Rassemblement pacifique de protestation contre le Gala de bienfaisance en faveur de l'armée d'occupation israélienne à Marseille
Des milliers d'appels téléphoniques, de télécopies, de lettres et de courriers électroniques n'auront pas ramenés à la raison le Préfet de Police de Marseille, le Maire de Marseille, le Président du Conseil général et le Président régional... L'armée israélienne, coupable de nombreux crimes de guerre sur la population civile palestinienne tiendra meeting et récoltera des fonds ce dimanche 16 mai à Marseille, au Parc Chanot ! Les citoyens marseillais ont honte !
Le "Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien" organise un rassemblement pacifique de protestation ce dimanche 16 mai 2004 à partir de 18h30 à Marseille, au Rond Point du Prado [Métro Rond Point du Prado] devant l'entrée principale du Parc Chanot. VENEZ NOMBREUX !
           
                       
Point d'information Palestine N° 236 du 13/05/2004
Newsletter privée réalisée par La Maison d'Orient - BP 105 - 13192 Marseille Cedex 20 - FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail :
lmomarseille@wanadoo.fr
Association loi 1901 déclarée à la Préfecture des Bouches-du-Rhône sous le N° 0133099659
Rédacteur en chef : Pierre-Alexandre Orsoni
                                              
Si vous ne souhaitez plus recevoir nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : lmomarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à un réseau strictement privé de 8877 destinataires et n'est adossé à aucun site internet.
Les propos publiés dans cette lettre d'information n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs.
Consultez régulièrement les sites francophones de référence :
http://www.solidarite-palestine.org - http://www.paix-en-palestine.org - http://www.protection-palestine.org
                                                               
Nous pouvons, si vous le souhaitez, vous adresser le Point d'information Palestine en format pièce-joint RTF sur simple demande à : lmomarseille@wanadoo.fr
                   
Au sommaire
              
Témoignage
- Exils exil par David Torres (9 mai 2004)
                   
Dernières parutions
1. Bush à Babylone de Tariq Ali aux éditions La Fabrique 
2. Au nom de la Torah - Une histoire de l'opposition juive au sionisme de Yakov M. Rabkin aux éditions Les Presses de l'Université Laval (Canada)
3. Les Flamboyants de Gaza de Mehdi Benchelah aux éditions Le Cherche Midi
4. Bienvenue en Palestine - Chroniques d'une saison à Ramallah de Anne Brunswic aux éditions Actes Sud
                     
Réseau
1. "Le courage de refuser" - Discour de Yonatan Shapira, officier pilote d’hélicoptère israélien, refuznik - Prononcé le lundi 26 avril 2004 lors de la Cérémonie de la flamme de la journée alternative d’indépendance [traduit de l'angalis par Alison Carter et Marie-Ange Patrizio]
2. L’avenir n’est pas écrit… entretien avec Rony Brauman propos recueillis par Denis Sieffert Extrait de : "Antisémitisme : L’intolérable chantage" aux éditions La Découverte (Paris - 2003)
                          
Revue de presse
1. Encore à propos de l’initiative de Genève par Michel Warschawski in News from Within (mensuel israélien) du mois de mai 2004 [traduit de l’anglais Michèle Sibony]
2. Le gouvernement d’Ariel Sharon "en guerre" contre ses citoyens ? par Valérie Féron in L'Humanité du samedi 8 mai 2004
3. Des propalestiniens attisent la campagne européenne - Dieudonné candidat sur une liste Euro-Palestine en Ile-de-France par Christophe Ayad in Libération du jeudi 6 mai 2004
4. La nature des régimes d'Arabie saoudite et du Pakistan inquiète - La bombe islamique, danger potentiel pour Israël par Isabelle Lasserre in Le Figaro du vendredi 5 mai 2004
5. Israël tire profit des actions américaines, c’est le moins qu’on puisse dire… Mais les ennuis risquent de ne pas tarder à commencer… par Yossi Alpher in Daily Star (quotidien libannais) du mercredi 5 mai 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
6. L’occupation de l’Irak en échec. Chiites et sunnites unis par le nationalisme par Juan Cole in Le Monde diplomatique du mois de mai 2004
7. Des balles israéliennes font exploser les rêves d'une petite fille Dépêche de l'agence de presse palestinienne WAFA du mercredi 3 mai 2004 [traduit de l'anglais par Silvia Cattori]
8. Nabil Shaath : "La nouvelle position de Washington détruit le processus de paix" propos recueillis par Randa Achmawi in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 21 avril 2004
9. Biddu : protestation contre le mur par Tanya Reinhart in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du mardi 20 avril 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
10. Apocalypse, Please ! par George Monbiot int The Guardian (quotidien britannique) du mardi 20 avril 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
11. Mahmoud Darwich :"Pour moi, la poésie est liée à la paix" entretien réalisé par Muriel Steinmetz in L'Humanité du jeudi 15 avril 2004
12. Photographie - Le Palestinien longtemps escamoté de son paysage par Magali Jauffret in L'Humanité du mardi 13 avril 2004
13. L'Europe, les Etats-Unis et le Grand Moyen-Orient par U. Ahlin/R. Asmus/S. Everts/J. Hybaskova/M. Leonard/M. McFaul/M. Mertes in Le Monde du 13 avril 2004
14. La propagation du cancer du colon stoppée "in vitro" Dépêche de l'Agence France Presse du mardi 6 janvier 2004, 14h30
15. Le droit au temps des proconsuls  par Rudolf El-Kareh in la Revue d’études palestiniennes n° 89 (Automne 2003)
16. Vandalisme et pillages en Irak, berceau de la civilisation - L'une des plus grande catastrophes de tous les temps par Joëlle Pénochet in Combat-Nature du mois de novembre 2003 (Révisé et augmenté le 17 février 2004 dans AFI - Flash)
17. Avertissement aux dirigeants iraniens : faites attention, avant qu’il ne soit trop tard ! par Saïd Al-Shihâbiyy in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 4 juin 2003 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
18. Les colonies : Guide de l’utilisateur par Gabriel Ash on YellowTimes.org (e-magazine américain) du jeudi 15 mai 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                           
[- Extrait du sommaire du prochain Point d'information Palestine (N°237) : Présentation des livres : Le sionisme en Palestine / Israël - Fruit amer du judaïsme de André Gaillard publié aux Éditions Bénévent, Le Cartel Bush ou l'itinéraire d'un fils privilégié - Comment fabrique-t-on un président des États-Unis ? par James Hatfield publié aux Éditions Timéli (Genève), Les démons de la Nakbah de Ilan Pappé publié aux éditions La Fabrique, Démocratie et révolution de Georges Labica publié aux éditions Le Temps des Cerises. Dans notre rubrique "Réseau" : Le complexe de Néron par Albert Memmi, extraits du "Portrait du colonisé précédé de Portrait du colonisateur" de Albert Memmi (1957) * Finkielkraut se dévoile ! par Dominique Liebman (Novembre 2003) * Présentation de la liste "Euro-Palestine" pour les Elections européennes du 13 juin 2004 [www.europalestine.com]. Dans notre revue de presse : Les critiques de Daniel Barenboim envers Israël irritent fortement Katsav et Livnat par Gideon Alon in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 10 mai 2005 * "Les photos sont choquantes, mais nos rapports sont pires", accuse la Croix-Rouge par Afsané Bassir Pour
in Le Monde du samedi 6 mai 2004]

                           
Témoignage

                                          
- Exils exil par David Torres (9 mai 2004)
(David Torres est un ressortissant français qui a vécu plusieurs années en Palestine à Gaza, qu'il a quitté au mois de décembre dernier.)
Six mois. Il y a six mois que les portes de la prison se sont ouvertes. C’est le rêve de milliers de gens, le rêve des milliers de prisonniers qui étouffent dans le ghetto le plus vaste du monde : partir, quitter cette bande de sable brûlant coincée entre douleur et espoirs brisés. Il suffit de passer la frontière et la vie devient soudain plus légère, l’air se laisse respirer sans peine, le quotidien glisse, sans faire de bruit, dans un monde qui vit, qui change, qui joue avec le temps et oublie trop vite. Je le revois, il y a une semaine, assis dans ce fauteuil, dans son appartement de la rue Abou al Hol, près des pyramides, l’air sombre. L’Egypte est un vaste pays, fier, débordant de vie, il absorbe les âmes errantes, de Palestine, d’Iraq ou d’ailleurs, dans un air de fête. Yasser, réfugié de père en fils depuis plus de 50 ans. Ici, il est Yasser Le Palestinien. Autour de lui est réunie la famille de sa fiancée, une jeune égyptienne rencontrée il y a quelques mois. Ils viennent de vendre leur appartement, le temps d’en trouver un nouveau ils se sont installés chez lui. L’avenir se devine plus agréable depuis qu’il a quitté Gaza. Une vie nouvelle, une famille, un travail, une nationalité pleine et entière, reconnue dans le monde entier. Ici, faire des courses, rendre visite à ses amis, aller à l’université, dormir en boule dans son lit, cela veut seulement dire faire des courses, rendre visite à ses amis, aller à l’université, dormir en boule dans son lit. Les moteurs d’un avion déchirent le ciel ? Il est plein de touristes avides de soleil, de souvenirs et d’histoire facile. Je le revois encore, l’air rieur dans son salon, discutant avec Ghnaim, plaisantant avec Najwah, les yeux soudain rivés au poste de télévision,  fronçant les sourcils, l’air anxieux : on parle de Gaza, de l’explosion de colère après l’assassinat de Rantissi, de vengeance, de promesses de mort, d’avenir en forme de représailles. Je repense à cette autre soirée, sur le toit de l’immeuble où il habite, au coucher de soleil derrière les pyramides ; elles sont si proches qu’on pourrait presque les toucher en tendant la main. Je leur ai fait écouter quelques unes des chansons de cette Intifada : Hani veut engager le peuple égyptien dans la lutte, Ghnaim n’a pas de mots assez durs pour ceux qui continuent à massacrer dans la plus parfaite impunité. Yasser sombre dans ses pensées. Mouna me fait un signe de la main, comme des traits sur ses joues. Si près mais tellement loin, Gaza, Khan Younis et Rafah, Zarnouqa, el Majdal, Yaffa. Quand il parle, ses mots, son accent, sont devenus égyptiens, ce qui ne manquait pas de me faire rire les premiers jours ; lui me répondait qu’il n’arrivait plus à parler à ses parents au téléphone sans donner à sa langue les couleurs du dialecte égyptien, mais il était content de pouvoir enfin parler palestinien avec quelqu’un. Des mots pour se sentir ensemble, pour être soi. Un soir, alors que nous étions seuls sur le balcon, face aux trois vénérables sœurs habillées de lumières colorées pour le divertissement des touristes, un long silence, puis quelques mots rapides, d’une voix basse, timide, presque triste :
- Est-ce que Gaza te manque ?
- Oh oui !
- Moi aussi, Gaza me manque tellement !
Sa voix résonne encore dans ma tête.
Hier, dans l’après-midi, Yasser est passé me voir. On est sorti faire un tour. Je pensais aller saluer les pyramides, on est allés chez les parents de Mouna, Dina et Najwah, dans l’appartement vendu, perdu au fond de Mounib, une banlieue populaire de Gizeh. Ils étaient en train de faire les paquets, entassant couvertures, vêtements, vaisselle dans un désordre indescriptible. On est ressorti faire un tour au marché, pour acheter de la viande, du poulet et des légumes, avant de redescendre vers l’autoroute urbaine pour retrouver le père de Hani. Il est venu nous chercher en minibus pour nous emmener dans un village, au sud du Caire. Nous longeons le Nil, dépassons Maadi et ses tours bourgeoises, puis Helwan, avant de prendre le bac qui nous dépose sur la rive ouest du fleuve. Traversée chaotique et bruyante d’un village dont j’ai oublié le nom et nous arrivons enfin dans un petit coin de la campagne égyptienne, un village aux maisons de briques rouges, noyé dans la poussière du soir. Autour d’une vasque de métal remplie de braise brûlante, où la graisse tombe, goutte après goutte, en produisant un panache de fumée âcre, la soirée s’est déroulée dans une ambiance champêtre, au fond du monde, entre les chèvres et les palmiers. Nous passâmes à l’intérieur pour manger. Sur la couverture étendue au milieu de la pièce les femmes posèrent le riz et le poulet. Chacun pris sa place autour des plats qui venaient s’accumuler au centre de la couverture, Abou Hani et sa femme, Hani, Ghnaim, Yasser et moi-même, les trois sœurs, Walid et sa mère (nos hôtes), les enfants de la maison... Après le repas nous nous sommes retrouvés devant la maison, sur la terrasse, pour jouer aux cartes et aux dominos, en buvant d’abord un thé bien chaud puis, plus tard dans la nuit, du coca-cola et du sprite. Nous sommes allés nous coucher vers une heure du matin, Hani dans le bus, Yasser, Ghnaim et moi dans une chambre de la maison. La pièce était envahie de moustiques et, ce qui me rassure, les deux autres étaient aussi importunés par les insupportables insectes que je pouvais l’être. Après une bonne demi-heure passée à les écraser au mur ou entre nos mains, Ghnaim est allé chercher la bombe d’insecticide. Une bonne dose de poison dans notre chambre et nous pûmes dormir, enfin.
Lever à cinq heures. Abou Hani travaille tôt, il faut rentrer à Gizeh. Je vais prendre mon avion, je ne dois pas traîner. Je n’ai dormi que d’un sommeil léger, transpirant sous ma couverture protectrice, coincé entre les deux dormeurs, Ghnaim, le bras cassé, qui n’a cessé de gémir, et Yasser, qui dort comme une masse. Hani, boitant sur ses deux jambes détruites, est venu frapper à la porte. Je me lève, réveille les deux autres, ouvre la porte. Il faut attendre nos vêtements qui se trouvaient dans la pièce d’à côté, où ont dormi les femmes ; la jallabieh fait place au Jeans et à la chemise. Yasser plus rapide, est déjà dehors, devant la maison. Une serviette autour du coup, il commence à actionner la pompe. L’eau coule, il me presse de venir, je me lave les mains, le visage, prends la serviette, puis je passe derrière la pompe pour lui rendre la politesse. Nous sommes les derniers à monter dans le bus. La route me paraît bien courte cette fois et le paysage bien différent. Aux circonvolutions de la veille répond une route presque droite. Nous rentrons à Gizeh sans passer de l’autre côté du Nil, traversant une campagne endormie. L’écho bruyant des voitures, des charrettes, des enfants et des vendeurs en tous genres a disparu depuis des heures, dispersé dans la nuit. L’aube n’a pas encore posé ses doigts de rose sur l’horizon qui commence, discrètement, à s’iriser vers l’orient. Le gris bleu métallique du ciel embrasse la terre noire, les arbres sont encore enveloppés dans la brume qui monte des canaux, comme une mince écharpe qui s’enroule autour des ombres en forme de troncs, de maisons, de poteaux électriques. Le silence est incroyablement doux. Dans le bus, Yasser continue sa nuit, Hani souffre en silence, le sourire sur les lèvres et je contemple l’étrange beauté du plat pays qui défile devant mes yeux avec l’avidité de celui qui meurt de soif près de la fontaine. Encore une fois, il faut partir.
Il y a déjà six mois, je suis parti par le nord, par Erez, le point de passage vers Israël, vers la France. Il a quitté Gaza par le sud, par Rafah, vers l’Egypte ; la Palestine dans l’âme, Gaza profondément fichée dans le cœur, comme une blessure qui ne peut pas guérir.
                                           
Dernières parutions

                                          
1. Bush à Babylone de Tariq Ali
aux éditions La Fabrique 
[244 pages - 14 euros - ISBN : 2913372376]
Traduit par Isabelle Taudière et Éric Hazan  - Ce livre retrace les événements qui se sont déroulés depuis la création de l'Irak par les Anglais au lendemain de la Première Guerre mondiale - à partir des trois vilayets ottomans de Mossoul, Bassora et Bagdad - jusqu'à la dernière péripétie en date, l'invasion du pays par la plus formidable armada qu'on ait jamais vue rassemblée. La royauté hachémite soutenue à bout de bras par les Anglais, les insurrections tout au long de l'entre-deux-guerres, la révolution de 1958 et le régime des colonels, la sanglante prise du pouvoir par le Baas en 1963, l'ascension de Saddam Hussein, la terrible guerre Iran-Irak… Telles sont les étapes que retrace Tariq Ali à sa manière, faisant revivre des personnages qu'il a connus, évoquant les poètes qui, de tout temps, ont été la conscience vive de l'Irak.
Éclairant la généalogie des événements actuels, virulente dénonciation de la guerre et de l'occupation impérialistes, Bush à Babylone est exemplaire d'une autre façon de raconter l'histoire, documentée et engagée, informée et palpitante. C'est aussi un signal de réveil pour ceux qui ont manifesté contre la guerre mais qui acceptent aujourd'hui dans l'apathie, comme " un moindre mal ", la recolonisation de l'Irak.
Tariq Ali est né à Lahore, au Pakistan. Après ses études à Oxford, la dictature militaire l'a empêché de revenir dans son pays. Il a été l'une des figures marquantes des mouvements révolutionnaires des années soixante, et Mick Jagger lui a dédié Streetfighting Man. Il a écrit des documentaires pour la télévision, des pièces de théâtre et plus récemment cinq romans, traduits dans une douzaine de langues. Son dernier essai en date, Le Choc des intégrismes, récemment traduit en français (Textuel, 2002), est devenu un bestseller international.
                                                      
2. Au nom de la Torah - Une histoire de l'opposition juive au sionisme de Yakov M. Rabkin
aux éditions Les Presses de l'Université Laval (Canada)
[250 pages - 21 euros - ISBN : 2763780245]
L'association des juifs avec l'État d'Israël est facile, presque automatique. "L'État juif" et "l'État hébreu" sont devenus des termes courants. Pourtant, parmi les partisans inconditionnels d'Israël, il y a moins de juifs que de chrétiens. Le présent ouvrage explique ce paradoxe apparent et met en évidence l'opposition au sionisme articulée au nom de la tradition juive. Cette opposition mine la légitimité proprement juive de l'État d'Israël et représente, selon un expert israélien, «une menace plus fondamentale que l'hostilité arabe et palestinienne». Les racines de l'opposition juive à l'existence même de l'État d'Israël est un phénomène souvent occulté, voire même censuré et provoque autant de colère que de curiosité.
Yakov M. Rabkin est historien à l'Université de Montréal (Québec, Canada). Ses champs de recherche sont l'histoire juive contemporaine et l'histoire des sciences. Outre son cursus universitaire, il a étudié le judaïsme auprès de plusieurs rabbins au Canada, en France et en Israël.
                               
3. Les Flamboyants de Gaza de Mehdi Benchelah
aux éditions Le Cherche Midi
[308 pages - 17 euros - ISBN : 2749102367]

ROMAN - Check point d’Erez, à la frontière d’Israël et de la bande de Gaza. Par une matinée de septembre, Kelly O’Connor, une jeune femme originaire de New York, débarque en pleine Intifada dans le chaudron palestinien. Elle fait connaissance avec Thomas Gaume, un séduisant Français d’une trentaine d’années employé par les Nations Unies, qui vit et travaille entre Beyrouth et Gaza. Pour quelle raison cette jeune Américaine tient-elle à se rendre dans cette bande désertique de 360 kilomètres carrés où s’affrontent jour et nuit soldats hébreux et groupes armés palestiniens ? Pourquoi s’installe-t-elle dans ce lieu où la mort semble former une toile de fond permanente ? Pour accomplir une mission, fuir un fantôme ou chercher une réponse ?
Malgré son apparente désinvolture, Thomas Gaume paraît jouer un rôle précis dans ce théâtre d’ombres que constitue le Proche-Orient. Est-il vraiment le fonctionnaire international dévoué et futile qu’il prétend être ou œuvre-t-il pour un des innombrables services de renseignements qui semblent considérer la bande de Gaza comme leur nouvel eldorado ? Quel est son rôle dans une opération engagée contre Mokhtar El-Ghoul, un redoutable terroriste établi dans le nord du Yémen, soupçonné d’être l’instigateur de plusieurs attentats anti-occidentaux dans cette région du monde ? Un roman d’amour et d’espionnage haletant de la première à la dernière ligne.
Mehdi Benchelah est né à Paris en 1969 d’un père algérien et d’une mère française. Après des études de droits, il se lance dans le journalisme en Amérique latine puis dans les Balkans. Il a ensuite travaillé au Sahara Occidental et en Algérie. De 1998 à 2000, il a été le correspondant du journal Le Point et de Radio France Internationale dans la bande de Gaza. Il est le coauteur (avec Jean Lescuyer) de Le Pèlerin de Jérusalem (Jean-Claude Lattès).
                               
4. Bienvenue en Palestine - Chroniques d'une saison à Ramallah de Anne Brunswic
aux éditions Actes Sud
[240 pages - 19 euros - ISBN : 2742748989]
Ramallah, 17 janvier 2004. Voici quatre mois que j'habite au centre-ville, dans un appartement confortable que je loue et partage à l'occasion avec des étudiants ou des amis de passage. Je suis venue ici sans être envoyée par personne, ni un journal, ni une association, ni une administration publique. En toute liberté, ce qui est plutôt exceptionnel ici où tous les étrangers relèvent plus ou moins d'une mission de ce genre. Cette liberté m'était essentielle pour faire un travail d'écrivain, un travail où j'assumerais ma propre subjectivité dans cette rencontre avec ces Autres qu'étaient à mes yeux les Palestiniens. Selon les époques et les circonstances, on a pu me définir comme une ex-communiste, une féministe hors cadre, une juive laïque résolument diasporique, ou, professionnellement, comme professeur de lettres, fonctionnaire de la culture, intermittente du journalisme... Ce que je suis aujourd'hui ici, c'est un écrivain du réel travaillant dans les marges du journalisme. J'emprunte cette expression au monde du cinéma documentaire qui s'est bâti un domaine de création entre le reportage et le cinéma de fiction qu'il a nommé "cinéma du réel" ou "fictions du réel",...
Née à Paris, Anne Brunswic partage ses activités entre l'écriture, le journalisme, l'enseignement et l'action culturelle dans le domaine du cinéma et de la télévision. Depuis 2000, elle s'est affirmée en littérature avec deux enquêtes autobiographiques, A contre-oubli et Qu'est-ce que tu fais là ? (éditions de la Fontaine-aux-Loups).
- Extrait :
Ramallah, vendredi 3 octobre 2003 - Le vendredi ici ressemble au samedi chez les voisins, très peu de voitures en circulation et pas un seul coup de klaxon depuis ce matin. Beaucoup de monde à la prière de 11 heures, suivie d’un petit rassemblement politique. Au total, un jour très calme.
Arrivée depuis dimanche midi, cinq jours, je suis déjà tout à fait installée, locataire d’un grand appartement meublé, à cent mètres de la place Al-Manara d’où partent tous les taxis, équipée d’une ligne de téléphone fixe, d’un portable et d’une connexion Internet. Merci aux amis cinéastes israéliens, et à leur carnet d’adresses. Dans la rue ou sur le campus, dans les taxis ou les cafés, parmi les voisins ou les commerçants, c’est peu dire que les contacts sont aisés : qu’ils soient chrétiens ou musulmans, anglophones ou francophones, les Palestiniens ne demandent qu’à parler, qu’à accueillir l’hôte.
La vie quotidienne ici n’est pas celle d’un pays en guerre : certes les bureaux d’Arafat se trouvent à moins d’un kilomètre et l’armée israélienne peut à tout moment les encercler ou les bombarder. Il ne reste qu’un amas de ruines des deux grands bâtiments datant de l’époque britannique qui, jusqu’à l’automne 2002, abritaient les bureaux des forces de sécurité : des étages effondrés les uns sur les autres, un amas de gravats accrochés à des armatures métalliques, un millefeuille de fer et de béton. Seul le bâtiment occupé par Arafat – Abou Amar comme on l’appelle ici – est resté debout, au fond d’une cour ouverte à tous les vents.
Les soldats israéliens font, me dit-on, de fréquentes incursions en ville, à la recherche d’un suspect ou pour de simples virées d’intimidation. Ils sont d’autant plus dangereux qu’ils sont jeunes (moins de vingt ans), apeurés et absolument ignorants des réalités qui les entourent. Entre eux, ils parlent souvent russe. Comprennent peu l’arabe. Avec une arme dans les mains et en pays conquis, ces teenagers nourris de jeux vidéo, derniers venus de la société israélienne, se sentent soudain quelqu’un ou quel-que chose.
Mais, à vrai dire, je n’en ai pas aperçu un seul depuis que j’ai franchi, dimanche dernier, sans présenter un seul document, le barrage de Kalandia. Et pas un policier palestinien, si l’on excepte celui qui règle mollement la circulation au carrefour et les trois gars assis sous la baraque de planches décorée sommairement d’un poster à l’effigie d’Arafat qui sert de guérite à l’entrée du bâtiment présidentiel. Aucun d’entre eux ne porte le moindre uniforme afin d’éviter d’être pris pour cible.
Les colons juifs installés au sommet des collines environnantes sont invisibles : ils ne circulent pas dans Ramallah et cela fait quelque temps qu’ils ne se sont pas avisés de tirer depuis leurs nids d’aigles.
Ramallah, me dit-on, c’est les Champs-Elysées de la Palestine. Entendez une ville riche comptant une bourgeoisie importante, chrétienne et musulmane, des magasins de luxe, des villas avec jardins, des résidences secondaires construites dans les années 1930 par des familles arabes des Emirats qui appréciaient le climat de cette ville où les nuits restent fraîches même en été. Beaucoup ici ont fait des études supérieures en Palestine, en Europe ou aux Etats-Unis, beaucoup ont des attaches familiales en Amérique. Trois mille fonctionnaires travaillent pour l’administration palestinienne. Les étrangers coopérant dans les organisations internationales, les ONG et les services culturels sont plus de deux cents ; ce sont eux qui peuplent jusque vers minuit les cinq cafés du centre-ville où l’on sert de la bière et du vin.
L’architecture, le paysage, l’ambiance des rues commerçantes me rappellent ce que j’ai connu à Jérusalem à la fin des années 1960, lors de ma première visite chez ma grand-mère. C’est un paysage illimité de collines désertiques s’étendant au nord-ouest depuis le balcon de ma chambre. C’est la même pierre blanche qu’à Jérusalem qui habille toutes les façades, jusqu’aux plus récentes. Ce sont les mêmes parfums de jasmin et de figues, les mêmes citronniers et bougainvilliers dans le jardin. C’est le même joyeux capharnaüm à la station de taxis en haut de la rue, les serveurs des bars portant aux chauffeurs le café sur des plateaux. Ce sont, dans l’appartement, les mêmes carrelages mouchetés couleur de sable, recouverts des mêmes tapis. Le même marbre autour de l’évier. Les mêmes volumes des pièces, carrées, spacieuses.
Sur le territoire du district de Ramallah, la résistance à l’occupation est atone. A l’exception des camps de réfugiés. Au voisinage des camps de Jalozone au nord et de Kalandia au sud, les soldats encaissent encore régulièrement des jets de pierre lancés par des gamins.
Si Ramallah, c’est les Champs-Elysées, Gaza doit être le 93, Djénine et Naplouse l’entre-deux. Les classes sociales ici sont bien visibles, et ne se mêlent pas davantage, dit-on, que l’huile et l’eau.
Le port du foulard répond à des usages sociaux subtils qui, pour l’heure, m’échappent largement. Lundi soir, à la cérémonie en hommage à Edward Saïd, réunissant une bonne part de l’élite locale, les femmes voilées étaient introuvables dans la salle alors qu’elles sont largement majoritaires dans la rue. Et là, chez les Huzri, mes voisins de palier qui viennent de m’inviter à partager le somptueux déjeuner du vendredi, la mère, une matrone d’environ soixante ans, a mis pour l’occasion sa robe traditionnelle et s’est couvert la tête, tandis que ses filles et belles-filles sont toutes tête nue. Une des filles est professeur de sciences dans un institut supérieur technique financé par les Nations unies, une autre finit ses études de journalisme à l’université de Bir Zeit, la belle-fille travaille dans une banque.
Majid, le fils aîné de la voisine, est parfaitement francophone, il a fait son droit en France. Trente-cinq ans, bâti en taille et en force comme beaucoup de Palestiniens. Il s’occupe des relations diplomatiques avec la France, se rend régulièrement à Paris et accueille ici les délégations officielles. Les étudiants qui ont jeté des pierres contre Lionel Jospin à Bir Zeit, ils ont été bien punis et ont été exclus plusieurs mois de l’université, m’a-t-il expliqué. “Nous n’avons qu’un allié en Europe, la France, c’était scandaleux de le traiter comme cela. Notre président a aussitôt fait des excuses.” D’ailleurs le voisin est bien décidé à en découdre avec les extrémistes et au plus tôt. Question de crédibilité pour l’Autorité palestinienne qu’il sert et à laquelle il veut croire comme à la future coexistence pacifique de deux Etats séparés.
Mais Selim Quatab, responsable d’une association prônant la non-violence, ne manifeste pas le même réalisme politique. Bout de dialogue :
“Selim, vous avez fait des études, vous avez les moyens de vivre en dehors du camp de réfugiés. Pourquoi y restez-vous ?
— J’ai un appartement à Ramallah mais je rentre presque tous les soirs au camp. C’est là que vit ma mère et que j’ai la plupart de mes amis. Nous venons tous du même village près de l’aéroport de Lod. Quitter le camp, ce serait renoncer à mon rêve qui est de revenir dans le village de mon grand-père et d’y élever mes enfants. J’ai trente-trois ans et je ne me suis pas marié. Je ne veux pas élever mes enfants ici, dans un camp.
— Vous parlez bien d’un rêve. Si la solution de deux Etats séparés l’emporte, vous devrez y renoncer. Vous ne pourrez pas vous réinstaller à l’intérieur des frontières de 1967.
— Pas forcément. Il suffirait que j’épouse une juive de là-bas et que je lui fasse des enfants !”
Selim aurait voulu être pilote. Faute de mieux, il a étudié l’anglais, l’histoire et les sciences politiques. Mais ça ne l’empêche pas de planer et de continuer à rêver au retour dans sa terre promise.
Ce qui fait souffrir au quotidien ici, c’est l’humiliation. Sur les hauteurs dominant la ville, les colons israéliens tiennent jour et nuit en ligne de mire les soixante mille habitants. Aux entrées nord et sud de la ville, l’armée israélienne occupe d’impressionnants postes où prennent position les tireurs d’élite les jours de tension. Les autorités militaires délivrent à leur convenance les innombrables autorisations indispensables pour le moindre déplacement à l’intérieur de la Cisjordanie. Chaque jour se gaspille un temps infini pour contourner ces obstacles. L’énergie s’épuise et l’horizon rétrécit inexorablement. Beaucoup n’ont pas quitté la ville depuis trois ans. Autrefois, on allait à Amman en trois quarts d’heure, maintenant en deux jours. Il fallait compter une heure et demie de route jusqu’à Djénine ; en ce moment, c’est une expédition tout à fait incertaine.
Des histoires de checkpoint, tout le monde en a à raconter. La dernière ? Rami, un ingénieur en génie civil, est allé à Djénine avant-hier avec trois collaborateurs. Comme la ville est systématiquement sous couvre-feu, il a téléphoné tous les matins à 4 heures aux collègues de Djénine pour savoir si le bouclage était levé. Justement, mercredi matin, il a reçu le feu vert. Avec son équipe, ils ont pris la route à 7 heures, ont mis “seulement” trois heures pour arriver grâce à des cartes d’identité marquées du logo de l’US Aid, se sont hâtés le plus possible dans le travail afin de finir avant l’expiration de leur autorisation de circuler. A 18 heures, ils étaient de retour au poste de contrôle de Ramallah. Le soldat a regardé sa montre qui marquait 19 heures : “Votre permis est expiré. Le véhicule ne bouge plus. Vous me suivez tous au poste. – Mais pas du tout, il est 18 heures à l’heure palestinienne, nous avons encore une heure devant nous. – Qu’est-ce que vous me chantez ? 18 heures ! Donnez-moi immédiatement vos montres !” Le soldat confisque les montres des quatre passagers, les papiers, les clés et rapporte le tout dans la guérite. Un quart d’heure plus tard arrive un ouvrier palestinien qui revient de Jérusalem. “Quelle heure as-tu ?” lui demande le soldat. “Sept heures et quart, répond l’ouvrier en hébreu, mais en Palestine il est six heures et quart parce qu’on est passé à l’heure d’hiver samedi dernier et vous dimanche prochain.” Ces explications en hébreu finissent par convaincre le soldat.
Sur ce périple à Djénine, Rami a quelque chose à ajouter. Pour éviter les barrages, ils ont emprunté à l’aller une route secondaire tout à fait inhabituelle. Soudain, un des jeunes collaborateurs a dit “On est à cent mètres de chez ma mère. Je ne l’ai pas vue depuis des mois. Est-ce qu’on peut faire un crochet pour que je l’embrasse ?” A 8 heures, le jeune homme a frappé à la porte de l’immeuble où sa mère vit seule depuis que les enfants et les voisins sont partis. Absolument seule. La vieille dame effrayée a mis dix bonnes minutes avant de se convaincre que c’était bien son fils qui était là, en bas, à faire tout ce vacarme si tôt.
Ceux qui le peuvent s’arrangent pour éviter le moindre contact avec les soldats, ils se terrent chez eux et s’adonnent aux délices du téléphone et de l’Internet. Mais, parfois, les soldats viennent vous surprendre à domicile. Sally et Shami Elias ont eu droit à une visite-surprise en pleine nuit, mercredi dernier. Sally, une francophone d’origine tunisienne, me l’a racontée ainsi.
“Les soldats ont frappé chez nous avant-hier à onze heures et demie. D’habitude on se couche tard, mais justement ce soir-là j’étais fatiguée et mon mari aussi. Donc, pour une fois, on était déjà au lit. Moi je dors en pyjama, mais, lui, il ne met que le haut. Quand on a entendu les coups frappés fort à la porte, il a vite enfilé un pantalon pour ouvrir. Ils étaient six soldats. Contrôle d’identité de tout l’immeuble. Il y a trois appartements dans notre maison. Les soldats ont fait sortir mon mari et le voisin et puis ils ont frappé à la porte de l’appartement du dessus. Comme ça ne répondait pas, ils étaient sur le point de la défoncer. Mon mari leur a dit : «Attendez, je vais chercher la clé. L’appartement n’est pas occupé, les propriétaires vivent en Amérique. – Et pourquoi vous avez la clé, vous ? a demandé avec suspicion un soldat. – Mais justement, pour que vous ne défonciez pas la porte !»
Après ils ont retenu les hommes une partie de la nuit dans cet appartement vide, couvert d’une épaisse poussière partout.
C’était une simple opération de routine. L’armée établit une fiche sur chaque appartement du quartier en relevant le nom des habitants, les numéros des téléphones fixes et portables. Histoire de détecter le moindre mouvement de chacun.
Le pire, c’est qu’en partant l’officier a tendu la main. Shami, par réflexe, lui a serré la main. Il est tellement bon, incapable de refuser une main tendue. Tu te rends compte, ils veulent en plus être corrects !”
A propos de la délicatesse des soldats israéliens, Sally a une autre anecdote qui concerne son amie Jenny.
“Comme Jenny habite juste à côté de la Muqata’a, les soldats l’ont envahie au moins six fois en 2002. Chaque fois, ils ont tout saccagé. Sa mère était encore vivante, très âgée. La dernière fois, elle a eu un malaise grave. Alors le chef a dit à Jenny : «Si vous permettez, je vais lui faire une piqûre, je suis médecin.» Jenny a hurlé, mais alors vraiment hurlé : Ne touchez pas à ma mère ! je vous interdis de toucher un cheveu de ma mère !”
Pour finir cette première chronique, une liste d’instants.
Le moment le plus agréable : quand le chauffeur de taxi a refusé mes deux shekels en me déposant devant le checkpoint de Surda, quand Abeer, une étudiante en sciences a insisté pour payer les deux shekels de mon retour, quand le patron de la pâtisserie Tour Eiffel a refusé que je lui paie ses gâteaux, quand Naslim du café Internet a insisté pour m’offrir gratuitement le réglage de mon ordinateur, quand le boulanger m’a offert du pain… Impossible de faire la liste de tous les petits cadeaux que je reçois quotidiennement.
Le moment le plus éprouvant : quand je me suis trouvée au café Zyriab autour de minuit, témoin désolé d’une âpre discussion entre un géologue allemand et un cinéaste anglais. Venu réaliser un documentaire sur la question de l’eau en Palestine, Peter aimerait prouver que le colonisateur israélien a causé la désertification de la basse vallée du Jourdain. Malheureusement, lui expliquait Wilhem, la salinité des eaux ne date pas de 1948. Les noms de Liebknecht, de Kautsky et quelques autres émaillaient les propos de Wilhem. Mes yeux me piquaient de sommeil ; mon instinct me soufflait que je m’étais trompée d’adresse.
Le moment le plus embarrassant : “Nous sommes chrétiens orthodoxes et les autres ne nous aiment pas. Vous êtes chrétienne ? m’a demandé la logeuse. – Non, juive. – Ne le dites pas, dites que vous êtes chrétienne ou simplement française. – Mais les locataires précédents, Tom et Ada, sont juifs et ils n’ont jamais eu de problèmes ici ! ai-je insisté. – On ne sait jamais, a-t-elle conclu. Inutile de dire que tous les militants palestiniens consultés depuis sur ce point m’ont vivement conseillé de répondre avec franchise aux questions qui me sont posées franchement. Et qu’ils sont au contraire touchés par ma démarche qu’ils jugent d’autant plus “courageuse”.
Le moment le plus officiel : ma rencontre avec la célèbre journaliste israélienne Amira Hass. Elle m’a immédiatement conduite à bord de sa vieille Renault peinturlurée des grandes lettres TV à la cérémonie en l’honneur d’Edward Saïd, suivie d’un défilé aux chandelles dans la rue principale. Elle connaissait tout le monde, les rares journalistes, les officiels de l’Autorité palestinienne et les notables. Le sens des discours en arabe m’a absolument échappé jusqu’à ce qu’une jeune fille tout en rondeurs, assise à côté de moi, commence à me les traduire en anglais. Reem est en dernière année d’études de journalisme et médias à Bir Zeit et ne demande qu’à me revoir et à m’être utile.
Le moment à filmer : la traversée du checkpoint de Surda sur la route de Bir Zeit. Dans le lacet d’une route serpentant à travers des collines somptueuses, la route est bloquée en deux points par des cubes de béton séparés de quelque huit cents mètres. A chaque extrémité, une bonne cinquantaine de taxis jaunes individuels et collectifs pris dans une mêlée indescriptible. Entre les deux, des centaines de piétons circulant dans les deux sens, des fauteuils d’infirme pour ceux qui préfèrent être poussés et des carrioles à cheval pour ceux qui se font traîner ou pour les marchandises. La grande majorité des enseignants et des étudiants emprunte ce chemin deux fois par jour. “Avant je mettais huit à dix minutes pour aller à la fac en voiture. Maintenant c’est au minimum une heure. Hier, à cause des embouteillages du jeudi soir au checkpoint, j’ai mis deux heures pour rentrer, m’a raconté Malika, ma voisine du dessous. Note, ça a du bon, avant on n’avait jamais le temps de se parler.” Une étudiante confirme les bienfaits de cette marche à pied obligatoire : “Au moins on peut rencontrer les profs et tout le monde, pour une fois, est à égalité.”
Le moment à photographier : une partie de cartes digne de Pagnol, sur la terrasse d’un café à trois pas de la place dite “de l’Horloge” bien qu’il n’y ait plus d’horloge. Les mines joviales des joueurs ventrus et chauves, les ombres et les lumières sur la terrasse, la table ronde, les tasses de café, les cartons jetés sur la table, l’animation tranquille d’un début d’après-midi.
Le moment d’humour. L’histoire m’est racontée par Mamdhour Nowfal, un ancien cadre militaire de l’OLP qui sert occasionnellement de conseiller d’Arafat. Avec sa petite moustache grise, ses yeux plissés dans un éternel sourire et sa large carrure : le type du héros des comédies égyptiennes. Juste après le checkpoint, un chauffeur de taxi collectif hèle le dernier client afin de faire le plein en direction de Ramallah. “Dernier passager pour le paradis ! Pour le paradis, dernier passager ! – Tu es sûr que tu m’amènes au paradis ? – Où je t’emmène, c’est l’enfer. Mais t’inquiète pas, le paradis, c’est juste la porte à côté.”
                                               
Réseau

                                          
1. "Le courage de refuser" - Discour de Yonatan Shapira, officier pilote d’hélicoptère israélien, refuznik
Prononcé le lundi 26 avril 2004 lors de la Cérémonie de la flamme de la journée alternative d’indépendance
[traduit de l'angalis par Alison Carter et Marie-Ange Patrizio]
(Synthèse de la traduction anglaise du document d’origine : http://www.seruv.org.il/english/default.asp - NDT)
Mon amour et mon désir de protéger Israël et son peuple sont à l’origine de tout ce qui suit. Je m’appelle Yonatan Shapira et j’ai participé à l’Occupation depuis maintenant dix ans en tant qu’officier pilote d’hélicoptère dans l’Armée de Défense d’Israël.
Il m’a fallu beaucoup trop de temps, il me semble, pour me rendre compte que le grand attachement que j’éprouve pour l’aviation et la famille chaleureuse qu est l’Armée de l’Air Israélienne –qui m’a si bien gâté- m’empêche de comprendre la réalité qui m’entoure.
J’ai été aveuglé par un enseignement scolaire d’histoire très partial, par des paroles aseptisées, par les leçons sur la pureté des armes et la dignité humaine, par les chansons de paix et de deuil que j’aime tant. La foi obstinée de ceux qui sont au sommet et détiennent le pouvoir dans le pays tout en moralisant sur la paix, m’a aussi aveuglé. Il est bien vrai que je n’avais pas compris le fait pourtant simple que nous avons occupé [un territoire qui appartient à] des millions de personnes et que pendant près de 40 ans, c’est nous, la race maîtresse, qui les avons contrôlées.
Au fil des années, pendant les centaines de vols que j’ai effectués, j’ai pu voir l’évolution d’une terre d’apartheid, grise avec des points rouges .Les camps de réfugiés. Entassés, étranglés et surveillés par les bases militaires et, au milieu, des toitures rouges qui irradient la beauté : les colonies du peuple élu… Et bien que le mal et l’injustice fussent criants et soient toujours criants, ma propre prise de conscience a été longue et difficile. Et souvent il m’a fallu des moments de réflexion profonde et déterminée pour me débarrasser des doutes qui subsistaient.
Je dois pour cela remercier un homme, autrefois commandant, et qui sera bientôt chef d’état major, place réservée aux coupables.
Le soir de Yom Kippur, il y a sept mois, j’ai été convoqué par le commandant de l’armée de l’air parce que, comme mes amis et collègues de la Lettre des Pilotes, j’avais notifié mon refus de participer à des ordres illégaux et immoraux qui nous seraient donnés. Pendant la conversation que j’ai eue avec le Général Dan Halutz, j’ai demandé si un tir de missiles depuis un hélicoptère Apache sur une voiture contenant des hommes recherchés qui transitaient dans les rues de Tel Aviv serait autorisé, sachant que des passants innocents seraient blessés aussi.
En guise de réponse le Général m’a donné sa liste des valeurs relatives aux populations, depuis le juif qu’il voit comme supérieur, jusqu’au sang d’un arabe, qui est inférieur. C’est aussi simple que ça. Et quand la pourriture atteint le rang supérieur de l’échelle hiérarchique, on ne s’étonne plus de la trouver aussi en bas.
Si, à l’époque, on nous disait ‘les meilleurs choisissent l’aviation’, je dis qu’aujourd’hui les meilleurs seront jugés devant un tribunal parce qu’ils refusent d’agir au service de l’Occupation et qu’ils iront en prison au lieu de faire une année de service militaire.
Aux amis dans l’armée de l’air je dis : pendant des années nous avons enseigné à nos étudiants de l’école d’aviation comment analyser et penser par soi même. On leur disait que tel était l’avantage de nos soldats et que cette capacité d’analyse nous distinguait des autres armées.
Aujourd’hui je demande à Ilan, Tomer, Uri, Yoav, Assaf, Yair, Alon,
Eitan, Zviki, Sharon, Abner, Amit, Nir, Ehud, Raz…: réfléchissez à ce que vous direz à vos enfants dans 20 ans. Pas à ce que les gens vont dire de vous aujourd’hui. Ne tombez pas dans le déni de votre humanité, ne fermez pas votre cœur. Il faut utiliser la puissance gigantesque d’un tout petit mot : NON.
J’allume cette flamme et ce faisant je souhaite être solidaire avec la tragédie terrible des familles endeuillées, les mères endeuillées, ceux qui ont déjà perdu et ceux qui vont perdre leurs proches, tués en vain, sacrifiés au nom de la stupidité pour la valeur croissante attribuée à la nature sacrée de la terre, au mépris de la valeur du sang et de l’humanité.
                               
2. L’avenir n’est pas écrit… entretien avec Rony Brauman propos recueillis par Denis Sieffert
Extrait de : "Antisémitisme : L’intolérable chantage" aux éditions La Découverte (Paris - 2003)
[D. S.] : Le Premier ministre israélien s’est récemment résigné à utiliser un mot que ses plus fervents avocats, en France, refusent absolument de prononcer. C’est le mot « occupation ». Cela change beaucoup de choses dans le débat qui a lieu ici…
[R. B.] : Oui, Ariel Sharon s’est résolu à appeler par son nom ce qui, pour le reste du monde, est une évidence. Ce qui est piquant dans cette reconnaissance de l’occupation, c’est que ceux qui se définissent en France comme les avocats d’Israël, souvent d’ailleurs dans une optique de gauche républicaine, se trouvent doublés sur leur gauche par le général Sharon. Car, eux-mêmes, ces ténors communautaires, de Roger Cukierman à Alain Finkielkraut, en passant par Alexandre Adler et Jacques Tarnero, se refusent à employer ce terme qu’ils refoulent. Le mot « occupation » était pour eux chargé de connotations insupportables, donc à bannir du lexique de ce conflit. Ce n’était pas l’occupation, qui était un scandale à leurs yeux, mais l’emploi du mot ! Cependant, comme beaucoup de militaires, Sharon est amené, lui, à poser à un moment donné le cadre de la réalité. C’est peut-être l’avantage que les militaires ont parfois sur les civils, que cette obligation à considérer la « factualité des faits », pour reprendre une formule d’Hannah Arendt. Or la reconnaissance de cette factualité-là est embarrassante pour les défenseurs traditionnels d’Israël, parce qu’elle conduit naturellement à lever le soupçon d’antisémitisme, et d’arrière-pensées abjectes ou perverses, qui s’applique a priori à tous ceux qui critiquent la politique israélienne. D’un mot, Sharon a pulvérisé l’accusation lancinante, qui me laisse personnellement de marbre, mais qui en perturbe beaucoup, selon laquelle la critique de l’occupation israélienne ne serait en réalité rien d’autre que les habits neufs de l’antisémitisme. C’est important, car on voit tous les jours, quand on fréquente la presse – comme lecteur ou comme professionnel -, que cette intimidation produit ses effets. Tout ce qui traite du fond du conflit israélo-palestinien est une affaire sensible. La politique angolaise au Congo, la violence en Colombie, les affrontements entre pouvoir et opposition islamiste en Algérie sont traités de la façon dont ceux qui les traitent croient devoir le faire. Bien ou mal, c’est une autre question. Alors que, pour le conflit israélo-palestinien, tout un appareillage de litotes, de formules tortillées s’interpose entre le problème et les observateurs qui en rendent compte.
[D. S.] : On a l’impression que ce qui est refusé par les inconditionnels d’Israël, c’est le champ politique, au profit d’une lecture religieuse, culturelle ou psychologique. Beaucoup semblent accepter de se laisser entraîner sur ce terrain, celui de la nature des hommes, de la culture arabo-musulmane, de l’antisémitisme éternel…
[R. B.] : Les concepts politiques classiques ont en effet droit de cité tant qu’il s’agit de présenter Israël comme la seule démocratie de la région. Mais quand il s’agit de considérer les violences palestiniennes dans leurs rapports avec la colonisation, l’occupation, les exécutions extra-judiciaires, ces mêmes concepts politiques sont déclarés caducs. Il n’y a plus alors que du « double jeu » (celui d’Arafat), du « goût de la mort », du « mépris de la vie » (ceux des bombes humaines et de leurs soutiens) et autres qualifications infra-politiques. C’est d’ailleurs pourquoi la déclaration de Sharon, même si elle n’est pas suivie d’effets concrets immédiats, est d’une grande importance : elle officialise, en quelque sorte, un droit à la résistance que nul ne pourra désormais disqualifier. Soulignons également son importance pour la politique intérieure israélienne : pour la première fois, un lien direct de causalité a été établi entre la politique menée dans les territoires et la grave crise économique en Israël. Si curieux que cela paraisse vu de l’extérieur, l’une et l’autre étaient totalement dissociées.
Reste qu’on n’en a pas terminé avec la rhétorique de l’intimidation, comme l’atteste l’importance d’un argument qui n’est utilisé dans aucun autre conflit, ni aucune autre situation, celui du « droit moral » d’Israël à exister. Cette formule a récemment surgi dans le débat. Ceux qui critiquent la politique israélienne, et en tout premier lieu les Palestiniens, se voient sommés de reconnaître à Israël un « droit moral » à exister. Comme si quelque chose comme un « droit moral » pouvait exister ! Alors même que ce qui est refusé dans les faits, c’est le droit réel (et non pas moral) des Palestiniens à exister en tant que tels. On touche ici à quelque chose d’essentiel qui est le retournement permanent des liens de cause à effet. C’est l’ « acharnement » des voisins d’Israël à le détruire, alors même qu’Israël occupe ou a occupé des territoires dans tous les pays voisins. C’est l’ « acharnement » de tous ses voisins à lui déclarer la guerre, alors même qu’un ouvrage d’un historien israélien paru récemment avance l’hypothèse que toutes ces guerres ont été voulues par Israël [1]. C’est surtout la volonté palestinienne d’effacer Israël de la carte, quand Israël a déjà effacé plus des trois quarts de la Palestine historique.
Ce qui est étonnant, c’est que ce gadget du « droit moral », aussi dérisoire ou ridicule soit-il, ne soit pas accueilli par une demande de définition, mais comme un problème qu’il faut effectivement prendre en compte. Oui, il semblerait qu’Israël ait le droit d’exiger que lui soit reconnu un « droit moral » à exister, avant toute critique. A quoi ressemble un « droit moral », comment le reconnaît-on ? Mystère. N’est-ce pas au fond un argument de type soviétique, disqualifiant les critiques contre le Goulag comme réfutation du droit (moral) de l’Union soviétique à exister ? Il y a beaucoup en commun avec les méthodes staliniennes : ce ne sont jamais les arguments qui sont considérés, mais les intentions supposées de ceux qui les défendent. Le problème n’est pas l’occupation, l’apartheid, la colonisation, mais les arrière-pensées prêtées à ceux qui les critiquent.
[D. S.] : Avec la question du droit au retour des réfugiés, ce n’est plus le soupçon, mais la preuve de cette volonté de destruction qui est à l’ordre du jour…
[R. B.] : Cette question est effectivement brandie comme la preuve que, si les Palestiniens veulent bien deux Etats, ils les veulent tous les deux pour eux. Rappelons-nous que le droit au retour n’est pas tombé du ciel à Camp David en 2001, tel un coup de tonnerre dans un ciel serein, comme on le répète à l’envi. Il est à l’ordre du jour depuis le début des négociations d’Oslo. C’est Elias Sanbar qui était chargé de ce dossier. Rappelons-nous aussi que 80 % des Palestiniens sont des réfugiés et qu’aucun accord durable ne peut ignorer cette réalité historique, même s’il est aussi compréhensible que celle-ci inquiète fortement les Israéliens. Mais cette inquiétude peut trouver des réponses en Israël, comme le montre Amy Ayalon, ancien patron du Shin Beth, répondant à une question sur ce sujet : « Cessons de tant nous préoccuper de ce que dit l’adversaire, ou de ce qu’on lui fait faire. Que voulons-nous, nous-mêmes ? Nous refusons le retour des réfugiés. Mais nous ne pouvons refuser que si Israël reconnaît sans ambiguïté sa part dans la souffrance imposée aux Palestiniens et son obligation de participer à la solution du problème. Israël doit admettre le principe du droit au retour et l’OLP s’engager à ne pas remettre en cause le caractère juif de notre Etat [2]. » On le voit, cette question du droit au retour qui chauffe les esprits jusqu’à l’incandescence en France, et justifie toutes les outrances au nom d’un péril mortel, a une issue politique.
Reste que le poison du soupçon est instillé à tout propos dans le débat. Il a agi également dans l’affaire des accords de coopération de l’Union européenne avec Israël dénoncés par certaines universités. On a entendu les choses les plus inouïes. Nous étions soudain dans l’Allemagne des années 1930, selon Claude Lanzmann qui est pourtant bien placé pour savoir qu’il y a une différence notable avec la France d’aujourd’hui. Evidemment, ils perdent la raison. Mais l’invocation des temps sombres n’est pas dépourvue d’une certaine efficacité, du moins à court terme. Car, au lieu de se poser des questions sur nos responsabilités et nos capacités d’action politique, on accepte la question : pourquoi et jusqu’où la France est-elle à nouveau antisémite ? Dans cette affaire de « boycott » qui n’en était pas un, la question qui devait être posée est celle qui renvoie à l’article 2 des accords d’association Europe - Israël. Celui-ci prescrit que ces accords s’appliquent à des sociétés démocratiques. L’occupation et l’apartheid sont explicitement prévus. Or la Commission européenne vient de reconnaître ces accords d’association avec Israël, signifiant ainsi que son article 2 n’avait finalement pas grande importance. Mieux vaut alors supprimer ce genre de clause, plutôt que de le conserver pour n’en tenir aucun compte. Elle a été invoquée, à juste titre, pour d’autres pays, mais elle est ignorée avec Israël. Je trouve que l’Europe commet là une faute grave, affichant son mépris pour ses propres principes démocratiques. La démocratie apparaît comme un objet à géométrie variable. Il est tout de même difficile de considérer comme démocratique un pays qui soumet à un régime d’arbitraire administratif et militaire une population presque aussi grande quel a sienne. Je ne vois pas comment, depuis la France, on peut considérer que de telles pratiques relèvent de la démocratie.
[D. S.] : Mais il y a un autre piège dans cette rhétorique des inconditionnels d’Israël. Ils prétendent monopoliser la parole juive. Et, en retour, ils obligent un certain nombre de personnalités à se revendiquer de leur judéïté pour être audibles. C’est un peu comme s’ils décidaient de la définition que chacun donne de lui-même…
[R. B.] : C’est en effet une des réussites paradoxales, mais minées, de ce courant. Ils amené des gens pour qui être juif n’est pas un élément négligeable mais qui est loin d’être majeur de leur perception d’eux-mêmes, à prendre position en tant que juifs. C’est Roger Cukierman, président du CRIF qui, en apportant son « soutien inconditionnel » à Israël au nom des juifs de France, en a amené un certain nombre à se démarquer publiquement. C’est pour nous en effet une régression. Mais cette régression perçue par un petit groupe n’est que l’indicateur de la régression plus vaste sur un terrain ethnico-identitaire. Au fond, qu’est-ce qu’Israël aujourd’hui ? Un ghetto surarmé se réclamant d’une essence juive millénaire, et bientôt majoritairement millénariste, car le messianisme gagne à toute vitesse au sein de cette société. Je n’arrive pas à comprendre comment la politique de cet Etat, y compris la stratégie d’épuisement engagée à l’encontre des Palestiniens, peut trouver un écho si favorable dans les rangs de ceux qui se réclament d’une conception intransigeante de la République en France. Pour Roger Cukierman, vieux « likoudnik » qui s’était déclaré satisfait de la présence de Le Pen au second tour des présidentielles et a osé exhorter le gouvernement hébreux à adopter les méthodes de propagande de Goebbels pour faire passer leur message, passe encore. Mais pour les autres ténors communautaires qui défendent avec tant d’ardeur la République et la laïcité, j’ai beaucoup plus de mal…
[D. S.] : On voit cette invocation des principes de la République au nom des intérêts d’une partie de la communauté juive dans l’affaire du voile islamique…
[R. B.] : Il est frappant d’observer que les plus engagés en faveur de l’interdiction du voile à l’école sont aussi ceux qui ont accueilli avec bienveillance le brûlot raciste et islamophobe d’Oriana Fallaci [3]. Alain Finkielkraut et Pierre-André Taguieff ont fait preuve d’une grande indulgence pour ce livre abject – Bernard-Henry Lévy, lui, l’a condamné sévèrement -, considérant que c’était la forme qui était excessive. Quelques enrobages diplomatiques auraient été selon eux bienvenus, sans changer le fond. Il s’agit toujours de stigmatiser l’islam comme un ensemble menaçant, sur le mode « nous disons tout haut ce que tout le monde pense tout bas ». Vieux thème démagogique de l’extrême droite. Eh bien, ils repartent aujourd’hui sur la question du voile, faisant mine d’oublier que ce sont l’école et la République qui doivent être laïques, pas les élèves, comme l’a justement fait remarquer Gabriel Cohn-Bendit. C’est, selon moi, une erreur majeure de faire d’un problème qui pourrait se régler dans un temps déterminé un objet de cristallisation de passions identitaires.
[D. S.] : Il y a un autre argument que l’on retrouve souvent, c’est celui selon lequel toute critique du sionisme, ou toute revendication d’antisionisme seraient des manifestations déguisées de l’antisémitisme. Que répondez-vous à cela ?
[R. B.] : Le sionisme, c’était le mouvement datant de l’époque coloniale qui voulait donner aux juifs un Etat à eux. Dans un premier temps, cet Etat pouvait être n’importe où, en Argentine, ou en Ouganda. Puis, ce fut la Palestine au nom de la référence biblique. A partir de 1948, le sionisme n’a plus lieu d’être puisqu’il y a un Etat juif et que sa tâche est donc accomplie. A partir de ce moment, la question du sionisme est caduque, seule compte la nature de cet Etat. C’est là que les choses se compliquent car on est bien obligé de constater que le rêve sioniste a tourné au cauchemar. Israël est devenu le ghetto que les sionistes voulaient abolir. C’est même le seul endroit du monde où les juifs vivent en ghetto.
C’est aussi un pays qui a des relations détestables avec la majorité des Etats dans le monde, et qui n’a finalement de liens amicaux et confiants qu’avec un seul, celui qui s’impose au reste du monde par la force : les Etats-Unis. Piètre réussite. Il y avait un projet d’émancipation nationale en même temps qu’un ethos colonial. C’était l’originalité du sionisme des années 1940, un mélange singulier qu’il faut garder à l’esprit si l’on veut comprendre ce qui se passe. Le rêve aurait pu s’accomplir, peut-être, s’il n’y avait pas eu des Palestiniens en Palestine ! Mais il a échoué, comme l’atteste notamment la proportion croissante d’Israéliens vivant hors d’Israël ou qui recherchent cette possibilité.
Je ne sais évidemment pas comment ce conflit se terminera et je ne crois pas que l’administration américaine actuelle puisse parrainer un processus crédible de négociations, tant elle est détestée du côté palestinien. De plus, en dépit des déclarations de Sharon sur l’occupation, l’Etat palestinien dont il parle se profile sous la forme d’un « homeland » installé sur 10 à 15 % de la Palestine mandataire, encerclé par les forces israéliennes. Néanmoins, vu l’état d’épuisement dans lequel se trouve la population palestinienne, il n’est pas exclus que celle-ci se contente dans l’immédiat de toute solution qui pourrait alléger son sort en lui permettant simplement de respirer. Mais il n’est pas certain non plus qu’elle parvienne à échapper à la guerre civile dont rêvent les extrémistes israéliens.
Je suis effrayé par la logique suicidaire qui s’est développée des deux côtés. On la constate du côté palestinien, avec les attentat suicides et l’exaltation des martyrs, comme du côté israélien avec la poursuite obstinée de la colonisation, le retour en force du mythe de Massada [4] et l’évocation de Trumpeldor [5]. Dans les deux sociétés, d’ailleurs, parallèle à la haine de l’ « ennemi », la brutalisation gagne du terrain : maltraitance familiale, violence sociale, comportements clastiques s’y développent. Combien de temps faudra-t-il pour résorber ces sentiments noirs ? Nul n’en sait rien, mais une chose est certaine : la victoire militaire n’est qu’un trompe-l’œil politique.
Ma préférence va vers l’option dite « binationale », c’est-à-dire une citoyenneté égale pour tous les habitants de Palestine / Israël, car je ne vois pas comment un Etat peut être juif et démocratique. Comme le dit le député arabe israélien Azmi Bishara, « Israël est certes un Etat juif et démocratique : démocratique pour les juifs et juif pour les Arabes » ! La séparation de l’Etat et de la religion est un impératif de l’évolution démocratique, mais on n’en est pas là, visiblement. Par conséquent, le premier des droits à faire respecter est celui des Palestiniens à être libérés de la tutelle israélienne.
- NOTES :
[1] : Motti Golani, Milhamot lo Korot Mei’atzman (Wars Don’t Just Happen) [Les guerres n’arrivent pas comme ça…], Modan, NIS 76.
[2] : Ami Ayalon, Le Monde, décembre 2001, interview de Sylvain Cypel.
[3] : Oriana Fallaci, La Rage et l’orgueil, Plon, Paris, 2002.
[4] : Forteresse des bords de la mer Morte dont les défenseurs, des zélotes insoumis, se suicident collectivement, en 73, pour ne pas se rendre aux Romains.
[5] : Ancien officier juif de l’armée russe mort au cours d’une banale échauffourée avec des Bédouins à Tel-Haï, à la frontière libanaise. Après la gauche sioniste, le courant révisionniste (droit sioniste) a fait de Trumpeldor un héros légendaire.

                               
Revue de presse

                                                             
1. Encore à propos de l’initiative de Genève par Michel Warschawski
in News from Within (mensuel israélien) du mois de mai 2004
[traduit de l’anglais Michèle Sibony]

On pourrait se demander pourquoi un nouvel article sur l’initiative de Genève (IG). J’ai déjà exprimé avec mon ami Moshe Behar [Directeur de l’ Alternative Information Center à Jérusalem http://www.alternativenews.org/] mon analyse sur cette initiative, il y a quelques mois, avant même la signature du document. Du reste une de nos modestes prédictions s’est déjà confirmée : l’initiative de Genève n’a pas reçu de soutien populaire, ni côté israélien ni côté palestinien. Elle a été largement rejetée par la grande majorité de l’opinion palestinienne incluant des centaines de militants connus pour le sérieux de leur lutte en faveur d’une paix juste entre les deux peuples et pour un vrai dialogue entre militants israéliens et palestiniens fondé sur les principes du droit international et le respect mutuel.
Quant au public israélien, cette initiative de Genève a disparu de son ordre du jour politique après quelques jours…
Discuter de Genève n’a pas grand sens, ni auprès du public israélien ni du palestinien: des deux côtés les gens sont occupés par les problèmes du mur, des assassinats ciblés, des colonies, du sens et des implications sanglantes de l’assassinat du Cheikh Ahmed Yassine, et des menaces de mort proférées par Ariel Sharon à l’encontre de Yasser Arafat.
Nécessité d’un débat public sur l’initiative de Genève
Contrairement à ce qui se passe en Israël et dans les Territoires Palestiniens Occupés, des militants dans le monde (occidental) s’agitent beaucoup autour de l’IG, quelques uns pour des raisons suspectes, beaucoup d’autres parce qu’ils croient sincèrement que leur implication dans le processus de Genève peut aider à apporter la paix dans notre région.
Après avoir échoué à promouvoir des changements au sein de leurs opinions publiques respectives quelques uns des architectes de Genève se sont aujourd’hui focalisés sur l’arène internationale, et tentent de pousser la communauté internationale et les mouvements politiques et sociaux à endosser leur initiative (j’essaierai plus loin d’expliquer en quoi un tel objectif pourrait être dangereux pour les chances de paix en Israël/Palestine.)
Le but de ce texte est de clarifier pour les militants des mouvements sociaux internationaux mon point de vue sur plusieurs aspects de l’IG qui sont souvent occultés ou mal interprétés. En ce sens il s’agit d’une contribution à un débat international sur l’IG. Je pense qu’un tel débat est nécessaire avant d’essayer de recruter la gauche internationale et les mouvements sociaux dans un soutien inconditionnel à l’IG. Les militants politiques et du mouvement social ont le droit et le devoir de discuter, clarifier, exprimer des réserves avant que l’on exige d’eux de soutenir une initiative politique.
 Il faut avoir en mémoire les leçons de l’échec d’Oslo, lorsque nous avons été confrontés au choix de « soutenir ou rejeter en bloc» qui a paralysé notre sens critique au moment où nous pouvions encore influer sur un processus qui a progressivement dégénéré vers la catastrophe présente. Les personnes qui pensent que l’IG est un grand pas ou même celles qui (comme moi) pensent qu’il s’agit d’un petit pas en avant, sont précisément celles qui doivent exprimer leurs réserves et leurs remarques pour améliorer cette initiative et garantir qu’elle ne sera pas victime de ses propres faiblesses ou erreurs. C’est la raison pour laquelle les supporters de l’IG devraient être les premiers à exiger un tel débat de quiconque leur demande un soutien inconditionnel.
D’un point de vue israélien : un pas en avant
Sans entrer dans le contenu de ces accords et leurs sous-entendus on peut convenir que l’IG en tant que telle est un pas en avant,  du point de vue israélien.
Durant les quarante cinq derniers mois l’ensemble de la classe politique et intellectuelle a clamé à l’unisson que la répression dans les TPO était nécessaire et due au fait qu’il existait une volonté palestinienne collective de détruire Israël, qu’il n’y avait pas de partenaire pour un véritable compromis, etc.… Même ceux qui savaient parfaitement qu’il s’agissait là d’un énorme mensonge et d’une cynique campagne de propagande initiée par Ehud Barak en juin 2000, n’étaient pas prêts à affronter publiquement ce nouveau consensus qui, de fait, a détruit le courant principal et majoritaire du camp de la paix israélien.
L’IG est une brèche ouverte dans ce consensus national et une affirmation forte par des membres reconnus de la classe politique et intellectuelle que le refrain du « pas de partenaire et pas de solution politique » est une mystification. D’ailleurs son dessein principal, du moins selon les déclarations de ses porte-parole, est de libérer la majorité de l’opinion israélienne de ce mensonge. Qui voudrait s’opposer à un tel dessein ? Une question essentielle demeure cependant: Comment convaincre le public israélien de croire à nouveau en une perspective de paix ? Et une autre question : Quid de l’opinion publique palestinienne? Ne doit-elle pas elle aussi être gagnée à l’idée d’une perspective de paix, et de quelle manière?
Précisément parce que l’IG est une ouverture d’un point de vue israélien, et parce que de nombreuses questions restent posées pour remettre sur rails le train des négociations, il est crucial de mener un large débat public sur l’IG et de discuter ses points faibles. L’initiative elle-même est le fruit d’un débat (non public) et un certain nombre de dirigeants du parti travailliste israélien - dont Shimon Pères par exemple - ne l’avalisent pas.
A propos du texte de l’ «accord»
Sur la formule politique qui pourrait mettre fin à l’occupation et créer les conditions d’une trêve entre Israéliens et Palestiniens, le document de Genève constitue sans doute la meilleure proposition à ce jour, susceptible d’obtenir un large soutien dans les deux populations. En tant que document prétendant mettre fin au conflit et préparer le chemin de la réconciliation il est totalement insatisfaisant et marque même un recul par rapport aux paramètres de Clinton acceptés à Taba en 2001. Il n’est donc pas accidentel que par exemple, les articles concernant la question des réfugiés aient été présentés par les signataires palestiniens à leur propre opinion publique comme la première reconnaissance israélienne du droit au retour, dans le même temps que les signataires israéliens expliquaient à leur opinion publique que pour la première fois les Palestiniens avaient accepté de renoncer au droit du retour. Et l’on peut dire la même chose à propos des articles sur le caractère juif de l’Etat d’ Israël. L’ambiguïté constructive est peut-être utile dans les contrats d’affaire, certainement pas dans un document visant à réconcilier deux peuples. Le test qui validerait un document capable de réussir à établir véritablement la paix entre Israéliens et Palestiniens serait sa capacité à être présenté aux deux populations sans commentaire additionnel adapté à chacune d’elle.
Si l’on veut gagner l’opinion palestinienne à une solution de Genève concrète - et non à la formule abstraite d’une paix virtuelle- une toute autre approche doit être développée sur la question des réfugiés : tout Palestinien impliqué dans le processus le sait parfaitement et la suggestion de Clinton de séparer une reconnaissance par Israël du droit au retour – point sur lequel aucune direction palestinienne ne pourrait transiger – d’un processus négocié sur le retour véritable des réfugiés, pourrait être un point de départ pour un accord sur cette question.
De même pour la définition d’Israël par les Palestiniens comme Etat Juif, qui ne relève d’aucune logique : il appartient aux Israéliens uniquement de décider de la nature de leur Etat, juif ou démocratique, capitaliste ou socialiste, république ou dictature. Qu’arriverait-il si la majorité des israéliens se choisissait un Etat démocratique et non celui de tous les juifs du monde? Devrait-elle en être empêchée parce qu’il existe un accord signé avec les Palestiniens ?! Dans un accord de paix chaque côté reconnaît avant tout l’existence de l’autre. La « nature » de l’autre est affaire d’autodétermination.
 Si l’on veut gagner l’opinion palestinienne à la solution de Genève, elle doit être largement discutée et amendée. Mais l’opinion publique palestinienne est-elle pour l’IG un objectif d’importance égale à l’opinion publique israélienne? Rien n’est moins sûr.
Les sous-entendus de Genève
On y trouve comme pendant tout le processus d’Oslo un immense manque de symétrie entre Israéliens et Palestiniens : les premiers déterminent les lignes rouges, et pour les Palestiniens c’est à prendre ou à laisser. Il est tout à fait crucial de convaincre l’opinion publique israélienne qu’il existe une perspective de paix, après qu’Ehud Barak les a convaincus que du côté palestinien il n’y a pas de véritable intention de compromis. Mais la mentalité coloniale israélienne a de la peine à comprendre qu’il existe aussi une opinion publique palestinienne, qu’elle aussi a perdu confiance dans la volonté israélienne d’accepter un compromis honnête. Huit années de « négociations » qui ressemblaient plutôt à des diktats israéliens, servant de couverture à un mouvement de colonisation sans précédent, accompagnées d’un bouclage qui a constitué l’une des plus sévères agressions contre la vie des Palestiniens depuis le début de l’occupation, ont produit un immense scepticisme palestinien quant à la bonne foi des Israéliens lorsqu’ils parlent de paix.
Il semble toutefois que pour la plupart des Israéliens artisans de  l’initiative de Genève il n’existe pas d’ « opinion publique palestinienne », tout au plus un troupeau de chèvres aisément dirigeable ou manipulable par une direction forte. S’ils avaient pris au sérieux cette opinion publique palestinienne ils auraient immédiatement compris que pour commencer à influer sur elle, une prise de position israélienne claire contre les assassinats ciblés, contre la poursuite de la colonisation, ainsi qu’une action forte et concrète contre le mur, au côté de leurs partenaires palestiniens, devait figurer dans l’IG, au côté du projet de paix. N’est –ce pas évident?
Le peuple palestinien vit quotidiennement une guerre totale de destruction visant à entraîner sa capitulation : pour qu’il puisse croire en la bonne foi de ceux qui promettent une paix virtuelle dans l’avenir, n’a-t-il pas besoin de voir clairement leur forte opposition aux crimes réels de la guerre réelle perpétrée par le gouvernement israélien, l’armée israélienne, avec le soutien d’une grande majorité du public israélien ?
Les ambassadeurs de Genève :
Le manque de symétrie (pour ne pas dire plus) dans l’IG apparaît clairement dans la manière dont la campagne de soutien est menée à travers le monde. Des « Ambassadeurs de Genève » ont été nommés en Europe: si je ne me trompe ce sont tous des Juifs Sionistes qui ont systématiquement refusé de critiquer la politique de Sharon dans les territoires occupés et ont concentré toutes leurs attaques sur les Palestiniens ; parmi ces ambassadeurs, pas un seul arabe.
Les « amis de la paix maintenant » monopolisent la campagne publique, rendant impossible avec leur ligne politique, l’intégration d’une quelconque organisation arabe locale ou palestinienne dans cette campagne, ils maintiennent cette campagne dans le cadre étroit d’une connexion israélo internationale, parfois avec un représentant palestinien de Genève, choisi par eux, selon leurs propres critères de qui mérite de représenter le côté palestinien.
Comme je l’ai dit précédemment un débat public est nécessaire autour de l’IG. Cependant il doit être conduit dans un esprit d’égalité, de réciprocité et de respect mutuel, et non dans un esprit colonialiste, paternaliste ou pire encore manipulateur.
Les militants du mouvement social dans le monde doivent prendre leur place dans ce nécessaire débat public autour de l’IG, et user de leur influence et du respect gagné par leurs combats pour garantir que le colonialisme et le paternalisme cèdent la place à un vrai dialogue fondé sur l’égalité.
Ce faisant, non seulement ils renforceront les meilleurs éléments parmi les artisans de l’initiative de Genève, qui luttent contre ceux qui refusent de tirer les leçons du fiasco d’Oslo, mais aideront à améliorer cette initiative, de telle sorte qu’elle puisse créer une nouvelle dynamique de confiance entre les peuples palestinien et israélien, une confiance qu’il s’agit encore de construire.
                                   
2. Le gouvernement d’Ariel Sharon "en guerre" contre ses citoyens ? par Valérie Féron
in L'Humanité du samedi 8 mai 2004

Malgré les déclarations politiques optimistes sur une reprise de la croissance, le pays s’enfonce dans une crise sociale d’une ampleur inédite.
Tel-Aviv (Israël), correspondance particulière - Les coupes budgétaires ont visé tous les secteurs, dans une société israélienne minée par l’effort de guerre permanent d’Ariel Sharon : des allocations familiales au système des retraites. Les réformes de ce dernier ont constitué " le plus gros coup porté à la société " souligne Shlomo Swirsky, coauteur du rapport 2003 d’un centre d’information sur l’égalité et la justice sociale en Israël (ADVA). Et de dénoncer la baisse progressive des pensions dont le taux risque de descendre, d’ici 2020, à 11 % seulement du salaire moyen alors qu’il était évalué, en 2002, à 16 % : " On a déstabilisé un système qui n’était déjà pas très bon, déclare-il. Mais ce n’est pas un sujet qui fait la une des journaux ici. Et comme ses effets ne sont pas visibles à court terme, les hommes politiques en place ne s’aventurent pas sur ce terrain. De plus, les principaux partis de droite comme de gauche sont en faveur du libéralisme. "
Cette situation est le résultat d’un choix politique gouvernemental délibéré poursuit Shlomo Swirsky : " La récession, qui a débuté avec l’Intifada fin 2000, a coïncidé avec la mise en place de cette politique à l’idéologie clairement néolibérale. " Alors que d’autres choix étaient possibles, estime l’analyste. Conséquence directe : les plus aisées continuent de se maintenir ou de s’enrichir alors que les plus démunis ne cessent de s’appauvrir. Le seul secteur qui semble observer une reprise est celui de la high-tech : " Mais si vous prenez le bâtiment, l’agriculture et bien sûr le tourisme, c’est catastrophique ! " insiste Swirsky.
La situation actuelle ne fait que renforcer les traditionnels clivages dans la société israélienne : les Ashkénazes restent en haut de la pyramide, avec un salaire moyen en 2001 deux fois supérieur à celui des Palestiniens d’Israël, tout en bas de l’échelle sociale de même que les " Éthiopiens " et une partie de la communauté russe, les Juifs orientaux se maintenant juste au-dessus.
Cette politique d’un gouvernement " en guerre contre ses citoyens " ne fait pas autant de vagues dans l’opinion que les conséquences des coupes budgétaires pourraient le laisser penser : " C’est toujours la même méthode : vous parlez retraite et on vous répond lutte contre le terrorisme ! " s’exclame Shlomo Swirski. Les grèves se succèdent cependant depuis des mois, notamment dans l’éducation. Les professeurs du secondaire protestent actuellement contre " l’accentuation des coupes " avec en perspective le probable licenciement de 2 000 enseignants à la fin du mois.
                       
3. Des propalestiniens attisent la campagne européenne - Dieudonné candidat sur une liste Euro-Palestine en Ile-de-France par Christophe Ayad
in Libération du jeudi 6 mai 2004
Un symptôme de plus de l'importation du conflit israélo-palestinien en France ? Aux élections européennes, une liste défendra les couleurs de... la Palestine. L'affiche de campagne rappelle les couleurs du drapeau palestinien ­ vert, blanc, rouge et noir ­ et les symboles abondent : l'ombre d'une colombe, un rameau d'olivier en ombre chinoise, et des étoiles jaunes qui symbolisent, bien sûr, les Vingt-Cinq... Le discours est clair : anti-Sharon et propalestinien.
Controverses. Pour Christophe Oberlin, qui dirige la liste Euro-Palestine en Ile-de-France (deux autres listes pourraient concourir dans le Nord-Ouest et le Sud-Est), «60 % des Européens estiment que la politique du gouvernement israélien constitue la plus grave menace pour la paix dans le monde», un chiffre pioché dans une étude très controversée commandée par la Commission européenne. «La paix en Palestine nous concerne.» Mais le discours n'est pas toujours pacifique. A plusieurs reprises, lors de la conférence de presse d'hier, les adversaires de la cause palestinienne en ont pris pour leur grade : pêle-mêle, le Betar et la Ligue de défense juive (deux groupes sionistes extrémistes), Claude Lanzmann, Alain Finkielkraut, Roger Cukierman (président du Crif), le cinéaste Elie Chouraqui, Patrick Gaubert (président de la Licra et tête de liste UMP en Ile-de-France), Harlem Désir (tête de liste PS en Ile-de-France), Malek Boutih...
La campagne promet d'être chaude, d'autant que des membres d'Euro-Palestine comme Olivia Zemor dénoncent les menaces dont ils sont l'objet. Et les organisateurs de réfuter d'avance le «chantage à l'antisémitisme» exercé par leurs adversaires. «C'est l'Etat d'Israël tel qu'il fonctionne depuis 1967 qui est le vecteur d'un nouvel antisémitisme», lâche l'historien Maurice Rajsfus, pour qui «ce qui est relaté comme de l'antisémitisme n'est que la réaction de jeunes rejetés de toutes parts, sans espoir et sans avenir, et qui se posent en vengeurs des Palestiniens réprimés». Malaise.
Les organisateurs, peu habitués aux prudences du langage politique, savent qu'ils ont besoin d'une tête d'affiche. Ils se sont tournés vers Dieudonné, l'humoriste dont les sorties sur Bush et Ben Laden, et surtout un sketch douteux diffusé chez Fogiel, ont alimenté la polémique. Lui se dit «ravi» de figurer sur cette liste «aux côtés d'enfants de déportés». Il est en deuxième position derrière Christophe Oberlin, chirurgien de 52 ans aux Hôpitaux de Paris, qui a découvert la question palestinienne depuis décembre 2001 à travers la quinzaine de missions qu'il a effectuées à Gaza. Sa seule expérience en politique a été un mandat de conseiller municipal PS dans le XIXe arrondissement de Paris, de 1995 à 2001.
La composition de la liste a donné lieu à un savant panachage. Les candidats insistent sur leur rejet du communautarisme, mais prennent soin de préciser leurs origines : descendants de déportés, chrétiens affichés, enfants de républicains espagnols, musulmans pratiquants ou «beurettes» émancipées...
Concert. Les réseaux France-Palestine ont fait, depuis le début de l'Intifada, la preuve de leur capacité à mobiliser via l'Internet et le bouche à oreille : dernier exemple en date, un concert en faveur d'une «paix juste au Proche-Orient» a regroupé quelque 15 000 personnes à la porte de Versailles. Reste à savoir si ce mouvement de sympathie à l'égard des Palestiniens se traduira en bulletins le jour du scrutin. «Nous espérons mobiliser des gens qui n'avaient pas l'intention de voter», avance Oberlin.
En 1994 déjà, une liste avait concouru sur un enjeu de politique étrangère. Baptisée Sarajevo, lancée par BHL, elle avait recueilli 1,57 % des voix. Oberlin récuse la comparaison avec véhémence. Sans doute parce que celle-là venait «d'en haut», quand France-Palestine est issue «d'en bas». Probablement aussi à cause du parrainage de BHL, peu suspect de ferventes sympathies propalestiniennes.
                           
4. La nature des régimes d'Arabie saoudite et du Pakistan inquiète - La bombe islamique, danger potentiel pour Israël par Isabelle Lasserre
in Le Figaro du vendredi 5 mai 2004
La bombe nucléaire pakistanaise est-elle islamique ? Pas encore, mais elle pourrait le devenir. «La bombe pakistanaise est avant tout une bombe nationale, qui a permis la neutralisation du conflit primal du Pakistan, celui qui l'oppose à l'Inde. La bombe nucléaire a joué son rôle de dissuasion. Elle a gelé le conflit», explique Olivier Roy, chercheur de l'IHESS, à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS).
Créé pour soustraire les musulmans de la région du poids et de la pression de l'Inde, le Pakistan ne s'est jamais voulu un État islamiste, ni même islamique. Et si sa nucléarisation, considérée comme une question de survie face à l'Inde, a été présentée à l'étranger avec un habillage islamique, c'est davantage, affirment les spécialistes, afin de valoriser le projet pakistanais aux yeux du monde musulman que par idéologie.
Certains groupes radicaux revendiquent cependant, à l'encontre du président Pervez Musharraf, une légitimité islamique à la bombe nucléaire. C'est le cas d'Abdul Qadeer Khan, le père de la bombe atomique pakistanaise. A l'origine du plus grand scandale de prolifération nucléaire de tous les temps, Khan affirme avoir agi par appât du gain, mais aussi pour des raisons «tiers-mondistes» et idéologiques, parce que la bombe pakistanaise, a-t-il un jour affirmé, n'appartient pas qu'au Pakistan.
C'est aussi le cas de l'influent Ahmid Gul, ancien patron de l'ISS, les services de renseignements pakistanais, qui a canalisé l'aide militaire aux moudjahidins en Afghanistan, laissé s'y installer al-Qaida et évoqué la création d'un axe nucléaire Pakistan-Arabie saoudite. Sans compter les groupes islamistes très actifs dans les zones tribales frontalières de l'Afghanistan, qui considèrent que la bombe pakistanaise doit être une bombe islamique. Alors, que se passera-t-il si le régime actuel s'effondre et que les islamistes s'emparent du pouvoir ? Le Pakistan a récemment revu à la hausse son positionnement stratégique. Les progrès balistiques, l'acquisition de missiles Shaheen vont donner à Islamabad la possibilité d'atteindre Israël, faisant ainsi potentiellement de la bombe pakistanaise une bombe islamique. La question, selon les spécialistes, est aujourd'hui de savoir si le Pakistan a besoin ou non d'élargir son assise au sein du monde islamique. Elle ramène, selon Olivier Roy, à l'ambiguïté initiale du Pakistan. «Ce pays est-il un concept ou une puissance régionale ? Le problème est le même avec l'Arabie saoudite. Ces deux pays sont des États neufs, très idéologisés, où le débat sur la nature de l'État-nation est toujours ouvert. La question du nucléaire doit être départagée entre les intérêts stratégiques de l'État et les régimes.»
Le problème est très différent en Turquie et en Iran, où les intérêts stratégiques ne varient guère d'un régime à l'autre. «En Iran, poursuit le spécialiste, la bombe nucléaire ne serait pas islamique. Car l'Iran se soucie davantage de maintenir une parité avec d'autres États du Sud, dont le Pakistan, qu'avec Israël».
                       
5. Israël tire profit des actions américaines, c’est le moins qu’on puisse dire… Mais les ennuis risquent de ne pas tarder à commencer… par Yossi Alpher
in Daily Star (quotidien libannais) du mercredi 5 mai 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Yossi Alpher, ancien directeur du Centre Jaffee d’Etudes Stratégiques de l’Université de Tel Aviv, ancien conseiller de l’ancien Premier ministre israélien Ehud Barak, est le co-rédacteur en chef du site web  « Citrons amers » http://www.bitterlemons.org, d’où cette tribune a été reprise.)
Si nous tirons le bilan des événements survenus ces dernières années en Irak – ce pays représentant un champ d’opération essentiel pour la stratégie des Etats-Unis post-onze septembre – il semble évident que, pour Israël, le bilan est positif. Mais cela risque fort de ne pas durer encore très longtemps.
Certes, l’occupation américaine de l’Irak n’a pas amené le fortement claironné « effet domino » positif, censé amener la paix et la démocratie dans la région. Mais d’une manière globale, et jusqu’à ce jour, pour Israël, les actions de l’Amérique dans la région, depuis deux ans et demi, ont été « tout bénef ». Elles ont éliminé tout vestige d’une menace militaire arabe coordonnée contre lui, elles ont inauguré la décroissance de la menace des armes de destruction massive (celles de la Libye, celles de l’Iran, espère-t-on, et le danger de prolifération nucléaire au Pakistan), et ont gagné à Israël un puissant allié dans sa lutte contre les mouvements islamistes radicaux.
Après les attentats du onze septembre 2001, Israël a rejoint le club des « braves garçons », tandis que le président palestinien Yasser Arafat allait se perdre lui-même parmi les « méchants », en compagnie de l’ex-président irakien Saddam Hussein. Même les aspects les plus horribles de la guerre américaine contre le terrorisme – les destructions et les victimes déplorées en Irak, le spectacle repoussant des geôles de Guantanamo, les révélations récentes de tortures de prisonniers irakiens par des nervis américains et britanniques… – ont été bénéfiques pour Israël, en démontrant à ses détracteurs, en Occident, que sa manière de traiter les Palestiniens, en temps de guerre, aussi problématique soit-elle, est probablement plus humaine que la « sale guerre » de certains autres pays civilisés si bien connus qu’il est inutile de les nommer.
A l’échelle stratégique générale, les offensives américaines en Afghanistan et en Irak, ainsi que contre Al-Qaida, sont fondées sur une notion quasi providentielle, pour Israël, à savoir que la véritable dynamique autour de laquelle la politique américaine devrait être axée est non pas le conflit israélo-arabe ou israélo-palestinien (comme on voudra), mais bien le besoin de contrer le terrorisme islamique, les armes de destruction massive et les Etats voyous, qui représentent autant de menaces directes pour la sécurité américaine.
Ceux qui disent aujourd’hui que « l’Irak est une nouvelle Palestine » ; que, dans les deux conflits, des combattants arabes de la liberté luttent contre des impérialistes et des colonialistes, affirment, en réalité, qu’il n’y a pas de solution au Moyen-Orient, pas de démocratie, pas de droits de l’homme, pas de prospérité, pas de stabilité, sans qu’ait été trouvée une solution au problème palestinien. C’est exactement ce que des pays arabes modérés, comme l’Egypte et la Jordanie, avaient signifié à l’administration Bush, avant l’invasion de l’Irak.
Aujourd’hui, il est clair que le président George W. Bush s’est contenté de marmonner quelques paroles pour se débarrasser du problème sans répondre à leur appel. Il a adopté la « feuille de route », avant de lancer sa guerre en Irak, à seule fin d’aider politiquement le Premier ministre britannique Tony Blair, et il a fait un tiède effort afin de la « lancer », peu après l’occupation totale de l’Irak. Mais le cœur de l’administration américaine n’y était pas. Elle a jugé, à juste titre, dans une certaine mesure, que les Etats arabes modérés concernés par la Palestine n’étaient rien que des « tigres de papier », dans le contexte irakien. Ce qui désormais importait à Washington, c’était installer un régime stable et amical à Bagdad, et remporter, dans la foulée, les élections présidentielles de novembre 2004…
D’ailleurs, le noble objectif que représentait la démocratisation du Moyen-Orient s’est avéré, au cours de l’année écoulée, n’être rien d’autre qu’une politique de « changement de régime » hyper banale et totalement démodée. Posez donc la question à Arafat, dont Washington et Jérusalem exigent mordicus la mise à l’écart parce qu’il soutient le terrorisme, quand bien même il a été élu plus démocratiquement qu’aucun autre leader au Moyen-Orient…
Mieux : Bush a dit au Premier ministre israélien Ariel Sharon, il y a moins d’un an de cela, que les préoccupations des Etats-Unis, tant en matière d’élections que de gestion de l’Irak, exigeaient qu’il n’y ait pas de processus de paix israélo-palestinien merdique du tout. Bush s’est mis dans l’embarras en soutenant le projet problématique de désengagement de Gaza, prôné par Sharon, mais à condition que cela ne se produise pas avant la fin 2004 (tiens donc : bizarre, non ?) et que les préparatifs de ce plan apportent à Washington quelques dividendes de « paix », en échange d’un investissement minimal de sa part . Et voilà que – patatras ! – dimanche dernier, même ce marché a été remis en question par le vote négatif au referendum organisé par le Likoud sur ce plan de retrait de Gaza, …
Bien qu’Israël jouisse d’un statut stratégique amélioré, tous les développements liés à l’ère post-onze septembre ne sont pas bons pour ses intérêts à long terme. Pour Israël, un processus de paix israélo-palestinien vigoureux, sponsorisé par les Etats-Unis, serait préférable – et de loin – à l’indifférence de l’administration Bush. Dans l’attente, même si l’Irak n’est pas la Palestine, le placage commence à s’user, laissant apparaître la réalité de la stratégie américaine globale dans la région, et ça, c’est vraiment mauvais pour Israël ! De fait, plus les Américains s’enferrent dans une violente guerre de tranchées en Irak, et possiblement aussi en Afghanistan, plus ils perdent en dissuasion, plus ils échouent dans leur tentatives de stabiliser un seul pays où Washington a investi près de 150 000 hommes et des centaines de milliards de dollars, non seulement les Etats-Unis, mais aussi Israël, doivent s’attendre au pire.
Si les Etats-Unis choisissent maintenant de lever les flûtes et de se tirer d’Irak afin d’adopter des expédients politiques plus traditionnels au Moyen-Orient, Israël devra en payer le prix. Rétrospectivement, la ligne rouge a sans doute été franchie lorsque Washington a avalisé, avec enthousiasme qui plus est, les déclaration d’un envoyé spécial de l’ONU en Irak, l’Algérien Lakhdar Brahimi, pour qui Israël est, comme il l’a déclaré publiquement en France, « le poison mortel » du Moyen-Orient. Déclarations auxquelles fit suite le projet ahurissant de promouvoir, comme négociateur de compromis à Fallujah, un homme choisi parmi les généraux irakiens les plus fidèles à Saddam Hussein…
                           
6. L’occupation de l’Irak en échec. Chiites et sunnites unis par le nationalisme par Juan Cole
in Le Monde diplomatique du mois de mai 2004
(Juan Cole est professeur d’histoire moderne du Proche-Orient à l’université du Michigan, auteur, notamment, de Sacred Space and Holy War. The Politics, Culture and History of Shiite Islam, I.B. Tauris, Londres, 2002.)
Il y a un an, le nationalisme irakien et le panarabisme étaient considérés comme morts. Le Baas portait une grande responsabilité dans ce discrédit. Le parti au pouvoir avait vanté partout un nationalisme à la fois « local » et « régional » : il glorifiait le rôle civilisateur de l’Irak à travers l’histoire, revendiquant l’héritage de Hammourabi et de Nabuchodonosor. Bagdad voulait se substituer au Caire comme principal défenseur des intérêts du monde arabe. Mais le caractère odieux du pouvoir de M. Saddam Hussein avait incité de nombreux Irakiens à se détourner de ce nationalisme de propagande.
Symboles de ce panarabisme, les Palestiniens réfugiés en Irak faisaient l’objet de la méfiance populaire. Les médias panarabes, notamment Al-Jazira, étaient accusés d’avoir été trop compréhensifs à l’égard de la dictature. Et les politiciens reprochaient à la Ligue arabe, dominée par des pouvoirs sunnites, de s’être inquiétée officiellement de la montée en puissance des chiites et des Kurdes en Irak. Chez les chiites, le radicalisme religieux semblait plus redevable à l’ayatollah iranien Khomeiny qu’à tel ou tel penseur irakien. D’ailleurs, le principal dirigeant spirituel chiite, le grand ayatollah Ali Sistani, est lui-même iranien. Quant aux Arabes sunnites, ils s’ouvraient aux mouvements intégristes d’origine jordanienne.
La renaissance du salafisme, partisan d’un retour aux sources de l’islam, s’est développée à la faveur du commerce routier avec la Jordanie. La version littéraliste de l’islam politique sunnite qui se propage dans les petites villes de la Jordanie, comme Maan et Zarqa (dont est originaire le célèbre terroriste Abou Musab al-Zarwqawi), se répand aussi à l’ouest de l’Irak, et notamment à Fallouja, ville-étape. Vers la fin de son règne, le Baas, qui se réclamait à ses origines de la laïcité, avait levé certaines restrictions qui pesaient sur les mouvements religieux, perçus comme alliés potentiels contre les Etats-Unis.
Cependant, au printemps 2004, les soulèvements à Fallouja, place forte des sunnites, et dans tout le Sud chiite, montrent comment l’occupation fait ressurgir un nationalisme transcendant les divisions confessionnelles. Après l’assassinat, le 22 mars, du cheikh Ahmed Yassine, un groupe d’habitants de Fallouja prend son nom et tue quatre agents de sécurité, ancien nageurs de combat américains passés dans le privé, dont les cadavres seront profanés. Les marines répliquent en investissant la ville, en déclarant l’état de siège et en faisant donner l’artillerie, ce qui entraîne de nombreuses pertes civiles. Transmises par les télévisions Al-Jazira et Al-Arabiya, les images très dures du siège suscitent l’indignation à travers l’Irak et le monde musulman.
En même temps, la « coalition » décide de s’en prendre à un dirigeant chiite radical de trente ans, M. Moqtada Al-Sadr, dont le journal Al-Hawzah a attisé les sentiments anti-américains, notamment après l’assassinat du cheikh Yassine. Les autorités ferment le journal le 28 mars, puis délivrent 28 mandats d’arrêt contre ses collaborateurs. Persuadé qu’il va être arrêté, il déclenche l’insurrection à Koufa, Nadjaf, Bagdad, Nassiriya, Kout et Bassora, où ses fidèles ont formé des milices.
Comme en 1920, face aux Britanniques
S’il aspire à une république islamique à l’iranienne, M. Al-Sadr invoque aussi le patriotisme irakien. Il se plaint amèrement de l’hégémonie iranienne sur le chiisme de son pays. Sa position contredit les prétentions du Guide suprême de l’Iran, l’ayatollah Ali Khamenei, qui se veut l’autorité suprême, juridique et spirituelle, des chiites du monde entier. Son mouvement a été fondé par son père, Sadiq Al-Sadr, assassiné par le Baath en 1999 pour avoir organisé, dans les taudis où ce parti pénétrait difficilement, la prière du vendredi que le tyran avait interdite aux chiites.
Ses prêches attaquaient Israël et les Etats-Unis, et incitaient les tribus chiites des campagnes à abandonner la coutume tribale et à opter pour la tradition scripturale chiite. Son mouvement était puritain et théocratique. Il avait pour but la création en Irak d’une république islamique de type khomeiniste. Il en vint à disputer le leadership spirituel des chiites d’Irak au grand ayatollah Ali Sistani, qui s’était montré très discret sous la dictature pour tenir le clergé à l’écart des affaires de l’Etat.
Malgré les oppositions entre sunnites salafistes et chiites sadristes, une solidarité faite de nationalisme irakien et de panislamisme est apparue entre les deux communautés face à la « coalition ». Ainsi une vieille rivalité opposait le quartier chiite de Bagdad, Kazimiyah, à son voisin sunnite, A’zamiyah, plus prospère. Or, ils parvinrent à mettre leur inimitié entre parenthèses pour organiser un convoi humanitaire de soixante camions, parti pour Fallouja le 8 avril et accompagné d’une foule brandissant des portraits du cheikh Yassine et de M. Moqtada Al-Sadr. Les marines durent en laisser passer quelques-uns.
Composé de sunnites rigoristes et dirigé par M. Abdoul Salam Al-Kubaisi, le Conseil du clergé musulman a tiré quelque prestige des négociations qu’il a parrainées entre les assiégés de Fallouja et les Etats-Unis. Il a également publié un communiqué le 17 avril, soutenant M. Moqtada Al-Sadr et appelant les Irakien à « expulser les occupants ».
En dépit d’une perméabilité aux courants religieux et politiques provenant des pays voisins, le peuple irakien s’est forgé une identité nationale forte. Pour les composantes confessionnelles du pays, l’identité religieuse ne passe pas avant l’appartenance à la nation.
Les partis politiques chiites comme Al-Daawa furent persécutés par le président Saddam Hussein, et beaucoup de leurs adhérents ont dû se réfugier en Iran ou au Royaume-Uni. Au cours des années 1980 – 1990, la section de Londres d’Al-Daawa s’est scindée en deux : d’un côté les nationalistes soucieux de maintenir l’indépendance du parti, de l’autre les cléricaux voulant le subordonner à l’ayatollah Khomeiny. Dans l’ensemble, les nationalistes l’ont emporté.
Dans les années 1990, Al-Daawa contribuera aux efforts de M. Ahmad Chalabi pour forger une alliance entre les partis irakiens en exil. Mais il rompra avec le Congrès national irakien sur la question de la semi-autonomie des Kurdes. Al-Daawa reste en effet attaché à l’idée d’un Etat central fort regroupant sunnites, chiites et Kurdes. Son dirigeant, M. Ibrahim Jaafari, a joué un rôle important, début avril 2004, quand il se rendit à Téhéran pour susciter une médiation du gouvernement Khatami entre M. Moqtada Al-Sadr et les Etats-Unis. Sa tentative a échoué, mais M. Jaafari y a gagné en prestige.
Dès le 18 avril 2003, quelques jours à peine après la fin de la dictature, le quotidien Al-Hayat, basé à Londres, a publié un entretien avec M. Mohammad Rida Sistani, le fils du grand ayatollah. Ce dernier déclare que son père « rejette toute puissance étrangère qui voudrait régner sur l’Irak » et en appelle à l’unité de tous les musulmans – sunnites et chiites. Il a condamné, rappelle-t-il, les attaques chiites contre des mosquées sunnites comme des péchés, et effectué des dons pour leur reconstruction. Pour l’ayatollah, « l’Irak appartient aux Irakiens. C’est à eux de gouverner l’Irak et ils n’ont pas à le faire sous l’égide d’une puissance étrangère ». Au début du vingtième siècle, conclut-il, les clercs allaient à la bataille aux côtés de leurs enfants pour résister à l’occupation britannique – allusion à la rébellion de 1920, premier soulèvement national de l’histoire de l’Irak moderne conduit par des notables et des clercs chiites.
Si le souci de stabilité de l’ayatollah l’amènera à modérer ses propos, il n’en continuera pas moins de se plaindre de l’occupation et à rechercher l’unité nationale. En février 2004, un visiteur décrit ainsi sa position : « Il pense que les différends entre chiites et sunnites sont beaucoup moins importants que le danger qui menace à présent la nation irakienne… Le plus important en ce moment est l’unité.  « Diviser le peuple est un acte de trahison [dit-il]. Mes hommages à toutes vos tribus et au clergé sunnite et dites-leur que Sistani leur baise les mains et les implore de s’unir avec tous les autres Irakiens, les chiites, les Kurdes, les chrétiens, les Turkmènes. Unissez-vous et comptez sur moi pour tenir tête aux Américains… » »
Tout dirigeant chiite qu’il est, M. Sistani rencontre aussi des responsables kurdes et sunnites, estimant qu’il œuvre ainsi dans l’intérêt de la nation. Il est peu intervenu dans les affaires politiques, mais, chaque fois qu’il s’est opposé aux Etats-Unis, c’est lui qui l’a emporté : il a obtenu que la Constitution définitive ne soit rédigée que par des élus du suffrage universel, et que le gouvernement légitime de l’Irak soit aussi issu d’une élection, ce qui a fait dérailler le projet américain d’un scrutin sous tutelle au printemps 2004.
Paradoxalement, l’émulation qui oppose les différents groupes peut constituer aussi une sorte de ciment politique. Kirkouk, ville pétrolière du Nord, est en ébullition permanente. Sa population d’un peu moins d’un million se compose à parts égales de Kurdes, de Turkmènes et d’Arabes. Traditionnellement, les Turkmènes – chiites et sunnites – formaient la majorité. Les Kurdes sont venus, attirés par les emplois que créait le pétrole. La dictature en expulsera un grand nombre, qu’elle remplacera par des Arabes, y compris des chiites.
Lorsqu’en août 2003 une lutte éclate entre Turkmènes chiites et Kurdes sunnites pour le contrôle d’un lieu saint près de Kirkouk, les chiites arabes de Nadjaf envoient des émissaires pour soutenir les chiites turkmènes. M. Moqtada Al-Sadr « condamne toute tentative d’isoler le Nord du reste du pays » et se plaint de la purification ethnique en cours – les Kurdes affluent dans la ville pour réclamer leurs maisons aux Arabes qui les occupent. M. Al-Sadr étend ainsi son influence sur la scène nationale.
Les tensions ethniques vont de nouveau s’aggraver à Kirkouk en décembre-janvier 2003-2004 autour du projet d’incorporer la ville à un canton kurde. En réponse, M. Al-Sadr fait défiler 2 000 combattants de sa milice, l’armée du Mahdi, pour soutenir les 300 000 résidents turkmènes en grève. Cette entente a quelque peu surpris.
Le nationalisme ne se forge pas seulement à partir de l’unité de la nation, mais aussi à travers les conflits en son sein, les luttes et les compromis, qui font le jeu des partis religieux. Un sunnite radical comme cheikh Yassine (déjà « martyr » pour ses adeptes) et un chiite radical comme M. Moqtada Al-Sadr (qui pourrait connaître le même destin) sont tous deux, pour nombre d’Irakiens, des symboles de la résistance à l’occupation de terres arabes par des troupes étrangères.
Washington voyait dans sa présence en Irak un exercice de « nation building ». La grande ironie est que ce projet risque de réussir en se cristallisant autour de l’objectif d’expulsion des Etats-Unis. Depuis ce jour du dix-neuvième siècle où le sultan ottoman Abdulhamid II et le réformateur Sayyid Jamal Al-Din Al-Afghani ont lancé le projet panislamique, à savoir l’alliance entre sunnites et chiites contre l’impérialisme européen, celle-ci a toujours échoué. Il semble bien que l’hyper-puissance des Etats-Unis soit en train de la faire passer du rêve à la réalité.
                                   
7. Des balles israéliennes font exploser les rêves d'une petite fille
Dépêche de l'agence de presse palestinienne WAFA du mercredi 3 mai 2004
[traduit de l'anglais par Silvia Cattori]

GAZA - "Avril, c'est le plus cruel des mois". Des mots que les mères palestiniennes ne disent plus, parce que les forces d'occupation israélienne (IOF) ont rendu tous les mois aussi cruels que le mois d'avril. Mais ces mots sont maintenant une réalité dans la vie d'une mère, celle d'une petite fille palestinienne de onze ans, Mona Abu Tabaq, assassinée par les soldats israéliens à Beit Lahya, au nord de Gaza.
Dans l'après-midi du 22 avril, après trois jours d'une campagne israélienne de tuerie et de destruction à Beit Lahya, des médias ont diffusé la nouvelle selon laquelle les soldats israéliens s'étaient retirés de la ville. Cela a incité les parents de Mona à permettre à la petite fille de sortir de la maison pour aller s' acheter des friandises.
Hami Abu Tabaq, 42 ans, le père de Mona, était en train de faire des travaux dans sa maison nouvellement louée, près de Izbit Beit Hanoun, attenante à Beit Lahya, quand Mona lui a demandé quelques pièces pour s'acheter ses gâteaux favoris.
Toute à sa gourmandise, Mona est allée à l'épicerie. Il y avait des arbres à ricin et des morceaux de métal rouillé au bord de la route poussiéreuse.
Au moment où Mona a quitté la maison, un tir nourri des forces israéliennes a troué le silence de ce quartier calme.
Quelques minutes plus tard, le frère aîné de Mona, Hazem, 18 ans, le visage rouge et éperdu a hurlé "Maman. Papa. Ils ont tué Mona ! Ils ont tué Mona !"
Un tank israélien dissimulé derrière une colline avait tiré à feu nourri sur Mona. Elle a été touchée à l'abdomen et elle est morte dans la salle d'opération .
Un témoin oculaire, Hussam Al-Tloli, 18 ans, a dit à WAFA qu'il avait vu Mona au moment où elle venait de la direction opposée et que l'écho des tirs isaéliens a rempli l'endroit dans ce quartier proche d'al-Nada.
"Mona et moi étions les seules personnes à l'angle du bâtiment numéro 8" dit al-Tloli," tout était calme et serein, elle bavardait avec une fille sur un balcon quand un tank israélien a ouvert le feu sur nous ; en courant nous avons fui les tirs. J'ai regardé la petite fille ; elle me regardait en se tâtant le côté droit de la poitrine. Je n'ai pas compris qu'elle était blessée.
"Je n'oublierai jamais ses yeux suppliants ; ils hurlaient à l'aide. Sa tête, son corps effondrés, et ses yeux qui se fermaient lentement. J'ai essayé de la transporter mais ma main a glissé sur sa poitrine. J'ai été stupéfait de voir son pull. marine déchiqueté et trempé de sang. Je me suis mis à crier, à demander de l'aide quand une ambulance est arrivée.
Un courageux auxiliaire médical est arrivé, avec précaution, au milieu des tirs, il a emporté la fillette" a ajouté al-Tloli.
Il a dit à WAFA "Quelques minutes plus tard l'écho des balles remplissait l'endroit, mon fils Hazem était si terrifié, que son visage est devenu livide, et il a dit :: Maman, ils ont tué Mona, ils ont tué Mona" et il s'est écroulé en larmes.
A l'hôpital la mère et le père ont attendu à la porte de la salle d'opération. Les médecins ont d'abord demandé au père d'entrer et peu après, ils ont fait entrer la mère. Shifa a été saisie de voir son mari en larmes pendants que les amis et les voisins venaient le consoler. Elle a vite compris que sa délicieuse petite fille était "partie avec le vent". La maman s'est appuyée contre un mur, ses genoux se sont dérobés et lentement, elle est tombée. Ses proches l'ont emportée.
Mona aimait peindre. Elle a toujours rêvé d'être avocate; Tous les matins sa mère coiffait ses cheveux en chignon et Mona protestait. Elle adorait porter son pantalon avec des papillons de couleur sur les jambes.
"Maman, fait mon chignon plus haut et mets les épingles et les rubans pour qu'ils se voient mieux, s'il te plait.
Est-ce que tu as repassé mon pantalon aux papillons ?" deux phrases que Mona répétait chaque matin avant de partir pour l'école, se souvient sa maman.
Ses parents empêchaient Mona d'aller à l'école parce qu'ils avaient peur des tirs israéliens. Mais elle voulait mettre son pantalon favori, celui qui a des papillons de couleur.
"Ils l'ont tuée et ils ont tout tuée. Elle ne peindra plus jamais. Les papillons et ses rêves ont été enterrés avec elle" a dit la mère de Mona , son visage désespéré ruisselant de larmes.
Son père, Hamdi, était bouleversé en exprimant sa "terrible perte" et en rappelant son innocence.
"Je faisais des travaux dans la maison quand Hazem a fait irruption en hurlant que Mona était blessée. Je me suis précipité à l'hôpital" dit-il "
Je suis resté pendant trois heures près de la porte de la salle d'opération, et ça a été des moments douloureux, et ça m'a paru durer trois siècles. J'ai tout perdu, son sourire innocent me manque, son rire, elle imitait son professeur, sa manière de parler, sa langue, ses mouvements et ses gestes, elle était adorable et drôle" dit Hamdi des larmes plein les yeux.
La soeur aînée de Mona, Nivin, 16 ans, n'oubliera jamais le baiser que Mona lui a donné avant de partir.
"C'était son dernier baiser, elle s'est arrêtée à la porte et m'a regardée, elle est revenue pour m'embrasser, avec un curieux regard et elle m'a dit au revoir, c'était aussi son dernier au revoir" dit Nivin,
"en général elle m'embrassait mais cette fois sont baiser m'a surprises. Elle courait à la porte quand je l'ai regardée avec surprise. Je n'oublierai jamais son dernier baiser et son dernier regard d'adieu. Elle ne reviendra jamais" dit Nivin, des larmes ruisselant sur ses joues.
Le propriétaire de l'épicerie, Ibrahim Rasheed 19 ans, dit qu'il n'y a pas eu de confrontation entre les Palestiniens et les soldats israéliens dans les moments qui ont précédé la mort de Mona.
"Quand la petite fille est arrivée à l'épicerie il n'y avait pas de tirs. Quelques minutes après qu'elle soit partie, j'ai entendu un feu nourri. J'ai été terrorisé et je me suis assis tétanisé sur ma chaise ; quelques minutes après j'ai jeté un coup d'oeil dehors pour voir un homme qui transportait Mona dans une ambulance" dit Rasheed.
"Quand elle est arrivée à l'épicerie, elle était tellement contente !
j'étais au téléphone avec quelqu'un,
Mona avait l'habitude de dire : "Il suffit que j'arrive pour que tu sois au téléphone. Avec qui parles-tu ?"
Je parle avec ma grand-mère, j'avais l'habitude de lui répondre et elle riait, prenait un paquet de chips et deux sucettes" dit Rasheed. Maman, c'est le dernier mot que Mon a crié.
"Maman, où est maman ? Est-ce que je vais mourir ? Maman va être si fâchée contre moi.. Qu'est-ce que je vais faire ? Où est Maman ? Maman.Maman." a répété Mona pendant qu'elle était dans l'ambulance selon le sauveteur bénévole, Mohammed Nassar, 18 ans.
"Le conducteur s'était garé près de Mona, quand nous avons essayé de descendre le tank a ouvert le feu sur nous, l'ambulance a été touchée, bien que nous ayons cherché à l'esquiver et nous avons évacué la fillette, mais malheureusement elle est morte" dit Nassar.
Mohammed al-Sultan, chirurgien à l'hôpital Kamal O"dwan à Beit Lahya; a dit que Mona est arrivée à l'hôpital dans un état critique. Son gros intestin avait explosé au côté droit de l'abdomen et elle avait une grave hémorragie interne provoquée par une balle qui avait transpercé sa poitrine.
"Un tir horizontal a pénétré le côté gauche de sa poitrine; le pancréas a été complètement endommagé" a dit al-Sultan "la rate et le canal du foie étaient aussi touchés".
Selon le Ministre palestinien de la Santé, 16 citoyens palestiniens y compris Mona, ont été assassinés et plus d'une centaine blessés par l'IOF au cours des trois jours d'invasion qui ont commencé le 20 avril à Beit Lahya.
Mona n'est pas le premier enfant palestinien tué par les soldats israéliens.
572 citoyens palestiniens de moins de 18 ans ont été assassinés par la machine de guerre israélienne à Gaza et en Cisjordanie depuis le 28 septembre 2000, date du début de l'intifada al-Aqsa, selon le Centre Palestinien National d'information .   
[Source : http://english.wafa.ps/  - Traduction pour ISM-France : http://www.ism-france.org]
                           
8. Nabil Shaath : "La nouvelle position de Washington détruit le processus de paix" propos recueillis par Randa Achmawi
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 21 avril 2004
Ministre des Affaires étrangères palestinien, Nabil Shaath évoque les conséquences de l'assassinat du chef du Hamas, Abdel-Aziz Al-Rantissi, et du récent changement de la position des Etats-Unis sur la question palestinienne.  
— Al-Ahram Hebdo : Comment réagissez-vous à l’assassinat par Israël du chef du Hamas, Abdel-Aziz Al-Rantissi ? Comment va-t-il affecter la situation dans les territoires palestiniens ?
— Nabil Shaath : Comme tout le peuple palestinien, je ressens une très grande tristesse et suis en même temps très en colère à cause de ce crime. Mais je veux aussi dire que ce crime n’affectera pas notre détermination, notre résistance et notre persévérance à poursuivre notre objectif, face à ceux qui s’attaquent à notre peuple, à ses dirigeants et à ses droits inaliénables. Et ceci en utilisant les moyens les plus vils : ceux de l’élimination physique des cadres et symboles des Palestiniens. Il est vrai qu’à l’ombre de cette colère qui se répand parmi le peuple palestinien, la situation peut paraître désespérante, mais je dois dire que ceci ne fera qu'engendrer une force, une puissance encore plus importante chez chacun des Palestiniens. Et ne fera que renforcer leur détermination à poursuivre la lutte contre la force occupante. Cet assassinat ne fera qu'approfondir les sentiments de colère et attisera la guerre dans cette région.
— Que pensez-vous du dernier revirement des Etats-Unis qui acceptent désormais l’existence des colonies israéliennes dans les territoires palestiniens, la modification des frontières de juin 1967 et nient le droit au retour des réfugiés palestiniens dans les frontières de 1948 ?
— La dernière prise de position de Washington est extrêmement grave et nie tous les principes qui régissent les relations internationales. Les Etats-Unis n'ont pas le droit de décider des questions concernant les intérêts d’un autre peuple se trouvant sous occupation. Les Etats-Unis n’ont aucun droit de changer les principes fondateurs du processus de paix, en faveur du pouvoir d’occupation, dans les questions qui doivent être discutées et décidées dans la phase finale des négociations. Lorsqu’ils parlent de changement des frontières de 1967, des colonies, de Jérusalem et de la question des réfugiés, ceci veut dire qu’ils n’ont laissé rien à discuter dans les négociations de paix. Ceci veut dire qu’ils veulent nous imposer un nombre de décisions comme étant des faits accomplis, ce qui est inacceptable. Que les Etats-Unis approuvent Israël, dès maintenant, sur les questions du statut final, y compris la barrière de sécurité, est totalement inacceptable. Par cette nouvelle position, Washington détruit complètement le processus de paix.
— Pourquoi les Etats-Unis ont-ils opéré ce changement inattendu ?
— L’Administration Bush est, sans aucun doute, en train de vivre une grande illusion : celle que le plan d'Ariel Sharon pour un retrait de la bande de Gaza est une initiative « grandiose » et mérite toutes sortes de sacrifices pour qu’il soit mis en place. Ceci d’autant plus que les Américains ne payent rien de leur poche. C'est le peuple palestinien qui paye le prix : ils sacrifient nos droits à nous. Les Etats-Unis sont en train de faire des concessions sur nos droits à nous. Et je me demande comment ceci peut-il bien se passer ? La réalité, c’est qu’ils sont en train de voler les droits des Palestiniens.
— Les Etats-Unis ont même promis à l’Etat hébreu une aide financière supplémentaire pour mettre en place ce plan qui priverait les Palestiniens de leurs droits ...
— Je ne veux pas parler des prêts ou de l’aide financière que les Etats-Unis accorderont à Israël pour mettre en application leur plan unilatéral. Ce que je veux dire, c’est que les Etats-Unis ne peuvent pas faire de concessions sur ce qui appartient au peuple palestinien. Ils ne peuvent pas faire de dons à Israël avec nos droits, nos terres, notre droit au retour des réfugiés. Je pense que le président George W. Bush imagine que ceci va l’aider pour être réélu. Mais je n’ai vu aucun pays accorder son soutien à cette position. Le communiqué émis par l’Union européenne était très positif et la position russe est, elle aussi, très bonne. Je ne vois personne, que ce soit aux Nations-Unies ou parmi les membres du Quartette (les Etats-Unis, l'Union européenne, la Russie et les Nations-Unies) accepter les propos dangereux tenus par Bush et Sharon à Washington.
— Que peuvent faire les Palestiniens pour faire face à cette nouvelle situation ?
— Nous sommes en train d'établir des contacts et d'agir au sein du Quartette, notamment l’Europe et la Russie. En plus, nous espérons une position arabe plus forte dans la période à venir. Mais les positions russe, européennes et celle des Nations-Unies nous soutiennent et rejettent toutes les déclarations et communiqués émis conjointement par Israël et les Etats-Unis.
— Qu’en est-il du voyage que vous devez effectuer à Washington ? Que pensez-vous dire aux responsables américains ?
— J’ai reporté ce voyage pour protester contre les derniers événements.
— Le président Bush a lié, lors de son sommet avec Sharon, l'établissement d'un Etat palestinien à la lutte de l'Autorité palestinienne contre le « terrorisme » du Hamas et du Djihad islamique. Cette demande ne risque-t-elle pas de déclencher des querelles interpalestinennes ?
— C’est absolument dégoûtant comme demande. C’est comme demander à un peuple qui vit sous occupation militaire de ne pas résister contre celle-ci. En plus de cela, les Etats-Unis accordent à la force occupante quelques nouvelles concessions tirées sur les droits du peuple occupé. C’est totalement dégoûtant et on ne peut pas accepter cela. Tout cela n’a comme objectif que d’alléger la condamnation qui pèse sur Israël à cause de son occupation de la terre du peuple palestinien et son terrorisme d’Etat. Et puis, ils viennent jeter la responsabilité sur le dos des victimes, c’est-à-dire le peuple occupé. Autrement dit, transférer l’accusation du criminel pour l’imposer à celui qui à subi le crime.
— Quelles sont les dernières évolutions du dialogue interpalestinien ?
— Le dialogue est très bon et positif. On discutait dernièrement des modes d'administration de la bande de Gaza après le retrait prévu d'Israël. Mais sur cela, il faut souligner que le retrait unilatéral annoncé par Israël ne représente en fait que davantage de souffrance pour le peuple de Gaza.
— Y a-t-il eu des divergences entre l'Autorité palestinienne et les différentes factions, notamment le Hamas et le Djihad islamique, sur un arrêt des opérations militaires anti-israéliennes ?
— Il n’y a pas eu de divergences. On ne leur a pas demandé des choses qu’ils ont refusées. Tout ce qu’on demande à ce stade, c’est un cessez-le-feu réciproque entre Israël et les Palestiniens. Et ils étaient d’accord sur un cessez-le-feu de ce genre. Ce qu'ils ont refusé, c’est un cessez-le-feu uniquement du côté palestinien. Nous discutons également de leur participation au gouvernement, mais jusqu’à présent, on n’est pas encore entré dans les détails. 
                               
9. Biddu : protestation contre le mur par Tanya Reinhart
in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du mardi 20 avril 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Biddu est un joli village palestinien, entouré de vignobles et de vergers, à quelques kilomètres à l’est de la frontière de 1967 (la « ligne verte », ndt). Ces derniers mois, ce village, qui n’avait jamais cessé de vivre en paix – même depuis le déclenchement de l’Intifada – est devenu un énième symbole de l’histoire du conflit israélo-palestinien.
Pour son malheur, ce village comprend des terres qui, comme d’autres terres appartenant à de petits hameaux palestiniens voisins, jouxtent le « corridor de Jérusalem » : une succession de quartiers israéliens, au nord de Jérusalem. Le contrôle par Israël de cette région lui garantirait une continuité territoriale « exempte de Palestiniens », depuis ce corridor jusqu’à la colonie de Givat Zeev, profondément implantée à l’intérieur de la Cisjordanie occupée (près de Ramallah). Dans le cadre du projet d’annexions massives auquel rêvent Sharon et l’armée israélienne, il s’agit vraiment là du genre de terres « auxquelles on ne saurait renoncer ». C’est pourquoi Israël a décider d’emprisonner les villageois derrière un mur et de s’emparer de leurs terres. A Biddu, et aux villages avoisinants, il ne reste plus qu’une seule chose à faire : s’asseoir tranquillement et regarder les vergers d’arbres fruitiers qu’ils ont soignés de génération en génération se transformer en terrains vagues, qui ne tarderont pas à devenir des chantiers immobiliers du corridor de Jérusalem.
Mais, loin de se soumettre, le village de Biddu et les villages voisins se sont groupés pour défendre leurs terres. Suivant le nouveau mode de résistance populaire qui s’est développé tout au long du trajet du mur en
Cisjordanie, tout le village – hommes, femmes et enfants – vont faire barrage de leur corps pour défendre leurs terres, devant les bulldozers israéliens. Le principe de base, dans cette forme de lutte, c’est la non-violence. Le recours aux armes est totalement interdit et les efforts des villageois pour dissuader les jeunes de jeter des pierres sont visibles. Un deuxième principe de cette résistance, c’est qu’il s’agit d’un combat conjoint réunissant des Palestiniens et des Israéliens – des personnes appartenant à deux peuples dont le sort et l’avenir sont indissociables. Comme dans d’autres endroits, sur le tracé du mur, les habitants de Biddu ont invité les Israéliens à venir se joindre à eux. « Faites entendre la voix de la raison, la voix de la logique. Qu’elle couvre le bruit des balles et le bruit de l’oppression… » ont-ils écrit dans une lettre ouverte à l’intention des colonies et des quartiers israéliens qui les entourent.
Et, de fait, des Israéliens ont répondu à leur appel – depuis des jeunes militants opposés à la construction du mur, jusqu’à des habitants du quartier Mevaseret Tzion, situé dans le Corridor de Jérusalem. Trente de ces habitants ont également signé une pétition envoyée par les habitants des villages concernés à la Cour suprême d’Israël, en protestation contre la confiscation de leurs terres. Mais aux yeux de l’armée, ce nouveau mode de protestation, avec des Palestiniens et des Israéliens manifestant ensemble, représente ce qu’il y a de plus dangereux. A Biddu, l’armée a d’ores et déjà positionné des snipers sur les toits, tiré à balles réelles et tué cinq Palestiniens. Il y a des blessés, par dizaines. En raison de la couverture des médias et des protestations, le recours aux balles réelles a diminué. Mais ce n’est absolument pas le cas, en ce qui concerne la violence. Le 17 avril, le Rabbin Arik Asherman a été arrêté, à Biddu, tandis qu’il tentait de protéger un enfant palestinien qu’on avait ligoté au capot d’une jeep militaire.
Face à la violence de l’armée, les femmes de Biddu ont appelé à une manifestation silencieuse, avec peu de participantes (des femmes, uniquement), le dimanche 25 avril. Près de trente Israéliennes ont répondu à leur appel – des femmes d’âges divers et d’un très large éventail de catégories professionnelles. A Biddu, nous avons rencontré des femmes palestiniennes, ainsi que des militantes d’associations internationales actives dans les territoires occupés. Un défilé silencieux se mit en marche – nous étions un peu moins de cent femmes et nous avions des pancartes. Pas un homme en vue, ni le moindre enfant, qui aurait risqué de jeter des pierres. Nous étions l’incarnation de l’absence totale de danger. Mais pas pour l’armée ! « Nous n’autoriserons pas cette manifestation ! », annonça une voix en uniforme. Immédiatement, les gaz lacrymogènes et les grenades incapacitantes se mirent à pleuvoir. Tétanisée, j’ai assisté à une scène hallucinante. Dans un brouillard de fumées et de gaz lacrymogène, quelques femmes étaient encore là, debout, levant silencieusement leurs pancartes devant les soldats. Mais soudain, des guerriers à cheval surgirent de ce brouillard et chargèrent ces femmes portant leurs pancartes. J’avais déjà vu la police montée, mais cette fois ne ressemblait pas aux précédentes. Il était clair comme de l’eau de roche que leurs matraques étaient faites pour briser des membres. Molly Malekar, directrice de l’association Bat-Shalom, termina sa protestation pacifique contre la violence de l’armée l’épaule fracturée, et un coup sérieux sur la tête.
L’armée bloque toute protestation. Il n’est même plus permis de porter des pancartes, en silence. Et cela ne vaut pas que pour les Palestiniens. Du point de vue de l’armée, nous aussi, les Israéliens, nous n’avons plus qu’une seule possibilité : nous asseoir, et contempler le désastre de notre pays en train de perdre son visage humain. Mais étant donné qu’Israël est toujours, officiellement, une démocratie, il n’est pas admissible que l’armée soit l’institution qui fixe les limites de la liberté de manifestation. Il faut créer une commission d’enquête indépendante sur la violence de l’armée à Biddu, et traîner les responsables devant un tribunal. (traduction de l’hébreu en anglais par Netta Van Vliet)
                               
10. Apocalypse, Please ! par George Monbiot
int The Guardian (quotidien britannique) du mardi 20 avril 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(George Monbiot est l’auteur de l’ouvrage The Age of Consent : a manifesto for a new world order (L’ère de l’Acceptation : Manifeste pour un nouvel ordre mondial), publié récemment en livre de poche.)
La politique moyen-orientale des Etats-Unis est commandée par une forme de folie particulièrement rare. Il est plus que temps de nous en préoccuper sérieusement.
Pour comprendre ce qui se passe au Moyen-Orient, il faut comprendre, au préalable, ce qui se passe au Texas. Et pour comprendre ce qui se passe au Texas, il faut au préalable lire les résolutions adoptées par le parti Républicain, le mois passé. Voyons, par exemple, les décisions adoptées dans le Comté d’Harris, qui recouvre la plus grande partie de l’agglomération de Houston…
Les délégués ont commencé par se mettre en appétit en passant en revue un certain nombre de questions ne faisant pas problème (pour eux…) : « l’homosexualité est contraire aux vérités décidées par Dieu ; tout système permettant d’enregistrer, de traiter des informations relatives à – ou de surveiller la – possession d’armes à feu doit être interdit ; l’impôt sur le revenu, les droits de succession, les taxes sur les plus-values financières et les impôts professionnels doivent être abolis ; les candidats à l’immigration doivent être dissuadés par un barrage électrifié à la frontière (du Mexique) ». Une fois d’attaque, ils sont passé au vrai problème : ce qui se passe dans un petit pays, à 7 000 miles de là. C’est alors que, d’après un participant, « les cris et presque les gnons » ont commencé et que des noms d’oiseaux ont été échangés.
Je ne sais pas ce que disait la motion initiale, mais apparemment, on a, par la suite, « mis beaucoup d’eau dans son vin », en raison de l’empoignade verbale. La motion que les Républicains ont fini par adopter disait en effet « simplement » qu’Israël avait un droit imprescriptible à Jérusalem et à la Cisjordanie, qu’il fallait faire pression sur les pays arabes jusqu’à ce qu’ils absorbent les réfugiés de Palestine et qu’Israël avait le droit de faire absolument tout ce qu’il voulait, dès lors qu’il s’agissait d’éliminer le terrorisme. Ah : ça fait plaisir de voir que les extrémistes n’ont pas eu, finalement, le dernier mot !
Mais pourquoi tout cela serait-il tellement important pour la population d’un Etat dont le moins qu’on puisse en dire, c’est qu’il n’est pas vraiment fasciné par la politique étrangère ? Bien que l’Explication devienne pour nous, lentement, un peu plus claire chaque jour, nous avons encore quelque difficulté à la prendre au sérieux (mais nous avons quelque excuse…)
Aux Etats-Unis, des millions de personnes ont été victimes d’une illusion extraordinaire. Au dix-neuvième siècle, deux prêcheurs immigrés ont mis côte à côte un ensemble de passages de la Bible, sans aucun rapport les uns avec les autres, créant ce qui a l’apparence d’un récit cohérent : Jésus reviendrait sur terre, quand certaines conditions aurient été réunies. La première de ces conditions étant la création d’un Etat d’Israël, la seconde étant l’occupation, par cet « Israël », du reste de ses « territoires bibliques » (la plus grande partie du Moyen-Orient), et la reconstruction du Troisième Temple, sur l’emplacement occupé aujourd’hui par la Coupole du Rocher (Mosquée d’Omar) et la mosquée Al-Aqsa (à Jérusalem). Les légions de l’Antéchrist déferleraient alors sur Israël, et les combats aboutiraient à un face-à-face final, dans la vallée d’Armageddon. Les juifs seraient soit brûlés vifs, soit convertis au christianisme, après quoi, le Messie reviendrait sur terre ».
Ce qui rend cette histoire (horrible) particulièrement attrayante, pour les fondamentalistes chrétiens, c’est le fait qu’avant le début de la grande bataille décisive, tous les « vrais croyants » (c’est-à-dire, ceux qui croient ce qu’ils croient, EUX) seront tirés vers le ciel – hors de leurs vêtements, lesquels resteront sur Terre – au cours d’un événement spectaculaire appelé l’Enlèvement. Non seulement les plus méritants parmi eux iront s’asseoir à la droite de Dieu, mais tous jouiront du spectacle, depuis les meilleurs gradins, offert gracieusement par leurs opposants politiques et religieux se faisant dévorer par les furoncles, les plaies, les criquets et les grenouilles, tout au long des sept années de Tribulations qui s’ensuivront. [Pas mal, non ?]
Ces vrais croyants cherchent, de nos jours, à faire que tout cela advienne. C’est-à-dire qu’ils projettent des affrontements sur l’emplacement du vieux temple détruit (en 2000, trois chrétiens américains ont été expulsés d’Israël après qu’ils aient tenté de faire sauter les mosquées de l’Esplanade), qu’ils financent la construction de nouvelles colonies juives dans les territoires occupés, qu’ils exigent toujours plus de soutien à Israël de la part des Etats-Unis, et qu’ils cherchent à provoquer une bataille finale avec le Monde musulman / Axe du Mal / ONU / Union européenne / France – c’est-à-dire toutes les légions dont l’Antéchrist est censé disposer.
Ces croyants sont convaincus qu’ils seront bientôt rétribués pour leurs efforts. L’Antéchrist, apparemment, est parmi nous, déguisé en Kofi Annan, Javier Solana, Yasser Arafat, ou , plus vraisemblablement, Silvio Berlusconi. En allant sur le site ouèbe www.raptureready.com, [= L’Enlèvement est proche.com]vous pouvez découvrir le temps qu’il vous reste à attendre avant de vous envoler de votre pyjama. Les infidèles, parmi nous, noteront que l’Indice d’Enlèvement est aujourd’hui à 144, c’est-à-dire seulement un point au-dessous du seuil critique, au-dessus duquel le ciel se remplira de nudistes volants. Le Gouvernement Impie, le Mauvais Temps et Israël ont tout au plus apporté cinq points au jackpot (l’Union européen débat de sa constitution, il y a eu un ouragan terrible dans l’Atlantique Sud, et le Hamas a juré de venger l’assassinat de ses dirigeants), mais la Seconde Venue est retardée, actuellement, par une baisse malheureuse de la consommation de drogues par les moins de vingt ans, et par une timidité incontestable de l’Antéchrist à se manifester (les deux ne marquent que deux points chacun).
Il est loisible de rire de ces gens, mais il ne faut surtout pas les ignorer. Le fait que leurs croyances soient totalement stupides ne fait aucunement d’eux des marginaux. Les sondages d’opinion, aux Etats-Unis, montrent que de 15 à 18 % des électeurs américains appartiennent à des églises ou à des mouvements qui adhèrent à ce genre de doctrine. Une étude, effectuée en 1999, suggère que ce pourcentage comportait un tiers de Républicains. Les livres les plus vendus aujourd’hui aux Etats-Unis sont les douze volumes de la série des Left Behind [Allusion aux réprouvés qui seront « laissés derrière », qui ne seront pas enlevés dans les Cieux, NdT], qui véhicule ce qui est généralement décrit comme une narration « science fiction » de l’Enlèvement (voilà, apparemment, qui la distingue de l’autre…), avec tout plein de détails sanguinolents sur ce qui va nous arriver, à nous, c’est-à-dire tous les autres… Et les gens qui croient à toutes ces conneries n’y croient pas qu’un peu. Pour eux, c’est une question de vie et de mort – éternelles.
Parmi eux se trouvent certains des hommes les plus puissants en Amérique. John Ashcroft, attorney général, est un vrai croyant, comme le sont aussi plusieurs sénateurs éminents, ainsi que le chef du groupe majoritaire à la Chambre des Représentants, Tom Delay. M. DeLay (lequel est aussi le coauteur de l’Amendement si bien nommé DeLay-Doolittle [ici, jeu de mots sur « Doolittle », qui peut se lire « do little », c’est-à-dire : Qui ne fait pas grand-chose…] qui renvoie à plus tard – aux calendes grecques ? – la réforme des finances) est allé en Israël, l’an dernier, pour déclarer à la Knesset qu’ « il ne saurait y avoir de position mi-chèvre mi-chou, de position modérée » en matière de soutien à Israël.
Ainsi, nous avons affaire à un fief électoral très important – représentant le noyau dur des soutiens du président actuel – dans le pays le plus puissant du monde, et qui s’active sérieusement à provoquer une nouvelle guerre mondiale. Ses membres voient dans l’invasion de l’Irak un simple échauffement, puisque les Révélations (9:14-15) prétendent que quatre anges « prisonniers au fond du grand fleuve Euphrate » seront libérés et « viendront égorger le tiers des êtres humains ». Ils vont frapper aux portes de la Maison Blanche au point de les faire céder dès que son soutien à Israël donne des signes de faiblesse : lorsque Bush a demandé à Sharon de faire sortir ses tanks de Jénine, en 2002, il a reçu 100 000 e-mails haineux de la part de chrétiens fondamentalistes. Depuis lors, Bush n’a plus jamais osé proférer de tels propos.
Le calcul électoral, aussi dément cela puisse-t-il paraître, fonctionne ainsi : seules les considérations de politique intérieure sont susceptibles de faire chuter le gouvernement – ou de le maintenir en place. Pour 85 % des électeurs américains, le Moyen-Orient est une question de politique étrangère, et par conséquent, une question d’un intérêt secondaire, lorsqu’ils pénètrent dans l’isoloir. Mais, pour 15 % de l’électorat, le Moyen-Orient est non seulement une question intérieure, c’est une question personnelle : si le président s’abstient de provoquer une conflagration dans cette région du monde, les plus fidèles parmi ses électeurs ne pourront pas aller s’asseoir à la droite du Bon Dieu. Autrement dit : Bush risque de perdre beaucoup moins de voix en encourageant l’agression israélienne qu’en ne l’encourageant pas. Ecouter ces gens serait, de sa part, pure folie. Mais il serait tout aussi fou de ne pas le faire...
                               
11. Mahmoud Darwich :"Pour moi, la poésie est liée à la paix" entretien réalisé par Muriel Steinmetz
in L'Humanité du jeudi 15 avril 2004
Le grand poète palestinien vit à Ramallah. Dans État de siège, il ouvre une fenêtre sur son monde en proie à toutes les souffrances.
Mahmoud Darwich vit désormais à Ramallah après de longues années d'exil. En 1948, il avait six ans quand l'armée israélienne chassa sa famille du village de Birwa où il est né. En 1950, il rentra au pays mais Birwa avait disparu. À la place avaient été construites deux colonies israéliennes. L'histoire du poète se confond avec celle de son peuple, dont le droit au retour demeure plus que jamais hypothétique. Mahmoud Darwich affirme néanmoins que " le poète n'est pas tenu de fournir un programme politique à son lecteur ". Il prône une lecture innocente de son ouvre, si volontiers empreinte d'un " lyrisme épique ", selon les mots du poète grec Yannis Ritsos. La poésie de Darwich, quelles qu'en soient les racines, n'est pas inscrite dans un temps et un espace donnés, fussent-ils toujours brûlants. L'exil demeure son vrai terreau, au plus près d'une géographie concrète du monde, baignée dans plus d'une époque historique. Mahmoud Darwich se définit comme un Troyen. C'est dire qu'il revendique, non sans un fin sourire, le statut de la victime. N'est-il pas plus noble d'avoir loisir de chanter, fût-ce au cachot, plutôt que de s'occuper à opprimer et contrôler l'autre ?
De lui, sort ces jours-ci État de siège, témoignage écrit à chaud d'un homme isolé au sein de sa propre terre encerclée par les blindés. Cette longue réflexion poétique est née du temps libre imposé à ce héraut d'un peuple placé lui-même sous haute surveillance. De sa fenêtre, il scrute les rues de Ramallah, en tient la chronique des heures et des jours. De passage en France, il a bien voulu répondre à nos questions, traduites par Farouck Mardam-Bey, son éditeur chez Actes Sud.
- L'Humanité : Un précédent recueil d'entretiens avec vous avait pour titre la Palestine comme métaphore. De quoi la Palestine est-elle métaphore ?
- Mahmoud Darwich : Mon éditeur avait choisi le titre. Cette métaphore permet de dire des choses sur la poésie : la relation de l'être humain à son histoire, à son existence, à la nature, à soi-même ainsi que sa lutte pour les libertés individuelles et collectives. Pour moi, la Palestine n'est pas seulement un espace géographique délimité. Elle renvoie à la quête de la justice, de la liberté, de l'indépendance, mais aussi à un lieu de pluralité culturelle et de coexistence. La différence entre ce que je défends et la mentalité officielle israélienne - je dirais même la mentalité dominante aujourd'hui en Israël -, c'est que celle-ci conduit à une conception exclusiviste de la Palestine alors que, pour nous, il s'agit d'un lieu pluriel, car nous acceptons l'idée d'une pluralité culturelle, historique, religieuse en Palestine. Ce pays en a hérité. Il n'a jamais été unidimensionnel ni à un seul peuple. Dans mon écriture, je m'avoue l'enfant de plusieurs cultures successives. Il y a place pour les voix juive, grecque, chrétienne, musulmane. La vision adverse concentre toute l'histoire de la Palestine dans sa période juive. Je n'ai pas le droit de leur reprocher la conception qu'ils ont d'eux-mêmes. Ils peuvent définir leur identité comme ils veulent. Le problème, c'est que cette conception de l'identité signifie la négation de celle de l'autre. Cela nous empêche de vivre libres et indépendants. Ils estiment que nous n'avons aucun droit sur cette terre, dans la mesure où ils l'appréhendent comme terre biblique et jugent qu'elle est en attente, depuis deux mille ans, du " retour " de ceux qui l'habitèrent jadis. Il y a donc une tentative permanente de monopolisation de la terre, de la mémoire, de Dieu lui-même. C'est pourquoi la lutte se situe aujourd'hui à maints niveaux. Les gouvernants israéliens essaient d'appliquer leur conception du passé à une réalité qui ne lui correspond absolument pas. Parfois, je nargue un soldat au check-point. Je lui dis : " Si vous voulez la terre sainte telle qu'écrite dans la Torah, prenez-la et donnez-nous la terre non sacrée, c'est-à-dire tout le littoral palestinien. Il n'y a pas d'histoire biblique sur ce littoral. " Si la référence est religieuse, parlons de cet échange entre le littoral et l'intérieur, mais si elle est juridique, de l'ordre du droit international, revenons aux résolutions de l'ONU.
- Quelle place occupe la poésie de langue arabe et singulièrement votre poésie dans la littérature arabe aujourd'hui ?
- Les pays européens et les États-Unis croient que la poésie de langue arabe occupe la place d'honneur dans la culture arabe, comme ce fut le cas durant trois siècles. On parle de la crise de la poésie en Occident, du déclin de son lectorat. Elle existe aussi chez nous. La relation entre la poésie et les lecteurs est devenue problématique. Peut-être parce que la poésie arabe est entrée dans des formes d'expérimentations qui l'ont isolée du grand public. Elle met une distance entre le texte et le réel, en se privant de la richesse des cadences de la métrique arabe. Il y a aussi une raison d'ordre culturel. La poésie n'est pas le premier genre littéraire chez les Arabes. Le roman a pris la relève. C'est là un point positif. J'ajouterai que nous vivons une crise d'identité culturelle et politique. Les Arabes régressent sur de nombreux plans. Nous avons le sentiment d'être en dehors de l'histoire qui se fait. On entend, par exemple, parler d'un grand Moyen-Orient. Les Américains, à l'origine du projet, estiment que les Arabes ne méritent même pas d'être consultés ! Dans la mesure où les frontières des pays arabes ont été fixées par des étrangers, ces mêmes étrangers peuvent les modifier quand ils veulent. Les Arabes ne participent pas à la définition de leur destin. Que voulez-vous que la poésie fasse dans ces conditions ? Parler de l'âge d'or ? Adorer le passé ? La vraie poésie arabe est une poésie critique de la réalité arabe.
- Pardonnez-moi cette question un peu brutale mais est-ce que la poésie, au plus haut sens, telle que vous la pratiquez aujourd'hui, peut constituer l'alternative à la religion ?
- William Blake disait que l'imagination est une nouvelle religion. Tout le mouvement romantique entend substituer l'inspiration poétique à l'inspiration religieuse et prophétique. Je pense que la religion et la poésie sont nées d'une même source, mais la poésie n'est pas monothéiste. Comme l'a dit Heidegger, elle nomme les dieux. La poésie est en rébellion permanente contre elle-même. Elle ne cesse de se modifier. La religion est stable, fixe, permanente. La quête de l'inconnu leur est néanmoins commune. La poésie tend vers l'invisible sans trouver de solution. La religion en trouve une, une fois pour toutes donnée. Le grand problème du marxisme n'est-il pas qu'il est devenu une religion à un certain moment ?
- La poésie est-elle compatible aujourd'hui avec la religion sous sa forme la plus revendicatrice et violente ?
- Bien entendu, l'intégrisme empêche la poésie de s'épanouir. Son manichéisme sans appel ne convient pas du tout à la poésie. L'intégrisme a des réponses toutes prêtes. Le poète est celui qui doute et accepte l'autre. Il me semble que la poésie est liée à la paix. Elle est en adoration devant la beauté des choses et bien entendu devant la beauté féminine. L'intégrisme isole la femme et la cache. La poésie aime le vin ; l'intégrisme l'interdit. La poésie sacralise les plaisirs sur terre. L'intégrisme s'y oppose farouchement. La poésie libère les sens. L'intégrisme les bride. La poésie humanise les prophètes. C'est pourquoi la culture engendrée par l'intégrisme religieux est anti-poétique par excellence. L'intégrisme peut aller jusqu'à supprimer tout ce qui est contraire à sa conception du monde. En ses formes les plus extrêmes, il représente un danger mortel pour la poésie et pour les poètes. Durant l'âge d'or de la poésie arabe (IXe, Xe, XIe siècles) l'État était assez tolérant, ouvert à toutes les cultures. Il y eut notamment une très belle poésie érotique et bachique. Le fondamentalisme musulman est lui-même une réaction au fondamentalisme et à l'intégrisme américain et israélien. Le despotisme universel américain, tel qu'il se met en place aujourd'hui, est en train de légitimer l'intégrisme musulman. Lorsque les Américains parlent du terrorisme comme inhérent à l'islam, ils poussent les musulmans à aller vers certaines extrémités. La lutte actuelle, qu'on nous présente comme une lutte entre civilisations, n'est autre qu'une lutte entre intégrismes. Ce n'est pas une guerre de civilisations mais une guerre entre différentes barbaries.
- On est frappé par la réflexion de Ritsos qualifiant votre poésie de " lyrisme épique ". Pensez-vous que cela puisse, aujourd'hui encore, vous définir, compte tenu que l'épopée, en Occident, est une forme disparue depuis des siècles, tandis que le lyrisme semble considérablement battu en brèche ?
- La poésie épique, dans le sens traditionnel du terme, a disparu depuis beau temps. Elle est, comme l'a prouvé Hegel, liée aux anciennes civilisations. Le lyrisme vaut de tout temps car il existe toujours une pluralité de " moi ". Ce type de poésie exprime des détails, des parties de l'âme d'un peuple. Elle se penche sur les individus qui le composent, davantage que sur le peuple tout entier. Bien entendu, ces concepts n'ont pas de fondements dans la poésie arabe. Ils sont traduits des langues occidentales. On dit, en Occident, que le lyrisme, c'est ce qui n'est ni épique, ni dramatique au sens théâtral. Notre poésie arabe, au contraire, est dès l'origine lyrique, mais suivant des courants divers. Les formes en sont multiples. Quand Ritsos définit ma poésie comme un " lyrisme épique ", il veut parler de l'architecture du poème et de la multiplicité des voix en son sein. Il n'y a pas seulement ma voix, mais d'autres qui expriment le groupe. Ma poésie ne se situe pas dans un espace limité et personnel mais dans un espace large, sur le plan historique et géographique. D'où certains traits qui rappellent la poésie épique. Le lyrisme de ces poèmes n'est pas très personnel ni individuel, c'est un lyrisme collectif. Il s'agit d'une poésie qui n'est ni totalement lyrique ni totalement épique. Le lyrisme est également battu en brèche dans le monde arabe. Les jeunes poètes un peu perdus ne dominent pas les concepts. Ils confondent souvent lyrisme et romantisme.
- La poésie peut-elle aider un peuple à être lui-même jusque dans les pires difficultés de la survie ?
- Je ne crois pas que la poésie ait un rôle évident à jouer dans la lutte nationale. Son influence n'est pas immédiate. Elle constitue un voyage permanent entre cultures, temps et espaces. En ce sens, je ne crois pas en une poésie nationale. Comme le poète est le fils d'une époque et d'une langue donnée, il contribue sans doute à façonner l'identité nationale d'un peuple, en jouant un rôle d'ordre culturel mais il n'a pas à inciter à quoi que ce soit. Dans les années cinquante, sans doute, au sein du monde arabe et dans le monde entier - je pense à toute la poésie engagée, notamment, chez vous, à Aragon -, le poète a eu un rôle politique direct. Le monde était un peu moins complexe qu'aujourd'hui. Dans notre cas, l'occupation israélienne est une occupation longue à la différence de l'occupation allemande en France. Quel artiste peut jouer en permanence le rôle de poète de circonstance, de poète engagé dans le sens ancien du terme ? S'il prétend jouer ce rôle, l'occupation aura réussi à tuer aussi la poésie.
(1) État de siège, de Mahmoud Darwich (Traduit de l'arabe par Elias Sanbar) aux Editions Actes Sud/Sindbad - 96 pages - 23,90 euros.
                                           
12. Photographie - Le Palestinien longtemps escamoté de son paysage par Magali Jauffret
in L'Humanité du mardi 13 avril 2004
Il a fallu trois décennies à l'écrivain, historien et universitaire palestinien Elias Sanbar pour élaborer, en exil, ce livre d'images personnel et engagé.
Le livre d'Elias Sanbar, Palestiniens, la photographie d'une terre et de son peuple de 1839 à nos jours, est passionnant, sous quelque angle qu'on le prenne. Humainement, d'abord. Il y a quelque chose de bouleversant à entrer dans la peau d'un Palestinien exilé pour tenter de comprendre, à défaut de l'éprouver, le manque venu de son déracinement forcé : s'imagine-t-on, pour ne prendre qu'un exemple, ce que représente l'impossibilité de mettre un visage sur des grands-parents, de retrouver leurs tombes dans un cimetière pillé ? D'entrée, ce livre nous fait donc entrer dans la démarche personnelle d'un enfant - mais combien de dizaines de milliers étaient-ils ? - qui, arraché à sa ville natale de Haïfa, devenue " un trou noir ", a besoin pour se construire, une fois parvenu à Beyrouth, de se confronter à de vraies images et à d'autres, rêvées, pour penser son pays. Idéologiquement, ensuite. Connu comme historien, écrivain, mais aussi comme responsable politique, comme directeur, aux Éditions de Minuit, de la revue d'Études palestiniennes, Elias Sanbar nous livre-là un ouvrage critique. Il n'a pas fait, toute sa vie, que collecter une production photographique, d'autant plus impressionnante que la Palestine, omniprésente dans les esprits comme pays décor de la Bible, est un lieu chargé, un territoire hautement symbolique, à partir duquel se déchaînent, depuis toujours, passions et polémiques. Non, il a scruté et analysé ces tirages en déployant une pensée, en travaillant un point de vue. Et le plus frappant dans la déconstruction qu'il opère grâce à la mise en résonance de ces images entre elles, c'est que, selon lui, les Palestiniens étaient des intrus sur leur terre bien avant l'arrivée des juifs... Photographiquement, enfin. Elias Sanbar n'a pas fait que se débattre dans les affres de la technique, se coltinant les archives des débuts de la photographie, dans les années 1850, avec ses lots de daguerréotypes, talbotypes, de plaques au collodion, jusqu'aux tirages numériques d'aujourd'hui. Non, il a, dans des fonds institutionnels, des collections particulières et de ses propres tiroirs, déterré des trésors, jusque-là restés inédits parce qu'ils étaient d'autant plus parcimonieux qu'ils étaient pris soit d'un point de vue décalé, soit de l'intérieur. Il en est ainsi, par exemple, des rares images de 1948 montrant des Palestiniens qui, alors accusés de jeter les juifs à la mer, y sont eux-mêmes jetés, alors qu'ils sont chassés de leurs terres à Jaffa, Gaza ou Falouja. De quoi donner corps au point de vue de l'auteur et insister sur le fait que la photographie a beau documenter le réel, elle ne détient pas pour autant la vérité. Ce livre n'en fait-il pas, d'ailleurs, la preuve à longueur de page selon que l'on adopte le point de vue d'Élias Sanba ou celui, fabriqué de l'autre côté ?
La quiétude des lieux bibliques
Ainsi, aussitôt le livre ouvert, on est comme envoûtés par la quiétude, la douceur, la lumière qui se dégagent de lieux que l'on croirait figés. Nous sommes dans la première moitié du XIXe siècle, bien loin de l'imagerie véhiculée aujourd'hui par les reporters-photographes à l'affût du spectaculaire. Il s'agit alors, explique Elias Sanbar qui fait parler les images, de faire correspondre les paysages de la terre sainte avec ceux décrits dans l'Ancien et le Nouveau Testament, en d'autres termes de montrer la Palestine comme LE pays décor de la Bible, le photographiant, donc, de façon à ce qu'il soit hissé à la hauteur des Écritures. L'auteur crée un néologisme pour évoquer un phénomène de " géopiété ". Ainsi le photographe Francis Frith se révèle-t-il l'un des meilleurs experts dans la fabrication de cette imagerie. D'autres lui emboîteront le pas comme Maxime du Camp, formé à la photographie par le grand Gustave Le Gray, et qui débarquera bientôt sur place, flanqué de l'écrivain Gustave Flaubert. Le paysage est sensuel, mais sans chair, comme désincarné. Le Bédouin, parce qu'il est nomade et ne fait que se déplacer dans l'image, est tout juste toléré. L'autochtone est gênant. Il est débarqué du cadre, escamoté, réduit à une ombre chinoise, ou servant d'échelle humaine dans le paysage. Il devient " squatteur de son propre pays ". " L'effacement " du peuple palestinien, qui durera des années, est en marche. Comment fabrique-t-on de l'abstrait avec le plus concret des procédés, la photographie ? se demande Elias Sanbar, qui dit avoir, en vain, cherché, dans les tirages d'époque, des vues animées des rues de Jérusalem...
L'époque des studios photo
Le livre ne tombe jamais dans la chronologie. N'empêche ! Le temps passe. La Palestine se retrouve sous mandat britannique. Les déplacements internes se multiplient. Cela n'aide pas à rendre visible le Palestinien, toujours aussi transparent. Pourtant, au début du siècle, des studios photo ouvrent, bientôt tenus par des photographes du cru. Khalil Raad est de ceux-là. Il est très mobile. Un jour à Naplouse, un autre à Ramallah, Jérusalem, quand ce n'est pas dans le village d'Askar. Ses paysages sont sublimes, puissants, pleins de profondeur de champ ; ses portraits de groupe, saisissants. Les gens, en confiance, sont captés dans le vif de leur vie, qui ne manque pas d'énergie. Ils sourient, ils se marrent, ils sont eux-mêmes. L'un des clous du livre met en scène la rupture entre d'un côté le troublant mimétisme qui se dégage des portraits exotiques d'une jeune Peau-Rouge des États-Unis, photographiée dans l'esprit d'Edward S. Curtis, et celui d'une mariée de Bethléem, immortalisée, dans le même décor, par la Maison Bonfils, et de l'autre, le portrait en pied, attachant, vivant, espiègle, rieur d'une très jeune femme avec enfant, tenant son voile dans ses dents. Le jour et la nuit ! Cette dernière photo est prise par Khalil Raad. On s'en serait douté tant son regard est différent, tant il révèle une autre relation photographiant-photographié.
La récupération d'une visibilité
Suivent des séries de cartes postales, de vues stéréoscopiques, de photos coloriées d'avant l'invention de la photo couleur. Magnifiques chromos qui font, aujourd'hui, la joie des collectionneurs. Et, miracle ! la reconstitution d'un album photo idéal, totalement improbable tant il envoie bouler la lutte des classes, mêlant, dans un même élan, portraits de maquisards, cartes de visite de gens humbles, photos de nantis, de notables, bal masqué à la résidence d'Alfred Roch, parade au drapeau, orchestre de la radio, enfants, propriétaires terriens, scènes de combat qui, rarement montrées, opposent Palestiniens et soldats de la Haganah, saisies entre novembre 1947 et mai 1948.
Enfin, les Palestiniens sont en train de récupérer leur nom, de reprendre pied dans la vie, sur leur sol, dans la photographie. En 1967, les violences reprennent. Avec elles, les photos montrant l'exode, l'installation et la vie quotidienne dans les camps de réfugiés installés aux frontières de Syrie, de Jordanie, du Liban, avant que ceux-ci ne soient atrocement bombardés par l'aviation israélienne. Scènes de groupe avec femmes montrées comme des Vierges à l'enfant. Colonies qui déboulent. Bombardements. Atmosphère de guerre civile. Les feydayins prennent l'habitude de se faire tirer le portrait avant de s'enrôler dans les mouvements clandestins. Désormais au centre de l'actualité internationale, quelle image le mouvement de résistance veut-il produire de lui-même ? se demande l'auteur qui n'esquive pas les sujets embarrassants comme la propagande montrant les Palestiniens occupés aux travaux des champs pour faire croire à une " révolution sociale ".
La première Intifada est marquée par la dangereuse chorégraphie des lanceurs de pierre, documentée par des clichés ne montrant rien : " Ni le lanceur, ni l'occupant entre lesquels les photographes ont choisi de s'interposer ", remarque Elias Sanbar. En tout cas, le peuple, ses enfants deviennent soudain extraordinairement visibles pour l'artiste Patrick Tosani, pour le reporter Jean-Claude Coutausse, pour des photographes comme Olivier Thébaud, Joss Dray ou Antoine d'Agata dont les éuvres, soigneusement choisies, ne dénaturent pas le propos de l'auteur. Le travail de ce dernier, réalisé en avril 2002, alors que le camp de Jénine vient de subir le même sort que ceux de Sabra et Châtila, est exemplaire d'une démarche qui, en multipliant les angles, cherche à éviter le point de vue simplificateur. Rarement on avait eu sous les yeux un matériau photographique sur le conflit dans cette région aussi possiblement complexe pour réfléchir...
Palestiniens, la photographie d'une terre et de son peuple de 1839 à nos jours, par Elias Sanbar. Éditions Hazan. 400 pages, 650 illustrations. 59 euros.
                                
13. L'Europe, les Etats-Unis et le Grand Moyen-Orient par Urban Ahlin, Ronald Asmus, Steven Everts, Jana Hybaskova, Mark Leonard, Michael McFaul et Michael Mertes
in Le Monde du mardi 13 avril 2004
{Urban Ahlin, député suédois, président de la commission des affaires étrangères du Parlement suédois. Ronald Asmus, directeur de recherches au German Marshall Fund (Etats-Unis). Steven Everts, chercheur au Centre for European Reform (Pays-Bas). Jana Hybaskova, ancien ambassadeur de la République tchèque. Mark Leonard, directeur du Foreign Policy Centre (Grande-Bretagne). Michael McFaul, chercheur à la Hoover Institution (Etats-Unis). Michael Mertes, ancien conseiller du chancelier Helmut Kohl, associé-gérant de Dimap Consult (Allemagne). Ce groupe transatlantique est patronné par le German Marshall Fund.]
Les dirigeants américains et européens ont commencé à parler de la nécessité de promouvoir un accroissement de la liberté, de la justice et de la démocratie dans le "Grand Moyen-Orient".
Si les Américains y voient le champ de bataille décisif de la guerre contre le terrorisme, les Européens désirent que leurs voisins du Sud soient stables et bien gouvernés pour endiguer les flux de l'immigration illégale et du crime organisé. Tous ont admis ce principe : la meilleure façon d'éviter demain une révolution violente ou une action militaire est de travailler aujourd'hui avec les partenaires locaux à un changement de régime démocratique et pacifique.
L'enthousiasme pour les réformes marque une modification exemplaire de la politique. Par le passé, d'autres intérêts, tels que s'assurer un approvisionnement régulier en pétrole ou obtenir une coopération contre le terrorisme, ont trop souvent pris le pas sur les réformes politiques. Malgré les grands discours sur la promotion de la démocratie, celle-ci n'est toujours pas étayée par des plans d'action concrets. Une stratégie sérieuse doit avoir trois priorités : accroître le soutien aux démocrates de la région, y créer un meilleur contexte afin de faciliter le développement de la démocratie et, enfin, réorganiser la politique occidentale pour promouvoir et soutenir les politiques en faveur de la démocratie à l'étranger.
Premièrement, nous devons le reconnaître : s'il est vrai que l'Occident doit jouer un rôle d'appui crucial, le changement doit venir de l'intérieur de la région. Notre tâche est de concevoir une politique qui consolide les forces politiques locales faisant pression pour un changement démocratique - symboliquement et pratiquement.
Dans de nombreux pays, les activistes démocrates sont emprisonnés à cause de leur engagement pour les droits de l'homme, et nous ne faisons pas grand-chose pour les aider. Notre nouvelle stratégie pourrait commencer par établir une nouvelle référence afin de leur apporter un soutien politique et moral conséquent. Aucun dirigeant américain ou européen important ne devrait se rendre dans la région sans évoquer les droits de l'homme et défendre les personnes courageuses qui combattent déjà pour la démocratie.
En pratique, l'Occident doit accroître considérablement son soutien direct aux ONG et aux militants locaux (même si, dans des pays comme l'Egypte, il faudra d'abord obtenir du gouvernement qu'il modifie la loi, de sorte qu'ils puissent recevoir un financement de l'étranger). Alors que les Etats-Unis consacrent aujourd'hui près de 400 milliards de dollars à la défense, le National Endowment of Democracy fonctionnait avec un budget de 40 millions de dollars, dont une fraction seulement était consacrée au Grand Moyen-Orient. Washington double actuellement cette somme, mais nous devons réfléchir à plus grande échelle et avec beaucoup plus d'audace, par exemple en multipliant par 10, voire plus, le montant de notre soutien afin de créer un véritable impact.
L'Union européenne, pour sa part, devrait accroître considérablement ses efforts de promotion de la démocratie dans le contexte d'un dialogue UE-Méditerranée remanié. Il devrait être politiquement possible d'augmenter le financement du programme de promotion de la démocratie (MDP) de l'UE pour parvenir au moins à 55 millions d'euros par an.
Cet argent devrait être administré à distance des gouvernements pour garantir qu'il ne subit pas de pressions diplomatiques. Un nouveau Forum transatlantique pour la promotion de la démocratie pourrait être créé pour coordonner toutes les activités dans la région, y compris les programmes bilatéraux entrepris par les pays européens. Il pourrait être complété par un organisme indépendant pour la démocratie au Moyen-Orient auquel les pays européens et le gouvernement américain pourraient verser des fonds et apporter leurs connaissances.
Tout en travaillant au niveau de base, il nous faudrait nous servir de nos politiques de commerce et d'assistance pour encourager les gouvernements à réformer et à agrandir l'espace réservé à une action politique légitime. Par un processus transparent de références, nous devrons récompenser les pays qui font des progrès vers la démocratie et un gouvernement correct, et être prêts à retirer leurs privilèges à ceux qui n'en font pas.
Deuxièmement, les Etats-Unis et leurs alliés européens doivent aider à la création de l'environnement de sécurité extérieur et du contexte régional dans lesquels les changements démocratiques peuvent se produire plus aisément. L'histoire du siècle dernier en Europe montre qu'il est crucial d'apporter la sécurité pour favoriser le développement de la démocratie. Tout en travaillant à l'avancement de la paix entre Israël et la Palestine, nous devons aider la Turquie à réussir sa transformation en une démocratie à part entière lui donnant les qualités requises pour devenir membre de l'UE. Nous devons renouveler les pressions sur le régime iranien au sujet de la démocratie et du contrôle de l'armement. Nous devons éviter un désengagement prématuré dans la transition démocratique actuellement en cours en Irak.
En travaillant avec les Etats arabes modérés, nous pouvons tenter de créer un nouveau régime sûr dans la région, modelé sur l'OSCE, pour le Grand Moyen-Orient. La grande contribution du processus d'Helsinki en Europe a été de reconnaître qu'une paix véritable nécessite un nouveau type de relations entre les gouvernants et ceux qu'ils gouvernent, ainsi qu'entre les Etats - et que cela habilite les sociétés à exiger de leur gouvernement qu'il se comporte en conséquence. Créer un régime de ce type dans la région signifierait développer une série d'incitations, de sorte que les pays arabes voient les avantages qu'ils tireraient en y adhérant (de la même manière que les dirigeants africains l'ont fait avec le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique).
L'OTAN a aussi un rôle à jouer. Elle peut fournir les moyens de maintenir la paix nécessaires pour aider à la reconstruction de l'Afghanistan et de l'Irak. Elle peut aussi aider à promouvoir des pratiques plus démocratiques en temps de paix en étendant à la région la coopération dans le cadre d'une nouvelle version du programme de l'OTAN de partenariat pour la paix. Son nouveau rôle au Moyen-Orient serait de maintenir la cohésion des Américains et des Européens, de chasser les agresseurs et de tenir en échec les terroristes.
La troisième grande étape dans une stratégie d'envergure pour la promotion de la démocratie consiste à nous réorganiser pour étayer un tel programme au cours des décennies à venir. En plus de créer une nouvelle génération de diplomates et de bâtisseurs de la démocratie connaissant la région et ses langues, il nous faudra aussi réorganiser nos gouvernements pour s'assurer qu'ils maintiendront leurs engagements à long terme.
La victoire contre le terrorisme nécessitera une combinaison de mesures offensives et défensives. Pour ce qui est des secondes, les Etats-Unis ont créé le département de la sécurité intérieure et transforment l'armée américaine pour répondre à ce défi. En Europe, le commissaire chargé de la justice et des affaires intérieures et le haut représentant des affaires étrangères augmentent la capacité à s'attaquer aux nouvelles menaces.
Lorsqu'il s'agit de mesures offensives, cependant - construire la démocratie, promouvoir un programme de transformation politique, gagner les cœurs et les esprits des millions de gens ordinaires de la région -, ces missions sont profondément enfouies dans les bureaucraties américaines et européennes. Dès lors, ces tâches n'obtiendront jamais des dirigeants l'attention et les ressources nécessaires. La capacité de nos gouvernements à contribuer à la construction de nouveaux Etats démocratiques doit être aussi grande que notre capacité à renverser les régimes autocratiques.
En conséquence, aux Etats-Unis, le président Bush ou son successeur démocrate devront créer un département pour la promotion de la démocratie dirigé par un haut fonctionnaire ayant le rang d'un ministre. Les Européens devront nommer un commissaire à la promotion de la démocratie et des droits de l'homme dans la nouvelle Commission européenne, qui commencera ses travaux en novembre 2004. L'intérêt d'un tel poste serait de donner un rôle directeur aux efforts européens pour la promotion d'un changement démocratique et de créer un interlocuteur efficace de son homologue américain, de sorte qu'une stratégie transatlantique commune puisse prendre forme.
Tandis que le débat sur le Grand Moyen-Orient s'échauffe, un risque existe : qu'Européens et Américains poursuivent des stratégies de démocratisation concurrentes. Alors que les deux parties apportent des idées différentes autour de la table - et il y a des avantages à la compétition -, nous devons mettre en commun les meilleures propositions présentées par les deux côtés de l'Atlantique et coordonner leur mise en œuvre dans un effort commun.
                           
14. La propagation du cancer du colon stoppée "in vitro"
Dépêche de l'Agence France Presse du mardi 6 janvier 2004, 14h30

JERUSALEM - Des chercheurs israéliens sont parvenus pour la première fois, en laboratoire, à stopper "in vitro" la propagation de cellules du cancer du colon, a annoncé mardi l'Institut Weizmann, près de Tel-Aviv. Cette étude donne l'espoir de mieux soigner le cancer du colon, particulièrement dangereux quand il produit des métastases, selon un communiqué de l'Institut. Les chercheurs ont découvert dans les cellules cancéreuses en voie d'être métastasées une quantité anormalement élevée d'une protéine, la béta-caténine. La cellule perd alors son adhésion avec les cellules voisines et peut émigrer par le sang pour former des tumeurs malignes dans d'autres parties du corps. L'augmentation de béta-caténine s'accompagne d'une diminution d'une autre protéine, la E-cadhérine, qui est elle indispensable pour maintenir l'adhésivité.
Opérant en laboratoire sur des gènes de type Slug de cellules cancéreuses, les chercheurs sont parvenus à diminuer la production de béta-caténine et augmenter celle de E-cadhérine, stoppant leur migration. "Le fait que le processus d'invasion du cancer du colon peut être inversé est tout a fait surprenant et permet d'espérer qu'on pourra le stopper chez l'homme", a déclaré aux journalistes le professeur Avri Ben Zeev, du département de biologie responsable de cette recherche, récemment publiée dans le Journal of Cell Biology. Le cancer du colon est le second en fréquence chez les hommes en Occident et le troisième en fréquence chez les femmes.
                           
15. Le droit au temps des proconsuls  par Rudolf El-Kareh
in la Revue d’études palestiniennes n° 89 (Automne 2003)

Dix ans après l’avoir promulgué à l’unanimité, le 16 juin 1993, le Parlement de Belgique a abrogé, le 12 juillet dernier, la loi dite de « compétence universelle ». Cette loi permettait de poursuivre, en Belgique, les violations graves du droit international humanitaire, et d’engager des poursuites contre les auteurs présumés de crimes de guerre. En 1999, la loi fut élargie aux crimes de génocide et aux crimes contre l’humanité.
En se dotant de cette législation, la Belgique ne s’est pas particulièrement singularisée par une initiative nationale isolée, contrairement à ce que la propagande et la « communication d’Etat », notamment aux Etats-Unis et en Israël ont voulu laisser accroire. D’autres Etats ont adopté des dispositions de même nature construites selon les législations nationales particulières. C’est ainsi, pour ne prendre que quelques exemples, que le général Augusto Pinochet a pu être arrêté à Londres en vertu d’un mandat d’arrêt espagnol. Pour des faits de torture et d’autres crimes, commis en Argentine, un tortionnaire argentin arrêté au Mexique a pu être extradé en Espagne. La Grande-Bretagne a arrêté un résident soudanais en Ecosse pour crimes commis au Soudan. Les Pays-Bas et l’Allemagne ont également jugé des crimes commis en ex-Yougoslavie, notamment en Bosnie.
En Belgique, l’ancien président tchadien Hissène Habré, le dictateur chilien, Augusto Pinochet furent poursuivis. Des exécutants du génocide rwandais furent également traduits devant la justice belge et condamnés.
La loi belge dite de «compétence universelle » s’inscrivait aussi, en tout état de cause, dans un mouvement plus large. Dès la fin de la Deuxième guerre mondiale plusieurs engagements internationaux étaient adoptés qui ont constitué les matrices légales des juridictions et des compétences nationales. La Convention de Paris de 1948 ratifiée par l’Assemblée Générale des Nations-Unies a formellement identifié le crime de génocide. La Convention de Genève adoptée en 1949 et ratifiée par 188 Etats faisait obligation à ces derniers de doter leur législations nationales de dispositions permettant de réprimer et juger les crimes de guerre. La Convention de l’ONU adoptée à New-York en 1984 a reconnu le crime de torture. Enfin, dans le cadre de la création de la Cour Pénale Internationale ( CPI ), à Rome, en 1998, le crime contre l’humanité a été défini, énoncé et juridiquement précisé.
C’est également en vertu de cette loi que des poursuites avaient pu être engagées contre Ariel Sharon et contre le général israélien Amos Yaaron mis en cause dans les massacres de Sabra et Chatila (voir le dossier « Vingt ans après Sabra et Chatila » in REP N°87, printemps 2003 pp.27-84).
Contrairement à ce qui s’était produit en 1993, la promulgation du nouveau dispositif juridique belge s’est déroulée dans des circonstances bien peu sereines. C’est par 39 voix pour, 4 voix contre et 20 abstentions que les sénateurs belges ont adopté une « loi sur les violations graves du droit international humanitaire ». Les députés belges l’avaient auparavant entériné par 89 voix pour, 3 voix contre et 34 abstentions. La confusion et le désordre apparents furent tels que Christian Defraigne, le président du groupe MR (Mouvement Réformateur) au Sénat auquel appartient le ministre belge des Affaires Etrangères, Louis Michel, n’a pu s’empêcher de constater que  « ce sont les mêmes défenseurs de la loi de compétence universelle qui ont finalement signé l’arrêt de mort de cette loi ».
Les organisations de défense des droits de l’homme, et plus particulièrement Amnesty International (AI)et Human Rights Watch (HRW) ont pour leur part exprimé de très vives critiques, et le directeur de la branche belge d’AI, Philippe Hensmans a considéré que « l’abrogation de la loi relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire » est une gifle pour les victimes des crimes de guerre, de génocide ou contre l’humanité, et pour les citoyens du monde entier ».
En abrogeant de facto la loi de 1993 sur la "compétence universelle" les autorités belges ont réduit très nettement la possibilité qui avait été donnée aux tribunaux belges de poursuivre des crimes contre l'humanité, quels que soient le lieu où ils ont été commis et la nationalité de leurs auteurs et victimes. Selon le nouveau dispositif, des poursuites ne seront possibles que lorsque l'affaire aura un "lien de rattachement" avec la Belgique. L'auteur présumé d'un crime contre l'humanité devra ainsi être belge ou résider habituellement en Belgique pour qu'une plainte avec constitution de partie civile puisse être déposée contre lui. Dans le cas contraire, seules des victimes belges, ou habitant en Belgique depuis au moins trois ans au moment des faits, auraient le droit de déposer plainte. La justice devra en outre respecter « les règles d'immunité en conformité avec le droit international ».
Mais au-delà des conditions du jeu politique et institutionnel belge, ce sont les circonstances même de cette abrogation qui méritent d’être relevées.
Il faut souligner, en premier lieu, que les récriminations contre la loi belge ne sont apparues qu’après les réactions israéliennes subséquentes à l’action en justice engagée nominalement contre Sharon par des survivants des massacres de Sabra et Chatila. Comme si les plaintes pour les crimes suscités devaient être sélectives et que les crimes commis par des responsables israéliens ne relevaient pas du droit commun. Il y aurait ainsi – l’usage du conditionnel est bien entendu un parfait euphémisme - deux poids et deux mesures en matière de répression du crime international. En d’autres termes, les poursuites engagées, l’éventuelle extradition ou le jugement d’un criminel de guerre appartenant à un pays balkanique, latino-américain ou africain serait honorable, et participerait du rêve d’une justice universelle alors que celui d’un criminel de guerre israélien ou américain serait une infamie. Les vociférations israéliennes qui ont suivi l’initiative montre à quel point la sélectivité et le principe des deux poids et deux mesures font partie de la panoplie  politique de l’Etat d’Israël. Ce dernier qui s’était arrogé le droit de kidnapper, de juger et de condamner Adolf Eichmann pour des crimes commis en Europe ne trouve rien à redire lorsque le principe de la loi permet de poursuivre des criminels rwandais mais crie à l'arbitraire lorsque ses propres criminels de guerre se trouvent poursuivis dans le cadre de la même juridiction. Certains iront même jusqu’à l’absurde en prétendant que c’est la plainte déposée contre Ariel Sharon et des officiers israéliens qui est responsable de la dénaturation de la loi de compétence universelle.
Les deux avocats belges des victimes, Mes. Michael Verhaeghe et Luc Walleyn répondent à ces allégations dans le texte que nous publions ci-dessous [1], et rappellent que « la Belgique avait offert aux victimes du massacre de Sabra et Chatila la perspective d’une enquête indépendante et d’un procès équitable ».
Il faut souligner ensuite que l’initiative d’abroger de facto la loi dite de compétence universelle a été prise dans un contexte fondamentalement politique.
C’est en effet sous de très intenses pressions américaines que l’abrogation du texte a eu lieu. Moins par suite d’une plainte déposée contre George Bush le père pour ses responsabilités en tant que chef des armées dans le bombardement d’un abri qui fit plus de quatre cent victimes civiles à Bagdad lors de la guerre de 1991, qu’en raison d’une décision politique délibérée de Washington de « punir » ( le terme a été utilisé délibérément par plusieurs responsables de l’équipe au pouvoir à Washington, et il est totalement inadmissible ) la Belgique en raison de ses positions aux côtés de la France, de l’Allemagne, et finalement de la quasi-totalité des Etats de la planète sans compter l’ONU face à l’aventure irakienne. Plusieurs responsables politiques belges ne s’y sont pas trompés et n’ont pas craint de le dire ouvertement : «  (…) La loi ne concerne pas seulement les dictateurs africains (…). Ce qu’a déclaré Rumsfeld n’a rien à voir avec la loi de compétence universelle (…) non, le problème çà reste l’Irak. L’administration Bush ne supporte pas qu’on ne soit pas d’accord avec elle. Ils veulent qu’on s’aligne. Ils sont bien incapables de justifier la guerre, illégale, se fichent du droit international,…et ils ne peuvent accepter qu’un pays montre son désaccord (…). Tant que c’était Yasser Arafat ou Laurent Gbagbo qui étaient visés, la loi était bonne…Personne n’a rien dit. Mais dès lors qu’il s’agit de Sharon ou de Bush le problème devient tout autre» (Patrick Moriau, député PS). L’ancien sénateur Josy Dubié (Ecolo) qui fut avec Vincent Van Quickenborne, son collègue du VLD ( opposition, lui-même divisé d’ailleurs ) l’un des concepteurs de la loi, en sa qualité de président de la Commission Justice du Sénat et de vice-président de la Commission des Affaires Etrangères, n’a pas lui non plus mâché ses mots : « A un moment donné, il faut mettre le holà à l’arrogance américaine. Ils veulent qu’on devienne tous leurs vassaux ! Ce serait donc les Etats-Unis qui décideraient du sort d’un texte de loi voté démocratiquement par notre Parlement ? Incroyable. Où va-t-on ? Il n’y a plus de limites » [2].
Il n’y a pas eu, en effet, de limites.
A fin du mois de juin 2003 Bruxelles a été le théâtre d’un drame en plusieurs actes. Ses péripéties furent le symptôme et même plus précisément la métaphore de la nature des relations que la junte installée au pouvoir à Washington, et qui se veut impériale, entend imposer à ceux qu’elle considère désormais, pour reprendre l’expression du sénateur Dubié, comme des vassaux. Les différents actes de ce drame dont Washington voudrait faire un archétype, ont coïncidé, et ce n’est pas le fruit du hasard, avec la période de formation du nouveau gouvernement belge.
Tous les moyens de pression sur les autorités belges furent utilisés sans aucune vergogne. Les ingérences américaines faisant fi de la souveraineté du pays furent d’autant plus scandaleuses et abjectes que la volonté d’humiliation était manifeste. L’ignominie fut d’autant plus grave que Washington entreprit de « mobiliser » ouvertement avec une grossière incontinence ses cercles d’amis, notamment conservateurs, l’OTAN, et les milieux d’affaires, tout en exaspérant les contradictions et les tensions belges internes. L’aspect le plus triste de l'entreprise aura été que des politiciens locaux et des institutions économiques aient accepté, pour d’inavouables motivations, de se prêter à ce jeu indigne. L’affaire prit des tournures « bananières » lorsque des groupes flamands tentèrent de se servir de la crise pour faire avancer leurs positions dans le conflit interne linguistique et institutionnel, une spécialité, en matière de méthode, que certains croyaient confinées aux pays dits du « tiers-monde ». Des « milieux portuaires anversois » se firent le relais de « milieux maritimes américains » menaçant de dérouter leurs porte-conteneurs vers Amsterdam ou des ports de la Baltique.  Des éditorialistes de la presse flamande virent là une occasion de fusiller le ministre des Affaires Etrangères, Louis Michel par des procédés souvent méprisables, qui leur attirèrent une réplique cinglante d’un éditorialiste du quotidien « De Morgen », Yves Desmet, qui écrivit : «  Ces éditorialistes flamands sont fraternellement unis dans leur allégeance au drapeau américain, le petit doigt sur la couture du pantalon, inspirés par une partie de la caste diplomatique qui a comme ambition première de ne rien changer à rien. La loi de compétence universelle allait peut-être un pas trop loin mais cela ne signifie pas que nous devons revenir à une politique étrangère dont le but suprême est de s’agenouiller devant les faucons qui occupent provisoirement la Maison-Blanche ».
Donald Rumsfeld, l’occupant du Pentagone, avec son habituelle délicatesse de pachyderme avertit qu’il envisageait de transférer le siège de l’OTAN –considérée sans autre forme de procès comme une chasse américaine pure et simple- vers l’un des pays de la « nouvelle Europe » si chère à ses élucubrations idéologiques. Le Président de la Chambre de commerce américaine en Belgique, Leonard Schrank – mais qui l’autorisait à ce rôle ? - assena « que la loi génocide [loi de compétence universelle, mais les nuances sont sans doutes inutiles !] doit définitivement disparaître » et que « les politiques belges ne se concentrent pas assez sur les atouts exceptionnels de leur pays »– ce qui, de toute évidence, a tout à fait à voir avec la question, sans compter le ton de concierge d’école primaire !
Simultanément le porte-parole de l’ambassadeur américain à Bruxelles Stephen Brauer [3], assura que « la loi ne fonctionne pas et les nouveaux amendements sont indéfendables ». Il fut vite relayé par le Département d’Etat à Washington dont le porte-parole certifia, en toute simplicité, le 20 juin, que « la loi belge de compétence universelle doit être retirée », tandis que - réflexe bananier oblige - le parti chrétien flamand mal remis de sa défaite électorale, et voyant là une occasion de se remettre en selle, se proposait de jouer les médiateurs entre les autorités belges et… l’ambassadeur américain.
Sur l’air du « Temps des Proconsuls », la nouvelle partition imaginée à Washington pour mettre en musique les nouveaux fantasmes américains d’ordonnancement et de mise au pas du monde, l’ambassadeur en question révélait ingénument qu’il entretenait des « contacts avec les officiels du gouvernement belge sur les sujets politiques et économiques comme la compétence universelle… ». Dans le même temps, les navettes effectuées par des émissaires spéciaux, entre le siège du futur gouvernement belge et celui de l’ambassade américaine, devenaient un secret de polichinelle et l’on apprenait qu’elles avaient pour objet de soumettre à l’autorité proconsulaire les différentes moutures de la nouvelle loi.
Il suffit de laisser la parole aux éditorialistes pour donner une idée de l’atmosphère qui régnait dans la capitale belge. « Inadmissible, écrit la rédactrice en chef du quotidien Le Soir, Béatrice Delvaux ! Le gouvernement américain n’a aucun droit de nous dicter nos lois, qui plus est sous le chantage. Nous l’avons déjà dénoncé : l’arrogance de l’administration Bush, sa prétention à régenter le monde sont intolérables ». Dans le même quotidien, sous la plume de Philippe Birkenbaum l’on pouvait également lire : « La Belgique a donc fini par céder aux pressions américaines qui la mettaient en demeure de modifier, sinon de supprimer la loi dite de compétence universelle (…) c’est un échec pour la justice internationale et donc pour la morale (…). Les Américains – ceux en tout cas  qui dirigent actuellement la première puissance mondiale et impriment à sa politique étrangère le tournant  impérialiste et unilatéral que peu osent encore défier – ont eu gain de cause. Tout démocrate ne peut que s’en indigner au moment où cet impérialisme conduit les Etats-Unis à multiplier les aventures militaires ou à menacer de le faire sans retenue, ni souci du droit international et des instances chargées de le faire respecter. Et sans autre justification que la défense de leurs intérêts fussent-il économiques ».
En réalité la Belgique a servi de banc d’essai à la politique d’intimidation et de chantage menée par Washington contre la Cour Pénale Internationale (CPI). Les Etats-Unis voient dans celle-ci un moyen qui pourrait servir contre les actions tombant sous le coup des lois internationales dont se seraient rendus responsables leurs militaires opérant à l’étranger. C’est dans ce cadre qu’ils tentent d’obtenir par le biais de diverses formes de chantage, des accords de non extradition avec les pays (plus de 90 à ce jour) qui ont ratifié le traité instituant la Cour Pénale Internationale. Washington annonce que 44 d’entre ces pays ont déjà signé des accord bilatéraux correspondant aux vues des autorités américaines. Au début du mois de juillet 2003, l’urgence américaine en la matière était telle que 35 pays ayant refusé de se plier aux desiderata de la Maison-Blanche ont vu l’aide militaire qui leur était accordée, gelée.
La Cour Pénale Internationale dont les compétences portent sur les crimes de guerre, les génocides et les crimes contre l’humanité est aujourd’hui la cible des Etats-Unis d’Amérique. La loi internationale commune n’est pas conciliable avec la loi de l’Empire.
L’Union Européenne est en opposition, sur ce sujet, avec Washington. Mais l’Union Européenne et ses Etats, notamment fondateurs, ont été cruellement absents lors du bras de fer américain avec la Belgique. Celle-ci s’est retrouvée isolée face au rouleau compresseur américain. Il faut en tirer les leçons. A l’inverse des repliements autarciques et frileux, c’est, au contraire, l’ensemble des pays de l’Union européenne qui doivent se protéger les uns les autres par des dispositifs communautaires soutenus par un effort incessant destiné à élargir les compétences de la Cour Pénale Internationale. Celle-ci doit notamment être dotée des moyens de se saisir des crimes antérieurs à sa mise en fonctionnement en 2002. Il faut ainsi abroger l’article 98 du dispositif de la CPI invoqué par les Etats-Unis pour obtenir des accords de non extradition avec le maximum d’Etats de la Planète.
L’équipe au pouvoir à Washington n’a de cesse, en effet, de mener une campagne musclée pour vider la Cour Pénale Internationale de sa substance. C’est sur le terrain international, et par la mise en commun des moyens et des stratégies face à cette agressivité permanente, et en liaison avec les organisations de défense des droits de l’homme, que la défense du droit international peut espérer ne pas plier devant les appétits impériaux et leurs désirs de puissance assortis des inévitables exceptions à la règle commune. La bataille de Belgique n’aura été qu’une étape. Car seul le respect du droit commun peut éviter la dégénérescence des relations internationales et, à terme, le chaos. (Rudolf El-Kareh - Août 2003)
- NOTES :
[1] Texte publié le 25 juin 2003, dans La Libre Belgique et que nous reproduisons avec l’aimable autorisation des signataires.
[2] L’ensemble des citations sont reprises des deux grands journaux francophones belges, Le Soir et La Libre Belgique.
[3] Ancien président d’une société du secteur automobile, Hunter Engeneering Company et donateur du président, Brauer révèle en toute simplicité : «  Ma femme Camilla et moi sommes arrivés juste avant la visite en Belgique du président George W. Bush qui a séjourné dans notre résidence. Nous sommes des amis de longue date du président comme de son père (…). Lorsque je quitterai mon poste (…) je retournerai au secteur privé et Camilla et moi travaillerons à la campagne électorale du président ».
                                
16. Vandalisme et pillages en Irak, berceau de la civilisation - L'une des plus grande catastrophes de tous les temps par Joëlle Pénochet
in Combat-Nature N° 143 du mois de novembre 2003 (Révisé et augmenté le 17 février 2004 dans AFI - Flash)
[AFI - Flash (abonnement gratuit) : gilmun@club-internet.fr - Fax : 02 23 20 96 58 - Site : http://iraqtual.com]
(Joëlle Pénochet est anthropologue.)
"L'Irak est le berceau de la civilisation. Là sont apparues les premières cités, la première écriture, les premières réflexions sur les rapports de l'homme avec Dieu, sur la Mort, la première littérature connue..." McGuire Gibson, PR d'archéologie mésopotamienne à l'université de Chicago (1)
La Mésopotamie (l'actuel Irak) a été redécouverte au XIXe siècle, après deux mille ans d'oubli. La reconstitution progressive de sa civilisation a permis de connaître nos plus lointains ancêtres en ligne directe, grâce aux archéologues et surtout aux déchiffreurs de textes cunéiformes. Mais la plus grande partie des vestiges archéologiques de l'Irak, et donc des pans entiers de notre passé, restent à découvrir. Or, les recherches sont aujourd'hui très menacées par les conséquences de la destruction du pays commencée en 1990 avec l'embargo, et parachevée par sa conquête par l'alliance anglo-américaine en 2003.
Il y a huit mille ans, à l'époque où la plupart des peuples de la planète étaient des chasseurs-cueilleurs, les populations de Mésopotamie, entre le Tigre et l'Euphrate, avaient inventé l'agriculture et l'irrigation, qui leur avait permis de fertiliser le désert. A Sumer furent inventés les fondamentaux de toutes les civilisations ultérieures: l'écriture, les mathématiques, l'urbanisation, l'administration, l'astronomie, le calendrier, la codification des lois, l'économie, la médecine, la littérature (avec la poésie épique)... La première cité du monde connue, Uruk (-2900), bâtie sous le roi légendaire Gilgamesh, fut à l'origine de la révolution urbaine qui s'étendit aux côtes méditerranéennes, à la presqu'île arabique, à l'Egypte et à l'Inde(2).
L'HISTOIRE COMMENCE A SUMER AVEC L'INVENTION DE L'ECRITURE
« des civilisations prestigieuses se sont développées dans le futur espace arabe plusieurs siècles avant notre ère alors que les pays occidentaux étaient encore des barbares. Les Européens connaissent l'histoire de la Grèce et de la Rome antique, mais rien des véritables sources de la civilisation, au mieux quelques images stéréotypées comme les Contes Mille et Une Nuit. » (Charles Saint-Prot)
Les Sumériens, dont l'origine reste inconnue, ont inventé il y a cinq mille ans la première forme d'écriture, dite "cunéiforme" ("en forme de clou"), qui aurait, selon le sumérologue Jean Bottéro, inspiré les systèmes archaïques ultérieurs, égyptien, indien et chinois. Leurs premiers documents, écrits à l'aide d'un calame de roseau sur des tablettes d'argile, sont antérieurs de 1.500 ans aux plus anciens écrits bibliques et grecs ; ils contiennent les grands thèmes empruntés par leurs successeurs, tels ceux de l'Âge d'or, de l'Eau originelle, du Déluge, de la Résurrection ou de la Descente aux enfers. La cosmologie mésopotamienne a été pillée tant par les rédacteurs de la Genèse que par les auteurs Grecs (notamment Hésiode et Thalès de Milet). Les fables d'Esope ont également leur source en Mésopotamie.
L'écriture cunéiforme a été utilisée pendant trois mille ans dans des langues très différentes (dont certaines sont aussi éloignées que le français du chinois). La centaine de millions de tablettes enfouies en Irak, dont un million seulement a été exhumé à ce jour, représente une bibliothèque inestimable relatant toutes les facettes de la civilisation et la vie quotidienne de nos plus lointains ancêtres (lois régissant le mariage et le divorce, transactions commerciales, proverbes, blagues.), curieusement négligés de nos livres d'histoire.
Malgré les peuples très divers qui se sont établi depuis huit mille ans en Irak, en raison de sa position géographique stratégique (Akkadiens, Assyriens, Babyloniens, Perses, Grecs, Romains, Ottomans, Arabes...), il existe une continuité culturelle, entretenue par une longue tradition de d'acculturation réussie et de transmission de génération en génération. La population, qui avait bénéficié jusqu'à 1990 d'un enseignement de qualité, obligatoire pour tous, garçons et filles, était très fière et respectueuse de son patrimoine, dont les sites archéologiques font partie de l'environnement familier.
L'IRAK: «UN SEUL SITE ARCHEOLOGIQUE IMMENSE»  A LUI SEUL, EN GRANDE PARTIE INEXPLORE
Le nombre de sites est estimé à plus d'un demi-million, dont 25.000 sites majeurs, sur lesquels moins de la moitié ont été fouillés à ce jour. En réalité, "il n'est pas exagéré de décrire l'Irak comme un seul immense site archéologique virtuel ", selon John Curtis, assyriologue du British Museum (3). Ainsi, 99% des collines (Tell) correspondent aux remblais d'anciens villages, installés successivement sur les fondations des précédents depuis le XIe millénaire. Chaque tertre est donc formé d'une superposition de strates d'époques différentes pouvant chacune receler des milliers de pièces.
Au début de 2003, des équipes composées des plus éminents archéologues, conservateurs de musée et de chercheurs du monde entier, soutenues par des institutions internationales, avait réitéré leurs démarches auprès des autorités américaines et britanniques, et des Nations Unies pour leur demander de «tout mettre en oeuvre pour protéger le patrimoine de l'humanité», en respect de la Convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (ratifiée par 102 pays, dont l'Irak et les USA), et de la Convention de l'UNESCO de 1970. Ils avaient présenté aux responsables du Pentagone une liste des quatre mille sites les plus menacés par les bombardements, en insistant sur le fait « qu'il ne s'agissait que d'une partie infime des sites iraquiens ». D'énormes sigles «UNESCO» peints sur le toit des musées rappelaient aux agresseurs qu'il s'agissait d'établissements protégés par les lois internationales.
Les archéologues craignaient les bombardements et les pillages, alors que, "depuis sa fondation en tant qu'Etat moderne, et jusqu'en 1990, l'Irak a détenu un record enviable dans le domaine de la protection de son héritage culture l" soulignait le PR Gibson. Des monuments avaient été restaurés, comme la ziggourat(4) d'Ur, un temple et un palais de Nimroud ; la ville de Babylone avait été en partie reconstruite (dont les somptueux palais de Nabuchodonosor) dans les années 80, et de nouveaux projets étaient très avancés, avec l’objectif d’ouvrir le pays au tourisme. La création en 200 de l'Organisation nationale de l'archéologie et du patrimoine irakien (ONAPI), qui bénéficiait du budget équivalent à celui d'un ministère, avait permis de relancer les fouilles, susciter de nombreuses vocations de chercheur chez les jeunes, et de renforcer la conscience du peuple irakien pour son  Histoire.
LES BOMBARDEMENTS DE 1991 ET LES CONSEQUENCES DE L'EMBARGO AVAIENT DEJA GRAVEMENT ENDOMMAGE LE PATRIMOINE IRAKIEN
Le PR Gibson, qui dirige des fouilles en Iraq depuis 1964, a dénoncé les dégâts des bombardements de la première « Guerre du Golfe » sur des merveilles de l'architecture mondiale, comme la ziggourat d'Ur (-2100), touchée par quatre cents obus (l'armée irakienne avait installé des avions à proximité, préjugeant que la ville de naissance d'Abraham ne serait pas attaquée), l'arche de briques monumental de Ctésiphon, le plus vieux du monde (- 400), un palais d'Assourbanipal à Ninive et une église du Xe siècle à Mossoul. Des villages antiques reconvertis en sites militaires US avaient été détruits, comme Kirkuk, dont les maisons traditionnelles de la citadelle ont été rasées, ou Tell El-Lahm (au sud d'Ur), dont les ruines ont été écrasées par des bulldozers américains avant d'être pillées par les soldats. Le poids des tanks ou les chocs d'un bombardement réduisent en poussière les précieuses tablettes et autres pièces fragiles enfouies dans le sol.
Par ailleurs, l'embargo est responsable de la détérioration irréversible de pièces uniques du patrimoine de l'humanité. Les mauvaises conditions de conservation dues au manque de produits chimiques nécessaires à l'entretien des collections (interdits d'importation), à des infiltrations d'eau souterraine et à la chaleur (à la suite de l'arrêt de la climatisation), ont entraîné la dégradation irrémédiable de milliers d'objets.
SELON LE DROIT INTERNATIONAL, LA PUISSANCE OCCUPANTE PORTE L'ENTIERE RESPONSABILITE DES PILLAGES ET DES SACCAGES COMMIS
« Ce fut une véritable invasion. Ils ont brisé de lourdes statues, des lions babyloniens et des fresques de l'empire néo-babylonien. Ils ont pris des pièces, des têtes, des masques mortuaires sumériens. C'était horrible». Un assyriologue irakien cité par Aymeric Marchall (5).
Rappelant que le ministère du pétrole fut protégé par l'armée dès les premières minutes de la prise de capitale, le Dr Donny George, directeur général des recherches archéologiques du musée national de Baghdad (6), accuse les forces occupantes d'avoir refusé d'intervenir, «alors qu'un seul tank et quelques soldats auraient suffi à empêcher ces actes». Des actes criminels qui se sont déroulés cinq jours durant, sous l' oeil indifférent ou narquois des soldats présents dans les tanks parqués à proximité du musée.
Le Dr George et McGuire Gibson, l'un des trente experts nommés par l'UNESCO pour dresser le constat des dommages causés au patrimoine irakien au lendemain de l'invasion, sont certains que le pillage avait été commandité de l'étranger et que les exécutants étaient des professionnels : ils connaissaient exactement les pièces qu'ils devaient voler (ils dédaignèrent toutes les copies, comme celle du code Hammourabi), et ils étaient très bien équipés (diamants et de ventouses pour découper les vitrines, pieds de biche et burins pour desceller les fresques et les statues).
Plusieurs dizaines de milliers de pièces du musée (le chiffre exact ne pourra être connu avant plusieurs années) ont été détruites ou volées, parmi lesquelles la tête de taureau de la fameuse harpe d'Ur, la statue du roi Naram-Sin (- 2250), une statue monumentale akkadienne, des pièces d'ivoire sculpté (vers - 800), des marbres de Hatra (site classé par l'UNESCO), la porte d'une mosquée de Mossoul du XIIe siècle, les monnaies et les ivoires contenues dans les carrés, et la totalité des 5.000 sceaux cylindres (7).
En outre, plusieurs musées ont été  bombardés par l'alliance anglo-américaine. Celui de Tikrit, avec sa collection d'objets islamiques datant de Saladin, a été détruit au motif qu'il s'agissait de la ville natale du président Saddam Hussein. Celui de Mossoul, ainsi que les bâtiments de l'université de Al-Mustansrya (13e siècle), deux palais gouvernementaux de l'époque abbasside et une mosquée chiite du 16e siècle ont également été gravement touchés ; l'arche monumentale qui marque l'entrée du musée de Bagdad a été trouée par un obus. Et le bilan des bombardements est loin d'être définitif.
Lorsqu'il a été demandé à Donald Rumsfeld, ministre de la Défense, de faire cesser les pillages, il a ricané, affirmant que la télévision diffusait en boucle l'image d'un unique vase sous différents angles, et il a assimilé le pillage des musées «à des événements imparables, commis par des garnements, comparables aux émeutes lors des matchs de football» ! Son attitude a entraîné la démission du conseiller culturel principal de la Maison Blanche, Martin Sullivan, qui occupait ce poste depuis huit ans, aussitôt remplacé. par un marchand d'art ! « Les marchands d'art ont généreusement financé la dernière campagne présidentielle et comptent beaucoup d'amis au gouvernement» explique Martin Sullivan (8).
LE MUSEE DE BAGDAD ETAIT AU MOINS AUSSI RICHE QUE LE LOUVRE ET LE BRITISH MUSEUM
Des pièces uniques, comme un vase sacrificiel sumérien âgé de 5.000 ans, des bas-reliefs et des statues monumentales intransportables en raison de leur poids (plusieurs tonnes) ont été fracassés à coups de marteau de forgeron et de haches. Leurs fragments seront revendus à prix d'or sur le marché de l'art. Des dizaines de milliers d'objets auraient également été dérobés dans les réserves des musées. Les pièces, dont certaines dataient de plus de 7.000 ans, avaient été excavées par les équipes d'archéologues au prix de décennies d'efforts. Le régime de Saddam Hussein châtiait sévèrement les voleurs d'antiquités ; en 1991, des  vandales coupables d'avoir décapité un taureau ailé du musée de Mossoul furent exécutés.
Certains objets inestimables ont été retrouvés, souvent très endommagés, comme le fameux vase en albâtre de Warka (- 3100), qui représente des scène de culte de la déesse Inanna. Mais des dizaines de milliers d'autres pièces parmi les plus précieuses manquent toujours. D'autres trésors du musée de Bagdad, comme des malles remplies de bijoux et d'objets en or et pierres précieuses, avaient été mis à l'abri dans les  réserves de la Banque centrale, dont l'un des deux bâtiments a été incendié par un missile. La communauté des archéologues a réagi violemment à la campagne de désinformation de grande ampleur lancée à la fin de la guerre visant à minimiser les pertes, dédouaner l'alliance anglo-américaine des saccages et des vols, commis sous son entière responsabilité, et présenter une armée américaine soucieuse du patrimoine irakien, lors de mises en scène maladroites de récupération de pièces volées.
LES COLLECTIONNEURS SONT APPROVISIONNES PAR DES RESEAUX ORGANISES
Les vols et les pillages de biens culturels ont connu un essor sans précédent au cours des deux dernières décennies. La grande majorité des vols est le fait de bandes organisées au service de marchands d'art qui alimentent les collections particulières, dont les certaines n'ont rien à envier aux plus grands musées du monde. Certains responsables irakiens avaient souligné l'appétit des anglo-saxons pour leurs richesses, pétrolières, et aussi archéologiques. Depuis dix ans, le site Internet d'enchères américain «E-Bay» propose régulièrement aux collectionneurs des antiquités irakiennes, bijoux sumériens et tablettes cunéiformes, parfois bradées à moins de cent dollars.
Plusieurs filières d'approvisionnement existeraient, l'une partant vers Israël via la Jordanie, «plaques tournantes» d'un trafic qui aboutit à Londres et à Tokyo, une deuxième traversant l'Arabie Saoudite et une autre le Kurdistan. Un magasin de l'aéroport de Tel-Aviv vend même des antiquités irakiennes « hors taxes». Selon un journaliste spécialiste des mafias, les objets d'art joueraient un rôle croissant dans le blanchiment de l'argent sale en Suisse. Les courts délais de prescription jouent en faveur des trafiquants. Ainsi, un objet volé et stocké en Suisse pendant cinq ans peut être présenté aux acheteurs potentiels comme provenant d'une collection particulière.
LE PILLAGE DES SITES ARCHEOLOGIQUES EST ENCORE PLUS CATASTROPHIQUE POUR LE PATRIMOINE MONDIAL QUE LES PERTES SUBIES DANS LES MUSÉES
Cependant que les archéologues étaient empêchés de travailler en raison de l'embargo, les fouilles sauvages n'ont jamais cessé : depuis 1991, des milliers d'antiquités sont exportées illégalement chaque mois, et les archéologues ne peuvent se rendre sur le terrain sans escorte armée. Les pillards, munis de cartes détaillées, fouillent la seule couche contenant l'objet commandé, n'hésitant pas à détruire les strates supérieures.
Depuis l'invasion et le chaos qui en a résulté, les pillages ont lieu à très grande échelle dans tout le pays, perpétrés par des bandes d'une centaine de personnes, qui creusent nuit et jour à la pelle ou à la pelleteuse, protégés par des hommes munis d'armes semi-automatiques « Ce sont des bandes organisées qui travaillent à l'échelle internationale, appuyés par des financiers et des acheteurs potentiels » affirme l'assyriologue autrichien Walter Sommerfeld (8). Ces fouilles sauvages sont encore plus catastrophiques que les pertes subies dans les musées. Les immenses champs de pétrole irakiens sont gardés par des dizaines de milliers de soldats, mais les principaux sites archéologiques sont livrés sans vergogne aux pillards au service de mafias. Le saccage systématique des quinze principaux sites archéologiques irakiens se poursuit. Isin (-2000), Larsa, Adab, Umma, et le centre religieux de Nippour sont totalement dévastés. Les vestiges mésopotamiens qui avaient survécu à plusieurs millénaires ont été anéantis à tout jamais en quelques semaines. Or, pour les archéologues, entre 80 et 90% de l'information détenue par un objet est perdue si son contexte culturel n'est pas connu, car « ils ne recherchent pas les objets pour eux-mêmes, mais pour l'histoire qu'ils représentent », ainsi que le souligne Richard Zettler.
LE MARCHE DE L'ART EST LE CINQUIEME AU MONDE PAR LE CHIFFRE D'AFFAIRE
"Le marché de l'art regorge d'antiquités irakiennes, dont la quasi-totalité a été volée " constate amèrement le PR John M. Russell du Massachusetts College of Art, qui a vu y apparaître au milieu des années 90 des fragments de sculptures et des bas-reliefs assyriens qu'il avait photographiés dans un palais du roi Sennachérib à Ninive avant la guerre du Golfe. Depuis 1991, 4.000 objets répertoriés dans un catalogue officiel ont été retrouvés sur le marché de l'art à New York et à Londres, notamment à la galerie Mospief, condamnée par les tribunaux à restituer à l'Irak plus de deux cents objets volés, dont deux seulement ont été rendus (une tête de Méduse du site de Hatra pesant 250 kg et un bas-relief d'un rempart du palais de Ninive). McGuire Gibson, John Russel et les membres de l'IARC (Illicit Antiquities Research Center, Cambridge) inspectent régulièrement les galeries d'antiquités pour traquer les pièces volées. Ainsi, en 1999, l'archéologue italienne responsable des fouilles de Hatra a retrouvé à Londres un bas-relief représentant une femme hatrienne qui avait été découpé dans le mur d'enceinte de la ville. Depuis avril  2003, des centaines de pièces ont été retrouvées à Londres, New-York, Téhéran, Paris, en Jordanie et en Italie.
La destruction des catalogues et des ordinateurs lors de la mise à sac des locaux administratifs des musées rend impossible l'identification de pièces mises sur le marché de l'art, évitant ainsi tout risque de poursuites judiciaires. Les archives écrites les plus anciennes du monde du musée, de la Grande Bibliothèque, des Archives de Bagdad et de la Bibliothèque du Coran ne seraient pas toutes parties en fumée : selon des témoins, les bâtiments auraient été incendiés après le vol des manuscrits les plus précieux.
Début 2003, des membres de l'American Council for Cultural Policy (ACCP), un groupe de pression influent constitué de riches collectionneurs et de marchands d'antiquités fondée en 2001 par un ancien avocat du Metropolitan Museum de New York, avaient été reçus par des hauts responsables du Pentagone. Officiellement, l'ACCP offrait ses services afin de préserver le patrimoine irakien. En réalité, ce groupe avait pour objectif une modification de la législation, qualifiée de « rétentioniste », en vue de faciliter les exportations d'antiquités, interdites depuis 1920.
Cette démarche a déclenché les foudres de la communauté des archéologues pour laquelle tout assouplissement de la loi (qui interdit l'exportation des antiquités) serait «absolument monstrueuse ».
«  Je crains le pire, il y a un vrai marché mondial de la tablette cunéiforme » révèle Jean-Jacques Glassner, historien de la Mésopotamie. Or, avec la disparition de ces textes, des pans entiers de notre passé resteront à tout jamais incompréhensibles.
QUEL AVENIR POUR LES RECHERCHES ARCHEOLOGIQUES DANS UN PAYS DEVENU UN IMMENSE CHAMP DE MINES ET UNE POUBELLE RADIOACTIVE ?
Le black-out sur la nature, le nombre et les lieux d'impact des nouvelles armes de destruction massive utilisées lors de l'invasion de 2003 ne laisse pas d'inquiéter, tant sur le sort des populations locales et de leur descendance, que sur celui des vestiges archéologiques. Des armes toujours plus sophistiquées, plus puissantes et plus destructrices (certaines pouvant tout anéantir en profondeur sur plusieurs km) ont été de nouveau testées sur le sol irakien, devenu depuis 1991 un champ d'expérimentation militaire grandeur nature : obus et missiles à l'uranium appauvri, « faucheuses de marguerites », bombes à fragmentation, au napalm, bombes électromagnétiques. La vie des chercheurs sera désormais mise en danger par les quantités énormes de mines non explosées disséminées sur le territoire irakien.
L'association Human Right Watch, qui avait recensé quatre mille victimes de ces mines en 2002 (trente millions de sous munitions avaient été tirées en 1991), affirme qu'en 2003 la quasi-totalité du pays a été touchée. Par ailleurs, l'utilisation intensive d'armes à l'uranium appauvri aurait causé une pollution radioactive et chimique très supérieure à celle de 1991. L'uranium appauvri, déchet de l'industrie nucléaire, a une demi-vie de 4,5 milliards d'années (l'âge de la Terre) ; il est mélangé à du plutonium et de l'uranium 236 dans les nouvelles armes nucléaires qui ne disent pas leur nom. Les Etats-Unis ont refusé d'entreprendre des travaux de décontamination et de déminage. L'uranium appauvri est responsable de la multiplication des cas de cancers, de leucémies et de malformations congénitales monstrueuses, notamment dans le sud de l'Irak.
COMMENT LIMITER L'AMPLEUR DE LA CATASTROPHE ?
Le Conseil International des Musées (ICOM) a appelé les marchands d'antiquités, les collectionneurs et les musées à cesser d'acquérir des objets provenant de la région et « d'observer la plus grande vigilance pour ne pas participer aux atteintes irréparables du patrimoine de l'humanité. » Le devoir de l'UNESCO (que les USA ont réintégré peu de temps avant l'agression) est d'utiliser tous les moyens pour faire respecter les conventions de 1954 et de 1970. La présentation des principales pièces volées sur son site Internet, ceux d'Interpol et de l'Institut oriental de l'université de Chicago permettra peut-être de récupérer quelques-uns des trésors appartenant au Patrimoine de l'Humanité, mais les pièces non recensées sont à jamais perdues. Sur les 4.000 pièces de valeur volées en 1991 dans les musées, seules quatre d'entre elles ont été retrouvées. Les spécialistes sont très pessimistes quant à la possibilité de stopper ce marché illégal extrêmement lucratif, en passe de surpasser le narcotrafic. La destruction du patrimoine irakien est un crime contre l'humanité, au même titre que le génocide de sa population qui se poursuit depuis quatorze ans.
- NOTES :
(1) Science, 21 mars 2003.
(2) La Mésopotamie a connu une forte concentration urbaine dès le IVe millénaire. C'est seulement au milieu du XIXe siècle que les archéologues découvrirent les premières cités du monde. Aucune ville n'a encore pu être dégagée intégralement d'un tell, compte tenu de leur étendue. Ainsi, Uruk couvrait 550 hectares dès le IIIe millénaire ; ses remparts s'étalaient sur 9,5 km et possédaient 900 tours. Des plans d'urbanisme présidaient à la création et au développement des cités, et chaque ville possédait des quartiers spécialisés : places et rues marchandes, rues regroupant les différents corps de métiers, quartiers résidentiels, jardins exotiques en terrasse - tels ceux de Sémiramis à Babylone.
(3) Cité par Donald MacLEOD, Blown away, The Guardian, 25 mars 2003.
(4) Edifices religieux monumentaux de forme pyramidale constitués de plusieurs terrasses de taille décroissante reliées par des escaliers, et surmontés d'un temple consacré à une divinité. A ce jour, seules 16 ziggourats ont été mises au jour. La plus célèbre est celle d'Ur, exhumée en 1923 par un archéologue britannique et restaurée par le département des antiquités irakien. Celle de Babylone, décrite par l'historien grec Hérodote, a été identifiée comme étant la tour de Babel de la Bible.
(5) Enquête sur un pillage; Le passé piétiné de l’Irak , Science et Avenir, juin 2003.
(6) Le musée est composé de 32 galeries qui contenaient les plus importants vestiges préhistoriques, sumériens, akkadiens, babyloniens, assyriens, néo-babyloniens, perses, grecs, parthes, sassanides et islamiques au monde, dont les oeuvres les plus anciennes de l'humanité.
(7) Les sceaux cylindres, gravés de motifs en miniature qui étaient déroulés sur des tablettes d'argile, authentifiaient leur propriétaire. Chacun de ces sceaux vaut environ 30.000 $.
(8) Les voleurs de Bagdad, Main basse sur les trésors de la Mésopotamie, documentaire, GEIE,  Arte, 2003.
                       
17. Avertissement aux dirigeants iraniens : faites attention, avant qu’il ne soit trop tard ! par Saïd Al-Shihâbiyy
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 4 juin 2003
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
(Saïd Al-Shihâbiyy est écrivain et journaliste bahreïni résidant à Londres.)
Le tour est-il venu, maintenant, pour l’Iran, de resserrer le front intérieur face aux menaces américaines, le rouleau compresseur américain semblant avoir inscrit ce pays sur son calepin dévastateur ? Ou bien alors, les menaces adressées dernièrement à Téhéran n’étaient-elles qu’un moyen de pression afin de faire en sorte que la République islamique reste neutre face au plan (dit) de « paix » américain ? Ces menaces sont-elles liées à la mobilisation politico-médiatique qui a fait suite au déboulonnage du régime irakien en vue de paver la voie du règlement de la question palestinienne selon les vues américaines contenues dans la « feuille de route », ou bien s’agit-il d’une suite naturelle du programme de travail américain au Moyen-Orient – lequel programme, rappelons-le, a commencé par les bombardements de la Libye en 1986, puis du Soudan au milieu des années 1990, puis qui s’est poursuivi avec l’élimination des Taliban en Afghanistan, et enfin s’est parachevé avec l’éviction de Saddam Hussein ? Quoi qu’il ait pu être dit au sujet de la campagne récente contre Téhéran, il n’y a aucun doute sur le fait que les dirigeants de Téhéran ont commencé à prendre les menaces américaines très au sérieux, en particulier après qu’ils aient pu constater de leurs propres yeux, à l’instar d’ailleurs du monde entier, qu’ils sont confrontés à une puissance militaire énorme qui n’écoute que ses propres décisions, en restant totalement sourde aux avis du monde entier, lequel se retrouve marginalisé. Cette puissance est même capable de contraindre le conseil de sécurité de l’Onu à reconnaître son « droit » à occuper l’Irak ouvertement, en plein jour !
Depuis quand le colonialisme peut-il ainsi se permettre de s’assurer la bénédiction mondiale et le silence absolu de la collectivité internationale ? Les Iraniens, comme bien d’autres, ont compris que Washington est capable de défier le monde arabo-musulman, en utilisant les contradictions des pays qui le composent et en particulier la faiblesse de leurs relations interétatiques et leur enthousiasme pour l’Etat nation en lieu et place de la solidarité et de l’union stratégique entre eux, l’absence des pratiques démocratiques qui les caractérise, et la difficulté d’émergence d’une alliance solide entre eux ou d’un accord sur une action stratégique unifiée qui soit de nature à les aider à faire face à des menaces américaines incessantes. L’Iran a pu constater, comme bien d’autres pays, que Washington est capable de prendre ces pays à part, les uns après les autres, tantôt au moyen d’accords militaires bilatéraux, tantôt en intervenant directement dans le processus de prise de décision à l’intérieur de certains d’entre eux, et enfin en ignorant jusqu’à leur existence, en imposant les décisions qui lui conviennent dussent-elles porter atteinte à la souveraineté de ces pays. Ne négligeons pas non plus le procédé consistant à acheter les prises de position de certains pays à travers des programmes d’aide financière dont ils ont un besoin impérieux…
L’Iran sait très bien qu’une Nation (musulmane) qui a été incapable de défendre la Palestine ou la Libye ou le Soudan ou l’Afghanistan ou encore l’Irak ne sera pas plus capable de lui apporter la moindre assistance politique ou militaire, dans le cas où il subirait une agression américaine. Il y a une autre dimension à ce problème, qui réside dans l’isolement de l’Iran en raison de son refus absolu de reconnaître l’occupation de la Palestine par Israël, qui est précisément le point où le bât blesse dans le maelström actuel. En effet, Washington sait très bien qu’il a remporté la victoire dans sa guerre contre l’Irak – et pour cause – avec facilité et au prix de pertes humaines (américaines…) extrêmement limitées, mais qu’il est confronté à des difficultés sans nombre dans le traitement de l’après-guerre et incapable de parvenir à une configuration politique raisonnable pour l’Irak ni une formule permettant de le gouverner à l’avenir en raison des polarisations continues entre les différentes factions irakiennes elles-mêmes. L’Iran a appris, également, qu’en dépit de ses tentatives de rester totalement neutre face au problème irakien, ses influences culturelles et religieuses (naturelles) sur l’Irak et son peuple seront forcément interprétées par les Américains comme une immixtion dans les affaires intérieures irakiennes. Cela, tout en reconnaissant qu’il ne serait pas raisonnable qu’un Etat, quel qu’il soit, reste les bras croisés et se comporte en spectateur de ce qui se passe à ses frontières, en particulier si lesdites frontières sont soumises à un « lifting » idéologique et politique (américain). Ainsi, la Turquie, par exemple, a-t-elle annoncé clairement qu’elle ne permettra pas la création d’un Etat kurde dans le nord de l’Irak, car cela, à ses yeux, aurait un impact direct sur ses intérêts stratégiques. La Syrie et l’Iran ont adopté une position identique consistant à ne pas accorder leur bénédiction à l’élimination d’un régime politique par des forces étrangères. Il n’est pas douteux que Washington a été fort irrité en apprenant que les pays voisins de l’Irak ont organisé, il y a deux mois de cela, un congrès afin d’examiner le dossier irakien. Néanmoins, la position des Etats-Unis sur l’Iran et sa politique présente deux aspects : l’un d’eux est relatif aux conséquences immédiates de la politique iranienne pour la situation régionale, en particulier en Irak et en Palestine ; et le deuxième est lié aux conséquences stratégiques de l’existence d’un régime islamique en Iran, non seulement dans la région, mais aussi, plus largement, dans le monde entier.
C’est dans ce contexte que la politique américaine vise depuis longtemps l’Iran, chaque fois que les intérêts américains sont menacés par des formations islamistes, quand bien même ces formations n’auraient rien à voir avec l’Iran, voire même, seraient fortement hostiles à ce pays. Les Etats-Unis, en effet, voient dans la poursuite de l’existence d’un régime religieux en Iran une source d’influence non négligeable sur les groupes musulmans, modérés ou non, et que tant que le régime religieux restera en place dans ce pays, celui-ci demeurera un foyer d’inspiration et d’influence qui empêche qu’on ne désespère de la possibilité d’instaurer des régimes semblables dans les autres pays musulmans. Les Etats-Unis ont pu contenir le projet islamiste dans plusieurs pays, principalement au Soudan, en Afghanistan, en Jordanie, au Yémen, au Pakistan, en Egypte et au Maroc, mais ils ont échoué, jusqu’ici, à contenir le projet islamiste en Iran. Ses efforts afin d’abattre ce régime se poursuivent sans interruption depuis les premiers jours de son avènement. Ainsi, les Etats-Unis ont-ils décrété un embargo économique et politique contre Téhéran et ont-ils pris parti pour Saddam Hussein dans la guerre irako-iranienne, laquelle a duré huit années, et se sont-ils tenus aux côtés du Koweït dans ce qui fut connu, à l’époque, sous la dénomination d’ « accompagnement des bateaux » koweïtiens par des destroyers américains, et ont-ils consacré des budgets énormes à appuyer les tentatives d’ébranlement du régime islamique. Ils ont soutenu le régime des Talibans afin de faire pression sur Téhéran. Après la chute du régime de Saddam Hussein en Irak, les Etats-Unis ont annoncé être parvenus à un accord de « cessez-le-feu » avec l’organisation des Mujâhidî Khalq [= « les Combattants du Peuple »] qui ambitionnaient d’abattre le régime islamique de Téhéran, alors même qu’il s’agit d’un mouvement qui figure toujours sur la liste américaine des groupes terroristes mondiaux ! Ils n’ont cessé d’annoncer qu’ils soutiennent les réformateurs iraniens, soutien qui a mis dans le plus grand embarras ces mouvements, les poussant à annoncer qu’ils refusent ce « soutien » américain. En effet, l’opinion publique iranienne refuse toujours de traiter directement avec les Etats-Unis, et considère tout soutien américain à quelque mouvement iranien que ce soit comme « le baiser de la mort », même si ce sentiment est susceptible de changer, en particulier dans les périodes où le courant conservateur est particulièrement affaibli.
Washington n’a jamais fait mystère de son désir de faire tomber le régime islamique en Iran, ce régime dont l’instauration avait représenté à l’époque la plus grosse baffe jamais reçue par la politique américaine dans la région. L’autre dimension de la position américaine hostile à l’Iran est liée à la cause palestinienne et à la politique iranienne, constante, de refus de reconnaître l’entité sioniste et de toute participation dans un quelconque processus « de paix » qui risquerait de conduire à une telle reconnaissance. Depuis la disparition de l’imâm Khomeïny, dont on commémorera prochainement le quatorzième anniversaire, (l’Imâm est décédé, que Dieu lui accorde sa Miséricorde, le 4 juin 1989) un changement a pu être constaté. Bien que subtil, ce changement est important pour la politique iranienne dans la mesure où Téhéran est désormais engagée à respecter la décision du peuple palestinien et ses choix propres, alors qu’auparavant, elle était engagée – ouvertement – à œuvrer afin de mettre fin à l’occupation israélienne – jusqu’au bout . De ce fait, Washington (qui est engagée publiquement à soutenir l’entité israélienne et à la protéger) considère la poursuite de la politique iranienne de refus de reconnaître cette entité ainsi que la politique communicationnelle et religieuse qui consacre ce refus et la culture de refus de l’occupation comme une menace pour la politique américaine dans cette région du monde. L’Iran fut parmi les premiers opposants absolus au projet américain en matière de cause palestinienne, incarné dans la conférence de Madrid de 1992, et il a manifesté son opposition aux accords d’Oslo, soutenant l’Intifada palestinienne moralement et politiquement, de la même manière qu’il a soutenu la résistance islamique libanaise.
Aujourd’hui, après que les Etats-Unis ont réussi à abattre le régime de Saddam Hussein et que Washington est engagé par ses promesses faites avant le déclenchement de la guerre contre l’Irak de s’attaquer au dossier palestinien avant la fin de cette année, et que la feuille de route a été annoncée à cette fin, et en dépit d’un sentiment excessif de force, les Etats-Unis n’ont pas pour autant cessé d’avoir conscience du danger pesant sur sa politique palestinienne en raison de l’insistance de certains groupes palestiniens à résister à l’occupation et à refuser de reconnaître l’entité sioniste. Ils ont le sentiment, par ailleurs, que la politique iranienne est de nature à exercer une influence négative sur leurs projets, en particulier dans le cas où se poursuivrait la coopération iranienne avec les formations palestiniennes qui s’y opposent et la Syrie. C’est pourquoi il n’est nullement étonnant que la colère américaine se soit déversée tant contre la Syrie que contre l’Iran dans les quelques jours consécutifs à la chute du régime de Bagdad. Afin d’assurer le succès du projet américain, Washington s’est efforcé, aiguillonné en cela par le gouvernement israélien, d’éloigner Yasser Arafat et de faire pression sur Mahmoud Abbas (Abou Mazen) de toutes les manières possibles et imaginables afin qu’il fasse des concessions et empêche les mouvements Hamas et Djihad islamique de lancer des opérations militaires contre les forces d’occupation, de lancer une campagne contre la Syrie et l’Iran grâce à toutes sortes d’accusations et de prétextes afin de leur imposer la mise en veilleuse de leur opposition au projet américain. Enfin, de manière à parachever la pression morale sur Téhéran, Washington a lancé des allégations très graves contre l’Iran, prétendant notamment que ce pays abriterait des éléments de l’organisation Qa’ida et que ses ambitions nucléaires représenteraient un danger pour l’ensemble de la région.
De son côté, l’Iran est aujourd’hui plus conscient du danger américain, et ses dirigeants se sont efforcés au cours des semaines passées de réviser leurs calculs et de faire le dos rond sous la tempête comme le roseau qui plie mais ne rompt pas. D’un côté, ils savent que la situation de l’Iran n’est pas comparable à celle de l’Irak – en effet, il n’y a aucune résolution internationale du Conseil de sécurité contre l’Iran, et personne ne prétend qu’il détient des armes de destruction massive ; de plus, les pays qui coopèrent avec lui dans le domaine nucléaire sont des grandes puissances comme la Russie, le Japon et l’Allemagne, et l’Agence Internationale de l’Energie Atomique n’a jamais émis le moindre doute sur le caractère civil de bon aloi de ces projets nucléaires – et par conséquent il n’y a que les Etats-Unis pour tenter de criminaliser l’Iran, tandis que l’Union européenne ne partage absolument pas les « craintes » que l’Iran inspire à Washington. Cela a été illustré par la quatrième session consacrée à la coopération économique entre l’Union européenne et l’Iran, tenue à Téhéran cette semaine, au cours de laquelle les Européens ont affirmé leur volonté de poursuivre la politique du « dialogue franc et sans concessions » avec l’Iran. En ce qui concerne son projet nucléaire, l’Iran a déclaré qu’il était prêt à signer un protocole ad hoc avec l’Agence Internationale de l’Energie Atomique à condition que soit levé l’embargo qui lui est imposé et qui lui interdit d’importer des matériaux indispensables à l’industrie nucléaire, protocole en vertu duquel l’Agence serait autorisée à effectuer des missions d’inspection de ses installations nucléaires à tout instant et sans préavis. 93 Etats ont signé cette charte. En dépit de la signature par l’Iran de l’accord de limitation des armes nucléaires et des autres chartes allant dans le même sens, il est encore en butte à un embargo très sévère frappant ses importations de matières utilisées dans l’industrie atomique. L’Iran fait observer le refus des Etats-Unis de soumettre les installations nucléaires israéliennes aux inspections internationales et son insistance à faire obstacle à tout projet similaire dès lors qu’il serait arabe ou islamique. Téhéran, de la même manière, a le sentiment que peu de choix qui lui sont laissés : elle défend une idéologie islamiste très claire qui ne saurait admettre l’occupation des terres palestiniennes par Israël, et son intérêt national lui impose de se protéger et de protéger ses frontières. On remarque la volonté de l’Iran d’échapper aux pressions américaines en développant son dialogue avec l’Union européenne, ainsi qu’avec les pays arabes et musulmans.
Au cours de la trentième session de l’union des ministres des affaires étrangères des pays musulmans, qui s’est tenue à Téhéran la semaine passée, l’Iran s’est adressé à ces pays et s’est efforcé de renforcer l’axe islamique sur des bases communes dégagées d’un commun accord et clairement formulées. Cela s’est manifesté dans le discours de l’Ayatollah Ali Khameneï, du président Khatami et du Shaïkh Hâshimî Rafsandjânî. Le message de l’ensemble de ces personnalités se concentre, pour l’essentiel, sur la nécessité d’éveiller la conscience des nations musulmanes et de consacrer la coopération, la solidarité et la consultation entre elles. Ces propositions sont extrêmement positives mais elles n’atteignent pas le degré du projet islamique solidaire requis afin de faire face aux menaces américaines continuelles contre les pays membres du Congrès islamique, en particulier. La concurrence pour le pouvoir qui règne à Téhéran encourage les menées américaines contre l’Iran. Par conséquent, la situation actuelle exige des dirigeants iraniens qu’ils s’imprègnent profondément de l’expérience malheureuse de l’Irak et qu’ils oeuvrent afin de décevoir les espoirs des ennemis de la révolution et du régime islamiques, tapis en embuscade. Cela ne saurait suffire à déjouer les menaces et les manœuvres américaines, mais en tous les cas cela ne pourra que rendre le travail de sape des Américains plus difficile et les convaincra éventuellement qu’il est inutile de défier Téhéran. Certes, l’Iran n’est pas l’Irak, tant du point de vue de la nature du régime que de son idéologie, ni en ce qui concerne la complexion psychologique des Iraniens, ou la position des citoyens iraniens vis-à-vis des menaces extérieures. Il est certain que la période qui s’ouvre connaîtra une guerre des nerfs ouverte entre les deux camps, et il est peu probable que les Américains se livrent à une agression caractérisée contre l’Iran, en particulier à la lumière de l’extrême modestie des réalisations américaines en Irak après la chute de Saddam Hussein, et de leur échec à trouver les armes de destruction massives qui étaient le principal prétexte invoqué afin de déclencher leur agression contre l’Irak. Néanmoins, la détermination américaine à affronter la République islamique d’Iran est devenue plus claire au cours du sommet du G8 des pays les plus industrialisés, qui s’est tenu récemment dans la ville française d’Evian, lorsque les Etats-Unis ont imposé aux pays participants l’adoption d’une résolution relative au projet nucléaire iranien. Il s’agit là d’une initiative particulièrement préoccupante, qui exige des Iraniens qu’ils agissent sans plus tarder afin d’en contenir les répercussions et d’éviter qu’elles ne s’enveniment.
                                 
18. Les colonies : Guide de l’utilisateur par Gabriel Ash
on YellowTimes.org (e-magazine américain) du jeudi 15 mai 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Gabriel Ash est né en Roumanie et a grandi en Israël. Il vit actuellement aux États-Unis et collabore régulièrement à Yellow Times.)
La liste des humiliations essuyées par Colin Powell en Israël s’est enrichie d’un exposé du premier ministre Sharon lui expliquant pourquoi Israël ne peut arrêter l’expansion des colonies. Sharon a demandé à Powell « Qu’est-ce que vous voulez ? Qu’une femme enceinte se fasse avorter pour la simple raison qu’elle est une femme colon ? »
L’image d’Epinal présentant les colons comme de gentils civils, qui veulent simplement vivre leur vie, sert l’intention de Sharon d’enterrer la « feuille de route » et de sauver une fois de plus Israël de la paix qui le menace. En effet, l’expansion continue des colonies tout au long du processus d’Oslo a déjà « sauvé » Israël de la paix une première fois. De 1993 à 2001, la population des colons a augmenté de 91 % en Cisjordanie, ce qui a amplement suffi à prouver aux Palestiniens qu’Israël n’avait nullement l’intention d’évacuer les territoires occupés. Mais cette image d’Epinal est fausse. Les colonies de Cisjordanie n’ont rien des banlieues du New Jersey. Elles sont un élément fondamental de ce qui fait d’Israël un Etat unique en son genre. Il importe donc de comprendre ce que sont, en réalité, les colonies : des armes.
Les mots désignant les « implantations » en hébreu sont yishuv et hityashvut. Les Israéliens n’utilisent pas ces mots pour désigner les implantations dans les territoires occupés, ils les réservent plutôt à des implantations plus anciennes : les kibbutzim et les moshavim (fermes collectives), les uns comme les autres créés avant et peu après 1948, dans des régions qui sont aujourd’hui en Israël. L’antonyme de yishuv est le mot qui désigne un terrain vague ou le désert : shmamma. Cela renvoie à la « vacuité » mythique de la Palestine dans l’imaginaire des balbutiements du sionisme – le désert attendant les colons qui le feraient « refleurir » ! Ce mythe ignore la réalité, à savoir que la Palestine était peuplée et que ses habitants, les Palestiniens, y vivaient depuis des générations.
Par contraste, le mot hébreu utilisé pour désigner les colonies dans les territoires occupés depuis 1967 est hitnakhlut, mot d’origine biblique qui signifie en gros « s’installer dans ses propriétés ». La racine antonyme suggère le nomadisme, l’errance au désert. Ce changement d’usage reflète l’évolution du sionisme, depuis la mentalité coloniale des premiers pionniers vers le fanatisme religieux des colons post-1967.
Un autre groupe de termes décrivant les colonies, en hébreu, proviennent de la terminologie militaire : ces mots désignent des observatoires, des avant-postes : mitzpe, ma’akhaz, he’akhzut, etc. Les premiers colons sionistes sont souvent désignés au moyen du terme « pioneers » en anglais, « pionniers » en français. Toutefois, le mot hébreu qu’ils utilisent eux-mêmes, khalutz, provient du jargon militaire, dans lequel il signifie «éclaireur ».
Sous tous leurs avatars, les colonies sont par conséquent des bâtiments et quartiers autres que des habitations civiles. Ce sont des actions sur le front de la guerre de conquête – une guerre conçue alternativement comme une lutte contre le désert (hityashvut), comme une lutte contre des squatters (hitnakhlut) ou encore, plus sérieusement, une lutte aux fins d’un contrôle militaire du terrain (mitzpe, he’akhzut). Ces trois variantes sont, toutes, des métaphores d’une guerre : guerre de la civilisation par opposition à la nature ; guerre des propriétaires « en titre » contre des squatters ; guerre, enfin, entre « eux » et « nous ». Le problème étant que ce qui apparaît comme « nature » dans l’équation est en réalité une civilisation réellement existante ; que les soi-disant « squatters » sont titulaires d’un titre de propriété ; et que le « nous » est – aussi - « eux ».
S’implanter signifie aussi vaincre le nomadisme interne – celui du juif errant du discours antisémite européen, qui imprègne de part en part l’imagerie sioniste. La violence extrême des colons est aussi un avatar de cette identité / identification refoulée : une haine de soi projetée sur l’autre idéalisé.
Il y a peu de mystère autour de l’objectif de l’activité de colonisation. Depuis le début, le sionisme utilise un terme militaire pour désigner la stratégie générale de construction de colonies : « la conquête de la terre », kibosh ha’adama. En tant que partie intégrante d’une campagne militaire, les colonies en Cisjordanie répondent à un plan d’attaque explicite, dont les objectifs sont clairs et les moyens ouvertement décrits dans des documents publics aisément consultables : le plan Alon, le plan Drobless, le plan Sharon, le plan des 100 000, etc.
Comme toute campagne militaire, la colonisation a des objectifs. Ainsi, Natzeret Illit a pour cible Nazareth ; Kiriat Arba a pour cible Al-Khalil (Hébron) ; Kedumim a pour cible Naplouse ; Ma’ale Adumim a pour cible la continuité territoriale entre le nord et le sud de la Cisjordanie ; Ashkelon a pour cible Al-Majdal, ville palestinienne entièrement nettoyée ethniquement en 1950 – bien après que les fumées de la guerre de 1948 se soient pourtant dissipées, et ainsi de suite.
Les « implantations » occupent des positions stratégiques, tel le sommet d’une colline, une route exposée à des tirs éventuels, un puits, etc ; les colonies peuvent recouvrir les vestiges d’un village palestinien détruit, et tenir sous leur feu ses terres agricoles ; elles sont nombreuses à contrôler des ressources hydriques.
Depuis 1948, le premier bataillon lancé à l’offensive, dès lors qu’une implantation a été décidée, se compose de bureaucrates – cartographes, hydrologues, ingénieurs du génie civil, juristes, juges et apparatchiks. Leur tâche consiste à déterminer quelles terres il est intéressant de confisquer aux Palestiniens, et quelle est la meilleure manière de désorganiser la cohésion sociétale de la cible.
La terre peut être expropriée sous prétexte d’une utilisation « publique » - c’est-à-dire juive – ou elle peut être déclarée « abandonnée » si elle appartenait à un réfugié (parti en exil). Souvent, toutefois, une colonie commence sous la forme d’un camp militaire, car la « sécurité » est la meilleure justification « légale » pour confisquer des propriétés privées palestiniennes – une maison, un potager, un champ. La brigade Nakhal est une unité spécialisée de paras dont la noble mission consiste notamment à fournir du « personnel », sous forme de pseudo-troufions déguisés, pour de nouvelles implantations maquillées en camps militaires !
Souvent, la terre est décrétée « terre d’Etat » afin de repousser toute offensive légale devant le « comité d’appel » militaire ad hoc, lequel sert à donner les coups de tampon officiels a ce qui est ni plus ni moins qu’un vol à main armée. Les « terres d’Etat » constituent le domaine foncier d’Israël, lequel est réservé au bénéfice exclusif des juifs (c’est d’ailleurs ce que l’expression « Etat juif » signifie, dans la pratique). Ainsi, les contrats de location, dans les colonies, interdisent que des non-juifs y habitent.
Il arrive parfois qu’une volonté de donner une honnêteté de façade à ces pratiques requière que des terres volées à des Palestiniens connaissent quelques années de « décontamination », sous la forme, par exemple d’un parc naturel, d’une réserve environnementale, etc, avant d’être « dégelées » pour leur nouvelle destination exclusive de énième nouvelle colonie juive. C’est tout particulièrement fréquent à Jérusalem Est.
Au bout du compte, peu importe la manière dont la terre est accaparée. La colonie de Shilo, créée en 1985, comporte 45 % de terrains déclarés « publics », 52 % de terrains expropriés pour des raisons de « sécurité », et 3 % de terres expropriées à des fins d’utilisation « publique ». Shilo n’en est pas moins utilisée à 100 % comme arme contre la population palestinienne…
Après les bureaucrates vient le tour des bulldozers, suivis par les roulottes, les ouvriers du bâtiment et, enfin, les colons. Des Palestiniens possédant la citoyenneté israélienne, et néanmoins exclus comme on sait de la plupart des emplois en Israël, peuvent au moins nourrir leur famille en travaillant comme ouvriers du bâtiment dans les chantiers de construction des colonies, où leur travail consistera à cimenter les pierres tombales de leur propre disparition.
C’est lorsque des familles (juives, bien entendu, ndt), finalement, viennent pendre la crémaillère dans une nouvelle colonie, que la guerre commence. Une colonie (à la différence d’un village palestinien) a besoin d’espace pour croître, de réserves de terres agricoles, de ressources en eau abondantes et bon marché, etc., que l’Etat d’Israël lui procurera généralement en utilisant des ressources déniée à la ville-cible ou au village-cible. Ainsi, par exemple, chaque colon à Hébron consomme plus de neuf fois plus d’eau quotidiennement que son voisin palestinien qui est privé du strict nécessaire.
De plus, une colonie a besoin d’accès – une route – pour la connecter à d’autres colonies. Les routes représentent l’outil idéal pour la confiscation des propriétés palestiniennes. Entre août 1994 et septembre 1996, 4 386 dounoms de terres privées (environ 440 hectares) ont été confisquées au motif de la construction de dix-sept routes de « contournement ». Les routes sont par définition longues, mais elles sont dans le cas d’espèce particulièrement larges, et leur trajectoire peut être déviée, ici ou là, afin de créer le maximum d’impact en termes de maisons promises à la démolition, de vergers voués à l’arrachage ou de cultures condamnées à la destruction. Utilisée correctement, une route peut être une arme de destruction massive. Par exemple, la route 447, construite afin de réduire de cinq minutes, en tout et pour tout, le trajet jusqu’à la colonie d’Ariel, a « nécessité » l’arrachage de mille oliviers et la confiscation de 7,5 hectares de terrains appartenant aux habitants des deux villages palestiniens situés en ligne de mire de cette colonie. De plus, toute route reliant entre elles deux colonies juives est aussi une route qui sert à séparer deux villes palestiniennes. Les Palestiniens ne sont pas autorisés à utiliser les routes « juives ».
Ainsi, la terre devient un palimpseste, sur lequel chaque action d’ingénierie civile est aussi son contraire, un acte de guerre : les routes augmentent les distances entre les hommes ; la construction de maisons aggrave la surpopulation ; l’extension de réseaux d’eau crée des pénuries, etc. Tous les aspects de la vie humaine sont transformés en arsenal. Même les eaux d’égout produites par une colonie sont utilisées à la manière d’une arme contre les villes palestiniennes situées en contrebas. Chaque élément du paysage peut faire l’objet d’une double lecture, affectée du signe « + » dans l’écosystème juif et du signe « - » dans l’écosystème palestinien.
En fin de compte, comme toutes les opérations militaires, les colonies génèrent une réaction défensive, qu’Israël appelle « terrorisme ». D’où il découle que les colonies nécessitent une protection, une enceinte, un périmètre de sécurité, un camp militaire à proximité, un mur, des routes de contournement, etc. Tout cela exige beaucoup d’espace, justifiant du même coup des confiscations de terres supplémentaires, de nouveaux champs déclarés inaccessibles car au-delà des limites autorisées à leurs propriétaires (ce qui permet de les déclarer terres d’Etat au bout de trois ans, comme le prescrit la loi ottomane [toujours en vigueur quand c’est opportun ! ndt] ), ainsi que des checkpoints, des attaques de missiles, des emprisonnements, des assassinats, etc., etc.
Une colonie est un acte d’agression commis dans le cadre d’une guerre post-moderne, une guerre génocidaire qui ne peut être télévisée, en dépit du fait qu’elle se déroule à la vue de tous, cameramen potentiels y compris.
Les stratèges chinois Oiao Liang et Wang Xiangsui écrivent dans leur ouvrage, paru en 1999, « La guerre illimitée » (Unrestricted Warfare) que dans la guerre, à l’avenir, il n’y aura pas de champs de bataille classiques, pas de combattants et pas d’armes non plus… La guerre du futur se déroulera partout, elle impliquera tout le monde, et elle sera menée en utilisant des objets banals, de la vie de tous les jours. En résumé, ils nous avertissent qu’il n’y aura plus désormais de distinction entre la guerre, le terrorisme et la vie quotidienne.
En Palestine, ce futur a déjà cent ans d’âge.
[Pour plus d’information sur les colonies, voir le site web de l’association B’Tselem : http://www.btselem.org/Download/Land_Grab-Eng.pdf]