1. Le chef de l’OLP appelle à
"démilitariser l’Intifada" par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité
du vendredi 17 décembre 2004
« L’utilisation des armes au cours de ces
quatre années d’Intifada a été une erreur qui doit prendre fin. » C’est en ces
termes que le successeur de Yasser Arafat à la tête de l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP) a appelé mercredi le peuple palestinien à
mettre fin à une militarisation de l’Intifada qu’il juge « nuisible pour les
intérêts du peuple palestinien ». Dans une interview accordée au quotidien arabe
Asharq Al Awsat, Mahmoud Abbas précise qu’il ne demande pas au peuple
palestinien de mettre fin à toute résistance, mais l’incite à « exprimer son
rejet légitime de l’occupation par des moyens populaires et sociaux, comme ce
fut le cas lors de la première Intifada ».
Abbas favori
Une prise de position qui n’est pas
nouvelle dans la bouche du nouveau chef de l’OLP, mais qui prend une
signification particulière à moins d’un mois d’une élection présidentielle où il
fait figure de grand favori. Les sondages publiés ces derniers jours, avant même
le retrait de la candidature de Marwan Barghouti - le député du Fatah de
Ramallah emprisonné en Israël dont l’Humanité réclame la libération - font état
d’une large avance de Mahmoud Abbas : le Jerusalem Media and Communication
Center (JMCC) le créditait de 31,9 % des intentions de vote contre 26,4 % à
Marwan Barghouti. Après son retrait, il reste sept candidats, dont trois
représentants des organisations de gauche : Bassam Al Sahli pour le Parti du
peuple palestinien (ex-Parti communiste), le docteur Mustapha Barghouti, pour
l’Initiative du peuple, et Taysir Khaled, pour le Front démocratique pour la
libération de la Palestine. Les sondages indiquent aussi une remontée de la cote
du Fatah : 40 % des Palestiniens lui feraient confiance contre 26 % seulement en
juin dernier.
Les appels de Mahmoud Abbas à une Intifada pacifique - mot
d’ordre qu’il partage avec les candidats du PPP et de l’Initiative du peuple -
ont d’autant plus de chances d’être entendus que la population manifeste une
lassitude grandissante face à la violence et au chaos qui n’ont cessé de
s’aggraver. Toujours selon le JMCC, 51,8 % des Palestiniens seraient opposés au
recours à des opérations armées contre Israël bien que 65 % jugent légitime de
se défendre contre les agressions israéliennes.
Bien qu’il faille prendre les
sondages avec prudence, car l’opinion, aussi bien en Israël qu’en Palestine,
peut se retourner facilement en cas d’événement grave, ces changements semblent
indiquer que Mahmoud Abbas - commence peut-être à ne plus prêcher dans le
désert. Il ne faut pas oublier qu’il fut l’un des premiers initiateurs, dès la
fin des années soixante-dix, des « contacts secrets » avec les pacifistes
israéliens à un moment où les uns et les autres, en se parlant, risquaient leur
vie. Il fut, par la suite, l’un des artisans des accords d’Oslo, participant aux
négociations secrètes avant de les signer officiellement, aux côtés de Yasser
Arafat, sur la pelouse de la Maison-Blanche, avec Yitzhak Rabin et Shimon
Peres.
Hostile dès le début à la militarisation de l’Intifada, il avait
essayé, pendant la brève période où il fut premier ministre de l’Autorité
palestinienne sous l’autorité d’Arafat - entre février et septembre 2003 - de
faire taire les armes. Il avait même obtenu du Hamas et du Djihad islamique une
trêve qu’Ariel Sharon s’était chargé de faire voler en éclats en poursuivant les
assassinats ciblés de militants de ces mouvements.
"mettre fin au chaos"
Un exploit que le nouveau chef de
l’OLP s’efforce de rééditer en multipliant les contacts avec les dirigeants du
Hamas et du Djihad, tant dans les territoires palestiniens qu’à l’étranger,
notamment à Damas où il s’est rendu cette semaine. Mahmoud Abbas entend même
aller beaucoup plus loin puisqu’il ne cache pas que son intention, s’il est élu,
de « mettre fin au chaos armé » qui règne en Palestine en désarmant les milices
et en ne tolérant qu’un seul service de sécurité unifié sous l’autorité du
gouvernement. Les - réactions des deux organisations islamistes ont rejeté cette
idée, mais sans exclure d’observer une nouvelle trêve.
Elle faciliterait sans
aucun doute la reprise éventuelle de négociations de paix dont on reparle avec
de plus en plus d’insistance. Israël et les États-Unis n’en rejettent plus
l’idée, et le ministre israélien des Affaires étrangères, Silvan Shalom, vient
même de se prononcer ouvertement pour la tenue d’une conférence internationale
sur le Proche-Orient, prévue par la «
feuille de route » (1) et pour laquelle milite activement la diplomatie
française.
- (1) La « feuille de route » a été
adoptée il y a deux ans par le « Quartet » (États-Unis, ONU, Russie, UE) et
prévoyait la création d’un État palestinien indépendant avant la fin de
2005.
2. Al-Manar - TV5
in La
République des Lettres du mois de décembre 2004(La République des Lettres est un mensuel fondé par Noël Blandin.
Pour plus de renseignements, consulter : http://www.republique-des-lettres.com.)A l'évidence le gouvernement français n'en a
pas fini avec la chaîne libanaise Al-Manar qu'il vient d'interdire sous la
pression d'une violente campagne politique et médiatique menée par les
organisations juives françaises. Cette chaîne satellitaire proche du Hezbollah
chiite libanais qui était jusqu'alors peu connue et peu diffusée hors des pays
arabes se trouve désormais érigée en symbole et martyr de la censure après son
interdiction totale en France, en Europe et aux Etats-Unis.
Le CSA (Conseil
Supérieur de l'Audiovisuel) a obtenu du Conseil d'Etat la résiliation de la
convention signée une semaine plus tôt avec Al-Manar en raison de ses programmes
jugés "antisémites" et des ses "incitations à la haine et à la violence". La
chaîne n'aurait-elle diffusée que les dessins animés de Walt Disney qu'elle
aurait sans doute subi le même sort tant certains élus et journalistes se sont
acharnés à la discréditer dès l'annonce de son conventionnement, comme s'il
n'avaient jamais écouté de programmes télévisés politiques arabes. De Julien
Dray (Gauche) à Pierre Lellouche (Droite), nombreux étaient ceux qui avaient en
effet promis qu'ils feraient tout pour créer au plus vite les opportunités
nécessaires à l'interdiction de cette télévision farouchement anti-sioniste.
Hormis l'organisation Reporters Sans Frontières, bien isolée, qui a osé avancer
que censurer un média n'était jamais une bonne solution, la presse française n'a
dénoncé ni la censure, ni l'hypocrisie ambiante, ni l'excès de pressions, ni
l'assimilation sommaire de journalistes à des terroristes, et à peine la
palinodie des autorités politiques françaises sur le sujet. Al-Manar a essayé
pour la forme de faire valoir ses droits, s'engageant à réformer ses programmes,
puis s'est exécutée sans rechigner après l'ultra-rapide décision du Conseil
d'Etat, en renonçant d'elle-même à émettre sur l'Europe via le satellite
d'Eutelsat.
Les Etats-Unis, s'apercevant soudainement que cette télévision
pro-palestinienne était également diffusée sur leur territoire, se sont du coup
empressés de l'interdire aussi, la classant directement du jour au lendemain sur
leur liste d'organisations terroristes. Exit donc Al-Manar du côté occidental si
soucieux de ses "valeurs" et de sa "lutte contre l'antisémitisme", comme l'a
martelé le premier ministre Jean-Pierre Raffarin au milieu du concert
anti-Al-Manar.
Soucieux de certaines valeurs mais oublieux d'autres, clame
désormais la martyre Al-Manar et les opinions arabes qui voient dans cette
interdiction le même traitement que celui accordé au conflit israélo-arabe,
c'est-à-dire deux poids deux mesures. La direction de la chaîne dénonce
l'interdiction dont elle fait l'objet, qualifiant la décision américaine de
"Terrorisme intellectuel". "La qualification d'Al-Manar d'organisation
terroriste par les Etats-Unis n'est que l'inauguration d'une nouvelle ère. Celle
de réduire au silence, au nom de la lutte contre le terrorisme, de toute voix ou
média qui ose critiquer Israël et qui prend fait et cause pour le peuple
palestinien", indique-t-elle. Elle se dit aussi choquée par l'attitude de la
France, pourtant jusqu'alors reconnue comme le pays des droits de l'Homme et de
la liberté d'expression. Selon son directeur "la décision française a été prise
sous la pression du lobby israélien et le CSA a raté là une occasion de faire
dialoguer les cultures". Pour la presse libanaise, l'objectif est clairement que
tous les médias exprimant une opinion pro-palestinienne soient interdits de
diffusion car "ils veulent qu'il n'y ait qu'un seul son de cloche: celui
d'Israël" (As-Safir). Le ministre libanais de l'Information indique lui qu'il
s'agit d'une "tentative de faire taire toute voix qui s'oppose à Israël, en la
qualifiant de terroriste".
Par solidarité, et en attendant d'autres
éventuelles mesures de rétorsion -- gouvernementales ou privées -- actuellement
envisagés dans plusieurs pays arabes contre les médias français et américains,
une cinquantaine d'opérateurs viennent d'interrompre la diffusion au Liban de la
chaîne de télévision francophone TV5. Par ailleurs, en France même, la
communauté arabo-musulmane ne va pas manquer désormais de profiter de la brèche
ouverte sur le plan juridique par la décision d'interdire aussi brutalement
Al-Manar. Plusieurs voix militantes (Leïla Shahid, Dieudonné, etc, ...) ont déjà
fait remarquer que certains médias juifs français ne manquaient pas de diffuser
eux aussi des propos susceptibles de tomber sous le coup du racisme ou de
l'appel à la haine et à la violence. La boîte de Pandore des recours
communautaristes devant le CSA est ouverte.
3. Cher soldat par Gideon
Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 17 décembre
2004
[traduit de l’hébreu Michel
Ghys]
"Croyez-vous vraiment que des soldats
aiment tuer de petits enfants innocents qui se baladent dans les rues de la
casbah ?"
A.L., un conscrit, parachutiste, en service à Naplouse, m’a écrit à la
suite de mon article « Au chef d’état-major. Pour information. » [publié dans
Ha'Aretz du vendredi 3 décembre 2004 et diffusé dans sa traduction française
dans le Point d'information Palestine N° 248 du 9 décembre 2004] qui rapportait
les coups de feu tirés par des soldats de l’armée israélienne contre quatre
enfants dans la casbah de Naplouse, en tuant trois et blessant le quatrième, un
enfant de trois ans. Voici la quasi intégralité de sa lettre :
« J’ai lu votre article de vendredi (03.12), dans votre rubrique
régulière de commentaires publiée par le quotidien Haaretz, et il me fallait
essayer de comprendre vos griefs à l’égard de l’armée de défense d’Israël. Je
sers dans l’unité de parachutistes qui tient la région de Naplouse, qui a la
charge du barrage de Hawara et d’autres opérations nocturnes qui sont menées
tous les jours. Cela fait déjà quelques mois que je suis dans la région et
j’éprouve, chaque jour, une satisfaction profonde quand je me lève le matin et
que je sais à quel point je contribue à la protection des habitants de l’Etat
d’Israël, qui font confiance aux soldats de l’armée de défense d’Israël qui
combattent pour eux dans les Territoires afin qu’ils puissent se rendre à leur
travail en paix et envoyer en paix leurs enfants au jardin d’enfants. C’est
pourquoi les soldats ont, plus que jamais, une puissante motivation et un
sérieux très élevé pour des enfants de 19 ans.
« Comme vous, j’ai des
opinions de gauche qui appuient l’évacuation de colonies, mais en ces temps
d’attentats, il n’est pas possible d’abandonner une telle région d’où partent
des attentats visant le territoire d’Israël. Je ne comprends pas comment vous
pouvez écrire à propos des soldats de l’armée de défense d’Israël qu’ils tuent
des enfants palestiniens intentionnellement. Croyez-vous vraiment que des
soldats aiment tuer de petits enfants innocents qui se baladent dans les rues de
la casbah ? Croyez-vous qu’un enfant de 20 ans s’engage dans les paras pour tuer
des enfants ? Il s’engage pour veiller sur l’Etat. Point.
« La réalité sur ce
terrain difficile perçoit un tribut qui n’est pas toujours juste. Le fait que
vous croyiez chacun de leurs mots constitue un sérieux problème pour vous. Si
vous vous joigniez aux opérations d’arrestations et aux patrouilles de l’armée
israélienne, vous verriez de près comment elles sont menées d’une manière qui ne
porte atteinte qu’aux terroristes, et que des secteurs de tirs sont répartis
afin que ne se produisent pas de bavures sur le terrain. Croyez-moi : de sa vie,
aucun soldat n’appuiera sur la détente en voyant dans son viseur optique un
enfant de 12 ans qui est comme lui-même il y a seulement quelques années.
«
Si vous aviez été là, dans la zone, et que vous aviez vu exactement ce qui se
passait là, vous auriez compris à quel point ils mentent. Si un enfant de 12 ans
lance une charge explosive, l’armée israélienne ne sait pas quoi faire sinon
l’atteindre et le neutraliser, pour préserver son potentiel de dissuasion sur le
terrain, à l’avenir. Il est clair que des bavures se produisent tous les jours
dans les Territoires, mais l’armée de défense d’Israël fait tout – et croyez-moi
: tout – pour prévenir de telles erreurs. Ces enfants ne sont pas innocents. Ils
comprennent très bien comment l’armée israélienne opère là.
« Je ne
descendrai pas au niveau de réactions d’officiers qui disent : à la guerre, il y
a des erreurs. Mais au cours d’une opération complexe menée au sein d’une
population civile, il est très difficile de ne pas toucher à des civils
innocents qui circulent à côté de terroristes. Je suis prêt à vous assurer que
si vous interviewez cent soldats servant dans les Territoires, ils vous diront
qu’ils ne veulent pas toucher à des civils innocents et qu’ils feront tout pour
empêcher de telles choses, en dehors de soldats qui servent dans les Territoires
pour porter intentionnellement atteinte à des innocents par esprit de vengeance.
De ces choses-là, on ne peut pas parler car ils ne représentent pas
l’armée.
« Chaque patrouille qui entre dans la casbah, ne vient pas pour
manifester une présence sur le terrain, mais pour en dénicher des terroristes et
des gens armés recherchés, et les liquider ou pour permettre une approche plus
aisée aux opérations lancées de nuit. Les civils perçoivent ces patrouilles
comme un autre instrument de l’occupation par l’Etat d’Israël et ils ouvrent le
feu sur les soldats, ou leur lancent des cocktails Molotov, et l’armée de
défense d’Israël réplique en proportion. Chaque enfant sait, là, parfaitement
bien que s’il se mêle de lancer des charges explosives ou des cocktails Molotov
contre l’armée de défense d’Israël, on essaiera de l’attraper. Le fait que des
enfants sont touchés, en rue, par des tirs dirigés contre des terroristes est un
problème mais il faut néanmoins le faire pour liquider ces gens recherchés qui
tentent jour après jour de lancer un attentat au départ de Naplouse.
«
J’espère que vous m’éclairerez sur votre position à ce propos, car je souhaite
vraiment comprendre comment on écrit de tels articles dans le journal Haaretz,
qui œuvre depuis des dizaines d’années déjà, et que vous me démontrerez à quel
point je suis dans l’erreur. »
Cher soldat, il est impossible de faire ce que vous faites
dans les Territoires si on ne pense pas comme vous. Il est impossible de se
mettre en danger, jour après jour, sans éprouver une « satisfaction profonde »
comme celle que vous éprouvez. Vous et vos camarades ne seriez pas en mesure
d’accomplir ce travail, qui a été placé sur vos épaules, si vous n’étiez pas
convaincus que ce que vous faites est incomparablement vital et juste. C’est
précisément parce qu’au moins certains d’entre vous ont des principes, que vous
ne seriez pas capables de faire ce que vous faites si on ne vous avait pas
transmis qu’à vous, c’est permis. Qu’à eux, c’est proscrit. Qu’eux et nous, ce
n’est pas exactement la même chose. Qu’au nom de la sécurité, il vous est permis
de faire presque tout ce qui vous passe par la tête, sans lignes rouges, pas
même la ligne rouge qui interdit qu’on tire sur des enfants et qui a été
franchie depuis longtemps.
C’est dans ce but qu’est mis en œuvre un système
perfectionné d’éducation, d’explication, de communication et de lavage de
cerveau, de déshumanisation et de diabolisation, un système qui élève des
générations d’excellents jeunes gens qui commettent des actes terrifiants sans
même qu’ils en aient conscience, même les meilleurs d’entre eux. On vous
transmet que nous sommes les seigneurs de la terre et que les Palestiniens sont
un peuple inférieur qui ne mérite en aucune manière ce à quoi nous avons droit ;
que l’occupation est justifiée, obligée, que le terrorisme naît par génération
spontanée, que les Palestiniens naissent pour tuer, que les attentats ne
découlent que de leur soif de sang ; et on emballe le tout dans des
considérations sécuritaires qui justifient tout – mais alors croyez-moi :
tout.
Les soldats ont tué 623 enfants et adolescents et vous voulez me dire
qu’aucun soldat n’a jamais vu un enfant dans son viseur ? Celui qui a tiré sur
la fillette à Rafah, lui non plus n’a pas vu ? Et celui qui a tiré sur deux
enfants dans la casbah, Amar Benaat et Montasser Hadada, les tuant tous les deux
d’une seule balle, lui non plus ne savait pas ? Et celui qui a tué cet enfant de
neuf ans, Khaled Osta, ouvrant un large trou dans sa poitrine, lui non plus n’a
pas fait attention ? Et aussi celui qui a bombardé des maisons d’habitation à
Gaza et qui n’a, effectivement, pas vu d’enfant dans son viseur optique mais
savait parfaitement que dans ces maisons vivaient des enfants, comme dans toutes
les maisons, et qui a pourtant poussé sur le bouton et libéré l’obus ? Et le
pilote qui a pressé le bouton et largué une bombe sur un quartier d’habitation
densément peuplé, lui non plus ne savait pas qu’il toucherait des enfants ? Il
n’en avait pas l’intention ? Et si un enfant lance une pierre sur une jeep
blindée, ou même un cocktail Molotov, ou même une charge explosive, est-il
condamné à mourir ? Vous écrivez qu’il faut l’atteindre pour préserver la
dissuasion. C’est terrifiant. Tuer un enfant afin de dissuader ? Et maintenant
que vous avez atteint des enfants dans le but de la dissuasion, avez-vous réussi
à dissuader ?
Vous êtes-vous une seule fois demandé pourquoi ces enfants
vous combattaient ? Et pourquoi les adultes ? La pensée vous est-elle jamais
venue qu’ils se battaient pour une cause juste ? Que peut-être ils veulent se
libérer, enfin, de votre présence qui opprime leur vie ? Qu’ils n’ont pas
d’autre moyen de lutter ? Avez-vous jamais essayé, fût-ce un instant, de vous
mettre à leur place ? Que feriez-vous si vous étiez né Palestinien, vivant sous
cette occupation ? Y a-t-il en vous le courage de dire ce que m’a dit Ehoud
Barak en son temps : « J’aurais rejoint une organisation terroriste » ? Vous ne
pourriez trouver réponse plus directe, plus courageuse ni plus vraie.
Vous
combattez, avec une force impressionnante, des enfants et des adultes qui
luttent avec leurs pauvres forces pour la cause la plus juste qui soit. Ils
combattent l’occupation. Ils n’ont pas d’autre moyen pour la combattre que la
charge explosive et le cocktail Molotov. Ils combattent l’occupation comme nos
parents et les parents de nos parents ont combattu une autre occupation. Vous
pensez à cela, parfois ?
L’histoire est pavée de luttes et de guerres comme
celle-là. Des jeunes gens de votre âge sont envoyés à la mort pour une question
qui leur est présentée comme incomparablement vitale, une question de vie ou de
mort, et puis un jour, c’est fini, le conflit est réglé d’une manière ou d’une
autre, par les voies de la paix, comme s’il n’avait pas eu lieu, et alors tout
le monde demande : pourquoi ? Toute cette affaire, c’était au nom de quoi ?
Vous, et bien sûr vos enfants, vous ne comprendrez pas ce que nous faisions là,
exactement comme les proches de ceux qui sont morts au Liban demandent encore
aujourd’hui ce que nous faisions là-bas. Pour quoi ont-ils été tués ? Pour quoi
sommes-nous tués ? Qu’avez-vous fait de vos plus belles années dans la casbah de
Naplouse, un endroit qui ne vous appartient pas, à mettre en danger votre vie et
la vie de votre prochain ? De quel droit y avez-vous opprimé la population ? En
vertu de quoi leur avez-vous imposé leur mode de vie, fixé quand ils resteraient
chez eux et quand ils sortiraient, quand ils travailleraient et quand ils
chômeraient, quand ils pourraient se rendre à l’hôpital et quand ils
souffriraient chez eux ? Pourquoi ? Qui sommes-nous donc ? Qui nous a établi ?
Simplement parce que nous avons la force, beaucoup de force, il nous est permis
de tout faire ?
Vous et vos camarades n’avez aucun droit moral à être là ni,
évidemment, à faire ce que vous faites là-bas à la population. Vous n’avez aucun
droit moral à emprisonner les habitants, à entrer dans leurs maisons au milieu
de la nuit, à passer de maison en maison en abattant les murs mitoyens, à opérer
des arrestations sans distinction, à détruire, à ouvrir le feu, à opprimer, à
offenser.
Un jour, vous verrez sous une autre lumière ce que vous faites
là-bas, entre Hawara et la casbah, et si vraiment vous êtes homme de conscience,
le sommeil vous échappera encore la nuit, pour de nombreuses nuits, et beaucoup
d’années. Vous ne pourrez plus tout justifier, comme vous tentez de le faire
maintenant, au nom du maintien de la sécurité. La vraie sécurité pour les
habitants de Tel Aviv ne sera atteinte que lorsque sera obtenue la sécurité pour
les habitants de la casbah, pas avant. La sécurité, le respect de soi et la
liberté, ils y ont droit exactement comme nous. Et alors, votre « satisfaction
profonde » cèdera la place, j’en ai la conviction, à un profond sentiment de
culpabilité et une grande honte vous submergera pour ce que vous aurez fait
là-bas, pour ce que vos yeux auront refusé de voir.
Dans votre cœur, vous
savez, me semble-t-il, que le lien entre votre activité là-bas dans la casbah et
notre sécurité à Tel Aviv est plus vacillant que vous ne le décrivez. Vous et
vos camarades empêchez un attentat et créez la motivation pour 100 nouveaux
attentats, vous liquidez un homme recherché et en suscitez trois à sa place.
C’est la loi des luttes populaires nées du désespoir. L’enfant dont vous avez,
au milieu de la nuit, retourné la maison et dont vous avez, sous ses yeux,
humilié les parents, ne l’oubliera jamais, exactement comme vous n’oublieriez
pas celui qui aurait fait cela à vous et à vos proches ; les amis d’Amar,
Montasser et Khaled, ces enfants sur lesquels les soldats ont tiré et qu’ils ont
tués dans la casbah, ne pardonneront pas. Ils grandiront dans la haine que
nous-mêmes avons semée. C’étaient trois enfants sans présent ni avenir. Deux
d’entre eux, Amar et Montasser, étaient orphelins de père. Amar était garçon
unique. Ils n’avaient pas à mourir. Je n’ai, il est vrai, pas vu de mes yeux ce
qui a conduit à leur meurtre, mais j’ai vu ce qu’il restait après qu’ils ont été
tués.
Et qu’adviendra-t-il de vous ? Quels souvenirs
emporterez-vous de là ? Qu’aura fait ce service militaire sur votre esprit, sur
votre personnalité ? Que raconterez-vous à vos enfants, le jour venu ? Que papa
a veillé sur Tel Aviv depuis le cœur de la casbah de Naplouse et a liquidé des
gens presque sans discrimination, comme vous le reconnaissez dans votre lettre
(« Chaque patrouille qui entre dans la casbah, ne vient pas pour manifester une
présence sur le terrain, mais pour en dénicher des terroristes et des gens armés
recherchés, et les liquider »). Qu’est-ce que cela vous a appris sur l’usage de
la force, sur la violence, sur les liquidations ? Si c’est permis là bas,
pourquoi pas aussi ici ?
Un homme à qui pareil pouvoir est accordé à un âge
aussi jeune, il ne se peut pas que cela ne soit pas gravé dans son âme. Après
avoir fait attendre des vieillards, empêché des malades d’atteindre un hôpital,
retenu des femmes en couches et des enfants aux barrages, de durs souvenirs vous
resteront, à tout jamais. Même si vous ne les avez pas retenus, que vous étiez
le plus humain des soldats, le seul fait qu’il leur était nécessaire de recevoir
de vous une autorisation pour aller à l’intérieur de leur propre ville, dans
leurs propres maisons, suffit pour laisser en vous des cicatrices. Quel homme
serez-vous lorsque vous reviendrez de tout cela, chez vous, à la maison ?
A
aucun moment il ne m’est venu la pensée que quelqu'un parmi les soldats de
l’armée israélienne prenait plaisir à tuer des enfants. Mais des enfants sont
tués. Beaucoup d’enfants. Des centaines d’enfants. Et l’armée israélienne ne
fait pas assez pour empêcher ces meurtres criminels. L’armée israélienne
transmet à ses soldats qu’on n’a pas le choix et que ce n’est pas terrible si un
enfant est tué. L’essentiel, c’est notre sécurité.
Le sang de ces enfants
implore le ciel. Leur sang est sur nos mains. Leur sang est sur la tête de celui
qui vous a envoyé à la casbah, et sur la tête de celui qui a tiré, et sur la
tête de celui qui circule, en armes, dans les rues de Naplouse et tyrannise ses
habitants, et aussi sur la tête de celui qui a gardé le silence. Vous êtes
là-bas aussi en mon nom et nous portons dès lors tous une responsabilité lourde,
trop lourde à porter. Bonne continuation. Veillez sur vous et sur moi. Pour moi,
je continuerai à faire comme écrit ci-dessus.
4. Étrangers dans leur ville par
Valérie Féron
in L'Humanité du jeudi 16 décembre
2004
Jérusalem-Est, correspondance particulière - Environ 250
000 Palestiniens de la partie occupée de Jérusalem doivent participer au scrutin
présidentiel le 9 janvier prochain, ce qui pose un problème de taille à Israël
pour qui la Ville sainte est « la capitale éternelle et indivisible » de l’État.
Ceci en totale contradiction avec la loi internationale et la réalité du terrain
entre la partie ouest de Jérusalem, israélienne depuis 1948, et la partie
occupée depuis 1967, dont les Palestiniens veulent faire la capitale de leur
futur État.
Au mois de septembre dernier, l’Autorité nationale avait lancé
une vaste campagne d’inscription des électeurs dans les territoires palestiniens
qui fut vite arrêtée à Jérusalem-Est, Israël ayant fait fermer manu militari les
bureaux d’enregistrement : « Ils ont intimidé des employés et regardé les listes
des noms. Ces fermetures montrent un nouveau durcissement d’Israël envers nous
», déclare un des observateurs locaux.
Des quartiers coupés par les colonies
Jusqu’ici, la
situation reste bloquée, malgré les déclarations du premier ministre israélien
Ariel Sharon, lors de la visite le 15 novembre dernier du secrétaire d’État
américain sortant Colin Powell, de ne pas entraver le vote dans la partie
occupée de la ville. « Nous avons déjà participé aux élections générales
palestiniennes de 1996, rappelle Zyad al Khamoury, directeur du Centre de
Jérusalem pour les droits sociaux et économiques. Même si nous avons été obligés
de voter dans les bureaux de poste. Une manière pour les Israéliens de nous
faire sentir étrangers dans notre propre ville. »
« Étrangers dans leur
propre ville » : c’est bien ce dont se plaignent les Palestiniens de Jérusalem.
Leurs quartiers sont coupés par les colonies et la ligne verte (la ligne de
démarcation tracée après la guerre de 1967) s’estompe de plus en plus le long
des murs de la Vieille Ville en raison des nombreux travaux d’infrastructure
entrepris par les autorités israéliennes au bénéfice des populations juives. «
1967 est le début de cette politique visant à nous expulser, estime notre
spécialiste. Il semble que les plans étaient prêts depuis longtemps car tout
s’est mis en place très vite. » Depuis lors les confiscations des terres et les
destructions de maisons n’ont jamais cessé. Aujourd’hui 54 % des terres de
Jérusalem sont classées parmi les « espaces verts » par Israël. Il est donc
interdit pour les Palestiniens d’y construire. « C’est pourtant sur ces mêmes
espaces qu’au fil des années les colonies ont été bâties et élargies, souligne
Zyad el Khamoury. Ceci, c’est la partie visible de l’iceberg. Le défi
démographique est en fait le véritable enjeu. Les Israéliens n’ont jamais caché
leur volonté de maintenir à 25 % au maximum le pourcentage de Palestiniens dans
la Ville sainte. » Pour y parvenir, Israël a recours à des mesures économiques
étouffantes et à la confiscation des « cartes d’identité bleues ». Il s’agit
d’une carte spéciale pour les Palestiniens de Jérusalem qui leur permet de
recevoir certaines prestations sociales en échange des taxes, sans pour autant
leur donner les droits des citoyens israéliens : « Les permis de construire sont
bien sûr quasiment impossibles à obtenir, ajoute Zyad el khamoury. Et très
chers, entre 25 000 et 30 000 dollars. De plus les lois ont changé au fil des
années.
Les Palestiniens et leurs droits bafoués
Les
Palestiniens n’y prêtent pas attention jusqu’au jour où ils se retrouvent
confrontés à celles-ci. Ils s’entendent alors déclarer que Jérusalem n’est pas
leur lieu de résidence principal et perdent leurs droits ! » Malgré ces
entraves, les Palestiniens ont toujours cherché à revenir dans la Ville sainte
et certaines actions juridiques ont été couronnées de succès : « Et c’est dans
ce cadre qu’il faut comprendre l’édification du mur ici, conclut-il. Il va
couper quelque 100 000 Palestiniens de Jérusalem de la ville. 55 % d’entre eux
vont se retrouver en dehors des frontières dites municipales. Officiellement, il
n’est pas question de confisquer les cartes d’identité, mais il y aura les
enquêtes pour percevoir les droits sociaux qui seront refusés et, de fil en
aiguille, on aboutira aux confiscations des droits. » Pour les Palestiniens, le
statut de la Ville sainte, négligée par les accords d’Oslo, est donc plus que
jamais d’actualité.
5. Entretien avec Gilbert Burnham :
"Hiroshima de nos jours" propos recueillis par Patricia
Lombroso
in Il Manifesto (quotidien italien) du mercredi 15
décembre 2004
[traduit de l’italien par Marie-Ange
Patrizio]
Un des auteurs du rapport qui dénonce 100 000 morts
parle.
NEW YORK - « Notre intention, en publiant le rapport sur la revue
scientifique Lancet, était d’attirer l’attention du monde entier sur les morts
des civils en Irak, à la suite de l’invasion américaine. Plus de 100 000 morts
civils, dont 80 % à cause de la violence des bombardements Usa. C’est un
Hiroshima contemporain, ce qui continue à se consumer sous nos yeux. Ça devrait
frapper les consciences du monde occidental. L’indice de mortalité a augmenté de
58 % dans tout le pays depuis le début de l’invasion. Deux tiers des morts sont
des femmes et des enfants ». C’est par cette dénonciation affligée que commence
l’interview à il manifesto de Gilbert Burnham, auteur avec Les Roberts du
rapport explosif publié sur Lancet. Les deux hommes travaillent respectivement à
l’université « Bloomberg John Hopkins » et au « Center for International
emergency disaster and refugee studies » de Baltimore.
- Dans le rapport qui rend compte de la recherche que vous avez
faite en Irak, et dans laquelle vous dénoncez plus de 100 000 morts civils
irakiens après l’invasion Us, chiffre que nie le Pentagone, vous écrivez que
vous avez trouvé un nouveau Hiroshima en Irak. Pourquoi ce rapprochement
?
- Historiquement, les 75 000 morts de Hiroshima ont constitué un seuil
au-delà duquel nous pensions qu’on ne pourrait pas aller. Mais nous avons été
choqués par le nombre inattendu de morts de civils irakiens, qu’on a pu relever
grâce à un travail de recherche accompli avec la collaboration de l’équipe de
l’université de Al Mustansyria de Bagdad. Plus de 100 mille, dans lesquels ne
sont pas comptés les civils morts à Falluja pour des causes différentes des
évènements belliqueux. De là la référence à un Hiroshima actuel. Aujourd’hui
même les medias parlent de la situation catastrophique dans laquelle tombe
l’Irak en termes de « désertification » du pays. Le nombre de plus de 100 mille
morts civils irakiens remonte à un mois (15 novembre, NdT). Aujourd’hui ce
chiffre même est de loin très approximatif par défaut.
- A cause des attaques aériennes Us dans tout le pays et après
l’assaut à Falluja ?
- Non, pas seulement. Notre recherche comportait une analyse de toutes les
causes qui ont déterminé cette augmentation exorbitante de 58% de la mortalité
dans la population depuis le début de la guerre. Le nombre de morts civils, par
la guerre, ne comprend pas les autres causes de mort statistiquement recueillies
pour épidémie de typhoïde, malnutrition, accidents, maladies. Un relevé
statistique précis de chaque groupe familial de la société civile, pour qui
était faite la recherche, était impossible à cause des risques et des
résistances rencontrées aux check point militaires, à cause des incursions des
patrouilles militaires, des bombardements continus. Falluja n’était qu’un des
lieux choisis par hasard pour notre étude. Et c’est là que nous nous sommes
trouvés face à d’innombrables morts civils abandonnés dans les rues. Là le
nombre de victimes était supérieur à celui que nous avions relevé dans toutes
les autres localités pré choisies. En fait Falluja a rendu plus difficile
l’analyse du pourcentage total de la mortalité relevée en Irak après l’invasion
américaine.
- Pourquoi ?
- Parce que, avant l’invasion Us, le pourcentage du taux de mortalité en
Irak était proche de 5,0 pour mille. Après l’invasion il est monté à 7,9 pour
mille. Si on inclut les morts civils à Falluja, le pourcentage double quasiment
à 12 pour mille. Rien qu’à Falluja, 51 % des morts de civils ont été causées par
les bombardements. La majorité est constituée de femmes et d’enfants. La partie
la plus vulnérable de la société civile.
- A la publication de votre rapport sur Lancet, le Pentagone a
contesté les chiffres en les qualifiant d’ « impossibles ». Comment
répondez-vous ?
- La méthodologie que nous avons suivie pour le recueil des données et des
résultats statistiques est une méthodologie scientifique et standard, appliquée
pour vérifier l’estimation des morts de civils consécutives aux conflits. Pas
seulement en Irak ; au Darfour, au Soudan et au Congo, aussi.
- Comment se fait-il que ni la Croix-Rouge Internationale ni
l’Organisation Mondiale de la Santé n’aient dénoncé ce massacre
?
- C’est une question que nous nous sommes nous même posés. C’est un
problème qui concerne les consciences du monde occidental.
- Le rapport invoque-t-il des responsabilités politiques à qui
imputer ces crimes de guerre ?
- Notre intention n’était pas d’attribuer des responsabilités pour ce
nouveau Hiroshima. C’est un devoir qui dépasse notre rôle.
6. Sarkozy veut convertir les juifs à sa
religion élyséenne - En cajolant la communauté, le président de l'UMP veut
se démarquer de la politique proarabe de Chirac
in Libération
du mardi 14 décembre 2004
Cette sortie-là était parfaitement
préméditée. Le 28 avril, à l'Assemblée nationale, le ministre de l'Economie, de
retour d'un séjour aux Etats-Unis où il a été reçu en grande pompe par le très
influent American Jewish Committee (AJC), accuse le gouvernement Jospin d'avoir
donné de la France l'image d'un «pays antisémite». Sa phrase déclenche une vive
polémique avec la gauche. Toutes les associations de lutte contre le racisme et
l'antisémitisme y vont de leur commentaire. Le lendemain, Jacques Chirac fait la
leçon à son ministre : «L'antisémitisme est un sujet trop grave pour entretenir
la polémique.» Mais Nicolas Sarkozy n'en démord pas : «Mes déclarations étaient
pensées, équilibrées et justes. Ce que j'ai dit était à la fois raisonnable et
responsable», dira-t-il après coup. Certain d'avoir touché sa cible et
définitivement «structuré» l'électorat juif, comme il le confie alors. En
avait-il tant besoin ?
Goy hyperactif. Depuis le début de sa carrière,
l'ancien maire de Neuilly «travaille» avec un soin tout particulier ses
relations avec la communauté juive. Il a célébré des dizaines de mariages civils
de couples juifs et n'a jamais raté une fête de la synagogue de Neuilly, sa
ville, qui abrite une importante communauté. Son face-à-face télévisé avec
l'intellectuel musulman Tariq Ramadan a conforté son statut de «star chez les
juifs», comme dit Patrick Gaubert, président de la Licra (Ligue internationale
contre le racisme et l'antisémitisme) et député européen UMP. Qui ajoute : «Il
connaît toutes les fêtes et les rites de la religion sur le bout des doigts. Il
s'adresse de façon exceptionnelle, pour un non-juif, à une communauté qui aime
qu'on l'aime. Il a donné le sentiment aux gens qu'il était le seul à faire
quelque chose pour eux, le seul qui puisse nous sauver de l'antisémitisme
ambiant.»
Son passage à l'Intérieur va encore lui permettre de renforcer ses
liens avec les juifs pour mieux les convertir au sarkozysme. Dès son
installation, il explique, les yeux dans les yeux, à Chirac qu'«il ne faut pas
être trop intelligent avec les actes antisémites en cherchant des explications,
mais qu'il faut être sévère». Ce catholique, qui aime à rappeler que sa mère est
originaire d'une famille juive de Salonique, dit alors à toutes les
organisations israélites qu'il reçoit vouloir rompre avec la politique de son
prédécesseur socialiste, Daniel Vaillant, et promet des poursuites pénales à la
moindre agression. Hyperréactif, il médiatise toutes ses sorties en se rendant
systématiquement au chevet des victimes. A Garges-lès-Gonesse (Val-d'Oise), où
un fidèle a été blessé, comme à Gagny, où une école confessionnelle a été
incendiée, il parle de «tolérance double zéro en matière d'antisémitisme et de
racisme». En parallèle, il effectue un gros travail plus souterrain : il appelle
en direct chaque victime et reçoit au ministère des kyrielles de présidents
d'associations juives de province. «Des gens qui mettent leur costume et
rentrent chez eux en expliquant qu'ils ont vu un ministre qui va les protéger»,
note Patrick Gaubert.
«Nicolas Sarkozy met les Français dans des boîtes, dit
un de ses amis. Pour chaque catégorie sociale ou chaque religion, il a un
message généraliste et un message bien particulier. Et celui qu'il adresse aux
juifs est très performant.» Systématiquement acclamé dans les dîners du Crif
(Conseil représentatif des institutions juives de France), il reçoit une ovation
des sympathisants de Hachomer Hatzaïr, une organisation sioniste classée à
gauche, dont l'un des sympathisants avait été agressé en marge d'une
manifestation contre la guerre en Irak. En 2003, le Centre Simon-Wiesenthal lui
remet son prix.
Marchepied. Cette lune de miel est stratégique pour ses rêves
élyséens. Mais elle est aussi un marchepied destiné à acquérir une stature
internationale. Les principaux lobbies juifs américains le portent au pinacle,
tel David Harris, le directeur de l'AJC, qui le présente comme «un homme de
charisme, de vision, de courage, de dynamisme». Les dirigeants israéliens voient
en lui un futur chef d'Etat et, surtout, un homme susceptible de mettre fin au
dogme gaulliste de «la politique arabe de la France». «Il n'a pas la politique
étrangère de la France à son passif, comme d'autres dirigeants qui portent comme
une croix les mauvaises relations avec Israël», souligne Roger Cukierman,
président du Crif. «A l'heure du nationalisme diasporique, son passage devant
les associations juives américaines a eu un impact très fort en France. Tous ses
nouveaux amis imaginent qu'il va changer la politique proarabe de la France.
Mais avec quatre ou cinq millions d'immigrés d'origine nord-africaine, je doute
d'un tel changement», avance l'historienne Esther Benbassa.
«Cadre» et
«morale». Sarkozy n'a jamais caché son goût pour les cultures minoritaires et la
religion, qui, selon lui, «donne un cadre et apporte une morale». Il a senti
qu'il avait devant lui un boulevard entre Chirac l'anticommunautariste, qui,
selon un député UMP, a «dilapidé par sa politique arabe son capital sympathie
gagné par la reconnaissance en 1995 des crimes de l'Etat français sous Vichy»,
et un PS jamais à l'aise pour s'adresser à des groupes religieux. «La communauté
juive vit dans l'émotion du moment. Elle va vers celui qui sait lui parler.
Sarkozy veut que les gens votent pour lui en fonction de leur identité juive et
non par rapport à leur citoyenneté française», explique Laurent Azoulay,
fondateur du Cercle Léon-Blum, une association proche du PS qui cherche encore
comment contrer le patron de l'UMP.
7. Respectabilité à tout prix par
Leïla Salam
on Oulala.net (e-magazine français) le lundi 13 décembre
2004
(Leila Salam est professeur de
mathématiques et militante à l'Association France Palestine
Solidarité.)
L’infâme et le clément
Brigitte Bardot publie en 2003 «
Un cri dans le silence ». Jamais l’ex-actrice ne s’était « jamais autant livrée
», ni n’avait jamais autant « révélé la profondeur de son âme » comme l’a si
fièrement affirmée l’auteur elle-même.
« Un cri dans le silence » est d’un
relent nauséabond, un amas de formules racistes et un concentré de haine. Dans
ce livre torchon, l’ex-star éructe « l’infiltration souterraine, dangereuse, et
non contrôlée de la France par les musulmans » et décrit les « musulmans comme
des envahisseurs, barbares et cruels, responsables d’actes terroristes, désireux
de soumettre les français au point de vouloir les exterminer ». Elle dénonce
pêle-mêle l’abattage rituel des moutons lors de la fête de l’Aïd, le versement
des allocations familiales aux étrangers. Elle s’attaque aussi aux clandestins
et aux réfugiés (désignés par des « gueux ») : ils « profanent et prennent
d’assaut nos églises pour les transformer en porcheries humaines, chiant
derrière l’autel, pissant contre les colonnes, étalant leur odeur nauséabonde
sous les voûtes sacrées du choeur (.) ». La spécialiste ès haines dépeint les
homosexuels de « phénomènes de foire », les enfants métisses de « bâtards » et «
la pureté de la race » de loi naturelle à respecter et à mettre en application.
L’étrange silence et la non condamnation de ce livre, les prestations
télévisées de l’auteur et l’accueil très chaleureux auprès du public avec plus
de trois cent mille exemplaires vendus a rendu ce livre encore plus nauséeux.
Heureusement que le MRAP et la ligue des droits de l’homme ont rappelé que
le racisme n’est pas une opinion mais un délit et ont porté plainte. Le tribunal
correctionnel de Paris qui a affirmé que la « description de la présence
musulmane conduit indubitablement le lecteur à rejeter les membres de la
communauté musulmane par la haine et la violence » a condamné l’ex-comédienne et
son éditeur le 10 juin 2003 pour xénophobie.
Cependant, les torrents
d’insanités déversés sur les musulmans par l’ex sexe-symbole un peu trop
défraîchie sont passés à la trappe pour Monsieur Dalil Boubakeur, recteur de la
Grande Mosquée de Paris et président du CFCM. Sa mémoire est certainement restée
figée aux années 60, époque glorieuse de l’ex-belle BB.
En effet, Brigitte
Bardot a été reçue avec faste le 11 février 2004 à la Grande Mosquée de Paris
par son recteur Dalil Boubakeur. Il prend alors sa défense, « Il a pu y avoir
des maladresses de sa part, mais elle exprimait un courant de sensibilité en
France qui ne fait pas le distingo entre tradition et religion », a-t-il
déclaré. Pour couronner le tout, le recteur « clément » offre à Brigitte Bardot
un Coran bilingue (arabe-français), et lui conseille avec beaucoup de
délicatesse de peur de brusquer la « douce et fragile créature » de commencer la
lecture par les sourates les plus courtes ; puis, le sourire aux lèvres, le
recteur « miséricordieux » pose fièrement aux côtés de la repris de justice
raciste.
La voix éclairée de l’islam
Le problème majeur de M.
Boubakeur est qu’il dispose d’une assise faible dans la communauté musulmane. Il
a été intronisé à la tête du CFCM par Sarko sous la forte recommandation du
pouvoir algérien. Soucieux de préserver sa place comme seul interlocuteur
privilégié du gouvernement français, M. Boubakeur a tenté d’instrumentaliser la
menace intégriste en présentant une vision manichéenne de l’islam en France :
d’un côté « l’islam modéré » représenté par lui-même et en face « l’islam
intégriste dangereux » représenté par tous les autres.
Dans ces discours, M.
Boubakeur légitime la gestion sécuritaire de la communauté musulmane ( ce qui a
certainement plu à Sarko), il préconise ouvertement la collaboration avec les
services de police pour « sauver » les banlieues des « islamo-terroristes ». En
octobre 2002, dans un entretien au quotidien gratuit 20 minutes, le docteur
Boubakeur (rappelons-le qu’il est médecin et non un théologien et ses
connaissances religieuses sont bien squelettiques au vu de la fonction qu’il
occupe) a affirmé que « l’islam des banlieues est l’islam des excités » et que
toutes les mosquées étaient tentées par le fondamentalisme, propos qui ont fait
de lui persona non grata dans les dites banlieues. [1]
Le même souci de
représentabilité a conduit M. Boubakeur à entretenir des rapports zélés avec les
organisations juives pro-israélienne dont le Conseil représentatif des
institutions juives de France (CRIF). Le docteur est le fidèle parmi les fidèles
au repas annuel de cette institution. [2]
Ses prises de position n’ont pas
été vaines puisqu’elles lui ont facilitées l’accession au titre de « la voix
éclairée de l’islam », décerné par les défenseurs inconditionnels d’Israël tels
que les sites pro-sionistes proche-orient.info (dont il a été l’invité), Guysen,
l’UEJF, le CRIF et d’autres portes paroles du gouvernement Sharon.
Le repas
annuel du CRIF, que M. Boubakeur ne rate jamais, est un rendez-vous obligé pour
la classe politique française. Au cours de ce repas, les personnalités
politiques présentes doivent affirmer leur solidarité avec les juifs, chose
normale et fortement souhaitée, mais surtout ils sont tenus à proclamer leur
soutien infaillible, indéfectible et sans réserve à la politique israélienne ;
ceux qui refusent de se plier à cette exigence sont tout simplement accusés
d’hostilité envers les juifs voire d’antisémitisme. [3]
Le CRIF qui prétend
éviter l’importation du conflit israélo-palestinien est animé d’un militantisme
chauvin et sans limite en faveur d’Israël ; « nous sommes capables d’affirmer
notre dévouement à Israël même lorsque cela va à l’encontre de la politique
française » a déclaré Haim Musicant, Directeur du CRIF.
Le CRIF
n’organise-t-il pas ces dîners annuels que dans l’unique but de fédérer les
dirigeants français autour d’une ligne de bonne conduite vis-à-vis d’Israël et
de son gouvernement ? Les « convives » sont parfois exhortés entre le plat de
résistance et le dessert à des actes illégaux au regard du droit international
comme par exemple « reconnaître formellement un fait simple, réel, c’est que
Jérusalem est la capitale d’Israël », idée présentée lors d’un des repas du CRIF
par son président.
Les attaques anti-arabes et anti-musulmanes sont monnaies
courantes au sein de cette organisation. Le Président du CRIF, M. Roger
Cukierman a qualifié le score de l’extrême droite, lors de l’élection
présidentielle, de « message aux musulmans leur indiquant de se tenir
tranquilles », des propos proches des thèses de l’extrême droite, en écho Bruno
Mégret lui renvoie l’ascenseur « Face à l’intégrisme islamique, nous partageons
des inquiétudes communes avec les organisations représentatives des juifs de
France ».
Faut-il rappeler à la « voix éclairée de l’islam » que le CRIF a
fortement soutenu la guerre contre l’Irak ? Ce conflit provoqua un carnage
quasi-quotidien et a plongé l’Irak dans le chaos le plus indescriptible ; pire
cette organisation a qualifié l’attitude de la France à ne pas s’engager dans ce
conflit de position lâche semblable à celles de Daladier et de Chamberlain «
ceux qui redoutent que la lutte antiterroriste ne mette en péril nos libertés se
trompent de priorité, comme autrefois Daladier et Chamberlain » a affirmé M.
Cukierman au cours du repas de janvier 2003.
La quête de la Respectabilité : une névrose
récurrente
Le dialogue entre juifs et musulmans est une condition
nécessaire pour vivre ensemble sereinement et en toute amitié. Avec la montée du
racisme, les forces doivent s’unir dans un combat commun pour lutter contre
toutes les formes de la haine et sans aucune hiérarchie.
Ce dialogue doit
s’établir avec des personnalités de tout bord, de bonne foi et impartiales.
Michel Warschawski, Dominique Vidal et Leïla Shahid sont parmi ces
combattants de l’espoir. Depuis près de deux ans ils parcourent « la France d’en
bas », dialoguent avec les « jeunes » des quartiers dits sensibles pour les
mettre en garde contre une instrumentalisation de leur solidarité légale et
nécessaire avec les palestiniens par des groupes néo-nazis ou des prédicateurs
intégristes car « la cause palestinienne est celle du droit et de l’égalité
entre les peuples, et ne doit ni ne peut être assimilée, de près ou de loin, à
des opinions racistes, antisémites ou négationnistes » comme l’a déclaré le
pacifiste israélien Michel Warshawski.
Les rencontres multiples de Dalil
Boubakeur avec CRIF pour la supposée idée de développer une volonté commune de
lutte contre le racisme et l’antisémitisme et de ne pas importer le conflit
israélo-palestinien en France ne sont en réalité que des rencontres d’intérêts
réciproques. Pour le CRIF, il s’agit d’occulter voire de légitimer les exactions
et sévices commis par Israël ; quant à M.Boubakeur, il espère accéder à plus
d’honorabilité et de reconnaissance et surtout de freiner l’ascension
incontrôlable de l’UOIF, organisation rivale.
Boubakeur n’est pas le seul à
être à l’affût de la représentabilité et de la respectabilité ; l’UOIF en
devient un autre quêteur. Après plusieurs réunions secrètes entre l’UOIF et le
CRIF, ces derniers ont décidé d’étaler leur rencontre au grand jour et de
présenter leurs projets d’organiser des manifestations sportives communes et des
visites des enfants musulmans à Aushwitz.
Sans faire de parallèle, il serait
intéressant que les gens de l’UOIF proposent un projet similaire de visite de
petits français dans les territoires occupés et dans les camps des réfugiés
palestiniens pour constater les traitements inhumains qu’endurent
quotidiennement les palestiniens et ceci depuis plus d’un demi siècle.
Pourquoi l’amnésie doit-elle être que d’un seul côté ?
Les raisons officielles de ces rencontres sont le rétablissement du dialogue
judéo-musulman et le combat de l’antisémitisme. Ceci n’est qu’un leurre car les
raisons réelles sont d’une autre finalité et ne servent que les intérêts mutuels
de ces deux organisations. D’un côté le CRIF croit qu’en s’alliant avec l’UOIF,
la branche « dure » de l’islam en France réussira là où lui-même a échoué : à
savoir mettre un voile sur la destruction de la Palestine pour permettre à
Sharon de « terminer 48 » et d’en finir avec les palestiniens.
Quant à
l’UOIF, elle escompte accéder au statut tant convoité, d’organisation
fréquentable et respectable. De part ses grands moyens humains et financiers,
elle a réussi à occuper le terrain et à contrôler un grand nombre d’associations
musulmanes, d’où sa montée en puissance. L’UOIF a pour ambition de devenir le
représentant incontournable des musulmans de France ; compte-t-elle utiliser son
rapprochement avec le CRIF pour atteindre cet objectif ?
Le rôle de garant
de l’ordre public que veut attribuer le CRIF à l’UOIF donne une vision
communautaire de la paix civile en France et vise à isoler les musulmans pour
enfin les enfermer dans une communauté exclusive ; cela peut être un véritable
frein qui les empêcherait de prendre place dans la vie sociale du pays.
«
Quant à savoir si les chemins de la respectabilité sont toujours respectables,
je vous laisse, le soin d’en débattre avec vos consciences » écrit Alain Soral
en réponse au pamphlet violent publié sur le site oumma.com, proche de l’UOIF,
sous la plume de Fatiha Kaous et Pierre Tévanian contre Soral lui-même ;
Oumma.com qui nous a habitué à un ligne éditoriale sérieuse et responsable nous
a désagréablement surpris en publiant cette diatribe.
« Je ne peux pas vous
fournir la formule menant au succès, mais je peux vous donner celle de l’échec :
essayer de plaire à tout le monde » - Herbert Bayard Swope
Les dirigeants
arabes ont en déjà fait l’amère expérience.
- NOTES :
[1] La nouvelle islamophobie Vincent Geisser La
Découverte, 2003
[2] La France des mosquées Xavier Ternisien, éditions Albin
Michel, 2004
[3] Est-il permis de critiquer Israël Pascal Boniface, édition
Rober Laffont, 2003.
8. Barnier dit oui à la Turquie
propos recueillis par Henri Vernet et Dominique de Montvalon
in Le Parisien
du lundi 13 décembre 2004
Juste avant le sommet de Bruxelles
qui débute jeudi, le ministre français des Affaires étrangères souhaite, à titre
personnel, que la Turquie entre un jour dans l'Union. Mais, dit-il, les
Français, et eux seuls, trancheront le jour venu par référendum. La Turquie,
Laurent Gabgbo, les relations avec Wasghinton, les perspectives de paix au
Proche-Orient et le référendum prévu en France en 2005 sur la Constitution
européenne : le patron du quai d'Orsay, Michel Barnier, joue le jeu de la
vérité.
- Le oui des militants PS à la Constitution européenne est-il
une bonne nouvelle ?
- Michel Barnier. C'est une très bonne
nouvelle. C'est bien que le PS reste fidèle à l'héritage européen de Mitterrand
et de Delors.
- Croyez-vous à la victoire du oui lors du
référendum national ?
- Ce sera un débat difficile. Il faudra
éviter que la campagne soit perturbée ou détournée. Il ne s'agira pas de se
prononcer pour ou contre le gouvernement : ce sera un vote sur la Constitution
européenne. Et un vote absolument vital pour l'ensemble des Français comme pour
l'avenir d'une Europe dont dépend leur destin.
- Si vous aviez
trois raisons à donner pour inciter les Français à voter
oui...
- 1. Pour la première fois, les droits des citoyens, y
compris leurs droits sociaux, ont valeur constitutionnelle. 2. Nous aurons enfin
une vraie politique étrangère et de défense, avec un ministre européen pour
l'incarner. 3. La coopération renforcée entre les Etats qui souhaitent avancer
plus vite et plus loin que les autres sur la route commune (la France,
l'Allemagne et beaucoup d'autres) devient possible. L'objectif est de faire de
l'Europe autre chose qu'un simple marché.
- Comment la France
va-t-elle aborder, vendredi, à Bruxelles, l'explosif dossier turc
?
- En disant la vérité. Le pire, ce serait le silence ou la
caricature. La vérité, c'est que des négociations d'adhésion ne sont pas
l'adhésion. Ceux qui prétendent que la Turquie va inévitablement, dès demain
matin, entrer dans l'Union mentent. Cela dit, avec les précautions et les étapes
nécessaires, sans complaisance ni raccourcis, notre intérêt est qu'une Turquie
intégrée soit, le jour venu, notre frontière définitive au sud-est de l'Europe.
Ce serait mieux que de la laisser à l'extérieur, avec le risque qu'elle ne
devienne un pays instable et tenté par un autre modèle que le nôtre. Jacques
Chirac a exprimé cette conviction avec force. Le moment venu, le peuple
français, et lui seul, tranchera par référendum. La conclusion des négociations
qui vont s'ouvrir n'est, en effet, pas écrite. C'est un processus dont le
résultat n'est pas garanti d'avance : la France souhaite d'ailleurs que ceci
soit spécifié vendredi à Bruxelles. En toute hypothèse, nous entendons garder un
« lien très fort » avec la Turquie.
- La situation en Côte
d'Ivoire n'est-elle pas désespérante ?
- Non, nous continuons
de penser qu'une issue politique est possible à la crise qui secoue ce pays ami,
et le coupe en deux depuis deux ans. Nous continuons donc de travailler à cette
solution, dans le cadre des accords de Marcoussis et d'Accra, et en appui de
l'Union africaine et de la médiation actuelle du président sud-africain. Il n'y
a pas d'alternative à cela, sauf la violence. Cette crise qui nous a beaucoup
touchés - et je veux dire ici ma gratitude à nos soldats qui en ont été les
premières victimes, et qui ont fait un énorme travail pour sécuriser tant de
citoyens français et européens - pose une question de fond. L'Afrique doit
relever des défis immenses, et nous voulons l'aider. Mais sans nous imposer.
Nous n'avons pas vocation, en effet, à être les gendarmes de l'Afrique, mais à
être les partenaires du développement, de la paix et de la stabilité de ce
continent. Il faut pour cela être sûrs que, de part et d'autre, nous sommes bien
d'accord sur cet état d'esprit.
- Faites-vous encore confiance à
Laurent Gbagbo ?
- Il est le président de la Côte d'Ivoire. La
France ne conteste pas sa légitimité. Il s'est maintenant engagé à préparer une
élection présidentielle ouverte à tous ceux qui voudront se présenter : c'est
une des conditions du succès. Ceux qui sont au Nord se sont, eux, engagés à
désarmer : ils doivent tenir parole. Aujourd'hui, Gbagbo, Ouattara, Bédié, Soro
ont le destin de leur pays entre leurs mains.
- La donne au
Proche-Orient est-elle vraiment en train d'évoluer ?
- Il y a
incontestablement une situation nouvelle. 2005 doit être là-bas l'année de la
paix. C'est possible, compte tenu du nouveau contexte. J'ai longuement rencontré
Ariel Sharon le 18 octobre, comme j'avais longuement rencontré en juin Yasser
Arafat. J'ai dit alors, et je le répète, que la décision d'Israël de se retirer
de Gaza est une décision courageuse à condition d'être la première étape d'un
processus conduisant à deux Etats d'Israël et de Palestine, vivant côte à côte
dans des frontières sûres et reconnues. Les Européens sont unis, et disponibles,
pour accompagner le processus de paix. Et pas seulement avec de l'argent.
Au-delà du désengagement de Gaza, la France propose d'accélérer le calendrier
prévu par la « feuille de route », d'entamer sans attendre des discussions sur
le statut final, et de limiter les périodes de transition (qui fragilisent la
confiance). Nous souhaitons que la conférence internationale, suggérée depuis si
longtemps par la France, se tienne vite pour profiter de la « fenêtre
d'opportunité ».
- Et ce sommet se tiendra où
?
- Ce n'est pas le problème. Mobilisons-nous pour que l'Europe
apporte sa garantie à la mise en oeuvre de l'accord dont les termes figurent
dans la « feuille de route » . L'exigence numéro un, légitime, des Israéliens :
la sécurité. Les Palestiniens doivent la traiter sérieusement, et l'Union peut
contribuer à garantir la gestion des frontières internationales autour de Gaza.
Seconde question clé : celle des colonies, dont le développement continu en
Cisjordanie est un obstacle à la paix. Il faudra progressivement les évacuer,
dans des conditions humaines et économiques acceptables.
- Dans
quel état d'esprit partez-vous mercredi pour Washington ?
-
Nous n'avons pas de leçons à donner ni à recevoir. Nous voulons regarder devant
nous. Nous sommes les alliés les plus anciens des Etats-Unis. Mais l'alliance,
ce n'est pas allégeance. On s'écoute, on se respecte, on se donne parfois
raison, on peut aussi avoir des analyses différentes. Cela étant, je considère
comme fondamental que nous rénovions et consolidions cette alliance
transatlantique. Pour moi, le test, c'est le règlement du conflit
israélo-palestinien. Il est au coeur du dialogue transatlantique relancé.
9. Bush est-il projuif ? Et pro-Noir ?
Est-il antimusulman ? par Béchir Ben Yahmed
in Jeune Afrique -
L'intelligent du dimanche 12 décembre 2004
L’actuel
président des États-Unis d’Amérique, qui vient d’être réélu pour un second (et
dernier) mandat de quatre ans, se distingue de ses quarante-deux prédécesseurs
sur bien des plans.
Je vous propose que nous en examinions un
qui m'a paru intriguant : la manière très particulière dont il s'est conduit
jusqu'ici vis-à-vis de trois communautés qui nous intéressent plus que d'autres
: les Noirs, les juifs et les musulmans.
Aucun des prédécesseurs de George
W. Bush n'a autant donné :
- Aux Noirs américains, au moins sur le plan de
la visibilité.
Son secrétaire d'État a été, tout au long du premier mandat,
Colin Powell, premier Africain-Américain à occuper une fonction aussi élevée au
sein du gouvernement américain : c'est le troisième personnage de l'État, tout
de suite derrière le président et le vice-président. Il est le visage que les
États-Unis offrent au monde, le négociateur en chef de leurs intérêts
extérieurs.
Le chef du Conseil national de sécurité est le plus proche
collaborateur du président, celui qui est le premier et le dernier à le voir
chaque jour : pendant quatre ans également, ce poste éminent a été occupé par
une autre personnalité de la communauté africaine-américaine : Condoleezza Rice,
première femme noire à accéder à une telle fonction.
Elle va prendre la
suite de Colin Powell au département d'État, dès le début du second mandat. Et
sera, là encore, la première Africaine-Américaine à assumer de telles
responsabilités.
- Aux juifs, George W. a offert non pas des apparences,
mais un soutien inconditionnel et illimité à l'État d'Israël et à la politique
de son gouvernement du moment.
Les bénéficiaires eux-mêmes, à la tête
desquels se place le Premier ministre israélien, Ariel Sharon, ont déclaré
qu'aucune des précédentes administrations américaines ne leur a donné autant, et
l'on sait que, pour montrer que son soutien est sans faille, George W. Bush n'a
pas hésité à renier la signature de son pays au bas de plusieurs résolutions des
Nations unies sur les droits des Palestiniens, comme sur les frontières
d'Israël.
Last but not least, comme ils diraient : sept fois en quatre ans,
à la demande d'Ariel Sharon, l'actuel président américain a opposé le veto des
États-Unis à une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU déplaisant à Israël
(en huit ans, Bill Clinton ne l'a fait que trois fois !).
George W. Bush
a-t-il été guidé par ses convictions ou bien a-t-il agi par opportunisme
électoral ? A-t-il fait ce que j'ai rappelé ci-dessus pour récupérer les voix
des Noirs et des juifs qui, aux États-Unis, et à l'élection présidentielle,
votent en très grande majorité pour le candidat démocrate ?
S'il a agi par
opportunisme électoral, il a dû être déçu, car aucune des deux communautés n'a
considéré qu'elle devait le récompenser de ce qu'il a fait pour elle ou, plus
précisément, pour ceux qui se présentent comme ses chefs.
Les chiffres -
implacables - montrent en tout cas que son attitude ne lui a fait gagner, de
manière significative, ni les faveurs des électeurs juifs, ni celles des
électeurs africains-américains.
En l'an 2000, George W. Bush se présentait à
l'élection présidentielle contre le démocrate Al Gore. On ne savait pas alors
qu'il nommerait Powell et Rice à d'aussi hautes fonctions, ni qu'il soutiendrait
l'Israël de Sharon au-delà du raisonnable : 90 % des Africains-Américains ont
voté pour Al Gore et 9 % pour Bush.
En 2004, les Africains-Américains ont à
peine changé leur vote : 88 % d'entre eux ont voté contre Bush (pour Kerry) et
seulement 11 % d'entre eux lui ont donné leurs voix.
Quant aux juifs, 74 %
d'entre eux ont voté Kerry ; en 2000, ils étaient 79 % à voter pour Al Gore.
Très étonnant, n'est-ce pas ?
Interrogés, les spécialistes de ce qu'on
appelle « la cuisine électorale » me disent que George W. Bush a tout de même
réussi, en 2004, à « grappiller » quelque 3 % ou 4 % chez les
Africains-Américains et autant chez les juifs.
C'est peu, certes, mais lui
et son stratège électoral, Karl Rove, savaient qu'ils n'en gagneraient pas plus
en caressant les Noirs et les juifs dans le sens du poil. Mais ils redoutaient
de perdre de l'influence - et des voix - au sein de ces deux communautés, plus
portées à sanctionner le candidat qui les ignore qu'à récompenser celui qui les
flatte.
- Reste les musulmans. Aux États-Unis, les musulmans ne sont, à ce
jour, ni une force électorale significative, ni un lobby suffisamment efficace
pour qu'on en tienne compte. Les relations de George W. Bush avec eux se situent
donc sur un autre plan : celui créé par le 11 septembre 2001.
Il n'ignore
pas complètement les musulmans d'Amérique, car ils sont quelque six millions, et
les conseillers du président, de même que quelques élus républicains, lui
rappellent de temps à autre que « des gestes » sont nécessaires pour montrer
qu'on n'oublie pas leur existence.
Mais ce sont les autres, le milliard et
demi de musulmans présents sur les cinq continents, qui le préoccupent.
Il en
avait à peine entendu parler avant le 11 septembre 2001. Depuis, ils envahissent
ses pensées, et une formule de l'un de ses conseillers est restée gravée dans sa
tête : « Tous les musulmans ne sont pas des terroristes, mais tous les
terroristes (qui nous combattent) sont musulmans... »
Musulmans ou
islamistes ? Je pense que George W. Bush ne fait pas de différence entre les
deux et n'est pas loin de penser qu'en tout musulman il y a un islamiste (qui ne
sommeille pas).
Si vous pensez que l'actuel président des États-Unis est
moins simpliste, lisez ce qu'en a dit, ce 8 décembre 2004, l'ancien Premier
ministre de Malaisie, Mahathir Bin Mohamad :
« Lorsque les avions se sont
écrasés sur le World Trade Center le 11 septembre 2001, le président George W.
Bush a immédiatement trouvé la bonne explication : c'était parce que les
musulmans étaient jaloux de la liberté dont jouit le peuple américain. C'était
parce que les musulmans étaient pauvres.
Explications courtes et qui
montrent que le président des États-Unis ne comprend rien à la vraie nature des
choses.
De même, il est probable qu'il ne sait pas très bien pourquoi le
dollar se déprécie et pourquoi le prix du pétrole s'envole. Il est tout aussi
probable qu'il ne fait pas le lien avec les énormes déficits américains ou avec
les dépenses incontrôlées de son gouvernement.
Il ne faut pas s'imaginer que
Bush va faire le moindre geste pour redonner au dollar sa véritable valeur. Pas
plus que pour faire baisser le prix du pétrole. »
Il peut d'autant moins le
faire qu'il s'occupe pour l'heure de... Kofi Annan, secrétaire général des
Nations unies, devenu « l'homme à abattre » des conservateurs américains.
Bush, lui, ne veut pas abattre Kofi Annan, dont le mandat se termine en
2006. Seulement l'affaiblir pour qu'il redevienne obéissant à 100 % tout au long
du temps qui reste à courir d'ici à la fin de son mandat - et intimider ceux que
son exemple aurait pu encourager à sortir du rang.
Le pauvre Kofi Annan a eu
le malheur et le courage (tardif et tout relatif) de dire que leur guerre en
Irak est « illégale », que détruire Fallouja pouvait paraître excessif et que
tenir des élections dans un pays où la sécurité n'est pas assurée partout est
hasardeux.
De la nouvelle « croisade » de Bush et de ses conservateurs,
cette fois contre l'ONU et son secrétaire général, François Soudan traitera
longuement la semaine prochaine.
Et nous vous dirons qu'après Kofi Annan
viendra le tour de... Jacques Chirac. Il faudra que d'ici à 2007 il se « tienne
à carreau ».
10. Les ombres du passé projettent leur
poids sur le présent (À propos de la visite de Mahmoud Abbas à Damas)
par Subhi Hadidi
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du
vendredi 10 décembre 2004
[traduit de l'arabe par
Marcel Charbonnier]
Que Dieu accorde Sa
miséricorde au Président palestinien, Yasser Arafat !
Ma foi, on dirait
bien qu’il était le trouble-fête, le semeur de zizanie, le rabat-joie, le
diviseur, l’empêcheur de s’embrasser en rond, l’extincteur à sourires
!…
Sinon, comment expliquer toutes ces réjouissances moyen-orientales, qui ne
cessent de se succéder et de se coordonner, après sa disparition ? Quelle
lecture pouvons-nous faire des réjouissances de son successeur Mahmûd ‘Abbâs, au
Caire, à Amman, à Beyrouth ? En attendant, demain : Jérusalem occupée ? Le point
de passage d’Erez ? Et, après-demain : Washington ? Londres ? Comment expliquer
le rire à gorge déployée d’Ariel Sharon étreignant l’espion israélien Azzam
Azzam (tout en critiquant – pourquoi se gêner ? – le rire identique qui a
accompagné la rencontre entre le président égyptien Husniyy Mubârak et les «
étudiants » égyptiens libérés de leur « captivité » israélienne) ? Dans quelle
rubrique de la bienfaisance devons-nous classer les vingt millions de dollars
que la Maison Blanche a promis d’envoyer à l’Autorité nationale palestinienne
sans tarder, et les millions encore plus abondants promis par l’Union européenne
?
En particulier, quelle lecture pouvons-nous faire du sourire de Mahmûd
‘Abbâs, d’une oreille à l’autre, en présence du président syrien Bashshâr
al-‘Asad, n’était celle consistant à dire que le regretté Arafat représentait
l’obstacle, l’empêchement, le problème, entre la Syrie et la Palestine, ou
plutôt : entre le parti Ba’th arabe socialiste et le Mouvement de Libération
Nationale Palestinienne (Fath) ? Dieu est Celui qui change les choses les
destinées et Celui qui ne change pas : il y a un monde entre l’accueil fait par
al-‘Asad à ‘Abbâs, voici quelques jours, et celui qu’il fit à Arafat, dans le
même palais présidentiel, lorsque celui-ci était venu lui présenter ses
condoléances après le décès de Hâfiz al-‘Asad (père) ! L’hôte syrien s’était
départi des plus élémentaires traditions de l’hospitalité arabe : il avait
accordé un entretien en tête-à-tête avec tous les chefs d’Etat (y compris à
celle qui était alors la Secrétaire d’Etat américaine, Madeleine Albright, et
même au révérend Jessie Jackson !). Mais il a laissé poireauter Arafat une bonne
heure dans le salon présidentiel ouvert aux plus simples des quidams venus
présenter leurs condoléances (certes, le fait qu’il soit venu à Damas en faisant
de l’auto-stop et en empruntant l’avion personnel du président Husny Mubârak ne
plaidait pas en sa faveur, mais tout de même…)… Quelle explication y a-t-il à
cela, sinon la satisfaction américaine, et sans doute israélienne ? (Parmi les
nombreux symptômes, nous relèverons au tout premier chef le soin mis à minimiser
les liens entre le « Hamâs » et le « Hizbi-Llâh », qui passent pourtant par
Damas…). Que veut, précisément, ‘Abbâs du régime syrien ? Les régimes arabes,
tout particulièrement dans la phase de décadence qu’ils traversent aujourd’hui,
ne nous ont pas habitués à une quelconque coordination, bilatérale, trilatérale,
ou multilatérale fût-elle, qui soit avant tout au service des peuples, et par
ailleurs cela n’est pas particulièrement dans les habitudes de Damas de soutenir
l’OLP afin de renforcer l’autonomie de la décision nationale palestinienne, ni
de soutenir la position palestinienne dans les négociations, ni même d’aider
concrètement et directement le peuple palestinien sans passer par les
institutions et les organismes de ladite Autorité palestinienne.
Qu’attend
donc Abû Mâzin du régime syrien, en particulier, maintenant ? Le peuple
palestinien aurait-il apuré ses règlements de comptes politiques urgents (les
élections présidentielles), et aurait-il reçu de l’administration Sharon ou de
l’administration George Bush, ou même de l’administration Husniyy Mubârak quoi
que ce soit qui lui permette de penser que les solutions sont à portée de la
main, et qu’il faut absolument une coordination syro-libano-palestinienne, afin
de faire face à la tempête américaine, unis telle une maçonnerie plombée ? Mis à
part le décès d’Arafat – c’est-à-dire la disparition du paysage de l’homme «
persona non grata » à Damas, qu’y a-t-il de changé dans la position syrienne
vis-à-vis de la cause palestinienne ? Le regretté Arafat n’a-t-il pas rencontré,
des fois, Bashshâr al-‘Asad au sommet d’Amman, avant que les autorités
palestiniennes ne l’enferment dans la « Muqâta’a » ? ‘Abbâs Zakiyy, membre du
Conseil exécutif du Fatah, n’est-il pas allé, en tant qu’envoyé personnel
d’Arafat, à Damas, au début janvier 2002 ? A-t-il entendu grand-chose de nouveau
de la bouche du vice-président Abd-al-Halîm Khaddâm, et n’est-il pas revenu
quasiment bredouille ?
Et la « stratégie de paix », suivie par le régime
syrien dans son dialogue – direct et indirect - -secret ou ouvert – avec l’Etat
hébreu et l’administration américaine, a-t-elle changé en quoi que ce soit ? Les
fondations de cette stratégie n’ont-elles pas été élevées sur la domestication
des « cartes extérieures » où et de quelque façon qu’elles aient été chassées et
réunies dans la poigne du régime au pouvoir, au profit de sa position dans les
négociations ? Le régime syrien a-t-il cessé de mettre l’intérêt national
libanais (variante : « le processus libanais », selon l’expression ô combien
plus subtile !) dans la tranchée de la défense, avant toute chose, des intérêts
du régime syrien (variante : « le processus syrien » - expression qui, si tu
trouves plus subtil : tu meurs !), alors que le « processus palestinien » ne
vient qu’en deuxième position ?
Ou, plus exactement, tel aurait dû être la position de ce « processus » si
Yasser Arafat s’était prosterné devant Hâfiz al-‘Asad, et s’il avait dit le «
na’am » (oui) requis. Non pas avant, ni pendant, ni après la conférence de
Madrid, comme d’aucuns le pensent. Ni en 1994, lorsque Arafat s’est rendu à
Damas afin d’y présenter ses condoléances après le décès de son père au fils
aîné du président syrien, Bâsil al-‘Asad. Ni au cours de l’unique visite
qu’effectua Arafat dans le village d’Al-Qurdâha (fief et pépinière des ‘Asad), à
la fin juillet 1996, au cours de laquelle il avait apporté dans sa besace des
propositions israéliennes de reprise des négociations, tout en mettant un soin
remarqué à ce que la délégation palestinienne comporte des têtes susceptibles
d’agréer à Damas (Fârûq al-Qaddûmî, Hanân ‘Ashrâwî et Zuhdî al-Nashâshîbî…). Il
s’agissait rien moins que du « na’am ! » (oui !) dont on attendait d’Arafat
qu’il le prononce, depuis quarante ans, exactement !
L’histoire lui est
témoin qu’à peu près à cette période, mais de l’année 1964, une escadre
appartenant aux services des renseignements militaires syriens arrêta et
emprisonna Yasser Arafat, qu’elle accusa de « préparer des attentats terroristes
», après avoir inspecté le coffre de sa voiture et y avoir trouvé des bâtons de
dynamite. Quelques heures après, il fut libéré, mais l’incident parut suspect,
car Arafat transportait de la dynamite au vu et au su des dirigeants syriens, et
il avait même reçu l’autorisation officielle de transporter des armes de divers
modèles jusqu’aux camps d’entraînement du « Fatah » en Syrie. Et le colonel
Ahmad Suwaïdânî, chef d’état major syrien à l’époque, avait transmis
personnellement cette autorisation à Arafat, après des négociations entre les
deux hommes, entamées au printemps de la même année.
Que s’est-il passé ? Il
est vrai que l’ordre direct d’arrestation avait été émis par le chef de la
section « Palestine » des services de renseignement militaire, mais le véritable
commandant était l’homme fort dans l’armée syrienne, jouissant d’une influence
incontestée dans tous les services de renseignement, le chef de l’armée de
l’air, le général… Hâfiz Sulaymân al-‘Asad ! Le colonel Suwaïdânî incarnait
l’ambition du parti Ba’ath au pouvoir de monopoliser la cause palestinienne,
politiquement et idéologiquement. A cette fin, il avait convaincu la haute
hiérarchie de donner au « Fatah » carte blanche pour s’entraîner sur le
territoire syrien. A contrario, Al-‘Asad incarnait ses ambitions personnelles de
prendre le contrôle des rênes du pouvoir et de préparer la prise en main de
l’Etat, c’est pourquoi il avait rappelé à Arafat que c’était lui, ‘Asad, qui
était le plus fort, et qui décidait en dernière analyse. Qu’il incarnait
l’instance suprême à laquelle le « Fatah » devait se référer, en tous les
cas.
Cet incident marquera le début d’une longue histoire de haine entre
Arafat et son adversaire arabe le plus impitoyable : Hâfiz al-‘Asad. Celui-ci ne
cessera jamais de chercher à transformer toutes les formations de la résistance
palestinienne, et en particulier le « Fatah », en carte à jouer dans sa poche,
au service de ses propres plans, tant tactiques que stratégiques. Quant à
Arafat, il ne cessera jamais d’insister sur la nécessité que le fusil
palestinien, et par conséquent la décision palestinienne, restent dans une
indépendance totale des différents régimes arabes, et à l’écart de leurs
tiraillements internes ou régionaux.
L’histoire de l’animosité, à dire le
moins, entre les deux hommes, comporte plus d’un incident stupéfiant. Ainsi, en
mai 1966, rapportent plusieurs sources, les renseignements militaires syriens
ont tenté d’assassiner Arafat, lors de sa rencontre avec l’homme de la Syrie au
sein de la résistance palestinienne, le chef du « FPLP [« Front Populaire de
Libération de la Palestine »]– Commandement Général », Ahmad Jubraïl, dans un
des QG secrets de Damas. La tentative échoua, parce qu’Arafat s’était absenté,
après que l’un des sicaires chargés d’organiser son assassinat ait « fait
sécession », rejoignant Arafat et lui racontant tout…
Début juillet, dès le
début de l’offensive militaire jordanienne généralisée contre les formations
palestiniennes se trouvant en Jordanie, al-‘Asad donna l’ordre (il était depuis
peu président de la Syrie) de fermer les frontières jordano-syriennes, ce qui
fit des « fidâ’iyyîn » des proies faciles pour les forces du Roi Hussein.
L’objectif suivant d’al-‘Asad fut la liquidation de la présence tant politique
que militaire des Palestiniens, et d’Arafat au tout premier chef, de l’ensemble
du territoire libanais. Cela fut une partie du prix à payer pour le silence
d’Israël et des Etats-Unis sur la vaste présence syrienne, tant militaire que
politique, au Liban.
Peut-être al-‘Asad n’a-t-il pas pardonné à Arafat
d’avoir tenu, des semaines durant, face au blitz israélien au Liban, en juin
1982, révélant, ce faisant, l’incapacité du régime syrien non seulement à
affronter Israël militairement, mais aussi ne serait-ce qu’à assurer les
munitions et le ravitaillement aux troupes syriennes prises au piège. Par
contraste, les soldats syriens n’oublieront jamais que c’est Arafat qui leur
distribuait des boîtes de conserve, de ses propres mains ! Dans le même ordre
d’idée, al-‘Asad n’a jamais pardonné à Arafat d’être parti pour la Tunisie, et
non pas pour la Syrie, comme l’avaient fait la majorité des dirigeants
palestiniens, après le cessez-le-feu et la sortie des Palestiniens du
Liban.
En février 1983, au cours de la réunion du Conseil National
Palestinien [CNP] à Alger, al-‘Asad déployé (aidé directement en cela par le
colonel Mu’ammar al-Qadhdhâfî, qui avait approché à son tour Ahmad Jubraïl) tous
les efforts dont il était capable afin de diviser l’OLP, sur fond de « bradage »
par Arafat de la cause palestinienne, s’il acceptait ce qu’on appelait à
l’époque le « plan (de paix) Reagan ». Bien que le Conseil ait rejeté ce plan,
la formulation du refus laissait à la direction de l’OLP une marge de manœuvre
qui angoissait al-‘Asad, et qui l’amena à redouter – ô paradoxe ! – un
renforcement de la coopération entre Arafat et le roi Husseïn (de Jordanie)
!
Ainsi naquit la rébellion d’Abû Mûsâ contre Arafat. Avec des armes
syriennes et en collusion avec les « Fathawiyyîn » dissidents, les positions de
l’OLP furent bombardées dans les camps de réfugiés de Shâtîlâ et de Burj
al-Barâjinéh, afin d’en faire sortir Arafat et de préparer la grande bataille de
Tripoli (Tarâbulus), durant l’été 1983. Rien d’étonnant à ce qu’al-‘Asad ait été
frappé de stupeur, et entra dans une colère noire, lorsqu’il vit qu’Arafat lui
tenait tête et venait même inopinément en Syrie, négocier avec les
scissionnistes. Poussant à l’extrême le défi, après une rencontre ouverte avec
le frère du président syrien, Rif’at al-‘Asad, qui était alors à l’apogée de son
influence, Arafat disparut de la circulation, et s’enterra, littéralement. Le 23
juin, il y eut la caravane d’Arafat, qui se déplaça, par voie de terre, jusqu’à
Tripoli, et comportant même la voiture personnelle du chef de l’OLP. Elle essuya
une offensive militaire, à l’arme lourde. Mais la grosse surprise, ce fut…
l’absence d’Arafat de ce convoi, et son apparition, pétant la forme, et
prononçant un discours enthousiaste et enflammé ailleurs, dans la capitale
syrienne même, et dans un lieu des plus inattendus qui soient. Je vous le donne
en mille : Arafat a fait son apparition au beau milieu d’un congrès des
écrivains arabes !
Ainsi, il ne restait plus à al-‘Asad qu’à prendre la seule
résolution qui restait à sa disposition : chasser Arafat de la capitale syrienne
en le déclarant persona non grata. Et effectivement, le 24 juin 1983, on retarda
l’avion de la Tunisair. Dans son livre « Arafat », Alan Hert raconte que George
Habash, ce grand dirigeant palestinien, chef du « Front Populaire de Libération
de la Palestine » [FPLP] à l’époque, fur le dernier des Palestiniens à saluer
Arafat à l’aéroport de Damas, et Hert rapporte qu’il lui a dit, après l’avoir
étreint : « Par Dieu, Abû ‘Ammâr, si toi tu quittes la Syrie de cette manière,
alors comment la quitterai-je, moi ? Sans doute, dans un cercueil ! »
[«
Bi-Llâhi, yâ ‘Abû ‘Ammâr, idhâ kunta ‘anta tughâdiru-sh-Shâm hâkadhâ, fa-kayfa
sa-‘ughâdiru-hâ ‘anâ ? Rubbamâ fî kafan ! »]
Mais Arafat lancera une
dernière fois le gant du défi, avant même que trois mois ne se soient écoulés !
Ainsi, en septembre, d’une manière qui stupéfia le monde entier, et surpris
jusqu’à ses plus proches collaborateurs, Arafat arriva à Tripoli à bord d’un
petit bateau, semblant déterminé à se jeter dans la gueule du loup. Les
Israéliens le cernèrent, par la mer, tandis que les Syriens le tenaient sous le
feu de leurs canons depuis la terre. C’est alors qu’à la BBC, un journaliste
britannique spécialiste de la politique syrienne, Patrick Seale, considéra que
le sort d’Arafat serait scellé dans quelques heures, au maximum. Peter Mansfeld,
un autre spécialiste, acquiesça. De son côté, al-‘Asad fut plus réaliste que
Seale et Mansfeld. Il donna à Arafat huit jours de survie : quatre jours pour
liquider les camps de réfugiés + quatre jours pour régler leur sort à Arafat et
à ses partisans assiégés dans Tripoli !
Si ces événements sont palpitants, ce
n’est ni parce qu’elles s’assimilent au pur film policier, ou de guerre, ou
d’aventure, mais parce qu’ils comportent une grande signification qui n’a pas
cessé d’avoir des conséquences, y compris aujourd’hui. Et il ne faut pas qu’ils
s’effacent de la mémoire de Mahmûd ‘Abbâs, lorsqu’il distribue ses sourires de
jeune premier à la cantonade, en présence de Bashshâr al-‘Asad. Non seulement
parce que l’histoire risque de se répéter sous la forme d’une comédie de
boulevard, en lieu et place du drame absolu, mais aussi parce qu’il est
extrêmement rare que l’élève surpasse le maître !
11. Naplouse vote Mahmoud Abbas par Benjamin
Barthes
in La Croix du jeudi 9 décembre 2004
Le 9
janvier prochain aura lieu l’élection présidentielle palestinienne provoquée par
la mort de Yasser Arafat. Reportage à Naplouse où nombreux sont ceux qui se
rangent derrière le candidat du Fatah
Une parade militaire à la gloire de Mahmoud Abbas. Cent cinquante
activistes qui défilent en rang serré, kalachnikov au poing, en scandant leur
fidélité au nouveau chef de l’OLP. C’était il y a deux semaines, dans les
ruelles poussiéreuses de Balata, un camp de réfugiés en lisière de Naplouse. Les
Brigades des martyrs Al-Aqsa prêtaient allégeance au favori de l’élection
présidentielle de janvier. La milice du Fatah, fer de lance de l’Intifada,
s’inclinait devant celui qui, dans chacune de ses interviews, pourfend cette
même Intifada et promet d’y mettre un terme. Le lendemain, les images des
combattants encagoulés brandissant le portrait de celui que l’on surnomme ici
Abou Mazen, avec son complet gris de gestionnaire tranquille, firent la une des
journaux locaux.
Un geste paradoxal ? Pas pour Abou Jaber, un résident de
Balata qui participa au défilé. «Quand Arafat agonisait et qu’Abou Mazen
intriguait en coulisses, on a manifesté contre lui. Mais maintenant qu’Arafat
est mort et qu’Abou Mazen est le candidat officiel du Fatah, on se range de son
côté.» Âgé de 35 ans et père de cinq enfants, Abou Jaber n’est pas seulement un
militant discipliné. Au chômage depuis que des tirs israéliens l’ont blessé au
bras et à la jambe, soutenu financièrement par ses frères, il voit en Abou Mazen
la solution à ses soucis.
«Il a de l’expérience et des relations. J’espère
qu’avec lui, les check-points seront enlevés, que la sécurité s’améliorera et
que les gens pourront retourner travailler en Israël. L’Intifada nous a pris les
meilleurs de nos jeunes. Cette situation ne peut plus durer.» Selon lui,
Marouane Barghouti, le tribun de l’Intifada, qui a annoncé sa candidature depuis
la prison israélienne où il purge cinq peines à perpétuité pour terrorisme,
s’est «discrédité» par ses revirements successifs. «Il a dit qu’il se
présentait, puis non, puis oui. Qu’est ce que ça veut dire ? Je ne veux pas d’un
nouveau président emprisonné.»
Désenchantement croissant vis-à-vis
de l’Intifada
À un mois de l’élection, les sondages donnent Abbas et
Barghouti au coude-à-coude. Mais les mots d’Abou Jaber sont révélateurs d’une
nouvelle tendance dans la rue palestinienne. Un désenchantement croissant
vis-à-vis de l’Intifada, une soif d’apaisement qui pourraient assurer la
victoire du compagnon de route historique d’Arafat, partisan d’un règlement
négocié, sur le héraut de la lutte armée, en révolte contre la vieille garde du
Fatah.
Le fait que ce phénomène, flagrant dans les grandes villes, soit
désormais perceptible à Balata est d’ailleurs symbolique. Le camp, qui est le
plus peuplé de Cisjordanie, avec 22 000 habitants, a toujours été le berceau des
soulèvements palestiniens. C’est dans ce bastion du Fatah, foyer d’activisme,
que sont nées à l’automne 2000 les Brigades des martyrs Al-Aqsa, dont Barghouti
fut, sinon le chef, du moins l’inspirateur. C’est à Balata aussi, en février
2002, que pour la première fois de l’Intifada, les blindés israéliens sont
entrés dans un camp de réfugiés. Les offensives, les couvre-feu et les rafles
n’ont pas cessé depuis.
Aujourd’hui, l’endroit plie sous le poids de la
misère et des deuils. Deux tiers de la population au chômage, plus de 200
résidents en prison, 106 personnes tuées, dont de nombreux enfants. Ce très
lourd tribut payé à l’Intifada a fait pâlir l’étoile de Barghouti. «Quand les
rumeurs sur sa candidature ont commencé à circuler, les gens ont spontanément
réagi avec enthousiasme, raconte Walid Abdel Hadi, un jeune membre du Fatah. Car
Marouane est une figure très aimée, dont les réfugiés se sentent proches. Mais
très vite, l’effet s’est dissipé et ils ont commencé à se demander : “Mais quel
genre de président va-t-on avoir s’il est élu ?”»
Taysir Nasrallah, l’un des
notables du Fatah de Balata, âgé de 43 ans, approuve. Sa carrière a suivi la
même trajectoire que celle de Barghouti : le militantisme à l’université, la
prison au début des années quatre-vingt, l’exil à Amman durant la première
Intifada. «Nous avons lutté ensemble. C’est un ami. Émotionnellement, je suis
proche de lui. Mais intellectuellement, je ne suis pas sa démarche. Les gens
veulent un leader qui résolve leurs problèmes, pas quelqu’un qui les
aggrave.»
Le cavalier seul de Barghouti inquiète
Le cavalier seul de Barghouti inquiète pourtant les partisans
d’Abbas. Le chef de file des jeunes cadres du Fatah conserve de solides soutiens
dans le camp. «Ils ne le diront jamais ouvertement car ils ont peur pour leur
siège», dit un journaliste de Naplouse. Les pro-Abbas ne sont pas non plus dupes
du revirement des Brigades. «Leur souci premier, c’est que le robinet à fric ne
s’arrête pas, explique un membre du Fatah sous le couvert de l’anonymat. Comme
ce n’est pas Marouane qui les paiera depuis sa cellule, publiquement ils
soutiennent Abou Mazen.»
Un jeune membre des Brigades, surnommé Abou Hadid,
confirme : «Je dis ce que dit le Fatah. Mais personnellement, je préfère
Marouane. Il connaît notre souffrance et il est propre. Comme lui, je pense que
nous ne créerons pas notre État sans les armes. Nous avons essayé les
négociations, mais cela n’a pas marché.» L’un des responsables de la campagne
pour libérer Barghouti argumente, à la condition que son nom ne soit pas cité :
«Quel est le problème si notre président est en prison ? Notre peuple tout
entier est en prison. Dans sa cellule, Marouane sera le meilleur symbole
possible de notre lutte.»
Lundi 6 décembre, les partisans d’Abbas se sont
réunis en urgence autour du gouverneur de Naplouse, le chef de sa campagne. Le
matin, la presse avait publié un sondage réalisé par l’université de Bir Zeït,
qui donnait 46 % des intentions de vote à Barghouti contre 44 % à Abbas.
Inquiets, les participants ont décidé de doper sa campagne. «Il faut qu’il
vienne à Naplouse, dit Taysir Nasrallah. Le candidat du Fatah ne peut pas se
permettre de faire un score moyen.» L’objectif est aussi d’obtenir que Barghouti
retire sa candidature. Dans les prochains jours, les visiteurs devraient se
succéder dans sa cellule pour le faire changer d’avis. Malek Nasrallah, un jeune
membre du comité populaire qui gère le camp de Balata, soutient cette démarche.
«Nous avons besoin de bâtisseurs, pas de héros.»
[Les dix
candidats à l’élection présidentielle : - Mahmoud Abbas (Abou
Mazen). Candidat unique du Fatah, 69 ans, chef du comité exécutif de l’OLP
depuis la mort de Yasser Arafat ; modéré, né à Safed en haute Galilée, il a été
premier ministre en 2003 ; principal architecte des accords d’Oslo. - Marouane
Barghouti. Indépendant, condamné à la prison à vie en Israël, 45 ans ;
secrétaire général du Fatah en Cisjordanie, charismatique et très populaire
parmi la «jeune garde» du Fatah. - Tayssir Khaled. Candidat du Front
démocratique de libération de la Palestine (FDLP), 63 ans ; revenu d’exil après
la création de l’Autorité palestinienne en 1994, il est l’un des principaux
dirigeants du FDLP, formation d’opposition de gauche ; originaire de Naplouse et
membre du comité exécutif de l’OLP. - Bassam Al Salhi. Candidat du Parti du
peuple (ex-communiste), dont il est le secrétaire général depuis 2003, 44 ans ;
né dans le camp de réfugiés d’Al-Amari, à Ramallah, il a dirigé le conseil
d’étudiants de l’université de Bir Zeit entre 1979 et 1981 et a été emprisonné à
plusieurs reprises en Israël. - Moustapha Barghouti. Indépendant, 51 ans,
opposant à la ligne actuelle de l’Autorité palestinienne, et sans lien de
parenté avec Marouane Barghouti ; secrétaire général de l’Initiative nationale
palestinienne, mouvement politique qui milite pour la démocratie ; dirige aussi
une importante ONG médicale palestinienne.- Hassan Kreicheh. Indépendant, 49
ans, né à Tulkarem, président intérimaire du Parlement et «monsieur
anti-corruption». - Abdelhalim Al Achqar. Indépendant, 56 ans, universitaire
établi depuis 1989 aux États-Unis, plusieurs fois arrêté, soupçonné de collecter
des fonds pour le Hamas. - Abdelsattar Qassem. Indépendant, 56 ans, professeur
de sciences politiques à l’université Al-Najah de Naplouse. - Abdelkarim
Choubeir. Indépendant, 45 ans, avocat à Gaza. - Alsayyed Barakah. Indépendant,
48 ans, ancien directeur général au ministère de la jeunesse et des sports à
Gaza.]
12. La rencontre entre Genet et une étoile
arabe par Marco Dotti
in Il Manifesto (quotidien italien) du
dimanche 5 décembre 2004
[traduit de l’italien
par Marie-Ange Patrizio]
(Marco Dotti est le
traducteur italien de Un captif amoureux et auteur de plusieurs études sur Jean
Genet.)
« Vers 1972 Mahmoud Al-Hamchari me conduisit chez l’écrivain
italien Alberto Moravia afin d’y rencontrer l’écrivain Wael Zuayter qui fut
assassiné en 1973. Curieusement l’Italie, si légère autrefois, me sembla pesante
comparée à la vie vagabonde des feddayin. Je revins donc au milieu d’eux en mai
1972, en passant par la Turquie d’Europe, celle d’Asie, la Syrie et la Jordanie
». Ce sont des souvenirs effacés et imprécis dans les dates, et peut-être même
dans les lieux, que Jean Genet confie aux pages de Un captif amoureux, le livre
de « souvenirs »(1) porté pendant plus de vingt ans, publié au printemps 1986,
quelques semaines seulement avant la disparition de l’auteur, et tour à tour
accueilli –sans grande rumeur critique, à vrai dire- comme un improbable
testament politique ou comme sa « dernière dissidence poétique ». Souvenirs chez
Genet, offusqués bien plus que par la maladie et le pressentiment d’une
fin imminente, par l’exigence lucide –déjà mise en œuvre avec une surabondance
baroque dans le Journal du voleur- de retourner les cartes à l’infini : en
imposant à lui-même et au lecteur un écart radical vis-à-vis de toute finalité
biographique et mémorialiste. Palimpseste de mémoires qui ne ré affleurent pas,
de situations narratives désordonnées, de faux plans stylistiques, de registres
informels et de relations syntaxiques déformées : Un captif amoureux est
toutefois capable, dans l’opinion d’un lecteur enthousiaste comme Félix
Guattari, de susciter, grâce à sa logique désordonnée, une lecture active,
intense, orientée sur les « singularités multiples » (femmes sans voix, peuple
sans terre) qui composent la trame d’une contre mémoire excentrique sur la
Palestine et ses alentours. Comme dit Stephen Barber dans son livre récent, et
très soigné, intitulé Jean Genet, introduit par Edmund White (Reaktionbook,
coll. « Critical lifes », 2004, 224 pages, 10,95 euros) sur cette sorte de «
fiction historique », qui introduit des interférences continues et des
déphasages dans le rapport entre imaginaire et niveaux de réalité. Dans son
livre, Barber propose une lecture fascinante de quatre nouages existentiels,
quatre folies critiques qui s’entrecroisent dans les pôles « sex, desire, death
and revolution », et traversent la vie et l’œuvre de l’écrivain. Dans Un captif
amoureux, sans renoncer à aucune des folies de «désir, révolte, beauté »,
Genet dessine le « reportage » d’une expatriation qui dure le temps d’une vie,
dans les noms des camarades de voyage ou de mésaventure, voués à un oubli
presque certain, et les épisodes qui affleurent « par vagues » pour venir
s’écrire ou se réinscrire une, deux, dix fois. « Comment naît un voyage ? », se
demande-t-il, pour ensuite en indiquer la motivation dans son (unique) « point
fixe », l’ « étoile polaire sur laquelle je m’orientais » dans la constellation
moyen-orientale intriquée. L’ « étoile » était un jeune palestinien appelé
Hamza, qui, avec sa mère, lui offrit hospitalité et refuge en décembre
1970, à Ajlun, dans les environs de Ibrid, en Jordanie. « Ce point fixe, écrit
Genet, a peut-être un nom, amour… »
A partir de la rencontre avec ce
jeune homme de dix-sept ans, et avec sa mère, que Genet essaiera sans repos de
retrouver (y arrivant et ce sera la fin du voyage), s’instaure ce que Guattari
définit comme « un opérateur ou synapse existentielle » : une fracture, en
d’autres termes, qui substitue la condition matérielle, psychique et sociale,
pour activer un « nouveau type de production de subjectivité ». L’écriture, le
voyage, la confrontation avec un peuple « désorienté » et, surtout, une « longue
recherche de rêves et de révolutions perdues », concourent au renforcement de
cette fracture productive, blessure dont il ne sortira plus de sang mais
une autre vie. Le rapport entre Hamza et sa mère, Genet le décrit et l’imagine
complètement coupé d’évènements temporels, absolument libre de liens avec la
mort. « Plus réel peut-être, que le réel même », donc irreprésentable, si ce
n’est en une page vide, transparente, sur laquelle de fait se referme le livre,
et sur laquelle sont écrits, en marge, les signes de sa propre
solitude.
Kadhim Jihad, raffiné
traducteur arabe de Genet, invite à lire Un captif amoureux comme un livre
joyeux, quelques fois sarcastique, traversé par une ligne marquée en noir mais
où prévalent , à bien y regarder, les tonalités claires. L’argot de la révolte
se décline avec précision dans la description des gestes quotidiens – la
préparation d’un thé, la danse, une partie de cartes- qui savent restituer la
dignité laïque d’un Orient non voilé par des ombres et qui, à la misère des
camps de réfugiés, oppose sa forme de résistance imperceptible. Résistance bien
symbolisée par la chaîne et la couleur des tissus avec lesquels « nourrissant la
joie quotidienne des yeux », les femmes palestiniennes exhibent une élégance
naturelle même devant la mort la plus indigne et obscène. Comme dans l’Evangile
de la pitié paysanne du récit homonyme de Marcel Jouhandeau, la résistance est
déclinée au féminin, selon la mère : « H. me présenta sa mère, c’était l’époque
du Ramadan. Quand je lui dis que je n’étais pas musulman, et que je ne croyais
même pas en Dieu, elle me regarda sans stupeur et sans dédain. C’était presque
midi. « S’il ne croit pas en Dieu, il faut lui donner quelque chose à manger ».
Elle prépara un repas. Le fait que je sois un mécréant au beau milieu du
Ramadan, lui avait fourni la réponse : le déjeuner. Elle, elle ne mangea
qu’après six heures, le soir. (…) Je donne l’exemple des façons simples,
aimables d’une femme palestinienne du peuple. Il me semble significatif que les
autorités ignorent encore combien les femmes palestiniennes ont arrêté de se
conduire à l’orientale, conformes aux traditions ».
Si nous connaissons, de cet «
extraordinaire rapport », le point d’arrivée représenté par l’adolescence
limpide, non criminelle, de Hamza, par la douceur de sa mère, par les essences
et le parfum des agrumes, douloureusement mêlés à la poudre à feu de la
Palestine, il est tout aussi important d’indiquer le point, ou les multiples
points de départ. Dans ce cas aussi, la lecture d’Un captif offre des indices
précieux : et les noms sur lesquels il faut arrêter notre attention sont ceux de
Mahmoud el Hamshari et Wael Zuaiter, bien qu’ils ne reviennent qu’en un seul
passage (rapporté au début de l’article) des plus de six cents pages du livre.
Figures bien que très différentes entre elles, vers la fin des années soixante,
pendant que la Guerre des six jours et la répression jordanienne aggravaient les
choses, Zuaiter et Hamshari offrirent à Genet (et à de nombreux autres voulant
comme lui aller au cœur du problème) la possibilité de se confronter de façon
intellectuellement ouverte avec la culture, et le drame, palestiniens. Une
confrontation militante, mais non étroitement idéologisée, pour Hamshari,
représentant de l’OLP à Paris, alors qu’était plus nuancée et raffinée celle de
Zuaiter, intellectuel atypique qui, comme notait Moravia, pouvait être défini,
au sens fort, comme un lettré : « c’est-à-dire qu’il avait pour la littérature
cette admiration que les intellectuels, souvent, n’ont pas ». Né à Nablus le 7
janvier 1934, fils d’un des juristes les plus raffinés et connus de son époque,
Zuaiter était arrivé à Rome en 1963, porté par une passion pour la musique et
l’art. Il connaissait comme peu la grande tradition poétique orientale, mais il
avait aussi une maîtrise attentive de la littérature européenne, surtout de
langue allemande. Par deux fois il avait accompagné Moravia dans ses voyages en
Orient, et Genet nourrissait l’illusion de pouvoir en faire autant avec lui,
espérant en outre impliquer les deux personnes dans le projet d’un groupe de
travail sur la Palestine, pensé sur le modèle du Groupe d’information sur les
prisons. Illusion parce que le 16 octobre 1972, alors qu’il rentrait chez lui,
Wael Zuaiter fut assassiné de douze coups de Beretta calibre 22 par une bande du
Mossad.
« Je me souviens » écrivait
justement Moravia, « que quand on survolait l’Arabie, Wael lisait Les
mille et une nuits et me parlait de cet arabe très beau dans lequel elle étaient
écrites. Nous avons eu une longue conversation sur Mahomet qui, selon certains,
ne savait ni lire ni écrire. Selon Wael une langue, outre comprise, doit
être aussi et surtout vécue, ce qui était le cas avec le Coran et avec Les Mille
et une nuits. (…) Je me bornerai à observer que sa première caractéristique
était une bienveillance sincère à l’égard de tout, choses et hommes ; et ceci me
semblait une qualité précieuse et rare surtout quand je pensais aux nombreuses
raisons qu’il avait de se laisser aller à la violence. Chez lui au contraire, il
y avait un refus absolu de la violence ».
Pour rappeler Wael Zuaiter,
Genet lui dédia un de ses textes les plus beaux et irrévérencieux, écrits
pendant la rencontre avec Hamza et sa mère, et ensuite transféré, par une
technique de cut-up dans son dernier travail : « Corps et visages sont offerts à
qui sait lire. On croit comprendre qu'ils ont voulu cette dureté afin de créer
ce nuage qui flotte sur le monde arabe, de déchirer les mythologies qu'on y a
peintes. C'est la révolte. Et c'est le cri affirmatif de soi, mais légèrement
tremblé comme si, en même temps qu'ils veulent crever le nuage, les combattants
songeaient à se protéger dans ses épaisseurs. Parlant de ce nuage, je n'évoque
rien d'autre que ce qui demeure en chacun après l'étude ou la lecture simple du
Coran où, pour mieux se dissimuler, tous les feddayin sont allés prendre leurs
noms de guerre. Il en résulte quelque chose d'acéré et de délicat : une
hésitation. Vaincre ? Se vaincre ? Devenir plus forts que quinze siècles
traditionnels, davantage même puisque existe l'expression « pré islamique
», à partir de laquelle il y eut Mohamed, sa légende qui couvre, dissimule sa
vie et fait douter d'elle, comme chaque légende fait douter de l'homme qui en
fut peut être l'origine, mais ce prophète, sceau des prophètes, qui ne savait
pas écrire, qui récitait ce que lui dictait l'ange Gabriel, qui lui même lisait
le Coran incréé posé sur les genoux d'Allah…»(2)
Deux moi plus tard, Hamshari
aussi fut blessé par un engin explosif, caché chez lui, à côté du téléphone. Il
mourra de ses blessures, en janvier 1973. Genet en fut ébranlé, troublé à
nouveau par un conflit qui touchait aussi ses affections les plus chères. Il
essaya alors de repartir vers la Jordanie, à la recherche du jeune Hamza. Il en
fut expulsé et n’y retourna que dix ans plus tard.
Edward Saïd
explique que le choix de Genet fut « le plus dangereux politiquement, le voyage
le plus effrayant » qu’on pouvait entreprendre dans cette décennie entre 1970 et
1980. Totalement différent de celui –c’est Genet qui parle- des nombreuse «
larves innommables qui voyagent en Concorde de Londres à Rio et vivent avenue
Foch ou aux Parioli ». Genet est « un homme amoureux de l’autre », exilé et
étranger à son tour, qui éprouve la plus profonde sympathie pour la révolution
palestinienne, comme révolte « métaphysique d’exilés et d’étrangers ». Sa guerre
« sans merci » contre un impérialisme entendu comme imposition, « exportation
d’identité », et « conscience nouvelle d’être un hors la loi, une personnalité
instable, constamment à la limite » représente « l’expérience cardinale de son
livre ».
Aspects, ces derniers, qui demeurent
étrangers au regard de Ivan Jablonka, jeune historien dont le travail (Les
vérités inavouable de Jean Genet, Seuil, 2004, 444p. 23 euros) malgré l’intérêt
très compréhensible, étant donné l’époque, qu’il suscite, est gâché par
d’innombrables pétitions de principe, par des méprises textuelles et par une
intention démystificatrice si déclarée (à la Henry-Levy, pour être clair),
qu’elle en résulte la moins crédible. Ce qui est stupéfiant, ça n’est pas les
accusations vagues d’antisémitisme, auxquelles s’ajoutent celles, apparemment
plus raisonnées, mais totalement déconnectées d’une problématique interne, qui
en font un texte qui serait porteur d’une sorte de « mystique du vide » ou d’ «
esthétique fasciste ». Ce qui stupéfie, plutôt, c’est que le Seuil,
éditeur habituellement rigoureux, publie un texte aussi approximatif que celui
de Jablonka. Il suffirait , pour démonter ce fastidieux château psychologisant
de Jablonka, de rappeler Nagisa Oshima, qui travailla sur Genet en réalisant une
version du Journal du voleur,grâce à la mise en scène de leur ami commun Masao
Adachi : selon qui, « le désir de renverser l’individuel dans l’anonyme, la soif
d’abandonner toute obscénité pour retourner au ventre maternel peuvent
apparaître comme des attitudes mentales enclines au fascisme, mais sans qu’on
puisse là établir une connexion directe entre leur représentation et le fascisme
même ». C’est justement l’absence de cette connexion, directe ou indirecte, qui
rend vaines les acrobaties auxquelles se livre Jablonka pour justifier son
propre saut logique. Malgré ses intentions, l’étude de Jablonka reste donc
inexorablement à moitié chemin, ni textuelle ni comparative, désarmée face à des
pages qui auraient requis , ne serait-ce que pour être démontées, un exercice de
critique rigoureuse ; tout comme il est incapable d’ajouter quoi que ce soit aux
accusations imprécises de « fascisme rouge » adressées en leur temps à l’auteur
de Pompes funèbres, avec une toute autre conscience et dans un tout autre
contexte historique et environnemental, par Maurice Duverger et Jacques
Ellul.
Et pourtant, rappelle encore Edward
Saïd, Genet ne fut jamais, en aucune manière, la variante excentrique de
l’ordinary visitor, blême occidental, dandy, bien protofasciste, lui, à la
« recherche (désespérée) de lieux et de populations exotiques à encenser dans
son prochain livre ». Ses déplacements entre la Palestine, la Jordanie et le
Liban ont toute la consistance, en plus de l’aspect, d’un voyage à travers et
contre les identités. Le défi confié à ses derniers écrits réside
entièrement dans ce processus qui le pousse à « n’épouser que les causes des
autres », même si, le plus souvent, ce sont des causes perdues. Dans un contexte
d’ « orientalisme dominant » prêt à articuler et codifier a priori toute
expérience « occidentale » du monde arabo-musulman et de l’autre, suggérait
Saïd, « il y a quelque chose de pacifique mais aussi d’héroïquement
subversif dans le rapport extraordinaire de Genet avec les arabes ». Quelque
chose, faudrait-il ajouter, de lucidement éthique.
(Merci à Marco Dotti pour ses précieuses
indications bibliographiques. Marie-Ange
Patrizio)
-
NOTES :
(1)- En français dans le texte
(2) - Jean Genet - Près
d’Ajlun (paru en italien dans le livre de Janet Venn-Brown, Per un palestinese
Mazzotta, Milano 1977 et repris en français dans Jean Genet, L’Ennemi déclaré,
Gallimard, Paris 1991, p. 177).
13. Leila Shahid contre l'interdiction
d'Al-Manar
Dépêche de l'Agence France Presse du dimanche 5 décembre
2004, 14h09
PARIS - La déléguée générale de Palestine à Paris, Leïla
Shahid, s'est prononcée dimanche contre l'interdiction de la télévision du
Hezbollah libanais, Al-Manar, voulue par les autorités françaises qui jugent ses
émissions "incompatibles" avec les "valeurs" de la France.
"Je ne perçois pas
de haine dans les émissions de cette chaîne", a déclaré Leïla Shahid dans un
entretien sur la chaîne publique France 2, admettant cependant n'avoir "pas
aimé" un film sur la diaspora diffusé par Al-Manar.
Elle a affirmé, en
revanche, qu'"un certain nombre de radios juives" tenaient "un discours de
haine" à son égard et qu'elles "n'étaient pas interdites, elles".
"Je suis
pour la liberté de toutes les chaînes", a déclaré la représentante de la
Palestine, estimant qu'interdire n'était pas le meilleur moyen.
"Si on va
interdire Al Manar, on ne va pas s'arrêter à une chaîne, on va interdire un
certain nombre de radios et de chaînes", a-t-elle dit, estimant qu'"il faut de
la pédagogie" et qu'on doit autoriser l'expression critique, "dans le respect de
ceux qu'on critique".
Leila Shahid a expliqué qu'elle n'a jamais eu
l'occasion de s'exprimer sur Al-Manar, mais qu'elle ne le refuserait pas. "Je
parle sur les radios et les chaînes israéliennes, je ne vois pas de raison de ne
pas parler sur cette chaîne", a-t-elle déclaré.
Le Premier ministre français
Jean-Pierre Raffarin, jugeant que "les programmes d'Al-Manar sont incompatibles
avec nos valeurs", s'est prononcé pour l'arrêt de ses émissions en France.
Le
Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), autorité chargée de réguler
l'audiovisuel en France, a autorisé le 19 novembre, sous de strictes conditions,
Al-Manar ("Le Phare") à émettre en France, et par conséquent dans l'ensemble de
l'Union européenne. Dix jours plus tard, il a demandé la suspension de la
diffusion de la chaîne après avoir constaté qu'elle avait diffusé des propos à
caractère antisémite.
Le Conseil d'Etat, la plus haute juridiction
administrative, devrait examiner cette question le 11 décembre.
Le
gouvernement soutient par ailleurs un projet de loi sur l'interdiction de
chaînes diffusant des propos racistes ou antisémites, qui devrait être discuté
au parlement avant la fin de l'année.
14. Un mur illégal par Françoise
Germain-Robin
in L'Humanité du samedi 4 décembre
2004
Un ouvrage documenté et engagé, véritable
réquisitoire contre le « mur de la honte », dont la Cour de la Haye a demandé la
destruction.
- Le Mur de Sharon,
d’Alain Ménargue (1), est publié aux Presses
de la Renaissance. 295 pages - prix : 18 euros.
Utile, car
dans ce livre de près de 300 pages, le journaliste retrace avec minutie la
genèse de la construction de cette « barrière de sécurité » (terminologie
officielle israélienne), théoriquement destinée, selon ses concepteurs, à
protéger la population israélienne des attaques des « kamikazes » palestiniens
venus de Cisjordanie. À propos des concepteurs du mur, il remet les pendules à
l’heure en rappelant que ce sont les travaillistes qui ont eu l’idée de cette «
séparation », à l’époque d’Ehud Barak déjà. Le mur figurait même en place de
choix - avec l’évacuation unilatérale de Gaza - dans le programme électoral de
leur candidat malheureux contre Ariel Sharon, Amran Mitzna, en janvier 2003. La
différence - et elle est de taille - était que les travaillistes entendaient le
construire sur la « ligne verte » du cessez-le-feu de juin 1967, ce qui pouvait
en faire une « frontière » entre deux États indépendants vivant côte à côte,
celui d’Israël et celui de Palestine.
Ariel Sharon, lui, construit le mur en
empiétant sans vergogne sur les territoires palestiniens, en saccageant des
paysages, en arasant des collines, en arrachant des millions d’oliviers, en
coupant des villages, en séparant les paysans de leurs champs et les enfants de
leurs écoles, toutes choses que l’enquête réalisée sur place par le journaliste
montre clairement. Le « mur de Sharon », la démonstration d’Alain Ménargue est à
cet égard implacable, ne vise donc pas seulement à protéger Israël, mais à
agrandir son territoire en englobant des terres palestiniennes, et surtout à
pousser les Palestiniens à l’exil en leur rendant la vie impossible. C’est très
exactement ce que l’extrême droite nationaliste israélienne appelle pudiquement
« le transfert volontaire », ou selon l’expression du général Eytam, ministre
sans portefeuille de Sharon qui se prend parfois pour le messie, « l’évacuation
par choix, qui consiste à faire en sorte que les Palestiniens choisissent
eux-mêmes de partir ».
Une vieille idée qui rejoint celle qu’exprimait, déjà
à l’époque des pionniers du sionisme, un théoricien d’extrême droite comme
Jabotinski, avec sa « muraille d’acier des baïonnettes juives » destinée à «
ôter aux Arabes toute étincelle d’espoir ». Celle que commença à réaliser la
Haganah au moment de la création d’Israël, en détruisant des centaines de
villages pour forcer les Palestiniens à fuir et à devenir à leur tour des
réfugiés.
Alain Ménargue cite abondamment à ce propos « les nouveaux
historiens » israéliens qui révèlent dans leurs ouvrages, depuis plus de dix ans
déjà, cette volonté délibérée de « chasser le maximum d’Arabes » de l’État
d’Israël en cours de création. L’un d’eux, Benny Morris, cité dans l’ouvrage,
ajoute même sans sourciller que si les dirigeants juifs de l’époque étaient
allés jusqu’au bout de ce « transfert » de population, il n’y aurait plus
aujourd’hui de problème palestinien. « Ben Gourion, écrit-il, a commis une
erreur historique, il n’est pas allé au bout des choses. Si Ben Gourion avait
nettoyé le pays dans son entier, notre État aurait été consolidé pour plusieurs
générations. Si l’histoire doit un jour mal finir pour les juifs, ce sera à
cause d’un Ben Gourion qui n’a pas parachevé le transfert de 1948 ». Le mot «
épuration ethnique » n’est pas dit, mais, pour Alain Ménargue, c’est bien de
cela qu’il s’agit.
C’est en cela que son livre est courageux : il montre très
clairement en quoi le « mur de Sharon » est bien, dans l’esprit du premier
ministre israélien et de son entourage, un instrument de la poursuite de cette «
épuration », un moyen de « continuer la guerre d’indépendance d’Israël », qui,
il ne cesse de le répéter, n’est pas encore achevée.
Il n’est pas facile,
dans le climat actuel, empoisonné par la résurgence de l’antisémitisme et les
passions nées de l’exacerbation du conflit, de dire certaines vérités. Alain
Ménargue, après Charles Enderlin ou Daniel Mermet, en a fait l’amère expérience.
Il a été sanctionné (2) pour avoir, maladroitement sans doute et avec le goût de
la provocation qui est le sien, parlé de « culture du ghetto » à propos de cette
propension du gouvernement Sharon à construire des murs.
Murs qui enferment
l’autre, mais qui vous enferment aussi, au moins mentalement, et qui sont un
jour ou l’autre destinés à tomber. Le livre se termine d’ailleurs sur une phrase
en forme de question prononcée par un Palestinien chrétien du quartier du mont
des Oliviers à Jérusalem : « Que ferait Jésus, face à un tel mur ?
»
- NOTES :
(1) Grand reporter
spécialiste du Proche-Orient dont il « couvre » depuis plus de vingt ans
l’actualité pour les différentes chaînes de Radio France ; iIa sans aucun doute
fait oeuvre utile et courageuse en écrivant le Mur de Sharon, dont 60 pages
d’annexes comportant notamment l’arrêt de la Cour internationale de justice de
La Haye qui, en janvier 2004, a déclaré le mur illégal et demandé sa
destruction.
(2) Il a dû démissionner de son poste de directeur adjoint de
Radio France internationale, après une conférence de presse au cours de laquelle
il avait affirmé que le premier ghetto juif avait été celui de Venise, construit
par les juifs eux-mêmes.
15. Le miracle de la fiole
d’ordure par Gideon Samet
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du
vendredi 3 décembre 2004
[traduit de l'hebreu par
Michel Ghys]
Ce qui restera quand sera retombée la
poussière de cette semaine intéressante et repoussante, ce ne sont pas les
mensonges et les ruses, les trahisons soi-disant soudaines, les paiements aux
orthodoxes, le style dégénéré, pas même la scène d’épouvante d’Ehoud Barak ni
les manœuvres de Shimon Peres. Pareilles choses sont déjà survenues dans le
passé pour disparaître en masse comme détritus, depuis les pots de vin en vue
d’un vote et autres manœuvres puantes jusqu’à l’inoubliable apparition du judoka
Barak chez Nissim Mishal [émission de télévision]. Ce qui restera, ce sont les
tendances qui se sont dessinées en toute vigueur la semaine passée et qui
influenceront le cours de l’année à venir, et peut-être des années à venir.
Elles font progresser l’Etat vers les profondeurs plus effrayantes encore d’une
crise nationale.
Voici les principales de ces tendances :
1. La destruction de l’opposition : l’effondrement de la
majorité d’Ariel Sharon au Likoud et au Parlement n’a pas infusé un esprit de
fête dans les artères de la force politique d’opposition. Il l’a seulement
affaiblie. Le parti Travailliste, qui patauge dans tous les sondages avec le
même pitoyable nombre de députés, attendait les revers de Sharon non pas pour en
profiter mais pour réaliser le rêve érotique de se glisser avec lui dans le même
lit. Peres participe maintenant à une autre manœuvre – une nouvelle
transformation du parti Shas : de Mr Hyde en Dr Jekyl – afin que son
incorporation, demandée par Sharon, puisse se réaliser. Cela se fera par une
sorte de farce verbale qui conférera au désengagement unilatéral un aspect de
démarche bilatérale avec les Palestiniens, comme l’exige l’homme d’Etat Ovadia
Yossef. De cette destruction de sa position d’alternative, le parti Travailliste
ne pourra pas se sortir aisément, même si Peres attend d’avoir 83 ans pour
briguer le pouvoir une fois encore.
2. Bye bye, le désengagement : cette semaine a vu se renforcer
la tendance profonde du gouvernement actuel de ne pas réaliser le désengagement
dans sa totalité (et bien sûr de ne pas aller vers un accord plus large). La
volonté de Sharon de se désengager de Gaza est à responsabilité limitée. Limitée
par l’opposition massive au sein du Likoud et maintenant aussi par les
partenaires orthodoxes à l’intérieur du gouvernement, plus le Parti National
Religieux et peut-être le parti Shas. Avec une telle compagnie, peut-être
commencera-t-on à se retirer et à évacuer une colonie et demie, afin de répondre
aux pressions de l’Amérique et de la majorité israélienne, mais pas plus. La
tendance au désengagement qui se réalise avec ardeur, elle, c’est celle de
Sharon à de se désengager des laïcs au profit des orthodoxes. Fondamentalement,
la démarche vise les futures élections, et pas une vraie séparation d’avec les
Palestiniens.
3. La conduite des dirigeants : nouvelle démonstration est faite
de la faiblesse immanente des têtes politiques (Sharon, Peres et coll.) dans la
compréhension d’un objectif national – le désengagement et un accord de paix –
et le choix de l’intérêt du moment. C’est un des traits marquants de la
direction nationale depuis l’assassinat d’Yitzhak Rabin. Il continuera à marquer
aussi l’année qui vient, sous la baguette de deux éminents vieillards dont le
chemin a débuté quelque part du temps du président Eisenhower, du dirigeant
soviétique Malenkov et des derniers jours de la vie de Churchill. La trahison de
Sharon-Peres à l’égard des objectifs de la nation et le niveau insuffisant des
gens de la deuxième ligne dans les partis, nous enseignent à quel point la crise
destructrice de ces jours-ci n’est pas le premier signe d’un nouveau système
politique. C’est une espèce de floraison tardive de branches desséchées.
4. Allô, y a-t-il un peuple ? La nouvelle coalition est
évidemment le contraire absolu de ce que veut la majorité du peuple. Sharon et
plus encore le parti au pouvoir, sont allés contre cette volonté en préférant
des partenaires orthodoxes, qui rechignent au désengagement, plutôt que le seul
parti sous Sharon qui soutenait le désengagement. Mais le peuple a l’air d’avoir
disparu, est assurément devenu muet quand il apparaît, dans les sondages, que
toutes les ignominies des dernières semaines et d’avant ne l’ont pas rapproché
d’une révolution électorale. Avec une rue aussi inerte, indifférente, il est
impossible de bâtir un rempart. Cette leçon tirée des événements récents nous
accompagnera encore un moment. Peut-être Peres et Sharon ne se font-ils pas
seulement une faveur à eux-mêmes par leurs efforts en vue de repousser les
élections : il faudra apparemment encore du temps avant que les défaillances de
ce gouvernement ne se glissent dans la tête de l’Israélien moyen.
5. Terrifiant pronostic n°1 : lorsque les Israéliens seront
finalement appelés aux urnes, il est fort possible qu’il y ait un désespérant
retour de déjà vu : Benjamin Netanyahou contre Ehoud Barak. Les deux anciens
chefs défaillants de gouvernement ont montré encore dernièrement que s’ils
avaient changé, comme ils nous l’avaient promis, c’est essentiellement en
pire.
6. Terrifiant pronostic n°2 : Barak qui a dit, parlant
soi-disant d’expérience, qu’il n’y avait personne de l’autre côté avec qui
parler et Netanyahou qui ne veut pas parler, ne feront que renforcer la tendance
profonde la plus médiocre qui s’est de nouveau signalée ces derniers mois. Entre
les chefs du Likoud et du parti Travailliste (et de Shinoui également), il y
avait seulement de minces différences de nuances à propos de la question de
l’accord de paix. Si Sharon-Peres sont les dirigeants que nous avons reçus cette
semaine et si Netanyahou-Barak sont la promesse qui est en route, vous pourrez
oublier tout progrès vers un accord de paix même si Abou Mazen se transformait
en père de la modération et que le Hamas devenait un caniche. Dans un système
politique où les orthodoxes sont de nouveau l’aiguille de la balance et où le
parti Travailliste est dehors, langue pendante, piétinant pour entrer, on peut
prévoir encore la guerre, encore des morts, et peut-être un effort héroïque pour
assurer la sécurité nationale en allant bombarder des objectifs nucléaires en
Iran avec notre fidèle partenaire, les Etats-Unis.
7. Miracle de Hanouccah : depuis Yahadout HaTorah jusqu’au parti
Shas, on a chanté cette semaine un miracle de Hanouccah avec le départ de Tomi
Lapid du gouvernement. Qu’ils se délectent de soufganiot, de beignets, de
kneidelekh. C’était un miracle de la fiole d’ordure [allusion au "miracle de la
fiole d’huile", de Hanouccah, NdT]. Pour la majorité du peuple, et avec toutes
les toupies de la politique dangereuse : ici, de grand miracle, il n’y aura pas.
Et pour longtemps. [allusion à la phrase évoquée par les quatre lettres écrites
sur les toupies de Hanouccah : « Il y a eu là un grand miracle » NdT]
16. Le Comité juif américain félicite le premier
ministre français d'avoir suspendu la chaîne TV du Hezbollah
Dépêche de l'agence PR Newswire du vendredi 3 décembre 2004,
17h27NEW YORK - Le Comité juif américain (AJC) a félicité aujourd'hui
le premier ministre Jean-Pierre Raffarin d'avoir agi rapidement pour suspendre
les émissions de Al Manar, la chaîne de television du Hezbollah, en France et à
travers l'Europe et lui retirer l'autorisation accordée il y a deux semaines par
le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA).
Le cabinet Raffarin a communiqué
aujourd'hui la décision du premier ministre à Valérie Hoffenberg, la
représentante de l'AJC à Paris.
"En intervenant rapidement pour écarter des
ondes ce promoteur de haine et de violence, le premier ministre Raffarin a agi
dans le sens des meilleurs intérêts et traditions de la France et de toute
l'Europe" a dit David A. Harris, le président exécutif de l'AJC.
"Al Manar et
d'autres chaînes diffusant des messages pareillement antisémites,
anti-américains et anti-occidentaux, ne sauraient avoir une place dans une
Europe qui promeut la tolérance, le pluralisme et la paix."
En demandant
aujourd'hui au Conseil d'Etat, la plus haute instance judiciaire du pays,
d'interdire à Al Manar tout accès au satellite français de communications
Eutelsat, le premier ministre a répondu aux violations évidentes des termes de
son autorisation par la station.
Celle-ci a en effet diffusé des propos
scandaleux concernant des complots "sionistes" visant à propager le Sida en
Afrique.
En autorisant Al Manar à diffuser sur Eutelsat, le Conseil supérieur
de l'audiovisuel (CSA).lui avait imposé un code de conduite strict, conforme aux
lois françaises contre les discriminations.
La direction de l'AJC et son
directeur des affaires internationales Jason Isaacson avaient critiqué
l'autorisation accordée à Al Manar - dont l'annonce fut faite le 19 novembre -
lors d'une réunion privée à Paris avec le porte-parole du gouvernement français
Jean-François Cope.
Par ailleurs, dans une lettre adressée au Président
Jacques Chirac, Harris et le président de l'AJC, E. Robert Goodkind, ont rappelé
les antécédents d'Al Manar, chaîne propageant l'antisémitisme et
l'anti-américanisme et célébrant les attaques suicide et d'autres
violences.
Ils conseillaient vivement le revirement immédiat de la décision
du CSA.
Dans ses conversations d'aujourd'hui avec l'AJC, le cabinet du
premier ministre a révélé que des conversations de haut niveau seront planifiées
pour que l'Union Européenne évaluent les dangers posés par des programmes de
télévision racistes et antisémites diffusés par le câble et les satellites dans
les 25 pays de l'UE.
Un haut fonctionnaire et conseiller du ministre français
de la Culture et des Communications Renaud Donnedieu de Vabres a déclaré à l'AJC
que le ministre de la Culture a fait parvenir à Viviane Reding, le commissaire
européen pour la Société de l'Information et les Médias, une lettre demandant
qu'un débat sur les programmes non européens de ce genre soit à l'ordre du jour
de la prochaine réunion des ministres de la Culture de l'UE.
L'AJC, qui a eu
des contacts avec bon nombre de politiciens et de guides d'opinion français
concernant le cas Al Manar, a coordonné sa réponse à l'autorisation de diffusion
avec le Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), qui
regroupe les associations franco-juives.
- Site Web :
http://www.ajc.org (American Jewish
Committee)
17. La haine de qui, au juste ? par Zvi
Bar’el
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du vendredi 3 décembre
2004
[traduit de l’anglais par Marcel
Charbonnier]
Gamal al-Ghitani, rédacteur en chef de la
revue en arabe Akhbar al-Adab [Les Nouvelles littéraires] publiée en Egypte, est
passé à l’action. Il a demandé au Dr. Ali al-Ratit, expert en droit
international, de traduire en arabe la loi de contrôle de l’antisémitisme,
signée par le président George W. Bush, à la veille des élections
présidentielles américaines. Depuis son adoption, en octobre dernier, cette loi
– qui, entre autres choses stipule que le Département d’Etat américain aura
l’autorité nécessaire pour identifier et poursuivre la piste des expressions
d’antisémitisme partout dans le monde – fait l’objet d’un débat fascinant dans
les milieux intellectuels arabes. Le plus gros de la colère arabe est dirigée
contre le monopole que les juifs ne cessent de revendiquer sur le concept
d’antisémitisme, alors que ce sont eux, les Arabes, qui constituent le plus
nombreux peuple sémite au monde.
« Le concept d’antisémitisme, vu par le gang
qui gouverne, de nos jours, à la Maison Blanche, se réduit à Israël, en tant
qu’Etat, et même pas aux juifs, en tant qu’ethnie ou que religion », dit
Ghitani. Pour lui, l’antisémitisme n’est pas autre chose qu’une manipulation
politique. Et puisqu’il s’agit de politique, alors les Arabes doivent, eux
aussi, se livrer au même petit jeu.
Du point de vue pratique, l’Egypte a
réussi, voici deux semaines de cela, à convaincre les responsables de
l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) de charger un
d’entre eux de pourchasser l’islamophobie, aux côtés de l’autre « inspecteur
Gadget » chargé de la surveillance du phénomène antisémite. Lors d’un séminaire
réuni à Sharm al-Sheikh, et après un intense lobbying égyptien auprès des pays
membres de l’organisation, le président actuel, un Bulgare, a accepté
d’entériner la position égyptienne, laquelle consiste à dire qu’il faut
identifier et pourchasser tous les phénomènes discriminatoires dans le monde –
et non pas le seul antisémitisme.
En Egypte, on a fait grand cas de cette
décision, présentée comme un grand succès diplomatique sur la voie de l’ «
égalisation des droits » enter la haine anti-juive et la haine anti-arabe ou
anti-musulmane. Voici deux ans de cela, l’OSCE avait décidé que «
l’antisémitisme représentait une menace pour la stabilité des sociétés, et était
susceptible de générer de la violence », et cette position servit de ligne
directrice à l’organisation pour le traitement du phénomène. La décision prise
il y a quinze jours élargit le champ de cette lutte, en donnant, en particulier
aux Arabes et aux musulmans le droit à accéder au standing international
officiel en matière de haine d’autrui.
Théorie alternative
Pour beaucoup
d’Arabes, le problème tient au fait que les juifs disposent d’un « acquis »
indéniable : l’Holocauste. Les tentatives d’en remettre en question la
véridicité ou de réviser à la baisse le nombre mythique des six millions de
juifs qui en ont été les victimes sont revenues dans la tronche des
négationnistes de l’Holocauste. Par conséquent, le discours au sujet des nombres
a dû être remplacé par un autre discours, différent, et le discours politique au
sujet du racisme de l’Etat d’Israël et du mouvement sioniste a été jugé
représenter un ersatz digne d’intérêt.
Ghitani exemplifie bien ce tournant,
dans l’explication qu’il donne dans son article : « Parfois, des auteurs arabes
soulèvent des questions quant à l’exactitude du nombre de juifs qui ont été
anéantis dans les camps de concentration nazis. Nous affirmons que ces questions
constituent une injustice. L’humanité ne se mesure pas seulement du point de vue
quantitatif. Une âme, à elle seule, renferme l’essence de toute l’humanité, et
la destruction d’une seule âme équivaut à l’anéantissement d’un million, et même
de plusieurs millions d’âmes. »
Mais sa conclusion personnelle, tirée de son
affirmation morale, soulève elle-même des questions. « L’annihilation d’une
seule âme humaine étant un crime universel, dont la gravité n’est en rien
diminuée, même si le nombre des victimes est peu élevé, ni elle n’est augmentée,
si le nombre des victimes est élevé. » Et dès lors que le nombre (des victimes)
ne sert plus de déterminant de la différenciation entre assassinat et
holocauste, et après que sa position morale eut été exprimée avec la rigueur
appropriée, et que la question des nombres (de victimes) eut été déclarée «
stupide », on peut passer au point essentiel.
D’après Ghitani, quand des
intellectuels arabes discutent de nombres (de victimes), « ils détournent
l’attention d’un véritable holocauste, tel celui qui est en cours, dans notre
région, jour après jour : l’holocauste qui est en train de se produire tant en
Palestine qu’en Irak. » C’est exactement la comparaison que les Etats-Unis
voulaient occulter au moyen de leur nouvelle loi, dit Ghitani. C’est le noyau
central de la politique sous-jacente aux récriminations pour
antisémitisme.
L’adoption de l’antisémitisme politique, du genre de celui qui
voit dans le sionisme et l’Etat d’Israël des excuses pour les antisémites, est
perçue par certains intellectuels arabes comme une alternative intéressante, et
en tous cas plus convenable et plus respectable, aux ratiocinations de la «
théorie des nombres ». Mais pour eux, toujours, il est difficile d’écarter
résolument le besoin d’attribuer le comportement des juifs à des racines
sous-jacentes. « Les juifs n’ont pas été les seules victimes des nazis. Les
Tziganes et les Slaves, dont les Russes, ont souffert tout autant. Il est vrai
qu’un très grand nombre de juifs ont été assassinés par Hitler, dans les camps
de concentration, et il y a toujours débat quant au nombre précis des tués », a
écrit la semaine dernière la commentatrice saoudienne Suraya al-Shahri.
Après
l’analyse « scientifique » de l’essence de l’antisémitisme et de la
classification des races existant dans le monde en fonction de leurs lointains
ancêtres Ham, Shem et Japhet, Mme Shahri passe au véritable sujet de l’article.
« L’intérêt d’Israël, c’est de maintenir la peur d’être persécutés et anéantis
dans le cœur de tous les juifs. Tel était le but des dirigeants juifs – empêcher
les juifs de s’assimiler afin de conserver leur pureté ethnique. Ils devaient
convaincre les juifs qu’ils ne vivaient que temporairement au sein des autres
nations, jusqu’au moment où ils entreraient en Terre promise (la Palestine).
Telle est l’explication des informations faisant état de l’implication d’Israël
dans l’organisation de persécutions anti-juives dans diverses régions du monde…
Les fondateurs de l’Etat d’Israël savaient parfaitement que les liens religieux,
partagés en commun par les juifs, ne suffiraient pas à assurer l’existence d’une
entité politique juive… Ainsi, ils ont trouvé le plus petit commun dénominateur
(dont ils avaient besoin) dans l’image d’une communauté ethnique, persécutée
pour des raisons et dans un contexte raciaux. »
C’est déjà là un argument
susceptible d’être reçu par le grand public ; c’est une analyse «
quasi-scientifique » de l’identité sioniste, et de sa difficulté à organiser sa
communauté. Ce sont là des choses bien comprises, dans des communautés où les
dirigeants décidaient non seulement la manière dont le peuple devrait se
comporter, mais même quels sentiments on attendait de lui qu’il éprouve.
Argument VS argument
Dans une telle vision des choses,
l’antisémitisme existe bel et bien, et des juifs (le nombre pouvant faire objet
de débat) ont bel et bien était anéantis, mais il s’agit-là, en réalité, d’un
jeu politique intentionnellement encouragé par le mouvement sioniste, qui
voulait exploiter l’antisémitisme aux fins de l’édification d’un Etat qui
finirait par s’avérer lui aussi cruel, « à l’instar de ceux qui ont fait du mal
aux juifs ». Il s’agit d’ores et déjà, en l’occurrence, d’une idée relativement
sophistiquée, en comparaison de la position avancée par Muhammad Suwan, et qu’il
a publiée dans le quotidien syrien Al-Ba’ath. Suwan pose, tout de go, que «
c’est Israël qui a implanté en Europe le « complexe de culpabilité », depuis
soixante-dix ans, période durant laquelle les sionistes ont réussi à plumer les
Européens financièrement, culturellement et psychologiquement… Tout cela se
serait produit avant l’instauration de l’Union européenne, c’est-à-dire durant
la période où l’Europe était divisée et n’avait pas de politique commune.
»
Le rédacteur en chef du quotidien égyptien Al-Ahram, Ibrahim Naf’a, a
formulé sa vision de l’antisémitisme, il y a environ un an, déclarant : « Israël
et les organisations sionistes sont de plus en plus dépendantes de l’arme de
l’antisémitisme… Elles ont réussi à manipuler l’ethnicité sémite afin d’en faire
l’exclusivité des seuls juifs, ce qui leur permettra même d’accuser les Arabes –
y compris ! – d’antisémitisme, bien que les Arabes représentent la majorité des
Sémites. » Se fondant sur des « rectifications » de la distorsion sioniste,
Naf’a a intitulé son article « L’Antisémitisme d’Israël », et il a fait appel à
des déclarations circonstanciées et horribles d’Israéliens au sujet d’Arabes,
colligées sur des sites Internet israéliens, tels Walla, ainsi que celui du
quotidien Maariv.
Ainsi, par exemple, en réaction à un rapport de l’ONU sur
l’état du développement humain au Moyen-Orient (rapport publié l’an dernier, et
consacré à l’état déplorable de sous-développement éducatif et technologique
dans les pays arabes), repris par le site israélien Walla, certains Israéliens
ont fait part de réactions comme « Encore un détritus pour la poubelle génétique
» ; « Une bombe atomique devrait régler ce problème à jamais » ou encore : « Les
Arabes sont des ordures – le rapport montre le genre de gens auxquels nous avons
affaire. » En réaction aux bombardements continuels de la bande de Gaza et de la
Cisjordanie, des Israéliens ont dit : « Bravo à Sharon, qui a retrouvé sa
jeunesse dans l’Unité (de paras) 101 ! ». Autre réaction : « Quand
comprendront-ils qu’il n’y aura jamais de paix tant qu’il y aura des Arabes ?
»
« Tout ce venin raciste, avec ses incitations au génocide, reflète le
poison méprisable que les dirigeants politiques et religieux israéliens
répandent depuis des années », a écrit Naf’a, expliquant pourquoi il existe,
aussi, un antisémitisme israélien.
Désormais, l’OSCE débusquera également «
l’antisémitisme israélien ». « Antisémitisme pour antisémitisme : voilà ce qu’il
nous faut », explique un intellectuel égyptien. « Du tac au tac ». Telle est la
nature de la guerre dans laquelle nos intellectuels sont engagés. Mais quelle
sera leur prochaine étape ? Tuer six millions d’Arabes, pour que le nombre des
victimes, chez eux, soit le même ? Ou bien, pourquoi pas, ils vont peut-être
aussi vouloir se convertir ? Pourquoi faut-il que nous menions toujours notre
combat contre l’impérialisme américain en passant par Jérusalem ? Tous les
peuples n’ont-ils pas le droit d’avoir leur propre tragédie ? »
18. Pour Al-Manar, pour le dialogue par
Michel Lelong
in Le Monde du vendredi 3 décembre 2004
(Ancien missionnaire en Afrique, Michel Lelong est prêtre
catholique. Spécialisé sur la question du dialogue entre le catholicisme et
l'islam, il a été secrétaire de la Commission épiscopale française pour les
relations avec l'islam. Il est l'auteur de Jean-Paul II et l'islam publié aux
éditions L'Oeil / François-Xavier de Guibert - en
2003.)
Décidement, l'islam n'a pas fini de susciter en France
d'ardents débats. Après l'affaire du voile, c'est celle de la chaîne de
télévision Al-Manar qui soulève les passions.
Ayant depuis quelques mois
suivi ce dossier, je constate que la plupart des déclarations qu'il suscite
viennent de gens qui n'ont sans doute pas regardé régulièrement les émissions de
cette chaîne libanaise.
Il est vrai que celle-ci a, voici quelques mois,
diffusé un programme non seulement contestable, mais inacceptable, qui
confondait - comme cela, hélas, arrive trop souvent - antisémitisme et
antisionisme.
Mais n'arrive-t-il pas parfois aux chaînes de notre télévision
nationale de commettre, elles aussi, des fautes, parfois graves ? Etant prêtre
catholique, je suis souvent choqué et blessé par la façon dont certaines
émissions parlent du christianisme, de l'Eglise, du pape, et même du Christ et
de la Vierge Marie.
De tels propos, qui ne respectent pas la foi des
chrétiens, me paraissent inacceptables. Mais faut-il, pour autant, demander au
Conseil supérieur de l'audiovisuel de sanctionner - voire d'interdire - les
chaînes qui agressent les chrétiens ?
Il ne faut pas juger - et condamner -
Al-Manar en tenant compte seulement d'un dérapage, si blâmable soit-il. Ceux qui
connaissent bien cette chaîne libanaise savent qu'elle comporte des programmes
de valeur et qu'elle peut aussi nous intéresser, nous, Européens.
Et l'on
doit espérer que la direction d'Al-Manar s'engagera à veiller soigneusement,
désormais, à éviter toute faute et à rejeter tout élément risquant d'approfondir
les malentendus.
Je serai alors heureux que le CSA l'autorise à diffuser dans
les pays de l'Union européenne.
Je le serai en tant que Français, parce que
je suis convaincu que la liberté de pensée et d'expression est une valeur
fondamentale à laquelle notre pays doit être fidèle.
Je le serai aussi en
tant que chrétien, car, croyant en la nécessité d'un dialogue sincère entre
chrétiens, juifs et musulmans, ainsi qu'entre croyants et incroyants, je suis
persuadé que la chaîne Al-Manar pourra apporter une utile contribution à ce
dialogue, difficile, certes, mais si nécessaire, tant en France qu'au
Proche-Orient.
19. Objets dégoupilleurs par Anne-Marie
Fevre
in Libération du vendredi 3 décembre 2004
Exposition.
Un groupe de designers du Proche-Orient s'aventure sur le terrain
géopolitique.
Un corps, cagoulé de noir, relié à une gégène et
transformé en lampe de chevet, nommé Abou Ghraib. Cet objet est signé Ali
Hussein Badr, nom de guerre hybride d'un designer né en Irak, exerçant entre
Proche-Orient et Europe. Ce luminaire agressif entend rappeler à ceux qui
dorment sur leurs deux oreilles que «des hommes sont torturés pendant que
l'Occident s'assure l'exploitation des ressources énergétiques. Elle pousse
l'intrusion du cauchemar de la guerre en Irak jusqu'à l'intimité des chambres à
coucher».
Bannière unifiée. Ce petit brûlot était exposé début novembre à la
quatrième Biennale internationale de design de Saint-Etienne, aux côtés d'autres
pièces, tout aussi provocantes et revendiquées par l'Association du design et
d'architecture au Proche-Orient, l'Adapo. Un regroupement de designers syriens,
irakiens, jordaniens, palestiniens et libanais. Le commissaire de cette
«bannière unifiée», Alexandre Medawar, graphiste travaillant entre Beyrouth et
Lausanne, a proposé à ces créateurs de réfléchir à trois thèmes liés à leur
contexte géopolitique : «boire, voiler-dévoiler et résister». Cette exposition
devrait être montrée prochainement à Beyrouth.
«La majorité des designers de
cette région est formée en Occident, explique Medawar, et ils dessinent des
poignées de porte, des produits industriels ou décoratifs. Ils suivent la mode
du design international et ne sont pas engagés. J'ai proposé à certains d'entre
eux, réunis à l'Adapo, que nous sortions du design standard nombriliste, ou du
détail orientaliste, afin de poser la question de la radicalité à travers une
réflexion frontale sur les rapports entre monde arabe et Occident, sur
l'intégration difficile des communautés arabo-musulmanes en Europe. Le design
n'est pas que beau.»
Belles, les pièces de Karim Chaya ? Un pare-choc de
voiture recyclé, une raquette de tennis équipée de câbles d'acier qui permettent
d'«optimiser les jets de pierres»... Ce jeune designer industriel, diplômé de la
Rhode Island School aux Etats-Unis, s'est confronté à l'idée de «résister». Dans
ce projet, l'Intifada des territoires occupés a été sa principale source
d'inspiration. Mettre son design, qui s'appuie sur les matériaux recyclés, au
service des pratiques résistantes des jeunes Palestiniens a choqué quelques
visiteurs à Saint-Etienne. Pourtant, ces «lance-pierres» donnent plutôt l'image
d'une arme sortie d'un autre âge, plus métaphorique que grégaire.
«Les armes
dites "Intifada" ne sont pas significatives d'un engagement particulier pour la
cause palestinienne, réplique Medawar, mais des propositions de design à la
David contre Goliath. Il s'agit moins de lancer des pierres contre un éventuel
ennemi surarmé que de lui renvoyer la balle. Avec une efficacité améliorée, tout
en recyclant des objets manufacturés déjà existants. N'est-ce pas là l'objet
fondamental du design industriel et du développement durable ? Il ne faut pas
être hypocrite. Beaucoup de designers dessinent des armes, ou des jeux vidéo
guerriers, et cela ne choque pas.»
Miroir-masque. «Voiler-dévoiler» démêle
une autre question : voir sans être vue pour une femme vivant dans le
Proche-Orient d'aujourd'hui, ou répondre à la nouvelle loi sur la laïcité en
France. «Le moucharabieh, ce balcon flanqué d'un grillage fait de motifs
ornementaux perforés ou de formes géométriques, est, dans l'architecture arabe
traditionnelle, une référence majeure», poursuit Medawar. Il a inspiré Nada
Debs, femme arabe élevée en Extrême-Orient, qui joue avec la dualité de sa
culture pour inventer Now I See You, Now I don't : une sorte de miroir-masque,
bel objet luxueux en verre, qui peut permettre de se montrer ou d'échapper au
regard des autres, dans un rite contemporain de séduction. Ali Hussein Badr
invente une boîte cache «signe ostentatoire religieux» pour les Français
religieux : Vive la République. Plutôt qu'un voile, le styliste syrien Ghassan
Salam propose A poil, une perruque très seyante.
Dernier thème abordé,
«boire» au Moyen-Orient. L'eau est rare, ou inégalement distribuée, l'alcool
souvent interdit pour raisons religieuses. Cette recherche n'a pas mené à un bel
exercice «arts de la table». Lauren Kassouf, étudiante libanaise en
architecture, lève En vin, un verre qui laisse fuir son contenu. Richard
Yasmine, designer libanais d'origine turque, a fabriqué Ovni, une bouteille
artisanale «embouteillée», qui laisse deviner l'eau mais la rend
inaccessible.
Mais c'est sans doute Milia M., née à Beyrouth et travaillant à
Paris, qui lance le plus bel appel optimiste. Tibériade est une coupe formée de
deux morceaux de tissus enduits, représentant la Palestine et Israël. Ils sont
réunis par une fermeture Eclair étanche. «L'évidence de la parabole coule de
sens : sans leur jonction, l'eau fout le camp», conclut Medawar.
Verre sans
fond. Tous ces objets, posant des questions taboues au Proche-Orient et en
Occident, apportent plutôt des réponses ironiques, voire romantiques mais
est-ce encore possible dans un contexte régional tragique et face à
l'exacerbation des débats français ? Avec un humour dégoupilleur, lance-pierres
et verre sans fond reposent au moins la question d'un positionnement du design,
perturbateur, qui assume son intrusion dans un monde en conflit. «Tous ceux qui
produisent du sens doivent prendre part aux débats. On ne peut pas faire comme
si les objets, leurs conceptions, leurs productions et leurs commercialisations
ne dépendaient pas de positionnements politiques et sociaux», ajoute
Medawar.
C'est pourquoi on ne recommandera jamais aux gamins, en aucun cas,
la pièce fashion contestable et irresponsable de cette exposition, Allah Wa
Akbar, un T-shirt unisexe à motifs de dynamite sur le ventre.
20. Al-mahsum, mahsom, checkpoint par Yitzhak
Laor
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 2 décembre
2004
[traduit de hébreu par Michel
Ghys]
De temps à autre, resurgissent les fantômes du «
passé juif » sous l’aspect d’un acte ignoble dans les Territoires occupés.
Quelqu'un réussit à prendre des photos, le sujet fait la une, comme ce jeune
Palestinien obligé de jouer du violon, puis, très rapidement, l’affaire tourne à
l’ « exception ». La majorité des soldats n’obligent pas un violoniste à jouer
aux barrages, ils ne tuent pas les fillettes, ils ne s’assurent pas de leur mort
[en vidant sur elles leur chargeur, comme dans le cas de Iman Alhamas - NdT].
Mais les mélodrames aident à dissimuler les grandes vérités. Les Israéliens
n’aiment pas la vérité. Et leur vérité se trouve profondément à l’intérieur des
Territoires occupés.
N’était la propension des Israéliens à se mystifier
eux-mêmes, ils auraient depuis bien longtemps réussi à lire ce que tout
Palestinien sait et qui appartient à la langue parlée de ce dernier, par
arabisation du mot hébreu (al-makhsoum, pluriel : al-makhassim [de l’hébreu
makhsom, barrage]) fruit de 13 ans de la vie des Palestiniens : les barrages ne
sont pas une création de l’Intifada. Le jour où l’on écrira vraiment son
histoire, il apparaîtra clairement que les barrages ont donné naissance à
l’Intifada. Eux-mêmes sont nés en 1991, deux ans avant les Accords d’Oslo, et se
sont renforcés après la mise sur pieds de ceux-ci. Seul le parfait aveuglement
des Israéliens – qui en savent plus sur les nouveaux restaurants proposant des
fruits de mer à New York que sur les barrages de Cisjordanie, ceux-là mêmes qui
la coupent et la fragmentent et font de ses habitants les victimes de soldats,
bons ou sadiques – seul cet aveuglement pouvait faire naître la « surprise » de
l’automne 2000 : que voulaient-ils, tout était déjà réglé ?
Mais pour celui
qui fait la file pendant de longues heures, cela ne fait pas de différence si
celui qui se tient devant lui est sadique ou sympathique. Demandez à n’importe
quel Israélien forcé de faire la file pendant un quart d’heure à la banque, si
cela fait une différence que l’employé soit sympathique ou non. Mais de cette
aversion des Israéliens pour les files, on peut apprendre quelque chose de plus
important : ils n’ont pas la moindre idée de ce que subissent les Palestiniens
au jour le jour.
Le régime des barrages ne fait pas partie de l’Intifada,
même s’il s’est accru et fortifié « grâce à elle ». Le régime des barrages ne
disparaîtra pas avec la fin de l’Intifada ; il appartient tout entier à cette
absence de volonté israélienne à renoncer à tous les territoires de Cisjordanie,
y compris l’ensemble des colonies. Le régime des barrages est destiné à assurer
le contrôle israélien sur la vie des Palestiniens. C’est pourquoi il s’est
renforcé après la signature des accords d’Oslo.
De ce point de vue, les
colonies ne sont pas la raison des barrages. Les colonies « isolées » et les
blocs de colonies (une partie du « nouveau » consensus de l’ère Oslo)
constituent le prétexte des barrages mais révèlent leur rôle véritable : nous
serons présents partout, nous fragmenterons le territoire palestinien par tous
les moyens, nous les contrôlerons.
Celui qui connaissait la Cisjordanie
depuis les accords d’Oslo, savait combien une multitude de personnes avaient
subi d’humiliations. Celui qui connaissait les accords d’Oslo du côté
palestinien savait de quoi ils avaient l’air là-bas : en dehors des
expropriations, en dehors des routes de contournement, en dehors de l’expansion
des colonies, les barrages étaient devenus leur cauchemar, un cauchemar inconnu
chez nous.
Des mélodrames comme celui de ces soldats à l’esprit obtus qui ont
obligé un Palestinien à jouer de son violon, remettent l’exception dans sa place
à part et dissimulent, une fois de plus, le système. A nouveau, « les
générations du peuple juif » reviennent au centre de l’image. A nouveau, les
Juifs se rappelleront leur passé. A nouveau, c’est de notre vie qu’il sera
parlé, de notre déclin. A nouveau, il ne sera rien dit de la souffrance
palestinienne et à nouveau, les tabloïds donneront dans leurs grands titres le
ton de lynchage de notre vie. Mais la vérité est plus forte : celui qui n’est
pas prêt à se séparer de la Cisjordanie, de toutes ses colonies, ne comprend pas
qu’il prépare des générations de soldats de barrages – sadiques ou
sympathiques.
Maintenant, nous aurons encore droit à un de ces discours «
pleins de franchise » du chef d’état-major. Il dira de nouveau que « nous avons
échoué » et nous comprendrons que son échec à lui, c’est notre échec à nous, et
que dès lors il n’y a pas d’échec. Car si le chef d’état-major avait vraiment
échoué, il aurait dû s’en aller, comme le commandant de la division de Gaza. Et
nous continuerons à entendre de loin en loin ce que chaque enfant palestinien
endure chaque jour, aux barrages, avec ou sans volontaires à la belle âme venus
établir un barrage à figure humaine, car la décision de savoir qui passera et
qui ne passera pas, qui aura ou n’aura pas soif, revient, non pas à ce peuple
qui passe sur les routes, mais à des étrangers, sous l’égide de l’unique
démocratie du Proche Orient.
21. Le parapluie de Chamberlain
par Antonio Tabucchi
in L’Unità (quotidien italien) du mercredi 1er décembre
2004
[traduit de l’italien par Marcel
Charbonnier]
(Antonio Tabucchi a reçu hier, à
Madrid, le prix « Francisco Cerecedo » pour son œuvre romanesque, et aussi pour
ses articles, publiés par El Pais, L’Unità et Il Manifesto. Ci-après, le
discours d’A. Tabucchi lors de la cérémonie de remise de cette
distinction.)
La liberté d’expression est proportionnelle à la
démocratie. Le contrôle de l’information et la subjugation de la libre parole
sont typiques de tout totalitarisme. Il y a deux pays qui ne le savent que trop,
pour avoir vécu deux très longues périodes de dictature : l’Italie, et
l’Espagne. Aujourd’hui, notre Europe est une vaste communauté de Pays dans
lesquels la liberté de parole, l’information libre, représentent l’essence même
des valeurs démocratiques sur lesquelles la Charte européenne est fondée. A la
tristement célèbre exception de l’Italie.
Oh, bien sûr, on viendra me dire
qu’il n’y a pas de lois spéciales contrôlant la liberté d’opinion et que la
liberté de l’information est garantie, en Italie. C’est vrai. Mais seulement
quant à forme. En effet, contrairement au passé, il n’est plus nécessaire, de
nos jours, de surveiller l’information et de la censurer : il suffit de
l’acheter. C’est ce qui est arrivé à l’information italienne, qui appartient, à
plus de quatre-vingt pour cent à une seule personne : l’homme le plus riche
d’Europe ; un milliardaire dont on ne sait d’où il a hérité sa fortune. Et cette
personne, qui possède la quasi totalité de l’information en Italie, ce n’est pas
un simple quidam, ce n’est pas un citoyen comme Monsieur Tout-le-Monde, c’est le
président du Conseil, c’est le chef d’un gouvernement. De plus, il ne s’agit ni
d’un industriel de l’automobile, ni du propriétaire d’une chaîne de fast-foods :
il s’agit de quelqu’un qui réalise ses profits sur l’information, parce que non
seulement il la possède, mais il la produit lui-même. Venant aggraver ce conflit
d’intérêts antidémocratique, voici que vient s’ajouter désormais le contrôle
léonin que le chef du gouvernement italien exerce sur la Rai, la télévision
publique. Contrôle qui lui a permis de faire des choses qui seraient tout à fait
inconcevable, dans une quelconque autre démocratie : utilisation personnelle de
ce média public, licenciements de journalistes décrétés personae non gratae,
arrêt arbitraire de certaines émissions, propagande éhontée, bulletins
d’information domestiqués, hagiographies de son intéressante personne.
Et
voici qu’aujourd’hui, nous apprenons la nouvelle d’une nouvelle grave atteinte à
la liberté de la presse en Italie. Le sénat a remis au goût du jour une loi en
vigueur durant la seconde guerre mondiale, sous l’empire de laquelle il est
interdit de donner des informations sur des opérations militaires en cours ou
sur les déplacements de troupes italiennes envoyées à l’étranger. C’est une loi
de guerre, pour un pays qui n’est pas en guerre, et qui a néanmoins envoyé des
troupes en Irak, à l’initiative de son ministre de la Défense, sans l’aval du
Parlement. Cet expédition militaire a été baptisée « Mission de Paix » ! Eh
bien, les journalistes italiens ne pourront plus rendre compte, aux citoyens
italiens, de ce que font les militaires italiens en Irak. La peine prévue en cas
d’infraction atteint les vingt années de prison. Attention : cette vieille loi
réchauffée prévoit aussi l’interdiction de faire de la propagande de paix, car
les « pacifistes », durant la seconde guerre mondiale, étaient considérés «
défaitistes ». Un des premiers articles de la Constitution italienne affirme : «
L’Italie est un pays qui rejette la guerre ». Il pourrait arriver que,
dorénavant, faire voler au vent la bannière arc-en-ciel de la paix soit
considéré, en Italie, comme un délit passible de la mise en état d’arrestation
du contrevenant.
Le problème posé par la limitation et le contrôle de
l’information libre, qui se voit phagocytée et évincée par une information de
propagande, à la fois féroce et servile, ne saurait être négligé, entre les
quatre murs d’un pays que l’on regarderait, à l’occasion, par distraction et
avec une commisération bienveillante. Ce problème regarde toute l’Europe, parce
que cette information de propagande qui est en train d’évincer l’information
libre, en Italie, n’est pas inoffensive : c’est le vecteur, désormais à visage
ouvert, des sombres idéologies qui marquèrent l’Italie dans les années vingt –
les années du fascisme – et qui constituent la négation des principes fondateurs
de notre Europe. En 1938, Lord Chamberlain, rentrant d’une « visite » en
Allemagne national-socialiste, affirma à l’Europe qu’il n’y avait rien à
craindre. Il avait un parapluie. Etant donné ce qui s’est passé, par la suite,
avec ce que l’Histoire a vécu, je voudrais interpréter métaphoriquement ce
parapluie, en y voyant les défenses immunitaires de la démocratie dont l’Europe
libre disposait, à l’époque. Mais son parapluie, Chamberlain ne l’ouvrit pas :
il s’en servait comme d’un bâton pour se frayer un passage dans la foule. Si
l’Europe, à nouveau, devait se montrer incapable d’ouvrir le parapluie de
Chamberlain, tôt ou tard, une pluie de scorie viendrait salir sa Charte et ses
principes perdraient toute lisibilité.
C’est là, pour moi, un sujet de
préoccupation lucide, qu’il est de mon devoir de dire. Je le fais en toute
conscience. Mais c’est surtout un appel. Urgent. Et nécessaire.
22. Décès de Paul-Marie de la Gorce,
journaliste diplomatique et gaulliste
Dépêche de l'Agence France
Presse du mercredi 1er décembre 2004, 18h05
PARIS - Le journaliste et
essayiste Paul-Marie de la Gorce est mort vendredi à l'hôpital américain de
Neuilly à l'âge de 76 ans, a-t-on appris auprès de sa famille. Spécialiste des
questions diplomatiques, il a travaillé notamment pour France-Observateur,
l'Express, Jeune Afrique, Le Figaro, Radio France, et dirigé la revue "Défense
nationale". Parallèlement il a mené une carrière politique, notamment comme
conseiller d'Yves Guéna et de Pierre Messmer quand celui-ci était Premier
ministre. Dans la profession, il était considéré comme une des mémoires du
gaullisme. Il a également été membre du bureau politique de l'Union des
démocrates pour la Vème république, fondateur du club politique Nouvelle
frontière, directeur de la revue de l'Institut Charles de Gaulle, et membre du
Haut conseil de la mémoire combattante. Il est l'auteur d'une vingtaine
d'ouvrages historiques et d'essais, comme "la République et son armée", "De
Gaulle entre deux mondes", "l'effort de défense des grandes puissances", "Pour
un nouveau partage des richesses", "Requiem pour les révolutions", ou encore une
biographie du Général de Gaulle. Marié et père de deux enfants, il était
officier de la Légion d'honneur et Chevalier de l'ordre du mérite.
23. Le désinvestissement peut conduire à la paix
israélo-palestinienne par Shamai Leibovitz
in Jordan Times
(quotidien jordanien) du mardi 30 novembre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(L’auteur de cet article est un juriste
israélien spécialiste des droits de l’homme. Il est le petit-fils de l’un des
penseurs les plus respectés : Yehayahu Leibovitz ; et un vétéran de l’armée
israélienne, qui a refusé de servir en tant que réserviste dans les territoires
occupés. Cette déclaration a été occasionnée par une réunion publique tenue le 8
novembre dernier à Somerville, dans l’Etat du Massachusetts, par le Conseil des
Anciens, appelant à prendre en considération une résolution de désinvestissement
des fonds investis en Israël, dans des fonds de pensions et des entreprises, qui
tirent profit des violations des droits de l’homme perpétrées par Israël à
l’encontre des Palestiniens. Si cette résolution est adoptée, Somerville sera la
première ville au monde à avoir adopté une résolution allant en ce sens. Il a
proposé, de lui-même, cet article au Jordan Times.)
En tant que citoyen
israélien et ancien tankiste dans l’armée israélienne, je ressens le besoin
d’expliquer pourquoi, avec beaucoup d’autres juifs, je suis partisan du
désinvestissement d’Israël.
Nous demandons à la ville de Somerville, ainsi
qu’à d’autres villes et à d’autres institutions civiles, de désinvestir des
entreprises qui vendent des armes, des bulldozers et de la technologie militaire
qui sont utilisés par l’armée israélienne pour perpétrer des crimes de guerre à
l’encontre des Palestiniens. En leur qualité de peuple dévoué aux droits humains
pour tous les hommes, nous exhortons les Américains à exiger que leurs impôts ne
soient pas investis dans des compagnies qui vendent des équipements militaires
et des munitions qui alimentent les violations persistantes et horrifiantes du
droit international et des droits de l’homme par Israël.
Jeune soldat dans
l’armée israélienne, on m’a donné l’ordre de commettre des crimes de guerre dans
les territoires palestiniens occupés. Ma compagnie a imposé des punitions
collectives à des communautés locales palestiniennes entières, tiré à balles
réelles sur des civils désarmés, tué des femmes et des enfants, imposé des
couvre-feu prolongés, causant des catastrophes humanitaires, arrêté et détenu
des Palestiniens sans jugement, démoli leurs maisons, et détruit des récoltes et
des biens de manière arbitrairement.
Le fait d’avoir été personnellement un
témoin oculaire de ces crimes de guerre m’a amené, finalement, à annoncer mon
refus de servir dans les territoires palestiniens occupés. C’était en 1994. Mais
le gouvernement israélien, indifférent au mouvement croissant des réfractaires,
les « refuseniks », a poursuivi sa politique de déshumanisation de l’occupation.
Plus de trois millions et demi de Palestiniens ont continué à vivre sous
administration militaire, ils ont été soumis à des bombardements de quartiers
d’habitation, à des assassinats extrajudiciaires, à la torture, aux démolitions
de maisons, aux détentions illégales, aux déportations et à une myriade d’autres
violations des droits de l’homme.
Parmi les nombreux partisans de la
résolution de désinvestissement qui se sont rassemblés à la Mairie de Somerville
le 8 novembre dernier, il y avait plusieurs dizaines de juifs. Plusieurs d’entre
eux et moi-même, nous avons pris la parole pour soutenir cette résolution,
disant que c’est précisément parce que nous sommes juifs et que nous sommes
sincèrement soucieux du devenir d’Israël que nous demandons à la Ville de
Somerville d’adopter cette résolution. Tous, nous qui étions venus à Somerville,
nous avons été profondément blessés de nous être fait accuser d’ « antisémitisme
» ou d’être « anti-israéliens ». Les gens qui abusent du concept d’ «
antisémitisme » aux fins de soutenir la politique raciste du gouvernement
israélien à l’encontre des Palestiniens ne font rien d’autre que désacraliser la
mémoire des juifs qui ont été, eux, les victimes du véritable
antisémitisme.
J’ai entendu beaucoup trop de fois l’argument que « ce ne
serait pas le temps de désinvestir, parce qu’Israël est engagé dans un processus
de paix. » L’argument du soi-disant « processus de paix » a été utilisé pendant
des décennies en guise d’excuse pour continuer à infliger des souffrances,
l’humiliation et les destructions aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Il
est plus que temps d’en finir avec ce mythe.
Il est désormais très clair que,
même durant le processus d’Oslo, les gouvernements israéliens successifs ont
jeté de la poudre aux yeux du monde entier. Israël a continué à réinstaller ses
propres citoyens sur des terres confisquées aux Palestiniens, en violation de
l’article 49 de la quatrième convention de Genève, tout en renforçant un régime
militaire cruel dans les mêmes régions et en punissant trois millions et demi de
Palestiniens.
La dissimulation de la réalité brutale de l’occupation est
devenu la priorité des priorités sur l’agenda de la propagande israélienne. A
cette fin, les gouvernements israéliens successifs n’ont cessé de produire des «
plans de paix » tout en mettant en place une machine de propagande sophistiquée
basée sur le slogan : « Nous sommes les seuls à vouloir la paix (nous n’avons
pas de partenaire) ». Toutefois, avec le temps, nous, qui habitions en Israël,
nous sommes nombreux à avoir visité les territoires occupés ou à y avoir
effectué notre service militaire : nous avons vu la réalité telle qu’elle est :
Israël ne cessait de renforcer un régime militaire oppresseur imposé à des
millions de Palestiniens auxquels étaient déniés leurs droits humains, civils et
politiques, tout en construisant de plus en plus de colonies réservées aux
juifs, pour des juifs qui bénéficiaient de droits civils et politiques pleins et
entiers.
En tant qu’Israélien, parfaitement au courant de la politique
israélienne, je pense qu’une pression économique sélective est le meilleur moyen
pour mettre une fin à l’occupation brutale de la Cisjordanie et de Gaza, et pour
apporter la paix et la sécurité tant aux Israéliens qu’aux Palestiniens. Si le
peuple juif veut un jour devenir « une lumière pour les Nations », comme il est
dit dans Isaïe (42:6), et revenir à ses valeurs essentielles de justice et de
dignité humaine, alors les Israéliens et les juifs dotés d’une conscience
doivent en appeler aujourd’hui à des mesures effectives permettant de mettre un
terme à l’occupation qui pèse sur des millions de Palestiniens.
J’ai bien
conscience que, conceptuellement, il est difficile, pour des juifs américains,
de soutenir une campagne de désinvestissement. Mais il faut comprendre que ces
mesures douloureuses conduiront, en définitive, sur le chemin de la paix et de
la sécurité. L’appel au désinvestissement reflète une authentique loyauté tant
vis-à-vis de l’existence pacifique d’Israël qu’envers les plus hautes valeurs
juives. J’exhorte la communauté juive, ainsi que toutes les autres communautés,
aux Etats-Unis : si vous voulez, réellement, voir, de votre vivant, les
Israéliens vivre en paix avec les Palestiniens, venez-nous rejoindre, afin que
nous défendions ensemble ces résolutions de désinvestissement.
24. La communauté juive ukrainienne
s’interroge : ViKtor Yuschchenko est-il "bon pour les juifs" ? par Lily
Galili
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 29 novembre
2004
[traduit de l’anglais par Marcel
Charbonnier]
Les quelque cent mille juifs qui vivent
en Ukraine ne sauraient avoir un impact véritable sur les résultats électoraux,
dans un pays comptant cinquante millions d’habitants. Mais, comme en d’autres
endroits du monde, la force juive ne se mesure pas qu’en effectifs, mais bien en
termes de puissance économique et politique. Actuellement, il y a quinze députés
juifs au Parlement ukrainien, ce qui représente un taux de représentation bien
plus élevé que leur poids démographique dans la population générale, et on peut
trouver des grosses pointures juives dans les camps politiques opposés : tant
celui du challenger Viktor Yuschchenko que celui du Premier ministre Viktor
Yanukovich.
D’après certaines sources très au fait des élections en Ukraine,
la plupart des juifs ont soutenu le libéral Yuschchenko, en raison de ses liens
avec l’Ouest, mais aussi de crainte que la réélection de Yanukovich, aux liens
très forts avec la Russie, n’isole l’Ukraine et ne la rapproche du monde arabe.
Toutefois, les juifs partisans de Yuschchenko ne sont pas sans redouter un
renforcement des éléments nationalistes ukrainiens au sein de son parti, ce qui,
craignent-ils, risquerait d’amener un regain de l’antisémitisme dans le
pays.
« Le gouvernement actuel, avec ses liens avec la Russie, est bon pour
les juifs », a déclaré un juif militant, dans l’Ouest de l’Ukraine, qui a requis
l’anonymat. « L’Ukraine n’a connu que de courtes périodes d’indépendance. Si
l’on veut être objectif, la bataille en cours, ici, aujourd’hui, peut être
considérée positivement comme le début de l’épanouissement d’une société civile.
Mais, pour les juifs, je ne suis pas certain que ce soit bon. La liberté prônée
par le parti de Youschchenko renforce les éléments nationalistes dans son
entourage. Jusqu’ici, en Ukraine occidentale [dont la majorité de la population
soutient Yuschchenko], il y avait moins d’incidents antisémites qu’en Europe de
l’Ouest. Ici et là, des swastikas [croix gammées] ont été peintes, parfois des
pierres tombales sont cassées. Le gouvernement actuel lutte contre ces
manifestations antisémites. Aussi, y a-t-il une certaine crainte que cela ne
change [en moins bien] ».
Cette attitude a trouvé une expression dans un
article publié la semaine passée par le quotidien britannique The Guardian, qui
relevait la position ambiguë de Yuschchenko quant à l’interdiction d’un journal
d’opposition, après que celui-ci eut publié un article violemment antisémite.
Cet article, publié dans Selskie Vesti [« Les Nouvelles du village »], affirmait
que les juifs s’étaient joints aux forces allemandes lors de leur invasion de
l’Ukraine. De hauts responsables ukrainiens, parmi lesquels
Yanukovich,
avaient exigé l’interdiction du journal.
Toutefois, Yuschchenko s’est montré
fluctuant, dans sa réaction. En pleine campagne électorale, ce journal
d’opposition, qui le soutenait, était trop important pour qu’il puisse aisément
s’en passer. Ce n’est qu’après une période initiale de confusion que Yuschchenko
se résolut à critiquer l’article et à se joindre à l’appel exigeant son
interdiction.
« Je suis persuadé que l’article a été écrit sur commande, afin
de noircir le nom de Yuschchenko et de saboter une source de soutien pour sa
candidature », a dit Leonid Finberg, directeur de l’Institut Judaica de Kiev, et
directeur d’une maison d’édition. « Présenter Yuschchenko sous les traits de
quelqu’un qui aurait des complaisances envers l’antisémitisme est une terrible
distorsion de la vérité. Son père a été interné à Auschwitz, et sa famille est
connue pour avoir sauvé des juifs de l’Holocauste. L’intelligentsia ukrainienne,
dont les intellectuels juifs, le soutiennent sans réserve. Il a grandement
contribué à l’instauration d’un dialogue constructif entre les juifs et
l’intelligentsia ukrainienne. »
M. Finberg a également rappelé la position
très ferme, prise par Yuschchenko lors d’une conférence tenue en Suède sur
l’antisémitisme, ainsi que durant une de ses interventions publique devant une
association de juifs ukrainiens.
M. Finberg a minimisé les graffiti appelant
à taper sur les juifs et les Russes, qui ont été tracés sur les murs de clubs
associés à Yuschchenko. « Il y a des éléments nationalistes et antisémites, dans
les entourages d’absolument tous les hommes politiques, ici. Je suis convaincu
qu’il n’y a absolument aucun rapport entre Yuschchenko et son entourage officiel
et ces slogans provocateurs. Ce genre de graffiti, vous en voyez partout dans le
monde, de nos jours. Même en Israël ! »
Le responsable de la communauté juive
ukraininenne, Yosef Zisles, a rejeté les rumeurs faisant un lien entre
Yuschchenko et l’antisémitisme, qu’il a qualifiées d’ « absurdes ».
25. Enfants de Palestine : Une génération
d’espoir et de désespoir par Samah Jabr
in The Washington Report on
Middle East Affairs (mensuel étasunien) du mois d'octobre 2004
[traduit de l’anglais par Eric
Colonna]
(Samah Jabr est palestinienne et réside à Jérusalem occupée.
Medecin, elle poursuit une formation en psychiatrie dans la région parisienne.
Elle a été chroniqueuse pour le Palestine Report en 1999-2000, sa rubrique
s’intitulait " Fingerprints " ("Empreintes digitales"). Depuis le début de
l’Intifada, elle contribue régulièrement au Washington Report on Middle East
Affairs et au Palestine Times of London. Lauréate du Media Monitor’s Network
pour sa contribution sur l’Intifada, un certain nombre de ses articles ont été
publiés dans The International Herald Tribune, The Philadelphia Inquirer,
Ha'Aretz, Australian Options, The New Internationalists et autres publications
internationales. Elle a donné plusieurs séries de conférences à l’étranger pour
faire partager la vision palestinienne de ce conflit dont l’Université Fordham
et au St. Peter’s College à New York, à Helsinki et dans plusieurs universités,
mosquées et églises en Afrique du Sud.)
Plus de la moitié de la population palestinienne –53 %- a moins de 17 ans.
Par conséquent, cette majorité constituante de notre communauté est très
vulnérable dans la situation actuelle.
Alors qu’ils sont dans une phase
cruciale de développement mental et physique, les enfants sont aussi une cible
directe des violences de l’armée israélienne. De plus, en tant que 4 ème
génération du trauma palestinien, ils sont les porteurs du lourd héritage
accumulé de perte nationale. Alors rien d’étonnant à ce que la crise actuelle
vieille de 4 ans provoque de graves problèmes au quotidien et dans le futur de
ces enfants.
A l’exception des récentes couvertures médiatiques rapportant
les dernières atrocités israéliennes à Gaza où furent tués 35 enfants, plus de
la moitié des victimes, le parcours des enfants palestiniens est inconnu du
grand public qui suit notre crise à la TV. Les reportages salissent la
réputation, le caractère, la culture et même les principes religieux de nos
enfants ou les traitent comme de simples statistiques. Leur réalité quotidienne
est invisible des reportages internationaux.
Au contraire, les médias
décrivent des enfants privés d’affection pas leurs familles, qui les poussent
sur le mauvais chemin à des fins politiques ou les utilisent à des fins
économiques. La fertilité palestinienne est traitée comme une épidémie ; notre
culture est associée à la violence et à la haine. Bien que ce ne soit pas nous
qui sommes producteurs de films d ‘horreur et de wargames dans le monde, alors
que le conflit s’infiltre dans tous les aspects de la vie de nos enfants, alors
que nos gamins deviennent plus accoutumés au bruit des bombardements qu’à celui
du chant des oiseaux, alors que la violence pénètre dans nos foyers, nos écoles
et nos espaces publics, il n’est pas surprenant qu’ils inventent leur jeux à
partir d’une telle réalité. Les soldats contre les enfants de l’intifada est le
jeu le pratiqué dans la plupart des maisons palestiniennes.
Que 20% du nombre
de victimes de l’intifada soient des enfants pratiquant des activités
journalières usuelles, comme aller à l’école, jouer, faire des courses ou
simplement rester à la maison , démontre qu’Israël cible délibérément les
enfants. Ils sont tués et blessés dans des attaques aériennes et terrestres,
causées par des tirs aveugles de soldats ou abattus froidement par des snipers.
En effet, parmi ceux qui sont blessés, 45% le sont dans les parties supérieures
du corps –tête, cou ou poitrine – alors que d’autres subissent des blessures
dans le dos, aux yeux et aux genoux ce qui les handicapent à vie sans augmenter
la liste des tués.
De récentes études internationales ont conclu que 40% des
enfants vivant en Cisjordanie et Gaza sont anémiques, tandis que 23% souffrent
de malnutrition chronique ou aigue . Ce qui les prédispose à contracter des
maladies potentiellement mortelles, affecte leur intelligence et augmente
largement le taux de désordre excessif de l’attention. Des femmes qui ont été
mal nourries dans leur jeunesse ont fait augmenter le taux de naissances
prématurées et d’hypertension dans la grossesse.
Le mur en cours de
construction et le siège constant de nos villes et villages affectent la
scolarité de nos enfants. Un taux d’abandon significatif est en corrélation avec
les mesures oppressives israéliennes. Non seulement des étudiants ont été tués,
blessés et arrêtés par les forces d’occupation mais celles ci ont bombardé et
attaqué des centaines d’écoles, en ont fermé plusieurs, les transformant en
bases militaires et ont entravé l’enseignement de beaucoup d’autres. Enfants et
professeurs sur le chemin de l’école sont régulièrement soumis aux gaz
lacrymogènes, harcelés ou présents quand les soldats ouvrent le feu. Tout ceci,
inutile de le dire, perturbe la qualité de l’enseignement et la capacité de
l’enfant à bien suivre une fois en classe. Une situation difficile aggravée par
d’autres facteurs supplémentaires tel un environnement familial de plus en plus
stressant et des raids militaires dans les quartiers résidentiels. Nos enfants
subissent aussi un taux de pauvreté croissant. Un taux vertigineux de 66,5% de
Palestiniens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le chômage a augmenté de
plus de 65% parmi la population active. Par conséquent, un grand nombre d’enfant
sont forcés d’endosser un rôle d’adulte et travailler afin d’aider leurs
familles à survivre. Environ 2,3% d’enfants palestiniens entre 10 et 17 ans
travaillent. On entend des histoires poignantes d’enfants abandonnant l’école à
cause des circonstances économiques difficiles qui les obligent à se faufiler
entre montagnes et vallées pour atteindre Jérusalem où ils peuvent vendre
cigarettes et bouteilles d’eau sur les carrefours pour des petits gains.
Nos
enfants figurent aussi parmi ceux qui souffrent dans les prisons israéliennes.
Actuellement, Israël en détient 370, y compris quelques jeunes de 11 ans, dans
ses centres et ses prisons ; 209 enfants supplémentaires ont eu 18 ans durant
leur emprisonnement. Des témoignages d’enfants prisonniers et confirmés par des
organisations locales et internationales de droits de l’homme (1), indiquent
qu’au moment de l’arrestation et jusqu’à leur incarcération, ils subissent
systématiquement toute une panoplie d’abus physiques et psychologiques allant
jusqu’à la torture. De telles pratiques incluent être battu, maintenu dans des
positions inconfortables durant des périodes indéfinies, être privé de
nourriture et de sommeil, être menacé et humilié. Les visites des familles et
des avocats sont constamment entravées ou refusées.
La soumission des enfants
palestiniens aux meurtres, tortures et déportations est flagrante et touche
chaque aspect de leur vie. Ces violations constantes de la Convention des droits
des enfants de 1989 et de Genève de 1949 ont soulevé les inquiétudes de
chercheurs, d’universitaires ainsi que d’institutions gouvernementales et non
gouvernementales, tout particulièrement concernant la santé mentale des
enfants.
Quelques études laissent penser qu’un trauma psychologique aurait
affecté plus de 68% des enfants palestiniens, altérant un développement
psychologique, mental et social, équilibré. En tant que médecin spécialisée en
psychiatrie et lorsque j’exerçais ma profession en Palestine, j’ai rédigé les
notes suivantes basées sur mes impressions et mes observations
limitées.
Beaucoup d’enfants amenés en pédiatrie et psychiatrie, souffraient
de symptômes consécutifs à leur participation directe aux affrontements ou en
tant que témoins. Ils présentaient des symptômes liés à la dépression tels que
sentiments de tristesse, de solitude et de désespoir et physiques liés à une
perte d’appétit. D’autres montraient des signes d’anxiété, tel le sentiment
d’être malade et inquiet ou ressentir des douleurs sur tout le corps juste en
pensant à des choses négatives et effrayantes. Quelques uns se plaignaient
d’insomnie, de faire des cauchemars et de mauvais rêves, de développer une peur
de l’obscurité ou se réveiller fréquemment durant la nuit. Des problèmes
cognitifs se manifestaient à travers des résultats scolaires insuffisants, en
lecture, en écriture, ou par des difficultés de concentration et de mémoire. Des
symptômes d’agression se signalaient par une hostilité incontrôlée, un
comportement destructeur et par des querelles et affrontements avec des adultes
et des pairs.
Cependant, malgré les circonstances pénibles de leur existence,
les enfants palestiniens font preuve de caractère. Comme par exemple la
participation des étudiants au nettoyage des décombres après la destruction de
la maison d’un ami, des visites à un collègue blessé, des prises de rôles actifs
dans des manifestations pacifiques et des cours d’éducation alternative alors
qu’ils continuent à se rendre à l’école en dépit de tous les obstacles.
Un
sondage a montré que 85% des enfants sondés pensent que la situation politique
ne va pas s’améliorer, 90% ont répondu que pour se sortir de la situation
actuelle et se préparer au futur, ils ne comptent que sur eux mêmes. Bien que la
souffrance de nos enfants continuera aussi longtemps qu’Israël occupe notre
pays, en attendant, il est essentiel que nous fassions tout ce qui est en notre
pouvoir pour leur apporter les conditions nécessaires à un développement sain,
telle que stabilité, sécurité, détente et nourriture équilibrée. Au lieu de
cela, ce qu’il faudrait pour répondre à ce vide, est une reconnaissance publique
et des efforts collectifs pour les protéger des dangers qui les
entourent.
Cela peut être fait à deux niveaux :
Premièrement, en brisant
leur isolement par un développement de " l’adoption " et des programmes d’amitié
avec des personnes à l’étranger, y compris des Palestiniens de la Diaspora et
des gens sensibilisés de la communauté internationale. Cela apportera une aide
morale et intellectuelle à nos enfants mais aussi cela leur permettra de savoir
qu’il y a des gens vivant à l’extérieur d’Israël qui pensent à eux et qui leur
offre de l’amour. Cela leur permettra aussi de mieux communiquer entre eux à
travers les arts, les langues et les technologies modernes.
Les enfants
palestiniens qui vivent sous occupation devraient, eux aussi, être poussés à
agir. Durant la première intifada, ceux qui ont participé de façon active à la
résistance contre les soldats israéliens ont développé moins de symptômes que
ceux qui sont restés passifs. Leur capacité de survie étaient plus importantes
que ceux qui dégageaient un sentiment d’impuissance et restaient confinés chez
eux.
Au niveau de la société, les Palestiniens ont besoin d’être soudés,
surtout après la mort de leurs leaders. Ils disposent déjà de solides structures
sociales et d’une solidarité familiale. Malgré toute la pauvreté, les gens ne
cherchent pas leur nourriture dans des décharges. Malgré les centaines de
maisons détruites, personne ne dort dehors. Depuis que l’on a constaté , durant
la première intifada, que les enfants qui avaient eu des expériences de grande
complicité avec leurs parents avaient moins de symptômes, un système
d’assistance efficace pourrait avoir un effet positif sur toute la
société.
Un engagement pour une cause et une compréhension du fil des
évènements peut être un moteur important à la ténacité d’un peuple, des gens
dotés de conscience politique pourront mieux appéhender les temps difficiles.
Alors comment ne pas penser qu’Israël s’en prend délibérément aux enfants
palestiniens afin d’en faire une génération traumatisée, passive, perdue et
incapable d’esprit de résistance. Ce n’est pas un secret, après tout, qu’un
trauma psychologique n’est pas une crise temporaire mais un phénomène avec des
effets à long terme qui deviendra plus préoccupant que des séquelles de
blessures physiques. Clairement, cela prendra de nombreuses années pour atténuer
les dommages infligés à cette génération. Pourtant, et même plus que jamais, nos
enfants représentent notre
espoir.