"Oh montagne, le vent ne t'ébranlera pas"
                                  
                       
Point d'information Palestine N° 245 du 13/11/2004
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Au sommaire
              
Dernières parutions
1. Le mur de Sharon de Alain Ménargues aux éditions des Presses de la Renaissance
2. L’Empire aveuglé - Les Etats-Unis et le Moyen-Orient de Rashid Khalidi aux éditions Actes Sud
3. Israël-Palestine, une passion française - La France dans le miroir du conflit israélo-palestinien de Denis Sieffert aux éditions La Découverte
                     
Réseau
1. Liste des personnalités qui ont participé aux funérailles du Président Yasser Arafat (Le Caire, vendredi 12 novembre 2004)
2. Décès de Yasser Arafat - Communiqué de Jacques Chirac (Paris, jeudi 11 novembre 2004)
3. L’indécence a des limites par Afif Safieh, Délégué Général de Palestine auprès de la Grande-Bretagne et du Vatican (8 novembre 2004)
4. De l’importance d’être “hors jeu” par Uri Avnery (30 octobre 2004)
5. Un homme et son peuple par Uri Avnery (6 novembre 2004)
                          
Revue de presse
1. Le Caire, l’incontournable escale vers la Palestine par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du samedi 13 novembre 2004
2. L’ultime exil par Christian Merville in L'Orient - Le Jour du vendredi 12 novembre 2004
3. Yasser Arafat, l'homme qui a su incarner la Palestine, est mort - Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 11 novembre 2004, 8h32
4. Visages d’un combattant par René Backmann in Le Nouvel Observateur du jeudi 11 novembre 2004
5. Comment Awad reviendra-t-il du mauvais chemin qui est le sien ? par Amira Hass in Ha'Aretz du mercredi 10 novembre 2004
6. Arafat, un "résistant" plutôt qu'un "terroriste" pour les Français - Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 8 novembre 2004, 7h25
7. L'inconnue Hamas pour l'après-Arafat par Christophe Ayad in Libération du lundi 8 novembre 2004
8. L'incarnation d'un rêve : un Palestinien par Mouna Naïm in Le Monde du samedi 6 novembre 2004
9. "Le résistant" par Elias Sanbar in Le Monde du samedi 6 novembre 2004
10. Querelles palestiniennes au chevet d'Arafat par Christophe Boltanski in Libération du samedi 6 novembre 2004
11. L'intrigant Dahlan verrouille Gaza par Christophe Ayad in Libération du samedi 6 novembre 2004
12. Inquiétude et tristesse contenue par Valérie Féron in L'Humanité du vendredi 5 novembre 2004
13. Nouvelle diatribe du Sun contre Chirac, vilipendé pour son soutien à Arafat - Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 5 novembre 2004, 11h36
14. Notre ombre par Meron Benvenisti in Ha'Aretz du vendredi 5 novembre 2004
15. Après Arafat, le chaos ? par Taïeb Moalla in La Presse du vendredi 5 novembre 2004  
16. De la critique à l'antisémitisme par Pascal Boniface in Libération du mercredi 3 novembre 2004
17. Entre nostalgie du rêve et violence du réel : La vision corrosive des artistes israéliens par Itzhak Goldberg in Le Monde diplomatique du mois de novembre 2004
18. "Stratégie dormante" et politique platonicienne par Jean-Luc Perillié in Etudes du mois de novembre 2004
19. La "quatrième guerre mondiale" a-t- elle commencé ? par Rudolf El-Kareh in La Revue d’études palestiniennes N° 93 (Automne 2004)
20. Arafat jusqu’au bout par François Soudan in Jeune Afrique - L'Intelligent du dimanche 31 octobre 2004
21. L’Etat d’Israël envisage d’appuyer les demandes de dommages et intérêts de citoyens israéliens, dans des procès contre l’Autorité palestinienne par Amira Hass in Ha’Aretz du lundi 25 octobre 2004
22. Des prouesses de propagande ne parviendraient pas à rendre l’apartheid sexy - Réponse à l’article de Benjamin Pogrund : "Le bobard de l’apartheid" [The apartheid Lie] par Iqbal Jassat in Mail & Guardian du dimanche 24 octobre 2004
23. Sharon fera la paix... quand les Palestiniens seront finlandais par Charles Enderlin in Libération du mercredi 20 octobre 2004
24. Comme un monstre métallique aveugle par Elias Khoury in Le Monde du mercredi 20 octobre 2004
25. Ossama Al-Baz : "La violence israélienne ne peut pas être comparée à la violence palestinienne" propos recueillis par Chérif Ahmed in Al-Ahram Hebdo du mercredi 20 octobre 2004
26. La catharsis d’un écrivain : un député arabe israélien réussit à faire passer son message, grâce à l’écriture par Olivia Snaije in The Daily Star du vendredi 19 octobre 2004
27. Les combats et les provocations de Mordechaï Vanunu, "l'espion nucléaire" par Patrick Saint-Paul in Le Figaro du lundi 18 octobre 2004
28. Confirmé et avoué. Entre le 29 septembre et le 15 octobre, l’un dans l’autre, j’ai tué trente enfants. Soit : deux enfants par jour par B. Michael in Yediot Aharonot du vendredi 15 octobre 2004
29. Les rapports entre Israël et l'UE risquent de devenir de plus en plus tendus, selon un document secret israélien - Dépêche de l'agence Associated Press du mercredi 13 octobre 2004, 20h07 
30. Réseau russe d’espionnage en Israël in Intelligence & stratégie (IVe année N° 4) du mois de mai 2004
                               
[- Extrait du sommaire provisoire du prochain Point d'information Palestine (N°246) : Présentation des livres : Revue d’études palestiniennes N° 93 - Automne 2004 - Les Secrets de la guerre du Liban - Du coup d'état de Béchir Gémayel aux massacres des camps palestiniens de Alain Ménargues aux éditions Albin Michel suivi de la critique de Rudolf El-Kareh, - L’invasion du Liban en 1982, un événement-matrice parue dans La Revue d’études palestiniennes N° 93 (Automne 2004). Dans rubrique "Réseau : ONU - Les Délégations affirment leur soutien à l'Office de Secours pour les Réfugiés de Palestine (Publié le 2 novembre 2004). Dans notre revue de presse : Le champion disparu d'une laïcité menacée par Claude Lorieux in Le Figaro du samedi 13 novembre 2004 / "Il nous a fallu trente ans pour redevenir visibles" - Entretien avec Elias Sanbar propos recueillis par René Backmann in Le Nouvel Observateur du jeudi 11 novembre 2004 / Les mille et une vies de Yasser Arafat par Christophe Boltanski in Libération du jeudi 11 novembre 2004 / Télévision : Le petit sourire satisfait d'Ariel Sharon par Dominique Dhombres in Le Monde du jeudi 11 novembre 2004 / Antisémitisme - Un dangereux amalgame par Samar Al-Gamal in Al-Ahram Hebdo du mercredi 10 novembre 2004 / La responsabilité d’Israël par Ahmed Loutfi in Al-Ahram Hebdo du mercredi 10 novembre 2004 / Arafat, une route sur des sables mouvants - Entretien avec Henry Laurens propos recueillis par David Zerbib in L'Humanité du mardi 9 novembre 2004 / Il était une fois le raïs par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du samedi 6 novembre 2004 / "Le mot clef de sa vie : indépendance" - Entretien avec Amnon Kapeliouk réalisé par Françoise Germain Robin in L'Humanité du samedi 6 novembre 2004.]
                               
Dernières parutions

                            
1. Le mur de Sharon de Alain Ménargues
aux éditions des Presses de la Renaissance
[300 pages - 18 euros - ISBN : 2750900603]
De 70 à 100 mètres de large, avec fossés et barbelés, un mur de béton de 8 mètres de haut équipé de caméras et de mitrailleuses télécommandées, le tout sur 700 km : la « barrière de sécurité » érigée par Tsahal « pour stopper l’infiltration des kamikazes palestiniens » se met petit à petit en place, sous l’œil bienveillant des États-Unis.
Englobant les colonies juives et les terres agricoles de Cisjordanie, le mur coupe en deux ou isole des villages palestiniens ; sépare les membres d’une même famille ; les élèves de leurs écoles ; les paysans de leurs champs ; les fidèles de leurs lieux de prière. Ce « mur de la honte », comme le surnomment les Palestiniens, est bâti dans l’indifférence totale de la communauté internationale.
Grand reporter, spécialiste du Moyen-Orient, Alain Ménargues fait un état des lieux saisissant de l’histoire de ce projet pharaonique qui, réalisé au mépris des résolutions de l’ONU, anéantit toute chance de réconciliation des deux frères ennemis.  
Né en 1947, Alain Ménargues est l'un des plus grands spécialistes français du monde arabe. Grand reporter, envoyé spécial permanent au Moyen-Orient pendant 15 ans, il est aujourd’hui directeur général adjoint chargé des antennes et de l’information à Radio France Internationale. Lauréat du Prix Pierre Mille (1985) pour la couverture des événements libanais et du Prix SCOOP (1988) pour la couverture de l'actualité du monde arabe, il collabore à de nombreux magazines nationaux et radios étrangères. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Les larmes de la colère et Les secrets de la guerre du Liban.
                       
2. L’Empire aveuglé - Les Etats-Unis et le Moyen-Orient de Rashid Khalidi
aux éditions Actes Sud
[264 pages - 22,80 euros - ISBN : 2742752285]

“Ce que l’Amérique refuse de voir distinctement, elle ne peut guère y remédier.” Cette formule d’Edward Said, à qui ce livre est dédié, dit très clairement le sens de cet essai : l’Empire aveuglé. Rashid Khalidi, un des meilleurs connaisseurs de la politique américaine au Moyen-Orient, nous permet de comprendre pourquoi un tel chaos.
- Extrait (Chapitre : 1 - Page : 29) : Durant la période d'escalade politique, interminable en apparence, qui s'est achevée par le déclenchement de la seconde guerre des Etats-Unis en Irak en douze ans, de nombreuses raisons, pour certaines contradictoires, ont été invoquées pour soutenir une entreprise qui était une orientation nouvelle pour l'Amérique, de l'aveu même de ses partisans. Peut-être désirait-on explicitement une guerre choisie, une guerre facultative, ou , selon les mots préférés du Pentagone et du président George W. Bush, une guerre préventive.
Rashid Khalidi est titulaire de la chaire Edward-Said en études arabes à l'université de Columbia. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages sur le Moyen-Orient contemporain, notamment 'L'identité palestinienne'.
                       
3. Israël-Palestine, une passion française - La France dans le miroir du conflit israélo-palestinien de Denis Sieffert
aux éditions La Découverte
[276 pages - 19 euros - ISBN : 2707143014]
Depuis 1967, le conflit israélo-palestinien a souvent été un facteur de tension au sein de la société française. Racisme, antisémitisme, affrontements communautaires se nourrissent de l’interminable crise du Proche-Orient. Pour quelles raisons particulières la France est-elle plus sensible qu’aucun autre pays occidental aux échos d’un conflit lointain et localisé ? Dans ce livre informé, Denis Sieffert s’efforce de remettre en perspective les relations tumultueuses entre la France et Israël. Plus qu’une simple affaire de politique étrangère, le Proche-Orient agit comme un miroir pour la société française et les communautés qui l’habitent. C’est pourquoi toute prise de position prend un caractère passionnel. Depuis le parrainage d’Israël par la IVe République jusqu’au caillassage du Premier ministre Lionel Jospin à l’université de Bir Zeit, en passant par la fameuse déclaration du général de Gaulle en 1967 à propos du peuple juif « sûr de lui-même et dominateur », et le « sauvetage » de Yasser Arafat par François Mitterrand en 1982, les débats et polémiques ont souvent divisé l’opinion française et ses responsables politiques. Denis Sieffert explore ici le rôle du passé colonial français toujours douloureux, la relation difficile entre le sionisme et la République et, plus largement, le problème que soulèvent les doubles allégeances. Il rappelle les liens que les grandes familles politiques conservent, plus d’un demi-siècle après la naissance d’Israël, avec les protagonistes du conflit. Il montre en particulier que les socialistes, comme leurs ancêtres de la SFIO, restent souvent très liés à Israël, alors que les communistes, l’extrême gauche, les Verts et les altermondialistes sont, eux, engagés dans le soutien des Palestiniens.
Denis Sieffert est journaliste, directeur de la rédaction de l'hebdomadaire Politis. Il a publié en 2002, avec la photographe Joss Dray, "La guerre israélienne de l'information" aux éditions La Découverte.
                               
Réseau

                                           
1. Liste des personnalités qui ont participé aux funérailles du Président Yasser Arafat (Le Caire, vendredi 12 novembre 2004)
- Afghanistan : Hedayat Amin Arsala, vice-président
- Afrique du Sud : Thabo Mbeki, président
- Algérie : Abdelaziz Bouteflika, président
- Allemagne : Joschka Fischer, ministre des Affaires étrangères
- Arabie saoudite : Abdallah ben Abdel Aziz, prince héritier
- Bangladesh : Lajuddin Ahmed, président
- Bosnie : Adnan Terzic, Premier ministre
- Brésil : José Dirceu, chef de cabinet du président Luis Inacio Lula da Silva, numéro deux du gouvernement
- Canada : Pierre Pettigrew, ministre des Affaires étrangères
- Chine : Hui Liangyu, vice-Premier ministre
- Chypre : Vassos Lyssaridès, ancien président du Parlement
- Croatie : Miomir Zuzul, ministre des Affaires étrangères
- Danemark : Per Stig Moeller, ministre des Affaires étrangères
- Djibouti : Ismaïl Omar Guelleh, président
- Estonie : Priit Kolbre, secrétaire général du ministère des Affaires étrangères
- Etats-Unis : Williams Burns, secrétaire d'Etat adjoint chargé du PO
- Espagne : Miguel Angel Moratinos, ministre des Affaires étrangères
- Finlande : Erkki Tuomioja, ministre des Affaires étrangères
- France : Michel Barnier, ministre des Affaires étrangères
- Grèce : Pétros Molyviatis, ministre des Affaires étrangères
- Italie : Alfredo Mantica, sous-secrétaire aux Affaires étrangères, le président du Sénat, Marcello Pera, et le ministre de l'Agriculture, Gianni Alemanno
- Inde : Natwar Singh, ministre des Affaires étrangères
- Indonésie : Susilo Bambang Yudhoyono, président
- Iran : Kamal Kharazi, ministre des Affaires étrangères
- Irlande : Dermot Ahern, ministre des Affaires étrangères
- Japon : Mme Yoriko Kawaguchi, conseiller spécial du Premier ministre Junichiro Koizumi et ex-ministre des Affaires étrangères
- Jordanie : le roi Abdallah II
- Koweït : Ahmed al-Fahd al-Sabah, ministre de l'Economie
- Lettonie : Andris Vilcans, ambassadeur en Egypte
- Liban : Emile Lahoud, président, Nabih Berri, président du Parlement, Omar Karamé, Premier ministre, Mahmoud Hammoud, ministre des Affaires étrangères
- Lituanie : Antanas Valionis, ministre des Affaires étrangères
- Malaisie : Abdullah Ahmad Badawi, Premier ministre
- Maroc : Moulay Rachid, prince héritier
- Mauritanie : Sghaïr Ould M'Bareck, Premier ministre, Mohamed Vall Ould Bellal, ministre des Affaires étrangères
- Nigéria : Aminu Bello Masari, président du parlement
- Norvège : Jan Petersen, ministre des Affaires étrangères
- Oman : Youssef ben Alaoui ben Abadallah, ministre des Affaires étrangères
- ONU : Terje Roed-Larsen, représentant spécial de Kofi Annan au PO
- Pays-Bas : Ben Bot, ministre des Affaires étrangères
- Pologne : Login Pastusiak, président du Sénat
- Portugal : Antonio Monteiro, ministre des Affaires étrangères
- Qatar : cheikh Hamad ben Jassem ben Jabr Al-Thani, ministre des Affaires étrangères
- République tchèque : Cyril Svoboda, ministre des Affaires étrangères
- Roumanie : Simona Miculescu, conseillère du président Ion Iliescu
- Royaume-Uni : Jack Straw, secrétaire au Foreign Office
- Russie : Boris Gryzlov, président de la Douma (chambre basse du Parlement), Alexandre Saltanov, vice-ministre des Affaires étrangères, Evgueni Primakov, ancien ministre des A.E
- Sénégal : Abdoulaye Wade, président
- Serbie-Monténégro : Predrag Boskovic, adjoint du ministre des Affaires étrangères
- Slovaquie : Eduard Kukan, ministre des Affaires étrangères
- Somalie : Abdullahi Yusuf Ahmed, président
- Soudan : Omar al-Béchir, président
- Sri Lanka : Mahinda Rajapakse, Premier ministre
- Suède : Goeran Persson, Premier ministre
- Suisse : Mme Micheline Calmy-Rey, ministre des Affaires étrangères
- Syrie : Bachar al-Assad, président
- Tunisie : Zine El Abidine Ben Ali, président
- Turquie : Recep Tayyip Erdogan, Premier ministre, Abdullah Gul, ministre des Affaires étrangères
- Union africaine : Alpha Oumar Konaré, président de la commission de l'UA
- Union européenne : Ben Bot, ministre néerlandais des Affaires étrangères (dont le pays assure la présidence tournante de l'UE), représenterait la Présidence de l'UE, Louis Michel, commissaire européen et ex-ministre belge des Affaires étrangères, représenterait la Commission européenne, Javier Solana, Haut Représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère
- Yémen : Ali Abdallah Saleh, président
- Délégation de la direction palestinienne : Mahmoud Abbas, chef de l'OLP, Rawhi Fattouh, président par intérim de l'Autorité palestinienne, Saëb Erakat, ministre chargé des négociations.
                   
2. Décès de Yasser Arafat - Communiqué de Jacques Chirac (Paris, jeudi 11 novembre 2004)
PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE - Service de presse  - "C'est avec émotion que je viens d'apprendre le décès du Président Yasser ARAFAT, premier Président élu de l'Autorité palestinienne. Avec lui disparaît l'homme de courage et de conviction qui a incarné, pendant 40 ans, le combat des Palestiniens pour la reconnaissance de leurs droits nationaux. A sa famille, à ses proches, je tiens à présenter mes très sincères condoléances. Au peuple palestinien, je veux exprimer, en ce moment de deuil, l'amitié de la France et du peuple français. Puisse la perte qu'ils viennent de subir réunir tous les Palestiniens. C'est en restant unis qu'ils demeureront fidèles à la mémoire de Yasser ARAFAT et feront prévaloir l'idéal auquel il avait voué son existence. La France, comme ses partenaires de l'Union européenne, maintiendra avec fermeté et conviction son engagement en faveur de deux Etats - un Etat palestinien viable, pacifique et démocratique, et l'Etat d'Israël - vivant côte à côte dans la paix et la sécurité. La Feuille de route, approuvée par Yasser ARAFAT, ouvre cette perspective. La communauté internationale doit peser de tout son poids pour la mettre en oeuvre." Jacques CHIRAC
                       
3. L’indécence a des limites par Afif Safieh, Délégué Général de Palestine auprès de la Grande-Bretagne et du Vatican (8 novembre 2004)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

1 - Il conviendrait de fixer une limite à l’indécence
Sur fond de « plaintes » orchestrées par le Bureau des Députés à l’encontre du maire (de Londres, ndt) Ken Livingstone, parce qu’il a présidé à l’organisation de la Foire Commerciale Palestinienne et lui a apporté le soutien de la Municipalité, on assiste, ces jours derniers, à un « tollé » contre un article consacré par le British Medical Journal aux effets dévastateurs de l’occupation israélienne pour le système sanitaire palestinien.
Les « protestations » affluent à la rédaction de cette publication médicale et des « pressions » ont été exercées sur les entreprises pharmaceutiques dont on sait que les annonces publicitaires assurent la pérennité de cette revue prestigieuse.
Dans les médias et sur les chaînes télévisées retransmises par satellite, des « experts », dont l’ « équipe des faiseurs de paix » qui entoure Dennis Ross – alias Dennis la Menace – tous, issus des rangs du lobby pro-israéliens avant de monopoliser la politique moyen-orientale des Etats-Unis, viennent nous expliquer qu’il existe sans doute, aujourd’hui, une fenêtre d’opportunité pour la paix, le président Arafat ayant débarrassé le plancher depuis son hospitalisation dans un état grave, à Paris.
Les tentatives de liquidation morale de Yasser Arafat, auxquelles nous assistons depuis des dizaines d’années, continuent sans faiblir aujourd’hui : « Arafat est un obstacle à la paix. Sharon, lui, c’est un enfant de chœur… ».
Les médias israéliens ne cessent d’annoncer sa mort, dans le cadre de ce qui est perçu par tous les observateurs comme une guerre des nerfs. Apparemment, ils n’ont jamais entendu parler de la décence, ni de l’auto-réserve ?
Ici, à Londres, le Betar, aile « militante » du Likoud, brandit la menace de manifester contre la Foire Commerciale Palestinienne, dont le succès serait extrêmement bénéfique pour la société et l’économie palestiniennes, vandalisées par un occupation israélienne sauvage et interminable. Il y a une limite, même à l’indécence !
On souhaiterait que les responsables de la communauté juive britannique fassent en sorte qu’aucune branche extrémiste, au sein de cette communauté, n’importe « la vulgarité et la brutalité » dans les rues de Londres. On aimerait que les éléments du Betar à Londres ne confondent pas la « militance » avec les « mauvaises manières ».
Il y a une limite, même à l’indécence !
Nous avons toujours émis l’opinion que toute victime, dans ce conflit, est une victime de trop. Invoquer les seules victimes juives, comme le fait le Betar, voilà qui est une approche judéo-centriste, qui oublie que les Palestiniens ont été cinq fois plus nombreux à perdre la vie, et plus de cinquante fois plus nombreux à être blessés, handicapés à vie, mutilés (que les juifs). Nos victimes, elles aussi, ont un nom, un visage, un père, une mère, des enfants… une valeur inestimable.
Mais la dernière campagne en date, là encore d’un goût extrêmement douteux, lancée par l’inquisition pro-israélienne, est dirigée contre la journaliste de la BBC (radio), Barbara Plett.
Sa faute : (avoir) des « émotions » et des « sentiments humains ». Dans son reportage, elle a dit : « Quand l’hélicoptère a emporté le frêle vieillard au-dessus de son QG démoli, j’ai éclaté en sanglots, sans crier gare. Depuis, en y réfléchissant à tête reposée, je me demande pourquoi j’ai été ainsi submergée par l’émotion ? »
D’après Jewish Chronicle, dans son article intitulé « Tempête sur une émission consacrée à Arafat – 05.11.2004 », cette émission aurait suscité des centaines de courriels de protestation, dont beaucoup ont sans doute été à l’instigation du site Web juif américain « Honestreporting.com » [« Reportage honnête »], qui a affiché les commentaires de Mme Plett sur sa page d’accueil, exhortant les visiteurs du site à se plaindre auprès de la BBC.
Certains e-mails étaient uniquement provocateurs, et d’autres semblaient authentiques, a indiqué un responsable de la BBC.
Je me souviens encore du trop-plein d’émotions durant la couverture médiatique de l’assassinat de Rabin. En dépit de la gêne causée par son élévation au statut de Saint, sans aucun rappel du  rôle majeur qu’il avait joué dans l’épuration ethnique de la région de Lod-Ramléh, en 1948, en sa qualité de commandant du Palmach, puis de briseur d’os des jeunes palestiniens, entre 1987 et 1990, nous n’avions rien dit, à l’époque.
En une période difficile et chargée d’émotion, pour les Palestiniens, on aimerait voir un peu plus de retenue dans le camp d’en face. Une journaliste anglaise n’a pas pu cacher ses « sentiments » ? Et alors ? C’est tout à son honneur. Mais il semble bien que l’indécence n’ait pas de limite.
Dommage !
Afif Safieh
2 - Lettre à The Londoner, lettre d’information du Maire de Londres
Londres, novembre 2004
Le coupable, c’est la vérité.
Rentrant d’une visite ô combien déprimante dans les territoires palestiniens occupés, j’ai compris, à la lecture du Jewish Chronicle, qu’une campagne était fortement « encouragée », visant le maire Ken Livingstone et la Mairie de Londres, en raison de leur parrainage et de leur soutien à la Foire Commerciale Palestinienne.
Le coupable n’est pas Monsieur Livingstone, Maire de Londres. Le coupable, c’est la vérité !
L’illégalité de l’occupation militaire israélienne n’est pas le fruit d’on ne sait quelle approche biaisée du Maire Livingstone, mais bel et bien la position de la totalité de la communauté internationale, qui trouve son reflet dans les résolutions de l’ONU. Le fait que les barrages militaires et le Mur de la Honte étranglent la société et étouffent l’économie palestiniennes, c’est le verdict rendu par tous les rapports publiés par la Banque Mondiale, le FMI, la Cour Internationale de Justice, Christian Aid, etc. etc.
La Foire Commerciale Palestinienne ambitionne de revitaliser une économie palestinienne menacée d’effondrement total. Le fait qu’elle soit en bute à des attaques, à Londres – le Betar, branche activiste du lobby pro-israélien d’extrême droite, ayant prévu de nouvelles manifestations hostiles – montre une fois de plus, s’il en était besoin, que dans le conflit israélo-palestinien, d’une manière paradoxale et intrigante, ce sont les oppresseurs qui haïssent les victimes, bien plus que l’inverse.
Afif Safieh, Délégué Général de Palestine auprès du Royaume-Uni et du Saint-Siège - http://www.palestinianuk.org
                              
4. De l’importance d’être “hors jeu” par Uri Avnery (30 octobre 2004)
[traduit de l’anglais par R. Massuard et S. de Wangen]

Je me revois debout sur le toit d’un magasin près du port de Beyrouth, observant les combattants de l’OLP conduits par Yasser Arafat, armés et en uniforme, en train de monter sur les bateaux qui devaient les transporter vers l’ouest. “ Fin de l’ère Arafat !” jubilaient les journaux en Israël le lendemain. “ Arafat est politiquement mort ! ” déclaraient les commentateurs de radio. “ Grâce à Dieu, nous sommes débarrassés de lui une fois pour toutes ! ” prédisaient les participants aux débats télévisés. Quand je suis revenu à Tel-aviv, j’ai été invité à un débat radiophonique. Au nom de l’équilibre, un journaliste de droite avait également été invité. C’était Tommy Lapid, l’actuel ministre de la Justice. Avant d’entrer dans le studio, nous avons bavardé. Je me demande s’il se souvient aujourd’hui de ce que je lui avais dit alors : “ Vous l’avez enterré cent fois et vous allez l’enterrer encore cent fois. ” Vingt-deux ans après, les mêmes informations emplissent de nouveau les médias : “ Fin de l’ère Arafat ! Arafat est politiquement mort ! Grâce à Dieu, nous sommes débarrassés de lui une fois pour toutes ! ”
L’homme qui, il y a des années, était qualifié par le gouvernement israélien de “ hors-jeu ” faisait les gros titres des journaux cette semaine. Il y a très peu de dirigeants dans le monde dont l’état de santé attire tant l’attention. Je ne sais pas quelle est la gravité de son état de santé. J’espère simplement qu’il va guérir totalement. Et je sais que si, par malheur, il devait mourir, une fois disparu, les Israéliens apprendraient à l’apprécier. Au moment de la première conférence de Camp David, un penseur égyptien connu, Mohamed Sid-Ahmed, m’a dit : “ Si Arafat n’existait pas, vous devriez l’inventer. Avec Arafat, vous n’avez qu’un canal de négociation pour faire la paix. S’il n’était pas là, le peuple palestinien pourrait se diviser en une centaine de fragments, et vous devriez parler avec chacun d’eux. ” Si on ne veut pas la paix et que l’on vise le Grand Israël, on n’a pas besoin d’Arafat. Au contraire. Mais si on pense que la paix est essentielle pour qu’Israël se développe et s’épanouisse, on a énormément besoin de lui. “ Ma main ”, a dit un jour Arafat, “ est la seule qui puisse signer un accord de paix avec Israël. ”
Ainsi, on ne peut pas remplacer Arafat : il est de loin le seul dirigeant palestinien ayant l’autorité morale nécessaire non seulement pour signer un traité de paix avec Israël, mais – ce qui est encore plus important – d’entraîner son peuple. Tout accord de paix demandera des concessions déchirantes de la part des Palestiniens, telles qu’abandonner le droit à un retour illimité des réfugiés sur le territoire d’Israël. Aucun autre dirigeant palestinien n’aurait le courage de le faire et de le demander à son peuple. D’où vient son autorité ? Je l’ai vu de nombreuses fois accompagné d’autres dirigeants palestiniens. Chaque fois, j’ai été impressionné par la force de l’autorité qui irradie de lui, sans aucune manifestation de pouvoir. Il est difficile d’en expliquer la cause. Contrairement à Fidel Castro, par exemple, qui est apparu sur la scène mondiale en même temps qu’Arafat, le dirigeant palestinien n’a pas d’armée, pas d’appareil important de police secrète et pas de prisons pour ses opposants. Son pouvoir vient seulement du respect que lui vouent ses compatriotes en tant que “ Père de la nation ”, le George Washington palestinien. Déjà à notre première rencontre dans Beyrouth assiégée, en juillet 1982, j’avais été frappé par la totale absence de cérémonial autour de lui. Pendant les rencontres, ses compagnons l’interrompaient pour débattre avec lui. Son autorité est claire, sans nécessiter des signes extérieurs.
Un journaliste européen m’a un jour demandé quels étaient ses passe-temps favoris. Que fait-il quand il ne s’occupe pas de la cause palestinienne ? J’ai répondu qu’il n’avait pas de passe-temps, qu’il n’y a pas un seul moment où il ne s’occupe pas de la cause palestinienne. Son identification avec la lutte palestinienne est absolue. Il n’a pas d’autre vie. Quiconque le voit pour la première fois en chair et en os est étonné par l’énorme différence qu’il y a entre la personnalité médiatique et l’homme. A la télévision, il semble fanatique, agressif. Dans la vie, c’est une personne chaleureuse, attentionnée, rayonnante. Même à la première rencontre avec lui, en quelques minutes on a l’impression d’être une vieille connaissance. Il aime bichonner ses invités à table, leur offrir les meilleurs morceaux avec ses doigts. Il aime toucher les gens avec lesquels il parle, les prendre par la main et les conduire le long des couloirs, leur offrir de petits cadeaux. Ce n’est pas un intellectuel, pas un théoricien. Il est tout intuition. Il saisit les choses à une vitesse incroyable et n’oublie jamais les détails. Un jour, parlant avec lui, j’ai fait une erreur sur le nombre de membres Agudat Israël à la Knesset. Il m’a aussitôt corrigé. Une autre fois, j’ai donné une date erronée d’un des accords d’Oslo. Il m’a également corrigé. “ Je suis ingénieur de profession ”, a-t-il déclaré en riant. “ Je n’oublie jamais un nombre. ” Comme tous les autres héros arabes, c’est un homme du geste. Un geste vaut mille mots. Le jour de son retour en Palestine, il m’a invité alors qu’il allait donner une conférence de presse aux médias du monde arabe. Il est entré dans la salle, est venu directement vers moi et, après l’habituelle accolade, il m’a pris par la main et m’a conduit, presque de force, vers la tribune. Il m’a amené en haut des escaliers, a demandé à son porte-parole de se lever et m’a fait asseoir à côté de lui. Pendant une heure il a parlé en arabe aux journalistes, se tournant de temps en temps vers moi pour confirmation.
J’étais assis et me creusais la tête : pourquoi cette mise en scène ? Soudain, j’ai compris. De façon simple, il était en train de dire au monde arabe : Voilà. Je suis assis à côté des Israéliens. Je vais faire la paix avec eux. Il se plaît dans les situations de crise. Je l’ai vu plus d’une fois dans de telles situations, il était au meilleur de sa forme, concentré, les yeux brillants, il plaisantait. Il en a l’habitude : toute sa vie il a connu des hauts et des bas, des succès et des échecs. Il a bien sûr fait de nombreuses erreurs (son soutien à Saddam Hussein au cours de la première guerre du Golfe me revient à l’esprit), mais elles sont peu de chose comparativement à ses réussites. C’est lui qui a créé le mouvement national palestinien moderne alors que le peuple palestinien avait presque disparu de la carte, et il l’a amené au seuil de l’indépendance nationale. Comme Moïse, il a conduit son peuple de l’esclavage aux portes de la Terre Promise. J’espère qu’on ne dira pas de lui, comme de Moïse, qu’il a vu la Terre Promise de loin, mais n’y est pas entré. Tout ce qu’il a obtenu, il l’a obtenu face à la supériorité matérielle colossale d’Israël dans tous les domaines, à l’hostilité des gouvernements arabes et à la sympathie du monde entier pour Israël, l’Etat des survivants de l’holocauste. Et, non moins important, pendant des décennies, il a uni les Palestiniens en dépit d’énormes différences internes. Le mouvement palestinien n’a connu aucune des confrontations sanglantes internes qui ont été le lot de la plupart des mouvements de libération.
Au cours de ses premières années, le mouvement a dû fonctionner à partir de pays arabes qui en avaient peur et qui essayaient de le supprimer. Tous ses dirigeants, y compris Arafat, ont connu à un moment ou à un autre les prisons arabes. Tous les régimes arabes ont essayé d’utiliser la cause palestinienne à leur profit. Arafat a dû user de tous les stratagèmes qui sont devenus depuis sa marque de fabrique. Un diplomate palestinien m’a expliqué un jour : “ Pour que le mouvement survive et avance, Arafat a dû utiliser toutes les ruses et les trucs, utiliser double langage et demi-vérités, jouer un dirigeant arabe contre l’autre, tout cela dans des situations instables. Il a toujours eu plusieurs balles en l’air, n’en laissant jamais tomber une au sol. C’est ainsi qu’il a fait aller notre mouvement de l’avant et nous a amenés là où nous sommes. ” Comme tout leader d’un mouvement de libération nationale, il a dû se servir de la plupart des faibles moyens à sa disposition : astuce, violence, diplomatie, propagande. Ses démarches sont prévisibles si l’on prend en compte les contraintes auxquelles il est soumis et les buts qu’il poursuit. Au cours des 30 dernières années, je n’ai pas été surpris une seule fois, ni quand il est allé à Oslo, ni quand il a pris en charge l’Intifada. Si les services secrets israéliens ont été si souvent désorientés, c’est parce qu’ils ne comprennent pas la réalité palestinienne. “ Ils savent tout et ne comprennent rien ”, comme l’a dit un jour Boutros Boutros-Ghali en parlant des Israéliens spécialistes du monde arabe.
Depuis 45 ans maintenant, Arafat vit dans l’ombre de la mort. Il n’y a eu aucun moment où un complot pour le tuer n’a pas été fomenté ici ou là. Quand je l’ai rencontré en 1982 dans Beyrouth assiégée, personne ne croyait qu’il en sortirait vivant. Depuis lors, Ariel Sharon a essayé de le tuer. Une demi-douzaine de services secrets le surveillent. Arafat a une étonnante habileté à les confondre. Il croit qu’il est protégé par Allah. La preuve ? Quand son avion s’est écrasé dans le désert de Libye et que ses gardes du corps sont morts, il s’en est tiré presque indemne. Un jour on lui a demandé en ma présence s’il espérait voir la paix. “ Tous les deux, Uri Avnery et moi verrons ce jour de notre vivant ” a-t-il promis. Pour le sort futur d’Israël, je lui souhaite une totale guérison.
                                       
5. Un homme et son peuple par Uri Avnery (6 novembre 2004)
[traduit de l’anglais par R. Massuard et S. de Wangen]

Où qu’il soit enterré quand il mourra, le jour viendra où sa dépouille mortelle sera inhumée dans les lieux saints de Jérusalem par un gouvernement palestinien libre. Yasser Arafat est de la génération des grands leaders qui sont apparus après la Deuxième guerre mondiale. La stature d’un dirigeant ne se mesure pas seulement à l’importance de ses réalisations mais aussi à l’importance des obstacles qu’il a eu à surmonter. Dans ce domaine, Arafat est sans équivalent dans le monde. Aucun autre dirigeant de notre génération n’a été confronté à des expériences aussi cruelles et à de telles adversités. Quand il est arrivé sur la scène de l’Histoire, à la fin des années 50, son peuple était presque oublié. Le nom de Palestine avait été rayé de la carte. Israël, la Jordanie et l’Egypte s’étaient partagé le pays. Le monde avait décidé qu’il n’y avait pas d’entité nationale palestinienne, que le peuple palestinien avait cessé d’exister, comme les nations indiennes américaines – si tant est qu’il ait jamais existé.
A l’intérieur du monde arabe, la “ cause palestinienne ” était encore mentionnée, mais elle n’était qu’un ballon que les régimes arabes se renvoyaient entre eux. Chacun d’eux tentait de se l’approprier pour ses propres intérêts égoïstes, tout en rejetant brutalement toute initiative palestinienne indépendante. Presque tous les Palestiniens vivaient sous des dictatures, la plupart d’entre eux dans des situations humiliantes. Quand Yasser Arafat, alors jeune ingénieur au Koweit, a fondé le “ Mouvement de Libération palestinien ” (dont les initiales inversées s’épellent Fatah), il entendait se libérer des différents dirigeants arabes pour permettre au peuple palestinien de parler et d’agir en tant que tel. C’était la première révolution d’un homme qui a réalisé trois grandes révolutions au cours de sa vie. C’était une révolution dangereuse. Le Fatah n’avait aucune base indépendante. Il devait agir à partir des pays arabes, souvent soumis à des persécutions impitoyables. Un jour, par exemple, toute la direction du mouvement, y compris Arafat, a été jetée en prison par le dictateur syrien de l’époque, pour avoir désobéi à ses ordres. Seule, Umm Nidal, l’épouse d’Abou Nidal, est restée en liberté et elle a assumé le commandement des combattants.
Ces années-là ont forgé le style caractéristique d’Arafat. Il devait manœuvrer entre les dirigeants arabes, les jouer les uns contre les autres, utiliser la ruse, les demi-vérités et le double langage, échapper aux pièges et contourner les obstacles. Il est devenu un champion du monde de la manœuvre. C’est ainsi qu’il a sauvé le mouvement de libération de nombreux dangers à l’époque où il était faible jusqu’à ce qu’il devienne une force réelle. Gamal Abdel Nasser, le chef d’Etat égyptien qui était le héros du monde arabe à l’époque, s’est inquiété de l’émergence d’une force palestinienne indépendante. Pour l’étouffer dans l’œuf, il a créé l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) et mis à sa tête un mercenaire politique palestinien, Ahmed Choukeiry. Mais après l’humiliante défaite des armées arabes en 1967 et la victoire galvanisante des combattants du Fatah contre l’armée israélienne dans la bataille de Karameh (mars 1968), le Fatah a pris la tête de l’OLP et Arafat est devenu le leader incontesté de la lutte palestinienne dans son ensemble.
Au milieu des années 1960, Yasser Arafat a lancé sa deuxième révolution : la lutte armée contre Israël. La prétention était presque dérisoire : une poignée de guérilleros pauvrement armés, pas très efficaces, contre la puissance de l’armée israélienne, et cela non pas dans un pays de jungles infranchissables et de chaînes montagneuses, mais dans une petite bande de terre, plate, densément peuplée. Mais cette lutte a mis la cause palestinienne sur l’agenda mondial. Il faut le dire franchement : sans les attentats meurtriers, le monde n’aurait porté aucune attention à l’appel palestinien pour la liberté. Résultat, l’OLP a été reconnu comme le “ seul représentant du peuple palestinien ”, et il y a 30 ans, Yasser Arafat a été invité à prononcer son discours historique devant l’Assemblée générale de l’ONU : “ Dans une main je tiens un fusil, dans l’autre un rameau d’olivier… ” Pour Arafat, la lutte armée n’était qu’un moyen, rien de plus. Pas une idéologie, pas une fin en soi. Il était clair pour lui que cet instrument renforcerait le peuple palestinien et lui permettrait d’être reconnu par le monde, mais pas de vaincre Israël.
La guerre du Kippour d’octobre 1973 a constitué un autre tournant dans sa façon de voir les choses. Il a vu comment les armées d’Egypte et de Syrie, après une brillante victoire initiale obtenue par surprise, ont été stoppées et finalement vaincues par l’armée israélienne. Cela l’a convaincu qu’Israël ne pouvait pas être vaincu par les armes. Par conséquent, immédiatement après cette guerre, Arafat a commencé sa troisième révolution : il a décidé que l’OLP devait rechercher un accord avec Israël et se contenter d’un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Cela le mettait devant un défi historique : convaincre le peuple palestinien d’abandonner sa position historique qui niait la légitimité de l’Etat d’Israël et de se contenter de 22% seulement du territoire de la Palestine d’avant 1948. Bien que non explicite, il était clair que cela supposait également l’abandon du retour des réfugiés sans aucune limite sur le territoire d’Israël. Il a commencé cette tâche à sa façon caractéristique, avec persévérance, patience et ruse, deux pas en avant, un pas en arrière. On peut mesurer l’ampleur de cette révolution dans un livre publié par l’OLP en 1970 à Beyrouth attaquant violemment la solution des deux Etats (qu’il appelait “ le plan Avnery ”, parce que j’étais son plus ardent partisan à l’époque).
La vérité historique veut que l’on dise clairement que c’est Arafat qui a envisagé l’accord d’Oslo à une époque où tant Yitzhak Rabin que Shimon Pérès s’accrochaient désespérément à “ l’option jordanienne ”, selon laquelle on pouvait occulter le peuple palestinien et rendre la Cisjordanie à la Jordanie. Des trois lauréats du Prix Nobel de la Paix, c’est Arafat qui le mérite le plus. A partir de 1974, j’ai été témoin oculaire de l’immense effort fourni par Arafat pour obliger son peuple à accepter sa nouvelle approche. Petit à petit, elle a été adoptée par le Conseil national palestinien, le parlement en exil, d’abord par une résolution pour instaurer une autorité palestinienne “ dans toute partie de la Palestine libérée ”, et, en 1988, d’instaurer un Etat palestinien à côté d’Israël. La tragédie d’Arafat (et la nôtre) a été que, chaque fois qu’il s’approchait d’une solution de paix, les gouvernements israéliens se retiraient. Ses conditions minimales étaient claires et sont restées inchangées depuis 1974 : un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ; la souveraineté palestinienne sur Jérusalem-Est (y compris le Mont du Temple mais non le Mur occidental et les quartiers juifs) ; la restauration de la frontière d’avant 1967 avec la possibilité d’échanges limités et à égalité de territoires ; l’évacuation de toutes les colonies israéliennes en territoire palestinien et la solution du problème des réfugiés en accord avec Israël. Pour les Palestiniens, cela est le strict minimum. Ils ne peuvent pas abandonner davantage.
Peut-être Yitzhak Rabin s’est-il approché de cette solution vers la fin de sa vie, quand il a déclaré “ Arafat est mon partenaire ”. Tous ses successeurs ont rejeté cette solution. Ils n’étaient pas prêts à rendre les colonies, mais au contraire, à les étendre sans cesse. Ils ont résisté à toute tentative de fixer une frontière définitive étant donné que leur conception du sionisme demande une extension perpétuelle. Donc ils voyaient en Arafat un dangereux ennemi et ont essayé de le détruire par tous les moyens, y compris par une campagne de diabolisation sans précédent. Ainsi Golda Meir (“ Il n’existe rien qui pourrait s’appeler le peuple palestinien ”). Ainsi Menahem Begin (“ Un animal à deux pieds… l’homme au visage poilu… le Hitler palestinien ”). Ainsi Benyanin Netanyahou, ainsi Ehoud Barak (“ J’ai arraché le masque de son visage ”), ainsi Ariel Sharon, qui a tenté de le tuer à Beyrouth et a continué à le faire depuis. Aucun autre combattant de libération dans le dernier demi-siècle n’a dû affronter de tels obstacles. Il ne se confrontait pas à une puissance coloniale haïe, ni à une minorité raciste méprisée, mais à un Etat issu de l’Holocauste et soutenu par la sympathie et le complexe de culpabilité du monde. Dans tous les domaines, militaire, économique et technologique, la société israélienne est incommensurablement plus forte que la société palestinienne. Quand il a été appelé à former l’Autorité palestinienne, il n’a pas hérité d’un Etat existant, en état de marche, comme Nelson Mandela ou Fidel Castro, mais des parties de territoires séparées, appauvries, dont l’infrastructure avait été détruite par des décennies d’occupation. Il n’a pas hérité d’une population vivant sur sa terre, mais d’un peuple dont la moitié est composée de réfugiés dispersés dans de nombreux pays et l’autre moitié d’une société traversée de fractures politiques, économiques et religieuses. Tout ceci alors que la lutte de libération n’est pas terminée.
Avoir fait de tout ceci un ensemble uni et l’avoir conduit vers sa destination dans de telles conditions, pas à pas, est l’exploit historique de Yasser Arafat. Les grands hommes ont de gros défauts. Un des gros défauts d’Arafat est sa tendance à prendre toutes les décisions seul, surtout depuis que tous ses proches collaborateurs ont été tués. Comme l’a dit un de ses critiques les plus incisifs : “ Ce n’est pas de sa faute. C’est nous qui devons nous mettre en cause. Pendant des décennies nous avons pris l’habitude de fuir toutes les décisions difficiles qui demandaient du courage et de l’audace. Nous disions toujours : “ Laissons Arafat décider ! ” Et décider, il le faisait. Comme un vrai dirigeant, il allait de l’avant et entraînait son peuple derrière lui. C’est ainsi qu’il a affronté les dirigeants arabes, c’est ainsi qu’il a débuté la lutte armée, c’est ainsi qu’il a tendu la main à Israël. Grâce à ce courage, il a gagné la confiance, l’admiration et l’amour de son peuple, malgré les critiques. Si Arafat disparaît, Israël perdra un grand ennemi, qui aurait pu devenir un grand partenaire et allié. Les années passant, sa stature grandira de plus en plus dans la mémoire historique. Quant à moi : je le respectais comme patriote palestinien, je l’admirais pour son courage, je comprenais les contraintes auxquelles il était soumis, je voyais en lui le partenaire pour construire un nouvel avenir pour nos deux peuples. J’étais son ami. Comme Hamlet le disait à propos de son père : “ C’était un homme, tout bien considéré, je ne retrouverai pas son pareil ”.
                           
Revue de presse

                             
1. Le Caire, l’incontournable escale vers la Palestine par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du samedi 13 novembre 2004

Tout au long de la vie du raïs, la capitale égyptienne a joué un rôle prépondérant.
La ville du Caire aura marqué la vie de Yasser Arafat : c’est dans la capitale égyptienne que Mohammad Abdel Raouf Arafat al Qoudwa Al Hussein est né il y a un peu plus de soixante-quinze ans, le 4 août 1929. C’est là aussi qu’a eu lieu vendredi la cérémonie officielle de ses funérailles en présence de nombreux chefs d’État arabes et des représentants de presque tous les gouvernements de la planète. Un lieu qui s’imposait pour diverses raisons, tant personnelles que politiques. Parce que la capitale égyptienne est redevenue en 1990 le siège de la Ligue arabe - après dix années d’isolement, punition infligée à l’Égypte de Sadate pour avoir été en 1979 le premier État arabe à faire la paix avec Israël. La Palestine, Arafat se plaisait à le souligner, est le vingt-deuxième État membre de la Ligue arabe. Le Caire sert donc pour la circonstance de capitale de substitution à un État palestinien toujours virtuel dont la vraie capitale, Jérusalem-Est, où Arafat rêvait de revenir un jour, mort ou vif, est toujours occupée par Israël.
Ce n’est pas la première fois que la mégapole du Nil sert de capitale provisoire aux Palestiniens. Après la création de l’État d’Israël en 1948 et la cuisante défaite infligée par l’armée de l’État juif aux Palestiniens et aux États arabes coalisés, ce que les Palestiniens appellent aujourd’hui encore « la Nakba » (catastrophe), les débris de la direction palestinienne installent au Caire un haut conseil qui n’aura guère d’autre existence qu’administrative et symbolique. C’est également au Caire qu’est créée en 1964 la première Organisation de libération de la Palestine (OLP). La Ligue arabe - elle-même née à la fin de la Seconde Guerre mondiale à Alexandrie - lui sert de marraine. Cette OLP-là est totalement sous la tutelle du président égyptien Nasser, leader incontesté du monde arabe de l’époque, qui a su faire renaître pour un temps le rêve panarabe. Parce qu’il a été de ceux qui se sont vraiment et courageusement battus en 1948 contre la Haganah en Palestine, Nasser dispose de la confiance des Palestiniens qui voient alors encore en lui leur seul « libérateur » possible.
À l’époque, l’Égypte administre la bande de Gaza, d’où est originaire la famille paternelle de Yasser Arafat, qui a fait là ses premières armes, lui aussi, en 1948. Il y a continuité territoriale entre l’Égypte et la bande de Gaza, mais aussi de nombreux liens familiaux et politiques entre les deux pays. Ainsi les Frères musulmans égyptiens, qu’Arafat a côtoyés pendant ses études au Caire, essaiment-ils en Palestine, particulièrement à Gaza, qui reste aujourd’hui encore le lieu où leurs idées ont le plus de prise, avec une forte influence du Hamas et du Djihad islamique. Arafat passera vite de l’islamisme au nationalisme arabe, dont Le Caire est aussi la capitale, puis au nationalisme palestinien, dont il deviendra lui-même l’incarnation. Mais l’Égypte et sa capitale, avec son cosmopolitisme, le foisonnement des mouvements et des idéologies qu’il y rencontre - socialistes arabes, baasistes, communistes, islamistes - aura été le lieu de sa formation. C’est aussi là qu’est né le projet politique auquel Yasser Arafat a consacré sa vie. Avec un but unique : la Palestine. Une destination finale pour laquelle, une fois encore, il aura fait escale au Caire.
                   
2. L’ultime exil par Christian Merville
in L'Orient - Le Jour du vendredi 12 novembre 2004

C’est l’ultime sacrifice consenti à son peuple, le dernier pied de nez fait aux Israéliens et à leurs protecteurs américains. « Empêcheur de réaliser la paix, moi ? »... Et il s’en est allé, le guerrier fatigué, après avoir livré son dernier combat contre cette mort que tant de fois il avait narguée. On l’imaginerait sans peine, avec sa lippe moqueuse et l’œil goguenard de celui qui vient de jouer un vilain tour à tout le monde.
Tout de même, quoi de plus terrible en définitive pour un homme, l’ultime page de sa vie tournée, qu’un bilan presque entièrement négatif ? Ce raïs, pleuré aujourd’hui par son peuple, n’a été rien d’autre – mais c’était déjà beaucoup – qu’un symbole, l’incarnation d’un rêve. Un formidable catalyseur, certes, un excellent tacticien mais un piètre stratège. Au point que l’Occident, lui, n’a jamais compris comment ce diable fait homme émergeait constamment en vainqueur de toutes les batailles qu’il perdait, de Beyrouth à Ramallah, avec une décourageante constance.
Yasser Arafat parti, on ne le répétera jamais assez, c’est toute la carte du Proche-Orient qui va s’en trouver bouleversée, tant ce côté-ci de la planète, et pendant plus d’un demi-siècle, n’avait cessé d’évoluer (que l’on nous pardonne l’expression) dans l’orbite de la Palestine. Tellement immense est le vide que nul pour l’heure n’est en mesure de prédire la manière dont il sera comblé, ni ce qu’il adviendra de cette « révolution jusqu’à la victoire », martelée comme un cri de ralliement, comme un exorcisme censé atténuer l’amertume de tant d’humiliations, de tant de déceptions.
Son dernier héros mort, c’est d’un guide que la cause palestinienne a désormais besoin. Les choix qui viennent d’être faits, sans doute dictés par les nécessités immédiates, ne pouvaient être plus judicieux. Avec Rawhi Fattouh à la tête de l’Autorité palestinienne, les dispositions de la Loi fondamentale sont respectées même si, dans la pratique, c’est la sagesse qui prévaut, comme le prouve la mise en place d’un triumvirat comprenant également Mahmoud Abbas et Ahmed Qoreï. Les temps ne sont plus ceux des rêves irréalisables mais du pragmatisme, cette qualité qui aura marqué tout le parcours d’Abou Mazen. Cet ancien instituteur du primaire avait entrepris il y a quelque temps l’étude de l’histoire et de la politique israéliennes. Insensible aux foudres de ses pairs, incapables, eux, de s’expliquer une telle trahison à la Cause. Il était allé plus loin encore, critiquant l’intifada-II, « une destruction complète de tout ce que nous avons construit », avait-il jugé un jour. Pour autant, s’agit-il d’un capitulard ? Pas du tout, car sur les sujets essentiels – la question de l’identité de son peuple surtout – Abbas sait se montrer intraitable tout en se montrant favorable aux négociations. Pour faire contrepoids à ce bloc, le Fateh a jugé bon de se doter, en la personne de Farouk Kaddoumi, d’un nouveau chef qui s’était détaché jadis de la direction actuelle pour rejoindre le camp des « durs ». Reste à voir si les nouvelles générations vont être tentées de répondre aux appels des sirènes et de renoncer au seul recours qui leur est laissé : celui des pierres et des attentats.
Le présent gouvernement israélien, pour sa part, se trouve désormais confronté à des réalités nouvelles auxquelles il n’était pas préparé. L’État sioniste croyait avoir repris l’initiative avec son plan de désengagement de Gaza. Le voici tenu de revoir ses calculs. Brandir l’épouvantail Arafat pour justifier son intransigeance pouvait s’expliquer à la rigueur ; s’entêter par contre à exiger un renoncement au terrorisme avant toute reprise du dialogue – alors même que l’Autorité palestinienne ne manque pas, à chaque fois, de dénoncer les attentats du Hamas ou du Jihad islamique contre des civils – a peu de chances d’être perçu comme un geste positif. D’autant plus que, de manière spectaculaire, George W. Bush vient d’accomplir un petit pas, que l’on attendait depuis l’adoption de la « feuille de route ». « Nous espérons, a dit hier le président américain, que l’avenir apportera la paix et la réalisation des aspirations pour une Palestine indépendante et démocratique, coexistant avec ses voisins. »
Le problème avec Ariel Sharon c’est qu’il veut tout à la fois choisir ses interlocuteurs, fixer les sujets à débattre et déterminer l’issue de la discussion. Le danger, passés les jours de tristesse, au lendemain des obsèques au Caire et de l’inhumation à Ramallah, estompé l’espoir qu’aura fait naître l’émergence d’un nouveau directoire palestinien, c’est de voir la région retrouver les stériles querelles du passé, source de tous les extrémismes.
Dans le concert des louanges, on n’aura pas manqué de relever hier une voix discordante, celle du ministre israélien de la Justice Yosef Lapid, pour qui Abou Ammar « avait fait du terrorisme une méthode ». Hé ! Hé ! La méthode n’avait pas trop mal réussi à l’Irgoun et au Stern.
                   
3. Yasser Arafat, l'homme qui a su incarner la Palestine, est mort
Dépêche de l'Agence France Presse du jeudi 11 novembre 2004, 8h32

JERUSALEM - Yasser Arafat, 75 ans, qui a pendant un demi-siècle incarné la Palestine, donnant une crédibilité internationale à l'espoir d'un Etat palestinien sans jamais parvenir à concrétiser cette ambition ni accomplir son rêve de prier à Jérusalem, est décédé jeudi à l'aube à l'hôpital Percy de Clamart en région parisienne.
Combattant opiniâtre, doté d'un solide sens politique et grand communicateur, cette personnalité hors du commun a sans conteste réussi la gageure d'imposer dans les agendas internationaux la cause de son peuple. Mais sans toutefois pouvoir concrétiser son principal objectif malgré sa ténacité légendaire: la création d'un Etat en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, avec pour capitale Jérusalem-est annexée en 1967 par Israël.
Les Israéliens ont eu beau essayer de le liquider à plusieurs reprises, de l'écarter en l'enfermant pendant ses trois dernières années dans son quartier général de Ramallah en Cisjordanie, ou encore de le menacer d'expulsion, il a su montrer qu'il restait incontournable. "Ils (les Israéliens) peuvent me tuer avec leurs bombes, je ne partirai pas", affirmait-il en septembre 2003 après une décision israélienne de l'expulser de Cisjordanie.
A partir de décembre 2001, le "vieux", comme l'appelaient familièrement les Palestiniens, n'a plus quitté son QG de Ramallah, contraint de voir l'Autorité palestinienne perdre lentement sa substance sous les coups de butoir des opérations militaires en représailles aux attentats palestiniens. Né Mohammad Abdel Raouf Arafat al-Qoudwa al-Husseini en août 1929 au Caire, il rejoint à 17 ans les groupes armés palestiniens qui luttent contre la création d'un Etat juif en Palestine et participe aux combats de 1947-48 entre juifs et Arabes.
Brisé par la victoire israélienne, Arafat retourne à l'université du Caire, où il étudie le génie civil et s'implique davantage dans les milieux politiques palestiniens. S'attirant les foudres du président égyptien Gamal Abdel Nasser, il part au Koweit, où il prospère à la tête de son entreprise, ce qui lui permet de financer la création en 1958 du Fatah. En 1964, il devient un révolutionnaire à plein temps, installé en Jordanie pour y organiser des raids du Fatah contre Israël.
En 1969, deux ans après la déroute arabe de la Guerre des six jours, Abou Ammar, son nom de guerre, est élu président du Comité exécutif de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) dont le Fatah constitue le groupe dominant. Il se fait alors connaître sur la scène internationale par son keffieh à damier et l'habit militaire qu'il ne quittera plus.
Sous son autorité tatillonne, l'OLP se démarque de ses tuteurs arabes, devenant un Etat dans l'Etat en Jordanie, jusqu'à la rupture de Septembre noir en 1970, chassée par l'armée du roi Hussein. Le scénario se répète au Liban, ravagé par la guerre civile libanaise puis l'invasion israélienne. Arafat est évacué par mer, protégé par la France, échappant une fois de plus à la mort le 30 août 1982 quand un tireur embusqué israélien, qui le tenait dans son viseur, attendra en vain l'ordre par radio d'appuyer sur la gâchette.
En novembre 1983, c'est l'évacuation de Tripoli (Liban nord), une fois encore par la mer sous la protection de la France, chassé par l'armée syrienne et des groupes palestiniens dissidents. Le "général" Arafat, comme il aimait parfois se présenter, perd une bataille de plus, ses troupes sont dispersées aux quatre coins du monde arabe, il s'installe à Tunis.
Le combat politique et diplomatique remplace graduellement la lutte armée. Après le déclenchement en 1987 de la première Intifada, qu'il inspire et contrôle, Arafat opte pour des négociations avec Israël. Il dénonce publiquement le terrorisme en décembre 1988, peu après que l'OLP eut reconnu le droit d'Israël à exister dans des frontières sûres et reconnues aux côtés d'un Etat palestinien indépendant.
En 1993, il signe à la Maison Blanche les accords d'Oslo sur l'autonomie palestinienne, avec le Premier ministre, Yitzhak Rabin et son ministre des Affaires étrangères Shimon Peres, ce qui leur vaut de recevoir le prix Nobel de la paix en 1994. En juillet 1994, Arafat effectue un retour triomphal dans les territoires palestiniens et est élu président de l'Autorité palestinienne en 1996.
Boycotté par le premier ministre Ariel Sharon, déclaré politiquement mort par le président George W. Bush, Arafat a continué à les défier jusqu'à la brusque dégradation de son état de santé fin octobre. Son souhait de "mourir en martyr" en Palestine ne sera pas satisfait et son rêve d'aller prier à Jérusalem-est à la mosquée Al-Aqsa, jamais accompli.
                   
4. Visages d’un combattant par René Backmann
in Le Nouvel Observateur du jeudi 11 novembre 2004

Guérillero, exilé, négociateur, chef d’Etat sans Etat...
De Beyrouth à Ramallah en passant par Tripoli, Tunis et Gaza, René Backmann a été le témoin de plusieurs moments importants de la vie du chef de l’OLP puis du président de l’Autorité palestinienne. Extraits de ses carnets de reportage
Beyrouth, juillet 1982
«Aujourd’hui, le monde entier nous regarde»
Mais où dort-il? Comment fait-il pour recevoir les informations de ses commandants, transmettre ses ordres, rester en contact avec le reste du monde? En ces journées de fer et de feu de la fin juillet 1982, les journalistes installés à Beyrouth-Ouest, pour couvrir le siège de la ville par l’armée israélienne et ses alliés phalangistes, se posaient tous les mêmes questions sur Arafat. Comment faisait-il simplement pour vivre dans cet enfer, échapper aux bombes, aux missiles et aux obus? Depuis plusieurs jours, les raids aériens se succédaient. On en était ce jour-là au huitième en moins d’une semaine. Dans le quartier de Raouche, près de la résidence du Premier ministre Chafik Wazzan, un immeuble de sept étages dans lequel des dizaines de familles de Palestiniens avaient trouvé refuge était frappé de plein fouet par une bombe israélienne: 84 morts. «Douze heures de démence», avait titré le lendemain «l’Orient–le Jour», le grand quotidien francophone de Beyrouth.
Combien de temps allait durer cette folie? Combien de temps Arafat, ses combattants et ses alliés libanais allaient-ils pouvoir tenir, dans cette demi-ville de 500000 habitants, séparée du reste du Liban par un front de 10 kilomètres et cernée par 35000 hommes, 300 chars et 200 canons? Nous étions une demi-douzaine à poser cette question à l’un des porte-parole de l’OLP, dans le sous-sol d’un immeuble du quartier Fakahani, lorsque Arafat était arrivé à bord d’un gros 4x4 américain, entouré d’un groupe de combattants. Ses gardes du corps avaient fermé toutes les portes derrière lui et interdit à quiconque de sortir pendant qu’il était là.
Coiffé d’une casquette vert olive portant l’emblème de la branche militaire du Fatah, vêtu d’un pantalon kaki et d’une sorte de saharienne, armé d’une kalachnikov qu’il avait posée près de lui, Arafat n’avait pas répondu à nos questions mais expliqué en souriant qu’il avait rêvé longtemps de cette situation: «Cette fois, Sharon est pris à son propre piège. Il est devenu notre meilleur agent de publicité. Aujourd’hui, le monde entier, de Reagan à Mitterrand, nous regarde et s’efforce de trouver une solution au problème palestinien. Alors pourquoi céder, sortir de Beyrouth? Je sortirai lorsqu’on me proposera une solution politique et des garanties. J’insiste sur les garanties. S’ils nous massacrent, ce sera un tollé dans le monde entier. Même les régimes arabes qui nous ignorent seront obligés d’intervenir. Ils ne pourront pas nous laisser massacrer, car ils savent très bien qu’ils n’y survivraient pas. Donc nous avons décidé de tenir tant que nous n’obtenons rien.» Après quoi il nous avait remerciés d’être là, souhaité bonne chance et avait disparu dans l’escalier. Pour des raisons de sécurité, son escorte nous avait demandé d’attendre une dizaine de minutes avant de sortir à notre tour, «au cas où il y aurait eu parmi vous un espion à la solde des Israéliens»...
Ses compagnons de combat ont raconté plus tard qu’entre deux rencontres furtives avec des journalistes ou des visiteurs étrangers, le chef de l’OLP vivait pratiquement dans ses voitures pendant le siège de Beyrouth-Ouest, dormant dans des parkings souterrains, des sous-sols d’immeubles, des garages, sans jamais rester plus de quelques heures au même endroit.
Quelques semaines après cette rencontre, le 21 août, les premiers éléments de la Force multinationale arrivaient à Beyrouth pour protéger l’évacuation de Yasser Arafat et des combattants palestiniens. Et du 16 au 18 septembre, sous les yeux de l’armée israélienne, les miliciens phalangistes investissaient les camps de réfugiés de Sabra et Chatila et massacraient près de 2000 civils palestiniens, femmes, enfants et vieillards.
Tripoli, décembre 1983
L’exilé de l’«Odysseus Elitis»

«Jamais comme maintenant je n’ai ressenti que nous étions un peuple sans patrie.» Son talkie-walkie à la main, Abou Jihad, chef militaire de l’OLP, l’un des plus vieux compagnons de combat d’Arafat, vêtu de son habituelle parka vert olive, parcourait ce matin-là le quai n° 2 du port libanais où cinq ferries grecs avaient commencé à embarquer les combattants palestiniens de Tripoli. Trois mois après avoir réussi à s’infiltrer, depuis Larnaca, dans la grande ville du Nord-Liban, pour prendre la tête de ses combattants et de leurs alliés libanais assiégés dans Tripoli par l’armée syrienne et les dissidents palestiniens d’Abou Moussa, Yasser Arafat était contraint, pour la deuxième fois en seize mois, de quitter le Liban. L’année précédente, plus de 10000 combattants s’étaient embarqués à Beyrouth sous la protection de la Légion étrangère française et des marines américains. Cette fois, ils n’étaient plus que 4000 à se presser sur ce quai délabré derrière le chef historique d’une OLP déchirée. Au large, une dizaine de navires de guerre français, autour du porte-avions «Clemenceau» et de la frégate lance-missile «Suffren», s’apprêtaient à escorter les exilés vers la haute mer.
En attendant d’embarquer lui aussi à bord de l’«Odysseus Elitis», Yasser Arafat patientait, abattu, dans la petite maison ottomane où il avait élu domicile, près du port de pêche. Devant la porte, sa grosse Wagoneer blanche était prête à partir. Les deux valises marron qui ne le quittaient jamais étaient empilées à l’arrière, sous des couvertures, avec la petite horloge en forme de globe terrestre qui trônait sur son bureau, dans son QG de Zaharieh.
Lorsqu’on le prévint que le moment était arrivé, le chef de l’OLP, en tenue militaire, s’engouffra entre deux haies de gardes du corps dans sa voiture, sans un mot, sans un dernier discours, sans le moindre sourire devant les journalistes qui avaient été ses compagnons de siège pendant trois mois. Et la Wagoneer fut avalée par l’«Odysseus Elitis». Sur la route du retour vers Beyrouth, les soldats syriens qui tenaient les check-points interrogeaient les journalistes: «Ça y est, ils sont partis? Revenez demain, vous allez voir, maintenant, on va liquider les amis d’Arafat.»
Tunis, avril 1984
«Oui à la reconnaissance mutuelle d’Israël et de la Palestine »

Même ici, dans ce salon cossu d’une villa voisine de Sidi Bou Saïd, gardée par deux flics tunisiens débonnaires, où il s’était installé, Yasser Arafat, l’exilé, s’était habillé en soldat. Pantalon beige, chemise et parka kaki, revolver à la ceinture. Quatre mois après avoir quitté Tripoli sous bonne escorte et réussi à se réconcilier avec l’Egypte, c’est encore en chef de guerre autant qu’en président d’un mouvement de libération en exil qu’il s’exprimait. «Renoncer à la lutte armée? A ma place, vous y renonceriez? Contre l’occupation de notre terre, nous avons le droit – ce n’est pas moi qui le dis, c’est la Charte de l’ONU – d’utiliser tous les moyens, y compris les moyens militaires. Vous le savez, vous étiez à Beyrouth pendant le siège, l’armée israélienne n’est pas une armée d’opérette. C’est la plus puissante du Moyen-Orient. Elle dispose, grâce aux Américains, du matériel le plus moderne, le plus sophistiqué. Elle en a même expérimenté une partie contre nous. C’est vrai que nous avons perdu 82000 hommes – morts et blessés au Liban, dont 2000 à Tripoli. C’est énorme. Mais nous avons fait face.
Le chroniqueur militaire israélien Zeev Schiff vient d’écrire dans la revue de l’armée un article sous le titre "La surprise palestinienne". Oui, notre résistance a été une surprise. Et les Israéliens ont eu plus de pertes que prévu. Ce que j’espère, c’est que notre résistance, avec ce qui se passe aujourd’hui au Liban, va leur ouvrir les yeux. En employant comme ils l’ont fait l’extrême violence, parce qu’ils ne veulent pas de solution négociée du problème palestinien, ils ne peuvent que susciter l’extrême violence. Le volcan n’est pas près de s’éteindre. Regardez ce qui s’est passé à Beyrouth avec les attentats contre les soldats américains et français. En ne croyant qu’à la force, les Israéliens mènent cette région au désastre. Moi, je ne vois pas l’avenir ainsi. Si je suis prêt à me battre, si je me bats, c’est pour arracher aux Israéliens une négociation directe, sous l’égide de l’ONU, avec comme bases les résolutions de l’ONU.
– Vous seriez prêt à reconnaître Israël?
– Je suis pour une reconnaissance mutuelle de deux Etats: la Palestine et Israël. Vous pouvez l’écrire.»
Tunis, décembre 1987
«Non, nous ne sommes pas dépassés par l’Intifada...»

Depuis un an, la révolte des pierres, l’Intifada, née dans le camp de Jabaliyah, à Gaza, d’un banal accident d’auto, embrasait les territoires occupés. Surprise et d’abord dépassée par ce soulèvement venu d’en bas, organisé par des comités locaux où coexistent islamistes du Hamas et militants du Fatah, l’OLP s’efforçait non sans mal de prendre le contrôle de cette insurrection qui voyait des enfants et des adolescents armés de pierres et de bâtons affronter la plus puissante armée du Proche-Orient et jeter le trouble dans les certitudes israéliennes. A New York, le Conseil de Sécurité des Nations unies venait d’adopter la résolution 605, qui «déplor[ait] fortement les pratiques israéliennes dans les territoires occupés».
Dans le salon de sa villa de Gammarth, près de Tunis, où des combattants qui avaient pris quelques kilos depuis Beyrouth allaient et venaient, apportant le thé, le café et des pâtisseries orientales, Yasser Arafat, qui avait troqué sa casquette de soldat contre le keffieh légendaire, semblait irrité par mes réponses à ses questions sur ce que j’avais, quelques jours auparavant, vu à Gaza et en Cisjordanie. «Non, non, nous ne sommes plus dépassés. Je ne nie pas qu’à l’origine le mouvement ait été spontané, comme vous l’avez constaté, mais il s’agit désormais d’une opération synchronisée entre les organisations locales et le Comité exécutif de l’OLP. Un mouvement spontané n’aurait pas pu durer aussi longtemps. D’ailleurs, nous avons déjà remporté une victoire, c’est ce morceau de papier», expliquait-il, en brandissant une copie de la résolution 605. «Chez les Israéliens, les choses bougent. Je vais vous faire une révélation: je viens de recevoir une lettre du député israélien Arieh Hess, signée par douze membres du Parti travailliste. Dans ce texte, Hess et ses amis expriment leur réprobation pour ce qui se passe à Gaza et en Cisjordanie et évoquent en détail la création d’une confédération israélo-palestinienne. C’est une idée qui m’intéresse, je suis prêt à en parler avec eux.
– Quel serait le statut de Jérusalem dans cette confédération? Une ville coupée en deux, comme Berlin?
– Pourquoi pas?
– Berlin, ce n’est quand même pas un précédent très heureux?
– Mais c’est un précédent qui existe déjà depuis plus de quarante-cinq ans. Et puis, si la division de Jérusalem nous aide à obtenir la paix, pourquoi pas?»
Bande de Gaza, juillet 1994
«Un regard que ses amis n’avaient jamais vu»
Que s’est-il passé, à cet instant, dans la tête de Yasser Arafat? Il venait de quitter sa Mercedes blindée et, silhouette frêle, à peine visible au milieu de ses gardes du corps ballottés par la cohue, il foulait pour la première fois depuis vingt-sept ans le sol de la Palestine lorsque, tout à coup, des dizaines de mains l’ont soulevé au-dessus des têtes de ses soldats. Et son regard, d’habitude perçant et malicieux, s’est alors brutalement figé tandis qu’il flottait comme un naufragé au milieu des hurlements de joie. Ce regard, celui d’un homme submergé par l’émotion ou l’incrédulité, ceux qui connaissent Arafat ne l’avaient jamais vu. Pendant quelques secondes, le vieux guérillero rusé, le politicien théâtral expert en fausses manœuvres et en volte-face, le «terroriste» mué en négociateur s’était éclipsé derrière un personnage inconnu: l’exilé de retour parmi les siens après un quart de siècle d’errance.
Ensuite, tout était rentré dans l’ordre. Autrement dit, le retour historique s’était déroulé comme on pouvait l’imaginer dans l’improvisation, la précipitation, les cris et la bousculade qui caractérisent les apparitions publiques du chef de l’OLP. Et, comme toujours en Palestine, après l’émotion patriotique, les querelles s’étaient rallumées et les critiques avaient commencé à fuser. «Il est rentré trop tard, constataient ceux qui auraient voulu le voir arriver avec les combattants de l’Armée de Libération de la Palestine, il y a deux mois. Il aurait dû partager notre joie lorsque nous avons accueilli nos soldats, lorsque nous avons vécu notre dernière nuit de couvre-feu...» «Il est rentré trop tôt, protestaient les militants du FDLP, du FPLP et des organisations islamiques armées, opposées à l’accord Gaza-Jéricho signé avec Israël. Des milliers de nos frères sont encore détenus. L’armée israélienne continue d’occuper notre terre, nous n’avons toujours pas d’Etat et il n’a obtenu aucune garantie sur l’arrêt de la colonisation. Les choses vont vite devenir difficiles pour lui.»
Gaza, novembre 1995
«La mort de Rabin a été pour moi un choc terrible...»

Il avait changé. En quelques mois, Yasser Arafat semblait avoir pris des années. Son visage était blême, ses mains tremblaient, il semblait avoir du mal à trouver ses mots en anglais et demandait sans cesse de l’aide. Tout à l’heure, l’un de ses proches collaborateurs m’avait prévenu: «Pour lui, la mort de Rabin il y a deux semaines a été une épreuve très rude. Ils n’étaient pas proches mais Abou Ammar avait confiance dans Rabin. Il pensait qu’il était homme à tenir sa parole. Et il partageait sa vision de la situation: il faut lutter contre le terrorisme comme s’il n’y avait pas de processus de paix, et respecter le processus de paix comme s’il n’avait pas de terrorisme.»
Arafat l’avait lui-même admis: «Oui, c’est vrai, la mort de Rabin a été pour moi un choc terrible. Pas seulement parce qu’il s’agit de la disparition de mon partenaire, l’homme avec qui j’avais enfin conclu la paix des braves, avec qui j’ai obtenu il y a un an le prix Nobel de la paix, mais surtout parce que cet assassinat nous rappelle à tous que les fanatiques, en Israël comme chez nous, sont prêts à tout pour saboter la négociation et faire échouer le processus de paix. Hier, l’organisation qui avait menacé de tuer des Palestiniens et des Israéliens pour mettre un terme au processus de paix pendant que nous étions Rabin et moi à Washington a proféré de nouvelles menaces contre Shimon Peres et moi. A cause de cela, je pense même que nous devrions accélérer le rythme des négociations. C’est à mes yeux le seul moyen de répondre aux fanatiques.»
               
5. Comment Awad reviendra-t-il du mauvais chemin qui est le sien ? (La non violence fait peur à l’armée) par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mercredi 10 novembre 2004
[traduit de l’hébreu par Michel Ghys]

Ahmed Awad est dangereux pour la sécurité publique. C’est ce qu’on pense dans les services de la sécurité générale [Shabak], c’est ce que pense le colonel Yossi Adiri, c’est ce que pense le procureur militaire Itaï Pollack. Tous trois sont responsables de l’émission, fin octobre, d’un ordre de détention administrative à son encontre, c'est-à-dire d’une détention sans jugement ni possibilité de répondre aux accusations qui lui sont portées. Face à eux, le juge militaire Adrian Agassi ne pense pas, lui, qu’il soit dangereux pour la sécurité publique. Il a ordonné l’annulation de l’ordre de détention administrative. Mais le juge militaire, de la cour d’appel militaire, Moshe Tirosh est d’accord que Awad est dangereux pour la sécurité publique. Le 3 novembre, il a ordonné l’annulation de l’annulation de l’ordre de détention.
Les services de la sécurité générale pensaient que le danger qu’Awad faisait peser valait trois mois de détention administrative. Le colonel Adiri pensait, quant à lui, qu’il méritait quatre mois de détention administrative et l’ordre qui porte sa signature fixe la période du 28 octobre au 27 février. Mais Tirosh avait, lui, l’impression que deux mois de détention administrative étaient ce qui convenait à la quantité et à la gravité des informations qu’il avait trouvées dans la demande de détention. A sa décision de casser l’annulation de l’ordre mais d’abréger la durée de la détention, il a ajouté : « J’espère que pour l’intéressé, la détention présente s’inscrira comme une mise en garde tournée vers l’avenir et qu’il reviendra de ce mauvais chemin dont nul ne peut prévoir la fin. Il serait bon qu’il examine d’où il vient et où il va, et qu’il prête attention au fait qu’il y a quelqu'un à qui il aura à rendre des comptes. »
Mais Ahmed Awad n’a aucune idée de ce à quoi il doit faire attention, ni à quel mauvais chemin en avait le juge Tirosh. Car Tirosh s’est appuyé sur des données confidentielles qui sont à la base de la demande des services de la sécurité générale en faveur d’une détention administrative : ces mêmes données confidentielles, exactement, où Agassi n’a pas trouvé de quoi justifier une détention. L’avocate de Awad, Tamar Peleg, du Centre pour la Défense du Citoyen, ne pourra pas, elle non plus, lui conseiller un moyen pour « revenir du mauvais chemin dont nul ne peut prévoir la fin» : elle non plus n’est pas autorisée à consulter les données confidentielles.
Awad, 42 ans, enseignant dans une école secondaire et père de six enfants, est l’un des dirigeants du comité populaire de lutte contre la clôture de séparation qui a été dressée dans le village de Boudrous. L’activité de ce village, depuis environ un an, a donné le signal d’une lutte populaire palestinienne non violente contre le tracé de la clôture et contre les bulldozers, les gardes, les jeeps militaires et les soldats. Les gaz lacrymogènes, les coups, les tirs ne les ont pas dissuadés. Pas mal d’Israéliens ont pris part à la lutte. Des liens d’amitié et de confiance se sont tissés entre eux et les villageois.
Ce combat a porté des fruits : une magnifique oliveraie qui s’étend sur quelques centaines de dounams, a été sauvée. Au sein des services de sécurité, on a décidé qu’il était possible de faire passer le tracé à l’ouest et qu’ainsi on ne toucherait pas aux oliviers. Il restait une centaine de dounams de terres agricoles que le tracé était censé engloutir : les villageois ont décidé de se retenir, de renoncer. Ils comprenaient que leur victoire était impressionnante. Mais il est alors apparu qu’en fait les bulldozers s’écartaient du tracé convenu par compromis entre l’armée et le tribunal. Alors les habitants ont recommencé à manifester. Ces trois derniers mois, pour les en empêcher, l’armée et les gardes-frontières sont intervenus avec force et violence contre tous les habitants, dispersant les manifestations avec une force plus grande que d’habitude. Pendant une quinzaine de jours, ils ont imposé, de fait, un couvre-feu au village : au moment où les enfants arrivaient à l’école, des forces armées se répandaient dans le village, prenaient position, ne laissant sortir personnes des maisons et les enfants avaient peur de sortir seuls de l’école.
C’est à ce moment-là qu’Awad a été arrêté. Contrairement à d’autres amis du comité, qui sont membres du Fatah, Awad témoigne avoir passé un an en prison en 1997, pour son appartenance au Hamas. Cette dernière année, il a collaboré au développement d’une lutte non violente. « A la place de la clôture, nous sommes parvenus, mes amis et moi, à établir des ponts de confiance entre nous et les Juifs », a-t-il dit au juge Agassi. « Nous avons aidé le monde à comprendre qu’entre nous et les Juifs, il pouvait y avoir coexistence. »
Selon les allégations des services de la sécurité générale, du procureur militaire et du juge Tirosh, le danger qui apparaît dans les données confidentielles n’est pas lié à l’activité contre la clôture mais à « une autre activité ». Il ne reste plus à l’avocate Tamar Peleg qu’à mettre en doute la gravité de « l’autre activité », occulte. Dans l’activité patente, populaire, a-t-elle dit, il y a aussi une contribution à la sécurité, puisqu’elle convainc les jeunes Palestiniens de l’existence d’un autre moyen de combat en faveur de leurs droits, et qui ne consiste pas à se rendre au marché Carmel pour commettre des attentats. L’espoir de changement, par la force d’un combat non violent, constitue un contrepoids au désespoir qui pousse des gens à des actes personnels de vengeance.
Mais maintenant le désespoir a reçu du renfort : Awad restera en détention jusqu’à la fin de l’année. Difficile de ne pas avoir l’impression que c’est précisément « le bon chemin », choisi par lui et ses amis du comité populaire, qui dérange tellement divers responsables au sein de l’armée : la fraternisation avec des Israéliens, la reconnaissance de l’importance d’un combat commun, palestino-israélien, contre l’occupation, le succès d’une lutte populaire pour modifier des décisions militaires, le refus de se laisser entraîner à la violence, face à la violence de l’armée et de l’occupation.
                       
6. Arafat, un "résistant" plutôt qu'un "terroriste" pour les Français
Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 8 novembre 2004, 7h25

PARIS - Le président de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat qui lutte contre la mort dans un hôpital militaire parisien est considéré comme "un héros d'une résistance nationale" par 43% des Français tandis que 27% le qualifient de "chef d'un mouvement terroriste", selon un sondage BVA pour Libération et France Inter rendu public lundi.
Un sondé sur dix estime qu'il est les deux et 9% jugent qu'il n'est ni l'un ni l'autre. Les sympathisants de gauche sont plus nombreux à trouver qu'il est un résistant (52% contre 21% qui le qualifient de chef de mouvement terroriste) que ceux de droite (41% contre 33%).
Seul un Français sur dix (12%) juge que le président de l'Autorité palestinienne porte la responsabilité principale dans la violence au Proche-Orient, une proportion en baisse par rapport à un sondage précédent d'avril 2002 (20%).
Pour un sondé sur trois (35%), cette responsabilité incombe au Premier ministre israélien Ariel Sharon (32% en 2002), tandis que 30% renvoient les deux hommes dos à dos (25% en 2002).
De manière plus générale, l'opinion publique française semble pencher du côté des Palestiniens, 34% disant avoir "davantage de sympathie" pour leurs positions que pour celles des Israéliens, contre 13% qui expriment l'avis inverse.
Une précédente étude de 2000 traduisait un équilibre, avec 14% des sondés qui se disaient pour les positions israéliennes et 18% pour les positions palestiniennes.
L'attitude de Jacques Chirac face au conflit recueille l'approbation d'une nette majorité de Français: 58% la trouvent équilibrée, 15% la trouvent trop favorables aux Palestiniens et 9% aux Israéliens. Cet accord avec le président de la République se retrouve aussi bien parmi les sympathisants de gauche (62%) que de la droite parlementaire (63%).
Ce sondage a été réalisé les 5 et 6 novembre par BVA auprès d'un échantillon représentatif de la population française de 963 personnes, selon la méthode des quotas.
                   
7. L'inconnue Hamas pour l'après-Arafat par Christophe Ayad
in Libération du lundi 8 novembre 2004
Les institutions palestiniennes négocient avec le très populaire mouvement islamiste.
Gaza envoyé spécial - Cela faisait longtemps que l'on ne l'avait pas vu en public. Samedi soir, Ismaïl Hanieh, l'un des cinq fondateurs du Hamas, le principal mouvement islamiste palestinien, a participé à une réunion à Gaza avec Ahmed Qoreï, le Premier ministre palestinien, et de hauts responsables du Fatah, le parti de Yasser Arafat. Le chef du Hamas, Mahmoud Zahar, a préféré ne pas se montrer. Trop dangereux : au printemps, le mouvement a perdu, coup sur coup, le cheikh Ahmed Yassine, son fondateur et chef, et son successeur, Abdelaziz al-Rantissi.
«Compréhensif». Si un «historique» du Hamas prend la peine de se déplacer, c'est que l'heure est grave. La preuve, la Coalition des forces nationales et islamiques, surnommée le «Comité des 13», se réunit quotidiennement à Gaza. Cette structure, qui regroupe tous les partis palestiniens depuis le début de l'Intifada mais n'a jamais été effective, a été réactivée avec la détérioration de l'état de santé de Yasser Arafat. Une démonstration d'unité destinée à «écarter tous les risques de division en une période difficile». Les deux partis islamistes, le Hamas et le Jihad islamique, ont profité de la présence d'Ahmed Qoreï, samedi à Gaza, pour demander une «participation accrue» et un «commandement unifié», sans pour autant réclamer de portefeuilles ministériels. Le Premier ministre palestinien s'est montré «compréhensif», alors que l'Autorité avait toujours fait la sourde oreille.
Même si les risques immédiats d'instabilité proviennent davantage de la féroce rivalité entre Moussa Arafat, le cousin du raïs, et Mohammed Dahlan, l'homme fort de Gaza, l'attitude du Hamas dans cette délicate période de transition inquiète les observateurs. Les islamistes faciliteront-ils la tâche du successeur d'Arafat en calmant le jeu sur le terrain des attentats ou le mettront-ils sous pression ? Accepteront-ils de participer à des élections, légitimant du même coup les institutions palestiniennes issues des accords d'Oslo, ou continueront-ils à se tenir à l'écart, soignant leur stature d'alternative radicale ?
Sami Abou Zohri, le jeune porte-parole du Hamas, se veut rassurant : «Nous ne profiterons pas des problèmes internes au Fatah. Nous avons un seul but, et sacré, libérer la Palestine.» De fait, il est de l'intérêt de chacun de se montrer conciliant. L'Autorité palestinienne, discréditée par une décennie de corruption et son échec à faire naître un Etat palestinien, a besoin du Hamas, connu pour l'intégrité de ses cadres et son inflexible résistance. Si des élections avaient lieu aujourd'hui, le Hamas l'emporterait. A l'inverse, épuisé par les coups de boutoir israéliens et craignant de se retrouver complètement isolé sur la scène internationale ­ les Etats-Unis puis l'UE l'ont classé comme organisation terroriste ­, le Hamas cherche à s'adosser aux institutions palestiniennes.
Après avoir boycotté les élections de 1996, il a annoncé sa participation aux prochaines municipales et réserve sa réponse pour les législatives. Une stratégie qui correspond à celle des Frères musulmans, à l'origine du Hamas : une lente et patiente conquête du pouvoir par le bas. La multiplication des niqab dans les rues de Gaza (le voile intégral qui ne laisse apparaître que les yeux) et des fonctionnaires à la barbe soignée dans les ministères a de quoi donner bon espoir au mouvement. «C'est intelligent, analyse un sympathisant. Ils attendent que le successeur d'Arafat signe un accord définitif, sans se salir les mains, et, après, ils cueillent le pouvoir comme un fruit mûr.» En parallèle, le Hamas courtise assidûment l'Egypte, qui aura un rôle à jouer dans le retrait israélien de Gaza annoncé par Sharon.
Résistance. En fait, le Hamas lorgne son cousin chiite libanais, le Hezbollah. Considéré comme un parti politique légitime mais non hégémonique au Liban, le Hezbollah se distingue par son monopole sur la résistance à Israël. La résistance, c'est l'obstacle sur lequel le rapprochement entre le Hamas et la future Autorité risque de buter. «Il est hors de question de décréter une trêve tant que dure l'occupation», assure Sami Abou Zohri. Personne ne pourra parvenir à un traité avec Israël sans un accord politique avec le Hamas.» A contrario, un nouveau dirigeant palestinien sait qu'il bénéficiera d'un court état de grâce international, à condition qu'il effectue un geste fort comme suspendre l'Intifada. La lune de miel risque d'être courte.
                       
8. L'incarnation d'un rêve : un Palestinien par Mouna Naïm
in Le Monde du samedi 6 novembre 2004

A l'agonie, Yasser Arafat, âgé de 75 ans, a incarné les espoirs du peuple palestinien aspirant à la reconnaissance de ses droits. Mais après des décennies de combat, le chef de l'OLP n'a pas pu réaliser son rêve : voir le drapeau national flotter sur Jérusalem-Est. Il aura imposé la tragédie de son peuple au cœur de l'attention internationale.
Yasser Arafat aurait préféré entrer dans l'Histoire comme le dirigeant qui a conduit son peuple vers l'indépendance et la paix. Mais elle en aura voulu autrement, et l'homme dont la "mort clinique" a été annoncée le 4 novembre disparaîtra usé par l'âge et par la désillusion de ne pas avoir vu naître l'Etat palestinien auquel il a tant aspiré.
Onze ans plus tôt, il avait pourtant la certitude, et la majorité des Palestiniens avec lui, que ce rêve était à portée de main, qu'il suffirait de six années de négociations avec Israël - mais qu'est-ce que six années au regard de l'Histoire ? - pour qu'il devienne réalité. Au fil des ans, l'espoir est toutefois allé s'effilochant, renvoyant quasi à la préhistoire ce 13 septembre 1993, quand, sur la pelouse de la Maison Blanche, devant un parterre de personnalités internationales et sous les yeux de millions de téléspectateurs à travers le monde, un Yasser Arafat tout sourire serrait la main de l'un de ses pires ennemis, le premier ministre israélien d'alors, Itzhak Rabin. Les accords dits d'Oslo qui venaient d'être signés mettaient en principe l'un des plus vieux conflits du monde sur les rails d'une solution. Tout le monde voulait y croire. Yasser Arafat le premier, pour qui l'heure était historique, l'aboutissement d'une longue lutte, le premier acte de l'avènement de l'Etat virtuel proclamé le 15 novembre 1988, à Alger, devant un Parlement palestinien en exil en délire.
Rien, pourtant, ne permettait alors de croire que le rêve deviendrait réalité, tant les vents étaient contraires. Le défi était immense. L'Organisation de libération de la Palestine (OLP) était exilée de force depuis six ans en Tunisie, après avoir été expulsée du Liban. Israël, les Etats-Unis et d'autres Etats la tenaient toujours pour une centrale "terroriste". Israël s'acharnait à en liquider les dirigeants. Khalil Al-Wazir (Abou Jihad), l'une de ses figures les plus prestigieuses, les plus respectées et les plus actives, compagnon de la première heure de Yasser Arafat, avait été assassiné quelques mois plus tôt à Tunis. Les Palestiniens s'entredéchiraient et le soutien des "frères" arabes n'était ni unanime ni inconditionnel. Et pourtant, la foi chevillée au corps, Yasser Arafat voulait voir naître cet Etat palestinien pour lequel il a consacré sa vie depuis une quarantaine d'années.
Yasser Arafat, c'était d'abord et surtout cela : un homme animé par une foi inébranlable dans la justesse de la cause qu'il servait et des droits du peuple qu'il représentait. Il se souciait comme d'une guigne de l'aversion qu'il pouvait susciter et savait exploiter à merveille les témoignages de sympathie. Il conjuguait ou alternait l'action militaire et la diplomatie, savait manipuler amis et adversaires, flatter les ego et tenir en piètre estime, être familier et tenir à distance, se faire modeste et arrogant, donner généreusement et couper les vivres, ne jamais prendre pour quantité négligeable une quelconque manifestation de soutien, si humble soit-elle, ne jamais rompre définitivement les ponts avec quiconque pour ne pas insulter l'avenir.
Son courage physique n'était pas la moindre de ses qualités. Jamais Yasser Arafat n'abandonna les siens dans l'adversité. Il méprisait le luxe, mais prisait les honneurs, surtout ceux des responsables étrangers, parce qu'ils étaient autant de marques de déférence et de soutien à sa lutte, face à un ennemi qui bénéficiait de très grandes sympathies à travers le monde.
Homme aux goûts simples, il n'a jamais cherché à s'enrichir, alors même que de nombreuses personnes de son entourage l'ont fait, notamment depuis l'avènement de l'Autorité palestinienne, en 1994. Non qu'il dédaignât l'argent, mais pour lui l'argent était le nerf de la guerre, servant aussi bien à financer la lutte armée qu'à entretenir une clientèle. Il tenait lui-même les cordons d'une bourse qui fut un temps pleine à craquer, tant était financièrement généreuse - à défaut de l'être autrement - la solidarité des pays arabes, et plus particulièrement des monarchies pétrolières du Golfe. Yasser Arafat était un manipulateur presque par nécessité, dans la jungle des organisations de résistance, parfois inféodées à des régimes plus ou moins amicaux ou hostiles. C'était aussi un autocrate, exigeant un droit de regard sur les plus petites comme sur les plus grandes choses. Véritable bourreau de travail, il se contentait de quelques petites heures de sommeil, au grand dam de collaborateurs forcés de suivre son rythme infernal. Comme un fauve aux aguets, se sachant menacé par un ennemi déterminé à l'éliminer, il était un sans-abri volontaire, se déplaçant sans prévenir par mesure de sécurité, peu soucieux de son confort. Il savait que, face à un ennemi redoutable, il fallait ruser pour survivre. Mais il devait aussi sa longévité à une certaine baraka, qui le fit tant de fois échapper miraculeusement à la mort. Ce fut notamment le cas quand, en 1982, il venait de quitter un immeuble de Beyrouth-Ouest et qu'une bombe à implosion israélienne réduisit le bâtiment en poussière ; ou encore en 1992, quand il ne souffrit que de quelques contusions après que son avion se fut écrasé dans le désert de Libye.
Obstiné jusqu'à l'entêtement, peu porté sur l'autocritique, ne s'avouant jamais vaincu publiquement - bien qu'il eût maintes fois menacé de démissionner, sa manière à lui de se faire prier -, il s'estimait investi d'une mission envers son peuple et il n'eut de cesse de la mener à son terme. Non sans avoir rabattu ses aspirations et celles des siens, pour se contenter d'une partie de la Palestine à laquelle ils rêvaient de revenir tous. Et non sans le coup de pouce d'une conjoncture qui les a forcés à admettre qu'une partie était mieux que rien. Car s'il est vrai que la proclamation de l'Etat palestinien, en 1988, impliquait déjà la reconnaissance d'Israël et l'acceptation de coexister avec lui, ce n'était qu'une virtualité. Cinq ans plus tard, l'ostracisme dont l'OLP était frappée pour avoir soutenu l'Irak lors de l'invasion du Koweït en avait fait réfléchir plus d'un, Yasser Arafat le premier.
Même alors, rien n'était vraiment joué, et c'est de haute lutte, et fort de la fidélité de la population des territoires occupés, que Yasser Arafat finit par obtenir des Etats-Unis, artisans du processus de paix mis en route à Madrid fin octobre 1990, que l'OLP soit l'interlocutrice de l'Etat juif. C'est encore de haute lutte qu'il réussit, in extremis, à faire en sorte que cette même OLP soit nominalement identifiée comme la signataire des fameux accords d'Oslo. Bref, la voie n'a jamais été facile, et le maintien de l'unité des organisations de résistance et d'un peuple écartelé entre pays d'accueil et territoires occupés n'a pas été la moindre des difficultés.
C'est en Egypte, où il est né le 4 août 1929, que Yasser Arafat est entré en politique après la création d'Israël, en 1948. Il a toujours dit avoir vu le jour à Jérusalem. Certains de ses biographes n'excluent pas cette hypothèse, son père, originaire de Gaza mais installé au Caire dès 1927, l'ayant enregistré au Caire pour qu'il bénéficie de l'enseignement gratuit ; ou encore que sa mère, Zahwa Abou Saoud, originaire de Jérusalem, ait tout simplement accouché au domicile de ses parents, mais n'ait enregistré l'enfant qu'à son retour au domicile conjugal en Egypte. Sixième d'une ribambelle de sept enfants, Mohammad Abdel Raouf Arafat Al-Koudwa Al-Husseini, qui allait rapidement être plus connu sous le nom de Yasser (qui signifie : facile à vivre) Arafat, vit au sein de sa famille en Egypte jusqu'au décès de sa mère, en 1933. Avec l'un de ses frères, Fathi - qui allait devenir le président du Croissant-Rouge palestinien -, il est alors envoyé chez l'un de ses oncles maternels, Salim Abou Saoud, à Jérusalem. Quatre ans plus tard, il regagne la capitale égyptienne, où son père s'est remarié. C'est là qu'il fait ses études. De cette période de sa vie, Yasser Arafat garde un accent égyptien, singulier pour un Palestinien.
Son premier mentor en politique est la confrérie des Frères musulmans, alors héraut de la lutte pour la libération de la Palestine. Son flirt avec la confrérie, dont il affirme n'avoir été qu'un sympathisant, lui vaut de connaître les prisons de Gamal Abdel Nasser et, plus tard, de gagner les faveurs de l'Arabie saoudite, qui accordera au Fatah et non à l'OLP les fonds alloués à la lutte contre Israël.
En 1952, avec Salah Khalaf (Abou Iyad), originaire de Gaza, Yasser Arafat prend le contrôle de l'Union des étudiants palestiniens. A ce titre, un an plus tard, il présente au général Neguib, l'homme fort de l'Egypte, une pétition rédigée en lettres de sang avec ces simples mots : "N'oubliez pas la Palestine." Mais les officiers libres qui viennent de prendre le pouvoir en Egypte ont d'autres priorités. En 1957, Yasser Arafat part pour le Koweït, où, ingénieur diplômé, il est embauché par le département des travaux publics. Il fonde ensuite sa propre société d'ingénierie, qui lui permet de devenir, à l'en croire, "presque millionnaire". C'est également à Koweït qu'il rencontre celui qui, jusqu'à son assassinat par un commando israélien à Tunis, en avril 1988, fut son plus proche compagnon : Abou Jihad, un homme aussi discret et secret qu'Arafat est flamboyant et public. Deux contraires, qui furent aussi indispensables l'un que l'autre au mouvement de libération nationale. Avec un petit groupe d'autres exilés palestiniens, rejoints par Abou Iyad, ils mettent sur pied, en octobre 1959, l'infrastructure d'une petite organisation militaire clandestine. Le Fatah est né.
Fatah signifie"conquête". C'est l'anagramme de Hataf (qui veut dire "mort"), sigle de l'appellation du mouvement : Harakat al tahrir al watani al filistini (Mouvement de libération national palestinien). Arafat a expliqué à deux de ses biographes, Janet et John Wallach, qu'il a puisé le mot Fatah dans le Coran. "C'est quelque chose qui signifie que s'ouvrent les portes de la gloire." Quant à son nom de guerre, Abou Ammar, adopté à la même époque, il fait référence à Ammar Ben Yasser, un compagnon du prophète Mahomet. Le Fatah publie un journal, Filistinouna ("Notre Palestine"), rédigé au Koweït et imprimé à Beyrouth, qui devient le point de ralliement de ceux qui veulent se battre pour la Palestine.
Galvanisé par la révolution algérienne, puis par l'indépendance de l'Algérie, Yasser Arafat déserte de plus en plus fréquemment son entreprise d'ingénierie, renonce à la vie et à l'argent faciles, pour aller visiter les petites cellules révolutionnaires qui se sont créées en Egypte, en Syrie, en Algérie et en Jordanie. Dès 1963, l'Algérie lui offre la première reconnaissance officielle, avec l'ouverture d'un bureau du Fatah, dirigé par Abou Jihad. Un an plus tard, le Fatah inaugure un camp d'entraînement près d'Alger. C'est là que les membres d'Al-Assifa (la Tempête), la branche militaire clandestine du Fatah, reçoivent leur première formation au maniement des armes. C'est également la reconnaissance algérienne qui ouvre de nouvelles portes, notamment celles de la Chine de Mao Zedong, où Yasser Arafat se rend en 1964.
Janvier 1964. Un sommet arabe se réunit au Caire, après la décision d'Israël de dévier les eaux du lac de Tibériade vers le désert du Néguev. Le président égyptien suggère la création d'une organisation officielle palestinienne pour combattre l'Etat juif. Sa branche politique sera l'OLP, et son bras militaire, l'Armée de libération de la Palestine, placée sous le commandement des différentes armées arabes. Ahmad Choukeiri est désigné chef de l'OLP. Trois mois plus tard, celle-ci adopte sa Charte, qui appelle à la lutte armée et à la destruction de l'Etat d'Israël.
Refusant toute inféodation à l'Egypte et soucieux de sauvegarder l'indépendance du pouvoir de décision palestinien, le petit groupe du Fatah, Yasser Arafat en tête, décide de sortir de l'ombre et de lancer sa première action militaire contre Israël. Dirigé contre une installation hydraulique, l'engin déposé par le commando n'explose pas et est désamorcé par les Israéliens. Le Fatah n'en fait pas moins diffuser un "communiqué numéro un" annonçant l'opération. Yasser Arafat distribue le texte aux journaux de Beyrouth. Les Israéliens rient de ce travail d'amateur. Mais, fin 1965, ils commencent à voir rouge : les Palestiniens ont lancé vingt-huit opérations de commando.
Yasser Arafat doit toutefois attendre quatre années encore pour reprendre en main une OLP créée sans lui, voire contre lui. Dans l'intervalle, son mouvement, le Fatah, s'est illustré par une guérilla anti-israélienne de plus en plus efficace et spectaculaire, au point d'inquiéter les régimes des pays arabes à partir desquels les commandos lancent leurs attaques. Les rangs de l'organisation grossissent, notamment après la défaite arabe de juin 1967 et la perte de la Cisjordanie et de Gaza.
Les années noires du conflit jordano-palestinien (1970-1971) et la "perte"de la Jordanie, alors place forte des organisations palestiniennes, seront en quelque sorte compensées en 1974, lorsqu'un sommet arabe réuni à Casablanca reconnaît l'OLP comme l'unique représentant du peuple palestinien. Pour Yasser Arafat, c'est "LA" consécration, dont l'effet est démultiplié lorsqu'il est admis quelques mois plus tard à prendre la parole devant l'Assemblée générale de l'ONU. Fort d'une OLP qui a modifié sa Charte pour accepter d'établir un Etat palestinien sur toute portion de territoire qui serait libérée - et non plus sur toute la Palestine -, il peut alors se présenter en homme de paix et brandir le rameau d'olivier. Israël n'en a cure.
La décennie suivante est un cauchemar pour Yasser Arafat : expulsion de l'OLP de Beyrouth en 1982 ; massacres des camps de réfugiés palestiniens de Sabra et de Chatila ; expulsion de Tripoli, dans le nord du Liban, l'année suivante, qui pis est par des frères ennemis palestiniens et syriens ; exil lointain à Tunis, tandis que les fedayins sont éclatés entre la Tunisie, l'Algérie, le Yémen, le Soudan, et l'Irak ; intensification de la répression israélienne en Cisjordanie et à Gaza. Le rai de lumière émane, en décembre 1987, de ces deux territoires : le soulèvement d'une population qui n'avait que trop enduré vient de commencer. Les enfants de l'Intifada se réclament de l'OLP, et Yasser Arafat est leur emblème.
C'est cette révolte qui aide Yasser Arafat à proclamer, en 1988, un Etat palestinien virtuel, sur la base des résolutions 242 et 338 du Conseil de sécurité de l'ONU, jusqu'alors rejetées, et qui impliquent la reconnaissance d'Israël. Yasser Arafat multiplie les déclarations condamnant le terrorisme, mais les Etats-Unis, avec lesquels un dialogue discret s'est engagé par Suédois interposés, exigent un renoncement plus déterminé. Quelques mois plus tard, Washington dit enfin "oui" à un dialogue direct avec l'OLP, après une conférence de presse du leader palestinien, en marge d'une réunion de l'Assemblée générale de l'ONU, exceptionnellement convoquée à Genève. Yasser Arafat y dénonce le terrorisme avec la clarté requise par les Etats-Unis. Yasser Arafat et les siens exultent. Tous les espoirs sont désormais permis. Le dialogue s'engage presque aussitôt après à Tunis. En mai 1989, Arafat est reçu à Paris par François Mitterrand, et s'arrange pour dire, en français, que les clauses de la Charte de l'OLP impliquant la destruction d'Israël sont désormais "caduques". Le charme opère, mais Arafat sait que seul le Conseil national palestinien, la plus haute autorité de l'OLP, peut amender la Charte.
A peine a-t-il néanmoins le loisir de savourer ces premiers succès qu'un peu plus d'un an plus tard, le 2 août 1990, Saddam Hussein envahit et annexe le Koweït. Yasser Arafat ne condamne pas, prône une solution pacifique, se met au diapason d'un peuple palestinien solidaire du président irakien. Les conséquences sont désastreuses pour Yasser Arafat et l'OLP. Ses principaux bailleurs de fonds arabes lui coupent les vivres. Les Etats-Unis lui tournent le dos. Les centaines de milliers de Palestiniens qui vivent dans les monarchies du Golfe sont expulsés. C'est la mise en quarantaine. Et, au sortir de la guerre pour la libération du Koweït, Arafat et les siens sont exclus de la recherche d'une solution au conflit israélo-arabe. Les seuls Palestiniens agréés sont des personnalités des territoires occupés. Une nouvelle fois, c'est de ces derniers que viendra le salut. Ils prennent leurs instructions du chairman en personne.
                       
9. "Le résistant" par Elias Sanbar
in Le Monde du samedi 6 novembre 2004

Un personnage "historique et banalement humain" : telle est l'image que retient l'historien palestinien Elias Sanbar. Il brosse le portrait de celui qui, loin du mythe, restera pour lui l'ami et l'homme qui avait "ramené son peuple à la visibilité".
Tout d'abord un souvenir parmi bien d'autres. Tunis, début 1984. Arrivé de Paris, je me présente à son bureau, dans la banlieue de la capitale. Le but déclaré de ma visite : l'interviewer après sa sortie sain et sauf du siège de la ville de Tripoli au nord Liban. La raison secrète, intime, très "enfantine" de mon voyage, est tout autre : lui dire combien nous sommes blessés par les rebuffades et les humiliations qu'il subit, combien son nouveau statut de paria nous est insupportable, lui redire aussi que nous nous tenons à ses côtés, qu'il peut compter sur nous.
Il me reçoit comme d'habitude avec affection, puis, me demande d'emblée : "Pourquoi as-tu tellement tardé à venir me voir ?" et comme je lui réponds que cela ne fait que quelques semaines que je n'ai donné signe de vie, il m'interrompt en riant : "Non, cela fait exactement six mois, tu es venu à telle date. N'as-tu pas honte qu'un vieux comme moi ait une meilleure mémoire que toi ? Je te verrai ce soir, quand tout le monde sera parti et que nous pourrons parler calmement."
En guise de soir, c'est quasiment la nuit entière que je passai à attendre, et c'est à l'aube que je me retrouvai face à lui. Je lui dis notre peine et notre révolte de le voir ainsi traité tant par ses ennemis israéliens que par ses frères arabes. Mais il m'interrompt : "Sache que je n'ai aucune fierté personnelle lorsque l'intérêt de mon peuple est en jeu".
L'homme qui à l'aube, pour me consoler et me rassurer, me donnait une leçon involontaire d'éthique politique, était le même qui, avec ses compagnons, avait redonné souffle à nos vies des années plus tôt. Coïncidant avec nos vingt ans, la déroute de juin 1967 s'était alors confondue avec la terrible désillusion d'un avenir qui nous apparaissait soudain enchaîné, voué à répéter notre passé immédiat, ce temps immobile, comme noyé dans la tristesse silencieuse de nos parents et de nos aînés.
Ce jour-là, la Résistance palestinienne naissante proclama "l'avènement du climat révolutionnaire", mais nous n'entendions que l'annonce de temps où il ferait tout simplement beau dans nos vies.
Par la fierté retrouvée, par la prise en main de nos petites destinées, par nos voix à nouveau audibles, par nos rêves juvéniles de réussir à imposer que le monde regardât en face nos beaux visages de résistants venus d'une terre disparue.
Comment écrire, transmettre, de façon même infime, la jubilation qui, aux confins des ardeurs guerrières, nous habita ? Comment dire le rire, nos rires, aux sonorités claires telles celles des matins nouveaux qui accueillaient notre choix d'ainsi ramener nos noms effacés de Palestiniens en commençant par nous proclamer résistants.
Le Palestinien qui disparaît aujourd'hui aura beau être qualifié de chef historique, de symbole de la lutte palestinienne, de pragmatique chevronné, de lutteur "increvable", d'interlocuteur incontournable, de dirigeant retors peu enclin à partager ses pouvoirs, il demeurera pour moi, pour nous, le résistant qui, par-delà louanges et critiques, fondées ou irrecevables, ne s'est jamais renié quand l'essentiel était en jeu : ramener son peuple à la visibilité et le sortir de l'absence forcée dans laquelle ses ennemis avaient rêvé de le voir disparaître.
Et s'il me fallait résumer en une phrase, une seule, les décennies de fureur et de sang traversées par le mouvement national palestinien après 1948, je n'écrirai que ceci : Yasser Arafat a mené le combat des siens pour la reconquête de leur nom, Palestiniens, et les tirer ainsi de l'effacement imposé vers la visibilité, évidence incontournable qu'ils existaient et que leurs droits étaient identiques à ceux de tous les hommes.
Aujourd'hui les anciens ennemis sont subitement compatissants et les analyses et les commentaires pleuvent qui nous décrivent ce que nous sommes censés ressentir, nous mettent en garde contre nos lendemains hasardeux, nous annoncent qu'enfin débarrassés du potentat nous allons accéder à la reconnaissance de nos droits nationaux.
Mais ils ignorent ou font semblant d'ignorer que le dirigeant que nous perdons nous était infiniment plus familier qu'un "président", que nous le connaissions car il nous ressemblait intimement, par sa chaleur humaine jamais feinte, son hospitalité simple, sa profonde conviction d'être l'enfant d'une terre des rencontres et non des exclusions, son obstination calme, sa longue patience et son profond désir de solution d'un conflit réputé insoluble.
Les Palestiniens perdent en ces heures l'une de leurs grandes figures. D'autres apparaîtront, sûrement, et que personne ne s'en inquiète ou ne fasse semblant de s'en inquiéter. Les Israéliens aussi, certains s'en rendent compte, d'autres s'en réjouissent, sont sur le point de perdre l'interlocuteur qui avait réussi à persuader son peuple que l'heure du partage de la patrie avait sonné et que c'était le seul moyen, désormais, pour que la terre de Palestine revienne à son identité profonde, celle de la paix des cœurs réconciliés.
Quant à moi, triste et confiant, je garderai la figure d'un homme tout à la fois "historique" et banalement humain qui nous affirmait, sans jamais se laisser démonter par nos preuves "historiques", que Spartacus était, comme chacun le sait, palestinien, que le Christ était notre compatriote et l'un des citoyens dont il avait la responsabilité ; un stratège qui, affirmant citer Marx, déclamait du Machiavel ; un chef qui n'acceptait jamais d'entamer un repas avant de servir lui-même ses hommes ; un résistant qui, après des nuits de débats interminables et passionnés, suspendait les séances du Conseil national, notre Parlement en exil, pour que nous écoutions, tous, unis et enchantés, Mahmoud Darwich déclamer ses beaux poèmes.
Que la paix soit sur toi, Yasser Arafat. Et que, demain, ta pierre tombale porte, gravés, ces mots simples : "Ici repose un homme aimé de son peuple."
- Elias Sanbar est écrivain et rédacteur en chef de la Revue d'études palestiniennes. Dernier ouvrage paru : Figures du Palestinien, identité des origines, identité de devenir, Gallimard "Essais", 300 p., 19,50 euros.
                   
10. Querelles palestiniennes au chevet d'Arafat par Christophe Boltanski
in Libération du samedi 6 novembre 2004

Les incertitudes liées à la succession du chef de l'OLP risquent de plonger la Cisjordanie et Gaza dans une guerre des clans.
Deux dirigeants au visage serein assis autour d'une table, séparés seulement par une chaise vide, qui président une réunion du cabinet palestinien à Ramallah. L'image, maintes fois diffusée ces derniers jours, se veut rassurante: la succession de Yasser Arafat paraît bouclée. Mais, à son chevet, les médecins ne semblent guère pressés de prononcer leur verdict. «Cette histoire ne va pas se régler rapidement», confie-t-on dans l'entourage du président palestinien. Un délai mis à profit pour sceller à la fois funérailles et héritage.
Depuis cet exil médical, l'intérim est assuré par le Premier ministre, Ahmed Qoreï, dit Abou Alaa, et son prédécesseur, Mahmoud Abbas (Abou Mazen), deux hommes qui ont été étroitement associés au processus de paix. Le premier a longtemps tenu les cordons de la bourse de l'OLP, avant de conduire les négociations secrètes d'Oslo. Le second fait partie des fondateurs du Fatah.
Mains. Ils se sont d'ores et déjà réparti les principales prérogatives du raïs. Arafat tenait fermement entre ses mains les trois leviers du pouvoir : l'OLP, le Fatah et l'Autorité palestinienne. Mahmoud Abbas a pris les commandes de la centrale et de sa principale composante. Qoreï dirige de fait l'Autorité. Sur le papier, ce rôle revient en cas de vacance du pouvoir au président du Conseil législatif, Rouhi Fatouh. Mais ce personnage terne semble peu à même d'assumer l'intérim. «C'est personne. Il n'est pas à la hauteur de la situation !» s'écrie Raji Sourani, défenseur des droits de l'homme à Gaza. D'autant que le provisoire risque de durer. Difficile, voire impossible d'imaginer la tenue d'une élection présidentielle dans les soixante jours prévus par les textes, alors que la Cisjordanie est toujours occupée par l'armée israélienne. «Même dans un an, ce n'est pas pensable. Les Israéliens ne veulent pas d'un processus qui renforcerait la légitimité politique des Palestiniens», dit Raji Sourani. Cette transition en douceur est saluée par l'UE : «Les institutions palestiniennes sont gérées d'une très bonne manière», s'est félicité son monsieur Politique étrangère, Javier Solana.
Pions. Mais derrière l'optimisme affiché, l'inquiétude est perceptible. «Si un scrutin n'est pas organisé rapidement, ce sera le chaos», prévient-on dans l'entourage d'Arafat. Les dirigeants palestiniens craignent notamment des interventions extérieures. «Si Egyptiens, Américains, Jordaniens... continuent chacun à pousser leurs pions, on va à la catastrophe», ajoute-t-on dans les mêmes milieux. Au Fatah comme dans les services de sécurité, les luttes internes se multiplient depuis des mois. Dans une Palestine orpheline et plus que jamais morcelée, des seigneurs de la guerre pourraient s'entredéchirer. «Il y a un risque extrêmement fort de prolifération de conflits locaux entre milices mafieuses», dit Jean-François Legrain, chercheur au CNRS.
L'un des principaux prétendants au trône, l'ex-chef de la Sécurité préventive, Mohammed Dahlan, pourrait resserrer un peu plus son étau sur Gaza (lire ci-dessous). Cet homme qui, selon Jean-François Legrain, «nourrit une forte ambition et n'est pas très patient» fait partie des nombreux caciques palestiniens accourus au chevet de leur Président à Paris.
Après une traversée du désert de près de dix ans, Farouk Kadoumi est lui aussi aujourd'hui à Clamart. Opposé à tout dialogue avec Israël, le chef du département politique de l'OLP vivait jusque-là dans l'oubli à Tunis. Selon le quotidien israélien Ma'ariv, Arafat l'aurait cependant désigné comme son successeur dans un testament. Une information démentie par Qoreï. Le scénario paraît peu probable. «Kadoumi appartient à une période révolue. Il est inconnu des nouvelles générations», souligne Legrain. Afin d'éviter le chaos, les Palestiniens tentent de resserrer leurs rangs. A Gaza, vendredi, 13 mouvements, dont le Hamas et le Jihad, se sont engagés à préserver leur unité. «Nous sommes soudés par un ennemi commun et une société civile parmi les plus développées du monde arabe. Une guerre civile est totalement exclue», assure Sourani.
                       
11. L'intrigant Dahlan verrouille Gaza par Christophe Ayad
in Libération du samedi 6 novembre 2004

L'ex-ministre de l'Intérieur s'occupe des jeunes, distribue de l'argent et soigne ses contacts.
Gaza envoyé spécial - L'un des derniers coups de téléphone que Yasser Arafat ait passés, alors qu'il était encore conscient, aurait été destiné à Rachid Abou Chbak. De son lit d'agonie, le raïs malade a ordonné au puissant chef de la Sécurité préventive de Gaza de faire la paix avec son cousin, Moussa Arafat, qui dirige les redoutés renseignements militaires et chapeaute tout un pan des services de sécurité. Qu'Arafat mourant ait eu la force de s'en soucier depuis son lit d'agonie montre à quel point la guerre larvée qui secoue Gaza depuis plusieurs mois l'inquiétait. Une guerre de succession derrière laquelle se profile l'ombre de Mohammed Dahlan, dont Rachid Abou Chbak n'est qu'un lieutenant. Dahlan, 42 ans, n'a aujourd'hui aucun titre mais il est partout. «Qui est Dahlan ? Que représente-t-il ?, s'interroge Raji Sourani, un militant indépendant des droits de l'homme. Il n'est plus ministre, il ne siège pas au comité central du Fatah. D'où vient tout l'argent qu'il distribue ?»
"Il se croit dans une république bananière"
Originaire de Khan Younès, au milieu de la bande de Gaza, Dahlan se fait remarquer lors de la première Intifada. Arrêté, il est expulsé et se retrouve à Tunis, dans le giron d'Arafat. En 1994, il rentre avec son chef à Gaza, où il prend la tête de la Sécurité préventive dont il fait une garde prétorienne, crainte par la population et particulièrement haïe des islamistes du Hamas, arrêtés en masse lors des rafles du printemps 1996 après une campagne d'attentats-suicides. Dahlan, vite surnommé le «shérif de Gaza», est donc autant un «enfant du pays» qu'un «Tunisien», un cadre rentré d'exil grâce aux accords d'Oslo. Aujourd'hui, alors que l'Autorité est violemment contestée dans la rue palestinienne, Dahlan insiste sur ses racines gazaouies.
Sa rupture avec Arafat est intervenue à l'été 2003. Dahlan est alors le puissant ministre de l'Intérieur du gouvernement de Mahmoud Abbas (Abou Mazen) ; il pousse ce dernier à prendre les rênes du leadership palestinien, convaincu qu'Arafat, ostracisé par Israël et les Etats-Unis, est devenu un obstacle insurmontable. Le vieux chef ne lui a jamais pardonné d'avoir voulu l'enterrer et de traiter directement avec les Israéliens. «Dahlan a fait une grosse bêtise : il a contesté celui qui l'a fait», analyse Sourani. En septembre 2003, le gouvernement Mazen est poussé à la démission par Arafat. Dahlan se replie sur son fief de Gaza. Il y tisse sa toile. Rien d'important ne se passe dans la bande de territoire sans qu'il y soit mêlé : «Il se croit dans une république bananière, raille Sourani. Ça ne marchera jamais ici.»
En attendant, le résultat est impressionnant. La Voix des jeunes (Sawt al-Chebab), la plus populaire des radios privées de Gaza, lui est acquise. Depuis qu'Arafat est à Paris, c'est Dahlan qui donne des nouvelles en direct à l'antenne depuis la France alors qu'il a été relégué dans un hôtel loin de l'hôpital de Percy. Dahlan a compris que rien ne pouvait être fait à Gaza sans les «chebab», les jeunes qui représentent près de 60 % de la population : il a donc pris le contrôle de la Chebiba, le mouvement de jeunesse du Fatah, provoquant une grave crise. Le chef de la Chebiba, Abdel Hakim Awad, se déplace désormais en Peugeot 406, la voiture «officielle» de la Sécurité préventive, et entouré de gardes du corps, depuis que son frère a manqué être tué dans une attaque. Dahlan a même réussi à débaucher des historiques du Fatah, le parti d'Arafat, comme Abou Ali Chahine, ex-ministre de l'Approvisionnement, Oum Jihad, ex-ministre des Affaires sociales et veuve d'Abou Jihad, l'ancien frère d'armes d'Arafat.
Au Fatah, resté fidèle à Arafat, le seul nom de Dahlan donne des boutons : «Ce bandit ose parler de corruption alors qu'il rackette les commerçants au point de passage de Karni !, explose Ahmed Helles, chef du Fatah pour Gaza. Il parle de réforme mais tout ce qu'il veut, c'est entrer dans les bonnes grâces des Israéliens et des Américains.» Pour donner un contenu à ses ambitions, Dahlan sponsorise une association, Bina (Construction), fondée par trois «intellectuels» de Khan Younès, sa ville d'origine. Depuis janvier, Bina occupe un étage entier dans un bel immeuble du centre de Gaza : 40 ordinateurs flambant neufs y servent à des cours d'initiation pour les jeunes. Dahlan paye le loyer. A Bina, qui recrute parmi les cadres et les diplômés, on discute de l'échec de l'Autorité palestinienne à construire un Etat, de son inefficacité, de sa corruption... La violence affleure : «La mort d'Arafat ? Elle servira la réforme», lâche sans ambages Raafat Saadallah, secrétaire général de Bina.
Echange de coups de feu en pleine ville
Dahlan a aussi fait de gros efforts pour élargir sa stature à l'étranger : il parle bien l'anglais, grâce à des séjours intensifs à Cambridge. Il a de bons contacts aux Etats-Unis, et c'est une ONG américaine, l'Union nationale des religions pour la paix, qui finance en partie Bina. Dahlan soigne aussi la France, auprès de laquelle il s'est vanté d'avoir libéré cinq Français brièvement pris en otages à Khan Younès en juillet. Les mauvaises langues à Gaza disent qu'il aurait payé un groupe armé, les Brigades Aboul Rich, réputées proches de lui, pour monter ce vrai-faux kidnapping.
L'ambiance est tellement délétère à Gaza que toutes les grosses légumes se déplacent avec escorte. Il y a encore dix jours, les deux camps ont échangé des coups de feu en pleine ville. Une rue seulement sépare la Saraya, QG de Moussa Arafat, de la maison de Dahlan. Pas étonnant qu'avant de monter dans son hélicoptère pour quitter Ramallah, Arafat ait dit à Dahlan : «Toi, tu prends l'avion et tu viens avec moi à Paris. Je ne te veux pas à Gaza.»
                   
12. Inquiétude et tristesse contenue par Valérie Féron
in L'Humanité du vendredi 5 novembre 2004

Des Palestiniens sous le choc à l’annonce de la dégradation de la santé du "Zaïm".
Ramallah, correspondance particulière - À la mairie de Ramallah comme dans l’ensemble de la ville un calme presque étrange régnait hier matin. Chacun était à son poste de travail et les conversations se concentraient essentiellement sur les dossiers en cours. Ce n’est qu’au détour des échanges que tout à coup on sentait percer la vive inquiétude qui ronge l’ensemble des Palestiniens : « Oui j’ai entendu ce matin qu’il était dans le coma juste avant de partir travailler », explique Nidal, une des employées. « Mais je ne sais rien de plus », ajoute t-elle, le ton angoissé. Fébrilement elle attrape son téléphone pour tenter de joindre son mari puis des amis dans l’espoir d’en apprendre plus. Sans succès.
À la mi-journée, les rues du centre-ville sont comme à l’habitude grouillantes de monde spécialement en cette période de ramadan, où chacun se dépêche de faire ses emplettes puis de reprendre le chemin de la maison avant la rupture du jeûne. Rien ne laisse deviner ce qui se passe dans les esprits : « Il n’y a toujours rien de nouveau aux infos, se désespère Naim, chauffeur de taxi. Il aurait dû rester avec nous. » Iyad, étudiant de vingt-cinq ans, avait arrêté de fumer depuis trois mois. Il vient de reprendre : « Je sais c’est stupide mais là je craque. J’ai toujours été très critique envers l’Autorité mais cela n’a rien à voir : Nous imaginer sans Abou Ammar, là c’est vraiment très dur », avoue t-il cherchant pudiquement à cacher les larmes qui lui brouillent le regard.
L’heure n’est pas en effet aux démonstrations intempestives dans les territoires palestiniens mais plus à la douleur, la tristesse contenue en attendant la suite des événements : « Cette attente a quelque chose de très cruelle, on se pose dix mille questions et on reste la tête vide à tenter de continuer à se concentrer sur son travail mais le coeur n’y est pas », résume Abou Ibrahim, qui tient un stand de fruits et légumes sur l’un des marchés où les clients se pressent. Chacun se déclare prêt à l’inévitable à tout moment, tout en reconnaissant que le choc sera moralement et politiquement « dur à encaisser ».
                  
13. Nouvelle diatribe du Sun contre Chirac, vilipendé pour son soutien à Arafat
Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 5 novembre 2004, 11h36

Le Sun, quotidien le plus vendu au Royaume-Uni avec quelque 3,5 millions d'exemplaires par jour, a une nouvelle fois vendredi attaqué violemment le président français Jacques Chirac, vilipendé pour s'être rendu au chevet du "chef terroriste" Yasser Arafat.
Dans un éditorial au vitriol intitulé "le ver (NDLR: surnom donné au président français par le même journal pendant la guerre en Irak) est de retour", le tabloïde du magnat australo-américain Rupert Murdoch affirme que "peu (de gens) en Occident pleureront Yasser Arafat qui est en train de mourir".
"Mais le président français Jacques Chirac sera l'un d'entre eux", ajoute l'éditorialiste de ce journal notoirement xénophobe et francophobe.
Jacques Chirac "a montré qu'il n'avait pas de honte en se rendant au chevet du chef terroriste Yasser Arafat", poursuit-il. "Pourtant, il ne peut se résoudre à rencontrer (le Premier ministre irakien) Iyad Allaoui, le visage de la démocratie en Irak".
"Le mépris arrogant de Jacques Chirac vise (le président américain) George W. Bush et (le Premier ministre britannique) Tony Blair", estime encore le tabloïde.
"La seule préoccupation du ver est de ramper vers ses amis arabes et de protéger les intérêts français dans le pétrole. Avec de prétendus amis comme lui dans l'Union européenne, qui a besoin d'ennemis?", conclut l'éditorialiste.
Jacques Chirac doit se rendre en visite officielle au Royaume-Uni les 18 et 19 novembre dans le cadre du 100è anniversaire de l'Entente Cordiale.
                   
14. Notre ombre par Meron Benvenisti
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 5 novembre 2004
[traduit de l’hébreu par Michel Ghys]
Les préoccupations au sujet des répercussions de la disparition d’Arafat démontrent quel est le véritable statut du prisonnier non-pertinent de la Mouqata'a
Les perspectives exprimées par des experts et des commentateurs, chacun à leur manière, à propos de la disparition de Yasser Arafat n’étaient pas des perspectives réjouissantes, mais bien plutôt des craintes devant ce que l’avenir réserve, sans lui. Même ceux qui n’ont pas hésité à discuter publiquement des projets d’ « assassinat ciblé » contre lui, sont sortis de leur enclos pour proposer toute assistance, médicale et logistique. Il y avait là une tentative d’écarter tout sujet d’accusation contre Israël de faire obstacle aux efforts menés pour sauver Arafat, mais peut-être aussi le signe d’une espèce de respect camouflé pour l’ennemi affaibli.
Par elles-mêmes, ces préoccupations obsédantes autour des répercussions de sa disparition et du pitoyable « héritage » qu’il laisse – celui du pouvoir sur un peuple persécuté et appauvri – démontrent quel est le véritable statut du prisonnier de la Mouqata’a. Celui-là même qui veillait soigneusement à convaincre le monde entier de la non-pertinence d’Arafat et à humilier le dirigeant du peuple palestinien, reconnaît le statut historique de l’homme qui incarne depuis un demi-siècle les attentes de tout un peuple.
Au bout du compte, Arafat est l’ombre qui nous accompagne et les stations de sa vie – depuis la révolte arabe jusqu’à l’Intifada Al-Aqsa – sont les stations, inversées, de notre vie. Sans lui – et sans la génération qu’il a dirigée – notre histoire, nos victimes ni nos victoires n’ont de sens. Celui qui méprise son ennemi diminue sa propre victoire et coupe les racines à sa propre histoire. Nous marchons, et avec nous va notre ombre : le peuple palestinien ; nous frappons l’ombre avec un grand bâton, mais elle ne nous lâche pas.
Que ferons-nous lorsque le soleil brillera et que nous découvrirons que l’ombre, incarnée dans l’image de la « bête à deux jambes », a disparu, qu’elle n’est plus là ? A qui ferons-nous jouer le rôle de l’infâme démon ? Personne n’est en mesure d’entrer dans les chaussures de l’homme qui a rempli ce rôle d’une façon aussi accomplie.
Ehoud Barak l’a compris mieux que personne, lui qui a filé le mythe d’Arafat « le refuznik de Camp David » : l’homme à qui on a offert la lune mais qui a refusé et a déclenché une guerre terroriste pour obtenir par le sang ce qui n’a pas été atteint par la négociation. Qui ne croit en ce mythe ? Et ce n’est pas étonnant car, sinon, comment serions-nous capables de faire face à la réalité de la violence, à l’oppression cruelle et à notre conscience tourmentée ? Nous avons besoin d’un bouc émissaire pour lui attribuer la culpabilité de tout et purifier notre conscience. Maintenant qu’il est fatigué du rôle de démon et qu’il a découvert qu’il était mortel, nous lui cherchons un héritier qui remplisse sa place : pas un partenaire, mais le bouc qui emporte nos péchés, nos frustrations et notre haine.
Et ce n’est pas la première fois qu’Arafat sert à blanchir la conscience. La détresse du peuple palestinien et sa propre détresse l’ont contraint, à la veille d’Oslo, à renoncer à l’arme la plus tranchante qu’il détenait et à accorder une légitimité à l’essence sioniste. Sans doute les Palestiniens sont-ils un peuple occupé et vaincu, mais eux seuls, victimes de l’entreprise sioniste, étaient en mesure d’accorder cette légitimité. Arafat – avec le soutien de nombreux activistes de la première Intifada et contre la position d’autres – a décidé de reconnaître Israël, en échange de la reconnaissance de l’OLP.
Cette reconnaissance a suscité un soupir de soulagement dans les cercles de la Gauche car, grâce à elle, ils étaient délivrés de sentiments de culpabilité liés au fait que la réalisation de l’entreprise sioniste était liée à l’anéantissement du peuple palestinien. Si Arafat reconnaissait Israël, ils étaient libérés des dilemmes moraux que faisaient peser sur eux le conflit et leurs victoires dans ce conflit. Il n’a pas fallu longtemps pour que la démarche historique d’Arafat (en collaboration avec Yitzhak Rabin) soit oubliée. De nouvelles détresses morales ont imposé de recommencer à définir Arafat comme terroriste et l’OLP comme organisation terroriste ; l’aspiration à la reconnaissance a fait place à « il n’y a pas d’interlocuteur » et on a fait du partenaire un prisonnier humilié. Seuls quelques uns, peu nombreux, ont compris que l’octroi de légitimité à l’essence sioniste n’était pas irréversible. Dès lors, le fait d’être revenu de « la reconnaissance mutuelle » a certes atteint Arafat et les Palestiniens mais aussi Israël qui ne s’est jamais trouvé face à des contestations de la légitimité de ses actes comme il l’est aujourd’hui.
Arafat était destiné à être emblématique dans sa vie et dans sa mort. Ariel Sharon le craint apparemment lorsqu’il déclare que, lui vivant, Arafat ne sera pas enterré à Jérusalem. Dans son empressement à humilier Arafat malade, Sharon a donné un signe éclatant de la communauté de sort existant entre Arafat et beaucoup de Palestiniens : sans patrie, sans cimetière où rejoindre leurs pères. Combien civilisé cela aurait pu être si nous avions manifesté de la compréhension et de l’empathie pour notre ombre – le dirigeant vaincu – pour sa souffrance, ses succès et ses échecs.
                           
15. Après Arafat, le chaos ? Il n'est pas interdit de penser qu'il sera, dans quelques mois, regretté par... Israël ! par Taïeb Moalla
in La Presse (quotidien publié à Montréal) du vendredi 5 novembre 2004
  
(Taïeb Moalla est journaliste. Il a été correspondant en Tunisie du journal belge Le Soir.)
La mort de Yasser Arafat a été annoncée à de nombreuses reprises dans le passé. Ainsi, personne ne donnait cher de sa peau lors de l’héroïque bataille de Karameh (1968, en Jordanie), durant le siège de Beyrouth (1982) et encore moins quand son avion s’écrasa dans le désert libyen, en 1992. C’est sans compter les multiples tentatives d’assassinat dont il a été la cible. Renaissant de ses cendres, le leader palestinien a toujours fini systématiquement par reprendre le flambeau de la lutte pour l’édification d’un État indépendant viable.
Certes, nous n’en sommes pas encore à rédiger sa nécrologie, mais nous pouvons nous interroger sur ce que l’Histoire gardera de ses 55 années de vie politique. Pour la droite israélienne, le constat est simple : Arafat est un chef terroriste qui ne cherche, à terme, que la destruction d’Israël. S’il ne peut y arriver par les armes, il utilisera l’extraordinaire force démographique palestinienne (5,9 enfants par femme) ! Pour les travaillistes israéliens, Arafat restera celui qui a refusé les " offres généreuses " faites par l’ancien premier ministre Ehoud Barak lors du sommet de Camp David en juillet 2000.
Ce ne sera évidemment pas le jugement des masses palestiniennes et arabes. Ces dernières retiendront l’image d’un chef charismatique, d’un combattant de la liberté qui a milité, par les armes puis par la diplomatie, contre l’occupation illégale de la Palestine. Malgré ses méthodes autoritaires, il restera " Monsieur Palestine " comme l’a surnommé la presse internationale dans les années 70. C’est d’ailleurs lui qui a imposé le terme " Palestine " dans la diplomatie. Ainsi, Arafat incarne et personnifie (parfois à outrance) les aspirations d’un peuple dans son ensemble.
Les populations arabes retiendront également qu’Arafat est le seul leader arabe à avoir été élu, en 1996, de façon démocratique. Dans une région du monde constituée presque uniquement par des régimes autoritaires, la comparaison est rapidement faite entre, d’un côté, un leader qui résiste malgré son siège, la privation de lumière et d’oxygène et son emprisonnement dans son quartier général depuis trois ans et, de l’autre côté, des présidents " élus " à 99 % des suffrages, qui pillent leur pays, censurent leur presse et cherchent surtout à maintenir les privilèges d’une caste affairiste gravitant autour d’eux.
Dans l’imaginaire collectif palestinien et arabe, ce n’est pas la maladie de Yasser Arafat qui l’aura tué. Il s’agit plutôt d’un assassinat israélien délibéré. Humilié quotidiennement et menacé physiquement par les tireurs d’élite israéliens postés dans les immeubles jouxtant son QG, le " Vieux " partage le quotidien et la destinée de son peuple. En avril 2002, au moment du siège de Ramallah et des crimes de guerre commis à Jénine, le pacifiste et ancien député israélien, Uri Avnery, expliquait que " ’les Palestiniens’ ont vu leur dirigeant dans une séquence historique à la TV, son visage éclairé par une simple bougie dans son bureau sombre et encerclé, prêt à mourir à tout moment, et ils le comparent avec les ministres israéliens hédonistes, assis dans leurs bureaux, loin des combats, entourés par des hordes de gardes du corps. Ainsi naît l’orgueil national. " Cette analyse est partagée par l’auteur israélien, Michel Warschawski. Pour lui, " Arafat restera dans l’histoire le symbole du renouveau national palestinien et de la lutte pour la reconnaissance du peuple palestinien, de ses droits et de sa place dans le concert des nations souveraines et libres. Tout le reste n’est que détail... "
Un peuple digne et fier
De son côté, Leila Shahid, la déléguée générale de Palestine en France, tout en prenant soin de préciser qu’il " ne faut pas enterrer Arafat trop rapidement " estime que " Monsieur Palestine a réussi à transformer un peuple d’exilés en un peuple combattant, digne et fier. Il a initié une organisation de la libération nationale et est reconnu, de par le monde comme un symbole de lutte pour la liberté "
Outre le maintien de l’identité nationale palestinienne, l’Histoire retiendra probablement qu’Arafat est le leader qui a réussi à éloigner le conflit israélo-palestinien de sa dimension religieuse. D’emblée, il a placé le combat de son peuple dans la sphère de la lutte pour la libération nationale et contre l’occupation.
Bien qu’Israël ait détruit toutes les infrastructures de l’Autorité palestinienne, le charisme d’Arafat permettait de garder un semblant d’ordre. Aujourd’hui, la seule alternative plausible à son long règne est le chaos le plus total. Arafat était capable d’imposer à son peuple des concessions extrêmement douloureuses. Il n’est donc pas interdit de penser qu’il sera, dans quelques mois, regretté par... Israël !
                       
16. De la critique à l'antisémitisme par Pascal Boniface
in Libération du mercredi 3 novembre 2004

(Pascal Boniface est directeur de l'Iris (Institut de relations internationales et stratégiques), il a publié plusieurs ouvrages dont "Est-il permis de critiquer Israël ?" aux éditions Robert Laffont en 2003.)
L'assimilation des termes antisioniste et antisémite est aussi reprise dans le rapport Ruffin.
De nombreux responsables communautaires juifs et des intellectuels ­ juifs et non juifs ­ ont largement répandu l'idée que la critique du gouvernement israélien n'était qu'un alibi pour exprimer au nom des victimes palestiniennes un antisémitisme que l'on ne veut pas afficher franchement. Cette thèse a été reprise par Jean-Christophe Rufin dans un rapport au ministre de l'Intérieur sur la lutte contre le racisme et l'antisémitisme. Il estime qu'il existe «un antisionisme moderne né au confluent des luttes anticoloniales, antimondialisation, antiracistes, tiers-mondistes et gauchistes». Selon lui cet «antisionisme est un antisémitisme par procuration».
Il faut d'abord définir les termes. Qu'est-ce que l'antisémitisme ? Qu'est-ce que l'antisionisme ? L'antisémitisme est l'hostilité ­ et même parfois la haine ­ à l'égard des juifs, pris indifféremment pour la seule raison qu'ils sont juifs. Dans l'histoire, l'antisémitisme a conduit à des persécutions, des pogroms et à la Shoah. L'antisionisme est différent, c'est le refus de l'existence de l'Etat d'Israël. Les deux concepts peuvent être liés, mais ils ne le sont pas automatiquement. Il y a évidemment des gens qui, étant antisémites, refusent au peuple juif le droit à disposer d'un Etat. Mais, en même temps, il y a au sein de la communauté juive de nombreux juifs antisionistes. Ils peuvent l'être pour des raisons religieuses. Au nom de la Torah, des religieux nient à l'Etat d'Israël le droit de représenter tous les juifs. Ils estiment même que la politique d'Israël met les juifs de la diaspora en danger. D'autres sont antisionistes pour des raisons politiques. Ils estiment que les juifs doivent être intégrés individuellement dans les Etats où ils vivent et ne se reconnaissent pas dans un Etat qui serait fondé sur des critères de race ou de religion.
D'autres, enfin, sont sionistes mais c'est justement leur attachement à Israël qui les conduit à critiquer Sharon, coupable à leurs yeux de porter atteinte aux intérêts à long terme d'Israël.
Il peut y avoir des sionistes antisémites. Une partie de l'extrême droite française l'est. Elle préfère voir les juifs en Israël plutôt qu'en France. Elle approuve la politique de répression contre des Palestiniens du fait d'un racisme antiarabe. Les chrétiens sionistes américains soutiennent la politique de Sharon. Pour eux, le retour des juifs en Terre sainte servirait de prélude à leur adhésion au Christ et, pour ceux qui ne le font pas, à leur destruction physique. Ils sont donc antisémites et sionistes. On le voit, il y a donc de multiples combinaisons des termes «sionisme», «antisionisme» et «antisémitisme».
L'assimilation des termes «antisioniste» et «antisémite», si elle est possible, n'est en rien automatique. Dans le cas présent, elle vise avant tout ceux qui combattent l'antisémitisme, qui reconnaissent le droit pour Israël d'exister dans des frontières sûres et reconnues, qui condamnent les attentats-suicides mais qui critiquent la conduite de son gouvernement. Ils ne reprochent pas à Israël d'exister, ils critiquent ce que fait Israël. Or le fait de critiquer le comportement d'un gouvernement ne revient pas à nier le droit à un Etat d'exister.
Il est indéniable que le peuple juif est celui qui a le plus souffert du racisme, et le génocide juif a un caractère unique. Cela ne permet pas pour autant d'accuser d'antisémitisme ceux qui critiquent le gouvernement de l'Etat d'Israël. Bien sûr, vos accusateurs affirmeront qu'il est possible de critiquer Sharon sans être taxé d'antisémitisme. Ils disent d'ailleurs qu'eux-mêmes peuvent exprimer des réserves sur la politique israélienne. Mais, outre le fait qu'on a du mal à identifier de telles critiques venant de leur part, ils interdisent aux autres dans la pratique ce qu'ils disent tolérer en théorie. Car la critique du gouvernement israélien est comparable à ce qu'était la liberté syndicale ou religieuse dans les pays communistes. C'est théoriquement possible. Mais, si vous passez à la pratique, vous allez au-devant de graves problèmes.
Si l'on critique George W. Bush pour son comportement en Irak, ou pour son refus de respecter le droit international d'interdiction de recours à la guerre, on ne sera pas accusé automatiquement de faire de l'antiaméricanisme (bien que cela soit de plus en plus fréquent), ni de faire du racisme antiaméricain. De même, si l'on critique le gouvernement Poutine en Tchétchénie, on ne se verra pas reprocher de faire du racisme antirusse, on constatera un désaccord politique avec les exactions des Russes dans cette région. On pourra critiquer le gouvernement chinois sans être traité de racisme antichinois, avoir des jugements très durs à l'égard d'Arafat sans encourir le procès d'un racisme antiarabe. Ceux qui par exemple désapprouvent la politique française au Proche-Orient ne sont pas accusés de faire du racisme antifrançais.
On voit bien le danger d'un tel raisonnement sous couvert de lutter contre l'antisémitisme, on criminalise la critique politique d'un gouvernement. Il y a bel et bien une tentative d'empêcher le libre exercice du débat démocratique sous couvert de lutte contre l'antisémitisme. Cette tactique peut avoir des avantages. Elle est, dans l'optique du gouvernement israélien, dans un premier temps efficace.
Qui pourrait assumer l'accusation infamante d'antisémitisme ? L'accusation d'antisémitisme même injustifiée fait de vous un paria dans de nombreux cercles. Peu de gens iront vérifier si les accusations ont un réel fondement ou si elles sont simplement un moyen d'exclure de la vie de la cité une personne dont le seul tort est d'avoir critiqué le gouvernement israélien. En ce cas, c'est au défenseur d'apporter la preuve de son innocence et non à l'accusation de prouver la culpabilité. Il suffit de l'affirmer.
Mais, à terme, cette politique est catastrophique, elle revient à banaliser l'antisémitisme. Elle crée une assimilation entre juifs français et Israéliens qu'elle condamne par ailleurs et qui ne correspond pas à la réalité.
Si l'on veut combattre efficacement l'antisémitisme, il ne faut pas pénaliser la critique de l'Etat d'Israël. Il ne faut pas établir un lien automatique entre Juifs français et Israéliens. Il faut distinguer la lutte contre l'antisémitisme de la défense d'Israël.
                            
17. Entre nostalgie du rêve et violence du réel : La vision corrosive des artistes israéliens par Itzhak Goldberg
in Le Monde diplomatique du mois de novembre 2004

(Itzhak Goldberg est historien d’art. Maître de conférence à l’université Paris X – Nanterre.)
La déconstruction des mythes fondateurs du sionisme n’est pas le fait exclusif des artistes – les nouveaux historiens y ont largement contribué. Mais ils y participent de manière corrosive, refusant de rentrer dans le rang et de rejoindre le consensus national qui s’est forgé autour de M. Ariel Sharon. Par leur production, ils témoignent avec courage de ce que l’on appelle en Israël « la situation », c’est-à-dire notamment de la lutte des Palestiniens.
Si l’expression artistique israélienne garde une spécificité propre, c’est que souvent on y décèle des signes de tension, de nervosité, qui rappellent la situation politique dans ce pays. Bien que la société soit divisée sur le conflit palestinien, son art semble ignorer cette ligne de partage. Tout laisse à penser que la quasi-totalité des artistes ont fait leur choix, pratiquement depuis la guerre du Liban (1982), qui a déclenché un traumatisme durable dans l’opinion publique. De nombreuses expositions, avec parfois la participation d’artistes palestiniens, sont des actes symboliques qui tentent de renouer un dialogue à l’aide du langage artistique, mais surtout de gestes qui traduisent plastiquement l'actualité bouleversante d’une société où la violence est quotidienne.
Même si tous les créateurs ne reprendront pas à leur compte la déclaration du peintre Moshé Gershuni en 1977 (« Le seul problème de l’art israélien est le problème palestinien »), il est clair qu’un artiste israélien ne peut que rarement faire abstraction de ce contexte. Parfois, on a l’impression qu’aucune tache de couleur posée sur une toile, aucun trait de crayon ne sont jamais anodins, jamais éloignés du débat qui secoue cette société. Un exemple parmi d’autres, l’exposition qui, en 2003, au Musée national d’Israël, à Jérusalem, a réuni David Reeb et Michael Kratzman, tous deux Israéliens [1]. Michael Kratzman photographie depuis des années des scènes qui décrivent les conditions de la vie quotidienne des Palestiniens. David Reeb réalise des toiles de taille imposante et de facture réaliste, comme des constats grandeur nature d’une réalité tragique. Les visiteurs défilent à travers les salles immenses en silence, sans commentaires.
Mais, pourrait-on dire, en quoi cette situation diffère de celles qui caractérisent d’autres sociétés, engagées dans une guerre larvée ou ouverte ? La réponse est double. D’une part, ils suffit de rappeler le silence artistique qui a entouré en France l’une des dernières grandes guerres coloniales, celle d’Algérie, pour constater que la réaction « à chaud » n’est pas toujours la règle. D’autre part, la problématique des artistes israéliens ne s’arrête pas uniquement au conflit armé ; elle pose aussi, inévitablement, la question des rapports entre le destin du peuple juif et Israël – Palestine.
Certes, il ne s’agit pas de suggérer que, chaque fois qu’un peintre ou un sculpteur israélien s’engage dans la création, c’est toujours avec une volonté d’interroger les « racines » ou la notion controversée de l’appartenance à cette terre. Il n’en reste pas moins que la position critique, parfois militante, de l’art israélien dépasse le « simple » dialogue avec la réalité et, plus profondément, s’interroge sur les composants constitutifs de la nation, sur l’imbrication de la question palestinienne et de la question juive.
Face aux expositions explicitement politiques, d’autres manifestations qui jouissent d’un succès immense se développent depuis des années. Elles ont toutes un point commun, celui d’être chargées d’une forte sensation de nostalgie, comme celle, au Musée d’art moderne de Tel-Aviv (2003), où des centaines de clichés permettaient au public local de porter un regard assoiffé sur la période révolue des pionniers [2]. Tout au long du parcours, les visiteurs s’arrêtaient et échangeaient des confidences. Certains, les plus âgés, indiquaient aux jeunes qui les accompagnaient, sur une photo parfois jaunie, un lieu qu’ils avaient connu autrefois. Tel sentier étroit traversant les collines de sable, devenu une artère principale à Tel-Aviv. Tel bâtiment blanc de style ottoman, rasé de nos jours, fut pendant des décennies un cinéma. Telle plage déserte sur laquelle on a construit depuis les Hilton et les Sheraton…
Là encore, en apparence, rien de nouveau. Même si la nostalgie « n’est plus ce qu’elle était », l’attirance vers un passé plus serein, pré-industriel, écologique, est un phénomène occidental, sinon mondial. La spécificité de la nostalgie à l’israélienne est que le retour y soit à double tranchant. Soit il fonctionne comme l’évocation d’une période sanctifiée dans la mémoire de ce pays, l’époque des pionniers, modèle historique d’héroïsme et de pureté. Soit, démystifié, déconstruit, il est utilisé à contre-emploi, avec une volonté de revisiter son aspect idéologique dans un processus qu’on peut nommer « le retour sur le retour ». En d’autres termes, la nostalgie devient soit une thérapie de groupe qui permet d’échapper temporairement à une réalité difficilement supportable, soit une thérapie de choc qui oblige à porter un regard dur mais parfois salutaire sur le passé et en même temps sur le futur.
Déconstruction des mythes
Rares sont les pays où l’impact de l’histoire est à tel point inséparable de leur évolution artistique. C’est une évidence de constater que la création plastique en Israël a eu, comme point de mire, paradoxalement, l’idée de retour. Cette situation est inscrite dans le rêve de retour à Sion, la promesse qui a traversé les deux mille ans de la Diaspora, où se télescopaient le territoire de la réalité, espace fonctionnel dans lequel les juifs vivaient, et le territoire de l’imaginaire, espace « promis » où se portent tous les désirs et toutes les aspirations, celui de « l’an prochain à Jérusalem »…
Inséparable de ce retour rêvé du peuple juif vers une terre promise, l’art du début du siècle oublie parfois les réalités sur le terrain, la présence des Palestiniens et leur sentiment d’exclusion et d’envahissement. D’origine européenne, ces nouveaux arrivants d’alors figurent sur leurs toiles des paysages bucoliques, un paradis fabriqué, un stéréotype qui présente de nombreux points communs avec la peinture orientaliste. Une différence de taille, toutefois : les créateurs orientalistes se plaçaient toujours dans la position d’un spectateur, d’un touriste muni d’un billet aller-retour, de préférence en première classe. Pour l’art israélien, muni d’un ‘pass one way ‘, il s’agit davantage de retrouvailles que de retour [3].
Ainsi, les travaux d’un Reuven Rubin ou d’un Nahum Gutman, qui montrent les pionniers fraternisant avec les fellahs dans un univers mythique, non conflictuel, et où l’espoir règne en maître, peuvent être interprétés de deux manières. On peut y voir des étapes d’un art qui « s’invente » en même temps que la pensée sioniste et qui s’inscrit dans un long processus de l’inexorable conquête symbolique de la patrie de l’Autre. Mais on peut également le considérer comme l’expression du sionisme socialiste, teinté du romantisme populiste russe, messianique ou utopiste. Naïfs, sans doute, ces artistes croient véritablement en une société non conflictuelle, où la coexistence de deux peuples est non seulement imaginable mais souhaitable.
Certes, il est inévitable qu’une lecture pareille, dans le climat actuel, ne puisse attirer que des sarcasmes. Manifestement, à partir des années 1970, les créateurs israéliens font de ces images fondatrices, de ces icônes intouchables, une relecture sans aucune concession. Ainsi, chez Abraham Offek, La Route vers Jérusalem (1989) est anguleuse et tortueuse, l’horizon lourd de nuages menaçants, fort éloignée des visions lumineuses et optimistes des environs de Jérusalem. Chez Yosl Bergner, Les Idéalistes (1978), des pionniers aux allures de clochards déclarent clairement la faillite du sionisme dans sa version actuelle. Ailleurs, L’Enterrement des pionniers, de la même année, est une image terrible d’une Cène sans espoir de salut. Plus radical et plus explicite encore est Yigal Toumarkin, qui, en 1979, présente un « portrait de troupe » des dirigeants juifs des années 1920, vêtus d’un keffieh, posant sous un panneau qui dit « Le sionisme, un rêve ; la réalité, une tragédie ». Ici, la contradiction terrible et inexcusable entre la loi du retour et le droit au retour [4] fait son apparition.
Il est clair que la déconstruction des mythes n’est pas le privilège du monde de l’art. Elle fait partie de ce que l’on nomme le post-sionisme, une pensée dont les représentants les plus connus font partie de la nouvelle génération des historiens. Leurs études critiques, essentielles pour une vision plus équilibrée du conflit israélo-arabe, ont ouvert une brèche qui, depuis, s’est transformée en une déchirure pour la société en Israël.
Ce changement des mentalités amène les artistes contemporains à porter une vision de plus en plus corrosive sur ce que l’on appelle pudiquement en Israël la « situation ». Ainsi, Arnon Ben-David entoure d’un cadre une copie en plastique de la fameuse mitraillette israléienne Uzi. Le titre de l’œuvre ? Art juif (1988). Tsibi Geva, lui, recouvre la carte israélienne avec un keffieh, signe incontestable de l’identité palestinienne : Keffieh (2000). Pinchas Cohen-Gan propose une vision dérisoire à partir des uniformes de l’armée : L’art est comme le service dans l’armée (1995). Enfin, pour clore définitivement le chapitre de la nostalgie, le conservateur Gideon Efrat, à l’occasion d’une exposition récente dans son centre d’art, réunit de nombreux paysages israéliens considérés désormais comme « classiques » et les enferme dans une pièce qu’il baptise « débarras » [5].
Les quelques œuvres de cette liste, qui mériterait d’être plus riche, sont explicites et d’une efficacité redoutable. Le regard qu’elles posent sur la réalité, où toute évocation du passé est soit exclue, soit rendue grotesque, est sans aucune illusion. C’est leur force, mais peut-être aussi leur limite. Certes, on ne peut pas douter de la sincérité de leurs créateurs, de leur volonté de montrer un profond écoeurement face à la tuerie interminable à laquelle ils assistent. Cependant, on a parfois le sentiment que ces œuvres participent à l’état d’esprit qui caractérise la société israélienne depuis l’occasion ratée des accords d’Oslo : la seule lucidité admise n’est que le synonyme du scepticisme et du fatalisme général.
Il est possible que le retour sur le retour proposé par la génération des années 1970 ne soit plus à l’ordre du jour. Il est probable que les « avancées » de la guerre fratricide ne laissent aucune place à la projection du passé dans le futur. Mais, si les œuvres des « pionniers » de la critique politique semblent parfois plus bouleversantes, comme peut l’être une blessure douloureuse, c’est peut-être que, à la différence de celles de la seconde génération, elles contiennent une part de nostalgie, fût-elle une nostalgie de la déception. Confusément, on y voit encore les traces de ce que l’on appelle aujourd’hui des mythes qui, dans d’autres circonstances, étaient malgré tout des idéaux.
- NOTES :
[1] : Contrôle : David Reeb et Michael Kratzman, Musée national d’Israël, à Jérusalem, octobre-décembre 2003.
[2] : Photographies, 1905 – 1948, Musée d’art moderne de Tel-Aviv, juillet-novembre 2003.
[3] : L’étude présente n’aborde pas l’art palestinien. Toutefois, on peut suggérer que, dans cette asymétrie forcée par l’histoire, à la notion fondatrice israélienne du retour sur le retour, répond chez les Palestiniens le retour sur le départ, celui de 1948. Lire le livre d’Elias Sanbar, Palestiniens, images d’une terre et son peuple de 1839 à nos jours, Hazan, Paris, 2004.
[4] : Loi du retour : loi adoptée par l’Etat d’Israël en 1950 et qui donne la possibilité à tout juif dans le monde de « retourner » en Israël et d’y obtenir la nationalité. Droit au retour : droit réclamé par les Palestiniens expulsés en 1948 de rentrer dans leur foyer (droit reconnu par une résolution des Nations unies de décembre 1948).
[5] : Le Retour à Sion, au-delà du principe de lieu, Tel-Aviv, 2003. Les ouvrages qui ont été utiles pour cette étude sont trop nombreux pour être tous cités. On mentionnera les catalogues de deux expositions principales : Israeli Art Around 90, Düsseldorf, 1991 ; To the East, Orientalism in the Arts in Israel, Jérusalem, 1998.
                       
18. "Stratégie dormante" et politique platonicienne par Jean-Luc Perillié
in Etudes du mois de novembre 2004
Après le choc des attentats répétés de New York, de Madrid, et la flambée du terrorisme en Irak, il peut être utile de s’extraire de la pression médiatique des faits pour tenter de comprendre, en philosophe, ce que ces événements ont d’inédit. Certes, cela ne désamorcera pas les bombes. L’arme de al critique, dit-on, ne remplacera jamais la critique des armes ; mais les armes matérielles ont aussi leurs faiblesses, et bien comprendre les tenants et aboutissants de la nouvelle stratégie de la terreur est nécessaire pour mieux s’en prémunir. A cet égard, la tradition de philosophie politique de la « vieille » Europe pourrait, paradoxalement, fournir de précieux éléments de réflexion.
Inversement, d’une manière inattendue, l’apparition de la nouvelle forme de terrorisme des réseaux d’Al-Qaïda permet de mettre en lumière un aspect essentiel et jusqu’ici peu commenté de la politique platonicienne. A l’évidence, il ne saurait être question de cautionner l’injustifiable, et de ramener le platonisme à un quelconque terrorisme ; mais il reste tout au moins possible de signaler l’existence d’un élément commun entre les deux mouvements politiques, par delà les différences culturelles et temporelles considérables : se remarque la présence d’une stratégie globalement similaire, que l’on pourrait nommer ‘stratégie dormante’. Il nous semble, en effet, que Platon a été le premier politique à user du concept de « stratégie dormante » - concept subtil et redoutable que l’islamisme, de nos jours, a élaboré pour le mettre au service du terrorisme. Nous sommes conscients du fait que nous tentons ici une mise en relation assez risquée, apparemment très improbable, peut-être même totalement absurde pour certains. Dans cette courte étude, précisons qu’il s’agit moins de démontrer une thèse, que d’attirer l’attention sur un concept peu banal, susceptible de nourrir les méditations relatives à notre époque et à notre connaissance de la pensée antique, la seconde pouvant venir éclairer notre compréhension de la première.
Les cellules dormantes et le sens de l’opportunité
Les attentats de Madrid, le 11 mars 2004, avaient pour but direct de défaire un gouvernement, tout en commémorant la sinistre date du 11 septembre. L’événement madrilène révèle encore que l’organisation terroriste a utilisé le moyen des ‘cellules dormantes’, accordant au sommeil une finalité stratégique. Ce qui signifie que l’organisation a su ‘attendre’ et saisir ‘le moment opportun’ pour intervenir. Par ce sens de l’efficacité destructrice, doublée d’un impact symbolique, le militant islamiste d’Al-Qaïda développe une ‘stratégie politique’ adaptée à l’univers hypermédiatique contemporain, tout ne réactivant des symboles archaïques, tel celui de la Croisade : piège dans lequel le président Bush est tombé de la manière la plus maladroite, faisant le jeu de la rhétorique mystico-guerrière des islamistes [1]. E, provoquant l’impression qu’une « organisation » dispose du pouvoir d’agir quand elle veut, où elle veut et comme elle veut, la manipulation symbolique et médiatique devient ainsi l’arme de propagande de cette nouvelle figure du militantisme : elle est à Al-Qaïda ce que la dialectique était jadis au militant marxiste. Le terrorisme éminemment sanglant des images-chocs dotées de signification succède à l’ancien terrorisme intellectuel de la dialectique imparable.
Dans cette nouvelle figure du combattant de l’ombre, on trouvera aisément une synthèse entre le ‘résistant’, qui se contente de saboter (qualifié de terroriste par les forces occupantes), l’’espion’, infiltré en territoire ennemi, et le ‘militant’ au service d’une idéologie politique. Mais ne nous laissons pas abuser par ces modèles, car la situation est inédite.
Il est vrai que la stratégie dormante a déjà pu être utilisée par les réseaux d’espionnage, mais ce qui est différent, avec Al-Qaïda, c’est l’objectif directement politique et militant des pratiques de dissimulation ; car le terrorisme est essentiellement politique, même s’il se pare des attributs de la religion. Il ne s’agit pas exactement de dissimuler une organisation pour saboter des installations stratégiques ennemies, ou pour obtenir des informations secrètes, mais de dissimuler pour détruire, purement et simplement. L’action délibérée d’une cellule dormante de l’espionnage classique est moyen au service d’une fin militaire ; l’action délibérée d’une cellule dormante d’Al-Qaïda est en soi une fin politique, et n’a d’autre justification que cette fin même. L’impératif hypothétique des services d’espionnage (comme système rationnel des moyens en vue d’une fin externe) se transmue en impératif catégorique du nihilisme (comme fin en soi de la destruction-spectacle) [2]. Le système des moyens tend même à coïncider avec la fin : l’idéal du terroriste serait même qu’il se réduisît à cette fin absolue.
Cela est en partie rendu possible par la facilité de l’objectif (détruire des populations civiles dans des lieux publics, plutôt que des militaires dans leurs bunkers). L’économie des moyens offre, dès lors, une très grande souplesse d’action, et surtout de non-action. Le militant islamiste a tout son temps, car son action est relativement simple et peut être mise en place au dernier moment. Là réside son plus grand pouvoir : alors que le militant classique est un activiste – d’autant plus vulnérable qu’il s’épuise en des tâches organisationnelles multiples –, le combattant des réseaux d’Al-Qaïda peut se maintenir solidement retranché dans son anonymat, car il dispose du loisir de rester longtemps dans l’ombre sans agir. Confronté à l’activisme occidental, son pouvoir semble même prendre une dimension illimitée : à travers le conflit extraordinairement disproportionné entre, d’un côté, une Coalition formée d’une hyperpuissance et de ses satellites, et, de l’autre, des groupuscules clandestins et éclatés, on voit se profiler toute l’opposition entre l’ ‘agir à tout prix’ et le sens oriental du ‘non-agir’ au service de l’action ciblée. Et, force est de constater que les seconds ont manipulé magistralement la première.
En bref, la politique des nouveaux extrémistes est on ne peut plus claire : déstabiliser les Etats laïques en s’attaquant aux populations civiles et aux symboles du modernisme ; rebâtir le monde sous la loi uniformisée de l’Islam intégriste : deux finalités qui se confondent en une seule dans l’esprit des instigateurs du mouvement, l’une devant immédiatement impliquer l’autre. Leur tactique pratiquement imparable est celle de la ‘cellule dormante’ qui, sous une simple impulsion, passe à l’acte.
Or, un tel concept de « politique dormante » nous est-il si étranger ? Sommes-nous si décontenancés face à lui ? S’il s’oppose à l’activisme de la modernité, pour le tourner en dérision, il n’est pas forcément antithétique à toute pensée occidentale : comme nous l’affirmions en commençant, il est possible d’en trouver une expression exemplaire dans la philosophie grecque de l’Antiquité. En notre époque désorientée, la philosophie de Platon pourrait venir faire contrepoids et se présenter comme une excellente école de patience politique, sachant associer le non-agir au sens de l’action opportune.
La phase dormante de la politique platonicienne
Sans qu’il soit nécessaire de comparer l’incomparable (la politique platonicienne dans ses objectifs et celle d’Al-Qaïda), nous pouvons constater qu’il y a bien, dans les écrits politiques du philosophe athénien, une mise en sommeil préalable de l’action politique. Se présentent aussi chez lui d’utiles considérations susceptibles de permettre de mieux saisir la portée et les conditions de possibilité de cette stratégie paradoxale.
La politique militante platonicienne, que l’on a cru inexistante, a longtemps été mal comprise, justement parce que l’on a eu quelque difficulté à saisir l’importance de sa phase première, qui est véritablement ‘dormante’. Ce que l’on a mis sur le compte de l’ ‘utopie’ n’est en fait que la conséquence de la non-compréhension du projet global, dans toutes ses phases. Il est d’ailleurs temps de se rendre compte du fait que la ‘Constitution’ (Politeia) que le philosophe propose dans la République, loin d’être une ‘utopie’ ou une ‘Cité idéale’ (notions qui ne figurent nulle part dans le dialogue platonicien), est destinée à être réalisée comme accomplissement ultime d’un vaste projet politique [3].
Le plan de Platon obéit précisément à trois phases bien distinctes. La première est une phase dormante dans laquelle le philosophe platonicien ne fait qu’ ‘attendre’. Qu’attend-il au juste ? Que le peuple vienne le solliciter (ce qui peut prendre du temps !). Au cours de cette première étape de non-intervention directe, Platon envisage sereinement qu’une vie entière de philosophe puisse se dérouler sans que la moindre lueur d’accomplissement politique ait pu se produire. (Répu. VI, 496 de). Cependant, cela n’empêche aucunement ce militant atypique, réduit à lui-même, de nourrir l’intime conviction que l’accession au pouvoir se produira tôt ou tard, en vertu d’une ‘certaine nécessité’ (Rép. VI, 499b). Autant dire que l’impatience politique n’est pas de mise. De son vivant, Platon lui-même a offert ses services à deux tyrans, père et fils, qui l’avaient invité à leur cour (Denys 1er et 2nd de Syracuse) [4]. Il s’y est déplacé trois fois sans trop y croire. Ce furent des échecs prévisibles et presque inévitables, étant donné le naturel non philosophique des deux souverains. Peu importe, le philosophe sait pertinemment que la véritable opportunité politique est, de fait, rarissime bien que non impossible.
Toutefois, si jamais le philosophe parvient réellement au pouvoir, par chance ou par grâce divine, dit Platon – jamais par la force, il faut le dire –, la politique platonicienne peut entrer dans sa deuxième phase active. Le philosophe devenu roi, au chevet d’un corps politique malade et boursouflé par les humeurs pléthoriques, se comporte alors comme un médecin hippocratique qui prescrit des remèdes douloureux (cures d’amaigrissement avec purgations répétées), mais salutaires [5]. On notera, à cet égard, l’opposition radicale entre le soin thérapeutique avec consentement du malade chez le philosophe-roi platonicen (Rép. VI, 189bc ; Lois, IV, 719e-723d) et la malignité virale d’Al-Qaïda. D’un côté, la phase dormante attend son heure pour soigner ; de l’autre, pour attaquer le vivant là où il est le plus vulnérable.
La seconde phase platonicienne est, il est vrai, dictatoriale, mais trouve sa légitimité dans le paradigme médical. L’objectif est alors de permettre au corps malade de recouvrer la santé ; et, pour cela, la mission essentielle du philosophe-roi est de mettre en place progressivement la véritable ‘Politeia’, la ‘Constitution’ des Gardiens-dialecticiens, purs produits achevés d’une longue éducation étatique, particulièrement sélective [6]. Avec l’avènement au gouvernement de ce nouveau corps d’élite, la politique platonicienne entre dans sa troisième phase – phase d’accomplissement du véritable bonheur politique, pensé comme tel par Platon.
Apprendre la patience politique et le sens du « kaïros »
Il ne saurait s’agir – tant s’en faut ! – d’adhérer à l’ensemble du programme platonicien, qui appartient à un autre temps, à une configuration politique révolue. Toutefois, cet exemple nous conduit au moins à nous poser la question de savoir comment il est possible, de nos jours, d’accepter une phase dormante plus ou moins prolongée, dès lors que tout le monde est convaincu qu’il faut agir dans l’urgence. Plus précisément, ce que l’éclairage platonicien nous apprend, c’est que toute stratégie dormante a son corrélat, qui reste immuablement le même : il consiste à penser que l’essentiel n’est pas dans l’action politique à tout prix, dans l’intervention systématique. L’islamiste, de son côté, a intégré ce corrélat, car il voit dans la prière, dans sa pratique religieuse, l’essentiel de sa vie, qui n’est pas d’ailleurs cette vie ici-bas : aussi peut-il se désengager provisoirement de toute action politique et militante, sans ressentir le moindre dommage. Même chose, d’une certaine manière, chez le philosophe platonicien : dans le dialogue du Théétète (179c-174c), Platon décrit le philosophe vivant dans la cité malade, non sollicité par le peuple, évoluant par conséquent d’une manière totalement étrangère à la politique, se consacrant uniquement à la contemplation : il présente l’archétype du ‘philosophe dormant’ sur le plan politique, mais ‘pleinement éveillé’ sur le plan théorétique. Sans vouloir faire l’apologie d’un total désengagement, c’est cette façon de relativiser l’urgence politique chez un grand penseur politique qui peut nous inspirer : car, tant que nous serons des impatients, des interventionnistes, nous resterons toujours en position d’infériorité. Savoir discerner quand il faut intervenir et quand il ne le faut pas a toujours été un enjeu politique et stratégique majeur, mais rarement il nous a été donné d’étudier et d’enseigner ‘comment’ ne pas agir – sauf chez Platon, en Occident. Certes, le christianisme a pu aussi nous l’enseigner, mais, contrairement au platonisme, il est bien connu que le principal courant spirituel occidental n’a jamais été doté, à la base, d’un projet politique : le désinvestissement politique n’a aucunement été proposé comme un repli stratégique, dans le cadre d’une finalité politique.
Concrètement, pour lutter à armes égales contre le nouveau terrorisme, cela signifie qu’il nous faut cultiver des contrepoids spirituels et philosophiques à l’action politique ou armée. Le protestantisme activiste de G. W. Bush s’est avéré, sur ce point, totalement inadéquat… Il nous reste donc à rechercher, non pas forcément de nouvelles idées ou de nouvelles théories, mais à renforcer le sens de la vie théorétique qui permet, seule, l’esprit critique, la hauteur, le détachement et, par conséquent, une meilleure saisie du ‘sens de l’opportunité’. Or, ce sens du moment opportun, les Grecs l’appelaient le ‘kaïros’, et Platon l’avait placé au cœur de sa politique non interventionniste [7]. Constatons que les courants islamistes, actuellement, savent mieux exploiter que nous sce principe d’action. En sachant mieux le discerner, l’apprivoiser, peut-être serons-nous en mesure de ne plus nous laisser piéger par les symboles, en produisant des vaccins, des antidotes contre le virus dormant ? Reconnaissons, à cet égard, qu’en parvenant à résister à la pression hystérique du pouvoir politico-médiatique anglo-saxon, Jacques Chirac, en dépit aussi des harangues non moins hystériques de certains pseudo-philosophes français, a réussi à désamorcer partiellement et provisoirement le faux symbole de la Croisade, a su momentanément trouver la réplique contre la nouvelle stratégie du ‘moment opportun’ venue du Proche-Orient.
En conséquence, cette nouvelle donne des rapports Orient-Occident nous conduit à réviser sensiblement nos positions habituelles. Ce ne sont pas seulement les activistes et les intellectuels inféodés qui sont contraints à l’autocritique, mais, d’une manière générale, les partisans de toute philosophie qui fait de l’engagement immédiat dans l’histoire une nécessité absolue. Les intellectuels ont souvent posé le problème de la légitimité, rarement celui du caractère ‘approprié’ d’une intervention ou d’une ingérence. Or, l’Histoire ne nous a-t-elle pas suffisamment enseigné que celui qui veut faire le bien fait souvent le pire, que l’ ‘enfer’, comme le dit le proverbe, ‘est pavé de bonnes intentions’ ? Faire du sens de l’ ‘opportunité’ et de son corrélat, la puissance du ‘non-agir’, des concepts fondamentaux de la pensée politique (non pas seulement de la pratique politique), telle est, à notre sens, l’utilité d’une réflexion qui s’inspire du modèle platonicien.
Les hommes d’action, en principe plus familiers avec le ‘kaïros’, ne sont d’ailleurs pas de reste. Même nos respectables stratèges sont conviés, de nos jours, à prendre quelques distances envers l’ancienne tactique napoléonienne – tactique inaugurée, en fait, par Alexandre et couronnée par Aristote, probablement le premier partisan de la guerre préventive contre la puissance menaçante de l’Orient [8]. Révolue la ‘Blitzkrieg’ ; révolu le temps où il suffisait de courir sus à l’ennemi en le réveillant brutalement de son sommeil léthargique. L’actuel conflit irakien consacre le désastre sans précédent du vieux réflexe belliciste occidental, plutôt malvenu quand l’adversaire est partout et nulle part à la fois, quand le sommeil est devenu pour lui un moyen au service de l’action.
- NOTES :
[1] : Consulter à cet égard l’article de Bernadette Rigal-Cellard : « Le Président Bush et la rhétorique de l’axe du mal », dans Etudes, septembre 2003.
[2] : Toute action d’espionnage sacrifiant des vies humaines pour raison d’Etat transgresse forcément l’impératif catégorique kantien, qui exige que chaque personne soit traitée « comme fin et jamais simplement comme moyen ». Cependant, Al-Qaïda, qui ne dépend d’aucun Etat, le transgresse au plus haut point, en faisant de la destruction massive de personnes non pas un moyen, mais une véritable fin en soi : ce qui distingue, semble-t-il, le ‘nihilisme’ du ‘machiavélisme’. Il est vrai que, s’il s’agit d’analyser le phénomène Al-Qaïda sous l’angle moral, l’éclairage kantien, fondé sur le principe chrétien du respect universel de la ‘personne’, permettra davantage de discerner les différents degrés de perversion des intentions, que l’éclairage de la philosophie ancienne – celle-ci n’étant jamais parvenue à penser universellement l’homme comme fin en soi (cf. Kant, Métaphysique des Mœurs, 2è section, § 11). Mais une analyse morale plus circonstanciée pourra faire l’objet d’une autre étude. Pour l’instant, nous voulons seulement souligner, par l’examen des fins et des moyens, le caractère inédit du phénomène ‘politique’ des cellules dormantes d’Al-Qaïda, qui se distinguent nettement, dans leur finalité comme dans leur organisation, des cellules dormantes utilisées parfois par l’espionnage (Mossad, KGB, etc.).
[3] : Cf. Henri Joly, Le Renversement platonicien, Vrin, 1974, p. 311-312. On peut toujours considérer, à titre personnel, que la cité platonicienne est utopique, mais H. Joly a été le premier interprète à montrer qu’il s’agit, dans l’esprit de son auteur, d’un modèle non idéal, car destiné à être réalisé dans le monde sensible et historique.
[4] : Cf. Platon, Lettre VII, dans Lettres, éd. GF.
[5] : Sur les ‘humeurs pléthoriques’, cf. Rép. II, 372e. Pour les purgations, il y a l’exil bien connu des poètes traditionnels (in III, 398 ac) et la grande purgation (in VII, 540e-541a), sur laquelle Platon est resté volontairement très évasif, son objectif premier étant l’accession au pouvoir des philosophes-rois. L’action politique minimale entreprise par Platon a Athènes a été, d’une part, ‘littéraire’ (redorer le blason de la philosophie par la publication de dialogues apologétiques comme la ‘République’), d’autre part, ‘éducative ‘ (créer une école, l’Académie, dans le but de former les futurs philosophes-rois).
[6] : Voir Platon, République, VI et VII et le Commentaire circonstancié de M. Vegetti, « Le règne philosophique », in Michel Fattal, La Philosophie de Platon, L’Harmattan, 2001. Précisons que le terme dialectique, chez Platon, a un sens très particulier, qui n’est pas celui que le marxisme a vulgarisé.
[7] : Platon, Lettre VII, 326a1-2. « Mais je cherchais toujours les ‘moments opportuns’ (‘kaïrous’) de l’action succédant à l’attente. » Dans cette lettre écrite à la fin de sa vie, Platon dit n’avoir jamais abandonné son projet. On verra, dans ses dialogues tardifs, une solution extrême (Politique), avec gouvernement du philosophe au-dessus des lois, et modérée (les Lois). Cependant, aucune solution proposée n’est présentée comme non réalisable. Notons que, dans Politique 305d, la ‘science politique’ est expressément définie par la possession du ‘kaïros’, d’où la mise à l’écart des lois. Il reste néanmoins vrai que vie contemplative et sens de l’action opportune sont apparemment peu compatibles, et il y a là une indéniable difficulté. Pour Platon, il ne saurait y avoir de politique véritable sans une dimension surhumaine : le philosophe-roi est un homme exceptionnel, capable d’être contemplatif et homme d’action. D’une certaine manière, on peut parler d’un messianisme platonicien.
[8] : Cf. Diogène Laërce, Vies, V § 4 et W. Jaeger, Aristote, trad. franç. éd. de l’Eclat, 1997, p. 122. Le Stagirite a certainement vu en son royal élève macédonien le meilleur défenseur potentiel de l’hellénisme contre les Perses. a chaque époque ses projections dans un passé mythique : Alexandre réactivait, quant à lui, le symbolisme d’Achille et de la Guerre de Troie. Ce qui montre que toute réactivation symbolique n’est pas forcément inefficace ; encore faut-il qu’elle soit appropriée, compatible avec les circonstances du présent.
                   
19. La "quatrième guerre mondiale" a-t- elle commencé ? par Rudolf El-Kareh
in La Revue d’études palestiniennes N° 93 (Automne 2004)

L’offensive américaine lancée au Moyen-Orient se poursuit inexorablement. Sous le générique de « Grand Moyen-Orient » (cf. Grand Moyen Orient, Vaste chaos, REP printemps 2004) , elle est entrée dans une nouvelle phase, et il est tout à fait plausible, à lire et entendre les hiérarques de l’Impérium,  lorsque seront publiées ces lignes, que de nouveaux événements tragiques secoueront plus encore une région qui subit impitoyablement des traumatismes à répétition ( venant s’ajouter aux chocs historiques du siècle dernier ) depuis la déclaration de guerre lancée par Georges W. Bush après le 11 septembre 2001. On le sait désormais clairement, de cette offensive, le crime du 11 septembre, n’aura été que l’accélérateur.
Le projet de remodelage du Moyen-Orient est en effet dans les cartons du groupe au pouvoir à Washington depuis le début de la décennie 1990.
La guerre de destruction de l’Irak n’en est que la première étape. Les objectifs en sont maintenant publics : asseoir la centralité américaine du monde ; et, au sein du «Grand Moyen-Orient», dont le contrôle apparaît essentiel à la stratégie américaine ( en raison du pétrole et du pitoyable déséquilibre des rapports de force militaires) consolider les conditions d’une pérennisation de l’hégémonie de l’appareil militaro-politique et idéologique israélien considéré comme un élément structurel de l’impérium.
C’est dans ce cadre qu’il faut inscrire la nouvelle offensive lancée par les Israéliens en Palestine ( le Mur, les spoliations accélérées, les redéploiements unilatéraux programmés, les efforts permanents de fragmentation spatiale et d’atomisation de la société palestinienne , les massacres au quotidien etc…). C’est aussi le sens de l’offensive tous azimuts lancée directement par Washington contre la Syrie et le Liban. Il faudra sans doute revenir sur les relations entre ces deux pays depuis les accords de Taëf et sur leurs déboires. Il y aurait d’ailleurs beaucoup à dire, ne serait-ce que par ce que leurs péripéties éclairent singulièrement l’état de dégénérescence du monde arabe qui s’aggrave cruellement depuis maintenant plus de trente ans. Mais tel n’est pas notre objet ici.
Constatons simplement que pour comprendre les événements qui secouent dans le temps immédiat le Proche-Orient, et qui semblent devoir impliquer de plus en plus directement d’autres pays régionaux et plus particulièrement l’Iran, il est indispensable de remettre chaque événement en perspective, de relier inlassablement les fragments épars d’un puzzle dont l’impérium s’acharne sans cesse à masquer les liens et les articulations. Constatons aussi que les mécanismes de ces rapports et leurs enchaînements sont complexes, et que leur sens ne peut être saisi que dans leurs articulations. Il ne faut pas se lasser de répéter, en effet, que c’est dans cette articulation du global, du régional et du local que les événements prennent leur signification, et s’insèrent dans le mouvement de leur trajectoire historique.
En période de crise, ces mécanismes d’articulation et leurs médiations diverses (institutions politiques économiques et sociales, stabilité des Etats, respect des règles et des mécanismes institutionnels, consensus des fractions composant les sociétés et les peuples autour de postulats régissant le « vouloir vivre ensemble » notamment dans les sociétés plurielles recomposées à partir de la désagrégation d’empires – ce qui est le cas de la plupart des sociétés du Moyen-Orient, et l’un des facteurs de leur instabilité,  etc..)  peuvent être réduits à leur plus simple expression. Les effets des tensions qui s’expriment au sein de  l’un des termes de la combinaison peut alors faire trembler l’ensemble de l’échafaudage.
C’est exactement ce qui se produit depuis que l’invasion de la Mésopotamie est entrée dans une nouvelle phase. A l’initiative de l’empire global, les édifices régionaux et locaux chancellent sur leurs assises.
Quelle est la signification concrète de cette dynamique ? Des voix se sont élevées avec une (fausse) naïveté pour louer la reconnaissance par Georges W. Bush de ses erreurs d’appréciations en Irak. Sans relever pour autant deux éléments essentiels. D’une part, le président américain-commandant des armées ( il ne s’agit pas, ou pas seulement de dérision, mais de l’accent à mettre sur l’imbrication du militaire et du politique dans la pratique quotidienne de l’empire ), persiste et signe et réaffirme imperturbablement avoir eu raison d’envahir l’Irak ; ce qui signifie que ses appréciations erronées ne portaient que sur des considérations tactiques, mais que la stratégie n’est nullement remise en cause. Et, d’autre part, ces erreurs américaines font l’objet d’une « reconnaissance dans le vide » puisque les rapports de forces sont tels, que cela ne change rien à la dynamique impériale qui peut modifier son aspect,  sans pour autant changer de nature. Surtout, l’absence de force capable d’équilibrer l’expansion de l’impérium, laisse celui-ci, pour l’instant, maître de ses maneuvres dans le champ géostratégique.
Le désordre est donc en marche au Moyen-Orient. Au delà des péripéties internes  sur lesquelles il faudra revenir, c’est maintenant au tour de la Syrie et du Liban, comme annoncé et inlassablement répété, d’ailleurs, dans les textes fondateurs de la stratégie américaine, d’être la cible. Nous reviendrons ultérieurement sur l’usage, par l’impérium de l’idée de démocratie comme arme de séduction massive, comme leurre et comme alibi – ce qui ne contredit nullement, il faut y insister, le fait que la démocratie est une aspiration profonde des sociétés du Proche-Orient écrasées par les systèmes rentiers et les surdéterminations de la Question de Palestine. Nous reviendrons également sur le concept lui-même dans sa trajectoire historique et ses transformations sous l’effet des mécanismes de la globalisation.
Constatons encore une fois, dans le cadre de cette mise en perspective l’élargissement de l’offensive américaine. Les «erreurs» de Georges Bush ne l’empêchent pas d’étendre le champ de l’instabilité et du conflit. Et c’est par une véritable fuite en avant que l’impérium s’emploie a « répondre » aux déboires relatifs de sa mainmise sur la Mésopotamie. Les effets déstabilisants de cette fuite en avant se font désormais sentir clairement, pour ne citer qu’un seul exemple, au Liban. Encore une fois, au delà des mécanismes locaux, sur lesquels non seulement il ne faut pas faire l’impasse, mais au contraire les intégrer dans l’analyse ( i.e. les conditions pratiques de l’application de l’accord de Taëf qui avait marqué un relatif coup d’arrêt au processus de dislocation civile de la société libanaise ),  il faut également reconnaître que la dynamique américaine de dislocation et de remodelage régional a happé à nouveau ce pays dans sa spirale destructrice.
Et pour en saisir l’intelligence il faut comprendre que la méthode de l’impérium consiste d’abord à instrumenter les contradictions et les dynamiques locales en exacerbant les tensions au lieu de les apaiser. Pour emprunter une formule de boucherie, ces jeux de dislocation pervers ont pour fonction « d’attendrir »  les société ciblées, de les rendre malléables et perméables afin de les préparer dans le désordre et le chaos au remodelage souhaité. Quoi de plus facile, hélas, lorsque ces sociétés invertébrées, dépourvues depuis fort longtemps d’hommes d’Etat, ont vu leurs classes politiciennes s’enfermer dans leurs égoïsmes, et nourrir leurs « visions » politique aux deux mamelles de la veulerie servile devant les maître de l’empire et l’air du temps, et de la satisfaction réjouie devant le malheur de l’adversaire proche. Les mécanismes structurels de cette dégénérescence viennent se repaître dans ce terreau corrompu et simultanément l’alimentent. C’est ainsi, pour ne citer que ce seul exemple, qu’avec le reflux inquiétant des solidarités politiques du monde arabe, ce sont progressivement des relations perverties construites sur les notions de « majorités » et de « minorités » communautaires qui sont devenues les repères dominants d’un langage politique communautarisé. Il s’agit là d’une régression particulièrement grave, qui empire avec la déliquescence morale de catégories de notables politiciens repliés sur leurs espace clos et autoproclamés représentants de leurs communautés respectives. Cette dégénérescence qui alimente aussi les suspicions mutuelles crée un climat très malsain dont l’impérium se nourrit avec beaucoup d’aisance. Les chrétiens d’Orient en sont l’une des principales victimes, sommés désormais de se considérer comme des « minorités agressées et/ou protégées » alors que leur histoire millénaire est organiquement pétrie dans l’histoire régionale. Nous y reviendrons.
…Ils n’ont pas manqué, ces observateurs subtils, attentifs à théoriser les moindres courants d’air du sérail impérial, depuis l’empêtrement relatif de Washington en Irak, pour annoncer, en grande pompe, le reflux des néoconservateurs. Rien n’est moins vrai. Il suffit pour cela de rappeler l’ampleur de leur infiltration structurelle au sein des appareils de pouvoir principaux dans la capitale de l’empire. Il suffit aussi de les lire et d’écouter Georges W. Bush et son « adversaire démocrate » disserter à qui mieux mieux sur la politique étrangère américaine ( Kerry répète grosso modo : je peux faire bien mieux que Bush ce qu’il prétend faire, en d’autres termes je serai meilleur dans le registre du pire ! ).
Mais il faut surtout pour cela écouter les concordances et la mise en mesure de leurs discours avec les textes théoriques de leurs mentors (oui, Kerry puise lui aussi son discours de politique étrangère dans la production « spirituelle » des neocons – « spirituelle » tant celle-ci est imprégnée de discours religieux magiques). Il suffit, pour cela de lire l’un d’entre eux, Norman Podhoretz dans la dernière livraison de l’une de leurs bibles : la revue Commentary. Celui-ci annonce ni plus ni moins « que la quatrième guerre mondiale a commencé » et que « l’Amérique se doit de la gagner ». Cette guerre c’est la « guerre contre terrorisme ». Articulée sur la notion destructrice de « Guerre des civilisations » chère à Bernard Lewis et Samuel Huntington, nourrie par tous les amalgames, toutes les extrapolations abusives et criminelles sur « l’Islam », cette vision du monde fait aujourd’hui des ravages. Et elle porte en elle de nouveaux malheurs en attirant vers elle de nouveaux adeptes....Alors que paraissait à Washington la prose de Podhoretz,l’un des plus hauts dignitaires du Vatican, le cardinal Renato Martino s’écriait, à son tour, à l’autre bout de l’Atlantique : «La quatrième guerre mondiale a commencé » ! Mêmes mots, mêmes dérives !
Peut-on s’autoriser à dire : « Que Dieu nous garde ? » (Rudolf El-Kareh - Août 2004)
                       
20. Arafat jusqu’au bout par François Soudan
in Jeune Afrique - L'Intelligent du dimanche 31 octobre 2004
Hospitalisé à Paris le 29 octobre, Abou Ammar aura donné une nouvelle fois toute la mesure de son courage et de son opiniâtreté.
« Je vais, mais je ne reviens pas. Je viens, mais je n’arrive pas »: ainsi le grand poète palestinien Mahmoud Darwich résuma-t-il un jour la personnalité, aussi insaisissable que le mercure, de Yasser Arafat. Depuis la mi-octobre, de son bunker insalubre de Ramallah à l’aile VIP de l’hôpital militaire Percy de Clamart, en France, Abou Ammar n’a plus le loisir d’endosser un masque ni de jouer aux illusionnistes. C’est contre la mort qu’il se bat, et, face à elle, Janus n’a qu’un seul visage: celui du courage et de l’obstination. Pour lui, qui a toujours donné le meilleur de lui-même en position de faiblesse, alors que l’euphorie l’a souvent amené à accumuler les fautes, l’occasion s’offre une nouvelle fois de donner toute la mesure de son opiniâtreté.
C’est le 15 octobre, premier jour du ramadan, que survient la première alerte: grippe intestinale, dit-on. Le neurologue jordanien Ashraf al-Kurdi, qui fait depuis plus de vingt ans office de médecin personnel d’Arafat, accourt aussitôt à son chevet. Le 18 au soir, une équipe de médecins égyptiens, envoyés par Hosni Moubarak, le rejoignent au QG de la Mouqataa à Ramallah. Le 22 octobre, l’état du raïs s’aggravant, c’est au tour du président tunisien Ben Ali – qui s’est entretenu au téléphone avec Arafat – de dépêcher à ses côtés cinq spécialistes (dont deux réanimateurs) dirigés par le professeur Taoufik Najjar, gastro-entérologue à l’hôpital Charles-Nicolle de Tunis. À chaque fois, l’exécutif israélien, qui maintient Yasser Arafat sous blocus depuis près de trois ans, donne son feu vert: Tel-Aviv ne veut en aucun cas être tenu pour responsable d’une mort qu’Ariel Sharon et ses proches ont pourtant ouvertement souhaitée à plusieurs reprises.
Dans la nuit du 27 au 28 octobre, Arafat perd brièvement connaissance. Des contacts sont alors pris avec Paris, dans lesquels Souha, l’épouse du raïs, qui vit dans la capitale française et s’apprête à rejoindre son mari, joue un rôle clé. Jacques Chirac, qu’Arafat appelle affectueusement « docteur » et qui a fait parvenir à Ramallah, dans la journée du 28, un message très chaleureux au président de l’Autorité palestinienne, donne aussitôt son accord au Premier ministre Ahmed Qoreï pour une hospitalisation. Israël ne s’y oppose pas et assure qu’Arafat pourra user de son « droit au retour » à Ramallah. Vendredi 29 octobre, peu avant 13 h 00, un Falcon 900 médicalisé, affrété sur ordre de l’Élysée, se pose sur l’aéroport militaire de Villacoublay. Yasser Arafat est désormais entre les mains de Dieu… et de ses médecins.
Plier, mais ne jamais rompre. Face à la maladie, comme en politique, Arafat a toujours su jouer au plus fin. Opéré d’un caillot de sang au cerveau en 1992, puis victime d’alertes cardiaques ou de mystérieuses grippes intestinales à répétition en 1994, 2002 et 2003, le vieux raïs de 75 ans est sous médication constante, depuis plus de dix ans, pour troubles neurologiques. Maladie de Parkinson? Cancer de l’estomac? Leucémie? Les rumeurs récurrentes d’affections graves et dégénératives l’accompagnent sans cesse – et sans preuves irréfutables, même s’il va de soi que son état actuel est sans doute le plus grave qu’il ait eu à affronter. D’autant qu’aux causes physiologiques s’ajoutent vraisemblablement des facteurs d’ordre psychologique. VRP d’un État virtuel et d’un peuple éclaté, Yasser Arafat a toujours été un adepte du mouvement perpétuel. En un demi-siècle de vie militante et d’odyssée arabe, transportant sans cesse la Palestine sous les ailes de son avion, il a acquis des habitudes de vie nomade qui lui tiennent lieu d’adrénaline. Il bouge, donc il existe. Or, depuis décembre 2001, celui qui a introduit la bougeotte sans fin en politique survit reclus, confiné entre les quatre murs de la Mouqataa, dans l’incapacité d’emprunter le moindre tapis volant. Il vit chaque jour cet immobilisme comme une petite mort. Ainsi l’ont voulu Sharon et Bush.
Monter à bord du Falcon français a donc dû être pour lui, paradoxalement, une sorte de délivrance. Soulagement éphémère pourtant, car le raïs, clé de voûte d’un système qu’il a créé et dont il connaît seul les ramifications complexes, sait fort bien qu’il laisse derrière lui une Autorité palestinienne affaiblie et contestée. Les islamistes du Hamas et la jeune garde du Fatah ne cessent, depuis des années, de critiquer l’autoritarisme et la corruption du « système Arafat ». Son mode de gestion, qui doit beaucoup au style archaïque des potentats arabes – l’argent et la vénalité des hommes n’ont plus de secret pour lui – ont fait de ce chef décharné un personnage du passé aux yeux de bon nombre d’observateurs extérieurs. Lui seul s’y retrouve dans son chaos. Or on ne dirige plus ainsi un État, fût-il croupion, en ces temps de mondialisation de la bonne gouvernance.
Reste qu’Arafat est incontournable, pour une raison majeure : sa popularité, auprès des Palestiniens, demeure largement intacte. Les critiques acerbes n’épargnent pas son entourage, mais il en sort toujours indemne, tel un bon vizir flanqué de vils flatteurs. L’image de l’ascète marié à la révolution et du combattant miraculé a cédé la place à celle du père vénéré, craint, capricieux, mais aussi symbolique, aussi consubstantiel qu’une motte de la Terre sacrée. Depuis l’assassinat par les Israéliens de Cheikh Yassine, en mars 2004, Yasser Arafat n’a plus face à lui de rival potentiel, seulement des dauphins ambitieux qui ne lui arrivent pas à la cheville. Ahmed Qoreï, 66 ans, Premier ministre, et son prédécesseur Mahmoud Abbas, 69 ans? Respectables, mais sans base électorale. Mohamed Dahlan, 42 ans, ancien ministre de l’Intérieur ? Fort à Gaza, mais faible en Cisjordanie, où on lui reproche d’être le successeur adoubé par Israël et les États-Unis. Rawhi Fattouh, 55 ans, président du Parlement et donc chef de l’Autorité par intérim (deux mois) en cas de décès du Vieux? Politiquement, c’est un personnage de second plan. Le seul en fait dont l’étoile brille au firmament des héros du peuple palestinien est le leader de la seconde Intifada, Marwane Barghouti, 45 ans. Mais il est en prison, condamné cinq fois à la détention perpétuelle par un tribunal israélien. Ce qui se passera après Arafat est donc une énigme, tout comme l’est le scénario qui se déroulera en cas d’incapacité ou d’hospitalisation prolongée de cet admirateur éperdu du général de Gaulle.
Incarcéré et impuissant à l’image de ses compatriotes, considérablement diminué désormais par une maladie dont on ignore l’issue, Yasser Arafat est donc redevenu, vendredi 29 octobre, un personnage de tragédie. Avec une indécence qui n’étonnera que ceux qui ne le connaissent pas, le ministre israélien des Affaires étrangères Sylvan Shalom ne s’est pas privé de souhaiter sa mort, ajoutant qu’elle permettra enfin à Israël de dialoguer avec des dirigeants palestiniens « responsables ».
S’est-il réjoui trop tôt? Outre qu’Abou Ammar est un survivant et que sa dernière heure n’est peut-être pas venue, sa disparition ôterait à Ariel Sharon l’un des prétextes fondateurs de sa politique d’étouffement du peuple de Palestine. Pour Israël aussi, au pied du mur, le « jour d’après » est un mystère.
                           
21. L’Etat d’Israël envisage d’appuyer les demandes de dommages et intérêts de citoyens israéliens, dans des procès contre l’Autorité palestinienne par Amira Hass
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 25 octobre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Israël couvrira les dommages reconnus à des plaignants israéliens ayant attaqué l’Autorité palestinienne en justice, et ce n’est qu’ultérieurement qu’il défalquera ces fonds du budget de l’Autorité palestinienne, a indiqué la semaine dernière le procureur général Menachem Mazuz.
Mazuz demande aux juges israéliens qui adjudiquent ces procès de cesser d’imposer des ordonnances de confiscation sur des fonds de l’Autorité palestinienne. En effet, les juges israéliens ont pris l’habitude d’imposer des saisies sur les fonds palestiniens en réponse aux demandes de dommages de citoyens israéliens qui ont attaqué l’Autorité en justice, ces dernières années, avant que le tribunal ne parvienne à un verdict conclusif. L’Etat israélien a décidé de garantir les dédommagements financiers, après que les tribunaux eurent ignoré de nombreuses requêtes gouvernementales leur demandant de ne plus émettre des ordonnances de confiscation.
La raison que les tribunaux invoquaient pour motiver ces confiscations de fonds palestiniens était le risque que l’Autorité palestinienne ne connût la banqueroute avant d’avoir craché au bassinet…
C’est près de la moitié du déficit budgétaire de l’Autorité palestinienne qui a été occasionné par des séquestres imposés par les tribunaux israéliens sur ses finances, disent des sources palestiniennes. Une source palestinienne proche du trésor indique que le total des fonds palestiniens ainsi confisqués atteignait le milliard de NIS [nouveaux shekels israéliens], uniquement pour ce mois, consistant en péages, taxes et droits de douanes collectés par Israël, sur des marchandises et des services destinés à l’Autorité palestinienne. Le déficit cumulé atteignait, cette année, 490 millions de dollars, à comparer au budget global actuel de l’Autorité palestinienne, qui est de 1 444 millions de dollars.
Le ministre palestinien des Finances, Salam Fayyad, parviendra sans doute à obtenir 330 millions de dollars avec l’aide des pays donateurs, mais il n’a pas trouvé de financement pour les 160 millions de dollars restants. Le déficit rend difficile à Fayyad la mise en pratique de certaines des réformes administratives et financières auxquelles l’Autorité palestinienne est tenue.
Les saisies temporaires, sur les deux années écoulées, contredisent l’engagement israélien, vis-à-vis des Etats-Unis, de transférer à l’Autorité palestinienne, conformément aux préconisations de la feuille de route, tous les droits de douane et toutes les taxes prélevées par Israël sur les services et les marchandises destinés à l’Autorité palestinienne. Des représentants des trésors israélien et palestinien se sont rencontrés, au cours des deux mois écoulés, avec une médiation américaine, afin de discuter des moyens permettant de résoudre les problèmes pendants.
L’avocat Yossi Amon, qui représente l’Autorité palestinienne, a indiqué que les demandes judiciaires de dommages étaient bien plus élevés qu’à l’accoutumée. Dans des cas de mort d’homme, a-t-il précisé, des tribunaux israéliens ont accordé jusqu’à un million de NIS de dommages, tandis que dans des procès intentés à l’Autorité palestinienne après des attentats terroristes, les dommages cumulés ont atteint plusieurs dizaines de millions de shekels.
Voici environ deux mois de cela, Arnon a envoyé une pétition à la Cour suprême israélienne au sujet de certains ordres de séquestre temporaire, après que la juge au Tribunal de district de Tel-Aviv, Altuvia Magen, ait accepté l’appel de l’Autorité palestinienne et annulé un décret de confiscation sur les fonds de l’Autorité palestinienne, portant sur 36 millions de NIS.
L’étape suivante a été franchie avec la requête urgente adressée par Mazuz au Tribunal de District de Tel Aviv mercredi dernier : il exigeait un réexamen de la décision d’émettre des ordres temporaires de confiscation. Ce tribunal examine actuellement trois procès intentés contre l’Autorité palestinienne et l’OLP par trois hôtels, en 2003, au motif d’un déficit dans les revenus touristiques, du fait de l’Intifada.
En mai dernier, le juge du tribunal de district Oded Mudrik a rejeté la requête de l’avocat général, de réexaminer un décret précédent, par lequel il imposait la confiscation temporaire de 130 millions de NIS sur les fonds de l’Autorité palestinienne. A l’époque, Mudrik avait résumé la requête de l’Etat (soutenue par une déclaration du principal conseiller du Premier ministre Ariel Sharon, Dov Weisglass, à l’époque chef du cabinet du Premier ministre), comme suit :
 « L’Etat d’Israël a un intérêt diplomatique à libérer les finances de l’Autorité palestinienne des limitations que lui imposent les saisies, à la fois afin de faire progresser l’arrangement diplomatique et de satisfaire le gouvernement américain, Israël étant dans l’obligation de faire ce qui lui est imparti dans ce compromis. »
Ce que nonobstant, Mudrik a rejeté la requête, en disant que dès lors que Weisglass avait lié l’effacement des ordres de saisies aux pourparlers diplomatiques, il était possible de conclure qu’il n’y avait aucun intérêt authentiquement israélien à annuler ces saisies, dès lors qu’aucune négociation n’était en cours.
La requête actuelle du procureur général ne mentionne pas des « pourparlers diplomatiques », mais bien, en revanche, un « intérêt diplomatique » à transférer les fonds concernés de manière urgente, en indiquant que la somme cumulée en cause est substantielle. Mazuz a indiqué, dans sa requête, qu’un équilibre pourrait être trouvé entre la satisfaction des intérêts des plaignants et la restitution des fonds (dus) à l’Autorité palestinienne.
 « L’Etat s’engage à ce que, si un jugement est rendu en faveur des plaignants, dans une affaire, et que ceux-ci veuillent obtenir leurs dédommagements… à partir de fonds que l’Etat retiendrait sur l’Autorité palestinienne à ce moment-là, et si le montant retenu est inférieur au dédommagement retenu par le jugement… l’Etat couvrira la différence », a écrit Mazuz.
Sa missive préconise quoi qu’il en soit qu’Israël continue à recevoir régulièrement l’argent de l’Autorité palestinienne, afin que l’Etat soit à même de déduire les fonds concernés, conformément aux accords conclu entre l’Etat d’Israël et l’Autorité palestinienne.
Arnon s’attend à ce que l’Etat adresse des requêtes similaires, dorénavant, à d’autres juges.
Pour le moment, l’étude juridique d’Arnon représente l’Autorité palestinienne à un certain nombre de procès en cours, dont seize procédures financières de différents types, trente-sept procès relatif à des attentats terroristes et cinq, concernant des dommages causés à des collaborateurs, s’élevant à un montant global de six millions de NIS.
Ce sont ainsi quarante-sept procès qui ont été instruits, à l’encontre de l’Autorité palestinienne à Jérusalem, dix-sept à Tel-Aviv, deux à Haïfa, deux à Beer Sheva et un à Nazareth.
Cette année, sept procès ont été intentés à l’Autorité palestinienne, à comparer aux chiffres suivants : 26 en 2003, 18 en 2002 et 13 en 2001.
                       
22. Des prouesses de propagande ne parviendraient pas à rendre l’apartheid sexy - Réponse à l’article de Benjamin Pogrund : "Le bobard de l’apartheid" [The apartheid Lie] par Iqbal Jassat
in Mail & Guardian (quotidien néo-zélandais) du dimanche 24 octobre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Un journaliste sud-africain à la retraite, qui vit aujourd’hui en Israël, Benjamin Pogrund, a bien du mal à reconnaître qu’Israël est un pays d’apartheid.
Son ancienne vocation, à une époque où l’apartheid de style werwoerdien n’en était encore qu’à ses prémisses, ne semble pas l’avoir alerté quant à l’apartheid de style sioniste, en vogue en Israël, dès son origine controversée, en 1948.
Cette incapacité à reconnaître l’existence et la pratique de l’apartheid en Israël l’amène à remettre en cause cette caractérisation. De fait, il va même encore plus loin, puisqu’il prétend que quiconque affirme qu’Israël est un pays d’apartheid n’a pas la moindre idée de ce qu’était, en réalité, l’apartheid. Bien. Existerait-il quelqu’un de plus qualifié que l’architecte de l’apartheid, Hendrik Verwoerd, à reconnaître des constructions socio-politiques similaires, dans d’autres pays que l’Afrique du Sud ?
Il a noté que les sionistes ont pris Israël aux Arabes, après que ceux-ci aient vécu sur ce territoire durant un millier d’années. En cela, je suis d’accord avec ceux-ci : Israël, à l’instar de l’Afrique du Sud, est un pays d’apartheid. [Rand Daily Mail, 23.11.1961]
Quarante ans plus tard, l’archevêque Desmond Tutu, observait (dans un commentaire publié par le quotidien britannique Guardian) que les Israéliens « traitent les Palestiniens de la même manière que le gouvernement sud-africain traitent les Noirs. »
Des témoignages, tant de l’oppresseur que des victimes, auxquels nous sommes confrontés depuis près de quatre décennies, ne peuvent être simplement écartés d’un revers de la main, en suggérant qu’ils n’étaient absolument pas au courant de l’apartheid !
On peut légitimement soupçonner Pogrund, lorsqu’il défend Israël contre l’accusation de pratiquer l’apartheid, de désirer éviter à ce pays d’être classé parmi les pays racistes. Pas étonnant, dès lors, qu’il reconnaisse la menace pesant sur le droit d’Israël à exister, au cas où l’accusation d’apartheid serait utilisée contre lui en guise d’arme politique. 
En dénonçant la qualification de régime d’apartheid, qu’il accuse d’être mensongère, Pogrund entre aussi en contradiction avec beaucoup de militants des droits de l’homme israéliens, tel un Uri Davis, qui s’est toujours demandé pourquoi, et de quelle manière, l’Etat juif, tel que formé par l’idéologie du sionisme politique, réussissait à se projeter comme « la seule démocratie au Moyen-Orient », et à dissimuler effectivement à l’examen critique, pour ne pas parler des poursuites devant un tribunal international, pour crimes de guerre, le crime contre l’humanité que constitue l’expulsion massive de la population palestinienne indigène.
Dans sa dernière analyse détaillée, qu’il a intitulée « Apartheid Israel – Possibilities for the struggle within » [L’Israël de l’apartheid – Des possibilités de le combattre de l’intérieur], Davis dresse un réquisitoire impérieux prônant que le voile dissimulant l’apartheid d’Israël soit levé. L’analyse qu’il fait du jargon juridique soutenant la question centrale de la citoyenneté révèle un réseau extensible de lois qui impliquent que les citoyens juifs de l’Etat d’Israël seraient plus égaux que les citoyens non-juifs.
A cet égard, Pogrund concède que si, théoriquement, la population arabe jouit de l’entière citoyenneté, dans la pratique, ils souffrent d’une discrimination généralisée.
Toutefois, la réalité est encore bien pire :
Les droits d’un « non-juif » à la propriété, aux services sociaux et aux ressources matérielles de l’Etat ne sont pas égaux à ceux d’un « juif ». Partant, les citoyens israéliens définis comme « non-juifs » [nommément : les Arabes, aussi bien chrétiens que musulmans] se voient dénier l’accès à 93 % du territoire de l’Israël d’avant 1967, superficies administrées par l’Administration des Terres d’Israël.
Très loin d’être une démocratie, Israël voile son racisme en définissant trois classes de citoyens : La Classe A est réservée aux juifs ; la classe B aux non-jufis, et la lasse C aux « présents-absents ».
La question posée, par conséquent, à Pogrund et à tous les apologistes du régime sioniste est la suivante : les citoyennetés de second et de troisième ordres et les discriminations et dénis de droits humains fondamentaux y afférents ne justifient-ils pas l’affirmation selon laquelle Israël est le dernier Etat d’apartheid à survivre sur la planète, parmi les pays membres de l’ONU ?
                           
23. Sharon fera la paix... quand les Palestiniens seront finlandais par Charles Enderlin
in Libération du mercredi 20 octobre 2004
Le Premier ministre entend empêcher indéfiniment la création d'un Etat palestinien.
De sa longue carrière politique, Ariel Sharon entend, à 76 ans, léguer à Israël un élément fondamental : l'impossibilité pour les Palestiniens de créer un Etat indépendant sur la majeure partie de la Cisjordanie où les colonies israéliennes pourront se développer dans de vastes secteurs annexés de fait. Ce seront des zones de sécurité d'où il sera possible de contrôler les populations palestiniennes vivant sur le reste de ce territoire.
C'est ainsi qu'il faut lire la récente interview de Dov Weisglass, ex-chef de cabinet, conseiller et avocat du Premier ministre au quotidien Haaretz. Il confirme que l'évacuation des implantations de Gaza et du nord de la Cisjordanie a pour but d'empêcher indéfiniment la création d'un Etat palestinien et cela avec l'accord de Washington. C'est une nouvelle étape du projet d'Ariel Sharon visant à changer la réalité du conflit avec les Palestiniens et qu'il a commencé à appliquer dés son élection à la présidence du Conseil en février 2001. Le plan avait été préparé en détail par le général de réserve Meir Dagan ­ à l'époque, son conseiller pour les affaires de sécurité. Il prévoyait dans le détail la neutralisation d'Arafat, «un assassin avec qui on ne négocie pas», et la destruction de l'accord d'Oslo, «le plus grand malheur qui se soit abattu sur Israël». Une opération d'intensité croissante visait à isoler progressivement le président palestinien tant sur le plan intérieur que diplomatique.
Durant les deux premières années de l'Intifada, l'armée israélienne a presque systématiquement riposté aux grands attentats commis par le Hamas en attaquant des cibles de l'autorité palestinienne et du Fatah. Leur chef, Yasser Arafat, n'a jamais réalisé le piège dans lequel il se précipitait en refusant, par crainte d'une guerre civile en Palestine, de donner l'ordre à ses services de sécurité d'arrêter les chefs islamistes à Gaza. Ce n'est que le 27 mars 2002, après l'attentat-suicide commis par un terroriste du Hamas et faisant vingt-neuf morts israéliens à Netanyah le soir de la Pâque juive, qu'Arafat a appelé son chef de la sécurité à Gaza pour lui donner le feu vert. «Trop tard, a répondu Mohammed Dahlan, les Israéliens vont passer à l'attaque.» Quarante-huit heures plus tard commençait l'opération «Rempart». Elle était dirigée contre l'Autorité autonome issue des accords d'Oslo. Depuis, Arafat est assigné à résidence dans les ruines de la Mouqata, son QG à Ramallah. Cohérence et franchise sont deux qualités dont Ariel Sharon et son équipe ne sont pas dépourvus.
En fait, la seule nouveauté dans les déclarations de monsieur Weisglass concerne le soutien, sans précédent, accordé par les Etats-Unis à la politique israélienne. Mais, là aussi, on ne saurait être surpris. Une partie de l'administration Bush est acquise aux thèses de monsieur Sharon. A la Maison Blanche et au Pentagone, la plupart des hommes en place ont toujours exprimé des opinions très critiques de la politique de concession des travaillistes israéliens. Au Conseil national de sécurité par exemple, Elliot Abrams est chargé du dossier Proche-Orient. Dès 1993, il a déclaré son opposition au processus d'Oslo. Au Pentagone, le sous-secrétaire à la Défense chargé des affaires politiques, Douglas Feith, est proche du mouvement des implantations. Dans ces conditions, Dov Weisglass n'a probablement pas eu beaucoup de difficultés à convaincre ses interlocuteurs américains. Pour les colons, c'est autre chose. Ils refusent ses explications, à savoir que le retrait des colonies de Gaza et de quatre autres situées dans le nord de la Cisjordanie leur permettra de conserver le reste ad vitam æternam. Leur réveil est dur : Sharon, qui fut leur parrain et principal bienfaiteur, n'a jamais accepté l'idéologie du Grand Israël ou du mouvement messianique. Dans sa vision sécuritaire, la terre n'est pas sacrée et peut faire l'objet de concessions à des fins stratégiques.
Dans ses déclarations à Haaretz, monsieur Weisglass se vante d'avoir «effectivement conclu avec les Américains qu'on ne discutera jamais d'une partie des colonies. Quant au reste, on en parlera lorsque les Palestiniens deviendront des Finlandais...». C'est-à-dire lorsqu'ils auront un comportement occidental, européen, démocratique, non violent et doux, du moins selon la vision du monde scandinave du conseiller d'Ariel Sharon. Il sait que la société palestinienne ne prend pas le chemin de l'européanisation. Elle subit une véritable tragédie humanitaire et se développe dans un environnement de plus en plus répressif. Dans la bande de Gaza, près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté de 2 dollars par personne et par jour. Selon les Nations unies, quarante-cinq Palestiniens sont tués chaque mois dans ce territoire (pour deux tiers des combattants). Au cours des quatre dernières années, 25 000 Palestiniens ont perdu leur logis, détruit par l'armée israélienne.
Tout cela signifie une pérennisation du conflit qui restera, en l'absence de toute possibilité de compromis, le principal élément déstabilisateur du Proche-Orient et des relations intercommunautaires en Europe. Pour éviter de nouvelles catastrophes, il faudrait, affirme Michel Barnier, le ministre français des Affaires étrangères, que le retrait de Gaza réussisse et soit coordonné avec les Palestiniens dans le cadre de la fameuse «feuille de route destinée au règlement permanent du conflit israélo-palestinien sur la base de deux Etats» du quartet. Pour les diplomates européens et américains, ce plan de paix est toujours d'actualité, comme le répète Ariel Sharon mais en ajoutant : «Il faudra d'abord que les Palestiniens cessent le terrorisme !» Et deviennent finlandais ?
                   
24. Comme un monstre métallique aveugle par Elias Khoury
in Le Monde du mercredi 20 octobre 2004
(Elias Khoury est écrivain libanais.)
Dans son élégie, "Antithèse", à la mémoire d'Edward Said, le poète palestinien Mahmoud Darwich interroge New York sur son identité : "Est-ce Babel ou Sodome ?" S'il avait été donné à l'écrivain palestino-américain de répondre à cette question, il aurait évoqué l'expérience new-yorkaise des exilés et des étrangers qui ont fait l'éclat culturel de cette ville, il aurait raconté comment il a tenté d'introduire sa propre expérience arabe et palestinienne au sein des langues parlées par la "Big Apple", comme les New-Yorkais se plaisent à appeler leur ville.
Le crime du 11-Septembre a aboli les différences entre Babel et Sodome et, aujourd'hui, les tours du World Trade Center semblent symboliser l'Amérique. La distinction préconisée par Paul Auster entre la ville cosmopolite et l'empire est menacée par les néoconservateurs de la Maison Blanche et du Pentagone et par une guerre qui a commencé par la destruction de l'Irak et qui finira Dieu sait où.
Lors de mes nombreux séjours aux Etats-Unis, je n'ai pas trouvé l'Amérique en Amérique. Je n'ai trouvé ni l'Amérique légendaire fabriquée par Hollywood, ni l'Amérique de la guerre impérialiste au Vietnam, ni celle des lumières qui ne s'éteignent jamais. Je n'ai trouvé qu'une image, un ensemble d'hypothèses, flottant à la surface de la société, ne constituant qu'une petite marge mobile et vivace qui emprisonne le citoyen américain dans l'image que l'Amérique avait elle-même créée.
Dans les ruelles d'Harlem, dans les bars du Village et dans les rues de San Francisco, j'ai rencontré l'autre Amérique et j'ai découvert que la réalité camouflée derrière l'image était riche, variée, et qu'elle constituait un magnifique matériau pour des récits innombrables. Je suis parti en Amérique avec, dans mes bagages, la mémoire des immigrés arabes happés par le nouveau continent. La pénurie qui avait sévi au mont Liban après l'effondrement de la sériciculture au XIXe siècle, puis la famine qui l'avait frappé pendant la première guerre mondiale sont restées liées dans mon esprit à ces immigrés partis en Amérique pour devenir des marchands ambulants et des poètes et qui n'ont jamais cessé de porter en eux la nostalgie du pays.
Je suis parti à la recherche de Gibran, et des écrivains de la Ligue des écrivains (al-Rabita al-Qalamiyya) qui, depuis leur exil américain, avaient initié de profondes transformations dans la littérature arabe au début du XXe siècle. Leurs traces m'ont conduit par hasard vers un petit bar en bas de Manhattan tenu par une juive sexagénaire. En sirotant son verre de Margarita, elle m'a raconté le drame de son ami, le poète palestinien Rached Hussein, qui, éreinté par l'alcool et l'exil, était mort dans l'incendie déclenché par sa cigarette dans son petit appartement new-yorkais.
Ma découverte de l'histoire de ce poète palestinien, qui avait traduit en arabe des poètes israéliens et qui avait esquissé les premiers fondements de la littérature de la Nakba ("la catastrophe", l'exode des Palestiniens en 1948) était bien différente de ma rencontre avec le spectre d'Oussama Ben Laden, vingt-cinq ans plus tard. Avec le poète, j'ai goûté à l'exil, j'ai compris que, sous l'image courante de l'Amérique, il existait des dizaines d'images qui évoquaient la relation des étrangers avec leurs lieux d'exil, engendrant ainsi une culture spécifique, à la fois nostalgique et révoltée.
En revanche, le spectre de Ben Laden, qui règne dans les aéroports et les villes fait adhérer l'image au lieu. Ce fondamentaliste saoudien qui avait échafaudé sa "base" (Al-Qaida) en pleine guerre froide et dans le camp américain à la faveur de la guerre des Moudjahidins afghans, a réussi à incorporer le Moyen Age au XXIe siècle. Ben Laden a inscrit le premier mot dans le registre du nouveau millénaire : la Terreur, le terrorisé a peur du terrorisé. La peur viole tous les tabous et convertit la vie quotidienne en cauchemar.
L'image de Ben Laden n'est complète qu'avec celle du président américain George W. Bush. Ils représentent, chacun à sa façon, la crise de la fin des idéologies totalitaires. Le premier métamorphose les valeurs tribales en religion, tandis que le second utilise la religion comme écran pour un projet colonial que l'unique empire de l'après-guerre froide aspire à réaliser.
L'image de Rached Hussein trouve son prolongement chez Saadi Youssef, le poète irakien qui vit toujours dans son exil londonien. Il avait fui la dictature de Sad- dam Hussein et n'avait rien d'autre à proposer à l'Amérique que d'échanger leurs dons : "Echangeons nos richesses, Amérique. Prends les plans des prisons modèles et donne-nous les chaumières des villages. Prends la barbe afghane et donne-nous la barbe semée de papillons de Walt Whitman."
L'Amérique de la détresse et de la diversité est marginalisée par l'Information dominante. Elle se trouve dans les ruelles sordides des Noirs, dans leurs souffrances, dans leur production littéraire et artistique, dans les réserves des Peaux-Rouges, dans les quartiers des Hispaniques et des gens de couleur, dans les universités, dans les mouvements des femmes, dans les écoles et dans les églises.
Cette Amérique-là, transformée en barbe semée de papillons par la magie de la plume d'un poète irakien, est occultée par l'autre Amérique, puissante, arrogante, impitoyable. En effet, vue du monde arabe, la Rome atlantique paraît effrayante. Les ressources pétrolières de la péninsule Arabique, du Golfe et de l'Irak ont fait d'eux les plus grandes réserves énergétiques au monde. A cause d'elles, une guerre mondiale démente et débridée se déroule aujourd'hui. Elle agresse la langue, vide les mots de leur sens, assassine les valeurs pour mieux assassiner ensuite les êtres humains.
Dans sa pentalogie intitulée Les Villes de sel, le romancier saoudien Abdel Rahman Mounif décrit les prémices de la présence américaine dans le monde arabe. Là-bas, dans la péninsule, dans les années 1930, des villes de métal et de béton ont surgi sur les ruines des villages et des oasis. Cette étrange modernité pétrie de fondamentalisme religieux et de structures tribales est devenue une ligne de front de la présence américaine et une base pour la guerre froide. Atteint de folie, Mout'eb Al-Hazzal, le héros du roman, disparaît, laissant derrière lui un pays dévasté et livré au chaos.
Le projet pétrolier américain s'est articulé très rapidement à l'amère réalité vécue par l'Orient arabe depuis la Nakba, lorsque l'Etat d'Israël a été fondé sur les décombres de la Palestine. C'est à partir de ces deux axes, l'Arabie saoudite et Israël, que sera échafaudée dans la région la stratégie américaine tout au long de la guerre froide.
La chute du bloc soviétique, l'explosion du fondamentalisme depuis sa base afghane, la persistance d'Israël à refuser au peuple palestinien son droit à l'autodétermination et à la construction d'un Etat indépendant sur 22 % de la Palestine feront du Machrek arabe le terrain et le combustible d'une nouvelle guerre mondiale, déclenchée par l'occupation américaine de l'Irak au mépris de l'opinion internationale, du droit international et des Nations unies.
Vue du monde arabe, l'Amérique ressemble à un monstre métallique aveugle dont l'objectif est d'écraser les autres, de s'emparer de leurs richesses, d'exposer leurs sociétés à la déstructuration et aux guerres civiles. L'image de l'Amérique est celle des blindés qui règnent sur les rues des villes irakiennes, elle est tachée du sang palestinien versé quotidiennement.
On dirait que l'Amérique n'a d'autre but que d'imposer aux Arabes son double fondamentaliste, à la fois antinomique et identique, afin de mettre la main sur leur pétrole et d'assurer une totale domination israélienne dans la région. Dans un poème intitulé Tombeau pour New York, le poète syrien Adonis avait réuni les deux images de New York, celle de la ville préférée des exilés et des marginaux et celle de la déesse de la Puissance américaine.
Aux yeux des Arabes, Sodome s'est totalement substituée à Babel aujourd'hui. En guise de conclusion, j'emprunte ces quelques vers au poème de Mahmoud Darwich intitulé Dernier discours de l'Homme rouge. En peu de mots, ils disent la détresse vécue par les gens à l'ère de l'empire américain :
Arbre ô mon frère
Comme moi ils t'ont fait souffrir
N'implore pas le pardon
Pour le bûcheron de ta mère
Et de la mienne.
[Traduit de l'arabe par Rania Samara.]
                   
25. Ossama Al-Baz : "La violence israélienne ne peut pas être comparée à la violence palestinienne" propos recueillis par Chérif Ahmed
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 20 octobre 2004
Ossama Al-Baz, conseiller politique du président Moubarak, évoque la conférence internationale sur l’Iraq, le conflit israélo-palestinien et la crise du Darfour.
— Al-Ahram Hebdo : L’Egypte a déclaré accueillir une conférence internationale sur l’Iraq le 25 novembre prochain. Quel est l’objectif de cette conférence ?
— Ossama Al-Baz : L’Egypte a décidé d’accueillir cette conférence après avoir reçu une demande du gouvernement transitoire iraqien. Cette conférence va discuter une question essentielle, à savoir la préparation des élections iraqiennes prévues en janvier 2005, et la désignation d’un gouvernement iraqien permanent.
En fait, la violence se poursuit en Iraq, des attentats meurtriers sont menés chaque jour et des factions et des groupes non connus enlèvent des otages de toutes les nationalités. Pour toutes ces raisons, il fallait tenir cette conférence sur l’Iraq afin d’éviter le danger qui peut toucher ce pays et ses institutions et qui en même temps peut le déséquilibrer.
— Il y a eu une certaine confusion concernant les participants à la conférence. On avait dit dans un premier temps que la France n’y prendrait pas part. Concrètement, qui va participer à cette conférence ?
— En fait, il y aura deux groupes importants qui vont y participer. Premièrement, les pays les plus riches du monde, c’est-à-dire le G8, que nous considérons comme des pays donateurs pour la reconstruction de l’Iraq. Le deuxième groupe est représenté par les pays limitrophes de l’Iraq qui peuvent influencer ce pays et en même temps subir l’influence de la politique qui y est menée. La Turquie et l’Iran vont participer également, ainsi que l’Onu, la Ligue arabe et plusieurs organisations islamiques.
— La France a jugé préférable que la résistance iraqienne participe à la conférence et elle a exigé un calendrier pour le retrait des forces d’occupation d’Iraq. Ces idées ne sont-elles pas contre la position égyptienne qui est contre la participation de la résistance iraqienne ?
— Si on admet que la résistance participe à cette conférence, il faudrait tout d’abord la définir et en déterminer les différentes composantes. Il n’est pas logique de mettre par exemple le groupe de Moqtada Al-Sadr sur la même table avec le gouvernement. De même, le groupe qui a kidnappé les deux otages français fait-il partie de la résistance ? A mon avis, tout représentant de l’intérieur de l’Iraq voulant participer à cette conférence doit être reconnu par les Iraqiens et avoir un certain poids au sein du pays. On veut un Iraq unifié et stable à tous les niveaux.
— Lors de la récente visite du président Moubarak à Paris, le processus de paix fut évoqué. Quelle est la position des deux pays par rapport à cette question ?
— La France comme l’Egypte pensent que le plan de retrait d’Ariel Sharon de Gaza doit être suivi d’un autre retrait de Cisjordanie. Le conflit israélo-palestinien doit être réglé dans la cadre de la feuille de route. De même, l’Egypte et la France veulent que les discussions sur le volet syrien aillent de pair avec le volet palestinien et qu’Israël se retire des fermes de Chébaa au sud du Liban.
La position israélienne n’est pas toujours stable. A mon avis, Israël sent que la violence qui se déroule sur son territoire n’est pas dans son intérêt. Les deux parties utilisent la violence. Mais la violence israélienne ne peut pas être comparée à la violence palestinienne au niveau du nombre de morts et de blessés. Israël détruit les maisons des Palestiniens et continue la construction du mur de séparation. Tout cela mène à des difficultés pour relancer le dialogue israélo-palestinien.
— Et qu’advient-il de la visite du ministre des Affaires étrangères, Ahmad Aboul-Gheit, et du chef des services de renseignement, Omar Soliman, qui était prévue en octobre pour relancer ce dialogue israélo-palestinien ?
— Le dialogue existe toujours, mais au niveau des diplomates. Il y a des contacts téléphoniques entre les deux parties. Les Palestiniens et les Israéliens ont des demandes et l’Egypte leur demande de coopérer avec l’initiative égyptienne pour stopper la violence. Il est très difficile au vu des frappes israéliennes dans les territoires palestiniens de poursuivre ce dialogue à un niveau plus élevé. Israël poursuit sa politique d’assassinats contre le peuple palestinien et ses dirigeants. C’est une forme de terrorisme international. A mon avis, si la violence diminue ou disparaît, cela peut encourager une reprise du dialogue et l’application de la feuille de route.
— La situation au Darfour est très inquiétante ? Comment évaluez-vous la situation dans cette région ?
— La communauté internationale s’intéresse beaucoup à ce qui se passe au Darfour. On craint une internationalisation de la crise. Un certain nombre de pays ont une vision spéciale la concernant. Ils trouvent que le gouvernement soudanais n’a pas totalement rempli ses engagements. Pour certaines puissances, il est inacceptable de passer sous silence les agissements des milices Djindjawides. L’Egypte ne veut pas blâmer une partie aux dépens d’une autre. Nous ne sommes pas en train de juger le Soudan. Mais nous sommes en face d’une situation tragique. Il y a au Soudan des gens qui souffrent sur le plan humanitaire. En même temps, il y a des craintes que cette situation ne donne lieu à un démembrement du Soudan, ce qui pourrait mettre en péril la sécurité dans la région. La situation au Darfour pourrait devenir contagieuse et influencer d’autres régions. L’Egypte essaie d’inciter les diverses parties à agir sans avoir l’impression d’être sous une pression externe d’une force étrangère quelconque.
— Concernant l’élargissement du Conseil de sécurité, existe-t-il un conflit entre l’Egypte et l’Afrique du Sud afin d’obtenir un siège à l’Onu ?
— Non, il n’existe aucun conflit entre l’Egypte et l’Afrique du Sud. Nous voulons qu’un plus grand nombre de pays soit représenté au Conseil de sécurité. L’Afrique du Sud est en bonne position pour y parvenir et également l’Egypte. Il n’y a aucun problème que deux pays du continent africain obtiennent deux sièges permanents au Conseil de sécurité. Car les deux pays remplissent les critères requis.
                       
26. La catharsis d’un écrivain : un député arabe israélien réussit à faire passer son message, grâce à l’écriture par Olivia Snaije
in The Daily Star (quotidien libanais) du vendredi 19 octobre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

"Check Point" a aidé Azmi Bishara à traverser une période difficile
Paris – Azmi Bishara, l’homme politique palestinien le plus célèbre en Israël, irradie d’énergie. Membre de la Knesset depuis huit ans, charismatique et parlant couramment quatre langues, Bishara est un avocat infatigable des droits de l’homme et de la cause palestinienne. Il motive les moins combatifs moralement à se lever le matin. Mais qu’est-ce qui fait courir Bishara ? En des temps où la situation en Palestine et dans les Territoires occupés semble plus sombre que jamais, comment fait-il, lui-même, pour se lever le matin ?
 « Il y a deux choses, qui m’aident », explique-t-il, sobrement. « Tout d’abord ; ma fille, et mon fils. Je veux les embrasser avant leur départ pour l’école. Mon autre motivation, c’est ce sentiment, profond, du devoir. Tu dois faire ce qu’il faut faire, ce qui est juste, même si tu n’es pas capable d’expliquer pourquoi tu le fais… »
Bishara – même lui ! – connaît de ces jours où il doit se tirer du lit par le col du pyjama. La publication de son premier ouvrage de fiction, « Check Points, Fragments de Roman », en arabe et en français, est le fruit d’un trop-plein émotionnel, qui l’a soutenu aux moments les plus durs.
 « J’ai écrit « Check Point » durant les moments les plus difficiles que j’aie jamais connus dans ma vie. C’était au début de la seconde Intifada, et j’étais moi-même, personnellement, en butte à la violence », explique-t-il, évoquant des tentatives d’incendie volontaire de son domicile, à Nazareth, et de l’obligation à laquelle il fut soumise de vivre et de travailler dans une atmosphère générale d’intense hostilité.
L’écriture de son livre lui a permis d’exprimer ses sentiments avec une liberté qu’il a rarement lorsqu’il écrit des articles ou des manuels politiques ou philosophiques. Ce livre est aussi un véritable cri du cœur.
 « Durant ces trois dernières années, il y avait quelque chose, à l’intérieur de moi, qui devait sortir, si je voulais survivre. Le livre que vous avez en mains est au plus près de mes sensations ; le « je » est tellement plus fort que la tournure impersonnelle et distanciée propre au style d’un article… »
Ecrit dans un style fragmenté – « parce que notre réalité est fragmentée, par les check points », explique l’auteur – « Check Point » est le premier roman d’une trilogie, structurée comme une série de vignettes sur la vie quotidienne en Israël et dans les Territoires occupés. Tout tourne autour des check points, où les Palestiniens sont contraints à perdre énormément de leur temps.
Dans le premier chapitre, une petite fille enjouée, qui va au jardin d’enfants, perd tellement son temps au barrage routier, sur le chemin de son école, que lorsque l’un de ses parents lui demande où elle a passé la journée, elle répond : « au check point ! »
Plus qu’au check point littéral, physique, Bishara s’intéresse à sa nature symbolique, hégémonique, qui colore tous les aspects de l’existence (des Palestiniens).
« Nous en sommes réduits à une situation où nous devons constamment nous justifier », dit Bishara, titulaire d’un doctorat de philosophie. « Tu es qui ? Tu vas où ? Le check point est le symbole de « qui domine qui ? » »
L’Etat d’Israël n’est jamais mentionné. C’est délibéré. Bishara lui préfère la dénomination d’Etat du check point. Les soldats israéliens sont les maîtres du check point.
Le paysage qu’il décrit est fait de villages disloqués, définis par leur situation « avant » ou « après » le check point ; ce sont des sortes d’îles, sortis desquelles les gens doivent emprunter des routes détournées, parce que les routes principales, les routes directes, sont condamnées.
 « A un check point, une bâche militaire, tendue pour faire de l’ombre, est tombée. Les gens, qui font la queue sous un soleil brûlant, la ramassent, et la tendent au-dessus de leurs têtes, chacun tenant un pan de toile d’une main tendue vers le ciel…. »
Le style fragmenté de « Check Point » n’est en aucun cas un reflet décousu de la situation régnante. Dans une certaine mesure, le livre rappelle le film primé d’Elia Suleiman, Intervention divine. Les tranches de vie évoquent le désespoir, la colère, le cynisme, une profonde tristesse et une sombre comédie. Mais Suleiman, quant à lui, laisse ses personnages s’abandonner à la comédie. Tandis que les protagonistes anonymes de Bishara philosophent au sujet de leur situation, au cours de conversations alambiquées et souvent loufoques, qui ne laissent pas d’évoquer des monologues intérieurs.
Au cours d’un de ces échanges, une personne demande à une autre de venir à une manifestation, devant un… check point. L’autre lui demande pourquoi il le ferait, puisqu’il subit un check point devant son pas de porte. Son ami lui dit qu’il ne comprend pas. Comment il peut subir un check point, à Tel-Aviv ? Il s’entend répliquer : « C’est simple : j’ai un check point interne, un état de siège interne et un couvre-feu interne, qui ne cessent de me harceler… »
Bishara évoque aussi la difficulté qu’il y a à être un Arabe israélien. Un de ses personnages raconte que les Arabes le traitent comme un juif, et les juifs comme un Arabe.
 « Mon peuple se bat contre mon Etat, et mon Etat fait la guerre à mon peuple », dit-il.
Chaque jour, Azmi Bishara doit affronter cette dichotomie.
 « Jamais tu ne ferais le boulot que je fais ! » dit-il, poussant un profond soupir.
 « Personnellement, j’ai horreur d’être à la Knesset. C’est un endroit très difficile, pour moi. Je ne veux pas me lever et aller là-bas. Mais il faut bien que je le fasse. C’est tout. Les gens ne se rendent pas compte du sacrifice personnel que cela représente. Beaucoup pensent que c’est un privilège. Pour moi, ce « privilège », comme ils disent, me coûte énormément. »
Si la rigueur morale permet à Bishara de continuer son combat politique, écrire une fiction lui offre une certaine catharsis. Il a déjà terminé d’écrire la suite de Check Point, et il a déjà la structure du troisième volume (de la trilogie).
Pour Bishara, qui parle couramment l’hébreu, il est primordial que ses livres soient publiés dans cette langue. Une traduction de Check Point en hébreu est déjà là, sur son bureau. Il manque de temps, pour corriger les épreuves. Cela l’arrange plutôt, car il trouve cette tâche psychologiquement éprouvante.
Aujourd’hui, Israël et la Palestine se résument à une série quotidienne d’opérations commandos, aux yeux des téléspectateurs occidentaux. Une fiction est sans doute le genre littéraire qui rende le mieux la dimension humaine de la tragédie causée par la situation politique. La prestigieuse maison d’édition Actes Sud a publié Check Point cet automne, et jusqu’ici, le livre se vend comme des petits pains.
Bishara espère que Check Point sera bientôt traduit en anglais. Il a l’impression qu’il lui est devenu plus difficile de transmettre son message, récemment, à cause des développements mondiaux, qui n’ont pas nécessairement un lien avec la question palestinienne, mais qui fractionnent le monde.
 « Je suis un peu désespéré, parce que le monde est polarisé à un tel point que je ne pense pas que j’y aie encore ma place. C’est soit Bush, soit Ben Laden. Et moi, je ne veux être ni l’un, ni l’autre. C’est un peu comme si tu devais choisir entre l’occupation israélienne, et les attentats kamikazes… »
 « Je suis convaincu qu’on peut être à la fois rationnel dans la façon de gérer la société, et moral dans ses jugements. Je pense qu’il y a actuellement une tentative de marginaliser l’humanisme et de nous rendre hors sujet. Mais si nous réussissons encore à dire ce que nous pensons, et si les gens peuvent encore nous entendre, alors, nous pouvons continuer… »
Faisant référence à cette prise de conscience, qui s’est produite voici deux siècles, qui imposa aux gens de se comporter avec décence, Azmi Bishara dit, après un petit éclat de rire : « C’est vrai, je vis encore au dix-neuvième siècle. J’assume… »
[Check Point est publié en français chez Actes Sud, et en arabe, sous le titre « Al-Hajiz », chez Riad Al-Rayyes.]
                   
27. Les combats et les provocations de Mordechaï Vanunu, "l'espion nucléaire" par Patrick Saint-Paul
in Le Figaro du lundi 18 octobre 2004
L'ancien technicien accuse la France d'avoir changé la donne du conflit israélo-arabe en ayant fourni l'arme nucléaire à l'état hébreu
Libéré il y a six mois après dix-huit ans de détention, Mordechaï Vanunu, «l'espion nucléaire» israélien, est toujours en liberté surveillée : il lui est interdit de quitter le pays et de parler à des ressortissants étrangers. Vanunu, 49 ans, a été condamné en 1986 à huis clos pour «trahison» en raison de ses révélations sur la centrale de Dimona, où il était employé pendant neuf ans. Les photographies et les croquis de l'installation ultrasecrète, qu'il a fournis au journal britannique Sunday Times, avaient permis aux experts militaires étrangers d'évaluer l'état d'avancement du programme nucléaire israélien, mettant à mal la politique d'ambiguïté observée par Israël.
Jérusalem : de notre correspondant
Aucun autre Israélien n'aurait osé une telle bravade le jour du Yom Kippour, la fête la plus importante du calendrier juif. Après avoir sonné les cloches des églises de la vieille ville de Jérusalem, Mordechaï Vanunu a posé une croix sur ses épaules avant de remonter la Via Dolorosa jusqu'au Golgotha, où, selon la tradition, aurait été crucifié le Christ. Libéré il y a six mois, après dix-huit ans de détention, «l'espion atomique», comme on l'a surnommé, cultive sa liberté et le goût de la provocation. Héros de la lutte antinucléaire pour certains, il est considéré comme un traître par beaucoup de ses compatriotes.
Enfermé dans un patriotisme à toute épreuve, alors qu'ils entrent dans leur cinquième année d'Intifada, de nombreux Israéliens considèrent Vanunu comme un «triple traître». Non seulement ce Juif israélien originaire du Maroc a révélé des secrets d'État, mais il s'est converti au christianisme et il réaffirme à chaque occasion qu'il ne juge pas indispensable l'existence d'un État juif. Technicien employé à la centrale de Dimona, il avait couvert de ridicule les services de renseignements israéliens en prenant des photographies de l'installation ultrasecrète.
Ces informations ont permis aux experts militaires étrangers d'évaluer l'état d'avancement du programme nucléaire israélien et mis à mal la politique d'ambiguïté nucléaire d'Israël. «Israël trompait le monde entier en faisant croire que le réacteur nucléaire de Dimona était utilisé uniquement à des fins pacifiques, explique Vanunu. J'ai ressenti un devoir moral de dire la vérité. Certains pensent que j'ai rendu service à Israël en révélant sa vraie force. J'ai peut-être aussi empêché son suicide nucléaire. Le monde a compris qu'Israël n'était plus un ennemi gentil, si faible face aux puissances arabes. Il a vu aussi qu'Israël avait triché.»
Vanunu a été sévèrement puni pour ses indiscrétions : condamné à dix-huit années de prison pour «espionnage» et «trahison», il n'a pas bénéficié de la moindre remise de peine et a passé onze ans et demi en confinement solitaire, isolé dans une cellule de deux mètres sur trois, sans fenêtre et éclairée jour et nuit par une lumière bleutée. «Les services israéliens ont voulu me briser, confie tranquillement Vanunu. Ils ont essayé de me rendre fou, pour me discréditer. Mais je n'ai jamais craqué. J'ai lu, étudié, écouté de l'opéra. Pour Yom Kippour, je mettais du Wagner à fond dans ma cellule. C'était ma façon de rester libre, de leur montrer que je n'étais pas des leurs et donc inébranlable.»
Vanunu a choisi le christianisme pour renier sa nationalité israélienne. Il s'est converti en Australie avant son arrestation. «Certains m'accusent d'antisémitisme, dit-il. Mais tant que vous êtes juif, on vous considère comme un Israélien dans ce pays. En Israël, la Bible est devenue un outil pour prendre la terre aux Palestiniens. On y respecte la moindre prescription de la Torah dans chaque aspect de notre vie quotidienne sans avoir le moindre respect pour la vie des Palestiniens. Je devais me libérer de cela.» Ses parents ultraorthodoxes ne le lui ont pas pardonné. D'autant que son père a perdu sa place de rabbin de Beersheva après sa «trahison». Il n'a plus de contact avec eux.
Pis encore : Vanunu juge qu'un État Juif n'a pas lieu d'exister et prône la création d'un État binational dans lequel les Palestiniens et les Juifs auraient les mêmes droits. «Durant la première moitié du XXe siècle, il y avait un vrai problème d'antisémitisme, dit-il. Aujourd'hui, des réfugiés de toutes les guerres sont disséminés à travers le monde et les Juifs ne sont qu'une minorité parmi d'autres. Ils ne sont plus en danger. Ils n'ont plus besoin d'un refuge. Ce dont Israël a besoin, c'est d'une vraie démocratie. Le jour où il y aura un premier ministre et un chef du Mossad palestiniens, je serai fier d'appartenir à ce pays. Mais pour l'instant Israël est un État juif raciste, où règne un apartheid antipalestinien. Je ne veux plus y vivre.» Résidant depuis sa sortie de prison à l'église anglicane Saint-George de Jérusalem, Vanunu n'est pas encore totalement libre. Il est soumis depuis six mois à un régime de liberté surveillée de très près, en raison du «danger tangible», constitué par l'hypothèse de nouvelles révélations. Il a interdiction de quitter le pays pendant une période d'un an, renouvelable. Il n'a pas le droit d'approcher les aéroports, ports ou postes frontaliers. Ni le droit de parler à des ressortissants étrangers sans en avoir au préalable informé les forces de sécurité, une interdiction qu'il a bravée à plusieurs reprises en accordant des entretiens à la presse étrangère.
Vanunu juge particulièrement important de s'adresser à des journalistes français, car la France, estime-t-il, a joué un rôle crucial dans l'histoire du nucléaire israélien. «La France a vendu à Israël le réacteur de Dimona, où j'étais employé, rappelle Vanunu. Elle a aussi fourni l'usine ultrasecrète, située à 23 mètres sous terre, où l'on séparait l'uranium du plutonium, pour fabriquer des armes nucléaires. Les négociations ont commencé cinq ans après le traumatisme de l'holocauste et la France était prête à donner beaucoup à Israël.»
Selon Vanunu, la France est allée trop loin, car elle aurait ainsi contribué à bouleverser la donne du conflit israélo-arabe. «Si la France n'avait pas offert ce réacteur, Israël n'aurait pas développé cette capacité nucléaire, qui l'a poussé à se sentir si fort vis-à-vis de ses ennemis arabes, estime Vanunu. Israël n'aurait pas osé combattre la totalité du monde arabe et aurait compris que pour survivre au Moyen-Orient il devait faire la paix avec ses voisins. A cause de l'atome, l'État hébreu s'est pris pour une superpuissance nucléaire. La France a donné le réacteur, elle a le droit aujourd'hui et le devoir de réclamer des inspections de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA). Ce serait sa contribution à la paix.» La centrale de Dimona serait dangereuse, selon Vanunu, car elle ferait peser sur Israël et ses voisins la menace d'un nouveau Tchernobyl. «Le réacteur devait avoir une durée de vie de vingt-cinq ans et cela fait quarante ans qu'il est en service, assure Vanunu. Ce n'est pas pour rien que le gouvernement a distribué des pilules aux gens qui habitent près de la centrale. Israël et la Jordanie sont au bord d'un désastre humain et écologique, qui pourrait avoir des conséquences jusqu'en Grèce. Si Israël réclame des inspections de l'AIEA en Iran, ce n'est pas parce qu'il se sent menacé, c'est uniquement pour détourner l'attention de son propre programme nucléaire. Ensuite, il s'attaquera au Pakistan.»
Le «mouchard atomique» israélien assure aussi que la France a joué un rôle dans son enlèvement rocambolesque, qui avait suivi la publication de ses révélations en 1986. Berné par Cindy, une espionne blonde du Mossad, Vanunu s'est laissé entraîner de Londres vers Rome, où il a été drogué et kidnappé avant d'être embarqué sur un navire israélien au large des côtes italiennes. Il a conservé, malgré tout, une certaine tendresse pour Cindy, qui était «gentille» avec lui et avec laquelle il a «bu du champagne». Vanunu se rappelle aussi d'un «espion français», qui accompagnait un agent britannique et plusieurs agents israéliens à bord du bateau sur lequel il a été interrogé et enchaîné à son lit pendant une semaine. «Je ne connaissais pas son nom, mais nous avons parlé de littérature, se souvient Vanunu. J'ai essayé de lui demander où on m'emmenait, mais il n'a rien voulu me dire. J'imagine que sa présence était la suite logique de la coopération nucléaire franco-israélienne.»
A l'issue de la traversée, Vanunu a été débarqué à quelques kilomètres de la prison Shikma d'Ashqelon, où il a passé dix-huit ans. Aujourd'hui, il souhaite recouvrer sa liberté totale. Il consacre ses journées à la natation, la lecture et milite contre le nucléaire. Il voudrait commencer une nouvelle vie, s'installer à l'étranger «aux Etats-Unis ou en Europe», pour écrire son histoire et fonder une famille. Il affirme qu'un ami a déposé pour lui une demande d'asile en France.
                       
28. Confirmé et avoué. Entre le 29 septembre et le 15 octobre, l’un dans l’autre, j’ai tué trente enfants. Soit : deux enfants par jour par B. Michael
in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du vendredi 15 octobre 2004
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Deux enfants tués par jour, cela fait, plus ou moins, quatre parents endeuillés par jour. Pourquoi : plus ou moins ? Parce que certains de ces enfants étaient frères et/ou sœurs. Alors, là, ça fait deux enfants tués pour un couple de parents endeuillés. Cela vaut peut-être encore mieux, car ces parents étaient déjà endeuillés, de toute manière, alors ils le sont simplement doublement et cela épargne, peut-être, à un autre couple de parents d’être endeuillés ? Mais c’est peut-être aussi pire, parce qu’être endeuillé, c’est pire qu’être mort, alors : être doublement endeuillé, c’est deux fois pire qu’être mort. Tiens, du coup, moi, je ne sais plus vraiment quoi choisir…
Tous ces enfants, je les ai tués dans la bande de Gaza. Et, tous, je les ai tués par erreur. J’explique :… je savais qu’il y avait des enfants, là, et je savais que j’allais en tuer quelques-uns. Mais comme je savais que ce serait « par erreur », cela ne m’a pas particulièrement tracassé. Tout le monde peut se tromper, n’est-ce pas ? Seul celui qui ne fait rien ne commet pas d’erreur… Errare humanum est… Tout le monde peut se tromper : nous ne sommes, tous autant que nous sommes, que des êtres humains. C’est ce qu’il y a de tellement charmant, dans mes petites erreurs : c’est elles qui font que je me sens tellement humain, tellement faillible… pas vrai ?
Ces trente enfants, je les ai tués en commettant toutes sortes d’erreurs. A chaque petite victime, son erreur bien à elle. Il y en a un dont j’ai pensé, par erreur (bien entendu…) qu’il n’était pas un enfant. Et il y en a eu un que j’ai buté parce qu’il s’entêtait à rester exactement à l’endroit que j’avais pris pour cible. Et puis il y avait cet autre, là, qui lançait des pierres, et qui ne faisait pas du tout ses six ans. Et puis celui qui, vu d’en haut, ressemblait à un terroriste recherché. Ou à une roquette Qassam. Ou à un terroriste tenant une roquette Qassam. Et puis il y a eu ces gamins qui ont reçu dans la tête – par erreur – les éclats de l’obus que j’avais balancé sur leur maison. Et il y a eu cette gamine qui s’était cachée – par erreur, sans doute – sous son lit, juste au moment où j’ai fait sauter le lit, pour faire sortir la bande de terroristes qui s’était planquée dans la maison. Mais cette gamine-là, elle ne compte pas : c’était son erreur, pas la mienne…
Je me souviens : le plus dur, ce furent mes premières erreurs. J’ai tiré et tiré et tiré, et puis un beau jour ils sont venus me dire que j’avais dézingué un gamin. Je suis devenu tout pâle, j’avais la bouche sèche, mes genoux jouaient des castagnettes et je n’ai pas très bien dormi, cette nuit-là. Mais, avec le temps, et mes erreurs, tout est devenu plus facile. Aujourd’hui, je commets mes erreurs sans pratiquement ressentir aucun effet secondaire. Par chance, mes amis, mon entourage… personne n’a fait tout un tintouin autour de mes erreurs les plus minimes.
Tiens, tout juste la semaine dernière : après avoir tué une fillette (par erreur), je lui ai balancé deux erreurs supplémentaires dans la tête, histoire de bien confirmer que j’étais en train de faire une erreur. Et puis tout le reste de mon chargeur y est passé : il était encore bourré d’erreurs. Naguère, j’aurais bien été infoutu de faire ça…
Je dois à la vérité de signaler que des gens me disent que je fais une erreur en faisant cet aveu. Ils disent que je n’ai jamais mis les pieds à Gaza, que je n’ai pas tiré une seule balle, que je n’ai pas bombardé, que je n’ai pas balancé d’obus de mortier et que je n’ai pas tiré à vue. C’est vrai : je n’ai rien fait de tout ça. Mais qui a payé les balles ? Moi. Qui a acheté le flingo ? Et financé l’obus de mortier ? Et le missile ? Moi. Moi. Et encore : moi !
Et, aussi, qui ne pâlit plus à chaque nouvelle erreur ? Qui a la bouche qui ne devient plus sèche à chaque fois qu’un nouvel enfant est porté en terre ? Qui a les genoux qui ne flanchent même plus quand un énième bébé anonyme gît, mort, dans un berceau ensanglanté ? Qui va se coucher et dort à poings fermés même quand le nombre d’erreurs atteint trente en deux semaines.
Moi. Toujours : moi !
ALORS  :  S’IL  VOUS  PLAÎT  :  NE  VENEZ  PAS  ME  DIRE  QUE  JE  N’AI  PAS  TUE  !
[traduit de l’hébreu en anglais par "The Other Israel"]
                             
29. Les rapports entre Israël et l'UE risquent de devenir de plus en plus tendus, selon un document secret israélien
Dépêche de l'agence Associated Press du mercredi 13 octobre 2004, 20h07 
JERUSALEM - Israël se trouve sur une pente menant au conflit avec l'Union européenne, au risque de devenir un Etat paria, comme l'Afrique du Sud du temps de l'apartheid, si le conflit israélo-palestinien n'est pas réglé, selon un document confidentiel du ministère israélien des Affaires étrangères, obtenu mercredi par l'Associated Press. Selon ce document de 25 pages, réalisé par le Centre de recherche politique du ministère israélien, l'UE accentue la pression pour devenir un acteur majeur sur la scène internationale au cours de la prochaine décennie. Du coup, les Etats-Unis, principal allié d'Israël, pourraient perdre leur influence internationale.
Selon les experts, si l'UE, alliance de 25 nations, parvient à dépasser ses divisions internes et à parler d'une seule voix, son influence globale devrait croître considérablement. Or une Europe plus forte exigerait des Israéliens un plus grand respect des conventions internationales, et pourrait même tenter de limiter la liberté d'action des Israéliens dans le conflit contre les Palestiniens, ajoute le document.
                           
30. Réseau russe d’espionnage en Israël
in Intelligence & stratégie (IVe année N° 4) du mois de mai 2004

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Une note signée par Shlomit Barnea-Fargo indique que les services russes utilisent leurs rapports commerciaux avec Israël pour conduire des activités d’espionnage. Ce document émanant des services du Premier ministre n’aurait pas dû être publié et ressemble à une mauvaise coordination entre le Shin Beth (contre-espionnage) et les services de M. Sharon. Selon cette note, un citoyen israélien d’origine ukrainienne, Georgi Gary Arinson, aurait entretenu une relation suivie avec le Premier secrétaire de l’Ambassade russe à Tel -Aviv, Andreï Mochalov. M. Arinson est consultant au profit de sociétés russes commerçant avec Israël, dont Gazprom et Alrosa, le diamantaire russe. Ces contacts ont rapidement attiré l’attention des services de contre-espionnage et d’anti-subversion du Shin Beth, qui ont défini, selon la note de Barnea-Fargo, M. Mochalov comme étant un agent du SVR (le renseignement extérieur russe) opérant sous couverture diplomatique. Le Shin Beth a averti Arinson de la situation. Ce dernier a protesté, indiquant par le biais de son avocat qu’il n’entretenait cette relation qu’à des fins commerciales. Cette affaire classique pourrait avoir deux conséquences. Côté russe, on voulait augmenter le personnel diplomatique à Tel -Aviv, côté israélien, on craint que ce pas de clerc soit exploité pour renf orcer les forces qui, en Russie, prêchent auprès du Kremlin pour un re nforcement de la politique arabe de la Russie et d’un démarquage plus net de Moscou vis-à-vis de la politique du Cabinet d’Ariel Sharon.