’y restera guère et signe toutes les décharges pour sortir. Pas question de mettre en péril le voyage irakien ! Le 14, Paul-Marie est accueilli à l’Hôpital américain. Coma, opération, affection imprévue, médication contre-indiquée jusqu’à la fin, le 1er décembre. Un ami est catégorique : la décision de quitter Pompidou a été fatale.
Générosité, don de soi, ignorance du risque, décontraction, à la fois feinte et réelle, boulimie de travail… On retrouve tout Paul-Marie dans ces péripéties dramatiques. Il avait non pas une, mais plusieurs vies bien remplies. On connaissait le journaliste multiforme : radio, télévision, presse écrite. Il avait débuté comme correspondant de journaux étrangers. En pleine guerre d’Algérie, il collabore à France Observateur, l’ancêtre du Nouvel Obs ainsi qu’à L’Express dont il provoque la saisie. Directeur de la revue Défense nationale, choniqueur à l’ORTF ou à RMC, mais la palme de la longévité (ou plutôt de la fidélité) revient à Jeune Afrique où l’on trouve sa signature dès 1961.
Paul-Marie de La Gorce était aussi écrivain. Quelques titres donnent une idée de la nature et de l’étendue de ses préoccupations. De Gaulle entre deux mondes (1963), Clausewitz et la stratégie moderne (1964), La France pauvre (1965), L’État de jungle (1982), La Prise du pouvoir par Hitler 1928-1933 (1983), La Guerre et l’atome (1985), Requiem pour les révolutions (1990). Son œuvre maîtresse reste 39-45, Une guerre inconnue (1995). L’année suivante, un lustre avant le 11-Septembre, il livrait une réflexion prémonitoire : Le Dernier Empire.
Paul-Marie de La Gorce trouvait le temps de tâter de la politique active. Ce gaulliste de gauche avait appartenu au cabinet de Christian Fouchet (Intérieur) puis à celui d’Yves Guénat (Information) avant de diriger le cabinet de Léon Hamon et rejoindre ensuite celui du Premier ministre Pierre Messmer (1972-1974). Les temps ont changé et, ces dernières années, il ne se reconnaissait des affinités qu’avec un Michel Jobert (disparu en 2002) ou un Jean-Pierre Chevènement. L’attachement quasi mystique à la nation et son corollaire, l’indépendance nationale, demeuraient à ses yeux les valeurs cardinales. À Paris, PMG passait pour un « ami des Arabes ». Une pièce de musée ou une difformité à cacher. Les Arabes comptent, à vrai dire, beaucoup d’amis pas toujours désintéressés. Ce n’est pas le cas de Paul-Marie de La Gorce. Il se montrait parfois inconditionnel (on ne pouvait pas critiquer la Syrie devant lui), mais sa lucidité était rarement mise en défaut. Son amitié procédait à vrai dire de la connaissance. Lui continuait à suivre les affaires du Proche-Orient, y allait régulièrement, connaissait « les Arabes » de l’intérieur, quand la plupart des faiseurs d’opinion se contentaient de données périmées ou carrément d’inépuisables clichés.
Et puis, il voyait juste. À propos de la crise algérienne. Alors que la poussée islamiste semblait irrésistible et l’effondrement de l’armée programmée, PMG tablait sur un redressement de la situation et un sursaut de la nation.
J’ai vu Paul-Marie – avec Danièle – pour la dernière fois la veille des élections américaines : « Votre pronostic ? » – « Scoop : Kerry a une chance sur deux ! » Le sort de nos deux confrères otages en Irak ? Il était bien informé et gardait bon espoir. Sur la rébellion, il se montrait précis et soulignait les différences entre ses secteurs : « C’est une résistance nationale. » Ses chances de tenir le choc ? « Elles ne sont pas nulles : n’oubliez pas que c’est une guérilla menée par une armée de métier disposant d’une stratégie, d’officiers et d’hommes aguerris. » Il en dirait plus après son séjour à Bagdad. Je guetterai votre retour.
                       
27. Elections, vous avez dit : "Elections" ? par Immanuel Wallerstein
in Commentary N° 150 du mercredi 1er décembre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Commentary est une publication du Fernand Braudel Center, Binghamton University de New York.)
Les élections sont devenues la chose la plus naturelle qui soit, dans notre monde contemporain. Presque tous les pays procèdent à des élections, de manière répétée. Mieux encore, presque tout pays clame qu’il est une démocratie. En prononçant le mot ‘démocratie’, la première chose à quoi l’on pense, c’est le fait que ce système politique implique la tenue d’élections. Mais pas de n’importe quel type d’élections ; on pense à ce qu’il est convenu d’appeler des élections « libres ». Selon la plupart des définitions, une élection libre, c’est au minimum une élection où des candidats alternatifs, représentants différents points de vue, peuvent se présenter à l’électorat, communiquer librement avec lui et être élus par les votes librement exprimés dudit électorat. Le résultat d’une telle élection libre est supposé devoir être considéré comme une décision légitime, en matière de qui gouvernera une unité politique déterminée (ou, dans le cas d’un référendum, en matière de laquelle parmi deux décisions acquerra force de loi). Si une élection est libre, la camp perdant doit reconnaître qu’il a perdu l’élection, honnêtement. Par conséquent, le perdant est censé accepter les résultats du vote, incarnation de la volonté majoritaire.
Dans cette description standard, je décèle un nombre énorme de présupposés. Etant donné que dans beaucoup de cas, sans doute la majorité, les élections sont importantes, les votants en suivent les résultats avec passion – avant, pendant et après – et bien souvent, ils n’en acceptent pas les résultats, passivement. En effet, ils protestent contre le fait que les élections ont été effectuées de manière malhonnête, voire qu’elles ont été frauduleuses, et que par conséquent, leurs résultats sont entachés d’illégitimité. Ceci se produit fort souvent. Si l’on pense à des élections récentes, ou annoncées, partout dans le monde, il y a eu une série d’élections, avec des résultats contestés : ainsi, pour le passé, de l’Iran, du Venezuela , des Etats-Unis, de la Géorgie et de l’Ukraine, en 2004, plus, à l’avenir, l’Irak et la Palestine, bientôt, en 2005 – élections qui voient leurs résultats contestés par avance. Il est important de noter que toutes les élections n’ont pas fait l’objet de controverse. Beaucoup de pays ont tenu des élections, en 2004, au sujet desquelles aucune question sérieuse de légitimité n’a été soulevée. Citons, comme exemples : le Canada, l’Espagne, l’Uruguay et l’Inde.
Il est dès lors très intéressant de voir quels types de questions ont été soulevées par les dernières élections contestées, ainsi que les raisons pour lesquelles ces élections ne se sont pas déroulées suffisamment en douceur pour que nul ne prenne la peine d’en parler autrement qu’afin d’analyser les raisons qui ont fait que celui qui les a remportées les a remportées. Nous devons commencer par supposer qu’il y a toujours des pratiques, durant une élection, qui n’obéissent pas aux lois théoriques de la légalité et de l’honnêteté. Généralement, ce n’est que lorsque des pratiques frauduleuses se sont produites à un moment où les élections étaient assez rapprochées pour que les dites pratiques aient été susceptibles d’en avoir modifié les résultats qu’elles suscitent nombre de controverses.
La première question – sans doute la plus élémentaire de toutes – est celle de savoir qui a le droit de voter ? Le concept d’élections libres et justes présuppose généralement que tous les citoyens au-dessus d’un âge déterminé (généralement dix-huit, ou vingt et un ans) soient éligibles à la faculté de voter. Aujourd’hui, toute élection qui ne s’effectue pas au moins sous la forme du suffrage universel des deux sexes est considérée comme ne remplissant pas les critères d’une élection libre. Ces garanties tendant à être légales, dans la plupart des pays, et en vigueur jusqu’à une date butoir précise, quelques jours avant l’élection, la question de l’exclusion du droit de vote n’est généralement pas soulevée comme un problème banal. Mais ce problème a été précisément soulevé par certaines personnes, dans le contexte des élections (présidentielles) américaines. Aux Etats-Unis, où les lois varient selon les Etats, la question de savoir si des délinquants [am. : « felons »] peuvent ou non voter est loin d’être quelconque. Seuls deux Etats, sur les 51, permettent aux prisonniers de voter. Et certains Etats excluent les « felons » du vote de manière permanente, même après qu’ils aient purgé leur peine. Les prisonniers étant originaires principalement de groupes (ethniques) minoritaires, l’effet de ces mesures est de réduire de manière significative les droits des Noirs à voter, dans certains Etats. Et cela, le système des collèges électoraux étant ce qu’il est, peut, à coup sûr, affecter le résultat. Ainsi, par exemple, George W. Bush aurait perdu les élections, en 2000, si les condamnés n’avaient pas été très largement interdits de vote, en Floride. Il est tout aussi difficile de savoir à quel point la levée de cette même interdiction aurait pu affecter les présidentielles de 2004…
Qui peut être candidat ? Telle fut la grande question, lors des élections iraniennes. Dans le système actuel, il existe en Iran un organisme officiel qui doit valider le droit de tel ou tel candidat à se présenter à une élection. Cette structure était contrôlée par une des principales factions candidates aux élections, et elle a refusé de valider beaucoup des candidatures de la faction opposée. Dans le cas des prochaines élections en Palestine, les Israéliens permettront-ils à Marwan Barghouthi, aujourd’hui emprisonné, de se porter candidat, et, s’il est élu, pourra-t-il véritablement exercer le pouvoir ?
Qui a accès aux médias ? Tout dépend de qui contrôle lesdits média, le plus souvent économiquement. Dans certains cas – notamment en Géorgie, en Iran et virtuellement en Irak – le gouvernement exerçait un lourd contrôle sur les médias, privant l’opposition de la possibilité de défendre ses dossiers dans les médias. Dans le cas de la Palestine, Israël contrôle les médias, et il nous reste à voir quel impact ce contrôle aura. La question de l’argent et de son impact sur l’accès aux médias, qui vendent leur espace, est depuis très longtemps un problème majeur, aux Etats-Unis.                                                                                                                                               
Mais tous ces problèmes se posent, pour ainsi dire, préalablement au vote proprement dit. C’est au moment même du vote que la plupart des plaintes les plus sérieuses sont généralement formulées. La première concerne les tentatives d’intimider des (ou les) électeurs. L’intimidation peut prendre bien des formes. Il y a l’effet de la mobilisation de certains électeurs par la force armée ou des gros bras ; parfois, au contraire, on empêche, par la force, des électeurs de voter. L’opposition a soulevé cette accusation, au Venezuela. Cela sera certainement un problème, en Irak. Mais il existe aussi des formes plus subtiles d’intimidation. Il a été avancé que, dans les élections américaines, l’intimidation a pris la forme du déni non motivé de leur droit de vote opposé à certains électeurs, ou encore la diffusion de rumeurs infondées concernant le droit de vote de certaines catégories d’électeurs. Il est à craindre que la présence prolongée de troupes israéliennes d’occupation dans les territoires palestiniens n’ait pour effet de rendre le vote difficile pour les Palestiniens, et a fortiori – leur campagne électorale, pour les candidats palestiniens…
Le plus gros problème est – toujours – le décompte des résultats. Cela fut un problème au Venezuela, aux Etats-Unis, en Géorgie et en Ukraine, et cela se produira vraisemblablement, à nouveau, en Irak et en Palestine. Jusqu’à ce jour, l’opposition vénézuélienne conteste le décompte des voix, mais des associations d’observateurs nationaux ont affirmé que ce décompte avait été honnête et les résultats de l’élection sont, aujourd’hui, généralement acceptés. Aux Etats-Unis, le comptage des voix est toujours contesté, dans certains Etats (parfois, devant les tribunaux). Une plainte, conséquence de la technologie avancée, concerne l’accusation de manipulation de résultats générés informatiquement, aucune trace dite « papier » n’étant plus disponible. La preuve, largement diffusée via Internet, résulte d’une série de calculs, qui montrent que certains résultats validés sont hautement improbables. En Géorgie, en raison d’une rébellion de la rue, le gouvernement a reculé et il a effectivement admis que les résultats initialement annoncés avaient été bidouillés. C’est le sujet de l’heure, en Ukraine. Ces questions sont toujours rendues encore plus complexes par les règlements en matière de recomptage, ainsi que par les décisions des commissions électorales ou des tribunaux (qui sont susceptibles d’être eux-mêmes contestés, comme au Venezuela, aux Etats-Unis ou en Ukraine).
Et puis se pose, enfin, la question de savoir si l’on peut tenir des élections libres et honnêtes dans des situations de désordre politique et militaire. C’est la question centrale, aujourd’hui, au sujet des élections à venir en Irak. Ainsi, par exemple, la combinaison de l’insurrection et de l’appel au boycott ou à l’ajournement des élections lancé par la plupart des partis et autorités religieuses sunnites aura vraisemblablement pour conséquence la réduction au strict minimum de la participation sunnite au scrutin, auquel cas il sera très difficile de considérer légitimes les résultats de cette élection.
Enfin, il y a le problème des interférences extérieures. Le gouvernement vénézuélien a accusé les Etats-Unis d’avoir ouvertement aidé l’opposition. En Géorgie, en Ukraine, en Irak, en Palestine, des forces manifestement extérieures ne se sont pas contentées de s’intéresser de très près aux résultats : elles ont exercé leur influence activement, affectant les résultats, ou affectant le débat post-électoral autour des résultats.
D’une manière générale, lorsque le concept d’élections libres et équitables est invoqué, cela s’accompagne d’une bonne dose d’hypocrisie. Des élections sont censées décider d’un résultat politique. Mais bien souvent, la bijection causale est orienté dans le sens exactement opposé. Ce sont les politiques qui décident des résultats apparents. Et parfois, dans les élections contestées, un compromis politique dans les coulisses affecte la décision de savoir si les résultats peuvent, ou non, être considérés légitimes.
Ce n’est certes pas que les élections devraient n’être ni libres, ni équitables. Le problème, c’est que nous sommes très loin d’être en mesure de garantir que tel sera bien le cas, dans l’ensemble du monde, au Sud comme au Nord. Et un vieux proverbe nous rappelle que « Ceux qui vivent dans des maisons de verre devraient s’abstenir de lancer des pierres ».
Tout au moins, s’ils veulent absolument en lancer, qu’ils le fassent avec toute la prudence requise !
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