A propos de Yasser Arafat : "Je ne sais pas s'ils ont empoisonné, mais en tout cas, ils lui ont empoisonné la vie."
                 
Jean-Luc Godard - Cinéaste français
                                     
                       
Point d'information Palestine N° 248 du 09/12/2004
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Au sommaire
               
Témoignages
1. Arafat l’immortel par Istico Battistoni (13 novembre 2004)
2. Au détour d'un barrage par Claude Abou-Samra (29 novembre 2004)
                    
Rendez-vous
1. Conférence-débat "Guerres et Racismes" avec Tariq Ramadan et Larry Portis à Marseille le vendredi 10 décembre 2004 à 20h00
2. Projection du film "Mendiants et orgueilleux" de Asma El-Bakri à Marseille le vendredi 10 décembre 2004 à 20h30
3. "Colors of the light" une exposition de Rachid Abdelhamid à Marseille du 14 décembre 2004 au 3 janvier 2005
                   
Dernières parutions
1. "Solidarité Palestine" en CD-Rom !
2. Revue "Albatroz" N° 37 (Octobre 2004)
3. Checkpoint de Azmi Bishara aux éditions Actes Sud
                     
Réseau
1. APPEL URGENT : Quatre étudiants de l’Université de Bir-Zeit ont été déportés illégalement vers Gaza (Novembre 2004)
2. Surveiller, punir et faire partir - L’invention du dé-fermement par Richard Labévière (Automne 2002)
3. La double imposture du rapport Rufin par Rudolf Bkouche (2 novembre 2004)
4. Le Prix Palestine - Mahmoud Hamchari 2004 décerné à Alain Ménargues pour son livre "Le Mur de Sharon" (17 novembre 2004)
5. Le fait chrétien en Palestine, la fermeture de Jérusalem et ses implications sur le conflit du Proche-Orient par Olivier Josselin (Novembre 2004)
6. Caravane pour la Palestine... en 2005, tous en Palestine !
7. Une loi bannissant le KKL (Keren Keyemet Le-Yisraël - Fonds National Juif) est désormais une réelle possibilité - La Commission des Associations du Parlement écossais va prendre en considérations les propositions du SPSC (17 novembre 2004)
8. Israël / Palestine : prototype minuscule de "guerre de banlieue" et compétence impériale globale par Alain Joxe (2002)
9. Le Proche-Orient, l’avenir et nous par Tariq Ramadan (22 novembre 2004)
                          
Revue de presse
1. Le bouc émissaire par Jacques Larivière (Paris) in Le Monde (Courrier des lecteurs) du mercredi 8 décembre 2004
2. Al-Moqawama : La résistance irakienne par Gilles Munier in AFI-Flash N° 38 du mercredi 8 décembre 2004
3. Au chef d’état-major. Pour information. par Gideon Lévy in Ha'Aretz du vendredi 3 décembre 2004
4. La France demande à Israel de cesser son soutien à Gbagbo - L'Etat hébreu fournirait des conseillers et du matériel militaire à Abidjan - on Grioo.com (e-magazine français) du jeudi 2 décembre 2004
5. Un prix néerlandais prestigieux pour le poète palestinien Mahmoud Darwish - Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 1er décembre 2004, 17h10
6. La succession de Yasser Arafat à la tête de l'Autorité autonome palestinienne - Les chausse-trapes d'une élection par Jean-François Legrain in Le Figaro du mardi 30 novembre 2004
7. Comment la Shoah a structuré la nation - Le "plus jamais ça" qui forge Israël par Jean-Luc Allouche in Libération du mardi 30 novembre 2004
8. Un peuple de "neuf millions d’Arafat" par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du mardi 30 novembre 2004
9. "Le Pianiste" de Palestine par Omar Barghouti in Counterpunch du lundi 29 novembre 2004
10. Manifestation contre un spectacle en faveur des soldats d'Israël - Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 29 novembre 2004, 22h38
11. Offense à la mémoire de Rafoul par Gideon Levy in Ha’Aretz du dimanche 28 novembre 2004
12. Un Palestinien forcé de jouer du violon à un point de contrôle israélien  - Dépêche de l'agence Associated Press du jeudi 25 novembre 2004, 19h27
13. Mes réticences sur le sionisme par Sigmund Freud suivi de "Aucun oeil humain ne verra cette lettre" par Elisabeth Roudinesco in Le Nouvel Observateur du jeudi 25 novembre 2004
14. La bataille d’Israël, à Fallujah par Rashid Khashana in Al-Hayat du lundi 22 novembre 2004
15. Sharon dénonce l'accord entre Téhéran et l'Europe sur le nucléaire par Marc Henry  in Le Figaro du lundi 22 novembre 2004
16. Comment changer le Proche-Orient par Chedli Klibi in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 21 novembre 2004
17. Les raisons de sa popularité par Béchir Ben Yahmed in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 21 novembre 2004
18. Palestine. Après Arafat, le déluge ? par Driss Ksikes in TelQuel du samedi 20 novembre 2004
19. Une absence incompréhensible par Aboubakr Jamaï in Le Journal Hebdomadaire du samedi 20 novembre 2004
20. Accusée de mise en scène, France 2 porte plainte par Daniel Psenny in Le Monde du samedi 20 novembre 2004
21. Après Arafat : Toujours le même disque rayé par Sam Bahour et Michael Dahan in International Herald Tribune du vendredi 19 novembre 2004
22. La main d’Israël est visible, dans l’affrontement en Côte d’Ivoire par Martin Sieff on World Peace Herald du mercredi 17 novembre 2004
23. La disparition d’Arafat : la solution à deux Etats est morte avec lui par Omar Barghouti in CounterPunch du samedi 13 novembre 2004
24. Une seule voie pour la paix par Michel Habib-Deloncle in France - Pays Arabes du mois de novembre 2004
25. Sur une détresse juive/Racisme et antisémitisme/Le déni palestinien par Bernard Langlois in Politis du jeudi 28 octobre 2004
26. Israël ne demandera pas d’aide américaine pour son désengagement avant janvier 2005 par Ran Dagoni on Globes on-line du lundi 25 octobre 2004
27. Saintes huiles sur le feu par Pierre Marcelle in Libération du lundi 25 octobre 2004
28. Robertson : "Si Bush touche un cheveu de Jérusalem, nous formerons le troisième parti américain !" par Daphna Berman in Ha’Aretz du lundi 4 octobre 2004        
29. La "solution" à deux Etats touche à son terme par John Denham in The Guardian du vendredi 1er octobre 2004
30. Les vainqueurs de la Seconde guerre mondiale, c’était nous ! par Lily Galili in Ha’Aretz du mercredi 29 septembre 2004
                               
[- A paraître dans un prochain Point d'information Palestine : Dans la rubrique Témoignages : - Vol d’Une Enfance par Rana El-Khatib (22 novembre 2004). Présentation des livres : - Les coulisses de la terreur de Richard Labévière aux Éditions Grasset - Les Falachas, Nègres errants du peuple juif de Tudiane N'Diaye aux éditions Gallimard. Dans la rubrique Réseau- Le Mot, en temps de crise par Yael Lerer (Novembre 2004) - Rapport Rufin : Le monde à l’envers par Michèle Sibony (1er novembre 2004) - Le 37ème Prix de l’Amitié Franco-Arabe a été attribué au livre "Figures du Palestinien. Identité des origines. Identité du devenir" de Elias Sanbar. Le Prix spécial du jury a été décerné à Henry Laurens, professeur au Collège de France, pour  l’ensemble de son œuvre, dont "La question de Palestine". (25 novembre 2004) - ONU - Les Délégations affirment leur soutien à l'Office de Secours pour les Réfugiés de Palestine (Publié le 2 novembre 2004). Dans notre revue de presse : - Un mur illégal par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du samedi 4 décembre 2004 - Le miracle de la fiole d’ordure par Gideon Samet in Ha'Aretz du vendredi 3 décembre 2004 - La haine de qui, au juste ? par Zvi Bar’el in Ha’Aretz du vendredi 3 décembre 2004 - Pour Al-Manar, pour le dialogue par Michel Lelong in Le Monde du vendredi 3 décembre 2004 - Objets dégoupilleurs par Anne-Marie Fevre in Libération du vendredi 3 décembre 2004 - Al-mahsum, mahsom, checkpoint par Yitzhak Laor in Ha'Aretz du jeudi 2 décembre 2004 - Le parapluie de Chamberlain par Antonio Tabucchi in L’Unità du mercredi 1er décembre 2004 - Décès de Paul-Marie de la Gorce, journaliste diplomatique et gaulliste - Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 1er décembre 2004, 18h05 - Le désinvestissement peut conduire à la paix israélo-palestinienne par Shamai Leibovitz in Jordan Times du mardi 30 novembre 2004 - La communauté juive ukrainienne s’interroge : ViKtor Yuschchenko est-il "bon pour les juifs" ? par Lily Galili in Ha’Aretz du lundi 29 novembre 2004 - Le Canada et les réfugiés palestiniens par Olivier Roy in Le Bulletin de la Ligue des Droits et Libertés (Québec) du mois de novembre 2004.]
                           
Témoignages

                               
1. Arafat l’immortel par Istico Battistoni (13 novembre 2004)
(Istico Battistoni est Conseiller italien au Parlement Européen. Il vit actuellement en Cisjordanie. Ce texte, inédit, peut-être repris librement sur tout support militant ou associatif. Par contre, si vous souhaitez publier ce texte sur un support écrit commercial - journal, revue... - vous devez en faire la demande auprès de l'auteur : isticobattiston@terra.es. Les textes de Istico Battistoni sont également disponibles en espagnol, en italien et en portugais.)
Tout ne pouvait que se terminer le onze du mois, le 11 novembre 2004.
Le onze est désormais une date bien établie dans le calendrier des chassés-croisés entre le Proche Orient et l’Occident. Avec la mort de Yasser Arafat, une page vierge s’ouvre pour le peuple qui personifie le mieux les frustrations et les souffrances des Arabes, à savoir le peuple palestinien. Le 11 novembre 2004 se superpose au onze septembre 2001 pour nous lancer le message suivant: il n’y aura pas de paix dans le monde, la croisade anti-terroriste ne prendra pas fin, pas plus que ne disparaîtra la haine des peuples arabes à l’égard de l’Occident tant qu’il n’y aura pas de paix à Jérusalem.
Berceau de toutes les rancœurs, exemple concret de la duplicité de la politique internationale... Nous cherchons les racines du terrorisme sur les montagnes de l’Afghanistan, ou le long de l’Euphrate, alors qu’il faut sonder plus en profondeur, parmi les pierres millénaires de la Palestine, où une occupation militaire littéralement extra-ordinaire jouit de l’immunité internationale.
C’est à cela que j’ai pensé entre le jeudi 11 et le vendredi 12 novembre, lorsque Arafat décédait à Paris et qu’il était enterré dans sa dernière prison, la Moqata de Ramallah. Sa mort à été comme son destin, celui de symbole d’un peuple qui n’a pas de patrie. Même ses funérailles n’ont pu être célébrées chez lui, mais à l’extérieur, au Caire. Il n’aura pas choisi non plus le lieu de son enterrement. Et son  peuple n’a pas pu l’accompagner par les rues jusqu’au tombeau: Ramallah était fermée à ceux qui vivent à Bethléem, Hébron, Gaza ou Jéricho. Nombreux, très nombreux, et malgré tout bien peu au regard des millions de Palestiniens de la diaspora et des villes assiégées. Car Arafat a beau avoir été un personnage fort discutable – qui n’a pas su consolider l’Autorité Palestinienne, qui n’a pas su exiger dès Oslo le démantèlement des colonies israéliennes dans les Territoires Occupés ainsi qu’une solution à la question des réfugiés et de Jérusalem, qui n’a pas su démocratiser la société palestinienne et ses institutions -  il aura été celui qui a donné toute sa vie afin que les Palestiniens aient le sentiment d’incarner un seul peuple en lutte pour la liberté. Pour eux, Arafat est avant tout Abu Ammar, le “père fidèle et voué”. Même ses opposants pleuraient lorsque Abu Ammar quittait la Moqata pour voler vers Paris, en ce triste jour d’octobre...
Et au fil de ces jours-là, dans toute la région de Ramallah, s’élevaient vers le ciel les colonnes de fumée noire des pneus enflammés pour que l’air, lui aussi, soit en deuil. Et les images d’Arafat étaient présentes sur les vitres des voitures, aux fenêtres, aux volets des épiceries fermées. “Abu Ammar reste immortel dans l’âme de la Palestine” titrait l’édition spéciale du quotidien Al-Ayyam (Les jours) du 12 novembre. Le pays entier était en pénitence, comme s’il devait expier pour ne pas avoir cru jusqu’au bout en soi-même et en la cause que son rais representait. Tous les magasins étaient fermés, et la nourriture dut être rationnée.
Ils étaient des milliers autour et à l’intérieur de la Moqata ce jour-là. Moi aussi j’ai pu rentrer. Les portes ont été ouvertes après que les plus agiles eurent sauté les murs extérieurs et que les jeunes eurent arraché les grilles pour voir Abu Ammar de très près, pour la dernière fois. L’émotion était grande, et toutes les personnes présentes étaient sur un pied d’égalité. Diplomates, étudiants, policiers, journalistes, grand-pères: tous l’attendaient, aspirés par le même tourbillon humain. Il y avait même ceux qui étaient montés sur les ruines des bâtiments et sur les carcasses des voitures restées dans l’enceinte de la Moqata depuis l’incursion israélienne de 2002. La Moqata est un drôle d’endroit: hétéroclite, très peu élégant, elle a été la dernière résidence forcée du rais, dans son statut de “président” à liberté surveillée. La Moqata à l’instar des Territoires Occupés. Arafat ne pouvait pas sortir de sa maison, de même que les Palestiniens ne peuvent sortir de leurs quartiers. Est-ce cela un Gouvernement? Est-ce cela un Pays?
Le jour de l’enterrement, il y avait les vieux avec leurs bâtons et les enfants avec leurs banderoles. Il y avait aussi beaucoup de femmes, pas seulement des hommes, beaucoup d’entre elles les cheveux au vent. Et lorsque les deux immenses hélycoptères égyptiens atterrirent sur le vieux goudron, en emportant avec eux dans un tourbillon de courant ascendant des feuilles volantes et toute la poussière, certains criaient: “Allah akbar, Dieu est grand!”. Comme si Arafat descendait du Ciel au lieu de s’y rendre.
Mais la foule était trop importante autour du cercueil, de sorte que le premier ministre Abu Ala, le chef de l’OLP Abu Mazen, le promoteur de l’Accord de Genève Abed Rabbo et les autres passagers durent rester à bord pendant trois quarts d’heure, faute de trouver un couloir dans la marée humaine. Parmi les drapeaux palestiniens, j’ai vu deux ou trois drapeaux français, et aussi un drapeau canadien. Qu’ils sont seuls, ces Palestiniens! Et qu’ils sont seuls les constructeurs de la paix israéliens, arrivés jusqu’ici en défiant les lois de leur pays leur interdisant de rejoindre Ramallah!
Puis, ce furent les fusils, pointés vers le haut, qui ont chanté pour désamorcer la rage et la tristesse à l’aide de cartouches. Le cercueil descend dans la terre, sous quatre pins, entre quatre-cents bras. Une sépulture temporaire, souhaite la plupart, en attendant de rejoindre l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem, interdite à Arafat par Sharon. La mort comme la vie: une diaspora éternelle.
Des femmes pleurent et disent: “Abu Ammar, nous te resterons fidèles“. Mais il y a aussi ceux qui ont peur. Sari, qui se trouve à mes côtés avec une petite caméra, déclare: “Nous sommes inquiets. Qui pourra remplir le vide laissé par Arafat? Qui aura le charisme, la crédibilité et la force d’Arafat?”. Arafat avait été décrit comme un obstacle, mais maintenant qu’il est mort, les gens craignent l’occupation israélienne, et ils le regrettent. Suffira-t-il de brandir les noms de Abu Mazen ou Abu Ala, ou bien de Marwan Barghouti, le leader de l’Intifada croupissant dans une prison israélienne depuis deux ans et demi, pour redonner du courage et de l’espoir aux Palestiniens, condamnés désormais à se contenter de vivre derrière un mur? Plus Arafat était décrit par les Israéliens et leurs alliés comme un terroriste malhonnête, et plus il s’installait dans les cœurs des Palestiniens.
Après quatre heures, nous commençons à nous disperser, à cinq heures il fait déjà noir. Les queues des autobus et des taxis collectifs se font plus larges, je serai obligé de marcher pendant quelques kilomètres avant qu’un taxi me laisse monter. Il y a de la poussière dans l’air, et de la saleté fatiguée dans les rues, mais les gens sourient et se font des blagues. Au coucher du soleil ils mangeront et boiront, comme le Ramadan le demande. Demain sera un autre jour. Le troisième sans Abu Ammar.
                   
2. Au détour d'un barrage par Claude Abou-Samra (29 novembre 2004)
(Claude Abou-Samra est "citoyenne" de Ramallah en Palestine, si tenté que le concept de citoyenneté puisse s'appliquer en Palestine occupée...)
Ramallah - Je viens de lire "un coucher de soleil palestinien" de Rana El-Khatib, traduit dans le dernier "Point d'Information Palestine". Un témoignage bouleversant ... même si l'on est "habitués". Un témoignage de plus qui m'amène à penser qui si les stratèges des forces israéliennes d'occupation ne se sont certainement pas souciés, en imposant des centaines de barrages sur les routes palestiniennes, du sang et des larmes qu'ils y feraient couler, elles n'ont pas imaginé, qu'au-delà du sang et des larmes,  ils feraient aussi couler beaucoup d'encre. Et que cette encre dépasserait tous les barrages pour dire au monde extérieur comment un peuple aussi entravé continue à vivre ...
S'ils ne sont heureusement pas toujours  aussi dramatiques que celui relaté par Rana, les passages de checkpoint en Palestine sont une épreuve quotidienne où l'on éprouve des sentiments contradictoires : l'agressivité et la tristesse du lieu : blocs de béton, fils de fer barbelé, travaux inachevés laissant des tas de gravats où s'ajoutent les détritus, murs noircis par les graffitis, appareils de détection, soldats en arme ... contrastant avec une foule humaine, digne dans l'humiliation, organisée dans le chaos qu'on lui impose, et solidaire envers et contre tout. Et ces arrêts obligés dans nos déplacements se sont imposés à nous comme des lieux de vie, de souffrance, mais aussi de rencontres et d'espoir.
Pour faire encore couler de l'encre à ce sujet, je vais vous relater une de ces rencontres fortuites "à cause des barrages" . Lors d'un récent déplacement à Bethléem je suis surprise par un violent orage au moment où je dois quitter la voiture qui me conduit au barrage  ... Que faire d'autre que prendre la file et tenter le passage dans les bourrasques de pluie et de vent ? Me croyant sortie de l'épreuve après avoir emprunté les chemins de contournement obligatoires je me retrouve sur une route désertée de toute circulation. Pas un seul taxi-service pour Jérusalem ! Pas un seul abri pour se protéger de la pluie ! Les barrages sont conçus de façon à ce que vous ne vous sentiez "nulle part" ... J'ai l'habitude de celui de Qalandia, où quels que soient le temps ou l'heure on trouve toujours un taxi, je ne m'attendais pas à un tel désert. Je me hasarde vers une voiture en stationnement un peu plus loin, un "faux" taxi "privé" avec lequel je ne marchanderai pas longtemps pour qu'il me sorte de ce déluge. Le temps qu'il fait est bien sûr le premier sujet de conversation avec le chauffeur qui met en route tout ce qu'il y a de chauffage dans sa voiture pour m'apporter un peu de réconfort. Il ne retient pas longtemps sa curiosité pour me demander qu'est-ce qui m'amène sur ces routes et quand il apprend que je suis franco-palestinienne ce n'est plus la pluie qui tombe mais un déluge de considérations sur la France, la grandeur de la France, l'hospitalité faite au Président Arafat, l'hommage que lui a rendu le président de la République ... "Comme cela nous a fait du bien, si tu savais !" (oui, je sais, je l'ai ressenti aussi et on ne cesse de me le répéter ...) Ah ! la France ! qui déjà a refusé de faire la guerre en Irak, qui respecte les Arabes, qui ne nous méprise pas comme ceux qui ont déclenché cette guerre infâme. Il va jusqu'à dire "s'il n'y a plus la France, on n'a plus d'espoir, c'est notre seul espoir pour la justice. Regarde les dirigeants arabes ..."
Il me laisse Porte de Damas avec toutes les bénédictions possibles pour la France et les Français  et là je prends un mini-bus pour Qalandia. Arrêt obligé au checkpoint de Beit-Hanina où après dix minutes d'attente un soldat monte vérifier qu'aucun Palestinien des Territoires ne quitte Jérusalem par ce bus qui va emprunter après ce contrôle  une route défoncée par la construction du mur de 8 mètres de haut  au travers de Ram. La route n'est ouverte que d'un côté du mur pour les deux sens de circulation, avec la pluie qui remplit les ornières plusieurs véhicules sont en panne, il faut trouver un nouveau passage alors que la nuit est arrivée, débarquer au barrage devenu marécage ... où comble de l'ironie un vendeur adossé au mur propose sur sa charrette du "sahlab" chaud aux marcheurs transis sous la pluie.
Quand vous arrivez chez vous, que vous pouvez vous changer et vous réchauffer, on relativise, c'est moindre mal par rapport à d'autres qui n'ont pas cette chance, on ne sait plus si c'est une épreuve qu'on a traversée ou un moment de vie intense pour rien, juste pour passer de l'autre côté, juste pour aller voir des amis à Bethléem distant de 30 kms, juste parce qu'il faut continuer, parce que - tout le monde le dit - si on arrête, c'est fini, il n'y aura plus d'espoir ... Et c'est sans grande attention que je regarde un débat télévisé retransmis sur TV5. Il y est question de l'hommage rendu au président Arafat, et parmi les questions "la France n'en a-t-elle pas fait trop ?" ..."qu'est-ce que le gouvenement français peut attendre en retour  ?"
Quelle question ! Pour moi, c'est évident.  La réponse, elle m'a été donnée par ce chauffeur de taxi anonyme et improvisé : la reconnaissance et l'espoir d'un peuple. Oui, c'est vrai, la France n'aura pas en retour des contrats de ventes d'armes ou de pétrole, mais la reconnaissance d'un peuple opprimé ne vaut-elle pas mieux que tous les contrats ? Voilà ce que l'on peut apprendre au détour d'un barrage ...
                                           
Rendez-vous
                           
1. Conférence-débat "Guerres et Racismes" avec Tariq Ramadan et Larry Portis à Marseille
le vendredi 10 décembre 2004 à 20h00
[Salle de l’Hermitage - 27, Traverse de l’Hermitage - 13015 Marseille]

Vendredi 10 décembre à 20h, à l’initiative d’Agir contre la guerre et de l’Association des Etudiants Musulmans d’Aix, avec le soutien d’Aix-solidarité, de la Bibliothèque alternative, des Féministes pour l’égalité et contre l’exclusion, vous proposent une conférence-débat sur le thème : "Guerres et Racismes" avec Tariq Ramadan, professeur de philosophie et d’islamologie, Larry Portis, membre de American Against War (Américains contre la guerre) et des interventions de militantes et de militants du mouvement contre les occupations coloniales en Irak, en Palestine et en Côte-d’Ivoire.
George W. Bush réélu, le Président Yasser Arafat disparu et la situation reste aujourd’hui fort préoccupante partout dans le monde. Selon la presse britannique, le conflit a fait, en Irak,  plus de 100 000 victimes civiles depuis le déclenchement de l’invasion par la coalition criminelle de Bush, Blair, Berlusconi and Co.
En Palestine, l’injustice se poursuit de plus belle avec la complicité des médias qui réduit souvent l’image du peuple palestinien à celle de terroristes. C’est oublier un peu rapidement la situation coloniale et les exactions quotidiennes commises par l’armée israélienne. En Côte d’Ivoire, on assiste aux tragiques conséquences de la Françafrique. Comme les Etats-Unis, la France soutient des dictateurs puis les renverse à son gré dans sa zone d’influence. Quant à la Tchétchénie, elle a été rayée de la carte par le Busher Poutine dans le silence complice de la quasi-totalité des médias occidentaux !
Le point commun de ces interventions militaires est que, d’une part, elles engendrent des massacres, des déplacements forcées, une répression féroce et inhumaine pour les populations concernées et d’autre part, une accentuation du racisme dans les sociétés occidentales, notamment à l’égard des populations musulmanes. Le fossé d’incompréhension ne cesse de se creuser entre ces populations et le reste des sociétés et les amalgames entre « musulman » et « terroriste » se font de plus en plus souvent. Ce climat néfaste ne fait le jeu que d’un racisme latent qui progresse sournoisement.
Et précisément, la force du mouvement anti-guerre a été de rassembler des millions de personnes quel que soit leur origine, culture ou religion. Nous nous mobiliserons constamment pour que le droit et la justice soient enfin appliqués.
[Pour se rendre à la salle de l’Hermitage : en bus : ligne 26 depuis le métro Bougainville, arrêt L’Hermitage ; en voiture : par l’A7, sortie Saint-Antoine - Hôpital Nord, av. de St-Antoine, av. de la Viste, puis l’Hermitage à gauche / Apéro-buffet sur place, possibilité de co-voiturage pour le retour / PAF : 2 euros, en fonction des moyens de chacun. / Renseignements : 06 62 82 21 66 - 06 20 60 65 93 - stoppons.bush@laposte.net - aema_contact@yahoo.fr]
                                      
2. Projection du film "Mendiants et orgueilleux" de Asma El-Bakri à Marseille
le vendredi 10 décembre 2004 à 20h30

Le vendredi 10 décembre au Cinéma Le Miroir - Centre de la Vieille Charité à 20h30, dans le cadre de la semaine de rencontres avec les écrivains égyptiens « Egypte, écritures contemporaines », organisée par l’association Libraires du Sud, l’association AFLAM présente le film « Mendiants et orgueilleux » (Egypte, 1991, 1h32) réalisé par Asma El-Bakri, d’après le roman d’Albert Cossery.
- L’auteur : Né au Caire en 1913, Albert Cossery vit à Paris et écrit ses romans en français, bien qu’ils se déroulent toujours en Egypte. Les personnages qu’il met en scène traduisent la révolte anarchiste et individualiste qui l’anime depuis toujours, et sa fascination pour l’humour et la capacité de résistance du petit peuple égyptien. Paru en 1955, « Mendiants et orgueilleux » a été doublement adapté en 1991 : au cinéma par la réalisatrice égyptienne Asma El-Bakri, et en bande dessinée, par le dessinateur français Golo qui lui, vit depuis plusieurs années au Caire.
- La réalisatrice : Née au Caire, Asma El Bakri a travaillé comme assistante à la réalisation avec Youssef Chahine, John Guillermin, Mike Newels, Franklin Shaeffner et comme directrice de production sur une vingtaine de films documentaires tournés par la BBC en Egypte, avant de réaliser « Mendiants et orgueilleux » son premier long-métrage.
- L’histoire, le film : Gohar, professeur d'université réalise un jour que tout ce qu'il enseigne à ses étudiants n'est qu'un tissu de mensonges. Il part vivre avec les plus démunis : Kordi, petit employé qui croit trouver dans des rêves de révolution sa revanche sur une société qui a oublié la notion de justice ; Yeghen, poète raté amoureux et pourvoyeur de drogue ; Nour El Din, officier de police ivre de pouvoir, qui comprendra toute la futilité de sa fonction.« Je n'ai rien, je ne veux rien, je suis libre ». Telle est la philosophie des personnages du roman... « Ni film policier, ni chronique des bas-fonds, il s'agit plutôt d'une comédie à la fois légère et profonde, d'une galerie de personnages inoubliables, créés par Albert Cossery. » (Asma El Bakri)
[Aflam - BP 20 - 13243 Marseille Cedex 01 - Tél/Fax : 04 91 47 73 94 - Email : aflamarseille@club-internet.fr]
                       
3. "Colors of the light" une exposition de Rachid Abdelhamid à Marseille
du 14 décembre 2004 au 3 janvier 2005
[Espace Culture - 42, La Canebière - 13001 Marseille - Tél. 04 96 11 04 60]
Vernissage de l'exposition le mardi 14 décembre 2004 à 18h00.

Rachid Abdelhamid, architecte-designer palestinien, vit à Gaza en Palestine. Il vient d'exposer à la Biennale du Design de Saint Etienne. Ses travaux vous seront présentés l'Espace Culture de Marseille (1er étage).
                           
Dernières parutions

                            
1. "Solidarité Palestine" en CD-Rom !
Durant trois ans et demi le site Solidarité-Palestine à été LE site de référence dans l'espace francophone sur la Palestine. A la suite de plusieurs actes d'e-terrorisme dont le site a fait l'objet, son fondateur et animateur, Giorgio Basile, a décidé de le fermer définitivement le 17 juin dernier. La dernière attaque "revendiquée" fait l'objet d'une plainte auprès de la Brigade Centrale de la Répression de la Criminalité Informatique.
Aujourd'hui, c'est avec beaucoup de plaisir que nous vous annonçons la sortie de "Solidarité-Palestine sur CD-ROM" ! Retrouvez sur CD-ROM l'intégralité du site Solidarité-Palestine *: Plus de 1 600 pages d'articles traduits de la presse internationale, de témoignages, d'analyses inédites, de reportages photographiques, de dossiers, de bibliographies ; Plus de 1 200 chroniques quotidiennes de l'actualité dans les Territoires occupés, de décembre 2000 à mai 2004 ; Plus de 950 nouvelles brèves : articles courts, nouvelles des associations, etc... Le CD-ROM comprend un moteur de recherche intégré, et est disponible à prix coûtant, frais d'expédition inclus, au prix de : 5 euros pour la Belgique ; 7 euros pour la France et les autres pays de l'Union européenne ; 10,60 CHF pour la Suisse ; 15 dollars CA pour le Canada ; 9,50 euros pour le reste du Monde. Les paiements peuvent être effectués par virement bancaire ou par carte de crédit via le système sécurisé «PayPal».
Si vous êtes intéressé, vous pouvez écrire à Giorgio Basile et Olivier Roy, à l'adresse sol_pal_2004@yahoo.fr, en mentionnant votre nom et votre adresse postale ; ils vous ferons parvenir en retour les instructions de paiement et, dès réception de celui-ci, le CD-ROM vous sera expédié.
>> ATTENTION ! CD-ROM uniquement compatible avec les différentes versions du système d'exploitation Windows.

(*) Le dossier sur les partis et factions politiques en Israël et en Palestine n'est pas inclus dans ce CD-ROM. En effet, ce dossier fait présentement l'objet d'une révision en vue d'une publication ultérieure en librairie.
                       
2. Revue "Albatroz" N° 37 (Octobre 2004)
[4 euros - 40 pages]

Les Cahiers Albatroz, "organe officiel de la littérature à l'essence de térébenthine", dont le directeur de la publication est Manuel Vaz, présentent dans cette dernière livraison, un numéro spécialement consacré aux "Lettres de Nablus" (Naplouse) que Corinne Perron, infirmière urgentiste française, a écrit en septembre et octobre 2004, à la suite d'une mission aux côtés des services d'ugence palestiniens. Un document puissant et boulversant, sur la violence quotidienne de l'occupation militaire israélienne en Palestine, à lire absolument.
La revue publie également dans ce numéro, des poèmes de Badia Benjelloun et Bruno Tomera.
[Albatroz - BP 404 - 75969 Paris Cedex 20 - France - Email : albatroz19@yahoo.fr - Site : www.revue-albatroz.com - Abonnement à 4 numéros : 16 euros]
                       
3. Checkpoint de Azmi Bishara
aux éditions Actes Sud
[250 pages - ISBN : 2742751890 - 20 euros]

Traduit de l'arabe par Rachid Akel - Checkpoint raconte un pays, la Palestine, désarticulé par les colonies de peuplement et les routes de contournement et, à présent, par le “mur de séparation”. Un étrange pays qui ne ressemble à aucun autre, un archipel, où le seul point de repère incontestable est le barrage militaire, le checkpoint, qui précisément abolit l’espace et le temps. L’immobilité et l’attente aiguisent la mémoire qui, à l’image du lieu où elle est enracinée, vient restituer par bribes des saynètes fragmentées. Alternant épisodes de la vie quotidienne et portraits, souvenirs de jeunesse et récits absurdes, dialogues et méditations, Azmi Bishara dénonce avec un humour décapant le sort réservé aux Palestiniens par les “Maîtres du checkpoint”. Mais il égratigne aussi son propre camp, avec ses politiciens opportunistes, ses idéologues obtus et tous les autres profiteurs de “l’industrie de la Cause”. Le récit commence et se termine par une tendre évocation de la fille du narrateur, Wajd, mot désignant l’une des sept “stations ” de l’amour chez les mystiques musulmans. C’est la douleur d’être séparé de l’aimé même en sa présence, la douleur du désir, toujours insatisfait, de s’unir à lui.
- Extrait :
Mahthom

A cette époque, ma fille a appris à parler de manière assez surprenante. Les premiers mots de l’enfance, les premières phrases balbutiées composent un langage féerique. Les paroles des enfants sont une baguette magique : dès qu’elle effleure la moindre chose, des étoiles scintillent, le temps d’un instant, dans notre vie surchargée de soucis et nous attendons impatiemment qu’un nouveau mot soit prononcé. Lorsque l’attente se fait longue, nous insistons, puis implorons. “Qu’est-ce que c’est que ça ?” Nous répétons la question dans l’espoir de voir jaillir des mots qui redonnent vie aux objets désignés et pour que les choses ordinaires deviennent extraordinaires. “Dis-leur ce que tu m’as dit hier !” Semblant soupçonner notre nouvelle dépendance à cette féerie, l’enfant nous assène alors un regard réclamant que nous la suppliions davantage et laisse échapper un sourire. Alors la supplication et l’espoir se convertissent en étreintes, baisers et sautillements de joie à travers la maison. “Ma chérie ! Mais qu’est-ce que c’est que ce sourire ?” Entraîné dans ce vacarme, notre fils, qui ne sait pas encore parler, nous suit en rampant. Je le porte à son tour, et m’élance essoufflé, maudissant la cigarette.
Les propos de notre fille nous éloignent de la politique. Dorénavant, nos discussions portent sur elle, sur le fait qu’elle distingue déjà les adjectifs, le présent et le passé. Emus d’avoir une fille si brillante, nous nous posons, comme tous les parents, la question de savoir si c’est notre amour qui la grandit tant à nos yeux ou si elle est réellement hors du commun.
J’en étais presque arrivé à me persuader qu’elle parlait déjà parfaitement et qu’il ne lui restait à apprendre que la prose, la poésie, le droit et la théologie lorsqu’elle rentra de la maternelle.
— Où tu étais, ma chérie ?
— Au mahthom.
J’ai hésité une seconde. Mahthom, avec un th allégé, était la prononciation enfantine et angélique du terme hébraïque mahsoum, qui a pour racine hosam et qui désigne l’action de barrer la route. Il s’agit donc du barrage et notamment de ces checkpoints installés par les forces d’occupation, qui barrent aux gens les chemins de la vie. En Cisjordanie et dans la bande de Gaza, la population, qui a tenu à garder tel quel le terme hébraïque, parle de mahsoum et n’hésite pas à le mettre à la forme plurielle arabe, mahasim !
Le temps que ma fille passe quotidiennement au checkpoint lui fait oublier l’école. Le matin, elle part donc à la maternelle en parlant de Miss X. et Miss Y. mais, le soir, elle revient du mahthom.
— Qu’est-ce que tu as fait au mahsoum, chérie ?
— J’ai chanté.
— Qu’est-ce que tu as chanté ?
Elevant sa douce voix, qui fait fondre les éléments et les métamorphose en courants scintillants autour de nous – nous, ô combien solitaires dans notre parcelle de paradis entre les mahasim –, elle s’est alors mise à chanter avec l’accent égyptien un “joyeux a-vi-ner-saire” qui dévoilait que la classe avait célébré ce jour-là l’anniversaire d’un élève.
Au cours des quatre mois suivants, égaux en longueur, inégaux en largeur, le checkpoint a cessé d’être prévisible et familier. Après l’invasion, il est devenu le symbole d’une présence tyrannique. Le checkpoint est à la fois ce qui sépare et ce qui lie deux mondes. C’est la frontière et le point de passage. C’est la souffrance et l’espoir de passer. Désormais, le checkpoint se prend au sérieux. Les quantités de fer et de matières solides qui le constituent sont maintenant plus abondantes et les soldats, aux mines austères, plus nombreux. Il a une structure, il n’est plus formé exclusivement de restes de matériel militaire, barils, blocs de ciment, et toutes sortes de pierres. Tout autour s’élèvent maintenant des baraquements préfabriqués en ciment, en fer ou en verre, munis d’équipements spéciaux. Même sa couleur marron-gris est devenue uniforme. Toute ornementation a disparu, le checkpoint est devenu atone.
L’attente s’est prolongée au checkpoint. Les complaintes des personnes qui attendent ont diminué à mesure que leurs souffrances et leur patience, elles, augmentaient. Les gens ont acquis une constance, non parce que leur carapace s’est endurcie mais parce que le checkpoint est devenu super-réactif et ne supporte plus les plaintes. La peur empêche toute protestation. Dans la période qui a suivi l’invasion, “ça ne rigolait plus” au checkpoint, car le soldat avait la main qui tremblait légèrement sur la détente. Il avait peur, lui aussi.
Toutefois, l’équilibre de la terreur au checkpoint ne modifie en rien l’identité de l’oppresseur et celle de l’opprimé, l’identité du dominant et celle du dominé, l’identité de qui contraint et celle de qui est contraint. En réalité, il n’y a pas d’équilibre dans la terreur : il existe deux terreurs déséquilibrées comme il existe deux peurs déséquilibrées.
Exigeant de l’homme la totalité de son temps, de ses moyens et de sa patience, le checkpoint est totalitaire. La journée tout entière peut s’écouler au checkpoint car le temps lui-même attend sur place. Ramallah est désormais à un jour de voyage, comme tout le reste d’ailleurs. Le voyage – qui dure toute la journée – ressemble à “une journée de dur labeur au moulin”, et la nuit peut tomber après avoir couvert les vêtements de poussière, jamais de farine.
Qu’ils voyagent ou pas, qu’ils le traversent ou pas, les gens vivent à l’ombre du checkpoint. Sa présence domine tout. Il s’introduit dans les méandres de la vie et laisse partout son empreinte. L’humeur dépend de l’information en provenance du checkpoint. Les plans, les projets, la quête du pain quotidien, les décisions relatives au lieu d’habitation, à l’école des enfants ou au lieu de travail sont tous attachés à l’emplacement “devant” ou “derrière” le checkpoint. Tous les projets doivent se justifier devant ce trône et selon sa seule logique.
A la maternelle, la journée s’est terminée. Au cours des derniers mois, notre fille a appris ce qu’était la propreté, de sorte qu’elle choisissait soigneusement ses vêtements et demandait : “Mes habits sont beaux ou pas ?” avant d’ajouter, sans porter le moindre intérêt à la réponse : “Tu sais qui me les a achetés ?” Elle a dernièrement pris l’habitude de satisfaire ses besoins naturels dans une cuvette à laquelle nous avons donné un nom. On a d’abord adopté, je ne sais pour quelle raison, un dérivé assez créatif : el pota, du pot anglais, avant que nous nous portions sur le terme français “toilettes”. Notre fille a franchi une étape morale en s’élevant du sol pour atteindre la lunette des toilettes. Malgré ses efforts pour y arriver et sa posture assez incommode là-haut, elle se vantait auprès de son frère qui n’aurait le privilège de s’approprier ce trône qu’une fois grand. La journée était finie et ma fille se trouvait au checkpoint, sur le chemin de la maison. J’ai appelé et je l’ai entendue chanter. Son frère, sans pour autant vouloir l’embêter, fredonnait un autre air. Chacun chantait ce que bon lui semblait à une différence près : elle, chantait avec des mots, lui, sans.
Deux heures plus tard, lorsque j’ai rappelé, ils étaient toujours au checkpoint mais les plaintes s’étaient substituées aux chansons. La mélodie s’est transformée en cris nerveux entrecoupés de “ouin !”, de “ah, ah !”, de “je veux rentrer !” et de “elle est où la maison ?”, répétés à volonté. “Wajd veut te parler”, m’a dit sa mère, non pas pour que je lui vienne en aide à travers le téléphone mobile mais pour que cela brise le rythme des “ouin”, lui permette de reprendre son souffle et lui repose un peu les oreilles. Les cris ont cessé au téléphone et Wajd est passée à des paroles baignées de larmes, comme un adulte qui ferait soudain une dépression :
— Papa, pipi ! Je veux rentrer à la maison…
Alors que le checkpoint la séparait toujours de la maison, elle refusait de faire ses besoins dans ses vêtements. Nous l’avons suppliée de s’exécuter alors dans la voiture, là où elle voulait, mais en vain. Elle souffrait mais ne pouvait passer à l’acte. Nous nous sommes ainsi mis à suivre l’affaire de près et à calculer le temps exact écoulé au checkpoint. Nous nous appelions toutes les cinq minutes :
— Combien de voitures encore ?
— Ils contrôlent comment ? Une voiture à la fois ?
Elle est finalement arrivée à la maison. Quand la voiture a franchi le portail extérieur de l’immeuble, notre fille “a fait” dans la voiture, peut- être parce que, ne pouvant patienter jusqu’aux toilettes, elle a éprouvé le bien-être d’être enfin arrivée à destination. Le checkpoint était loin maintenant.
Nous n’avons pas voulu discuter. Qu’advient-il au checkpoint du malade ou de la femme en couches ? Nous n’avons pas voulu imaginer. Nous n’avons pas besoin d’imaginer. Par ces temps, la poésie ne nous rend pas plus imaginatifs. La création et l’art décrivent la réalité non pas pour la changer mais pour en tirer profit. Nous nous sommes lassés de la poésie depuis que la réalité l’a dépassée en créativité et en sincérité. Les fantômes de la souffrance sont venus d’eux-mêmes hanter le checkpoint. Ils y sont toujours. Dans chaque voiture il y a un homme, une femme, des enfants et une histoire. Mille et une histoires s’y côtoient. Face aux soldats, certains passagers en appellent d’autres à l’aide. D’autres “se vengent” contre le véhicule stationné devant eux, contre leur épouse assise à leur côté, contre les enfants sur le siège arrière, dans le but de manifester leur virilité et leur sens de l’honneur qu’ils viennent de perdre devant les soldats. D’autres encore chuchotent, souffrent en silence ou racontent les disputes survenues au checkpoint, l’anecdote la plus dramatique, celle de l’absence de réaction à l’humiliation.
Le lendemain, au petit-déjeuner, Wajd a soudain dit :
— Pipi !
— C’est bien ! Et qu’est-ce qu’on fait dans ces cas-là ?
Elle s’est levée et s’est soulagée dans ses sous-vêtements, alors qu’elle n’était pas encore habillée. “La maison est loin”, a-t-elle dit avant d’éclater de rire. Mais riait-elle pour nous amadouer, sachant qu’elle allait être grondée ? Se moquait-elle tout simplement de nous ? Ou s’esclaffait-elle de choses qui lui semblaient drôles, comme, par exemple, nos visages surpris ?
                                   
Réseau

                                           
1. APPEL URGENT : Quatre étudiants de l’Université de Bir-Zeit ont été déportés illégalement vers Gaza (Novembre 2004)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Quatre étudiants de l’Université de Bir-Zeit, originaires de Gaza, ont été arrêté par l’armée israélienne dans leur résidence universitaire de Bir-Zeit, près de Ramallah, et « déportés » arbitrairement vers la bande de Gaza, où ils ont été « renvoyés » dimanche dernier (21 novembre 2004). Ces quatre étudiants (Walid Muhanna, Bashar Abu Salim, Mohammad Matar et Bashar Abu Shahala) étudient, tous, l’ingénierie civile et mécanique à Bir-Zeit, et ils sont en dernière année : ils doivent passer leur diplôme à la fin de cette année universitaire.
Des soldats israéliens ont fait une incursion par effraction dans la résidence de ces étudiants, à deux heures du matin, dans la nuit de jeudi dernier, et ils les ont arrêtés. On leur a donné l’ordre de réunir leurs effets personnels, puis ils ont été menottés, on leur a mis un bandeau sur les yeux, et on les a emmenés vers un centre de détention proche, où ils ont été retenus durant trois jours. Aucune charge à leur encontre n’a été signifiée aux quatre étudiants ; aucun ordre d’expulsion n’a été produit ; ils ont été simplement emmenés par l’armée, et abandonnés au point de passage de la frontière avec la bande de Gaza – Erez – du côté « bande de Gaza ».
En raison des restrictions imposées par Israël aux déplacements (des Palestiniens), ces étudiants n’ont pas pu rentrer dans leur famille, durant toute la durée de leurs études universitaires (quatre ans…). Bashar Abu Salim a vécu l’angoisse de ne pouvoir se rendre dans sa famille, après le décès de son père. Ces étudiants font partie des rares étudiants originaires de la bande de Gaza à poursuivre leurs études en Cisjordanie. En 2000, il y avait plus de trois cents étudiants « gazans » à l’Université de Bir-Zeit ; en 2004, ils ne sont plus que trente-neuf. Depuis octobre 2000, les autorités israéliennes ont rendu virtuellement impossible aux Palestiniens l’obtention ou le renouvellement des "permis de circulation" exigés par Israël (par ses forces occupantes), pour tout déplacement entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. Les étudiants gazans inscrits dans des universités cisjordaniennes ont dû dépasser la durée de validité de leurs "permis de circulation" originaux, s’exposant à toutes les complications que ceci implique. Ceux qui ne l’ont pas fait ont dû abandonner leurs études.
Nous sommes inquiets, car les déportations des quatre étudiants de Bir-Zeit, la semaine dernière, risque d’être le début d’un retour forcé de tous les étudiants gazans faisant actuellement leurs études en Cisjordanie, et nous risquons d’assister bientôt à une campagne militaire sur une plus grande échelle visant à rafler et à « déporter » systématiquement tous les étudiants gazans vers Gaza, c’est-à-dire ce qui est devenu, ni plus ni moins, une vaste prison avec plus d’un million de détenus.
Depuis le mois d’avril, 1 500 étudiants de la bande de Gaza n’ont pas été autorisés à franchir le « terminal » frontalier de Rafah, à la frontière palestino-égyptienne, afin d’aller étudier dans des universités arabes ou étrangères. Ceci est la conséquence de l’interdiction de voyager imposée par Israël à tous les Palestiniens résidants dans la bande de Gaza, et dont les âges sont situés dans la fourchette des 18 – 35 ans. Des étudiants originaires de Cisjordanie se voient interdire, également, de rejoindre leurs universités, en raison des bouclages fréquents de villes, de centaines de barrages routiers de l’armée israélienne, et de la construction du Mur illégal d’Apartheid, empiétant sur le territoire de la Cisjordanie.
La « déportation » arbitraire des quatre étudiants de Bir-Zeit vers Gaza, les restrictions imposées par Israël aux déplacements de tous les étudiants palestiniens, tant en Cisjordanie que dans la bande de Gaza occupées, représentent des violations patentes du droit humain fondamental à l’éducation, du droit à la liberté de déplacement et du droit à choisir son lieu de résidence dans un territoire donné, tous droits conformes aux standards internationalement reconnus du droit humanitaire international.
L’Université de Bir-Zeit appelle toutes les associations de défense des droits de l’homme, dans la région, et toutes les personnes, associations et institutions concernées, dans le monde entier, à exiger que le Conseiller Juridique de l’Armée israélienne pour la Cisjordanie remette sans délai aux quatre étudiants déportés des permis de retourner à l’Université de Bir-Zeit pour y compléter leurs études, et aussi à exiger que tous les étudiants palestiniens puissent être libres de poursuivre leurs études supérieures, conformément avec le droit humanitaire international.
Prière d’adresser vos courriers aux responsables israéliens ci-après :
- Maj. Yaer Lutstein - Legal Advisor - Bet El Civil Administration - West Bank - Fax number: +972 2 997 7326
- Mr. Shaol Mofaz - Israeli Minister of Defense - Email
sar@mod.gov.il - Fax number: +972 3 697 6990
Merci de nous adresser copie de vos courriers à l’adresse ci-après
Right to Education Campaign at Birzeit University - Email: right2edu@birzeit.edu - Fax nuber: +972 2 298 2059
                                       
2. Surveiller, punir et faire partir - L’invention du dé-fermement par Richard Labévière (Automne 2002)
[Richard Labévière est journaliste. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages dont : avec Pierre Péan, "Bethléem en Palestine" aux éditions Fayard (1999), "Oussama Ben Laden ou le meurtre du père. Etats-Unis, Arabie Saoudite, Pakistan" aux éditions Favre (2002). Ce texte, paru à l'automne 2002 dans la Revue d’études palestiniennes N°85, a été repris dans une version remaniée et enrichie, dans son livre paru en octobre 2003, "Les coulisses de la terreur" aux éditions Grasset.]
« Les conquérants étaient de ceux qui avaient subi eux-mêmes le plus grand génocide de l’histoire. De ce génocide, les sionistes avaient fait un mal absolu. Mais transformer le plus grand génocide de l’histoire en un mal absolu, c’est une vision religieuse et mystique, ce n’est pas une vision historique. Elle n’arrête pas le mal ; au contraire, elle le propage, elle le fait retomber sur d’autres innocents, elle exige une réparation qui fait subir à ces autres une partie de ce que les juifs ont subi (l’expulsion, la mise en ghetto, la disparition comme peuple). Avec des moyens plus “froids” que le génocide, on veut aboutir au même résultat. » Gilles Deleuze, septembre 1983
- Copenhague, le 17 juillet 2002. « Chaque ville et village de Palestine est désormais une prison à ciel ouvert. » C’est  le ministre palestinien de la Culture et de l’Information Yasser Abed Rabbo, qui témoigne à la tribune du « séminaire pour la paix », organisé par l’Organisation des Nations unies dans la capitale danoise. L’Organisation internationale a eu toutes les peines du monde à obtenir la « sortie » du ministre palestinien... Le lendemain, Terje Roed-Larsen, le coordinateur spécial de l’ONU pour le processus de paix au Proche-Orient, explique à son tour qu’il fait tout son possible parce qu’il « faut absolument desserrer l’étau »... Arrivant de New York où vient de se tenir une nouvelle réunion du quartette Etats-Unis, Union européenne, Russie et ONU, le coordinateur explique aussi toute l’importance que cette instance accorde aux « efforts de réformes politiques et économiques » entreprises par l’Autorité palestinienne.
Depuis très longtemps, ce diplomate intègre et courageux fait effectivement tout ce qu’il peut pour la cause d’une paix juste et équitable au Proche-Orient, mais ce jour-là, ses propos s’égarent dans la quiétude de la capitale danoise. En effet, chacun sait, depuis le discours du président américain George Bush – le 24 juin 2002 – demandant le départ de Yasser Arafat, que le quartette est, de fait, renvoyé à la marge d’un processus repoussant aux calendes grecques la convocation d’une conférence internationale et l’instauration d’un Etat palestinien...
Les 22 et 23 août 2002 à Paris, une nouvelle réunion du quartette, aux côtés duquel siègent quatre des principaux donateurs – le Japon, la Norvège, la Banque mondiale et le Fonds monétaire international –, sonne encore plus étrangement. Baptisé « task force », ce nouveau groupement rappelle la nécessité des réformes palestiniennes en vue de l’organisation prochaine d’élections générales. Et sur ce dernier point, la « task force » admet qu’un processus électoral « requiert des progrès sur le plan de la sécurité et un allégement graduel et effectif du régime actuel des bouclages », mais elle formule aussitôt de nombreuses conditions préalables dont la mise en application visent principalement le report des échéances prévues par le président de l’Autorité palestinienne : janvier 2003 pour les élections présidentielle et législatives, mars pour les municipales.
Après avoir sommé l’Autorité d’organiser au plus vite des élections démocratiques, la communauté internationale – représentée par sa « task force » – cherche maintenant à en différer la tenue... Avant de présenter son rapport détaillé à la prochaine réunion du quartette qui se tiendra en marge de l’Assemblée générale de l’ONU à New York (septembre 2002), la « task force » exprime ses « vives préoccupations quant à la détérioration de la situation humanitaire des Palestiniens », et réclame « un libre accès des personnels humanitaires et internationaux » aux territoires palestiniens. Outre le fait que, pour l’opinion internationale pressée, les dernières tribulations du quartette passent pour une « reprise » des négociations israélo-palestiniennes interrompues depuis septembre 2000, l’impératif humanitaire sert – une fois encore – d’habillage à l’inertie, sinon à la désertion politique face à la réoccupation massive de la Cisjordanie.
Pourquoi un tel éloignement du réel ? Parce qu’il ne se passera rien avant les élections législatives américaines de novembre 2002, disent les plus optimistes... Rien avant les élections présidentielles de 2004, estiment les plus pessimistes... Pour les deux cas de figure, l’une des explications est extrêmement simple : l’administration Bush a décidé de coller aux options militaires d’Ariel Sharon pour « capter » un électorat juif traditionnellement acquis aux démocrates. L’objectif de George Bush n’est pas la recherche d’une solution au conflit israélo-palestinien, mais sa « gestion », ponctuée d’apaisements temporaires, comme condition préalable à une nouvelle opération militaire contre l’Irak.
Par conséquent, il importe de gagner du temps, d’habiller, sinon de travestir le réel. Gagner du temps... C’est l’obsession centrale du gouvernement Sharon et de ses amis travaillistes. « Le temps ne travaille pas contre nous », expliquait Ariel Sharon dans un entretien au quotidien israélien Haaretz ; « il importe pour cela d’imaginer des solutions qui s’étaleront sur une longue période (1) ». En attendant les sacs de riz du quartette, les échéances électorales américaines, et la tenue d’élections palestiniennes libres et équitables, l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza se poursuit...
Retour au réel
Subissant quotidiennement les méfaits de la soldatesque israélienne et le poids du couvre-feu, les Palestiniens des rues n’ont accordé qu’une importance très relative au discours de George Bush dont ils n’attendent plus rien depuis longtemps. La simple survie est devenue la seule préoccupation d’une population dont la colère et le ressentiment vis-à-vis des troupes d’occupation augmentent de jour en jour.
A l’exception de Jéricho – géographiquement excentrée et dont le chiffre de la population est de moindre importance – les sept grandes agglomérations autonomes palestiniennes sont repassées sous le régime d’occupation, les retraits périodiques annoncés de Gaza et Bethléem (août 2002) n’étant, en réalité, que des redéploiements-accordéon destinés à calmer les critiques en provenance de la communauté internationale. Les retraits annoncés donnent lieu, le plus souvent, à des réinstallations à proximité des positions évacuées la veille et parfois réoccupées le lendemain ou durant la même nuit...
Plutôt qu’à un retour de la situation qui prévalait avant la signature des accords d’Oslo, les villes sont déclarées « zones militaires fermées », les populations civiles sont soumises au couvre-feu et les autorités d’occupation refusent officiellement de prendre en charge la responsabilité civile des zones ainsi réinvesties.
Les déplacements entre les villes de Cisjordanie sont soumis à un régime plus restrictif d’autorisation d’un mois. Le pouvoir s’articule toujours directement sur le temps, il en assure le contrôle et en garantit l’usage...  Par conséquent, la circulation est autorisée entre 5 et 19 heures. Pour les marchandises est appliqué le système dit du « back to back » : les camions à plaques d’immatriculation israéliennes sont déchargés, le fret, une fois contrôlé, est rechargé dans un camion palestinien. Déjà appliqué au point d’entrée de Karni à Gaza, ce système est désormais étendu à l’ensemble de la Cisjordanie, avec huit points d’entrée seulement à proximité des principales villes. On assiste ainsi à une répétition de l’opération Rempart – mais cette fois les choses doivent s’inscrire dans la durée, alors qu’en avril 2002, il fallait « faire vite » et gagner du temps afin de rassurer une communauté internationale de plus en plus critique.
Cette deuxième phase de réoccupation donne lieu à l’instauration méthodique de ce que Michel Foucault nomme « une mécanique de pouvoir ». L’armée israélienne prend ses quartiers dans chaque ville et, selon les explications d’un officier interrogé par Haaretz, « a pour consigne de ne pas brusquer les choses ». Après une première étape qui a vu se multiplier les accrochages sanglants, le couvre-feu doit être appliqué avec une certaine souplesse. Désormais les ambulances doivent pouvoir passer (sous-entendu : pas comme lors de l’opération précédente) et un modus vivendi doit être recherché avec les autorités locales, notamment les maires, pour essayer d’assurer les besoins vitaux de la population.
Cette mécanique de pouvoir « entend définir comment on peut avoir prise sur le corps des autres, non pas simplement pour qu’ils fassent ce qu’on désire, mais pour qu’ils opèrent comme on veut, avec les techniques, selon la rapidité et l’efficacité qu’on détermine. La discipline fabrique ainsi des corps soumis et exercés, des corps dociles », explique Michel Foucault ; « l’invention de cette nouvelle anatomie politique, il ne faut pas l’entendre comme une soudaine découverte. Mais comme une multiplicité de processus souvent mineurs, d’origine différente, de localisation éparse, qui se recoupent, se répètent, ou s’imitent, prennent appui les uns sur les autres, se distinguent selon leur domaine d’application, entrent en convergence et dessinent peu à peu l’épure d’une méthode générale (2).  »
Evidemment, cette méthode donne rarement lieu à une explication rationnelle officiellement exprimée. Au contraire, plus ses rouages se mettent en place, plus le discours de l’administration Sharon reste délibérément vague. Ainsi, selon le ministre de la Défense Benyamin Ben Eliezer, nous sommes toujours « en application d’une simple opération antiterroriste limitée dans le temps », et « non dans la logique d’une réoccupation de la Cisjordanie ». Belle dénégation, confirmée de façon symptomatique par le ministre Likoud Danny Naveh (sans portefeuille) précisant, pour sa part, que  les forces  israéliennes se trouvaient « pratiquement dans toutes les zone A. Je pense qu’elles y resteront longtemps, aussi longtemps que cela sera nécessaire ».
Et plusieurs attachés militaires européens en poste en Israël s’accordent pour dire que « la ligne d’Avi Dichter » – le chef du Shabak – a prévalu. Celle-ci préconisait la réoccupation des zones A en attendant la construction d’une barrière de séparation permettant de protéger les villes israéliennes et les blocs de colonies proches de la « ligne verte ». Tel semble bien être l’objectif de l’opération. La réoccupation de la Cisjordanie devrait non seulement durer mais suivre le rythme des travaux de construction du « mur » pour garantir un enfermement stabilisé et géré des populations civiles palestiniennes.          
L’enfermement
Le « mur »... Objet de malentendus, tant sur le plan de la conception que sur celui de l’interprétation. Ce mur dit « anti-attentats » devrait suivre approximativement la « ligne verte ». Sur 350 kilomètres au total, le gouvernement Sharon a d’ores et déjà approuvé la construction de 115 kilomètres, sur la partie septentrionale de la ligne. Dans les endroits jugés les plus sensibles – notamment le long de l’autoroute actuellement en construction qui longe la « ligne verte » –, la clôture se transformera en mur de béton de huit mètres de haut. Des détecteurs électroniques et des radars capables de suivre des traces de pas à grande distance seront également installés, parfois sur des montgolfières survolant la « frontière ».
Israël est le seul Etat au monde à ne pas avoir de frontières internationalement reconnues depuis sa création en 1948. Si ses frontières avec l’Egypte, la Jordanie et le Liban ont été enfin stabilisées, aucun accord n’a jusqu’à maintenant été conclu avec la Syrie. Cependant, c’est principalement entre Israël et les territoires palestiniens de la Cisjordanie et de la bande de Gaza que les limites ont le plus évolué. La « ligne verte » établie en 1967, se superposant à la ligne d’armistice du premier conflit israélo-arabe de 1949, marque depuis 1995 la séparation entre Israël et les territoires palestiniens. Elle fixe ainsi les limites d’un futur Etat palestinien, même si elle ne peut aujourd’hui signifier autre chose qu’un attribut de souveraineté – mais dont l’exercice est rendu impossible par l’occupation et la colonisation israéliennes.
Le « mur » censé protéger Israël des « infiltrations de terroristes » a été vivement critiqué par le ministre d’extrême droite Effi Eitam contestant le choix de laisser de l’autre côté de cette « ligne de démarcation » les dizaines de milliers de colons qui peuplent la Cisjordanie. Seules cinq colonies devraient, selon le tracé prévu, se retrouver à l’ouest du « mur ». Eitam redoute en outre qu’il constitue les prémisses de la frontière du futur Etat palestinien. Partagée par de nombreux ministres du Likoud, cette crainte a vite été surmontée lorsque les « aménageurs du territoire » israéliens ont exposé en commission restreinte, les véritables finalités du « mur »... Personne ne croit sérieusement qu’un tel ouvrage soit en mesure de stopper quelque infiltration que ce soit. Alors pourquoi investir environ 400 millions de dollars, soit près d’un million de dollar par kilomètre, dans un tel ouvrage ?
La réponse la plus immédiate réside dans la configuration elle-même du chantier qui va donner lieu à de nouvelles et importantes expropriations de terres de citoyens palestiniens, tout le long du tracé. Le deuxième objectif du mur vise à inscrire spatialement une cassure radicale entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. Il s’agit pour les « aménageurs » israéliens de séparer les centres de populations les uns des autres afin de compromettre durablement l’idée même de toute continuité territoriale, économique et sociale de la future entité palestinienne. Enfin, le « mur » se présente comme l’instance clé du contrôle de l’espace, une instance destinée à générer de nouvelles formes de surveillances militaire, policière et sociale. Le « mur » comme spécification d’un lieu hétérogène à tous les autres et fermé sur lui-même, lieu protégé, à partir duquel l’armée d’occupation se propose d’irriguer les environs de la monotonie disciplinaire... Michel Foucault a superbement décrit le grand « enfermement » de l’âge classique, celui des vagabonds, des misérables, des malades et des fous. Le « mur » israélien renoue avec cet « urbanisme » de l’enfermement. Son principe de « clôture » est tout aussi démonstratif que les machines de pouvoir de l’âge classique. Ses produits dérivés sont tout aussi insidieux et efficaces.
En effet, à partir du « mur » s’articule tout un ensemble de routes secondaires de surveillance et un dispositif de postes de gardes. « Ceux-ci travaillent l’espace d’une manière beaucoup plus souple et plus fine. Et d’abord selon le principe de la localisation élémentaire ou du quadrillage.
A chaque individu, sa place ; et en chaque emplacement, un individu. Eviter les distributions par groupes ; décomposer les implantations collectives (autres que celles dépendant strictement du dispositif général) ; analyser les pluralités confuses, massives ou fuyantes. L’espace disciplinaire tend à se diviser en autant de parcelles qu’il y a de corps ou d’éléments à répartir. Il faut annuler les effets des répartitions indécises, la disparition incontrôlée des individus, leur circulation diffuse, leur coagulation inutilisable et dangereuse ; tactique d’antidésertion, d’antivagabondage, d’antiagglomération. Il s’agit d’établir les présences et les absences, de savoir où et comment retrouver les individus, d’instaurer les communications utiles, d’interrompre les autres, de pouvoir à chaque instant surveiller la conduite de chacun, l’apprécier, la sanctionner, mesurer les qualités ou les mérites. Procédure donc, pour connaître, pour maîtriser et pour utiliser. La discipline organise un espace analytique (3). »
L’argumentation des « aménageurs » a convaincu et les critiques israéliennes du « mur » n’ont pas duré longtemps... Juste après le déclenchement de la deuxième Intifada (septembre 2000), pendant des mois des enfants lanceurs de pierres ont été abattus au fusil à lunette par des tirs à la tête. Les destructions de maisons palestiniennes, les expulsions se sont multipliées et les assassinats dits « ciblés » ont fait figure de « guerre régulière », mais en portant considérablement atteinte à l’image de l’Etat hébreu encerclé au point d’inquiéter fortement les « conseillers » en communication du gouvernement Sharon.
Les « aménageurs » ont expliqué aux « conseillers » tous les bienfaits du « mur » et de ses vertus disciplinaires. Surveiller et punir encore : « On comprend que la critique des supplices ait eu une telle importance dans la réforme pénale : car c’était la figure où venaient se rejoindre, de façon visible, le pouvoir illimité du souverain et l’illégalisme toujours en éveil du peuple. L’humanité des peines, c’est la règle qu’on donne à un régime des punitions qui doit fixer leurs bornes à l’un et l’autre. L’“homme” qu’on veut faire respecter dans la peine, c’est la forme juridique et morale qu’on donne à cette double délimitation. » Les opposants au « mur » ont rapidement compris que l’établissement d’une clôture fortifiée compléterait avantageusement le dispositif d’isolement/protection et de refoulement/tri des populations indésirables, sans entraver le moins du monde la poursuite de constructions de colonies en lignes perpendiculaires, autant d’axes forts et structurants du même dispositif. Parallèlement à la mise en chantier du « mur », le ministère israélien du Logement et des Infrastrutures a intensifié le lancement de nouveaux programmes de logements en Cisjordanie, en dépit de la poursuite des opérations militaires.    
Le morcellement
Une procédure d’appels d’offres a été effectuée pour 957 logements au cours des cinq premiers mois de cette année, alors que pour l’année 2001, les nouvelles colonies ont concerné 800 logements. Au total, la progression du nombre de colons l’an dernier a été de 5 %  pour la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem-Est, ce qui porte à 380 000 le nombre d’Israéliens illégalement installés sur des territoires palestiniens illégalement occupés. En 1972, soit cinq ans après l’annexion de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, on dénombrait quelque 8400 colons.
« Actuellement , explique le chercheur Marwan Bishara, 7000 colons contrôlent 30 % des 224 km2 de la bande de Gaza. Or celle-ci compte 1,2 million de Palestiniens, pour la plupart des réfugiés. Il leur est impossible de circuler sans passer par des colonies fortifiées abritant piscines et terrains de basket-ball au cœur d’un territoire sablonneux et surpeuplé où l’eau est rare et chaque lopin de terre précieux. Quelque 400 maisons palestiniennes y ont été détruites par Israël pendant la première année de l’Intidada, sous couvert de protection des colonies voisines (4) » L’envers de l’enfermement et de son économie du châtiment consiste à « morceler » l’espace pour que ne subsiste aucune zone d’ombre...
Efficace vecteur de morcellement, la construction de nouvelles colonies ne peut, par conséquent s’interrompre, même si on estime aujourd’hui à environ 15 000 le nombre de logements vides en Israël, chiffre difficilement vérifiable puisque classé « confidentiel défense ». La poursuite de la colonisation est organiquement nécessaire à la machine disciplinaire, au fonctionnement de son pouvoir relationnel, de son pouvoir de protection et de sécurité. « Grâce aux techniques de surveillance, la “physique” du pouvoir, la prise sur le corps s’effectuent selon les lois de l’optique et de la mécanique, selon tout un jeu d’espaces, de lignes, d’écrans, de faisceaux, de degrés, et sans recours, en principe au moins, à l’excès, à la force, à la violence. Pouvoir qui est en apparence d’autant moins “corporel” qu’il est plus savamment “physique” (5). » La même dynamique a présidé à l’installation des « bantoustans » en Afrique du Sud. Et c’est l’ancien procureur général israélien Michael Ben-Yair qui explique au quotidien Haaretz que la logique des colons et de la colonisation a d’ores et déjà gagné et qu’Israël  a « établi un régime d’apartheid dans les territoires occupés » (3 mars 2002).
Poursuivie envers et contre tous les accords signés, cette politique de colonisation-morcellement impose une géographie du conflit, une géographie qui se durcit chaque jour qui passe et qui peut faire dire à Sharon, comme on l’a relevé précédemment : « Quoi qu’il arrive, le temps ne travaille pas contre nous »... Cette tactique du morcellement n’a pas été inventée par les « aménageurs » mais systématisée par les experts de l’état-major israélien qui, avant de l’adapter à la gestion de la sécurité intérieure, en avaient recommandé l’application aux priorités de la politique étrangère de l’Etat hébreu. Elle s’inscrit dans la continuité de la stratégie israélienne telle qu’elle était déjà formalisée par le gouvernement Sharon-Eitan, dans les années quatre-vingt.
Datée de février 1982, une note d’Oded Yinon, ancien haut fonctionnaire du ministère israélien des Affaires étrangères, détaille le projet géostratégique de cette politique, à savoir le morcellement de l’ensemble proche-oriental en des unités les plus petites possible, autrement dit le démantèlement des Etats arabes voisins d’Israël (6). En guise de préambule, Oded Yinon écrit : « Le monde arabe islamique n’est qu’un château de cartes construit par des puissances étrangères – la France et la Grande-Bretagne dans les années 1920 – au mépris des aspirations des autochtones. Cette région a été arbitrairement divisée en dix-neuf  Etats, tous composés de groupes ethniques différents, de minorités, hostiles les uns aux autres, si bien que chacun des Etats arabes islamiques d’aujourd’hui se trouve menacé de l’intérieur en raison de dissensions ethniques et sociales, et que dans certains d’entre eux, la guerre civile est déjà à l’œuvre (7). »
S’appuyant principalement sur une bibliographie américaine et sur des citations de responsables politiques israéliens, la note passe en revue les dix-neuf  Etats arabes en répertoriant les principaux facteurs centrifuges annonciateurs de troubles et de désintégration possible ; « telle est la triste situation de fait, la situation troublée des pays qui entourent Israël ». La recommandation d’Oded Yinon est parfaitement claire : « C’est une situation lourde de menaces, de dangers, mais aussi riche de possibilités, pour la première fois depuis 1967. Les chances qui n’ont pas été saisies alors peuvent se présenter de nouveau, plus accessibles, dans les années 80, dans des circonstances et avec une ampleur que nous ne pouvons pas même imaginer aujourd’hui. »
L’analyse politique mérite, elle aussi, toute notre attention : «  La politique de “paix ”, la restitution des territoires, sous la pression des Etats-Unis, excluent cette chance nouvelle qui s’offre à nous. Depuis 1967, les gouvernements successifs d’Israël ont subordonné nos objectifs nationaux à d’étroites urgences politiques, à une politique intérieure stérilisante qui nous liait les mains aussi bien chez nous qu’à l’étranger . »
Après une ultime recommandation qui invite Israël à « agir directement ou indirectement pour reprendre le Sinaï en tant que réserve stratégique, économique et énergétique », Oded Yinon conclut : « La décomposition du Liban en cinq provinces préfigure le sort qui attend le monde arabe tout entier, y compris l’Egypte, la Syrie, l’Irak et toute la péninsule arabe ; au Liban, c’est déjà un fait accompli. La désintégration de la Syrie et de l’Irak en provinces ethniquement ou religieusement homogènes, comme au Liban, est l’objectif prioritaire d’Israël, à long terme, sur son front Est ; à court terme, l’objectif est la dissolution militaire de ces Etats. La Syrie va se diviser en plusieurs Etats, suivant les communautés ethniques, de telle sorte que la côte deviendra un Etat alaouite chiite ; la région d’Alep, un Etat sunnite ; à Damas, un autre Etat sunnite hostile à son voisin du nord ; les Druzes constitueront leur propre Etat qui s’étendra sur notre Golan peut-être, et en tout cas dans le Haourân et en Jordanie du Nord. Cet Etat garantira la paix et la sécurité dans la région, à long terme : c’est un objectif qui est – dès à présent – à notre portée. » Selon cette note, l’objectif « prioritaire d’Israël à long terme » consiste donc à favoriser tous les facteurs de désintégration des Etats arabes ; démantèlement devant déboucher sur la création de « provinces ethniquement ou religieusement homogènes ».
Dix ans avant le dernier embrasement des Balkans, dix ans avant les massacres, les charniers et autres « terribles cortèges » de Bosnie, cet encouragement prémonitoire à la « purification » ethnique et religieuse fait littéralement froid dans le dos... Adaptée à la Cisjordanie et à la bande Gaza, cette même approche continue de creuser la fracture spatiale et sociale entre les colons et les Palestiniens. Les premiers peuvent circuler, construire et se développer. Les seconds sont assignés à résidence dans quelque deux cents cantons encerclés par l’armée israélienne. Dans l’esprit de la « note Yinon », les autorités d’occupation ont ordre de consolider cette « cantonisation » en valorisant leurs contacts et collaborations avec des chefs locaux qui pourront ensuite morceler les structures administratives d’une Autorité palestinienne que Sharon s’attache à vouloir détruire.             
Le dé-fermement
Déclenchée à la fin de mars 2002, l’escalade militaire a replacé les forces armées israéliennes au cœur d’un processus dont les tentatives de gestions politique et diplomatique ont été clairement marginalisées. Rationnellement élaboré par l’état-major israélien, ce processus constitue une nouvelle phase tactique d’une guerre commencée il y a cinquante ans. C’est Ariel Sharon qui le dit : « La guerre d’indépendance n’est pas finie. 1948 n’en était qu’un chapitre. Demandez-moi si l’Etat d’Israël est capable aujourd’hui de se défendre lui-même et je vous répondrai oui. Demandez-moi si l’Etat d’Israël fait face à un danger de guerre et je vous dirai non. Mais vivons-nous en sécurité ? Non. C’est pourquoi il est impossible de dire que nous avons fini le travail et que nous pouvons nous reposer sur nos lauriers, nous étendre sous la vigne et le figuier. Pas un jour ne se passe où nous pouvons cesser d’être vigilants (8). »
Depuis cinquante ans, l’objectif central des gouvernements israéliens successifs – travaillistes et likoud – et des diverses coalitions, au-delà des circonstances internationales (guerres de 1967, de 1973, première Intifada, processus d’Oslo et deuxième Intifada) s’exprime dans la stratégie militaire poursuivie. Celle-ci aura permis successivement l’extension territoriale, le contrôle de l’eau, l’évacuation progressive des populations gênantes et, enfin, la destruction des conditions  préalables à l’instauration de toute entité palestinienne possible. L’enfermement, puis le morcellement visent à « désenfermer » les populations indésirables. Troisième volet du tryptique disciplinaire des « aménageurs », le dé-fermement s’apparente aux pratiques de l’exil-clôture des lépreux du Moyen Age. Pour les responsables de la santé publique, comme pour les « aménageurs », il s’agit, en définitive, de les exclure du corps social, de les exclure de la nouvelle géographie du conflit.
Ici encore, il convient de faire appel une dernière fois à l’auteur de Surveiller et punir : « Dans la fameuse cage transparente et circulaire, avec sa haute tour, puissante et savante, il est peut-être question pour Bentham (9) de projeter une institution disciplinaire parfaite ; mais il s’agit aussi de montrer comment on peut “désenfermer” les disciplines et les faire fonctionner de façon diffuse, multiple, polyvalente dans le corps social tout entier. Ces disciplines que l’âge classique avait élaborées en des lieux précis et relativement fermés – casernes, collèges, grand ateliers – et dont on n’avait imaginé la mise en œuvre globale qu’à l’échelle limitée et provisoire d’une ville en état de peste, Bentham rêve d’en faire un réseau de dispositifs qui seraient partout et toujours en éveil, parcourant la société sans lacune ni interruption. »
Adapté aux territoires palestiniens, cet agencement panoptique vise, au niveau de mécanismes élémentaires et facilement transférables, le fonctionnement de base de l’ensemble de la société, traversée et pénétrée de règlements disciplinaires. La finalité de ce dé-fermement consiste, par conséquent à rendre la vie quotidienne proprement insupportable.
Un de mes amis de Bethléem le dit plus prosaïquement, mais avec beaucoup d’émotion : « Ce qu’ils cherchent avant tout, c’est à nous arracher à cette terre »...
En effet, plus qu’une simple militarisation de la Cisjordanie, la politique d’Ariel Sharon poursuit inlassablement la réalisation d’une « utopie disciplinaire » dont les rouages pourront rejeter les populations indésirables soit vers la bande de Gaza, soit vers la Jordanie, soit ailleurs. « La guerre d’indépendance n’est pas finie », disait-il ; « 1948 n’en était qu’un chapitre ».... Cherchant à comprendre, lui aussi cette dynamique morbide  Gilles Deleuze écrit : « Israël n’a jamais caché son but, dès le début : faire le vide dans le territoire palestinien. Et bien mieux, faire comme si le territoire palestinien était vide, destiné depuis toujours aux sionistes.
Il s’agissait bien de colonisation, mais pas au sens européen du XIXe siècle : on n’exploiterait pas les habitants, on les ferait partir (10).
Relisant actuellement le livre de Michel Foucault paru en 1975 – méticuleuse étude consacrée à l’invention de la prison à l’âge classique –, comment ne pas se dire qu’Israël réinvente aujourd’hui les outils de domination de l’âge classique ? Cette régression historique est non seulement terriblement meurtrière, mais elle encombre et barre l’horizon historique d’une paix juste et équitable au Proche-Orient. Prétendant lutter contre le terrorisme, les techniques du dé-fermement le fabriquent et l’entretiennent. 
« Les chars israéliens avaient commencé à envahir régulièrement les villes de la zone A, théoriquement sous contrôle palestinien, pour y effectuer des rafles des hommes entre 15 et 45 ans, avec une brutalité inouïe. Ouvrant les portes à l’explosif, démolissant les murs mitoyens pour ne pas prendre de risque, cassant tout, terrorisant femmes et enfants. Même la télévision israélienne s’était émue de ces exactions, ayant filmé l’ouverture à l’explosif de la porte d’une maison palestinienne derrière laquelle se trouvait une mère de famille. Celle-ci, grièvement blessée par l’explosion, avait agonisé sous les yeux de sa famille, les soldats de Tsahal refusant de laisser venir une ambulance (11).  »
Ce n’est pas une citation de Michel Foucault, mais d’un écrivain de romans d’espionnage. Toujours bien informé, collant au réel, Gérard de Villiers n’est pas un analyste de politique internationale mais ses récits destinés à un large public disent toujours à leur façon l’air du temps, et en définitive une certaine vérité, sinon une vérité certaine. Ses rouages sont trop bruyants, la vieille machine du dé-fermement a du mal à se faire passer pour le dernier avatar de l’humanisme mondialisé. Elle incarne au contraire une société de surveillance et d’exclusion.
- NOTES :
1. L’Intelligent-Jeune Afrique, n° 2102-2103 du 24 avril au 7 mai  2001.
2. Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard, 1975.
3. Idem.
4. « Obstacle principal à tout accord de paix, le cancer des colonies israéliennes », Le Monde diplomatique, juin 2002.
5. Michel Foucault, op. cit.
6. In Richard Labévière, Les Dollars de la terreur. Les Etats-Unis et les islamistes, Paris, Grasset, 1999.
7. Kivunium, n° 14, février 1982. Revue publiée par le Département de la propagande, Organisation sioniste mondiale, Jérusalem. Cet article a été envoyé à la Revue d’études palestiniennes par Israel Shahak et publié dans le n° 5, automne 1982.
8. L’Intelligent-Jeune Afrique, op. cit.
9. Jeremy Bentham (1748-1832), philosophe et jurisconsulte britannique, est le fondateur de l’« utilitarisme moral » et l’inventeur et le théoricien du « panopticon », un système carcéral dont l’architecture permet au surveillant d’observer l’ensemble des prisonniers dans leurs cellules, sans être vu.
10. Revue d’études palestiniennes, n° 84, été 2002.
11. Gérard de Villiers, SAS, La Manip du Karin A., Paris, Editions Gérard de Villiers, 2002.
                                             
3. La double imposture du rapport Rufin par Rudolf Bkouche (2 novembre 2004)
(Rudolf Bkouche est membre du bureau national de l’'Union Juive Française pour la Paix et Professeur émérite de l’Université de Lille.)
Le rapport remis par Rufin au Ministre de l'Intérieur s'appuie sur une double imposture : d'une part Rufin isole l'antisémitisme parmi les diverses formes de racisme, d'autre part, en dénonçant ce qu'il appelle l'antisionisme radical, il entretient la confusion entre antisionisme et antisémitisme, appelant à la pénalisation de l'antisionisme.
Outre le fait que ce rapport demandé par le Ministre de l'Intérieur prend un certain caractère officiel, il faut replacer le contenu du rapport dans son contexte, d'une part la distinction dans l'opinion occidentale entre l'antisémitisme et les autres formes de racisme, d'autre part la dangereuse équation : Juif = Israélien = sioniste qui conduit à tous les amalgames, permettant ainsi de dénoncer comme antisémite toute critique non seulement du sionisme mais encore de la politique israélienne. C'est parce que le rapport Rufin conforte ces deux aspects de la vulgate contemporaine que l'on peut parler d'une double imposture. Il est alors nécessaire de revenir aux sources de cette double imposture. 
De l'antisémitisme et du racisme
Première imposture : Rufin dissocie l'antisémitisme des autres formes de racisme, en cela il conforte l'idée que la lutte contre l'antisémitisme est plus importante que les autres luttes antiracistes. Idée ancienne qui remonte au milieu du XXème siècle lorsque l'Europe découvre avec stupeur moins le génocide des Juifs que le fait qu'un tel génocide se soit passé en Europe. Alors que les crimes des colonisateurs, perpétrés hors d'Europe contre des peuplades supposées sauvages, semblaient plus acceptables.
Victimes exemplaires, les Juifs sont reconnus européens, d'autant qu'au même moment le sionisme atteint son objectif, la création d'un Etat juif en Palestine. Que la création de l'Etat d'Israël soit cause d'une autre injustice perpétrée contre les habitants de la Palestine n'émeut guère l'Europe, au contraire l'Etat d'Israël apparaît comme la juste réparation de l'antisémitisme européen, lequel ne se réduit pas aux crimes nazis, même si cet Etat s'est construit aux dépens d'une population qui n'est en rien responsable des crimes européens. Au contraire l'Etat d'Israël réalise, ce qui n'était peut-être qu'une argument de circonstance de Herzl, le bastion avancé de l'Europe (et plus généralement de l'Occident issu de l'Europe) contre la barbarie.
C'est dans cette perspective qu'il faut comprendre le texte de Rufin ; la lutte contre l'antisémitisme, avec plus de soixante ans de retard, permet à l'Europe une déculpabilisation à peu de frais .
L'antiracisme au contraire ne concerne que les anciens colonisés qui, même lorsqu'ils possèdent la nationalité française, ne sont pas reconnus comme européens . Ils restent les "autres" pour lesquels on peut compatir, mais sans plus. C'est cela qu'il faut lire dans un rapport qui, en distinguant l'antisémitisme des autres formes de racisme, ne peut que conduire à un ressentiment, de la part des parias d'aujourd'hui, contre les anciens parias qui, bien qu'intégrés dans la nation, continuent à jouer les victimes. Mais peut-être est-ce un des non-dits de la priorité accordée à la lutte contre l'antisémitisme. C'est ici que se place la première imposture du rapport, l'antiracisme n'y apparaît que comme un prétexte pour, non seulement lutter contre l'antisémitisme, mais pour désamorcer les critiques contre la politique israélienne et le sionisme, critiques assimilées à l'antisémitisme. C'est ici que nous arrivons à la seconde imposture, celle de l'amalgame.
Antisémitisme et antisionisme
Seconde imposture : l'amalgame devenu classique entre l'antisionisme et l'antisémitisme.
En distinguant trois formes d'antisémitisme, Rufin met l'accent sur le troisième qui lui paraît le plus dangereux.
Rappelons sa classification :
- antisémitisme comme pulsion, celui des auteurs de violences
- antisémitisme comme stratégie, celui des manipulateurs, idéologues, réseaux politiques, terroristes
- antisémitisme par procuration, celui de ceux qui "par leurs opinions – ou leur silence – légitiment les passages à l'acte – tout en se gardant bien de les commettre eux-mêmes"
Nous insisterons ici sur le troisième cas qui est au centre de l'imposture que constitue l'amalgame. Que signifie l'antisémitisme par procuration ? qui sont les manipulateurs qui conduisent à des actes dont ils se gardent bien de commetre ?
Tout en reconnaissant le droit à la critique de la politique israélienne (merci pour eux !), Rufin met l'accent sur l'antisionisme radical qui conduit, selon lui, à l'antisémitisme.
Rufin précise sa pensée lorsqu'il dénonce en vrac "l'esprit de Durban" et "une mouvance d'extrême gauche altermondialiste et verte", y compris les "voix juives dissidentes" qui donnent à cet antisionisme radical des "cautions de respectabilité" suggérant que cet antisionisme "n'est pas assimilable à un antisémitisme". Sans parler de l'allusion au terrorisme islamiste qui renvoie au mauvais pamphlet de Taguieff, La nouvelle judéophobie.
Et Rufin conclut :
"Ainsi se trouve constitué l'une des mécaniques les plus redoutables aujourd'hui qui fait d'un antisionisme en apparence politique et antiraciste l'un des facilitateurs du passage à l'acte, l'un des instruments de l'antisémitisme par procuration".
On comprend alors que devant cette nouvelle forme d'antisémitisme sournois, Rufin demande des sanctions pénales. Ainsi pourrait-on faire taire toute critique du sionisme avec l'aide de la loi.
Bien entendu, aucune analyse du sionisme et de l'antisionisme ne soutient le texte de Rufin, il suffit de dire que "l'antisionisme radical enferme les Juifs dans un piège redoutable". Rufin retourne ici le problème : si c'était le sionisme qui enfermait les Juifs dans un piège encore plus redoutable, celui de n'être plus que les complices d'une politique criminelle envers les Palestiniens et suicidaire pour les Juifs à commencer par les Juifs israéliens.
Cela Rufin est incapable de le comprendre, il faudrait de sa part une analyse plus fine du mouvement palestinien, de sa lutte conte un mouvement sioniste qui dépossédait les Palestiniens de leur terre en se proposant de créer sur celle-ci un Etat étranger. Il faudrait qu'il prenne en compte l'injustice de 1948, mais on peut lui demander d'être plus intelligent que la moyenne de la classe politique française.
Rufin pouvait-il dépasser le pseudo-sentimentalisme, à sens unique, qui anime son texte, cette défense bienveillante des Juifs qui ne pourraient que manifester leur sympathie pour un Etat qui représente le refuge dernier, "cet Etat où les Juifs du monde entier peuvent trouver la sécurité", alors qu'Israël est devenu aujourd'hui le lieu du monde où les Juifs ne sont plus en sécurité. En cela le sionisme a échoué et ce n'est pas en pénalisant ceux qui le critiquent qu'on le sauvera, tout au plus augmentera-t-on un ressentiment antijuif qui ne pourra que conforter ce que Rufin croit combattre.
                                                   
4. Le Prix Palestine - Mahmoud Hamchari 2004 décerné à Alain Ménargues pour son livre "Le Mur de Sharon" (17 novembre 2004)
Le jury du Prix Palestine - Mahmoud Hamchari - du nom du Délégué de l’Organisation de Libération de la Palestine, assassiné à Paris en 1972 par le Mossad - s’est réuni le mercredi 17 novembre à Paris en vue de désigner son lauréat 2004.
Après avoir rendu un  hommage unanime à la mémoire du Chef de l’Autorité Palestinienne disparu, le jury, que présidait cette année, Madame Huguette Pérol, Prix de l’Amitié Franco-Arabe 1975, a porté son choix dès le premier tour de scrutin sur le livre de Alain Ménargues "Le Mur de Sharon" publié en octobre dernier aux Presses de la Renaissance avec le concours de France Inter.
Grand reporter, reconnu comme l’un des plus éminents spécialistes du monde arabe dont il a « couvert » pendant de nombreuses années les événements les plus marquants,  Alain Ménargues s’est vu attribuer le Prix Pierre Mille (1985) et Scoop (1988) pour son traitement de la guerre du Liban et de l’actualité du Monde arabe. Il est l’auteur de : Les Larmes de la colère (Presses de la Renaissance, 1991) et de Les Secrets de la guerre du Liban : du coup d’État de Bachir Gemayel aux massacres des camps palestiniens (Albin Michel, 2004).
Initié par les Travaillistes, réalisé par le Likoud au mépris du Droit international, des résolutions de l’ONU et dans l’indifférence quasi générale, Le Mur de Sharon apparaît sous la plume avertie et sans concession d’Alain Ménargues, dans toute son aberration avec, pour inévitable conséquence, un nouvel exode pour des dizaines de milliers de Palestiniens … Le pire est à craindre, selon l’auteur, cette réitération du mur de la honte risquant d’anéantir toute chance de réconciliation. D’où son interrogation quelque peu angoissée : « de quoi demain sera fait, sachant que l’injustice frappera l’un, plus l’autre qui en souffrira ? »
Le jury qui est confronté au fil des années à un choix de plus en plus difficile, compte tenu de la diversité et de la qualité des ouvrages qui lui sont présentés (treize en 2004), s’est plu à souligner les mérites de plusieurs livres parmi lesquels : Le Cri des oliviers de Sumaya Farhat Naser (Labor et Fides), Made in Palestine de Fanny Germain (Ramsay) qui a suscité « un coup de cœur » de plusieurs membres du jury, Palestine. Chroniques d’une occupation de Mari Otxandi  (Gatuzain) ou encore Capuccino à Ramallah de Souad Amiry (Stock) et Checkpoint de Azmi Bishara (Actes Sud/Sindbad).
Auparavant, les membres du jury ont exprimé tout le bien qu’ils pensaient -et toute l’estime que leur inspire son auteur- de la biographie de Yasser Arafat, Yasser Arafat, l’Irréductible (Fayard 2004), rédigée de main de maître par un autre éminent journaliste Amnon Kapeliouk et excellemment préfacée par Nelson Mandela.
Ils ont enfin manifesté leur gratitude aux éditeurs qui, chaque année, par des services de presse renouvelés, contribuent de manière déterminante à la pérennité du Prix Palestine-Mahmoud Hamchari. Avec, en 2004, une reconnaissance particulière pour les Éditions Sindbad/Actes Sud qui « ont mis en compétition » pas moins de quatre ouvrages dont le très beau recueil de poèmes de Mahmoud Darwish, traduit de l’arabe par Elias Sanbar : État de siège, écrit pendant le siège de Ramallah, en 2002.
Alain Ménargues se verra remettre son prix samedi 4 décembre à 18h15 dans les salons du Centre Culturel Syrien, 12 Avenue de Tourville à Paris 7è. Il se prêtera ensuite à une séance de dédicaces.
Rappelons que le jury du Prix (créé en 1979 à l’initiative de l’ASFA, Association  de Solidarité Franco-Arabe et de la revue France Pays Arabes) est constitué de neuf membres : Mesdames Marie-Claude Hamchari, Kenizé Mourad et Huguette Pérol ; Messieurs Paul Balta, Lucien Bitterlin, Henri Loucel, Jean Rabinovici, Philippe de Saint Robert et Robert Vial (Secrétaire permanent du jury).
Le jury du Prix 2005 sera présidé par Jean Rabinovici, journaliste et critique de cinéma.
                       
5. Le fait chrétien en Palestine, la fermeture de Jérusalem et ses implications sur le conflit du Proche-Orient par Olivier Josselin (Novembre 2004)
(Olivier Josselin est titulaire d'un DEA d'histoire. Spécialiste de la question de Jérusalem et des chrétiens de Terre Sainte, ce texte est la version provisoire d'un article à paraître en début d'année 2005, dans le supplément français, du quotidien jordanien "Ad Dustour".)
Le conflit israélo-palestinien est avant tout un conflit national opposant le peuple palestinien musulman et chrétien au mouvement sioniste et à l’Etat d’Israël. Bien que, en 1989, l’OLP ait reconnu l’existence d’Israël dans ses frontières de 1948, l’Etat juif continue d’occuper et de coloniser les territoires palestiniens de Cisjordanie et de Gaza et de « judaïser » la Jérusalem arabe annexée.
Les nombreuses résolutions des Nations Unies n’ont jamais été appliquées par Israël, le processus de paix débuté à Oslo et la feuille de route ont échoué. Le président Arafat vient de mourir, personne ne sait encore quel leader palestinien aura assez de charisme auprès de son peuple pour négocier avec un Etat hébreu qui refuse de céder quoi que ce soit à Jérusalem, et donc la paix, comme l’a montré ces jours ci le refus systématique opposé par Ariel Sharon à ce que Arafat soit enterré sur le Haram al Sharif.
Le conflit du Proche Orient présente de fortes implications religieuses à cause de la sacralité  de Jérusalem qui en est le point focal et qui a une signification particulière pour chacun des trois monothéismes : source des aspirations religieuses juives, lieu du Sacrifice d’Abraham et de l’illumination du Prophète pour l’islam, et ville universelle pour les chrétiens.
Un milliard de musulmans, plus de quinze millions de chrétiens arabes et un grand nombre de chrétiens dans le monde n’acceptent pas les prétentions israéliennes à faire de Jérusalem une ville entièrement juive dans laquelle comme le disait il y a 30 ans Madame GOICHON dans son ouvrage « Jérusalem fin de la ville universelle » « le christianisme et l’Islam ne seront que des résidus ».
Mais malgré toute la propagande israélienne visant à faire de ce conflit un conflit judéo-musulman, la coexistence islamo-chrétienne a toujours été un des objectifs majeurs du président ARAFAT et du mouvement national palestinien, mais cependant ces dernières années la combinaison de la répression israélienne et de l’extrémisme islamiste ont réveillé un sentiment  d’insécurité dans la minorité chrétienne qui exerce pourtant dans la société et les instances palestiniennes un rôle très important.
Cependant le rôle de la Palestine en tant que Terre Sainte n’est pas considéré de la même manière par les chrétiens arabes et les chrétiens occidentaux particulièrement en France (où une grande confusion entre la Terre Sainte et la « terre d’Israël » repose sur une histoire biblique revisitée et mythifiée par la propagande sioniste ): un « judéo-christianisme » qui prend de plus en plus d’ampleur depuis une vingtaine d’années.
Qui sont les chrétiens palestiniens ? : On estime le nombre total de Palestiniens chrétiens à environ un million mais le nombre actuel de ceux qui envers et contre tout sont restés sur leur terre, est d’environ 150000 personnes sur le territoire israélien, 15000 à Jérusalem Est annexée, et 75000 en Cisjordanie et à Gaza. soit environ 3% de la population totale ; à Jérusalem Est, les chrétiens étaient 20% de la population de la ville arabe en 1967, ils ne sont que 7% aujourd’hui ; cette minorité continue de jouer dans la direction laïque de la Palestine arabe et dans la société en général un rôle bien plus important que ne le laisse supposer son nombre, et sa préservation sur place constitue un facteur essentiel de l’existence nationale palestinienne.
Le patriarche latin Michel SABBAH, premier palestinien à occuper ce poste, disait dans son message de Noël 1999, que « musulmans et chrétiens palestiniens sont arabes, partagent la même langue, la même culture et les mêmes défis actuels, ils forment avec les musulmans une seul peuple, une seule société, une seule entité culturelle et politique sur la base de deux religions  et d'une légère différence de coutumes. Contrairement aux musulmans et aux juifs, les chrétiens ne réclament sur le pays qu’une souveraineté nationale et non religieuse ; ils ne sont en aucune façon une troisième force entre musulmans et juifs, ils sont des partenaires égaux et des citoyens ne réclamant ni privilège ni protection extérieure en tant que communauté».
Cette identité palestinienne des chrétiens a subi de nombreuses attaques de la part des Occidentaux et des Israéliens particulièrement depuis les évènements de Bethléem en 2002.
On a vu alors se manifester chez de nombreux catholiques de France une volonté soudaine de protection des chrétiens de Palestine « coincés entre musulmans et juifs  », « terrorisés par l’islam » à cause de l’émergence des intégristes islamistes profitant du chaos dans lequel la réoccupation israélienne a mis les Territoires palestiniens, alors qu’en même temps Israël donnait des fonds importants à ces mêmes islamistes pour la construction d’une mosquée à Nazareth devant la basilique de l’Annonciation, construction à laquelle Y. ARAFAT s’est vigoureusement opposé .
Cette soit disant protection a été rejetée avec force par tous les responsables religieux que j’ai rencontrés ; Mgr MARCUZZO, évêque latin de Nazareth, le Père Jamal KHADER, directeur du Séminaire de Beit Jala, le Père Elias CHAKOUR, et surtout le Père Rafic KHOURY, directeur de la catéchèse au Patriarcat latin de Jérusalem. 
A) Retour historique :
La communauté chrétienne palestinienne est le témoin vivant à travers deux mille ans d’histoire  et de nos jours, de la présence chrétienne dans ce pays qui fut le témoin de la vie, de la mort et de la résurrection de Jésus Christ  et des débuts de l’Eglise née à Jérusalem à la Pentecôte de l’an 30, alors que le judaïsme est né dans le désert du Sinaï et l’Islam en Arabie.
Le pape Paul VI, en 1971 quand il annonça la création de l’Université de Bethléem, et le pape Jean Paul II en 1984 dans sa Lettre Apostolique « Redemptionis Anno », ont insisté sur le fait que la préservation des lieux saints n’est pas celle de vieilles pierres si vénérables soient elles mais celle de ces « pierres vivantes » que sont les habitants chrétiens du pays. De 1982 à 2001, le président ARAFAT a été reçu 12 fois par le pape Jean Paul II et l’a accueilli à Bethléem en mars 2000.
B) Dangers de l’émigration :
Cependant l’absence de perspective de paix, la perpétuation de l’occupation, le fait qu’ils ont depuis des décennies de la famille en Occident, en Amérique du Nord et du Sud, en Australie, le marasme économique  touche les chrétiens d’autant plus qu’ils sont commerçants ou membres de professions libérales, la monopolisation du tourisme(autrefois dirigé par les chrétiens) par les Israéliens, la destruction du pèlerinage vers les villes palestiniennes y compris Jérusalem Est, la fermeture de nombreux hôtels palestiniens de Jérusalem empêchés de se mettre aux normes actuelles, la fermeture par perte de clientèle de nombreuses agences de tourisme palestiniennes, la loi israélienne imposant des guides juifs à tout groupe de pèlerinage, le non renouvellement de la licence des guides palestiniens, tout cela pousse les personnes actives à émigrer non seulement vers Amman, mais vers l’Europe, les Amériques.
Les espoirs de paix en 1999-2000 avaient ralenti l’émigration, mais la reprise des hostilités et des violences interconfessionnelles à Bethléem l’a relancée en 2002-2003 malgré les appels répétés faits aux chrétiens par les dirigeants religieux, l’autorité palestinienne et même le Vatican, à rester sur place. Si ce processus continue, il n’y aura plus de chrétien autochtone en 2030 et les lieux saints risquent de devenir des musées. C’est peut-être ce que veulent les autorités de Tel Aviv  .
C) Les différentes Eglises :
L’Eglise latine dirigée par Mgr Michel SABBAH depuis 1987 est actuellement la plus vivace, la plus riche en institutions, la plus active et celle qui a fait le plus pour se « palestiniser » tout en gardant pour le pèlerinage beaucoup de liens avec l’extérieur .Le patriarcat latin date des croisades ; supprimé au XIVème siècle après la chute d’Acre, il fut rétabli par le pape Pie IX en 1847 et confié à un italien jusqu’en 1986. Cette Eglise a fait des efforts surhumains ces 150 dernières années pour se doter d’un clergé presque entièrement palestinien. Elle est devenue l’Eglise locale en Palestine et en Jordanie.
Appartenant à la communauté latine également, la Custodie franciscaine de Terre Sainte, fondée en 1342 et gardienne des Lieux Saints pour les catholiques (cependant l’ordre franciscain était présent depuis son origine vers 1220) est dirigée par des Italiens, mais comprend une minorité de Palestiniens, notamment à Bethléem.
Lors du siège de 2002, ils ont défendu la basilique de la Nativité assiégée, les Palestiniens qui étaient à l’intérieur, et en même temps fait tout pour éviter que l’armée israélienne ne commette un carnage.
En 2002, le porte parole de la custodie, le français juif converti David JAEGER fut le premier à critiquer violemment les exactions et les restrictions de liberté pratiquées par les autorités d’occupation. SI les responsables sont italiens et espagnols, il y a parmi eux une minorité de Palestiniens. Ses institutions charitables, scolaires mais aussi scientifiques sont très nombreuses
A Jérusalem et dans d’autres endroits de la « Terre Sainte », il existe de nombreux catholiques non arabes, européens et américains, installés ici depuis des décennies ou des siècles, venus pour des études bibliques, des buts religieux et culturels et une assistance scolaire et sanitaire à la population. De nombreuses écoles, hôpitaux et maisons religieuses sont venues en aide à la population palestinienne durant la deuxième Intifada, et certaines de leur propriétés particulièrement près de Jérusalem sont maintenant traversées par le Mur de séparation qui gêne considérablement leur fonctionnement (Maison de retraite du Mont des Oliviers, Lycée et collège des sœurs de Saint Vincent de Paul à Béthanie-Azaryia, Hôpital de la Sainte famille à Bethléem, pour ne citer que les plus connus…).
Ces membres du clergé et de communautés religieuses ont toujours particulièrement à Jérusalem et en Cisjordanie, épousé la cause des Palestiniens.
Mais il existe une minorité venue sur le territoire israélien depuis les années 60 par sympathie sioniste (prêtres ou religieux en majorité français), qui tend à épouser les conceptions israéliennes.
L’Eglise grecque catholique entièrement palestinienne est dirigée depuis Damas par le patriarche Grégoire III LAHAM, ancien vicaire patriarcal de Jérusalem. Elle est très présente en Galilée, mais aussi à Bethléem et en Jordanie. 
L’Eglise grecque orthodoxe à qui il est reconnu le titre de « Mère de toutes les Eglises »  est l’héritière de la première Eglise . Ses patriarches, tous arabes, se succédèrent sans discontinuité jusqu’en 1534. Un de ses patriarches les plus connus est SOPHRONIOS , celui qui négocia avec le calife OMAR IBN AL KHATTAB quand il soumit la Ville Sainte en 638 en lui cédant l’esplanade alors vide en échange de garantie de protection musulmane sur le Saint Sépulcre et Bethléem, mais aussi avec l’accord de la population chrétienne certes héllénisée mais aramèo-arabe qui accuellit les musulmans en libérateurs. L’Eglise orthodoxe de Jérusalem, ayant beaucoup souffert des croisades, ne se sépara de Rome qu’en 1187. En1534, le sultan ottoman imposa un patriarche grec de Grèce et des évêques grecs aux orthodoxes du proche Orient. Contrairement au Liban et à la Syrie, un patriarche arabe n’a jamais pu être élu en Palestine.  Les grecs hellènes occupent le patriarcat, les sièges épiscopaux les plus importants dont la confrérie du saint sépulcre :
Cette dichotomie au sein de l’orthodoxie est source d’un conflit plus que centenaire à l’intérieur de cette Eglise et est en ce moment ravivée par les autorités israéliennes, appuyée par des extrémistes grecs ayant même installé le drapeau de ce pays au fronton des bâtiments patriarcaux, sans oublier l’occupation par des colons juifs du couvent Saint Sauveur en 1990 et des soupçons d’avoir vendu la terre aux juifs, les Palestiniens souhaitant vivement un patriarche d’origine arabe.
Depuis le statut du Patriarcat promulgué en 1958, le patriarche et les évêques grecs doivent être jordaniens de nationalité, et c’est toujours l’archevêque d’Amman qui devient à son tour patriarche ;actuellement c’est Mgr IRENEOS.  L’évêque palestinien ayant le grade le plus élevé est Mgr Hanna ATALLAH. La communauté orthodoxe est la plus nationaliste des communautés chrétiennes ; beaucoup de personnalités palestiniennes dont Mme Hanane ASHRAWI en font partie.
Grecs et franciscains latins se sont longtemps affrontés, encore récemment au Saint Sépulcre. On pense que les autorités israéliennes, cherchant à profiter de la faiblesse des Eglises et à les diviser, ne sont pas étrangères à ces incidents. Ces difficultés entre orthodoxes et catholiques ne concernent que la haute hiérarchie, pas du tout la population (nombreux mariages mixtes, volonté de célébrer les fêtes en commun surtout Pâques). 
La communauté arménienne catholique et orthodoxe se veut palestinienne, même si elle compte beaucoup de purs arméniens ,installés là depuis des siècles, ils possèdent des parties du Saint Sépulcre, mais leur communauté se réduit.
Les autres communautés : copte (il faut rappeler que le patriarche Chenouda III, du Caire, opposé au voyage à Jérusalem du président Sadate en 1977, interdit aux chrétiens égyptiens de se rendre à Jérusalem occupée), syriaque (qui possède le site plus antique du Cénacle dans le quartier arménien de Jérusalem), maronite, anglicane dont le rôle politique est important au sein des institutions palestiniennes, protestantes qui jouent un rôle actif à l’UNRWA
Mais il existe aussi, ce qui inquiète beaucoup les chrétiens arabes, de nombreuses sectes évangéliques venues en Terre Sainte par sympathie sioniste, ainsi que des juifs messianiques reconnaissant le Christ mais refusant les Eglises. Ces évangéliques sont maintenant à Washington aux commandes de l’Administration Bush et militent activement pour le soutien absolu américain à Israël.
La coexistence islamo-chrétienne, principe national
Non seulement Yasser ARAFAT mais la plupart des cadres de l’OLP sont des nationalistes laïques, pas au sens anticlérical  français, mais au sens pluriconfessionnel comme l’explique Bernard SABELLA, professeur de l’université de Bethléem, à savoir la séparation du politique et de la foi et de l’égalité entre toutes les communautés au sein du même peuple  ; c’est sur ce principe que de nombreux chrétiens ont participé au combat national. Mais il est vrai que le nationalisme arabe laïc est soumis aux coups de boutoir des islamistes, mais jusqu’à la fin Arafat s’est entouré de nombreux collaborateurs chrétiens.
Le geste plus marquant de cette volonté de coexistence est la participation chaque année de 1994 à 2001 du président palestinien à la messe de minuit de Noël à Bethléem, ainsi que son opposition radicale à toute violence interconfessionnelle dans les territoires palestiniens.
Des violences interconfessionnelles ont effectivement éclaté en 2003 près de Bethléem ; Arafat, bien que ne pouvant sortir de la Moqataa, les a fait cesser. Il est certain que ses successeurs Mahmoud ABBAS et Ahmed QOREI ainsi que Marwan BARGOUTI s’il peut être élu, garderont la même attitude. Mais le problème vient qu’Israël, bien qu’ennemi juré des islamistes du  Hamas, les laisse agir à leur guise pour affaiblir et détruire l’Autorité palestinienne laïque ; car depuis longtemps, comme l’a prouvé la guerre « civile »libanaise (1975-1990), il n’accepte pas le multi-confessionnalisme, considéré comme antithèse de l’exclusivisme sioniste,  au Proche Orient . On le voit à nouveau en Irak.
Les Palestiniens se sont longtemps définis et rappellent toujours qu’ils sont le peuple de la Terre Sainte (en arabe Al Ardh al Muqaddas), les gardiens des lieux saints musulmans, chrétiens et juifs et les  dépositaires de l’héritage  des trois monothéismes, alors que les Israéliens  parlent sans cesse d’ « Eretz Israël » (la terre d’Israël) » et captent cet héritage au bénéfice de la seule communauté juive  au nom d’une alliance biblique pourtant déclarée caduque depuis 1900 ans. La destruction du Temple (dont il ne reste aucun vestige sauf le Mur des Lamentations) et la fin de l’Israël biblique en 70-135 mettent effectivement fin au droit divin à la Terre ; depuis cette époque Jérusalem (et la Palestine), de population araméo-arabe , appartient à ses habitants.
De nos jours, elle devrait faire l’objet, selon le message de Mgr SABBAH précité, d’une souveraineté partagée ou d’une re division selon les frontières du 4 juin  1967 entre israéliens venus au 20ème siècle et qui possèdent déjà 75% de la Palestine historique, et les Palestiniens autochtones qui doivent pouvoir rapidement créer leur Etat sur les 25 % restants avec pour capitale la Jérusalem arabe ;les colonies, sauf le quartier juif devant être évacuées ; c’est d’ailleurs à propos de la solution proposée par le président américain  Clinton au problème de la souveraineté sur l’Esplanade des Mosquées de Jérusalem (le sol aux Palestiniens et le sous sol aux Israéliens !) que Yasser ARAFAT a été dans l’obligation de refuser les accords de Camp David en juillet 2000, lui qui se sentait le mandataire des musulmans et des chrétiens orientaux pour libérer Jérusalem.
Le Pèlerinage en terre sainte : retour aux sources juives ou visite des chrétiens palestiniens qui sont par leur présence continue sur ce sol  les descendants des premiers chrétiens ? Les lieux saints et leur statut
L’évocation des sources du christianisme, but du pèlerinage en terre sainte, fait l’objet de controverses passionnées dans l’Eglise catholique particulièrement en France où le « judéo-christianisme » que l’on croyait disparu depuis le IIIème siècle  fait un retour en force particulièrement à cause de l’existence d’Israël. Une émission controversée en ce sens a été diffusée par la chaîne ARTE en avril dernier ; on n’y voyait le Christ que comme un prophète juif sans importance et que le christianisme a été fondé par saint Paul lui même « antisémite ».Les media ont omis de dire que le rabbin et les théologiens chrétiens vivant en Israël qui sont intervenus le plus lors de cette émission étaient des conseillers du gouvernement israélien pour ses rapports avec les chrétiens ! 
Ce  courant a été « inventé » à Jérusalem, à la suite de la Déclaration du Concile Vatican II « Nostra aetate » lavant les juifs de leur responsabilité dans la mort de Jésus Christ ainsi que du crime de « déicide », dans les années 60 par deux prêtres français, les Pères Marcel DUBOIS et Bruno HUSSAR qui ont interprété la conquête de la Ville Sainte en 1967 comme un « retour à Sion du peuple élu après 2000 ans  » ; il est très développé dans ce qu’on appelle « les nouvelles communautés » (charismatiques et néo-cathécuménat) mais aussi chez tous ceux qui sont inspirés par la théologie du cardinal archevêque de Paris, Mgr Jean Marie LUSTIGER « pour qui le sionisme est la façon qu’a le judaïsme de se définir comme peuple en recherche de SA terre et qui doit être reconnu comme tel », ce qui le rend totalement sourd aux aspirations de Palestiniens.
Les chrétiens arabes déplorent que l’avalisation par les chrétiens d’Occident des « revendications bibliques » des Israéliens donne à toute « tentative de réconciliation judéo-chrétienne » un caractère politique et que toutes les concessions religieuses et la repentance que l’Eglise a faites envers la communauté juive depuis 1967 n’ont fait que renforcer l’agression et la colonisation israéliennes. 
En 1989, le Père TOURNAY, ancien Directeur de l’Ecole biblique de Jérusalem, a mis en garde les chrétiens contre cet amalgame entre Israël antique et Israël actuel. 
Dans le message cité ci-dessus, le patriarche SABBAH déclare : « la distinction entre le problème des lieux saints et celui du statut de Jérusalem est inacceptable. Ce sont précisément les habitants de Jérusalem qui donnent  vie à ces lieux et ne peuvent en être séparés »
Les droits de chaque communauté chrétienne sont régis depuis 1757 et 1852 par le Statu quo accordé par le sultan ottoman et validé par des traités de Berlin et de Paris à la fin du siècle dernier, inclus dans le Mandat britannique et dans la résolution 181 du 29 novembre 1947 portant partage de la Palestine en deux Etats et faisant de Jérusalem un « corpus separatum », ce décret impérial validait les droits acquis au cours des siècles qui ont été reconnus par tous les pouvoirs qui se sont succédé en Palestine.
Ce statu quo présente nombre d’aspects désuets particulièrement dans le domaine œcuménique et liturgique au Saint Sépulcre et à Bethléem, mais il est garant avant même que la paix ne s’établisse un jour au Proche Orient des droits de chacun et des limites à ne pas dépasser. Le statu quo entre les communauté chrétiennes et celui plus vaste entre les trois religions doit être absolument respecté sinon cela peut déclencher une guerre religieuse à l’échelle mondiale ; le durcissement des revendications israéliennes sur l’esplanade renommée par eux Mont du Temple met réellement la paix en danger.
Comme me l’a dit un responsable de la police touristique palestinienne de Bethléem, l’autorité palestinienne est extrêmement attachée à garantir ce statu quo comme elle s’y est engagée lors de l’accord fondamental qu’elle a signé avec le Vatican en février 2000, et rappelle que le premier texte du Statu quo est le Pacte d’Omar signé entre le calife et le patriarche en 638 : les musulmans recevant l’Esplanade et les chrétiens gardant le Saint Sépulcre ; ce droit fut étendu aux juifs pour le Mur des Lamentations à partir du 15ème siècle, bien que le Mur fasse partie du Waqf islamique (une résolution de la SDN le reconnaît encore en 1931). 
A la question des lieux saints se rattache le Pèlerinage dont l’organisation fait l’objet d’une âpre concurrence entre Israéliens et Palestiniens, particulièrement depuis l’arrivée du Likoud au pouvoir à Tel Aviv et la loi de 1980  faisant de tout Jérusalem « la capitale unifiée et éternelle du peuple juif » (décision totalement rejetée par la communauté internationale, mais Israël a installé même pendant les accords d’Oslo, des dizaines de milliers de colons qui font une véritable ceinture autour de la ville arabe).
La droite israélienne a obligé tout groupe de pèlerinage à être accompagné de guides israéliens ou, après que le Vatican ait manifesté son opposition, par des prêtres pro israéliens alors que le pèlerinage doit être aussi comme le dit le patriarche SABBAH dans son discours cité plus haut, une « visite» aux habitants de la Terre Sainte. Israël a tellement manipulé l’histoire  et la géographie de ce pays que pour beaucoup de catholiques français le pèlerinage en terre sainte se transforme en « voyage en Israël ».
Depuis les années 80 mais plus encore depuis le début du bouclage de Jérusalem en 1993 et les deux Intifadas , les villes palestiniennes se voient mises à l’écart des circuits organisés de pèlerinage, d’abord Naplouse et Hébron, puis Ramallah et Jéricho, et maintenant Bethléem.
Le Mur de séparation construit en 2004  par Israël sur le territoire palestinien , a réellement pour but de fermer Jérusalem aux Palestiniens, mais aussi dans le problème qui nous concerne ici, de priver touristes et pèlerins de tout contact avec la Palestine et son peuple. Ceci est ressenti très douloureusement par les palestiniens chrétiens qui se sentent niés par l’Occident dans leur identité et même leur foi ; pire encore, nombre d’agences de tourisme religieux françaises cessent leur relations avec les agences palestiniennes uniquement sous la menace israélienne qui invoque des prétextes de sécurité et agite « le spectre du chaos ou du terrorisme » dans les Territoires palestiniens pour empêcher  Européens et américains d’y aller. Alors que les Palestiniens ont un besoin absolu de ces contacts car le pèlerinage et le tourisme sont vitaux pour leur économie.
Evolution de la position du Vatican
Les chrétiens palestiniens, le Président ARAFAT et l’OLP ont toujours accordé une immense importance à la position du Vatican sur le conflit : celle-ci a évolué : en 1948, le Pape Pie XII demandait l’internationalisation de Jérusalem et créait un organisme d’aide au million de Palestiniens expulsés de leur terre, la Mission Pontificale pour la Palestine toujours active à Jérusalem et Amman ; même après le voyage de Paul VI à Jérusalem en 1964, le Vatican n’établit pas de relation avec Israël officiellement par ce que cet Etat a toujours maintenu un flou sur ses frontières, mais en fait par solidarité avec les chrétiens palestiniens et arabes. Jusqu’à Jean Paul II à la fin des années 80, cette attitude se maintient, et le Saint Siège insiste de plus en plus sur le droit des Palestiniens à un Etat  et la présence des trois monothéismes à Jérusalem .
En 1991 la conférence de Madrid ouvrant le processus de paix attira l’attention de la papauté sur son rôle dans une solution pour la question de Jérusalem. Malgré les grandes réserves de Mgr SABBAH, le Vatican ouvrit des négociations avec le gouvernement Rabin qui débouchèrent le 30 décembre 1993, soit trois mois après les accords d’Oslo , sur un Accord fondamental entre le Vatican et l’Etat juif.
Cet accord fut considéré comme « historique et reconnaissant la continuité de l’histoire juive en terre sainte » par les chrétiens occidentaux et pro israéliens : ce qui inquiéta gravement les catholiques arabes, d’autant plus que cet accord fut signé à Jérusalem et non à Tel Aviv. A cela s’ajouta une volonté commune de combattre l’antisémitisme (une grave question se pose : où est la différence entre la critique d’Israël, l’antisionisme politique, l’antijudaïsme religieux et l’antisémitisme racial ?) et de « considérer la Shoah comme le seul et unique génocide ». 
Mais les Israéliens s’engageaient à respecter les droits des institutions de l’Eglise catholique sur leur territoire, à respecter la liberté du pèlerinage chrétien, à assurer le libre accès aux lieux saints, ce qu’ils ne font  ni pour les Arabes ni pour les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. La décision de la Cour internationale de Justice le 23 juin 2004, condamnant le Mur de l’apartheid, condamne également Israël pour son non respect de la liberté d’accès aux lieux saints. 
En 1997, un accord sur les exemptions de taxe et les droits des institutions chrétiennes à recevoir des chercheurs, biblistes et étudiants étrangers fut signé, mais laissait dans le flou toutes les institutions se trouvant à Jérusalem Est annexée : le Vatican n’incluant pas la ville sainte dans le territoire concerné, mais Israël l’incluant.
Des accords similaires furent signés avec l’Autorité palestinienne en 1994 et 2000, et avec le Royaume jordanien en 1994.
En mars 2000, Jean Paul II accomplit, malgré les réserves des catholiques palestiniens, son pèlerinage rêvé depuis longtemps en terre sainte ; arrivé à Amman, il inaugure le site du Baptême du Christ, situé à WADI KHARRAR à quelques kilomètres du Jourdain, à l’emplacement de Béthanie de Transjordanie dont parle l’Evangile de Saint Jean et découvert entre 1995 et 1997 ; il visite les territoires palestiniens dont Bethléem et le camp de Déheishé , mais ensuite il se rend sur des sites symboliques israéliens, tels que le Mémorial de l’Holocauste et le Mur des Lamentations. Après avoir conforté les chrétiens dans leur foi et leur présence sur cette terre, il les gêne par des gestes qui sont récupérés par les israéliens et les « judéo-chrétiens »… Certains pensent que le pape en priant au Mur aurait reconnu Jérusalem comme ville juive, d’autres qu’il a gravement remis en cause le statu quo, ce qui aurait donné des idées à Sharon pour sa provocation sur l’esplanade des Mosquées le 28 septembre 2000. Ce qui explique l’extrême difficulté pour le pape à s’engager car toute démarche spirituelle en ce domaine est rattrapée par la politique 
De 2002 à 2004, environ 85 prêtres, religieux, religieuses et séminaristes se virent refuser le renouvellement de leur visa alors qu’ils vivaient dans le pays depuis longtemps ; ces religieux sont en majorité de nationalité libanaise et jordanienne (le séminaire de Beit Jala forme les futurs prêtres catholiques jordaniens et palestiniens). Le droit des Eglises à créer des institutions d’étude et de recherche, des ordres religieux et accueillir des étudiants biblistes au « pays de la Bible » s’est vu remis en cause par les autorités israéliennes sans beaucoup de réaction des Eglises d’occident . La liberté du culte est également bafouée, vue l’impossibilité ou la difficulté extrême qu’ont les prêtres de Cisjordanie à visiter leurs paroisses à cause des bouclages, et surtout l’impossibilité de se rendre à Jérusalem. Pour cette affaire de visas, une négociation serait en cours pour ce qui concerne le territoire israélien, mais pas Jérusalem.
Jean Paul II reste toujours attaché à la solution de deux Etats, l’un israélien, l’autre palestinien, mais des pressions s’exercent sur lui, comme illustré en 2003 par la nomination de Mgr Jean Baptiste GOURION au poste de vicaire patriarcal pour la communauté hébraïque. Les autorités israéliennes accusent sans cesse le patriarche de « faire de la politique » et ont tenté de créer un diocèse séparé pour les chrétiens non arabes, juifs convertis ou russes ; le Vatican s’y est catégoriquement opposé, mais a trouvé une solution de compromis : l’abbé bénédictin d’Abou Ghosh, Jean Baptiste GOURION, un français d’origine juive, et responsable des 350 catholiques israéliens d’origine juive et de langue hébraïque regroupés à Jérusalem ouest, Tel Aviv et Beersheba ; il a cependant accepté de se soumettre à l’autorité de Mgr SABBAH, mais ne s’associe pas aux autres évêques de Terre Sainte dans leur opposition à l’occupation et au Mur. Les Palestiniens chrétiens ne comprennent pas le pourquoi de la nomination d’un deuxième évêque latin sur le territoire israélien, mais le considèrent comme sioniste, et surtout sont choqués de la publicité qu’Israël mais aussi un certain nombre de catholiques français lui font, comme s’il était un « patriarche bis » ou le chef des chrétiens d’Israël, allant jusqu’à considérer la petite communauté de langue hébraïque comme l’Eglise locale israélienne.
Tout cela met en lumière le rôle véritable du Mur (qui n’est pas seulement une idée de Sharon ni même une décision récente, mais fait partie d’un vieux plan israélien datant des débuts de l’occupation juste après la dissolution de la Municipalité arabe le 29 juin 1967) qui est là pour une séparation étanche entre les deux peuples, mais aussi pour faire capoter toute solution au statut de Jérusalem-Est dont la superficie colonisée et judaïsée s’accroît considérablement au détriment des Arabes, et qui est de plus en plus coupée de Bethléem, de Ramallah, d’Abou Dis et d’Al Ram ; même la Vieille Ville, outre le quartier juif, n’échappe pas aux appétits des colons.
Un appel urgent de chrétiens palestiniens sur le site internet canadien « Proche Orient media » appelle l’attention des Occidentaux sur le fait que les quartiers de Beit Hanina et Al Dyah, deux quartiers résidentiels et très peuplés de Jérusalem Est, vont se voir coupés de la ville par un mur dont le but est de diminuer la population arabe de Jérusalem : « nos quartiers sont en danger, nous sommes coupés de la ville, de notre travail et des lieux saints, par ce mur racial construit au mépris d’une centaine de résolutions de l’ONU, de l’arrêt de la Cour internationale de Justice du 23 juin 2004. Ces plans menaçants et pervers d’Israël ont pour but de faire partir après lui avoir rendu la vie impossible la population de Jérusalem Est qui deviendra des  réfugiés,  après avoir été de 1967 à maintenant des résidents au statut précaire ».
L’appel reprend la parole de Jean Paul II à Noël 2003 : les chrétiens palestiniens ont vocation à devenir des ponts entre l’occident, l’islam et le judaïsme si ce dernier renonce à l’idéologie sioniste qui pour l’instant maintient chez les Israéliens « la mentalité de ghetto » pour « ceux qui prient devant un mur et construisent des murs ».
                                                 
6. Caravane pour la Palestine... en 2005, tous en Palestine !
Le 20 novembre 2004, à Lyon, a eu lieu le lancement de l'association Caravane pour la Palestine.
- Qu'est ce que c'est ? - Une caravane du droit et de la solidarité et pour chaque personne qui y participe, une expérience humaine très forte. L'objectif de l'association est de former une caravane de véhicules motorisés partant de Strasbourg à destination de Jérusalem, en traversant l'Europe et le Moyen Orient. A travers cette initiative, les femmes et les hommes engagés dans cette aventure, c'est le respect et l'application du droit international et la liberté de circulation en Palestine occupée qui est revendiquée.
- Un mouvement unitaire international - A chaque étape de l'itinéraire, d'autres personnes de nationalités différentes rejoindront la Caravane. Des actions spectaculaires seront entreprises dans chaque pays traversé en coordination avec les mouvements de solidarité existant sur place. Le coup d'envoi de la Caravane est fixé au 2 juillet 2005 par une grande manifestation devant le Parlement de Strasbourg.
Un site d'information - Tous ceux qui sont intéressés par le projet, soit pour y participer soit pour le soutenir, sont invités à vister le site de la Caravane  http://caravane.palestine.free.fr  où toutes les informations seront remises à jour au fur et à mesure du départ.
[Renseignements : Caravane pour la Palestine - 96 A, Rue Philippe de Lassalle - 69004 Lyon - Email : caravane.palestine@free.fr - Tél : 06 75 32 63 63  Fax : 04 90 65 11 08]
                                       
7. Une loi bannissant le KKL (Keren Keyemet Le-Yisraël - Fonds National Juif) est désormais une réelle possibilité - La Commission des Associations du Parlement écossais va prendre en considérations les propositions du SPSC (17 novembre 2004)
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Au mois d’octobre, le SPSC a présenté au Parlement écossais une pétition de 2 277 signatures demandant la suppression du statut de fonds humanitaire du KKL [en anglais : JNF : Jewish National Fund].
Nous avons argumenté en disant que la nouvelle Loi sur les Associations caritatives [Charities Bill] devra définir une liste d’activités interdites à ces associations, notamment :
- toutes activités de nature à violer le droit international ;
- toutes activités de nature à violer le droit humanitaire ;
- toutes activités susceptibles de faire obstacle à la mise en application de résolutions de l’Onu ;
- toutes activités susceptibles de faire obstacle à la résolution de conflits internationaux ;
- toutes activités encourageant la discrimination à l’encontre de groupes défavorisés, sur la base de leurs talents, de leur sexe, de leur identité religieuse ou de leur appartenance ethnique.
Proposition d’amendement à la loi sur les associations caritatives, formulée par le SPSC :
Aujourd’hui, la Commission des Associations du Parlement (écossais) a pris en compte notre pétition, et accepté de prendre nos suggestions en considération, au cours de la discussion du projet de loi.
Même si aucun parlementaire membre de la commission n’a désiré s’exprimer spécifiquement sur le cas du KKL, nous avons recueilli des commentaires allant dans le sens de nos suggestions, en matière de renforcement de la Loi en vue de l’exclusion d’éventuelles organisations délinquantes. Le député au Parlement écossais (Vert) Patrick Harvie a émis la suggestion que la Loi devrait définir des activités interdites aux ONG humanitaires. Donald Gorrie (Libéral) a fait observer que le comportement d’une ONG, dans la réalité, peut être très différents de ses objectifs humanitaires affichés, et pour lesquels elle a été constituée. Il a également suggéré qu’en ce qui concerne les ONG intervenant outre-mer, la Loi devra comporter des lignes directrices, à destination du législateur, quant à la manière d’évaluer les problèmes politiques que leurs activités sont susceptibles de poser.
Radio Scotland a effectué un reportage satisfaisant, à ce sujet, cliquer sur le lien « politics tonight », choisir mercredi 17.11.04, à l’adresse ci-après : http://news.bbc.co.uk/1/hi/scotland/3568325.stm
Le procès-verbal des débats de la Commission devrait être rapidement disponible, à partir du journal officiel du Parlement, à l’adresse suivante : http://www.scottish.parliament.uk/business/committees/communities/
          
8. Israël / Palestine : prototype minuscule de "guerre de banlieue" et compétence impériale globale par Alain Joxe (2002)
(Ce texte est extrait de "L’Empire du chaos", pp. 208-209, publié en 2002 aux éditions La Découverte-Poche - ISBN : 2707142573.)
L’arrêt du processus de paix israélo-palestinien est aussi le symptôme local d’une mutation du système impérial global, pas seulement d’un retournement de situation entre acteurs locaux. Il est impossible en effet d’attribuer à la seule chronique locale l’impasse totale de la paix, dans un espace de guerre aussi directement géré sous protection de l’Empire.
Au niveau microstratégique, le rôle d’Israël est à la fois un cas exceptionnel et un cas-type ; l’alliance avec les Etats-Unis n’est pas fondée sur un intérêt commun économique immédiat (Israël coûte plus qu’il ne rapporte et ne possède pas de pétrole), ni sur un avantage direct (Israël ne sert plus à rien dans le maintien du leadership américain sur le monde arabe, il lui est plutôt nuisible), ni sur une alliance entre pairs, mais sur une alliance inégale à la fois religieuse, militaire, politique et économique qui forme un système de suzeraineté complet, un serment féodal plutôt qu’un pacte d’alliance. Les territoires palestiniens sont occupés, transformés en circonscriptions de type bantoustans, séparés par des colonisations, certaines franchement militarisées, qui s’avancent loin dans les terres en Cisjordanie-Gaza ; d’autres sont à classer dans des extensions d’opérations immobilières de banlieue, le style « main basse sur la ville » restant masqué par le fait que l’affrontement Israéliens – Palestiniens ressemble à un grand conflit international.
Depuis peu, le territoire cisjordanien commence d’être découpé par un mur, doublé d’une route, annexant (bien au-delà de la « ligne verte » tracée par l’ONU) la moitié du territoire de la Cisjordanie utile, et coupant au travers des agglomérations et des systèmes agraires. Cette mutilation devrait logiquement conduire à la mort des territoires agraires inclus entre la ligne verte et le mur qui formeront un nouveau ‘cinturon de miseria’ [1]. Ils sont voués à une pression militaire, à une expulsion lente, par des effets d’anéantissement du tissu rural et urbain.
Comment et pourquoi cette tactique de double exclusion mesquine dans une stratégie de guerre sans paix possible peut-elle intéresser l’Empire du monde qui ne fait rien pour l’arrêter sérieusement ? Israël a renoncé à avoir un impact de type « pacification économique » dans la zone du Machreq, un rôle dont rêvait l’Empire sous Clinton. Israël se maintient, comme une expérimentation, un modèle de ‘frontiérisation’ pour ainsi dire délocalisée, qui intéresse techniquement les militaires américains : c’est la création d’un prototype de guerre urbaine de banlieue, sans espoir de paix, mais fondant des prototypes de périmètres de sécurité fortifiés, qui seront bien utiles si l’Empire du chaos de G. W. Bush poursuit sa progression. Dans le cas d’Israël – Palestine, l’enjeu de la soumission impériale de l’ensemble, c’est donc l’intérêt militaire pour un prototype technique.
Le prototype de la guerre de banlieue n’a nulle part ailleurs atteint la précision et la modernité électronique et aérosatellitaire qu’en Palestine, à la frontière et dans les glacis dentelés des territoires occupés. C’est un marché de dupes pour le peuple israélien, qui croit qu’il gagne ainsi sa sécurité : il est embauché dans l’insécurité permanente des fermetures hétéronomiques orchestrées globalement par l’Empire.
L’expérience israélienne sert actuellement, directement, dans le maintien de l’ordre à Bagdad, par la construction d’un mur intérieur au centre-ville ; sur la frontière américano-mexicaine, ligne frontière de libre passage des marchandises et de fixation sous menace de mort de la main-d’œuvre migrante misérable venue du Mexique et d’Amérique du Sud. Enfin dans les zones de militarisation paramilitaires complexes qui subdivisent le territoire colombien – la présence récurrente de spécialistes israéliens et américains des dispositifs de sécurité est avérée dans la région.
Une étude comparative complète de ces réalisations serait éclairante. La performance négative que paraît représenter cette routinisation de la violence et de la répression, son absence de solution politique pourront-elles réellement servir à l’Empire à dominer l’espace arabe et l’espace latino- ou sud- américain ?
                                      
9. Le Proche-Orient, l’avenir et nous par Tariq Ramadan (22 novembre 2004)
QUELLES NOUVELLES STRATÉGIES ?
La mort de Yasser Arafat laisse un grand vide et fait naître de nombreuses questions quant à l'avenir du conflit et du processus de paix. Du côté des Palestiniens, la mort d'un symbole, du « Vieux » leader charismatique de plus d'un demi-siècle de résistance, est perçue comme le dernier épisode d'un interminable drame : Arafat n'a pas obtenu d'Etat et rien ne semble présager que les Palestiniens l'obtiendront. Ces derniers sont plus pessimistes que jamais. De son côté Ariel Sharon affirmait, avec l'accord implicite de Washington, qu'Arafat était un obstacle à la paix : avec sa disparition, Sharon comme Bush affirment que « quelque chose » est à nouveau possible. Peut-on encore les croire ? Plus de treize ans après les accords d'Oslo, de négociations en accords intermédiaires, de plans de paix en feuille de route, qu'ont donc obtenu les Palestiniens ? Rien, et la situation a gravement empiré avec la pauvreté, l'isolement, la politique sécuritaire, la construction du mur de la honte en Cisjordanie et plus de 4100 maisons détruites par les forces armées israéliennes ces quatre dernières années, sans compter la multiplication exponentielle des colonies de peuplement... Quels (faux) espoirs entretenir ? Comment faire encore confiance à Bush ou croire que Sharon veut vraiment la paix ? Même le retrait de Gaza sonne faux dans l'esprit des Palestiniens : ils prennent au mot, et sans l'ombre d'une hésitation, le chef de cabinet de Sharon qui affirmait que ce retrait signifiait, dans les faits, la non création de l'Etat palestinien, effectivement repoussée aux calendes grecques.
On peut, ainsi, sombrer dans le pessimisme absolu et constaté la lente destruction d'un peuple et d'un espoir. On peut aussi, comme certains analystes ou journalistes l'ont fait, se poser la question de savoir si un nouveau leader charismatique pourrait apparaître sur le devant de la scène palestinienne. On peut enfin continuer à espérer la paix et observer passivement le désastre. Ou alors, on peut essayer, de là où nous sommes, de penser et de proposer des alternatives et impliquer plus largement les citoyens du monde au cœur et à la périphérie d'un conflit qui est devenu « universel », comme le dit justement Etienne Balibar, parce que ces conséquences sont internationales et que ces dernières sont vivement ressenties, à plusieurs niveaux, jusque dans les sociétés américaines et européennes.
Avec ou sans Arafat, le conflit israélo-palestinien nous semble exiger une réflexion en cercles concentriques : il faut d'abord s'arrêter aux belligérants eux-mêmes et analyser quels sont les termes, présents et futurs, de ce face à face. Il faut, ensuite, tenter d'analyser les positions des Etats alliés et partenaires comme les Etats-Unis et l'Europe, mais plus largement encore les pays du Proche et Moyen Orient, d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique du Sud. Enfin, il est urgent que nous nous posions la question de savoir comment les citoyens du monde peuvent contribuer à faire évoluer la situation vers plus de justice et une paix respectueuse des droits de chacun.
La résistance palestinienne est entrée dans une ère nouvelle. Avec la disparition du symbole Arafat et de la centralité de sa figure mythique (dont on doit reconnaître la force et la capacité de mobilisation qu'elles ont eues sur tout un peuple), il faut également que disparaisse avec lui de vieilles pratiques politiques et financières absolument indignes d'un gouvernement élu, transparent et démocratique (tout le monde sait combien et comment le clientélisme, la corruption et l'autoritarisme prévalaient du temps d'Arafat). Ce dont les Palestiniens ont un urgent besoin désormais, c'est d'une plateforme de représentation et de concertation politiques qui soit la plus large possible et la plus représentative. Après le charisme discrétionnaire, il faut le pluralisme démocratique et l'écoute des aspirations du peuple. On ne voit rien poindre en ce sens malheureusement (et ce même avec les élections qui se préparent), et pourtant c'est bien en ce sens qu'il faudrait aller : intégrer toutes les forces politiques actives, ouvrir le débat et choisir une ligne de revendication et de résistance communes face au déni de droits israéliens. Du côté des Israéliens, il faut aussi poser les questions clairement : on a longtemps affirmé que Arafat n'était pas l'homme de la paix, or, il faut le dire sans contorsions intellectuelles : Sharon n'a jamais accepté l'idée d'un Etat palestinien indépendant et de fait il n'a jamais voulu de paix au sens où l'entendent les Palestiniens et la communauté internationale. Parce que les Israéliens ont peur, parce qu'ils ne se sentent plus en sécurité, ils ont élu et acceptent d'avoir à leur tête un dirigeant d'extrême droite qui n'exprime aucun état d'âme en matière de politique répressive : construction du mur, destruction des maisons palestiniennes, meurtres ciblés aux nombreuses victimes civiles « collatérales » assumées sans regret. Le cercle est vicieux et sans un réveil profond de la société civile israélienne, il ne pourra y avoir de dialogue. Il faut dépasser les peurs, observer la réalité de la vie des Palestiniens dans les territoires, et faire le choix politique de sortir de l'impasse à l'intérieur même de la société israélienne. Le camp de la paix a quasiment disparu, où sont donc les voix israéliennes appelant aujourd'hui à une véritable alternative politique ? Nous avons un urgent besoin de les entendre et de les voir concrètement à l'œuvre.
On peut continuer à se lamenter devant l'unilatéralisme américain et le soutien quasi aveugle de l'administration Bush au gouvernement Sharon. Après les dernières élections américaines, cet état de fait n'est pas prêt de changer et ce même si Bush a immédiatement affirmé qu'il défendait l'idée d'un Etat palestinien. Que peut-on alors espérer ? Il est temps que d'autres pôles politiques se constituent et s'engagent. L'Union Européenne  doit absolument proposer des alternatives dans la gestion du conflit : plus équilibrée dans son approche, elle peut déterminer une ligne qui soit plus à l'écoute des légitimes exigences palestiniennes. L'Europe en a les moyens politiques et elle peut aujourd'hui s'appuyer sur une sensibilité populaire majoritairement favorable aux Palestiniens (64% selon des estimations récentes). C'est une nouvelle donne qui devrait encourager les gouvernements européens à prendre une position concertée plus courageuse. C'est cette dernière qui, en amont, pourrait permettre aux Etats arabes et musulmans (aujourd'hui lâches, hypocrites et indignes) de se positionner d'une façon nouvelle et plus volontariste quant au soutien des Palestiniens. Avec ce concert des nations européennes et arabes, on devrait aujourd'hui constater un vrai changement de la part des Etats du Sud, de l'Afrique, de l'Amérique du Sud et de l'Asie. C'est cette mobilisation qui permettra de renverser le rapport de force et ouvrira les voies d'une résolution. La passivité des gouvernements de la communauté internationale est l'une des causes majeures de l'aggravation de la situation et l'attitude de l'axe Tel Aviv - Washington n'est possible que parce que le monde entier a accepté de rester spectateur de cette oppression, de cette humiliation, de ce désastre humain.
D'où pourrait naître la mobilisation ? Qui pourrait donc faire réagir les gouvernements européens, africains, asiatiques ou sud-américains frileux et attentistes ? Nous le savons tous : agir ou s'exprimer contre la politique d'Israël est, pour n'importe quel gouvernement, périlleux et souvent impossible. La pression politique, les sphères d'influence, la puissance de la réaction peuvent être telle que personne n'ose s'y aventurer : a-t-on simplement les moyens de proposer autre chose ? Nous pensons que c'est exactement à ce niveau que les citoyens du monde entier peuvent jouer un rôle efficace de pression, de résistance et de revendication efficaces. Rappelons-nous de la mobilisation internationale contre l'apartheid en Afrique du Sud. Après l'engagement des idéalistes, ce fut au tour des citoyens, des ONG et des institutions internationales d'appeler au respect des droits des Noirs, à la libération des prisonniers et à l'instauration d'une démocratie égalitaire. Beaucoup, puis plus en plus, n'ont pas hésité à s'engager dans la voie d'une résistance internationale, structurée et non violente, qui passait par l'appel au boycott ou par une politique de pression globale et populaire. Il faut conscientiser les populations car ce sont elles qui, au bout du compte,  forceront les gouvernements à agir.
De nombreuses réformes sont nécessaires et les stratégies qui mènent à une paix juste passent par plusieurs cercles : entre les belligérants immédiats d'abord, avec les gouvernements de la scène internationale ensuite, puis au niveau des citoyens. Ce sont ces mobilisations larges, structurées et  non violentes qui permettront à terme l'émergence d'un nouveau rapport de force. La résistance palestinienne est légitime et dans un contexte terrible d'oppression quotidienne, elle en est venue, depuis 1994, à utiliser des moyens illégitimes avec les attaques ciblant les civils et les innocents : on peut les expliquer, certes, mais il n'est pas possible de les justifier.  Il faut que cela cesse mais il faut aussi que nous comprenions que nous avons un rôle à jouer et qui consiste à nous engager là où nous sommes et à exiger plus de justice. Notre silence au cœur des démocraties libres produit leur violence sous l'oppression du terrorisme d'Etat : ni ce silence ni cette violence ne peuvent durer ni se justifier. Le conflit israélo-palestinien nous concerne tous et s'il faut espérer voir naître un Etat démocratique unique où tous les citoyens, de différentes croyances ou appartenances, pourront vivre ensemble et égaux, il serait impératif que le privilège de vivre déjà dans des démocraties ne nous endorme pas au point de devenir aveugles et sourds face à l'oppression d'un peuple dont on ne pourra pas dire qu'on ne savait pas et la souffrance et le martyre.
                       
Revue de presse

                             
1. Le bouc émissaire par Jacques Larivière (Paris)
in Le Monde (Courrier des lecteurs) du mercredi 8 décembre 2004

Monsieur Daniel Barenboim a construit sa vie par rapport à son histoire, mais qu’en serait-il s’il était né palestinien à Haïfa en 1942 et avait vécu sa jeunesse dans un camp palestinien de Cisjordanie, du Liban ou d’ailleurs ? Arafat lui apparaîtrait-il comme le monstre qu’il n’a jamais voulu rencontrer, l’idéologue étroit et borné, prévaricateur et autocrate qu’il se plaît à décrire [Le Monde du 22 novembre] ?
Cet homme que j’ai pu connaître et dont on se plaît à noter la duplicité était à l’époque au sein du monde arabe le seul à prôner l’utopie d’un Etat laïque et démocratique, et l’OLP dont il était le président ne se revendiquait d’aucune exclusive communautaire ou confessionnelle, contrairement à Israël, l’Etat juif pour les juifs. (…) Durant toutes ces années où l’intransigeance israélienne, l’ostracisme international et l’hostilité des Etats arabes tendaient à réduire le fait palestinien à un « simple » problème de réfugiés, il a rendu à son peuple l’espoir, l’identité perdue, l’indépendance et la dignité.
Devant la réalité des faits, il a aussi affirmé « caduque » la Charte de son organisation au risque avéré des premiers conflits sanglants interpalestiniens, il a reconnu le droit à l’existence de l’Etat d’Israël, il a entamé les négociations concrétisées par les accords d’Oslo. (…)
Malgré cela, c’est toujours au peuple palestinien, éparpillé par une politique délibérée de « bantoustanisation », soumis quotidiennement à la violence, l’humiliation, l’arbitraire, la confiscation et la colonisation de ses terres, l’expropriation de ses ressources (particulièrement en eau si nécessaire à son activité agricole) que l’on demande des « garanties », le dialogue, la renonciation à la violence, la reconnaissance d’on ne sait plus trop quoi, tout en assistant impuissant à la destruction de ce qui reste de sa société et de sa culture. (…)
Quant aux « occasions manquées », elles sont loin d’être le seul fait de l’irrédentisme palestinien et de son leader d’alors. Faire de Yasser Arafat le bouc émissaire de ces échecs et de sa mort l’occasion d’un grand soir de la paix ne peut conduire qu’à des désillusions plus grandes encore par la méconnaissance qu’elle suppose des réalités de ce conflit.
                   
2. Al-Moqawama : La résistance irakienne par Gilles Munier
in AFI-Flash N° 38 du mercredi 8 décembre 2004

Parler de « guérilleros », d’ « insurgés », ou même de « rebelles » pour qualifier les patriotes irakiens, est évidement mieux que de les appeler « bandits », « barbares », « criminels » ou « terroristes » comme le font les Américains et leurs supplétifs irakiens. On comprend que le mot « résistant » leur reste en travers de la gorge, mais pas que des hommes politiques français, ou des journalistes sans fil à la patte, hésitent encore à désigner les combattants irakiens par leur nom.
En Irak, la résistance – en arabe : Al Moqawama - existe, se développe et s’organise, n’en déplaise à ses détracteurs. Si les Américains attribuent ses opérations militaires au Jordanien Abou Mussab Al Zarqaoui, devenu selon eux le correspondant d’Oussama Ben Laden, c’est pour minimiser la colère qui gronde, réduire le conflit à une chasse aux terroristes.
Le mystère Zarqaoui
On se souvient qu’officiellement la dernière bataille de Falloujah a été déclenchée pour éliminer Al Zarqaoui. En fait, la ville était aux mains des patriotes, et notamment du parti Baas clandestin, autrement plus représentatif que l’organisation théoriquement dirigée par le Jordanien. Au final, après de
multiples bombardements prétendument ciblés, un siège de plusieurs jours, l’assaut des Marines, la destruction de la ville et  le massacre d’une partie de ses habitants, Zarqaoui n’a pas été trouvé. S’il existe, l’homme semble insaisissable. Cette fois, comme dans une bande dessinée américaine, il se serait enfui grâce à un tunnel passant sous les lignes américaines ! Aux dernières nouvelles, il se serait  installé à Mossoul, nouvelle cible de l’armée américaine. Comme par hasard…
Personne ne sait si Zarqaoui est  vivant. Ses anciens compagnons d’armes affirment qu’il est mort au Kurdistan lors du bombardement d’un camp d’Ansar Al-Islam par l’US Air Force, quelques semaines avant l’agression contre l’Irak. Invérifiable ! Oui, mais tout aussi invérifiable le rapport de la CIA le tenant pour simplement blessé et accusant le « régime de Saddam Hussein » de l’avoir amputé d’une jambe dans un hôpital de Bagdad.
A l’époque, la CIA cherchait à prouver l’existence de liens entre Saddam Hussein et Al Qaïda. Les Américains n’avaient rien trouvé de mieux que de laisser les Kurdes d’Ansar Al-Islam de retour d’Afghanistan via l’Iran, ouvrir des camps d’entraînement au nord de Halabja. La ficelle était grosse car Bagdad ne contrôlait pas la zone et ne pouvait être tenu pour responsable de ce qui s’y passait. Le Pentagone refusait d’aider Jalal Talabani à les éliminer, si bien que Tarek Aziz me confia un jour que le gouvernement irakien avait donné au chef kurde opposant les armes qu’il demandait pour reconquérir  la poche islamiste. Quelques jours avant la chute de Bagdad, interpellé par un journaliste, le Vice-Premier ministre irakien niait que Zarqaoui ait été soigné en Irak.
Depuis, le mystère Zarqaoui s’est encore épaissi. L’apparition sur une bande vidéo d’un individu masqué égorgeant le jeune Nicolas Berg, n’est pas convaincante. L’homme désigné par les Américains comme étant l’islamiste jordanien, ne semblait pas handicapé et portait curieusement au poignet une montre ou une gourmette en or, ce qui est contraire aux convictions religieuses des salafistes.
A vrai dire, en Irak, personne n’a jamais vu Abou Mussab Al Zarqaoui, pas plus les habitants de Bagdad, de Kut, de Bassora, que ceux de Falloujah, villes où les services secrets américains ont signalé sa présence. Les Irakiens disent que son nom sert à camoufler toutes sortes de provocations. Reconnaître qu’il est mort, ou qu’il n’a pas l’importance qu’on lui prête, rendrait plus difficile la tâche des propagandistes qui expliquent que la résistance n’existe pas et que le parti Baas est totalement discrédité.
Une bombe à retardement
Les Américains n’ont pas seulement en face d’eux un peuple qui réagit à leur occupation. Ils ont contre eux un mouvement de résistance qui, sous des noms divers, est dans sa majorité une émanation du parti Baas clandestin. L’existence de ce noyau dur atténue les rivalités et permet aux autres sensibilités patriotiques – notamment nassériennes et communistes - de se regrouper pour lutter contre l’occupation. Même les organisations dites islamistes comme l’Armée de Mohammad, coopèrent étroitement avec la direction baassiste décentralisée, dirigé par Izzat Ibrahim Al-Douri depuis août dernier.
Comme l’invasion de l’Irak était pour ainsi dire annoncée depuis la première guerre du Golfe, le gouvernement irakien a eu plus de dix ans pour se préparer. L’Armée d’Al-Qods qui faisait sourire les journalistes occidentaux, a permis de sélectionner et de former - parmi 7 millions d’Irakiens - des milliers de résistants potentiels. Ils composent aujourd’hui l’infrastructure des cellules combattantes. Des officiers des moukhabarat sortis des meilleures écoles militaires soviétiques, d’Europe de l’Est ou du Vietnam, ont mis en place des réseaux, des caches d’armes et d’argent. Ils encadrent la résistance, adaptant à la Mésopotamie les enseignements du Général Giap.
Le sénateur américain Norm Coleman (R-Minnesota) a raison de dire que le président Saddam Hussein a détourné l’embargo pour amasser des fonds qui servent aujourd’hui à combattre les Etats-Unis (Le Monde – 2/12/04). C’était son droit et son devoir de chef d’Etat. Il faut être de mauvaise foi pour le lui reprocher, car l’Irak ne possédait plus d’armes de destruction massive et les sanctions n’étaient imposées que pour affaiblir ce pays et permettre aux forces américaines de le conquérir avec un minimum de perte. 
On a aussi reproché au président Saddam Hussein d’avoir favorisé la renaissance de courants religieux musulmans en Irak, alors que le Baas était dans l’esprit de certains observateurs étrangers un parti irrémédiablement laïc, au sens occidental du terme. Pour les satisfaire, il aurait fallu que le parti au pouvoir se fige sur des positions idéologiques incompatibles avec la gestion d’une société en voie de désagrégation. Ce qui s’est produit en Irak est une des conséquences de l’embargo économique et culturel. Si le pays a tenu aussi longtemps dans l’adversité, nul ne devrait contester aujourd’hui que c’est grâce à la stratégie adoptée par ses dirigeants : renouveau islamique, 10 000 ans d’histoire magnifiée, respect des traditions ancestrales ; le tout couronné par l’esprit d’organisation et la foi nationaliste arabe des cadres baassistes. 
Quelle que soit la suite des événements, y compris une guerre civile provoquée, il faut savoir que tout a été fait pour permettre à une nouvelle génération d’Irakiens d’affronter la plus grande puissance du monde. Pour qui n’en connaît pas les mécanismes secrets, l’Irak est une bombe à retardement. En d’autres temps d’autres envahisseurs ont compris ce que cela signifiait. Aujourd’hui, les Américains n’en sont qu’au début de leurs déboires.
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3. Au chef d’état-major. Pour information. par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 3 décembre 2004
[traduit de hébreu par Michel Ghys]

L’armée israélienne a tué 613 enfants et adolescents palestiniens au cours de cette Intifada, une partie d’entre eux sans aucun besoin de confirmer leur mort. Trois exemples tout récents dans la casbah de Naplouse, notamment deux amis tués par la même balle.
Pourquoi gaspiller des munitions ? Il y a quelques jours, un soldat de l’armée israélienne a tiré sur deux adolescents dans la casbah de Naplouse. Juste une balle, toute seule. La balle a pénétré dans le corps d’un des garçons, est ressortie, a pénétré dans le corps du deuxième, les tuant tous les deux. Deux adolescents qui se trouvaient là, bras dessus bras dessous, dans la rue qui descend vers le marché, face au soldat qui a tiré. 15 ans. Deux oiseaux d’un seul coup.
L’assassin des enfants n’a néanmoins pas accompli de confirmation de la mort après que les deux victimes sont tombées, baignant dans leur sang, et c’est peut-être pour cela que personne chez nous ne s’est ému de ce meurtre effroyable. Mais dans deux autres maisons de la casbah de Naplouse, on a pleuré, cette semaine, la mort d’enfants. Amar Banaat était le seul fils de sa mère, né après 15 ans de stérilité ; Montasser Hadada était devenu orphelin de père il y a seulement trois mois. Dans la maison des Hadada, on se tait ; dans la maison des Banaat, on pousse des cris. Sur le mur, à côté de la photo des deux enfants, il y a aussi la photo de leur grand ami à tous les deux, Hani Kandil, qui a été tué au même endroit dans la casbah, quelques mois avant eux. Sur le mur, trois photos d’enfants tués.
Pas loin de là, dans la casbah, on pleure encore un enfant tué, la poitrine ouverte d’un énorme trou. C’est la maison de Khaled Osta, mort à neuf ans. Seul le petit Mouataz Amoudi, 3 ans, a eu de la chance : la balle lui a seulement labouré la jambe alors que son père le portait dans ses bras au milieu de la nuit, fuyant après avoir reçu des soldats l’ordre d’évacuer la maison. Mouataz est seulement attaché dans sa poussette d’enfant.
Naplouse pleure ses enfants. La réponse du porte-parole de l’armée israélienne dans chacun des cas mortels, il faut la lire trois fois : deux fois pour tenter de comprendre et une fois pour essayer d’y croire. Après ça, tous ceux qui, chez nous, y compris le chef d’état-major, se sont tant émus de l’affaire de la confirmation de la mort de la fillette Iman Alhamas dans le camp de réfugiés de Rafah, pourront le faire 613 fois : une fois pour chacun des 613 enfants et jeunes gens de moins de 17 ans (1) (d’après les chiffres de l’association palestinienne de droits de l’homme « PHRMG ») qui ont été tués pendant cette Intifada par des tirs de soldats de l’armée israélienne. Ceux qui pensaient qu’il s’agissait de faits exceptionnels feraient bien de savoir que le meurtre d’enfants est une affaire de routine, sans commissions d’enquête et sans le moindre intérêt du public. Naplouse seul a déjà enterré 29 enfants, dont deux samedi, il y a deux semaines.
Quatre barrages impromptus sur la route de Naplouse. Un ou deux kilomètres seulement les séparent les uns des autres et à côté de chacun, s’allonge une file infernale de voitures. On roule deux minutes puis on est collé pour encore une heure ou deux. Impossible de comprendre pourquoi. Barrages de « vexation » ? « Y a peut-être une alerte », marmonne le soldat qui contrôle encore une ambulance dans laquelle gémit, étendue sur la civière, une femme sur le point d’accoucher, qui contrôle bien lentement, un pansement après l’autre : rien de brûle. Le conducteur de l’ambulance dit que cela fait déjà une semaine qu’Israël assiège ainsi sa ville avec ces barrages impromptus et bondés, sans compter les barrages fixes de Hawara et de Beit Iba. Au barrage de Hawara, les civils doivent courir d’un côté à l’autre de l’appareil radioscopique afin que leur bagage ne s’écrase pas par terre. Un peu d’exercice, qu’est-ce que ça fait ?
Des corneilles crient parmi les crevasses de la roche à laquelle sont collées les maisons à appartements du quartier de Ras Al Ayin. Une maison contiguë à une grotte, dans un quartier d’habitation presque au centre de la ville. Il y a six semaines, dans la nuit du 20 septembre, les membres de la famille Amoudi se sont réveillés, dans la meilleure tradition, au bruit de violentes explosions. Après s’être ressaisis, ils ont entendu les soldats appelant, avec des haut-parleurs, les habitants à évacuer les maisons. Cela aussi, c’est la routine. Les soldats étaient déployés dans la rue et sur la falaise qui surplombe les grottes.
Bader Amoudi, 28 ans, s’est précipité vers le lit de son petit garçon. Mouataz dormait profondément et Bader l’a pris et s’est hâté d’aller vers la porte d’entrée, avec dans les bras son fils endormi. La mère et l’épouse de Bader s’attardaient un peu, à cacher les bijoux et l’or, par peur du pillage par les soldats. Bader a ouvert la porte, il a eu le temps de descendre une ou deux marches et tout de suite le feu s’est abattu sur eux. Une balle a déchiré la jambe du petit garçon et a blessé la main de son père. Le père a laissé son fils dans les escaliers et, terrorisé, s’est précipité à l’intérieur où étaient son épouse et sa mère. D’après eux, il s’est encore écoulé une longue heure avant que l’ambulance palestinienne soit autorisée à évacuer vers l’hôpital de Rafidia le petit garçon qui perdait son sang.
Mouataz est introduit dans la pièce. Soigné, doux, les joues rouges, assis dans sa poussette. Le lendemain du jour où le soldat a tiré dans sa jambe et l’a brisée, on l’a emmené se faire soigner dans un hôpital en Israël (Hadassah Ein Kerem). Après l’opération, on a assuré à ses parents qu’il pourrait remarcher tout seul. En attendant, il a des difficultés à marcher avec le trotteur. A sa cuisse, toute menue, la cicatrice est grande et vilaine.
Le porte-parole de l’armée israélienne : « A la date du 20.09, au cours de l’arrestation de trois personnes importantes qui étaient recherchées, les forces de l’armée israélienne ont bouclé la maison des personnes recherchées et ont appelé les gens à sortir. Après que les gens sont sortis de la maison, un personnage suspect a été identifié alors qu’il tentait de fuir par une sortie arrière qui s’ouvre dans la direction de la falaise. Du fait de son comportement suspect, les forces ont ouvert le feu en direction de la partie basse de son corps, conformément aux consignes d’ouverture du feu. Par ces tirs, le fils du suspect a été blessé. Il n’avait pas été vu par les soldats au moment des tirs, à cause de l’angle sous lequel il se tenait. Le petit enfant a été soigné sur place et, dans la soirée, il a été transféré en coordination avec l’armée israélienne vers un hôpital en Israël, dans un état non grave. »
Une maison au cœur de la casbah, à côté de ce qu’on ne sait s’il s’agit d’une ruelle ou d’une grotte obscure. C’est ici qu’habitait la famille Osta. Jemal, le père, 43 ans, travaille au Croissant Rouge, comme garde et même comme infirmier à l’occasion. A la fin de l’été, le 17 août, Jemal a été appelé à la casbah avec son ambulance, pour évacuer un blessé dans une des ruelles. Il est arrivé rapidement, il a sorti le brancard, mais les soldats l’ont chassé de là sous la menace de leurs armes, « Du balais, hors d’ici ». Pendant près d’un quart d’heure, il s’est tenu là avec le brancard, les soldats ne le laissant pas descendre la ruelle, jusqu’à ce qu’il apprenne par le central que le blessé avait entre temps été évacué par un autre chemin et qu’il devait revenir à la base. Il ne se doutait pas que le blessé à l’agonie était son fils aîné.
Au mur, la photo d’un enfant aux cheveux clairs et aux yeux bleus. C’est Khaled Osta, neuf ans quand il est mort. La raie sur le côté, le regard tendre. Voilà sa dernière photo, au camp d’été du Croissant Rouge, quelques jours avant sa mort : un enfant portant des lunettes boit du yaourt. Quand son père est retourné à la centrale du Croissant Rouge, son frère lui a téléphoné pour lui faire savoir que Khaled était blessé, mais seulement légèrement. Après le refus par les soldats d’autoriser l’évacuation par l’ambulance du père, un des voisins a pris dans ses bras Khaled, qui perdait son sang, et a commencé à courir sur deux kilomètres de ruelles de la casbah, jusqu’à ce qu’il arrive à une route, loin des soldats, où l’attendait une autre ambulance.
Encore une photo : Khaled mort, un trou énorme, d’une dimension inhabituelle, ouvert du côté gauche de sa poitrine. C’est le trou d’entrée de la balle, de la grenade ou de l’éclat. Qu’est-ce qui a ouvert un trou pareil dans le corps de cet enfant ? Le père soulève le divan et tire d’une cachette un sac noir en nylon dans lequel il garde une grenade à gaz qui se trouvait à côté de Khaled blessé : « Balle de 40 mm spéciale. Série 03-03. Tir par lanceur M203 uniquement », est-il écrit en hébreu sur la grenade argentée. Il est douteux que ce soit ça qui ait tué Khaled ; mais c’est l’étui de la grenade qui a été tirée et il se trouvait près de Khaled et depuis lors, son père le garde à l’intérieur du sofa. Sur la photo, les yeux bleus de Khaled sont fermés.
Pourquoi a-t-on tiré sur lui ? C’était l’heure de midi, se rappelle la voisine Wafa Halawi, et dehors, dans la ruelle, une vingtaine d’enfants jouaient ensemble. Halawi a vu depuis la fenêtre grillagée de sa maison qui ouvre sur la ruelle, les enfants occupés à jouer. Elle a aperçu des soldats approchant par l’ouest dans une jeep et elle s’est empressée de crier aux enfants de rentrer à la maison. Elle dit avoir vu deux soldats sortir de la jeep et lancer des gaz lacrymogènes et des grenades détonantes vers le groupe d’enfants. Khaled mangeait un sandwich que sa mère lui avait préparé – on en voit les restes sur la photo de sa mort. Les soldats se tenaient dans la rue, en haut, et les enfants en bas dans la ruelle. La possibilité que les enfants lancent des pierres sur les soldats du bas vers le haut, dans une pente aussi raide – la rue se trouve beaucoup plus haut que la ruelle – ne parait pas plausible.
La voisine, voyant qu’il lui manquait deux enfants, un fils et une fille, s’est précipitée dans la ruelle, à leur recherche. Elle a vu des taches de sang menant à la maison, toute proche, de la famille Osta. La voisine a suivi les traces de sang jusqu’au moment où elle a vu Khaled baignant dans son sang devant chez lui. L’enfant était encore parvenu à parcourir les 20 mètres qui séparaient l’endroit où il avait été blessé de sa maison à l’entrée de laquelle il s’était effondré. La voisine a appelé les gens de la maison. La mère et la sœur de Khaled se sont précipitées dehors pour découvrir l’horreur. A ce moment-là, son père se trouvait dans la rue, en haut, où il était empêché d’approcher.
Vingt jours après avoir perdu son fils, raconte Jemal, il a vu un soldat israélien tomber d’un toit en asbeste pendant une opération de l’armée israélienne dans le proche quartier Yasmina, dans la casbah. Le soldat était tombé sans que ses camarades s’en aperçoivent et Jemal s’est précipité vers lui en appelant à l’aide les soldats. Sur le mur de la ruelle où son fils est tombé, il est écrit maintenant en lettres rouges : « Ici est tombé le martyr Khaled Osta », et sa photo, celle d’un enfant de neuf ans avec un trou dans la poitrine, est collée au mur.
Le porte-parole de l’armée israélienne : « L’enquête menée dans l’armée israélienne sur les circonstances de la mort de Khaled Osta montre qu’il a été tué entre 15h et 15h30. A cette heure-là, aucun tir des forces de l’armée israélienne n’avait lieu, excepté le tir d’une balle isolée en direction de Mafar Sader, âgé de 19 ans, qui lançait des briques vers les forces de l’armée israélienne. Il n’y a pas de certitude que l’enfant ait été blessé à proximité de sa maison, il se peut qu’il l’ait été en un endroit éloigné et qu’il soit arrivé là où il se trouvait par un chemin ou un autre, après avoir été touché. L’enquête du Croissant Rouge rapporte que l’enfant était mort au moment de leur arrivée sur place. En résumé, après qu’une large enquête a été menée, on ne sait pas clairement par l’effet de quoi l’enfant a été touché. »
Une tente de deuil à l’entrée de la casbah. Amar Banaat avait quatre ans lorsque son père est mort de maladie. Depuis lors, c’est sa mère, Sabah, qui l’a élevé seule. Elle avait attendu 15 ans avant d’accoucher de son seul fils et son Amar a vécu 15 ans avant d’être tué. Sabah a encore une fille, Safaa, 13 ans.
Le samedi 20 novembre, il y a environ deux semaines, Amar était sorti dans la rue. Il était six heures et demie du soir et sa mère lui avait donné cinq shekels pour acheter des sucreries. Amar a filé à l’épicerie de son grand ami, Montasser Hadada. Du même âge et fréquentant la même classe, ils étaient amis et récemment, ils ont partagé le même destin. Il y a environ trois mois, le père de Montasser est mort dans un accident de la route et depuis lors, ils étaient tous les deux orphelins de père. Chaque jour, après l’école, Montasser se hâtait de rejoindre l’épicerie de la famille pour y remplacer sa mère et remplir la place de son père décédé. C’est ici qu’Amar est venu acheter une gaufre.
« Si seulement la mère du soldat qui l’a tué pouvait perdre son fils ! », dit Sabah, la mère, très emportée, assoiffée de vengeance. La dernière photo d’Amar, seul sur une photo de studio prise cinq jours avant sa mort, à la fête passée, se trouve maintenant dans une vitrine, sous la photo de son père.
Montasser a été touché le premier et la balle, la même balle, a aussi pénétré dans le corps d’Amar. Voilà leur photo parue dans le journal : un tiroir au dessus de l’autre à la morgue de Rafidia, Amar en dessous de Montasser. L’armée israélienne a fait savoir, le lendemain, que les deux adolescents étaient armés. Ici on rit amèrement : Amar, le maigrichon de 15 ans, armé ? Et où est l’arme maintenant ? A nouveau, Sabah marmonne : « Je voudrais voir le soldat, lui arracher les yeux. C’était mon unique fils. Toute ma vie, j’ai amassé de l’argent pour pouvoir l’élever. Que Dieu tue aussi Sharon et aussi tous ses soldats. Sharon-l’âne et ses soldats. Je reste seule à la maison. »
On raconte qu’après que le soldat a tiré sur les deux jeunes garçons, il est sorti de la jeep, s’est approché des corps puis s’est retiré. « Des jeeps protégées, des chars protégés et de notre côté, un enfant qui lance une pierre : quel dommage peut-il faire ? », crie l’oncle, un habitant du proche camp de réfugiés de Askar, qui a aidé à élever Amar. « Cinq minutes plus tôt, il était encore à la maison », crie la mère, « il n’avait même pas encore digéré son repas du soir ». « Nous ne sommes pas des terroristes, nous sommes des gens qui veulent vivre libres et dans l’honneur. », dit l’oncle, un peu plus paisiblement. « Les enfants voient leurs amis tués sous leurs yeux. Qu’ils nous laissent, qu’ils sortent de nos terres. Tous les jours ils viennent ici, chaque jour à six heures et demie. Pour quoi faire ? Que Sharon prenne ses soldats et qu’il se retire. »
Sabah : « Où nos enfants joueront-ils ? Où ? Si seulement Sharon ressentait notre souffrance. Chaque nuit, chaque nuit ils tirent. Qu’est-ce que c’est pour un Etat ? Où est la justice ? De quel droit viennent-ils jusqu’à nos maisons ? De quel droit tuent-ils nos enfants ? Ça suffit ! ».
Des photos des enfants sont au mur : deux photos d’Amar, le fils de la maison, une de Montasser et une de Kandil. Les photos de studio d’Amar sont comme un rêve, loin du quartier Kisriya dans la casbah : l’une avec un fond de neige et l’autre avec un fond de gratte-ciel étincelants.
Le porte-parole de l’armée israélienne : « Pendant l’activité des forces de l’armée israélienne à Naplouse, le 20.11, des tirs ont visé les forces de l’armée israélienne, des charges explosives et des cocktails Molotov ont été lancés. Les forces ont identifié un Palestinien armé, ont ouvert le feu par un tir concentré dans sa direction, l’homme armé et son frère, tous deux activistes du Fatah recherchés, ont été blessés par ce tir. De même, un homme armé a été identifié à l’est de la casbah, les forces ont ouvert le feu en tirant une balle isolée et ciblée et ont identifié un coup au but qui, selon toute apparence, a tué l’homme armé.
« Après enquête auprès des forces à propos du cas où un autre jeune Palestinien a ensuite été tué, et d’après les données de l’administration de coordination et de liaison sur le lieu où il a été blessé et le temps de son admission à l’hôpital, il apparaît qu’au moment dont il est question, on a ouvert le feu contre les forces de l’armée israélienne dans la partie Est de la casbah, lors de deux incidents : dans l’un c’était avec une kalachnikov, dans l’autre avec un revolver. Les forces n’ont absolument pas répliqué parce qu’elles n’ont pas identifié la source des tirs. On ne peut donc pas relier la mort de ce dernier Palestinien à l’activité de l’armée israélienne dans la zone. »
On descend les escaliers de la maison, on marche dans la ruelle en pente, on entre dans la pénombre. Le portillon en fer, c’est l’entrée de l’épicerie de Montasser et la porte métallique est celle de sa maison. Pour arriver à l’intérieur de la maison, il faut se courber et passer par d’anciennes grottes, grimper un escalier pentu avant de retrouver plus d’espace dans le salon aux murs humides. C’est aussi la chambre à coucher de la maison : lit double et salon dans la même pièce. C’est ici que vivait Montasser et c’est en bas, dans la ruelle, qu’il est mort avec son ami Amar.
Une charrette en bois stationne à l’endroit de leur mort, à l’entrée du souk, à quelques dizaines de mètres de l’entrée de l’épicerie. Le frère de Montasser, Maher, 20 ans, a été un témoin visuel de la scène : il a vu un groupe d’une dizaine d’enfants et d’adolescents attroupés dans la ruelle et parmi eux, Amar et son frère qui sortaient de l’épicerie. Il a vu surgir les soldats et a pris la direction de l’épicerie. Il dit qu’il n’y a eu ni tirs ni jets de pierres contre les soldats. Tout à coup, il a entendu un coup de feu, un seul et unique. Amar est mort sur le coup et Montasser, son frère, est mort alors qu’on l’emmenait d’urgence à l’hôpital. Tous les deux saignaient de la bouche.
- (1) - 323 enfants de moins de 14 ans, dit la version anglaise de cet article. Ha'Aretz présente aussi un site en anglais.
                                   
4. La France demande à Israel de cesser son soutien à Gbagbo - L'Etat hébreu fournirait des conseillers et du matériel militaire à Abidjan
on Grioo.com (e-magazine français) du jeudi 2 décembre 2004

La France a officiellement demandé à Israël d`interrompre son soutien militaire au président ivoirien, Laurent Gbagbo, dont le pays est confronté depuis septembre 2002 à une rebellions armée, rapporte mercredi l`hebdomadaire satirique français, "Le Canard enchaîné".
La demande française qui inclut le retrait de la Côte d`Ivoire des coopérants militaires et des drones de reconnaissance israéliens, a été récemment présentée par l`ambassadeur de France en Israël, Gérard Arnaud, précise-t-on de même source.
Selon une source française, une quarantaine de conseillers israéliens travaillent pour le compte du président ivoirien, Laurent Gbagbo, qui s`appuie notamment sur leur expertise dans le renseignement et les écoutes téléphoniques.
Des Israéliens auraient en outre été aperçus lors des manifestations anti-françaises qui ont suivi la destruction le 6 novembre dernier, des moyens aériens des Forces armées nationales de Côte d`Ivoire (FANCI) par des soldats français de l`opération Licorne.
Depuis, la France a obtenu du Conseil de sécurité des Nations unies le vote d`une résolution qui prévoit un embargo immédiat sur toutes les livraisons d`armes à destination de la Côte d`Ivoire.
Paris souhaite par ailleurs, voir des pays comme Israël abandonner toute forme d`appui au président Gbagbo avec qui ses relations sont aujourd`hui au plus mal. 
                       
5. Un prix néerlandais prestigieux pour le poète palestinien Mahmoud Darwish
Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 1er décembre 2004, 17h10
LA HAYE - Le poète palestinien Mahmoud Darwish a reçu mercredi à La Haye le prix Prince Claus d'un montant de 100.000 euros pour "son oeuvre impressionnante" marquée par sa vie en exil, a annoncé la Fondation néerlandaise Prince Claus.
Mahmoud Darwish, 62 ans, est un des poètes arabes contemporains les plus renommés. Né en Palestine en 1942, il fuit la région en 1948 après la création de l'Etat d'Israël. "Dans son oeuvre, il sait attirer l'attention sur les conséquences des migrations forcées et met l'accent sur la force de la beauté dans des périodes difficiles", relève la Fondation Prince Claus dans un communiqué.
Revenu en Israël pour une brève période, Mahmoud Darwish fut contraint à l'exil pour ses positions politiques en 1970. Après 26 ans passés du Liban à la Russie en passant par Paris, il s'est installé à Ramallah.
Le prix décerné à M. Darwish s'inscrit dans la nouvelle stratégie de la Fondation Prince Claus qui "souhaite mettre en lumière les résultats positifs des migrations et de la politique d'asile".
Le metteur en scène de théatre irakien Jawad al Assadi et le poète birman en exil Tin Moe ont pour leur part reçu un prix de 25.000 euros.
La Fondation Prince Claus, fondée par le défunt époux de la reine Beatrix des Pays-Bas, attribue chaque année plusieurs prix à des artistes, penseurs ou organisations culturelles des pays d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine et des Caraïbes.
                   
6. La succession de Yasser Arafat à la tête de l'Autorité autonome palestinienne - Les chausse-trapes d'une élection par Jean-François Legrain
in Le Figaro du mardi 30 novembre 2004

(Jean-François Legrain est chercheur au CNRS ; Maison de l'Orient-Lyon.)
L'inscription sur les listes des candidats à l'élection du successeur de Yasser Arafat à la tête de l'Autorité autonome palestinienne est ouverte. La réussite de ce scrutin, prévu le 9 janvier, est habituellement présentée comme la condition préalable à la reconnaissance de la légitimité du futur interlocuteur palestinien, le président de l'Autorité étant ainsi investi de la responsabilité de représenter les intérêts palestiniens vis-à-vis d'Israël et de la communauté internationale. Une telle approche constitue une aberration juridique, anthropologique et politique.
Au regard de la légalité internationale, tout d'abord, la seule institution palestinienne habilitée à négocier au nom de l'ensemble des Palestiniens de par le monde et à signer un traité demeure l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Depuis 1974, elle bénéficie pour ce faire d'un siège d'observateur aux Nations unies. Deux décennies plus tard, le 9 septembre 1993, par la signature de Yitzhak Rabin, son premier ministre d'alors, Israël avait signifié dans un échange de lettres avec le président du Comité exécutif (CEOLP), Yasser Arafat, que son «gouvernement a décidé de reconnaître l'OLP comme le représentant du peuple palestinien et d'ouvrir des négociations avec l'OLP dans le cadre du processus de paix au Proche-Orient». Cette situation demeure valide et le président légitime du CEOLP est Mahmoud Abbas (Abu Mazen), élu par ses pairs le jour même du décès de Yasser Arafat.
L'«Autorité palestinienne d'autogouvernement intérimaire», mise en place à partir de 1993 dans le cadre de la négociation d'Oslo, a, quant à elle, été juridiquement privée de toute compétence dans les domaines diplomatique et de défense. Son unique mission était de gérer le quotidien des populations de Cisjordanie et de la Bande de Gaza placées sous autonomie pour une période de cinq ans, prélude à la résolution du conflit israélo-palestinien fixée comme objectif et terme de la négociation. La validité juridique internationale de cette Autorité aurait dû disparaître le 4 mai 1999. Cette Autorité intérimaire, aujourd'hui, ne bénéficie plus d'aucun statut juridique international explicite. Personne, pourtant, ne s'est décidé à signer l'acte de décès.
En janvier 1996, l'honnêteté des élections du président de l'Autorité exécutive et des membres du Conseil législatif avait été reconnue par les observateurs internationaux. A l'encontre des chantres d'une certaine démocratie réduite à une question de choix idéologiques et de partis, le traitement mathématique du scrutin et son interprétation en termes d'anthropologie sociale avaient montré qu'en Palestine, comme dans bien d'autres pays du monde, l'élection est fondamentalement un acte d'allégeance à une personnalité déjà reconnue comme leader. Le vote traduit ainsi la consécration d'un passé et non un choix entre des programmes d'avenir censés être concurrents, un acte qui ne contredit pas forcément la démocratie entendue au sens noble du terme. En retour de cette allégeance affichée et pour préserver sa propre longévité, le président élu a ensuite le devoir de dispenser postes, allocations individuelles et investissements locaux et régionaux – ce à quoi servait en grande part la fortune prétendument personnelle de Yasser Arafat – attendus par une population dont les députés sont les intermédiaires mandatés auprès du pouvoir central.
Par-delà leur opposition ou leur soutien à la politique menée par Yasser Arafat, nationalistes et islamistes ont unanimement reconnu en 1996 que le chef de l'OLP, par ses années d'engagement, était le seul dans lequel ils pouvaient retrouver peu ou prou la Palestine de leur identité. Il n'a jamais été question pour eux de choisir entre le programme de Fath (par ailleurs jamais formulé) ou de Hamas (qui n'avait pas investi officiellement de candidats mais dont les partisans ont participé au vote). Par une accumulation fruit de l'histoire, Yasser Arafat présidait déjà le CEOLP, l'Etat de Palestine (proclamé par l'OLP en 1988) et Fath (la principale organisation membre de l'OLP). Son élection au suffrage universel à la tête de l'Autorité d'autonomie procédait de cette stature antérieure au scrutin.
La voie qui aujourd'hui permettrait, par la démocratie, d'asseoir la légitimité du négociateur attendu passe donc par l'OLP et le renouvellement de ses institutions. Les quinze survivants des dix-huit membres du CEOLP actuel ont été élus en avril 1996 par un Conseil national (CNP, Parlement en exil) à la composition contestée. Seul le Conseil central (issu du CNP) avait alors fait l'objet d'un accord consensuel, réunissant Palestiniens de l'extérieur et Palestiniens de l'intérieur, cooptés ou membres du Conseil législatif élus dans le cadre de l'autonomie. Pensées dans les années 60 et 70, dans un contexte marxisant et en l'absence des islamistes alors inexistants sur la scène politique, ces institutions doivent tout d'abord être profondément réformées.
Loin de renforcer un éventuel interlocuteur palestinien, la surévaluation de l'éventuelle élection de janvier a toute chance d'affaiblir chacun des prétendants à la succession d'Arafat, qu'ils émanent de l'OLP ou de l'Autorité d'autonomie. Aujourd'hui, encore moins qu'hier, une élection en Palestine ne saurait constituer un choix, entre des politiques comme entre des hommes. L'attente unanime est celle de la fin de l'occupation et de la construction d'un avenir meilleur. La disparition du leader charismatique, qui avait su catalyser tous les espoirs mais aussi les rancoeurs des siens, est trop récente pour qu'un successeur ait déjà eu la possibilité de construire sa légitimité à prendre sa place et de bénéficier, alors, d'un soutien incontestable issu du suffrage universel.
Une relative faiblesse d'un président de l'Autorité d'autonomie ne serait guère gênante si le négociateur de l'OLP et véritable leader était un homme fort et respecté. En prétendant, par une confusion des fonctions, faire du président élu d'une Autorité exécutive moribonde ce négociateur, Palestiniens, Israéliens et communauté internationale risquent, une fois encore, de retarder toute avancée vers la résolution tant attendue du conflit.
                           
7. Comment la Shoah a structuré la nation - Le "plus jamais ça" qui forge Israël par Jean-Luc Allouche
in Libération du mardi 30 novembre 2004

- La Nation et la mort. La Shoah dans le discours et la politique d'Israël, de Idith Zertal, traduit de l'anglais par Marc Saint-Upery, éditions la Découverte, 292 pp., 20 euros.
Que l'on considère la litanie des biographies des victimes d'attentats, égrenées à la longueur d'émissions télé ou dans les pages des journaux. Que l'on fasse le compte des interminables diffusions d'enterrements, de cérémonies du souvenir pour les victimes de la Shoah ou des soldats tombés pendant les guerres. Que l'on s'attarde un instant sur une institution comme Yad Vachem (1), destinée à préserver le souvenir de ceux qui sont morts «sans nom» dans les camps de la mort nazis. Tout, en Israël, dit la mort, les longues «noces de sang» avec la mort.
La Nation et la mort d'Idith Zertal éclaire de manière exemplaire, documentée et parfois cruelle ce compagnonnage avec la mort, cette obsession d'une nation qui n'a pas encore tout à fait saisi l'ampleur de sa résurrection. Du coup, Israël s'est forgé dans un culte, tantôt effréné, tantôt désespéré, de la force. Le «Plus jamais ça !» de l'antifascisme européen s'est mué en volonté inflexible de n'être «plus jamais victimes», tels «des moutons menés à l'abattoir». Du coup, dès les débuts de l'entreprise sioniste, est née une religion laïque, voire païenne, celle du «nouveau juif», dans un pays «pur et idéal», fort, sûr de son bon droit, et convaincu de ses vertus morales. Le consensus israélien joue, aujourd'hui encore, sur cette dichotomie entre le «sabra» viril, musculeux et décidé et le «vieil homme» de la diaspora, féminin, faible et désemparé.
Idith Zertal tranche au scalpel dans l'écheveau des mythes nationaux, utilitaires certes, mais qui ligotent la société israélienne de mille noeuds gordiens. Le moment qui a servi de levier à cette exacerbation de la conscience nationale est la capture, en 1960, d'Adolf Eichmann et le procès «à grand spectacle», comme elle écrit, qui l'a suivie. C'est que, après les premières années au cours desquelles les rescapés furent accueillis assez froidement en Israël, David Ben Gourion entendait «ranimer le discours de la mémoire» et insuffler un nouveau «discours de puissance».
On ne s'étonnera donc pas qu'Idith Zertal consacre l'un de ses chapitres les plus convaincus et les plus profonds à l'attitude d'Hannah Arendt («Entre l'amour du monde et l'amour d'Israël»), car l'exigeant auteur d'Eichmann à Jérusalem est plus proche de son coeur, et elle fait justice des innombrables polémiques qu'a provoquées son ouvrage fondateur sur «la banalité du mal». Ses controverses d'alors, y compris avec Gershom Scholem, n'ont pas perdu un iota de leur pertinence. Là, l'Israélienne Idith Zertal se montre soeur de l'intellectuelle allemande «solidaire et solitaire, impliquée et détachée, présente et pourtant lointaine, membre de la famille et pourtant étrangère».
Pour autant, l'historienne ne se confine pas à la seule étude des archives de la mémoire, mais elle indique comment la crainte de l'amnésie s'est muée en hypermnésie au coeur des «territoires jaunes» des conflits contemporains. Au sein de la société israélienne, où le meurtre d'Ytshak Rabin, en 1995, a laissé des traces brûlantes, comme dans l'affrontement avec les Palestiniens. Comment, surtout, «la catastrophe du messianisme politique» a changé la bénédiction de la mémoire en malédiction. Au point que des pans du peuple d'Israël ne sont plus capables de penser l'Histoire qu'ils vivent, et qu'ils font, pour se réfugier dans le confort moral de l'archétype. A ce point, la Nation et la mort, aussi implacable soit-il dans la démonstration érudite, retrouve d'antiques accents de la prophétie. Non celle de la «consolation» mais bien celle de «la mise en garde», du refus du compromis.
- (1) Un nouveau site Internet met en ligne désormais les listes des victimes : http://www.yadvashem.org/
                           
8. Un peuple de "neuf millions d’Arafat" par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du mardi 30 novembre 2004
Le ministre palestinien Ilan Halevi était présent pour la Journée internationale de solidarité avec les Palestiniens, hier à Bruxelles.
Bruxelles, envoyée spéciale - L’association belgo-palestinienne Naim Kader - du nom de l’ancien représentant de l’OLP assassiné à Bruxelles - avait choisi la date de la Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien (1) pour rendre hommage à Yasser Arafat. Son président, Pierre Galant, avait pour cela invité le journaliste israélien Amnon Kapeliouk, auteur d’une biographie du président défunt (Arafat, l’irréductible, publié chez Fayard), et Ilan Halevi, vice-ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne. Amnon Kapeliouk dit les soupçons qui l’assaillent sur les causes de la mort de l’ancien président. « Le problème, dit-il, n’est pas seulement médical mais aussi politique. Il y avait depuis longtemps une volonté avouée de la droite nationaliste et d’Ariel Sharon de liquider Arafat, qui gênait la mise en oeuvre de la "pax israelica" : la création "d’États bantous-tans ". Je conseille au peuple palestinien d’être prudent face aux nouveaux pièges qu’on lui prépare. »
Pour Ilan Halevi, Yasser Arafat était aussi « un ami avec qui j’ai travaillé pendant trente ans dans un rapport de tendresse ». « Ce rapport très particulier que le président entretenait avec les Palestiniens - il était à la fois le père, le frère, l’ami, occupant une place surdimensionnée - fait qu’Arafat est irremplaçable. » « Cela a du bon, ajoute-t-il, car personne ne pourra plus occuper les trois fonctions qui étaient les siennes - à la tête du Fatah, de l’OLP et de l’Autorité -, et cela peut permettre une avancée dans notre transition d’un mouvement révolutionnaire vers le fonctionnement normal d’institutions dans un système démocratique. » Quant à la possibilité que la disparition d’Arafat rende les choses plus faciles à Ariel Sharon, Ilan Halevi ironise : « Sharon avait fait d’Arafat l’abcès de fixation de son refus de négocier. Mais il va s’apercevoir que nous sommes un peuple de neuf millions d’Arafat ! Personne n’ira plus loin qu’Arafat n’est allé dans le compromis historique entre le droit et la force. »
Pour Ilan Halevi, le peuple palestinien a montré, depuis la mort d’Arafat, une grande maturité, faisant tout pour conserver son unité. « Le soutien apporté par Marwan Barghouti, du fond de sa prison, à la candidature d’Abou Mazen pour la présidentielle en est une preuve supplémentaire : Marwan n’est pas un aventurier qui prend des décisions tout seul. L’annonce de sa candidature était une tentative d’intox. Il faut être extrêmement vigilants. » Et d’appeler à une reprise rapide des actions de solidarité et à l’application de la « feuille de route » du « quartet ».
À cet égard, Ilan Halevi participera demain à une rencontre à La Haye entre le ministre des Affaires étrangères palestinien Nabil Chaath, son homologue israélien, Silvan Shalom, et les dirigeants de l’UE dans le cadre du processus de Barcelone.
En ce qui concerne la reprise des « missions civiles » en Palestine, elle a été annoncée pour le lendemain de Noël par les associations belges. Pierre Galant a, quant à lui, appelé à participer massivement au grand rassemblement de solidarité prévu le 11 décembre prochain à Rome dans la foulée du Forum social de Londres.
- (1) La date 29 novembre a été choisie par l’ONU comme Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, en commémoration du plan de partage du 29 novembre 1947 qui créait en Palestine un État juif et un État palestinien, lequel n’existe toujours pas.
                           
9. "Le Pianiste" de Palestine par Omar Barghouti
in Counterpunch (e-magazine étasunien) du lundi 29 novembre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Omar Barghouti est un analyste politique indépendant qui réside en Palestine.)
En voyant le film Le Pianiste, récompensé par un Oscar, j’ai eu trois réactions mêlées, plutôt dérangeantes. Le film ne m’a pas particulièrement impressionné, esthétiquement parlant. J’ai surtout été horrifié par la description de la déshumanisation des juifs polonais, d’une part, et de l’impunité totale des occupants allemands, d’autre part. Et je n’ai pas pu m’empêcher de comparer le ghetto de Varsovie au mur d’Israël, beaucoup plus pernicieux encore puisqu’il encage trois millions et demi de Palestiniens de Cisjordanie dans des prisons à la fois éparpillées et tentaculaires.
Dans le film, lors d’une séquence où des militaires allemand forcent des musiciens juifs à jouer pour eux, à un barrage, j’ai pensé en moi-même : « Tiens, bizarre : voilà quelque chose que les militaires israéliens n’ont pas encore fait aux Palestiniens ? » J’avais parlé trop vite, semble-t-il. Le plus grand quotidien israélien, Ha’aretz, a écrit la semaine passée qu’une association israélienne de défense des droits de l’homme qui surveillait un barrage routier destiné à intimider la population, près de Naplouse a enregistré en vidéo des militaires israéliens en train de forcer un violoniste palestinien à jouer pour eux. La même association a confirmé que des abus similaires s’étaient déjà produits, plusieurs mois auparavant, à un autre checkpoint situé, quant à lui, près de Jérusalem.
Grâce à une de ces opérations de blanchiment dont Israël a le secret, l’ « incident » avait été minimisé par un porte-parole de l’armée, qui avait parlé d’ « insensibilité », sans nulle intention malveillante d’humilier le Palestinien victime de cette mise en scène. Et, bien entendu, le mantra habituel, avec soldats confrontés à la nécessité « de faire face à une réalité complexe et dangereuse, bla, bla, bla… », nous a été servi une énième fois en guise d’excuse « ready made – taille unique ». Je me demande si la même chose pourrait être dite ou acceptée, au sujet de la pratique nazie originale, aux portes du ghetto de Varsovie, dans les années 1940 ?
Hélas, la similitude entre les deux occupations illégales ne se limite pas à cela. Beaucoup des méthodes de « punition » tant individuelle que collective infligées aux civils palestiniens par de jeunes soldats israéliens – racistes, le plus souvent sadiques et toujours insensibles à toute critique – aux centaines de checkpoints qui jonchent les territoires palestiniens occupés, évoquent les pratiques nazies routinières à l’encontre des juifs. A la suite d’une visite dans les territoires palestiniens occupés, en 2003, un député juif au Parlement anglais en a porté témoignage, écrivant : « Les pionniers qui ont créé l’Etat d’Israël n’auraient sans doute pas pu ne serait-ce seulement imaginer l’ironie cruelle à laquelle Israël est confronté, de nos jours : en échappant aux cendres de l’Holocauste, ils ont enfermé un autre peuple dans un enfer similaire de par sa nature – même s’il n’est pas comparable quant à son étendue – au ghetto de Varsovie. »
Même Tommy Lapid, ministre israélien de la Justice et lui-même rescapé de l’Holocauste, a soulevé une tempête politique l’an dernier, en évoquant à la radio israélienne le fait que l’image d’une femme palestinienne âgée, en train de rechercher ses remèdes dans les ruines de ce qui avait été sa maison, lui avait remis en mémoire sa grand-mère, morte à Auschwitz. Plus : il avait commenté la destruction totalement arbitraire de maisons, d’entreprises et de fermes palestiniennes – à Gaza, à l’époque – par son armée, disant : « Si nous continuons comme ça, nous seront exclus de l’ONU et les responsables [de ces exactions] se retrouveront devant le tribunal international de La Haye. »
Certains des crimes de guerre qui inquiètent des gens tel Lapid ont été révélés récemment par des témoignages oculaires d’anciens soldats, qui ne pouvaient plus concilier le peu de valeurs morales dont ils étaient porteurs avec leur complicité dans l’humiliation, le rudoiement et les blessures qu’ils infligeaient quotidiennement à des civils innocents. De tels crimes étaient devenus, pour eux, des actes acceptables, voire même indispensables, afin de « discipliner » des indigènes indomptés et d’assurer « la sécurité ».
D’après un reportage récent repris par plusieurs médias israéliens, un commandant a été accusé d’avoir tabassé sans raison des Palestiniens au tristement célèbre checkpoint de Hawwara. Ironie du sort : la preuve la plus accablante retenue contre lui fut une bande vidéo, enregistrée par le service de formation de l’armée ! Dans cet épisode assez spécial, l’officier supérieur responsable de ce barrage routier, ayant appris qu’une équipe de tournage se trouvait non loin et sans avoir été en quoi que ce soit provoqué, avait tabassé un Palestinien « accompagné de sa femme et de ses enfants » : il lui a envoyé un coup de poing en plein visage et « il l’a même roué de coups de pied », indique le reportage.
Récemment, une exposition intitulée « Briser le silence » a été organisée, à Tel Aviv, par un groupe de soldats israéliens dotés d’une conscience, qui ont fait leur service dans Hébron occupée. Elle consistait en des photographies et visait à dénoncer des formes de belligérance encore plus graves à l’encontre de Palestiniens sans défense. Inspirée par des graffiti de colons juifs, affirmant : « Les Arabes : dans les chambres à gaz ! » ; « Arabes = race inférieure » ; « Versez le sang arabe ! » et, bien entendu, l’indémodable « Mort aux Arabes ! » qui fait plus florès que jamais, des militaires israéliens ont eu recours à une myriade de méthodes pour rendre la vie du Palestinien moyen insupportable. Une des photographie montrait un autocollant apposé sur une voiture passant devant l’objectif. Cet autocollant entendait peut-être expliciter le but ultime de ces formes de violence, en affirmant : « La repentance religieuse nous donnera la force nécessaire pour expulser les Arabes ! » ? Le commissaire de l’exposition a décrit une politique particulièrement choquante, consistant à sulfater des quartiers résidentiels palestiniens particulièrement surpeuplés, comme Abu Sneina, avec des mitrailleuses et des lanceurs de grenades, des heures durant, en réplique au tir bénin de quelques balles, depuis une maison du quartier, contre les colonies juives installées à l’intérieur même de la ville.
Les horreurs hébronites pâlissent, toutefois, lorsqu’on les compare à ce que des unités de l’armée israélienne ont fait à Gaza. Ainsi, par exemple, dans une interview accordée à Ha’aretz en novembre 2003, Liran Ron Furer, sergent dans l’armée israélienne et diplômé d’une école d’art, a décrit la transformation progressive de tout soldat en « animal » lorsque ce soldat est affecté à un checkpoint, sans égard pour les valeurs dont il avait bien pu hériter au sein de sa famille. Sous cet angle, ces soldats sont infectés par ce que le témoin appelle « le syndrome du checkpoint », dont l’un des symptômes éloquents est un comportement violent envers les Palestiniens, « de la manière la plus primitive et impulsive qui soit, sans aucune crainte d’être sanctionné… » « Au checkpoint », explique-t-il, « des jeunes gens ont l’opportunité d’être les maîtres et le recours à la force et à la violence devient (pour eux) légitime… »
Furer décrit de quelle manière ses collègues ont humilié et tabassé sans pitié un Palestinien atteint de nanisme, juste pour s’amuser ; comment ils ont pris une « photo souvenir » de civils attachés et ensanglantés, qu’ils avaient rossés ; comment un soldat a pissé sur la tête d’un Palestinien adulte par ce que celui-ci avait eu « le culot de sourire » à un soldat ; comment un autre Palestinien a été forcé à marcher à quatre pattes et à aboyer comme un chien ; comment encore un autre soldat a demandé des cigarettes à des Palestiniens, « leurs brisant la main » ou « crevant les pneus de leur voiture », s’ils osaient refuser.
De toutes ces exactions, la plus effroyable est celle de son propre témoignage : « J’ai couru vers un groupe de Palestiniens, et j’ai collé un marron à un Arabe, en pleine poire », a-t-il reconnu. « Le sang lui dégoulinait de la lèvre, sur le menton. Je l’ai amené derrière la jeep et je l’ai balancé dedans : il s’est pété les genoux sur le coffre arrière et il a atterri à l’intérieur. » Puis il poursuit sa description, émaillée de détails « gore » : comment ils se sont servi, comme d’un marchepied, de leur prisonnier étroitement saucissonné, qu’ils appelaient entre eux « l’Arabe » ; comment ils l’ont frappé jusqu’à « ce qu’il saigne de partout, et devienne une sorte de bouillie de sang et de salive mêlés ; comment ils l’ont « soulevé par les cheveux et lui ont tourné la tête le plus loin possible, sur un côté », jusqu’à ce qu’il hurle de douleur et comment les soldats lui ont alors « sauté, de plus en plus fort, sur le dos », pour le faire taire.
Après quoi, Furer révèle que le commandant les a félicités : « Joli travail, mes tigres ! ». Après avoir emmené leur proie dans leur campement, les abus se sont poursuivis, prenant diverses formes. « Tous les autres soldats attendaient là, impatients de voir CE QUE [c’est l’auteur qui souligne] nous avions attrapé [comme gibier]. Quand nous sommes entrés, avec la jeep, ils ont sifflé et applaudi à tout rompre ». Un des soldats, a expliqué Furer, « est venu vers lui, et lui a envoyé un coup de ranger dans le ventre. L’Arabe se cassa en deux, et se mit à geindre. Nous étions pliés de rire. C’était marrant… Je lui ai envoyé des coups de pied vraiment violents dans le c.l, et il a fait un vol plané vers l’avant, exactement selon la trajectoire prévue. Les copains s’esclaffaient criaient… Ils hurlaient de rire… Je m’éclatais. Notre Arabe n’était qu’un adolescent de seize ans, handicapé mental. »
Aussi sauvages soient-elles, les exactions, habituelles aux checkpoints, ne sont absolument pas uniques de leur genre. Elles s’insèrent parfaitement dans le tableau général consistant à voir dans les Palestiniens des êtres à peine humains, qui n’ont aucun titre à la dignité et au respect auxquels, seuls, des gens « pleinement humains » peuvent prétendre. Ainsi, au plus fort de la réoccupation massive des villes palestiniennes par l’armée israélienne, en 2002, des soldats israéliens ont gravé des étoiles de David au couteau sur les bras de plusieurs hommes et adolescents palestiniens faits prisonniers. Les photos insoutenables des victimes ont été tout d’abord montrées par des chaînes télévisées diffusées par satellite, et finalement publiées sur le « Net ».
En 2002, toujours, dans le camp de réfugiés d’Al-Am’ari, durant une rafle massive de Palestiniens (exclusivement de sexe masculin), adolescents et vieillards inclus, les soldats israéliens ont inscrit des numéros d’identification « sur le front et les avant-bras de prisonniers palestiniens en attente d’être soumis à interrogatoire. » Le dirigeant palestinien disparu Yasser Arafat compara ces agissements aux pratiques bien connues des nazis, dans les camps de concentration. Tommy Lapid, ulcéré, déclara : « En ma qualité de survivant de l’Holocauste, je trouve ces agissements insupportables ». Néanmoins, Raanan Gissin, un des porte-parole du Premier ministre Ariel Sharon, n’était préoccupé que d’une seule chose : le risque que l’image d’Israël ne soit ternie : « A l’évidence [ce comportement] entre en conflit avec le désir de faire passer un message de « relations publiques » », avait-il déclaré à la radio israélienne. Reprenant cette version avec un remarquable psittacisme, les médias consensuels en Israël, eux aussi, se montrèrent beaucoup plus soucieux de « l’impact désastreux en matière de relations publiques » que d’exprimer une quelconque horreur ou une quelconque forme de protestation contre l’immoralité de l’acte et la cruelle ironie se dégageant de cette mise en scène.
Yoram Peri, professeur de sciences politiques et de médiologie à l’Université de Tel-Aviv voit dans les « PR », les « Public Relations » « un problème fondamental dans la vie israélienne. » « Nous ne pensons pas commettre quoi que ce soit de mal… », explique-t-il dans une interview accordée au quotidien britannique The Guardian, « … en revanche, nous pensons que nous nous expliquons mal, et que les médias internationaux sont antisémites. » Obsédés par la manière dont Israël est perçu, bien plus que parce qu’Israël fait réellement, les Israéliens, dit Peri, sont essentiellement préoccupés du fait « que nous ne savons pas expliquer ce que nous faisons. Quand nous discutons des choses horribles qui se passent en Cisjordanie, nous ne parlons pas du problème lui-même, mais (uniquement) de la manière dont il sera perçu. »
Reconnaissant le cynisme, l’apathie et l’acquiescement dominants chez la majorité des Israéliens, vis-à-vis de la cruelle oppression des Palestiniens, l’ex-députée à la Knesset Shulamit Aloni a déclaré, au cours d’une interview récente accordée à la publication irlandaise The Handstand, que « cette grossière insensibilité » menace la société israélienne de désintégration. Faisant référence aux Allemands, à l’époque du régime nazi, elle a ajouté : « Je commence à comprendre pourquoi une nation toute entière a pu dire : « Nous ne savions pas » ».
Je me demande, personnellement, si viendra le temps où un metteur en scène célèbre, bardé de prix internationaux, aura le courage de braver le terrorisme intellectuel et les tactiques d’intimidation prévisibles, en produisant une adaptation palestinienne du « Pianiste », afin de dénoncer le cocktail vireux israélien, composé pour moitié de racisme, et pour moitié d’impunité ?
                           
10. Manifestation contre un spectacle en faveur des soldats d'Israël
Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 29 novembre 2004, 22h38

PARIS  - Un très important dispositif policier a empêché, lundi soir, plusieurs centaines de manifestants pro-palestiniens de se rassembler devant le théâtre parisien du Gymnase, où la troupe de l'armée de l'air d'Israël devait se produire à partir de 20H00.
Ces manifestants, qui commençaient à se disperser sans incident peu avant 22 heures, étaient un millier selon les organisateurs, une vingtaine d'associations, et 400 selon la préfecture de police.
Sept cents spectateurs étaient attendus à la soirée organisée par le KKL (Keren Kayemeth LeIsrael, Fonds national juif) de France, "en faveur de la création d'aires de détente et de rencontre parents-soldats à l'entrée des bases de Tsahal dans le Néguev" (Sud d'Israël). Sur scène, devaient se produire de jeunes appelés de 18 à 21 ans, qui animent des soirées dans les bases militaires israéliennes.
Dès 19h, plus de 25 fourgons et cars de policiers et CRS étaient garés sur le boulevard Bonne-Nouvelle, et des cordons de policiers faisaient barrage dans les rues adjacentes.
"Armée d'Israël, armée criminelle", "Honte au Gymnase qui encourage les criminels de guerre", ont scandé les manifestants, contenus par des CRS en tenue anti-émeute, à proximité de la station de métro Strasbourg-Saint-Denis.
Dans l'après-midi, le juge des référés du tribunal de Paris avait refusé d'interdire le spectacle, comme le réclamait l'association pro-palestinienne CAPJPO (Coordination des appels pour une paix juste au Proche-Orient).
Plusieurs manifestations avaient déjà eu lieu aux abords du théâtre, sur le boulevard Bonne-Nouvelle, "contre l'utilisation d'un lieu consacré à l'art pour soutenir une armée qui occupe illégalement les territoires autonomes de Cisjordanie et Gaza et humilie chaque jour la population palestinienne".
Interrogé par l'AFP, le délégué général du KKL France, Michaël Bar-Zvi, s'est dit "très choqué que l'on harcèle ainsi le directeur d'un théâtre qui ne fait qu'accueillir un concert et qui programme également Smaïn".
"On nous fait un faux procès en disant que nous ramassons de l'argent pour Tsahal, a déclaré M. Bar-Zvi. Le KKL soutient à 200% l'armée d'Israël mais ne lui transfère pas de fonds directement. Cette collecte a pour seul but de créer des aires de pique-nique pour l'accueil des familles de soldats, à l'extérieur des bases militaires", a-t-il ajouté.
Le juge des référés du tribunal de Paris, saisi en urgence, a souligné que la liberté du spectacle ne peut souffrir de restrictions qu'en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage imminent.
En outre, le juge des référés "n'a pas le pouvoir d'apprécier la politique israélienne, ni la situation et les actions complexes du gouvernement israélien et de l'autorité palestinienne".
Le KKL - qui se présente sur son site internet français comme "le bras exécutif du peuple juif pour la rédemption et le développement de la terre d'Israël" - est le deuxième détenteur de terres en Israël après l'Etat.
                                
11. Offense à la mémoire de Rafoul par Gideon Levy
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du dimanche 28 novembre 2004
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

« Quand on parle de morts, il n’en faut dire que du bien ». Certes. Mais doit-on embellir l’image d’un personnage public pour la simple raison qu’il est mort ? L’image publique de Rafael Eitan (Rafoul, pour les intimes), ancien chef d’état major et ministre, disparu la semaine dernière dans de tristes circonstances [Rafael Eitan est mort noyé, dans le port d’Ashdod – voir notice nécrologique dans Le Monde du 26/11/2004, ndt], a été reblanchie après sa mort au-delà de toute vraisemblance. Ni lui, ni l’opinion publique ne méritaient cela. Quand l’histoire le jugera, ses éloges funèbres sembleront plus qu’un tantinet ridicules.
S’agissait-il bien du même Rafoul que celui que nous connaissions ? Du chef d’état major de la guerre la plus criminelle de toute l’histoire d’Israël, au cours de laquelle 650 soldats (israéliens) et des milliers de Palestiniens et de Libanais ont perdu la vie absolument pour rien ; de la personne qui, en compagnie du Premier ministre israélien actuel (qui était alors ministre de la Défense) a trompé le gouvernement et qui, en sa compagnie, a été accusé [par la commission d’enquête Kahan] de s’être abstenu de donner l’ordre qui, seul, aurait pu éviter l’horrible massacre dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila ? De cette même personne qui est présentée, aujourd’hui, comme une personne décente et droite, comme un héros d’Israël ? Cette personne qui a enseigné – en paroles et en actes – le racisme et la haine des Arabes, est décrite, aujourd’hui, comme un parangon de pédagogie ! Comme cela fut [déjà] le cas avec Rehavam Ze’evi, ministre du Tourisme mort assassiné, ici encore, la mémoire est relookée, au point où le portrait de l’homme est totalement brouillé. Seul Asaf Harel, hôte d’un talk show extrêmement nocturne, sur la dixième chaîne de télévision israélienne Channel 10, a osé déclarer : « Il y a des centaines de soldats qui auraient bien aimé assister aux obsèques de Rafoul… Mais il y a eu un petit problème : ils ont été retenus à Kiryat Shaul » [« Petit » détail : Kiryat Shaul, c’est… un cimetière militaire !]
A n’en pas douter, Eitan était un soldat audacieux et un exploitant qui aimait sa terre. Il était aussi, apparemment, un personnage public modeste, il avait un sens de l’humour un peu particulier, plutôt rude, et même un certain don pour faire des vers. Mais en ne se concentrant que sur ces seules qualités et en rejetant tout le reste, on fait injure à sa mémoire. Il était un des principaux contributeurs au processus de déshumanisation des Arabes. Il y a tout juste vingt et un ans de cela, il proféra les propos qui allaient rester parmi ses citations les plus [tristement] célèbres, lorsqu’il a comparé les Arabes à des « cafards drogués enfermés dans une bouteille ». Est-il concevable qu’il n’y ait aucun rapport d’aucune sorte entre cette attitude et sa contribution par omission au carnage de Sabra et Chatila, ou entre cette attitude et sa décision, qui avait déclenché à l’époque une controverse féroce, de réduire la condamnation de Daniel Pinto, jugé coupable d’avoir exécuté des prisonniers au cours de l’Opération Litani, au Liban ? Un dirigeant européen qui parlerait ainsi des juifs serait ostracisé sur-le-champ. Mais cette sortie n’a jamais empêché Eitan de poursuivre son irrésistible ascension.
Sous-jacente à sa vision du monde, il y avait aussi un présupposé corollaire de la déshumanisation – à savoir : que le seule langage que les Arabes comprendraient, serait celui de la force. Avant même la guerre du Liban (1982), il avait suggéré de bombarder un stade bourré de spectateurs, à Beyrouth. A la veille du massacre de Sabra et Chatila, en septembre 1982, il avait promis, avec son célèbre sens de l’ « humour », que « les Phalanges [formations chrétiennes alliés d’Israël, au Liban] fourniraient des « petites maisons » cosy aux Palestiniens ». Une autre fois, il était alors haut gradé, il déclara : « Voir les Arabes s’entre-tuer, c’est un vrai plaisir ! », et aussi : « Punir les parents en raison des agissements de leurs enfants, cela marche à merveille, avec les Arabes ! ». En tant que ministre de l’Agriculture, il avait proposé de couper les Bédouins du Néguev de leurs points d’eau et du réseau électrique, ainsi que de les empêcher d’épouser des femmes [palestiniennes] des territoires [occupés].
Il faut de souvenir de Rafael Eitan comme d’une véritable disgrâce. Il aurait dû disparaître du paysage public israélien, ne serait-ce qu’en raison de la part qu’il a prise dans la guerre du Liban et de son implication dans les massacres de Sabra et Chatila. Mais la marque de Caïn qu’il aurait dû porter dès le lendemain des « graves conclusions quant à ses faits et à ses omissions » auxquelles était parvenue la Commission Kahan, et en raison des centaines de familles endeuillées au lendemain de la guerre au Liban, ne l’a nullement empêché de poursuivre sa carrière politique.
En la matière, encore une fois, le même pattern s’est répété. Les représentants du parti qu’il créa se sont avérés un quarteron d’opportunistes, qu’Eitan avait recruté sans se poser de question « sur l’aire de battage et au pressoir », sans aucune procédure démocratique d’élection. Et néanmoins, comme par miracle, il continua à bénéficier de son image d’homme politique honnête et décent. L’officier célèbre pour son silence [complice] devint un bateleur d’estrade infatigable, le para impavide et audacieux s’avéra le chef d’individus risibles et douteux, depuis Gonen Segev, en passant par Alex Goldfarb, pour finir avec Modi Zandberg – rares sont les partis auxquels ce dernier ne se soit pas acoquiné… - et tous ces gens formaient l’ « héritage Rafoul », bien qu’aucun d’entre eux n’ait eu la moindre idée de ce que cela pouvait bien signifier… Ce n’est qu’après un certain nombre d’année que les gens en ont eu marre de ce parti, et qu’il fut incapable de réunir assez de voix pour envoyer un député à la Knesset.
La contradiction sans doute la plus affolante entre le personnage mis sur un piédestal et le véritable Eitan fut cette description de Rafoul en parangon de pédagogue, en « éducateur des générations ». Même Meir Shalev, un écrivain connu pour son soutien au processus de paix, y est allé, vendredi dernier, au sujet d’Eitan de son « seul chef d’état major à avoir accordé à l’éducation une valeur sans pareille. »
L’éducation à quoi, exactement ? On aimerait le savoir ! A plus de haine des Arabes ? A la valeur du recours à la force ? Au mensonge ? Le député Yossi Sarid a cité un chef d’état major qui lui avait fait la confidence d’un ordre non écrit à validité permanente, à l’Etat major général : ne croire aucune information provenant du chef du Commandement Nord. Un certain Rafaël… [bingo !] Eitan. Il est vrai que le projet des « Gamins de Rafoul » avait connu, en apparence, un réel succès, et Eitan y consacrait beaucoup de son temps. Mais ce succès n’est rien, comparé à l’esprit dans lequel il éduqua les soldats des Forces israéliennes de défense. L’IDF de Rafoul, comme l’IDF d’aujourd’hui, est une armée qui éduque ses soldats à voir en les Arabes des « cafards drogués ».
Il faut que la vérité soit dite : la semaine passée, un ancien chef d’état major et ministre est mort, qui avait incontestablement du courage, mais qui était aussi extrêmement brutal et raciste. Ceux – et ils sont nombreux – qui aimaient Rafoul lui pardonnaient ses attitudes morales plus que douteuses. C’est, naturellement, leur droit. Mais de là à redorer sa façade, il y a un monde. Rafoul, comme tout un chacun, doit rester dans les mémoires exactement pour ce qu’il était : un officier. Mais : un gentleman ? Une figure exemplaire ? Vous pouvez repasser !
                   
12. Un Palestinien forcé de jouer du violon à un point de contrôle israélien
Dépêche de l'agence Associated Press du jeudi 25 novembre 2004, 19h27

JERUSALEM  - Des militaires israéliens ont contraint un Palestinien à jouer du violon pour franchir un barrage routier près de Naplouse, en Cisjordanie, ont rapporté jeudi des militants des droits de l'Homme.
Un officier a obligé l'homme à sortir son violon et à jouer pendant environ deux minutes alors que des centaines d'autres Palestiniens attendaient derrière lui pour passer, a raconté Horit Herman-Peled, de l'organisation de défense des droits de l'Homme Machsom Watch, qui surveille le comportement des soldats aux barrages.
L'armée israélienne a expliqué que les militaires lui avaient fait jouer de l'instrument pour vérifier qu'il n'y avait pas d'explosifs cachés à l'intérieur, mais a noté que l'incident avait été "traité avec indélicatesse" par des soldats qui "font face à une réalité dangereuse". Elle a précisé qu'une enquête avait été menée et que les soldats avaient été réprimandés.
L'incident s'est produit le 9 novembre à Beit Iba, un point de contrôle routier souvent bondé au nord de Naplouse, et a été filmé par Mme Herman-Peled, qui a précisé que durant la scène les militaires riaient. Les images montrent un homme debout jouant du violon derrière une barrière en béton alors qu'un soldat inspecte ses papiers.
                   
13. Mes réticences sur le sionisme par Sigmund Freud
in Le Nouvel Observateur du jeudi 25 novembre 2004

Exclusif. La lettre originale du fondateur de la psychanalyse sur le futur Etat d'Israël était restée cachée depuis 1930. La voici dans son intégralité.
La lettre de Sigmund Freud que nous publions, datée du 26 février 1930 et adressée à Chaim Koffler, membre de la Fondation pour la Réinstallation des Juifs en Palestine (Keren Hayesod), est traduite pour la première fois de l’allemand dans son intégralité par Jacques Le Rider. Elle est publiée par la revue «Cliniques méditerranéennes» (n° 70, Erès, 2004), accompagnée d’un commentaire d’Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, dont nous donnons ici de larges extraits.
Vienne, 19 Berggasse, 26 février 1930 - Monsieur le Docteur, Je ne peux pas faire ce que vous souhaitez. Ma réticence à intéresser le public à ma personnalité est insurmontable et les circonstances critiques actuelles ne me semblent pas du tout y inciter. Qui veut influencer le grand nombre doit avoir quelque chose de retentissant et d’enthousiaste à lui dire, et cela, mon jugement réservé sur le sionisme ne le permet pas. J’ai assurément les meilleurs sentiments de sympathie pour des efforts librement consentis, je suis fier de notre université de Jérusalem et je me réjouis de la prospérité des établissements de nos colons. Mais, d’un autre côté, je ne crois pas que la Palestine puisse jamais devenir un Etat juif ni que le monde chrétien comme le monde islamique puissent un jour être prêts à confier leurs lieux saints à la garde des juifs. Il m’aurait semblé plus avisé de fonder une patrie juive sur un sol historiquement non chargé; certes, je sais que, pour un dessein aussi rationnel, jamais on n’aurait pu susciter l’exaltation des masses ni la coopération des riches. Je concède aussi, avec regret, que le fanatisme peu réaliste de nos compatriotes porte sa part de responsabilité dans l’éveil de la méfiance des Arabes. Je ne peux éprouver la moindre sympathie pour une piété mal interprétée qui fait d’un morceau de mur d’Hérode une relique nationale et, à cause d’elle, défie les sentiments des habitants du pays. Jugez vous-même si, avec un point de vue aussi critique, je suis la personne qu’il faut pour jouer le rôle de consolateur d’un peuple ébranlé par un espoir injustifié. Freud
"Aucun oeil humain ne verra cette lettre" par Elisabeth Roudinesco 
En août 1929, deux ans après la publication en langue arabe des «Protocoles des Sages de Sion», qui allait donner naissance quelques années plus tard à un véritable antisémitisme dans le monde arabe, des émeutes survinrent à Hébron au cours desquelles des Palestiniens massacrèrent l’une des plus anciennes communautés juives du Yishouv. Face aux revendications nationalistes de ce peuple, qui se sentait dépossédé de sa terre, les dirigeants sionistes étaient divisés sur la conduite à tenir. Les uns, comme Vladimir Zeev Jabotinsky, considéraient que les Arabes étaient marqués par un déterminisme biologique qui leur interdirait toujours d’accepter la présence des juifs et qu’il fallait en conséquence construire un «mur d’acier» démographique entre les deux communautés, alors que les autres – militants de la gauche socialiste – commençaient au contraire à prendre conscience de la nécessité d’une cohabitation. Aussi concevaient-ils l’idée de créer un Conseil législatif palestinien à parité entre Juifs et Arabes. 
C’est dans ce contexte que Chaim Koffler, membre viennois du Keren Hayesod, la Fondation pour la Réinstallation des Juifs en Palestine, s’adressa à Freud pour lui demander, comme à d’autres intellectuels de la diaspora, de soutenir la cause sioniste en Palestine et le principe de l’accès des juifs au mur des Lamentations. Il reçut aussitôt de celui-ci la lettre inédite publiée ici. A l’évidence, la missive du fondateur de la psychanalyse déplut aux membres du Keren Hayesod, puisque dans une lettre adressée à Abraham Schwadron, sioniste de droite, archiviste et collectionneur d’autographes, Koffler souligne: «La lettre de Freud, malgré son authenticité et sa tonalité chaleureuse, ne nous est pas favorable. Et comme ici, en Palestine, il n’y a pas de secret, il est probable qu’elle quittera la collection des autographes de la Bibliothèque de l’Université, pour être rendue publique. Si je ne peux être utile au Keren Hayesod, je voudrais au moins ne pas nuire à sa cause. Si vous désirez, à titre personnel, lire ce manuscrit, pour ensuite me le rendre, je vous le ferai remettre.»
Schwadron répondit en hébreu à Koffler: «Je vous promets, au nom de la Bibliothèque, qu’"aucun œil humain ne la verra [Job, 7/8]".» La promesse qu’aucun œil humain ne verrait cette missive, jugée désastreuse pour la cause sioniste, fut respectée pendant environ soixante ans. Mais, comme la meilleure manière de dissimuler une archive, c’est encore de la détruire, cette lettre, du fait même du mystère qui pesait sur sa localisation et sur son existence, suscita de multiples rumeurs. Elle ne contenait d’ailleurs rien d’autre qu’un secret de Polichinelle, puisque Freud eut maintes fois l’occasion d’exprimer sur le sionisme, sur la Palestine et sur les lieux saints une opinion identique à celle adressée au Keren Hayesod. 
Ainsi il envoyait à Albert Einstein le même jour – 26 février 1930 – une autre lettre qui reprenait point par point la même argumentation: détestation de la religion, scepticisme à l’égard de la création d’un Etat juif en Palestine, solidarité envers ses «frères» sionistes – qu’il appelait parfois ses «frères de race» –, empathie enfin pour la cause sioniste, dont pourtant il ne partagera jamais l’idéal: «Quiconque veut influencer la foule doit avoir quelque chose de retentissant et d’enthousiaste à dire, et mon jugement pondéré et nuancé sur le sionisme ne va pas dans ce sens.» Freud se déclarait fier de «notre» université et de «nos» kibboutzim, mais il ne croyait pas à la création d’un Etat juif parce que, disait-il, les musulmans et les chrétiens n’accepteront jamais de confier leurs sanctuaires à des juifs: «J’aurais mieux compris que l’on eût fondé une patrie juive sur un sol vierge, non grevé historiquement.» Et il déplorait le «fanatisme irréaliste de ses frères juifs» qui contribuait à «éveiller la méfiance des Arabes». Et enfin: «Je ne puis trouver en moi l’ombre d’une sympathie pour cette piété fourvoyée qui fabrique une religion nationale à partir du mur d’Hérode, et qui, pour l’amour de quelques pierres, ne craint pas de heurter les sentiments des populations autochtones.»
Pour bien marquer par ailleurs qu’il restait solidaire des entreprises sionistes – et plus encore après la prise du pouvoir par les nazis –, Freud n’hésita pas, à l’occasion du quinzième anniversaire de la création du Keren Hayesod, à envoyer à Leib Jaffé une missive élogieuse: «Je veux vous assurer que je sais fort bien à quel point votre fondation est un instrument efficace, puissant et bénéfique pour l’installation de notre peuple sur la terre de ses ancêtres [...]. Je vois là un signe de notre invincible volonté de vivre qui a jusqu’ici bravé deux mille ans d’oppression étouffante.»
Mais, à son arrivée à Londres, en 1938, les persécutions antisémites qui l’avaient contraint à quitter Vienne n’avaient en rien modifié son opinion. Il se sentait toujours aussi solidaire de son peuple mais il continuait à détester toute forme de religion, y compris le judaïsme. En conséquence, il acceptait difficilement l’idée qu’un Etat juif pût être viable précisément parce qu’un tel Etat, en se réclamant d’une sorte «d’être juif», ne pourrait nullement, à ses yeux, devenir laïque.
En un mot, Freud assimilait le mouvement sioniste dans son ensemble à une entreprise de rejudaïsation des juifs, à une sorte de nouveau messianisme, plutôt qu’à une utopie socialiste ou à une entreprise politique. Aussi préférait-il sa position de juif de la diaspora, universaliste et athée, à celle de guide spirituel attaché à une nouvelle Terre promise: «Tout en vous remerciant de m’accueillir en Grande-Bretagne, j’aimerais vous demander de ne pas me traiter comme "un guide d’Israël". Je souhaiterais être considéré seulement comme un modeste homme de science et d’aucune autre manière. Bien qu’étant un bon juif qui n’a jamais renié le judaïsme, je ne peux néanmoins oublier mon attitude totalement négative envers toutes les religions, y compris le judaïsme, ce qui me différencie de mes confrères juifs et me rend inapte au rôle que vous voudriez m’attribuer.»
Freud n’ignorait rien du grand mouvement de régénération des juifs inauguré par les pères fondateurs du sionisme: Theodor Herzl et Max Nordau. Il connaissait les hommes et les idées. Mais, bien qu’il n’eût jamais renié sa judéité, c’est-à-dire son sentiment d’appartenance non pas à la religion juive ou au judaïsme, mais à son identité de juif sans Dieu, de juif viennois assimilé – et de culture allemande –, il ne concevait pas que le retour à la terre des ancêtres pût apporter la moindre solution à la question de l’antisémitisme européen. Et c’est pourquoi il préconisait le choix d’un autre territoire que celui des origines: un territoire neuf où l’on ne soit pas contraint de mener de nouvelles guerres de religion. A cet égard, il eut l’intuition magistrale que la question de la souveraineté sur les lieux saints serait un jour au centre d’une querelle presque insoluble, non seulement entre les trois monothéismes, mais entre les deux peuples frères résidant en Palestine. Il redoutait à juste titre qu’une colonisation abusive ne finisse par opposer, autour d’un bout de mur idolâtré, des Arabes fanatiques et antisémites à des Juifs intégristes et racistes.
Il pensait qu’il y avait dans la judéité intellectuelle, détachée de ses racines religieuses ou communautaires, quelque chose de «miraculeux et d’inaccessible à toute analyse». Ce quelque chose, ce «propre du juif», il le décrira jusqu’à la publication de «l’Homme Moïse» non pas comme une élection, ou comme un particularisme, mais comme un état transhistorique seul capable de conduire les juifs à une véritable grandeur, c’est-à-dire à cette capacité inouïe d’affronter les préjugés de masse dans la plus haute des solitudes: «C’était seulement à ma nature de juif que je devais les deux qualités qui m’étaient devenues indispensables dans ma difficile existence. Parce que j’étais juif, je me suis trouvé libéré de bien des préjugés qui limitent chez les autres l’emploi de leur intelligence. En tant que juif, j’étais prêt à passer dans l’opposition et à renoncer à m’entendre avec la majorité compacte.»
La Terre promise investie par Freud ne connaît ni frontière ni patrie. Elle n’est entourée d’aucun mur et n’a besoin d’aucun barbelé pour affirmer sa souveraineté. Interne à l’homme lui-même, interne à sa conscience, elle est tissée de mots et de fantasmes. Héritier d’un romantisme devenu scientifique, Freud emprunte ses concepts à la civilisation gréco-latine et à la Kultur allemande.
Après avoir été soigneusement dissimulée, la lettre de Freud au Keren Hayesod connut un destin chaotique. En 1978, elle fut citée en anglais dans un article consacré à Freud et à Herzl, et en 1991, après avoir été mentionnée dans un hebdomadaire algérien qui cherchait à démontrer que Freud n’avait guère de sympathie pour le sionisme, elle fut traduite en anglais intégralement par Peter Loewenberg, psychanalyste américain. Celui-ci la publia accompagnée d’un commentaire de son cru, la jugeant antisioniste et assez peu lucide sur l’avenir. «Freud, disait-il, s’est trompé à propos de sa prédiction, puisque l’Etat juif existe vraiment...» Loewenberg semblait oublier que si Freud était réservé quant à la création en Palestine d’un Etat juif, il tenait toujours à marquer sa solidarité envers ses frères sionistes. Traduite aujourd’hui pour la première fois de l’allemand en français, la lettre en souffrance est donc enfin arrivée à destination.
                                       
14. La bataille d’Israël, à Fallujah par Rashid Khashana
in Al-Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 22 novembre 2004
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Il est clair, désormais, qu’Israël a joué un rôle majeur dans la bataille de Fallujah, en dépit du soin mis par les Etats-Unis à dissimuler cette réalité. Les informations qui ont pu filtrer, venant de la part d’officiers, de soldats et même de rabbins à double nationalité qui ont pris part aux combats, et dont certains ont été tués par les balles de la résistance irakienne, ne représentent que le sommet émergé de l’iceberg. L’assassinat d’un officier israélien à Fallujah a révélé l’existence d’un grande nombre d’officiers, de tireurs d’élite et de parachutistes (israéliens), en Irak. D’après des chiffres cités dans la presse israélienne, Israël entretient pas moins de mille officiers et soldats en Irak, répartis dans les unités américaines en opération dans ce pays. De plus, trente-sept rabbins opèrent au sein des troupes américaines, ce qui conduit à penser que leur nombre réel est plus élevé ; le quotidien Ha’aretz ayant admis que certains d’entre eux dissimulent leur identité juive : il peut s’agir d’Israéliens engagés à titre individuel. Actuellement, est en cours une campagne de recrutement, coïncidant avec l’escalade des opérations militaire en Irak, qui demande qu’une assistance plus importante soit envoyée dans ce pays. Parmi ces campagnes, notons l’appel du rabbin Irving Elson, dans sa dernière conférence prononcée à New York, à nommer plus de « rabbins combattants » et à les encourager à s’engager dans les forces américaines. A quoi il faut ajouter un avis rendu par un autre rabbin, déclarant « martyrs » tous (les juifs) tués (au combat) à Fallujah.
L’Amérique a bien besoin de l’expérience israélienne en matière de guerre de guérilla, afin de gérer les batailles urbaines en Irak ; étant donné que deux générations de ses forces armées n’ont pas « bénéficié » de cette expérience, depuis la guerre du Vietnam. Toutefois, le rôle des Israéliens n’est ni technique, ni celui de supplétifs du plan américain. Il s’inscrit plutôt dans la vision formalisée par ses dirigeants militaires et politiques, avant même le déclenchement de la guerre en Irak, visant à annihiler tout rôle de l’Irak dans la région, et à éliminer toute menace susceptible d’émaner de ce pays, à l’avenir. Le projet israélien est désormais connu, en raison de différents titres, dans la presse, dont les plus importants concernaient l’envoi d’opérationnels du Mossad afin de créer des bureaux et des réseaux tant dans le nord que dans le sud de l’Irak ; l’élimination de scientifiques irakiens et l’intensification des achats immobiliers et fonciers, dans le nord, en particulier dans les environs d’Arbil, Kirkuk et Mossoul. Cela vient compléter le projet précédent, lancé dix ans avant la chute de Bagdad, par l’intermédiaire de juifs turcs.
Israël encourage les dirigeants kurdes à se distancer de Bagdad, dans la gestion de leurs régions, mais en même temps, il entend faire jouer aux partis kurdes un rôle central dans l’Irak de l’après-guerre, en raison des relations historiques qu’il a établi, de longue date, avec eux. Israël a très vraisemblablement avancé dans la mise en application du plan annoncé il y a quelques années par le ministre des Infrastructures Joseph Paritzky, visant à installer des pipelines pétroliers conduisant d’Irak en Israël, à travers la Jordanie ; un rapport des services turcs de sécurité a d’ailleurs été publié récemment par le quotidien turc Cumhuriyyet, confirmant les efforts d’Israël en vue de relancer l’utilisation de la canalisation débouchant à Haïfa dès que cela sera possible. Cela a amené les Israéliens à mettre sur pied leurs propres canaux avec les pouvoirs locaux, à partir du point focal du nord, et à faire progresser le projet de réalisation, qu’ils avaient préparé dès avant la chute de l’ancien régime irakien. Toutefois, ils évitent actuellement toute confrontation avec la Turquie, laquelle est préoccupée par leur expansion dans les régions du  nord de l’Irak.
A cette fin, Israël incite les juifs irakiens à rejoindre le front, afin de prendre la direction de l’organisation des relations avec le nouveau gouvernement, et en particulier, afin d’intensifier les initiatives commerciales avec l’Irak, via la Jordanie. Israël veut également avoir son mot à dire quant au devenir de l’Irak, au moyen d’une influence indirecte au sommet de Sharm el-Shaykh, ce qui a rendues furieuses tant la Syrie que la Turquie. L’expansion très étendue et inattendue du rôle israélien dans divers domaines, en Irak, confirme qu’Israël est le principal bénéficiaire du prolongement de la guerre, de la même manière qu’il est le premier bénéficiaire de l’escalade américaine face à l’Iran, au sujet de son dossier nucléaire. L’Irak, ce n’est pas la Russie, et l’Iran, ce n’est pas la Chine : ces deux pays ne sont pas de taille à menacer les Etats-Unis. Néanmoins, ils représentent l’un comme l’autre une menace pour l’Etat hébreu. Pour conclure, on peut dire que les Likoudniks accomplissent les visées d’Israël en Irak. On peut en tirer la conclusion que l’objectif de la bataille de Fallujah, c’est de casser la colonne vertébrale de la résistance (irakienne), et de paver la voie vers l’achèvement du plan israélien.
                       
15. Sharon dénonce l'accord entre Téhéran et l'Europe sur le nucléaire par Marc Henry
in Le Figaro du lundi 22 novembre 2004

Le candidat du premier ministre Ariel Sharon, le ministre sans portefeuille Tsahi Hanegbi, a été élu hier président du comité central du parti Likoud par cette instance. M. Hanegbi ne l'a emporté que par 53% des voix contre 47% pour son rival, Uzi Landau, à la tête du camp des opposants à M. Sharon. Le secrétaire d'Etat américain Colin Powell est arrivé hier à Tel-Aviv pour une courte visite en Israël et dans les territoires palestiniens, sa première depuis 18 mois dans la région. Cinq Palestiniens, dont un chef local des Brigades des martyrs d'al-Aqsa, lié au Fatah, ont été tués ce week-end en Cisjordanie et à Gaza.
Jérusalem - Israël s'est trouvé une nouvelle raison de critiquer les Européens. Cette fois l'offensive vise un accord passé ces derniers jours par l'Iran avec la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Téhéran s'est engagé à suspendre à partir d'aujourd'hui ses opérations d'enrichissement de l'uranium en échange de facilités commerciales avec l'Union européenne. Cet arrangement a déclenché colère et amertume parmi les responsables israéliens. Selon eux, le régime iranien, considéré comme l'ennemi numéro un de l'Etat hébreu, s'en est tiré à bon compte et va pouvoir continuer son programme d'armement nucléaire.
«Les Européens savent parfaitement que les Iraniens sont passés maîtres en matière de tromperie. Ils ont mis en place un réseau d'installations nucléaires secrètes qui ne seront pas inspectées par les experts de l'Agence internationale de l'énergie atomique de Vienne (AIEA)», déplore un proche d'Ariel Sharon. Les médias citant de hauts responsables militaires ont eux aussi fait état hier d'un «plan nucléaire secret» iranien tout en soulignant que les Iraniens vont être en mesure de menacer «dans quelques années» Paris, Londres ou Berlin avec des missiles à longue portée susceptibles d'être équipés d'ogives nucléaires.
Volontiers alarmiste, un responsable à la présidence du conseil, n'hésite pas à évoquer un scénario catastrophe : «Il est possible qu'un jour, la France puisse par exemple être soumise à un chantage nucléaire de la part des Iraniens exigeant par exemple l'abrogation d'une loi jugée anti-islamique.» Publiquement, l'Iran assure ne pas vouloir se doter de l'arme nucléaire. Mais ce pays ne cache pas son ambition de mettre au point des missiles à longue portée. L'armée iranienne a ainsi présenté cet été un engin de type Chaabab 3 d'une portée d'environ 2 000 km capable d'atteindre le territoire israélien.
Pour faire face à ce péril, les responsables israéliens espéraient que l'AIEA condamnerait l'Iran et passerait ensuite le dossier au Conseil de sécurité de l'ONU afin que des sanctions économiques soient imposées à Téhéran. «Mais, une fois de plus les Européens ont été le maillon faible de l'histoire. Ils ont apparemment voulu à tout prix remporter une victoire diplomatique en tentant de prouver qu'ils agissent différemment des Américains. Ils risquent de payer très cher ce soi-disant succès», prévient un diplomate israélien.
Malgré ce revers, Ariel Sharon ne semble pas décidé à recourir, du moins pour le moment, à «l'option militaire». L'Etat hébreu dispose pourtant d'un nouveau modèle d'avions américains de type F 16 capables d'atteindre l'Iran ainsi que, selon des experts militaires étrangers, d'un arsenal nucléaire de 150 à 200 bombes atomiques. «Nous allons laisser les Américains mener le jeu diplomatique en espérant qu'ils parviendront à convaincre rapidement les Européens d'adopter une politique beaucoup plus ferme lorsqu'il sera évident pour tout le monde que les Iraniens ont tenté de gagner du temps», prévoit ce diplomate.
Mais le facteur temps est décisif. Le chef des renseignements militaires, le général Aharon Zeevi, a récemment estimé que le programme nucléaire militaire de la République islamique allait atteindre «le point de non-retour» d'ici à la mi-2005, autrement dit que les Iraniens ne seront plus dépendants de la moindre assistance étrangère pour achever seuls le programme nucléaire. Une fois ce stade franchi, les Iraniens devraient être en mesure de produire leur première bombe atomique d'ici trois ans, selon les estimations des militaires israéliens.
Ce diagnostic s'est trouvé étayé par les informations d'experts à Vienne qui ont accusé vendredi l'Iran d'avoir accéléré ces derniers temps la production d'un dérivé de l'uranium, le UF6, en vue de compenser la suspension de l'enrichissement d'uranium. Les Moudjahidins du peuple, un groupe d'opposition iranien, ont de leur côté fait état la semaine dernière de l'existence d'un site secret surnommé le «Centre moderne de technologie et d'alerte défensive» installé au nord-ouest de Téhéran, où l'enrichissement de l'uranium se poursuivrait. Cette organisation a été la première à révéler en août 2002 l'existence de deux sites nucléaires secrets à Arak et Natanz dans le centre de l'Iran. A l'époque l'information n'avait pas été prise au sérieux. Des inspecteurs de l'AIEA qui s'étaient plus tard rendus à Natanz, avaient découvert 164 centrifugeuses utilisées pour l'enrichissement de l'uranium.
                 
16. Comment changer le Proche-Orient par Chedli Klibi
in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 21 novembre 2004

(Chedli Klibi est ancien secrétaire général de la Ligue arabe.)
On a dit qu’Arafat était l’homme qui avait inventé le peuple palestinien. C’est vrai, si on entend par là que c’est lui qui a donné une dimension internationale au drame palestinien. Celui-ci, avant Arafat, était noyé dans le magma du conflit arabo-israélien. Le monde n’a pris conscience des malheurs qui frappaient ce peuple infortuné qu’avec Arafat, grâce à son activité incessante, ses efforts constants pour expliquer et convaincre, s’évertuer à gagner toujours plus de soutiens à sa cause.
Arafat s’était identifié à son peuple, ne vivait que pour lui. Il renonçait à tout pour se consacrer à son combat. En parlant d’Arafat, aujourd’hui, en Israël, on n’évoque que le « terroriste ». Mais, feignant d’ignorer par quels moyens les sionistes avaient conquis la Palestine, on oublie qu’Arafat répétait sans cesse ne rien demander d’autre que ce que la loi internationale reconnaissait au peuple palestinien.
C’est parce qu’ils refusaient celle-ci que les gouvernements successifs, après l’assassinat de Rabin, ont réduit le peuple palestinien au désespoir. Ils en supportaient la responsabilité. Car de quelle autre légalité pouvaient-ils se réclamer, en récusant le partage de la Palestine ? Ils sont, sans nul doute, responsables aujourd’hui des explosions de colère, du côté palestinien comme du côté israélien. Ils sont tout aussi responsables d’avoir semé la haine dans les deux sociétés.
Malgré sa petite taille et son visage chiffonné avant l’âge, Arafat était un chef charismatique : le regard d’abord, perçant et expressif, le discours et la gestuelle d’un tribun, le sens de la formule et la fermeté de caractère.
C’est vrai qu’il était jaloux de son autorité et ne déléguait pas facilement ses pouvoirs. Mais il était entouré d’une pléiade d’hommes moins âgés que lui, dont certains jouissaient d’une grande notoriété et peuvent, à présent, prétendre à de hautes responsabilités. Après la disparition du « Vieux », les pouvoirs qu’il détenait devront faire l’objet d’une redistribution rationnelle. Où a-t-on vu, même en Occident, des chefs de grande envergure préparer, de leur vivant, la relève ?
C’est vrai qu’Arafat gardait par-devers lui tous les pouvoirs attachés à ses multiples fonctions. Mais ce n’était pas pour exercer une dictature ou opprimer des adversaires – et il en avait. Pour lui, cette concentration de pouvoirs était une sorte d’ascèse, d’engagement total, une forme de don de soi. C’était sa conception de la « révolution » et du combat pour la cause qu’il incarnait qui imposait, selon lui, le grand secret et l’unicité de décision.
Élu président de l’autorité palestinienne, il n’a pu se défaire de cette façon de gouverner. Il craignait aussi – ce qui finit par arriver – le reniement, par le gouvernement israélien, des engagements pris à Oslo.
Avec le monde arabo-musulman, ses relations n’ont pas toujours été sereines. À l’égard de certains pays, il ne fut ni sage ni reconnaissant. À l’encontre de certains autres – comme le Liban –, il commit des fautes. Mais il commit aussi des erreurs stratégiques, avec le Koweït par exemple.
Il n’est pas sûr qu’il compte beaucoup d’amis dans les classes dirigeantes. Mais il s’en souciait peu, le caractère « sacré » de la cause palestinienne lui suffisait pour forcer leur « solidarité ».
En revanche, les peuples, dans tous les pays arabes, l’aimaient, approuvaient ce qu’il faisait. Aujourd’hui, après sa disparition, la « rue arabe » ne cesse de le pleurer.
Lui qui se plaisait toujours à évoquer son « prochain » retour à Jérusalem, il ne lui aura pas été donné de voir ce jour de gloire. Il part en laissant ce rêve – plusieurs fois brisé – en suspens. Sans savoir s’il y aura un Josué pour accomplir ce qu’il n’a pu lui-même mener à son terme.
Israël ne sait pas qu’il perd, avec Arafat, l’homme capable, le moment venu, de cautionner, grâce à sa double légitimité, historique et élective, la réconciliation et la reconnaissance réciproque. Sa disparition prématurée – d’aucuns la croient, dur comme fer, programmée – ne va pas simplifier les choses pour l’État hébreu. En tout cas, le gouvernement Sharon perd, avec Arafat, son alibi. Persistera-t-il à chercher toujours des prétextes pour fuir la négociation sur l’étendue et les prérogatives d’un éventuel État palestinien? Washington l’aidera-t-il toujours à le faire ?
De son vivant, Arafat était incontournable. Après sa mort, les choix qu’il laisse aux siens, en guise de testament, seront également incontournables : une vraie patrie, d’un seul tenant, un vrai État, avec les principaux attributs d’une réelle souveraineté. Aucun de ses successeurs potentiels ne voudra – ni ne pourra du reste – accepter un bantoustan comme territoire, et, comme joujou, un État fantoche.
Arafat avait une foule de fidèles, autour de lui et disséminés dans le monde. Mais ses détracteurs, pour des raisons diverses, étaient nombreux, même dans les rangs de l’OLP. Cependant, rares étaient ceux qui pouvaient publiquement lui tenir tête. En tout cas, personne ne se posait en rival déclaré. Arafat était devenu plus qu’un symbole, un mythe qu’on craignait ou une légende qu’on idolâtrait.
En Israël et en Amérique, on l’accusait d’être à l’origine des blocages que connaissait le processus de paix. Et maintenant ! Que va faire Israël ? Non pas la société israélienne – globalement favorable à un règlement politique, malgré le stress de ces dernières années – mais ceux qui gouvernent ?
S’ils restent crispés sur leurs positions likoudiennes, il sera nécessaire que Washington intervienne. Le président Bush, en apprenant le décès d’Arafat, a dit que c’était un moment « significatif ». Cette affirmation n’aura de sens que si lui-même y trouve un motif de hâter le processus de paix, que la « feuille de route » était censée engager. Mais il faut bien se convaincre que, sans régler le problème israélo-syrien de manière concomitante, on risque de laisser sans contrefort un éventuel accord palestino-israélien.
Si le président Bush arrivait à se persuader de la nécessité d’une action forte au Proche-Orient, la résolution des problèmes auxquels il est confronté en Irak s’en trouverait largement facilitée. La question même du terrorisme pourrait être fondamentalement modifiée.
L’occupation israélienne est, en effet, un thème majeur utilisé par les terroristes de tout acabit. Même la présence des forces américaines dans la péninsule Arabique ne revêt le caractère d’un défi ou d’une menace, aux yeux des populations locales, qu’en rapport avec les menées hégémoniques de Tel-Aviv. En favorisant, par tous les moyens dont ils disposent, une solution politique au Proche-Orient, les États-Unis pourraient priver les mouvements terroristes de leur argument le plus fort.
À cet égard, la France et l’Union européenne dans son ensemble pourraient jouer un rôle capital. Encore faut-il que l’Europe puisse tenir un seul et même langage. C’est indispensable pour persuader les États-Unis de revoir leur stratégie de combat contre le terrorisme et de corriger certains de leurs préjugés sur les sociétés arabo-islamiques. L’amalgame entre terrorisme, surtout d’origine afghane, et la résistance à l’occupation israélienne les a empêchés, jusqu’ici, d’analyser lucidement la situation et de sérier les problèmes. Une paix réelle dans la région pourrait les mettre à même de voir les choses différemment.
Il faut aller plus loin. Grâce à un règlement honorable du conflit arabo-israélien, l’épouvantail d’une confrontation entre civilisations islamique et judéochrétienne pourrait être écarté.
Ni l’Occident ni le monde islamique n’ont intérêt à voir se développer chez eux ce désordre, tant redouté des deux côtés – et subrepticement encouragé par ceux qui ne cessent d’agiter cet épouvantail, d’en amplifier les menaces, jusqu’à en faire une sorte d’apocalypse imminente.
Les États-Unis n’ont pas besoin d’un bouleversement planétaire des valeurs pour affirmer leur leadership mondial. En retrouvant leur visage humain et leur éthique ouverte, ils pourraient, avec le respect et l’admiration dont ils étaient l’objet, conquérir l’amitié des peuples de la région.
N’est-il pas temps que se rencontrent, autour d’une table, des représentants de l’Occident et du monde islamique, pour s’expliquer et dégager une stratégie commune de rapprochement, d’entente et de solidarité ? Si cette hypothèse peut être retenue, ils devront, ensemble, répondre à cette question, simple et combien difficile tout à la fois : quel nouvel ordre régional pourrait ramener la paix dans les esprits et instaurer entre les gouvernements une meilleure coopération ?
                                                 
17. Les raisons de sa popularité par Béchir Ben Yahmed
in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 21 novembre 2004

Sa mort nous a révélé que Yasser Arafat était plus aimé de son peuple et plus respecté dans le monde que nous ne le pensions.
Ariel Sharon ayant dit et répété qu'il aurait plaisir à le tuer, il ne faut pas s'étonner que les Palestiniens croient qu'il l'a fait empoisonner et le répètent à qui veut l'entendre.
C'est douteux, improbable. Mais les conditions matérielles dans lesquelles les Israéliens l'ont obligé à vivre depuis trois ans ont, de l'avis des médecins, détérioré la santé du « séquestré de la Mouqataa », affaibli ses défenses - et abrégé sa vie.
Arafat est mort sans avoir réalisé le but qu'il s'est assigné : un État palestinien viable et indépendant.
Il avait accumulé les revers, et ses ennemis très puissants avaient décrété qu'il était « irrelevant », hors jeu.
Pour qu'il le soit vraiment, ils l'ont assigné à résidence et ont tenté de le couper du monde, en décourageant les visites, en diabolisant son combat.
Ils n'auront réussi qu'à le rendre plus populaire, à resserrer les liens entre lui et son peuple, à lui donner l'image d'un irréductible combattant de la liberté.
Si Ariel Sharon n'a pu cacher sa joie, si George W. Bush a été tout juste poli, si quelques Israéliens ont dansé, en revanche, sur tous les continents, on a considéré la mort de Yasser Arafat comme un événement d'importance mondiale, on a senti qu'un grand destin avait atteint son terme.
L'homme qui nous a quittés le 11 novembre 2004 n'avait pas les traits d'un vaincu. C'était un lutteur, mort au combat, et dont nul ne doute qu'il aurait poursuivi sa tâche à la tête de ses troupes jusqu'à l'objectif fixé.
Son combat était celui de David contre Goliath ; lui et son peuple se battaient contre plus forts qu'eux, et paraissaient victimes de grands méchants loups.
Ses ennemis ne cessaient de dire que, disposant des fonds de la Palestine, il était un des hommes les plus riches de la terre. Mais le monde entier constatait qu'il vivait modestement et n'avait d'intérêt que pour son combat.
Cela dit, je crois que Yasser Arafat a conquis l'amour de son peuple, le respect des gens informés - et une place dans l'Histoire - par son refus obstiné, courageux, de jouer le rôle de gouverneur d'un État palestinien croupion, que ses « partenaires » israéliens et américains ont tout fait pour lui faire accepter.
                                                 
18. Palestine. Après Arafat, le déluge ? par Driss Ksikes
in TelQuel (hebdomadaire marocain) du samedi 20 novembre 2004
Arafat est mort, mais pas sa cause. Sans un leader charismatique, sous une direction trop pragmatique, derrière un mur d’apartheid et face à Sharon-Bush-Rice, l’idée même de l’Etat palestinien survivra-t-elle ?
"Le ciment de la Palestine". "L’expression mythologique de la cause palestinienne". "Le raïs aux trois couronnes". Au-delà des panégyriques de circonstance, tout le monde admet que Arafat a plus réussi comme symbole que comme leader. Sa longévité, ses luttes, ses refus (Camp David II), mais aussi ses 
capitulations (Gaza et Hebron d’abord) ont fait de lui "l’homme Palestine". Les plus pessimistes en viennent à craindre aujourd’hui le syndrome Che Guevara : que la cause se désagrège avec la disparition de son icône. Les plus rationnels se disent : à quelque chose, malheur est bon. "Un des gros défauts de Arafat était sa tendance à prendre toutes les décisions seul", estime le pacifiste israélien Uri Avnery, par ailleurs admiratif du personnage. Tout cela est fini. Aujourd’hui, aucun de ses successeurs potentiels n’a le charisme nécessaire pour imposer le monopole de la prise de décision. Tout comme aucun ne jouit d’une légitimité suffisante pour accepter des demi-mesures (la feuille de route) sans être traité de "lâche" ou de "traître". Aujourd’hui, Mahmoud Abbas, dit Abou Mazen, comme Ahmed Qoreï, hués et traités de tous les noms, sont confrontés à ce dilemme : faire preuve de pragmatisme sans creuser leur propre tombe et celle d’une cause malmenée. Le violent échange de tirs auquel Abou Mazen a assisté sous la tente des funérailles n’augure rien de bon. Il prouve, comme s’il en était besoin, que l’après-Arafat crée une grosse tension dans les territoires. Qu’après la mort d’un "père" distant et omniprésent, ses orphelins ont peur de la débandade. Mais que feront-ils pour ne pas y succomber ?
Chercher un leader crédible
"La plus grosse réalisation de Arafat a été celle de redonner à la Palestine un nom, de la remettre sur scène. Peu importe si les acteurs jouent mal, qu’on nous traite de terroristes, l’essentiel est qu’on existe en tant que Palestiniens". Elias Sanbar a le sens de l’histoire. Il sait que sans l’acharnement du président défunt, l’idée de l’État palestinien ne serait pas aussi vivace. Aujourd’hui, ce que les Palestiniens craignent par-dessus tout est qu’on se remette à parler plus des factions que de la Nation. Que le Hamas, le Jihad, le Fatah se tirent dans les pattes au point d’en oublier l’essentiel : la récupération de Gaza, de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Élections obligent, les querelles prennent le dessus. Le Jihad et le Hamas, conscients qu’Oslo est fini, demandent des élections, législatives et présidentielles à la fois, pour mieux contrecarrer le Fatah, majoritaire au sein du Parlement. La vieille garde de l’OLP leur oppose un niet catégorique, arguant qu’il faudrait vaquer au plus urgent : élire un président qui ait la légitimité populaire, sans qu’il épouse forcément les thèses populaires. C’est de la realpolitik. Trois ans durant, Arafat a été considéré persona non grata par Washington et Tel Aviv, car peu enclin à lutter "réellement" contre le terrorisme. Aujourd’hui, explique Sanbar, "la résistance armée est mal vue. Contrairement aux années 70, elle n’a plus de relais dans les mouvements mondiaux. Elle ne renvoie qu’à l’Afghanistan". D’où le dilemme du prochain président : être politiquement correct pour ne pas se faire isoler par ses ennemis et être ferme pour ne pas se faire tuer par les siens.
Or, Abou Mazen - c’était connu d’avance - n’inspire pas confiance aux résistants islamistes. Même au sein du Fatah, il est loin de faire l’unanimité. Pourquoi cette appréhension ? "Il part du principe que la volonté de nuisance des Israéliens est mineure et s’est déjà montrée dupe face aux hommes de Bush", explique Sanbar. En face, deux fondateurs du Hamas en retrait, Talal Sadr et Abdessatar Qasem, se préparent à concourir pour la présidence. Ils ont a priori l’appui des islamistes, si ces derniers ne boycottent pas le scrutin. Or, ni le vieux conciliant (Abou Mazen), ni ses challengers populistes ne présentent les gages d’un leadership efficace. "Chacun d’entre eux se précipite à sa manière. Le premier croit qu’une solution politique rapide est possible. Et les autres croient qu’une résistance armée chaotique est utile. Tous manquent de vision pour l’avenir", déplore le consultant Joseph Samaha. Alors, quelle alternative ? Marwan Barghouti ? La télévision israélienne en a parlé comme d'un "Mandela" qui gagnerait à être libéré pour perdre de son aura. Plusieurs analystes à Tel Aviv le préfèrent à Abou Mazen parce qu’ils craignent que la présidence de l’Autorité palestinienne ne soit briguée par un "pantin" qui replongerait la région dans le chaos. Les Américains craignent pour leur part que l’État palestinien ne devienne "un incubateur d’islamistes radicaux". Résultat, on en vient à souhaiter un leader charismatique capable de créer le consensus national. Barghouti est objectivement le seul capable de combler ce vide. Or, ni lui ni le Fatah, dont il est l’un des dirigeants, n’a évoqué l’éventualité de sa candidature. En Israël, les spéculations vont bon train. Dernière information distillée par le Mossad : "L’Iran voudrait la peau d’Abou Mazen au cas où il serait élu". À mesure qu’approche le 9 janvier 2005, date prévue des présidentielles palestiniennes, tous les scénarios sont envisageables. Comme quoi, même en matière de démocratie, les orphelins d’Arafat n’auront pas la paix.
Se battre contre l’alliance des extrêmes
"Il faudrait rappeler au monde que notre but est d’abord la paix, puis la décolonisation. Or, les États-Unis de G. W. Bush imposent la démocratie comme première priorité. C’est un peu mettre la charrue avant les bœufs". Le propos du député arabe israélien Azmi Bishara est on ne peut plus clair. Non que les Palestiniens ne veuillent pas de la démocratie, mais pas à la manière dont l’entend le duo Bush-Sharon, et tel que consigné dans la feuille de route. La démocratie y est d’abord synonyme de "capacité à lutter contre le terrorisme". Sharon veut réduire la résistance à néant et faire de l’Autorité palestinienne un outil majeur pour mater les islamistes. Cette vision n’est rejetée que par une minorité de pacifistes irréductibles. Pour le reste, "le Premier ministre israélien n’est plus perçu comme le boucher extrémiste d’autrefois, mais comme l’expression d’un état d’esprit israélien", déplore le politologue Khalil H’nidi. Bush et les néo-conservateurs, Dick Cheney et Condoleeza Rice -la première à avoir décrété Arafat "indésirable" - y trouvent leur compte. Avec cet appui inconditionnel de Washington, Israël a devant elle une chance inouïe d’imposer son plan de division (le mur), d’avoir la bénédiction de son allié historique et de ne pas trop s’embarrasser de négociations bilatérales avec les Palestiniens. Seule condition pour que la direction palestinienne soit aujourd’hui éligible à la relance du dialogue : être politiquement très correcte ou accepter le fait accompli. Que peuvent les Palestiniens, plus que jamais affaiblis ? Primo, espérer que James Baker, pressenti envoyé spécial dans la région, joue la carte de la légalité et craigne qu’une Palestine mise à mal embrase le monde. Secundo, compter encore plus sur le contrepoids européen "pour définir une stratégie efficace de lutte contre la guerre impériale", espère Michel Warschawski. Et redéfinir un plan d’action palestinien, suggère H’nidi, qui "n’exclut pas que la lutte ait à durer quatre autres décennies".
Éviter le cantonnement à Gaza
L’endurance commence aujourd’hui dans la Bande de Gaza. Certains jeunes leaders palestiniens, plutôt conciliants, comme Mohamed Dahlan, ont tendance à se contenter de Gaza comme fief de l’État palestinien. Le retrait unilatéral voulu par Sharon est vendu au monde comme une concession majeure faite aux Palestiniens pour qu’ils recouvrent "leur territoire". C’est comme si Gaza, qui devait être la première étape d’un processus de rétrocession de territoires, devenait une fin en soi. Comme s’il était question d’entasser les Palestiniens à "Gaza en premier et dernier lieu". Derrière cette supercherie, Sanbar perçoit un plan pernicieux qui vise à "exclure la Cisjordanie des revendications et pousser les Palestiniens, trop à l’étroit, à s’en aller comme de vulgaires émigrés, au lieu d’en faire comme avant de nobles exilés". Mais qui pourrait tenir tête à Sharon ? L’intifada armée ? Les kamikazes ? "Ce mode de résistance devient inefficace et très coûteux, estime H’nidi. En érigeant son mur, Israël se prépare à devenir une sentinelle relayée à l’Occident, tournant le dos aux Palestiniens, et prête à déployer son armée hors des murs quand il le faut pour abattre ceux qui dérangent". Faute d’arbitrage américain et de soutien logistique européen, les Palestiniens ont deux choix. Ils peuvent admettre qu’ils sont dans des bantoustans cloisonnés et agir comme firent les noirs en Afrique du Sud. Dans ce cas là, "il ne s’agirait plus pour nous de lutter contre le colonisateur mais pour que chaque habitant de toute la Palestine (Israël) ait une voix", propose H’nidi. Le résultat serait la fin du rêve nourri par Arafat d’un État palestinien indépendant. Si, par contre, ils tiennent à leur État, "ils doivent refuser, par tous les moyens, la prison de Gaza", estime Sanbar.
Dissocier l’OLP de l’autorité palestinienne
Le fait qu’Abou Mazen, Qoreï et Fattouh partagent les trois couronnes d’Arafat donne des idées aux Palestiniens. La plus plausible étant de ne plus permettre le cumul entre la direction de l’OLP et de l’autorité palestinienne. "La première, explique Sanbar, s’occupe du rêve de la nation et la seconde de la réalité de l’État". L’OLP maintient le cap, crucial pour les Palestiniens, du retour des réfugiés, s’occupe des négociations à long terme et évite de s’enliser dans la gestion quotidienne des territoires. L’Autorité, quant à elle, a les responsabilités sécuritaires et exécutives qu’Israël veut bien lui octroyer. Dernier retournement de situation en date, le retrait des armes à la police palestinienne en Cisjordanie. Le contact permanent de l’Autorité avec les Israéliens est de nature à polluer l’OLP. Aujourd’hui, les cas de corruption avérés commencent à entacher l’image des leaders, d’autant que Arafat s’en est accommodé et en a profité pour mieux distribuer ses faveurs. Il en résulte que les candidats à la présidence, hier affiliés au Hamas, se présentent comme des "purificateurs de l’Autorité". Face à cet amalgame qui s’installe, plusieurs intellectuels appellent à un retour de l’OLP à l’étranger. Provenant initialement de la diaspora, l’OLP s’est enlisée, depuis les accords de Madrid en 1992, au sein des territoires au point de perdre ses relais ailleurs. Certes, le retour aux territoires a permis de ressouder les liens avec la population locale, mais "aujourd’hui, Israël aurait plus peur d’une présence massive et efficace de l’OLP dans le monde que de la pression démographique sur place", note judicieusement Sanbar. Sachant qu’Oslo est enterré et que la gestion des territoires devient périlleuse, il est tentant de laisser l’Autorité gérer ce cul de sac et de permettre à l’OLP de prendre de la distance. D’autant que l’essentiel, vis-à-vis du monde, est de repréciser l’équation palestinienne : "Il s’agit d’un mouvement de libération représentant un peuple colonisé et pas vraiment de deux entités qui se battent pour un bout de terre", résume Ahmed Khalifa (Revue des études palestiniennes). C’est peut-être le seul moyen de maintenir la Palestine sur scène et ne pas l’engloutir sous les calculs d’un Sharon mu en "sioniste réaliste". Entendez redoutable.
                                       
19. Une absence incompréhensible par Aboubakr Jamaï
in Le Journal Hebdomadaire (hebdomadaire marocain) du samedi 20 novembre 2004

Pourquoi Mohammed VI, chef de l’Etat du Royaume du Maroc et président du comité Al Qods était-il absent aux funérailles de Yasser Arafat, symbole de la lutte du peuple palestinien ? La question est plus que légitime pour au moins deux types de raisons : l’importance que revêt le dossier israélo-palestinien dans le rayonnement diplomatique du Maroc et, de l’inégalée solidarité que manifestent les Marocains à l’égard des palestiniens. Sur le plan externe, le profil international du Maroc a grandement bénéficié de ses positions dans le conflit israélo-palestinien. La présidence du comité Al Qods a échu à un Hassan II qui avait, à ses débuts, joué d’une proximité plutôt malsaine avec le camp américano-israélien pendant les années 60 et 70. On se rappelle des agents de la CIA venus former les tortionnaires marocains dans les années 60, on se rappelle aussi du rôle du Mossad dans l’enlèvement de Mehdi Ben Barka. L’adresse politique du roi défunt a été de se convertir en un véritable promoteur d’une la paix crédible aux yeux du camp des modérés dans les deux parties. Et ce n’est pas être nostalgique de l’ère hassanienne et son cortège de répressions et des dénis de justice que de reconnaître la justesse des positions du Monarque défunt sur ce dossier. Sur le plan interne, le soutien des citoyens marocains à la cause palestinienne continue de surprendre nombre d’analystes par son incroyable intensité. C’est l’un des thèmes favoris des officiels palestiniens. Lorsque, confrontés à la sempiternelle assertion sioniste que la question palestinienne est une fabrication des années 60, ils contre-attaquent en évoquant le cas « Maroc ». Les archives datant de la période coloniale française attestent que les premières manifestations de rue organisées au Maroc en faveur des Palestiniens datent des années… 20. Au lendemain du massacre de Jenine en 2002, quelque 2 millions de Marocains manifesteront à Rabat leur soutien au peuple palestinien. En 2003, une organisation de sondage américaine, Zogby international, publiait une étude sur les valeurs dans le monde arabe fort instructive. Parmi les questions posées, on demandait aux sondés de classer les grands sujets politiques par ordre d’importance. Les deux sujets les plus importants pour les Marocains sont la Palestine et la question palestinienne. Résultat plutôt extraordinaire lorsque l’on sait que parmi les autres sujets proposés dans le questionnaire figuraient, l’état de l’économie marocaine, la santé et d’autres sujets en relation avec les préoccupations quotidiennes des citoyens marocains. Ce n’est pas un hasard si le thème « Palestine » est un thème politiquement mobilisateur. Les hommes politiques de tous bords se poussent du coude pour mener les manifestations en faveur du peuple palestinien. Ce n’est pas un hasard si l’élection des dirigeants de l’Association de Soutien de la Lutte du Peuple Palestinien a donné lieu à une féroce concurrence entre les forces politiques du pays. Les souffrances du peuple palestinien, l’injustice et, oui, le racisme dont il est victime dans certaines parties de l’occident, sont profondément ressentis par les Marocains. Le décès de Yasser Arafat a cristallisé cette douleur. Pour toutes ces raisons et d’autres encore, ce pays avait politiquement intérêt, et émotionnellement besoin d’être représenté aux funérailles du président palestinien par celui qui demeure son chef politique. C’est une profonde déception que cela n’ait pas été le cas.
                   
20. Accusée de mise en scène, France 2 porte plainte par Daniel Psenny
in Le Monde du samedi 20 novembre 2004

La diffusion d'un reportage tourné dans la bande de Gaza en 2000, où un enfant se faisait tuer, avait contribué à relancer l'Intifada.
France 2 a décidé de déposer plusieurs plaintes contre X pour "diffamation publique" suite aux accusations de "mise en scène" d'un reportage réalisé le 30 septembre 2000 dans la bande de Gaza où l'on voyait un jeune Palestinien, Mohamed Al Dura, se faire tuer par balles et son père Jamal gravement blesser lors d'un échange de tirs croisés entre l'armée israélienne et des combattants palestiniens. 
Ces images tournées par le cameraman palestinien Talal Abou Rahmeh et commentées par Charles Enderlin, le correspondant de France 2 à Jérusalem, avaient fait le tour du monde. Elles montraient le père et l'enfant serrés l'un contre l'autre, essayant de s'abriter des balles derrière un bidon avant que le gamin ne meure aux pieds de son père. La diffusion de ce reportage en France avait provoqué, à l'époque, de violentes réactions d'une partie de la communauté juive contre France 2, accusée de faire de "la propagande palestinienne". La diffusion de ces images avait contribué au déclenchement de la nouvelle Intifada dans les territoires palestiniens.
Jeudi 18 novembre, lors d'un point de presse au siège de France Télévisions, Arlette Chabot, directrice déléguée à l'information de France 2, a répondu à ces accusations de "mise en scène" lancées depuis plusieurs semaines sur le site Internet de l'agence Metula News Agency (Mena), dont le siège est situé dans une petite localité au nord d'Israël. Ce site militant a pour ambition de proposer une information "plus équilibrée et objective" sur la situation au Proche-Orient. Il y a quelques années, la Mena avait rebaptisé l'Agence France Presse (AFP) en Agence France Palestine.
En janvier 2003, un livre avait aussi été publié en France par Gérard Huber sous le titre Contre-expertise d'une mise en scène, accusant déjà France 2 d'avoir manipulé les faits. M. Huber fait partie d'un "collectif" qui, le 2 octobre 2002, a remis le "prix Goebbels de la désinformation" à M. Enderlin, devant le siège de France 2. Et la semaine dernière, le député Roland Blum (UMP, Bouches-du-Rhône) a interpellé le gouvernement sur cette affaire.
"Depuis six mois, on essaye de lancer une rumeur selon laquelle France 2 s'est prêtée à une manipulation, que le garçon n'est pas mort, que son père n'a pas été blessé et que tout ceci a été une mise en scène complaisamment filmée par France 2,a déclaré Mme Chabot. La chaîne n'accepte pas que le professionnalisme et l'impartialité de ses journalistes soient mis en cause et porte plainte pour mettre fin à cette campagne de diffamation."
Pour prouver la bonne foi de M. Enderlin et de son cameraman, Mme Chabot a projeté leur reportage tel qu'il avait été diffusé sur la chaîne ainsi qu'un autre reportage tourné au même moment, mais sous un autre angle, par l'agence Reuters. Les deux séquences prouvent qu'une "mise en scène" est hautement improbable. En outre, pour répondre aux accusations selon lesquelles Jamal Al Dura n'aurait jamais été blessé, un autre reportage de la télévision jordanienne, tourné le 1er octobre 2000 à l'hôpital militaire Al Hussein à Amman, montre le prince Abdallah rendant visite au père du jeune Mohamed, transporté en Jordanie pour y subir plusieurs opérations.
Enfin, France 2 a demandé il y a un mois au cameraman Talal Abou Rahmeh d'aller interviewer Jamal Al Dura à Gaza, où il vit toujours. Montrant sa carte d'identité pour bien se faire identifier, l'homme a accepté de se déshabiller devant la caméra pour montrer que ses cicatrices correspondaient bien à ses blessures filmées sur son lit d'hôpital. Concernant le petit Mohamed, France 2 a par ailleurs effectué une comparaison entre les photos de l'enfant prises à la morgue avec ses blessures au visage et les arrêts sur image de son visage lors de la fusillade. "Il s'agit bien du même enfant et nous sommes prêts à livrer ses photos pour une expertise officielle", a souligné Mme Chabot.
Déjà en 2002, une enquête de la journaliste allemande Esther Shapira diffusée sur la chaîne d'outre-Rhin ARD avait émis des doutes sur cette fusillade et mis en cause les Palestiniens. Or la commission d'enquête mise en place par Tsahal n'a pu déterminer si la mort du petit Mohamed avait été causée par des tirs israéliens ou palestiniens.
En France, c'est Luc Rosenzweig, ex-journaliste du Monde et aujourd'hui collaborateur occasionnel de la Mena, qui est à l'origine d'une contre-enquête réalisée il y a quelques mois à Gaza et en Israël. "J'ai des convictions et je suis tout à fait favorable à ce que produit cette agence", a-t-il déclaré au Monde. Selon lui, plusieurs "faits troublants"viennent étayer l'hypothèse de la mise en scène lors de la fusillade à Gaza. "Talal, le cameraman, dit avoir filmé la scène pendant vingt-sept minutes et M. Enderlin, qui n'était pas sur place, a déclaré publiquement, notamment dans Télérama, avoir lui-même coupé les scènes trop insoutenables comme l'agonie du petit Mohamed, indique M. Rosenzweig. Or France 2, qui a diffusé seulement quelques minutes de la scène, n'a jamais voulu montrer les rushes du reportage."
"Par ailleurs, ajoute-t-il, dans son commentaire, Charles Enderlin affirme sans preuves que les balles venaient du côté israélien et explique que la fusillade s'est déroulée à 15 heures alors que les médecins de l'hôpital de Gaza se rappellent que le corps de l'enfant est arrivé entre 11 et 13 heures. Cela fait beaucoup de mensonges."
"Enfin, poursuit M. Rosenzweig, il demeure des doutes pour savoir si le corps de l'enfant enterré est bien celui de Mohamed et si les blessures du père sont bien réelles. Selon mes sources, le père qui a toujours refusé de me rencontrer, était un dealer. Il avait déjà été blessé à la main lors d'une bagarre."
Il y a trois mois, M. Rosenzweig a présenté sa contre-enquête à Denis Jeambar, le directeur de la rédaction de L'Express, pour une éventuelle publication, ainsi qu'à Daniel Leconte, producteur indépendant de télévision qui souhaitait en faire un document d'investigation. Tous deux ont accepté de le suivre et de l'accompagner dans son enquête à condition que le secret soit bien gardé. Or en octobre, une dépêche de l'agence La Mena révélait le travail de M. Rosenzweig. Alertée par cet article, Mme Chabot a rencontré à deux reprises MM. Jeambar et Leconte pour leur montrer les preuves de la bonne foi de France 2. Pas tout à fait convaincus mais ne souhaitant pas porter des accusations sans preuves formelles, MM. Jeambar et Leconte ont préféré renoncer à poursuivre leur collaboration avec M. Rosenzweig.
Sollicité par Le Monde, M. Jeambar n'a pas donné suite et, de son côté, M. Leconte n'a pas souhaité faire de déclarations sur cette affaire.
[Le mystère demeure sur l'origine des tirs - Quelques jours après la fusillade de Gaza, le 30 septembre 2000, l'état-major de Tsahal a mis en place une commission d'enquête pour savoir si les coups de feu qui ont tué Mohamed Al Dura avaient été tirés des positions israéliennes ou palestiniennes. Après enquête dans ses rangs, l'armée israélienne n'a pas pu conclure et le mystère reste entier sur l'origine des tirs. Invoquant l'angle de tir, les militaires israéliens avaient exclu, dans un premier temps, que l'enfant ait été tué par leurs propres balles. Selon eux, pour mener à bout cette enquête, il aurait fallu la collaboration des combattants palestiniens. Par ailleurs, l'endroit où a eu lieu l'incident a été rasé par les Israéliens ce qui a empêché toute reconstitution. Le 2 octobre 2000, le chef d'état-major adjoint de l'armée israélienne, le général Moshe Yaalon, avait reconnu que ses hommes pouvaient être responsables de la mort du petit Mohamed (Le Monde du 4 octobre 2000). "L'armée israélienne ne tire pas sciemment sur des enfants, mais je peux garantir que de telles choses ne se reproduiront pas dans l'avenir", avait indiqué le général.]
                                       
21. Après Arafat : Toujours le même disque rayé par Sam Bahour et Michael Dahan
in International Herald Tribune (quotidien international publié à Londres) du vendredi 19 novembre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Sam Bahour est un homme d’affaires palestino-américain. Il vit à Al-Bireh, près de Ramallah. Michael Dahan est un spécialiste israélo-américain en sciences politiques. Il réside à Jérusalem.)
Ramallah - A peine le cercueil renfermant le corps de Yasser Arafat avait-il touché la terre de Ramallah que George Deubeuliou Bush et Tony Blair, visiblement ravis de sa disparition, y allaient encore une fois de leur pseudo-solution supposée permettre de pousser le Moyen-Orient en panne afin de lui faire reprendre son interminable processus de paix, vers une « paix définitive ».
La substance de la déclaration commune Bush-Blair du 12 courant n’était rien d’autre qu’une molle tentative de tromper les Palestiniens, une fois de plus.
Tout d’abord, il y eut les accords d’Oslo, en 1993. La superpuissance mondiale alla plus loin que les déclarations verbales : elle fut un signataire effectif de ce pacte, dont les hérauts étaient feu Arafat et feu le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin. Dans sa version détaillée, l’accord présentait une série de dates, dont l’une stipulait qu’un Etat palestinien serait instauré le 5 mai… 1999. Avant même que l’encre n’ait séché sur le parchemin, Israël, soutenu par les Etats-Unis, fit savoir très clairement qu’aucune date ne revêtait à ses yeux de caractère « sacré ». Il en résulta l’échec du processus de paix, avec pour conséquence la situation catastrophique que nous ne connaissons que trop, aujourd’hui.
Puis vint le discours politique, follement applaudi, de Bush, le 24 juin 2002. Sa « vision », qui impliquait une acceptation conditionnée, par les Etats-Unis, de la création de l’Etat palestinien, faisait suite à l’une des incursions de l’armée israélienne parmi les plus sanglantes et destructrices dans les villes palestiniennes. On aurait dit que les Etats-Unis ressentaient soudain le besoin impérieux de détourner l’attention mondiale des crimes de guerre israéliens en Cisjordanie et à Gaza, grâce à cette diversion clownesque.
Ensuite, presque un an après, le 30 avril 2003, les Etats-Unis révélèrent la toute dernière initiative du « quartette » - composé des Etats-Unis, de l’ONU, de la Russie et de l’Union européenne – « Une Feuille de route, basée sur les acquis concrets, vers une solution définitive, à deux Etats, du conflit israélo-palestinien ». Cette feuille de route promettait que les partenaires parviendraient à « un accord de statu quo, définitif et global, mettant un terme au conflit israélo-palestinien en 2005… satisfaisant à la vision de deux Etats – Israël et la Palestine souveraine, indépendante, démocratique et viable, vivant côte à côte, en paix et en sécurité. Arafat et les Palestiniens s’empressèrent de l’accepter. Les Israéliens conditionnèrent leur acceptation à quatorze réserves, dont chacune d’entre elles, prise isolément, suffit à annihiler le contenu global de la feuille de route !
Dans un échange épistolaire, lié à une visite en Amérique en avril dernier, Sharon écrivit à Bush qu’ « Israël a accepté la feuille de route », ajoutant cette légère observation : « telle que notre gouvernement l’a adoptée », laquelle représentait, fondamentalement, le rejet de l’initiative dans son entièreté.
En réponse, Bush confirma, au-delà de tout doute possible, que les Etats-Unis ne se contenteraient plus désormais de soutenir passivement les agissements d’Israël, mais bien un partenaire grandeur nature de Sharon, dans la réalisation de son projet.
« Il semble évident », écrivit Bush, « qu’un cadre convenu d’un commun accord, équitable et réaliste, pour une solution à la question des réfugiés palestiniens, dans le cadre de tout accord définitif, devra être recherché au moyen de la création d’un Etat palestinien, où les réfugiés palestiniens s’installeraient, et non pas en Israël ». Il poursuivait en ces termes : « Il serait irréaliste de s’attendre à ce que le résultat des négociations portant sur la solution définitive soient un retour total et complet aux lignes d’armistice de 1949. »
Ce faisant, Bush faisait état, pour la première fois, d’une position formelle américaine obérant toute solution équitable, et visant à dépouiller les Palestiniens de leurs droits.
Ajoutant l’insulte à la blessure, Bush et Blair n’ont fait que régurgiter les mêmes formules creuses que par le passé. Simplement, cette fois-ci, ils ont décidé de le faire le jour même où l’on enterrait Arafat. Il est clair qu’ils n’ont absolument aucune intention de donner aux Palestiniens le temps de se regrouper et d’institutionnaliser leur processus de prise de décision politique.
Tant que le droit international et le droit humanitaire ne seront pas devenus les points cruciaux de référence en vue de la résolution du conflit israélo-palestinien, peu importe qui succédera à Arafat.
Dans l’attente, l’étape logique suivante consistera, pour l’ONU, à déployer immédiatement une force de maintien de la paix, afin de mettre un terme à l’effusion de sang et de permettre le bon déroulement des élections palestiniennes, lesquelles permettront à leur tour au peuple palestinien de consolider leur direction (politique) nouvellement élue.
                                   
22. La main d’Israël est visible, dans l’affrontement en Côte d’Ivoire par Martin Sieff
on World Peace Herald (e-magazine étasunien) du mercredi 17 novembre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Washington – De nouvelles allégations faisant état de trafiquants d’armes israéliens ayant aidé l’armée ivoirienne à attaquer une base militaire française semblent susceptibles d’enflammer à nouveau des tensions de longue date entre Israël et la France.
« Des mercenaires israéliens ont aidé l’armée ivoirienne à piloter un drone (avion sans pilote), qui a permis de guider le bombardement aérien ivoirien d’une base française, en Côte d’Ivoire, le 9 novembre », a indiqué la chaîne de télévision française TF-1, mercredi.
Le même jour, le prestigieux quotidien parisien Le Monde indiquait qu’un groupe de quarante-six conseillers israéliens géraient un centre de surveillance électronique au profit de l’armée ivoirienne, qui s’est retournée contre des forces françaises de protection de la paix, présentes en Côte d’Ivoire à l’invitation expresse du gouvernement ivoirien, depuis deux ans.
La radio israélienne a cité une source du ministère israélien de la Défense, démentant ces informations. Les attaques contre des bases françaises ont causé la vie à au moins neuf soldats français.
« Israël n’est pas au courant de ce dont il a été fait état », a écrit le Jerusalem Post, citant le ministère israélien des Affaires étrangères.
Peu auparavant, les troupes françaises positionnées sur l’aéroport d’Abidjan saisissaient un drone de fabrication israélienne (les drones sont des avions de surveillance, sans pilote). En septembre dernier, la France avait invité fermement Israël à clarifier le rôle qu’il joue, en Côte d’Ivoire.
Le 9 novembre, le directeur général du ministère israélien de la Défense, le Général Amos Yaron, a promis l’arrêt de l’envoi d’équipement militaire à destination de l’armée de ce pays (pauvre) d’Afrique de l’Ouest.
« Cette décision a été prise à la lumière des développements récents intervenus dans ce pays, et à la demande du gouvernement français », a indiqué une déclaration du ministère israélien de la Défense. « Elle restera en vigueur jusqu’à ce que la situation, dans ce pays, ait été clarifiée ».
Ces allégations sont de la dynamite politique, à bien des titres. La France a été tellement choquée par l’attaque aérienne mortelle du 9 novembre contre ses soldats qu’elle a répliqué au moyen d’une frappe fulgurante, détruisant la totalité de la force aérienne ivoirienne. En représailles, des foules enragées ont attaqué des soldats et des civils français vivant en Côte d’Ivoire, une ancienne colonie française, et la France a dû évacuer plus de 5.000 Occidentaux résidant dans ce pays.
Lundi, le Conseil de sécurité de l’Onu a approuvé l’imposition d’un embargo sur les armes à destination de la Côte d’Ivoire, mesure qui fut un véritable camouflet infligé au président Laurent Gbagbo, qui a juré de reconstituer son aviation militaire. Mercredi, l’Union africaine convoquait une réunion, dans l’urgence, de son propres Conseil de sécurité et de paix, afin d’éviter que la Côte d’Ivoire ne devienne la proie d’une guerre civile généralisée, à l’instar de ses voisins ouest-africains, le Liberia et la Sierra Leone. L’Union africaine a publié une déclaration, appelant à la « réunion au plus vite » de ce Conseil, afin « d’étudier les derniers développements en Côte d’Ivoire et de convenir des mesures à prendre afin de contribuer à la restauration d’une paix durable et de la sécurité ».
La France a d’importants intérêts économiques en Côte d’Ivoire, et des liens anciens avec ce pays. Mais, durant les derniers mois, son intervention dans ce pays, en 2002, est devenue une sorte de patate chaude, et le président Jacques Chirac risque fort de désirer détourner l’attention populaire des morts que les troupes françaises ont subies.
Israël produit des aéronefs « drones » de surveillance parmi les plus sophistiqués au monde, et il est un exportateur d’armes parmi les plus importants vers l’Afrique subsaharienne, depuis plus de trente-cinq ans. Mais les Israéliens ne sont pas enclins, c’est le moins qu’on puisse dire, à rendre furieux le gouvernement français, ni à faire se resserrer l’opinion publique française autour de Chirac, qui a souvent eu des accrochages avec le Premier ministre israélien Ariel Sharon, sur bien des sujets. La France est l’un des tous premiers pays, de par sa puissance, des vingt-cinq constituant l’Union européenne. Elle compte aussi la plus nombreuse communauté juive en Europe, et cette communauté a parfois été prise pour cible par certains extrémistes islamistes originaires de la communauté musulmane maghrébine (majoritairement algérienne). La dernière chose que les juifs français désirent, pour Israël, et pour les conséquences susceptibles de les concerner directement, c’est de devoir jouer le rôle de boucs émissaires aux nationalistes français modérés, à cause de soldats français, tués en Côte d’Ivoire.
Les tensions entre Israël et la France résultent de divergences politiques très importantes entre les deux gouvernements, mais elles revêtent un caractère beaucoup plus personnel que les relations existant entre Israël et d’autres pays membres de l’Union européenne. Il y a quelques années, au cours d’un grand dîner de gala, l’ambassadeur de France en Grande-Bretagne aurait qualifié Israël de « petit pays de merde ». Plus récemment, Sharon a mis le gouvernement (et beaucoup de citoyens) français dans une rage folle, en exhortant les juifs français à immigrer en Israël, afin d’assurer leur sécurité personnelle. Très peu d’entre eux ont suivi son conseil…
Ces tensions revêtent un caractère particulièrement paradoxal, étant donné qu’aucun pays n’a plus aidé Israël, durant ses vingt premières années d’existence – les plus périlleuses – que la France. Tant sous la Quatrième République que sous la Cinquième, Israël a reçu plus d’armes primordiales pour son armée de terre et son aviation de la France que d’aucun autre pays. Israël a remporté la guerre des Six jours, en juin 1967, grâce aux bombardiers et avions de chasse Mirage dernier cri, fournis par la France, à une époque où ni les Etats-Unis, ni aucun autre pays européen n’aurait voulu – ni pu – lui fournir des armes comparables.
La Côte d’Ivoire est le premier pays exportateur de cacao au monde, et ses ressources naturelles en ont longtemps fait une sorte d’aimant attirant les Occidentaux désireux de faire des affaires. Mais Israël est en train de réaliser – comme l’a France l’a déjà fait – que les complications incroyables que cela entraîne n’en valent peut-être pas la peine.
                                       
23. La disparition d’Arafat : la solution à deux Etats est morte avec lui par Omar Barghouti
in CounterPunch (e-magazine étasunien) du samedi 13 novembre 2004
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

(Omar Barghouti est un analyste politique palestinien indépendant. Son article « 9.11 Putting the Moment on Human Terms » a été choisi parmi le « Best of 2002 » - Meilleurs articles publiés en 2002 - par The Guardian.)
Comme l’ont montré les images de marée humaine, les supporters d’Arafat n’ont pas été les seuls à le pleurer. Les plus de cent mille personnes qui ont convergé à l’enterrement de Ramallah incluaient beaucoup d’opposants à sa ligne politique, à des degrés divers. Même ceux qui étaient catégoriquement opposés à son idiosyncrasie politique du « la-am », c’est-à-dire du « non-oui » (en arabe) se sont vus communier au sentiment collectif de perte et de tristesse. Arafat était plus que simplement un leader. Sans aucun doute, il incarnait un phénomène palestinien emblématique dont le remplaçant ne sera pas trouvé de si tôt.
Au-delà de la vénération des symboles, phénomène bien connu, Arafat avait un autre attribut qui lui conférait son statut révéré dans les esprits et les cœurs d’une majorité de Palestiniens : il assumait le rôle de cadre de référence politique. Ce qu’Arafat faisait était, la plupart du temps, perçu comme quelque chose de lié à un plan visant à la libération et la justice. Les gens plaisantaient, voire se moquaient, parfois, de ses tactiques, mais il représentait le plus petit commun dénominateur entre les différentes factions politiques palestiniennes. Il était au plus près de l’analyse que le citoyen moyen faisait de la situation : émotif, pas toujours rationnel, laissant libre cours à une exigence d’autonomie, parfois exagérée, mais largement populaire. Un jour, un réfugié palestinien a exprimé cela de cette formule : « Il parle comme nous, sans ces mots grandiloquents qui ne veulent absolument rien dire, pour nous. Il est vraiment l’un des nôtres. »
Et, quand vous êtes le point de référence, vous pouvez vous permettre de changer de position à volonté. Plus ou moins. C’est la raison pour laquelle Arafat, et lui seul, était capable d’échanger des poignées de mains et de signer des accords pas seulement intérimaires avec des dirigeants israéliens de tous poils – y compris des criminels de guerre patentés – sans pour autant se voir accuser sérieusement de trahison. Il jouissait, en permanence, du bénéfice du doute, auprès du peuple. C’est précisément pour cela que seul, Yasser Arafat a pu vendre la solution à deux Etats mentionnée par de nombreuses initiatives de paix. Une telle solution, de par sa nature même, ne saurait satisfaire aux exigences minimales de justice pour les Palestiniens. En plus d’avoir largement dépassé sa date de péremption, cette solution n’a, de toute façon, jamais été morale. Dans le meilleur des cas, si la résolution 242 était méticuleusement mise en pratique, elle ne satisferait au plus gros des droits légitimes que de moins d’un tiers, au maximum, des Palestiniens, sur moins d’un cinquième de leur terre ancestrale. Plus des deux tiers des Palestiniens, réfugiés et citoyens d’Israël, ont été dûment et aveuglément expurgés de la définition de ce que sont les Palestiniens pour rendre cette « solution » possible. Une telle exclusion ne saurait garantir autre chose que la perpétuation du conflit.
Et même ça, ça n’a pas été proposé par quiconque. Israël, avec le soutien total et indéfectible des Etats-Unis, s’est entêté à bantoustaniser les territoires palestiniens, étendant fébrilement les colonies juives, déniant avec entêtement toute responsabilité dans la Nakba (catastrophe de la dépossession palestinienne, en 1948), et avec elle, le droit des réfugiés palestiniens à retourner chez eux, refusant même de reconnaître que la bande de Gaza et la Cisjordanie (y compris Jérusalem) sont des territoires occupés, comme l’affirme pourtant le droit international. Ce qu’Israël exigeait, c’était la capitulation. Rien de moins. Arafat n’était pas prêt pour signer sur la ligne en pointillés : il a donc été sévèrement puni. Il a emporté avec lui dans la tombe le legs mémorable du refus de la reddition. D’où le déversement d’émotions sincères, par des masses de Palestiniens désemparés lui disant adieu. « Il a préféré la mort à la capitulation », disaient beaucoup d’entre eux, en se lamentant.
Tout remplaçant d’Arafat, à l’avenir, bénéficiera de moins bien de tolérance de la part d’un électorat recru de coups, appauvri, et néanmoins encore déterminé. Par définition, il sera privé de l’aura historique unique d’Arafat, il fédèrera moins de soutiens politiques et bénéficiera de moins bien de soutien populaire ; par conséquent, il sera fort vulnérable face à la colère populaire au cas où il déciderait ne serait-ce que d’assumer les compromis d’Arafat. Quand à offrir des concessions supplémentaires à Israël, comme cela sera exigé de lui pour être considéré « dans la course » par le club israélo-américain – n’en parlons pas ! Qui oserait le faire ?
Quand Israël se réveillera de son euphorie illusoire, causée par la disparition d’Arafat, il prendra conscience qu’il a perdu sa toute dernière opportunité d’imposer sa propre conception de la paix aux Palestiniens. Bien loin d’accepter un quelconque règlement dans l’espoir que leur leader de confiance l’utilisera en guise de tremplin pour obtenir des succès plus importants, les Palestiniens vont dorénavant reconnaître dans toute paix déconnectée de la justice ce qu’elle est en réalité : moralement répréhensible et politiquement inacceptable. Résultat : cette « paix » serait pragmatiquement, également peu intelligente. Elle pourrait subsister pendant un certain temps, mais seulement après avoir été dépouillée de son essence, devenant une simple stabilisation d’un ordre oppresseur, ou de ce que j’appelle personnellement la paix « maître-esclave », où l’esclave n’a ni le pouvoir, ni la volonté de résister et où, par conséquent, il se soumet aux diktats des maîtres, passivement, avec obéissance, sans la moindre apparence de dignité humaine. Cela, aussi longtemps que l’esclave n’a ni le pouvoir, ni la volonté de résister. Mais seulement jusque-là, et pas au-delà.
Avec l’enterrement d’Arafat, la solution à deux Etats mordra la poussière. Personne n’osera révéler cette nouvelle ; trop de gens auraient trop à perdre, s’ils l’admettaient. Mais Israël devra compter avec des Palestiniens de plus en plus nombreux, qui en appellent à un Etat démocratique unitaire, où les juif israéliens et les Arabes palestiniens partagent des droits et des devoirs égaux, après en avoir terminé avec l’oppression coloniale, la suprématie raciale et l’apartheid, et après que les réfugiés aient été autorisés à retourner chez eux. Et si l’Afrique du Sud peut nous éclairer la voie, une lutte de cette nature peut très bien exclure toute résistance armée, et lui préférer des moyens non-violents. Comme Israël va-t-il se mettre à contrer un appel de cette nature sur la scène mondiale ? En insistant sur l’exclusivité ethno-religieuse juive, il ne fera que renforcer l’image d’un Israël Etat anachronique, paria, réincarnation de l’apartheid, dans l’opinion publique mondiale. L’évocation de l’Holocauste est susceptible d’aider Israël à détourner pour un temps toute prise en considération sérieuse de cette alternative démocratique, mais cette posture est vouée à craquer, sous la pression de nombreux partenaires intéressés par l’obtention d’une paix durable et juste dans cette région éprouvée du monde.
Les Palestiniens ont conscience du fait qu’une phase transitoire de chaos, d’indécision et peut-être de luttes intestines risque de leur tomber dessus après qu’Arafat ait quitté la scène, mais nulle naissance ne s’opère sans qu’il y ait des contractions. Celles-ci sont fort vraisemblablement les prémisses de l’ère nouvelle : la lutte pour un Etat démocratique et laïc dans la Palestine historique.
                                       
24. Une seule voie pour la paix par Michel Habib-Deloncle
in France - Pays Arabes du mois de novembre 2004
(Avocat honoraire, Michel Habib-Deloncle à été ministre du Général Charles de Gaulle.)
Les derniers éléments d'actualité changent-ils les données du problème palestinien ? Que ce soit les graves troubles de santé du Président Yasser Arafat, infatigable pionner de l'indépendance de la Palestine, le vote à la Knesset par Ariel Sharon, avec le concours des travaillistes, en faveur de l'évacuation unitérale de la bande de Gaza ou la réélection de George W. Bush à la présidence des Etats-Unis, le chemin qui conduit à la paix est clair et il n'y en a qu'un.
Pour le définir, nous reprendrons une phrase qu'écrivait récemment, dans un grand quotidien national, un éminent éditorialiste , à la suite de l'hospitalisation en France du Président de l'Autorité palestinienne : "Difficile de ne pas avoir l'impression, comme la plupart des musulmans de France, que Paris est davantage préoccupé par l'existence d'un Etat palestinien que par l'avenir d'Israël." (1) Comment peut-on poser le problème en ces termes, alors que c'est justement la création d'un Etat palestinien indépendant, dans des frontières sûres et reconnues, qui est et sera la seule garantie de la fin des actions meurtrières qui frappent la population de l'Etat d'Israël ?
Le Président George W. Bush l'a spontanément réaffirmé, au cours de la première conférence de presse qu'il a tenu à la suite de son brillant succès. Interrogé sur ses intentions au sujet du conflit du Proche-Orient, il a répondu que son objectif restait l'émergence d'un Etat palestinien indépendant et pacifique. "Mon espoir est que nous puissions faire de bons progrès. Je pense qu'il est important que nos amis israéliens aient un Etat palestinien pacifique à côté d'eux. Il est très important  pour le peuple palestinien d'avoir un avenir pacifique et optimiste."
Ainsi se trouve condamnée toute vision unilatéraliste du conflit et de son issue. L'équivoque entretenue au sujet de l'évacuation par les israéliens de la bande de Gaza devrait se voir dissipée. Contrairement à ce qu'avait soutenu un proche d'Ariel Sharon, il ne peut s'agir que d'un premier pas vers un règlement global du conflit, et non d'une astuce qui permette à Israël de se maintenir indéfiniment en Cisjordanie. Ce qu'avait écrit  autrefois l'ancien président de la Knesset, Avraham Burg, auquel nous avions largement fait écho dans nos colonnes, à savoir qu'Israël ne peut pas indéfiniment maintenir ssous occupation trois millions et demis d'Arabes palestiniens est maintenant repris par Ariel Sharon.
Voilà que celui-ci se trouve menacé du même sort qu'Itzhak Rabin, par les mêmes extrémistes qui ont commandité le meutre de son prédécesseur. Au sein même de son cabinet, la division s'est installée. Benhyamine Netanhyahu, son ministre des finances, n'aspire qu'à le remplacer, en s'appuyant sur les "faucons". Les huit mille colons qui doivent être expulsés de la bande de Gaza appellent à leur secours les partis extrémistes religieux, au nom de l'intangibilité de l'Eretz Israël. On aimerait entendre, en France, ceux qui sont "préoccupésde l'avenir d'Israël", comme l'a écrit notre confrère, condamner ces excès avec la même vigueur que celle dont ils usent à l'égard du Hamas ou du Djihad islamique.
D'un côté comme de l'autre, il existe des gens à courte vue, qui s'ancrent dans l'immédiat et auxquels est étranger le concept d'une paix équitable, sur les bases définies depuis longtemps par la communauté internationale. On admettra toutefois qu'il n'y a pas symétrie entre ceux qui sont opprimés par une occupation sans douceur et ceux qui sont solidaires des oppresseurs. A ceux qui considèrent l'arrêt des attentatscommis en Israël comme un préalable à la paix, nous rappellerons que, depuis les accords d'Oslo jusqu'à la "promenade" d'Ariel Sharon sur l'Esplanade des mosquée, la population juive a joui d'une complète sécurité. Qu'Ariel Sharon répare aujourd'hui la faute qu'il a commise naguère pour revenir au pouvoir, on ne peut que s'en féliciter. Que George W Bush, à peine réélu, réaffirme son objectif d'un Etat palestinien et n'hésite pas à exercer les pressions nécessaires pour faire bouger les choses, c'est bien. Nous savons, nous, qu'on peut compter sur la direction palestinienne, sous l'autorité ou fidèle à la mémoire de Yasser Arafat pour aller  vers la Paix.
- (1) Michel Schifres in Le Figaro du 29-30 octobre 2004.
[France - Pays Arabes est un mensuel fondé en 1968 et dirigé par Lucien Bitterlin. La revue ne disposant pas encore de site internet et sa distribution dans les kiosques étant limitée, vous pouvez vous y abonner. Abonnement annuel : 25 euros (pour la France) 35 euros (pour l'étranger) par chèque bancaire à l'ordre de France - Pays Arabes - 12 / 14, rue Augereau - 75007 Paris - Tél. 01 45 55 27 52 - Fax. 0145 51 27 26]
                   
25. Sur une détresse juive/Racisme et antisémitisme/Le déni palestinien par Bernard Langlois
in Politis du jeudi 28 octobre 2004

« La France était leur pays et ne l’est plus. Français ils étaient, juifs ils sont devenus. Rien que juifs. Une amputation douloureuse dont tous confient l’avoir subie dans la souffrance. Aujourd’hui, les juifs sont légions à nourrir un sentiment d’exil intérieur. Quand ils ne quittent pas définitivement la France, pour Israël, le Canada ou les États-Unis. » Encore un livre sur une « détresse juive », dont l’auteur reconnaît le caractère polémique. Une enquête journalistique qui, à Créteil, Arcueil, Sarcelles ou ailleurs, recense une litanie de témoignages sur les agressions antisémites dont sont victimes nos compatriotes de culture ou religion juive. Un « voyage au bout de la haine ordinaire » (1).
On se s’attendait pas, en ouvrant Jours tranquilles à Créteil, à une approche nuancée des raisons qui peuvent expliquer la poussée, réelle, de l’antisémitisme ; notamment dans nos banlieues, et qui a évidemment un rapport tant avec la violence subie par le peuple palestinien dans les territoires occupés qu’avec la situation de déshérence sociale de toute une jeunesse issue de l’immigration.
Ce rapport, Rayski ne veut pas en entendre parler. Pour en finir avec « cette liste angoissante du Mur des lamentations des juifs de France », écrit-il, il faut « cesser de comprendre à tout prix, pour juste dire "non", ce qui nécessite évidemment un peu de courage. Cesser de "comprendre" qu’il y a la Palestine, qu’il y a de la misère dans les banlieues, que l’intégration a été ratée par la faute de nos politiques, que... Cesser de se sentir vaguement coupable, car au jeu du coupable, c’est toujours ­ ainsi l’a voulu l’histoire ­ le juif qui est le plus coupable. » L’auteur nous demande de croire à sa sincérité : nous ne la mettons pas en doute. Pas plus que la réalité de la plupart des faits qu’il rapporte (certains sont discutables), effectivement inacceptables. Toute manifestation avérée de racisme doit être combattue, et spécifiquement l’antisémitisme, par tous les moyens légaux dont dispose la République : cela ne souffre aucune discussion. Se refuser, en revanche, à toute tentative d’explication rationnelle à de telles manifestations ; refuser notamment tout lien de cause à effet entre celles-ci et, d’une part une situation sociale donnée (chômage, misère, précarité, enfermement communautaire...), d’autre part une situation internationale inacceptable (négation du droit d’existence des Palestiniens, mépris du droit international, prolongation indéfinie d’une situation coloniale humiliante et meurtrière...), cela relève de la cécité. Rayski ironise sur « l’incurable optimisme » de ceux qui pensent que « l’antisémitisme disparaîtra quand il y aura un État palestinien ».
Et si on essayait, pour voir ?
POURQUOI AUJOURD’HUI ?
Soyons sérieux : bien sûr que l’antisémitisme subsistera à un règlement, aujourd’hui bien improbable, de la question palestinienne : comme tout racisme, il est éternel. On n’aura jamais fini de le combattre.
Mais la question posée n’est pas celle de l’antisémitisme en soi, tel qu’il est charrié dans les siècles des siècles. Elle est précisément ceci : pourquoi une telle recrudescence, hic et nunc, et dans une population donnée, alors même que le « vieil » antisémitisme de l’extrême droite semble plutôt en régression, ou plus ou moins sous contrôle ? Le phénomène est récent, et précisément daté : l’écroulement du « processus de paix », des espoirs de solution pacifique nés d’Oslo et de Madrid, et le commencement de la deuxième Intifada à l’automne 2000. C’est-à-dire la reprise, au Proche-Orient, d’une violence sans fin, d’une guerre asymétrique ingagnable par aucune des parties, encore aggravée par un contexte régional d’une dangerosité extrême où l’impérialisme américain conduit le bal. Dans ce contexte de la guerre irakienne qui favorise la montée de l’islamisme radical, en l’évidence d’un refus israélien de permettre la création de l’État palestinien, et dans le choix d’une partie de la communauté juive française (la plus bruyante) d’exprimer sans nuance son soutien inconditionnel à l’État juif, l’antisémitisme, ici, a sans doute de beaux jours.
Et la République, du souci à se faire.
RACISME ET ANTISÉMITISME
Car Jean-Christophe Rufin a raison de dire, dans le rapport qu’il vient de remettre au ministre de l’Intérieur (2), que l’antisémitisme ne saurait être la seule affaire des juifs : « Ce dont il faut convaincre les Français, c’est que l’antisémitisme est l’ennemi commun des juifs et de la République. »
A-t-il raison, en revanche, de vouloir traiter séparément racisme et antisémitisme, de vouloir faire au second « une place à part » en raison de « l’irréductible particularité de l’Holocauste », cela se discute. Les manifestations d’un racisme anti-arabe, anti-noir, anti-musulman ne sont hélas pas moins ordinaires et pas moins inacceptables que celles de l’antisémitisme. En voulant distinguer celles-ci de celles-là, en leur conférant une sorte de priorité, on va sans doute à rebours des bonnes intentions : ce qu’expriment souvent les jeunes déshérités enclins à s’en prendre aux « feujs », c’est un sentiment d’injustice, de « deux poids deux mesures » des réactions de la société (réactions policières, judiciaires, médiatiques) face à des actes également indignes et répréhensibles. Comme si la profanation d’un cimetière juif était plus grave que celle d’un cimetière musulman, l’incendie d’une synagogue plus condamnable que celui d’une mosquée.
Ont-ils tout à fait tort ?
UN RAPPORT PROVOCATEUR
Mais il y a plus grave. En cherchant à classer les diverses formes de l’antisémitisme, Rufin en distingue trois. L’antisémitisme « comme pulsion » (celui des populations précaires), « comme stratégie » (l’extrême droite) et « par procuration ».
C’est cette troisième catégorie qui fait problème (et incite à qualifier ce rapport de « provocateur ») (3). Elle concerne ceux que l’auteur considère comme étant des « facilitateurs » de l’antisémitisme : c’est-à-dire les tenants d’un « antisionisme radical », ceux qui par leur critique de la politique de l’État d’Israël favorisent l’antisémitisme simplet de ceux qui confondent juifs et Israéliens. On connaît la chanson : « Cet antisionisme moderne est né au confluent des luttes anticoloniales, antimondialisation, antiracistes, tiers-mondistes et écologistes. Il est fortement représenté au sein d’une mouvance d’extrême gauche altermondialiste et verte. » Fermez le ban. En quelque sorte, comme le disait plus carrément M. Cukierman, président du Crif, « l’axe rouge-vert-brun ». M. Rufin ne propose rien de moins que de combattre cet « antisionisme radical » par la loi : une sorte de loi Gayssot appliquée à la critique exagérée d’Israël et qui « permettrait de punir ceux qui porteraient sans fondement à l’encontre de groupes, d’institutions ou d’États des accusations de racisme et utiliseraient à leur propos des comparaisons injustifiées avec l’apartheid ou le nazisme ».
C’est en effet assez provocateur. C’est surtout très conformiste : cette volonté d’assimiler l’antisionisme à un antisémitisme est au coeur du combat que mène depuis des mois, à longueur d’articles, de tribunes, de livres, la fine fleur intellectuelle et médiatique du lobby sioniste (et on se dépêche d’employer l’expression avant qu’elle ne tombe sous le coup de la loi...).
LE DÉNI DES PALESTINIENS
Oui, le conflit israélo-palestinien est bien « une passion française », comme le rappelle avec pertinence Denis Sieffert, dans un essai solidement étayé (4). Et sur le caractère colonial de l’État hébreu (avec tout ce qu’il signifie de violence et d’injustice pour les colonisés), nous n’avons pas fini de nous écharper.
Sieffert consacre plusieurs pages à cette question de l’antisionisme, qu’on voudrait tant assimiler à l’antisémitisme pour le frapper d’anathème et en nier la pertinence politique. Il s’interroge sur la nécessité de continuer à user du terme : « La pression est aujourd’hui si forte pour faire admettre l’équation "antisionisme = antisémitisme" que l’on doit s’interroger sur l’utilité de mener contre elle ce combat d’apparence purement sémantique. Au fond, à quoi bon ? » Mais outre le fait que les défaites sémantiques annoncent souvent des déroutes politiques, il est un argument majeur qui nous interdit d’y renoncer : la solidarité avec « des gens qui ont du "sionisme réel" une expérience plus douloureuse que les Européens et ne sont pas prêts à abjurer leur conviction. A-t-on le droit d’occulter le point de vue des Palestiniens, pour qui le sionisme s’identifie trop souvent encore au bulldozer qui rase leur maison ? Admettre [...] que l’antisionisme est nécessairement un antisémitisme, c’est pérenniser le déni des Palestiniens. C’est interdire l’une des deux définitions pertinentes du sionisme, pour n’en imposer qu’une seule à la terre entière. Or, [...] s’il importe de faire entendre que le sionisme fut un mouvement de libération nationale, il faut aussi admettre qu’il est un colonialisme. »
Et ce n’est certes pas au moment où M. Dov Weissglass, le plus proche collaborateur de Sharon, révèle ingénument les vraies raisons du plan d’évacuation de Gaza (à savoir le maintien et le renforcement des principales colonies juives de Cisjordanie, dans la perspective d’« empêcher la création d’un État palestinien » et la relance « d’un processus de paix ») ; non, ce n’est certes pas le moment de renoncer à notre « antisionisme radical », qui n’est rien d’autre qu’une exigence de justice basique avec un peuple martyrisé.
N’en déplaise à Jean-Christophe Rufin, qu’on a connu mieux inspiré.
- NOTES :
(1) Jours tranquilles à Créteil, Benoît Rayski, Ramsay, 174 p., 18 euros.
(2) Chantier sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, rapport présenté par Jean-Christophe Rufin, remis au ministre de l’Intérieur le 19 octobre, suite à une lettre de mission du 29 juin. Consultable en ligne à :
http://www.interieur.gouv.fr
(3) Voir le Monde du 20 octobre.
(4) Israël Palestine, une passion française, DenisSieffert, La Découverte, 270 p., 19 euros.

                                     
26. Israël ne demandera pas d’aide américaine pour son désengagement avant janvier 2005 par Ran Dagoni
on Globes on-line (quotidien israélien) du lundi 25 octobre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Si Bush est réélu, il accordera sans doute cette aide. La position du Sénateur Kerry n’est pas claire.
Israël ne sollicitera aucune aide financière des Etats-Unis afin d’assurer le financement de son plan de désengagement (de Gaza) avant janvier prochain, même si le président George W. Bush remporte les élections la semaine prochaine, et entame son second mandat. C’est ce qu’estiment les diplomates israéliens en poste à Washington. Au cours de sa visite à Washington, début octobre, afin d’assister aux réunions annuelles du Fonds Monétaire International et de la Banque Mondiale, le ministre (israélien) des Finances Benjamin Netanyahou a révélé avoir soulevé la question d’une aide américaine au plan de désengagement lors d’une rencontre avec la conseillère ès sécurité intérieure américaine Condoleezza Rice. Netanyahou a souligné que ces conversations ne visaient qu’à préparer le terrain et qu’aucune négociation pratique n’avait été entamée, jusqu’au moment où il s’exprimait.
A Washington, diverses sources ont indiqué que l’administration Bush soutient le plan de retrait, mais que l’année fiscale fédérale américaine 2005 (qui a débuté le 1er octobre) était d’ores et déjà forclose. Bien que l’administration ait la latitude de demander au Congrès une rallonge budgétaire, au moyen d’un projet de loi mis aux voies durant l’année fiscale concernée, il est peu probable que cela puisse se produire, alors même que l’administration sortante vit ses dernières journées aux manettes.
Ces mêmes sources pensent que si Bush est réélu, il y a une chance raisonnable que les Etats-Unis approuveront cette aide au plan d’évacuation (de Gaza), en particulier en ce qui concerne les subsides destinés aux  (colons) évacués. Ces sources pensent qu’à toutes fins, l’aide sera conditionnée à l’engagement des Israéliens à procéder à un retrait de grande ampleur de la Cisjordanie, qui aille bien au-delà des quatre colonies que le Premier ministre israélien Ariel Sharon a d’ores et déjà tatouées : « bonne pour l’évacuation ».
Si c’est le Sénateur John Kerry qui est élu à la présidence, on ne connaît pas avec certitude quelle serait la réaction de son administration à une demande d’aide au retrait israélien (de la bande de Gaza)
                       
27. Saintes huiles sur le feu par Pierre Marcelle
in Libération du lundi 25 octobre 2004

Donc, le rapport Rufin, du nom du centriste président d'Action contre la faim, ex-médecin sans frontières membre de l'amusant Conseil d'analyse de la société, écrivain. Commandité par le ministre policier Villepin, son pensum sur le racisme et l'antisémitisme invente un «antisionisme radical», dont il invite le législateur à criminaliser l'expression dans une loi d'exception. C'est aberrant, mais c'est ainsi : écrire ici, par exemple, que Sharon, en érigeant un «mur» entre Israël et la Cisjordanie, conduit une politique d'«apartheid», relèverait de ces choses qui «menacent (sic) radicalement (sic) la survie (sic) du système démocratique (sic)» ! Et me vaudrait de répondre d'un crime d'antisémitisme «subtil» en ceci qu'il encouragerait, en la légitimant, la revendication nationale palestinienne, forcément terroriste... En agréant le plan de retrait de Gaza, le ministre de l'Extérieur Barnier enterre un peu plus le plan de paix de Genève ; en surexposant ses comptes de tensions intercommunautaires alors même que celles-ci semblent s'apaiser, celui de l'Intérieur les attise. Entre les deux, le rapport Rufin, minutes d'un exemplaire procès d'intention, jette un pont susceptible, lui, de menacer radicalement la liberté d'expression. Ce pont, l'Union des étudiants juifs de France l'emprunte en une baroque campagne de pub (voir Libération du 22 octobre). Dans un lettrisme qui évoque vicieusement celui des tagueurs des quartiers, les gourous Jésus et Marie y sont qualifiés de «Sales juifs». L'UEJF, bien sûr, proteste que son propos, illisible (1) pour l'athée que nous sommes, «n'est pas de dénoncer un antisémitisme chrétien». L'archevêché en doute déjà. En invoquant la fête de tous ses saints et afin de marquer son territoire, il a dressé sur le domaine public, entre la préfecture de police et la cathédrale de Paris, une croix en bois de 17 mètres de haut.
- (1) Et censé s'adresser à un public pour lequel, précisément, Jésus et Marie ne constituent pas ces «symboles de tolérance» que l'UEJF décrète «universels».
                                                 
28. Robertson : "Si Bush touche un cheveu de Jérusalem, nous formerons le troisième parti américain !" par Daphna Berman
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 4 octobre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

L’influent évangéliste américain Pat Robertson a déclaré, ce lundi, que les chrétiens évangélistes sont tellement préoccupés par le sort de Jérusalem que, si le président George W. Bush y « touchait » en quoi que ce soit, les évangélistes abandonneraient leurs positions traditionnellement proches des Républicains et mettraient sur pied un troisième parti américain.
« Le président s’est quelque peu détaché de la « feuille de route ». Mais s’il touchait en quoi que ce soit à Jérusalem, il perdrait tout soutien des évangélistes », a déclaré M. Robertson. « Ils formeraient un troisième parti », a-t-il dit, expliquant que, si les gens « ne connaissent rien » à Gaza, Jérusalem, c’est une toute autre histoire.
Robertson, un partisan très en voix d’Israël venu ici pour célébrer la fête des Tabernacles (Soukkot), a également indiqué que les gens qui viennent visiter Israël ne doivent pas faire des critiques exagérées des décisions politiques du gouvernement israélien. Il s’est bien gardé de critiquer ouvertement le plan de désengagement de Sharon, se contentant d’indiquer qu’il espérait que « le peuple israélien prendra les bonnes décisions » en ce qui concerne d’éventuelles concessions territoriales.
« Pour un visiteur venu en Israël, il serait inconvenant de s’immiscer dans la politique israélienne », a-t-il affirmé au cours d’une conférence de presse, tenue au Centre International des Congrès de Jérusalem.
Avec quelque cinq mille chrétiens du monde entier, Robertson a fait du tourisme en Terre Sainte, cette semaine, afin de soutenir le peuple d’Israël et de prier pour lui. Hier, il a dirigé une prière collective, devant la Knesset, au cours de laquelle il a fustigé le Hezbollah, le Hamas et l’idée de jihâd.
« Les pays arabes veulent un conflit, et ils veulent pérenniser les souffrances des habitants, à Gaza », a-t-il déclaré, ajoutant : « Ils ne veulent pas la paix : ce qu’ils veulent, c’est détruire Israël ! »
Robertson a demandé la dissolution immédiate de l’Agence de l’Onu pour les Secours et le Travail (UNRWA), étant donné ce qu’il a appelé le rôle actif de cette organisation dans la « perpétuation » du problème des réfugiés palestiniens. Il a mis en garde contre le fait qu’un Etat palestinien deviendrait « une source permanente d’irritation », qui « mettrait en danger l’intégrité territoriale » d’Israël.
« Un Etat palestinien jouissant d’une souveraineté pleine et entière représenterait une base de lancement pour différents types d’armes, dont des armes de destruction massive », a ajouté l’ancien candidat aux présidentielles américaines.
Des milliers de Chrétiens marchent pour Jérusalem
Ce sont pas moins de 20 000 marcheurs qui étaient attendus à la procession annuelle intitulée Marche pour Jérusalem. Comportant des milliers d’évangélistes et des ouailles d’autres obédiences chrétiennes, elle devait passer au cœur de la ville dans l’après-midi.
[Les responsables de la police ont commencé à barricader les rues à treize heures trente afin de permettre aux marcheurs de passer. Parmi les artères du centre de Jérusalem dont la fermeture, partielle ou totale, est à prévoir, mentionnons les rues et avenues : Ben-Zvi, Bezalel, Ben-Yehuda, King George, de Jaffa, Shlomzion HaMalka, Koresh, Azza, Agron, Menashe Ben-Israel, HaEmek, HaRav Kook, Havatzelet, Heleni HaMalka, Histadrouth, Shammai et Hillel. La plupart de ces voies seront réouvertes aux environs de dix-sept heures trente.]
Au cours d’un meeting qui a rassemblé plus de 4 000 pèlerins au palais des congrès de Jérusalem, hier dimanche, Robertson a mis en garde contre certains musulmans qui s’efforcent de faire échouer le « projet de Dieu », lequel consiste à laisser Israël sur la terre qui lui revient légitimement. Il y avait 25 % de pèlerins de plus qu’au cours des trois années passées, ont indiqué les organisateurs, de l’Ambassade Chrétienne Internationale.
« J’entrevois la montée de l’Islam, qui veut détruire Israël et s’emparer de la terre des juifs, afin de donner Jérusalem Est au président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat. En cela, je vois un plan de Satan, visant à empêcher le retour de Notre Seigneur Jésus-Christ ! » a déclaré Robertson, prédicateur chrétien radiophonique.
Lors de deux apparitions (publiques) à Jérusalem, Robertson a louangé, dimanche, Israël, qu’il considère faire partie du plan divin, et critiqué les pays arabes et certains musulmans, en disant que leurs espoirs d’inclure du territoire sous contrôle israélien dans un Etat palestinien font partie intégrante du « projet de Satan ».
Robertson, qui n’en était pas à son coup d’essai en matière de critiques envers l’Islam, a qualifié les pays arabes voisins d’Israël d’ « océan de régimes dictatoriaux ».
Il a dit qu’il « avertissait » Oussama ben Laden, Arafat et les groupes activistes palestiniens qu’ils ne « changeront rien aux plans du Bon Dieu », lequel veut voir les juifs gouverner la Terre Sainte jusqu’à la Seconde Venue de Jésus.
Seul, Dieu devrait décider si Israël doit ou non renoncer au contrôle des territoires qu’il a conquis au cours de la guerre de juin 1967, dont la bande de Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem Est, a déclaré Robertson, faisant une allusion non dénuée de critique au projet de Sharon consistant en se retirer de la bande de Gaza, l’an prochain…
« Dieu dit : « Je vais juger ceux qui grignotent la Cisjordanie et la bande de Gaza », a déclaré Robertson, qui a poursuivi, faisant toujours parler Dieu : « C’est ma terre : bas les pattes ! »
Soufflant dans des cornes de bélier afin de les faire sonner, et criant force « alléluias », des centaines de pèlerins – certains, venus de Norvège, d’Angleterre et d’Allemagne – se sont rassemblés dans le centre de Jérusalem, afin de prier pour la « paix » et de célébrer l’unification de la ville par Israël, lorsqu’il a conquis Jérusalem Est, en 1967.
                                                 
29. La "solution" à deux Etats touche à son terme par John Denham
in The Guardian (quotidien britanique) du vendredi 1er octobre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(John Denham est député travailliste de la circonscription de Southampton Itchen. Il a été ministre de l’Intérieur britannique, jusqu’à sa démission, en mars 2003, en raison de son désaccord sur l’intervention du Royaume-Uni en Irak.)
Une solution binationale, avec un seul Etat, est la seule possible. Elle seule permettra l’instauration d’une véritable démocratie en Palestine.
Des pressions économiques sur Israël s’imposent
Mon collègue Ian Gibson, Membre du Parlement, m’a appelé, à six heures et demi du matin, de son hôtel de Ramallah, en Cisjordanie. Notre visite, ayant pour but d’étudier les services médicaux en Palestine occupée, allait prendre une tournure très personnelle. Et effrayante. Ian avait été hospitalisé, à la suite d’un malaise : on suspectait une embolie mineure. Le spécialiste était venu très rapidement et Ian avait été emmené dans un hôpital de Jérusalem dans une ambulance du Croissant Rouge palestinien.
Mais au checkpoint d’Al-Ram, l’ambulance de Ian a été arrêtée par la police israélienne des frontières. En dépit de son la gravité manifeste de son état  – il était en état de détresse par déshydratation – et malgré les représentations du consulat britannique, l’ambulance se vit refuser l’autorisation de poursuivre sa route. Durant soixante-dix minutes, Ian fut laissé dans l’ambulance, avant que son transfert à bord d’une autre ambulance, que l’on très longtemps, dans l’angoisse que l’on imagine, soit autorisé
La brutalité du traitement auquel Ian a été soumis est une violation évidente de la promesse qu’Israël avait faite à l’ONU, à savoir que les ambulances ne seraient en aucun cas retenues plus d’une demi-heure. Une organisation humanitaire palestinienne, le HDIP, a recensé 83 morts dues à un déni d’accès à l’hôpital dans des cas d’urgence ; 52 femmes ont accouché devant des checkpoints, l’accès à une maternité ou un hôpital leur ayant été dénié.
Les barrages routiers inopinés et les checkpoints permanents font partie du système d’occupation de la Palestine, qui vise bien plus que la simple sécurisation de frontières. D’après l’ONU, il y a plus de 700 de ces barrages routiers dans l’ensemble de la Cisjordanie, qui contrôlent les déplacements de chacun des Palestiniens à l’intérieur de leur propre pays. Lorsque nous étions là-bas, la plupart des Palestiniens ne pouvaient pas sortir des principales villes. De facto, la Palestine est de plus en plus morcelée en une série de communes isolées, soumises au contrôle militaire d’Israël.
Pendant ce temps-là, la construction du « mur de sécurité » israélien en Cisjordanie bat son plein, ainsi que la création de nouvelles implantations. Depuis le village de Saffa, du côté palestinien de la frontière de 1967, il était stupéfiant de voir de nouvelles villes s’étendre, telles ces villégiatures en location partagée qui envahissent la Costa Brava. Les nouveaux townships, à la mode de l’apartheid sud-africain, seront encerclés par le nouveau mur, tandis que Saffa se retrouvera du « mauvais » côté. Les habitants de ce gros village n’ont pas le droit, qui devrait être évident, d’en sortir et ils seront soumis à la confiscation arbitraire de leurs permis de résidence. Les Israéliens auront toute opportunité de venir s’installer sur les terres ainsi confisquées. Quelle que soit la fonction sécuritaire que puisse avoir le mur, son effet réel, étant donné qu’il décrit de larges boucles à l’intérieur du territoire palestinien, est clair. Avant longtemps, il restera aux Palestiniens trop peu de territoire et de liberté pour que la création d’un Etat indépendant soit une proposition sensée.
Que se passera-t-il, si la solution à deux Etats s’enlise dans un Etat palestinien failli ou, plus simplement, dans la brutalité d’une occupation israélienne prolongée ? Nous, et d’autres contribuables européens, nous continuerons à honorer la facture de l’aide – d’ores et déjà plus élevée, par personne, que pour aucun autre pays au monde – afin de parer aux pires conséquences de l’occupation israélienne illégale. En attendant, c’est notre propre sécurité et la crédibilité de la politique étrangère britannique qui en pâtiront.
L’espoir en une solution à deux Etats a uni des gens dont les sympathies allaient à l’un ou l’autre camp, et aussi ceux qui, ne prenant pas parti, étaient simplement conscients du fait que notre propre sécurité dépend d’une solution juste au Moyen-Orient.
Les partisans et les détracteurs de la guerre en Irak étaient d’accord pour dire que la paix au Moyen-Orient était essentielle si l’on voulait couper l’herbe sous les pieds d’Al-Qaida, séduisante pour des musulmans dépossédés. S’exprimant en mars 2003, Tony Blair avait déclaré : « Nous sommes tous engagés, désormais… vis-à-vis d’un Etat d’Israël, reconnu et accepté par le monde entier, et d’un Etat palestinien viable. C’est là ce pour quoi ce pays doit lutter, et c’est ce que nous ferons. »
A nouveau, la semaine passée, Tony Blair a dit : « Deux Etats – Israël, et la Palestine – vivant en paix côte à côte, feront plus, pour vaincre le terrorisme, que des balles. » Il a promis de faire de ce règlement une priorité, après les élections présidentielles américaines. Demandons-nous alors comment cette priorité peut-elle se concrétiser ?
Il est temps d’être plus courageux et plus audacieux quant aux pressions que nous pouvons exercer.
Notre gouvernement ne désirait pas que la plainte déposée contre la construction du mur soit examinée par la Cour Internationale de Justice, au motif que cela ne serait pas bon pour le processus de paix. Mais les pressions venues de l’extérieur, cela marche ! La condamnation explicite de la Cour a choqué les Israéliens et leur gouvernement et cela les a contraints à repenser le tracé du mur.
La politique israélienne peut être influencée par une pression extérieure explicite. Beaucoup de gens se demandent d’ores et déjà si l’accord d’association d’Israël avec l’Union européenne, conditionné par le respect des droits de l’homme par le pays associé, est encore justifié (et s’il ne devrait pas être suspendu). Ce genre d’option ne doit pas être écartée à la légère, d’un revers de la main.
Bien sûr, chaque attentat suicide, dans son obscénité, cache la vision générale du problème ; les citoyens israéliens ont, eux aussi, droit à la sécurité. Mais la politique actuelle d’Israël ne leur apportera aucune sécurité sur le long terme et elle risque même un jour de mettre en danger notre propre sécurité. S’il faut que des pressions extérieures soient exercées afin de faire passer le message, alors soyons prêts à y recourir.
La situation continuant à se détériorer en Irak, le moment est maintenant venu, pour Tony Blair, de tenir ses promesses.
                                                     
30. Les vainqueurs de la Seconde guerre mondiale, c’était nous ! par Lily Galili
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mercredi 29 septembre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Les immigrants de l’ex-URSS ne se considèrent pas comme des victimes de l’Holocauste, mais bien plutôt comme faisant partie de la grande nation qui vainquit les nazis. De leur point de vue, il est bien plus important de souligner cet héroïsme-là.
Dans un sous-sol sombre, à Hadera, un musée a été ouvert, il y a environ cinq ans. C’est l’un des musées les plus intéressants de sa catégorie, en Israël, bien que ses salles trop sombres ne soient pas à la hauteur de son ambition : présenter des milliers d’objets illustrant l’héroïsme juif à travers les générations. Les vitrines retracent une succession de hauts-faits héroïques juifs, notamment le rôle joué par les juifs dans le retardement des Croisés, un portrait d’Yitzhak Rabin portant l’uniforme des Forces Israéliennes de Défense, des documents relatifs à la guerre de Crimée et aux deux conflits mondiaux.
L’initiateur de ce projet absolument unique en son genre est David Zelevansky, 73 ans, ancien brigadier général dans l’Armée Rouge, qui a immigré en Israël il y a une dizaine d’années. M. Zelevansky est historien et spécialiste en muséologie militaire. Il a apporté une partie de cette collection éclectique de l’ex-Union soviétique, et il a reçu d’autres objets de la communauté russophone (d’Israël), intéressée par son projet.
Ainsi, par exemple, la collection comporte une lettre manuscrite de l’écrivain Ilya Ehrenburg, durant la Seconde guerre mondiale, des journaux et des tracts de cette période, ainsi que des caricatures sur la guerre, dessinées par le peintre juif Avram Nakovich.
« Pour moi, ce n’est pas simple violon d’Ingres », explique M. Zelevansky. « J’ai travaillé dans les plus grands musées militaires en Russie, et j’ai écrit plusieurs ouvrages sur le sujet. Cette collection juive, c’est ma réponse à la volonté des Allemands d’effacer l’héritage (historique et culturel) juif en assassinant six millions de juifs. Les survivants de l’Holocauste conservent cette mémoire pour nous. Et, de fait, tout le monde parle de l’Holocauste, ici. Mais moi, j’ai voulu mettre l’accent sur la conservation de la mémoire héroïque. »
M. Zelevansky explique que lorsqu’il a immigré en Israël, il était certain que sa collection rencontrerait une grande curiosité et qu’on lui en serait reconnaissant. Il voulait présenter le juif courageux, et non pas le juif terrorisé par les pogroms. En même temps, il cherchait à faire passer l’idée que l’héroïsme militaire juif n’a pas commencé avec la création de l’Etat d’Israël.
C’est ici (en Israël) que l’héroïsme (juif) aurait, dit-on, commencé
Mais il ne tarda pas à découvrir que la conception sioniste fondamentale des chose voulait que l’héroïsme militaire juif a bel et bien commencé ici, dans l’Etat des juifs. Cette approche ne laissait aucune place au passé. Il dit que toutes les institutions qu’il a contactées – du Yad Vashem [mémorial juif de Jérusalem]jusqu’au Beit Lohamei Hagetaot [Maison des Combattants des Ghettos, ndt] – lui ont répondu : « Ce n’est pas nos ognons ».
Le Yad Vashem lui a répondu que son directeur général avait visité l’exposition de M. Zelevansky à Hadera en août 2001, et que M. Zelevansky ne lui avait pas proposé de faire don d’un quelconque objet à l’époque. Quand à Lohamei Hagetaot, elle a fait savoir que M. Zelevansky lui avait proposé, une unique fois, un échange d’objets, mais que cela était resté sans suite…
Ainsi, la collection est restée dans son sous-sol, à Hadera, où elle bénéficie de subventions de la municipalité. Mais, en raison de l’augmentation de la location du local, la collection sera prochainement déménagée dans un club d’immigrants, dans cette même ville.
Dans l’intervalle, les visiteurs du musée sous-terrain ont inclus le Premier ministre Ariel Sharon, son prédécesseur Ehud Barak, et d’autres généraux israéliens à la retraite. Tous furent favorablement impressionnés, y allant parfois de leur larmichette et écrivant même des appréciations émouvantes sur le livre d’or. Mais la collection n’en continua pas moins à être reléguée dans son sous-sol…
Il faut replacer cette histoire un peu anecdotique dans son contexte général. Des millions d’immigrants provenant de l’ex-Union soviétique ont greffé le mythe de l’héroïsme à la perception israélienne de l’Holocauste comme partie intégrante de l’identité sioniste. En dépit du fait que deux millions de juifs (dont tous n’étaient pas russes) ont été massacrés en Union soviétique durant l’Holocauste, les juifs originaire de la Union des Républiques Soviétiques se considèrent encore aujourd’hui comme appartenant à la grande nation qui vainquit les nazis. Ils se plaignent du fait que les Israéliens ont du mal à le reconnaître, et qu’en raison de leur exécration pour Staline et le régime soviétique, ils décident de ne se souvenir que du seul rôle joué par les Alliés dans la victoire sur le troisième Reich.
De l’autre côté du Rideau de Fer, deux générations de juifs ont grandi en URSS, qui n’accordèrent pas une attention distincte à l’Holocauste des juifs. Explication : les juifs qui ont péri dans l’Holocauste étaient considérés comme faisant partie inhérente et inséparable des millions de victimes tombées dans la lutte contre les nazis. De même, ces victimes de l’Holocauste furent considérées inséparables de la victoire.
En russe, il n’existe aucun mot désignant l’Holocauste. On parle, à son sujet, simplement de « catastrophe ». La femme immortalisée par la statue érigée dans la vallée de la mort à Babi Yar, près de Kiev (Ukraine), porte une robe traditionnelle ukrainienne typique. David Shechter, un ancien militant de l’immigration et aujourd’hui conseiller du ministre Natan Sharansky, dit que les militants juifs commencèrent à essayer de visiter Babi Yar dans les années 1980, dans l’espoir de se recueillir au mémorial et d’y réciter le kaddish, la prière des morts. Mais, année après année, les responsables du KGB les attendaient dans les aéroports et dans les gares, afin de les empêcher de se rendre sur ce site.
Nécessité d’ajouter un nouveau jour du souvenir
La rencontre des immigrés avec la culture israélienne est rendue compliquée par cette perception différente qu’ils ont de l’Holocauste. Ce sont près de 52 000 vétérans de l’Armée Rouge qui sont venus en Israël avec la grande vague d’immigration du début des années 1990, et qui ont amené une attitude autre, en même temps que leurs médailles et leurs citations militaires. Le défilé annuel des papys vétérans, arborant leurs médailles sur la poitrine, le 9 mai, date anniversaire de la victoire sur les nazis, suscite un regard amusé chez le badaud israélien moyen. Et, de leur côté, les immigrants de Russie trouvent quelque difficulté à intégrer le cérémonial israélien de la Journée de l’Holocauste, dépourvu de toute dimension héroïque.
Dora Nemirovski, célèbre femme médecin militaire, qui a suivi l’armée rouge dans les combats de la Seconde guerre mondiale, a perdu toute sa famille dans l’Holocauste, et son frère dans les combats. Lors de sa première Journée de l’Holocauste, en Israël, elle a été surprise d’entendre hurler les sirènes et de voir tout le pays se figer sur place. « C’est quelque chose que je n’ai pas compris », nous a-t-elle dit. « Bien sûr, c’est très bien qu’il y ait un jour consacré à la commémoration de l’Holocauste, mais ne se souvenir des juifs qu’en tant que victimes, je trouve cela insultant. Il y a eu, aussi, des héros ». S’étant faite à l’idée que l’ethos unanimement reconnu en Israël fait le lien entre l’Holocauste à la création de l’Etat (d’Israël), elle a dit, presque étonnée : « Dire que l’Etat a été créé à cause de l’Holocauste, c’est faux ! L’Etat a été créé parce que nous avons vaincu. Si nous n’avions pas vaincu, il n’y aurait pas d’Etat. »
Cette tension culturelle autour de la question de l’Holocauste et de l’héroïsme a même joué un rôle majeur dans la principale conquête des nouveaux immigrants. Le 29 novembre 1999, le gouvernement israélien a décidé que « Le comité ministériel des symboles et des cérémonies déclare que le 9 mai sera considéré par l’Etat comme la journée marquant l’anniversaire de la victoire sur l’Allemagne nazie ainsi que comme la journée honorant (l’héroïsme dont ont fait preuve) les combattants juifs. »
Même si cette date est jusqu’à ce jour célébrée principalement par les associations d’immigrants (russes) et par la Knesset, on devrait se garder de minimiser cette avancée et cette percée dans un ethos israélien plutôt exclusif, et donc cette inclusion d’une nouvelle journée commémorative dans un calendrier officiel déjà bien pourvu, en la matière. 
Shmuel Eisenstadt, un professeur de sociologie, a comparé ce succès moral remporté par les immigrants de l’ex-Union soviétique à celui des juifs mizrahi (= orientaux), qui ont réussi à obtenir que la Mimouna devienne une fête officielle israélienne chômée.
Avec une petite différence : les juifs mizrahi ont mis quarante ans à obtenir ce que les récents immigrants de Russie ont décroché en moins d’une décennie…
Voici environ trois mois de cela, à l’initiative du ministre Natan Sharansky et avec le soutien de Sharon, le gouvernement israélien a débloqué 4 millions de NIS [Nouveaux Shekels israéliens, ndt] pour la création d’un musée des héros juifs combattants durant la Seconde guerre mondiale. Le site choisi pour ce nouveau musée, bien entendu, est le musée militaire de Latrun, : là, l’héroïsme fera sa jonction avec l’Héroïsme…