1. Le bouc émissaire par Jacques
Larivière (Paris)
in Le Monde (Courrier des lecteurs) du mercredi 8
décembre 2004
Monsieur Daniel Barenboim a construit sa vie par rapport
à son histoire, mais qu’en serait-il s’il était né palestinien à Haïfa en 1942
et avait vécu sa jeunesse dans un camp palestinien de Cisjordanie, du Liban ou
d’ailleurs ? Arafat lui apparaîtrait-il comme le monstre qu’il n’a jamais voulu
rencontrer, l’idéologue étroit et borné, prévaricateur et autocrate qu’il se
plaît à décrire [Le Monde du 22 novembre] ?
Cet homme que j’ai pu connaître
et dont on se plaît à noter la duplicité était à l’époque au sein du monde arabe
le seul à prôner l’utopie d’un Etat laïque et démocratique, et l’OLP dont il
était le président ne se revendiquait d’aucune exclusive communautaire ou
confessionnelle, contrairement à Israël, l’Etat juif pour les juifs. (…) Durant
toutes ces années où l’intransigeance israélienne, l’ostracisme international et
l’hostilité des Etats arabes tendaient à réduire le fait palestinien à un «
simple » problème de réfugiés, il a rendu à son peuple l’espoir, l’identité
perdue, l’indépendance et la dignité.
Devant la réalité des faits, il a aussi
affirmé « caduque » la Charte de son organisation au risque avéré des premiers
conflits sanglants interpalestiniens, il a reconnu le droit à l’existence de
l’Etat d’Israël, il a entamé les négociations concrétisées par les accords
d’Oslo. (…)
Malgré cela, c’est toujours au peuple palestinien, éparpillé par
une politique délibérée de « bantoustanisation », soumis quotidiennement à la
violence, l’humiliation, l’arbitraire, la confiscation et la colonisation de ses
terres, l’expropriation de ses ressources (particulièrement en eau si nécessaire
à son activité agricole) que l’on demande des « garanties », le dialogue, la
renonciation à la violence, la reconnaissance d’on ne sait plus trop quoi, tout
en assistant impuissant à la destruction de ce qui reste de sa société et de sa
culture. (…)
Quant aux « occasions manquées », elles sont loin d’être le seul
fait de l’irrédentisme palestinien et de son leader d’alors. Faire de Yasser
Arafat le bouc émissaire de ces échecs et de sa mort l’occasion d’un grand soir
de la paix ne peut conduire qu’à des désillusions plus grandes encore par la
méconnaissance qu’elle suppose des réalités de ce conflit.
2. Al-Moqawama : La résistance
irakienne par Gilles Munier
in AFI-Flash N° 38 du mercredi 8
décembre 2004
Parler de « guérilleros », d’ « insurgés »,
ou même de « rebelles » pour qualifier les patriotes irakiens, est évidement
mieux que de les appeler « bandits », « barbares », « criminels » ou «
terroristes » comme le font les Américains et leurs supplétifs irakiens. On
comprend que le mot « résistant » leur reste en travers de la gorge, mais pas
que des hommes politiques français, ou des journalistes sans fil à la patte,
hésitent encore à désigner les combattants irakiens par leur nom.
En Irak, la résistance – en arabe : Al Moqawama - existe, se développe et
s’organise, n’en déplaise à ses détracteurs. Si les Américains attribuent ses
opérations militaires au Jordanien Abou Mussab Al Zarqaoui, devenu selon eux le
correspondant d’Oussama Ben Laden, c’est pour minimiser la colère qui gronde,
réduire le conflit à une chasse aux terroristes.
Le mystère Zarqaoui
On se souvient qu’officiellement la
dernière bataille de Falloujah a été déclenchée pour éliminer Al Zarqaoui. En
fait, la ville était aux mains des patriotes, et notamment du parti Baas
clandestin, autrement plus représentatif que l’organisation théoriquement
dirigée par le Jordanien. Au final, après de
multiples bombardements
prétendument ciblés, un siège de plusieurs jours, l’assaut des Marines, la
destruction de la ville et le massacre d’une partie de ses habitants,
Zarqaoui n’a pas été trouvé. S’il existe, l’homme semble insaisissable. Cette
fois, comme dans une bande dessinée américaine, il se serait enfui grâce à un
tunnel passant sous les lignes américaines ! Aux dernières nouvelles, il se
serait installé à Mossoul, nouvelle cible de l’armée américaine. Comme par
hasard…
Personne ne sait si Zarqaoui est vivant. Ses anciens compagnons
d’armes affirment qu’il est mort au Kurdistan lors du bombardement d’un camp
d’Ansar Al-Islam par l’US Air Force, quelques semaines avant l’agression contre
l’Irak. Invérifiable ! Oui, mais tout aussi invérifiable le rapport de la CIA le
tenant pour simplement blessé et accusant le « régime de Saddam Hussein » de
l’avoir amputé d’une jambe dans un hôpital de Bagdad.
A l’époque, la CIA
cherchait à prouver l’existence de liens entre Saddam Hussein et Al Qaïda. Les
Américains n’avaient rien trouvé de mieux que de laisser les Kurdes d’Ansar
Al-Islam de retour d’Afghanistan via l’Iran, ouvrir des camps d’entraînement au
nord de Halabja. La ficelle était grosse car Bagdad ne contrôlait pas la zone et
ne pouvait être tenu pour responsable de ce qui s’y passait. Le Pentagone
refusait d’aider Jalal Talabani à les éliminer, si bien que Tarek Aziz me confia
un jour que le gouvernement irakien avait donné au chef kurde opposant les armes
qu’il demandait pour reconquérir la poche islamiste. Quelques jours avant
la chute de Bagdad, interpellé par un journaliste, le Vice-Premier ministre
irakien niait que Zarqaoui ait été soigné en Irak.
Depuis, le mystère
Zarqaoui s’est encore épaissi. L’apparition sur une bande vidéo d’un individu
masqué égorgeant le jeune Nicolas Berg, n’est pas convaincante. L’homme désigné
par les Américains comme étant l’islamiste jordanien, ne semblait pas handicapé
et portait curieusement au poignet une montre ou une gourmette en or, ce qui est
contraire aux convictions religieuses des salafistes.
A vrai dire, en Irak,
personne n’a jamais vu Abou Mussab Al Zarqaoui, pas plus les habitants de
Bagdad, de Kut, de Bassora, que ceux de Falloujah, villes où les services
secrets américains ont signalé sa présence. Les Irakiens disent que son nom sert
à camoufler toutes sortes de provocations. Reconnaître qu’il est mort, ou qu’il
n’a pas l’importance qu’on lui prête, rendrait plus difficile la tâche des
propagandistes qui expliquent que la résistance n’existe pas et que le parti
Baas est totalement discrédité.
Une bombe à retardement
Les Américains n’ont pas
seulement en face d’eux un peuple qui réagit à leur occupation. Ils ont contre
eux un mouvement de résistance qui, sous des noms divers, est dans sa majorité
une émanation du parti Baas clandestin. L’existence de ce noyau dur atténue les
rivalités et permet aux autres sensibilités patriotiques – notamment
nassériennes et communistes - de se regrouper pour lutter contre l’occupation.
Même les organisations dites islamistes comme l’Armée de Mohammad, coopèrent
étroitement avec la direction baassiste décentralisée, dirigé par Izzat Ibrahim
Al-Douri depuis août dernier.
Comme l’invasion de l’Irak était pour ainsi
dire annoncée depuis la première guerre du Golfe, le gouvernement irakien a eu
plus de dix ans pour se préparer. L’Armée d’Al-Qods qui faisait sourire les
journalistes occidentaux, a permis de sélectionner et de former - parmi 7
millions d’Irakiens - des milliers de résistants potentiels. Ils composent
aujourd’hui l’infrastructure des cellules combattantes. Des officiers des
moukhabarat sortis des meilleures écoles militaires soviétiques, d’Europe de
l’Est ou du Vietnam, ont mis en place des réseaux, des caches d’armes et
d’argent. Ils encadrent la résistance, adaptant à la Mésopotamie les
enseignements du Général Giap.
Le sénateur américain Norm Coleman
(R-Minnesota) a raison de dire que le président Saddam Hussein a détourné
l’embargo pour amasser des fonds qui servent aujourd’hui à combattre les
Etats-Unis (Le Monde – 2/12/04). C’était son droit et son devoir de chef d’Etat.
Il faut être de mauvaise foi pour le lui reprocher, car l’Irak ne possédait plus
d’armes de destruction massive et les sanctions n’étaient imposées que pour
affaiblir ce pays et permettre aux forces américaines de le conquérir avec un
minimum de perte.
On a aussi reproché au président Saddam Hussein
d’avoir favorisé la renaissance de courants religieux musulmans en Irak, alors
que le Baas était dans l’esprit de certains observateurs étrangers un parti
irrémédiablement laïc, au sens occidental du terme. Pour les satisfaire, il
aurait fallu que le parti au pouvoir se fige sur des positions idéologiques
incompatibles avec la gestion d’une société en voie de désagrégation. Ce qui
s’est produit en Irak est une des conséquences de l’embargo économique et
culturel. Si le pays a tenu aussi longtemps dans l’adversité, nul ne devrait
contester aujourd’hui que c’est grâce à la stratégie adoptée par ses dirigeants
: renouveau islamique, 10 000 ans d’histoire magnifiée, respect des traditions
ancestrales ; le tout couronné par l’esprit d’organisation et la foi
nationaliste arabe des cadres baassistes.
Quelle que soit la suite des
événements, y compris une guerre civile provoquée, il faut savoir que tout a été
fait pour permettre à une nouvelle génération d’Irakiens d’affronter la plus
grande puissance du monde. Pour qui n’en connaît pas les mécanismes secrets,
l’Irak est une bombe à retardement. En d’autres temps d’autres envahisseurs ont
compris ce que cela signifiait. Aujourd’hui, les Américains n’en sont qu’au
début de leurs déboires.
3. Au chef d’état-major. Pour
information. par Gideon Lévy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du
vendredi 3 décembre 2004
[traduit de hébreu par
Michel Ghys]
L’armée israélienne a tué 613
enfants et adolescents palestiniens au cours de cette Intifada, une partie
d’entre eux sans aucun besoin de confirmer leur mort. Trois exemples tout
récents dans la casbah de Naplouse, notamment deux amis tués par la même
balle.
Pourquoi gaspiller des munitions ? Il y a quelques jours, un soldat de
l’armée israélienne a tiré sur deux adolescents dans la casbah de Naplouse.
Juste une balle, toute seule. La balle a pénétré dans le corps d’un des garçons,
est ressortie, a pénétré dans le corps du deuxième, les tuant tous les deux.
Deux adolescents qui se trouvaient là, bras dessus bras dessous, dans la rue qui
descend vers le marché, face au soldat qui a tiré. 15 ans. Deux oiseaux d’un
seul coup.
L’assassin des enfants n’a néanmoins pas accompli de confirmation
de la mort après que les deux victimes sont tombées, baignant dans leur sang, et
c’est peut-être pour cela que personne chez nous ne s’est ému de ce meurtre
effroyable. Mais dans deux autres maisons de la casbah de Naplouse, on a pleuré,
cette semaine, la mort d’enfants. Amar Banaat était le seul fils de sa mère, né
après 15 ans de stérilité ; Montasser Hadada était devenu orphelin de père il y
a seulement trois mois. Dans la maison des Hadada, on se tait ; dans la maison
des Banaat, on pousse des cris. Sur le mur, à côté de la photo des deux enfants,
il y a aussi la photo de leur grand ami à tous les deux, Hani Kandil, qui a été
tué au même endroit dans la casbah, quelques mois avant eux. Sur le mur, trois
photos d’enfants tués.
Pas loin de là, dans la casbah, on pleure encore un
enfant tué, la poitrine ouverte d’un énorme trou. C’est la maison de Khaled
Osta, mort à neuf ans. Seul le petit Mouataz Amoudi, 3 ans, a eu de la chance :
la balle lui a seulement labouré la jambe alors que son père le portait dans ses
bras au milieu de la nuit, fuyant après avoir reçu des soldats l’ordre d’évacuer
la maison. Mouataz est seulement attaché dans sa poussette d’enfant.
Naplouse
pleure ses enfants. La réponse du porte-parole de l’armée israélienne dans
chacun des cas mortels, il faut la lire trois fois : deux fois pour tenter de
comprendre et une fois pour essayer d’y croire. Après ça, tous ceux qui, chez
nous, y compris le chef d’état-major, se sont tant émus de l’affaire de la
confirmation de la mort de la fillette Iman Alhamas dans le camp de réfugiés de
Rafah, pourront le faire 613 fois : une fois pour chacun des 613 enfants et
jeunes gens de moins de 17 ans (1) (d’après les chiffres de l’association
palestinienne de droits de l’homme « PHRMG ») qui ont été tués pendant cette
Intifada par des tirs de soldats de l’armée israélienne. Ceux qui pensaient
qu’il s’agissait de faits exceptionnels feraient bien de savoir que le meurtre
d’enfants est une affaire de routine, sans commissions d’enquête et sans le
moindre intérêt du public. Naplouse seul a déjà enterré 29 enfants, dont deux
samedi, il y a deux semaines.
Quatre barrages impromptus sur la route de
Naplouse. Un ou deux kilomètres seulement les séparent les uns des autres et à
côté de chacun, s’allonge une file infernale de voitures. On roule deux minutes
puis on est collé pour encore une heure ou deux. Impossible de comprendre
pourquoi. Barrages de « vexation » ? « Y a peut-être une alerte », marmonne le
soldat qui contrôle encore une ambulance dans laquelle gémit, étendue sur la
civière, une femme sur le point d’accoucher, qui contrôle bien lentement, un
pansement après l’autre : rien de brûle. Le conducteur de l’ambulance dit que
cela fait déjà une semaine qu’Israël assiège ainsi sa ville avec ces barrages
impromptus et bondés, sans compter les barrages fixes de Hawara et de Beit Iba.
Au barrage de Hawara, les civils doivent courir d’un côté à l’autre de
l’appareil radioscopique afin que leur bagage ne s’écrase pas par terre. Un peu
d’exercice, qu’est-ce que ça fait ?
Des corneilles crient parmi les crevasses
de la roche à laquelle sont collées les maisons à appartements du quartier de
Ras Al Ayin. Une maison contiguë à une grotte, dans un quartier d’habitation
presque au centre de la ville. Il y a six semaines, dans la nuit du 20
septembre, les membres de la famille Amoudi se sont réveillés, dans la meilleure
tradition, au bruit de violentes explosions. Après s’être ressaisis, ils ont
entendu les soldats appelant, avec des haut-parleurs, les habitants à évacuer
les maisons. Cela aussi, c’est la routine. Les soldats étaient déployés dans la
rue et sur la falaise qui surplombe les grottes.
Bader Amoudi, 28 ans, s’est
précipité vers le lit de son petit garçon. Mouataz dormait profondément et Bader
l’a pris et s’est hâté d’aller vers la porte d’entrée, avec dans les bras son
fils endormi. La mère et l’épouse de Bader s’attardaient un peu, à cacher les
bijoux et l’or, par peur du pillage par les soldats. Bader a ouvert la porte, il
a eu le temps de descendre une ou deux marches et tout de suite le feu s’est
abattu sur eux. Une balle a déchiré la jambe du petit garçon et a blessé la main
de son père. Le père a laissé son fils dans les escaliers et, terrorisé, s’est
précipité à l’intérieur où étaient son épouse et sa mère. D’après eux, il s’est
encore écoulé une longue heure avant que l’ambulance palestinienne soit
autorisée à évacuer vers l’hôpital de Rafidia le petit garçon qui perdait son
sang.
Mouataz est introduit dans la pièce. Soigné, doux, les joues rouges,
assis dans sa poussette. Le lendemain du jour où le soldat a tiré dans sa jambe
et l’a brisée, on l’a emmené se faire soigner dans un hôpital en Israël
(Hadassah Ein Kerem). Après l’opération, on a assuré à ses parents qu’il
pourrait remarcher tout seul. En attendant, il a des difficultés à marcher avec
le trotteur. A sa cuisse, toute menue, la cicatrice est grande et vilaine.
Le
porte-parole de l’armée israélienne : « A la date du 20.09, au cours de
l’arrestation de trois personnes importantes qui étaient recherchées, les forces
de l’armée israélienne ont bouclé la maison des personnes recherchées et ont
appelé les gens à sortir. Après que les gens sont sortis de la maison, un
personnage suspect a été identifié alors qu’il tentait de fuir par une sortie
arrière qui s’ouvre dans la direction de la falaise. Du fait de son comportement
suspect, les forces ont ouvert le feu en direction de la partie basse de son
corps, conformément aux consignes d’ouverture du feu. Par ces tirs, le fils du
suspect a été blessé. Il n’avait pas été vu par les soldats au moment des tirs,
à cause de l’angle sous lequel il se tenait. Le petit enfant a été soigné sur
place et, dans la soirée, il a été transféré en coordination avec l’armée
israélienne vers un hôpital en Israël, dans un état non grave. »
Une maison
au cœur de la casbah, à côté de ce qu’on ne sait s’il s’agit d’une ruelle ou
d’une grotte obscure. C’est ici qu’habitait la famille Osta. Jemal, le père, 43
ans, travaille au Croissant Rouge, comme garde et même comme infirmier à
l’occasion. A la fin de l’été, le 17 août, Jemal a été appelé à la casbah avec
son ambulance, pour évacuer un blessé dans une des ruelles. Il est arrivé
rapidement, il a sorti le brancard, mais les soldats l’ont chassé de là sous la
menace de leurs armes, « Du balais, hors d’ici ». Pendant près d’un quart
d’heure, il s’est tenu là avec le brancard, les soldats ne le laissant pas
descendre la ruelle, jusqu’à ce qu’il apprenne par le central que le blessé
avait entre temps été évacué par un autre chemin et qu’il devait revenir à la
base. Il ne se doutait pas que le blessé à l’agonie était son fils aîné.
Au
mur, la photo d’un enfant aux cheveux clairs et aux yeux bleus. C’est Khaled
Osta, neuf ans quand il est mort. La raie sur le côté, le regard tendre. Voilà
sa dernière photo, au camp d’été du Croissant Rouge, quelques jours avant sa
mort : un enfant portant des lunettes boit du yaourt. Quand son père est
retourné à la centrale du Croissant Rouge, son frère lui a téléphoné pour lui
faire savoir que Khaled était blessé, mais seulement légèrement. Après le refus
par les soldats d’autoriser l’évacuation par l’ambulance du père, un des voisins
a pris dans ses bras Khaled, qui perdait son sang, et a commencé à courir sur
deux kilomètres de ruelles de la casbah, jusqu’à ce qu’il arrive à une route,
loin des soldats, où l’attendait une autre ambulance.
Encore une photo :
Khaled mort, un trou énorme, d’une dimension inhabituelle, ouvert du côté gauche
de sa poitrine. C’est le trou d’entrée de la balle, de la grenade ou de l’éclat.
Qu’est-ce qui a ouvert un trou pareil dans le corps de cet enfant ? Le père
soulève le divan et tire d’une cachette un sac noir en nylon dans lequel il
garde une grenade à gaz qui se trouvait à côté de Khaled blessé : « Balle de 40
mm spéciale. Série 03-03. Tir par lanceur M203 uniquement », est-il écrit en
hébreu sur la grenade argentée. Il est douteux que ce soit ça qui ait tué Khaled
; mais c’est l’étui de la grenade qui a été tirée et il se trouvait près de
Khaled et depuis lors, son père le garde à l’intérieur du sofa. Sur la photo,
les yeux bleus de Khaled sont fermés.
Pourquoi a-t-on tiré sur lui ? C’était
l’heure de midi, se rappelle la voisine Wafa Halawi, et dehors, dans la ruelle,
une vingtaine d’enfants jouaient ensemble. Halawi a vu depuis la fenêtre
grillagée de sa maison qui ouvre sur la ruelle, les enfants occupés à jouer.
Elle a aperçu des soldats approchant par l’ouest dans une jeep et elle s’est
empressée de crier aux enfants de rentrer à la maison. Elle dit avoir vu deux
soldats sortir de la jeep et lancer des gaz lacrymogènes et des grenades
détonantes vers le groupe d’enfants. Khaled mangeait un sandwich que sa mère lui
avait préparé – on en voit les restes sur la photo de sa mort. Les soldats se
tenaient dans la rue, en haut, et les enfants en bas dans la ruelle. La
possibilité que les enfants lancent des pierres sur les soldats du bas vers le
haut, dans une pente aussi raide – la rue se trouve beaucoup plus haut que la
ruelle – ne parait pas plausible.
La voisine, voyant qu’il lui manquait deux
enfants, un fils et une fille, s’est précipitée dans la ruelle, à leur
recherche. Elle a vu des taches de sang menant à la maison, toute proche, de la
famille Osta. La voisine a suivi les traces de sang jusqu’au moment où elle a vu
Khaled baignant dans son sang devant chez lui. L’enfant était encore parvenu à
parcourir les 20 mètres qui séparaient l’endroit où il avait été blessé de sa
maison à l’entrée de laquelle il s’était effondré. La voisine a appelé les gens
de la maison. La mère et la sœur de Khaled se sont précipitées dehors pour
découvrir l’horreur. A ce moment-là, son père se trouvait dans la rue, en haut,
où il était empêché d’approcher.
Vingt jours après avoir perdu son fils,
raconte Jemal, il a vu un soldat israélien tomber d’un toit en asbeste pendant
une opération de l’armée israélienne dans le proche quartier Yasmina, dans la
casbah. Le soldat était tombé sans que ses camarades s’en aperçoivent et Jemal
s’est précipité vers lui en appelant à l’aide les soldats. Sur le mur de la
ruelle où son fils est tombé, il est écrit maintenant en lettres rouges : « Ici
est tombé le martyr Khaled Osta », et sa photo, celle d’un enfant de neuf ans
avec un trou dans la poitrine, est collée au mur.
Le porte-parole de l’armée israélienne : « L’enquête menée dans l’armée
israélienne sur les circonstances de la mort de Khaled Osta montre qu’il a été
tué entre 15h et 15h30. A cette heure-là, aucun tir des forces de l’armée
israélienne n’avait lieu, excepté le tir d’une balle isolée en direction de
Mafar Sader, âgé de 19 ans, qui lançait des briques vers les forces de l’armée
israélienne. Il n’y a pas de certitude que l’enfant ait été blessé à proximité
de sa maison, il se peut qu’il l’ait été en un endroit éloigné et qu’il soit
arrivé là où il se trouvait par un chemin ou un autre, après avoir été touché.
L’enquête du Croissant Rouge rapporte que l’enfant était mort au moment de leur
arrivée sur place. En résumé, après qu’une large enquête a été menée, on ne sait
pas clairement par l’effet de quoi l’enfant a été touché. »
Une tente de
deuil à l’entrée de la casbah. Amar Banaat avait quatre ans lorsque son père est
mort de maladie. Depuis lors, c’est sa mère, Sabah, qui l’a élevé seule. Elle
avait attendu 15 ans avant d’accoucher de son seul fils et son Amar a vécu 15
ans avant d’être tué. Sabah a encore une fille, Safaa, 13 ans.
Le samedi 20
novembre, il y a environ deux semaines, Amar était sorti dans la rue. Il était
six heures et demie du soir et sa mère lui avait donné cinq shekels pour acheter
des sucreries. Amar a filé à l’épicerie de son grand ami, Montasser Hadada. Du
même âge et fréquentant la même classe, ils étaient amis et récemment, ils ont
partagé le même destin. Il y a environ trois mois, le père de Montasser est mort
dans un accident de la route et depuis lors, ils étaient tous les deux orphelins
de père. Chaque jour, après l’école, Montasser se hâtait de rejoindre l’épicerie
de la famille pour y remplacer sa mère et remplir la place de son père décédé.
C’est ici qu’Amar est venu acheter une gaufre.
« Si seulement la mère du
soldat qui l’a tué pouvait perdre son fils ! », dit Sabah, la mère, très
emportée, assoiffée de vengeance. La dernière photo d’Amar, seul sur une photo
de studio prise cinq jours avant sa mort, à la fête passée, se trouve maintenant
dans une vitrine, sous la photo de son père.
Montasser a été touché le
premier et la balle, la même balle, a aussi pénétré dans le corps d’Amar. Voilà
leur photo parue dans le journal : un tiroir au dessus de l’autre à la morgue de
Rafidia, Amar en dessous de Montasser. L’armée israélienne a fait savoir, le
lendemain, que les deux adolescents étaient armés. Ici on rit amèrement : Amar,
le maigrichon de 15 ans, armé ? Et où est l’arme maintenant ? A nouveau, Sabah
marmonne : « Je voudrais voir le soldat, lui arracher les yeux. C’était mon
unique fils. Toute ma vie, j’ai amassé de l’argent pour pouvoir l’élever. Que
Dieu tue aussi Sharon et aussi tous ses soldats. Sharon-l’âne et ses soldats. Je
reste seule à la maison. »
On raconte qu’après que le soldat a tiré sur les
deux jeunes garçons, il est sorti de la jeep, s’est approché des corps puis
s’est retiré. « Des jeeps protégées, des chars protégés et de notre côté, un
enfant qui lance une pierre : quel dommage peut-il faire ? », crie l’oncle, un
habitant du proche camp de réfugiés de Askar, qui a aidé à élever Amar. « Cinq
minutes plus tôt, il était encore à la maison », crie la mère, « il n’avait même
pas encore digéré son repas du soir ». « Nous ne sommes pas des terroristes,
nous sommes des gens qui veulent vivre libres et dans l’honneur. », dit l’oncle,
un peu plus paisiblement. « Les enfants voient leurs amis tués sous leurs yeux.
Qu’ils nous laissent, qu’ils sortent de nos terres. Tous les jours ils viennent
ici, chaque jour à six heures et demie. Pour quoi faire ? Que Sharon prenne ses
soldats et qu’il se retire. »
Sabah : « Où nos enfants joueront-ils ? Où ? Si
seulement Sharon ressentait notre souffrance. Chaque nuit, chaque nuit ils
tirent. Qu’est-ce que c’est pour un Etat ? Où est la justice ? De quel droit
viennent-ils jusqu’à nos maisons ? De quel droit tuent-ils nos enfants ? Ça
suffit ! ».
Des photos des enfants sont au mur : deux photos d’Amar, le fils
de la maison, une de Montasser et une de Kandil. Les photos de studio d’Amar
sont comme un rêve, loin du quartier Kisriya dans la casbah : l’une avec un fond
de neige et l’autre avec un fond de gratte-ciel étincelants.
Le porte-parole
de l’armée israélienne : « Pendant l’activité des forces de l’armée israélienne
à Naplouse, le 20.11, des tirs ont visé les forces de l’armée israélienne, des
charges explosives et des cocktails Molotov ont été lancés. Les forces ont
identifié un Palestinien armé, ont ouvert le feu par un tir concentré dans sa
direction, l’homme armé et son frère, tous deux activistes du Fatah recherchés,
ont été blessés par ce tir. De même, un homme armé a été identifié à l’est de la
casbah, les forces ont ouvert le feu en tirant une balle isolée et ciblée et ont
identifié un coup au but qui, selon toute apparence, a tué l’homme armé.
«
Après enquête auprès des forces à propos du cas où un autre jeune Palestinien a
ensuite été tué, et d’après les données de l’administration de coordination et
de liaison sur le lieu où il a été blessé et le temps de son admission à
l’hôpital, il apparaît qu’au moment dont il est question, on a ouvert le feu
contre les forces de l’armée israélienne dans la partie Est de la casbah, lors
de deux incidents : dans l’un c’était avec une kalachnikov, dans l’autre avec un
revolver. Les forces n’ont absolument pas répliqué parce qu’elles n’ont pas
identifié la source des tirs. On ne peut donc pas relier la mort de ce dernier
Palestinien à l’activité de l’armée israélienne dans la zone. »
On descend
les escaliers de la maison, on marche dans la ruelle en pente, on entre dans la
pénombre. Le portillon en fer, c’est l’entrée de l’épicerie de Montasser et la
porte métallique est celle de sa maison. Pour arriver à l’intérieur de la
maison, il faut se courber et passer par d’anciennes grottes, grimper un
escalier pentu avant de retrouver plus d’espace dans le salon aux murs humides.
C’est aussi la chambre à coucher de la maison : lit double et salon dans la même
pièce. C’est ici que vivait Montasser et c’est en bas, dans la ruelle, qu’il est
mort avec son ami Amar.
Une charrette en bois stationne à l’endroit de leur
mort, à l’entrée du souk, à quelques dizaines de mètres de l’entrée de
l’épicerie. Le frère de Montasser, Maher, 20 ans, a été un témoin visuel de la
scène : il a vu un groupe d’une dizaine d’enfants et d’adolescents attroupés
dans la ruelle et parmi eux, Amar et son frère qui sortaient de l’épicerie. Il a
vu surgir les soldats et a pris la direction de l’épicerie. Il dit qu’il n’y a
eu ni tirs ni jets de pierres contre les soldats. Tout à coup, il a entendu un
coup de feu, un seul et unique. Amar est mort sur le coup et Montasser, son
frère, est mort alors qu’on l’emmenait d’urgence à l’hôpital. Tous les deux
saignaient de la bouche.
- (1) - 323
enfants de moins de 14 ans, dit la version anglaise de cet article. Ha'Aretz
présente aussi un site en anglais.
4. La France demande à Israel de cesser son
soutien à Gbagbo - L'Etat hébreu fournirait des conseillers et du matériel
militaire à Abidjan
on Grioo.com (e-magazine français) du jeudi 2
décembre 2004
La France a officiellement demandé à Israël
d`interrompre son soutien militaire au président ivoirien, Laurent Gbagbo, dont
le pays est confronté depuis septembre 2002 à une rebellions armée, rapporte
mercredi l`hebdomadaire satirique français, "Le Canard enchaîné".
La demande
française qui inclut le retrait de la Côte d`Ivoire des coopérants militaires et
des drones de reconnaissance israéliens, a été récemment présentée par
l`ambassadeur de France en Israël, Gérard Arnaud, précise-t-on de même
source.
Selon une source française, une quarantaine de conseillers israéliens
travaillent pour le compte du président ivoirien, Laurent Gbagbo, qui s`appuie
notamment sur leur expertise dans le renseignement et les écoutes
téléphoniques.
Des Israéliens auraient en outre été aperçus lors des
manifestations anti-françaises qui ont suivi la destruction le 6 novembre
dernier, des moyens aériens des Forces armées nationales de Côte d`Ivoire
(FANCI) par des soldats français de l`opération Licorne.
Depuis, la France a
obtenu du Conseil de sécurité des Nations unies le vote d`une résolution qui
prévoit un embargo immédiat sur toutes les livraisons d`armes à destination de
la Côte d`Ivoire.
Paris souhaite par ailleurs, voir des pays comme Israël
abandonner toute forme d`appui au président Gbagbo avec qui ses relations sont
aujourd`hui au plus mal.
5. Un prix néerlandais prestigieux pour le
poète palestinien Mahmoud Darwish
Dépêche de l'Agence France Presse
du mercredi 1er décembre 2004, 17h10
LA HAYE - Le poète palestinien
Mahmoud Darwish a reçu mercredi à La Haye le prix Prince Claus d'un montant de
100.000 euros pour "son oeuvre impressionnante" marquée par sa vie en exil, a
annoncé la Fondation néerlandaise Prince Claus.
Mahmoud Darwish, 62 ans, est
un des poètes arabes contemporains les plus renommés. Né en Palestine en 1942,
il fuit la région en 1948 après la création de l'Etat d'Israël. "Dans son
oeuvre, il sait attirer l'attention sur les conséquences des migrations forcées
et met l'accent sur la force de la beauté dans des périodes difficiles", relève
la Fondation Prince Claus dans un communiqué.
Revenu en Israël pour une brève
période, Mahmoud Darwish fut contraint à l'exil pour ses positions politiques en
1970. Après 26 ans passés du Liban à la Russie en passant par Paris, il s'est
installé à Ramallah.
Le prix décerné à M. Darwish s'inscrit dans la nouvelle
stratégie de la Fondation Prince Claus qui "souhaite mettre en lumière les
résultats positifs des migrations et de la politique d'asile".
Le metteur en
scène de théatre irakien Jawad al Assadi et le poète birman en exil Tin Moe ont
pour leur part reçu un prix de 25.000 euros.
La Fondation Prince Claus,
fondée par le défunt époux de la reine Beatrix des Pays-Bas, attribue chaque
année plusieurs prix à des artistes, penseurs ou organisations culturelles des
pays d'Afrique, d'Asie, d'Amérique latine et des Caraïbes.
6. La succession de Yasser Arafat à la tête
de l'Autorité autonome palestinienne - Les chausse-trapes d'une
élection par Jean-François Legrain
in Le Figaro du mardi 30 novembre
2004
(Jean-François Legrain est chercheur au CNRS ; Maison de
l'Orient-Lyon.)
L'inscription sur les listes des candidats à
l'élection du successeur de Yasser Arafat à la tête de l'Autorité autonome
palestinienne est ouverte. La réussite de ce scrutin, prévu le 9 janvier, est
habituellement présentée comme la condition préalable à la reconnaissance de la
légitimité du futur interlocuteur palestinien, le président de l'Autorité étant
ainsi investi de la responsabilité de représenter les intérêts palestiniens
vis-à-vis d'Israël et de la communauté internationale. Une telle approche
constitue une aberration juridique, anthropologique et politique.
Au regard
de la légalité internationale, tout d'abord, la seule institution palestinienne
habilitée à négocier au nom de l'ensemble des Palestiniens de par le monde et à
signer un traité demeure l'Organisation de libération de la Palestine (OLP).
Depuis 1974, elle bénéficie pour ce faire d'un siège d'observateur aux Nations
unies. Deux décennies plus tard, le 9 septembre 1993, par la signature de
Yitzhak Rabin, son premier ministre d'alors, Israël avait signifié dans un
échange de lettres avec le président du Comité exécutif (CEOLP), Yasser Arafat,
que son «gouvernement a décidé de reconnaître l'OLP comme le représentant du
peuple palestinien et d'ouvrir des négociations avec l'OLP dans le cadre du
processus de paix au Proche-Orient». Cette situation demeure valide et le
président légitime du CEOLP est Mahmoud Abbas (Abu Mazen), élu par ses pairs le
jour même du décès de Yasser Arafat.
L'«Autorité palestinienne
d'autogouvernement intérimaire», mise en place à partir de 1993 dans le cadre de
la négociation d'Oslo, a, quant à elle, été juridiquement privée de toute
compétence dans les domaines diplomatique et de défense. Son unique mission
était de gérer le quotidien des populations de Cisjordanie et de la Bande de
Gaza placées sous autonomie pour une période de cinq ans, prélude à la
résolution du conflit israélo-palestinien fixée comme objectif et terme de la
négociation. La validité juridique internationale de cette Autorité aurait dû
disparaître le 4 mai 1999. Cette Autorité intérimaire, aujourd'hui, ne bénéficie
plus d'aucun statut juridique international explicite. Personne, pourtant, ne
s'est décidé à signer l'acte de décès.
En janvier 1996, l'honnêteté des
élections du président de l'Autorité exécutive et des membres du Conseil
législatif avait été reconnue par les observateurs internationaux. A l'encontre
des chantres d'une certaine démocratie réduite à une question de choix
idéologiques et de partis, le traitement mathématique du scrutin et son
interprétation en termes d'anthropologie sociale avaient montré qu'en Palestine,
comme dans bien d'autres pays du monde, l'élection est fondamentalement un acte
d'allégeance à une personnalité déjà reconnue comme leader. Le vote traduit
ainsi la consécration d'un passé et non un choix entre des programmes d'avenir
censés être concurrents, un acte qui ne contredit pas forcément la démocratie
entendue au sens noble du terme. En retour de cette allégeance affichée et pour
préserver sa propre longévité, le président élu a ensuite le devoir de dispenser
postes, allocations individuelles et investissements locaux et régionaux – ce à
quoi servait en grande part la fortune prétendument personnelle de Yasser Arafat
– attendus par une population dont les députés sont les intermédiaires mandatés
auprès du pouvoir central.
Par-delà leur opposition ou leur soutien à la
politique menée par Yasser Arafat, nationalistes et islamistes ont unanimement
reconnu en 1996 que le chef de l'OLP, par ses années d'engagement, était le seul
dans lequel ils pouvaient retrouver peu ou prou la Palestine de leur identité.
Il n'a jamais été question pour eux de choisir entre le programme de Fath (par
ailleurs jamais formulé) ou de Hamas (qui n'avait pas investi officiellement de
candidats mais dont les partisans ont participé au vote). Par une accumulation
fruit de l'histoire, Yasser Arafat présidait déjà le CEOLP, l'Etat de Palestine
(proclamé par l'OLP en 1988) et Fath (la principale organisation membre de
l'OLP). Son élection au suffrage universel à la tête de l'Autorité d'autonomie
procédait de cette stature antérieure au scrutin.
La voie qui aujourd'hui
permettrait, par la démocratie, d'asseoir la légitimité du négociateur attendu
passe donc par l'OLP et le renouvellement de ses institutions. Les quinze
survivants des dix-huit membres du CEOLP actuel ont été élus en avril 1996 par
un Conseil national (CNP, Parlement en exil) à la composition contestée. Seul le
Conseil central (issu du CNP) avait alors fait l'objet d'un accord consensuel,
réunissant Palestiniens de l'extérieur et Palestiniens de l'intérieur, cooptés
ou membres du Conseil législatif élus dans le cadre de l'autonomie. Pensées dans
les années 60 et 70, dans un contexte marxisant et en l'absence des islamistes
alors inexistants sur la scène politique, ces institutions doivent tout d'abord
être profondément réformées.
Loin de renforcer un éventuel interlocuteur
palestinien, la surévaluation de l'éventuelle élection de janvier a toute chance
d'affaiblir chacun des prétendants à la succession d'Arafat, qu'ils émanent de
l'OLP ou de l'Autorité d'autonomie. Aujourd'hui, encore moins qu'hier, une
élection en Palestine ne saurait constituer un choix, entre des politiques comme
entre des hommes. L'attente unanime est celle de la fin de l'occupation et de la
construction d'un avenir meilleur. La disparition du leader charismatique, qui
avait su catalyser tous les espoirs mais aussi les rancoeurs des siens, est trop
récente pour qu'un successeur ait déjà eu la possibilité de construire sa
légitimité à prendre sa place et de bénéficier, alors, d'un soutien
incontestable issu du suffrage universel.
Une relative faiblesse d'un
président de l'Autorité d'autonomie ne serait guère gênante si le négociateur de
l'OLP et véritable leader était un homme fort et respecté. En prétendant, par
une confusion des fonctions, faire du président élu d'une Autorité exécutive
moribonde ce négociateur, Palestiniens, Israéliens et communauté internationale
risquent, une fois encore, de retarder toute avancée vers la résolution tant
attendue du conflit.
7. Comment la Shoah a structuré la nation - Le "plus
jamais ça" qui forge Israël par Jean-Luc Allouche
in Libération du
mardi 30 novembre 2004
- La Nation et la mort. La Shoah dans
le discours et la politique d'Israël, de Idith Zertal, traduit de l'anglais par
Marc Saint-Upery, éditions la Découverte, 292 pp., 20 euros.
Que l'on considère la litanie des biographies des victimes d'attentats,
égrenées à la longueur d'émissions télé ou dans les pages des journaux. Que l'on
fasse le compte des interminables diffusions d'enterrements, de cérémonies du
souvenir pour les victimes de la Shoah ou des soldats tombés pendant les
guerres. Que l'on s'attarde un instant sur une institution comme Yad Vachem (1),
destinée à préserver le souvenir de ceux qui sont morts «sans nom» dans les
camps de la mort nazis. Tout, en Israël, dit la mort, les longues «noces de
sang» avec la mort.
La Nation et la mort d'Idith Zertal éclaire de manière
exemplaire, documentée et parfois cruelle ce compagnonnage avec la mort, cette
obsession d'une nation qui n'a pas encore tout à fait saisi l'ampleur de sa
résurrection. Du coup, Israël s'est forgé dans un culte, tantôt effréné, tantôt
désespéré, de la force. Le «Plus jamais ça !» de l'antifascisme européen s'est
mué en volonté inflexible de n'être «plus jamais victimes», tels «des moutons
menés à l'abattoir». Du coup, dès les débuts de l'entreprise sioniste, est née
une religion laïque, voire païenne, celle du «nouveau juif», dans un pays «pur
et idéal», fort, sûr de son bon droit, et convaincu de ses vertus morales. Le
consensus israélien joue, aujourd'hui encore, sur cette dichotomie entre le
«sabra» viril, musculeux et décidé et le «vieil homme» de la diaspora, féminin,
faible et désemparé.
Idith Zertal tranche au scalpel dans l'écheveau des
mythes nationaux, utilitaires certes, mais qui ligotent la société israélienne
de mille noeuds gordiens. Le moment qui a servi de levier à cette exacerbation
de la conscience nationale est la capture, en 1960, d'Adolf Eichmann et le
procès «à grand spectacle», comme elle écrit, qui l'a suivie. C'est que, après
les premières années au cours desquelles les rescapés furent accueillis assez
froidement en Israël, David Ben Gourion entendait «ranimer le discours de la
mémoire» et insuffler un nouveau «discours de puissance».
On ne s'étonnera
donc pas qu'Idith Zertal consacre l'un de ses chapitres les plus convaincus et
les plus profonds à l'attitude d'Hannah Arendt («Entre l'amour du monde et
l'amour d'Israël»), car l'exigeant auteur d'Eichmann à Jérusalem est plus proche
de son coeur, et elle fait justice des innombrables polémiques qu'a provoquées
son ouvrage fondateur sur «la banalité du mal». Ses controverses d'alors, y
compris avec Gershom Scholem, n'ont pas perdu un iota de leur pertinence. Là,
l'Israélienne Idith Zertal se montre soeur de l'intellectuelle allemande
«solidaire et solitaire, impliquée et détachée, présente et pourtant lointaine,
membre de la famille et pourtant étrangère».
Pour autant, l'historienne ne se
confine pas à la seule étude des archives de la mémoire, mais elle indique
comment la crainte de l'amnésie s'est muée en hypermnésie au coeur des
«territoires jaunes» des conflits contemporains. Au sein de la société
israélienne, où le meurtre d'Ytshak Rabin, en 1995, a laissé des traces
brûlantes, comme dans l'affrontement avec les Palestiniens. Comment, surtout,
«la catastrophe du messianisme politique» a changé la bénédiction de la mémoire
en malédiction. Au point que des pans du peuple d'Israël ne sont plus capables
de penser l'Histoire qu'ils vivent, et qu'ils font, pour se réfugier dans le
confort moral de l'archétype. A ce point, la Nation et la mort, aussi implacable
soit-il dans la démonstration érudite, retrouve d'antiques accents de la
prophétie. Non celle de la «consolation» mais bien celle de «la mise en garde»,
du refus du compromis.
- (1) Un nouveau site Internet met en ligne désormais
les listes des victimes :
http://www.yadvashem.org/
8. Un peuple de "neuf millions d’Arafat" par
Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du mardi 30 novembre 2004
Le ministre palestinien Ilan Halevi était présent pour la
Journée internationale de solidarité avec les Palestiniens, hier à
Bruxelles.
Bruxelles, envoyée spéciale - L’association belgo-palestinienne
Naim Kader - du nom de l’ancien représentant de l’OLP assassiné à Bruxelles -
avait choisi la date de la Journée internationale de solidarité avec le peuple
palestinien (1) pour rendre hommage à Yasser Arafat. Son président, Pierre
Galant, avait pour cela invité le journaliste israélien Amnon Kapeliouk, auteur
d’une biographie du président défunt (Arafat, l’irréductible, publié chez
Fayard), et Ilan Halevi, vice-ministre des Affaires étrangères de l’Autorité
palestinienne. Amnon Kapeliouk dit les soupçons qui l’assaillent sur les causes
de la mort de l’ancien président. « Le problème, dit-il, n’est pas seulement
médical mais aussi politique. Il y avait depuis longtemps une volonté avouée de
la droite nationaliste et d’Ariel Sharon de liquider Arafat, qui gênait la mise
en oeuvre de la "pax israelica" : la création "d’États bantous-tans ". Je
conseille au peuple palestinien d’être prudent face aux nouveaux pièges qu’on
lui prépare. »
Pour Ilan Halevi, Yasser Arafat était aussi « un ami avec qui
j’ai travaillé pendant trente ans dans un rapport de tendresse ». « Ce rapport
très particulier que le président entretenait avec les Palestiniens - il était à
la fois le père, le frère, l’ami, occupant une place surdimensionnée - fait
qu’Arafat est irremplaçable. » « Cela a du bon, ajoute-t-il, car personne ne
pourra plus occuper les trois fonctions qui étaient les siennes - à la tête du
Fatah, de l’OLP et de l’Autorité -, et cela peut permettre une avancée dans
notre transition d’un mouvement révolutionnaire vers le fonctionnement normal
d’institutions dans un système démocratique. » Quant à la possibilité que la
disparition d’Arafat rende les choses plus faciles à Ariel Sharon, Ilan Halevi
ironise : « Sharon avait fait d’Arafat l’abcès de fixation de son refus de
négocier. Mais il va s’apercevoir que nous sommes un peuple de neuf millions
d’Arafat ! Personne n’ira plus loin qu’Arafat n’est allé dans le compromis
historique entre le droit et la force. »
Pour Ilan Halevi, le peuple
palestinien a montré, depuis la mort d’Arafat, une grande maturité, faisant tout
pour conserver son unité. « Le soutien apporté par Marwan Barghouti, du fond de
sa prison, à la candidature d’Abou Mazen pour la présidentielle en est une
preuve supplémentaire : Marwan n’est pas un aventurier qui prend des décisions
tout seul. L’annonce de sa candidature était une tentative d’intox. Il faut être
extrêmement vigilants. » Et d’appeler à une reprise rapide des actions de
solidarité et à l’application de la « feuille de route » du « quartet ».
À
cet égard, Ilan Halevi participera demain à une rencontre à La Haye entre le
ministre des Affaires étrangères palestinien Nabil Chaath, son homologue
israélien, Silvan Shalom, et les dirigeants de l’UE dans le cadre du processus
de Barcelone.
En ce qui concerne la reprise des « missions civiles » en
Palestine, elle a été annoncée pour le lendemain de Noël par les associations
belges. Pierre Galant a, quant à lui, appelé à participer massivement au grand
rassemblement de solidarité prévu le 11 décembre prochain à Rome dans la foulée
du Forum social de Londres.
- (1) La date 29 novembre a été choisie par l’ONU
comme Journée internationale de solidarité avec le peuple palestinien, en
commémoration du plan de partage du 29 novembre 1947 qui créait en Palestine un
État juif et un État palestinien, lequel n’existe toujours pas.
9. "Le Pianiste" de Palestine par Omar
Barghouti
in Counterpunch (e-magazine étasunien) du lundi 29 novembre
2004
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Omar Barghouti est un analyste
politique indépendant qui réside en Palestine.)
En voyant le film Le
Pianiste, récompensé par un Oscar, j’ai eu trois réactions mêlées, plutôt
dérangeantes. Le film ne m’a pas particulièrement impressionné, esthétiquement
parlant. J’ai surtout été horrifié par la description de la déshumanisation des
juifs polonais, d’une part, et de l’impunité totale des occupants allemands,
d’autre part. Et je n’ai pas pu m’empêcher de comparer le ghetto de Varsovie au
mur d’Israël, beaucoup plus pernicieux encore puisqu’il encage trois millions et
demi de Palestiniens de Cisjordanie dans des prisons à la fois éparpillées et
tentaculaires.
Dans le film, lors d’une séquence où des militaires allemand
forcent des musiciens juifs à jouer pour eux, à un barrage, j’ai pensé en
moi-même : « Tiens, bizarre : voilà quelque chose que les militaires israéliens
n’ont pas encore fait aux Palestiniens ? » J’avais parlé trop vite, semble-t-il.
Le plus grand quotidien israélien, Ha’aretz, a écrit la semaine passée qu’une
association israélienne de défense des droits de l’homme qui surveillait un
barrage routier destiné à intimider la population, près de Naplouse a enregistré
en vidéo des militaires israéliens en train de forcer un violoniste palestinien
à jouer pour eux. La même association a confirmé que des abus similaires
s’étaient déjà produits, plusieurs mois auparavant, à un autre checkpoint situé,
quant à lui, près de Jérusalem.
Grâce à une de ces opérations de blanchiment
dont Israël a le secret, l’ « incident » avait été minimisé par un porte-parole
de l’armée, qui avait parlé d’ « insensibilité », sans nulle intention
malveillante d’humilier le Palestinien victime de cette mise en scène. Et, bien
entendu, le mantra habituel, avec soldats confrontés à la nécessité « de faire
face à une réalité complexe et dangereuse, bla, bla, bla… », nous a été servi
une énième fois en guise d’excuse « ready made – taille unique ». Je me demande
si la même chose pourrait être dite ou acceptée, au sujet de la pratique nazie
originale, aux portes du ghetto de Varsovie, dans les années 1940 ?
Hélas, la
similitude entre les deux occupations illégales ne se limite pas à cela.
Beaucoup des méthodes de « punition » tant individuelle que collective infligées
aux civils palestiniens par de jeunes soldats israéliens – racistes, le plus
souvent sadiques et toujours insensibles à toute critique – aux centaines de
checkpoints qui jonchent les territoires palestiniens occupés, évoquent les
pratiques nazies routinières à l’encontre des juifs. A la suite d’une visite
dans les territoires palestiniens occupés, en 2003, un député juif au Parlement
anglais en a porté témoignage, écrivant : « Les pionniers qui ont créé l’Etat
d’Israël n’auraient sans doute pas pu ne serait-ce seulement imaginer l’ironie
cruelle à laquelle Israël est confronté, de nos jours : en échappant aux cendres
de l’Holocauste, ils ont enfermé un autre peuple dans un enfer similaire de par
sa nature – même s’il n’est pas comparable quant à son étendue – au ghetto de
Varsovie. »
Même Tommy Lapid, ministre israélien de la Justice et lui-même
rescapé de l’Holocauste, a soulevé une tempête politique l’an dernier, en
évoquant à la radio israélienne le fait que l’image d’une femme palestinienne
âgée, en train de rechercher ses remèdes dans les ruines de ce qui avait été sa
maison, lui avait remis en mémoire sa grand-mère, morte à Auschwitz. Plus : il
avait commenté la destruction totalement arbitraire de maisons, d’entreprises et
de fermes palestiniennes – à Gaza, à l’époque – par son armée, disant : « Si
nous continuons comme ça, nous seront exclus de l’ONU et les responsables [de
ces exactions] se retrouveront devant le tribunal international de La Haye.
»
Certains des crimes de guerre qui inquiètent des gens tel Lapid ont été
révélés récemment par des témoignages oculaires d’anciens soldats, qui ne
pouvaient plus concilier le peu de valeurs morales dont ils étaient porteurs
avec leur complicité dans l’humiliation, le rudoiement et les blessures qu’ils
infligeaient quotidiennement à des civils innocents. De tels crimes étaient
devenus, pour eux, des actes acceptables, voire même indispensables, afin de «
discipliner » des indigènes indomptés et d’assurer « la sécurité ».
D’après
un reportage récent repris par plusieurs médias israéliens, un commandant a été
accusé d’avoir tabassé sans raison des Palestiniens au tristement célèbre
checkpoint de Hawwara. Ironie du sort : la preuve la plus accablante retenue
contre lui fut une bande vidéo, enregistrée par le service de formation de
l’armée ! Dans cet épisode assez spécial, l’officier supérieur responsable de ce
barrage routier, ayant appris qu’une équipe de tournage se trouvait non loin et
sans avoir été en quoi que ce soit provoqué, avait tabassé un Palestinien «
accompagné de sa femme et de ses enfants » : il lui a envoyé un coup de poing en
plein visage et « il l’a même roué de coups de pied », indique le
reportage.
Récemment, une exposition intitulée « Briser le silence » a été
organisée, à Tel Aviv, par un groupe de soldats israéliens dotés d’une
conscience, qui ont fait leur service dans Hébron occupée. Elle consistait en
des photographies et visait à dénoncer des formes de belligérance encore plus
graves à l’encontre de Palestiniens sans défense. Inspirée par des graffiti de
colons juifs, affirmant : « Les Arabes : dans les chambres à gaz ! » ; « Arabes
= race inférieure » ; « Versez le sang arabe ! » et, bien entendu, l’indémodable
« Mort aux Arabes ! » qui fait plus florès que jamais, des militaires israéliens
ont eu recours à une myriade de méthodes pour rendre la vie du Palestinien moyen
insupportable. Une des photographie montrait un autocollant apposé sur une
voiture passant devant l’objectif. Cet autocollant entendait peut-être
expliciter le but ultime de ces formes de violence, en affirmant : « La
repentance religieuse nous donnera la force nécessaire pour expulser les Arabes
! » ? Le commissaire de l’exposition a décrit une politique particulièrement
choquante, consistant à sulfater des quartiers résidentiels palestiniens
particulièrement surpeuplés, comme Abu Sneina, avec des mitrailleuses et des
lanceurs de grenades, des heures durant, en réplique au tir bénin de quelques
balles, depuis une maison du quartier, contre les colonies juives installées à
l’intérieur même de la ville.
Les horreurs hébronites pâlissent, toutefois,
lorsqu’on les compare à ce que des unités de l’armée israélienne ont fait à
Gaza. Ainsi, par exemple, dans une interview accordée à Ha’aretz en novembre
2003, Liran Ron Furer, sergent dans l’armée israélienne et diplômé d’une école
d’art, a décrit la transformation progressive de tout soldat en « animal »
lorsque ce soldat est affecté à un checkpoint, sans égard pour les valeurs dont
il avait bien pu hériter au sein de sa famille. Sous cet angle, ces soldats sont
infectés par ce que le témoin appelle « le syndrome du checkpoint », dont l’un
des symptômes éloquents est un comportement violent envers les Palestiniens, «
de la manière la plus primitive et impulsive qui soit, sans aucune crainte
d’être sanctionné… » « Au checkpoint », explique-t-il, « des jeunes gens ont
l’opportunité d’être les maîtres et le recours à la force et à la violence
devient (pour eux) légitime… »
Furer décrit de quelle manière ses collègues
ont humilié et tabassé sans pitié un Palestinien atteint de nanisme, juste pour
s’amuser ; comment ils ont pris une « photo souvenir » de civils attachés et
ensanglantés, qu’ils avaient rossés ; comment un soldat a pissé sur la tête d’un
Palestinien adulte par ce que celui-ci avait eu « le culot de sourire » à un
soldat ; comment un autre Palestinien a été forcé à marcher à quatre pattes et à
aboyer comme un chien ; comment encore un autre soldat a demandé des cigarettes
à des Palestiniens, « leurs brisant la main » ou « crevant les pneus de leur
voiture », s’ils osaient refuser.
De toutes ces exactions, la plus
effroyable est celle de son propre témoignage : « J’ai couru vers un groupe de
Palestiniens, et j’ai collé un marron à un Arabe, en pleine poire », a-t-il
reconnu. « Le sang lui dégoulinait de la lèvre, sur le menton. Je l’ai amené
derrière la jeep et je l’ai balancé dedans : il s’est pété les genoux sur le
coffre arrière et il a atterri à l’intérieur. » Puis il poursuit sa description,
émaillée de détails « gore » : comment ils se sont servi, comme d’un marchepied,
de leur prisonnier étroitement saucissonné, qu’ils appelaient entre eux «
l’Arabe » ; comment ils l’ont frappé jusqu’à « ce qu’il saigne de partout, et
devienne une sorte de bouillie de sang et de salive mêlés ; comment ils l’ont «
soulevé par les cheveux et lui ont tourné la tête le plus loin possible, sur un
côté », jusqu’à ce qu’il hurle de douleur et comment les soldats lui ont alors «
sauté, de plus en plus fort, sur le dos », pour le faire taire.
Après quoi,
Furer révèle que le commandant les a félicités : « Joli travail, mes tigres ! ».
Après avoir emmené leur proie dans leur campement, les abus se sont poursuivis,
prenant diverses formes. « Tous les autres soldats attendaient là, impatients de
voir CE QUE [c’est l’auteur qui souligne] nous avions attrapé [comme gibier].
Quand nous sommes entrés, avec la jeep, ils ont sifflé et applaudi à tout rompre
». Un des soldats, a expliqué Furer, « est venu vers lui, et lui a envoyé un
coup de ranger dans le ventre. L’Arabe se cassa en deux, et se mit à geindre.
Nous étions pliés de rire. C’était marrant… Je lui ai envoyé des coups de pied
vraiment violents dans le c.l, et il a fait un vol plané vers l’avant,
exactement selon la trajectoire prévue. Les copains s’esclaffaient criaient… Ils
hurlaient de rire… Je m’éclatais. Notre Arabe n’était qu’un adolescent de seize
ans, handicapé mental. »
Aussi sauvages soient-elles, les exactions,
habituelles aux checkpoints, ne sont absolument pas uniques de leur genre. Elles
s’insèrent parfaitement dans le tableau général consistant à voir dans les
Palestiniens des êtres à peine humains, qui n’ont aucun titre à la dignité et au
respect auxquels, seuls, des gens « pleinement humains » peuvent prétendre.
Ainsi, au plus fort de la réoccupation massive des villes palestiniennes par
l’armée israélienne, en 2002, des soldats israéliens ont gravé des étoiles de
David au couteau sur les bras de plusieurs hommes et adolescents palestiniens
faits prisonniers. Les photos insoutenables des victimes ont été tout d’abord
montrées par des chaînes télévisées diffusées par satellite, et finalement
publiées sur le « Net ».
En 2002, toujours, dans le camp de réfugiés
d’Al-Am’ari, durant une rafle massive de Palestiniens (exclusivement de sexe
masculin), adolescents et vieillards inclus, les soldats israéliens ont inscrit
des numéros d’identification « sur le front et les avant-bras de prisonniers
palestiniens en attente d’être soumis à interrogatoire. » Le dirigeant
palestinien disparu Yasser Arafat compara ces agissements aux pratiques bien
connues des nazis, dans les camps de concentration. Tommy Lapid, ulcéré, déclara
: « En ma qualité de survivant de l’Holocauste, je trouve ces agissements
insupportables ». Néanmoins, Raanan Gissin, un des porte-parole du Premier
ministre Ariel Sharon, n’était préoccupé que d’une seule chose : le risque que
l’image d’Israël ne soit ternie : « A l’évidence [ce comportement] entre en
conflit avec le désir de faire passer un message de « relations publiques » »,
avait-il déclaré à la radio israélienne. Reprenant cette version avec un
remarquable psittacisme, les médias consensuels en Israël, eux aussi, se
montrèrent beaucoup plus soucieux de « l’impact désastreux en matière de
relations publiques » que d’exprimer une quelconque horreur ou une quelconque
forme de protestation contre l’immoralité de l’acte et la cruelle ironie se
dégageant de cette mise en scène.
Yoram Peri, professeur de sciences
politiques et de médiologie à l’Université de Tel-Aviv voit dans les « PR », les
« Public Relations » « un problème fondamental dans la vie israélienne. » « Nous
ne pensons pas commettre quoi que ce soit de mal… », explique-t-il dans une
interview accordée au quotidien britannique The Guardian, « … en revanche, nous
pensons que nous nous expliquons mal, et que les médias internationaux sont
antisémites. » Obsédés par la manière dont Israël est perçu, bien plus que parce
qu’Israël fait réellement, les Israéliens, dit Peri, sont essentiellement
préoccupés du fait « que nous ne savons pas expliquer ce que nous faisons. Quand
nous discutons des choses horribles qui se passent en Cisjordanie, nous ne
parlons pas du problème lui-même, mais (uniquement) de la manière dont il sera
perçu. »
Reconnaissant le cynisme, l’apathie et l’acquiescement dominants
chez la majorité des Israéliens, vis-à-vis de la cruelle oppression des
Palestiniens, l’ex-députée à la Knesset Shulamit Aloni a déclaré, au cours d’une
interview récente accordée à la publication irlandaise The Handstand, que «
cette grossière insensibilité » menace la société israélienne de désintégration.
Faisant référence aux Allemands, à l’époque du régime nazi, elle a ajouté : « Je
commence à comprendre pourquoi une nation toute entière a pu dire : « Nous ne
savions pas » ».
Je me demande, personnellement, si viendra le temps où un
metteur en scène célèbre, bardé de prix internationaux, aura le courage de
braver le terrorisme intellectuel et les tactiques d’intimidation prévisibles,
en produisant une adaptation palestinienne du « Pianiste », afin de dénoncer le
cocktail vireux israélien, composé pour moitié de racisme, et pour moitié
d’impunité
?
10. Manifestation contre un spectacle en
faveur des soldats d'Israël
Dépêche de l'Agence France Presse du
lundi 29 novembre 2004, 22h38
PARIS - Un très important
dispositif policier a empêché, lundi soir, plusieurs centaines de manifestants
pro-palestiniens de se rassembler devant le théâtre parisien du Gymnase, où la
troupe de l'armée de l'air d'Israël devait se produire à partir de 20H00.
Ces
manifestants, qui commençaient à se disperser sans incident peu avant 22 heures,
étaient un millier selon les organisateurs, une vingtaine d'associations, et 400
selon la préfecture de police.
Sept cents spectateurs étaient attendus à la
soirée organisée par le KKL (Keren Kayemeth LeIsrael, Fonds national juif) de
France, "en faveur de la création d'aires de détente et de rencontre
parents-soldats à l'entrée des bases de Tsahal dans le Néguev" (Sud d'Israël).
Sur scène, devaient se produire de jeunes appelés de 18 à 21 ans, qui animent
des soirées dans les bases militaires israéliennes.
Dès 19h, plus de 25
fourgons et cars de policiers et CRS étaient garés sur le boulevard
Bonne-Nouvelle, et des cordons de policiers faisaient barrage dans les rues
adjacentes.
"Armée d'Israël, armée criminelle", "Honte au Gymnase qui
encourage les criminels de guerre", ont scandé les manifestants, contenus par
des CRS en tenue anti-émeute, à proximité de la station de métro
Strasbourg-Saint-Denis.
Dans l'après-midi, le juge des référés du tribunal de
Paris avait refusé d'interdire le spectacle, comme le réclamait l'association
pro-palestinienne CAPJPO (Coordination des appels pour une paix juste au
Proche-Orient).
Plusieurs manifestations avaient déjà eu lieu aux abords du
théâtre, sur le boulevard Bonne-Nouvelle, "contre l'utilisation d'un lieu
consacré à l'art pour soutenir une armée qui occupe illégalement les territoires
autonomes de Cisjordanie et Gaza et humilie chaque jour la population
palestinienne".
Interrogé par l'AFP, le délégué général du KKL France,
Michaël Bar-Zvi, s'est dit "très choqué que l'on harcèle ainsi le directeur d'un
théâtre qui ne fait qu'accueillir un concert et qui programme également Smaïn".
"On nous fait un faux procès en disant que nous ramassons de l'argent pour
Tsahal, a déclaré M. Bar-Zvi. Le KKL soutient à 200% l'armée d'Israël mais ne
lui transfère pas de fonds directement. Cette collecte a pour seul but de créer
des aires de pique-nique pour l'accueil des familles de soldats, à l'extérieur
des bases militaires", a-t-il ajouté.
Le juge des référés du tribunal de
Paris, saisi en urgence, a souligné que la liberté du spectacle ne peut souffrir
de restrictions qu'en cas de trouble manifestement illicite ou de dommage
imminent.
En outre, le juge des référés "n'a pas le pouvoir d'apprécier la
politique israélienne, ni la situation et les actions complexes du gouvernement
israélien et de l'autorité palestinienne".
Le KKL - qui se présente sur son
site internet français comme "le bras exécutif du peuple juif pour la rédemption
et le développement de la terre d'Israël" - est le deuxième détenteur de terres
en Israël après l'Etat.
11. Offense à la mémoire de Rafoul
par Gideon Levy
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du dimanche 28 novembre
2004
[traduit de l’anglais par Marcel
Charbonnier]
« Quand on parle de morts, il n’en faut
dire que du bien ». Certes. Mais doit-on embellir l’image d’un personnage public
pour la simple raison qu’il est mort ? L’image publique de Rafael Eitan (Rafoul,
pour les intimes), ancien chef d’état major et ministre, disparu la semaine
dernière dans de tristes circonstances [Rafael Eitan est mort noyé, dans le port
d’Ashdod – voir notice nécrologique dans Le Monde du 26/11/2004, ndt], a été
reblanchie après sa mort au-delà de toute vraisemblance. Ni lui, ni l’opinion
publique ne méritaient cela. Quand l’histoire le jugera, ses éloges funèbres
sembleront plus qu’un tantinet ridicules.
S’agissait-il bien du même Rafoul
que celui que nous connaissions ? Du chef d’état major de la guerre la plus
criminelle de toute l’histoire d’Israël, au cours de laquelle 650 soldats
(israéliens) et des milliers de Palestiniens et de Libanais ont perdu la vie
absolument pour rien ; de la personne qui, en compagnie du Premier ministre
israélien actuel (qui était alors ministre de la Défense) a trompé le
gouvernement et qui, en sa compagnie, a été accusé [par la commission d’enquête
Kahan] de s’être abstenu de donner l’ordre qui, seul, aurait pu éviter
l’horrible massacre dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila ? De cette
même personne qui est présentée, aujourd’hui, comme une personne décente et
droite, comme un héros d’Israël ? Cette personne qui a enseigné – en paroles et
en actes – le racisme et la haine des Arabes, est décrite, aujourd’hui, comme un
parangon de pédagogie ! Comme cela fut [déjà] le cas avec Rehavam Ze’evi,
ministre du Tourisme mort assassiné, ici encore, la mémoire est relookée, au
point où le portrait de l’homme est totalement brouillé. Seul Asaf Harel, hôte
d’un talk show extrêmement nocturne, sur la dixième chaîne de télévision
israélienne Channel 10, a osé déclarer : « Il y a des centaines de soldats qui
auraient bien aimé assister aux obsèques de Rafoul… Mais il y a eu un petit
problème : ils ont été retenus à Kiryat Shaul » [« Petit » détail : Kiryat
Shaul, c’est… un cimetière militaire !]
A n’en pas douter, Eitan était un
soldat audacieux et un exploitant qui aimait sa terre. Il était aussi,
apparemment, un personnage public modeste, il avait un sens de l’humour un peu
particulier, plutôt rude, et même un certain don pour faire des vers. Mais en ne
se concentrant que sur ces seules qualités et en rejetant tout le reste, on fait
injure à sa mémoire. Il était un des principaux contributeurs au processus de
déshumanisation des Arabes. Il y a tout juste vingt et un ans de cela, il
proféra les propos qui allaient rester parmi ses citations les plus [tristement]
célèbres, lorsqu’il a comparé les Arabes à des « cafards drogués enfermés dans
une bouteille ». Est-il concevable qu’il n’y ait aucun rapport d’aucune sorte
entre cette attitude et sa contribution par omission au carnage de Sabra et
Chatila, ou entre cette attitude et sa décision, qui avait déclenché à l’époque
une controverse féroce, de réduire la condamnation de Daniel Pinto, jugé
coupable d’avoir exécuté des prisonniers au cours de l’Opération Litani, au
Liban ? Un dirigeant européen qui parlerait ainsi des juifs serait ostracisé
sur-le-champ. Mais cette sortie n’a jamais empêché Eitan de poursuivre son
irrésistible ascension.
Sous-jacente à sa vision du monde, il y avait aussi
un présupposé corollaire de la déshumanisation – à savoir : que le seule langage
que les Arabes comprendraient, serait celui de la force. Avant même la guerre du
Liban (1982), il avait suggéré de bombarder un stade bourré de spectateurs, à
Beyrouth. A la veille du massacre de Sabra et Chatila, en septembre 1982, il
avait promis, avec son célèbre sens de l’ « humour », que « les Phalanges
[formations chrétiennes alliés d’Israël, au Liban] fourniraient des « petites
maisons » cosy aux Palestiniens ». Une autre fois, il était alors haut gradé, il
déclara : « Voir les Arabes s’entre-tuer, c’est un vrai plaisir ! », et aussi :
« Punir les parents en raison des agissements de leurs enfants, cela marche à
merveille, avec les Arabes ! ». En tant que ministre de l’Agriculture, il avait
proposé de couper les Bédouins du Néguev de leurs points d’eau et du réseau
électrique, ainsi que de les empêcher d’épouser des femmes [palestiniennes] des
territoires [occupés].
Il faut de souvenir de Rafael Eitan comme d’une
véritable disgrâce. Il aurait dû disparaître du paysage public israélien, ne
serait-ce qu’en raison de la part qu’il a prise dans la guerre du Liban et de
son implication dans les massacres de Sabra et Chatila. Mais la marque de Caïn
qu’il aurait dû porter dès le lendemain des « graves conclusions quant à ses
faits et à ses omissions » auxquelles était parvenue la Commission Kahan, et en
raison des centaines de familles endeuillées au lendemain de la guerre au Liban,
ne l’a nullement empêché de poursuivre sa carrière politique.
En la matière,
encore une fois, le même pattern s’est répété. Les représentants du parti qu’il
créa se sont avérés un quarteron d’opportunistes, qu’Eitan avait recruté sans se
poser de question « sur l’aire de battage et au pressoir », sans aucune
procédure démocratique d’élection. Et néanmoins, comme par miracle, il continua
à bénéficier de son image d’homme politique honnête et décent. L’officier
célèbre pour son silence [complice] devint un bateleur d’estrade infatigable, le
para impavide et audacieux s’avéra le chef d’individus risibles et douteux,
depuis Gonen Segev, en passant par Alex Goldfarb, pour finir avec Modi Zandberg
– rares sont les partis auxquels ce dernier ne se soit pas acoquiné… - et tous
ces gens formaient l’ « héritage Rafoul », bien qu’aucun d’entre eux n’ait eu la
moindre idée de ce que cela pouvait bien signifier… Ce n’est qu’après un certain
nombre d’année que les gens en ont eu marre de ce parti, et qu’il fut incapable
de réunir assez de voix pour envoyer un député à la Knesset.
La contradiction
sans doute la plus affolante entre le personnage mis sur un piédestal et le
véritable Eitan fut cette description de Rafoul en parangon de pédagogue, en «
éducateur des générations ». Même Meir Shalev, un écrivain connu pour son
soutien au processus de paix, y est allé, vendredi dernier, au sujet d’Eitan de
son « seul chef d’état major à avoir accordé à l’éducation une valeur sans
pareille. »
L’éducation à quoi, exactement ? On aimerait le savoir ! A plus
de haine des Arabes ? A la valeur du recours à la force ? Au mensonge ? Le
député Yossi Sarid a cité un chef d’état major qui lui avait fait la confidence
d’un ordre non écrit à validité permanente, à l’Etat major général : ne croire
aucune information provenant du chef du Commandement Nord. Un certain Rafaël…
[bingo !] Eitan. Il est vrai que le projet des « Gamins de Rafoul » avait connu,
en apparence, un réel succès, et Eitan y consacrait beaucoup de son temps. Mais
ce succès n’est rien, comparé à l’esprit dans lequel il éduqua les soldats des
Forces israéliennes de défense. L’IDF de Rafoul, comme l’IDF d’aujourd’hui, est
une armée qui éduque ses soldats à voir en les Arabes des « cafards drogués
».
Il faut que la vérité soit dite : la semaine passée, un ancien chef d’état
major et ministre est mort, qui avait incontestablement du courage, mais qui
était aussi extrêmement brutal et raciste. Ceux – et ils sont nombreux – qui
aimaient Rafoul lui pardonnaient ses attitudes morales plus que douteuses.
C’est, naturellement, leur droit. Mais de là à redorer sa façade, il y a un
monde. Rafoul, comme tout un chacun, doit rester dans les mémoires exactement
pour ce qu’il était : un officier. Mais : un gentleman ? Une figure exemplaire ?
Vous pouvez repasser !
12. Un Palestinien forcé de jouer du violon
à un point de contrôle israélien
Dépêche de l'agence Associated
Press du jeudi 25 novembre 2004, 19h27
JERUSALEM - Des
militaires israéliens ont contraint un Palestinien à jouer du violon pour
franchir un barrage routier près de Naplouse, en Cisjordanie, ont rapporté jeudi
des militants des droits de l'Homme.
Un officier a obligé l'homme à sortir
son violon et à jouer pendant environ deux minutes alors que des centaines
d'autres Palestiniens attendaient derrière lui pour passer, a raconté Horit
Herman-Peled, de l'organisation de défense des droits de l'Homme Machsom Watch,
qui surveille le comportement des soldats aux barrages.
L'armée israélienne a
expliqué que les militaires lui avaient fait jouer de l'instrument pour vérifier
qu'il n'y avait pas d'explosifs cachés à l'intérieur, mais a noté que l'incident
avait été "traité avec indélicatesse" par des soldats qui "font face à une
réalité dangereuse". Elle a précisé qu'une enquête avait été menée et que les
soldats avaient été réprimandés.
L'incident s'est produit le 9 novembre à
Beit Iba, un point de contrôle routier souvent bondé au nord de Naplouse, et a
été filmé par Mme Herman-Peled, qui a précisé que durant la scène les militaires
riaient. Les images montrent un homme debout jouant du violon derrière une
barrière en béton alors qu'un soldat inspecte ses papiers.
13. Mes réticences sur le sionisme
par Sigmund Freud
in Le Nouvel Observateur du jeudi 25 novembre
2004
Exclusif. La lettre originale du fondateur de la
psychanalyse sur le futur Etat d'Israël était restée cachée depuis 1930. La
voici dans son intégralité.
La lettre de Sigmund Freud que nous publions, datée du 26 février 1930
et adressée à Chaim Koffler, membre de la Fondation pour la Réinstallation des
Juifs en Palestine (Keren Hayesod), est traduite pour la première fois de
l’allemand dans son intégralité par Jacques Le Rider. Elle est publiée par la
revue «Cliniques méditerranéennes» (n° 70, Erès, 2004), accompagnée d’un
commentaire d’Elisabeth Roudinesco, historienne de la psychanalyse, dont nous
donnons ici de larges extraits.
Vienne, 19 Berggasse, 26 février 1930 - Monsieur le Docteur, Je ne peux pas
faire ce que vous souhaitez. Ma réticence à intéresser le public à ma
personnalité est insurmontable et les circonstances critiques actuelles ne me
semblent pas du tout y inciter. Qui veut influencer le grand nombre doit avoir
quelque chose de retentissant et d’enthousiaste à lui dire, et cela, mon
jugement réservé sur le sionisme ne le permet pas. J’ai assurément les meilleurs
sentiments de sympathie pour des efforts librement consentis, je suis fier de
notre université de Jérusalem et je me réjouis de la prospérité des
établissements de nos colons. Mais, d’un autre côté, je ne crois pas que la
Palestine puisse jamais devenir un Etat juif ni que le monde chrétien comme le
monde islamique puissent un jour être prêts à confier leurs lieux saints à la
garde des juifs. Il m’aurait semblé plus avisé de fonder une patrie juive sur un
sol historiquement non chargé; certes, je sais que, pour un dessein aussi
rationnel, jamais on n’aurait pu susciter l’exaltation des masses ni la
coopération des riches. Je concède aussi, avec regret, que le fanatisme peu
réaliste de nos compatriotes porte sa part de responsabilité dans l’éveil de la
méfiance des Arabes. Je ne peux éprouver la moindre sympathie pour une piété mal
interprétée qui fait d’un morceau de mur d’Hérode une relique nationale et, à
cause d’elle, défie les sentiments des habitants du pays. Jugez vous-même si,
avec un point de vue aussi critique, je suis la personne qu’il faut pour jouer
le rôle de consolateur d’un peuple ébranlé par un espoir injustifié.
Freud
"Aucun oeil humain ne verra cette lettre" par
Elisabeth Roudinesco
En août 1929, deux ans après la
publication en langue arabe des «Protocoles des Sages de Sion», qui allait
donner naissance quelques années plus tard à un véritable antisémitisme dans le
monde arabe, des émeutes survinrent à Hébron au cours desquelles des
Palestiniens massacrèrent l’une des plus anciennes communautés juives du
Yishouv. Face aux revendications nationalistes de ce peuple, qui se sentait
dépossédé de sa terre, les dirigeants sionistes étaient divisés sur la conduite
à tenir. Les uns, comme Vladimir Zeev Jabotinsky, considéraient que les Arabes
étaient marqués par un déterminisme biologique qui leur interdirait toujours
d’accepter la présence des juifs et qu’il fallait en conséquence construire un
«mur d’acier» démographique entre les deux communautés, alors que les autres –
militants de la gauche socialiste – commençaient au contraire à prendre
conscience de la nécessité d’une cohabitation. Aussi concevaient-ils l’idée de
créer un Conseil législatif palestinien à parité entre Juifs et Arabes.
C’est dans ce contexte que Chaim Koffler, membre viennois du Keren Hayesod,
la Fondation pour la Réinstallation des Juifs en Palestine, s’adressa à Freud
pour lui demander, comme à d’autres intellectuels de la diaspora, de soutenir la
cause sioniste en Palestine et le principe de l’accès des juifs au mur des
Lamentations. Il reçut aussitôt de celui-ci la lettre inédite publiée ici. A
l’évidence, la missive du fondateur de la psychanalyse déplut aux membres du
Keren Hayesod, puisque dans une lettre adressée à Abraham Schwadron, sioniste de
droite, archiviste et collectionneur d’autographes, Koffler souligne: «La lettre
de Freud, malgré son authenticité et sa tonalité chaleureuse, ne nous est pas
favorable. Et comme ici, en Palestine, il n’y a pas de secret, il est probable
qu’elle quittera la collection des autographes de la Bibliothèque de
l’Université, pour être rendue publique. Si je ne peux être utile au Keren
Hayesod, je voudrais au moins ne pas nuire à sa cause. Si vous désirez, à titre
personnel, lire ce manuscrit, pour ensuite me le rendre, je vous le ferai
remettre.»
Schwadron répondit en hébreu à Koffler: «Je vous promets, au nom
de la Bibliothèque, qu’"aucun œil humain ne la verra [Job, 7/8]".» La promesse
qu’aucun œil humain ne verrait cette missive, jugée désastreuse pour la cause
sioniste, fut respectée pendant environ soixante ans. Mais, comme la meilleure
manière de dissimuler une archive, c’est encore de la détruire, cette lettre, du
fait même du mystère qui pesait sur sa localisation et sur son existence,
suscita de multiples rumeurs. Elle ne contenait d’ailleurs rien d’autre qu’un
secret de Polichinelle, puisque Freud eut maintes fois l’occasion d’exprimer sur
le sionisme, sur la Palestine et sur les lieux saints une opinion identique à
celle adressée au Keren Hayesod.
Ainsi il envoyait à Albert Einstein
le même jour – 26 février 1930 – une autre lettre qui reprenait point par point
la même argumentation: détestation de la religion, scepticisme à l’égard de la
création d’un Etat juif en Palestine, solidarité envers ses «frères» sionistes –
qu’il appelait parfois ses «frères de race» –, empathie enfin pour la cause
sioniste, dont pourtant il ne partagera jamais l’idéal: «Quiconque veut
influencer la foule doit avoir quelque chose de retentissant et d’enthousiaste à
dire, et mon jugement pondéré et nuancé sur le sionisme ne va pas dans ce sens.»
Freud se déclarait fier de «notre» université et de «nos» kibboutzim, mais il ne
croyait pas à la création d’un Etat juif parce que, disait-il, les musulmans et
les chrétiens n’accepteront jamais de confier leurs sanctuaires à des juifs:
«J’aurais mieux compris que l’on eût fondé une patrie juive sur un sol vierge,
non grevé historiquement.» Et il déplorait le «fanatisme irréaliste de ses
frères juifs» qui contribuait à «éveiller la méfiance des Arabes». Et enfin: «Je
ne puis trouver en moi l’ombre d’une sympathie pour cette piété fourvoyée qui
fabrique une religion nationale à partir du mur d’Hérode, et qui, pour l’amour
de quelques pierres, ne craint pas de heurter les sentiments des populations
autochtones.»
Pour bien marquer par ailleurs qu’il restait solidaire des
entreprises sionistes – et plus encore après la prise du pouvoir par les nazis
–, Freud n’hésita pas, à l’occasion du quinzième anniversaire de la création du
Keren Hayesod, à envoyer à Leib Jaffé une missive élogieuse: «Je veux vous
assurer que je sais fort bien à quel point votre fondation est un instrument
efficace, puissant et bénéfique pour l’installation de notre peuple sur la terre
de ses ancêtres [...]. Je vois là un signe de notre invincible volonté de vivre
qui a jusqu’ici bravé deux mille ans d’oppression étouffante.»
Mais, à son
arrivée à Londres, en 1938, les persécutions antisémites qui l’avaient contraint
à quitter Vienne n’avaient en rien modifié son opinion. Il se sentait toujours
aussi solidaire de son peuple mais il continuait à détester toute forme de
religion, y compris le judaïsme. En conséquence, il acceptait difficilement
l’idée qu’un Etat juif pût être viable précisément parce qu’un tel Etat, en se
réclamant d’une sorte «d’être juif», ne pourrait nullement, à ses yeux, devenir
laïque.
En un mot, Freud assimilait le mouvement sioniste dans son ensemble à
une entreprise de rejudaïsation des juifs, à une sorte de nouveau messianisme,
plutôt qu’à une utopie socialiste ou à une entreprise politique. Aussi
préférait-il sa position de juif de la diaspora, universaliste et athée, à celle
de guide spirituel attaché à une nouvelle Terre promise: «Tout en vous
remerciant de m’accueillir en Grande-Bretagne, j’aimerais vous demander de ne
pas me traiter comme "un guide d’Israël". Je souhaiterais être considéré
seulement comme un modeste homme de science et d’aucune autre manière. Bien
qu’étant un bon juif qui n’a jamais renié le judaïsme, je ne peux néanmoins
oublier mon attitude totalement négative envers toutes les religions, y compris
le judaïsme, ce qui me différencie de mes confrères juifs et me rend inapte au
rôle que vous voudriez m’attribuer.»
Freud n’ignorait rien du grand
mouvement de régénération des juifs inauguré par les pères fondateurs du
sionisme: Theodor Herzl et Max Nordau. Il connaissait les hommes et les idées.
Mais, bien qu’il n’eût jamais renié sa judéité, c’est-à-dire son sentiment
d’appartenance non pas à la religion juive ou au judaïsme, mais à son identité
de juif sans Dieu, de juif viennois assimilé – et de culture allemande –, il ne
concevait pas que le retour à la terre des ancêtres pût apporter la moindre
solution à la question de l’antisémitisme européen. Et c’est pourquoi il
préconisait le choix d’un autre territoire que celui des origines: un territoire
neuf où l’on ne soit pas contraint de mener de nouvelles guerres de religion. A
cet égard, il eut l’intuition magistrale que la question de la souveraineté sur
les lieux saints serait un jour au centre d’une querelle presque insoluble, non
seulement entre les trois monothéismes, mais entre les deux peuples frères
résidant en Palestine. Il redoutait à juste titre qu’une colonisation abusive ne
finisse par opposer, autour d’un bout de mur idolâtré, des Arabes fanatiques et
antisémites à des Juifs intégristes et racistes.
Il pensait qu’il y avait
dans la judéité intellectuelle, détachée de ses racines religieuses ou
communautaires, quelque chose de «miraculeux et d’inaccessible à toute analyse».
Ce quelque chose, ce «propre du juif», il le décrira jusqu’à la publication de
«l’Homme Moïse» non pas comme une élection, ou comme un particularisme, mais
comme un état transhistorique seul capable de conduire les juifs à une véritable
grandeur, c’est-à-dire à cette capacité inouïe d’affronter les préjugés de masse
dans la plus haute des solitudes: «C’était seulement à ma nature de juif que je
devais les deux qualités qui m’étaient devenues indispensables dans ma difficile
existence. Parce que j’étais juif, je me suis trouvé libéré de bien des préjugés
qui limitent chez les autres l’emploi de leur intelligence. En tant que juif,
j’étais prêt à passer dans l’opposition et à renoncer à m’entendre avec la
majorité compacte.»
La Terre promise investie par Freud ne connaît ni
frontière ni patrie. Elle n’est entourée d’aucun mur et n’a besoin d’aucun
barbelé pour affirmer sa souveraineté. Interne à l’homme lui-même, interne à sa
conscience, elle est tissée de mots et de fantasmes. Héritier d’un romantisme
devenu scientifique, Freud emprunte ses concepts à la civilisation gréco-latine
et à la Kultur allemande.
Après avoir été soigneusement dissimulée, la lettre
de Freud au Keren Hayesod connut un destin chaotique. En 1978, elle fut citée en
anglais dans un article consacré à Freud et à Herzl, et en 1991, après avoir été
mentionnée dans un hebdomadaire algérien qui cherchait à démontrer que Freud
n’avait guère de sympathie pour le sionisme, elle fut traduite en anglais
intégralement par Peter Loewenberg, psychanalyste américain. Celui-ci la publia
accompagnée d’un commentaire de son cru, la jugeant antisioniste et assez peu
lucide sur l’avenir. «Freud, disait-il, s’est trompé à propos de sa prédiction,
puisque l’Etat juif existe vraiment...» Loewenberg semblait oublier que si Freud
était réservé quant à la création en Palestine d’un Etat juif, il tenait
toujours à marquer sa solidarité envers ses frères sionistes. Traduite
aujourd’hui pour la première fois de l’allemand en français, la lettre en
souffrance est donc enfin arrivée à destination.
14. La bataille d’Israël, à
Fallujah par Rashid Khashana
in Al-Hayat (quotidien arabe publié à
Londres) du lundi 22 novembre 2004
[traduit de
l’anglais par Marcel Charbonnier]
Il est clair,
désormais, qu’Israël a joué un rôle majeur dans la bataille de Fallujah, en
dépit du soin mis par les Etats-Unis à dissimuler cette réalité. Les
informations qui ont pu filtrer, venant de la part d’officiers, de soldats et
même de rabbins à double nationalité qui ont pris part aux combats, et dont
certains ont été tués par les balles de la résistance irakienne, ne représentent
que le sommet émergé de l’iceberg. L’assassinat d’un officier israélien à
Fallujah a révélé l’existence d’un grande nombre d’officiers, de tireurs d’élite
et de parachutistes (israéliens), en Irak. D’après des chiffres cités dans la
presse israélienne, Israël entretient pas moins de mille officiers et soldats en
Irak, répartis dans les unités américaines en opération dans ce pays. De plus,
trente-sept rabbins opèrent au sein des troupes américaines, ce qui conduit à
penser que leur nombre réel est plus élevé ; le quotidien Ha’aretz ayant admis
que certains d’entre eux dissimulent leur identité juive : il peut s’agir
d’Israéliens engagés à titre individuel. Actuellement, est en cours une campagne
de recrutement, coïncidant avec l’escalade des opérations militaire en Irak, qui
demande qu’une assistance plus importante soit envoyée dans ce pays. Parmi ces
campagnes, notons l’appel du rabbin Irving Elson, dans sa dernière conférence
prononcée à New York, à nommer plus de « rabbins combattants » et à les
encourager à s’engager dans les forces américaines. A quoi il faut ajouter un
avis rendu par un autre rabbin, déclarant « martyrs » tous (les juifs) tués (au
combat) à Fallujah.
L’Amérique a bien besoin de l’expérience israélienne en
matière de guerre de guérilla, afin de gérer les batailles urbaines en Irak ;
étant donné que deux générations de ses forces armées n’ont pas « bénéficié » de
cette expérience, depuis la guerre du Vietnam. Toutefois, le rôle des Israéliens
n’est ni technique, ni celui de supplétifs du plan américain. Il s’inscrit
plutôt dans la vision formalisée par ses dirigeants militaires et politiques,
avant même le déclenchement de la guerre en Irak, visant à annihiler tout rôle
de l’Irak dans la région, et à éliminer toute menace susceptible d’émaner de ce
pays, à l’avenir. Le projet israélien est désormais connu, en raison de
différents titres, dans la presse, dont les plus importants concernaient l’envoi
d’opérationnels du Mossad afin de créer des bureaux et des réseaux tant dans le
nord que dans le sud de l’Irak ; l’élimination de scientifiques irakiens et
l’intensification des achats immobiliers et fonciers, dans le nord, en
particulier dans les environs d’Arbil, Kirkuk et Mossoul. Cela vient compléter
le projet précédent, lancé dix ans avant la chute de Bagdad, par l’intermédiaire
de juifs turcs.
Israël encourage les dirigeants kurdes à se distancer de
Bagdad, dans la gestion de leurs régions, mais en même temps, il entend faire
jouer aux partis kurdes un rôle central dans l’Irak de l’après-guerre, en raison
des relations historiques qu’il a établi, de longue date, avec eux. Israël a
très vraisemblablement avancé dans la mise en application du plan annoncé il y a
quelques années par le ministre des Infrastructures Joseph Paritzky, visant à
installer des pipelines pétroliers conduisant d’Irak en Israël, à travers la
Jordanie ; un rapport des services turcs de sécurité a d’ailleurs été publié
récemment par le quotidien turc Cumhuriyyet, confirmant les efforts d’Israël en
vue de relancer l’utilisation de la canalisation débouchant à Haïfa dès que cela
sera possible. Cela a amené les Israéliens à mettre sur pied leurs propres
canaux avec les pouvoirs locaux, à partir du point focal du nord, et à faire
progresser le projet de réalisation, qu’ils avaient préparé dès avant la chute
de l’ancien régime irakien. Toutefois, ils évitent actuellement toute
confrontation avec la Turquie, laquelle est préoccupée par leur expansion dans
les régions du nord de l’Irak.
A cette fin, Israël incite les juifs
irakiens à rejoindre le front, afin de prendre la direction de l’organisation
des relations avec le nouveau gouvernement, et en particulier, afin
d’intensifier les initiatives commerciales avec l’Irak, via la Jordanie. Israël
veut également avoir son mot à dire quant au devenir de l’Irak, au moyen d’une
influence indirecte au sommet de Sharm el-Shaykh, ce qui a rendues furieuses
tant la Syrie que la Turquie. L’expansion très étendue et inattendue du rôle
israélien dans divers domaines, en Irak, confirme qu’Israël est le principal
bénéficiaire du prolongement de la guerre, de la même manière qu’il est le
premier bénéficiaire de l’escalade américaine face à l’Iran, au sujet de son
dossier nucléaire. L’Irak, ce n’est pas la Russie, et l’Iran, ce n’est pas la
Chine : ces deux pays ne sont pas de taille à menacer les Etats-Unis. Néanmoins,
ils représentent l’un comme l’autre une menace pour l’Etat hébreu. Pour
conclure, on peut dire que les Likoudniks accomplissent les visées d’Israël en
Irak. On peut en tirer la conclusion que l’objectif de la bataille de Fallujah,
c’est de casser la colonne vertébrale de la résistance (irakienne), et de paver
la voie vers l’achèvement du plan israélien.
15. Sharon dénonce l'accord entre Téhéran
et l'Europe sur le nucléaire par Marc Henry
in Le Figaro du lundi
22 novembre 2004
Le candidat du premier ministre Ariel
Sharon, le ministre sans portefeuille Tsahi Hanegbi, a été élu hier président du
comité central du parti Likoud par cette instance. M. Hanegbi ne l'a emporté que
par 53% des voix contre 47% pour son rival, Uzi Landau, à la tête du camp des
opposants à M. Sharon. Le secrétaire d'Etat américain Colin Powell est arrivé
hier à Tel-Aviv pour une courte visite en Israël et dans les territoires
palestiniens, sa première depuis 18 mois dans la région. Cinq Palestiniens, dont
un chef local des Brigades des martyrs d'al-Aqsa, lié au Fatah, ont été tués ce
week-end en Cisjordanie et à Gaza.
Jérusalem - Israël s'est trouvé une nouvelle raison de critiquer
les Européens. Cette fois l'offensive vise un accord passé ces derniers jours
par l'Iran avec la France, la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Téhéran s'est
engagé à suspendre à partir d'aujourd'hui ses opérations d'enrichissement de
l'uranium en échange de facilités commerciales avec l'Union européenne. Cet
arrangement a déclenché colère et amertume parmi les responsables israéliens.
Selon eux, le régime iranien, considéré comme l'ennemi numéro un de l'Etat
hébreu, s'en est tiré à bon compte et va pouvoir continuer son programme
d'armement nucléaire.
«Les Européens savent parfaitement que les Iraniens
sont passés maîtres en matière de tromperie. Ils ont mis en place un réseau
d'installations nucléaires secrètes qui ne seront pas inspectées par les experts
de l'Agence internationale de l'énergie atomique de Vienne (AIEA)», déplore un
proche d'Ariel Sharon. Les médias citant de hauts responsables militaires ont
eux aussi fait état hier d'un «plan nucléaire secret» iranien tout en soulignant
que les Iraniens vont être en mesure de menacer «dans quelques années» Paris,
Londres ou Berlin avec des missiles à longue portée susceptibles d'être équipés
d'ogives nucléaires.
Volontiers alarmiste, un responsable à la présidence du
conseil, n'hésite pas à évoquer un scénario catastrophe : «Il est possible qu'un
jour, la France puisse par exemple être soumise à un chantage nucléaire de la
part des Iraniens exigeant par exemple l'abrogation d'une loi jugée
anti-islamique.» Publiquement, l'Iran assure ne pas vouloir se doter de l'arme
nucléaire. Mais ce pays ne cache pas son ambition de mettre au point des
missiles à longue portée. L'armée iranienne a ainsi présenté cet été un engin de
type Chaabab 3 d'une portée d'environ 2 000 km capable d'atteindre le territoire
israélien.
Pour faire face à ce péril, les responsables israéliens espéraient
que l'AIEA condamnerait l'Iran et passerait ensuite le dossier au Conseil de
sécurité de l'ONU afin que des sanctions économiques soient imposées à Téhéran.
«Mais, une fois de plus les Européens ont été le maillon faible de l'histoire.
Ils ont apparemment voulu à tout prix remporter une victoire diplomatique en
tentant de prouver qu'ils agissent différemment des Américains. Ils risquent de
payer très cher ce soi-disant succès», prévient un diplomate
israélien.
Malgré ce revers, Ariel Sharon ne semble pas décidé à recourir, du
moins pour le moment, à «l'option militaire». L'Etat hébreu dispose pourtant
d'un nouveau modèle d'avions américains de type F 16 capables d'atteindre l'Iran
ainsi que, selon des experts militaires étrangers, d'un arsenal nucléaire de 150
à 200 bombes atomiques. «Nous allons laisser les Américains mener le jeu
diplomatique en espérant qu'ils parviendront à convaincre rapidement les
Européens d'adopter une politique beaucoup plus ferme lorsqu'il sera évident
pour tout le monde que les Iraniens ont tenté de gagner du temps», prévoit ce
diplomate.
Mais le facteur temps est décisif. Le chef des renseignements
militaires, le général Aharon Zeevi, a récemment estimé que le programme
nucléaire militaire de la République islamique allait atteindre «le point de
non-retour» d'ici à la mi-2005, autrement dit que les Iraniens ne seront plus
dépendants de la moindre assistance étrangère pour achever seuls le programme
nucléaire. Une fois ce stade franchi, les Iraniens devraient être en mesure de
produire leur première bombe atomique d'ici trois ans, selon les estimations des
militaires israéliens.
Ce diagnostic s'est trouvé étayé par les informations
d'experts à Vienne qui ont accusé vendredi l'Iran d'avoir accéléré ces derniers
temps la production d'un dérivé de l'uranium, le UF6, en vue de compenser la
suspension de l'enrichissement d'uranium. Les Moudjahidins du peuple, un groupe
d'opposition iranien, ont de leur côté fait état la semaine dernière de
l'existence d'un site secret surnommé le «Centre moderne de technologie et
d'alerte défensive» installé au nord-ouest de Téhéran, où l'enrichissement de
l'uranium se poursuivrait. Cette organisation a été la première à révéler en
août 2002 l'existence de deux sites nucléaires secrets à Arak et Natanz dans le
centre de l'Iran. A l'époque l'information n'avait pas été prise au sérieux. Des
inspecteurs de l'AIEA qui s'étaient plus tard rendus à Natanz, avaient découvert
164 centrifugeuses utilisées pour l'enrichissement de
l'uranium.
16. Comment changer le Proche-Orient par
Chedli Klibi
in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 21 novembre
2004
(Chedli Klibi est ancien secrétaire général de la Ligue
arabe.)
On a dit qu’Arafat était l’homme qui avait inventé le peuple
palestinien. C’est vrai, si on entend par là que c’est lui qui a donné une
dimension internationale au drame palestinien. Celui-ci, avant Arafat, était
noyé dans le magma du conflit arabo-israélien. Le monde n’a pris conscience des
malheurs qui frappaient ce peuple infortuné qu’avec Arafat, grâce à son activité
incessante, ses efforts constants pour expliquer et convaincre, s’évertuer à
gagner toujours plus de soutiens à sa cause.
Arafat s’était identifié à son
peuple, ne vivait que pour lui. Il renonçait à tout pour se consacrer à son
combat. En parlant d’Arafat, aujourd’hui, en Israël, on n’évoque que le «
terroriste ». Mais, feignant d’ignorer par quels moyens les sionistes avaient
conquis la Palestine, on oublie qu’Arafat répétait sans cesse ne rien demander
d’autre que ce que la loi internationale reconnaissait au peuple palestinien.
C’est parce qu’ils refusaient celle-ci que les gouvernements successifs,
après l’assassinat de Rabin, ont réduit le peuple palestinien au désespoir. Ils
en supportaient la responsabilité. Car de quelle autre légalité pouvaient-ils se
réclamer, en récusant le partage de la Palestine ? Ils sont, sans nul doute,
responsables aujourd’hui des explosions de colère, du côté palestinien comme du
côté israélien. Ils sont tout aussi responsables d’avoir semé la haine dans les
deux sociétés.
Malgré sa petite taille et son visage chiffonné avant l’âge,
Arafat était un chef charismatique : le regard d’abord, perçant et expressif, le
discours et la gestuelle d’un tribun, le sens de la formule et la fermeté de
caractère.
C’est vrai qu’il était jaloux de son autorité et ne déléguait pas
facilement ses pouvoirs. Mais il était entouré d’une pléiade d’hommes moins âgés
que lui, dont certains jouissaient d’une grande notoriété et peuvent, à présent,
prétendre à de hautes responsabilités. Après la disparition du « Vieux », les
pouvoirs qu’il détenait devront faire l’objet d’une redistribution rationnelle.
Où a-t-on vu, même en Occident, des chefs de grande envergure préparer, de leur
vivant, la relève ?
C’est vrai qu’Arafat gardait par-devers lui tous les
pouvoirs attachés à ses multiples fonctions. Mais ce n’était pas pour exercer
une dictature ou opprimer des adversaires – et il en avait. Pour lui, cette
concentration de pouvoirs était une sorte d’ascèse, d’engagement total, une
forme de don de soi. C’était sa conception de la « révolution » et du combat
pour la cause qu’il incarnait qui imposait, selon lui, le grand secret et
l’unicité de décision.
Élu président de l’autorité palestinienne, il n’a pu
se défaire de cette façon de gouverner. Il craignait aussi – ce qui finit par
arriver – le reniement, par le gouvernement israélien, des engagements pris à
Oslo.
Avec le monde arabo-musulman, ses relations n’ont pas toujours été
sereines. À l’égard de certains pays, il ne fut ni sage ni reconnaissant. À
l’encontre de certains autres – comme le Liban –, il commit des fautes. Mais il
commit aussi des erreurs stratégiques, avec le Koweït par exemple.
Il n’est
pas sûr qu’il compte beaucoup d’amis dans les classes dirigeantes. Mais il s’en
souciait peu, le caractère « sacré » de la cause palestinienne lui suffisait
pour forcer leur « solidarité ».
En revanche, les peuples, dans tous les
pays arabes, l’aimaient, approuvaient ce qu’il faisait. Aujourd’hui, après sa
disparition, la « rue arabe » ne cesse de le pleurer.
Lui qui se plaisait
toujours à évoquer son « prochain » retour à Jérusalem, il ne lui aura pas été
donné de voir ce jour de gloire. Il part en laissant ce rêve – plusieurs fois
brisé – en suspens. Sans savoir s’il y aura un Josué pour accomplir ce qu’il n’a
pu lui-même mener à son terme.
Israël ne sait pas qu’il perd, avec Arafat,
l’homme capable, le moment venu, de cautionner, grâce à sa double légitimité,
historique et élective, la réconciliation et la reconnaissance réciproque. Sa
disparition prématurée – d’aucuns la croient, dur comme fer, programmée – ne va
pas simplifier les choses pour l’État hébreu. En tout cas, le gouvernement
Sharon perd, avec Arafat, son alibi. Persistera-t-il à chercher toujours des
prétextes pour fuir la négociation sur l’étendue et les prérogatives d’un
éventuel État palestinien? Washington l’aidera-t-il toujours à le faire ?
De
son vivant, Arafat était incontournable. Après sa mort, les choix qu’il laisse
aux siens, en guise de testament, seront également incontournables : une vraie
patrie, d’un seul tenant, un vrai État, avec les principaux attributs d’une
réelle souveraineté. Aucun de ses successeurs potentiels ne voudra – ni ne
pourra du reste – accepter un bantoustan comme territoire, et, comme joujou, un
État fantoche.
Arafat avait une foule de fidèles, autour de lui et
disséminés dans le monde. Mais ses détracteurs, pour des raisons diverses,
étaient nombreux, même dans les rangs de l’OLP. Cependant, rares étaient ceux
qui pouvaient publiquement lui tenir tête. En tout cas, personne ne se posait en
rival déclaré. Arafat était devenu plus qu’un symbole, un mythe qu’on craignait
ou une légende qu’on idolâtrait.
En Israël et en Amérique, on l’accusait
d’être à l’origine des blocages que connaissait le processus de paix. Et
maintenant ! Que va faire Israël ? Non pas la société israélienne – globalement
favorable à un règlement politique, malgré le stress de ces dernières années –
mais ceux qui gouvernent ?
S’ils restent crispés sur leurs positions
likoudiennes, il sera nécessaire que Washington intervienne. Le président Bush,
en apprenant le décès d’Arafat, a dit que c’était un moment « significatif ».
Cette affirmation n’aura de sens que si lui-même y trouve un motif de hâter le
processus de paix, que la « feuille de route » était censée engager. Mais il
faut bien se convaincre que, sans régler le problème israélo-syrien de manière
concomitante, on risque de laisser sans contrefort un éventuel accord
palestino-israélien.
Si le président Bush arrivait à se persuader de la
nécessité d’une action forte au Proche-Orient, la résolution des problèmes
auxquels il est confronté en Irak s’en trouverait largement facilitée. La
question même du terrorisme pourrait être fondamentalement modifiée.
L’occupation israélienne est, en effet, un thème majeur utilisé par les
terroristes de tout acabit. Même la présence des forces américaines dans la
péninsule Arabique ne revêt le caractère d’un défi ou d’une menace, aux yeux des
populations locales, qu’en rapport avec les menées hégémoniques de Tel-Aviv. En
favorisant, par tous les moyens dont ils disposent, une solution politique au
Proche-Orient, les États-Unis pourraient priver les mouvements terroristes de
leur argument le plus fort.
À cet égard, la France et l’Union européenne
dans son ensemble pourraient jouer un rôle capital. Encore faut-il que l’Europe
puisse tenir un seul et même langage. C’est indispensable pour persuader les
États-Unis de revoir leur stratégie de combat contre le terrorisme et de
corriger certains de leurs préjugés sur les sociétés arabo-islamiques.
L’amalgame entre terrorisme, surtout d’origine afghane, et la résistance à
l’occupation israélienne les a empêchés, jusqu’ici, d’analyser lucidement la
situation et de sérier les problèmes. Une paix réelle dans la région pourrait
les mettre à même de voir les choses différemment.
Il faut aller plus loin.
Grâce à un règlement honorable du conflit arabo-israélien, l’épouvantail d’une
confrontation entre civilisations islamique et judéochrétienne pourrait être
écarté.
Ni l’Occident ni le monde islamique n’ont intérêt à voir se
développer chez eux ce désordre, tant redouté des deux côtés – et subrepticement
encouragé par ceux qui ne cessent d’agiter cet épouvantail, d’en amplifier les
menaces, jusqu’à en faire une sorte d’apocalypse imminente.
Les États-Unis
n’ont pas besoin d’un bouleversement planétaire des valeurs pour affirmer leur
leadership mondial. En retrouvant leur visage humain et leur éthique ouverte,
ils pourraient, avec le respect et l’admiration dont ils étaient l’objet,
conquérir l’amitié des peuples de la région.
N’est-il pas temps que se
rencontrent, autour d’une table, des représentants de l’Occident et du monde
islamique, pour s’expliquer et dégager une stratégie commune de rapprochement,
d’entente et de solidarité ? Si cette hypothèse peut être retenue, ils devront,
ensemble, répondre à cette question, simple et combien difficile tout à la fois
: quel nouvel ordre régional pourrait ramener la paix dans les esprits et
instaurer entre les gouvernements une meilleure coopération
?
17. Les raisons de sa
popularité par Béchir Ben Yahmed
in L'Intelligent - Jeune Afrique du
dimanche 21 novembre 2004
Sa mort nous a révélé que Yasser Arafat
était plus aimé de son peuple et plus respecté dans le monde que nous ne le
pensions.
Ariel Sharon ayant dit et répété qu'il aurait plaisir à le tuer,
il ne faut pas s'étonner que les Palestiniens croient qu'il l'a fait empoisonner
et le répètent à qui veut l'entendre.
C'est douteux, improbable. Mais les
conditions matérielles dans lesquelles les Israéliens l'ont obligé à vivre
depuis trois ans ont, de l'avis des médecins, détérioré la santé du « séquestré
de la Mouqataa », affaibli ses défenses - et abrégé sa vie.
Arafat est mort
sans avoir réalisé le but qu'il s'est assigné : un État palestinien viable et
indépendant.
Il avait accumulé les revers, et ses ennemis très puissants
avaient décrété qu'il était « irrelevant », hors jeu.
Pour qu'il le soit
vraiment, ils l'ont assigné à résidence et ont tenté de le couper du monde, en
décourageant les visites, en diabolisant son combat.
Ils n'auront réussi
qu'à le rendre plus populaire, à resserrer les liens entre lui et son peuple, à
lui donner l'image d'un irréductible combattant de la liberté.
Si Ariel
Sharon n'a pu cacher sa joie, si George W. Bush a été tout juste poli, si
quelques Israéliens ont dansé, en revanche, sur tous les continents, on a
considéré la mort de Yasser Arafat comme un événement d'importance mondiale, on
a senti qu'un grand destin avait atteint son terme.
L'homme qui nous a
quittés le 11 novembre 2004 n'avait pas les traits d'un vaincu. C'était un
lutteur, mort au combat, et dont nul ne doute qu'il aurait poursuivi sa tâche à
la tête de ses troupes jusqu'à l'objectif fixé.
Son combat était celui de
David contre Goliath ; lui et son peuple se battaient contre plus forts qu'eux,
et paraissaient victimes de grands méchants loups.
Ses ennemis ne cessaient
de dire que, disposant des fonds de la Palestine, il était un des hommes les
plus riches de la terre. Mais le monde entier constatait qu'il vivait
modestement et n'avait d'intérêt que pour son combat.
Cela dit, je crois que
Yasser Arafat a conquis l'amour de son peuple, le respect des gens informés - et
une place dans l'Histoire - par son refus obstiné, courageux, de jouer le rôle
de gouverneur d'un État palestinien croupion, que ses « partenaires » israéliens
et américains ont tout fait pour lui faire
accepter.
18. Palestine. Après Arafat, le déluge ? par
Driss Ksikes
in TelQuel (hebdomadaire marocain) du samedi 20 novembre
2004
Arafat est mort, mais pas sa cause. Sans un leader
charismatique, sous une direction trop pragmatique, derrière un mur d’apartheid
et face à Sharon-Bush-Rice, l’idée même de l’Etat palestinien survivra-t-elle
?
"Le ciment de la Palestine". "L’expression mythologique de la cause
palestinienne". "Le raïs aux trois couronnes". Au-delà des panégyriques de
circonstance, tout le monde admet que Arafat a plus réussi comme symbole que
comme leader. Sa longévité, ses luttes, ses refus (Camp David II), mais aussi
ses
capitulations (Gaza et Hebron d’abord) ont fait de lui "l’homme
Palestine". Les plus pessimistes en viennent à craindre aujourd’hui le syndrome
Che Guevara : que la cause se désagrège avec la disparition de son icône. Les
plus rationnels se disent : à quelque chose, malheur est bon. "Un des gros
défauts de Arafat était sa tendance à prendre toutes les décisions seul", estime
le pacifiste israélien Uri Avnery, par ailleurs admiratif du personnage. Tout
cela est fini. Aujourd’hui, aucun de ses successeurs potentiels n’a le charisme
nécessaire pour imposer le monopole de la prise de décision. Tout comme aucun ne
jouit d’une légitimité suffisante pour accepter des demi-mesures (la feuille de
route) sans être traité de "lâche" ou de "traître". Aujourd’hui, Mahmoud Abbas,
dit Abou Mazen, comme Ahmed Qoreï, hués et traités de tous les noms, sont
confrontés à ce dilemme : faire preuve de pragmatisme sans creuser leur propre
tombe et celle d’une cause malmenée. Le violent échange de tirs auquel Abou
Mazen a assisté sous la tente des funérailles n’augure rien de bon. Il prouve,
comme s’il en était besoin, que l’après-Arafat crée une grosse tension dans les
territoires. Qu’après la mort d’un "père" distant et omniprésent, ses orphelins
ont peur de la débandade. Mais que feront-ils pour ne pas y succomber ?
Chercher un leader crédible
"La plus grosse réalisation
de Arafat a été celle de redonner à la Palestine un nom, de la remettre sur
scène. Peu importe si les acteurs jouent mal, qu’on nous traite de terroristes,
l’essentiel est qu’on existe en tant que Palestiniens". Elias Sanbar a le sens
de l’histoire. Il sait que sans l’acharnement du président défunt, l’idée de
l’État palestinien ne serait pas aussi vivace. Aujourd’hui, ce que les
Palestiniens craignent par-dessus tout est qu’on se remette à parler plus des
factions que de la Nation. Que le Hamas, le Jihad, le Fatah se tirent dans les
pattes au point d’en oublier l’essentiel : la récupération de Gaza, de la
Cisjordanie et de Jérusalem-Est. Élections obligent, les querelles prennent le
dessus. Le Jihad et le Hamas, conscients qu’Oslo est fini, demandent des
élections, législatives et présidentielles à la fois, pour mieux contrecarrer le
Fatah, majoritaire au sein du Parlement. La vieille garde de l’OLP leur oppose
un niet catégorique, arguant qu’il faudrait vaquer au plus urgent : élire un
président qui ait la légitimité populaire, sans qu’il épouse forcément les
thèses populaires. C’est de la realpolitik. Trois ans durant, Arafat a été
considéré persona non grata par Washington et Tel Aviv, car peu enclin à lutter
"réellement" contre le terrorisme. Aujourd’hui, explique Sanbar, "la résistance
armée est mal vue. Contrairement aux années 70, elle n’a plus de relais dans les
mouvements mondiaux. Elle ne renvoie qu’à l’Afghanistan". D’où le dilemme du
prochain président : être politiquement correct pour ne pas se faire isoler par
ses ennemis et être ferme pour ne pas se faire tuer par les siens.
Or, Abou
Mazen - c’était connu d’avance - n’inspire pas confiance aux résistants
islamistes. Même au sein du Fatah, il est loin de faire l’unanimité. Pourquoi
cette appréhension ? "Il part du principe que la volonté de nuisance des
Israéliens est mineure et s’est déjà montrée dupe face aux hommes de Bush",
explique Sanbar. En face, deux fondateurs du Hamas en retrait, Talal Sadr et
Abdessatar Qasem, se préparent à concourir pour la présidence. Ils ont a priori
l’appui des islamistes, si ces derniers ne boycottent pas le scrutin. Or, ni le
vieux conciliant (Abou Mazen), ni ses challengers populistes ne présentent les
gages d’un leadership efficace. "Chacun d’entre eux se précipite à sa manière.
Le premier croit qu’une solution politique rapide est possible. Et les autres
croient qu’une résistance armée chaotique est utile. Tous manquent de vision
pour l’avenir", déplore le consultant Joseph Samaha. Alors, quelle alternative ?
Marwan Barghouti ? La télévision israélienne en a parlé comme d'un "Mandela" qui
gagnerait à être libéré pour perdre de son aura. Plusieurs analystes à Tel Aviv
le préfèrent à Abou Mazen parce qu’ils craignent que la présidence de l’Autorité
palestinienne ne soit briguée par un "pantin" qui replongerait la région dans le
chaos. Les Américains craignent pour leur part que l’État palestinien ne
devienne "un incubateur d’islamistes radicaux". Résultat, on en vient à
souhaiter un leader charismatique capable de créer le consensus national.
Barghouti est objectivement le seul capable de combler ce vide. Or, ni lui ni le
Fatah, dont il est l’un des dirigeants, n’a évoqué l’éventualité de sa
candidature. En Israël, les spéculations vont bon train. Dernière information
distillée par le Mossad : "L’Iran voudrait la peau d’Abou Mazen au cas où il
serait élu". À mesure qu’approche le 9 janvier 2005, date prévue des
présidentielles palestiniennes, tous les scénarios sont envisageables. Comme
quoi, même en matière de démocratie, les orphelins d’Arafat n’auront pas la
paix.
Se battre contre l’alliance des extrêmes
"Il faudrait
rappeler au monde que notre but est d’abord la paix, puis la décolonisation. Or,
les États-Unis de G. W. Bush imposent la démocratie comme première priorité.
C’est un peu mettre la charrue avant les bœufs". Le propos du député arabe
israélien Azmi Bishara est on ne peut plus clair. Non que les Palestiniens ne
veuillent pas de la démocratie, mais pas à la manière dont l’entend le duo
Bush-Sharon, et tel que consigné dans la feuille de route. La démocratie y est
d’abord synonyme de "capacité à lutter contre le terrorisme". Sharon veut
réduire la résistance à néant et faire de l’Autorité palestinienne un outil
majeur pour mater les islamistes. Cette vision n’est rejetée que par une
minorité de pacifistes irréductibles. Pour le reste, "le Premier ministre
israélien n’est plus perçu comme le boucher extrémiste d’autrefois, mais comme
l’expression d’un état d’esprit israélien", déplore le politologue Khalil
H’nidi. Bush et les néo-conservateurs, Dick Cheney et Condoleeza Rice -la
première à avoir décrété Arafat "indésirable" - y trouvent leur compte. Avec cet
appui inconditionnel de Washington, Israël a devant elle une chance inouïe
d’imposer son plan de division (le mur), d’avoir la bénédiction de son allié
historique et de ne pas trop s’embarrasser de négociations bilatérales avec les
Palestiniens. Seule condition pour que la direction palestinienne soit
aujourd’hui éligible à la relance du dialogue : être politiquement très correcte
ou accepter le fait accompli. Que peuvent les Palestiniens, plus que jamais
affaiblis ? Primo, espérer que James Baker, pressenti envoyé spécial dans la
région, joue la carte de la légalité et craigne qu’une Palestine mise à mal
embrase le monde. Secundo, compter encore plus sur le contrepoids européen "pour
définir une stratégie efficace de lutte contre la guerre impériale", espère
Michel Warschawski. Et redéfinir un plan d’action palestinien, suggère H’nidi,
qui "n’exclut pas que la lutte ait à durer quatre autres décennies".
Éviter le cantonnement à Gaza
L’endurance commence
aujourd’hui dans la Bande de Gaza. Certains jeunes leaders palestiniens, plutôt
conciliants, comme Mohamed Dahlan, ont tendance à se contenter de Gaza comme
fief de l’État palestinien. Le retrait unilatéral voulu par Sharon est vendu au
monde comme une concession majeure faite aux Palestiniens pour qu’ils recouvrent
"leur territoire". C’est comme si Gaza, qui devait être la première étape d’un
processus de rétrocession de territoires, devenait une fin en soi. Comme s’il
était question d’entasser les Palestiniens à "Gaza en premier et dernier lieu".
Derrière cette supercherie, Sanbar perçoit un plan pernicieux qui vise à
"exclure la Cisjordanie des revendications et pousser les Palestiniens, trop à
l’étroit, à s’en aller comme de vulgaires émigrés, au lieu d’en faire comme
avant de nobles exilés". Mais qui pourrait tenir tête à Sharon ? L’intifada
armée ? Les kamikazes ? "Ce mode de résistance devient inefficace et très
coûteux, estime H’nidi. En érigeant son mur, Israël se prépare à devenir une
sentinelle relayée à l’Occident, tournant le dos aux Palestiniens, et prête à
déployer son armée hors des murs quand il le faut pour abattre ceux qui
dérangent". Faute d’arbitrage américain et de soutien logistique européen, les
Palestiniens ont deux choix. Ils peuvent admettre qu’ils sont dans des
bantoustans cloisonnés et agir comme firent les noirs en Afrique du Sud. Dans ce
cas là, "il ne s’agirait plus pour nous de lutter contre le colonisateur mais
pour que chaque habitant de toute la Palestine (Israël) ait une voix", propose
H’nidi. Le résultat serait la fin du rêve nourri par Arafat d’un État
palestinien indépendant. Si, par contre, ils tiennent à leur État, "ils doivent
refuser, par tous les moyens, la prison de Gaza", estime Sanbar.
Dissocier l’OLP de l’autorité palestinienne
Le fait
qu’Abou Mazen, Qoreï et Fattouh partagent les trois couronnes d’Arafat donne des
idées aux Palestiniens. La plus plausible étant de ne plus permettre le cumul
entre la direction de l’OLP et de l’autorité palestinienne. "La première,
explique Sanbar, s’occupe du rêve de la nation et la seconde de la réalité de
l’État". L’OLP maintient le cap, crucial pour les Palestiniens, du retour des
réfugiés, s’occupe des négociations à long terme et évite de s’enliser dans la
gestion quotidienne des territoires. L’Autorité, quant à elle, a les
responsabilités sécuritaires et exécutives qu’Israël veut bien lui octroyer.
Dernier retournement de situation en date, le retrait des armes à la police
palestinienne en Cisjordanie. Le contact permanent de l’Autorité avec les
Israéliens est de nature à polluer l’OLP. Aujourd’hui, les cas de corruption
avérés commencent à entacher l’image des leaders, d’autant que Arafat s’en est
accommodé et en a profité pour mieux distribuer ses faveurs. Il en résulte que
les candidats à la présidence, hier affiliés au Hamas, se présentent comme des
"purificateurs de l’Autorité". Face à cet amalgame qui s’installe, plusieurs
intellectuels appellent à un retour de l’OLP à l’étranger. Provenant
initialement de la diaspora, l’OLP s’est enlisée, depuis les accords de Madrid
en 1992, au sein des territoires au point de perdre ses relais ailleurs. Certes,
le retour aux territoires a permis de ressouder les liens avec la population
locale, mais "aujourd’hui, Israël aurait plus peur d’une présence massive et
efficace de l’OLP dans le monde que de la pression démographique sur place",
note judicieusement Sanbar. Sachant qu’Oslo est enterré et que la gestion des
territoires devient périlleuse, il est tentant de laisser l’Autorité gérer ce
cul de sac et de permettre à l’OLP de prendre de la distance. D’autant que
l’essentiel, vis-à-vis du monde, est de repréciser l’équation palestinienne :
"Il s’agit d’un mouvement de libération représentant un peuple colonisé et pas
vraiment de deux entités qui se battent pour un bout de terre", résume Ahmed
Khalifa (Revue des études palestiniennes). C’est peut-être le seul moyen de
maintenir la Palestine sur scène et ne pas l’engloutir sous les calculs d’un
Sharon mu en "sioniste réaliste". Entendez redoutable.
19. Une absence
incompréhensible par Aboubakr Jamaï
in Le Journal Hebdomadaire
(hebdomadaire marocain) du samedi 20 novembre 2004
Pourquoi Mohammed
VI, chef de l’Etat du Royaume du Maroc et président du comité Al Qods était-il
absent aux funérailles de Yasser Arafat, symbole de la lutte du peuple
palestinien ? La question est plus que légitime pour au moins deux types de
raisons : l’importance que revêt le dossier israélo-palestinien dans le
rayonnement diplomatique du Maroc et, de l’inégalée solidarité que manifestent
les Marocains à l’égard des palestiniens. Sur le plan externe, le profil
international du Maroc a grandement bénéficié de ses positions dans le conflit
israélo-palestinien. La présidence du comité Al Qods a échu à un Hassan II qui
avait, à ses débuts, joué d’une proximité plutôt malsaine avec le camp
américano-israélien pendant les années 60 et 70. On se rappelle des agents de la
CIA venus former les tortionnaires marocains dans les années 60, on se rappelle
aussi du rôle du Mossad dans l’enlèvement de Mehdi Ben Barka. L’adresse
politique du roi défunt a été de se convertir en un véritable promoteur d’une la
paix crédible aux yeux du camp des modérés dans les deux parties. Et ce n’est
pas être nostalgique de l’ère hassanienne et son cortège de répressions et des
dénis de justice que de reconnaître la justesse des positions du Monarque défunt
sur ce dossier. Sur le plan interne, le soutien des citoyens marocains à la
cause palestinienne continue de surprendre nombre d’analystes par son incroyable
intensité. C’est l’un des thèmes favoris des officiels palestiniens. Lorsque,
confrontés à la sempiternelle assertion sioniste que la question palestinienne
est une fabrication des années 60, ils contre-attaquent en évoquant le cas «
Maroc ». Les archives datant de la période coloniale française attestent que les
premières manifestations de rue organisées au Maroc en faveur des Palestiniens
datent des années… 20. Au lendemain du massacre de Jenine en 2002, quelque 2
millions de Marocains manifesteront à Rabat leur soutien au peuple palestinien.
En 2003, une organisation de sondage américaine, Zogby international, publiait
une étude sur les valeurs dans le monde arabe fort instructive. Parmi les
questions posées, on demandait aux sondés de classer les grands sujets
politiques par ordre d’importance. Les deux sujets les plus importants pour les
Marocains sont la Palestine et la question palestinienne. Résultat plutôt
extraordinaire lorsque l’on sait que parmi les autres sujets proposés dans le
questionnaire figuraient, l’état de l’économie marocaine, la santé et d’autres
sujets en relation avec les préoccupations quotidiennes des citoyens marocains.
Ce n’est pas un hasard si le thème « Palestine » est un thème politiquement
mobilisateur. Les hommes politiques de tous bords se poussent du coude pour
mener les manifestations en faveur du peuple palestinien. Ce n’est pas un hasard
si l’élection des dirigeants de l’Association de Soutien de la Lutte du Peuple
Palestinien a donné lieu à une féroce concurrence entre les forces politiques du
pays. Les souffrances du peuple palestinien, l’injustice et, oui, le racisme
dont il est victime dans certaines parties de l’occident, sont profondément
ressentis par les Marocains. Le décès de Yasser Arafat a cristallisé cette
douleur. Pour toutes ces raisons et d’autres encore, ce pays avait politiquement
intérêt, et émotionnellement besoin d’être représenté aux funérailles du
président palestinien par celui qui demeure son chef politique. C’est une
profonde déception que cela n’ait pas été le cas.
20. Accusée de mise en scène, France 2
porte plainte par Daniel Psenny
in Le Monde du samedi 20 novembre
2004
La diffusion d'un reportage tourné dans la bande de
Gaza en 2000, où un enfant se faisait tuer, avait contribué à relancer
l'Intifada.
France 2 a décidé de déposer plusieurs plaintes
contre X pour "diffamation publique" suite aux accusations de "mise en scène"
d'un reportage réalisé le 30 septembre 2000 dans la bande de Gaza où l'on voyait
un jeune Palestinien, Mohamed Al Dura, se faire tuer par balles et son père
Jamal gravement blesser lors d'un échange de tirs croisés entre l'armée
israélienne et des combattants palestiniens.
Ces images tournées par
le cameraman palestinien Talal Abou Rahmeh et commentées par Charles Enderlin,
le correspondant de France 2 à Jérusalem, avaient fait le tour du monde. Elles
montraient le père et l'enfant serrés l'un contre l'autre, essayant de s'abriter
des balles derrière un bidon avant que le gamin ne meure aux pieds de son père.
La diffusion de ce reportage en France avait provoqué, à l'époque, de violentes
réactions d'une partie de la communauté juive contre France 2, accusée de faire
de "la propagande palestinienne". La diffusion de ces images avait contribué au
déclenchement de la nouvelle Intifada dans les territoires
palestiniens.
Jeudi 18 novembre, lors d'un point de presse au siège de France
Télévisions, Arlette Chabot, directrice déléguée à l'information de France 2, a
répondu à ces accusations de "mise en scène" lancées depuis plusieurs semaines
sur le site Internet de l'agence Metula News Agency (Mena), dont le siège est
situé dans une petite localité au nord d'Israël. Ce site militant a pour
ambition de proposer une information "plus équilibrée et objective" sur la
situation au Proche-Orient. Il y a quelques années, la Mena avait rebaptisé
l'Agence France Presse (AFP) en Agence France Palestine.
En janvier 2003, un
livre avait aussi été publié en France par Gérard Huber sous le titre
Contre-expertise d'une mise en scène, accusant déjà France 2 d'avoir manipulé
les faits. M. Huber fait partie d'un "collectif" qui, le 2 octobre 2002, a remis
le "prix Goebbels de la désinformation" à M. Enderlin, devant le siège de France
2. Et la semaine dernière, le député Roland Blum (UMP, Bouches-du-Rhône) a
interpellé le gouvernement sur cette affaire.
"Depuis six mois, on essaye de
lancer une rumeur selon laquelle France 2 s'est prêtée à une manipulation, que
le garçon n'est pas mort, que son père n'a pas été blessé et que tout ceci a été
une mise en scène complaisamment filmée par France 2,a déclaré Mme Chabot. La
chaîne n'accepte pas que le professionnalisme et l'impartialité de ses
journalistes soient mis en cause et porte plainte pour mettre fin à cette
campagne de diffamation."
Pour prouver la bonne foi de M. Enderlin et de son
cameraman, Mme Chabot a projeté leur reportage tel qu'il avait été diffusé sur
la chaîne ainsi qu'un autre reportage tourné au même moment, mais sous un autre
angle, par l'agence Reuters. Les deux séquences prouvent qu'une "mise en scène"
est hautement improbable. En outre, pour répondre aux accusations selon
lesquelles Jamal Al Dura n'aurait jamais été blessé, un autre reportage de la
télévision jordanienne, tourné le 1er octobre 2000 à l'hôpital militaire Al
Hussein à Amman, montre le prince Abdallah rendant visite au père du jeune
Mohamed, transporté en Jordanie pour y subir plusieurs opérations.
Enfin,
France 2 a demandé il y a un mois au cameraman Talal Abou Rahmeh d'aller
interviewer Jamal Al Dura à Gaza, où il vit toujours. Montrant sa carte
d'identité pour bien se faire identifier, l'homme a accepté de se déshabiller
devant la caméra pour montrer que ses cicatrices correspondaient bien à ses
blessures filmées sur son lit d'hôpital. Concernant le petit Mohamed, France 2 a
par ailleurs effectué une comparaison entre les photos de l'enfant prises à la
morgue avec ses blessures au visage et les arrêts sur image de son visage lors
de la fusillade. "Il s'agit bien du même enfant et nous sommes prêts à livrer
ses photos pour une expertise officielle", a souligné Mme Chabot.
Déjà en
2002, une enquête de la journaliste allemande Esther Shapira diffusée sur la
chaîne d'outre-Rhin ARD avait émis des doutes sur cette fusillade et mis en
cause les Palestiniens. Or la commission d'enquête mise en place par Tsahal n'a
pu déterminer si la mort du petit Mohamed avait été causée par des tirs
israéliens ou palestiniens.
En France, c'est Luc Rosenzweig, ex-journaliste
du Monde et aujourd'hui collaborateur occasionnel de la Mena, qui est à
l'origine d'une contre-enquête réalisée il y a quelques mois à Gaza et en
Israël. "J'ai des convictions et je suis tout à fait favorable à ce que produit
cette agence", a-t-il déclaré au Monde. Selon lui, plusieurs "faits
troublants"viennent étayer l'hypothèse de la mise en scène lors de la fusillade
à Gaza. "Talal, le cameraman, dit avoir filmé la scène pendant vingt-sept
minutes et M. Enderlin, qui n'était pas sur place, a déclaré publiquement,
notamment dans Télérama, avoir lui-même coupé les scènes trop insoutenables
comme l'agonie du petit Mohamed, indique M. Rosenzweig. Or France 2, qui a
diffusé seulement quelques minutes de la scène, n'a jamais voulu montrer les
rushes du reportage."
"Par ailleurs, ajoute-t-il, dans son commentaire,
Charles Enderlin affirme sans preuves que les balles venaient du côté israélien
et explique que la fusillade s'est déroulée à 15 heures alors que les médecins
de l'hôpital de Gaza se rappellent que le corps de l'enfant est arrivé entre 11
et 13 heures. Cela fait beaucoup de mensonges."
"Enfin, poursuit M.
Rosenzweig, il demeure des doutes pour savoir si le corps de l'enfant enterré
est bien celui de Mohamed et si les blessures du père sont bien réelles. Selon
mes sources, le père qui a toujours refusé de me rencontrer, était un dealer. Il
avait déjà été blessé à la main lors d'une bagarre."
Il y a trois mois, M.
Rosenzweig a présenté sa contre-enquête à Denis Jeambar, le directeur de la
rédaction de L'Express, pour une éventuelle publication, ainsi qu'à Daniel
Leconte, producteur indépendant de télévision qui souhaitait en faire un
document d'investigation. Tous deux ont accepté de le suivre et de l'accompagner
dans son enquête à condition que le secret soit bien gardé. Or en octobre, une
dépêche de l'agence La Mena révélait le travail de M. Rosenzweig. Alertée par
cet article, Mme Chabot a rencontré à deux reprises MM. Jeambar et Leconte pour
leur montrer les preuves de la bonne foi de France 2. Pas tout à fait convaincus
mais ne souhaitant pas porter des accusations sans preuves formelles, MM.
Jeambar et Leconte ont préféré renoncer à poursuivre leur collaboration avec M.
Rosenzweig.
Sollicité par Le Monde, M. Jeambar n'a pas donné suite et, de son
côté, M. Leconte n'a pas souhaité faire de déclarations sur cette
affaire.
[Le mystère demeure sur l'origine des tirs - Quelques jours après la
fusillade de Gaza, le 30 septembre 2000, l'état-major de Tsahal a mis en place
une commission d'enquête pour savoir si les coups de feu qui ont tué Mohamed Al
Dura avaient été tirés des positions israéliennes ou palestiniennes. Après
enquête dans ses rangs, l'armée israélienne n'a pas pu conclure et le mystère
reste entier sur l'origine des tirs. Invoquant l'angle de tir, les militaires
israéliens avaient exclu, dans un premier temps, que l'enfant ait été tué par
leurs propres balles. Selon eux, pour mener à bout cette enquête, il aurait
fallu la collaboration des combattants palestiniens. Par ailleurs, l'endroit où
a eu lieu l'incident a été rasé par les Israéliens ce qui a empêché toute
reconstitution. Le 2 octobre 2000, le chef d'état-major adjoint de l'armée
israélienne, le général Moshe Yaalon, avait reconnu que ses hommes pouvaient
être responsables de la mort du petit Mohamed (Le Monde du 4 octobre 2000).
"L'armée israélienne ne tire pas sciemment sur des enfants, mais je peux
garantir que de telles choses ne se reproduiront pas dans l'avenir", avait
indiqué le général.]
21. Après Arafat : Toujours le même disque
rayé par Sam Bahour et Michael Dahan
in International Herald Tribune
(quotidien international publié à Londres) du vendredi 19 novembre
2004
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Sam Bahour est un homme
d’affaires palestino-américain. Il vit à Al-Bireh, près de Ramallah. Michael
Dahan est un spécialiste israélo-américain en sciences politiques. Il réside à
Jérusalem.)
Ramallah - A peine le cercueil renfermant le corps de
Yasser Arafat avait-il touché la terre de Ramallah que George Deubeuliou Bush et
Tony Blair, visiblement ravis de sa disparition, y allaient encore une fois de
leur pseudo-solution supposée permettre de pousser le Moyen-Orient en panne afin
de lui faire reprendre son interminable processus de paix, vers une « paix
définitive ».
La substance de la déclaration commune Bush-Blair du 12
courant n’était rien d’autre qu’une molle tentative de tromper les Palestiniens,
une fois de plus.
Tout d’abord, il y eut les accords d’Oslo, en 1993. La
superpuissance mondiale alla plus loin que les déclarations verbales : elle fut
un signataire effectif de ce pacte, dont les hérauts étaient feu Arafat et feu
le Premier ministre israélien Yitzhak Rabin. Dans sa version détaillée, l’accord
présentait une série de dates, dont l’une stipulait qu’un Etat palestinien
serait instauré le 5 mai… 1999. Avant même que l’encre n’ait séché sur le
parchemin, Israël, soutenu par les Etats-Unis, fit savoir très clairement
qu’aucune date ne revêtait à ses yeux de caractère « sacré ». Il en résulta
l’échec du processus de paix, avec pour conséquence la situation catastrophique
que nous ne connaissons que trop, aujourd’hui.
Puis vint le discours
politique, follement applaudi, de Bush, le 24 juin 2002. Sa « vision », qui
impliquait une acceptation conditionnée, par les Etats-Unis, de la création de
l’Etat palestinien, faisait suite à l’une des incursions de l’armée israélienne
parmi les plus sanglantes et destructrices dans les villes palestiniennes. On
aurait dit que les Etats-Unis ressentaient soudain le besoin impérieux de
détourner l’attention mondiale des crimes de guerre israéliens en Cisjordanie et
à Gaza, grâce à cette diversion clownesque.
Ensuite, presque un an après, le
30 avril 2003, les Etats-Unis révélèrent la toute dernière initiative du «
quartette » - composé des Etats-Unis, de l’ONU, de la Russie et de l’Union
européenne – « Une Feuille de route, basée sur les acquis concrets, vers une
solution définitive, à deux Etats, du conflit israélo-palestinien ». Cette
feuille de route promettait que les partenaires parviendraient à « un accord de
statu quo, définitif et global, mettant un terme au conflit israélo-palestinien
en 2005… satisfaisant à la vision de deux Etats – Israël et la Palestine
souveraine, indépendante, démocratique et viable, vivant côte à côte, en paix et
en sécurité. Arafat et les Palestiniens s’empressèrent de l’accepter. Les
Israéliens conditionnèrent leur acceptation à quatorze réserves, dont chacune
d’entre elles, prise isolément, suffit à annihiler le contenu global de la
feuille de route !
Dans un échange épistolaire, lié à une visite en Amérique
en avril dernier, Sharon écrivit à Bush qu’ « Israël a accepté la feuille de
route », ajoutant cette légère observation : « telle que notre gouvernement l’a
adoptée », laquelle représentait, fondamentalement, le rejet de l’initiative
dans son entièreté.
En réponse, Bush confirma, au-delà de tout doute
possible, que les Etats-Unis ne se contenteraient plus désormais de soutenir
passivement les agissements d’Israël, mais bien un partenaire grandeur nature de
Sharon, dans la réalisation de son projet.
« Il semble évident », écrivit
Bush, « qu’un cadre convenu d’un commun accord, équitable et réaliste, pour une
solution à la question des réfugiés palestiniens, dans le cadre de tout accord
définitif, devra être recherché au moyen de la création d’un Etat palestinien,
où les réfugiés palestiniens s’installeraient, et non pas en Israël ». Il
poursuivait en ces termes : « Il serait irréaliste de s’attendre à ce que le
résultat des négociations portant sur la solution définitive soient un retour
total et complet aux lignes d’armistice de 1949. »
Ce faisant, Bush faisait
état, pour la première fois, d’une position formelle américaine obérant toute
solution équitable, et visant à dépouiller les Palestiniens de leurs droits.
Ajoutant l’insulte à la blessure, Bush et Blair n’ont fait que régurgiter
les mêmes formules creuses que par le passé. Simplement, cette fois-ci, ils ont
décidé de le faire le jour même où l’on enterrait Arafat. Il est clair qu’ils
n’ont absolument aucune intention de donner aux Palestiniens le temps de se
regrouper et d’institutionnaliser leur processus de prise de décision
politique.
Tant que le droit international et le droit humanitaire ne seront
pas devenus les points cruciaux de référence en vue de la résolution du conflit
israélo-palestinien, peu importe qui succédera à Arafat.
Dans l’attente,
l’étape logique suivante consistera, pour l’ONU, à déployer immédiatement une
force de maintien de la paix, afin de mettre un terme à l’effusion de sang et de
permettre le bon déroulement des élections palestiniennes, lesquelles
permettront à leur tour au peuple palestinien de consolider leur direction
(politique) nouvellement élue.
22. La main d’Israël est visible, dans
l’affrontement en Côte d’Ivoire par Martin Sieff
on World Peace
Herald (e-magazine étasunien) du mercredi 17 novembre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Washington – De nouvelles
allégations faisant état de trafiquants d’armes israéliens ayant aidé l’armée
ivoirienne à attaquer une base militaire française semblent susceptibles
d’enflammer à nouveau des tensions de longue date entre Israël et la
France.
« Des mercenaires israéliens ont aidé l’armée ivoirienne à piloter un
drone (avion sans pilote), qui a permis de guider le bombardement aérien
ivoirien d’une base française, en Côte d’Ivoire, le 9 novembre », a indiqué la
chaîne de télévision française TF-1, mercredi.
Le même jour, le prestigieux
quotidien parisien Le Monde indiquait qu’un groupe de quarante-six conseillers
israéliens géraient un centre de surveillance électronique au profit de l’armée
ivoirienne, qui s’est retournée contre des forces françaises de protection de la
paix, présentes en Côte d’Ivoire à l’invitation expresse du gouvernement
ivoirien, depuis deux ans.
La radio israélienne a cité une source du
ministère israélien de la Défense, démentant ces informations. Les attaques
contre des bases françaises ont causé la vie à au moins neuf soldats
français.
« Israël n’est pas au courant de ce dont il a été fait état », a
écrit le Jerusalem Post, citant le ministère israélien des Affaires
étrangères.
Peu auparavant, les troupes françaises positionnées sur
l’aéroport d’Abidjan saisissaient un drone de fabrication israélienne (les
drones sont des avions de surveillance, sans pilote). En septembre dernier, la
France avait invité fermement Israël à clarifier le rôle qu’il joue, en Côte
d’Ivoire.
Le 9 novembre, le directeur général du ministère israélien de la
Défense, le Général Amos Yaron, a promis l’arrêt de l’envoi d’équipement
militaire à destination de l’armée de ce pays (pauvre) d’Afrique de
l’Ouest.
« Cette décision a été prise à la lumière des développements récents
intervenus dans ce pays, et à la demande du gouvernement français », a indiqué
une déclaration du ministère israélien de la Défense. « Elle restera en vigueur
jusqu’à ce que la situation, dans ce pays, ait été clarifiée ».
Ces
allégations sont de la dynamite politique, à bien des titres. La France a été
tellement choquée par l’attaque aérienne mortelle du 9 novembre contre ses
soldats qu’elle a répliqué au moyen d’une frappe fulgurante, détruisant la
totalité de la force aérienne ivoirienne. En représailles, des foules enragées
ont attaqué des soldats et des civils français vivant en Côte d’Ivoire, une
ancienne colonie française, et la France a dû évacuer plus de 5.000 Occidentaux
résidant dans ce pays.
Lundi, le Conseil de sécurité de l’Onu a approuvé
l’imposition d’un embargo sur les armes à destination de la Côte d’Ivoire,
mesure qui fut un véritable camouflet infligé au président Laurent Gbagbo, qui a
juré de reconstituer son aviation militaire. Mercredi, l’Union africaine
convoquait une réunion, dans l’urgence, de son propres Conseil de sécurité et de
paix, afin d’éviter que la Côte d’Ivoire ne devienne la proie d’une guerre
civile généralisée, à l’instar de ses voisins ouest-africains, le Liberia et la
Sierra Leone. L’Union africaine a publié une déclaration, appelant à la «
réunion au plus vite » de ce Conseil, afin « d’étudier les derniers
développements en Côte d’Ivoire et de convenir des mesures à prendre afin de
contribuer à la restauration d’une paix durable et de la sécurité ».
La
France a d’importants intérêts économiques en Côte d’Ivoire, et des liens
anciens avec ce pays. Mais, durant les derniers mois, son intervention dans ce
pays, en 2002, est devenue une sorte de patate chaude, et le président Jacques
Chirac risque fort de désirer détourner l’attention populaire des morts que les
troupes françaises ont subies.
Israël produit des aéronefs « drones » de
surveillance parmi les plus sophistiqués au monde, et il est un exportateur
d’armes parmi les plus importants vers l’Afrique subsaharienne, depuis plus de
trente-cinq ans. Mais les Israéliens ne sont pas enclins, c’est le moins qu’on
puisse dire, à rendre furieux le gouvernement français, ni à faire se resserrer
l’opinion publique française autour de Chirac, qui a souvent eu des accrochages
avec le Premier ministre israélien Ariel Sharon, sur bien des sujets. La France
est l’un des tous premiers pays, de par sa puissance, des vingt-cinq constituant
l’Union européenne. Elle compte aussi la plus nombreuse communauté juive en
Europe, et cette communauté a parfois été prise pour cible par certains
extrémistes islamistes originaires de la communauté musulmane maghrébine
(majoritairement algérienne). La dernière chose que les juifs français désirent,
pour Israël, et pour les conséquences susceptibles de les concerner directement,
c’est de devoir jouer le rôle de boucs émissaires aux nationalistes français
modérés, à cause de soldats français, tués en Côte d’Ivoire.
Les tensions
entre Israël et la France résultent de divergences politiques très importantes
entre les deux gouvernements, mais elles revêtent un caractère beaucoup plus
personnel que les relations existant entre Israël et d’autres pays membres de
l’Union européenne. Il y a quelques années, au cours d’un grand dîner de gala,
l’ambassadeur de France en Grande-Bretagne aurait qualifié Israël de « petit
pays de merde ». Plus récemment, Sharon a mis le gouvernement (et beaucoup de
citoyens) français dans une rage folle, en exhortant les juifs français à
immigrer en Israël, afin d’assurer leur sécurité personnelle. Très peu d’entre
eux ont suivi son conseil…
Ces tensions revêtent un caractère
particulièrement paradoxal, étant donné qu’aucun pays n’a plus aidé Israël,
durant ses vingt premières années d’existence – les plus périlleuses – que la
France. Tant sous la Quatrième République que sous la Cinquième, Israël a reçu
plus d’armes primordiales pour son armée de terre et son aviation de la France
que d’aucun autre pays. Israël a remporté la guerre des Six jours, en juin 1967,
grâce aux bombardiers et avions de chasse Mirage dernier cri, fournis par la
France, à une époque où ni les Etats-Unis, ni aucun autre pays européen n’aurait
voulu – ni pu – lui fournir des armes comparables.
La Côte d’Ivoire est le
premier pays exportateur de cacao au monde, et ses ressources naturelles en ont
longtemps fait une sorte d’aimant attirant les Occidentaux désireux de faire des
affaires. Mais Israël est en train de réaliser – comme l’a France l’a déjà fait
– que les complications incroyables que cela entraîne n’en valent peut-être pas
la peine.
23. La disparition d’Arafat : la solution à
deux Etats est morte avec lui par Omar Barghouti
in CounterPunch
(e-magazine étasunien) du samedi 13 novembre 2004
[traduit de l’anglais par Marcel
Charbonnier]
(Omar Barghouti est un analyste
politique palestinien indépendant. Son article « 9.11 Putting the Moment on
Human Terms » a été choisi parmi le « Best of 2002 » - Meilleurs articles
publiés en 2002 - par The Guardian.)
Comme l’ont montré les images
de marée humaine, les supporters d’Arafat n’ont pas été les seuls à le pleurer.
Les plus de cent mille personnes qui ont convergé à l’enterrement de Ramallah
incluaient beaucoup d’opposants à sa ligne politique, à des degrés divers. Même
ceux qui étaient catégoriquement opposés à son idiosyncrasie politique du «
la-am », c’est-à-dire du « non-oui » (en arabe) se sont vus communier au
sentiment collectif de perte et de tristesse. Arafat était plus que simplement
un leader. Sans aucun doute, il incarnait un phénomène palestinien emblématique
dont le remplaçant ne sera pas trouvé de si tôt.
Au-delà de la vénération des
symboles, phénomène bien connu, Arafat avait un autre attribut qui lui conférait
son statut révéré dans les esprits et les cœurs d’une majorité de Palestiniens :
il assumait le rôle de cadre de référence politique. Ce qu’Arafat faisait était,
la plupart du temps, perçu comme quelque chose de lié à un plan visant à la
libération et la justice. Les gens plaisantaient, voire se moquaient, parfois,
de ses tactiques, mais il représentait le plus petit commun dénominateur entre
les différentes factions politiques palestiniennes. Il était au plus près de
l’analyse que le citoyen moyen faisait de la situation : émotif, pas toujours
rationnel, laissant libre cours à une exigence d’autonomie, parfois exagérée,
mais largement populaire. Un jour, un réfugié palestinien a exprimé cela de
cette formule : « Il parle comme nous, sans ces mots grandiloquents qui ne
veulent absolument rien dire, pour nous. Il est vraiment l’un des nôtres.
»
Et, quand vous êtes le point de référence, vous pouvez vous permettre de
changer de position à volonté. Plus ou moins. C’est la raison pour laquelle
Arafat, et lui seul, était capable d’échanger des poignées de mains et de signer
des accords pas seulement intérimaires avec des dirigeants israéliens de tous
poils – y compris des criminels de guerre patentés – sans pour autant se voir
accuser sérieusement de trahison. Il jouissait, en permanence, du bénéfice du
doute, auprès du peuple. C’est précisément pour cela que seul, Yasser Arafat a
pu vendre la solution à deux Etats mentionnée par de nombreuses initiatives de
paix. Une telle solution, de par sa nature même, ne saurait satisfaire aux
exigences minimales de justice pour les Palestiniens. En plus d’avoir largement
dépassé sa date de péremption, cette solution n’a, de toute façon, jamais été
morale. Dans le meilleur des cas, si la résolution 242 était méticuleusement
mise en pratique, elle ne satisferait au plus gros des droits légitimes que de
moins d’un tiers, au maximum, des Palestiniens, sur moins d’un cinquième de leur
terre ancestrale. Plus des deux tiers des Palestiniens, réfugiés et citoyens
d’Israël, ont été dûment et aveuglément expurgés de la définition de ce que sont
les Palestiniens pour rendre cette « solution » possible. Une telle exclusion ne
saurait garantir autre chose que la perpétuation du conflit.
Et même ça, ça
n’a pas été proposé par quiconque. Israël, avec le soutien total et indéfectible
des Etats-Unis, s’est entêté à bantoustaniser les territoires palestiniens,
étendant fébrilement les colonies juives, déniant avec entêtement toute
responsabilité dans la Nakba (catastrophe de la dépossession palestinienne, en
1948), et avec elle, le droit des réfugiés palestiniens à retourner chez eux,
refusant même de reconnaître que la bande de Gaza et la Cisjordanie (y compris
Jérusalem) sont des territoires occupés, comme l’affirme pourtant le droit
international. Ce qu’Israël exigeait, c’était la capitulation. Rien de moins.
Arafat n’était pas prêt pour signer sur la ligne en pointillés : il a donc été
sévèrement puni. Il a emporté avec lui dans la tombe le legs mémorable du refus
de la reddition. D’où le déversement d’émotions sincères, par des masses de
Palestiniens désemparés lui disant adieu. « Il a préféré la mort à la
capitulation », disaient beaucoup d’entre eux, en se lamentant.
Tout
remplaçant d’Arafat, à l’avenir, bénéficiera de moins bien de tolérance de la
part d’un électorat recru de coups, appauvri, et néanmoins encore déterminé. Par
définition, il sera privé de l’aura historique unique d’Arafat, il fédèrera
moins de soutiens politiques et bénéficiera de moins bien de soutien populaire ;
par conséquent, il sera fort vulnérable face à la colère populaire au cas où il
déciderait ne serait-ce que d’assumer les compromis d’Arafat. Quand à offrir des
concessions supplémentaires à Israël, comme cela sera exigé de lui pour être
considéré « dans la course » par le club israélo-américain – n’en parlons pas !
Qui oserait le faire ?
Quand Israël se réveillera de son euphorie illusoire,
causée par la disparition d’Arafat, il prendra conscience qu’il a perdu sa toute
dernière opportunité d’imposer sa propre conception de la paix aux Palestiniens.
Bien loin d’accepter un quelconque règlement dans l’espoir que leur leader de
confiance l’utilisera en guise de tremplin pour obtenir des succès plus
importants, les Palestiniens vont dorénavant reconnaître dans toute paix
déconnectée de la justice ce qu’elle est en réalité : moralement répréhensible
et politiquement inacceptable. Résultat : cette « paix » serait pragmatiquement,
également peu intelligente. Elle pourrait subsister pendant un certain temps,
mais seulement après avoir été dépouillée de son essence, devenant une simple
stabilisation d’un ordre oppresseur, ou de ce que j’appelle personnellement la
paix « maître-esclave », où l’esclave n’a ni le pouvoir, ni la volonté de
résister et où, par conséquent, il se soumet aux diktats des maîtres,
passivement, avec obéissance, sans la moindre apparence de dignité humaine.
Cela, aussi longtemps que l’esclave n’a ni le pouvoir, ni la volonté de
résister. Mais seulement jusque-là, et pas au-delà.
Avec l’enterrement
d’Arafat, la solution à deux Etats mordra la poussière. Personne n’osera révéler
cette nouvelle ; trop de gens auraient trop à perdre, s’ils l’admettaient. Mais
Israël devra compter avec des Palestiniens de plus en plus nombreux, qui en
appellent à un Etat démocratique unitaire, où les juif israéliens et les Arabes
palestiniens partagent des droits et des devoirs égaux, après en avoir terminé
avec l’oppression coloniale, la suprématie raciale et l’apartheid, et après que
les réfugiés aient été autorisés à retourner chez eux. Et si l’Afrique du Sud
peut nous éclairer la voie, une lutte de cette nature peut très bien exclure
toute résistance armée, et lui préférer des moyens non-violents. Comme Israël
va-t-il se mettre à contrer un appel de cette nature sur la scène mondiale ? En
insistant sur l’exclusivité ethno-religieuse juive, il ne fera que renforcer
l’image d’un Israël Etat anachronique, paria, réincarnation de l’apartheid, dans
l’opinion publique mondiale. L’évocation de l’Holocauste est susceptible d’aider
Israël à détourner pour un temps toute prise en considération sérieuse de cette
alternative démocratique, mais cette posture est vouée à craquer, sous la
pression de nombreux partenaires intéressés par l’obtention d’une paix durable
et juste dans cette région éprouvée du monde.
Les Palestiniens ont conscience
du fait qu’une phase transitoire de chaos, d’indécision et peut-être de luttes
intestines risque de leur tomber dessus après qu’Arafat ait quitté la scène,
mais nulle naissance ne s’opère sans qu’il y ait des contractions. Celles-ci
sont fort vraisemblablement les prémisses de l’ère nouvelle : la lutte pour un
Etat démocratique et laïc dans la Palestine historique.
24. Une seule voie pour la paix
par Michel Habib-Deloncle
in France - Pays Arabes du mois de novembre
2004
(Avocat honoraire, Michel Habib-Deloncle à été ministre
du Général Charles de Gaulle.)
Les derniers éléments
d'actualité changent-ils les données du problème palestinien ? Que ce soit les
graves troubles de santé du Président Yasser Arafat, infatigable pionner de
l'indépendance de la Palestine, le vote à la Knesset par Ariel Sharon, avec le
concours des travaillistes, en faveur de l'évacuation unitérale de la bande de
Gaza ou la réélection de George W. Bush à la présidence des Etats-Unis, le
chemin qui conduit à la paix est clair et il n'y en a qu'un.
Pour le définir,
nous reprendrons une phrase qu'écrivait récemment, dans un grand quotidien
national, un éminent éditorialiste , à la suite de l'hospitalisation en France
du Président de l'Autorité palestinienne : "Difficile de ne pas avoir
l'impression, comme la plupart des musulmans de France, que Paris est davantage
préoccupé par l'existence d'un Etat palestinien que par l'avenir d'Israël." (1)
Comment peut-on poser le problème en ces termes, alors que c'est justement la
création d'un Etat palestinien indépendant, dans des frontières sûres et
reconnues, qui est et sera la seule garantie de la fin des actions meurtrières
qui frappent la population de l'Etat d'Israël ?
Le Président George W. Bush
l'a spontanément réaffirmé, au cours de la première conférence de presse qu'il a
tenu à la suite de son brillant succès. Interrogé sur ses intentions au sujet du
conflit du Proche-Orient, il a répondu que son objectif restait l'émergence d'un
Etat palestinien indépendant et pacifique. "Mon espoir est que nous puissions
faire de bons progrès. Je pense qu'il est important que nos amis israéliens
aient un Etat palestinien pacifique à côté d'eux. Il est très important
pour le peuple palestinien d'avoir un avenir pacifique et optimiste."
Ainsi
se trouve condamnée toute vision unilatéraliste du conflit et de son issue.
L'équivoque entretenue au sujet de l'évacuation par les israéliens de la bande
de Gaza devrait se voir dissipée. Contrairement à ce qu'avait soutenu un proche
d'Ariel Sharon, il ne peut s'agir que d'un premier pas vers un règlement global
du conflit, et non d'une astuce qui permette à Israël de se maintenir
indéfiniment en Cisjordanie. Ce qu'avait écrit autrefois l'ancien
président de la Knesset, Avraham Burg, auquel nous avions largement fait écho
dans nos colonnes, à savoir qu'Israël ne peut pas indéfiniment maintenir ssous
occupation trois millions et demis d'Arabes palestiniens est maintenant repris
par Ariel Sharon.
Voilà que celui-ci se trouve menacé du même sort qu'Itzhak
Rabin, par les mêmes extrémistes qui ont commandité le meutre de son
prédécesseur. Au sein même de son cabinet, la division s'est installée.
Benhyamine Netanhyahu, son ministre des finances, n'aspire qu'à le remplacer, en
s'appuyant sur les "faucons". Les huit mille colons qui doivent être expulsés de
la bande de Gaza appellent à leur secours les partis extrémistes religieux, au
nom de l'intangibilité de l'Eretz Israël. On aimerait entendre, en France, ceux
qui sont "préoccupésde l'avenir d'Israël", comme l'a écrit notre confrère,
condamner ces excès avec la même vigueur que celle dont ils usent à l'égard du
Hamas ou du Djihad islamique.
D'un côté comme de l'autre, il existe des gens
à courte vue, qui s'ancrent dans l'immédiat et auxquels est étranger le concept
d'une paix équitable, sur les bases définies depuis longtemps par la communauté
internationale. On admettra toutefois qu'il n'y a pas symétrie entre ceux qui
sont opprimés par une occupation sans douceur et ceux qui sont solidaires des
oppresseurs. A ceux qui considèrent l'arrêt des attentatscommis en Israël comme
un préalable à la paix, nous rappellerons que, depuis les accords d'Oslo jusqu'à
la "promenade" d'Ariel Sharon sur l'Esplanade des mosquée, la population juive a
joui d'une complète sécurité. Qu'Ariel Sharon répare aujourd'hui la faute qu'il
a commise naguère pour revenir au pouvoir, on ne peut que s'en féliciter. Que
George W Bush, à peine réélu, réaffirme son objectif d'un Etat palestinien et
n'hésite pas à exercer les pressions nécessaires pour faire bouger les choses,
c'est bien. Nous savons, nous, qu'on peut compter sur la direction
palestinienne, sous l'autorité ou fidèle à la mémoire de Yasser Arafat pour
aller vers la Paix.
- (1) Michel Schifres in Le Figaro du 29-30 octobre
2004.
[France - Pays Arabes est un mensuel fondé
en 1968 et dirigé par Lucien Bitterlin. La revue ne disposant pas encore de site
internet et sa distribution dans les kiosques étant limitée, vous pouvez vous y
abonner. Abonnement annuel : 25 euros (pour la France) 35 euros (pour
l'étranger) par chèque bancaire à l'ordre de France - Pays Arabes - 12 / 14, rue
Augereau - 75007 Paris - Tél. 01 45 55 27 52 - Fax. 0145 51 27
26]
25. Sur une détresse juive/Racisme et
antisémitisme/Le déni palestinien par Bernard Langlois
in Politis du
jeudi 28 octobre 2004« La France était leur pays et ne l’est plus.
Français ils étaient, juifs ils sont devenus. Rien que juifs. Une amputation
douloureuse dont tous confient l’avoir subie dans la souffrance. Aujourd’hui,
les juifs sont légions à nourrir un sentiment d’exil intérieur. Quand ils ne
quittent pas définitivement la France, pour Israël, le Canada ou les États-Unis.
» Encore un livre sur une « détresse juive », dont l’auteur reconnaît le
caractère polémique. Une enquête journalistique qui, à Créteil, Arcueil,
Sarcelles ou ailleurs, recense une litanie de témoignages sur les agressions
antisémites dont sont victimes nos compatriotes de culture ou religion juive. Un
« voyage au bout de la haine ordinaire » (1).
On se s’attendait pas, en
ouvrant Jours tranquilles à Créteil, à une approche nuancée des raisons qui
peuvent expliquer la poussée, réelle, de l’antisémitisme ; notamment dans nos
banlieues, et qui a évidemment un rapport tant avec la violence subie par le
peuple palestinien dans les territoires occupés qu’avec la situation de
déshérence sociale de toute une jeunesse issue de l’immigration.
Ce rapport,
Rayski ne veut pas en entendre parler. Pour en finir avec « cette liste
angoissante du Mur des lamentations des juifs de France », écrit-il, il faut «
cesser de comprendre à tout prix, pour juste dire "non", ce qui nécessite
évidemment un peu de courage. Cesser de "comprendre" qu’il y a la Palestine,
qu’il y a de la misère dans les banlieues, que l’intégration a été ratée par la
faute de nos politiques, que... Cesser de se sentir vaguement coupable, car au
jeu du coupable, c’est toujours ainsi l’a voulu l’histoire le juif
qui est le plus coupable. » L’auteur nous demande de croire à sa sincérité :
nous ne la mettons pas en doute. Pas plus que la réalité de la plupart des faits
qu’il rapporte (certains sont discutables), effectivement inacceptables. Toute
manifestation avérée de racisme doit être combattue, et spécifiquement
l’antisémitisme, par tous les moyens légaux dont dispose la République : cela ne
souffre aucune discussion. Se refuser, en revanche, à toute tentative
d’explication rationnelle à de telles manifestations ; refuser notamment tout
lien de cause à effet entre celles-ci et, d’une part une situation sociale
donnée (chômage, misère, précarité, enfermement communautaire...), d’autre part
une situation internationale inacceptable (négation du droit d’existence des
Palestiniens, mépris du droit international, prolongation indéfinie d’une
situation coloniale humiliante et meurtrière...), cela relève de la cécité.
Rayski ironise sur « l’incurable optimisme » de ceux qui pensent que «
l’antisémitisme disparaîtra quand il y aura un État palestinien ».
Et si on
essayait, pour voir ?
POURQUOI AUJOURD’HUI ?
Soyons sérieux : bien sûr que
l’antisémitisme subsistera à un règlement, aujourd’hui bien improbable, de la
question palestinienne : comme tout racisme, il est éternel. On n’aura jamais
fini de le combattre.
Mais la question posée n’est pas celle de
l’antisémitisme en soi, tel qu’il est charrié dans les siècles des siècles. Elle
est précisément ceci : pourquoi une telle recrudescence, hic et nunc, et dans
une population donnée, alors même que le « vieil » antisémitisme de l’extrême
droite semble plutôt en régression, ou plus ou moins sous contrôle ? Le
phénomène est récent, et précisément daté : l’écroulement du « processus de paix
», des espoirs de solution pacifique nés d’Oslo et de Madrid, et le commencement
de la deuxième Intifada à l’automne 2000. C’est-à-dire la reprise, au
Proche-Orient, d’une violence sans fin, d’une guerre asymétrique ingagnable par
aucune des parties, encore aggravée par un contexte régional d’une dangerosité
extrême où l’impérialisme américain conduit le bal. Dans ce contexte de la
guerre irakienne qui favorise la montée de l’islamisme radical, en l’évidence
d’un refus israélien de permettre la création de l’État palestinien, et dans le
choix d’une partie de la communauté juive française (la plus bruyante)
d’exprimer sans nuance son soutien inconditionnel à l’État juif,
l’antisémitisme, ici, a sans doute de beaux jours.
Et la République, du souci
à se faire.
RACISME ET ANTISÉMITISME
Car Jean-Christophe Rufin a raison de
dire, dans le rapport qu’il vient de remettre au ministre de l’Intérieur (2),
que l’antisémitisme ne saurait être la seule affaire des juifs : « Ce dont il
faut convaincre les Français, c’est que l’antisémitisme est l’ennemi commun des
juifs et de la République. »
A-t-il raison, en revanche, de vouloir traiter
séparément racisme et antisémitisme, de vouloir faire au second « une place à
part » en raison de « l’irréductible particularité de l’Holocauste », cela se
discute. Les manifestations d’un racisme anti-arabe, anti-noir, anti-musulman ne
sont hélas pas moins ordinaires et pas moins inacceptables que celles de
l’antisémitisme. En voulant distinguer celles-ci de celles-là, en leur conférant
une sorte de priorité, on va sans doute à rebours des bonnes intentions : ce
qu’expriment souvent les jeunes déshérités enclins à s’en prendre aux « feujs »,
c’est un sentiment d’injustice, de « deux poids deux mesures » des réactions de
la société (réactions policières, judiciaires, médiatiques) face à des actes
également indignes et répréhensibles. Comme si la profanation d’un cimetière
juif était plus grave que celle d’un cimetière musulman, l’incendie d’une
synagogue plus condamnable que celui d’une mosquée.
Ont-ils tout à fait tort
?
UN RAPPORT PROVOCATEUR
Mais il y a plus grave. En cherchant à classer
les diverses formes de l’antisémitisme, Rufin en distingue trois.
L’antisémitisme « comme pulsion » (celui des populations précaires), « comme
stratégie » (l’extrême droite) et « par procuration ».
C’est cette troisième
catégorie qui fait problème (et incite à qualifier ce rapport de « provocateur
») (3). Elle concerne ceux que l’auteur considère comme étant des «
facilitateurs » de l’antisémitisme : c’est-à-dire les tenants d’un «
antisionisme radical », ceux qui par leur critique de la politique de l’État
d’Israël favorisent l’antisémitisme simplet de ceux qui confondent juifs et
Israéliens. On connaît la chanson : « Cet antisionisme moderne est né au
confluent des luttes anticoloniales, antimondialisation, antiracistes,
tiers-mondistes et écologistes. Il est fortement représenté au sein d’une
mouvance d’extrême gauche altermondialiste et verte. » Fermez le ban. En quelque
sorte, comme le disait plus carrément M. Cukierman, président du Crif, « l’axe
rouge-vert-brun ». M. Rufin ne propose rien de moins que de combattre cet «
antisionisme radical » par la loi : une sorte de loi Gayssot appliquée à la
critique exagérée d’Israël et qui « permettrait de punir ceux qui porteraient
sans fondement à l’encontre de groupes, d’institutions ou d’États des
accusations de racisme et utiliseraient à leur propos des comparaisons
injustifiées avec l’apartheid ou le nazisme ».
C’est en effet assez
provocateur. C’est surtout très conformiste : cette volonté d’assimiler
l’antisionisme à un antisémitisme est au coeur du combat que mène depuis des
mois, à longueur d’articles, de tribunes, de livres, la fine fleur
intellectuelle et médiatique du lobby sioniste (et on se dépêche d’employer
l’expression avant qu’elle ne tombe sous le coup de la loi...).
LE DÉNI DES
PALESTINIENS
Oui, le conflit israélo-palestinien est bien « une passion
française », comme le rappelle avec pertinence Denis Sieffert, dans un essai
solidement étayé (4). Et sur le caractère colonial de l’État hébreu (avec tout
ce qu’il signifie de violence et d’injustice pour les colonisés), nous n’avons
pas fini de nous écharper.
Sieffert consacre plusieurs pages à cette question
de l’antisionisme, qu’on voudrait tant assimiler à l’antisémitisme pour le
frapper d’anathème et en nier la pertinence politique. Il s’interroge sur la
nécessité de continuer à user du terme : « La pression est aujourd’hui si forte
pour faire admettre l’équation "antisionisme = antisémitisme" que l’on doit
s’interroger sur l’utilité de mener contre elle ce combat d’apparence purement
sémantique. Au fond, à quoi bon ? » Mais outre le fait que les défaites
sémantiques annoncent souvent des déroutes politiques, il est un argument majeur
qui nous interdit d’y renoncer : la solidarité avec « des gens qui ont du
"sionisme réel" une expérience plus douloureuse que les Européens et ne sont pas
prêts à abjurer leur conviction. A-t-on le droit d’occulter le point de vue des
Palestiniens, pour qui le sionisme s’identifie trop souvent encore au bulldozer
qui rase leur maison ? Admettre [...] que l’antisionisme est nécessairement un
antisémitisme, c’est pérenniser le déni des Palestiniens. C’est interdire l’une
des deux définitions pertinentes du sionisme, pour n’en imposer qu’une seule à
la terre entière. Or, [...] s’il importe de faire entendre que le sionisme fut
un mouvement de libération nationale, il faut aussi admettre qu’il est un
colonialisme. »
Et ce n’est certes pas au moment où M. Dov Weissglass, le
plus proche collaborateur de Sharon, révèle ingénument les vraies raisons du
plan d’évacuation de Gaza (à savoir le maintien et le renforcement des
principales colonies juives de Cisjordanie, dans la perspective d’« empêcher la
création d’un État palestinien » et la relance « d’un processus de paix ») ;
non, ce n’est certes pas le moment de renoncer à notre « antisionisme radical »,
qui n’est rien d’autre qu’une exigence de justice basique avec un peuple
martyrisé.
N’en déplaise à Jean-Christophe Rufin, qu’on a connu mieux
inspiré.
- NOTES :
(1) Jours
tranquilles à Créteil, Benoît Rayski, Ramsay, 174 p., 18 euros.
(2) Chantier
sur la lutte contre le racisme et l’antisémitisme, rapport présenté par
Jean-Christophe Rufin, remis au ministre de l’Intérieur le 19 octobre, suite à
une lettre de mission du 29 juin. Consultable en ligne à : http://www.interieur.gouv.fr(3) Voir le Monde du 20 octobre.
(4) Israël Palestine,
une passion française, DenisSieffert, La Découverte, 270 p., 19
euros.
26. Israël ne demandera pas d’aide
américaine pour son désengagement avant janvier 2005 par Ran
Dagoni
on Globes on-line (quotidien israélien) du lundi 25 octobre
2004
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Si Bush est réélu, il accordera
sans doute cette aide. La position du Sénateur Kerry n’est pas
claire.
Israël ne sollicitera aucune aide financière des Etats-Unis afin d’assurer
le financement de son plan de désengagement (de Gaza) avant janvier prochain,
même si le président George W. Bush remporte les élections la semaine prochaine,
et entame son second mandat. C’est ce qu’estiment les diplomates israéliens en
poste à Washington. Au cours de sa visite à Washington, début octobre, afin
d’assister aux réunions annuelles du Fonds Monétaire International et de la
Banque Mondiale, le ministre (israélien) des Finances Benjamin Netanyahou a
révélé avoir soulevé la question d’une aide américaine au plan de désengagement
lors d’une rencontre avec la conseillère ès sécurité intérieure américaine
Condoleezza Rice. Netanyahou a souligné que ces conversations ne visaient qu’à
préparer le terrain et qu’aucune négociation pratique n’avait été entamée,
jusqu’au moment où il s’exprimait.
A Washington, diverses sources ont indiqué
que l’administration Bush soutient le plan de retrait, mais que l’année fiscale
fédérale américaine 2005 (qui a débuté le 1er octobre) était d’ores et déjà
forclose. Bien que l’administration ait la latitude de demander au Congrès une
rallonge budgétaire, au moyen d’un projet de loi mis aux voies durant l’année
fiscale concernée, il est peu probable que cela puisse se produire, alors même
que l’administration sortante vit ses dernières journées aux manettes.
Ces
mêmes sources pensent que si Bush est réélu, il y a une chance raisonnable que
les Etats-Unis approuveront cette aide au plan d’évacuation (de Gaza), en
particulier en ce qui concerne les subsides destinés aux (colons) évacués.
Ces sources pensent qu’à toutes fins, l’aide sera conditionnée à l’engagement
des Israéliens à procéder à un retrait de grande ampleur de la Cisjordanie, qui
aille bien au-delà des quatre colonies que le Premier ministre israélien Ariel
Sharon a d’ores et déjà tatouées : « bonne pour l’évacuation ».
Si c’est le
Sénateur John Kerry qui est élu à la présidence, on ne connaît pas avec
certitude quelle serait la réaction de son administration à une demande d’aide
au retrait israélien (de la bande de Gaza)
27.
Saintes huiles sur le feu par Pierre Marcelle
in Libération
du lundi 25 octobre 2004
Donc, le rapport Rufin, du nom du centriste
président d'Action contre la faim, ex-médecin sans frontières membre de
l'amusant Conseil d'analyse de la société, écrivain. Commandité par le ministre
policier Villepin, son pensum sur le racisme et l'antisémitisme invente un
«antisionisme radical», dont il invite le législateur à criminaliser
l'expression dans une loi d'exception. C'est aberrant, mais c'est ainsi : écrire
ici, par exemple, que Sharon, en érigeant un «mur» entre Israël et la
Cisjordanie, conduit une politique d'«apartheid», relèverait de ces choses qui
«menacent (sic) radicalement (sic) la survie (sic) du système démocratique
(sic)» ! Et me vaudrait de répondre d'un crime d'antisémitisme «subtil» en ceci
qu'il encouragerait, en la légitimant, la revendication nationale palestinienne,
forcément terroriste... En agréant le plan de retrait de Gaza, le ministre de
l'Extérieur Barnier enterre un peu plus le plan de paix de Genève ; en
surexposant ses comptes de tensions intercommunautaires alors même que celles-ci
semblent s'apaiser, celui de l'Intérieur les attise. Entre les deux, le rapport
Rufin, minutes d'un exemplaire procès d'intention, jette un pont susceptible,
lui, de menacer radicalement la liberté d'expression. Ce pont, l'Union des
étudiants juifs de France l'emprunte en une baroque campagne de pub (voir
Libération du 22 octobre). Dans un lettrisme qui évoque vicieusement celui des
tagueurs des quartiers, les gourous Jésus et Marie y sont qualifiés de «Sales
juifs». L'UEJF, bien sûr, proteste que son propos, illisible (1) pour l'athée
que nous sommes, «n'est pas de dénoncer un antisémitisme chrétien». L'archevêché
en doute déjà. En invoquant la fête de tous ses saints et afin de marquer son
territoire, il a dressé sur le domaine public, entre la préfecture de police et
la cathédrale de Paris, une croix en bois de 17 mètres de haut.
- (1) Et censé s'adresser à un public
pour lequel, précisément, Jésus et Marie ne constituent pas ces «symboles de
tolérance» que l'UEJF décrète
«universels».
28. Robertson : "Si Bush touche un
cheveu de Jérusalem, nous formerons le troisième parti américain !" par
Daphna Berman
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 4 octobre
2004
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
L’influent évangéliste américain Pat
Robertson a déclaré, ce lundi, que les chrétiens évangélistes sont tellement
préoccupés par le sort de Jérusalem que, si le président George W. Bush y «
touchait » en quoi que ce soit, les évangélistes abandonneraient leurs positions
traditionnellement proches des Républicains et mettraient sur pied un troisième
parti américain.
« Le président s’est quelque peu détaché de la « feuille de
route ». Mais s’il touchait en quoi que ce soit à Jérusalem, il perdrait tout
soutien des évangélistes », a déclaré M. Robertson. « Ils formeraient un
troisième parti », a-t-il dit, expliquant que, si les gens « ne connaissent rien
» à Gaza, Jérusalem, c’est une toute autre histoire.
Robertson, un partisan
très en voix d’Israël venu ici pour célébrer la fête des Tabernacles (Soukkot),
a également indiqué que les gens qui viennent visiter Israël ne doivent pas
faire des critiques exagérées des décisions politiques du gouvernement
israélien. Il s’est bien gardé de critiquer ouvertement le plan de désengagement
de Sharon, se contentant d’indiquer qu’il espérait que « le peuple israélien
prendra les bonnes décisions » en ce qui concerne d’éventuelles concessions
territoriales.
« Pour un visiteur venu en Israël, il serait inconvenant de
s’immiscer dans la politique israélienne », a-t-il affirmé au cours d’une
conférence de presse, tenue au Centre International des Congrès de
Jérusalem.
Avec quelque cinq mille chrétiens du monde entier, Robertson a
fait du tourisme en Terre Sainte, cette semaine, afin de soutenir le peuple
d’Israël et de prier pour lui. Hier, il a dirigé une prière collective, devant
la Knesset, au cours de laquelle il a fustigé le Hezbollah, le Hamas et l’idée
de jihâd.
« Les pays arabes veulent un conflit, et ils veulent pérenniser les
souffrances des habitants, à Gaza », a-t-il déclaré, ajoutant : « Ils ne veulent
pas la paix : ce qu’ils veulent, c’est détruire Israël ! »
Robertson a
demandé la dissolution immédiate de l’Agence de l’Onu pour les Secours et le
Travail (UNRWA), étant donné ce qu’il a appelé le rôle actif de cette
organisation dans la « perpétuation » du problème des réfugiés palestiniens. Il
a mis en garde contre le fait qu’un Etat palestinien deviendrait « une source
permanente d’irritation », qui « mettrait en danger l’intégrité territoriale »
d’Israël.
« Un Etat palestinien jouissant d’une souveraineté pleine et
entière représenterait une base de lancement pour différents types d’armes, dont
des armes de destruction massive », a ajouté l’ancien candidat aux
présidentielles américaines.
Des milliers de Chrétiens marchent pour Jérusalem
Ce
sont pas moins de 20 000 marcheurs qui étaient attendus à la procession annuelle
intitulée Marche pour Jérusalem. Comportant des milliers d’évangélistes et des
ouailles d’autres obédiences chrétiennes, elle devait passer au cœur de la ville
dans l’après-midi.
[Les responsables de la police ont commencé à barricader
les rues à treize heures trente afin de permettre aux marcheurs de passer. Parmi
les artères du centre de Jérusalem dont la fermeture, partielle ou totale, est à
prévoir, mentionnons les rues et avenues : Ben-Zvi, Bezalel, Ben-Yehuda, King
George, de Jaffa, Shlomzion HaMalka, Koresh, Azza, Agron, Menashe Ben-Israel,
HaEmek, HaRav Kook, Havatzelet, Heleni HaMalka, Histadrouth, Shammai et Hillel.
La plupart de ces voies seront réouvertes aux environs de dix-sept heures
trente.]
Au cours d’un meeting qui a rassemblé plus de 4 000 pèlerins au
palais des congrès de Jérusalem, hier dimanche, Robertson a mis en garde contre
certains musulmans qui s’efforcent de faire échouer le « projet de Dieu »,
lequel consiste à laisser Israël sur la terre qui lui revient légitimement. Il y
avait 25 % de pèlerins de plus qu’au cours des trois années passées, ont indiqué
les organisateurs, de l’Ambassade Chrétienne Internationale.
« J’entrevois la
montée de l’Islam, qui veut détruire Israël et s’emparer de la terre des juifs,
afin de donner Jérusalem Est au président de l’Autorité palestinienne, Yasser
Arafat. En cela, je vois un plan de Satan, visant à empêcher le retour de Notre
Seigneur Jésus-Christ ! » a déclaré Robertson, prédicateur chrétien
radiophonique.
Lors de deux apparitions (publiques) à Jérusalem, Robertson a
louangé, dimanche, Israël, qu’il considère faire partie du plan divin, et
critiqué les pays arabes et certains musulmans, en disant que leurs espoirs
d’inclure du territoire sous contrôle israélien dans un Etat palestinien font
partie intégrante du « projet de Satan ».
Robertson, qui n’en était pas à son
coup d’essai en matière de critiques envers l’Islam, a qualifié les pays arabes
voisins d’Israël d’ « océan de régimes dictatoriaux ».
Il a dit qu’il «
avertissait » Oussama ben Laden, Arafat et les groupes activistes palestiniens
qu’ils ne « changeront rien aux plans du Bon Dieu », lequel veut voir les juifs
gouverner la Terre Sainte jusqu’à la Seconde Venue de Jésus.
Seul, Dieu
devrait décider si Israël doit ou non renoncer au contrôle des territoires qu’il
a conquis au cours de la guerre de juin 1967, dont la bande de Gaza, la
Cisjordanie et Jérusalem Est, a déclaré Robertson, faisant une allusion non
dénuée de critique au projet de Sharon consistant en se retirer de la bande de
Gaza, l’an prochain…
« Dieu dit : « Je vais juger ceux qui grignotent la
Cisjordanie et la bande de Gaza », a déclaré Robertson, qui a poursuivi, faisant
toujours parler Dieu : « C’est ma terre : bas les pattes ! »
Soufflant dans
des cornes de bélier afin de les faire sonner, et criant force « alléluias »,
des centaines de pèlerins – certains, venus de Norvège, d’Angleterre et
d’Allemagne – se sont rassemblés dans le centre de Jérusalem, afin de prier pour
la « paix » et de célébrer l’unification de la ville par Israël, lorsqu’il a
conquis Jérusalem Est, en
1967.
29. La "solution" à deux Etats
touche à son terme par John Denham
in The Guardian (quotidien
britanique) du vendredi 1er octobre 2004
[traduit
de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(John Denham est député travailliste de la circonscription de
Southampton Itchen. Il a été ministre de l’Intérieur britannique, jusqu’à sa
démission, en mars 2003, en raison de son désaccord sur l’intervention du
Royaume-Uni en Irak.)
Une solution binationale, avec un seul Etat, est la seule
possible. Elle seule permettra l’instauration d’une véritable démocratie en
Palestine.
Des pressions économiques sur Israël s’imposent
Mon
collègue Ian Gibson, Membre du Parlement, m’a appelé, à six heures et demi du
matin, de son hôtel de Ramallah, en Cisjordanie. Notre visite, ayant pour but
d’étudier les services médicaux en Palestine occupée, allait prendre une
tournure très personnelle. Et effrayante. Ian avait été hospitalisé, à la suite
d’un malaise : on suspectait une embolie mineure. Le spécialiste était venu très
rapidement et Ian avait été emmené dans un hôpital de Jérusalem dans une
ambulance du Croissant Rouge palestinien.
Mais au checkpoint d’Al-Ram,
l’ambulance de Ian a été arrêtée par la police israélienne des frontières. En
dépit de son la gravité manifeste de son état – il était en état de
détresse par déshydratation – et malgré les représentations du consulat
britannique, l’ambulance se vit refuser l’autorisation de poursuivre sa route.
Durant soixante-dix minutes, Ian fut laissé dans l’ambulance, avant que son
transfert à bord d’une autre ambulance, que l’on très longtemps, dans l’angoisse
que l’on imagine, soit autorisé
La brutalité du traitement auquel Ian a été
soumis est une violation évidente de la promesse qu’Israël avait faite à l’ONU,
à savoir que les ambulances ne seraient en aucun cas retenues plus d’une
demi-heure. Une organisation humanitaire palestinienne, le HDIP, a recensé 83
morts dues à un déni d’accès à l’hôpital dans des cas d’urgence ; 52 femmes ont
accouché devant des checkpoints, l’accès à une maternité ou un hôpital leur
ayant été dénié.
Les barrages routiers inopinés et les checkpoints
permanents font partie du système d’occupation de la Palestine, qui vise bien
plus que la simple sécurisation de frontières. D’après l’ONU, il y a plus de 700
de ces barrages routiers dans l’ensemble de la Cisjordanie, qui contrôlent les
déplacements de chacun des Palestiniens à l’intérieur de leur propre pays.
Lorsque nous étions là-bas, la plupart des Palestiniens ne pouvaient pas sortir
des principales villes. De facto, la Palestine est de plus en plus morcelée en
une série de communes isolées, soumises au contrôle militaire
d’Israël.
Pendant ce temps-là, la construction du « mur de sécurité »
israélien en Cisjordanie bat son plein, ainsi que la création de nouvelles
implantations. Depuis le village de Saffa, du côté palestinien de la frontière
de 1967, il était stupéfiant de voir de nouvelles villes s’étendre, telles ces
villégiatures en location partagée qui envahissent la Costa Brava. Les nouveaux
townships, à la mode de l’apartheid sud-africain, seront encerclés par le
nouveau mur, tandis que Saffa se retrouvera du « mauvais » côté. Les habitants
de ce gros village n’ont pas le droit, qui devrait être évident, d’en sortir et
ils seront soumis à la confiscation arbitraire de leurs permis de résidence. Les
Israéliens auront toute opportunité de venir s’installer sur les terres ainsi
confisquées. Quelle que soit la fonction sécuritaire que puisse avoir le mur,
son effet réel, étant donné qu’il décrit de larges boucles à l’intérieur du
territoire palestinien, est clair. Avant longtemps, il restera aux Palestiniens
trop peu de territoire et de liberté pour que la création d’un Etat indépendant
soit une proposition sensée.
Que se passera-t-il, si la solution à deux Etats
s’enlise dans un Etat palestinien failli ou, plus simplement, dans la brutalité
d’une occupation israélienne prolongée ? Nous, et d’autres contribuables
européens, nous continuerons à honorer la facture de l’aide – d’ores et déjà
plus élevée, par personne, que pour aucun autre pays au monde – afin de parer
aux pires conséquences de l’occupation israélienne illégale. En attendant, c’est
notre propre sécurité et la crédibilité de la politique étrangère britannique
qui en pâtiront.
L’espoir en une solution à deux Etats a uni des gens dont
les sympathies allaient à l’un ou l’autre camp, et aussi ceux qui, ne prenant
pas parti, étaient simplement conscients du fait que notre propre sécurité
dépend d’une solution juste au Moyen-Orient.
Les partisans et les détracteurs
de la guerre en Irak étaient d’accord pour dire que la paix au Moyen-Orient
était essentielle si l’on voulait couper l’herbe sous les pieds d’Al-Qaida,
séduisante pour des musulmans dépossédés. S’exprimant en mars 2003, Tony Blair
avait déclaré : « Nous sommes tous engagés, désormais… vis-à-vis d’un Etat
d’Israël, reconnu et accepté par le monde entier, et d’un Etat palestinien
viable. C’est là ce pour quoi ce pays doit lutter, et c’est ce que nous ferons.
»
A nouveau, la semaine passée, Tony Blair a dit : « Deux Etats – Israël, et
la Palestine – vivant en paix côte à côte, feront plus, pour vaincre le
terrorisme, que des balles. » Il a promis de faire de ce règlement une priorité,
après les élections présidentielles américaines. Demandons-nous alors comment
cette priorité peut-elle se concrétiser ?
Il est temps d’être plus courageux
et plus audacieux quant aux pressions que nous pouvons exercer.
Notre
gouvernement ne désirait pas que la plainte déposée contre la construction du
mur soit examinée par la Cour Internationale de Justice, au motif que cela ne
serait pas bon pour le processus de paix. Mais les pressions venues de
l’extérieur, cela marche ! La condamnation explicite de la Cour a choqué les
Israéliens et leur gouvernement et cela les a contraints à repenser le tracé du
mur.
La politique israélienne peut être influencée par une pression
extérieure explicite. Beaucoup de gens se demandent d’ores et déjà si l’accord
d’association d’Israël avec l’Union européenne, conditionné par le respect des
droits de l’homme par le pays associé, est encore justifié (et s’il ne devrait
pas être suspendu). Ce genre d’option ne doit pas être écartée à la légère, d’un
revers de la main.
Bien sûr, chaque attentat suicide, dans son obscénité,
cache la vision générale du problème ; les citoyens israéliens ont, eux aussi,
droit à la sécurité. Mais la politique actuelle d’Israël ne leur apportera
aucune sécurité sur le long terme et elle risque même un jour de mettre en
danger notre propre sécurité. S’il faut que des pressions extérieures soient
exercées afin de faire passer le message, alors soyons prêts à y recourir.
La
situation continuant à se détériorer en Irak, le moment est maintenant venu,
pour Tony Blair, de tenir ses
promesses.
30. Les
vainqueurs de la Seconde guerre mondiale, c’était nous ! par Lily
Galili
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mercredi 29 septembre
2004
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Les immigrants de l’ex-URSS
ne se considèrent pas comme des victimes de l’Holocauste, mais bien plutôt comme
faisant partie de la grande nation qui vainquit les nazis. De leur point de vue,
il est bien plus important de souligner cet héroïsme-là.
Dans un sous-sol sombre, à Hadera, un musée a été ouvert, il y a environ
cinq ans. C’est l’un des musées les plus intéressants de sa catégorie, en
Israël, bien que ses salles trop sombres ne soient pas à la hauteur de son
ambition : présenter des milliers d’objets illustrant l’héroïsme juif à travers
les générations. Les vitrines retracent une succession de hauts-faits héroïques
juifs, notamment le rôle joué par les juifs dans le retardement des Croisés, un
portrait d’Yitzhak Rabin portant l’uniforme des Forces Israéliennes de Défense,
des documents relatifs à la guerre de Crimée et aux deux conflits
mondiaux.
L’initiateur de ce projet absolument unique en son genre est David
Zelevansky, 73 ans, ancien brigadier général dans l’Armée Rouge, qui a immigré
en Israël il y a une dizaine d’années. M. Zelevansky est historien et
spécialiste en muséologie militaire. Il a apporté une partie de cette collection
éclectique de l’ex-Union soviétique, et il a reçu d’autres objets de la
communauté russophone (d’Israël), intéressée par son projet.
Ainsi, par
exemple, la collection comporte une lettre manuscrite de l’écrivain Ilya
Ehrenburg, durant la Seconde guerre mondiale, des journaux et des tracts de
cette période, ainsi que des caricatures sur la guerre, dessinées par le peintre
juif Avram Nakovich.
« Pour moi, ce n’est pas simple violon d’Ingres »,
explique M. Zelevansky. « J’ai travaillé dans les plus grands musées militaires
en Russie, et j’ai écrit plusieurs ouvrages sur le sujet. Cette collection
juive, c’est ma réponse à la volonté des Allemands d’effacer l’héritage
(historique et culturel) juif en assassinant six millions de juifs. Les
survivants de l’Holocauste conservent cette mémoire pour nous. Et, de fait, tout
le monde parle de l’Holocauste, ici. Mais moi, j’ai voulu mettre l’accent sur la
conservation de la mémoire héroïque. »
M. Zelevansky explique que lorsqu’il a
immigré en Israël, il était certain que sa collection rencontrerait une grande
curiosité et qu’on lui en serait reconnaissant. Il voulait présenter le juif
courageux, et non pas le juif terrorisé par les pogroms. En même temps, il
cherchait à faire passer l’idée que l’héroïsme militaire juif n’a pas commencé
avec la création de l’Etat d’Israël.
C’est ici (en Israël) que l’héroïsme (juif) aurait, dit-on,
commencé
Mais il ne tarda pas à découvrir que la conception sioniste
fondamentale des chose voulait que l’héroïsme militaire juif a bel et bien
commencé ici, dans l’Etat des juifs. Cette approche ne laissait aucune place au
passé. Il dit que toutes les institutions qu’il a contactées – du Yad Vashem
[mémorial juif de Jérusalem]jusqu’au Beit Lohamei Hagetaot [Maison des
Combattants des Ghettos, ndt] – lui ont répondu : « Ce n’est pas nos ognons ».
Le Yad Vashem lui a répondu que son directeur général avait visité
l’exposition de M. Zelevansky à Hadera en août 2001, et que M. Zelevansky ne lui
avait pas proposé de faire don d’un quelconque objet à l’époque. Quand à Lohamei
Hagetaot, elle a fait savoir que M. Zelevansky lui avait proposé, une unique
fois, un échange d’objets, mais que cela était resté sans suite…
Ainsi, la
collection est restée dans son sous-sol, à Hadera, où elle bénéficie de
subventions de la municipalité. Mais, en raison de l’augmentation de la location
du local, la collection sera prochainement déménagée dans un club d’immigrants,
dans cette même ville.
Dans l’intervalle, les visiteurs du musée sous-terrain
ont inclus le Premier ministre Ariel Sharon, son prédécesseur Ehud Barak, et
d’autres généraux israéliens à la retraite. Tous furent favorablement
impressionnés, y allant parfois de leur larmichette et écrivant même des
appréciations émouvantes sur le livre d’or. Mais la collection n’en continua pas
moins à être reléguée dans son sous-sol…
Il faut replacer cette histoire un
peu anecdotique dans son contexte général. Des millions d’immigrants provenant
de l’ex-Union soviétique ont greffé le mythe de l’héroïsme à la perception
israélienne de l’Holocauste comme partie intégrante de l’identité sioniste. En
dépit du fait que deux millions de juifs (dont tous n’étaient pas russes) ont
été massacrés en Union soviétique durant l’Holocauste, les juifs originaire de
la Union des Républiques Soviétiques se considèrent encore aujourd’hui comme
appartenant à la grande nation qui vainquit les nazis. Ils se plaignent du fait
que les Israéliens ont du mal à le reconnaître, et qu’en raison de leur
exécration pour Staline et le régime soviétique, ils décident de ne se souvenir
que du seul rôle joué par les Alliés dans la victoire sur le troisième
Reich.
De l’autre côté du Rideau de Fer, deux générations de juifs ont grandi
en URSS, qui n’accordèrent pas une attention distincte à l’Holocauste des juifs.
Explication : les juifs qui ont péri dans l’Holocauste étaient considérés comme
faisant partie inhérente et inséparable des millions de victimes tombées dans la
lutte contre les nazis. De même, ces victimes de l’Holocauste furent considérées
inséparables de la victoire.
En russe, il n’existe aucun mot désignant
l’Holocauste. On parle, à son sujet, simplement de « catastrophe ». La femme
immortalisée par la statue érigée dans la vallée de la mort à Babi Yar, près de
Kiev (Ukraine), porte une robe traditionnelle ukrainienne typique. David
Shechter, un ancien militant de l’immigration et aujourd’hui conseiller du
ministre Natan Sharansky, dit que les militants juifs commencèrent à essayer de
visiter Babi Yar dans les années 1980, dans l’espoir de se recueillir au
mémorial et d’y réciter le kaddish, la prière des morts. Mais, année après
année, les responsables du KGB les attendaient dans les aéroports et dans les
gares, afin de les empêcher de se rendre sur ce site.
Nécessité
d’ajouter un nouveau jour du souvenir
La rencontre des immigrés avec
la culture israélienne est rendue compliquée par cette perception différente
qu’ils ont de l’Holocauste. Ce sont près de 52 000 vétérans de l’Armée Rouge qui
sont venus en Israël avec la grande vague d’immigration du début des années
1990, et qui ont amené une attitude autre, en même temps que leurs médailles et
leurs citations militaires. Le défilé annuel des papys vétérans, arborant leurs
médailles sur la poitrine, le 9 mai, date anniversaire de la victoire sur les
nazis, suscite un regard amusé chez le badaud israélien moyen. Et, de leur côté,
les immigrants de Russie trouvent quelque difficulté à intégrer le cérémonial
israélien de la Journée de l’Holocauste, dépourvu de toute dimension héroïque.
Dora Nemirovski, célèbre femme médecin militaire, qui a suivi l’armée rouge
dans les combats de la Seconde guerre mondiale, a perdu toute sa famille dans
l’Holocauste, et son frère dans les combats. Lors de sa première Journée de
l’Holocauste, en Israël, elle a été surprise d’entendre hurler les sirènes et de
voir tout le pays se figer sur place. « C’est quelque chose que je n’ai pas
compris », nous a-t-elle dit. « Bien sûr, c’est très bien qu’il y ait un jour
consacré à la commémoration de l’Holocauste, mais ne se souvenir des juifs qu’en
tant que victimes, je trouve cela insultant. Il y a eu, aussi, des héros ».
S’étant faite à l’idée que l’ethos unanimement reconnu en Israël fait le lien
entre l’Holocauste à la création de l’Etat (d’Israël), elle a dit, presque
étonnée : « Dire que l’Etat a été créé à cause de l’Holocauste, c’est faux !
L’Etat a été créé parce que nous avons vaincu. Si nous n’avions pas vaincu, il
n’y aurait pas d’Etat. »
Cette tension culturelle autour de la question de
l’Holocauste et de l’héroïsme a même joué un rôle majeur dans la principale
conquête des nouveaux immigrants. Le 29 novembre 1999, le gouvernement israélien
a décidé que « Le comité ministériel des symboles et des cérémonies déclare que
le 9 mai sera considéré par l’Etat comme la journée marquant l’anniversaire de
la victoire sur l’Allemagne nazie ainsi que comme la journée honorant
(l’héroïsme dont ont fait preuve) les combattants juifs. »
Même si cette date
est jusqu’à ce jour célébrée principalement par les associations d’immigrants
(russes) et par la Knesset, on devrait se garder de minimiser cette avancée et
cette percée dans un ethos israélien plutôt exclusif, et donc cette inclusion
d’une nouvelle journée commémorative dans un calendrier officiel déjà bien
pourvu, en la matière.
Shmuel Eisenstadt, un professeur de sociologie,
a comparé ce succès moral remporté par les immigrants de l’ex-Union soviétique à
celui des juifs mizrahi (= orientaux), qui ont réussi à obtenir que la Mimouna
devienne une fête officielle israélienne chômée.
Avec une petite différence
: les juifs mizrahi ont mis quarante ans à obtenir ce que les récents immigrants
de Russie ont décroché en moins d’une décennie…
Voici environ trois mois de
cela, à l’initiative du ministre Natan Sharansky et avec le soutien de Sharon,
le gouvernement israélien a débloqué 4 millions de NIS [Nouveaux Shekels
israéliens, ndt] pour la création d’un musée des héros juifs combattants durant
la Seconde guerre mondiale. Le site choisi pour ce nouveau musée, bien entendu,
est le musée militaire de Latrun, : là, l’héroïsme fera sa jonction avec
l’Héroïsme…