Il semble que plusieurs destinataires n'aient pas reçu le 243ème Point d'information Palestine le 15 octobre dernier. Si vous souhaitez le recevoir, il vous suffit de nous adresser un e-mail avec comme objet "Renvoi du PIP N° 243" à l'adresse suivante : LMOmarseille@wanadoo.fr
                                     
                       
Point d'information Palestine N° 244 du 03/11/2004
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Au sommaire
              
Rendez-vous
1. Mur un film de Simone Bitton sortie en France et en Belgique
2. Concert pour la Palestine le samedi 6 novembre 2004 à Paris au Parc des expositions de la Porte de Versailles
                   
Autour d'un livre
- Chronique d'une terre aliénée de Danièle Ouanès aux éditions de L'Harmattan suivi d'un extrait : Pêcheurs de Gaza
                    
Réseau
- Pourquoi doit-on avoir peur de Tali Fahima ? par Lin Chalozin-Dovrat (12 août 2004)
                          
Revue de presse
1. L'état de santé de Yasser Arafat est "stable" in Le Monde du mardi 2 novembre 2004
2. De son lit d'hôpital, Arafat en appelle aux Palestiniens par Wafa Amr - Dépêche de l'agence Reuters du lundi 1er novembre 2004, 14h52
3. Détruire ce mur illégal en Cisjordanie - La condamnation de la Cour internationale de justice par Willy Jackson in Le Monde diplomatique du mois de novembre 2004
4. La succession inquiète le monde arabe par Sibylle Rizk in Le Figaro du samedi 30 octobre 2004
5. Leïla Shahid - Une vie pour "la cause" par Guillaume Bourgault-Côté in Le Devoir du samedi 30 octobre 2004
6. Dieudonné rompt avec les initiateurs d'Europalestine - Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 29 octobre 2004, 15h37
7. Les Etats-Unis, Israël et l’Europe par Pascal Boniface in L'Economiste Maghrébin du mercredi 27 octobre 2004
8. Israël a réclamé la destitution de Jean Ziegler - Dépêche de l'agence SDA-ATS News Service du lundi 25 octobre 2004, 19h46
9. Peter F. Mulrean, directeur du bureau régional "Initiative de partenariat avec le Moyen-Orient" (MEPI) : "Nous avons mis à l’écart la démocratie et les réformes" entretien réalisé à Tunis par Hichem Ben Yaïche in Le Quotidien d'Oran du samedi 23 octobre 2004
10. Libération des otages : Le handicap israélien de l’équipe Julia par Gilles Munier in AFI-Flash N° 37 du samedi 23 octobre 2004
11. Israël ne se sent plus… par Azmi Bishara in Al-Ahram Weekly du jeudi 21 octobre 2004
12. Israël : Paris proteste contre des tirs de semonce au passage d'un agent consulaire - Dépêche de l'agence Associated Press du vendredi 15 octobre 2004, 19h06 
13. Les évangéliques conservateurs, fer de lance de Bush - Entretien avec Tarek Mitri propos recueillis par Anne Kauffmann in La Tribune de Genève du 14 octobre 2004
14. La Grande Congélation par Ari Shavit in Ha’Aretz du vendredi 8 octobre 2004
15. Le cauchemar de Totor - Critique de l’ouvrage Herzl’s Nightmare [Le Cauchemar d’Herzl] par Antony Loewenstein in The Sydney Morning Herald du dimanche 26 septembre 2004
16. "Je suis rentrée, le cœur brisé" - Impressions de Palestine, pêle-mêle par Kathleen et Bill Christison on CounterPunch du vendredi 24 septembre 2004 suivi d'un échange d'e-mails entre Kathleen & Bill Christison et Benny Morris
17. Guerre des civilisations - Les aveux sur mesure des "repentis" d'Al Qaïda par Paul Labarique in Voltaire du mardi 21 septembre 2004
18. L’actuelle comédie de l’essentialisme par Pascal Ménoret in L'Humanité du lundi 20 septembre 2004
19. Israël recherche des financements pour des routes "Arabs only" par Chris McGreal in The Guardian du lundi 6 septembre 2004
20. La cabale qui, voici quatre ans, s’est emparée de la Maison Blanche y a apporté une philosophie qu’il urge de jeter dans la poubelle de l’histoire par Mazin Qumsiyéh in Al-Ahram Weekly du jeudi 2 septembre 2004
                               
[- Extrait du sommaire provisoire du prochain Point d'information Palestine (N°245) : Présentation des livres : Le mur de Sharon de Alain Ménargues aux éditions des Presses de la Renaissance - L’Empire aveuglé - Les Etats-Unis et le Moyen-Orient de Rashid Khalidi aux éditions Actes Sud - Israël-Palestine, une passion française - La France dans le miroir du conflit israélo-palestinien de Denis Sieffert aux éditions La Découverte. Dans notre revue de presseL’Etat d’Israël envisage d’appuyer les demandes de dommages et intérêts de citoyens israéliens, dans des procès contre l’Autorité palestinienne par Amira Hass in Ha’Aretz du lundi 25 octobre 2004 - Des prouesses de propagande ne parviendraient pas à rendre l’apartheid sexy - Réponse à l’article de Benjamin Pogrund : "Le bobard de l’apartheid" [The apartheid Lie] par Iqbal Jassat in Mail & Guardian du dimanche 24 octobre 2004 - Sharon fera la paix... quand les Palestiniens seront finlandais par Charles Enderlin in Libération du mercredi 20 octobre 2004 - Comme un monstre métallique aveugle par Elias Khoury in Le Monde du mercredi 20 octobre 2004 - Ossama Al-Baz : "La violence israélienne ne peut pas être comparée à la violence palestinienne" propos recueillis par Chérif Ahmed in Al-Ahram Hebdo du mercredi 20 octobre 2004 - Les combats et les provocations de Mordechaï Vanunu, "l'espion nucléaire" par Patrick Saint-Paul in Le Figaro du lundi 18 octobre 2004 - Confirmé et avoué. Entre le 29 septembre et le 15 octobre, l’un dans l’autre, j’ai tué trente enfants. Soit : deux enfants par jour par B. Michael in Yediot Aharonot du vendredi 15 octobre 2004.]
                                           
Rendez-vous
                           
1. Mur un film de Simone Bitton sortie en France et en Belgique
Quinzaine des Réalisateurs Cannes 2004
Grand Prix du Festival Documentaire Marseille 2004
Meilleur Film Documentaire du Festival Jérusalem 2004

[1h38 - 35mm couleurs]
L'histoire… «Nous aimons tellement cette terre que nous l’emprisonnons»

MUR est une méditation cinématographique personnelle sur le conflit israélo-palestinien, proposée par une réalisatrice qui brouille les pistes de la haine en affirmant sa double culture juive et arabe.
Dans une approche documentaire originale, le film longe le tracé de séparation qui éventre l’un des paysages les plus chargés d’histoire du monde, emprisonnant les uns et enfermant les autres. Sur le chantier aberrant du mur, les mots du quotidien et les chants du sacré, en hébreu et en arabe, résistent aux discours de la guerre et se fraient un chemin dans le fracas des foreuses et des bulldozers.
Toute la beauté de cette terre et l’humanité de ses habitants sont off ertes au spectateur comme un dernier cadeau, juste avant de disparaître derrière le MUR.
[Consultez le site : http://www.murlefilm.net - Toutes les dates de sortie en France et en Belgique : http://www.murlefilm.net/evenements/index.html]
                           
2. Concert pour la Palestine le samedi 6 novembre 2004 à Paris au Parc des expositions de la Porte de Versailles
Dans le Hall 5 du Parc des expositions de la Porte de Versailles, à Paris 15e, sur plus de 15 000 m², seront accueillis, de midi à minuit, de nombreux artistes dont Kery James, Geoffrey Oryema, Ridan, Gilad Atzmon & Orient House Ensemble, Ndo Trio, Samir Tahar, Dominique Ottavi, Sawt al Chargh, Pavé, Tidiane avec la participation du poète Abdellatif Laâbi et des troupes de danse Danse Dabké, Shahrokh Moshkin Ghalam, Troupe Bastet, mais aussi seront présentés de multiples débats, animations, expositions, vidéos, ventes de livres et d'artisanat, ainsi qu'une restauration internationale de qualité.
La parole sera donnée non seulement à des Palestiniens qui résistent et à des Israéliens qui militent contre l'occupation, mais également à des intervenants venus de toute l'Europe, qui partagent notre volonté de faire appliquer le droit international. Le concert est au profit de deux associations palestiniennes qui défendent les prisonniers palestiniens, adultes et enfants.
- Concert organisé par un collectif d'associations : - Euro-Palestine - Coordination des appels pour une paix juste au Proche-Orient (CAPJPO) - Abnah Philistine - Association des travailleurs maghrébins de France (ATMF) Genevilliers - Aide médicale internationale (AMI) - Association des Palestiniens de France (APF) - Agir contre la guerre (AGC) - Alternative couleur citoyenne - AGEN - Arabesque - Société des amis d'Al-Rowwad - Solidari'P - Palestine en marche - Trait d'union - Evry Palestine - Nanterre Palestine - Saint-Ouen Palestine - Palestine Montreuil - Les Amis de l'archéologie palestinienne - Association de solidarité avec les prisonniers palestiniens et leurs familles - Vigie Média Palestine - Nejma - Al Ard - Respect (Grande-Bretagne) - Forum Palestina Italie - Solidarieta Internazionale con ... - Palestine Libre Maroc - Organisation arabe des jeunes avocats - Campagn against the wall - International Solidarity Movement (ISM) - Defence for Children International - Treatment and Rehalibitation Center for Victims of Torture.
[Renseignements : http://concertpalestine.free.fr - Tarif plein : 15 euros - Tarif réduit : 10 euros (scolarisés, étudiants, chômeurs, province, familles nombreuses) - L'entrée est gratuite jusqu'à l'âge de 12 ans.]
Autour d'un livre

                            
- Chronique d'une terre aliénée de Danièle Ouanès
aux éditions de L'Harmattan
[299 pages - 21 euros - ISBN : 2841146871]

Dans ce monde où l'intoxication médiatique est souveraine, le poète a la mission de se lever et de parler avec d'autres mots, des mots lourds de leur poids d'humanité. Il entre parfois par la porte de la futilité, mais va au fond des choses. Par-delà la logique, sa flèche s'enfonce dans le coeur de son lecteur, que la poésie a dépouillé de sa cuirasse. Avec ce recueil, l'auteur poursuit son voyage dans l'âme palestinienne et évoque d'autres aspects de la réalité quotidienne des territoires occupés et des réfugiés.
Danièle Ouanès est née en France et le destin l'a fait vivre successivement en Yougoslavie, en Tunisie et au Canada. Elle conserve un grand attachement pour la Méditerranée. Son premier premier recueil de poèmes "Chronique de Ramallah" est paru en octobre 2002 aux éditions de L'Harmattan [115 pages - 10,00 euros - ISBN : 2747528847].
               
- EXTRAIT :
               
LES PÊCHEURS DE GAZA
Le filet pend à la façade de la maison.
Sûr qu’il est sec !
Aujourd’hui aussi, aujourd’hui encore,
Les pêcheurs ne sont pas sortis :
« Interdit! Qu’ils ont dit,
Ce sont des terroristes ! »
Et mon père et mon frère
Attendent, mains vides, dans un silence épais,
Un silence qu’il semble que l’on peut toucher
Tant il hurle d’humiliation et de rage rentrées.
Il nous reste du riz
Pour trois jours.
Et je regarde le filet,
En pensant que c’est nous que ses mailles enserrent…
Là-bas, sur le sable, la mer étale
Est morte de tristesse.
[Décembre 2002]
                                            
Réseau

                                           
- Pourquoi doit-on avoir peur de Tali Fahima ? par Lin Chalozin-Dovrat (12 août 2004)
(Lin Chalozin-Dovrat militante de "La Coalition des Femmes pour une Paix Juste".)
[Ce texte a été publié en hébreu sur le site israélien Walla.co.il, traduit et diffusé par l'Union Juive Française pour la Paix - BP 102 - 75960 Paris Cedex 20 - Tél : 01 42 02 59 76 - Fax : 01 42 02 59 77 - E-Mail : ujfp@filnet.fr]
Tali Fahima, Israélienne qui a grandit à Kiryat Gat (site de deux villages Palestiniens detruits apres la guerre de 1948, Faloudja et Iraq Manshiyya), a voté pour le Likoud aux dernières élections en Israël. Au cours de la dernière flambée de violence entre Israéliens et Palestiniens, Tali réalisa que pour comprendre à fond le conflit et les opinions de l’autre camp, elle ferait mieux de s’informer auprès des Palestiniens. Après avoir lu les positions de Zakaria Zbeïdi – chef des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa à Jénine -  dans la presse israélienne, elle le contacta et peu après démarra un projet humanitaire avec les enfants du camp.
Maintenant, elle est détenue pour la seconde fois, cette fois sur de fausses allégations l’impliquant dans une action terroriste. Tali a refusé, les semaines précédentes, d’être recrutée par le Shabak (services de renseignements) comme informatrice. Au cours de sa précédente période de détention, elle subit pendant une semaine entière un interrogatoire très dur qui prit fin suite à une décision de la cour  israélienne...
Pourquoi aurait-on peur de Tali Fahima ? Des raisons, il y en a.
Premièrement… Si une brave fille de Kiryat Gat, électrice du Likoud, commence à penser que l’occupation est une catastrophe, qui sait, peut-être que plus de gens vont se réveiller et découvriront alors que nous avons tous été manipulés ? Que se passerait-il demain si d’autres Tali Fahima se levaient et commençaient à penser autrement ? Des femmes ? Des Mizrahi ? Des exclus ? Devrait-on leur tirer dans les jambes des balles qui atteindraient accidentellement leurs têtes ? Ce n’est pas la Palestine ici, il ne faut pas exagérer !
Que se passerait-il si les gens commençaient à contester le budget du ministère des finances et ses plans pour l’année prochaine ? Que se passerait-il si ces gens là s’opposaient énergiquement au fait que quelques personnes, qui gagnent mille fois le salaire moyen et trempent dans de sales affaires, dilapidaient leurs pensions ? Comment dirigerait-on l’Etat dans ce cas ?!
Deuxièmement… Si une Tali Fahima peut approcher Zakaria Zbeïdi, lui parler et trouver un langage commun basé sur la confiance – ça peut devenir un désastre. Cela peut même distraire l’attention du public des nouveaux bavardages médiatiques au sujet de la coalition qui, mis à part quelques membres de partis politiques, n’intéressent personne – et pourquoi devrions-nous nous y intéresser ?
Nous avons compris depuis longtemps que nous sommes hors jeu et qu’il ne s’agit que d’un échange de fauteuils entre quelques personnes.
C’est pourquoi il est très important de mettre à l’écart l’indésirable Tali Fahima de l’arène politique. Le meilleur moyen de le faire est de faire rabâcher à quelques journalistes, jour et nuit, que Tali Fahima est un peu dérangée et amoureuse de Zbeïdi. De cette façon, on continue de faire les gros titres avec le jeu des chaises musicales, et on relègue Tali Fahima en bas de page, avec les faits divers.
Troisièmement… Il y a une autre affaire qui ne doit pas être mentionnée, et surtout pas être discutée en profondeur. L’Etat d’Israël a été occupé ces dernières semaines à éliminer tous ceux qui pourraient menacer le régime éclairé de celui qu’on a paradoxalement traité tant de fois auparavant d'incompétent – Yasser Arafat. Parallèlement et pour des raisons qu’on ne comprend pas, l’Etat trouve difficile d’éliminer un certain Zakaria Zbeïdi qui a, comme tant d’autres au Moyen-Orient, du sang sur les mains. Ce qu’il y a de commun entre lui et Fahima est qu’ils ne veulent pas se taire. Par contre, son avantage sur elle est non seulement d’être un homme mais aussi d’être armé, donc moins susceptible d’être l’objet de commérages calomnieux. Zbeïdi a causé dernièrement beaucoup d’ennuis au Raïs, et actuellement quiconque cause des ennuis au président traité par ailleurs d’incompétent, devient une cible importante dans les plans israéliens. Cela dérange sûrement plus les décideurs que le sang qu’il a sur les mains. Ou du moins, nous aimerions penser que les services de sécurité limitent la démagogie aux porte-parole, et gardent un ton rationnel dans des discussions internes. On peut penser que les terribles infractions aux lois internationales et à n’importe quel code moral sont en fait commises avec une certaine finesse, d’une chic manière, en élaborant des discussions sérieuses sur la balance des forces dans la région et sur l’intérêt d’Israël dans tout ça.
Mais franchement, qui se fiche de l’intérêt d’Israël ? De l’intérêt du peuple israélien ? Son intérêt serait-il, Dieu nous en préserve, la justice, l’égalité, la paix et du travail pour tous? Son intérêt serait-il que quelques Tali Fahima supplémentaires se mettent à penser différemment avec leur cœur, le sens de la dignité humaine et la compassion ?
C’est difficile d’aimer Tali Fahima, c’est vrai. Elle dit exactement ce qu’elle pense et ce qu’elle ressent sans se soucier de ce que les autres peuvent en dire. Cela doit être trop dangereux pour trop de gens, particulièrement pour ceux qui ont l’argent et le pouvoir, et surtout si ça devient à la mode, de ne pas avaler les derniers propos de notre commentateur des affaires militaires et d’aller voir soi-même s’il est possible de déconstruire ce cauchemar au profit d’un respect et d’une confiance. Sans murs, ni explosifs ou préjudices.
Ai-je effrayé quelqu’un ? Relax. Les services secrets existent pour ça. Le système ne va pas s’effondrer ; les chaises ne sont pas encore à bascule. Il y a toujours « les règlements d’urgence » et des prisons secrètes. Il y a des fusils, des chars, des états de sièges, des blocages, des collaborateurs, des avions sans pilote, des démolitions de maisons et des assassinats. Il y a des réunions et des négociations secrètes entre les partis au pouvoir, de bonnes relations avec les médias, et beaucoup d’articles détaillés sur le budget de l’Etat que personne ne peut comprendre. Il y a les ténors des partis et les groupes de pression, alors il n’y a aucune raison de s’inquiéter. Il y a toujours des gens qui ont peur de perdre leur travail, qui ont peur de mettre leurs enfants en péril, et qui sont préoccupés par ce qui peut se dire sur eux et où ils vivront demain.
Tant qu’il y a la peur, la terreur et le désespoir, on peut dormir tranquille. Demain, une fois de plus, rien ne sera changé – le soleil se lèvera encore sur un monde de silence et de mise sous silence.
                              
Revue de presse

                             
1. L'état de santé de Yasser Arafat est "stable"
in Le Monde du mardi 2 novembre 2004

L'état de santé de Yasser Arafat, 75 ans, hospitalisé à l'hôpital militaire Percy de Clamart, près de Paris, est "stable", a déclaré, dimanche 31 octobre, la représentante en France de l'Autorité palestinienne, Leïla Shahid. Elle a ajouté que les médecins sont "très contents de cette stabilité" et que le président palestinien recommençait "petit à petit à manger et à parler à tous les gens qui sont autour de lui".
Leïla Shahid a "assuré" que Yasser Arafat ne souffre pas de leucémie ou d'"un autre problème sérieux". Les médecins français cherchent désormais à établir si Yasser Arafat souffre d'une infection virale. Un diagnostic définitif n'est pas attendu avant mercredi. "Ce matin, il s'est levé pour prier. Il a lu le Coran pour la première fois depuis dix jours", a dit un de ses collaborateurs, Mohamed Rachid, en ajoutant que Yasser Arafat avait "blagué un peu" avec les médecins. Jacques Chirac a pu s'entretenir au téléphone avec Yasser Arafat et son épouse Souha, a précisé Nabil Abou Roudeina, le principal conseiller du chef de l'OLP. Le président Chirac a déclaré que "la France a toujours été un pays ami du peuple palestinien, et - que - l'attention que reçoit le président Arafat en est la preuve".
En Israël, un responsable du ministère des affaires étrangères a estimé que "ce n'est évidemment pas un hasard que Yasser Arafat ait choisi Paris pour se faire soigner" : "Depuis des décennies, la France n'a cessé de voler - à son - secours à chaque fois qu'il était en danger", a poursuivi ce responsable, qui a requis l'anonymat. Selon lui, ce choix de la France reflète "les positions traditionnellement proarabes de Paris". De son côté, le président israélien, Moshe Katzav, interviewé par la radio publique israélienne, a déclaré "respecter les Palestiniens pour la douleur qu'ils ressentent" suite à la détérioration de la santé de Yasser Arafat.
Sans attendre les résultats des examens en cours, Paris a déjà laissé entendre que la France s'attendait à ce qu'Israël laisse rentrer M. Arafat à Ramallah s'il le souhaite. Le ministre des affaires étrangères, Michel Barnier, a rappelé les engagements pris dans ce sens par le gouvernement israélien.
Le président russe, Vladimir Poutine, le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, le président chinois, Hu Jintao, le chef de la diplomatie européenne, Javier Solana, et le ministre espagnol des affaires étrangères, Miguel Angel Moratinos, ont exprimé leur sympathie à Yasser Arafat, a déclaré Leïla Shahid. - (AFP.)
                       
2. De son lit d'hôpital, Arafat en appelle aux Palestiniens par Wafa Amr
Dépêche de l'agence Reuters du lundi 1er novembre 2004, 14h52

PARIS - Yasser Arafat a condamné lundi depuis son hôpital français un attentat-suicide commis à Tel-Aviv dans la matinée et il s'est adressé aux Palestiniens et à Ariel Sharon pour leur demander d'épargner les civils.
Le président de l'Autorité palestinienne, hospitalisé depuis vendredi dernier à Clamart (Hauts-de-Seine) pour un problème sanguin, n'est pas apparu physiquement mais a transmis le message par un appel téléphonique à Nabil Abu Rdainah, un de ses proches collaborateurs.
"Il a condamné l'attentat de Tel Aviv et dit qu'il condamnait les meurtres de civils des deux côtés", a déclaré à Reuters ce dernier, qui a reçu l'appel téléphonique de Yasser Arafat dans l'hôtel de Paris qui héberge la délégation palestinienne.
Un reporter de Reuters a été témoin de la conversation et a pu entendre la voix du leader palestinien. Alors que les spéculations ont commencé en Israël sur son éventuelle succession, Yasser Arafat s'est posé en rassembleur.
"Le président Arafat appelle tous les groupes palestiniens à s'engager pour éviter de tuer des civils israéliens. Yasser Arafat appelle Ariel Sharon à prendre une initiative similaire pour que ses troupes évitent de s'en prendre à des civils palestiniens", a rapporté Nabil Abu Rdainah.
"Il a aussi appelé la communauté internationale à aider les deux parties à appliquer cet engagement mutuel", a-t-il ajouté.
L'attentat de Tel Aviv, qui a fait quatre morts, a été revendiqué par le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), un groupe radical opposé à tout compromis avec Israël, distinct du Fatah de Yasser Arafat.
"PAS DE MALADIE GRAVE"
C'est la première fois que Yasser Arafat fait une déclaration politique depuis son arrivée à l'hôpital de Clamart, où seuls peuvent pénétrer ses proches et les membres de la délégation palestinienne.
Dans plusieurs déclarations, les proches de Yasser Arafat se sont employés à répéter qu'il assumait, jusque dans les petites contingences administratives, ses fonctions de président, pour lesquelles aucun dirigeant par intérim n'a été nommé.
"Il a parlé à ses ministres et a donné des instructions à son ministre des finances pour qu'il paie les salaires des employés du gouvernement", a dit dans la matinée Leila Shahid, représentante de l'Autorité palestinienne à Paris.
Ses proches ont affiché aussi leur confiance sur son état de santé et affirmé qu'il ne souffrait d'aucune maladie grave.
"Il va bien. Son état s'améliore d'heure en heure mais il est fatigué et même épuisé. Sa fatigue vient de la diarrhée et des vomissements mais il est très clair qu'il n'y a aucun signe de quoi que ce soit de sérieux. Aucun cancer du sang d'aucune et aucune tumeur n'ont été découverts", a dit Leila Shahid, représentante de l'Autorité palestinienne à Paris.
"Il est de très bonne humeur, il plaisante avec ses médecins, a parlé à sa fille et à plusieurs officiels", a ajouté Nabil Abu Rdainah.
Toutefois, aucune information n'a filtré de source médicale et les médecins de Clamart poursuivent les examens, en vue d'un diagnostic attendu officiellement dans les prochains jours. L'hypothèse d'une "infection ou d'une intoxication" est envisagée, affirme Leila Shahid.
Le sort du leader palestinien tient particulièrement en haleine le monde arabe. Le roi Abdallah de Jordanie et son épouse Rania ont appelé l'hôpital pour prendre des nouvelles du leader palestinien, ont expliqué ses proches.
                       
3. Détruire ce mur illégal en Cisjordanie - La condamnation de la Cour internationale de justice par Willy Jackson
in Le Monde diplomatique du mois de novembre 2004

(Willy Jackson est consultant, chargé de cours à l'université Paris II - Denis Diderot.)
Tandis que le projet de retrait de Gaza divise la classe politique israélienne et mobilise contre lui les colons, les autorités fournissent en sous-main un appui massif à la centaine de colonies dites sauvages de Cisjordanie, ainsi que vient de le révéler le quotidien Ha’aretz : l’armée les protège, le ministère de l’infrastructure leur assure l’électricité, le ministère de l’éducation y finance les jardins d’enfants. Parallèlement, les colonies « reconnues » par Tel-Aviv continuent à se développer et l’armée mène une politique de la terre brûlée à Gaza. Tous ces faits confirment que le gouvernement israélien, disposant du soutien inconditionnel de l’administration américaine et profitant du mutisme du reste de la communauté internationale, y compris de l’Union européenne, considère « la feuille de route » comme un chiffon de papier. Ce qu’a d’ailleurs assuré, le 6 octobre, Dov Weisglass, un des principaux conseillers de M. Ariel Sharon : le plan de séparation vise à « geler le processus politique pour une période indéterminée » et à empêcher la création d’un Etat palestinien. Pendant ce temps, la construction du mur de séparation se poursuit en Cisjordanie, coupant des villages, isolant des paysans de leurs terres, empêchant des jeunes d’accéder à leur école. La Cour internationale de justice a condamné presque unanimement ce mur. Les Nations unies prendront-elles les mesures pour faire appliquer les recommandations de la Cour et abattre cet édifice de haine ?
Le projet israélien d’enfermement des Palestiniens au moyen d’un mur a fait l’objet d’une condamnation vigoureuse par la Cour internationale de justice, le 9 juillet 2004. Mais, malgré ce désaveu, le gouvernement de M. Ariel Sharon poursuit cette construction dans un climat de violence accélérée, notamment à Gaza.
La Cour, organe judiciaire principal des Nations unies, avait été saisie le 10 décembre 2003, par le secrétaire général de l’ONU, d’une requête d’avis consultatif émanant de l’Assemblée générale sur la question suivante : « Quelles sont, en droit, les conséquences de l’édification du mur qu’Israël, puissance occupante, est en train de construire dans le territoire palestinien occupé, y compris à l’intérieur et sur le pourtour de Jérusalem-Est, selon ce qui est exposé dans le rapport du secrétaire général, compte tenu des règles et des principes du droit international, notamment la quatrième convention de Genève de 1949 et les résolutions consacrées à la question par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale ? »
La force et la clarté de l’avis prononcé contrastent lourdement avec l’attitude ambiguë de nombreux pays occidentaux. La Cour a dû réfuter de multiples arguments, notamment en provenance des Etats européens, tendant à la convaincre de ne pas se prononcer. L’avis consultatif qu’elle a finalement rendu s’avère d’une importance capitale, car il ramène sur le terrain du droit la recherche d’une solution au dramatique conflit israélo-palestinien. D’autant que l’échec de la voie militaire est depuis longtemps consommé et que piétinent les tentatives récentes de règlement politique et diplomatique [1].
Les nations démocratiques construites sur la primauté du droit dans les relations internationales avaient de quoi se réjouir que l’on ait fait appel à la Cour, caution judiciaire au règlement d’une situation devenue chaotique. Pourtant, il n’en aura rien été. Et, faute d’avoir réussi à s’opposer à cette saisine, certains Etats ont tout fait pour enliser les débats sous de multiples prétextes.
Ainsi, l’argument d’incompétence a été soulevé, car l’Assemblée générale, à l’origine de la demande d’avis, n’aurait elle-même pas compétence à statuer sur une question dont le Conseil de sécurité est saisi. Si celui-ci, comme l’a fait valoir la Cour, est investi de la responsabilité principale du maintien de la paix, il ne l’exerce pas à titre exclusif. Il partage cette responsabilité avec l’Assemblée générale, qui était donc parfaitement dans ses fonctions en se souciant de faire dire le droit sur une situation aussi préoccupante pour la paix.
Autre argument avancé : l’Assemblée générale ne pouvait se réunir en session extraordinaire sur la base de la résolution 377 A (V) [2] – qui autorise ce type de réunion en cas de carence du Conseil de sécurité -, car, en approuvant la « feuille de route », ce dernier aurait rempli sa fonction. En fait, un projet de résolution condamnant la construction du mur avait été rejeté, le 14 octobre 2003, par le Conseil de sécurité, en raison du vote négatif d’un de ses membres permanents. Dès lors qu’il y a manquement du Conseil de sécurité, l’Assemblée générale est fondée à se saisir.
La Cour a dû également repousser l’argument tenant au caractère supposé non juridique de la question posée et à sa nature prétendument politique. Elle a rappelé que les aspects politiques et juridiques d’une question internationale sont étroitement liés, ce qui ne saurait la priver de sa compétence.
Bien des grands pays ont tenté encore de convaincre la Cour de l’inopportunité pour elle de donner suite à la demande d’avis. Mais, si elle dispose d’un pouvoir discrétionnaire en la matière, il faut des raisons décisives pour refuser de se prononcer. L’objection soulevée par Israël selon laquelle la Cour ne pouvait pas trancher son différend avec la Palestine s’il s’y opposait n’a pas été retenue : la construction du mur, qui a une incidence sur la paix et sur la sécurité internationales, ne relève pas uniquement des relations bilatérales entre Israël et la Palestine ; elle intéresse directement l’Organisation des Nations unies, qui assume à l’égard de la Palestine une responsabilité permanente née du mandat et de la résolution relative au plan de partage de la Palestine (29 novembre 1947).
Un vote quasi unanime
Outre les arguments d’obstruction non acceptés, il a été également soutenu qu’un avis consultatif était inapproprié, car il interférerait avec les efforts de règlement politique en cours et anéantirait le processus entamé avec la « feuille de route ». Ou encore que la Cour ne disposait pas de renseignements pertinents concernant la situation sur le terrain et devait renoncer à se prononcer. La Cour a fait valoir que les différents rapports des Nations unies et les informations d’autres sources constituaient des éléments d’appréciation fiables sur la construction du mur et sur ses conséquences humanitaires et socio-économiques à l’encontre de la population palestinienne.
Autre argument massue : l’inutilité de l’avis sollicité, puisque l’Assemblée générale avait déjà déclaré le mur illégal. La Cour a fait savoir qu’il ne lui appartenait pas de décider si l’Assemblée générale avait réellement besoin de l’avis demandé. Cet organe est le seul habilité à en décider au regard de ses besoins propres.
Dernier argument, soutenu par Israël : la Palestine, responsable des actes de violence à l’origine du mur, ne saurait demander à la Cour de se prononcer sur une situation qu’elle-même a contribué à créer. Mais, comme l’a répondu la Cour, c’est l’Assemblée générale qui a sollicité cet avis – et non pas un Etat ou une autre entité. C’est à l’Assemblée générale qu’il sera adressé.
Ainsi la Cour n’est-elle tombée dans aucun des nombreux pièges qui lui furent tendus. Elle a cheminé de manière à accéder à l’essentiel : les conséquences, en droit, de l’édification du mur. Cela l’a conduite à retracer les chemins douloureux et tortueux de l’histoire de la région. Se détachent alors, en surimpression, l’éclatement de l’Empire ottoman [3], le statut de territoire sous mandat reconnu à la Palestine en 1922, les nombreuses crises et guerres qui, de 1947 à 1967 et au-delà, constituent la trame politique du Proche-Orient.
De cet ensemble d’éléments, il ressort que le territoire à l’intérieur duquel se trouve le mur contesté est un territoire sous occupation militaire au sens du droit international, que s’y appliquent par conséquent tous les instruments juridiques internationaux régissant les conflits armés. Aussi le respect du droit international humanitaire, encadré par le règlement de La Haye de 1907 et par la quatrième convention de Genève de 1949, s’impose-t-il à Israël sans restriction.
Dans le même sens, les conventions internationales relatives aux droits de la personne – reconnues par Israël – ont été déclarées applicables sur le territoire palestinien occupé. Pourtant, Tel-Aviv prétendait, au mépris de la valeur universelle des droits de l’homme, que ces textes n’étaient applicables qu’en temps de paix, la situation de guerre les écartant au profit du seul droit humanitaire. La Cour délégitime cette thèse dangereuse et confirme que la protection garantie par ces conventions ne cesse pas en temps de conflit armé. De ce fait, les nombreuses violations des droits dues à l’édification du mur et au régime qui lui est associé sont à ce titre condamnées : empiètement territorial, transfert de population civile israélienne dans le territoire occupé (implantation de colonies), destruction et réquisitions de propriétés, entraves à la liberté de circulation, détérioration des conditions socio-économiques de la population palestinienne, etc.
La Cour fait litière encore des arguments de sécurité et de légitime défense pour justifier la construction du mur. Certes, elle reconnaît à Israël le droit et même le devoir de se protéger contre les actes de violence meurtriers. Mais les mesures prises doivent être en conformité avec le droit international, et Israël ne saurait se prévaloir, en l’espèce, des dispositions relatives au droit naturel de légitime défense [4], celui-ci n’étant opératoire qu’en cas d’agression armée par un Etat contre un autre. Or, les violences dont est victime Israël ne sont pas imputables à un Etat étranger. Israël est renvoyé à sa propre responsabilité dans la situation, car il est rappelé que ces violences ont lieu à l’intérieur d’un territoire placé sous son contrôle.
Est également rejeté l’argument de l’ « état de nécessité », qui permet à l’Etat concerné de déroger aux droits garantis s’il ne dispose pas d’autres moyens de se protéger. Aux yeux de la Cour, la construction du mur ne constitue pas le seul moyen de protection à la disposition d’Israël.
Enfin, et cet apport est essentiel, la Cour met au centre de son avis le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et fait de l’application de ce principe dans le conflit israélo-palestinien la condition d’une paix juste et durable dans la région. Tous les Etats sont invités à s’y conformer strictement et à faciliter sa mise en œuvre. Comment ne pas noter que la Cour a permis à la Palestine de s’exprimer, alors que seuls, aux termes de son statut, peuvent le faire les Etats et les organisations internationales. C’est d’autant plus remarquable que les positions en faveur de la cause palestinienne ont plutôt eu tendance à se restreindre tout au long de la procédure [5].
Au total, la construction par Israël du mur dans le territoire palestinien occupé est déclarée illégale. L’Etat a l’obligation de détruire cet ouvrage, ‘abroger tous les actes législatifs et réglementaires y afférant et de réparer, en vertu de sa responsabilité juridique, tous les dommages causés [6]. Les Etats tiers sont dans l’obligation de ne pas reconnaître la situation illicite ainsi créée.
On retiendra le vote quasi unanime des quinze juges en faveur de cet avis. Une seule voix a fait défaut sur l’essentiel du texte, et deux votes négatifs ont été enregistrés concernant les obligations des Etats tiers. Même si les avis de la Cour n’ont pas un caractère contraignant, le droit a été dit, et l’Assemblée générale ainsi que la communauté internationale disposent désormais d’éléments susceptibles d’orienter leur action future. Il y a urgence, car il faut arrêter, sur le terrain, le cycle sans fin de la violence aveugle et contrer les stratégies d’anesthésie politique dont le but est d’empêcher la création d’un Etat palestinien vivant en bon voisinage avec Israël [7]. Le temps du droit n’est pas celui de la politique, mais notre devoir est de faire que le premier rattrape le second.
- NOTES :
[1] : A signaler l’initiative dite « feuille de route » adoptée le 19 novembre 2003 par la résolution 1515 (2003) du Conseil de sécurité et soutenue par le quatuor Etats-Unis d’Amérique, Union européenne, Fédération de Russie, Organisation des Nations unies ; accord de Genève pour lequel on lira Qadoura Fares, « L’accord de Genève, une fenêtre ouverte sur l’espoir », Le Monde diplomatique, décembre 2003 ; Monique Chemillier-Gendreau, « Israël – Palestine, une paix fondée en droit », Le Monde diplomatique, janvier 2004.
[2] : Intitulée : « L’union pour le maintien de la paix ».
[3] : Lire Henry Laurens, « Comment l’Empire ottoman fut dépecé », Le Monde diplomatique, juin 2003.
[4] : En particulier l’article 51 de la Charte des Nations unies.
[5] : La résolution ES-10/13 exigeant l’arrêt de la construction du mur a été adoptée par 143 voix (avec 4 voix contre et 13 abstentions) lors de l’Assemblée générale du 27 octobre 2003. Celle qui portait sur la demande d’avis consultatif n’a été soutenue que par 90 voix (8 contre et 90 abstentions).
[6] : Sur la problématique des réparations des dommages de guerre, lire Monique Chemillier-Gendreau, « Dommages de guerre à géométrie variable », Le Monde diplomatique, octobre 2003.
[7] : Lire Le Monde, 8 octobre 2004.
                   
4. La succession inquiète le monde arabe par Sibylle Rizk
in Le Figaro du samedi 30 octobre 2004
Les opinions publiques de la région sont les plus préoccupées.
Beyrouth - Au Liban plus que dans tout autre pays arabe, les sentiments sont mitigés à propos de Yasser Arafat, l'homme qui se vantait d'avoir créé un Etat dans l'Etat libanais et dont le combat pour la libération de la Palestine a mis le feu à la mèche de la guerre civile.
Pourtant, au-delà des souvenirs douloureux, la place de choix que lui réservait hier la presse libanaise, unanime, à l'instar de l'ensemble des médias arabes, témoigne de la puissance symbolique de son personnage qui, «malgré ses erreurs et sa façon quasi dictatoriale de gouverner», selon le Daily Star, incarne la force de la cause palestinienne, une juste cause pour l'écrasante majorité des Arabes. «La maladie lève le blocus d'Arafat», titre un quotidien arabophone libanais, tandis qu'un autre évoque «le dernier combat d'Arafat».
La combativité et la longévité du chef palestinien lui valent une admiration dans le monde arabe qui dépasse les rangs de ses partisans. Même dépouillé de son éternel treillis militaire, un bonnet en laine remplaçant le keffieh ; malgré son visage éprouvé par la maladie, Yasser Arafat a toujours l'air prêt à lutter, souligne un jeune Libanais maronite, commentant la photo qui fait la une de tous les quotidiens. «Il est loin le temps où (Arafat), alors au faîte de sa gloire, était adulé par ses concitoyens et par les masses arabes. Critiqué pour ses innombrables erreurs de parcours, vilipendé par ceux qui lui reprochent son apparent immobilisme, ignoré par les chefs d'Etat arabes et d'une manière générale, par les grands de ce monde (...) l'homme continue (pourtant) d'incarner la lutte d'un peuple pour sa survie», écrit un éditorialiste de L'Orient-Le Jour.
«Le comportement des Israéliens à l'égard d'Arafat, depuis des années, n'est pas seulement politique. Il relève aussi de la mythologie. Ils ne lui pardonnent pas uniquement son combat en tant que tel, mais le scandale moral quotidien qu'il révèle (...). Ils l'ont érigé en miroir dans lequel le peuple palestinien lit son destin», commente pour sa part Joseph Samaha, le rédacteur en chef du journal As Safir.
L'inquiétude concernant le sort du président de l'Autorité palestinienne, rattrapé par la vieillesse et la maladie après avoir échappé maintes fois à la mort, reflète en fait des préoccupations quant à l'évolution de la situation des Palestiniens. «Qui après Arafat ?» est la question qui revient le plus souvent, tant l'homme monopolise la représentation politique palestinienne.
Certains, comme Akhbar al-Arab, se font l'écho de la crainte du chaos au sein des territoires occupés : s'il disparaît, «quelques-uns vont chercher à rompre l'unité nationale qu'Arafat a toujours su préserver», s'alarme le quotidien émirati. Plusieurs journaux du Golfe font ainsi appel au sens de la responsabilité des mouvements palestiniens afin qu'ils évitent une lutte de pourvoir fratricide, jugée dangereuse. «Je ne crois pas que les Palestiniens céderont au chaos», si Arafat ne peut pas retourner chez lui pour des raisons médicales, ou s'il décède, «en revanche sa disparition serait propice aux surenchères des deux bords, côté palestinien et israélien», estime quant à lui le journaliste et historien Samir Kassir, auteur de Considérations sur le malheur arabe (Ed. Actes Sud).
D'autres redoutent surtout les projets israéliens. Le président palestinien «est le dernier rempart – en particulier depuis l'assassinat de son «partenaire» le premier ministre Yitzhak Rabin, et la victoire de ses adversaires du Likoud, Benyamin Netanyahu, et Ariel Sharon – face à ceux qui veulent tuer le processus d'Oslo et bloquer les négociations entre Israéliens et Palestiniens», écrit un éditorialiste du quotidien an-Nahar.
Israël et les Etats-Unis souhaitent depuis un certain temps sa mise à l'écart afin de laisser la place à une jeune direction «qui a dépassé depuis longtemps «la barrière psychologique» avec Israël et n'a aucune capacité de résistance», poursuit-il. Une chose est sûre, rappelle Samir Kassir, «personne n'incarne comme Arafat une double légitimité, celle de l'OLP et celle de l'Autorité palestinienne, celle des Palestiniens de l'intérieur et celle des réfugiés». Son départ faciliterait donc des démarches violentes. Mais, ajoute-t-il, il est encore trop tôt pour se prononcer tant que le diagnostic médical n'est pas connu. Certains ne croient pas encore vraiment que Yasser Arafat est en train de quitter la scène : l'homme a été surnommé le «Phénix» pour sa capacité à se sortir des pires situations. «Il n'a certainement pas souhaité une telle fin», lui qui répétait inlassablement vouloir mourir en martyr, souligne un éditorialiste du quotidien al-Balad.
                       
5. Leïla Shahid - Une vie pour "la cause" par Guillaume Bourgault-Côté
in Le Devoir (quotidien québécois) du samedi 30 octobre 2004

Entre le vote historique de la Knesset sur le retrait israélien de la bande de Gaza mardi dernier et la détérioration soudaine et grave de l'état de santé de Yasser Arafat, le lendemain, la déléguée générale de la Palestine en France, Leïla Shahid, pouvait difficilement choisir une plus mauvaise semaine pour effectuer son premier séjour au Québec. Les événements l'ont d'ailleurs forcée à partir précipitamment, dans la nuit de jeudi à hier, juste à temps pour aller accueillir le leader de l'Autorité palestinienne venu se faire soigner en France. Un changement d'horaire inattendu qui montre à quel point la vie de Leïla Shahid est rythmée d'abord et avant tout par ce qu'elle appelle «la cause»: un engagement total pour la Palestine, dont elle est le seul visage féminin officiel.
Depuis l'automobile qui la mène à l'aéroport de Montréal, une vive inquiétude transparaît au bout du fil dans la voix de Mme Shahid, très préoccupée par l'état de santé de Yasser Arafat, qu'elle a connu quand elle avait 20 ans et qui, depuis, est resté son «ami». Elle avait pourtant été rassurée lundi dernier par Arafat lui-même, qui lui avait dit lors d'une conversation téléphonique que tout allait plutôt bien. «Il ne devrait pas faire le ramadan à son âge, ce n'est pas raisonnable, disait-elle alors. Mais il est fort.»
Deux jours plus tard, la donne a complètement changé: les informations en provenance de Ramallah sont alarmistes, les rumeurs les plus diverses circulent. Arafat, l'âme et le visage de la lutte du peuple palestinien, serait inconscient, à moitié mort, vaincu par l'âge, la maladie et près de trois ans d'assignation à résidence. Puis, jeudi, le vieux combattant apparaît à la télévision, vêtu d'un pyjama bleu et d'une tuque, faible et amaigri mais le sourire aux lèvres.
Soit: Yasser Arafat est vivant. Mais les images diffusées ont confirmé que son état n'était pas des plus rassurants. Dès lors, la question de la succession du fondateur du Fatah, président de l'Organisation de libération de la Palestine et chef de l'Autorité palestinienne s'impose, puisque le Prix Nobel de la paix 1994 n'a pas désigné de dauphin officiel advenant une disparition, qui ne serait pas sans causer une commotion certaine. «Il est M. Palestine, dit Mme Shahid, elle-même personnage hautement médiatique en France. Des figures comme lui, ça arrive une fois par siècle. Pour nous, il est celui qui a conduit les Palestiniens d'un statut de réfugiés apatrides à celui de peuple reconnu mondialement. Il représente la libération nationale.»
Des dispositions en cas...
Mais la succession d'Arafat n'inquiète pas trop Leïla Shahid. «Sur le plan constitutionnel, nous avons prévu depuis longtemps comment agir en cas d'absence», explique-t-elle. Juste avant de partir pour Paris, le président a signé un décret déléguant les affaires courantes à trois personnes, l'actuel premier ministre Ahmed Qoreï, son prédécesseur Mahmoud Abbas et le président du Parlement, Salim al-Zaanoun. Ceux-ci devraient théoriquement déclencher une élection dans les 60 jours pour permettre au peuple palestinien d'élire un leader - si Arafat décède.
«Il y a donc des dispositions [qui ont été prises], poursuit-elle, mais le bon fonctionnement dépendra beaucoup de l'attitude et des intentions des autorités israéliennes. Elles pourraient profiter de la situation pour nourrir le chaos. Il y a une immense émotion dans la population palestinienne sur l'état de santé du président, les gens ont peur que son départ signifie un non-retour. Ils n'ont pas confiance.
«Sa maladie est un électrochoc dans la société, mais je pense que la transition peut bien se passer. Il n'y a pas de raison qu'il y ait des affrontements entre Palestiniens, il y a déjà une structure de décision politique qui existe et il n'y a pas d'armée qui pourrait tenter un coup d'État. Dans l'immédiat, je pense que le sens des responsabilités prévaudra.»
Chez Leïla Shahid, née au Liban en 1949, l'optimisme est une valeur absolue. Après 37 ans de militantisme (depuis la guerre des Six Jours), la dame n'a toujours pas perdu espoir de voir le conflit se régler dans une relative harmonie. La fin de l'occupation militaire signerait selon elle la fin des attaques terroristes, et la cohabitation pacifique pourrait s'installer. L'exemple des relations franco-allemandes en est probant, dit-elle.
Des échanges
Au lieu de la théorie du pire, elle préfère donc croire que la période actuelle - changement de garde possible à l'OLP, retrait éventuel des colons de Gaza - débouchera sur du positif. «Ariel Sharon et Ahmed Qoreï se sont parlé pour la première fois cette semaine. La glace est brisée: M. Sharon pourrait profiter de l'occasion pour discuter plus largement, pour tenter d'ouvrir une nouvelle page.»
Mais cela ne sera pas aisé. Les dissensions sont fortes à la Knesset, où Sharon a peiné pour parvenir à faire adopter son plan de retrait des colons juifs. La sécurité autour du premier ministre israélien a été renforcée ces derniers jours à la suite de menaces de mort, ce qui n'est pas sans rappeler le sort d'Itzhak Rabin, assassiné en 1995 en représailles aux accords d'Oslo.
«Le problème, analyse Leïla Shahid avec le recul que lui permet l'éloignement géographique, c'est que, dans le discours israélien, on n'a jamais préparé la population à partir. Nous, on sait depuis 1974 qu'il faudra faire une place aux Israéliens sur le territoire. Depuis, chaque accord a confirmé ce fait. Ça prend beaucoup de maturité, de préparation pour accepter ça. Mais les Israéliens, on ne leur a jamais dit qu'ils devraient partir. On leur a dit qu'il était possible d'écraser l'autre par la force. Je les comprends d'être éberlués: ils mettent Sharon devant son propre paradoxe.»
Elle rappelle qu'en Palestine aussi, il y a eu des réticences quand Arafat a fait voter en 1988 la reconnaissance d'Israël. «C'est un long compromis historique que les Israéliens n'ont pas fait parce qu'ils comptaient sur la force. Maintenant, les leaders devront parler à la population et expliquer qu'on ne peut continuer comme ça.» Une redéfinition identitaire de la société israélienne est donc absolument nécessaire, pense la déléguée générale. Elle permettra de confronter deux Israël, «un raciste et négationniste, et l'autre, démocratique, qui veut vivre en paix avec les Palestiniens».
Construire le dialogue
En France, Leïla Shahid jouit d'une bonne audience. Modérée - ce qui n'empêche pas qu'elle ait besoin de quatre gardes du corps pour s'éviter le même sort que six de ses prédécesseurs qui ont été assassinés -, prônant le dialogue, elle réussit à se faire entendre un peu partout avec respect, et elle entretient des relations franches avec certains membres de la communauté israélienne.
«C'est important de présenter ce conflit, pas seulement sous le côté événementiel, mais aussi sur les plans sociologique, historique, culturel. Ce n'est pas un combat de religion, mais d'identité. Parce que, derrière cette lutte, il y a un peuple. On a essayé d'effacer son identité, comme d'autres ont essayé de le faire avec le peuple juif pendant la guerre. C'est paradoxal, cette situation qui fait qu'un peuple qui a vécu le racisme se retrouve à faire la même chose avec son ennemi parce qu'il le perçoit comme une menace pour son existence... »
Mais elle demeure résolument optimiste: «Derrière ce peuple, il y a de la vie, pas seulement un conflit. Il y a un mouvement altermondialiste identique aux autres, une jeunesse qui partage les mêmes intérêts qu'ailleurs. C'est surprenant, parce qu'il y a trois générations qui n'ont vécu que sous les ordres militaires. Mais il y a une telle volonté de vie.» Le genre de chose qui la motive à consacrer la sienne à «la cause».
                   
6. Dieudonné rompt avec les initiateurs d'Europalestine
Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 29 octobre 2004, 15h37

PARIS - L'humoriste Dieudonné a annoncé dans un communiqué vendredi qu'il "se retirait de la dynamique" initiée par la liste Europalestine aux élections européennes, pour "ne pas diviser la résistance palestinienne autour de Leïla Shahid", déléguée générale de Palestine en France. S'il se dit "heureux d'avoir participé à la prise de conscience
d'un plus grand nombre au drame que traverse le peuple palestinien", Dieudonné affirme avoir décidé de se retirer "de cette dynamique" depuis que "certains envisagent de transformer cette liste en un mouvement politique".
"Il est important, dit-il, de ne pas diviser la résistance palestinienne qui s'est organisée autour de Leïla Shahid à qui je renouvelle ici tout mon soutien et toute mon amitié".
La liste Europalestine aux Européennes en Ile-de-France, qui avait remporté un certain succès en banlieue mais avait été créditée d'un score de 1,83 % en Ile-de-France, avait suscité la controverse et des réactions souvent négatives, y compris parmi les défenseurs de la cause palestinienne. Leïla Shahid notamment avait jugé que cette liste "contribuait à affaiblir la solidarité avec la Palestine". Europalestine avait été lancée par une association, la Coordination des appels pour une paix juste au Proche-Orient (Capjo).
                   
7. Les Etats-Unis, Israël et l’Europe par Pascal Boniface
in L'Economiste Maghrébin (bimensuel tunisien) du mercredi 27 octobre 2004

Un document supposé être confidentiel, élaboré par le Centre de recherche politique du ministère israélien des Affaires étrangères a fait l’objet de fuites. Curieusement, ce document n’a pas été extrêmement commenté. Pourtant, son contenu est véritablement explosif et remet profondément en cause la politique actuelle du gouvernement israélien. Aujourd’hui, ce dernier se montre insensible au sort des Palestiniens et n’a aucune volonté de mettre en place une véritable paix avec eux. Le gouvernement Sharon estime qu’un retrait unilatéral de la seule bande de Gaza suffit à lui faire gagner du temps pour sa politique de fait accompli en Cisjordanie. Il sait que la communauté internationale condamne le maintien de l’occupation des territoires palestiniens et l’accroissement de la répression. Mais il compte surtout sur la protection absolue des États-Unis pour  ne tenir aucun compte des demandes des pays européens et arabes de respecter ses engagements et le droit international. Or selon le document du Centre de recherche politique, cette stratégie conduit clairement Israël dans une impasse. Les auteurs du rapport estiment que l’État hébreu pourrait à terme entrer en confrontation avec l’Union européenne et devenir un véritable État-paria comme le fut l’Afrique du Sud du temps de l’apartheid, si le conflit avec les Palestiniens n’est pas résolu de façon satisfaisante et juste.
L’analyse du Centre de recherche  politique réside sur leur vision d’une Europe qui va devenir de plus en plus un acteur majeur au niveau global dans les dix prochaines années, alors que parallèlement, les États-Unis qui sont le principal allié d’Israël vont à terme perdre de leur influence internationale. Si les 25 pays membres de l’Union dépassent leur division interne, et parlent d’une seule voix, leur influence globale pourrait s’accroître considérablement et correspondre plus à leur puissance économique.
Jusqu’ici, l’Europe est divisée sur les sujets de politique étrangère comme elle le fut par exemple sur la guerre d’Irak. Au cas où elle fasse entendre sa voix de façon plus unique, l’Europe pourrait demander à Israël un plus grand respect des conventions internationales et lui demander de limiter sa liberté d’actions dans le conflit avec les Palestiniens, prédirent les chercheurs du ministère israélien des Affaires étrangères.
Israël pourrait également payer le prix d’une plus grande compétition entre les États-Unis et l’Union européenne. Si l’Union européenne et Israël ont des relations profondes et étroites dans le domaine du commerce et de la recherche scientifique, ils ont des opinions très différentes concernant les Palestiniens. Jusqu’ici Israël a réussi à tenir l’Europe en dehors du volet stratégique et a préféré construire une alliance unique avec les États-Unis.
Mais mettre tous les oeufs dans le panier américain pourrait conduire à un isolement d’Israël. C’est certainement le message que le ministre des Affaires étrangères français, Michel Barnier a voulu faire passer à Ariel Sharon lors de la visite qu’il a effectuée les 18 et 19 octobre. L’Europe ne peut plus être considérée au Proche-Orient et ailleurs comme un supermarché qui distribue des chèques. L’Union européenne n’acceptera pas d’être cantonnée dans un rôle de soutien financier ou technique, a t-il dit lors d’une conférence de presse. « Elle a un rôle à jouer pour la stabilité du Proche et du Moyen-Orient et elle veut le jouer, nous voulons être un acteur politique ».
Il y a deux ans, devant la dégradation de la situation dans les territoires occupés, le Parlement européen avait demandé la suspension de l’accord commercial entre l’Union européenne et Israël.
Faut-il rappeler que l’Europe est le principal partenaire commercial d’Israël?
40% des importations d’Israël viennent de l’Union européenne qui absorbent 30% de ses exportations.
L’Europe a en fait, si elle le souhaite, les moyens de se faire entendre par Israël. Si elle n’a pas la puissance stratégique des États-Unis, sa force commerciale et économique lui permet de se faire entendre. Elle ne pourra rester trop longtemps dans une attitude attentiste car les Européens sont convaincus que la poursuite du conflit israélo-palestinien est l’une des sources majeures du terrorisme.
La morale et le réalisme politique se rejoignent donc pour que tout soit fait le plus rapidement possible pour le règlement pacifique et juste de ce conflit.
                       
8. Israël a réclamé la destitution de Jean Ziegler
Dépêche de l'agence SDA-ATS News Service du lundi 25 octobre 2004, 19h46
GENÈVE - L'ONU a reçu une note de protestation de l'ambassadeur israélien à Genève Yitzhak Levanon. L'Etat hébreu a réclamé la destitution du Suisse Jean Ziegler, rapporteur de l'ONU pour le droit à l'alimentation, a-t-on appris.
L'ONU a reçu une protestation d'Israël, après que M. Ziegler ait donné le 14 octobre à Genève une conférence de presse à l'occasion de la journée mondiale de l'alimentation, a indiqué José-Luis Diaz, porte-parole du Haut Commissariat de l'ONU pour les droits de l'homme, confirmant une information du quotidien "Blick".
Jean Ziegler doit présenter mercredi à l'Assemblée générale de l'ONU à New York son rapport annuel sur le droit à l'alimentation.
Selon Israël, M. Ziegler a affirmé que l'Union européenne (UE) doit instaurer des sanctions économiques contre l'Etat hébreu pour le contraindre à respecter le droit des Palestiniens à la nourriture. Le sociologue genevois a déclaré au "Blick" que les reproches du gouvernement d'Ariel Sharon étaient absurdes.
Le rapporteur n'a jamais demandé à l'UE de suspendre son accord d'association avec Israël, a-t-il indiqué. Il a uniquement transmis son rapport au président de la Commission européenne, comme le font les rapporteurs de l'ONU.
L'Etat hébreu avait déjà demandé la révocation du sociologue lorsque ce dernier avait publié l'an dernier son rapport sur la situation alimentaire dans les territoires palestiniens occupés. Cette requête n'avait pas été prise en considération par l'ONU.
M. Ziegler est rapporteur spécial de l'ONU pour le droit à l'alimentation depuis 2000. La Commission des Nations unies pour les droits de l'homme (CDH) a prolongé son mandat de trois ans au printemps 2003 par 53 voix contre deux. Les Etats-Unis avaient voté contre, l'Australie s'était abstenue.
                               
9. Peter F. Mulrean, directeur du bureau régional "Initiative de partenariat avec le Moyen-Orient" (MEPI) : "Nous avons mis à l’écart la démocratie et les réformes" entretien réalisé à Tunis par Hichem Ben Yaïche
in Le Quotidien d'Oran (quotidien algérien) du samedi 23 octobre 2004

La politique étrangère des Etats-Unis d’Amérique, sous George Walker Bush, a fait naître, à l’égard de ce pays, un sentiment de détestation, parfois de haine, d’une ampleur inusitée, particulièrement dans le monde arabo-musulman. Méfiance, rejet, suspicion... sont des réactions nourries quotidiennement par une actualité moyen-orientale dramatique. Une image dévastatrice. Mais l’Amérique n’est pas Bush, et vice-versa. Ce pays, malgré toutes les critiques qu’on est en droit de faire, est divers, complexe, où l’on trouve un vrai génie créatif. Ce dernier trait est constamment brouillé par les actions et les déclarations de Bush et des néoconservateurs qui l’entourent. Dans ce contexte, une structure a été créée, le MEPI, avec un budget et un protocole d’action pour «aider à la modernisation» des pays arabes. Certains trouveront là un outil pour «peser et orienter» les élites de ces pays; d’autres verront un appui pour s’ouvrir à d’autres horizons de pensée. Peter F. Mulrean, directeur du Bureau du MEPI, basé à l’ambassade des Etats-Unis à Tunis, explique les raisons et les objectifs de l’institution régionale qu’il dirige.
- Quel est le cheminement de cette idée qui a présidé à la création du MEPI ?
- Peter F. Mulrean: Le MEPI a été créé, il y a bientôt deux ans, avec l’idée de soutenir les grandes réformes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. L’idée n’a rien de nouveau depuis 20 ou 30 années; ailleurs, nous avons déjà soutenu des réformes en matière de démocratisation et d’économie. Nous avons estimé que le temps était venu pour faire la même chose: nous avons opté pour le changement de notre stratégie et l’élargissement de notre domaine d’activité. Et le Moyen-Orient entre dans ce nouveau cadre.
- Qu’est-ce qui change aujourd’hui pour vous en termes de stratégie et d’objectifs politiques ?
- P.F.M.: Comme disait le président Bush en novembre 2003, nous avons eu des programmes d’assistance autrefois, mais ce n’était pas le même genre d’assistance. C’est cela qui a changé, c’est notre politique où nous n’avons pas soutenu des réformateurs, où nous étions prêts à soutenir des gouvernements même si ce n’était pas dans le sens de la démocratie et de la modernisation. Le président a dit lui-même que depuis 60 ans, nous avons suivi une politique où nous avons mis à l’écart la démocratie et les réformes: ça ne nous a rien apporté, surtout pas à la région concernée. Souvent, on me demande: «Pourquoi faites-vous ça maintenant ?». La bonne question serait: «Pourquoi n’avez-vous pas commencé ça il y a 30 ans ?». La création du MEPI comme Bureau régional nous a incités à aller dans ce sens-là.
- Aujourd’hui, les Etats-Unis se trouvent dans une nouvelle logique de puissance mondiale. L’antiaméricanisme actuel ne constitue-t-il pas un obstacle à votre action dans la région ?
- P.F.M.: On pourrait le voir comme un obstacle, mais cela ne réduit pas du tout notre énergie et l’idée que nous avons choisie, c’est-à-dire soutenir des réformes en matière de démocratisation et de développement économique dans cette région. J’aimerais aussi faire la différence entre les personnes qui ne sont pas d’accord avec certaines de nos stratégies politiques et actions et celles qui n’admettent pas l’idée de soutenir ces réformes.
- Quelle est votre approche méthodologique pour justement contribuer à la modernisation de ces sociétés ?
- P.F.M.: Pour être efficaces, nous avons divisé notre programme en quatre piliers: réformes politiques, réformes économiques, éducation, droits des femmes. Notre but est surtout de chercher dans la région des réformes qui sont en train d’émerger. Nous ciblons aussi des réformateurs qui se trouvent soit dans les gouvernements, soit dans les sociétés civiles. Tous ces éléments seront soutenus grâce à notre programme d’assistance technique et politique. Et cette stratégie mise en place par notre Bureau constitue, à mon avis, un changement par rapport aux années précédentes. Certes, auparavant, nous avions des programmes de l’USAID, c’est-à-dire de l’assistance de développement. Aujourd’hui, notre assistance cible tous les gouvernements et institutions, voire des sociétés civiles engagées dans des réformes. Notre message est qu’il est dans leur intérêt d’aller dans le sens des réformes. Cependant, ce n’est pas aux Etats-Unis de définir ce qui sera le sens de la démocratie dans ces pays-là. Il faudrait donc que cet engagement vienne même des populations de cette région ciblée.
- Quelles sont les modalités d’application de ces nouveaux programmes de réformes politiques au sein de cette région ?
- P.F.M.: Nous avons déjà commencé depuis une année notre programme d’assistance aux réformes politiques avec un montant de 129 millions de dollars. L’année dernière, notre programme a nécessité un budget de 100 millions de dollars. Actuellement, une augmentation de ce montant par le Congrès est en vue, mais cela ne doit pas être trop important. Nous essayerons d’identifier les possibilités, c’est-à-dire mettre en relief les spécificités des uns et des autres, tant sur le plan politique qu’économique. Car j’estime qu’il existe des pays qui se trouvent sur un même niveau stade de développement. Alors, nous pouvons aider ces pays-là à surmonter leurs problèmes. Donc, notre stratégie d’application de ces programmes consiste surtout à dialoguer avec les gouvernements, les sociétés civiles ou les hommes d’affaires. Comme il existe des «outils» pour mettre en place ces programmes, alors notre objectif consistera aussi à nouer des contacts avec des ONG, les partis politiques ou les parlements, par exemple. Récemment, j’ai assisté à un training pour des ONG en Algérie qui fait partie du programme MEPI. C’était le résultat d’un dialogue de plusieurs années entre des ONG américaines et algériennes qui nous a permis de connaître leurs besoins, qui nous a aidé à appliquer notre stratégie d’assistance aux réformes politiques et économiques dans ces pays-là.
- Certains détracteurs de votre programme vous reprochent de faire du «social learning» ou du lobbying en ciblant les élites. Que répondez-vous ?
- P.F.M.: Je pense que ce qu’on fait, ça revient toujours à la question: est-ce qu’on est en train d’imposer quelque chose à la région ? Ma réponse est que ce sont des programmes de développement que nous faisons depuis longtemps; et nous avons vu les résultats, que ce soit en Amérique latine ou en Asie. Je ne vous dis pas qu’il y a la démocratie en Amérique latine grâce aux programmes des Etats-Unis. Il fallait que cela vienne des peuples de la région, et dans ce sens, les programmes que nous avons fournis étaient très utiles pour les agents de changement dans la région.
- Ne pensez-vous pas que ce programme arrive trop tard, surtout que l’antiaméricanisme est extrêmement fort ?
- P.F.M.: C’est vrai que ce programme arrive tardivement, mais cela ne doit pas nous décourager dans notre démarche. On aurait dû faire cela depuis une trentaine d’années, quand on a commencé en Amérique latine. Je reconnais d’ailleurs que cet antiaméricanisme peut faire obstacle à notre engagement en faveur des réformes politiques dans la région. Pour nous, cet engagement signifie: être crédible et porteur d’une bonne image. Et la crédibilité ne se crée pas du jour au lendemain. Nous reconnaissons aujourd’hui que cela fait des décennies que nous avions soutenu des réformes hors du cadre politique. On nous dit qu’on a changé de politique, on ne peut pas espérer que vous allez nous croire du jour au lendemain, c’est une crédibilité qu’il faut bâtir jour après jour. Aujourd’hui, c’est une autre stratégie politique qui est à l’oeuvre. Et la création de nouveaux Bureaux régionaux, comme celui qui existe en Tunisie, constitue la meilleure illustration de notre volonté de gagner cette crédibilité et de cet engagement sur le long terme.
- Quels sont vos programmes d’actions en Tunisie, en Algérie et au Maroc ?
- P.F.M.: Je tiens à souligner que les programmes du MEPI existent déjà dans ces pays depuis l’année dernière. Actuellement, nous assistons les gouvernements dans leurs efforts de mise à niveau commerciale afin qu’ils puissent s’engager efficacement dans l’économie globalisée. Autre objectif: effectuer des «trainings» pour les hommes d’affaires, rencontrer des parlementaires maghrébins. D’ailleurs, nous sommes en train de réaliser un travail d’examen de l’ensemble de nos actions au sein de ces différents pays pour évaluer ce qui marche et ce qui marche moins bien, et étudier les possibilités pour organiser des programmes à l’échelle régionale.
- Les différences culturelles entre ces pays ne constituent-elles pas des obstacles à vos activités ?
- P.F.M.: J’évite toujours de faire des comparaisons, parce que les besoins des uns et des autres sont distincts, c’est-à-dire que les objectifs des gouvernements ne sont pas forcément identiques à ceux des sociétés civiles maghrébines ou du Moyen-Orient. Nous n’avons pas des a priori sur chaque pays. Comme je l’avais dit auparavant, notre travail consiste uniquement à assister des institutions, des personnes du gouvernement ou de la société civile déjà engagées dans des réformes.
Certains pensent que les programmes du MEPI sont destinés à remplacer les programmes de développement ! Alors, je dis tout de suite que ce n’est pas du tout cela. Notre objectif est de soutenir des projets qui vont avoir des résultats à moyen terme. Ce n’est pas d’apporter de l’eau dans le «bled» ni de construire des écoles. Nous ne sommes pas en outre ici pour élargir le champ financier des entreprises commerciales de la région, voire mettre en avant une personnalité ou un parti politique quelconque. La meilleure solution pour nous est d’assister, par exemple, quelques secteurs économiques à dépasser certains de leurs obstacles, mais surtout à s’orienter vers le sens des réformes ou encore à permettre aux femmes d’accéder à des emplois jadis inaccessibles pour elles.
- Existe-il aujourd’hui un chevauchement entre le projet américain du Grand Moyen-Orient et le programme MEPI ? Ne craignez-vous un certain court-circuitage programmatique, si je puis dire ?
- P.F.M.: Il n’y a pas de court-circuit. Je pense que nous travaillons bien sur des parties de la stratégie qui mène vers une stabilité durable de la région. Concernant l’Irak et la Palestine, nous savons très bien que sans la résolution de ces deux questions, sans une résolution équitable et juste pour les Palestiniens et sans avoir un gouvernement en Irak, nous ne pourrons pas avoir de stabilité à long terme.
Alors, nous travaillons sur ces deux questions pour essayer d’établir ces deux éléments de la stabilité dans la région. Même si ces deux questions étaient résolues demain, il reste cependant beaucoup d’autres éléments qui contribuent à la stabilité dans la région: il y a les questions de la démographie, de l’économie, des systèmes politiques. C’est là où le MEPI essaie d’intervenir, et nous ne voulons pas que les programmes du MEPI soient l’otage des autres éléments. Ce sont les pays de cette région qui demeurent les seuls à savoir par où entamer des réformes sérieuses. Sur un autre plan, notre objectif consiste à assister activement les entreprises des pays de la région à devenir plus compétitives sur l’échelle internationale, mais aussi inciter les gouvernements à mieux intégrer des standards internationaux et assouplir les législations nationales.
- Au-delà des méthodes pratiquées dans d’autres régions du globe, le MEPI dispose-t-il aujourd’hui de nouveaux mécanismes pour assister des pays de la région comme l’Afrique du Nord ?
- P.F.M.: Nous sommes toujours dans une démarche d’adoption de nouveaux mécanismes. Personnellement, j’ai travaillé activement sur les programmes d’assistance pour l’Europe de l’Est. Et cette expérience m’a permis durant les années quatre-vingt-dix de comprendre que l’indépendance «tout d’un coup» d’un pays n’est pas la même que celle qui existe ici. Chaque pays a ses propres spécificités dont il faut tenir en compte. L’essentiel est, en outre, d’approcher des personnes dont l’objectif est d’assister des institutions à se réformer dans le sens de la démocratie au sein de la région. Et je crois qu’il existe beaucoup de personnes prêtes à travailler activement sur ces programmes.
- L’engagement militaire américain en Irak ne constitue-t-il pas un sérieux handicap à la bonne marche de vos actions au sein de la région ?
- P.F.M.: Nous pensons que la situation en Irak sera résolue. Et l’objectif de nos autres actions dans la région est de préserver toujours une certaine crédibilité, mais surtout d’inspirer la confiance à nos interlocuteurs dans toute la région. Même si certaines ne sont pas d’accord avec notre politique en Irak, il existe tout de même beaucoup d’Irakiens favorables à notre présence dans ce pays. Nous attendons avec beaucoup de confiance des résultats positifs dans ce pays. Pour rester crédibles, il faut que nous continuions cette tâche. Et des programmes comme le MEPI montrent que notre politique au Moyen-Orient n’est pas limitée à cela, justement.
- Comment est structuré votre programme d’assistance aux réformes politiques et économiques par rapport aux activités du département d’Etat ?
- P.F.M.: Ce programme relève d’abord de l’initiative du président Bush. C’est vrai que le quartier général se trouve au département d’Etat, mais notre objectif est aujourd’hui de lier ce programme avec la politique américaine, donc de la diplomatie. Par exemple, quand M. Colin Powell, le Secrétaire d’Etat, effectue une visite dans la région, d’habitude il ne parle pas des programmes d’USAID. Car ces programmes ne relèvent pas de son domaine d’action. Seulement, il parle du MEPI lorsqu’il rencontre des personnalités politiques et des sociétés civiles des pays de cette région parce que les réformes sont à son ordre du jour.
Je rappelle que notre objectif est d’assister toujours des institutions, gouvernements, sociétés civiles ou ONG à s’engager réellement dans la voie des réformes démocratiques. Certes, ces assistances ne vont pas amener du jour au lendemain des réformes, mais il est très important d’avoir des personnalités sur place pour expliquer clairement à ces pays nos objectifs.
[Qui est Peter F. Mulrean ? - Né à Boston, diplômé en sciences politiques de l’Université d’Harvard et spécialisé dans les affaires politiques du Moyen-Orient, M. Peter Mulrean est un fin connaisseur de l’Union européenne. Après quatre ans à l’Ambassade des Etats-Unis à La Haye (Pays-Bas) lors de la présidence néerlandaise de l’Union, il est devenu le premier diplomate d’échange représentant le département d’Etat à la Commission européenne à Bruxelles. M. Mulrean s’est, en outre, forgé une grande expertise sur les dossiers de l’UE, où il a contribué à la coordination des relations de coopération entre les USA et l’UE, et dirigé les dossiers relatifs à la politique européenne en matière de sécurité et de défense. Plus récemment encore, M. Mulrean était le directeur adjoint du Bureau de promotion des droits de l’homme et de la démocratie au département d’Etat. Il était ainsi en charge de la conception stratégique et du soutien fourni aux programmes de renforcement des droits de l’homme et de la démocratie au Moyen-Orient, en Afrique du Nord, en Europe et dans la région euro-asiatique (biographie établie à partir des éléments fournis par son service de presse).]
                               
10. Libération des otages : Le handicap israélien de l’équipe Julia par Gilles Munier
in AFI-Flash N° 37 du samedi 23 octobre 2004
En quelques jours, l’expédition montée par Didier Julia, Philippe Brett, Mustapha Aziz, Philippe Evano et Pierre Girard-Hautbout pour libérer Georges Malbrunot, Christian Chesnot et Mohammed Al-Joundi - leur chauffeur syrien - s’est transformée en tragi-comédie mettant en cause le Quai d’Orsay et l’Elysée. On a traité les « libérateurs d’otages», de « pieds nickelés », d’irresponsables et, plus grave pour certains d’entre- eux: d’espions israéliens… Qu’en est-il vraiment ?
Didier Julia et ses équipiers n’auraient jamais dû lancer l’opération sans être sûrs de leurs contacts sur le terrain. Un an et demi après l’agression américaine, il fallait qu’ils vérifient si les Irakiens sur lesquels ils s’appuyaient étaient bien ce qu’ils prétendaient être. Ils auraient dû également coordonner leurs démarches avec celles des autorités françaises – notamment avec les « spécialistes du renseignement » en place à Bagdad - et ne médiatiser les négociations sous aucun prétexte. Une tentative qui tourne mal n’a de chance d’être relancée que si on tient sa langue et s’habille couleur de muraille.
Otages en danger
A partir du moment où Mustapha Aziz, Philippe Brett et Philippe Evano, trois des principaux protagonistes de cette affaire, ne s’entendaient plus sur la marche à suivre et où le premier accusait les deux autres d’être des « agents du Mossad », il fallait annuler l’opération. Quand on est engagé dans une action aussi délicate, ce genre de dénonciation peut avoir de graves répercussions. Continuer dans ces conditions, c’était mettre la vie des intermédiaires et des otages en danger de mort. 
Le joker israélien
En Irak, l’accusation « agent d’Israël » ne doit pas être prise à la légère, a fortiori quand elle repose sur des rumeurs qui circulaient à Bagdad depuis des années dans les milieux du contre-espionnage irakien. Brett et Girard-Hautbout, fondateurs de l’OFDIC (Office Français pour le Développement de l’Industrie et de la Culture) ne sont pas sans savoir que leur association avait fait l’objet d’une enquête des moukhabarat à ce sujet, et que leur relation « spéciale » avec le Comité Olympique dirigé par Oudaï Saddam Hussein – fils aîné du Président irakien -  ne les protège plus des coups bas.
L’origine de ces bruits remonte à la visite effectuée en Irak en septembre 1994 par le Général Jeannou Lacaze, ancien n°2 du SDECE (ancienne dénomination de la DGSE) élu député européen et président de l’Union des Indépendants (UDI), une scission du CNI (Centre National des Indépendants), petit parti situé à l’extrême droite de la Majorité. A l’époque, Ahmed Chaker, président de l’ADRAF (Association pour le Développement des Relations Arabo-Françaises), croyait encore possible de dédiaboliser Saddam Hussein. Il pensait qu’un ancien chef d’Etat-major des présidents Giscard d’Estaing et François Mitterrand, ayant soutenu la guerre du Golfe, photographié serrant la main au président irakien y contribuerait, donnant à l’opinion publique l’impression qu’une page était tournée.
Chaker ne se doutait peut-être pas que Jeannou Lacaze, dit « le Sphinx », était connu des SR irakiens pour ses amitiés israéliennes. Les moukhabarat avaient noté qu’Itzhak Shamir était présent à sa descente d’avion sur l’aéroport de Tel Aviv, en novembre 1990 en pleine crise du Golfe, et savaient que les deux hommes s’appréciaient depuis l’époque où le futur Premier ministre israélien représentait le Mossad à Paris. Les compte-rendus de ses entretiens, parus dans les médias israéliens, ne laissaient aucun doute sur l’opinion négative que le général avait du « dictateur irakien ».
Missions « politico-commerciales »
Jeannou Lacaze rencontra Saddam Hussein, mais les effets et ce « coup médiatique » furent de courte durée. Aujourd’hui encore, Ahmed Chaker s’en mord les doigts. Tout ce que le général avait retenu de la visite, c’était que le Président irakien était prêt à favoriser les entreprises françaises invitées à participer à la reconstruction du pays. En mai 1995, Chaker apprit que Lacaze avait créé – sans l’y associer -  un « Conseil du Commerce et de l’Industrie France-Irak » (CCIFI). Pour les services secrets irakiens, qui ne croyaient pas au retournement du général, c’était une couverture du Mossad pour espionner leur pays. S’ensuivront plusieurs missions « politico- commerciales » françaises en Irak, plus ou moins réussies et très surveillées. Signe que la confiance n’était pas totale : le bureau de représentation du CCFI inauguré dans le quartier Mansour à Bagdad en avril 1996, n’eut jamais d’activité.
Lassés, paraît-il, par le mauvais caractère du général, deux de ses collaborateurs les plus actifs : William Le Bras, son ancien chef de Cabinet devenu président du CCIFI et Pierre Girard-Hautbout créèrent l’association Présence Française. Philippe Brett les y rejoindra. Les missions « politico- commerciales » se succédèrent, traînant toujours derrière elles les mêmes soupçons gênants d’espionnage.
Début 2000, Girard-Hautbout et Brett se séparèrent de William Le Bras pour fonder l’OFDIC. La nouvelle association se rapprocha du Comité olympique irakien, avec lequel elle entretint des relations en dents de scie. Ses plus beaux coups furent ses tentatives réussies pour briser l’embargo aérien, et le voyage controversé des députés Thierry Mariani, Eric Diard et Didier Julia à la veille de l’agression américaine de mars 2003. A chaque opération, à tort ou à raison, le contre-espionnage s’interrogeait sur la qualité des participants, notaient qui ils rencontraient, où ils allaient. Aucun problème ne s’est jamais posé, mais si cela avait été le cas, personne n’aurait osé en informer Oudaï Saddam Hussein…
Aujourd’hui, les archives des SR irakiens sont détruites, les résultats des enquêtes ne seront jamais connus. Mais qu’importe : ragots ou non, il en reste des traces dans la mémoire de ceux qui les ont menées ou qui ont été approchés à leur sujet. L’accusation portée par Mustapha Aziz à l’encontre de Philippe Brett a réveillé ces suspicions au plus mauvais moment, tout comme les informations parues dans les médias selon lesquelles Didier Julia est un ami de Shimon Péres et a aidé le commando du Mossad qui s’est emparé des « vedettes de Cherbourg » en 1969.
L’homme d’Abidjan
Pour qui roule Mustapha Aziz ? Question sans réponse. Après avoir tenté sa chance avec le Président Mobutu, Jonas Savimbi, et le Président angolais Dos Santos, il s’est recyclé auprès de Moïse Koré, pasteur évangéliste pro-américain, « guide spirituel » de Laurent Gbagbo, Président de Côte d’Ivoire. Il dispose d’un passeport diplomatique ivoirien, et fait partie de la mission ivoirienne à l’Unesco à Paris.
On dit que l’« affaire Julia » a commencé quand Aziz a assuré à Philippe Evano -  ancien dirigeant de l’UNI, syndicat universitaire très marqué à droite - que son ami le Cheikh Mondher Al-Karbit, de la tribu irakienne Doulaimi, se faisait fort de libérer les journalistes français. Tout « spécialiste » de l’Irak se serait demandé si Al-Karbit ne présumait pas de son influence et, plus tard, si le « Haut Conseil des forces nationales contre l’occupation », créé par le chef de tribu Majeed Jao’d le 15 septembre dernier à Beyrouth, pouvait vraiment convaincre l’« Armée islamique en Irak », ou l’organisation patriotique qui les « accueillerait » actuellement, de les laisser partir. Ceux qui connaissent la résistance irakienne en doutent.
Autre question sans réponse : pourquoi Mustapha Aziz a-t-il brusquement décidé de se séparer de ses partenaires ? Dire, comme l’a fait Evano à Libération (6/10/04), qu’il est  « devenu fou » en traitant Brett et lui d’« agents du Mossad », n’est pas convaincant ? Tout ce qu’on peut dire rétrospectivement, c’est qu’Aziz est mal placé pour les accuser de relations avec Israël : il a été recommandé par Serge Cwajenbaum, secrétaire général du Congrès Juif Européen, à Charles Lambroschini, journaliste au Figaro (4/9/04, comme détenant « la bonne clé » pour ouvrir la prison des otages), et il participe – selon Jeune Afrique- L’Intelligent (10/10/04) - à l’approvisionnement de la Côte d’Ivoire en armes israéliennes !
Victime collatérale de cette opération ratée : Laurent Gbagbo qui, en mettant un jet présidentiel à la disposition de l’équipe Julia, espérait redevenir fréquentable en France et faire oublier l’assassinat de Jean Hélène, journaliste à RFI. Selon le quotidien ivoirien Le Patriote (5/10/04), il a provoqué la colère des militaires qui lui sont fidèles. L’opération aurait coûté 700 millions de francs CFA (1 million d’euros) au Trésor public ivoirien - sans compter le coût de stationnement de l’appareil sur les aéroports du Bourget, de Damas et d’Amman, le kérosène et les frais d’équipage – prélevés sur un fonds réservé au versement de primes aux militaires combattant la « rébellion » nordiste.
La suite des événements en Irak et – espérons le - la libération prochaine des otages, apporteront des éclaircissements sur les zones d’ombre qui entourent leur enlèvement et plus particulièrement sur  l’implication vraisemblable d’Israël dans l’échec – programmé ou non - de l’opération Julia. Curieux tout de même que le seul média ayant avalisé l’accusation portée par Philippe Evano contre l’US Air Force d’avoir bombardé le convoi qui aurait transporté les journalistes vers la frontière syrienne est, comme par hasard, Debkafile, un site Internet connu pour être proche du Mossad. (21 octobre 2004)
[AFI-Flash est une publication des Amitiés Franco-Irakiennes - Fax : 02 23 20 96 58 - Site : http://iraqtual.com - Contact Gilles Munier : gilmun@club-internet.fr]
                       
11. Israël ne se sent plus… par Azmi Bishara
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 21 octobre 2004
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Les attentats du Sinaï donnent à Sharon l’opportunité de marginaliser encore un peu plus la cause palestinienne. Il va les exploiter avec délectation, pense Azmi Bishara.
Le fait que la dévastation semée à Gaza par Israël n’était pas simplement une réplique aux tirs de missiles Qassam ne signifie nullement que nous devrions souscrire à l’assertion selon laquelle Israël n’a pas besoin de prétexte pour agir. Cet argument, avec son corollaire – aucun moyen de lutte n’est susceptible d’influer sur la politique ou le comportement d’Israël – est autodestructeur.
La dernière en date des incursions israéliennes à Gaza n’était pas sans rapport avec l’arme rudimentaire – parler de « missile » pour désigner ces projectiles serait sans doute faire preuve de grandiloquence – que les Gaziotes ont développée afin de se battre contre la situation où ils ont été enfermés : une situation sans précédent dans l’histoire moderne, qui se caractérise essentiellement par l’enfermement d’un million et demi de personnes dans une prison munie, en tout et pour tout, de deux portails. La violence israélienne à Gaza, à Jénine et à Naplouse fait structurellement partie intégrante des problèmes du désengagement – vous ne pouvez pas imposer une solution unilatérale à un conflit sans recourir à des niveaux de violence extra-ordinaires.
A la différence du retrait israélien du Liban, où un Etat souverain revendiquait le contrôle et la responsabilité sur les zones évacuées, le problème, à Gaza, ne se résume pas simplement à un retrait unilatéral : il s’agit d’un redéploiement intervenant dans des conditions qu’Israël considère renforcer son contrôle sur certaines zones de la Cisjordanie. Israël espère contrôler Gaza, avec moins de frictions provenant de l’extérieur et des parties secondaires de la Cisjordanie, tout en améliorant son standing international et en allégeant les pressions internationales poussant Israël à s’engager dans un processus dont ni il ne veut, ni il ne peut s’y engager, étant donné son leadership politique et l’état de son opinion publique actuels. [La détermination de Sharon à faire avorter toute éventualité de négociations avec la Syrie a été étalée à la une de tous les quotidiens israéliens.]
Ce sont bien les missiles Qassam, en revanche, qui ont mis en relief les prétextes usés jusqu’à la corde qu’Israël invoque pour édifier son mur de sécurité et son désengagement unilatéral de Gaza. Le mur ne sert à rien, même face à une arme aussi primitive. Israël sait pertinemment qu’après le redéploiement des troupes israéliennes, les habitants de Gaza n’accepteront jamais leur sort de prisonniers. Ils n’accepteront jamais une occupation à portée de main, depuis l’autre côté d’un mur. Certainement pas, en l’absence ne serait-ce que de la promesse d’un règlement équitable et d’une résolution de la question de la souveraineté nationale palestinienne…
Israël ne se prend pas lui-même au piège de sa démagogie creuse autour de la culture du « terrorisme ». Il a parfaitement conscience de ses causes, et il sait exactement ce à quoi il doit s’attendre. Il fera tout, absolument tout, pour minimiser l’éventualité d’une réaction palestinienne, en recourant à toutes ses capacités militaires afin de produire un climat de terreur.
L’assaut brutal contre Gaza est, dès lors, une tentative d’apporter une réponse à un nœud de problèmes entremêlés. Il y a, par exemple, les questions politiques internes, soulevées par ceux qui remettent en cause la faisabilité de l’éradication de la résistance palestinienne au moyen de la force brute. La réponse du gouvernement israélien consiste à passer d’un type de violence à l’autre, d’un palier dans l’escalade au suivant ; d’où, les incursions militaires dans des zones pauvres densément peuplées et d’où, les assassinats ciblés en plein Damas. Il y a aussi des questions stratégiques autour de la façon d’empêcher le développement de la capacité des Palestiniens à résister, après un retrait unilatéral.
Les efforts israéliens, à cet égard, ont été grandement facilités par les attentats à la bombe du Sinaï, qui représentent la première opération à avoir permis d’établir un lien entre les réseaux terroristes internationaux et les Palestiniens. Ce fut aussi la première fois que des opérations terroristes internationales étaient montées si près des frontières de la Palestine.
Sans égard à leur position vis-à-vis du traité de paix égypto-israélien, les factions palestiniennes veillent à entretenir de bonnes relations avec l’Egypte et, cela, elles veulent absolument continuer à le faire. Si on leur posait la question, elles répondraient, toutes, qu’il ne saurait résulter qu’un mal d’une tentative de déstabiliser l’Egypte, tant économiquement que politiquement. Plus important encore : les organisations politiques palestiniennes ont dit très clairement qu’elles ne viseraient pas de citoyens israéliens à l’étranger. S’abstenir de (ou cesser) toute violence de quelque sorte qu’elle soit contre des civils, dans des pays autres que la Palestine, fut une sage décision, même si les Israéliens n’ont pas rendu aux Palestinienne la monnaie de leur pièce.
Les attentats du Sinaï offrent à Sharon, sur un plateau d’argent, une opportunité historique de resserrer la coordination sécuritaire dans la région et ils lui fournissent un prétexte pour lier la coordination sécuritaire à des intérêts économiques et politiques. La réponse de l’opinion publique égyptienne aux attentats de Louxor, en 1994, avait été assez véhémente pour altérer le cours de la violence fondamentaliste, obligeant beaucoup d’organisations à modifier leur manière de penser. S’il en fut ainsi, alors même que les perpétrateurs étaient Egyptiens, je vous laisse imaginer la réaction de l’opinion égyptienne, cette fois-ci, les attentats ayant été attribués à des formations (terroristes) non-égyptiennes !
Impossible de se tromper sur la réaction de l’opinion publique égyptienne aux opérations du Sinaï et, en dépit des tentatives déployées par le gouvernement égyptien pour minimiser la magnitude et les causes des attentats afin d’éviter qu’un vent de panique ne souffle sur l’industrie touristique, vous pouvez être certains qu’il prend la question vraiment au sérieux.
La première réaction de plusieurs ministres israéliens consista à agonir l’Egypte de critiques : elle était trop lente à donner l’autorisation d’entrer en territoire égyptien à des sauveteurs israéliens. Ce genre d’inanités et de fictions sont concoctées à l’usage des médias, en temps d’hystérie collective. Sharon s’est empressé de mettre le bouchon sur tout ça, reprochant leur mesquinerie à ses ministres et réitérant son avis, et celui de divers « experts » : eussent toutes les victimes été égyptiennes, les autorités égyptiennes n’auraient pas fait preuve d’une compétence supérieure : elles étaient au maximum de leurs capacités. Sharon tenait une occasion en or de tendre les bras à l’Egypte sur la question de la coordination sécuritaire en matière de lutte contre le terrorisme. Il a dit à ses ministres de ravaler leurs réactions épidermiques et de garder par-devers eux leurs opinions à l’emporte-pièce sur l’Egypte. Israël, comme nous le savons tous, utilise « terrorisme » à la manière d’un terme générique. Désormais, agissant suivant les directives de Sharon, les ministres israéliens se retrouvent, tout soudain, à chanter les laudes de l’Egypte, dans l’espoir de flatter Le Caire et de l’inciter à resserrer avec eux sa coopération sécuritaire, même si cela signifie qu’ils devront satisfaire les exigences égyptiennes en matière d’amendement du traité de paix de Camp David, en autorisant un renforcement de la présence militaire égyptienne dans le Sinaï.
Que l’Egypte réponde, ou non, à ces ouvertures, Israël a saisi l’occasion des attentats du Sinaï pour accélérer l’établissement d’un réseau de liens bilatéraux de coopération sécuritaire dans la région, tout en procédant, exactement au même moment, à son assaut brutal contre Gaza.
Sur ces entrefaites, on ne peut faire autrement que remarquer ce qui semble être des efforts arabes visant à minimiser les agissements d’Israël à Gaza. Certains journaux arabes ont exclu le sujet de leur une, même au premier jour de l’opération, alors que d’autres en parlaient, mais en bas de première page. Ceci suggère une tendance à créer de toutes pièces un climat d’inquiétude au sujet de la cause palestinienne, à créer de la lassitude dans l’opinion publique arabe. Les seuls sujets inusables qui semblent dignes d’être relevés, de nos jours, ce sont les conciliabules au sein de la direction palestinienne, ou encore au sujet du leadership palestinien et des candidats putatifs. Voilà qui, pour quelque raison qui m’échappe, semble un sujet suscitant un intérêt inoxydable. Et cela permet de réduire la cause palestinienne, et le crime israélien, à une focalisation constante sur le rôle de la direction palestinienne et le besoin d’en changer.
Ceux qui avaient tendance à conseiller les Palestiniens en toutes choses sont revenus de tout, mais ils continuent à gloser sur cette crise (interne). Ils persistent obstinément. Les crimes israéliens ne semblent plus représenter qu’un détail secondaire, et les déclarations des Israéliens avertissant qu’ils vont se venger sur la société palestinienne, visant essentiellement à faire pression sur les diverses factions afin qu’elles cessent leurs opérations armées, semblent tomber dans l’oreille de sourds. La définition américaine officielle du terrorisme, tel que défini dans le Patriot Act, consiste à dire que le terrorisme consiste « à soumettre des civils américains à des actes de violence, dans l’intention d’influencer la politique de leur gouvernement ». Eh bien, on peut dire que Tel Aviv a très clairement et abondamment indiqué que s’il bombarde les Palestiniens, c’est afin d’influencer la politique de leur leadership. Néanmoins, les Etats-Unis ont mis leur veto à une résolution du conseil de sécurité condamnant l’agression israélienne à Gaza. Et quelle est la position arabe, à ce sujet ? Ce n’est pas en lisant la presse arabe que vous le saurez !
Fut un temps où nous parlions de phases américaines, dans la région. Il y eut la phase Truman, la phase Kissinger, la phase Carter, et la phase Baker. Sans doute pouvons-nous parler aujourd’hui de phase Sharon : il s’agit d’une phase emplie de schémas et de projets israéliens. Ses traits les plus frappants sont à trouver dans les structures et les opérations militaires et politiques rendues nécessaires par la volonté de marginaliser la cause palestinienne, y compris dans le monde arabe, faisant du plan de désengagement la seule alternative disponible, sans feuille de route, et même sans chemin des écoliers.
Cette phase israélienne continuera à se caractériser par des tentatives d’internationaliser le boycott de la Syrie approuvé par le Congrès des Etats-Unis. La récente résolution du conseil de sécurité de l’Onu sur le Liban – qui n’a rien à voir avec la constitution libanaise et, en revanche, tout à voir avec l’encerclement de la Syrie et les coups à prévoir contre ce pays – ne peut être interprétée autrement que comme une pierre de taille apportée à ce processus. Je parierais que les Etats-Unis, et le conseil de sécurité, auraient laissé tomber toute cette histoire de constitution, si Damas avait reculé sur tout un ensemble de points, fondamentaux pour la mise en place de la phase israélienne. Inutile de préciser que la réforme constitutionnelle au Liban n’en fait pas partie.
La situation de la Syrie est tellement absurde qu’elle ferait éclater de rire l’observateur le plus prudent et coincé. Si la Syrie veut vraiment la paix, dit Israël, elle doit le montrer « par des faits, pas par des mots ». Et en même temps, sans sourciller, Israël refuse de négocier avec cette même Syrie parce que ces négociations ne pourraient aboutir qu’à son retrait jusqu’aux frontières antérieures à juin 1967…
Israël fait courir le faux bruit que la Syrie le supplie, à genoux, de négocier, puis relève le nez sur ses instances imaginaires, pour aussitôt se pavaner et jouer le fier-à-bras qui bouscule les passants, sur le trottoir. Mais la Syrie n’a fait aucune nouvelle ouverture, d’aucune sorte : elle s’est contentée de réitérer son engagement vis-à-vis de positions déjà formulées, en matière de résolution du conflit et de processus de négociation.
En concoctant cette image d’une Syrie s’aplatissant comme une carpette, Israël veut mettre en évidence l’équilibre des pouvoirs dans la région. Les Etats-Unis n’ont pas varié d’un iota. Ils continuent à souffler dans le col de la Syrie et ils continueront à souffler dans le col de la Syrie jusqu’à ce que la Syrie obtempère. Mais étant donné qu’il n’y a aucune justification, pas même selon la logique américano-israélienne, pour déclarer la guerre à la Syrie, la seule possibilité qui leur est ouverte c’est de faire tout ce qui est en leur pouvoir afin d’affaiblir la Syrie, de saper sa souveraineté et d’encourager d’autres pays à en user de même.
Ce sont là simplement quelques-uns des traits de la nouvelle phase qu’Israël s’efforce d’initier dans la région. Bien entendu, la suite ne sera pas aussi facile. Mise à part la configuration politique israélienne, Israël aura aussi à faire face à certains problèmes structurels.
La seule puissance qui serait capable d’occuper d’autres pays est actuellement empêtrée dans la guerre qu’elle a fabriquée de toutes pièces, en Irak. Cette puissance se retrouve incapable de contrôler le rythme et la logique – ou plutôt, l’absence de logique – de cette guerre. Israël, dans sa tentative d’inaugurer sa propre phase dans la région, doit s’attendre à rencontrer des obstacles en comparaison desquels ceux auxquels l’Amérique est confrontée, en Irak, sembleront bénins. Aussi la prudence requiert-elle d’Israël qu’il prenne conscience de son importance réelle dans la région.
Cela ne gâchera rien, non plus, si les Arabes en prennent eux aussi conscience, et ne se laissent plus intimider à si bon compte.
                       
12. Israël : Paris proteste contre des tirs de semonce au passage d'un agent consulaire
Dépêche de l'agence Associated Press du vendredi 15 octobre 2004, 19h06 
PARIS - Un char israélien a tiré des rafales de semonce alors qu'un agent du consulat général français à Jérusalem s'apprêtait à franchir le point de passage d'Erez séparant Israël de la Bande de Gaza, a affirmé vendredi ministère français des Affaires étrangères.
Paris a "protesté vivement auprès de l'ambassade d'Israël en France" et compte le faire également "sur place à Tel Aviv". "Ce type d'acte est inacceptable, a fortiori lorsqu'il s'agit d'agents titulaires de passeports diplomatiques ayant effectué toutes les formalités demandées par l'armée israélienne", ajoute le Quai d'Orsay.
Il souligne dans un communiqué que "ceci est d'autant plus préoccupant que ce cas n'est pas isolé. D'autres diplomates européens (les nationalités n'ont pas été précisées, ndlr) ont subi de semblables difficultés". "De telles menaces constituent des entraves inacceptables à l'exercice des missions consulaires."
L'incident se serait produit mercredi. Le consul adjoint avait "suivi l'itinéraire convenu avec l'armée israélienne" quand, alors qu'il se trouvait à "une vingtaine de mètres" du char, celui-ci a tiré, a précisé le porte-parole du ministère, Hervé Ladsous.
                       
13. Les évangéliques conservateurs, fer de lance de Bush - Entretien avec Tarek Mitri propos recueillis par Anne Kauffmann
in La Tribune de Genève du 14 octobre 2004
Le président a convaincu ces protestants fondamentalistes qu’il est l’un d’entre eux. Notamment grâce à un langage où ils se reconnaissent et qui les fédère derrière lui.
George Bush leur doit probablement son élection, il y a quatre ans. Dans moins de trois semaines, ils voteront à nouveau massivement pour lui. «Ils», ce sont ces protestants qui prennent la Bible au pied de la lettre, militent pour une société plus conforme à leurs valeurs absolues et apportent un soutien indéfectible à Israël. Qui sont-ils et jusqu'où va leur influence à Washington?
C'est ce qu'explique Tarek Mitri, un sociologue des religions, dans Au nom de la Bible, au nom de l'Amérique, un livre-clé pour comprendre les relations particulières qu'entretiennent, outre-Atlantique, Eglises et Etat depuis la fondation des Etats-Unis.
- Il y a des séances de prière à la Maison-Blanche et dans certains ministères, Dieu est cité dans de nombreux discours… Est-ce que la religion donne désormais le ton à Washington ?
- En Europe, on a tendance à sous-estimer la place de la religion en politique. Notamment aux Etats-Unis. Mais maintenant, c'est l'excès contraire! Dans le cas précis, ce qui surprend ici, c'est que le président Bush affiche ses convictions religieuses et qu'il s'identifie à la mouvance évangélique conservatrice qui s'est politisée et est montée en puissance depuis les années 70.
- Combien d'Américains en font partie ?
- Il est difficile d'être précis puisqu'il existe de nombreux courants évangéliques conservateurs et qu'il n'y a aucune structure institutionnelle qui les rassemble tous. Mais on estime leur nombre à environ 40 millions de personnes, soit environ la moitié des protestants américains.
- George Bush est-il lui-même un de ces «ultras» ?
- Non, ce n'est pas un évangélique conservateur typique. C'est avant tout un homme politique. Voyez ce qui s'est passé avec la décision d'envahir l'Irak. Il dit avoir décidé au nom des intérêts de l'Amérique et ensuite seulement avoir prié Dieu pour qu'il le soutienne. Ce n'est pas la démarche d'un fondamentaliste. Mais il a convaincu les évangéliques conservateurs qu'il est l'un d'entre eux. Notamment grâce à un langage où ils se reconnaissent et qui les fédère derrière lui.
- Est-ce que cette mouvance conservatrice a marqué des points sous sa présidence ?
- Leur bilan est en demi-teinte. Sur le plan intérieur, ils ont un poids électoral important. Ils dirigent le Parti républicain dans 18 Etats sur 50 et représentent 40% de son électorat national. Mais ils ne parviennent pas à imposer leur agenda politique qui comprend notamment l'interdiction de l'avortement et l'obligation de la prière à l'école. Je ne pense pas que les Etats-Unis sont devenus plus religieux qu'ils ne l'étaient auparavant. Dans le pays, leur influence politique n'est pas proportionnelle à leur pouvoir électoral.
- Et en politique étrangère ?
- Là, c'est autre chose. Les évangéliques conservateurs apportent avant tout un soutien inconditionnel à la politique israélienne. Ils en sont devenus des lobbyistes très efficaces et influents. C'est d'ailleurs la seule force non juive qui se soit organisée dans ce but.
- Pour quelle raison ?
- Parce que les évangéliques conservateurs appréhendent cette région du monde à travers les prophéties bibliques. Pour eux, l'existence de l'Etat d'Israël est la preuve que Dieu tient ses promesses et qu'il réalise son dessein pour l'humanité. De leur point de vue, par exemple, il faut soutenir la politique de colonisation. Plus Israël s'étend, plus il se rapproche de la dimension de l'Israël biblique et plus la fin des temps et le retour de Jésus s'approchent.
- Comment voyez-vous leur avenir aux Etats-Unis ?
- Je pense que leurs rangs cessent de grossir. Et que, sur le plan intérieur, leur méfiance traditionnelle envers la politique réapparaît. Un très grand nombre de leurs pasteurs ont ainsi très mal pris la lettre que Karl Rove, le stratège électoral de George Bush, leur a écrite en leur demandant d'appeler leurs fidèles à voter pour le président. Les évangéliques conservateurs vont bien sûr voter en masse pour lui, mais là, ils se sont sentis utilisés!
["Au nom de la Bible, au nom de l'Amérique" de Tarek Mitri aux éditions Labor et Fides - 220 pages - ISBN : 2830911385 - 31 CHF (Octobre 2004)
Comment se fait-il qu’aux Etats-Unis, une société qui sépare clairement religion et Etat, la religion puisse être aussi forte et dynamique? La question que posait Tocqueville reste d’une totale actualité. A l’issue d’un survol historique qui situe les rapports de la société américaine avec le religieux, il s’agit de mieux comprendre comment l’Amérique de l’après 11 septembre réagit à l’islam et aux musulmans, comment la guerre contre l’Irak a divisé les chrétiens. Tarek Mitri nous aide ainsi à saisir l’évolution des rapports de force entre libéraux et conservateurs, les relations entre évangéliques conservateurs, Israël et la communauté juive américaine, ou encore les effets de la politisation des évangéliques conservateurs sur la vie publique et sur eux-mêmes.
Tarek Mitri est responsable des relations avec les musulmans au Conseil œcuménique des Eglises (COE) à Genève. Il enseigne à l’Université de Balamand au Liban. Il a enseigné la sociologie des religions à l’Université Libre d’Amsterdam, à l’Université de Genève et, en 2003, à l’Université de Harvard.]
                           
14. La Grande Congélation par Ari Shavit
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du vendredi 8 octobre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Dans un certain sens – superficiellement, j’en conviens – Ariel Sharon et Dov Weisglass forment un couple étonnant. Sharon est un gaucho du Néguev occidental, tandis que Weisglass est un avocat de la Rue Lilienblum, à Tel-Aviv. Sharon est le fils d’un agronome russe, alors que Weisglass est le fils d’un marchand de fourrures polonais. Sharon est la chair de la chair du mouvement de colonisation agricole, combattant et enraciné, alors que Weisglass est l’incarnation de la bourgeoisie immigrée spéculatrice. Sharon est un digne cow-boy du sionisme de la Frontière (au sens du Far West des « westerns », ndt). Weisglass est un parangon du sionisme de l’immobilier.
Toutefois, dans un autre sens – plus profondément – la motivation de l’idylle entre le gentleman-farmer et l’avocat est parfaitement claire. Entre le bagarreur et le pacificateur. Entre l’authenticité crasse de Sharon et les petits soins de Weisglass : à l’époque où Sharon était un lépreux totalement infréquentable, après Sabra et Chatila, Weisglass ne l’abandonna pas. Quand Sharon se retrouva sur un champ de bataille tout à fait nouveau pour lui, sur lequel il était complètement paumé (commission d’enquête, tribunaux, presse), Weisglass livra son combat pour lui. Sharon ayant fini par comprendre que le monde avait changé, qu’il serait désormais gouverné par des méga-autorités d’un genre inédit (Aharon Barak, Time magazine, Yedioth Ahronot), il comprit aussi que Weisglass était La personne qui saurait comment le représenter devant ces nouvelles super-autorités. Il comprit que Weisglass, le complétant, lui était indispensable.
Ainsi, au fil des années, se développa chez le commandant rural une dépendance croissante vis-à-vis de son avocat de Tel-Aviv, qui devint son avocat personnel, l’avocat de sa famille, et enfin l’avocat de sa politique. L’avocat qui représente Sharon, depuis deux ans et demi, devant la méga-authorité américaine, l’avocat qui, depuis deux ans et demi, en tant que principal conseiller officiel du Premier ministre, a conduit, quasiment à lui tout seul, les délicates relations entre la Maison Blanche et le Ranch des Sycomores. Autant dire : entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Etat d’Israël.
Alors, est-ce Dov Weisglass qui a réussi à renverser la politique de Sharon ? Dov Weisglass est-il cette éminence grise qui a imposé à l’Empereur des Colonies la décision d’évacuer… des colonies ? Les colons en sont absolument persuadés. Ils sont certains que Weisglass est un Raspoutine retors, et qu’il a trouvé quelque formule obscure qui pousse le tsar à faire des choses que le tsar en personne, de lui-même, n’aurait jamais faites. Toutefois, l’intéressé lui-même, Weisglass, rejette ces allégations d’un haussement d’épaule. Il ne dément pas avoir soutenu le retrait, depuis le début. Il ne cache pas le fait qu’il a mis toutes les données sur le bureau de Sharon. Le problème politique, le problème économique, le problème des soldats refuseniks. Et il a fait comprendre très clairement au boss que la communauté internationale ne laisserait jamais tomber. Que les Américains ne pourront pas nous soutenir à bout de bras ad vitam aeternam. Mais ce n’est pas moi qui ai pris la décision finale, dit Weisglass. La décision a donc été prise par le Premier ministre. Pendant que lui, le chef de bureau, était simplement là, à ses côtés. Lui, l’avocat fidèle, s’est contenté de venir s’asseoir à côté de son client, tout au long de l’ensemble du processus… Mmmh…
Weisglass est né à Tel-Aviv, en octobre 1946. Il a passé son enfance, et fréquenté l’école, à Ramat Gan, dans les années 1950, au sein d’une famille qui passa très rapidement de la pauvreté à l’opulence. A dix-neuf ans, il étudiait déjà le droit. A vingt-quatre, il travaillait dans le cabinet juridique Moritz-Margolis. Treize ans plus tard, il acheta (conjointement à son associé Ami Almagor) ce cabinet à ses fondateurs, et il en fit l’une des premières entreprises de conseil juridique du pays. En 1980, il représenta Yitzhak Rabin contre l’hebdomadaire français L’Express. En 1983, il représenta Sharon face à la Commission Kahan, qui enquêtait sur les massacres de Sabra et Chatila. En 1985 – 86, il représenta Sharon dans son procès contre le Time magazine (Sharon attaquait l’hebdomadaire, dont une enquête l’impliquait directement dans les massacres).
Au début, il s’était spécialisé dans la représentation de membres des services de sécurité qui furent amenés à témoigner devant des commissions d’enquête (Yossi Ginossar, Shaul Mofaz, Hezi Callo, Alik Ron). Puis il se spécialisa, en plus, dans la représentation de directeurs généraux des ministères accusés de corruption (Shimon Sheves, Moshe Leon, Avigdor Lieberman). Parmi ses clients, également : Ehud Yatom, Rafi Eitan et Avigdor Kahalani. Et aussi le service de sécurité Shin Bet et l’agence de renseignement Mossad. Sans oublier le mouvement kibbutzique.
Ses détracteurs se répandent, clamant que Weisglass n’est pas un juriste distingué, qu’il est bordélique, superficiel, qu’il a la gâchette facile, et qu’il lui manque une aura de dignité et un centre de gravité moral. D’autres, toutefois, relèvent son bon sens, sa compréhension humaine. Et nul ne doute de sa capacité de charmer les gens qu’il juge importants. Ni de son art de conclure un marché, de recoller les pots cassés, d’appeler les gens qu’il faut au téléphone, juste au moment où il faut que cela soit fait, et pas à un autre. Parce que notre avocat au mille chapeaux n’est pas seulement un type très cordial, c’est aussi quelqu’un qui a un sérieux carnet d’adresse dans l’establishment israélien, en long et en large.
Nous entamons notre conversation dans un café de Tel-Aviv, puis nous nous rendons dans son bureau décrépit, sis rue Lilienblum. Pantalons gris, chemise blanche, son crâne dégarnit brille. Il fait plus que son âge. Très vite, cependant, il me submerge de ses connaissances historiques encyclopédiques et de sa culture de mélomane. Il tient fermement les manettes, et on peut aimer ça, ou pas : en tous les cas, nul ne peut l’ignorer, car ce fait est en train de donner forme, en cet instant même, à la réalité que nous connaissons.
Tous les jours, il téléphone à Condy
- Parlez-moi de Condoleezza Rice. Quelle sorte de femme est-ce ?
« C’est une femme étonnante. Intelligente, élégante, très honnête. A la fois éduquée et extraordinairement agréable. Mais, en-dehors de cette incontestable courtoisie et de sa profonde culture, elle peut aussi être très ferme. Elle peut, parfois être intraitable. »
- Elève-t-elle parfois la voix contre vous ? Elle vous engueule ?
« Qu’entendez-vous par « élève-t-elle la voix ? »  Je suis plus âgé qu’elle, vous savez… Les Américains ne  se parlent pas entre eux comme nous le faisons, nous, ici, en Israël… »
- Parlez-moi de la dynamique de votre relation, s’agit-il d’une relation sortant de l’ordinaire, ou non ?
« Je suis en permanence en contact avec Rice. En temps de crise, cela peut être tous les jours : nous nous parlons au téléphone. En des temps plus calmes, nous nous appelons au moins une fois par semaine. Je la rencontre en moyenne une fois par mois. Depuis mai 2002, je l’ai rencontrée plus de vingt fois. Et chacune de ces rencontres a été une véritable rencontre de travail. La plus courte a quand même duré une heure et demi… »
- Comment vous appelle-t-elle ?
« Dubi »…
- Et vous, comment l’appelez-vous ?
 « Condy »…
- Et comment ça se passe, entre vous ?
« Le canal entre Rice et moi a deux objectifs principaux. Le premier, c’est de faire avancer les processus initiés, d’examiner nos idées et les leurs. La feuille de route, par exemple, ou le projet de désengagement [de Gaza, ndt]. Mais son autre fonction, tout aussi importante, c’est de faire la chasse aux ennuis. Si quelque chose se produit – une opération militaire inhabituelle, un accrochage, un assassinat ciblé, réussi ou non – elle m’appelle, avant que ça n’est tourné à l’imbroglio, et elle me dit : « On a vu tel ou tel truc sur CNN… Qu’est-ce qu’il se passe ? » Alors, je lui dis : « Condy, tu me donnes dix minutes, comme d’hab ? » Alors elle rigole, et nous raccrochons. Dix minutes plus tard, après que j’ai élucidé ce qui s’est passé, je la rappelle, et je lui dis tout. Toute la vérité. Je lui dit, et elle note : c’est ce que nous avons décidé d’un commun accord, et c’est comme ça que ça se passe. Elle ne se braque pas. Elle nous croit sur parole. La suite, c’est le contrôle des dégâts… »
- Et pourtant Rice a l’air d’une cookie trop dure. Vous pouvez lui parler comme ça, librement ? Vous pouvez lui raconter les blagues que vous aimez tellement raconter ?
« Nous plaisantons en permanence. Toujours. Quand je suis à Washington, je lui raconte ce qui se passe en Israël. Je parle librement. Presque de la même manière que je vous parle, en ce moment. Il n’y a pas de crainte, pas de protocole. Chacun interrompt l’autre. Je n’irai pas jusqu’à dire que nous sommes des potes, mais notre relation de travail est très amicale. »
- Diriez-vous que le canal Weisglass-Rice est un atout stratégique ? A-t-il fini par rendre Dov Weisglass indispensable ?
« Comme vous le savez, les cimetières sont remplis de gens indispensables. Je ne veux pas me vanter. Mais l’importance de cette relation, c’est qu’elle permet au président de parler au Premier ministre et au Premier ministre de parler au président sans qu’ils aient à se parler directement. Vous devez comprendre que les présidents et les premiers ministres ne palabrent pas tous les jours. Pour le président, téléphoner au Premier ministre, c’est un véritable événement. C’est un acte qui revêt une importance étatique. Aussi, ce genre de conversation est extrêmement lourd. Dans une large mesure, ce sont des conversations contraintes. Alors que, par notre canal, tout est plus direct. Et immédiat.
Pour les Américains, c’est pratique : ils savent (parfaitement) qu’ils ont quelqu’un qui a la tête coincée non pas (seulement) entre les mâchoires du lion, mais carrément dans le gosier du lion. Cela nous convient aussi, de notre côté. Cela nous permet de leur parler en temps réel, de manière informelle. Quand ma conversation avec Condy prend fin, elle sait que je n’ai que six pas à faire pour me retrouver dans le bureau de Sharon, et je sais qu’elle n’a que douze pas à faire pour se retrouver dans le bureau de Bush. Cela crée une relation intime entre les deux bureaux, et cela évite mille goulets d’étranglement. »
- En somme, à la Maison Blanche, vous faites partie de la famille ?
« Vous savez, quand vous allez à la Maison Blanche, la première fois, vous avez le cœur qui bat un peu la chamade. Ceux qui vous diront le contraire ne sont pas sincères. Après tout, c’est là que réside le chef exécutif du monde. Mais aujourd’hui, après vingt visites, j’y évolue tout à fait à l’aise. Ils me connaissent bien, depuis le Marine en sentinelle à l’entrée jusqu’aux secrétaires et au dactylos. Et cela me rend la tâche beaucoup plus facile. Quand vous êtes terrorisé, comme un avocat faisant sa première plaidoirie devant un tribunal, vous bégayez et vous oubliez les remarques que vous aviez prévu de formuler. Au bout d’un certain temps, vous vous sentez libre et détendu, et croyez-moi, c’est un avantage énorme. Nous parlons totalement à bâtons rompus. Je lui dis que telle chose est correcte, et que telle autre chose ne l’est pas. En totale liberté. »
- Avez-vous déjà eu l’occasion de rencontrer le président Bush ?
« Oui. Mais je n’en parlerai pas. Des rencontres non planifiées avec le président, ce sont des choses dont on ne peut pas parler. Pour eux (les Américains), on ne cafte pas : c’est le saint des saints ».
- Quelle impression vous a-t-il faite ?
« Le président est quelqu’un qui a un charme fou. Il est concentré. Il a un grand contrôle de soi. Et un très grand sens de l’humour. Il adore les blagues. »
- Et les vôtres, il les apprécie ? Quand il vous voit, espère-t-il que vous allez lui en raconter une des bien bonnes que vous tirez de derrière les fagots ?
« Il a même raconté certaines de mêmes blagues à d’autres. Après ça, nous les avons réentendues, de seconde, voire même de troisième main… »
- On dit qu’il est un peu « limité » ?
« Pourquoi : « limité » ? Parce qu’il ne souvenait plus du nom du président de la République Tchèque ? C’est une critique vraiment primitive. Le président Bush est un homme de caractère, il a sa propre vérité intérieure. Il est sûr de lui, calme, souriant. Il a conscience du pouvoir qui est le sien. Il y a beaucoup de points communs entre la façon dont il gère les choses et celle dont Arik [Sharon] le fait. Tous deux sont des hommes qui ont une certaine maturité intérieure. »
- Qu’en est-il de leur grande différence d’âges et d’expériences ?
« C’est vrai. Mais je ne vous parlerai pas de la façon qu’a le président Bush de régler les questions de sécurité sociale en Amérique. En revanche, dans les questions qui nous concernent, il a une vision du monde extrêmement claire. Comme Arik, il a horreur de la violence ; il a horreur de tout ce qui a un rapport, de près ou de loin, avec le terrorisme ou le recours à la force. Et il a horreur des gens qui mentent ou qui ne tiennent pas parole. Il n’accepte pas ce style politique, propre au Moyen-Orient, où vous dites ce qui vous passe par la tête, et puis vous l’oubliez. De ce point de vue, il est très américain. Il ne tolère pas les propos dans le vide. Il ne supporte pas le baragouinage moyen-oriental, avec rien derrière. »
- Voulez-vous dire par-là qu’à un certain moment, au cours des deux dernières années, les Palestiniens ont tout simplement perdu le contact avec lui, qu’ils ont été effacés de sa carte du monde ?
« Je ne vous dirai rien qui n’ait été publié. Mais, d’après ce qui a été publié, deux choses se sont produites. La première de ces événements, ce fut l’histoire du transport d’armes à bord du vaisseau « Karine A ». La seconde, c’est un certain document issu des services de renseignement que je lui ai envoyé, et qui montre clairement qu’Arafat est parfaitement au courant des implications financières du soutien aux attentats terroristes. Quand des choses telles celles-là devinrent, au sujet de quelqu’un qui avait juré 16 000 fois aux Américains qu’il ferait tout – absolument tout – pour lutter contre le terrorisme, Arafat était rayé des listes. Dès cet instant, il était pour ainsi dire mort. »
- Dans ce cas, c’est vous, qui avez amené les Américains à adopter une politique très proche de la vôtre propre : sans Arafat, sans terrorisme, sans Autorité palestinienne ?…
« Les Américains ont été présents ici durant quatre mois, en 2003. Par l’intermédiaire du vice-secrétaire d’Etat John Wolf, ils ont été impliqués dans le processus de la manière la plus intime qui soit. Wolf rendait compte directement à Rice. Ces quatre mois ont eu une valeur pédagogique extraordinaire. Les Américains ont vu par eux-mêmes ce que les promesses les plus solennelles des Palestiniens valaient, en réalité : rien. Ils ont vu les plans d’action détaillés des Palestiniens et leurs splendides diagrammes, et ils n’ont rien vu en sortir. Rien. Zéro. Nada. Ajoutez à cela le traumatisme des attentats du 11 septembre et leur conviction acquise que le terrorisme islamiste, ne faisant qu’un, ne se divise pas, et vous comprendrez qu’ils n’ont pas eu besoin de moi pour parvenir aux conclusions auxquelles ils sont parvenus. Ils n’avaient nul besoin de nous pour comprendre quel est le problème, de A jusqu’à Z. Aussi, quand nous sommes allés les voir pour leur dire qu’il n’y avait aucun interlocuteur, en face, il n’y a eu aucun problème : nous avons été compris. Ils le savaient déjà, qu’il n’y avait personne à qui parler. »
La formule du formol
- C’est vraiment ce que vous pensez – et ce que Sharon, pense, lui aussi – à savoir : qu’il n’y a personne à qui parler ?
« Nous sommes arrivés à cette conclusion après des années passées à penser le contraire. Après des années de vaines tentatives d’entamer un dialogue. Mais quand Arafat a sapé (et zappé…) Abû Mazen, à la fin de l’automne 2003, nous sommes arrivés à la conclusion amère qu’il n’y avait personne à qui parler, personne avec qui négocier. D’où le projet de désengagement. Quand vous jouez en solitaire, quand il n’y a personne pour s’asseoir en face de vous, à la table, vous n’avez pas le choix : vous devez  distribuer les cartes vous-même, sinon personne ne le fera. »
- Encore en 2001, vous pensiez autrement : vous avez essayé de parvenir à un accord avec la direction palestinienne…
« A cause de son réalisme tranché, Arik n’a jamais cru aux accords définitifs : il ne croyait pas à l’approche où on règlerait tous les problèmes d’un coup de cuiller à pot. Sharon ne pense pas qu’après un conflit qui dure depuis cent quatre ans, il soit possible de venir avec un morceau de papier qui règle tout. Il pense que l’autre côté doit, au préalable, subir un changement socio-politique profond et généralisé. Mais quand nous entrions dans le bureau du Premier ministre, il pensait toujours qu’il serait en mesure de parvenir à un accord sur le très long terme. Un accord étalé sur 25, 20, 15, 10 ou cinq ans. Mais pas moins. Certains Palestiniens étaient en faveur du règlement au cas par cas qu’avait proposé l’ex-Premier ministre Ehud Barak. C’était les seuls Palestiniens avec qui ont pouvait discuter. Mais, nous découvrîmes très rapidement que nous nous heurtions à un mur, que lorsqu’on arrivait au centre de prise de décision (palestinien), il ne se passait plus rien. »
- Néanmoins, en 2002, vous avez accepté l’initiative du président Bush : la feuille de route, et le principe de la création d’un Etat palestinien, n’est-ce pas ?
« Pendant de nombreuses années, l’opinion admise, dans le monde, consistait à dire que les gens recouraient au terrorisme parce que leur situation était déplorable et que, par conséquent, si l’on améliorait leur situation, ils renonceraient au terrorisme. La supposition qu’ont faite les Palestiniens consistait à dire que lorsque la majorité des Palestiniens aurait obtenu satisfaction, en ayant un Etat, ils déposeraient les armes et que les occupants et les occupés sortiraient de leurs tranchées et se sauteraient au cou, pour s’embrasser. Arik pensait autrement. Il estimait que, chez les Palestiniens, la majorité des gens n’avaient aucun contrôle sur une minorité (dirigeante). Il était persuadé que la capacité d’une administration palestinienne centralisée à imposer sa volonté à l’ensemble de la société palestinienne était pratiquement inexistante. Il était convaincu que le terrorisme palestinien est, pour partie, absolument pas politique, mais bien : religieux.Par conséquent, leur accorder une satisfaction sur le plan de la création de leur Etat ne résoudrait en rien le problème du terrorisme. C’est là le fondement de son approche consistant à dire qu’il faut, toutes affaires cessantes, éliminer le terrorisme, et seulement après, nous pourrons progresser dans les négociations sur l’Etat palestinien. Il ne fallait pas donner une tranche politique en échange d’une tranche d’arrêt du terrorisme, mais insister sur l’assèchement total du marigot terroriste avant d’entamer un quelconque processus politique.
Le discours du président Bush, le 24 juin 2002, exprima exactement cette approche. Ce n’est pas nous qui l’avons écrit, mais il déclina cette approche de la meilleure manière possible, à nos yeux. C’est la raison pour laquelle Sharon a immédiatement repris à son compte le caractère implicite de ce discours. Il le considéra comme un véritable tournant historique. Il y vit un grand succès politique personnel. Pour la première fois, le principe était admis avant même que nous soyons entré dans la salle de négociations : « Prière de laisser les pistolets au vestiaire ! »
- Mais la feuille de route n’a-t-elle pas traduit ce principe en un emploi du temps extrêmement chargé ?
« Arik aurait préféré que la première phase de la feuille de route s’étende sur trois ans, la seconde sur cinq ans, et la troisième sur six ans. Mais étant donné que cette feuille de route stipulait qu’elle était fondée sur la réalisation de résultats et non sur le respect de dates couperets sacro-saintes, il l’a acceptée. Il a compris que l’important, dans la feuille de route, c’en était le principe. L’important, c’est la formule qui affirme que l’éradication du terrorisme doit précéder le début du procès politique. »
- Si vous bénéficiez du soutien des Américains et si vous avez arraché le principe de la feuille de route qui vous agrée, alors, pourquoi le désengagement (de Gaza) ?
«Parce qu’en automne 2003, nous avons compris que tout était bloqué. Et même si, selon la lecture de la situation faite par les Américains, la faute en incombait aux Palestiniens, et pas à nous, Arik a compris que cette situation ne pourrait pas durer. Qu’on ne nous foutrait pas la paix, qu’on ne nous lâcherait pas les baskets. Le temps ne jouait pas en notre faveur. Il y avait une érosion internationale, et une érosion interne. Sur ces entrefaites, sur le plan intérieur israélien, tout s’effondrait. L’économie stagnait, l’Initiative de Genève recevait un large soutien. Et puis nous avons été atteints par ces lettres d’officiers, ces lettres de pilotes et ces lettres de paras [il s’agit des déclaration de refus de servir dans les territoires]. Il ne s’agissait pas de petits pédés avec des catogans teints en vert et un anneau dans le nez, de ceux qui dégagent une forte odeur d’herbe. Non : il s’agissait de jeunes gens comme ceux du groupe de Spector [Yiftah Spector, un pilote renommé, qui a signé la lettre ouverte des pilotes de l’armée de l’air]. Nos meilleurs jeunes gens, vraiment. »
- Durant ces mois-là, quel était votre principal sujet de préoccupation, quel est le principal facteur qui vous a conduits à adopter l’idée du retrait ?
« Notre principal souci était le fait que la formule du président Bush était bloquée, et que cela allait entraîner sa ruine. La communauté internationale allait dire : « Vous avez voulu la formule de Bush, vous l’avez eue ; vous avez voulu essayer Abû Mazen, vous l’avez testé. Cela n’a pas marché. Et quand une formule ne marche pas, dans le réel, vous ne pouvez pas changer le réel : il vous faut changer de formule ! Par conséquent, le point de vue – réaliste – d’Arik consista à dire qu’il était possible que le principe qui avait pourtant été un achèvement historique de notre politique risquait d’être anéanti – le principe de l’éradication du terrorisme, préalablement à tout processus politique risquait d’être remis en cause. Et, avec l’annulation de ce principe, Israël se verrait contraint à négocier avec les terroristes. Et parce qu’une fois qu’on a entamé ce genre de négociations, il est très difficile de les arrêter, le résultat aurait été un Etat palestinien + le terrorisme. Tout ceci, dans très peu de temps. Pas dans des décennies, ni même des années : dans quelques mois ! »
- Je ne vois toujours pas en quoi le plan de désengagement pourrait y changer quoi que ce soit ? Quelle était son aspect le plus important, de votre point de vue ?
« Le plan de désengagement, c’est le milieu de conservation de la séquence principale. C’est la bouteille de formol dans laquelle vous mettez la formule du président (Bush) afin de pouvoir la conserver pendant très très longtemps. Le désengagement, en réalité, c’est ça : c’est du formol. Il fournit la quantité de formol nécessaire pour s’assurer qu’il n’y ait pas de processus politique d’engagé avec les Palestiniens… »
- Ce que vous dites-là signifie-t-il que vous avez changé de stratégie, passant d’une stratégie d’ACCORD intérimaire à long terme à une stratégie de SITUATION intérimaire à long terme ?
« L’expression américaine, pour cela, c’est : « trouver une bonne place pour garer sa voiture ». Le plan de désengagement permet à Israël de bien se garer, dans une situation intérimaire qui nous éloigne autant que faire se peut de toute pression politique. Il légitime notre affirmation qu’il n’y a aucune possibilité de négocier avec les Palestiniens. Il s’agit bien là, en la matière, de la décision d’en faire le moins possible, afin de maintenir notre position politique en l’état. La décision est auto-réalisatrice. Elle permet aux Américains d’aller voir une communauté internationale furibarde et prête à exploser, et de lui dire : « C’est ce que vous voulez ». Il replace l’initiative entre nos mains. Il impose au monde de s’accommoder de notre idée, du scénario que nous avons écrit nous-mêmes. Il place les Palestiniens sous une pression terrible. Il n’y a plus d’excuses. Il n’y a plus de soldats israéliens perdant leur temps. Et, pour la première fois, ils [les Palestiniens…] obtiennent une tranche de territoire, d’un seul tenant (en plus, allongé… ndt) sur lequel ils pourront se faire la course avec leurs Ferrari, d’un bout à l’autre. Et le monde entier les regarde : eux, pas nous… Le monde entier est là, à se demander ce qu’ils vont bien pouvoir faire de cette tranche de territoire… »
La manœuvre du siècle
- Me permettrez-vous de vous rappeler qu’il y aura aussi un retrait de la Cisjordanie ?
« Le retrait de la Samarie est purement symbolique. Nous l’avons accepté à seule fin qu’on ne puisse pas venir nous dire que nous avons considérons que nous avons satisfait à toutes nos obligations à Gaza, et que cela s’arrête là. ».
- Ainsi, vous avez renoncé à la bande de Gaza afin de sauver la Cisjordanie ? Le retrait de Gaza vise-t-il à permettre à Israël de continuer à exercer son contrôle sur la plus grande partie de la Cisjordanie ?
« Arik ne considère pas Gaza, aujourd’hui, comme une zone d’intérêt national. Par contre, c’est ainsi qu’il considère la Judée et la Samarie. Il pense, à juste titre, que nous sommes encore très éloignés du temps où nous pourrons parvenir à des accords définitifs, en Judée et en Samarie. »
- L’évacuation des colonies de Gaza renforce-t-elle les colonies en Cisjordanie ou bien, au contraire, les affaiblit-elles ?
« Cela ne nuit en rien aux colonies isolées et éloignées de tout ; cela est sans conséquences, pour ces colonies-là. Leur futur ne sera fixé qu’après de nombreuses années. Quand nous parviendrons à un accord définitif. Il n’est pas certain que toutes ces colonies seront capables de subsister, d’ici là.
D’un autre côté, en ce qui concerne les grands blocs de colonies, nous avons en main, grâce au plan de désengagement, une déclaration des Américains – grande première historique – affirmant que ces colonies feront partie d’Israël. Dans les années – peut-être les décennies – à venir, lorsque des négociations seront tenues entre Israël et les Palestiniens, le maître du monde tapera du poing sur la table, en disant : « Nous avons déjà dit, il y a dix ans de cela, que les grands blocs de colonisation font partie d’Israël ! »
- Dans ce cas, Sharon peut dire aux dirigeants colons qu’il évacue 10 000 colons, et que dans l’avenir il sera obligé d’en évacuer encore 10 000, mais qu’il est en train de renforcer les 200 000 restants, c’est-à-dire, de les ancrer au sol ?
« Arik peut dire, honnêtement, qu’il s’agit d’une initiative sérieuse, grâce à laquelle, sur 240 000 colons actuellement, au moins 190 000 ne bougeront jamais de là où ils sont. Ils ne seront pas évacués. »
- Est-il en train de sacrifier quelques-uns de ses enfants, afin de s’assurer que les autres resteront définitivement là où ils se trouvent ?
« Pour le moment, il ne sacrifie personne, en Judée / Samarie. Tant que ces territoires n’auront pas retrouvé le calme, et tant que des négociations n’auront pas commencé, rien ne se passera. L’idée, c’est de se battre, bec et ongles, pour la moindre implantation. Cette lutte pourra être menée à partir d’une position beaucoup plus assurée. En effet, en ce qui concerne les colonies isolées, il existe un engagement américain, qui dit que nous ne nous en occupons pas pour l’instant. Par ailleurs, en ce qui concerne les grands blocs de colonies, nous bénéficions d’une véritable assurance politique : il y a un engagement américain comme il n’en a jamais existé auparavant, qui protège quelque 190 000 colons. »
- Si ce que vous avancez est exact, les colons eux-mêmes devraient organiser des manifestations de soutien à Sharon, parce qu’il vient de rendre un énorme service à l’entreprise de colonisation ?
« Ils auraient dû venir faire la ronde autour du bureau du Premier ministre, en effet… »
- Et Sharon lui-même n’a pas fait un virage à 180 °, à la manière de De Gaulle. Il est resté loyal à l’approche du camp nationaliste…
« Arik est le premier responsable qui a réussi à prendre à bras-le-corps les idées du camp nationaliste et à en faire une réalité politique qui est acceptée par le monde entier. Après tout, quand il a déclaré, voici six ou sept ans, qu’il ne négocierait jamais sous le feu, il n’avait suscité que des crises de fou-rire. Alors qu’aujourd’hui, cette même approche guide le président des Etats-Unis. Elle a été adoptée à la Chambre des Représentants par 405 voix contre 7, et au Sénat par 95 voix contre 5… »
- D’après vous, si je comprends bien, votre succès majeur, c’est d’avoir légitimement gelé le processus politique ?
« C’est exactement ça. Vous savez, l’expression « processus politique » désigne tout un tas de concepts et d’engagements. Le processus politique, c’est la création d’un Etat palestinien, avec tous les risques que cela comporterait, en matière de sécurité. Le processus politique, c’est l’évacuation de certaines colonies, voire de toutes, c’est le retour des réfugiés, c’est le partage de Jérusalem. Et tout ça, maintenant, c’est dans le congélateur. »
- Mais, alors : vous avez réussi la manip du siècle ? Et tout ça, en ayant reçu l’autorisation et l’autorité nécessaires ?
« Quand vous parlez de « manœuvre », cela n’est pas très gentil. On dirait que vous parlez d’une chose et que c’est une chose totalement différente qui s’est produite. Mais c’est le nœud du problème. Après tout, qu’est-ce que je ne cesse de crier sur les toits, depuis des années ? Que j’ai trouvé le moyen, en coopération avec le management du monde, de faire en sorte qu’il n’y ait plus de chronomètre. Qu’il n’y ait plus de calendrier régissant la mise en application du cauchemar des colons. J’ai ajourné ce cauchemar, indéfiniment. Parce que ce que j’ai effectivement négocié, avec les Américains, c’est qu’une partie des colonies ne ferait jamais l’objet d’une quelconque négociation, et que les autres ne feraient pas l’objet d’une quelconque négociation avant que les Palestiniens ne se soient transformés en Finlandais. C’est ça, que ça veut dire, ce que nous avons fait. L’important, c’est le gel du processus politique. Et en gelant ce processus, vous empêchez la création d’un Etat palestinien et vous empêchez toute discussion sur le devenir des réfugiés, les frontières et Jérusalem. Effectivement, c’est tout ce package qu’on appelle « Etat palestinien », avec tout ce que cela comporte, qui a été éliminé de nos calepins. Définitivement. Qu’aurions-nous pu rêver de plus ? Les colons auraient-ils pu obtenir plus ?
- Je reviens à ma question de tout à l’heure : en échange de la cession de Gaza, vous avez obtenu le statu quo en Judée / Samarie ?
« Ah là là : vous continuez à utiliser la mauvaise définition. La bonne définition de la situation, c’est que nous avons créé un statu quo vis-à-vis des Palestiniens. Il y avait un package d’engagements très difficile, dont on attendait d’Israël qu’il l’acceptât. Ce package, on l’appelle « processus politique ». Il inclut des éléments que nous n’accepterons jamais, et des éléments que nous ne pouvons pas accepter, actuellement. Mais nous avons réussi à prendre ce package et à l’envoyer par-dessus les collines du temps. Grâce à une gestion appropriée, nous avons réussi à éliminer la question du processus politique de l’ordre du jour. Et nous avons appris au monde à comprendre qu’il n’y a personne avec qui parler, en face. Et nous avons reçu un certificat d’absence d’interlocuteur. Ce certificat, que dit-il ? Il dit : a) Il n’y a personne à qui parler, en face ; 2) Tant qu’il n’y aura personne à qui parler, le status quo géographique demeurera intact et 3) Le certificat restera valable jusqu’à ce qu’il se produise ceci et cela = quand la Palestine sera la Finlande. Ah, j’allais oublier encore un point : 4) Au revoir. Shalom ! »
Des conséquences dramatiques
- Duby Weisglass, le plan de désengagement sera-t-il appliqué ?
« Je peux vous donner une réponse définitive en ce qui concerne les intentions de Sharon. Son intention est totalement sincère. Il est déterminé, et il est totalement résolu. Mais, contrairement à ce qu’affirment certains, Sharon n’est pas un dictateur. Tout dépend du Comité central du Likoud, et de la convention du parti. Je ne sais pas ce qui va se passer dans ces deux instances. Je vois un alignement politique qui ne fournit pas au dirigeant le crédit dont il a besoin, qui ne lui fait pas confiance, qui ne pense pas qu’il sache où il va ni ce qui est bon pour le pays. »
- Sharon sait-il où il va ? Pouvons-nous nous en remettre à lui ?
« Il a une vision du monde très cohérente. Et il a tout fait, il a vu tout le monde, il a l’expérience de toutes sortes de situations. Donc, avec lui, tout est sous contrôle. Tout est mené tranquillement, avec le langage approprié, sans éclats de voix. Et ce calme donne un sentiment fantastique de confiance en soi. Un sentiment qu’il y a quelqu’un, sur qui compter. Quelqu’un qui sait ce qu’il va faire. »
- N’y a-t-il pas aussi de l’hésitation, chez lui ?
« Non. Il n’hésite jamais. Il est très sûr de lui. Mais, chez lui, les processus sont organiques. Ce ne sont pas oranges. Tout est question de maturation. Et là, il a eu, finalement, le sentiment des gens, de la terre, du paysage. Mais il n’y a pas eu de lutte, chez lui, entre le cœur et l’esprit. Chez lui, le cœur l’emporte toujours. Et quand l’esprit en est arrivé à la conclusion que c’est ce qu’il fallait faire, il était clair qu’il le ferait. Au fond de lui-même, il est bitahoniste [c’est-à-dire quelqu’un qui voit tout à travers le prisme de la sécurité]. Il a un lien très fort à la patrie, à l’histoire et aux lieux, mais son principe directeur est rationnel. Son axiome, c’est : sauvegarder les vies du peuple juif. Tout le reste y est subordonné. Tout le reste est secondaire. »
- N’êtes-vous pas préoccupé, néanmoins, à l’idée que rien de tout ceci n’arrivera ? Que l’opposition politique ou une révolte violente risquent de remettre en question le plan de désengagement ?
« Cela pourrait arrive. Quand j’entends les protestations et les menaces, j’ai peur. Ce qui va se passer est loin d’être clair. Semblablement, quand vous voyez le Premier ministre obligé de devoir faire face à toutes sortes de factions au sein du Likoud, formées par des militants qui vont à la Knesset lui casser du sucre, c’est frustrant. Et quand vous voyez celui-ci hurler, et celui-là gueuler, et un autre l’affronter… Quand vous voyez qu’un mouvement tellement essentiel risque d’être bloqué à cause de considérations personnelles et émotionnelles qui n’ont tout simplement rien à voir… Parce que les gens ne comprennent pas à quel point la situation à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés est dramatique. Et parce qu’aucun mécanisme n’a été inventé, qui puisse traduire politiquement le désir de la grande majorité des Israéliens qui sont favorables à ce plan [de retrait]. »
- La situation est vraiment aussi dramatique que ça ?
« Si le plan de désengagement de Sharon était torpillé, cela serait pour nous  la cause de regrets éternels. Les points que nous avons marqués seraient perdus. La communauté internationale perdrait patience avec nous. Elle adopterait à notre encontre la même attitude que celle qu’elle observe à l’endroit d’Arafat. Nous serions rapidement confrontés à un Etat palestinien qui utiliserait le terrorisme contre nous et contre un monde qui devient de plus en plus hostile. Nous serions plongés dans une véritable tragédie. »
                           
15. Le cauchemar de Totor - Critique de l’ouvrage Herzl’s Nightmare [Le Cauchemar d’Herzl] par Antony Loewenstein
in The Sydney Morning Herald (quotidien australien) du dimanche 26 septembre 2004

[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]
("Herzl's Nightmare" par Peter Rodgers aux éditions Scribe - 22 dollards)

Vivons-nous les derniers jours du « rêve » sioniste ? La croyance que le peuple juif à la fois mérite et a besoin d’un « foyer national » est dans l’air depuis plus d’un siècle, bien que le conflit continu entre Israéliens et Palestiniens représente un profond défi lancé à l’Etat créé en 1948, au milieu des cendres de l’Holocauste.
Toute aussi importante est la question de savoir si des Etats confessionnels sont encore d’actualité, en 2004 et, si tel n’est pas le cas, ce qu’il en est d’Israël, du monde musulman et des pays catholiques ? Après tout, un nombre croissant de personnes ne font-ils pas leurs dévotions devant l’autel du laïcisme ?
Peter Rodgers, ancien ambassadeur d’Australie en Israël et spécialiste du Moyen-Orient, retrace les origines du conflit le plus insoluble de notre époque. Il explique de quelle manière la création d’Israël est advenue moins d’un demi-siècle après que le thaumaturge du sionisme, Theodore Herzl, eut couché par écrit les fondements de l’idéologie qui amena deux peuples – tous deux historiquement lésés et incapables de vivre ensemble pacifiquement – à se faire la guerre.
Rogers écrit : « Ce fut un triomphe total… sur les cendres de millions de juifs européens, et aux dépens de la société palestinienne et du nationalisme palestinien. Quel qu’ait pu être leur attachement pour la terre sur laquelle désormais ils imposaient leur loi, quelque légitime eût été leur revendication de cette terre, les juifs d’Israël avaient évincé un autre peuple, lequel n’oublierait pas. »
Dans Herzl’s Nightmare, un accent particulier est mis sur l’Israël post-1967, période marquée par l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza, régions qualifiées en 2002 « de société coloniale » par Michael Ben-Yair (procureur général du temps du Premier ministre israélien assassiné Yitzhak Rabin), lequel indiquait : « En fait, nous avons créé un régime d’apartheid, dans les territoires occupés, immédiatement après leur conquête [au cours de la guerre de juin 1967]. Ce régime oppressif existe encore aujourd’hui. »
Pour Rodgers, « les colonies donnent aux Palestiniens une raison tangible de continuer à haïr et à attaquer les Israéliens », et il souligne les déclarations oiseuses des présidents américains et des dirigeants israéliens successifs, qui estimaient la paix à portée de main, alors que « presque quotidiennement, les Palestiniens voyaient plus d’un cinquième de la Palestine, qui aurait pu devenir leur Etat, en train d’être phagocyté par des colonies ». L’acceptation, par le président George Bush, du plan du dirigeant israélien Ariel Sharon visant à amplifier la colonisation ridiculise totalement toutes les soi-disant « feuilles de route de paix » du monde.
Rodgers fustige également les dirigeants israéliens successifs qui ont fait montre, sans défaillir, d’un mépris et d’un racisme virulents envers les Palestiniens. Prenons l’exemple de Golda Meir, troisième Premier ministre israélien : « Qui sont-ils, les Palestiniens ? Moi, je suis Palestinienne ! » Même le langage de la dispute fait question, et cela n’est pas sans évoquer l’absurde guerre actuelle « contre le terrorisme ». « La violence de l’adversaire était nécessairement « du terrorisme » », écrit Rodgers, alors que « sa propre violence était de l’ « autodéfense », légitime, par conséquent. Les deux positions reposant, le plus souvent, sur le socle rocheux d’une solide hypocrisie. Tant les juifs que les Palestiniens ont eu recours au terrorisme pour atteindre leurs objectifs ». Cette liste interminable inclut Yasser Arafat, le dirigeant de l’OLP, et tous les Premiers ministres israéliens depuis 1948. C’est le genre de terrorisme qui n’est jamais remis en question en Occident, parce que dans la plupart des cas il s’agit, en fait de « notre » terrorisme, comme l’a dit à juste titre Johg Pilger. Combien y a-t-il de personnes qui pensent que la violence sponsorisée par l’Occident, à l’instar de celle d’Israël, s’assimile en quoi que ce soit à du terrorisme ?
Le combat pour sauver l’âme d’Israël semble plus illusoire aujourd’hui que jamais. Tout en reconnaissant que les attentats kamikazes ont porté atteinte à la cause palestinienne, au même titre que son leadership corrompu et inepte, les conclusions de Rodger ne seront sans doute pas du goût des adulateurs de l’Etat juif. Qualifier systématiquement la moindre critique formulée à l’encontre d’Israël d’antisémitisme, afin de tenter d’étouffer tout débat, est une manœuvre qui ne devrait plus être tolérée très longtemps par tous ceux qui recherchent désespérément la paix dans cette région du monde.
L’ouvrage Herzl’s Nightmare, de Peter Rodgers, est une plaidoirie formidablement agréable à lire, qui permet de comprendre, et qui ouvrira les yeux des intransigeants de tous poils. Permettez-moi, pour conclure, de citer l’homme politique israélien Avraham Burg, qui a écrit, l’an dernier :
« Il s’avère qu’un combat bimillénaire pour la survie des juifs a abouti à un Etat colonisateur, géré par une clique amorale de hors-la-loi, aussi sourds envers leurs concitoyens qu’envers leurs ennemis ».
                           
16. "Je suis rentrée, le cœur brisé" - Impressions de Palestine, pêle-mêle par Kathleen et Bill Christison
on CounterPunch (e-magazine étasunien) du vendredi 24 septembre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Kathleen et Bill Christison sont d'anciens analystes de la CIA.)
Un séjour de quelques semaines en Palestine représente toujours une rude épreuve pour les sens et les émotions. Et après avoir effectué trois voyages en Cisjordanie au cours des dix-huit mois écoulés, impossible de ne pas tirer certaines conclusions. Pour la plupart des Américains, le onzième commandement, consacré à la dimension politique du conflit palestino-israélien est le suivant : « A Aucune Conclusion Tu Ne Parviendras ! ». Car les conclusions – à savoir : qu’Israël veut la terre de Palestine débarrassée de son peuple ; que les colonies israéliennes, les routes réservées aux seuls Israéliens, les confiscations de terres, les démolitions de maisons, la destruction de parcelles agricoles… finissent par constituer un véritable ethnocide à l’encontre du peuple palestinien ; que l’occupation israélienne et la boulimie d’Israël pour les territoires sont à la racine du problème et sont la cause première du terrorisme – ces conclusions-là sont trop orientées, pour la plupart des gens : elles décrivent avec une précision bien trop embarrassante une réalité horrible qu’il est impossible d’ignorer.
En l’absence de conclusions, les amis américains d’Israël peuvent continuer à vivre confortablement dans le déni, en croyant que, bien que l’occupation soit sans doute mal gérée, Israël reste en fin de compte bon et innocent, qu’il ne fait que protéger sa sécurité, et que l’entièreté de la faute, dans ce conflit, incombe aux seuls Palestiniens. Mais, quand vous êtes en Palestine, quand vous voyez des oliveraies pluriséculaires rasées au sol par des bulldozers pour déblayer le terrain pour la construction du Mur, lorsque vous voyez des pâtés de maisons entiers, dans les villes, passés au bulldozer et détruites les maisons où, la veille, vivaient des milliers de personnes, lorsque vous assistez en direct à la démolition d’une maison, lorsque vous voyez d’immenses colonies israéliennes et des dizaines de petits avant-postes saupoudrés sur les sommets de toutes les collines, lorsque vous voyez des marchés fermés parce que le mur a séparé les commerces de leurs clients, lorsque vous voyez la destruction, de tous côtés – le déni n’est plus possible. Force vous est bien de conclure qu’il y a, là derrière, un projet mûrement réfléchi. Il faut vous rendre à l’impensable : Israël a été construit, depuis le début, sur les ruines d’une autre nation ; Israël a fait rien moins que détruire un autre peuple afin de disposer d’un Etat majoritairement juif ; et, décidément, non : Israël n’est pas « moral », comme le clament ses amis et il ne s’agit en aucun cas d’une « lumière éclairant les Nations »…
« Vous êtes la preuve que les Palestiniens ne sont pas seuls au monde ! »
Ce qui est sans doute plus étonnant, c’est de rencontrer tellement de personnes, des Israéliens aussi bien que des internationaux, qui sont d’accord avec ces conclusions et qui parlent ouvertement, et presque naturellement, du dégoût que leur inspire le sionisme et les failles inhérentes au système qu’il a généré. Pour la deuxième fois de l’année, nous avons rencontré, dans un camp de travail volontaire sponsorisé par l’ICAHD [Israeli Committee Against House Demolitions – Comité israélien contre la démolition de maisons] afin de reconstruire une maison palestinienne détruite récemment par l’armée israélienne dans le village d’Anata, à côté de Jérusalem Est, beaucoup plus de personnes dont nous pensions qu’il en existait, appartenant à plus d’organisations que nous en connaissions, et qui œuvraient à dénoncer l’occupation et aidaient les Palestiniens à faire face à l’expansionnisme israélien. Ce sont des gens qui mettent en danger leur propre sécurité et qui mettent de côté leur petit confort personnel afin d’aider des Palestiniens à reconstruire et de les protéger contre l’agression des colons et des soldats israéliens, de transmettre au monde le message des Palestiniens, d’être solidaire avec eux, qui sont plongés dans le malheur. L’ICAHD lui-même, fondé et financé par Jeff Halper, est tout à la fois une organisation militante et éducative, avec un petit noyau d’experts israéliens et palestiniens, à commencer par Jeff Halper lui-même, lequel connaît le moindre recoin des routes de Cisjordanie, la moindre colonie, les détails de chaque plan israélien d’expansion, chaque kilomètre du Mur de séparation…
Et il y a aussi un nombre incalculable d’autres organisations militantes, dont International Solidarity Movement [ISM], Christian Peacemaker Teams, Oecumenical Accompagniers (lesquels accompagnent les Palestiniens dans les régions où la présence des colons israéliens est particulièrement « pesante », pour user d’un euphémisme). Certains de ces militant(e)s retournent en Palestine année après année, durant leurs congés ou les vacances scolaires ; une femme Quaker était là pour son neuvième été d’affilée. Les associations pacifistes israéliennes – dont certaines, non sionistes, rejettent l’exclusivisme juif et sont prêtes à vivre dans une Palestine où juifs et Palestiniens jouiraient des mêmes droits – ne manquent pas et sont bien présentes et actives. Des volontaires internationaux travaillent également aux côtés des organisations palestiniennes médicales et sociales. Durant les deux semaines de notre camp de volontariat, nous avons manipulé des parpaings et transporté du ciment, avec des volontaires français, anglais, israéliens, palestiniens, canadiens, australiens, écossais, espagnols, italiens, mexicains, suédois, sud-africains et américains – dont beaucoup, parmi eux, travaillaient sur d’autres chantiers, avant et après notre camp. Un groupe de Japonais venus aider des enfants de Gaza nous ont rejoints durant une journée de dur labeur : il fallait voir ces maçons japonais : c’étaient d’authentiques stakhanovistes !
Côtoyer ces personnes et ces associations vous donne un sentiment de réelles possibilités existantes, un sentiment qu’avec des gens aussi nombreux dévoués à ce que justice soit rendue aux Palestiniens, la lutte ne saurait échouer. Mais le retour au pays vous ramène à la dure réalité… Cette réalité, c’est que très peu d’Américains – et, en tous les cas, aucun homme politique, de quelque couleur que ce soit – en ont quelque chose à cirer. La dure réalité, c’est que tant John Kerry que George Bush se moquent éperduement du nombre de Palestiniens tués tandis qu’ils louangent Ariel Sharon pour ses efforts visant à « assurer la sécurité d’Israël », de même que peu leur chaut le nombre de Palestiniens dont l’existence et le gagne-pain ont été anéantis lorsque des maisons ont été confisquées ou démolies, des terres agricoles et des serres passées au bulldozer et des puits détruits, pour dégager le plancher pour le mur, ce mur que Kerry, exactement comme Bush, considère comme une innovation merveilleuse dans la manière qu’a Israël de « faire la paix ». La triste réalité, c’est que plus de 90 % de nos représentants au Congrès votent avec une régularité confondante en faveur de la strangulation délibérée du peuple palestinien !
Combien sont-ils ignorants, tous ces politiciens censés nous représenter, des réalités de la vie sous la domination d’Israël. Combien sont-ils ignorants, tous, des faits : à savoir qu’Israël détruit ou vole quotidiennement des maisons et des terres aux Palestiniens parce que les juifs veulent ces propriétés ; que des kilomètres supplémentaires de la muraille permanente et impénétrable de béton armé sont construits quotidiennement en territoire palestinien ; qu’Israël a tué 385 Palestiniens, dont quarante enfants de moins de quinze ans, au cours des derniers cinq mois et demi au cours desquels les Israéliens ont bénéficié d’un répit dans les attentats suicides. Le ratio des tués, 385 contre 29 – cela représente plus de deux Palestiniens tués chaque jour, contre un Israélien tué chaque semaine – est bon pour Israël, et ce qui est bon pour Israël, c’est bon pour les politiciens américains aussi… C’est aussi bon pour les médias, qui sont mis en congé de reportage sur l’aspect humain du conflit. Les Américains n’ont rien appris, de la part des médias consensuels, au sujet de ces 400 nouveaux tués palestiniens.
Depuis notre séjour en Palestine, l’an dernier, de nouveaux kilométrages de mur et de routes réservées aux Israéliens ont été construits. De nouvelles destructions de marchés et de domiciles sont intervenues. Mais très peu de tout ceci est évoqué dans la presse bien-pensante. Durant deux semaines, en août dernier, les militants de l’ISM ont organisé une marche non-violente longeant une portion du mur, depuis Jénine, dans le Nord de la Cisjordanie, jusqu’à Jérusalem – chaque jour, des dizaines de protestataires se contentant de marcher le long du mur – mais très peu de gens allaient savoir cela en regardant les infos des télés américaines, voire même en lisant le New York Times.
Combien cavalièrement ignorent-ils – les politiciens, les médias et les amis d’Israël – que les Palestiniens sont des êtres humains, qui ont des droits humains fondamentaux, comme tous les membres de l’humanité ; combien cavalièrement excluent-ils les Palestiniens, qu’ils jugent indignes de ces droits, qui nous sont garantis, à nous, les Américains, et bien sûr, aussi, aux Israéliens : les droits à la vie, à la propriété, à la recherche du bonheur, à la protection contre des envahisseurs étrangers. Combien cavalièrement oublient-ils la décence humaine la plus élémentaire ! Comme cet arbre qui tombe, proverbialement, dans une forêt, nous autres, les volontaires internationaux et les associations pacifistes, nous devons nous demander s’il y a quelqu’un, quelque part, qui nous entende ?
Toutefois, nous reprenons courage, en sachant une chose, en particulier : les Palestiniens, eux, nous entendent, et après tout, c’est la seule chose qui compte vraiment. Les Palestiniens savent que les volontaires de l’ISM restent auprès des familles dont les maisons sont détruites au cours d’actions illégales de punition collective perpétrées par les Israéliens, ce qui leur donne un peu de force et un tout petit peu d’espoir. Les Palestiniens savent que des groupes d’internationaux les aideront à récolter leurs olives, le mois prochain, dans des régions où le mur empêche désormais les propriétaires palestiniens d’oliveraies de s’y rendre. Les Palestiniens savent que des groupes chrétiens protègeront leurs enfants sur le chemin de l’école, contre le harcèlement de colons israéliens haineux et racistes. Les Palestiniens savent que des volontaires de l’ICAHD reconstruiront une maison ici ou là, en un acte de défi lancé à l’occupation et en solidarité avec eux. Les Palestiniens savent que tous les Américains ne sont pas comme leur gouvernement, ni même comme la plupart de leurs candidats d’opposition aux élections présidentielles. Salim Shawamreh, dont la maison a été reconstruite, l’an dernier, grâce à l’ICAHD, et qui appartient maintenant au conseil d’administration de cette association humanitaire militante, a pris la parole lors de la cérémonie célébrant la fin des travaux de reconstruction d’une nouvelle maison, cette année. Les Palestiniens pensent souvent que personne, dans le monde, ne connaît ou ne se préoccupe de leur calvaire, a-t-il dit, mais il a poursuivi – se tournant vers les volontaires internationaux – en leur affirmant, rayonnant : « Vous êtes la preuve que les Palestiniens ne sont pas seuls au monde ! »
« C’était le prix que le peuple devait payer, pour être libre »
Le mur est « le plus grand crime contre l’humanité commis depuis cinquante ans », a dit Juliano Mer Khamis, directeur du film documentaire sorti récemment, Les Enfants d’Arna. Il s’exprimait devant les participants au camp de volontariat, après la projection de son film bouleversant. Lui-même, il a une puissante présence – élégant, énergique, en colère au nom des Palestiniens. Mer Khamis est le fils d’Arna, qui a donné son titre au film : une juive israélienne, née et élevée en Galilée, et d’un Palestinien de cette même région, située dans le Nord d’Israël. Ses parents étaient communistes, ils n’ont jamais été sionistes, et Arna a consacré une grande partie de sa vie au travail en vue de la libération palestinienne. Durant de nombreuses années, seule l’identité juive de sa famille eut un quelconque impact sur le fils : comme de nombreux enfants de couple mixte, Mer Khamis commença par s’identifier de manière agressive avec le pouvoir et la supériorité incarnés par sa judaïté, à tel point qu’il s’engagea dans les paras israéliens afin de prouver à quel point il était loyal à l’Etat juif. Jusqu’à, c’est-à-dire, ce fameux jour où, en mission sur un checkpoint entre des « zones » « palestinienne » et « juive », à l’intérieur même du territoire israélien, il fut confronté à toute une voiturée de parents palestiniens éloignés, et où son officier supérieur lui donna l’ordre de les humilier. Il refusa et il fila une torgnole à son supérieur, en conséquence de quoi il passa dix-huit mois dans une prison militaire. Chez lui, tout changea : sa manière de penser, son positionnement politique et le centre de son identité personnelle.
Mer Khamis travailla au projet de sa mère : la création d’un théâtre pour la jeunesse. C’est le sujet de son documentaire Les Enfants d’Arna. Ce film retrace les efforts déployés par Arna, en 1994, afin de mettre sur pied une troupe destinée à initier au théâtre des jeunes Palestiniens du camp de réfugiés de Jénine. Bien que des filles aient participé également à cette formation, le film se concentre sur une demi-douzaine de garçons palestiniens, d’environ quinze ans. C’était une période, juste après la signature de l’accord de paix d’Oslo, d’optimisme considérable, tant en Israël qu’en Palestine, et le film montre des jeunes heureux, entièrement pris par leur formation de théâtre amateur. Dix ans après, l’espoir et l’insouciance de ceux qu’on avait vu travailler ensemble s’étaient taris. Arna est elle-même décédée d’un cancer, et tous les adolescents palestiniens sont morts, sauf un : ils ont été soit la cible d’assassinats israéliens, soit tués par l’armée israélienne durant le siège de Jénine, en avril 2002, ainsi, pour deux d’entre eux, qu’au cours d’attentats kamikazes à l’intérieur d’Israël. En voyant le visage de ces jeunes garçons devenus des combattants mûris avant l’âge, les spectateurs ont les bras qui leur en tombent.
Lorsqu’on lui demande, dans un débat faisant suite à la projection de son film, s’il soutient les attentats suicides, Mer Khamis ne dit jamais ni oui ni non : il répond à cette question en faisant une longue description de la situation en Palestine. La Palestine, fait-il observer, connaît une guérilla unique en son genre : il n’y a ni montagnes, ni jungles dans lesquelles se cacher pour attaquer les Israéliens ou leur dresser des embuscades. « Tout ce dont les Palestiniens disposent, ce sont les attentats suicides ». Il fait observer que « l’Intifada des pierres », la première Intifada, à la fin des années 1980, « où les Palestiniens mouraient devant la caméra et où le monde entier compatissait » est devenue une Intifada armée, après qu’Israël eut répliqué aux pierres lancées avec des rafales de mitraillettes et de mitrailleuses : cela s’est produit lors du premier jour de la Seconde Intifada, en septembre 2000. Israël n’a cessé de pousser les Palestiniens toujours plus à bout, explique Mer Khamis, suscitant un militantisme accru à chaque étape, afin de pouvoir justifier ses actions aux yeux du monde entier. Ces actions allèrent jusqu’aux assassinats ciblés et, peut-être pire encore, jusqu’au mur de séparation.
Un responsable officiel israélien a convoqué Mer Khamis pour un rendez-vous après le lancement de son film, pensant qu’il pourrait être utilisé à des fins de propagande pro-israélienne, car il montre une Israélienne aidant des Palestiniens. Mais Mer Khamis lui a répliqué que, loin d’ « aider » les Palestiniens avec paternalisme, en réalité, Arna « renforçait ces garçons afin de les rendre aptes à lutter pour leurs droits ». Elle avait tourné le dos au sionisme et elle se battait contre Israël, au nom des Palestiniens. Les garçons qu’on voit dans le film sont aujourd’hui presque tous morts, et Mer Khamis dit qu’à Jénine, aujourd’hui, ont ne voit plus aucun jeune entre dix-huit et vingt-neuf ans. Mais, dit-il, « c’était là le prix qu’il fallait payer, pour être libres ». Il a cité l’un de ces garçons, lequel disait qu’il préférait mourir debout que vivre à genoux. C’est la seule manière d’être libre, affirme Mer Khamis. (Sans doute, ni Mer Khamis ni les adolescents de Jénine n’ont jamais entendu parler de Patrick Henry ni d’aucun de ces autres héros révolutionnaires dont nous autres, les Américains, prétendons vivre – entre nous, tout du moins – fidèlement à leurs mémorables professions de foi de liberté).
Sur le long terme, Mer Khamis est optimiste, pour les Palestiniens, mais il pense que le combat se poursuivra encore durant des années. Les conflits ne peuvent être résolus qu’après avoir atteint un apex, explique-t-il, et le rôle d’Ariel Sharon consiste à amener le conflit actuel à son sommet. Mais avant de s’améliorer, la situation empirera. La première Intifada a formé le leadership de la seconde, y compris les jeunes adolescents du groupe de théâtre animé par Arna, adolescents dont certains sont présentés en train de chanter un chant patriotique à la fin du film, et qui sont en train d’être formés pour devenir les cadres de la troisième Intifada, le moment venu, à l’avenir. On le voit : l’opitmisme est toujours là, mais il est devenu hors de prix.
Petit a-parte : Un des adolescents est montré, dans le documentaire, disant qu’il s’était méfié de Mer Khamis, au début du tournage, parce qu’il était juif, jusqu’à ce qu’il ait fait la démonstration incontestable de sa sympathie pour les Palestiniens. Interrogé, lors du débat, sur la raison pour laquelle les jeunes Palestiniens se focalisaient sur sa judaïté, alors qu’il est en réalité tout aussi palestinien que juif, Mer Khamis fit observer que, pour les Palestiniens, Israël ne représente pas une culture, mais un appareil d’oppression et que, lorsqu’ils entendent « juif », ils voient un soldat. Ils ne sont pas antisémites de la même manière que beaucoup d’Occidentaux le sont ; ils ne haïssent pas les juifs en général, ils ne haïssent que les juifs qu’ils considèrent comme des oppresseurs. Mais c’est là, en l’occurrence, malheureusement la seule facette du judaïsme qu’il soit donné aux Palestiniens de voir.
Les conséquences inévitables du sionisme
Les jours de repos, au camp de volontariat, des membres de l’ICAHD emmenaient le groupe effectuer des visites politiques dans les régions palestiniennes et bédouines, en Israël. Ces excursions s’avérèrent des illustrations dramatiques de la discrimination et du racisme inhérents à un système taillé sur mesure afin de maintenir une majorité juive – un système basé sur la supériorité des juifs sur tous les autres. Les Palestiniens, et parmi eux, les bédouins, vivant à l’intérieur d’Israël sont (en théorie) des citoyens de l’Etat d’Israël. Ils ont le droit de vote ; les bédouins, à la différence des autres Palestiniens, effectuent le service militaire dans l’armée israélienne. Toutefois, de par la loi et en raison d’arrangements institutionnels inhérents au statut d’Etat majoritairement juif d’Israël, les Palestiniens et les bédouins, parce qu’ils ne sont pas juifs, ne reçoivent rien qui ressemblât à des droits égaux ou à des services auxquels des citoyens peuvent légitimement prétendre de la part de leur Etat.
Non seulement sont-ils confrontés au genre de discrimination de facto auxquels les Noirs étaient confrontés, aux Etats-Unis, mais leurs écoles sont vétustes, leurs services municipaux sont inadaptés, ils sont en bute à des discrimination à l’embauche, leurs villes sont souvent situées à proximité de champs d’épandage de produits toxiques et d’autres sites dangereux – mais, Israël étant un Etat explicitement juif, les Palestiniens ne sauraient, de par la loi, bénéficier des services assurés par l’Etat aux juifs, ce qui signifie que les Palestiniens ne peuvent acheter de terres – même celles qu’ils possédaient avant la création d’Israël et dont ils ont été dépossédés. Généralement, ils ne peuvent même pas louer des terres de l’Etat. Ils ne sont pas autorisés, légalement, à s’installer dans des villes israéliennes, ni dans les quartiers juifs des villes mixtes. Malgré un taux de fécondité élevé et une population en croissance, les villes et villages palestiniens ne peuvent élargir leur emprise municipale. Beaucoup de villes palestiniennes ou bédouines ne sont pas reconnues par l’Etat, ce qui signifie qu’elles ne bénéficient d’aucun service, quel qu’en soit la nature, du gouvernement, y compris l’électricité et l’eau potable, et que leurs habitants sont passibles de voir leurs édifices démolis, qu’il s’agisse de résidences, de mosquées, d’écoles, voire de mairies. La politique gouvernementale d’Israël consiste à encercler les villes palestiniennes de villes israéliennes afin de limiter la croissance palestinienne. Dans certaines localités mixtes, les autorités sont d’ores et déjà en train de construire des murs, afin d’éviter aux juifs d’avoir à supporter la vision ou le « risque » d’avoir un quelconque rapport avec leurs concitoyens palestiniens.
Plus significatif encore : de par la loi, et parce qu’Israël se définit comme l’Etat de tous les juifs, où qu’ils se trouvent dans le monde, et non comme l’Etat de ses citoyens, aucun Palestinien, y compris ceux qui vivaient sur le territoire d’Israël avant 1948, ne peut immigrer dans l’Etat juif. La seule manière, d’ailleurs, qui permit à Israël de s’établir, en tant qu’Etat peuplé d’une majorité juive assurée, consista à exproprier et à expulser la plupart des Palestiniens qui vivaient sur son territoire antérieurement à 1948 ; Israël maintient sa majorité juive en empêchant ces indigènes et leurs descendants de retourner chez eux.
Nous avons pu constater certains des effets de ce racisme au cours d’un voyage dans plusieurs villes bédouines du Néguev où, du fait que les villes ne sont pas reconnues et les écoles ne sont pas construites, les enfants doivent marcher sur des kilomètres, sous le cagnard du désert, avant d’atteindre leurs écoles dans des villages, eux, reconnus ; des villes où les déchets chimiques et nucléaires provenant du centre de Dimona et d’autres zones industrielles s’infiltrent dans le sol, contaminant l’eau et les sols ; où des ordres de démolition sont suspendus virtuellement, tels des épées de Damoclès, au-dessus de tous les bâtiments ; où des Bédouins qui ont loyalement servi l’Etat en faisant leur service militaire ne perçoivent aucune des allocations auxquelles les vétérans juifs sont éligibles ; où les villes juives sont implantées délibérément de manière à empêcher l’expansion des Bédouins.
Nous avons également visité la ville palestinienne de Baq’a, dans le Nord d’Israël, où le mur de séparation a coupé en deux une cité prospère, qui se trouve à cheval sur la frontière de 1967, une moitié du côté israélien, l’autre moitié du côté de l’extrémité Nord de la Cisjordanie. (En 1948, Baq’a était une seule et même ville, mais elle fut coupée en deux par la ligne d’armistice de 1949, la moitié occidentale restant à l’intérieur d’Israël, tandis que ses habitants devenaient citoyens israéliens, et la moitié orientale passant côté cisjordanien, sous le contrôle de la Jordanie. Les moitiés occidentale et orientale furent physiquement réunies – mais non pas légalement – après la conquête de la Cisjordanie par Israël, en juin 1967, et la ville recommença à fonctionner essentiellement comme une unité, jusqu’à ce que le mur ne vienne la scinder en deux irrévocablement.) En août 2003, dégageant le terrain pour le mur, des tanks et des bulldozers israéliens ont détruit une place où se tenait un marché, à cheval sur la limite. Ce marché en plein air, le plus animé et le plus actif de toute la Cisjordanie, était fréquenté tant par les juifs israéliens que par les Palestiniens, venant tant d’Israël que de la Palestine. Aujourd’hui, il a disparu, des deux côtés de la frontière : près de cent cinquante étals et plusieurs maisons privées d’habitation ont été démolis, et les quelques échoppes rescapées à la destruction ont dû fermer, faute de clientèle.
Le mur, massif, d’une hauteur de huit mètres, coupera la principale rue commerçante est-ouest et séparera des familles, il empêchera des liens commerciaux et séparera la population de prestataires de services indispensables. Un système d’autorisations ne permet aujourd’hui qu’à guère plus d’une centaine de personnes dûment répertoriées, sur une ville qui compte plusieurs milliers d’habitants, de passer d’un secteur à l’autre, au travers d’un unique portail ménagé dans le mur, portail gardé par des soldats israéliens. Notre groupe a laissé une trace de son passage, à l’insu des soldats israéliens, en écrivant des messages de protestation sur le mur, en plusieurs langues. Mais c’était là une infime victoire, comparée à la prise de conscience du bousillage de vies qu’incarne le mur, et de la conscience attristante qu’Israël traite ses propres citoyens de la même manière, mais quand il ne s’agit pas de juifs.
Nous avons constaté une situation tout aussi discriminatoire dans les villes jumelles de Lod et Ramléh, bien à l’intérieur d’Israël, pas très loin de Tel-Aviv. Jadis villes entièrement palestiniennes, elles furent toutes deux pratiquement vidées de leurs habitants palestiniens en juillet 1948, grâce à une expulsion en règle menée par un futur Premier ministre d’Israël : Yitzhak Rabin. Ceux des Palestiniens qui échappèrent alors à l’expulsion, et leurs descendants, représentent de 25 à 30 % de la population de chacune de ces deux villes, qui vivent, majoritairement, dans les bidonvilles de ces villes peuplées par ailleurs d’immigrants juifs parmi les plus déshérités. Ce sont les banlieues pauvres de Tel Aviv, et l’aéroport Ben Gourion, de Tel-Aviv (avec ses nuisances) jouxte la ville de Lod.
Comme ailleurs en Israël, les habitants palestiniens de Lod et de Ramléh ne peuvent étendre leurs quartiers. Nous sommes passés, en voiture, dans un quartier résidentiel où les autorités israéliennes avaient installé d’énormes blocs de rochers afin d’empêcher les Palestiniens de construire quoi que ce soit. Des murs – pas si hauts que le mur de séparation en Cisjordanie, mais tout aussi solidement bâtis en béton armé – ont été érigés, dans l’une et l’autre ville, afin de séparer les quartiers juifs des quartiers palestiniens. Plusieurs maisons palestiniennes (mais aucune maison juive…) ont été démolies afin de permettre le passage du mur. Notre guide, un Israélien sympathique préparant un doctorat en urbanisme qui mettra particulièrement l’accent sur la manière dont Israël institutionnalise ses politiques racistes, nous a fait remarquer un endroit, à Ramléh, où les gamins palestiniens escaladent régulièrement le mur pour aller jouer au foot ou au basket-ball, dans un champ, de l’autre côté, tout près d’un quartier résidentiel juif. Les juifs sont outrés de voir que des enfants palestiniens osent ainsi « envahir » leur quartier, et un responsable municipal de Ramléh, interrogé par notre Mentor dans le cadre de la préparation de sa thèse, lui a confié qu’il avait le sentiment d’avoir été poussé à la démission de ses fonctions municipales parce qu’il n’avait pas réussi à maintenir les gamins palestiniens à l’écart du côté juif. A Lod, l’armée et la police israélienne ont carrément installé un check point, à un endroit, entre les sections juive et palestinienne : ils y arrêtent les voitures et posent leurs questions. Notre bus fut stoppé, et bien que nous ayons eu l’autorisation de passer du côté palestinien, une jeep de l’armée a suivi en permanence notre bus, tous gyrophares clignotant, jusqu’à ce que nous ayons dépassé les limites de l’agglomération. A l’évidence, quand des étrangers sont témoins du racisme de leur Etat, cela a tendance à rendre les Israéliens nerveux…
Toutes ces mesures discriminatoires officielles, imposées par l’Etat, à l’encontre de la population non-juive, sont les conséquences imparables de la création d’un Etat sur la base de l’exclusivisme juif et de la loi imposant une majorité juive. Pour les Israéliens, le plus ils peuvent maintenir les Palestiniens hors de leur champ de vision et de leur esprit, le mieux c’est. Du point de vue juif, le fait que les Palestiniens soient invisibles, c’est bien ; s’ils avaient totalement disparu, ce serait le rêve. Mais c’est là quelque chose que les Israéliens n’ont pas encore réussi à faire ; ils y travaillent. D’arrache-pied.
Afin de compléter le tableau de l’impact du sionisme sur la population palestinienne indigène, nous avons visité aussi les vestiges d’une ville palestinienne, en Galilée, que l’armée israélienne a rayée de la carte, en 1948. Saffûriyyéh, à environ vingt kilomètres au Nord de Nazareth, était une bourgade agricole de plus de 4 000 habitants, dont l’histoire remontait à l’époque hellénistique. Des fouilles archéologiques ont mis au jour les vestiges d’un amphithéâtre romain ; les ruines d’une église remontant au sixième siècle sont très visibles ; au dix-huitième siècle, un dirigeant ottoman y avait fait ériger une forteresse, qui se dresse encore aujourd’hui au point le plus élevé de la localité. Les forces israéliennes l’ont attaqué en juillet 1948, et la plupart des habitants ont pris la fuite, en direction du nord, cherchant à aller se mettre à l’abri au Liban. Ils furent très peu nombreux à rester ou à se ré infiltrer, mais d’après l’historien israélien Benny Morris – qui n’est pas un ami des Palestiniens, mais un historien honnête – les autorités juives voulaient les quelque 7 000 acres de terres cultivées de Saffûriyyéh, qu’ils convoitaient afin d’y construire de nouveaux villages israéliens. Elles redoutaient aussi que, laissée à elle-même, la ville ne regagne sa population d’avant-guerre. Résultat : au début 1949, les autorités emmenèrent les habitants palestiniens demeurés sur place dans d’autres villages, après les avoir chargés dans des camions. Après quoi, elles distribuèrent les terres entre trois villages agricoles israéliens, et elles chargèrent l’armée de démolir les quelque 700 maisons de Saffûriyyéh…
Notre groupe était piloté par un jeune homme, petit-fils d’habitants de Saffûriyyéh, qui vit aujourd’hui à Nazareth, à travers des roseaux élevés et entre des figuiers de Barbarie hérissés d’épines menaçantes – dans lesquels tout Palestinien reconnaît un signe incontestable de la présence d’un village palestinien abandonné – avant d’arriver enfin sur le site, abandonné depuis des lustres, de Saffûriyyéh. Nous sommes restés un moment dans l’ancien cimetière, pour regarder la colline qui constituait jadis la partie construite de la ville. Notre jeune guide se tenait en face de la colline : il nous montra un grand calendrier mural, orné d’une photo du même lieu, datant des années 1930. Sur cette photo, on voit une ville de taille respectable, des maisons étagées au flanc de la colline, des terres cultivées, en bas, et la forteresse ottomane, carrée, au sommet. Aujourd’hui, la forteresse est toujours là, mais il n’y a plus aucune maison ; le flanc de la colline a été densément planté de pins financés et cultivés par le Fonds National Juif. Les Américains ont l’habitude de ces campagnes juives, menées depuis des décennies, visant à recueillir des fonds pour des plantations d’arbres en Israël, soi-disant afin d’aider les Israéliens à « faire fleurir le désert ». A Saffûriyyéh, nous avons vu la preuve de la tragédie humaine qui a permis la plantation de beaucoup de ces arbres. A l’évidence, dans le contexte israélien, les arbres valent plus que les Palestiniens. Encore une conséquence du sionisme.
La logique de l’occupation
Ayant projeté de visiter la petite ville palestinienne de Zababdéh, au Nord de la Cisjordanie, un dimanche matin après la fin du camp de volontariat, nous rencontrâmes l’arbitraire de la domination israélienne. Invités à venir rendre visite à un prêtre catholique melkite, ami d’amis américains, nous avons quitté Jérusalem à neuf heures du matin, en voiture. C’est Ahmad, un ami palestinien qui conduisait : il détient une carte d’identité de résident de Jérusalem, et les plaques d’immatriculation de sa voiture sont jaunes – en  plus de l’arabe, il parle couramment l’anglais et, ce qui ne gâche rien, l’hébreu. Pour les Palestiniens, dans cet environnement quasi surréaliste, l’origine de leur carte d’identité et la couleur de leurs plaques d’immatriculation s’avèrent essentielles, s’ils veulent mener une vie aussi « normale » que possible. Seule l’indication d’une résidence à Jérusalem permet à un Palestinien de pénétrer dans cette ville sans permis spécial, difficile à obtenir pour les autres. Quant à avoir des plaques d’immatriculation jaunes, par opposition aux plaques vertes et blanches de la Cisjordanie, c’est le vade-mecum du Palestinien s’il veut franchir la plupart des check points ou emprunter l’une des nombreuses routes réservées aux colons israéliens.
Sortis de Jérusalem, nous empruntons la route qui descend dans la vallée du Jourdain, et nous prenons vers le nord une route parallèle au cours du Jourdain. Bien que considérablement plus long, Ahmad estime que ce trajet est plus facile que celui consistant à aller directement en Cisjordanie en prenant plein nord, car on peut ainsi éviter le tristement célèbre check point de Huwwara, près de Naplouse, où les militaires israéliens infligent usuellement un traitement très dur aux Palestiniens. Après avoir roulé pendant environ une heure, nous tournons à gauche, en nous dirigeant vers le cœur de la Cisjordanie, c’est-à-dire, là encore, vers un inévitable check point… mais il s’agit de celui de Hamra. Après l’avoir franchi, nous bénéficierons d’une route dégagée, « checkpoint-free », jusqu’à Zababdéh. Tout est calme, dans ce coin, il n’y a que quelques voitures, dans les deux sens, attendant de pouvoir franchir le barrage routier. Nous sommes au milieu de la matinée ; il commence à faire chaud, et les soldats israéliens commencent à mourir d’ennui : ils sont de plus en plus nerveux. Notre voiture s’approche du barrage, nous nous arrêtons. Les militaires commencent à harceler Ahmad, qui finira par se résigner à couper le moteur. « Eteins ta clope ! Eteins ton moteur ! Ta carte d’identité ! Qu’est-ce que tu fous ici ? » Ahmad reste poli. Obséquieux : certainement pas… Il éteint sa cigarette, mais en demandant pour quelle raison il doit le faire. « C’est parce que vous, les Palestiniens, on vous connaît : vous êtes bien capables de nous balancer votre clope dans la tronche », répond le soldat, stupidement.
Ahmad explique la raison de notre déplacement. Zababdéh est un village chrétien, le prêtre est (par définition) chrétien, il n’y a pas de terroristes, là-bas, nous sommes Américains. Les militaires disent qu’il est hors de question que des gens qui ont une carte d’identité de Jérusalem et des étrangers entrent en Cisjordanie. Bien entendu, cela fait des semaines que nous résidons en Cisjordanie, mais cet argument logique ne semble pas valoir, en ces lieux. Nous plaidons tous notre cause, nous le faisons en anglais, de notre côté, avec un des militaires qui parle anglais (et qui est, à l’évidence, d’origine américaine), tandis qu’Ahmad parlemente en hébreu avec le commandant du check point. Pas de bol. Ils disent que nous pouvons appeler le QG du district militaire israélien, et déposer une demande, mais que cela prendrait vraisemblablement des heures. Ils nous font des signes de la main : nous devons attendre, garés sur le bas-côté de la route. Nous voudrions nous en retourner, mais, problème : ils ont gardé la carte d’identité d’Ahmad, et ils refusent de la lui rendre. C’est pire que s’ils lui avaient volé son pantalon, voire même confisqué sa voiture. Tandis que nous attendons, Ahmad bout de colère : « Ils ont chacun un rôle », nous dit-il. « Celui-là, il est là pour s’occuper des étrangers ; cet autre, là, il est là uniquement pour attendre les autorisations des supérieurs ; ce troisième, c’est le glandard de service. Chacun son rôle. Chacun pense qu’il est le Dieu de tous les autres ». A tour de rôle, nous essayons, de temps à autre, de parler à l’un ou l’autre des soldats, non pas pour continuer à demander à passer, mais simplement pour qu’ils restituent à Ahmad sa carte d’identité. Mais c’est en vain. Finalement, après plus d’une heure d’attente, le soldat d’origine américaine vient vers la voiture et il nous dit que nous deux, les Américains, nous sommes autorisés à « entrer » - c’est-à-dire : à franchir le checkpoint à pied, et à prendre un taxi de l’autre côté. Nous deux, les Américains. Mais pas Ahmad…
Ayant clairement signifié que nous n’abandonnerions pas Ahmad, ils lui rendent finalement sa carte d’identité : nous partons et nous refaisons le trajet, à rebours, redescendant dans la vallée du Jourdain. Nous allons plus au nord, et à nouveau, nous prenons sur la gauche afin de nous diriger vers le cœur de la Cisjordanie, en tentant notre chance à un autre check point. Il est déjà midi, et il fait 40 °C à l’ombre – cela suffit à créer une certaine compassion, même chez des soldats israéliens… Un des soldats, au pied d’un mirador dominant le check, se fait tellement chier qu’il pionce à poings fermés, la tête renversée sur le dossier de sa chaise. Le soldat responsable, ici, est plus affable. En tout cas, il ne fait rien pour humilier Ahmad, et il ne prend pas sa carte d’identité avant de rentrer dans le poste de garde pour aller s’enquérir de ce qu’il devait faire de nous. A nouveau, c’est reparti : nous attendons une bonne heure, retenus captifs par les objurgations du « gentil » soldat (pour nous, c’est un véritable supplice de Tantale) qui nous répète qu’il fait tout son possible afin d’obtenir le feu vert dont il a besoin pour nous laisser passer. Toutefois, au bout d’une heure, une nouvelle fois, nous nous faisons rembarrer.
Cette fois-ci, l’histoire est différente : Ahmad peut entrer, mais nous, nous ne le pouvons pas, car nous sommes étrangers ! Dans le système de pensée israélien, cela ne constitue à l’évidence pas une contradiction : il faudra vous y faire : c’est la « logique » de l’occupation... Nous retournons à Jérusalem, environ six heures après en être partis. Si Israël ne contrôlait pas tous les faits et gestes des Palestiniens, nous aurions pu, durant ces six heures, aller directement à Zababdéh, en prenant la route directe allant vers le Nord de Jérusalem, nous aurions passé trois heures en visite chez notre ami le prêtre, et nous serions rentrés directement, par le même chemin, à Jérusalem. De retour à Jérusalem, nous téléphonons au religieux. « C’est exactement ce qui nous arrive, tout le temps… » nous explique-t-il. « S’il vous plaît, racontez ce qui vous est arrivé, quand vous serez rentrés chez vous… » Voilà qui est fait.
Nous rencontrons des Américains
Non sans surprise, nous avons rencontré des travailleurs coopérants américains, sous contrat de l’USAID [Organisme étatique américain de coopération à l’étranger, ndt], dans notre hôtel de Jérusalem Est, cette année aussi, comme l’an passé. Ils étaient tous sous contrat avec des boîtes privées, qui forent des puits et reconstruisent des routes pour les Palestiniens. Quelle ironie ! L’an dernier, en parlant avec l’un de ces Américains, un contre-maître dont les ouvriers travaillaient sur des routes, à Ramallah, nous avons glosé sur l’ironie de la situation, en nous émerveillant d’un gouvernement américain finançant la destruction par Israël des routes, dans l’ensemble de la Cisjordanie, ses tanks semant la dévastation tant dans les villes que dans la campagne, tout en finançant la reconstruction de ces mêmes routes ! Oh, nous dit ce sous-traitant, en faisant une drôle de tête qui trahissait son malaise, nous ne faisons pas de politique ; cela rendrait la vie et le travail beaucoup trop difficiles, si nous prenions partie pour l’un ou l’autre camp, dans ce conflit. Certes. La vie serait difficile, aussi, s’ils décidaient de remettre en question l’absence de logique de leurs donneurs d’ordre du gouvernement américain… Cette année, nous avons soulevé la même question devant un autre sous-traitant, dont l’équipe travaillait à des forages de puits, mais sa réponse fut des plus agressives : « Personne n’a jamais détruit l’un quelconque des puits que j’ai aménagés ! », insista-t-il, ne se rendant absolument pas compte qu’il ne faisait que réparer les dégâts causés par Israël. Son contrat, nous a-t-il déclaré en se rengorgeant, portait sur la bagatelle de 7 millions de dollars de travaux. Bigre, cela aurait presque été suffisant pour acheter la moitié d’un aileron de l’un des nombreux F-16 que les Etats-Unis donnent chaque année en étrennes à Israël !…
Un peu après, à l’aéroport d’Amman, alors que nous nous préparions à rentrer, nous avons rencontré quatre jeunes Américains prêts à s’embarquer eux aussi dans l’avion. Ils portaient des tenues d’explorateurs du désert, sans le moindre sigle, tout en muscles et le cou puissant ; ils évoquaient avec un plaisir évident, à haute voix, afin que tout le monde en profite bien, le nombre de tirs de RPG que leur installation avait essuyés durant telle ou telle nuit… A l’évidence, ils venaient d’Irak, et ils rentraient chez eux en permission ; ils n’avaient pas le comportement enjoué de soldats retournant chez eux pour de bon. Comme ils continuaient leur bruyante conversation, très largement au profit de ceux qui les entouraient, aussi bien Jordaniens qu’Américains, qui n’avaient pas le privilège de vivre dans le monde macho de Bagdad, une jeune femme en civil arriva à l’embarquement et, de la même manière culottée, elle engagea une conversation délibérément destinée à être entendue par tout le monde. « Qu’est-ce que vous foutez à Bagdad ? », leur demanda-t-elle. C’étaient des gardes du corps personnels de l’ambassadeur américain John Negroponte. Ah bon ? Est-ce qu’ils travaillaient chez Blackwater (compagnie désormais célèbre pour avoir envoyé des centaines de ses soi-disant « contractuels » - lire : mercenaires américains – en Irak pour aller y surveiller les prisonniers et les installations militaires) ? Yep ! Il s’avéra rapidement que cette femme se trouvait elle-même à Bagdad, quelques mois auparavant : elle y travaillait dans quelque service juridique à l’intérieur de la Zone Verte. Ils se mirent, tous, à comparer leurs avantages en nature – ils avaient l’air d’habiter, tous, dans des sections de la Zone Verte portant des noms dans le genre « Paradise Hills », ou bien était-ce « Paradise Gardens » ? – et leurs expériences personnelles en matière d’évitement des tirs de mortiers et de RPG. L’un des jeunes hommes demanda « et aujourd’hui, où en sommes nous ? », après quoi il se plaignit de la situation déplorable, « l’idéalisme s’étant dissipé » [sic].
Nous ne pûmes nous empêcher de nous demander à quel moment y avait-il eu un quelconque « idéalisme » ? Mais nous n’avons pas posé la question. Nous nous sommes faits tout petits, traversés par l’idée que des Américains comme ceux-là ne cessent de transiter par Amman, en allant en Irak et en en revenant, et qu’ils laissent derrière eux une impression sur les Américains qui ne cesse d’empirer de jour en jour. Et ces Américains de se demander pourquoi les Arabes ne peuvent plus nous voir en peinture !
Tristesse
Nos adieux au Moyen-Orient, l’an dernier, avaient été entourés d’un peu de romantisme. Après avoir laissé la Palestine de l’autre côté du Pont Allenby, et avoir pénétré sur le territoire de la Jordanie (c’était en août 2003), nous avions passé l’après-midi de la veille de notre vol de retour à Amman en compagnie d’amis palestino-jordaniens qui possèdent une maison avec jardin, sur une des collines au Nord d’Amman. Arrivés chez eux en fin d’après-midi, nous avons conversé un moment, puis nous sommes sortis dans le verger pour cueillir des figues. Manger les figues tout fraîchement cueillies sur l’arbre, dans ce cadre magnifique, c’était comme si nous nous retrouvions au milieu des collines de la Toscane, loin, très loin de la tragédie palestinienne et du tourbillon de la situation politique moyen-orientale. Nous pouvions voir le Jourdain et, au-delà du Jourdain, toute la Cisjordanie. La nuit tombée, les lumières de Jérusalem et de la Cisjordanie commencèrent à scintiller. Nos amis Palestiniens nous montrèrent du doigt les lumières de Naplouse, juste en face de là où nous nous trouvions, celles de Jénine, plus loin, vers le Nord. Jérusalem, c’était une énorme tache de lumières, loin, au Sud. « Et que sont ces lumières, si proches, là, juste de l’autre côté du Jourdain ? », demandai-je, sachant qu’il n’y avait aucune agglomération palestinienne visible de là où nous nous trouvions, dans ce coin. « C’est une colonie israélienne », nous expliqua l’un de nos hôtes. Le charme était rompu. Un ange passa.
Le départ, cette année, fut bien plus triste. Le souvenir du mur, l’évidence qui saute partout aux yeux, dans toute la Palestine, des destructions cruelles d’Israël au nom du confort de la vie des juifs, et le souvenir du traitement raciste infligé par Israël à ses citoyens non-juifs étaient encore vivaces, dans nos esprits, tandis que nous venions de quitter la Palestine, et tout au long des quelques jours suivant notre départ de Jordanie. En particulier, le mur nous a hantés, et il continue à le faire. Les partisans d’Israël se plaisent à dire avec un sarcasme considérable que mur n’est qu’un inconvénient, pour les Palestiniens – et, s’empressent-ils d’ajouter, ce n’est, de surcroît, qu’un inconvénient temporaire – alors que les juifs assassinés ou estropiés par le terrorisme palestiniens sont assassinés ou estropiés à vie. Mais il y a quelque chose de spécial, d’indéfinissable, qui entoure la brutalité qui émane du mur, et qui vous frappe en plein visage. Il détruit de manière permanente, il bousille des existences, et il le fait en permanence. C’est une tache permanente dans le paysage (même si on le détruisait un jour, les oliveraies et les terrains agricoles qu’il aura détruits ne seraient pas remis en état avant très longtemps), c’est une ternissure permanente sur la vie des gens. Plusieurs Palestiniens qui manifestaient pacifiquement contre la construction du mur ont été abattus par des soldats israéliens. Définitivement. La taille du mur, gigantesque – et le mépris absolu des vies palestiniennes chez ceux qui sont partisans de sa construction – laissent interdits ceux qui ont eu l’occasion de se trouver dans son ombre, écrasés par sa présence monstrueuse : pour décrire sa monstruosité, les mots leur manquent. Mais leur sentiment d’immense tristesse est palpable.
Hier, une Française, qui participait à notre camp de volontariat, nous a écrit qu’elle pensait sans cesse à la destruction et à la désolation en Palestine, qui contrastaient violemment avec la beauté des paysages, autour de chez elle, dans les Alpes. Elle nous a dit qu’elle en était revenue le cœur brisé. La Palestine a tendance à avoir cet effet sur chacun de ceux qui y ont séjourné.
                   
- Echange entre Kathleen & Bill Christison et Benny Morris (CounterPunch 3 octobre 2004)
Nous rendons compte ci-après d’un échange par e-mails avec le célèbre historien israélien Benny Morris, initié par B. Morris, qui a écrit à CounterPunch.org afin de critiquer un article que nous avons publié on-line sur ce site ouèbe. Cet article, intitulé ‘Je suis rentrée, le cœur brisé - Impressions de Palestine, pêle-mêle’ (voir ci-dessus) a été publié le 24 septembre 2004. Notre échange de correspondance a été retranscrit littéralement, et nous vous prions d’excuser les fautes éventuelles, résultant de la rapidité inhérente à la communication électronique. Kathleen & Bill Christison
               
- Le 25 septembre 2004 - Chers Christisons, Je suis tombé par hasard sur le récit de votre voyage récent en Israël / Palestine. A un moment, j’y ai vu le mot « honnêteté ». J’ai été également frappé par votre brève description de l’histoire de « Saffûriyyéh » - appelée aujourd’hui, comme originellement « Tzipori », ce qui signifie « mon oiseau » en hébreu. Vous mentionnez les Romains, les Arabes, les Croisés, etc., mais pas les juifs, bien que cette ville ait été juive durant des siècles, plus de mille ans avant que les Arabes ne déferlent depuis l’Arabie sur la Palestine, qu’ils conquirent, convertissant de force ses habitants à l’Islam.
C’est ça, votre « honnêteté » ? Malheureusement, tout votre article est à l’avenant. Bien à vous Benny Morris
               
- Le 26 septembre 2004 - Cher Monsieur Morris, C’est un grand honneur pour nous que de recevoir une missive d’une personne de votre qualité. Vous avez parfaitement raison : nous avons omis de signaler que Saffûriyyéh a été juive, durant une partie de sa longue histoire, et c’est là une erreur de notre part. Mais vous semblez (vouloir) justifier l’expulsion des habitants palestiniens de cette localité, en 1948, la démolition de leurs maisons et la confiscation de leurs terres, au motif que les juifs ont souffert du fait des conquérants musulmans, quelque treize siècles auparavant. Bien que nous ne soyons pas historiens, la notion qu’en 1948 les juifs « convoitaient » le territoire palestinien (c’est le mot que vous employez dans votre ouvrage « Naissance du problème des réfugiés palestiniens » [The Birth of the Palestinian Refugee Problem] et « redoutaient » (votre terme, encore une fois) que les Palestiniens ne revinssent chez eux au cas où ils (= les juifs) n’auraient pas confisqué leurs terres, démoli leurs maisons et emmené au loin par camions les quelques retardataires, nous semble un travestissement de la décence humaine. Que des juifs aient souffert, un millénaire et demi auparavant, du fait des lointains ancêtres de ces Palestiniens, ou non (et les données factuelles, à ce propos, sont loin d’être claires), la destruction délibérée de l’existence de ces gens, parce que les juifs voulaient exercer leur exclusivisme, ressortit au racisme pur et simple.
Incidemment, nous présumons que vous ne pouvez pas ne pas avoir remarqué que le mot « honnêteté » apparaissait dans notre article afin de caractériser votre travail de recherche  historique. De fait, nous avons cité vos œuvres à plusieurs reprises par le passé, généralement en des termes favorables, même si nous n’en faisons pas une règle générale. Les deux livres de Kathleen, Perceptions de Palestine [Perceptions of Palestine] et La Blessure de la dépossession [The Wound of Dispossession] se sont largement appuyés sur l’histoire que vous avez écrites des événements de 1948. Vous n’allez certainement pas apprécier la troisième référence, dans un autre article publié, plus tôt cette année, dans CounterPunch, mais vous devriez y jeter un coup d’œil, son titre est « Offending Valerie ». Le fait d’être un historien honnête ne signifie pas nécessairement que l’on est impartial dans son attitude vis-à-vis d’autres êtres humains. Kathy & Bill Christison
           
- Le 26 septembre 2004 - La lettre que je vous ai écrite n’entendait rien « justifier » du tout. Mais votre occultation délibérée de la période juive de l’histoire de Saffûriyyéh semblait délibérément calculée afin de souligner le seul droit des Palestiniens à ce site – et à vrai dire à la totalité de la Palestine.
Mon avis – pour ce qu’il vaut – est que les deux peuples ont un droit juste et légitime à revendiquer la Terre d’Israël / Palestine, et cela, même si la nation arabe, à laquelle appartiennent les Palestiniens, compte (pas moins de) vingt-deux Etats, la Palestine doit être divisée en deux Etats, en suivant, en gros, les frontières de 1967. Malheureusement, les Palestiniens, traditionnellement, rejettent une telle solution (1937, 1947, 1978), et, en 2000, encore une fois, ils ont rejeté les propositions faites en juillet et en décembre par Barak et Clinton, qui offraient, précisément, une solution de cette nature.
Je pense que l’honnêteté requiert un minimum d’objectivité, un peu d’équilibre, un peu d’effort afin de voir les choses sous plus d’un angle, quelles que soient ses propres convictions politiques – et c’est là ce qui manquait cruellement à votre article. Bien à vous Benny Morris
          
- Le 27 septembre 2004 - Combien vous soulevez de points différents, dans un si bref message ! Nous n’avons jamais dit, ni même suggéré, que les Palestiniens ont « seuls, droit » à la Palestine, mais nous pensons fermement qu’ils avaient le droit à ne pas être évincés d’un quelconque lieu afin de libérer le plancher pour des juifs (ou qui que ce fût d’autre). Cela concerne non seulement Saffûriyyéh – Tzipori, mais la totalité des quelque quatre cents autres villages où ils vivaient, jadis. Comme vous, nous pensons nous aussi que les deux peuples ont un droit légitime et juste à revendiquer la terre de Palestine – Israël, et que ce territoire devrait être partagé par eux deux. Nous nous demandons, en revanche, comment vous pouvez concilier cette conviction avec votre déclaration, dans l’interview développée que vous avez accordée le 9 janvier 2004 au quotidien Ha’aretz : « Ben Gourion aurait sans doute mieux fait de « procéder à une expulsion généralisée et de nettoyer tout le pays – toute la Terre d’Israël, jusqu’au Jourdain. Il risque de s’avérer que ce fut là notre erreur fatale… En tant qu’historien, j’affirme qu’une erreur a été commise, en la matière. » Ou bien viendrez-vous nous dire, maintenant, que votre désir, pour paraphraser votre message, « d’effacer la période palestinienne de l’histoire de la Palestine » relevait du genre d’étourderie non intentionnelle que nous avions commise en oubliant de mentionner la période juive de l’histoire de Saffûriyyéh ? (Votre utilisation de l’expression « toute la Terre d’Israël » implique automatiquement – sans doute est-ce non intentionnel ? – l’effacement de l’histoire et des droits des Palestiniens.)
Mais, beaucoup plus grave, nous relevons aussi que vous avez omis sélectivement un élément fondamental de la preuve du contraire – sans doute l’événement politique le plus important de toute l’histoire de la Palestine – dans votre énumération des cas où les Palestiniens auraient rejeté une solution à deux Etats. Il n’est pas difficile de comprendre, sauf, peut-être, pour des gens ne voyant les choses que d’un point de vue juif, pourquoi les Palestiniens ont eu besoin de tellement de temps avant de comprendre qu’ils étaient prêts à accepter le démantèlement et la division de leur patrie ; aussi vous avez raison lorsque vous affirmez qu’ils ont rejeté la formule à deux Etats en 1937, en 1947 et en 1978. Mais est-ce seulement par étourderie que vous omettez de mentionner le changement fondamental intervenu dans la politique palestinienne, découlant de l’acceptation de deux Etats par les Palestiniens, en 1988 ? Avez-vous vraiment oublié que cette décision de l’OLP – constitutive comme elle le fut du renoncement à toute revendication sur 78 % du territoire que les Palestiniens considéraient leur appartenir et de l’acceptation d’une indépendance (palestinienne) sur seulement 22 % (restants) du dit territoire – fut une concession massive faite au droit d’Israël à l’existence ? Cette décision a été formellement confirmée lors de la signature de la Déclaration d’Oslo, en 1993, et elle n’a jamais été répudiée. En dépit de votre désillusion au sujet des Palestiniens, après (les négociations de) Camp David, en 2000, toutes les négociations et toute la politique palestinienne subséquentes ont été fondées sur le principe posé du droit sacro-saint d’Israël à l’existence et sur l’affirmation que la solution à deux Etats est l’objectif poursuivi.
A Camp David, ce n’est pas Israël, que les Palestiniens ont rejeté : c’est un marché de dupes. Nous n’avons pas le temps d’examiner la question dans ses moindres détails ici, mais vous devriez lire les récits du processus de paix faits par Charles Enderlin, Yossi Beilin, Rob Malley, Dennis Ross, Bill Clinton et Madeleine Albright. Vous n’y trouverez aucune preuve – en dépit de la très mauvaise opinion qu’ont d’Arafat les trois derniers cités – d’un rejet par Arafat de la solution à deux Etats, comme vous l’alléguez. Non. Tout simplement, Arafat ne pouvait pas accepter les offres israéliennes d’un Etat palestinien qui aurait été discontinu, indéfendable et non-viable. Les Palestiniens essayaient encore de négocier une formule à deux Etats décente lorsque Barak perdit les élections et Clinton quitta la Maison Blanche. Nul doute que vous soyez au courant du récit fait par l’ancien directeur du ministère israélien de l’Intérieur, Amos Malka, d’une campagne de désinformation délibérée visant à donner l’image d’un Arafat, contrairement à la réalité, opposé à la solution à deux Etats ?…
Quant au sujet délicat de l’équilibre et de l’objectivité, nous sommes tout à fait d’accord pour dire qu’il faut savoir envisager une situation sous plusieurs perspectives. Mais équilibre + objectivité + une perspective ouverte, voilà qui n’entraîne en aucun cas la conclusion que les deux côtés, soit ont à-demi raison, soit ont autant raison l’un que l’autre. Un traitement équilibré d’une question ne requiert en rien que l’on partage au milieu l’objet du différend entre les deux parties, en particulier lorsque l’une d’entre elle a déjà fait une concession aussi majeure que l’a été l’acceptation palestinienne du partage 78 % (pour Israël) / 22 % (le reste, pour la Palestine). Après avoir étudié, des années durant, les perspectives des deux camps, nous avons abouti à la conclusion que, bien que les deux peuples aient un droit légitime et juste à revendiquer la Palestine – Israël, ils n’ont pas tous deux un droit juste et légitime à revendiquer la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem Est. Dès lors qu’on accorde à Israël le droit exclusif à posséder 78 % du territoire de la Palestine / Israël, il n’a aucun « droit » automatique sur l’un quelconque des territoires occupés, à moins que les Palestiniens ne leur concèdent, de leur plein gré, des parties de ces territoires au cours de négociations (conformément à ce qu’ils ont déjà déclaré qu’ils feraient). Quel que soit l’avenir des territoires occupés, il faut, assurément, prendre en considération la sécurité d’Israël, mais un véritable équilibre et une authentique équité, dans toute négociation post-Oslo requerra, certes, que tous les partenaires condamnent au plus tôt le terrorisme palestinien, mais qu’ils condamnent aussi l’existence même de l’occupation israélienne, y compris les colonies réservées aux seuls Israéliens, les routes réservées aux Israéliens, la construction du mur de séparation en territoire palestinien, les confiscations de terres, les démolitions de maisons, la destruction de terres agricoles, de puits, les assassinats, les tirs mortels des snipers, les bombardements aériens, les incursions de blindés dans les villes palestiniennes, etc.
Enfin, un point de détail, que nous ne soulèverons que parce que vous l’avez fait vous-même : l’idée que la « Nation arabe », comme vous dites, « possède vingt-deux autres Etats » est l’exemple même du non-argument. Primo – pinaillons un peu – comme vous le savez sans doute, il n’y a pas 22 pays arabes : il y a 22 pays membres de la Ligue arabe, y inclus l’OLP, qui n’est pas un Etat, et des pays non-arabes tels la Somalie, Djibouti, les Comores et la Mauritanie. Deuxio, et c’est plus dans notre sujet, les Palestiniens sont originaires de Palestine, et personne ne doit s’attendre à ce qu’on puisse les forcer à déménager ailleurs, pour quelque motif que ce soit. Les juifs ont refusé d’être installés en Ouganda ou dans un quelconque autre pays que celui de leur héritage biblique. Attendre des Palestiniens qu’ils renoncent à leur héritage parce qu’Israël veut leurs terres, voilà qui représenterait une insupportable injustice. Kathy & Bill Christison
               
- Le 28 septembre 2004 -Ce que vous écrivez est en grande partie vrai. Mais beaucoup d’Israéliens, j’en fais partie, ne sont pas du tout convaincus que les Palestiniens soient réellement en faveur d’une solution à deux Etats, dans la proportion 78 % / 22 % ou dans n’importe quelle autre proportion. Ils pensent, en revanche, que les Palestiniens veulent la destruction d’Israël, et son remplacement par un seul Etat arabo-musulman. Nous craignons que le « virage » de l’OLP, en 1988, n’ait été que simplement tactique, et non réel et sincère. Arafat l’a dit et répété à tellement de gens, alors que ses propos étaient enregistrés à son insu, et le Hamas et le Jihad islamique – qui représentent une grande majorité, sinon la plupart, des Palestiniens – disent la même chose, publiquement et constamment. Je ne connais pratiquement aucun dirigeant palestinien qui accepterait de déclarer, ouvertement et sans circonlocutions, que « les juifs ont un droit légitime à la Palestine, comme les Palestiniens » et que « le sionisme et Israël sont des entités légitimes » - et c’est ça, le fond du problème. C’est la raison pour laquelle les porte-parole palestiniens, à l’exception de Sari Nusseibéh, qui ne représente malheureusement personne, mis à part une poignée de Palestiniens raisonnables et civilisés, insistent sur le « droit au retour », sur son acceptation par Israël et la communauté internationale, et sa mise en application. Il s’agit là du test au papier tournesol des intentions réelles et ultimes des Palestiniens vis-à-vis d’Israël. Et, aussi longtemps qu’ils maintiendront ce « droit au retour » (des réfugiés palestiniens chez eux, ndt) et qu’ils s’en feront les avocats, cela voudra dire qu’ils ne sont pas sincères dans leurs préconisations d’une solution à deux Etats, et qu’ils ne recherchent une telle « solution » qu’afin d’en faire un tremplin tactique qui leur permettra d’exiger le démantèlement ultime d’Israël et son remplacement (la mise en application du droit au retour ferait nécessairement d’Israël un pays arabe).
Et je suis convaincu, comme je l’ai indiqué au cours de mon interview à Ha’aretz (mais je n’ai pas été cité intégralement), qu’il est malheureux que la guerre de 1948 ne se soit pas conclue d’une manière plus décisive sur le plan démographique, soit, tous les juifs étant jetés à la mer (comme les Palestiniens et les pays arabes avaient l’intention – et comme ils entreprirent – de le faire, ce qui a abouti à la création du problème des réfugiés), soit tous les Palestiniens étant repoussés en Jordanie, où ils auraient créé leur Etat. Le Moyen-Orient aurait été un endroit meilleur et les deux peuple sauraient bénéficier d’une histoire plus heureuse. Benny Morris
               
- Le 28 septembre 2004 - Vous avez mis le doigt sur la véritable tragédie de ce conflit : le fait que des Israéliens, comme vous, et bien d’autres, ne croient pas les Palestiniens ni ne leur font confiance, et aussi le fait que beaucoup de Palestiniens ne croient pas les Israéliens ni ne leur font confiance. Vous avez sans doute raison lorsque vous dite que la décision prise par les Palestiniens en 1988 n’était pas profondément sincère, mais qu’ils l’ont prise en raison de nécessités tactiques. Mais, bien entendu, on pourrait dire la même chose de la décision prise par Israël en 1993 de reconnaître l’OLP et de négocier avec elle. Les uns comme les autres – vous, les Israéliens et vous, les Palestiniens – vous préféreriez, incontestablement, et de très loin, que l’autre ne soit pas là. Mais cela n’implique pas nécessairement que l’un quelconque des deux  camps ne serait pas crédible lorsqu’il se dit prêt à vivre en paix avec l’autre.
Contrairement à votre allégation, selon laquelle « pratiquement aucun dirigeant palestinien », à votre connaissance, n’a dit ouvertement et directement que les juifs ont un droit légitime à revendiquer la Palestine ou qu’Israël est une entité légitime, Yasser Arafat a déclaré, en décembre 1988, ceci : « L’OLP recherchera un règlement global entre les parties concernées par le conflit arabo-israélien, c’est-à-dire l’Etat de Palestine, Israël et les Etats voisins… sur la base des résolutions 242 et 338, et d’une manière… respectant le droit à l’existence en paix et en sécurité, pour tous… Je demande aux dirigeants d’Israël de venir ici, sous l’égide des Nations unies, afin que nous puissions forger cette paix, ensemble. Je leur dis que notre peuple, qui recherche la dignité, la liberté et la paix, pour lui-même et la sécurité pour son Etat, souhaite la même chose à tous les pays et tous les partenaires impliqués dans le conflit arabo-israélien. Ici, je souhaite m’adresser spécifiquement au peuple israélien dans toutes ses composantes et forces vives… Je lui dis : « Venez, faisons la paix ! » ». Vous allez peut-être affirmer que cela n’était pas sincère, mais cela constitue, assurément, une affirmation ouverte et sans fioritures de la légitimité de l’Etat d’Israël…
D’après vous, les gens sont beaucoup moins enclins à croire Israël que les Palestiniens, parce qu’il est le partenaire en possession de tout le territoire, et donc, il est celui auquel des concessions territoriales devraient être demandées, en vue d’un accord de paix quelconque. Israël n’a jamais donné signe de la moindre intention d’autoriser la création d’un Etat palestinien viable, et il s’est encore moins exprimé, il a encore moins agi concrètement, d’une manière sincère et sérieuse, l’idée d’un partage de territoire avec les Palestiniens, si bien que les Palestiniens ne disposent d’aucune déclaration israélienne, fût-elle purement formelle, susceptible de leur laisser espérer de quelconques concessions de la part d’Israël. Ce sont les Israéliens, et non pas les Palestiniens, qui ont à même de tester la sincérité du partenaire, car si Israël acceptait l’installation d’un Etat palestinien sur la majorité de la superficie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, il serait parfaitement capable de se défendre dans le cas (improbable) où les Palestiniens menaceraient ou violeraient un éventuel traité de paix, de toute manière. Il n’en va pas de même des Palestiniens, qui n’auraient aucune possibilité de se défendre contre une quelconque violation israélienne. Les Israéliens pourraient toujours compter sur le vieux shibboleth [= la bonne vieille méthode] de Reagan consistant à « croire sur parole, puis à vérifier ». Les Palestiniens, dépourvus de toute garantie concrète contre les violations israéliennes, ne pourraient le faire en aucun cas.
L’idée que les Israéliens seraient menacés par l’exigence palestinienne que soit reconnu le « droit au retour » des réfugiés palestiniens est absurde. Tout d’abord, vous avez tout simplement tort lorsque vous affirmez que « tous les porte-parole palestiniens, excepté Sari Nusseibéh… insistent sur le « droit au retour », son acceptation par Israël et la communauté internationale, et sa mise en application [les guillemets sont de vous] ». Depuis, au moins, les négociations de Camp David de l’an 2000, le leadership palestinien affirme, avec constance, qu’il n’exige pas la mise en application effective du droit au retour, mais bien qu’il soit fait droit aux réfugiés, au moyen d’un ensemble d’arrangements, allant du retour en Israël d’un nombre de réfugiés relativement peu élevé, et faisant l’objet d’un accord concerté, grâce à leur réinstallation accompagnée de compensations financières dans les pays où ils résident ou encore dans des pays tiers, ou au rapatriement des réfugiés à l’intérieur de l’Etat palestinien. Il veut que les Israéliens reconnaissent un minimum de leur responsabilité dans la création du problème des réfugiés, mais il reconnaît le droit d’Israël à réguler le nombre et l’identité des réfugiés palestiniens autorisés à revenir en Israël, et dans quelles conditions. Il a explicitement admis l’insistence d’Israël à maintenir le caractère juif de son Etat. Arafat a écrit un commentaire, à ce sujet, dans le New York Times. L’idée qu’Israël serait impuissant à arrêter le déferlement d’une foule de trois à quatre millions de réfugiés voulant envahir Israël, ou celle que le leadership palestinien le fomente, n’est que paranoïa à l’état pur. Nous comprenons bien le fond de ce que vous avez exposé dans Ha’aretz – même si vous n’avez pas été cité intégralement :) … – mais nous ne saurions admettre l’idée qu’en épurant entièrement le territoire de la Palestine de l’un ou l’autre peuple, en 1948, on aurait résolu le problème et on aurait hérité d’un Moyen-Orient paisible jusqu’à ce jour. (Dans votre interview, soit dit en passant, vous n’avez en rien suggéré que l’épuration ethnique des juifs aurait pu – voire même aurait dû – être une éventualité envisageable. Vous avez simplement indiqué que l’élimination des Palestiniens aurait bien arrangé les juifs…). Au contraire, nous pensons que, même s’ils avaient été chassés, tous, de l’autre côté du Jourdain, en Jordanie, les Palestiniens revendiqueraient de la même manière leur droit au retour ; la Jordanie n’est pas leur patrie, et ils n’auraient jamais admis être totalement dépossédés, pas plus qu’ils n’ont accepté d’être dépossédés partiellement. Semblablement, si les Juifs avaient été totalement repoussés à l’extérieur de la Palestine, en particulier au lendemain de l’Holocauste, le cri d’indignation qui se serait élevé dans le monde entier aurait été assourdissant. Et vous nous permettrez de douter que les juifs auraient été le moins du monde, à défaut d’heureux,  satisfaits de cette indignation. Ni qu’ils s’en seraient contentés. Kathy & Bill Christison
                           
17. Guerre des civilisations - Les aveux sur mesure des "repentis" d'Al Qaïda par Paul Labarique
in Voltaire du mardi 21 septembre 2004
La théorie selon laquelle la destruction du World Trade Center à New York et la fabrication de fausses cartes à puce dans une banlieue française participent du plan conduit par une seule et unique organisation terroriste mondiale trouve sa confirmation dans les aveux des « repentis d'Al Qaïda ». Mais à y regarder de plus près, ces repentis sont rares et leurs témoignages sont douteux, voire pas crédibles du tout. Bien qu'à ce jour aucun tribunal n'ait admis les prétendus liens entre des attentats commis en Europe et Al Qaïda, dont pourtant ces repentis témoignent, experts et journalistes persistent à échafauder des hypothèses et à préconiser des politiques sur la foi de ces dépositions.
Le réseau Al Qaïda, accusé d'avoir organisé les attentats du 11 septembre 2001, a fait l'objet d'une abondante littérature depuis cette date. Différents auteurs, journalistes et « experts en terrorisme », y ont consacré des articles, des reportages, des livres. La prolifération de ces travaux a largement contribué à construire, dans l'imaginaire collectif, le sentiment d'une menace réelle qui pèserait sur l'Occident et serait incarnée par des fanatiques musulmans. Un rapide inventaire recensant les sources utilisées et les éléments d'information fournis laisse pourtant peu de doute quant à leur origine et leur absence de fiabilité.
Les origines de l'organisation sont évoquées dans de nombreux articles après le 11 septembre. Selon la version officielle, elle aurait été créée par Oussama ben Laden, en 1988. Elle se serait ensuite développée à partir de l'Afghanistan pour devenir un réseau mondial « qui finance, entraîne et utilise d'autres groupes dans 35 à 60 pays », avec pour objectif de « frapper les intérêts des États-Unis partout dans le monde » [1]. Des experts arabisants énoncent cependant une autre interprétation de la naissance du mouvement. « Al Qaïda », qui signifie « la base » ou « la base de données », serait un fichier créé par Oussama ben Laden du temps de la guerre d'Afghanistan. À l'époque le milliardaire anti-communiste gérait les fonds investis par les services saoudiens et états-uniens pour repousser l'Armée rouge. À ce titre, il finançait aussi bien les soldes des jihadistes que des travaux de fortification et recueillait une masse de renseignements sensibles. Une fois le conflit terminé, « la base » serait devenue un outil à disposition de l'Arabie saoudite et d'autres États musulmans : lorsque ceux-ci souhaitaient lancer une opération - qu'il s'agisse d'envoi de médicaments, de programmes d'aide, ou d'ingérence politique, voire militaire - ils consultaient « Al Qaïda » pour y recueillir des informations sur la région qui les intéressait, afin de savoir, par exemple, si d'autres organisations n'y agissaient pas déjà. Dans cette optique, « Al Qaïda » ne serait nullement une organisation hiérarchisée, mais simplement une gigantesque base d'information à destination de pays musulmans.
Le tour de force est ainsi encore plus facile : il n'est nul besoin d'infiltrer ce réseau pour en contrôler des éléments, puisque ce n'est pas un réseau. Il suffit de relier des attentats ayant lieu un peu partout dans le monde, en les attribuant systématiquement à des groupes qui « seraient liés » à Al Qaïda. L'ensemble de la littérature consacrée à cette « organisation » repose sur cette rhétorique de l'amalgame : on y met en cause des « bras droits » de Ben Laden, des groupes coupables de « sympathie » envers son « organisation ». L'ensemble des procédures engagées en Europe contre les « réseaux dormants » du « terrorisme islamiste » sont ainsi construits, non pas sur des éléments matériels, mais sur d'hypothétiques proximités intellectuelles : tel fondamentaliste se serait rendu à Berlin, à une époque où y résidait Mohammed Atta, tel autre aurait effectué un stage d'entraînement militaire en Afghanistan, etc. En fin de compte, les nombreux dossiers ainsi bricolés par la justice antiterroriste ont abouti à l'abandon des charges « d'entreprise en relation avec une organisation terroriste ». Les tribunaux qui ont effectivement condamné des prévenus pour terrorisme n'ont jamais admis qu'ils soient liés à une organisation internationale [2].
En réalité la finalité judiciaire importe peu, le détail des instructions occupant, dans les médias, plus de place que l'annonce - et le détail - des verdicts. Ce discours délibérément alarmiste sur le « péril islamiste » permet de construire un ennemi commun, qui va du Hamas palestinien à la Jamaa Islamiya indonésienne, en passant par des États comme la Syrie ou le Soudan, pour finalement englober tout le monde musulman. Ce fantasme alimente l'idéologie de la « Guerre des civilisations » justifiant la forme contemporaine de l'impérialisme anglo-saxon [3]. Loin de dénoncer ces amalgames absurdes, plusieurs États les ont repris à leur compte, quitte à s'en mordre les doigts après. Ainsi, Vladimir V. Poutine n'a pas manqué d'invoquer la lutte contre le terrorisme mondial pour mettre fin aux critiques du pilonnage de Grozny, avant de dénoncer le poison de cette analyse ethnico-religieuse lors de la prise d'otages de Beslan. En France, ces amalgames ont été utilisés, au début de la présidence de Jacques Chirac, pour faire arrêter des opposants algériens par les juges anti-terroristes, avant que le même Jacques Chirac se transforme en héros du dialogue des civilisations.
Pour accréditer l'existence d'un réseau terroriste tentaculaire et structuré, Washington a eu recours à une figure très répandue aux États-Unis, celle du « repenti », de l'insider qui, rongé de remords, décrit de l'intérieur l'organisation dont il a fait partie.
Rappelons que, aux États-Unis et désormais dans de nombreux autres pays, y compris la France, le « repenti » négocie ses aveux contre une immunité. Il peut donc s'accuser et accuser qui il veut de n'importe quoi sans en assumer lui-même les conséquences. Cette procédure a permis de démanteler des organisations mafieuses, mais a aussi ouvert la voie à toutes sortes de dénonciations calomnieuses. En Italie, les magistrats qui l'ont promu pour l'opération « mains propres » en ont finalement été victimes, les « repentis » accusant les juges, les uns après les autres, d'être des correspondants de la mafia.
Les premiers de ces repentis apparaissent lors du procès des attentats du 7 août 1998 contre les ambassades états-uniennes de Nairobi et Dar es-Salaam, en février 2001. Jamal Ahmed al-Fadl, un Soudanais de 38 ans, jusqu'ici connu dans les dossiers du FBI sous l'appellation de CS1, Confidential Source 1, est de ceux-là. Devant un tribunal de Manhattan, il affirme avoir été un membre du noyau central d'Al Qaïda. Bien que son témoignage soit « bien sûr invérifiable et soulève de nombreuses interrogations » [4], le FBI lui aurait accordé sa protection à partir de juillet 1996, date à laquelle il se présente « au service des visas d'une ambassade américaine dont la localisation n'a pas été révélée ». La police fédérale états-unienne dépense pour cela près de 1 million de dollars en cinq ans.
Mais de quels renseignements pouvait bien disposer Jamal al-Fadl pour justifier un tel intérêt des autorités ? Pour répondre à cette question, il convient de revenir sur sa trajectoire biographique. Selon ses propres dire, il a vécu deux ans à Brooklyn et dans le Sud des États-Unis, où il s'est occupé de collecter des fonds pour la mosquée Al Farooq [5], avant de s'engager dans les brigades islamiques déployées en Afghanistan à l'initiative de la CIA et sous la direction d'Oussama Ben Laden pour lutter contre les troupes d'occupation soviétiques. En 1991, il est amené à rencontrer celui qui gère alors la base de données (Al Qaïda) de l'ensemble des groupes islamiques radicaux présents sur le terrain. Lorsque le noyau dur de la structure de Ben Laden est transféré au Soudan, Jamal al-Fadl suit le mouvement et s'installe sous la protection du régime islamique africain et du Front national islamique au pouvoir [6]. Ayant subtilisé 150 000 dollars dans le cadre de transactions dont il s'occupait, il contacte les autorités états-uniennes moins de trois ans plus tard et est exfiltré outre-Atlantique
La lecture du parcours du présumé terroriste invite au scepticisme. On peut en effet légitimement s'interroger sur la fiabilité d'un informateur utilisé comme témoin à charge par les autorités états-uniennes après avoir travaillé pour la CIA en Afghanistan, avant d'être récupéré, moins de cinq ans après, par le FBI. D'autant que son départ de l'organisation terroriste précède de deux ans les premiers attentats attribués à Ben Laden, contre les ambassades états-uniennes en Afrique, au procès duquel il est pourtant appelé à témoigner. Malgré ces évidentes réserves, Al-Fadl est présenté comme « l'un [des] éléments-clés » d'Al Qaïda où il était « chargé des salaires » [7]. Il connaîtrait donc en détail l'organisation, et notamment son mode de financement. C'est d'ailleurs là-dessus qu'il témoigne devant le tribunal de Manhattan : il met en cause un réseau bancaire complice de l'internationale terroriste, avec des ramifications au Soudan, en Malaisie, en Grande-Bretagne, à Hong-Kong et à Dubaï. Il décrit également « comment des combattants étaient envoyés en Tchéchénie au prix de 1 500 dollars par personne ; comment le jihad était financé en Érythrée par l'apport d'argent en cash ; comment Ben Laden s'est mis sous la coupe des services de renseignement soudanais après que ceux-ci l'eurent rencontré à Peshawar (Pakistan), etc. Pire : selon la justice, Ben Laden s'est compromis à plusieurs reprises, depuis 1992, dans des tentatives d'achat de matériaux nucléaires et de vecteurs ».
Jamal Ahmed al-Fadl, qui a quitté Al-Qaïda en 1996, détaille par ailleurs la manière dont fonctionne le réseau Ben Laden : ce dernier « est composé d'une tête (Ben Laden lui-même), régnant sur un conseil consultatif, le majlis. Le majlis est lui-même en relation avec quatre comités distincts, en charge des domaines financier, religieux, militaire et médiatique. C'est dans ces quatre comités que sont choisis les commandants opérationnels et les chargés de missions spéciales. À cette structure pyramidale, formelle, se superpose une division horizontale en 24 groupes, division informelle cette fois. Les communications entre cellules, sur internet, sont assurées non seulement par l'envoi d'e-mails cryptés, mais également de fichiers sonores brouillés ». L'avantage de cette description de l'organisation terroriste, aussi détaillée qu'invérifiable, est qu'elle permet aux États-Unis d'accréditer la thèse d'une hydre tentaculaire, dont les ramifications s'étendent partout dans le monde, notamment en Occident. L'ennemi est donc partout, puisque Ben Laden disposerait même de points de chute à New York. Pire, l'assassinat du leader charismatique d'Al Qaïda n'entraînerait pas la fin de son organisation, structurée pour résister à un tel coup du sort, grâce à des éléments récupérés au sein des « forces extrêmes et éparses de mouvements cousins : certains éléments du Hamas, du Hezbollah, du Jihad islamique ». Trois organisations, engagées dans une lutte armée contre Israël, mais qui sont pourtant connues pour leur divergence d'opinion quant à la manière de mener cette lutte, voire pour leur antagonismes. La « guerre au terrorisme » s'annonce donc infinie.
Le second repenti appelé à témoigner au procès de Manhattan est un citoyen états-unien d'origine égyptienne. Son pedigree est tout aussi étonnant : après avoir fait un passage « sous l'uniforme des forces spéciales de l'US Army » [8], Ali Mohamed aurait rejoint Ben Laden à la fin des années 1980. Convoqué devant le tribunal new-yorkais, il ne vient finalement pas témoigner en personne, mais permet l'élaboration d'« un rapport du FBI basé sur son témoignage ».
Ali Mohamed
Mohammed n'est pas précisément n'importe qui. Ancien membre des services secrets égyptiens, il a assuré, de 1987 à 1998, la formation des combattants d'Al Qaïda. À la même époque, il enseignait également à la John Kennedy Special Warfare Center and School, « où il formait les membres du plus secret des réseaux d'influence, le stay-behind et les officiers des Forces spéciales US » [9]. Dans son Témoignage écrit, Ali Mohammed évoque notamment d'autres cibles étrangères visées par la série d'attentats en Afrique, « entre autres l'ambassade de France et le centre culturel de France ». Ce qui permet à Roland Jacquard d'affirmer « qu'au-delà des intérêts américains, les intérêts occidentaux au sens large sont également visés et que la menace est peut-être plus diffuse plus qu'il n'y paraît » [10]. Le terrorisme islamiste ne vise dont pas exclusivement les États-Unis et leur politique étrangère agressive, particulièrement au Proche-Orient, mais « l'Occident » d'une manière plus large, en vue d'instaurer un Califat sur l'ensemble de la planète. Ce qui a le mérite de clarifier les camps : comme l'exprime alors le président états-unien George W. Bush, « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes » [11].
Le terme de « repenti » peut également être employé abusivement, comme le montre le cas de Djamel Beghal. Ce franco-algérien de 38 ans a été arrêté en septembre 2001 à l'aéroport de Dubaï. Devant les policiers émiratis, il mentionne un projet d'attentat contre l'ambassade des États-Unis à Paris et raconte ses liens avec Al Qaïda. Du pain béni pour la justice antiterroriste française et la DST qui cherchent absolument à démontrer la réalité de la menace islamiste en France. Malheureusement, de retour à Paris, Djamel Beghal revient sur ses déclarations, et nie toute implication dans une quelconque préparation d'attentat. D'après lui, ses aveux à Dubaï s'expliquent par les mauvais traitements subis : « isolement, interdiction d'entrer en contact avec qui que ce soit, violences physiques, pressions psychologiques » [12]. Une version partiellement confirmée par un magistrat antiterroriste français interrogé sur Europe 1 le 2 octobre 2001. Selon ce dernier, les officiers émiratis ont utilisé des « chefs religieux locaux » afin de lui faire « un lavage de cerveau à l'envers » pendant neuf mois, ce qui lui aurait permis de retrouver « le chemin de l'islam juste » [13]. Une prise de conscience religieuse donc, qui aurait convaincu Beghal de livrer tout ce qu'il savait sur les activités d'Al Qaïda en Europe. Seul petit problème : rien ne permet aujourd'hui d'affirmer que l'ambassade états-unienne à Paris était effectivement visée par un projet d'attentat. Les seuls islamistes condamnés dans ce dossier ont en effet assuré qu'ils visaient d'autres cibles, dont aucune en France [14]. Beghal a donc, dans un premier temps, avoué aux enquêteurs émiratis tout ce qu'ils voulaient entendre avant, dans un second temps, de se rétracter devant les enquêteurs français.
Djamel Beghal
Djamel Beghal n'est donc pas forcément le « bon client » dont la justice antiterroriste française avait besoin. Yacine Akhnouche, arrêté en février 2002, sera un bien meilleur choix. Mis en examen et écroué, officiellement dans le cadre de l'enquête sur le projet d'attentat de Strasbourg de décembre 2000, ce fabricant de fausse carte bleue - chez qui la police découvre « des formules chimiques suspectes » - confirme subitement, au cours de son interrogatoire, l'existence d'un réseau terroriste dormant européen, particulièrement actif en France. Mieux, il se révèle en être un nœud central : au cours d'un séjour en Afghanistan, il a en effet rencontré Richard Reid, l'homme qui voulait faire sauter ses chaussures dans le vol Paris-Miami, Zacharias Moussaoui, le Français maintenu au secret par les États-Unis pour avoir crié haut et fort qu'il voulait apprendre à viser des immeubles avec des avions, mais aussi Ahmed Ressam, qui a été arrêté en décembre 1999 à la frontière canadienne avec 50 kilos d'explosifs. Yacine Akhnouche va encore plus loin : il affirme connaître Abu Doha, un islamiste détenu à Londres et chef présumé du groupe de Francfort, et avoir été en contact avec « plusieurs personnes impliquées dans l'assassinat en Afghanistan du commandant Massoud, en septembre 2001 » [15]. Le récit de ce mythomane est une aubaine pour les enquêteurs français. L'un d'entre eux, touchant de naïveté, avoue : « un tel procès-verbal est extraordinaire ». Les magistrats anti-terroristes s'appuient sur le fait qu'il possédait une machine à « encoder » les cartes bancaires, c'est-à-dire un banal encodeur de carte à puce disponible dans le commerce [16], pour en faire de lui « un point de passage obligé pour la logistique financière des réseaux ». D'après le juge Bruguière, « chaque appareil peut procurer jusqu'à 200 000 francs (30 000 euros) par semaine à ses possesseurs. De quoi assurer une part substantielle du financement d'une cellule terroriste » [17].
Au finale, force est de constater que les « repentis » d'Al Qaïda ne sont pas légion. De surcroît, ceux que les responsables de la « guerre au terrorisme » ont choisi d'introniser comme tels détonnent par leur peu de fiabilité. Ce qui amène à s'interroger sur la provenance des informations relatives à « l'organisation d'Oussama ben Laden » reprises à l'envi par les médias du monde entier. Viennent-elles, comme jihadistes engagés en Afghanistan contre l'Union soviétique, directement de Washington ?
- NOTES :
[1] « Les 11 organisations cibles de la guerre antiterroriste américaine », AFP, 25 septembre 2001.
[2] Voir « La Justice n'a pas trouvé d'agent d'Al Qaïda en Europe », par Paul Labarique, Voltaire, 19 août 2004.
[3] « La guerre des civilisations » par Thierry Meyssan, Voltaire, 4 juin 2004.
[4] « L'homme qui a trahi Ben Laden se confesse devant un tribunal de Manhattan », par Alain Campiotti, Le Temps, 15 février 2001.
[5] « La piste Ben Laden : pourquoi et comment », par Alain Lallemand, Le Soir, 13 septembre 2001.
[6] Au nom d'Oussama Ben Laden, par Roland Jacquard, Éditions Jean Picollec, 2001.
[7] « La piste Ben Laden : pourquoi et comment », op.cit.
[8] « Devant les jurés de New York, une esquisse du réseau ben Laden », par Michel Moutot, AFP, 2 octobre 2001.
[9] D'après « The Masking of a Militant », par Benjamin Weiser et James Risen, New York Times, 1er décembre 1998, cité dans L'Effroyable Imposture de Thierry Meyssan, Carnot, 2002.
[10] Au nom d'Oussama Ben Laden, op.cit.
[11] Address to a Joint Session of Congress and the American People, Services de la Maison-Blanche, 20 septembre 2001.
[12] « Fin de l'enquête sur Djamel Beghal, chef présumé d'une cellule islamiste », AFP, 27 août 2004.
[13] « L'aveu de Djamel Behgal », par Patricia Tourancheau, Libération, 3 octobre 2001.
[14] Voir « La Justice n'a pas trouvé d'agent d'Al Qaïda en Europe », par Paul Labarique, Voltaire, 19 août 2004.
[15] « L'extraordinaire confession d'un islamiste de la mouvance Ben Laden », par Christophe Parayre, AFP, 9 février 2002.
[16] Ces objets d'un usage relativement simple et aisément disponibles (www.hitechtools.com/CartesPuce.htm), permettent de fabriquer différents types de carte à puce, qu'il s'agisse de cartes d'accès à la télévision câblée, de cartes téléphoniques, voire de cartes bancaires. Ils sont utilisés pour fabriquer des vrais, mais aussi des faux.
[17] « Le "comptable" supposé des réseaux en Europe », par Jean-Marie Leclerc, Le Figaro, 11 février 2002.
                           
18. L’actuelle comédie de l’essentialisme par Pascal Ménoret
in L'Humanité du lundi 20 septembre 2004
[Pascal Ménoret est agrégé de philosophie, ancien collaborateur de l’ambassade de France à Riyad. Dernier ouvrage paru : "L’Énigme saoudienne. Les Saoudiens et le monde, 1744-2003" aux Éditions La Découverte, 2003.]
Un spectacle éculé fait aujourd’hui salle comble, sur les plateaux de télévision comme sur les éventaires des librairies : c’est la comédie de l’essentialisme. Il n’en est pas en vérité de moins drôle, ni de plus meurtrière. Mais la vieille recette n’a rien perdu de son efficacité. Prenez un événement quelconque, de préférence dans l’« Orient compliqué ». Badigeonnez-le de références religieuses plus ou moins absconses. Vantez l’extraordinaire propension de « ces gens-là » à confondre théologie et politique. Laissez gonfler une opinion publique aussi horrifiée qu’impuissante à comprendre. Le dispositif est enclenché : lorsque votre gouvernement participera à une guerre, aidera une dictature à réprimer ou trafiquera avec les pires criminels, non seulement l’opinion ne le conspuera pas, mais elle lui en sera reconnaissante.
On n’a pas assez noté la puissance d’entraînement de certains mots, ni leur faculté extraordinaire à laisser prendre des vessies pour des lanternes. Dans le langage des experts médiatiques, les termes de « djihad », « Allah », « charia », aujourd’hui « fitna », sont devenus comme autant de crécelles, consciencieusement agitées pour effrayer les gens honnêtes : ils font peu de lumière et beaucoup de bruit. En décrivant les méfaits de l’internationale islamiste, les ravages du « djihad » lancé par les « fous d’Allah » contre l’Occident ou les conséquences inquiétantes de la « fitna », « guerre au coeur de l’islam », nos bruyants experts ont bel et bien pris en otage le débat public. En cela au moins ils sont furieusement à la mode.
Car enfin, pourquoi la guerre « intelligente » lancée en 2001 contre l’Afghanistan avec le maigre renfort de troupes françaises rencontra-t-elle si peu de résistance, alors même qu’elle était sans objet ni morale et fut sans résultat ? Pourquoi les geôles des États arabes et leur cortège de tortures n’empêchent-elles pas la France de fêter leurs présidents élus à vie comme autant de prix Nobel en puissance ? Pourquoi nos hélicoptères européens et démocratiques, nos systèmes de surveillance réputés garantir les libertés fondamentales vont-ils grossir le parc des outils de répression détenus par les régimes du sud et de l’est de la Méditerranée ? Les nouveaux essentialistes n’ont qu’une réponse : parce que l’islamisme est en marche et, si l’on n’y prend garde, submergera bientôt l’Occident de sa violence aveugle. Armons ses ennemis les plus fidèles. Détruisons les États qui l’abritent. Mettons fin, par tous les moyens, au règne de la terreur.
Ce discours n’est pas seulement faux. Il aboutit également à donner corps à ce qu’il dénonce, en justifiant l’assistance sécuritaire à dictatures en danger, en poussant au désespoir les moins flegmatiques de leurs opposants ou en donnant aux plus vils des preneurs d’otages une importance qu’ils n’ont pas.
Au mépris de la vraisemblance ou de la logique, le discours médiatique fait du « djihad », défini comme la guerre sainte de l’islam contre les infidèles, l’alpha et l’oméga des dynamiques sociales et politiques du monde arabo-musulman. Sans craindre l’amphigouri, il proclame que les musulmans s’affrontent aujourd’hui selon les lignes de force de la « fitna », de la discorde dogmatique entre écoles théologiques rivales. Agiter de tels chiffons rouges, ce n’est pas seulement commettre des abus de langage sous couvert de fausse érudition. Cela revient également à naturaliser le désordre actuel du monde musulman, à ramener la violence armée en Irak, en Palestine, en Arabie saoudite, en Europe même à n’être que l’expression d’une essence déposée depuis quatorze siècles dans les profondeurs de la conscience musulmane. À nier les interventions ininterrompues qui, de la colonisation à la guerre contre le terrorisme, ont puissamment contribué de l’extérieur à façonner le Moyen-Orient. À balayer d’un revers de la main les tensions proprement politiques qui opposent des dictatures sanglantes ou des pouvoirs transitoires fantoches, célébrés en Occident pour leur « laïcisme » ou leur « stabilité », à des sociétés qui, elles aussi, entendent participer à l’avenir.
À l’heure où, dans les écoles de la République, l’enseignement du fait religieux a été introduit dans son historicité et sa complexité, il n’est pas besoin de souligner l’incongruité ou le danger du nouvel essentialisme. À l’heure où un Occident tout-puissant ne combat, partout dans le monde, que les vestiges de ses propres errements, des dictateurs « amis » devenus artisans de « l’axe du mal » (tel Saddam Hussein) aux « combattants de la liberté » devenus d’abominables terroristes (tel Oussama Ben Laden), rien ne serait plus périlleux que de penser que tous nos malheurs, au fond, sont les rejetons de « djihad » et de « fitna ». Il serait bon de se rappeler que, tout au long de leurs quatorze siècles d’histoire commune, l’Europe a bien plus souvent fait le malheur du monde islamique que le contraire. Peut-être cette simple constatation nous éviterait-elle de céder à une version inédite de la fièvre obsidionale, de la suspicion tous azimuts de l’autre.
Rien ne serait plus néfaste en tout cas que de réduire les difficultés que rencontre le monde musulman à une science politique de proximité, qui proclame que l’Europe est devenue la proie de nouvelles invasions barbares. Il faut aujourd’hui cesser de penser l’autre arabo-musulman comme une menace potentielle, sous peine de le voir, caricaturant nos propres angoisses, devenir un danger effectif. Il faut cesser de le décrire en des termes que nous ne comprenons pas et dans lesquels il serait bien incapable de se reconnaître. Et ne plus permettre à nos « amis » dictateurs et aux plus violents de leurs opposants d’encaisser les bénéfices de notre couardise intellectuelle.
                           
19. Israël recherche des financements pour des routes "Arabs only" par Chris McGreal
in The Guardian (quotidien britannique) du lundi 6 septembre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Israël courtise les donateurs étrangers afin qu’ils financent la construction d’un réseau routier dans les territoires occupés – réseau rendu nécessaire par la construction de la vaste barrière « de sécurité » et les colonies juives en Cisjordanie.
Le gouvernement israélien recherche des financements étrangers afin d’améliorer les routes secondaires que les Palestiniens sont contraints à utiliser – interdits qu’ils sont des routes réservées aux seuls colons juifs. Il veut également des financements afin de construire de nouvelles routes qui tiennent compte du mur et des colonies. Le projet prévoit des routes parallèles, avec : une route pour les juifs, l’autre pour les Arabes…
Les donateurs européens sont plus que réservés, en partie parce qu’ils craignent que le financement des nouvelles routes ne contrevienne à l’avis consultatif émis en juillet dernier par la Cour Internationale de Justice, qui a condamné l’édification du mur. Ce tribunal a en effet jugé que le mur devait être détruit, car il enfreint les conventions de Genève.
Mais des diplomates disent que les Etats-Unis pourraient se montrer plus enclins à payer, étant donné l’accord tacite de Washington pour la construction du mur et le soutien qu’il a apporté au dernier projet d’Ariel Sharon consistant à étendre les colonies en Cisjordanie tout en retirant les colons de la bande de Gaza.
« Ce que les Européens ne sont pas prêts à faire, c’est financer quoi que ce soit qui puisse contribuer à la construction du mur ou des colonies. Les Américains, quant à eux, sont plus flexibles », a indiqué un diplomate européen.
Des responsables officiels disent que la requête (israélienne) a été formulée le mois dernier, lors de rencontres avec la Banque mondiale, après des pressions internationales visant à obtenir d’Israël qu’il fasse moins obstacle aux déplacements des Palestiniens.
Ces rencontres ont eu lieu au lendemain de la publication d’un rapport de la Banque mondiale consacré aux répercussions du projet, formé par M. Sharon, de se retirer unilatéralement de la bande de Gaza, ainsi que de quatre colonies en Cisjordanie, tout en renforçant le contrôle d’Israël sur d’autres parties des territoires occupés.
La Banque mondiale a exhorté Israël à restituer beaucoup plus de liberté de se déplacer aux Palestiniens, afin de rendre possible la reconstruction de l’économie palestinienne.
Israël s’est alors dit intéressé à « améliorer l’infrastructure des transports et à rendre possible des déplacements sans interruption à travers la Cisjordanie », mais en précisant que cela exigerait « la construction (d’un réseau routier) étendu et complexe, avec une aide internationale. »
« Nous subventionnons déjà lourdement l’occupation, et cela nous inquiète beaucoup », a indiqué un diplomate étranger, qui a expliqué : « Nous sommes prêts à apporter l’aide qu’il faudra afin de construire ou de reconstruire les infrastructures palestiniennes. Mais les pays donateurs sont très préoccupés par le fait que les Israéliens pensent apparemment que nous allons tout simplement payer la note de leurs actions, que ce soit quand ils envoient les tanks (ravager tout) à Jénine ou à Rafah, ou que ce soit quand ils construisent le(ur) mur (illégal). »
Des diplomates étrangers disent que toute requête en vue de l’amélioration des routes ne saurait émaner que de la seule Autorité (nationale) palestinienne – qui a d’ores et déjà requis de l’aide afin de réparer des dégâts causés par des tanks israéliens, mais pas particulièrement dans les zones proches du mur ou autour des colonies…
Certains donateurs sont aussi inquiets devant le projet de création d’un réseau routier ségrégué destiné aux Arabes, qu’une l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem a qualifié d’apartheid.
B’Tselem fait savoir qu’Israël exclut (ou met des restrictions à) l’utilisation, par les Palestiniens, de plus de 700 kilomètres de routes en Cisjordanie. L’armée israélienne qualifie les routes d’où les Palestiniens sont exclus de « stériles », qualificatif dont certains contempteurs disent (à juste titre, ndt) qu’il a des connotations racistes.
Dans un rapport récent, B’Tselem a indiqué que la politique routière d’Israël dans les territoires occupés cause « une souffrance très dure, généralisée, arbitraire et prolongée à la population locale ».
« En exerçant une discrimination illégale envers les Palestiniens, le Régime des Routes Interdites rappelle le système d’apartheid qui était la plaie de l’Afrique du Sud. Ce régime viole les principes fondamentaux du droit international, (théoriquement) en vigueur en Israël », concluait ce rapport.
                       
20. La cabale qui, voici quatre ans, s’est emparée de la Maison Blanche y a apporté une philosophie qu’il urge de jeter dans la poubelle de l’histoire par Mazin Qumsiyéh
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 2 septembre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Mazin Qumsiyéh est Maître de conférence en génétique et directeur des services de cytogénétiques clinique à l’Ecole de Médecine de l’Université Yale. Pour d’autres articles de Mazin Qumsiyéh (en anglais) et beaucoup de ressources documentaires, consulter son site ouèbe à l’adresse suivante : http://qumsiyeh.org.)
George Kennan, chef du service de la prospective politique au Département d’Etat américain fit un jour l’observation suivante : « Nous (autres, Américains) possédons environ 60 % de la richesse de la Terre, mais nous ne représentons que 6,3 % de sa population. Dans une telle situation, nous ne pouvons manquer d’être l’objet d’envie et de ressentiment. Notre tâche fondamentale, dans la période à venir, consistera à inventer un modèle de relations (internationales) qui nous permette de maintenir cette position privilégiée dans le déséquilibre mondial. Nous devons cesser de parler d’objectifs aussi vagues et irréalistes que les droits de l’homme, l’élévation des niveaux de vie et la démocratisation. Le jour n’est plus très loin où nous aurons affaire à des concepts de pouvoir beaucoup plus directs. Moins nous serons embarrassés par des slogans idéalistes, ce jour venu, le mieux ce sera. » [Document PPS23, 24 février 1948].
Mais, bien entendu, nous savions qu’il n’en irait pas ainsi. Le discours sur la démocratisation est toujours la meilleure arme pour pérenniser la disparité et l’injustice. Ainsi, nous avons renversé le régime de Mossadegh, en Iran, dans les années 1950, et nous avons réinstallé le Shah sur son trône ; non pas parce que Mossadegh voulait nationaliser le pétrole iranien et le mettre au service de son peuple, mais parce que les Etats-Unis prônaient à l’époque la « liberté » et la « démocratie » contre toute forme de « socialisme ». Des arguments du même acabit furent utilisés contre la Corée, le Chili, le Vietnam, le Nicaragua, la Grenade, Haïti et des dizaines d’autres pays où nous décidâmes d’« intervenir ». La résistance ancrée dans les peuples limita le succès de cette stratégie de domination. Le parangon en fut la guerre du Vietnam, qui fut présentée comme le résultat d’un « effet domino » de l’ « expansion communiste ». La retraite américaine précipitée du Vietnam résulta du succès de la guerre de guérilla vietnamienne contre l’armée la mieux équipée au monde, et ne lui fut pas étrangère, non plus, la vigueur renaissante de pays du tiers-monde déterminés à résister au pillage de leurs ressources naturelles au seul service des bas intérêts économiques occidentaux. Les architectes de cette guerre ne s’avouèrent néanmoins pas vaincus, en dépit de leur déconfiture dans le domaine des relations publiques, leur théorie des dominos s’étant avérée une vaste fumisterie.
Ces individus-là étaient déterminés à rendre l’impérialisme plus sexy. Ils recrutèrent des libéraux en rupture de ban. Ils recherchèrent les moyens de construire un message plus percutant et plus cohérent. Ils trouvèrent leur bonheur dans une resucée du darwinisme social – philosophie dont le précurseur fut un certain Machiavel. Leur gourou spirituel était un intello, disciple, bien entendu, de Machiavel : Leo Strauss, un sioniste allemand immigré aux Etats-Unis dans les années 1930, lequel servit de mentor à des hommes tels Paul Wolfowitz, tout en popularisant sa philosophie construite autour d’un monde où des chiens se dévorent entre eux. Ses idées jouèrent un rôle fondamental dans la formation de la cabale néoconservatrice actuelle, qui tire les ficelles à la Maison Blanche. D’après Strauss, le monde est divisé en nations distinctes, qui ont des intérêts concurrents, et qui seront à jamais structurées ainsi. Dans des conditions telles celles-là, les nations ne sauraient envisager une quelconque action collective, ni aucune forme de multilatéralisme, à moins que cette action collective ou ce multilatéralisme coïncide point pour point avec leurs propres intérêts égoïstes respectifs. Un leadership politique fort est de règle, comme l’est la nécessité d’un pouvoir militaire. Le leadership ne doit en aucun cas s’embarrasser de discours sur les droits de l’homme ou une quelconque conscience morale. Néanmoins, il doit « avoir l’air » de défendre ce genre d’idéaux. Les gouvernants ne doivent pas respecter les lois qu’ils imposent aux gouvernés. Ainsi, du simple fait qu’il est gouvernant, un gouvernant peut tricher et mentir et faire absolument tout ce qui lui passe par la tête. Toutefois, il doit – dans tous les cas de figure, et en permanence – se donner l’apparence extérieure qu’il adhère aux droits de l’homme et qu’il se soucie de ses administrés. De plus, les dirigeants peuvent utiliser la religion comme un des nombreux outils à leur disposition pour s’assurer que la nation suive bien la route qui lui a été désignée. Des menaces extérieures aident grandement à assurer la cohésion sociale, sous la houlette du leadership local. L’altruisme, la protection de la nature, la justice, etc, ne sont pas les oignons des gouvernements, ni des élites dirigeantes. Ces grands sentiments n’ont aucun rôle à jouer dans l’équation du pouvoir.
Mis en pratique en Amérique, ces principes furent, à l’évidence, fort controversés. Mais ils conquirent du terrain auprès d’un groupe de gens bien placés qu’on allait connaître plus tard sous le nom de « néoconservateurs » (les « néocons », pour les intimes). En mars 1992, le pamphlet les Grandes Lignes de la Défense américaine, formulées par Paul Wolfowitz et Lewis Libby (deux néocons aux étroites accointances israéliennes), fut transmis, au moyen de fuites bien organisées, au quotidien New York Times, et causa un émoi certain (il y eut même une réfutation du Sénateur Biden). Son ton machiavélo-straussien de domination mondiale, de prévention de l’émergence de tout compétiteur éventuel de la puissance états-unienne etc… était insupportable. Le document, sous sa nouvelle présentation, publiée le 16 avril 1992, était beaucoup plus doux, ou tout du moins prudent dans sa formulation. Conséquence d’une distinction obtenue, le document révisé incluait, de manière inédite, un soutien au sionisme considéré comme élément fondamental de la politique américaine de défense : « Au Moyen-Orient et dans le Golfe, nous devons chercher à renforcer la stabilité régionale, à dissuader l’agression contre nos amis et nos intérêts dans la région, protéger les citoyens et les biens américains et sauvegarder notre accès à l’espace aérien international et aux voies maritimes, ainsi qu’aux ressources pétrolières régionales. Les Etats-Unis sont engagés dans la sécurité d’Israël, et dans le maintien de l’avantage qualitatif crucial pour la sécurité de ce pays. La confiance d’Israël en sa sécurité et la coopération stratégique américano-israélienne contribuent à la stabilité de l’ensemble de cette région du globe, comme cela a été encore une fois prouvé à l’occasion de la guerre du Golfe. En même temps, l’assistance que nous apportons à nos amis arabes afin qu’ils puissent se défendre face à une éventuelle agression renforce, elle aussi, la sécurité dans l’ensemble de la région, Israël compris ». (p. 14)
Le plan révisé allait donner aux néocons le regain d’énergie dont ils avaient besoin pour mettre en œuvre leurs projets, cette fois-ci, beaucoup plus prudemment (au niveau verbal). Les néocons n’étaient pas à la Maison Blanche, entre 1992 et 2000, et cette période de vacances leur a donné le temps nécessaire pour consolider leur mainmise dans d’autres domaines (les médias, les boîtes à idées [think tanks], le Congrès…) et de préparer un agenda plus détaillé portant sur la manière de conquérir le pouvoir et, une fois le pouvoir conquis, sur la manière de l’exercer. Ce n’est pas par hasard que, pendant que Clinton avait fort à faire avec ses scandales, les talk shows télévisés conservateurs se multipliaient, que les empires médiatiques se consolidaient et que (avec la création de grosses Berthas des relations publiques, telle Fox TV) le pouvoir passait de mains en mains. Les années 1996 – 1998 ont été cruciales pour le développement des stratégies et des idées qui allaient façonner le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui. Ainsi, en 1996, les néocons envoyèrent au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu une missive – dont le texte se trouve encore aujourd’hui sur le ouèbe – intitulée « Une rupture franche : Une nouvelle stratégie pour sécuriser l’Empire » [A Clean Break: A New Strategy for Securing the Realm].
L’ « Empire » dont il était question était l’empire israélien, au milieu du Moyen-Orient et contrôlant celui-ci. Dans leur missive, les néocons appelaient de leur vue un changement de régime politique en Irak, sous la houlette américaine, après quoi diverses formes d’attaque viseraient l’Iran et la Syrie afin d’assurer la domination ( lire : américano-israélienne – c’est devenu tellement implicite qu’ils en le disent même plus !) sur cette région primordiale du monde. Primordial, le Moyen-Orient, essentiellement pour les économies de concurrents des Etats-Unis, tels, au premier chef, la Chine et l’Europe… Emmenée par Richard Perle, architecte en chef de la dernière guerre en date des Etats-Unis contre l’Irak, cette fine équipe était composée de James Colbert, du Jinsa [Jewish Institute for National Security Affairs – Institut juif pour les questions de sécurité nationale], Jonathan Torop, du Washington Institute for Near East Policy [Institut Washington pour (l’étude) des politiques moyen-orientales], rejet du vigoureux Aipac [American Israeli Public Affairs Committee], David Wurmser et Douglas Feith.
L’année suivante, les néocons lançaient le PNAC [Project for a New American Century – Projet pour un Nouveau Siècle (forcément…) Américain]. Ce PNAC en appelait à l’hégémonie mondiale des Etats-Unis : la « Pax Americana » (inspirée, sans doute de la Pax Romana, la culture en moins. ndt). Péremptoire, le PNAC proclamait : « La paix américaine a prouvé à quel point elle est pacifique (ouch !), stable (mhhh ?) et durable (éh béh !). Néanmoins, aucune phase, dans la politique internationale, ne saurait être congelée dans l’état où elle se trouve à l’instant T : la Pax Americana mondiale elle-même ne pourra pas se prolonger indéfiniment… Le nouvel ordre mondial doit s’appuyer, solidement, sur une prééminence militaire américaine incontestée… Le processus de transformation sera vraisemblablement (très) long, sauf si quelque événement cataclysmique et catalyseur venait à se produire – quelque chose comme un nouveau Pearl Harbour . »
Les épigones du PNAC, dont Wolfowitz, Donald Rumsfeld, Dick Cheney, Libby, Elliot Abrams et alii, acquirent un peu plus tard des positions de pouvoir, Bush Junior ayant conquis la Maison Blanche. Un peu avant, en 1998, ils avaient écrit à Clinton et aux chefs de groupes politiques du Congrès, afin de plaider l’élimination de Saddam Hussein du pouvoir et l’affirmation de la domination américaine au Moyen-Orient. Ils allaient devoir attendre deux ans [putain : deux ans !], jusqu’à l’ascension [je laisse « ascension », je trouve ça rigolo, ndt] de George W. Bush à la présidence américaine, en janvier 2001 et, surtout, la survenue de leur Aubaine (vous savez : le « nouveau Pearl Harbor »…) sous l’avatar des attentats du 11 septembre 2001. Le reste, comme on dit, appartient à l’Histoire. Ils furent convaincus, dès cet instant, que tout était en place et qu’ils pouvaient réaliser leurs rêves, sur une échelle encore beaucoup plus grandiose que celle qu’ils n’avaient osé imaginer dans les années 1992 – 1998.
Leur rêve est notre cauchemar : les Etats-Unis sont empêtrés dans un conflit aigu avec le reste du monde, le terrorisme prolifère et d’aucuns pensent (pire : disent) que, pour l’Empire américain, c’est le début de la fin. Pendant ce temps, le cœur de l’action collective planétaire, l’ONU, est en panne, avec parfois cent cinquante pays votant à la quasi-unanimité une résolution à laquelle ne s’opposent que les Etats-Unis et Israël (les deux « métropoles ») (avec le « renfort » occasionnel de l’Australie et – plus inquiétant pour le monde – de la Micronésie et des Iles Marshall).
Le résultat net est le suivant : terrorisme aggravé ; violence aggravée et déréliction dans des pays comme l’Irak, la Palestine et l’Afghanistan ; déficit commercial et budgétaire abyssal des Etats-Unis ; énorme endettement des pays du tiers-monde et des Etats-Unis (individus, entreprises, gouvernement) ; décimation de traités et d’obligations en matière environnementale et, l’armée états-unienne étant dispersée dans la quasi-totalité du monde : déstabilisation généralisée, quasi planétaire. Il ne s’agit là que de la rançon de la gloire, l’important étant, n’est-ce pas, que des groupes extrêmement sélectifs de Straussiens vendent leurs bouquins, exigent des émoluments exorbitants pour leurs conférences et décrochent des sinécures gouvernementales, distribuées au cours des partie de chaises musicales à Washington, District of Columbia.
Ces intérêts particuliers célèbreront leur « victoire », quel que soit le président qui occupera le bureau ovale de la Maison Blanche en décembre prochain. Si Kerry l’emporte, vous aurez au moins de la distraction, puisque vous pourrez observer une nouvelle équipe de néocons s’installer au pouvoir. Dennis Ross, partisan effréné d’Israël, qui fut envoyé spécial américain au Moyen-Orient sous Bush Père et Clinton, pourrait être nommé secrétaire d’Etat, ou choisi pour un poste d’un niveau non inférieur à celui-là. Martin Indyk, autre pro-israélien fanatique, qui fut nommé ambassadeur américain en Israël par Clinton, pourrait devenir le nouvel envoyé spécial américain au Moyen-Orient. Et ainsi de suite… Tant Kerry que Bush présentent les caractéristiques straussiennes classiques. Elles se manifestent avec un éclat particulier dans l’identité de leurs positions identiques sur l’Afghanistan, l’Irak, la Palestine et la Cour Internationale de Justice, pour ne citer que quelques-uns des sujets les plus cruciaux. De plus – et c’est sans doute plus inquiétant pour la survie de notre espèce – ni l’un, ni l’autre n’a la moindre intention de s’attaquer aux menaces mondiales pour l’environnement, dans lesquelles les Etats-Unis endossent pourtant une responsabilité énorme (comme on l’a déjà indiqué, les citoyens américains consomment plus de la moitié des ressources naturelles mondiales, bien qu’ils ne représentent qu’un vingtième de la population mondiale…). Evoquer de manière cosmétique la réduction de notre dépendance vis-à-vis du pétrole étranger ne saurait en rien représenter une alternative à la ratification des Accords de Kyoto, ni à l’examen sérieux des effets négatifs de la « mondialisation » – que les Administrations, tant démocrate que républicaine, appellent généralement « le libre écoulement » des richesses (bien entendu : libre écoulement des richesses… vers les Etats-Unis !) et, cela, tout en faisant absolument tout ce qui est possible et imaginable afin d’empêcher qu’il se passe quelque chose d’équivalent en ce qui concerne les travailleurs qui les créent, ces fameuses « richesses »... Les droits fondamentaux, tels que reconnus par la Déclaration universelle des droits de l’Homme (dont l’accès à la nourriture, à l’eau et aux soins médicaux) deviennent l’exclusivité des super riches.
Ce n’est qu’en réveillant l’opinion publique américaine, et en l’associant aux mouvements de résistance au sein de la communauté mondiale (dont la résistance irakienne) que cette chute vers l’abîme pourra être stoppée. Comme l’a dit quelqu’un : ceux qui ne sont pas effrayés n’ont tout simplement pas écouté. Mais aujourd’hui, de plus en plus de gens prêtent attention à ce qui se passe, et obtiennent leur information de sources alternatives (autres que, par exemple, ces officines de relations publiques que sont Fox et MSNBC). C’est notre avenir, collectif et de plus en plus interdépendant, qui est en jeu.
Sur un plan plus profond, psychologique, le choix que nous avons à opérer est un choix entre : penser, croire et agir en fonction des pires éléments de l’Histoire de l’humanité (c’est-à-dire, selon le modèle straussien) et : penser, croire et agir en fonction de la connaissance des accomplissements historiques du meilleur de l’humanité – et même, en osant imaginer et former des projets pour un futur meilleur. En d’autres termes : l’humanisme.
L’enjeu, en la matière, est rien moins que le choix entre une politique du pouvoir qui sacrifie la morale et la justice, et une voie d’avenir, fondée sur les droits de l’homme garantis à tous les hommes. Il se trouve que c’est aussi la seule susceptible de permettre à notre Planète de survivre.