Mobilisation Générale : à vos téléphones, fax et emails !
Vous avez 12 jours pour empêcher la tenue d'une soirée de "bienfaisance" à Marseille
destinée à récolter de l'argent pour l'armée d'occupation israélienne
[Détail ci-dessous]
           
                       
Point d'information Palestine N° 235 du 04/05/2004
Newsletter privée réalisée par La Maison d'Orient - BP 105 - 13192 Marseille Cedex 20 - FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail :
lmomarseille@wanadoo.fr
Association loi 1901 déclarée à la Préfecture des Bouches-du-Rhône sous le N° 0133099659
Rédacteur en chef : Pierre-Alexandre Orsoni
                                              
Si vous ne souhaitez plus recevoir nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : lmomarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à un réseau strictement privé de 8785 destinataires et n'est adossé à aucun site internet.
Les propos publiés dans cette lettre d'information n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs.
Consultez régulièrement les sites francophones de référence :
http://www.solidarite-palestine.org - http://www.paix-en-palestine.org - http://www.protection-palestine.org
                                                               
                       
C'est avec beaucoup de tristesse que nous vous informons du décès de notre ami et poète palestinien, Mustafa Ateek, le samedi 10 avril dernier. Nos pensées vont à sa famille et ses amis, ainsi qu'à sa compagne, Anne. Il y a quelques semaines, Mustafa nous avait offert un poème intitulé "Retour en Palestine" qui fera l'objet d'une publication dans le prochain numéro de Tabadolat.
                                              
                                                           
Nous pouvons, si vous le souhaitez, vous adresser le Point d'information Palestine
en format pièce-joint RTF sur simple demande à : lmomarseille@wanadoo.fr
                   
Au sommaire
              
12 jours pour ne pas devenir complice de Crimes de guerre
- Un gala de soutien au profit de "l'Association pour le Bien-être du Soldat Israélien" est prévu le dimanche 16 mai 2004 au Parc Chanot à Marseille.
Nous avons tous le devoir de nous y opposer !
                       
Dernières parutions
1. Correspondante à Ramallah de Amira Hass aux éditions La Fabrique
2. Revue "Albatroz" N° 35 (avril 2004)
3. Palestiniens : images d'une terre et de son peuple de 1839 à nos jours de Elias Sanbar aux éditions Hazan
4. Revue d’études palestiniennes N° 91 (Printemps 2004)
                                                             
Réseau
1. Lettre ouverte sur des menaces contre Yasser Arafat - Mobilisation contre une mort annoncée par Michèle Sibony (11 avril 2004)
2. Une analyse critique du "Projet d'accord" de Genève par le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient (14 mars 2004)
3. Lettre ouverte de Pierre Stambul (30 avril 2004)
                          
Revue de presse
1. L’autisme de l’Empire par Noam Chomsky in Le Monde diplomatique, mai 2004
2. A Jérusalem, le "mur de la honte" s'attaque aux terres chrétiennes - C'est une atteinte au "concordat entre le Vatican et Israël", selon le Père Ghilardi par Michel Bôle-Richard in Le Monde du vendredi 30 avril 2004
3. Laisserons-nous détruire la Palestine ? par Etienne Balibar et Madeleine Rebérioux in Le Monde du mercredi 28 avril 2004
4. Apparemment, le président Bush m’a volé mon job… par Saeb Erekat in The Washington Post (quotidien américain) du dimanche 25 avril 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
5. Elias Sanbar : "Sharon veut préparer l’opinion à l’assassinat de Arafat" entretien réalisé par Chafik Laâbi in La Vie Economique (hebdomadaire marocain) du vendredi 23 avril 2004
6. Livnat boycotte l’Université Ben Gourion, en raison des "incitations à la haine" de certains professeurs par Anshel Pfeffer in Ha’Aretz (quotidien israélien) du jeudi 22 avril 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
7. En réalité, Bush et Sharon fondent l’Etat binational par Meron Benvenisti in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 22 avril 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
8. Quel sorte d'État mérite d'exister ? par Tanya Reinhart in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du mardi 20 avril 2004 [traduit de l'anglais par Giorgio Basile]
9. Les Républiques bananières de Sharon – Bush et Blair ont décidé de laisser Israël leur dicter leur politique au Moyen-Orient et procéder au politicide des Palestiniens par Afif Safieh in The Guardian (quotidien britannique) du lundi 19 avril 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
10. Le désarroi arabe par Hichem Ben Yaïche on Vigirak.com le lundi 19 avril 2004
11. La création d’un Etat palestinien est-elle une priorité, pour les sionistes ? par Asem Khalil in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du samedi 17 avril 2004 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
12. Redéploiement militaire israélien - Sharon notifie son plan à Bush in Voltaire du mercredi 14 avril 2004
13. Les Occidentaux quittent l'Irak par Nathalie Lacube, Catherine Rebuffel et Agnès Rotivel in La Croix du mercredi 14 avril 2004
14. Maison après maison, les colons étendent leur territoire au cœur d'Hébron par Stéphanie Le Bars in Le Monde du mercredi 14 avril 2004
15. Du terrorisme juif par Marcel Péju in Jeune Afrique - L'Intelligent du mardi 13 avril 2004
16. Yasser Arafat : "Ma main reste tendue pour la paix" entretien réalisé par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du vendredi 7 avril 2004
17. Génocide symbolique par Lev Grinberg in La Libre Belgique (quotidien belge) du lundi 29 mars 2004
18. La mort a un gouvernement par Nourit Peled-Elhanan in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du dimanche 2 décembre 2001 [traduit de l'hébreu par Pascal Fenaux]
19. Les bases de la coexistence par Edward W. Said in Al Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 5 novembre 1997 [traduit de l'anglais par Olivier Roy]
                                           
[- Extrait du sommaire du prochain Point d'information Palestine (N°236) : Présentation du livre Bush à Babylone de Tariq Ali publié aux éditions La Fabrique. Extrait de "Antisémitisme : L’intolérable chantage" (La Découverte), "L’avenir n’est pas écrit…" une interview de Rony Brauman par Denis Sieffer. Dans notre revue de presse : L’occupation de l’Irak en échec. Chiites et sunnites unis par le nationalisme par Juan Cole in Le Monde diplomatique du mois de mai 2004 * Nabil Shaath : "La nouvelle position de Washington détruit le processus de paix" propos recueillis par Randa Achmawi in Al-Ahram Hebdo du mercredi 21 avril 2004 * Apocalypse, Please ! par George Monbiot int The Guardian du mardi 20 avril 2004 * Mahmoud Darwich :"Pour moi, la poésie est liée à la paix" entretien réalisé par Muriel Steinmetz in L'Humanité du jeudi 15 avril 2004 * Photographie - Le Palestinien longtemps escamoté de son paysage par Magali Jauffret in L'Humanité du mardi 13 avril 2004 * L'Europe, les Etats-Unis et le Grand Moyen-Orient par Urban Ahlin, Ronald Asmus, Steven Everts, Jana Hybaskova, Mark Leonard, Michael McFaul et Michael Mertes in Le Monde du mardi 13 avril 2004 * Le droit au temps des proconsuls par Rudolf El-Kareh in la Revue d’études palestiniennes n° 89 (Automne 2003) * Vandalisme et pillages en Irak, berceau de la civilisation - L'une des plus grande catastrophes de tous les temps par Joëlle Pénochet in Combat-Nature N° 143 du mois de novembre 2003 (Révisé et augmenté le 17 février 2004 dans AFI - Flash) * Avertissement aux dirigeants iraniens : faites attention, avant qu’il ne soit trop tard ! par Saïd Al-Shihâbiyy in Al-Quds Al-Arabi du mercredi 4 juin 2003 * Les colonies : Guide de l’utilisateur par Gabriel Ash on YellowTimes.org (e-magazine américain) du jeudi 15 mai 2003.]
                                                   
12 jours pour ne pas devenir complice de Crimes de guerre

                                    
- Un gala de soutien au profit de "l'Association pour le Bien-être du Soldat Israélien" est prévu le dimanche 16 mai 2004 au Parc Chanot à Marseille. Nous avons tous le devoir de nous y opposer !
L'armée d'occupation israélienne viole quotidiennement les Conventions de Genève. Du 28 septembre 2000 au 1er mars 2004, voici le bilan (partiel) des crimes de guerre commis par l'Armée d'occupation israélienne à l'encontre du peuple palestinien (à noter que ces crimes sont régulièrement dénoncés et condamnés par les organisations internationales de défense des droits de l'hommes et en particulier des organisations israéliennes !) :
- 2859 palestiniens morts dont 308 assassinats extra-judiciaires (infractions graves à la 4ème Convention de Genève, considérées comme des crimes de guerre); parmi ces victimes, 152 étaient des passants, 35 étaient des enfants et 25 étaient des femmes. 527, soit 19 % avaient moins de 18 ans, 82 % au moins étaient des civils, 600 tués par des armes lourdes et 1.728 tués par balles réelles.
- 41000 palestiniens blessés dont 2500 handicapés permanents. L'UNICEF estime que 7.000 enfants ont été blessés.
- 25 (dont 1 Allemand) médecins, infirmiers, conducteurs d'ambulance tués en mission (tirs sur les ambulances, ou bombardements de quartiers résidentiels). 425 infirmiers blessés. 121 ambulances ont été attaquées et endommagées. 36 ambulances détruites. 991 cas de refus de laisser franchir une ambulance à un barrage routier ont été relevés. 81 Palestiniens sont morts faute d'avoir eu accès à un traitement médical. 290 cas où des hôpitaux ou cliniques ont été attaqués et ont subi des dégâts.
- 12 journalistes tués, dont 1 Italien et 1 Britannique. 295 journalistes blessés, au moins 167 journalistes attaqués par des soldats israéliens ; battus, détenus, matériel confisqué ou détruit. Au moins 94 centres de presse bombardés, saccagés ou endommagés.
- De septembre 2000 jusqu'à février 2002, les bombardements et démolitions ont détruit complètement 720 maisons palestiniennes et endommagé 11.553 autres. 73.600 palestiniens ont été touchés par ces crimes commis par l'armée israélienne. 30 mosquées, 12 églises, 134 puits, des cimetières... ont été détruits. 34606 oliviers et arbres fruitiers ont été arrachés et 116 hectares de terres palestiniennes ont été confisqués et 1434 hectares de terres ont été passés au bulldozer ou incendiés.
- Durant l'invasion israélienne de mars-avril 2002 : 881 maisons ont été détruites,  2883 maisons ont été endommagées dans les camps de réfugiés, affectant 22500 palestiniens habitant ces maisons. dans la Bande de Gaza, plus de 601 maisons ont été démolies complètement, et environ 1.600 hectares de terres, en majorité agricoles, ont été rasés par l'armée israélienne. [Source : http://www.solidarite-palestine.org/doc030.html]
Mobilisation Générale : à vos téléphones, fax et emails !
Alors qu'aucune salle parisienne n'a accepté d'accueillir cette rencontre, nous refusons que Marseille se rende complice d'une armée coupable de crimes contre l'humanité ! Nous saurons nous opposer à la tenue de cette soirée de soutien à l'armée israélienne ! Pour cela, écrivez (fax et email) et téléphonez massivement dès aujourd'hui à ces responsables :
1 -    A Monsieur Albert Savalli, Directeur Général de la SAFIM
        SAFIM Parc Chanot - Boîte Postale 2 - 13266 Marseille Cedex 08 - Tél. : 04 91 76 16 00 - Fax : 04 91 22 16 45 - Email : contact@safim.com
2 -    A Monsieur le Maire de Marseille
        Hôtel de Ville - Quai du Port - 13002 Marseille - Tél. : 04 91 55 11 11 - Email : maire-de-marseille@mairie-marseille.fr 
3 -    A Monsieur le Préfet de Police
        Préfecture des Bouches-du-Rhône - Place Félix Baret - 13282 MARSEILLE CEDEX 20 - Tél. : 04 91 15 60 00 - Fax : 04 91 15 63 66
        Email : contact@bouches-du-rhone.pref.gouv.fr 
4 -    A Monsieur le Président de la Région Provence-Alpes-Côte d'Azur
        Hôtel de la Région - 27, Place Jules Guesde - 13481 Marseille Cedex 20 - Tél. : 04 91 57 50 57 - Fax : 04 91 57 51 51 - Email : info@hdr.cr-paca.fr  
Si ce gala devait-être maintenu, le Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien de Marseille, à l'origine de cette mobilisation, appelle d'ores et déjà les marseillais à venir manifester dans le calme devant le Parc Chanot le 16 mai 2004 à 18h30. [Contact & Coordination : fartas@club-internet.fr]
                                           
Dernières parutions

                                          
1. Correspondante à Ramallah de Amira Hass
aux éditions La Fabrique
[128 pages - 13 euros - ISBN : 2913372341]
Amira Hass, fille de rescapés des camps nazis, est la seule journaliste israélienne qui rende compte de ce qui se passe dans les territoires occupés en s'y immergeant totalement. Des cinq ans qu'elle a passés à Gaza, elle a tiré un premier livre, Boire la mer à Gaza. Elle réside depuis 1997 à Ramallah, et le présent ouvrage est un recueil des articles qu'elle envoie régulièrement au grand quotidien israélien Haaretz.
La force du travail d'Amira Hass tient à ce qu'elle ne théorise jamais a priori : elle raconte, d'une façon inimitable, ce qu'elle voit tous les jours dans la rue, chez ses voisins, dans les queues, sur les routes, aux barrages. Ce peut être dérangeant, pour un camp comme pour l'autre, mais Amira n'en a cure. Elle montre comment le gouvernement israélien mesure ses succès au nombre de maisons démolies, au nombre de morts palestiniens, et comment beaucoup de Palestiniens ne voient la victoire que par la peur qu'ils peuvent inspirer : " le jeu est de savoir qui a plus peur et qui a moins peur de mourir ".
"Amira Hass parle au nom de la justice. En décrivant les souffrances d'un peuple poussé au désespoir, elle défend les véritables intérêts d'Israël." (Susan Sontag)
Amira Hass est l'auteur de Boire la mer à Gaza (La Fabrique, 2001), salué par toute la presse française. Elle a reçu en 1999 le World Press Freedom Award, et en 2003 le United Nations Guillermo World Press Freedom Award " pour les qualités professionnelles, l'indépendance et le courage personnel dont elle fait preuve depuis dix ans ". Amira Hass est journaliste et l'une des voix les plus tranchantes en Israël. Elle est de ceux qui refusent de voir dans les accords d'Oslo le nec plus ultra du pacifisme et de la volonté de dialogue, identifiant au contraire dans les présupposés et les omissions qui sont au centre de ces accords un réseau de difficultés programmant par avance l'échec de leur application.
                                   
2. Revue "Albatroz" N° 35 (avril 2004)
[4 euros - 91 pages - ISSN : 0984-8993]

Les Cahiers Albatroz, "organe officiel de la littérature à l'essence de térébenthine", dont le directeur de la publication est Manuel Vaz, présentent une fois encore, dans cette dernière livraison, des articles consacrés à l'Irak et à la Palestine.
- Extrait du sommaire :
"Le droit au retour est la base de la question palestinienne" entretien avec Abdel Bari Atwan
Voyage en prison par Toine Van Teeffelen [à lire et à diffuser absolument !]
La vie quotidienne dans Bagdad occupée par Dahr Jamail
Occupations par Joelle Aubron
De Hitler à Bush par Federico Fasano Mertens
Document - Le discours de Saddam Hussein à Amman le 27 février 1990
[Albatroz - BP 404 - 75969 Paris cedex 20 - France - Email : albatroz19@yahoo.fr - Site : www.revue-albatroz.com - Abonnement à 4 numéros : 16 euros]
                       
3. Palestiniens : images d'une terre et de son peuple de 1839 à nos jours de Elias Sanbar
aux éditions Hazan
[400 pages - 59 euros - ISBN : 2850259012]
La Palestine, la Terre Sainte, est sans contexte l'un des espaces les plus photographiés au monde. Cette caractéristique ne découle néanmoins pas des seules dimensions symbolique, religieuse ou historique de cette terre où les premiers photographes recherchaient l'univers de la Bible. Elle a résulté aussi du fait qu'un conflit centenaire, s'y déroule encore qui relève tant du symbole que de la géostratégie, de la coexistence entre les monothéismes que des intérêts des grandes puissances, de la « Question juive » que du droit à l'autodétermination du peuple de Palestine. Bref cette terre possède une pesanteur, une résonance, infiniment plus grandes que sa taille et c'est à ce titre que cet ouvrage ambitionne de "donner à voir" les diverses phases de cette histoire-là. Parmi les photographes dont les travaux seront reproduits dans l'ouvrage, citons pour la partie allant de 1839 à 1914 : Anderson, Bain, Beato, Bedford, Bergheim, Bonfils, Bowman, Bridges, De Clercq, Dumas, Fiorillo, Franklin, DE Prangey, Mason Good, Goupil Fesquet, Graham, Hammersschmidt, Halladjian, Keith, Kitchener, Krokorain, Lallemand, Lorent, MacDonald, Mateson, Matson, Ostheim, Phillips, Pierotti, Raad, Robertson, Saboungi, Sarrafian, Savides, Thevoz, Thomson, [Underwood & Underwood], Vester, Vignes, Wilson, Garabedian, Zangaki. Aux travaux de ces artistes viendront s'ajouter ceux des photographes contemporains ainsi que de très nombreux anonymes dont les travaux ont été reproduits dans la presse locale ou dans des ouvrages de l'entre deux-guerres et qui sont à ce jour quasiment inconnues du public non spécialisé. En outre de nombreux fonds institutionnels (Institut d'études palestiniennes, Fondation arabe pour l'image, UNRWA, pour ne citer que les collections les plus importantes) ainsi que des collections particulières telles la prestigieuse collection de Badr El-Hajj à Londres, ou celle de l'auteur, seront également exploités.
> 650 illustrations noir et blanc et couleurs.
                                   
4. Revue d’études palestiniennes N° 91 (Printemps 2004)
[160 pages - 14 euros - ISBN : 2707318795]
- Au sommaire :
Une petite histoire de l'apartheid par Azmi Bishara
La nouvelle hégémonie sioniste par Nadim N. Rouhana et Nimer Sultany
"Je n'ai absolument rien donné à Camp David" Un entretien de Ehoud Barak donné au Yediot Aharonot
Islamophobie et antisémitisme, effet miroir par Ilan Halevi
Un séjour en Palestine, 18-28 décembre 2003 par Pierrette Bras
Les tentatives d'extension de la colonisation sioiste en Syrie de 1930 à mai 1934 par Denis Hermann
L'espace de vivre par Nathalie Bontemps
Le cassement du monde par Pierre Grouix
Lettres arabes
Al-Jidâr (Le mur) par Tawfik Grira
Chroniques
Le grand écart par IlanHalevi
Grand Moyen-Orient, vaste chaos par Rudolf El-Kareh
Notes de lecture
L'observatoire de la colonisation par Geoffrey Aronson
Chronologie du 1er septembre au 30 novembre 2003 par Rachid Akel
                                                       
Réseau

                                          
1. Lettre ouverte sur des menaces contre Yasser Arafat - Mobilisation contre une mort annoncée par Michèle Sibony (11 avril 2004)
(Michèle Sibony est vice-présidente de l'Union Juive Française pour le Paix.)
Le monde politique condamne du bout des lèvres la stratégie d'assassinats ciblés menée par Israël depuis plus de trois ans. Quelques vérités simples pourtant : un assassinat ciblé, c'est un assassinat. Cela fait de celui qui le programme comme de celui qui l'exécute un assassin.
Un assassinat n'est pas un attribut de régime démocratique. C'est celui de dictatures sordides, et une démocratie qui utilise cette méthode perd de fait son statut de démocratie.
L'assassinat du cheikh Yassine, chef spirituel du Hamas mais surtout autorité religieuse musulmane palestinienne, marque un tournant important dans cette stratégie de guerre. En s'attaquant à un symbole religieux Sharon marque sa volonté de faire basculer un conflit politique vers un conflit religieux. Le premier ministre israélien manifeste ainsi sa volonté d'internationaliser le conflit en provoquant les menaces attendues du Hamas à l’effet de poursuivre de ses représailles des Israéliens dans le monde entier. Cela lui permet au moment des attentats de Madrid, dont il potentialise à son profit les images terribles, de fabriquer un lien entre Palestiniens et terrorisme international. Quel Européen en voyant les images de Madrid n'a pas pensé à celles de Tel-Aviv ou de Jérusalem ? L'assassinat du cheikh Yassine est intervenu quelques jours plus tard, presque comme une réponse de l'Occident à Al-Qaeda.
Mais il y a toujours pire ! Sharon vient par deux fois de désigner comme la prochaine cible d'un assassinat le Président Arafat lui-même, et ce malgré l'interdit explicite des Américains. Mais comme le dit le titre de sa biographie publiée en Israël : “ Il ne s'arrête pas au feu rouge. ” L'observation détaillée de ses états de service montre qu'il ne menace jamais à la légère, et qu'il met toujours ses menaces à exécution.
Or plus la situation en Palestine empire, et plus la personne du Président Arafat, par son histoire, sa force symbolique de représentation de la Palestine toute entière est le seul homme capable aujourd'hui de fédérer les tendances politiques palestiniennes et de maintenir la cohésion nationale autour d'un objectif de paix négociée avec Israël.
La situation du terrain est devenue tellement insupportable qu'elle favorise la radicalisation et/ou l'éclatement du champ politique palestinien. La disparition d'Arafat dans ce contexte entraînerait le chaos dans le camp palestinien et repousserait les échéances négociées du type “ feuille de route ”, voire initiative de Genève, aux calendes grecques, et c'est très précisément l'objectif de Sharon. Le chaos loin de l'effrayer sert exactement une stratégie soigneusement mise au point.
L'assassinat du Président Arafat est programmé, il est à l'ordre du jour de l'agenda politique israélien. Sharon s'est fait fort de le faire voter par son cabinet, les annonces publiques servent à préparer les opinions et les gouvernements étrangers à cette exécution. Elles servent aussi à vérifier quel serait le risque encouru ou l'impact.
Il est donc urgent de prendre la mesure de ce qui n'est pas une simple tentative d'intimidation. Prendre cette menace à la légère c'est lui donner encore plus de chance d'être mise à exécution. Il est au contraire nécessaire et urgent que Sharon reçoive une véritable mise en demeure de la part des gouvernements du monde, assortie de menaces de sanctions capables de le faire reculer.
Le réseau associatif français pour la Palestine se doit d'interpeller toute la classe politique française et européenne pour exiger d'elle des réactions très fermes, et prioritairement de prendre des mesures immédiates de protection du président élu de tous les Palestiniens par l'envoi d'observateurs internationaux à la Mouqata’a. Les prochaines semaines pourraient être décisives pour l'avenir de la Palestine, et d'Israël .
Et si tout cela n'était qu'un effet de panique et non un réel danger, un scénario catastrophe ?
Il n'en resterait pas moins vrai qu'un chef de gouvernement qui proclame publiquement qu'il va faire assassiner le représentant élu d'un peuple est un voyou qui fait de son pays un Etat voyou. Cette menace publique est ignoble et inacceptable de la part des pays démocratiques du monde, elle mérite réponse immédiate et cinglante. Il est temps de désavouer Sharon et de le traiter comme ce qu'il est : un délinquant sans limites qui joue avec des grenades dégoupillées.
                               
2. Une analyse critique du "Projet d'accord" de Genève par le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient (14 mars 2004)
Ce document a été rédigé à l’initiative de Pierre Lafrance, Ambassadeur de France et Vice-Président du Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient (CVPR-PO), en concertation avec plusieurs personnalités compétentes. Il ne s’agit pas, ici, d’une position nec variatur du CVPR-PO mais bien plutôt d’une contribution à une réflexion que l'association souhaite maintenir d’actualité afin de relancer et nourrir un débat toujours plus nécessaire.
[CVPR-PO : Association 1901, fondée par Bér'a Adli-Bloch (1931-1999) - Présidents d’Honneur : Professeurs Jacques Milliez et Jean Bardet. Président : Georges Labica. Vice-Président Délégué : Maurrice Buttin - Vice-Présidents : Rudolf El-Kareh, Boutros Hallaq, Ghaïss Jasser, Pierre Lafrance, Raymond du Moulin, José Paoli, Roshdi Rashed - Boite Postale 8 -  92292 Châtenay-Malabry Cedex - Email : cvpr-po@wanadoo.fr - CCP 41 675 48 J  La Source]
"PROJET D’ACCORD" DE GENEVE : UNE ANALYSE CRITIQUE
LE CONTEXTE
Les tentatives de poursuite du processus de paix semblent plus qu’essoufflées. Les principes dont elles s’inspiraient, celui  de gradualisme dans la mise en œuvre d’accords partiels et complémentaires, celui de négociations par étapes, ont montré leurs limites. Les phases prévues ont pu se succéder non sans de multiples retards et entraves mais la dernière, qui devait avoir raison des appréhensions accumulées et des ambitions gardées secrètes, a fini par avorter. Du mouvement de dialogue engagé à Madrid en 1991, quelques bribes des accords d’Oslo restent en vigueur mais un seul texte garde quelque actualité jointe à une valeur légale indéniable, c’est la « feuille de route » établie par quatre grands acteurs internationaux tout particulièrement concernés. Or, celle-ci n’a, pour l’instant, et autant qu’on en puisse juger, guère de force contraignante ni de vertu opératoire. Longuement négocié ce texte pourrait l’être à nouveau et pour un temps indéterminé si ses auteurs entraient dans la discussion des quatorze réserves émises par Israël à son endroit.
Entre les deux adversaires-partenaires peuplant l’ancienne Palestine mandataire l’affrontement reste la donnée première malgré, çà et là, quelques signes de précaire détente vite démentis par les faits. L’illustration de cette triste réalité est la construction du « mur » appelé aussi « barrière de sécurité ». Son tronçon déjà visible comme le tracé qui lui est assigné par les autorités israéliennes semblent l’inscrire dans une perspective plus offensive que défensive. Résolument militaire dans sa conception et d’ailleurs muni de nombreux postes de tir, il devrait consacrer plus de la moitié des conquêtes de 1967 en empiétant largement sur le territoire de Cisjordanie. Longeant dans sa partie orientale le Jourdain à grande distance, il comprimerait dans un espace réduit les communautés palestiniennes tout en offrant un retranchement à beaucoup des colonies de peuplement qui les fragmentent ; les autres implantations situées dans l’espace central laissé aux Palestiniens resteraient pour la plupart en place, reliées entre elles par leurs routes de contournement et pourraient, selon certaines informations, se grossir de l’afflux des colons évacués de Gaza. Dans les réserves où les communautés palestiniennes resteraient comme parquées, celles-ci seraient vouées à une survie incertaine et, semble t-on espérer, à une prudente inertie ainsi qu’à l’émigration progressive, ce qui permettrait la relance d’une colonisation, ralentie peut-être pendant une certaine période. Le mur serait donc bien un « mur de la Paix » mais de la paix par la victoire, c’est-à-dire par le « transfert ».
Du côté palestinien, certains considèrent qu’Israël s’enferme en l’occurrence dans une sorte de ghetto particulièrement vulnérable parce qu’étalé dans l’espace, que ni l’économie d’Israël ni sa sécurité ne vont connaître à terme d’amélioration réelle, que de plus en plus de juifs israéliens quitteront leur pays pour d’autres, plus tranquilles, et que le gouvernement de Jérusalem finira par se trouver aux abois. D’autres préconisent de renoncer à l’établissement d’un Etat palestinien viable, de s’abandonner sans résistance initiale à la domination d’Israël sur tous les territoires conquis en 1967 pour ensuite mener, dans un espace devenu bi-national par la force des choses, une lutte de type anti-colonial ou semblable à celle des Noirs d’Afrique du Sud dans le dernier tiers du XXème siècle en jouant, comme ces derniers, de l’avantage induit par une forte croissance démographique. Un tel combat se déploierait soit à l’intérieur d’une Palestine devenue dans sa totalité « Eretz Israël » soit à partir des morceaux de territoire bénéficiant d’une sorte de souveraineté sous surveillance.
L’antagonisme dont on avait espéré un temps la régression paraît donc implacable pour le désespoir de tous ceux qui croyaient possible une entente israélo-palestinienne. Toutefois, une élémentaire lucidité conduit à juger illusoires les victoires annoncées. L’enfermement de l’un ou l’autre des deux peuples dans des ghettos sans grande consistance économique, sociale et politique ne laisserait face à face que des vaincus.
La masse palestinienne est en croissance régulière du fait, notamment, de sa pauvreté. Elle n’est minée par aucun des maux ayant entraîné la régression numérique des Amérindiens lors des vagues de conquête et d’expansion d’Européens, d’abord latins puis anglo saxons. Si on additionne Cisjordaniens, habitants de Gaza, citoyens arabes d’Israël et réfugiés, les Palestiniens sont déjà 9 millions. Les projections suggèrent qu’il y aura, en l’an 2050, de cinq à six fois plus de Palestiniens arabes que d’Israéliens juifs. Même si cette masse était rendue, pour un temps, résignée, passive, inerte, même si, à l’inverse, elle était minée et discréditée par ses divisions ou sa radicalisation, donc isolée (ce qui semble être actuellement recherché), nul ne serait capable de la gérer, ni Israël ni ses voisins. On sait que les Palestiniens du fait de leur spécificités prononcées ne sont guère « solubles » dans aucune société arabe. On a vu que leur présence en grand nombre dans divers pays de la région y provoquait des ruptures dans les équilibres socio-économiques et qu’en dépit de la communauté de langue et de religion, ils constituaient des milieux distincts de ceux qui les environnaient. A la longue il y aurait un problème palestinien dans chacun des lieux où ils se trouveraient installés.
Le « transfert », c’est-à-dire une déportation assez progressive et discrète pour échapper à une condamnation unanime, n’a pas plus d’avenir que l’entassement des Palestiniens dans des espaces réduits où ils connaîtraient une condition de réfugiés sur leur propre terre. Tout en prétendant avoir résolu « le problème » on risquerait fort dans les deux cas de l’avoir aggravé, puisqu’Israël se trouverait à terme baigné dans un espace de surpopulation, de pauvreté et d’agitation. L’instabilité serait particulièrement nocive en Jordanie, où d’inévitables heurts entre Palestiniens ou entre Palestiniens et Arabes d’origine bédouine pourrait entraîner un séisme régional semblable à celui ayant eu pour épicentre le Liban pendant une grande partie des années soixante dix et quatre vingt.
Dans ces hypothèses de « victoire », le pays se voulant un havre de paix pour tous les juifs du monde resterait celui où il est le plus périlleux tant au plan moral que physique, d’être juif. Contraint à contraindre pour mieux contenir, le gouvernement israélien serait entraîné vers des formes d’autoritarisme et de militarisation propres à étouffer les appels de la conscience. Les juifs d’Israël seraient-ils encore en de telles conditions, d’authentiques juifs ? La question finirait par se poser au sein même de la diaspora, et l’Etat d’Israël privé de beaucoup de ses soutiens s’étiolerait alors même qu’il semblerait « maître du terrain ».
Dans le cas inverse, de quel prix les Palestiniens auraient-ils payé leur victoire sur Israël ? En supposant que par l’obstination et la violence de leur résistance, leur aptitude à subir l’enchaînement des attentats et des représailles, leur poids démographique, le retour à leurs côtés de populations arabes viscéralement sensibles à leur sort et aussi, mais secrètement, plus disposées à les défendre qu’à les accueillir, ils finissent par l’emporter, c’est-à-dire à occuper l’essentiel de l’ancienne Palestine mandataire en ne laissant aux juifs que quelques « bantoustans », pourraient-ils faire réellement figure de vainqueurs ? Ils auraient eu à mener, contre un adversaire endurci et surarmé, appuyé par la première puissance mondiale, une guerre épuisante. Ils auraient dû consacrer à celle-ci leurs ressources et leurs énergies allant jusqu’à sacrifier le tissu même de leur société. Ecrasés par leur propre nombre, ayant dû abandonner les structures régissant leur vie commune au profit de réseaux rivaux, certains maffieux, ayant atteint l’extrême dans la régression du niveau de vie et de pensée, seraient-ils encore seulement Palestiniens ? De tels vainqueurs auraient été cent fois plus épuisés par leur propre victoire que ne l’avait été la France au lendemain de la Première Guerre mondiale ou la Grande Bretagne au lendemain de la Seconde. La reconquête aurait été en fait un naufrage.
Bien entendu, l’argument tombant sous le sens pour qui veut conjurer ces fausses victoires, est qu’il n’est plus de nos jours de victoire légitime. Toute paix consacrant une victoire ne peut être reconnue puisque le recours à la force est exclu, sauf exceptions soigneusement codifiées, de tout règlement de problèmes internationaux ou bilatéraux. Au demeurant, la perspective d’actes de guerre infligeant les souffrances qu’on sait aux populations civiles ou décimant des générations de soldats révulse la conscience contemporaine.  Quand bien même une victoire serait possible, elle ne serait ni acceptable ni acceptée, surtout si elle était remportée non sur un gouvernement ou une organisation mais sur un peuple.
Cependant, il y a semble t-il, pire encore que l’acharnement à vaincre. C’est la pratique de la guerre, non pour la victoire mais pour elle même. Un récent sondage auprès de la population israélienne, révélait chez elle un fort soutien aux projets d’attaques contre la Syrie mais, en même temps, la conviction de l’inutilité voire de la nocivité d’une telle entreprise pour Israël. Du côté palestinien, des visiteurs ont entendu certains jeunes gens dire sur un ton désabusé, voire désespéré : « cette guerre, (c’est-à-dire « l’Intifadha » armée) est ce qui nous aide à survivre. Que deviendrons-nous sans elle ? De part et d’autre, chez certains, l’affrontement semblerait répondre à un besoin et serait perçu comme une fin en soi.
Dans  ces moments sinistres où la marche vers le pire ne connaît que de bien légères et fragiles entraves, on ne peut que prêter l’oreille à tout discours visant à démontrer que la paix est concevable et qu’elle est possible autrement que par la victoire. Certaines « voix criant dans le désert », voix dont on connaît la portée symbolique en cette région du monde, retiennent donc l’attention de tous ceux qui s’obstinent à espérer. Ces voix sont multiples mais globalement convergentes ; elles s’expriment en des textes diversement détaillés mais dont les termes sont tous soigneusement pesés.
On se rappelle ainsi le plan présenté au Sommet arabe de Beyrouth par le Prince Abdallah. Il prévoyait la normalisation intégrale des relations d’Israël avec tous les pays arabes et la reconnaissance comme frontière internationale du territoire sur lequel cet Etat avait proclamé sa souveraineté avant juin 1967. Quant à l’Etat palestinien, il serait établi en Cisjordanie et à Gaza et entretiendrait, tout comme d’autres, des relations de bon voisinage avec Israël. Ainsi, des « frontières sûres et reconnues » auraient été garanties pour les pays concernés en accord avec les résolutions pertinentes des Nations Unies. Des fonds d’aide seraient mis en place pour la relance de l’économie palestinienne et l’installation des réfugiés.
Un autre texte, en 14 points, celui du « Bloc de la Paix » ou « Gush Shalom » va dans un sens voisin et fonde notamment la solution du problème des réfugiés sur la reconnaissance formelle de leur droit au retour.
Par ailleurs, un travail très important a été engagé, dans le même esprit, avec la participation d’universitaires éminents sous la direction, du côté palestinien, de M. Sari Nusseïbeh et, du côté israélien, de M. Ami Ya’alon. Cette réflexion conjointe a débouché notamment sur la rédaction d’un texte en 6 poins tentant de définir les conditions primordiales d’une paix israélo-palestinienne.
Enfin, un quatrième document présente l’avantage d’être particulièrement détaillé. Il a été mis au point à Genève sous les auspices du gouvernement suisse par Yasser Abed Rabbo et Yossi Beïlin entourés d’experts chevronnés. Ce texte n’est pas la préfabrication dans l’abstrait d’une paix « clés en mains » mais le résultat d’une très réelle négociation entre participants, parmi les plus actifs, aux rencontres naguère destinées à parachever le processus de paix, celles, notamment de Camp David et de Taba. Ces négociateurs n’avaient, quoi qu’on en ait pu prétendre, de mandat, ni officiel ni « secret » mais ils étaient en mesure, leur expérience aidant, de s’assigner un mandat virtuel crédible.
Ils ont suivi les règles du droit international en négociant « de bonne foi » au sens de la Convention de Vienne, sous le regard d’un témoin extérieur.
Bien qu’il ne soit pas encore complet puisque certains de ses articles importants et ses annexes sont encore en voie d’élaboration, le texte va au delà de la simple énumération des conditions d’une paix israélo-palestinienne mais donne à voir avec précision et dans le concret, la mise en œuvre de cette paix à un moment où l’affrontement reste de règle.
Il n’a, certes, aucune valeur légale mais il semble politiquement opératoire dans la mesure où il a suscité des réactions soit de soutien, soit de rejet, soit d’embarras manifeste. Il mérite donc une étude attentive faisant la part de ses avantages et de ses inconvénients.
Sans prétendre épuiser le sujet, il est possible de dresser l’esquisse d’un jugement sur ce texte. Le commentaire qui va suivre n’est qu’une base de discussion ; il a été mis au point après consultation de diverses personnalités et associations compétentes sous l’égide du Comité de Vigilance pour une Paix réelle au Proche-Orient.
Paris, le 12 février 2004 - Pierre Lafrance.
"PROJET D’ACCORD" DE GENEVE : L’ANALYSE
I - Ses éléments positifs
               1) Ce texte émane certes de personnalités marquées au sein de leurs sociétés respectives par leur engagement politique (du côté israélien, ce sont essentiellement des travaillistes). Pour autant, ce texte n’engage que ses auteurs en tant que personnes et n’émane nullement des groupes auxquels ils appartiennent. Affranchi de tout parrainage partisan, il se situe dans le champ du débat diplomatique et non dans celui de la lutte de politiciens. On peut donc considérer sa valeur comme intrinsèque.
               2) Il extrapole avec rigueur le résultat de négociations inachevées entre délégations officielles ; il a, en effet, été élaboré par d’anciens négociateurs très conscients des positions en présence et des concessions possibles. D’ailleurs, les discussions entre eux ont été difficiles, parfois orageuses, comme si chaque délégation avait eu la claire vision du mandat qui aurait pu être le sien. De ce fait, il peut être crédité d’un haut degré de réalisme.
               3) Il montre l’efficacité d’un certain mode de négociation consistant en des discussions, au besoin serrées, entre interlocuteurs avertis, dans le calme et la discrétion, de préférence à des rencontres au sommet régulièrement obérées par leur préparation insuffisante et leur retentissement.
               4) Il se garde des formules d’accord programme ou de négociation par étapes qui ont montré leurs limites en ce qu’elles incitaient les maximalistes à faire pression sur les négociateurs et à créer des situations irréversibles par des surenchères en actes. Il ne relance aucun processus mais tente de définir l’aboutissement de celui qui était en cours. Il a donc le mérite de se vouloir global et final.
               5) Il contredit, par son existence même, l’affirmation selon laquelle il n’existe aucun interlocuteur crédible ni d’un côté ni de l’autre parce qu’existerait dans la profondeur des consciences un antagonisme insurmontable entre Israéliens et Palestiniens, et condamnerait les uns et les autres, fussent-ils de bonne volonté, à un dialogue de sourds.
               6) Il dément, comme d’autres tentatives similaires et presque simultanées, qu’on en soit arrivé à une situation où la haine aveuglerait l’ensemble des Israéliens et des Palestiniens au point de leur faire détester la paix. Les enquêtes d’opinion ayant révélé, chez les uns comme les autres, un large soutien aux principes directeurs du projet d’accord sont, à cet égard, rassurants. Si le résultat de ces sondages se confirmait, il pourrait conférer à ce texte,  faute de valeur légale, quelque légitimité.
               7) Dans son préambule, il prend le risque, périlleux il est vrai, de tenter de couper court aux controverses passionnelles sur l’existence d’un peuple juif et d’un peuple palestinien. Néanmoins, il se garde de présenter Israël, même s’il est nommé « Etat du peuple juif » comme voué à l’homogénéité religieuse et ethnique et la Palestine comme exclusivement arabe. Il appelle à la reconnaissance de deux Etats où la citoyenneté primerait sur les appartenances (encore est-il assez elliptique sur ce point)
               8) Faisant sien le principe des deux Etats coexistants, il fonde les relations futures entre Israël et la Palestine sur la Charte des Nations Unies et toutes les dispositions du droit international. Dans le même mouvement, il donne aux frontières d’Israël une légalité qui leur fait défaut car même si elles étaient conformes à celles fixées par la résolution de 1947 portant partage de la Palestine, elles n’auraient de validité au regard du Droit international que par l’approbation des populations de l’ancienne Palestine sous mandat britannique. C’est précisément cette acceptation que le texte entend offrir. Ainsi, l’Etat d’Israël cesserait-il d’apparaître comme le produit d’une voie de fait pour s’inscrire dans le droit international, jouir de toutes ses garanties et être astreint à toutes ses règles.
               9) Il identifie la frontière entre les deux Etats à l’ancienne « ligne verte » à quelques modifications près et voue implicitement le mur, actuellement en construction et dont le tracé comme la conception même sont inadmissibles pour les Palestiniens, à la démolition. L’échange territorial annoncé vise à un certain équilibre. Les Palestiniens obtiennent des portions de territoire où pourraient s’installer ceux d’entre eux qui ont été spoliés en 1948.
              10) A l’intérieur de la frontière ainsi définie il prévoit avec un grand souci de précision l’évacuation des colonies existantes et la remise à l’Etat palestinien de l’intégralité de leurs bâtiments et infrastructures. Il entend ainsi mettre fin à une forme de violence permanente ayant depuis 13 ans obéré tous les efforts d’apaisement.
              11) Il aborde la question des réfugiés de manière approfondie sinon exhaustive, et prévoit, pour une partie d’entre eux, le retour dans leurs anciens lieux de résidence en territoire désormais israélien. Il marque, en outre, la responsabilité d’Israël dans leur départ puisqu’il stipule le versement par cet Etat d’indemnités au bénéfice de tous les réfugiés au titre non seulement des dommages subis mais du pretium doloris. Cependant ces indemnités sont minorées du prix des bâtiments et infrastructures des colonies évacuées.
              12) Il traite en détail de la question de Jérusalem en reconnaissant à cette ville son rang de  capitale, tant pour les Palestiniens que les Israéliens, et en réservant aux quartiers de la vieille ville intra muros, comme à tous les Lieux Saints, des statuts spéciaux (formant il est vrai, un ensemble très complexe et d’une gestion difficile).
              13) L’application de l’accord serait placée, en vertu de ses dispositions, sous la surveillance et la caution d’un « Groupe International de Vérification » rassemblant les envoyés spéciaux des Nations Unies et ceux des diverses puissances ayant les moyens et la volonté de se porter garantes de cette application. Sous l’autorité de cette instance politique serait constituée une force multinationale jouant, en tant que de besoin, un rôle d’interposition ou de prévention d’actes hostiles entre les deux Etats. La demande fréquemment réitérée d’une implication directe de la communauté internationale dans le maintien de la paix est ainsi satisfaite.
***
En raison de son caractère détaillé et de la façon dont il a été élaboré, le texte semble donc, à première vue, préfigurer un éventuel accord officiel pour le cas où l’esprit de paix prévaudrait. C’est bien pour cela qu’il convient de relever avec le plus grand soin les divers éléments pouvant apparaître comme ses points faibles.
II - Les interrogations qu’il soulève
               1) Des questions aussi vitales que celles de l’eau, des relations économiques bilatérales et de la coopération juridique et judiciaire sont entièrement laissées en suspens, la rédaction des articles correspondants (12, 13 et 14) étant remise à plus tard. Or, il s’agit de conditions parmi les plus importantes de la coexistence israélo-palestinienne. Beaucoup d’articles renvoient, pour leur interprétation précise et le détail de leur mise en application, à des « annexes » en voie de rédaction. Or ces annexes sont appelées à traiter des questions les plus délicates.
               2) Le préambule ne comporte guère de références juridiques et morales et se borne à rappeler que la paix est souhaitée de part et d’autre. Dès lors, on discerne mal les principes dont le document s’inspire. Pourtant ce texte gagnerait à se placer sous l’empire d’une morale humaniste reconnaissant pour légitimes l’aspiration de juifs persécutés à disposer d’un lieu de refuge et celles des Palestiniens à se maintenir sur leur terre ancestrale, tout en tentant de concilier là deux demandes a priori exclusives l’une de l’autre. Dans le même préambule, il serait peut être utile, dans un souci de clarté, de bien marquer qu’Israël comme la Palestine sont des Etats-Nations dont tous les citoyens, y compris ceux qui appartiennent à des minorités ethniques ou confessionnelles, doivent être traités comme égaux en droits.
               3) Il postule l’existence d’un Etat palestinien souverain sans aucune indication sur la manière dont il serait institué. On ne sait s’il succède à l’Autorité Palestinienne ou s’identifie à elle.
               4) Certes, un pas important est franchi en vue de la transformation d’une ligne de démarcation en frontière reconnue. Encore faudrait-il requérir en l’occurrence la sanction de la communauté internationale pour éviter de paraître consacrer un quelconque droit de conquête.
               5) La question démographique, centrale dans les préoccupations des deux populations concernées, n’est pas abordée alors qu’un effort pour y apporter une réponse aurait pu avoir une vertu apaisante. Peut-être conviendrait-il que les deux parties affirment leur volonté de travailler – bien entendu dans les limites du possible – au maintien d’une situation de stabilité à cet égard. Le développement économique et la paix en sont d’ailleurs les conditions nécessaires. Ainsi pourraient être conjurées deux hantises : celle des Palestiniens de voir la population d’Israël démesurément grossie par une immigration massive et celle des Israéliens juifs de se trouver « noyés », à moyen terme, dans une sorte « d’océan arabe ».
               6) Le fait d’avoir attribué (tout comme le document Ayalon-Nusseïbeh) à Israël la nature d’Etat du peuple juif marque, certes, une volonté d’apaiser ceux qui, tant en Israël que dans la diaspora, s’alarment à la perspective de voir  cet Etat perdre de sa judéité. En outre, cette disposition semble prendre en compte les divers sentiments liant une partie des juifs du monde à Israël. Toutefois, l’affirmation dont il s’agit serait loin de satisfaire de nombreux juifs de diverses nationalités qui se sentiraient mis en porte à faux par un accord de paix qui aurait pour effet de consacrer une double allégeance qu’ils ne revendiquent pas et qui les distinguerait de leurs compatriotes. A juste titre, ils s’inquiètent à l’idée que certains courants antisémites pourraient rendre tous les juifs responsables des errements éventuels de l’Etat israélien. Enfin, désigner une terre d’appartenance pour tous les juifs du monde, fourniraient un prétexte trop aisé à tous ceux qui souhaiteraient, pour des raisons inqualifiables, leur expulsion. Par ailleurs, et quelques soient les précautions prises dans la rédaction de l’article concerné, la reconnaissance du caractère à la fois ethnique et religieux d’un Etat tend, par elle même, à légaliser la discrimination de ses minorités. D’ailleurs, une telle reconnaissance va à l’encontre des stipulations fort claires de diverses conventions internationales. Les inconvénients d’un tel article semblent donc l’emporter largement sur ses avantages.
               7) Le problème des réfugiés, contrairement à celui de la frontière, est traité sans attention très marquée à la portée juridique ou éthique des solutions avancées. Certes, référence est faite à la résolution 194 de l’Assemblée Générale des Nations Unies portant droit au retour, ce qui n’est pas négligeable. Cependant ce droit n’est nullement mentionné explicitement alors qu’il est imprescriptible. Pour des raisons juridiques et politiques, ce droit devrait être rappelé, tout en indiquant dans quelles conditions ceux qui peuvent le revendiquer pourraient y renoncer librement. Seule une telle démarche peut rendre légalement incontestable la non application du droit au retour. Ce point est très important pour les Palestiniens des territoires occupés qui sont foncièrement attachés aux dispositions du droit international prescrivant implicitement le droit au retour dans la mesure où elles interdisent la déportation de populations.
Plus généralement, tout arrangement tendant à régler un problème de réfugiés par la seule voie pragmatique ou humanitaire est un précédent dangereux dans la mesure où il pourrait être invoqué pour faire admettre le « nettoyage ethnique » sous une forme se voulant « policée » voire « humaine ».
Cela dit, les dispositions prévues par le texte pour l’installation, le retour ou la réinsertion des réfugiés après définition amiable de leur lieu de résidence définitif n’ont rien d’inique. Il est prévu notamment que certains d’entre eux pourront s’établir dans leurs anciens lieux d’habitation en territoire israélien. Toutefois, cette disposition est soumise à l’acceptation d’Israël dont on sait la répugnance à voir augmenter sa population arabe. Le vœu émis par le texte de voir cet Etat admettre des réfugiés sur son sol dans la même proportion que le feraient, en moyenne, les pays disposés à en accueillir risque donc de rester un vœu pieux.
Le texte est, par ailleurs, muet sur le statut futur des réfugiés. Ceux restant en Israël seraient-ils citoyens israéliens ou résidents palestiniens ? Ceux restant dans leurs pays d’accueil actuels ou admis dans d’autres auraient-ils la nationalité palestinienne, celle de leur pays de résidence, ou l’une et l’autre ? Il est clair que les réponses ne peuvent être apportées que dans des annexes dont le texte pourrait être discuté avec les pays d’accueil potentiels.
Pour ce qui est du niveau de vie des réfugiés et de leur insertion économique, le texte reste étrangement avare d’éclaircissements. Il se borne à préconiser des aides au « développement des communautés palestiniennes » à l’étranger. Tout en annonçant la dissolution de l’UNRWA privée à terme de raison d’être,  il ne décrit pas les mécanismes permettant aux réfugiés de devenir des agents économiques autonomes. D’ailleurs aucun programme n’est esquissé, visant à leur assurer des emplois.
               8) L’accord s’inscrit très nettement dans une logique de compromis, c’est à dire de « jeu à somme nulle » où le gain d’une partie est une perte pour l’autre.Si le compromis régit dans une large mesure les rapports internationaux non violents, il n’y suffit pas. Les constructions pacifiques les plus solides se fondent sur la conscience d’intérêts communs réels et précis et non sur le simple intérêt partagé pour la paix et le mieux être. Certes, le texte évoque les intérêts communs à quelques reprises, ce qui est méritoire, mais ne leur donne pas de contenu précis. Or, il conviendrait de montrer à quel point la coopération entre Israël et la Palestine est vitale pour l’un et l’autre puisque la prospérité de l’un va dans le sens des intérêts de l’autre.
Cette vérité une fois démontrée, il conviendrait d’en tirer toutes les conséquences. Cela s’applique notamment au cas de tous les réfugiés de 1948 établis en Cisjordanie et dont la bonne insertion à l’économie des deux Etats comme à celle de la région est vitale pour Israël comme pour la Palestine.
               9) Sur certains points, comme celui de la remise aux Palestiniens des installations propres aux colonies de Cisjordanie, l’absence des annexes se fait cruellement sentir. Peut-on imaginer une force internationale d’interposition assumer une telle tâche ? Cela paraît irréaliste. Faut-il escompter une action de l’armée israélienne accompagnée d’éléments de la police palestinienne sous une supervision internationale ? Là encore, on voit mal la centaine de milliers de colons surarmés et, pour certains d’entre eux, farouchement attachés à leurs exploitations agricoles au nom d’un « idéal religieux » abandonner sans heurts ni dégâts les lieux où ils sont installés. Un scénario plus précis encore que celui décrit par le texte serait donc nécessaire.
              10) Selon le projet d’accord, le traitement réservé respectivement à Israël et à la Palestine est d’une inégalité flagrante. Démilitarisée, la Palestine est placée sous la protection, mais aussi la surveillance, du Groupe International de Vérification. Elle est vouée, pendant une période déterminée mais renouvelable, à une sorte d’éclipse de souveraineté. Il n’en va pas de même pour Israël qui est, certes, astreint à réprimer en son sein toute tendance à l’animosité religieuse ou raciale et à l’esprit de reconquête mais cela sans qu’une tutelle internationale, même symbolique, s’exerce sur lui. Les Palestiniens font figure de mineurs juridiques ou, en d’autres termes, de vaincus coupables. Le texte ne semble tenir, dès lors, aucun compte du fait que la violence par création de faits accomplis a été longtemps et reste le fait de groupes extrémistes tolérés voire encouragés par l’Etat d’Israël.
              11) Enfin le projet d’accord ne se situe pas résolument dans l’optique du règlement global du conflit israélo-arabe. Pour s’inscrire dans cette nécessaire logique de globalité il devrait indiquer, aussi nettement que possible, qu’il représente une nouvelle étape dans la voie du rétablissement complet de la paix au Proche-Orient et pour cela dessiner quelques perspectives de règlement des autres questions en suspens. En effet, les Palestiniens ne peuvent faillir à leur solidarité avec leurs voisins arabes auxquels ils ont pu reprocher précisément l’oubli de cette solidarité.
CONCLUSION :  Le projet de Genève a le mérite de tenter de mettre un frein à un processus destructeur et mortel pour les Palestiniens et, à terme pour les Israéliens. Tout devrait être fait pour le maintenir au premier plan de l’actualité, en mettant les deux parties devant leurs responsabilités, en pressant les Européens et Américains de prendre une position claire, en faisant valoir aux Palestiniens qu’ils ne perdent rien, au contraire, à se dire prêts à discuter sur les bases du projet en question. Mettant en lumière la complexité morale, juridique et politique du problème qu’il entend régler, il donne beaucoup à réfléchir et pourrait contribuer à étendre le champ du débat et de la négociation au détriment de celui de l’affrontement violent. Le rejeter catégoriquement serait inapproprié car cela exposerait au reproche de ne pas vouloir la paix ou encore, selon une formule connue, de « préférer la justice à la paix ». Il convient cependant de s’interroger sur la validité et la solidité d’une paix s’écartant à l’excès  du droit et de l’équité.
Il est, par ailleurs, évident que ce document ne saurait être considéré comme de nature à périmer ou dépasser les autres qui concourent au même objectif. Bien au contraire, il s’agit pour tous ces textes de renforcer mutuellement leur crédit et leur portée, et aussi de confirmer la pertinence de la « feuille de route ». Bref, il convient, pendant que se poursuivent les actes d’hostilités, de constituer un trésor « de paix » où puiser les éléments d’un ou de plusieurs accords formels et définitifs.
Cette conclusion résulte d’un choix douloureux car ce projet d’accord, tout en se voulant le plus proche du droit, traduit dans une large mesure un rapport de forces.
                                   
3. Lettre ouverte de Pierre Stambul (30 avril 2004)
(Pierre Stambul est vice-président de l’Union Juive Française Pour la Paix, et réside à Marseille.)
À l’attention de Messieurs Michel Vauzelle, Président du Conseil Régional Provence-Alpes-Côte d'Azur,
Jean-Claude Gaudin, Maire de Marseille,
Jean-Michel Guérini, Président du Conseil Général des Bouches-du-Rhône,
[Copie aux quotidiens régionaux "La Marseillaise" et "La Provence"]

Messieurs - Je m’adresse à vous au nom de l’Union Juive Française pour la Paix. Notre association est une association laïque et opposée à tout communautarisme qui a pour but de faire entendre une « autre voix juive ». Nous sommes clairement pour l’évacuation des territoires occupés par l’Etat d’Israël en 1967, pour le démantèlement de toutes les colonies et pour une paix entre Palestiniens et Israéliens fondée sur la Justice et l’Egalité des droits. Nous soutenons les pacifistes israéliens qui, courageusement, ont la même démarche et en particulier les « refuzniks » qui refusent de servir dans les territoires occupés. Nous dénions le droit à certains organismes de parler au nom des Juifs Français en manifestant un soutien inconditionnel à tous les actes du gouvernement israélien et en confondant sciemment Juif, Sioniste et Israélien. Nous contestons toutes les récupérations de l’antisémitisme ou du génocide nazi (que nos familles, comme d’autres, ont subi) au nom d’une politique partisane. À Marseille comme au Proche-Orient nous défendons ardemment l’idée du « vivre ensemble » entre personnes d’origines ou de cultures différentes.
Je m’adresse à vous à propos de deux événements qui doivent se dérouler prochainement.
Le 9 mai au théâtre du Gymnase à Marseille, si l’on en croit « La Provence », le KKL (Keren Kayemet Le Israël) et la mairie de Marseille organisent un « concert pour la paix ». Le KKL n’est absolument pas une organisation pacifiste. Sa finalité est de collecter des fonds pour l’Etat d’Israël et pour les colonies installées, en violation du droit international, dans les territoires occupés. Ces collectes n’ont rien d’étonnant. Israël dépense plus de 50% de son budget à la guerre et à l’occupation. Une telle politique serait impossible sans l’aide des Etats-Unis et les collectes de fond à l ‘étranger.
Le 16 mai, l’ABSI (association pour le bien-être du soldat israélien dirigée à Marseille par le conseiller général et régional Jocelyn Zeitoun) veut organiser au Parc Chanot un « gala ». Ce gala n’a pas pu être organisé à Paris dans les locaux demandés (Porte Maillot et Parc des Expositions). Le 16 mai, c’est le lendemain du jour que les Israéliens appellent jour de l’indépendance et que les Palestiniens appellent la Nakba (la catastrophe) parce que plusieurs centaines de milliers d’entre eux ont été chassés de leur pays et que leurs descendants sont aujourd’hui des réfugiés. L’ABSI n’est absolument pas une association « humanitaire » ou « caritative ». Elle entend soutenir une armée d’occupation qui viole quotidiennement les Droits de l’Homme et le Droit International.
L’UJFP vous demande donc clairement comme responsables politiques et élus de retirer le soutien de la mairie au concert du KKL et de ne pas accorder les autorisations nécessaires pour le gala de l’ABSI. Nous ne sommes pas des censeurs, mais nous refusons le soutien à la guerre, à l’occupation et à la destruction méthodique de la société palestinienne.
En espérant que vous comprendrez le sens de notre démarche et notre attachement à la paix et à la coexistence fraternelle entre les peuples. Recevez, messieurs l’assurance de notre considération.
                               
Revue de presse

                                                             
1. L’autisme de l’Empire par Noam Chomsky
in Le Monde diplomatique, mai 2004

(Noam Chomsky  est professeur au Massachusetts Institute of Technology (MIT), Boston, Etats-Unis. Auteur, après bien d’autres ouvrages, de Pirates et empereurs. Le terrorisme dans le monde contemporain. Fayard, Paris, 2003.)
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, les occupations militaires, même quand elles sont le fait des conquérants les plus brutaux, peuvent réussir. Prenons l’occupation par Hitler de l’Europe de l’Ouest ou celle par la Russie de l’Europe de l’Est dans l’après-guerre. Dans les deux cas, les pays occupés étaient dirigés par des collaborateurs disposant d’appareils locaux civils et militaires et simplement soutenus par les troupes du conquérant. Une résistance courageuse s’est développée contre Hitler, mais sans aide extérieure elle aurait été balayée. En Europe de l’Est (comme en Russie), les Etats-Unis ont tenté d’appuyer la résistance antisoviétique jusqu’au début des années 1950, sans succès.
Observons, par contraste, l’invasion de l’Irak. Elle a mis fin à deux régimes monstrueux, l’un dont nous avions le droit de parler, l’autre non. Le premier, c’était le règne du tyran ; le second, les sanctions imposées par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, qui ont tué des centaines de milliers de personnes, dévasté la société, renforcé le pouvoir du tyran et obligé la population à se reposer sur lui pour sa survie (à travers le rationnement), préservant ainsi M. Saddam Hussein du destin d’autres dictateurs soutenus par divers gouvernements des Etats-Unis, notamment par les membres et amis de l’actuelle administration américaine – Suharto, Marcos, Duvalier, Mobutu, etc. – et qui ont été renversés de l’intérieur. Une telle perspective était plausible avant la guerre.
Nul doute que la population a bien accueilli la fin des sanctions et la fin du régime de M. Saddam Hussein ; les opposants à la guerre contre l’Irak de par le monde aussi, bien que ce fait ait été caché par l’administration actuelle. Mais on pouvait supprimer le régime des sanctions sans conflit ; d’autre part, si celles-ci avaient été abolies, la population aurait pu réussir à se débarrasser de la dictature. L’enquête de l’inspecteur David Kay, nommé par le président George W. Bush après la victoire, a non seulement démenti de la manière la plus claire la prétendue détention d’armes de destruction massive par l’Irak, mais elle a montré de surcroît que, dans les années qui précédèrent l’invasion américaine, le pouvoir exercé par M. Saddam Hussein était très fragile. Cela a confirmé, a posteriori, les thèses de nombreux experts qui connaissaient bien la situation intérieure irakienne. Par exemple, MM. Denis Halliday (1) et Hans van Sponneck, coordinateurs de l’aide humanitaire pour l’Organisation des Nations Unies (ONU), avaient maintes fois répété que, si l’embargo et les sanctions imposés par Washington et Londres avaient épargné la population, les Irakiens eux-mêmes auraient renversé leur tyran.
Nous savons tous que les interventions militaires peuvent avoir des effets secondaires positifs : ainsi, le bombardement de Pearl Harbor par l’aviation japonaise en décembre 1941 a conduit à l’expulsion des puissances impériales occidentales d’Asie, sauvant ainsi des millions de vies qui auraient été perdues dans des guerres de libération. Est-ce que cela justifie le fascisme japonais et ses crimes ? Bien sûr que non. Et je suis convaincu que l’agression japonaise contre les Etats-Unis était un crime de guerre, le « crime capital » selon le tribunal de Nuremberg.
C’est à juste titre qu’Arthur Schlessinger, l’historien américain le plus respecté, a rappelé ce précédent de Pearl Harbor quand ont commencé les bombardements de l’Irak. Le président Franklin D. Roosevelt, écrivait-il, avait raison de dire que l’attaque japonaise était une date marquante dans l’infamie, et que les Américains devraient vivre avec l’attaque contre Bagdad comme une infamie comparable à la politique impériale japonaise.
Avec la fin des deux régimes, celui des sanctions et celui de M. Saddam Hussein, les Etats-Unis disposaient d’immenses ressources pour reconstruire l’Irak. La population était soulagée et la résistance n’avait pratiquement aucun soutien extérieur. Mais elle s’est développée de l’intérieur essentiellement comme une réponse à la violence et à la brutalité des envahisseurs. Il fallait un réel talent pour arriver à échouer…
Car l’invasion a enclenché un cycle de violence qui, à son tour, a engendré encore plus de violences, comme le prouvent les terribles combats à Fallouja dont les civils irakiens sont les premières victimes. Si les liens entre l’ancien régime irakien et le réseau terroriste Al-Qaida n’ont jamais existé, tout le monde admet que l’Irak occupé est devenu un « sanctuaire de terroristes ». Cela a été bien montré en particulier par Jessica Stern, spécialiste en terrorisme de l’université de Harvard, dans une étude publiée par le New York Times (2) après la destruction du siège de l’ONU à Bagdad.
La guerre contre l’Irak a eu lieu en dépit de l’opposition de l’opinion publique internationale, qui craignait qu’une telle agression ne conduise à une dissémination du terrorisme. Ces risques, l’administration de M. George W. Bush les a considérés comme négligeables comparés à la perspective de prendre le contrôle de l’Irak et de ses richesses, de lancer la première « guerre préventive » et de renforcer sa mainmise sur la scène intérieure américaine.
D’autre part, la « guerre contre le terrorisme » a fait faillite et les attaques meurtrières se sont développées de par le monde. Pour le malheur de leurs habitants, le nombre de villes frappées par la terreur depuis le 11 septembre 2001 ne cesse de s’allonger, notamment depuis la guerre contre l’Irak. Il comprend désormais Bagdad, Casablanca, Istanbul, Djakarta, Jérusalem, Haïfa, Ashdod, Monbasa, Moscou, Riyad et Madrid. Tôt ou tard, à ce rythme, il est possible que terrorisme et armes de destruction massive finissent par se rejoindre au sein d’une même organisation violente dont les frappes pourraient être plus terrifiantes encore.
Le concept de « guerre préventive » cher à M. Bush a révélé sa vraie nature : un simple euphémisme pour pouvoir agresser librement qui l’on veut. C’est le caractère arbitraire et dangereux de cette doctrine, et non seulement son application en Irak, qui a suscité, en février 2003, les grandes protestations contre l’invasion, refus qui s’est étendu depuis, notamment avec l’incapacité pour Washington de prouver que le régime de Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive, une accusation qui relève du gros mensonge d’Etat.
Dès avril 2003, les enquêtes d’opinion révélaient que les citoyens américains souhaitaient que l’ONU exerce la responsabilité principale durant l’après-guerre pour reconstruire politiquement et économiquement l’Irak. L’échec de l’occupation surprend malgré tout étant donné la puissance militaire et les ressources dont bénéficient les Etats-Unis. Il a conduit l’administration Bush a faire marche arrière et à se résigner à demander l’aide des Nations unies. Celles-ci aimeraient cependant savoir si l’Irak peut être autre chose qu’un Etat vassal de Washington. L’Amérique construit à Bagdad sa mission diplomatique la plus vaste du monde avec plus de 3 000 fonctionnaires, ce qui signifie très clairement que le transfert de souveraineté prévu le 30 juin 2004 prochain sera fort limité.
Ce sentiment est renforcé par la demande américaine de maintenir en Irak d’importantes bases militaires et une considérable présence de forces armées. Cette volonté de vassaliser Bagdad est également confortée par les ordres donnés par M. Paul Bremer, le proconsul de Washington, pour que l’économie locale demeure ouverte et contrôlée par les étrangers. La perte du contrôle de l’économie réduit radicalement la souveraineté politique ainsi que les perspectives d’un développement sain. C’est une des leçons les plus claires de l’histoire. Aucun pays colonisé n’a jamais pu se développer tant que sa politique et son économie restaient dominées par la puissance occupante.
En décembre 2003, une enquête du Program on International Policy Attitude / Knowledge Networks a indiqué que la population américaine elle-même ne soutient que très mollement les décisions de l’administration Bush de maintenir, en permanence, une forte présence militaire en Irak. Cette inquiétude populaire résulte du fait que les gens ne croient pas à la justesse de la cause. Si elle se traduisait dans les urnes, en novembre prochain, cela pourrait provoquer un changement politique majeur. Même si l’offre électorale aux Etats-Unis est très réduite et si les gens savent que les élections sont généralement achetées. Le candidat démocrate John Kerry est parfois décrit comme un « Bush manquant de calories ». Cependant, il arrive que les deux factions de ce qu’on appelle le « Parti des patrons » aient des politiques différentes. De petits écarts, au départ, entre l’un et l’autre candidat peuvent se traduire, à l’arrivée, par des impacts gigantesques et de nature très contrastée selon que l’élu sera M. Bush ou M. Kerry. Ce sera vrai en novembre prochain comme ce le fut en 2000 quand s’opposèrent M. Bush et M. Albert Gore.
M. Bush formule ainsi sa doctrine : « Libérer le monde du Mal et du terrorisme. » « Déclarer la guerre au terrorisme, affirma-t-il après le 11 septembre 2001, c’est aussi déclarer la guerre à tout Etat qui donne refuge à des terroristes. Car un Etat qui accueille sur son sol des terroristes est lui-même un Etat terroriste et doit donc être traité comme tel. » Au nom de cette doctrine, M. Bush fit la guerre à l’Afghanistan en 2001 et à l’Irak en 2002. Et il menace d’autres pays comme la Syrie. On peut toutefois se demander si M. Bush est vraiment cohérent, car il y a bien d’autres Etats qui accueillent des terroristes, qui les protègent et qui ne sont ni bombardés ni envahis. A commencer par… les Etats-Unis eux-mêmes !
Depuis 1959, on le sait, les Etats-Unis ont parrainé des attaques terroristes contre Cuba. Il y eut l’invasion de la baie des Cochons en 1961, des mitraillages aériens contre des civils, des bombes dans des lieux publics à La Havane et ailleurs, l’assassinat de fonctionnaires, la destruction en vol d’un avion de ligne cubain en 1976 qui fit près de quatre-vingt morts, ainsi que des dizaines de complots pour tuer M. Fidel Castro. L’un des terroristes anticastristes les plus notoires, accusé d’être le cerveau de l’attentat contre l’avion civil en 1976, est M. Orlando Bosch. En 1989, M. George Bush père annula la décision du ministère de la justice qui avait refusé une demande d’asile formulée par M. Bosch. Celui-ci vit donc tranquillement aux Etats-Unis, où il poursuit ses activités anticastristes.
La liste des terroristes qui ont trouvé refuge aux Etats-Unis comprend également M. Emmanuel Constant, de Haïti, connu sous le nom de « Toto », un ancien leader paramilitaire de l’époque des Duvalier. « Toto » est le fondateur du Front révolutionnaire pour l’avancement et le progrès d’Haïti (FRAPH), groupe paramilitaire qui, aux ordres de la junte qui avait renversé le président Aristide, terrorisa la population de 1990 à 1994. Selon des informations récentes, « Toto » vit dans le Queens à New York. Et Washington a refusé la demande d’extradition présentée par Haïti. Pourquoi ? Parce que « Toto » pourrait révéler les liens entre les Etats-Unis et la junte coupable d’avoir fait assassiner – par les hommes du FRAPH – entre 4 000 et 5 000 Haïtiens… Il faut ajouter que, parmi les gangsters qui ont participé, aux côtés des forces américaines, au récent coup d’Etat contre le président Aristide figurent plusieurs anciens dirigeants de l’organisation terroriste FRAPH…
Washington répugne toujours à livrer ceux qui l’ont bien servi même s’il s’agit de terroristes. Ainsi, en février 2003, le Venezuela a demandé l’extradition de deux officiers qui avaient participé au coup d’Etat du 11 avril 2002 contre le président Hugo Chavez et qui avaient ensuite organisé un attentat à Caracas avant de fuir à Miami, où ils ont trouvé refuge. Bien entendu, Washington a refusé.
Car tous les terrorismes ne sont pas de même nature. Et ceux qui servent les intérêts des Etats-Unis ne sauraient être qualifiés du vilain terme de « terroristes ». Ils sont les nouveaux « combattants de la liberté », comme les médias qualifiaient jadis M. Oussama Ben Laden lui-même, du temps où il terrorisait les Soviétiques pour le compte de Washington…
- NOTES :
(1) : Lire Denis Halliday, « Des sanctions qui tuent », Le Monde diplomatique, janvier 1999.
(2) : Jessica Stern, « How America Created a Terrorist Haven », The New York Times, 20.08.2003.
                           
2. A Jérusalem, le "mur de la honte" s'attaque aux terres chrétiennes - C'est une atteinte au "concordat entre le Vatican et Israël", selon le Père Ghilardi par Michel Bôle-Richard
in Le Monde du vendredi 30 avril 2004
Jérusalem de notre envoyé spécial - Pour Helmut, le gardien de l'hospice Notre-Dame-des-douleurs, "le soleil se lève désormais à onze heures". C'est seulement à cette heure-là qu'il franchit le sommet des 8 mètres de mur que les Israéliens ont planté juste de l'autre côté de la route, en face du portail d'entrée de cet établissement religieux situé aux confins de Jérusalem, de l'autre côté du mont des Oliviers.
De son bureau, Sœur Marie-Dominique Croyal ne voit plus que ces immenses panneaux de béton gris. Et ce ne sont pas les inscriptions vengeresses ou humoristiques tracées sur les parois ("Du ghetto de Varsovie au ghetto d'Abou Dis" ; "Faites l'amour pas des murs" ; "Mur de guerre + honte = mur des lamentations") qui lui redonnent le sourire. Pour la supérieure de Notre-Dame-des-douleurs "ce mur est une catastrophe, car les familles de -ses- cinquante pensionnaires, des personnes âgées, habitent de l'autre côté ainsi que tous les employés. Certains n'ont pas de laissez-passer, alors ils ne pourront plus travailler".
Le cauchemar a commencé le 11 janvier. Sans prévenir, les engins de travaux publics sont venus mettre en place ce que les Palestiniens appellent "le mur de l'apartheid". Un long tronçon a été édifié, mais, depuis, dit Sœur Marie-Dominique, "on ne peut plus aller faire les courses à Béthanie et les Palestiniens passent par notre propriété pour se rendre à Jérusalem. Ils sont pourchassés par les soldats, qui s'introduisent chez nous et tirent des grenades lacrymogènes. Les gens sont traqués. On ferme les yeux. Que voulez-vous dire ! La vie est déjà tellement difficile pour eux. On n'arrête pas de les humilier. On les aligne le long du mur en les obligeant à regarder le soleil. On les fait se déshabiller et on nettoie les jeeps avec leurs vêtements avant de les leur rendre. On ne peut rien dire, rien faire. On ne sait rien. On ne sait même pas s'il y aura une porte dans le mur. C'est clair, on veut empêcher toute circulation et vider Jérusalem-Est".
Sœur Marie-Dominique est écœurée et se demande comment son hospice va pouvoir fonctionner quand le mur sera terminé. De l'autre côté, il n'y a pas de centres de soins ni d'hôpitaux. Pour le moment, seuls des tronçons de mur se sont dressés sur les collines. La vie et le trafic sont totalement désorganisés. Il faut faire d'immenses détours à pied. Des habitants ont été expulsés de leurs maisons situées en haut des collines.
Le mur se met en place inexorablement à l'est de Jérusalem et fera la jonction avec celui édifié autour de Bethléem pour, officiellement, assurer la sécurité des Israéliens. Mais, au pied du mont des Oliviers, le tracé empiète sur les propriétés religieuses qui se succèdent sur le versant oriental. Si le terrain de Notre-Dame-des-douleurs n'est pas touché, ceux des frères passionistes, des franciscains, des orthodoxes, des sœurs de la charité sont tous plus ou moins rognés pour laisser passer "le mur de la honte" comme l'appelle le Père Claudio Ghilardi.
Ce frère passioniste ne décolère pas depuis que, le 6 décembre 2003, en pleine nuit, les bulldozers ont défoncé le mur d'enceinte sans prévenir, "au mépris, dit-il, du concordat entre le Vatican et Israël et des plus élémentaires règles de respect envers un lieu sacré". Depuis lors, rien n'a bougé, car le nonce apostolique, Mgr Pietro Sambi, a protesté officiellement, et des plaintes ont été déposées.
BALAFRE GRISE
"Vous voyez cette école des sœurs de la Nigrizia, elle va être séparée de nous,s'emporte cet Italien. Notre communauté est coupée en deux. Et ce terrain, c'est une zone archéologique. Il y a dix-sept citernes et de nombreuses sépultures de premiers chrétiens. Regardez, quatre ont été mises au jour. C'est un délit contre l'humanité." Il montre les morceaux de poteries, les restes d'un mur aussi vieux que ceux de Jéricho, une borne de délimitation datant des Anglais. "En plus, ajoute-t-il, les Israéliens nous reprochent de laisser passer les Palestiniens par notre propriété. C'est illogique et scandaleux, car on leur dénie le droit de se soigner, d'étudier et de venir prier dans nos églises. Deux mille fidèles se trouvent de l'autre côté."
Youssef Radouane habite juste en contrebas. Sa maison est pratiquement collée au check-point. Seul un passage de 45 cm a été aménagé. Désormais, il faut faire 17 km en voiture pour rejoindre Jérusalem, alors qu'il en est à la porte. Chez les filles de la charité de Saint-Vincent-de-Paul, tout le fond de la propriété est désormais barré par le mur. "Que voulez-vous que l'on fasse. On ferme les yeux sur le panorama, dit la supérieure Sœur Joséphine. Un jour le mur disparaîtra. Le Bon Dieu ne peut pas permettre cela. Tant de misère est insupportable. Sharon finira bien par s'en aller. Alors on en vendra les morceaux, comme pour le mur de Berlin." Sœur Loudy pleure sur son potager anéanti, sur ses citronniers, ses oliviers et tous ses arbres arrachés pour laisser la place à une route poussiéreuse et une barrière qui fend le ciel. "Ils nous ont dit qu'ils feront une porte. Il faudra donc que je demande la clé, et à qui ?, pour aller chercher des figues sur mon figuier de l'autre côté, maintenant." Les sœurs dirigent un orphelinat et une colonie de vacances et se demandent comment elles feront avec les familles et les employés, qui sont tous de l'autre côté.
Chez les franciscains, d'après le Père Ricardo, plus de 1 hectare a été confisqué. Un peu moins chez les orthodoxes, dont la vue sur le désert de Judée jusqu'à la mer Morte est gâchée par cette balafre grise qui court sur le terrain. "Souvenez-vous d'une chose, dit le père Innokentios, le Moyen-Orient est la terre de l'inattendu. Alors le mur, comme tous les murs, ne peut qu'être détruit." En attendant, sa construction continue à grands pas.
                                   
3. Laisserons-nous détruire la Palestine ? par Etienne Balibar et Madeleine Rebérioux
in Le Monde du mercredi 28 avril 2004
(Etienne Balibar est philosophe et Madeleine Rebérioux est historienne.)
Fort de l'appui inconditionnel du président américain, dont la politique au Moyen-Orient se résume en une fuite en avant militaire et impériale, le gouvernement israélien est passé à une nouvelle phase de son plan d'écrasement de la résistance palestinienne et d'anéantissement de tout processus de paix, dont l'aboutissement est la création d'un Grand Israël incluant une proportion plus ou moins importante de sujets arabes et de bantoustans palestiniens. Il défie ouvertement le droit international et l'opinion des peuples voisins. Croyant disposer de la force à perpétuité, il n'hésite pas à semer la haine, la ruine et l'humiliation. Or, il n'a plus, en face de lui, qu'une Autorité dont il a lui-même sapé tous les pouvoirs et une société paupérisée, expropriée, atomisée, et pourtant vivante, sur laquelle il frappe à coups redoublés et qu'il veut pousser aux actions les plus désespérées.
Dans cette situation, que peut-on attendre de l'opposition démocrate américaine, dont le candidat, en pleine surenchère électorale, a exprimé son soutien sur ce point à l'administration Bush ? Rien pour l'instant, c'est à craindre. Rien non plus, apparemment, de la gauche israélienne, qui - à l'exception de quelques petits groupes héroïques - a poursuivi et entériné la colonisation.
Sans doute n'y a-t-il pas non plus grand-chose à attendre des Etats arabes, plus empêtrés que jamais entre leurs opinions publiques, qu'ils redoutent, leurs antagonismes nationaux et idéologiques, les intérêts diplomatiques et financiers qu'ils veulent ménager et leur dépendance de la protection américaine. On peut compter, en revanche, sur les réseaux terroristes pour exploiter et aggraver la situation.
Les Nations unies n'ont certes d'autre puissance que celle des Etats membres, dont la majorité ne se résout toujours pas à faire sauter le verrou du veto américain au Conseil de sécurité et à faire respecter ses propres résolutions. Le fait est, cependant, qu'après avoir accepté l'invasion de l'Irak sans mandat international et la dissymétrie absolue dans la mise en œuvre de leurs décisions, elles n'ont plus d'échappatoire. Si elles ne réaffirment pas le droit à l'autodétermination de la Palestine, ne condamnent pas d'une façon enfin efficace les assassinats ciblés, la construction du mur, l'annexion de fait de la Cisjordanie, n'exigent pas le retrait israélien complet des territoires occupés et la mise en œuvre d'un plan de protection des populations, toute chance pour elles de restaurer la crédibilité de l'institution internationale sera vraisemblablement perdue.
Les nations européennes n'en finissent pas de payer la note de leur mauvaise conscience, de leurs refoulements et de leur lâcheté. Après avoir contribué, à des degrés divers, à l'extermination des juifs pendant la seconde guerre mondiale et "oublié" la colonisation, elles s'apprêtent maintenant à sacrifier le peuple palestinien - dont elles prétendent pourtant soutenir le droit à l'existence et à la souveraineté - faute de savoir faire nettement la différence entre antisémitisme et critique de la politique israélienne, faute de vouloir reconstruire leurs relations avec le monde arabo-musulman et constituer l'espace euroméditerranéen sur des bases de justice et d'égalité, faute de pouvoir résister à l'hégémonie militaire et au chantage économique des Etats-Unis, faute de chercher à rassembler au sein de l'Union européenne autre chose que des intérêts corporatifs et bureaucratiques, pour inventer une politique mondiale au service du droit.
La catastrophe est donc toute proche. Le peuple écrasé de Palestine en fait et en fera les frais. Les conséquences s'en feront sentir interminablement, sur le plan des relations internationales, de la sécurité collective, de la conscience universelle. Ce ne sera pourtant pas faute d'avertissements, de preuves, de témoignages, de signes annonciateurs. Nous ne nous lasserons pas, pour notre part, de réclamer qu'on se ressaisisse, et d'abord que le gouvernement français, en charge d'une puissance qui se veut méditerranéenne et membre permanent du Conseil de sécurité, fasse davantage - tout son devoir, tout ce qui est en son pouvoir - pour que le crime n'aille pas à son terme.
                                   
4. Apparemment, le président Bush m’a volé mon job… par Saeb Erekat
in The Washington Post (quotidien américain) du dimanche 25 avril 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Saeb Erekat est négociateur en chef de l’Autorité palestinienne.)
Responsabilité ? Vous avez dit : « responsabilité » ? Sans doute – à moins que vous ne vous appeliez Ariel Sharon… auquel cas, vous pouvez librement procéder à vos assassinats, construire toutes les murailles et colonies que vous voulez, et opprimer une population entière. Après quoi, vous serez chaleureusement remercié, et vous serez récompensé par un soutien inconditionnel…
Jusqu’à la conférence de presse Bush-Sharon, le 14 avril, j’étais le chef négociateur de l’OLP, la seule entité internationalement reconnue à disposer d’un mandat pour négocier une paix définitive avec Israël. Mais voilà : Bush est apparu à la télévision, à la Maison Blanche avec, à ses côtés, un Ariel Sharon rayonnant, et il a annoncé qu’il venait d’accepter la revendication par Israël des territoires palestiniens qu’Israël occupe en toute illégalité. Après quoi, il a précisé que les réfugiés palestiniens ne seraient jamais autorisés à revenir chez eux, en Israël, et qu’ils seraient réinstallés dans un Etat palestinien, dont il venait tout juste de brader de vastes parcelles.
Ce faisant, Bush reniait la Lettre d’Engagement américaine de 1991, que l’administration de son père avait remise aux Palestiniens. Cette lettre disait qu' « aucune partie ne prendrait de mesures unilatérales visant à prédéterminer l’issue des négociations », et que « les Etats-Unis se sont opposés jusqu’ici – et continueront à s’opposer – à l’activité de colonisation dans les territoires occupés en 1967. » Bush, en sa qualité de négociateur palestinien auto-appointé, a finalement révélé la mascarade qu’est devenu le « processus de paix au Moyen-Orient » - lequel n’est plus que le mécanisme grâce auquel Israël et les Etats-Unis entendent imposer une solution – leur solution – aux Palestiniens…
A l’ère où nous vivons, caractérisée par le pouvoir inégalé et incontesté des Etats-Unis, Bush a abandonné le rôle historique de facilitateur et de médiateur de la paix au Moyen-Orient, en adoptant, en lieu et place, tout simplement les positions d’un gouvernement de droite, expansionniste : le gouvernement israélien actuel. Voilà qui défie la raison : un président américain, qui cite à qui mieux mieux la nécessité de l’état de droit, n’utiliserait donc plus le pouvoir que lui confère sa position dans le monde pour opposer le droit international aux colonies israéliennes illégales en territoire palestinien, mais, au contraire, les légitimerait en considérant qu’il s’agit « de centres de population israélienne actuellement existants », en donnant par là même aux Israéliens un encouragement à en construire de nouvelles ? Il est stupéfiant de voir un président qui soutient l’égalité et la non-discrimination ignorer les droits de réfugiés chrétiens et musulmans à retourner dans leurs foyers dans l’ « Etat juif » - un terme souvent répété, mais jamais défini, ni même soumis aux parties, aux fins de la négociation. Et il est incroyable que le chef du monde libre, le président d’une nation dont l’existence même se fonde sur la liberté et la justice, se comporte avec une telle grossièreté, déniant liberté et justice au peuple palestinien.
Les positions que Bush a adoptées nient – et par conséquent sapent dangereusement – les objectifs proclamés de la politique américaine de réformes démocratiques dans un « Nouveau Moyen-Orient ». La liberté ? Of course… à moins que vous ne soyez palestinien, auquel cas vos droits doivent au préalable être approuvés par Israël ! L’état de droit ? Absolument… à moins que vous ne soyez Israël, auquel cas vous n’avez pas à vous préoccuper des résolutions de l’ONU, ni de la 4ème Convention de Genève, ni du droit des réfugiés, ni des traités afférents à la protection des droits de l’homme…
La responsabilité, la nécessité d’avoir des comptes à rendre ? Sans le moindre doute… à moins que vous ne vous appeliez Ariel Sharon, auquel cas vous pouvez mener à bien sans entrave vos assassinats, ériger vos murailles et construire vos colonies, opprimer un peuple entier, pour finir par être récompensé de tous vos hauts faits par un support inconditionnel…
Bush veut réformer le monde arabe, tout en apportant la caution de Washington à un gouvernement israélien entièrement mobilisé à exproprier des terres palestiniennes, à dominer le peuple palestinien et à l’humilier. Tant que les Etats-Unis refuseront de jouer un rôle équitable dans le conflit israélo-palestinien, tant qu’ils continueront à sous-traiter à Israël leur politique moyen-orientale, leurs efforts en vue de remporter la guerre contre le terrorisme seront sérieusement sapés.
Le désengagement non négocié d’Israël se retirant de la bande de Gaza amènera beaucoup de Palestiniens à déduire que la violence – et non la négociation – est la seule option susceptible de leur garantir leurs droits. La majorité des Palestiniens favorables à une solution pacifique – à deux Etats – constatent aujourd’hui que les Palestiniens ne sont même pas les bienvenus à la table des négociations. C’est avec les Etats-Unis, qu’Israël négocie désormais la paix – ce n’est plus avec les Palestiniens. Il est impossible de décrire à quel point cette attitude affaiblit les modérés palestiniens, dont je fais partie, qui ne cessent de plaider pour une solution fondée sur la réconciliation et la négociation. Et non pas sur la revanche et les représailles.
Les premiers bénéficiaires de ces développements très graves sont les groupes extrémistes, partout au Moyen-Orient. Les dirigeants de ces groupes n’auraient pu inventer meilleure méthode de recrutement que la conférence de presse commune de Bush et Sharon. La réalité est qu’en raison des positions adoptées par l’administration Bush, nous sommes plus éloignés que nous ne l’avons jamais été d’une paix définitive et qu’en conséquence, beaucoup d’innocents, des deux côtés, vont malheureusement perdre la vie, dans les mois et les années à venir.
Certes, mon rôle de négociateur en chef palestinien m’a été subtilisé.
Mais je conserve mon rôle de père palestinien. Je suis plus déterminé que jamais à enseigner à mes enfants que la violence n’est pas la solution.
Mais je ne peux pas dire que le président Bush m’aide beaucoup…
                               
5. Elias Sanbar : "Sharon veut préparer l’opinion à l’assassinat de Arafat" entretien réalisé par Chafik Laâbi
in La Vie Economique (hebdomadaire marocain) du vendredi 23 avril 2004

La politique d’assassinat des dirigeants du Hamas vise l’élimination de tous les interlocuteurs palestiniens possibles, et pas seulement les plus extrémistes d’entre eux. Processus de Barcelone, initiative de Genève, feuille de route, tout cela est enterré aujourd’hui avec la bénédiction des Etats-Unis. Le projet de retrait israélien unilatéral de la Bande de Gaza présenté comme une concession majeure vise en fait l’annexion pure et simple de la Cisjordanie.
Elias Sanbar est né en 1947 à Haïfa, en Palestine. Quelques mois après sa naissance, sa famille est contrainte à l’exil et s’installe à Beyrouth. Elias Sanbar y passe son enfance, puis rejoint la France où il fait ses études. Sa vingtième année signera l’acte de son engagement nationaliste : il rejoint la Résistance palestinienne.  En 1971, il achève ses études universitaires à Paris et devient professeur d’histoire. Il repart ensuite au Liban, où il enseigne et travaille comme chercheur à l’Institut d’études palestiniennes. Il vit à Beyrouth durant les premières années de la guerre civile libanaise, avant de retourner à Paris en 1978. Il fonde la Revue d’études palestiniennes, accueillie dès 1980 par Jérôme Lindon et les Editions de Minuit.  Il participe parallèlement aux préparatifs des négociations de paix israélo-arabe, en prenant part à la Délégation palestinienne aux pourparlers de paix à Madrid et à Washington, avant de diriger la Délégation palestinienne aux négociations multilatérales sur les réfugiés, de 1993 à 1996.  Elias Sanbar a publié un récit et trois essais. Il a dirigé aux côtés de Farouk Mardam-Bey la publication de deux ouvrages : Jérusalem, le sacré et le politique, en 2000 et Droit au retour, en 2002 (Sindbad/Actes Sud). Enfin, il est le traducteur du poète palestinien Mahmoud Darwich.  Dans cette interview, M. Sanbar met en perspective les événements et donne des clés précieuses pour comprendre les vraies raisons qui animent les décideurs israéliens, particulièrement en ce qui concerne le projet de retrait unilatéral de la Bande de Gaza, présenté comme «un pas courageux sur le chemin de la paix».
- La Vie Economique : Commet lire la récente série d’assassinats des dirigeants du Hamas. Une mise en œuvre de la doctrine de la guerre préventive en matière de terrorisme d’Etat ?
- Elias Sanbar : Oui, à cette différence que cela fait très longtemps que ce terrorisme-là est pratiqué par l’Etat d’Israël, sous le prétexte de son droit inaliénable à l’autodéfense. Israël se présente toujours comme un pays placé sous une menace permanente et, de ce fait, autorisé à se faire justice lui-même. En Europe, pour qualifier les assassinats des dirigeants du Hamas, une expression a fait florès, celle de «liquidations extrajudiciaires». C’est comme si, en procédant à ces liquidations, Israël pouvait être parfois dans le droit et parfois hors du droit !
Ce n’est pas seulement une politique systématique de représailles. C’est une politique de non-respect et de déni du droit qui a la garantie de l’impunité. Les condamnations de ces assassinats sont simplement verbales. Elles ne sont jamais suivies de sanctions. Cette politique entre dans le cadre de la stratégie annexionniste d’Israël et vise l’élimination de tous les interlocuteurs palestiniens possibles, et pas seulement les plus extrémistes d’entre eux.
Ce privilège d’impunité d’Israël et le soutien inconditionnel dont il bénéficie de la part du parrain américain ont été mis sous une lumière crue lors de la dernière visite d’Ariel Sharon aux Etats-Unis.
- Un soutien inconditionnel qui a toujours existé. Cela dit, est-il plus manifeste aujourd’hui ?
- A partir du contenu de la conférence de presse conjointe tenue par MM. Bush et Sharon, à l’issue de la visite de ce dernier aux Etats-Unis ( ), on peut le résumer à travers les concessions faites par l’administration Bush. Il s’agit là d’un tournant majeur de la politique américaine au Moyen-Orient. La première concession, et la plus grave, résultant d’une omission, puisqu’elle a été complètement passée sous silence dans les déclarations de M. Bush, est celle du statut futur de Jérusalem. C’est comme si l’annexion de cette ville par Israël était une question déjà réglée. La deuxième concession réside dans l’appui américain à la demande israélienne de ne pas revenir aux frontières de juin 1967. C’est une violation flagrante de la résolution 242 du Conseil de sécurité de l’ONU, alors que la Feuille de route et tout le processus de paix sont fondés sur cette résolution. Troisième concession : la reconnaissance américaine que le Mur de séparation est légitime car il est nécessaire à la défense d’Israël. Si l’on associait ces deux éléments : non-retour aux frontières de 1967 et la légitimité du Mur, cela aboutit à un feu vert donné à l’annexion de toutes les terres situées entre les frontières de 67 et le Mur, soit 56% de la superficie totale de la Cisjordanie ! La quatrième concession porte sur la colonisation. Les Etats-Unis ont toujours affirmé, et pas seulement depuis les accords d’Oslo (1995), que les colonies de peuplement n’étaient pas légales. Une constante de la politique étrangère américaine balayée par une simple déclaration de Georges W. Bush. Que dit-il en substance ? «Il y a des réalités sur le terrain qu’on ne peut plus ignorer». Ce qui est la reconnaissance implicite du droit d’Israël à garder le contrôle d’importants blocs de colonisation en Cisjordanie. Les colonies juives de peuplement, sans compter Jérusalem, regroupent à elles seules 200 000 colons. Si l’on ajoute Jérusalem et les colonies qui l’entourent, on atteint une population de 400 000 colons. Là encore, c’est une violation des accords de Genève sur le droit de la guerre.
- Et sur le droit au retour des réfugiés palestiniens ?
- Sur cette question, Georges W. Bush a affirmé que les réfugiés, dans le cadre d’un accord de paix final, devraient êtres accueillis dans le futur Etat palestinien et non en Israël. Une contradiction ! Si le Plan Sharon était finalement accepté, il n’y aurait tout simplement pas d’Etat palestinien. Et là, on ne voit pas comment ces réfugiés pourraient rentrer dans cet Etat. Si cet Etat parvenait quand même à être bâti, la question de l’accueil de citoyens palestiniens serait une affaire purement intérieure qui n’aurait pas besoin de l’accord des Américains ou de qui que ce soit. Non seulement Georges W. Bush veut abolir ce droit au retour, mais il se prononce sur des questions qui ne sont pas de son ressort. Globalement, et au-delà des assassinats, nous assistons à un feu vert donné à l’annexion des territoires palestiniens de 1967 par Israël. On annonce, ainsi, aux Palestiniens, qu’un pays (les Etats-Unis) a offert à un deuxième pays (Israël) le territoire d’un troisième (Palestine). Ce n’est donc nullement un hasard si en Israël, aujourd’hui, beaucoup de chroniqueurs disent que les récentes déclarations de Georges W. Bush constituent une deuxième déclaration de Balfour.
- Pourquoi assassiner des dirigeants historiques du Hamas, pourquoi maintenant ?
- On cherche évidemment à maintenir le Hamas dans une situation défensive permanente. Il y a également la volonté de rassurer l’opinion publique israélienne, traumatisée par les opérations suicide. Il est néanmoins étonnant de constater que peu, trop peu d’Israéliens se posent la question de savoir si cette politique de Sharon est efficace, ou même, en termes cyniques, rentable. S’il est vrai qu’il n’y a jamais eu autant d’assassinats de dirigeants palestiniens, il est tout aussi vrai qu’il n’y a jamais eu autant d’insécurité en Israël. C’est là incontestablement une fuite en avant. Mais, à mon avis, le but majeur recherché à travers la banalisation des assassinats est de préparer l’assassinat de Yasser Arafat.
- Comment, à votre avis, réagiront les Palestiniens, face à autant d’arrogance israélienne.... appuyée par les Etats-Unis ?
- Les Palestiniens n’ont pas d’autre choix que celui de continuer à résister. La résistance se poursuivra dans des conditions extrêmement difficiles. Cependant, il y a un nouveau facteur régional à prendre en compte. Depuis son déclenchement il y a trois ans, l’Intifada est restée circonscrite à l’espace palestinien.
Or, avec la guerre en Irak, le séisme politique régional a désormais deux épicentres: un, palestinien, et un autre irakien. De ce fait, toute réflexion sur l’avenir de la région ne peut plus faire abstraction de ce cadre élargi. C’est-à-dire qu’on ne peut plus réfléchir à la Palestine, isolée de ce nouveau contexte régional. Il n’y a plus de doute que les crises palestinienne et irakienne se fassent écho l’une de l’autre. En résumé, nous sommes face à une situation instable, à des troubles régionaux en perspective, à une arrogance israélienne soutenue sans vergogne par l’administration Bush. C’est un tableau pessimiste et très inquiétant.
- Les attentats-suicide contre des civils israéliens ne fragilisent-ils pas davantage la position palestinienne, dans un monde qui fait du terrorisme l’ennemi universel ?
- Je pense que toute attaque contre l’armée d’occupation est un acte de résistance. Mais tout attentat contre des civils est désastreux. Certains peuvent les expliquer par le désespoir et l’impasse du processus de paix, mais ces attentats restent gravissimes et politiquement très coûteux.
Sur le plan des principes, la résistance d’un pays occupé ne doit pas, quelles que soient les circonstances, utiliser les méthodes barbares de l’armée d’occupation. C’est catastrophique que la résistance puisse répondre au terrorisme d’Etat par des attentats terroristes parmi les civils.
S’il est vrai que les différentes expériences de libération nationale ont connu ce genre d’attentats, en faire une stratégie d’action est dangereux. Nous sommes un mouvement de justice et de libération. Nous ne pouvons pas utiliser les méthodes de ceux qui nous oppriment et occupent notre patrie. Aujourd’hui, il est difficile de tenir un tel discours. Mais il faut s’y tenir.
- Beaucoup voient derrière les assassinats des dirigeants du Hamas un lien avec le projet israélien de retrait unilatéral de la Bande de Gaza...
- Vous savez, ces assassinats sont multidimensionnels, ils ont des aspects tactiques et d’autres stratégiques, mais ce qui est indiscutable, c’est que le retrait de la Bande de Gaza ne peut pas être analysé isolément du reste. Ce retrait ne peut être politiquement intelligible que dans le cadre d’un couple: retrait de la Bande de Gaza/Annexion de la Cisjordanie. C’est l’un en échange de l’autre. C’est-à-dire 50 km2 de Gaza contre 5000 km2 de la Cisjordanie !
Il faut voir les deux composantes de ce couple comme un processus indissociable. Le retrait unilatéral de la Bande de Gaza est présenté comme une grande concession israélienne, un pas courageux vers la paix... Mais en fait, c’est un gage pour annexer tout le reste.
- Au vu de l’impasse actuelle, ne faut-il pas se rendre à l’évidence : on fait fausse route avec le processus de paix déclenché par la conférence de Barcelone !
- Aujourd’hui, il n’est même pas besoin de faire un bilan. Le processus de paix de Barcelone est mort et enterré. La Feuille de route également. Néanmoins, il ne faut pas oublier que la Conférence de Madrid s’est tenue dans une tout autre conjoncture. Les calculs des uns et des autres n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Il serait erroné d’analyser a posteriori les choses. C’est-à-dire en disant : puisque le processus s’est écroulé aujourd’hui, il était prévisible qu’il le soit dès le début. Je vous donne juste un exemple pour illustrer ce propos. On ne peut pas refaire l’histoire, mais je reste absolument convaincu que si Itzhak Rabin n’avait pas été assassiné, les choses auraient pris un autre cours. Cela ne veut pas dire qu’Israël aurait été d’une immense générosité, mais le processus de paix aurait pu s’engager dans une autre voie.
Il y a un autre élément, de fond cette fois-ci : peut-on négocier quand on est dans un extrême état de faiblesse face à un occupant qui a tous les atouts en main ? La réponse est malheureusement très prosaïque : les Palestiniens n’avaient aucun autre choix que d’aller à la négociation. N’oublions pas que nous en étions à la fin de la première guerre contre l’Irak, à la formation d’une énorme coalition arabe aux côtés des Américains, et à un pays arabe envahi de façon illégitime: le Koweït... Nous étions dans une tout autre conjoncture. La direction palestinienne a eu raison d’aller à la négociation, elle qui était totalement mise à l’écart (en 1990-91)... Autrement, la question aurait été de toute manière discutée, mais sans les Palestiniens. Il fallait que la voix palestinienne soit présente et entendue. Mais vous avez raison, cela s’est fait dans des conditions extrêmement défavorables.
- Pourquoi l’Autorité palestinienne a-t-elle accepté la Feuille de route, sachant qu’elle ne pouvait désarmer le Hamas et le Jihad ? Un geste désespéré ?
- Là encore, il faut voir les choses telles qu’elles se sont passées. Cette Feuille de route avait commencé par s’appeler autrement : le Plan du quartet. Ses auteurs n’étaient pas uniquement les Etats-Unis, mais aussi l’Union européenne, la Russie et l’ONU. Les Palestiniens avaient, au départ, de fortes garanties, de la part des trois premiers acteurs, que la question ne serait pas abordée en tête-à-tête avec les Etats-Unis. Et puis, il y a eu les attentats du 11 Septembre, la guerre d’Afghanistan et la guerre contre l’Irak et finalement ces trois acteurs se sont retirés du jeu. De nouveau, les Palestiniens se sont retrouvés en tête-à-tête avec Israël et la première puissance impériale du monde : les Etats-Unis, dans la conjoncture de l’occupation d’un grand Etat arabe, l’Irak, et d’une attitude très décevante des Etats arabes voisins de la Palestine. Cela souligne d’autant plus l’immense solitude de l’acteur palestinien. Dans un tel rapport de forces, vous ne pouvez pas dire non !
- Les Etats arabes ont adopté une position de spectateur et de dénonciation verbale... Disposent-ils encore des moyens ou de la volonté de s’opposer à la politique américaine ?
- Les régimes arabes ne se ressemblent pas. Ni les sociétés arabes d’ailleurs. Certaines sont libérales et démocratiques, d’autres ne le sont pas. Bref, c’est un groupe d’acteurs nullement homogène. Donc, nous avons 21 pays ayant leurs spécificités et leurs identités politiques et sociales, mais ils partagent tous un trait commun : ils sont tous sur la défensive et ne peuvent pas faire grand-chose pour les Palestiniens. D’ailleurs, la récente visite du président Hosni Moubarak aux Etats-Unis a été l’occasion d’une série non pas de mauvais traitements, mais de grossièretés et d’impolitesses qu’on a du mal à imaginer. L’accueil a été très, très rude. On nous a dit qu’il y avait eu des consultations. C’est faux. La Maison Blanche a juste communiqué au président égyptien ses desiderata, sans se soucier de ses réponses. Malheureusement, les pays arabes sont réduits à recevoir des demandes. Ils n’ont pas voix au chapitre.
- L’alignement des Etats-Unis sur les positions israéliennes et leur arrogance vis-à-vis des pays arabes n’érodent-ils pas sérieusement la crédibilité américaine dans le monde arabe ?
- Le sentiment de critique et de désaveu des Etats-Unis domine, sans exagération, dans toutes les opinions publiques de la planète et pas simplement dans le monde arabe. J’ai la conviction que les Etats-Unis eux-mêmes, en poursuivant leur politique actuelle, vont au désastre et entraînent l’humanité dans ce désastre. On en est là. Pour moi, il est certain que les Américains n’arriveront pas à se désembourber de la crise irakienne.
- Et John Kerry, le candidat démocrate aux présidentielles américaines, semble suivre la même voie que Sharon...
- En effet. Vous savez que John Kerry avait demandé audience à Ariel Sharon, lors du séjour de ce dernier à Washington. M. Sharon n’a même pas daigné le recevoir ! Cela montre jusqu’où peut aller l’arrogance israélienne. Et malgré cela, M. Kerry surenchérit sur la politique de soutien inconditionnel à Israël suivie par l’administration Bush !
- Dans ce contexte, quelle crédibilité peut encore avoir la fameuse Initiative américaine du Grand Moyen-Orient ?
- Je suis convaincu qu’il s’agit d’une initiative mort-née. D’ailleurs, son utilité première est d’avoir servi de menace contre les gouvernements arabes. Objectif : les mettre sur la défensive. En un mot, c’est une menace plus qu’un projet
                                   
6. Livnat boycotte l’Université Ben Gourion, en raison des "incitations à la haine" de certains professeurs par Anshel Pfeffer
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du jeudi 22 avril 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
La ministre israélienne de l’Enseignement, Mme Limor Livnat, boycottera l’Université Ben Gourion (du Néguev) tant qu’elle continuera à employer le Professeur Lev Grinberg, spécialiste en sociologie politique. C’est ce qu’elle a déclaré au président de cette université, le Professeur Avishai Braverman. Après l’assassinat du Shaikh Ahmad Yassine, chef du Hamas, M. Grinberg avait écrit un article dans lequel il affirmait qu’Israël était en train de « commettre le génocide symbolique du peuple palestinien. » [Lire dans ce Point d'information Palestine "Génocide symbolique" par Lev Grinberg in La Libre Belgique du lundi 29 mars 2004] Cet article, publié dans un quotidien belge, a suscité beaucoup de protestations adressées au sociologue, qui dirige l’Institut Hubert Humphrey de Recherches en Sciences Sociales.
En réponse d’une invitation adressée par le président de l’Université, M. Braverman, à assister à une cérémonie de clôture de l’année universitaire, le mois prochain, Mme Livnat a écrit : « En raison de la décision de votre université de s’abstenir de prendre les mesures qui s’imposaient après la grave incitation (à la haine) publiée par M. Grinberg, je ne saurais, en toute bonne conscience, me joindre aux directeurs de votre université lors de cette cérémonie. Cela restera le cas tant que l’Université Ben Gourion continuera à être l’affectation universitaire d’un conférencier de son acabit. » Ce n’est pas la première fois que Livnat se plaint à Braverman au sujet de Grinberg. Il y a deux ans, elle avait déjà envoyé au président de l’université Ben Gourion une lettre lui demandant de dénoncer les critiques anti-Sharon du sociologue, qui avaient été publiées dans la revue Tikkun. A l’époque, Braverman avait répondu à la ministre que les commentaires de Grinberg étaient « inappropriés » et qu’il « aurait été préférable qu’ils n’aient jamais été faits ». Toutefois, ajoutait-il, « les directeurs d’une institution universitaire ne peuvent contrôler les déclarations faites par l’ensemble de ses membres, quand bien même abuseraient-ils de leurs franchises universitaires. »
                                       
7. En réalité, Bush et Sharon fondent l’Etat binational par Meron Benvenisti
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du jeudi 22 avril 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Lorsqu’il a qualifié sans ambages le plan de séparation de Sharon d’événement historique, le président américain George W. Bush ne croyait pas si bien dire. Même s’il n’est pas certain qu’il ait compris toutes les implications de ses propos pour l’avenir de l’Etat juif.
En comparant les déclarations de Bush à une Déclaration Balfour Bis, les Palestiniens ne se sont pas trompés, eux non plus, même s’ils n’ont sans doute pas réellement compris qu’elles auront sans doute des conséquences encore plus graves que la promesse faite en 1917, et qu’elles les contraindront à changer de stratégie.
Quant à Ariel Sharon, la tête ceinte de lauriers et convaincu d’avoir révélé une nouvelle initiative audacieuse qui effacera toutes les précédentes – il aura bientôt la surprise de découvrir qu’à Washington, on l’a en réalité poussé à accélérer le processus de re-fondation d’Israël en un Etat binational, fondé sur le principe de l’apartheid.
Quel est le rapport entre, d’une part, la fin de la conquête de la bande de Gaza et le démantèlement des colonies qui s’y trouvent, et d’autre part, la création d’un Etat binational ? Après tout, le but du désengagement est bien d’améliorer la situation démographique en faisant sortir un million et demi de Palestiniens du contrôle israélien, réduisant de ce fait le danger qui pesait sur le pays : cesser d’être un Etat juif, non ? La surprise vient de ce que ce « transfert conceptuel » bénéficie de l’assentiment de la gauche israélienne, laquelle persiste à croire à des slogans anachroniques sur la « fin de la conquête » et le « démantèlement des colonies »…
Les informations qui filtrent, sur un accord tacite en cours de discussion entre La Paix Maintenant et les conseillers de Sharon – La Paix Maintenant suspendant sa campagne « Evacuons les colonies – Choisissons la vie ! »afin de ne pas nuire aux efforts de relation publique destinés à vendre le plan de séparation de Sharon – illustrent l’état de confusion extrême où est aujourd’hui réduit le débat public, en Israël. Aux yeux de la gauche, le confinement d’un million et demi de personnes dans un énorme enclos équivaut à l’idéal consistant à mettre fin à l’occupation, et il lui apporte même un certain soulagement, car elle s’imagine autorisée désormais à affirmer : « Que ces gens-là se débrouillent ; nous n’en sommes pas responsables !».
Semblablement, lorsqu’en Afrique du Sud, une tentative – avortée – fut faite afin de résoudre le problème démographique, en créant des « homelands » réservés aux Noirs, les libéraux commencèrent par y être favorables. Même, plus : une partie de la communauté internationale vit dans cette mesure un premier pas vers la « décolonisation ». Mais, très rapidement, on se rendit compte qu’il s’agissait de conférer une soi-disant « légitimité » à l’expulsion des Noirs et à leur déracinement. Les Bantoustans échouèrent, les exigences d’égalité civile s’intensifièrent, et le monde se mobilisa pour obtenir la défaite du régime d’apartheid.
Le modèle de la bantoustanisation appliquée à Gaza, contenu dans le plan de désengagement, est un modèle dont Sharon a bien l’intention de réitérer l’application, en Cisjordanie. Son annonce qu’il ne commencera pas le désengagement avant que la construction du Mur ne soit achevé, en suivant un tracé qui inclut tous les blocs de colonies (satisfaisant, ainsi, aux exigences de Netanyahu), souligne la cohérence à long terme du concept de bantoustanisation. Le Mur crée trois bantoustans en Cisjordanie : a) Jénine-Naplouse ; b) Bethléem-Hébron et c) Ramallah. Tel est le lien, réel, entre les projets de Sharon à Gaza et les projets de Sharon en Cisjordanie. Ce lien n’a rien à voir avec ce que les politiciens prêts à assurer un « filet de sécurité » à Sharon, lors du vote des motions de censure à la Knesset, appellent « le précédent du démantèlement de colonies ».
Ainsi, avec un culot à vous couper le souffle, Sharon propose un plan en apparence annonciateur d’un « Etat juif démocratique », grâce à la « séparation », à la « fin de l’occupation », au « démantèlement de colonies » - mais, aussi, au prix de l’emprisonnement de quelque trois millions de Palestiniens dans des bantoustans. Il s’agit d’un « plan intérimaire », ce qui signifie, en novlangue sharonienne, qu’il durera indéfiniment. Ce plan durera, en tout état de cause, aussi longtemps que persistera l’illusion que la « séparation » représente un moyen de mettre un terme au conflit.
Mais le jour finira par arriver où même ceux qui s’illusionnent ainsi prendront conscience du fait que la « séparation » est un moyen d’oppression et de domination. Ce jour-là, ils se mobiliseront pour obtenir le démantèlement du système d’apartheid. Les Palestiniens seront les derniers à consentir à abandonner l’idéal de « séparation » et à réclamer leurs droits. Mais, dans une certaine mesure, le plan de séparation de Sharon, et la déclaration de Bush, vont les inciter à le faire.
On le voit : avec celles de la victoire rhétorique de Sharon ont été semées les graines de sa propre destruction. Le plan de bantoustanisation bat désormais son plein. Le scénario que Sharon voulait à tout pris éviter va désormais pouvoir se dérouler…
                           
8. Quel sorte d'État mérite d'exister ? par Tanya Reinhart
in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du mardi 20 avril 2004
[traduit de l'anglais par Giorgio Basile]
(Tanya Reinhart enseigne la linguistique à l'université de Tel Aviv. Elle est l'auteur de "Détruire la Palestine - ou comment terminer la guerre de 1948" paru en 2002 aux Éditions La Fabrique.)
Au milieu de la tourmente qui agite le monde politique en Israël à propos du plan de «désengagement de Gaza», un seul fait réellement significatif émerge: Sharon a reçu l'assentiment de Bush pour poursuivre le mur en Cisjordanie selon son plan.
En ce qui concerne la bande de Gaza, le plan de désengagement publié le 16 avril par les quotidiens israéliens prévoit que d'ici un an et demi, il devrait y être mis fin à l'occupation. Pour tout le reste, la situation restera inchangée. Les Palestiniens seront emprisonnés de toutes parts, sans lien avec le monde extérieur, excepté via Israël. Israël se réserve également le droit d'intervenir militairement à l'intérieur de la Bande de Gaza. [1]. Mais puisque la bande de Gaza ne sera plus considérée comme un territoire occupé, Israël ne sera plus soumis à la Quatrième Convention de Genève. Dans le plan publié, la clause f de la section I mentionne que «la mesure de désengagement dégagera Israël de sa responsabilité envers les Palestiniens de la bande de Gaza». En d'autres termes, ce qu'Israël commet aujourd'hui en violation du droit international deviendra légal: vraisemblablement, il sera officiellement acceptable d'affamer la population et de tuer toute personne qu'Israël voudra - de l'enfant lançant des pierres au successeur d'un chef spirituel, lui-même exécuté un mois auparavant.
Le texte du plan déclare également qu'Israël évacuera les colonies et les postes militaires à l'intérieur de la bande de Gaza. Comment cela pourrait être accompli n'est pas clair, compte tenu de l'intention déclarée de conserver la bande de Gaza sous complet «contrôle sécuritaire» israélien. Après tout, la colonie isolée de Netzarim (tout comme les autres) a été fondée précisément dans le but de diviser la bande de Gaza en entités séparées, afin d'en permettre le contrôle de l'intérieur même du territoire. Ceux qui le veulent peuvent croire que Sharon finira par démanteler Netzarim. Cependant, en attendant, Israël investit pour la fortifier. Au journal télévisé de Channel 1, le 15 avril, on a montré l'interview d'un colon de Netzarim, qui paraissait franchement décontracté. «Si le ministre de la Défense est en train de nous construire une nouvelle clôture de sécurité», a-t-il dit, «c'est sûrement qu'il n'a pas l'intention de nous évacuer.» En tout cas, la position sur laquelle se sont mis d'accord Sharon et Netanyahou, et qui a été confirmée le 18 avril en conseil des ministres, est qu'aucune colonie de Gaza ne sera évacuée avant que le mur en Cisjordanie ne soit achevé.
Pour ce qui est de la Cisjordanie, la nouveauté dans l'accord Bush-Sharon ne doit pas être recherchée au niveau des déclarations. Dans les plans de Clinton et dans ceux de Beilin-Abou Mazen, il était clair qu'Israël ne proposait pas de revenir précisément aux frontières de 1967, pas plus qu'il n'offrait la mise en œuvre pleine et entière du droit au retour. Néanmoins, il s'agissait de plans ouverts à la négociation - des propositions attendant leur approbation par le peuple palestinien. Aujourd'hui, on ne demande même plus l'avis des Palestiniens. Aujourd'hui, ce sont Israël et les États-Unis qui déterminent les faits sur le terrain. Israël marque les terres qu'il désire, et construit un mur sur ce tracé.
Dans le plan Clinton, la portion du territoire palestinien qui devait être annexée à Israël consistait entre 5 et 7% de la Cisjordanie. Mais lorsque le tracé du mur a été pour la première fois approuvé par le précédent gouvernement Sharon, Shimon Peres, alors ministre des Affaires étrangères, avait protesté qu'il dépouillait les Palestiniens de 22% de leurs terres. Depuis lors, le segment du mur qui est déjà en construction ou construit s'enfonce bien plus profondément en territoire palestinien. Selon un rapport des Nations unies datant de novembre 2003, ce segment, qui n'inclut pas encore la région de Jérusalem, s'est déjà approprié 14,5% du territoire palestinien. Le long de ce tracé, Israël déracine des dizaines de milliers d'arbres, prive les fermiers palestiniens de leurs champs, et les repousse dans de petites enclaves, entre des clôtures et des murs, jusqu'à l'étape finale où les murs les encercleront de toutes parts, comme dans la bande de Gaza.
En 1969, le philosophe israélien Yesayahou Leibovitz avait prévu que, dans les zones occupées, «des camps de concentration pourraient être construits par les dirigeants israéliens... Israël deviendrait un État qui ne mérite pas d'exister, qui ne vaut pas la peine d'être préservé». À quel point sommes-nous éloignés de la prophétie de Leibovitz dans la bande de Gaza clôturée?
En Cisjordanie, la situation est encore différente. Le long de la route suivie par le mur, a lieu une lutte interne à la société israélienne - entre les «rédempteurs de la terre» autoproclamés qui, quoi qu'ils obtiennent, en voudront toujours plus, et ceux qui veulent vivre dans un État qui mérite d'exister. Le long de cette route, il y a des Israéliens qui, côte à côte avec les Palestiniens, se dressent face aux bulldozers et à l'armée israélienne. [traduit de l'hébreu en anglais par Netta Van Vliet]
- Note :
[1] Le texte du plan est disponible, en anglais, sur le site du quotidien Ha'aretz: The disengagement plan of Prime Minister Ariel Sharon http://www.haaretz.com/hasen/pages/ShArt.jhtml?itemNo=416024&contrassID=1&subContrassID=1&sbSubContrassID=0&listSrc=Y.
Voici quelques-unes des clauses sur lesquelles se fonde le résumé présenté dans ce paragraphe (les italiques sont de l'auteur).
III. Réalité sécuritaire après l'évacuation
1. Israël supervisera et surveillera l'enveloppe externe du territoire, maintiendra le contrôle exclusif de l'espace aérien de Gaza, et poursuivra des activités militaires dans l'espace maritime de la bande de Gaza.
3. Israël se réserve le droit élémentaire d'autodéfense, y compris la prise de mesures préventives, et l'usage de la force en réponse à des menaces prenant naissance dans la bande de Gaza.
VI. Le secteur frontalier entre la bande de Gaza et l'Égypte (la «Route Philadelphie»)
Durant la première étape, Israël continuera de maintenir une présence militaire le long de la frontière entre la bande de Gaza et l'Égypte (la «Route Philadelphie»). Cette présence constitue un besoin sécuritaire essentiel et, à certains endroits, il est possible qu'il soit nécessaire d'élargir physiquement le secteur dans lequel l'activité militaire sera menée.
XII. Le point de passage international
1. Les arrangements existants resteront en vigueur.
                                   
9. Les Républiques bananières de Sharon – Bush et Blair ont décidé de laisser Israël leur dicter leur politique au Moyen-Orient et procéder au politicide des Palestiniens par Afif Safieh
in The Guardian (quotidien britannique) du lundi 19 avril 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Afif Safieh est Délégué général de Palestine auprès du Royaume-Uni et du Saint-Siège.)
L’étude des relations américano-israélienne occupe à plein temps les chercheurs, depuis deux générations. Deux écoles de pensée concurrentes se sont penchées sur le célèbre débat : « Qu’est-ce qui remue quoi ? Est-ce le chien, qui remue sa queue ? Ou, au contraire, est-ce la queue du chien, qui remue le chien ? »
La première école a pu évoquer un « Israël américain », les Etats-Unis dictant à son allié sur place quelle politique régionale il doit suivre pour être en cohérence avec la vision globale américaine. Voici une vingtaine d’années, Noam Chomsky a écrit que Washington représentait la Rome contemporaine, tandis qu’Israël incarnait son client local et belliqueux – sa Sparte.
La seconde école met en exergue l’image d’une « Amérique israélienne », résultat de relations complexes, dans lesquelles la superpuissance mondiale adopte la politique régionale de son état vassal, en cohérence avec la vision globale américaine. Cette vision des choses est généralement considérée comme le résultat des menées d’un lobby pro-israélien surpuissant, qui aurait réussi « à faire de la colline du Capitole, à Washington, un énième territoire occupé par Israël ».
J’ai toujours considéré que ces deux écoles de pensée peuvent être, l’une et l’autre, dans le vrai – mais à des moments différents de l’histoire : cela dépend du pouvoir réel du président américain, de sa popularité dans son pays et au Congrès, et aussi de la popularité des Etats-Unis dans le monde.
Après les horreurs du 11 septembre, tandis que les représailles attendues étaient en cours de discussion, le lobby pro-israélien s’avéra incarner l’ « école maximaliste », qui voulait étendre le théâtre des opérations bien au-delà des frontières de l’Afghanistan, en y englobant l’Irak, la Syrie et la Libye. Ce lobby a pris, en grandissant, la mauvaise habitude d’utiliser ses gros biceps une fois de trop – la mauvaise – et d’exagérer ses pressions. La collusion entre les agendas politiques américain et israélien a fait entrer en collision l’Amérique et le monde arabe, lequel voit désormais en Washington la Sparte belliqueuse d’Israël, et qui en déduit que l’objectif véritable de la politique américaine est bel et bien leur domestication, et certainement pas la démocratie.
Tony Blair a toujours eu une approche plus sophistiquée que George Bush. Blair savait que les défis militaires et les menaces sécuritaires nécessitaient des réponses politiques. Qu’afin de remporter la bataille de conquête des cœurs et des esprits, l’Occident devait se montrer engagé à résoudre le problème palestinien. L’existence de son influence à Washington et son étendue dépendaient de la question de savoir de qui Bush avait-il le plus besoin ? De Blair, sur le plan international ? Ou de Sharon, sur le plan intérieur ?
La semaine dernière fut un sale moment pour la diplomatie internationale. Les deux dirigeants les plus puissants du monde, Bush et Blair, ont cédé devant l’homme politique le plus dénué de scrupule du Moyen-Orient, lequel avait pourtant été jugé « inapte à remplir une quelconque fonction officielle » par une commission israélienne d’enquête, après les massacres de Sabra et Chatila, en 1982.
On ne saurait reprocher à Sharon de cacher son jeu. Au cours d’une interview récente, il a déclaré au journaliste israélien Nahum Barnea que les Israéliens devraient voir dans son plan de désengagement unilatéral de la bande de Gaza non pas une récompense, pour les Palestiniens, mais bien leur châtiment. Il a annoncé que les Palestiniens ne disposeraient à Gaza ni d’un port, ni d’un aéroport et qu’Israël avait la ferme intention de conserver le contrôle des eaux et de l’espace territoriaux de la bande de Gaza. Les Palestiniens ne contrôleraient pas non plus les frontières (leurs frontières…). Sharon a ajouté que cette mesure aurait l’avantage d’ajourner les discussions autour de la création d’un Etat palestinien et, cela, pour des années. Il a simplement « oublié » de mentionner que Gaza, avec ses quelque un million trois cent mille habitants, ne représente qu’environ 1 % de la superficie de la Palestine historique…
Comment se fait-il que Bush ait pu considérer « courageuses » les intentions de Sharon, dans lesquelles il s’est ingénié à voir « une opportunité en or » ? Cela peut s’expliquer par les nécessités électorales auxquelles ce président en quasi état de siège est aujourd’hui confronté. Mais je ne reste pas moins baba devant l’enthousiasme de Blair pour les machinations de Sharon et devant sa conviction qu’elles sont compatibles avec la feuille de route… Blair a plus d’expérience du pouvoir que Bush ; il est mieux conseillé que lui, et les considérations électorales, en Grande-Bretagne, poussent dans le sens exactement opposé. Les sondages d’opinion font état d’un rapport à 2 contre 1 en faveur des aspirations des Palestiniens comparées à la position israélienne. Les débats au Parlement britannique, qui transcendent largement les clivages politiques, devraient l’encourager à être beaucoup plus catégorique. Tout montre qu’en matière de question israélo/palestinienne, Blair ne reflète pas la profondeur des sentiments des Britanniques. Il en est même très loin.
Sharon traite les Etats-Unis et la Grande-Bretagne comme s’il s’agît de ses propres républiques bananières. A son intransigeance, les deux pays répondent constamment en abdiquant de toute responsabilité et en s’excusant platement de leur impuissance auto-infligée. La reprise de la feuille de route aurait consisté à garantir une cessation réciproque des violences qui soit acceptée par toutes les factions palestiniennes ; à l’exercice de pressions sur Sharon, exigeant qu’il associe à un retrait complet de Gaza l’évacuation des centres-villes en Cisjordanie, afin de permettre la création d’un Etat palestinien «muni de frontières provisoires » et de rendre possibles des élections palestiniennes – présidentielles, législatives et municipales – pavant ainsi la voie vers des négociations pour le statut définitif.
Rien de tout cela n’a été ne serait-ce qu’esquissé. Bush et Blair laissent Israël dicter ce qui est possible. Sharon poursuivra sa politique de politicide, vandalisant la société et l’économie palestiniennes, écrasant toute représentation nationale et tout gouvernement des Palestiniens. En dépit de la retenue observée par le Hamas depuis l’assassinat du Shaykh Yassine et de son dialogue avec d’autres factions afin de réduire le nombre des civils tués des deux côtés, il a poursuivi – en l’accélérant – la décapitation du leadership palestinien, en assassinat Abdul-Aziz Rantissi.
Je pense, depuis des années, que le président américain idéal, pour la paix au Moyen-Orient, serait un président qui aurait l’éthique d’un Carter, la popularité d’un Reagan et l’audace stratégique d’un Nixon.
Hélas, nous avons affaire à un président américain qui a l’ « éthique » d’un Nixon, la « popularité » d’un Carter et l’ « agilité intellectuelle » d’un Reagan !
                                           
10. Le désarroi arabe par Hichem Ben Yaïche
on Vigirak.com le lundi 19 avril 2004
Un nouveau projet de "civilisation arabo-islamique" plus que jamais à l'ordre du jour. Le conflit irakien à une nouvelle fois montré l'état de fragilité extrême de la nation arabe. Mais a-t-elle les ressources nécessaires pour se relever ?
Neuf mois après la guerre menée par les Etats-Unis d'Amérique en Irak, il est éminemment important d'examiner les causes profondes de cette crise et de mettre en perspective les événements, dont l'aire arabo-islamique est l'épicentre. A partir des « sources ouvertes », on sait presque tout sur les intentions et les projets US concernant l'Orient arabe. Il suffit pour s'en rendre compte d'écouter les responsables américains et de lire les rapports du Sénat et du Congrès à ce sujet. De plus, l'immense production intellectuelle de certains think tanks proches des néoconservateurs sert de point d'appui pour pénétrer au coeur de la pensée géopolitique à l'oeuvre dans la région, depuis le 20 mars 2003 [1].
Le monde arabe, quant à lui, donne l'impression d'être en état d'apesanteur. La guerre d'Irak a non seulement révélé l'incapacité des Arabes à procéder à une véritable autocritique afin d'identifier les vraies raisons de leurs blocages et d'engager un processus de réformes en profondeur de leurs sociétés.
Voilà six siècles que la civilisation arabe n'est plus un acteur majeur de l'Histoire. Chacun sait qu'il est totalement illusoire de continuer à s'accrocher à la nostalgie d'un mythique âge d'or. Mais tout indique que les Arabes n'arrivent toujours pas à se défaire de ce traumatisme, lequel pèse lourdement sur le présent.
N'en déplaisent aux nouveaux révisionnistes de l'histoire qui tentent de nous faire croire que la civilisation arabo-islamique n'est qu'un épiphénomène, en l'expurgeant de tous apports fondamentaux à l'humanité, il n'en demeure pas moins qu'il est essentiel, en ces temps de tous les amalgames, de s'interroger sur l'état actuel du monde arabe, en s'appuyant sur des données relativement crédibles.
Pour ce faire, il est un document qui, de mon point de vue, devrait être le livre de chevet de tous les responsables arabes. Il s'agit du rapport 2002 du Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) [2]. Quarante chercheurs originaires de cette culture ont passé au peigne fin, à partir des indicateurs de développement humain, les 280 millions d'arabes. Inutile de tourner autour du pot ou de vouloir se cacher derrière son petit doigt : les peuples font face à des défis majeurs, liés à l'éducation, à l'enseignement, aux médias, etc. Si rien n'est fait pour enrayer les éléments de régression qui sont à l' ?uvre, on peut craindre le pire. Les liens avec la « société du savoir », sont en train de s'effilocher à vive allure. « Les recherches montrent que le style de formation le plus répandu dans la famille arabe est le style autoritaire, qui combine instabilité et surprotection, et influe de façon négative sur le développement, l'indépendance, la confiance en soi et la compétence sociale », soulignent les auteurs de ce rapport. Cette grille de lecture a le mérite de travailler sur des éléments de cohérence de l'ensemble arabe, et d'esquisser des ébauches de solution pour lancer de grandes réformes. Ces experts seront-ils entendus à temps ? Au train où vont les choses, on peut s'interroger. En attendant une « révolution copernicienne » souhaitée par tous, une partie des élites arabes, insatisfaite et souvent désenchantée, est en train de prendre le chemin de l'exil : 15 000 médecins arabes sont partis à l'étranger entre 1998 et 2000. Sans parler des autres corps de métier. En l'absence de vraies réponses aux multiples interrogations existentielles des Arabes, l'on observe également partout dans cette partie du monde un retour à un Islam de plus en plus déspiritualisé. Où l'on s'attache plus à la lettre qu'à l'esprit du Coran. Voyez, à cet égard, l'ampleur prise par le port du foulard ! On peut citer d'autres exemples. En tout état de cause, le contexte d'exacerbation actuel est en train de profiter aux extrémistes, en enfermant les termes du débat autour de cette équation.
De ce point de vue, l'implantation durable des Américains - ils ont des liens militaires et économiques forts avec 15 des 22 pays arabes -, a donné vie à une certaine « théorie du complot » dans l'opinion de ces pays, laquelle s'expliquerait par une seconde colonisation. Ce que l'on peut dire, même si l'on ne partage pas cette analyse, c'est que les maladresses psychologiques et la méconnaissance des réalités sont en train de justifier les craintes les plus folles.
Pour autant, cela ne doit en aucune façon exonérer les Arabes de leurs propres erreurs. Comment répondre aux désarrois de ces peuples qui, pour fuir un réel désastreux, se réfugient dans les vérités granitiques d'une religion en manque d'un véritable aggiornamento ? Voilà une question de fond, que certains chassent par la porte et qui revient constamment par la fenêtre.
Les USA, sans pour autant être la cause de ses maux, sont un gigantesque amplificateur des problèmes arabes. On n'en est qu'au tout début d'un long processus, dont personne n'a la maîtrise, tant s'entrechoquent les perceptions, les cultures et les logiques politiques. Une chose est sûre, on peut en prendre le pari, le monde arabe ne s'éteindra pas de sitôt, à la manière de certains peuples ou civilisations qui ont complètement disparu de la surface de la Terre, laissant les historiens dans une épaisse énigme. Il n'empêche que cette civilisation est en crise majeure. Saura-t-elle en sortir, cette fois ? [3]
- NOTE :
[1] J'ai consacré une dizaine de chroniques sur la politique américaine qu'on peut consulter sur www.vigirak.com, chroniques. [2] A consulter le premier et le deuxième rapport sur le site du PNUD, www.undp.org. [3] Lire aussi « Arabes, si vous osiez ? » et « Comment les Arabes se voient au vingt et unième siècle ? », in « La Croix » (www.la-croix.com, archives).
                               
11. La création d’un Etat palestinien est-elle une priorité, pour les sionistes ? par Asem Khalil
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du samedi 17 avril 2004
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Asem Khalil est un écrivain palestinien résidant en Suisse.)
Nous avons donné à cet article un titre volontairement provocateur, insinuant que la création d’un Etat palestinien et la perpétuation de l’Etat d’Israël en tant qu’Etat juif sont liées. En allant même jusqu’à suggérer l’idée qu’il faudrait considérer la création d’un Etat palestinien comme une priorité sioniste ! Dans cet essai, nous partirons de trois données de fait : a) l’existence de l’Etat d’Israël ; b) la non-existence d’un Etat palestinien et, enfin, c) le désir, chez les Palestiniens, de disposer de leur propre Etat. Ces données peuvent sembler triviales, mais il est certaines questions qui en découlent directement et auxquelles il faut apporter une réponse, avant de procéder à la discussion de notre sujet principal. Ces questions sont les suivantes : a) quelles frontières le droit international reconnaît-il à l’Etat d’Israël ? ; b) peut-on considérer que la création d’un Etat palestinien a implicitement découlé de la proclamation d’indépendance d’Alger (1988) ? ; et, enfin, c) quel Etat les Palestiniens veulent-ils ?
Les frontières d’Israël d’après le droit international
Les Israéliens reprochent aux Palestiniens de continuer à faire figurer, sur leurs cartes, la Palestine historique, sans faire mention d’un Etat d’Israël. Reproche fondé, dans une certaine mesure. Mais il est vrai, aussi – comme l’a rappelé un haut responsable palestinien – qu’ « Israël n’a jamais défini ce qui était à lui, pour que nous puissions dire que le reste est à nous ! »
En réalité, Israël est le seul Etat, au monde, dont les frontières ne sont pas définies (notons, au passage, que l’existence de frontières définies n’implique pas, non plus, à elle seule l’existence d’un Etat).
Par ailleurs, nombre de commentateurs (dont des Palestiniens) utilisent l’expression « les territoires occupés » pour désigner ceux des territoires qui ont été occupés par Israël en 1967 (Cisjordanie, dont Jérusalem Est, bande de Gaza, et autres territoires arabes). Cela, sans doute, parce qu’il s’agit de territoires qui ont été conquis manu militari, par la guerre. (Le seul protagoniste à refuser cette notion est d’ailleurs l’Etat d’Israël, qui considère qu’il s’agir, non pas de territoires occupés, mais de territoires contestés !)
Le problème, en l’occurrence, provient du fait que nous avons admis le fait accompli, et que nous considérons que les frontières d’Israël SERAIENT celles jusqu’où s’étendait Israël, avant la guerre des Six jours (juin 1967) !
Mais qui nous dit que les frontières d’Israël étaient celles qu’avait défini le cessez-le-feu de 1948 ?
En réalité, les seules frontières officielles de l’Etat d’Israël – d’après le droit international – sont celles qu’a tracées la décision de partage, l’Etat d’Israël recevant 51 % du territoire de la Palestine historique. Et non pas la « ligne verte » (Israël recouvrirait, dans ce cas, 78 % du territoire de la Palestine historique) – expression désignant tout simplement la ligne de cessez-le-feu. Pourquoi ? Parce que la guerre ne peut, en aucun cas, créer de droits particuliers (« régionaux ») et que, par conséquent, elle ne saurait aboutir à une modification de frontières, quelle que soit la durée écoulée depuis le conflit.
Le professeur Anthony d’Amato, spécialiste du droit international, écrit, dans un article intitulé « Les frontières légales d’Israël », que le mandat, dans l’esprit de a Ligue des Nations, est une notion proche de celle de tutelle – trust – en droit anglo-saxon. La Ligue des Nations, considérant (en vertu de l’article 22 de sa Charte) que les habitants de la Palestine formaient « une nation autonome », mais que cette nation avait besoin, en vue de la création de son Etat, « de conseils et d’assistance administratifs », que lui prodiguerait la puissance mandataire. C’est la Grande-Bretagne qui fut désignée à cet effet (en qualité de puissance tutélaire – trustee) et, cela, dans l’intérêt même des habitants de la Palestine.
La Ligue des Nations fut dissoute en 1946. Ses responsabilités furent transmises, en matière de mandat, aux Nations Unies, fondées en 1947. Comme en matière de tutelle, le mandat ne s’éteint pas du fait du remplacement de la puissance mandataire (en l’occurrence, de la Ligue des Nations).
D’autre part, le mandat ne s’éteint pas non plus du fait du retrait de la puissance désignée pour l’exercer (en l’occurrence, la Grande-Bretagne), sauf si le but fixé au mandat avait été atteint – à savoir, si le peuple de Palestine était parvenu à se gouverner par lui-même. Par conséquent, le retrait de la Grande-Bretagne de Palestine signifiait seulement que le mandat sur la Palestine était, de facto, confié à nouveau aux Nations Unies. Et plus précisément à l’Assemblée générale, qui avait adopté la résolution du partage de la Palestine, n° 181, le 29 novembre 1947.
L’Etat juif ayant été proclamé quelques mois après la résolution de partage (181), et aucun Etat arabe n’ayant jamais été proclamé en Palestine (omission dont les pays arabes concernés sont pour partie responsables), le mandat n’a donc en réalité jamais pris fin, en Palestine, puisque ses objectifs n’ont jamais été atteints.
Nous mentionnons à ce propos l’étude de la spécialiste palestinienne Salaféh Hijawi, laquelle, commentant l’allocution du Président palestinien devant l’Assemblée générale de l’ONU, en 1974, souligne qu’il n’a pas exigé la création d’un Etat palestinien, et qu’ « il n’a pas exigé de l’Assemblée générale qu’elle assume ses responsabilités de puissance mandataire » [Majallatu-d-dirâsâti-l-filistîniyyah – Revue d’Etudes Palestiniennes, édition arabe – n° 53. Beyrouth, 2003]
Mais après la guerre des Six jours, Israël a procédé à l’occupation des terres palestiniennes restantes, et il a commencé à les coloniser, en dépit de la condamnation de cette colonisation illégale, par l’Assemblée générale de l’ONU et la plupart des pays.
D’aucuns avancent que l’agression des pays arabes aurait été la cause de la guerre des Six jours, et par conséquent de l’expansion de l’Etat d’Israël. Mais le professeur d’Amato affirme  - à juste titre – qu’en vertu des arrêts du tribunal de Nuremberg, « et sans égard à l’identité de l’agresseur, il est illégal de modifier des frontières par la guerre ». La guerre, en elle-même, est une action illégale ; et si l’autodéfense est légitime, elle ne peut outrepasser l’autodéfense, sinon elle devient elle-même une nouvelle agression militaire. Dans le cas où l’ « autodéfense » serait allé jusqu’à cette agression militaire, l’occupation de territoires durant une certaine période (au cours du conflit) ne confère nullement à l’agresseur de conserver ces territoires, ni a fortiori de se les annexer. D’Amato conclut son analyse en ces termes : « Les frontières légales entre Israël et la Palestine demeurent, à ce jour, celles qu’a fixée la résolution 181 de l’Assemblée générale de l’ONU ».
Existe-t-il un Etat palestinien ?
Dans un article publié dans la Revue européenne de droit international (n° 1-2, 1990), le professeur Francis Powell, de l’Université de l’Illinois, expose son point de vue sur « l’Etat palestinien », après que le Conseil national palestinien ait proclamé l’indépendance de la Palestine, le 15 novembre 1988. Il écrit que quatre éléments doivent être réunis pour qu’il y ait Etat, et que ces quatre éléments sont effectivement réunis, en ce qui concerne l’Etat de Palestine. Ces quatre éléments sont : le territoire ; le peuple ; le gouvernement et la capacité à établir des relations avec les autres Etats. L’auteur ajoute que 114 (cent quatorze) pays avaient reconnu, à l’époque, ce nouvel Etat, et que l’Assemblée générale de l’ONU, par sa résolution 177/43 du 15 décembre 1988, avait déclaré « reconnaître l’Etat de Palestine » et « lui décerner le statut d’observateur », à une majorité de 104 (cent quatre) voix contre… 2 (deux !) et 40 (quarante) abstentions. Cette opinion du professeur Powell a été critiquée – à bon droit – dans le même numéro de la même revue, par le professeur James Crowford, de l’Université de Sidney, lequel concluait son analyse – là encore, rien à redire – ainsi : « La démonstration apportée par Powell qu’un Etat de Palestine existerait bien est déficiente. Elle n’est absolument pas convaincante ».
Ici, nous souhaitons introduire certaines remarques inspirées par les principes du droit international général. Tout d’abord, il existe plusieurs définitions de l’Etat. Mais la définition juridique la moins exigeante, d’après le juriste international Jellinek, est la suivante : « Il y a Etat lorsque trois éléments sont simultanément réunis : une terre ; un peuple ; une souveraineté. Et que ces éléments soient en relation directe les uns avec les autres ». L’existence de l’OLP, l’existence du peuple palestinien, et l’existence du territoire (Cisjordanie + bande de Gaza) ne suffisent pas, à elles seules. Il faut qu’existe entre ces trois éléments des relations directes. Cette condition n’était pas réunie, avant la proclamation de l’indépendance. Mais la proclamation de l’indépendance n’a pas changé grand-chose à cet état de fait. Ensuite, la reconnaissance des autres pays ne représente pas un élément constitutif de l’Etat. Elle n’est que l’expression du désir des autres Etats (ou de leur refus) de coopérer avec le nouvel Etat (pour autant qu’il existe bien). Enfin, le changement de nom de l’OLP en « Palestine » lors de l’Assemblée générale de l’ONU mentionnée n’a rien changé à son statut de simple observateur, étant donné que l’adhésion à l’ONU est réservé aux Etats. Ajoutons que le fait que l’Etat de Palestine n’existe pas, selon le droit international, n’obère en rien le droit du peuple palestinien à l’autodétermination, dès lors que l’exercice de ce droit n’est pas plus lié à l’appartenance à un Etat qu’il n’y aboutit nécessairement.
Nous rappellerons ici, à titre d’exemple, la décision de la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU, adoptée le 8 avril 2004 (au chapitre 5, elle stipule le droit des peuples à l’autodétermination) à une majorité de 52 [cinquante-deux] pays contre 1 [un], puisqu’elle affirme à nouveau « le droit permanent, constant et inconditionnel du peuple palestinien à l’autodétermination, y compris son droit à instauré son Etat palestinien indépendant et souverain », la Commission précisant qu’elle « aspire à voir ce droit appliqué concrètement dans les meilleurs délais ».
Quel Etat les Palestiniens veulent-ils ?
En vérité, si l’on demandait aux Palestiniens leur avis sur l’Etat qu’ils désirent avoir, on trouverait dans leurs réponses toutes les solutions possibles et imaginables (et contradictoires entre elles…). « Par tempérament, les Palestiniens », écrit Slava Hijawi, « n’ont pu trancher jusqu’à ce jour en faveur d’un objectif défini pour leur lutte nationale ». Certains veulent un Etat palestinien s’étendant sur tout le territoire de la Palestine historique ; certains ne veulent pas d’Etat palestinien du tout, mais aspirent à l’établissement d’un Etat arabe ou islamique ; et certains se contenteraient d’un Etat palestinien dans le cadre des frontières de 1967, même si une partie de ceux-là considère qu’il ne s’agit en l’occurrence que d’une solution stratégique et transitoire, en attendant de recouvrer toute la Palestine historique, tandis que les autres pensent qu’un Etat tel celui-là sera totalement dépendant de l’Etat juif. Slava Hijawi conclut son analyse en disant que les Palestiniens sont très peu nombreux à vouloir « l’établissement de l’Etat palestinien en raison d’un attachement à cet Etat en lui-même ».
Nous ne partageons pas cette conclusion, pour une raison bien simple (que l’auteur évoque d’ailleurs elle-même, dans son étude !), qui est que l’Etat a eu, de tout temps – et continue d’avoir, aujourd’hui – pour les Palestiniens « une importance extrême. Car, en plus de considérations pratiques (vitales), l’Etat a toujours représenté pour eux – et continue à le faire – le seul moyen leur permettant de conserver leur territoire, et de faire en sorte que les Palestiniens continuent à exister en tant que peuple ».
Ces différents points de vue au sujet du concept d’Etat, de son essence et de son extension, peut se ranger dans les catégories divisant la population palestinienne, pour reprendre l’expression de Rachid Khalidi dans son ouvrage : L’Identité palestinienne. Cet auteur affirme que « bien que le peuple palestinien soit devenu un seul peuple dans différents domaines, ils sont divisés entre eux dans d’autres. Cela, parce qu’ils comprenaient leur histoire à partir de narrations différentes ». C’est ce qui explique aussi les changements dans les positions des directions palestiniennes elles-mêmes au sujet de l’Etat. Initialement, elles évoquèrent un Etat palestinien démocratique (Un gouvernement pour toute la Palestine, Charte nationale de 1968). Mais, à la suite de la guerre d’octobre 1973, elles ont commencé à parler d’une autorité nationale combattante, comme premier pas stratégique vers l’Etat démocratique ; et lorsque le Conseil National Palestinien a proclamé l’indépendance de l’Etat de Palestine, en 1988, l’Etat de Palestine était devenue synonyme de « Cisjordanie + bande de Gaza + Jérusalem Est pour capitale ». Puis, dans le cadre des accords d’Oslo, les directions palestiniennes sont revenues à l’idée d’une Autorité autonome, comme étape de transition, même si l’intention des deux camps divergeait quant au contenu de cette étape de transition et de ses objectifs. Ceci explique la contradiction actuelle : d’un côté, l’Autorité palestinienne continue à préparer l’instauration de l’Etat, dans le cadre de la « solution à deux Etats » adoptée par le « quartette » dans la feuille de route, qui a été saluée par le Conseil de sécurité et l’Assemblée générale de l’ONU, tandis que, de l’autre, Israël continue à tout faire pour faire avorter l’Etat palestinien.
La relation entre la création de l’Etat de Palestine et la pérennité de l’Etat d’Israël
Le désir des Palestiniens étant bien que soit créé un Etat palestinien qui leur appartienne en propre, accepteront-ils n’importe quoi, en fait d’Etat ? Imaginons un instant qu’on leur donne à choisir entre vivre dans des ghettos créés par le mur qu’Israël est en train de construire et le retour au projet d’Etat binational : il est certain que la majorité d’entre eux préfèreront cette seconde solution. Bien entendu, si cela signifie leur retour dans les maisons d’où ils ont été chassés, et leur accession à des droits égaux à ceux des autres citoyens, sans discrimination liée à l’ethnie, à la religion, ni en matière de droit de vote, un accès égal étant garanti à un système social et de santé à même de leur assurer, ainsi qu’à leurs enfants, une vie digne (il s’agit là, bien entendu, d’une simple hypothèse, puisque la logique même de la muraille de séparation va totalement en sens contraire !).
Un professeur de l’Université hébraïque a commenté le mur construit par Israël en Cisjordanie, au cours d’une émission de la chaîne CNN, le 7 avril dernier, en ces termes : « Des deux côtés de cette muraille viennent mourir deux rêves : le premier rêve, c’est celui d’un Etat palestinien. Et le deuxième, c’est celui d’un Etat juif démocratique ».
De même, un des juges à la Cour suprême israélienne (le seul qui soit d’origine arabe…) a dit que le mur conduit inéluctablement à la mort de la solution à deux Etats, ne laissant plus qu’une seule possibilité : la « solution de l’Etat unique (binational) ».
Nous pouvons reformuler les idées énoncées par ces deux commentateurs comme suit : Si l’Etat palestinien n’est plus qu’un autre rêve ancien qui ne s’est pas réalisé, alors l’Etat national pour les juifs redeviendra un autre rêve sioniste. En réalité, le pourcentage des Palestiniens qui possèdent aujourd’hui la nationalité israélienne est d’environ 20 % des citoyens de l’Etat juif. Si on leur ajoute les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza (et si l’on tient compte des taux de renouvellement démographique très différents entre les deux populations), nous arrivons à la conclusion que le nombre des Palestiniens dépassera celui des juifs dans quelques années seulement ; Israël sera alors confronté à l’alternative suivante : soit il considèrera tous les habitants comme des citoyens (un homme – une voix), et il devra par conséquent abandonner le caractère juif de l’Etat « juif » d’Israël, soit ne considérer comme des citoyens, avec les droits et les devoirs en découlant, que les seuls juifs, et dans ce cas Israël perd son caractère de pays « démocratique ». Dans les deux cas, Israël est perdant.
Certains des participants à l’émission sur CNN étaient persuadés que la création de l’Etat palestinien n’est pas la priorité et l’intérêt des seuls Palestiniens, mais qu’il s’agit d’une priorité, pour tous ceux qui croient dans le droit à l’existence d’Israël, et qu’Israël doive être le foyer national pour les juifs. Un peu comme s’ils disaient : « Qui aime Israël doit appuyer la création de l’Etat de Palestine ! » C’est la raison pour laquelle ils refusent le mur de séparation, qui condamne le rêve de l’Etat palestinien à très court terme, et qui condamnera à plus long terme l’Etat d’Israël même, en tant que foyer national pour les juifs. Cette déduction est curieuse, mais elle n’est pas dénuée totalement de logique (sachant, bien entendu, que la création de l’Etat de Palestine répond, avant toute chose, au droit du peuple palestinien à l’autodétermination sur son propre territoire).
Israël est un pays moyen-oriental (tout au moins, géographiquement ? ! ?) Ce n’est pas un pays européen, ni américain. Et le Moyen-Orient est peuplé majoritairement d’Arabes et de musulmans, qui n’ont pas intégré, jusqu’ici, l’Etat d’Israël ; en même temps, Israël jouit du soutien de l’unique super-puissance (les Etats-Unis) et de son aide, ainsi que de la complaisance des pays européens qui souffrent encore aujourd’hui d’un complexe de culpabilité en raison des persécutions antisémites qui y sont apparues et y ont abouti à des massacres de masse. Mais l’histoire est là, qui nous démontre qu’il n’existe pas de pays éternellement faible ni d’Etat fort à jamais. Tous les empires connaissent différentes phases, a écrit Ibn Khaldûn dans sa célèbre Muqaddimah (Prolégomènes), mais tous les pays sont destinés à disparaître. Ce temps étant venu, que restera-t-il à Israël ? La puissance militaire, diplomatique et économique d’Israël, d’un côté, et la faiblesse des Arabes, de l’autre, suffit aujourd’hui à assurer la couverture indispensable aux agissements illégitimes d’Israël sur le plan international et à la perpétuation de son occupation du peuple et du territoire palestiniens. Mais cela ne saurait représenter, pour Israël, une quelconque garantie même à moyen terme. Seule, une solution pacifique, fondée sur la vérité et l’équité, d’une part, et la réconciliation entre les deux peuples, d’autre part, peut représenter pour Israël une garantie, aujourd’hui et à l’avenir.
L’avenir des Palestiniens et celui des Israéliens : les deux faces d’une même médaille
Edward Saïd a écrit (et ses propos pourraient être repris par n’importe quel Palestinien) : « Je crois – et fidèlement – en un avenir où les peuples et les cultures qui paraissent aujourd’hui si éloignées les uns des autres, se réconcilieront… Mais une réconciliation authentique ne peut être imposée, elle ne peut non plus intervenir entre des sociétés et des cultures violemment inégales entre elles, et dont l’une s’imposerait à l’autre par la force. Une paix authentique ne peut s’instaurer qu’à travers une réconciliation entre deux égaux, entre deux partenaires dont chacun peut – grâce à son indépendance, à la force de ses objectifs et à son attachement à comprendre l’autre et à sa participation équilibrée dans ce processus ». Ailleurs, Edward Saïd écrivait : « Dans son essence, la paix, c’est la paix entre deux partenaires complémentaires, elle signifie la paix et la liberté pour chacun des deux peuples. La paix, ce n’est pas un peuple restant soumis à un autre peuple qui détient le monopole de la sécurité et de tous les droits. Non : la paix, cela signifie, avant tout, que nous lisions notre histoire – tant les Palestiniens que les Arabes – en considérant qu’il s’agit d’une histoire qui a ses constituants et sa cohésion propres ». Il ajoutait : « J’ai toujours été du côté de ceux qui soutiennent la réconciliation et la négociation entre les Arabes et les juifs. Mais sur un principe d’égalité, et non sur un principe d’imposition de la paix aux dépens des seuls Palestiniens ». (In : Ghaza – Jéricho : La Pax Americana).
Jusqu’à ce jour lointain, nous continuerons à compter quotidiennement nos victimes, et nous continuerons à alimenter notre haine, à les considérer comme des criminels, à les dépouiller de leur humanité, parce qu’ils nous ont fait perdre notre dignité et qu’ils nous ont volé notre pain, notre liberté et notre avenir. Par ailleurs, avec leur mur, ils vont continuer à alimenter leur ignorance, leur peur et leurs préjugés à notre sujet, et ils ne se réveilleront que par intermittences, devant l’horreur d’un attentat suicide. Alors ils pleureront, ils auront de nouveau l’impression d’être persécutés, et voudront nous infliger des représailles impitoyables et ils soutiendront un gouvernement extrémiste qui nous frappera d’une main de fer, ils fermeront nos routes et les portails ménagés dans le mur de séparation, ils bombarderont Gaza et imposeront le couvre-feu, coupant l’électricité et l’eau et nous interdisant d’acheminer les approvisionnements humanitaires. C’est alors que nous espérons qu’ils ne se demanderont pas, encore une fois, « pourquoi le monde entier nous hait ? » En effet, si l’amour est gratuit, la haine a nécessairement des causes. Il est certain que notre cause n’a rien avoir avec un conflit religieux, racial ou culturel. Notre problème – en toute simplicité – nous l’avons avec qui occupe nos terres, nous chasse de nos maisons et persiste à nous affamer et à entraver nos libertés, tuant nos enfants et emprisonnant nos parents, détruisant nos maisons et arrachant nos arbres fruitiers. Un jour, on a demandé à Jeanne d’Arc si Dieu aimait les Français plus que les Anglais. Jeanne d’Arc répondit que Dieu aime les Anglais, aussi, mais lorsqu’ils sont en Angleterre et lorsqu’ils s’abstiennent d’occuper la France ! C’est pourquoi nous ne saurions mieux faire que répéter les propos de l’ambassadeur de Jordanie à l’ONU, au cours d’une des sessions de la Commission des Nations Unies pour les droits de l’homme, en sa soixantième séance : « Jacob (c’était le prénom de l’ambassadeur israélien), retirez-vous d’abord des territoires palestiniens, et après : vous verrez ». Ce que nous voulons – nous autres, les Palestiniens – c’est un pays et notre dignité, comme les autres peuples. Ni plus… Ni moins !
                                             
12. Redéploiement militaire israélien - Sharon notifie son plan à Bush
in Voltaire du mercredi 14 avril 2004
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Reprenant l'initiative pour repousser la paix, Ariel Sharon souhaite redéployer Tsahal à l'abris du « mur ». Présentée comme un « retrait », cette manœuvre achève l'annexion de territoires palestiniens. Elle à pour but d'empêcher toute communication entre la Cisjordanie et Gaza pour fractionner un éventuel futur État palestinien. Elle s'accompagne de mesures visant à séparer les populations selon des critères religieux. Décidé unilatéralement, ce plan a été notifié par le général Sharon au président Bush alors que celui-ci, en pleine campagne électorale, n'est pas en position de s'y opposer.
Le plan de retrait unilatéral israélien est avant tout une réaction du gouvernement Sharon aux divers plans de paix. A l'automne 2003, les accords de Genève, élaborés par Yossi Beilin et Yasser Abed Rabo, rencontrent une large audience au niveau international. Ce plan de partage, fruit de plusieurs mois de négociations, ne reconnaît certes pas le « droit au retour » des réfugiés palestiniens, ce qui compromet gravement sa viabilité, mais il a le mérite de montrer qu'une issue diplomatique est possible. Coincée entre la Feuille de route, qui ne mène nulle part, et l'Accord de Genève, qui prouve l'existence d'une volonté palestinienne de négocier, l'administration Sharon se doit de réagir. C'est le vice-Premier ministre israélien, Ehud Olmert, qui prend publiquement l'initiative, début décembre 2003 : selon lui, en l'absence d'interlocuteur palestinien crédible, il revient à Israël de trouver seul une solution au différend territorial qui l'oppose à son « voisin ». « Nous devons fixer une frontière, une ligne de séparation avec les Palestiniens (…) Nous approchons du moment de vérité » [1]. Ce plan prévoit un « retrait unilatéral » des troupes israéliennes d'une partie des territoires occupés et de certains colonies, ainsi que le démantèlement de plusieurs avant-postes illégaux.
Le projet suscite immédiatement de violentes oppositions au sein du Likoud et des communautés de colons, qui organisent, le 11 janvier 2004, une manifestation de plus de cent mille protestataires. Le plan d'Ariel Sharon représente en effet pour eux un obstacle au projet d'annexion totale des territoires occupés, et à l'expulsion de ses habitants dans le cadre d'un gigantesque « transfert » de population. Cette idée, qui a été formulée par le général Rehavam Zeevi, fondateur du parti Moledet, a ensuite été reprise par Benyamin Netanyahu, actuel ministre des Finances : en 1989, l'homme d'État du Likoud avait regretté, lors d'une conférence, qu'Israël n'ait pas profité du moment où l'attention internationale était concentrée sur la répression en Chine pour expulser massivement les Palestiniens. Aux États-Unis, l'idée du « transfert » a été intégrée dans le plan Perle de remodelage du Proche-Orient, remis par Richard Perle, alors conseiller de Benyamin Netanyahu et actuel conseiller de Donald Rumsfeld. Un temps envisagé à la faveur de l'invasion de l'Irak, ce plan a été écarté par l'administration Bush, sous la pression de Colin L. Powell.
Cette colère des colons est justifiée. Loin de s'inscrire dans le cadre d'une politique typique du Likoud, le plan de retrait unilatéral ne prévoit pas d'annexer de nouveaux territoires. Il vise au contraire à satisfaire les « colombes sécuritaires » de la gauche israélienne, qui refusent tout compromis avec l'Autorité palestinienne, mais souhaitent la fin des affrontements. En revenant de manière définitive aux frontières de 1967, l'État d'Israël aurait trouvé une manière forte de résoudre unilatéralement le conflit une fois pour toute, tout en en conservant des territoires palestiniens selon le plan de 1948. Cela eut été une victoire militaire, donc, mais aussi diplomatique, puisque le plan aurait pu rallier de grandes puissances mondiales. Le tout en rangeant au placard le fameux « droit au retour » dont Tel Aviv ne veut pas entendre parler.
L'habillage communicationnel est excellent. Il rappelle pourtant celui de projets bien plus contestés, notamment celui du fameux « transfert », évoqué plus haut. Comme l'écrit Amira Haas, journaliste à Ha'aretz, « l' "initiative de tranfert" se présente comme une solution défensive, une "réponse humaine" à une situation sans autre issue » [2]. C'est également le cas du plan de retrait unilatéral qui est présenté comme une réponse à la multiplication des attentats et à l'impossibilité de négocier avec l'Autorité palestinienne, qui ne serait plus un « partenaire pour la paix ». Surtout l'expression « retrait » donne l'impression d'une concession généreuse alors qu'elle désigne un redéploiement militaire visant à confirmer une annexion. Lors de sa rencontre avec Condoleezza Rice, Dov Weisglass, directeur de cabinet d'Ariel Sharon, décrit les plans de l'administration Sharon à la conseillère nationale pour la sécurité états-unienne, comme devant s'aligner sur une « ligne de sécurité ». Selon lui, le plan ne comprend pas d'annexions de territoires et devrait permettre d'améliorer les conditions de vie des Palestiniens en leur créant de nouveaux points de passage, ce qui augmentera leur liberté de mouvement [3].
Face à la levée de boucliers déclenchée par l'annonce d'Ehud Olmert dans le camps des colons et des membres du Likoud, Ariel Sharon va progressivement revoir sa copie et modifier son projet, dans la forme et dans l'esprit. Débordé sur sa droite par des hommes tels que Benyamin Netanyahu et Israël Katz, il est de plus fragilisé par la multiplication de scandales politico-financiers le mettant en cause, lui et ses fils [4]. Le plan de retrait devient alors un moyen pour Ariel Sharon de donner des gages de bellicisme à ses soutiens politiques, en permettant à Israël de s'assurer le contrôle d'une bonne partie des territoires occupés, tout en se retirant des zones les moins défendables. Ariel Sharon fixe une ligne pour délimiter l'ampleur des manœuvres militaires : ce sera le « mur de séparation », qui permet à l'État hébreu d'annexer de façon concrète et en toute illégalité, une importante « zone tampon » qui consolide sa position stratégique.
Les promesses de non-annexion ne sont alors plus qu'un leurre : certes, le plan d'Ariel Sharon ne prévoit pas de nouvelles annexions, mais il vise à conforter celles déjà réalisées. La preuve la plus évidente est le tracé du mur, qui ne suit absolument pas la Ligne verte. Celle-ci, qui correspond à la frontière de 1967 (avant la guerre des six jours), est pourtant la moins éloignée de la légalité internationale. Le mur va bien au-delà, empiétant un peu partout sur les territoires occupés, sous prétexte de protéger les colonies implantées. Son édification suscite donc l'inquiétude de la communauté internationale, qui cherche à éviter l'embrasement. Mais le soutien de Washington à Ariel Sharon neutralise toute pression sur celui-ci.
Tout au plus est-il possible d'arracher quelques maigres concessions : l'armée israélienne se retirerait de la bande de Gaza et évacuerait 21 colonies de cette région, où vivent environ 8000 Israéliens ; en Cisjordanie, seules quatre implantations mineures seraient démantelées. Le prix à payer pour décider des futures frontières est donc minime. Les soldats israéliens ne sont pas contraints de se retirer des territoires occupés, mais de se redéployer le long de la Ligne verte, ou plutôt de la « ligne de sécurité » qui correspond au tracé du mur. Tsahal abandonne ainsi ses positions les plus vulnérables, et concentre ses forces autour de la nouvelle frontière d'Israël, qui grignote d'importantes parcelles de territoires palestiniens. Le tout en continuant de revendiquer le droit d'intervenir militairement en Cisjordanie, sous couvert de lutte contre le terrorisme ou de lutte contre le trafic d'armes. Ce qui est militairement bien plus confortable.
Sur le plan politique, la construction du mur et le positionnement de l'armée sur ses positions font d'Israël un territoire infranchissable, ce qui permet d'opérer une scission définitive entre la bande de Gaza et la Cisjordanie. La continuité territoriale étant rompue, elle réduit à néant la possibilité de création d'un État palestinien. La solution à deux États a vécu, place à la solution à trois États : d'un côté la Cisjordanie, morcellée au gré du tracé du mur, de l'autre la bande de Gaza, coincée entre la mer et Israël. Ce qui permet d'envisager un morcellement du pouvoir palestinien : à Yasser Arafat et à l'OLP reviendrait la Cisjordanie, tandis que des organisations militantes armées pourraient s'octroyer la gestion de la bande de Gaza. Cette solution ne peut pourtant être mise en œuvre qu'avec l'accord d'Israël. Il reviendrait donc à l'État hébreu de désigner qui, sur place, a l'autorité pour gouverner. L'assassinat du cheikh Ahmed Yassine par Tsahal, en mars 2004, pourrait participer d'un projet plus vaste visant à sélectionner son successeur par intimidation ou élimination physique des candidats.
La visite d'Ariel Sharon à Washington, où il doit rencontrer notamment Condoleezza Rice et George W. Bush, doit lui permettre d'obtenir les gages d'un soutien états-unien, avant de soumettre son plan au comité central du Likoud, à la fin avril. La conjoncture lui est particulièrement favorable : en période électorale, les responsables politiques états-uniens ne manquant pas de surenchérir en matière de soutien à Israël. D'ores et déjà, le président George W. Bush a écrit au Premier ministre Ariel Sharon que les États-Unis ne demanderaient pas à Israël de se retirer sur la Ligne verte, Washington se disant prêt à prendre en compte les « réalités démographiques ». Cet euphémisme renvoie en réalité à la conception commune aux faucons israéliens et états-uniens selon laquelle Israël devrait être un État juif, au sein duquel les minorités n'ont pas leur place, et notamment les minorités arabes, pour lesquelles les obstacles administratifs se multiplient lorsqu'ils cherchent à obtenir la nationalité israélienne. L'autre problème est que la vision états-unienne ne prend pas en compte la « réalité démographique » palestinienne : cette population en pleine expansion se voit contrainte de rester, de plus en plus nombreuse, sur un territoire de plus en plus restreint. Ce qui n'ira pas sans poser de problèmes à long ou à moyen terme. Par ailleurs, la conception d'Israël comme « État juif » incite les dirigeants israéliens à s'attaquer aux quelques Juifs et Israéliens qui, favorables à la cause palestinienne, vivent aujourd'hui dans les territoires occupés. L'appartenance à Israël et la nationalité se fonderaient, selon cette vision, sur l'identité juive définie par des critères religieux et culturels.
Alors que les relations internationales connaissent une période d'instabilité jamais éprouvée jusqu'alors, les États-Unis et Israël s'apprêtent donc à imposer une solution militaire injuste au peuple palestinien. Plus de cinquante ans de diplomatie et de négociations se retrouveraient balayés du fait de la fragilité politique d'un dirigeant israélien traqué par la justice et d'un président sortant qui cherche tous les moyens pour poursuivre sa politique néo-conservatrice dans le monde.
- NOTES :
[1] « Le projet de retrait des territoires occupés soulève une polémique dans la majorité », Regards du Proche-Orient, 9 décembre 2003.
[2] « Ces Israéliens qui rêvent de "transfert" », par Amira Haas, Monde Diplomatique, février 2003.
[3] « Le directeur de cabinet d'Ariel Sharon présente le plan unilatéral de retrait à Condoleeza Rice », Regards du Proche-Orient, 23 janvier 2004.
[4] « La démocratie israélienne emportée par la corruption », par Paul Labarique, Voltaire, 29 janvier 2004.
                           
13. Les Occidentaux quittent l'Irak par Nathalie Lacube, Catherine Rebuffel et Agnès Rotivel
in La Croix du mercredi 14 avril 2004
Devant l'insécurité croissante, les humanitaires et les entrepreneurs présents en Irak rapatrient leur personnel
Dans le monde des humanitaires, on a l'habitude d'être confronté au risque. Le niveau d'alerte des ONG, en terme de sécurité, est pourtant monté d'un cran depuis une semaine en Irak pour atteindre le dernier degré avant l'évacuation totale des expatriés. «Avec la perspective d'importantes fêtes religieuses à Nadjaf et Kerbala, nous pressentions une escalade de la tension et nous avons anticipé en renvoyant déjà le gros des troupes de nos expatriés en Jordanie», explique Stéphane Pillon, responsable pour l'Irak à l'association «Enfants du Monde-Droits de l'homme».
Présente sur place depuis 1997, cette ONG connaît bien le terrain irakien et travaille avec 79 employés nationaux, sur qui elle s'appuie fortement. Ils ne sont plus que trois expatriés à Bagdad, qui ont pour consigne expresse de ne pas se déplacer, sauf pour les trajets entre le bureau et la maison. Pas question de sortir de la ville, et encore moins d'emprunter la route qui file vers la Jordanie, car elle représente depuis la fin de la guerre, un véritable piège pour les attaques en tous genres, qu'il s'agisse de pur banditisme, ou d'actes de la guérilla irakienne.
Autre mesure de sécurité élémentaire, appliquée par l'ONG depuis le début : faire profil bas, c'est-à-dire n'afficher aucun signe visible pour se faire identifier comme humanitaire, et ne pas fréquenter la communauté des expatriés qui travaillent dans le secteur économique ou diplomatique.
En revanche, «Enfants du Monde-Droits de l'Homme» avec d'autres ONG comme «Première Urgence», se sont réunies au sein d'une coordination des ONG depuis la fin de la guerre, afin de discuter directement avec les forces de la coalition. La coordination se charge de collecter les informations sur la sécurité et de les diffuser auprès des ONG. Elles ont réussi à négocier avec les forces de la coalition et les mouvements de résistance, un corridor humanitaire pour pouvoir porter de l'aide d'urgence, mardi, aux populations civiles de Falloujah : nourriture, couverture, eau, kits de première nécessité et matériel médical.
À «Première Urgence», on a renvoyé à Amman, depuis une semaine cinq des sept expatriés présents à Bagdad. Pour Jean-Yves Troye, responsable de l'Irak, l'association peut continuer à tourner en s'appuyant sur ses 80 employés locaux, mais si la situation empire, le chef de mission et le coordonnateur devront, eux aussi, prendre l'avion pour la Jordanie, et l'association suspendre totalement ses activités.
«Tant que nous ne recevons pas de menace directe, nous restons. Mais s'il devait y avoir un embrasement général, par exemple dans l'immense quartier chiite de Bagdad qui représente les deux tiers de la ville, nous partirions car il n'y aurait plus moyen pour nous de travailler. Même pour nos employés irakiens, la situation est dangereuse, car ils peuvent toujours se trouver au mauvais endroit au mauvais moment, sans pour autant avoir été visés».
Se fondre dans le paysage
Les entreprises étrangères qui participent à la reconstruction ou font des affaires sur le sol irakien ont, elle aussi, fait partir leur personnel expatrié et s'appuient sur leurs partenaires et salariés irakiens. Selon la coalition, il y avait environ 15.000 civils étrangers de toutes nationalités en Irak en début d'année, mais depuis les assassinats d'homme d'affaires _finlandais, américains, français..._ il en reste désormais beaucoup moins. Les compagnies travaillant en Irak _sociétés parapétrolières et de sécurité, négociants, et, dans une moindre mesure, entreprises de BTP et de télécommunications_ affirment que l'activité économique y est totalement paralysée.
«Il est impossible de faire des investissements ou des affaires durables en Irak depuis la fin de la guerre, faute d'un État, et donc, d'interlocuteurs légitimes autorisés à conclure des contrats», explique un porte-parole de Total.
Walid Feghali, chef d'entreprise français dirigeant la société Nutris Co, spécialisée dans la fourniture d'équipements industriels et de produits médicamenteux pour le traitement du cancer, avait continué à acheminer ses médicaments en Irak jusqu'au début de cette semaine, avec uniquement du personnel irakien. «Jusqu'à maintenant, nous acheminions nos médicaments de France en Jordanie en avion, puis par la route d'Amman jusqu'à Bagdad. Un convoi de voitures passait chaque semaine» explique-t-il. «Les produits ayant une durée de vie limitée, il fallait qu'ils soient livrés rapidement aux patients». Mais, «depuis deux jours, la route est coupée». «Les États-Unis ont bouclé les accès depuis Bagdad, pour des raisons de sécurité» explique un autre homme d'affaires.
Les transporteurs, comme la société française SDV, du groupe Bolloré, qui achemine des marchandises par route, s'efforcent de maintenir le commerce courant, portant sur de petites livraisons et avec du personnel irakien. Du ciment continue à entrer en Irak, pour une hypothétique reconstruction. Mais les grands projets durables sont en panne.
Des petits projets avançaient encore récemment. La Banque JP Morgan a été commissionnée par la Coalition pour 5 ans, afin de financer des projets bancaires à la tête d'un consortium de douze banques internationales, dont pour la France, Crédit Agricole/Crédit Lyonnais. Le 20 janvier, JP Morgan avait garanti l'émission d'une centaine de lettres de crédit par la Trade Bank of Irak (créée pour financer les projets de reconstruction) pour plus de 200 millions de dollars de contrats.
La plupart des entreprises étrangères travaillant en Irak sont des PME. Toutes ont placé leurs salariés sous la protection d'un clan irakien. «En Irak, le monde des affaires est dominé par de grandes familles, qui étaient les partenaires obligés des entreprises occidentales durant l'époque de Saddam Hussein, et restent influentes aujourd'hui» explique un expatrié rentré à Paris. «Les entreprises gardent des contacts avec ces agents qui ont pignon sur rue».
Quand des Occidentaux font de courts séjours d'affaires pour entretenir ces contacts ils doivent «fondre dans le paysage, avec une barbe de trois jours, et en restant discrets, avec des amis dans la population» ajoute-t-il. Ceux qui ont la double nationalité, français et algériens, ou tunisiens, marocains, libanais «peuvent travailler plus facilement, à condition que les locaux de l'entreprise n'aient pas été détruits ou brûlés commente un autre, désabusé. On ne peut travailler avec un niveau de risque acceptable que dans la région automome du Kurdistan irakien». 
                           
14. Maison après maison, les colons étendent leur territoire au cœur d'Hébron par Stéphanie Le Bars
in Le Monde du mercredi 14 avril 2004
Dépossédés, interdits d'activités, harcelés, les Palestiniens quittent en nombre la vieille ville.
Hébron (Cisjordanie) de notre envoyée spéciale
 - Azmi Ezzak Dandis était prêt à accepter la présence de soldats israéliens sur le toit de sa maison. Mais pour les colons de Beit Hadassah, l'un des quartiers-bunkers créés par des juifs dans la vieille ville d'Hébron, cette protection venue du toit ne suffisait pas. Ils ont pris possession de la maison tout entière, obligeant les Dandis, une famille commerçante autrefois parmi les plus prospères du sud de la Cisjordanie, à s'installer en dehors du souk. "Les colons sont restés là deux mois, puis ils sont partis, raconte ce vendeur de souvenirs, contraint de fermer neuf de ses dix boutiques. Ensuite, l'armée a condamné ma porte et depuis, je ne peux plus entrer chez moi."
A mille lieues des perspectives de retrait israélien de la bande de Gaza, M. Dandis, comme des milliers de commerçants et d'habitants de la vieille ville d'Hébron, paye la présence des quelques centaines de colons vivant là sous haute protection militaire.
Ceux-ci, installés dans la zone restée sous contrôle israélien à la suite du protocole de 1997 (zone H2), profitent à plein de la bienveillance, voire du soutien, du gouvernement israélien pour y conforter leur présence. A l'occasion des vacances de la Pâque juive, des milliers d'Israéliens sont venus à Hébron témoigner leur solidarité avec les colons. Début mars, la cour suprême israélienne a autorisé la démolition de deux maisons palestiniennes situées sur la route qui mène de la grande colonie de l'est d'Hébron, Kiryat Arba, au caveau des Patriarches, véritable camp retranché en plein cœur de la vieille ville. Motif invoqué : la sécurité. En septembre 2002, une attaque palestinienne revendiquée par le Djihad islamique avait fait douze morts sur cette même route.
Ces derniers mois, les colons ont aussi obtenu la fermeture de nouvelles rues à la circulation piétonne des Palestiniens, l'érection d'une tour de surveillance sur les hauteurs de la ville, l'installation de barbelés ou de portes métalliques qui entrave toute vie et tout commerce sur un large périmètre. Ces dernières années, plusieurs centaines d'échoppes ont été fermées sur ordre de l'armée.
Jamal Marajé, lui, a été chassé par les immondices. Sa boutique, adossée à l'un des immeubles de la colonie Abraham Avinou, était la cible des ordures et des pierres jetées par les colons. Harcelé, il a déménagé à quelques centaines de mètres de là avec sa collection de robes palestiniennes traditionnelles destinées à d'improbables touristes. D'autres habitants de la vieille ville dont les maisons donnaient sur l'une ou l'autre des colonies ont dû grillager leur terrasse ou bâcher leurs fenêtres. Beaucoup ont tout simplement plié bagage. "Tous ceux qui avaient les moyens de le faire sont partis", assure Chantal Abou Eisché, l'une des responsables du centre d'échanges culturels Hébron-France, qui, en dépit des difficultés, conserve des locaux en vieille ville. "Aujourd'hui, malgré les efforts du comité de réhabilitation de la ville qui restaure les maisons, le cœur d'Hébron a des allures de musée ethnographique."
CIRCULATION INTERDITE
L'ampleur du désastre est difficile à évaluer. Selon les sources, le nombre d'habitants du cœur de la vieille ville oscille de 3 000 à 10 000 personnes, contre près de 40 000 avant l'Intifada. Sur les 350 familles que le comité de réhabilitation était parvenu à faire revenir, 200 seraient déjà reparties. En février, alors qu'il venait de quitter ses fonctions, l'ancien chef de la mission de la TIPH (Temporary International Presence in Hebron), un groupe d'observateurs internationaux censés limiter les frictions entre colons et Palestiniens, a même qualifié ces départs forcés de "nettoyage".
S'abstrayant du devoir de réserve qui caractérise habituellement les membres de la TIPH, l'ancien militaire norvégien Jan Kristensen a déclaré à la presse israélienne : "L'activité des colons et de l'armée dans la zone H2 crée une situation irréversible. Si cela continue encore quelques années, il n'y aura plus un seul Palestinien dans cette zone. C'est un miracle qu'ils aient réussi à rester sur place jusqu'à présent."
Observateurs privilégiés de l'activité des colons - ils sont les seuls à pouvoir encore pénétrer dans certaines rues interdites même aux diplomates -, les membres de la TIPH ne cachent pas leur pessimisme.
Lors de l'une des six patrouilles qu'ils effectuent chaque jour, deux observateurs ne peuvent que constater les dégâts. "Pour les Palestiniens, la cause de la vieille ville est perdue", assure l'un d'entre eux, en désignant l'enfilade de boutiques fermées, les appartements abandonnés. "Même si seuls 200 colons vivent ici en permanence, il est clair qu'ils étendent leur territoire, maison par maison. Leur entreprise est de longue haleine et leur but est clair : relier la vieille ville aux grandes colonies de Kiryat Arba puis de Givat Hakharsina -au nord-est de la ville-", ajoute son collègue, en esquivant le crachat d'un jeune colon croisé en plein cœur de Beit Hadassah.
A l'entrée principale de Kiryat Arba, justement, des travaux de terrassement entrepris récemment dans un champ palestinien dessinent un chemin destiné à relier la colonie mère (7 500 habitants, selon les colons) à une implantation plus petite située en surplomb de la route principale. Coincées entre les deux, quelques habitations palestiniennes survivent. Sur la route qui passe devant chez eux, la circulation automobile est interdite aux Palestiniens. Pour éviter de croiser les colons, les enfants se rendent à l'école par les jardins et les cours, escaladant une chaise et une échelle posée contre un mur.
                           
15. Du terrorisme juif par Marcel Péju
in Jeune Afrique - L'Intelligent du mardi 13 avril 2004
Le Shin Beth, service israélien de sécurité intérieure, prend très au sérieux la menace d'attentats que des terroristes juifs pourraient commettre à Jérusalem sur l'esplanade des Mosquées en vue de torpiller le plan de « désengagement » d'Ariel Sharon dans la bande de Gaza, voire quelques localités de Cisjordanie. Son chef, Avi Dichter, n'a pas hésité à parler, à Herzliya, d'une « menace stratégique de la part d'un terrorisme juif ». Ce qu'explicite un de ses prédécesseurs, Hezi Kallo, qui dirigea dans les années 1990 le département du Shin Beth pour les affaires non arabes : « Une attaque juive sur le mont du Temple, dans un effort visant à torpiller un processus politique, est une possibilité qui doit être résolument prise en compte. »
Ce n'est pas la première fois qu'une telle action est envisagée par des groupes de juifs fanatiques. En avril 1982, un an avant l'évacuation de la colonie de Yamit, dans le Sinaï, en exécution du traité israélo-égyptien, des activistes du Mouvement contre le retrait du Sinaï s'y étaient réunis et en avaient évoqué l'idée comme un moyen d'empêcher ce départ : ils comprenaient trois rabbins, un représentant des colons du Golan et un vétéran de l'Unité 101, un des plus célèbres commandos des années 1950.
Sur le moment, rien de décisif n'en sortit, et Yamit fut vigoureusement évacuée - ironiquement, par les soins d'Ariel Sharon. Mais l'idée poursuivit son chemin, et il y a seulement six mois, Shaher Dvir Zeliger, membre d'une cellule terroriste juive, arrêté par le Shin Beth, avoua qu'un activiste de Samarie, lié à un colon de l'implantation fanatique de Kiryat Arba, près d'Hébron, avait projeté une attaque sur l'esplanade des Mosquées.
Les services israéliens sont donc persuadés que, dans des circonstances aujourd'hui comparables à celles de 1982, de nouveaux terroristes sont prêts à agresser les mosquées. Le problème, disent-ils, est que leurs renseignements portent sur une plus complexe nébuleuse extrémiste comprenant ceux qu'on a surnommés les « jeunes des collines », fer de lance de la colonisation sauvage en Cisjordanie, des militants clandestins du mouvement raciste Kach, fondé par feu le rabbin Meir Kahane et officiellement interdit, des étudiants kabbalistes de certaines yeshivas, plus des individus mentalement dérangés (à supposer que les précédents ne le soient pas) liés à des organisations criminelles disposant du matériel adéquat. Hezi Kallo, déjà cité, commente : « La menace est réelle, mais difficile à définir. Un jour, elle peut venir d'un jeune de Herzliya, un autre jour d'un jeune de Haïfa ou des Territoires occupés, voire d'un noyau dur idéologique. La prévention réside dans le renseignement et dans les structures de protection. Mais s'il s'agit d'un individu isolé comme Barouch Goldstein [qui tua vingt-neuf Palestiniens en prière au caveau des Patriarches d'Hébron, en 1994], l'espoir de l'arrêter est très aléatoire. »
                               
16. Yasser Arafat : "Ma main reste tendue pour la paix" entretien réalisé par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du vendredi 7 avril 2004
À l'occasion du Centenaire de l'Humanité, nous avons sollicité une rencontre avec le président Yasser Arafat, l'homme qui incarne et symbolise la lutte du peuple palestinien pour la liberté et pour l'indépendance nationale.
Ramallah, envoyée spéciale - Peut-on imaginer un chef d'État enfermé depuis trois ans au milieu d'un amas de ruines, ne disposant pour y vivre, entouré d'un groupe de fidèles, que de quelques pièces sans confort, aux portes et fenêtres calfeutrées ? Un président qui fut reçu par tous les chefs d'État, à l'ONU, dans les institutions européennes, soumis à la menace permanente d'un bombardement, d'un missile ? Un prix Nobel de la paix traité en paria à la face du monde ? Cet homme existe, c'est Yasser Arafat.
Élu démocratiquement, sous contrôle international, en 1996, président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, qui reste aussi le chef du Fatah et de l'OLP, est, depuis décembre 2001, assiégé dans Ramallah par les forces d'occupation israéliennes. C'est dans le seul bâtiment qui reste encore debout de son quartier général - la Mouqata - qu'il nous a accueillis.
Ce n'est pas notre première visite dans cette enceinte, où les bureaux de l'Autorité palestinienne ont succédé, après 1994, à ceux de l'administration militaire israélienne. Mais à chaque fois, on est de nouveau frappé de stupeur par l'ampleur des destructions infligées par l'armée du général Sharon. Les bâtiments ont tous - sauf un seul où survit Arafat - été complètement écrasés et éventrés. Ils exhibent comme des entrailles leurs barres de béton tordues. À quelques mètres de celui où réside Yasser Arafat, on aperçoit un amas de voitures déchiquetées par les bulldozers et entassées les unes sur les autres. Celle qui est sous le tas, aplatie comme une crêpe et pliée en accordéon, est la limousine noire du président palestinien. Le mur d'enceinte avait été détruit lors des opérations israéliennes successives menées depuis avril 2002 et la réoccupation des villes palestiniennes de Cisjordanie. Il a été reconstruit, mais n'empêche des Jeep et des blindés de l'armée israélienne d'entrer au moins trois fois par semaine sur la place près du bâtiment. Ils tournent en rond pendant une heure et repartent. Le but : montrer qui est le maître. Ce que contredit le drapeau palestinien hissé sur le toit. Le perron de l'entrée est protégé par des sacs de sable et l'ascenseur ne fonctionne plus. On monte par l'escalier au deuxième étage. C'est là que Yasser Arafat nous a reçus, en compagnie du journaliste franco-israélien Amnon Kapeliouk, collaborateur de Yediot Aharonot et du Monde diplomatique, l'un de ceux qui, sans doute le connaissent le mieux. Il vient de publier une biographie intitulée Arafat, l'irréductible (1).
Un entretien très amical, en présence de son principal conseiller Nabil Abou Roudeina, au cours duquel ont été évoqués les souvenirs de tant d'années de lutte, mais aussi la France, qui a toujours eu une place à part dans la vie de Yasser Arafat. C'est la France qui, en 1982, a permis l'évacuation de Beyrouth du chef de l'OLP et de ses combattants assiégés. C'est en France que se trouvent sa femme et sa fille Zahoua, âgée de huit ans, qui pourrait être une cible pour les militaires israéliens.
" Je suis allé en France pour la première fois dans les années cinquante, alors que j'étais encore ingénieur. J'étais en vacances et j'ai visité Paris, la Côte d'Azur et Marseille. On dit que ce nom vient d'un mot arabe : Marsa Elia, qui veut dire le port d'Élie. Mais mon premier contact avec le monde politique en France a été avec le général de Gaulle, en 1969, par l'intermédiaire des chevaliers de Malte ", répond-il à une question d'Amnon Kapeliouk.
Yasser Arafat, qui a toujours professé une immense admiration pour " le général ", défait le col de sa chemise pour montrer une petite médaille qu'il porte toujours, accrochée à une chaîne en or, autour de son cou. C'est une petite croix de Lorraine dans un cercle. " C'est de Gaulle qui me l'a envoyée à ma demande, accompagnée de l'appel du 18 juin ", précise-t-il. " Elle ne me quitte jamais, comme la médaille de Jérusalem. "
" Par la suite, se souvient-t-il encore, j'ai rencontré François Mitterrand en Égypte. Cela s'est passé au journal Al Ahram. C'est le rédacteur en chef de ce quotidien, Mouhamad Hassanein Haïkal, qui avait organisé cette rencontre. C'était bien avant qu'il ne soit président, mais je l'ai revu souvent. "
Yasser Arafat a également toujours entretenu d'excellentes relations avec le PCF et accordé à plusieurs reprises des interviews à l'Humanité.
" C'est un journal que je connais bien et que j'apprécie, dit-il. Il joue un rôle international important. J'ai tous les jours la traduction d'articles de l'Humanité dans ma revue de presse. J'ai rencontré souvent ses journalistes, notamment à Beyrouth. Mais je me souviens que vous êtes aussi venue à Tunis et je me rappelle m'être adressé une fois à la Fête de l'Humanité. "
C'était, effectivement, quelques mois après le retour d'exil de Yasser Arafat, alors que l'Autorité palestinienne issue des accords d'Oslo - signés en septembre 1993 sous les auspices de Bill Clinton - était en train de s'installer à Gaza.
Je rappelle au président palestinien que la première fois que j'ai cherché à le rencontrer, c'était à Beyrouth, en juin 1982, alors que la capitale libanaise était assiégée. Déjà, comme aujourd'hui, j'étais venue avec Amnon Kapeliouk et un autre confère du journal Haaretz. Nous suivions, atterrés, les chars israéliens qui envahissaient le Liban, dévastant les camps de réfugiés palestiniens et y semant la mort. Ariel Sharon, alors ministre de la Défense de Menahem Begin, bombardait tous les immeubles où il pensait pouvoir l'atteindre.
Yasser Arafat opine et commente, non sans un certain sourire : " Il a essayé de me tuer treize fois pendant le siège de Beyrouth. C'est lui-même qui l'a reconnu. Mais il avait déjà essayé beaucoup d'autres fois avant cela et il a continué après. Jusqu'à maintenant. "
C'est qu'une nouvelle fois, à la veille de la Pâque juive, Ariel Sharon vient de récidiver et de menacer Arafat de mort. " Je ne conseille à aucune compagnie d'assurer Arafat sur la vie ", a-t-il claironné dans toute la presse, affirmant " Arafat n'est pas à l'abri d'un assassinat ". Se débarrasser d'Arafat est devenu pour Ariel Sharon une sorte d'obsession. N'était-ce l'opposition internationale à ce meurtre, répétée par toutes les capitales, même Washington, il serait peut-être passé à l'acte. Il attend la première occasion - peut-être le prochain attentat.
Le président palestinien accueille pourtant ces menaces d'assassinat " avec dédain et mépris ". " Peu importe ma vie, dit-il, seul compte le peuple palestinien et l'avenir de ses enfants, de ses femmes, de ses étudiants. Avec l'assassinat de Cheikh Yassine (2), Israël a franchi toutes les lignes rouges. "
Pourtant, malgré l'enfermement qui lui est imposé, malgré cette menace permanente - contre laquelle les institutions internationales ne font rien - malgré l'échec d'Oslo, malgré tout ce qui s'est écroulé autour de lui, Yasser Arafat semble envisager l'avenir avec une certaine sérénité.
" Il faudra bien que la paix finisse par s'installer tôt ou tard sur cette terre. C'est la Terre sainte, et il est nécessaire pour la paix du monde qu'il y ait la paix sur la Terre sainte, la terre des trois religions. Nous en avons tous besoin, Israéliens et Palestiniens. Et on voit bien aujourd'hui que le monde entier en a besoin. "
Comment parvenir à la paix alors qu'aucun des accords passés jusqu'ici n'a été appliqué ?
" Il n'y a qu'une chose à faire, c'est appliquer la "feuille de route", dit Yasser Arafat. Elle a été approuvée par tout le monde : par l'ONU, par les États-Unis, par la Russie et par l'Union européenne. Il faut appliquer la Ìfeuille de routeÍ et le plan de paix saoudien. Le ÌQuartetÍ s'y est référé à plusieurs reprises et les deux sont complémentaires. Tout le monde est d'accord avec cela. Seul Sharon n'est pas intéressé. Il faut que le ÌQuartetÍ exerce sur lui une grande pression pour l'amener à remplir l'engagement qu'il a pris d'accepter la création d'un État palestinien. Et si les Américains ne le font pas, c'est à l'Europe de le faire. "
L'idée avancée par certains dirigeants européens d'agir en coopération plus étroite avec la Ligue arabe, voire même d'intégrer la Ligue arabe dans le ÌQuartetÍ, est très bien accueillie par le président palestinien : " C'est une très bonne idée. Bien entendu nous sommes d'accord. Parce que, sur le terrain, rien ne peut être fait sans l'assentiment des pays arabes voisins. Le plan arabe de paix (3), qui a été proposé par l'Arabie saoudite à Beyrouth, a été accepté par les 21 pays de la Ligue arabe. Et nous sommes le 22e. Même la Libye a fini par l'accepter. Il y aura un sommet arabe d'ici un mois, après le retour de Washington du président Moubarak et du roi Abdallah. "
Quand on demande à Yasser Arafat quelle est la décision la plus importante qu'il ait jamais eue à prendre dans sa vie, la réponse vient, sans la moindre hésitation : " Cela a été de signer, en 1993, Ìla paix des bravesÍ avec mon partenaire, mon ami Yitzhak Rabin. C'était une décision importante non seulement pour le peuple israélien et le peuple palestinien, mais pour toute la région et pour le monde entier car c'est le seul moyen de mettre fin au conflit. "
Pense-t-il qu'après tant de morts et de souffrances - " plus de quatre mille morts en tout, Palestiniens et Israéliens, et plus de 70 000 blessés et estropiés depuis trois ans d'Intifada " -, il soit encore possible d'établir des relations de bon voisinage, peut-être même d'amitié entre les peuples de l'État d'Israël et de l'État de Palestine ? Est-ce qu'on pourra pardonner, oublier tout le sang versé ? Oublier la peur de l'autre ?
" Bien sûr, c'est possible. Nous aurons des relations d'amitié comme j'en ai eu dans le passé avec Yitzhak Rabin ", dit Yasser Arafat.
Mais Rabin n'est plus là, et il y a Sharon...
Arafat hoche la tête : " Il n'y a pas que Sharon. Il y a aussi tous les groupes de militants de la paix israéliens, ceux qui ont construit avec nous l'initiative de Genève (4), ceux qui sont avec nous contre le mur de la honte et tous ceux manifestent à nos côtés. J'ai encore reçu certains d'entre eux ce matin. Il y a parmi eux des journalistes, de grands universitaires, des rabbins qui viennent même me voir ici. Nous avons des liens très fort avec les Israéliens qui veulent la paix. Nous renforcerons ces liens. Quand à la peur, je sais qu'elle existe des deux côtés. Les Israéliens ont peur des attentats- que je condamne comme je condamne les attaques israéliennes contre nos civils. C'est normal. Le peuple palestinien aussi a peur. Il a peur des bombardements et des assassinats. Mais on peut vaincre cette peur. Et il n'y a qu'un seul moyen : faire la paix. "
Une détermination d'autant plus importante qu'elle vient de l'homme qui, il y aura quarante ans en janvier prochain, avait fait le choix de la lutte armée pour rendre au problème palestinien, que l'on considérait seulement alors comme un problème de réfugié, sa dimension de lutte de libération nationale.
Après notre entretien, Yasser Arafat nous convie à partager son déjeuner dans ce lieu désolé, dernier espace encore debout au milieu des ruines. Sur un mur de la salle à manger, en face de la place du président, sont accrochés les portraits de deux jeunes militants du Mouvement international de solidarité avec le peuple palestinien, tués par l'armée israélienne l'an dernier : l'Américaine Rachel Corrie, écrasée par un bulldozer en tentant d'empêcher la destruction d'une maison et le Britannique John Thurnall, qui eut le tort de vouloir sauver des enfants.
Avant de quitter le président Arafat, je lui demande encore une chose : quel est son principal regret. Il baisse la tête avec tristesse, et répond dans un souffle : " Ma fille ne me connaît pas. Elle ne connaît pas son père. " Pourtant, il tient à terminer sur une note optimiste : " La paix, et elle seule, mettra fin aux malheurs de cette région. Nous tendons notre main, malgré notre sang qui coule à flots. Mais Sharon doit savoir que la main tendue ne signifie pas la reddition. "
- NOTES :
(1) Fayard, 519 pages ; 24 euros
(2) Cheikh Yassine, chef spirituel du Hamas, a été assassiné par un missile israélien le 22 avril, dans son fauteuil roulant devant une mosquée de Gaza.
(3) Ce plan, proposé par le prince héritier saoudien Abdallah, propose l'établissement de relations " normales " entre Israël et les pays arabes en échange de l'évacuation de tous les territoires arabes occupés par Israël (Golan syrien, Cisjordanie et Gaza).
(4) Projet d'accord de paix négocié sous la direction des anciens ministres israélien Yossi Beilin et palestinien Yasser Abed Rabbo présenté à Genève le 1er décembre 2003.
                           
17. Génocide symbolique par Lev Grinberg
in La Libre Belgique (quotidien belge) du lundi 29 mars 2004

(Lev Grinberg est Professeur de Sociologie politique à Université Ben Gourion de Beer Sheva en Israël.)
La politique de Sharon produit une menace existentielle grandissante pour le peuple palestinien comme pour l'Etat d'Israël et ses citoyens. Une intervention internationale et le déploiement d'une force de paix de l'Onu sont nécéssaires
Le meurtre de Sheik Ahmad Yassin fait partie d'une politique générale menée par le gouvernement de l'Etat d'Israël qui peut être décrite comme un génocide symbolique. Incapable de s'affranchir du traumatisme de la Shoah et de l'insécurité qu'elle a causée, le peuple juif, victime suprême du génocide, inflige actuellement un génocide symbolique au peuple palestinien. Parce que le monde ne permettrait pas une élimination totale, c'est une annihilation partielle qui en tient lieu. En tant qu'enfant du peuple juif, en tant que citoyen israélien, je condamne cet acte abominable et j'en appelle à la communauté internationale pour sauver Israël de lui-même; en particulier, j'exhorte la Communauté européenne à intervenir d'une manière directe et active pour arrêter le bain de sang. Les liens complexes entre le peuple juif et l'Europe ne sont pas encore tranchés, et il est temps d'agir; non parce que l'Europe doit exorciser sa culpabilité, mais bien parce qu'elle est aussi responsable du futur de notre monde.
Qu'est-ce qu'un génocide symbolique? Chaque peuple a ses symboles: des dirigeants nationaux et des institutions politiques, une patrie, des générations passées et futures, et des espoirs. L'Etat d'Israël les détruit systématiquement tout en utilisant un extraordinaire jargon bureaucratique. Le terme officiel utilisé par l'armée israélienne pour la liste de leaders et d'activistes palestiniens à liquider est «banque des cibles» (1). Il y a quelques mois déjà, le ministre de la Défense avait avancé l'idée qu'Arafat devrait être «exterminé». Alors qu'aujourd'hui la liquidation de Sheik Yassin est une «opération réussie», cette idée refait à nouveau surface et est l'objet d'un débat public qui devient légitime. Alors qu'Arafat est emprisonné à Ramallah depuis décembre 2001, personne n'est encore parvenu à changer la position d'Israël pour permettre au Président palestinien de retrouver une certaine liberté de mouvement. Sa mise en cage à Ramallah a fini par symboliser l'emprisonnement du peuple palestinien tout entier.
La terre palestinienne est progressivement rongée par les colonies de peuplement, découpée par des barrages routiers et par ce que le jargon officiel nomme «barrière de sécurité». Il s'agit en fait d'un démantèlement systématique des dernières ressources territoriales qui restaient aux Palestiniens et qui leur laissaient encore l'espoir de voir un jour naître un état indépendant. Constant dans ses actions, le gouvernement de l'Etat d'Israël, qui cache ses intentions derrière des termes délavés tels que «feuille de route» et «processus de paix», détruit non seulement le leadership palestinien, mais également tous les espoirs d'indépendance de son peuple. D'après Sharon, aucune négociation ne peut être entreprise sous la pression d'attaques terroristes; mais lorsque les organisations palestiniennes ont annoncé un cessez-le-feu unilatéral en décembre 2001 et en juillet 2003, il s'est obstiné à refuser d'entrer dans le «processus de paix», et le répit temporaire a finalement été rompu par un retour à la politique des «exécutions ciblées».
Les réactions des pays européens qui ont exprimé leur «préoccupation relative à la poursuite du processus politique» suite à l'assassinat de Cheikh Yassin sont tout simplement ridicules. En réalité, elles récompensent le gouvernement d'Israël qui n'est pas le moins du monde intéressé par un tel processus. Mais de quel processus de paix parlons-nous donc? Et en termes politiques, qu'est-il arrivé au gouvernement Sharon depuis sa formation en février 2001? Il y a eu le Rapport Mitchell, le Plan Zinni, le Plan Tenet, suivis par l'initiative de Bush et la Feuille de Route suggérant aux Palestiniens de procéder à des réformes institutionnelles, et leur promettant en retour un «Etat temporaire» en 2003 et un «Etat indépendant» en 2005. Qu'en reste-t-il? Un Premier Ministre Palestinien, Abu Mazen, a été élu. Le gouvernement israélien l'a humilié jusqu'à ce qu'il démissionne. Y a-t-il eu le moindre progrès depuis la désignation d'Abu Ala qui le remplace?
Une partie de la discussion est centrée sur le droit qu'à Israël de se défendre. Que peut bien signifier un tel droit après 37 années d'occupation militaire? Comment est-il possible d'appeler «défensives» des actions qui visent uniquement à préserver un régime d'occupation? La seule défense acceptable d'Israël est celle de ses frontières légales et se situe à l'intérieur de son territoire. Le terrorisme est une réaction. Une réaction terrible, cruelle, inhumaine et immorale, certainement stupide d'un point de vue politique, mais c'est une réaction. C'est la cause qui doit en être traitée et pas seulement les effets.
La discussion relative au «processus de paix» et au «droit de se défendre» est une vaste duperie dont le seul dessein est de couvrir le génocide symbolique mis en oeuvre par le gouvernement israélien. La destruction de l'embryon de société, des institutions et des infrastructures mises en place par l'Autorité palestinienne d'abord est suivie par la destruction de ce qui reste des maigres espoirs: les assassinats de leaders et de gens ordinaires, hommes et femmes, enfants et vieillards, en prétextant que les «cibles qui doivent être liquidées» se cachent derrières des citoyens. Le gouvernement de l'Etat d'Israël transforme progressivement les Palestiniens en shahids (martyrs), et le conflit du Moyen Orient en guerre sainte, en croisade, ou en jihad.
Cette politique dangereuse engendre une menace existentielle grandissante, non seulement pour le peuple palestinien mais également pour l'Etat d'Israël et ses citoyens. Elle met en danger l'équilibre du Moyen Orient tout entier. Le gouvernement entraîne le peuple israélien dans une confrontation alimentée par le besoin de vengeance immédiate au dépens de la construction d'un futur stable. En l'absence d'une Autorité palestinienne viable et d'une force qui lui permettrait de se défendre contre l'occupation israélienne, il faut une intervention internationale et le déploiement d'une force de paix de l'Onu (pas des Etats-Unis!); pour protéger les Palestiniens tout d'abord, et les Israéliens indirectement. Aussi longtemps que les Palestiniens seront en danger, nous, Israéliens, le resterons également. Il ne fait aucun doute qu'une telle action serait perçue comme une victoire du côté palestinien et ne serait pour le moins pas appréciée par le gouvernement israélien. Mais sans ce sentiment d'avancée politique substantielle de la part des Palestiniens, il y a peu de chance de voir un jour la fin de ce conflit. Seule une protection internationale nous encouragera à parler d'une solution permanente. Si nous ne brisons pas le cycle sanglant de la violence et de la vengeance tribale, il n'y a pas d'issue positive. Il est de la responsabilité du monde, et principalement de l'Europe, d'arrêter le gouvernement de l'Etat d'Israël. Le monde a les moyens pour ce faire et il est temps qu'il en fasse usage. Car dans les circonstances actuelles, tout silence sera considéré comme un acquiescement. [Traduction de Stephane et Victor Ginsburgh]
(1) «Target Bank»
                                   
18. La mort a un gouvernement par Nourit Peled-Elhanan
in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du dimanche 2 décembre 2001
[traduit de l'hébreu par Pascal Fenaux]
[Nourit Peled-Elhanan est la fille du général Mattityahou Peled, une gloire militaire d'Israël devenu, après 1967, un adversaire acharné de la colonisation. Elle-même est une victime du terrorisme aveugle: en 1997, sa fille Smadar, quatorze ans, a succombé à un attentat du Hamas à Jérusalem. Elle est membre du Cercle des Parents, une association qui réunit des familles israéliennes et palestiniennes endeuillées qui militent en faveur de la paix. En décembre 2001, le Parlement européen lui a décerné le prix Sakharov des droits de l'Homme, en même temps qu'au Palestinien Izzat Ghazzawi, qui a lui aussi perdu un enfant dans le conflit. Cet article de Nourit Peled-Elhanan a été publié au lendemain d'un attentat revendiqué par le Hamas, le 2 décembre 2001 à Jérusalem.]
Au lendemain d'une guerre, Dylan Thomas avait écrit un poème dont le titre hébreu est : "Et la Mort n'aura pas de gouvernement". En Israël, la Mort a un gouvernement. La Mort gouverne ici et ce gouvernement est un gouvernement de mort. C'est pourquoi, la chose la plus surprenante dans l'attentat du 2 décembre, comme dans tous ceux qui l'ont précédé, c'est que nous en soyons surpris.
La machine de propagande et d'endoctrinement israélienne a réussi à présenter ces attentats comme détachés de la réalité israélienne. Le récit présenté par les médias israéliennes (et américaines) est un récit dans lequel il y a des assassins "arabes" et des victimes israéliennes dont le seul péché est d'avoir demandé sept jours de trêve.
Pourtant, quiconque a suffisamment de mémoire pour regarder quelques années, quelques jours ou quelques heures en arrière, sait que l'histoire est tout autre. Il sait que le dernier attentat n'est que la dernière manifestation en date d'un enchaînement d'événements effrayants et sanglants qui n'ont pas cessé de se succéder depuis 34 ans et qui n'ont qu'une seule et unique cause : une occupation cruelle. Une occupation faite d'humiliations, de chômage, de démolitions de logements, de destructions de récoltes, d'assassinats d'enfants, d'incarcérations de mineurs sans jugement et dans des conditions effrayantes, de nouveaux-nés qu'on laisse mourir aux barrages et, enfin, de duplicité politique.
La semaine passée, après l'assassinat d'Abou Hannoud (chef de l'aile militaire du Hamas), une journaliste du Yediot Aharonot m'avait demandé si je me sentais "soulagée" et si cela ne m'avait pas hanté de savoir "qu'un tel assassin se promenait en liberté". Je lui avait répondu que je n'étais pas soulagée et que je ne le serais pas tant que les assassins d'enfants palestiniens se promèneraient en liberté. Les assassins d'enfants, les assassinats de suspects sans procès ni jugement et, quelques heures avant les attentats du 2 décembre, l'assassinat d'un enfant palestinien de dix ans sont l'assurance que les Israéliens ne pourront plus laisser leurs propres enfants en sécurité sur le chemin de l'école. Chaque enfant israélien paiera la mort des cinq enfants palestiniens de Gaza (tués par une bombe israélienne), comme celle d'autres enfants à Ramallah et à Hébron.
Les Palestiniens ont appris d'Israël que toute victime était vengée au décuple et au centuple. Ils ont déclaré à plusieurs reprises que, tant qu'il n'y aurait pas de paix à Ramallah et à Jénine, il n'y aurait pas de paix à Jérusalem et à Tel Aviv. Cela signifie que les sept jours de calme ne doivent pas être respectés par les seuls Palestiniens, mais également par l'armée d'occupation israélienne. Nourit Peled-Elhanan.
                                   
19. Les bases de la coexistence par Edward W. Said
in Al Hayat (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 5 novembre 1997
[traduit de l'anglais par Olivier Roy]
(Cet article est paru originellement dans le quotidien Al Hayat a été repris dans le livre The End of the Peace Process - Oslo and After, publié en anglais en 2000.)
Une des différences les plus importantes entre les Arabes qui vivent dans le monde arabe et ceux qui vivent en Occident est que ces derniers sont contraints de faire face, sur une base quasi quotidienne, à l'expérience juive de l'antisémitisme et du génocide. Année après année, de nouveaux livres, films, articles et photographies sont déversés en quantité sans cesse croissante. L'année dernière a été l'année de la Liste de Schindler, le film de Steven Spielberg qui a littéralement placé les horreurs de l'Holocauste sous les yeux de centaines de millions de gens. Il y a eu nombre de controverses quant aux raisons de la catastrophe allemande: comment une nation éminemment civilisée qui avait produit les plus grands philosophes et musiciens européens, et parmi ses plus brillants scientifiques, poètes et érudits, a-t-elle pu non seulement descendre dans la folie du nazisme, mais aussi dans le plus horrible programme d'extermination humaine de l'Histoire? Quiconque vit aujourd'hui aux États-Unis, en France ou ailleurs en Europe ne peut en aucun cas échapper aux images d'Auschwitz et de Dachau, les rappels constants de la souffrance et des tourments juifs, l'évidence perpétuelle d'une inhumanité massive principalement dirigée contre un peuple, les Juifs, qui, malgré leurs réalisations et contributions à la culture, ont été réduits au statut de simples animaux à gazer et incinérer par millions.
Il est indéniable qu'une importante partie de cette histoire circule aujourd'hui dans toutes les universités, écoles, musées et dans les discours publics en Occident, mais qu'elle fait aussi l'objet de controverses, alimentées plus récemment par le livre Hitler's Willing Executioners de Daniel Goldhagen. L'idée de Goldhagen est que tous les Allemands, pas seulement le Parti nazi et les psychopathes de l'entourage de Hitler, étaient préparés et ont effectivement participé au génocide contre les Juifs. La plupart des historiens ont affirmé leur désaccord avec cette vision extrême, mais la question de la culpabilité européenne et plus particulièrement chrétienne continue de travailler le monde occidental. Parmi les Juifs états-uniens, dont la communauté a été préservée des horreurs de ce qui est arrivé en Europe, l'Holocauste est étudié et commémoré avec ferveur; il est à noter, par exemple, que Washington est le site d'un musée colossal dédié à l'Holocauste et non le site où l'extermination des Amérindiens ou de millions d'esclaves africains serait commémorée. Ainsi, l'Holocauste est d'une certaine façon utilisé rétrospectivement pour justifier des actualités politiques contemporaines. Un lien est constamment fait par les critiques entre l'histoire de la souffrance juive et le triomphe de la communauté juive états-unienne, ou entre l'Holocauste et Israël, l'un menant à l'autre et y apportant vengeance. De plus, il y a certainement eu suffisamment de révélations de documents pour démontrer que le mouvement sioniste dominant a parfois été moins intéressé par la sauvegarde de tout le peuple juif de l'extermination, que par la délivrance de quelques-uns pour la colonisation en Palestine; similairement, des dirigeants sionistes symboliques d'extrême-droite (par exemple [Yitzhak] Shamir) ont contacté les Allemands pendant la période nazie pour avoir leur soutien et leur aide.
Quoi qu'il en soit, l'énormité absolue de ce qui s'est déroulé entre 1933 et 1945 défie nos pouvoirs de description et de compréhension. Plus on étudie cette période et ses excès, plus on doit conclure que pour tout être humain décent, le massacre de tant de millions d'innocents doit peser lourdement sur les générations subséquentes, qu'elles soient juives ou non juives. Peu importe à quel point on peut être d'accord avec, disons, Tom Segev dans son livre The Seventh Million, à l'effet qu'Israël a exploité l'Holocauste à des fins politiques, il n'y a guère de place pour douter que la mémoire collective de la tragédie et le fardeau de peur qu'elle impose à tous les Juifs aujourd'hui ne doivent pas être minimisés; il y a bien sûr eu d'autres massacres collectifs dans l'histoire humaine (les Amérindiens, Arméniens, Bosniaques, Kurdes, etc.) et certains n'ont effectivement pas été correctement reconnus par les auteurs ni adéquatement compensés, mais il n'y a aucune raison, selon moi, de ne pas s'ouvrir à l'horreur de la tragédie particulière affectant le peuple juif et de ne pas la respecter. En tant qu'Arabe, je trouve important de comprendre cette expérience collective avec autant de ses détails concrets qu'il est possible: cet acte de compréhension garantit l'humanité et la résolution de celui qui s'y attarde, afin qu'une telle catastrophe ne soit pas oubliée et ne se reproduise jamais. Une telle vision de la souffrance juive a été fournie aux analystes arabes durant le procès d'Adolf Eichmann en Israël dans les années soixante, alors qu'Israël utilisait ce procès pour étaler toutes les horreurs du génocide nazi. Des analystes de la droite phalangiste au Liban ont prétendu que toute cette affaire n'était que propagande sans fondement, mais ailleurs dans la presse arabe de l'époque (en Égypte et dans les principaux médias libanais), l'affaire Eichmann a été relatée avec toute la considération due aux événements épouvantables qui se sont déroulés en Allemagne au cours de la guerre. Cela n'a pas empêché, selon une étude de l'époque par le Dr Oussama Makdissi, un jeune historien libanais de l'Université Rice à Houston, Texas, les reportages arabes consacrés au procès de démontrer que, bien que ce qui a été fait aux Juifs en Allemagne a effectivement été un crime contre l'humanité, le crime israélien de dépossession et d'expulsion de tout un peuple n'en constitue pas moins un crime de la même espèce. Le Dr Makdissi a découvert qu'il n'y avait aucune tentative pour établir une symétrie entre l'Holocauste et la catastrophe palestinienne, mais que, jugés selon les même standards, Israël et l'Allemagne étaient tous deux coupables de crimes haineux de grande ampleur. Ma propre perception est que le procès Eichmann a peut-être été utile aux Arabes au cours des batailles psychologiques des années soixante comme manière de démontrer l'insensibilité israélienne envers les Arabes, mais pas comme façon de renseigner les lecteurs arabes sur l'expérience juive.
Je mentionne tout cela dans un article sur la coexistence puisque cela souligne l'ironie historique de la présente impasse, que peut-être seuls les Juifs et les Arabes de la diaspora peuvent reconnaître pleinement et, d'une certaine façon, transcender. Tous, sauf les observateurs les plus entêtés et naïfs, concèdent qu'il n'y a présentement aucune paix. Comme je l'ai écrit dans mon dernier article, le comportement récent d'Israël, tel que représenté par la brutalité erratique et non provoquée de Netanyahou, se place dans un continuum commençant dans les premiers jours du pays, au cours desquels le mépris, le déploiement de la puissance féroce et la brutalisation systématique des Palestiniens constituaient la prémisse centrale. D'autre part, cette politique lamentable ne justifie en aucun cas les tentatives rétrospectives, par les Israéliens et les Palestiniens, d'utiliser l'Holocauste pour justifier la cruauté israélienne, ou de rejeter l'Holocauste comme étant sans pertinence voire même peu vraisemblable. Le cynisme n'aide pas; comme l'a déjà dit Oscar Wilde, un cynique connaît le prix de tout, mais ne connaît la valeur de rien. On peut être aussi intolérants envers la position israélienne au sujet de la «sécurité psychologique» qu'envers les récents efforts arabes pour recueillir le soutien de gens avilis comme Roger Garaudy pour remettre en question les six millions de victimes. Rien de tout cela ne sert la cause de la paix ou d'une réelle coexistence entre deux peuples dont la part respective de souffrances historiques les rend inextricables.
Toutefois, excepté quelques intellectuels juifs ici et là - par exemple, le rabbin états-unien Marc Ellis ou le professeur Israël Shahak - les réflexions faites aujourd'hui sur l'histoire désolante de l'antisémitisme et de la solitude juive par des intellectuels juifs sont inadéquates. Il y a un lien à faire entre ce qui est arrivé aux Juifs au cours de la Seconde Guerre mondiale et la catastrophe du peuple palestinien, mais il ne peut être fait sur une base exclusivement rhétorique ni être présenté comme argument pour démolir ou diminuer le véritable contenu de l'Holocauste autant que celui de 1948. Il n'y en a pas un qui est égal à l'autre; similairement, aucun des deux n'excuse la violence actuelle, et finalement aucun des deux ne doit être minimisé. Il y a suffisamment de souffrance et d'injustice pour tout le monde. À moins qu'un lien soit fait, permettant de démontrer que la tragédie juive a directement provoqué la catastrophe palestinienne, disons par nécessité (au lieu de volontairement), nous ne pouvons coexister comme deux communautés marquées par une souffrance détachée et incommunicable. L'échec d'Oslo a été de planifier en termes de séparation une partition clinique de peuples en entités individuelles, mais inégales, au lieu de comprendre que le seul moyen de s'élever au-delà de la violence sans fin et de la déshumanisation est d'admettre l'universalité et l'intégrité de l'expérience de l'autre et de commencer à planifier une vie commune ensemble.
Je ne vois pas du tout comment (a) ne pas percevoir les Juifs d'Israël comme le résultat réel et permanent de l'Holocauste, et (b) ne pas exiger de leur part la reconnaissance de ce qu'ils ont fait aux Palestiniens pendant et après 1948. Cela veut dire qu'en tant que Palestiniens, nous leur demandons la considération et la réparation, sans pour autant minimiser leur propre histoire de souffrance et de génocide. C'est là la seule reconnaissance mutuelle qui vaille, et le fait que les gouvernements et les dirigeants actuels soient incapables de tels gestes témoigne de la pauvreté d'esprit et d'imagination qui nous afflige tous. C'est ici que les Juifs et les Palestiniens vivant hors de la Palestine historique peuvent jouer un rôle constructif, que ceux qui vivent à l'intérieur ne peuvent jouer sous la pression quotidienne de l'occupation et de la confrontation dialectale. Le dialogue doit porter sur ce dont je viens de parler, et non pas sur des questions dégradées de stratégie politique et de tactiques. Lorsqu'on observe les grandes lignes de la philosophie juive de Buber à Levinas et qu'on y perçoit une absence presque totale de réflexion sur la question palestinienne, on réalise le chemin qu'il faut parcourir. Ce qui est donc souhaitable est une notion de coexistence qui respecte les différences entre les Juifs et les Palestiniens, mais qui respecte aussi l'histoire commune de luttes différentes et de survivances inégales qui les lient.
Il ne peut y avoir d'impératif éthique et moral plus élevé que des discussions et des dialogues à ce propos. Nous devons accepter l'expérience juive avec tout ce qu'elle implique d'horreurs et de peurs, tout en exigeant que notre expérience reçoive autant d'attention ou peut-être un autre niveau d'actualité historique. Qui voudrait moralement mettre sur un même niveau une extermination de masse avec une dépossession de masse? Ce serait de la folie que d'essayer. Mais elles sont liées - ce qui est différent - dans la lutte pour la Palestine, qui a été si intransigeante, ses éléments si irréconciliables. Je sais qu'il peut sembler impertinent de parler d'agonies juives antérieures à un moment où les terres palestiniennes sont encore saisies, où nos maisons sont démolies, notre existence quotidienne étant encore sujette aux humiliations et à la captivité qui nous sont imposées par Israël et ses nombreux partisans en Europe et surtout aux États-Unis. Je n'accepte pas la notion voulant qu'en prenant nos terres, le sionisme a réalisé la rédemption des Juifs, et on ne pourra jamais me faire acquiescer au besoin de déposséder le peuple palestinien. Mais je peux admettre la notion voulant que les distorsions de l'Holocauste ont créé des distorsions chez ses victimes, qui sont elles-mêmes reproduites chez les victimes du sionisme, c'est-à-dire les Palestiniens. Comprendre ce qui est arrivé aux Juifs en Europe sous le nazisme signifie comprendre ce qui est universel dans l'expérience humaine dans des conditions calamiteuses. Cela veut dire la compassion, la sympathie humaine et la répugnance totale envers l'idée de tuer des gens pour des raisons ethniques, religieuses ou nationalistes.
Je n'attache aucune condition à une telle compréhension et compassion: on les exprime pour elles-mêmes, non pas pour des avantages politiques. Toutefois, un tel avancement de la conscience de la part des Arabes doit être accompagné d'une égale volonté de compassion et de compréhension de la part des Israéliens et des partisans d'Israël qui se sont engagés dans toutes sortes de dénis et d'expressions de non responsabilité défensive lorsqu'on mentionne le rôle central d'Israël dans notre dépossession historique en tant que peuple. Cela est déplorable. Il est tout autant inacceptable de dire simplement (comme le font plusieurs sionistes libéraux) que nous devrions oublier le passé et accepter deux États séparés. Cela est une insulte à la mémoire juive de l'Holocauste autant qu'aux Palestiniens qui continuent d'être dépossédés aux mains d'Israël. Le fait élémentaire est que les expériences juive et palestinienne sont historiquement, en fait physiquement, liées: les séparer l'une de l'autre équivaut à falsifier ce qu'il y a d'authentique en chacune d'elle. Nous devons penser nos histoires ensemble, si difficile que cela puisse être, afin qu'il puisse y avoir un futur commun. Et ce futur doit comprendre les Arabes et les Juifs ensemble, libres de tout plan exclusiviste ou basé sur un déni visant le bannissement de l'un par l'autre, que ce soit théoriquement ou politiquement. C'est là le réel défi. Le reste est bien plus simple.