Point d'information Palestine N° 238 du 10/07/2004
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Au sommaire
              
Témoignages
1. "Il serait facile de raser Beit Hanoun…" par Marianne Blume, citoyenne de Gaza en Palestine
2. Rencontre avec Dani par Samah Jabr (6 juillet 2004) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                   
Dernières parutions
1. Made in Palestine - Journal d'une française à Ramallah de Fanny Germain aux éditions Ramsay
2. La France et l'origine de la tragédie palestinienne 1914-1922 de Philippe Prévost aux éditions du Centre d'Etudes Contemporaines
3. Les Cahiers de Confluences : "La Méditerranée des Juifs" sous la direction de Paul Balta, Catherine Dana et Régine Dhoquois-Cohen aux éditions de L'Harmattan
4. Revue d’études palestiniennes - "Le Mur à la Cour internationale de justice de La Haye" N° 92 (Eté 2004) aux Editions de Minuit
                     
Réseau
1. IMPORTANT - Communiqué du site Solidarité-Palestine
2. Azmi Bishara, député palestinien au Parlement israélien, en grève de la fin contre le système d’apartheid israélien
3. 64% des juifs israéliens en faveur de mesures visant à "encourager" les Arabes à quitter Israël… par l'Arab Association for Human Rights (HRA) - Communiqué du mercredi 30 juin 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
4. Dix institutions de l'ONU réclament un accès sûr des lycéens palestiniens à leur examen final par le Service d'information de l'ONU le lundi 7 juin 2004
5. Lettre ouverte aux institutions de l’Union Européenne par le Réseau des associations juives européennes pour une paix juste (Juin 2004)
                          
Revue de presse
1. Dennis Ross, ancien envoyé américain chargé du "processus de paix" travaille aujourd’hui pour l’Agence Juive et Israël in The Mid-East Realities (mensuel étasunien) du lundi 7 juillet 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. Solidarité avec Leila Shahid in Le Monde du vendredi 2 juillet 2004
3. La séparation génère le racisme par Azmi Bishara in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 1er juillet 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
4. Diplomatie : Barnier plaide le retour du processus de paix par Valérie Féron in L'Humanité du jeudi 1er juillet 2004
5. Vivre avec les Arabes par Maxime Rondinson in Le Monde diplomatique du mois de juillet 2004
6. Devant les griffes du mur par Tanya Reinhart in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du mercredi 23 juin 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
7. Les colons de Gaza partagés par Joël David in La Croix du mardi 22 juin 2004
8. Les Israéliens se servent des Kurdes pour édifier leur base avancée par Gary Younge in The Guardian (quotidien britannique) du lundi 21 juin 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
9. Projet du "Grand Moyen-Orient" entre politique-fiction et réalité par Hichem Ben Yaïche on Vigirak.com le samedi 19 juin 2004
10. Israël : Ariel Sharon, jardinier de l’enfer par Hichem Ben Yaïche on Vigirak.com le mercredi 16 juin 2004
11. L’Agence Juive s’apprête à lancer une campagne massive en faveur de l’aliyah de juifs français par Arik Bender in Maariv (quotidien israélien) du dimanche 13 juin 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
12. Qui a peur de Yossef Lapid ? par Jacques Bertoin in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 13 juin 2004
13. L'autre oeil Tsahal par Jean-Luc Allouche in Libération du mardi 8 juin 2004
14. Le Conseil de Paris unanime pour dédier une rue à Theodore Herzl Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 7 juin 2004
15. La Guerre des civilisations par Thierry Meyssan in Voltaire du vendredi 4 juin 2004
16. A l’ombre du mur, Israël construit des zones industrielles par Meron Rapoport in Le Monde diplomatique du mois de juin 2004
17. Busharon, le compte à rebours par Uri Avneri in Le Nouvel Afrique Asie du mois de juin 2004
18. La terreur comme politique par Michele Giorgio in La Rivista del Manifesto (mensuel italien) du mois de mai 2004 [traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio]
19. Un Etat providence par-dessus la Ligne Verte par Hannah Kim in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mardi 25 mai 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
20. Palestine et Israël : des articulets du Monde" aux titres trompeurs par Michel Robin on Acrimed le mardi 18 mai 2004
21. L'an prochain à Jérusalem ? par Valérie Féron on Entrefilets.com le samedi 15 mai 2004
22. Les géniteurs d'Al-Qaeda par François Burgat in Libération du mercredi 12 mai 2004
23. Palestine : l'apartheid en pratique par Praful Bidwai in The News International Pakistan (quotidien pakistanais) du lundi 19 avril 2004 [traduit de l'anglais par Claude Zurbach]
24. Universités en péril par Sara Roy in The London Review of Books (bimensuel britannique) du jeudi 1er avril 2004 [traduit de l'anglais par Ana Cleja]
25. Arafat l'irréductible - Vu par un journaliste israélien par Eric Rouleau in Le Monde diplomatique du mois d’avril 2004
26. Le mur des plaintes et des espoirs par Théo Klein in Etudes du mois de janvier 2004
27. Une fraude de l’envergure d’un Roi : Israël, le sionisme et la falsification des propos de Martin Luther King par Tim Wise in Zmag (e-magazine américain) du lundi 20 janvier 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                               
[- Extrait du sommaire provisoire du prochain Point d'information Palestine (N°239) : Présentation des livres : Revue Egypte/Monde arabe (N°6 - 2003)
"D'une intifâda l'autre : La Palestine au quotidien" sous la direction de Bernard Botiveau et Aude Signoles aux Editions Complexe / CEDEJ (Centre d'études et de documentation économiques , juridiques et sociales) [225 pages - 18,30 euros - ISBN : 2870279930] - Mahmoud Darwich dans l'exil de sa langue de François Xavier
aux éditions Autres Temps [170 pages - 15 euros - ISBN : 2845211740] - Réseau : Reporters sans frontières dénonce une série de violences israéliennes contre les journalistes palestiniens couvrant la région de Naplouse (Juin 2004) - Dans notre revue de presse : Le renseignement en ruine par Robert Baer in Le Figaro Magazine du samedi 3 juillet 2004 - Vent de panique sur les perruques ultraorthodoxes par Paul Vallely paru dans The Independent (quotidien britannique) traduit in Courrier International du jeudi 3 juin 2004 - Réflexions d’un juif dissident sur le sionisme par Tim Wise in Zmag (e-magazine américain) du mercredi 5 septembre 2001.]
                           
Témoignages

                          
1. "Il serait facile de raser Beit Hanoun…" par Marianne Blume, citoyenne de Gaza en Palestine
Le vendredi 2 juillet 2004 - « Il serait facile de raser Beit Hanoun pour régler la question des tirs de roquettes mais Israël s’impose des limites dans cette guerre. » C’est ce qu’a déclaré le vice-ministre israélien de la Défense, Zeev Boïm [1], alors que commençait l’action militaire contre la région de Beit Hanoun dans le nord de la Bande de Gaza. Selon l’armée israélienne, cette incursion dans les Territoires dits « autonomes » palestiniens est destinée à protéger la ville de Sédérot (en Israël) des tirs de roquettes Qassam au départ de la région nord-est de la Bande de Gaza.
Puisqu’on ne rasera pas Beit Hanoun (40.000 habitants), la question est de comprendre le plan israélien. D’après le ministre de la Défense, Shaul Mofaz, « La solution initiale est de s’emparer des régions d’où les terroristes tirent les roquettes, comme nous l’avons fait. » A quoi il ajoute : « Nous resterons aux alentours de Beit Hanoun aussi longtemps qu’il le faudra. » Et toujours lui : «  Je crois que les opérations entreprises par l’ISA et l’IDF produiront une réalité différente. Nous atteindrons ceux qui lancent les roquettes. » [2]
Le plan est donc clair : primo, on s’empare de la région désignée comme base de lancement des roquettes ; secundo, on y reste sans limite de temps si ce n’est l’hypothétique désengagement de fin 2005 [3]; tertio, on crée une réalité différente. Par ailleurs, l’opération est qualifiée par Sharon d’envergure et un haut responsable militaire a confié aux journalistes qu’il ne s’agissait pas d’une simple opération « mais d’un nouveau déploiement » [4].
Sur le terrain, deux bataillons assistés de blindés, de tanks, de bulldozers et appuyés par des hélicoptères ont encerclé Beit Hanoun pour créer ce que l’armée appelle une zone « tampon » ou « de sécurité » [5]. D’après le site bien informé d’Arouts Sheva, l’armée a ainsi créé un périmètre de sécurité de 5 km [6]. Cette zone part d’Erez et s’étend vers le sud, le long de la route Salaheddine (appelée « Tancher » par les Israéliens) jusqu’avant Jabalyia pour repartir vers l’est, vers la clôture de frontière. Une seule route (de sable) permet l’accès à Beit Hanoun mais l’armée la contrôle et y a établi un checkpoint [7]. D’après l’AP qui cite un responsable israélien de sécurité, des infrastructures seront construites, comme des positions fortifiées, des passages pour les blindés et de nouvelles routes [8]. En attendant, toutes les sources s’accordent à dire que la route principale Salaheddine a été dévastée, que des bulldozers ont rasés vergers, oliveraies et terres agricoles et que les paysans sont interdits d’aller dans leurs champs ou ce qu’il en reste.
Il s’agit donc bien là d’une nouvelle réalité. La ville de Beit Hanoun est bel et bien séparée du reste de la Bande de Gaza et les checkpoints, fortins et autres tranchées vont installer une enclave dans le territoire palestinien dit « autonome ». Ceci est tellement vrai qu’un responsable israélien qui faisait un briefing à Erez pour les journalistes s’est senti obligé de préciser : « …mais Israël n’a pas l’intention de construire une autre clôture à l’intérieur de la Bande de Gaza, du moins pas à ce stade. »[9] Cette déclaration en dit long sur la réalité implicite du déploiement israélien. D’ailleurs, lors d’une réunion où était invitée une institution internationale connue, l’interlocuteur israélien a quant à lui parlé d’un vrai mur.
Quoi qu’il en soit, les effets de l’établissement de cette zone « de sécurité » sont identiques à ceux qu’engendrerait une clôture ou un mur. D’ores et déjà, les organisations internationales et les ambulances n’ont aucune liberté de circulation quand elles ne sont pas carrément interdites d’entrée. D’ores et déjà, la pénurie de vivres se fait sentir, notamment le lait pour les bébés. D’ores et déjà, la région est dévastée et les sources de revenus des habitants, essentiellement des paysans, sont détruites. D’ores et déjà, la libre circulation est annihilée.
Pour autant, la presse internationale et les médias en général ne se sont pas étendus sur cette nouvelle catastrophe humaine, sur ce nouveau déni du droit international et des accords conclus. La raison en est sans doute à la stratégie de discrétion pratiquée par le gouvernement israélien. Contrairement à l’opération à Rafah, l’armée a préconisé une réponse qui ne soit pas une démonstration de force [10]. Jusqu’à présent l’armée n’entre pas dans la ville mais se déploie tout autour allant jusqu’aux faubourgs de Beit Lahyia et de Jabalyia [11]. Après les condamnations unanimes d’Israël pour son opération meurtrière à Rafah, le gouvernement a décidé de mettre la pédale douce, ce qui n’est pas sans créer des problèmes vis-à-vis du public israélien choqué par la mort de deux personnes à Sédérot. C’est sans doute pourquoi le Jerusalem Post se met en frais pour expliquer à ses lecteurs via le Général Brigadier Dani Kassif la non utilisation de l’artillerie lourde contre les tirs de Qassam [12].
Israël a donc tiré les leçons de Rafah mais la plupart journalistes ont oublié les effets de la propagande et ignorent les réalités du terrain pourtant dénoncées par les Palestiniens. Toute une région est coupée de la Bande de Gaza au moins jusqu’en 2005, toute une population est mise au cachot par l’armée, le plan de désengagement est contredit dans les faits mais comme le signale le Haaretz, l’opération  ne soulève que peu d’intérêt et ne fait l’objet d’aucune vague de critiques [13].
Beit Hanoun sans mur est déjà emmurée, Beit Hanoun sans clôture est déjà clôturée.
- NOTES :
[1] AFP, mardi 29 juin 2004, Raids aériens et opération terrestre israéliens à Gaza.
[2] Eli BREDNSHTEIN, Sharon :”Sederot is a town at war », Maariv International, 1er juin 2004.
[3] AFP, 2 juillet 2004, L’armée israélienne restera au nord de Gaza jusqu’à fin 2005.
[4] Arieh O’SULLIVAN, « Security zone » set up in north Gaza, Jerusalem Post on line, 30 juin 2004.
[5] Ibidem et AP, 1er juillet 2004, Israël souhaiterait établir une « zone de sécurité » dans le nord de la bande de Gaza.
[6] Arouts7, 30 juin 2004, Tsahal « prend racine » à Beit Hanoun
http://www.a7fr.com. Ce site appartient à l’extrême droite des colons et donne souvent des informations que d’autres n’osent donner.
[7] Arieh O’SULLIVAN, « Security zone » set up in north Gaza, Jerusalem Post on line, 30 juin 2004. 
[8] AP, 1er juillet 2004, Israël souhaiterait établir une « zone de sécurité » dans le nord de la bande de Gaza.
[9] Arieh O’SULLIVAN, « Security zone » set up in north Gaza, Jerusalem Post on line, 30 juin 2004.
[10] Aluf BENN, The Qassam connection, www.haaretz.com, 2 juillet 2004.
[11]
www.palestinemonitor.org.
[12] Arieh O’SULLIVAN, IDF won’t use artillery against Kassams-senior officer, Jerusalem Post on line, 2 juillet 2004.
[13] Aluf BENN, The Qassam connection,
www.haaretz.com, 2 juillet 2004.
                                       
2. Rencontre avec Dani par Samah Jabr (6 juillet 2004)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Samah Jabr est palestinienne, médecin et résidente à Jérusalem occupée. Depuis moins d'un an, elle suit une formation en psychiatrie dans la région parisienne. Fille d’un professeur d’université et d’une directrice de collège, elle a été chroniqueuse pour le Palestine Report entre 1999-2000, sa rubrique s’intitulait " Fingerprints " ("Empreintes digitales"). Depuis le début de l’Intifada, elle contribue régulièrement au Washington Report on Middle East Affairs et au Palestine Times of London. Lauréate du Media Monitor’s Network pour sa contribution sur l’Intifada, un certain nombre de ses articles ont été publiés dans The International Herald Tribune, The Philadelphia Inquirer, Haaretz, Australian Options, The New Internationalists et d'autres publications internationales. Elle a donné plusieurs séries de conférences à l’étranger dont à l’Université Fordham et au St. Peter’s College à New York, à Helsinki et dans plusieurs universités, mosquées et églises en Afrique du Sud.)
Nous autres, humains, oublions souvent notre voix intérieure. Trop souvent, nous sommes incapables d’amplifier les admonitions que nous chuchotent nos consciences afin que d’autres que nous puissent les entendre, eux aussi. De fait, nous profitons rarement de l’opportunité qui nous est offerte de libérer nos âmes, ce faisant, tandis que notre être physique reste captif, à la merci de l’oppression, du pouvoir, de la tentation, de la peur ou de la haine.
En fermant notre cœur et nos oreilles à cette voix intérieure, et les uns aux autres, nous nous dénions à nous-mêmes des qualités humaines aussi essentielles que la beauté, la gentillesse, la vérité et la bonté.
Pour moi, cela n’a pas été facile, de rencontrer Dani, un Israélien entre deux âges, qui s’est présenté comme un ancien soldat. Il était parmi un groupe d’Israéliens et de Palestiniens, rassemblés dans le village œcuménique « hollandais » de Nes Ammim, coincé entre Al-Mazra’a, un village palestinien, et les villes israéliennes de Naharia et de Carmiel, dans le nord de la Galilée. Nous étions réunis pour parler du genre de vie que nous menions, musulmans, chrétiens et juifs, dans cette situation de grave conflit politique.
Dani me montra du doigt, s’écriant : « Samah me dit quelque chose… J’ai servi au checkpoint de Bethléem, il y a quelques mois, et je la reconnais : c’est là-bas que je l’ai vue… » Puis il ajouté : « Je viens ici rencontrer les Palestiniens, sur un pied d’égalité. »
Les mots de Dani m’ont laissée froide. Militante contre l’occupation, je ne suis pas d’accord avec ces Israéliens de gauche dont les principes sionistes présupposent l’exploitation d’une autre population et qui se gardent bien de condamner, comme devraient les y contraindre les principes éthiques et moraux, les forces israéliennes d’occupation, lesquelles ont déterminé et influencé dans une grande mesure l’existence et la manière d’être de Dani.
Bien que nos regards se soient souvent croisés, tandis que nous nous servions, à table, ou lors de conférences auxquelles nous avons assisté ensemble, ou encore en nous baladant à l’ombre des arbres, dans les rues du village de Nes Ammin, j’ai évité Dani comme je l’aurais fait s’il avait gardé sa tenue militaire.
Alors que notre week-end de rencontre touchait à sa fin, tout le groupe joua au « jeu de l’aquarium ». C’est un jeu dans lequel deux personne se rencontrent et échangent des idées et des sentiments, devant tous les autres participants. La discussion au sujet d’une solution pacifique m’a amenée au centre du groupe. Avant que je puisse exposer ma vision de la paix, toutefois, je me suis retrouvée appariée à Dani. Cet homme, grand et massif, chauve, vint s’asseoir sur la chaise placée en face de moi. Il m’a regardée dans les yeux, puis il m’a dit de sa voix assurée et virile : « J’ai été soldat de « Tsahal », j’ai servi dans les territoires palestiniens et j’ai tiré sur des Palestiniens… J’en ai peut-être tué quelques-uns… Que pensez-vous de moi ? »
J’ai l’habitude qu’on me demande ce que je pense, comment je vois l’avenir, comment j’explique telle ou telle chose. Mais je ne m’attendais vraiment pas à ce qu’on me demande mon avis après une révélation aussi douloureuse et aussi grave que celle de Dani. Je ne sus pas, sur le coup, s’il me lançait un défi ou s’il me proposait la réconciliation. Tout ce qui me vint à l’esprit, ce furent les images, se répétant à l’infini comme dans deux miroirs, de la mort froide et de l’humiliation amère, évoquées chez moi par la simple mention de l’armée israélienne.
« Ce que je ressens envers vous, c’est de la colère », finis-je par répondre, en m’efforçant de donner la réponse la plus brève possible.
« Je comprends votre colère », dit Dani, puis il exprima son regret d’avoir servi dans l’armée israélienne et son dégoût pour les pratiques de cette armée. Il dit qu’il était hanté par la culpabilité et qu’il dormait très mal à cause des souvenirs de l’époque où il faisait son service à Gaza et en Cisjordanie. Il évoqua des actes horrifiants, qu’il avait perpétrés, avec d’autres soldats, contre des Palestiniens, puis d’une prise de conscience soudaine qui l’incitait à des rencontres comme la nôtre, dans l’espoir de pouvoir se réconcilier avec lui-même et avec autrui.
Je me rappelle m’être adressée aux étudiants politiquement conservateurs et ultrasionistes d’une yéshiva du quartier Washington Heights, à New York, et avoir entendu l’interview d’un soldat israélo-sud-africain qui avait participé aux crimes de guerre perpétrés à Jénine en avril dernier, et qui les défendait, allant jusqu’à s’en vanter. Cette interview avait été diffusée par la télévision nationale sud-africaine. L’une comme l’autre, ces expériences avaient été pour moi plus faciles à supporter que la confession émouvante de Dani.
Voilà qu’un Israélien jusqu’à la moelle des os, un homme mûr, né dans la colonie conservatrice de Gush Etzion, et éduqué à haïr et à déshumaniser les Palestiniens, était en train de nous parler de sa propre transformation psychologique.
Bien que ma colère contre lui et ma haine pour ce qu’il avait fait n’eussent en rien diminué, je fus stupéfaite par sa capacité à laisser parler son moi intérieur – la meilleure partie de lui-même.
Courageusement, Dani a parlé de ses fautes, malgré les risques qu’il encourait. Ces risques, c’était notamment celui d’une réaction violente de la part de certains Palestiniens et l’embarras évident de certains Israéliens face à une dénonciation aussi décidée et scandaleuse de leurs pratiques d’occupants. Cet embarras fut encore plus mis à nu lorsque Dani, l’ancien soldat israélien, conclut en disant que, s’il était né « dans l’autre peuple », il ferait exactement ce que les Palestiniens sont en train de faire, aujourd’hui.
Quand enfin quelqu’un d’autre vint s’asseoir à la place de Dani, la question classique du pardon fut soulevée. « Samah, maintenant que vous avez entendu ce que Dani avait à dire, pardonnez-vous aux Israéliens ce qu’ils ont fait, et êtes-vous prête à vivre en paix avec eux ? »
« C’est trop tôt, pour parler de pardon, alors que l’occupation est en ce moment en train de nous opprimer, tous autant que nous sommes », ai-je répondu. « Si je suis un jour capable de pardonner, je pardonnerai ce que j’ai souffert, moi, personnellement – je ne pourrai jamais offrir mon pardon sur le dos d’autres Palestiniens que moi-même. »
Un pasteur luthérien, un Allemand, me sourit et me dit : « Samah, c’est fou, ce que tu peux être juive, à de certains moments ! »
Quand fut venu le moment du départ, Dani me dit que les autres participants juifs israéliens, qui s’étaient présentés comme plus libéraux que lui-même, lui en voulaient à cause de ce qu’il avait avoué. Il me tendit sa carte de visite, et il me dit qu’il était psychiatre et écrivain. Comme mes parents, il est père de cinq filles et d’un garçon. J’étais étonné qu’il n’ait pas dit cela au tout début. Chez lui, j’ai apprécié le fait qu’à la différence de bien des « colombes » israéliens, il n’a pas caché son engagement dans l’armée derrière une profession de foi et un style humanistes, en faisant semblant d’être un ami sûr et de toujours.
Bientôt, la rencontre à Nes Ammim toucha à son terme, et nous retournâmes tous à nos existences réelles, et profondément inégales. En retournant vers mon existence difficile, faite de lutte pour un avenir (quel avenir ?), en tant que Palestinienne, dans mon pays occupé, je sais que je ne ressentirai jamais moins de colère et de haine pour ce que Dani a fait, et pour ce qui continue à être fait à mon peuple. Mais je connais les sentiments de rejet et d’ostracisme dont Dani doit être en train de faire la dure expérience – cet isolement courageux et non moins douloureux, tellement familier à tous ceux qui parlent à cœur ouvert et qui disent la vérité, plutôt que ce qui aura le don de faire plaisir aux autres et de les rassurer. Dans ce sens-là, oui : Dani et moi, nous nous sommes mis d’accord, sans le vouloir, sur un principe moral, et nous pourrions être des partenaires égaux, sur cette base-là.
Réconcilier les parties en conflit de son être propre et atteindre à la paix intérieure : tel est le premier pas sur le long chemin de la réalisation de la paix et de la réconciliation à une échelle beaucoup plus extérieure à nous-mêmes et beaucoup plus collective.
Dani me donne de l’espoir. Quant à moi, tout ce que je peux lui offrir en retour, en ce moment précis de l’histoire de mon peuple, c’est précisément cette prise de conscience.
                                                                       
Dernières parutions

                            
1. Made in Palestine - Journal d'une française à Ramallah de Fanny Germain
aux éditions Ramsay
[299 pages - 21 euros - ISBN : 2841146871]
En 1998, après des études de droit international, Fanny Germain, vingt-cinq ans, est recrutée pour un stage de formation, dans une ONG palestinienne de Jérusalem. Elle qui entretenait des liens affectifs forts avec le judaïsme et la communauté juive, restera trois ans à Ramallah. Elle se forme au métier de journaliste , partage le quotidien des habitants et rencontre son grand amour , un palestinien fils de notables, Ali.
Elle découvre ainsi une société tiraillée entre modernité et traditions , subit l'oppressant système de sécurité de l'Etat hébreu, qui rend tout déplacement en Palestine digne d'un parcours du combattant, apprend à ignorer les bombardements et les coupures d'électricité. Malgré tout à Ramallah, la vie continue. Cafés et discothèques restent ouverts : on sort, on s'amuse, on danse.
La jeune femme tient son journal personnel pendant les atermoiements du processus de paix ayant mené à l'embrasement de septembre 2000 et les affres de l'Intifada jusqu'en 2001.
Un document authentique qui retrace une histoire d'amour et un itinéraire initiatique, sur le fond quotidien de cruelles réalités politiques.
Fanny Germain, trente et un ans, d'origine lyonnaise, vit aujourd'hui entre la France et l'Allemagne, où elle collabore à différents magazines.
                           
2. La France et l'origine de la tragédie palestinienne 1914-1922 de Philippe Prévost
aux éditions du Centre d'Etudes Contemporaines
[278 pages - 20 euros - ISBN : 2951396937]
On a cru pendant longtemps que le gouvernement anglais avec la « déclaration » Balfour était seul responsable de la tragédie que vivent les Palestiniens depuis plus de quatre-vingt ans. Sans prétendre refaire totale ment cette douloureuse histoire, l'auteur de ce livre montre que la France a joué un rôle dans ce qui s'est passé entre 1914 et 1922 et qu'elle doit d'abord s'en prendre à elle-même si, en dépit de l'influence prépondérante que la monarchie avait acquise dans cette région durant les siècles passés, elle s'est retrouvée complètement évincée de Terre sainte en 1922. Deux hommes ont joué un rôle déterminant dans toute cette affaire : un diplomate, François Georges-Picot et un homme politique, Clemenceau. Le premier a mis en route une machine infernale qui l'a dépassé, le second a abandonné la Palestine par idéologie et à la suite de faux calculs. Telle est l'histoire passionnante et parfois stupéfiante qui est racontée dans ce livre.
Philippe Prévost est docteur es-lettres. Historien et journaliste, il est l'auteur de nombreux articles. Il a déjà publié plusieurs livres dont La condamnation de l'Action Française vue à travers les archives du ministère des Affaires étrangères et l'Eglise et le ralliement.
- EXTRAITS :
- [Durant le mandat britannique en Palestine – années 1920 à 1948] (page 221)
Quant à l’administration, elle était, elle aussi, entre les mains des sionistes. Voici comment les Anglais procédèrent pour la leur livrer.
Beaucoup d’officiers et d’administrateurs britanniques dégoûtés par la partialité (pro-sioniste) de leur gouvernement démissionnèrent "pour ne pas collaborer à la charge assumée par l’Angleterre. Il n’est guère resté dans les postes officiels que les Anglais sionistes par leurs origines, leurs tendances ou leurs intérêts. Les postes subalternes étaient accaparés par les juifs de la façon suivante : les Anglais ne payaient que la moitié des appointements dus à tel ou tel poste, la Commission sioniste payait l’autre moitié. Ainsi, les musulmans et les chrétiens étaient éliminés automatiquement…"
- Récit de J.B. Barbier, attaché à la sous-direction Asie (Quai d’Orsay) [Annexe à l’ouvrage] (page 251)
« Un beau matin de ce septembre 1919, j’entendis la sonnette de M. Gout [le sous-directeur Asie], lequel m’avait, quelques minutes auparavant, donné des instructions pour l’expédition de plusieurs affaires urgentes, et je crus remarquer que, contrairement à sa coutume, il prolongeait l’appel, ce qui me donna aussitôt l’impression d’un imprévu grave. Je me précipitai dans le bureau de mon sous-directeur et je vis qu’il était en train d’examiner une carte de géographie d’une grande surface et faite à l’aquarelle. « Voici », me dit-il, « une carte que M. Lloyd George [ministre britannique des A.E.] vient d’oublier en quittant la salle des délibérations. Il doit être de retour à trois heures. La carte indique exactement ce que les Anglais entendent s’attribuer dans l’ensemble de l’Asie occidentale [= Moyen-Orient], en excédant de la zone qui leur a été reconnue selon l’accord Sykes-Picot, et en contradiction avec les termes mêmes de cet accord. Il faut en lever une très bonne copie. Courez la porter de ma part au chef du Service géographique et priez-le de s’y mettre d’urgence, car la carte devra naturellement être replacée avant trois heures à l’endroit même de la table de la Conférence où M. Lloyd George l’a laissée. Je compte sur vous pour assurer cela, car le ministre vient de m’appeler et je devrai ensuite assister à un déjeuner d’où je compte pouvoir revenir entre deux heures et demie et trois  heures moins quart ». Je repliai la carte et avant de dégringoler vers le deuxième étage où se trouvait le Service géographique, je regardai ma montre qui marquait midi moins deux, présage pour moi très inquiétant et même tout à fait (sic) dramatique. Le Service géographique du Département, ainsi d’ailleurs que les autres services techniques, n’était, en effet, pas habitué comme les services de la Direction Politique à travailler dans une fièvre continuelle et il tenait le plus grand compte des heures. J’y trouvai les portes fermées pour midi qui sonnait déjà. « Ces messieurs sont sortis », me dit un vieil huissier, « mais ils reviendront à trois heures exactement ». J’étais véritablement consterné, mais mon honneur se trouvait pour ainsi dire en jeu et il ne me restait qu’à m’improviser cartographe. Je mis le précieux document dans une serviette en cuir fermant à clé et je sortis avec cette serviette à la main, m’engageant rapidement dans la rue de Bourgogne, où se trouvaient des papeteries où j’espérais me procurer par conséquent du papier fort, du papier calque, des fusains, des crayons de couleurs variées, des plumes très fines, des punaises métalliques et tout ce qui est nécessaire enfin pour lever d’une manière sérieuse la copie d’une carte chargée et compliquée. Mais il était midi moins quart. La première papeterie que j’aperçus sur le chemin de cette galopade effrénée était fermée (jusqu’à deux heures et demie, précisait un écriteau fixé à la devanture). Je tremblais d’anxiété, mais – heureusement – je rencontrai bientôt une autre papeterie, plus petite et ouverte, et j’y fis l’achat très rapide de tous les articles spéciaux dont je savais avoir besoin, après quoi je courus en toute hâte me renfermer dans mon bureau au ministère. Il était midi trente : achèverais-je cette besogne, si minutieuse et urgente à la fois, dans les deux heures qui me restaient encore ? La carte était vraiment d’un intérêt extraordinaire pour le service, car elle montrait d’une façon à la fois claire et précise les intentions comme toujours hostiles des Britanniques, d’autant plus qu’elle comportait une légende complète expliquant en détail toutes les nuances et les tracés : limites prévues par l’accord de 1916, limites à établir ultérieurement et autres mentions du même genre. Je dus travailler d’arrache-pied, bien que mourant de faim, et j’avais terminé ma tâche au bout d’une heure trois quarts environ. Vingt bonnes minutes me furent encore indispensables afin de vérifier séparément et une à une les transcriptions que j’avais effectuées, et, à trois heures moins un quart exactement, j’entendis dans le corridor le pas rapide et bien connu de M. Gout. J’entrais alors dans son bureau et lui contai mon aventure. Il regarda très attentivement mon travail, en parut satisfait et me rendit la carte originale qu’il me pria de restituer de suite au secrétariat de la Conférence. Je m’assurai personnellement qu’elle était replacée devant le siège que Lloyd George allait occuper quelques instants plus tard et j’allai me restaurer de façon sommaire. J’étais, à trois heures et demie, rentré dans mon bureau et j’eus alors tout loisir de considérer avec M. Gout, et à tête reposée, la copie du document révélateur. C’était fort simple en vérité : les Anglais avaient résolu de nous enlever la région de Mossoul, à cause des gisements de pétrole, et de s’attribuer à eux seuls l’administration de la Palestine ! La découverte si précise que nous venions de faire, quelque désagréable que l’objet en fût d’ailleurs, était utile ; en laissant tomber sous nos yeux cette carte de géographie tellement instructive, Lloyd George avait, en fait, abattu ses cartes de négociateur bien avant l’heure dite, ce dont il dépendait évidemment de nous de tenir compte. Mais on était encore fort loin en ce temps-là du règlement de la paix avec les Turcs, puisque le trop fameux traité de Sèvres, qui n’en fut, au surplus, que la bien éphémère et fâcheuse expression, ne devait être signé que le 10 août 1920, date du reste très postérieure à l’époque où mon bon chef Gout et moi-même étions, en ce qui nous concernait personnellement, destinés à quitter le service compétent (compétent en première instance) pour ces affaires, c’est-à-dire la Sous-Direction d’Asie-Océanie. Je n’ai naturellement nulle intention de raconter maintenant le détail des négociations qui conduisirent à la signature du traité en question, s’agissant de faits dont je cessai ainsi, à partir d’un moment donné, d’être l’un des témoins directs. Toutefois les circonstances me permirent encore de voir sous quels fâcheux auspices ces négociations s’engagèrent et de me faire, par conséquent, une opinion véritablement motivée sur l’origine des résultats qui s’ensuivirent. »
Il faut dire pour être exact que les Anglais jouèrent le même tour aux Français comme le raconte le comte de Saint-Aulaire dans ses mémoires. Durant la Conférence de Paix « Lloyd George n’hésita pas à faire dérober ou copier en son absence (ici en l’absence de Clémenceau) des documents confidentiels qu’il exploita ensuite contre lui ». Charmantes mœurs de satrapes qui conduisirent le monde au point où il en est !
                                                           
3. Les Cahiers de Confluences : "La Méditerranée des Juifs" sous la direction de Paul Balta, Catherine Dana et Régine Dhoquois-Cohen
aux éditions de L'Harmattan
[314 pages - 28 euros - ISBN : 2747553752]

Nous nous habituons petit à petit aux replis identitaires, à la frilosité des États-nations, aux conflits inter-ethniques, aux racismes récurrents, aux refus, par certains de ces mêmes États-nations, des communautés sans territoires. Sans nous bercer d’illusions, en nous appuyant sur l’histoire, nous avons voulu faire revivre ici près de quatre millénaires de coexistence, autour de la Méditerranée, entre les Juifs et bien d’autres peuples, dont les Arabes et les Berbères convertis à l’Islam à partir du 7e siècle de notre ère. Cette longue épopée n’échappe pas à la grande Histoire : elle est faite de conflits, de guerres, de départs sans retours, mais aussi de fulgurances intellectuelles, musicales, poétiques, de voisinages quotidiens, de mélanges enrichissants.
Près de trente auteurs, historiens, littéraires ou simples acteurs d’exils douloureux, parfois amers mais jamais haineux, témoignent des riches heures, des diasporas, des allers-retours fantasmatiques des communautés juives des six rives de la Méditerranée, de l’Égypte au Maghreb, des Balkans à l’Italie, de l’Espagne à l’Empire Ottoman et à Israël. Au delà de l’Histoire et des histoires de chacun, les auteurs de ce livre espèrent en secret (ou contre tout réalisme ?) qu’un jour, «Cosmopolis», la Cité universelle imaginée par les Stoïciens, ne sera plus une utopie.
- Sommaire de l'ouvrage :
Regards croisés par Paul Balta, Catherine Dana et Régine Dhoquois Cohen
- Première partie : Diasporas
Les communautés des six rives par Michel Abitbol
Les grands courants de la poésie judéo-arabe en Afrique du Nord par Joseph Chetrit
Les Juifs d’Égypte, 4 000 ans d’histoire (1) : De l’Exode à la conquête arabe par Joseph Mélèze Modrzejewski
Les Juifs d’Égypte, 4 000 ans d’histoire (2) : De Amr à Nasser par Alec Nacamuli
Les rapports entre Juifs et Berbères en Afrique du Nord par Joseph Chetrit et Daniel J. Schroeter
Les Juifs de Tunisie et le monde méditerranéen par Jacques Taïeb
Al-Andalus et le rayonnement des Sépharades par Nicole Abravanel
Les Juifs de l’Empire ottoman par Gilles Veinstein
La mosaïque des Juifs de Grèce et de ses îles par Ilios Yannakakis
La communauté juive de Livourne par Cristina Galasso
Les Sépharades des Balkans par Esther Benbassa
- Deuxième partie : Allers/Retours
La différence invisible par Alessandro Guetta et Ottavio Celestino
"Mes" juifs d’Égypte par Paul Balta
Les traversées - Entretien avec Edgar Morin
Il y a encore des juifs au Maroc par Simon Lévy
Ciné-Casa par Anny Dayan Rosenman
Les Marocains en Israël : une aventure équivoque par Shlomo Elbaz
Une enfance à Constantine par Benjamin Stora
"Je veux être enterré en Tunisie" - Rencontre avec René Isaac Chiche
Être et avoir été un juif tunisien par Elio Cohen Boulakia
Le château de ma mère, le retour par Catherine Dana
De Carthage à Jérusalem, les juifs tunisiens en Israël par Claude Sitbon
La politique méditerranéenne d’Israël par David Ohana
Requiem pour le cosmopolitisme des Six rives par Ilios Yannakakis
                       
4. Revue d’études palestiniennes - "Le Mur à la Cour internationale de justice de La Haye" N° 92 (Eté 2004)
aux Editions de Minuit
[160 pages - 14 euros - ISBN : 2707318817]
- Sommaire :
- REPRESENTANT DE LA PALESTINE - Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien
- REPUBLIQUE FRANCAISE - Conséquences juridiques de l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé
Carte
- COMMISSION DES DROITS DE L’HOMME DE L’ONU - La situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés par Israël depuis 1967
Le pacte de Bush-Sharon
- Correspondances… A. Sharon à G. W. Bush / G.W. Bush à A. Sharon / D. Weisglass à C. Rice
- “Tous ces vieux problèmes” - Georges W. Bush et le conflit israélo-palestinien par Kathleen Christison
- Le julemage Gaza-Dunkerque par Philippe Nouveau et Claude Nicolet
- CHRONOLOGIE du 1er décembre au 29 février 2004 par Rachid Akel
                                   
Réseau

                                          
1. IMPORTANT - Communiqué du site Solidarité-Palestine
Nivelles (Belgique), le jeudi 17 juin 2004 - À peine 48 heures après avoir été remis en ligne, sous un autre nom de domaine et chez un autre hébergeur, le site Solidarité-Palestine est depuis trois jours la cible d'une nouvelle attaque, particulièrement virulente.
Au contraire des deux premières attaques qui ont réduit le site au silence cette année, celle-ci a été revendiquée par une association qui dit s'appeler «berg-Pearl», et affirme qu'elle continuera les attaques par déni de service de notre hébergeur «24h/24h et 7j/7j» aussi longtemps qu'il n'aura pas supprimé ce «torchon de site» «antisémite» (sic).
Pour mettre le plus rapidement possible un terme au préjudice considérable subi par l'hébergeur et l'ensemble de ses clients, nous avons de commun accord désactivé le site Solidarité-Palestine. L'hébergeur dépose à la Brigade Centrale de la Répression de la Criminalité Informatique une plainte contre X au vu des articles 323-1 à 323-7 du code pénal.
Nous mettrons tout en œuvre pour combattre ceux qui, au nom de la défense inconditionnelle de la politique d'Israël, pratiquent l'invective, la menace et le terrorisme virtuel pour réduire au silence un site qui constitue depuis le début de la seconde Intifada un lieu pluraliste d'échanges et d'analyses, ouvert aux divers courants, mouvements et idées qui traversent la lutte contre l'occupation et la colonisation, sans exclusive et avec le souci constant de dénoncer tous les racismes et toutes les injustices.
L'équipe de Solidarité-Palestine
[Giorgio Basile a créé et anime depuis trois ans et demi, Solidarité-Palestine, LE site de référence dans l'espace francophone sur la Palestine. Ce nouvel acte d'e-terrorisme dont fait l'objet son site nous révolte tous. Nous vous invitons à faire parvenir vos messages de soutien Giorgio Basile, un militant authentique, efficace et sincère à l'adresse suivante : solidarite-palestine@skynet.be.]
               
2. Azmi Bishara, député palestinien au Parlement israélien, en grève de la fin contre le système d’apartheid israélien
Le samedi 3 juillet 2004, Azmi Bishara, député palestinien du Rassemblement National Démocratique (RND) au parlement israélien, a commencé une grève de la faim pour protester contre la poursuite de la construction du mur de l’apartheid et de la honte. Cette grève a débuté samedi à midi, près du barrage d’A-Ram à Jérusalem, là où le mur va, très prochainement, couper la route historique qui mène de Jérusalem à Ramallah. Le lendemain, dimanche se joignaient à Azmi  Bishara dix personnalités palestiniennes de Jérusalem et de ses environs dont le député Hathem Abdel Khader, le Dr. Ahmad Muslemani, président  du Health Work Committees, Ahmad Ghneim, dirigeant local du Fatah, Judeh Abdallah du PARC, Abdelatif Gheith, dirigeant du FPLP et vice président du Centre d’Information Alternative, Sirhan Saleimeh, président  du conseil municipal d’A-Ram, Abdel Khader el Husseini, président de la Maison d’Orient et fils du très regretté Faycal Husseini  etc... Se joignait également  aux grévistes  Michel Warschawski, militant anti-colonialiste israélien  et président  du Centre d’Information Alternative. La grève de la faim des douze a pour objectif d’alerter les opinions publiques locales et internationales, et elle se poursuivera au moins jusqu’à ce que la Cour de Justice Internationale de la Haye annonce sa décision  concernant le mur. Les grévistes appellent les militants et les associations en Europe et à travers le monde à  relayer leur combat et à  redoubler d’efforts pour mettre à  bas le mur et le régime  d’apartheid qu’il institue.
COMMUNIQUE - Lançant un appel aux opinions publiques arabe, israélienne et mondiale contre le système d’apartheid en cours d’instauration en Palestine, et appelant à la mobilisation pour stopper la construction du mur de séparation israélien,
M. Azmi Bishara, député à la Knesset, entame une grève de la faim à durée indéterminée, au pied de la muraille, contre le crime consistant à séparer les uns des autres des membres du même peuple, à Jérusalem, à Abu Dis, à Ar-Ram et dans les villages situés au nord-ouest de Jérusalem.
La construction du mur israélien de séparation atteint aujourd’hui un stade critique ; il étranglera jusqu’à l’étouffer la dernière communication vitale encore existante entre Jérusalem et ses banlieues et son hinterland fait d’une multitude de villages, ainsi qu’entre Jérusalem et le reste des territoires palestiniens occupés en 1967. Les caractéristiques géographiques et sociales du territoire sont en cours de modification, dans la pire tradition coloniale. Couper la route historique reliant Jérusalem à Ramallah aura pour effet de couper une demeure d’une autre et de séparer les membres de la même famille. Ceci équivaut à une amputation des liens sociaux qui relient entre eux les Palestiniens et à un crime contre la société et la famille palestiniennes. Il serait impensable que de tels agissements puissent être perpétrés dans un tel silence total n’importe où ailleurs, sur la planète. Ce qui est en cours dans notre pays n’est rien moins que l’instauration d’un système ségrégationniste d’apartheid par le gouvernement israélien sur la Cisjordanie, tandis que l’attention des pays arabes et du monde reste focalisée sur le projet du gouvernement israélien de procéder à son retrait de la bande de Gaza.
A la lumière de l’entêtement d’Israël à mener à bien ses projets unilatéraux à Jérusalem ainsi que dans tout le reste des territoires occupés en 1967, au prix de la fragmentation de la société palestinienne et de la coupure de la population palestinienne de ses terres, de ses biens, de ses établissements d’enseignement et de ses lieux de travail, M. Azmi Bishara, membre de la Knesset, a décidé d’entamer une grève de la faim illimitée à partir de samedi 3 juillet à midi, afin d’attirer l’attention de l’opinion israélienne, arabe et mondiale sur le système d’apartheid qui est en train d’être mis sur pied en Palestine, ainsi que sur le crime en train d’être perpétré contre notre peuple à Jérusalem et dans ses faubourgs, dont cette ville est en train d’être coupée.
M. le député Azmi Bishara, qui demeurera durant toute la durée de sa grève de la faim devant le siège de l’Association Razès pour la Culture et la Société, en face du dernier tronçon du mur qui doit être érigé au long de la route Jérusalem – Ramallah, lance un appel à intensifier la lutte pacifique, populaire et civique contre ce mur. Il appelle par ailleurs l’attention de l’ensemble des forces démocratiques, de par le monde, sur le fait qu’alors que le régime d’apartheid a été éliminé en Afrique du Sud, un nouveau régime d’apartheid est en train d’être instauré en Palestine, au moyen d’un déploiement de moyens jusqu’ici inédits : ce à quoi nous sommes en train d’assister, c’est à la construction des mur qui séparera entre eux les membres du même peuple, des mêmes communautés et des mêmes familles, en des temps où, précisément, les murs qui séparent les peuples du monde tombent.
Il est en notre pouvoir d’arrêter la construction du mur israélien de séparation, pour peu que la communauté internationale, y compris les pays arabes, prenne une position catégorique et déterminée, à la hauteur de l’ampleur du crime en cours de perpétration et contre les violations du droit et des conventions internationaux commis par l’occupation israélienne.
[Pour plus d’information, contacter le Dr Azmi Bishara au 00 972 (0) 54 29 07 29 - Moussa au 00 972 (0) 54 29 07 25\6 - Awatef (RND) au 00 972 (0) 66 65 66 05 - Yasser / Connie (AIC) au 00 972 (0)26 24 14 21 - Jamal Zahalka au 00 972 (0)66 65 66 06 - Michel Warschawski au 00 972 (0)64  73 34 53]
                                   
3. 64% des juifs israéliens en faveur de mesures visant à "encourager" les Arabes à quitter Israël… par l'Arab Association for Human Rights (HRA) - Communiqué du mercredi 30 juin 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
En mai dernier, quand le ministre des Infrastructures nationales de l’époque, Avigdor Lieberman, proposa le transfert de 90 % des citoyens arabes d’Israël, y inclus les footballeurs de l’équipe qui a décroché la coupe nationale – les Bnei Sakhnin – en Cisjordanie ou ailleurs, on aurait pu aisément attribuer ses observations au rabâchage aigri d’un extrémiste de droite, aux marges de l’opinion publique israélienne. Mais ce n’était pas un paria politique qui s’exprimait là. Lieberman, c’était un membre important du cabinet israélien, et il dirigeait des services du gouvernement, des emplois et disposait d’un budget conséquent. De plus, lorsque des ministres tels un Lieberman, ou d’autres responsables, non-ministres, du gouvernement, abusent de leur pouvoir afin de préconiser des politiques racistes tel le « transfert » de population et se rendent responsables de pratiques discriminatoires, ces idées et ces actions acquièrent un air de normalité, et les citoyens moyens sont mûrs pour leur emboîter le pas.
L’ampleur de ce phénomène a été mise en évidence par un sondage, publié le 21 juin dernier, par le Centre des Etudes de Sécurité Nationale de l’Université de Haïfa, qui a établi qu’une majorité des juifs israéliens (63,7 % des 1 016 personnes interrogées) pensent que le gouvernement devrait encourager les citoyens arabes d’Israël à émigrer hors du pays. Chiffre frappant, à comparer aux 57 % relevés en 2003 par l’Israeli Democracy Index, publié par l’Institut de la Démocratie Israélienne l’année dernière, la même question ayant été posée à des juifs israéliens. L’Association Arabe pour les Droits de l’Homme [Arab Association for Human Rights – HRA] pense que ces statistiques révèlent une tendance préoccupante, s’assimilant à la montée d’une culture du racisme dans la société politique israélienne, laquelle s’exprime quotidiennement par des occurrences de discrimination publique allant des agressions physiques contre des citoyens appartenant à des minorités ethniques, jusqu’à la discrimination à l’emploi à l’encontre de citoyens appartenant à ces minorités, en passant par leur non-admission dans des lieux publics.
Dans un article [1] publié le mardi 22 juin par le quotidien israélien Ha’aretz et intitulé « Sondage : 64 % des juifs israéliens soutiennent des mesures incitant les Arabes à partir » [Poll : 64 % of Israeli Jews Support Encouraging Arabs to Leave], la Dr. Dafna Kaneti-Nissim a exposé son interprétation des résultats de ce sondage : « Le sondage est une illustration d’un phénomène repéré et documenté dans le monde entier, qui fait que des gens qui se sentent menacés ont tendance à développer une forme d’hostilité envers les minorités vivant parmi eux » (citation indirecte extraite d’Ha’aretz). « L’opinion publique (israélienne) a tendance à identifier la minorité arabe israélienne avec la menace terroriste » (citation directe de Mme Dafna Kaneti-Nissim).
C’est là sans doute une évaluation pertinente des peurs ressenties par les juifs israéliens, mais cette évaluation ne remonte pas à la source de ces peurs, ce qui incite les lecteurs (de l’article) à accepter cette montée de l’extrémisme avec une certaine résignation, voire une certaine complaisance. Pourtant, dans une société où la majorité considère qu’une minorité ethnique représente une menace, il est du devoir des pouvoirs publics de prendre des mesures proactives visant à protéger cette minorité contre toute discrimination et tous abus, et à promouvoir la participation, la compréhension mutuelle et la tolérance parmi toutes les composantes nationales, raciales ou ethniques [2]. D’après la Convention Internationale pour l’Elimination de Toutes les Formes de Racisme [International Convention on the Elimination of All Forms of Racial Discrimination (CERD)], qu’Israël a ratifiée le 3 janvier 1979, Israël est tenu pour responsable « de l’adoption immédiate des mesures positives à même d’éradiquer toute incitation, ou de tous agissements, ressortissant à la discrimination (raciale) [3]. De plus, en signant la CERD, Israël s’engageait à « ce qu’il soit interdit aux autorités, ou aux institutions, publiques, nationales ou locales, de promouvoir la discrimination raciale ou d’y inciter. » [4]
Pour HRA, Israël ne tient pas ses engagements, ce qui a notamment pour effet l’augmentation de l’extrémisme, qui a atteint un tel niveau que, d’après le nouveau sondage, 45,3 % des juifs israéliens soutiennent la suppression du droit de vote des citoyens (israéliens) arabes, ainsi que leur droit à occuper des fonctions électives (politiques). Au lieu d’assumer leur responsabilité en promouvant les droits civils des citoyens minoritaires, beaucoup d’hommes politiques israéliens alimentent les peurs de la population juive, en présentant les citoyens palestiniens arabes d’Israël sous les traits d’ennemis ou de « terroristes », et ils utilisent même cette incitation à des fins électorales. Cette stratégie est sans doute efficace, lorsqu’on constate qu’un quart des répondants au sondage du Centre des Etudes de Sécurité Nationale (Haïfa) ont dit qu’ils « envisageraient de voter pour un parti ultra-nationaliste tel le parti interdit Kach, si ce parti présentait un candidat aux prochaines élections ». Il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une violation des droits humains de citoyens minoritaires, ainsi que du droit international.
Afin de contrer cette droitisation des attitudes politiques parmi les membres de la majorité juive en Israël, le HRA pense que le gouvernement doit adopter – et faire appliquer – des lois sanctionnant l’incitation à la discrimination raciale, comportant notamment le projet (qu’il a proposé) d’une loi visant à lutter contre les incitations aux pressions censées encourager les Arabes israéliens à quitter le pays. Le HRA pense, également, que le gouvernement doit prendre des mesures positives afin de maîtriser l’extrémisme, au moyen d’une éducation aux droits de l’homme, s’adressant en particulier à la jeunesse juive d’Israël. D’après l’édition 2004 du Israeli Democracy Index, au chapitre intitulé « Evaluer les attitudes de la jeunesse en matière de démocratie » : « les jeunes juifs sont plus favorables au « transfert » que les juifs adultes. Seule, une minorité de 46 % des jeunes juifs soutiennent l’égalité des droits pour les citoyens arabes [5] ». Cela signifie que l’Etat doit prendre des mesures immédiates et de grande portée afin de contenir la croissance prévisible de la radicalisation et du racisme dans les attitudes des citoyens de la majorité (juive).
- NOTES :
[1] :
http://www.haaretz.com/hasen/spages/441646.html
[2] : Article 13 de la Convention Internationale sur les Droits Economiques, Sociaux et Culturels.
[3] : Article 4.
[4] : Ibidem.
[5] :
http://www.idi.org.il/english
[Pour plus d’information : Muhammad Zeidan, directeur de l'Arab Association for Human Rights (HRA) - PO Box 215, Nazareth 16101, Israel - Téléphone : +972 (0)4 6561923 - Fax : +972 (0)4 6564934 - Email : mzeidan@arabhra.org - Site : http://www.arabhra.org]
                       
4. Dix institutions de l'ONU réclament un accès sûr des lycéens palestiniens à leur examen final
par le Service d'information de l'ONU le lundi 7 juin 2004

Dix institutions des Nations Unies ont lancé un appel aux autorités israéliennes afin qu'elles allègent les restrictions de déplacements dans les territoires occupés, devant ainsi permettre à 60 000 jeunes Palestiniens de passer leur examen final du secondaire prévu aujourd'hui.
Près de 60 000 jeunes palestiniens, sur les 1,2 million d'enfants en âge d'être scolarisés, doivent débuter aujourd'hui les épreuves de fin d'études secondaires, le Tawjihi, indiquent lundi, dans un communiqué conjoint, le Programme alimentaire mondial (PAM), l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), le Bureau des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires (OCHA), le Fonds de développement des Nations Unies pour la femme (UNIFEM), l'UNICEF, le Fonds des Nations Unies pour la population (UNFPA), le Programme des Nations Unies pour le développement (PNUD), l'UNESCO et l'Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine au Proche-Orient (UNWRA).
« Une année scolaire entière sera perdue s'ils ne peuvent assister à ces examens », a déclaré le Représentant spécial de l'UNICEF en Cisjordanie et à Gaza, précisant que « les étudiants ne pourraient aller à l'université et qu'ils seraient forcés de redoubler ».
« Si l'on refuse un accès sûr aux sites d'examen, c'est tout l'avenir de ces enfants qui est mis en péril », indique le directeur des opérations de l'UNWRA.
Selon le responsable du PNUD à Gaza, Khaled Abdelshafi, « les récentes incursions à Rafah ont eu un effet négatif sur l'économie de la zone, causant des dommages importants aux infrastructures ». « Cette restriction supplémentaire pour les lycéens [...] qui s'ajoute à une situation déjà volatile portera gravement atteinte aux efforts de développement humain dans la région », précise-t-il.
La question de l'accès régulier et sûr aux écoles pose un problème récurrent pour de nombreux enfants palestiniens, affirment les agences des Nations Unies.
                               
5. Lettre ouverte aux institutions de l’Union Européenne par le Réseau des associations juives européennes pour une paix juste (Juin 2004)
[Renseignements : Michèle Sibony - Vice-présidente de l'Union Juive Française pour la Paix (UJFP) - BP 102 - 75960 Paris Cedex 20 - Tél : 01 42 02 59 76 - Fax : 01 42 02 59 77 - Email : mish1@club-internet.fr]
Juifs européens pour une paix juste,  nous sommes  un réseau de 18 associations juives de dix pays européens, luttant activement contre l’occupation des Territoires Palestiniens au-delà de la ligne verte, contre les mesures de punitions collectives, meurtres illégaux, tortures, démolition de maisons, confiscation de l’eau et de la terre, et toutes celles encore qui accompagnent la politique illégale d’Israël d’occupation et de colonisation.
Nous souhaitons donc nous adresser aux institutions de l’Union Européenne et leur exprimer notre point de vue sur leur politique concernant le Moyen-Orient. Dans ce contexte nous faisons aussi référence aux problèmes internes de l’Union Européenne que nous considérons liés à ce conflit.
1- Politique étrangère de l’Union Européenne envers l’Etat d’Israël et le Moyen-Orient
L’Europe doit assumer ses responsabilités historiques envers les deux peuples juif et palestinien, et agir fortement pour tracer le chemin d’une solution juste au conflit israélo-palestinien. Une telle solution ne peut aboutir que par le biais de négociations conduisant à un accord fondé sur la création d’un Etat palestinien indépendant et viable et sur la garantie de sécurité pour les deux états.
Une politique étrangère européenne qui permet à Israël d’enfreindre le droit international ne menace pas seulement l’avènement d’une paix juste au Moyen Orient, mais aussi  l’avenir de l’Etat d’ Israël comme un état démocratique capable de vivre en paix et dans le respect mutuel avec ses voisins. L’occupation des Territoires Palestiniens et les mesures qui en découlent sont en violation permanente du droit international et de la quatrième convention de Genève et donc aussi de l’article deux de l’accord d’association  UE - Israël.
Tout particulièrement, la « clôture de séparation » qui transforme les Territoires Palestiniens Occupés  en une série fragmentée de cantons séparés constitue un obstacle permanent à la paix dans la région, qui ne peut qu’alimenter le désespoir et prend ainsi le risque d’encourager une escalade de violence. L’UE devrait, pour montrer sa réelle opposition à la construction de ce mur, soutenir la résolution de l’assemblée générale des Nations Unies de saisir la Cour de Justice Internationale. Cette prise de position constitue une importante opportunité pour l’UE de jouer un rôle actif dans le soutien à l’opposition palestinienne non violente qui appelle au respect du droit international et des droits humains. Un tel soutien est vital pour une solution pacifique du conflit dans cette région.
En tant qu’acteur d’une stratégie internationalement coordonnée, l’UE doit faire pression sur Israël pour qu’il applique une complète égalité de droits civiques à tous ses citoyens quelque soit leur genre, ethnie ou religion. Ceci doit évidemment inclure des droits civiques égaux pour les citoyens palestiniens d’Israël, ainsi que la reconnaissance du droit à l’objection de conscience au service militaire pour ceux des citoyens israéliens qui refusent de servir sous les forces d’occupation et de répression du peuple palestinien.
En conséquence des points évoqués ci-dessus  nous renouvelons notre appel à la suspension de l’accord d’association, en application de la résolution votée par le parlement européen, jusqu’à ce qu’Israël respecte ses engagements dans le cadre de cet accord.
Nous appelons aussi l’UE  à intervenir pour la constitution d’une mission internationale de paix et l’interposition d’une force neutre entre Israël et les Territoires Palestiniens Occupés.
2 – Racisme et antisémitisme :
En tant que citoyens européens et en tant que juifs, nous déplorons la montée du racisme et de la xénophobie en Europe. Notre propre histoire nous a rendu vigilants à propos du racisme : nous sommes conscients du fait que l’antisémitisme actif a augmenté ces dernières années.
La confusion entre juifs et israéliens, entretenue par les déclarations fallacieuses du premier ministre Ariel Sharon prétendant agir au nom de tous les Juifs du monde, aussi bien que  le soutien inconditionnel à la politique de l’Etat d’Israël  expliquent en partie ces dangereux phénomènes et peuvent même les encourager. Nous sommes aussi conscients que le racisme anti-arabe et l’islamophobie ont considérablement augmenté depuis septembre 2001.
Chacune de ces formes de racisme doit être combattue en tant que telle. Nous pensons que la tolérance de toute forme de racisme  contribue au développement de ses autres formes, et nous recommandons vivement aux  Institutions européenne de ne pas dissocier le combat contre l’antisémitisme  du combat universel pour le respect et l’égalité de tous les citoyens et résidents d’Europe.
Enfin nous nous élevons avec vigueur contre la tentative de réduire au silence toute critique de la politique du gouvernement israélien au Moyen-Orient en l’identifiant fallacieusement à de l’antisémitisme. Israël doit être jugé selon les mêmes critères que tout autre état en toutes circonstances.
3 – Démocratie et citoyenneté :
Démocratie, liberté, égalité, justice sociale et paix pour tous, doivent être enracinées au cœur de l’Union Européenne et être pleinement mises en œuvre à l’intérieur des sociétés européennes dans leur ensemble.
Nous souhaitons voir une Europe laïque dans laquelle  les personnes de toute religion et d’aucune, puissent vivre dans la liberté et le respect mutuel fondés sur des droits civiques communs, et garantissant aux réfugiés et demandeurs d’asile le droit au respect et un traitement humain.
Nous considérons que ces valeurs devraient être au cœur de la constitution  de l’Union Européenne.
                           
Revue de presse

                               
1. Dennis Ross, ancien envoyé américain chargé du "processus de paix" travaille aujourd’hui pour l’Agence Juive et Israël
in The Mid-East Realities (mensuel étasunien) du lundi 7 juillet 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Vous vous souvenez de lui, maintenant ? Oui : il s’agit bien de l’ « Ambassadeur » Dennis Ross, en personne, de celui que les Américains, ces « courtiers équitables », comme chacun sait, avaient insisté à nommer chef « négociateur  du processus de paix » entre Israël et les Palestiniens, pour une décennie et des poussières. Souvenez-vous aussi que c’est ce fameux « processus de paix » dirigé par ce même Ross – objet de tant d’illusions constamment démenties – qui a explosé, voici quelques années, produisant le pire des chaos et des bains de sang jamais encore connus dans la région – issue que nous avions prédite depuis le début, à Middle East Realities. C’est aussi ce même « processus de paix » qui a placé le peuple palestinien dans des conditions pires que l’apartheid et causé une escalade dans la haine et dans ce que les Américains aiment à appeler de manière simpliste « le terrorisme », sans le moins du monde se préoccuper de ses causes, de ses différentes tendances partisanes, de ses variantes régionales et de ses réalités de terrain.
Et voilà qu’aujourd’hui, immédiatement après avoir cessé d’émarger au budget du gouvernement américain pour émarger au budget du puissant lobby juif de Washington – avec lequel son association ne date pas d’hier, signalons-le au passage – Ross est allé directement travailler à l’Agence juive, et chez les responsables israéliens qui pressent de manière toujours plus lourdement insistante les juifs, dans le monde entier, « de retourner en terre promise » et d’aller s’installer dans l’ « Etat juif ».
L’Agence juive, d’ailleurs, existait avant la création de l’Etat d’Israël, et elle avait pour objectif principal de pousser des juifs d’où que ce soit dans le monde à s’installer dans ce que le monde entier appelait alors la Palestine. Et donc, que ce soit de prime intention, ou par voie de conséquence, à chasser le peuple arabe palestinien qui vivait à l’époque dans ce pays.
La responsabilité historique doit aujourd’hui être imputée à qui de droit, en particulier au vu des conséquences des événements survenus dans l’ensemble du Moyen-Orient, événements dans lesquels les Etats-Unis et Israël assument une part considérable de responsabilité politique.
Il n’est pas douteux (quelles que soient les dénégations publiques des responsables officiels en la matière) que ces politiques ont considérablement contribué à alimenter la haine toujours croissante envers les Etats-Unis et Israël, ainsi que – oui, c’est très triste, mais il faut le dire – envers « les juifs », dans le monde entier.
La terrifiante machine de propagande qui a tellement encensé Ross et son « équipe de négociateurs (presque exclusivement juifs et sionistes) », est devenue encore plus audacieuse et plus outrageusement arrogante, durant ces dernières années. Elle a tragiquement réussi, pour l’instant, à prendre le contrôle du discours et du commentaire « acceptables », dans les milieux officiels de Washington.
Les médias américains n’en feront rien : c’est, par conséquent, au-delà des rives américaines que les médias doivent se mettre à enquêter beaucoup plus profondément, à faire des reportages beaucoup plus objectifs et à dénoncer beaucoup plus courageusement tous les mensonges et toutes les duplicités qui interdisent, en réalité, de comprendre les conflagrations historiques contemporaines. En effet, à moins d’un changement radical et rapide en la matière, c’est sans doute une aspiration catastrophique dans des chutes du Niagara historiques qui risque fort de nous attendre au tournant.
[Un nouvel institut prévoit l’avenir juif par Jessica Steinberg
in The Jewish News of Greater Phoenix du lundi 17 mai 2004 - Vol. 54 - N° 35 (http://www.jewishaz.com/jewishnews/020517/new.shtml)
Jerusalem  - Dennis Ross, qui fut l’envoyé de l’administration Clinton au Moyen-Orient, tient aujourd’hui un rôle totalement différent, auprès d’une boîte à idées qui a été créée par l’Agence Juive (pour Israël). Ross était au premier plan, lorsque l’Institut de Planification Politique du Peuple Juif [Policy Planning Institute for the Jewish People] a ouvert ses portes, le 14 mai dernier, à Jérusalem. Cet institut « étudiera les défis, les menaces, les besoins et les opportunités » auxquels les juifs sont confrontés dans le monde entier, a indiqué l’Agence juive. Il veillera également à « définir une politique pour le peuple juif, en assurant la réalisation d’études d’un grand professionnalisme » et en encourageant « la réflexion stratégique à long terme ». D’après Ross, tout récemment nommé secrétaire du bureau des secrétaires (d’associations juives, ndt) et directeur de l’Institut Washington pour la Politique moyen-orientale, « Nous devons penser aux problèmes qui ne manqueront pas de surgir devant nous, sur notre route. »
Un groupe comportant Ross, Sallai Meridor, président de l’Agence juive et Yehezkel Dror, professeur de science politique, préparait la mise sur pied de cet institut depuis plus d’un an. Ses membres, de quinze à vingt personnes, environ – la moitié originaires d’Israël, l’autre moitié de pays du monde entier – se sont réunis à plusieurs occasions pour discuter des problèmes majeurs auxquels les juifs sont confrontés, notamment l’évolution démographique israélienne et les problèmes relatifs à l’identité juive. L’idée de cet Institut fut lancée avant le début de la seconde Intifada, en septembre 2000. A l’époque, les dirigeants communautaires juifs se préoccupaient du manque d’outil de long terme, nécessaire pour planifier stratégiquement l’avenir. « Nous (= les juifs) sommes une nation qui excelle dans la réponse du tac au tac », a ainsi expliqué Meridor. « Mais nous devons aussi penser au futur, et le planifier. » Des délibérations émergea la décision collective de créer l’institut, qui recevra de l’Agence juive un budget de fonctionnement annuel d’un million de dollars, des fonds additionnels étant attendus de philanthropes juifs. La boîte à idée est en train d’être structurée sous la forme d’une entreprise publique, à but non lucratif. Les sujets de recherche envisagés comportent, en tout premier lieu, la démographie israélienne (le problème étant la croissance de la population arabe israélienne, plus rapide que celle de la population juive) ; la cohésion du peuple juif ; l’action collective et son financement ; les technologies de l’information dans le monde juif des affaires, et le bien-être, de manière générale, de la nation juive. Ross a indiqué avoir décidé de travailler pour cet institut parce qu’ « il s’agissait là du minimum qu’il pouvait faire "en tant que membre du peuple juif". »  « Si je ne pensais pas qu’il s’agisse là de quelque chose de très important, je ne le ferais pas », a-t-il expliqué, concluant : « Je pense que l’avenir le démontrera ».]
                       
2. Solidarité avec Leila Shahid
in Le Monde du vendredi 2 juillet 2004
Depuis des années, parfois des décennies, nous tentons de mobiliser l'opinion française et européenne en faveur du peuple palestinien en lutte pour la réalisation de son droit à l'autodétermination. Nous n'ignorons pas que des différences d'appréciation peuvent surgir quant aux meilleures modalités de soutien et d'action. Les débats sur ce point sont légitimes. Mais, dans un contexte dramatique, alors que le gouvernement israélien annexe et asphyxie les territoires occupés, multiplie les crimes de guerre et tente de détruire l'Autorité palestinienne élue, nous estimons qu'ils ne peuvent dégénérer en insultes, en attaques personnelles et en procès d'intention. Comme la cause qui les motive, ils doivent demeurer exemplaires. Dans le sillage de certaines controverses ravivées à l'occasion des élections européennes, une campagne violente et sectaire vise la déléguée générale de Palestine en France, dont l'action publique a tant fait pour susciter la solidarité avec son peuple, démontrer aux yeux de l'opinion publique la légitimité de la cause palestinienne et l'inscrire dans l'ensemble des combats du monde d'aujourd'hui pour la justice et le droit. Cette campagne détourne et risque de dénaturer la lutte pour une paix juste au Proche-Orient. Elle ne peut que porter gravement préjudice à la solidarité plus que jamais nécessaire avec les Palestiniens. Nous demandons qu'elle cesse immédiatement. Nous réaffirmons notre estime et notre admiration pour Leila Shahid. Nous appelons tous ceux qui veulent aider effectivement la Palestine à concentrer leurs efforts contre ses oppresseurs et à travailler en vue de la plus large unité politique dans la diversité des expressions militantes. Cet appel est signé entre autre par Etienne Balibar, Pascal Boniface, Monique Chemillier-Gendreau, Jacques Derrida, Gisèle Halimi, Alain Joxe, Marcel-Francis Kahn, Henri Korn, Georges Labica, Gilles Manceron, François Maspero, Maurice Rajfus, Jack Ralite, Madeleine Rebérioux, Danièle Sallenave, Denis Sieffert, Pierre Vidal-Naquet...
                               
3. La séparation génère le racisme par Azmi Bishara
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 1er juillet 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Les sondages confirment, l’un après l’autre, un racisme profondément ancré dans la société israélienne. La lutte pour les droits des Palestiniens reste, par conséquent, comme cela a toujours été le cas, un combat universel, écrit Azmi Bishara.
Israël poursuit la construction du mur de séparation. Il s’apprête à sceller la dernière interruption entre Jérusalem et Ramallah. Parmi les modifications définitives aux traits topographiques de la région, cela aura pour effet de couper la voie de circulation – historique – entre ces deux villes.
Certains d’entre nous ont tenté d’ignorer la relation entre les agissements d’Israël – la construction du mur de séparation en Cisjordanie et le désengagement unilatéral de Gaza – ainsi qu’entre leurs mobiles. Ou encore, lorsqu’on évoque des « considérations démographiques israéliennes », nous le faisons comme s’il s’agissait d’une expression banale ou d’une raison parfaitement naturelle qu’aurait Israël de vouloir se séparer des Palestiniens. De plus, certains parmi nous ont cédé à la tentation de menacer Israël au moyen du taux de fécondité palestiniens, comme si les utérus des femmes palestiniennes fussent des armes, ou comme si le taux de fécondité arabe représentât, de fait, un « danger ». En réalité, les « considérations démographiques », dans ce cas, sont synonymes de racisme. De notre part, y attacher foi, les intégrer et les brandir comme s’il s’agît d’une menace, cela reviendrait à admettre le racisme, et à le normaliser.
Les territoires arabes occupés connaissent aujourd’hui un processus de réclusion raciste. Les mur israélien ne signifie pas autre chose. Certains, parmi nous, sont allés jusqu’à proclamer qu’ils n’auraient pas d’objection à ce que ce mur soit érigé, eût-il suivi le tracé des frontières du 4 juin 1967, puisque cela signifierait implicitement qu’Israël aurait l’intention de se retirer jusqu’à ces frontières. Toutefois, la différence entre ce qui est en train de se passer aujourd’hui – à savoir : la construction du mur sur son tracé actuel et le désengagement israélien unilatéral de la bande de Gaza – et les frontières du 4 juin 1967 n’est pas seulement quantitative. Il s’agit d’une différence totale, qualitative. Pourquoi ? Parce que ce qui est en train de se passer ne vise pas à établir des frontières politiques entre deux entités souveraines. Non, la logique et l’inspiration, derrière ce projet et ceux qui le planifient et le mettent en application, est de poursuivre avec froide détermination et mûre préméditation la mise sur pied d’une Autorité palestinienne restreinte, dont la fonction première sera de faire en sorte que les détenus palestiniens enfermés derrière des murs et des barrières, en Cisjordanie et à Gaza, ne représentent plus aucune menace potentielle pour la sécurité d’Israël, à l’avenir.
Cela ne rendra en rien Israël moins raciste, plus calme ou plus en paix avec lui-même. Bien au contraire : la logique sous-jacente au projet, ainsi que les affirmations et les confirmations venant de tous côtés au sujet du caractère juif de l’Etat, représentent la recette infaillible pour propulser Israël vers un racisme encore plus enragé et vers une détermination encore renforcée à pérenniser ces mesures et ces moyens, jugés par lui nécessaires au maintien de sa majorité démographique juive. Dès lors qu’Israël serait reconnu par les Arabes et le reste de la communauté internationale comme un Etat exclusivement juif, il ne saurait y avoir de place, chez lui, pour des Palestiniens. Autrement dit, les habitants indigènes du pays – les Palestiniens qui vivent à l’intérieur de la Ligne Verte – pourraient être considérés tout au plus comme des hôtes de passage ou, dans le meilleur des cas, comme des sujets. Difficile d’imaginer que ces invités / sujets pourraient être très longtemps tolérés dans cette « démocratie unique au Moyen-Orient », où le spectre de la démographie arabe rendrait acceptables les pratiques les plus discriminatoires et où l’hostilité anti-arabe aurait donné l’ascendant à une ambiance et à une culture politique anti-démocratiques.
Assurément, les élites, tant politique qu’intellectuelle, ainsi que les médias israéliens, ont joué un rôle déterminant dans la création de ce climat délétère, dans lequel la rhétorique raciste est devenue discours officiel. Il ne serait nullement exagéré d’affirmer qu’Israël en est venu à représenter la société moderne la plus intolérante, de nos jours. Des sondages d’opinion effectués en Israël révèlent un racisme tellement flagrant et véhément que, se fût-il manifesté dans un quelconque autre pays, il aurait entraîné un scandale majeur et soulevé de dégoût la société des nations civilisées. Impossible d’imaginer une société occidentale qui affirmât que l’état d’esprit populaire en Israël soit acceptable et normal, dans le cadre d’une culture démocratique.
Le 21 juin dernier, la presse israélienne a publié les résultats d’un sondage qui confirme la marche victorieuse d’Israël vers l’apartheid. Cette étude, effectuée courant mai par le Centre des études de sécurité nationale de l’Université de Haïfa, portait sur 1 016 répondants appartenant à tous les secteurs de la population : juifs, Arabes, colons, conservateurs religieux et nouveaux immigrants. Elle a révélé qu’une majorité d’Israéliens – environ 64 % d’entre eux – pensent que leur gouvernement devrait encourager les Arabes israéliens à quitter Israël. Autrement dit, une majorité d’Israéliens soutiendraient une politique de « transfert », comme diraient les Israéliens. L’étude nous laisse imaginer les lourds sous-entendus de l’expression « encourager » ; quels moyens ne risquent-ils pas d’être employés, afin de persuader les Arabes de se sentir « encouragés »…
De plus, 55 % (environ) des juifs interrogés pensent que les citoyens arabes d’Israël représentent un danger pour la sécurité nationale ; 48,6 % ont le sentiment que le gouvernement est trop favorable à la population arabe (il s’agit bien du gouvernement Sharon, lequel est notoirement discriminatoire à l’endroit des Arabes, dans tous les domaines de l’existence), tandis que 45,3 % se disent en faveur de la suppression du droit de vote des Arabes, ainsi que de leur éligibilité. Près de 80 % des répondants juifs sont favorables à la politique des « éliminations ciblées » (lire : assassinats) dans les territoires arabes, et près d’un quart d’entre eux se déclarent prêts à voter pour un parti ultranationaliste comme le Kach, si un parti tel celui-là présente un candidat aux prochaines élections. Le parti Kach, rappelons-le, est ce parti fondé par le rabbin fasciste Meir Kahane, qui prêchait l’expulsion de force des Arabes d’Israël, de la Cisjordanie et de Gaza. Ce parti fut interdit en 1994. Non pas, à notre humble avis, à cause de son racisme flagrant, mais en raison de la concurrence menaçante qu’il représentait, pour le système partisan de la droite israélienne.
Mme Dafna Kaneti-Nassim, assistante de recherches au Centre d’études de sécurité nationale de Haïfa, fait observer que ce sondage, rapproché de deux autres, effectués précédemment par son institut en 2001 et en 2003, montre une augmentation marquée de la haine anti-arabe, ainsi que de l’hostilité vis-à-vis des travailleurs immigrés (quelle que soit leur nationalité). Elle suggère l’idée que cette tendance résulte de la menace sécuritaire prolongée – interprétation à la fois trop simpliste et trompeuse. Car, en réalité, qui est menacé ? Ce sont les Palestiniens ! La judaïté, lorsqu’on l’applique à l’Etat, n’est pas un simple épithète, un simple trait distinctif ni un banal terme générique entendant regrouper diverses tensions de nature sécuritaire. Il s’agit d’une idéologie dominante, qui interdit toute séparation entre l’Etat et la religion, et qui tend vers la traduction de l’affirmation d’une identité religieuse sous la forme d’un titre de propriété sur l’Etat. Une telle idéologie entre en conflit avec le concept de citoyenneté individuelle, tel que défini par un ensemble établi de droits inaliénables et de devoirs incombant à tous, dès lors qu’elle affirme l’appartenance (à la nation) en fonction d’une affiliation à un groupe spécifique qui revendique un titre quelconque à exercer son monopole sur l’Etat. Dans ces circonstances, la haine anti-arabe devient une manière d’affirmer son identité et son appartenance au groupe et, partant, de revendiquer sa « part » dudit monopole.
Non qu’en Israël, le racisme soit quelque chose de bien nouveau. Simplement pour nous rafraîchir la mémoire, jetons un coup d’œil à quelques études plus anciennes. Le 12 mars 2002, le quotidien Ha’aretz a publié les résultats d’un sondage effectué par le Centre Yaffe pour les études stratégiques : 46 % des juifs étaient favorables au « transfert » des Arabes des territoires occupés, et 31 % soutenaient l’application d’une telle politique aux Israéliens arabes. Ce dernier chiffre suffit, à lui seul, à faire un sort à l’interprétation discutable selon laquelle l’augmentation enregistrée par le phénomène raciste, en Israël, mise en évidence par l’étude de l’institut de Haïfa, serait due au facteur « sécurité », puisque le « danger sécuritaire » a diminué de manière significative depuis le sondage effectué par le Centre Yaffe. D’après ce sondage, toujours, 61 % des répondants juifs avaient le sentiment que les Arabes représentaient une menace pour la sécurité en Israël. Comment expliquer la chute dans le ratio de répondants ayant le sentiment que les Arabes mettent Israël en danger et l’augmentation – simultanée – de ceux qui prônent leur expulsion ? Quels facteurs jouent-ils un rôle dans ces courbes inversées ? Enfin, selon le même sondage, 60 % des répondants juifs soutiennent l’idée d’ « encourager » les citoyens arabes d’Israël à partir.
Un autre sondage est venu confirmer la vague montante de la droite ultra-religieuse et son opposition au concept généralement reçu de ce qu’est la citoyenneté, dans une société démocratique. 80 % des répondants à un sondage effectué en mars 2002, étaient opposés à la participation des Israéliens arabes à toute « décision critique affectant l’Etat », à comparer aux 75 % seulement des répondants en 2001, aux 67 % en 2000 et aux 50 % en 1999 [Ha’aretz, 12 mars 2002]. Il s’est déjà vu qu’un Premier ministre israélien soit assassiné sur fond d’une haine anti-arabe chauffée à blanc. Néanmoins, bien que Rabin ait été tué parce qu’il avait pris à son bord plusieurs députés arabes afin de créer (de toutes pièces) la majorité qui approuva les accords d’Oslo, les statistiques montrent que les Israéliens n’ont pas encore digéré la leçon de cette tragédie. La montée de la droite antidémocratique en Israël se manifeste à ce genre de petits détails qui retiennent insuffisamment l’attention.
Tous les sondages que nous avons examinés, au cours des années passées, montrent qu’une majorité d’Israéliens est favorable à la création d’un Etat palestinien et qu’une majorité encore plus confortable pense qu’un Etat de cette nature est absolument inévitable, en tout état de cause.
Cela n’est pas aussi contradictoire qu’on pourrait le penser, au premier abord, avec le glissement vers la droite religieuse et les vociférations croissantes accompagnant le soutien aux opinions et aux politiques racistes en Israël. Porter la « judaïté » au niveau de valeur suprême de l’Etat, cela a un corollaire : l’impossibilité d’une « coexistence » avec les Palestiniens – à un point tel que, dans l’un des sondages, 52 % des répondants soutenaient l’idée de remettre les régions d’Israël peuplées majoritairement d’Arabes au futur Etat palestinien…
Non seulement la séparation, soit au moyen d’une solution à deux Etats adoptée d’un commun accord, soit unilatéralement, est-elle soutenue par une majorité des Israéliens : c’est aussi la seule idée que le Likoud, de toute son  histoire, ait piquée au parti Travailliste. Le Likoud est déterminé à l’appliquer à sa manière, voilà tout, comme cela apparaît à l’évidence dans les développements actuels dans les territoires occupés. Les attitudes de l’opinion publique vis-à-vis des colonies juives sont cohérentes avec cette position. D’après divers sondages, 65 % des Israéliens sont en faveur du démantèlement des colonies lorsque ce démantèlement est imposé par une séparation effective [Ha’aretz, 6 juin 2002] ; 52 % soutiennent le démantèlement de toutes les colonies, par la force, au besoin, dans la bande de Gaza ; 70% soutiennent le démantèlement de toutes les colonies situées dans des zones densément peuplées de Cisjordanie, et 60 % celui de certaines, seulement, des colonies en Cisjordanie [Yediot Aharonot, 29 mars 2002].
Lorsqu’on l’examine, avec toutes ces tendances, le premier sondage que nous avons pris en considération au début de cet article, il est confirmé que le soutien à un désengagement – concerté, ou unilatéral – n’émane nullement d’une quelconque conviction généralement partagée (en Israël) qu’une solution à la cause palestinienne soit possible, qu’elle soit juste ou injuste étant une autre question. Et aussi que la tendance est à l’apartheid à Gaza et en Cisjordanie, ainsi qu’à un climat incendiaire en ce qui concerne les Arabes vivant à l’intérieur de la Ligne Verte. Le désengagement ne saurait être pris en considération isolément de ce dernier facteur. Le retrait des forces Israéliennes n’est que le revers de la médaille de la politique d’assassinats ciblés, du mur, des démolitions de maisons et des autres formes prise par l’imposition par Israël, tant de ses conditions à la séparation, que d’une direction palestinienne qui doive s’y conformer.
Les projets politiques d’Israël doivent être perçus dans le contexte de la culture politique dominante qui les sous-tend : une culture politique indiscutablement raciste. Pour les Arabes et les Palestiniens, reconnaître les exigences et les conditions basées sur cette logique et y accéder, non seulement ne saurait être pour eux d’aucun bénéfice, mais confèrerait même une certaine légitimité à un racisme qui n’a aucune légitimité d’aucune sorte dans aucune des nations civilisées auxquelles les Arabes sont tellement désireux de plaire. Il s’agit d’un racisme intégrale et structurel, et la lutte nationale doit le prendre en compte pour ce qu’il est – à savoir : un problème central – si elle veut être authentiquement démocratique. En réalité, le fait de se concentrer sur ce problème est précisément ce qui rend démocratique et compréhensible, car exprimée dans un langage universel, notre lutte nationale.
Quant à reconnaître l’identité juive d’Israël, comme Arafat l’a fait, récemment, au cours d’une interview accordée au quotidien Ha’aretz, cela ne fait que confirmer la triste réalité qu’une large composante de la direction palestinienne a depuis longtemps abandonné les attitudes, le discours et l’essence fondamentaux, propres à la Libération. La conséquence pratique de ce comportement politique – incarnée par ces déclarations arabes et palestiniennes reconnaissant non seulement Israël, mais même le caractère juif de cet Etat et, par voie de conséquence, l’idéologie sioniste – c’est qu’il conforte le racisme israélien et les dimensions effrayantes qu’il a pris aujourd’hui. En tout état de cause, Israël n’attache aucune foi à ces grandes déclarations, le cœur sur la main. Autrement dit : ceux qui les font ne jouissent d’aucune légitimité aux yeux des gens auxquels ils s’ingénient à complaire.
Difficile, de comprendre ces cadeaux unilatéraux au sionisme même, de la part du leadership d’un peuple sous occupation. A la fin des fins, si notre lutte n’a pas été livrée contre le racisme et l’occupation, quel besoin avions-nous de faire autant de sacrifices ? Dans quel but les avons-nous faits ? Question – ô combien – légitime.
                           
4. Diplomatie : Barnier plaide le retour du processus de paix par Valérie Féron
in L'Humanité du jeudi 1er juillet 2004

Le ministre français des Affaires étrangères, qui a qualifié Arafat d’acteur " incontournable ", demande un retour vers la " feuille de route ".
Jérusalem, correspondance particulière - Michel Barnier est venu à Ramallah porteur d’un triple message : solidarité avec le peuple palestinien par la poursuite de projets de coopération bilatéraux, soutien au président Arafat confiné dans ses bureaux, et nécessité urgente de remettre sur les rails le processus de paix. Le ministre français des Affaires étrangères s’est exprimé sur le plan israélien de retrait de la bande de Gaza, qui vise aussi à une large annexion de la Cisjordanie. Selon lui, ce plan doit être compris comme " une étape utile " vers la feuille de route qui prévoit la fin totale de l’occupation israélienne non seulement de la bande de Gaza mais également de la Cisjordanie. Il a précisé que " la France et les pays européens croient que l’on peut et que l’on doit sauver le processus de paix " pour parvenir à la création d’un État palestinien souverain et viable à côté d’Israël.
Pour ce faire, a-t-il reconnu néanmoins, malgré les efforts déjà accomplis " il reste beaucoup à faire ", en particulier dans le domaine sécuritaire. Michel Barnier s’est donc employé à convaincre ses interlocuteurs de l’intérêt à " saisir l’occasion " fournie par le plan israélien pour " mettre toutes les chances de son côté " en poursuivant les réformes entreprises et en arrêtant " toute violence ". Yasser Arafat, qui a salué le rôle que s’apprête à jouer l’Égypte dans la restructuration des forces de sécurité à Gaza, a promis de " mettre tout en ouvre " pour aller dans cette direction. Ceci passe cependant par un transfert de pouvoir délicat, les services de sécurité devant être regroupés en trois branches supposées ne plus se trouver, du moins exclusivement, sous la supervision du dirigeant palestinien. D’où l’importance de la présence du chef de la diplomatie française à Ramallah, qui tout en s’exprimant fermement sur les réformes a su parallèlement insister sur le fait que le président palestinien reste un acteur incontournable.
Pour les Palestiniens, cette visite de Michel Barnier a été ressentie comme d’autant plus importante qu’elle s’est déroulée dans un contexte extrêmement difficile pour les populations, qui se sentent plus que jamais seules face aux chars et aux soldats, et fait figure de contrepoids à la volonté de l’occupant israélien et de Washington d’isoler Yasser Arafat. Pour que la force du message soit bien entendue il reste à présent à Michel Barnier, qui a dénoncé la politique de " répression " israélienne et le mur en construction en Cisjordanie, à porter au gouvernement d’Ariel Sharon un message similaire de fermeté, lors de sa visite à venir en Israël.
                               
5. Vivre avec les Arabes par Maxime Rondinson
in Le Monde diplomatique du mois de juillet 2004
Le sociologue et historien orientaliste Maxime Rodinson nous a quittés le 23 mai 2004. Autodidacte, devenu un linguiste exceptionnel et un écrivain prolifique, il s’est notamment battu pour que justice soit rendue au peuple palestinien. A la veille du déclenchement de la guerre de 1967, il avait publié, dans Le Monde des 4-5 juin, cet article prémonitoire.
Le 9 août 1903, le comte Serge de Witte, ministre des finances du tsar Nicolas II, expliquait benoîtement au journaliste viennois Theodor Herzl, qui venait lui démontrer comment l’application de la doctrine du sionisme politique (qu’il venait de fonder) devrait être soutenue par l’empereur orthodoxe : « J’avais l’habitude de dire au pauvre empereur Alexandre III : « S’il était possible, Majesté, de noyer dans la mer Noire six ou sept millions de juifs, j’en serais parfaitement satisfait. Mais ce n’est pas possible. Alors, nous devons les laisser vivre ! » » D’autres trouvèrent les possibilités techniques qui manquaient aux antisémites russes. Cela même, en définitive, ne leur servit pas à grand-chose. Peut-être malgré tout y a-t-il quelque chose à tirer de la résignation du comte russe.
L’Etat sioniste a choisi de vivre en Palestine, c’est-à-dire au milieu du monde arabe. Le choix était dangereux. Les avertissements ne lui ont pas manqué, venant surtout de la part des juifs non sionistes, ni sionisants, qui furent très longtemps la grande majorité. Mais enfin ce groupe de juifs qui a projeté, puis réalisé, cet Etat a maintenu ce choix. Celui-ci a maintenant eu le temps de déployer toutes ses conséquences. Il n’est plus temps de revenir là-dessus. Mais tout arbre se juge d’après ses fruits.
La crise actuelle fait apparaître un fait nouveau (sous réserve du déroulement des événements). Israël, jusqu’ici, avait eu vis-à-vis du monde arabe un langage simple et clair : « Nous sommes ici parce que nous sommes les plus forts. Nous y resterons tant que nous serons les plus forts, que vous le vouliez ou non. Et nous serons toujours les plus forts grâce à nos amis du monde développé. A vous d’en tirer les conclusions, de reconnaître votre défaite et votre faiblesse, de nous accepter tel que nous sommes sur le terrain que nous vous avons pris. » Comment répondre à cela, sinon par la résignation ou le défi ?
La paix peut se gagner par la résignation arabe. Mais cette résignation, qu’on s’en félicite ou qu’on le déplore, ne paraît pas en vue. Les Arabes ne veulent pas « entendre raison », c’est-à-dire accepter la défaite qui leur a été infligée, sans contrepartie, comme l’Irlande a fini par accepter (mais est-ce vraiment sans contrepartie ?) l’amputation de l’Ulster sur la base d’une colonisation anglaise et protestante vieille de trois siècles. Peut-être l’accepteront-ils un jour. Libre aux politiques israéliens de miser là-dessus s’ils croient pouvoir tenir jusque-là.
La crise actuelle amène seulement à penser que les hommes politiques israéliens commencent à douter de pouvoir attendre si longtemps et à prendre conscience que les Arabes ne se résigneront pas dans un avenir prévisible.
Que voyons-nous en effet ? Alors que les sionistes et leurs partisans avaient toujours déclaré que l’hostilité à Israël était en pays arabe un phénomène artificiel, savamment attisé par les dirigeants, nous voyons les chefs arabes qui ont le plus à craindre d’une mobilisation populaire donner des armes à leurs pires ennemis, nous voyons les rivaux les plus féroces [du président égyptien] Nasser venir à son secours ou se mettre sous ses ordres. Il est pourtant de notoriété publique que le plus cher désir de ces rivaux arabes serait de s’allier à Israël pour étrangler l’encombrant Egyptien. La réciproque est d’ailleurs souvent vraie. Seulement cette attitude est impossible aux uns et aux autres. Ils ne peuvent que suivre leurs troupes. Comment expliquer ce fait sinon par la force du ressentiment populaire contre Israël ?
Que faire, donc ? Israël peut certes continuer le dialogue à lui tout seul, comme dit Robert Misrahi. Il peut continuer à expliquer ou à faire expliquer par ses amis aux Arabes qu’ils ont grand tort d’agir ainsi, en appeler à leur sens de l’humanité, les stigmatiser comme arriérés, fanatiques, antisémites, fascistes, etc. Il ne semble pas que vingt ans de pratique de ces exhortations et de ces dénonciations encouragent à beaucoup espérer de cette méthode.
Certains, comme le marxisto-sioniste arabe A. Razak Abdel-Kader, seul de son espèce, peuvent encore espérer en une révolution politique ou sociale qui amènerait au pouvoir dans les pays arabes des éléments disposés à accepter Israël. Les révolutions que ces pays ont connues ont plutôt amené des éléments dont la politique était de plus en plus anti-israélienne. Ou, s’ils voulaient un règlement, la pression des surenchères, uniquement rendue possible par la sensibilité de leur opinion publique au problème, les ramenait vite à l’anti-israélisme habituel. Libre à chacun de rêver encore à une révolution inédite qui serait le miracle et la divine surprise pour Israël. Peu de réalistes le feront. L’année dernière, Abdel-Kader dédiait son dernier livre à Mao Tse-Toung [Le Conflit judéo-arabe, Maspéro, « Cahier libres », Paris]. Celui-ci s’est révélé plus radical dans l’anti-israélisme que tous ses précurseurs. Ironique leçon !
Les Arabes s’obstinant à choisir le défi, il ne reste que la force. Mais, pour la première fois, Israël semble douter de sa force. Du moins ses amis nous le donnent-ils à entendre.
Et puis, supposons que le conflit éclate et qu’Israël soit vainqueur. Que faire des Arabes ? Revenons au comte de Witte. Est-il possible de les noyer tous dans la mer Rouge ? Les maintenir sous administration directe israélienne ? Encore plus impossible. Installer partout des régimes pro-israéliens ? Nul ne doute, les Israéliens moins que quiconque, que ce seraient des régimes fantoches secoués par les révoltes, en proie à une guérilla incessante. Encore une solution impraticable.
Il faut donc vivre avec les Arabes, bon gré mal gré. Et avec les Arabes non résignés. Alors comment faire ?
Il n’est qu’une chance peut-être, même si elle est minime, en dehors de cette impasse où se sont précipités les sionistes comme les mercenaires de Carthage dans le défilé de la Hache. C’est d’offrir aux Arabes de négocier, non plus comme on le fait depuis vingt ans sur la base de l’acceptation pure et simple du fait accompli à leur détriment, mais en proclamant en principe qu’on veut leur rendre justice, réparer le tort qu’on leur a fait. C’est, je pense, le seul langage qui ait quelque chance d’être accepté par l’autre partie. Le seul langage qui puisse peut-être provoquer chez l’autre cette reconnaissance tant attendue du fait national israélien, maintenant acquis par les travaux et les souffrances de ces dernières décennies, nullement par le souvenir d’un mythe de vingt siècles.
Israël peut refuser une telle concession, hautement déclarée. Le chauvinisme développé, hélas, dans une grande partie de sa population peut s’indigner d’une telle « lâcheté » et ne pas permettre aux dirigeants cette sagesse. Et puis, Israël peut encore gagner cette manche, notamment grâce à ses puissants protecteurs. Mais qui ne voit que cette victoire ne pourrait indéfiniment se répéter ? L’émotion actuelle n’en est-elle pas le signe ?
Aux zélotes d’Israël et à leurs amis, ne peut-on rappeler que les sionistes ont bien, et avec acharnement, recherché l’accord des puissances européennes dès le temps de Herzl ? Ils ont sollicité le tsar, le sultan, le pape, l’Angleterre. Leur installation ne se serait pas faite, quoi qu’ils en disent, sans la déclaration Balfour, acte politique britannique, sans la décision de partage de l’Onu en 1947, acte politique soviéto-américain.
Nous sommes en 1967. Il serait temps de rechercher l’accord des Arabes à qui cette terre fut enlevée. Non pas d’Arabes mythiques, d’Arabes souhaités, d’Arabes tels qu’on les voudrait convertis miraculeusement aux thèses israéliennes par les exhortations pro-sionistes du monde, les leçons des professeurs de morale, la lecture de l’Ancien Testament ou des classiques du marxisme-léninisme. Mais des Arabes tels qu’ils sont, refusant d’accepter sans contrepartie une conquête réalisée à leur détriment. On peut déplorer qu’il en soit ainsi. Mais ce n’est là qu’une façon de perdre son temps.
S’il est une tradition de l’histoire juive, c’est celle du suicide collectif. Il est permis aux purs esthètes d’en admirer la farouche beauté. Peut-être, comme Jérémie à ceux dont la politique aboutit à la destruction du premier temple, comme Yohanan ben Zakkai à ceux qui causèrent la ruine du troisième, peut-on rappeler qu’il est une autre voie, si étroite que l’ait rendue la politique passée ? Peut-on espérer que ceux qui se proclament avant tout des bâtisseurs et des planteurs choisiront cette voie de la vie ?
De Maxime Rodinson, on lira notamment Mahomet (Club français du livre, 1961, rééd. Seuil), Islam et capitalisme (Seuil, 1966), Marxisme et monde musulman (Seuil, 1972), Les Arabes (PUF, 1979), La Fascination de l’islam (Maspero, 1980), Peuple juif, ou problème juif ? (Maspero, 1981), L’Islam, politique et croyance (Fayard, 1993) et Entre islam et Occident, entretiens avec Gérard D. Khoury (Les Belles Lettres, 1998).
[Ajoutons, à cette bibliographie non-exhaustive du Monde diplomatique : "Israël et le refus arabe - 75 ans d’histoire" aux éditions du Seuil (1968). Ndlr du Point d’Information Palestine.]
                       
6. Devant les griffes du mur par Tanya Reinhart
in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du mercredi 23 juin 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Tout au long du tracé de la barrière de séparation, en Cisjordanie, une nouvelle culture se fait jour : d’un côté, des soldats et des bulldozers ; de l’autre, des Israéliens et des Palestiniens enlaçant la terre et les arbres, en tentant de sauver l’une comme les autres. La semaine passé, Sharon a décidé qu’il était assez les coudées franches, depuis qu’il assume son nouveau rôle d’ « homme de paix », pour décider de faire avancer la construction du mur en direction des colonies d’Ariel et de Kedumim, profondément implantées dans le territoire de la Cisjordanie, à environ vingt kilomètres du territoire israélien. Depuis lors, les Israéliens et les Palestiniens sont, eux aussi, sur place.
Le paysage à couper le souffle du district d’Ariel est saucissonné par les nouvelles routes construites par les maîtres, à leur usage exclusif. Entre ces routes neuves, on trouve les autres : les vieilles routes, défoncées, des vaincus. C’est là, sur le bas du pavé, que marche l’autre Israël – Palestine. Des jeunes israéliens arrivent, à bord de bus appartenant aux colonies, après quoi ils se fraient un chemin, qui à pied, qui en taxi palestinien, à travers les checkpoints. Ils vont de village en village, seuls, ou en groupe. Certains d’entre eux passent la nuit dans un village. D’autres referont le même chemin en sens inverse, le lendemain, pour se rendre à la manifestation. Partout où ils se rendent, on les accueille avec force bénédictions et des visages radieux. « Tafaddalû ! », « Entrez, je vous en prie ! », disent les enfants sur le seuil des maisons. Clairement, ceux-là n’ont jamais entendu parler de lancer de pierres… Comme les habitants d’autres villages palestiniens situés sur le tracé de la barrière de séparation, ceux de la région d’Ariel ont ouvert leur cœur et leur maison aux Israéliens venus soutenir leur résistance non-violente contre le Mur, qui leur vole leurs terres.
Les Israéliens qui vont dans les villages n’ont pas peur du Hamas. S’ils ont peur de quelqu’un, c’est de l’armée israélienne, qui peut décider, à tout moment, sur un coup de tête d’un commandant, de sulfater les manifestants d’une quantités invraisemblable de gaz lacrymogènes ou de déclarer zone militaire fermée le coin où ils se trouvent (« fermée », pour les Israéliens), et d’arrêter tout Israélien qui tenterait de se maintenir dans les lieux.
Ce qui amène de jeunes Israéliens à se tenir aux côtés des Palestiniens, face à l’armée (israélienne), c’est leur conviction que la justice élémentaire a une frontière, et que cette frontière ne saurait être violée. Ce ne sont pas des considérations sécuritaires qui ont déterminé le tracé actuel du mur. Si l’objectif était d’empêcher l’infiltration de terroristes, le mur aurait dû être conçu autrement. Le tracé défini par le colonel réserviste Shaul Arieli, directeur de l’ « Administration de Paix » du gouvernement Barak, déviait déjà de la frontière de 1967 et incluait de grands blocs de colonisation, en les plaçant bien entendu du côté israélien. Mais les 300 kilomètres carrés du territoire cisjordanien que ce tracé aurait dû engloutir représentent moins du tiers de ce que le tracé actuel extorquera. Le projet d’Arieli aurait coupé 56 000 (cinquante-six mille) Palestiniens de leurs rapports de voisinage avec la Cisjordanie ; le projet actuel en isolera quelque 400 000 (quatre cent mille) [Akiva Eldar, in Ha’aretz, 16.02.2004].
En choisissant le tracé du mur, Sharon et l’armée avaient l’intention d’arroger à Israël le plus de territoire cisjordanien possible, tout au long de la frontière avec Israël, et aussi de vider de ses habitants le territoire ainsi accaparé. Qalqiliyah, qui a été isolée de ses terres et du reste de la Cisjordanie, est d’ores et déjà une ville morte. Beaucoup d’habitants sont partis, allant chercher une subsistance aux marges d’autres villes cisjordaniennes ; ceux qui sont restés ont succombé à ce désespoir et à ce déclin si caractéristiques chez les prisonniers. C’est ce même sort qui attend Biddu, Beit Sureik et les autres villages situés entre la colonie de Giv’at Zeev et la ville israélienne de Mevasseret Zion. Dans l’immédiat, c’est au tour de Zawiya et de Deir Ballout, situés entre la colonie d’Ariel et le village israélien de Rosh Ha’ayin. Dans le jargon militaire, Ariel et Kedumim sont les « serres » de la barrière de séparation, des serres qui sont désormais enfoncées dans la chair de la Cisjordanie, enserrant un gigantesque morceau de terre palestinienne, qui sera transféré à Israël. Au programme, là encore, la nécessité de « nettoyer » la terre de ses habitants, par une strangulation à petit feu, comme cela fut fait à Qalqiliyah.
Ces Israéliens qui font face à l’armée sont allés en Cisjordanie parce qu’ils savent que le droit, cela existe. Et que ce droit est supérieur aux règlements de l’armée, notamment la définition d’une région : « zone militaire fermée ». Il existe ce qu’on appelle le droit international, qui prohibe l’épuration ethnique. Et puis il y a aussi la loi que dicte la conscience. Mais ce qui amène ces Israéliens à revenir, jour après jour, c’est la nouvelle alliance conclue entre les peuples de cette terre : un pacte de fraternité et d’amitié entre Israéliens et Palestiniens, qui aiment la vie, la terre, la brise du matin. Ils savent qu’il est possible de vivre autrement. Sur ces mêmes terres. (traduit de l’hébreu en anglais par Mark Marshall et Edeet Ravel)
                   
7. Les colons de Gaza partagés par Joël David
in La Croix du mardi 22 juin 2004
Les 7.500 colons israéliens de la bande de Gaza savent qu’Ariel Sharon envisage de démanteler leurs implantations. Certains se font une raison.
Goush Katif (bande de Gaza) - «Avec la foi, nous vaincrons.» Cette banderole déployée au détour d’une route sinueuse à l’entrée du Goush Katif, un bloc d’implantations situé au sud de la bande de Gaza, en dit long sur l’état d’esprit des 7.500 colons juifs de la région, que le cabinet d’Ariel Sharon a décidé d’évacuer unilatéralement et progressivement à compter de mars prochain.
Éparpillés en tout dans 21 colonies, ils essaient depuis trois décennies de s’enraciner dans le sable, entourés de 1,4 million de Palestiniens. Les traces de la guerre sont omniprésentes. À quelques mètres seulement du barrage routier de Kissoufim, qui relie l’État hébreu à la région, un tas de pierres surmonté d’un drapeau israélien rappelle qu’une mère de famille a été tuée ici même à l’arme automatique à bout portant avec ses quatre petites filles, le 2 mai, par des activistes palestiniens.
Le voyage est à haut risque, comme en témoignent les murs de béton pare-balles qui bordent la route, ainsi que les miradors et positions fortifiées de l’armée israélienne. Pas moins de six bataillons sont en permanence déployés sur place, soit 2 500 soldats. 400 militaires protègent notamment la soixantaine de familles de la colonie de Kfar Darom, où des femmes en fichu et jupe longue poussent des landeaux entre des chars Mer kava. Depuis le déclenchement de l’Intifada, en septembre 2000, des milliers d’obus ont été tirés contre les colons de Gaza, faisant seize tués et des dizaines de blessés parmi eux.
Pourtant, dans la colonie de Morag, Haim, 28 ans et père de quatre enfants, est déterminé à s’accrocher. «Je suis ici depuis quatre ans, et je ne bougerai pas», dit-il. Jeans, T-shirt, sandales et kipa des juifs religieux, il n’a apparemment rien d’un foudre de guerre. Mais il a un pistolet à la hanche et c’est lui qui supervise la sécurité des 35 familles de la colonie.
Convaincu que le retrait de Gaza n’aura jamais lieu, il assure que «personne n’aura à lever la main sur les soldats de Tsahal» qui seraient éventuellement appelés à évacuer les lieux. «Sharon nous a trompés et se trompe lui-même», dit-il encore en indiquant que cinq nouvelles familles doivent s’installer à Morag cet été.
Fusil M-16 en bandoulière, son voisin, Yaacov Souweta, 46 ans, surveille l’unique ouvrier palestinien qui achève la construction de sa maison. «À l’intérieur des implantations, c’est la règle. Il faut toujours être armé lorsqu’on emploie un Palestinien. On ne peut pas prendre de risques», explique-t-il en montrant une cicatrice à l’épaule. Il y a deux ans, il a essuyé une rafale de dix balles alors qu’il circulait au volant de sa voiture à l’entrée de la colonie. «Depuis, je suis en traitement psychiatrique à cause du traumatisme, ajoute-t-il, en soulignant cependant que son avenir est ici. Dans quelques années, la région sera un centre touristique […] Je viens de planter 2 000 oliviers et grenadiers, et mon fils Amitzur, 4 ans et demi, espère en cueillir les fruits», dit-il. 
Une méfiance constante
Quelques kilomètres plus loin, à la pointe méridionale de la bande de Gaza, s’étend Rafah Yam, créée en 1989, où vivent 26 familles de colons, plutôt laïcs, dans de coquettes villas aux murs de crépi blanc et aux toits de tuiles rouges, entourées de jardins. Palmiers et bougainvilliers bordent les rues tracées au cordeau, sur fond de littoral méditerranéen. Le cadre semble enchanteur. Mais la ville de Rafah, à cheval entre la bande de Gaza et l’Égypte, se profile en contrebas, comme une menace.
La ligne Philadelphie, où l’armée patrouille pour empêcher la contrebande d’armes par des tunnels creusés sous la frontière, se faufile entre les deux parties de l’agglomération. «Regardez : ils (les Palestiniens) ont crevé mes serres avec leurs canons de mortier», affirme Socrate Soussan, 48 ans, qui a quitté Mulhouse et émigré en Israël en 1983 pour suivre sa femme Brigitte. D’abord éclairagiste de théâtre à Beersheba, au sud d’Israël, il est venu ici il y a seize ans presque par hasard.
«J’ai été séduit par une annonce publicitaire de la colonie qui recrutait des candidats. Elle proposait d’intéressantes conditions de financement et, avec le temps, je suis devenu agriculteur», raconte-t-il. Ses serres s’étendent aujourd’hui sur 10 000 m2, et il produit 350 tonnes de tomates en dix mois. «Délicieuses, et sans saleté chimique», précise-t-il avec un accent qui trahit ses origines tunisiennes.
Son personnel : deux Thaïlandais et dix-huit Palestiniens. «Les Thaïlandais sont supers. Mais il faut les payer trois fois plus cher et, malheureusement, il y a des quotas. Le travail est très dur dans les serres, où la chaleur étouffante atteint souvent 50 degrés.» Il parle de ses employés palestiniens venus de Rafah comme d’«amis, puisqu’ils me donnent à manger et que je leur donne à manger». Pourtant Socrate se méfie. Il dispose d’un pistolet Smith and Wesson et d’un fusil M-16. «Dans les serres, lorsqu’ils s’approchent de moi, ils doivent me prévenir. C’est une précaution nécessaire. Il y a un peu d’hypocrisie, mais on s’aime bien. Ils sont chaleureux et intelligents», dit-il avec paternalisme.
Apparemment, Rafah, le contremaître palestinien surnommé «el Rais» (le chef, en arabe), lui rend cette estime. Mais cet homme de petite taille, au sourire édenté, ne cache pas que les conditions d’emploi sont dures : 60 shekels (environ 10 euros) pour huit heures de travail par jour, en sus des humiliations imposées lors des contrôles de l’armée. «Le matin quand nous arrivons, les soldats nous font relever nos chemises et baisser les pantalons pour vérifier que nous ne transportons pas de bombe, et au retour, ils contrôlent que nous ne volons rien», explique-t-il. L’avenir n’est guère plus rose : «Beaucoup de balagan» (tohu bohu, en hébreu), estime-t-il.
Dans son confortable salon, qu’il vient tout juste de commencer à agrandir, Socrate laisse, lui aussi, poindre son inquiétude. «Ici, c’est un paradis», dit-il en caressant ses trois chiens, Candy, Zoe et Plouk. Il raconte qu’il ramène souvent jusqu’à 35 kg de poisson lorsqu’il va à la pêche en apnée. «Mais c’est fini. Nous ne pouvons pas garder la bande de Gaza , et il faut partir. Les indemnisations n’empêcheront pas le déchirement. Nous n’avons pas le choix, car les Palestiniens ont droit à un État et ont le soutien des Américains et des Européens, dont Israël dépend. Je ne voudrais pas qu’on casse ma maison. Je préférerais la donner à mes employés», dit-il.
                       
8. Les Israéliens se servent des Kurdes pour édifier leur base avancée par Gary Younge
in The Guardian (quotidien britannique) du lundi 21 juin 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
New York - Les agents de l’armée et des services de renseignement israéliens sont actifs dans les régions kurdes de l’Iran, de la Syrie et de l’Irak, où ils assurent la formation d’unités commandos et mènent des opérations secrètes qui pourraient à l’avenir déstabiliser encore un peu plus l’ensemble de la région, d’après un reportage publié par la revue New Yorker.
Cet article a été écrit par Seymour Hersh, reporter lauréat du prix Pulitzer, lequel a révélé le scandale des tortures perpétrées notamment dans la prison américaine d’Abu Ghraïb (à Bagdad). Ses sources sont d’anciens et d’actuels responsables du renseignement israéliens, américains et turcs, dont le nom, on le comprendra, n’est pas cité.
Israël, pense Hersh, a pour objectifs de renforcer la puissance militaire des Kurdes, afin de contrebalancer celle des milices chiites et de créer, en Iran, une base à partir de laquelle les Israéliens pourront espionner les installations nucléaires iranienne, soupçonnées de procéder à des recherches dans le domaine des applications militaires.
« Israël soutient depuis toujours les Kurdes d’une manière tout à fait machiavélique : ils représentaient un contrepoids, face à Saddam », a déclaré un ex-officier du renseignement israélien au New Yorker. « C’est de la Realpolitik. En s’alignant sur les Kurdes, Israël y gagne des yeux et des oreilles. En Iran, en Irak et en Syrie. La question fondamentale est la suivante : « Que fera l’Iran si un Kurdistan indépendant est créé, lequel entretiendrait vraisemblablement des relations très étroites avec Israël ? L’Iran  ne veut pas d’un porte-avion israélien échoué dans les montagnes, juste à sa frontière...»
En soutenant les séparatistes kurdes, Israël risque aussi de s’aliéner son allié turc et de saper les tentatives visant à mettre sur pied un Irak un tant soit peu stable. « Si on s’achemine vers un Irak déchiré, il y aura encore plus de sang, de larmes et de douleur au Moyen-Orient, et ce sera de votre faute (i. e. : aux intervenants étrangers à la région) », a déclaré un haut responsable turc à M. Hersh.
Au début du mois, Intel Brief, une newsletter spécialisée dans le renseignement et éditée par d’anciens responsables de la CIA, faisait observer que les manœuvres israéliennes font peser une pression accrue sur leurs relations avec la Turquie, pays déjà très affecté, voire même épuisé, par la guerre (en Irak). « Les Turcs sont de plus en plus inquiets au sujet de l’expansion de la présence israélienne au Kurdistan et des encouragements qu’Israël prodiguerait aux ambitions kurdes quant à la création d’un Etat kurde indépendant. »
D’après M. Hersh, Israël a décidé de renforcer son entrisme au Kurdistan, l’été dernier, après qu’il fut devenu très clair que l’incursion américaine en Irak était vouée à l’échec, principalement parce qu’il (= Israël) redoutait que le chaos (en Irak) n’ait pour effet de renforcer la position de l’Iran. Les Israéliens sont particulièrement préoccupés par le fait que l’Iran est susceptible de mettre au point l’arme nucléaire.
L’Iran a déclaré samedi dernier qu’il envisageait de suspendre certaines de ses activités d’enrichissement de l’uranium, après que l’Agence Internationale de l’Energie Atomique eut publié une résolution déplorant le manque de coopération de l’Iran en matière de contrôle.
A l’automne, l’ancien ministre israélien des Affaires étrangères Ehud Barak avait dit au vice-président américain (Dick Cheney) qu’il considérait que les Etats-Unis avaient perdu la guerre, en Irak. « Israël a appris à ses dépens qu’il n’y a aucun moyen de perpétuer une occupation », a-t-il dit à Cheney, ajoutant que le seul problème était « celui de choisir l’ampleur de (votre) humiliation ».
Depuis juillet 2003, argue M. Hersh, le gouvernement israélien s’est lancé dans ce qu’un ancien responsable israélien du renseignement a appelé le « Plan B », afin de se protéger contre les retombées résultant du chaos provoqué par le fiasco américain en Irak, et cela, dès avant la date fatidique du 30 juin. Si le transfert de souveraineté qui doit intervenir ce jour-là ne se passe pas bien, « il n’y a pas de matelas où nous recevoir… il n’y a rien du tout ! », a dit à Hersh un ancien membre du Conseil National (américain) de Sécurité. « Les néocons persistent à croire qu’ils pourront sortir le lapin de leur haut-de-forme de prestidigitateur, en Irak… » ironise un ancien responsable du renseignement. « Un plan, c’est quoi, ça, un plan ?… », s’offusquent-ils, «… mais nous n’avons pas besoin de plan : la démocratie est assez forte. Nous allons l’établir (en Irak !…) et la faire fonctionner… »
Israël entretient de longue date des relations étroites avec les Kurdes, en qui ils voient, à juste titre, l’un de leurs rares alliés non-arabes dans la région. Les Kurdes d’Irak, qui ont joué un rôle clé dans la fourniture de renseignement aux Etats-Unis, avant et en préparation de la guerre, ont été ulcéré par la résolution adoptée, au sujet de la situation en Irak, par l’ONU, il y a quelques jours. Cette résolution ne réaffirme nullement la constitution intérimaire (irakienne), laquelle leur accordait l’inscription d’un droit de veto (et même : minoritaire) dans une (hypothétique) constitution (irakienne) définitive. Cette omission risque fort, potentiellement, de les laisser sur le bas-côté de la route.
Un responsable turc a indiqué à M. Hersh que l’indépendance kurde serait catastrophique pour l’ensemble de la région. « La leçon infligée par la Yougoslavie, c’est que lorsque vous donnez à une province (qu’on a décidé d’appeler  « pays ») son indépendance, tout le monde veut la déclarer la sienne : Kirkouk risque de devenir la Sarajevo de l’Irak. Si quelque chose de fâcheux se produit là-bas, bien malin qui saura contrôler la crise qui en découlera. »
                           
9. Projet du "Grand Moyen-Orient" entre politique-fiction et réalité par Hichem Ben Yaïche
on Vigirak.com le samedi 19 juin 2004

Jour après jour, le monde entier découvre, en Irak, l'« œuvre destructrice » du président George W. Bush et des faucons de son administration. Le désastre - tant craint par ceux qui connaissent le sujet - est là, sous nos yeux.
En quelque treize mois de présence militaire US, on est passé de l'Etat irakien à une entité ectoplasmique, où tout est mesuré -- et ramené -- à l'aune de l'identité ethnico-religieuse. Il ne s'agit pas, dans mon esprit, d'attribuer aux USA tous les maux de l'Irak, mais il n'en reste pas moins qu'ils ont largement généralisé et amplifié cette pratique. Certes, l'anthropologie et l'ethnologie permettent de comprendre les ressorts profonds d'une société et de sa culture, mais ce savoir ne tire sa validité que s'il est constamment mis à l'épreuve du réel, à travers des hommes et des femmes qui ont les outils nécessaires pour l'interpréter et le traduire correctement dans les faits. Tout cela pour dire que, dans le cas de l'Irak, les Etasuniens sont certes d'excellents techniciens, mais qu'ils sont de piètres praticiens. Les moyens techniques et militaires considérables du CentCom, le centre de commandement militaire US basé au Qatar, et les quelque neuf cents fonctionnaires travaillant sous l'autorité de Paul Bremer n'ont pas suffi d'éviter que des erreurs majeures soient commises. L'actualité dramatique de ces dernières semaines montre que les architectes en chef de la politique irakienne des Etats-Unis d'Amérique ont tout compris et fait de travers. Pis encore : la généralisation du désordre et le profond rejet que suscitent les forces militaires US auprès de la population irakienne indiquent clairement que celles-ci sont bel et bien dans une impasse. Détestation, ils sont devenus.
Hier au Vietnam, aujourd'hui en Irak, on croit venir à bout d'une rébellion par la seule force des armes, en n'hésitant pas à utiliser, à Falloudja par exemple, des avions AC130, dont la puissance de feu détruit tout sur son passage (1).
Incontestablement, les USA sont enlisés, mais ils n'abandonneront pas, pour autant, l'Irak. Les néoconservateurs au pouvoir à Washington ont réussi à faire passer leurs idées dans tous les rouages clés de l'Etat fédéral. L'ère du « Global War On Terrorisme » (Gwot) -- la guerre globale contre le terrorisme -- n'est qu'à ses débuts. De l'Afghanistan en Irak, en passant par d'autres pays arabes, les ambitions géostratégiques US dans l'Orient arabe sont loin d'être au stade de l'épure. Le paradigme ne relève plus, en effet, de la seule rhétorique : il est largement entré dans le champ de la concrétisation (2). Ce projet s'appelle le « Grand Moyen-Orient » (3). Les deux maîtres mots de cette « nouvelle frontière » : démocratie et libre-marché. Voici les deux mamelles -- nous dit-on dans les milieux politiques US -- qui vont nourrir des sociétés arabo-musulmanes, « enfermées dans des archaïsmes moyenâgeux », dont l'intégrisme n'est que le bras armé.
Depuis le 11 septembre 2001, le complexe militaro-industriel US, les services de renseignement, le travail d'expertise polémologique, etc., se sont redéployés et recentrés sur l'univers arabe et musulman. Il s'agit d'une option doctrinale majeure pour les USA. Il n'est guère difficile, à cet égard, de vérifier cette réalité : les sources ouvertes sont nombreuses et diverses. Rien n'est dit que l'Amérique réussira son nouveau messianisme. En tout état de cause, ses multiples « ratés » en Irak n'augurent rien de bon. L'amplification de la violence montre les limites de la méthode US. Vous avez beau avoir les meilleures technologies du monde et les armes les plus sophistiquées, mais gare aux erreurs psychologiques à l'endroit des Irakiens ! L'antiaméricanisme qu'on observe en Irak et ailleurs sert de ciment à toutes les oppositions, en réveillant parfois les « vieux démons » des peuples. Le dilemme de Bush est de ne pas admettre ses erreurs sur les « faux prétextes » sur les armes de destruction massive de Saddam Hussein. Cette attitude est en train de le conduire dans une « fuite en avant » dont on peut craindre les conséquences. Un autisme qui nourrit tous les extrêmes. Mais qui arrêtera les jardiniers de l'enfer moyen-oriental ?…
Des aspirations longtemps bridées…
Pendant ce temps, que font les Arabes ? Pourquoi cette absence de prise sur les événements et les choses ? Il est grand temps que les langues se délient pour que chacun entre dans une clarification nécessaire par rapport aux grandes questions de notre époque moderne. Le débat démocratique, pluraliste, ouvert, est la meilleure maïeutique pour accoucher du nouvel homo arabicus. Les dirigeants arabes, qui ont souvent ignoré les vraies aspirations de leurs peuples, sauront-ils tirer les bonnes leçons de l'Histoire ? Dans un contexte de spasme et de crispations des sociétés arabes, le temps presse pour éviter que la religion soit la seule explication de la complexité du monde.
Je ne sais pas vraiment si l'on mesure suffisamment l'ampleur de la tâche à entreprendre. Mais le salut passe par là, obligatoirement !
- NOTES :
(1) Il suffit de cliquer sur ce lien pour connaître les caractéristiques de cet avion « tueur ».
http://www.sftt.org/AC130_Gunship.wmv et http://news.ft.com/servlet/ContentS...
(2) Lire ma chronique, « L'Orient arabe : le nouveau paradigme US » in
www.vigirak.com.
                                   
10. Israël : Ariel Sharon, jardinier de l’enfer par Hichem Ben Yaïche
on Vigirak.com le mercredi 16 juin 2004

La guerre d’Irak et ses suites constituent une vraie aubaine pour Israël. Ariel Sharon et ses éminences grises ont compris l’urgence de mettre vite en œuvre leurs plans d’action, à l’heure où le monde entier a le dos tourné, polarisé par l’affaire irakienne. Inutile de rappeler ici les chiffres de morts et de blessés depuis le début de l’Intifada II, en septembre 2000, tant la routine du discours médiatique a désincarné une réalité dramatique et cruelle que les Palestiniens vivent au quotidien.
Pour mieux comprendre la stratégie sharonienne en cours d’exécution et saisir ses véritables implications locales et régionales, j’articulerai mes analyses autour de trois points essentiels.
Sharon et les Arabes
Ariel Sharon est un sioniste messianique, dont le pedigree est facilement repérable dans l’immense littérature journalistique. On connaît presque tout de ce personnage : ses idées, son discours, ses pratiques, etc., en tant que militaire ou homme politique [1]. Malgré un passé redoutable et contestable – notamment dans les massacres de Sabra et Chatila (1982) vices rédhibitoires –, cela ne l’a pas empêché, en février 2001, d’être élu Premier ministre. Sa lecture du conflit israélo-palestinien est archiconnue : pour lui, la guerre d’indépendance d’Israël de 1948 n’est pas terminée. Il s’agit de la poursuivre en s’appuyant sur un rapport de forces écrasant en faveur de l’Etat hébreu. Fini le plan de paix d’Oslo ! Place à la pax hebraica où Israël dicte ses conditions aux Palestiniens et aux Arabes. Le plus inquiétant, c’est que cette vision des choses est partagée, pour ne pas dire cautionnée, par le président George W. Bush et ses principaux collaborateurs néoconservateurs (lire plus bas).
Construction du mur de séparation, réoccupation de la Cisjordanie, destruction systématique de tout embryon de pouvoir palestinien, embastillement de Yasser Arafat (depuis près de 3 ans), politique d’assassinat des dirigeants du Hamas et du Djihad islamique, et d’autres aussi, cette politique de la terre brûlée semble n’émouvoir personne dans le monde ! L’impunité est parfaite. 
L’intifada II et l’impuissance structurelle des Arabes ont largement conditionné, nourri et même encouragé Ariel Sharon et son équipe à passer à l’acte.
On peut cependant s’interroger sur cette ivresse de la puissance, qui sembler combler ceux qui président à la destinée de l’Etat hébreu. Mais gare au grain de sable qui viendra enrayer cette belle machine!
Sharon et les Etats-Unis d’Amérique
Jamais la politique étrangère des Etats-Unis d’Amérique n’a été aussi alignée sur l’équipe au pouvoir en Israël. Une dizaine de visites d’Ariel Sharon à Washington ont fini par convaincre George W. Bush de partager le point de vue israélien. Plus besoin d’AIPAC, la puissante structure du lobbying en faveur des intérêts d’Israël, les lobbyistes œuvrent au cœur même de l’exécutif US (Paul Wolfowitz, Douglas Feith, Richard Perle, et bien d’autres) [2]. Cet inestimable appui américain et, n’ayons pas peur des mots, la consanguinité idéologique entre les deux pays poussent Ariel Sharon à aller encore plus loin dans l’application méthodique de sa politique. Le providentiel chaos irakien est le meilleur atout pour masquer l’ampleur des opérations israéliennes à Gaza et en Cisjordanie. Lors d’un séjour d’une semaine dans un pays arabe, j’ai pris la mesure de l’antiaméricanisme dans l’opinion arabe. Jamais ce sentiment n’a autant prospéré. Le président Bush est comptable de cette réalité. Israël, Irak, Afghanistan… constituent autant de raisons servant à alimenter cette commune aversion pour l’Amérique. Se rend-il suffisamment compte des effets pervers de sa politique au Moyen-Orient ? En tout état de cause, les Etats-Unis d’Amérique ont besoin d’un véritable sursaut de lucidité pour sortir de cette vision caricaturale du monde !
Sharon et l’alibi de l’antisémitisme
Pour couper court à toute critique concernant sa politique de répression tous azimuts, menée contre les Palestiniens, Ariel Sharon a réussi à réactiver les vieilles accusations d’antisémitisme. De véritables concepteurs (Cabinet du Premier ministre, ministère des Affaires étrangères, services de renseignements, universités) ont élaboré un véritable argumentaire, en direction de l’opinion européenne surtout, dénonçant dans le traitement médiatique la résurgence de l’antique " haine du Juif ". Au fil du mois, en France, ce discours s’est progressivement sophistiqué et complexifié en recevant l’onction d’un certain nombre d’intellectuels juifs et non-juifs. Du Moyen-Orient, on s’est orienté vers cette idée que les banlieues françaises sont devenues le terreau d’un nouvel antisémitisme, arabo-musulman celui-là. S’il est vrai qu’il faut dénoncer avec vigueur tout acte antisémite d’où qu’il vienne, il est tout aussi inacceptable de procéder à des généralisations faisant de tout Français d’origine arabe un " authentique antisémite ". Ce confusionnisme est en train de produire des effets dévastateurs. Des deux côtés – je dis bien des côtés –, on observe une montée du racisme qui se transforme progressivement en une guerre de religion.
Aujourd’hui, plutôt que demain, il faut que les hommes de bonne volonté – et ils existent –, dans les deux sociétés, tissent des liens dépassant le conjoncturel pour conjurer les scénarios du pire. Et pour abattre le " mur " qui s’érige un peu partout. Le temps de l’incantation n’est plus permis.
- NOTES :
[1] Pour mieux comprendre ce personnage, il faut lire notamment " Ariel Sharon, mémoires ", éditions Stock (1990).
[2] Lire mes précédentes chroniques.

                               
11. L’Agence Juive s’apprête à lancer une campagne massive en faveur de l’aliyah de juifs français par Arik Bender
in Maariv (quotidien israélien) du dimanche 13 juin 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Par centaines, des émissaires de l’Agence vont tenter de persuader les juifs français d’immigrer en Israël, après qu’un sondage ait indiqué que 6 % d’entre eux désiraient le faire. Les responsables communautaires critiquent cette décision.
L’Agence Juive est sur le point de se lancer dans une mission généralisée pour tenter de convaincre les juifs français de « faire leur aliyah » (c’est-à-dire : d’émigrer vers Israël). Dans les semaines à venir, des centaines de missionnaires de l’Agence Juive iront dans les quartiers juifs de l’agglomération parisienne, dans le cadre d’une opération dénommée Sarsel Tehila [Sarcelles étant une ville de la grande banlieue de Paris, (où vit une communauté juive assez nombreuse, ndt)].
Maariv a percé au jour le fait que le gouvernement israélien et l’Agence Juive se préparent à mener une opération sans précédent, dans une tentative de persuader des dizaines de milliers de juifs d’immigrer en Israël au cours des mois à venir.
Une réunion, tenue à cet effet le week-end passé, a eu les honneurs de la ministre de l’Immigration, Tzipi Livni, du directeur général du Cabinet du Premier ministre, Ilan Cohen et du président de l’Agence Juive, Salai Meridor. Le chef de la délégation parisienne de l’Agence Juive, Menahem Gur-Ari, a déclaré durant cette réunion qu’une étude effectuée à Paris a montré que près de 6 % des juifs (c’est-à-dire 30 000 personnes appartenant à la communauté juive de France, forte d’un demi million d’individus) ont exprimé la volonté d’émigrer en Israël en raison de la montée de l’antisémitisme et d’un sentiment d’insécurité personnelle ; ces personnes s’inquiètent en particulier pour leurs enfants, dans un proche avenir.
Au cours de cette même réunion, il fut décidé d’envoyer des centaines d’émissaires dans différentes villes du territoire français, en particulier dans celles où vit une forte communauté musulmane. De plus, le ministère de l’Immigration et le Cabinet du Premier ministre (Sharon) mettront au point un nouveau programme susceptible d’augmenter de manière significative l’assistance financière accordée aux immigrants français en Israël (notamment : des rachats de prêts immobiliers à taux préférentiels, des allocations logement, des prêts, etc…). En même temps, les maires des villes de la région de (la vallée de) Sharon  mettront au point un programme d’urgence destiné à absorber les nouveaux immigrants dans leurs localités.
Olivier Rafowicz, directeur de la délégation de l’aliyah de France, dépendante de l’Agence Juive, a déclaré notamment à Maariv : « En France, l’ambiance est mûre, pour l’aliyah,. Le phénomène est croissant dans la dernière période. Si, en 2001, moins de 1 000 personnes ont immigré en Israël, cette année, nous en attendons plus de 3 000 ».
Quant au président de l’Agence Juive, Salai Meridor, il a déclaré : « Il est très important de concentrer nos efforts sur l’importation de la juiverie française en Israël. Nous ne devons en aucun cas rater cette opportunité historique. »
Toutefois, pour Roger Cukierman, le président du Conseil Représentatif des Juifs de France (CRIF) – institution représentative de la juiverie française –  « Israël nous court-circuite. Il court-circuite les dirigeants de notre communauté, et j’ai bien l’intention d’exprimer mes objections à l’ambassadeur d’Israël (à Paris). »
M. Cukierman a ajouté : « Il faut se calmer. Le gouvernement français fait tout son possible afin de vaincre l’antisémitisme. Ce n’est vraiment pas le moment de susciter un conflit entre nous et les autorités françaises. »
D’autres dirigeants communautaires ont fait montre d’une approche moins diplomatique. « C’est une décision complètement dingue ! » a ainsi déclaré Izo Rozenman, dirigeant d’une association juive laïque française. Il a déclaré à Maariv : « Le gouvernement français fait tout ce qui est possible afin de lutter contre l’antisémitisme. Cette décision est irresponsable. »
                       
12. Qui a peur de Yossef Lapid ? par Jacques Bertoin
in L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 13 juin 2004
Le 24 mai dernier, lorsque l'armée israélienne s'est retirée de la ville de Rafah, laissant derrière elle au moins quarante-trois morts palestiniens - parmi lesquels une fillette de 3 ans - ainsi que des dizaines de blessés et autant de maisons détruites, « l'affaire » a éclaté en Israël.
Le scandale qui a secoué la hiérarchie militaire et le cabinet d'Ariel Sharon, provoquant la fureur du Premier ministre, ne tenait pas aux dommages inutiles causés par l'opération « Arc-en-Ciel ». Celle-ci, programmée pour mettre fin à un trafic d'armes supposé avec l'Égypte, n'avait pourtant pas permis de découvrir, sous les ruines des habitations dynamitées, beaucoup plus de tunnels secrets que l'offensive américaine en Irak n'avait en son temps révélé de caches d'armes de destruction massive. Ce n'était pas non plus l'exode tragique et dérisoire de la population, une fois de plus chassée de chez elle sans autre refuge, qui déchaîna un tel tollé à Jérusalem, mais les mots prononcés la veille par le ministre israélien de la Justice, Yossef Lapid : « Il faut cesser la destruction de maisons... L'image de la vieille femme cherchant ses médicaments dans les ruines m'a rappelé ma grand-mère, expulsée de sa maison pendant l'Holocauste. » Lapid fut aussitôt apostrophé, sommé de vérifier ses informations puisées « sur les télévisions arabes », mis en demeure de se rétracter, de s'excuser d'avoir ainsi « donné des arguments à la propagande anti-israélienne » et de présenter sa démission. Le porte-parole des colons juifs de Cisjordanie alla jusqu'à lui reprocher d'avoir « insulté tous ceux qui ont été assassinés par les nazis ». Jusqu'ici, Lapid a tenu bon.
Difficile, en effet, de retirer à cet homme de 74 ans le droit de laisser parler ses souvenirs : ce futur journaliste israélien, qui allait devenir le directeur du grand quotidien Ma'ariv avant d'être nommé PDG de l'office de la Radiotélévision par Menahem Begin et de se lancer dans la politique, a passé son enfance terré dans le ghetto juif de Budapest. Il a eu plus de chance que la plupart des membres de sa famille, comme son père, enlevé par les nazis, qui a péri dans le camp de Mauthausen et... cette grand-mère qu'il n'a pas réussi à oublier. Difficile, aussi, de le traiter de renégat : Lapid, jadis partisan du « Grand Israël », n'a jamais remis en question son engagement sioniste. Son parti, le Shinoui, après un succès spectaculaire aux élections de 2003, est un des piliers de l'actuelle coalition gouvernementale. Il représente les laïcs des classes moyennes victimes de « la stérilité et du parasitisme des haredim », ces religieux ultraorthodoxes que Lapid compare à des « talibans juifs ». Hostile aux colons qui en sont l'émanation, il récuse également Yasser Arafat, qu'il veut exclure des négociations souhaitées avec les « Palestiniens modérés » sur la base d'une large évacuation des Territoires occupés. Enfin, impossible de jouer avec lui la surprise : lorsqu'il avait appris, en 2002, que des militaires israéliens avaient tatoué un numéro sur le bras de leurs prisonniers palestiniens, Lapid n'avait alors pas hésité à évoquer publiquement ce que lui rappelait ce procédé, avant d'en exiger - et d'en obtenir - l'annulation de la part des autorités.
Ce n'est certes pas la seule allusion à l'Holocauste par le ministre de la Justice qui a déclenché un tel vacarme : la référence au génocide des juifs par les nazis fait partie du quotidien des citoyens israéliens. Depuis sa naissance, l'État israélien n'a cessé de brandir le spectre d'Auschwitz pour justifier sa politique sécuritaire, jusqu'à légitimer, quand cela fut nécessaire, l'option du nucléaire militaire. La plupart de ses hommes politiques ne se sont pas privés d'utiliser un « blindage moral » forgé dans les charniers, à charge pour eux d'en assumer la contrepartie. Élie Wiesel ne les avait-il pas engagés à défendre « Un État [...] juif et pour cela [...] plus humain que n'importe quel autre » ?
Quel leader arabe n'a pas déjà été comparé à Hitler dans une Knesset (l'Assemblée parlementaire israélienne) où l'insulte suprême consiste le plus souvent à traiter son adversaire de « nazi » ? Et lorsque Begin avait écrit à Ronald Reagan pour l'informer qu'il irait jusqu'à Beyrouth pour « appréhender Adolf Hitler dans son bunker » - entendez Yasser Arafat dans son bureau -, on ne sache pas que l'opinion publique israélienne en avait été retournée. Seulement voilà : à diaboliser l'autre avec les armes de l'inacceptable souffrance subie, on s'expose à ce que les comparaisons ne s'arrêtent pas en chemin. Et, de guerre en Intifada, les ravages de l'occupation militaire de la Palestine ont convaincu le monde entier que les fils de la Shoah sont de moins en moins fondés à revendiquer une quelconque « exception morale » au bénéfice de l'armée de leur pays.
Résultat : longtemps réservée aux rescapés qui ont constitué le socle de la population israélienne, à leurs gouvernants et aux sionistes de la diaspora, la référence à l'enfer nazi a changé de mains. Ou plutôt, elle s'est retrouvée banalisée, instrumentalisée selon les besoins de chacun, comme n'importe quel argument susceptible d'alimenter le dialogue de la haine. Le tabou qui consistait, pour les Israéliens, à s'interdire de « comparer ce qui est incomparable », c'est-à-dire l'Holocauste nazi avec toutes les autres formes de répression, de violence et même d'injustice dont leur peuple pourrait se trouver accusé, a explosé sous les yeux de Yossef Lapid quand les bulldozers arborant l'étoile de David ont ravagé des rues tranquilles. Pour Oona King, députée juive du Parlement britannique en visite à Gaza, c'est un petit Palestinien, les bras levés devant le fusil pointé par un soldat, sur fond de barbelés et de miradors, qui lui a rappelé d'une manière angoissante des images du ghetto de Varsovie. D'autres, tels le Prix Nobel portugais José Saramago (« À Ramallah, j'ai vu l'humanité humiliée et anéantie comme dans les camps de concentration nazis ») ou l'universitaire orthodoxe Yeshayahu Leibowitz s'étaient, avant elle, engouffrés dans la brèche.
Dès lors, tous les signes sont exploitables, pourvu qu'Ariel Sharon y pourvoie, comme il sait si bien le faire : le mur, symbole du ghetto, les postures des soldats israéliens qui en évoquent d'autres, la femme enceinte empêchée d'atteindre l'hôpital, les bombardements qui mériteraient leur « Guernica » si Picasso était né un peu plus au Sud et quelques années plus tard, et ces maisons rasées pour cause de responsabilité collective sous le regard incrédule des pauvres gens qui viennent de tout perdre tandis que les blindés caracolent en file indienne, canons braqués, fanions au vent. « Cela me rend malade que nous ayons l'air de monstres », déclarait encore Yossef Lapid, à la radio cette fois.
Des signes qui, pour témoigner ici d'exactions intolérables, là de « bavures » tragiques, quand ce ne sont pas de véritables crimes de guerre fomentés par des hauts responsables politiques, devraient néanmoins inciter les historiens d'emprunt à « raison garder ». Car, à vouloir trop dire - le mépris, les persécutions, les meurtres commis par une armée, ô combien « performante » et suréquipée, sur une population globalement impuissante -, on en vient à raconter n'importe quoi.
Ce n'est pas exonérer Israël de ses fautes ni escamoter la souffrance des Palestiniens que d'admettre, une fois pour toutes, qu'il n'y a de commun entre la froide détermination de l'Allemagne nazie qui planifia l'extermination de millions d'êtres humains coupables d'appartenir à une race dite inférieure et les excès sanglants d'une soldatesque traumatisée par le terrorisme, conduite dans une impasse par une politique inepte, mais, on l'espère, réversible, que la parenté des images produites par l'universelle douleur des victimes. Suggérer que Rafah ou Ramallah = Birkenau ou Auschwitz représente un amalgame disqualifiant tout autant son auteur que celui qui consiste à résumer l'islam aux forfaits de Ben Laden. Tant qu'on en reste à la rhétorique qui, en Mai 68, fit taxer de SS les CRS du général de Gaulle, on peut justifier l'anathème par un mouvement de colère facile à expliquer. Mais si on accuse l'autre du crime suprême pour faire absoudre par avance les actes tout aussi terribles que l'on s'apprête à commettre, des bombes lancées sur des innocents, des coups de poignard dans le ventre de jeunes gens qui n'ont à se reprocher que l'étude de la Torah, on doit bien admettre qu'il est des mots susceptibles de tuer encore, de tuer toujours. Et qui sont à proscrire.
Primo Levi, dont le témoignage jette une terrible lumière sur la nuit de l'Holocauste, écrivait en 1947 : « Puisse l'histoire des camps d'extermination retentir pour nous comme un sinistre signal d'alarme. » C'est ce signal que nous font entendre Yossef Lapid et les quelques consciences courageuses qui s'expriment au coeur même du danger. Espérons que leurs concitoyens, aujourd'hui, leur apporteront la seule réponse qui importe : celle des faits, pour infirmer au plus vite ces intolérables soupçons.
                       
13. L'autre oeil Tsahal par Jean-Luc Allouche
in Libération du mardi 8 juin 2004

Ils ont 20 ans. Revenus d'un service militaire à Hébron, ils racontent en photos, en vidéos, la litanie des Territoires. Pas d'images sanguinaires, mais la banalité de l'humiliation palestinienne, exposée pour la première fois à Tel-Aviv, pour ceux qui ne vont jamais là-bas.
Tel-Aviv envoyé spécial - Momik, Mikha, Yonathan et Yéhouda reviennent d'une période militaire de plusieurs mois à Hébron ; certains de leurs camarades sont encore en service actif. Ils ont décidé de «briser le silence» (1), de montrer leurs photos souvenirs de soldats de 20 ans. Une soixantaine de clichés grand format, les uns quasi professionnels, les autres plus maladroits. Outre les photos, des vidéos de témoignages de soldats passent en boucle. Une collection de clés de voiture confisquées à des Palestiniens est pendue au mur. Celui-ci : «Ma mère saura enfin à quoi ressemble la casbah de Hébron...» Ou celui-là : «Je ne veux pas que vous fuyiez devant ce que je fais.»
Ils ne veulent pas parler à la presse étrangère ou sous couvert d'anonymat. Parce qu'ils se veulent d'abord «patriotes» et, surtout, parce qu'ils veulent tendre «un miroir à la société israélienne pour ce qui se commet en son nom dans les territoires occupés». Ils ont invité le chef d'état-major, le commandant de la région Centre, le procureur militaire, mais ils ne sont pas venus. Seul le colonel Hen Livni, commandant adjoint du Nahal, le corps auquel ils appartiennent, a fait le déplacement. L'écho suscité par cette exposition a entraîné une réplique immédiate du porte-parole de l'armée : «Après les allégations des témoins [de cette exposition] sur des violences commises sur la personne et les biens des Palestiniens, une enquête de la police militaire est ouverte. Tsahal éduque ses soldats pour se conduire selon de hauts critères moraux (...).»
«Mais comment la meilleure éducation morale peut-elle résister à la réalité quotidienne de l'occupation ? Surtout à Hébron», s'insurge l'un d'eux. La cité d'Abraham, révérée par les musulmans et les juifs, qui compte 120 000 Palestiniens, est l'une des villes les plus violentes de Cisjordanie. Près de 1 200 militaires y assurent la sécurité de 600 colons retranchés dans l'ancien quartier juif de la ville, dont les habitants ont été massacrés et expulsés à plusieurs reprises dans les années 30. Ici, les colons sont les plus extrémistes, comme le proclament les nombreux graffitis sur les murs. «Tuez-les tous ! Dieu reconnaîtra les siens...» ou «Les Arabes à la chambre à gaz...», peut-on lire sur une arme ou un mur.
Les images ne sont pas sanguinaires, elles traduisent la banalité de l'humiliation quotidienne : contrôles d'identité, couvre-feu, murs suintant la haine des colons. Haine qu'on retrouve sur les murs de Cisjordanie et de Gaza, cette fois sous la main de Palestiniens. Pour autant, ces images sont exceptionnelles parce que les Israéliens, à moins d'être soldats ou colons, n'ont jamais l'occasion de les voir.
Les témoignages vidéo, eux, déroulent la routine de l'arbitraire, de l'impuissance, de l'ennui parfois, de l'indifférence qui s'installe, de la peur aussi : «Si j'étais un Arabe, peu m'importerait qu'un soldat ait été correct... Celui qui viendra, la prochaine fois, enfoncer ma porte ne le sera pas.» «Ce que j'ai compris, ce n'est pas que nous devons protéger les Juifs des Palestiniens, mais ces derniers des Juifs.» «Si j'avais été l'un des enfants humiliés par l'un de nos officiers, je n'en serais pas sorti pacifiste, mais extrémiste...» Femme enceinte empêchée de franchir un barrage, noce obligée de rebrousser chemin, familles évacuées de leurs maisons... La litanie de l'occupation. «Pour nous, il est important qu'une mère dont le fils va s'engager sache où il met les pieds.»
- (1) «Breaking the Silence», Galerie de photographie géographique, 8, av. Hahaïl, Yad Eliahou, Tel-Aviv. Jusqu'au 25 juin.
                   
14. Le Conseil de Paris unanime pour dédier une rue à Theodore Herzl
Dépêche de l'Agence France Presse du lundi 7 juin 2004

Paris - Le Conseil de Paris, unanime, a décidé lundi d'attribuer le nom du fondateur du mouvement sioniste, Theodore Herzl, à une rue ou une place de la capitale française. La proposition a été faite par deux élus UMP du centre de Paris, Jack-Yves Bohbot (IIIème arrondissement) et Laurent Dominati (IVème). Le maire PS Bertrand Delanoë l'avait qualifiée en marge du conseil, avant le vote, d'"excellente initiative", tout en notant qu'Herzl était aussi un grand socialiste. M. Bohbot, en défendant son voeu, a souligné que le "formidable projet" d'Herzl, mort il y a cent ans, le 3 juillet 1904, s'était formé à Paris. Ce journaliste juif hongrois avait assisté en 1895 à la dégradation de Dreyfus dans la cour des Invalides, ce qui le poussa à développer l'idée d'une patrie pour les juifs en butte à l'antisémitisme. Adjoint à l'Urbanisme, Jean-Pierre Caffet (PS) a salué "une grande figure du combat pour la liberté". Reste, a-t-il dit, à choisir un lieu à baptiser et aussi "un moment apaisé" pour le faire.
                       
15. La Guerre des civilisations par Thierry Meyssan
in Voltaire du vendredi 4 juin 2004

["Voltaire" est un magazine quotidien d'analyses internationales publié par le Réseau Voltaire. Recevez chaque jour le magazine en format PDF dans votre boîte à lettres électronique. Renseignements : http://www.reseauvoltaire.net/abonnement.php. Thierry Meyssan affirme que les attentats du 11 septembre 2001 ont bien eu lieu, mais qu’ils ont été orchestrés de l’intérieur des États-Unis. De nouveaux éléments confortent les démonstrations de ses derniers livres "L’Effroyable imposture" et "Le Pentagate". C’est le point de départ de son prochain livre, "Guerre des civilisations" à paraître en septembre 2004 aux éditions Carnot [224 pages - 18 euros - ISBN : 2848550929], qui traitera de ce qui a été fait de ces attentats, les objectifs et les événements à venir, à savoir une guerre des civilisations. Anoter aussi que Thierry Meyssan organisera une manifestation à l’Unesco les 3 et 4 septembre prochain où des personnalités politiques de premier plan en provenance de plus de 25 pays se rendront pour une initiative internationale.]
(Thierry Meyssan est journaliste, écrivain et président du Réseau Voltaire.)
La théorie du complot islamique mondial et du clash des civilisations a été progressivement élaborée, depuis 1990, pour fournir une idéologie de remplacement au complexe militaro-industriel états-unien après l'effondrement de l'URSS. L'orientaliste britannique Bernard Lewis, le stratège états-unien Samuel Huntington et le consultant français Laurent Murawiec en ont été les principaux inventeurs. Elle permet de justifier, de manière pas toujours rationnelle, la croisade états-unienne pour le pétrole.
Les attentats du 11 septembre 2001, imputés par l'administration Bush à un « complot islamiste », ont été interprétés aux États-Unis et en Europe comme la première manifestation d'un « clash des civilisations ». Le monde arabo-musulman serait entré en guerre contre le monde judéo-chrétien. Cet affrontement ne pourrait trouver de solution que dans le triomphe de l'un au détriment de l'autre, soit celui de l'islam avec l'imposition d'un Califat mondial (c'est-à-dire d'un Empire islamique), soit celui des « valeurs de l'Amérique » partagées avec un islam modernisé dans un monde globalisé.
Une doctrine apocalyptique
La théorie du complot islamique et du clash des civilisations offre une explication holistique du monde. Elle ordonne le monde d'après la disparition de l'URSS. Il n'y a plus d'affrontement Est-Ouest entre deux super-puissances animées d'idéologies antagonistes, mais une guerre entre deux civilisations, ou plutôt entre la civilisation moderne et une forme archaïque de barbarie.
En posant que l'islam est en guerre contre les valeurs de l'Amérique, cette théorie sous-entend en premier lieu que l'islam n'est pas modernisable. Cette culture est indissociable de la société arabe au VIIIe siècle dont elle perpétue les structures, notamment le statut inférieur des femmes. Elle ne conçoit son expansion que par la violence sur le modèle des guerres du Prophète.
Cette théorie suppose également que « l'Amérique » est porteuse de liberté, de démocratie et de prospérité. Qu'elle incarne la modernité et représente le point ultime du progrès et la fin de l'Histoire.
Le 11 septembre 2001 est la première bataille de cette guerre des civilisations, comme Pearl Harbour est la première bataille de la Seconde Guerre mondiale vue des États-Unis. C'est dire que cette guerre ne ressemble pas aux précédentes. Au cours des deux premières Guerres mondiales, des coalitions militaires se livraient un combat de titans. Au cours de la Guerre froide, les combats militaires sont limités à des zones périphériques, voire à des conflits de basse intensité (guérillas), tandis que l'affrontement central oppose idéologiquement deux super-puissances. Au cours de la Quatrième Guerre mondiale qui vient de commencer, les batailles militaires classiques disparaissent au profit des guerres asymétriques : une unique puissance, leader de tous les États, combat un terrorisme non-étatique omniprésent.
Il ne s'agit pourtant pas d'une guerre entre le despotisme des États et des groupes de résistants, mais bien au contraire d'une insurrection des démocraties contre la tyrannie islamiste qui opprime le monde arabo-musulman et tente d'imposer le Califat mondial.
Cette lutte du Bien et du Mal trouve son point de cristallisation à Jérusalem. C'est en effet là que, à l'issue de l'Armageddon, doit avoir lieu le retour du Christ qui marquera le triomphe de la « destinée manifeste » des États-Unis, « seule nation libre sur terre », chargée par la Divine Providence d'apporter « la lumière du progrès au reste du monde ». Dès lors le soutien inconditionnel à Israël face au terrorisme islamiste est un devoir patriotique et religieux pour tout citoyen états-unien, même si les juifs ne peuvent espérer le salut qu'à travers la conversion au christianisme.
Un complexe
Cet exposé de la théorie du complot islamiste et du clash des civilisations ne force aucunement le trait. Elle est fidèle à la vulgate des médias et des partis politiques aux États-Unis. On peut, bien entendu, s'interroger à la fois sur les préjugés qui la fondent, sa cohérence interne et sa nature irrationnelle.
Les concepts de monde arabo-musulman et de monde judéo-chrétien sont eux-mêmes contestables. Originellement le terme judéo-chrétien ne désigne pas l'ensemble Juifs plus Chrétiens, mais au contraire le groupuscule des premiers Chrétiens lorsqu'ils étaient encore juifs, avant que l'Église ne se sépare de la Synagogue. Mais à la fin des années soixante, c'est-à-dire après le rapprochement israélo-états-unien et la guerre des Six jours, ce terme prend un sens politique. Il désigne le bloc atlantiste, qualifié d'Occident, face au bloc soviétique, appelé Est.
On observe ici un recyclage des concepts. L'Occident reste à peu près le même aujourd'hui, tandis que l'adversaire n'est plus l'Est, mais l'Orient. Ces concepts n'ont rien à voir, ni avec la géographie, ni avec la culture, mais uniquement avec la propagande. Ainsi, l'Australie et le Japon sont politiquement occidentaux, comme d'ailleurs deux États européens à population musulmane, la Turquie et la Bosnie-Herzégovine. On se heurte d'ailleurs là au plus gros problème : dans de nombreux États, et particulièrement alentour de la Méditerranée, il est impossible de distinguer actuellement civilisation judéo-chrétienne et civilisation arabo-musulmane. La guerre des civilisations suppose donc que l'on suscite des guerres civiles pour séparer les populations. De ce point de vue, une expérience réussie a été réalisée en Yougoslavie. La poursuite et l'achèvement du projet de séparation implique la liquidation de l'idéalisme laïque. Il est donc inévitable, sur le long terme, que la résistance structurelle la plus importante à l'intérieur du camp « occidental » soit la République française [1]
Par ailleurs le préjugé selon lequel l'islam est incompatible avec la modernité et la démocratie suppose une grande ignorance. À la fois l'expression monde arabo-musulman souligne que l'islam est aujourd'hui bien plus large que le monde arabe, mais en même temps la représentation que l'on s'en fait est on ne peu plus étriquée. Très rares sont les États-uniens qui savent que l'Indonésie est le premier État musulman au monde. Peut-on raisonnablement dire qu'Abou Dhabi et Dubaï sont moins modernes que le Kansas ? Peut-on sincèrement affirmer que le Bahreïn est moins démocratique que la Floride ? L'un des ressorts de ce discours est d'assimiler l'islam à l'Arabie du VIIIe siècle, mais vient-ils à l'esprit de quiconque d'assimiler le christianisme à l'Antiquité proche-orientale ?
Corrélativement, cette théorie repose sur la croyance dans « les valeurs de l'Amérique ». Et c'est bien de croyance dont il s'agit car comment peut-on tenir en si haute estime un pays dont la Constitution ne reconnaît pas la souveraineté populaire, dont le président n'est pas élu mais nommé, où la corruption des parlementaires n'est pas interdite mais réglementée, où des justiciables peuvent être tenus au secret, qui entretient un camp de concentration à Guantanamo, qui pratique la peine de mort et la torture, où les patrons des grands journaux reçoivent hebdomadairement leurs ordres de la Maison-Blanche, qui bombarde des populations civiles en Afghanistan, qui kidnappe un président démocratiquement élu à Haïti, qui finance des mercenaires pour renverser des régimes démocratiques au Venezuela et à Cuba, etc. ?
Enfin, cette théorie est indissociable d'une pensée religieuse à caractère apocalyptique. La révolution américaine est un mouvement complexe où se sont mêlées des idéologies différentes. Mais en définitive, c'est sur un projet religieux qu'ils se sont fondés et c'est de ce projet originel que se réclame l'actuelle administration. Le serment d'allégeance, en vigueur depuis la Guerre froide et actuellement contesté devant la Cour suprême, implique qu'il faut croire en Dieu pour être citoyen des États-Unis. George W. Bush a accédé à la Maison-Blanche en présentant sa foi en Jésus comme programme politique. Il a professe des croyances fondamentalistes selon lesquelles l'humanité a été créée il y a seulement quelques milliers d'années et sans évolution des espèces. Il a installé un Bureau des initiatives fondées sur la foi à la Maison-Blanche. L'attorney général John Ashcroft a fait sienne la devise « Nous n'avons d'autre roi que Jésus ». Le secrétaire à la Santé a coupé des programmes prophylactiques au nom de ses convictions religieuses. Le secrétaire à la Défense a embarqué les missionnaires de l'Église du pasteur Graham dans les forces de la Coalition en Irak avec mission de convertir les Irakiens. Etc. Au vu de tout cela, on peut raisonnablement se demander si les États-Unis sont bien un pays moderne, ouvert et tolérant, où s'ils n'incarnent pas le sectarisme et l'archaïsme.
Origine du concept
L'expression « clash des civilisations » est apparue pour la première fois dans un article de l'orientaliste Bernard Lewis, en 1990 aimablement intitulé Les racines de la rage musulmane [2]. Le propos est lancé : l'islam ne donne rien de bon et les musulmans en conçoivent une amertume qui se transforme en fureur contre l'Occident. Mais la victoire des États-Unis est certaine, ainsi que la libanisation du Proche-Orient et le renforcement d'Israël.
Agé aujourd'hui de 88 ans, Bernard Lewis est né au Royaume-Uni. Il a suivi une formation de juriste et d'islamologue. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il a servi dans les services militaires de renseignement et au Bureau arabe du Foreign Office. Dans les années soixante, il est devenu un expert écouté du Royal Institute of International Affairs où il est apparu comme le spécialiste de l'ingérence humanitaire britannique dans l'Empire ottoman et l'un des derniers défenseurs du British Empire. Mais, en 1974, il a émigré aux Etats-Unis. Il est devenu professeur à Princeton et a été naturalisé. Il est bientôt devenu un collaborateur de Zbigniew Brzezinski, le conseiller national de sécurité du président Carter. Ils ont ensemble théorisé le concept d'« arc d'instabilité » et mis au point la déstabilisation du gouvernement communiste en Afghanistan. En France, Bernard Lewis a été membre de la très atlantiste Fondation Saint-Simon pour laquelle il a rédigé, en 1993, un opuscule Islam et démocratie. À cette occasion, il a été interviewé par le quotidien Le Monde. Au cours de l'entretien, il s'est appliqué à nier le génocide arménien, ce qui lui a valu d'être condamné par la justice.
Cependant la notion de clash des civilisations a rapidement évolué. Elle est passée d'un discours néo-colonial sur la suprématie de l'homme blanc à la description d'un affrontement mondial dont l'issue est incertaine. Cette nouvelle acception est due au professeur Samuel Huntington qui n'est pas islamologue, mais stratège. Il la développe dans deux articles, Le clash des civilisations ? et L'Occident est unique, pas universel, et un livre dont le titre originel est Le clash des civilisations et le remodelage de l'Ordre du monde [3].
Il ne s'agit plus seulement de se battre contre les musulmans, mais d'abord contre eux, puis contre le monde chinois. Comme dans le mythe des Horiaces et des Curiaces, les États-Unis doivent éliminer leurs adversaires l'un après l'autre pour espérer la victoire finale.
Samuel Huntington est un des grands intellectuels de notre temps. Non pas que ses ouvrages soient rigoureux et brillants, mais parce qu'ils forment le corpus idéologique du fascisme contemporain.
Dans son premier livre, Le Soldat et l'État, paru en 1957, il tente de démontrer qu'il existe une caste militaire idéologiquement unie alors que les civils sont toujours politiquement divisés [4]. Il développe une conception de la société où le commerce serait dérégulé, où le pouvoir politique serait détenu par les patrons des multinationales sous la tutelle d'une garde prétorienne.
En 1968, il publie L'ordre politique dans les sociétés en changement, une thèse dans laquelle il affirme que seuls des régimes autoritaires sont capables de moderniser les pays du tiers-monde [5]. Secrètement, il participe à la constitution d'un groupe de réflexion qui présente un rapport au candidat à la présidence, Richard Nixon, sur la manière de renforcer les actions secrètes de la CIA [6].
En 1969-70, Henry Kissinger, qui apprécie son goût pour les actions secrètes, le fait nommer à la Commission présidentielle pour le développement international [7]. Il préconise un jeu dialectique entre le département d'État et les multinationales : le premier devra exercer des pressions sur les pays en voie de développement pour qu'ils adoptent des législations libérales et renoncent aux nationalisations, tandis que les secondes devront faire profiter le département d'État de la connaissance qu'elles ont des pays où elles sont implantées [8].
Il rejoint alors le Wilson Center et crée la revue Foreign Policy. En 1974, Henry Kissinger le fait nommer à la Commission des relations USA-Amérique latine. Il participe activement à la mise en place des régimes des généraux Augusto Pinochet au Chili et Jorge Rafael Videla en Argentine. Il teste pour la première fois son modèle social et prouve qu'une économie dérégulée est compatible avec une dictature militaire. Parallèlement, son ami Zbigniew Brzezinski le fait entrer dans un cercle privé, la Commission trilatérale. Il y rédige un rapport, La Crise de la démocratie [9] dans lequel il se prononce pour une société plus élitiste, où l'accès aux universités serait raréfié et la liberté de la presse contrôlée.
Alors que les membres des administrations Nixon et Ford sont renvoyés par Jimmy Carter et que les Etats-Unis renversent leur politique en Amérique latine, Huntington est repêché par son ami Brzezinski, devenu conseiller national de sécurité. Du coup, il reste à la Maison-Blanche et devient coordinateur de la planification au Conseil. C'est à cette période qu'il commence à collaborer étroitement avec Bernard Lewis et qu'il conçoit la nécessité de dominer d'abord les zones pétrolières de l'arc d'instabilité avant de pouvoir attaquer la Chine communiste. Ça ne s'appelle pas encore le clash des civilisations, mais ça y ressemble.
Mais le professeur Samuel Huntington doit faire face à un bien pénible scandale. On révèle qu'il est appointé par la CIA pour publier des articles dans des revues universitaires justifiant le recours à l'action secrète pour maintenir l'ordre dans les pays où des dictateurs amis décèdent soudainement. Cet épisode oublié, Frank Carlucci le nomme à la Commission conjointe du Conseil de sécurité nationale et du département de la Défense pour la stratégie intégrée à long terme [10]. Son rapport servira de justification au programme de « guerre des étoiles ».
Le professeur Huntington est aujourd'hui administrateur de la Maison de la liberté (Freedom House), une association anti-communiste présidée par l'ancien directeur de la CIA, James Woolsey.
Jérusalem et La Mecque
La théorie de la guerre des civilisations se cristallise sur les questions religieuses. Le contrôle judéo-chrétien de Jérusalem est un talisman nécessaire à la victoire globale. Si l'Occident perdait la ville sainte, il perdrait la force pour accomplir sa destinée manifeste, sa mission divine. Réciproquement, si les musulmans perdaient le contrôle de La Mecque, leur religion se déliterait. Bien sût, tout ça n'est pas très rationnel, mais ces superstitions sont omniprésentes dans les médias populaires états-uniens. Elles s'inscrivent aussi dans un discours politique structuré.
Le 10 juillet 2002, Donald Rumsfeld et Paul Wolfowitz ont convoqué la réunion trimestrielle du Comité consultatif de la politique de Défense [11].Seule une douzaine de membres est présente. On y écoute un exposé d'un expert français de la Rand Corporation, Laurent Murawiec : Mettre les Séoud hors d'Arabie. La conférence se déroule en trois parties et vingt-quatre diapositives. Dans un premier temps, Murawiec reprend les théories de Bernard Lewis : le monde arabe traverse une crise depuis deux siècles. Il a été incapable de réaliser aussi bien sa révolution industrielle que sa révolution numérique. Cet échec suscite une frustration qui se transforme en rage anti-occidentale. D'autant que les Arabes ne savent pas débattre car dans leur culture la violence est la seule forme de politique. De ce point de vue, les attentats du 11 septembre ne sont que l'expression symptomatique de leur débordement.
Dans un second temps, Murawiec décrit la famille royale saoudienne comme dépassée apr les évènements. Elle a développé dans le monde le wahhabisme aussi bien pour lutter contre le communisme que contre la révolution iranienne, mais aujourd'hui, elle est débordée par ce qu'elle a créé.
Enfin, le conférencier propose une stratégie : les Saoud détiennent à la fois le pétrole (nous y voilà), les pétrodollars et la garde des lieux saints. Ils sont le pilier central et unique autour duquel s'organise le monde arabo-musulman. En se débarrassant d'eux, les Etats-Unis peuvent récupérer le pétrole dont ils ont besoin pour leur économie, l'argent provenant du pétrole qu'ils ont eu tort de payer par le passé, et surtout les lieux saints, donc le contrôle de la religion musulmane. Et lorsque l'islam se sera effondré, Israël pourra annexer l'Égypte.
Laurent Murawiec a été consultant auprès du ministre français de la Défense, Jean-Pierre Chevènement et chargé de cours à l'École des hautes études en sciences sociales (EHESS) [12]. Conseiller de Lyndon LaRouche pendant plusieurs années, il le quitte brusquement et rejoint les néo-conservateurs. Il est aujourd'hui expert au Hudson Institute de Richard Perle et collabore au Middle East Forum de Daniel Pipes.
Cette réunion a fait grand bruit. L'ambassadeur d'Arabie saoudite a demandé des explications et M. Perle, organisateur de cette réunion, a été prié de se faire plus discret quelques temps et M. Murawiec a été invité à quitter la Rand Corporation. Quoi qu'il en soit cette réunion avait été convoquée par Rumsfeld et Wolfowitz en pleine connaissance de cause. Il s'agissait seulement de tester jusqu'où le Pentagone peut aller.
- NOTES :
[1] Nous distinguons ici la République française, en tant qu'idée, de la France, en tant qu'État-nation.
[2] « The Roots of Muslim Rage » par Bernard Lewis, Atlantic Monthly, septembre1990.
[3] « The Clash of Civilizations ? » et « The West Unique, Not Universal », Foreign Affairs, 1993 et 1996 ; The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order, 1996.
[4] The Soldier and the State par Samuel Huntington, Harvard University Press, 1957
[5] Political Order in Changing Societies par Samuel Huntington, Yale University Press, 1968.
[6] Ce groupe comprenait Francis M. Baton, Richard M. Bissell Jr, Roger D. Fisher, Samuel Huntington, Lyman Kirkpatrick, Henry Loomis, Max Milliken, Lucian W. Pye, Edwin O. Reischauer, Adam Yarmolinsky et Franklin A. Lindsay.
[7] Presidential Task Force on International Development, présidée par Rudolph Peterson.
[8] The United States in Changing World Economy, US Governement Printing Office, 1971.
[9] The Crisis of Democracy par Crozier, Huntington et Watanuki, New York Press University, 1975.
[10] Commission on Integrated Long-Term Strategy. Elle comprend Charles M. Herzfeld, Fred C. Iklé, Albert J. Wohlstetter, Anne Armstrong, Zbigniew Brzezinski, William P. Clark, W. Graham Claytor, Jr, général Andrew J. Goodpaster, amiral James L. Holloway. III, Samuel P. Huntington, Henry A. Kissinger, Joshua Lederberg, et les généraux Bernard A. Schriever et John W. Vessey.
[11] Présidé par Richard Perle, le Defense Policy Board Advisory Committee comprend Kenneth Adelman, Richard V. Allen, Martin Anderson, Gary S. Becker, Barry M. Blechman, Harold Brown, Eliot Cohen, Devon Cross, Ronald Fogleman, Thomas S. Foley, Tillie K. Fowler, Newt Gingrich, Gerald Hillman, Charles A. Horner, Fred C. Ikle, David Jeremiah, Henry Kissinger, William Owens, J. Danforth Quayle, Henry S. Rowen, James R. Schlesinger, Jack Sheehan, Kiron Skinner, Walter B. Slocombe, Hal Sonnenfeldt, Terry Teague, Ruth Wedgwood, Chris Williams, Pete Wilson et R. James Woolsey, Jr. [12] Créé à la Libération sous l'impulsion de la CIA, l'EHESS devait contrebalancer le CNRS influencé par les communistes. Aujourd'hui encore, cette École est largement financée par la Fondation franco-américaine.
                                   
16. A l’ombre du mur, Israël construit des zones industrielles par Meron Rapoport
in Le Monde diplomatique du mois de juin 2004
Depuis la mi-mai, l’armée israélienne s’acharne sur le camp de réfugiés de Rafah, tuant ses habitants par dizaines et détruisant leurs maisons par centaines. Devant ce carnage, baptisé « opération Arc en Ciel », les « grandes consciences » se taisent. Ce silence est d’autant plus choquant que, depuis le début du printemps, l’hécatombe n’a pas cessé : 60 morts en avril, 100 pour les vingt premiers jours de mai. Rien là d’un hasard : Israël entend cadenasser la bande de Gaza avant de s’en retirer, pour concentrer sa politique annexionniste sur la Cisjordanie. Le général Sharon espère atteindre ainsi son objectif : le « politicide » du peuple palestinien, détruit en tant qu’entité politique. Le mur, à l’ombre duquel il construit des zones industrielles, enfermera un pseudo « Etat palestinien », coupé en quatre morceaux privés de toute viabilité.
Envoyé spécial du Monde diplomatique - A Irtah, un village proche de Tulkarem, les fermiers peuvent encore apercevoir leurs terres depuis leurs maison situées au-dessus de la colline, mais ils ne peuvent plus y accéder depuis un an. Les fossés, les murs et les barbelés qui matérialisent la barrière dite « de séparation » les en empêchent. Mais ce n’est pas tout. L’armée israélienne menace de confisquer leurs 500 dounams [1] perdus. Quoi qu’il en soit, une chose est presque sûre : le destin de ces terres est scellé. Une zone industrielle y sera construite des deux côtés de la barrière, avec l’aide des autorités israéliennes et d’entrepreneurs palestiniens. Les paysans, privés de terres, n’auront d’autre choix que de travailler pour les usines. Leur salaire minimum atteindra à peine le tiers de celui qui est en vigueur en Israël.
Tulkarem ne constitue pas une exception. Certes, la construction de la « barrière » est loin d’être terminée : 200 kilomètres sur les 700 prévus. Mais le ministre israélien de l’industrie, du commerce et de l’emploi, M. Ehoud Olmert, se bat pour la construction d’une chaîne de parcs industriels le long du mur. Certaines branches de l’armée – notamment celles qui s’occupent de la surveillance des territoires palestiniens – considèrent ce projet comme la continuité du mur. « Vous verrez, ce sera très joli », lance le commandant de la coordination militaire de Tulkarem, en inspectant la porte dans le mur (lequel s’enfonce d’environ 3 kilomètres à l’intérieur du territoire palestinien). « Nous établirons ici une zone industrielle et tout ira pour le mieux. La population et l’Autorité palestinienne ont vraiment besoin de tels sites », affirme M. Gabi Bar, directeur général des affaires du Proche-Orient au ministère de l’industrie. Mais l’insécurité empêche la construction de telles zones à Naplouse : mieux vaut les implanter le long de la « barrière ».
L’idée en soi n’est pas nouvelle. Après les accords d’Oslo en 1993, des fonctionnaires israéliens et palestiniens s’entendirent sur la création de neuf parcs industriels au bord de la Ligne verte [2], en Cisjordanie et à Gaza. De Jénine au nord à Rafah au sud, ces derniers fourniraient du travail à quelques 100 000 Palestiniens. Ce plan fut rangé dans les tiroirs pour cause d’Intifada. Une foule de Palestiniens en colère brûla, dès les premiers jours du soulèvement, l’embryon de parc israélien – baptisé « Bourgeons de la paix » - près de Tulkarem. La zone industrielle d’Erez, en bordure du barrage du même nom, sur la frontière entre la bande de Gaza et Israël, a subi les attaques continues de combattants palestiniens.
Bon an mal an, ces deux parcs continuent pourtant de fonctionner : quelque 4 500 Palestiniens travaillent à Erez, 500 dans les « Bourgeons » de Tulkarem, mais nul n’avait jusqu’ici songé à construire une nouvelle zone industrielle sur la Ligne verte. La construction du mur a ressuscité cette vieille idée.
Le mur a aggravé, du côté palestinien, le chômage, déjà très élevé (45 % en Cisjordanie, 60 % dans la bande de Gaza). Car les 120 000 Palestiniens qui travaillaient en Israël avant l’an 2000, légalement ou illégalement, ne peuvent plus s’y rendre. De surcroît, des milliers, voire des dizaines de milliers de paysans n’ont plus accès à leurs terres, qui se trouvent du côté « israélien » de la barrière : ils n’ont, de facto, plus d’emploi. Cyniquement, on pourrait dire que le mur représente deux éléments nécessaires au succès des parcs industriels communs israélo-palestiniens : sécurité (pour les hommes d’affaires israéliens) et emploi (pour les ouvriers palestiniens).
M. Olmert l’affirme clairement : « Les zones industrielles résoudront à la fois le problème du chômage palestinien et celui du coût élevé de la main-d’œuvre pour les industriels israéliens – qui délocalisent actuellement en Extrême-Orient – et ce sans aucun risque, puisque les Palestiniens ne franchiront pas la Ligne verte [3] ». Le ministre a même exposé, en décembre 2003, une vision proche de celle, presque oubliée, de M. Shimon Pérès sur le « nouveau Moyen-Orient », lors d’une conférence à Jérusalem, à laquelle participait M. Saeb Bamya, un haut fonctionnaire du ministère palestinien de l’économie nationale : « Je ne permettrai pas à la politique d’interférer dans le développement des liens économiques avec nos voisins palestiniens », a lancé M. Olmert, oubliant que c’était le gouvernement israélien qui avait interrompu toutes les relations officielles avec l’Autorité palestinienne au milieu de l’année 2001 [4].
Et, en janvier 2004, M. Olmert était invité à une conférence organisée par M. Stef Wertheimer, un célèbre industriel israélien, qui a lancé un programme de construction de 100 parcs industriels au Proche-Orient. Selon ce dernier, « il est préférable d’occuper les gens au travail plutôt que de les laisser se livrer au terrorisme ».
Altruisme ? Désir de paix ? « Pourquoi pensez-vous que la zone industrielle d’Erez est encore attrayante pour 200 usines, qui sont restées là en dépit des attaques terroristes ?, demande M. Gabi Bar, du ministère de l’industrie. Le motif le plus important est le bas salaire des travailleurs : environ 1 500 shekels [270 euros], comparé aux 4 500 shekels [810 euros] de salaire minimum en Israël. De plus, les employeurs n’y sont pas soumis à la législation du travail d’Israël. » M. Bar précise cependant qu’il existe un plan visant à créer des « enclaves palestiniennes » en territoire israélien, dans lesquelles les lois israéliennes du travail ne seraient pas appliquées. Mais la Histadrout, le grand syndicat israélien, refuse toute forme d’apartheid entre ouvriers israéliens et palestiniens.
Les Israéliens pourraient bien avoir une autre raison d’investir au bord du mur. La plus grande usine de la zone industrielle proche de Tulkarem, Geshuri, est spécialisée dans les pesticides et autres produits chimiques. Jusqu’en 1985, elle se trouvait près de la ville côtière de Netanya. Mais les voisins se sont plaints des mauvaises odeurs qui en émanaient. D’où la décision de la déplacer vers un autre site, en Cisjordanie. L’Autorité palestinienne a exigé, sans succès, que Geshuri soit éloignée de Tulkarem. M. Raanan Geshuri, directeur général de l’usine, a invité quiconque le désirait à venir constater par lui-même que l’usine était sûre. S’il n’a pas convaincu ses voisins israéliens à Nétanya, il y a peu de chances qu’il réussisse à persuader ceux de Tulkarem… Bien des industriels israéliens pourraient, comme lui, être tentés de déplacer certaines de leurs usines polluantes vers les zones où les lois environnementales israéliennes, très strictes, ne s’appliqueront pas.
M. Bar insiste sur le fait que, malgré tout, les Palestiniens gagneront à voir s’ériger ces parcs : « De toute façon, un Palestinien touche plus à Erez qu’à Gaza. » Il a certainement raison. Selon le rapport de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), depuis mars 2004, environ 40 % des Palestiniens souffrent d’insécurité alimentaire (autrement dit, ils sont affamés), et 60 % vivent sous le seuil de pauvreté, estimé par les organisations internationales à 2,10 dollars par jour. Les Palestiniens ne peuvent donc que se réjouir de travailler afin de nourrir leurs familles. Mais dans quelles conditions ?
M. Abdel-Malek Jaber, un homme d’affaires, dirige la Palestinian Estate Development Management Company (Piedco) [5], acteur essentiel de la création des zones industrielles. Proche, dit-il, du ministre palestinien de l’industrie Maher Al-Masri, M. Jaber s’attache à récolter les fonds nécessaires à la construction de cese deux premiers parcs, seule solution pour sauver l’économie palestinienne – utile aussi à la relance de celle d’Israël. Car toutes deux sont inextricablement liées : en 2001, un an après le début de l’Intifada, 86 % des importations des territoires palestiniens provenaient d’Israël, et 64 % de leurs exportations lui étaient destinées ; l’Autorité palestinienne est le troisième partenaire commercial d’Israël, après l’Union européenne et les Etats-Unis.
 « Pour que le taux de chômage en Palestine reste à son niveau actuel, déjà élevé, l’économie palestinienne devra se développer à un rythme de 7 % à 8 % par an, ce qui est impossible, explique M. Jaber. Nous devons donc aller plus loin et c’est pourquoi j’en viens à l’idée de parcs industriels à la frontière. Israël est un pays développé, intégré à l’économie mondialisée. Nous ne pouvons qu’en tirer bénéfice. Nous avançons à une vitesse de 100 kilomètres-heure vers l’enfer. Je veux donc donner de l’espoir au peuple. »
Ses deux premiers parcs seront construits à Jalama, au nord de Jénine, et en face du village d’Irtah. M. Jaber indique qu’il a « racheté des terres privées à des Palestiniens », et qu’il en a déjà identifié d’autres près de Bethléem. Il projette de construire deux autres parcs : un à Rafah, au sud de la bande de Gaza ; l’autre à Tarkumia, près de Hébron (Al-Khalil), au sud de la Cisjordanie. Chacun fournira au moins 15 000 emplois, et le projet global pourra en créer 100 000 (la population active de Cisjordanie est estimée à 560 000 personnes).
Maquiller l’horrible réalité
Les investisseurs paraissent déjà intéressés – « Je ne dépenserais pas 40 millions de dollars si je n’avais aucun client », assure M. Jaber. Il espère que, d’ici à dix-huit mois, le premier parc commencera à fonctionner. Selon ses calculs, les coûts de production seraient de 70 % inférieurs à ceux d’Israël, en raison des bas salaires et de la modicité du loyer. M. Jaber fait tout ce qu’il peut pour que les Israéliens s’y sentent en sécurité. « Je ne suis pas naïf. Pour que ces parcs puissent fonctionner, il nous faudra conclure des accords de sécurité différents. »
Sur la nature de ces derniers, M. Gabi Bar se veut plus explicite. « La condition fondamentale est que la sécurité de ces parcs soit exclusivement assurée par les Israéliens. Car, si une usine est située dans un secteur que nous sécurisons nous-mêmes, nous pourrons dire que cette usine est située en Israël. Ses marchandises auront moins besoin d’être contrôlées que celles d’une usine implantée à Naplouse. » La responsabilité en matière de sécurité est l’un des principaux changements par rapport aux plans d’avant l’Intifada. A l’époque, aux dires de M. Reuven Horesh, directeur général du ministère de l’industrie sous le gouvernement Barak, les Palestiniens devaient se voir confier l’entière responsabilité des zones, la technologie étant simplement transférée d’Israël en Palestine. Désormais, les Israéliens auront la pleine responsabilité de la sécurité, même si la terre et la gestion restent palestiniennes. « De telles déclarations ne nous aident pas », confie, avec une pointe de colère dans la voix, M. Jaber, conscient de la « sensibilité » palestinienne.
C’est là le cœur du problème : soit ces parcs industriels figureront, comme le mur, parmi les innombrables actions unilatérales des Israéliens imposées aux Palestiniens, soit ils résulteront d’une véritable coopération. Mais la première option semble la plus probable. Les signes ne trompent pas. Le 29 février 2004, le ministère de l’intérieur israélien a annoncé, par l’intermédiaire d’un journal arabe, aux paysans de certains villages au nord-ouest de Jénine la confiscation, dans les quinze jours, de quelque 6 000 dounoms de leurs terres « afin de corriger l’organisation régionale de la zone industrielle de Shahak ».
Autrement dit, de nouvelles terres palestiniennes seront prises à leurs propriétaires afin d’élargir cette zone, située du côté « israélien » du mur, mais à l’intérieur des territoires occupés en 1967.
M. Gabi Bar n’est pas au courant de ces ordres de confiscation. Il admet toutefois le « grand intérêt » que représente, pour Israël, l’agrandissement de cette zone industrielle et les « premiers contacts » pris avec les Palestiniens dans ce but. Les fermiers des villages de Silat Al-Harithia et de Tura Al-Sharqiyyah jurent que personne ne leur en a parlé – les fonctionnaires palestiniens leur ont simplement dit n’en rien savoir.
Il en va de même près de Tulkarem. M. Faiz Al-Tanib, membre de l’Union des fermiers, indique que des paysans d’Irtah et de Farun ont reçu une lettre des autorités militaires leur annonçant la saisie par l’armée des 500 dounams qu’ils possèdent du côté « israélien » de la barrière. Avant une cinquantaine de familles vivaient de ces terres : désormais, du fait du mur, elles n’en tirent plus aucun bénéfice. Sans doute la zone industrielle de Tulkarem sera-t-elle établie sur ces 250 dounams, au pied de la colline qu’Irtah surmonte. Les responsables de l’armée l’ont dit aux paysans. Et, à en croire M. Al-Tanib, des hommes d’affaires palestiniens proposent de racheter ou de louer certaines de ces terres. Le nom de la Piedco, la compagnie de M. Jaber, a été mentionné. « En quoi la construction d’une zone industrielle va-t-elle nous aider ?, se demande M. Al-Tanib. On prive cinquante familles de leurs terres, pour que cinquante autres travaillent dans des usines. Ça ne sert à rien. »
Ainsi les parcs industriels ressemblent-ils à une nouvelle étape unilatérale dans les relations israélo-palestiniennes. M. Gabi Bar le dément, affirmant que, si un seul de ces parcs était construit unilatéralement, il serait immédiatement attaqué. Mais c’est pour ajouter qu’un accord pourrait se conclure à un niveau local, sans impliquer  l’Autorité palestinienne. M. Jaber pense, lui aussi, que l’installation de zones n’implique par forcément un accord politique entre Israël et l’Autorité. Il espère cependant la conclusion rapide : l’Autorité n’a-t-elle pas modifié la loi sur les investissements étrangers, afin que rien ne limite ceux-ci dans les zones industrielles ?
Chef de l’Initiative nationale de Palestine, un nouveau mouvement de gauche, le docteur Mustafa Barghouti se montre beaucoup plus sceptique : « Ces projets n’ont pas fonctionné pendant la période qui a suivi les accords d’Oslo, et ils ne marcheront pas plus maintenant. Il s’agit de maquiller l’horrible réalité. Ces hommes d’affaires palestiniens ne s’inquiètent pas du chômage de leurs concitoyens ; ils s’inquiètent du leur. Ce plan ne se comprend que d’un point de vue israélien :parce qu’il consolidera l’apartheid [6], dans lequel les Palestiniens ne peuvent être qu’un peuple d’esclaves. Mais cela ne réussira pas. »
- NOTES :
[1] : Un dounam équivaut à un dixième d’hectare.
[2] : Nom donné à la ligne d’armistice entre Israël et la Jordanie avant la guerre de 1967.
[3] : Maariv, Tel-Aviv, 22 septembre 2003.
[4] : The Jerusalem Post, Jérusalem, 16 décembre 2003.
[5] : Société de développement de la zone industrielle palestinienne.
[6] : Lire Leila Farsakh, « De l’Afrique du Sud à la Palestine », Le Monde diplomatique, novembre 2003.
                                   
17. Busharon, le compte à rebours par Uri Avneri
in Le Nouvel Afrique Asie du mois de juin 2004
Le réveil, quoique tardif, de la majorité israélienne dite “silencieuse” sonne-t-il le glas de la carrière d’Ariel Sharon ? Sa stratégie fondée sur la seule force des armes, des assassinats et de la destruction s’effondre soudainement comme un château de cartes dans les sables mouvants de la petite bande occupée de Gaza. Il se trouve, comme tous ses prédécesseurs, dans une impasse meurtrière qui rappelle celle de l’occupation du Sud-Liban, soldée par un retrait sans honneur. Le soutien de son ami Bush, se débattant lui-même dans un piège semblable, ne lui aura servi à rien. Comme le montre cette analyse d’Uri Avneri, figure emblématique du camp de paix en Israël.
L’étrange créature qu’on appelle Busharon a de sérieux problèmes. La partie face de l’animal – George W. Bush – a des problèmes avec des photos de nus. Non seulement celles de ces infortunés prisonniers irakiens, avec l’exubérante soldate montrant leurs parties génitales, mais aussi celle de Bush lui-même, dont la nudité a été exposée aux yeux de tous.
Celui qui a sauvé le peuple irakien d’un cruel tyran, le courageux leader apportant la démocratie en Mésopotamie, le représentant de la civilisation occidentale se battant contre la barbarie, est apparu tel qu’il était : un barbare cruel.
Ne le laissons pas se faire d’illusions : ce n’est pas un problème de quelques sadiques, hommes et femmes, qui se seraient trouvés là. Il apparaît déjà clairement qu’il y a eu des sévices systématiques sur des prisonniers – les laisser nus, les humilier sexuellement, leur envoyer des chiens méchants qui les ont probablement mordus, les priver de sommeil, les garder enchaînés dans des positions pénibles durant de longues périodes, leur couvrir la tête de cagoules crasseuses, les menacer d’électrocution –, toutes ces choses ayant été photographiées. Mais il ne fait aucun doute qu’étant donné un tel comportement à l’égard des prisonniers, des tortures bien pires leur ont été infligées sans être photographiées.
Il est maintenant tout à fait clair que c’est devenu une méthode courante utilisée pour “rendre plus doux” les prisonniers. Pas seulement dans cette prison-là, pas seulement dans toutes les autres prisons d’Irak, mais aussi en Afghanistan, dans l’île infernale de Guantanamo et dans tous les autres endroits où de semblables victimes sans défense – pour la plupart des gens innocents pris par accident – sont emprisonnées : autrement dit, c’est un problème politique émanant du plus haut niveau.
Les soldats, hommes et femmes, qui se sont complaisamment laissé photographier dans ces scènes pornographiques sont certainement haïssables, mais tous ceux qui connaissent la vie militaire savent que cela ne relevait pas de l’initiative personnelle. De tels actes, montrés sur des centaines de photos, ne peuvent pas se poursuivre longtemps sans que toute la chaîne de commandement soit impliquée. […]
Il a été confirmé que les chefs du Pentagone et le ministre de la Défense connaissaient les faits depuis longtemps. Le général chargé de l’enquête n’a trouvé aucun ordre écrit, mais de tels ordres sont toujours transmis oralement et quelquefois par un simple geste ou un clignement de l’œil. Ces soldats, pour la plupart venant de familles normales, se sont conduits comme dans des scènes de lynchage, et pour la même raison : le déni de l’humanité des autres races, considérées alors comme infrahumaines. Le racisme transforme les membres de la race supérieure eux-mêmes en sous-hommes.
George Bush a perdu son crédit avec la publication de ces photos. Il aurait pu renvoyer toute la chaîne de commandement, du secrétaire d’Etat au directeur de prison. Il ne l’a pas fait, bien sûr. Tous les arguments tendant à justifier cette guerre contre l’Irak se sont effondrés. Ni démocratie, ni libération, ni civilisation. Il ne reste qu’une pure et simple agression de magnats, voleurs, cyniques et cruels, exactement comme les hommes de main de Saddam Hussein.
Si je peux me permettre un pronostic : le compte à rebours de la fin de la carrière de George W. a déjà commencé…
La partie arrière de l’animal – Ariel Sharon – a également de sérieux problèmes. Ceux-ci ont commencé avec le rejet du plan de “désengagement unilatéral” par les membres du Likoud, une infime partie de la population manipulée par les colons. Depuis lors, Sharon tourne en rond comme un animal en cage. Il n’a pas la majorité parmi ses ministres et les membres du Parlement (tenus par le référendum du parti), il est incapable de former un autre gouvernement (les députés de son parti ne le lui permettront pas), il est incapable de remplir la promesse faite à Bush (il l’a même ridiculisé).
Il a commencé à blablater sur “d’autres plans” qu’il serait en train de concevoir – ce qui rappelle une des blagues de Groucho Marx : “Ce sont mes principes. Si vous ne les aimez pas, j’en ai d’autres.” Si Sharon avait vraiment eu l’intention de quitter Gaza, il l’aurait fait tout de suite et sans tout ce raffut, en fixant un calendrier précis et sans en changer les termes tous les deux jours. Il aurait inclus dans son plan l’évacuation de l’“axe Philadelphie”, l’étroite bande large de quelques centaines de mètres entre Gaza et l’Egypte, qui, presque chaque jour, coûte des vies humaines.
Une semaine après le référendum du Likoud, deux coups terribles ont été portés. Un véhicule blindé transportant une grande quantité d’explosifs est entré à Gaza-ville pour faire sauter des immeubles et a été atteint par une bombe placée au bord de la route par la guérilla palestinienne. Elle a explosé, déchiquetant les six soldats israéliens. Le jour suivant, exactement la même chose a eu lieu sur l’”axe Philadelphie” : un camion blindé de transport de troupes plein d’explosifs, envoyé là pour faire sauter des tunnels sous la frontière, a été touché par une fusée palestinienne et a explosé avec ses cinq occupants. Pour la première fois, les Israéliens ont vu la véritable image de Gaza : ni “terreur”, ni “terroristes”, mais une classique guerre de guérilla, toute la population participant à la lutte contre les forces d’occupation. Gaza d’aujourd’hui, Cisjordanie de demain. Dans une telle lutte, nous ne pouvons pas gagner. On peut tuer des Palestiniens à grande échelle, détruire des quartiers entiers comme aujourd’hui. Mais on ne peut pas gagner. Les gens commencent à le comprendre. La “gauche sioniste”, semble-t-il, est également en train de se réveiller d’un coma qui dure depuis quatre ans. Israël va quitter la bande de Gaza comme il a quitté la “bande de sécurité” au Sud-Liban. La similitude entre les deux bandes est tellement évidente que les gros titres le proclament dans tous les médias.
Si je peux me permettre un second pronostic : le compte à rebours de la fin de la carrière d’Ariel Sharon a lui aussi déjà commencé…
                           
18. La terreur comme politique par Michele Giorgio
in La Rivista del Manifesto (mensuel italien) du mois de mai 2004
[traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio]

Ces dernières semaines, le Hamas a atteint des objectifs d’une signification politique exceptionnelle, dans les Territoires occupés en Palestine.
Plusieurs évènements ont contribué aux succès du mouvement islamique :
a). L’assassinat du fondateur et leader spirituel du Hamas, Cheikh Yassine exécuté  le  22 mars par les hélicoptères israéliens, a accru la popularité dont les islamistes radicaux jouissaient déjà chez les palestiniens.
b) Le renvoi tumultueux du sommet de la Ligue arabe, prévu fin mars à Tunis, pendant lequel les leaders de la région auraient dû , parmi les différents points prévus à l’ordre du jour, examiner aussi une résolution de condamnation dure d’Israël concernant l’exécution de Yassine.
c) L’approbation à la mi-avril par le président américain G. Bush du soi-disant « Plan de désengagement » du Premier ministre Sharon, qui - à côté de l’évacuation des colonies juives de la Bande de Gaza-  prévoit aussi l’annexion de « blocs » d’implantations de  colons en Cisjordanie et, en conséquence, d’amples portions de terres palestiniennes à l’Etat d’Israël.
d) L’amorce de négociations visant à donner à Gaza, pour l’ « après-Israël », une administration ouverte à toutes les forces politiques palestiniennes, islamiques comprises.
e) Dernièrement, l’assassinat immédiat -et barbare- de Rantisi, le nouveau leader du Hamas, successeur de Yassine, survenu au moment où une discussion sur la direction à prendre dans l’organisation était en cours. Tout est allé dans la direction voulue par le Hamas, qui même s’il a perdu son leader charismatique puis son successeur, a vu par ailleurs ses dirigeants persuader plus facilement d’amples secteurs de l’opinion publique palestinienne que les faits sur le terrain « prouvent » la validité de la ligne intransigeante et de la lutte armée conduite jusqu’à présent par le mouvement islamique.
« L’alliance toujours plus étroite des Etats –Unis et d’Israël a montré en particulier aux palestiniens que Washington n’exercera jamais une médiation impartiale. En général elle a contribué ici à convaincre largement que dans les Territoires  occupés, la négociation avec le Premier Ministre israélien est impossible et que l’unique voie reste celle de la lutte armée », explique l’analyste politique et islamiste modéré Ghazi Hamad. Celle qui a directement fait les frais des conséquences du soutien garanti par Bush au plan de Sharon, c’est l’Autorité nationale (ANP) de Yasser Arafat qui, explique Hamad, continue à soutenir la voie de négociations avec Israël ; voie que les palestiniens ne pensent plus crédible au moins dans les prochaines années. Un sondage, effectué en février par le Centre palestinien pour les recherches politiques et sociales et publié début avril, a révélé qu’une partie importante des palestiniens préfèreraient justement que ce soit le Hamas qui mène les négociations avec Israël. Parmi les personnes interrogées, 86 % pensent en outre « ne pas pouvoir compter sur les états arabes pour les aider à récupérer leurs droits ». Deux tiers de ces palestiniens pensent que le retrait des israéliens de Gaza a été décidé grâce à la « résistance armée » conduite par le Hamas ; même si 61 % pensent que « Sharon ne le fait pas sérieusement et qu’il n’accomplira pas ce retrait ». Dans le cas où cela se produirait, cependant, pour 58 % qui confient à l’Autorité nationale d’Arafat la tâche de négocier avec Israël, 41 % voudraient au contraire que ce soit le Hamas qui mène ces tractations.
 Du reste une indication claire  du souhait de la population des Territoires occupés que la participation politique du Hamas soit plus importante, a déjà été donnée dans les rencontres entre les différentes factions palestiniennes qui ont eu lieu au Caire  du 4 au 8 décembre dernier. A cette occasion, l’accord proposé par l’Egypte pour la cessation des attentats suicides contre les israéliens n’a pas pu être conclu ; le Hamas a affirmé son refus d’arriver à un affrontement avec l’Autorité nationale mais une volonté de se poser comme interlocuteur direct dans d’éventuelles futures  négociations avec Israël. D’aucuns firent même l’hypothèse que le Hamas  était en train de tenter d’établir des contacts avec Washington pour se proposer comme l’unique et réelle force  en mesure de faire cesser les violences du côté palestinien. En échange toutefois de l’arrêt des attentats ciblés de la part d’Israël.
L’élimination de Cheikh Yassine a fait s’écrouler toute hypothèse de « compromis » entre l’islamisme radical et Israël ou d’une hudna (trêve islamique) que le fondateur du Hamas avait lui-même soutenu, au moins à certaines périodes .Dans les années 80, les autorités militaires israéliennes avaient sciemment favorisé l’enracinement à Gaza (et en Cisjordanie aussi) de l’idéologie des Frères Musulmans, l’organisation militante islamique née en Egypte en1929 et qui s’était propagée dans tout le Moyen-Orient ; et ceci dans le but de freiner la popularité de l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP) conduite par Arafat. « Tout comme le président égyptien Anouar El Sadate, qui avait encouragé le développement des organisations islamiques contre la gauche dans son pays, de nombreux officiers israéliens croyaient que le développement du fondamentalisme à Gaza aurait affaibli le pouvoir de l’OLP. Le destin de Sadate fut de  mourir de la main de ceux à qui il avait consenti d’agir librement ; et maintenant il se passe la même chose à Gaza pour le mouvement islamique (palestinien), qui se révèle être une force bien organisée et enracinée dans le territoire. Le dessein de ceux qui croyaient pouvoir orienter la renaissance islamique vers la tradition et le conservatisme (dans les territoires occupés, Nda) s’en est trouvé déjoué» écrirent les journalistes israéliens Zeev Schiff et Ehud Yaari, dans leur livre de 1989, qui analysait les causes et le développement de la première Intifada palestinienne (1987-1993).
Shiff et Yaari ne manquèrent pas en outre de souligner qu’Israël a permis le développement, entre le début de l’occupation militaire en 1967 et le début de l’Intifada en 1987, du nombre des mosquées à Gaza et Cisjordanie. Sans compter les autorisations accordées à de nombreuses organisations de charité islamiques qui opéraient en fait une œuvre de prosélytisme politique et religieux. Aujourd’hui encore le rôle d’Israël se révèle fondamental
dans l’expansion du Hamas. Les coups dévastateurs inférés par l’armée de Sharon à l’Autorité nationale, et les assassinats ciblés des dirigeants islamiques ont été en fait déterminants pour favoriser la croissance du Hamas ; jusqu’à en faire, au moins dans la bande de Gaza, la force politique majoritaire au détriment du Fatah et des autres formations laïques palestiniennes qui, même dans des options différentes les unes des autres, continuent à croire que la seule solution possible au conflit soit un compromis territorial avec Israël et la naissance d’un Etat palestinien indépendant en Cisjordanie et à Gaza, avec une capitale dan le secteur arabe de Jérusalem (Est), sous occupation depuis 1967.
Les « assassinats ciblés » accomplis par Israël ont par ailleurs éliminé dans le Hamas des personnalités qui, en tout cas par rapport à d’autres, n’excluaient pas la possibilité d’ ententes « politiques », même temporaires avec l’ « ennemi ». Le cheikh Yassine avait bien sûr avalisé des attentats suicides qui ont causé la mort de centaines de civils israéliens, et il n’avait jamais proposé la reconnaissance du droit d’exister pour l’état hébreu dans ce qu’il considérait comme la « terre islamique ». Mais en même temps, le fondateur du Hamas accompagnait souvent ses appels à la  guerre de déclarations plus pragmatiques. Ceci à la différence de son successeur au leadership du mouvement islamique à Gaza, Abdel Aziz Rantisi – lui aussi assassiné par la suite- qui soutenait ouvertement la poursuite des attaques armées et des attentats, même en Israël. Au début du mois de mars, quelques jours avant sa mort, Yassine avait affirmé dans deux entretiens que le Hamas se serait engagé à ne pas tenter de coup de force pour avoir le contrôle de Gaza, quand les colons et les soldats se seraient retirés ; et il préparait un « plan » sur la façon de l’administrer dans la période de l’après-Israël. « Nous devons établir dès maintenant un « pacte d’honneur », qui établisse des directives acceptables pour toutes les factions de la résistance », avait-il proposé dans un entretien avec les journalistes  d’une chaîne télévisée arabe. « Le but de ce « pacte d’honneur » est d'empêcher toute lutte fratricide » à la suite du retrait israélien. Pour favoriser le retrait, Hamas aurait été prêt à suspendre les actions militaires pendant « un certain laps de temps ». Dans une autre interview, au quotidien de Jérusalem Est  Al Quds, Yassine avait donné l’assurance de son soutien aux rencontres entre courants palestiniens. « Nous n’avons pas encore pris de décisions, dit-il. Nous sommes en train d’étudier, d’examiner les documents. Nous avons pris note de toutes les positions. De toute façon, rien n’arrivera tant que les sionistes (les israéliens, Nda) ne se seront pas retirés ». En janvier par contre le leader du Hamas fit une petite ouverture à un compromis avec Israël. Il se dit prêt à « laisser à l’histoire » la responsabilité de décider du futur de l’état d’Israël.
Le cheikh affirma que le Hamas pourrait accepter une « paix temporaire » avec Israël en échange de la constitution d’un état palestinien « provisoire »en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza. Ce fut une affirmation volontairement vague, qui laissait la possibilité de différentes interprétations. Quelqu’un commenta que le Hamas s’était résigné de cette façon à l’existence d’Israël.
Yassine, en tout cas, déclara clairement que même après la création d’un état palestinien, son mouvement ne serait pas disposé à reconnaître « l’autre Etat  (Israël, Nda) qui se trouve en Palestine ». Et il précisa que les conditions du Hamas pour une trêve étaient « la fin de l’occupation dans les Territoires occupés, le démantèlement des colonies juives et le retour des réfugiés palestiniens de 1948 dans leurs maisons et leurs terres en Israël ».
Le pragmatisme même ambigu de Yassine a été mis en pièces par les hélicoptères israéliens le matin du 22 mars à Gaza. Par contre restent  les voix intransigeantes, les plus militantes, d’un mouvement islamique qui est bien conscient de sa force et de sa popularité, et pas seulement  dans les Territoires occupés, et n’accepte plus d’être un subalterne dans l’Autorité nationale. « Les accords d’Oslo sont morts. Quand les sionistes partiront de Gaza nous nous trouverons dans une terre « libérée », qui aura besoin d’une administration ouverte à toutes les forces en présence de façon paritaire. Nous n’accepterons d’y entrer qu’en faisant partie du processus décisionnel », a prévenu Saïd Siam, déjouant le plan d’Arafat  prêt à faire entrer le mouvement islamique dans l’Autorité Nationale sans toutefois lui concéder un pouvoir réel.
La structure actuelle  du Hamas comprend une direction à l’étranger –conduite par son nouveau leader suprême Khaled Mashaal- et un groupe dirigeant dans les Territoires dont, outre le nouveau leader à Gaza, dont l’identité est tenue secrète après l’assassinat de Rantisi- font partie Mahmud al Zahar et Ismaïl Hanyie, auparavant directeur du bureau du Cheikh Yassine. « Nous nous battrons, s’il le faut, jusqu’à ce que le dernier sioniste ait quitté notre terre », avait proclamé Rantisi juste après sa nomination comme leader dans les Territoires. Rantisi avait en outre défini Bush comme « ennemi de Dieu, ennemi de l’Islam et des musulmans ». Soutenant que « l’Amérique a déclaré la guerre à Dieu. Sharon a déclaré la guerre à Dieu et Dieu a déclaré la guerre à l’Amérique, à Bush et à Sharon ». Il avait ensuite accusé les leaders arabes de faiblesse à cause du renvoi du sommet (NDT: de la Ligue arabe), à la fin du mois de mars. De la guerre de Sharon à l’Intifada palestinienne a émergé un Hamas encore plus intransigeant, et conscient de son énorme influence. Mais peut-être cela fait-il partie de la stratégie de ceux qui cherchent à propager l’incendie et à ne pas résoudre le conflit israélo-palestinien.
                       
19. Un Etat providence par-dessus la Ligne Verte par Hannah Kim
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du mardi 25 mai 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

L’alliance entre résidents des villes de développements et colons – reflétée par le référendum interne aux adhérents du Likoud, sur le plan de désengagement – a fait ressurgir tous les stéréotypes : une fois encore, il s’avère que les résidents des villes de développement tendent vers l’extrême droite, manquent de compréhension des événements et sont ingrats envers ceux qui tentent de les aider à mettre fin au régime d’occupation. Ils sont toujours prisonniers des charmes de la religion et de la tradition – comme l’a montré leur réponse aux colons, qui insistaient sur ces aspects dans leur appel. Au lieu de soutenir l’évacuation des colonies, la plupart des habitants des villes de développement ont voté pour ceux qui extorquent des aides très importantes à l’Etat, à leur détriment.
En réalité, ce n’est pas seulement dans les villes et les quartiers limitrophes du Gush Katif qu’une majorité des membres du Likoud a voté contre le plan [de retrait] (73 % à Sderot, 69 % à Ofakim, 86 % à Netivot, 58 % à Yeruham, 62 % à Dimona et 67 % à Mitzpeh Ramon) : ce fut aussi le cas dans des localités qui en étaient éloignées (76,5 % à Beit She’an, 73,2 % à Beit Shemesh, 67 % à Maalot-Tarshiha, 63 % à Pardes Hanna, et 77 % à Rosh Ha’ayin – ce sont des villes de développement, ndt). La peur des fusées Qassam ne pouvait, dès lors, être incriminée, face à ce vote « irrationnel ».
La question posée consiste à savoir si nous avons été confrontés à un vote plus sentimental que rationnel. Cette hypothèse ne résiste pas au test des élections aux conseils locaux, intervenues depuis : dans la plupart des localités où les opposants au retrait l’avaient emporté (lors du referendum), le Likoud a été battu aux élections municipales. Dans beaucoup de grandes villes et de villes moyennes, les candidats du parti Travailliste ou du parti Une Nation l’ont emporté, contredisant l’idée reçue qui assigne aux habitants des villes de développement des modèles de vote tribaux, favorables à la droite. Il est vrai que, depuis 1977, la plupart des Israéliens considérés appartenir aux classes économiquement les plus défavorisées votent pour la droite. Mais démonstration a été également faite qu’ils savent de quelle manière sanctionner la droite et changer de bulletin de vote – à l’intérieur de la droite, et à l’extérieur – comme ils le firent en 1992.
N’empêche… Pourquoi la majorité des habitants des villes de développement restent-ils indifférents devant le slogan de la gauche : « Du fric pour les quartiers à faibles revenus – pas pour les colonies ! » ? Pourquoi semblent-ils agir à l’encontre de leurs intérêts bien compris ? Il y a une explication tout à fait rationnelle à cette attitude, et cette explication tient toute entière dans le comportement de ceux qui, précisément, ont pensé ce beau slogan. Le deuxième gouvernement dirigé par Yitzhak Rabin a certes investi plus de financements dans l’éducation et les infrastructures, mais il a aussi encouragé la privatisation de l’économie, la domination des compagnies de main-d’œuvre dans le champ des relations sociales, et la Loi de l’Assurance Maladie Nationale, qui a dressé contre elle tant la médecine au noir que la médecine grise. En Israël, à l’intérieur de la Ligne Verte, l’éducation, la santé, les infrastructures et les services municipaux sont devenues des services et, en tant que tels, on s’est mis à les gérer en vertu du principe qui veut que les membres de la société les plus à l’aise financièrement sont en mesure de les monopoliser, en grande partie.
Concomitamment au démantèlement de l’Etat providence à l’intérieur de la Ligne Verte, un remarquable Etat providence se mettait en place, de l’autre côté. Les services fondamentaux ayant été mis hors de portée pour les Israéliens à bas revenus, les colonies devinrent le seul lieu où ils purent trouver leur salut.
Il suffit de parcourir le supplément du Ha’aretz pour les fêtes de Rosh Hashanah (26.09.2003) pour le comprendre : un investissement massif dans l’éducation a produit des taux de réussite élevés au baccalauréat (71,4 % en Cisjordanie et 69,6 % dans la bande de Gaza, à comparer aux 47 %, seulement, dans les villes de développement (en Israël « de 1948 », ndt)). Les dépenses exceptionnelles (rallonges budgétaires) consacrées à la santé, au-delà de la Ligne Verte, s’élèvent à environ 75 millions de NIS (nouveaux shekels) annuellement. Les allocations logement et les aides à la production de biens durables dans les colonies ont atteint un total d’environ 400 millions de NIS en 2003 – dans la seule vallée du Jourdain. Soixante colonies ont bénéficié de 13 % de réductions de taxes. Tous ceux qui ont acheté un appartement dans une colonie ont reçu un apport et un prêt pour une valeur d’environ 90 000 NIS par logement. Les enseignants ont bénéficié de nombreuses primes.
L’effondrement de l’Etat providence à l’intérieur de la Ligne Verte, et les investissements massifs dans les territoires, ont créé une nouvelle réalité démographique, qui a pour effet de solidariser Sderot (symbole des villes de développement, ndt) et le Gush Katif (symbole des colonies, ndt). Le prolétariat israélien est devenu un des facteurs déterminants dans l’effacement de la Ligne Verte et dans le renforcement du régime d’occupation. Ceci explique pourquoi on peut trouver des enfants d’une même famille, séparés entre les colonies du Gush Katif et les villes (de développement) de Sderot ou d’Ofakim : ce sont ceux qui ont emménagé – et prospéré – dans les premières – des colonies ; et ceux qui ont sont restés sur place, dans les villes de développement.
La politique proposée par les (travaillistes) Shimon Peres, Ehud Barak, Amram Mitzna et Yossi Beilin n’améliorera pas le niveau de vie des résidents des villes de développement, quand bien même toutes les colonies seraient-elles évacuées. Au contraire. Cela les privera de la seule option qui s’offrait encore à eux, susceptible d’améliorer leur niveau social. Les dirigeants de la gauche sont partisans de continuer la privatisation des services essentiels. On se souviendra, à ce propos, du fait que Mitzna avait soutenu le projet économique de Silvan Shalom consistant à élaguer les prestations de la Sécurité sociale et des autres services sociaux.
La seule manière de vaincre la droite consiste à casser ce mécanisme de compensation. La tentation de déménager de l’autre côté de la Ligne Verte ne disparaîtra que lorsqu’une incitation en sens contraire sera créée au sein de l’Etat d’Israël. Semblablement, il est temps de modifier le slogan creux « Des sous pour les quartiers défavorisés, pas pour les colonies ! », qui ne tient plus debout. Jusqu’à ce que les colonies soient évacuées, le slogan devrait être : « Des sous pour les quartiers défavorisés : les gens reviendront des colonies ! ». En dernière analyse, cela contribuera, plus que tout le reste, à la réalisation d’un règlement pacifique.
                           
20. Palestine et Israël : des articulets du Monde" aux titres trompeurs par Michel Robin
on Acrimed le mardi 18 mai 2004
[Action Critique Médias : http://www.acrimed.org]
Tout journaliste a appris qu’un titre de journal sert à attirer l’attention du lecteur et que ces quelques mots choisis doivent proposer en un clin d’oeil un condensé de l’article qu’ils surplombent. Les titres de deux articulets parus fin avril 2004 dans Le Monde contreviennent pourtant à cette règle élémentaire.
Le 24 avril 2004, un titre du grand quotidien du soir nous apprend ceci : « Heurts en Cisjordanie et à Gaza, où deux fillettes ont trouvé la mort ».
Des heurts, qui n’en a pas connus, lors de manifestations ou dans des concerts ? Ce n’est jamais bien méchant. Si on est courageux, on se frite ; sinon on fait chauffer ses baskets et on s’esquive. Ce même titre ajoute, séquence émotion, que deux fillettes « ont trouvé la mort ». Généralement, c’est dans un accident qu’on “trouve la mort”. En d’autres mots, ce serait surtout la faute à pas de chance, si ces heurts ont provoqué la mort des enfants. Et surtout, la nationalité de ces fillettes n’est pas précisée. Normal, après tout, pour des êtres si petits, à peine ébauchés, des êtres génériques, sans passé et pour le coup sans avenir, n’ayant pas encore eu le temps de se trouver des racines dans un pays qui n’existe pas, à peine remarquées dans leurs familles si nombreuses. Ce titre, finalement gentillet, chargé de compassion mais pas trop, n’incite pas à lire plus loin.
Sauf si, par mégarde ou par curiosité, on pose son regard sur la première ligne de l’article : aussitôt, c’est l’horreur qui nous saute au visage, nous agrippe, nous entraîne dans une équipée meurtrière. En deux jours d’opérations, les 22 et 23 avril, l’armée israélienne a non seulement provoqué la mort des deux fillettes palestiniennes, mais aussi massacré dix-neuf Palestiniens, sans compter « des orangeraies rasées, un bâtiment abritant un centre pour handicapés servant de position de tirs aux combattants palestiniens dynamité, une maison détruite et une dizaine d’autres bâtiments endommagés », et sans oublier un Palestinien grièvement blessé. Ce massacre, rapporté à la France, se monterait à 420 victimes... Mais, grâce au Monde, on saura désormais qu’on peut qualifier de « heurts » des actes considérés comme des crimes de guerre par le droit international.
Venons-en au deuxième titre, tout aussi anodin, paru dans le numéro du 28 avril 2004 : « Le cinéaste israélien David Benchetritt molesté ».
Ici, le métier, la nationalité et le nom du protagoniste sont donnés dans le titre. Après tout, c’est un adulte et il mérite le respect. S’il a été molesté, cet homme de culture, fragile à coup sûr, idéaliste certainement, ce ne peut être qu’au cours d’une petite altercation. Manifestement, ce titre dit tout, pas besoin d’aller plus loin dans la lecture.
Mais on a du temps devant soi, on baguenaude entre les pages, on traîne le long des colonnes, on laisse son oeil glisser sur les premiers mots de l’article, et à nouveau un scénario stupéfiant de violence nous foudroie le cerveau, sorte d’Orange Mécanique made in Israël. Les faits : le 21 avril, David Benchetritt a été grièvement blessé par des vigiles en civil devant le ministère de la Défense, à Tel-Aviv, sous le regard de « soldats en faction qui se sont abstenus d’intervenir  ». Il subira une intervention chirurgicale de plus de quatre heures et sera obligé, selon ses propos sur France-Inter, d’interrompre pour six mois le montage de son film consacré... au comportement de l’armée israélienne et aux objecteurs de conscience. Eh oui, monsieur Benchetritt, quand on est trop curieux sur l’armée israélienne, on risque sa vie et on paie cash ! Mais, grâce au Monde, on aura appris que le vocable « molesté » peut correspondre à une agression d’une extrême violence.
A quoi il faut ajouter que la visibilité de ces deux articles est des plus réduites  : à peine 10% de la surface de la page pour le premier et sa relégation en bas à gauche, et 5% pour le second, coincé tout en haut à droite.
Mais ce n’est pas tout. Le premier article, sur le massacre des Palestiniens, non seulement est signé « AFP » (autant dire que son auteur est anonyme, ce qui pose l’énorme problème, souvent posé mais jamais résolu, des dépêches d’agence), mais surtout, la source - le commandement militaire israélien - n’est pas mentionnée. Quant au second article, rédigé par un journaliste du Monde, qui a pu parler au téléphone avec le molesté, il n’est pas signé ! Pas de source, pas de signature : au Monde, on sait s’asseoir, ni vu ni connu, sur la charte rédactionnelle du journal et sur les règles élémentaires du journalisme.
Difficile de savoir à qui il faut imputer la responsabilité de ces titres biaisés, qui donnent une présentation tronquée des faits. L’effet, lui, même s’il n’est pas intentionnel, est indiscutable : banalisation de l’horreur et absolution de Sharon, de sa politique et de ses crimes
Alors, gardons les yeux ouverts, car même malmenée, la vérité peut parfois se nicher dans les coins d’un grand journal comme Le Monde, tout en bas à gauche ou tout en haut à droite...
                           
21. L'an prochain à Jérusalem ? par Valérie Féron
on Entrefilets.com le samedi 15 mai 2004
Vieille Ville de Jérusalem - «Jérusalem ne ressemble à aucune autre ville sur terre. Elle est sainte pour les trois principales religions monothéistes » ,  déclare le site officiel de la municipalité israélienne de la ville qui affirme aussi qu'elle « est la capitale de l'Etat d'Israël et du peuple juif », et conclut qu'en un sens «  elle appartient à tout le monde ». Cette description prometteuse est celle en fait de la « capitale de la Terre Promise » Yérushalaim, qui a droit en Arabe à son  néologisme  « Ourshalaim » (inscrit sur les panneaux routiers). On ne pourrait la confondre  avec celle de Jérusalem, al Qods en Arabe,  qui ne ressemble certes « à aucune autre ville sur terre », qui est certes « sainte » pour les trois grandes « religions monothéistes », mais  qui vit, elle,  au rythme de l'occupation et la colonisation israélienne. Offrons nous donc  un instant de magie dans cette dernière le temps d'une promenade dans la Vieille Ville.
Jérusalem/Al Qods
Dans cette Jérusalem/Al Qods c'est du Saint Sépulcre que part chaque année vers le monde entier le feu saint  annonçant la résurrection du Christ. Pâques a été en cette année 2004 un temps particulièrement fort  pour les chrétiens, les différentes Eglises l'ayant célébré en même temps, les dates des différents calendriers coïncidant. Les commerçants palestiniens espéraient un afflux de pèlerins, même en ces temps noirs où la Vieille Ville est désertée par les touristes. On aura surtout eu un afflux de policiers et de soldats israéliens solidement armés, déployés en masse à l'intérieur du Saint Sépulcre, et sur le parvis. Comme tous les ans, les rues qui mènent à la « Knisset el Qyame » (l'Eglise de la Résurrection/Saint Sépulcre) avaient été bloquées, empêchant pendant de longs moments les pèlerins et les Palestiniens chrétiens de la Ville d'y accéder. Sur les toits, là aussi des soldats, en plus des quelque deux cents caméras installées à tous les coins de rues lors de la venue du Pape en l'an 2 000, et que l'on n'a pas jugé utile d'enlever depuis. « Sécurité » disent les Israéliens. Pèlerins ou chrétiens locaux  effectueront  donc le jour du Vendredi Saint le chemin de croix dans la Via Dolorosa au son des talkies walkies des policiers  passant et repassant au milieu des processions au lieu de se tenir uniquement de chaque côté comme le bon sens populaire l'imaginerait en matière de « sécurité ». D'autres, Palestiniens, habitant à deux rues du Saint Sépulcre  renonceront bien avant d'être arrivés, les laisser passer octroyés (pourtant écrit en hébreu) laissant généralement de marbre   soldats et policiers. Beaucoup, locaux ou étrangers, se feront rabrouer, bousculer et injurier (sans s'en douter s'ils ne comprennent pas l'hébreu),  dans une ambiance digne de celle aux  checkpoints. Le tout avec la phrase magique « Ici c'est nous qui décidons ! ». Cette phrase que même les responsables religieux s'entendent répéter en permanence par la hiérarchie policière. Pour cette Pâques,  celle-ci, prenant pour justification les vives querelles notamment entre les orthodoxes et les arméniens avait mis en garde :  «   nous leur avons dit que nous ne tolérerons pas d'émeutes a déclaré le porte-parole de la police Shmoel  Ben-Ruby, cité par le quotidien Haaretz.  S'ils ne parviennent pas à un accord, il n'y aura pas de cérémonie, ou juste une petite » ! la Pâques chrétienne  risque t-elle donc un jour ou l'autre d'être sacrifiée sur l'autel sécuritaire israélien ?
Dans le même temps, tous les vendredis, les fidèles musulmans tentent de venir prier à Al Aqsa. La plupart du temps seuls les hommes âgés de plus de quarante ans y sont autorisés et les femmes. La Vieille Ville est de nouveau quadrillée par l'armée et la police qui décident de qui passe et qui ne passe pas. La tension peut monter à chaque instant mais la plupart du temps les fidèles se contiennent face aux provocations. Ceux qui sont refoulés attendent l'heure de la prière diffusée par hauts- parleurs dans les ruelles intérieures ou les axes routiers extérieures. On voit alors des dizaines de jeunes Palestiniens  le nez sur le goudron, dans les bottes des Israéliens ou des sabots de leurs chevaux (la police montée étant généralement également présente), effectuer leur prière? en toute sécurité !
Ces scènes, seuls un petit nombre des chrétiens et des musulmans Palestiniens ont « la chance » d'y assister. La grande majorité d'entre eux  sont bloqués, bien avant d'atteindre  leurs lieux de cultes, aux chekpoints placés aux entrées et sorties des localités qu'ils habitent. La liberté de culte s'arrête donc  là où commence la « sécurité » de l'Etat d'Israël ?
Yérushalaim
Tous les ans à la fin du mois de mai,  les Israéliens fêtent Yom Yérushalaim (le Jour de Jérusalem)  sensé célébrer « la réunification » depuis la guerre de 1967 de la Ville sous leur autorité. C'est l'occasion pour des centaines d'entre eux de littéralement  prendre d'assaut la partie occupée de la Ville Sainte jusqu'au Mur des lamentations sous la protection de l'armée. Chacun assiste  à un déferlement  en danse et en chanson à l'intérieur de la Vieille Ville où  se précipite de toutes les portes une foule compacte, en majorité des colons. Un flot ininterrompu pendant deux à trois heures jusqu'au Kotel (le Mur des Lamentations) où l'on a dressé un immense podium musical qui empêchera les habitants de la vieille ville de dormir une bonne partie de la nuit. A l'intérieur des murs, dans les ruelles commerçantes, on n'entend plus qu'un bruit de portes de magasins qui se ferment précipitamment les unes après les autres. Les Palestiniens de la Vieille Ville savent ce qui les attend et ne veulent pas prendre de risques. Le climat ressemble soudain à celui qui prévaut quotidiennement  dans la Vieille ville de Hébron. Porte de Damas, une poignée d'entre eux, vieillards,  femmes et quelques jeunes  assistent en famille au « spectacle «  qui manque cruellement de la présence de caméras. De 15 à 40 ans c'est une foule qui hurle en l'honneur de « Am Israël ! » (Peuple d'Israël) sous l'oeil des soldats dont l'attitude n'a rien à voir avec celle d'un policier parisien chargé du maintien de l'ordre. Les groupes s'arrêtent en bas des  marches le temps d'entamer des chants plus proches des rituels guerriers que des ritournelles amoureuses ou des incantations religieuses. On fait face aux  Palestiniens relégués sur le bas côté. Quand un jeune bouscule, difficile de lui  rappeler qu'on existe, sans se faire agresser ou qu'un soldat ordonne de reculer... pas aux Israéliens bien entendu, qui narguent pendant de longues  minutes les Palestiniens présents. On brandit sous leur nez d'immenses drapeaux frappés de la croix de David, en faisant clairement éclater son refus des « Arabes » et d'un état palestinien. Pas de crainte sécuritaire cette fois  pour les forces de l'ordre qui prennent soin de laisser leurs concitoyens juifs israéliens libres de tout mouvement.
A ceux qui auront trouvé cette balade dans Jérusalem/al Qods quelque peu déprimante, ce que je conçois bien volontiers, ils peuvent toujours tenter d'en faire une autre, virtuelle, dans « la capitale » de la Terre promise.
Quant à ceux qui sont tentés par l'expérience du réel,  rendez vous l'année prochaine à Jérusalem/Al Qods ?  enfin...si Israël veut !
                       
22. Les géniteurs d'Al-Qaeda par François Burgat
in Libération du mercredi 12 mai 2004
L'égoïsme et l'iniquité de ses politiques exposent l'Occident à la violence terroriste.
L'actualité dément très régulièrement l'efficacité d'une réponse seulement répressive aux attaques du 11 septembre 2001. Le fait de souligner la permanence des «réseaux terroristes islamiques» ne permet pas pour autant d'interpréter scientifiquement leur origine et encore moins d'en tirer d'éventuelles conclusions prospectives. Pas plus aujourd'hui qu'il y a dix ans, au lendemain des terribles attentats du métro Saint-Michel, on ne saurait en fait se satisfaire d'arrêter les seuls poseurs de bombes. Il faut plus urgemment encore identifier aussi ceux qui construisent et pilotent la terrible machine qui fabrique ces désespérés de la politique, de l'humanisme et de la vie, fût-elle la leur. Une fois encore, les pistes ne conduisent pas que dans les banlieues ou même dans les métropoles «de l'islam». La recherche d'une riposte efficace au terrorisme doit en fait dépasser le culturalisme et l'unilatéralisme de l'approche dominante pour redonner sa place à la trivialité profane et universelle du politique.
Les bribes d'information collectées par les acteurs de la riposte militaire, policière et judiciaire sont à n'en point douter utiles. Mais elles ne peuvent fournir les cadres conceptuels de l'analyse. Le piège analytique ne réside pas dans l'appréciation («optimiste» ou «pessimiste») des performances et de l'avenir respectifs des «terroristes islamistes» et de ceux qui, à Washington ou à Paris, à Alger ou à Riyad, les combattent. Il se cache au coeur des catégories construites pour représenter la confrontation et dans la distribution parfaitement unilatérale des appellations et des rôles imposée par une pensée dominante chaque jour un peu moins plurielle. Le credo du moment voudrait que les «démocraties» et autres «défenseurs de la liberté» ou «de la tolérance» soient confrontés à une menace à la fois «intégriste» et, plus gravement encore, «terroriste». Est-ce bien de cela qu'il s'agit ?
Plus vraisemblablement, l'«Occident impérial» (les Etats-Unis ayant vite rejoint et dépassé l'Europe coloniale et la Russie) peine d'abord aujourd'hui à admettre la très banale résurgence du lexique islamique, c'est-à-dire le fait qu'une culture non occidentale entende grignoter son vieux monopole terminologique d'expression de l'universel. Plus vraisemblablement ensuite, la violence à laquelle est confronté l'Occident est moins «idéologique» et «religieuse» que très banalement politique. Elle n'est que la réponse relativement prévisible à l'unilatéralisme, l'égoïsme et l'iniquité de politiques conduites, directement ou par dictateurs interposés, dans toute une région du monde. L'administration américaine et ses soutiens étatiques européens et arabes ne sont pas les objets d'une quelconque haine «de la démocratie» et «de la liberté» qui animerait leurs «agresseurs» au fur et à mesure qu'ils «basculeraient» dans l'«islam radical». Au prix de la mort de milliers d'innocents, ils sont plus vraisemblablement en train de rendre des comptes pour des milliers d'autres victimes, tout aussi innocentes, des politiques parfaitement irresponsables menées depuis trop longtemps.
Pour entr'apercevoir cette évidence, nos spécialistes ès terrorismes sont malheureusement bien trop étrangers à la connaissance sociologique, politique et culturelle des sociétés d'où monte cette violence. La disqualification des résistances à un ordre dominant a toujours impliqué de dénier toute légitimité, voire toute cohérence, aux contestataires. «Oussama n'a que faire de la Palestine !», «Oussama se fiche de l'Irak», nous répètent donc à l'envi nos spécialistes du «wahhabisme». Il n'en voudrait qu'à notre démocratie, à nos libertés, à nos valeurs, peuvent alors conclure ceux que réconforte une si heureuse évidence. Est-ce si sûr ?
De 1990 à 2001, la liste est pourtant longue des brèches que par son cynisme et l'unilatéralisme de ses politiques l'Occident a ouvertes dans ses prétentions universalistes. Après leurs parents, punis par centaines de milliers parce que notre vieil ami le bon tyran «laïque» qui les martyrisait impunément depuis vingt ans avait brutalement cessé d'être utile à l'administration américaine, 500 000 enfants irakiens, morts une première fois d'un impitoyable embargo économique, périssent chaque jour, une seconde fois, sous la plume de nos exégètes médiatiques et politiques de l'«islam radical». Leur mort n'a en effet aucun poids politique, elle n'est susceptible de prendre rang dans aucune explication «géopolitique», ni de générer la moindre mobilisation ou la moindre résistance légitime. Oussama et la génération Al-Qaeda n'ont rien à voir non plus avec la terrible forfaiture occidentale face au coup d'Etat militaire de janvier 1992 en Algérie. Rien à voir donc avec les dizaines de milliers de disparus aux mains des escadrons de la mort de «nos amis algériens» ; rien à voir avec l'effarante légèreté de tous ceux qui, en France ou ailleurs, ont préféré fermer les yeux sur ces crimes ou, pire, qui s'y sont associés activement pour conserver à leur pays, ou à eux-mêmes, une part de la rente pétrolière dilapidée ; rien à voir non plus avec les milliers de torturés d'autres prisons, dans tous ces pays de la région où notre coopération sans faille permet à des régimes exsangues, piétinant allégrement nos valeurs proclamées, de se maintenir à l'abri de tout embargo, voire de la moindre pression du camp occidental «des droits de l'homme et de la démocratie».
C'est en mars 1996, dans la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh, que la dernière et la plus emblématique des étapes de la gestation d'Al-Qaeda s'est sans doute déroulée. Pour entonner les incantations du premier grand forum mondial de l'«antiterrorisme», aucun des puissants de ce monde ne manquait à l'appel. Le Russe Boris Eltsine était alors en train de lancer en Tchétchénie, sur un mode particulièrement barbare, l'une des dernières guerres coloniales du XXe siècle. L'Américain Bill Clinton, abandonnant pour un temps un Irak déjà affamé, était venu parfaire avec son homologue israélien le trompe-l'oeil des accords d'Oslo, enjoignant à l'autorité palestinienne d'éradiquer toute résistance armée à une occupation militaire israélienne qui était elle-même autorisée à se perpétuer sur un mode plus désespérant que jamais. L'Egyptien Moubarak et ses homologues arabes, forts de leurs scores électoraux et des satisfecit démocratiques répétés accordés par les Occidentaux, étaient, à coups d'arrêt de tribunaux militaires ou, plus rapidement encore, par la torture et les exécutions extra-judiciaires, en train de triompher de tout risque d'alternance démocratique dans leur pays respectif. A Charm el-Cheikh, les puissants de ce monde exorcisèrent leurs autocratismes en tous genres en communiant dans une identique dénonciation : celle du «terrorisme islamique». Cette même année, Ben Laden appelait à la guerre «... ses frères musulmans du monde entier et de la péninsule arabique en particulier», un étudiant en architecture du nom de Mohamed Atta, pilote présumé du premier des deux Boeing à s'être écrasé sur une tour du WTC, décidait brutalement de rédiger son testament. Deux ans plus tard, l'Egyptien Aiman Dhawahiri se ralliait à la stratégie de Ben Laden.
Bien avant le 11 septembre, l'impasse mortifère d'une communication réduite à un langage de sourds était verrouillée : en octobre 2000, lors des obsèques des dix-sept marins américains tués à Aden alors qu'ils partaient vers l'Irak pour y parfaire cet embargo dont on sait qu'il fut aussi inutile que terriblement meurtrier, le président Bill Clinton, rendant hommage à ses soldats, «liés par un même engagement au service de la liberté» pour laquelle l'Amérique «ne cesserait de lutter», stigmatisa ainsi la devise intolérable qu'il prêtait aux «agresseurs intégristes» des jeunes Américains «épris de liberté». Chez ces gens-là, s'écria-t-il, c'est «our way or no way», (notre manière ­ de voir ­ ou rien d'autre). Quelques mois plus tard, c'est pourtant à peu de chose près au nom d'une formule aussi terrible («avec nous ou contre nous») que son successeur lançait le monde occidental sur les chemins hasardeux de la grande «croisade» contre «la terreur» où il est aujourd'hui égaré.
                               
23. Palestine : l'apartheid en pratique par Praful Bidwai
in The News International Pakistan (quotidien pakistanais) du lundi 19 avril 2004
[traduit de l'anglais par Claude Zurbach]

(Praful Bidwai est un célèbre écrivain indien. Il appartient au "Nehru Memorial Museum and Library" et a remporté le prix "Sean MacBride 2000" du Bureau International pour la Paix.)
Beaucoup de monde en Asie pense que l'occupation israélienne en Palestine est aussi oppressive, aussi brutale et intrusive, aussi dégradante, humiliante et déshumanisante que l'a été le colonialisme en règle générale dans le monde, à la nuance près que l'injustice actuelle dispose d'une dimension religieuse du fait du sionisme.
Ces gens se trompent. L'occupation est pire, bien pire.
Je viens de visiter la Palestine-Israël pendant deux semaines et je peux en témoigner. Prenons juste le fait suivant en considération. Durant la première moitié du 20e siècle, la Grande-Bretagne avait progressivement relâché sa poigne de fer sur l'Inde et était devenue plus accomodante vis à vis des aspirations populaires. Durant la dernière cinquantaine d'années, Israël n'a cessé de renforcer sa main-mise sur la terre de Palestine et a pratiqué une politique d'exclusion de plus en plus forte. Israël a confisqué les 24 % de la Cisjordanie et Gaza, et 89 % de Jérusalem Est par le moyen d'implantations illégales, de routes, d'installations militaires, de réserves naturelles etc...
Israël a réduit la vie quotidienne des Palestiniens à d'insupportables formes d'une existence en prison. Ils ne disposent d'aucune liberté de mouvement et parfois même à l'intérieur de leur propre intimité. Ils ne peuvent rentrer même dans des villes dites "unifiées" comme Jérusalem sans laisser-passer. Aujourd'hui, il y a 400 000 colons installés dans 300 colonies réparties à travers la Cisjordanie.
Les colons sont incoyablement privilégiés. On leur alloue par exemple 1450 mètres cube d'eau par an, alors que le Palestinien ne dispose que de 83 mètres cube. Israël contrôle 80 % des ressources en eau dans les territoires occupés et extrait également le tiers de ses besoins en eau du Jourdain. 80 % des ressources des nappes phréatiques de la Cisjordanie vont en Israël.
Les disparités entre les économies israélienne et palestinienne sont stupéfiantes. Israël est le 16e pays au monde en terme de revenu (PIB), avant l'Irlande et l'Espagne. L'économie palestinienne quant à elle dégringole. Son volume d'activités a diminué de moitié, juste sur les 3 dernières années. 70 % de ses entreprises ont soit fermé soit réduit fortement leur activité. Le chômage se situe à 67 % à Gaza et à 50 % en Cisjordanie. Plus de la moitié des territoires occupés a besoin d'aide alimentaire en provenance de l'extérieur.
Les causes de cette grave détresse sur le plan économique résident dans les bouclages et les confiscations de terres imposés par l'armée israélienne dans sa soit-disante "lutte contre le terrorisme". Depuis septembre 2000, la pauvreté dans les territoires a gravement empiré - de 20 à 75 % (et plus de 85 % à Gaza). La campagne militaire israélienne qui a suivi septembre 2000 a tué 2984 personnes dont 500 enfants [chiffres publiés avant le 19 avril 2004, donc avant les derniers massacres à Gaza en mai - N.d.T].
L'opération "bouclier défensif" a causé la perte de 360 millions de dollars, soit presque le double de l'investissement annuel dans l'économie palestinienne. Et selon les estimations d'une conférence des Nations Unies sur le développement, les bouclages et les dommages infligés aux infrastructures par les opérations militaires ont entraîné 2,4 milliards de dollars de perte pour l'économie palestinienne. Les Palestiniens ont également perdu 4 milliards de dollars en rentrées financières.
La création d'Israël était censée réparer une grave injustice historique, laquelle avait atteint son point culminant avec l'holocauste. Mais au contraire, cela a créé une autre catastrophe (la "Nakba"), c'est-à-dire le déracinement et l'expulsion de 800 000 Palestiniens. Israël s'est auto-proclamé "état juif" et par cela même a réduit les Palestiniens qui ont pu rester à l'état de citoyens de seconde zone. En 1967, il a encore occupé la Cisjordanie et Gaza, déplaçant cette fois-là 325 000 personnes.
Récemment, le premier ministre Sharon a proposé un "désengagement" unilatéral de la bande de Gaza. Le plan devrait faire sortir 7500 colons (sur une population palestinienne de 1,5 million d'individus) qui contrôlent 40 % des terres de Gaza. Ce plan a été repoussé dans le cadre d'un référendum interne au parti Likud ce Dimanche [18 avril - N.d.T].
Personne ne doit pleurer à ce propos... Du point de vue de Sharon, ce désengagement de Gaza n'a rien à voir avec l'accès des Palestiniens à l'indépendance. Au contraire, il vise à se débarrasser d'un "point de fixation" afin de consolider les plus grandes colonies en Cisjordanie et à Jérusalem, et à empêcher l'émergence d'un état palestinien souverain. Ce plan aurait permis à Sharon de se proclamer "homme de paix", qui sait faire des "concessions".
En réalité, comme le dit l'écrivain israélien Meron Benvenisti, cette sortie de Gaza "lui aurait permis d'améliorer la situation démographique en retirant 1,5 million de Palestiniens du contrôle direct israélien, et donc de réduire le risque que le pays cesse d'être un état juif".
Israël a déjà déclaré qu'il investirait des dizaines de millions de dollars dans les implantations en Cisjordanie. La sortie de Gaza ne signifie aucunement l'intention de céder une quelconque souveraineté sur Gaza. Israël continuerait à contrôler l'espace aérien, les accès par la mer et par la terre, et enverrait des troupes sous le prétexte d'assurer sa propre "sécurité". La déclaration Bush-Sharon du 14 avril va explicitement en ce sens.
Autant donc pour le "désengagement".
"Après cette sortie, Gaza deviendrait une prison république" dit Azmi Bishara, un Palestinien-israélien connu, philosophe et spécialisé en sciences sociales, membre du parlement. "Ceci ne sera en rien un pas vers la résolution de la question de la Palestine basée sur la fin de l'occupation israélienne".
Sharon a temporairement été bloqué par son aile droite [si ce terme a quelque signification quant il est question de Sharon ... N.d.T] à savoir le lobby des colons. Mais il est lui-même responsable de la force de ce lobby. Il n'a eu de cesse de renforcer l'extrémisme sioniste depuis 1977 à travers sa politique agressive de colonisation. Sa stratégie a toujours été : quand une pression s'exerce pour rendre les territoires occupés, répond par une extension de la colonisation ! Depuis sa provocation de Septembre 2000 sur le Haram-al-Sharif, la politique israélienne a pris un tour vicieux, et ses offensives militaires sont devenues féroces.
Le vrai but de Sharon est de confiner la Palestine en un ensemble de Bantoustans sans continuïté territoriale, ni souveraineté ni indépendance. Ceci ne peut s'appliquer que par la mise en pratique d'une sorte d'apartheid, c'est-à-dire par la séparation et par la ségrégation. Sharon a en train de mettre cela en pratique par :
- le confinement des Palestiniens dans de petites zones (Zone A sous contrôle de l'Autorité palestinienne, Zone B sous sécurité "conjointe"), en tentant de les expulser des zones C qui selon les accords d'Oslo sont sous contrôle total des israéliens
- la soumission à un harcèlement , une obstruction et une punition collective sur le plan économique visant à briser leur volonté
- l'impossibilité de se déplacer en créant 760 points de contrôle (checkpoints) sans compter les blocs de béton, à travers la Cisjordanie et Gaza
- la démolition des habitations des Palestiniens, leur déracinement, et l'imposition d'une ségrégation sur des bases ethniques.
Et c'est dans ce contexte qu'est apparu le "Mur de l'Apartheid" de 700 kilomètres de long.
Il ve protéger les colonies et les insérer "géographiquement" dans Israël.
J'ai visité le chantier du Mur à Abu Dis près de Jérusalem. Il coupe littéralement les villages palestiniens en deux, avec d'un côté l'école, et la mosquée et le cimetière de l'autre. Ce mur monstrueux de 2 milliards de dollars n'a rien d'une structure temporaire. Il est destiné à "changer les faits sur le terrain" par une division territoriale irréversible. Le Mur va mettre la société palestinienne en lambeaux.
L'occupation de la Palestine est la pire étape dans l'histoire du colonialisme, et c'est le problème irrésolu du 20e siècle. Il égale à la fois l'Algérie de 1960, le Viet Nam des années 1970 et l'Afrique du Sud des années 80. Combattre cette occupation exige le même type de solidarité internationale. La communauté au niveau international ne va pas trouver facile de bloquer les visées israéliennes, cet état ayant toujours défié de façon crapuleuse les lois internationales. Les Etast-Unis ont été son plus fidèle allié et ne peuvent être considérés comme un partenaire loyal.
Seul un authentique, général et multilatéral mouvement de solidarité peut tansformer les choses. Beaucoup dépendra de l'évolution de la situation en Irak, où l'Empire fait face à sa plus grave crise. Si l'Irak change les rapports de forces au niveau mondial, les Etats-Unis et Israël seront peut-être obligés d'entendre raison.
                                   
24. Universités en péril par Sara Roy
in The London Review of Books (bimensuel britannique) du jeudi 1er avril 2004
[traduit de l'anglais par Ana Cleja]

(Sara Roy est une chercheuse universitaire émérite au Centre pour les Études sur le Moyen-Orient de Harvard. Elle est l'auteure de plusieurs travaux sur le conflit israélo-palestinien.)
Dernièrement, à l'Université de Harvard où je suis basée, un étudiant juif sous un pseudonyme non juif a commencé à placarder des déclarations antisémites sur le panneau de l'Initiative for Peace and Justice (HIPJ:un groupe pro-palestinien et anti-guerre du campus). Il se trouve que l'étudiant est le secrétaire des Étudiants d'Harvard pour Israël - groupe qui s'est dissocié de cet incident - et il avait précédemment accusé le HIPJ d'être trop tolérant envers l'antisémitisme. Maintenant, il fait secrètement son possible pour provoquer l'antisémitisme sur le campus. Dans une des affichettes, par exemple, il s'est référé à Israël comme à un État «AskenNAZI». Des incidents de ce genre, qui deviennent de plus en plus communs sur les campus américains, sont le reflet d'une détermination plus large de provoquer, dénoncer, diffamer et punir les individus et les institutions à l'intérieur de l'académie dont ils considèrent les idées comme étant répugnantes. La campagne est dirigée contre tous les domaines d'études, mais les attaques les plus virulentes sont réservées à ceux d'entre nous qui étudions le Moyen-Orient et dont les idées sont considérées comme anti-israéliennes, antisémites ou anti-américaines.
La relation entre les tenants pro-israéliens de la ligne dure et le «professorat arabe» (c'est ainsi qu'ils nous appellent) est tendue depuis longtemps. Après le 11 septembre, la droite a accusé les universitaires traitant du Moyen-Orient d'enseignement extrémiste et de trahison intellectuelle. Un rapport publié en novembre 2001 par le American Council of Trustees and Alumni (une organisation à but non lucratif fondée par Lynne Cheney, la femme du vice-président, et par le sénateur Joseph Lieberman) «Defending civilisation: How our universities are failing America and what can be done about it» a effectivement accusé l'université d'être anti-patriotique et anti-américaine, une cinquième colonne apportant un soutien intellectuel au terrorisme global. Ce rapport a cité pour preuve plus de cent déclarations d'universitaires (et d'autres personnalités) qui demandaient un examen plus critique des causes des évènements du 11 septembre et du rôle qu'aurait pu jouer la politique étrangère des États-Unis.
Une autre accusation envers les études du Moyen-Orient est apparue dans le texte de Martin Kramer: «Ivory Towers on sand: The failure of Middle Eastern Studies in America» publié en octobre 2001 par le pro-israélien Washington Institut for Near East Policy. Kramer, qui enseigne l'histoire arabe et la politique à l'université de Tel Aviv, déclare que les études moyen-orientales aux États-Unis sont dominées - en fait, mutilées - par un sentiment pro-arabe et anti-américain. L'université, pense-t-il, n'anticipe pas et même cache la menace islamiste grandissante qui s'est concrétisée par l'attaque contre le World Trade Center. Il déclare que les études moyen-orientales passent trop de temps sur les sujets historiques et culturels qui ne sont n'aucune utilité à l'État et à ses besoins impératifs de sécurité nationale, et risquent même de leur faire du tort. Il dit qu'une nouvelle approche est nécessaire pour étudier le Moyen-Orient, approche qui gravite autour de l'idée que «les États-Unis jouent un rôle essentiel et bénéfique dans le monde».
Il n'y a pas de répit. Septembre 2002 a vu la création du Campus Watch, un site web dont le but premier est de surveiller les études moyen-orientales dans les départements des universités à travers toute l'Amérique pour chercher des signes d'anti-américanisme et d'anti-israélisme. Campus Watch a été créé par Daniel Pipes, un collègue de Kramer et le directeur du Forum sur le Moyen-Orient, un groupe de réflexion dédié à la promotion des intérêts américains au Moyen-Orient.
«Je ne veux pas voir Noam Chomsky enseigné dans les universités, au même titre que je ne veux pas y voir les écrits de Hitler ou de Staline», dit Pipes lors d'un interview. «Voilà des idées folles et extrémistes qui, selon moi, n'ont pas leur place dans une université.» Non seulement Campus Watch surveille les universités pour traquer les signes de «sédition», comme par exemple les opinions sur la politique étrangère des États-Unis, sur l'Islam, la politique israélienne et les droits des Palestiniens, que Pipes considère comme inacceptables; mais il encourage également les étudiants à dénoncer les professeurs dont ils trouvent les idées offensantes. Bush a dernièrement nommé Pipes au conseil d'administration de l'US Institut of Peace, une «institution fédérale indépendante et non partisane créée par le Congrès pour promouvoir la prévention, la gestion et la résolution pacifique des conflits internationaux».
Étant donné que le climat politique est ici déterminé en grande partie par une alliance des soutiens d'Israël de droite avec des membres néo-conservateurs de l'establishment, ce n'est pas surprenant que l'attaque portée contre les études sur le Moyen-Orient risque d'être bientôt encadrée par une loi. Le 21 octobre de l'année dernière, la Chambre des Représentants a proposé un projet de loi, HR 3077, International Studies in Higher Education Act. Le projet de loi fait partie de la réactualisation du Higher Education Act connu sous le nom de Title VI qui date de 1959 et mandate le financement fédéral des études internationales et langues étrangères. Le Title VI renouvelle les programmes d'éducation internationale et d'entraînement aux langues et a apporté plusieurs améliorations importantes. Mais il contient également des dispositions qui affectent le cursus universitaire, les embauches universitaires et les fournitures pour les cours dans les institutions qui acceptent le financement fédéral.
Une des figures clés derrière le HR 3077, est Stanley Kurtz, un collègue et chercheur à l'Institut Hoover et un associé de Kramer et Pipes. Lors de son témoignage devant la Chambre des Représentants le 19 juin 2003, Kurtz a accusé les universitaires spécialistes du Moyen-Orient et d'autres domaines, d'avoir détourné le Title VI avec «leurs critiques extrêmes et partiales de la politique étrangère américaine». Il estime que le concept «qu'il est immoral, de la part d'un universitaire, de mettre ses connaissances des langues et de cultures étrangères au service du pouvoir américain» est le principe de base de la théorie post-coloniale, et il cite le travail d'Edward Saïd dans ce domaine comme étant le plus pernicieux. Le témoignage de Kurtz a été accepté par le Congrès sans débat, et nombre de ses recommandations pour «réparer» les dommages ont été adoptées par la Chambre des Représentants.
La plus potentiellement coûteuse de ces recommandations est la création d'un comité de conseil de l'éducation supérieure pour s'assurer que les programmes financés par le gouvernement «reflètent les différentes perspectives et toute la gamme des vues sur les régions du monde, les langues étrangères et les affaires internationales». Le conseil se composerait de sept membres: trois nommés par le secrétaire à l'Éducation, dont deux «représenteront les agences fédérales qui ont des responsabilités au niveau de la sécurité nationale»; deux, nommés par le porte-parole de la Chambre des Représentants, et deux par le président en exercice du Sénat. Une des fonctions du conseil sera de recommander les façons «d'améliorer les programmes (...) pour mieux refléter les besoins nationaux ayant rapport avec la sécurité nationale».
Les recommandations du conseil ne seront pas sujettes à une révision ou à une approbation venant d'un officier du gouvernement fédéral, y compris du secrétaire à l'Éducation. Et malgré le fait que ce projet de loi n'a pas le droit de «mandater, diriger ou contrôler le contenu spécifique de l'enseignement prodiqué par une institution d'éducation supérieure, ni le curriculum ou le programme d'enseignement», il est autorisé à «étudier, surveiller, informer et évaluer un échantillon des activités financées sous le Title VI. Ce qui revient au même: une intrusion sans précédent, mandatée au niveau fédéral, dans le contenu et la conduite des programmes d'études de secteurs basées dans les universités.
La liberté universitaire et l'éducation supérieure américaines sont en jeu. Si le HR 3077 devient une loi - le Sénat va ensuite en examiner le contenu - cela créera un organisme qui vérifiera jusqu'à quel point les universités reflètent la politique gouvernementale. Puisque la législation assume que toute imperfection vient «des experts et non de la politique», le gouvernement pourrait avoir le pouvoir d'introduire des voix politiquement sympathiques dans le courant de pensée universitaire et de réformer les frontières d'enquête universitaire. La résistance institutionnelle pourrait être punie en retirant le financement, ce qui serait extrêmement dommageable surtout pour les centres d'études du Moyen-Orient.
Le HR 3077 contient d'autres dispositions qui sont tout autant scandaleuses. Il exige, par exemple, que les institutions Title VI fournissent aux recruteurs du gouvernement des informations concernant les étudiants et leur recrutement. Le projet ordonne même au secrétaire à l'Éducation et au conseil consultatif d'étudier (c'est-à-dire, d'espionner) les communautés de citoyens américains qui parlent une langue étrangère, «surtout les communautés qui comprennent des personnes qui parlent des langues qui sont critiques pour la sécurité nationale des États-Unis».
Tout cela revient à une tentative de faire taire toute critique de la politique américaine et de mettre fin au désaccord avec l'agenda des néo-conservateurs. Ce n'est plus la diversité qui est recherchée, mais la conformité.
                                         
25. Arafat l'irréductible - Vu par un journaliste israélien par Eric Rouleau
in Le Monde diplomatique du mois d’avril 2004
Le PRÉSIDENT ARAFAT restera à jamais un symbole d'héroïsme pour tous les peuples du monde qui luttent pour la justice et la liberté ”, écrit Nelson Mandela dans la préface de la biographie Arafat, l'irréductible que publie Amnon Kapeliouk, collaborateur du Monde diplomatique (1). L'hommage s'adresse sans doute à celui que la communauté internationale - à l'exception d'Israël et des Etats-Unis - reconnaît comme étant le dirigeant légitime du peuple palestinien, sans tenir compte de l'image négative de l'homme que projette depuis des décennies la droite annexionniste en Israël. D'autres dirigeants qui l'estimaient tout autant que Mandela - entre autres Indira Gandhi, Bruno Kreisky, Olof Palme, Fidel Castro, Léopold Sedar Senghor, Houari Boumediene - savaient à quoi s'en tenir des campagnes de diabolisation que lancent des puissances coloniales pour récuser toute négociation avec des mouvements de libération nationale.
“ Ni diable ni ange ” aurait pu servir de sous-titre au livre d'Amnon Kapeliouk. L'auteur fait état, sans insister, des fautes commises par Arafat tout au long de sa carrière - ses illusions de jeune révolutionnaire, ses erreurs de jugement, ses comportements empreints d'arrogance à l'égard des régimes arabes, qu'il méprise. Sans réduire les mérites de la biographie - l'une des meilleures parues à ce jour -, on pourrait reprocher à Kapeliouk d'avoir parfois ménagé le président de l'Autorité palestinienne ; de n'avoir pas fait état des conséquences néfastes du pouvoir personnel qu'il exerce ou du clientélisme qu'il entretient ; de la corruption dont il est accusé, à tort ou à raison ; de son incapacité de “ communiquer ” avec l'opinion, la sienne et celle d'Israël.
Amnon Kapeliouk attache davantage d'importance aux qualités du leader palestinien, en particulier son pragmatisme, qui l'a conduit à abandonner son rêve de “ libérer toute la Palestine ”, à lancer son projet de deux Etats en Palestine, de consentir nombre de concessions sans contrepartie pour arracher à Israël une “paix des braves”. En 1973, il ne pose aucune condition à sa participation à la conférence de la paix qui se tient à Genève, mais Israël, les Etats-Unis et la Jordanie opposent leur veto. En 1976, il inaugure - grâce à Pierre Mendès France et au communiste Henri Curiel - les premiers contacts secrets entre l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) et des personnalités israéliennes de toutes tendances, y compris du Likoud, dont la nouvelle édition du livre de Charles Enderiin offre l'histoire la plus détaillée (2).
DÉJÀ, ARAFAT PLAIDE en faveur d'un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza. En 1988, sous son impulsion, l'OLP reconnaît le droit d'Israël à l'existence en se ralliant à la résolution 242 du Conseil de sécurité, alors que celle-ci ne mentionne pas l'existence du peuple palestinien, ni à fortiori ses droits. En 1993, il souscrit à l'accord d'Oslo, que nombre de responsables et d'intellectuels palestiniens consi-dèrent comme une sorte de trahison. Entre autres, le document ne reconnaît pas le droit des Palestiniens à un Etat souverain et ne prévoit pas le gel de la colonisation. Conscient de ces lacunes, mais aussi du rapport de forces favorable à Israël, Arafat avait choisi de s'en remettre à la “ dyna-mique de la paix ”.
Kapeliouk explique bien pourquoi “ l'irréductible ” ne cédera pas sur l'essentiel des aspirations de son peuple : un Etat souverain sur la quasi-totalité de la Cisjordanie et de Gaza, dont la capitale se situerait à Jérusalem ; la reconnaissance, pour le principe, du droit au retour des réfugiés, quitte à s'entendre sur l'étalement d'un nombre limité de rapatriés qui n'accroîtrait pas la proportion des Palestiniens citoyens de l'Etat juif. Le “ pacte de Genève ” conclu par des personnalités proches de M. Yasser Arafat confirme l'opinion répandue dans les chancelleries que le leader palestinien est le seul qui ait suffisamment d'autorité pour faire adopter par son peuple un compromis acceptable au “ camp de la paix ” israélien.
- Notes :
(1) Fayard, 2004, 519 pages, 24 euros.
(2) Charles Enderlin, Paix ou guerres. Les secrets des négociations israélo-arabes 1917-1995, Stock, Paris, 2004, 778 pages, 28 euros.
                           
26. Le mur des plaintes et des espoirs par Théo Klein
in Etudes du mois de janvier 2004

Non, je ne l'affirmerai pas. Et cependant, ce mur à Jérusalem m'accompagne depuis ma plus lointaine jeunesse. Etait-ce bien ce mur du Temple, le kotel ha-maaravi (le "mur occidental", tel qu'on le nomme aujourd'hui), le mur des Lamentations, tel qu'on le désignait dans l'affliction et l'espérance pendant des siècles : c'est cela que je ne saurais affirmer.
Enfant, je voyais dans notre salle à manger un tableau que l'on nommait mizrach et vers lequel mon père se tournait pour ses prières quotidiennes. Le mizrach c'est l'Est, et Jérusalem est à l'est de tout juif, car c'est à l'est que se lève le soleil et que s'éveille la nature; c'est aussi par la porte de l'Est qu'Ezéchiel avait vu l'Eternel quitter sa demeure, le temple de Jérusalem.
Cela, bien sûr, je ne le savais pas alors; mais j'avais remarqué, sur ce tableau mystérieux où brillaient d'or les quatre lettres hébraïques (le mem, le zaïn, le resh et le cheth), qu'il y avait l'ébauche d'un mur fait de lourds blocs de pierre cachant un soleil pâlissant dans un ciel d'azur triste.
Il y avait un tableau semblable chez chacun de mes oncles, tous rassemblés dans le quartier Saint-Vincent-de-Paul du Xème arrondissement de Paris. Partout : dans toutes les familles juives qui n'avaient pas rompu avec leur passé, il y avait un mizrach, ce rappel de Jérusalem où nous devions nous retrouver dès cette "année prochaine" dont on savait qu'il faudrait beaucoup plus de douze fois douze mois pour l'atteindre. C'était la Jérusalem de l'inépuisable nostalgie juive.
Bien sûr, l'essentiel m'échappait; ce n'était que l'une des mille variétés d'une tradition, d'un rituel, qui me distinguait des copains avec lesquels j'allais jouer à la pelote basque (à mains nues) contre les murs de cette église Saint-Vincent-de-Paul qui ne cesse de dominer la place Lafayette.
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Un jour comme un autre, vers l'heure du déjeuner, un homme a sonné à notre porte. Il était grand et lourd; son visage, noyé dans une barbe abondante et noire, laissait apparaître des yeux dont la mobilité m'inquiétait. Ma mère l'avait accueilli; elle avait l'habitude. C'était un juif, qui venait demander que l'on veuille bien lui offrir le pain et le sel. A midi, comme à sept heures du soir – ma mère le savait -, le pain et le sel, c'était en vérité le déjeuner ou le dîner. Cet homme était un schnorer.
Ici, une parenthèse s'impose: le schnorer est un homme de bienfaisance, comme on dit une œuvre de bienfaisance; il voyage à travers le monde, de ville en ville et de juif en juif, venant offrir à ses hôtes l'occasion d'être généreux. Il ne quête pas ; il accepte simplement qu'on lui confie des fonds, soit pour son propre usage, soit en faveur d'écoles talmudiques dont l'existence est parfois incertaine. Généreux, il offre en échange le récit de ses voyages, la sagesse de son savoir ; il va même, parfois, jusqu'à donner la leçon au maître qui l'accueille. Il arrive aussi que le schnorer n'accepte de partager le repas que si l'on invite à ses côtés l'un de ses compagnons.
Autant qu'il m'en souvienne, mon schnorer était moins prétentieux, mais il n'avait pas choisi notre maison par hasard ; il désirait que mon père, médecin, lui établisse un certificat ordonnant une cure d'eaux et de bains dans une des stations balnéaires entre l'Autriche et la Tchécoslovaquie. Ce certifiat lui était nécessaire pour aller, ensuite, ramasser auprès d'autres familles de quoi financer cette cure bienfaisante.
J'avais alors neuf - dix ans, et je l'écoutais avec ravissement parler du mur des Lamentations. Il revenait de Jérusalem, la ville abandonnée, où grouillait une population misérable ; il avait, malgré les brimades, réussi à atteindre ce mur du Temple abandonné au milieu de populations hostiles ; il y avait vu les vieillards qui allaient y prier avant de se laisser engourdir par la mort, avec l'espoir d'être enterrés sur les pentes du mont des Oliviers. Il ne parlait pas le français, mais je parvenais à le comprendre dans cette langue yiddish qui contient tant de mots allemands, ces mots que j'avais appris auprès de mes grands-parents à Zurich. A la fin de son récit, en nous regardant, il avait dit : "Il ira un jour embrasser ce mur." Je n'en avais alors aucune envie, car ce mur que j'aurais volontiers imaginé flamboyant avait, dans son récit, comme sur le tableau de la maison, pris la couleur triste des murs d'école après la récréation.
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Le temps a passé. J'ai eu droit à la guerre, comme mon père et mes oncles un quart de siècle plus tôt, mais sans les chevauchées, les victoires et les défaites, sans la boue des tranchées, les plaisirs de l'arrière ; une guerre sans véritable combat, avec la veulerie de Vichy, le courage des uns et la découverte de l'Autre par les plus nobles ; et, finalement, après la Shoah, mais sans rapport avec elle, la renaissance d'Israël. Un Israël qui s'était reconstruit presque clandestinement depuis le début du siècle, et plus tard, à l'ombre d'un pouvoir très britanniquement ambigu ; un Israël fort du seul courage de ses pionniers, de leur volonté, de leur créativité.
Jérusalem réapparaissait dans la splendeur d'un désir encore inassouvi. J'allais sur le toit de Notre-Dame-de-France regarder la vieille ville qui m'était encore interdite ; j'imaginais ce que je ne pouvais voir et je rêvais de ce que je ne pouvais encore atteindre. Enfin, le quatrième matin de la guerre des Six Jours, sous le faible crépitement de quelques fusils solitaires, j'ai atteint ce Mur immémorial. On y accédait par une porte étroite donnant sur le chemin qui menait à la mosquée Al-Aqsa ; il fallait ensuite descendre un escalier tortueux pour aboutir à une sorte de long couloir bloqué entre le mur immense, d'un côté, et, de l'autre, des maisons agglutinées les unes aux autres pour ne laisser aucun passage. C'était là, dans ce lieu presque sombre, que des générations étaient venues pleurer la splendeur perdue. Etait-ce le mur de la fille de Sion dont parlent les Lamentations de Jérémie ? Des blocs de pierre posés les uns sur les autres, avec quelques interstices où poussaient de rares brins d'herbe, un mur immense, écrasant, et pourtant plein d'espérance.
J'étais là, aux côtés de David Ben Gourion, de Shimon Peres, de Teddy Kolek, le maire de Jérusalem récemment élu, d'un jeune général qui commandait les troupes qui avaient conquis la ville, de parlementaires français, de deux barons de Rothschild, et d'autres représentants de la communauté juive. Le rêve prenait l'ampleur de la réalité, le désir devenait joie ; et, touchant ce mur, j'ai senti une main saisir un instant la mienne comme pour me passer un relais. Je n'ai pas pleuré, je n'ai fait aucun vœu ; sans doute ai-je simplement mis mes pas dans ceux qui m'avaient précédé sur cette route depuis longtemps tracée. J'ai cru comprendre que ce mur, assis depuis des siècles sur le sol de cette cité du monde, était le symbole de l'histoire inexorable du peuple auquel j'appartenais.
Une fois de plus, là où l'on me disait que Dieu avait fixé sa demeure, je n'ai rencontré que l'Histoire ; une histoire douloureuse mais magnifique d'un peuple qui ne cesse de ressusciter de ses erreurs, de s'enorgueillir de ses souffrances, pour finalement témoigner de la primauté de la vie.
Aujourd'hui, il y a là une vaste esplanade, un lieu de prière et de tourisme ; les chants nostalgiques des vieillards balançant leur corps dans l'incessante répétition de mille bénédictions se mêlent aux éclats de joie de familles venant fêter un mariage, une bar-mitzvah ou un anniversaire quelconque, à l'ombre de ces pierres ancestrales. Leurs cris et leurs prières montent le long de la vaste paroi et, là-haut, se mêlent sans doute à ceux des fidèles de Mahomet sortant des deux mosquées bâties sur le mont du Temple aux deux bouts de leur belle esplanade. Puis, poussés vers l'Est, là où "Dieu s'est retiré", ces prières forment le grand et vaste cortège des plaintes et des espoirs humains.
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Un homme, récemment, s'est présenté devant ce mur ; il a fait quelques pas pour s'en rapprocher et, dans le silence du temps, on a pu voir ses lèvres remuer, mais il a gardé le secret de ses paroles. Puis il a tendu le bras pour déposer dans un infrastructure [sic] une feuille de papier portant son message. Ses lèvres, encore une fois, ont remué ; il a esquissé un geste de la main droite, un geste qui, chez lui, accompagne toute prière ; mais sa main est demeurée suspendue un instant… un sublime instant de respect sans doute…
Cet homme, Karol Wojtyla, est né en 1920 à Wadowice, dans la maison appartenant à Yechiel Balamuth. Il y a passé toute sa jeunesse. Peut-être s'est-il rappelé, alors, que Yechiel Balamuth et de nombreux membres de sa famille avaient disparu dans les camps d'extermination.
                                
27. Une fraude de l’envergure d’un Roi : Israël, le sionisme et la falsification des propos de Martin Luther King par Tim Wise
in Zmag (e-magazine américain) du lundi 20 janvier 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Tim Wise est un militant antiraciste, il est écrivain et conférencier. On peut le contacter à l’adresse e-mail suivante : timjwise@msn.com.)
"La justice est conscience. Non pas une conscience personnelle, mais la conscience de toute l’Humanité. Ceux qui reconnaissent avec clarté la voix de leur propre conscience reconnaissent généralement la voix de la justice." Alexandre Soljénitsine
Il est rare qu’on me considère insuffisamment cynique. Vivant de l’action anti-raciste, j’entends toutes sortes d’excuses de la part de ceux qui tentent désespérément d’éviter d’être pris pour des racistes, rien ne m’étonne. Je m’attends à ce que les gens sortent de gros mensonges, lorsqu’il est question de races ; à ce qu’ils me disent combien ils ont d’amis noirs ; à ce qu’ils jurent n’avoir pas un seul os raciste dans leur organisme. Et tous les ans, au mois de janvier, à l’approche de la date jubilaire de Martin Luther King Jr., je m’attends à ce que quelqu’un déforme les propos du bon docteur afin de faire la promotion d’un agenda (politique) que celui-ci n’aurait sans doute pas soutenu. Ainsi, il y a longtemps que je ne participe plus au rassemblement de gogos qui utilisent la tirade de King affirmant qu’ils sont « heureux de leur nature », et qui remonte à la marche de 1963 à Washington afin d’attaquer la discrimination positive, au motif que King préférait la simple « cécité à la couleur (de la peau) ».
Le fait que King ait effectivement soutenu les efforts allant dans le sens de ce que nous appelons aujourd’hui la discrimination positive (affirmative action) – avec même des milliards de dollars demandés en réparation de l’esclavage et de la ségrégation – comme je l’ai montré dans un précédent article, ce fait importe peu à ces gens-là. Ils n’ont jamais lu les écrits de King, et ils n’ont prêté attention, tout au plus, qu’à des phrases sorties d’un discours : aussi à quoi pouvons-nous nous attendre de la part de simplistes prétentieux que sont ces gens-là ? Et néanmoins, mon certificat de cynisme ayant été rappelé, la seule chose à laquelle je n’aurais jamais pu m’attendre, de la part de quiconque, c’est que l’on vienne inventer une citation de King ; une citation qu’il n’a, tout simplement, jamais faite, et prétendre qu’elle provient d’une lettre qu’il n’a jamais écrite, et qui aurait été publiée dans un recueil de ses essais qui n’a jamais existé. Franchement, un tel niveau de tromperie est vraiment quelque chose de spécial ? ! ?
Le faux auquel je fais allusion circule actuellement sur Internet : elle prétend prouver le soutien indéfectible de MLK au sionisme. Même, cela va plus loin encore.
Dans l’article en cause, intitulé « Lettre à un ami antisioniste », MLK affirmerait que critiquer le sionisme équivaut à de l’antisémitisme, et il ferait un rapprochement entre ceux qui critiquent le nationalisme juif tel qu’incarné par Israël, et ceux qui entendent fouler aux pieds les droits des noirs. C’est fort de café, c’est le moins qu’on puisse dire, et c’est de la merde à 100 %, comme tout enquêteur amateur pourra le vérifier, s’il en a envie. Mais, bien entendu, on ne saurait attendre du genre de personnes qui diffusent une idéologie qui a entraîné l’expulsion de trois quarts de million de Palestiniens de leurs terres, et qui a couvert cette atrocité par le mensonge, en affirmant que, de toute manière, ces personnes, les Palestiniens, n’ont jamais existé (comme l’illustre la tristement célèbre sortie de Golda Meir) qu’ils évaluent la vérité à un prix très élevé. J’ai appris cela très directement, et durement, récemment, lorsque la Fédération juive de la ville de Des Moines a réussi à m’évincer des festivités de cette ville en l’honneur de MLK : je devais prononcer deux discours au nom de la Conférence Nationale Pour la Communauté et la Justice [National Conference of Community and Justice – NCCJ].
Parce que je critique Israël – et parce qu’en tant que juif, je suis connu pour m’opposer au sionisme du point de vue philosophique – le shtetl de Des Moines a décidé que je n’étais pas l’orateur convenable pour une célébration de la mémoire de MLK. Après avoir fait circuler la prétendue citation de MLK, et après avoir menacé de couper tout subside de la communauté juive à de futures manifestations de la NCCJ, j’ai été ostracisé. L’attaque, bien entendu, était basée sur une distorsion de mes propres convictions, également. Le responsable de la Fédération, Mark Finkelstein, a prétendu que j’avais fait preuve de négligence pour le bien-être des juifs, en dépit du fait que mon argumentation, depuis fort longtemps, consiste à dire que le sionisme a eu pour effet de rendre les juifs du monde entier beaucoup moins en sécurité que jamais. Mais c’est sa duplicité quant aux opinions de MLK qui m’ont le plus dérangé. Bien que Finkelstein n’ait cité qu’une seule ligne de la prétendue « lettre » de MLK sur le sionisme, il l’a tirée d’un texte plus long qui semble avoir pour scripteur le rabbin Marc Schneier, qui la cite en partie dans son ouvrage publié en 1999 : Shared Dreams : Martin Luther King Jr. and the Jewish Community [Rêves partagés : Martin Luther King Jr. et la communauté juive]. On y trouve une rhétorique de mirliton telle ce qui suit : 
« Voilà ce que je pense : laissez la vérité tomber en cascade du haut de la montagne, laissez-la résonner dans les vallées de la verdoyante terre de Dieu. Lorsque les gens critiquent le sionisme, ils veulent dire en réalité les juifs – c’est la vérité de Dieu toute pure ». La lettre était, par ailleurs, remplie de fautes de grammaire que tout lecteur à demi-cultivé des œuvres de MLK auraient trouvées étrangères à son style et à sa manière d’écrire, du genre : « L’antisioniste est antisémite de manière inhérente, et il le sera toujours. » Le traité, est-il affirmé, aurait été publié à la page 76 du numéro d’août 1967 de la Saturday Review (Revue du Samedi), et elle pourrait figurer, aussi, prétendument, dans l’anthologie des œuvres de King intitulée : This I Believe : Selections from the Writings of Dr. Martin Luther King Jr. [Ce que je crois : morceaux choisis des écrits du Dr. Martin Luther King Jr.]. Que les plaignants n’aient jamais indiqué l’éditeur de cette anthologie aurait dû représenter  un indice évident de l’impossibilité qu’elle fût authentique, ce qu’elle n’est évidemment pas. Le livre n’existe pas. Quant à la Saturday Review, elle n’a existé qu’en quatre livraisons, en août 1967. Deux de ces quatre numéros, seulement, comportent une page 76. Une des deux pages 76 comporte des petites annonces et l’autre comporte une critique de l’album des Beatles paru sous le titre « Sgt Pepper ». Pas plus de lettre de MLK que de beurre en branche.
Néanmoins, son caractère inauthentique n’a pas empêché ce texte de connaître une longue vie. Non seulement apparaît-il comme champignon après la pluie dans le bouquin de Schneier, mais des extraits en ont été lus par Michael Salbert, de l’Anti-Defamation League, lors d’un témoignage devant une Sous-Commission de la Chambre, en juillet 2001, et toutes sortes de groupes pro-israéliens (depuis les sionistes traditionnels jusqu’aux Likoudiens d’extrême droite, jusqu’aux chrétiens qui prônent l’envoi d’un maximum de juifs en Israël afin d’accélérer le retour de Jésus) ont utilisé ce texte sur leurs sites ouèbe.
En réalité, MLK semble ne jamais avoir fait la moindre déclaration publique au sujet du sionisme ; et la seule déclaration que l’on connaisse de lui sur ce sujet a été faite en privé, devant une poignée de témoins. Elle est très éloignée de ce qu’il est censé avoir dit dans la soi-disant « Lettre à un ami antisioniste ».
En 1968, d’après Seymour Martin Lipset, King était à Boston, et il assista à un dîner à l’université de Cambridge avec Lipset lui-même et un certain nombre d’étudiants de couleur. Après le dîner, un jeune homme fit apparemment une remarque très agressive attaquant les sionistes en tant que personnes, ce à quoi MLK répondit : « Ne parlez pas comme ça. Lorsque les gens critiquent les sionistes, ils visent (en réalité) les juifs. Vous tenez là des propos antisémites. » A supposer que cette citation fût authentique, elle est encore très loin de l’adhésion idéologique au sionisme en tant que théorie politique à appliquer sur le terrain, comme tente de le donner à accroire la « lettre », qui est un faux.
Après tout, répondre à une affirmation agressive au sujet de personnes sionistes par l’avertissement que ce type de langage sert ordinairement de couverture à un parti pris anti-juif est compréhensible. Mieux : ce commentaire était sans doute judicieux, dans bien des cas, en 1968. Il s’agit de l’affirmation d’une opinion au sujet de ce que pensent réellement les gens lorsqu’ils affirment telle ou telle chose. Ce n’est en aucun cas une déclaration portant sur la validité intrinsèque ou la perfidie d’une vision du monde quelle qu’elle soit, ni de ses effets concrets.
De la même manière, examinons le dualisme analogique suivant : tout d’abord, « s’opposer aux programmes d’aide sociale est dans tout les cas une attitude raciste », ensuite : « lorsque les gens critiquent les bénéficiaires d’aide sociale, ils visent en particulier les noirs. C’est du racisme. »
Alors que la seconde affirmation peut être vraie – et des études tendraient à suggérer que c’est bien le cas – la première est question de conviction idéologique, largement improuvable, et par conséquent plus tendancieuse que la seconde. Quoi qu’il en soit, comme dans le cas des citations de MLK – tant fausses qu’authentiques – la vérité de la seconde ne nous dit rien sur l’authenticité ou la fausseté de la première.
Ainsi, oui, c’est vrai, MLK fut très prompt à rabrouer une personne qui venait d’exprimer son hostilité pour les sionistes en tant que personnes. Mais il n’a pas prétendu que l’opposition au sionisme était une attitude intrinsèquement antisémite. Quant aux personnes qui, aujourd’hui, critiquent le sionisme et, comme moi, sont juives, penser que nous entendons en réalité attaquer les juifs, en tant que juifs, lorsque nous dénonçons Israël et le sionisme est totalement absurde.
Quant à la position publique de MLK sur Israël, elle était fort limitée et elle était loin de représenter une pierre angulaire de sa vision du monde. Au cours d’une réunion avec des dirigeants juifs, quelques semaines avant son assassinat, MLK observa que la paix, pour les Israéliens, comme pour les Arabes, était une préoccupation majeure. Pour MLK, « la paix, pour Israël, cela voulait dire la sécurité, et nous devons tout faire afin de protéger son droit à l’existence, et son intégrité territoriale. »
Mais une telle déclaration ne nous dit rien sur la manière dont Israël devrait être constitué, et elle ne nous apprend rien sur les Palestiniens, dont les vies et les défis qu’ils avaient à relever étaient loin d’encombrer les radars de l’information mondiale, en 1968.
A l’époque, le principal sujet de préoccupation d’Israël était l’hostilité de l’Egypte ; et, bien entendu, tout le monde admettrait que tout pays a le droit de n’être pas attaqué par un voisin. Les Etats-Unis avaient le droit de ne pas être attaqués par l’URSS, eux aussi – comme King en aurait sans aucun doute convenu, affirmant, du même coup, le droit des Etats-Unis à exister. Mais y aurait-il quelqu’un pour affirmer qu’un sentiment de cette nature aurait impliqué le droit des Etats-Unis à exister dans la forme qui était la leur, disons, en 1957 ou en 1961, au temps de la ségrégation raciale ? Bien sûr que non !
Idem pour Israël. Son droit à l’existence, au sens où il ne doit pas être détruit violemment par des forces hostiles ne signifie nullement qu’il ait le droit à exister en tant qu’Etat juif en tant que tel, par opposition à l’Etat de tous ses citoyens. Cela ne signifie nullement qu’il ait droit à des lois qui confèrent des privilèges spéciaux aux juifs du monde entier, au détriment des indigènes arabes.
Il convient aussi de noter que, dans le paragraphe même où MLK réaffirmait son soutien au droit à l’existence d’Israël, il affirmait l’importance qu’il y avait à apporter une aide publique massive aux Arabes du Moyen-Orient, sous la forme d’un Plan Marshall, afin de lutter contre la pauvreté et le désespoir, qui conduisent trop souvent à l'hostilité et à la violence envers les juifs israéliens.
De manière éloquente, ce passage de la définition de la position de MLK est ignorée par la communauté juive organisée, même si elle est au moins aussi importante que sa position sur l’intégrité territoriale d’Israël.
Quant à ce que MLK aurait à nous dire, aujourd’hui, sur Israël, le sionisme et la lutte des Palestiniens, on ne peut que se perdre en conjectures. Après tout, il est mort avant que la tragédie de l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza n’ait pu connaître tout son développement dramatique.
Il est mort avant la conclusion du traité de paix entre l’Egypte et Israël ; avant l’invasion du Liban et les massacres de Sabra et Chatila ; avant l’intifada de 1980 ; avant qu’Israël ait décidé de devenir le supplétif de la politique internationale des Etats-Unis, en servant d’intermédiaire pour des trafics d’armes en direction des gouvernements d’Afrique du Sud, du Guatemala, ou en aidant à armer des tueurs terroristes au Mozambique, et les contras du Nicaragua…
Il est mort avant la prolifération des colonies illégales dans l’ensemble des territoires occupés ; avant la vague d’attentats suicides – homicides ; avant les sondages montrant que près de la moitié des juifs israéliens sont favorables au nettoyage ethnique des Palestiniens au moyen de leur « transfert » dans des pays voisins.
Mais une chose est sure : si MLK aurait sans doute condamné sans ambages la violence palestinienne contre des civils innocents, il aurait aussi condamné la violence d’Etat d’Israël.
Il aurait condamné les attaques au moyen de missiles contre des quartiers d’habitations entiers, afin d’éliminer une poignée de terroristes recherchés.
Il se serait opposé à ce qu’on remette des mitraillettes à des fanatiques religieux originaires de Brooklyn, qui sont allés dans les territoires proclamer leur droit divin à la terre, et le droit à chasser les Arabes de leurs quartiers, ou de les maintenir derrière des barrières, et de perpétrer à leur encontre une multitude de discriminations diverses.
Il aurait protesté contre le partage inique de l’eau entre les juifs et les Arabes, qui est une véritable politique israélienne délibérée. Il aurait protesté contre les barrages routiers dégradants que les ouvriers palestiniens doivent franchir jour après jour pour aller au travail ou rentrer chez eux, après une longue et harassante journée de labeur.
Il aurait dénoncé la politique qui permet aux officiers de l’armée israélienne de tuer des enfants qui lancent seulement des pierres, dès l’âge de douze ans.
En d’autres termes, il aurait très vraisemblablement critiqué les manifestations du sionisme sur le terrain, tel qu’il s’est inscrit dans le monde réel, par opposition au monde de la théorie et de la spéculation intellectuelle.
Ces choses semblent évidentes dès lors qu’on part d’une lecture honnête de ses œuvres ou de l’examen de sa biographie. Il serait un courtier de paix. Et c’est une tragédie, qu’au lieu de King lui-même, nous soyons embarrassés de charlatans tels ceux de l’ADL, ou de la Fédération juive de Des Moines, ou de rabbins comme un Marc Shneier, qui ne daigne jamais parler des propos authentiques de Martin Luther King, d’une voix qui ne serait pas la sienne propre.