"Celui qui vit dans une maison de verre, qu’il ne jette pas la pierre aux autres !"
           
                       
Point d'information Palestine N° 234 du 07/04/2004
Newsletter privée réalisée par La Maison d'Orient - BP 105 - 13192 Marseille Cedex 20 - FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail :
lmomarseille@wanadoo.fr
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Monique Barillot (Trésorière)
Association loi 1901 déclarée à la Préfecture des Bouches-du-Rhône sous le N° 0133099659
Rédacteur en chef : Pierre-Alexandre Orsoni
                                              
Si vous ne souhaitez plus recevoir nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : lmomarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à un réseau strictement privé de 8669 destinataires et n'est adossé à aucun site internet.
Les propos publiés dans cette lettre d'information n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs.
Consultez régulièrement les sites francophones de référence :
http://www.solidarite-palestine.org - http://www.paix-en-palestine.org - http://www.protection-palestine.org
                                                   
Au sommaire
              
Dernières parutions
1. État de siège de Mahmoud Darwich - Photographies de Olivier Thébaud aux éditions Actes Sud
2. Irak, les armes introuvables de Hans Blix aux éditions Fayard
3. VIDÉO - Gens de Yanoun un film documentaire de Catherine Shammas et Jean-Claude Perron
4. Yanoun ou le paradis infernal de Anne-Leïla Ollivier
5. La guerre à outrances : Comment la presse nous a désinformés sur l'Irak de Alain Hertoghe aux éditions Calmann-Lévy
                     
Réseau
1. Communiqué de presse de l'UNRWA : Confrontée aux restrictions imposées par les autorités israéliennes, l'UNRWA suspend la distribution d'aide alimentaire dans la Bande de Gaza (1er avril 2004)
2. Les Arabes et la Maison de Verre - Lettre au Président George W. Bush par Eyad El-Sarraj (Mars 2003) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Les enfants de Market Street par Silvia Cattori (27mars 2004)
4. Qui sème le vent... par l'Association des Travailleurs Maghrébins de France et l'Union Juive Française pour la Paix (23 mars 2004)
5. Lettre d’un prisonnier à la Star Académie par Nimer Shaban (27 mars 2004)
6. Sharon, fourrier de l’ hyperterrorisme par Gilles Munier (23 mars 2004)
                          
Revue de presse
1. Les bandes armées font la loi à Naplouse - Bouclée par l'armée israélienne, la ville témoigne de l'effondrement de l'Autorité palestinienne par Patrick Saint-Paul in Le Figaro du samedi 3 avril 2004
2. L’assassinat d’un journaliste, en Irak par Robert Fisk in The Independent (quotidien britannique) du samedi 3 avril 2004 [traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]
3. Sharon n'exclut par l'élimination d'Arafat Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 2 avril 2004, 16h13 
4. Vous avez besoin d’une force armée ? C’est très simple : téléphonez ! par Barry Yeaoman in The New York Times (quotidien américain) du vendredi 2 avril 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
5. La BBC accusée de parti pris envers Israël - Un reportage sur un kamikaze en puissance est estimé antisémite par Chris McGreal in The Guardian (quotidien britannique) du jeudi 1er avril 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
6. Entretien avec Nadia Khamis, médecin au service des urgences à l’hôpital Al-Chifa à Gaza : "Les Israéliens veulent nous tuer à petit feu" propos recueillis par Randa Achmawi in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 31 mars 2004
7. Comme sur la place Tienanmen par Tanya Reinhart in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du mardi 30 mars 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
8. Le gouvernement Sharon prépare un plan de confiscation des dernières terres arabes du Néguev, d’ici cinq ans par Zuhaïr Andraws in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 30 mars 2004 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
9. La stratégie à risques d'Ariel Sharon par Jean-François Legrain in Le Figaro du lundi 29 mars 2004
10. L’ambassadrice américaine à Damas inaugure des logements pour les réfugiés palestiniens par Walid Awad in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 29 mars 2004 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
11. La connexion évangélico-israélienne - Les Ecritures inspirent à beaucoup de chrétiens de soutenir le sionisme, politiquement et financièrement par Bill Broadway in The Washington Post (quotidien américain) du samedi 27 mars 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
12. L’Homme qui en savait trop - Le calvaire de Mordechai Vanunu par Robert Fisk in The Independent (quotidien britannique) du vendredi 26 mars 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
13. "Sharon ne veut pas d'interlocuteurs palestiniens" - Entretien avec Jean-François Legrain réalisé par Pierre Barbancey in L'Humanité du mercredi 24 mars 2004
14. A Ramallah, la colère de la rue par Valérie Féron in L'Humanité du mercredi 24 mars 2004
15. "Chirac ne peut plus voir Sharon" par Claude Angeli in Le Canard Enchaîné du mercredi 24 mars 2004
16. Enfants par Tommaso Di Franceso in Il Manifesto (quotidien italien) du mercredi 24 mars 2004 [traduit de l'italien par Marie-Ange Patrizio]
17. Hamas-Likoud, la fin d'une alliance objective par Paul Labarique in Voltaire du mardi 23 mars 2004
18. Elias Sanbar : "Semer les germes d'une guerre civile entre le Fatah et le Hamas" par José Garçon in Libération du mardi 23 mars 2004
19. La victoire du terrorisme par Akiva Eldar in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 22 mars 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
20. Le "désengagement" de Sharon - Une totoche pour l’opinion israélienne par Tanya Reinart on Zmag.org du dimanche 21 mars 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
21. Edgar Morin poursuivi pour "diffamation à caractère racial" après une tribune parue dans "Le Monde" par Acacio Pereira in Le Monde du vendredi 19 mars 2004
22. Entretien avec Shulamit Aloni : "Comme les Allemands, nous ne voulons pas savoir" propos recueillis par Attila Somfalvi in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du jeudi 18 mars 2004 [traduit de l'hébreu par Pascal Fenaux]
23. Affaire de refus - Portrait de Eyal Sivan par Ange-Dominique Bouzet in Libération du jeudi 18 mars 2004
24. Le début de la fin de la coalition arrogante par Abdel-Bari Atwan (rédacteur en chef) in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 17 mars 2004 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
25. Palestine : le temps du chaos par Victor Cygielman in Le Nouvel Observateur du jeudi 11 mars 2004
26. Les Israéliens, maîtres dans la manipulation des médias par Toine Van Teeffelen on Aljazeera.net le lundi 8 décembre 2003 [traduit de l'anglais par Xavière Jardez]
27. "Rendre la honte plus honteuse", Réflexion par Rony Brauman in La Chronique (revue d’Amnesty International France) Septembre 2003
28. L’impossible Israël en Palestine niée par Jean Cardonnel in Golias (Hors-série N° 6) Été 1992
                                           
Dernières parutions

                                          
1. État de siège de Mahmoud Darwich - Photographies de Olivier Thébaud
aux éditions Actes Sud
[120 pages - 23,90 euros -ISBN : 2742748040]
Traduit de l'arabe par Elias Sanbar. Assiégé à Ramallah, le poète note au jour le jour, en de très courts poèmes, ses impressions sur une guerre de plus en plus atroce qu’illustre à sa manièe, très sobrement, le photographe Olivier Thébaud.
- Extraits :
Ici, sur les pentes des collines, face au couchant
Et à la béance du temps,
Près des vergers à l’ombre coupée,
Tels les prisonniers,
Tels les chômeurs,
Nous cultivons l’espoir.
*
Dans le siège, la vie est l’intervalle
Entre le souvenir de son achèvement
Et l’oubli de sa fin.
*
La vie.
La vie, toute la vie
Avec ses carences,
Accueille des étoiles voisines,
Sorties du temps,
Et des nuages migrants,
Sortis du lieu.
Et la vie ici
Se demande
Comment leur redonner vie.
(…)
[A un assassin]
Si tu avais contemplé le visage de la victime,
Réfléchi, tu te serais souvenu de ta mère dans la chambre à gaz,
Tu te serais délivré de la sagesse du fusil
Et tu aurais changé d’avis :
Ce n’est pas ainsi que l’on recouvre son identité !
*
[A un autre assassin]
Si tu avais laissé trente jours au fœtus,
Les possibilités auraient été autres :
L’occupation finie, le nouveau-né aurait oublié
Les temps du siège,
Il aurait grandi en bonne santé, serait devenu un jeune homme,
Aurait étudié avec l’une de tes filles
L’histoire ancienne de l’Asie
Et ils auraient pu s’aimer,
Donner jour à une fille (et elle serait juive de naissance !).
Qu’as-tu donc fait ?
Ta fille est aujourd’hui veuve,
Ta petite-fille, orpheline.
Qu’as-tu fait de ta famille fugitive ?
Comment as-tu pu, d’une seule balle, abattre trois colombes ?
(…)
Ce siège durera jusqu’à ce que l’assiégeant,
Comme l’assiégé, réalise que l’ennui
Est l’un des attributs de l’Homme.
*
Le martyr m’assiège tous les jours de ma vie.
Il me demande : Où étais-tu ?
Rends aux dictionnaires tous les mots
Que tu m’avais offerts,
Et pour les dormeurs, réduis le grondement de l’écho !
(…)
Mes amis me préparent toujours une cérémonie
D’adieux, une tombe confortable à l’ombre des chênes,
Une stèle en marbre inaltérable.
Mais je les précède toujours aux funérailles :
Qui est donc mort … Qui ?
(…)
Que la paix soit sur celui qui partage
Mon ivresse de lumière, la lumière du papillon
Dans la nuit de ce tunnel.
(…)
La paix, deux ennemis qui rêvent chacun
De bâiller sur les trottoirs de l’ennui.
La paix, gémissements de deux amants qui se lavent
Au clair de lune.
(…)
La paix, chant funèbre pour le cœur du jeune homme transpercé par un grain de beauté,
Non par les balles ou les éclats d’obus.
La paix, chanter une vie, ici, dans la vie,
Sur la corde de l’épi.
                                               
2. Irak, les armes introuvables de Hans Blix
aux éditions Fayard
[456 pages - 22 euros - ISBN : 2213618305]
Traduit de l'anglais par Paul Chemla, Pierre-Emmanuel Dauzat et Odile Demange. C'est un document exceptionnel ! "En entendant parler Colin Powell, en regardant les photos et en écoutant les bandes magnétiques qu’il nous présentait [...], je me surpris à m’interroger sur leur authenticité. D’où venaient ces bandes ? D’écoutes électroniques américaines ? De membres de l’opposition irakienne ? Avant d’y voir la preuve de la présence d’armes de destruction massive, il allait falloir, je le sentais, en savoir plus long. Depuis l’occupation de l’Irak, je n’ai plus entendu parler de ces enregistrements…" Hans Blix a été le Chef des inspecteurs en désarmement de l’ONU en Irak entre 2000 et 2003.
                                                   
3. VIDÉO - Gens de Yanoun un film documentaire de Catherine Shammas et Jean-Claude Perron
[2003 - 47 mn - Disponible en cassette VHS PAL]
Depuis 1997, les colons d'Itamar multiplient les agressions violentes contre les habitants de Yanoun, village palestinien de 150 habitants.
Après une attaque meurtrière des colons, les derniers habitants quittent le village le 18 octobre 2002.
Deux jours après, des pacifistes israéliens, accompagnés de pacifistes internationaux, proposent aux habitants de Yanoun de retourner au village et d'assurer une présence permanente à leurs côtés. Le film, tourné à Yanoun en 2003, donne la parole aux femmes et aux hommes qui vivent dans ce village. Il dévoile une réalité quotidienne ravagée par la férocité rampante de la progression coloniale.
(Réalisation : Jean-Claude Perron - Entretiens : Catherine Shammas - Traduction : Näjma Micheline Shammas - Croquis : Anne-Leïla Ollivier - Produit par Artis avec le soutien de la Campagne Civile internationale pour la protection du Peuple Palestinien (CCIPPP) www.protection-palestine.org et de l'AFPS.]
"Le film remplace tous les discours, les débats, les interrogations. Il en ressort une chronique sobre mais émouvante et révoltante où la peur, l'angoisse et l'injustice sont omniprésentes chez ces quelques familles qui tentent de survivre. Toujours dignes et sans haine, ces Palestiniens ne demandent qu'à vivre de leur terre. Résister en allant à l'école, à l'université pour les plus jeunes. Résister par l'art en dessinant, en peignant, en chantant. Résister pour témoigner..." JC Honnoré, in Le Dauphiné Libéré du 6 février 2004.
[Vous pouvez vous procurer un exemplaire de cette vidéo auprès de : ARTIS - 2, Boulevard Gambetta - 07200 Aubenas - au prix de 20,00 euros / port inclus - Chèque à l'ordre de ARTIS.]
                               
4. Yanoun ou le paradis infernal de Anne-Leïla Ollivier
[40 pages - 15,00 x 10,50 cm - 2 euros]
A l'issue de sa participation à la 49e mission civile de protection du peuple palestinien, en mars 2003, Anne-Leïla Ollivier, une jeune plasticienne française présente ce magnifique témoignage. Ce petit carnet de croquis, réalisé auprès des habitants de Yanoun, un village palestinien situé en Cisjordanie au sud-est de Naplouse et un témoignage simple, beau et essentiel. Vous pouvez le consulter intégralement sur le http://www.missions-palestine.org/Multimedia/Dessins/index.php# , mais nous ne saurions trop vous conseiller de vous en procurer quelques exemplaires auprès de l'artiste en lui téléphonant au 06 82 29 27 81.
                                       
5. La guerre à outrances : Comment la presse nous a désinformés sur l'Irak de Alain Hertoghe
aux éditions Calmann-Lévy
[192 pages - 15,00 euros - ISBN : 70213422X]
Souvenez-vous : c'était au printemps 2003. Les États-Unis et la Grande-Bretagne envahissaient l'Irak pour chasser Saddam Hussein du pouvoir. Nos quotidiens prédisaient un enlisement inéluctable, une résistance farouche des " Gardes républicains ", un désastre humanitaire sans précédent. Les morts américains se compteraient par milliers, les Irakiens par dizaines de milliers.
Quand, déjouant tous ces sombres pronostics, l'armée américaine se trouva aux portes de Bagdad en moins de quinze jours, la presse quotidienne française annonça de concert l'imminence d'un nouveau Stalingrad… qui, comme chacun sait, n'eut jamais lieu.
C'est un fait : l'unanimisme de la presse quotidienne n'eut d'égal que son aveuglement. Consciemment ou inconsciemment alignée sur les positions antiguerre de l'Élysée et du Quai d'Orsay, le jugement obscurci par le Schadenfreude, la jouissance que l'on éprouve secrètement devant le malheur d'autrui, elle en vint à oublier les règles les plus élémentaires du journalisme.
Alain Hertoghe a décrypté la façon dont cinq quotidiens français (Le Monde, Libération, Le Figaro, La Croix et Ouest-France) ont couvert la guerre d'Irak. Il dresse la liste de leurs contradictions et de leurs outrances, et rappelle confraternellement que le rôle de la presse n'est pas de choisir son camp ou de jouer les pythies, mais tout simplement de décrire et d'expliquer la réalité.
Alain Hertoghe, né en 1959, était rédacteur en chef adjoint du site internet de La Croix. Ancien élève de l'Ecole supérieure de journalisme de Lille, il a notamment couvert la guerre du Golfe de 1991 et la campagne électorale américaine qui a amené George W. Bush à la Maison-Blanche en 2001.
Liberté d'expression des journalistes : La Croix suit "l'exemple" du Monde
[Mise en ligne le jeudi 18 décembre 2003 sur le site d'Action-CRItique-MEDias [Acrimed] qui est, comme son nom l'indique, est une association de critique des médias qui se propose de se constituer en Observatoire des médias. Pour plus d'informations visitez leur site :
http://www.acrimed.org]
Le quotidien La Croix a licencié un journaliste qui mettait en cause dans un livre la couverture de la guerre en Irak par son journal, indique l'AFP le 17 décembre.
Dans son livre La guerre à outrances. Comment la presse nous a désinformés sur l'Irak, paru en octobre (Calmann-Lévy), Alain Hertoghe analyse le traitement par cinq quotidiens français (La Croix, Le Monde, Le Figaro, Libération et Ouest-France) des débuts de la guerre américaine en Irak (voir notre rubrique L'Irak et la guerre américaine).  " L'intéressé a confirmé à l'AFP avoir reçu lundi sa lettre de licenciement avec effet immédiat. Bruno Frappat, directeur du quotidien et directeur général du groupe Bayard, s'est refusé à tout commentaire. La réunion le 10 novembre d'une commission paritaire amiable n'a pas permis de trouver de solution, a-t-on appris de sources concordantes. " " En octobre, Le Monde a licencié son chroniqueur Daniel Schneidermann en raison des critiques contre le quotidien contenues dans son ouvrage Le Cauchemar médiatique (Denoël) " (voir notre rubrique Les suites visibles de "la face cachée"). Bruno Frappat est ancien directeur de la rédaction du Monde (lire Les coulisses de la conquête du Monde). A l'heure où nous mettons en ligne [18/12/2003]  ni les organisations de journalistes ni Reporters sans frontières n'ont encore réagi.
                                                       
Réseau

                                          
1. Communiqué de presse de l'UNRWA : Confrontée aux restrictions imposées par les autorités israéliennes, l'UNRWA suspend la distribution d'aide alimentaire dans la Bande de Gaza (1er avril 2004)
(Adapté de l’anglais) GAZA, 1er avril 2004 (UNRWA) – L’Office de secours et de travaux des Nations Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) a interrompu aujourd’hui la distribution d’aide alimentaire à près de 600 000 réfugiés dans la bande de Gaza, soit la moitié du nombre de réfugiés qu’elle assiste dans le Territoire palestinien occupé.  Cette décision fait suite aux restrictions imposées par les autorités israéliennes aux points de passage par lesquels l’UNRWA achemine cette aide humanitaire tandis que les stocks de riz, de farine, d’huile et d’autres aliments essentiels fournis depuis 42 mois par l’UNRWA aux réfugiés touchés par la pauvreté ou affectés par la crise humanitaire sont totalement épuisés.
Les démarches visant à convaincre les autorités israéliennes de lever les restrictions imposées au transport des containers vides de l’UNRWA hors de Gaza ont échoué à ce jour, forçant l’UNRWA à suspendre la fourniture à Gaza de près de 11 000 tonnes de nourriture depuis le Port d’Ashdod afin d’éviter un goulet d’étranglement qui résulterait dans une hausse prohibitive des coûts.  En période normale, l’UNRWA fournit quelques 250 tonnes de nourriture par jour à Gaza, parallèlement à un programme d’assistance à l’ensemble des réfugiés en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.  Toutes les agences des Nations Unies opérant dans la bande de Gaza et en Cisjordanie sont confrontées à la même situation et ont appelé, dans un communiqué conjoint publié le 26 mars, le Gouvernement israélien à lever ces restrictions, mais en vain.
- Pour plus d’informations, contacter Christer Nordahl au tel: 08-677-7266 ou Sami Mshasha au tel: 050-317-094. [PAL/1977]
                           
2. Les Arabes et la Maison de Verre - Lettre au Président George W. Bush par Eyad El-Sarraj (Mars 2003)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Mr. George W. Bush, Président des Etats-Unis d’Amérique - The White House - Washington DC - USA - Monsieur le Président - Je soutiens totalement votre vision et votre initiative pour un Nouveau Moyen-Orient. Cela serait vraiment génial, si nous nous débarrassions de tous les dictateurs, rois ou présidents, des pays arabes. Quel beau rêve de penser qu’un jour, nous connaîtrons la démocratie et le respect des droits de l’Homme, dans le cadre de l’état de droit. Les pays arabes – en quasi totalité – sont très en retard sur le reste du monde. Le manque de démocratie est une des causes de la violence et du terrorisme.
Oui, Monsieur le Président, cela serait un vrai miracle, si nous nous levions, un jour, et que nous ne trouvions plus de prisonniers politiques, plus de torture, plus de cours martiales, mais, au contraire, un respect total des lois et des traités internationaux.
Cela représenterait, à n’en pas douter, un énorme pas en avant sur la voie de la civilisation et du progrès.
Si certains hommes politiques arabes ont peur des réformes, c’est parce qu’elles signifieraient pour eux leur destitution du pouvoir, et peut-être leur banqueroute personnelle, sinon leur condamnation à la prison. Aussi font-ils flèche de tout bois, pour refuser ces réformes, en usant, par exemple, de l’argutie que « des réformes ne sauraient nous être imposées de l’extérieur ».
Personne ne suggère que des réformes nous soient imposées de l’extérieur. Ils devraient écouter les conseils d’amis tels que vous. Je suis sûr que vous aussi, vous seriez à l’écoute de leurs conseils, si toutefois ils en avaient à vous offrir.
Eh bien, moi, Monsieur le Président, j’ai un petit conseil à votre intention :
Tout d’abord, il est absolument vital que vous traitiez les Arabes en partenaires et non pas simplement en gêneurs vivant sur vos réserves pétrolières.
Pourquoi ne nous donneriez-vous pas l’exemple, en réformant la politique extérieure des Etats-Unis ?
Ne serait-ce pas bel et bon, si l’Amérique montrait plus de respect pour les droits de l’homme, à Guantanamo et ailleurs ?
Cela ne serait-il pas merveilleux, si l’Amérique se mettait à faire preuve de respect pour la légalité internationale, y compris pour les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU et si elle ratifiait les traités sur la protection de l’environnement ?
Cela ne serait-il pas un encouragement, si l’Amérique cessait d’être l’un des éléments d’une minorité composée de deux Etats, sur la scène internationale – l’Amérique elle-même, et Israël – qui s’oppose en permanence au reste du monde ?
Cela n’ouvrirait-il pas de nouvelles possibilités, si l’Amérique commençait à faire montre d’un peu d’honnêteté, en demandant à Israël de mettre un terme à ses quatre décennies d’occupation de la Palestine et d’ouvrir ses portes à l’inspection de ses monceaux d’armes de destruction massive – à défaut de quoi, l’Amérique envisagerait de prendre des sanctions à son égard, voire même de lui faire la guerre ?
Monsieur le Président, en vous engageant sur cette voie, je suis certain que vous donnerez un exemple irrésistible aux Arabes et au reste du monde. Après tout, nous sommes tous amis, et personne n’impose quoi que ce soit à personne.
Enfin, Monsieur le Président, laissez-moi vous confier un proverbe populaire arabe. Ce proverbe dit : « Celui qui vit dans une maison de verre, qu’il ne jette pas la pierre aux autres ! ». Je suis sûr que vous me comprenez… Sincèrement, Dr. Eyad El Sarraj, Président du Conseil d’Orientation du GCMHP (Programme pour la santé mentale de la communauté de Gaza) - Gaza / Palestine - http://www.gcmhp.net
NB : La présente est la deuxième missive que je vous envoie, et j’espère que, cette fois-ci, j’obtiendrai une réponse, bien que je comprenne parfaitement à quel point vous êtes occupé.
                           
3. Les enfants de Market Street par Silvia Cattori (27mars 2004)
En ce petit matin frisquet de mi décembre 2003 où je m'aventurais pour la première fois dans Market Street, j'étais loin de me douter, que dans les minutes qui suivraient, j'allais connaître les évènements les plus épouvantables de ma vie. Des évènements si traumatisants qu'il m'a fallu des mois avant de pouvoir les écrire.
Market Street est une petite rue, bordée d'échoppes toutes délabrées, toutes grêlées, qui coupe le camp de réfugiés de Balata en son milieu. Une rue bourdonnante d'enfants vifs, curieux, qui assaillent l'étranger, s'amusent à égrener les quelques mots d'anglais qu'ils possèdent : « What's your name ? Where you from ? ».
Les femmes faisaient leur marché, me souhaitaient gentiment « Salamalekum » (Que la paix soit avec vous), quand tout à coup, j'ai entendu des balles siffler au dessus des têtes, j'ai vu des grenades assourdissantes exploser tout autour et tous ces pauvres gens jetés brutalement dans l'horreur. Un renversement terrifiant.
Market Street si paisible et accueillante une seconde plus tôt, avait basculé dans l'horreur. Les petites filles s'enfuyaient à toutes jambes. Les petits garçons se précipitaient vers ces monstres d'acier qui crachaient des nuages de fumée noirâtre, criaient des « jais, jais ». Les mères couraient pour tenter d'attraper l'un ou l'autre d'entre eux par le collet, hurlaient : « Omar. Ahmed, Raed… ». Ces derniers, lancés comme des boules en feu, restaient sourds à leurs supplications. Auraient-ils voulu obéir, qu'ils ne le pouvaient pas. Défendre leur camp, défendre la dignité de leurs pères, frères, oncles, grands-pères, assassinés ou emprisonnés, était pour eux, comme un devoir, une absolue nécessité. La douleur des opprimés qui les rongeait se ravivait. Il fallait qu'ils y aillent. C'était plus fort qu'eux. C'était comme si un volcan intérieur avait été brusquement réveillé par l'irruption brutale des tanks.
Ces soldats étaient-ils fous ? Ils faisaient la guerre aux enfants, ils tiraient sur eux comme sur des pigeons, ils jetaient des bombes asphyxiantes par-dessous les maisons. Sans raison ! En face, il n'y avait pas l'ombre d'un combattant. Il n'y avait aucune justification à cette démonstration de force contre de pauvres gens déjà chassés de chez eux en 1948.
Ce que ces barbares enfermés dans leurs mastodontes venaient chercher dans une rue pleine d'enfants comme celle-ci, était aussi clair qu'invraisemblable. Le colonel de l'armée de l'air israélienne, Yiftah Sepctor, n'avait-il pas avoué un jour que les soldats envoyés dans les territoires palestiniens avaient la liberté de « tuer des enfants » ? Aller à la chasse d'enfants avec des armes de guerre, tirer des rafales de mitrailleuses contre des lances pierres, était-elle devenue une activité normale pour l'armée occupante ? Apparemment oui.
Foncer sur eux, reculer, ralentir, s'immobiliser… leurs manœuvres visaient clairement à attirer ces enfants innocents dans un piège mortel… Les harceler, les provoquer, jusqu'à les jeter dans cet état paroxystique où, hors d'eux-mêmes, ils ne comprenaient plus rien et se jetaient alors à l'assaut des blindés. Un jeu pervers et criminel entre une armée et des enfants. Si les plus âgés - entre douze et quatorze ans - étaient les premières cibles, les petits mômes de quatre ou cinq ans n'étaient pas épargnés. En ajustant leur arme, les soldats criaient par hauts parleurs : « Come on…come on… son of a bitch… » (Viens, viens, fils de pute).
Ces enfants ne savaient pas ce qu'ils faisaient. Les soldats, eux, savaient ce qu'ils devaient faire. Les allumer méthodiquement, les esquinter.
Ils fusillaient les enfants, ils humiliaient les parents ! Il y avait là un photographe palestinien qui, dans son obsession d'immortaliser cette violence du fort sur le faible, s'oubliait, allait se poster là où le danger était patent. Il y avait là aussi, à portée de tank, un vieillard prostré, assis à sa porte, comme devant le néant, comme fermé à ce qui se déroulait sous ses yeux. Plus en arrière, j'ai aperçu un marchand de légumes qui regardait ses tas d'oignons et d'oranges partir à vau l'eau, avec cet air d'hébétude des vaincus. Ces hommes n'étaient plus que l'ombre d'eux-mêmes. Des fantômes impuissants à défendre leur dignité bafouée. Une jeune femme, en robe traditionnelle bleu marine, les cheveux recouverts d'un foulard blanc, balayait le trottoir sans jamais regarder les « jais », comme s'ils n'existaient pas. Comme si, face à cette guerre abominable qui faisait violemment irruption dans son quotidien, elle résistait en restant là tout simplement pour leur signifier qu'elle était dans son droit, que quoi qu'ils fassent, elle ne partirait pas.
J'ai compté une vingtaine d'enfants blessés. A cet instant j'ai vu un garçon, la tête en sang, vriller, tomber inanimé au milieu d'une grande flaque d'eau sale. J'ai immédiatement reconnu en celui qui se penchait sur lui avec effroi, un frère jumeau. Les cris de douleur déchiraient les airs. Sous le choc, je suis tombée à genoux et j'ai pleuré d'impuissance. Il s'appelait Nour Emran. Il était à peine âgé de 12 ans. Il mourra quelques jours après, à l'hôpital Rafidia, sans être sorti du coma. Quant à son frère, après qu'il ait lancé un cailloux de rage contre la ferraille du tank, il a été blessé d'une balle dans le dos, alors qu'il était sur le point de s'enfuir.
Sous le feu des soldats qui tiraient sur les ambulances, les jeunes secouristes avaient la tache dure. L'un d'eux m'a lancé d'un air résigné : « C'est notre vie. » Devant mon incrédulité il a ajouté : « Vous n'avez encore rien vu… ils vont revenir. »
Quand les tirs se sont tus, Market Street ne se ressemblait plus. Les enfants étaient hagards, en état de choc. Ils regardaient autour d'eux, sans comprendre.
Tirer sur des enfants ce sont des crimes odieux, ce sont des meurtres. Il faut que cela soit dit en toute clarté. Balata Camp est une grande prison - qui enferme 35 000 âmes, dont plus de la moitié sont des enfants - entourée de collines que les colonies juives et les casernes militaires israéliennes qui y ont été installées par l'Etat d'Israël, ont complètement défiguré. Depuis les hauteurs, ces occupants illégaux exercent leur domination sur les Palestiniens. A toute heure du jour et de la nuit ils peuvent activer leurs canons, tuer des civils, détruire des maisons. Tout cela est inacceptable.
Ce peuple qu'Israël diabolise et terrorise nous nous devons de le protéger. Il faut le crier sans fin, en espérant que cela finira par attirer l'attention du monde.
Ces Palestiniens écrasés qui nous accueillent en nous souhaitant « Salamalekum » ont droit eux aussi à la sécurité, à la paix et à la justice. [www.ism-suisse.org]
                           
4. Qui sème le vent... par l'Association des Travailleurs Maghrébins de France et l'Union Juive Française pour la Paix (23 mars 2004)
La stratégie d'assassinat décidée  par Israël depuis l'année 2000 a fait des centaines de victimes ciblées et "collatérales". Elle a été condamnée par tous les gouvernements démocratiques du monde  et par l'ONU comme contraire aux droits humains au droit international et aux principes généraux du droit. Avant de s'attaquer aux militants du Hamas ou du Jihad, le gouvernement israélien a pendant des mois ciblé soigneusement des militants palestiniens laïques et ardents défenseurs d'une paix négociée comme le Dr. Tabeth Tabeth en  décembre 2000, et Abu Ali Mustapha, en juillet 2000 : secrétaire général du FPLP  dont la stratégie de résistance était militaire, frapper l'armée et les colons dans les territoires, et opposée aux attentats contre des civils.
Ouzi Landau  ministre de la sécurité intérieure en Israël déclarait (le monde 14 décembre 2001) "  Je préfère un Hamas sans masque à une Autorité Palestinienne qui avance masquée. Alors les choses seront claires au moins ".Aujourd'hui les choses sont claires en effet : C'est la stratégie meurtrière et suicidaire du gouvernement Sharon qui est démasquée, au-delà de ce que représente le Cheikh Yassin   comme choix politique pour la résolution du conflit et comme méthode de résistance que nous ne pouvons accepter, le gouvernement Sharon a choisi en exécutant Cheikh Yassin le  chemin de la guerre totale entre Israéliens et Palestiniens.
Sa volonté de briser la résistance palestinienne par la force militaire a échoué : Des voies s'élèvent en Israël, y compris parmi les chefs des Services Secrets pour constater l'échec d'une politique purement militaire et préconiser la fin de l'occupation et la reprise des négociations comme le réclame l'Autorité En faisant passer l'affrontement au niveau religieux  il revendique sa volonté de liquider toute chance de résolution politique à un conflit qu'il cherche depuis des mois à caractériser comme religieux  et ethnique, c'est-à-dire non négociable et porteur d'une guerre sans fin.
Au-delà du crime inadmissible comme procédé politique, de la part d'un gouvernement qui prétend stigmatiser le terrorisme, ce sont des peuples, et des populations que l'on tente de séparer définitivement mettant en oeuvre la politique  du " clash des civilisations " de Bush. Il est urgent de refuser radicalement la stratégie criminelle de ce gouvernement : pour la sécurité des Israéliens et des Palestiniens comme pour le reste du monde.
 Nos deux associations laïques et démocratiques plus que jamais  convaincues que les solutions des conflits entre   se trouvent dans la justice et  l'égalité des droits en appellent au président Chirac :
Par l'assassinat du Cheikh Yassin, dans le contexte de l'occupation, et des innombrables violations des droits humains qui la caractérisent le gouvernement israélien a choisi  une voie catastrophique qui risque de précipiter Israéliens et  Palestiniens dans un conflit religieux c'est-à-dire total. Nous attendons du gouvernement français :
-Qu'il refuse de recevoir le terroriste meurtrier qui dirige aujourd'hui Israël.
-Qu'il dénonce immédiatement l'accord d'association d'Israël avec Europe,  au sein de la Commission Exécutive. Ne pas dénoncer cet accord pour l'Europe signerait  aujourd'hui sa complicité  dans toutes les violations des droits humains  perpétrées  et dans la catastrophe annoncée.
-Qu'il appelle à la constitution d'une force internationale de protection du peuple palestinien.
-Qu'il exige avec l'Europe  la reprise immédiate des négociations  avec une médiation européenne.
Nous appelons tous les militants et associations à nous rejoindre dans cet appel au président de la République.
[Association des Travailleurs Maghrébins de France - 10, rue Affre  - 75018 Paris - Tél : 01.42.55.91.82 - Fax : 01.42.52.60.61 - Site : www.atmf.org / Union Juive Française pour la Paix - BP 102 - 75960 Paris Cedex 20 - Tél : 01.42.02.59.76 - Email : ujfp@filnet.fr]
                                       
5. Lettre d’un prisonnier à la Star Académie par Nimer Shaban (27 mars 2004)
[Cette lettre adressée à la Star Académie Libanaise, diffusée sur le site Arabs48, a été traduite de l'arabe vers l'anglais par Ghassan Andoni (ISM) et traduit en français par ISM - France http://www.ism-france.org.]
Chers étudiants de la Star Académie,
Je suis, moi aussi, un étudiant d’une académie de Palestine.
J’ai suivi de près votre programme et je me sens très près de vous.
Je pense vraiment que nous devrions échanger l'expérience et cela ne devrait pas vous blesser de faire une petite comparaison.
Dans mon académie, la prison d'Ashkilon, nous nous levons aussi tôt le matin; nous faisons l'exercice du matin dans une cour fermée, nous mangeons ensemble et nous apprenons ensemble selon des règles strictes imposées par l'administration de la prison (l’Académie).
Comme vous, nous sommes surveillés 24 heures sur 24 par des caméras installées dans chaque cellule et dans chaque coin tout autour.
Nous mangeons, nous faisons nos lits et lavons la vaiselle tout comme vous, pourtant il y a quelques différences que je vais mentionner.
Vous, avez décidé de votre plein gré de rester dans l'académie pendant quatre mois, nous sommes condamnés à rester ici pendant des années, la plupart d'entre nous n'a aucun indication sur la date à laquelle il pourra rentrer dans sa famille et vers ses amis, que ce soit dans un an, dans dix ans, ou jamais.
Vous êtes regroupés tous dans une seule académie, nous sommes répartis dans de nombreuses prisons : Shata et Jalamah dans le nord, Ramllah, Hadarim, et Telmond au centre, et Ashkilon, Nafha, et Ber Sheva dans le sud.
Tout comme vous détestez être choisis comme nominés, nous sommes enthousiastes de voir un détenu rentrer à la maison et nous espérons qu’il/elle ne reviendra jamais.
A la place de votre formation vocale, nous protestons en criant "Dieu est Grand" et nous recevons du gaz lacrimogène.
Votre événement principal est les primaires du vendredi, nos journées sont toutes semblables, en particulier parce que nous ne sommes pas autorisés à recevoir les visites de nos familles depuis de nombreuses années.
Vos familles apprécient les vols longue distance confortables pour vous rendre visite, nos familles qui vivent à quelques kilomètres ne peuvent pas traverser le mur de Séparation ou même les plus petits checkpoints militaires.
Vous fêtez le jour de la St Valentin, nous fêtons le jour du prisonnier. Le vôtre est plus important et plus célèbre, le nôtre est la plupart du temps virtuel.
Vous recevez la visite d’artistes, nous recevons la visite d’avocats et des représentants du Croissant Rouge.
Vous avez un patron (Mohammed), nous avons un représentant des prisonniers du même nom.
Vous pouvez être punis en n'étant pas autorisés à appeler votre famille, à recevoir des visiteurs, ou à recevoir des cadeaux : tout cela nous est déjà refusé sans même être punis.
Notre punition va de la privation de télévision à l'emprisonnement solitaire dans des petites cellules noires.
Pour perdre du poids vous faites un régime, pour faire la même chose, nous faisons des grèves de la faim.
Nous quittons l'académie seulement pour les tribunaux militaires et nous revenons la plupart du temps avec encore plus d'années de prison à faire, notre "regard" change définitivement tout comme le vôtre.
Votre académie est sponsorisée par NesCafé et LBC, la nôtre par l’administration de la prison, le Shabak (Service de Renseignements israéliens) et la police.
Vous souffrez d'ennui et de solitude; nous souffrons de surpopulation puisque des dizaines d’autres sont arrêtés chaque jour.
Je pense que vous chantez pour nous et que nous nous sacrifions pour vous.
Vous recevez des messages SMS et nous envoyons des SOS.
Vous signez des autographes à vos fans, nous signons nos noms sur les murs de la prison.
Pour qui chantez-vous ? Pour qui nous sacrifions-nous ?
Pour plus d’informations, demandez aux prisonniers libérés. Bien à vous, Nimer Shaban - Prison israélienne d’Ashkelon
                                       
6. Sharon, fourrier de l’ hyperterrorisme par Gilles Munier (23 mars 2004)
Une dizaine de jours après l’assassinat par les Américains - ou par des supplétifs israéliens très présents en Irak - d’Abou Abbas, chef du Front de Libération de la Palestine, dans une prison de Bagdad (AFI n°24), Ariel Sharon a ordonné la « liquidation » de Cheikh Ahmed Yassine qu’il avait raté il y a quelques mois.
En septembre 2003, le leader du Hamas avait survécu miraculeusement à l’explosion d’une bombe larguée par un F16 israélien sur l’immeuble de Gaza où il vivait. Lundi 22 mars, il a été tué avec ses gardes du corps par trois roquettes tirées par des hélicoptères, à 5 heures du matin, en sortant sur sa chaise roulante de la mosquée  où ils avaient rempli ses obligations religieuses.
Les ministres des Affaires étrangères de 25 pays de l’Union Européenne, réunis le 22 mars à Bruxelles, n’ont pas hésité à parler d’ « assassinat » qui, pour Dominique de Villepin, va « alimenter la spirale de la violence ».  Même si aucun ne l’a dit officiellement, beaucoup de responsables politiques occidentaux sont conscients que, cette fois, les représailles ne se limiteront pas aux frontières de la Palestine historique.
Acte insensé
Abdel Aziz Rantisi, un des dirigeants du Hamas qui a échappé de justesse à un raid d’hélicoptères israéliens  en juin 2003, a désigné les Etats-Unis comme cible de son organisation. Pour lui, Israël ne se serait pas permis de tuer Cheikh Yassine si « l’administration terroriste américaine » n’y avait pas consentie.  Fait nouveau : Hamas demande en conséquence aux musulmans du monde de l’aider à venger le crime. Même réaction du la Brigade Abou Afs Al-Masri qui a revendiqué les attentats de Madrid et qui désigne l’ennemi américain : « parce que Cheikh Yassine a été tué avec de l’argent, des missiles et un soutien politique et médiatique américains ».  Aussi, quand le Hamas dit que « celui qui a pris la décision d’assassiner Cheikh Yassine, a en fait décider de tuer des centaines de sionistes », on imagine que des objectifs israéliens ou pro-israéliens seront visés un peu partout dans le monde.
Vu du bureau de Yasser Arafat, l’assassinat de Cheikh Yassine est un acte insensé, criminel, mais mûrement réfléchi. Ariel Sharon savait ce qu’il faisait en « liquidant » un des derniers leaders palestiniens encore capable de canaliser l’ardeur des militants vers des objectifs purement nationaux. Le chef du Likoud avait également constaté qu’il ne suffisait plus de crier à une soi-disant renaissance de l’antisémitisme pour ressouder les communautés juives derrière Israël. Il fallait aussi qu’il « ouvre grand la porte du chaos », comme l’a dit Ahmed Qoreï, , Premier ministre palestinien, afin que les juifs du monde ne dorment plus sur leurs deux oreilles et que les Occidentaux soutiennent aussi  les ultra-sionistes dans la croisade lancée par les néo-conservateurs américains contre l’islam.
Meurtrier à grande échelle
Tandis que Wlodimierz Cimoszewicz, ministre polonais des Affaires étrangères, faisait remarquer à Bruxelles que « l’image d’une personne clouée dans une chaise roulante tuée par un missile n’est probablement pas la meilleure manière de promouvoir la sécurité d’Israël », Ariel Sharon accusait Cheikh Yassine d’être était un « hyperterroriste » , un « meurtrier à grande échelle ».  Il aurait dû plutôt se regarder avant dans une glace ou se remémorer le massacre de Sabra et Chatila. Ce n’est pas en mettant la planète à feu et à sang qu’il évitera de rendre les territoires occupés ou qu’il enracinera définitivement Israël au Proche-Orient. Au contraire, sa folle stratégie donne du crédit à une analyse du chef spirituel du Hamas qui pensait que l’Etat hébreu disparaîtra à l’horizon 2025.
[Contact : Amitiés Franco-Irakiennes / Gilles Munier - Email : gilmun@club-internet.fr - Fax : 02 23 20 96 58 - Site : http://iraqtual.com]
                               
Revue de presse

                                                             
1. Les bandes armées font la loi à Naplouse - Bouclée par l'armée israélienne, la ville témoigne de l'effondrement de l'Autorité palestinienne par Patrick Saint-Paul
in Le Figaro du samedi 3 avril 2004
Naplouse : de notre envoyé spécial - Le maire de Naplouse ne sort jamais sans ses molosses en armes engoncés dans leurs blousons de cuir. Hassan Shakah ne se sent plus en sécurité nulle part dans sa cité, naufragée par trois ans et demi d'intifada. Autrefois, la plus grande ville de Cisjordanie, avec ses deux cent mille habitants, était le poumon économique des Palestiniens. Aujourd'hui, elle est un concentré de tous leurs problèmes. Considérée par l'armée israélienne comme le «centre de la terreur palestinienne», Naplouse est soumise à un régime de bouclages et d'incursions israéliennes particulièrement sévère. Résultat : la ville se décompose de l'intérieur. Rongée par le chômage et la corruption, minée par les rivalités politiques, incapable d'offrir la sécurité à ses citoyens, Naplouse est passée sous la coupe des gangs armés.
La ville compte 70% de chômeurs, selon son gouverneur Mahmoud Alloul. Elle est au bord de la faillite. Impuissante, l'Autorité palestinienne y a abdiqué, à l'image du maire de Naplouse. Hassan Shakah a présenté sa démission à Yasser Arafat le mois dernier pour protester contre le chaos qui règne à Naplouse. «Le siège de la ville et les incursions israéliennes ont détruit la société, l'économie et la situation sécuritaire, résume Hassan Shakah. Les Israéliens interdisent à nos policiers de porter des armes, permettant ainsi à des bandes armées de prendre le contrôle des rues.»
Trois ans et demi d'encerclement et d'opérations de Tsahal ont laissé la ville en ruine. Les bandes armées imposent leur loi sur ses décombres. Elles rackettent les commerçants et les citoyens ordinaires. Des femmes sont violées sans que les coupables ne soient inquiétés. Les assassins courent les rues. Depuis le début de l'intifada, 34 meurtres inter-palestiniens ont été commis à Naplouse, selon le maire, sans qu'un seul tueur n'ait pu être interpellé. Il y a quelques semaines, une mère a été abattue parce qu'un gang armé refusait que sa fille épouse l'homme qu'elle avait choisi. Après l'assassinat de la mère, la fille s'est mariée avec celui que les criminels lui ont désigné. Le frère de Hassan Shakah a été assassiné, fin décembre, dans une embuscade dont le maire était la cible.
«Il n'y a pas d'enquête, pas de justice, des milliers de cas non résolus par des tribunaux sans juges. Et l'Autorité palestinienne ne fait rien, accuse le maire. Pourtant c'est son devoir. Les gens obéissent à Arafat, mais ils lui mentent. Ses conseillers lui ont fait croire que 30 meurtres ont été commis à Naplouse et que 27 assassins croupissent derrière les barreaux. Pourtant la ville compte 1 300 policiers et 4 000 membres des forces de sécurité au total. Avec 4 000 hommes, même sans armes, on peut faire quelque chose pour protéger les gens. C'est une question de volonté. Ma démission est un cri d'alarme. Si rien ne change je quitterai mes fonctions le 1er mai.»
A Naplouse, encore plus qu'ailleurs dans les Territoires palestiniens, le soutien à l'Autorité palestinienne, paralysée par les incursions israéliennes et les problèmes financiers, s'effrite chaque jour. Selon une étude conduite récemment par un centre de recherche palestinien, 54% des Palestiniens estiment que l'Autorité palestinienne n'existe déjà plus en réalité. Au bord de la banqueroute, l'Autorité traîne des pieds pour mettre en oeuvre les réformes indispensables à sa survie financière et au retour de l'aide internationale.
L'Autorité palestinienne a été créée après les accords d'Oslo de 1994, pour gouverner les zones sous contrôle palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Parmi ses responsabilités figurait l'obligation de mettre en place une police pour contrôler les Territoires palestiniens. Elle devait à la fois protéger les citoyens et combattre les groupes de militants armés pour empêcher les attaques contre Israël. L'Autorité a été placée dans la position intenable de sous-traitant pour la sécurité d'Israël alors que les implantations juives se développaient dans les territoires censés passer sous contrôle palestinien.
A Naplouse, pour de nombreux habitants, le maire, qui représente l'Autorité palestinienne de Yasser Arafat, fait partie du problème. «Le maire fait du cinéma pour qu'on le retienne, estime un marchand de légumes. Il a mis de la colle forte sur son fauteuil et il n'est pas près de partir. Shakah est parti de zéro et maintenant il est l'homme le plus riche en ville. Pourquoi renoncerait-il à tout ça ?» Beaucoup de citoyens considèrent les groupes armés, qui résistent à «l'occupation israélienne» et inquiètent Hassan Shakah, comme des Robins des bois.
«Le maire a détourné l'argent de la municipalité, raconte un adjoint de Naïf Sharekh, le chef des brigades des martyrs d'al-Aqsa à Naplouse. S'il n'était pas aussi corrompu, il pourrait aller acheter des tomates au marché sans avoir peur. Il paie ses gardes du corps 200 000 shekels par mois (40 000 euros). C'est une vraie milice. Au départ nous ne voulions pas nous mêler de ces affaires, car notre priorité c'est de lutter contre l'oppression israélienne. Mais finalement nous sommes obligés.» Lorsqu'un conflit oppose des citoyens au maire, ils se tournent vers les groupes armés qui leur offrent une «protection». «L'électricité ici est la plus chère de toute la Cisjordanie, poursuit le militant des brigades. Les gens n'ont pas d'argent pour payer. Lorsque le maire envoie ses hommes pour leur couper le courant, nous envoyons un groupe pour protéger les citoyens et empêcher la coupure.»
Naplouse est devenue un petit Chicago. Le gouverneur de la ville, rival politique du maire, range son pistolet dans un tiroir en entrant dans son bureau. Contrairement au maire, Mahmoud Alloul en impose dans les rues de Naplouse : il a gagné ses galons de résistant lorsque son fils a été tué par des soldats israéliens au cours d'une manifestation. «Mais on ne sait jamais, dit-il. Il vaut mieux être sur ses gardes, on n'est pas à l'abri d'un traître ou d'un collabo. Je prends aussi le pistolet pour lutter contre les occupants.»
L'Autorité palestinienne est incapable d'élaborer une réponse politique pour contrer Israël. 30% de Palestiniens vont jusqu'à dire qu'il serait dans «l'intérêt national» de la dissoudre, pour forcer l'État hébreu à assumer le fardeau palestinien.
                           
2. L’assassinat d’un journaliste, en Irak par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britannique) du samedi 3 avril 2004
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

J’ai passé la matinée, hier, dans une maison de Bagdad, assis en compagnie d’un pauvre vieux et de sa fille : ils pleuraient leur fils et frère adoré, tué par des militaires américains. Maintenant, vous allez me demander pourquoi je n’écris pas au sujet de Faloujah et des atrocités qui s’y sont déroulées, voici trois jours de cela : le meurtre cruel et atroce de quatre Américains, qui furent extirpés, alors qu’ils imploraient qu’on leur laissât la vie sauve, de leurs deux voitures de fonction, brûlés, mutilés, leurs cadavres étant traînés dans les rues, puis pendus, nus – je n’ose pas dire : leurs cadavres, mais ce qui restait de leurs cadavres – au parapet d’un vieux pont rouillé enjambant l’Euphrate, vestige des British Railways. La réponse est simple. Le proconsul étatsunien Paul Bremer a qualifié leur mort de « barbare et inexcusable ». Paul Bremer a certes raison. Mais leur mort n’a rien d’inexplicable.
Ce vieil homme effondré s’appelle Abdul-Aziz Al-Amaïri, et sa fille se prénomme Sundus. Leur fils et frère était journaliste, plus exactement cameraman. Tout ce que j’ai vu de lui, ce sont des lambeaux de son cerveau, sur le siège arrière de la voiture dans laquelle lui, Ali Abdul Aziz, et son collègue reporter, Ali al-Khatib, ont été abattus par des troupes américaines, il y a tout juste deux semaines. C’est parce que j’ai failli, personnellement, perdre la vie, sur une frontière de l’Afghanistan, en décembre 2001, que je me suis particulièrement intéressé à ces pauvres gens – et à ce qui leur était advenu. Eux aussi, c’étaient des journalistes…
Alors, voici quelques faits. Il y a deux jeudis de cela, un missile s’écrasait sur un hôtel, au sud de Bagdad. La chaîne de télévision arabe flambant neuve, Arabia, envoya une équipe pour couvrir cet incident. Les deux Ali arrivèrent sur les lieux de l’attaque, avec leur chauffeur, Abu Mariam, qui arrêta leur voiture à environ deux cent cinquante mètres, et alla parler aux soldats US qui barraient la route. Ils les informèrent qu’ils pourraient filmer, mais qu’ils n’étaient pas autorisés à faire des prises de vue debout (des "stand-uppers », en jargon journalistique) : ils ne pouvaient donc pas filmer leur reporter, avec le bâtiment détruit en arrière-fond. Ils terminèrent leur reportage, regagnèrent leur véhicule et s’apprêtèrent à repartir.
Mais, tandis qu’ils s’apprêtaient à démarrer, un Irakien âgé de soixante-sept ans, Tariq Abdul-Ghani, descendait la rue avec sa Volvo en direction du barrage militaire américain, sans imaginer qu’il commettait une quelconque infraction. Il termina sa course dans une grêle de balles américaines. Sa famille – avec laquelle j’ai aussi parlé, longuement – m’a dit qu’il a eu le corps transpercé de trente six balles. La Volvo alla s’écraser sur un des véhicules américains. La veuve et le fils de Tariq disent qu’il était impossible qu’il ait vu le checkpoint américain. Les deux reporters et leur chauffeur Abu Mariam étaient à cent vingt mètres du drame. Ali al-Khatib, le reporter, dit à Abu Mariam de ne pas suivre la Volvo, mais au contraire de faire demi-tour en traversant le terre-plein central et de repartir en sens inverse.
Abu Mariam obtempéra. « Nous avons traversé le terre-plein central et nous avons commencé à nous éloigner des Américains, en sens contraire », dit-il. « Nous étions déjà assez loin quand une balle a atteint notre voiture. Puis les balles se mirent à défiler, à travers la vitre arrière. Le cameraman a été atteint à la tête, puis Ali al-Khatib, le reporter, a appuyé soudain sa tête sur mon épaule, en disant :  « Abu Mariam !… ». J’ai obliqué à droite. Nos collègues d’Al-Arabia m’ont appelé au téléphone, demandant : « Que se passe-t-il ? ». J’ai répondu : « Allez vous faire voir ! Il faut que je trouve un hôpital – je ne sais pas où est le plus proche ! » Je les ai emmenés à l’hôpital Ibn al-Nafis. Ali al-Amaïri était mort, avant qu’on l’atteigne. L’autre Ali est mort le lendemain. »
Trois civils de plus venaient ainsi de mourir dans l’Irak « libéré ». La chaîne Arabia répliqua avec fureur. Ils exigèrent que les Américains fassent une enquête, et ils décorèrent leur bureau central à Bagdad avec des posters de deuil. Au début, les Américains ont déclaré qu’ils ne pouvaient avoir tué le reporter et son cameraman. Les deux avaient été tués par une seule balle dans la tête. Comment était-il possible que des soldats américains aient pu, d’une telle distance, tirer avec une précision telle qu’ils aient pu tuer deux hommes d’une seule balle dans la tête ?
Bravo, les mecs ! Elémentaire, mon cher Watson !
C’est ainsi qu’en compagnie du fils du chauffeur de la Volvo, Ali Tariq al-Hashimi, nous nous sommes rendus au commissariat de police où il désirait enregistrer le décès de son père. Le commissaire irakien du poste de police du quartier de Mesbah était poli, sympathique : il nous montra les documents relatifs à l’incident. Le fils du conducteur de la Volvo demanda ce qu’étaient devenus et la voiture et ce qu’il y avait dedans. « Vous devez aller demander ça aux Américains », lui fut-il répondu.
« La base américaine, j’y suis déjà allé. Elle est située dans le palais présidentiel », me dit-il. « Ils ont dit que je ne pourrai pas récupérer la voiture. J’ai demandé le portefeuille de mon père, son argent, sa montre bracelet et son alliance. Le soldat était au téléphone. Il me dit : « Oublie donc cette bagnole – pourquoi insistes-tu ? » Je lui ai dit que je voulais l’installer dans mon jardin, parce que j’y voyais un symbole de la mort de mon père. Il était sympa. Il a baissé la tête et il m’a serré la main, en me disant à quel point il était désolé. »
Plus dérangeants encore furent les propos du commissaire du quartier Mesbah. Il me dit que, peu après l’incident, des soldats américains sont venus dans son commissariat et ils ont fini de casser la vitre arrière de la Volvo, pour qu’il n’y ait plus aucune trace des impacts des balles mortelles. C’était horrible : il y avait encore des débris du cerveau d’Ali al-Amaïri sur le siège arrière. Mais, dominant mon horreur, je suis monté dans le véhicule, et j’ai pu recenser neuf trous à travers les sièges arrière et le pare-brise.
Quelques jours après, les Américains avaient une autre version de la tuerie. La Volvo se serait approchée du checkpoint à grande vitesse ; les soldats auraient cru qu’ils étaient attaqués, ils auraient tiré sur le véhicule et certaines de leurs balles pourraient avoir atteint la voiture d’Al-Arabia tandis qu’elle s’éloignait à grande vitesse. Les soldats américains n’auraient pas su qu’ils avaient atteint les journalistes. Les Américains admettaient leur responsabilité, mais affirmaient qu’ils n’avaient pas tiré délibérément.
Hmmm. Reste un petit problème… Si les journalistes ont fait demi-tour, traversant le terre-plein central, c’est parce que leur Volvo était prise pour cible. Ils n’ont pas fait demi-tour avant qu’on leur tire dessus. Alors, comment pourraient-ils avoir été atteints par les mêmes rafales qui avaient tué Tariq Abdul-Ghani, l’Irakien de soixante-sept ans, lequel était déjà mort quand ils ont pris la décision de partir ? Et pourquoi des soldats américains sont-ils venus finir de casser la vitre arrière de la Volvo, plusieurs heures après, parce que les trous laissés par les balles auraient pu prouver combien de rafales avaient été tirées sur la voiture ?
Hier matin, de retour dans le salon de la famille. Le vieux Abdul-Aziz pleurait, et sa fille – Sundus, sœur du cameraman disparu Ali – pleurait, elle aussi. « Les Américains sont venus nous libérer – et ils nous ont tué notre Ali. La dernière fois où nous l’avons vu, il nous a dit qu’il allait bien… Mais, ensuite, il n’a pas franchi le portail de la maison. Il est revenu, il a demandé à son père de l’embrasser, et il a embrassé notre père trois fois. Il nous a téléphoné quelques minutes avant de partir pour son dernier reportage. Il nous a dit que tout irait bien. »
Et voilà : trois familles de plus – des Irakiens honnêtes, dignes, cultivés et croyant en la même liberté et en la même démocratie auxquelles nous croyons, nous Occidentaux – sont aujourd’hui en colère contre l’occupation américaine de l’Irak. « Je n’avais qu’un frère, et les Américains nous l’ont pris. Où puis-je trouver un autre frère ? » s’écria Sundus. Ali al-Amaïri était marié, sans enfant. Son collègue reporter n’était marié que depuis quatre mois. Sa femme attend un enfant. Le conducteur de la Volvo, Abdul-Ghani, laisse une veuve, son fils et ses trois filles. Tous m’ont offert le thé et l’assurance de leur amour de la paix et de l’amitié. Et tous haïssent l’occupation et les militaires américains.
Non. Je ne pense pas que cela puisse excuser la barbarie de Faloujah. Mais je comprend la haine inextinguible que ces Irakiens endeuillés ressentent. Les Américains, après tout, ont bien tué trois journalistes occidentaux, le 9 avril de l’année dernière, un cameraman devant la prison d’Abu Ghoraïb, quelques mois après, et encore un cameraman de la chaîne américaine ABC à Faloujah, la semaine dernière ? Et les deux Ali, le mois dernier. « Nous exprimons nos regrets, après la mort accidentelle des employés de la chaîne Arabia », ont déclaré les responsables militaires américains, au début de la semaine. Et voilà : c’est réglé.
Que pourrais-je ajouter ? Peut-être, comme j’ai pu l’écrire, après d’autres morts innocentes, en Bosnie, voici douze ans, devrais-je terminer chacun de mes reportages en Irak par ces mots : « Faites gaffe à vos gueules ! »
                       
3. Sharon n'exclut par l'élimination d'Arafat
Dépêche de l'Agence France Presse du vendredi 2 avril 2004, 16h13
 
JERUSALEM - Le Premier ministre israélien Ariel Sharon a laissé planer vendredi la menace d'une élimination physique du dirigeant palestinien Yasser Arafat dont Israël réclame déjà depuis plusieurs mois la mise à l'écart.
A Jérusalem-est, la police israélienne a assiégé durant une heure vendredi la Mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, troisième lieu saint de l'Islam, après des jets de pierres de jeunes Palestiniens, dont plusieurs ont été blessés et d'autres arrêtés.
La police israélienne a tiré des grenades lacrymogènes à l'intérieur de la Mosquée Al-Aqsa, le troisième lieu saint de l'Islam, où se trouvaient des centaines de jeunes Palestiniens. Les policiers ont tiré des grenades lacrymogènes, des grenades à souffle et des billes caoutchoutées sur des jeunes qui s'étaient réfugiés dans la mosquée, à la suite de heurts ponctués de jets de pierres.
Les forces de police déployées autour de la Mosquée ont dans un premier temps bloqué les entrées, tirant à travers les fenêtres, puis se sont retirées à quelques dizaines de mètres, laissant sortir les fidèles. La police a interpellé une quinzaine de jeunes au moins, selon une source policière.
Les fidèles juifs ont dû être éloignés du Mur des Lamentations, le principal lieu saint du judaïsme, en contrebas de l'esplanade, a indiqué un rabbin chargé du service.
En Cisjordanie, un jeune Palestinien a été tué vendredi par des tirs de l'armée israélienne lors d'affrontements à Bethléem, ont indiqué des sources médicales et des témoins.
Nassar Issa Hajahjeh, 16 ans, a été mortellement blessé par des balles à la tête et à la poitrine quand les soldats ont ouvert le feu sur des Palestiniens qui leur lançaient des pierres, selon les mêmes sources.
Ces tirs se sont produits près du tombeau de Rachel, qui constitue une enclave sous contrôle israélien. Ce lieu saint juif est ouvert par l'armée uniquement aux fidèles juifs.
Dans la bande de Gaza, un Palestinien a été tué lors d'une incursion de l'armée israélienne qui a commencé dans la nuit de jeudi à vendredi à Rafah (sud). Ces décès portent à 3.888 le nombre de tués depuis le début de l'Intifada fin septembre 2000, dont 2.922 Palestiniens et 897 Israéliens.
M. Sharon a affirmé que le Président de l'Autorité palestinienne "n'avait aucune assurance" sur la vie, n'excluant pas son élimination, dans plusieurs interviews vendredi à la presse israélienne. "Je ne proposerais à aucune compagnie d'assurance de l'assurer" sur sa vie, a déclaré M. Sharon au quotidien Haaretz. "Quiconque tue un juif ou frappe un citoyen israélien ou envoie quelqu'un tuer des juifs est un homme dont le sang retombera sur la tête", autrement dit qui sera responsable de sa propre mort, a ajouté M. Sharon.
L'Autorité palestinienne a aussitôt fustigé ces propos. "C'est une menace sérieuse et grave qui vise à torpiller le processus de paix", a déclaré Nabil Abou Roudeina, le principal conseiller de M. Arafat. Côté israélien, les commentateurs des radios estimaient plutôt ces propos étaient à usage interne, pour complaire à la base de son parti, le Likoud, avant un référendum du parti sur le plan de M. Sharon d'un retrait de Gaza. Le chef d'état-major, le général Moshé Yaalon, avait déjà laissé entendre le 23 mars que M. Arafat et le leader du Hezbollah libanais Hassan Nasrallah pourraient à leur tour être assassinés, au lendemain de la mort du chef spirituel du Hamas, cheikh Ahmad Yassine, victime d'un raid d'hélicoptères israéliens. M. Arafat est cerné depuis décembre 2001 par l'armée israélienne à Ramallah, en Cisjordanie. Le cabinet de sécurité israélien avait pris en septembre 2003 la décision de principe de se "débarrasser" de M. Arafat, sans préciser de quelle manière.
Sur le plan diplomatique, M. Sharon a tenté jeudi de rallier trois émissaires américains à son plan de retrait de la bande de Gaza, tandis que son homologue palestinien Ahmad Qoreï a demandé à ces diplomates de garantir que ce désengagement s'étendra à la Cisjordanie. Le plan de séparation unilatérale prévoit notamment le démantèlement de la plupart des colonies de la bande de Gaza et de quelques unes en Cisjordanie. M. Sharon espère que les quelques 200.000 membres de son parti, le Likoud, approuveront ce plan lors d'un référendum, à son retour de Washington où il doit se rendre en visite à la mi-avril. M. Sharon souhaiterait que le président américain George W. Bush reconnaisse par écrit l'annexion dans le cadre d'un futur règlement de trois grands blocs de colonies en Cisjordanie, fasse une déclaration niant le "droit au retour" (en Israël) des réfugiés palestiniens, et considère que sa lutte contre le Hamas s'intègre dans la "guerre mondiale contre le terrorisme".
                       
4. Vous avez besoin d’une force armée ? C’est très simple : téléphonez ! par Barry Yeaoman
in The New York Times (quotidien américain) du vendredi 2 avril 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

La société Blackwater USA, qui a perdu quatre soldats, lors du massacre perpétré le 31 mars à Falujah, en Irak, n’est qu’une compagnie privée, parmi bien d’autres qui se substituent aux soldats américains dans des zones de conflit.
Urham, Caroline du Nord - L’attaque meurtrière dont quatre civils américains ont été les victimes, à Falujah (Irak), a apporté « à la maison » des images insoutenables de corps calcinés pendouillant d’un pont sur l’Euphrate. Elle a également permis aux Américains de faire la connaissance d’une compagnie privée dont très peu de gens avaient entendu parler : Blackwater USA, laquelle était en train d’assurer la sécurité de convois acheminant de la nourriture à des soldats américains, lorsque ses employés tombèrent dans une embuscade.
Blackwater, qui opère depuis un terrain d’entraînement situé dans le marais de Great Dismal, en Caroline du Nord, est une compagnie privée militaire, fournissant un éventail de services qui relevaient, jadis, exclusivement de personnels militaires. Cette compagnie entraîne des soldats au contre-terrorisme et à la guérilla urbaine. Elle fournit également au gouvernement des soldats en location : d’anciens Bérets Verts, d’ex-Rangers de l’armée et des « phoques » de la Navy (= « Marines »). En février, elle a commencé à entraîner d’anciens commandos chiliens (dont certains ont servi dans l’armée chilienne du temps de la dictature Pinochet), à de futures missions en Irak.
Les affaires sont florissantes, pour Blackwater, et la compagnie est loin d’être la seule du genre. Les sous-traitants privés constituent en effet aujourd’hui une part invisible, mais croissante, des moyens de mener la guerre. Environ 10 000 de leurs employés sont actuellement d’active en Irak (où il y a environ un travailleur privé pour dix soldats) : ils sont donc plus nombreux que les soldats de l’armée britannique, pourtant premier partenaire des Etats-Unis dans la coalition. Certains sont envoyés par des entreprises bien connues, telle Halliburton. Mais, en grande partie, l’industrie militaire privée est dominée par des entreprises plus obscures, dont les noms semble d’ailleurs avoir été choisis afin d’en dire le moins possible sur leur activité.
Leur présence est loin de se limiter à l’Irak. Ces dernières années, les soldats-pour-le-profit ont servi au Libéria, au Pakistan, au Rwanda et en Bosnie. Ils ont assuré la garde rapprochée du président afghan Hamid Karzai, et construit les cellules militaires où sont emprisonnés les suspects d’Al-Qa’ida à Guantanamo Bay (Cuba). Ils représentent une part essentielle de la guerre américaine contre les drogues, en Amérique latine. Peter Singer, de la Brookings Institution, a consacré un livre à l’industrie militaire privée. Il y écrit que cette industrie réalise un chiffre d’affaires annuel d’environ 100 milliards de dollars.
Cette industrie a acquis sa vitesse de croisière sous la présidence H.W. Bush (Bush père) : Brown & Root, filiale d’Halliburton, a reçu un contrat de 9 millions de dollars afin d’étudier la fourniture de supplétifs militaires, après la guerre du Golfe. L’administration Clinton a augmenté la sous-traitance de la défense au privé, mais c’est sous le président actuel, adepte fervent des privatisations des services de l’Etat, que le phénomène est devenu flamboyant. Gary Jackson, PDG de Blackwater, envisage qu’un jour, tout pays confronté à une nécessité de maintenir la paix, fera tout simplement appel à lui et passera commande. « J’aspire à posséder un jour l’armée privée la plus nombreuse – et la plus professionnelle – au monde », m’a-t-il confié.
Voilà qui soulève quelques questions de bon sens. La guerre ne devrait-elle pas rester, dans tous les cas de figure, une prérogative gouvernementale ? Pourquoi s’en remettre au secteur privé pour notre défense nationale, même s’il s’agit d’un rôle, essentiellement, de soutien ? Une partie du raisonnement est pragmatique : depuis la fin de la guerre froide, les effectifs militaires des Etats-Unis se sont réduits, passant de 2,1 millions d’hommes en 1989 à 1,4 millions, aujourd’hui. Les partisans des privatisations arguent du fait qu’il n’y a pas assez de soldats pour fournir une présence (américaine) robuste autour du monde, et qu’en sous-traitant avec le privé, pour réparer des hélicos, entraîner des recrues ou faire la popote, le gouvernement pourra libérer des soldats à sa dévotion pour la lutte contre l’ennemi. (Bien entendu, sur le terrain, la limite entre les rôles de combattant et de non combattants est de plus en plus troublée, notamment en raison du fait que beaucoup des soldats privés sont, eux aussi, armés.) Les sous-traitants privés sont censés être moins coûteux, également . Mais leur rentabilité est loin d’avoir été démontrée.
Le manque d’hommes et les économies ne sont pas les seules raisons pour lesquelles ces compagnies séduisent le Pentagone. En tout premier lieu, le fait de substituer des sous-traitants à des soldats permet au gouvernement d’éviter que l’armée ne pâtisse de l’impopularité de certaines expéditions. D’après Myles Frechette, qui fut l’ambassadeur du président Clinton en Colombie, des compagnies privées américaines ont fait, en Amérique latine, un boulot qui aurait été politiquement inb.table pour les forces armées. Après tout, si le gouvernement ramenait dans des cercueils les corps de soldats depuis les champs de culture de la coca, les protestations de l’opinion publique seraient terribles. Et pourtant, ce sont plus de vingt sous-traitants privés qui ont été tués, dans la seule Colombie, depuis 1998… Leur mort est pratiquement passée inaperçue.
Voilà qui met le doigt sur le plus grand problème posé par le financement externe de la guerre : il a pour conséquence qu’il y a globalement beaucoup moins de comptes à rendre au public américain, et devant le droit international, que si de véritables troupes faisaient le travail. Dans les années 1990, plusieurs employés de la compagnie privée DynCorp ont été impliqués dans un scandale de trafic d’esclaves sexuels, en Bosnie, concernant notamment des filles tout juste âgées de douze ans. Ces hommes eussent-ils eu la qualité de soldats, ils auraient dû affronter un jugement en cour martiale. En tant qu’employés privés, leurs noms furent simplement mis sur la liste des passagers du premier avion assurant les retours en Amérique.
Réfléchissez-y : une société militaire privée peut décider de faire son paquetage pour toutes sortes de raisons, laissant des soldats et de l’équipement militaire américains vulnérables, exposés à une attaque ennemie. Si les soldats ne peuvent réellement pas mener une guerre sans disposer de sous-traitants, ils doivent au minimum disposer de politiques coulées dans le béton, sur ce qu’ils doivent faire au cas où leurs supplétifs privés enfreindraient les lois locales, voire quittaient le champ de bataille, en laissant les forces américaines se débrouiller, en plein feu de l’action.
Ce qui est arrivé à Falujah est une tragédie, quel que soit l’uniforme que ces hommes atrocement mutilés aient porté. Les sous-traitants privés sont considérés par les Irakiens comme faisant partie des occupants. Mais ils ne disposent pas de la logistique militaire, ni du soutien politique dont jouissent nos troupes de combat. Jusqu’ici, le Pentagone n’a pas apporté de preuve convaincante qu’il peut assumer la responsabilité pour les actes (ni garantir la sécurité) de ses soldats ressortissant au secteur privé.
                                   
5. La BBC accusée de parti pris envers Israël - Un reportage sur un kamikaze en puissance est estimé antisémite par Chris McGreal
in The Guardian (quotidien britannique) du jeudi 1er avril 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Jérusalem) - Le gouvernement israélien a écrit à la BBC, accusant sa correspondante au Moyen-Orient, Orla Guerin, d’antisémitisme et « d’identification totale avec les objectifs et les méthodes des groupes terroristes palestiniens », au sujet d’un reportage, diffusé la semaine dernière, sur un adolescent de seize ans, kamikaze en puissance.
Natan Sharansky, ministre israélien des Affaires de la diaspora, a protesté contre le fait que Mme Guerin ait présenté l’arrestation par l’armée israélienne du jeune Hussam Abdu, capturé avec une ceinture d’explosif autour de sa poitrine comme « la manipulation cynique d’un jeune Palestinien à des fins de propagande. » Il a déclaré que ce commentaire révélait « un parti pris profondément ancré contre Israël ».
La BBC a déclaré examiner cette plainte, la première formulée par le gouvernement israélien depuis qu’il a levé, à la fin de l’année dernière, le boycott qu’il imposait à la BBC afin de protester contre un documentaire sur les armes de destruction massive de l’Etat juif.
Mais la lettre du ministre israélien intervient à un moment où plusieurs organisations d’information internationales se plaignent de pressions gouvernementales croissantes, leur enjoignant de cesser toute couverture critique à l’égard d’Israël, ou au contraire de faire état de nouvelles dont Israël pense qu’elles aideront à faire passer dans l’opinion publique l’identification du conflit palestinien avec le terrorisme islamiste à l’échelle mondiale.
Des responsables officiels (israéliens) ont présenté aux éditeurs de programmes télévisés des dossiers concernant certains reporters, et ils ont montré du doigt certaines chaînes, telle Sky News, qui seraient, d’après eux, déterminées à nuire à Israël.
La presse de Tel Aviv a appelé à l’expulsion des correspondants de Sky News, du Times et de plusieurs quotidiens français, qui ont omis d’assurer la couverture d’une information pour laquelle le gouvernement israélien avait mobilisé ses ambassades dans le monde entier afin de s’assurer de sa diffusion dans les médias, le mois dernier.
Dans son reportage sur Hussam Abdu, la semaine dernière, Mme Guerin faisait noter le désir d’Israël d’obtenir un avantage de cette arrestation, en matière de relations publiques. Elle décrivait la manière dont l’armée avait « fait parader l’enfant devant les médias du monde entier », et faisait savoir que les journalistes, s’étant vu interdire de lui poser la moindre question, ne disposaient, par conséquent, que de la version donnée par l’armée au sujet de son arrestation.
Le ministre israélien proteste également contre la conclusion de Mme Guerin, qui disait, tandis que le jeune était contraint à rester seul, devant le checkpoint, livré aux photographes : « Visiblement, cette image, Israël veut que le monde entier la reçoive. »
Néanmoins, il est quasi indubitable que le gouvernement a vu dans l’arrestation de ce garçon une pépite de propagande d’une valeur considérable.
Les ambassades israéliennes, dans le monde entier, ont exhorté les journaux à parler de cette affaire, dans le cadre d’une campagne du gouvernement israélien visant à focaliser les projecteurs sur l’utilisation d’enfants palestiniens comme kamikazes potentiels.
Une semaine plus tôt, alors qu’un jeune garçon de douze ans, Abdullah Quran, avait été arrêté à un barrage militaire tandis qu’il transportait étourdiment des explosifs, les ambassades israéliennes avaient téléphoné aux rédactions des médias du monde entier, afin de les inciter à assurer la couverture de cette histoire, en les avertissant que toute mauvaise volonté de leur part serait considérée comme un parti pris anti-israélien.
Plusieurs médias ayant refusé d’en faire état, un quotidien israélien fit campagne afin que leurs correspondants soient expulsés d’Israël. Parmi eux, Emma Hurd, de Sky News, et Stephen Farrell, du Times.
Le gouvernement israélien a diffusé l’article dans le monde entier par courrier électronique et il l’a fait figurer sur les sites ouèbes israéliens officiels.
Gideon Meir, porte-parole principal du ministère israélien des Affaires étrangères, a déclaré que cette critique était légitime. « Sky News n’a pas couvert l’histoire avec Abdullah Quran. Mais, le lendemain, après que l’armée israélienne eut visé un terroriste du Djihad islamique avec un missile, immédiatement, Sky News diffusait sept ou huit minutes de reportage sur cet incident », a-t-il dit, concluant : « Ils n’ont pas couvert la première info, parce qu’elle ne collait pas à la propagande anti-israélienne des responsables de ces médias ».
En mars dernier, le ministre israélien des Affaires étrangères Silvan Shalom avait annulé une interview avec Adam Boulton, dans le cadre de Sky’s Sunday (émission du dimanche sur Sky News), après que ce talk-show ait refusé de supprimer l’apparition à l’écran du représentant palestinien à Londres.
Des sources internes à la CNN indiquent que cette chaîne a dû céder devant des pressions (israéliennes) considérables exercées sur ses responsables. Les officiels israéliens se vantent de ce que, désormais, il leur suffit d’appeler un numéro de téléphone au siège de la CNN, à Atlanta, pour voir retirée de la programmation toute histoire qui n’aurait pas l’heur de leur plaire.
Jerrold Kessel, un ancien correspondant de CNN au Moyen-Orient, qui était largement apprécié pour ses reportages informés et nuancés, a déclaré que, bien qu’il y ait eu, incontestablement, des pressions sur ses chefs de l’information pour exiger de lui qu’il modifie sa couverture du Moyen-Orient, il les avait toujours ignorées.
« Moins vous tenez compte des pressions, moins vous vous en attirez », a-t-il dit. « Dès lors que vous commenceriez à considérer que des pressions sont un facteur à prendre en compte, ça serait trop tard, car vous commenceriez à vous demander quel est l’effet désiré, à travers ces pressions ? »
                                   
6. Entretien avec Nadia Khamis, médecin au service des urgences à l’hôpital Al-Chifa à Gaza : "Les Israéliens veulent nous tuer à petit feu" propos recueillis par Randa Achmawi
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 31 mars 2004
Palestine . Nadia Khamis, médecin au service des urgences à l’hôpital Al-Chifa à Gaza, était parmi ceux qui ont accueilli les victimes de l'attentat qui a coûté la vie au cheikh Ahmad Yassine, le fondateur du Mouvement de la résistance islamique Hamas. Témoignage.  
- Al-Ahram Hebdo : Pourriez-vous décrire ce qui s’est passé le jour de l'assassinat du cheikh Ahmad Yassine ?
- Nadia Khamis : Nous savions qu’il y aura un raid israélien à cause du grand nombre d’avions qui volaient au-dessus de nos têtes. Ce jour-là, après la prière à l’aube, j’ai entendu l’explosion de trois missiles, puis deux minutes après il y a eu un bruit de feu, au point que nous avons tous pensé que les Israéliens étaient en train de réoccuper Gaza. C’est à ce moment-là que la télévision a annoncé que le cheikh Ahmad Yassine a été attaqué. Moi, comme d’ailleurs tout le monde à Gaza, je suis descendue dans la rue et j'ai couru à l’hôpital Al-Chifa. En arrivant, j’ai vu les victimes. Du cheikh Ahmad Yassine il ne restait plus grand-chose, son corps était complètement déchiqueté. Il n’était même plus reconnaissable. Et on peut dire la même chose pour les martyrs qui ont perdu la vie avec lui. Pour leur enterrement, on a dû ramasser des lambeaux de corps. Pour les fils du cheikh Yassine, Abdel-Ghani et Abdel-Hamid, ils ont été immédiatement admis en soins intensifs. L’état du premier s'est heureusement amélioré, mais le deuxième se trouve toujours aux soins intensifs, il souffre de fractures dans tout le corps.
L’enterrement était quelque chose d’indescriptible. Il y avait des centaines de milliers de personnes. Des hommes, des femmes et des enfants formaient une véritable masse humaine qui pleuraient ces pertes. Mais ce qui était ignoble, c’est que les Israéliens ne nous ont pas épargnés pendant notre douleur. Leurs appareils survolaient Gaza, même durant les funérailles.
- Qu'en est-il des autres blessés du raid israélien ?
- Pour les survivants, les blessures étaient extrêmement graves. On peut dire que même en cas de survie, ils resteront handicapés d’une manière ou d’une autre. On n’a pas ici les moyens de les traiter correctement. Et le pire, c’est qu’on ne peut pas les transférer à l’étranger pour être traités. Israël ne laisse pas sortir les malades, « pour des raisons de sécurité ».
- Quelle est la situation médicale à l’intérieur des territoires palestiniens ? Comment faites-vous pour traiter les blessés des offensives israéliennes ? Dans quelles conditions travaillez-vous ?
- On travaille dans des conditions très précaires. On n’a pas les moyens de travailler comme il faut. Il est tout d’abord difficile de trouver ce dont on a besoin en termes d’équipement et de médicaments. Et même quand on dispose de quelques moyens, ils sont toujours en deçà des besoins des gens ici. Lorsque par exemple un malade a besoin d’un traitement plus sophistiqué, il ne sait pas où aller. Ceci parce que les Israéliens nous empêchent l’accès aux moyens, soient-ils élémentaires ou rudimentaires, en terme de traitement médical.
- Quelles sont les blessures les plus communes que vous traitez quotidiennement ?
- Nous recevons quotidiennement des blessés de tous les coins de Gaza, comme Khan Younès et Rafah. Des enfants, des femmes ou des vieillards, d'habitude victimes des missiles qui ont détruit leurs maisons alors qu'ils se trouvaient chez eux. Pour cette raison, on reçoit des gens blessés à la tête, d'autres ont les yeux crevés, les jambes ou les bras arrachés. Dans d’autres cas, des personnes sont atteintes à la colonne vertébrale, ce qui cause inévitablement des paralysies. Il est rare de voir les victimes des agressions israéliennes sortir d’ici complètement guéries. Malheureusement, la plupart d’entre elles meurent ou sortent avec un handicap à vie.
- Pourriez-vous nous donner une estimation du nombre des blessés traités quotidiennement ?
- Il est très difficile de savoir. Cependant, on reçoit chaque jours des blessés et aussi des gens qui ont perdu la vue à la suite d’une attaque israélienne.
- Quel est le traitement que les forces d’occupation accordent aux ambulances et au personnel médical ?
- Lorsqu’il y a une attaque, par exemple, il est très dangereux pour les ambulances de s’approcher des lieux où il y a des blessés. Ceci parce que les forces d’occupation ne font pas de distinction et peuvent s’attaquer sans scrupule au personnel de secours, comme les ambulanciers, les infirmiers ou les médecins. Un grand nombre d’entre ceux-ci ont été tués pendant qu’ils exerçaient leur métier. Pour les Israéliens, ceci n’a pas d’importance. Ils n’ont aucun respect pour les médecins ou les infirmiers. Même pas pour les enfants ou les vieillards.
- Comment décrivez-vous l’état des hôpitaux ?
- Nous faisons tout ce qui est dans notre possible pour essayer d’améliorer la situation sur le plan technique. Je veux dire par là que nous essayons d’accompagner les évolutions dans le monde en matière de traitement médical. Nous entretenons des relations amicales avec des collègues et professionnels dans les pays les plus avancés. Nous participons régulièrement à des séminaires où l’on discute des techniques les plus avancées des soins médicaux. Donc, sur le plan humain et professionnel, nous essayons de faire correctement notre travail. Même si cela est très difficile vu les conditions. On nous empêche même l’accès aux médicaments qui nous sont destinés. Par exemple, lorsqu'on nous adresse des convois de médicaments, les soldats israéliens ne se gênent pas d’ouvrir du matériel stérilisé avec le seul objectif de tout abîmer. Ils gardent ces produits au soleil pendant des jours et des nuits avec le seul objectif de les rendre inutilisables. Ils sont en train de nous tuer à petit feu.
- Comment le siège et le blocus israéliens affectent le quotidien du travail médical ?
- Notre travail est bien sûr affecté par le siège. Le traitement est inévitablement défectueux. Les équipements médicaux ont besoin de maintenance en permanence. On a besoin des antibiotiques qui nous font défaut. Les gens ici sont tellement pauvres qu'ils ont à peine de quoi manger sans plus.
- Est-ce qu’il y a des organisations qui vous accordent une assistance quelconque ?
- Les dons sont accordés par des pays séparément. Des pays arabes comme l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, le Koweït ainsi que des pays étrangers nous accordent une certaine assistance, mais celle-ci ne suffit pas à combler nos demandes qui sont trop importantes. Parfois on a besoin d'équipements qui coûtent très cher.
- Comment le siège et l’occupation d'Israël affectent l'état de santé des Palestiniens ?
- Lorsqu’il y a une invasion dans une zone déterminée, tous les points de passage sont fermés. Pour cette raison, les blessés ne peuvent être transférés à l’hôpital pour être soignés. Ce qui arrive très souvent, c’est que la victime peut saigner jusqu’à la mort. Par exemple, lorsque l'armée israélienne a envahi le camp de réfugiés de Jebalia dans la bande de Gaza, les secours n'ont pas pu y avoir accès à cause des mesures du bouclage. Pour cette raison, beaucoup de blessés ont saigné jusqu’à la mort sans qu’on ne puisse faire quoi que ce soit pour les soigner. Même leurs proches ne pouvaient s’aventurer pour essayer de les déplacer, car s’ils osent aller près des barrières israéliennes de sécurité, ils sont, eux aussi, tués. A ces occasions, on a parfois des femmes enceintes qui doivent accoucher, mais qui ne peuvent pas être transférées à l’hôpital. Nombreux sont ceux qui ont aussi des crises cardiaques en raison de la violence israélienne et des tensions sur le terrain. Ces gens aussi peuvent mourir parce qu’on ne peut pas les déplacer vers les hôpitaux. Très souvent lors des attaques, les personnes âgées sont atteintes d'hémorragies cérébrales en conséquence des pressions subies. Ces gens non plus ne peuvent pas être transportés à temps.
En plus, si on parle d’une manière plus générale, le siège a affecté tout le monde dans la mesure où les gens ont de moins en moins de travail. Le chômage atteint des proportions effrayantes. Beaucoup de gens n’arrivent même pas à donner à manger à leurs . Même les gens des classes les plus élevées, ceux qui ont fait des études et ont des diplômes universitaires, des ingénieurs, des professeurs, n’ont pas de travail. Et c’est bien ça la politique des Israéliens, ils veulent nous anéantir, et frapper notre moral.
                           
7. Comme sur la place Tienanmen par Tanya Reinhart
in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du mardi 30 mars 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Un débat intense se déroule, en Israël, au sujet du rapport coût / bénéfice de l’assassinat de Sheikh Yassine. Mais la question de la justice n’est pratiquement pas soulevée.
Selon le droit international, l’assassinat de toute personne, dans un territoire occupé, est interdit. La convention de Genève, découlant de l’expérience horrifiante de la Seconde guerre mondiale, impose des limites au recours à la force, même en temps de guerre. Cette convention fait un distinguo entre la guerre et une situation d’occupation. Ses fondements sont, primo, qu’un peuple soumis à occupation est « protégé », et que l’occupant est responsable de sa sécurité et, secundo, elle stipule qu’un peuple soumis à occupation a le droit de lutter pour sa liberté. Les conventions internationales sont l’un des moyens, mis au point par les peuples, afin d’assurer leur propre survie. Sans elles, le danger que l’espèce humaine ne se détruise existe. Pour commencer, les plus forts balaieraient les plus faibles, et, finalement, les deux plus forts subsistants s’élimineraient entre eux.
Au cours de ses trente-sept années d’occupation, Israël a d’ores et déjà violé tous les articles de la convention de Genève. Mais ce qu’il vient de faire est sans précédent. Comme l’a indiqué Robert Fisk dans le quotidien britannique Independent, « pendant des années, une loi non-écrite a prévalu, dans la guerre cruelle opposant un gouvernement à une guérilla : on peut tuer des hommes dans la rue, les fabricants de bombes et les francs tireurs. Mais les dirigeants, des deux côtés – les ministres du gouvernement, les dirigeants religieux – étaient autorisés à survivre ». Même lorsqu’un dirigeant prône la violence et la terreur, la norme veut qu’on puisse l’emprisonner. Pas qu’on l’assassine.
Ahmad Yassine se considérait en guerre contre l’occupation. Comme l’a écrit le Yediot Aharonot, il exigeait un retrait total de l’armée israélienne des territoires occupés, jusqu’aux frontières de 1967. En 1993, le Hamas a admis les principes des accords d’Oslo, mais il ne croyait pas que Rabin traduirait ces principes en actes, et il exhorta le peuple palestinien à se souvenir que l’occupation n’était pas encore terminée. Durant la période du poing de fer de Barak et Sharon, Yassine a proposé une « hudna » à long terme (une trêve, un cessez-le-feu). Mais il pensait, par ailleurs, qu’Israël ne mettrait jamais un terme à l’occupation de son propre mouvement. « L’ennemi ne comprend que le langage de la guerre, des bombes et des explosifs » - prêchait-il à ses adeptes. Il déclarait : « Pour nous, tout Israélien représente une cible. »
La convention de Genève reconnaît au peuple soumis à occupation le droit à mener une lutte armée contre l’armée occupante, mais non celui de recourir au terrorisme contre des civils. Le terrorisme n’a pas de justification morale, et il n’est pas autorisé par le droit international. Mais il faut que nous, les Israéliens, nous nous examinions nous-mêmes, à ce sujet, aussi. Quelle autre issue laissons-nous au peuple palestinien, qui lutte pour sa libération ? Tout au long du tracé du mur, en Cisjordanie, une nouvelle forme de résistance populaire est apparue, au cours des derniers mois. Des paysans palestiniens dont la terre a été volée s’assoient, face aux bulldozers, accompagnés par les opposants israéliens au mur – les vétérans du camp de Mas’ha. Peut-on faire mieux, en matière de non-violence ? Mais l’armée israélienne tire sur les manifestants assis, comme cela s’était passé sur la place Tienanmen.
L’armée israélienne bloque toutes les issues en direction d’une résistance non-violente devant les Palestiniens. Avec l’élimination arrogante d’un leader et d’un symbole, tandis qu’il rentrait de la mosquée, l’armée a créé sciemment une nouvelle vague de violence et de terreur. Il est bien difficile de ne pas avoir l’impression que le terrorisme convient parfaitement à Sharon et à l’armée. Il leur permet de convaincre le monde entier que les protections assurées par la Convention de Genève ne s’appliquent pas aux Palestiniens, parce qu’il y a des terroristes parmi eux, et que, par conséquent, il est permis de leur faire subire absolument tout.
Depuis les attentats du 11 septembre (2001), dans le cadre de leur « guerre contre le terrorisme », les Etats-Unis s’attèlent à la destruction de toutes les sauvegardes prévues par le droit international. Mais même eux n’avaient pas encore osé exécuter publiquement un dirigeant spirituel – religieux (comme, par exemple, ceux des Taliban, en Afghanistan).
Aujourd’hui, Israël a décidé, avec la bénédiction des Etats-Unis, que même ça, c’est permis. Sous son régime militaire, Israël est devenu le fer de lance de la destruction des sauvegardes mêmes que l’humanité s’est donnée, à la suite de la Seconde guerre mondiale, afin d’assurer sa propre survie. Des protections dont nous, aussi, pourrions avoir besoin un jour, comme l’histoire s’est déjà chargée de nous le montrer.
[Texte original traduit de l’hébreu en anglais par Netta Van Vliet.]
                                   
8. Le gouvernement Sharon prépare un plan de confiscation des dernières terres arabes du Néguev, d’ici cinq ans par Zuhaïr Andraws
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mardi 30 mars 2004
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

La Direction des Terres d’Israël, officine officielle du gouvernement israélien à la triste réputation, a entrepris de mettre à exécution un nouveau projet de confiscation des dernières terres appartenant à des Arabes de 1948 dans la région du Néguev et de les gérer « souverainement » dans le cadre d’un plan quinquennal, pour lequel a été voté un budget de 220 millions de dollars.
Les dirigeants de cette organisation ont annoncé, au cours d’un congrès intitulé « La colonisation juive de peuplement dans le Néguev », le début de mise en application de ce plan, et la collecte de contributions financières très importantes auprès des communautés juives dans divers pays. Son président, Yehye’el Leket, a déclaré que le projet découle de la conviction israélienne selon laquelle le Néguev est une région de préférence nationale par excellence, chose qui a incité Israël à investir plus de cent millions de dollars afin de développer les colonies et l’agriculture dans cette région qui couvre 60 % du territoire israélien. Leket  a ajouté que le projet de colonisation du Néguev jouit du soutien affirmé des communautés juives (de la diaspora), qui ont confirmé leur accord et leur appui à ce projet, sur fond d’un ‘déferlement mondial d’antisémitisme’ et de crise économique mondiale. Les dirigeants de plusieurs communautés juives sont venus visiter le Néguev, il y ont rencontré le chef d’état-major Moshé Yaalon, dans la base aérienne de Ramon, où celui-ci leur a exposé en détail la situation sécuritaire – indication de l’intérêt des appareils sécuritaires officiels israéliens pour ce projet de colonisation de peuplement. Signalons que le quotidien Ha’aretz a publié récemment un article du même Leket, dans lequel il invitait ouvertement le gouvernement israélien à entreprendre la confiscation des terres arabes du Néguev et de Galilée, afin d’empêcher les « voleurs arabes », selon ses dires, de voler les terres de l’Etat dans ces deux régions. De plus, le raciste Leket avertissait le gouvernement israélien que, s’il persistait à fermer les yeux ou à réagir mollement aux vols quotidiens de terres par les Arabes de 1948, il ne ferait que les encourager à continuer à empiéter sur les terres de l’Etat, en indiquant qu’il était désormais nécessaire que toutes les autorités israéliennes concernées se mettent sérieusement à freiner le phénomène des vols (qu’il jugeait exponentiels) de terres par les Arabes, avant qu’il ne soit trop tard.
Le Premier ministre Sharon a donné son accord à la création d’une unité spéciale chargée de l’exécution des ordres de destruction de maisons. Le gouvernement israélien a voté des dizaines de milliers de shekels de budget, destinés à cette unité, en conformité avec un projet de Sharon, avalisé récemment par le gouvernement, qui consacre 400 millions de shekels à la démolition de maisons et à l’évacuation d’Arabes de leurs terres, dans le Néguev, ainsi qu’à leur expropriation. Et effectivement, le gouvernement a procédé, ces derniers mois, à la démolition de plus de 125 maisons dans des villages non reconnus du Néguev, privant de toit des dizaines de familles. Dans d’autres cas, les autorités israéliennes ont privé des Arabes de toutes ressources en détruisant leurs récoltes et en démolissant leurs échoppes. Muhammad Abu al-Haïjâ’, président de la Commission des Quarante, a déclaré que les gouvernements successifs d’Israël ont foulé aux pieds toutes les chartes et tous les accords qui garantissent les droits de l’Homme à un logement et à une vie décente sur ses terres. Et voici que Sharon essaie, maintenant, d’utiliser des unités militaires pour déclarer sa guerre contre les Arabes du Néguev, bien loin de garantir leur droit en leur fournissant de l’eau, et en construisant des dispensaires et des écoles. « Nous nous attendons à une augmentation du rythme des démolitions de maisons, en particulier depuis que Sharon insiste sur la nécessité d’affronter les populations sous prétexte que les Arabes s’empareraient de leurs terres rebaptisées « terres de l’Etat » ». Rappelons qu’avant la catastrophe (Nakbah) de 1948, les bédouins possédaient 98 % des terres du Néguev. Aujourd’hui, après les confiscations de l’Etat israélien, ils n’en possèdent que 2 %. Le Conseil régional des Villages Non Reconnus du Néguev considère, pour sa part, que le plan de Sharon à l’horizon 2009 représente une déclaration de guerre contre les habitants des villages du Néguev. Dans un communiqué transmis aux médias, ce Conseil déclare qu’il y a peu, le Conseil régional a mis en garde contre le danger représenté par la détermination du gouvernement Sharon à mettre en œuvre son plan de judaïsation et de vol des terres, de déracinement de la population en commençant par celle des villages non reconnus. Le gouvernement Sharon a arrêté un plan détaillé, les différentes tâches de sa mise en œuvre étant réparties entre les différents ministères, des budgets prévisionnels ayant été votés à cette fin jusqu’en 2007. Le Conseil régional a eu connaissance de ce plan, à la mise au point duquel a travaillé une équipe de spécialistes, durant près d’un an. Cette équipe est dirigée par Shmuel Riefman, président du conseil régional de Ramat Ha-Neguev, personnage connu pour son racisme agressif envers les Arabes du Néguev. Le plan prévoit les actions suivantes, pour un budget global de 750 millions de dollars :
- création d’un poste central de police spécialisée, les unités de surveillance et de sécurité étant renforcées et, cela, en vue, spécifiquement, d’assurer la mise en application du plan et la démolition prévue des maisons ;
- renforcement des patrouilles vertes, auxquelles seront accordés des budgets accrus, ainsi que le matériel et les éléments humains nécessaires leur permettant de confisquer les terres et de les inscrire au cadastre des terres de l’Etat ;
- le ministère de la justice, la Direction des terres d’Israël et la Direction des affaires bédouines (sic !) travailleront en étroite coordination à l’étude de la propriété des terrains au moyen de plaintes judiciaires en due propriété de la part de l’Etat : ce sont les propriétaires qui auront à apporter la preuve, documents à l’appui, de leur légitimité (rappelons qu’en 1948, la justice israélien a décrété que les bédouins n’avaient aucun titre de propriété sur le Néguev…) ;
- toute compensation, immobilière ou financière, sera calculée conformément aux lois israéliennes, aux décrets du gouvernement et de la Direction des terres d’Israël ;
- des milices seront constituées par les conseils régionaux afin d’assurer la protection des terres, ce qui va concerner des régions ne relevant pas de leur compétence, régions dans lesquelles se trouvent les villages (arabes) du Néguev ;
- le gouvernement israélien veillera à la mise en application de sa décision du 4 août 2002, qui stipule que les décisions résultant du plan s’imposent aux villages arabes, ce qui signifie que le rythme des destructions de maisons va s’accélérer ;
- la Direction des terres d’Israël se voit attribuer un budget de 325 millions de shekels, aux fins d’indemnisation des terres nationalisées (= volées) ;
- une autorité locale est créée pour les villages qui auront été reconnus et, cela, en vue de la détermination d’un lieu de résidence et d’une adresse officielle pour les habitants. Ce plan vise à déraciner les villages (non reconnus) restant et à opérer un regroupement de leur population. C’est en particulier le cas pour les villages dans les régions de Kuseïféh ou de Tall ‘Arrad , dont les habitants devront être regroupés dans la ville de Mar’it. Rappelons que le gouvernement israélien a créé, voici trois semaines, une nouvelle colonie juive, appelée « Ghiva’at Bar » sur des terres appartenant aux Arabes du Néguev. Le ministre de la Construction et du Logement, Effi Eytam, colonialiste bien connu pour ses positions agressives vis-à-vis des Arabes, a participé aux festivités de son inauguration, dans le plus grand secret...
                                       
9. La stratégie à risques d'Ariel Sharon par Jean-François Legrain
in Le Figaro du lundi 29 mars 2004
(Jean-François Legrain est chercheur au CNRS, auteur du Guide de Palestine-sur-Web : http ://www.mom.fr/guides.)
Loin de présager une paix et une sécurité durables, l'élimination du fondateur du Hamas annonce de nouvelles violences. La place de Cheikh Ahmed Yassine au sein de son mouvement et le calendrier local, régional et international dans lequel s'insère sa mort programmée infirment les raisons avancées par le premier ministre israélien, Ariel Sharon, pour justifier la décision de le faire disparaître.
Le Hamas avait été créé fin 1987 lors de la première intifada par Cheikh Yassine, guide suprême de l'association des Frères musulmans à Gaza. Abdelaziz Rantissi, le «politique», et Salah Shehadeh, le «militaire» éliminé par l'armée israélienne en juillet 2002, l'avaient alors convaincu de la nécessité d'entrer dans la lutte contre l'occupation afin de sauvegarder l'existence du mouvement dont la mission consistait à mobiliser la société autour de l'islam. Cheikh Yassine incarnait ainsi au sein du mouvement la tendance «frèriste» privilégiant l'option du repli sur l'associatif et le caritatif.
En revanche, selon lui, toute attaque contre les Palestiniens – des musulmans – visait l'islam lui-même et la vengeance devenait alors un impératif. En dépit de sa conviction religieuse de l'illégitimité de l'existence d'Israël mais fort des exigences coraniques de pragmatisme dans la défense de l'islam, il s'est fait le porteur de propositions de trêve. Une coexistence avec Israël, sans reconnaissance, pouvait, selon ses dires, être envisagée à la condition d'un retrait de l'ensemble des territoires occupés en 1967. Dépourvu de toute responsabilité opérationnelle directe, il était néanmoins le seul à coiffer l'ensemble des tendances de son mouvement et à pouvoir leur imposer des décisions.
Depuis de nombreux mois déjà, Ariel Sharon avait affiché sa volonté d'en finir avec Cheikh Yassine, une précédente «opération ciblée» ayant échoué en août 2003. En dépit de ces menaces, le chef du Hamas n'avait guère pris de précautions. Le moment choisi pour concrétiser cette décision devient alors lourd de signification. Son élimination s'inscrit dans le calendrier local marqué par l'annonce d'un retrait unilatéral de Gaza. A l'échelle régionale, elle pèse sur la réunion prévue fin mars des chefs d'Etat de la Ligue arabe. A l'échelle internationale, elle s'insère dans les suites des attentats de Madrid.
Acteurs et observateurs sont unanimes pour s'attendre localement à une montée significative du niveau de violence. Ces dernières semaines, Ariel Sharon avait créé l'événement en annonçant son intention de procéder à une évacuation unilatérale dans la bande de Gaza. L'Autorité palestinienne de Yasser Arafat s'était empressée de réfléchir à un plan visant à assurer l'ordre, faisant appel à l'Égypte pour servir d'intermédiaire entre les diverses factions à Gaza et l'aider à sécuriser le territoire évacué. Toute cette prospective est aujourd'hui réduite à néant.
Déjà, le Hamas, le Djihad et les Brigades du Fatah ont promis une collaboration renouvelée. Le Hamas possède une force d'attraction plus forte que jamais et il est fort peu probable que le successeur de Cheikh Yassine provienne de la tendance «frèriste». La ligne politique la plus radicale, appuyée sur les Brigades Ezzeddine al-Qassam, devrait dorénavant avoir les coudées franches dans la prise des décisions stratégiques concernant l'avenir du mouvement. Le premier ministre palestinien, lui-même, n'a pu que chanter la mémoire de Cheikh Yassine, le qualifiant d'«artisan de l'unité du peuple palestinien», rôle autrefois réservé au seul Yasser Arafat.
La multiplication d'opérations anti-israéliennes, tant islamistes que nationalistes, apparaît comme l'hypothèse à court terme la plus vraisemblable. La répétition du cycle attentat-répression provoquerait alors l'effondrement non seulement de l'Autorité palestinienne d'autonomie, mais, au-delà, du cadre institutionnel d'expression de la revendication nationale palestinienne dont elle procède, l'Organisation de libération de la Palestine (OLP). Ce serait la mort du projet politique de la coexistence entre deux États porté par l'OLP à travers ses évolutions des trente dernières années. En supprimant le chef du Hamas, Israël aura du même coup condamné le nationalisme palestinien et promu l'islamisme comme nouvel étendard de la revendication identitaire palestinienne.
La montée de la violence, dont Gaza est un des principaux foyers, aura-t-elle été appelée de ses voeux par Ariel Sharon pour justifier tant son retrait de Gaza que son refus d'évacuer ultérieurement la Cisjordanie ? Ou lui servira-t-elle de justification à une répression lourde accompagnant un refus définitif de tout retrait ? Dans ce dernier cas, la communauté internationale n'aura alors été que le témoin d'une manoeuvre diplomatique dont l'objet était de créditer le chef du gouvernement israélien d'une générosité payée en retour par le seul refus palestinien.
L'élimination de Cheikh Yassine a entraîné l'abandon de l'ordre du jour initial, l'adoption d'une réforme profonde de la Ligue pour répondre à l'initiative américaine du «Grand Moyen-Orient». Les participants voulaient aussi relancer l'initiative de paix d'origine saoudienne adoptée en 2002 et comptaient sur l'aide du «Quartette» (Etats-Unis, ONU, Russie et Union européenne) pour sa réalisation. Le plan prévoyait notamment l'établissement de relations normales entre les pays arabes et Israël en contrepartie de son retrait des territoires occupés depuis 1967, y compris Jérusalem-Est. Les chefs d'État arabes ne pourront que jauger en l'occurrence l'extrême difficulté à mettre en oeuvre une telle approche.
En construisant sa communication autour du thème de l'élimination du «Ben Laden palestinien», une semaine après les attentats de Madrid, Ariel Sharon donne, à dessein, un signal fort tant à l'ensemble du monde musulman qu'au monde tout entier, signal dont les conséquences pourraient s'avérer dramatiques.
Sous l'autorité de Cheikh Yassine, le Hamas avait, en effet, circonscrit sa lutte aux strictes limites de la Palestine. Privé de son guide spirituel et en l'absence de toute solution politique viable de son point de vue, l'hypothèse de l'adhésion du mouvement aux thèses du djihadisme internationaliste doit être envisagée même si elle paraît encore peu plausible. Abdelaziz Rantissi a, en tout cas, déjà appelé à la solidarité islamiste. Le «martyre» du guide spirituel du Hamas peut désormais servir à n'importe quel groupe armé sur la planète pour légitimer un attentat. La décision israélienne et la «compréhension» américaine contribuent à une vision réductrice du monde. Celle de ceux qui veulent imposer une bipolarité conflictuelle : monde «islamique» contre monde «croisé», monde «civilisé» contre monde «barbare».
                           
10. L’ambassadrice américaine à Damas inaugure des logements pour les réfugiés palestiniens par Walid Awad
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 29 mars 2004
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Cette initiative suscite des craintes que le projet d’installation définitive des réfugiés dans les pays de l’exil ne commence à être mis en application, avec l’appui de Washington.
L’ambassadrice des Etats-Unis à Damas, Margaret Scoby, a inauguré hier vingt-huit unités d’habitation destinées à des réfugiés palestiniens vivant en Syrie.
Un responsable palestinien a fait part, sous le couvert de l’anonymat, de ses craintes que cette inauguration ne marque le début de l’installation définitive des réfugiés palestiniens là où ils se trouvent, afin de leur faire oublier leur droit au retour (en Palestine).
Cette source a indiqué que l’inauguration de ces unités d’habitation financées par les Etats-Unis doit être considérée avec la plus grande circonspection, car cette initiative américaine ne saurait être motivée uniquement par des considérations humanitaires.
Selon un communiqué de l’UNRWA, les Palestiniens qui bénéficient de ces nouveaux logements faisaient partie des réfugiés palestiniens qui vivaient encore dans des casernes remontant à la Seconde guerre mondiale, dans le camp de réfugiés de Nayrab (dans la banlieue d’Alep).
Ce communiqué indique que les ambassadeurs de Suisse et du Canada ont, également, signé une convention avec l’UNRWA au nom des pays donateurs, prévoyant la construction de plusieurs centaines de logements ainsi que des infrastructures de services à Aïn Tall, proche d’Alep, et la restructuration du camp de Nayrab.
Le communiqué rapporte les propos tenus par Karine Abou Zayd, vice déléguée générale de l’UNRWA, au cours de l’inauguration des premières unités d’habitation : « Les réfugiés, ici, conservent le souvenir douloureux de leur arrivée dans ces casernes, en 1948. Ils pensaient, à l’époque, qu’il devraient y vivre temporairement, seulement. Mais leurs souffrances n’ont jamais cessé depuis lors… Pas seulement à cause de la perte d’espoir, mais aussi en raison de leur quête incessante, mais vaine, d’un environnement amélioré qui leur aurait permis d’élever leurs enfants et petits-enfants dans des conditions acceptables ».
Karine Abou Zayd poursuivait en ces termes : « Mais aujourd’hui, grâce à l’aide très importante du gouvernement syrien, l’UNRWA sera en mesure de les aider à accéder à de meilleures conditions de logement et à un niveau de vie amélioré, tant à Ayn Tall qu’à Nayrab ».
Les Etats-Unis ont fait don d’un demi million de dollars pour la construction des vingt-huit logements, ainsi que d’un demi million de dollars supplémentaire pour le financement de nouvelles unités d’habitation et l’amélioration des infrastructures.
Rappelons que le camp de Nayrab a été construit entre 1948 et 1950, dans une zone militaire, afin d’abriter les réfugiés palestiniens qui avaient dû fuir le nord de la Palestine, n’emportant avec eux que quelques couvertures, quelques maigres effets personnels et leurs papiers d’identité. Le communiqué de l’UNRWA indique que l’ambassadeur du Canada en Syrie, Bryan Davis, a fait part de l’engagement de son gouvernement à verser cinq millions de dollars pour le financement du programme de construction, tandis que l’ambassadeur de Suisse en Syrie, Jacques d’Hauteville, a annoncé une contribution d’un million de dollars.
Le camp de Nayrab, avec les camps plus petits qui l’entourent, abritent 17 000 réfugiés. Situé à 380 kilomètres au nord de Damas, dans la banlieue d’Alep, il est le plus important en Syrie.
                                 
11. La connexion évangélico-israélienne - Les Ecritures inspirent à beaucoup de chrétiens de soutenir le sionisme, politiquement et financièrement par Bill Broadway
in The Washington Post (quotidien américain) du samedi 27 mars 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

La controverse très largement publicisée autour du film de Mel Gibson, La Passion du Christ, a pu donner l’impression que les juifs et les chrétiens évangélistes ont peu de choses en commun, tant théologiquement qu’en d’autres matières. Rien ne saurait être plus faux.
Tandis que certains dirigeants évangélistes et juifs s’étripaient publiquement depuis des mois sur la manière dont le film décrit les dernières heures de Jésus, et en particulier sur le risque allégué qu’il n’encourage l’antisémitisme, des milliers d’évangélistes continuaient à donner des millions de dollars pour soutenir l’Etat d’Israël et son peuple. Et les juifs, notablement au gouvernement israélien, accueillaient leurs dons à bras ouverts.
« Nous recevons de 2 000 à 2 500 lettres quotidiennement, la plupart étant farcies d’un chèque bancaire », a indiqué le rabbin Yechiel Eckstein, président de la Fraternité Internationale Christiano-juive [International Fellowship of Christians and Jews], fondée voici vingt et un ans afin d’encourager à de meilleures relations entre les deux religions. Depuis lors, Eckstein, un rabbin orthodoxe, a élargi la mission de cette association. Au cours de la décennie écoulée, il a récolté plus de 100 millions de dollars en soutiens financiers à Israël. L’année dernière, l’amicale a contribué à hauteur de 20 millions de dollars, recueillis auprès de 635 000 personnes et associations, dont la plupart – sinon la totalité – étaient des chrétiens évangélistes, a indiqué M. Eckstein. Près de la moitié de cette somme a servi à aider des juifs, provenant du monde entier, à s’installer en Israël ; l’autre moitié a été consacré à des aides alimentaire, médicale et autres formes d’assistance à des juifs défavorisée ou âgés en Israël originaires de l’ex-URSS, mais aussi d’autres pays.
Lundi dernier, l’association a annoncé le lancement d’une campagne visant à recueillir 7,2 millions de dollars afin d’améliorer la sécurité sur les mille itinéraires les plus dangereux des bus publics israéliens, au moyen notamment d’appareils de détection d’explosifs et de contrôle des passagers et de leurs bagages. Elle a envoyé un premier chèque de 2 millions de dollars pour qu’une action soit entreprise, en ce sens, dans l’immédiat.
Cette amicale, la plus importante (et l’une des plus anciennes) associations évangélistes à apporter de l’aide à Israël, a été rejointe, ces dernières années, par une demie douzaine d’autres, telles Des Ponts pour la Paix (Bridges for Peace), les Chrétiens pour Israël, l’Ambassade Chrétienne Internationale à Jérusalem et la Pastorale du Peuple Elu (Chosen People Ministries). Bien qu’aucune centralisation des aides évangélistes à Israël ne soit effectuée, le rabbin Eckstein estime que leur montant total dépasse vraisemblablement les 25 millions de dollars annuels.
Le soutien évangéliste à Israël remonte au dix-neuvième siècle, époque où les sionistes chrétiens appelèrent au retour des exilés juifs [sic !] en Palestine afin d’accomplir les prophéties bibliques. Si la création de l’Etat d’Israël, en 1948, sembla bien être la réponse aux prières des sionistes chrétiens – pour ne pas parler de celles du peuple juif – l’extraordinaire victoire d’Israël durant la Guerre des Six Jours leur sembla un signe certain émanant de la volonté divine.
Des dirigeants évangélistes, tel le révérend Jerry Falwell, commencèrent à exercer leur lobbying en vue d’obtenir un soutien politique à Israël beaucoup plus important de la part du gouvernement américain, et de recueillir des soutiens financiers auprès du mouvement évangélique en rapide croissance. Et les relations entre les dirigeants évangélistes et le gouvernement israéliens commencèrent à être florissantes, doucement, tout d’abord, parce que les dirigeants israéliens hésitaient à accepter de l’argent de gens qui auraient risqué, éventuellement, de vouloir les convertir.
L’élection au poste de Premier ministre du dirigeant du Likoud, Menachem Begin, en 1977, marqua le début d’une ère nouvelle dans les relations évangélico-israéliennes. Begin était si satisfait des activités pro-israéliennes de Falwell qu’il fit cadeau d’un avion Lear au leader évangéliste, en 1979.
Aujourd’hui, la connexion est encore plus forte. Le Premier ministre likudnik Ariel Sharon a rencontré des dirigeants évangélistes à plusieurs occasions, notamment, dernièrement, à Jérusalem (le mois dernier), afin de leur demander leur aide dans la lutte contre une augmentation des incidents antisémites en Europe ainsi que dans d’autres régions du monde.
En janvier dernier, le parlement israélien a créé une Commission des Alliés chrétiens chargée d’assurer la coordination des activités avec ses amis chrétiens. Environ à la même époque, l’ancien dissident soviétique Natan Sharansky, ministre israélien de la Diaspora et de Jérusalem, a rencontré des dirigeants évangélistes à l’Hôtel Peabody de Memphis, afin de les remercier pour « leur soutien indéfectible à l’Etat d’Israël ».
Dans l’assistance, se trouvaient notamment John Hagee, pasteur de l’Eglise Cornerstone de San Antonio, forte de 17 000 ouailles ; Adrian Rogers, ancien président de la Southern Baptist Convention et Edward E. McAteer, un ami du président Bush, et secrétaire de la Table Ronde Religieuse, un groupement de dirigeants religieux, militaires et civils déterminés à insuffler les principes du christianisme à la politique publique.
Le 15 février, le ministre israélien du Tourisme, Benny Elon, a été l’hôte d’honneur de Pat Robertson à la Convention de l’Association Nationale des Diffuseurs de Radio, à Charlotte. Il a remercier Robertson pour le geste qu’il a fait, et qui a « sauvé le tourisme israélien de la banqueroute », en assurant la promotion de pèlerinages en Terre Sainte, en dépit des avertissements lancés par le gouvernement américain aux voyageurs après les attentats terroristes du 11 septembre 2001, et la reprise des hostilités entre Israéliens et Palestiniens.
M. Elon, qui a estimé que 400 000 Evangélistes se sont rendus en Israël l’année dernière et ont apporté des millions de dollars à son économie, doit prendre la parole demain (28.03) au cours d’une conférence organisée à la Faith Bible Chapel d’Arvada, dans l’Etat du Colorado, dans une banlieue de Denver. Chaque année, l’église contribue à des projets sociaux en Israël, à hauteur de 100 000 dollars, la majorité des fonds étant consacrés à un centre pour enfants handicapés situé dans la colonie d’Ariel, en Cisjordanie.
Le jumelage entre la Faith Bible Chapel et Ariel est l’un des nombreux partenariats encouragés par les Communautés des Amis Chrétiens d’Israël, fondées en 1995, après qu’Israël ait transféré des territoires à l’Autorité palestinienne, à la suite des accords d’Oslo.
Sondra Oster Baras, une juive orthodoxe de Cleveland, qui dirige le bureau israélien de l’association, a déclaré que l’organisation finance des programmes dans un tiers des quelque cent cinquante colonies israéliennes dans la bande de Gaza et en Cisjordanie.
Près de 2 000 donateurs apportent une contribution « de l’ordre de la centaine de milliers de dollars » annuellement, pour l’achat d’équipement médical, d’ordinateurs pour les écoles, de terrains de jeux et de secours alimentaires pour des familles de chômeurs, a indiqué Mme Baras. Les Amis Chrétiens assistent également des milliers de touristes chrétiens, en les aidant à planifier des pèlerinages sur les sites bibliques en bus blindés.
« Ce sont des gens profondément religieux, qui lisent la Bible, la prennent au sens propre et s’éclatent au spectacle d’une Bible s’inscrivant dans la réalité », a indiqué Mme Baras au cours d’une interview au téléphone depuis la colonie de Karnei Shomron, en Samarie (Cisjordanie). « Ils sont très au courant de la prophétie et ils voient dans les événements actuels un accomplissement de la prophétie. »
Mme Baras a poursuivi en disant qu’aucune des organisations chrétiennes soutenant Israël, à ce qu’elle sache, ne permet à ses donateurs ni à ses travailleurs sociaux d’évangéliser – en dépit du fait que ceux d’entre eux qui sont allés en Israël sont les plus ardents partisans des prophéties millénaristes qui prêchent la seconde venue du Christ, lorsque les juifs seront retournés en Israël.
En raison de leur soutien massif et croissant à Israël, nombreux furent les évangélistes à être surpris par la préoccupation des juifs autour du risque que le film « La Passion » ne suscite de violents actes antisémites.
« Dans le passé, les Eglises ont imposé une représentation des juifs comme uniques ennemis du Christ, ce qui a contribué à l’antisémitisme dans le monde laïque », a déclaré Ted Haggard, président de l’Association Nationale des Evangélistes, le mois dernier, au cours d’une conférence tenue au Musée du Centre Simon Wiesenthal de Los Angeles. « Nous sommes fiers du fait que durant les cinquante années écoulées, les Eglise ont fait énormément de choses afin de changer ces attitudes, et de proclamer hautement un message d’amour et de tolérance. »
Les juifs apprécient cette nouvelle sensibilité religieuse, mais ils ont, par ailleurs pleine conscience que les proclamations d’amour des juifs comportent l’espoir que les juifs accepteront, enfin, de voir en Jésus le Messie, a déclaré Davis A. Harris, directeur du Comité Juif Américain. D’un autre côté, les juifs acceptent des soutiens financiers et politiques de la part  d’évangélistes parce que ceux-ci sont pratiquement les seuls amis dont dispose encore Israël, a-t-il ajouté, ainsi que d’autres dirigeants.
Sur des sujets tels les droits civiques, la prière à l’école et l’avortement, les juifs américains se sont trouvés en solidarité avec des protestants consensuels, dont les Luthériens, les Episcopaliens, les Presbytériens, les Méthodistes et certains membres de l’Eglise Unie du Christ. Mais de nombreux protestants se sont séparés des juifs en raison de la politique israélienne, car ils insistent sur les droits des Palestiniens, ils en appellent au retrait des colonies de la bande de Gaza et de la Cisjordanie, et ils condamnent les attaques punitives après les attentats suicides.
En revanche, les Evangélistes sont des partisans des différentes politiques israéliennes, en particulier, des actions militaires contre des groupes palestiniens radicaux. Dans une étude disponible sur le ouèbe, publiée par des évangélistes américains après l’assassinat, lundi, du Sheikh Ahmad Yassine, 89 % des 1 630 personnes interrogées soutenaient l’assassinat du dirigeant du Hamas – à comparer avec les 61 % d’Israéliens qui pensaient la même chose, dans un sondage publié par le quotidien israélien Maariv.
M. Eckstein, dont l’organisation a effectué une étude informelle auprès des Evangélistes, a indiqué que la plupart des personnes qui ont contribué à l’Amicale Internationale christiano-juive le font certes pour des raisons religieuses, mais aussi parce qu’ils veulent montrer leur solidarité politique vis-à-vis d’Israël. Ils sont opposés à tout retrait de colons juifs et ne « font aucune confiance aux Palestiniens de Yasser Arafat. Ils feraient d’excellents Likudniks », a-t-il conclu.
La plupart des dirigeants juifs n’ignorent pas les raisons religieuses pour lesquelles la plupart des Evangélistes soutiennent Israël. Mais ils préfèrent ne pas insister sur les différences théologiques, car ils veulent avant tout éviter le genre de polémiques enflammées qui ont entouré le film de Mel Gibson.
« La plupart des juifs et des Israéliens y voient clair, au sujet de la philosophie religieuse des évangélistes, qui fait qu’ils veulent qu’Israël existe », a indiqué Harris, dont l’association a contribué au démarrage du dialogue christiano-juif, voici un demi-siècle. Mais les juifs ont le sens pratique, dit-il. « La fin des temps peut venir demain, mais c’est aujourd’hui que le sort d’Israël est dans la balance. »
Abraham Foxman, directeur national de l’Anti-Defamation League, et un des antagonistes en vue de la controverse autour du film de Mel Gibson, est d’accord avec Harris. « Israël se bat pour sa sécurité ; il est seul, dans un monde hypocrite », a-t-il commenté. « Ce n’est vraiment pas le moment d’aller dire [à un Evangéliste] : « Vous n’êtes pas un ami aussi parfait qu’on le désirerait. » [Madonna A. Lebling, chercheuse, a contribué à cet article.]
                                                       
12. L’Homme qui en savait trop - Le calvaire de Mordechai Vanunu par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britannique) du vendredi 26 mars 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Tout Israélien ayant acheté le quotidien Yedioth Ahronot du 16 février a pu penser que c’est un homme véritablement diabolique qu’on s’apprête à libérer de la prison d’Ashkelon. A l’en croire, il n’y aurait eu un seul attentat suicide à l’annonce duquel le prisonnier ne se soit bruyamment réjoui. Pire, s’il est possible, le quotidien affirmait que le détenu – jadis détenteur des secrets nucléaires d’Israël – a la ferme intention de continuer à mettre son pays en danger après son élargissement. « Il m’a raconté », affirmait le journal, citant un de ses anciens codétenus, « qu’il a des preuves supplémentaires et qu’il va révéler d’énormes secrets… »
Doit-on s’étonner, après ça, que ce même prisonnier, supposé avoir salué le massacre d’innocents tout en s’apprêtant à trahir encore une fois son pays, est titulaire d’une collection de distinctions de diverses associations pacifistes européennes, du Sean McBride Peace prize (Prix Sean McBride de la Paix) et d’un doctorat honoris causa de l’Université de Tromso ? En 2000, l’Eglise de l’Humanisme lui a dit : « Vous êtes honnête, courageux et vous avez des motivations morales élevées. Puisse le grand sacrifice que vous avez fait servir à protéger non seulement les habitants d’Israël, mais tous les peuples du Moyen-Orient et peut-être même du monde entier. » C’est ce même homme dont le nom a été évoqué pour l’attribution du Prix Nobel de la Paix.
Mordechai Vanunu, semble-t-il, suscite les passions. Soit vous l’aimez, soit vous le détestez. Face à l’ancien ingénieur nucléaire israélien, l’indifférence est impossible. Il est, en effet, celui qui, en 1986, révéla au Sunday Times toute l’histoire des usines secrètes de fabrication d’armes nucléaires, à Dimona, dans le désert du Néguev. Un histoire complète, avec le nombre total des bombes à fission nucléaire sophistiquées qui s’y trouvaient déjà – deux cents, à l’époque – et, plus gênant encore, une histoire illustrée de photos ! Il révéla qu’Israël avait la maîtrise de la fusion thermonucléaire et qu’il disposait sans doute d’un certain nombre de bombes thermonucléaires prêtes à l’emploi. Après quoi il fut attiré par une vamp, sur un vol de Londres à Rome, où il fut kidnappé, drogué et réexpédié en Israël par des agents des services secrets israéliens. Mais c’est désormais dans six semaines, tout juste, après dix-huit années d’emprisonnement – dont douze passées en quartier d’isolement total – que le vendeur de mèche le plus célèbre au monde doit en principe être libéré. Israël – pour ne pas parler du monde entier – retient son souffle.
Mordechai va-t-il divulguer de nouveaux secrets sur Dimona – à supposer qu’il en détienne encore de croustillants, après ses dix-huit années d’incarcération – ou bien va-t-il se contenter de maudire le pays dont il est un des citoyens, bien qu’il se soit converti au christianisme avant son arrestation, et qu’il désire émigrer aux Etats-Unis ? Va-t-il émerger, tel un homme dompté, désireux seulement de demander pardon pour la terrible trahison qu’il a infligée à son pays ? Ou bien encore, va-t-il, comme l’espèrent ses amis, ses supporters et ses parents adoptifs américains, devenir un apôtre de la paix, l’un des plus grands prisonniers de conscience de sa génération, l’homme qui aura tenté de débarrasser le monde de la menace de la vitrification nucléaire ?
Le gouvernement israélien n’a toujours pas décidé quel comportement adopter pour la libération de Vanunu, le 21 avril prochain. On pense qu’ils envisagent – ou qu’ils ont déjà arrêté – « certains moyens de supervision » et « certaines mesures appropriées » afin de « lui la boucler ». Dans la deuxième quinzaine de janvier, le Premier ministre Ariel Sharon a rencontré Menachem Mazuz, le Procureur général d’Israël, et le ministre israélien de la Défense, Shaul Mofaz : ensemble, ils ont débattu de la question de savoir s’il fallait refuser un passeport à Vanunu. Vanunu serait libre d’aller prendre un bain de soleil sur les plages de Tel Aviv, mais il ne pourrait pas faire le tour du monde pour  y faire le « marketing » de la puissance nucléaire israélienne… Il suffit, pour démontrer à quel point l’administration israélienne redoute l’approche du jour de la libération de cet homme, de mentionner que Sharon avait aussi convoqué à cette conférence l’ainsi dite « Unité de la Sécurité du Ministère de la Défense » dirigée par un certain Yehiel Horev : elle est composée des services de renseignement tant interne qu’externe – le Shin Bet et du tout aussi surestimé Mossad – ainsi que d’un représentant du Comité Israélien de l’Energie Atomique…
Horev, ont le sait aujourd’hui, voulait aller beaucoup plus loin que Sharon. Il proposa de coller un ordre de détention administrative à Vanunu – c’est la manière classique, pour Israël, de traiter les Palestiniens qu’il considère comme des « terroristes » - bien que la réunion, apparemment, se fût conclue par l’avis que cela ne ferait que renforcer la réputation de martyr de la paix mondiale de Vanunu. Bien entendu, il existe aussi un autre moyen, pour faire taire Vanunu… Il peut être libéré pour la galerie et puis – dès lors qu’il commencera à parler de son travail en tant que technicien dans le nucléaire – il pourrait être à nouveau jugé et jeté à nouveau dans la prison d’Ashkelon – plus exactement, dans la prison de Shikma, comme l’appellent aujourd’hui les Israéliens.
Mais le vrai problème posé par Vanunu, c’est qu’il rappellera au monde, en un moment extrêmement critique pour l’histoire du Moyen-Orient, qu’Israël est une puissance nucléaire et que ses têtes nucléaires sont prêtes à être mises à feu, dans le désert du Néguev. Il rappellera aussi au monde que les Américains, tout en faisant incursion en Irak afin d’y détruire les armes de destruction massives totalement inexistantes d’un Saddam Hussein, continuent à accorder leur soutien politique, moral et économique à un pays qui a amassé, dans le plus grand secret, un énorme magot d’armes de destruction massive.
Comment le Président Bush peut-il continuer à se taire au sujet du pouvoir nucléaire d’Israël, dès lors que non seulement il a envahi illégalement un pays arabe qui aurait – prétend-on – détenu des armes nucléaires, et condamné l’Iran pour des ambitions semblables, mais aussi tressé des couronnes de laurier, avec le gouvernement de Tony Blair, au Colonel Kadhafi de Libye, lequel a renoncé à ses prétentions nucléaires ? Si les pays arabes se font « tailler les griffes » - à supposer qu’ils aient eu quelque moment des griffes – pourquoi Israël ne serait-il pas « dénucléarisé » ? Pourquoi les Etats-Unis ne pourraient-ils pas appliquer les mêmes standards à Israël qu’aux pays arabes ? Autrement dit : pourquoi, en l’occurrence, Israël serait-il incapable de s’imposer à lui-même les mêmes exigences que celles qu’il a vis-à-vis de ses ennemis arabes ?
C’est là le débat que les gouvernements israélien et américain veulent étouffer. Aux Etats-Unis, où toute discussion au sujet des relations israélo-américaines qui dérogerait quelque peu aux plates banalités est condamnée, classiquement, en raison de son caractère subversif ou « antisémite », le débat autour de la puissance nucléaire d’Israël n’est pas particulièrement le genre de conversation que Washington apprécie de suivre sur les écrans de télévision à l’occasion des débats du dimanche soir. Vanunu, disons-le d’emblée, a pleinement conscience de tout ça : de sa propre importance personnelle – infiniment plus grande que celle qui était la sienne tandis qu’il n’était qu’un jeune technicien à Dimona – ainsi que de celle du rôle que des dizaines de milliers de militants anti-nucléaires espèrent lui voir jouer dans le monde. Souvent, par l’intermédiaire d’amis et de ses propres frères, Vanunu a dit qu’il ne détient pas de secrets nucléaires, mais qu’il a le droit de s’opposer aux armes nucléaires, en Israël, ou dans n’importe quel autre pays. « Tout ce que je demande, c’est d’aller en Amérique, de me marier et de commencer une nouvelle existence », dit-il.
Nul ne peut douter de la conviction de Vanunu. Né en 1954 dans une famille juive religieuse, au Maroc, il a immigré en Israël à l’âge de neuf ans. Il a effectué son service militaire au milieu des années soixante-dix, et il a commencé à travailler à Dimona en novembre 1976, tout en poursuivant des études de philosophie et de géographie. C’est sans doute au cours de ses voyages en Thaïlande, en Birmanie, au Népal et en Australie, au début de 1986, qu’il a pris conscience de son devoir moral de parler des armes nucléaires d’Israël. Cette même année, il reçut le baptême dans une église anglicane de Sidney. Vanunu était, à l’évidence, profondément anxieux face à la puissance nucléaire croissante d’Israël, lorsqu’il décida d’entrer dans les bureaux de journaux britanniques, en septembre 1986, dans l’espoir de pouvoir dire au monde entier la vérité sur Dimona. Il se rendit tout d’abord au Daily Mirror, de Robert Maxwell : il tendit les clichés qu’il avait pris des installations nucléaires, et il attendit une réponse. A l’insu de Vanunu, Maxwell envoya les photos à l’ambassade d’Israël à Londres afin qu’ « on y jette un coup d’œil », soi-disant pour « confirmer » la véridicité, ou non, de cette histoire. Il semble vraisemblable que Maxwell ait eu des motifs autres que la déontologie journalistique, pour trahir Vanunu de la sorte. Après sa disparition en mer, en 1991, Maxwell, qui avait volé des millions de livres économisées par des retraités qui avaient acheté des fonds de pension, eut droit à des funérailles nationales en Israël, au cours desquelles Shimon Pérès fit l’éloge des « services » qu’il avait rendus à l’Etat (juif).
Le Daily Mirror de Maxwell publia une histoire « tordue », le 28 septembre, afin de vilipender Vanunu, sous le titre : « L’étrange affaire d’Israël et du Conspirateur nucléaire ». Quant au Sunday Times, il publia toute l’histoire – mais trop tard : Vanunu avait déjà disparu. Pris dans les rets d’une espionne du Mossad, il avait été entraîné à prendre un vol British Airways pour Rome, et il fut promptement kidnappé. Il semble, en effet, qu’il l’ait été dans l’aéroport même de Rome – Fiumicino. Incapable de parler aux journalistes, il écrivit avec soin les détails de ce qui lui arrivait sur la paume de sa main, qu’il plaqua sur la vitre du fourgon de la police qui l’emmenait au tribunal. « Rome ITL 30:9 :86 2100 – Arrivé Rome par BA 504 », y avait-il écrit. Il avait été kidnappé à neuf heures du soir, le trente septembre, à l’aéroport international de Rome. Les autorités italiennes étaient-elles impliquées dans son kidnapping ? Etaient-elles présentes lorsqu’on s’était saisi de lui ? Sans doute Vanunu pourra-t-il nous le dire…
Une chose est sûre : Vanunu est un homme endurant. Une fois, au cours de ses douze années d’isolement carcéral, les responsables de la prison l’ont libéré accidentellement pour qu’il prenne de l’exercice, avant que des prisonniers arabes qui se trouvaient dans la cour de la prison ne soient rentrés dans leurs cellules. Tout de suite, Vanunu alla les rejoindre. L’un des Arabes, un Libanais, emprisonné pour introduction d’armes de contrebande en Cisjordanie, fut parmi les premiers étrangers à révéler la réapparition de Vanunu au monde extérieur. « Vanunu marcha vers nous, il nous sourit, et il nous fallut un certain temps avant de réaliser qui nous avions devant nous », raconta plus tard le Libanais à The Independent. « Il nous a dit que cela lui faisait plaisir d’être avec nous, et nous sentîmes qu’il était un homme bon. Puis les gardes se rendirent compte de leur erreur, et ils nous éloignèrent de lui, en nous poussant brutalement dans nos cellules. »
Un journaliste israélien venu rendre visite à un autre prisonnier eut la stupéfaction de voir Vanunu. « Pendant un court instant, je vis une scène bucolique », écrivit-il : « J’étais comme captivé par une réalité toute différente : un homme serein, assis sur un banc, dans un jardin, et lisant Nietzsche en anglais. Je m’approchai, et lui tendis la main. Heureux de faire votre connaissance. Mon nom est Ronen », dis-je. « Je suis Motti, le prisonnier le plus isolé de l’Etat d’Israël », me répondit-il. Avant que nous ayons eu l’opportunité d’engager la conversation, des gardes s’étaient rués sur lui, en hurlant, et ils l’avaient emmenés au loin. »
Un ancien prisonnier, Yossi Harush, a donné un autre aperçu sur le prisonnier Vanunu dans les années qui ont suivi son isolement carcéral. « Durant la journée », a déclaré Yossi Harush au Yedioth Ahronot, « au cours des promenades, il rencontre les gens et il leur parle. J’ai beaucoup parlé, avec ce Vanunu. Nous étions amis. Il venait dans ma cellule… Il bénéficie de bonnes conditions… Il peut quitter sa cellule quand il le veut, mais il est bien sûr limité à la prison. J’ai peint moi-même – car je travaillais, dans cette prison – la ligne rouge, sur le sol, qu’il lui était formellement interdit de franchir. Si je l’ai fait, c’est parce qu’on m’en avait donné l’ordre. Néanmoins, cela a jeté un froid entre nous… »
Un prêtre anglican, Dean Michael Sellors, rendait visite régulièrement à Vanunu : c’est lui qui lui a fait remarquer que le jour de sa libération coïncidait avec l’anniversaire de la Reine d’Angleterre. Vanunu lui a répondu que, dans ce cas, il devait acheter un ticket et aller, en personne, la féliciter…
Vanunu s’est également intéressé aux actions de l’Association pour les Droits civiques en Israël, organisation plutôt conservatrice, qui a néanmoins affirmé que « toute sanction contre Mordechai, après sa libération de prison, serait immorale et illégale ». Un forum de discussion sur le site en hébreu du quotidien israélien Maariv montre que les jeunes israéliens voient en Vanunu plus un héros qu’une menace. Mary Eoloff, une enseignante américaine à la retraite, qui a, avec son mari, adopté Vanunu dans l’espoir qu’il puisse obtenir la citoyenneté américaine et être relâché, fut la première personne à révéler que lorsque les responsables de la sécurité israélienne lui ont proposé de le libérer un an avant l’expiration de sa période de dix-huit ans de prison, Vanunu déclina leur offre. « Il croit dur comme fer en la liberté d’expression », expliqua-t-elle.
Israël accordera-t-il à Vanunu la liberté de parole qu’il affectionne ? Cela reste à voir. Horev, un responsable du ministère de la Défense qui assistait à un meeting de Sharon, récemment, a évoqué la menace que le technicien nucléaire incarne à ses yeux, menace qui semble relever plus de l’ambiguïté que des secrets nucléaires. Horev compare cette ambiguïté à de l’eau, dans un verre. « Ma tâche est de m’assurer que l’eau ne débordera pas du verre », a-t-il récemment déclaré. « Jusqu’à l’affaire Vanunu, l’eau, dans le verre, était à un niveau très bas. L’affaire a fait s’élever le niveau de l’eau de manière significative, causant un grand dommage à Israël, mais l’eau n’a néanmoins pas débordé. Si nous laissons faire certaines personnes, que je ne nommerai pas, dans cette affaire, l’eau va déborder, c’est sûr. »
Le journaliste israélien Raanan Shaked a été encore bien plus cynique, lorsqu’il a évoqué ce sujet sur la chaîne israélienne de télévision Channel 10. « Quelle est la plus grande menace pour Israël ? » a-t-il demandé. « Bien entendu, c’est Mordechai Vanunu ! C’est lui, le grand danger. La démocratie israélienne ne peut tout simplement pas supporter l’impact que peut avoir cet homme lorsqu’il dit ce que tout enfant de quatre ans sait : nous avons des armes nucléaires ! »
Le 21 avril, lorsque Vanunu sera libéré, nous verrons si l’eau débordera du verre – et si Vanunu pourra franchir la ligne rouge, tracée avec tant de soin sur le sol, sur l’ordre des autorités israéliennes.
                           
13. "Sharon ne veut pas d'interlocuteurs palestiniens" - Entretien avec Jean-François Legrain réalisé par Pierre Barbancey
in L'Humanité du mercredi 24 mars 2004
(Jean-François Legrain est chercheur au Groupe de recherches et d'études sur la Méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo) à Lyon et membre de la rédaction en chef de la revue Maghreb-Machrek.)
Le chercheur Jean-François Legrain analyse les conséquences de la liquidation du cheikh Yassine et la stratégie du premier ministre israélien.
- Qu'est-ce qui motive l'assassinat du cheikh Yassine ?
- Jean-François Legrain. Il y a bien sûr sa personnalité et sa place au sein du Hamas. Mais cet assassinat ne prend son véritable sens qu'au regard du calendrier. Il y a un calendrier local qui était le retrait unilatéral de Gaza annoncé par Sharon. Un calendrier régional qui était la réunion de la Ligue arabe à la fin de la semaine et un calendrier international avec les attentats de Madrid et ce qui s'est passé au Pakistan avec les rumeurs autour de la possible arrestation du numéro 2 de al Qaeda. Le cheikh Yassine n'avait pas changé son mode de vie. Il pouvait être tué à tout moment, depuis longtemps. Israël a mis en avant l'attentat de Ashdod, mais ça va bien au-delà. Quand on regarde la place de Yassine sur l'échiquier du Hamas, on se rend compte qu'il était l'incarnation de la tendance de type Frères musulmans. Il mettait sans cesse en avant une réforme de la société sur une base religieuse, plaçant le politique et le militaire au second rang. La création du mouvement en 1987 s'est faite sous la pression de personnes comme Abdel Aziz Rantissi et c'est un peu à contrecéur que le cheikh Yassine a acquiescé. On se retrouve dans le cas de figure qui avait été un peu celui du mois d'août dernier quand Israël avait assassiné Ismaïl Abou Chanab qui était un des dirigeants du Hamas revendiquant une ligne traditionnelle de type Frères musulmans. C'était lui qui était un peu la cheville ouvrière de la négociation de la dernière trêve décidée par le Hamas.
Au regard de ces trois niveaux, local, régional et international, j'ai tendance à dire que Sharon joue la carte du chaos en Palestine dans la perspective de son retrait unilatéral : il ne faut pas qu'il y ait un interlocuteur. C'est la carte qu'il a jouée en Cisjordanie face au Fatah. C'est la carte qu'il joue aujourd'hui pour Gaza. Le chaos, pour lui, est considéré comme un facteur positif, puisqu'en l'absence de tout interlocuteur, c'est la logique pure et simple de la force qui va l'emporter. Cette logique joue pour Israël qui a un pouvoir considérablement plus puissant que les Palestiniens.
- Et au niveau régional et international ?
- Jean-François Legrain. Par rapport aux Arabes, c'est la carte de la politique du tout militaire et du refus de toute solution politique qui ne soit pas à l'aune de Sharon lui-même. Au niveau international, c'est jouer la carte Ben Laden. C'est prendre la même logique que celle des États-Unis de clash des civilisations. Il n'est pas anodin que l'assassinat ait eu lieu au sortir de la mosquée. C'est viser quelqu'un qui était un chef spirituel et tout le monde sait qu'il n'avait pas un rôle militaire particulier même s'il couvrait de son autorité des activités militaires. À certains moments, il les a combattues ou canalisées. C'était en tout cas le seul à être à même de faire adopter par la base un certain retrait du militaire. Le fait que cet assassinat se soit produit un peu plus d'une semaine après Madrid est très significatif. Sharon avait déjà exploité les attentats du 11 septembre en faisant lire la réalité palestinienne comme étant la réplique locale de Ben Laden.
- Que risque-t-il de se produire au sein de la société palestinienne ?
- Jean-François Legrain. L'Autorité palestinienne était déjà incapable de s'imposer face aux mouvements comme le Hamas. Son bras armé a été totalement démantelé par Israël et surtout, il n'y a plus de logique politique. Or, c'était dans le cadre de la logique politique qu'à un certain moment l'Autorité et le leadership du Hamas avait réussi à faire entendre raison à la base de ce dernier et lui avait fait adopter des trêves successives.
- Jusqu'où peut aller Sharon, sa logique s'oppose-t-elle à celle des États-Unis et de leur idée du " grand Moyen-Orient " ?
- Jean-François Legrain. Les États-Unis ne font rien contre Sharon. On l'a vu à propos du mur et à bien d'autres occasions. Même si ponctuellement la décision de Sharon peut aller à l'encontre du projet américain, les États-Unis ne sont absolument pas prêts à taper du poing sur la table. Ils n'ont d'ailleurs pas condamné l'assassinat, ce sont les seuls à travers le monde.
- Comment les Palestiniens peuvent-ils sortir de l'impasse dans laquelle ils se trouvent ?
- Jean-François Legrain. Ils ne peuvent absolument rien. La solution ne peut venir que d'une décision internationale. Malheureusement, cette décision ne viendra pas parce que les États-Unis ne le veulent pas et parce que l'Europe est incapable de prendre une décision politique dans ce domaine. Ne parlons pas des Nations unies qui ont perdu toute volonté et toute capacité d'intervention.
                                       
14. A Ramallah, la colère de la rue par Valérie Féron
in L'Humanité du mercredi 24 mars 2004
Le dirigeant spirituel du Hamas n'a jamais été aussi populaire que depuis sa liquidation, comme en témoignent les réactions des jeunes de Ramallah.
Ramallah (Palestine), correspondance particulière - Vingt-quatre heures après l'assassinat du cheikh Ahmed Yassine et les grandes manifestations qui l'ont suivi, Ramallah avait retrouvé une allure plutôt tranquille ce mardi. Seuls les magasins fermés, ainsi que des haut-parleurs déversant des chants patriotiques et religieux sur la place Al-Manara, où se tiennent la plupart des manifestations, rappelaient le deuil national décrété par l'Autorité palestinienne pour honorer la mémoire de celui qui a été élevé officiellement au rang de " héros et martyr ". Mais la colère et l'esprit de vengeance restent, eux, omniprésents. Car, pour les Palestiniens, s'en prendre au chef spirituel du Hamas signifie avant tout avoir visé un religieux handicapé : " Franchement, viser ainsi avec des missiles un vieillard cloué sur sa chaise roulante, c'est lâche ", s'emporte Sami, jeune homme de vingt-deux ans. Si l'assassinat a créé une telle onde de choc, c'est aussi parce que les Israéliens sont " réellement passés à l'acte " : " ils ont osé le faire, poursuit Sami, pour moi ils sont au-delà de toutes les lignes rouges ".
À la Mukata, les drapeaux ont été mis en berne et le président Arafat ne reçoit pas. Un groupe d'adolescents, filles et garçons, drapeaux du Hamas et du Hezbollah en tête, suivis de bien d'autres aux simples couleurs de la Palestine, clament pourtant leur volonté d'être reçus par le leader palestinien : " nous devons voir Abou Ammar, martèle Ranis, jeune adolescente aux grands yeux noirs rieurs, lui dire que nous somme avec lui, que la résistance contre l'occupation continuera. "
Après quelques discussions tendues avec les gardes et un chahut généreux à la grille d'entrée, ils obtiendront gain de cause, Abou Ammar saluera la mémoire du cheikh Yassine et insistera sur la confiance qu'il place en eux pour construire demain, sans manquer au passage de leur expliquer d'un ton pédagogique qu'ils ne peuvent se permettre de pénétrer chez lui quand bon leur semble ! Des paroles rassurantes qui rassérèneront un temps ces jeunes aussi déterminés que désorientés.
" Le problème c'est que, maintenant, quoi qu'il se passe, le Hamas est obligé de répondre, estime encore un des jeunes présents, et après ? ". " Sans compter que cheikh Yassine était un modéré du mouvement, renchérit Rami, vingt-cinq ans, je pense que des leaders comme Rantissi, qui ont pouvoir de décision, sont bien plus intransigeants. "
Pour la plupart des responsables politiques, on est entré dans une nouvelle escalade de violence et de vengeance : " il est clair que cet assassinat va renforcer le Hamas, entraîner une nouvelle spirale de violences qui risque d'enflammer toute la région déjà très en colère ", estime Mustapha Barghouti, dirigeant d'une ONG spécialisée dans le secours médical, et favorable au dialogue et à un processus de paix négocié. " Comment ne pas craindre une explosion du baril de poudre ? ajoute-t-il. Et cette explosion ne sera pas le simple fait de Sharon : la communauté internationale est tout aussi responsable par sa passivité voire son silence devant les crimes de Sharon. Ce dernier est donc convaincu qu'il peut tout se permettre ". Une communauté internationale à laquelle les Palestiniens de Ramallah tiennent à rappeler que pour eux : " l'occupation qu'ils subissent reste le plus grand acte terroriste ".
                                   
15. "Chirac ne peut plus voir Sharon" par Claude Angeli
in Le Canard Enchaîné du mercredi 24 mars 2004
Cela ne date pas d’hier, mais il envisageait de le recevoir bientôt à l’Elysée. Après l’assassinat de cheikh Yassine, il n’en est plus question.
« Aucune date n’était encore fixée pour une visite de Sharon, elle était simplement envisagée », admet un conseiller de Chirac. « Mais aujourd’hui, après l’élimination du vieux chef du Hamas, et à la sortie d’une mosquée, il n’est même plus question de date. »
La condamnation de cet « assassinat ciblé », dont Sharon ne cesse de se flatter, est « mondiale », se félicite un conseiller de Villepin. Avant d’ajouter que Bush est puni par où il a péché : « En accordant un soutien indéfectible à Sharon, il fout en l’air son fameux projet de « Grand Moyen-Orient », ce remodelage politique à la sauce américaine. »
A Washington, si la Maison-Blanche dément avoir donné son aval pour cette exécution, la réaction des collaborateurs de Bush est d’une surprenante modération. A croire que certains faucons de l’équipe présidentielle ou de la CIA savaient ce que mijotait leur ami israélien. Pas la moindre condamnation formelle : le Département d’Etat se dit « profondément troublé » par l’exécution d’un chef religieux qu’Israël avait pourtant libéré en 1997, malgré ses positions favorables au terrorisme. Et le porte-parole de Colin Powell ajoute que « Washington respecte le droit d’Israël à l’autodéfense », avant d’admettre que cet acte « accroît la tension », puis de lancer un « appel au calme ».
Plaidoirie diplomatique
La formule pourrait prêter à sourire, si l’on osait. Tout comme cette déclaration sur France-Inter de l’ambassadeur d’Israël en France, Nissim Zvili : « Il ne faut pas rendre l’Etat d’Israël responsable du prochain attentat, s’il y en a, aux Etats-Unis, en Europe, en Afrique, en Asie, dans le monde entier. » Cet excellent diplomate oublie Israël dans sa liste des futurs objectifs. Car, selon la formule cynique d’un proche de Chirac, « la guerre et l’occupation de l’Irak ne pouvaient suffire, il fallait que Sharon profite de l’effet produit par les attentats de Madrid et suscite de nouvelles vocations de kamikazes ».
Certain que l’équipe Bush ne le lâchera pas durant la campagne présidentielle aux Etats-Unis, Sharon annonce d’autres exécutions de dirigeants et de militants du Hamas. Et d’aucuns, à Paris, de rappeler que, en septembre dernier, une note de renseignement transmise à l’Elysée évoquait un « assassinat » d’Arafat, revendiqué notamment par le vice-Premier ministre israélien Ehud Olmert.
MAM la bavarde
Si l’on évoque partout le danger terroriste, cela n’empêche pas les « bavardages irresponsables », à en croire un membre de l’équipe élyséenne. Michèle Alliot-Marie s’en est donné à cœur joie, lundi 22 mars, dans « L’Express », et Chirac n’a pas été le dernier à hurler. Car la ministre s’est permis d’annoncer que « 200 militaires français du commandement des opérations spéciales [ont] contribué à localiser Ben Laden » dans une zone proche de la frontière d’Afghanistan.
Il n’est pas d’usage de rendre public ce genre d’opérations barbouzardes, d’autant qu’il s’agit du vindicatif Ben Laden. Mais Alliot-Marie tenait sans doute à se poser en patronne de ses chers militaires. Tout en avouant, non sans maladresse, que « la capture du chef d’Al-Qaïda ne changerait pas fondamentalement la situation : les réseaux terroristes sont devenus très autonomes. »
Après les bavardages intempestifs, le commerce dangereux. Le groupe EADS, contrôlé par des capitaux français, allemands et européens, envisage de travailler avec l’industrie de défense israélienne Rafael. Projet : produire en commun, dès la fin de l’année, le prototype d’un équipement destiné à protéger les hélicoptères de l’armée de Sharon, ou celle de son successeur, contre les tirs de missiles SA-16 ou SA-18 portables à l’épaule. Les Israéliens craignent que des Palestiniens ne parviennent bientôt à se procurer ce matériel de fabrication russe auprès de trafiquants internationaux.
Ce n’est pas du jeu : les hélicoptères israéliens doivent pouvoir œuvrer sans courir de risque.                           
                                       
16. Enfants par Tommaso Di Franceso
in Il Manifesto (quotidien italien) du mercredi 24 mars 2004
[traduit de l'italien par Marie-Ange Patrizio]
Le monde, qui devait être sauvé par les enfants, est en train de devenir, sous nos yeux d'observateurs impuissants, le monde qui, justement, tue de préférence les enfants. Dans les innombrables «petites» guerres oubliées, les armes, trop lourdes, sont souvent empoignées par des mains trop frêles. Et dans les grands conflits, incurables blessures ouvertes, la cible immuable reste significativement celle-là. Comme pour confirmer que la guerre n'est pas seulement destruction totale mais réduction à la dernière extrémité mortelle de toute présence vitale. Ainsi ces images d'un enfant de 14 ans - sa mère dénonce même ses «troubles psychiques» - arrêté avec une ceinture kamikaze à Naplouse et prêt à se faire exploser, semblent vouloir refermer l'ouverture de toutes les portes de tous les enfers. Les mandataires de cette action criminelle ne peuvent recourir à la justification de l'enfer quotidien que représente l'occupation militaire israélienne des territoires palestiniens: immense prison pour trois millions d'individus réduits à faire les pigeons du tir à la cible des soldats israéliens qui, à leur gré, d'un gouvernement à l'autre, occupent et réoccupent, dans une sorte de compulsion de répétition de l'arrogance militaire. Là, c'est vrai, toute légitimité et droit international se sont brisés contre le mur - c'est le cas de le dire - de Sharon. Mais aucune logique de pure violence, d'utilisation instrumentale de corps innocents devenus bombes humaines, ne pourra jamais être une réponse.
L'élan du sang, c'est clair désormais, tue en même temps que les innocents les droits mêmes du peuple palestinien.
L'assassinat plus que ciblé du Cheikh Yassine semble fait à dessein pour que le mortel jeu de l'oie ne s'arrête pas; pour que la vengeance réponde dans la «même mesure», et que le fondamentalisme demeure l'unique arme pour un peuple entier, désormais aux prises avec la dernière annonce provocatrice du gouvernement israélien: « maintenant c'est à Arafat». Il ne doit pas y avoir d'issue.
Il faut au contraire dire non. Et nous ne sommes pas «poètes» en le pensant, puisque même le nouveau leader du Hamas, Rantissi - tout en l'excluant bien sûr «si l'occupation continue» - est revenu hier de façon inattendue à «une possibilité de trêve». Maintenant nous attendons tous l'attentat. Et au contraire ce serait décisif - bien sûr incroyable, mais quand même souhaitable - qu'à un assassinat délibérément atroce corresponde cette fois le maximum de sens politique et de réponse de masse. Ce qui épouvante vraiment les généraux israéliens et le gouvernement de Sharon, retranchés et prêts, avec 60% de soutien des Israéliens, à répondre avec des moyens militaires incomparables, ce n'est pas et ne sera pas le kamikaze qui sèmera des éclats de mort parmi d'autres civils israéliens, en tuant dans le tas... Ce qui les préoccupe au contraire c'est la mobilisation diffuse et le silence inhabituel qui se sont répandus dans les villes palestiniennes. Ce silence dit que pour un peuple entier la coupe est pleine; ce silence est civil et se présente comme force de choc réelle contre les puissants de la terre bien plus qu'une riposte militaire. Et nous, il nous appelle à la mobilisation. Parce que, aussi, il n'y a pas de riposte militaire à l'arrogance de Sharon, à ses missiles Cruise, aux Apache, aux chars, aux F-16.
Si la misère palestinienne pousse les jeunes à se mettre à disposition pour exécuter des commandes - rappelait Zvi Shuldiner ce mardi-même - quel que soit celui qui utilise cette disponibilité pour apporter la mort dans le camp ennemi, qu'il sache que cela correspond à la même violence que l'occupant qui, bien sûr, n'a pas hésité à tirer avec des chars sur des foules d'enfants «armés» de pierres. C'est la même radiation du droit à la vie. Il n'y a pas à libérer seulement les Territoires, mais les corps et les vies des faibles et de ceux qui sont différents, des femmes, l'espoir des jeunes, la mémoire des vieux. Que le monde continue à être sauvé par les enfants, surtout par ceux de Palestine.
[Marie-Ange Patrizio est membre des Femmes en noir Marseille (marseille@femmesennoir.org) et du Comité Comprendre et Agir contre la Guerre (comaguer@nomade.fr)]
                       
17. Hamas-Likoud, la fin d'une alliance objective par Paul Labarique
in Voltaire du mardi 23 mars 2004
["Voltaire" est un magazine quotidien d'analyses internationales publié par le Réseau Voltaire. Recevez chaque jour le magazine en PDF dans votre boîte à lettres électronique, et accédez à tous les articles du site (les articles de moins de trois mois sont réservés aux abonnés). Renseignements : http://www.reseauvoltaire.net/abonnement.php]
L'assassinat, lundi 22 mars 2004, du cheikh Ahmed Yassine, leader spirituel du Hamas, a suscité l'indignation de la communauté internationale. Comment un pays cité en exemple de démocratie au Proche-Orient peut-il recourir à la peine de mort contre ses adversaires, sans jugement préalable, et s'en réjouir ? Cette réaction ne doit cependant pas masquer les enjeux d'une telle action, qui marque une nouvelle escalade dans la politique jusqu'au bout-iste d'Ariel Sharon dans les territoires occupés. Loin de mettre un terme aux actions terroristes de Palestiniens désespérés, cet attentat, qui a fait sept morts en plus du cheikh Yassine, est une provocation de plus. Il vise à radicaliser l'opposition palestinienne pour justifier de nouvelles opérations militaires de Tsahal.
Ce n'est pas la première fois qu'Israël instrumentalise le Hamas pour saboter le processus de paix. Longtemps réservée aux seuls militants palestiniens, la thèse selon laquelle les services secrets israéliens seraient directement à l'origine de la création du Hamas intéresse désormais les historiens israéliens les plus reconnus et notamment Zeev Sternhell. Ce dernier, qui a consacré plusieurs ouvrages aux tentations fascistes françaises dans l'entre-deux guerre, s'est récemment approprié le sujet : selon lui, on ne dit pas assez que c'est Israël qui a créé le Hamas, « en pensant que c'était intelligent de jouer les islamistes contre l'OLP » [1]. Une affirmation qui nécessite un petit retour en arrière.
Le Mossad développe le Hamas contre l'OLP (1972-1993)
Dans les années 1970, Israël entame, sous les conseils de Golda Meir, alors Premier ministre, une politique de soutien aux associations islamiques et à l'université de Palestine. Les associations sont « autorisées à faire venir de l'argent de l'étranger » d'après l'hebdomadaire israélien Koteret Rashit, cité dans Le Monde du 18 novembre 1987. Forts de ce soutien, « les islamistes créent des orphelinats et des dispensaires, mettent en place un réseau scolaire, des ateliers de confections pour l'emploi des femmes, et dispensent une aide financière aux plus démunis ». En 1978, ils créent une « université islamique » à Gaza. À l'heure où les militants du Fatah et de la gauche palestinienne sont les principaux visés par la répression, les associations islamiques prospèrent. Toujours d'après Koteret Rashit, « le gouvernement militaire était convaincu que ces activités affaibliraient l'OLP et les organisations de gauche à Gaza ».
Le cheikh Yassine fait partie du dispositif. L'analyse du parcours biographique de ce Palestinien est d'ores et déjà l'enjeu de la campagne de presse consacrée à son assassinat. Plusieurs versions se superposent. Selon l'une d'entre elles, Ahmed Yassine vient des Frères musulmans, dont il a créé la section palestinienne au début des années 1970, bientôt soutenu par Israël. À l'époque, le mouvement est purement associatif, non-violent et quasiment non-politique. Il s'inscrit dans le cadre d'un vaste projet financé par Tel-Aviv : les Ligues de Villages, qui doivent tisser un réseau associatif concurrent de l'OLP à l'intérieur des territoires occupés. Mais la première intifada, en 1987, aurait transformé radicalement le cheikh Yassine : en trois mois, il aurait mis en place une organisation militaire pour résister à l'occupation israélienne. Ce sera le Hamas, qui désigne l'aile militaire contrôlée par Yassine, tandis que la branche politique continue d'être incarnée par les Frères musulmans. Israël n'aurait, selon cette version, jamais soutenu le Hamas lui-même, mais seulement le groupe non-violent duquel il est issu. En réalité, le soutien d'Israël au cheikh Yassine a continué bien après les années 1970, au moins jusqu'à la fin des années 1980, c'est-à-dire après la création du Hamas comme organe de lutte armée contre Israël. À l'époque, écrit Martin Regg Cohn dans le Toronto Star, c'est surtout le Mossad qui fournit des moyens à Yassine [2]. Les services israéliens auraient notamment dispensé un entraînement militaire spécifique, et des fonds au travers de la Ligue des Villages.
La thèse du « soutien originel » à une simple « organisation islamique » permet de minimiser la politique israélienne de soutien au cheikh Yassine. Selon elle, dans les années 1970, en entreprenant cette manipulation Israël ne savait pas qu'il était en train de construire la principale menace sur sa sécurité pour les années à venir. Cette argumentation rappelle celle développée à propos du soutien des États-Unis aux Moudjahidin en Afghanistan, à la fin des années 1970 et au début des années 1980. Selon des « spécialistes en terrorisme », Washington ne mesurait pas, à l'époque, les conséquences que pourrait occasionner le soutien à des organisations fédérées, notamment autour d'un certain… Oussama Ben Laden. Dans les deux cas, il s'agissait de soutenir des protagonistes « islamistes » pour des intérêts stratégiques (la lutte contre l'URSS ou la déstabilisation de l'OLP). Dans les deux cas également, les organisations auraient subitement pris leur autonomie, dans des circonstances particulières, et se seraient retournées contre leurs créateurs. En jouant aux apprentis sorciers, Israël est les États-Unis auraient été victimes d'un retour de flammes (« blowback »).
L'armée israélienne a pourtant expliqué à plusieurs reprises son point de vue, fort lucide, sur le fonctionnement de l'organisation. D'après un texte de présentation du Hamas, rédigé par un porte-parole de Tsahal en 1993, « la base sociale populaire est maintenue concrètement par les organisations caritatives, et idéologiquement par l'enseignement, la propagande et l'appel à la mobilisation diffusée dans les mosquées et autres institutions ainsi que des prospectus. Cette base est la source du recrutement de membres au sein des unités qui s'engagent dans les émeutes et la violence populaire. Ceux qui s'y distinguent rejoignent tôt ou tard la branche militaire, qui mène des attaques violentes et brutales contre Israéliens et Palestiniens. Ils bénéficient (ainsi que leur famille et leurs proches, s'ils sont arrêtés ou tués) le soutien moral et économique des prédicateurs des mosquées, des directeurs d'associations affiliées au Hamas, et des associations caritatives » [3].
La pertinence de cette analyse, qui fait très clairement le lien entre la branche politique et la branche militaire du Hamas, laisse des doutes sur le prétendu « aveuglement » des services de renseignement israéliens avant les premières actions anti-israéliennes de l'organisation, en 1988. D'autant que les connaissances de l'État hébreu en matière de terrorisme sont conséquentes. Menahem Begin, Premier ministre du Likoud de 1977 à 1983, a dirigé l'Irgun Tsvai-Leumi, une organisation terroriste responsable de l'attentat contre le King David Hotel, à Jérusalem en 1946, qui fit près de cent morts. Yitzakh Shamir, également Premier ministre du Likoud de 1983 à 1985, puis de 1986 à 1992, a participé à l'organisation nationaliste terroriste du Groupe Stern, qui luttait contre l'occupation britannique avant la création de l'État d'Israël. Ce sont donc deux anciens membres d'organisations de lutte armée, rompus aux méthodes terroristes, qui dirigent Israël pendant toute la période de gestation du Hamas. Il leur est difficile de prétendre, en conséquence, qu'ils ignoraient ce qu'ils faisaient en soutenant ce genre de mouvement.
Si les ministres du Likoud, bien plus que ceux du Parti travailliste, ont laissé avec bienveillance se développer l'organisation militante palestinienne, c'est qu'il existe une certaine proximité idéologique entre eux. Agnès Pavlowsky tente de cerner, dans un ouvrage paru en 2000, les fondements idéologiques du Hamas. Selon elle, l'idéologie de l'organisation « est en totale opposition avec le laïcisme et le progressisme de l'OLP. Elle insiste sur l'islam comme réponse globale à toutes les questions éthiques et politiques, et particulièrement sur une morale et des valeurs familiales strictes. Autrement dit, sur l'oppression des femmes : une partie des activités des jeunes militants du Hamas consiste à s'attaquer aux femmes trop libres à leur goût. La dénonciation systématique de la corruption des mœurs des dirigeants palestiniens fait partie de leur phraséologie. L'idéologie du Hamas est l'expression même du contrôle social de la sexualité, de la biologisation des rapports sociaux » [4]. Le Hamas s'oppose en cela au Hezbollah : ce mouvement de résistance libanais déclare certes « comprendre » les raisons du Hamas, mais refuse, pour sa part, les attaques indiscriminées contre les civils israéliens. Plus révolutionnaire que religieux, le Hezbollah élargit sa grille d'analyse au-delà du cadre de l'islam : il reprend la distinction faite par l'ayatollah Khomeyni entre oppresseurs et opprimés, et exprime une admiration pour des figures et mouvements non-musulmans, du moment qu'ils se battent contre l'oppression. Pour résumer, si l'on souhaite appliquer une classification politique fréquente dans les démocraties occidentales, le Hezbollah peut être classé à l'extrême gauche et le Hamas à l'extrême droite, dans une configuration où il n'y a pas de place pour des positions modérées.
De plus, à l'époque, le Hamas n'organise pas d'attentats terroristes. Ceux-ci sont en général le fait du Jihad islamique. Le mouvement d'Ahmed Yassine organise plutôt des campagnes non-violentes de boycott et de sanctions économiques à l'encontre des colonies et des produits qui y sont manufacturés. Ce n'est pas du goût du Premier ministre Yitzakh Shamir, qui ordonne l'arrestation immédiate de l'un des dirigeants politiques du Hamas, le Dr Abdel Aziz Rantisi. C'est en 1989, que Shamir, changeant de politique, lance une campagne majeure contre l'organisation et fait notamment arrêter le cheikh Yassine. Ce revirement semble sanctionner et mettre un terme provisoire à une indépendance croissante du mouvement par rapport à ses financiers originels israéliens.
Rapidement, les intérêts du Likoud et du Hamas vont pourtant se rejoindre : tous deux veulent empêcher les négociations entre les travaillistes israéliens et l'OLP. Comme le note Ray Hanania, un journaliste palestinien réputé, « les deux ennemis indéfectibles, le Likoud et le Hamas, bénéficient politiquement de l'extrémisme de l'autre au fil des années » [5].
Après le retour au pouvoir des travaillistes, en 1992, les négociations reprennent entre Israël et l'Autorité palestinienne de Yasser Arafat. Une initiative qui pousse le Likoud à faire monter la pression sur Arafat par le biais du Hamas. Sur le plan politique, d'une part, des responsables Likoudnik rencontrent des prisonniers politiques issus des rangs du Hamas pour les convaincre de la nécessité de court-circuiter politiquement le processus de paix. Le Likoud pousse alors à la libérations de prisonniers palestiniens pour qu'ils organisent une opposition politique à Arafat. D'autre part, le Hamas multiplie ses actions violentes, et est même déclaré, peu après, « organisation terroriste » par le Département d'État états-unien. Il bénéficie néanmoins du soutien du roi Hussein de Jordanie. Le gouvernement jordanien comprend ainsi, à partir de janvier 1991, plusieurs membres des Frères musulmans, ce qui donne des garanties concernant la poursuite des financements jordaniens à destination du Hamas. L'influence du mouvement est grande dans les territoires : petit à petit, il est invité à participer au jeu politique palestinien, aux côtés de l'OLP. Mais les partisans du cheikh Yassine posent des conditions irrecevables pour une participation au gouvernement : ils réclament entre autres la non-reconnaissance de l'État d'Israël, le refus de toute partition de la Palestine et de toute concession territoriale, et l'attribution de la moitié des sièges du Conseil national palestinien.
Le Likoud instrumentalise le Hamas contre le processus de paix (1994-2003)
Le premier attentat suicide attribué au Hamas survient en avril 1994, en réponse à une attaque meurtrière de colons fanatiques israéliens contre des musulmans en prière à la mosquée d'Hébron. Il devient en conséquence, pour Washington, un ennemi du processus de paix. En janvier 1995, Bill Clinton interdit par décret présidentiel toute négociation avec l'organisation en raison de son pouvoir de nuisance dans le cadre des négociations israélo-palestiniennes. Un pouvoir dont elle va démontrer l'efficacité après l'assassinat du Premier ministre Yitzakh Rabin, le 4 novembre 1995, par Ygal Amir, un juif fondamentaliste. Les fanatiques israéliens ont détruit ce jour-là la moitié des espoirs en une solution politique au conflit israélo-palestinien. Le Hamas va se charger, par une importante vague d'attentats, de détruire la moitié palestinienne. En février et mars 1996, une série d'attentats suicide répond à l'assassinat par Israël de l'artificier du mouvement, Yahya Aiyash. Ces attaques vont saper l'autorité du Premier ministre travailliste intérimaire, Shimon Perès, qui perd les élections peu après face à Benyamin Netanyahu. Celui-ci, une fois à la tête du gouvernement, fait libérer le cheikh Yassin, au terme d'un épisode rocambolesque [6] Cette libération habilement mise en scène est suivie comme prévu d'une nouvelle vague d'attentats, qui permet au Premier ministre israélien d'obtenir le soutien de son opinion publique pour suspendre le processus de paix et revenir sur les accords signés par Yitzakh Rabin.
Ariel Sharon n'a pas eu besoin de telles opérations pour conquérir le pouvoir en février 2001 : sa provocation de l'Esplanade des mosquées et le début de la seconde Intifada ont largement suffi à radicaliser les positions et à garantir son élection. Néanmoins, dès sa prise de pouvoir, il se sert d'une vague d'attentats suicide du Hamas pour déclencher une opération militaire en mars : à cette occasion, Tsahal prend le contrôle de zones normalement sous souveraineté palestinienne et ravage les infrastructures gouvernementales de Yasser Arafat. En mars 2002, un attentat particulièrement meurtrier dans un hôtel de Netanya (30 morts, 150 blessés), toujours attribué au Hamas, déclenche l'opération « Remparts » par Tsahal, qui commet un massacre dans le camp de réfugiés de Jénine et assiège le président palestinien, Yasser Arafat, à Ramallah.
Depuis lors, la position du Hamas s'est modifiée. Auparavant engagés dans un bras de fer permanent avec le président Yasser Arafat, les dirigeants du mouvement ont entamé des négociations avec les Premiers ministres successifs, Mahmoud Abbas et Ahmed Qureih, pour une éventuelle participation à l'exercice du pouvoir. Des trêves ont été négociées pour un arrêt des attentats contre l'arrêt des incursions israéliennes.
Les attentats se poursuivent néanmoins. Depuis le premier attentat suicide de 1994, il y a près de dix ans, le nombre d'attaques de ce type n'a cessé d'augmenter ; ce qui permet aujourd'hui au Likoud d'Ariel Sharon de tout mettre en œuvre pour « détruire, non seulement Arafat, mais tout espoir d'un État palestinien. » [7]. Depuis le début de la deuxième Intifada, en septembre 2000, il y a eu plus de 60 attentats suicide en 19 mois. Cette recrudescence de la violence sape le processus de paix, ce qui est l'un des objectifs principaux du Likoud, mais empêche aussi la progression du Parti travailliste israélien.
Sharon fait assassiner le cheikh Yassine pour provoquer l'affrontement (2004)
Contrairement aux déclarations israéliennes, l'assassinat du cheikh Yassine ne s'inscrit donc pas dans le cadre de la lutte contre le terrorisme. Il est en effet impensable que la mort du leader spirituel du mouvement entraîne la dislocation des différentes cellules opérationnelles et la fin des attentats. Au contraire, il est tout à fait envisageable que cette opération de Tsahal suscite à une multiplication d'opérations kamikazes encore plus meurtrières. C'est en tout cas ce que nous enseigne l'étude des précédents « assassinats ciblés » perpétrés par Israël. On peut notamment évoquer l'opération du 23 novembre 2001 au cours de laquelle Mahmoud Abou Hannoud, un des principaux chefs militaires du mouvement islamiste palestinien Hamas, était assassiné lors d'un raid d'hélicoptères semblable à celui qui a tué le cheikh Ahmed Yassine. Cette attaque entraîna, quelques jours plus tard, un triple attentat suicide du Hamas à Jérusalem-Ouest et à Haïfa, au bilan particulièrement lourd : 28 tués et plus de 200 blessés. Il servit de prétexte à des « représailles » : une série de raids sans précédent de Tsahal dans les territoires palestiniens.
Pour comprendre cette stratégie politiquement stérile d'« assassinat ciblés », ordonnée par Ariel Sharon, il convient de rappeler brièvement quel type de militaire est ce Premier ministre. En réalité, tout comme Begin et Shamir, Ariel Sharon est également un membre des réseaux proto-terroristes israéliens. Embrigadé très jeune dans les forces israéliennes de l'Haganah (il n'a alors que quatorze ans), il rejoint une compagnie d'infanterie de la brigade Alexandroni en 1948, lors de la guerre d'indépendance israélienne. Environ 300 000 Palestiniens sont contraints à l'exil au cours de l'offensive. En 1953, il fonde l'« Unité 101 », une brigade spécialisée dans l'assassinat qui commet plusieurs massacres de civils tout en étant intégré à Tsahal. En août 1953, cet escadron de la mort attaque le camp de réfugié d'Al-Burayj, à Gaza, faisant entre 15 et 50 victimes. En octobre, ses hommes massacrent 69 civils au cours d'un raid mené en Cisjordanie, dans le village de Qibya. Les villageois sont poussés à se retrancher dans leurs maisons, que la brigade fait ensuite exploser. Ce crime de guerre fait l'objet, le 18 octobre 1953, d'un communiqué du département d'État états-unien demandant à ce que les responsables soient traduits en justice. Lors de la crise de Suez, en 1956, les unités placées sous son autorité sont accusées d'avoir assassiné des prisonniers de guerre égyptiens, ainsi que des travailleurs soudanais capturés par l'armée israélienne. Ces faits ont fait l'objet d'une enquête du Daily Telegraph, le 16 août 1995, manquant d'entraîner une rupture de relations diplomatiques entre Londres et Tel-Aviv. De tels agissements n'ont pas empêché la progression d'Ariel Sharon au sein de l'état-major israélien puisqu'en 1982, c'est en tant que ministre de la Défense qu'il déclenche une offensive contre les camps de réfugiés palestiniens au Liban, Sabra et Chatila. Sous couvert de lutte contre le terrorisme, ce sont plusieurs centaines de civils qui sont massacrés par les milices chrétiennes libanaises, tandis que Tsahal encercle le camp pour empêcher les civils de fuir. Ces méthodes de « guerre totale », voire de « guerre révolutionnaire », permettent de comprendre pourquoi Ariel Sharon refuse absolument de négocier avec l'Autorité palestinienne, comme il l'a réaffirmé début mars [8]. Elles révèlent en effet l'appartenance du Premier ministre à une famille de pensée colonialiste qui ambitionne l'expulsion ou la destruction des populations autochtones et qui exclut toute négociation avec l'ennemi.
Il semblait pourtant possible, depuis quelques mois, de négocier avec les dirigeants du Hamas. Le cheikh Yassine lui-même avait multiplié des déclarations particulièrement constructives par rapport au discours traditionnel de son organisation. Contrairement à ce que prétend la presse internationale, le cheikh Ahmed Yassine ne défendait pas l'extermination de l'État d'Israël et la reconquête de toute la Palestine. Le 7 janvier 2004, il déclarait, dans une interview à une agence de presse allemande, que son mouvement était prêt à accepter « une paix temporaire si un État palestinien est créé en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Le reste des territoires sera laissé à l'Histoire ». Des propos en rupture avec le discours traditionnel du mouvement, qui préconisait jusqu'ici l'établissement d'un État musulman de la Méditerranée jusqu'au Jourdain et niait donc le droit d'Israël à exister. Déjà, en 1999, Yassine avait déclaré au quotidien états-unien USA Today que le conflit israélo-palestinien pourrait se terminer si Israël se retirait des territoires, les relations avec l'État hébreu devant être laissées à l'appréciation des générations futures. Ces propos avaient suscité de virulentes réactions d'autres membres du mouvement bien plus radicaux. Nul doute que ceux-ci ont aujourd'hui les mains libres pour maintenir, au mieux, le processus de paix dans l'impasse. Au pire, il est envisageable que l'objectif visé soit une escalade de la violence. Cédant à la colère, le Hamas organiserait des attentats particulièrement sanglants. Ce qui permettrait alors de justifier l'expulsion de populations palestiniennes et l'annexion de nouvelles portions de territoires occupés par tous ceux qui, au sein de l'administration Sharon, « rêvent de transfert » [9].
À la recherche d'une provocation maximale pour enclencher l'affrontement final avec les palestiniens, Ariel Sharon a dû renoncer à faire assassiner Yasser Arafat comme il en avait annoncé son intention, l'an dernier. Il s'est donc rabattu sur cheikh Yassine lorsqu'il s'est avéré que celui-ci engageait son organisation vers la recherche d'un compromis. À la différence de certains dirigeants de son organisation militaire, le leader spirituel du Hamas n'était plus, pour Sharon, un allié objectif.
- Notes :
[1] « Hamas, le produit du Mossad », par Hassane Zerrouky, L'Humanité, 14 décembre 2001.
[2] Hamas : Scourge and Symbol, par Martin Regg Cohn, Toronto Star, 13 octobre 1997.
[3] Ce texte est disponible sur le cache réalisé par Google du site officiel de l'armée israélienne.
[4] Hamas, ou le miroir des frustrations, d'Agnès Pavlowsky, L'Harmattan, 2000.
[5] « How Sharon and the Likud Party nurtured the rise of Hamas and benefit from its terrorism », par Ray Hanania, Media Monitors Network, 23 mai 2002.
[6] Selon la version officielle, deux agents du Mossad auraient franchi la frontière jordanienne pour empoisonner à Amman un responsable du Hamas. Interpellés par la police, ils auraient ensuite servi de monnaie d'échange contre la libération du cheikh Yassine, non sans avoir au préalable fourni l'antidote au poison qu'ils étaient parvenus à administrer. La proximité entre la Jordanie et Israël permet d'écarter cette fable selon laquelle Netanyahu aurait été contraint par Amman de relâcher celui qui est aujourd'hui décrit par Tsahal comme « le chef des forces du Mal ».
[7] « How Sharon and the Likud Party … », op.cit.
[8] « Ariel Sharon exclut toute discussion avec l'Autorité palestinienne », Le Monde, 16 mars 2004.
[9] « Ces Israéliens qui rêvent de "transfert" », par Amira Haas, Le Monde Diplomatique, février 2003.
                                   
18. Elias Sanbar : "Semer les germes d'une guerre civile entre le Fatah et le Hamas" par José Garçon
in Libération du mardi 23 mars 2004
Directeur de la Revue d'études palestiniennes, Elias Sanbar vient de publier les Palestiniens, la photo d'une terre et de son peuple. 1839 à nos jours, aux Editions Hazan.
- A quelle logique obéit Ariel Sharon en tuant cheikh Yassine ?
- Plus que la décision de le tuer qui était prise depuis longtemps, c'est le moment choisi qui est crucial. Contrairement à ce qu'ils affirment, les responsables israéliens n'ont pas saisi une opportunité. Cheikh Yassine ne vivait pas dans la clandestinité, son domicile et ses habitudes étaient connus et fixes et il se rendait cinq fois par jour dans la mosquée où il a été tué... Dans la mesure où il a été assassiné quelques heures après que Sharon a annoncé à son gouvernement le retrait de Gaza, il y a une jonction entre ces deux événements. Cet assassinat «fait partie intégrante du retrait», note d'ailleurs Ze'ev Schiff, le meilleur chroniqueur militaire israélien. Sharon veut que Gaza soit plongée, après ce retrait, dans des troubles incontrôlables. En faisant de cheikh Yassine un «martyr» et en transformant Gaza en poudrière, il a un triple objectif : décapiter le mouvement islamiste, rendre impossible tout contrôle de Gaza par l'Autorité palestinienne après le retrait et semer les germes d'une guerre civile entre le Fatah (l'organisation de Yasser Arafat, ndlr) et le Hamas. Il va en effet devenir impossible à l'Autorité et au Fatah de maîtriser le Hamas à Gaza et surtout de restreindre ses ambitions. N'oublions pas que, dès l'annonce du retrait, le Hamas a annoncé que tout était prêt sur le plan de l'organisation sociale, politique et militaire pour prendre le contrôle de ce territoire. En misant sur des troubles interpalestiniens après la sortie de son armée, Israël fait un pari très risqué.
- Que peut espérer Israël à terme de cette stratégie du chaos ?
- Elle bénéficie au gouvernement israélien, mais pas à son peuple, pour qui elle est une catastrophe. Ariel Sharon pense que, face à un chaos généralisé, son impunité sera totale car rien ne pourra limiter ou s'opposer à sa politique. Tout sera justifié pour répondre au chaos. En outre, cette stratégie élimine de fait tout interlocuteur palestinien crédible et «fréquentable». Le gouvernement israélien pourra dire qu'il n'a aucun territoire à céder, non parce qu'il refuse une telle cession mais parce qu'il n'y a personne pour la prendre en charge. C'est une vision aveugle, autiste et suicidaire. Toute la question, c'est de savoir comment faire pour que ce gouvernement ne mène pas toute sa société à ce suicide. Les dirigeants israéliens ne sont plus dans la politique du pire mais du désastre.
- Que peut l'Autorité palestinienne pour empêcher le chaos ?
- Aujourd'hui rien. Une partie importante de ses effectifs est devenue incontrôlable. Les Brigades d'Al-Aqsa ont d'ores et déjà annoncé qu'elles riposteraient avec le Hamas. Il y a quelques années, les bases (de l'Autorité et de Hamas, ndlr) étaient encore distinctes. Ce n'est plus le cas, et seules leurs directions demeurent distinctes. La différence s'est dissoute dans le malheur, les destructions, le mur que les bases subissent toutes indistinctement. Il y a donc aujourd'hui une réelle impuissance de l'Autorité nationale : il suffit de savoir que, la semaine dernière, des dizaines de cadres du Fatah à Gaza ont rallié le Hamas...
- Pourquoi Sharon élimine-t-il cheikh Yassine au moment où il veut rencontrer George W. Bush ?
- Les Américains agissent avec Sharon comme ils l'ont fait avec le mur. Quand sa construction a été lancée, ils ont pris pendant une très courte période une position de principe s'opposant à son édification. Mais elle s'est très vite muée en une critique de son tracé. La question n'était plus de savoir s'il fallait ou non construire un mur, mais comment faire passer celui-ci dans des zones où cela poserait le moins de problèmes à la stratégie américaine et à la «feuille de route»... C'est la même chose aujourd'hui : le seul pays de la planète qui n'a pas condamné l'assassinat de cheikh Yassine, c'est les Etats-Unis, qui ont en revanche appelé au calme. Une manière de signifier qu'ils sont surtout préoccupés par la gestion des conséquences de cet assassinat, mais qu'ils n'en font pas une question de principe. Sharon sait que son impunité se loge dans cet intervalle. Il sait aussi que les Etats-Unis peuvent être critiques sur sa manière de faire, mais qu'ils n'interviendront pas. Et que, jusqu'aux élections de novembre, ils ne s'impliqueront pas plus qu'ils ne le font aujourd'hui.
                               
19. La victoire du terrorisme par Akiva Eldar
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi 22 mars 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Tandis que le plan de désengagement et la capitulation devant le terrorisme étaient en cours de discussion, hier, dans le bureau du Premier ministre, la famille Khoury de Beit Hanina enterrait son fils George, 20 ans, un étudiant israélien assassiné à Jérusalem par les Brigades des Martyrs d’Al-Aqsa.
Presque au même moment, les parents de Fatma Al-Jaled, de Khan Yunis enterraient leur fille âgée de huit ans, mortellement blessée par des « tirs d’avertissements » de soldats de l’armée israélienne. Telle est l’essence de la routine de mort qui s’est emparée d’Israël et des territoires : les dirigeants palabrent, les combattants tuent, et les enfants meurent.
Lentement, le territoire s’emplit de plus en plus de victimes – Jérusalem, Khan Yunis, Ashdod, Gaza, Netanya, Jénine, Hadéra, Rafah, Tel Aviv. Lorsqu’un conflit national s’introduit de la sorte dans chaque foyer et devient un conflit personnel, il est difficile d’en faire abstraction dans l’environnement domestique. Quand les dirigeants auront finalement mis un terme à cette maudite guerre, et que les combattants auront reposé leurs armes, nous découvrirons un pays empli de haine, de peur et de violence.
En août dernier, une étude exhaustive sur l’impact des vingt premiers mois d’intifada sur la population israélienne adulte a été publié dans la revue de l’American Medical Association. 16 % des Israéliens adultes ont indiqué avoir été exposé personnellement à des incidents traumatisants. Le Professeur Avi Bleich, président de l’Association des Psychiatres Israéliens, a déclaré au Palestine-Israel Journal, en novembre dernier, que le cercle secondaire des personnes exposées à la violence et au deuil, en particulier les membres de la famille et les amis des victimes, correspond à 30 % des Israéliens. D’après ses estimations, toutes les secondes, un Israélien est exposé à un trauma, et ce calcul ne tient pas compte de l’impact des traumatismes auxquels la population est exposée via les médias. On peut estimer qu’au cours des vingt mois écoulés depuis l’achèvement de l’étude, ce pourcentage déjà énorme s’est encore accru.
L’exposition des habitants des territoires (occupés) à la violence et à la mort est encore plus grave. Le nombre de personnes non armées tuées jusqu’à présent approche les 2 000. Beaucoup plus encore ont été atteints physiquement et psychiquement. Une étude menée auprès des jeunes de 10 à 19 ans des territoires, l’an dernier, par le Dr Iyad Sarraj, chef des services psychiatriques à Gaza, a montré que 94,6 % de ces jeunes avaient participé à un enterrement, que 83,2 % avaient assisté à des tirs à balles réelles et que 61,6 % avaient vu un de leurs proches blessé.
Plus de 97 % des jeunes interrogés ont montré des troubles post-traumatiques de sévérité variable. D’après la Banque Mondiale, les bouclages et les blocus, durant les deux premières années de l’intifada, ont fait passer le taux des personnes vivant au-dessous du niveau de pauvreté, dans les territoires, de 20 à 60 %.
Le Croissant Rouge (palestinien) indique que, dans 70 % des appels téléphoniques qu’il reçoit, il ne peut pas atteindre la maison du malade. Une étude menée par l’Office Palestinien des Statistiques, en septembre 2003, a constaté que plus de la moitié des habitants de la Cisjordanie ont fait état de difficultés à se rendre à leur travail ou à leurs champs. Le Dr. Muhammad Haj Yihyé, de l’Ecole du Travail Social (Université hébraïque de Jérusalem) étudie depuis trois ans l’impact de l’occupation israélienne sur les adolescents (de 14 à 18 ans) vivant dans les territoires. La constatation la plus marquante de son étude (conduite avec l’aide de groupes témoins) est que les réactions post-traumatiques les plus sérieuses concernent, de plus en plus, la parenté éloignée.
Le niveau de la haine et de la peur est plus élevé dans la troisième génération, dans l’étude de Haj Yihyé, étant donné que ses membres détectent la souffrance, l’humiliation et la dépression chez les membres de leur famille appartenant à la première et à la deuxième générations. Le Dr. Haj Yihyé a trouvé également que l’adhésion à des symboles religieux et nationalistes, telle la Mosquée Al-Aqsa et le droit au retour, a été transmise à ce groupe de la population par la génération précédente.
A l’adresse du chef d’état-major, nous indiquons que cette étude constate que la conscience des jeunes Palestiniens ne s’est en rien émoussée, contrairement à ses espoirs, en raison de l’inutilité du recours à la violence. Au contraire, ils font montre d’un moral en voie de redressement et d’un engagement religieux. Ces jeunes manifestent aussi leur colère contre la direction palestinienne, le désir de protéger leurs familles et de venger leurs parents. Les filles, dans ce groupe, manifestent, essentiellement de la frustration et un perte de l’espoir.
Ces jeunes représentent l’ «infrastructure terroriste » de demain. « Ils ne sont pas plus dangereux que tous les tunnels de contrebande d’armes à Rafah et que les laboratoires d’armement de Khan Yunis. Ils incarnent la victoire quotidienne du terrorisme… et de l’occupation.
                           
20. Le "désengagement" de Sharon - Une totoche pour l’opinion israélienne par Tanya Reinart
on Zmag.org du dimanche 21 mars 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Cet article a été en partie publié par le quotidien hébreu Yediot Aharonot du 17 mars 2004.)
Partir de la bande de Gaza est un vieux rêve de la majorité de la société israélienne. Même avant les accords d’Oslo (1993), l’appel à se tirer de là pouvait être entendu après chaque attentat terroriste. Aujourd’hui, disent les sondages, le retrait obtient le soutien de 60 à 70 % des Israéliens. Mais les gouvernements se succèdent et, néanmoins, cette majorité n’a pas trouvé la capacité politique de réaliser son rêve.
Au début du processus d’Oslo, la majorité de l’opinion publique israélienne pensait qu’Israël se retirerait, en tout premier lieu, de la bande de Gaza. Mais Rabin donna au concept de retrait une signification inédite : il laissa toutes les colonies en l’état, il en étendit l’emprise, et il érigea une puissante barrière autour des zones concédées aux Palestiniens. La bande de Gaza une fois emprisonnées et isolée, ce fut un processus de négociations interminables qui commença, avec les dirigeants palestiniens, autour des détails d’étapes à venir qui pourraient, sait-on jamais, se concrétiser « le moment venu ». A l’époque, la majorité pensait non seulement que nous avions d’ores et déjà abandonné Gaza, mais même que nous étions sur le point de nous retirer des autres territoires occupés, mettant ainsi un terme définitif à l’occupation. Cela continua jusqu’à l’explosion causée par Barak, qui vint nous rappeler qu’en réalité, nous n’étions pas encore sortis d’une quelconque colonie…
En février 2002, Ami Ayalon et le conseil pour la Paix et la Sécurité sonnèrent l’entracte dans ces négociations perpétuelles. Il est tout à la fois possible, et nécessaire, dirent-ils, de se retirer unilatéralement des territoires, dont la majorité de l’opinion israélienne convient que nous devrons nous être retirés à la fin du processus de paix : l’ensemble de la bande de Gaza et la totalité de la Cisjordanie, à l’exclusion de 6 % à 10 % de ce territoire, représentés par les grands blocs de colonisation. Ceci signifie l’évacuation unilatérale et immédiate de toutes les colonies situées dans ces territoires, avant même la conclusion d’un accord définitif. 60 % des Israéliens soutenaient cette idée, dans les sondages, mais en fin de compte, il résulta de tout cela une campagne intensive sur le thème « construisons une barrière, d’abord » (kodem gader ve-az nedaber). Aux élections de 2003, Mitzna fit son apparition dans le spotlight avec une version plus modeste de l’idée du retrait unilatéral : évacuons les colonies de la bande de Gaza, immédiatement. Mais au cours de sa campagne électorale, cet « immédiatement » se transforma en « un an, ou deux, après les élections », et, d’ici là : renforçons la barrière...
Mais aujourd’hui, nous apprennent les journaux, c’est différent : nous sommes arrivés à un tournant historique. La majorité des Israéliens est priée de croire que, de tous les dirigeants israéliens, c’est Sharon qui nous sortira de Gaza ! Ce même Sharon qui a dessiné la carte des colonies dans la bande de Gaza, dans les années soixante-dix, et qui n’a cessé d’expliquer le rôle stratégique suprême que joue la colonie de Netzarim, en coupant la bande de Gaza en deux moitiés, le Sharon de la guerre au Liban, le Sharon de Jénine : oui, vous lisez bien : c’est LUI qui va maintenant démanteler les colonies de Gaza et mettre fin à l’occupation ! Formidable, non ?
Pour qui aurait encore des doutes, des preuves irréfutables sont apportées par le monde politique. D’intensives négociations sur le plan de retrait se déroulent, tant avec les Etats-Unis qu’avec l’Egypte. D’ailleurs, voyez  par vous-mêmes : la droite proteste déjà, les colons sont furieux, le chef d’état-major Ya’alon émet des réserves, et Sharon serait sur le point de perdre sa coalition gouvernementale – cela ne suffit-il pas à prouver à quel point il est sérieux ? Ceux qui continuent à douter se souviennent qu’il y a déjà eu beaucoup de projets, dans le passé, beaucoup de feuilles de route et de convois de diplomates, et que tout cela s’est toujours terminé par la découverte que Sharon ne croyait pas un mot de ce qu’il disait. Pour rétablir la confiance, le discours politique regorge d’explications tendant à prouver pourquoi, cette fois, c’est différent… Certains affirment que Sharon a changé, ou qu’il a dû céder à la volonté de son électorat, auquel il a promis la paix. D’autres expliquent que ce qui fait bouger Sharon, c’est la nécessité de détourner l’attention des divers scandales et allégations de corruption le concernant, ou alors, peut-être, qu’il envisage de renoncer aux colonies de Gaza afin de se gagner des soutiens internationaux pour son projet de mur en Cisjordanie…
Le hic, c’est que pour réaliser les buts annoncés par toutes ces explications, il n’est nul besoin de démanteler une seule colonie. Il suffit d’afficher des intentions, et de commencer un nouveau processus de négociations. C’est précisément ce que tous les gouvernements israéliens ont fait, avec succès, depuis 1993, et ce que Sharon fait depuis trois ans. La seule innovation tient à ce que désormais, on négocie avec tout le monde, sauf les Palestiniens. Tout ce cirque ne vise qu’à donner un os à ronger à la majorité et à la convaincre que cette fois, Sharon est sérieux. Ainsi, la majorité pourra continuer à rester coite encore un an, et laisser Sharon appliquer le modèle de Gaza en Cisjordanie, aussi.
L’historien américain Howard Zinn a formulé une règle très simple, qui s’énonce en trois mots : les gouvernements mentent. Il semble que cette généralisation soit parmi les plus difficiles qui soit à intégrer et à digérer, dans une société démocratique. En attendant ce moment heureux, la majorité reste condamnée à avaler, toujours et encore, le même bobard.
Rétrécir les cellules de la prison
Le plan de « désengagement » de Sharon a été présenté au début du mois de février, à un moment où les critiques internationales contre le projet de mur de Sharon atteignaient un apex, les auditions de la Cour Internationale de Justice de La Haye devant commencer quelques semaines plus tard seulement, le 23 février.
Dans une interview à Ha’aretz, Sharon a annoncé que « ce vide, dont les Palestiniens sont responsables, ne peut continuer. Aussi, dans le cadre du plan de désengagement, j’ai donné l’ordre d’évacuer – excusez-moi : de déplacer – 17 colonies, avec leurs 7 500 résidents, de la bande de Gaza vers le territoire israélien… L’objectif étant de déplacer les colonies situées dans des endroits où elles pourraient nous causer des problèmes ou dans des endroits où nous ne resterons pas, après un accord définitif. Il s’agit non seulement des colonies de Gaza, mais aussi de trois colonies problématique, en Cisjordanie » [Yoel Marcus, Ha’aretz, 03.02.2004]. Bien que les manchettes des journaux aient présenté ces déclarations comme un plan pour un retrait israélien unilatéral de la bande de Gaza, sur le modèle du retrait israélien du Sud Liban, Sharon avait, en réalité, déjà précisé dans son interview que « le processus prendra un an ou deux  ». Il expliqua qu’un long processus de négociations nous attendait, non pas avec les Palestiniens, qui seront exclus de toutes négociations au sujet de ce plan, mais avec les Etats-Unis, avec lesquels « un accord est nécessaire, tant au sujet des évacuations qu’au sujet de la barrière (dite « de sécurité », ndt) » [Ibid].
Trois jours après, des détails ont été communiqués sur ce que Sharon demande aux Etats-Unis en échange de ses concessions généreuses – à savoir : « déplacer la barrière de séparation vers l’est, avec l’accord des Etats-Unis, enfin d’en faire une ligne de sécurité temporaire qui entourerait plus de colonies que le tracé actuel de la « barrière »… La nouvelle ligne de sécurité sera maintenue jusqu’à l’application pleine et entière de la feuille de route. Après la reprise des négociations avec les Palestiniens et l’obtention d’un accord, Israël déplacera la barrière jusqu’à la frontière qui aura été déterminée. » [Aluf Ben, Ha’aretz édition hébraïque, 06.02.2004]. Sharon cherche aussi à obtenir le feu vert américain pour « étendre les grands blocs de colonisation en Cisjordanie, qui seront annexés à Israël dans le cadre de l’accord définitif » [Ibid.].
Et, effectivement, le tracé du mur a été au centre de négociations intenses entre Israël et les Etats-Unis. Nahum Barnea, l’un des journalistes israéliens les mieux informés, a rapporté qu’ « Israël ne demande pas d’argent pour financer l’évacuation, bien qu’il serait heureux d’en recevoir. Il recherche, principalement, un soutien au tracé du mur de séparation. » [Yediot Aharonot, supplément du samedi, 20.02.2004].
Mises à part les négociations avec les Etats-Unis, il n’y a aucun signe, sur le terrain, d’une quelconque intention d’évacuer Gaza. Un comité a été mis sur pied afin d’étudier de quelle manière dédommager les colons qui y vivent. Mais, pour l’heure, aucune trace de quelconques interviews ou contacts établis par ce comité avec les colons, ni de plans concrets auxquels ce comité aurait abouti. Il n’existe même pas de liste des colonies susceptibles d’être évacuées de Gaza. Peu après les déclarations solennelles de Sharon à Yoel Marcus, dans Ha’aretz, nous apprenons que « des sources du cabinet de Sharon ont indiqué que l’évacuation planifiée de Gaza concernera moins de colonies que les 17 mentionnées au cours de son interview avec ce même journaliste. D’après une source diplomatique, à Jérusalem, Sharon pourrait proposer, dans un premier temps, d’évacuer seulement les colonies isolées, et remettre à plus tard l’évacuation du bloc de Katif [important bloc de colonies dans la bande de Gaza] ». [Aluf Ben et Arnon Regular, Ha’aretz, édition hébraïque, 09.02.2004].
On pourrait en déduire que les colonies isolées, telle Netzarim, elles, au moins, sont en voie d’évacuation à court terme. Cela représenterait réellement un pas significatif. Comme Sharon n’a cessé de l’expliquer, la colonie de Netzarim n’a pas été créée au hasard. Elle est située sur la côte de la Méditerranée, au milieu de la bande de Gaza. Pour l’atteindre depuis les terres, Israël a tracé une route spéciale jalonnée de postes militaires. Cette route, dont la « bande de sécurité » s’élargit continuellement, sépare les faubourgs nord de la ville de Gaza du reste de la bande. Le transit entre le nord de la bande de Gaza et le sud est entièrement à la merci de l’armée israélienne, ce qui signifie qu’en réalité, il est interdit aux Palestiniens. Evacuer, au moins, cette colonie, avec sa route et ses postes militaires, restituerait à la bande de Gaza surpeuplée un semblant de continuité territoriale. Mais, sur le terrain, les travaux de renforcement de cette colonie n’ont fait que s’intensifier ces dernières semaines. « Les Forces Israéliennes de Défense (sic ! NdT) construisent, actuellement, à coups de millions de shekels, une nouvelle barrière électronique autour de Netzarim… Cette nouvelle barrière évitera d’éventuelles intrusions lorsqu’il y a du brouillard… Le chef d’état-major a approuvé le projet, et le commandant militaire de la région a donné ses ordres, dont l’expropriation de terres appartenant à des Palestiniens. » [Nahum Barnea, Yeddiot Aharonot, supplément du samedi, publié le 12.03.2004]
Mais dès lors que tant les Israéliens que le monde sont tellement empressés à croire que Sharon a l’intention d’évacuer les colonies de Gaza bientôt, qui remarquerait les horreurs quotidiennes ? Au moins, le projet de mur, en Cisjordanie, lui, attire quelque peu l’attention mondiale. Dans la bande de Gaza, le mur fut achevé dès les premières étapes du processus d’Oslo. La bande de Gaza est devenue une immense prison, divisée, à son tour en unités carcérales plus petites. Mais le projet actuel de l’armée va encore réduire la superficie des cellules de la prison. Cela est effectué au moyen d’une destruction constante de maisons et de vergers tout au long des « bandes de sécurité ». Alex Fishman, analyste militaire en chef du quotidien Yediot Aharonot, décrit l’un des projets qui se poursuit, tandis qu’Israël « prépare son retrait » : « Dans le bataillon de Gaza, on continue à mettre à exécution, progressivement mais systématiquement le vieux rêve : élargir la route « Philadelphia » [qui longe la frontière avec l’Egypte] jusqu’à la porter à un kilomètre de largeur au minimum … La réalisation de ce rêve est en cours depuis déjà deux ans. A chaque fois que le porte-parole de l’armée annonce que nos forces sont en opération dans la région de Rafah afin d’y découvrir des tunnels et de les détruire, quelques rangs supplémentaires de maisons sont détruits dans le camp de réfugiés. Sur certains tronçons de la route, la largeur est d’ores et déjà de plusieurs centaines de mètres, et leurs manches sont toujours retroussées pour l’élargir encore… [Yediot Aharonot, supplément du samedi, publié 19.03.2004].
Et maintenant que Sharon « a l’intention de se retirer », ce projet peut continuer sans problème. Depuis l’annonce de la nouvelle initiative, trois raids meurtriers ont été effectués par les Israéliens contre les Palestiniens de Gaza (12 février, 8 mars et du 17 au 21 mars). En même temps, de nouvelles perspectives s’ouvrent pour la maintenance de la prison à l’avenir, à savoir : qui sera chargé de nourrir les prisonniers ? Le conseiller ès sécurité nationale Giora Eiland, chargé de coordonner dans les moindres détails le plan de désengagement, a expliqué au cours d’une réunion des responsables de la sécurité, supervisée par Sharon que, dès lors qu’Israël se retire de la bande de Gaza, « il ne saurait être responsable de ce qui s’y passe ». « Que le monde s’occupe d’eux », a-t-il dit, ajoutant : « Je ne serai plus à l’avenir l’occupant, à Gaza : ce sera dorénavant aussi bien aux Egyptiens qu’aux Européens de s’en occuper ». [Aluf Benn, Ha’aretz, 18.03.2004]. 
                                       
21. Edgar Morin poursuivi pour "diffamation à caractère racial" après une tribune parue dans "Le Monde" par Acacio Pereira
in Le Monde du vendredi 19 mars 2004
Avocats sans frontières et France-Israël ont attaqué en justice le sociologue ainsi que les deux autres auteurs. Au cœur de ce procès, la "judiciarisation des opinions" sur le conflit israélo-palestinien.
En publiant , le 4  juin 2002, dans Le Monde, une libre opinion consacrée au conflit israélo-palestinien, Edgar Morin a-t-il dérapé et passé les limites du supportable  ? C'est le sentiment de deux associations, Avocats sans frontières et France-Israël, qui le poursuivaient, avec les deux autres signataires du texte - le député européen Sami Naïr et l'écrivaine Danièle Sallenave -, devant la 1re  chambre civile du tribunal de grande instance de Nanterre (Hauts-de-Seine), mercredi 17  mars. Jean-Marie Colombani était poursuivi comme directeur de la publication du Monde.
Visant trois paragraphes de ce long article titré "Israël-Palestine  : le cancer", les deux associations lui reprochent les délits de "diffamation à caractère racial" et "apologie des actes de terrorisme". Dans ces paragraphes, Edgar Morin écrit notamment  : "On a peine à imaginer qu'une nation de fugitifs, issue du peuple le plus longtemps persécuté dans l'histoire de l'humanité, ayant subi les pires humiliations et le pire mépris, soit capable de se transformer en deux générations en "peuple dominateur et sûr de lui" et, à l'exception d'une admirable minorité, en peuple méprisant ayant satisfaction à humilier."
Plus loin, le sociologue poursuit  : "Les juifs d'Israël, descendants des victimes d'un apartheid nommé ghetto, ghettoïsent les Palestiniens. Les juifs qui furent humiliés, méprisés, persécutés, humilient, méprisent et persécutent les Palestiniens. Les juifs qui furent victimes d'un ordre impitoyable imposent leur ordre impitoyable aux Palestiniens. Les juifs victimes de l'inhumanité montrent une terrible inhumanité. Les juifs, boucs émissaires de tous les maux, "bouc-émissarisent" Arafat et l'Autorité palestinienne, rendus responsables d'attentats qu'on les empêche d'empêcher."
Pour les associations requérantes, ces morceaux choisis montrent à l'évidence qu'Edgar Morin, en visant "toute une nation ou un groupe religieux dans sa quasi-globalité", a commis le délit de diffamation raciale. Diffamation qu'il aggraverait en opérant une généralisation quand il commet un "glissement sémantique" des "juifs d'Israël" aux "juifs" en général.
"ON EST DANS L'AMALGAME"
A l'appui de leur position, Avocats sans frontières et France-Israël ont reçu le soutien d'une enseignante en histoire-géographie, Barbara Lefèvre, et d'un chercheur du CNRS, actuellement cadre à la Cité des sciences et de l'industrie, Jacques Tarnero. La première, sûre d'elle et prompte à donner des leçons, s'est insurgée devant le tribunal contre ce qu'elle qualifie de "globalisation extrêmement inquiétante". "Dans un journal de référence, sous des signatures prestigieuses, on légitime l'idée que quand on parle d'Israël, on parle des juifs", a-t-elle regretté, avant d'évoquer une "dangereuse instrumentalisation de la Shoah". Selon l'enseignante, Edgar Morin, penseur de la complexité, aurait fait une lecture "binaire du conflit israélo-palestinien". "Je suis désolée de voir l'évolution de la pensée d'un homme qui était à mes yeux un esprit brillant", finit-elle par lâcher.
Moins polémique, Jacques Tarnero tient sur le fond le même discours, rappelant que "l'intellectuel doit mesurer le poids des mots qu'il utilise". "Quand j'ai lu ce texte, j'ai été consterné, accablé et furieux, reconnaît-il. On est dans autre chose que la critique du gouvernement israélien. On est dans l'amalgame. Cela revient à dire que les juifs sont devenus nazis. Nous sommes face à une régression intellectuelle qui se situe sur le terrain de l'idéologie alors qu'il s'agit d'un conflit complexe." Le chercheur admet pourtant que les propos reprochés aux trois signataires du texte incriminé ne sont pas à ses yeux "antisémites".
Cité comme témoin par Edgar Morin, Edwy Plenel, directeur de la rédaction du Monde, a regretté la "judiciarisation des opinions"et défendu la publication de ce texte estimant que Le Monde devait être "un lieu de débats où des points de vue contradictoires se répondent". Avec Jean-Jacques Salomon, professeur honoraire au Conservatoire national des arts et métiers, et Théo Klein, ancien président du Conseil représentatif des institutions juives de France, il a considéré que "les auteurs n'ont à aucun moment mordu le trait", les passages poursuivis étant sortis du contexte de l'article alors que, sous la plume d'Edgar Morin, ils sont précédés et suivis de nuances et de précautions reflétant son souci d'une "pensée complexe". "Leur opinion peut se discuter, a-t-il précisé. Mais elle ne relève pas d'une atteinte aux valeurs fondamentales des sociétés démocratiques."
Premier concerné et présent tout au long des huit heures de débats, Edgar Morin n'a pas pris la parole pour défendre son texte. Non pas qu'il n'ait pas souhaité s'exprimer, bien au contraire, mais la procédure devant la juridiction civile privilégie les observations écrites des avocats plutôt que les dépositions orales des mis en cause. Le résultat fut une audience un peu bizarre. Jugement le 12  mai.
                           
22. Entretien avec Shulamit Aloni : "Comme les Allemands, nous ne voulons pas savoir" propos recueillis par Attila Somfalvi
in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du jeudi 18 mars 2004
[traduit de l'hébreu par Pascal Fenaux]
- Shulamit Aloni, à quoi voulez-vous en venir en disant que vous comprenez les Allemands ?
- Dans ce pays, on rencontre aujourd'hui des gens qui disent : "je ne veux pas savoir, je ne lis pas les journaux." Si les gens ne sont pas prêts à lire Gidéon Lévy et Amira Hass [reporters du Ha'Aretz dans les territoires occupés], c'est simplement  parce qu'ils ne veulent pas savoir ce qui se passe. Ils ne disent pas que  les articles écrits par ces deux journalistes ne sont pas corrects, mais simplement qu'ils ne veulent pas savoir.
Nous n'avons pas accepté que les Allemands disent "nous ne savions pas" et cela nous a, à juste titre, rendu furieux. Ils ne voulaient tout simplement pas savoir. Ils étaient derrière le Führer et ils admiraient leur armée. Chez nous aussi, les gens ne savent pas et ne veulent pas savoir. Ce qu'ils savent, c'est qu'ils doivent se montrer patriotes. Et quoi de plus patriotique qu'une guerre ? Et on hisse le drapeau dans les écoles. Et on apprend l'hymne national. Il y a même cette imbécile [Limor Livnat, ministre de l'Education] qui a proposé d'inscrire sur les murs des classes : "Elohim yaazor lanou" ["Dieu nous viendra en aide"]. Ne sait-elle pas que, sur le ceinturon des soldats nazis, il était inscrit : "Dieu est avec nous" ? Il règne ici une hystérie de patriotisme et les gens ne disent plus rien.
- Vous ne choisissez pas la simplicité en faisant une telle comparaison …
- Notre société est rongée par l'insensibilisation et par l'exaltation de la force. Je suis effrayée par notre effondrement moral. Je suis effrayée par notre arrogance et par la facilité avec laquelle nous tuons et assassinons des Palestiniens. Je suis effrayée de ce que l'on a pu arracher 4 000 oliviers dans les Territoires sans que cela provoque de remous. Je ne peux trouver le repos quand je vois la muraille que nous sommes en train d'ériger. Nous volons la terre à des gens qui vivent en ce lieu précis depuis des siècles. Lorsque les camarades d'Arik Sharon ont vu leurs terres expropriées, ils ont reçu des indemnités énormes. Nous sommes en train de détruire des serres, des plantations et des infrastructures vitales pour trois millions de personnes, et nous nous persuadons que c'est nous la victime.
Quand nos tireurs d'élite tuent des gens, je ne peux vivre avec ça. Je ne  peux admettre que nous ne cessions de ressasser que nous sommes la victime et que nous ne fassions pas notre examen de conscience. Il faut comprendre que nos bombardements aériens ne sont pas moins sanglants que leurs attentats. Pendant que nous pleurons nos 900 morts, nous ne nous souvenons pas que nous  avons tué 3 000 civils palestiniens. Nous sommes violents, nous nous mentons  à nous-mêmes, notre exaltation de la force nous ronge. Et nous nous disons  une démocratie. Il ne peut y avoir de démocratie quand on domine trois millions  de gens qui n'ont pas de voix. Nous n'essayons même pas de comprendre que  ce que les Palestiniens veulent, c'est la souveraineté et les droits de l'Homme.
- D'où vient cette insensibilisation dont vous parlez ?
- Notre insensibilité morale absolue découle de notre domination. Quand le général [Amos] Yadlin, qui dirige le Collège de la Sécurité Nationale, écrit un article dans lequel il juge moral de tuer des femmes et des enfants lors de nos liquidations ciblées, et quand quelqu'un comme le professeur Assa Kasher [philosophe à l'Université de Tel-Aviv] soutient cette position, il y a un problème. On retient des Arabes israéliens à l'aéroport international et on casse leurs bagages ; il est de plus en plus courant de retarder des militants de gauche pour les forcer à se taire. Pourquoi ? Que nous arrive-t-il ? Mais les gens se taisent pour ne pas avoir d'ennuis.
Il y a ici des phénomènes dont il y a lieu de s'inquiéter. Pourquoi n'a-t-on pas ouvert d'enquête après la mort par écrasement de la manifestante américaine Rachel Corey ? Pourquoi le gouvernement n'empêche-t-il pas cela ? Pourquoi n'enquête-t-on pas sur les soldats qui abattent des journalistes ? Pourquoi couvre-t-on ceux qui ont la gâchette facile ? L'armée utilise des tireurs d'élite qui s'exercent en tirant sur des Arabes. L'effondrement moral de notre société est la conséquence directe de ce qui se passe dans les Territoires. Nous sommes responsables du sang juif versé.
- Qu'est-ce que cela signifie ?
- Dans Yediot Aharonot, Nahum Barnéa a un jour écrit que Sharon lui avait dit : "le sang juif est le ciment le plus efficace pour maintenir le consensus national. Quand le terrorisme diminue, les interrogations apparaissent, les critiques se font entendre et l'amertume grandit. Lorsque la terreur ne s'exerce pas, notre société se relâche et perd son panache." Je vous le demande, n'était-il pas évident que nos opérations brutales dans la Bande de Gaza ne pouvaient entraîner que des représailles ? Tout le monde savait qu'il y aurait une réaction. Alors qui est responsable du sang juif ? Nous-mêmes. Nous mobilisons toute la force dont nous disposons. Ils font régner la terreur et nous la leur rendons au centuple. Notre stratégie est une stratégie de la force, pas de la détente. Si nous avions joué la carte de l'apaisement, nous n'aurions pas fait de sale coup à Abou Mazen lorsqu'il a été nommé Premier  ministre [de l'Autorité palestinienne]. Aujourd'hui, tout le monde dit que  l'armée et le gouvernement israéliens ont fait échec à Abou Mazen et que ça a été une erreur. Mais il y a chez nous un véritable culte de l'armée, comme si l'armée était une valeur en soi, la clé de notre union et de notre existence. Dans ce pays, ce n'est pas l'Etat qui a son armée, mais l'armée qui a son Etat.
- Que voulez-vous dire ?
- On vient d'acheter des avions extrêmement sophistiqués pour plusieurs milliards. Qui en avait besoin ? Cet argent, on aurait pu le consacrer à la santé et aux pauvres. Nous avons la paix avec l'Egypte et avec la Jordanie. La Syrie veut la paix et est hors jeu. L'Irak n'est pas une menace et l'Iran est le  problème de la communauté internationale. Mais Shaul Mofaz gesticule et menace  les Iraniens, en persan, de bombarder leur réacteur atomique [le ministre  de la Défense israélien est d'origine iranienne]. Qu'est-ce qui lui prend  ? Depuis 37 ans, la paranoïa juive fait l'objet d'un lavage de cerveau. On  nous dit qu'on veut nous exterminer. Qui ça, "on" ? Nous sommes en  paix avec l'Egypte et avec la Jordanie, et ces deux pays ne nous menacent  plus. Et les Palestiniens, ils vont peut-être nous jeter à la mer ? La guerre  actuelle n'est pas une guerre de survie mais une guerre coloniale.
- Quand vous dites que tout le monde se tait, vous englobez la gauche israélienne ?
- Oui. Il n'était pas juste que des membres de la gauche prennent position contre les objecteurs de conscience. Dans un Etat moralement perverti et dans un pays où l'on fait accoucher les femmes sur le bord de la route, on devrait être fier de nos objecteurs plutôt que des les attaquer. Mais on préfère rester sage et montrer son patriotisme. Je me considère comme une patriote et c'est être patriote que protester contre la dépravation morale qui s'empare de nous. On me dit qu'il faut être populaire et populiste, qu'il faut coller à la masse. Dans le monde entier, on réprouve le nationalisme. Chez nous, on en fait un étendard. Tous les partis politiques sont fautifs. Il y a un tel attrait pour le pouvoir qu'à gauche, on croit que le pouvoir sera reconquis en épousant l'esprit de la droite.
- L'élection de Yossi Beilin à la tête du Yahad, et donc de la gauche, changera-t-elle quelque chose ?
- Je ne vois rien pour l'instant. Je suis hors du coup et je n'ai pas de conseils  à donner, parce que je n'ai plus de responsabilités politiques. Je soutiens  Yossi parce qu'il est déterminé dans son combat pour la paix. Je ne crois  pas que nous pourrons restaurer la société israélienne selon les valeurs de la liberté, de la justice et de la paix sans faire d'abord la paix.
- Croyez-vous que la gauche soit sur la bonne voie ?
- Je ne suis pas croyante. Je ne crois plus. J'espère seulement qu'il y aura une dynamique. Mais cette dynamique n'existera que si Ran Cohen [chef de file de l'aile sociale du Meretz], Beilin et Jammous ["Buffle", surnom arabe du député Haïm Oron] et toute la bande commencent d'abord par se bouger. Ces derniers temps, les seules voix que l'on a entendues au Meretz étaient celles de Zahava Galon et Roman Bronfman [dissident démocrate du parti populiste russophone de Nathan Sharanski]. Et leurs voix semblaient bien isolées. Il  faut se bouger, reprendre langue avec toutes les organisations de lutte pour  la paix, attaquer directement le gouvernement, s'exprimer dans la rue et oser rompre avec le politically correct. Il faut dire la vérité : notre combat  contre les Palestiniens est un combat colonial et nous commettons des choses  horribles. Il faut reconnaître que nous aussi nous avons fait exploser les  Britanniques à l'époque où ils occupaient le pays.
Il faut montrer que l'on prend l'argent des pauvres pour l'investir dans les Territoires. Il faut emmener dans les Territoires les gens de Dimona et Yeroham [villes de développement touchées de plein fouet par la crise économique et la cure ultra-libérale imposée par Binyamin Netanyahou] et leur montrer que c'est avec leur argent que l'on construit ces belles maisons aux toits verts [des colons], ces routes splendides et cette clôture monstrueuse. Qu'ils voient la réalité et qu'ils ne puissent plus dire après cela qu'ils ne savaient pas. Qu'on montre tout cela à ces gens qui ne perçoivent plus de salaires depuis des mois et ils cesseront de voter Likoud.
- Vous voyez-vous revenir à la vie politique ?
- Je ne me vois pas revenir. Je fais entendre ma voix, je m'agite et j'écris des articles. Mais je ne reviendrai pas. Je ne suis pas nostalgique. Le fait  que Sharon et Pérès, à leur âge, soient encore là est décourageant. Il est  temps de laisser la place à une nouvelle génération se développer. Mais voyez  ce qu'on a fait à Mitzna…
- De Barak et Netanyahou, lequel est un dirigeant convenable ?
- Ehoud Barak a été une véritable catastrophe et j'espère qu'on ne le laissera pas remettre les pieds en politique. S'il est tombé, c'est à cause de ses combines. Barak n'a pas compris l'état d'esprit du peuple. Quand on lui criait "Rak bli Shas !" ["Tout sauf le Shas", parti ultra-orthodoxe sépharade et oriental alors dirigé par le très populaire et populiste Arieh Deri], il n'entendait pas. Résultat, nous avons maintenant le Shinouï [parti laïque de droite, populiste, xénophobe et anti-oriental]. Il a amené catastrophe sur catastrophe. Il n'a pas appliqué les accords [israélo-palestiniens] que le gouvernement israélien s'était engagé à appliquer. Il est allé jusqu'à se moquer d'un Netanyahou qui avait donné Hébron [aux Palestiniens] et s'est même vanté de n'avoir, lui, rien donné. Je n'accepte pas sa politique économique mais, au moins, Netanyahou est conséquent. Barak ne faisait que parler.
[Née en 1928 à Tel-Aviv, Shulamit Aloni est avocate et publiciste de formation. Membre du Palmah (milice nationaliste de gauche) durant la guerre de 1948, elle fonde dans les années 60 le Ratz - "Mouvement israélien des Droits civiques" - et siège un temps comme députée travailliste à la Knesset. En 1973, elle transforme le Ratz en parti politique et quitte le Maarakh - "Cartel" composé de l'Avoda travailliste, du Mapam sioniste socialiste et de ligues villageoises arabes. En 1988, un deuxième gouvernement d'union nationale composé du Likoud et du Maarakh organise la répression du soulèvement palestinien dans les territoires occupés, ce qui provoque l'explosion du Maarakh suite au départ du Mapam et des ligues arabes. En 1990, le Ratz s'allie au Mapam et aux libéraux indépendants du Shinouï - "Mouvement pour le Changement" - pour former le Meretz - "Parti démocratique d'Israël". Lorsque le Parti travailliste de Yitzhak Rabin et Shimon Pérès revient au pouvoir au printemps 1992, le Meretz rallie la coalition gouvernementale et Shulamit Aloni obtient les portefeuilles de la Culture, des Communications et de l'Education.
Minée par des conflits récurrents avec Yossi Sarid, autre figure de proue du Meretz, elle démissionne de toutes ses fonctions juste avant la victoire des droites nationalistes et religieuses de Binyamin Netanyahou au printemps 1996. En accueillant en son sein les dissidents travaillistes du Shahar - "Paix, Education et Progrès" - emmenés par Yossi Beilin, le Meretz s'est transformé en Yahad - "Ensemble" ou "Israël social-démocrate". Lors des élections de la présidence du Yahad, Ran Cohen, activiste social et oriental, affrontait Yossi Beilin, négociateur des accords israélo-palestiniens d'Oslo (1993) et du pacte de Genève (2003). Aloni a alors choisi de soutenir publiquement Beilin. Depuis qu'elle a retrouvé sa liberté de parole, ses interventions publiques suscitent polémique sur polémique.
Samedi dernier (le 13 mars), devant des centaines de partisans de Yossi Beilin, Shulamit Aloni – "Oum Meretz" – faisait à nouveau la preuve de son style inimitable en réglant ses comptes avec tout le monde. Aucune "tribu" n'y échappait, ni le gouvernement, ni une société israélienne jugée indifférente, ni l'armée, ni même ses amis de gauche qu'elle juge trop mesurés. "Cessez d'être politically correct", leur lançait-elle, "mais dites la vérité aux gens d'ici."]

                           
23. Affaire de refus - Portrait de Eyal Sivan par Ange-Dominique Bouzet
in Libération du jeudi 18 mars 2004
Eyal Sivan, 39 ans, documentariste israélien. «Route 181», coréalisé pour Arte avec un Palestinien, a vu sa projection annulée à Beaubourg au festival Cinéma du réel.
- Eyal Sivan en 7 dates :
9 septembre 1964 - Naissance à Haïfa.
1982 - Invasion du Liban, rencontre avec Yeshayahou Leibowitz, réformé de l'armée israélienne.
1985 - Arrivée en France, début du travail sur Aqabat-Jaber, vie de passage. 1990 Izkor, les esclaves de la mémoire, rencontre avec Michel Khleifi. 1994 Création de Momento, avec Armelle Laborie, et réalisation de Aqabat-Jaber, paix sans retour ? 1995 Début de sa collaboration avec Rony Brauman sur Un spécialiste.
2004 - Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël et Pour l'amour du peuple, sur la Stasi.
Sur le mur du bureau d'Eyal Sivan, les affiches de ses films disputent la place à un bric-à-brac d'images sulpiciennes de vierges pâmées, de statuettes de petits rabbins ou d'icônes rayonnantes des défunts régimes communistes. «Mon musée de toutes les idoles religieuses et politiques», s'amuse-t-il, le sourire iconoclaste. Lui-même ne dépare pas l'esthétique de cet édifiant tableau : haute stature, belle gueule d'archange bouclé, aux yeux clairs... Il aurait pu faire carrière à l'écran. Dans les années 70, il a été une petite vedette de la télé israélienne : «Tous les lundis, il y avait un magazine animé par des enfants. J'étais l'un des gamins-reporters de Jérusalem. J'ai fait des sujets sur le détecteur de mensonge, le bizutage, la délinquance juvénile...» Finalement, il y a plutôt contracté le virus du documentaire, germe d'une carrière qui a violemment rebondi, la semaine dernière. La deuxième projection de Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël, coréalisé avec le cinéaste palestinien Michel Khleifi pour Arte, s'est vu annuler au festival Cinéma du réel.
Les autorités de Beaubourg ont justifié cette censure en invoquant l'intervention d'une dizaine de personnalités (dont Desplechin, Sollers, BHL) et des «motifs de sécurité». Elles sont restées sourdes aux pétitions de soutien (Godard, Banks, Todorov, Maspero, etc.). L'aventure laisse Sivan désemparé et amer. Il contrôle mal sa colère face aux accusations de ses adversaires, qui l'ont taxé d'avoir plagié Claude Lanzmann (en filmant un barbier à son travail, comme dans Shoah). «Lanzmann serait-il le seul génie de la culture qu'il soit interdit de citer ? Quand nous avons rencontré ce coiffeur, je n'ai pas imaginé le filmer autrement. J'ai vu, oui, que cela mettait la séquence en résonance avec celle de Lanzmann. Mais les scènes ne sont pas du tout identiques. En revanche, il y a un appel à une réflexion sur la mémoire, quand on voit que, trois ans seulement après la libération des camps, Israël a entouré un quartier arabe de barbelés en l'intitulant "ghetto"... Pour ce qui est de la Naqba (ndlr : la défaite arabe), je ne peux pas, en tant qu'Israélien, la penser autrement qu'en relation avec la Shoah, puisque c'est par la Shoah qu'on l'a légitimée. Mais ceux qui m'accusent d'avoir "comparé l'incomparable", c'est eux qui le font !»
Cet enfant oppositionnel d'Israël, en rupture de sionisme, est né Titenstein, à Haïfa. «Un patronyme "trop juif" pour l'époque, en Israël», explique-t-il. « Pour travailler dans le service public, en 1969, ma mère devait déjudaïser et hébraïser son nom. Mes parents ont choisi "sivam", le cinquième mois du calendrier hébraïque (mai), celui de leur mariage. Tous deux étaient arrivés d'Uruguay à la fin de leurs études, ma mère issue d'une famille d'origine polonaise, mon père d'origine russe. A la maison, l'ambiance était latino. La première langue que j'ai parlée, c'était l'espagnol ! Il était architecte, elle, archéologue. L'un qui construisait l'avenir, l'autre qui fouillait le passé. Evidemment, ils ont divorcé : ce divorce, c'est tout Israël.»
Sivan a grandi à Jérusalem, auprès de sa mère et de sa soeur, à l'ombre de son grand-père : «Un juif polonais danseur de tango, à tête d'Espagnol-Arabe, avec les cheveux et la moustache gominés, qui vendait des vêtements au porte-à-porte et adorait parcourir les villages arabes.» Elevé dans la tolérance, le gamin noue facilement connaissance avec les jeunes Palestiniens, qui font paître leurs chèvres sur le terrain vague du quartier : «Je suis devenu ami avec Khaled. Pour moi, l'Arabe, ça n'a jamais été l'autre, mais un enfant comme moi. Plus tard, j'ai promis à Khaled de ne pas aller à l'armée.»
Première manif en 1973, contre le gouvernement Golda Meir, avec ses parents. «Je suis un fils de soixante-huitards : c'est d'eux que je tiens mon refus de l'écart entre le discours et la pratique.» Le lycéen se positionne à l'extrême gauche, milite avec le mouvement Sheli (la Paix pour Israël) et fait la connaissance de Michel Warchawski, chez qui il «parle marxisme». Il quitte le lycée à 17 ans, «sans le bac», pour s'installer à Tel Aviv, où il travaille comme photographe, puis pour des maisons d'édition. La guerre du Liban le raidit dans son refus. «Je devais être incorporé en novembre 1982. Les massacres de Sabra et Chatila ont eu lieu en septembre. J'ai menacé de me suicider. Ils m'ont exempté. A l'époque, c'était une punition : on perdait le droit au permis de conduire et à un tas d'autres choses.»
Peu à peu, il se sent étouffer. «Je suis parti pour Paris, en 1985, avec un billet open. En arrivant, la république, la laïcité, la tour Eiffel, c'était un éblouissement. J'ai fait tous les petits boulots : vendu des affiches et des ballons sur le parvis de Beaubourg, et même tenu le restaurant du foyer de la Ménagerie de verre. Et j'ai aussi découvert une formidable plate-forme de travail à la bibliothèque de Beaubourg.» Il prépare ainsi, depuis Paris, le premier film tourné chez lui, sur un village de réfugiés près de Jéricho : Aqabat-Jaber, primé à Cinéma du réel en 1987.
«Je n'ai jamais décidé, formellement, de rester en France», dit-il. Cependant, sa vie va se dérouler entre l'Hexagone, où il se marie, et Israël... entre films produits ici et réalisés là-bas. En 1990, Izkor, documentaire qui analyse l'instrumentalisation de la Shoah dans l'enseignement israélien, lui vaut ses «premières insultes de Finkielkraut». C'est aussi la première fois qu'il donne la parole, à l'écran, au philosophe israélien Yeshayahou Leibowitz, son «principal maître à penser avec Hannah Arendt.» .
En 1994, il fonde Momento, sa société de production, avec Armelle Laborie, sa deuxième compagne, et son cousin («et surtout ami») Rony Brauman. Ensemble, avec l'ancien président de Médecins sans frontières, ils réalisent Un spécialiste, sur le procès d'Eichmann à Jérusalem. L'entreprise, à quatre mains, avec Michel Khleifi, de Route 181 pouvait paraître une gageure encore plus complexe. «Le film, dit-il, ne ressemble finalement ni au cinéma de Michel Khleifi ni au mien. Nous avons réussi parce que nous savions qu'une option nous était interdite : la séparation.» Cette contrainte, il l'énonce comme une devise politique. «Les objectifs fondamentaux du sionisme (réaliser la "normalité" des juifs, abolir les ghettos, construire la sécurité) ont échoué. Israël est devenu le plus grand ghetto juif du monde, et il n'y a pas de pays, aujourd'hui, où les juifs soient moins en sécurité qu'en Israël. La réalité d'Israël est binationale et le restera, même avec un Etat palestinien à ses côtés. C'est pourquoi je juge préférable de penser, véritablement, la construction d'un Etat israélo-palestinien, unique, laïque et démocratique.»
Ces derniers temps, il avait résolu de prendre la nationalité française. «Chaque fois, il y avait toujours quelque chose qui ratait : mauvais formulaire, délai pas respecté... Je croyais avoir trouvé la solution, récemment, en m'attelant à un film sur le sujet. Maintenant, je ne sais plus...» Il y a quinze jours, juste avant l'affaire, il avait aussi décidé d'arrêter de fumer. Raté.
                           
24. Le début de la fin de la coalition arrogante par Abdel-Bari Atwan (rédacteur en chef)
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du mercredi 17 mars 2004
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Voilà que la coalition à direction américaine qui a envahi l’Irak, après avoir mené la guerre au « terrorisme » en Afghanistan, est menacée d’effondrement, avant même de célébrer le premier anniversaire de l’occupation de Bagdad. En effet, Al-Qa’ida a réussi à faire tomber un des côtés de son alliance triangulaire européenne (et non la moindre), en faisant chuter le gouvernement Aznar et son parti de droite, à travers des attentats meurtriers que l’organisation islamiste a revendiqués, et qui ont modifié de manière spectaculaire le résultat des élections générales, au profit du parti socialiste espagnol.
Pour être plus précis dans l’analyse, nous devons insister sur le fait que la culture du mensonge et de la tromperie, dans laquelle cette coalition était passée maîtresse afin de tenter de justifier son agression immorale et illégale contre l’Irak, a joué un rôle essentiel dans cette grande victoire de l’organisation Al-Qa’ida.
En effet, le gouvernement Aznar s’est comporté comme les gouvernements arabes corrompus, en traitant son peuple en simple troupeau de moutons, et en choisissant de cacher délibérément au peuple la vérité sur les attentats de Madrid, en concentrant tant ses investigations que ses déclarations sur le seul mouvement indépendantiste basque ETA, en lequel il voulait voir le principal (sinon l’unique) responsable de ces attentats. Ce gouvernement est allé jusqu’à envoyer des ordres écrits à toutes les ambassades espagnoles dans le monde, leur enjoignant d’occulter tout rôle possible d’Al-Qa’ida dans les attentats, et d’exclure toute responsabilité étrangère au mouvement indépendantiste basque espagnol.
Bien plus, les dirigeants et les théoriciens de la culture du mensonge et de la tromperie, à Washington et à Londres, ont mobilisé leurs capacités afin d’occulter le communiqué d’Al-Qa’ida qui revendiquait ouvertement la responsabilité de ces attaques, en mettant en cause la crédibilité de ce communiqué et en invoquant force précédents et cas présentés comme similaires d’attentats perpétrés et revendiqués par l’ETA, dans une tentative pathétique de sauver leur allié « le soldat Aznar », et d’éviter qu’il ne soit déchu du pouvoir, avec son parti, tant ils redoutent voir s’appliquer leur « théorie des dominos », c’est-à-dire leur propre chute, l’un après l’autre, à l’occasion des élections à venir dans leur pays respectif : les présidentielles, aux Etats-Unis, dans six mois, et les législatives, en Grande-Bretagne, dans environ un an.
Ce n’est pas le souffle des attentats qui a amené le peuple espagnol à voter à gauche, ni la peur que ces attentats ont suscitée, mais bien sa colère contre son gouvernement de droite, qui est allé faire la guerre en Irak, sans respecter aucunement ses sentiments (90 % des Espagnols étaient opposés à l’engagement de leur pays dans cette guerre). Ce gouvernement a tenté de tromper le peuple espagnol en taisant la vérité sur l’organisation responsable des attentats, c’est-à-dire qu’il a essayé de falsifier le résultat des élections, par des manœuvres indirectes, immorales et antidémocratiques.
Quand onze millions d’Espagnols manifestent en solidarité avec les victimes des attentats atroces perpétrés contre une dizaine de trains de banlieue, les journaux américains sont particulièrement peu fondés à accuser ce peuple d’avoir voté d’une manière qui entérinerait le succès du terrorisme. Ce peuple est doté d’un sens moral particulièrement élevé, et il refuse d’être manipulé et de devenir l’instrument de politiques américaines iniques et arrogantes et du terrorisme d’Etat.
Le nouveau Premier ministre espagnol, José Luis Rodriguez Zapatero s’est montré courageux, et même extrêmement courageux, lorsqu’il a qualifié la guerre américaine en Irak de catastrophe, et lorsqu’il a condamné catégoriquement le bombardement d’Irakiens innocents avec des bombes américaines, exigeant de George Bush et de Tony Blair qu’ils présentent des excuses publiques et qu’ils procèdent à une autocritique les amenant à reconnaître leurs fautes, et à revenir sur leurs politiques belliqueuses catastrophiques.
Oui : George Bush et son allié Tony Blair doivent présenter publiquement des excuses à l’humanité toute entière, car ils sont allés faire la guerre à l’Irak sans aucun mandat international, sur la base de mensonges prouvés et démontrés au sujet d’hypothétiques armes irakiennes de destruction massive, et de liens (inexistants) entre Al-Qa'i’a et le président irakien déchu Saddam Hussein. Les conséquences de ces mensonges se sont avérées catastrophiques : ils ont coûté la vie à des dizaines de milliers d’Irakiens innocents, et ils coûtent à l’humanité des milliards de dollars qui auraient suffi à rassasier tous les hommes qui ont faim dans le monde, à soigner les malades et à faire du tiers-monde un paradis de prospérité économique.
Le monde, aujourd’hui, n’est ni plus sûr, ni plus stable, après l’invasion de l’Irak, l’occupation de ce pays et l’éviction de ses dirigeants. Ce pays n’est pas devenu, c’est le moins qu’on puisse en dire, après une occupation militaire américaine, une oasis de démocratie où régneraient les droits de l’homme et la prospérité économique. Non : l’Irak est une jungle où règnent l’anarchie et l’insécurité, où les enlèvements, les viols et les assassinats se multiplient et où les services vitaux, tels l’approvisionnement en électricité et les soins médicaux, ne sont plus assurés.
Le président Bush nous a promis que sa guerre en Afghanistan en finirait avec l’organisation Al-Qa’ida et aboutirait à la capture de son chef, ainsi que de tous ses hommes, en les faisant sortir de leurs repaires et en les faisant comparaître en jugement.
Mais les jours ont passé, qui nous ont montré à quel point ses calculs étaient faux, et ses estimations naïves : Al-Qa’ida est plus puissante, et elle se déploie sur une superficie que jamais auparavant : elle est à même d’influer sur les résultats d’élections démocratiques, en Europe.
L’ensemble de ces revers et de ces échecs se résume à une vérité constante, qu’a exprimé courageusement l’ancien premier ministre de Malaisie Mahatir Muhammad, lorsqu’il a déclaré qu’un groupe de partisans d’Israël s’est emparé des rênes de la politique américaine, après quoi il a mis la plus grande puissance économique et militaire du monde au service des intérêts israéliens, en infligeant la plus grande humiliation possible aux Arabes et aux musulmans.
Les solutions militaires et l’emploi des armes de destruction massive les plus sophistiquées de l’arsenal américain n’ont pu avoir raison du terrorisme. Elles n’ont fait que renforcer les potentialités du mouvement Al-Qa’ida. Elles lui ont même donné une base et un refuge sûr dans le nouvel Irak. Si l’autocritique figure bien encore au nombre des principales vertus des démocraties occidentales, ainsi que la reconnaissance et l’abandon de leurs fautes, les objurgations du Premier ministre espagnol dans ce sens devraient être entendues et ne pas se heurter à des tentatives de s’enterrer la tête dans le sable, comme le font les présidents – autruches Bush et Blair, et leur troisième larron italien, Berlusconi.
Si l’Amérique est détestée dans le monde entier, c’est parce qu’elle a soutenu (et continue à soutenir) le terrorisme israélien et des régimes corrompus et dictatoriaux honnis dans les monde arabe et musulman. Toute évaluation de la situation mondiale qui ne prendrait pas en compte cette réalité serait vaine et ne ferait que servir l’extrémisme et l’instabilité.
Le peuple espagnol a « accroché la clochette » [au cou du chat – à l’instar de la souris d’un conte pour enfants populaire dans les pays arabes, NdT], il s’est révolté contre la culture américaine du mensonge et du mépris, il a sorti son gouvernement de la coalition de l’agression et de l’arrogance.
Il reste au peuples américain et britannique à suivre son exemple.
Après quoi – seulement – nous pourrons nourrir l’espoir d’un monde réellement plus sûr et en paix.
                                                       
25. Palestine : le temps du chaos par Victor Cygielman
in Le Nouvel Observateur du jeudi 11 mars 2004
La situation se dégrade de jour en jour en Cisjordanie et à Gaza, où l’Autorité palestinienne de Yasser Arafat, paralysée et discréditée, perd du terrain au profit des islamistes du Hamas.
La Cisjordanie et Gaza, théoriquement administrées par l’Autorité palestinienne mais en réalité quadrillées et contrôlées par l’armée israélienne, connaissent des convulsions sans précédent. Et toutes ne sont pas dues à l’action des soldats israéliens, qui viennent de tuer 15 personnes dimanche, lors d’une de leurs incursions dans la bande de Gaza. C’est ainsi qu’à l’assassinat, à Gaza, du journaliste Khalil al-Zaban, conseiller de Yasser Arafat pour les droits de l’homme, se sont ajoutées par exemple, ces derniers jours, la démission du maire de Naplouse, Ghassan al-Shakaa, la fusillade qui visait le ministre de la Santé, Jawad Tibi, à Jénine, l’attaque armée contre le bureau de presse de Khan Younis, l’irruption de cinq hommes masqués dans les bureaux du chef de la police de Gaza, Ghazi Jabali, qui fut roué de coups, et la lettre de démission collective signée par quelque deux cents membres du Fatah protestant contre le refus d’Arafat d’opérer des réformes démocratiques.
Chaque organisation politique palestinienne a sa milice armée. En outre, dans certaines villes comme Naplouse, Jénine, Tulkarem ou Ramallah, des bandes armées mettent des quartiers entiers en coupe réglée pour le compte de gangs criminels. Enlèvements contre rançon, «protection» extorquée aux commerçants, trafic de permis de circuler achetés à des militaires israéliens corrompus puis revendus au prix fort aux citoyens palestiniens désireux de se rendre dans une ville voisine montrent à quel point la situation s’est dégradée.
Dans ce climat d’anarchie croissante, un seul gagnant: le Mouvement de la Résistance islamique Hamas. Alors que le Fatah d’Arafat est divisé en factions concurrentes qui s’accusent mutuellement de corruption et parfois même s’affrontent, le Hamas, aux mains propres, est solidement structuré et soumis au strict contrôle d’une hiérarchie respectée. Pour le moment, l’organisation du vieux cheikh Ahmed Yassine ne cherche pas à exploiter l’affaiblissement de l’Autorité palestinienne pour s’emparer du pouvoir. Elle se contente d’étendre les services qu’elle rend à la population palestinienne, multipliant les centres de soins médicaux, accueillant un nombre croissant d’enfants dans ses écoles et distribuant des vivres (huile d’olive, farine, sucre) aux familles nécessiteuses. Conséquence: au lieu de s’adresser aux représentants d’une Autorité nationale défaillante, les Palestiniens prennent l’habitude de se tourner vers le représentant du Hamas. Et peu à peu, l’autorité, le pouvoir réel passent aux mains des islamistes.
Cela devrait inquiéter Israël. Le Hamas n’est-il pas une organisation terroriste qui assume fièrement ses attentats et dont l’idéologie préconise la disparition de l’Etat d’Israël? Pourtant le gouvernement de Jérusalem ne semble pas très inquiet. En fait, Sharon se frotte les mains. Le renforcement du Hamas aux dépens du Fatah et de l’Autorité palestinienne cadre à merveille avec ses objectifs géopolitiques.
En effet l’évolution de l’OLP, qui avait fini par reconnaître, à partir de 1988, la résolution de l’ONU de 1947 recommandant le partage de la Palestine en deux Etats et qui avait renoncé à la lutte contre l’existence d’Israël, ouvrant la voie à la négociation, ne convenait nullement à Sharon. Car le Premier ministre israélien ne veut pas d’un Etat palestinien indépendant et viable, même si cet Etat fait la paix avec Israël. En revanche, la mainmise du Hamas sur Gaza et la Cisjordanie ne le gêne nullement. Au contraire. Elle lui permettra de dire aux Américains et aux Européens: «Regardez, les Palestiniens ont embrassé le fondamentalisme islamique qui cherche à détruire l’Etat juif. Nous n’avons pas d’autre choix que de leur livrer une lutte sans merci puisque le terrorisme islamique s’insère dans le terrorisme d’Al-Qaida, ennemi commun du monde civilisé.»
Quand on connaît les objectifs géopolitiques de Sharon, on comprend mieux la tactique poursuivie depuis trois ans par le Premier ministre d’Israël. Après chaque attentat palestinien, même perpétré par le Hamas, il pointait un doigt accusateur vers Arafat. Suivaient des représailles qui détruisaient systématiquement les services de sécurité et les institutions de l’Autorité nationale palestinienne. Des hélicoptères Apache bombardaient les prisons et les commissariats de police palestiniens, des commandos israéliens envahissaient le ministère palestinien de l’Education, saccageaient les bureaux, fracassaient les ordinateurs. L’objectif était le même: paralyser l’Autorité palestinienne.
Aujourd’hui, Arafat est isolé, la pagaille règne dans les services de police palestiniens. Incapable d’assurer la sécurité de la population, l’Autorité palestinienne - diminuée, divisée - ne fait rien pour surmonter l’incurie et combattre la corruption. Dans l’entourage d’Arafat, on cherche à le convaincre d’organiser de nouvelles élections - malgré l’occupation israélienne - «seul moyen peut-être, selon Ziad Abou Zayyad, député palestinien et proche d’Arafat, de redorer le blason d’une Autorité palestinienne discréditée».
                           
26. Les Israéliens, maîtres dans la manipulation des médias par Toine Van Teeffelen
on Aljazeera.net le lundi 8 décembre 2003
[traduit de l'anglais par Xavière Jardez]

(Toine Van Teeffelen est Docteur en analyse du discours de l’Université d’Amsterdam par une thèse sur les images du  conflit israélo-palestinien dans la littérature populaire occidentale. Il est actuellement consultant en éducation et représentant des mouvement de la paix en Palestine.)
J’ai, en  tant que guide et consultant vivant à Bethlehem en Palestine, souvent coordonné des visites de groupes d’Occidentaux venus se rendre compte de visu de la réalité palestinienne. Presque toujours, ils avaient  après coup l’impression que ce qu’ils avaient vu ne correspondait pas à l’image de la Palestine qu’ils en avaient auparavant. D‘une certaine manière, l’impact et l’étendue de l’occupation n’avaient jamais vraiment été comprises, sauf après une expérience de première main. Pourquoi ?
De nombreuses raisons sont en jeu, mais aucune n’est aussi importante que l’influence des médias. Je pense que trois facteurs doivent être considérés pour comprendre l’impact des médias occidentaux sur l’image populaire de la Palestine occupée – la Cisjordanie, Jérusalem Est et la Bande de Gaza :
1. La situation professionnelle et le milieu culturel des journalistes occidentaux travaillant en Israël et en Palestine,
2. La présentation des nouvelles de la   région
3. Les limites du débat au sein des médias
Le travail d’un journaliste
C’est le travail d’un journaliste que de recueillir les informations et les interprétations. Dans le cas de la Cisjordanie et de Gaza occupées, il est regrettable de noter que, depuis les premiers jours de l’occupation en 1967, peu de journalistes occidentaux ont eu la volonté ou l’occasion de vivre pendant un temps prolongé dans des villes palestiniennes telles que Ram Allah ou Gaza. La grande majorité des correspondants locaux préfèrent vivre en Israël, ou à Jérusalem Ouest ou parfois dans la partie arabe de Jérusalem où ils ont leur base de travail, limitant leur couverture directe des affaires palestiniennes à de brefs sorties vers le centre de la  Cisjordanie. Ils développent ainsi une connaissance plutôt parcellaire de la  société palestinienne sous l’occupation et peu de compréhension des divers contextes sociaux et politiques dans lesquels les Palestiniens essaient de poursuivre leur vie en dépit de l’occupation.
La situation n’a pas changé. Au cours de la seconde Intifida (à partir de septembre 2000), il était devenu quasiment impossible pour les Israéliens,  y compris la plupart des journalistes israéliens, de voyager ou de séjourner en Cisjordanie et à Gaza. Les équipes de télévision étrangères s’avéraient dépendantes du personnel d’appoint palestinien qui, à leur tour, souvent ne pouvait se déplacer librement dans les territoires occupés, tandis que les équipes internationales devaient obtenir un permis de travail.  
Missions dangereuses
De plus,  il était devenu dangereux de visiter les zones de tension , particulièrement après que l’armée israélienne eut harassé de plus en plus souvent les journalistes, les Palestiniens et les internationaux jusqu’à  tirer sur eux. L’armée a par ailleurs, commencé à fermer systématiquement certaines zones aux étrangers  et journalistes, comme pendant les couvre-feux  prolongés des villes palestiniennes en 2002-2003.
Cependant, en dépit de ces contraintes, il est toujours possible, en principe, aux journalistes étrangers de voyager et de vivre dans les régions palestiniennes, un choix qu’un nombre de plus en plus restreint exerce. Ainsi, leur accès aux événements en cours de l’Intifada et aux interprétations qu’en donnent les Palestiniens dans leurs contextes est restreint.
Prenons un exemple. Les  journalistes  sont plus rapidement sur la scène d’une attaque palestinienne contre des Israéliens dans les rues de Jérusalem que lorsque des Palestiniens sont tués dans un raid à Hébron. Il s’ensuit que les reportages sur les victimes palestiniennes manquent de la proéminence, de l’immédiateté, du drame et de la contextualisation qui entourent les informations sur les attaques contres les Israéliens. A part ces questions de présence et d’accès, on doit aussi considérer le milieu culturel des journalistes occidentaux, plus familiers avec la vie moderne israélienne- dont l’hébreu  dans le cas de journalistes israéliens ou  juifs des chaînes internationales- qu’avec le mode de vie  palestinien ou arabe.
Reportages stéréotypés
Il est donc difficile d’imaginer que cela n’a aucune influence sur les sujets ou la manière d’informer. Sur un plan analytique, il est fréquent de constater que les journalistes ont recours à des étiquettes trop connues ou stéréotypées telles « fanatisme », « intégrisme », « tribalisme » et « Islam », toutes tentatives d’explications généralistes destinées aux violents événements côté palestinien. Ils négligent l’influence précise de  l’occupation, de la domination, de l’histoire et le contexte personnel ou local qu’ils auraient mieux saisi s’ils avaient vécu là-bas.
On peut aussi dire avec certitude que les journalistes considèrent les interprétations données par le gouvernement israélien ou l’armée  beaucoup plus sérieusement- même si c’est avec quelque précaution- que les commentaires officiels ou non officiels des Palestiniens.
Un journaliste français d’Antenne 2 observait : « Quand les Palestiniens exagèrent ou mentent, cela se voit presque immédiatement. Le mensonge est  cru et basique. Les mensonges d’Israël sont plus intelligents, plus sophistiqués. Quand un officiel israélien fournit une information, elle semble venir d’un cercle de réflexion qui a décidé d’offrir sa propre marque de propagande  journalistique» ( Palestine-Israel Journal, Vol. 10, n°2, pp. 19-20).
L’officiel israélien est aussi mieux équipé en terme de logistique et de personnel pour vérifier ou suivre des articles que son homologue palestinien, qui est seulement récemment devenu plus performant, particulièrement au niveau des ONG. Les journaux arabes paraissent en arabe tandis que les journaux  israéliens les plus importants (Jerusalem Post, Haaretz)  paraissent en anglais, permettant ainsi un flot quotidien de reportages et d’analyses, penchant vers Israël, et facilement disponibles sur Internet. En fait, la plupart des journalistes occidentaux sont plus familiers avec la réalité de l’occupation par les compte-rendu critiques des journalistes d’Haaretz, Amira Hass et Gideon Levi, qu’avec ceux de la  presse arabe ou palestinienne.
Edition finale
Mais les journalistes sur le terrain sont partiellement responsables de la manière dont leurs articles paraissent en final dans la presse ou sur l’écran. Les articles tels qu’ils sont publiés sont filtrés, expurgés des éléments qui contredisent les attentes des lecteurs, des publicitaires et de l’élite politique. Des organisations, comme FAIR, l’Institut de la Presse Internationale et l’Intifada Electronique (Electronic Intifada) ont  conduit des recherches sur la sélectivité ou le  parti pris des reportages de la presse occidentale (notamment américaine) sur la violence palestinienne ou israélienne. Les victimes palestiniennes font moins (et de  moins en moins) l’objet de couverture que les victimes israéliennes. (Comparez la tendance de la presse occidentale à parler de  période de « calme » quand il n’y a pas de victime israélienne alors qu’au même moment on dénombre des douzaines de victimes palestiniennes).
Les actes de violence israéliens sont souvent décrit comme les actions de routine ou neutres d’une armée d’état  et  comme les réponses à un acte de violence des Palestiniens. (« représailles » et l’emploi de la terminologie israélienne de « Forces de défense israéliennes » ou « forces de sécurité »  au lieu de, par exemple, « armée israélienne ». 
La violence palestinienne est dramatisée et semble agressive par nature. D’un autre côté, la violence structurelle et l’illégalité de l’occupation sont peu soulignées dans la plupart des articles de presse. Les principaux médias occidentaux mentionnent les « implantations » qui font partie du « grand Jérusalem » comme des « voisinages » tandis que, plus important, les papiers, surtout dans la  presse US, utilisent les termes de «  territoires contestés » ou « les territoires (palestiniens) » plutôt que les « territoires  (palestiniens) occupés » ou « la Palestine occupée » quand ils se référent à la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem Est. De telles distorsions linguistiques orientent le lecteur ou le téléspectateur dans son attribution du blâme ou de la relation de cause à effet, en d’autres termes dans leurs interprétations et leur vision du conflit.
Opinions
La presse offre aussi de l’espace à des opinions plus élaborées, à  travers des interviews intensifs, des commentaires d’experts, de porte-parole ou du public. Quelle est la portée de ces opinions ?  Il semble y avoir trois paradigmes principaux à savoir :
1. Les Israéliens ont droit à la sécurité et la violence palestinienne est illégitime
2. Le conflit représente un cercle infernal de violence qui doit être brisé par les négociations et la médiation
3. Le conflit est essentiellement entre une occupation illégale et un peuple occupé et non protégé
La majeure partie de la presse occidentale fluctue entre 1et 2 et peu de débat ne se présente entre 2 et 3 en raison de la proximité de la presse avec les élites politiques, le souci de l’obtention de publicité et l’impact d’un groupe de faiseurs d’opinion conservateur au sein des médias importants. Dans le cas du conflit israélo-palestinien, un rôle influent est joué par la hasbara israélienne (la propagande d’Etat).
Camp David
Prenons pour exemple la manière dont a été couvert la rupture des négociations à Camp David à l’été 2000 et le début de la Seconde Intifada. Les spécialistes des médias israéliens ont entrepris un effort concerté pour diffuser une interprétation qui, d’un côté, soulignait la générosité d’Israël (sur Jérusalem principalement) et de l’autre, la prétendue  trahison d’Arafat, présenté comme un conspirateur, soulevant une insurrection armée. De cette façon, les demandes palestiniennes furent présentées comme des demandes  irraisonnables (plutôt que justifiées par le droit international) et les raisons de la rébellion furent considérés non comme le résultat  des circonstances difficiles de l’occupation, mais comme le pouvoir dictatorial d’une seule personne, Arafat. La conclusion est donc que les médias occidentaux principaux, Etats-Unis en tête, ne fournissent pas une explication compréhensive, cohérente, profonde, factuelle, contextualisée et détaillée de l’histoire palestinienne telle qu’elle est, enracinée dans une vie quotidienne d’occupation et émanant d’une aspiration et d’une volonté collectives pour la liberté dans un Etat national. 
Il est évident que le pouvoir des médias est tel que toute représentation édulcorée du récit de la Palestine influence la politique. Il n’est pas suffisant de s’appuyer sur le droit international et un consensus mondial sur la nécessité d’un Etat palestinien si les acteurs politiques essentiels et leur audience ne comprennent pas totalement les  enjeux de cette histoire. [Texte original en anglais : http://english.aljazeera.net/NR/exeres/0944B35C-4811-4F44-88EF-F96684DF85F7.htm]
                       
27. "Rendre la honte plus honteuse", Réflexion par Rony Brauman
in La Chronique (revue d’Amnesty International France) Septembre 2003

(Né à Jérusalem, ancien président de Médecins Sans Frontières (1982-1994), auteur d’un documentaire remarqué sur le procès Eichman, Rony Brauman s’est rendu à plusieurs reprises en Israël et dans les Territoires occupés. Pour clore notre dossier, le point de vue d’un humanitaire soucieux de conjuguer le travail sur le terrain et la réflexion critique.)
C’est bien connu, le conflit israélo-palestinien est de ceux qui embrasent les passions, et pas seulement sur place. On peut porter un jugement, prendre des positions tranchées sur la question des droits de l’Homme en Colombie, au Togo, en Tchétchénie, en Birmanie ou en Chine sans encourir d’autre risque que celui d’une indifférence polie. Nul ne se verra interpellé sur ses arrière-pensées, ses origines ethniques ou religieuses. Il en va tout autrement dès qu’il s’agit du « problème arabo-sioniste », pour reprendre l’appellation de l’historien israélien Benny Morris. Là, le soupçon règne en maître. Il s’insinue au sein même de certaines organisations humanitaires ou de droits de l’Homme où les manifestations et mises en cause de la politique de colonisation israélienne en Palestine créent parfois des tensions très vives entre membres de ces associations. Il expose celles-ci, dès lors qu’elles s’expriment sur ce sujet, à des attaques d’une rare violence, provenant même de personnes par ailleurs attachées à la défense de principes qu’elles acceptent de voir piétinés dans ce conflit.
La force, et sans doute la limite, des organisations de défense des droits de l’Homme réside dans leur capacité à s’en tenir à la réalité des exactions et abus commis, telle que les enquêtes permettent de la reconstituer. Au-delà – ou en deçà – des appréciations de chacun, la matérialité des faits doit primer sur les préjugés et positions politiques. Ils offrent une perspective spécifique, voilée aussi bien par les reportages d’actualité que par les analyses géopolitiques et diplomatiques. Le catalogue de violences et d’injustices listées dans les rapports n’a pas d’autre objectif que de « rendre la honte plus honteuse en la livrant à la publicité », selon la célèbre phrase de Marx. Les loyalistes des deux bords reprocheront, non sans raison, aux ONG de droits de l’Homme d’ignorer l’histoire longue et les enjeux du conflit israélo-palestinien, d’établir une symétrie factice dans une situation e déséquilibre radical. Reconnaissons d’emblée que ces critiques sont fondées. Mais elles le sont dans le contexte israélo-palestinien comme dans tous les autres, ni plus ni moins, et c’est ce qui limite leur portée. Les droits de l’Homme ne sont pas une politique mais quelle politique peut s’abstraire de toute considération pour les droits de l’Homme ?
La fin de toute politique réside dans ses moyens et nulle part ailleurs. C’est pourquoi la torture, les exécutions extrajudiciaires, les attaques contre les civils, pour ne parler que des exactions pratiquées par les deux parties, doivent faire l’objet de condamnations d’ensemble. C’est pourquoi, également, les « bombes humaines » palestiniennes et la culture de mort que véhiculent les commanditaires de ces attentats ne peuvent faire l’objet d’aucune complaisance. Même si, à l’évidence, elles sont d’abord le produit du désespoir d’une partie croissante de la jeunesse palestinienne. C’est pourquoi, encore, l’occupation militaire et la démolition de la société palestinienne par la colonisation israélienne ne peuvent déboucher que sur d’autres événements désastreux. Nul n’est en mesure de prévoir les développements prochains du conflit et encore moins son issue à terme. Reste la conviction que, pour tenter d’enrayer la marche vers l’abîme, la construction d’une vision, d’un récit commun aux Israéliens et aux Palestiniens est indispensable. Les associations israéliennes, palestiniennes et internationales de défense des droits de l’Homme peuvent y contribuer.
[Voir Le spécialiste, film co-réalisé par Rony Brauman et Eyal Sivan, sur Eichman. Lire également l’essai de R. Brauman : Eloge de la désobéissance, éditions Le Pommier, 1999.]
                                   
28. L’impossible Israël en Palestine niée par Jean Cardonnel
in Golias (Hors-série N° 6) Été 1992

(Jean Cardonnel est prêtre dominicain.)
Ma génération ne s’est pas relevée de l’intolérable toléré : la négation massive d’une foule d’hommes et de femmes par les conquérants du monde qui se donnaient le titre de Race des Seigneurs. Ils avaient tous les droits et se réclamaient du Führer Princip ou principe du chef, du patron, selon lequel chacun n’existerait qu’à l’intérieur d’une hiérarchie. Les talons claquaient et, du haut en bas d’un monde impeccable s’entendaient les mots « A vos ordres ! » Les maîtres ont besoin d’humains niés pour s’affirmer dans leur supériorité absolue. Au directeur à tous les échelons s’opposait la conscience individuelle qualifiée de « perverse invention juive ». L’expression était d’Adolf Hitler. La conscience personnelle comme ultime critère ne pouvait conduire qu’à la désagrégation du tissu social dont la solidité venait d’un respect total, les yeux fermés, du chef. Et si, de surcroît, la conscience n’avait rien d’une norme extérieure mais se confondait avec les hommes, les femmes, les enfants, les peuples qui devenaient conscients de leur Réalité, il fallait d’urgence briser net son processus maladif au nom de l’Ordre. Du coup, la plus légère mise en cause d’un ordre implacable, parce que pur, revêtait l’allure d’un crime de lèse-majesté. Pas de question. Rien que des réponses au terme desquelles se profilait la Solution finale. Il importait d’anéantir la mise en question pour que règne seule la certitude. Exterminer le « Pourquoi » s’imposait afin qu’oblige un « c’est ainsi » définitif.
Les juifs en masse furent écrasés sous la botte nazie. On leur dénia le droit d’exister. Ils devaient évacuer l’humanité qui, d’ailleurs, au regard des hitlériens, ne constituait qu’un mot vide de sens. La sinistre trouvaille fut celle de l’innovation des chambres à gaz, aussi niée par les révisionnistes que les juifs par les nazis. Faire partir en fumée les fils d’Israël relève d’un besoin de les congédier d’une existence où, disent leurs bourreaux, ils n’auraient jamais dû pénétrer. On leur reproche d’être nés, d’avoir été conçus, eux, les inconcevables ennemis du genre humain. Ce dernier terme n’est utile que pour désigner un agrégat de races inégales dont le juif, sorte d’insecte, de frelon, ruinerait la santé par ses piqûres. Humains, nous le serions plus ou moins d’après le jugement du Fauve supérieur, germanique, aryen, sur nos moyens de l’épanouir, lui et lui seul.
Malgré l’effort du cher Loftallah Soliman, auteur d’une histoire profane de la Palestine, je crois aux arrière-plans mythique et à la force opératoire des symboles contrastés d’un Devenir juif et palestinien mêlé que récuse l’étroitesse israélienne. Il en est du juif comme de l’être humain taillé pour l’universel : il se caractérise par l’impossibilité de s’accomplir à pure et simple hauteur d’homme. Toujours en deçà ou au-delà. Ou réduit à un destin qui se veut d’une particularité privilégiée ou anticipateur, prophétique de la famille des peuples. Ou une nation à l’abri de son Temple, inséparable, indissociable du sol qui la porte, d’une Terre promise par Dieu et reçue de lui, ou carrément l’esquisse messianique de l’humanité tout entière. Hitler le voyait de son coup d’œil d’Aigle, Guide, Führer des prédateurs : il tirait de son regard une théorie rigoureuse du rejet d’hommes, femmes, enfants, juifs hors de l’humain : « Le juif, disait-il, n’est pas un homme. C’est un pou » et la preuve s’étale : il se montre incapable de fonder un Etat. A contrario chacun peut voir où se déploie la caractéristique humaine aux yeux d’Hitler : la capacité d’instaurer un ensemble étatique. C’est à partir d’un critère relativement proche que Christophe Colomb écarte les Indiens de l’humanité, même si sa première démarche est d’admiration. « Ils donnent tout, de l’or, des diamants comme de l’eau. Il faut l’avoir vu pour le croire. » Et soudain la bifurcation : « Ils ne connaissent pas le prix des choses. Ce ne sont donc pas des hommes mais des animaux. » A contrario, l’homme se définirait par la connaissance du prix des choses. Tel est, selon Christophe Colomb, le signe d’une émergence de l’humain chez l’homme. Il me vient soudain à l’esprit la remarque d’un prélat français sur le compte des Canaques de Nouvelle-Calédonie : « Ils n’ont même pas le sens de la propriété privée ; nous avons par conséquent tout à leur apprendre de notre civilisation chrétienne. » Le tour est fait – mais non complètement – du bêtisier des Occidentaux chrétiens humanistes : avec la connaissance du prix des choses et l’art de fonder un Etat, nous aurions le Smic du spécifiquement humain et avec la propriété privée le revenu minimum d’insertion (RMI) dans la civilisation chrétienne.
De l’histoire se dégage une terrible vérité : l’unité de l’espèce humaine, l’appartenance commune à l’humanité d’étal à égal, ne vont pas de soi. Impossible de les atteindre par l’établissement d’un constat objectif. On ne les trouve qu’au terme d’une adhésion, d’un amour mutuel de découverte admirative, d’une amitié créatrice de liens des uns aux autres en totale réciprocité.
Les juifs nés du non à l’intolérable
Je retrouve un texte relu comme s’il n’était pas de moi tant il vient d’infiniment plus loin et profond que moi. Il surgit d’une revue intitulée Frères du monde (1972) malencontreusement disparue et dont j’ai la joie de constater que Golias a pris la relève. « Tout commence par la Parole qui met debout un peuple écrasé, quintessence de l’oppression universelle par le mystère de l’ordre social. » J’opposais ce mystère à celui de l’Incarnation dans une incompatibilité radicale que signalait Napoléon Bonaparte : « La sécurité ne peut exister sans inégalité des fortunes et l’inégalité des fortunes sans la religion… Je ne vois pas dans la religion le mystère de l’Incarnation mais le mystère de l’ordre social ; elle rattache au ciel une idée qui empêche que le riche ne soit massacré par le pauvre. » Tout débute par un problème d’immigrés contre lesquels M. Le Pen – pardon ! le pharaon d’Egypte, veut protéger ses compatriotes – pardon ! ses sujets au pur sang égyptien : « Les fils d’Israël fructifièrent, pullulèrent, se multiplièrent et devinrent de plus en plus forts : le pays en était rempli. Alors un nouveau roi… se leva sur l’Egypte. Il dit à son peuple : voici que le peuple des fils d’Israël est trop nombreux et trop fort pour nous. Prenons donc des sages mesures contre lui pour qu’il cesse de se multiplier. En cas de guerre, il se joindrait à nos ennemis, il se battrait contre nous et il sortirait du pays » [Exode I-7-10].
A quelques formules près, on jurerait l’argumentation du Front national : la France est menacée d’invasion, elle deviendra bientôt une République islamique.
Les fils d’Israël sont déjà soumis aux travaux forcés des camps de la mort lente. Bientôt ils n’en peuvent plus. « Ils gémirent du fond de la servitude et crièrent. Leur clameur monta vers le Voyant du fond de la servitude. Le Voyant entendit leur cri ; il se souvint de son Alliance avec Abraham, Isaac et Jacob. Le voyant vit les fils d’Israël ; il se rendit compte » [Exode II-23-25]. L’imparfaitement appelé Dieu, c’est celui qui voit l’ampleur de l’injustice et de la cruauté. Celui qui se rend compte et ne prend pas son parti de l’ignoble réalisé. Du coup, il prend parti. L’aventure est connue du petit juif victime de l’une des solutions finales qui rythment l’épopée humaine. Il est sauvé par la compassion au sommet du camp de l’oppresseur : la fille de pharaon. Elle donne à son protégé le nom même de sa propre action libératrice : sauvé des eaux – Moïse. Devenu grand, le jeune homme sortit vers ses frères, non pas la fratrie, les liens du sang, mais l’innombrable fraternité. Il n’a pas d’autre famille, d’autre patrie que la famille, la patrie de tous les opprimés, de tous les déportés. Il va sur les lieux de l’exploitation du travail et il a la réaction même du Voyant : il voit, il se rend compte et il tue le tortionnaire du déporté. Les juifs n’ont rien d’une race parmi d’autres races car la race n’a pas de consistance historique – ni d’une Nation parmi d’autres nations – ni d’une patrie parmi d’autres patries, encore moins d’un Etat parmi d’autres Etats.
Tout s’inaugure donc par la parole porteuse d’acte d’une mise debout d’un peuple nié, raccourci prophétique de l’oppression universelle par l’énigme du Despotisme. Il n’y a pas d’autorité tout court, d’autorité qui se suffise à elle-même. Il n’est d’autorité que de la parole et de la parole qui libère, de la parole qui n’opprime pas plus qu’elle ne flatte les instincts. La parole est meurtrière des instincts de mort. Elle a pour trait distinctif de mettre debout les hommes couchés, les hommes condamnés à ramper sous le fouet, sous la trique : « Lève-toi et va trouver pharaon ! » Jeune homme, jeunesse du monde, lève-toi et marche, d’une démarche qui soit enfin tienne, sans précédent. Marcher dans cette foulée signifie croire. Je suis croyant, pas croyant de n’importe quoi. Je suis croyant du Verbe ; aussi je ne peux pas ne pas parler.
Tous les dieux et toutes les divinités sécularisées du type décret de l’histoire s’éloignent avec les nations, empires qui se réclament d’eux. Mais ici brûle un Buisson qui ne retombe jamais en cendres nationales ou impériales ni en tiédeur de soumission aux mots d’ordre d’une realpolitik car il s’allume à la Flamme d’éternelle indignation. Il symbolise la Résistance à l’ordre des choses, à la finalité des piétineurs et des piétinés, des sous-développeurs et des sous-développés.
C’est la parole qui tient tête au pouvoir : « J’ai vu, j’ai vu la misère de mon peuple en Egypte et j’ai entendu les cris que lui arrachaient ses tortionnaires ou ses kapos. Oui, je connais ses tortures. Je suis descendu pour le libérer de la main des Egyptiens et le faire monter de ce pays d’extrême servitude vers un bon et vaste pays, vers un pays ruisselant de lait et de miel… » [Exode III-7-8]. La signification de cette descente est claire. Elle s’effectue bien du piédestal d’arbitrage céleste où toutes les conceptions de Dieu le situent, majestueux, impavide, alors qu’il lutte au plus bas de l’avilissement, de la déshumanisation des hommes.
Ce n’est pas là le maître du monde, le monarque des lois de la terre et du ciel, c’est le nom à l’intolérable – non pas le non à l’intolérable déploré – mais l’intolérable non toléré, le « ça ne peut plus durer » en personne, le passeur de l’esclavage à la libération. Moïse sent que pareille résistance aux impératifs de la loi du plus riche et du plus fort déborde la désignation « Dieu de vos pères ». « S’ils me demandent le nom de la sortie d’un Enfer comme le leur, je leur dirai quoi ? » Le Brasier ne répond pas par un nom propre, un substantif. Il est Verbe, geste opératoire. « A ce que je vais faire, on verra qui je suis. Je suis qui je serai. » Ils verront de quel bois je me chauffe. Il est du même mouvement Dabar et Ruar hébraïque : la Parole et le Souffle.
Je me déchaînerai contre le plus incrusté de tous les préjugés : l’idée que les puissants ont toujours le dessus, qu’il faut à tout prix un maître et des sujets, un souverain et des exécutants, un colonisateur et des colonisés, un Etre et des riens. Et ce n’est pas au nom d’une décision arbitraire, par un coup de dés qu’il plaît au refus de l’intolérable de choisir ce ramassis d’esclaves juifs comme il aurait pu leur préférer les Perses, les Assyriens, les Grecs ou – pourquoi pas ? – les Romains. Il n’y a nullement ce que suggère un pasteur au long de la revue ‘Lumière et vie’ opposition entre la théologie de l’élection et la théologie des droits de l’Homme comme si le choix faisait abstraction du climat d’injustice dans lequel baigne l’élu et opposait la simple préférence d’un ami particulier à la juste universalité des droits de l’Homme. Celui qui n’a pas d’autre identité que son nom de résistant et de libérateur est l’Allié naturel du peuple rayé du concert des nations.
L’impossible à classer au-dessus de tous les noms ne peut nouer un lien d’amitié qu’avec la masse innommable. Celui qui n’est pas un peuple je vais l’appeler mon peuple. L’acte de naissance des juifs, leur raison d’être, c’est l’Exode, la sortie massive des peuples d’aujourd’hui et à venir de la Condition intolérable où les parque l’ordre normal, hiérarchique, compétitif du monde.
Les juifs ne peuvent respirer qu’en humanité sans frontières
Il est impensable mais pensé de situer comme rivaux l’élection divine principe d’une pédagogie qui va du particulier au global et les droits de l’Homme dont la formulation et le respect impliquent l’universel tout de suite. Il est monstrueux mais habituel de voir dans le choix par la Parole une mise à part de privilégiés, une ségrégation céleste, un racisme divin. Il s’agit au contraire d’une exigence fondamentale : la perte, le dépassement de soi par le lien avec les autres. Jamais un seul juif n’a pu dire ce que pouvait signifier être juif au titre d’une particularité nationale ou religieuse. L’universalité, l’humanité lui colle à la peau. Les frontières d’espace et de temps lui pèsent. L’histoire mythique du peuple juif avec ses faits auréolés de légendes ne part pas du récit des origines d’une création. Acte d’un Dieu maître. Elle se déroule à partir de l’Evénement fondateur dont les deux pôles ne forment qu’une seule Réalité : la Résistance libératrice jaillie du Feu que rien n’éteint ou même ne réduit. Alors que des flots d’hommes sont revenus de tout sans être allés profondément nulle part, le vrai juif ne guérit pas de sa blessure messianique. Il ne s’habitue jamais à ce qui lui est arrivé. Il n’en revient pas, il n’en est jamais revenu, que l’Imprévisible, l’inattendu, l’in-vraisemblable, l’Impossible ait eu lieu et puisse toujours se réaliser contre les prévisions des réalistes, les calculateurs des rapports de force, les économistes, les politologues, les spécialistes des lois de l’histoire. Tout aurait dû déboucher sur l’anéantissement des faibles à cause de ces mécanismes qui font les riches de plus en plus riches et les pauvres de plus en plus pauvres. Mais rien ne s’est passé comme les sages l’avaient imaginé. L’affaire s’est déroulée tout autrement. L’armée fédérale – excusez-moi, égyptienne – perdit pied sur terre et sur mer. Les chars, les blindés coulaient à pic et les gueux, les esclaves d’hier défilaient comme si de rien n’était. Pareille aventure n’arrive pas une fois pour toutes. Il ne s’agit nullement du miracle exceptionnel qui confirmerait la règle du triomphe des forces de l’habitude. Le renversement de l’ordre moral, séculaire qui veut les uns élites, maîtres d’œuvre, les autres main d’œuvre massive, servile, s’affirme l’Exception à infirmer, rendre infirmes toutes les règles.
L’inimaginable a pris valeur de fait pour toujours. L’inénarrable s’est produit en moins de temps qu’il ne faut pour le raconter. L’utopie a trouvé son lieu. L’In-vraisemblable fraternité qui déborde les hiérarchies fournit la preuve décisive qu’elle est le seul vrai. Ce dont nous devenons conscients, le besoin d’amicale réciprocité de peuple à peuple, doit sculpter, peindre, ciseler les faits historiques parce que l’Auteur-Acteur d’Epopée libératrice au nom inclassable parmi les Dieux et maîtres Tout-Puissants, se révèle l’allié de la masse innommable. Il donne sa Parole que les loups mèneront avec les agneaux une vie commune libérée des idées ridicules de domination et sujétion, qu’adviendra le Feu où la rangée des fusils aura forme d’ironiques socs de charrue, où le missile se métamorphosera en table conviviale d’un théâtre populaire.
Les juifs sont témoins de la possibilité, de la nécessité du passage d’un ordre des nations et des castes à l’humanité sans classes et sans Etats. Ils ne peuvent faire corps qu’avec ce rêve de réduction de toutes les distances, d’explosion de toutes les frontières. Ils le célèbrent en un Festin d’amitié novatrice au cours duquel petits garçons et petites filles posent d’inépuisables questions sur ce que l’on fête. Et les pères, les grands frères, les grandes sœurs content, racontent d’un seul trait, d’un seul souffle, l’unique Père qui vaille la peine d’être appris par cœur, re-créé sous forme drolatique, tragique, d’épisodes multiples. Ils chantent, valsent, rient et pleurent la Fin d’un cauchemar des uns sous les pieds des autres. Les enfants découvrent qu’il n’est pas un gamin, une gamine, un vieux monsieur, une vieille dame qui ne soit poète et prophète de la venue des pires nationalités à l’humanité, bariolée, métissée d’extraordinaires visages insolites. Neher décrit l’horizon du juif universaliste quand il proclame que la Torah ne se traduit jamais par la Loi, qu’elle n’a rien d’un impératif mais exprime le plus merveilleux des participes. « Je suis celui qui t’ai tiré du gouffre de la servitude. » Je suis tout entier Libérateur. Alors, tu n’adhérera qu’à l’Exigence de libération que je suis. Tu ne te saisiras pas de l’Imprononçable, de l’Inclassable pour le mettre au service de la vérité de l’ordre du monde. Tu ne tueras pas, tu ne voleras pas. Ce ne sont pas là des ordres, c’est l’appel à une mise en pratique du contre-ordre d’absolument tous les ordres de suprématie, de domination pour que l’intolérable des uns aux pieds des autres dont vous êtes sortis parce que je lui ai dit « non » n’ait plus jamais, jamais lieu. Au principe, à la racine du monde, il n’y a pas le Pouvoir sur des créatures, il n’y a pas la Toute-Puissance qui façonne, mais il y a la Parole, la parole non impérieuse, mais la parole d’éveil aux innombrables virtualités créatrices, la Parole donnée jamais reprise qu’advient l’humanité non accumulatrice de biens mais inventive de liens. Et la Parole toujours donnée jamais reprise est Elan vers Dieu et la Parole toujours donnée jamais reprise c’est Dieu. La Parole est une neuve autorité. La Parole est radicalement insurrectionnelle. Elle renvoie à la Parole que reçoit son premier croyant, Abraham. « Sors de ton pays, de ta famille et de la maison de ton Père vers le pays que je te donnerai à voir » [Genèse].
La Foi n’est rien d’autre que la sortie de ce à quoi l’on voudrait nous borner. Les bornés, ça n’existe pas. Personne n’est borné. Par contre, se met en place un processus de bornage. Il ne faut pas lui céder un pouce de terrain de notre envergure d’humanité.
Les hommes et les femmes qui cultivent la mémoire d’un Evénement arraché au passé pour devenir souvenir d’avenir de tous les peuples à libérer des plis héréditaires ne peuvent qu’indisposer les nostalgiques d’un éternel retour du trio d’origine : Travail-Famille-Patrie. Le choix humain est là : ou j’anticipe ou je ratifie. Ou j’imagine, je crée ou je constate. Les juifs témoignent d’un A-venir déjà venu, de la venue A-venir de l’Evénement fondateur d’humanité qui libère la création elle-même des risques d’un Exploit du Dieu performant pour s’épanouir Geste libérateur, sortie des griffes de la jungle originelle. La mémoire d’éléphant du peuple sorti de la soumission se retourne, se transforme en mémoire d’un futur de gloire d’humanité chaleureuse.
Abraham n’est pas au départ d’une famille privée qui se range à l’intérieur du bloc des familles privées. Abraham n’a rien du Premier de la série d’une Patrie qui n’airait pas plus loin que la limite des reproducteurs d’un amour sacré de la patrie, du sang, du sol et de la race. Il aura comme postérité, aussi nombreux dans leur vertigineuse singularité que les étoiles du ciel et le sable de la mer, des croyants du Transgresseur de toutes les frontières. Du démarrage d’un tel peuple de pionniers jaillira le nom même d’Israël. Emporté par le souvenir d’avenir mondial de la sortie des griffes du Tyran, le peuple prophétique dira le sens plein du nom qu’il porte. Un petit fils de la lignée d’Abraham et qui s’appelait Jacob, menteur et pourfendeur de situations acquises comme il n’est ni permis ni possible, lutta aux premières lueurs du jour mythique avec on ne sait quel inconnu qui, par religieuse pudeur atténuatrice fut nommé l’Ange – procédé classique afin de ne pas dire l’Ultime Sens énigmatique de l’Univers. Dieu pour faire bref. Donc le Seigneur X n’eut pas le dessus et après avoir démis la hanche de son adversaire, dit au vainqueur : « Lâchez-moi car le jour se détache de la nuit. » « Je ne te lâcherai, lui répondit l’autre, que lorsque tu m’auras bien dit, béni, prononcé à plein de tout mon Verbe. » « Ton nom ? », interrogea l’anonyme. « Jacob. » « On ne t’appellera plus Jacob mais Israël, car tu as lutté avec Dieu et avec les hommes et tu l’as emporté. » Autrement dit, tu ne te résignes pas à l’état des choses telles qu’elles sont le restent ; Tu n’es pas un soumis mais un lutteur. Tu n’es pas rangé mais tu dé-ranges. Le juif, c’est celui qui se bat avec celui auquel il est entendu que l’on doit se soumettre sans chercher les raisons de la soumission.
Le mythe du combat de Jacob et d’un je ne sais quoi ou qui passionné d’incognito signifie l’Empoignade du Sens pareille à l’heure cruciale des romans policiers classiques. Le détective ou le criminel sort la nuit et flaire le danger. Il est alors écrit : « Tous ses sens sont à l’affût. » Rien d’aussi fort pour décrire le risque de la pensée unie à celui d’une action elle aussi novatrice. Tous les sens à l’affût du Sens. C’est un abîme qui se creuse de l’intellectuel producteur d’idées sur le marché déguisé en société, à l’aventurier de la pensée guetteur du Sens possible, impossible, passager, ultime. Les enquêtes policières pâlissent auprès de cette recherche : le Sens est proche, je brûle comme à cache-cache. C’est peut-être le Brasier, le Buisson ardent, non, un simple feu follet. Un mirage. Le contre-sens, le non-sens, le faux sens qui a pris les allures, le masque du Sens. Il m’échappe, je le préssens, il me fuit. Le juif préfigure ce dont est capable tout être humain. Et peu à peu, je flaire que le sang coule dans les veines du Sens, qu’il est quelqu’un fort de sa prodigieuse vulnérabilité. Quand vous respirez cette recherche par tous les pores de concert avec tous les blessés à vif et à mort, vous êtes à l’étroit dans toutes les frontières, dans toutes les limites. Vous ne pouvez que sortir (toujours l’Exode) des bornes, des cloches à rat, de vos propres gonds, des griffes des mantes religieuses, des cloisonnements multiples. Vous ne pouvez qu’entrer en humanité à venir parce que déjà venue à titre de Promesse. Vous ne pouvez que conspirer, augmenter le réseau d’une conspiration universelle contre les forces de bornage qui pompent l’air. C’est ça, Israël, non pas les descendants du semen d’Abraham et de Jacob, mais les battants de l’empoignade existentielle, historique du Sens, de la mise en question de tout.
L’Etat israélien fuyard de l’ampleur d’Israël
Tout est une affaire de Parole aventurière contre les maîtres de l’ordre national, impérial et enfin du tout marché. La Parole jette toujours hors les cadres de la Nation, de l’Etat, des autorités constituées, civiles, militaires et religieuses. « Et moi je vous le dis : vous êtes des dieux », dit Dieu. Et moi je vous l’affirme : vous êtes un peuple de dieux, dit Dieu, s’écrie le psaume. Donc, pas les sujets de tel Etat, de telle Nation. La Parole arrache son croyant à toutes ses situations acquises, au confort intellectuel, aux idées toutes faites, aux concepts étriqués que l’on se fabriquer pour essayer d’enfermer une réalité fantastique et démesurée. La Parole lance dans des entreprises folles où l’on devrait rester, où on laisse sa peau… Et d’où l’on sort après passage par la mort qui a tout l’air du néant définitif. Le leitmotiv des psaumes, notre cri, c’est : « J’aurais dû y mourir et je suis vivant. » C’est après le retour de la déportation, de l’écrasement, de la mort, non le retour aux origines, à la continuation de re-produits, mais d’une entrée en humanité neuve, juvénile, que des auteurs inconnus écrivent plusieurs versions de la Genèse. Pour le croyant du Verbe qui adhère au monde trouvant sa cohérence, la création n’est pas le souvenir des premiers âges de la terre mais l’avenir de l’univers à faire surgir dans sa totalité.
La Genèse, ce n’est pas le récit des origines mais le Poème anticipateur. Elle ne présente pas un Dieu fabricateur de sujets, de créatures mais l’humanité en avant de nous, l’humanité non point pâle, lointain reflet mais image créatrice du Créateur. Et Israël traduit le meilleur et le pire des ambiguïtés divines qu’il mêle au meilleur et au pire des contradictions humaines. Il projette sur Dieu comme toutes les nations ce qu’il croit être le Sommet du plus sublime de lui-même et qui est la Somme transcendante de ses bassesses et cruautés.
La déformation caricaturale ré-apparaît toujours : s’exalter mondainement à la manière des autres nations et mettre cette tendance au compte de Dieu. Israël demande un roi pour faire comme les autres nations ; l’Eglise demande des chefs, des princes, une cour pour faire comme les autres Etats.
Le monde entendu dans le sens mondain assimile le judaïsme et le christianisme et l’islam, les trois monothéismes, pour faire chacun d’eux la plus excellente des religions.
Il assimile Dieu aux autres dieux pour en faire le plus grand de tous les dieux. C’est une compétition de puissance, c’est la logique du mystère de l’ordre du monde car se manifester Dieu en plein cœur de la mondanité consiste à posséder tous les attributs du plus ancien dans le grade le plus élevé. Les juifs sont parfois tentés de fuir l’Exigence d’ébauche d’humanité grâce à une inféodation au Souverain de l’ordre des nations dont ils deviendraient les favoris.
L’après-guerre mondiale fit rebondir le problème d’un lieu où les juifs seraient libres d’avoir un Etat national. Beaucoup d’entre eux ne confondaient pas leur qualité juive avec une nationalité. A l’évidence, le nom même d’Israël condamne les politiques de conquête qui se réclament de lui puisqu’il signifie le chercheur du Sens universel. L’histoire de la terre Promise entendue de façon littérale, d’une lettre qui tue, est récupérée par une perspective d’annexion sous le signe du plus grand Israël. Si nous nous mettons à l’école du Regard créateur au lieu de copier celui du maître et Seigneur Prédateur, le réel se dévoile : il ne s’agit pas du passage d’une terre de servitude géographiquement désignée, localisée, à une autre terre prise aux hommes, aux peuples qui la cultivent et l’aiment, dont elle est le prolongement du corps. C’est la terre tout entière, la terre maternelle, violée, divisée en propriétés privées des uns au détriment de tous les autres, que l’effort humain fera passer des rapports d’exploitation à un type de liens d’amour mutuel.
A huit ans de la fin du premier millénaire, l’intolérable dont nous avons été les témoins rebondit, se reproduit : pour s’affirmer comme Etat, Une (non pas toute La) descendance de la foule niée Nie à son tour. Au nom du droit étatique israélien qui ne peut être le droit messianique juif à une terre promise par voie de conquête, l’hégémonie sioniste fait de la Palestine le mot, la Parole qu’il est interdit de prononcer. Dès lors la terre de Palestine, le peuple palestinien deviennent la parole clandestine, le mot de passe des hommes, femmes, enfants niés à l’organisation libératrice, à la communauté, aux personnes singulières petites et grandes enfin libérées. Tout ceci parce que l’Etat d’Israël est infidèle, ne peut être qu’infidèle comme Etat, Etat national, à la moelle même de l’Evénement fondateur. Je veux dire l’exigence fondatrice du peuple nié, réduit à rien et libéré de son anéantissement, résultat du pouvoir oppresseur. L’Etat d’Israël rejette la mémoire de ce que furent ses ancêtres comme peuple nié, prophète de tous les peuples niés et non race parmi d’autres races, Etat parmi d’autres Etats. Or, c’est cette mémoire seule qui constitue la certitude absolue de n’être jamais ce que furent ses bourreaux. « Aime l’étranger », « lie-toi d’amitié avec lui », car « toi aussi, tu as été étranger sur la terre de servitude. » Ce souvenir seul a de quoi empêcher l’imitation servile du pharaon d’autrefois, le goût d’être un sur-homme qui a besoin de sous-hommes.
En effet, le Nazareth galiléen, juif de seconde zone, déjà, la Palestine, est asservie au Dieu de la conquête. Il y eut jadis l’Exode, la sortie prophétique du pouvoir de pharaon puis le Libérateur dirigea l’annexion d’un territoire dont, sur ordre du Maître Eternel, les habitants furent passés au fil de l’épée. C’est du moins la version officielle puisque celui qui délivre les parias de l’anéantissement ne peut leur imposer la guerre sainte coloniale. Passage des servitudes aux libérations et de la mort à la vie sont d’un seul tenant. Le Tout indivisible. Il a fallu le divorce d’Empire chrétien des deux sorties contagieuses du cachot et du tombeau, les solution finale, les juifs massacrés pour briser l’unité de la Pâque.
Un autre événement perpétua la séparation de corps : cet Israël des prophètes, témoin d’impossible et nécessaire humanité, ramené par et pour certains à l’étroitesse d’un Etat national fondé sur l’injustice d’une terre volée au peuple palestinien non reconnu comme peuple. L’Eglise persécutrice des juifs et souvent oublieuse des pauvres, l’Israël conquérant blessent, ulcèrent ceux qui luttent avec le Sens. Et je tombe en arrêt de tout mon flair au beau milieu du même numéro de Frères du monde (1972) sur un titre d’article jailli du cœur réfléchi d’un ami françoisier tel qu’aimait appeler les fils de François, du petit pauvre d’Assise, Joseph Delteil. La question me saute aux yeux : « Dieu est-il sioniste ? » de mon frère d’armes apostoliques contestataires Bertrand Duclos. Je cite ses paroles dont vingt ans n’ont pas diminué la portée. Le verbe filial du non à l’intolérable « nous a fait faire cette décantation entre les aspirations primitives, à la limite du magique, d’une douzaine de tribus en mal de terre et les intuitions les plus claires qui y étaient mêlées, d’un Dieu juste, d’un Dieu unique, d’un Dieu bon et fidèle. En Jésus-Christ nous avons la figure définitive – mais toujours à découvrir – du Dieu des pères qui a donné aux hommes la terre avec la promesse qu’elle serait leur s’ils se libéraient des liens des frontières et des limites qu’ils ne cessent de bâtir, s’ils se libéraient avant tout d’un Dieu acoquiné avec les puissants et avec l’ordre établi des nations… C’est pourquoi nous ne pouvons accepter que sur le rappel de ce que « Dieu a dit » : « Je vous donne une terre », le sionisme prétende fonder « religieusement » son droit à s’installer sur la terre des Palestiniens. Notre Dieu n’est pas celui que les compagnons de Josué ont cru servir : celui qui ordonnait l’extermination des Cananéens pour se saisir de leur terre où coulaient le lait et le miel – celui qui – dans une fidélité à ses promesses encourageait les sionistes à s’installer sur la terre des Palestiniens et cela pour faire son œuvre. »
A coup sûr, Israël réduit aux dimensions d’un Etat national, de l’Etat normal, normalisateur normalisé des choses telles qu’elles sont et le restent, sourd à ce qui n’est pas la seule Raison d’Etat – tourne le dos au vrai sens de son nom d’horizon universel – partenaire, interlocuteur du Sens, taillé pour la lutte avec lui. Il se sert du souvenir d’avenir de la libération fondatrice et d’un monopole de toute l’horreur des souffrances et tortures humaines afin de légitimer ses conquêtes, son occupation du territoire d’autrui comme le directoire, le consulat et l’empire se servant du rappel de la révolution initiale. « On nous explique, dit encore notre intraitable françoisier, que du sionisme nous sommes les responsables « providentiels » : grâce à nos persécutions Israël se retrouve lui-même. Certes nous pensons que les persécutions ignobles que la chrétienté a fait subir aux juifs ne peuvent être oubliées. Ni pardonnées par la grâce d’une déclaration conciliaire ou de pieux repentirs. Et nous sommes certains que la lassitude bien compréhensible après l’immonde boucherie perpétrée par l’Occident de 1933 à 1945, par action et par omission, a joué son rôle dans la détermination de milliers de juifs de vouloir trouver une terre : « leur terre ».
Mais nous sommes aussi certains que la création de l’Etat d’Israël est en fait le refus de faire cesser radicalement l’antisémitisme dans nos propres sociétés. La cause de l’antisémitisme ce n’est pas le juif mais notre propre racisme : c’est ce racisme que nous devons combattre. En définitive, accepter l’Etat sioniste, c’est accepter le racisme comme fatal, éternel.  C’est en vérité ne plus vouloir accepter parmi nous les témoins gênants pour notre vie. On les éloigne, on les remet dans un ghetto. Refusant de combattre le mal où il se manifeste, refusant aussi d’être interpellés par des hommes qui nous interrogent à partir de leur foi, on déserte le champ du combat… La voilà bien la réussite de l’antisémitisme dont se nourrit le sionisme. Ces hommes, fidèles à leur foi prophétique parmi nous, inassimilables par la mondanité de nos sociétés in-humaines, nous les avons chassés. Ce ferment que redoutait tant Maurras, nous en avons expurgé notre monde. Pour les « assimiler », il eût fallu qu’ils perdent leur être juif, qu’ils deviennent des hommes « comme les autres », qu’ils n’apportent plus à l’histoire de l’humanité ce souffle de liberté et de conscience révolutionnaire. Alors, pour ne pas nous convertir, pour résister à ce que nous sentions comme une menace pour nos étroites idées nationalistes et raciales, nous avons préféré, après les avoir fait vivre en ghetto, après leur avoir fait porter l’étoile jaune, les expulser vers une terre où enfin, ils deviendraient ce que nous n’avons pas réussi à les faire devenir : des hommes « normaux ». Nous avons appris du Christ, du Fils de l’Homme, qu’être Fils d’Abraham, c’était refuser de se laisser mondaniser, de se laisser assimiler par le monde des fausses valeurs. Et la honte des chrétiens jusqu’à nos jours est d’avoir toujours cédé à la tentation d’être un « peuple comme les autres ». Que ce soit dans l’Eglise comme dans notre présence au monde. »
La neutralisation du virus prophétique des juifs avait déjà bien commencé puisqu’ils étaient parqués, isolés dans ce que l’on aurait eu honte de manier soi-même : l’argent. Puis ils se voyaient reprocher ce à quoi le « chrétien » les condamnait. D’ailleurs, Hitler leur faisait grief de jouer sur les deux tableaux : le capitalisme international et la révolution internationaliste. Oui, le marché déguisé en société a eu cette ruse : isoler le danger prophétique, parquer les témoins de l’impossible nécessaire, de l’irréalisable à réaliser. Ecarter le péril des prophètes qualifiés d’irresponsables en les faisant gestionnaires d’un Etat. Ainsi, leur conviction sera noyée dans le dédale de leurs responsabilités au fil des jours. On les fera pareils à tous les autres, comme tout le monde. Ils risquaient, à force de se prendre pour tout le monde, de ne ressembler à personne. Mais le péril subsiste en raison du réseau clandestin des partisans de la transformation de la nature du pouvoir qui finira par perdre son rôle dominateur pour devenir service mutuel, mise aux pieds les uns des autres.
Mon ami Jean-Marie Muller, animateur du MAN (Mouvement pour une alternative non-violente) met le doigt sur la plaie dans son livre consacré à la grande Simone Weil. Cette femme extraordinaire, juive, militante libertaire internationaliste et philosophe, aventurière de la pensée, venue à Jésus le Christ, écrit à un religieux ses raisons de ne pas entrer en Eglise :
1) L’Eglise ou les Eglises a (ont) entériné le Dieu d’Israël qui est le Dieu de la violence, de l’arbitraire.
J’ajouterai, de la violence, fille de l’hégémonie, de la Toute-Puissance. Pour re-citer le titre interrogatif de Bertrand Duclos, « Dieu est-il sioniste ? », il faut reconnaître que, pris à la lettre qui tue, le Dieu biblique a des aspects sionistes dont le moindre est le choix d’un peuple contre d’autres, d’un favori, d’un privilégié. Ce Dieu-là, il est indispensable de l’évangéliser, d’opérer sa sortie (toujours l’Exode) des griffes de la toute-puissance, du Dieu de tous les dieux.
2) L’Eglise catholique a recueilli l’héritage de l’Empire de Rome, du pouvoir sur d’autres, la « Potestas ». Oui, il est urgent d’évangéliser Dieu, de libérer Dieu du pire de l’homme projeté sur lui.
Israël et Palestine aux couleurs d’humanité
Je voudrais faire bénéficier le traitement d’humanité de Dieu du foisonnement de la richesse du Talmud. Il existe des chefs d’œuvre. Le midrash ou commentaire re-créateur du Livre, afin que celui-ci ne se durcisse pas en Loi, en tyrannie de l’Ecrit.
Dans sa Mémoire d’Abraham, Marek Halter cite un midrash que je n’oublierai pas. Je le dis de mémoire : « Quand on voyait Abraham, l’on se disait : on jurerait son fils Isaac. Quand on voyait Isaac, le cri du cœur, c’était : c’est le portrait craché de son père Abraham. » Alors Abraham eut peur de l’identification. Il demanda à Dieu « la grâce de vieillir ». Et le texte de la Genèse d’où vient ce midrash, c’est : « Abraham devint vieux. »
Voilà ce que j’en dégage : Dieu seul toujours seul, eut peur de n’être que l’infirme tout-puissant et de tout ramener à lui. Alors il vit qu’il avait un fils, sa Parole, son égal, garantie de son amour d’infinie réciprocité avec tout. Oui, les juifs ont raison d’attendre ce fils, ce Messie toujours à-venir même s’il est déjà venu mais uniquement pour être toujours à-venir.
Lorsque, effrayés du cri que pousse la foule colonisée des pauvres, des petits : bien-venue à l’A-venir en char et en os de l’homme libre et fraternel, ceux qui veulent ménager l’occupant romain du juif ou israélien du palestinien disent au Messie acclamé : « Maître, reprends tes disciples. » L’invraisemblablement humain lui répond : « Je vous l’affirme : si eux se taisent, les pierres mêmes crieront. » Oui, quand l’injustice, quand l’intolérable est à son comble, les pierres parlent, crient, brandies par des gosses, questions de la tête au pieds contre les réponses venues d’en-haut. L’Intifada, c’est la caillou de la fausse nature morte que convertit, métamorphose en parole vive la multitude des petits parvenus très vite à maturité naïve du peuple de Palestine. Tu es bien là, enfant palestinien, sortie populaire de tes frères, sœurs, aussi poètes, re-créateurs du juif nié. Nous en appelons par toi du lourd israélien occupant que paralyse la régression vers les biens accumulés à l’Interdit de nom, l’Allié de l’Innommable pauvre de biens, riche du seul lien.
Nous en appelons de la vieille structure dominatrice d’un grand Israël qui trahit les prophètes alliés des petits à tous les juifs dispersés, témoins du monde A-venir. Nous en appelons à la libre Palestine aux couleurs d’humanité pour qu’à l’heure où un Etat les fera citoyens palestiniens, ils n’éprouvent pas le besoin d’en tenir d’autres sous leurs pieds comme tout le monde et qu’ils fassent preuve enfin d’humanité, c’est-à-dire renoncent au désir pathologique d’être comme tout le monde et ne copient personne.