12. Israël : Paris proteste contre des tirs de semonce au
passage d'un agent consulaire
Dépêche de l'agence Associated Press du vendredi 15 octobre
2004, 19h06
PARIS - Un char israélien a tiré des rafales de semonce alors
qu'un agent du consulat général français à Jérusalem s'apprêtait à franchir le
point de passage d'Erez séparant Israël de la Bande de Gaza, a affirmé vendredi
ministère français des Affaires étrangères.
Paris a "protesté vivement auprès de l'ambassade d'Israël en
France" et compte le faire également "sur place à Tel Aviv". "Ce type d'acte est
inacceptable, a fortiori lorsqu'il s'agit d'agents titulaires de passeports
diplomatiques ayant effectué toutes les formalités demandées par l'armée
israélienne", ajoute le Quai d'Orsay.
Il souligne dans un communiqué que "ceci est d'autant plus
préoccupant que ce cas n'est pas isolé. D'autres diplomates européens (les
nationalités n'ont pas été précisées, ndlr) ont subi de semblables difficultés".
"De telles menaces constituent des entraves inacceptables à l'exercice des
missions consulaires."
L'incident se serait produit mercredi. Le consul adjoint avait
"suivi l'itinéraire convenu avec l'armée israélienne" quand, alors qu'il se
trouvait à "une vingtaine de mètres" du char, celui-ci a tiré, a précisé le
porte-parole du ministère, Hervé Ladsous.
13. Les évangéliques conservateurs, fer de
lance de Bush - Entretien avec Tarek Mitri propos recueillis par Anne
Kauffmann
in La Tribune de Genève du 14 octobre
2004
Le président a convaincu ces protestants fondamentalistes qu’il
est l’un d’entre eux. Notamment grâce à un langage où ils se reconnaissent et
qui les fédère derrière lui.
George Bush leur doit probablement son élection, il y a quatre
ans. Dans moins de trois semaines, ils voteront à nouveau massivement pour lui.
«Ils», ce sont ces protestants qui prennent la Bible au pied de la lettre,
militent pour une société plus conforme à leurs valeurs absolues et apportent un
soutien indéfectible à Israël. Qui sont-ils et jusqu'où va leur influence à
Washington?
C'est ce qu'explique Tarek Mitri, un sociologue des religions, dans Au nom
de la Bible, au nom de l'Amérique, un livre-clé pour comprendre les relations
particulières qu'entretiennent, outre-Atlantique, Eglises et Etat depuis la
fondation des Etats-Unis.
- Il y a des séances de prière à la Maison-Blanche et dans
certains ministères, Dieu est cité dans de nombreux discours… Est-ce que la
religion donne désormais le ton à Washington ?
- En Europe, on
a tendance à sous-estimer la place de la religion en politique. Notamment aux
Etats-Unis. Mais maintenant, c'est l'excès contraire! Dans le cas précis, ce qui
surprend ici, c'est que le président Bush affiche ses convictions religieuses et
qu'il s'identifie à la mouvance évangélique conservatrice qui s'est politisée et
est montée en puissance depuis les années 70.
- Combien d'Américains en font partie ?
- Il
est difficile d'être précis puisqu'il existe de nombreux courants évangéliques
conservateurs et qu'il n'y a aucune structure institutionnelle qui les rassemble
tous. Mais on estime leur nombre à environ 40 millions de personnes, soit
environ la moitié des protestants américains.
- George Bush est-il lui-même un de ces «ultras»
?
- Non, ce n'est pas un évangélique conservateur typique.
C'est avant tout un homme politique. Voyez ce qui s'est passé avec la décision
d'envahir l'Irak. Il dit avoir décidé au nom des intérêts de l'Amérique et
ensuite seulement avoir prié Dieu pour qu'il le soutienne. Ce n'est pas la
démarche d'un fondamentaliste. Mais il a convaincu les évangéliques
conservateurs qu'il est l'un d'entre eux. Notamment grâce à un langage où ils se
reconnaissent et qui les fédère derrière lui.
- Est-ce que cette mouvance conservatrice a marqué des points
sous sa présidence ?
- Leur bilan est en demi-teinte. Sur le
plan intérieur, ils ont un poids électoral important. Ils dirigent le Parti
républicain dans 18 Etats sur 50 et représentent 40% de son électorat national.
Mais ils ne parviennent pas à imposer leur agenda politique qui comprend
notamment l'interdiction de l'avortement et l'obligation de la prière à l'école.
Je ne pense pas que les Etats-Unis sont devenus plus religieux qu'ils ne
l'étaient auparavant. Dans le pays, leur influence politique n'est pas
proportionnelle à leur pouvoir électoral.
- Et en politique étrangère ?
- Là, c'est
autre chose. Les évangéliques conservateurs apportent avant tout un soutien
inconditionnel à la politique israélienne. Ils en sont devenus des lobbyistes
très efficaces et influents. C'est d'ailleurs la seule force non juive qui se
soit organisée dans ce but.
- Pour quelle raison ?
- Parce que les
évangéliques conservateurs appréhendent cette région du monde à travers les
prophéties bibliques. Pour eux, l'existence de l'Etat d'Israël est la preuve que
Dieu tient ses promesses et qu'il réalise son dessein pour l'humanité. De leur
point de vue, par exemple, il faut soutenir la politique de colonisation. Plus
Israël s'étend, plus il se rapproche de la dimension de l'Israël biblique et
plus la fin des temps et le retour de Jésus s'approchent.
- Comment voyez-vous leur avenir aux Etats-Unis
?
- Je pense que leurs rangs cessent de grossir. Et que, sur le
plan intérieur, leur méfiance traditionnelle envers la politique réapparaît. Un
très grand nombre de leurs pasteurs ont ainsi très mal pris la lettre que Karl
Rove, le stratège électoral de George Bush, leur a écrite en leur demandant
d'appeler leurs fidèles à voter pour le président. Les évangéliques
conservateurs vont bien sûr voter en masse pour lui, mais là, ils se sont sentis
utilisés!
["Au nom de la Bible, au nom de l'Amérique" de
Tarek Mitri aux éditions Labor et Fides - 220 pages - ISBN
: 2830911385 - 31 CHF (Octobre 2004)
Comment se fait-il qu’aux Etats-Unis, une société qui
sépare clairement religion et Etat, la religion puisse être aussi forte et
dynamique? La question que posait Tocqueville reste d’une totale actualité. A
l’issue d’un survol historique qui situe les rapports de la société américaine
avec le religieux, il s’agit de mieux comprendre comment l’Amérique de l’après
11 septembre réagit à l’islam et aux musulmans, comment la guerre contre l’Irak
a divisé les chrétiens. Tarek Mitri nous aide ainsi à saisir l’évolution des
rapports de force entre libéraux et conservateurs, les relations entre
évangéliques conservateurs, Israël et la communauté juive américaine, ou encore
les effets de la politisation des évangéliques conservateurs sur la vie publique
et sur eux-mêmes.
Tarek Mitri est responsable des relations
avec les musulmans au Conseil œcuménique des Eglises (COE) à Genève. Il enseigne
à l’Université de Balamand au Liban. Il a enseigné la sociologie des religions à
l’Université Libre d’Amsterdam, à l’Université de Genève et, en 2003, à
l’Université de Harvard.]
14. La Grande Congélation par Ari
Shavit
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du vendredi 8 octobre
2004
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Dans un certain sens – superficiellement,
j’en conviens – Ariel Sharon et Dov Weisglass forment un couple étonnant. Sharon
est un gaucho du Néguev occidental, tandis que Weisglass est un avocat de la Rue
Lilienblum, à Tel-Aviv. Sharon est le fils d’un agronome russe, alors que
Weisglass est le fils d’un marchand de fourrures polonais. Sharon est la chair
de la chair du mouvement de colonisation agricole, combattant et enraciné, alors
que Weisglass est l’incarnation de la bourgeoisie immigrée spéculatrice. Sharon
est un digne cow-boy du sionisme de la Frontière (au sens du Far West des «
westerns », ndt). Weisglass est un parangon du sionisme de
l’immobilier.
Toutefois, dans un autre sens – plus profondément – la
motivation de l’idylle entre le gentleman-farmer et l’avocat est parfaitement
claire. Entre le bagarreur et le pacificateur. Entre l’authenticité crasse de
Sharon et les petits soins de Weisglass : à l’époque où Sharon était un lépreux
totalement infréquentable, après Sabra et Chatila, Weisglass ne l’abandonna pas.
Quand Sharon se retrouva sur un champ de bataille tout à fait nouveau pour lui,
sur lequel il était complètement paumé (commission d’enquête, tribunaux,
presse), Weisglass livra son combat pour lui. Sharon ayant fini par comprendre
que le monde avait changé, qu’il serait désormais gouverné par des
méga-autorités d’un genre inédit (Aharon Barak, Time magazine, Yedioth Ahronot),
il comprit aussi que Weisglass était La personne qui saurait comment le
représenter devant ces nouvelles super-autorités. Il comprit que Weisglass, le
complétant, lui était indispensable.
Ainsi, au fil des années, se développa
chez le commandant rural une dépendance croissante vis-à-vis de son avocat de
Tel-Aviv, qui devint son avocat personnel, l’avocat de sa famille, et enfin
l’avocat de sa politique. L’avocat qui représente Sharon, depuis deux ans et
demi, devant la méga-authorité américaine, l’avocat qui, depuis deux ans et
demi, en tant que principal conseiller officiel du Premier ministre, a conduit,
quasiment à lui tout seul, les délicates relations entre la Maison Blanche et le
Ranch des Sycomores. Autant dire : entre les Etats-Unis d’Amérique et l’Etat
d’Israël.
Alors, est-ce Dov Weisglass qui a réussi à renverser la politique
de Sharon ? Dov Weisglass est-il cette éminence grise qui a imposé à l’Empereur
des Colonies la décision d’évacuer… des colonies ? Les colons en sont absolument
persuadés. Ils sont certains que Weisglass est un Raspoutine retors, et qu’il a
trouvé quelque formule obscure qui pousse le tsar à faire des choses que le tsar
en personne, de lui-même, n’aurait jamais faites. Toutefois, l’intéressé
lui-même, Weisglass, rejette ces allégations d’un haussement d’épaule. Il ne
dément pas avoir soutenu le retrait, depuis le début. Il ne cache pas le fait
qu’il a mis toutes les données sur le bureau de Sharon. Le problème politique,
le problème économique, le problème des soldats refuseniks. Et il a fait
comprendre très clairement au boss que la communauté internationale ne
laisserait jamais tomber. Que les Américains ne pourront pas nous soutenir à
bout de bras ad vitam aeternam. Mais ce n’est pas moi qui ai pris la décision
finale, dit Weisglass. La décision a donc été prise par le Premier ministre.
Pendant que lui, le chef de bureau, était simplement là, à ses côtés. Lui,
l’avocat fidèle, s’est contenté de venir s’asseoir à côté de son client, tout au
long de l’ensemble du processus… Mmmh…
Weisglass est né à Tel-Aviv, en
octobre 1946. Il a passé son enfance, et fréquenté l’école, à Ramat Gan, dans
les années 1950, au sein d’une famille qui passa très rapidement de la pauvreté
à l’opulence. A dix-neuf ans, il étudiait déjà le droit. A vingt-quatre, il
travaillait dans le cabinet juridique Moritz-Margolis. Treize ans plus tard, il
acheta (conjointement à son associé Ami Almagor) ce cabinet à ses fondateurs, et
il en fit l’une des premières entreprises de conseil juridique du pays. En 1980,
il représenta Yitzhak Rabin contre l’hebdomadaire français L’Express. En 1983,
il représenta Sharon face à la Commission Kahan, qui enquêtait sur les massacres
de Sabra et Chatila. En 1985 – 86, il représenta Sharon dans son procès contre
le Time magazine (Sharon attaquait l’hebdomadaire, dont une enquête l’impliquait
directement dans les massacres).
Au début, il s’était spécialisé dans la
représentation de membres des services de sécurité qui furent amenés à témoigner
devant des commissions d’enquête (Yossi Ginossar, Shaul Mofaz, Hezi Callo, Alik
Ron). Puis il se spécialisa, en plus, dans la représentation de directeurs
généraux des ministères accusés de corruption (Shimon Sheves, Moshe Leon,
Avigdor Lieberman). Parmi ses clients, également : Ehud Yatom, Rafi Eitan et
Avigdor Kahalani. Et aussi le service de sécurité Shin Bet et l’agence de
renseignement Mossad. Sans oublier le mouvement kibbutzique.
Ses détracteurs
se répandent, clamant que Weisglass n’est pas un juriste distingué, qu’il est
bordélique, superficiel, qu’il a la gâchette facile, et qu’il lui manque une
aura de dignité et un centre de gravité moral. D’autres, toutefois, relèvent son
bon sens, sa compréhension humaine. Et nul ne doute de sa capacité de charmer
les gens qu’il juge importants. Ni de son art de conclure un marché, de recoller
les pots cassés, d’appeler les gens qu’il faut au téléphone, juste au moment où
il faut que cela soit fait, et pas à un autre. Parce que notre avocat au mille
chapeaux n’est pas seulement un type très cordial, c’est aussi quelqu’un qui a
un sérieux carnet d’adresse dans l’establishment israélien, en long et en
large.
Nous entamons notre conversation dans un café de Tel-Aviv, puis nous
nous rendons dans son bureau décrépit, sis rue Lilienblum. Pantalons gris,
chemise blanche, son crâne dégarnit brille. Il fait plus que son âge. Très vite,
cependant, il me submerge de ses connaissances historiques encyclopédiques et de
sa culture de mélomane. Il tient fermement les manettes, et on peut aimer ça, ou
pas : en tous les cas, nul ne peut l’ignorer, car ce fait est en train de donner
forme, en cet instant même, à la réalité que nous connaissons.
Tous les jours, il téléphone à
Condy
- Parlez-moi de Condoleezza Rice. Quelle sorte de
femme est-ce ?
« C’est une femme étonnante. Intelligente,
élégante, très honnête. A la fois éduquée et extraordinairement agréable. Mais,
en-dehors de cette incontestable courtoisie et de sa profonde culture, elle peut
aussi être très ferme. Elle peut, parfois être intraitable. »
-
Elève-t-elle parfois la voix contre vous ? Elle vous engueule ?
« Qu’entendez-vous par « élève-t-elle la voix ? » Je suis plus âgé
qu’elle, vous savez… Les Américains ne se parlent pas entre eux comme nous
le faisons, nous, ici, en Israël… »
- Parlez-moi de la dynamique
de votre relation, s’agit-il d’une relation sortant de l’ordinaire, ou non
?
« Je suis en permanence en contact avec Rice. En temps de
crise, cela peut être tous les jours : nous nous parlons au téléphone. En des
temps plus calmes, nous nous appelons au moins une fois par semaine. Je la
rencontre en moyenne une fois par mois. Depuis mai 2002, je l’ai rencontrée plus
de vingt fois. Et chacune de ces rencontres a été une véritable rencontre de
travail. La plus courte a quand même duré une heure et demi… »
-
Comment vous appelle-t-elle ?
« Dubi »…
- Et
vous, comment l’appelez-vous ?
« Condy
»…
- Et comment ça se passe, entre vous ?
« Le
canal entre Rice et moi a deux objectifs principaux. Le premier, c’est de faire
avancer les processus initiés, d’examiner nos idées et les leurs. La feuille de
route, par exemple, ou le projet de désengagement [de Gaza, ndt]. Mais son autre
fonction, tout aussi importante, c’est de faire la chasse aux ennuis. Si quelque
chose se produit – une opération militaire inhabituelle, un accrochage, un
assassinat ciblé, réussi ou non – elle m’appelle, avant que ça n’est tourné à
l’imbroglio, et elle me dit : « On a vu tel ou tel truc sur CNN… Qu’est-ce qu’il
se passe ? » Alors, je lui dis : « Condy, tu me donnes dix minutes, comme d’hab
? » Alors elle rigole, et nous raccrochons. Dix minutes plus tard, après que
j’ai élucidé ce qui s’est passé, je la rappelle, et je lui dis tout. Toute la
vérité. Je lui dit, et elle note : c’est ce que nous avons décidé d’un commun
accord, et c’est comme ça que ça se passe. Elle ne se braque pas. Elle nous
croit sur parole. La suite, c’est le contrôle des dégâts… »
- Et
pourtant Rice a l’air d’une cookie trop dure. Vous pouvez lui parler comme ça,
librement ? Vous pouvez lui raconter les blagues que vous aimez tellement
raconter ?
« Nous plaisantons en permanence. Toujours. Quand
je suis à Washington, je lui raconte ce qui se passe en Israël. Je parle
librement. Presque de la même manière que je vous parle, en ce moment. Il n’y a
pas de crainte, pas de protocole. Chacun interrompt l’autre. Je n’irai pas
jusqu’à dire que nous sommes des potes, mais notre relation de travail est très
amicale. »
- Diriez-vous que le canal Weisglass-Rice est un atout
stratégique ? A-t-il fini par rendre Dov Weisglass indispensable
?
« Comme vous le savez, les cimetières sont remplis de gens
indispensables. Je ne veux pas me vanter. Mais l’importance de cette relation,
c’est qu’elle permet au président de parler au Premier ministre et au Premier
ministre de parler au président sans qu’ils aient à se parler directement. Vous
devez comprendre que les présidents et les premiers ministres ne palabrent pas
tous les jours. Pour le président, téléphoner au Premier ministre, c’est un
véritable événement. C’est un acte qui revêt une importance étatique. Aussi, ce
genre de conversation est extrêmement lourd. Dans une large mesure, ce sont des
conversations contraintes. Alors que, par notre canal, tout est plus direct. Et
immédiat.
Pour les Américains, c’est pratique : ils savent (parfaitement)
qu’ils ont quelqu’un qui a la tête coincée non pas (seulement) entre les
mâchoires du lion, mais carrément dans le gosier du lion. Cela nous convient
aussi, de notre côté. Cela nous permet de leur parler en temps réel, de manière
informelle. Quand ma conversation avec Condy prend fin, elle sait que je n’ai
que six pas à faire pour me retrouver dans le bureau de Sharon, et je sais
qu’elle n’a que douze pas à faire pour se retrouver dans le bureau de Bush. Cela
crée une relation intime entre les deux bureaux, et cela évite mille goulets
d’étranglement. »
- En somme, à la Maison Blanche, vous faites
partie de la famille ?
« Vous savez, quand vous allez à la
Maison Blanche, la première fois, vous avez le cœur qui bat un peu la chamade.
Ceux qui vous diront le contraire ne sont pas sincères. Après tout, c’est là que
réside le chef exécutif du monde. Mais aujourd’hui, après vingt visites, j’y
évolue tout à fait à l’aise. Ils me connaissent bien, depuis le Marine en
sentinelle à l’entrée jusqu’aux secrétaires et au dactylos. Et cela me rend la
tâche beaucoup plus facile. Quand vous êtes terrorisé, comme un avocat faisant
sa première plaidoirie devant un tribunal, vous bégayez et vous oubliez les
remarques que vous aviez prévu de formuler. Au bout d’un certain temps, vous
vous sentez libre et détendu, et croyez-moi, c’est un avantage énorme. Nous
parlons totalement à bâtons rompus. Je lui dis que telle chose est correcte, et
que telle autre chose ne l’est pas. En totale liberté. »
-
Avez-vous déjà eu l’occasion de rencontrer le président Bush
?
« Oui. Mais je n’en parlerai pas. Des rencontres non
planifiées avec le président, ce sont des choses dont on ne peut pas parler.
Pour eux (les Américains), on ne cafte pas : c’est le saint des saints
».
- Quelle impression vous a-t-il faite ?
« Le
président est quelqu’un qui a un charme fou. Il est concentré. Il a un grand
contrôle de soi. Et un très grand sens de l’humour. Il adore les blagues.
»
- Et les vôtres, il les apprécie ? Quand il vous
voit, espère-t-il que vous allez lui en raconter une des bien bonnes que vous
tirez de derrière les fagots ?
« Il a même raconté certaines de mêmes blagues à d’autres. Après
ça, nous les avons réentendues, de seconde, voire même de troisième main…
»
- On dit qu’il est un peu « limité »
?
« Pourquoi : « limité » ? Parce qu’il ne souvenait plus du nom
du président de la République Tchèque ? C’est une critique vraiment primitive.
Le président Bush est un homme de caractère, il a sa propre vérité intérieure.
Il est sûr de lui, calme, souriant. Il a conscience du pouvoir qui est le sien.
Il y a beaucoup de points communs entre la façon dont il gère les choses et
celle dont Arik [Sharon] le fait. Tous deux sont des hommes qui ont une certaine
maturité intérieure. »
- Qu’en est-il de leur grande différence d’âges et
d’expériences ?
« C’est vrai. Mais je ne vous parlerai pas de la façon qu’a le
président Bush de régler les questions de sécurité sociale en Amérique. En
revanche, dans les questions qui nous concernent, il a une vision du monde
extrêmement claire. Comme Arik, il a horreur de la violence ; il a horreur de
tout ce qui a un rapport, de près ou de loin, avec le terrorisme ou le recours à
la force. Et il a horreur des gens qui mentent ou qui ne tiennent pas parole. Il
n’accepte pas ce style politique, propre au Moyen-Orient, où vous dites ce qui
vous passe par la tête, et puis vous l’oubliez. De ce point de vue, il est très
américain. Il ne tolère pas les propos dans le vide. Il ne supporte pas le
baragouinage moyen-oriental, avec rien derrière. »
- Voulez-vous dire par-là qu’à un certain moment, au
cours des deux dernières années, les Palestiniens ont tout simplement perdu le
contact avec lui, qu’ils ont été effacés de sa carte du monde
?
« Je ne vous dirai rien qui n’ait été publié. Mais, d’après ce
qui a été publié, deux choses se sont produites. La première de ces événements,
ce fut l’histoire du transport d’armes à bord du vaisseau « Karine A ». La
seconde, c’est un certain document issu des services de renseignement que je lui
ai envoyé, et qui montre clairement qu’Arafat est parfaitement au courant des
implications financières du soutien aux attentats terroristes. Quand des choses
telles celles-là devinrent, au sujet de quelqu’un qui avait juré 16 000 fois aux
Américains qu’il ferait tout – absolument tout – pour lutter contre le
terrorisme, Arafat était rayé des listes. Dès cet instant, il était pour ainsi
dire mort. »
- Dans ce cas, c’est vous, qui avez amené les
Américains à adopter une politique très proche de la vôtre propre : sans Arafat,
sans terrorisme, sans Autorité palestinienne ?…
« Les
Américains ont été présents ici durant quatre mois, en 2003. Par l’intermédiaire
du vice-secrétaire d’Etat John Wolf, ils ont été impliqués dans le processus de
la manière la plus intime qui soit. Wolf rendait compte directement à Rice. Ces
quatre mois ont eu une valeur pédagogique extraordinaire. Les Américains ont vu
par eux-mêmes ce que les promesses les plus solennelles des Palestiniens
valaient, en réalité : rien. Ils ont vu les plans d’action détaillés des
Palestiniens et leurs splendides diagrammes, et ils n’ont rien vu en sortir.
Rien. Zéro. Nada. Ajoutez à cela le traumatisme des attentats du 11 septembre et
leur conviction acquise que le terrorisme islamiste, ne faisant qu’un, ne se
divise pas, et vous comprendrez qu’ils n’ont pas eu besoin de moi pour parvenir
aux conclusions auxquelles ils sont parvenus. Ils n’avaient nul besoin de nous
pour comprendre quel est le problème, de A jusqu’à Z. Aussi, quand nous sommes
allés les voir pour leur dire qu’il n’y avait aucun interlocuteur, en face, il
n’y a eu aucun problème : nous avons été compris. Ils le savaient déjà, qu’il
n’y avait personne à qui parler. »
La formule du formol
- C’est vraiment ce que vous pensez – et ce que
Sharon, pense, lui aussi – à savoir : qu’il n’y a personne à qui parler
?
« Nous sommes arrivés à cette conclusion après des années
passées à penser le contraire. Après des années de vaines tentatives d’entamer
un dialogue. Mais quand Arafat a sapé (et zappé…) Abû Mazen, à la fin de
l’automne 2003, nous sommes arrivés à la conclusion amère qu’il n’y avait
personne à qui parler, personne avec qui négocier. D’où le projet de
désengagement. Quand vous jouez en solitaire, quand il n’y a personne pour
s’asseoir en face de vous, à la table, vous n’avez pas le choix : vous
devez distribuer les cartes vous-même, sinon personne ne le fera. »
- Encore en 2001, vous pensiez autrement : vous avez
essayé de parvenir à un accord avec la direction
palestinienne…
« A cause de son réalisme tranché, Arik n’a jamais cru aux
accords définitifs : il ne croyait pas à l’approche où on règlerait tous les
problèmes d’un coup de cuiller à pot. Sharon ne pense pas qu’après un conflit
qui dure depuis cent quatre ans, il soit possible de venir avec un morceau de
papier qui règle tout. Il pense que l’autre côté doit, au préalable, subir un
changement socio-politique profond et généralisé. Mais quand nous entrions dans
le bureau du Premier ministre, il pensait toujours qu’il serait en mesure de
parvenir à un accord sur le très long terme. Un accord étalé sur 25, 20, 15, 10
ou cinq ans. Mais pas moins. Certains Palestiniens étaient en faveur du
règlement au cas par cas qu’avait proposé l’ex-Premier ministre Ehud Barak.
C’était les seuls Palestiniens avec qui ont pouvait discuter. Mais, nous
découvrîmes très rapidement que nous nous heurtions à un mur, que lorsqu’on
arrivait au centre de prise de décision (palestinien), il ne se passait plus
rien. »
- Néanmoins, en 2002, vous avez accepté l’initiative
du président Bush : la feuille de route, et le principe de la création d’un Etat
palestinien, n’est-ce pas ?
« Pendant de nombreuses années, l’opinion admise, dans le monde,
consistait à dire que les gens recouraient au terrorisme parce que leur
situation était déplorable et que, par conséquent, si l’on améliorait leur
situation, ils renonceraient au terrorisme. La supposition qu’ont faite les
Palestiniens consistait à dire que lorsque la majorité des Palestiniens aurait
obtenu satisfaction, en ayant un Etat, ils déposeraient les armes et que les
occupants et les occupés sortiraient de leurs tranchées et se sauteraient au
cou, pour s’embrasser. Arik pensait autrement. Il estimait que, chez les
Palestiniens, la majorité des gens n’avaient aucun contrôle sur une minorité
(dirigeante). Il était persuadé que la capacité d’une administration
palestinienne centralisée à imposer sa volonté à l’ensemble de la société
palestinienne était pratiquement inexistante. Il était convaincu que le
terrorisme palestinien est, pour partie, absolument pas politique, mais bien :
religieux.Par conséquent, leur accorder une satisfaction sur le plan de la
création de leur Etat ne résoudrait en rien le problème du terrorisme. C’est là
le fondement de son approche consistant à dire qu’il faut, toutes affaires
cessantes, éliminer le terrorisme, et seulement après, nous pourrons progresser
dans les négociations sur l’Etat palestinien. Il ne fallait pas donner une
tranche politique en échange d’une tranche d’arrêt du terrorisme, mais insister
sur l’assèchement total du marigot terroriste avant d’entamer un quelconque
processus politique.
Le discours du président Bush, le 24 juin 2002, exprima
exactement cette approche. Ce n’est pas nous qui l’avons écrit, mais il déclina
cette approche de la meilleure manière possible, à nos yeux. C’est la raison
pour laquelle Sharon a immédiatement repris à son compte le caractère implicite
de ce discours. Il le considéra comme un véritable tournant historique. Il y vit
un grand succès politique personnel. Pour la première fois, le principe était
admis avant même que nous soyons entré dans la salle de négociations : « Prière
de laisser les pistolets au vestiaire ! »
- Mais la feuille de route n’a-t-elle pas traduit ce
principe en un emploi du temps extrêmement chargé ?
« Arik aurait préféré que la première phase de la feuille de
route s’étende sur trois ans, la seconde sur cinq ans, et la troisième sur six
ans. Mais étant donné que cette feuille de route stipulait qu’elle était fondée
sur la réalisation de résultats et non sur le respect de dates couperets
sacro-saintes, il l’a acceptée. Il a compris que l’important, dans la feuille de
route, c’en était le principe. L’important, c’est la formule qui affirme que
l’éradication du terrorisme doit précéder le début du procès politique. »
- Si vous bénéficiez du soutien des Américains et si
vous avez arraché le principe de la feuille de route qui vous agrée, alors,
pourquoi le désengagement (de Gaza) ?
«Parce qu’en automne 2003, nous avons compris que tout était
bloqué. Et même si, selon la lecture de la situation faite par les Américains,
la faute en incombait aux Palestiniens, et pas à nous, Arik a compris que cette
situation ne pourrait pas durer. Qu’on ne nous foutrait pas la paix, qu’on ne
nous lâcherait pas les baskets. Le temps ne jouait pas en notre faveur. Il y
avait une érosion internationale, et une érosion interne. Sur ces entrefaites,
sur le plan intérieur israélien, tout s’effondrait. L’économie stagnait,
l’Initiative de Genève recevait un large soutien. Et puis nous avons été
atteints par ces lettres d’officiers, ces lettres de pilotes et ces lettres de
paras [il s’agit des déclaration de refus de servir dans les territoires]. Il ne
s’agissait pas de petits pédés avec des catogans teints en vert et un anneau
dans le nez, de ceux qui dégagent une forte odeur d’herbe. Non : il s’agissait
de jeunes gens comme ceux du groupe de Spector [Yiftah Spector, un pilote
renommé, qui a signé la lettre ouverte des pilotes de l’armée de l’air]. Nos
meilleurs jeunes gens, vraiment. »
- Durant ces mois-là, quel était votre principal
sujet de préoccupation, quel est le principal facteur qui vous a conduits à
adopter l’idée du retrait ?
« Notre principal souci était le fait que la formule du
président Bush était bloquée, et que cela allait entraîner sa ruine. La
communauté internationale allait dire : « Vous avez voulu la formule de Bush,
vous l’avez eue ; vous avez voulu essayer Abû Mazen, vous l’avez testé. Cela n’a
pas marché. Et quand une formule ne marche pas, dans le réel, vous ne pouvez pas
changer le réel : il vous faut changer de formule ! Par conséquent, le point de
vue – réaliste – d’Arik consista à dire qu’il était possible que le principe qui
avait pourtant été un achèvement historique de notre politique risquait d’être
anéanti – le principe de l’éradication du terrorisme, préalablement à tout
processus politique risquait d’être remis en cause. Et, avec l’annulation de ce
principe, Israël se verrait contraint à négocier avec les terroristes. Et parce
qu’une fois qu’on a entamé ce genre de négociations, il est très difficile de
les arrêter, le résultat aurait été un Etat palestinien + le terrorisme. Tout
ceci, dans très peu de temps. Pas dans des décennies, ni même des années : dans
quelques mois ! »
- Je ne vois toujours pas en quoi le plan de
désengagement pourrait y changer quoi que ce soit ? Quelle était son aspect le
plus important, de votre point de vue ?
« Le plan de désengagement, c’est le milieu de conservation de
la séquence principale. C’est la bouteille de formol dans laquelle vous mettez
la formule du président (Bush) afin de pouvoir la conserver pendant très très
longtemps. Le désengagement, en réalité, c’est ça : c’est du formol. Il fournit
la quantité de formol nécessaire pour s’assurer qu’il n’y ait pas de processus
politique d’engagé avec les Palestiniens… »
- Ce que vous dites-là signifie-t-il que vous avez
changé de stratégie, passant d’une stratégie d’ACCORD intérimaire à long terme à
une stratégie de SITUATION intérimaire à long terme ?
« L’expression américaine, pour cela, c’est : « trouver une
bonne place pour garer sa voiture ». Le plan de désengagement permet à Israël de
bien se garer, dans une situation intérimaire qui nous éloigne autant que faire
se peut de toute pression politique. Il légitime notre affirmation qu’il n’y a
aucune possibilité de négocier avec les Palestiniens. Il s’agit bien là, en la
matière, de la décision d’en faire le moins possible, afin de maintenir notre
position politique en l’état. La décision est auto-réalisatrice. Elle permet aux
Américains d’aller voir une communauté internationale furibarde et prête à
exploser, et de lui dire : « C’est ce que vous voulez ». Il replace l’initiative
entre nos mains. Il impose au monde de s’accommoder de notre idée, du scénario
que nous avons écrit nous-mêmes. Il place les Palestiniens sous une pression
terrible. Il n’y a plus d’excuses. Il n’y a plus de soldats israéliens perdant
leur temps. Et, pour la première fois, ils [les Palestiniens…] obtiennent une
tranche de territoire, d’un seul tenant (en plus, allongé… ndt) sur lequel ils
pourront se faire la course avec leurs Ferrari, d’un bout à l’autre. Et le monde
entier les regarde : eux, pas nous… Le monde entier est là, à se demander ce
qu’ils vont bien pouvoir faire de cette tranche de territoire… »
La manœuvre
du siècle
- Me permettrez-vous de vous rappeler qu’il y aura
aussi un retrait de la Cisjordanie ?
« Le retrait de la Samarie est purement symbolique. Nous l’avons
accepté à seule fin qu’on ne puisse pas venir nous dire que nous avons
considérons que nous avons satisfait à toutes nos obligations à Gaza, et que
cela s’arrête là. ».
- Ainsi, vous avez renoncé à la bande de Gaza afin
de sauver la Cisjordanie ? Le retrait de Gaza vise-t-il à permettre à Israël de
continuer à exercer son contrôle sur la plus grande partie de la Cisjordanie
?
« Arik ne considère pas Gaza, aujourd’hui, comme une zone
d’intérêt national. Par contre, c’est ainsi qu’il considère la Judée et la
Samarie. Il pense, à juste titre, que nous sommes encore très éloignés du temps
où nous pourrons parvenir à des accords définitifs, en Judée et en Samarie.
»
- L’évacuation des colonies de Gaza renforce-t-elle
les colonies en Cisjordanie ou bien, au contraire, les affaiblit-elles
?
« Cela ne nuit en rien aux colonies isolées et éloignées de tout
; cela est sans conséquences, pour ces colonies-là. Leur futur ne sera fixé
qu’après de nombreuses années. Quand nous parviendrons à un accord définitif. Il
n’est pas certain que toutes ces colonies seront capables de subsister, d’ici
là.
D’un autre côté, en ce qui concerne les grands blocs de colonies, nous
avons en main, grâce au plan de désengagement, une déclaration des Américains –
grande première historique – affirmant que ces colonies feront partie d’Israël.
Dans les années – peut-être les décennies – à venir, lorsque des négociations
seront tenues entre Israël et les Palestiniens, le maître du monde tapera du
poing sur la table, en disant : « Nous avons déjà dit, il y a dix ans de cela,
que les grands blocs de colonisation font partie d’Israël ! »
- Dans ce cas, Sharon peut dire aux dirigeants
colons qu’il évacue 10 000 colons, et que dans l’avenir il sera obligé d’en
évacuer encore 10 000, mais qu’il est en train de renforcer les 200 000
restants, c’est-à-dire, de les ancrer au sol ?
« Arik peut dire, honnêtement, qu’il s’agit d’une initiative
sérieuse, grâce à laquelle, sur 240 000 colons actuellement, au moins 190 000 ne
bougeront jamais de là où ils sont. Ils ne seront pas évacués. »
- Est-il en train de sacrifier quelques-uns de ses
enfants, afin de s’assurer que les autres resteront définitivement là où ils se
trouvent ?
« Pour le moment, il ne sacrifie personne, en Judée / Samarie.
Tant que ces territoires n’auront pas retrouvé le calme, et tant que des
négociations n’auront pas commencé, rien ne se passera. L’idée, c’est de se
battre, bec et ongles, pour la moindre implantation. Cette lutte pourra être
menée à partir d’une position beaucoup plus assurée. En effet, en ce qui
concerne les colonies isolées, il existe un engagement américain, qui dit que
nous ne nous en occupons pas pour l’instant. Par ailleurs, en ce qui concerne
les grands blocs de colonies, nous bénéficions d’une véritable assurance
politique : il y a un engagement américain comme il n’en a jamais existé
auparavant, qui protège quelque 190 000 colons. »
- Si ce que vous avancez est exact, les colons
eux-mêmes devraient organiser des manifestations de soutien à Sharon, parce
qu’il vient de rendre un énorme service à l’entreprise de colonisation
?
« Ils auraient dû venir faire la ronde autour du bureau du
Premier ministre, en effet… »
- Et Sharon lui-même n’a pas fait un virage à 180 °,
à la manière de De Gaulle. Il est resté loyal à l’approche du camp
nationaliste…
« Arik est le premier responsable qui a réussi à prendre à
bras-le-corps les idées du camp nationaliste et à en faire une réalité politique
qui est acceptée par le monde entier. Après tout, quand il a déclaré, voici six
ou sept ans, qu’il ne négocierait jamais sous le feu, il n’avait suscité que des
crises de fou-rire. Alors qu’aujourd’hui, cette même approche guide le président
des Etats-Unis. Elle a été adoptée à la Chambre des Représentants par 405 voix
contre 7, et au Sénat par 95 voix contre 5… »
- D’après vous, si je comprends bien, votre succès
majeur, c’est d’avoir légitimement gelé le processus politique
?
« C’est exactement ça. Vous savez, l’expression « processus
politique » désigne tout un tas de concepts et d’engagements. Le processus
politique, c’est la création d’un Etat palestinien, avec tous les risques que
cela comporterait, en matière de sécurité. Le processus politique, c’est
l’évacuation de certaines colonies, voire de toutes, c’est le retour des
réfugiés, c’est le partage de Jérusalem. Et tout ça, maintenant, c’est dans le
congélateur. »
- Mais, alors : vous avez réussi la manip du siècle
? Et tout ça, en ayant reçu l’autorisation et l’autorité nécessaires
?
« Quand vous parlez de « manœuvre », cela n’est pas très gentil.
On dirait que vous parlez d’une chose et que c’est une chose totalement
différente qui s’est produite. Mais c’est le nœud du problème. Après tout,
qu’est-ce que je ne cesse de crier sur les toits, depuis des années ? Que j’ai
trouvé le moyen, en coopération avec le management du monde, de faire en sorte
qu’il n’y ait plus de chronomètre. Qu’il n’y ait plus de calendrier régissant la
mise en application du cauchemar des colons. J’ai ajourné ce cauchemar,
indéfiniment. Parce que ce que j’ai effectivement négocié, avec les Américains,
c’est qu’une partie des colonies ne ferait jamais l’objet d’une quelconque
négociation, et que les autres ne feraient pas l’objet d’une quelconque
négociation avant que les Palestiniens ne se soient transformés en Finlandais.
C’est ça, que ça veut dire, ce que nous avons fait. L’important, c’est le gel du
processus politique. Et en gelant ce processus, vous empêchez la création d’un
Etat palestinien et vous empêchez toute discussion sur le devenir des réfugiés,
les frontières et Jérusalem. Effectivement, c’est tout ce package qu’on appelle
« Etat palestinien », avec tout ce que cela comporte, qui a été éliminé de nos
calepins. Définitivement. Qu’aurions-nous pu rêver de plus ? Les colons
auraient-ils pu obtenir plus ?
- Je reviens à ma question de tout à l’heure : en
échange de la cession de Gaza, vous avez obtenu le statu quo en Judée / Samarie
?
« Ah là là : vous continuez à utiliser la mauvaise
définition. La bonne définition de la situation, c’est que nous avons créé un
statu quo vis-à-vis des Palestiniens. Il y avait un package d’engagements très
difficile, dont on attendait d’Israël qu’il l’acceptât. Ce package, on l’appelle
« processus politique ». Il inclut des éléments que nous n’accepterons jamais,
et des éléments que nous ne pouvons pas accepter, actuellement. Mais nous avons
réussi à prendre ce package et à l’envoyer par-dessus les collines du temps.
Grâce à une gestion appropriée, nous avons réussi à éliminer la question du
processus politique de l’ordre du jour. Et nous avons appris au monde à
comprendre qu’il n’y a personne avec qui parler, en face. Et nous avons reçu un
certificat d’absence d’interlocuteur. Ce certificat, que dit-il ? Il dit : a) Il
n’y a personne à qui parler, en face ; 2) Tant qu’il n’y aura personne à qui
parler, le status quo géographique demeurera intact et 3) Le certificat restera
valable jusqu’à ce qu’il se produise ceci et cela = quand la Palestine sera la
Finlande. Ah, j’allais oublier encore un point : 4) Au revoir. Shalom ! »
Des conséquences dramatiques
- Duby Weisglass, le plan de désengagement sera-t-il
appliqué ?
« Je peux vous donner une réponse définitive en ce qui concerne
les intentions de Sharon. Son intention est totalement sincère. Il est
déterminé, et il est totalement résolu. Mais, contrairement à ce qu’affirment
certains, Sharon n’est pas un dictateur. Tout dépend du Comité central du
Likoud, et de la convention du parti. Je ne sais pas ce qui va se passer dans
ces deux instances. Je vois un alignement politique qui ne fournit pas au
dirigeant le crédit dont il a besoin, qui ne lui fait pas confiance, qui ne
pense pas qu’il sache où il va ni ce qui est bon pour le pays. »
- Sharon sait-il où il va ? Pouvons-nous nous en
remettre à lui ?
« Il a une vision du monde très cohérente. Et il a tout fait, il
a vu tout le monde, il a l’expérience de toutes sortes de situations. Donc, avec
lui, tout est sous contrôle. Tout est mené tranquillement, avec le langage
approprié, sans éclats de voix. Et ce calme donne un sentiment fantastique de
confiance en soi. Un sentiment qu’il y a quelqu’un, sur qui compter. Quelqu’un
qui sait ce qu’il va faire. »
- N’y a-t-il pas aussi de l’hésitation, chez lui
?
« Non. Il n’hésite jamais. Il est très sûr de lui. Mais, chez
lui, les processus sont organiques. Ce ne sont pas oranges. Tout est question de
maturation. Et là, il a eu, finalement, le sentiment des gens, de la terre, du
paysage. Mais il n’y a pas eu de lutte, chez lui, entre le cœur et l’esprit.
Chez lui, le cœur l’emporte toujours. Et quand l’esprit en est arrivé à la
conclusion que c’est ce qu’il fallait faire, il était clair qu’il le ferait. Au
fond de lui-même, il est bitahoniste [c’est-à-dire quelqu’un qui voit tout à
travers le prisme de la sécurité]. Il a un lien très fort à la patrie, à
l’histoire et aux lieux, mais son principe directeur est rationnel. Son axiome,
c’est : sauvegarder les vies du peuple juif. Tout le reste y est subordonné.
Tout le reste est secondaire. »
- N’êtes-vous pas préoccupé, néanmoins, à l’idée que
rien de tout ceci n’arrivera ? Que l’opposition politique ou une révolte
violente risquent de remettre en question le plan de désengagement
?
« Cela pourrait arrive. Quand j’entends les protestations et les
menaces, j’ai peur. Ce qui va se passer est loin d’être clair. Semblablement,
quand vous voyez le Premier ministre obligé de devoir faire face à toutes sortes
de factions au sein du Likoud, formées par des militants qui vont à la Knesset
lui casser du sucre, c’est frustrant. Et quand vous voyez celui-ci hurler, et
celui-là gueuler, et un autre l’affronter… Quand vous voyez qu’un mouvement
tellement essentiel risque d’être bloqué à cause de considérations personnelles
et émotionnelles qui n’ont tout simplement rien à voir… Parce que les gens ne
comprennent pas à quel point la situation à laquelle nous sommes aujourd’hui
confrontés est dramatique. Et parce qu’aucun mécanisme n’a été inventé, qui
puisse traduire politiquement le désir de la grande majorité des Israéliens qui
sont favorables à ce plan [de retrait]. »
- La situation est vraiment aussi dramatique que ça
?
« Si le plan de désengagement de Sharon était torpillé, cela
serait pour nous la cause de regrets éternels. Les points que nous avons
marqués seraient perdus. La communauté internationale perdrait patience avec
nous. Elle adopterait à notre encontre la même attitude que celle qu’elle
observe à l’endroit d’Arafat. Nous serions rapidement confrontés à un Etat
palestinien qui utiliserait le terrorisme contre nous et contre un monde qui
devient de plus en plus hostile. Nous serions plongés dans une véritable
tragédie.
»
15. Le cauchemar de Totor - Critique de
l’ouvrage Herzl’s Nightmare [Le Cauchemar d’Herzl] par Antony
Loewenstein
in The Sydney Morning Herald (quotidien australien) du dimanche
26 septembre 2004
[traduit de
l’anglais par Marcel Charbonnier]
("Herzl's Nightmare" par Peter
Rodgers aux éditions Scribe - 22 dollards)
Vivons-nous les derniers
jours du « rêve » sioniste ? La croyance que le peuple juif à la fois mérite et
a besoin d’un « foyer national » est dans l’air depuis plus d’un siècle, bien
que le conflit continu entre Israéliens et Palestiniens représente un profond
défi lancé à l’Etat créé en 1948, au milieu des cendres de
l’Holocauste.
Toute aussi importante est la question de savoir si des Etats
confessionnels sont encore d’actualité, en 2004 et, si tel n’est pas le cas, ce
qu’il en est d’Israël, du monde musulman et des pays catholiques ? Après tout,
un nombre croissant de personnes ne font-ils pas leurs dévotions devant l’autel
du laïcisme ?
Peter Rodgers, ancien ambassadeur d’Australie en Israël et
spécialiste du Moyen-Orient, retrace les origines du conflit le plus insoluble
de notre époque. Il explique de quelle manière la création d’Israël est advenue
moins d’un demi-siècle après que le thaumaturge du sionisme, Theodore Herzl, eut
couché par écrit les fondements de l’idéologie qui amena deux peuples – tous
deux historiquement lésés et incapables de vivre ensemble pacifiquement – à se
faire la guerre.
Rogers écrit : « Ce fut un triomphe total… sur les cendres
de millions de juifs européens, et aux dépens de la société palestinienne et du
nationalisme palestinien. Quel qu’ait pu être leur attachement pour la terre sur
laquelle désormais ils imposaient leur loi, quelque légitime eût été leur
revendication de cette terre, les juifs d’Israël avaient évincé un autre peuple,
lequel n’oublierait pas. »
Dans Herzl’s Nightmare, un accent particulier est
mis sur l’Israël post-1967, période marquée par l’occupation de la Cisjordanie
et de Gaza, régions qualifiées en 2002 « de société coloniale » par Michael
Ben-Yair (procureur général du temps du Premier ministre israélien assassiné
Yitzhak Rabin), lequel indiquait : « En fait, nous avons créé un régime
d’apartheid, dans les territoires occupés, immédiatement après leur conquête [au
cours de la guerre de juin 1967]. Ce régime oppressif existe encore aujourd’hui.
»
Pour Rodgers, « les colonies donnent aux Palestiniens une raison tangible
de continuer à haïr et à attaquer les Israéliens », et il souligne les
déclarations oiseuses des présidents américains et des dirigeants israéliens
successifs, qui estimaient la paix à portée de main, alors que « presque
quotidiennement, les Palestiniens voyaient plus d’un cinquième de la Palestine,
qui aurait pu devenir leur Etat, en train d’être phagocyté par des colonies ».
L’acceptation, par le président George Bush, du plan du dirigeant israélien
Ariel Sharon visant à amplifier la colonisation ridiculise totalement toutes les
soi-disant « feuilles de route de paix » du monde.
Rodgers fustige également
les dirigeants israéliens successifs qui ont fait montre, sans défaillir, d’un
mépris et d’un racisme virulents envers les Palestiniens. Prenons l’exemple de
Golda Meir, troisième Premier ministre israélien : « Qui sont-ils, les
Palestiniens ? Moi, je suis Palestinienne ! » Même le langage de la dispute fait
question, et cela n’est pas sans évoquer l’absurde guerre actuelle « contre le
terrorisme ». « La violence de l’adversaire était nécessairement « du terrorisme
» », écrit Rodgers, alors que « sa propre violence était de l’ « autodéfense »,
légitime, par conséquent. Les deux positions reposant, le plus souvent, sur le
socle rocheux d’une solide hypocrisie. Tant les juifs que les Palestiniens ont
eu recours au terrorisme pour atteindre leurs objectifs ». Cette liste
interminable inclut Yasser Arafat, le dirigeant de l’OLP, et tous les Premiers
ministres israéliens depuis 1948. C’est le genre de terrorisme qui n’est jamais
remis en question en Occident, parce que dans la plupart des cas il s’agit, en
fait de « notre » terrorisme, comme l’a dit à juste titre Johg Pilger. Combien y
a-t-il de personnes qui pensent que la violence sponsorisée par l’Occident, à
l’instar de celle d’Israël, s’assimile en quoi que ce soit à du terrorisme ?
Le combat pour sauver l’âme d’Israël semble plus illusoire aujourd’hui que
jamais. Tout en reconnaissant que les attentats kamikazes ont porté atteinte à
la cause palestinienne, au même titre que son leadership corrompu et inepte, les
conclusions de Rodger ne seront sans doute pas du goût des adulateurs de l’Etat
juif. Qualifier systématiquement la moindre critique formulée à l’encontre
d’Israël d’antisémitisme, afin de tenter d’étouffer tout débat, est une manœuvre
qui ne devrait plus être tolérée très longtemps par tous ceux qui recherchent
désespérément la paix dans cette région du monde.
L’ouvrage Herzl’s
Nightmare, de Peter Rodgers, est une plaidoirie formidablement agréable à lire,
qui permet de comprendre, et qui ouvrira les yeux des intransigeants de tous
poils. Permettez-moi, pour conclure, de citer l’homme politique israélien
Avraham Burg, qui a écrit, l’an dernier :
« Il s’avère qu’un combat
bimillénaire pour la survie des juifs a abouti à un Etat colonisateur, géré par
une clique amorale de hors-la-loi, aussi sourds envers leurs concitoyens
qu’envers leurs ennemis ».
16. "Je suis rentrée, le cœur brisé" -
Impressions de Palestine, pêle-mêle par Kathleen et Bill
Christison
on CounterPunch (e-magazine étasunien) du vendredi 24 septembre
2004
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
(Kathleen et Bill Christison sont d'anciens
analystes de la CIA.)
Un séjour de quelques semaines en Palestine représente toujours
une rude épreuve pour les sens et les émotions. Et après avoir effectué trois
voyages en Cisjordanie au cours des dix-huit mois écoulés, impossible de ne pas
tirer certaines conclusions. Pour la plupart des Américains, le onzième
commandement, consacré à la dimension politique du conflit palestino-israélien
est le suivant : « A Aucune Conclusion Tu Ne Parviendras ! ». Car les
conclusions – à savoir : qu’Israël veut la terre de Palestine débarrassée de son
peuple ; que les colonies israéliennes, les routes réservées aux seuls
Israéliens, les confiscations de terres, les démolitions de maisons, la
destruction de parcelles agricoles… finissent par constituer un véritable
ethnocide à l’encontre du peuple palestinien ; que l’occupation israélienne et
la boulimie d’Israël pour les territoires sont à la racine du problème et sont
la cause première du terrorisme – ces conclusions-là sont trop orientées, pour
la plupart des gens : elles décrivent avec une précision bien trop embarrassante
une réalité horrible qu’il est impossible d’ignorer.
En l’absence de
conclusions, les amis américains d’Israël peuvent continuer à vivre
confortablement dans le déni, en croyant que, bien que l’occupation soit sans
doute mal gérée, Israël reste en fin de compte bon et innocent, qu’il ne fait
que protéger sa sécurité, et que l’entièreté de la faute, dans ce conflit,
incombe aux seuls Palestiniens. Mais, quand vous êtes en Palestine, quand vous
voyez des oliveraies pluriséculaires rasées au sol par des bulldozers pour
déblayer le terrain pour la construction du Mur, lorsque vous voyez des pâtés de
maisons entiers, dans les villes, passés au bulldozer et détruites les maisons
où, la veille, vivaient des milliers de personnes, lorsque vous assistez en
direct à la démolition d’une maison, lorsque vous voyez d’immenses colonies
israéliennes et des dizaines de petits avant-postes saupoudrés sur les sommets
de toutes les collines, lorsque vous voyez des marchés fermés parce que le mur a
séparé les commerces de leurs clients, lorsque vous voyez la destruction, de
tous côtés – le déni n’est plus possible. Force vous est bien de conclure qu’il
y a, là derrière, un projet mûrement réfléchi. Il faut vous rendre à
l’impensable : Israël a été construit, depuis le début, sur les ruines d’une
autre nation ; Israël a fait rien moins que détruire un autre peuple afin de
disposer d’un Etat majoritairement juif ; et, décidément, non : Israël n’est pas
« moral », comme le clament ses amis et il ne s’agit en aucun cas d’une «
lumière éclairant les Nations »…
« Vous êtes la preuve que les Palestiniens ne sont pas
seuls au monde ! »
Ce qui est sans doute plus étonnant, c’est de rencontrer
tellement de personnes, des Israéliens aussi bien que des internationaux, qui
sont d’accord avec ces conclusions et qui parlent ouvertement, et presque
naturellement, du dégoût que leur inspire le sionisme et les failles inhérentes
au système qu’il a généré. Pour la deuxième fois de l’année, nous avons
rencontré, dans un camp de travail volontaire sponsorisé par l’ICAHD [Israeli
Committee Against House Demolitions – Comité israélien contre la démolition de
maisons] afin de reconstruire une maison palestinienne détruite récemment par
l’armée israélienne dans le village d’Anata, à côté de Jérusalem Est, beaucoup
plus de personnes dont nous pensions qu’il en existait, appartenant à plus
d’organisations que nous en connaissions, et qui œuvraient à dénoncer
l’occupation et aidaient les Palestiniens à faire face à l’expansionnisme
israélien. Ce sont des gens qui mettent en danger leur propre sécurité et qui
mettent de côté leur petit confort personnel afin d’aider des Palestiniens à
reconstruire et de les protéger contre l’agression des colons et des soldats
israéliens, de transmettre au monde le message des Palestiniens, d’être
solidaire avec eux, qui sont plongés dans le malheur. L’ICAHD lui-même, fondé et
financé par Jeff Halper, est tout à la fois une organisation militante et
éducative, avec un petit noyau d’experts israéliens et palestiniens, à commencer
par Jeff Halper lui-même, lequel connaît le moindre recoin des routes de
Cisjordanie, la moindre colonie, les détails de chaque plan israélien
d’expansion, chaque kilomètre du Mur de séparation…
Et il y a aussi un nombre
incalculable d’autres organisations militantes, dont International Solidarity
Movement [ISM], Christian Peacemaker Teams, Oecumenical Accompagniers (lesquels
accompagnent les Palestiniens dans les régions où la présence des colons
israéliens est particulièrement « pesante », pour user d’un euphémisme).
Certains de ces militant(e)s retournent en Palestine année après année, durant
leurs congés ou les vacances scolaires ; une femme Quaker était là pour son
neuvième été d’affilée. Les associations pacifistes israéliennes – dont
certaines, non sionistes, rejettent l’exclusivisme juif et sont prêtes à vivre
dans une Palestine où juifs et Palestiniens jouiraient des mêmes droits – ne
manquent pas et sont bien présentes et actives. Des volontaires internationaux
travaillent également aux côtés des organisations palestiniennes médicales et
sociales. Durant les deux semaines de notre camp de volontariat, nous avons
manipulé des parpaings et transporté du ciment, avec des volontaires français,
anglais, israéliens, palestiniens, canadiens, australiens, écossais, espagnols,
italiens, mexicains, suédois, sud-africains et américains – dont beaucoup, parmi
eux, travaillaient sur d’autres chantiers, avant et après notre camp. Un groupe
de Japonais venus aider des enfants de Gaza nous ont rejoints durant une journée
de dur labeur : il fallait voir ces maçons japonais : c’étaient d’authentiques
stakhanovistes !
Côtoyer ces personnes et ces associations vous donne un
sentiment de réelles possibilités existantes, un sentiment qu’avec des gens
aussi nombreux dévoués à ce que justice soit rendue aux Palestiniens, la lutte
ne saurait échouer. Mais le retour au pays vous ramène à la dure réalité… Cette
réalité, c’est que très peu d’Américains – et, en tous les cas, aucun homme
politique, de quelque couleur que ce soit – en ont quelque chose à cirer. La
dure réalité, c’est que tant John Kerry que George Bush se moquent éperduement
du nombre de Palestiniens tués tandis qu’ils louangent Ariel Sharon pour ses
efforts visant à « assurer la sécurité d’Israël », de même que peu leur chaut le
nombre de Palestiniens dont l’existence et le gagne-pain ont été anéantis
lorsque des maisons ont été confisquées ou démolies, des terres agricoles et des
serres passées au bulldozer et des puits détruits, pour dégager le plancher pour
le mur, ce mur que Kerry, exactement comme Bush, considère comme une innovation
merveilleuse dans la manière qu’a Israël de « faire la paix ». La triste
réalité, c’est que plus de 90 % de nos représentants au Congrès votent avec une
régularité confondante en faveur de la strangulation délibérée du peuple
palestinien !
Combien sont-ils ignorants, tous ces politiciens censés nous
représenter, des réalités de la vie sous la domination d’Israël. Combien
sont-ils ignorants, tous, des faits : à savoir qu’Israël détruit ou vole
quotidiennement des maisons et des terres aux Palestiniens parce que les juifs
veulent ces propriétés ; que des kilomètres supplémentaires de la muraille
permanente et impénétrable de béton armé sont construits quotidiennement en
territoire palestinien ; qu’Israël a tué 385 Palestiniens, dont quarante enfants
de moins de quinze ans, au cours des derniers cinq mois et demi au cours
desquels les Israéliens ont bénéficié d’un répit dans les attentats suicides. Le
ratio des tués, 385 contre 29 – cela représente plus de deux Palestiniens tués
chaque jour, contre un Israélien tué chaque semaine – est bon pour Israël, et ce
qui est bon pour Israël, c’est bon pour les politiciens américains aussi… C’est
aussi bon pour les médias, qui sont mis en congé de reportage sur l’aspect
humain du conflit. Les Américains n’ont rien appris, de la part des médias
consensuels, au sujet de ces 400 nouveaux tués palestiniens.
Depuis notre
séjour en Palestine, l’an dernier, de nouveaux kilométrages de mur et de routes
réservées aux Israéliens ont été construits. De nouvelles destructions de
marchés et de domiciles sont intervenues. Mais très peu de tout ceci est évoqué
dans la presse bien-pensante. Durant deux semaines, en août dernier, les
militants de l’ISM ont organisé une marche non-violente longeant une portion du
mur, depuis Jénine, dans le Nord de la Cisjordanie, jusqu’à Jérusalem – chaque
jour, des dizaines de protestataires se contentant de marcher le long du mur –
mais très peu de gens allaient savoir cela en regardant les infos des télés
américaines, voire même en lisant le New York Times.
Combien cavalièrement
ignorent-ils – les politiciens, les médias et les amis d’Israël – que les
Palestiniens sont des êtres humains, qui ont des droits humains fondamentaux,
comme tous les membres de l’humanité ; combien cavalièrement excluent-ils les
Palestiniens, qu’ils jugent indignes de ces droits, qui nous sont garantis, à
nous, les Américains, et bien sûr, aussi, aux Israéliens : les droits à la vie,
à la propriété, à la recherche du bonheur, à la protection contre des
envahisseurs étrangers. Combien cavalièrement oublient-ils la décence humaine la
plus élémentaire ! Comme cet arbre qui tombe, proverbialement, dans une forêt,
nous autres, les volontaires internationaux et les associations pacifistes, nous
devons nous demander s’il y a quelqu’un, quelque part, qui nous entende
?
Toutefois, nous reprenons courage, en sachant une chose, en particulier :
les Palestiniens, eux, nous entendent, et après tout, c’est la seule chose qui
compte vraiment. Les Palestiniens savent que les volontaires de l’ISM restent
auprès des familles dont les maisons sont détruites au cours d’actions illégales
de punition collective perpétrées par les Israéliens, ce qui leur donne un peu
de force et un tout petit peu d’espoir. Les Palestiniens savent que des groupes
d’internationaux les aideront à récolter leurs olives, le mois prochain, dans
des régions où le mur empêche désormais les propriétaires palestiniens
d’oliveraies de s’y rendre. Les Palestiniens savent que des groupes chrétiens
protègeront leurs enfants sur le chemin de l’école, contre le harcèlement de
colons israéliens haineux et racistes. Les Palestiniens savent que des
volontaires de l’ICAHD reconstruiront une maison ici ou là, en un acte de défi
lancé à l’occupation et en solidarité avec eux. Les Palestiniens savent que tous
les Américains ne sont pas comme leur gouvernement, ni même comme la plupart de
leurs candidats d’opposition aux élections présidentielles. Salim Shawamreh,
dont la maison a été reconstruite, l’an dernier, grâce à l’ICAHD, et qui
appartient maintenant au conseil d’administration de cette association
humanitaire militante, a pris la parole lors de la cérémonie célébrant la fin
des travaux de reconstruction d’une nouvelle maison, cette année. Les
Palestiniens pensent souvent que personne, dans le monde, ne connaît ou ne se
préoccupe de leur calvaire, a-t-il dit, mais il a poursuivi – se tournant vers
les volontaires internationaux – en leur affirmant, rayonnant : « Vous êtes la
preuve que les Palestiniens ne sont pas seuls au monde ! »
« C’était le prix que le peuple devait payer, pour être
libre »
Le mur est « le plus grand crime contre l’humanité commis depuis
cinquante ans », a dit Juliano Mer Khamis, directeur du film documentaire sorti
récemment, Les Enfants d’Arna. Il s’exprimait devant les participants au camp de
volontariat, après la projection de son film bouleversant. Lui-même, il a une
puissante présence – élégant, énergique, en colère au nom des Palestiniens. Mer
Khamis est le fils d’Arna, qui a donné son titre au film : une juive
israélienne, née et élevée en Galilée, et d’un Palestinien de cette même région,
située dans le Nord d’Israël. Ses parents étaient communistes, ils n’ont jamais
été sionistes, et Arna a consacré une grande partie de sa vie au travail en vue
de la libération palestinienne. Durant de nombreuses années, seule l’identité
juive de sa famille eut un quelconque impact sur le fils : comme de nombreux
enfants de couple mixte, Mer Khamis commença par s’identifier de manière
agressive avec le pouvoir et la supériorité incarnés par sa judaïté, à tel point
qu’il s’engagea dans les paras israéliens afin de prouver à quel point il était
loyal à l’Etat juif. Jusqu’à, c’est-à-dire, ce fameux jour où, en mission sur un
checkpoint entre des « zones » « palestinienne » et « juive », à l’intérieur
même du territoire israélien, il fut confronté à toute une voiturée de parents
palestiniens éloignés, et où son officier supérieur lui donna l’ordre de les
humilier. Il refusa et il fila une torgnole à son supérieur, en conséquence de
quoi il passa dix-huit mois dans une prison militaire. Chez lui, tout changea :
sa manière de penser, son positionnement politique et le centre de son identité
personnelle.
Mer Khamis travailla au projet de sa mère : la création d’un
théâtre pour la jeunesse. C’est le sujet de son documentaire Les Enfants d’Arna.
Ce film retrace les efforts déployés par Arna, en 1994, afin de mettre sur pied
une troupe destinée à initier au théâtre des jeunes Palestiniens du camp de
réfugiés de Jénine. Bien que des filles aient participé également à cette
formation, le film se concentre sur une demi-douzaine de garçons palestiniens,
d’environ quinze ans. C’était une période, juste après la signature de l’accord
de paix d’Oslo, d’optimisme considérable, tant en Israël qu’en Palestine, et le
film montre des jeunes heureux, entièrement pris par leur formation de théâtre
amateur. Dix ans après, l’espoir et l’insouciance de ceux qu’on avait vu
travailler ensemble s’étaient taris. Arna est elle-même décédée d’un cancer, et
tous les adolescents palestiniens sont morts, sauf un : ils ont été soit la
cible d’assassinats israéliens, soit tués par l’armée israélienne durant le
siège de Jénine, en avril 2002, ainsi, pour deux d’entre eux, qu’au cours
d’attentats kamikazes à l’intérieur d’Israël. En voyant le visage de ces jeunes
garçons devenus des combattants mûris avant l’âge, les spectateurs ont les bras
qui leur en tombent.
Lorsqu’on lui demande, dans un débat faisant suite à la
projection de son film, s’il soutient les attentats suicides, Mer Khamis ne dit
jamais ni oui ni non : il répond à cette question en faisant une longue
description de la situation en Palestine. La Palestine, fait-il observer,
connaît une guérilla unique en son genre : il n’y a ni montagnes, ni jungles
dans lesquelles se cacher pour attaquer les Israéliens ou leur dresser des
embuscades. « Tout ce dont les Palestiniens disposent, ce sont les attentats
suicides ». Il fait observer que « l’Intifada des pierres », la première
Intifada, à la fin des années 1980, « où les Palestiniens mouraient devant la
caméra et où le monde entier compatissait » est devenue une Intifada armée,
après qu’Israël eut répliqué aux pierres lancées avec des rafales de
mitraillettes et de mitrailleuses : cela s’est produit lors du premier jour de
la Seconde Intifada, en septembre 2000. Israël n’a cessé de pousser les
Palestiniens toujours plus à bout, explique Mer Khamis, suscitant un
militantisme accru à chaque étape, afin de pouvoir justifier ses actions aux
yeux du monde entier. Ces actions allèrent jusqu’aux assassinats ciblés et,
peut-être pire encore, jusqu’au mur de séparation.
Un responsable officiel
israélien a convoqué Mer Khamis pour un rendez-vous après le lancement de son
film, pensant qu’il pourrait être utilisé à des fins de propagande
pro-israélienne, car il montre une Israélienne aidant des Palestiniens. Mais Mer
Khamis lui a répliqué que, loin d’ « aider » les Palestiniens avec paternalisme,
en réalité, Arna « renforçait ces garçons afin de les rendre aptes à lutter pour
leurs droits ». Elle avait tourné le dos au sionisme et elle se battait contre
Israël, au nom des Palestiniens. Les garçons qu’on voit dans le film sont
aujourd’hui presque tous morts, et Mer Khamis dit qu’à Jénine, aujourd’hui, ont
ne voit plus aucun jeune entre dix-huit et vingt-neuf ans. Mais, dit-il, «
c’était là le prix qu’il fallait payer, pour être libres ». Il a cité l’un de
ces garçons, lequel disait qu’il préférait mourir debout que vivre à genoux.
C’est la seule manière d’être libre, affirme Mer Khamis. (Sans doute, ni Mer
Khamis ni les adolescents de Jénine n’ont jamais entendu parler de Patrick Henry
ni d’aucun de ces autres héros révolutionnaires dont nous autres, les
Américains, prétendons vivre – entre nous, tout du moins – fidèlement à leurs
mémorables professions de foi de liberté).
Sur le long terme, Mer Khamis est
optimiste, pour les Palestiniens, mais il pense que le combat se poursuivra
encore durant des années. Les conflits ne peuvent être résolus qu’après avoir
atteint un apex, explique-t-il, et le rôle d’Ariel Sharon consiste à amener le
conflit actuel à son sommet. Mais avant de s’améliorer, la situation empirera.
La première Intifada a formé le leadership de la seconde, y compris les jeunes
adolescents du groupe de théâtre animé par Arna, adolescents dont certains sont
présentés en train de chanter un chant patriotique à la fin du film, et qui sont
en train d’être formés pour devenir les cadres de la troisième Intifada, le
moment venu, à l’avenir. On le voit : l’opitmisme est toujours là, mais il est
devenu hors de prix.
Petit a-parte : Un des adolescents est montré, dans le
documentaire, disant qu’il s’était méfié de Mer Khamis, au début du tournage,
parce qu’il était juif, jusqu’à ce qu’il ait fait la démonstration incontestable
de sa sympathie pour les Palestiniens. Interrogé, lors du débat, sur la raison
pour laquelle les jeunes Palestiniens se focalisaient sur sa judaïté, alors
qu’il est en réalité tout aussi palestinien que juif, Mer Khamis fit observer
que, pour les Palestiniens, Israël ne représente pas une culture, mais un
appareil d’oppression et que, lorsqu’ils entendent « juif », ils voient un
soldat. Ils ne sont pas antisémites de la même manière que beaucoup
d’Occidentaux le sont ; ils ne haïssent pas les juifs en général, ils ne
haïssent que les juifs qu’ils considèrent comme des oppresseurs. Mais c’est là,
en l’occurrence, malheureusement la seule facette du judaïsme qu’il soit donné
aux Palestiniens de voir.
Les conséquences inévitables du sionisme
Les jours de repos, au camp de volontariat, des membres de
l’ICAHD emmenaient le groupe effectuer des visites politiques dans les régions
palestiniennes et bédouines, en Israël. Ces excursions s’avérèrent des
illustrations dramatiques de la discrimination et du racisme inhérents à un
système taillé sur mesure afin de maintenir une majorité juive – un système basé
sur la supériorité des juifs sur tous les autres. Les Palestiniens, et parmi
eux, les bédouins, vivant à l’intérieur d’Israël sont (en théorie) des citoyens
de l’Etat d’Israël. Ils ont le droit de vote ; les bédouins, à la différence des
autres Palestiniens, effectuent le service militaire dans l’armée israélienne.
Toutefois, de par la loi et en raison d’arrangements institutionnels inhérents
au statut d’Etat majoritairement juif d’Israël, les Palestiniens et les
bédouins, parce qu’ils ne sont pas juifs, ne reçoivent rien qui ressemblât à des
droits égaux ou à des services auxquels des citoyens peuvent légitimement
prétendre de la part de leur Etat.
Non seulement sont-ils confrontés au genre
de discrimination de facto auxquels les Noirs étaient confrontés, aux
Etats-Unis, mais leurs écoles sont vétustes, leurs services municipaux sont
inadaptés, ils sont en bute à des discrimination à l’embauche, leurs villes sont
souvent situées à proximité de champs d’épandage de produits toxiques et
d’autres sites dangereux – mais, Israël étant un Etat explicitement juif, les
Palestiniens ne sauraient, de par la loi, bénéficier des services assurés par
l’Etat aux juifs, ce qui signifie que les Palestiniens ne peuvent acheter de
terres – même celles qu’ils possédaient avant la création d’Israël et dont ils
ont été dépossédés. Généralement, ils ne peuvent même pas louer des terres de
l’Etat. Ils ne sont pas autorisés, légalement, à s’installer dans des villes
israéliennes, ni dans les quartiers juifs des villes mixtes. Malgré un taux de
fécondité élevé et une population en croissance, les villes et villages
palestiniens ne peuvent élargir leur emprise municipale. Beaucoup de villes
palestiniennes ou bédouines ne sont pas reconnues par l’Etat, ce qui signifie
qu’elles ne bénéficient d’aucun service, quel qu’en soit la nature, du
gouvernement, y compris l’électricité et l’eau potable, et que leurs habitants
sont passibles de voir leurs édifices démolis, qu’il s’agisse de résidences, de
mosquées, d’écoles, voire de mairies. La politique gouvernementale d’Israël
consiste à encercler les villes palestiniennes de villes israéliennes afin de
limiter la croissance palestinienne. Dans certaines localités mixtes, les
autorités sont d’ores et déjà en train de construire des murs, afin d’éviter aux
juifs d’avoir à supporter la vision ou le « risque » d’avoir un quelconque
rapport avec leurs concitoyens palestiniens.
Plus significatif encore : de
par la loi, et parce qu’Israël se définit comme l’Etat de tous les juifs, où
qu’ils se trouvent dans le monde, et non comme l’Etat de ses citoyens, aucun
Palestinien, y compris ceux qui vivaient sur le territoire d’Israël avant 1948,
ne peut immigrer dans l’Etat juif. La seule manière, d’ailleurs, qui permit à
Israël de s’établir, en tant qu’Etat peuplé d’une majorité juive assurée,
consista à exproprier et à expulser la plupart des Palestiniens qui vivaient sur
son territoire antérieurement à 1948 ; Israël maintient sa majorité juive en
empêchant ces indigènes et leurs descendants de retourner chez eux.
Nous
avons pu constater certains des effets de ce racisme au cours d’un voyage dans
plusieurs villes bédouines du Néguev où, du fait que les villes ne sont pas
reconnues et les écoles ne sont pas construites, les enfants doivent marcher sur
des kilomètres, sous le cagnard du désert, avant d’atteindre leurs écoles dans
des villages, eux, reconnus ; des villes où les déchets chimiques et nucléaires
provenant du centre de Dimona et d’autres zones industrielles s’infiltrent dans
le sol, contaminant l’eau et les sols ; où des ordres de démolition sont
suspendus virtuellement, tels des épées de Damoclès, au-dessus de tous les
bâtiments ; où des Bédouins qui ont loyalement servi l’Etat en faisant leur
service militaire ne perçoivent aucune des allocations auxquelles les vétérans
juifs sont éligibles ; où les villes juives sont implantées délibérément de
manière à empêcher l’expansion des Bédouins.
Nous avons également visité la
ville palestinienne de Baq’a, dans le Nord d’Israël, où le mur de séparation a
coupé en deux une cité prospère, qui se trouve à cheval sur la frontière de
1967, une moitié du côté israélien, l’autre moitié du côté de l’extrémité Nord
de la Cisjordanie. (En 1948, Baq’a était une seule et même ville, mais elle fut
coupée en deux par la ligne d’armistice de 1949, la moitié occidentale restant à
l’intérieur d’Israël, tandis que ses habitants devenaient citoyens israéliens,
et la moitié orientale passant côté cisjordanien, sous le contrôle de la
Jordanie. Les moitiés occidentale et orientale furent physiquement réunies –
mais non pas légalement – après la conquête de la Cisjordanie par Israël, en
juin 1967, et la ville recommença à fonctionner essentiellement comme une unité,
jusqu’à ce que le mur ne vienne la scinder en deux irrévocablement.) En août
2003, dégageant le terrain pour le mur, des tanks et des bulldozers israéliens
ont détruit une place où se tenait un marché, à cheval sur la limite. Ce marché
en plein air, le plus animé et le plus actif de toute la Cisjordanie, était
fréquenté tant par les juifs israéliens que par les Palestiniens, venant tant
d’Israël que de la Palestine. Aujourd’hui, il a disparu, des deux côtés de la
frontière : près de cent cinquante étals et plusieurs maisons privées
d’habitation ont été démolis, et les quelques échoppes rescapées à la
destruction ont dû fermer, faute de clientèle.
Le mur, massif, d’une hauteur
de huit mètres, coupera la principale rue commerçante est-ouest et séparera des
familles, il empêchera des liens commerciaux et séparera la population de
prestataires de services indispensables. Un système d’autorisations ne permet
aujourd’hui qu’à guère plus d’une centaine de personnes dûment répertoriées, sur
une ville qui compte plusieurs milliers d’habitants, de passer d’un secteur à
l’autre, au travers d’un unique portail ménagé dans le mur, portail gardé par
des soldats israéliens. Notre groupe a laissé une trace de son passage, à l’insu
des soldats israéliens, en écrivant des messages de protestation sur le mur, en
plusieurs langues. Mais c’était là une infime victoire, comparée à la prise de
conscience du bousillage de vies qu’incarne le mur, et de la conscience
attristante qu’Israël traite ses propres citoyens de la même manière, mais quand
il ne s’agit pas de juifs.
Nous avons constaté une situation tout aussi
discriminatoire dans les villes jumelles de Lod et Ramléh, bien à l’intérieur
d’Israël, pas très loin de Tel-Aviv. Jadis villes entièrement palestiniennes,
elles furent toutes deux pratiquement vidées de leurs habitants palestiniens en
juillet 1948, grâce à une expulsion en règle menée par un futur Premier ministre
d’Israël : Yitzhak Rabin. Ceux des Palestiniens qui échappèrent alors à
l’expulsion, et leurs descendants, représentent de 25 à 30 % de la population de
chacune de ces deux villes, qui vivent, majoritairement, dans les bidonvilles de
ces villes peuplées par ailleurs d’immigrants juifs parmi les plus déshérités.
Ce sont les banlieues pauvres de Tel Aviv, et l’aéroport Ben Gourion, de
Tel-Aviv (avec ses nuisances) jouxte la ville de Lod.
Comme ailleurs en
Israël, les habitants palestiniens de Lod et de Ramléh ne peuvent étendre leurs
quartiers. Nous sommes passés, en voiture, dans un quartier résidentiel où les
autorités israéliennes avaient installé d’énormes blocs de rochers afin
d’empêcher les Palestiniens de construire quoi que ce soit. Des murs – pas si
hauts que le mur de séparation en Cisjordanie, mais tout aussi solidement bâtis
en béton armé – ont été érigés, dans l’une et l’autre ville, afin de séparer les
quartiers juifs des quartiers palestiniens. Plusieurs maisons palestiniennes
(mais aucune maison juive…) ont été démolies afin de permettre le passage du
mur. Notre guide, un Israélien sympathique préparant un doctorat en urbanisme
qui mettra particulièrement l’accent sur la manière dont Israël
institutionnalise ses politiques racistes, nous a fait remarquer un endroit, à
Ramléh, où les gamins palestiniens escaladent régulièrement le mur pour aller
jouer au foot ou au basket-ball, dans un champ, de l’autre côté, tout près d’un
quartier résidentiel juif. Les juifs sont outrés de voir que des enfants
palestiniens osent ainsi « envahir » leur quartier, et un responsable municipal
de Ramléh, interrogé par notre Mentor dans le cadre de la préparation de sa
thèse, lui a confié qu’il avait le sentiment d’avoir été poussé à la démission
de ses fonctions municipales parce qu’il n’avait pas réussi à maintenir les
gamins palestiniens à l’écart du côté juif. A Lod, l’armée et la police
israélienne ont carrément installé un check point, à un endroit, entre les
sections juive et palestinienne : ils y arrêtent les voitures et posent leurs
questions. Notre bus fut stoppé, et bien que nous ayons eu l’autorisation de
passer du côté palestinien, une jeep de l’armée a suivi en permanence notre bus,
tous gyrophares clignotant, jusqu’à ce que nous ayons dépassé les limites de
l’agglomération. A l’évidence, quand des étrangers sont témoins du racisme de
leur Etat, cela a tendance à rendre les Israéliens nerveux…
Toutes ces
mesures discriminatoires officielles, imposées par l’Etat, à l’encontre de la
population non-juive, sont les conséquences imparables de la création d’un Etat
sur la base de l’exclusivisme juif et de la loi imposant une majorité juive.
Pour les Israéliens, le plus ils peuvent maintenir les Palestiniens hors de leur
champ de vision et de leur esprit, le mieux c’est. Du point de vue juif, le fait
que les Palestiniens soient invisibles, c’est bien ; s’ils avaient totalement
disparu, ce serait le rêve. Mais c’est là quelque chose que les Israéliens n’ont
pas encore réussi à faire ; ils y travaillent. D’arrache-pied.
Afin de
compléter le tableau de l’impact du sionisme sur la population palestinienne
indigène, nous avons visité aussi les vestiges d’une ville palestinienne, en
Galilée, que l’armée israélienne a rayée de la carte, en 1948. Saffûriyyéh, à
environ vingt kilomètres au Nord de Nazareth, était une bourgade agricole de
plus de 4 000 habitants, dont l’histoire remontait à l’époque hellénistique. Des
fouilles archéologiques ont mis au jour les vestiges d’un amphithéâtre romain ;
les ruines d’une église remontant au sixième siècle sont très visibles ; au
dix-huitième siècle, un dirigeant ottoman y avait fait ériger une forteresse,
qui se dresse encore aujourd’hui au point le plus élevé de la localité. Les
forces israéliennes l’ont attaqué en juillet 1948, et la plupart des habitants
ont pris la fuite, en direction du nord, cherchant à aller se mettre à l’abri au
Liban. Ils furent très peu nombreux à rester ou à se ré infiltrer, mais d’après
l’historien israélien Benny Morris – qui n’est pas un ami des Palestiniens, mais
un historien honnête – les autorités juives voulaient les quelque 7 000 acres de
terres cultivées de Saffûriyyéh, qu’ils convoitaient afin d’y construire de
nouveaux villages israéliens. Elles redoutaient aussi que, laissée à elle-même,
la ville ne regagne sa population d’avant-guerre. Résultat : au début 1949, les
autorités emmenèrent les habitants palestiniens demeurés sur place dans d’autres
villages, après les avoir chargés dans des camions. Après quoi, elles
distribuèrent les terres entre trois villages agricoles israéliens, et elles
chargèrent l’armée de démolir les quelque 700 maisons de Saffûriyyéh…
Notre
groupe était piloté par un jeune homme, petit-fils d’habitants de Saffûriyyéh,
qui vit aujourd’hui à Nazareth, à travers des roseaux élevés et entre des
figuiers de Barbarie hérissés d’épines menaçantes – dans lesquels tout
Palestinien reconnaît un signe incontestable de la présence d’un village
palestinien abandonné – avant d’arriver enfin sur le site, abandonné depuis des
lustres, de Saffûriyyéh. Nous sommes restés un moment dans l’ancien cimetière,
pour regarder la colline qui constituait jadis la partie construite de la ville.
Notre jeune guide se tenait en face de la colline : il nous montra un grand
calendrier mural, orné d’une photo du même lieu, datant des années 1930. Sur
cette photo, on voit une ville de taille respectable, des maisons étagées au
flanc de la colline, des terres cultivées, en bas, et la forteresse ottomane,
carrée, au sommet. Aujourd’hui, la forteresse est toujours là, mais il n’y a
plus aucune maison ; le flanc de la colline a été densément planté de pins
financés et cultivés par le Fonds National Juif. Les Américains ont l’habitude
de ces campagnes juives, menées depuis des décennies, visant à recueillir des
fonds pour des plantations d’arbres en Israël, soi-disant afin d’aider les
Israéliens à « faire fleurir le désert ». A Saffûriyyéh, nous avons vu la preuve
de la tragédie humaine qui a permis la plantation de beaucoup de ces arbres. A
l’évidence, dans le contexte israélien, les arbres valent plus que les
Palestiniens. Encore une conséquence du sionisme.
La logique de l’occupation
Ayant projeté de visiter la petite ville palestinienne de
Zababdéh, au Nord de la Cisjordanie, un dimanche matin après la fin du camp de
volontariat, nous rencontrâmes l’arbitraire de la domination israélienne.
Invités à venir rendre visite à un prêtre catholique melkite, ami d’amis
américains, nous avons quitté Jérusalem à neuf heures du matin, en voiture.
C’est Ahmad, un ami palestinien qui conduisait : il détient une carte d’identité
de résident de Jérusalem, et les plaques d’immatriculation de sa voiture sont
jaunes – en plus de l’arabe, il parle couramment l’anglais et, ce qui ne
gâche rien, l’hébreu. Pour les Palestiniens, dans cet environnement quasi
surréaliste, l’origine de leur carte d’identité et la couleur de leurs plaques
d’immatriculation s’avèrent essentielles, s’ils veulent mener une vie aussi «
normale » que possible. Seule l’indication d’une résidence à Jérusalem permet à
un Palestinien de pénétrer dans cette ville sans permis spécial, difficile à
obtenir pour les autres. Quant à avoir des plaques d’immatriculation jaunes, par
opposition aux plaques vertes et blanches de la Cisjordanie, c’est le vade-mecum
du Palestinien s’il veut franchir la plupart des check points ou emprunter l’une
des nombreuses routes réservées aux colons israéliens.
Sortis de Jérusalem,
nous empruntons la route qui descend dans la vallée du Jourdain, et nous prenons
vers le nord une route parallèle au cours du Jourdain. Bien que considérablement
plus long, Ahmad estime que ce trajet est plus facile que celui consistant à
aller directement en Cisjordanie en prenant plein nord, car on peut ainsi éviter
le tristement célèbre check point de Huwwara, près de Naplouse, où les
militaires israéliens infligent usuellement un traitement très dur aux
Palestiniens. Après avoir roulé pendant environ une heure, nous tournons à
gauche, en nous dirigeant vers le cœur de la Cisjordanie, c’est-à-dire, là
encore, vers un inévitable check point… mais il s’agit de celui de Hamra. Après
l’avoir franchi, nous bénéficierons d’une route dégagée, « checkpoint-free »,
jusqu’à Zababdéh. Tout est calme, dans ce coin, il n’y a que quelques voitures,
dans les deux sens, attendant de pouvoir franchir le barrage routier. Nous
sommes au milieu de la matinée ; il commence à faire chaud, et les soldats
israéliens commencent à mourir d’ennui : ils sont de plus en plus nerveux. Notre
voiture s’approche du barrage, nous nous arrêtons. Les militaires commencent à
harceler Ahmad, qui finira par se résigner à couper le moteur. « Eteins ta clope
! Eteins ton moteur ! Ta carte d’identité ! Qu’est-ce que tu fous ici ? » Ahmad
reste poli. Obséquieux : certainement pas… Il éteint sa cigarette, mais en
demandant pour quelle raison il doit le faire. « C’est parce que vous, les
Palestiniens, on vous connaît : vous êtes bien capables de nous balancer votre
clope dans la tronche », répond le soldat, stupidement.
Ahmad explique la
raison de notre déplacement. Zababdéh est un village chrétien, le prêtre est
(par définition) chrétien, il n’y a pas de terroristes, là-bas, nous sommes
Américains. Les militaires disent qu’il est hors de question que des gens qui
ont une carte d’identité de Jérusalem et des étrangers entrent en Cisjordanie.
Bien entendu, cela fait des semaines que nous résidons en Cisjordanie, mais cet
argument logique ne semble pas valoir, en ces lieux. Nous plaidons tous notre
cause, nous le faisons en anglais, de notre côté, avec un des militaires qui
parle anglais (et qui est, à l’évidence, d’origine américaine), tandis qu’Ahmad
parlemente en hébreu avec le commandant du check point. Pas de bol. Ils disent
que nous pouvons appeler le QG du district militaire israélien, et déposer une
demande, mais que cela prendrait vraisemblablement des heures. Ils nous font des
signes de la main : nous devons attendre, garés sur le bas-côté de la route.
Nous voudrions nous en retourner, mais, problème : ils ont gardé la carte
d’identité d’Ahmad, et ils refusent de la lui rendre. C’est pire que s’ils lui
avaient volé son pantalon, voire même confisqué sa voiture. Tandis que nous
attendons, Ahmad bout de colère : « Ils ont chacun un rôle », nous dit-il. «
Celui-là, il est là pour s’occuper des étrangers ; cet autre, là, il est là
uniquement pour attendre les autorisations des supérieurs ; ce troisième, c’est
le glandard de service. Chacun son rôle. Chacun pense qu’il est le Dieu de tous
les autres ». A tour de rôle, nous essayons, de temps à autre, de parler à l’un
ou l’autre des soldats, non pas pour continuer à demander à passer, mais
simplement pour qu’ils restituent à Ahmad sa carte d’identité. Mais c’est en
vain. Finalement, après plus d’une heure d’attente, le soldat d’origine
américaine vient vers la voiture et il nous dit que nous deux, les Américains,
nous sommes autorisés à « entrer » - c’est-à-dire : à franchir le checkpoint à
pied, et à prendre un taxi de l’autre côté. Nous deux, les Américains. Mais pas
Ahmad…
Ayant clairement signifié que nous n’abandonnerions pas Ahmad, ils lui
rendent finalement sa carte d’identité : nous partons et nous refaisons le
trajet, à rebours, redescendant dans la vallée du Jourdain. Nous allons plus au
nord, et à nouveau, nous prenons sur la gauche afin de nous diriger vers le cœur
de la Cisjordanie, en tentant notre chance à un autre check point. Il est déjà
midi, et il fait 40 °C à l’ombre – cela suffit à créer une certaine compassion,
même chez des soldats israéliens… Un des soldats, au pied d’un mirador dominant
le check, se fait tellement chier qu’il pionce à poings fermés, la tête
renversée sur le dossier de sa chaise. Le soldat responsable, ici, est plus
affable. En tout cas, il ne fait rien pour humilier Ahmad, et il ne prend pas sa
carte d’identité avant de rentrer dans le poste de garde pour aller s’enquérir
de ce qu’il devait faire de nous. A nouveau, c’est reparti : nous attendons une
bonne heure, retenus captifs par les objurgations du « gentil » soldat (pour
nous, c’est un véritable supplice de Tantale) qui nous répète qu’il fait tout
son possible afin d’obtenir le feu vert dont il a besoin pour nous laisser
passer. Toutefois, au bout d’une heure, une nouvelle fois, nous nous faisons
rembarrer.
Cette fois-ci, l’histoire est différente : Ahmad peut entrer, mais
nous, nous ne le pouvons pas, car nous sommes étrangers ! Dans le système de
pensée israélien, cela ne constitue à l’évidence pas une contradiction : il
faudra vous y faire : c’est la « logique » de l’occupation... Nous retournons à
Jérusalem, environ six heures après en être partis. Si Israël ne contrôlait pas
tous les faits et gestes des Palestiniens, nous aurions pu, durant ces six
heures, aller directement à Zababdéh, en prenant la route directe allant vers le
Nord de Jérusalem, nous aurions passé trois heures en visite chez notre ami le
prêtre, et nous serions rentrés directement, par le même chemin, à Jérusalem. De
retour à Jérusalem, nous téléphonons au religieux. « C’est exactement ce qui
nous arrive, tout le temps… » nous explique-t-il. « S’il vous plaît, racontez ce
qui vous est arrivé, quand vous serez rentrés chez vous… » Voilà qui est
fait.
Nous rencontrons des Américains
Non sans surprise, nous avons rencontré des travailleurs
coopérants américains, sous contrat de l’USAID [Organisme étatique américain de
coopération à l’étranger, ndt], dans notre hôtel de Jérusalem Est, cette année
aussi, comme l’an passé. Ils étaient tous sous contrat avec des boîtes privées,
qui forent des puits et reconstruisent des routes pour les Palestiniens. Quelle
ironie ! L’an dernier, en parlant avec l’un de ces Américains, un contre-maître
dont les ouvriers travaillaient sur des routes, à Ramallah, nous avons glosé sur
l’ironie de la situation, en nous émerveillant d’un gouvernement américain
finançant la destruction par Israël des routes, dans l’ensemble de la
Cisjordanie, ses tanks semant la dévastation tant dans les villes que dans la
campagne, tout en finançant la reconstruction de ces mêmes routes ! Oh, nous dit
ce sous-traitant, en faisant une drôle de tête qui trahissait son malaise, nous
ne faisons pas de politique ; cela rendrait la vie et le travail beaucoup trop
difficiles, si nous prenions partie pour l’un ou l’autre camp, dans ce conflit.
Certes. La vie serait difficile, aussi, s’ils décidaient de remettre en question
l’absence de logique de leurs donneurs d’ordre du gouvernement américain… Cette
année, nous avons soulevé la même question devant un autre sous-traitant, dont
l’équipe travaillait à des forages de puits, mais sa réponse fut des plus
agressives : « Personne n’a jamais détruit l’un quelconque des puits que j’ai
aménagés ! », insista-t-il, ne se rendant absolument pas compte qu’il ne faisait
que réparer les dégâts causés par Israël. Son contrat, nous a-t-il déclaré en se
rengorgeant, portait sur la bagatelle de 7 millions de dollars de travaux.
Bigre, cela aurait presque été suffisant pour acheter la moitié d’un aileron de
l’un des nombreux F-16 que les Etats-Unis donnent chaque année en étrennes à
Israël !…
Un peu après, à l’aéroport d’Amman, alors que nous nous préparions
à rentrer, nous avons rencontré quatre jeunes Américains prêts à s’embarquer eux
aussi dans l’avion. Ils portaient des tenues d’explorateurs du désert, sans le
moindre sigle, tout en muscles et le cou puissant ; ils évoquaient avec un
plaisir évident, à haute voix, afin que tout le monde en profite bien, le nombre
de tirs de RPG que leur installation avait essuyés durant telle ou telle nuit… A
l’évidence, ils venaient d’Irak, et ils rentraient chez eux en permission ; ils
n’avaient pas le comportement enjoué de soldats retournant chez eux pour de bon.
Comme ils continuaient leur bruyante conversation, très largement au profit de
ceux qui les entouraient, aussi bien Jordaniens qu’Américains, qui n’avaient pas
le privilège de vivre dans le monde macho de Bagdad, une jeune femme en civil
arriva à l’embarquement et, de la même manière culottée, elle engagea une
conversation délibérément destinée à être entendue par tout le monde. «
Qu’est-ce que vous foutez à Bagdad ? », leur demanda-t-elle. C’étaient des
gardes du corps personnels de l’ambassadeur américain John Negroponte. Ah bon ?
Est-ce qu’ils travaillaient chez Blackwater (compagnie désormais célèbre pour
avoir envoyé des centaines de ses soi-disant « contractuels » - lire :
mercenaires américains – en Irak pour aller y surveiller les prisonniers et les
installations militaires) ? Yep ! Il s’avéra rapidement que cette femme se
trouvait elle-même à Bagdad, quelques mois auparavant : elle y travaillait dans
quelque service juridique à l’intérieur de la Zone Verte. Ils se mirent, tous, à
comparer leurs avantages en nature – ils avaient l’air d’habiter, tous, dans des
sections de la Zone Verte portant des noms dans le genre « Paradise Hills », ou
bien était-ce « Paradise Gardens » ? – et leurs expériences personnelles en
matière d’évitement des tirs de mortiers et de RPG. L’un des jeunes hommes
demanda « et aujourd’hui, où en sommes nous ? », après quoi il se plaignit de la
situation déplorable, « l’idéalisme s’étant dissipé » [sic].
Nous ne pûmes
nous empêcher de nous demander à quel moment y avait-il eu un quelconque «
idéalisme » ? Mais nous n’avons pas posé la question. Nous nous sommes faits
tout petits, traversés par l’idée que des Américains comme ceux-là ne cessent de
transiter par Amman, en allant en Irak et en en revenant, et qu’ils laissent
derrière eux une impression sur les Américains qui ne cesse d’empirer de jour en
jour. Et ces Américains de se demander pourquoi les Arabes ne peuvent plus nous
voir en peinture !
Tristesse
Nos adieux au Moyen-Orient, l’an dernier, avaient été entourés
d’un peu de romantisme. Après avoir laissé la Palestine de l’autre côté du Pont
Allenby, et avoir pénétré sur le territoire de la Jordanie (c’était en août
2003), nous avions passé l’après-midi de la veille de notre vol de retour à
Amman en compagnie d’amis palestino-jordaniens qui possèdent une maison avec
jardin, sur une des collines au Nord d’Amman. Arrivés chez eux en fin
d’après-midi, nous avons conversé un moment, puis nous sommes sortis dans le
verger pour cueillir des figues. Manger les figues tout fraîchement cueillies
sur l’arbre, dans ce cadre magnifique, c’était comme si nous nous retrouvions au
milieu des collines de la Toscane, loin, très loin de la tragédie palestinienne
et du tourbillon de la situation politique moyen-orientale. Nous pouvions voir
le Jourdain et, au-delà du Jourdain, toute la Cisjordanie. La nuit tombée, les
lumières de Jérusalem et de la Cisjordanie commencèrent à scintiller. Nos amis
Palestiniens nous montrèrent du doigt les lumières de Naplouse, juste en face de
là où nous nous trouvions, celles de Jénine, plus loin, vers le Nord. Jérusalem,
c’était une énorme tache de lumières, loin, au Sud. « Et que sont ces lumières,
si proches, là, juste de l’autre côté du Jourdain ? », demandai-je, sachant
qu’il n’y avait aucune agglomération palestinienne visible de là où nous nous
trouvions, dans ce coin. « C’est une colonie israélienne », nous expliqua l’un
de nos hôtes. Le charme était rompu. Un ange passa.
Le départ, cette année,
fut bien plus triste. Le souvenir du mur, l’évidence qui saute partout aux yeux,
dans toute la Palestine, des destructions cruelles d’Israël au nom du confort de
la vie des juifs, et le souvenir du traitement raciste infligé par Israël à ses
citoyens non-juifs étaient encore vivaces, dans nos esprits, tandis que nous
venions de quitter la Palestine, et tout au long des quelques jours suivant
notre départ de Jordanie. En particulier, le mur nous a hantés, et il continue à
le faire. Les partisans d’Israël se plaisent à dire avec un sarcasme
considérable que mur n’est qu’un inconvénient, pour les Palestiniens – et,
s’empressent-ils d’ajouter, ce n’est, de surcroît, qu’un inconvénient temporaire
– alors que les juifs assassinés ou estropiés par le terrorisme palestiniens
sont assassinés ou estropiés à vie. Mais il y a quelque chose de spécial,
d’indéfinissable, qui entoure la brutalité qui émane du mur, et qui vous frappe
en plein visage. Il détruit de manière permanente, il bousille des existences,
et il le fait en permanence. C’est une tache permanente dans le paysage (même si
on le détruisait un jour, les oliveraies et les terrains agricoles qu’il aura
détruits ne seraient pas remis en état avant très longtemps), c’est une
ternissure permanente sur la vie des gens. Plusieurs Palestiniens qui
manifestaient pacifiquement contre la construction du mur ont été abattus par
des soldats israéliens. Définitivement. La taille du mur, gigantesque – et le
mépris absolu des vies palestiniennes chez ceux qui sont partisans de sa
construction – laissent interdits ceux qui ont eu l’occasion de se trouver dans
son ombre, écrasés par sa présence monstrueuse : pour décrire sa monstruosité,
les mots leur manquent. Mais leur sentiment d’immense tristesse est palpable.
Hier, une Française, qui participait à notre camp de volontariat, nous a
écrit qu’elle pensait sans cesse à la destruction et à la désolation en
Palestine, qui contrastaient violemment avec la beauté des paysages, autour de
chez elle, dans les Alpes. Elle nous a dit qu’elle en était revenue le cœur
brisé. La Palestine a tendance à avoir cet effet sur chacun de ceux qui y ont
séjourné.
- Echange entre Kathleen & Bill Christison et Benny
Morris (CounterPunch 3 octobre 2004)
Nous rendons compte
ci-après d’un échange par e-mails avec le célèbre historien israélien Benny
Morris, initié par B. Morris, qui a écrit à CounterPunch.org afin de critiquer
un article que nous avons publié on-line sur ce site ouèbe. Cet article,
intitulé ‘Je suis rentrée, le cœur brisé - Impressions de Palestine, pêle-mêle’
(voir ci-dessus) a été publié le 24 septembre 2004. Notre échange de
correspondance a été retranscrit littéralement, et nous vous prions d’excuser
les fautes éventuelles, résultant de la rapidité inhérente à la communication
électronique. Kathleen & Bill Christison
- Le 25 septembre 2004 - Chers Christisons, Je
suis tombé par hasard sur le récit de votre voyage récent en Israël / Palestine.
A un moment, j’y ai vu le mot « honnêteté ». J’ai été également frappé par votre
brève description de l’histoire de « Saffûriyyéh » - appelée aujourd’hui, comme
originellement « Tzipori », ce qui signifie « mon oiseau » en hébreu. Vous
mentionnez les Romains, les Arabes, les Croisés, etc., mais pas les juifs, bien
que cette ville ait été juive durant des siècles, plus de mille ans avant que
les Arabes ne déferlent depuis l’Arabie sur la Palestine, qu’ils conquirent,
convertissant de force ses habitants à l’Islam.
C’est ça, votre « honnêteté »
? Malheureusement, tout votre article est à l’avenant. Bien à vous
Benny Morris
- Le 26 septembre 2004 - Cher Monsieur Morris,
C’est un grand honneur pour nous que de recevoir une missive d’une personne de
votre qualité. Vous avez parfaitement raison : nous avons omis de signaler que
Saffûriyyéh a été juive, durant une partie de sa longue histoire, et c’est là
une erreur de notre part. Mais vous semblez (vouloir) justifier l’expulsion des
habitants palestiniens de cette localité, en 1948, la démolition de leurs
maisons et la confiscation de leurs terres, au motif que les juifs ont souffert
du fait des conquérants musulmans, quelque treize siècles auparavant. Bien que
nous ne soyons pas historiens, la notion qu’en 1948 les juifs « convoitaient »
le territoire palestinien (c’est le mot que vous employez dans votre ouvrage «
Naissance du problème des réfugiés palestiniens » [The Birth of the Palestinian
Refugee Problem] et « redoutaient » (votre terme, encore une fois) que les
Palestiniens ne revinssent chez eux au cas où ils (= les juifs) n’auraient pas
confisqué leurs terres, démoli leurs maisons et emmené au loin par camions les
quelques retardataires, nous semble un travestissement de la décence humaine.
Que des juifs aient souffert, un millénaire et demi auparavant, du fait des
lointains ancêtres de ces Palestiniens, ou non (et les données factuelles, à ce
propos, sont loin d’être claires), la destruction délibérée de l’existence de
ces gens, parce que les juifs voulaient exercer leur exclusivisme, ressortit au
racisme pur et simple.
Incidemment, nous présumons que vous ne pouvez pas ne
pas avoir remarqué que le mot « honnêteté » apparaissait dans notre article afin
de caractériser votre travail de recherche historique. De fait, nous avons
cité vos œuvres à plusieurs reprises par le passé, généralement en des termes
favorables, même si nous n’en faisons pas une règle générale. Les deux livres de
Kathleen, Perceptions de Palestine [Perceptions of Palestine] et La Blessure de
la dépossession [The Wound of Dispossession] se sont largement appuyés sur
l’histoire que vous avez écrites des événements de 1948. Vous n’allez
certainement pas apprécier la troisième référence, dans un autre article publié,
plus tôt cette année, dans CounterPunch, mais vous devriez y jeter un coup
d’œil, son titre est « Offending Valerie ». Le fait d’être un historien honnête
ne signifie pas nécessairement que l’on est impartial dans son attitude
vis-à-vis d’autres êtres humains. Kathy & Bill
Christison
- Le 26 septembre 2004 - La lettre que je vous
ai écrite n’entendait rien « justifier » du tout. Mais votre occultation
délibérée de la période juive de l’histoire de Saffûriyyéh semblait délibérément
calculée afin de souligner le seul droit des Palestiniens à ce site – et à vrai
dire à la totalité de la Palestine.
Mon avis – pour ce qu’il vaut – est que
les deux peuples ont un droit juste et légitime à revendiquer la Terre d’Israël
/ Palestine, et cela, même si la nation arabe, à laquelle appartiennent les
Palestiniens, compte (pas moins de) vingt-deux Etats, la Palestine doit être
divisée en deux Etats, en suivant, en gros, les frontières de 1967.
Malheureusement, les Palestiniens, traditionnellement, rejettent une telle
solution (1937, 1947, 1978), et, en 2000, encore une fois, ils ont rejeté les
propositions faites en juillet et en décembre par Barak et Clinton, qui
offraient, précisément, une solution de cette nature.
Je pense que
l’honnêteté requiert un minimum d’objectivité, un peu d’équilibre, un peu
d’effort afin de voir les choses sous plus d’un angle, quelles que soient ses
propres convictions politiques – et c’est là ce qui manquait cruellement à votre
article. Bien à vous Benny Morris
- Le 27 septembre 2004 - Combien vous soulevez
de points différents, dans un si bref message ! Nous n’avons jamais dit, ni même
suggéré, que les Palestiniens ont « seuls, droit » à la Palestine, mais nous
pensons fermement qu’ils avaient le droit à ne pas être évincés d’un quelconque
lieu afin de libérer le plancher pour des juifs (ou qui que ce fût d’autre).
Cela concerne non seulement Saffûriyyéh – Tzipori, mais la totalité des quelque
quatre cents autres villages où ils vivaient, jadis. Comme vous, nous pensons
nous aussi que les deux peuples ont un droit légitime et juste à revendiquer la
terre de Palestine – Israël, et que ce territoire devrait être partagé par eux
deux. Nous nous demandons, en revanche, comment vous pouvez concilier cette
conviction avec votre déclaration, dans l’interview développée que vous avez
accordée le 9 janvier 2004 au quotidien Ha’aretz : « Ben Gourion aurait sans
doute mieux fait de « procéder à une expulsion généralisée et de nettoyer tout
le pays – toute la Terre d’Israël, jusqu’au Jourdain. Il risque de s’avérer que
ce fut là notre erreur fatale… En tant qu’historien, j’affirme qu’une erreur a
été commise, en la matière. » Ou bien viendrez-vous nous dire, maintenant, que
votre désir, pour paraphraser votre message, « d’effacer la période
palestinienne de l’histoire de la Palestine » relevait du genre d’étourderie non
intentionnelle que nous avions commise en oubliant de mentionner la période
juive de l’histoire de Saffûriyyéh ? (Votre utilisation de l’expression « toute
la Terre d’Israël » implique automatiquement – sans doute est-ce non
intentionnel ? – l’effacement de l’histoire et des droits des
Palestiniens.)
Mais, beaucoup plus grave, nous relevons aussi que vous avez
omis sélectivement un élément fondamental de la preuve du contraire – sans doute
l’événement politique le plus important de toute l’histoire de la Palestine –
dans votre énumération des cas où les Palestiniens auraient rejeté une solution
à deux Etats. Il n’est pas difficile de comprendre, sauf, peut-être, pour des
gens ne voyant les choses que d’un point de vue juif, pourquoi les Palestiniens
ont eu besoin de tellement de temps avant de comprendre qu’ils étaient prêts à
accepter le démantèlement et la division de leur patrie ; aussi vous avez raison
lorsque vous affirmez qu’ils ont rejeté la formule à deux Etats en 1937, en 1947
et en 1978. Mais est-ce seulement par étourderie que vous omettez de mentionner
le changement fondamental intervenu dans la politique palestinienne, découlant
de l’acceptation de deux Etats par les Palestiniens, en 1988 ? Avez-vous
vraiment oublié que cette décision de l’OLP – constitutive comme elle le fut du
renoncement à toute revendication sur 78 % du territoire que les Palestiniens
considéraient leur appartenir et de l’acceptation d’une indépendance
(palestinienne) sur seulement 22 % (restants) du dit territoire – fut une
concession massive faite au droit d’Israël à l’existence ? Cette décision a été
formellement confirmée lors de la signature de la Déclaration d’Oslo, en 1993,
et elle n’a jamais été répudiée. En dépit de votre désillusion au sujet des
Palestiniens, après (les négociations de) Camp David, en 2000, toutes les
négociations et toute la politique palestinienne subséquentes ont été fondées
sur le principe posé du droit sacro-saint d’Israël à l’existence et sur
l’affirmation que la solution à deux Etats est l’objectif poursuivi.
A Camp
David, ce n’est pas Israël, que les Palestiniens ont rejeté : c’est un marché de
dupes. Nous n’avons pas le temps d’examiner la question dans ses moindres
détails ici, mais vous devriez lire les récits du processus de paix faits par
Charles Enderlin, Yossi Beilin, Rob Malley, Dennis Ross, Bill Clinton et
Madeleine Albright. Vous n’y trouverez aucune preuve – en dépit de la très
mauvaise opinion qu’ont d’Arafat les trois derniers cités – d’un rejet par
Arafat de la solution à deux Etats, comme vous l’alléguez. Non. Tout simplement,
Arafat ne pouvait pas accepter les offres israéliennes d’un Etat palestinien qui
aurait été discontinu, indéfendable et non-viable. Les Palestiniens essayaient
encore de négocier une formule à deux Etats décente lorsque Barak perdit les
élections et Clinton quitta la Maison Blanche. Nul doute que vous soyez au
courant du récit fait par l’ancien directeur du ministère israélien de
l’Intérieur, Amos Malka, d’une campagne de désinformation délibérée visant à
donner l’image d’un Arafat, contrairement à la réalité, opposé à la solution à
deux Etats ?…
Quant au sujet délicat de l’équilibre et de l’objectivité, nous
sommes tout à fait d’accord pour dire qu’il faut savoir envisager une situation
sous plusieurs perspectives. Mais équilibre + objectivité + une perspective
ouverte, voilà qui n’entraîne en aucun cas la conclusion que les deux côtés,
soit ont à-demi raison, soit ont autant raison l’un que l’autre. Un traitement
équilibré d’une question ne requiert en rien que l’on partage au milieu l’objet
du différend entre les deux parties, en particulier lorsque l’une d’entre elle a
déjà fait une concession aussi majeure que l’a été l’acceptation palestinienne
du partage 78 % (pour Israël) / 22 % (le reste, pour la Palestine). Après avoir
étudié, des années durant, les perspectives des deux camps, nous avons abouti à
la conclusion que, bien que les deux peuples aient un droit légitime et juste à
revendiquer la Palestine – Israël, ils n’ont pas tous deux un droit juste et
légitime à revendiquer la Cisjordanie, la bande de Gaza et Jérusalem Est. Dès
lors qu’on accorde à Israël le droit exclusif à posséder 78 % du territoire de
la Palestine / Israël, il n’a aucun « droit » automatique sur l’un quelconque
des territoires occupés, à moins que les Palestiniens ne leur concèdent, de leur
plein gré, des parties de ces territoires au cours de négociations (conformément
à ce qu’ils ont déjà déclaré qu’ils feraient). Quel que soit l’avenir des
territoires occupés, il faut, assurément, prendre en considération la sécurité
d’Israël, mais un véritable équilibre et une authentique équité, dans toute
négociation post-Oslo requerra, certes, que tous les partenaires condamnent au
plus tôt le terrorisme palestinien, mais qu’ils condamnent aussi l’existence
même de l’occupation israélienne, y compris les colonies réservées aux seuls
Israéliens, les routes réservées aux Israéliens, la construction du mur de
séparation en territoire palestinien, les confiscations de terres, les
démolitions de maisons, la destruction de terres agricoles, de puits, les
assassinats, les tirs mortels des snipers, les bombardements aériens, les
incursions de blindés dans les villes palestiniennes, etc.
Enfin, un point de
détail, que nous ne soulèverons que parce que vous l’avez fait vous-même :
l’idée que la « Nation arabe », comme vous dites, « possède vingt-deux autres
Etats » est l’exemple même du non-argument. Primo – pinaillons un peu – comme
vous le savez sans doute, il n’y a pas 22 pays arabes : il y a 22 pays membres
de la Ligue arabe, y inclus l’OLP, qui n’est pas un Etat, et des pays non-arabes
tels la Somalie, Djibouti, les Comores et la Mauritanie. Deuxio, et c’est plus
dans notre sujet, les Palestiniens sont originaires de Palestine, et personne ne
doit s’attendre à ce qu’on puisse les forcer à déménager ailleurs, pour quelque
motif que ce soit. Les juifs ont refusé d’être installés en Ouganda ou dans un
quelconque autre pays que celui de leur héritage biblique. Attendre des
Palestiniens qu’ils renoncent à leur héritage parce qu’Israël veut leurs terres,
voilà qui représenterait une insupportable injustice. Kathy &
Bill Christison
- Le 28 septembre 2004 -Ce que vous écrivez est
en grande partie vrai. Mais beaucoup d’Israéliens, j’en fais partie, ne sont pas
du tout convaincus que les Palestiniens soient réellement en faveur d’une
solution à deux Etats, dans la proportion 78 % / 22 % ou dans n’importe quelle
autre proportion. Ils pensent, en revanche, que les Palestiniens veulent la
destruction d’Israël, et son remplacement par un seul Etat arabo-musulman. Nous
craignons que le « virage » de l’OLP, en 1988, n’ait été que simplement
tactique, et non réel et sincère. Arafat l’a dit et répété à tellement de gens,
alors que ses propos étaient enregistrés à son insu, et le Hamas et le Jihad
islamique – qui représentent une grande majorité, sinon la plupart, des
Palestiniens – disent la même chose, publiquement et constamment. Je ne connais
pratiquement aucun dirigeant palestinien qui accepterait de déclarer,
ouvertement et sans circonlocutions, que « les juifs ont un droit légitime à la
Palestine, comme les Palestiniens » et que « le sionisme et Israël sont des
entités légitimes » - et c’est ça, le fond du problème. C’est la raison pour
laquelle les porte-parole palestiniens, à l’exception de Sari Nusseibéh, qui ne
représente malheureusement personne, mis à part une poignée de Palestiniens
raisonnables et civilisés, insistent sur le « droit au retour », sur son
acceptation par Israël et la communauté internationale, et sa mise en
application. Il s’agit là du test au papier tournesol des intentions réelles et
ultimes des Palestiniens vis-à-vis d’Israël. Et, aussi longtemps qu’ils
maintiendront ce « droit au retour » (des réfugiés palestiniens chez eux, ndt)
et qu’ils s’en feront les avocats, cela voudra dire qu’ils ne sont pas sincères
dans leurs préconisations d’une solution à deux Etats, et qu’ils ne recherchent
une telle « solution » qu’afin d’en faire un tremplin tactique qui leur
permettra d’exiger le démantèlement ultime d’Israël et son remplacement (la mise
en application du droit au retour ferait nécessairement d’Israël un pays
arabe).
Et je suis convaincu, comme je l’ai indiqué au cours de mon interview
à Ha’aretz (mais je n’ai pas été cité intégralement), qu’il est malheureux que
la guerre de 1948 ne se soit pas conclue d’une manière plus décisive sur le plan
démographique, soit, tous les juifs étant jetés à la mer (comme les Palestiniens
et les pays arabes avaient l’intention – et comme ils entreprirent – de le
faire, ce qui a abouti à la création du problème des réfugiés), soit tous les
Palestiniens étant repoussés en Jordanie, où ils auraient créé leur Etat. Le
Moyen-Orient aurait été un endroit meilleur et les deux peuple sauraient
bénéficier d’une histoire plus heureuse. Benny
Morris
- Le 28 septembre 2004 - Vous avez mis le doigt
sur la véritable tragédie de ce conflit : le fait que des Israéliens, comme
vous, et bien d’autres, ne croient pas les Palestiniens ni ne leur font
confiance, et aussi le fait que beaucoup de Palestiniens ne croient pas les
Israéliens ni ne leur font confiance. Vous avez sans doute raison lorsque vous
dite que la décision prise par les Palestiniens en 1988 n’était pas profondément
sincère, mais qu’ils l’ont prise en raison de nécessités tactiques. Mais, bien
entendu, on pourrait dire la même chose de la décision prise par Israël en 1993
de reconnaître l’OLP et de négocier avec elle. Les uns comme les autres – vous,
les Israéliens et vous, les Palestiniens – vous préféreriez, incontestablement,
et de très loin, que l’autre ne soit pas là. Mais cela n’implique pas
nécessairement que l’un quelconque des deux camps ne serait pas crédible
lorsqu’il se dit prêt à vivre en paix avec l’autre.
Contrairement à votre
allégation, selon laquelle « pratiquement aucun dirigeant palestinien », à votre
connaissance, n’a dit ouvertement et directement que les juifs ont un droit
légitime à revendiquer la Palestine ou qu’Israël est une entité légitime, Yasser
Arafat a déclaré, en décembre 1988, ceci : « L’OLP recherchera un règlement
global entre les parties concernées par le conflit arabo-israélien, c’est-à-dire
l’Etat de Palestine, Israël et les Etats voisins… sur la base des résolutions
242 et 338, et d’une manière… respectant le droit à l’existence en paix et en
sécurité, pour tous… Je demande aux dirigeants d’Israël de venir ici, sous
l’égide des Nations unies, afin que nous puissions forger cette paix, ensemble.
Je leur dis que notre peuple, qui recherche la dignité, la liberté et la paix,
pour lui-même et la sécurité pour son Etat, souhaite la même chose à tous les
pays et tous les partenaires impliqués dans le conflit arabo-israélien. Ici, je
souhaite m’adresser spécifiquement au peuple israélien dans toutes ses
composantes et forces vives… Je lui dis : « Venez, faisons la paix ! » ». Vous
allez peut-être affirmer que cela n’était pas sincère, mais cela constitue,
assurément, une affirmation ouverte et sans fioritures de la légitimité de
l’Etat d’Israël…
D’après vous, les gens sont beaucoup moins enclins à croire
Israël que les Palestiniens, parce qu’il est le partenaire en possession de tout
le territoire, et donc, il est celui auquel des concessions territoriales
devraient être demandées, en vue d’un accord de paix quelconque. Israël n’a
jamais donné signe de la moindre intention d’autoriser la création d’un Etat
palestinien viable, et il s’est encore moins exprimé, il a encore moins agi
concrètement, d’une manière sincère et sérieuse, l’idée d’un partage de
territoire avec les Palestiniens, si bien que les Palestiniens ne disposent
d’aucune déclaration israélienne, fût-elle purement formelle, susceptible de
leur laisser espérer de quelconques concessions de la part d’Israël. Ce sont les
Israéliens, et non pas les Palestiniens, qui ont à même de tester la sincérité
du partenaire, car si Israël acceptait l’installation d’un Etat palestinien sur
la majorité de la superficie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, il serait
parfaitement capable de se défendre dans le cas (improbable) où les Palestiniens
menaceraient ou violeraient un éventuel traité de paix, de toute manière. Il
n’en va pas de même des Palestiniens, qui n’auraient aucune possibilité de se
défendre contre une quelconque violation israélienne. Les Israéliens pourraient
toujours compter sur le vieux shibboleth [= la bonne vieille méthode] de Reagan
consistant à « croire sur parole, puis à vérifier ». Les Palestiniens, dépourvus
de toute garantie concrète contre les violations israéliennes, ne pourraient le
faire en aucun cas.
L’idée que les Israéliens seraient menacés par
l’exigence palestinienne que soit reconnu le « droit au retour » des réfugiés
palestiniens est absurde. Tout d’abord, vous avez tout simplement tort lorsque
vous affirmez que « tous les porte-parole palestiniens, excepté Sari Nusseibéh…
insistent sur le « droit au retour », son acceptation par Israël et la
communauté internationale, et sa mise en application [les guillemets sont de
vous] ». Depuis, au moins, les négociations de Camp David de l’an 2000, le
leadership palestinien affirme, avec constance, qu’il n’exige pas la mise en
application effective du droit au retour, mais bien qu’il soit fait droit aux
réfugiés, au moyen d’un ensemble d’arrangements, allant du retour en Israël d’un
nombre de réfugiés relativement peu élevé, et faisant l’objet d’un accord
concerté, grâce à leur réinstallation accompagnée de compensations financières
dans les pays où ils résident ou encore dans des pays tiers, ou au rapatriement
des réfugiés à l’intérieur de l’Etat palestinien. Il veut que les Israéliens
reconnaissent un minimum de leur responsabilité dans la création du problème des
réfugiés, mais il reconnaît le droit d’Israël à réguler le nombre et l’identité
des réfugiés palestiniens autorisés à revenir en Israël, et dans quelles
conditions. Il a explicitement admis l’insistence d’Israël à maintenir le
caractère juif de son Etat. Arafat a écrit un commentaire, à ce sujet, dans le
New York Times. L’idée qu’Israël serait impuissant à arrêter le déferlement
d’une foule de trois à quatre millions de réfugiés voulant envahir Israël, ou
celle que le leadership palestinien le fomente, n’est que paranoïa à l’état pur.
Nous comprenons bien le fond de ce que vous avez exposé dans Ha’aretz – même si
vous n’avez pas été cité intégralement :) … – mais nous ne saurions admettre
l’idée qu’en épurant entièrement le territoire de la Palestine de l’un ou
l’autre peuple, en 1948, on aurait résolu le problème et on aurait hérité d’un
Moyen-Orient paisible jusqu’à ce jour. (Dans votre interview, soit dit en
passant, vous n’avez en rien suggéré que l’épuration ethnique des juifs aurait
pu – voire même aurait dû – être une éventualité envisageable. Vous avez
simplement indiqué que l’élimination des Palestiniens aurait bien arrangé les
juifs…). Au contraire, nous pensons que, même s’ils avaient été chassés, tous,
de l’autre côté du Jourdain, en Jordanie, les Palestiniens revendiqueraient de
la même manière leur droit au retour ; la Jordanie n’est pas leur patrie, et ils
n’auraient jamais admis être totalement dépossédés, pas plus qu’ils n’ont
accepté d’être dépossédés partiellement. Semblablement, si les Juifs avaient été
totalement repoussés à l’extérieur de la Palestine, en particulier au lendemain
de l’Holocauste, le cri d’indignation qui se serait élevé dans le monde entier
aurait été assourdissant. Et vous nous permettrez de douter que les juifs
auraient été le moins du monde, à défaut d’heureux, satisfaits de cette
indignation. Ni qu’ils s’en seraient contentés. Kathy & Bill
Christison
17. Guerre des civilisations - Les aveux
sur mesure des "repentis" d'Al Qaïda par Paul Labarique
in Voltaire du mardi 21 septembre
2004
La théorie selon laquelle la destruction du World
Trade Center à New York et la fabrication de fausses cartes à puce dans une
banlieue française participent du plan conduit par une seule et unique
organisation terroriste mondiale trouve sa confirmation dans les aveux des «
repentis d'Al Qaïda ». Mais à y regarder de plus près, ces repentis sont rares
et leurs témoignages sont douteux, voire pas crédibles du tout. Bien qu'à ce
jour aucun tribunal n'ait admis les prétendus liens entre des attentats commis
en Europe et Al Qaïda, dont pourtant ces repentis témoignent, experts et
journalistes persistent à échafauder des hypothèses et à préconiser des
politiques sur la foi de ces dépositions.
Le réseau Al Qaïda, accusé d'avoir organisé les attentats du 11
septembre 2001, a fait l'objet d'une abondante littérature depuis cette date.
Différents auteurs, journalistes et « experts en terrorisme », y ont consacré
des articles, des reportages, des livres. La prolifération de ces travaux a
largement contribué à construire, dans l'imaginaire collectif, le sentiment
d'une menace réelle qui pèserait sur l'Occident et serait incarnée par des
fanatiques musulmans. Un rapide inventaire recensant les sources utilisées et
les éléments d'information fournis laisse pourtant peu de doute quant à leur
origine et leur absence de fiabilité.
Les origines de l'organisation sont évoquées dans de nombreux
articles après le 11 septembre. Selon la version officielle, elle aurait été
créée par Oussama ben Laden, en 1988. Elle se serait ensuite développée à partir
de l'Afghanistan pour devenir un réseau mondial « qui finance, entraîne et
utilise d'autres groupes dans 35 à 60 pays », avec pour objectif de « frapper
les intérêts des États-Unis partout dans le monde » [1]. Des experts arabisants
énoncent cependant une autre interprétation de la naissance du mouvement. « Al
Qaïda », qui signifie « la base » ou « la base de données », serait un fichier
créé par Oussama ben Laden du temps de la guerre d'Afghanistan. À l'époque le
milliardaire anti-communiste gérait les fonds investis par les services
saoudiens et états-uniens pour repousser l'Armée rouge. À ce titre, il finançait
aussi bien les soldes des jihadistes que des travaux de fortification et
recueillait une masse de renseignements sensibles. Une fois le conflit terminé,
« la base » serait devenue un outil à disposition de l'Arabie saoudite et
d'autres États musulmans : lorsque ceux-ci souhaitaient lancer une opération -
qu'il s'agisse d'envoi de médicaments, de programmes d'aide, ou d'ingérence
politique, voire militaire - ils consultaient « Al Qaïda » pour y recueillir des
informations sur la région qui les intéressait, afin de savoir, par exemple, si
d'autres organisations n'y agissaient pas déjà. Dans cette optique, « Al Qaïda »
ne serait nullement une organisation hiérarchisée, mais simplement une
gigantesque base d'information à destination de pays musulmans.
Le tour de force est ainsi encore plus facile : il n'est nul
besoin d'infiltrer ce réseau pour en contrôler des éléments, puisque ce n'est
pas un réseau. Il suffit de relier des attentats ayant lieu un peu partout dans
le monde, en les attribuant systématiquement à des groupes qui « seraient liés »
à Al Qaïda. L'ensemble de la littérature consacrée à cette « organisation »
repose sur cette rhétorique de l'amalgame : on y met en cause des « bras droits
» de Ben Laden, des groupes coupables de « sympathie » envers son « organisation
». L'ensemble des procédures engagées en Europe contre les « réseaux dormants »
du « terrorisme islamiste » sont ainsi construits, non pas sur des éléments
matériels, mais sur d'hypothétiques proximités intellectuelles : tel
fondamentaliste se serait rendu à Berlin, à une époque où y résidait Mohammed
Atta, tel autre aurait effectué un stage d'entraînement militaire en
Afghanistan, etc. En fin de compte, les nombreux dossiers ainsi bricolés par la
justice antiterroriste ont abouti à l'abandon des charges « d'entreprise en
relation avec une organisation terroriste ». Les tribunaux qui ont effectivement
condamné des prévenus pour terrorisme n'ont jamais admis qu'ils soient liés à
une organisation internationale [2].
En réalité la finalité judiciaire importe peu, le détail des
instructions occupant, dans les médias, plus de place que l'annonce - et le
détail - des verdicts. Ce discours délibérément alarmiste sur le « péril
islamiste » permet de construire un ennemi commun, qui va du Hamas palestinien à
la Jamaa Islamiya indonésienne, en passant par des États comme la Syrie ou le
Soudan, pour finalement englober tout le monde musulman. Ce fantasme alimente
l'idéologie de la « Guerre des civilisations » justifiant la forme contemporaine
de l'impérialisme anglo-saxon [3]. Loin de dénoncer ces amalgames absurdes,
plusieurs États les ont repris à leur compte, quitte à s'en mordre les doigts
après. Ainsi, Vladimir V. Poutine n'a pas manqué d'invoquer la lutte contre le
terrorisme mondial pour mettre fin aux critiques du pilonnage de Grozny, avant
de dénoncer le poison de cette analyse ethnico-religieuse lors de la prise
d'otages de Beslan. En France, ces amalgames ont été utilisés, au début de la
présidence de Jacques Chirac, pour faire arrêter des opposants algériens par les
juges anti-terroristes, avant que le même Jacques Chirac se transforme en héros
du dialogue des civilisations.
Pour accréditer l'existence d'un réseau terroriste tentaculaire
et structuré, Washington a eu recours à une figure très répandue aux États-Unis,
celle du « repenti », de l'insider qui, rongé de remords, décrit de l'intérieur
l'organisation dont il a fait partie.
Rappelons que, aux États-Unis et
désormais dans de nombreux autres pays, y compris la France, le « repenti »
négocie ses aveux contre une immunité. Il peut donc s'accuser et accuser qui il
veut de n'importe quoi sans en assumer lui-même les conséquences. Cette
procédure a permis de démanteler des organisations mafieuses, mais a aussi
ouvert la voie à toutes sortes de dénonciations calomnieuses. En Italie, les
magistrats qui l'ont promu pour l'opération « mains propres » en ont finalement
été victimes, les « repentis » accusant les juges, les uns après les autres,
d'être des correspondants de la mafia.
Les premiers de ces repentis apparaissent lors du procès des
attentats du 7 août 1998 contre les ambassades états-uniennes de Nairobi et Dar
es-Salaam, en février 2001. Jamal Ahmed al-Fadl, un Soudanais de 38 ans,
jusqu'ici connu dans les dossiers du FBI sous l'appellation de CS1, Confidential
Source 1, est de ceux-là. Devant un tribunal de Manhattan, il affirme avoir été
un membre du noyau central d'Al Qaïda. Bien que son témoignage soit « bien sûr
invérifiable et soulève de nombreuses interrogations » [4], le FBI lui aurait
accordé sa protection à partir de juillet 1996, date à laquelle il se présente «
au service des visas d'une ambassade américaine dont la localisation n'a pas été
révélée ». La police fédérale états-unienne dépense pour cela près de 1 million
de dollars en cinq ans.
Mais de quels renseignements pouvait bien disposer Jamal al-Fadl
pour justifier un tel intérêt des autorités ? Pour répondre à cette question, il
convient de revenir sur sa trajectoire biographique. Selon ses propres dire, il
a vécu deux ans à Brooklyn et dans le Sud des États-Unis, où il s'est occupé de
collecter des fonds pour la mosquée Al Farooq [5], avant de s'engager dans les
brigades islamiques déployées en Afghanistan à l'initiative de la CIA et sous la
direction d'Oussama Ben Laden pour lutter contre les troupes d'occupation
soviétiques. En 1991, il est amené à rencontrer celui qui gère alors la base de
données (Al Qaïda) de l'ensemble des groupes islamiques radicaux présents sur le
terrain. Lorsque le noyau dur de la structure de Ben Laden est transféré au
Soudan, Jamal al-Fadl suit le mouvement et s'installe sous la protection du
régime islamique africain et du Front national islamique au pouvoir [6]. Ayant
subtilisé 150 000 dollars dans le cadre de transactions dont il s'occupait, il
contacte les autorités états-uniennes moins de trois ans plus tard et est
exfiltré outre-Atlantique
La lecture du parcours du présumé terroriste invite au
scepticisme. On peut en effet légitimement s'interroger sur la fiabilité d'un
informateur utilisé comme témoin à charge par les autorités états-uniennes après
avoir travaillé pour la CIA en Afghanistan, avant d'être récupéré, moins de cinq
ans après, par le FBI. D'autant que son départ de l'organisation terroriste
précède de deux ans les premiers attentats attribués à Ben Laden, contre les
ambassades états-uniennes en Afrique, au procès duquel il est pourtant appelé à
témoigner. Malgré ces évidentes réserves, Al-Fadl est présenté comme « l'un
[des] éléments-clés » d'Al Qaïda où il était « chargé des salaires » [7]. Il
connaîtrait donc en détail l'organisation, et notamment son mode de financement.
C'est d'ailleurs là-dessus qu'il témoigne devant le tribunal de Manhattan : il
met en cause un réseau bancaire complice de l'internationale terroriste, avec
des ramifications au Soudan, en Malaisie, en Grande-Bretagne, à Hong-Kong et à
Dubaï. Il décrit également « comment des combattants étaient envoyés en
Tchéchénie au prix de 1 500 dollars par personne ; comment le jihad était
financé en Érythrée par l'apport d'argent en cash ; comment Ben Laden s'est mis
sous la coupe des services de renseignement soudanais après que ceux-ci l'eurent
rencontré à Peshawar (Pakistan), etc. Pire : selon la justice, Ben Laden s'est
compromis à plusieurs reprises, depuis 1992, dans des tentatives d'achat de
matériaux nucléaires et de vecteurs ».
Jamal Ahmed al-Fadl, qui a quitté Al-Qaïda en 1996, détaille par
ailleurs la manière dont fonctionne le réseau Ben Laden : ce dernier « est
composé d'une tête (Ben Laden lui-même), régnant sur un conseil consultatif, le
majlis. Le majlis est lui-même en relation avec quatre comités distincts, en
charge des domaines financier, religieux, militaire et médiatique. C'est dans
ces quatre comités que sont choisis les commandants opérationnels et les chargés
de missions spéciales. À cette structure pyramidale, formelle, se superpose une
division horizontale en 24 groupes, division informelle cette fois. Les
communications entre cellules, sur internet, sont assurées non seulement par
l'envoi d'e-mails cryptés, mais également de fichiers sonores brouillés ».
L'avantage de cette description de l'organisation terroriste, aussi détaillée
qu'invérifiable, est qu'elle permet aux États-Unis d'accréditer la thèse d'une
hydre tentaculaire, dont les ramifications s'étendent partout dans le monde,
notamment en Occident. L'ennemi est donc partout, puisque Ben Laden disposerait
même de points de chute à New York. Pire, l'assassinat du leader charismatique
d'Al Qaïda n'entraînerait pas la fin de son organisation, structurée pour
résister à un tel coup du sort, grâce à des éléments récupérés au sein des «
forces extrêmes et éparses de mouvements cousins : certains éléments du Hamas,
du Hezbollah, du Jihad islamique ». Trois organisations, engagées dans une lutte
armée contre Israël, mais qui sont pourtant connues pour leur divergence
d'opinion quant à la manière de mener cette lutte, voire pour leur antagonismes.
La « guerre au terrorisme » s'annonce donc infinie.
Le second repenti appelé à témoigner au procès de Manhattan est
un citoyen états-unien d'origine égyptienne. Son pedigree est tout aussi
étonnant : après avoir fait un passage « sous l'uniforme des forces spéciales de
l'US Army » [8], Ali Mohamed aurait rejoint Ben Laden à la fin des années 1980.
Convoqué devant le tribunal new-yorkais, il ne vient finalement pas témoigner en
personne, mais permet l'élaboration d'« un rapport du FBI basé sur son
témoignage ».
Ali Mohamed
Mohammed n'est pas précisément n'importe qui.
Ancien membre des services secrets égyptiens, il a assuré, de 1987 à 1998, la
formation des combattants d'Al Qaïda. À la même époque, il enseignait également
à la John Kennedy Special Warfare Center and School, « où il formait les membres
du plus secret des réseaux d'influence, le stay-behind et les officiers des
Forces spéciales US » [9]. Dans son Témoignage écrit, Ali Mohammed évoque
notamment d'autres cibles étrangères visées par la série d'attentats en Afrique,
« entre autres l'ambassade de France et le centre culturel de France ». Ce qui
permet à Roland Jacquard d'affirmer « qu'au-delà des intérêts américains, les
intérêts occidentaux au sens large sont également visés et que la menace est
peut-être plus diffuse plus qu'il n'y paraît » [10]. Le terrorisme islamiste ne
vise dont pas exclusivement les États-Unis et leur politique étrangère
agressive, particulièrement au Proche-Orient, mais « l'Occident » d'une manière
plus large, en vue d'instaurer un Califat sur l'ensemble de la planète. Ce qui a
le mérite de clarifier les camps : comme l'exprime alors le président
états-unien George W. Bush, « soit vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les
terroristes » [11].
Le terme de « repenti » peut également être employé abusivement,
comme le montre le cas de Djamel Beghal. Ce franco-algérien de 38 ans a été
arrêté en septembre 2001 à l'aéroport de Dubaï. Devant les policiers émiratis,
il mentionne un projet d'attentat contre l'ambassade des États-Unis à Paris et
raconte ses liens avec Al Qaïda. Du pain béni pour la justice antiterroriste
française et la DST qui cherchent absolument à démontrer la réalité de la menace
islamiste en France. Malheureusement, de retour à Paris, Djamel Beghal revient
sur ses déclarations, et nie toute implication dans une quelconque préparation
d'attentat. D'après lui, ses aveux à Dubaï s'expliquent par les mauvais
traitements subis : « isolement, interdiction d'entrer en contact avec qui que
ce soit, violences physiques, pressions psychologiques » [12]. Une version
partiellement confirmée par un magistrat antiterroriste français interrogé sur
Europe 1 le 2 octobre 2001. Selon ce dernier, les officiers émiratis ont utilisé
des « chefs religieux locaux » afin de lui faire « un lavage de cerveau à
l'envers » pendant neuf mois, ce qui lui aurait permis de retrouver « le chemin
de l'islam juste » [13]. Une prise de conscience religieuse donc, qui aurait
convaincu Beghal de livrer tout ce qu'il savait sur les activités d'Al Qaïda en
Europe. Seul petit problème : rien ne permet aujourd'hui d'affirmer que
l'ambassade états-unienne à Paris était effectivement visée par un projet
d'attentat. Les seuls islamistes condamnés dans ce dossier ont en effet assuré
qu'ils visaient d'autres cibles, dont aucune en France [14]. Beghal a donc, dans
un premier temps, avoué aux enquêteurs émiratis tout ce qu'ils voulaient
entendre avant, dans un second temps, de se rétracter devant les enquêteurs
français.
Djamel Beghal
Djamel Beghal n'est donc pas
forcément le « bon client » dont la justice antiterroriste française avait
besoin. Yacine Akhnouche, arrêté en février 2002, sera un bien meilleur choix.
Mis en examen et écroué, officiellement dans le cadre de l'enquête sur le projet
d'attentat de Strasbourg de décembre 2000, ce fabricant de fausse carte bleue -
chez qui la police découvre « des formules chimiques suspectes » - confirme
subitement, au cours de son interrogatoire, l'existence d'un réseau terroriste
dormant européen, particulièrement actif en France. Mieux, il se révèle en être
un nœud central : au cours d'un séjour en Afghanistan, il a en effet rencontré
Richard Reid, l'homme qui voulait faire sauter ses chaussures dans le vol
Paris-Miami, Zacharias Moussaoui, le Français maintenu au secret par les
États-Unis pour avoir crié haut et fort qu'il voulait apprendre à viser des
immeubles avec des avions, mais aussi Ahmed Ressam, qui a été arrêté en décembre
1999 à la frontière canadienne avec 50 kilos d'explosifs. Yacine Akhnouche va
encore plus loin : il affirme connaître Abu Doha, un islamiste détenu à Londres
et chef présumé du groupe de Francfort, et avoir été en contact avec « plusieurs
personnes impliquées dans l'assassinat en Afghanistan du commandant Massoud, en
septembre 2001 » [15]. Le récit de ce mythomane est une aubaine pour les
enquêteurs français. L'un d'entre eux, touchant de naïveté, avoue : « un tel
procès-verbal est extraordinaire ». Les magistrats anti-terroristes s'appuient
sur le fait qu'il possédait une machine à « encoder » les cartes bancaires,
c'est-à-dire un banal encodeur de carte à puce disponible dans le commerce [16],
pour en faire de lui « un point de passage obligé pour la logistique financière
des réseaux ». D'après le juge Bruguière, « chaque appareil peut procurer
jusqu'à 200 000 francs (30 000 euros) par semaine à ses possesseurs. De quoi
assurer une part substantielle du financement d'une cellule terroriste » [17].
Au finale, force est de constater que les « repentis » d'Al
Qaïda ne sont pas légion. De surcroît, ceux que les responsables de la « guerre
au terrorisme » ont choisi d'introniser comme tels détonnent par leur peu de
fiabilité. Ce qui amène à s'interroger sur la provenance des informations
relatives à « l'organisation d'Oussama ben Laden » reprises à l'envi par les
médias du monde entier. Viennent-elles, comme jihadistes engagés en Afghanistan
contre l'Union soviétique, directement de Washington ?
- NOTES
:
[1] « Les 11 organisations
cibles de la guerre antiterroriste américaine », AFP, 25 septembre 2001.
[2] Voir « La Justice n'a pas
trouvé d'agent d'Al Qaïda en Europe », par Paul Labarique, Voltaire, 19 août
2004.
[3] « La guerre des
civilisations » par Thierry Meyssan, Voltaire, 4 juin 2004.
[4] « L'homme qui a trahi Ben
Laden se confesse devant un tribunal de Manhattan », par Alain Campiotti, Le
Temps, 15 février 2001.
[5] « La piste Ben Laden :
pourquoi et comment », par Alain Lallemand, Le Soir, 13 septembre 2001.
[6] Au nom d'Oussama Ben
Laden, par Roland Jacquard, Éditions Jean Picollec, 2001.
[7] « La piste Ben Laden :
pourquoi et comment », op.cit.
[8] « Devant les jurés de New
York, une esquisse du réseau ben Laden », par Michel Moutot, AFP, 2 octobre
2001.
[9] D'après « The Masking of
a Militant », par Benjamin Weiser et James Risen, New York Times, 1er décembre
1998, cité dans L'Effroyable Imposture de Thierry Meyssan, Carnot, 2002.
[10] Au nom d'Oussama Ben
Laden, op.cit.
[11] Address to a Joint
Session of Congress and the American People, Services de la Maison-Blanche, 20
septembre 2001.
[12] « Fin de l'enquête sur
Djamel Beghal, chef présumé d'une cellule islamiste », AFP, 27 août 2004.
[13] « L'aveu de Djamel
Behgal », par Patricia Tourancheau, Libération, 3 octobre 2001.
[14] Voir « La Justice n'a
pas trouvé d'agent d'Al Qaïda en Europe », par Paul Labarique, Voltaire, 19 août
2004.
[15] « L'extraordinaire
confession d'un islamiste de la mouvance Ben Laden », par Christophe Parayre,
AFP, 9 février 2002.
[16] Ces objets d'un usage
relativement simple et aisément disponibles (www.hitechtools.com/CartesPuce.htm), permettent de fabriquer différents types de carte à
puce, qu'il s'agisse de cartes d'accès à la télévision câblée, de cartes
téléphoniques, voire de cartes bancaires. Ils sont utilisés pour fabriquer des
vrais, mais aussi des faux.
[17] « Le "comptable" supposé
des réseaux en Europe », par Jean-Marie Leclerc, Le Figaro, 11 février
2002.
18. L’actuelle comédie de
l’essentialisme par Pascal Ménoret
in L'Humanité du lundi 20 septembre 2004
[Pascal Ménoret est agrégé de philosophie, ancien
collaborateur de l’ambassade de France à Riyad. Dernier ouvrage paru : "L’Énigme
saoudienne. Les Saoudiens et le monde, 1744-2003" aux Éditions La Découverte,
2003.]
Un spectacle éculé fait aujourd’hui salle comble, sur les plateaux de
télévision comme sur les éventaires des librairies : c’est la comédie de
l’essentialisme. Il n’en est pas en vérité de moins drôle, ni de plus
meurtrière. Mais la vieille recette n’a rien perdu de son efficacité. Prenez un
événement quelconque, de préférence dans l’« Orient compliqué ». Badigeonnez-le
de références religieuses plus ou moins absconses. Vantez l’extraordinaire
propension de « ces gens-là » à confondre théologie et politique. Laissez
gonfler une opinion publique aussi horrifiée qu’impuissante à comprendre. Le
dispositif est enclenché : lorsque votre gouvernement participera à une guerre,
aidera une dictature à réprimer ou trafiquera avec les pires criminels, non
seulement l’opinion ne le conspuera pas, mais elle lui en sera
reconnaissante.
On n’a pas assez noté la puissance d’entraînement de certains mots, ni leur
faculté extraordinaire à laisser prendre des vessies pour des lanternes. Dans le
langage des experts médiatiques, les termes de « djihad », « Allah », « charia
», aujourd’hui « fitna », sont devenus comme autant de crécelles,
consciencieusement agitées pour effrayer les gens honnêtes : ils font peu de
lumière et beaucoup de bruit. En décrivant les méfaits de l’internationale
islamiste, les ravages du « djihad » lancé par les « fous d’Allah » contre
l’Occident ou les conséquences inquiétantes de la « fitna », « guerre au coeur
de l’islam », nos bruyants experts ont bel et bien pris en otage le débat
public. En cela au moins ils sont furieusement à la mode.
Car enfin, pourquoi la guerre « intelligente » lancée en 2001 contre
l’Afghanistan avec le maigre renfort de troupes françaises rencontra-t-elle si
peu de résistance, alors même qu’elle était sans objet ni morale et fut sans
résultat ? Pourquoi les geôles des États arabes et leur cortège de tortures
n’empêchent-elles pas la France de fêter leurs présidents élus à vie comme
autant de prix Nobel en puissance ? Pourquoi nos hélicoptères européens et
démocratiques, nos systèmes de surveillance réputés garantir les libertés
fondamentales vont-ils grossir le parc des outils de répression détenus par les
régimes du sud et de l’est de la Méditerranée ? Les nouveaux essentialistes
n’ont qu’une réponse : parce que l’islamisme est en marche et, si l’on n’y prend
garde, submergera bientôt l’Occident de sa violence aveugle. Armons ses ennemis
les plus fidèles. Détruisons les États qui l’abritent. Mettons fin, par tous les
moyens, au règne de la terreur.
Ce discours n’est pas seulement faux. Il aboutit également à donner corps à
ce qu’il dénonce, en justifiant l’assistance sécuritaire à dictatures en danger,
en poussant au désespoir les moins flegmatiques de leurs opposants ou en donnant
aux plus vils des preneurs d’otages une importance qu’ils n’ont pas.
Au mépris de la vraisemblance ou de la logique, le discours médiatique fait
du « djihad », défini comme la guerre sainte de l’islam contre les infidèles,
l’alpha et l’oméga des dynamiques sociales et politiques du monde
arabo-musulman. Sans craindre l’amphigouri, il proclame que les musulmans
s’affrontent aujourd’hui selon les lignes de force de la « fitna », de la
discorde dogmatique entre écoles théologiques rivales. Agiter de tels chiffons
rouges, ce n’est pas seulement commettre des abus de langage sous couvert de
fausse érudition. Cela revient également à naturaliser le désordre actuel du
monde musulman, à ramener la violence armée en Irak, en Palestine, en Arabie
saoudite, en Europe même à n’être que l’expression d’une essence déposée depuis
quatorze siècles dans les profondeurs de la conscience musulmane. À nier les
interventions ininterrompues qui, de la colonisation à la guerre contre le
terrorisme, ont puissamment contribué de l’extérieur à façonner le Moyen-Orient.
À balayer d’un revers de la main les tensions proprement politiques qui opposent
des dictatures sanglantes ou des pouvoirs transitoires fantoches, célébrés en
Occident pour leur « laïcisme » ou leur « stabilité », à des sociétés qui, elles
aussi, entendent participer à l’avenir.
À l’heure où, dans les écoles de la République, l’enseignement du fait
religieux a été introduit dans son historicité et sa complexité, il n’est pas
besoin de souligner l’incongruité ou le danger du nouvel essentialisme. À
l’heure où un Occident tout-puissant ne combat, partout dans le monde, que les
vestiges de ses propres errements, des dictateurs « amis » devenus artisans de «
l’axe du mal » (tel Saddam Hussein) aux « combattants de la liberté » devenus
d’abominables terroristes (tel Oussama Ben Laden), rien ne serait plus périlleux
que de penser que tous nos malheurs, au fond, sont les rejetons de « djihad » et
de « fitna ». Il serait bon de se rappeler que, tout au long de leurs quatorze
siècles d’histoire commune, l’Europe a bien plus souvent fait le malheur du
monde islamique que le contraire. Peut-être cette simple constatation nous
éviterait-elle de céder à une version inédite de la fièvre obsidionale, de la
suspicion tous azimuts de l’autre.
Rien ne serait plus néfaste en tout cas que de réduire les difficultés que
rencontre le monde musulman à une science politique de proximité, qui proclame
que l’Europe est devenue la proie de nouvelles invasions barbares. Il faut
aujourd’hui cesser de penser l’autre arabo-musulman comme une menace
potentielle, sous peine de le voir, caricaturant nos propres angoisses, devenir
un danger effectif. Il faut cesser de le décrire en des termes que nous ne
comprenons pas et dans lesquels il serait bien incapable de se reconnaître. Et
ne plus permettre à nos « amis » dictateurs et aux plus violents de leurs
opposants d’encaisser les bénéfices de notre couardise
intellectuelle.
19. Israël recherche des financements pour
des routes "Arabs only" par Chris McGreal
in The Guardian (quotidien
britannique) du lundi 6 septembre 2004
[traduit
de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Israël courtise les donateurs
étrangers afin qu’ils financent la construction d’un réseau routier dans les
territoires occupés – réseau rendu nécessaire par la construction de la vaste
barrière « de sécurité » et les colonies juives en
Cisjordanie.
Le gouvernement israélien recherche des
financements étrangers afin d’améliorer les routes secondaires que les
Palestiniens sont contraints à utiliser – interdits qu’ils sont des routes
réservées aux seuls colons juifs. Il veut également des financements afin de
construire de nouvelles routes qui tiennent compte du mur et des colonies. Le
projet prévoit des routes parallèles, avec : une route pour les juifs, l’autre
pour les Arabes…
Les donateurs européens sont plus que réservés, en partie
parce qu’ils craignent que le financement des nouvelles routes ne contrevienne à
l’avis consultatif émis en juillet dernier par la Cour Internationale de
Justice, qui a condamné l’édification du mur. Ce tribunal a en effet jugé que le
mur devait être détruit, car il enfreint les conventions de Genève.
Mais des
diplomates disent que les Etats-Unis pourraient se montrer plus enclins à payer,
étant donné l’accord tacite de Washington pour la construction du mur et le
soutien qu’il a apporté au dernier projet d’Ariel Sharon consistant à étendre
les colonies en Cisjordanie tout en retirant les colons de la bande de
Gaza.
« Ce que les Européens ne sont pas prêts à faire, c’est financer quoi
que ce soit qui puisse contribuer à la construction du mur ou des colonies. Les
Américains, quant à eux, sont plus flexibles », a indiqué un diplomate
européen.
Des responsables officiels disent que la requête (israélienne) a
été formulée le mois dernier, lors de rencontres avec la Banque mondiale, après
des pressions internationales visant à obtenir d’Israël qu’il fasse moins
obstacle aux déplacements des Palestiniens.
Ces rencontres ont eu lieu au
lendemain de la publication d’un rapport de la Banque mondiale consacré aux
répercussions du projet, formé par M. Sharon, de se retirer unilatéralement de
la bande de Gaza, ainsi que de quatre colonies en Cisjordanie, tout en
renforçant le contrôle d’Israël sur d’autres parties des territoires
occupés.
La Banque mondiale a exhorté Israël à restituer beaucoup plus de
liberté de se déplacer aux Palestiniens, afin de rendre possible la
reconstruction de l’économie palestinienne.
Israël s’est alors dit intéressé
à « améliorer l’infrastructure des transports et à rendre possible des
déplacements sans interruption à travers la Cisjordanie », mais en précisant que
cela exigerait « la construction (d’un réseau routier) étendu et complexe, avec
une aide internationale. »
« Nous subventionnons déjà lourdement
l’occupation, et cela nous inquiète beaucoup », a indiqué un diplomate étranger,
qui a expliqué : « Nous sommes prêts à apporter l’aide qu’il faudra afin de
construire ou de reconstruire les infrastructures palestiniennes. Mais les pays
donateurs sont très préoccupés par le fait que les Israéliens pensent
apparemment que nous allons tout simplement payer la note de leurs actions, que
ce soit quand ils envoient les tanks (ravager tout) à Jénine ou à Rafah, ou que
ce soit quand ils construisent le(ur) mur (illégal). »
Des diplomates
étrangers disent que toute requête en vue de l’amélioration des routes ne
saurait émaner que de la seule Autorité (nationale) palestinienne – qui a d’ores
et déjà requis de l’aide afin de réparer des dégâts causés par des tanks
israéliens, mais pas particulièrement dans les zones proches du mur ou autour
des colonies…
Certains donateurs sont aussi inquiets devant le projet de
création d’un réseau routier ségrégué destiné aux Arabes, qu’une l’organisation
israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem a qualifié
d’apartheid.
B’Tselem fait savoir qu’Israël exclut (ou met des restrictions
à) l’utilisation, par les Palestiniens, de plus de 700 kilomètres de routes en
Cisjordanie. L’armée israélienne qualifie les routes d’où les Palestiniens sont
exclus de « stériles », qualificatif dont certains contempteurs disent (à juste
titre, ndt) qu’il a des connotations racistes.
Dans un rapport récent,
B’Tselem a indiqué que la politique routière d’Israël dans les territoires
occupés cause « une souffrance très dure, généralisée, arbitraire et prolongée à
la population locale ».
« En exerçant une discrimination illégale envers les
Palestiniens, le Régime des Routes Interdites rappelle le système d’apartheid
qui était la plaie de l’Afrique du Sud. Ce régime viole les principes
fondamentaux du droit international, (théoriquement) en vigueur en Israël »,
concluait ce rapport.
20. La cabale qui, voici quatre ans, s’est
emparée de la Maison Blanche y a apporté une philosophie qu’il urge de jeter
dans la poubelle de l’histoire par Mazin Qumsiyéh
in Al-Ahram Weekly
(hebdomadaire égyptien) du jeudi 2 septembre 2004
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier](Mazin Qumsiyéh est Maître de
conférence en génétique et directeur des services de cytogénétiques clinique à
l’Ecole de Médecine de l’Université Yale. Pour d’autres articles de Mazin
Qumsiyéh (en anglais) et beaucoup de ressources documentaires, consulter son
site ouèbe à l’adresse suivante : http://qumsiyeh.org.)George
Kennan, chef du service de la prospective politique au Département d’Etat
américain fit un jour l’observation suivante : « Nous (autres, Américains)
possédons environ 60 % de la richesse de la Terre, mais nous ne représentons que
6,3 % de sa population. Dans une telle situation, nous ne pouvons manquer d’être
l’objet d’envie et de ressentiment. Notre tâche fondamentale, dans la période à
venir, consistera à inventer un modèle de relations (internationales) qui nous
permette de maintenir cette position privilégiée dans le déséquilibre mondial.
Nous devons cesser de parler d’objectifs aussi vagues et irréalistes que les
droits de l’homme, l’élévation des niveaux de vie et la démocratisation. Le jour
n’est plus très loin où nous aurons affaire à des concepts de pouvoir beaucoup
plus directs. Moins nous serons embarrassés par des slogans idéalistes, ce jour
venu, le mieux ce sera. » [Document PPS23, 24 février 1948].
Mais, bien
entendu, nous savions qu’il n’en irait pas ainsi. Le discours sur la
démocratisation est toujours la meilleure arme pour pérenniser la disparité et
l’injustice. Ainsi, nous avons renversé le régime de Mossadegh, en Iran, dans
les années 1950, et nous avons réinstallé le Shah sur son trône ; non pas parce
que Mossadegh voulait nationaliser le pétrole iranien et le mettre au service de
son peuple, mais parce que les Etats-Unis prônaient à l’époque la « liberté » et
la « démocratie » contre toute forme de « socialisme ». Des arguments du même
acabit furent utilisés contre la Corée, le Chili, le Vietnam, le Nicaragua, la
Grenade, Haïti et des dizaines d’autres pays où nous décidâmes d’« intervenir ».
La résistance ancrée dans les peuples limita le succès de cette stratégie de
domination. Le parangon en fut la guerre du Vietnam, qui fut présentée comme le
résultat d’un « effet domino » de l’ « expansion communiste ». La retraite
américaine précipitée du Vietnam résulta du succès de la guerre de guérilla
vietnamienne contre l’armée la mieux équipée au monde, et ne lui fut pas
étrangère, non plus, la vigueur renaissante de pays du tiers-monde déterminés à
résister au pillage de leurs ressources naturelles au seul service des bas
intérêts économiques occidentaux. Les architectes de cette guerre ne s’avouèrent
néanmoins pas vaincus, en dépit de leur déconfiture dans le domaine des
relations publiques, leur théorie des dominos s’étant avérée une vaste
fumisterie.
Ces individus-là étaient déterminés à rendre l’impérialisme plus
sexy. Ils recrutèrent des libéraux en rupture de ban. Ils recherchèrent les
moyens de construire un message plus percutant et plus cohérent. Ils trouvèrent
leur bonheur dans une resucée du darwinisme social – philosophie dont le
précurseur fut un certain Machiavel. Leur gourou spirituel était un intello,
disciple, bien entendu, de Machiavel : Leo Strauss, un sioniste allemand immigré
aux Etats-Unis dans les années 1930, lequel servit de mentor à des hommes tels
Paul Wolfowitz, tout en popularisant sa philosophie construite autour d’un monde
où des chiens se dévorent entre eux. Ses idées jouèrent un rôle fondamental dans
la formation de la cabale néoconservatrice actuelle, qui tire les ficelles à la
Maison Blanche. D’après Strauss, le monde est divisé en nations distinctes, qui
ont des intérêts concurrents, et qui seront à jamais structurées ainsi. Dans des
conditions telles celles-là, les nations ne sauraient envisager une quelconque
action collective, ni aucune forme de multilatéralisme, à moins que cette action
collective ou ce multilatéralisme coïncide point pour point avec leurs propres
intérêts égoïstes respectifs. Un leadership politique fort est de règle, comme
l’est la nécessité d’un pouvoir militaire. Le leadership ne doit en aucun cas
s’embarrasser de discours sur les droits de l’homme ou une quelconque conscience
morale. Néanmoins, il doit « avoir l’air » de défendre ce genre d’idéaux. Les
gouvernants ne doivent pas respecter les lois qu’ils imposent aux gouvernés.
Ainsi, du simple fait qu’il est gouvernant, un gouvernant peut tricher et mentir
et faire absolument tout ce qui lui passe par la tête. Toutefois, il doit – dans
tous les cas de figure, et en permanence – se donner l’apparence extérieure
qu’il adhère aux droits de l’homme et qu’il se soucie de ses administrés. De
plus, les dirigeants peuvent utiliser la religion comme un des nombreux outils à
leur disposition pour s’assurer que la nation suive bien la route qui lui a été
désignée. Des menaces extérieures aident grandement à assurer la cohésion
sociale, sous la houlette du leadership local. L’altruisme, la protection de la
nature, la justice, etc, ne sont pas les oignons des gouvernements, ni des
élites dirigeantes. Ces grands sentiments n’ont aucun rôle à jouer dans
l’équation du pouvoir.
Mis en pratique en Amérique, ces principes furent, à
l’évidence, fort controversés. Mais ils conquirent du terrain auprès d’un groupe
de gens bien placés qu’on allait connaître plus tard sous le nom de «
néoconservateurs » (les « néocons », pour les intimes). En mars 1992, le
pamphlet les Grandes Lignes de la Défense américaine, formulées par Paul
Wolfowitz et Lewis Libby (deux néocons aux étroites accointances israéliennes),
fut transmis, au moyen de fuites bien organisées, au quotidien New York Times,
et causa un émoi certain (il y eut même une réfutation du Sénateur Biden). Son
ton machiavélo-straussien de domination mondiale, de prévention de l’émergence
de tout compétiteur éventuel de la puissance états-unienne etc… était
insupportable. Le document, sous sa nouvelle présentation, publiée le 16 avril
1992, était beaucoup plus doux, ou tout du moins prudent dans sa formulation.
Conséquence d’une distinction obtenue, le document révisé incluait, de manière
inédite, un soutien au sionisme considéré comme élément fondamental de la
politique américaine de défense : « Au Moyen-Orient et dans le Golfe, nous
devons chercher à renforcer la stabilité régionale, à dissuader l’agression
contre nos amis et nos intérêts dans la région, protéger les citoyens et les
biens américains et sauvegarder notre accès à l’espace aérien international et
aux voies maritimes, ainsi qu’aux ressources pétrolières régionales. Les
Etats-Unis sont engagés dans la sécurité d’Israël, et dans le maintien de
l’avantage qualitatif crucial pour la sécurité de ce pays. La confiance d’Israël
en sa sécurité et la coopération stratégique américano-israélienne contribuent à
la stabilité de l’ensemble de cette région du globe, comme cela a été encore une
fois prouvé à l’occasion de la guerre du Golfe. En même temps, l’assistance que
nous apportons à nos amis arabes afin qu’ils puissent se défendre face à une
éventuelle agression renforce, elle aussi, la sécurité dans l’ensemble de la
région, Israël compris ». (p. 14)
Le plan révisé allait donner aux néocons le
regain d’énergie dont ils avaient besoin pour mettre en œuvre leurs projets,
cette fois-ci, beaucoup plus prudemment (au niveau verbal). Les néocons
n’étaient pas à la Maison Blanche, entre 1992 et 2000, et cette période de
vacances leur a donné le temps nécessaire pour consolider leur mainmise dans
d’autres domaines (les médias, les boîtes à idées [think tanks], le Congrès…) et
de préparer un agenda plus détaillé portant sur la manière de conquérir le
pouvoir et, une fois le pouvoir conquis, sur la manière de l’exercer. Ce n’est
pas par hasard que, pendant que Clinton avait fort à faire avec ses scandales,
les talk shows télévisés conservateurs se multipliaient, que les empires
médiatiques se consolidaient et que (avec la création de grosses Berthas des
relations publiques, telle Fox TV) le pouvoir passait de mains en mains. Les
années 1996 – 1998 ont été cruciales pour le développement des stratégies et des
idées qui allaient façonner le monde tel que nous le connaissons aujourd’hui.
Ainsi, en 1996, les néocons envoyèrent au Premier ministre israélien Benjamin
Netanyahu une missive – dont le texte se trouve encore aujourd’hui sur le ouèbe
– intitulée « Une rupture franche : Une nouvelle stratégie pour sécuriser
l’Empire » [A Clean Break: A New Strategy for Securing the Realm].
L’ «
Empire » dont il était question était l’empire israélien, au milieu du
Moyen-Orient et contrôlant celui-ci. Dans leur missive, les néocons appelaient
de leur vue un changement de régime politique en Irak, sous la houlette
américaine, après quoi diverses formes d’attaque viseraient l’Iran et la Syrie
afin d’assurer la domination ( lire : américano-israélienne – c’est devenu
tellement implicite qu’ils en le disent même plus !) sur cette région
primordiale du monde. Primordial, le Moyen-Orient, essentiellement pour les
économies de concurrents des Etats-Unis, tels, au premier chef, la Chine et
l’Europe… Emmenée par Richard Perle, architecte en chef de la dernière guerre en
date des Etats-Unis contre l’Irak, cette fine équipe était composée de James
Colbert, du Jinsa [Jewish Institute for National Security Affairs – Institut
juif pour les questions de sécurité nationale], Jonathan Torop, du Washington
Institute for Near East Policy [Institut Washington pour (l’étude) des
politiques moyen-orientales], rejet du vigoureux Aipac [American Israeli Public
Affairs Committee], David Wurmser et Douglas Feith.
L’année suivante, les
néocons lançaient le PNAC [Project for a New American Century – Projet pour un
Nouveau Siècle (forcément…) Américain]. Ce PNAC en appelait à l’hégémonie
mondiale des Etats-Unis : la « Pax Americana » (inspirée, sans doute de la Pax
Romana, la culture en moins. ndt). Péremptoire, le PNAC proclamait : « La paix
américaine a prouvé à quel point elle est pacifique (ouch !), stable (mhhh ?) et
durable (éh béh !). Néanmoins, aucune phase, dans la politique internationale,
ne saurait être congelée dans l’état où elle se trouve à l’instant T : la Pax
Americana mondiale elle-même ne pourra pas se prolonger indéfiniment… Le nouvel
ordre mondial doit s’appuyer, solidement, sur une prééminence militaire
américaine incontestée… Le processus de transformation sera vraisemblablement
(très) long, sauf si quelque événement cataclysmique et catalyseur venait à se
produire – quelque chose comme un nouveau Pearl Harbour . »
Les épigones du
PNAC, dont Wolfowitz, Donald Rumsfeld, Dick Cheney, Libby, Elliot Abrams et
alii, acquirent un peu plus tard des positions de pouvoir, Bush Junior ayant
conquis la Maison Blanche. Un peu avant, en 1998, ils avaient écrit à Clinton et
aux chefs de groupes politiques du Congrès, afin de plaider l’élimination de
Saddam Hussein du pouvoir et l’affirmation de la domination américaine au
Moyen-Orient. Ils allaient devoir attendre deux ans [putain : deux ans !],
jusqu’à l’ascension [je laisse « ascension », je trouve ça rigolo, ndt] de
George W. Bush à la présidence américaine, en janvier 2001 et, surtout, la
survenue de leur Aubaine (vous savez : le « nouveau Pearl Harbor »…) sous
l’avatar des attentats du 11 septembre 2001. Le reste, comme on dit, appartient
à l’Histoire. Ils furent convaincus, dès cet instant, que tout était en place et
qu’ils pouvaient réaliser leurs rêves, sur une échelle encore beaucoup plus
grandiose que celle qu’ils n’avaient osé imaginer dans les années 1992 – 1998.
Leur rêve est notre cauchemar : les Etats-Unis sont empêtrés dans un conflit
aigu avec le reste du monde, le terrorisme prolifère et d’aucuns pensent (pire :
disent) que, pour l’Empire américain, c’est le début de la fin. Pendant ce
temps, le cœur de l’action collective planétaire, l’ONU, est en panne, avec
parfois cent cinquante pays votant à la quasi-unanimité une résolution à
laquelle ne s’opposent que les Etats-Unis et Israël (les deux « métropoles »)
(avec le « renfort » occasionnel de l’Australie et – plus inquiétant pour le
monde – de la Micronésie et des Iles Marshall).
Le résultat net est le
suivant : terrorisme aggravé ; violence aggravée et déréliction dans des pays
comme l’Irak, la Palestine et l’Afghanistan ; déficit commercial et budgétaire
abyssal des Etats-Unis ; énorme endettement des pays du tiers-monde et des
Etats-Unis (individus, entreprises, gouvernement) ; décimation de traités et
d’obligations en matière environnementale et, l’armée états-unienne étant
dispersée dans la quasi-totalité du monde : déstabilisation généralisée, quasi
planétaire. Il ne s’agit là que de la rançon de la gloire, l’important étant,
n’est-ce pas, que des groupes extrêmement sélectifs de Straussiens vendent leurs
bouquins, exigent des émoluments exorbitants pour leurs conférences et
décrochent des sinécures gouvernementales, distribuées au cours des partie de
chaises musicales à Washington, District of Columbia.
Ces intérêts
particuliers célèbreront leur « victoire », quel que soit le président qui
occupera le bureau ovale de la Maison Blanche en décembre prochain. Si Kerry
l’emporte, vous aurez au moins de la distraction, puisque vous pourrez observer
une nouvelle équipe de néocons s’installer au pouvoir. Dennis Ross, partisan
effréné d’Israël, qui fut envoyé spécial américain au Moyen-Orient sous Bush
Père et Clinton, pourrait être nommé secrétaire d’Etat, ou choisi pour un poste
d’un niveau non inférieur à celui-là. Martin Indyk, autre pro-israélien
fanatique, qui fut nommé ambassadeur américain en Israël par Clinton, pourrait
devenir le nouvel envoyé spécial américain au Moyen-Orient. Et ainsi de suite…
Tant Kerry que Bush présentent les caractéristiques straussiennes classiques.
Elles se manifestent avec un éclat particulier dans l’identité de leurs
positions identiques sur l’Afghanistan, l’Irak, la Palestine et la Cour
Internationale de Justice, pour ne citer que quelques-uns des sujets les plus
cruciaux. De plus – et c’est sans doute plus inquiétant pour la survie de notre
espèce – ni l’un, ni l’autre n’a la moindre intention de s’attaquer aux menaces
mondiales pour l’environnement, dans lesquelles les Etats-Unis endossent
pourtant une responsabilité énorme (comme on l’a déjà indiqué, les citoyens
américains consomment plus de la moitié des ressources naturelles mondiales,
bien qu’ils ne représentent qu’un vingtième de la population mondiale…). Evoquer
de manière cosmétique la réduction de notre dépendance vis-à-vis du pétrole
étranger ne saurait en rien représenter une alternative à la ratification des
Accords de Kyoto, ni à l’examen sérieux des effets négatifs de la «
mondialisation » – que les Administrations, tant démocrate que républicaine,
appellent généralement « le libre écoulement » des richesses (bien entendu :
libre écoulement des richesses… vers les Etats-Unis !) et, cela, tout en faisant
absolument tout ce qui est possible et imaginable afin d’empêcher qu’il se passe
quelque chose d’équivalent en ce qui concerne les travailleurs qui les créent,
ces fameuses « richesses »... Les droits fondamentaux, tels que reconnus par la
Déclaration universelle des droits de l’Homme (dont l’accès à la nourriture, à
l’eau et aux soins médicaux) deviennent l’exclusivité des super riches.
Ce
n’est qu’en réveillant l’opinion publique américaine, et en l’associant aux
mouvements de résistance au sein de la communauté mondiale (dont la résistance
irakienne) que cette chute vers l’abîme pourra être stoppée. Comme l’a dit
quelqu’un : ceux qui ne sont pas effrayés n’ont tout simplement pas écouté. Mais
aujourd’hui, de plus en plus de gens prêtent attention à ce qui se passe, et
obtiennent leur information de sources alternatives (autres que, par exemple,
ces officines de relations publiques que sont Fox et MSNBC). C’est notre avenir,
collectif et de plus en plus interdépendant, qui est en jeu.
Sur un plan
plus profond, psychologique, le choix que nous avons à opérer est un choix entre
: penser, croire et agir en fonction des pires éléments de l’Histoire de
l’humanité (c’est-à-dire, selon le modèle straussien) et : penser, croire et
agir en fonction de la connaissance des accomplissements historiques du meilleur
de l’humanité – et même, en osant imaginer et former des projets pour un futur
meilleur. En d’autres termes : l’humanisme.
L’enjeu, en la matière, est rien
moins que le choix entre une politique du pouvoir qui sacrifie la morale et la
justice, et une voie d’avenir, fondée sur les droits de l’homme garantis à tous
les hommes. Il se trouve que c’est aussi la seule susceptible de permettre à
notre Planète de survivre.