"Je ne me sens pas solidaire des journalistes qui font la grève de la faim au Maroc, ni des gamins Karennis qui s’entraînent à la mitrailleuse dans le nord de la Birmanie, ni des inconnus qui attaquent les convois américains en Irak, ni des universitaires américains qu’on chasse de leur poste, ni de la maman palestinienne qui attend avec son bébé malade que le soldat du checkpoint décide si elle peut passer. Je ne me sens pas solidaire d’eux, je me vois dans le même camp (...) On ne saurait être solidaire de soi-même."
Eric Hazan - Extrait de "Chroniques de la guerre civile" aux éditions de La Fabrique
                                     
                       
Point d'information Palestine N° 249 du 24/12/2004
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Au sommaire
                           
Témoignages
1. Vol d’Une Enfance par Rana El-Khatib (22 novembre 2004)
2. Checkpoints par Istico Battistoni (12 décembre 2004
3. Comment Marie et Joseph auraient-ils franchi un poste de contrôle ? par Larry Fata (8 décembre 2004)
                    
Rendez-vous
- "Soraida, une femme de Palestine" un film documentaire de Tahani Rached - En ce moment et jusqu'au mardi 4 janvier 2004 au Cinéma Parallèle à Montréal
                   
Dernières parutions
1. Les coulisses de la terreur de Richard Labévière aux Éditions Grasset
2. Les Falachas, Nègres errants du peuple juif de Tudiane N'Diaye aux éditions Gallimard
                     
Réseau
1. Le guide de l'élection présidentielle palestinienne 2005 sur Web
2. L’unique sens d’un procès absurde par Dominique Eddé (Décembre 2004)
3. Le Mot, en temps de crise par Yael Lerer (Novembre 2004)
4. "Opération armée" et non "Attaque terroriste" - Une lettre de l'Union Juive Française pour la Paix à Jean-Claude Allanic, Médiateur de l'information de France 2 (14 décembre 2004)
5. Pierre-André Taguieff : Un "prêcheur de haine" magistral par Silvia Cattori (5 décembre 2004)
6. Rapport Rufin : Le monde à l’envers par Michèle Sibony (1er novembre 2004)
7. Le 37ème Prix de l’Amitié Franco-Arabe a été attribué au livre "Figures du Palestinien. Identité des origines. Identité du devenir" de Elias Sanbar. Le Prix spécial du jury a été décerné à Henry Laurens, professeur au Collège de France, pour  l’ensemble de son œuvre, dont "La question de Palestine". (25 novembre 2004)
8. ONU - Les Délégations affirment leur soutien à l'Office de Secours pour les Réfugiés de Palestine (Publié le 2 novembre 2004)
                          
Revue de presse
1. Le chef de l’OLP appelle à "démilitariser l’Intifada" par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du vendredi 17 décembre 2004
2. Al-Manar - TV5 in La République des Lettres du mois de décembre 2004
3. Cher soldat par Gideon Lévy in Ha'Aretz du vendredi 17 décembre 2004
4. Étrangers dans leur ville par Valérie Féron in L'Humanité du jeudi 16 décembre 2004
5. Entretien avec Gilbert Burnham : "Hiroshima de nos jours" propos recueillis par Patricia Lombroso in Il Manifesto du mercredi 15 décembre 2004
6. Sarkozy veut convertir les juifs à sa religion élyséenne - En cajolant la communauté, le président de l'UMP veut se démarquer de la politique proarabe de Chirac in Libération du mardi 14 décembre 2004
7. Respectabilité à tout prix par Leïla Salam on Oulala.net le lundi 13 décembre 2004
8. Barnier dit oui à la Turquie propos recueillis par Henri Vernet et Dominique de Montvalon  in Le Parisien du lundi 13 décembre 2004
9. Bush est-il projuif ? Et pro-Noir ? Est-il antimusulman ? par Béchir Ben Yahmed in Jeune Afrique - L'intelligent du dimanche 12 décembre 2004
10. Les ombres du passé projettent leur poids sur le présent (À propos de la visite de Mahmoud Abbas à Damas) par Subhi Hadidi in Al-Quds Al-Arabi du vendredi 10 décembre 2004
11. Naplouse vote Mahmoud Abbas par Benjamin Barthes in La Croix du jeudi 9 décembre 2004
12. La rencontre entre Genet et une étoile arabe par Marco Dotti in Il Manifesto du dimanche 5 décembre 2004
13. Leila Shahid contre l'interdiction d'Al-Manar - Dépêche de l'Agence France Presse du dimanche 5 décembre 2004, 14h09
14. Un mur illégal par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du samedi 4 décembre 2004
15. Le miracle de la fiole d’ordure par Gideon Samet in Ha'Aretz du vendredi 3 décembre 2004
16. Le Comité juif américain félicite le premier ministre français d'avoir suspendu la chaîne TV du Hezbollah  - Dépêche de l'agence PR Newswire du vendredi 3 décembre 2004, 17h27
17. La haine de qui, au juste ? par Zvi Bar’el in Ha’Aretz du vendredi 3 décembre 2004
18. Pour Al-Manar, pour le dialogue par Michel Lelong in Le Monde du vendredi 3 décembre 2004
19. Objets dégoupilleurs par Anne-Marie Fevre in Libération du vendredi 3 décembre 2004
20. Al-mahsum, mahsom, checkpoint par Yitzhak Laor in Ha'Aretz du jeudi 2 décembre 2004
21. Le parapluie de Chamberlain par Antonio Tabucchi in L’Unità du mercredi 1er décembre 2004
22. Décès de Paul-Marie de la Gorce, journaliste diplomatique et gaulliste - Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 1er décembre 2004, 18h05
23. Le désinvestissement peut conduire à la paix israélo-palestinienne par Shamai Leibovitz in Jordan Times du mardi 30 novembre 2004
24. La communauté juive ukrainienne s’interroge : ViKtor Yuschchenko est-il "bon pour les juifs" ? par Lily Galili in Ha’Aretz du lundi 29 novembre 2004
25. Enfants de Palestine : Une génération d’espoir et de désespoir par Samah Jabr in The Washington Report on Middle East Affairs du mois d'octobre 2004
                               
Témoignages

                           
1. Vol d’Une Enfance par Rana El-Khatib (22 novembre 2004)
[traduit de l’anglais par Gérard Jugant]

En voyant Shadi sur le manège, vous pouvez ne pas remarquer qu’il est un peu âgé pour être là et avoir autant de plaisir. Lui non plus ne semble pas remarquer qu’il est le plus âgé des enfants à enfourcher un cheval de bois et à se balancer en tournant. Pourtant, à 12 ans, c’est la première fois qu’il goûte à la magie d’un simple manège. Je vois bien qu’il aimerait faire un second tour, mais s’abstient de le demander. En Cisjordanie d’où il vient, son existence est désolée au possible. De minces sons du rêve du manège sont parfois perceptibles sur une télévision voisine et seulement pour quelques instants, avant de disparaître comme une chose inaccessible.
Shadi est venu aux Etats-Unis pour une prothèse de la jambe qu’il a perdu l’an dernier, en jouant lui et son jeune frère avec ce qui s’est avéré être un obus de char israélien non éclaté. Le dernier souvenir qu’il conserve de l’incident est qu’il était agenouillé à frapper l’obus contre un rocher, ignorant de quoi il s’agissait. Quand il se réveilla des heures plus tard, il se rappelle avoir vu les restes horribles de sa jambe avant que la décision ne soit prise de l’amputer.
Des cils superbement longs et épais encadrent ses grands yeux marrons, lesquels reflètent une indéniable compréhension de l’injustice et de la douleur de l’oppression qu’a été toute sa courte existence. Pourtant il sourit malgré tout largement. Ses yeux sont à l'affût d’un moment heureux.
Etant avec lui de nombreuses heures en tant que mère de substitution, il m’a inévitablement fait partager les récits de sa vie quotidienne dans sa ville de Cisjordanie. Tristement, beaucoup de ses récits tournent autour de ses rapports avec les soldats israéliens. La plupart du temps, ces histoires me laissent chancelante et profondément peinée, comme ce jour où, cherchant à vendre avec un copain des chips aux passants des rues défoncées de Jénine, deux chars israéliens firent feu.
"J’avais quelques sacs de chips à la main", m’a t-il expliqué en mimant le mouvement penché sur ses béquilles, "mais mon copain avait installé ses chips sur une table. Le premier char m’ignora et continua. "Mais le second ralentit à notre niveau et alors, trrrrrrrr", fit-il en imitant le bruit du char et en faisant des gestes de la main pour illustrer comment il monta sur le trottoir afin d’écraser le petit stand de chips du copain. Il racontait son histoire en souriant. Je lui fis remarquer : "Pourquoi souris-tu ?". Il s’arrêta et me fixa du regard, réfléchissant à la question. "Que devrais-je faire ? Pleurer ?", me répliqua t-il, toujours souriant.
Nos conversations nous entraînaient inéluctablement à des récits similaires. Gaz lacrymogènes reçus sur le chemin de l’école. Soldats le poursuivant lui et ses amis parce qu’ils pensaient que les enfants avaient bloqué la rue pour empêcher leur entrée dans le coeur de leur cité. Soldats lançant leurs chars sur la grande poubelle de l’école pour l’éradiquer sans raison.
Et puis, il y a eu ce jour où un soldat lui a demandé réellement comment il allait. Il est encore étonné par la question. D’un côté, Shadi a apprécié le fait qu’il y ait encore un reste d’humain chez ce soldat, mais d’un autre côté, il n’a pu vraiment comprendre pourquoi il lui demandait comment il allait. "Pour la forme, j’ai dit au soldat que j’allais bien. Mais au fond de moi, j’espérais qu’il tombe et se casse le cou". Les soldats incarnent pour lui tout ce qui est mauvais. Ils tirent, tuent, abusent, humilient et aboient des ordres. Ils refusent aux Palestiniens leur humanité et leur liberté.
En dépit de tout ce qu’a connu Shadi au cours de sa courte vie, l’enfant refait toujours surface en lui. Il savoure de simples promenades en voiture sur fond musical, sans l’humiliation des check-points. Il hurle sa joie en s’amusant avec son nouveau jouet, une corvette rouge qu’il fait passer à toute vitesse sous la jambe de son pantalon sans pied pour la stopper. Je l’observe le soir lorsqu’il se couche en plongeant sous les couvertures d’un bon lit tout frais. Il sourit et semble attendre avec impatience de s’endormir dans une chambre pour lui tout seul et dans un lit qui est le contraire du matelas de mousse à même le sol. Il sait qu’il ne sera pas réveillé par les whop, whop, whop des hélicoptères Apache ou par les tirs de M16 qui détruisent les rues tourmentées de sa petite ville.
Shadi ne se plaint jamais. Il est fier. Il sait ce qu’il a, ce qu’il n’a pas, et ne réclame jamais rien. La sympathie pour sa condition n’est éprouvée que par ceux qui l’entoure. Il est conscient de ce qu’il a perdu, s’en souvenant toute la journée sur ses béquilles en attendant sa prothèse.
Shadi rêve du jour où la Palestine sera libre, et il ne lui déplairait pas de pouvoir vivre une vie comme celle qu’il a vu ici. La simple pensée de le renvoyer à la cruelle existence de son foyer me noue l’estomac. Cette pensée du retour provoque chez Shadi un nuage de tristesse qui voile l’habituel visage souriant et les yeux de ce remarquable garçon mûri prématurément dont l’enfance intérieure s’enflamme pour la liberté.
[Palestinienne, Rana El-Khatib est un auteur qui vit à Phoenix, en Arizona. Elle a écrit un recueil de poésie politique intitulé Branded. The Poetry of a So-called "Terrorist", disponible sur www.palestineonlinestore.com. Une partie des ventes de son recueil va à l’organisation à but non lucratif "Palestine Children’s Relief Fund" (PCRF). L’auteur peut être contactée à brandedpoetry@yahoo.com. Une édition française d’une partie du travail poétique (18 poèmes) de Rana El-Khatib a été traduit de l'anglais par Gérard Jugant et vient de sortir. "18 poèmes de Rana El-Khatib" aux éditions Transit [36 pages - ISBN : 2951934645 - 8 euros] pour en commander un exemplaire envoyer un chèque de 8,00 euros + 0,70 euros de frais de port à l'ordre de La Courte Echelle, à l'adresse suivante : La Courte Echelle / Editions Transit - 29, La Canebière - 13001 Marseille FRANCE - Téléphone : +33 (0) 491 900 260 - Fax : +33 (0) 491 909 860 - Email : courtechel@club-internet.fr]
                                           
2. Checkpoints par Istico Battistoni (12 décembre 2004
(Istico Battistoni est Conseiller italien au Parlement Européen. Il vit actuellement en Cisjordanie. Ce texte, inédit, peut-être repris librement sur tout support militant ou associatif. Par contre, si vous souhaitez publier ce texte sur un support écrit commercial - journal, revue... - vous devez en faire la demande auprès de l'auteur : ibattistoni@terra.es. Les textes de Istico Battistoni sont également disponibles en espagnol, en italien et en portugais.)
Raed est un enfant dangereux. C’est pourquoi, tous les matins, il doit faire la queue à la sortie de la ville, attendre son tour, se soumettre au contrôle d’un détecteur de métaux et traverser un labyrinthe de blocs de béton sous les yeux des soldats. Au retour, on pourrait avoir l’impression qu’il se retrouve à l’entrée d’un stade de foot ou d’une bouche de métro: il pousse une porte en fer tournante, beaucoup plus grande et plus lourde que lui, pour pouvoir rentrer dans sa ville.
En plus, s’il est accompagné par ses camarades de classe, si leurs mères les suivent pour rendre visite à d’autres membres de la famille écartelée d’un bantustan à l’autre, si elles s’avisent de suivre les pères qui vont au travail, obligées dès lors de sortir de leurs enceintes, c’est tout un embouteillage de jellabas, de voiles, de boîtes en carton et de cartables qui se crée, exigeant de minutiéuses inspections sécuritaires pour démasquer les terroristes potentiels. Mais les terroristes potentiels, ce sont tous ces sémites dont le péché originel est de ne pas avoir de sang juif. Les terroristes potentiels, ce sont tous ces êtres humains qui doivent se soumettre à un interrogatoire sur leur vie privée, et doivent expliquer où, quand, comment et pourquoi ils veulent sortir de leurs quartiers qui se réduisent sans cesse comme une peau de chagrin. Au nom de quoi seraient-ils d’ailleurs autorisés à sortir? A quoi prétendent-ils? Vagabonds qui menacent ainsi l’ordre public...
Les checkpoints sont fermés par ordre supérieur, et toi, tu restes dedans, ou bien ils sont fermés, et tu restes dehors, ou bien encore ils ne sont pas fermés, mais tu vas en prison pour avoir refusé d’obéir à des gamins de vingt ans aux mitraillettes lourdes comme les idéologies qui les font chanter. Aujourd’hui oui, aujourd’hui non, aujourd’hui j’ouvre tes sacs, aujourd’hui je t’humilie, aujourd’hui je te fais attendre, aujourd’hui je te fais louper les examens à l’Unif, aujourd’hui je te fais comprendre que la terre est à nous, et ou bien tu t’en vas de ton plein gré, ou bien nous te ferons devenir fou dans tes villes saturées, sales, sans arbres, sans terre, sans travail, sans témoins. Animaux d’abattoirs dans des rues poussiéreuses, qui attendent parfois pendant des heures le verdict des arbitres militaires. Aujourd’hui oui, aujourd’hui non... Prisonniers sur leur propre terre, sans protecteurs, sans saints, sans cris dans la gorge pour maudire les colons qui dévorent leurs champs et les chassent en ville.
Et à nous les étrangers, dont les soldats ne veulent pas dans les réserves où ils vont à la chasse au bison, il ne nous reste qu’à traverser les cols des montagnes en cachette, comme des contrebandiers, pour pénétrer dans les villes assiegées. Et écouter muets le sifflement des coups de feu et le tourbillon des hélices d’hélicoptères Apache qui, la nuit, planent dans l’ancienne ville pour ratrapper anciens et futurs terroristes, coupables d’avoir cru que voler la terre et l’histoire était un crime, ou même un péché.
Checkpoints, béton, fer et poussière, poussière, fer et béton. Et des adolescents déguisés en soldats obligés de perdre leur temps pour quelques vieux musulmans décatis, alors que les discos à la mode battent le rythme à Tel Aviv. Et pourtant, ces gamins et ces gamines en complet mimétique déserteraient les tranchées aux frontières entre la civilisation et la barbarie, si - au lieu des mitraillettes américaines M-130 - ils devaient se contenter des mêmes pierres que lancent les enfants. Pierres de maisons démolies, pierres de vies défaites, pierres d’espoirs détruits.
Aux checkpoints, les gens font la queue, en attendant leur tour pour courir derrière une vie normale, jusqu’au jour où passe comme le vent à travers le fil de fer barbelé une fillette sans maison, sans vie et sans espoir, mais bourrée de dynamite. Et presque tous payent: la fillette, sa famille, son quartier, sa ville, son peuple, ses victimes. Tous sauf les fidèles de l’occupation militaire.
                           
3. Comment Marie et Joseph auraient-ils franchi un poste de contrôle ? par Larry Fata (8 décembre 2004)
(Larry Fata, enseignant et journaliste étasunien, est directeur de rédaction et chargé de communication du Programme oecuménique d'accompagnement en Palestine et en Israël - EAPPI.)
Le temps de Noël évoque de nombreuses images, profanes et religieuses, en rapport avec cette fête. Dans le monde entier, les sapins décorés et les Pères Noël le disputent aux scènes de la Nativité. Et c’est tout naturellement que l’attention du monde se porte sur Bethléem, petite ville de Cisjordanie, à cause de l’événement commémoré par les festivités de Noël.
Les touristes qui ont la chance de se trouver sur les lieux à cette époque se pressent à Bethléem pour célébrer Noël là où tout a commencé, il y a plus de 2000 ans. Mais le fait que les visiteurs du monde entier puissent se rendre à Bethléem, alors que la plupart des Palestiniens ne le peuvent pas, est une ironie cruelle, particulièrement sensible à ce moment de l’année. C’est ce qu’a voulu rappeler l’année dernière le Comité civil du village palestinien de Sawahreh. Tout est parti d’une simple question : de nos jours, Marie et Joseph auraient-ils la possibilité de se rendre à Bethléem pour la naissance de Jésus ?
Marie et Joseph étaient deux citoyens juifs vivant sous l’occupation romaine. Ils durent se rendre à Bethléem sur l’ordre de l’occupant, à cause du recensement décrété par César Auguste. De nos jours, les Palestiniens vivent sous l’occupation israélienne et leurs déplacements sont limités, voire parfois totalement interdits. Deux jours avant Noël 2003, deux Palestiniens jouant le rôle de Marie et Joseph essayèrent de passer le poste de contrôle militaire de Sawahreh pour se rendre à Bethléem. Marie était en réalité une étudiante de 20 ans vivant à Beit Hanina, ville palestinienne incorporée à Jérusalem. Bien qu'elle fût montée sur un âne, les jeans et les bottes qui dépassaient de sa robe traditionnelle rappelaient qu'on était au 21e siècle. Quant à Joseph, âgé d'une trentaine d'années, c'était un habitant d'East Sawahreh.
Lorsque les deux personnages s'approchèrent du poste de contrôle, la scène idyllique, digne d'une carte de Noël, fut troublée par les soldats exigeant de voir les cartes d'identité de Marie et Joseph, tandis qu'un autre nous tenait en joue avec sa mitraillette et qu'un autre encore filmait la scène, sans doute pour des raisons de sécurité. Les deux soldats chargés du contrôle ne se laissèrent pas démonter, demandant en arabe aux deux personnages: «Alors, on joue à Marie et Joseph ?» L'un d'eux voulut savoir d'où ils venaient. Tandis que quelqu'un dans la foule répondait «De Nazareth, bien sûr», les deux jeunes gens indiquèrent leur domicile réel. La cause était entendue: Marie et Joseph n'avaient pas le droit de passer. Tout ce que les soldats purent leur proposer, c'était de faire un petit tour de ce côté de la palissade métallique, tandis qu'une partie de l'assistance chantait «O little town of Bethlehem».
Pourquoi, au 21e siècle, Marie et Joseph n'avaient-ils pas le droit de passer ? Notre Marie a un passeport israélien et n'est donc pas autorisée à se rendre à Bethléem, qui fait partie de la Cisjordanie: les citoyens israéliens ne peuvent pas entrer dans cette région «pour des raisons de sécurité». Notre Joseph a une carte d'identité de Cisjordanie et aurait donc le droit d'aller d'une ville cisjordanienne dans une autre, mais il n'avait pas ce document sur lui, donc il ne pouvait pas passer non plus. En outre, Marie et Joseph n'auraient guère pu vivre ensemble ni se marier: il ne peut pas habiter dans sa ville à elle, parce qu'elle fait partie de Jérusalem et que la plupart des Cisjordaniens ne sont pas autorisés à vivre à Jérusalem. Elle aurait pu renoncer à sa citoyenneté de Jérusalem et aller vivre en Cisjordanie, mais ce serait l'équivalent d'un suicide économique. Les habitants de Jérusalem qui le font perdent leur droit de résidence et n'ont plus l'autorisation d'entrer dans cette ville ni en Israël.
La situation en matière de restrictions de la liberté de mouvements des Palestiniens dans les territoires occupés est misérable. C'est ce qui ressort des chiffres publiés en novembre 2004 par le bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires (OCHA). Au total, 719 obstacles ou points de passage restreignent ou empêchent les déplacements d'une partie à l'autre des territoires occupés, ou vers Jérusalem et Israël. Sans compter les "contrôles volants", disposés temporairement sur les routes par la police ou les soldats. Il faut noter que la plupart de ces points de contrôle ne se situent pas entre Israël et les territoires occupés, mais entre différentes parties de ces territoires.
Une part du travail du programme d'accompagnement oecuménique en Israël et en Palestine (EAPPI) consiste à observer les points de passage pour s'assurer que les droits humains des Palestiniens qui tentent de les franchir soient respectés. La présence des "accompagnateurs oecuméniques" permet d'atténuer les tensions dues aux personnes mises en présence. Les accompagnateurs établissent des rapports et prennent des photographies de ce qu'ils observent lors de ces contrôles. Ils sont solidaires des Palestiniens qui cherchent à passer, mais ils tentent également d'interagir avec les soldats sur un plan humain, en défendant une procédure de passage rapide et sans violence. Les accompagnateurs collaborent parfois avec Machsom Watch, un groupe Israélien fondé en janvier 2001. Ce groupe est composé de 400 femmes réparties en Israël, dont beaucoup sont grand-mères, qui surveillent les activités des "Machsom" - le mot hébreu pour "point de passage".
Les points de passages affectent quotidiennement les Palestiniens. La manifestation non violente avec "Marie et Joseph" a constitué une manière amusante d'attirer l'attention sur une situation qui ne l'est pas. Imaginez une scène de la Nativité où la crèche serait remplacée par un siège de jeep et les bergers par des soldats brandissant des fusils. Il ne reste plus qu'à espérer que les rois mages n'auront pas oublié leurs papiers d'identité.
[Le Programme oecuménique d'accompagnement en Palestine et en Israël (EAPPI) a été lancé en août 2002. Les accompagnateurs oecuméniques contrôlent et signalent les atteintes aux droits de la personne et au droit humanitaire international ; ils apportent leur soutien aux actions de résistance non violente, aux côtés de militants pacifistes locaux, palestiniens et israéliens, chrétiens et musulmans; par leur présence non violente, ils constituent une possibilité de protection ; ils s'occupent de la défense de l'ordre public et sont solidaires des Eglises et de toutes les personnes qui luttent contre l'occupation. Ce programme est coordonné par le Conseil oecuménique des Eglises. Contact médias Palestine / Israël:+972 (0)2-628-9402 +972 (0)54-799-8724. Site web de l'EAPPI : http://www.eappi.org. Le Conseil oecuménique des Eglises (COE) est une communauté de 342 Eglises. Elles sont réparties dans plus de 120 pays sur tous les continents et représentent pratiquement toutes les traditions chrétiennes. L'Eglise catholique romaine n'est pas membre mais elle collabore activement avec le COE. La plus haute instance dirigeante du COE est l'Assemblée, qui se réunit environ tous les 7 ans. Le COE a été formé officiellement en 1948 à Amsterdam, aux Pays-Bas. Le secrétaire général Samuel Kobia, de l'Eglise méthodiste du Kenya, est à la tête du personnel de l'organisation.]
                       
Rendez-vous
                           
- "Soraida, une femme de Palestine" un film documentaire de Tahani Rached
En ce moment et jusqu'au mardi 4 janvier 2004 au Cinéma Parallèle à Montréal

[Cinéma Parallèle (Ex-Centris) - 3536, boulevard Saint-Laurent - Montréal (Québec - Canada) - Tél. : (514) 847-2206 - Séances à 15h et à 21h10. Les 24 et 31 décembre 2004 à 15h uniquement - Renseignements sur le film : http://www.nfb.ca/soraida/ ]
Soraida, une femme de Palestine, un film de Tahani Rached produit par Yves Bisaillon (ONF) sera présenté au Cinéma Parallèle (Ex-Centris), dès le vendredi 17 décembre. Échappant aux clichés, ce documentaire offre un regard humain sur la Palestine et nous invite à une réflexion qui nous force à élargir nos horizons.
Soraida, une femme de Palestine raconte la bataille singulière d'une femme vivant dans la ville Ramallah, en Cisjordanie occupée. Elle s'interroge sur la façon de ne pas perdre son humanité en vivant sous l'occupation dans un climat de violence. À Ramallah, les femmes ne sont pas toutes voilées, les hommes ne tiennent pas de discours politiques creux, les jeunes ne portent pas de bombes à la ceinture. Autour de Soraida la vie continue malgré les couvre-feux et les check points qui la refoulent. Soraida partage son quotidien, celui de sa famille, de ses voisines. Au fil des gestes simples de tous les jours elle montre l'effet pernicieux de l'emmurement, de l'état de siège : la perte de maîtrise de sa vie personnelle. Vibrant plaidoyer contre l'occupation d'un peuple, Soraida, une femme de Palestine livre ses réflexions sur la vie dans un pays en état de siège continuel et sur le refus d'une femme de se laisser emprisonner dans la violence et la haine.
Née en Égypte, la réalisatrice Tahani Rached s'établit au Québec en 1966. Après des études à l'École des beaux-arts de Montréal, elle s'engage dans l'action communautaire, et dans la production des documentaires engagés. Devenue cinéaste permanente à l'Office national du film (ONF), en 1980, elle plonge dans des sujets brûlants d'actualité : la guerre, dans Beyrouth! À défaut d'être mort (1983); les ressources des démunis, dans les chansons d'Au chic Resto Pop (1990); le combat d'un médecin contre le sida, dans Médecins de coeur (1993). Dans Quatre femmes d'Égypte (1997), quatre personnes totalement différentes ne font qu'une pour parler de quête de sens et de tolérance à travers cinquante ans d'histoire de l'Égypte moderne. Toute une équipe d'une salle d'urgence témoigne de la souffrance au travail dans Urgence! Deuxième souffle (1999). Avec À travers chants (2001), elle va chercher dans une chorale la substance qui permet de renouer avec les rapports sociaux, d'élever l'âme et de créer de la beauté. Enfin, en 2003, avec Soraida, une femme de Palestine, elle explore le questionnement, l'imaginaire, l'âme d'une Palestinienne, sa famille, son quartier, et d' une nation qui fait l'impossible pour survivre à la guerre et à l'enfermement.
                                           
Dernières parutions

                            
1. Les coulisses de la terreur de Richard Labévière
aux Éditions Grasset
[368 pages - ISBN : 2246634512 - 22 euros]

Deux mois avant les attentats du 11 septembre, la CIA négocie encore avec Oussama Ben Laden. Puis les Etats-Unis déclenchent les hostilités en Afghanistan. Ils laissent s'échapper le milliardaire saoudien et ses protecteurs, comme ils laissent s'évanouir leurs capitaux dans une jungle financière. Qui sont les complices au coeur même de l'establishment américain ? Aurons-nous bientôt un « Ben Ladengate » ? Pour l'éviter, les idéologues de l'administration Bush inventent une nouvelle guerre froide : la guerre sans fin contre la terreur... Désormais, tous ceux qui ne partagent pas les valeurs du meilleur des mondes selon Washington sont suspectés de soutenir le terrorisme, sinon d'être des terroristes eux-mêmes, agents d'un nouveau complot contre le monde libre et les champions du Bien. Ce complot est baptisé d'un nom générique : Al Qaïda. Du Pakistan à Bali, de Riyad à Casablanca, de Genève à Lugano, enquêtant sur les lieux des attentats et les places bancaires, Richard Labévière parvient à une conclusion : Al Qaïda n'existe pas. Le terrorisme ne relève pas d'une organisation mondiale, mais d'une nébuleuse de réseaux qui s'enracinent localement, dans les économies les plus inégalitaires et les régimes politiques les plus arbitraires. Pourtant, la mythologie Ben Laden continue. Pour survivre, l'Empire a besoin d'un ennemi et de faire la guerre : une guerre sans fin.
Richard Labévière est chef du service de politique internationale à RFI. Il est l'auteur chez Grasset de Les dollars de la terreur, Les Etats-Unis et les islamistes, paru en janvier 1999.
                                       
2. Les Falachas, Nègres errants du peuple juif de Tudiane N'Diaye
aux éditions Gallimard
[214 pages - 19,50 euros - ISBN : 2070771350]

Au début des années 1980, des milliers de Juifs Falachas partent de leur Ethiopie natale pour retrouver Israël et vivre leur rêve de " retour à Sion ". La situation de leur pays d'origine n'est pas au beau fixe après le coup d'état du colonel Menguistu : alors qu'Israël ignorait l'existence de ces Falachas depuis 1948 et ne reconnaissait pas la judaïté de ceux-ci, il organise leur évacuation. Mais, à leur arrivée, les ressortissants ont été confrontés à de nombreux problèmes sociaux, raciaux et ont retrouvé, pour beaucoup, la misère qu'ils avaient fuie.
Tidiane N'Diaye est économiste et cadre de l'INSEE Guadeloupe. Egalement directeur de recherches à Sup de Co Caraïbes, il a écrit de nombreux ouvrages sur les civilisations négro-africaines.
- EXTRAITS de "Les Falachas, Nègres errants du peuple juif"
Ce chemin était un véritable calvaire, qui durait un mois au minimum. En sortir vivant relevait de l'exploit, car les zones traversées étaient infestées de bandits et d'animaux sauvages. A leur arrivée (…), les Falachas étaient attendus par des bus et des ambulances, réquisitionnés depuis des jours. Les pauvres, fraîchement débarqués, démunis de tout sauf d'un maigre bagage, s'agenouillaient pour baiser la Terre Promise en priant. La médiatisation de l'événement commença en fait dès la fin l'année 1984 par un article publié dans Nekuda qui dévoilait le pont aérien entre le Soudan et Israël (…), l'opinion publique apprenait ainsi l'existence d'une opération " messianique " d'évacuation de malheureux Juifs noirs éthiopiens. [...]
En fait, leurs pratiques religieuses sont plus proches de celles de la secte juive hétérodoxe des Samaritains. Ils observent les mêmes durées d'isolement pour les femmes, pendant les règles et à la naissance. (…) L'on retrouve le même principe appelé Attenkunn, qui signifie " Ne me touchez pas ", chez les Falachas. Une recommandation qui impose à tout membre de cette communauté qui entre en contact avec des non-Juifs de se purifier avant d'approcher ses coreligionnaires. (…) Peu après la naissance sont pratiquées l'excision chez les filles et la circoncision chez les bébés mâles. Il convient toutefois de noter que dans nombre de sociétés africaines, d'autres ethnies pratiquent la circoncision pour une toute autre raison. [...]
En fait ce qui rend difficile leur intégration dans la société israélienne actuelle, voire leur véritable reconnaissance comme Juifs authentiques, semble relever d'une raison plus raciale que religieuse. Ceci parce qu'une évolution des principes du judaïsme se serait produite. La condition raciale par l'hérédité -celle de la religion étant simplement facultative- est devenue nécessaire (…). Aussi peut-on se demander pourquoi toutes ces manÏuvres démesurément médiatisées des autorités de l'Etat Hébreu pour les rapatrier. Et pourquoi aujourd'hui les Falachas se heurtent à un non-dit, dressé comme une barrière virtuelle mais infranchissable.
                                   
Réseau

                                           
1. Le guide de l'élection présidentielle palestinienne 2005 sur Web
Dans la perspective de l'élection du 9 janvier prochain, Jean-François Legrain, Chercheur au CNRS – Maison de l’Orient et de la Méditerranée-Lyon, vient de mettre en ligne un "Guide de l'élection présidentielle palestinienne sur Web" : www.mom.fr/guides/elections/elections.htm. Ce guide indispensable, sera mis à jour régulièrement. [Jean-François Legrain - Tél. 04 72 71 58 43 Fax. 04 78 58 01 48 - jean-francois.legrain.mom.fr - Guides de Palestine et de l'Intifada sur Web : www.mom.fr/guides.]
                           
2. L’unique sens d’un procès absurde par Dominique Eddé (Décembre 2004)
Eric Hazan, directeur des éditions la Fabrique, a été poursuivi en justice par William Goldnadel, Président de l’association « avocats sans frontières », pour avoir traduit et publié le livre de Norman Finkelstein « L’industrie de l’holocauste ». Objet de très vives controverses, cet ouvrage s’en prend notamment à l’instrumentalisation de l’holocauste par un certain nombre de personnes et de groupes juifs ayant surexploité la souffrance de leur peuple, à des fins matérielles ou politiques. Accusé « d’incitation à la haine raciale et de diffamation à caractère racial, » Eric Hazan, ancien chirurgien des hôpitaux de Paris, s’est admirablement défendu lors de son procès qui a eu lieu, vendredi 3 décembre, à la 17ème chambre du Tribunal Correctionel de Paris. À la question de savoir s’il avait conscience de l’usage désastreux qui serait fait de ce brûlot par les négationnistes, révisionnistes et antisémites en tous genres, il a demandé à l’assistance des juges de se souvenir combien de fois dans l’histoire, des œuvres nécessaires à l’établissement de la vérité,  avaient été détournées de leur propos et utilisées, sous forme de citations isolées ou tronquées, à des fins abjectes. Non pas que Finkelstein (auteur sans doute  courageux mais tout compte fait médiocre et surtout très sommaire) puisse être aucunement comparé à  de grands penseurs, telle que la philosophe juive allemande Hanna Arendt par exemple, -  elle fut taxée d’antisémitisme au  lendemain de la parution de son livre, «Eichman à Jerusalem » en 1961- mais que le principe de la censure et de l’intimidation est le même, dans les deux cas. « Faudrait-il, par exemple, interdire l’œuvre de Nietzsche, a ajouté Hazan,  - œuvre qui non seulement ne contient aucun relent d’antisémitisme mais qui, plus est,met en garde contre lui-,  sous le pretexte qu’elle a été récupérée et détournée de son sens par les nazis ? ». 
Si je souhaite moi-même témoigner de ce procés, ce n’est pas pour relancer le livre de Norman Finkelstein  – rappelons au passage que l’auteur est lui-même fils de survivants du ghetto de Varsovie et des camps de concentration –, mais parce que je souhaite me faire l’écho des témoins qui se sont succédés à la barre, pour apporter leur soutien à Eric Hazan. L’extrême qualité de leurs interventions mérite notre attention à plus d’un titre. Je pense en particulier à l’attention de tous ceux qui, dans le monde arabe, continuent d’ignorer - ou préfèrent ne pas savoir-, combien  d’intellectuels juifs ou israéliens se battent au quotidien contre l’impunité et la brutalité  de la politique d’apartheid israélienne. Les cinq témoins du procès n’étant pas, loin de là,  des cas isolés dans le paysage intellectuel juif. Or, si ce procès absurde devait avoir un sens ce serait précisément celui ci: rappeler à chacun de nous que  ni Ariel Sharon ni Elie Wiesel n’ont le monopole de l’identité juive. Un certain nombre d’intellectuels arabes œuvrent certes au rappel et à la diffusion de cette réalité, mais on les souhaiterait plus nombreux. On souhaiterait que la presse et l’édition arabe, dans leur ensemble, secouent leurs vieilles habitudes et se décident à familiariser leurs lecteurs avec un bon nombre d’auteurs juifs, israéliens ou pas, qui seront un jour reconnus par l’histoire comme ayant sauvé l’honneur des leurs, au même titre que les résistants de la seconde guerre mondiale ont été l’honneur sauvé de la France.
Mais revenons aux cinq témoins du procès. Qui étaient-ils ?. Amnon Raz- Krakotzkin, israélien, Professeur à l’université Ben Gourion. Gil Anidjar, israélien, Professeur à l’université de Columbia. Rony Brauman, Professeur à Paris de sciences politiques. Michèle Sibony, Professeur de lettres, Présidente de l’UJFP, L’Union Juive Française pour la Paix. Et enfin, Marcel-Francis Kahn, Professeur de médecine, ancien maquisard , rescapé de peu, comme Eric Hazan à la raffle des juifs de France, engagé, comme lui, en faveur du F.L.N durant la guerre d’Algérie, puis aux côtés du peuple palestinien. Ne pouvant rapporter ici les propos qui furent tenus par chacun d’eux à la barre, je me contenterai de livrer, à titre exemplaire, un extrait du témoignage de Michèle Sibony :
« La première fois de ma vie que j’ai pris une position politique « en tant que juive » en signant la pétition du même nom dans Le Monde, c’était après que le représentant officiel du CRIF a associé publiquement tous les juifs de France dans un soutien inconditionnel à Sharon et à la politique israélienne en 2001. D’ailleurs ce même Monsieur Cukierman, pour le nommer par son nom, n’a pas hésité à recommander au premier ministre Sharon lors de sa visite en Israël, - il s’en est vanté le 26 septembre 2001, au quotidien Ha’aretz-, de créer un ministère de la propagande sur le modèle de Goebbels. « Lorsque Sharon est venu en France, a t-il déclaré, je lui ai dit qu’il doit absolument mettre en place un ministère de la propagande comme Goebbels ». Évoquant les prisonniers palestiniens numérotés au bras par des militaires israéliens, Michèle Sibony a ensuite cité B. Michaêl,  éditorialiste du quotidien israélien Yediyot Aharanot : « 1942 - 2002. En soixante courtes années – de marqué à marquant et numérotant. En soixante ans - d’enfermé dans les ghettos à enfermant, de dépossédé à dépossédant, de celui qui défile en colonne les mains en l’air, à celui qui fait défiler en colonnes les mains en l’air, de victime d’une abjecte poltique de transfert au soutien de plus en plus enthousiaste à une politique de transfert…En tout et pour tout, 60 ans, et nous n’avons rien appris, rien intériorisé, nous avons tout oublié ». Après ce constat implacable, Michèle Sibony a encore cité le cri de colère de Shulamit Aloni, ancienne ministre israélienne. « Nous n’avons pas de chambres à gaz, ni de fours crématoires » avait déclaré cette dernière , le 6 mars 2003, mais il n’y a pas qu’une seule méthode établie pour assassiner un peuple ».
Le jugement du procès d’Éric Hazan sera rendu le 21 janvier 2005. Je rappelle que l’éditeur inculpé a publié de nombreux ouvrages de dissidents israéliens, parmi lesquels Amira Hass, Ilan Pappe, Michel Warschawski et Tanya Reinhart. Je rappelle aussi qu’en éditant, en 1999, « L’égalité ou rien », d’Edward Said, il contribua à rompre le silence qui pesait en France, depuis la parution d’Orientalisme,  sur les travaux de l’intellectuel palestinien.
La question que je me pose est celle-ci : n’est-il pas temps que nous autres, arabes, soyons plus nombreux à nous inspirer de la posture exemplaire de ces intellectuels juifs auxquels la solitude ne fait pas peur ?  N’est-il pas temps de les traduire et de les publier et, ce faisant, de combattre la tentation sinistre d’assimiler un peuple tout entier aux politiques que l’on mène en son nom ?  N’est-il pas temps de combattre ce courant nauséeux d’antisémitisme qui tient lieu, ici ou là,  d’exutoire commode à notre impuissance, à notre décadence?
(Ce texte est paru dans sa version arabe, dans l'édition du 9 décembre 2004, du quotidien Al Hayat.)
                       
3. Le Mot, en temps de crise par Yael Lerer (Novembre 2004)
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

(Yael Lerer est la fondatrice de la maison d’édition Andalus Publishing, spécialisée dans l’édition d’ouvrages littéraires arabe en traduction hébraïque. Ce texte est la transcription de son intervention  prononcée lors du colloque Mare Nostrum III, organisé à Chypre, du 5 au 7 novembre 2004, par  The European Writers' Congress (EWC) et The Cyprus Writers Union (CWU), sous l’intitulé: La Méditerranée : Fossé, ou terrain d’entente ? Le rôle de la littérature et des écrivains dans un monde en guerre.)
Le titre de cette séance est : « Le mot, en temps de crise », et j’ai été invitée à prendre la parole ici en tant qu’Israélienne et que traductrice d’œuvres littéraires arabes en hébreu. Ma première supposition, confirmée par la suite par les organisateurs de ce colloque, était que j’étais invitée à venir parler de NOTRE temps de crise, c’est-à-dire de la crise actuelle entre Israéliens et Palestiniens. Mais avant de traiter du MOT en temps de crise, j’aimerais dire quelques mots au sujet de LA CRISE ELLE-MEME. Il n’y a pas de « temps de crise », en Israël / Palestine. Il y a un état permanent de conflit entre colonisateur et colonisé, entre occupant et occupé, entre privilégiés et dépossédés.
Ce conflit est ancré dans l’entreprise sioniste, dans l’idée même d’une « terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Il s’est intensifié après la Nakba : la catastrophe palestinienne de 1948, dans laquelle près des trois quarts de la population palestinienne, d’environ un million d’âmes, ont été chassés de leur patrie – et il n’a fait que se poursuivre, avec l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, en 1967, qui entre désormais dans sa trente-huitième année. Aujourd’hui, on peut dire que ce conflit est en cours de « stabilisation » (si l’on ose utiliser ce terme, dans le contexte de l’horreur continuée), sous la forme d’un régime apartheidoïde. Si j’utilise ce terme d’apartheidoïde, c’est parce que je ne dispose d’aucun autre adjectif pour décrire la politique de séparation asymétrique imposée unilatéralement par Israël, à commencer par les routes « réservées aux juifs » et les routes « réserves aux Arabes » - dans les rares cas où ceux-ci sont assez chanceux de disposer d’une route digne de ce nom, pour finir par les pistes séparées dans pratiquement toutes les autres fonctions, toutes les autres facettes de la vie quotidienne.
Aussi, il m’est très difficile d’associer la réalité présente avec un quelconque « temps de crise », avec une quelconque époque anomale représentant une rupture d’avec on ne sait trop quelle normalité des temps.
Néanmoins, il n’est pas douteux que la situation actuelle soit particulièrement cruelle. Au cours du seul dernier mois, ce sont quelque 430 Palestiniens qui ont été blessés, et 140 tués, dont 25 enfants de moins de 18 ans. L’armée israélienne a endommagé au minimum 230 maisons dans le nord de la bande de Gaza, dont 85 unités d’habitation rasées au sol. Les Israéliens ont appelé cette opération, consistant en quinze jours ininterrompus de dévastation aveugle : « Jours de Repentance ».
Dans le judaïsme, les « Jours de Repentance » marquent les dix journées entre le Nouvel An juif (Rosh Hashanah) et le Yom Kippur (Jour du Pardon). Ce sont des journées durant lesquelles tout homme juif et toute femme juive doivent interroger leur âme et demander le pardon de leurs amis comme de leurs ennemis, ainsi que celui de Dieu. Ce sont des journées consacrées aux bonnes actions, aux prières, aux invocations. Le Jour du Pardon marque le summum d’un processus d’expression du regret, d’imploration de la miséricorde, et de la démonstration de l’attention et de la gentillesse. En la journée du Yom Kippur 2004, l’armée israélienne a détruit quarante-cinq maisons, à Gaza.
L’opération « Jours de Repentance » a été déclenchée, quatre jours plus tard, à la veille de Sukkoth, la fête des récoltes, du jour où vous récoltez ce que vous avez semé. C’est une fête durant sept jours, durant lesquels la plupart des Israéliens sont en congés et où des festivités publiques se déroulent un peu partout dans le pays, auxquelles participent des centaines de milliers de personnes. Les médias hébreux étaient envahis d’images d’Israéliens se relaxant, jouant, célébrant leur fête dans la joie sous ces tabernacles traditionnels bricolés que l’on appelle « sukkoth » [singulier : sukka, tente]. Inexistantes, pratiquement, les images des Palestiniens contraints à se réfugier POUR DE BON sous des huttes bricolées parce que leurs maisons, et leur vie, étaient systématiquement détruites.
Pour moi, en tant que juive, cette réalité est insupportable, et elle met en question mon travail, sinon ma vie, dans ce pays : Israël. Comment peut-on entendre des informations telles celles-là, et puis prendre son téléphone pour appeler tel ou tel supplément littéraire de tel ou tel journal, afin de s’enquérir si tel ou tel livre va ou non faire l’objet d’une critique ? Comment quiconque peut-il se mettre en colère parce que personne n’a remarqué qu’Andalus – la maison d’édition que j’ai créée et que je dirige – a publié un nouveau titre, dès lors que personne ne remarque le drame qui se déroule à deux pas de porte de chez soi ? En tant qu’être humain, et que simple citoyenne israélienne, il est beaucoup plus important que je prenne le combiné du téléphone pour appeler les éditeurs des quotidiens, pour savoir pour quelle raison ils occultent les informations sur le massacre en cours à Gaza. Avant que les lecteurs israéliens connaissent la littérature arabe, ils devraient connaître les crimes qui sont en train d’être perpétrés, en leur nom, et S’EN PREOCCUPER. En des temps tels ceux-ci, il semble que faire quoi que ce soit d’autre que lutter contre l’occupation, cela revient à normaliser une situation insupportable. Par « normaliser », j’entends traiter l’anormal, l’intolérable, comme s’il s’agissait d’une routine.
De fait, NOTRE « temps de crise » dure depuis plus d’un siècle, bien que, comme je l’ai indiqué, il soit devenu, depuis la Nakba de 1948, un état permanent d’expulsion, de dépossession, d’oppression et d’occupation. Je suis née dans ce conflit : je n’avais pas le choix. Je suis née, aussi, dans la langue hébraïque, ma langue maternelle, ainsi que celle de mes deux parents. Dès que je suis devenue une adulte consciente, j’ai trouvé cette réalité intolérable. Mais, ce qui est plus important, j’ai tenté d’assumer ma part de responsabilité, dans cette crise. Je suis celle qui expulse, celle qui dépossède, celle qui opprime, celle qui occupe. C’est moi qui ai criblé le corps tendre de la fillette de treize ans Iman Al-Hams, à Rafah, de vingt balles ; c’est moi qui possède la clé des portillons cadenassés, ménagés dans le mur qui sépare les écoliers palestiniens de leur école. Dans tout autre pays, dans toute autre langue vivante, je me sentirais étrangère, immigrée. Ma critique féroce du sionisme mise à part, le sionisme m’a créée, ainsi que plusieurs autres millions de locuteurs maternels de l’hébreu, dont la seule patrie a été créée sur les ruines d’une autre patrie. Sachant cela, il est de ma responsabilité de lutter pour l’égalité nationale et civique entre Arabes et juifs ; de travailler à une réconciliation historique fondée sur la reconnaissance, par Israël, du Droit au Retour des Palestiniens, et aussi à une vie faite de partenariat, de justice et d’égalité. Le seul cadre dans lequel je puis envisager la réalisation de ces valeurs, c’est un Etat [unique] binational. Pour citer l’historien Amnon Raz-Krakotzkin, qui propose la bi-nationalité comme base permettant de repenser une alternative politique.
La bi-nationalité, c’est, avant tout, une description de la réalité existante. Et dès lors que la distinction nationale juif / arabe est la base pour définir cette réalité, la position bi-nationale est la seule qui incarne l’exigence qu’il y a à démanteler les mécanismes grâce auxquels le collectif juif affirme son contrôle sur le collectif arabe. La position bi-nationale permet de lancer un débat qui intègre les différents aspects de l’ainsi dite « question palestinienne » - aspects qui sont généralement discutés séparément : les territoires, les réfugiés, les citoyens palestiniens d’Israël et l’avenir de la collectivité juive en Israël et dans son environnement arabe.
Ecoutons Raz-Krakotzkin :
« Le débat tient en un unique débat : ce débat porte sur la question des juifs, qui est en même temps la question des Arabes. On ne saurait parler de droits des juifs sans parler des droits des Arabes. De même, on ne saurait accepter une séparation entre le débat sur l’occupation et le débat sur le caractère juif de l’Etat d’Israël, comme s’il s’agissait de problèmes indépendants. Ce n’est qu’en combinant ces problématiques qu’un changement est susceptible de se produire. »
Raz-Krakotzkin n’évoque pas le bi-nationalisme comme une alternative à l’Etat palestinien, sous la forme d’un seul Etat, mais bien plutôt comme une alternative au principe de « séparation », un précepte qui a modelé le sionisme, depuis son apparition. Ce fut un Premier ministre travailliste, Ehud Barak, qui utilisa ce concept de la manière la plus cynique qui fût, au cours de sa campagne électorale, avec le slogan éhonté (emprunté à l’extrême droite !) : « Nous Ici ; Eux, Là-bas ! » NOUS représentant les juifs et EUX représentant les Arabes. Faire de la séparation LA pré-condition de la « paix », L’exigence sine qua non pour toute reconnaissance par Israël d’un Etat palestinien, signifiait que, sous le déguisement d’un retrait israélien, Israël intensifiait en réalité son occupation en étendant les colonies, en goudronnant les routes de contournement et en confisquant de grandes superficies de terres afin d’orchestrer séparation sur séparation. La muraille massive, en cours de construction dans la profondeur de l’hinterland cisjordanien, n’est que la manifestation physique la plus récente et la plus évidente de ce précepte (de séparation).
Je cite, à nouveau Raz-Krakotzkin :
« La bi-nationalité, au sens large, c’est la question arabo-juive, et elle vise à contrer le paradigme orientaliste tendant à dresser une de ces identités contre l’autre – dans tous les sens où ce paradigme fonctionne, au fondement de la définition de la culture israélienne. La catégorie ‘juif-arabe’ ne marque pas simplement une identité qui constituait, et continue à constituer la base de la conscience de juifs arabes [c’est-à-dire de juifs originaires de pays arabes] : elle veut constituer un fondement permettant de définir la conscience de tout Israélien, la nouvelle base de l’identité israélienne, dont l’existence et le droit à exister doivent être conditionnés à leur existence au sein du monde arabe. Aussi longtemps que la narration israélienne sera conditionnée à la dichotomie arabe VS juif, il sera impossible de mettre une quelconque alternative sur pied. ‘Juif-arabe », par conséquent, est un appel au partenariat, basé sur la décolonisation de l’identité juive, à tous les sens de ce terme, et dans tous ses contextes. »
Les éditions Andalus sont guidées par cette conception bi-nationale, par l’assomption que la seule vie possible est un vivre ensemble, en Israël – Palestine et, plus largement, dans notre environnement arabe. Bien entendu, cela doit inclure le partenariat culturel, le partenariat littéraire. Andalus cherche à encourager des points de contact entre les littératures hébraïque et arabe, entre l’hébreu et l’arabe, entre les mondes (et les mots) que ces langues véhiculent ; à enraciner la littérature arabe dans l’expérience hébraïque ; à créer un terrain commun textuel, un espace culturel intermédiaire qui efface les frontières mais évite les chausse-trappe de l’orientalisme, cet orientalisme qui sépare plus qu’il ne rapproche. Estomper l’ordre des choses, cela signifie résister au diktats hégémoniques de séparation, et refuser d’intérioriser le faux dualisme Arabe VS (par opposition au) Juif.
Andalus cherche à évoquer un passé judéo-arabe partagé. L’apogée de l’Andalousie, lieu de l’ « âge d’or » de la pensée islamique et juive, où les cultures arabe et juive se nourrissaient et se fertilisaient mutuellement, était aussi une époque connue pour les productions littéraires et intellectuelles de certains des plus grands philosophes, théologiens et poètes, arabes et juifs. Ce fut une période au cours de laquelle des textes furent traduits, et des idées échangées, en toute liberté, de l’arabe vers l’hébreu et de l’hébreu vers l’arabe.
La maison d’édition Andalus a été créée quelques mois AVANT le déclenchement de la seconde Intifada. A ce sujet, je dois avouer qu’en dépit de ma clarification, au début de mon intervention, le sentiment de crise dans lequel nous vivions depuis octobre 2000, avec les morts quotidiens, la descente vertigineuse d’Israël vers les abysses du fascisme, aurait dû aboutir à la fermeture de notre maison d’édition AVANT le déclenchement de l’Intifada. Ceci signifie simplement que j’avais encore à apprendre ( !) à accepter l’horreur constante. Or, constante, elle ne l’est pas non plus, puisqu’elle ne fait qu’empirer, année après année.
Entre 1932 – année où la traduction en hébreu des Jours [Al-‘Ayyâm] de Tâha Hussein fut publiée à Tel-Aviv – et 2000, ce sont moins de quarante œuvres de fiction en arabe qui ont été traduites de l’arabe en hébreu. La plupart d’entre elles étaient l’œuvre d’auteurs égyptiens et palestiniens (avant la création des Editions Andalus, aucun écrivain syrien, irakien ou nord-africain n’avait été traduit en hébreu à partir de l’arabe. L’écrivain marocain Tahar Ben Jelloun a été traduit, ainsi que d’autres, mais toujours à partir du français). Parmi ces quarante auteurs, trois femmes, seulement : les Palestiniennes Sahara Khalifé et Fadwa Tuqan, et l’Egyptienne Nawal al-Sa’adawi.
Des auteurs arabes contemporains, traduits en de nombreuses langues et qui sont bien connus, est-il besoin de le préciser, de tout Arabe cultivé, restent inconnus pour le lecteur d’hébreu, à l’exception du prix Nobel de littérature égyptien Nagib Mahfouz. Les noms d’écrivains tels l’Egyptien Sun’allah Ibrahim, le Syrien Zakaria Tamer, la Libanaise Hanan al-Sheikh et le Libanais Elias Khoury, pour ne pas parler du regretté écrivain juif irakien Samir Naqash, qui écrivait en arabe et publiait à compte d’auteur à Petah Tiqva, en Israël, ne sont pas familiers pour le lectorat israélien, pas plus que celui-ci ne connaît leur vaste production littéraire.
Bien qu’Israël soit situé au cœur du monde arabe, les Israéliens lisant l’hébreu demeurent, pour l’essentiel, hors du rayonnement de la culture arabe, en général, et des littératures et pensée arabes, en particulier. Jusqu’à récemment, il était presque impossible de trouver des traductions de narrations qui auraient pu permettre au lecteur hébraïsant de comprendre les sociétés arabes et les expériences, multiples et complexes, qui modèlent les existences des personnes qui les composent.
Pourrait-il y avoir quelque chose de plus normal que traduire Hanan al-Sheikh ou Hoda Barakat en hébreu ? Et c’est là où nous touchons au paradoxe suprême. Alors, qu’à Andalus, nous sommes guidés par une conception des choses qui cherche à normaliser l’existence juive dans le monde arabe, nous devons nous demander, jour après jour, si le fait ou non d’agir « normalement » ne risque pas de normaliser aussi la situation actuelle, qui est non seulement anormale, comme je l’ai déjà mentionné, mais intolérable.
Nous ne sommes pas les seuls à être préoccupés par ces questions de normalisation. En mai 2001, à la suite d’un appel lancé par notre maison d’édition à plusieurs écrivains arabes, leur demandant de nous permettre de traduire leurs œuvres et de les publier, un débat intense éclata, entre écrivains et intellectuels arabes, dans les pages de la presse arabe, sur les arguments plaidant en faveur, ou en défaveur, de la traduction de la littérature arabe en hébreu, et réexaminant la question de la normalisation culturelle. Le regretté Edward Saïd attaqua avec virulence les écrivains arabes qui étaient opposés à ce que leurs œuvres soient traduites en hébreu. Il écrivit, dans le quotidien Al-Hayât :
« Prenons la campagne récente contre la traduction d’ouvrages arabes en hébreu. On aurait pu penser que plus il existerait de littérature arabe disponible en Israël, plus les Israéliens seraient à même de nous comprendre, en tant que peuple, et seraient enclins à cesser de nous traiter comme des animaux ou en infra-humains. Mais non. Nous donnons le spectacle désolant d’auteurs arabes sérieux dénonçant carrément leurs collègues qui se sont « laissés aller » à la « normalisation » avec Israël, ce qui est la périphrase codée imbécile généralement utilisé pour signifier la « collaboration avec l’ennemi ». Ne serait-il donc pas vrai, comme l’a dit le premier Julien Benda, que les intellectuels sont supposés aller à l’encontre des passions collectives, au lieu de leur emboîter le pas d’une manière démagogique ? Comment, au nom du Ciel, une traduction en hébreu pourrait-elle représenter un acte de collaboration avec l’ennemi ? Passer dans une langue étrangère, pour un écrivain, c’est en tous les cas une victoire. Toujours. Dans tous les cas. Ne s’agit-il pas, en la matière, d’une chose bien plus intelligente et constructive que la « normalisation » tant désirée par les différents pays qui persistent à entretenir des relations commerciales et diplomatiques avec l’ennemi, au moment même où les Palestiniens sont en train de se faire tuer comme des mouches par les fantassins et l’aviation d’Israël ? Les traductions en hébreu de la littérature arabe ne sont-ils pas une manière de pénétrer culturellement en Israël, d’y produire un effet positif, de changer la mentalité de sa population, de la faire passer de la passion sanglante vers une compréhension raisonnée de l’Autrui d’Israël, c’est-à-dire les Arabes, en particulier lorsque ce sont des éditeurs israéliens qui ont pris l’initiative de publier ces traductions en signe de protestation culturelle contre la barbare politique arabe d’Israël ? »
Bien que je partage au mot près l’opinion d’Edward Saïd, je dois avouer que, le temps passant (ce temps de crise et ce temps de crise aggravée), mon pessimisme ne fait que croître et les réponses à ces questions ne font que devenir de moins en moins claires.
                       
4. "Opération armée" et non "Attaque terroriste"
Une lettre de l'Union Juive Française pour la Paix à Jean-Claude Allanic, Médiateur de l'information de France 2 (14 décembre 2004)
à Monsieur Jean-Claude Allanic - Médiateur de l’information - France Télévision - 7, Esplanade Henri de France - 75907 PARIS - Cedex 15
OBJET : Palestine
Monsieur le Médiateur,
Dans son édition du 13 décembre, le journal télévisé de France 2 a qualifié comme " attaque de terroristes palestiniens " l’opération armée menée la veille contre l’armée israélienne, qui a tué 5 soldats et a blessé 10 autres au poste militaire de Rafah. Quant au journal télévisé de France 3, dans ses éditions régionales et nationale, il a amplement utilisé le qualificatif " d’attentat " pour parler de cette même attaque revendiquée conjointement par le Hamas et les Faucons du Fatah. La presse écrite et électronique utilisent habituellement le terme " attentat " pour désigner une agression, armée ou non, dirigée contre des civils. Force est de constater que cet acte de la résistance palestinienne n’a pas fait de victimes civiles, et pour cause : il n’a visé que des soldats sur une base militaire. Ainsi, parler " d’attentat " commis par des " terroristes palestiniens " induit en erreur le téléspectateur.
Nous appelons donc à la vigilance de France Télévision pour employer dorénavant une terminologie appropriée afin de couvrir ce genre d’événement, et pas la terminologie employée par le gouvernement israélien. Nos compatriotes qui regardent la télévision de service public méritent mieux que la propagande officielle de la puissance occupante dans une guerre coloniale comme celle qui se déroule actuellement dans les territoires palestiniens.
Lorsque des civils sont ni visés ni atteintes, il convient de parler d’une attaque, d’une opération armée ou d’un acte de résistance, mais certainement pas un " attentat commis par des terroristes ". Par ailleurs, cette dernière expression s’applique malheureusement à de nombreuses actions de l’armée israélienne où les seules victimes sont des civils, comme arrivent souvent lors d’incursions de Tsahal dans les territoires palestiniens. Parler " d’attentat terroriste " dans ce cas ne serait pas inexact, même si de telles actions sont menées par une armée régulière.
Par ailleurs, vous êtes sûrement conscient que pour notre part, à l’Union juive française pour la paix, nous déplorons toute violence portant atteinte à la vie d’autrui, qui qu’il soit, et nous militons pour une solution politique dans le cadre d’une paix juste entre les deux peuples qui seule peut mettre fin à ce conflit. Nous faisons cependant la distinction entre le terrorisme qui vise les populations civiles et les actes de résistance face aux forces d’occupation, un doit inaliénable de tout peuple subissant la domination coloniale.
Vigilance, donc ! Les téléspectateurs attendent de l’information objective, pas de la propagande officielle d’un Etat étranger, quel qu’il soit.
En vous remerciant de votre attention, je vous prie, Monsieur le Médiateur, d’agréer l’expression de mes sentiments distingués. Richard Wagman, Président de l'UJFP
                   
5. Pierre-André Taguieff : Un "prêcheur de haine" magistral par Silvia Cattori (5 décembre 2004)
Accuser les autres se ses propres péchés est une vieille tactique. C’est ce que fait le chercheur au CNRS, M. Pierre André Taguieff dans son livre « Prêcheurs de haine : Traversée de la judéophobie planétaire » [1]
Si l’on suit son raisonnement, tout un chacun peut, aujourd’hui, demain, se voir abusivement soupçonné de « haïr les juifs », se voir accusé de « judéophobie » pour avoir porté un regard critique sur Israël ! D’autres vont le répéter. Et le tour est joué. Ce mot lâché, plus moyen de se laver de la souillure.
A l’appui de citations tronquées, accompagnées de commentaires perfides, Taguieff n’a pas de mots assez méchants pour transformer les personnes épinglées, en épouvantails repoussants. [2]
Dans les milles pages de son essai, pages toutes remplies de notes plus assassines les unes que les autres, Taguieff s’en prend tout particulièrement à des personnalités publiques qui se sont fermement opposées, ces dernières années, aux guerres anti-Arabes, anti-islam. Personnalités, donc, qui ont élevé la voix, pour condamner les violations, par Israël et les Etats-Unis, de la loi internationale et humanitaire qui protége les civils dans les zones occupées. Personnalités tout ce qu’il y a d’humainement et moralement respectables mais considérées par Taguieff - qui lui défend effrontément les violeurs du droit - comme faisant partie de ce « noyaux durs de judéophobes » qui véhiculerait « une pensée unique » teintée « d’israélophobie, d’américanophobie, d’islamo-gauchisme ».
Taguieff cherche à répandre l’idée que les « ennemis des juifs » reviennent en force. Qu’ils sont partout. A droite comme à gauche, comme dans les mouvements anti-guerre. Qu’ils sont passés de « l’antisémitisme à l’antisionisme ». Qu’il y a parmi les « antisionistes légitimes » des « antisionistes absolus, qui sont aussi redoutables que les vieux antisémites ». Et ceux là il faut les bannir.
Or, tout ce charabia ne tient pas la route. Même si Taguieff a troqué le terme « d’antisémitisme » contre celui de « judéophobie », même si les médias lui donnent toujours un vaste écho et si les politiciens peu courageux se couchent par pure couardise, il y a peu de chance que sa démonstration, soit prise au sérieux par le grand public. Les gens ne sont plus aussi dupes !
Si l’exploitation de l’« antisémitisme » a assez bien fonctionné jusqu’ici, il ne fait plus toujours recette aujourd’hui. D’autant qu’il y a eu, en 2004, toute une série de révélations qui ont permis à la police d’établir que des actes attribués trop hâtivement à « l’antisémitisme galopant » étaient, en vérité, des actes fabriqués de toute pièce par ceux-là mêmes qui hurlaient à la « persécution des juifs », fomentés par des pompiers pyromanes étroitement liés aux organisations juives. [3]
Pourquoi des personnes de confession juive se livrent-elles à ce genre de provocations ? Il faut savoir qu’Israël a toujours compté sur l’arrivée de nouvelles vagues d’immigrants juifs pour préserver un équilibre démographique face aux Palestiniens. Et comme les Français sont de moins en moins tentés d’aller s’établir en Israël, il faut leur donner, de-ci de-là, un coup de pouce en leur faisant très peur pour les pousser à émigrer en Israël. Cela permet du même coup de justifier l’injustifiable. D’accréditer l’idée que les colons juifs qui vont s’installer demain sur des terres volées aux Palestiniens sont la conséquence directe, donc excusable, des « persécutions » dont ils seraient toujours victimes en France. [4]
Aujourd’hui, tout le monde est censé savoir que, ces dernières années, alors que des organisations comme le CRIF ameutaient toute la classe politique française autour de « l’antisémitisme », Israël perpétrait en Palestine les pires crimes de guerre de son histoire. Toutes ces campagnes qui agitaient le spectre de « l’antisémitisme » étaient idéologiques. Elles servaient des objectifs politiques. Et elles allaient toujours en s’amplifiant au moment où Israël se livrait à des opérations sanglantes contre les Palestiniens. Il s’agissait de faire diversion. Ainsi, pendant qu’Israël massacrait les Arabes sans être dérangé, les inconditionnels d’Israël dans le monde faisaient tout un tintamarre, autour de faux actes « antisémites ». Il y a des chiffres qui démontrent que, durant ces années, il y a eu plus de cimetières chrétiens et musulmans profanés que de cimetières juifs.
Voilà pourquoi, depuis qu’Israël a durci sa politique répressive en Palestine, il ne s’est pas passé une semaine, sans que le journaliste-philosophe M. Alain Finkielkraut ou le président du Conseil Représentatif des Instituions Juives de France (CRIF), M. Roger Cukierman, ne montent au créneau pour nous marteler que « les juifs » étaient en danger en France et de pointer du doigt « les banlieues ». Ce qui revient à introduire l’idée qu’ils veulent faire passer : que les Arabes sont la première menace, et que l’Islam est l’ennemi du monde chrétien.
Tout cela est parfaitement cynique. Mais pour tous ceux qui calquent leur manière de voir sur celle d’Israël, c’est de bonne guerre. Ainsi, à force de diaboliser les « banlieues », subrepticement, la petite écolière couverte d’un foulard deviendra, aux yeux des Français qui se sont insensiblement pénétrés de ce « discours de haine » pernicieux, aussi dangereuse que le Palestinien en rébellion contre l’occupant israélien. Qui versera une larme quand les avions iront bombarder ces « fanatiques », en Palestine et en Irak ?
Combien de temps la France va-t-elle encore supporter sans réagir que des provocateurs et des manipulateurs à la solde d’Israël, qui se sentent finalement plus israéliens que français, continuent de fomenter des troubles pour diviser les citoyens ?
Israël, quoi qu’il fasse, peut toujours compter sur des alliés qui le soutiennent et reprennent sa propagande. Propagande qui consiste à faire des amalgames entre un « terroriste » et un résistant, entre l’islam et le réseau Al-Qaida, à associer tout musulman qui fait sa prière à la mosquée et toute femme qui porte le foulard à des « extrémistes », à des « fanatiques », à des « terroristes ». Taguieff n’est pas le plus actif d’entre ces inconditionnels qui nous désinforment quotidiennement. Il n’est que le plus petit maillon d’une chaîne de « maître de discours » qui occupent tout le champ médiatique, qui pèsent sur la politique en France et participent de ce processus de déshumanisation de l’Arabe, de l’Islam, qui conforte les intérêts d’Israël. [5] Processus qui va toujours de pair avec le lynchage de ceux qui osent contrecarrer leurs mensonges et appeler à plus d’humanité envers nos frères arabes.
Quand Taguieff accuse des personnes qu’il ne connaît pas, de « judéophobie », de « révisionnisme », de « négationnisme », il se révèle être lui-même un prêcheur de haine magistral. Haine de ceux qui défendent des valeurs de justice et qu’il piétine allégrement. Haine de ces « féministes et alter mondialistes » qui défendent le droit des femmes musulmanes à porter le foulard et donnent la parole à Tariq Ramadan. Haine de ceux qui ne partagent pas sa haine de l’Arabe et de l’Islam.
Combien de personnalités respectables n’ont-elles pas déjà été salies, par le passé, par ce genre de simplifications ? Marguerite Yourcenar - pour ne citer que l’une des plus célèbres d’entre elles - a énormément souffert d’avoir été abusivement soupçonnée « d’antisémitisme ».
Il suffit de se rapporter aux récentes campagnes médiatiques contre Tariq Ramadan pour mesurer l’ampleur de la haine anti-musulmane. En quelque mois les médias ont fait de cet intellectuel musulman, un personnage douteux, dangereux, infréquentable. [6]
En réalité, les « prêcheurs de haine » ne sont pas là où Taguieff, à l’instar d’André Glucksman [7], veut bien nous le faire croire. Son propre « discours de haine » vise à faire taire les défenseurs du droit international qui critiquent Israël et les Etats-Unis, et à durcir les lois qui permettraient de les bâillonner.
La diabolisation des Arabes et de la religion musulmane par les va-t-en guerres et les idéologues du choc des civilisations, favorise les intérêts d’Israël, pas ceux de la France. Ce sont donc eux, les Arabes et les musulmans, les principales victimes de racisme en France. C’est d’eux que Taguieff aurait dû se préoccuper en priorité. Or, pour Taguieff, si la déshumanisation des Arabes est naturellement admise, la critique de la politique raciste de l’Etat d’Israël n’est pas acceptable.
Vous l’avez compris, ce qui scandalise Taguieff ce ne sont pas les victimes innocentes des guerres criminelles de Sharon et Bush, ni les actions douteuses en France de certaines organisations juives qui cherchent à diviser les citoyens ; ce qui le scandalise ce sont uniquement les forces politiques qui refusent l’inacceptable : l’occupation militaire israélienne en Palestine, l’occupation américaine en Irak, et toutes les souffrances qu’elles génèrent.
Apporter son soutien à un Etat qui nie le droit d’exister aux Palestiniens, ce n’est pas une position défendable. Qu’importe ! Il s’agit pour les Taguieff de donner un coup de main à Israël au moment où, malgré tous les efforts déployés au dehors par ses défenseurs pour tenter de sauver son statut de victime éternelle et pour l’embellir, son image de « pays civilisé et démocratique » s’effrite. On ne peut pas tromper le monde indéfiniment. Donner à l’antisémitisme - ou à la « judéophobie » - une ampleur qu’il n’a pas, fait l’affaire d’Israël ; cela ne fait pas l’affaire de la France.
Nous devons refuser cette grille de lecture tendancieuse et régressive. Nous devons lutter contre ces campagnes mensongères qui visent à nous faire voir le monde arabo-musulman comme l’ennemi de l’Occident.
Taguieff se vante d’« avoir fait un livre sérieux, à visées nobles et culturellement savantes » ! Dans son passage sur les ondes de France culture il est apparu comme un homme médiocre, suffisant, présomptueux, imbus de lui-même et parfaitement cynique. Voici quelques extraits de ses réponses aux questions posées par deux journalistes manifestement sceptiques. [8]
Vous avez fait un « massacre de personnalités (...), il n’y a plus grand monde qui trouve grâce à vos yeux, c’est un peu abusif » !
« Je reconnais que mes portraits sont des gifles (...) Nous sommes dans un univers manichéen (...) il y a deux pôles ; entre l’antisionisme légitime et l’antisionisme absolu (le dénigrement systématique d’Israël) il y a une zone d’ambiguïté (...) il y a beaucoup de pacifistes et d’intellectuels français qui sont à la frontière de ce que j’appelle la judéophobie ».
Qui sont les judéophobes ?
« La LCR, les trotskistes anglais, les alter mondialistes, les pacifistes qui font copinage entre Ramadan, les féministes et les alter mondialistes (...) Je m’intéresse aux dérives antijuives du pacifisme radical »
Mais vous vous alignez sur les positions des Sharon et Bush. Vous allez avoir une partie de l’opinion française choquée ! Est-ce à dire que, dans la position anti-guerre française, il y a des traces de judéophobie ?
« La stratégie des néo-conservateurs visait le remodelage du Proche-Orient. J’étais d’accord avec eux. La France en 2003 a montré un étrange unanimisme (contre la guerre en Irak) ».
Les Etats-Unis peuvent bombarder où ils veulent ?
« Ils doivent jouer le jeu (...) Sur le pacifisme je fais une lecture comparée avec 36-39, la capitulation devant Hitler ».
Vous avez tendance à ne parler que de pacifisme radical et à mettre dans le même sac ceux qui ont réfléchi (aux enjeux de la guerre) ?
« J’ai voulu m’engager à dénoncer les dérives anti-juives et anti-américaines, la théorie du complot juif mondial »
Quand passe-t-on de « l’antisionisme légitime à l’antisionisme absolu » ?
« Quand il y a nazification, quand on dit « sionisme égal nazisme » (...) La France a vraiment basculé (dans la judéophobie) avec Sabra et Chatila. Ca n’est pas Sharon qui a tué les Palestiniens. On parle de Tsahal comme d’une armée de soudards, une bande de criminels ».
Tout cela est une invention totale ?
« Israël est un pays démocratique (...) »
Vous dites que l’espace médiatique méconnaît les pays Arabes ?
« Mon analyse : il y a deux poids deux mesures. Il y a un antisionisme médiatique avec une palestinophilie angélique. Il y a une vision noire dans le traitement d’Israël. Nous sommes dans l’ambigu et les manichéens ne comprennent pas cela. » (Fin)
Mais, là encore, c’est le pompier pyromane. Il n’y a pas plus manichéen que Taguieff. Il y a le camp des justes d’un côté, son camp, et le camp des « pacifistes » de l’autre côté ; camp qu’il soupçonne d’« antisémitisme », d’« antisionisme radical », de « judéophobie ».
D’après vous, chers lecteurs, qui portez la blessure d’un monde déchiré, qui sont les manichéens qui voient tout en noir et blanc et ne sont pas capables de dialoguer ?
- NOTES :
[1] Editeur Mille et une nuits, septembre 2004
[2] Parmi quelques centaines de personnalités méchamment mises en cause il y a le rapporteur spécial des Nations Unies, Jean Ziegler, Josè Bovè, Dieudonné M’Bala M’Bala.
[3] Il y a des organisations juives qui soutiennent financièrement la di scrimination raciale en Israël, en collectant des fonds qu’elles versent au KKL, le fond National Juif qui jouit d’un statut constitutionnel en Israël et gère une partie importante des terres volées aux Palestiniens. Elles ne sont pas blâmées par M. Roger Cukierman qui représente les organisations juives en France et à ce titre participe au comité interministériel qui se réunit mensuellement pour lutter contre l’antisémitisme. On se demande ce que le gouvernement français attend pour les interdire. Le cas le plus connus, parmi les faux « actes antisémites » est celui d’Alexandre Moïse, dirigeant de la fédération sioniste de France, qui s’adressait des messages anti-juifs. Alors qu’il avait porté plainte pour menaces antijuives il a été reconnu par la police en mai 2004 comme étant lui-même l’auteur de ces menaces. Toutefois 80 % des actes dits antisémites ne sont pas identifiés. Donc il est difficile de dire qui en sont les instigateurs.
[4] Si l’usage de l’antisémitisme à des fins politiques prend en France une telle proportion, cela découle du fait qu’il y a dans ce pays le plus grand nombre de citoyens de confession juive après les Etats-Unis et que les organisations sionistes y sont très actives.
[5] Alexandre Adler est incontestablement le plus efficace leader d’opinion, parmi les journalistes qui en France, cherchent à accréditer l’idée que l’Occident est dans un choc de civilisation vis-à-vis du monde musulman. Et aussi le plus influent défenseur de la politique d’agression militaire d’Israël et des Etats-Unis au Moyen-Orient.
[6] France 2 est la chaîne télévisée qui s’est montrée la plus acharnée à vouloir détruire Tariq Ramadan. Notamment en diffusant le reportage à charge, De Sifaoui, un algérien qui cherche à se faire une place en France en dénigrant ses frères de manière assez pitoyable.
[7] André Glucksman a écrit récemment un livre qui va dans le même sens. « Discours de haine »
[8] Taguieff était interrogé par deux journalistes à France Culture le 27 octobre 2004. Nous avons pris durant l’émission des notes, qui reflètent fidèlement son propos même si nous n’avons pas pu les reprendre mot à mot.
                       
6. Rapport Rufin : Le monde à l’envers par Michèle Sibony (1er novembre 2004)
(Michèle Sibony est vice-présidente de l’Union Juive Française pour la Paix.)
Le rapport sur la question du racisme en France remis par J.C. Rufin au ministère de l’intérieur, est un rapport de commande qui s’inscrit dans le droit fil de la politique gouvernementale à laquelle il apporte une caution d’expert et il propose des armes.
On aurait pu croire, naïvement,  que la volonté politique  était de s’adresser d’une même voix à toutes les victimes du racisme dans un souci d’égalité, et de mettre en œuvre une politique qui garantisse à tous sécurité et respect.
Le rapport Rufin distingue l’antisémitisme  des autres formes de racisme, il en fait une catégorie hors norme, et lui accorde une prépondérance absolue.
Ce faisant il contribue à isoler les Juifs du collectif national et les désigne comme un groupe privilégié bénéficiant d’une protection spéciale : une distinction éminemment dangereuse, parce que créatrice d’antisémitisme. L’antisémitisme commence toujours par distinguer – exclure - les Juifs du corps social en leur conférant des travers ou des vertus particuliers.
On aurait pu croire, naïvement,  que pour désamorcer l’infernale stratégie antisémite qui consiste à assimiler Juif, Israélien et sioniste - C’est la stratégie notamment de l’extrême droite révisionniste, mais visiblement cette dernière n’intéresse guère J.C. Rufin, ni le gouvernement malgré sa progression certaine et ses actions antisémites récentes - il fallait précisément définir  ces notions et les séparer.
Non seulement le rapport choisit en assimilant clairement antisémitisme et antisionisme de renforcer ce lien qui associe inexorablement le sort des Juifs qui sont Français et choisissent tous les jours de le rester à celui des Israéliens, mais il crée en outre un nouveau concept « l’antisionisme radical » apanage dit-il des courants d’extrême gauche et alter mondialistes.  Sans doute s’inspire-t-il des déclarations de R. Cukierman, président du Crif qui dénonçait lui, les alliances « vert brun rouge ».
Ainsi tous ceux qui ont besoin d’asseoir leur antisémitisme sur de nouvelles bases pourraient en s’appuyant sur les termes de ce rapport se déclarer antisémites en arguant de la conduite de l’armée israélienne dans les territoires occupés ? Beau travail !
Rufin pousse l’amalgame jusqu’à expliquer la situation politique israélo-palestinienne d’aujourd’hui,   par le comportement exclusif des Palestiniens et de leur direction  et conclut ainsi : « la thématique nouvelle du  « droit au retour » des réfugiés palestiniens remet en question la survie même d’un Etat où les juifs du monde entier puissent trouver la sécurité ». Sans nul doute notre rapporteur a pris des cours du soir au CRIF , mais surtout comment ne pas lire dans ces derniers mots surlignés par nos soins qu’il ne prétend plus que la république puisse garantir être le lieu ultime où ses citoyens juifs puissent trouver la sécurité, et que le choix de vivre en Israël pour certains des Juifs français pourrait un jour ne plus en être un, mais une obligation ! Tout un programme inscrit en filigrane de ce texte…
Enfin le rapport propose une loi  qui sanctionnerait « ceux qui porteraient sans fondement à l’encontre de groupes, institutions ou Etats, des accusations de racisme, et utiliseraient à leur propos des comparaisons injustifiées avec l’apartheid ou le nazisme ».
Les ridicules atours d’objectivité dont cette prose se pare cherchent à peine à dissimuler de quels Etat ou Institutions il est question. (Une autre loi récente d’ailleurs procède de la sorte, visant un public très particulier en se donnant l’apparence de sanctionner  les signes religieux ostensibles en général.) Il s’agit en fait d’un costume taillé sur mesure pour les Juifs de France, utilisés dans un combat global d’une ampleur qui les dépasse largement.
En effet dans le monde qui est devenu  le nôtre depuis le 11 septembre, l’ennemi a été désigné clairement : l’Islam, et sont clairement nommées les forces du bien : l’Occident et ses valeurs dont le leader est l’Amérique. L’idéologie bushienne dominante est celle du clash des civilisations assorti  de la recolonisation du monde.
Cet affrontement  se joue  aussi, bien sûr, en Europe et en France. Et sur un plan extérieur le gouvernement français, s’il a certes pris ses distances  avec la guerre d’Irak  n’échappe pas cependant à la dérive  qui le rapproche des Etats-Unis que ce soit  dans le traitement de la question palestinienne progressivement abandonnée aux mains de Sharon et celui de la Tchétchénie : motus et bouche cousue.
La dérive est sensible aussi sur un versant intérieur et social où le mode de confrontation est progressivement organisé en termes ethnico religieux  autour de cet axe :
Le gouvernement ultra libéral qui est le nôtre s’applique avec la détermination et la brutalité que l’on sait à casser tous les systèmes sociaux français : droit du travail, santé, éducation, logement, privatisation et disparition progressive des services publics ce qui frappe prioritairement les périphéries aujourd’hui largement arabo-musulmanes et largement abandonnées à leur sort (où sont passées les réformes sociales pour les banlieues, annoncées comme le corollaire obligé de la loi contre les signes religieux ostensibles ?). Il s’applique  aussi à redéfinir les rapports  sociaux  en France en termes communautaires ethniques et religieux, et non plus citoyens, cultivant le  particulier et non plus l’universel. Ainsi  le rapport  accompagne  cette dérive, et positionne les antagonistes. Au cœur d’un centre occidental blanc et judéo chrétien, les Juifs, victimes d’un antisémitisme défini comme un racisme unique et fondé aujourd’hui sur une analyse politique partisane et imposée du conflit du moyen orient :
Page 16 :
Néanmoins ce problème reste posé : les Juifs sont admirablement intégrés dans la société française ; la République a su sécréter quand il le fallait les anticorps nécessaires pour combattre l'antisémitisme. Cela ne signifie pas pour autant que les préjugés aient disparu. La nouveauté est que ces préjugés n'ont plus à s'exprimer directement par des propos, des écrits ou des actes. Il suffit de laisser agir les jeunes irresponsables des banlieues difficiles ».
Dans les périphéries, un magma trouble informel constitué par tous les autres,  immigrés, pauvres et se battant entre eux. Les victimes des autres racismes sont elles tout à fait marginalisées et relativisées, dangereuses parce qu’arabo-musulmanes,  menaçantes pour un centre respectable occidental et judéo chrétien parce que susceptibles de rejoindre l’axe du mal, elles sont d’ailleurs  à peine présentes dans ce rapport et n’existent que par leur relégation au second plan,  ou leurs responsabilités évoquées dans l’antisémitisme.
Page 19 :
« Lorsqu'on aborde la question du racisme " général ", on entre dans un domaine plus vaste et plus mal défini que celui de l'antisémitisme. La première cause de ce flou tient d'abord à la grande variété des groupes concernés, chacun héritant d'une histoire particulière. L'élargissement mondial des sources de migration a ces dernières années multiplié les origines et les communautés, complexifiant d'autant plus la question de leurs relations. »
Enfin il définit l’enjeu de cet affrontement et le rôle attribué aux Juifs dans ce qu’il appelle : « la bataille d’Europe ».
Page 15 :
« Il ne faut évidemment pas mettre sur le même plan des insultes ou des agressions mineures et les attentats suicides de grande envergure qui se multiplient sous l'impulsion de mouvements islamistes radicaux. Entre les deux, il y a toute la différence entre criminalité organisée et délinquance désorganisée. On sait cependant qu'il est possible de passer de l'un à l'autre. Les parcours de certains jeunes Français d'origine arabe arrêtés en Afghanistan en sont la vivante démonstration. Il y a tout lieu de penser que cette influence est encore rare
Pourtant, ce sujet est au coeur de notre avenir le plus immédiat. C'est ce que Gilles Kepel appelle la bataille d'Europe22. Soit les jeunes issus de l'immigration font le choix des valeurs républicaines et "participent pleinement à la vie citoyenne, à travers les instruments éducatifs et culturels, qui favorisent l'ascension sociale et accompagnent l'émergence de nouvelles élites"23, soit ils rejoignent divers mouvements radicaux qui prêchent la guerre contre l'Occident et le rejet de ses valeurs. L'antisémitisme nous fournit un baromètre de ces évolutions. »
Dans ce modèle d’affrontement il semblerait que les Juifs soient placés - instrumentalisés avec la participation de certains d’entre eux, mais pas tous, loin de là - en première ligne et servent de bélier, …avant de pouvoir servir de bouc émissaire.
                                      
7. Le 37ème Prix de l’Amitié Franco-Arabe a été attribué au livre "Figures du Palestinien. Identité des origines. Identité du devenir" de Elias Sanbar. Le Prix spécial du jury a été décerné à Henry Laurens, professeur au Collège de France, pour  l’ensemble de son œuvre, dont "La question de Palestine". (25 novembre 2004)
Le jury du Prix de l’Amitié Franco-Arabe –créé en 1969 par l’ASFA, Association de Solidarité Franco-Arabe et le mensuel France-Pays Arabes- que préside cette année l’écrivain et journaliste Paul Balta, s’est réuni le 25 novembre 2004 pour décerner son 37ème prix. Il a récompensé, à l’unanimité l’écrivain Elias Sanbar pour son livre Figures du Palestinien. Identité des origines. Identité du devenir, nrf essais aux éditions Gallimard.
Le Prix spécial du jury a été décerné, à l’unanimité, à Henry Laurens, professeur au Collège de France, Chaire d’Histoire du monde arabe contemporain, pour l’ensemble de son œuvre, dont La question de Palestine, chez Fayard.
Parmi les ouvrages retenus dans la pré-sélection, figuraient L’Empire aveuglé : les Etats-Unis et le Moyen-Orient par Rashid Khalidi (Actes Sud), Al Qaida contre le capitalisme, religion et domination, par Émile Malet (PUF) et Maghrébins de France. De 1960 à nos jours : la naissance d’une communauté, sous la direction de Mohand Khellil avec la collaboration de Christian Lochon, Michel Cadé, Abdelkader Benarab.
C’est la journaliste et écrivaine Geneviève Moll qui présidera le jury 2005.
                                               
8. ONU - Les Délégations affirment leur soutien à l'Office de Secours pour les Réfugiés de Palestine (Publié le 2 novembre 2004)
<EXTRAIT> ONU - Quatrième Commission - 20e séance - La Quatrième Commission a entamé cet après-midi son débat relatif à l’UNRWA, l’organisme des Nations Unies créé par l’Assemblée générale en 1949 pour venir en aide aux réfugiés palestiniens et dont le mandat a été renouvelé depuis tous les deux ans, en l’absence d’une solution au problème de ces réfugiés.  L’avenir du mandat de l’UNWRA est incertain, tout comme celui des réfugiés palestiniens, en particulier ceux vivant dans la Bande de Gaza, a déclaré M. Peter Hansen, Commissaire général de l’Office.  Présentant le rapport de l’UNRWA pour la période allant du 1er juillet 2003 au 30 juin 2004, M. Hansen a signalé que les activités d’urgence de l’UNWRA dans les territoires occupés se heurtaient à d’énormes difficultés dues aux violences et aux restrictions de mouvement imposées par les forces israéliennes.  L’édification de la barrière de sécurité a, selon lui, un effet extrêmement négatif sur la population palestinienne et la conduite des activités d’urgence de l’UNWRA.  L’augmentation spectaculaire de l’ampleur des opérations militaires dans la Bande de Gaza a fait de nombreuses victimes et d’importants dommages dont la destruction de logements, d’infrastructures, de terres cultivables et d’entreprises, a dit M. Hansen.  Selon lui, un retrait israélien de Gaza qui ne serait pas accompagné d’une détente drastique en matière de circulation des biens et des personnes ne ferait qu’exacerber la situation économique.
Le Commissaire a également évoqué les conditions difficiles et dangereuses dans lesquelles travaillent les personnels de l’Office.  Enfin, il a rappelé que l’Office faisait face à des contraintes budgétaires qui sapent la mise en œuvre de son Programme d’urgence.  Le manque de moyens l’empêche également de répondre pleinement aux besoins en matière d’éducation et de soins.
La plupart des délégations qui sont intervenues dans le cadre du débat général ont rendu hommage au travail de l’Office et ont souligné les conditions difficiles dans lesquelles son personnel travaille, parfois au péril de sa vie. Elles se sont également inquiétées du manque de financement de l’UNRWA qui nuit à ses activités humanitaires.  À l’instar de la Tunisie, plusieurs délégations ont donc appelé les pays donateurs à fournir davantage de contributions pour aider l’Office au moment où le nombre de réfugiés s’accroît.
Pour sa part, l’Observatrice permanente de la Palestine a dénoncé les violences commises par Israël, Puissance occupante, dans le territoire palestinien occupé.  Elle a notamment évoqué les nombreux enfants et adolescents tués et a dénoncé les destructions des infrastructures de l’UNRWA, infrastructures dont la reconstruction est ensuite assumée financièrement par les donateurs de l’Office.
Plusieurs représentants, à l’instar de celui des Émirats arabes unis, ont rappelé que tout règlement juste et durable de la question des réfugiés palestiniens devait être fondé sur leur droit inaliénable au retour.  L’Observatrice permanente de la Palestine a ajouté qu’il fallait en outre procéder à la restitution ou au dédommagement, s’il est accepté par les réfugiés, des terres confisquées.
Les délégations suivantes ont pris la parole: Observatrice permanente de la Palestine, Liban, Émirats arabes unis, République arabe syrienne, Jordanie, Égypte, Tunisie, Suisse, Observateur permanent du Saint-Siège, Observateur permanent de l’Organisation de la Conférence islamique. La Quatrième Commission poursuivra son débat demain, mardi 2 novembre à 14 h 30.
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- Rapport du Commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (A/59/13)
- Rapport du Secrétaire général sur les personnes déplacées du fait des hostilités de juin 1937 et des hostilités postérieures (A/59/151)
- Biens appartenant à des réfugiés de Palestine et produit de ces biens (A/59/279)
- Rapport du Groupe de travail chargé d’étudier le financement de l’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) (A/59/442) suivi d'un Débat général avec Mme FEDA ABDELHADY NASSER, Observatrice de la Palestine, M. IBRAHIM ASSAF (Liban), M. ABDULLA MOHAMMED ABOOD AL NAQBI (Émirats arabes unis), M. FAYSSSAL MEKDAD (République arabe syrienne), M. HARON HASSAN (Jordanie), M. AHMED ABU ZEID (Égypte), M. KAIS KABTANI (Tunisie), M. ANDREA SEMADENI (Suisse), M. CELESTINO MIGLIORE, Observateur permanent du Saint-Siège et M. YUSSEF FAEK KANAAN, Observateur permanent de l’Organisation de la Conférence islamique.
                       
Revue de presse

                             
1. Le chef de l’OLP appelle à "démilitariser l’Intifada" par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du vendredi 17 décembre 2004

« L’utilisation des armes au cours de ces quatre années d’Intifada a été une erreur qui doit prendre fin. » C’est en ces termes que le successeur de Yasser Arafat à la tête de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) a appelé mercredi le peuple palestinien à mettre fin à une militarisation de l’Intifada qu’il juge « nuisible pour les intérêts du peuple palestinien ». Dans une interview accordée au quotidien arabe Asharq Al Awsat, Mahmoud Abbas précise qu’il ne demande pas au peuple palestinien de mettre fin à toute résistance, mais l’incite à « exprimer son rejet légitime de l’occupation par des moyens populaires et sociaux, comme ce fut le cas lors de la première Intifada ».
Abbas favori
Une prise de position qui n’est pas nouvelle dans la bouche du nouveau chef de l’OLP, mais qui prend une signification particulière à moins d’un mois d’une élection présidentielle où il fait figure de grand favori. Les sondages publiés ces derniers jours, avant même le retrait de la candidature de Marwan Barghouti - le député du Fatah de Ramallah emprisonné en Israël dont l’Humanité réclame la libération - font état d’une large avance de Mahmoud Abbas : le Jerusalem Media and Communication Center (JMCC) le créditait de 31,9 % des intentions de vote contre 26,4 % à Marwan Barghouti. Après son retrait, il reste sept candidats, dont trois représentants des organisations de gauche : Bassam Al Sahli pour le Parti du peuple palestinien (ex-Parti communiste), le docteur Mustapha Barghouti, pour l’Initiative du peuple, et Taysir Khaled, pour le Front démocratique pour la libération de la Palestine. Les sondages indiquent aussi une remontée de la cote du Fatah : 40 % des Palestiniens lui feraient confiance contre 26 % seulement en juin dernier.
Les appels de Mahmoud Abbas à une Intifada pacifique - mot d’ordre qu’il partage avec les candidats du PPP et de l’Initiative du peuple - ont d’autant plus de chances d’être entendus que la population manifeste une lassitude grandissante face à la violence et au chaos qui n’ont cessé de s’aggraver. Toujours selon le JMCC, 51,8 % des Palestiniens seraient opposés au recours à des opérations armées contre Israël bien que 65 % jugent légitime de se défendre contre les agressions israéliennes.
Bien qu’il faille prendre les sondages avec prudence, car l’opinion, aussi bien en Israël qu’en Palestine, peut se retourner facilement en cas d’événement grave, ces changements semblent indiquer que Mahmoud Abbas - commence peut-être à ne plus prêcher dans le désert. Il ne faut pas oublier qu’il fut l’un des premiers initiateurs, dès la fin des années soixante-dix, des « contacts secrets » avec les pacifistes israéliens à un moment où les uns et les autres, en se parlant, risquaient leur vie. Il fut, par la suite, l’un des artisans des accords d’Oslo, participant aux négociations secrètes avant de les signer officiellement, aux côtés de Yasser Arafat, sur la pelouse de la Maison-Blanche, avec Yitzhak Rabin et Shimon Peres.
Hostile dès le début à la militarisation de l’Intifada, il avait essayé, pendant la brève période où il fut premier ministre de l’Autorité palestinienne sous l’autorité d’Arafat - entre février et septembre 2003 - de faire taire les armes. Il avait même obtenu du Hamas et du Djihad islamique une trêve qu’Ariel Sharon s’était chargé de faire voler en éclats en poursuivant les assassinats ciblés de militants de ces mouvements.
"mettre fin au chaos"
Un exploit que le nouveau chef de l’OLP s’efforce de rééditer en multipliant les contacts avec les dirigeants du Hamas et du Djihad, tant dans les territoires palestiniens qu’à l’étranger, notamment à Damas où il s’est rendu cette semaine. Mahmoud Abbas entend même aller beaucoup plus loin puisqu’il ne cache pas que son intention, s’il est élu, de « mettre fin au chaos armé » qui règne en Palestine en désarmant les milices et en ne tolérant qu’un seul service de sécurité unifié sous l’autorité du gouvernement. Les - réactions des deux organisations islamistes ont rejeté cette idée, mais sans exclure d’observer une nouvelle trêve.
Elle faciliterait sans aucun doute la reprise éventuelle de négociations de paix dont on reparle avec de plus en plus d’insistance. Israël et les États-Unis n’en rejettent plus l’idée, et le ministre israélien des Affaires étrangères, Silvan Shalom, vient même de se prononcer ouvertement pour la tenue d’une conférence internationale sur le Proche-Orient, prévue par la « feuille de route » (1) et pour laquelle milite activement la diplomatie française.
- (1) La « feuille de route » a été adoptée il y a deux ans par le « Quartet » (États-Unis, ONU, Russie, UE) et prévoyait la création d’un État palestinien indépendant avant la fin de 2005.
                   
2. Al-Manar - TV5
in La République des Lettres du mois de décembre 2004

(La République des Lettres est un mensuel fondé par Noël Blandin. Pour plus de renseignements, consulter : http://www.republique-des-lettres.com.)
A l'évidence le gouvernement français n'en a pas fini avec la chaîne libanaise Al-Manar qu'il vient d'interdire sous la pression d'une violente campagne politique et médiatique menée par les organisations juives françaises. Cette chaîne satellitaire proche du Hezbollah chiite libanais qui était jusqu'alors peu connue et peu diffusée hors des pays arabes se trouve désormais érigée en symbole et martyr de la censure après son interdiction totale en France, en Europe et aux Etats-Unis.
Le CSA (Conseil Supérieur de l'Audiovisuel) a obtenu du Conseil d'Etat la résiliation de la convention signée une semaine plus tôt avec Al-Manar en raison de ses programmes jugés "antisémites" et des ses "incitations à la haine et à la violence". La chaîne n'aurait-elle diffusée que les dessins animés de Walt Disney qu'elle aurait sans doute subi le même sort tant certains élus et journalistes se sont acharnés à la discréditer dès l'annonce de son conventionnement, comme s'il n'avaient jamais écouté de programmes télévisés politiques arabes. De Julien Dray (Gauche) à Pierre Lellouche (Droite), nombreux étaient ceux qui avaient en effet promis qu'ils feraient tout pour créer au plus vite les opportunités nécessaires à l'interdiction de cette télévision farouchement anti-sioniste. Hormis l'organisation Reporters Sans Frontières, bien isolée, qui a osé avancer que censurer un média n'était jamais une bonne solution, la presse française n'a dénoncé ni la censure, ni l'hypocrisie ambiante, ni l'excès de pressions, ni l'assimilation sommaire de journalistes à des terroristes, et à peine la palinodie des autorités politiques françaises sur le sujet. Al-Manar a essayé pour la forme de faire valoir ses droits, s'engageant à réformer ses programmes, puis s'est exécutée sans rechigner après l'ultra-rapide décision du Conseil d'Etat, en renonçant d'elle-même à émettre sur l'Europe via le satellite d'Eutelsat.
Les Etats-Unis, s'apercevant soudainement que cette télévision pro-palestinienne était également diffusée sur leur territoire, se sont du coup empressés de l'interdire aussi, la classant directement du jour au lendemain sur leur liste d'organisations terroristes. Exit donc Al-Manar du côté occidental si soucieux de ses "valeurs" et de sa "lutte contre l'antisémitisme", comme l'a martelé le premier ministre Jean-Pierre Raffarin au milieu du concert anti-Al-Manar.
Soucieux de certaines valeurs mais oublieux d'autres, clame désormais la martyre Al-Manar et les opinions arabes qui voient dans cette interdiction le même traitement que celui accordé au conflit israélo-arabe, c'est-à-dire deux poids deux mesures. La direction de la chaîne dénonce l'interdiction dont elle fait l'objet, qualifiant la décision américaine de "Terrorisme intellectuel". "La qualification d'Al-Manar d'organisation terroriste par les Etats-Unis n'est que l'inauguration d'une nouvelle ère. Celle de réduire au silence, au nom de la lutte contre le terrorisme, de toute voix ou média qui ose critiquer Israël et qui prend fait et cause pour le peuple palestinien", indique-t-elle. Elle se dit aussi choquée par l'attitude de la France, pourtant jusqu'alors reconnue comme le pays des droits de l'Homme et de la liberté d'expression. Selon son directeur "la décision française a été prise sous la pression du lobby israélien et le CSA a raté là une occasion de faire dialoguer les cultures". Pour la presse libanaise, l'objectif est clairement que tous les médias exprimant une opinion pro-palestinienne soient interdits de diffusion car "ils veulent qu'il n'y ait qu'un seul son de cloche: celui d'Israël" (As-Safir). Le ministre libanais de l'Information indique lui qu'il s'agit d'une "tentative de faire taire toute voix qui s'oppose à Israël, en la qualifiant de terroriste".
Par solidarité, et en attendant d'autres éventuelles mesures de rétorsion -- gouvernementales ou privées -- actuellement envisagés dans plusieurs pays arabes contre les médias français et américains, une cinquantaine d'opérateurs viennent d'interrompre la diffusion au Liban de la chaîne de télévision francophone TV5. Par ailleurs, en France même, la communauté arabo-musulmane ne va pas manquer désormais de profiter de la brèche ouverte sur le plan juridique par la décision d'interdire aussi brutalement Al-Manar. Plusieurs voix militantes (Leïla Shahid, Dieudonné, etc, ...) ont déjà fait remarquer que certains médias juifs français ne manquaient pas de diffuser eux aussi des propos susceptibles de tomber sous le coup du racisme ou de l'appel à la haine et à la violence. La boîte de Pandore des recours communautaristes devant le CSA est ouverte.
                   
3. Cher soldat par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 17 décembre 2004
[traduit de l’hébreu Michel Ghys]

"Croyez-vous vraiment que des soldats aiment tuer de petits enfants innocents qui se baladent dans les rues de la casbah ?"
A.L., un conscrit, parachutiste, en service à Naplouse, m’a écrit à la suite de mon article « Au chef d’état-major. Pour information. » [publié dans Ha'Aretz du vendredi 3 décembre 2004 et diffusé dans sa traduction française dans le Point d'information Palestine N° 248 du 9 décembre 2004] qui rapportait les coups de feu tirés par des soldats de l’armée israélienne contre quatre enfants dans la casbah de Naplouse, en tuant trois et blessant le quatrième, un enfant de trois ans. Voici la quasi intégralité de sa lettre :
« J’ai lu votre article de vendredi (03.12), dans votre rubrique régulière de commentaires publiée par le quotidien Haaretz, et il me fallait essayer de comprendre vos griefs à l’égard de l’armée de défense d’Israël. Je sers dans l’unité de parachutistes qui tient la région de Naplouse, qui a la charge du barrage de Hawara et d’autres opérations nocturnes qui sont menées tous les jours. Cela fait déjà quelques mois que je suis dans la région et j’éprouve, chaque jour, une satisfaction profonde quand je me lève le matin et que je sais à quel point je contribue à la protection des habitants de l’Etat d’Israël, qui font confiance aux soldats de l’armée de défense d’Israël qui combattent pour eux dans les Territoires afin qu’ils puissent se rendre à leur travail en paix et envoyer en paix leurs enfants au jardin d’enfants. C’est pourquoi les soldats ont, plus que jamais, une puissante motivation et un sérieux très élevé pour des enfants de 19 ans.
« Comme vous, j’ai des opinions de gauche qui appuient l’évacuation de colonies, mais en ces temps d’attentats, il n’est pas possible d’abandonner une telle région d’où partent des attentats visant le territoire d’Israël. Je ne comprends pas comment vous pouvez écrire à propos des soldats de l’armée de défense d’Israël qu’ils tuent des enfants palestiniens intentionnellement. Croyez-vous vraiment que des soldats aiment tuer de petits enfants innocents qui se baladent dans les rues de la casbah ? Croyez-vous qu’un enfant de 20 ans s’engage dans les paras pour tuer des enfants ? Il s’engage pour veiller sur l’Etat. Point.
« La réalité sur ce terrain difficile perçoit un tribut qui n’est pas toujours juste. Le fait que vous croyiez chacun de leurs mots constitue un sérieux problème pour vous. Si vous vous joigniez aux opérations d’arrestations et aux patrouilles de l’armée israélienne, vous verriez de près comment elles sont menées d’une manière qui ne porte atteinte qu’aux terroristes, et que des secteurs de tirs sont répartis afin que ne se produisent pas de bavures sur le terrain. Croyez-moi : de sa vie, aucun soldat n’appuiera sur la détente en voyant dans son viseur optique un enfant de 12 ans qui est comme lui-même il y a seulement quelques années.
« Si vous aviez été là, dans la zone, et que vous aviez vu exactement ce qui se passait là, vous auriez compris à quel point ils mentent. Si un enfant de 12 ans lance une charge explosive, l’armée israélienne ne sait pas quoi faire sinon l’atteindre et le neutraliser, pour préserver son potentiel de dissuasion sur le terrain, à l’avenir. Il est clair que des bavures se produisent tous les jours dans les Territoires, mais l’armée de défense d’Israël fait tout – et croyez-moi : tout – pour prévenir de telles erreurs. Ces enfants ne sont pas innocents. Ils comprennent très bien comment l’armée israélienne opère là.
« Je ne descendrai pas au niveau de réactions d’officiers qui disent : à la guerre, il y a des erreurs. Mais au cours d’une opération complexe menée au sein d’une population civile, il est très difficile de ne pas toucher à des civils innocents qui circulent à côté de terroristes. Je suis prêt à vous assurer que si vous interviewez cent soldats servant dans les Territoires, ils vous diront qu’ils ne veulent pas toucher à des civils innocents et qu’ils feront tout pour empêcher de telles choses, en dehors de soldats qui servent dans les Territoires pour porter intentionnellement atteinte à des innocents par esprit de vengeance. De ces choses-là, on ne peut pas parler car ils ne représentent pas l’armée.
« Chaque patrouille qui entre dans la casbah, ne vient pas pour manifester une présence sur le terrain, mais pour en dénicher des terroristes et des gens armés recherchés, et les liquider ou pour permettre une approche plus aisée aux opérations lancées de nuit. Les civils perçoivent ces patrouilles comme un autre instrument de l’occupation par l’Etat d’Israël et ils ouvrent le feu sur les soldats, ou leur lancent des cocktails Molotov, et l’armée de défense d’Israël réplique en proportion. Chaque enfant sait, là, parfaitement bien que s’il se mêle de lancer des charges explosives ou des cocktails Molotov contre l’armée de défense d’Israël, on essaiera de l’attraper. Le fait que des enfants sont touchés, en rue, par des tirs dirigés contre des terroristes est un problème mais il faut néanmoins le faire pour liquider ces gens recherchés qui tentent jour après jour de lancer un attentat au départ de Naplouse.
« J’espère que vous m’éclairerez sur votre position à ce propos, car je souhaite vraiment comprendre comment on écrit de tels articles dans le journal Haaretz, qui œuvre depuis des dizaines d’années déjà, et que vous me démontrerez à quel point je suis dans l’erreur. »
Cher soldat, il est impossible de faire ce que vous faites dans les Territoires si on ne pense pas comme vous. Il est impossible de se mettre en danger, jour après jour, sans éprouver une « satisfaction profonde » comme celle que vous éprouvez. Vous et vos camarades ne seriez pas en mesure d’accomplir ce travail, qui a été placé sur vos épaules, si vous n’étiez pas convaincus que ce que vous faites est incomparablement vital et juste. C’est précisément parce qu’au moins certains d’entre vous ont des principes, que vous ne seriez pas capables de faire ce que vous faites si on ne vous avait pas transmis qu’à vous, c’est permis. Qu’à eux, c’est proscrit. Qu’eux et nous, ce n’est pas exactement la même chose. Qu’au nom de la sécurité, il vous est permis de faire presque tout ce qui vous passe par la tête, sans lignes rouges, pas même la ligne rouge qui interdit qu’on tire sur des enfants et qui a été franchie depuis longtemps.
C’est dans ce but qu’est mis en œuvre un système perfectionné d’éducation, d’explication, de communication et de lavage de cerveau, de déshumanisation et de diabolisation, un système qui élève des générations d’excellents jeunes gens qui commettent des actes terrifiants sans même qu’ils en aient conscience, même les meilleurs d’entre eux. On vous transmet que nous sommes les seigneurs de la terre et que les Palestiniens sont un peuple inférieur qui ne mérite en aucune manière ce à quoi nous avons droit ; que l’occupation est justifiée, obligée, que le terrorisme naît par génération spontanée, que les Palestiniens naissent pour tuer, que les attentats ne découlent que de leur soif de sang ; et on emballe le tout dans des considérations sécuritaires qui justifient tout – mais alors croyez-moi : tout.
Les soldats ont tué 623 enfants et adolescents et vous voulez me dire qu’aucun soldat n’a jamais vu un enfant dans son viseur ? Celui qui a tiré sur la fillette à Rafah, lui non plus n’a pas vu ? Et celui qui a tiré sur deux enfants dans la casbah, Amar Benaat et Montasser Hadada, les tuant tous les deux d’une seule balle, lui non plus ne savait pas ? Et celui qui a tué cet enfant de neuf ans, Khaled Osta, ouvrant un large trou dans sa poitrine, lui non plus n’a pas fait attention ? Et aussi celui qui a bombardé des maisons d’habitation à Gaza et qui n’a, effectivement, pas vu d’enfant dans son viseur optique mais savait parfaitement que dans ces maisons vivaient des enfants, comme dans toutes les maisons, et qui a pourtant poussé sur le bouton et libéré l’obus ? Et le pilote qui a pressé le bouton et largué une bombe sur un quartier d’habitation densément peuplé, lui non plus ne savait pas qu’il toucherait des enfants ? Il n’en avait pas l’intention ? Et si un enfant lance une pierre sur une jeep blindée, ou même un cocktail Molotov, ou même une charge explosive, est-il condamné à mourir ? Vous écrivez qu’il faut l’atteindre pour préserver la dissuasion. C’est terrifiant. Tuer un enfant afin de dissuader ? Et maintenant que vous avez atteint des enfants dans le but de la dissuasion, avez-vous réussi à dissuader ?
Vous êtes-vous une seule fois demandé pourquoi ces enfants vous combattaient ? Et pourquoi les adultes ? La pensée vous est-elle jamais venue qu’ils se battaient pour une cause juste ? Que peut-être ils veulent se libérer, enfin, de votre présence qui opprime leur vie ? Qu’ils n’ont pas d’autre moyen de lutter ? Avez-vous jamais essayé, fût-ce un instant, de vous mettre à leur place ? Que feriez-vous si vous étiez né Palestinien, vivant sous cette occupation ? Y a-t-il en vous le courage de dire ce que m’a dit Ehoud Barak en son temps : « J’aurais rejoint une organisation terroriste » ? Vous ne pourriez trouver réponse plus directe, plus courageuse ni plus vraie.
Vous combattez, avec une force impressionnante, des enfants et des adultes qui luttent avec leurs pauvres forces pour la cause la plus juste qui soit. Ils combattent l’occupation. Ils n’ont pas d’autre moyen pour la combattre que la charge explosive et le cocktail Molotov. Ils combattent l’occupation comme nos parents et les parents de nos parents ont combattu une autre occupation. Vous pensez à cela, parfois ?
L’histoire est pavée de luttes et de guerres comme celle-là. Des jeunes gens de votre âge sont envoyés à la mort pour une question qui leur est présentée comme incomparablement vitale, une question de vie ou de mort, et puis un jour, c’est fini, le conflit est réglé d’une manière ou d’une autre, par les voies de la paix, comme s’il n’avait pas eu lieu, et alors tout le monde demande : pourquoi ? Toute cette affaire, c’était au nom de quoi ? Vous, et bien sûr vos enfants, vous ne comprendrez pas ce que nous faisions là, exactement comme les proches de ceux qui sont morts au Liban demandent encore aujourd’hui ce que nous faisions là-bas. Pour quoi ont-ils été tués ? Pour quoi sommes-nous tués ? Qu’avez-vous fait de vos plus belles années dans la casbah de Naplouse, un endroit qui ne vous appartient pas, à mettre en danger votre vie et la vie de votre prochain ? De quel droit y avez-vous opprimé la population ? En vertu de quoi leur avez-vous imposé leur mode de vie, fixé quand ils resteraient chez eux et quand ils sortiraient, quand ils travailleraient et quand ils chômeraient, quand ils pourraient se rendre à l’hôpital et quand ils souffriraient chez eux ? Pourquoi ? Qui sommes-nous donc ? Qui nous a établi ? Simplement parce que nous avons la force, beaucoup de force, il nous est permis de tout faire ?
Vous et vos camarades n’avez aucun droit moral à être là ni, évidemment, à faire ce que vous faites là-bas à la population. Vous n’avez aucun droit moral à emprisonner les habitants, à entrer dans leurs maisons au milieu de la nuit, à passer de maison en maison en abattant les murs mitoyens, à opérer des arrestations sans distinction, à détruire, à ouvrir le feu, à opprimer, à offenser.
Un jour, vous verrez sous une autre lumière ce que vous faites là-bas, entre Hawara et la casbah, et si vraiment vous êtes homme de conscience, le sommeil vous échappera encore la nuit, pour de nombreuses nuits, et beaucoup d’années. Vous ne pourrez plus tout justifier, comme vous tentez de le faire maintenant, au nom du maintien de la sécurité. La vraie sécurité pour les habitants de Tel Aviv ne sera atteinte que lorsque sera obtenue la sécurité pour les habitants de la casbah, pas avant. La sécurité, le respect de soi et la liberté, ils y ont droit exactement comme nous. Et alors, votre « satisfaction profonde » cèdera la place, j’en ai la conviction, à un profond sentiment de culpabilité et une grande honte vous submergera pour ce que vous aurez fait là-bas, pour ce que vos yeux auront refusé de voir.
Dans votre cœur, vous savez, me semble-t-il, que le lien entre votre activité là-bas dans la casbah et notre sécurité à Tel Aviv est plus vacillant que vous ne le décrivez. Vous et vos camarades empêchez un attentat et créez la motivation pour 100 nouveaux attentats, vous liquidez un homme recherché et en suscitez trois à sa place. C’est la loi des luttes populaires nées du désespoir. L’enfant dont vous avez, au milieu de la nuit, retourné la maison et dont vous avez, sous ses yeux, humilié les parents, ne l’oubliera jamais, exactement comme vous n’oublieriez pas celui qui aurait fait cela à vous et à vos proches ; les amis d’Amar, Montasser et Khaled, ces enfants sur lesquels les soldats ont tiré et qu’ils ont tués dans la casbah, ne pardonneront pas. Ils grandiront dans la haine que nous-mêmes avons semée. C’étaient trois enfants sans présent ni avenir. Deux d’entre eux, Amar et Montasser, étaient orphelins de père. Amar était garçon unique. Ils n’avaient pas à mourir. Je n’ai, il est vrai, pas vu de mes yeux ce qui a conduit à leur meurtre, mais j’ai vu ce qu’il restait après qu’ils ont été tués.
Et qu’adviendra-t-il de vous ? Quels souvenirs emporterez-vous de là ? Qu’aura fait ce service militaire sur votre esprit, sur votre personnalité ? Que raconterez-vous à vos enfants, le jour venu ? Que papa a veillé sur Tel Aviv depuis le cœur de la casbah de Naplouse et a liquidé des gens presque sans discrimination, comme vous le reconnaissez dans votre lettre (« Chaque patrouille qui entre dans la casbah, ne vient pas pour manifester une présence sur le terrain, mais pour en dénicher des terroristes et des gens armés recherchés, et les liquider »). Qu’est-ce que cela vous a appris sur l’usage de la force, sur la violence, sur les liquidations ? Si c’est permis là bas, pourquoi pas aussi ici ?
Un homme à qui pareil pouvoir est accordé à un âge aussi jeune, il ne se peut pas que cela ne soit pas gravé dans son âme. Après avoir fait attendre des vieillards, empêché des malades d’atteindre un hôpital, retenu des femmes en couches et des enfants aux barrages, de durs souvenirs vous resteront, à tout jamais. Même si vous ne les avez pas retenus, que vous étiez le plus humain des soldats, le seul fait qu’il leur était nécessaire de recevoir de vous une autorisation pour aller à l’intérieur de leur propre ville, dans leurs propres maisons, suffit pour laisser en vous des cicatrices. Quel homme serez-vous lorsque vous reviendrez de tout cela, chez vous, à la maison ?
A aucun moment il ne m’est venu la pensée que quelqu'un parmi les soldats de l’armée israélienne prenait plaisir à tuer des enfants. Mais des enfants sont tués. Beaucoup d’enfants. Des centaines d’enfants. Et l’armée israélienne ne fait pas assez pour empêcher ces meurtres criminels. L’armée israélienne transmet à ses soldats qu’on n’a pas le choix et que ce n’est pas terrible si un enfant est tué. L’essentiel, c’est notre sécurité.
Le sang de ces enfants implore le ciel. Leur sang est sur nos mains. Leur sang est sur la tête de celui qui vous a envoyé à la casbah, et sur la tête de celui qui a tiré, et sur la tête de celui qui circule, en armes, dans les rues de Naplouse et tyrannise ses habitants, et aussi sur la tête de celui qui a gardé le silence. Vous êtes là-bas aussi en mon nom et nous portons dès lors tous une responsabilité lourde, trop lourde à porter. Bonne continuation. Veillez sur vous et sur moi. Pour moi, je continuerai à faire comme écrit ci-dessus.
                   
4. Étrangers dans leur ville par Valérie Féron
in L'Humanité du jeudi 16 décembre 2004

Jérusalem-Est, correspondance particulière - Environ 250 000 Palestiniens de la partie occupée de Jérusalem doivent participer au scrutin présidentiel le 9 janvier prochain, ce qui pose un problème de taille à Israël pour qui la Ville sainte est « la capitale éternelle et indivisible » de l’État. Ceci en totale contradiction avec la loi internationale et la réalité du terrain entre la partie ouest de Jérusalem, israélienne depuis 1948, et la partie occupée depuis 1967, dont les Palestiniens veulent faire la capitale de leur futur État.
Au mois de septembre dernier, l’Autorité nationale avait lancé une vaste campagne d’inscription des électeurs dans les territoires palestiniens qui fut vite arrêtée à Jérusalem-Est, Israël ayant fait fermer manu militari les bureaux d’enregistrement : « Ils ont intimidé des employés et regardé les listes des noms. Ces fermetures montrent un nouveau durcissement d’Israël envers nous », déclare un des observateurs locaux.
Des quartiers coupés par les colonies
Jusqu’ici, la situation reste bloquée, malgré les déclarations du premier ministre israélien Ariel Sharon, lors de la visite le 15 novembre dernier du secrétaire d’État américain sortant Colin Powell, de ne pas entraver le vote dans la partie occupée de la ville. « Nous avons déjà participé aux élections générales palestiniennes de 1996, rappelle Zyad al Khamoury, directeur du Centre de Jérusalem pour les droits sociaux et économiques. Même si nous avons été obligés de voter dans les bureaux de poste. Une manière pour les Israéliens de nous faire sentir étrangers dans notre propre ville. »
« Étrangers dans leur propre ville » : c’est bien ce dont se plaignent les Palestiniens de Jérusalem. Leurs quartiers sont coupés par les colonies et la ligne verte (la ligne de démarcation tracée après la guerre de 1967) s’estompe de plus en plus le long des murs de la Vieille Ville en raison des nombreux travaux d’infrastructure entrepris par les autorités israéliennes au bénéfice des populations juives. « 1967 est le début de cette politique visant à nous expulser, estime notre spécialiste. Il semble que les plans étaient prêts depuis longtemps car tout s’est mis en place très vite. » Depuis lors les confiscations des terres et les destructions de maisons n’ont jamais cessé. Aujourd’hui 54 % des terres de Jérusalem sont classées parmi les « espaces verts » par Israël. Il est donc interdit pour les Palestiniens d’y construire. « C’est pourtant sur ces mêmes espaces qu’au fil des années les colonies ont été bâties et élargies, souligne Zyad el Khamoury. Ceci, c’est la partie visible de l’iceberg. Le défi démographique est en fait le véritable enjeu. Les Israéliens n’ont jamais caché leur volonté de maintenir à 25 % au maximum le pourcentage de Palestiniens dans la Ville sainte. » Pour y parvenir, Israël a recours à des mesures économiques étouffantes et à la confiscation des « cartes d’identité bleues ». Il s’agit d’une carte spéciale pour les Palestiniens de Jérusalem qui leur permet de recevoir certaines prestations sociales en échange des taxes, sans pour autant leur donner les droits des citoyens israéliens : « Les permis de construire sont bien sûr quasiment impossibles à obtenir, ajoute Zyad el khamoury. Et très chers, entre 25 000 et 30 000 dollars. De plus les lois ont changé au fil des années.
Les Palestiniens et leurs droits bafoués
Les Palestiniens n’y prêtent pas attention jusqu’au jour où ils se retrouvent confrontés à celles-ci. Ils s’entendent alors déclarer que Jérusalem n’est pas leur lieu de résidence principal et perdent leurs droits ! » Malgré ces entraves, les Palestiniens ont toujours cherché à revenir dans la Ville sainte et certaines actions juridiques ont été couronnées de succès : « Et c’est dans ce cadre qu’il faut comprendre l’édification du mur ici, conclut-il. Il va couper quelque 100 000 Palestiniens de Jérusalem de la ville. 55 % d’entre eux vont se retrouver en dehors des frontières dites municipales. Officiellement, il n’est pas question de confisquer les cartes d’identité, mais il y aura les enquêtes pour percevoir les droits sociaux qui seront refusés et, de fil en aiguille, on aboutira aux confiscations des droits. » Pour les Palestiniens, le statut de la Ville sainte, négligée par les accords d’Oslo, est donc plus que jamais d’actualité.
                       
5. Entretien avec Gilbert Burnham : "Hiroshima de nos jours" propos recueillis par Patricia Lombroso
in Il Manifesto (quotidien italien) du mercredi 15 décembre 2004
[traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio]
Un des auteurs du rapport qui dénonce 100 000 morts parle.
NEW YORK - « Notre intention, en publiant le rapport sur la revue scientifique Lancet, était d’attirer l’attention du monde entier sur les morts des civils en Irak, à la suite de l’invasion américaine. Plus de 100 000 morts civils, dont 80 % à cause de la violence des bombardements Usa. C’est un Hiroshima contemporain, ce qui continue à se consumer sous nos yeux. Ça devrait frapper les consciences du monde occidental. L’indice de mortalité a augmenté de 58 % dans tout le pays depuis le début de l’invasion. Deux tiers des morts sont des femmes et des enfants ». C’est par cette dénonciation affligée que commence l’interview à il manifesto de Gilbert Burnham, auteur avec Les Roberts du rapport explosif publié sur Lancet. Les deux hommes travaillent respectivement à l’université « Bloomberg John Hopkins » et au « Center for International emergency disaster and refugee studies » de Baltimore.
- Dans le rapport qui rend compte de la recherche que vous avez faite en Irak, et dans laquelle vous dénoncez plus de 100 000 morts civils irakiens après l’invasion Us, chiffre que nie le Pentagone, vous écrivez que vous avez trouvé un nouveau Hiroshima en Irak. Pourquoi ce rapprochement ?
- Historiquement, les 75 000 morts de Hiroshima ont constitué un seuil au-delà duquel nous pensions qu’on ne pourrait pas aller. Mais nous avons été choqués par le nombre inattendu de morts de civils irakiens, qu’on a pu relever grâce à un travail de recherche accompli avec la collaboration de l’équipe de l’université de Al Mustansyria de Bagdad. Plus de 100 mille, dans lesquels ne sont pas comptés les civils morts à Falluja pour des causes différentes des évènements belliqueux. De là la référence à un Hiroshima actuel. Aujourd’hui même les medias parlent de la situation catastrophique dans laquelle tombe l’Irak en termes de « désertification » du pays. Le nombre de plus de 100 mille morts civils irakiens remonte à un mois (15 novembre, NdT). Aujourd’hui ce chiffre même est de loin très approximatif par défaut.
- A cause des attaques aériennes Us dans tout le pays et après l’assaut à Falluja ?
- Non, pas seulement. Notre recherche comportait une analyse de toutes les causes qui ont déterminé cette augmentation exorbitante de 58% de la mortalité dans la population depuis le début de la guerre. Le nombre de morts civils, par la guerre, ne comprend pas les autres causes de mort statistiquement recueillies pour épidémie de typhoïde, malnutrition, accidents, maladies. Un relevé statistique précis de chaque groupe familial de la société civile, pour qui était faite la recherche, était impossible à cause des risques et des résistances rencontrées aux check point militaires, à cause des incursions des patrouilles militaires, des bombardements continus. Falluja n’était qu’un des lieux choisis par hasard pour notre étude. Et c’est là que nous nous sommes trouvés face à d’innombrables morts civils abandonnés dans les rues. Là le nombre de victimes était supérieur à celui que nous avions relevé dans toutes les autres localités pré choisies. En fait  Falluja a rendu plus difficile l’analyse du pourcentage total de la mortalité relevée en Irak après l’invasion américaine.
- Pourquoi ? 
- Parce que, avant l’invasion Us, le pourcentage du taux de mortalité en Irak était proche de 5,0 pour mille. Après l’invasion il est monté à 7,9 pour mille. Si on inclut les morts civils à Falluja, le pourcentage double quasiment à 12 pour mille. Rien qu’à Falluja, 51 % des morts de civils ont été causées par les bombardements. La majorité est constituée de femmes et d’enfants. La partie la plus vulnérable de la société civile.
- A la publication de votre rapport sur Lancet, le Pentagone a contesté les chiffres en les qualifiant d’ « impossibles ». Comment répondez-vous ?
- La méthodologie que nous avons suivie pour le recueil des données et des résultats statistiques est une méthodologie scientifique et standard, appliquée pour vérifier l’estimation des morts de civils consécutives aux conflits. Pas seulement en Irak ; au Darfour, au Soudan et au Congo, aussi.
- Comment se fait-il que ni la Croix-Rouge Internationale ni l’Organisation Mondiale de la Santé n’aient dénoncé ce massacre ?
- C’est une question que nous nous sommes nous même posés. C’est un problème qui concerne les consciences du monde occidental.
- Le rapport invoque-t-il des responsabilités politiques à qui imputer ces crimes de guerre ?
- Notre intention n’était pas d’attribuer des responsabilités pour ce nouveau Hiroshima. C’est un devoir qui dépasse notre rôle.
                               
6. Sarkozy veut convertir les juifs à sa religion élyséenne - En cajolant la communauté, le président de l'UMP veut se démarquer de la politique proarabe de Chirac
in Libération du mardi 14 décembre 2004

Cette sortie-là était parfaitement préméditée. Le 28 avril, à l'Assemblée nationale, le ministre de l'Economie, de retour d'un séjour aux Etats-Unis où il a été reçu en grande pompe par le très influent American Jewish Committee (AJC), accuse le gouvernement Jospin d'avoir donné de la France l'image d'un «pays antisémite». Sa phrase déclenche une vive polémique avec la gauche. Toutes les associations de lutte contre le racisme et l'antisémitisme y vont de leur commentaire. Le lendemain, Jacques Chirac fait la leçon à son ministre : «L'antisémitisme est un sujet trop grave pour entretenir la polémique.» Mais Nicolas Sarkozy n'en démord pas : «Mes déclarations étaient pensées, équilibrées et justes. Ce que j'ai dit était à la fois raisonnable et responsable», dira-t-il après coup. Certain d'avoir touché sa cible et définitivement «structuré» l'électorat juif, comme il le confie alors. En avait-il tant besoin ?
Goy hyperactif. Depuis le début de sa carrière, l'ancien maire de Neuilly «travaille» avec un soin tout particulier ses relations avec la communauté juive. Il a célébré des dizaines de mariages civils de couples juifs et n'a jamais raté une fête de la synagogue de Neuilly, sa ville, qui abrite une importante communauté. Son face-à-face télévisé avec l'intellectuel musulman Tariq Ramadan a conforté son statut de «star chez les juifs», comme dit Patrick Gaubert, président de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme) et député européen UMP. Qui ajoute : «Il connaît toutes les fêtes et les rites de la religion sur le bout des doigts. Il s'adresse de façon exceptionnelle, pour un non-juif, à une communauté qui aime qu'on l'aime. Il a donné le sentiment aux gens qu'il était le seul à faire quelque chose pour eux, le seul qui puisse nous sauver de l'antisémitisme ambiant.»
Son passage à l'Intérieur va encore lui permettre de renforcer ses liens avec les juifs pour mieux les convertir au sarkozysme. Dès son installation, il explique, les yeux dans les yeux, à Chirac qu'«il ne faut pas être trop intelligent avec les actes antisémites en cherchant des explications, mais qu'il faut être sévère». Ce catholique, qui aime à rappeler que sa mère est originaire d'une famille juive de Salonique, dit alors à toutes les organisations israélites qu'il reçoit vouloir rompre avec la politique de son prédécesseur socialiste, Daniel Vaillant, et promet des poursuites pénales à la moindre agression. Hyperréactif, il médiatise toutes ses sorties en se rendant systématiquement au chevet des victimes. A Garges-lès-Gonesse (Val-d'Oise), où un fidèle a été blessé, comme à Gagny, où une école confessionnelle a été incendiée, il parle de «tolérance double zéro en matière d'antisémitisme et de racisme». En parallèle, il effectue un gros travail plus souterrain : il appelle en direct chaque victime et reçoit au ministère des kyrielles de présidents d'associations juives de province. «Des gens qui mettent leur costume et rentrent chez eux en expliquant qu'ils ont vu un ministre qui va les protéger», note Patrick Gaubert.
«Nicolas Sarkozy met les Français dans des boîtes, dit un de ses amis. Pour chaque catégorie sociale ou chaque religion, il a un message généraliste et un message bien particulier. Et celui qu'il adresse aux juifs est très performant.» Systématiquement acclamé dans les dîners du Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France), il reçoit une ovation des sympathisants de Hachomer Hatzaïr, une organisation sioniste classée à gauche, dont l'un des sympathisants avait été agressé en marge d'une manifestation contre la guerre en Irak. En 2003, le Centre Simon-Wiesenthal lui remet son prix.
Marchepied. Cette lune de miel est stratégique pour ses rêves élyséens. Mais elle est aussi un marchepied destiné à acquérir une stature internationale. Les principaux lobbies juifs américains le portent au pinacle, tel David Harris, le directeur de l'AJC, qui le présente comme «un homme de charisme, de vision, de courage, de dynamisme». Les dirigeants israéliens voient en lui un futur chef d'Etat et, surtout, un homme susceptible de mettre fin au dogme gaulliste de «la politique arabe de la France». «Il n'a pas la politique étrangère de la France à son passif, comme d'autres dirigeants qui portent comme une croix les mauvaises relations avec Israël», souligne Roger Cukierman, président du Crif. «A l'heure du nationalisme diasporique, son passage devant les associations juives américaines a eu un impact très fort en France. Tous ses nouveaux amis imaginent qu'il va changer la politique proarabe de la France. Mais avec quatre ou cinq millions d'immigrés d'origine nord-africaine, je doute d'un tel changement», avance l'historienne Esther Benbassa.
«Cadre» et «morale». Sarkozy n'a jamais caché son goût pour les cultures minoritaires et la religion, qui, selon lui, «donne un cadre et apporte une morale». Il a senti qu'il avait devant lui un boulevard entre Chirac l'anticommunautariste, qui, selon un député UMP, a «dilapidé par sa politique arabe son capital sympathie gagné par la reconnaissance en 1995 des crimes de l'Etat français sous Vichy», et un PS jamais à l'aise pour s'adresser à des groupes religieux. «La communauté juive vit dans l'émotion du moment. Elle va vers celui qui sait lui parler. Sarkozy veut que les gens votent pour lui en fonction de leur identité juive et non par rapport à leur citoyenneté française», explique Laurent Azoulay, fondateur du Cercle Léon-Blum, une association proche du PS qui cherche encore comment contrer le patron de l'UMP.
                               
7. Respectabilité à tout prix par Leïla Salam
on Oulala.net (e-magazine français) le lundi 13 décembre 2004

(Leila Salam est professeur de mathématiques et militante à l'Association France Palestine Solidarité.)
L’infâme et le clément
Brigitte Bardot publie en 2003 « Un cri dans le silence ». Jamais l’ex-actrice ne s’était « jamais autant livrée », ni n’avait jamais autant « révélé la profondeur de son âme » comme l’a si fièrement affirmée l’auteur elle-même.
« Un cri dans le silence » est d’un relent nauséabond, un amas de formules racistes et un concentré de haine. Dans ce livre torchon, l’ex-star éructe « l’infiltration souterraine, dangereuse, et non contrôlée de la France par les musulmans » et décrit les « musulmans comme des envahisseurs, barbares et cruels, responsables d’actes terroristes, désireux de soumettre les français au point de vouloir les exterminer ». Elle dénonce pêle-mêle l’abattage rituel des moutons lors de la fête de l’Aïd, le versement des allocations familiales aux étrangers. Elle s’attaque aussi aux clandestins et aux réfugiés (désignés par des « gueux ») : ils « profanent et prennent d’assaut nos églises pour les transformer en porcheries humaines, chiant derrière l’autel, pissant contre les colonnes, étalant leur odeur nauséabonde sous les voûtes sacrées du choeur (.) ». La spécialiste ès haines dépeint les homosexuels de « phénomènes de foire », les enfants métisses de « bâtards » et « la pureté de la race » de loi naturelle à respecter et à mettre en application.
L’étrange silence et la non condamnation de ce livre, les prestations télévisées de l’auteur et l’accueil très chaleureux auprès du public avec plus de trois cent mille exemplaires vendus a rendu ce livre encore plus nauséeux.
Heureusement que le MRAP et la ligue des droits de l’homme ont rappelé que le racisme n’est pas une opinion mais un délit et ont porté plainte. Le tribunal correctionnel de Paris qui a affirmé que la « description de la présence musulmane conduit indubitablement le lecteur à rejeter les membres de la communauté musulmane par la haine et la violence » a condamné l’ex-comédienne et son éditeur le 10 juin 2003 pour xénophobie.
Cependant, les torrents d’insanités déversés sur les musulmans par l’ex sexe-symbole un peu trop défraîchie sont passés à la trappe pour Monsieur Dalil Boubakeur, recteur de la Grande Mosquée de Paris et président du CFCM. Sa mémoire est certainement restée figée aux années 60, époque glorieuse de l’ex-belle BB.
En effet, Brigitte Bardot a été reçue avec faste le 11 février 2004 à la Grande Mosquée de Paris par son recteur Dalil Boubakeur. Il prend alors sa défense, « Il a pu y avoir des maladresses de sa part, mais elle exprimait un courant de sensibilité en France qui ne fait pas le distingo entre tradition et religion », a-t-il déclaré. Pour couronner le tout, le recteur « clément » offre à Brigitte Bardot un Coran bilingue (arabe-français), et lui conseille avec beaucoup de délicatesse de peur de brusquer la « douce et fragile créature » de commencer la lecture par les sourates les plus courtes ; puis, le sourire aux lèvres, le recteur « miséricordieux » pose fièrement aux côtés de la repris de justice raciste.
La voix éclairée de l’islam
Le problème majeur de M. Boubakeur est qu’il dispose d’une assise faible dans la communauté musulmane. Il a été intronisé à la tête du CFCM par Sarko sous la forte recommandation du pouvoir algérien. Soucieux de préserver sa place comme seul interlocuteur privilégié du gouvernement français, M. Boubakeur a tenté d’instrumentaliser la menace intégriste en présentant une vision manichéenne de l’islam en France : d’un côté « l’islam modéré » représenté par lui-même et en face « l’islam intégriste dangereux » représenté par tous les autres.
Dans ces discours, M. Boubakeur légitime la gestion sécuritaire de la communauté musulmane ( ce qui a certainement plu à Sarko), il préconise ouvertement la collaboration avec les services de police pour « sauver » les banlieues des « islamo-terroristes ». En octobre 2002, dans un entretien au quotidien gratuit 20 minutes, le docteur Boubakeur (rappelons-le qu’il est médecin et non un théologien et ses connaissances religieuses sont bien squelettiques au vu de la fonction qu’il occupe) a affirmé que « l’islam des banlieues est l’islam des excités » et que toutes les mosquées étaient tentées par le fondamentalisme, propos qui ont fait de lui persona non grata dans les dites banlieues. [1]
Le même souci de représentabilité a conduit M. Boubakeur à entretenir des rapports zélés avec les organisations juives pro-israélienne dont le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF). Le docteur est le fidèle parmi les fidèles au repas annuel de cette institution. [2]
Ses prises de position n’ont pas été vaines puisqu’elles lui ont facilitées l’accession au titre de « la voix éclairée de l’islam », décerné par les défenseurs inconditionnels d’Israël tels que les sites pro-sionistes proche-orient.info (dont il a été l’invité), Guysen, l’UEJF, le CRIF et d’autres portes paroles du gouvernement Sharon.
Le repas annuel du CRIF, que M. Boubakeur ne rate jamais, est un rendez-vous obligé pour la classe politique française. Au cours de ce repas, les personnalités politiques présentes doivent affirmer leur solidarité avec les juifs, chose normale et fortement souhaitée, mais surtout ils sont tenus à proclamer leur soutien infaillible, indéfectible et sans réserve à la politique israélienne ; ceux qui refusent de se plier à cette exigence sont tout simplement accusés d’hostilité envers les juifs voire d’antisémitisme. [3]
Le CRIF qui prétend éviter l’importation du conflit israélo-palestinien est animé d’un militantisme chauvin et sans limite en faveur d’Israël ; « nous sommes capables d’affirmer notre dévouement à Israël même lorsque cela va à l’encontre de la politique française » a déclaré Haim Musicant, Directeur du CRIF.
Le CRIF n’organise-t-il pas ces dîners annuels que dans l’unique but de fédérer les dirigeants français autour d’une ligne de bonne conduite vis-à-vis d’Israël et de son gouvernement ? Les « convives » sont parfois exhortés entre le plat de résistance et le dessert à des actes illégaux au regard du droit international comme par exemple « reconnaître formellement un fait simple, réel, c’est que Jérusalem est la capitale d’Israël », idée présentée lors d’un des repas du CRIF par son président.
Les attaques anti-arabes et anti-musulmanes sont monnaies courantes au sein de cette organisation. Le Président du CRIF, M. Roger Cukierman a qualifié le score de l’extrême droite, lors de l’élection présidentielle, de « message aux musulmans leur indiquant de se tenir tranquilles », des propos proches des thèses de l’extrême droite, en écho Bruno Mégret lui renvoie l’ascenseur « Face à l’intégrisme islamique, nous partageons des inquiétudes communes avec les organisations représentatives des juifs de France ».
Faut-il rappeler à la « voix éclairée de l’islam » que le CRIF a fortement soutenu la guerre contre l’Irak ? Ce conflit provoqua un carnage quasi-quotidien et a plongé l’Irak dans le chaos le plus indescriptible ; pire cette organisation a qualifié l’attitude de la France à ne pas s’engager dans ce conflit de position lâche semblable à celles de Daladier et de Chamberlain « ceux qui redoutent que la lutte antiterroriste ne mette en péril nos libertés se trompent de priorité, comme autrefois Daladier et Chamberlain » a affirmé M. Cukierman au cours du repas de janvier 2003.
La quête de la Respectabilité : une névrose récurrente
Le dialogue entre juifs et musulmans est une condition nécessaire pour vivre ensemble sereinement et en toute amitié. Avec la montée du racisme, les forces doivent s’unir dans un combat commun pour lutter contre toutes les formes de la haine et sans aucune hiérarchie.
Ce dialogue doit s’établir avec des personnalités de tout bord, de bonne foi et impartiales.
Michel Warschawski, Dominique Vidal et Leïla Shahid sont parmi ces combattants de l’espoir. Depuis près de deux ans ils parcourent « la France d’en bas », dialoguent avec les « jeunes » des quartiers dits sensibles pour les mettre en garde contre une instrumentalisation de leur solidarité légale et nécessaire avec les palestiniens par des groupes néo-nazis ou des prédicateurs intégristes car « la cause palestinienne est celle du droit et de l’égalité entre les peuples, et ne doit ni ne peut être assimilée, de près ou de loin, à des opinions racistes, antisémites ou négationnistes » comme l’a déclaré le pacifiste israélien Michel Warshawski.
Les rencontres multiples de Dalil Boubakeur avec CRIF pour la supposée idée de développer une volonté commune de lutte contre le racisme et l’antisémitisme et de ne pas importer le conflit israélo-palestinien en France ne sont en réalité que des rencontres d’intérêts réciproques. Pour le CRIF, il s’agit d’occulter voire de légitimer les exactions et sévices commis par Israël ; quant à M.Boubakeur, il espère accéder à plus d’honorabilité et de reconnaissance et surtout de freiner l’ascension incontrôlable de l’UOIF, organisation rivale.
Boubakeur n’est pas le seul à être à l’affût de la représentabilité et de la respectabilité ; l’UOIF en devient un autre quêteur. Après plusieurs réunions secrètes entre l’UOIF et le CRIF, ces derniers ont décidé d’étaler leur rencontre au grand jour et de présenter leurs projets d’organiser des manifestations sportives communes et des visites des enfants musulmans à Aushwitz.
Sans faire de parallèle, il serait intéressant que les gens de l’UOIF proposent un projet similaire de visite de petits français dans les territoires occupés et dans les camps des réfugiés palestiniens pour constater les traitements inhumains qu’endurent quotidiennement les palestiniens et ceci depuis plus d’un demi siècle.
Pourquoi l’amnésie doit-elle être que d’un seul côté ?
Les raisons officielles de ces rencontres sont le rétablissement du dialogue judéo-musulman et le combat de l’antisémitisme. Ceci n’est qu’un leurre car les raisons réelles sont d’une autre finalité et ne servent que les intérêts mutuels de ces deux organisations. D’un côté le CRIF croit qu’en s’alliant avec l’UOIF, la branche « dure » de l’islam en France réussira là où lui-même a échoué : à savoir mettre un voile sur la destruction de la Palestine pour permettre à Sharon de « terminer 48 » et d’en finir avec les palestiniens.
Quant à l’UOIF, elle escompte accéder au statut tant convoité, d’organisation fréquentable et respectable. De part ses grands moyens humains et financiers, elle a réussi à occuper le terrain et à contrôler un grand nombre d’associations musulmanes, d’où sa montée en puissance. L’UOIF a pour ambition de devenir le représentant incontournable des musulmans de France ; compte-t-elle utiliser son rapprochement avec le CRIF pour atteindre cet objectif ?
Le rôle de garant de l’ordre public que veut attribuer le CRIF à l’UOIF donne une vision communautaire de la paix civile en France et vise à isoler les musulmans pour enfin les enfermer dans une communauté exclusive ; cela peut être un véritable frein qui les empêcherait de prendre place dans la vie sociale du pays.
« Quant à savoir si les chemins de la respectabilité sont toujours respectables, je vous laisse, le soin d’en débattre avec vos consciences » écrit Alain Soral en réponse au pamphlet violent publié sur le site oumma.com, proche de l’UOIF, sous la plume de Fatiha Kaous et Pierre Tévanian contre Soral lui-même ; Oumma.com qui nous a habitué à un ligne éditoriale sérieuse et responsable nous a désagréablement surpris en publiant cette diatribe.
« Je ne peux pas vous fournir la formule menant au succès, mais je peux vous donner celle de l’échec : essayer de plaire à tout le monde » - Herbert Bayard Swope
Les dirigeants arabes ont en déjà fait l’amère expérience.
- NOTES :
[1] La nouvelle islamophobie Vincent Geisser La Découverte, 2003
[2] La France des mosquées Xavier Ternisien, éditions Albin Michel, 2004
[3] Est-il permis de critiquer Israël Pascal Boniface, édition Rober Laffont, 2003
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8. Barnier dit oui à la Turquie propos recueillis par Henri Vernet et Dominique de Montvalon
in Le Parisien du lundi 13 décembre 2004

Juste avant le sommet de Bruxelles qui débute jeudi, le ministre français des Affaires étrangères souhaite, à titre personnel, que la Turquie entre un jour dans l'Union. Mais, dit-il, les Français, et eux seuls, trancheront le jour venu par référendum. La Turquie, Laurent Gabgbo, les relations avec Wasghinton, les perspectives de paix au Proche-Orient et le référendum prévu en France en 2005 sur la Constitution européenne : le patron du quai d'Orsay, Michel Barnier, joue le jeu de la vérité.
- Le oui des militants PS à la Constitution européenne est-il une bonne nouvelle ?
- Michel Barnier. C'est une très bonne nouvelle. C'est bien que le PS reste fidèle à l'héritage européen de Mitterrand et de Delors.
- Croyez-vous à la victoire du oui lors du référendum national ?
- Ce sera un débat difficile. Il faudra éviter que la campagne soit perturbée ou détournée. Il ne s'agira pas de se prononcer pour ou contre le gouvernement : ce sera un vote sur la Constitution européenne. Et un vote absolument vital pour l'ensemble des Français comme pour l'avenir d'une Europe dont dépend leur destin.
- Si vous aviez trois raisons à donner pour inciter les Français à voter oui...
- 1. Pour la première fois, les droits des citoyens, y compris leurs droits sociaux, ont valeur constitutionnelle. 2. Nous aurons enfin une vraie politique étrangère et de défense, avec un ministre européen pour l'incarner. 3. La coopération renforcée entre les Etats qui souhaitent avancer plus vite et plus loin que les autres sur la route commune (la France, l'Allemagne et beaucoup d'autres) devient possible. L'objectif est de faire de l'Europe autre chose qu'un simple marché.
- Comment la France va-t-elle aborder, vendredi, à Bruxelles, l'explosif dossier turc ?
- En disant la vérité. Le pire, ce serait le silence ou la caricature. La vérité, c'est que des négociations d'adhésion ne sont pas l'adhésion. Ceux qui prétendent que la Turquie va inévitablement, dès demain matin, entrer dans l'Union mentent. Cela dit, avec les précautions et les étapes nécessaires, sans complaisance ni raccourcis, notre intérêt est qu'une Turquie intégrée soit, le jour venu, notre frontière définitive au sud-est de l'Europe. Ce serait mieux que de la laisser à l'extérieur, avec le risque qu'elle ne devienne un pays instable et tenté par un autre modèle que le nôtre. Jacques Chirac a exprimé cette conviction avec force. Le moment venu, le peuple français, et lui seul, tranchera par référendum. La conclusion des négociations qui vont s'ouvrir n'est, en effet, pas écrite. C'est un processus dont le résultat n'est pas garanti d'avance : la France souhaite d'ailleurs que ceci soit spécifié vendredi à Bruxelles. En toute hypothèse, nous entendons garder un « lien très fort » avec la Turquie.
- La situation en Côte d'Ivoire n'est-elle pas désespérante ?
- Non, nous continuons de penser qu'une issue politique est possible à la crise qui secoue ce pays ami, et le coupe en deux depuis deux ans. Nous continuons donc de travailler à cette solution, dans le cadre des accords de Marcoussis et d'Accra, et en appui de l'Union africaine et de la médiation actuelle du président sud-africain. Il n'y a pas d'alternative à cela, sauf la violence. Cette crise qui nous a beaucoup touchés - et je veux dire ici ma gratitude à nos soldats qui en ont été les premières victimes, et qui ont fait un énorme travail pour sécuriser tant de citoyens français et européens - pose une question de fond. L'Afrique doit relever des défis immenses, et nous voulons l'aider. Mais sans nous imposer. Nous n'avons pas vocation, en effet, à être les gendarmes de l'Afrique, mais à être les partenaires du développement, de la paix et de la stabilité de ce continent. Il faut pour cela être sûrs que, de part et d'autre, nous sommes bien d'accord sur cet état d'esprit.
- Faites-vous encore confiance à Laurent Gbagbo ?
- Il est le président de la Côte d'Ivoire. La France ne conteste pas sa légitimité. Il s'est maintenant engagé à préparer une élection présidentielle ouverte à tous ceux qui voudront se présenter : c'est une des conditions du succès. Ceux qui sont au Nord se sont, eux, engagés à désarmer : ils doivent tenir parole. Aujourd'hui, Gbagbo, Ouattara, Bédié, Soro ont le destin de leur pays entre leurs mains.
- La donne au Proche-Orient est-elle vraiment en train d'évoluer ?
- Il y a incontestablement une situation nouvelle. 2005 doit être là-bas l'année de la paix. C'est possible, compte tenu du nouveau contexte. J'ai longuement rencontré Ariel Sharon le 18 octobre, comme j'avais longuement rencontré en juin Yasser Arafat. J'ai dit alors, et je le répète, que la décision d'Israël de se retirer de Gaza est une décision courageuse à condition d'être la première étape d'un processus conduisant à deux Etats d'Israël et de Palestine, vivant côte à côte dans des frontières sûres et reconnues. Les Européens sont unis, et disponibles, pour accompagner le processus de paix. Et pas seulement avec de l'argent. Au-delà du désengagement de Gaza, la France propose d'accélérer le calendrier prévu par la « feuille de route », d'entamer sans attendre des discussions sur le statut final, et de limiter les périodes de transition (qui fragilisent la confiance). Nous souhaitons que la conférence internationale, suggérée depuis si longtemps par la France, se tienne vite pour profiter de la « fenêtre d'opportunité ».
- Et ce sommet se tiendra où ?
- Ce n'est pas le problème. Mobilisons-nous pour que l'Europe apporte sa garantie à la mise en oeuvre de l'accord dont les termes figurent dans la « feuille de route » . L'exigence numéro un, légitime, des Israéliens : la sécurité. Les Palestiniens doivent la traiter sérieusement, et l'Union peut contribuer à garantir la gestion des frontières internationales autour de Gaza. Seconde question clé : celle des colonies, dont le développement continu en Cisjordanie est un obstacle à la paix. Il faudra progressivement les évacuer, dans des conditions humaines et économiques acceptables.
- Dans quel état d'esprit partez-vous mercredi pour Washington ?
- Nous n'avons pas de leçons à donner ni à recevoir. Nous voulons regarder devant nous. Nous sommes les alliés les plus anciens des Etats-Unis. Mais l'alliance, ce n'est pas allégeance. On s'écoute, on se respecte, on se donne parfois raison, on peut aussi avoir des analyses différentes. Cela étant, je considère comme fondamental que nous rénovions et consolidions cette alliance transatlantique. Pour moi, le test, c'est le règlement du conflit israélo-palestinien. Il est au coeur du dialogue transatlantique relancé.
                   
9. Bush est-il projuif ? Et pro-Noir ? Est-il antimusulman ? par Béchir Ben Yahmed
in Jeune Afrique - L'intelligent du dimanche 12 décembre 2004

L’actuel président des États-Unis d’Amérique, qui vient d’être réélu pour un second (et dernier) mandat de quatre ans, se distingue de ses quarante-deux prédécesseurs sur bien des plans.
Je vous propose que nous en examinions un qui m'a paru intriguant : la manière très particulière dont il s'est conduit jusqu'ici vis-à-vis de trois communautés qui nous intéressent plus que d'autres : les Noirs, les juifs et les musulmans.
Aucun des prédécesseurs de George W. Bush n'a autant donné :
- Aux Noirs américains, au moins sur le plan de la visibilité.
Son secrétaire d'État a été, tout au long du premier mandat, Colin Powell, premier Africain-Américain à occuper une fonction aussi élevée au sein du gouvernement américain : c'est le troisième personnage de l'État, tout de suite derrière le président et le vice-président. Il est le visage que les États-Unis offrent au monde, le négociateur en chef de leurs intérêts extérieurs.
Le chef du Conseil national de sécurité est le plus proche collaborateur du président, celui qui est le premier et le dernier à le voir chaque jour : pendant quatre ans également, ce poste éminent a été occupé par une autre personnalité de la communauté africaine-américaine : Condoleezza Rice, première femme noire à accéder à une telle fonction.
Elle va prendre la suite de Colin Powell au département d'État, dès le début du second mandat. Et sera, là encore, la première Africaine-Américaine à assumer de telles responsabilités.
- Aux juifs, George W. a offert non pas des apparences, mais un soutien inconditionnel et illimité à l'État d'Israël et à la politique de son gouvernement du moment.
Les bénéficiaires eux-mêmes, à la tête desquels se place le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, ont déclaré qu'aucune des précédentes administrations américaines ne leur a donné autant, et l'on sait que, pour montrer que son soutien est sans faille, George W. Bush n'a pas hésité à renier la signature de son pays au bas de plusieurs résolutions des Nations unies sur les droits des Palestiniens, comme sur les frontières d'Israël.
Last but not least, comme ils diraient : sept fois en quatre ans, à la demande d'Ariel Sharon, l'actuel président américain a opposé le veto des États-Unis à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU déplaisant à Israël (en huit ans, Bill Clinton ne l'a fait que trois fois !).
George W. Bush a-t-il été guidé par ses convictions ou bien a-t-il agi par opportunisme électoral ? A-t-il fait ce que j'ai rappelé ci-dessus pour récupérer les voix des Noirs et des juifs qui, aux États-Unis, et à l'élection présidentielle, votent en très grande majorité pour le candidat démocrate ?
S'il a agi par opportunisme électoral, il a dû être déçu, car aucune des deux communautés n'a considéré qu'elle devait le récompenser de ce qu'il a fait pour elle ou, plus précisément, pour ceux qui se présentent comme ses chefs.
Les chiffres - implacables - montrent en tout cas que son attitude ne lui a fait gagner, de manière significative, ni les faveurs des électeurs juifs, ni celles des électeurs africains-américains.
En l'an 2000, George W. Bush se présentait à l'élection présidentielle contre le démocrate Al Gore. On ne savait pas alors qu'il nommerait Powell et Rice à d'aussi hautes fonctions, ni qu'il soutiendrait l'Israël de Sharon au-delà du raisonnable : 90 % des Africains-Américains ont voté pour Al Gore et 9 % pour Bush.
En 2004, les Africains-Américains ont à peine changé leur vote : 88 % d'entre eux ont voté contre Bush (pour Kerry) et seulement 11 % d'entre eux lui ont donné leurs voix.
Quant aux juifs, 74 % d'entre eux ont voté Kerry ; en 2000, ils étaient 79 % à voter pour Al Gore.
Très étonnant, n'est-ce pas ?
Interrogés, les spécialistes de ce qu'on appelle « la cuisine électorale » me disent que George W. Bush a tout de même réussi, en 2004, à « grappiller » quelque 3 % ou 4 % chez les Africains-Américains et autant chez les juifs.
C'est peu, certes, mais lui et son stratège électoral, Karl Rove, savaient qu'ils n'en gagneraient pas plus en caressant les Noirs et les juifs dans le sens du poil. Mais ils redoutaient de perdre de l'influence - et des voix - au sein de ces deux communautés, plus portées à sanctionner le candidat qui les ignore qu'à récompenser celui qui les flatte.
- Reste les musulmans. Aux États-Unis, les musulmans ne sont, à ce jour, ni une force électorale significative, ni un lobby suffisamment efficace pour qu'on en tienne compte. Les relations de George W. Bush avec eux se situent donc sur un autre plan : celui créé par le 11 septembre 2001.
Il n'ignore pas complètement les musulmans d'Amérique, car ils sont quelque six millions, et les conseillers du président, de même que quelques élus républicains, lui rappellent de temps à autre que « des gestes » sont nécessaires pour montrer qu'on n'oublie pas leur existence.
Mais ce sont les autres, le milliard et demi de musulmans présents sur les cinq continents, qui le préoccupent.
Il en avait à peine entendu parler avant le 11 septembre 2001. Depuis, ils envahissent ses pensées, et une formule de l'un de ses conseillers est restée gravée dans sa tête : « Tous les musulmans ne sont pas des terroristes, mais tous les terroristes (qui nous combattent) sont musulmans... »
Musulmans ou islamistes ? Je pense que George W. Bush ne fait pas de différence entre les deux et n'est pas loin de penser qu'en tout musulman il y a un islamiste (qui ne sommeille pas).
Si vous pensez que l'actuel président des États-Unis est moins simpliste, lisez ce qu'en a dit, ce 8 décembre 2004, l'ancien Premier ministre de Malaisie, Mahathir Bin Mohamad :
« Lorsque les avions se sont écrasés sur le World Trade Center le 11 septembre 2001, le président George W. Bush a immédiatement trouvé la bonne explication : c'était parce que les musulmans étaient jaloux de la liberté dont jouit le peuple américain. C'était parce que les musulmans étaient pauvres.
Explications courtes et qui montrent que le président des États-Unis ne comprend rien à la vraie nature des choses.
De même, il est probable qu'il ne sait pas très bien pourquoi le dollar se déprécie et pourquoi le prix du pétrole s'envole. Il est tout aussi probable qu'il ne fait pas le lien avec les énormes déficits américains ou avec les dépenses incontrôlées de son gouvernement.
Il ne faut pas s'imaginer que Bush va faire le moindre geste pour redonner au dollar sa véritable valeur. Pas plus que pour faire baisser le prix du pétrole. »
Il peut d'autant moins le faire qu'il s'occupe pour l'heure de... Kofi Annan, secrétaire général des Nations unies, devenu « l'homme à abattre » des conservateurs américains.
Bush, lui, ne veut pas abattre Kofi Annan, dont le mandat se termine en 2006. Seulement l'affaiblir pour qu'il redevienne obéissant à 100 % tout au long du temps qui reste à courir d'ici à la fin de son mandat - et intimider ceux que son exemple aurait pu encourager à sortir du rang.
Le pauvre Kofi Annan a eu le malheur et le courage (tardif et tout relatif) de dire que leur guerre en Irak est « illégale », que détruire Fallouja pouvait paraître excessif et que tenir des élections dans un pays où la sécurité n'est pas assurée partout est hasardeux.
De la nouvelle « croisade » de Bush et de ses conservateurs, cette fois contre l'ONU et son secrétaire général, François Soudan traitera longuement la semaine prochaine.
Et nous vous dirons qu'après Kofi Annan viendra le tour de... Jacques Chirac. Il faudra que d'ici à 2007 il se « tienne à carreau ».
                       
10. Les ombres du passé projettent leur poids sur le présent (À propos de la visite de Mahmoud Abbas à Damas) par Subhi Hadidi
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 10 décembre 2004
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Que Dieu accorde Sa miséricorde au Président palestinien, Yasser Arafat !
Ma foi, on dirait bien qu’il était le trouble-fête, le semeur de zizanie, le rabat-joie, le diviseur, l’empêcheur de s’embrasser en rond, l’extincteur à sourires !…
Sinon, comment expliquer toutes ces réjouissances moyen-orientales, qui ne cessent de se succéder et de se coordonner, après sa disparition ? Quelle lecture pouvons-nous faire des réjouissances de son successeur Mahmûd ‘Abbâs, au Caire, à Amman, à Beyrouth ? En attendant, demain : Jérusalem occupée ? Le point de passage d’Erez ? Et, après-demain : Washington ? Londres ? Comment expliquer le rire à gorge déployée d’Ariel Sharon étreignant l’espion israélien Azzam Azzam (tout en critiquant – pourquoi se gêner ? – le rire identique qui a accompagné la rencontre entre le président égyptien Husniyy Mubârak et les « étudiants » égyptiens libérés de leur « captivité » israélienne) ? Dans quelle rubrique de la bienfaisance devons-nous classer les vingt millions de dollars que la Maison Blanche a promis d’envoyer à l’Autorité nationale palestinienne sans tarder, et les millions encore plus abondants promis par l’Union européenne ?
En particulier, quelle lecture pouvons-nous faire du sourire de Mahmûd ‘Abbâs, d’une oreille à l’autre, en présence du président syrien Bashshâr al-‘Asad, n’était celle consistant à dire que le regretté Arafat représentait l’obstacle, l’empêchement, le problème, entre la Syrie et la Palestine, ou plutôt : entre le parti Ba’th arabe socialiste et le Mouvement de Libération Nationale Palestinienne (Fath) ? Dieu est Celui qui change les choses les destinées et Celui qui ne change pas : il y a un monde entre l’accueil fait par al-‘Asad à ‘Abbâs, voici quelques jours, et celui qu’il fit à Arafat, dans le même palais présidentiel, lorsque celui-ci était venu lui présenter ses condoléances après le décès de Hâfiz al-‘Asad (père) ! L’hôte syrien s’était départi des plus élémentaires traditions de l’hospitalité arabe : il avait accordé un entretien en tête-à-tête avec tous les chefs d’Etat (y compris à celle qui était alors la Secrétaire d’Etat américaine, Madeleine Albright, et même au révérend Jessie Jackson !). Mais il a laissé poireauter Arafat une bonne heure dans le salon présidentiel ouvert aux plus simples des quidams venus présenter leurs condoléances (certes, le fait qu’il soit venu à Damas en faisant de l’auto-stop et en empruntant l’avion personnel du président Husny Mubârak ne plaidait pas en sa faveur, mais tout de même…)… Quelle explication y a-t-il à cela, sinon la satisfaction américaine, et sans doute israélienne ? (Parmi les nombreux symptômes, nous relèverons au tout premier chef le soin mis à minimiser les liens entre le « Hamâs » et le « Hizbi-Llâh », qui passent pourtant par Damas…). Que veut, précisément, ‘Abbâs du régime syrien ? Les régimes arabes, tout particulièrement dans la phase de décadence qu’ils traversent aujourd’hui, ne nous ont pas habitués à une quelconque coordination, bilatérale, trilatérale, ou multilatérale fût-elle, qui soit avant tout au service des peuples, et par ailleurs cela n’est pas particulièrement dans les habitudes de Damas de soutenir l’OLP afin de renforcer l’autonomie de la décision nationale palestinienne, ni de soutenir la position palestinienne dans les négociations, ni même d’aider concrètement et directement le peuple palestinien sans passer par les institutions et les organismes de ladite Autorité palestinienne.
Qu’attend donc Abû Mâzin du régime syrien, en particulier, maintenant ? Le peuple palestinien aurait-il apuré ses règlements de comptes politiques urgents (les élections présidentielles), et aurait-il reçu de l’administration Sharon ou de l’administration George Bush, ou même de l’administration Husniyy Mubârak quoi que ce soit qui lui permette de penser que les solutions sont à portée de la main, et qu’il faut absolument une coordination syro-libano-palestinienne, afin de faire face à la tempête américaine, unis telle une maçonnerie plombée ? Mis à part le décès d’Arafat – c’est-à-dire la disparition du paysage de l’homme « persona non grata » à Damas, qu’y a-t-il de changé dans la position syrienne vis-à-vis de la cause palestinienne ? Le regretté Arafat n’a-t-il pas rencontré, des fois, Bashshâr al-‘Asad au sommet d’Amman, avant que les autorités palestiniennes ne l’enferment dans la « Muqâta’a » ? ‘Abbâs Zakiyy, membre du Conseil exécutif du Fatah, n’est-il pas allé, en tant qu’envoyé personnel d’Arafat, à Damas, au début janvier 2002 ? A-t-il entendu grand-chose de nouveau de la bouche du vice-président Abd-al-Halîm Khaddâm, et n’est-il pas revenu quasiment bredouille ?
Et la « stratégie de paix », suivie par le régime syrien dans son dialogue – direct et indirect - -secret ou ouvert – avec l’Etat hébreu et l’administration américaine, a-t-elle changé en quoi que ce soit ? Les fondations de cette stratégie n’ont-elles pas été élevées sur la domestication des « cartes extérieures » où et de quelque façon qu’elles aient été chassées et réunies dans la poigne du régime au pouvoir, au profit de sa position dans les négociations ? Le régime syrien a-t-il cessé de mettre l’intérêt national libanais (variante : « le processus libanais », selon l’expression ô combien plus subtile !) dans la tranchée de la défense, avant toute chose, des intérêts du régime syrien (variante : « le processus syrien » - expression qui, si tu trouves plus subtil : tu meurs !), alors que le « processus palestinien » ne vient qu’en deuxième position ?
Ou, plus exactement, tel aurait dû être la position de ce « processus » si Yasser Arafat s’était prosterné devant Hâfiz al-‘Asad, et s’il avait dit le « na’am » (oui) requis. Non pas avant, ni pendant, ni après la conférence de Madrid, comme d’aucuns le pensent. Ni en 1994, lorsque Arafat s’est rendu à Damas afin d’y présenter ses condoléances après le décès de son père au fils aîné du président syrien, Bâsil al-‘Asad. Ni au cours de l’unique visite qu’effectua Arafat dans le village d’Al-Qurdâha (fief et pépinière des ‘Asad), à la fin juillet 1996, au cours de laquelle il avait apporté dans sa besace des propositions israéliennes de reprise des négociations, tout en mettant un soin remarqué à ce que la délégation palestinienne comporte des têtes susceptibles d’agréer à Damas (Fârûq al-Qaddûmî, Hanân ‘Ashrâwî et Zuhdî al-Nashâshîbî…). Il s’agissait rien moins que du « na’am ! » (oui !) dont on attendait d’Arafat qu’il le prononce, depuis quarante ans, exactement !
L’histoire lui est témoin qu’à peu près à cette période, mais de l’année 1964, une escadre appartenant aux services des renseignements militaires syriens arrêta et emprisonna Yasser Arafat, qu’elle accusa de « préparer des attentats terroristes », après avoir inspecté le coffre de sa voiture et y avoir trouvé des bâtons de dynamite. Quelques heures après, il fut libéré, mais l’incident parut suspect, car Arafat transportait de la dynamite au vu et au su des dirigeants syriens, et il avait même reçu l’autorisation officielle de transporter des armes de divers modèles jusqu’aux camps d’entraînement du « Fatah » en Syrie. Et le colonel Ahmad Suwaïdânî, chef d’état major syrien à l’époque, avait transmis personnellement cette autorisation à Arafat, après des négociations entre les deux hommes, entamées au printemps de la même année.
Que s’est-il passé ? Il est vrai que l’ordre direct d’arrestation avait été émis par le chef de la section « Palestine » des services de renseignement militaire, mais le véritable commandant était l’homme fort dans l’armée syrienne, jouissant d’une influence incontestée dans tous les services de renseignement, le chef de l’armée de l’air, le général… Hâfiz Sulaymân al-‘Asad ! Le colonel Suwaïdânî incarnait l’ambition du parti Ba’ath au pouvoir de monopoliser la cause palestinienne, politiquement et idéologiquement. A cette fin, il avait convaincu la haute hiérarchie de donner au « Fatah » carte blanche pour s’entraîner sur le territoire syrien. A contrario, Al-‘Asad incarnait ses ambitions personnelles de prendre le contrôle des rênes du pouvoir et de préparer la prise en main de l’Etat, c’est pourquoi il avait rappelé à Arafat que c’était lui, ‘Asad, qui était le plus fort, et qui décidait en dernière analyse. Qu’il incarnait l’instance suprême à laquelle le « Fatah » devait se référer, en tous les cas.
Cet incident marquera le début d’une longue histoire de haine entre Arafat et son adversaire arabe le plus impitoyable : Hâfiz al-‘Asad. Celui-ci ne cessera jamais de chercher à transformer toutes les formations de la résistance palestinienne, et en particulier le « Fatah », en carte à jouer dans sa poche, au service de ses propres plans, tant tactiques que stratégiques. Quant à Arafat, il ne cessera jamais d’insister sur la nécessité que le fusil palestinien, et par conséquent la décision palestinienne, restent dans une indépendance totale des différents régimes arabes, et à l’écart de leurs tiraillements internes ou régionaux.
L’histoire de l’animosité, à dire le moins, entre les deux hommes, comporte plus d’un incident stupéfiant. Ainsi, en mai 1966, rapportent plusieurs sources, les renseignements militaires syriens ont tenté d’assassiner Arafat, lors de sa rencontre avec l’homme de la Syrie au sein de la résistance palestinienne, le chef du « FPLP [« Front Populaire de Libération de la Palestine »]– Commandement Général », Ahmad Jubraïl, dans un des QG secrets de Damas. La tentative échoua, parce qu’Arafat s’était absenté, après que l’un des sicaires chargés d’organiser son assassinat ait « fait sécession », rejoignant Arafat et lui racontant tout…
Début juillet, dès le début de l’offensive militaire jordanienne généralisée contre les formations palestiniennes se trouvant en Jordanie, al-‘Asad donna l’ordre (il était depuis peu président de la Syrie) de fermer les frontières jordano-syriennes, ce qui fit des « fidâ’iyyîn » des proies faciles pour les forces du Roi Hussein. L’objectif suivant d’al-‘Asad fut la liquidation de la présence tant politique que militaire des Palestiniens, et d’Arafat au tout premier chef, de l’ensemble du territoire libanais. Cela fut une partie du prix à payer pour le silence d’Israël et des Etats-Unis sur la vaste présence syrienne, tant militaire que politique, au Liban.
Peut-être al-‘Asad n’a-t-il pas pardonné à Arafat d’avoir tenu, des semaines durant, face au blitz israélien au Liban, en juin 1982, révélant, ce faisant, l’incapacité du régime syrien non seulement à affronter Israël militairement, mais aussi ne serait-ce qu’à assurer les munitions et le ravitaillement aux troupes syriennes prises au piège. Par contraste, les soldats syriens n’oublieront jamais que c’est Arafat qui leur distribuait des boîtes de conserve, de ses propres mains ! Dans le même ordre d’idée, al-‘Asad n’a jamais pardonné à Arafat d’être parti pour la Tunisie, et non pas pour la Syrie, comme l’avaient fait la majorité des dirigeants palestiniens, après le cessez-le-feu et la sortie des Palestiniens du Liban.
En février 1983, au cours de la réunion du Conseil National Palestinien [CNP] à Alger, al-‘Asad déployé (aidé directement en cela par le colonel Mu’ammar al-Qadhdhâfî, qui avait approché à son tour Ahmad Jubraïl) tous les efforts dont il était capable afin de diviser l’OLP, sur fond de « bradage » par Arafat de la cause palestinienne, s’il acceptait ce qu’on appelait à l’époque le « plan (de paix) Reagan ». Bien que le Conseil ait rejeté ce plan, la formulation du refus laissait à la direction de l’OLP une marge de manœuvre qui angoissait al-‘Asad, et qui l’amena à redouter – ô paradoxe ! – un renforcement de la coopération entre Arafat et le roi Husseïn (de Jordanie) !
Ainsi naquit la rébellion d’Abû Mûsâ contre Arafat. Avec des armes syriennes et en collusion avec les « Fathawiyyîn » dissidents, les positions de l’OLP furent bombardées dans les camps de réfugiés de Shâtîlâ et de Burj al-Barâjinéh, afin d’en faire sortir Arafat et de préparer la grande bataille de Tripoli (Tarâbulus), durant l’été 1983. Rien d’étonnant à ce qu’al-‘Asad ait été frappé de stupeur, et entra dans une colère noire, lorsqu’il vit qu’Arafat lui tenait tête et venait même inopinément en Syrie, négocier avec les scissionnistes. Poussant à l’extrême le défi, après une rencontre ouverte avec le frère du président syrien, Rif’at al-‘Asad, qui était alors à l’apogée de son influence, Arafat disparut de la circulation, et s’enterra, littéralement. Le 23 juin, il y eut la caravane d’Arafat, qui se déplaça, par voie de terre, jusqu’à Tripoli, et comportant même la voiture personnelle du chef de l’OLP. Elle essuya une offensive militaire, à l’arme lourde. Mais la grosse surprise, ce fut… l’absence d’Arafat de ce convoi, et son apparition, pétant la forme, et prononçant un discours enthousiaste et enflammé ailleurs, dans la capitale syrienne même, et dans un lieu des plus inattendus qui soient. Je vous le donne en mille : Arafat a fait son apparition au beau milieu d’un congrès des écrivains arabes !
Ainsi, il ne restait plus à al-‘Asad qu’à prendre la seule résolution qui restait à sa disposition : chasser Arafat de la capitale syrienne en le déclarant persona non grata. Et effectivement, le 24 juin 1983, on retarda l’avion de la Tunisair. Dans son livre « Arafat », Alan Hert raconte que George Habash, ce grand dirigeant palestinien, chef du « Front Populaire de Libération de la Palestine » [FPLP] à l’époque, fur le dernier des Palestiniens à saluer Arafat à l’aéroport de Damas, et Hert rapporte qu’il lui a dit, après l’avoir étreint : « Par Dieu, Abû ‘Ammâr, si toi tu quittes la Syrie de cette manière, alors comment la quitterai-je, moi ? Sans doute, dans un cercueil ! »
[« Bi-Llâhi, yâ ‘Abû ‘Ammâr, idhâ kunta ‘anta tughâdiru-sh-Shâm hâkadhâ, fa-kayfa sa-‘ughâdiru-hâ ‘anâ ? Rubbamâ fî kafan ! »]
Mais Arafat lancera une dernière fois le gant du défi, avant même que trois mois ne se soient écoulés ! Ainsi, en septembre, d’une manière qui stupéfia le monde entier, et surpris jusqu’à ses plus proches collaborateurs, Arafat arriva à Tripoli à bord d’un petit bateau, semblant déterminé à se jeter dans la gueule du loup. Les Israéliens le cernèrent, par la mer, tandis que les Syriens le tenaient sous le feu de leurs canons depuis la terre. C’est alors qu’à la BBC, un journaliste britannique spécialiste de la politique syrienne, Patrick Seale, considéra que le sort d’Arafat serait scellé dans quelques heures, au maximum. Peter Mansfeld, un autre spécialiste, acquiesça. De son côté, al-‘Asad fut plus réaliste que Seale et Mansfeld. Il donna à Arafat huit jours de survie : quatre jours pour liquider les camps de réfugiés + quatre jours pour régler leur sort à Arafat et à ses partisans assiégés dans Tripoli !
Si ces événements sont palpitants, ce n’est ni parce qu’elles s’assimilent au pur film policier, ou de guerre, ou d’aventure, mais parce qu’ils comportent une grande signification qui n’a pas cessé d’avoir des conséquences, y compris aujourd’hui. Et il ne faut pas qu’ils s’effacent de la mémoire de Mahmûd ‘Abbâs, lorsqu’il distribue ses sourires de jeune premier à la cantonade, en présence de Bashshâr al-‘Asad. Non seulement parce que l’histoire risque de se répéter sous la forme d’une comédie de boulevard, en lieu et place du drame absolu, mais aussi parce qu’il est extrêmement rare que l’élève surpasse le maître !
                                
11. Naplouse vote Mahmoud Abbas par Benjamin Barthes
in La Croix du jeudi 9 décembre 2004

Le 9 janvier prochain aura lieu l’élection présidentielle palestinienne provoquée par la mort de Yasser Arafat. Reportage à Naplouse où nombreux sont ceux qui se rangent derrière le candidat du Fatah
Une parade militaire à la gloire de Mahmoud Abbas. Cent cinquante activistes qui défilent en rang serré, kalachnikov au poing, en scandant leur fidélité au nouveau chef de l’OLP. C’était il y a deux semaines, dans les ruelles poussiéreuses de Balata, un camp de réfugiés en lisière de Naplouse. Les Brigades des martyrs Al-Aqsa prêtaient allégeance au favori de l’élection présidentielle de janvier. La milice du Fatah, fer de lance de l’Intifada, s’inclinait devant celui qui, dans chacune de ses interviews, pourfend cette même Intifada et promet d’y mettre un terme. Le lendemain, les images des combattants encagoulés brandissant le portrait de celui que l’on surnomme ici Abou Mazen, avec son complet gris de gestionnaire tranquille, firent la une des journaux locaux.
Un geste paradoxal ? Pas pour Abou Jaber, un résident de Balata qui participa au défilé. «Quand Arafat agonisait et qu’Abou Mazen intriguait en coulisses, on a manifesté contre lui. Mais maintenant qu’Arafat est mort et qu’Abou Mazen est le candidat officiel du Fatah, on se range de son côté.» Âgé de 35 ans et père de cinq enfants, Abou Jaber n’est pas seulement un militant discipliné. Au chômage depuis que des tirs israéliens l’ont blessé au bras et à la jambe, soutenu financièrement par ses frères, il voit en Abou Mazen la solution à ses soucis.
«Il a de l’expérience et des relations. J’espère qu’avec lui, les check-points seront enlevés, que la sécurité s’améliorera et que les gens pourront retourner travailler en Israël. L’Intifada nous a pris les meilleurs de nos jeunes. Cette situation ne peut plus durer.» Selon lui, Marouane Barghouti, le tribun de l’Intifada, qui a annoncé sa candidature depuis la prison israélienne où il purge cinq peines à perpétuité pour terrorisme, s’est «discrédité» par ses revirements successifs. «Il a dit qu’il se présentait, puis non, puis oui. Qu’est ce que ça veut dire ? Je ne veux pas d’un nouveau président emprisonné.»
Désenchantement croissant vis-à-vis de l’Intifada
À un mois de l’élection, les sondages donnent Abbas et Barghouti au coude-à-coude. Mais les mots d’Abou Jaber sont révélateurs d’une nouvelle tendance dans la rue palestinienne. Un désenchantement croissant vis-à-vis de l’Intifada, une soif d’apaisement qui pourraient assurer la victoire du compagnon de route historique d’Arafat, partisan d’un règlement négocié, sur le héraut de la lutte armée, en révolte contre la vieille garde du Fatah.
Le fait que ce phénomène, flagrant dans les grandes villes, soit désormais perceptible à Balata est d’ailleurs symbolique. Le camp, qui est le plus peuplé de Cisjordanie, avec 22 000 habitants, a toujours été le berceau des soulèvements palestiniens. C’est dans ce bastion du Fatah, foyer d’activisme, que sont nées à l’automne 2000 les Brigades des martyrs Al-Aqsa, dont Barghouti fut, sinon le chef, du moins l’inspirateur. C’est à Balata aussi, en février 2002, que pour la première fois de l’Intifada, les blindés israéliens sont entrés dans un camp de réfugiés. Les offensives, les couvre-feu et les rafles n’ont pas cessé depuis.
Aujourd’hui, l’endroit plie sous le poids de la misère et des deuils. Deux tiers de la population au chômage, plus de 200 résidents en prison, 106 personnes tuées, dont de nombreux enfants. Ce très lourd tribut payé à l’Intifada a fait pâlir l’étoile de Barghouti. «Quand les rumeurs sur sa candidature ont commencé à circuler, les gens ont spontanément réagi avec enthousiasme, raconte Walid Abdel Hadi, un jeune membre du Fatah. Car Marouane est une figure très aimée, dont les réfugiés se sentent proches. Mais très vite, l’effet s’est dissipé et ils ont commencé à se demander : “Mais quel genre de président va-t-on avoir s’il est élu ?”»
Taysir Nasrallah, l’un des notables du Fatah de Balata, âgé de 43 ans, approuve. Sa carrière a suivi la même trajectoire que celle de Barghouti : le militantisme à l’université, la prison au début des années quatre-vingt, l’exil à Amman durant la première Intifada. «Nous avons lutté ensemble. C’est un ami. Émotionnellement, je suis proche de lui. Mais intellectuellement, je ne suis pas sa démarche. Les gens veulent un leader qui résolve leurs problèmes, pas quelqu’un qui les aggrave.» 
Le cavalier seul de Barghouti inquiète
Le cavalier seul de Barghouti inquiète pourtant les partisans d’Abbas. Le chef de file des jeunes cadres du Fatah conserve de solides soutiens dans le camp. «Ils ne le diront jamais ouvertement car ils ont peur pour leur siège», dit un journaliste de Naplouse. Les pro-Abbas ne sont pas non plus dupes du revirement des Brigades. «Leur souci premier, c’est que le robinet à fric ne s’arrête pas, explique un membre du Fatah sous le couvert de l’anonymat. Comme ce n’est pas Marouane qui les paiera depuis sa cellule, publiquement ils soutiennent Abou Mazen.»
Un jeune membre des Brigades, surnommé Abou Hadid, confirme : «Je dis ce que dit le Fatah. Mais personnellement, je préfère Marouane. Il connaît notre souffrance et il est propre. Comme lui, je pense que nous ne créerons pas notre État sans les armes. Nous avons essayé les négociations, mais cela n’a pas marché.» L’un des responsables de la campagne pour libérer Barghouti argumente, à la condition que son nom ne soit pas cité : «Quel est le problème si notre président est en prison ? Notre peuple tout entier est en prison. Dans sa cellule, Marouane sera le meilleur symbole possible de notre lutte.»
Lundi 6 décembre, les partisans d’Abbas se sont réunis en urgence autour du gouverneur de Naplouse, le chef de sa campagne. Le matin, la presse avait publié un sondage réalisé par l’université de Bir Zeït, qui donnait 46 % des intentions de vote à Barghouti contre 44 % à Abbas. Inquiets, les participants ont décidé de doper sa campagne. «Il faut qu’il vienne à Naplouse, dit Taysir Nasrallah. Le candidat du Fatah ne peut pas se permettre de faire un score moyen.» L’objectif est aussi d’obtenir que Barghouti retire sa candidature. Dans les prochains jours, les visiteurs devraient se succéder dans sa cellule pour le faire changer d’avis. Malek Nasrallah, un jeune membre du comité populaire qui gère le camp de Balata, soutient cette démarche. «Nous avons besoin de bâtisseurs, pas de héros.»
[Les dix candidats à l’élection présidentielle : - Mahmoud Abbas (Abou Mazen). Candidat unique du Fatah, 69 ans, chef du comité exécutif de l’OLP depuis la mort de Yasser Arafat ; modéré, né à Safed en haute Galilée, il a été premier ministre en 2003 ; principal architecte des accords d’Oslo. - Marouane Barghouti. Indépendant, condamné à la prison à vie en Israël, 45 ans ; secrétaire général du Fatah en Cisjordanie, charismatique et très populaire parmi la «jeune garde» du Fatah. - Tayssir Khaled. Candidat du Front démocratique de libération de la Palestine (FDLP), 63 ans ; revenu d’exil après la création de l’Autorité palestinienne en 1994, il est l’un des principaux dirigeants du FDLP, formation d’opposition de gauche ; originaire de Naplouse et membre du comité exécutif de l’OLP. - Bassam Al Salhi. Candidat du Parti du peuple (ex-communiste), dont il est le secrétaire général depuis 2003, 44 ans ; né dans le camp de réfugiés d’Al-Amari, à Ramallah, il a dirigé le conseil d’étudiants de l’université de Bir Zeit entre 1979 et 1981 et a été emprisonné à plusieurs reprises en Israël. - Moustapha Barghouti. Indépendant, 51 ans, opposant à la ligne actuelle de l’Autorité palestinienne, et sans lien de parenté avec Marouane Barghouti ; secrétaire général de l’Initiative nationale palestinienne, mouvement politique qui milite pour la démocratie ; dirige aussi une importante ONG médicale palestinienne.- Hassan Kreicheh. Indépendant, 49 ans, né à Tulkarem, président intérimaire du Parlement et «monsieur anti-corruption». - Abdelhalim Al Achqar. Indépendant, 56 ans, universitaire établi depuis 1989 aux États-Unis, plusieurs fois arrêté, soupçonné de collecter des fonds pour le Hamas. - Abdelsattar Qassem. Indépendant, 56 ans, professeur de sciences politiques à l’université Al-Najah de Naplouse. - Abdelkarim Choubeir. Indépendant, 45 ans, avocat à Gaza. - Alsayyed Barakah. Indépendant, 48 ans, ancien directeur général au ministère de la jeunesse et des sports à Gaza.]
                       
12. La rencontre entre Genet et une étoile arabe par Marco Dotti
in Il Manifesto (quotidien italien) du dimanche 5 décembre 2004
[traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio]

(Marco Dotti est le traducteur italien de Un captif amoureux et auteur de plusieurs études sur Jean Genet.)
« Vers 1972 Mahmoud Al-Hamchari me conduisit chez l’écrivain italien Alberto Moravia afin d’y rencontrer l’écrivain Wael Zuayter qui fut assassiné en 1973. Curieusement l’Italie, si légère autrefois, me sembla pesante comparée à la vie vagabonde des feddayin. Je revins donc au milieu d’eux en mai 1972, en passant par la Turquie d’Europe, celle d’Asie, la Syrie et la Jordanie ». Ce sont des souvenirs effacés et imprécis dans les dates, et peut-être même dans les lieux, que Jean Genet confie aux pages de Un captif amoureux, le livre de « souvenirs »(1) porté pendant plus de vingt ans, publié au printemps 1986, quelques semaines seulement avant la disparition de l’auteur, et tour à tour accueilli –sans grande rumeur critique, à vrai dire- comme un improbable testament politique ou comme sa « dernière dissidence poétique ». Souvenirs chez Genet,  offusqués bien plus que par la maladie et le pressentiment d’une fin imminente, par l’exigence lucide –déjà mise en œuvre avec une surabondance baroque dans le Journal du voleur- de retourner les cartes à l’infini : en imposant à lui-même et au lecteur un écart radical vis-à-vis de toute finalité biographique et mémorialiste. Palimpseste de mémoires qui ne ré affleurent pas, de situations narratives désordonnées, de faux plans stylistiques, de registres informels et de relations syntaxiques déformées : Un captif amoureux est toutefois capable, dans l’opinion d’un lecteur enthousiaste comme Félix Guattari, de susciter, grâce à sa logique désordonnée, une lecture active, intense, orientée sur les « singularités multiples » (femmes sans voix, peuple sans terre) qui composent la trame d’une contre mémoire excentrique sur la Palestine et ses alentours. Comme dit Stephen Barber dans son livre récent, et très soigné, intitulé Jean Genet, introduit par Edmund White (Reaktionbook, coll. « Critical lifes », 2004, 224 pages, 10,95 euros) sur cette sorte de « fiction historique », qui introduit des interférences continues et des déphasages dans le rapport entre imaginaire et niveaux de réalité. Dans son livre, Barber propose une lecture fascinante de quatre nouages existentiels, quatre folies critiques qui s’entrecroisent dans les pôles « sex, desire, death and revolution », et traversent la vie et l’œuvre de l’écrivain. Dans Un captif amoureux, sans renoncer à aucune des folies  de «désir, révolte, beauté », Genet dessine le « reportage » d’une expatriation qui dure le temps d’une vie, dans les noms des camarades de voyage ou de mésaventure, voués à un oubli presque certain, et les épisodes qui affleurent « par vagues » pour venir s’écrire ou se réinscrire une, deux, dix fois. « Comment naît un voyage ? », se demande-t-il, pour ensuite en indiquer la motivation dans son (unique) « point fixe », l’ « étoile polaire sur laquelle je m’orientais » dans la constellation moyen-orientale intriquée.  L’ « étoile » était un jeune palestinien appelé Hamza, qui, avec sa mère,  lui offrit hospitalité et refuge en décembre 1970, à Ajlun, dans les environs de Ibrid, en Jordanie. « Ce point fixe, écrit Genet, a peut-être un nom, amour… »
        A partir de la rencontre avec ce jeune homme de dix-sept ans, et avec sa mère, que Genet essaiera sans repos de retrouver (y arrivant et ce sera la fin du voyage), s’instaure ce que Guattari définit comme « un opérateur ou synapse existentielle » : une fracture, en d’autres termes, qui substitue la condition matérielle, psychique et sociale, pour activer un « nouveau type de production de subjectivité ». L’écriture, le voyage, la confrontation avec un peuple « désorienté » et, surtout, une « longue recherche de rêves et de révolutions perdues », concourent au renforcement de cette fracture productive, blessure dont il ne  sortira plus de sang mais une autre vie. Le rapport entre Hamza et sa mère, Genet le décrit et l’imagine complètement coupé d’évènements temporels, absolument libre de liens avec la mort. « Plus réel peut-être, que le réel même », donc irreprésentable, si ce n’est en une page vide, transparente, sur laquelle de fait se referme le livre, et sur laquelle sont  écrits, en marge, les signes de sa propre solitude.
        Kadhim Jihad,  raffiné traducteur arabe de Genet, invite à lire Un captif amoureux comme un livre joyeux, quelques fois sarcastique, traversé par une ligne marquée en noir mais où prévalent , à bien y regarder, les tonalités claires. L’argot de la révolte se décline avec précision dans la description des gestes quotidiens – la préparation d’un thé, la danse, une partie de cartes- qui savent restituer la dignité laïque d’un Orient non voilé par des ombres et qui, à la misère des camps de réfugiés, oppose sa forme de résistance imperceptible. Résistance bien symbolisée par la chaîne et la couleur des tissus avec lesquels « nourrissant la joie quotidienne des yeux », les femmes palestiniennes exhibent une élégance naturelle même devant la mort la plus indigne et obscène. Comme dans l’Evangile de la pitié paysanne du récit homonyme de Marcel Jouhandeau, la résistance est déclinée au féminin, selon la mère : « H. me présenta sa mère, c’était l’époque du Ramadan. Quand je lui dis que je n’étais pas musulman, et que je ne croyais même pas en Dieu, elle me regarda sans stupeur et sans dédain. C’était presque midi. « S’il ne croit pas en Dieu, il faut lui donner quelque chose à manger ». Elle prépara un repas. Le fait que je sois un mécréant au beau milieu du Ramadan, lui avait fourni la réponse : le déjeuner. Elle, elle ne mangea qu’après six heures, le soir. (…) Je donne l’exemple des façons simples, aimables d’une femme palestinienne du peuple. Il me semble significatif que les autorités ignorent encore combien les femmes palestiniennes ont arrêté de se conduire à l’orientale, conformes aux traditions ».
        Si nous connaissons, de cet « extraordinaire rapport », le point d’arrivée représenté par l’adolescence limpide, non criminelle, de Hamza, par la douceur de sa mère, par les essences et le parfum des agrumes, douloureusement mêlés à la poudre à feu de la Palestine, il est tout aussi important d’indiquer le point, ou les multiples points de départ. Dans ce cas aussi, la lecture d’Un captif offre des indices précieux : et les noms sur lesquels il faut arrêter notre attention sont ceux de Mahmoud el Hamshari et Wael Zuaiter, bien qu’ils ne reviennent qu’en un seul passage (rapporté au début de l’article) des plus de six cents pages du livre. Figures bien que très différentes entre elles, vers la fin des années soixante, pendant que la Guerre des six jours et la répression jordanienne aggravaient les choses, Zuaiter et Hamshari offrirent à Genet (et à de nombreux autres voulant comme lui aller au cœur du problème) la possibilité de se confronter de façon intellectuellement ouverte avec la culture, et le drame, palestiniens. Une confrontation militante, mais non étroitement idéologisée, pour Hamshari, représentant de l’OLP à Paris, alors qu’était plus nuancée et raffinée celle de Zuaiter, intellectuel atypique qui, comme notait Moravia, pouvait être défini, au sens fort, comme un lettré : « c’est-à-dire qu’il avait pour la littérature cette admiration que les intellectuels, souvent, n’ont pas ». Né à Nablus le 7 janvier 1934, fils d’un des juristes les plus raffinés et connus de son époque, Zuaiter était arrivé à Rome en 1963, porté par une passion pour la musique et l’art. Il connaissait comme peu la grande tradition poétique orientale, mais il avait aussi une maîtrise attentive de la littérature européenne, surtout de langue allemande. Par deux fois il avait accompagné Moravia dans ses voyages en Orient, et Genet nourrissait l’illusion de pouvoir en faire autant avec lui, espérant en outre impliquer les deux personnes dans le projet d’un groupe de travail sur la Palestine, pensé sur le modèle du Groupe d’information sur les prisons. Illusion parce que le 16 octobre 1972, alors qu’il rentrait chez lui, Wael Zuaiter fut assassiné de douze coups de Beretta calibre 22 par une bande du Mossad.
        « Je me souviens » écrivait justement Moravia, «  que quand on survolait l’Arabie, Wael lisait Les mille et une nuits et me parlait de cet arabe très beau dans lequel elle étaient écrites. Nous avons eu une longue conversation sur Mahomet qui, selon certains, ne savait ni lire ni écrire. Selon Wael  une langue, outre comprise, doit être aussi et surtout vécue, ce qui était le cas avec le Coran et avec Les Mille et une nuits. (…) Je me bornerai à observer que sa première caractéristique était une bienveillance sincère à l’égard de tout, choses et hommes ; et ceci me semblait une qualité précieuse et rare surtout quand je pensais aux nombreuses raisons qu’il avait de se laisser aller à la violence. Chez lui au contraire, il y avait un refus absolu de la violence ».
        Pour rappeler Wael Zuaiter, Genet lui dédia un de ses textes les plus beaux et irrévérencieux, écrits pendant la rencontre avec Hamza et sa mère, et ensuite transféré, par une technique de cut-up dans son dernier travail : « Corps et visages sont offerts à qui sait lire. On croit comprendre qu'ils ont voulu cette dureté afin de créer ce nuage qui flotte sur le monde arabe, de déchirer les mythologies qu'on y a peintes. C'est la révolte. Et c'est le cri affirmatif de soi, mais légèrement tremblé comme si, en même temps qu'ils veulent crever le nuage, les combattants songeaient à se protéger dans ses épaisseurs. Parlant de ce nuage, je n'évoque rien d'autre que ce qui demeure en chacun après l'étude ou la lecture simple du Coran où, pour mieux se dissimuler, tous les feddayin sont allés prendre leurs noms de guerre. Il en résulte quelque chose d'acéré et de délicat : une hésitation. Vaincre ? Se vaincre ? Devenir plus forts que quinze siècles traditionnels, davantage même puisque existe l'expression  « pré islamique », à partir de laquelle il y eut Mohamed, sa légende qui couvre, dissimule sa vie et fait douter d'elle, comme chaque légende fait douter de l'homme qui en fut peut être l'origine, mais ce prophète, sceau des prophètes, qui ne savait pas écrire, qui récitait ce que lui dictait l'ange Gabriel, qui lui même lisait le Coran incréé posé sur les genoux d'Allah…»(2)
        Deux moi plus tard, Hamshari aussi fut blessé par un engin explosif, caché chez lui, à côté du téléphone. Il mourra de ses blessures, en janvier 1973. Genet en fut ébranlé, troublé à nouveau par un conflit qui touchait aussi ses affections les plus chères. Il essaya alors de repartir vers la Jordanie, à la recherche du jeune Hamza. Il en fut expulsé et n’y retourna que dix ans plus tard.
            Edward Saïd explique que le choix de Genet fut « le plus dangereux politiquement, le voyage le plus effrayant » qu’on pouvait entreprendre dans cette décennie entre 1970 et 1980. Totalement différent de celui –c’est Genet qui parle- des nombreuse « larves innommables qui voyagent en Concorde de Londres à Rio et vivent avenue Foch ou aux Parioli ». Genet est « un homme amoureux de l’autre », exilé et étranger à son tour, qui éprouve la plus profonde sympathie pour la révolution palestinienne, comme révolte « métaphysique d’exilés et d’étrangers ». Sa guerre « sans merci » contre un impérialisme entendu comme imposition, « exportation d’identité », et « conscience nouvelle d’être un hors la loi, une personnalité instable, constamment à la limite » représente « l’expérience cardinale de son livre ».
        Aspects, ces derniers, qui demeurent étrangers au regard de Ivan Jablonka, jeune historien dont le travail (Les vérités inavouable de Jean Genet, Seuil, 2004, 444p. 23 euros) malgré l’intérêt très compréhensible, étant donné l’époque, qu’il suscite, est gâché par d’innombrables pétitions de principe, par des méprises textuelles et par une intention démystificatrice si déclarée (à la Henry-Levy, pour être clair), qu’elle en résulte la moins crédible. Ce qui est stupéfiant, ça n’est pas les accusations vagues d’antisémitisme, auxquelles s’ajoutent celles, apparemment plus raisonnées, mais totalement déconnectées d’une problématique interne, qui en font un texte qui serait porteur d’une sorte de « mystique du vide » ou d’ « esthétique fasciste ». Ce qui stupéfie, plutôt,  c’est que le Seuil, éditeur habituellement rigoureux, publie un texte aussi approximatif que celui de Jablonka. Il suffirait , pour démonter ce fastidieux château psychologisant de Jablonka, de rappeler Nagisa Oshima, qui travailla sur Genet en réalisant une version du Journal du voleur,grâce à la mise en scène de leur ami commun Masao Adachi : selon qui, « le désir de renverser l’individuel dans l’anonyme, la soif d’abandonner toute obscénité pour retourner au ventre maternel peuvent apparaître comme des attitudes mentales enclines au fascisme, mais sans qu’on puisse là établir une connexion directe entre leur représentation et le fascisme même ». C’est justement l’absence de cette connexion, directe ou indirecte, qui rend vaines les acrobaties auxquelles se livre Jablonka pour justifier son propre saut logique.  Malgré ses intentions, l’étude de Jablonka reste donc inexorablement à moitié chemin, ni textuelle ni comparative, désarmée face à des pages qui auraient requis , ne serait-ce que pour être démontées, un exercice de critique rigoureuse ; tout comme il est incapable d’ajouter quoi que ce soit aux accusations imprécises de « fascisme rouge » adressées en leur temps à l’auteur de Pompes funèbres, avec une toute autre conscience et dans un tout autre contexte  historique et environnemental, par Maurice Duverger et Jacques Ellul.
        Et pourtant, rappelle encore Edward Saïd, Genet ne fut jamais, en aucune manière, la variante excentrique de l’ordinary visitor, blême occidental, dandy, bien  protofasciste, lui, à la « recherche (désespérée) de lieux et de populations exotiques à encenser dans son prochain livre ». Ses déplacements entre la Palestine, la Jordanie et le Liban ont toute la consistance, en plus de l’aspect, d’un voyage à travers et contre les  identités. Le défi confié à ses derniers écrits réside entièrement dans ce processus qui le pousse à « n’épouser que les causes des autres », même si, le plus souvent, ce sont des causes perdues. Dans un contexte d’ « orientalisme dominant » prêt à articuler et codifier a priori toute expérience « occidentale » du monde arabo-musulman et de l’autre, suggérait Saïd,  « il y a quelque chose de pacifique mais aussi d’héroïquement subversif dans le rapport extraordinaire de Genet avec les arabes ». Quelque chose, faudrait-il ajouter, de lucidement éthique.
(Merci à Marco Dotti pour ses précieuses indications bibliographiques. Marie-Ange Patrizio)
- NOTES :
(1)- En français dans le texte
(2) - Jean Genet - Près d’Ajlun (paru en italien dans le livre de Janet Venn-Brown, Per un palestinese Mazzotta, Milano 1977 et repris en français dans Jean Genet, L’Ennemi déclaré, Gallimard, Paris 1991, p. 177).
                       
13. Leila Shahid contre l'interdiction d'Al-Manar
Dépêche de l'Agence France Presse du dimanche 5 décembre 2004, 14h09

PARIS - La déléguée générale de Palestine à Paris, Leïla Shahid, s'est prononcée dimanche contre l'interdiction de la télévision du Hezbollah libanais, Al-Manar, voulue par les autorités françaises qui jugent ses émissions "incompatibles" avec les "valeurs" de la France.
"Je ne perçois pas de haine dans les émissions de cette chaîne", a déclaré Leïla Shahid dans un entretien sur la chaîne publique France 2, admettant cependant n'avoir "pas aimé" un film sur la diaspora diffusé par Al-Manar.
Elle a affirmé, en revanche, qu'"un certain nombre de radios juives" tenaient "un discours de haine" à son égard et qu'elles "n'étaient pas interdites, elles".
"Je suis pour la liberté de toutes les chaînes", a déclaré la représentante de la Palestine, estimant qu'interdire n'était pas le meilleur moyen.
"Si on va interdire Al Manar, on ne va pas s'arrêter à une chaîne, on va interdire un certain nombre de radios et de chaînes", a-t-elle dit, estimant qu'"il faut de la pédagogie" et qu'on doit autoriser l'expression critique, "dans le respect de ceux qu'on critique".
Leila Shahid a expliqué qu'elle n'a jamais eu l'occasion de s'exprimer sur Al-Manar, mais qu'elle ne le refuserait pas. "Je parle sur les radios et les chaînes israéliennes, je ne vois pas de raison de ne pas parler sur cette chaîne", a-t-elle déclaré.
Le Premier ministre français Jean-Pierre Raffarin, jugeant que "les programmes d'Al-Manar sont incompatibles avec nos valeurs", s'est prononcé pour l'arrêt de ses émissions en France.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), autorité chargée de réguler l'audiovisuel en France, a autorisé le 19 novembre, sous de strictes conditions, Al-Manar ("Le Phare") à émettre en France, et par conséquent dans l'ensemble de l'Union européenne. Dix jours plus tard, il a demandé la suspension de la diffusion de la chaîne après avoir constaté qu'elle avait diffusé des propos à caractère antisémite.
Le Conseil d'Etat, la plus haute juridiction administrative, devrait examiner cette question le 11 décembre.
Le gouvernement soutient par ailleurs un projet de loi sur l'interdiction de chaînes diffusant des propos racistes ou antisémites, qui devrait être discuté au parlement avant la fin de l'année.
                               
14. Un mur illégal par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du samedi 4 décembre 2004

Un ouvrage documenté et engagé, véritable réquisitoire contre le « mur de la honte », dont la Cour de la Haye a demandé la destruction.
- Le Mur de Sharon, d’Alain Ménargue (1), est publié aux Presses de la Renaissance. 295 pages - prix : 18 euros.
Utile, car dans ce livre de près de 300 pages, le journaliste retrace avec minutie la genèse de la construction de cette « barrière de sécurité » (terminologie officielle israélienne), théoriquement destinée, selon ses concepteurs, à protéger la population israélienne des attaques des « kamikazes » palestiniens venus de Cisjordanie. À propos des concepteurs du mur, il remet les pendules à l’heure en rappelant que ce sont les travaillistes qui ont eu l’idée de cette « séparation », à l’époque d’Ehud Barak déjà. Le mur figurait même en place de choix - avec l’évacuation unilatérale de Gaza - dans le programme électoral de leur candidat malheureux contre Ariel Sharon, Amran Mitzna, en janvier 2003. La différence - et elle est de taille - était que les travaillistes entendaient le construire sur la « ligne verte » du cessez-le-feu de juin 1967, ce qui pouvait en faire une « frontière » entre deux États indépendants vivant côte à côte, celui d’Israël et celui de Palestine.
Ariel Sharon, lui, construit le mur en empiétant sans vergogne sur les territoires palestiniens, en saccageant des paysages, en arasant des collines, en arrachant des millions d’oliviers, en coupant des villages, en séparant les paysans de leurs champs et les enfants de leurs écoles, toutes choses que l’enquête réalisée sur place par le journaliste montre clairement. Le « mur de Sharon », la démonstration d’Alain Ménargue est à cet égard implacable, ne vise donc pas seulement à protéger Israël, mais à agrandir son territoire en englobant des terres palestiniennes, et surtout à pousser les Palestiniens à l’exil en leur rendant la vie impossible. C’est très exactement ce que l’extrême droite nationaliste israélienne appelle pudiquement « le transfert volontaire », ou selon l’expression du général Eytam, ministre sans portefeuille de Sharon qui se prend parfois pour le messie, « l’évacuation par choix, qui consiste à faire en sorte que les Palestiniens choisissent eux-mêmes de partir ».
Une vieille idée qui rejoint celle qu’exprimait, déjà à l’époque des pionniers du sionisme, un théoricien d’extrême droite comme Jabotinski, avec sa « muraille d’acier des baïonnettes juives » destinée à « ôter aux Arabes toute étincelle d’espoir ». Celle que commença à réaliser la Haganah au moment de la création d’Israël, en détruisant des centaines de villages pour forcer les Palestiniens à fuir et à devenir à leur tour des réfugiés.
Alain Ménargue cite abondamment à ce propos « les nouveaux historiens » israéliens qui révèlent dans leurs ouvrages, depuis plus de dix ans déjà, cette volonté délibérée de « chasser le maximum d’Arabes » de l’État d’Israël en cours de création. L’un d’eux, Benny Morris, cité dans l’ouvrage, ajoute même sans sourciller que si les dirigeants juifs de l’époque étaient allés jusqu’au bout de ce « transfert » de population, il n’y aurait plus aujourd’hui de problème palestinien. « Ben Gourion, écrit-il, a commis une erreur historique, il n’est pas allé au bout des choses. Si Ben Gourion avait nettoyé le pays dans son entier, notre État aurait été consolidé pour plusieurs générations. Si l’histoire doit un jour mal finir pour les juifs, ce sera à cause d’un Ben Gourion qui n’a pas parachevé le transfert de 1948 ». Le mot « épuration ethnique » n’est pas dit, mais, pour Alain Ménargue, c’est bien de cela qu’il s’agit.
C’est en cela que son livre est courageux : il montre très clairement en quoi le « mur de Sharon » est bien, dans l’esprit du premier ministre israélien et de son entourage, un instrument de la poursuite de cette « épuration », un moyen de « continuer la guerre d’indépendance d’Israël », qui, il ne cesse de le répéter, n’est pas encore achevée.
Il n’est pas facile, dans le climat actuel, empoisonné par la résurgence de l’antisémitisme et les passions nées de l’exacerbation du conflit, de dire certaines vérités. Alain Ménargue, après Charles Enderlin ou Daniel Mermet, en a fait l’amère expérience. Il a été sanctionné (2) pour avoir, maladroitement sans doute et avec le goût de la provocation qui est le sien, parlé de « culture du ghetto » à propos de cette propension du gouvernement Sharon à construire des murs.
Murs qui enferment l’autre, mais qui vous enferment aussi, au moins mentalement, et qui sont un jour ou l’autre destinés à tomber. Le livre se termine d’ailleurs sur une phrase en forme de question prononcée par un Palestinien chrétien du quartier du mont des Oliviers à Jérusalem : « Que ferait Jésus, face à un tel mur ? »
- NOTES :
(1) Grand reporter spécialiste du Proche-Orient dont il « couvre » depuis plus de vingt ans l’actualité pour les différentes chaînes de Radio France ; iIa sans aucun doute fait oeuvre utile et courageuse en écrivant le Mur de Sharon, dont 60 pages d’annexes comportant notamment l’arrêt de la Cour internationale de justice de La Haye qui, en janvier 2004, a déclaré le mur illégal et demandé sa destruction.
(2) Il a dû démissionner de son poste de directeur adjoint de Radio France internationale, après une conférence de presse au cours de laquelle il avait affirmé que le premier ghetto juif avait été celui de Venise, construit par les juifs eux-mêmes.
                               
15. Le miracle de la fiole d’ordure par Gideon Samet
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 3 décembre 2004
[traduit de l'hebreu par Michel Ghys]

Ce qui restera quand sera retombée la poussière de cette semaine intéressante et repoussante, ce ne sont pas les mensonges et les ruses, les trahisons soi-disant soudaines, les paiements aux orthodoxes, le style dégénéré, pas même la scène d’épouvante d’Ehoud Barak ni les manœuvres de Shimon Peres. Pareilles choses sont déjà survenues dans le passé pour disparaître en masse comme détritus, depuis les pots de vin en vue d’un vote et autres manœuvres puantes jusqu’à l’inoubliable apparition du judoka Barak chez Nissim Mishal [émission de télévision]. Ce qui restera, ce sont les tendances qui se sont dessinées en toute vigueur la semaine passée et qui influenceront le cours de l’année à venir, et peut-être des années à venir. Elles font progresser l’Etat vers les profondeurs plus effrayantes encore d’une crise nationale.
Voici les principales de ces tendances :
1. La destruction de l’opposition : l’effondrement de la majorité d’Ariel Sharon au Likoud et au Parlement n’a pas infusé un esprit de fête dans les artères de la force politique d’opposition. Il l’a seulement affaiblie. Le parti Travailliste, qui patauge dans tous les sondages avec le même pitoyable nombre de députés, attendait les revers de Sharon non pas pour en profiter mais pour réaliser le rêve érotique de se glisser avec lui dans le même lit. Peres participe maintenant à une autre manœuvre – une nouvelle transformation du parti Shas : de Mr Hyde en Dr Jekyl – afin que son incorporation, demandée par Sharon, puisse se réaliser. Cela se fera par une sorte de farce verbale qui conférera au désengagement unilatéral un aspect de démarche bilatérale avec les Palestiniens, comme l’exige l’homme d’Etat Ovadia Yossef. De cette destruction de sa position d’alternative, le parti Travailliste ne pourra pas se sortir aisément, même si Peres attend d’avoir 83 ans pour briguer le pouvoir une fois encore.
2. Bye bye, le désengagement : cette semaine a vu se renforcer la tendance profonde du gouvernement actuel de ne pas réaliser le désengagement dans sa totalité (et bien sûr de ne pas aller vers un accord plus large). La volonté de Sharon de se désengager de Gaza est à responsabilité limitée. Limitée par l’opposition massive au sein du Likoud et maintenant aussi par les partenaires orthodoxes à l’intérieur du gouvernement, plus le Parti National Religieux et peut-être le parti Shas. Avec une telle compagnie, peut-être commencera-t-on à se retirer et à évacuer une colonie et demie, afin de répondre aux pressions de l’Amérique et de la majorité israélienne, mais pas plus. La tendance au désengagement qui se réalise avec ardeur, elle, c’est celle de Sharon à de se désengager des laïcs au profit des orthodoxes. Fondamentalement, la démarche vise les futures élections, et pas une vraie séparation d’avec les Palestiniens.
3. La conduite des dirigeants : nouvelle démonstration est faite de la faiblesse immanente des têtes politiques (Sharon, Peres et coll.) dans la compréhension d’un objectif national – le désengagement et un accord de paix – et le choix de l’intérêt du moment. C’est un des traits marquants de la direction nationale depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin. Il continuera à marquer aussi l’année qui vient, sous la baguette de deux éminents vieillards dont le chemin a débuté quelque part du temps du président Eisenhower, du dirigeant soviétique Malenkov et des derniers jours de la vie de Churchill. La trahison de Sharon-Peres à l’égard des objectifs de la nation et le niveau insuffisant des gens de la deuxième ligne dans les partis, nous enseignent à quel point la crise destructrice de ces jours-ci n’est pas le premier signe d’un nouveau système politique. C’est une espèce de floraison tardive de branches desséchées.
4. Allô, y a-t-il un peuple ? La nouvelle coalition est évidemment le contraire absolu de ce que veut la majorité du peuple. Sharon et plus encore le parti au pouvoir, sont allés contre cette volonté en préférant des partenaires orthodoxes, qui rechignent au désengagement, plutôt que le seul parti sous Sharon qui soutenait le désengagement. Mais le peuple a l’air d’avoir disparu, est assurément devenu muet quand il apparaît, dans les sondages, que toutes les ignominies des dernières semaines et d’avant ne l’ont pas rapproché d’une révolution électorale. Avec une rue aussi inerte, indifférente, il est impossible de bâtir un rempart. Cette leçon tirée des événements récents nous accompagnera encore un moment. Peut-être Peres et Sharon ne se font-ils pas seulement une faveur à eux-mêmes par leurs efforts en vue de repousser les élections : il faudra apparemment encore du temps avant que les défaillances de ce gouvernement ne se glissent dans la tête de l’Israélien moyen.
5. Terrifiant pronostic n°1 : lorsque les Israéliens seront finalement appelés aux urnes, il est fort possible qu’il y ait un désespérant retour de déjà vu : Benjamin Netanyahou contre Ehoud Barak. Les deux anciens chefs défaillants de gouvernement ont montré encore dernièrement que s’ils avaient changé, comme ils nous l’avaient promis, c’est essentiellement en pire.
6. Terrifiant pronostic n°2 : Barak qui a dit, parlant soi-disant d’expérience, qu’il n’y avait personne de l’autre côté avec qui parler et Netanyahou qui ne veut pas parler, ne feront que renforcer la tendance profonde la plus médiocre qui s’est de nouveau signalée ces derniers mois. Entre les chefs du Likoud et du parti Travailliste (et de Shinoui également), il y avait seulement de minces différences de nuances à propos de la question de l’accord de paix. Si Sharon-Peres sont les dirigeants que nous avons reçus cette semaine et si Netanyahou-Barak sont la promesse qui est en route, vous pourrez oublier tout progrès vers un accord de paix même si Abou Mazen se transformait en père de la modération et que le Hamas devenait un caniche. Dans un système politique où les orthodoxes sont de nouveau l’aiguille de la balance et où le parti Travailliste est dehors, langue pendante, piétinant pour entrer, on peut prévoir encore la guerre, encore des morts, et peut-être un effort héroïque pour assurer la sécurité nationale en allant bombarder des objectifs nucléaires en Iran avec notre fidèle partenaire, les Etats-Unis.
7. Miracle de Hanouccah : depuis Yahadout HaTorah jusqu’au parti Shas, on a chanté cette semaine un miracle de Hanouccah avec le départ de Tomi Lapid du gouvernement. Qu’ils se délectent de soufganiot, de beignets, de kneidelekh. C’était un miracle de la fiole d’ordure [allusion au "miracle de la fiole d’huile", de Hanouccah, NdT]. Pour la majorité du peuple, et avec toutes les toupies de la politique dangereuse : ici, de grand miracle, il n’y aura pas. Et pour longtemps. [allusion à la phrase évoquée par les quatre lettres écrites sur les toupies de Hanouccah : « Il y a eu là un grand miracle » NdT]
                           
16. Le Comité juif américain félicite le premier ministre français d'avoir suspendu la chaîne TV du Hezbollah
Dépêche de l'agence PR Newswire du vendredi 3 décembre 2004, 17h27

NEW YORK - Le Comité juif américain (AJC) a félicité aujourd'hui le premier ministre Jean-Pierre Raffarin d'avoir agi rapidement pour suspendre les émissions de Al Manar, la chaîne de television du Hezbollah, en France et à travers l'Europe et lui retirer l'autorisation accordée il y a deux semaines par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
Le cabinet Raffarin a communiqué aujourd'hui la décision du premier ministre à Valérie Hoffenberg, la représentante de l'AJC à Paris.
"En intervenant rapidement pour écarter des ondes ce promoteur de haine et de violence, le premier ministre Raffarin a agi dans le sens des meilleurs intérêts et traditions de la France et de toute l'Europe" a dit David A. Harris, le président exécutif de l'AJC.
"Al Manar et d'autres chaînes diffusant des messages pareillement antisémites, anti-américains et anti-occidentaux, ne sauraient avoir une place dans une Europe qui promeut la tolérance, le pluralisme et la paix."
En demandant aujourd'hui au Conseil d'Etat, la plus haute instance judiciaire du pays, d'interdire à Al Manar tout accès au satellite français de communications Eutelsat, le premier ministre a répondu aux violations évidentes des termes de son autorisation par la station.
Celle-ci a en effet diffusé des propos scandaleux concernant des complots "sionistes" visant à propager le Sida en Afrique.
En autorisant Al Manar à diffuser sur Eutelsat, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).lui avait imposé un code de conduite strict, conforme aux lois françaises contre les discriminations.
La direction de l'AJC et son directeur des affaires internationales Jason Isaacson avaient critiqué l'autorisation accordée à Al Manar - dont l'annonce fut faite le 19 novembre - lors d'une réunion privée à Paris avec le porte-parole du gouvernement français Jean-François Cope.
Par ailleurs, dans une lettre adressée au Président Jacques Chirac, Harris et le président de l'AJC, E. Robert Goodkind, ont rappelé les antécédents d'Al Manar, chaîne propageant l'antisémitisme et l'anti-américanisme et célébrant les attaques suicide et d'autres violences.
Ils conseillaient vivement le revirement immédiat de la décision du CSA.
Dans ses conversations d'aujourd'hui avec l'AJC, le cabinet du premier ministre a révélé que des conversations de haut niveau seront planifiées pour que l'Union Européenne évaluent les dangers posés par des programmes de télévision racistes et antisémites diffusés par le câble et les satellites dans les 25 pays de l'UE.
Un haut fonctionnaire et conseiller du ministre français de la Culture et des Communications Renaud Donnedieu de Vabres a déclaré à l'AJC que le ministre de la Culture a fait parvenir à Viviane Reding, le commissaire européen pour la Société de l'Information et les Médias, une lettre demandant qu'un débat sur les programmes non européens de ce genre soit à l'ordre du jour de la prochaine réunion des ministres de la Culture de l'UE.
L'AJC, qui a eu des contacts avec bon nombre de politiciens et de guides d'opinion français concernant le cas Al Manar, a coordonné sa réponse à l'autorisation de diffusion avec le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), qui regroupe les associations franco-juives.
- Site Web : http://www.ajc.org (American Jewish Committee)
                   
17. La haine de qui, au juste ? par Zvi Bar’el
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du vendredi 3 décembre 2004
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Gamal al-Ghitani, rédacteur en chef de la revue en arabe Akhbar al-Adab [Les Nouvelles littéraires] publiée en Egypte, est passé à l’action. Il a demandé au Dr. Ali al-Ratit, expert en droit international, de traduire en arabe la loi de contrôle de l’antisémitisme, signée par le président George W. Bush, à la veille des élections présidentielles américaines. Depuis son adoption, en octobre dernier, cette loi – qui, entre autres choses stipule que le Département d’Etat américain aura l’autorité nécessaire pour identifier et poursuivre la piste des expressions d’antisémitisme partout dans le monde – fait l’objet d’un débat fascinant dans les milieux intellectuels arabes. Le plus gros de la colère arabe est dirigée contre le monopole que les juifs ne cessent de revendiquer sur le concept d’antisémitisme, alors que ce sont eux, les Arabes, qui constituent le plus nombreux peuple sémite au monde.
« Le concept d’antisémitisme, vu par le gang qui gouverne, de nos jours, à la Maison Blanche, se réduit à Israël, en tant qu’Etat, et même pas aux juifs, en tant qu’ethnie ou que religion », dit Ghitani. Pour lui, l’antisémitisme n’est pas autre chose qu’une manipulation politique. Et puisqu’il s’agit de politique, alors les Arabes doivent, eux aussi, se livrer au même petit jeu.
Du point de vue pratique, l’Egypte a réussi, voici deux semaines de cela, à convaincre les responsables de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) de charger un d’entre eux de pourchasser l’islamophobie, aux côtés de l’autre « inspecteur Gadget » chargé de la surveillance du phénomène antisémite. Lors d’un séminaire réuni à Sharm al-Sheikh, et après un intense lobbying égyptien auprès des pays membres de l’organisation, le président actuel, un Bulgare, a accepté d’entériner la position égyptienne, laquelle consiste à dire qu’il faut identifier et pourchasser tous les phénomènes discriminatoires dans le monde – et non pas le seul antisémitisme.
En Egypte, on a fait grand cas de cette décision, présentée comme un grand succès diplomatique sur la voie de l’ « égalisation des droits » enter la haine anti-juive et la haine anti-arabe ou anti-musulmane. Voici deux ans de cela, l’OSCE avait décidé que « l’antisémitisme représentait une menace pour la stabilité des sociétés, et était susceptible de générer de la violence », et cette position servit de ligne directrice à l’organisation pour le traitement du phénomène. La décision prise il y a quinze jours élargit le champ de cette lutte, en donnant, en particulier aux Arabes et aux musulmans le droit à accéder au standing international officiel en matière de haine d’autrui.
Théorie alternative
Pour beaucoup d’Arabes, le problème tient au fait que les juifs disposent d’un « acquis » indéniable : l’Holocauste. Les tentatives d’en remettre en question la véridicité ou de réviser à la baisse le nombre mythique des six millions de juifs qui en ont été les victimes sont revenues dans la tronche des négationnistes de l’Holocauste. Par conséquent, le discours au sujet des nombres a dû être remplacé par un autre discours, différent, et le discours politique au sujet du racisme de l’Etat d’Israël et du mouvement sioniste a été jugé représenter un ersatz digne d’intérêt.
Ghitani exemplifie bien ce tournant, dans l’explication qu’il donne dans son article : « Parfois, des auteurs arabes soulèvent des questions quant à l’exactitude du nombre de juifs qui ont été anéantis dans les camps de concentration nazis. Nous affirmons que ces questions constituent une injustice. L’humanité ne se mesure pas seulement du point de vue quantitatif. Une âme, à elle seule, renferme l’essence de toute l’humanité, et la destruction d’une seule âme équivaut à l’anéantissement d’un million, et même de plusieurs millions d’âmes. »
Mais sa conclusion personnelle, tirée de son affirmation morale, soulève elle-même des questions. « L’annihilation d’une seule âme humaine étant un crime universel, dont la gravité n’est en rien diminuée, même si le nombre des victimes est peu élevé, ni elle n’est augmentée, si le nombre des victimes est élevé. » Et dès lors que le nombre (des victimes) ne sert plus de déterminant de la différenciation entre assassinat et holocauste, et après que sa position morale eut été exprimée avec la rigueur appropriée, et que la question des nombres (de victimes) eut été déclarée « stupide », on peut passer au point essentiel.
D’après Ghitani, quand des intellectuels arabes discutent de nombres (de victimes), « ils détournent l’attention d’un véritable holocauste, tel celui qui est en cours, dans notre région, jour après jour : l’holocauste qui est en train de se produire tant en Palestine qu’en Irak. » C’est exactement la comparaison que les Etats-Unis voulaient occulter au moyen de leur nouvelle loi, dit Ghitani. C’est le noyau central de la politique sous-jacente aux récriminations pour antisémitisme.
L’adoption de l’antisémitisme politique, du genre de celui qui voit dans le sionisme et l’Etat d’Israël des excuses pour les antisémites, est perçue par certains intellectuels arabes comme une alternative intéressante, et en tous cas plus convenable et plus respectable, aux ratiocinations de la « théorie des nombres ». Mais pour eux, toujours, il est difficile d’écarter résolument le besoin d’attribuer le comportement des juifs à des racines sous-jacentes. « Les juifs n’ont pas été les seules victimes des nazis. Les Tziganes et les Slaves, dont les Russes, ont souffert tout autant. Il est vrai qu’un très grand nombre de juifs ont été assassinés par Hitler, dans les camps de concentration, et il y a toujours débat quant au nombre précis des tués », a écrit la semaine dernière la commentatrice saoudienne Suraya al-Shahri.
Après l’analyse « scientifique » de l’essence de l’antisémitisme et de la classification des races existant dans le monde en fonction de leurs lointains ancêtres Ham, Shem et Japhet, Mme Shahri passe au véritable sujet de l’article. « L’intérêt d’Israël, c’est de maintenir la peur d’être persécutés et anéantis dans le cœur de tous les juifs. Tel était le but des dirigeants juifs – empêcher les juifs de s’assimiler afin de conserver leur pureté ethnique. Ils devaient convaincre les juifs qu’ils ne vivaient que temporairement au sein des autres nations, jusqu’au moment où ils entreraient en Terre promise (la Palestine). Telle est l’explication des informations faisant état de l’implication d’Israël dans l’organisation de persécutions anti-juives dans diverses régions du monde… Les fondateurs de l’Etat d’Israël savaient parfaitement que les liens religieux, partagés en commun par les juifs, ne suffiraient pas à assurer l’existence d’une entité politique juive… Ainsi, ils ont trouvé le plus petit commun dénominateur (dont ils avaient besoin) dans l’image d’une communauté ethnique, persécutée pour des raisons et dans un contexte raciaux. »
C’est déjà là un argument susceptible d’être reçu par le grand public ; c’est une analyse « quasi-scientifique » de l’identité sioniste, et de sa difficulté à organiser sa communauté. Ce sont là des choses bien comprises, dans des communautés où les dirigeants décidaient non seulement la manière dont le peuple devrait se comporter, mais même quels sentiments on attendait de lui qu’il éprouve.
Argument VS argument
Dans une telle vision des choses, l’antisémitisme existe bel et bien, et des juifs (le nombre pouvant faire objet de débat) ont bel et bien était anéantis, mais il s’agit-là, en réalité, d’un jeu politique intentionnellement encouragé par le mouvement sioniste, qui voulait exploiter l’antisémitisme aux fins de l’édification d’un Etat qui finirait par s’avérer lui aussi cruel, « à l’instar de ceux qui ont fait du mal aux juifs ». Il s’agit d’ores et déjà, en l’occurrence, d’une idée relativement sophistiquée, en comparaison de la position avancée par Muhammad Suwan, et qu’il a publiée dans le quotidien syrien Al-Ba’ath. Suwan pose, tout de go, que « c’est Israël qui a implanté en Europe le « complexe de culpabilité », depuis soixante-dix ans, période durant laquelle les sionistes ont réussi à plumer les Européens financièrement, culturellement et psychologiquement… Tout cela se serait produit avant l’instauration de l’Union européenne, c’est-à-dire durant la période où l’Europe était divisée et n’avait pas de politique commune. »
Le rédacteur en chef du quotidien égyptien Al-Ahram, Ibrahim Naf’a, a formulé sa vision de l’antisémitisme, il y a environ un an, déclarant : « Israël et les organisations sionistes sont de plus en plus dépendantes de l’arme de l’antisémitisme… Elles ont réussi à manipuler l’ethnicité sémite afin d’en faire l’exclusivité des seuls juifs, ce qui leur permettra même d’accuser les Arabes – y compris ! – d’antisémitisme, bien que les Arabes représentent la majorité des Sémites. » Se fondant sur des « rectifications » de la distorsion sioniste, Naf’a a intitulé son article « L’Antisémitisme d’Israël », et il a fait appel à des déclarations circonstanciées et horribles d’Israéliens au sujet d’Arabes, colligées sur des sites Internet israéliens, tels Walla, ainsi que celui du quotidien Maariv.
Ainsi, par exemple, en réaction à un rapport de l’ONU sur l’état du développement humain au Moyen-Orient (rapport publié l’an dernier, et consacré à l’état déplorable de sous-développement éducatif et technologique dans les pays arabes), repris par le site israélien Walla, certains Israéliens ont fait part de réactions comme « Encore un détritus pour la poubelle génétique » ; « Une bombe atomique devrait régler ce problème à jamais » ou encore : « Les Arabes sont des ordures – le rapport montre le genre de gens auxquels nous avons affaire. » En réaction aux bombardements continuels de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, des Israéliens ont dit : « Bravo à Sharon, qui a retrouvé sa jeunesse dans l’Unité (de paras) 101 ! ». Autre réaction : « Quand comprendront-ils qu’il n’y aura jamais de paix tant qu’il y aura des Arabes ? »
« Tout ce venin raciste, avec ses incitations au génocide, reflète le poison méprisable que les dirigeants politiques et religieux israéliens répandent depuis des années », a écrit Naf’a, expliquant pourquoi il existe, aussi, un antisémitisme israélien.
Désormais, l’OSCE débusquera également « l’antisémitisme israélien ». « Antisémitisme pour antisémitisme : voilà ce qu’il nous faut », explique un intellectuel égyptien. « Du tac au tac ». Telle est la nature de la guerre dans laquelle nos intellectuels sont engagés. Mais quelle sera leur prochaine étape ? Tuer six millions d’Arabes, pour que le nombre des victimes, chez eux, soit le même ? Ou bien, pourquoi pas, ils vont peut-être aussi vouloir se convertir ? Pourquoi faut-il que nous menions toujours notre combat contre l’impérialisme américain en passant par Jérusalem ? Tous les peuples n’ont-ils pas le droit d’avoir leur propre tragédie ? »
                           
18. Pour Al-Manar, pour le dialogue par Michel Lelong
in Le Monde du vendredi 3 décembre 2004

(Ancien missionnaire en Afrique, Michel Lelong est prêtre catholique. Spécialisé sur la question du dialogue entre le catholicisme et l'islam, il a été secrétaire de la Commission épiscopale française pour les relations avec l'islam. Il est l'auteur de Jean-Paul II et l'islam publié aux éditions L'Oeil / François-Xavier de Guibert - en 2003.)
Décidement, l'islam n'a pas fini de susciter en France d'ardents débats. Après l'affaire du voile, c'est celle de la chaîne de télévision Al-Manar qui soulève les passions.
Ayant depuis quelques mois suivi ce dossier, je constate que la plupart des déclarations qu'il suscite viennent de gens qui n'ont sans doute pas regardé régulièrement les émissions de cette chaîne libanaise.
Il est vrai que celle-ci a, voici quelques mois, diffusé un programme non seulement contestable, mais inacceptable, qui confondait - comme cela, hélas, arrive trop souvent - antisémitisme et antisionisme.
Mais n'arrive-t-il pas parfois aux chaînes de notre télévision nationale de commettre, elles aussi, des fautes, parfois graves ? Etant prêtre catholique, je suis souvent choqué et blessé par la façon dont certaines émissions parlent du christianisme, de l'Eglise, du pape, et même du Christ et de la Vierge Marie.
De tels propos, qui ne respectent pas la foi des chrétiens, me paraissent inacceptables. Mais faut-il, pour autant, demander au Conseil supérieur de l'audiovisuel de sanctionner - voire d'interdire - les chaînes qui agressent les chrétiens ?
Il ne faut pas juger - et condamner - Al-Manar en tenant compte seulement d'un dérapage, si blâmable soit-il. Ceux qui connaissent bien cette chaîne libanaise savent qu'elle comporte des programmes de valeur et qu'elle peut aussi nous intéresser, nous, Européens.
Et l'on doit espérer que la direction d'Al-Manar s'engagera à veiller soigneusement, désormais, à éviter toute faute et à rejeter tout élément risquant d'approfondir les malentendus.
Je serai alors heureux que le CSA l'autorise à diffuser dans les pays de l'Union européenne.
Je le serai en tant que Français, parce que je suis convaincu que la liberté de pensée et d'expression est une valeur fondamentale à laquelle notre pays doit être fidèle.
Je le serai aussi en tant que chrétien, car, croyant en la nécessité d'un dialogue sincère entre chrétiens, juifs et musulmans, ainsi qu'entre croyants et incroyants, je suis persuadé que la chaîne Al-Manar pourra apporter une utile contribution à ce dialogue, difficile, certes, mais si nécessaire, tant en France qu'au Proche-Orient.
                   
19. Objets dégoupilleurs par Anne-Marie Fevre
in Libération du vendredi 3 décembre 2004

Exposition. Un groupe de designers du Proche-Orient s'aventure sur le terrain géopolitique.
Un corps, cagoulé de noir, relié à une gégène et transformé en lampe de chevet, nommé Abou Ghraib. Cet objet est signé Ali Hussein Badr, nom de guerre hybride d'un designer né en Irak, exerçant entre Proche-Orient et Europe. Ce luminaire agressif entend rappeler à ceux qui dorment sur leurs deux oreilles que «des hommes sont torturés pendant que l'Occident s'assure l'exploitation des ressources énergétiques. Elle pousse l'intrusion du cauchemar de la guerre en Irak jusqu'à l'intimité des chambres à coucher».
Bannière unifiée. Ce petit brûlot était exposé début novembre à la quatrième Biennale internationale de design de Saint-Etienne, aux côtés d'autres pièces, tout aussi provocantes et revendiquées par l'Association du design et d'architecture au Proche-Orient, l'Adapo. Un regroupement de designers syriens, irakiens, jordaniens, palestiniens et libanais. Le commissaire de cette «bannière unifiée», Alexandre Medawar, graphiste travaillant entre Beyrouth et Lausanne, a proposé à ces créateurs de réfléchir à trois thèmes liés à leur contexte géopolitique : «boire, voiler-dévoiler et résister». Cette exposition devrait être montrée prochainement à Beyrouth.
«La majorité des designers de cette région est formée en Occident, explique Medawar, et ils dessinent des poignées de porte, des produits industriels ou décoratifs. Ils suivent la mode du design international et ne sont pas engagés. J'ai proposé à certains d'entre eux, réunis à l'Adapo, que nous sortions du design standard nombriliste, ou du détail orientaliste, afin de poser la question de la radicalité à travers une réflexion frontale sur les rapports entre monde arabe et Occident, sur l'intégration difficile des communautés arabo-musulmanes en Europe. Le design n'est pas que beau.»
Belles, les pièces de Karim Chaya ? Un pare-choc de voiture recyclé, une raquette de tennis équipée de câbles d'acier qui permettent d'«optimiser les jets de pierres»... Ce jeune designer industriel, diplômé de la Rhode Island School aux Etats-Unis, s'est confronté à l'idée de «résister». Dans ce projet, l'Intifada des territoires occupés a été sa principale source d'inspiration. Mettre son design, qui s'appuie sur les matériaux recyclés, au service des pratiques résistantes des jeunes Palestiniens a choqué quelques visiteurs à Saint-Etienne. Pourtant, ces «lance-pierres» donnent plutôt l'image d'une arme sortie d'un autre âge, plus métaphorique que grégaire.
«Les armes dites "Intifada" ne sont pas significatives d'un engagement particulier pour la cause palestinienne, réplique Medawar, mais des propositions de design à la David contre Goliath. Il s'agit moins de lancer des pierres contre un éventuel ennemi surarmé que de lui renvoyer la balle. Avec une efficacité améliorée, tout en recyclant des objets manufacturés déjà existants. N'est-ce pas là l'objet fondamental du design industriel et du développement durable ? Il ne faut pas être hypocrite. Beaucoup de designers dessinent des armes, ou des jeux vidéo guerriers, et cela ne choque pas.»
Miroir-masque. «Voiler-dévoiler» démêle une autre question : voir sans être vue pour une femme vivant dans le Proche-Orient d'aujourd'hui, ou répondre à la nouvelle loi sur la laïcité en France. «Le moucharabieh, ce balcon flanqué d'un grillage fait de motifs ornementaux perforés ou de formes géométriques, est, dans l'architecture arabe traditionnelle, une référence majeure», poursuit Medawar. Il a inspiré Nada Debs, femme arabe élevée en Extrême-Orient, qui joue avec la dualité de sa culture pour inventer Now I See You, Now I don't : une sorte de miroir-masque, bel objet luxueux en verre, qui peut permettre de se montrer ou d'échapper au regard des autres, dans un rite contemporain de séduction. Ali Hussein Badr invente une boîte cache ­ «signe ostentatoire religieux» pour les Français religieux : Vive la République. Plutôt qu'un voile, le styliste syrien Ghassan Salam propose A poil, une perruque très seyante.
Dernier thème abordé, «boire» au Moyen-Orient. L'eau est rare, ou inégalement distribuée, l'alcool souvent interdit pour raisons religieuses. Cette recherche n'a pas mené à un bel exercice «arts de la table». Lauren Kassouf, étudiante libanaise en architecture, lève En vin, un verre qui laisse fuir son contenu. Richard Yasmine, designer libanais d'origine turque, a fabriqué Ovni, une bouteille artisanale «embouteillée», qui laisse deviner l'eau mais la rend inaccessible.
Mais c'est sans doute Milia M., née à Beyrouth et travaillant à Paris, qui lance le plus bel appel optimiste. Tibériade est une coupe formée de deux morceaux de tissus enduits, représentant la Palestine et Israël. Ils sont réunis par une fermeture Eclair étanche. «L'évidence de la parabole coule de sens : sans leur jonction, l'eau fout le camp», conclut Medawar.
Verre sans fond. Tous ces objets, posant des questions taboues au Proche-Orient et en Occident, apportent plutôt des réponses ironiques, voire romantiques ­ mais est-ce encore possible dans un contexte régional tragique et face à l'exacerbation des débats français ? Avec un humour dégoupilleur, lance-pierres et verre sans fond reposent au moins la question d'un positionnement du design, perturbateur, qui assume son intrusion dans un monde en conflit. «Tous ceux qui produisent du sens doivent prendre part aux débats. On ne peut pas faire comme si les objets, leurs conceptions, leurs productions et leurs commercialisations ne dépendaient pas de positionnements politiques et sociaux», ajoute Medawar.
C'est pourquoi on ne recommandera jamais aux gamins, en aucun cas, la pièce fashion contestable et irresponsable de cette exposition, Allah Wa Akbar, un T-shirt unisexe à motifs de dynamite sur le ventre.
                           
20. Al-mahsum, mahsom, checkpoint par Yitzhak Laor
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 2 décembre 2004
[traduit de hébreu par Michel Ghys]

De temps à autre, resurgissent les fantômes du « passé juif » sous l’aspect d’un acte ignoble dans les Territoires occupés. Quelqu'un réussit à prendre des photos, le sujet fait la une, comme ce jeune Palestinien obligé de jouer du violon, puis, très rapidement, l’affaire tourne à l’ « exception ». La majorité des soldats n’obligent pas un violoniste à jouer aux barrages, ils ne tuent pas les fillettes, ils ne s’assurent pas de leur mort [en vidant sur elles leur chargeur, comme dans le cas de Iman Alhamas - NdT]. Mais les mélodrames aident à dissimuler les grandes vérités. Les Israéliens n’aiment pas la vérité. Et leur vérité se trouve profondément à l’intérieur des Territoires occupés.
N’était la propension des Israéliens à se mystifier eux-mêmes, ils auraient depuis bien longtemps réussi à lire ce que tout Palestinien sait et qui appartient à la langue parlée de ce dernier, par arabisation du mot hébreu (al-makhsoum, pluriel : al-makhassim [de l’hébreu makhsom, barrage]) fruit de 13 ans de la vie des Palestiniens : les barrages ne sont pas une création de l’Intifada. Le jour où l’on écrira vraiment son histoire, il apparaîtra clairement que les barrages ont donné naissance à l’Intifada. Eux-mêmes sont nés en 1991, deux ans avant les Accords d’Oslo, et se sont renforcés après la mise sur pieds de ceux-ci. Seul le parfait aveuglement des Israéliens – qui en savent plus sur les nouveaux restaurants proposant des fruits de mer à New York que sur les barrages de Cisjordanie, ceux-là mêmes qui la coupent et la fragmentent et font de ses habitants les victimes de soldats, bons ou sadiques – seul cet aveuglement pouvait faire naître la « surprise » de l’automne 2000 : que voulaient-ils, tout était déjà réglé ?
Mais pour celui qui fait la file pendant de longues heures, cela ne fait pas de différence si celui qui se tient devant lui est sadique ou sympathique. Demandez à n’importe quel Israélien forcé de faire la file pendant un quart d’heure à la banque, si cela fait une différence que l’employé soit sympathique ou non. Mais de cette aversion des Israéliens pour les files, on peut apprendre quelque chose de plus important : ils n’ont pas la moindre idée de ce que subissent les Palestiniens au jour le jour.
Le régime des barrages ne fait pas partie de l’Intifada, même s’il s’est accru et fortifié « grâce à elle ». Le régime des barrages ne disparaîtra pas avec la fin de l’Intifada ; il appartient tout entier à cette absence de volonté israélienne à renoncer à tous les territoires de Cisjordanie, y compris l’ensemble des colonies. Le régime des barrages est destiné à assurer le contrôle israélien sur la vie des Palestiniens. C’est pourquoi il s’est renforcé après la signature des accords d’Oslo.
De ce point de vue, les colonies ne sont pas la raison des barrages. Les colonies « isolées » et les blocs de colonies (une partie du « nouveau » consensus de l’ère Oslo) constituent le prétexte des barrages mais révèlent leur rôle véritable : nous serons présents partout, nous fragmenterons le territoire palestinien par tous les moyens, nous les contrôlerons.
Celui qui connaissait la Cisjordanie depuis les accords d’Oslo, savait combien une multitude de personnes avaient subi d’humiliations. Celui qui connaissait les accords d’Oslo du côté palestinien savait de quoi ils avaient l’air là-bas : en dehors des expropriations, en dehors des routes de contournement, en dehors de l’expansion des colonies, les barrages étaient devenus leur cauchemar, un cauchemar inconnu chez nous.
Des mélodrames comme celui de ces soldats à l’esprit obtus qui ont obligé un Palestinien à jouer de son violon, remettent l’exception dans sa place à part et dissimulent, une fois de plus, le système. A nouveau, « les générations du peuple juif » reviennent au centre de l’image. A nouveau, les Juifs se rappelleront leur passé. A nouveau, c’est de notre vie qu’il sera parlé, de notre déclin. A nouveau, il ne sera rien dit de la souffrance palestinienne et à nouveau, les tabloïds donneront dans leurs grands titres le ton de lynchage de notre vie. Mais la vérité est plus forte : celui qui n’est pas prêt à se séparer de la Cisjordanie, de toutes ses colonies, ne comprend pas qu’il prépare des générations de soldats de barrages – sadiques ou sympathiques.
Maintenant, nous aurons encore droit à un de ces discours « pleins de franchise » du chef d’état-major. Il dira de nouveau que « nous avons échoué » et nous comprendrons que son échec à lui, c’est notre échec à nous, et que dès lors il n’y a pas d’échec. Car si le chef d’état-major avait vraiment échoué, il aurait dû s’en aller, comme le commandant de la division de Gaza. Et nous continuerons à entendre de loin en loin ce que chaque enfant palestinien endure chaque jour, aux barrages, avec ou sans volontaires à la belle âme venus établir un barrage à figure humaine, car la décision de savoir qui passera et qui ne passera pas, qui aura ou n’aura pas soif, revient, non pas à ce peuple qui passe sur les routes, mais à des étrangers, sous l’égide de l’unique démocratie du Proche Orient.
                           
21. Le parapluie de Chamberlain par Antonio Tabucchi
in L’Unità (quotidien italien) du mercredi 1er décembre 2004
[traduit de l’italien par Marcel Charbonnier]

(Antonio Tabucchi a reçu hier, à Madrid, le prix « Francisco Cerecedo » pour son œuvre romanesque, et aussi pour ses articles, publiés par El Pais, L’Unità et Il Manifesto. Ci-après, le discours d’A. Tabucchi lors de la cérémonie de remise de cette distinction.)
La liberté d’expression est proportionnelle à la démocratie. Le contrôle de l’information et la subjugation de la libre parole sont typiques de tout totalitarisme. Il y a deux pays qui ne le savent que trop, pour avoir vécu deux très longues périodes de dictature : l’Italie, et l’Espagne. Aujourd’hui, notre Europe est une vaste communauté de Pays dans lesquels la liberté de parole, l’information libre, représentent l’essence même des valeurs démocratiques sur lesquelles la Charte européenne est fondée. A la tristement célèbre exception de l’Italie.
Oh, bien sûr, on viendra me dire qu’il n’y a pas de lois spéciales contrôlant la liberté d’opinion et que la liberté de l’information est garantie, en Italie. C’est vrai. Mais seulement quant à forme. En effet, contrairement au passé, il n’est plus nécessaire, de nos jours, de surveiller l’information et de la censurer : il suffit de l’acheter. C’est ce qui est arrivé à l’information italienne, qui appartient, à plus de quatre-vingt pour cent à une seule personne : l’homme le plus riche d’Europe ; un milliardaire dont on ne sait d’où il a hérité sa fortune. Et cette personne, qui possède la quasi totalité de l’information en Italie, ce n’est pas un simple quidam, ce n’est pas un citoyen comme Monsieur Tout-le-Monde, c’est le président du Conseil, c’est le chef d’un gouvernement. De plus, il ne s’agit ni d’un industriel de l’automobile, ni du propriétaire d’une chaîne de fast-foods : il s’agit de quelqu’un qui réalise ses profits sur l’information, parce que non seulement il la possède, mais il la produit lui-même. Venant aggraver ce conflit d’intérêts antidémocratique, voici que vient s’ajouter désormais le contrôle léonin que le chef du gouvernement italien exerce sur la Rai, la télévision publique. Contrôle qui lui a permis de faire des choses qui seraient tout à fait inconcevable, dans une quelconque autre démocratie : utilisation personnelle de ce média public, licenciements de journalistes décrétés personae non gratae, arrêt arbitraire de certaines émissions, propagande éhontée, bulletins d’information domestiqués, hagiographies de son intéressante personne.
Et voici qu’aujourd’hui, nous apprenons la nouvelle d’une nouvelle grave atteinte à la liberté de la presse en Italie. Le sénat a remis au goût du jour une loi en vigueur durant la seconde guerre mondiale, sous l’empire de laquelle il est interdit de donner des informations sur des opérations militaires en cours ou sur les déplacements de troupes italiennes envoyées à l’étranger. C’est une loi de guerre, pour un pays qui n’est pas en guerre, et qui a néanmoins envoyé des troupes en Irak, à l’initiative de son ministre de la Défense, sans l’aval du Parlement. Cet expédition militaire a été baptisée « Mission de Paix » ! Eh bien, les journalistes italiens ne pourront plus rendre compte, aux citoyens italiens, de ce que font les militaires italiens en Irak. La peine prévue en cas d’infraction atteint les vingt années de prison. Attention : cette vieille loi réchauffée prévoit aussi l’interdiction de faire de la propagande de paix, car les « pacifistes », durant la seconde guerre mondiale, étaient considérés « défaitistes ». Un des premiers articles de la Constitution italienne affirme : « L’Italie est un pays qui rejette la guerre ». Il pourrait arriver que, dorénavant, faire voler au vent la bannière arc-en-ciel de la paix soit considéré, en Italie, comme un délit passible de la mise en état d’arrestation du contrevenant.
Le problème posé par la limitation et le contrôle de l’information libre, qui se voit phagocytée et évincée par une information de propagande, à la fois féroce et servile, ne saurait être négligé, entre les quatre murs d’un pays que l’on regarderait, à l’occasion, par distraction et avec une commisération bienveillante. Ce problème regarde toute l’Europe, parce que cette information de propagande qui est en train d’évincer l’information libre, en Italie, n’est pas inoffensive : c’est le vecteur, désormais à visage ouvert, des sombres idéologies qui marquèrent l’Italie dans les années vingt – les années du fascisme – et qui constituent la négation des principes fondateurs de notre Europe. En 1938, Lord Chamberlain, rentrant d’une « visite » en Allemagne national-socialiste, affirma à l’Europe qu’il n’y avait rien à craindre. Il avait un parapluie. Etant donné ce qui s’est passé, par la suite, avec ce que l’Histoire a vécu, je voudrais interpréter métaphoriquement ce parapluie, en y voyant les défenses immunitaires de la démocratie dont l’Europe libre disposait, à l’époque. Mais son parapluie, Chamberlain ne l’ouvrit pas : il s’en servait comme d’un bâton pour se frayer un passage dans la foule. Si l’Europe, à nouveau, devait se montrer incapable d’ouvrir le parapluie de Chamberlain, tôt ou tard, une pluie de scorie viendrait salir sa Charte et ses principes perdraient toute lisibilité.
C’est là, pour moi, un sujet de préoccupation lucide, qu’il est de mon devoir de dire. Je le fais en toute conscience. Mais c’est surtout un appel. Urgent. Et nécessaire.
                               
22. Décès de Paul-Marie de la Gorce, journaliste diplomatique et gaulliste
Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 1er décembre 2004, 18h05
PARIS - Le journaliste et essayiste Paul-Marie de la Gorce est mort vendredi à l'hôpital américain de Neuilly à l'âge de 76 ans, a-t-on appris auprès de sa famille. Spécialiste des questions diplomatiques, il a travaillé notamment pour France-Observateur, l'Express, Jeune Afrique, Le Figaro, Radio France, et dirigé la revue "Défense nationale". Parallèlement il a mené une carrière politique, notamment comme conseiller d'Yves Guéna et de Pierre Messmer quand celui-ci était Premier ministre. Dans la profession, il était considéré comme une des mémoires du gaullisme. Il a également été membre du bureau politique de l'Union des démocrates pour la Vème république, fondateur du club politique Nouvelle frontière, directeur de la revue de l'Institut Charles de Gaulle, et membre du Haut conseil de la mémoire combattante. Il est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages historiques et d'essais, comme "la République et son armée", "De Gaulle entre deux mondes", "l'effort de défense des grandes puissances", "Pour un nouveau partage des richesses", "Requiem pour les révolutions", ou encore une biographie du Général de Gaulle. Marié et père de deux enfants, il était officier de la Légion d'honneur et Chevalier de l'ordre du mérite.
                                       
23. Le désinvestissement peut conduire à la paix israélo-palestinienne par Shamai Leibovitz
in Jordan Times (quotidien jordanien) du mardi 30 novembre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(L’auteur de cet article est un juriste israélien spécialiste des droits de l’homme. Il est le petit-fils de l’un des penseurs les plus respectés : Yehayahu Leibovitz ; et un vétéran de l’armée israélienne, qui a refusé de servir en tant que réserviste dans les territoires occupés. Cette déclaration a été occasionnée par une réunion publique tenue le 8 novembre dernier à Somerville, dans l’Etat du Massachusetts, par le Conseil des Anciens, appelant à prendre en considération une résolution de désinvestissement des fonds investis en Israël, dans des fonds de pensions et des entreprises, qui tirent profit des violations des droits de l’homme perpétrées par Israël à l’encontre des Palestiniens. Si cette résolution est adoptée, Somerville sera la première ville au monde à avoir adopté une résolution allant en ce sens. Il a proposé, de lui-même, cet article au Jordan Times.)
En tant que citoyen israélien et ancien tankiste dans l’armée israélienne, je ressens le besoin d’expliquer pourquoi, avec beaucoup d’autres juifs, je suis partisan du désinvestissement d’Israël.
Nous demandons à la ville de Somerville, ainsi qu’à d’autres villes et à d’autres institutions civiles, de désinvestir des entreprises qui vendent des armes, des bulldozers et de la technologie militaire qui sont utilisés par l’armée israélienne pour perpétrer des crimes de guerre à l’encontre des Palestiniens. En leur qualité de peuple dévoué aux droits humains pour tous les hommes, nous exhortons les Américains à exiger que leurs impôts ne soient pas investis dans des compagnies qui vendent des équipements militaires et des munitions qui alimentent les violations persistantes et horrifiantes du droit international et des droits de l’homme par Israël.
Jeune soldat dans l’armée israélienne, on m’a donné l’ordre de commettre des crimes de guerre dans les territoires palestiniens occupés. Ma compagnie a imposé des punitions collectives à des communautés locales palestiniennes entières, tiré à balles réelles sur des civils désarmés, tué des femmes et des enfants, imposé des couvre-feu prolongés, causant des catastrophes humanitaires, arrêté et détenu des Palestiniens sans jugement, démoli leurs maisons, et détruit des récoltes et des biens de manière arbitrairement.
Le fait d’avoir été personnellement un témoin oculaire de ces crimes de guerre m’a amené, finalement, à annoncer mon refus de servir dans les territoires palestiniens occupés. C’était en 1994. Mais le gouvernement israélien, indifférent au mouvement croissant des réfractaires, les « refuseniks », a poursuivi sa politique de déshumanisation de l’occupation. Plus de trois millions et demi de Palestiniens ont continué à vivre sous administration militaire, ils ont été soumis à des bombardements de quartiers d’habitation, à des assassinats extrajudiciaires, à la torture, aux démolitions de maisons, aux détentions illégales, aux déportations et à une myriade d’autres violations des droits de l’homme.
Parmi les nombreux partisans de la résolution de désinvestissement qui se sont rassemblés à la Mairie de Somerville le 8 novembre dernier, il y avait plusieurs dizaines de juifs. Plusieurs d’entre eux et moi-même, nous avons pris la parole pour soutenir cette résolution, disant que c’est précisément parce que nous sommes juifs et que nous sommes sincèrement soucieux du devenir d’Israël que nous demandons à la Ville de Somerville d’adopter cette résolution. Tous, nous qui étions venus à Somerville, nous avons été profondément blessés de nous être fait accuser d’ « antisémitisme » ou d’être « anti-israéliens ». Les gens qui abusent du concept d’ « antisémitisme » aux fins de soutenir la politique raciste du gouvernement israélien à l’encontre des Palestiniens ne font rien d’autre que désacraliser la mémoire des juifs qui ont été, eux, les victimes du véritable antisémitisme.
J’ai entendu beaucoup trop de fois l’argument que « ce ne serait pas le temps de désinvestir, parce qu’Israël est engagé dans un processus de paix. » L’argument du soi-disant « processus de paix » a été utilisé pendant des décennies en guise d’excuse pour continuer à infliger des souffrances, l’humiliation et les destructions aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Il est plus que temps d’en finir avec ce mythe.
Il est désormais très clair que, même durant le processus d’Oslo, les gouvernements israéliens successifs ont jeté de la poudre aux yeux du monde entier. Israël a continué à réinstaller ses propres citoyens sur des terres confisquées aux Palestiniens, en violation de l’article 49 de la quatrième convention de Genève, tout en renforçant un régime militaire cruel dans les mêmes régions et en punissant trois millions et demi de Palestiniens.
La dissimulation de la réalité brutale de l’occupation est devenu la priorité des priorités sur l’agenda de la propagande israélienne. A cette fin, les gouvernements israéliens successifs n’ont cessé de produire des « plans de paix » tout en mettant en place une machine de propagande sophistiquée basée sur le slogan : « Nous sommes les seuls à vouloir la paix (nous n’avons pas de partenaire) ». Toutefois, avec le temps, nous, qui habitions en Israël, nous sommes nombreux à avoir visité les territoires occupés ou à y avoir effectué notre service militaire : nous avons vu la réalité telle qu’elle est : Israël ne cessait de renforcer un régime militaire oppresseur imposé à des millions de Palestiniens auxquels étaient déniés leurs droits humains, civils et politiques, tout en construisant de plus en plus de colonies réservées aux juifs, pour des juifs qui bénéficiaient de droits civils et politiques pleins et entiers.
En tant qu’Israélien, parfaitement au courant de la politique israélienne, je pense qu’une pression économique sélective est le meilleur moyen pour mettre une fin à l’occupation brutale de la Cisjordanie et de Gaza, et pour apporter la paix et la sécurité tant aux Israéliens qu’aux Palestiniens. Si le peuple juif veut un jour devenir « une lumière pour les Nations », comme il est dit dans Isaïe (42:6), et revenir à ses valeurs essentielles de justice et de dignité humaine, alors les Israéliens et les juifs dotés d’une conscience doivent en appeler aujourd’hui à des mesures effectives permettant de mettre un terme à l’occupation qui pèse sur des millions de Palestiniens.
J’ai bien conscience que, conceptuellement, il est difficile, pour des juifs américains, de soutenir une campagne de désinvestissement. Mais il faut comprendre que ces mesures douloureuses conduiront, en définitive, sur le chemin de la paix et de la sécurité. L’appel au désinvestissement reflète une authentique loyauté tant vis-à-vis de l’existence pacifique d’Israël qu’envers les plus hautes valeurs juives. J’exhorte la communauté juive, ainsi que toutes les autres communautés, aux Etats-Unis : si vous voulez, réellement, voir, de votre vivant, les Israéliens vivre en paix avec les Palestiniens, venez-nous rejoindre, afin que nous défendions ensemble ces résolutions de désinvestissement.
                           
24. La communauté juive ukrainienne s’interroge : ViKtor Yuschchenko est-il "bon pour les juifs" ? par Lily Galili
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 29 novembre 2004
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Les quelque cent mille juifs qui vivent en Ukraine ne sauraient avoir un impact véritable sur les résultats électoraux, dans un pays comptant cinquante millions d’habitants. Mais, comme en d’autres endroits du monde, la force juive ne se mesure pas qu’en effectifs, mais bien en termes de puissance économique et politique. Actuellement, il y a quinze députés juifs au Parlement ukrainien, ce qui représente un taux de représentation bien plus élevé que leur poids démographique dans la population générale, et on peut trouver des grosses pointures juives dans les camps politiques opposés : tant celui du challenger Viktor Yuschchenko que celui du Premier ministre Viktor Yanukovich.
D’après certaines sources très au fait des élections en Ukraine, la plupart des juifs ont soutenu le libéral Yuschchenko, en raison de ses liens avec l’Ouest, mais aussi de crainte que la réélection de Yanukovich, aux liens très forts avec la Russie, n’isole l’Ukraine et ne la rapproche du monde arabe. Toutefois, les juifs partisans de Yuschchenko ne sont pas sans redouter un renforcement des éléments nationalistes ukrainiens au sein de son parti, ce qui, craignent-ils, risquerait d’amener un regain de l’antisémitisme dans le pays.
« Le gouvernement actuel, avec ses liens avec la Russie, est bon pour les juifs », a déclaré un juif militant, dans l’Ouest de l’Ukraine, qui a requis l’anonymat. « L’Ukraine n’a connu que de courtes périodes d’indépendance. Si l’on veut être objectif, la bataille en cours, ici, aujourd’hui, peut être considérée positivement comme le début de l’épanouissement d’une société civile. Mais, pour les juifs, je ne suis pas certain que ce soit bon. La liberté prônée par le parti de Youschchenko renforce les éléments nationalistes dans son entourage. Jusqu’ici, en Ukraine occidentale [dont la majorité de la population soutient Yuschchenko], il y avait moins d’incidents antisémites qu’en Europe de l’Ouest. Ici et là, des swastikas [croix gammées] ont été peintes, parfois des pierres tombales sont cassées. Le gouvernement actuel lutte contre ces manifestations antisémites. Aussi, y a-t-il une certaine crainte que cela ne change [en moins bien] ».
Cette attitude a trouvé une expression dans un article publié la semaine passée par le quotidien britannique The Guardian, qui relevait la position ambiguë de Yuschchenko quant à l’interdiction d’un journal d’opposition, après que celui-ci eut publié un article violemment antisémite. Cet article, publié dans Selskie Vesti [« Les Nouvelles du village »], affirmait que les juifs s’étaient joints aux forces allemandes lors de leur invasion de l’Ukraine. De hauts responsables ukrainiens, parmi lesquels
Yanukovich, avaient exigé l’interdiction du journal.
Toutefois, Yuschchenko s’est montré fluctuant, dans sa réaction. En pleine campagne électorale, ce journal d’opposition, qui le soutenait, était trop important pour qu’il puisse aisément s’en passer. Ce n’est qu’après une période initiale de confusion que Yuschchenko se résolut à critiquer l’article et à se joindre à l’appel exigeant son interdiction.
« Je suis persuadé que l’article a été écrit sur commande, afin de noircir le nom de Yuschchenko et de saboter une source de soutien pour sa candidature », a dit Leonid Finberg, directeur de l’Institut Judaica de Kiev, et directeur d’une maison d’édition. « Présenter Yuschchenko sous les traits de quelqu’un qui aurait des complaisances envers l’antisémitisme est une terrible distorsion de la vérité. Son père a été interné à Auschwitz, et sa famille est connue pour avoir sauvé des juifs de l’Holocauste. L’intelligentsia ukrainienne, dont les intellectuels juifs, le soutiennent sans réserve. Il a grandement contribué à l’instauration d’un dialogue constructif entre les juifs et l’intelligentsia ukrainienne. »
M. Finberg a également rappelé la position très ferme, prise par Yuschchenko lors d’une conférence tenue en Suède sur l’antisémitisme, ainsi que durant une de ses interventions publique devant une association de juifs ukrainiens.
M. Finberg a minimisé les graffiti appelant à taper sur les juifs et les Russes, qui ont été tracés sur les murs de clubs associés à Yuschchenko. « Il y a des éléments nationalistes et antisémites, dans les entourages d’absolument tous les hommes politiques, ici. Je suis convaincu qu’il n’y a absolument aucun rapport entre Yuschchenko et son entourage officiel et ces slogans provocateurs. Ce genre de graffiti, vous en voyez partout dans le monde, de nos jours. Même en Israël ! »
Le responsable de la communauté juive ukraininenne, Yosef Zisles, a rejeté les rumeurs faisant un lien entre Yuschchenko et l’antisémitisme, qu’il a qualifiées d’ « absurdes ».
                              
25. Enfants de Palestine : Une génération d’espoir et de désespoir par Samah Jabr
in The Washington Report on Middle East Affairs (mensuel étasunien) du mois d'octobre 2004
[traduit de l’anglais par Eric Colonna]
(Samah Jabr est palestinienne et réside à Jérusalem occupée. Medecin, elle poursuit une formation en psychiatrie dans la région parisienne. Elle a été chroniqueuse pour le Palestine Report en 1999-2000, sa rubrique s’intitulait " Fingerprints " ("Empreintes digitales"). Depuis le début de l’Intifada, elle contribue régulièrement au Washington Report on Middle East Affairs et au Palestine Times of London. Lauréate du Media Monitor’s Network pour sa contribution sur l’Intifada, un certain nombre de ses articles ont été publiés dans The International Herald Tribune, The Philadelphia Inquirer, Ha'Aretz, Australian Options, The New Internationalists et autres publications internationales. Elle a donné plusieurs séries de conférences à l’étranger pour faire partager la vision palestinienne de ce conflit dont l’Université Fordham et au St. Peter’s College à New York, à Helsinki et dans plusieurs universités, mosquées et églises en Afrique du Sud.)
Plus de la moitié de la population palestinienne –53 %- a moins de 17 ans. Par conséquent, cette majorité constituante de notre communauté est très vulnérable dans la situation actuelle.
Alors qu’ils sont dans une phase cruciale de développement mental et physique, les enfants sont aussi une cible directe des violences de l’armée israélienne. De plus, en tant que 4 ème génération du trauma palestinien, ils sont les porteurs du lourd héritage accumulé de perte nationale. Alors rien d’étonnant à ce que la crise actuelle vieille de 4 ans provoque de graves problèmes au quotidien et dans le futur de ces enfants.
A l’exception des récentes couvertures médiatiques rapportant les dernières atrocités israéliennes à Gaza où furent tués 35 enfants, plus de la moitié des victimes, le parcours des enfants palestiniens est inconnu du grand public qui suit notre crise à la TV. Les reportages salissent la réputation, le caractère, la culture et même les principes religieux de nos enfants ou les traitent comme de simples statistiques. Leur réalité quotidienne est invisible des reportages internationaux.
Au contraire, les médias décrivent des enfants privés d’affection pas leurs familles, qui les poussent sur le mauvais chemin à des fins politiques ou les utilisent à des fins économiques. La fertilité palestinienne est traitée comme une épidémie ; notre culture est associée à la violence et à la haine. Bien que ce ne soit pas nous qui sommes producteurs de films d ‘horreur et de wargames dans le monde, alors que le conflit s’infiltre dans tous les aspects de la vie de nos enfants, alors que nos gamins deviennent plus accoutumés au bruit des bombardements qu’à celui du chant des oiseaux, alors que la violence pénètre dans nos foyers, nos écoles et nos espaces publics, il n’est pas surprenant qu’ils inventent leur jeux à partir d’une telle réalité. Les soldats contre les enfants de l’intifada est le jeu le pratiqué dans la plupart des maisons palestiniennes.
Que 20% du nombre de victimes de l’intifada soient des enfants pratiquant des activités journalières usuelles, comme aller à l’école, jouer, faire des courses ou simplement rester à la maison , démontre qu’Israël cible délibérément les enfants. Ils sont tués et blessés dans des attaques aériennes et terrestres, causées par des tirs aveugles de soldats ou abattus froidement par des snipers. En effet, parmi ceux qui sont blessés, 45% le sont dans les parties supérieures du corps –tête, cou ou poitrine – alors que d’autres subissent des blessures dans le dos, aux yeux et aux genoux ce qui les handicapent à vie sans augmenter la liste des tués.
De récentes études internationales ont conclu que 40% des enfants vivant en Cisjordanie et Gaza sont anémiques, tandis que 23% souffrent de malnutrition chronique ou aigue . Ce qui les prédispose à contracter des maladies potentiellement mortelles, affecte leur intelligence et augmente largement le taux de désordre excessif de l’attention. Des femmes qui ont été mal nourries dans leur jeunesse ont fait augmenter le taux de naissances prématurées et d’hypertension dans la grossesse.
Le mur en cours de construction et le siège constant de nos villes et villages affectent la scolarité de nos enfants. Un taux d’abandon significatif est en corrélation avec les mesures oppressives israéliennes. Non seulement des étudiants ont été tués, blessés et arrêtés par les forces d’occupation mais celles ci ont bombardé et attaqué des centaines d’écoles, en ont fermé plusieurs, les transformant en bases militaires et ont entravé l’enseignement de beaucoup d’autres. Enfants et professeurs sur le chemin de l’école sont régulièrement soumis aux gaz lacrymogènes, harcelés ou présents quand les soldats ouvrent le feu. Tout ceci, inutile de le dire, perturbe la qualité de l’enseignement et la capacité de l’enfant à bien suivre une fois en classe. Une situation difficile aggravée par d’autres facteurs supplémentaires tel un environnement familial de plus en plus stressant et des raids militaires dans les quartiers résidentiels. Nos enfants subissent aussi un taux de pauvreté croissant. Un taux vertigineux de 66,5% de Palestiniens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le chômage a augmenté de plus de 65% parmi la population active. Par conséquent, un grand nombre d’enfant sont forcés d’endosser un rôle d’adulte et travailler afin d’aider leurs familles à survivre. Environ 2,3% d’enfants palestiniens entre 10 et 17 ans travaillent. On entend des histoires poignantes d’enfants abandonnant l’école à cause des circonstances économiques difficiles qui les obligent à se faufiler entre montagnes et vallées pour atteindre Jérusalem où ils peuvent vendre cigarettes et bouteilles d’eau sur les carrefours pour des petits gains.
Nos enfants figurent aussi parmi ceux qui souffrent dans les prisons israéliennes. Actuellement, Israël en détient 370, y compris quelques jeunes de 11 ans, dans ses centres et ses prisons ; 209 enfants supplémentaires ont eu 18 ans durant leur emprisonnement. Des témoignages d’enfants prisonniers et confirmés par des organisations locales et internationales de droits de l’homme (1), indiquent qu’au moment de l’arrestation et jusqu’à leur incarcération, ils subissent systématiquement toute une panoplie d’abus physiques et psychologiques allant jusqu’à la torture. De telles pratiques incluent être battu, maintenu dans des positions inconfortables durant des périodes indéfinies, être privé de nourriture et de sommeil, être menacé et humilié. Les visites des familles et des avocats sont constamment entravées ou refusées.
La soumission des enfants palestiniens aux meurtres, tortures et déportations est flagrante et touche chaque aspect de leur vie. Ces violations constantes de la Convention des droits des enfants de 1989 et de Genève de 1949 ont soulevé les inquiétudes de chercheurs, d’universitaires ainsi que d’institutions gouvernementales et non gouvernementales, tout particulièrement concernant la santé mentale des enfants.
Quelques études laissent penser qu’un trauma psychologique aurait affecté plus de 68% des enfants palestiniens, altérant un développement psychologique, mental et social, équilibré. En tant que médecin spécialisée en psychiatrie et lorsque j’exerçais ma profession en Palestine, j’ai rédigé les notes suivantes basées sur mes impressions et mes observations limitées.
Beaucoup d’enfants amenés en pédiatrie et psychiatrie, souffraient de symptômes consécutifs à leur participation directe aux affrontements ou en tant que témoins. Ils présentaient des symptômes liés à la dépression tels que sentiments de tristesse, de solitude et de désespoir et physiques liés à une perte d’appétit. D’autres montraient des signes d’anxiété, tel le sentiment d’être malade et inquiet ou ressentir des douleurs sur tout le corps juste en pensant à des choses négatives et effrayantes. Quelques uns se plaignaient d’insomnie, de faire des cauchemars et de mauvais rêves, de développer une peur de l’obscurité ou se réveiller fréquemment durant la nuit. Des problèmes cognitifs se manifestaient à travers des résultats scolaires insuffisants, en lecture, en écriture, ou par des difficultés de concentration et de mémoire. Des symptômes d’agression se signalaient par une hostilité incontrôlée, un comportement destructeur et par des querelles et affrontements avec des adultes et des pairs.
Cependant, malgré les circonstances pénibles de leur existence, les enfants palestiniens font preuve de caractère. Comme par exemple la participation des étudiants au nettoyage des décombres après la destruction de la maison d’un ami, des visites à un collègue blessé, des prises de rôles actifs dans des manifestations pacifiques et des cours d’éducation alternative alors qu’ils continuent à se rendre à l’école en dépit de tous les obstacles.
Un sondage a montré que 85% des enfants sondés pensent que la situation politique ne va pas s’améliorer, 90% ont répondu que pour se sortir de la situation actuelle et se préparer au futur, ils ne comptent que sur eux mêmes. Bien que la souffrance de nos enfants continuera aussi longtemps qu’Israël occupe notre pays, en attendant, il est essentiel que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour leur apporter les conditions nécessaires à un développement sain, telle que stabilité, sécurité, détente et nourriture équilibrée. Au lieu de cela, ce qu’il faudrait pour répondre à ce vide, est une reconnaissance publique et des efforts collectifs pour les protéger des dangers qui les entourent.
Cela peut être fait à deux niveaux :
Premièrement, en brisant leur isolement par un développement de " l’adoption " et des programmes d’amitié avec des personnes à l’étranger, y compris des Palestiniens de la Diaspora et des gens sensibilisés de la communauté internationale. Cela apportera une aide morale et intellectuelle à nos enfants mais aussi cela leur permettra de savoir qu’il y a des gens vivant à l’extérieur d’Israël qui pensent à eux et qui leur offre de l’amour. Cela leur permettra aussi de mieux communiquer entre eux à travers les arts, les langues et les technologies modernes.
Les enfants palestiniens qui vivent sous occupation devraient, eux aussi, être poussés à agir. Durant la première intifada, ceux qui ont participé de façon active à la résistance contre les soldats israéliens ont développé moins de symptômes que ceux qui sont restés passifs. Leur capacité de survie étaient plus importantes que ceux qui dégageaient un sentiment d’impuissance et restaient confinés chez eux.
Au niveau de la société, les Palestiniens ont besoin d’être soudés, surtout après la mort de leurs leaders. Ils disposent déjà de solides structures sociales et d’une solidarité familiale. Malgré toute la pauvreté, les gens ne cherchent pas leur nourriture dans des décharges. Malgré les centaines de maisons détruites, personne ne dort dehors. Depuis que l’on a constaté , durant la première intifada, que les enfants qui avaient eu des expériences de grande complicité avec leurs parents avaient moins de symptômes, un système d’assistance efficace pourrait avoir un effet positif sur toute la société.
Un engagement pour une cause et une compréhension du fil des évènements peut être un moteur important à la ténacité d’un peuple, des gens dotés de conscience politique pourront mieux appéhender les temps difficiles. Alors comment ne pas penser qu’Israël s’en prend délibérément aux enfants palestiniens afin d’en faire une génération traumatisée, passive, perdue et incapable d’esprit de résistance. Ce n’est pas un secret, après tout, qu’un trauma psychologique n’est pas une crise temporaire mais un phénomène avec des effets à long terme qui deviendra plus préoccupant que des séquelles de blessures physiques. Clairement, cela prendra de nombreuses années pour atténuer les dommages infligés à cette génération. Pourtant, et même plus que jamais, nos enfants représentent notre espoir.