"Le Président Arafat restera à jamais un symbole d'héroïsme pour tous les peuples du monde qui luttent pour la justice et la liberté, et je suis convaincu que cet ouvrage permettra de mieux comprendre l'estime que lui vouent tous ceux qui sont attachés à la liberté." Nelson Mandela - Janvier 2004
(Extrait de la préface du livre "Arafat l'irréductible" du journaliste et écrivain israélien Amnon Kapeliouk.]
           
                       
Point d'information Palestine N° 233 du 12/03/2004
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Chère Amie, Cher Ami, c'est avec beaucoup de plaisir et d'émotion que nous avons reçu vos centaines de messages de soutien à la suite de la parution de l'article "Liberté, Egalité, Fraternité ? Suivre le menteur jusqu'à sa porte" dans le Point d'information Palestine N° 232 et nous tenons à vous en remercier et vous assurer de notre volonté de poursuivre et développer notre service d'information, fiers de la confiance que vous nous accordez. Lundi prochain, Pierre-Alexandre Orsoni sera mis en examen pour "provocation à la haine raciale" et Marcel Charbonnier pour complicité, toujours à la suite de l'article que nous avons diffusé du journaliste et écrivain juif israélien, Israël Shamir, dans notre numéro du 20 mars 2003. Nous vous tiendrons informés des suites que cette affaire connaîtra, en souhaitant toutefois que nos déboires judiciaires ne tournent pas au feuilleton. En effet, la tragédie que traverse le peuple palestinien reste notre préoccupation principale, et nous ne devons pas tomber dans le piège que constitue ces diversions judiciaires, destinées à nous faire oublier que le véritable obstacle à la paix entre les peuples palestinien et israélien n'est autre que la politique actuelle du gouvernement Israélien. Merci encore pour votre soutien, bien amicalement, - La Rédaction -
                                                   
Au sommaire
              
Dernières parutions
1. Arafat l'irréductible de Amnon Kapeliouk (Préface de Nelson Mandela) aux Editions Fayard [552 pages - 24 euros - ISBN : 2213609926]
2. Dieu.com de Danièle Sallenave aux Editions Gallimard [336 pages - 16,50 euros - ISBN : 2070770451]
3. Reflets sur un mur blanc de Adania  Shibli aux éditions Actes Sud [112 pages - 12,90 euros - ISBN : 2742746137]
4. La Palestine sans censure - Regards croisés sur l'occupation Collectif aux Éditions Syllepse [118 pages - 8 euros - ISBN : 2847970436]
5. Alternatives non-violentes N° 128-129 (Décembre 2003) "Palestiniens et Israéliens : faire parler la non-violence" [133 pages - 21 euros - ISSN : 02235498]
                   
Rendez-vous
1. Soirée Palestine le vendredi 12 mars 2003 au Centre Culturel René Char / Pierre Gassendi - 45, Av. du 8 mai 1945 à Digne les Bains (Alpes-de-Haute-Provence)
2. Rencontre avec Pascal Boniface le mardi 30 mars 2004 à 18h30 à Salle Sainte-Agnès - 23, rue Oudinot - Paris 7° (1er étage, fond de cour M° St François-Xavier)
                             
Réseau
1. Correspondance : Le Président de l'Association pour le Bien-être du Soldat Israélien à Marseille sur la liste de Michel Vauzelle aux élections régionales en Provence
2. Correspondance : Publicis et le Mur de apartheid, info ou intox ?
3. Lettre ouverte aux parlementaires européens qui ont voté un texte honteux bafouant les droits du peuple palestinien par Silvia Cattori et Pierre-Yves Salingue (15 février 2004)
4. Un "Canard" boiteux ! par Taïeb Moalla (29 février 2004)
5. Qui communautarise qui ? par Vincent Geisser on Marseille Solidaire le samedi 28 février 2004
6. APPEL URGENT - Soutien à l'éditeur Eric Hazan - La Fabrique en procès le 26 mars 2004
7. Lettre ouverte de l’Union Générale des femmes palestiniennes aux institutions des Nations Unies, aux organisations des droits de l’homme et de la femme et aux groupes de solidarité à l’occasion de la Journée internationale de la Femme par Rima Tarazi [traduit de l'anglais par Jacques Salles]
                            
Revue de presse
1. L’Irak n’existe plus par Richard Labévière Editorial sur Radio France Internationale du mercredi 10 mars 2004
2. Des morts aussitôt oubliés par Gilles Paris in Le Monde du mardi 9 mars 2004
3. Antisémitisme par Jean-Michel Aubriet in Jeune Afrique - L'Intelligent du mardi 9 mars 2004
4. Une censure inadmissible à Cinéma du réel in Libération du lundi 8 mars 2004
5. Le lobby Sharon à Bruxelles par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du vendredi 5 mars 2004
6. L'armée israélienne a réalisé une simulation des obsèques d'Arafat Dépêche de l'agence Associated Press du vendredi 5 mars 2004, 13h51
7. Les mots manquent par Amira Hass in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mercredi 3 mars 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
8. Yasser Abed Rabbo, ancien ministre palestinien de l'Information et de la Culture : "Faire du Moyen-Orient un exemple de réconciliation" interview réalisée par Valérie Féron in L'Humanité du mardi 2 mars 2004
9. Qui l’est, qui ne l’est pas par Uri Avnery in Jeune Afrique - L'Intelligent du mardi 2 mars 2004
10. Kerry enfonce le clou de son soutien indéfectible à Israël par David M. Halbfinger in The New York Times (quotidien américain) du lundi 1er mars 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
11. Israël pourra-t-il, un jour, vivre en paix avec les Palestiniens ? par Patrick Seale in Gulf News (quotidien publié aux Emirats Arabes Unis) du vendredi 27 février 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
12. Boim s’interroge : le terrorisme palestinien est causé par un défaut génétique ? par Yair Ettinger in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mardi 24 février 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
13. Antisémitisme, antijudaïsme, anti-israélisme par Edgar Morin in Le Monde du jeudi 19 février 2004
14. L'Europe clarifie ses relations financières avec la Palestine - Selon l'Office antifraude de l'Union Européenne, l'Autorité palestinienne n'a pas utilisé l'aide européenne pour soutenir des organisations terroristes par Jean Quatremer in Libération du mercredi 18 février 2004
15. Nice, territoire interdit pour la Palestinienne Leïla Shahid par Pierre Daum in Libération du samedi 28 février 2004
16. Le philosophe "maison" de l’armée israélienne par Reuven Pedatzur in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mardi 24 février 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
17. Et même un hôte du Président… par Yossi Sarid in Ha’Aretz (quotidien israélien) du jeudi 19 février 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
18. Entretien avec Amnon Kapeliouk Journaliste, auteur d'Arafat l'irréductible (Fayard) réalisé par Alain Louyot et Pierre Ganz in L'Express du lundi 16 février 2004 
19. Sur fond de violence au Proche et Moyen-Orient, construction et mise en forme d'une phobie sociale  par Willy Beauvallet on Oumma.com le lundi 16 février 2004
20. L’homme de la semaine : Gilles Munier, Secrétaire général des Amitiés franco-irakiennes in 7 jours (hebdomadaire régional) du samedi 14 février 2004
21. Mordechaï Vanunu, le prisonnier de conscience inconnu - Il dévoila le programme israélien de fabrication des armes nucléaires par Juan Goytisolo in El Païs (quotidien espagnol) du vendredi 13 février 2004 [traduit de l’espagnol par Michel Gilquin]
22. Un pacte d’insécurité par Amitabh Pal on Alternet.org du  jeudi 12 février 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
23. Un proche de Sharon échappe à l’arrestation en Grande-Bretagne par Chris McGreal in The Guardian (quotidien britannique) du mercredi 11 février 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
24. Mordechaï Vanunu, l'homme qui en savait trop par Muriel Signouret in Jeune Afrique - L'intelligent du vendred 6 février 2004
25. Amnon Kapeliouk raconte Arafat - Portrait d'un "irréductible" par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du jeudi 5 février 2004
26. Israël fait campagne pour son mur par Serge Dumont Le Soir (quotidien belge) du lundi 2 février 2004
27. Les libertés menacées des citoyens d’Israël - Priorité absolue à la "sécurité" par Meron Rapoport in Le Monde diplomatique du mois de février 2004
28. La brutalité d’Israël au quotidien à Gaza par Rana El-Khatib in The Arizona Republic (quotidien américain) du dimanche 25 janvier 2004 [traduit de l'angalis par Gérard Jugant]
29. La bulle de Genève - Ilan Pappe fait la préhistoire des dernières propositions par Ilan Pappé in The London Review of Books (mensuel britannique) Vol.26/N°1 du jeudi 8 janvier 2004 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
30. "Les juifs s’interrogent sur leur avenir dans ce pays…" - La France et l’accusation d’antisémitisme : qu’est devenue la "place  particulière ?" par Subhi Hadidi in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 21 novembre 2003 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
31. Servitude et grandeur de la coopération arabo-arabe par Richard Labévière Editorial sur Radio France Internationale du lundi 18 oaût 2003
                                       
Dernières parutions

                                          
1. Arafat l'irréductible de Amnon Kapeliouk (Préface de Nelson Mandela)
aux Editions Fayard
[552 pages - 24 euros - ISBN : 2213609926]
Avec 24 pages de photographies et 3 cartes en couleur.
L’homme sera longtemps resté un mystère.
Où est-il né ? Sait-on qu’il a passé une partie de son enfance à deux pas du mur des Lamentations et sa jeunesse en Egypte ? Par quoi furent motivés les premiers engagements de celui qui fonda en 1959, avec une poignée d’amis, un mouvement de fedayins, le Fath, et qui devint président de l’OLP en 1969 ?
Une vie d’errance et de combat. Une vie passée à échapper aux attentats, à brouiller les pistes. Et à semer ses biographes…
C’est pourquoi Amnon Kapeliouk n’aurait pu écrire cette première biographie complète de Yasser Arafat, depuis sa naissance en 1929 jusqu’aux événements les plus récents, s’il n’avait entretenu avec l’Irréductible des rapports de confiance depuis plus de vingt ans.
A Beyrouth, en Tunisie, en Palestine et ailleurs, il l’a rencontré près de cent cinquante fois, et tout récemment à Ramallah, où le vieux combattant vit assiégé, un revolver au ceinturon. Bien entendu, ce livre s’appuie également sur les conversations que l’auteur a eues depuis tout ce temps avec des centaines de personnes, des Palestiniens bien sûr (qui, à l’occasion, sont devenus des opposants), mais aussi des Israéliens (notamment plusieurs officiers des renseignements militaires). Et sur une masse considérable de documents.
Comme celui du général de Gaulle, que le résistant palestinien admire tant, le nom d’Arafat est indissolublement lié à la cause nationale de son peuple, et c’est pourquoi cette biographie est fondamentalement politique. Du coup, en refermant ce livre, chacun aura compris les raisons pour lesquelles aucune solution équitable du conflit du Proche-Orient ne saurait aboutir sans le concours de celui qui incarne, pour le meilleur et pour le pire, la tragédie et l’espoir des siens.
Né à Jérusalem, journaliste et arabisant, Amnon Kapeliouk, collaborateur depuis de nombreuses années du Monde et du Monde diplomatique, ainsi que du quotidien israélien Yedioth Aharonoth, est un spécialiste reconnu du Proche-Orient, du conflit israélo-arabe et de la question palestinienne. Il a notamment publié Israël : La Fin des mythes (1975), Sabra et Chatila : Enquête sur un massacre (1982, traduit en neuf langues), Hébron : Un massacre annoncé (1994), Rabin : Un assassinat politique (1996).
                                   
2. Dieu.com de Danièle Sallenave
aux Editions Gallimard
[336 pages - 16,50 euros - ISBN : 2070770451]
Quelque horreur que puissent inspirer les attentats commis par des islamistes fanatiques, il serait extrêmement dangereux de faire de l'Islam, comme autrefois du communisme, le miroir où toutes nos difformités s'effacent. Ne renouvelons pas l'erreur de nous forger un ennemi pour éviter de nous interroger sur nous-mêmes. Quel modèle proposons-nous ? La pornographie funèbre d'un monde dominé par l'argent et le sexe. Des sociétés dépolitisées, sans défense contre la montée des communautarismes. Des sociétés délaïcisées, où sévit l'alliance explosive de la religion et de la technoscience : «dieu.com». Foyer de tous les obscurantismes. Il nous faut retrouver une parole libre. Désigner haut et fort la menace que font peser les communautés, les identités collectives, les religions sur la paix civile, l'avenir de nos sociétés et la liberté individuelle. Rappeler haut et fort qu'aucune religion n'est à l'abri d'un retour vers le fanatisme. Refuser le scandale d'une existence rivée à ses origines, d'une pensée asservie à des dogmes. Osons être en toutes choses des athées résolus, méthodiques et gais.
- Rencontre avec Danièle Sallenave, à l'occasion de la parution prochaine de Dieu.com
- Quel contenu derrière ce titre surprenant, Dieu.com ?
- Danièle Sallenave : Je trouve qu'on pose assez mal les questions du fanatisme religieux, du choc entre « des religions » -- comprendre l'Islam - et nos démocraties, et j'ai tenté de dénouer le malaise ressenti devant cette approche, de chercher ce qu'elle pouvait cacher. Je pense qu'une fois de plus nos sociétés essayent, après le communisme, de se trouver un ennemi parfait pour mieux se prétendre idéales. Et je me suis aperçue que nous sommes déjà entrés, en France et en Europe, dans ce que nous dénonçons : la voie du communautarisme, du régionalisme, de la quête identitaire, du retour aux origines, y compris religieuses. Pour moi, ce n'est pas le bon choix.
D'où ce titre, pour dire le drame du monde moderne qui, loin d'être rationnel, est un mélange de haute technologie et de superstition. Nous avons à la fois confiance en la technique et besoin de nous rassurer dans des rites de retour identitaire.
- Vous contestez entre autres le communautarisme, les séparatismes, un certain féminisme…
- Danièle Sallenave : Qu'est-ce que nous souhaitons avant tout ? Vivre dans un espace commun capable de réunir des individus tous différents, où chacun puisse être libre et laisser les autres libres, mais qui permette de construire ensemble. Aujourd'hui, cet espace commun éclate, parce que l'individu libre s'efface derrière la coexistence de groupes refermés sur leurs pratiques religieuses, ethniques, linguistiques, sexuelles… On prétend que c'est très bien, du moment qu'on se tolère. Je dis non. Parce que la tolérance a ses limites : les communautés s'affrontent inévitablement un jour ou l'autre. Parce que, à l'intérieur d'une communauté, l'individu n'est pas libre, on lui dicte son comportement. S'il tente de s'en arracher, il passe pour un traître.
J'ai donc essayé de traverser toutes ces formations qui s'interposent entre l'idée d'une société juste et l'individu. Plus la France et l'Europe entreront dans cette division, moins on pourra intégrer facilement d'autres individus appartenant à d'autres communautés : si la France se définit par ses identités régionales, aucun arabe ne pourra plus s'y intégrer. Si l'Europe se définit par ses racines chrétiennes, que deviendront les juifs ou les musulmans ? C'est revenir sur un certain nombre de principes posés par la France, que je trouve excellents et que je veux défendre - parmi lesquels, évidemment, l'idée de laïcité.
- Vous risquez de déplaire à beaucoup…
- Danièle Sallenave : Défendre les idées auxquelles je tiens est plus important que de se protéger. Pour moi, la démocratie, c'est d'abord la liberté d'expression - pas seulement la liberté d'opinion. Je suis partisan du 1er amendement de la constitution américaine qui interdit de toucher à la liberté d'expression, donc absolument hostile à tous les procès qu'on peut faire pour des opinions exprimées. Or, aujourd'hui, la liberté d'expression se complique parce qu'il faudrait, avant de parler, se demander à qui on va déplaire. J'ai décidé de ne plus me poser cette question. Certes, je m'efforcerai de ne pas blesser, mais je ne me censurerai pas.
- Vous affirmez que l'athéisme pourrait être la solution…
- Danièle Sallenave : Ce serait trop beau ! Mais le retour - non pas des religions, parce que nos sociétés sont très irréligieuses - mais du goût des religions, fait qu'on n'entend plus beaucoup la voix de ceux qui, avec simplicité, calme et résolution, se disent athées.
Donc je pense nécessaire pour l'équilibre de la société que se fasse entendre l'athéisme, non pas antireligieux à la manière stalinienne, mais comme position philosophique, dans la mesure où ce courant est très important en Europe, et aussi ancien que les religions. Je ne veux pas proposer cette solution comme l'unique, mais je veux la faire entendre. Mais je veux un athéisme pensé, réfléchi, qui ne soit pas simple indifférence aux questions religieuses. J'ai plus de respect pour un croyant authentique que pour un athée indifférent.
Danièle Sallenave est née en 1940 à Angers. Normalienne, agrégée de lettres, traductrice de l'italien (La Divine Mimesis de Pier Paolo Pasolini), elle a également collaboré au journal Le Monde, à la revue Le Messager européen et aux Temps Modernes. Ancienne élève de l'École Normale Supérieure, Danièle Sallenave enseigne, pour un temps bref, dans un lycée avant de devenir maître-assistant de littérature française à l'Université de Nanterre, se spécialisant par la suite dans le théâtre et le cinéma. Parallèlement, attirée par la "nouvelle critique", elle a adhéré à un petit groupe d'écrivains et de théoriciens, et fondé - avec Jean Ristat - la revue Digraphe. Puis elle découvre que, plus, et mieux que l'analyse critique, la fiction permet de cerner la réalité des destinées et des interrogations humaines devant la mort, l'art, la création, la politique. Elle publie en 1975 son premier récit, Paysage de ruines avec personnages, en 1975 et en 1980, Les Portes de Gubbio, roman pour lequel, la même année, elle obtient le Prix Renaudot.
- Paysages de ruines avec personnages, Flammarion, 1975 - Le voyage d'Amsterdam ou les règles de la conversation, Flammarion, 1977 - Un printemps froid, POL, 1983 - Un Printemps froid, Seuil, 1985 - Rome, Autrement, 1986 - La Vie fantôme, POL, 1986 - Conversations conjugales, POL, 1987 - Adieu, POL, 1988 - La Vie fantôme, Seuil, 1988 - Le Don des morts, Gallimard, 1991 - Le Théâtre des idées, Gallimard, 1991 - Passages de l'Est, Gallimard, 1991 - Villes et villes, Des femmes, 1991 - Le Principe de ruine, Gallimard, 1991 - Lettres mortes, Michalon, 1995 - Les Portes de Gubbio, Hachette, 1980/Gallimard, 1995 - Les Trois Minutes du diable, Gallimard, 1994/1996 - Viol, Gallimard, 1997 - L'Amazone du grand Dieu, Bayard, 1997 - A quoi sert la littérature ?, Textuel, 1997 - Carnets de route en Palestine occupée : Gaza-Cisjordanie, novembre 1997, Stock, 1998 - D'amour, Gallimard, 2002 - Nos amours de la France, en collaboration, Textuel, 2002.
                               
3. Reflets sur un mur blanc de Adania  Shibli aux éditions Actes Sud
[112 pages - 12,90 euros - ISBN : 2742746137]
(Roman traduit de l'arabe par Stephanie Dujols)

Dans un village palestinien à intérieur des frontières Israël, un village sans nom où rode l'ennui ordinaire, une jeune fille grandit avec le souvenir d'un frère mort, au milieu de huit soeurs rudes et distantes, d'une mère malheureuse et d'un père infidèle. Solitaire, elle fraie son chemin à taton, les sens a affût, effleurant les aspérités, les failles, les détours du quotidien et explorant sans relâche le silence qui l'isole. 'Reflets sur un mur blanc' est un roman prismatique, un jeu d'angles et de miroirs ou se construit par petites touches l'image d'un monde à la fois étrange et familier. Un texte emblématique d'une nouvelle écriture palestinienne éloignant de l'histoire collective pour observer intimité et instantanéité des choses de la vie.
Ecrivain et scénariste palestinienne, Adania Shibli est née en 1974. Plusieurs de ses nouvelles et textes courts ont été traduites en français et en anglais. 'Reflets sur un mur blanc' est son premier roman. Il a reçu en 2001 le prix de la fondation Abdel-Mohsen Qattan (Londres).
                           
4. La Palestine sans censure - Regards croisés sur l'occupation Collectif
aux Éditions Syllepse

[118 pages - 8 euros - ISBN : 2847970436]
Textes de Sylviane Bernard Gresh, Awad Duaibes, Michel Ducrot, Gaëlle Fouere, Toufic Haddad, Martine Hassoun, Nemer Khalouf; Mwafaq Khateeb et Hélène de Virieu et photographies de Bernard Bardinet.
Regards croisés pour informer et témoigner de journalistes palestiniens et français sur la situation dans les territoires occupés. Six journalistes français ont passé 10 jours en juin 2002 au côté du peuple palestinien meurtri et ils témoignent de ce qu'ils ont vu et vécu. Ces témoignages accompagnent ceux de Palestiniens qui avec leurs mots, leur perception quotidienne et leurs espoirs expriment en toute liberté et sans censure politique ou culturelle, la réalité palestinienne sans fard. Ce livre n'est pas un essai, ni une énième analyse de la situation. Il déroule la chronologie du voyage et celle de rencontres. Il se présente sous la forme conjuguée d'articles de journalistes palestiniens et de témoignages et ressentis des journalistes français. 
                                           
5. Alternatives non-violentes N° 128-129 (Décembre 2003)
"Palestiniens et Israéliens : faire parler la non-violence"
[133 pages - 21 euros - ISSN : 02235498]
Extrait du sommaire
- Le culte du martyre et la structuration psychique en Palestine par Marie Reveillaud
- La guerre des adultes traumatise gravement les enfants par Abdelfattah Abu-Srour
- Comme un taureau rendu furieux... Ou Aïssa traversant le Jourdain par Jean Oswald
- Cisjordanie, la vie le long du "mur" par Stéphanie Le Bars et Marion Van Renterghem
- L'agriculture palestinienne au pied du mur par Valentina Hemmeler
- La violence sacrilège par Jean Marie Muller
- Insoumis israéliens: le courage de dire "non" par Fabienne Messica
- Femmes en noir, chaque vendredi à Tel-Aviv et Jérusalem par Marlène Tuininga
- La voix de Michel Sabbah, patriarche latin de Jérusalem par Lucien Champenois
- Analyse critique des missions d'intervention civile en Israël-Palestine par Sébastien Babaud
- La guerre des mots par Denis Sieffert,
- Des sites Internet traitant de la situation en Israël et Palestine par Corinne Grassi
[Vous pouvez commander cette revue auprès de ANV - Galaxy 246 - 6 bis, rue de la Paroisse - 78000 Versailles - adressez un chèque de 24 euros (21 + 3 euros de frais de port à l'ordre de : ANV.]
                           
Rendez-vous

                                          
1. Soirée Palestine le vendredi 12 mars 2003 à Digne les Bains (Alpes-de-Haute-Provence)
au Centre Culturel René Char / Pierre Gassendi - 45, avenue du 8 mai 1945 - Digne les Bains

Dans le cadre de "La Méditerranée des femmes" images et rencontres "Femmes debout" du 8 au 14 mars 2004 organisée au Centre Culturel René Char à Digne les Bains par l'association Femmes Solidaires, une soirée Palestine est organisée :
- 21h00 - Film - Fadwa, une poétesse de la Palestine de Liana Badr
[Film documentaire palestinien (1999) - 52 min]
Le film retrace l’itinéraire de la grande poétesse palestinienne Fadwa Touqan décédée en décembre 2003 à Naplouse. Un jour, lorsque Fadwa est encore adolescente et qu’un jeune admirateur lui offre une fleur, l’un de ses frères lui hurle : "Désormais, tu n’iras plus à l’école ! Tu ne sortiras plus que le jour de ta mort, lorsqu’on t’emportera au cimetière…". Un autre frère guidera ses pas vers la poésie. Son chemin est semé d’obstacles, de défis et de créativité. Son destin personnel se confond avec celui de sa ville natale, Naplouse la fière, passant de l’état d’oppression à celui de libération. L’histoire d’une femme dont la vie incarne les bouleversements de la vie de son peuple…
- 22h00 - Rencontre - débat avec Souad Amiry
Souad Amiry est architecte, palestinienne, elle a fondé RIWAQ (Centre Palestinien de Protection et de Conservation du Patrimoine Architectural à Ramallah.) Ancien membre de la délégation palestinienne aux négociations de paix de Washington et ex-vice-ministre de la Culture. Elle est aussi l’auteur de "Cappuccino à Ramallah – Journal de guerre" publié aux éditions Stock en 2004.
[Renseignements : Femmes Solidaires : 06 70 72 83 43 - Centre Culturel René Char : 04 92 30 87 10 - Email :
colette.prov@wanadoo.fr]
                                             
2. Rencontre avec Pascal Boniface le mardi 30 mars 2004 à 18h30
à Salle Sainte-Agnès - 23, rue Oudinot - Paris 7° (1er étage, fond de cour M° St François-Xavier)

Le Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient (CVPR-PO) organise une rencontre avec Pascal Boniface, Géopolitologue, Directeur de l'Institut de Relations Internationales et Stratégiques (IRIS) et auteur du livre  "Est-il permis de critiquer Israël ?" aux éditions Robert Laffont. Autour de l'actualité française et internationale en rapport avec les conflits du Proche-Orient. (Entrée libre)
                           
Réseau

                                          
1. Correspondance : Le Président de l'Association pour le Bien-être du Soldat Israélien à Marseille sur la liste de Michel Vauzelle aux élections régionales en Provence
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De: "La Maison d'Orient" <lmomarseille@wanadoo.fr>
À: "Michel Vauzelle" <
contact@vauzelle2004.org>
Objet: Demande urgente
Date: samedi 28 février 2004, 09:39

Monsieur Michel Vauzelle,
Vous avez inscrit sur votre liste "la Gauche Unie et des Ecologistes", Jocelyn Zeitoun, "Président de l'Association pour le Bien-être du Soldat Israélien" à Marseille, ancien Président du CRIF Provence (Conseil représentatif des institutions juives de France), actuellement 2ème vice-président de la Commission tourisme du Conseil Régional Provence-Alpes-Côtes d'Azur. Le 13 janvier 2000, l'hebdomadaire "Tribune Juive" publiait une interview de Jocelyn Zeïtoun, je vous en livre un extrait, Monsieur le Président, et j'attends votre réaction.
- TRIBUNE JUIVE : Vous considérez-vous encore comme un militant communautaire ?
- JOCELYN ZEITOUN : Plus que jamais. Je participe à la vie associative, par différents canaux, je suis vice-président du Consistoire central... De plus, mes activités au Conseil Régional sont éminemment juives.
- TJ : Que voulez-vous dire ?
- JZ : En tant que vice-président de la commission tourisme, j'organise des voyages en Israël. J'emmène sur place des hommes politiques, des décideurs économiques... C'est un travail de terrain extrêmement utile, croyez-moi.
- TJ : Seriez-vous "le Juif" de Michel Vauzelle, le Président de la Région ?
- JZ : Je ne présenterais pas les choses ainsi. Mais je ne vois pas pourquoi je mettrais mes convictions et mon engagement au placard. Je contribue à renforcer les relations franco-israéliennes. Je n'ai pas à en rougir. On à dit trop longtemps : "La communauté n'a pas à se mêler de politique, ou le moins possible". Je suis d'un avis diamétralement opposé. Je suis favorable à une forme de lobbying.
Je tiens à votre disposition l'original de ce magazine. J'attends votre réaction avant de diffuser massivement cette information.
Salutations citoyennes et respectueuses.
Pierre-Alexandre Orsoni - Président de "La Maison d'Orient", rédacteur en chef du "Point d'information Palestine" - BP 105 - 13192 Marseille Cedex 20
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De: "Pierre-Jean Billon" <pierre-jean@billon.biz>
À: "La Maison d'Orient" <
lmomarseille@wanadoo.fr>
Objet: Re: Demande urgente - Réponse personnelle de Michel Vauzelle
Date: samedi 28 février 2004, 17:11
Monsieur,
La liste de la gauche unie et des écologistes aux élections régionales de mars, a été ouverte à la société civile dont Monsieur Jocelyn Zeitoun est un représentant. Monsieur Zeitoun est, depuis de nombreuses années, très actif dans différentes associations caritatives, humanitaires, ou à caractère social. Parmi celles-ci figure effectivement l'association que vous mentionnez. Je comprends que l'intitulé de cette association puisse troubler étant donné la situation au Proche-Orient. Mais il faut savoir que cette association est une association caritative, qui a pour but de venir en aide aux veuves, aux orphelins et aux infirmes. Elle n'a aucune vocation militaire.
Jocelyn Zeitoun est conseiller régional sortant. Tous ses collègues de la majorité de gauche, socialistes, communistes, Verts, ont apprécié comme moi sa droiture, son engagement social et humaniste.
J'ai manifesté la solidarité de la Région aux victimes de conflits et de catastrophes, sans distinction de nationalité. Je réunis actuellement le comité régional "Solidarités" pour organiser les aides aux victimes du tremblement de terre du Maroc. La Région, à ma demande, est intervenue en faveur des victimes du tremblement de terre de Boumerdès et je me suis moi-même rendu sur place... Je pourrai citer d'autres exemples.
En ce qui concerne le Proche-Orient, il n'y aura de paix durable que si les droits des deux peuples sont également reconnus. Je pense que les régions, à leur niveau et avec leurs moyens, peuvent intervenir, peuvent oeuvrer à la paix, notamment par les relations de coopération et d'amitié qu'elles peuvent nouer. Je vous rappelle que, depuis 1998, j'ai signé des accords de coopération avec le gouvernorat de Khan Younis en Palestine, avec la région de Tanger-Tétouan au Maroc, la wilaya d'Alger, le gouvernorat de Tunis, le gouvernorat d'Alexandrie, la ville de Haïfa, un groupement de communes rurales du sud du Liban. Des contacts sont en cours avec des régions de Turquie, de Syrie et de Libye. J'ai souhaité aussi que la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, soit active au sein d'initiatives multilatérales ayant pour objectif de promouvoir la solidarité et un codéveloppement économique et social en Méditerranée.
Au Printemps des lycéens, chaque année, j'invite des lycéens de tous ces pays de la Méditerranée avec qui nous avons des accords. Ces jeunes se rencontrent, dialoguent, débattent, parlent de citoyenneté et de paix. En 2000 j'avais pris l'initiative de rassembler 2000 jeunes de la Méditerranée pour une fête de la paix et pour planter des oliviers. J'ai la naïveté de croire que de telles opérations ne sont pas que ponctuelles ou que symboliques, mais qu'elles contribuent à donner une autre perspective à la Méditerranée que celle d'être une zone de tensions, et à combattre efficacement le racisme, l'antisémisme, la xénophobie, ainsi qu'à prévenir les dérives communautaristes.
Je vous prie d'agréer, Monsieur, l'expression de mes salutations distinguées.
Michel Vauzelle
                               
2. Correspondance : Publicis et le Mur de apartheid, info ou intox ?
Alain Coutte a envoyé une lettre de protestation à la Société Publicis à la suite d'une l'information parue dans la presse indiquant que cette entreprise avait été chargée par le gouvernement israélien d'assurer la campagne de communication de l'état hébreu autour de son Mur de l'apartheid.
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De: "Publicis SA" <contact@publicis.com>
À: "Alain Coutte" coutte@coutte.com
Objet: RE L'immonde mur de l'apartheïd israélien (suite)
Date:  lundi 23 février 2004 17:54
Madame, Monsieur,
Votre courrier est visiblement inspiré voire recopié de sites Internet.
Ainsi vous condamnez notre action, notre Groupe, et portez atteinte à notre image sans même vous interroger sur la véracité de ces faits.
Publicis n'a, dans quelque temps que ce soit, realisé de campagne politique pour quelque gouvernement que ce soit y compris israëlien.
Comme ceci a été rapporté dans le Figaro du 20 Février 2004, nous n'avons aucun contrat de quelque nature que ce soit avec l'Etat d'Israël.
Vous êtes victime d'une campagne de désinformation.
Aussi, nous vous prions de bien vouloir nous communiquer l'origine des propos dont vous faites état afin que nous puissions éradiquer ces fausses informations qui sont souvent relayées sous forme diffamatoire et contre lesquelles nous nous réservons le droit d'entreprendre toute action, y compris judiciaire, qui pourrait s'imposer.
Par ailleurs, nous vous serions gré de transmettre ce démenti aux personnes qui vous ont communiqué ces fausses informations nous concernant. Avec nos salutations,
Alain Schwindenhammer - Directeur Juridique
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De: "Alain Coutte" coutte@coutte.com
À: "Publicis SA" <contact@publicis.com>
Objet:  L'immonde mur de l'apartheïd israélien (suite)
Date:  mardi 24 février 2004, 10:43

Cher Monsieur Schwindenhammer,
J'ai bien reçu votre email du lundi 23 février 2004, comme tant d'autres qui avons protesté contre "l'immonde mur de l'apartheid israélien", qui a retenu toute mon attention et auquel je réponds point par point :
1. Notre source d'information concernant "L'Affaire Publicis" que vous qualifiez de "désinformation" n'est autre que le journal en ligne pro-isarélien/sioniste http://www.proche-orient.info d'Elizabeth Schemla dont je vous adresse l'article ci-dessous. Si en effet les informations de ce journal sont mensongères, ce dont nous doutons - car proche-orient.info posséde des sources à priori au sein même du régime raciste de "la première démocratie du Moyen-orient" -, nous vous encourageons vivement à leur faire un procés. Nous sommes bien de votre avis qu'il est en effet tout à fait inacceptable et honteux qu'un tel journal propage des informations pouvant nuire à votre image. Nous vous recommandons vivement de tout mettre en oeuvre afin que de tels journaux disparaissent du paysage médiatique et que leurs dirigeants ne soient plus jamais invités par les autres grands médias qui leur font de la publicité.
2. Vous n'apportez aucun démenti formel et officiel.
2.1. En effet, pouvez-vous affirmer publiquement que aucune des nombreuses sociétés de PUBLICIS dans lesquelles ce groupe posséde, directement et/ou indirectement une participation supérieure à 10% (dix pour cent), ni aucun de ses cadres et/ou dirigeants, n'a eu de contact direct et/ou indrect avec un ou plusieurs membres du gouvernement israélien et/ou de ses représentants officiels ou officieux, concernant une quelconque campagne publicitaire en faveur du mur de l'apartheid.
2.2. Pouvez-vous publiquement, dans un ou plusieurs quotidiens français à grand tirage, dénoncer les informations du journal en ligne http://www.proche-orient.info d'Elizabeth Schemla ?
Dans cette attente, je vous adresse, Cher Monsieur Schwindenhammer, mes salutations.
Alain Coutte
La source de l'information est : http://www.proche-orient.info/xjournal_pol_der_heure.php3?id_article=20189 14 janvier 2004 / 12 h 45 - EXCLUSIF Publicis (France) choisi par Israël pour coordonner en Europe sa politique de communication sur le procès que lui intente la Cour internationale de Justice sur la barrière de sécurité par Katy Bisraor
                   
3. Lettre ouverte aux parlementaires européens qui ont voté un texte honteux bafouant les droits du peuple palestinien par Silvia Cattori et Pierre-Yves Salingue (15 février 2004)
[Cet article fait référence à la Résolution du Parlement européen "Paix et Dignité au Proche-Orient" 2002/2166 - INI.]
Le 23 octobre 2003, le Parlement européen a adopté à une très large majorité une résolution pompeusement intitulée « Paix et Dignité au Proche-Orient ». Vous étiez partie prenante de cette majorité qui n'avait pas besoin des voix des « Amis de la Palestine » pour obtenir la majorité absolue: 343 pour, 19 contre et 57 abstentions. C'est donc que vous avez jugé que, quelles que soient ses faiblesses et ses insuffisances, voire même ses erreurs, ce texte allait dans un sens positif et méritait votre adhésion.
Mais après un tel succès, votre modestie nous étonne. Parce que si ce texte, comme l'affirment certains d'entre vous, est «un point d'appui pour la lutte en faveur des droits du peuple palestinien», pourquoi ne pas l'avoir porté à notre connaissance dès son adoption ?
Peut-être étiez vous trop occupés à préparer l'initiative de Genève, à organiser, avec ses promoteurs, des réunions avant et après le vote du Parlement? Ou peut-être avez-vous été saisis par quelques doutes, après relecture du texte issu d'un consensus émouvant ?
La résolution que vous avez appuyée porte atteinte au droit légitime du peuple palestinien à combattre l'occupant, à résister, et au droit au retour des réfugiés, internationalement acquis. Nous reprenons, ci-dessous, quelques paragraphes qui en disent long sur ce que ce texte signifie pour les victimes palestiniennes de ce mauvais coup.
La résolution « Paix et Dignité au Proche-Orient » :
«réitère sa ferme condamnation ainsi que le rejet de tout acte de terrorisme commis par des organisations terroristes palestiniennes contre le peuple israélien, et exige que l'Autorité nationale palestinienne mène une lutte sans merci contre ces actes de terrorisme jusqu'au démantèlement total de ces organisations» «déclare expressément que le terrorisme palestinien, que ses victimes soient civiles ou militaires, non seulement est responsable de nombreuses victimes innocentes, ce qui le rend des plus condamnables, mais en plus nuit gravement au processus de paix que l'on veut reprendre» «demande aux autorités palestiniennes d'affronter avec réalisme la délicate question du droit au retour des réfugiés, qui touche actuellement non moins de quatre millions et demi de personnes, de façon à pouvoir convenir entre les parties d'une solution juste et équilibrée qui tienne compte du fait que tous les réfugiés palestiniens ne pourront pas retourner vers leurs lieux d'origine et qu'il faut également prendre en considération les préoccupations démographiques d'Israël».
Vous qui pensiez savoir ce qui est supportable ou insupportable pour l'humanité, vous qui avez uni vos voix pour voter ce texte, peut-être vous êtes-vous étonnés de la réaction de ces réfugiés qui ne semblent pas apprécier les sacrifices qu'on leur demande une nouvelle fois, qui s'obstinent à ne pas comprendre que l'heure est venue d'être «réalistes et raisonnables» et donc, de renoncer au droit au retour. Mais peut-être avez vous été induits en erreur dans votre perception de la situation telle qu'elle se présente sur le terrain ?
Certes, le désir de paix chez les Palestiniens épuisés après tant d'années de mesures militaires répressives est immense. Mais non pas au prix d'une nouvelle capitulation. L'immense majorité de la population a compris qu'une paix bâclée ne les mènerait qu'à plus de souffrance, à plus d'expulsions, à plus de destructions, et donc à toujours plus de violence.
Les conditions que leur impose la négociation telle que présentée par ce texte sont malvenues. Elle veut dire la capitulation, le renoncement à ses droits, à ce pour quoi le peuple palestinien s'est battu durant 55 ans.
Vous vous obstinez à confondre une petite élite avec le peuple réel: celui des camps de réfugiés, celui des villages assiégés, celui des quartiers détruits. Ce peuple réel n'a pas, lui, profité des années d'Oslo, quand les interminables négociations favorisaient les affaires de «négociateurs» jamais pressés d'en finir.
La deuxième Intifada était un mouvement qui entendait balayer cette classe d'affairistes que l'argent de l'aide internationale a corrompue. Elle n'y est pas parvenue. Et aujourd'hui, vous voulez contraindre le peuple palestinien - qui a déjà payé le prix fort de toutes les trahisons et les erreurs d'appréciation - à se soumettre à ces mêmes règles qu'il a rejetées dans son immense majorité.
Cela revient à traiter les acteurs du mouvement de solidarité avec le même mépris que celui que vous avez manifesté envers le peuple et la résistance palestinienne en votant une résolution qui, avec ses 73 paragraphes, vous donne réponse à tout.
Tel un spectateur aveuglé par les talents du prestidigitateur, le citoyen sincère se voit inciter à fixer son attention sur ce que celui qui a voté ce texte veut bien lui montrer. Ainsi, suivant sa sensibilité, le parlementaire interpellé pourra présenter tel ou tel paragraphe pour convaincre celui qui met en cause ce texte que sa critique est unilatérale et excessive. On lui répondra des choses du genre : «Mais oui, on condamne l'occupation, et la violence excessive de l'armée, et on soutient les pilotes, et on demande le respect des droits des prisonniers, et le démantèlement des colonies, etc. Vous voyez bien que ceux qui nous critiquent exagèrent.»
Par ailleurs, que l'on ait désigné les colonies sous le vocable israélien d'implantations (sauf une fois l'expression «implantations de colonies»), que la résolution ne demande même pas la destruction du mur et banalise l'expression «mur de sécurité» (le paragraphe 2 demande le «gel» et le paragraphe 41 le proclame «illégal» mais se contente de demander à Israël «de s'engager à ce que le mur de sécurité ne préfigure en rien la frontière définitive») ne semble pas vous avoir émus.
Ce qui apparaît dans le tableau principal de cette résolution n'est pas la sauvegarde des droits légitimes des Palestiniens, mais celui des intérêts de l'élite, des privilégiés qui, à Ramallah ou à Jérusalem, sont pressés de négocier pour reprendre le pouvoir et les affaires juteuses, interrompues par l'avènement de l'Intifada.
D'ailleurs, ces derniers ne peuvent qu'être ravis par une résolution qui «se félicite de la proposition annoncée par le Président Bush de créer une zone de libre échange entre les États-Unis et les pays arabes» et s'enthousiasme à l'idée de «pouvoir dès 2005 partager avec les deux partenaires (israéliens et palestiniens) un marché unique, le libre échange, un régime ouvert d'investissements et également une coopération étroite en matière de lutte contre la criminalité, le terrorisme et l'immigration illégale».
Oui, tout à votre bonheur d'avoir fait passer un amendement pour «soutenir le pacte de Genève», vous avez voté ça !
Mais cette résolution n'est pas un jeu des contraires à somme nulle. Vous vous êtes permis de rayer d'un trait de plume le droit au retour des réfugiés dans leurs foyers, lequel est un droit individuel et collectif garanti par la Déclaration Universelle des droits de l'Homme, par la Convention internationale des droits civils et politiques, par diverses résolutions de l'ONU, dont la résolution 194 fâcheusement oubliée dans les références pourtant nombreuses du texte voté.
En outre, cette résolution assimile tout acte de résistance à du terrorisme et appelle à sa répression, niant ainsi à l'occupé le droit de résister à la domination coloniale de l'État d'Israël et à l'occupation étrangère de territoires conquis par la force.
Ignominie supplémentaire: par ce texte, vous avez validé la notion de «préoccupations démographiques d'Israël», notion raciste qui mène tout droit à la reconnaissance de la préférence démographique et à la légitimation du nettoyage ethnique auquel mène inéluctablement l'idéologie sioniste de «l'État juif».
Ce vote n'est pas survenu dans un moment banal. Il est intervenu en appui à l'accord de Genève, qui a notamment détourné l'attention de l'opération de nettoyage ethnique dans les Territoires occupés et qui annonce celle prévue à l'intérieur même d'Israël. Il va dans le sens des volontés de l'USAID - le bras droit humanitaire de la CIA - et des gouvernements qui conditionnent désormais leur aide financière à un engagement des ONG palestiniennes et des comités populaires «à participer à la lutte contre le terrorisme». Tout un dispositif se développe visant à stigmatiser et isoler «les ennemis de la paix». Autrement dit, les Palestiniens qui ne veulent pas renoncer à leurs droits et les secteurs du mouvement de solidarité qui font le choix de soutenir celles et ceux qui veulent poursuivre la lutte. Ces compromis, ces ambiguïtés, ces abandons, qui sèment la confusion, sont votre choix.
Pour le mouvement de solidarité, c'est aussi l'heure de trancher et de se déterminer avec justesse. Terroristes ou résistants? Implantations ou colonies? Mur de sécurité ou mur de nettoyage ethnique ? Préoccupations démographiques d'Israël ou droit au retour ?
IL VA FALLOIR CHOISIR ! Entre le soutien à la résistance palestinienne et l'incitation à sa capitulation, telle que votée par le parlement européen.
S'il ne veut pas sombrer, le mouvement de solidarité doit lier son sort à celui des Palestiniennes et des Palestiniens qui veulent résister et qui ont besoin de son soutien. Il doit, sans hésitation, se placer aux côtés de celles et ceux qui certes veulent comprendre, faire le bilan des dizaines d'années de lutte, réévaluer la stratégie et les méthodes, reconstruire les outils indispensables de la mobilisation populaire et répondre à la soif d'unité du Peuple palestinien. Un peuple qui n'est pas disposé à renoncer à ses droits.
Silvia Cattori - silviacattori@yahoo.it - Pierre-Yves Salingue - pysalingue31@hotmail.com
                           
4. Un "Canard" boiteux ! par Taïeb Moalla (29 février 2004)
Dans son édition du 25 février 2004, Le Canard enchaîné évoque, pour parler du procès du "mur", (qu'Israël construit dans les territoires occupés) : "le type même du procès qui ne résoudra rien, s'il n'accroît pas les tensions sur le terrain." (page 8) Ce manque de jugement du prestigieux palmipède est désolant : Ainsi, quand les Palestiniens utilisent la violence, la terre entière - y compris l'Autorité palestinienne - s'empresse de condamner les "actes terroristes" (des condamnations justifiées quand les attaques visent des civils). Par contre, quand ces mêmes Palestiniens essayent d'user de moyens diplomatiques (procès contre Israël pour ses pratiques d'occupation militaire, recherche de résolutions onusiennes pour confirmer les droits légitimes des Palestiniens...), il se trouvera toujours des âmes bien pensantes pour affirmer que ceci "ne résoudra rien" et qu'un tel procès risquerait "[d'accroître] les tensions sur le terrain." Cette "analyse" est d'autant plus navrante qu'elle vient d'un journal dont l'antimilitarisme n'est plus à démontrer !
                               
5. Qui communautarise qui ? par Vincent Geisser
on Marseille Solidaire le samedi 28 février 2004
(Vincent Geisser est chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman (CNRS) et enseigne à l’Institut d’études politiques d’Aix-en-Provence. Il est l'auteur de Ethnicité républicaine, Presses de Sciences po (1997), Diplômés maghrébins d’ici et d’ailleurs, CNRS Éditions (2000), Le Syndrome autoritaire. Sociologie de la Tunisie de Bourguiba à Ben Ali (en collaboration), Presses de Sciences po (2003). Il vient de publier La nouvelle islamophobie aux éditions La Découverte.)
Elisabeth Schemla appelle clairement à la constitution d’un "lobby juif, au sens plein et respectable du terme" (Lire son article publié le 25 février 2004 sur Proche Orient Info http://www.proche-orient.info/xjournal_edito.php3). Nous sommes dans le délire communautaire le plus total mais malheureusement consciemment assumé et revendiqué par certains journalistes et intellectuels ! Et dire que l’on a accusé Tariq Ramadan d’être "antisémite" pour cent fois moins que ça !
Dire que l’on a parlé de "haine de soi" à propos de certains intellectuels de "culture juive" qui osaient critiquer la politique de Sharon. Imaginez un seul instant que nous appelions à la constitution d’un "lobby pro-musulman" ou d’un "lobby pro-arabe" ou encore d’un "lobby pro-palestinien" en France. Nous serions très probablement condamnés pour "communautarisme", "antirépublicanisme", "pourfendeurs de la laïcité française", "adeptes du "fascisme vert", "islamo-gauchisme"...
E. Schemla parle de la nécessité d’un "lobby juif" en France et cela passe comme une lettre à la "poste républicaine".
Rien à redire du côté de nos "bonnes consciences médiatiques". Je suis scandalisé par cette tentative de réduire plusieurs millénaires de vie culturelle, spirituelle et intellectuelle du judaïsme en France à l’expression de "lobby". C’est tout simplement la légitimation d’un "antisémitisme inversé" : c’est conforter l’idée fantasmatique, dans l’opinion publique, de la réalité de l’existence d’un "lobby juif" qui agirait sur le territoire de la République française. C’est une forme d’auto-communautarisation, d’autoracisation, productrice d’effets pervers. Quelle hypocrisie ! Amitiés fraternelles et républicaines. [Marseille Solidaire : http://marseille.naros.info]
                                   
6. APPEL URGENT - Soutien à l'éditeur Eric Hazan - La Fabrique en procès le 26 mars 2004
Quelques individus regroupés sous le nom d'"Avocats sans frontières" - une appellation contestée par l'association homonyme officiellement reconnue - cite en justice Norman Finkelstein, auteur de L'Industrie de l'Holocauste, réflexions sur l'exploitation de la souffrance des juifs, et La Fabrique, son éditeur en France, en les accusant de "diffamation raciale", d'"incitation à la haine raciale" et de "reprendre à leur compte les thèses révisionnistes de Roger Garaudy". Ceux qui ont lu le livre savent qu'il ne contient absolument rien qui justifie ce genre d'allégation. "Je défends avec la plus grande énergie, écrit Finkelstein, la mémoire de l'holocauste commis par les nazis." 
En Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et en Allemagne, où il a déjà été publié, ce livre a suscité des discussions animées, dans lesquelles des spécialistes mondialement connus de l'histoire contemporaine, du nazisme et du génocide juif sont intervenus, aussi bien pour défendre que pour critiquer les thèses de Norman Finkelstein. Parfois vifs, ces désaccords sont toujours restés dans le cadre d'un débat d 'idées. C'est dans le but de contribuer à faire connaître et à enrichir ce débat que La Fabrique a décidé de publier en France L'Industrie de l'Holocauste. Or, si la critique des thèses défendues dans ce livre est pleinement légitime, la diffamation de son auteur et la déformation systématique de ses thèses ne sont pas acceptables. Remplacer la critique par l'anathème, par la censure et par l'intimidation revient précisément à rendre impossible tout débat et à instaurer un climat profondément néfaste de terrorisme idéologique. Cela constituerait un précédent grave et risquerait de dégrader le climat intellectuel de ce pays. Les soussignés, attachés à la liberté de l'analyse historique, fermement opposés aux manipulations frauduleuses du souvenir des crimes nazis, convaincus de la fécondité d'un débat sur la mémoire collective et sur l'usage public de l'histoire, se déclarent solidaires de La Fabrique aujourd'hui atteinte dans sa dignité et dans ses droits. Le procès aura lieu à partir du 26 mars 2004.
Pour nous soutenir, vous pouvez nous faire parvenir par fax ou courrier votre signature de soutien en précisant nom, prénom, adresse et éventuellement profession : La Fabrique - 64, rue Rébéval - 75019 Paris - France - Fax: 00 33 (0)1 40 15 02 63
- Liste des premiers signataires : Achcar (Gilbert), département des sciences politiques, Paris VIII - Alphant (Marianne), Centre Pompidou, Paris - Al Faraby, journaliste, France - Arasse (Daniel), historien de l'art, EHESS, Paris - Attias (Jean-Christophe), histoire des religions, EHESS, Paris - Arcache (André), Ville d'Avray - Augé (Marc), ethnologue, EHESS, Paris - Bailly (Jean-Christophe), écrivain, Paris - Barillot (Monique), étudiante, Marseille - Baumgarten (Jean), écrivain, Les Baumettes - Bellier (Irène), anthropologue, CNRS, Amiens - Benbassa (Esther), histoire des religions, EHESS, Paris - Bensaid (Daniel), philosophe, Paris VIII - Boursier (Jean-Yves), maître de conférences en anthropologie, Amiens - Bouteldja (Houria), attachée commerciale, Paris - Bouteldja (Fatima), chargée de clientèle, Lyon - Bouteldja (Myriam), Formation en informatique, Albertville - Bouteldja (Samira), commerciale, Grenoble - Bouteldja (Rédriane), étudiant, Albertville - Camilia, chanteuse et comédienne, Marseille - Cattori (Silvia), journaliste, Lausanne - Chatel (Marie-Madeleine), psychanalyste, Paris - Cohen (Jacques), département des sciences politiques, Paris VIII - Cohen (Jean-Louis), directeur de l'Institut français d'architecture - Déotte (Jean-Louis), professeur de philosophie, Paris VIII - Drot (Jean-Marie), SCAM, Paris - Durozoi (Gérard), philosophe, Lille - Eddé (Dominique), écrivain, Paris - Eleb (Monique), sociologue de l'architecture, Paris - Filosa (Carla), rédacteur La Contraddizione, Rome - Friedeman (Marc-Ariel), linguistique, université de Tel-Aviv - Gauthier (Florence), maître de conférence, histoire, Paris VII - Gèze (François), éditeur, Paris - Godmet (Jean-Baptiste), ingénieur, Bourseville - Grosser (Alfred), professeur de sciences politiques, Paris - Ivekovic (Rada), Paris - Ivernel (Philippe), traducteur, Paris - Jouannais (Jean-Yves), journaliste et écrivain, Paris - Kahn (Marcel-Francis), professeur émérite, rhumatologue, Paris - Kircz (Joost), chercheur en électronique, Université de Amsterdam - Kronfli (Aïda), retraitée, Paris - Korb (Hélène), bibliothécaire, Fontenay-sous-bois - Lacloche (Francis), mécénat de la Caisse des Dépôts, Paris - Laubreton (Vonick), peintre, Marseille - Lessana (Arrigo), chirurgien, Paris - Lew (Roland), politologue, université libre, Bruxelles - Maillard (Alain), sociologue, université de Picardie, Amiens - Maler (Henri), département des sciences politiques, Paris VIII - Marelli (Joëlle), traductrice, Paris - Morin (Bernard), cardiologue, Paris - Orsoni (Pierre-Alexandre), président de La Maison d'Orient, Marseille - Pala (Gianfranco), rédacteur "la Contraddizione", professeur d'économie, Université la Sapienza, Rome - Petric (Boris), anthropologue, CNRS, Amiens - Poizat (Michel), anthropologue, CNRS, Amiens - Portis (Larry), sociologue, université de Montpellier III - Rajsfus (Maurice), écrivain, Paris - Rancière (Jacques), philosophe, Paris - Rilov (Kostya), juriste, Paris I - Robert (Jean)Pierre), Roncq - Rougier (Sylvette), Infirmière, syndicaliste et militante associative, Poitiers - Sala-Molins (Louis ), écrivain, Paris - Sallenave (Danièle), écrivain, Paris - Sivan (Eyal), réalisateur, Israël - Todorov (Tzvetan), écrivain, Paris - Tomkiewicz (Stanislas), psychiatre, Paris - Udry (Charles-André), éditeur, Lausanne - Vidal (Jérôme), éditeur, Paris - Vincent (Jean-Marie), département des sciences politiques, Paris VIII - Vovelle (Michel), professeur émérite, historien, Aix-en-Provence.
                           
7. Lettre ouverte de l’Union Générale des femmes palestiniennes aux institutions des Nations Unies, aux organisations des droits de l’homme et de la femme et aux groupes de solidarité à l’occasion de la Journée internationale de la Femme par Rima Tarazi
[traduit de l'anglais par Jacques Salles]

Ramallah, le lundi 8 mars 2004 - En ce 8 mars 2004 , journée mémorable de la Femme, les femmes palestiniennes s’interrogent :
- Vers où tous les évènements violents qui dévastent notre région ont-ils dirigé nos rêves de femmes et leur aspiration à un avenir juste et pacifié ?
- Qu’ont donc produit ces décades d’occupation et de dépossession malgré la résistance des femmes palestiniennes qui n’ont pour seul objectif que les droits fondamentaux de l’Homme et de la sécurité assurée à leurs enfants ?
- Quand donc le monde va-t-il risquer sa responsabilité à l’égard des millions de gens victimes des agressions en tout genre .
En Palestine, les entraves à l’injustice et à l’oppression nous ligotent derrière les barreaux et nous confinent derrière ce mur monstrueux
Dépossédés de leur soleil, de l’horizon et du sanctuaire de leurs oliveraies, nos enfants  sont en train de perdre la joie de la Jeunesse
En Palestine, la terre, les arbres et le vent crient à l’aide alors que les bulldozers labourent nos vergers, détruisent, dévastent et polluent notre air pur et le silence de nos nuits sur ces terres agricoles bien aimées
Alors que les femmes à travers le monde sont prêtes à célébrer cette journée, les femmes palestiniennes emprisonnées, dépossédées de leurs terres, cloisonnées par des murs et fouillées aux postes de contrôle clament au monde entier qu’elles ne courbent pas face à l’adversité mais qu’elles se tiennent debout, indignées et déterminées, en solidarité avec leurs sœurs à travers le monde, implorant justice, liberté et égalité pour elles-mêmes et pour tous les êtres humains.
Elles en appellent à tous ceux qui se soucient des générations futures pour la sauvegarde de la terre nourricière, leur demandant de les rejoindre dans leurs efforts pour libérer les femmes palestiniennes et leurs enfants des prisons israéliennes et de les soutenir dans leurs luttes pour abattre le mur de l’oppression et de la dépossession.
A cette occasion nous saluons toutes ces femmes remarquables qui poursuivent leur lutte pour acheminer la flamme de l’espérance à son terme. Cette flamme est inscrite dans leurs cœurs en dépit de toutes les souffrances et toutes les douleurs, guidées par leur compassion et leur amour pour leur Peuple, leur terre et l’humanité dans son ensemble
Nous saluons aussi tous ces groupes de solidarité qui s’exposent à la défiance, à l’injustice et à l’oppression au nom la recherche de la vérité. Nous évoquons ici, avec une grande tristesse, les noms de RACHEL CORRIE, TOM HURNDALL et de JAMES MILLER qui resteront à jamais des symboles pour notre Peuple dans leur combat pour la liberté et la justice.
                                       
Revue de presse

                                                             
1. L’Irak n’existe plus par Richard Labévière
Editorial sur Radio France Internationale du mercredi 10 mars 2004

La signature, lundi, de la «loi d'administration de l'Etat», autrement dit d'une constitution provisoire pour l'Irak permet d'amorcer un processus politique et constitue un facteur d'apaisement, estime le directeur de la CIA George Tenet.
En réalité, l'adoption de ce texte revêt surtout un caractère symbolique puisqu'il s'agit de montrer au monde et prioritairement à l'électorat américain que l'Irak va dans la bonne direction. Et cette constitution provisoire qui aurait dû être une étape importante vers le transfert de souveraineté - initialement prévu le 30 juin prochain - ne s'appliquera qu'après les élections générales, prévues à l'horizon 2005, c'est à dire dans un avenir très incertain. Sur le terrain la question de l'insécurité reste le premier sujet de préoccupation des Irakiens et l'Irakisation des forces de l'ordre servant de bouclier aux Américains ne résout pas le problème de fond.
Le chômage demeure très élevé - 25% selon la coalition, 50% selon la banque mondiale. Le peu d'autorité des nouveaux policiers fait de Bagdad un embouteillage permanent.
Les constructions anarchiques se multiplient et les ordures, rarement ramassées, s'accumulent un peu partout. Au total la population est toujours sous le choc des attentats anti-chiites du 2 mars à Bagdad et Kerbala.
Les Irakiens balancent toujours entre soulagement et nostalgie, entre la reconnaissance aux libérateurs et la haine de l'occupant. Dans ces conditions et en dépit de l'optimisme affiché du patron de la CIA, il est bien difficile de dire aujourd'hui si la constitution provisoire ré-affirme l'identité irakienne ou si, au contraire, elle conforte la tentation du repli communautaire.
Une chose est sûre et ne trompe personne, cette constitution en carton repousse les problèmes les plus délicats au-delà du mois de novembre prochain, au delà de l'élection présidentielle américaine, en donnant l'illusion d'un mouvement qui irait dans le bon sens. Condamné par l'ayatollah Sistani - le tout puissant chef de la communauté chi'ite majoritaire dans le pays avec 60% de la population - cette constitution qui entérine la partition du pays est aussi durement critiquée par le gouvernement turc qui estime qu'elle va provoquer davantage d'instabilité parce qu'elle favorise l'autonomie sinon l'indépendance des Kurdes.
De fait, l'Irak n'existe plus et les élections à venir risquent de cristalliser l'éclatement communautaire. Une évolution parfaitement conforme au Grand Moyen-orient américain qui ne veut pas de la renaissance d'un Irak fort susceptible de menacer à nouveau Israël et de soutenir la résistance des Palestiniens. En définitive, on peut craindre que l'Irak n'ait de choix qu'entre une longue période d'occupation américaine et l'instabilité, ou bien les deux à la fois, car repliés dans leurs bases-vie, les Américains pourraient se contenter d'assister au déchirement d'un Iraq abandonné à lui-même.
                       
2. Des morts aussitôt oubliés par Gilles Paris
in Le Monde du mardi 9 mars 2004

La lassitude l'a emporté sur la routine des raids militaires et des attentats-suicides. Le conflit israélo-palestinien est désormais sur une voie de garage politique dans l'attente d'une très hypothétique impulsion après l'élection présidentielle américaine. Les violences de part et d'autre n'ont pas disparu, loin de là, mais elles semblent désormais admises comme un moindre mal lorsqu'elles touchent les territoires palestiniens. Les incursions et les assassinats ciblés perpétrés à Gaza par l'armée israélienne ne cessent ainsi d'être mis sur le compte de l'autodéfense et sont acceptés comme tels malgré une légitimité (pour ne pas parler de leur efficacité) plus que douteuse, notamment du fait du confinement de Gaza depuis plus d'une décennie. On voit bien que ce "modèle" en passe d'être appliqué à la Cisjordanie avec la nouvelle "clôture de sécurité" ne met pas un terme aux bains de sang.
Pratiquement plus personne dans le monde ne condamne, ou simplement ne déplore, la mort de civils, souvent des enfants, pris au piège de combats urbains dans des zones parmi les plus peuplées de la planète. Faute d'énergie, faute de volonté. Au rythme des incursions israéliennes actuelles, le seuil de 3  000  morts palestiniens devrait être atteint avant l'été.
Les Palestiniens ont beau mourir trois fois plus que les Israéliens (pour une population inférieure de moitié), cet élément ne compte plus. Aussitôt oubliés, ces morts-là sont en apparence des morts pour rien. Les offensives à chaque instant, les raids aériens, les destructions systématiques qui s'ajoutent à l'enfermement et à la pauvreté sont le quotidien, accepté par la communauté internationale, d'une population dont la moitié a moins de 16  ans.
Fouettée par les incursions sanglantes, la culture de la haine se porte bien à Gaza et en Cisjordanie, et avec elle la culture de la mort dont les civils israéliens paient aussi le prix. Il sera beaucoup plus difficile de parvenir à la paix avec les jeunes Palestiniens qui grandissent dans cette guerre qu'avec la génération déclinante qui fonda le nationalisme palestinien.
                               
3. Antisémitisme par Jean-Michel Aubriet
in Jeune Afrique - L'Intelligent du mardi 9 mars 2004

Le monde est bizarre. Il suffit désormais qu’un acteur hollywoodien pas forcément très malin consacre un péplum un peu gore à la passion du Christ pour que s’allume une polémique planétaire. Pour que les mânes des Rois catholiques et d’Anne Catherine Emmerich soient ipso facto appelés à témoigner au tribunal des médias. Le premier animateur télé venu, qui n’a pas dû ouvrir un missel depuis le temps du catéchisme, se lance dans de savantes exégèses bibliques. Qui a construit la Croix de Jésus ? Les Juifs ? Les Romains ? Ergotages à l’infini. En vérité, ils vous le disent, Torquemada et Mel Gibson, même combat ! Déjà, les bûchers de l’Inquisition grésillent. L’antisémitisme médiéval est de retour. On peut s’en amuser cinq minutes…
Presque au même moment, à Jérusalem, le vice-ministre israélien de la Défense, par ailleurs membre du Likoud, le parti du Premier ministre, se laisse aller à des déclarations marquées au coin du racisme le plus abject. Qui s’en émeut en Occident ? Zeev Boïm, c’est son nom, a pourtant fait très fort, le 24 février, lors d’une cérémonie à la mémoire des passagers d’un bus assassinés par un commando palestinien, en 1978 : « Qu’en est-il des musulmans en général et des Palestiniens en particulier ? Ont-ils une déficience culturelle ? Ou bien une tare génétique ? »
Rapporté par une chaîne de radio publique, le diagnostic a quand même suscité quelques remous en Israël. Avshalom Vilan, un député de gauche, a véhémentement protesté : « C’est du pur racisme, de la folie. Soixante ans après la Shoah, comment un représentant du gouvernement peut-il tenir de tels propos ? » Bonne question. Prudent, le vice-ministre a fini par faire machine arrière. Non, quelle horreur, il n’a jamais pensé une chose pareille : sa « langue a fourché ». Soit, c’est une bonne nouvelle, les Palestiniens ne souffrent pas d’une « tare génétique ». Mais de quoi alors ? On croirait plus volontiers à ce mea-culpa, si Yehiel Hazan, un autre responsable du Likoud, n’avait enfoncé le clou : « Il [Boïm] a tout à fait raison. Depuis des centaines d’années, les Arabes égorgent des Juifs. Ils ont cela dans le sang, c’est quelque chose de génétique. »
La démonstration est faite : à Jérusalem, il est permis de dire n’importe quoi. Mais à New York, Londres ou Paris, mieux vaut tourner sept fois son Évangile dans sa bouche.
                       
4. Une censure inadmissible à Cinéma du réel
in Libération du lundi 8 mars 2004
Pour sa 26e édition, le festival Cinéma du réel, l'un des plus prestigieux rendez-vous du cinéma documentaire, devait projeter, hors compétition, le film Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël des cinéastes palestinien et israélien Michel Khleifi et Eyal Sivan. Or, à la demande du ministère de la Culture, tutelle du festival, et du centre Pompidou, Cinéma du réel a supprimé l'une des deux projections.
Dans un communiqué justifiant sa décision, le ministère de la Culture estime prendre en compte la « vive émotion, notamment chez tous ceux qui s'alarment de la montée des propos et actes antisémites ou judéophobes en France », et se préserver ainsi « des risques de trouble à l'ordre public » que pourraient engendrer les deux projections initialement prévues.
Nous tenons à faire part de notre très vive inquiétude face à une telle décision, qui s'apparente à une censure qui ne dit pas son nom.
Sans forcément partager les choix et les points de vue exprimés dans Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël, il nous paraît inacceptable de catégoriser cette oeuvre comme pouvant susciter « des propos et actes antisémites ou judéophobes ». En tant qu'oeuvre de l'esprit, Route 181 participe à un débat intellectuel, que chacun est libre de critiquer. Nous sommes choqués que le ministère de la Culture s'arroge le droit de définir lui-même les termes de ce débat en interdisant de fait la diffusion de ce film.
Nous sommes inquiets du précédent que crée une telle décision. En cédant aujourd'hui devant un hypothétique « trouble à l'ordre public », le ministère de la Culture prend le risque d'abdiquer demain devant toute critique organisée contre un travail intellectuel et artistique. Un ministre de la Culture se doit de protéger les oeuvres, et non de se ranger du côté de leurs détracteurs. Nous demandons donc à Jean-Jacques Aillagon de revenir sur sa décision.
- Premiers signataires :
Jean-Luc Godard, cinéaste ; Russel Banks, écrivain ; Randa Chahal Sabbag, cinéaste ; Tzvetan Todorov, directeur de recherches au CNRS; Frank Eskenazi, producteur; Esther Benbassa, directrice d'études à l'EPHE; Julie Bertucelli, cinéaste ; François Maspero, écrivain ; Claire Simon, cinéaste; Hubert Nyssen, écrivain et éditeur. Plus de 300 personnes du monde de la culture se sont associées à cette lettre ouverte, la liste est consultable sur www.momento-production.com
                               
5. Le lobby Sharon à Bruxelles par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du vendredi 5 mars 2004

L'Institut transatlantique, inauguré le 12 février, instrument de promotion de la politique israélienne auprès des instances de l'UE.
Capitale de l'Europe, Bruxelles est devenue un haut lieu de ce qu'on appelle aux États-Unis les " lobbies ", autrement dit les " groupes de pressions ". On compte aujourd'hui plus de 3 000 bureaux de " lobbying " auprès de la Commission et du Parlement européen. Entreprises, groupes financiers ou ONG, veulent y avoir " des yeux et des oreilles " afin de savoir quand, comment et qui influencer au bon moment pour peser sur une orientation, une résolution ou une directive. Un travail à plein temps qui emploie une armée de spécialistes et de bureaux d'avocats.
L'un des derniers " bureaux " installés à Bruxelles a fait beaucoup parler de lui, l'Institut transatlantique, inauguré le 12 février au cours d'une soirée de gala à laquelle assistaient les plus hautes autorités du pays hôte et de l'UE : le premier ministre et le ministre belge des Affaires étrangères, le responsable de la politique extérieure de l'UE Javier Solana, la ministre française des Affaires européennes, Marie-Noëlle Lenoir et les représentants de nombreuses organisations juives européennes.
Car cet " institut ", qui se donne pour but de " renforcer les relations de l'Europe avec l'Amérique et avec Israël ", a été créé par l'American Jewish Comittee (AJC), la plus importante organisation juive américaine. Pour le directeur exécutif de l'AJC, David Harris, " l'institut fait partie de la campagne diplomatique globale destinée à redorer l'image d'Israël et à combattre la montée de l'antisémitisme en Europe ". Il s'agit aussi d'influencer dans un sens favorable à Israël la politique de l'UE et l'opinion publique européenne, considérées comme trop propalestinienne. Un sondage récent selon lequel une majorité d'Européens estimaient la politique d'Israël dangereuse pour la paix semble avoir servi de déclic. " Il était temps pour nous d'être présents là où sont prises les décisions européennes ", a déclaré Jason Isaacson, responsable des relations internationales de l'AJC, fixant trois " cibles " : la Commission, les médias et la Cour de La Haye, qui vient de se saisir de la question du " mur de défense " construit par Israël.
Première organisation juive américaine à s'installer à Bruxelles, l'AJC ne sera pas la seule. Le Congrès juif mondial n'entend pas être en reste. Son président, Isaac Singer, a annoncé la couleur le 19 février, lors d'un colloque sur l'antisémitisme organisé par la commission et le Congrès juif européen. " Le nouveau juif est là et il va falloir compter avec nous ", a-t-il dit. " Romano Prodi a dit qu'il allait surveiller l'antisémitisme, eh bien nous, nous allons surveiller Romano Prodi. Nous allons combattre tous ceux qui ne nous aiment pas. Avec la force des États-Unis et d'Israël, nous allons changer le monde avec nos propres méthodes, pas les vôtres. " Un discours qui n'a pas été apprécié par tous les juifs d'Europe, inquiets de voir débouler ces " cow-boys " en kippa d'un nouveau genre.
                           
6. L'armée israélienne a réalisé une simulation des obsèques d'Arafat
Dépêche de l'agence Associated Press du vendredi 5 mars 2004, 13h51

JERUSALEM - L'armée israélienne a réalisé une simulation des événements qui pourraient suivre le décès de Yasser Arafat. Tsahal a envisagé le lieu de ses obsèques, l'itinéraire du cortège funèbre, ainsi que de possibles émeutes ou une tentative de prise du pouvoir par le Hamas, rapporte vendredi le quotidien israélien "Haaretz".
Des sources militaires ont précisé au journal que l'exercice n'était pas lié à de nouvelles informations sur la santé du président de l'Autorité palestinienne, âgé de 75 ans, victime d'une mauvaise grippe intestinale l'été dernier, dont il s'est remis. L'armée n'a pas voulu commenter ces informations.
Par ailleurs, un groupe islamiste, le petit Parti de libération, a fait savoir cette semaine qu'il était opposé à une inhumation d'Arafat dans le complexe de la mosquée Al-Aqsa à Jérusalem, troisième lieu saint de l'Islam. Dans un tract, le mouvement qualifie Arafat d'"infidèle" pour avoir épousé une chrétienne. Le Parti de libération, qui compte quelque centaines de partisans en Cisjordanie et à Jérusalem, est soupçonné d'être à l'origine d'un accrochage lors de la visite du ministre égyptien des Affaires étrangères Ahmed Maher à l'Esplanade des mosquées l'an dernier.
Des membres du cercle rapproché de Yasser Arafat ont confié que lors de la maladie du dirigeant palestinien l'an dernier ils avaient discuté entre eux du possible lieu de sépulture d'Arafat. Mais lui-même n'a jamais révélé quel était son choix. Selon la presse israélienne, il souhaite être enterré dans une crype à la mosquée d'Al-Aqsa.
                           
7. Les mots manquent par Amira Hass
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mercredi 3 mars 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Je reconnais l’échec. L’écrit est incapable de rendre tangible, pour les lecteurs israéliens, l’horreur de l’occupation dans la bande de Gaza. Quand on écrit quelque chose pour dire que la mer est interdite aux Palestiniens, au nord et au sud de la bande de Gaza, la réponse est, immanquablement : « Normal. Ce sont des terroristes. » Si on décrit des quartiers, à l’ouest du camp de réfugiés de Khan Younis, en expliquant que les bâtiments sont criblés de projectiles de mitrailleuse lourde et d’obus de canon, la réponse est, invariablement : « Les Palestiniens n’avaient qu’à pas commencer ! ». Allez donc raconter, pour voir, l’histoire de la maison familiale de jeune Yusuf Bashir (quinze ans), à Deir al-Balah, transformée en fortin par l’armée israélienne… En Israël, les gens diront : « On n’a pas le choix. La colonie israélienne de Kfar Darom doit être protégée, comme celles de Kfar Dekalim, d’Atzmona et de Morag… »
Un rapport indiquant que des soldats d’une position militaire, juste à côté de la maison de Yusuf, ont permis à une équipe de l’Onu d’entrer dans la cour de cette maison, sera utilisé pour servir de preuve comme quoi l’attitude de ces soldats prêts à prendre des risques tout en accomplissant leur devoir était au plus haut point humaniste. Et quand ce rapport indique que, soudain, l’un de ces soldats – un officier, comme l’indiquera plus tard une porte-parole de l’armée israélienne – « a tiré dans les roues d’un véhicule suspect » (en l’occurrence, la voiture de l’équipe de l’Onu), en Israël, c’est « silence radio », c’est comme si ces tirs n’avaient jamais eu lieu. Peu après, on saura que le garçon, Yusuf Bashir, a été atteint d’une balle dans le dos tandis qu’il saluait de la main les visiteurs de l’Onu sur le départ, et que, sans doute, il restera paralysé pour le restant de ses jours…Peut-être, sait-on jamais, ce mot – « paralysé » – donnera un peu à réfléchir à quelques lecteurs. Mais il y a tant et tant de récits, au sujet de tellement de Yussuf, qui n’ont jamais fait l’objet du moindre reportage, et qui ne le feront jamais…
Qu’on ne déduise pas de cet aveu de l’échec des mots écrits que je veuille souligner le rôle de la photo. Un cliché peut, sans doute, valoir mille mots. Mais, pour que l’occupation israélienne se rapproche d’un niveau minimal de compréhensibilité, ce sont des dizaines de milliers de photos que les Israéliens devraient voir, une à une. Ou alors, ils faudrait leur montrer des documentaires, long, chacun, d’au moins huit heures, pour qu’il puissent saisir, en temps réel, la peur, dans les yeux des écoliers, lorsqu’un sifflement lugubre, dans le ciel, se mue en tôles tordues et compressées emprisonnant des cadavres carbonisés.
Il faudrait montrer aux spectateurs israélien un documentaire consacré aux vignes de Sheikh Ajalin : les grappes mûres… ; les paysans… – ces paysans qui ont soigné ces vignes avec tant d’amour, pour un jour les voir transformées en terre brûlée, laissée derrière eux par les tanks et les bulldozers israéliens. Aucun film n’a jamais été produit, qui puisse faire goûter aux Israélien le raisin fabuleux de Sheikh Ajalin. Et aujourd’hui, les vignes ont disparu. Pour que les positions de l’armée israélienne puissent protéger la colonie de Netzarim…
Comment des photographies pourraient-elles illustrer les faits suivants ? Du 29 septembre jusqu’à lundi dernier, 94 Israéliens ont été tués – 27 civils et 67 militaires, selon l’armée israélienne. Depuis la même date, jusqu’au 18 février dernier, 1 231 Palestiniens ont été tués : tous ces Palestiniens étaient-ils des terroristes ? En l’absence d’une agence centrale palestinienne de statistiques, il y a des différences entre les données fournies par différentes instances palestiniennes, et aucune ne prétend être exacte à cent pour cent.
Mezan, une association de défense des droits de l’homme dont le siège est situé dans le camp de réfugiés de Jabaliya, indique que, dans la bande de Gaza,  81 femmes ont été tuées par les tirs israéliens; 344 enfants de moins de dix-huit ans ont été tués par les tirs de l’armée ; 255 membres des services de sécurité et de police palestiniens ont été tués, en service, ou dans des bureaux, mais aussi, fréquemment, au combat ; 264 Palestiniens armés ont été tués au cours d’affrontements avec l’armée, ou en tentant d’attaquer des positions militaires, ou encore de s’en prendre à des colons et à des colonies. En ce qui concerne les victimes des assassinats ciblés auxquels procède l’armée israélienne, 46 des tués étaient bien les cibles de ces attaques, tandis que 80 autres tués étaient de simples passants, assassinés avec  « une précision pointilleuse ».
L’échec à faire passer tout cela chez le lecteur ne résulte pas de la faiblesse des mots, ni d’un manque de photos. Cela provient du fait que la société israélienne a appris à vivre en paix avec les réalités suivantes : il y a, dans la bande de Gaza,
8 000 juifs (en tout et pour tout) et 1,4 million de Palestiniens. La superficie totale de la bande de Gaza est de 365 km carrés. Les colonies occupent 54 km carrés. Avec les zones sous contrôle de l’armée israélienne, en vertu des accords d’Oslo, 20 % de la bande de Gaza sont sous contrôle israélien. Cela signifie que 20 % de cette bande de territoire sont réservés à 0,5 % de la population.
L’armée israélienne a pour mission d’assurer la sécurité du demi pour-cent d’Israéliens qui occupent un territoire démesuré pour eux, jouissent de la liberté de se déplacer, d’opportunités de développement, et d’eau potable – et non de l’eau saumâtre concédée aux Palestiniens. Les positions militaires israéliennes destinées à protéger les colonies sont situées à l’intérieur et au-dessus des colonies : elles ont une vue plongeante sur tous les quartiers civils palestiniens à la ronde.
La proximité entre chacune de ces colonies démesurément étendues et des quartiers si densément peuplés de Palestiniens qu’ils sont au bord de l’asphyxie : voilà ce qui provoque la majorité des morts de Palestiniens dans la bande de Gaza, parmi lesquels de nombreux civils. C’est cette promiscuité qui impose les règlements élastiques en matière de tirs, ainsi que le recours aux bombes à fragmentation et aux drones tirant des missiles.
L’armée israélienne opère dans le cadre de ces colonies arrogantes, cyniques et cruelles, habitées par quelques opulents privilégiés qui se prélassent dans les seules réserves de terrains dont disposent les Palestiniens dans la bande de Gaza. En dépit des évocations d’un « retrait », la société israélienne doit encore montrer un minimum de signes qu’elle est en train de se débarrasser de la logique effrontément immorale qui nourrit l’existence même des colonies. Et cela vaut, tout aussi bien, pour les colonies de Cisjordanie…
                       
8. Yasser Abed Rabbo, ancien ministre palestinien de l'Information et de la Culture : "Faire du Moyen-Orient un exemple de réconciliation" interview réalisée par Valérie Féron
in L'Humanité du mardi 2 mars 2004

D'abord, je voudrais féliciter le journal l'Humanité. L'Humanité a joué un rôle essentiel au cours des dernières décennies en défendant les droits de l'homme et le droit des nations contre l'occupation et pour l'autodétermination. Nous, Palestiniens, apprécions le rôle de l'Humanité car elle a toujours défendu nos droits à l'autodétermination et à l'indépendance. Nous pouvons, en dépit des circonstances présentes, rêver d'un monde différent. Nous sommes en train d'essayer d'en établir les bases et c'est le principal objectif des accords de Genève. Nous essayons, à travers ce plan, d'établir une solution globale et détaillée qui amènera la paix dans la région et mettra fin au conflit entre les Palestiniens et les Israéliens. Cette solution est la seule de son espèce car elle inclut un compromis qui ne sacrifie pas les besoins et les intérêts fondamentaux des deux parties. Elle inclut la fin de l'occupation des territoires palestiniens et l'établissement d'un État palestinien indépendant, le partage de Jérusalem et une juste solution pour les réfugiés. Nous croyons que notre solution, si elle est adoptée et appliquée, ouvrira une ère nouvelle au Proche-Orient. Une ère sans confrontation, sans guerre, sans le besoin d'accumuler des armes, particulièrement l'arme nucléaire, qui est en train de se répandre dans le Moyen-Orient et dont le principal arsenal est israélien. Nous pensons qu'il y a besoin, en unissant les forces de paix au plan régional et international, de faire du Moyen-Orient un exemple, non plus d'hostilité, de guerre et de confrontation, mais un exemple de réconciliation. Nous pouvons le faire. Et nous en sommes certains. En dépit de l'aggravation de la situation, en dépit du fait qu'un mur d'apartheid est en train d'être construit sur notre territoire pour nous empêcher d'avoir nos droits normaux à l'autodétermination et l'indépendance, en dépit du bain de sang continuel, de la terreur, de la violence, nous pouvons rêver d'un Moyen-Orient différent. Nous avons une base réaliste pour notre rêve : la majorité de l'opinion publique en Palestine et en Israël, la majorité des nations et des forces politiques au Moyen-Orient et au plan international. Les ennemis d'un monde différent, d'un monde sans armes sont ceux qui nous mènent aujourd'hui vers un conflit de civilisation, un conflit de religions et un conflit entre nations. Contre ces forces, nous devons unir nos rangs et nous croyons que la voix de l'Humanité, au côté de toutes les forces de paix dans le monde, sera victorieuse. Et nous serons les témoins, dans les décennies à venir, d'un monde sans violence. [Traduction de Françoise Germain-Robin]
                           
9. Qui l’est, qui ne l’est pas par Uri Avnery
in Jeune Afrique - L'Intelligent du mardi 2 mars 2004
Deux hommes se rencontrent pendant la guerre des Six Jours, en juin 1967. « Pourquoi es-tu si content ? » demande le premier. « J’ai appris que les Israéliens avaient abattu six Mig soviétiques aujourd’hui », répond le second. Le lendemain, celui-ci est encore plus rayonnant : « Les Israéliens ont abattu huit autres Mig ! » Le troisième jour, il est effondré. « Que s’est-il passé ? lui demande son ami. Les Israéliens n’ont pas abattu de Mig aujourd’hui ? » « Si, répond l’autre. Mais on m’a dit que les Israéliens étaient juifs ! » C’est tout l’antisémitisme en quelques mots. L’antisémite hait les juifs parce qu’ils sont juifs, quoi qu’ils fassent. On peut haïr les juifs parce qu’ils sont riches et étalent leur richesse, ou bien parce qu’ils sont pauvres et vivent dans une misère noire. Parce qu’ils ont joué un rôle majeur dans la Révolution bolchevique ou parce que certains d’entre eux ont amassé une fortune colossale après la chute du régime communiste. Parce qu’ils ont crucifié Jésus ou parce qu’ils ont contaminé la culture occidentale avec la « compassion de la moralité chrétienne ». Parce qu’ils n’ont pas de patrie ou parce qu’ils ont créé l’État d’Israël. C’est dans la nature de toutes les formes de racisme et de chauvinisme : on hait quelqu’un parce qu’il est juif, arabe, de sexe féminin, noir, indien, musulman, hindou. Ses qualités personnelles, ce qu’il fait, sa réussite ne comptent pas. S’il appartient à la race ou à la religion abhorrée, il sera haï. Les réponses à toutes les questions sur l’antisémitisme découlent de ce fait premier.
Tous ceux qui critiquent Israël sont-ils des antisémites ?
Absolument pas. Celui qui critique Israël pour ce que nous faisons ne peut être accusé d’antisémitisme. Mais celui qui hait Israël parce que c’est un État juif, comme le personnage de la petite histoire ci-dessus, est antisémite. Il n’est pas toujours facile de faire la distinction, parce que les antisémites malins se présentent comme des critiques de bonne foi de ce que fait Israël. Mais il est erroné et contre-productif de qualifier d’antisémites tous ceux qui critiquent Israël : cela nuit au combat contre l’antisémitisme. Beaucoup de personnes profondément morales critiquent notre comportement dans les Territoires occupés. Il est stupide de les accuser d’antisémitisme.
Peut-on être antisioniste sans être antisémite ?
Certainement oui. Le sionisme est une doctrine politique et doit être considéré comme tel. On peut être anticommuniste sans être antichinois, anticapitaliste sans être antiaméricain, antimondialiste, anti-n’importe quoi. Et pourtant, là encore, il est souvent difficile de marquer la différence, parce que de vrais antisémites prétendent souvent être simplement « antisionistes ».
Peut-on être antisémite et sioniste ?
En vérité, oui. Le fondateur du sionisme moderne, Theodor Herzl, a tenté de gagner à sa cause des antisémites russes notoires, en leur promettant de les débarrasser des juifs. De nos jours, l’extrême droite sioniste accueille bien volontiers le soutien massif de fondamentalistes évangéliques américains que la majorité des juifs américains, selon un sondage réalisé fin janvier, jugent antisémites. Leur théologie prophétise qu’à la veille de la seconde venue du Christ, tous les juifs seront convertis au christianisme ou exterminés.
Un juif peut-il être antisémite ?
Cela paraît être un oxymoron – l’alliance de deux mots incompatibles. Mais l’Histoire ne manque pas d’exemples de juifs qui détestaient farouchement les juifs. Karl Marx a écrit des choses très désagréables à l’égard de ses coreligionnaires, de même que Otto Weininger, un important écrivain juif de la Vienne de la fin du XIXe siècle. Herzl, son contemporain et compatriote, a laissé dans son journal intime quelques remarques très désobligeantes à l’égard des juifs.
L’Europe est-elle devenue antisémite ?
Pas vraiment. Le nombre des antisémites en Europe n’a pas augmenté, peut-être même a-t-il diminué. Ce qui a augmenté, c’est le volume des critiques du comportement d’Israël à l’égard des Palestiniens, qui apparaissent comme « les victimes des victimes ». La situation dans certains quartiers de Paris, qui est souvent citée comme un exemple de la montée de l’antisémitisme, est une tout autre affaire. Lorsque des musulmans nord-africains se heurtent à des juifs nord-africains, ils transposent le conflit israélo-palestinien sur le sol européen. Alors pourquoi de nombreux États européens ont-ils, dans un récent sondage, déclaré qu’Israël met plus en danger la paix mondiale que tout autre pays ? L’explication est simple. Les Européens voient tous les jours à la télévision ce que font nos soldats dans les territoires palestiniens occupés. Cet affrontement est plus couvert qu’aucun autre conflit (à l’exception peut-être, à l’heure actuelle, de l’Irak), parce qu’Israël est un sujet plus « intéressant », compte tenu de la longue histoire des juifs en Europe, et parce qu’Israël est plus proche des médias occidentaux que les pays musulmans ou africains. La résistance palestinienne, que les Israéliens appellent du terrorisme, ressemble très précisément, aux yeux de beaucoup d’Européens, à la résistance française à l’occupation allemande.
Que faut-il penser des manifestations antisémites dans le monde arabe ?
Il n’est pas douteux que des notes antisémites se sont introduites dans le discours arabe. Il suffit de constater que le détestable Protocole des sages de Sion a été publié en arabe. Quelles que soient les inepties avancées par certains « experts », il n’y a jamais eu d’antisémitisme musulman organisé comme il y en a eu en Europe chrétienne. Au cours de sa lutte pour la conquête du pouvoir, le Prophète Mohammed s’est battu contre les tribus juives voisines, et il y a ainsi quelques passages négatifs sur les juifs dans le Coran. Mais ils ne peuvent se comparer aux passages antijuifs du Nouveau Testament qui ont empoisonné le monde chrétien et entraîné d’infinies souffrances. L’Espagne musulmane était un paradis pour les juifs, et il n’y a jamais eu d’Holocauste juif dans le monde musulman. Les pogroms eux-mêmes ont été extrêmement rares. Les musulmans n’ont jamais imposé de force leur religion aux juifs et aux chrétiens, comme le montre le fait que presque tous les juifs expulsés de l’Espagne catholique se sont installés en pays musulman et y ont prospéré.
Faut-il fermer les yeux sur l’antisémitisme ?
Certainement pas. Le racisme est une sorte de virus présent dans tous les pays et chez tous les êtres humains. Jean-Paul Sartre disait que nous sommes tous racistes, la différence étant que certains d’entre nous en sont conscients et essaient de réagir, et que d’autres succombent au mal. En temps ordinaire, il existe une petite minorité de racistes éhontés dans tous les pays, mais en temps de crise, leur nombre peut augmenter rapidement. C’est un danger permanent, et tous les peuples doivent lutter contre les racistes qui se trouvent parmi eux. Nous, Israéliens, sommes comme tous les autres peuples. Chacun de nous peut trouver en lui-même un petit raciste. Nous avons dans notre pays des gens qui haïssent fanatiquement les Arabes, et la confrontation historique qui domine notre vie accroît leur pouvoir et leur influence. Il est de notre devoir de les combattre, et de laisser aux Européens et aux Arabes le soin de s’occuper de leurs racistes à eux.
                                
10. Kerry enfonce le clou de son soutien indéfectible à Israël par David M. Halbfinger
in The New York Times (quotidien américain) du lundi 1er mars 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le sénateur John Kerry a déclaré à un parterre composé de quelques dizaines de dirigeants juifs de New York, dimanche passé, qu’il poursuivrait la politique de l’administration Bush, en opposant le veto des Etats-Unis à toute résolution du Conseil de sécurité de l’Onu qu’il considérerait « de parti pris » à l’encontre d’Israël, ont rapporté certains participants à cette rencontre privée qui a duré environ une heure et demie.
Au cours de cette rencontre, à laquelle ont assisté les dirigeants des principales associations juives, ainsi que des hommes politiques juifs, Kerry a également répété ce qu’il avait déclaré au cours d’un débat télévisé, plus tôt dans la même journée, à savoir que la barrière qu’Israël est en train d’ériger afin de séparer les territoires palestiniens du territoire israélien « est bien une barrière, et non un mur ».
M. Kerry a fait noter qu’au cas où il serait élu, il serait le premier président ayant une teinture de culture juive et un proche parent juif, ont indiqué des participants à la réunion. En effet, son frère, Cameron, qui était également présent, s’est converti au judaïsme. Ses grands-parents maternels étaient des juifs, convertis au catholicisme au moment où ils fuyaient l’Europe [sic : « in fleeing Europe »].
Hier, à Vienne, un généalogiste autrichien a indiqué que deux parents juifs de M. Kerry – la sœur de sa mémé et un demi-frère – sont morts dans les camps de concentration nazis.
M. Kerry, qui a effectué une percée dans l’électorat démocrate, en reprochant notamment à l’administration Bush sa politique au Moyen-Orient, s’est attaché à assurer à son auditoire qu’il était un supporter d’Israël tout aussi déterminé que M. Bush.
Pour partie, M. Kerry corrigeait le tir, après un discours devant une association arabo-américaine, à Dearborn (Michigan), en octobre dernier, au cours duquel il avait qualifié la « gentille gloriette de voisinage » israélo-palestinienne d’ « obstacle à la paix », ont commenté plusieurs participants à la réunion. « Aujourd’hui, Kerry a, pour la première fois, corrigé sa boulette », a dit Malcolm Hoenlein, de la Conférence des Présidents des Grandes Associations Juives Américaines.
Toutefois, Jack Rosen, président du Congrès Juif Américain, a fait savoir que M. Kerry, bien qu’il se soit montré rassurant, ne l’avait pas entièrement vampé.
M. Rosen a commenté, en particulier, la déclaration de M. Kerry, à savoir qu’il serait beaucoup plus engagé dans le processus de paix au Moyen-Orient que M. Bush, en ces termes : « Plus engagé ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Je pose la question, parce que, généralement, lorsque les Démocrates accusent Bush de ne pas être assez engagé (dans le processus de paix), c’est leur manière à eux de signifier qu’à leur goût Bush ne rudoie pas suffisamment les Israéliens… »
M. Kerry a indiqué qu’il « exercerait des pressions plus intenses sur les autres pays arabes » en vue de faire émerger un nouveau partenaire palestinien qui viendrait à la table des négociations, a poursuivi M. Rosen. « Mais la question est de savoir si des politiciens différents, aussi bien intentionnés soient-ils, vont demander aux Israéliens de leur concéder quelque chose, alors qu’ils n’auront aucun interlocuteur (réel) en face, pour leur répondre ».
M. Rosen, un démocrate de toujours, qui a généreusement versé une obole de 100 000 $ au Comité National du Parti Républicain, en 2002, afin de montrer sa reconnaissance pour la politique suivie par l’administration Bush vis-à-vis d’Israël, a indiqué qu’il lui sera bien difficile de trancher pour qui voter, d’ici novembre…
Il a ajouté que si les juifs américains continuaient à voir dans le terrorisme une priorité, et en particulier dans le terrorisme anti-juif, « il sera bien difficile, pour les Démocrates, de conserver le pourcentage élevé des votes juifs dont ils bénéficiaient jusqu’ici. ».
Mais Suzy Stern, une philanthrope fort active à l’Appel Juif Unifié, a dit que M. Kerry avait conquis son vote, tant il l’a impressionné par sa grande maîtrise du sujet. Elle a dit que M. Kerry a raconté de quelle manière il avait passé un savon au président égyptien Hosni Mubarak, pour avoir autorisé des journaux égyptiens à publier des diatribes anti-juives. M. Moubarak lui avait répondu qu’il ne contrôlait pas les éditeurs de ces journaux, a rapporté M. Kerry, qui lui a immédiatement rétorqué : « Vous savez bien que ce n’est pas vrai ! », a raconté Mme Stern, encore toute pâmée.
« Il est tellement cultivé, il s’intéresse à ce problème depuis si longtemps, il connaît tellement bien les acteurs et les situations – et puis, lui, c’est un adulte », a poursuivi Mme Stern, revenue à elle : « Lui, au moins, il nous écoutait, vraiment. »
Abraham H. Foxman, président national de l’Anti-Defamation League, a dit que M. Kerry a ajouté les noms de deux anciens responsables de l’administration Clinton – Samuel R. Berger, ex-conseiller à la sécurité national, et Dennis Ross, envoyé spécial au Moyen-Orient – à la liste des émissaires qu’il envisage d’envoyer au Moyen-Orient.
M. Kerry avait froissé certains fans d’Israël, en décembre, en suggérant deux hommes pour une telle mission, dont certains juifs considèrent qu’ils sont de parti pris contre Israël : James A. Baker III, ex-Secrétaire d’Etat, et l’ancien président Jimmy Carter.
M. Foxman a fait observer que M. Kerry « s’est énormément rapproché des positions du président (Bush) », sur plusieurs questions fondamentales. « Il n’y a plus que l’épaisseur d’un papier à cigarette, entre lui et Bush », a-t-il conclu.
                           
11. Israël pourra-t-il, un jour, vivre en paix avec les Palestiniens ? par Patrick Seale
in Gulf News (quotidien publié aux Emirats Arabes Unis) du vendredi 27 février 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Les trois jours d’audience devant la Cour Internationale de Justice (CIJ – La Haye), au sujet de la muraille qu’Israël est en train d’ériger sur le territoire palestinien, ont soulevé certaines questions fondamentales. Les quinze juges de ce tribunal se sont vu demander, par l’Assemblée générale de l’Onu, de formuler un avis sur la légalité de ce projet. Ils devraient rendre leur réponse d’ici quelques mois.
Mais le mur représente bien plus qu’un simple casse-tête juridique ; l’enjeu étant de savoir si une quelconque forme d’accord peut être trouvée, entre Israël et les Palestiniens – et, par extension, entre Israël et les Arabes, en général – ou bien si le gouffre qui les sépare est désormais trop large et profond pour pouvoir être comblé.
Ce à quoi nous assistons, c’est à un phénomène de violent rejet mutuel. Poussés par les attentats suicides dans un paroxysme de colère, d’impuissance et de peur, la plupart des Israéliens nourrissent une haine profonde pour les Arabes palestiniens. Concomitamment, la détestation d’Israël, en raison de son oppression impitoyable à l’encontre des Palestiniens, a atteint un sommet rarement constaté dans les temps modernes.
L’Egypte en fournit un exemple éloquent. Théoriquement, ce pays est en paix avec Israël. Mais la génération des jeunes Egyptiens, nés après 1973, qui n’a jamais connu la guerre, est néanmoins aussi amèrement et vindicativement anti-israélienne qu’aucune de ses homologues dans le reste du monde arabe. La Jordanie est un autre exemple significatif. Les dirigeants de ce pays ont toujours recherché, depuis 1921, un modus vivendi avec les sionistes. Mais, la semaine dernière, c’est précisément la Jordanie qui a pris la tête de l’argumentation contre le mur israélien, devant la CIJ. Elle redoute qu’Israël soit en train de rendre la vie tellement insoutenable, pour les Palestiniens, qu’un jour ceux-ci ne s’enfuient, par centaines de milliers des territoires occupés et ne viennent se réfugier en Jordanie, noyant ce pays sous un véritable raz-de-marée humain.
Un mur de la haine
Le mur de haine qui sépare Arabes et Israéliens est aujourd’hui plus impénétrable, et vraisemblablement plus durable, que celui que le gouvernement israélien s’entête à ériger. Un mur, cela exclut. Mais un mur, cela enferme, également. En interdisant aux Palestiniens d’accéder à l’Etat indépendant auquel ils aspirent, Israël s’enferme lui-même dans un ghetto, coincé entre la Méditerranée et le « Mur ».
Les responsables israéliens arguent du fait que ce mur serait nécessaire pour assurer la protection de leurs citoyens contre les menées terroristes, mais tout le monde sait – car c’est absolument patent, et éhonté – que le motif réel du Premier ministre Ariel Sharon, c’est de s’emparer et de coloniser autant de territoire palestinien que possible. Cette fringale de terres, semble-t-il, est le péché mignon (et originel) d’Israël.
Le 23 février dernier, Aluf Benn, un journaliste israélien fort bien renseigné, a écrit dans le quotidien Ha’Aretz que Sharon envisageait un « retrait total de la bande de Gaza et de dix-sept colonies de Cisjordanie, d’un seul coup de cuillère à pot ». L’ampleur du retrait dépendrait de ce qu’Israël pourrait obtenir des Etats-Unis, en « récompense ». D’après Aluf Benn, Sharon voulait obtenir des Etats-Unis qu’ils signent un mémoire avalisant la nouvelle politique d’Israël dans les territoires occupés, en y voyant un arrangement « intérimaire sur le long terme » ( ! : authentique, ndt) – autrement dit : une frontière permanente, qui permettrait à Israël de se tailler, pour l’annexer, une nouvelle tranche – plus que substantielle – de Cisjordanie.
Israël, a-t-il écrit, avait deux exigences supplémentaires : il avait l’intention de demander aux Américains de reconnaître les deux très importants blocs de colonies de Ma’aleh Adumim et de Gush Etzion, et de donner leur accord à une poursuite de leur expansion, d’une part et, d’autre part, il demanderait éventuellement à Washington d’empêcher la création d’un Etat palestinien sur ce qui resterait des territoire après le retrait israélien partiel.
Ceci signifie que les deux camps doivent d’ores et déjà oublier la paix et la sécurité, les projets de bon voisinage et la coexistence mutuelle de deux Etats souverains. En lieu et place, le combat et les massacres vont continuer, passant de cette génération à la prochaine. Tel est le legs de Sharon, et tel est aussi le legs de la présente administration américaine (ainsi que de la précédente), qui a permis que tout cela advienne, et qui a, en réalité, financé et protégé l’expansionnisme insatiable d’Israël.
Les conquêtes territoriales + la bombe
Israël a commis deux erreurs fondamentales, qu’il paye aujourd’hui extrêmement cher. La première a été de décider de produire des armes nucléaires, dans les années 1960 [Rappelons ici que c’est la France (celle de De Gaulle, mais oui…) qui lui a offert la boîte de Meccano du parfait petit apprenti sorcier, grand modèle, ndt.] La seconde erreur des Israéliens fut de conserver et de coloniser les territoires palestiniens et syriens conquis lors de la guerre de 1967. Il s’agit là des principaux obstacles sur la voie d’une coexistence arabo-israélienne.
Très majoritairement, les Arabes ont reconnu Israël depuis longtemps, en tant qu’acteur sur la scène moyen-orientale, et même en tant qu’acteur important, avec lequel ils sont prêts, à certaines conditions, de s’entendre. Mais ils n’ont pas reconnu, jusqu’à ce jour – et ça, ils ne le feront jamais – en Israël l’acteur dominant dans leur région. Les pays arabes n’accepteront JAMAIS les conquêtes territoriales d’Israël, remontant à 1967.
Avec son mépris légendaire, Israël a écarté ces objections arabes du revers de la main. Les dirigeants israéliens (de toutes tendances) considèrent acquis qu’Israël doit être plus fort, militairement, que toute combinaison possible et imaginable entre des Etats arabes, et qu’il doit pouvoir asséner ses coups, à l’extérieur, comme bon lui chante, sans encourir le risque d’être frappé en représailles. Enfin, il est absolument persuadé que son arsenal nucléaire lui garantit une sécurité maximale.
Israël a toujours cherché à dominer le monde arabe par la puissance militaire, plutôt que de rechercher la paix et la sécurité par la négociation et le bon voisinage. Les passions, des deux côtés, sont désormais tellement exacerbées qu’il est sans doute trop tard pour enclencher la marche arrière.
C’est cette même démarche qui a poussé les dirigeants israéliens à construire un nombre effarant de colonies dans les territoires arabes occupés.
Tout le monde connaît la clé de la résolution du conflit au Moyen-Orient : Israël doit renoncer à ses conquêtes territoriales de 1967, ramener chez lui ses colons, accepter l’interdiction de ses armes de destruction massive. Libre à lui, s’il le juge nécessaire, de rechercher auprès de son grand frère américain les garanties de sa sécurité.
                           
12. Boim s’interroge : le terrorisme palestinien est causé par un défaut génétique ? par Yair Ettinger
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mardi 24 février 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le vice-ministre israélien de la Défense, Ze’ev Boim, traitant de la question de savoir « pourquoi la majorité des actions du terrorisme local, régional et mondial est-il à l’instigation d’extrémistes musulmans ? » s’est interrogé à haute voix, mardi dernier : « Mais qu’est-ce qui cloche, dans l’Islam en général et les Palestiniens en particulier ? Est-ce une forme de frustration culturelle ? Il doit s’agir de quelque défaut génétique. Il y a quelque chose qui défie l’explication, dans cette criminalité durable. »
Boim s’exprimait au cours d’une cérémonie à la mémoire des victimes d’un attentat commis contre un autobus sur l’autoroute côtière d’Israël, voici vingt-six ans.
M. Jamal Zahalka, député à la Knesset (du parti Balad), a répondu que « Quiconque affirme que le comportement des Palestiniens est mû par un défaut génétique souffre lui-même d’une grave pathologie du cerveau, et ses valeurs sont celles d’un raciste fasciste. »
« Boim discrédite jusqu’au racisme lui-même : il retourne au même type de racisme primitif, pathologique et dangereux, dont tant de générations de juifs ont souffert », a ajouté M. Zahalka, qui a demandé que M. Boim soit poursuivi en justice en raison de la teneur raciste de ses propos.
M. Avshalom Vilan, député à la Knesset (Meretz) a condamné, lui aussi, les propos racistes de Boim, à qui il a demandé de les retirer, en rappelant à l’assistance que celui-ci a, qui plus est, exercé, des années durant, les fonctions de proviseur d’un lycée.
Le député à la Knesset du Likoud Yehiel Hazan a, quant à lui, apporté son soutien à Boim. Il a dit que la question n’avait pas encore été étudiée à fond, mais que son expérience personnelle l’autorisait à penser que ce que Boim a dit était la vérité.
M. Yehiel Hazan a conclu son intervention par ces fortes paroles : « Il ne faut jamais faire confiance à un Arabe, même si cela fait quarante ans qu’il est dans la tombe »…
                   
13. Antisémitisme, antijudaïsme, anti-israélisme par Edgar Morin
in Le Monde du jeudi 19 février 2004

(Edgar Morin est sociologue.)
Il y a des mots qu'il faut réinterroger ; ainsi le mot antisémitisme. En effet, ce mot a remplacé l'antijudaïsme chrétien, lequel concevait les juifs comme porteurs d'une religion coupable d'avoir condamné Jésus, c'est-à-dire, si absurde que soit l'expression pour ce Dieu ressuscité, coupable de déicide.
L'antisémitisme, lui, est né du racisme et conçoit les juifs comme ressortissants d'une race inférieure ou perverse, la race sémite. A par- tir du moment où l'antijudaïsme s'est développé dans le monde arabe, lui-même sémite, l'expression devient aberrante et il faut revenir à l'idée d'antijudaïsme, sans référence désormais au "déicide".
Il y a des mots qu'il faut distinguer, comme l'antisionisme de l'anti-israélisme, ce qui n'empêche pas qu'il s'opère des glissements de sens des uns aux autres. En effet, l'antisionisme dénie non seulement l'installation juive en Palestine, mais essentiellement l'existence d'Israël comme nation. Il méconnaît que le sionisme, au siècle des nationalismes, correspond à l'aspiration d'innombrables juifs, rejetés des nations, à constituer leur nation.
Israël est la concrétisation nationale du mouvement sioniste. L'anti-israélisme a deux formes ; la première conteste l'installation d'Israël sur des terres arabes, se confond avec l'antisionisme, mais en reconnaissant implicitement l'existence de la nation israélienne. La seconde est partie d'une critique politique devenant globale de l'attitude du pouvoir israélien face aux Palestiniens et face aux résolutions de l'ONU qui demandent le retour d'Israël aux frontières de 1967.
Comme Israël est un Etat juif, et comme une grande partie des juifs de la diaspora, se sentant solidaires d'Israël, justifient ses actes et sa politique, il s'opéra alors des glissements de l'anti-israélisme à l'antijudaïsme. Ces glissements sont particulièrement importants dans le monde arabe et plus largement musulman où l'antisionisme et l'anti-israélisme vont produire un antijudaïsme généralisé.
Y a-t-il un antijudaïsme fran- çais qui serait comme l'héritage, la continuation ou la persistance du vieil antijudaïsme chrétien et du vieil antisémitisme européen ? C'est la thèse officielle israélienne, reprise par les institutions dites communautaires et certains intellectuels juifs.
Or il faut considérer que, après la collaboration des antisémites français avec l'occupant hitlérien, puis la découverte de l'horreur du génocide nazi, il y eut affaiblissement par déconsidération du vieil antisémitisme nationaliste-raciste ; il y eut, parallèlement, suite à l'évolution de l'Eglise catholique, dépérissement de l'antijudaïsme chrétien qui faisait du juif un déicide, puis l'abandon de cette imputation grotesque. Certes, il demeure des foyers où l'ancien antisémitisme se trouve ravivé, des résidus des représentations négatives attachées aux juifs restés vivaces dans différentes parties de la population ; il persiste enfin dans l'inconscient français des vestiges ou des racines de "l'inquiétante étrangeté" du juif, ce dont a témoi- gné l'enquête La Rumeur d'Orléans (1969) dont je suis l'auteur.
Mais les critiques de la répression israélienne, voire l'anti-israélisme lui-même ne sont pas les produits du vieil antijudaïsme.
On peut même dire qu'il y eut en France, à partir de sa création accompagnée de menaces mortelles, une attitude globalement favorable à Israël. Celui-ci a été d'abord perçu comme nation- refuge de victimes d'une horrible persécution, méritant une sollicitude particulière. Il a été, en même temps, perçu comme une nation exemplaire dans son esprit communautaire incarné par le kibboutz, dans son énergie créatrice d'une nation moderne, unique dans sa démocratie au Moyen-Orient. Ajoutons que bien des sentiments racistes se sont détournés des juifs pour se fixer sur les Arabes, notamment pendant la guerre d'Algérie, ce qui a bonifié davantage l'image d'Israël.
La vision bienveillante d'Israël se transforma progressivement à partir de 1967, c'est-à-dire l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza, puis avec la résistance palestinienne, puis avec la première Intifada, où une puissante armée s'employa à réprimer une révolte de pierres, puis avec la seconde Intifada qui fut réprimée par violences et exactions disproportionnées. Israël fut de plus en plus perçu comme Etat conquérant et oppresseur. La formule gaullienne dénoncée comme antisémite, "peuple dominateur et sûr de lui", devint truisme. La poursuite des colonisations qui grignotent sans cesse les territoires palestiniens, la répression sans pitié, le spectacle des souffrances endurées par le peuple palestinien, tout cela détermina une attitude globalement négative à l'égard de la politique de l'Etat israélien, et suscita un anti-israélisme dans le sens politique que nous avons donné à ce terme. C'est bien la politique d'Israël qui a suscité et amplifié cette forme d'anti-israélisme, et non la résurgence de l'antisémitisme européen. Mais cet anti-israélisme a très peu dérivé en antijudaïsme dans l'opinion française.
Par contre, la répression israélienne et le déni israélien des droits palestiniens produisent et accroissent les glissements de l'anti-israélisme vers l'antijudaïsme dans le monde islamique. Plus les juifs de la diaspora s'identifient à Israël, plus on identifie Israël aux juifs, plus l'anti-israélisme devient antijudaïsme. Ce nouvel antijudaïsme musulman reprend les thèmes de l'arsenal antijuif européen (complot juif pour dominer le monde, race ignoble) qui criminalise les juifs dans leur ensemble. Cet antijudaïsme s'est répandu et aggravé, avec l'aggravation même du conflit israélo-palestinien, dans la population française d'origine arabe et singulièrement dans la jeunesse.
De fait, il y a non pas pseudo-réveil de l'antisémitisme européen, mais développement d'un antijudaïsme arabe. Or, plutôt que reconnaître la cause de cet antijudaïsme arabe, qui est au cœur de la tragédie du Moyen-Orient, les autorités israéliennes, les institutions communautaires et certains intellectuels juifs préfèrent y voir la preuve de la persistance ou renaissance d'un indéracinable antisémitisme européen.
Dans cette logique, toute critique d'Israël apparaît comme antisémite. Du coup, beaucoup de juifs se sentent persécutés dans et par cette critique. Ils sont effectivement dégradés dans l'image d'eux-mêmes comme dans l'image d'Israël qu'ils ont incorporée à leur identité. Ils se sont identifiés à une image de persécutés ; la Shoah est devenue le terme qui établit à jamais leur statut de victimes, de gentils ; leur conscience historique de persécutés repousse avec indignation l'image répressive de Tsahal que donne la télévision. Cette image est aussitôt remplacée dans leur esprit par celle des victimes des kamikazes du Hamas, qu'ils identifient à l'ensemble des Palestiniens. Ils se sont identifiés à une image idéale d'Israël, certes seule démocratie dans un entourage de dictatures, mais démocratie limitée, et qui, comme l'ont fait bien d'autres démocraties, peut avoir une politique coloniale détestable. Ils se sont assimilés avec bonheur à l'interprétation bibliquement idéalisée qu'Israël est un peuple de prêtres.
Ceux qui sont solidaires inconditionnellement d'Israël se sentent persécutés intérieurement par la dénaturation de l'image idéale d'Israël. Ce sentiment de persécution leur masque évidemment le caractère persécuteur de la politique israélienne.
Une dialectique infernale est en œuvre. L'anti-israélisme accroît la solidarité entre juifs de la diaspora et Israël. Israël lui-même veut montrer aux juifs de la diaspora que le vieil antijudaïsme européen est à nouveau virulent, que la seule patrie des juifs est Israël, et par là même a besoin d'exacerber la crainte des juifs et leur identification à Israël.
Ainsi les institutions des juifs de la diaspora entretiennent l'illusion que l'antisémitisme européen est de retour, là où il s'agit de paroles, d'actes ou d'attaques émanant d'une jeunesse d'origine islamique issue de l'immigration. Mais, comme dans cette logique, toute critique d'Israël est antisémite, il apparaît aux justificateurs d'Israël que la critique d'Israël, qui se manifeste de façon du reste fort modérée dans tous les secteurs d'opinion, apparaît comme une extension de l'antisémitisme. Et tout cela, répétons-le, sert à la fois à occulter la répression israélienne, à israéliser davantage les juifs, et à fournir à Israël la justification absolue. L'imputation d'antisémitisme, dans ces cas, n'a pas d'autre sens que de protéger Tsahal et Israël de toute critique.
Alors que les intellectuels d'origine juive, au sein des nations de gentils, étaient animés par un universalisme humaniste, qui contredisait les particularismes nationalistes et leurs prolongements racistes, il s'est opéré une grande modification depuis les années 1970. Puis la désintégration des universalismes abstraits (stalinisme, trotskisme, maoïsme) a déterminé le retour d'une partie des intellectuels juifs ex-stals, ex-trotskos, ex-maos, à la quête de l'identité originaire. Beaucoup de ceux, notamment intellectuels, qui avaient identifié l'URSS et la Chine à la cause de l'humanité à laquelle ils s'étaient eux-mêmes identifiés se reconvertissent, après désillusion, dans l'israélisme.
Les intellectuels dé-marxisés se convertissent à la Torah. Une intelligentsia juive se réfère désormais à la Bible, source de toutes vertus et de toute civilisation, pensent-ils. Passant de l'universalisme abstrait au particularisme juif, apparemment concret mais lui-même abstrait à sa manière (car le judéocentrisme s'abstrait de l'ensemble de l'humanité), ils se font les défenseurs et illustrateurs de l'israélisme et du judaïsme, apportant leur dialectique et leurs arguments pour condamner, comme idéologiquement perverse et évidemment antisémite, toute attitude en faveur des populations palestiniennes. Ainsi bien des esprits désormais judéocentrés ne peuvent aujourd'hui comprendre la compassion si naturelle ressentie pour les malheurs des Palestiniens. Ils y voient non pas une évidente réaction humaine, mais l'inhumanité même de l'antisémitisme.
La dialectique des deux haines, celle des deux mépris, le mépris du dominant israélien sur l'Arabe colonisé, mais aussi le nouveau mépris antijuif nourri de tous les ingrédients de l'antisémitisme européen classique, cette double dialectique entretient, amplifie et répand les deux haines et les deux mépris.
Le cas français est significatif. En dépit de la guerre d'Algérie et de ses séquelles, en dépit de la guerre d'Irak et en dépit du conflit israélo-palestinien, juifs et musulmans ont longtemps coexisté en paix en France. Une rancœur sourde contre les juifs, identifiés à Israël, couvait dans la jeunesse d'origine maghrébine. De leur côté, les institutions juives dites communautaires entretenaient l'exception juive au sein de la nation française et la solidarité inconditionnelle à Israël. L'aggravation du cycle répression-attentats a déclenché des agressions physiques et a fait passer l'antijudaïsme mental à l'acte le plus virulent de haine, l'atteinte au sacré de la synagogue et des tombes. Mais cela conforte la stratégie du Likoud : démontrer que les juifs ne sont pas chez eux en France, que l'antisémitisme est de retour, les inciter à partir en Israël.
Avec l'aggravation de la situation en Israël-Palestine, la double intoxication, l'antijuive et la judéocentrique, va se développer partout où coexistent populations juives et musulmanes.
Il est clair que les Palestiniens sont les humiliés et offensés d'aujourd'hui, et nulle raison idéologique ne saurait nous détourner de la compassion à leur égard. Certes, Israël est l'offenseur et l'humiliant. Mais il y a dans le terrorisme anti-israélien devenant anti-juif l'offense suprême faite à l'identité juive : tuer du juif, indistinctement, hommes, femmes, enfants, faire de tout juif du gibier à abattre, un rat à détruire, c'est l'affront, la blessure, l'outrage pour toute l'humanité juive. Attaquer des synagogues, souiller des tombes, c'est-à-dire profaner ce qui est sacré, c'est considérer le juif comme immonde. Certes, une haine terrible est née en Palestine et dans le monde islamique contre les juifs. Or cette haine, si elle vise la mort de tout juif, comporte une offense horrible. L'antijudaïsme qui déferle prépare un nouveau malheur juif. Et c'est pourquoi, de façon infernale encore, les humiliants et offensants sont eux-mêmes des offensés et redeviendront des humiliés. Pitié et commisération sont déjà submergées par haine et vengeance. Que dire dans cette horreur, sinon la triste parole du vieil Arkel dans Pelléas et Mélisande de Maeterlinck : "Si j'étais Dieu, j'aurais pitié du cœur des hommes" ?
Y a-t-il une issue ? L'issue serait effectivement dans l'inversion de la tendance : c'est-à-dire la diminution de l'antijudaïsme par une solution équitable de la question palestinienne et une politique équitable de l'Occident pour le monde arabo-musulman. C'est bien une intervention au niveau international, comportant sans doute une force d'interposition entre les deux parties, qui serait la seule solution réelle. Mais cette solution réelle, et de plus, réaliste, est aujourd'hui totalement irréaliste. Que de tragédies encore, que de désastres en perspective, si l'on n'arrive pas à faire entrer le réalisme dans le réel.
                                  
14. L'Europe clarifie ses relations financières avec la Palestine - Selon l'Office antifraude de l'Union Européenne, l'Autorité palestinienne n'a pas utilisé l'aide européenne pour soutenir des organisations terroristes par Jean Quatremer
in Libération du mercredi 18 février 2004
Bruxelles (UE) de notre correspondant - L'argent de l'Union européenne n'a servi ni directement ni indirectement à financer le terrorisme palestinien. Selon nos informations, l'Olaf, l'Office antifraude de la Commission, estime, après un an d'enquête, que l'Autorité palestinienne (AP) de Yasser Arafat n'a pas utilisé l'aide financière que lui a versée l'Union pour aider d'une façon ou d'une autre des organisations terroristes comme les Brigades des martyrs d'Al-Aqsa. Le rapport de l'Olaf, qui sera rendu public début mars, fait donc litière des accusations portées depuis le début de la seconde Intifada, en septembre 2000, par le gouvernement israélien et plusieurs organisations juives à travers le monde afin d'amener l'Union à se distancier du vieux leader palestinien. Toujours selon nos sources, l'Olaf appelle néanmoins à un renforcement des contrôles afin de rendre totalement transparente la comptabilité publique palestinienne.
Si ce rapport, encore provisoire, est confirmé, c'est un coup dur pour les contempteurs de l'AP. En particulier pour le député européen François Zimeray (PS, France) qui, depuis trois ans, a consacré toute son énergie à démontrer la duplicité d'Arafat. Avec un certain succès, puisque c'est lui qui a obtenu que l'Olaf ouvre une série d'investigations, en février 2003, et que le Parlement européen accepte de créer un «groupe de travail» ­ et non une «commission d'enquête», nuance ­, en mai suivant, afin d'enquêter sur l'utilisation des aides européennes.
Enquête préliminaire. S'interroger sur le contrôle exercé par l'Union sur l'utilisation des fonds versés aux Palestiniens n'est pas illégitime, loin de là, d'autant que ce n'est pas la première fois que Yasser Arafat et son entourage sont accusés de corruption et de détournement de fonds. Ainsi, son épouse Soha, qui habite Paris, fait l'objet depuis octobre d'une enquête préliminaire diligentée par le parquet de Paris, comme l'a révélé, la semaine dernière, le Canard enchaîné, afin de déterminer la provenance de 9 millions d'euros qui ont été virés sur ses comptes français entre juillet 2002 et juillet 2003...
Or, l'aide européenne versée à la Palestine est importante (lire encadré). «Mais c'est surtout l'aide budgétaire directe versée à l'AP entre novembre 2000 et décembre 2002, soit 230 millions d'euros en tout, qui est contestée, explique Emma Udwin, la porte-parole du commissaire aux Relations extérieures, Chris Patten. Nous avons versé cette aide parce que, dès le début de la seconde Intifada, le gouvernement israélien a suspendu les paiements qui revenaient de droit à l'AP, en l'occurrence la perception de la TVA et des droits de douane.» On juge, à la Commission, que cette aide budgétaire directe a évité une crise humanitaire majeure et qu'elle était justifiée, en dépit de l'absence d'une comptabilité publique telle qu'elle existe dans un «Etat normal». Au sein du «groupe de travail» du Parlement européen, «tout le monde a aussi admis que les contrôles en Palestine ne pouvaient pas être de la qualité de ceux pratiqués à Hambourg», selon l'expression de l'un de ses membres.
De fait, c'est à cette aide budgétaire que François Zimeray a consacré ses attaques les plus violentes : il affirme que ces fonds ont été détournés de leur objet, mais sans pouvoir en fournir de preuves : pour lui, comme «il y a de la corruption et du terrorisme» au sein de l'Autorité palestinienne et que celle-ci «est sous perfusion de l'UE», le lien est fait. En outre, il jure que ces fonds ont servi à «financer une pédagogie de la haine et du suicide», parce qu'ils ont permis de fabriquer des manuels scolaires haineux à l'égard d'Israël.
Le problème est que l'Olaf, qui s'est rendue sur place en novembre et janvier, et a travaillé avec les Israéliens et les Palestiniens, n'a pas trouvé le moindre début de preuve d'un lien entre l'argent européen et le terrorisme. Ce qui confirme l'analyse de la Commission : elle estime que les accusations sont fondées sur «ce qui aurait pu arriver». «L'argent n'était pas versé sans contrôle; les 10 millions d'euros mensuels n'étaient libérés que si le FMI nous donnait l'assurance que l'on savait où ils allaient», martèle Emma Udwin. Et, au fur et à mesure que les mois s'écoulaient, «la Commission a posé des conditions très strictes à son versement. A deux reprises, nous n'avons pas payé, notamment parce que l'AP n'a pas pu nous fournir les détails. C'était pendant l'un des sièges de la Mouqaata par l'armée israélienne. L'informatique était en dérangement». La législation a aussi été modifiée, en collaboration avec le ministère des Finances palestinien, si bien que «le FMI nous dit que le système financier est l'un des meilleurs de la région», sourit la porte-parole de Chris Patten, qui souligne que «les Israéliens et les Américains l'utilisent désormais pour verser des fonds aux Palestiniens». Quant à l'accusation que l'UE financerait des manuels appelant à la haine, l'Olaf remarque que ce sont les Nations unies et certains Etats membres de l'UE qui fournissent des fonds pour imprimer les livres scolaires et non l'Union, livres qui, au demeurant, ont été modifiés en 2002.
Sans aucun contrôle. Restent les fameux 900 millions de dollars provenant du budget palestinien et qui, entre 1995 et 2000, ont été directement gérés par Arafat sans aucun contrôle, et dont une partie aurait pu servir à financer des actions terroristes. Le FMI n'a pas réussi à identifier la destination d'environ 300 millions, le reste étant désormais sur un compte contrôlé par le ministre des Finances palestinien. Un audit confié à une firme anglo-saxonne est d'ailleurs en cours. Mais cet argent ne provient pas du budget européen, comme le souligne l'Olaf.
Au final, l'Office antifraude estime que trop d'argent circule encore hors du budget palestinien et donc sans contrôle, ce qui pourrait poser des problèmes. Mais, en tout état de cause, le lien entre les aides européennes et le financement du terrorisme n'est nullement établi. Des conclusions identiques à celles d'une commission d'enquête de la Chambre des communes britannique qui vient de rendre public son propre rapport.
                           
15. Nice, territoire interdit pour la Palestinienne Leïla Shahid par Pierre Daum
in Libération du samedi 28 février 2004
Des pressions exercées pour empêcher la tenue de débats dans une banlieue
Aix-en-Provence correspondance - Une mauvaise colère monte à l'Ariane, cette banlieue «sensible» de Nice. La semaine dernière, Leïla Shahid, représentante de l'Autorité palestinienne en France, poursuivait dans la capitale azuréenne son tour des grandes villes de l'Hexagone, proposant à chaque fois des conférences-débats aux côtés de l'écrivain israélien de gauche, Michel Warschawski, et du journaliste français, Dominique Vidal. Avec, à chaque fois, au moins deux rencontres : une, le soir, dans un lieu prestigieux du centre-ville, et une autre, dans l'après-midi, dans un des quartiers immigrés de la ville. Pour l'étape niçoise, trois réunions avaient même été programmées : deux à l'Ariane, et une, le soir, au centre universitaire méditerranéen, superbe salle bâtie sur la promenade des Anglais. Au tout dernier moment, les deux rendez-vous de l'Ariane ont été annulés, sans véritable explication pour les 12 000 habitants du quartier. «De toutes nos interventions en France, Michel, Dominique et moi, c'est la première fois qu'une telle chose arrive !», précise Leïla Shahid, complètement atterrée.
Anonymat. D'où sont venus les ordres d'annulation ? Dans les deux cas, une chape de plomb semble s'être abattue sur la ville, plusieurs acteurs de l'affaire avouant à Libération leur impossibilité de parler, «de peur de représailles». Ce jour-là, à 17 heures, la population de l'Ariane était invitée à débattre avec l'Israélien et la Palestinienne dans le tout nouveau centre socioculturel Django-Reinhardt. Six jours auparavant, une association très implantée dans le quartier avait déposé une demande de réservation de salle auprès des services municipaux. Qui leur a été refusée. Explication de Pierre Tramoni, directeur de cabinet du maire Jacques Peyrat (un ancien du Front national passé à l'UMP) : «Ce n'est pas la vocation de ce centre d'accueillir des meetings politiques. Et en plus, cela posait de trop graves problèmes de sécurité.» Faux ! Rétorque un proche du préfet sous couvert d'anonymat. «La préfecture avait fait savoir que si la manifestation avait lieu, la police était en mesure d'en assurer la sécurité.» Quant à la vocation du centre, pourquoi, dès lors, ne pas avoir proposé à l'association une autre salle du quartier ? «La seule autre salle aurait été le théâtre Lino-Ventura, répond Pierre Tramoni. Mais je ne suis pas sûr non plus qu'on puisse y organiser des manifestations à caractère politique...»
La seconde rencontre entre Leïla Shahid et les jeunes de l'Ariane devait avoir lieu au collège Maurice-Jaubert, l'unique établissement scolaire du quartier. «Nous avions préparé cette rencontre depuis presque deux semaines avec nos huit classes de troisième, explique Gérard Chevalier, enseignant du collège, et l'inspecteur d'académie avait déjà donné son accord.» «Faux !», proteste le principal, Dominique Maïssa. «J'en avais simplement informé mon inspecteur d'académie, qui ne s'était pas prononcé. C'est moi tout seul qui, deux jours avant l'arrivée de Mme Shahid, ai réalisé que l'école n'était pas le lieu de débats politiques. J'ai fait une erreur, et j'en assume toute la responsabilité.» Dominique Maïssa a-t-il vraiment pris «tout seul» la décision de cette annulation ? Rien n'est moins sûr. Selon nos informations, il est avéré que l'affaire Leïla Shahid était suivie de très près non seulement par le recteur de l'académie, mais par le ministre de l'Education nationale en personne. «Nous avons en effet été alertés de cette affaire par plusieurs organisations, dont le Crif (Conseil représentatif des institutions juives de France, ndlr), explique un responsable de cabinet de Luc Ferry. Face à une réunion qui nous semblait extrêmement inopportune, nous avons demandé au recteur de gérer cela avec l'établissement.»
Outre les pressions exercées par son ministère, Jean-Marie Carbasse, recteur des Alpes-Maritimes, eut à subir deux autres interventions : celle du Crif local, dans un département qui compte 40 000 juifs, et celle de Rudy Salles, le puissant député UDF de l'Ariane, par ailleurs président du groupe d'amitié France-Israël à l'Assemblée nationale. Interrogé par Libération, Jean-Marie Carbasse dément «être intervenu pour faire annuler la réunion». Et avoue cependant avoir téléphoné au principal, pour «l'encourager dans cette voie».
«Idiot». Pour Leïla Shahid, le fait est d'autant plus regrettable qu'elle y venait, comme dans les autres banlieues immigrées, y apporter un message d'apaisement. «Je dis toujours à ces jeunes qu'ils se trompent d'ennemis quand ils pensent soutenir la Palestine en attaquant les Français juifs, leurs écoles ou leurs synagogues. C'est aussi idiot de penser que tous les juifs français sont des ambassadeurs d'Israël, que de croire que tous les musulmans français sont des Ben Laden en puissance.»
Voyage. A l'Ariane, les conséquences de l'affaire sont désastreuses. Le lendemain, le Crif de Nice publiait un communiqué pour clamer sa victoire. «Alors que notre quartier est en proie à une augmentation des actes antisémites, comment nos jeunes vont-ils maintenant interpréter l'action du Crif contre la venue d'une Palestinienne à l'Ariane ?», se lamente un autre enseignant. La réponse n'a guère tardé à venir. Alors que dans les semaines précédentes, de fortes réticences contre un voyage ­ financé par le conseil général, avec le soutien pédagogique du Crif ­ de ces mêmes élèves à Auschwitz avaient fini par être levées, des parents refusent maintenant d'y envoyer leurs enfants. Dans l'édition de Nice-Matin de mercredi, Mahjoub Malouane, représentant FCPE de parents d'élèves de Maurice-Jaubert se justifie ainsi : puisque l'école doit demeurer laïque sans connotation ni religieuse ni politique, «nous nous opposons à ce voyage justement parce que le Crif y est mêlé». Et Leïla Shahid d'ajouter : «Le problème, c'est la direction nationale actuelle du Crif (présidé depuis trois ans par Roger Cukierman, ndlr), bien trop radicale.»
                           
16. Le philosophe "maison" de l’armée israélienne par Reuven Pedatzur
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mardi 24 février 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

En France, quatre décennies, après le retrait de l’Algérie, furent nécessaires pour que les anciens soldats et les hommes de lettres se mettent à questionner, courageusement et sincèrement, l’action de l’armée française visant à l’écrasement de rébellion algérienne.
Ce processus a produit un nombre conséquent de publications, dont beaucoup admettent les actions immorales qui entraînèrent la mort de milliers d’Algériens innocents et des sentiments durables de victimisation au sein de la population civile. D’ici dix ou vingt ans, quand un processus analogue débutera ici, en Israël, et lorsque des officiers de haut rang et des hommes de lettres commenceront à scruter les conséquences de notre politique dans les territoires occupés, nul doute qu’ils montreront du doigt un article unique en son genre, écrit par un général – philosophe, qui constitue un véritable raz-de-marée, lourd de signification, et extrêmement préoccupant.
Sous le titre « Moralité de la lutte anti-terroriste », le major général Amos Yadlin, chef de l’Académie militaire, et le professeur de philosophie Asa Kasher, ont écrit un article dans la dernière livraison de la revue National Security. Cet article affirme qu’il est justifié de sanctionner, sur une base éthique, l’assassinat de personnes innocentes, entendant donner une patine philosophique aux assassinats ciblés, justifiant ainsi des actions militaires d’une immoralité criante.
Non seulement les auteurs pensent-ils qu’il n’est nul besoin de présenter des excuses pour la mort d’enfants et de femmes innocents, au cours des assassinats de personnes qui ont été désignées pour cibles, mais que ces assassinats dits « ciblés » doivent être considéré comme une nécessité non condamnable car découlant d’une « compulsion militaire », dont la satisfaction implique que nous « devions admettre de porter atteinte à l’ « environnement humain » de la « cible » des actions militaires objets de notre étude ».
Ainsi, par une brillante pirouette sémantique, les auteurs de cet article apportent leur contribution au processus de déshumanisation qui transmute des bébés, des femmes et des vieillards, d’être humains innocents, en « environnement humain », lequel a la malchance de ne pas être immunisé contre des boucheries menées à l’aveugle.
Lorsqu’ils définissent ce qu’est un « terroriste qui mérite d’être mis à mort », Kasher et Yadlin embouchent la trompette morale. « Une personne peut être qualifiée de bombe à retardement non seulement lorsqu’elle a une ceinture explosive autour du corps et qu’elle se rend en Israël… mais aussi à des stades plus précoces – c’est-à-dire lorsque cette personne fournit à un comparse du matériel de guerre, lorsqu’elle prépare son équipement et son voyage, et même lorsqu’elle planifie son attaque », écrivent-ils.
En se fondant sur cette définition, le cercle de ceux qui encourent le risque de l’exécution s’étend à l’infini, étant donné que la détermination d’une personne qui aide un terroriste est des plus flexibles. En dernière analyse, il incombe aux responsables du Shin Bet de décider – à leur discrétion et en-dehors de toute procédure judiciaire – qui sera ajouté à la liste des « terroristes à éliminer ».
Yadlin et Kasher tentent – laborieusement – de démontrer que l’assassinat ciblé n’est pas un acte de vengeance, ni de rétorsion, ni de dissuasion, et qu’il n’est pas motivé par la conviction que l’organisation d’où le terroriste était issu doit être considérée comme une « armée », dont tous les membres méritent d’être « liquidés ».
Mais, dans ce passage, leur article marque le pas. Peu après qu’il ait été mis sous presse, le chef d’état-major de l’armée israélienne, Moshe Yaalon, a fait savoir que la politique avait changé, et que tous les membres du Hamas étaient désormais considérés représenter des cibles légitimes pour les « assassinats (ciblés) ». Je n’ai pas souvenance que Kasher et Yadlin aient exprimé la moindre réserve sur ce changement de politique, qui va manifestement à l’encontre de l’esprit qui a présidé à leur article.
Nos deux auteurs admettent volontiers que les critiques formulées après le massacre de quinze civils lors de l’assassinat – « ciblé », lui – de Salah Shehadeh, en juillet 2003, étaient fondées, en ceci que ce massacre avait représenté un sérieux échec moral. Il s’agit là, ostensiblement, d’une dérogation à la position exprimée par les hauts responsables de l’armée, qui menaient hier encore une campagne de dénonciations fustigeant quiconque aurait osé critiquer une action militaire ayant causé la mort d’un si grand nombre de civils innocents.
Mais il devint clair, avant longtemps, qu’ils n’avaient pas l’intention de formuler le même genre de critiques. Il n’y avait pas lieu, expliquent-ils, de critiquer l’utilisation d’une bombe d’une tonne (pour tuer une seule personne ! NdT), parce que cette critique est « la preuve d’une incapacité à reconnaître les faits », une « incompréhension des considérations professionnelles », voire – pire – « un manque de responsabilité en matière de questions de vie et de mort ».
Ils arguent du fait qu’afin de s’assurer que Shehadeh serait tué, il aurait été possible d’utiliser quatre bombes d’un quart de tonne chacune, mais qu’alors le danger de porter atteinte à l’ « environnement civil » en aurait été augmenté. Le véritable problème, sérieux, disent-ils, fut le résultat d’une erreur des services de renseignement, qui auraient suggéré que les maisons entourant la cible étaient censément inoccupées. Cette argumentation tombe d’elle-même. Quiconque prend la décision de larguer une bombe d’une tonne sur un immeuble d’habitation devrait savoir (même sans avoir fait Saint-Cyr, NdT) que de nombreuses morts de civils en résulteront.
Yadlin est une incarnation du haut commandement de l’armée israélienne, et cela aide à comprendre l’approche qui est la sienne. Toutefois, le rôle de Kasher, consistant à conférer une teinture morale et philosophique à ces activités criminelles a quelque chose d’insupportable. Ces dernières années, Kasher est devenu une sorte de « philosophe maison » de l’armée israélienne, aux actions de laquelle il donne son imprimatur.
A la lecture d’un article qu’il a écrit récemment sur la non exécution des ordres (militaires), on comprend que, pour Kasher, la moralité consiste, dans une société démocratique, à défendre et à appliquer la loi. Cela conduit le lecteur à la conclusion que l’acte de quiconque refuse d’appliquer ce qui est stipulé par la loi – ou par un ordre militaire – serait éthiquement injustifiable. Il s’agit là, bien entendu, d’une affirmation plus que douteuse, car toute loi, et certainement tout ordre militaire, n’est pas nécessairement compatible avec les valeurs de la démocratie, comme un tribunal, dans le cas du massacre de Kafr Qâsim, l’a d’ores et déjà démontré.
Contrairement à cette clarification, lorsqu’il s’agit des assassinats ciblés, Kasher n’aperçoit aucun « drapeau noir » flottant au-dessus des ordres militaires qui conduisent à l’assassinat de civils innocents [« drapeaux noirs » qui devraient mettre en garde ceux à qui l’ordre est donné, et les dissuader de le mettre en application, pour des raisons morales. NdT]
Nous ne devrions nullement nous étonner, dès lors, de ce que l’armée israélienne ait commandé à Kasher un codicille à son « Code Ethique », écrit voici quelques années. L’armée sait qu’elle peut avoir entière confiance en un homme qui défend avec une telle passion ses agissements dans les territoires occupés, et ses chefs attendent certainement de lui que cette approbation trouve sa traduction dans le nouveau code, qui sera intitulé : « Comment se comporter dans la guerre anti-terroriste ? »
Il est non moins regrettable que pratiquement aucun homme de lettres n’ait daigné se placer à la tête de l’opposition au « philosophe « maison » de l’armée israélienne ». Il n’en est, hélas, pas un seul qui ait jugé bon de sonner l’alarme, face à l’érosion, extrêmement préoccupante, de notre infrastructure démocratique.
                   
17. Et même un hôte du Président… par Yossi Sarid
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du jeudi 19 février 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Pas de toute : tout, dans ce pays, est réglé à merveille, en tenant compte exclusivement du règlement, sans aucune dérogation, et Israël devrait, par conséquent, être appelé « le pays des procédures ». Chaque jour apporte son nouveau scandale, et vous avez le cœur qui passe de l’état de choc à la colère et au dégoût. Mais, très vite, tout se calme, et votre cœur retrouve son rythme normal – puisque le gouvernement nous informe, sur un ton rogue, que tout s’est passé « conformément aux règlements en vigueur ».
Lutfi Mashour, propriétaire du quotidien arabe israélien Al-Sinnâra, publié à Nazareth, est mon ami. Je le connais, ainsi que son épouse, Vida et ses deux filles, Yara et Varia, depuis trente ans. Afin de me prémunir contre toute insinuation malveillante, j’avoue que chaque année, après la récolte des olives, sa mère m’envoie deux grosses bouteilles d’huile produite par les merveilleux oliviers qui poussent dans son village.
Le président israélien Moshe Katsav avait invité Mashour à se joindre, en sa qualité de journaliste, à la délégation qui l’accompagne dans sa visite d’Etat en France. L’entourage présidentiel comportait trente-cinq personnes mais, seul, Mashour a été retenu par les responsables de la sécurité de l’aéroport de Tel Aviv, aux fins de le soumettre au genre de contrôle humiliant dont ils ont le secret.
Ces contrôles de sécurité n’ont pas été inventés cette semaine, juste avant que le président s’envole pour Paris. J’ai déjà eu l’occasion de m’occuper de centaines de cas semblables, qui ont suscité colère et honte, sans succès – puisque tout est fait conformément aux procédures en vigueur… Néanmoins, qui aurait pu croire que même un hôte du président de l’Etat d’Israël n’échapperait pas à ces satanées procédures ?
Katzav a fait ce qu’il a pu : il a essayé de se rendre utile ; il a supplié Mashour de prendre un autre vol. Notre président était, lui aussi, furieux et gêné ; mais, en dépit de tout mon respect pour le président – et je le respecte vraiment – même lui et ses hôtes ne sont pas au-dessus des procédures – puisque les procédures sont au-dessus de tout.
Et qu’ils ne viennent pas nous parler des nécessités de la sécurité et des menaces à l’encontre d’avions civils : nous en avons plus que l’habitude. Mais même ces nécessités et ces menaces ne sauraient justifier que l’on humilie publiquement un citoyen israélien. Il est bien possible, en l’occurrence, que le président ait été encore plus humilié que Mashour, puisque, tout président qu’il était, il n’a pas pu arracher son hôte aux mâchoires procédurières.
J’aimerais aussi dire un mot à ses « collègues », les journalistes. Cela ne vous ferait pas de mal, de manifester un peu de solidarité, à l’occasion… Vous auriez dû vous approcher, vous tous, et dire aux responsables, et aux fouilleurs de la sécurité : « Soit vous nous fouillez, tous, soit vous dégagez : Mashour est un collègue, et nous n’admettrons tout simplement pas que vous l’embêtiez » : aussi simple que ça... Je ne doute pas un instant que cela aurait pu aider ; mais il semble que même des journalistes puissent parfois avoir des a priori idéologiques.
Il y a une vingtaine d’années, en avril 1985, j’ai publié dans Ha’Aretz un article intitulé « Ne leur touchez pas les cheveux !». J’y décrivais une fouille violente des bagages de la famille Mashour, qui revenait d’un voyage à l’étranger. Non seulement on fouilla leurs bagages, mais on examina l’intérieur du slip de Mashour, ainsi que les cheveux de ses filles, qui avaient, à l’époque, dix et douze ans.
Je concluais cet article comme suit : « Ainsi, ils vont continuer à fourrer leurs paluches dans les « bijoux de famille » de nos concitoyens arabes. Malgré tout, j’aimerais formuler une modeste requête : « Au moins, abstenez-vous de fourrez vos grosses paluches dans les cheveux des gens. On ne trouve rien, dans les cheveux d’une petite fille, si ce n’est des souvenirs juifs. De plus, l’expérience montre que lorsqu’on inspecte les cheveux d’un enfant, cela y fait naître des idées terribles. Et ces idées terribles peuvent même mûrir bien des années plus tard. »
Mashour, même après l’expérience traumatisante qu’il a traversé, est vivant et en bonne santé, grâce à Dieu. Mohammad al-Sheikh, en revanche, qui avait quarante et un ans et était le père de quatre enfants, n’est pas revenu vivant de son expérience au point de passage d’Erez. Al-Sheikh était un ouvrier de Gaza. Il voulait travailler en Israël et gagner de quoi vivre. Mais, comme nous le savons, l’embouteillage humain, au contrôle d’Erez, est inhumain. Al Sheikh fut étouffé. Nous avions supplié mille fois d’aider ces hommes qui souffrent au barrage d’Erez, comme à tous les autres checkpoints, mais le ministre de la défense n’a pas voulu nous entendre – en effet, quand vous êtes bardé de procédures, vous faites le sourd. Toutefois, dans ce cas-là, aussi, nous pouvons dire que le malheureux Al-Sheikh est mort conformément au règlement - qu’il repose en paix ! L’essentiel n’est-il pas que nous soyons en paix avec notre conscience ?
Et, juste pour rappeler le passé, bien que ce « passé » ne date que de quelques semaines – Gil Naamati, qui protestait contre le mur de sécurité, près du village de Meskha, et à qui on a tiré dans les jambes… ? L’armée a fait une enquête, mais ses conclusions sont absurde. Pour résumer, d’une phrase : « Tout s’est passé conformément aux procédures prévues ».
Aussi, permettez-moi de déclarer, à l’intention du gouvernement, de l’état-major des forces israéliennes de défense, du service de sécurité Shin Bet et des autres organismes de la sécurité : vos procédures ne sont que le dernier refuge de scélérats. Les procédures n’ont pas de vie propre : ce sont les hommes qui les édictent. Les procédures ne sont pas responsables des gens et de leur sort : ce sont les gens qui sont responsables des procédures et de leurs manipulations retorses. Les procédures sont innocentes ; en revanche, ceux qui en sont responsables : voilà les criminels ! Les procédures ne sont pas des cas de force majeure : elles sont des subterfuges mesquins, conçus avant toute chose et essentiellement afin de protéger ses miches.
                       
18. Entretien avec Amnon Kapeliouk Journaliste, auteur d'Arafat l'irréductible (Fayard) réalisé par Alain Louyot et Pierre Ganz
in L'Express du lundi 16 février 2004
 
- Comme votre Enquête sur un massacre, après la tragédie de Sabra et Chatila, cette biographie admirative d'Arafat ne va-t-elle pas choquer en Israël ?
- Peu m'importent les réactions négatives. Je dis ce que je pense et je fais mon travail de journaliste. Mon seul tort est peut-être de dire la vérité avant les autres. Et puis, je n'admire pas Arafat. Je connais très bien l'homme et je m'y intéresse car il incarne, pour le meilleur ou pour le pire, le peuple palestinien. On ne peut nier ses qualités ni son pragmatisme exceptionnel.
- Il a aussi des défauts : on lui reproche notamment son double langage lors des négociations ou à propos des attentats suicides. Et ses erreurs, comme d'avoir soutenu Saddam Hussein lors de l'invasion du Koweït...
- Je ne suis pas du tout d'accord à propos de ce double langage. Lorsqu'il parle du processus de paix à son peuple, il le fait en arabe, avec l'enthousiasme, le verbe propre à cette langue que je connais très bien. Mais, pour le reste, il est cohérent. Depuis les accords d'Oslo, il veut la paix, l'application de la résolution 242. Ce n'est pas lui, mais la droite israélienne qui, à la différence des travaillistes comme Itzhak Rabin et Shimon Peres quand ils étaient au pouvoir, tient un discours ambigu. Quant aux attentats kamikazes, je n'en connais pas un seul qu'Arafat ait encouragé. Il insiste, d'ailleurs, sur le fait que ceux-ci nuisent à la cause palestinienne. A propos de son soutien à Saddam Hussein pendant la première guerre du Golfe, je ne trouve pas que, du point de vue d'Arafat, c'était une erreur. Souvenez-vous: le peuple arabe, au Maroc, en Algérie, en Tunisie, en Egypte ou encore au Yémen, était derrière l'Irak. Alors, il a dit: «Moi, je suis avec mon peuple!»
- Arafat et son entourage détournent-ils des fonds ?
- Certains, comme Ariel Sharon, l'accusent, en particulier, d'utiliser les subventions de l'Union européenne pour financer le terrorisme. Pourtant, Chris Patten, le commissaire européen aux Relations extérieures, que je cite dans mon livre, affirme que l'argent alloué par Bruxelles aux Palestiniens est celui dont l'utilisation est la plus minutieusement contrôlée...
                   
19. Sur fond de violence au Proche et Moyen-Orient, construction et mise en forme d'une phobie sociale  par Willy Beauvallet
on Oumma.com le lundi 16 février 2004

(Willy Beauvallet est chercheur à l'Institut d'Etudes Politiques de Strasbourg et membre du collectif judéo-arabe et Citoyen pour la Paix de Strasbourg - Email : collectif.sbg@9online.fr - Tél : +33 (0) 622 378 043 - Site : http://site.voila.fr/collectifstrass)
Sur fond de violence au Proche et Moyen-Orient, construction et mise en forme d'une phobie sociale [1]
Il est impossible de rester silencieux face à la tournure que prennent en France les débats concernant l'Islam, le foulard d'une part, les « jeunes des banlieues » de l'autre. Sur fond de violence au Proche-Orient, se développent des analyses qui en construisent des caricatures alarmistes en s'appuyant sur ce qui apparaît comme une islamophobie [2] d'autant plus inquiétante qu'elle est relayée, mise en forme par des intellectuels, des écrivains, des journalistes [3] socialement reconnus et qu'elle circule sans grande résistance dans les espaces politique, médiatique et intellectuel. La confusion des scènes internationales et nationales dans le contexte sociopolitique français préside en elle-même à la construction d'une nouvelle figure de l'ennemi intérieur.
Au centre de ces discours, se situe tout d'abord les craintes et inquiétudes suscitées par la multiplication récente des actes anti-juifs en France. On ne saurait pour autant méconnaître la dimension conjoncturelle de ces actes, dépendants en eux-mêmes de la dégradation de la situation politique au proche-orient. Ces actes judéophobes, sans doute, d'ailleurs, avant tout « israélophobes », sont analysés par un certain nombre d'auteurs à travers un paradigme particulier : « l'antisémitisme d'origine arabo-musulmane » [4] émanant des quartiers populaires. Ces violences sont, dès lors, perçues comme la manifestation d'une tendance, par nature, d'une partie des musulmans, traversés par une islamisation fondamentaliste rampante, à un antisémitisme qui trouve prétexte, avec le conflit israélo-arabe et la complicité tacite de l'extrême gauche, à se réaliser en acte. Les actes anti-juifs commis en France, aussi bien que leurs auteurs (supposés), ne sont pas séparés, dans ce type de discours, des actes anti-juifs ou anti-israéliens survenus dans d'autres régions du monde, toutes appréhendées comme des régions « musulmanes ». Ces actes, ici et là, manifesteraient la cohérence d'un fond culturel, religieux et idéologique intrinsèquement spécifique à l'Islam.
Celui-ci, « en attente de son Luther » [5], en proie à un fondamentalisme agressif, remettrait donc en cause les valeurs fondamentales de l'occident que sont censées être la démocratie, les droits de l'homme, l'émancipation des femmes, cet occident moderne qu'Israël est supposé incarner dans un Orient hostile (« Israël, la seule démocratie du Proche-Orient »). En France, ce « vieil islam » fondamentaliste et conquérant ne serait pas moins que le signe d'un refus d'intégration, d'une remise en cause du contrat social. Le foulard n'est-il le signe de la communautarisation ? N'attaque-t-il pas frontalement l'Ecole incarnation même de notre modèle républicain ? Le cas de Khaled Kelkal ne montre-t-il pas que les jeunes délinquants « d'origine arabo-musulmane », sous l'influence des fondamentalistes, peuvent devenir des terroristes ? Antisémitisme, islamisation, foulard islamique, délinquance, terrorisme. Telle est la chaîne qui se révèlerait. Voilà le danger et ce danger serait dans nos banlieues. Malheur soit sur vous, militants chrétiens, militants de l'anti-racisme, militants juifs pacifistes, militants gauchistes. Votre laxisme et votre tiers-mondisme, votre mauvaise conscience coloniale vous empêchent de voir ce qui se cache derrière le soutien aux palestiniens, derrière le voile, derrière l'idéologue manipulateur que serait Tariq Ramadan. Le monstre est là, derrière « l'Autre » [6], comme un Alien que vous nourrissez...
Il est temps de réagir à ces entreprises intellectuelles de dénégation du social. Elles tendent à ethniciser la perception des clivages internes à la société française, comme pour franciser la prophétie du choc des civilisations. Ces procédés nous ramènent vers une forme actualisée d'anthropologie raciale contre laquelle était née, précisément, la perspective du développement des luttes sociales [7]. Ces discours s'emploient à faire peur en dramatisant l'état de la société française, en amalgament et en décontextualisant des comportements très différents dans une logique unique que le terme de « communautarisme » serait censé résumer. Ces discours font de l'islam, de « l'arabo-musulman », des jeunes des cités populaires, des figures tout à fait fantasmées, simplifiées à l'extrême mais qui deviennent les réceptacles des angoisses d'une société apeurée par les violences internationales et les dérèglements aussi bien politiques économiques que sociaux. Conjuguées à une incapacité à lire ou à un refus de comprendre les transformations du monde, ces peurs se cristallisent sur une nouvelle figure de l'ennemi, de « l'Autre », du « sauvageon ». Soupçonné de refuser son intégration, le jeune « arabo-musulman » des banlieues incarne une menace diffuse, ce jeune dont on craint pêle-mêle les violences et les pulsions, l'alliance avec les « islamistes », les « fondamentalistes », l'antisémitisme virulent et le potentiel de remise en cause de l'ordre social. La cristallisation de cette peur suscite alors une montée des exigences sécuritaires à l'encontre des cités populaires où résident ceux qui sont désormais perçus comme les nouvelles « classes dangereuses » [8]. La violence d'Etat, physique ou symbolique, apaise et rassure mais la gestion policière des problèmes sociaux renforce aussi les mécanismes de ségrégation sociale [9]. Tous ces discours participent ainsi d'une disqualification de toute forme de mobilisation et de révoltes symboliques (à travers la référence religieuse notamment) des classes populaires issues de l'immigration. Celles-ci sont dès lors criminalisées dans leur ensemble, considérées comme dangereuses.
En fait, rien n'autorise à lire de cette façon les conflits sociaux nationaux ou internationaux. L'islam et les sociétés musulmanes d'un côté, les cités françaises de l'autre ne constituent en rien des entités homogènes, mais renvoient à des réalités multiples, contradictoires, mouvantes. Les clichés antisémites qui circulent aussi bien dans les pays arabes que dans la société française n'héritent pas d'un fond culturel « arabo-musulman ». Elles sont surtout la reprise, à peine actualisée, des préjugés racistes les plus typiquement européens. L'occident mondialise et exporte « tout cru » son « modèle » en même temps que ses chimères. Or, le recours par une partie de ses élites intellectuelles ou politiques, celles qui définissent le sens du monde, à des catégories de lecture ethnique sans fondement, contribue largement à la diffusion de ces chimères. En France, particulièrement à Strasbourg, les discours et actes anti-juifs ne sont ni justifiés, ni encouragés, ni même couverts par les organisations religieuses et communautaires musulmanes ou leur leaders qui ont, à plusieurs reprises, vigoureusement condamné de tels actes et essayé de favoriser l'ouverture de dialogues [10]. Pourquoi dès lors parler de conflits intercommunautaires et jeter le soupçon sur ceux qui travaillent à faire émerger un secteur religieux et associatif musulman engagé dans la vie civile ? Les actes judéophobes sont au contraire souvent le fait d'individus isolés, plutôt jeunes, précisément acculturés et peu intégrés aussi bien dans les structures scolaires, le monde du travail que les structures communautaires religieuses ou politiques. Les actes violents contre les mosquées ou les musulmans (et outre le racisme ordinaire qui les vise depuis longtemps) sont aussi particulièrement nombreux tout en étant le fait d'individus très divers et procédant d'amalgames similaires dans leur fonctionnement et leur logique. Rien ne permet d'affirmer que la non-civilité, l'agressivité, de non-respect de l'autre sont unilatéralement le fait des dites populations « arabo-musulmanes ».
Il est temps de voir que les quartiers populaires français ne se réduisent pas à la violence, à l'antisémitisme et à la misère. Ils sont aussi riches de jeunesses, d'idées, d'énergies, de révoltes positives. Il est temps de voir par ailleurs que les musulmans engagés sont devenus des acteurs importants de la communauté nationale et de sa cohésion. Ils sont aussi devenus des vecteurs positifs de mobilisation sociale, donc des vecteurs parmi d'autres d'intégration et de retour au monde car l'engagement religieux est aussi une façon de s'investir dans la vie civile, au service de ses concitoyens. Ces acteurs ont des choses à dire, des choses à apporter, notamment dans le cadre d'une lutte sa concession contre le racisme et l'antisémitisme. Il est temps de cesser d'exclure pour oser la rencontre et l'échange, l'écoute et le débat.
- Notes :
1 - Par Willy Beauvallet, chercheur à l'Institut d'Etudes Politiques de Strasbourg,  Cet article n'engage que son auteur. [
http://oumma.com/article.php3?id_article=959]
2 - Cf. V. Geisser, La nouvelle islamophobie, La découverte, 2003.
3 - Le cas récemment de Claude Imbert. Déclaration le 24 octobre sur LCI : « Je suis un peu islamophobe, ça ne me gêne guère de le dire (…) J'ai le droit, je pense (et je ne suis pas le seul dans ce pays) à penser que l'Islam (je dis bien « l'islam », je ne parle même pas des islamistes) en tant que religion, apporte une certaine débilité (…) qui me rend islamophobe (…). »
4 - Les ouvrages notamment de Pierre André Taguieff, La nouvelle judéophobie, Mille et une Nuits, 2001 et d'Alain Finkielkraut, Au nom de l'Autre. Réflexions sur l'antisémitisme qui vient, Gallimard 2003.
5 - « En plaidant pour une intégration réussie, je n'avais pas imaginé qu'elle fût réservés aux apostats, aux incroyants. Mais le fait est qu'elle progresse d'autant mieux que s'affaiblit, chez beurs et beurettes, la dévotion à un vieil islam toujours en attente de son Luther, de son Calvin… », Claude Imbert, « Le crédo d'un Laïc », Le Point, 7 novembre 2003, p. 3.
6 - Pour reprendre les termes d'A. Finkelkraut…, op. cit.
7 - Cf. Laurent Mucchielli, La découverte du Social. Naissance de la sociologie en France 1870-1914, La Découverte, 1998.
8 - Stéphane Beaux, Michel Pialoux, Violences urbaines, violences sociales. Genèse des nouvelles classes dangereuses, Fayard, 2003.
9 - Cf. Laurent Bonelli, « Une vision policière de la société », Manière de voir, n°71, octobre novembre 2003, p. 38-41.
10 - Cf. par exemple la réaction suite à l'incendie du lycée israélite de Gagny : « non à l'antisémitisme », le 17 novembre 2003, http://www.oumma.com. A Strasbourg, des responsables musulmans se sont récemment rendus à Auschwitz avec une délégation de la communauté juive de Strasbourg.
                       
20. L’homme de la semaine : Gilles Munier, Secrétaire général des Amitiés franco-irakiennes
in 7 jours (hebdomadaire régional) du samedi 14 février 2004

Alors que le conflit en Irak s’enlise, que personne ne croit plus à la présence d’armes de destruction massive, « la CIA », accuse le Rennais Gilles Munier, « veut détourner l’attention du nombre grandissant de GI’s tués dans ce pays depuis le début du conflit. Elle a jeté en pâture aux médias  270 personnalités qui auraient reçu en cadeau des millions de barils de pétrole de Saddam Hussein. Sans oublier le ministre irakien du Pétrole qui renchérit en confirmant son intention de demander à Interpol d’obliger les bénéficiaires à rembourser l’argent  perçu illégalement ».
Aussitôt assailli par de nombreux journalistes qui le croyaient sur la liste, Gilles Munier – qui est, il est vrai, intervenu à plusieurs reprises ces vingt-cinq dernières années,  pour aider des sociétés françaises à décrocher un marché en Irak (« sans bénéfice  financier », insiste-t-il) -  a spontanément reconnu avoir introduit une société pétrolière qui a ainsi pu importer du brut dans le cadre des résolutions de l’ONU.
« Comme c’est la pratique dans de nombreuses associations bilatérales, la société en question a remercié les Amitiés franco- irakiennes en finançant ponctuellement certaines de ses activités.  Il n’y a rien d’illégal à cela » insiste Gilles Munier.
Constatant quelques jours plus tard que son nom n’était pas parmi les noms des onze Français épinglés et que celui de son association ne correspondait pas au texte original, Gilles Munier s’est aussitôt insurgé, refusant de jouer les boucs émissaires.
Interviewé par NBC News, il dénonce aussitôt cette opération qu’il qualifie de manipulation, affirmant que la traduction arabe-anglais, effectuée par une agence de presse  israélienne  était  volontairement incorrecte.
« En procédant ainsi », estime Gilles Munier , « les Américains  cherchent à  intimider ceux qui exigent leur départ d’Irak  et cherchent à  faire chanter le gouvernement français ».
Selon le secrétaire général des Amitiés Franco-Irakiennes, « l’administration Bush reproche en effet à la France de tenir tête à l’aigle américain et s’emploie à lui faire payer cette  insubordination ».
Au passage, Gilles Munier relève que dans ce but un corps spécial de l’US Army a réuni les archives irakiennes sur une base à Qatar.
« Des employés arabes les trient, à la recherche de documents prouvant le financement occulte de partis politiques français par l’Irak ».
« Il faut s’attendre à des coups tordus, confie Gilles Munier, car La CIA va fabriquer ce qu’elle ne trouve pas ( !) ».
Fort du précepte qui veut que la meilleure défense soit la contre- attaque, il s’étonne que les sociétés pétrolières américaines Mobil, Exxon, Bay Oil, ou Coastal States  - basées à Houston, quand George W. Bush  était gouverneur du Texas – ne soient pas sur la liste !
Parallèlement, le secrétaire  général des Amitiés Franco-Irakiennes accuse ouvertement les chefs kurdes irakiens de s’être enrichis en prélevant une taxe sur du pétrole livré illégalement à la Turquie.
A l’évidence 2003  n’aura pas été une bonne année pour Gilles Munier. Bagdad est tombé. Des  opposants anti- Saddam l’ont inscrit sur une liste noire. En juillet, il a même reçu une menace de mort à son domicile rennais. Pour autant, il ne désespère pas de retourner prochainement en Irak.
« Le droit et la  justice l’emporteront  tôt ou tard », assure-t-il. « On ne restaurera pas la paix civile sans que la résistance soit conviée à une table des négociation ».
Reste pour lui et ses amis à convaincre la classe politique en Europe et surtout aux Etats-Unis . Vaste programme !
[Amitiés Franco-Irakiennes - Tél : 06 19 74 45 99 - Fax : 02 23 20 96 58 - Email : gilmun@club-internet.fr]
                       
21. Mordechaï Vanunu, le prisonnier de conscience inconnu - Il dévoila le programme israélien de fabrication des armes nucléaires par Juan Goytisolo
in El Païs (quotidien espagnol) du vendredi 13 février 2004
[traduit de l’espagnol par Michel Gilquin]

Dans son livre splendide « Memories of our future », traitant du fertile héritage sépharade, l’écrivain new-yorkais ou, pour être plus précis, de Brooklyn, Ammiel Alcalay se plaint du silence assourdissant qui entoure, depuis 1986, l’enlèvement, le jugement et la condamnation du citoyen israélien Mordechaï Vanunu, un technicien nucléaire aux idées pacifistes originaire de Marrakech. Son crime ? Avoir rompu ce que son avocat Avigdor Feldman désigne comme « le tabou du culte du secret israélien » en révélant au « Sunday Times », journal britannique, le programme de fabrication des armes nucléaires, qu’il connaissait de première main du fait de son travail de spécialiste en la matière à la centrale de Dimona.
Depuis 18 ans, Mordechaï Vanunu continue à être emprisonné dans des conditions qui nous projettent dans des époques passées de l’histoire européenne ou des dictatures de tout poil montrées du doigt par Amnesty International. Mais, au lieu d’être soutenu par les partis démocratiques et les mouvements pacifistes, souligne Alcalay, Vanunu a été abandonné à son sort. Enlevé en Italie par des agents du Mossad (les services secrets israéliens), comme le furent en leur temps Galindez et Ben Barka, il semble avoir depuis lors disparu de la surface de la Terre. Enterré vivant du fait de ses idées défendues avec courage en s’appuyant sur les faits, il a résisté et résiste avec dignité à sa condamnation inhumaine. Accusé par le tribunal qui le jugea d’avoir dévoilé des secrets d’Etat, il rétorqua à ses juges : « Le citoyen peut exiger des comptes à la classe politique, vous êtes responsables devant moi. »…  « Le citoyen peut démasquer les machinations de tous les régimes du monde par le moyen de la désobéissance civile. » …. « Une action comme la mienne montre aux autres que le raisonnement autonome, celui de tout individu, n’est pas moins important que celui des chefs. Ceux-ci se servent de la force et sacrifient des milliers de personnes sur l’autel de leur mégalomanie. Ne les suivez pas aveuglément ».
Mordechaï Vanunu, membre de cette vaste communauté judéo-marocaine à laquelle appartiennent des personnalités aussi différentes que l’influent conseiller royal André Azoulay, le militant de gauche Abraham Serfaty ou le grand écrivain Amran el Maleh, rappela, dans un exposé, au tribunal qui le jugeait, l’expérience de beaucoup de sépharades à l’époque du Protectorat : « Les riches vivaient extramuros, mais la majeure partie des membres de la communauté résidaient au Mellah. Il y avait des écoles juives dans le quartier, mais j’étudiais à celle de l’Alliance Israélite, située ailleurs. Les cours étaient donnés,  alternativement chaque demi-journée en français et en arabe et environ une heure en hébreu. J’avais l’habitude de me promener dans la ville par une place appelée Djemaa el Fna, où se regroupaient des gens venus de partout et il y avait une grande variété de participants. »…. « Tous étaient accoutumés à venir s’asseoir là et j’y allais aussi, avec ma candeur d’enfant, à y traîner et à m’y divertir ». En d’autres termes, l’accusé rappelait à ses juges que la relation entre les deux communautés religieuses était alors pacifique et qu’on n’était pas entré dans l’interminable spirale de violence et de haine que nous connaissons aujourd’hui.
Avant d’avoir été menotté et bâillonné dans la salle même du tribunal qui le condamna à perpétuité, Vanunu parvint à dénoncer les circonstances de son enlèvement : « ils m’emmenèrent ici enchaîné comme un esclave ». Selon Ammiel Alcalay, Vanunu fut transféré au milieu des années 90 dans un centre psychiatrique, comme aux bons temps de l’Union Soviétique.
Seule une mobilisation internationale –ainsi que le montrent les cas récents de Ali Lmrabet, les dissidents chinois et autres prisonniers de conscience du monde entier- peut contribuer à libérer un pacifiste dont le seul délit fut d’opposer sa propre réflexion critique à la raison d’Etat. Les vérités qui dérangent se payent d’un prix. Mais celui-ci ne peut être en aucun cas celui de pourrir à vie dans le cachot-infirmerie d’un Etat qui se targue de défendre des valeurs démocratiques, au moins pour ses citoyens. Nous tous qui défendons les accords de Genève en faveur d’une paix juste entre Israël et la Palestine, nous avons le devoir moral d’exiger sa libération.
                                       
22. Un pacte d’insécurité par Amitabh Pal
on Alternet.org du  jeudi 12 février 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Amitabh Pal est rédacteur en chef de la revue The Progressive.)
La visite d’Ariel Sharon en Inde, en septembre dernier, fut la première effectuée par un Premier ministre israélien depuis l’indépendance des deux nations, voici plus de cinquante-cinq ans. Bien que son projet de commémorer les attentats du 11 septembre (2001) sur le sol indien ait tourné court, à cause d’un attentat suicide, chez lui, en Israël, ce voyage fut significatif de l’idylle entre les deux pays. Une idylle qui ne fait que croître et embellir.
Ces dernières années, les deux pays ont partagé du renseignement et coopéré dans le domaine militaire, à un niveau sans précédent. Le deuxième fournisseur d’armements de l’Inde est Israël, qui a exporté des armements vers l’Inde, en 2002, pour un montant estimé entre 1,5 et 2 milliards de dollars. L’Inde est le meilleur client d’Israël, elle absorbe près de la moitié du total des ventes d’armes israéliennes (toujours pour l’année 2002). Ainsi, il ne relevait nullement de la coïncidence que dix (sur les trente) membres de la délégation qui a accompagné Sharon en Inde étaient des PDG de firmes israéliennes d’armement. De plus, Israël a fourni des formations longues en contre-terrorisme à l’armée indienne, durant ces dernières années. Le quotidien Jerusalem Post indique que ce sont près de 3 000 militaires indiens qui ont été ainsi envoyés en stage en Israël, pour la seule année 2003.
Une des principales raisons de cette nouvelle intimité est le désir du gouvernement indien de renforcer son amitié avec les Etats-Unis. Des responsables indiens ont dû faire des courbettes au lobby pro-israélien de Washintgon afin de s’attirer les grâces du Congrès américain et d’être entendus par les néonconservateurs qui dictent à l’administration Bush sa politique étrangère.
Le conseiller indien à la Sécurité nationale, Brajesh Mishra, a annoncé la visite officielle de Sharon, pour la première fois, en mai 2003, au cours du dîner de gala du puissant American Jewish Committee. En des termes choisis de manière à remplir ses hôtes d’aise, Mishra a fait l’éloge d’ « une vision commune du pluralisme, de la tolérance et de l’égalité des chances », censée partagée par l’Inde, Israël et les Etats-Unis. Son discours avait également insisté sur les redéploiements d’alliances induits par la guerre contre le terrorisme. « Les trois pays », avait-il déclaré, « doivent, conjointement, faire face au même visage – horrible – du terrorisme contemporain », ajoutant : « une telle alliance disposerait de la volonté politique et de l’autorité morale permettant de prendre des décisions audacieuses, dans des cas extrêmes de provocation terroriste. » Le discours a sans doute porté, puisque le Committee (= le Crif américain, ndt) envisage d’ouvrir un bureau de liaison à New Delhi…
Il n’est pas le seul… L’Institut juif des Affaires de sécurité nationale [Jewish Institute for National Security Affairs – JINSA] a organisé, l’an dernier, à New Delhi, une conférence qui a réuni des experts en matière de sécurité des Etats-Unis, d’Israël et d’Inde. Il prépare une conférence analogue, ce mois-ci, en Israël.
Un groupe de néconservateurs, issus d’institutions de droite pro-likoud, tels le Centre pour la Politique de Sécurité et le Jinsa, est en train de mettre sur pied une « boîte à idées » (think-tank) dont la finalité sera de rapprocher l’Inde et les Etats-Unis. D’après le spécialiste en politique étrangère américaine Conn Hallinan, l’initiative de créer un Institut américano-indien de Stratégie politique bénéficie d’ores et déjà du soutien de responsables de l’administration Bush, tel le sous-secrétaire à la défense pour les questions politiques, Douglas Feith. En juillet dernier, le Comité d’Action politique américano-indien, l’AIPAC [American Israel Public Affairs Committee – principal lobby israélien aux Etats-Unis, NdT] et le Comité Juif Américain ont organisé une réception commune sur la colline du Capitole, à Washington.
« La communauté indienne apprend – vite, et bien – de ses homologues de la communauté juive, la manière de faire de l’entrisme… et de pénétrer à l’intérieur des épaisses murailles qui protègent le processus de décision politique, ici (aux Etats-Unis) », a déclaré le Représentant Gary Ackerman (démocrate – Etat de New York) à Gannett News Service. « Du côté juif de l’équation, dès maintenant, Israël peut compter sur un milliard de nouveaux amis. »
La cour intensive faite à Tel Aviv a déjà commencé à porter des fruits non négligeables. En juillet dernier, Israël et l’Inde se sont mis d’accord afin de faire (avec succès) du lobbying auprès de la Chambre des Représentants, afin de l’inciter à exiger de l’administration Bush qu’elle présente des rapports réguliers au Congrès sur les initiatives prises par le Pakistan afin d’empêcher l’infiltration à travers la frontière d’activistes et de mettre un terme à la prolifération d’armes de destruction massive. Les deux pays ont également œuvré ensemble à persuader Washington de lever ses objections au projet israélien de vendre à l’Inde un système radar aéroporté d’alerte précoce.
La pression sur la politique étrangère (américaine) se traduit, également, par une volonté plus affirmée d’influencer la politique intérieure américaine. Des groupes indo-américains ont mené campagne, conjointement à des organisations juives américaines, afin de faire battre aux élections la Représentante Cynthia McKinney, en 2002, en raison de ses positions pro-pakistanaises et anti-israéliennes supposées.
Le gouvernement américain a donné publiquement sa bénédiction à l’alliance indo-israélienne. Commentant la visite de Sharon en Inde, le porte-parole du Département d’Etat, Richard Boucher, a déclaré : « Nous sommes toujours heureux de voir nos amis lier amitié entre eux, et travailler ensemble. » Le 12 janvier, le président Bush a annoncé des projets de lever un certain nombre de restrictions au partage des technologies avancées avec l’Inde, dès lors que l’Inde renforcerait son contrôle sur l’accès à ce type d’information. Si tout se passe bien, comme l’a indiqué le Représentant Mark Krik (Républicain – Illinois), lors d’une récente visite en Inde, les Etats-Unis pourraient vraisemblablement « faire de l’Inde un partenaire stratégique, à l’instar d’Israël ».
Ce mariage de convenance, face au « péril islamique » pourrait paraître normal au profane. Mais il représente, en réalité, une volte-face dramatique du gouvernement indien. Durant la plus grande partie de son histoire post-indépendance, l’Inde a été extrêmement peu amicale pour Israël, qu’elle considérait comme un Etat ni plus, ni moins, théocratique que le Pakistan. Le gouvernement indien, sous Jawaharlal Nehru, avait tendance à prendre parti pour la victime, dans les relations internationales, ce qui en faisait un adversaire résolu de l’apartheid et le premier pays non-arabe à reconnaître l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Par ailleurs, les dirigeants indiens étaient fort peu désireux de se mettre en délicatesse tant avec leur propre population musulmane, fort importante (à ce jour, elle compte 140 millions de personnes) qu’avec ses principaux fournisseurs pétroliers, qui appartiennent, tous au monde arabe.
Toutefois, depuis le début des années 1990, les gouvernements indiens successifs se sont largement éloignés des idéaux fondateurs de la nation indienne, faits de laïcité, de socialisme agraire et de non-alignement. Parallèlement à cette mutation idéologique, l’Inde a établi des relations diplomatiques complètes avec Israël, en 1992. La coalition actuellement au pouvoir, dirigée par le parti Bharatiya Janata, épouse un nationalisme à tendance hindouiste et considère avoir une affinité naturelle avec Israël. Pour les partis qui la constitue, les deux pays mènent un combat commun contre le terrorisme islamique, financé par des pays musulmans hostiles. En dépit d’un dégel spectaculaire des relations indo-pakistanaises, au cours des derniers mois – des négociations de paix étant prévues courant février – cela a eu peu d’effet sur l’approfondissement des relations de l’Inde avec Israël. Beaucoup, dans la droite indienne, admirent la détermination d’Israël à être impitoyable dans sa manière de traiter les Palestiniens.
Mis à part des bénéfices superficiels et à court terme, le côté négatif de ce réalignement est considérable. Le ministre pakistanais des Affaires étrangères, Khurshid Mahmood Kasuri, exprimant l’inquiétude de son pays devant le renforcement des relations militaires indo-israéliennes, a juré « de faire tout le nécessaire afin de s’assurer que l’équilibre minimal crédible des forces (avec l’Inde) sera maintenu » - propos qui suggèrent une accélération d’une course aux armements, déjà ruineuse, dans le sub-continent. Le Pakistan a testé un missile, le 2 octobre dernier, sans doute en réaction à la conclusion du marché indo-israélien sur les radars d’alerte. Arnaud de Borchgrave écrit dans le Washington Times que le Pakistan et l’Arabie saoudite sont en train de conclure des liens, dans le domaine nucléaire, qui sont, pour partie, une réponse aux craintes du Pakistan soulevées par l’entente cordiale indo-israélienne. De plus, une entente tripartite Etats-Unis – Inde – Israël pourrait également compliquer les relations entre l’Inde et la Chine, qui se ne sont améliorées que récemment.
Sur le plan interne, la réception très chaleureuse de Sharon n’a fait qu’ajouter aux griefs des musulmans indiens, déjà brûlants après le génocide anti-musulman qui a endeuillé, l’année dernière, l’Etat du Gujarat. Une telle alliance pourrait également rendre précaire la situation de trois millions de travailleurs émigrés indiens au Moyen-Orient, ainsi que l’approvisionnement en pétrole de l’Inde.
Plus grave, la franche camaraderie de l’Inde pour Israël ne fera que renforcer l’assimilation des hindous aux juifs dans l’esprit des musulmans de par le monde, faisant de l’Inde une cible potentielle pour des groupes jihadistes, comme l’a fait observer un ancien responsable gouvernemental indien, B. Raman. L’Inde tient-elle vraiment à ce que le monde voit dans le Cachemire est une nouvelle Palestine ?
En réalité, et en des termes de pur réalisme, il serait fort peu indiqué, pour l’Inde, de se rapprocher plus avant de son nouveau pote. Mais allez dire ça au gouvernement indien, qui semble déterminé à sacrifier la sécurité de la nation indienne à son opportunisme et à son sectarisme…
                               
23. Un proche de Sharon échappe à l’arrestation en Grande-Bretagne par Chris McGreal
in The Guardian (quotidien britannique) du mercredi 11 février 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Jérusalem - La Grande-Bretagne a donné au ministre israélien de la défense, Shaul Mofaz, l’assurance de son immunité face au risque qu’il soit mis en état d’arrestation, pour présomptions de crime contre l’humanité, dès son arrivée à Londres, ce jour.
Des avocats spécialisés dans la défense des droits de l’homme ont accusé le gouvernement d’avoir recours à « une interprétation juridique fantaisiste » afin de le protéger contre une enquête de Scotland Yard, tout au long de sa visite de quatre jours.
M. Mofaz, chef d’état-major de l’armée au cours de la réoccupation militaire des villes de Cisjordanie, en 2002, avait quitté précipitamment la Grande-Bretagne, au milieu d’une visite qu’il effectuait dans ce pays il y a un peu plus d’un ans, après que les avocats de familles palestiniennes eurent transmis un dossier concernant de possibles crimes de guerre au directeur des poursuites publiques. (Procureur de l’Etat)
Celui-ci avait transmis le dossier à Scotland Yard, afin qu’il instruise la plainte selon laquelle M. Mofaz était responsable d’assassinats ciblés, de la destruction de maisons et d’autres violations du droit humanitaire international. Israël a cherché à obtenir l’assurance de son immunité. Le Foreign Office (affaires étrangères) a indiqué qu’il n’a offert aucune garantie, mais qu’il a consulté la police métropolitaine, qui a répondu que M. Mofaz bénéficiait de l’immunité diplomatique.
« Le gouvernement britannique ne peut pas dire à quelqu’un : nous vous donnons une immunité protectrice. Mais le ministère des affaires étrangères a été consulté et la police pense qu’un ministre de la défense bénéficie de l’immunité. Cela vaut pour tous les ministres de la défense, Mofaz n’est pas un cas particulier », a indiqué un porte-parole.
Le ministère a refusé d’indiquer de quelle manière on est parvenu à cette décision. Mais Kathleen Cavanaugh, professeur de droit international, et auteur d’un rapport d’Amnesty International consacré à Israël et aux territoires occupés, a indiqué que l’impunité pour des crimes contre l’humanité ne s’appliquait qu’aux seuls chefs d’états.
« Il s’agit bien d’une exception très spéciale, faite par la Grande-Bretagne, au moyen d’une interprétation très libre de la loi : ils ont dit que Mofaz est membre d’un gouvernement au pouvoir actuellement. Que je sache, ce genre d’interprétation est sans précédent. »
« Ils ne disent pas quelle est le fondement légal de leur décision. L’immunité est réservée aux chefs d’états. Aucun texte ne décerne à un ministre de la défense ce type de garantie immunitaire. »
« En vertu de la législation universelle, Mofaz peut être accusé de crimes contre l’humanité. »
Human Rights Watch a validé l’affirmation que le ministre de la défense (israélien) n’est pas éligible à l’immunité diplomatique.
L’enquête de Scotland Yard visant M. Mofaz reste ouverte. Un dossier de dix-sept pages la concernant a été réuni par Imran Khan, un avocat qui s’est rendu célèbre en représentant la famille de Stephen Lawrence.
Ce dossier tient M. Mofaz responsable, en tant que chef d’état-major de l’armée israélienne, du recours par cette armée à l’utilisation de boucliers humains, de l’assassinat de militants, de la torture de prisonniers et de la destruction de maisons.
M. Khan a déclaré que la police britannique était tenue, en vertu des conventions de Genève, d’amener devant la justice des personnes coupables de crimes contre l’humanité.
M. Mofaz a éludé les pressions discrètes du Foreign Office qui désirait lui faire rencontrer les familles de Britanniques tués par les troupes israéliennes au cours des dix-huit mois écoulés.
Un ancien attaché militaire à l’ambassade britannique de Tel Aviv le pressait de rencontrer la famille du militant et photographe Tom Hurndall ainsi que celle du réalisateur de cinéma James Miller, tués tous deux par l’armée israélienne, à Rafah, l’année dernière.
Bien que M. Mofaz ait refusé de rencontrer ces deux familles britanniques, le ministre des affaires étrangères Jack Straw insistera auprès de lui afin qu’une enquête soit diligentée, dans la transparence, sur ces assassinats.
                               
24. Mordechaï Vanunu, l'homme qui en savait trop par Muriel Signouret
in Jeune Afrique - L'intelligent du vendred 6 février 2004

Celui qui révéla au monde, en 1986, que son pays possédait la bombe atomique devrait recouvrer la liberté le 21 avril. Une liberté toute relative...
Plus que trois mois à tenir. Mordechaï Vanunu aura donc purgé la totalité de sa peine : dix-huit ans de prison, dont plus de onze passés en isolement. Refusant même, en 2003, selon l'hebdomadaire américain Newsweek, une libération anticipée en échange de son silence absolu - ad vitam aeternam - sur l'affaire qui l'a conduit dans les geôles de l'État hébreu.
Mais quel intérêt aurait-il, lui qui a révélé au Sunday Times de Londres, en 1986, qu'Israël possédait la bombe atomique, à brader sa si chère liberté d'expression ? Pourquoi cet ancien technicien de la centrale de Dimona continuerait-il à se taire alors que le monde entier sait aujourd'hui, en dépit des démentis officiels, qu'Israël est une puissance nucléaire ? Pour obtenir une misérable remise de peine ? Broutille ! Aux yeux de cet homme de 49 ans, le mal est fait. Il tiendra donc jusqu'au 21 avril.
Originaire du Maroc, Mordechaï Vanunu est arrivé en Israël en 1963, à l'âge de 9 ans, avec ses parents et ses dix frères et soeurs. Les Vanunu s'installent dans un camp de toile, à Beersheba, au sud de l'État hébreu. Le père, très religieux, choisit de placer Mordechaï dans une yeshiva, un séminaire consacré à l'étude du Talmud (la loi orale juive). De là, il rejoint les rangs de l'armée, comme tous les jeunes Israéliens, tenus de servir sous les drapeaux pendant trois ans. En novembre 1976, Vanunu intègre le centre de recherche nucléaire de Dimona, en plein désert du Néguev. Il n'a que 22 ans et n'a pas encore étanché sa soif de connaissance. Du coup, parallèlement à son travail, il étudie la philosophie et la géographie. Ses fréquentations sur le campus, et plus encore son activisme en faveur de l'égalité des droits entre Juifs et Arabes, ne sont pas du goût du service de la sécurité intérieure d'Israël, le Shin Beth. Qui le met en garde à trois reprises. Il ne fait pas bon frayer avec les Palestiniens quand on travaille à Dimona...
Rapidement, le jeune homme comprend que Dimona n'est pas seulement un centre de recherche, mais abrite aussi une usine de plutonium souterraine qui opère dans le plus grand secret. Alors que la guerre froide fait toujours rage et que les troupes d'Ariel Sharon ont envahi le Liban, Israël échafaude un véritable programme d'armement nucléaire. Pour le jeune Vanunu - il vient d'avoir 31 ans -, les manigances de l'État hébreu sont inacceptables. Le peuple doit être informé et prendre part au débat sur le nucléaire. Idéaliste mais pas naïf, le technicien prend soin de photographier le site puis donne sa démission, après neuf années de bons et loyaux services.
Ne sachant alors trop comment utiliser cette information, Vanunu met ses pellicules photo dans un sac à dos et s'en va parcourir l'Asie. Comme s'il cherchait refuge sur les plages thaïlandaises, dans les temples birmans ou sur les sommets népalais. En 1986, il rejoint finalement Sydney, en Australie, et sympathise avec les membres d'une communauté anglicane, à qui il confie son terrible secret. Peu après, il se convertit même au christianisme. Une manière de rompre définitivement avec son pays ? Quoi qu'il en soit, à ce même moment, un reporter britannique du Sunday Times, de passage à Sydney, entend parler de son incroyable histoire. Il convainc Vanunu de l'accompagner à Londres pour soumettre ses propos et ses photos à des scientifiques britanniques. L'affaire est trop grave pour souffrir la moindre erreur.
Le 28 septembre, le Sunday Mirror, un tabloïd britannique informé des intentions du technicien israélien, prend le contre-pied du Sunday Times et dénonce le « canular » de l'affaire Vanunu. Deux jours plus tard, l'homme à l'origine de l'un des plus gros scandales du XXe siècle disparaît. Visiblement, les agents du Mossad (services de renseignements israéliens) avaient suivi à la trace l'ancien employé de Dimona. Cette disparition suspecte finit par décider le Sunday Times à publier, le 5 octobre 1986, les révélations fracassantes de l'Israélien. Andrew Neil, le rédacteur en chef de l'époque, ne mâche pas ses mots : Israël est en passe de devenir la sixième puissance atomique du monde et dispose déjà d'un arsenal impressionnant - entre 100 et 200 ogives nucléaires.
Pendant ce temps, le commando du Mossad appâte Vanunu jusqu'à Rome, le drogue et embarque le corps inanimé sur un cargo assurant une liaison directe entre l'Italie et l'État hébreu. Ce n'est qu'un peu plus d'un mois après ce kidnapping rocambolesque qu'Israël avoue détenir « en toute légalité » Vanunu. Entraperçu par les journalistes dans une voiture de police à Jérusalem, le prisonnier colle sa main sur la vitre arrière du véhicule. On peut y lire, griffonné au stylo : « J'ai été enlevé à Rome le 30-09-1986. » Tels ont été les derniers mots que Vanunu a pu faire parvenir au monde extérieur avant d'être réduit au silence.
En janvier 1987, la justice italienne ouvre une enquête. En août de la même année, le procès de Vanunu commence enfin en Israël, à Tel-Aviv. À huis clos. Le 27 mars 1988, la sentence tombe : dix-huit ans de prison ferme pour trahison, espionnage et divulgation de secrets d'État. Quant à la justice italienne, elle classe le dossier. Motif : « absence de preuves »...
Dès lors commence un véritable calvaire pour Vanunu, tandis que des comités de soutien s'organisent à travers le monde. Le Parlement européen adopte même deux résolutions, en 1990, appelant à sa libération. Les livres sur le destin de cet homme décrit comme « intelligent et honnête » foisonnent. En 1992, la BBC lui consacre une émission intitulée « Le premier otage du nucléaire ». Amnesty International et d'autres associations des droits de l'homme militent en faveur d'un traitement « plus humain ». On sait en effet que Vanunu purge sa peine dans une cellule isolée, mesurant 1,8 m sur 2,7 m. En octobre 1997, Nick et Mary Eoloff, deux militants pacifistes originaires du Minnesota, aux États-Unis, réussissent à adopter légalement le détenu, de manière à ce qu'il jouisse de la nationalité américaine. Peu après son adoption, Vanunu sort de son confinement forcé, qui aura duré onze ans et demi, et peut recevoir des visites - très contrôlées. En 1999, nouveau rebondissement : un quotidien israélien, le Yedioth Aharonot, accuse Vanunu d'avoir divulgué les secrets de la bombe israélienne à des membres du Hamas détenus dans la prison d'Ashkelon, accusation qui se révélera infondée. Surtout, en février 2000, la Knesset (le Parlement israélien) débat enfin de sa politique nucléaire. La séance est levée dans la plus grande agitation : un député, Issam Makhoul, représentant le Hadash (le Front démocratique pour la paix et l'égalité), affirme publiquement qu'Israël possède des bombes atomiques, ce que continue de nier le gouvernement. Mais personne n'est dupe. À la fin de décembre 2003, le directeur de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), Mohamed el-Baradei, exhorte Israël à se défaire de ses bombes - après avoir rappelé à l'ordre l'Iran et la Libye.
En somme, dix-huit années se sont écoulées sans que les autorités israéliennes cèdent aux pressions extérieures. À l'approche de sa libération, les rumeurs vont bon train sur l'avenir de Vanunu, un homme au front aujourd'hui dégarni. S'il persiste dans son refus de se taire, le gouvernement pourrait sortir des cartons une vieille loi lui interdisant de quitter le territoire. D'autres sources prétendent qu'on pourrait lui infliger « une détention administrative », généralement réservée aux terroristes palestiniens, pour des « raisons de sécurité ». Une chose est certaine : Israël fera tout pour museler Mordechaï Vanunu. Ad vitam aeternam.
                   
25. Amnon Kapeliouk raconte Arafat - Portrait d'un "irréductible" par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du jeudi 5 février 2004

Le journaliste et écrivain israélien livre une étonnante biographie du président palestinien.
Ce n'est pas un livre de plus sur Arafat qu'a écrit Amnon Kapeliouk (1). C'est un livre singulier. D'autant plus étonnant et attachant qu'il est l'oeuvre d'un journaliste israélien de renom, grand reporter puis éditorialiste au quotidien Yediot Aharonot. Or cet Israélien, loin de porter un regard de haine sur " l'ennemi irréductible " qu'est depuis toujours le chef de l'OLP aux yeux de nombre de ses concitoyens, prend le parti d'une approche à la fois journalistique et intimiste du personnage.
Journalistique parce qu'Amnon Kapeliouk suit au jour le jour depuis plusieurs décennies pour la presse israélienne l'évolution du conflit israélo-palestinien.
Intimiste parce qu'il connaît depuis longtemps personnellement Yasser Arafat qu'il a été l'un des premiers journalistes israéliens à interviewer le 9 août 1982, en plein siège de Beyrouth, quelques semaines seulement avant les massacres de Sabra et Chatila (2). Le siège et le bombardement de la capitale libanaise étaient dirigées par Ariel Sharon, alors ministre de la Défense, qui favorisa et couvrit l'ouvre de mort des phalangistes dans les camps palestiniens. Le récit de l'entretien entre Kapeliouk et Arafat, dans un parking souterrain secoué par les bombes, est un des moments forts du livre (p 208).
Si Amnon Kapeliouk a pu ainsi approcher et comprendre, en pleine guerre, celui que Sharon cherchait à anéantir, c'est en grande partie, dit-il lui même, " parce que je suis un sabra, né dans une Palestine où Juifs et Arabes cohabitaient et élevé dans une famille où mon père recevait à la maison de nombreux amis arabes ".
Cette cohabitation judéo-arabe d'avant la création d'Israël, il la raconte à travers l'enfance d'Arafat, sur laquelle le premier chapitre fait quelques révélations. Une enfance entre Jérusalem et Le Caire dans laquelle l'histoire fait irruption très tôt avec la guerre mondiale, puis la " nakba " (3). Les années de formation dans une Égypte en pleine tourmente révolutionnaire, où les Frères musulmans et les officiers libres de Nasser luttent pour le pouvoir, expliquent peut-être qu'Arafat ait toujours cherché à concilier ces deux pôles contradictoires : islamisme et nationalisme arabe à connotation socialiste.
Le livre montre la constance de cette double inspiration, mais il expose surtout ce qui fait d'Arafat un personnage historique incontournable : la manière dont il a investi la cause palestinienne jusqu'à devenir lui-même le symbole d'une nation, son catalyseur. Militant infatigable de l'indépendance - vis-à-vis des pays arabes comme d'Israël - Arafat, comme le montre Kapeliouk, est celui qui a fait le choix de la lutte armée pour libérer la Palestine, choix auquel il s'est tenu contre vents et marées jusqu'à une période récente. Mais il est aussi, et c'est toute la puissance du paradoxe, l'homme de la reconnaissance d'Israël, dès 1988, et des accords d'Oslo, cinq ans plus tard. Un moment historique qui marquera un basculement de l'histoire, même si elle a subi, depuis, des retournements tragiques, dont le premier fut l'assassinat de Rabin, qui bouleverse profondément Arafat (p. 277). Mais ils ne font que prolonger un conflit dont tout le monde connaît l'inéluctable solution, présentée récemment à Genève : deux États pour deux peuples, avec Jérusalem pour capitale commune. Une capitale dans laquelle Arafat, encerclé depuis deux ans dans Ramallah, espère toujours aller prier un jour, tout près du lieu où il passa sa petite enfance.
Cette détermination d'un homme " irréductible ", Kapeliouk ne cache pas l'admiration qu'elle lui inspire. Une admiration partagée par Nelson Mandela qui donne au livre une admirable préface dans laquelle il rend hommage à " celui qui inscrivit la question palestinienne à l'ordre du jour de la communauté internationale, faisant passer son peuple du statut de réfugié à celui de nation à part entière ". Et il émet l'espoir que le livre de Kapeliouk " permettra de mieux comprendre l'estime que lui vouent tous ceux qui sont attachés à la liberté ". Un livre à offrir d'urgence à Ariel Sharon.
- NOTES :
(1) Arafat, l'irréductible, d'Amnon Kapeliouk. Préface de Nelson Mandela. Fayard. 510 pages. 24 euros
(2) Sabra et Chatila : enquête sur un massacre, d'Amnon Kapeliouk, Le Seuil, 1982.
(3) Terme qui désigne le partage de la Palestine et l'exode de 800 000 Palestiniens fuyant l'armée israélienne en 1948.
                                
26. Israël fait campagne pour son mur par Serge Dumont
Le Soir (quotidien belge) du lundi 2 février 2004

Les responsables israéliens ne cachent pas leur satisfaction après la prise de position américaine de samedi selon laquelle la Cour internationale de justice (CIJ) de La Haye n'est pas l'instance appropriée pour examiner le caractère légal ou non du mur de séparation en cours de construction en Cisjordanie. En effet, le 8 décembre 2003, l'assemblée générale des Nations unies a voté une résolution demandant à la CIJ de remettre un avis motivé sur la question. En attendent la première audience de ce tribunal prévue ce 23 février, Israël, qui redoute une condamnation de principe, multiplie les efforts pour justifier l'utilité de sa barrière « antiterroriste ». Outre l'annonce d'une série de mesures « visant à faciliter la vie des Palestiniens » sur la terre desquels une partie de l'ouvrage est d'ores et déjà achevé, le cabinet d'Ariel Sharon a également recruté l'agence de relations publiques Publicis afin de redorer son blason. Dans la foulée, il a publié vendredi une série des photos peu ragoûtantes de l'attentat suicide commis la veille à Jérusalem. Une tuerie qui n'aurait pas eu lieu selon le ministre israélien de la Sécurité intérieure Tsahi Hangbi si le tronçon de mur en construction autour de la ville sainte avait été achevé. Le même jour, l'ambassadeur d'Israël aux Pays-Bas a d'ailleurs remis à la CIJ un mémorandum de cent cinquante pages contestant sa compétence en la matière. C'est pour appuyer cette position que le Département d'Etat américain est intervenu publiquement dans le même sens. Cependant, l'Etat hébreu se flatte de bénéficier d'autres soutiens. De celui de la Russie entre autres, mais également de l'Australie, de la Hongrie, ainsi que de la Pologne. En outre, il se réjouit des propos du chef de la diplomatie irlandaise (qui assure la présidence semestrielle tournante de l'Union européenne), Brian Cowen, selon lequel l'Union européenne croit que cette procédure est inappropriée parce qu'elle n'aidera pas. Une thèse également soutenue par la diplomatie belge dont un porte-parole contacté dimanche présentait le tracé du mur (qui annexe une partie des terres agricoles de Cisjordanie) comme un problème mais estimait que le porter devant la CIJ est inopportun puisqu'il politise inutilement le dossier. A Ramallah, l'Autorité palestinienne (AP) suit avec inquiétude croissante l'évolution de la campagne diplomatique israélienne visant à empêcher l'examen de l'affaire par la CIJ. Soutenue par la Ligue arabe et par la Conférence islamique, elle vient d'ailleurs de transmettre au président de cette Cour un mémorandum prenant le contre-pied de la position de l'Etat hébreu et reconnaissant la compétence pleine et entière des quinze magistrats composant cette instance.
                           
27. Les libertés menacées des citoyens d’Israël - Priorité absolue à la "sécurité" par Meron Rapoport
in Le Monde diplomatique du mois de février 2004

(Journaliste israélien, lauréat du prix Napoli de journalisme, Meron Rapoport a été licencié du quotidien Yediot Aharonot après avoir intitulé un article sur les affaires du premier ministre : « Sharon n’a pas dit la vérité ».)
Le procureur de l’Etat d’Israël dispose d’assez de preuves pour inculper M. Ariel Sharon de corruption. La perspective de sa démission déstabilise un peu plus un gouvernement dont la fuite en avant – symbolisée par la construction du mur en Cisjordanie – rencontre une résistance croissante. Parce qu’elle perpétue un conflit meurtrier pour les deux peuples. Mais aussi parce que, telle la guerre menée par la France en Algérie, elle se retourne contre les libertés des citoyens israéliens.
L’avocat (arabe) Murad El-Sana, de Beersheva, vit dans la peur car une nouvelle loi lui interdit de partager sa vie avec Abeer, la femme qu’il vient d’épouser. Dan Shilon, célèbre présentateur (juif) de télévision, a dû quitter son poste à l’Office de la radio-télévision israélienne pour n’avoir pas donné le micro assez vite à l’un des plus proches collaborateurs du premier ministre Ariel Sharon dans un studio de télévision. Mère célibataire (juive) de deux enfants, installée à Mitzpe Ramon, Mme Viki Knafo a perdu 30 % de ses revenus en une nuit en raison de la décision soudaine du gouvernement d’amputer certaines prestations sociales [1].
Acteur et réalisateur (arabe) populaire, Mohamed Bakri n’a pas le droit de projeter son documentaire, Jénine-Jénine en Israël, car le procureur général estime qu’il heurte la sensibilité des soldats ayant pris part aux affrontements. M. Gil Na’amti, un ancien soldat (juif), a été gravement blessé par les balles d’un sniper israélien alors qu’il participait à une manifestation contre la construction du mur en Cisjordanie. Chauffeur (arabe) du village bédouin d’Atir, Nasser Abou Al-Qian a été tué d’une balle qu’un policier lui a tiré dans la tête, à bout portant, parce que, arrêté à un feu de circulation, il n’avait pas baissé assez vite la vitre de son véhicule.
Toutes ces personnes sont absolument étrangères les unes aux autres. Rien de ce que chacune fait ou faisait dans la vie n’a de rapport avec les occupations des autres : Mme Knafo n’a jamais manifesté l’envie de voir Jénine-Jénine et Abou Al-Qian n’avait probablement jamais entendu parler de Dan Shilon. Elles vivaient des vies séparées, dans des lieux séparés, au sein de cette société de plus en plus cloisonnée qu’est devenu l’Etat d’Israël. Pourtant, nombre de spécialistes en sciences sociales, de professeurs de droit et de militants des droits de l’homme affirment qu’elles sont victimes d’un même phénomène : « seule démocratie du Proche-Orient », comme on dit, Israël est en fait de moins en moins démocratique.
Cette réalité, 3,5 millions de Palestiniens la vivent dans les territoires occupés. Mais elle n’épargne pas les citoyens du « vieil Israël » des frontières de 1967. En toile de fond se trouvent la sanglante Intifada et sa répression, qui ont coûté la vie, depuis trois ans, à 900 Israéliens et à 2 500 Palestiniens. Des droits civiques qui n’étaient pas directement concernés par le conflit ont été durement malmenés.
« Le public israélien a adopté la vision droitière selon laquelle nous sommes en guerre, explique le professeur Yaron Haezrahi, du département de sciences politiques de l’Université hébraïque, personnalité de premier plan dans les études sur les droits de l’homme. La terreur palestinienne porte atteinte à la culture des droits de l’homme. On demande aux citoyens de renoncer à de nombreux droits, et l’appareil de sécurité est devenu un nouveau sacerdoce. A l’Université hébraïque, ce sont les gardes chargés de la sécurité qui décident quels étudiants sont autorisés à se rendre à la bibliothèque. »
Le dernier incident grave – qui a ébranlé de nombreux Israéliens, mais peu retenu l’attention à l’étranger – s’est produit le 26 décembre 2003. M. Gil Na’amati, un kibboutznik de Re’im âgé de 21 ans, qui venait de terminer son service combattant, participait à une initiative du groupe Les Anarchistes contre le mur. Ceux-ci s’étaient rassemblés à Mascha, un village palestinien au sud de Kalkiliya, situé à environ 7 kilomètres de la « ligne verte [2] » et coupé de ses terres agricoles par la « clôture de sécurité » récemment érigée.
Aux côtés de 200 Palestiniens, 50 Israéliens – dont M. Na’amati – se dirigèrent vers une porte aménagée dans le mur pour permettre théoriquement aux agriculteurs palestiniens d’accéder à leurs terres, mais qui demeure presque toujours fermée. En approchant, les deux groupes se séparèrent. « Nous étions convenus que seuls les Israéliens iraient jusqu’à la clôture », raconte M. Eli Cohen, un cinéaste israélien dont le film le plus connu, Two Steps from Saida (A deux pas de Saïda), a été commandé par l’armée et qui tourne actuellement un documentaire sur le mur.
« Tout le monde supposait que les soldats allaient faire preuve de retenue face aux manifestants israéliens, qu’ils n’allaient pas tirer ». Erreur. Lorsque les manifestants israéliens commencèrent à secouer la porte, un groupe de soldats se trouvant à 20 mètres se mit à tirer au-dessus de leurs têtes. « Les manifestants crièrent alors : « Ne tirez pas, nous sommes israéliens, nous sommes frères, nous vivons avec vous », raconte le cinéaste. J’ai du mal à croire que les soldats n’ont pas compris que ceux qui criaient ainsi de ne pas tirer parlaient hébreu avec un accent israélien. » Mais les tirs ciblés ont continué.
L’armée ouvre le feu contre la gauche
Photographe à Yediot Aharonot, M. Tal Cohen, qui se trouvait près des soldats, rapporte qu’il avertit l’un d’entre eux qu’en face se trouvaient des Israéliens. Or ce militaire demanda néanmoins à son commandant l’autorisation de tirer. Elle lui fut donnée. Un sniper visa et tira à deux reprises dans la jambe de M. Na’amati, touchant une artère vitale. Le blessé perdait son sang et, devant le refus des soldats d’ouvrir la porte, il dut être transporté dans un hôpital israélien par des routes de contournement que leur mauvais état rend interminables. Il faillit mourir à son arrivée à l’hôpital.
On apprit par la suite que le commandant de l’unité réside à Elkana, une colonie juive située à quelques centaines de mètres. Quant au tireur d’élite, il provient d’une famille religieuse et a fait ses études dans une yeshiva liée au Parti national religieux. Selon l’enquête interne de l’armée, les soldats ont agi « conformément aux règlements », persuadés qu’ils étaient de faire face à des manifestants palestiniens menaçant de franchir le mur et de les attaquer.
« Il faut être saoul » pour croire à la version des soldats, rétorque le père du blessé, M. Uri Na’amati, militant de longue date du Parti travailliste, responsable d’un conseil communal dans le Néguev. Pour sa part, M. Eli Cohen s’efforce de ne pas tirer de conclusions hâtives : « Je me méfie de mes propres conclusions, j’ai cru toute ma vie que c’était mon armée et qu’elle me protégeait », admet-il. Pourtant, il n’est pas convaincu, lui non plus. « Les soldats étaient très calmes, dit-il, les tirs n’ont pas résulté d’une escalade, mais d’une décision prise froidement. C’était comme si les soldats disaient aux manifestants : « Vous aidez l’autre bord, et vous pensez que vous allez vous en tirer comme cela ? Vous devez payer pour ce que vous avez fait. » »
Le professeur Haezrahi mâche encore moins ses mots : « C’est la première fois que l’armée ouvre le feu contre la gauche. On reproche aux refuzniks d’utiliser Tsahal pour servir leurs objectifs politiques. Mais, dans ce cas, c’est la droite qui s’est dissimulée sous l’uniforme. Même les journaux ont refusé de dire que les soldats qui avaient tiré sur des manifestants de gauche étaient des partisans de la droite, alors que tout cela rappelait clairement le comportement des Phalanges [3]. »
« L’affaire Na’amati nous entraîne un cran plus loin, estime pour sa part Mme Dana Alexander, responsable du service juridique de la prestigieuse Association des droits de l’homme. Mais je n’ai pas été surprise. C’est le résultat naturel d’une attitude très violente à l’égard des manifestants de gauche et de la délégitimation de la gauche et des hommes politiques arabes en Israël. » La militante se rappelle comment, en avril 2002, un petit groupe d’Arabes israéliens manifesta pacifiquement dans la ville mixte de Lod, contre la réoccupation militaire de toutes les villes de Cisjordanie. Bien que la loi n’exige pas d’autorisation préalable pour une telle initiative, onze participants furent arrêtés et restèrent en détention jusqu’à leur procès pour « organisation illégale » et « incitation à la rébellion ». Ils furent finalement relâchés discrètement, le tribunal ayant découvert que le chef d’inculpation d’incitation à la rébellion reposait sur la traduction erronée d’une des pancartes brandies par les manifestants…
D’autres affaires ne se limitent pas à des arrestations et détentions abusives : certaines ont débouché sur le meurtre d’innocents. Basé à Haïfa, le Centre Mossawa, qui s’efforce de protéger les droits des citoyens arabes en Israël, a recensé, en trois ans, au moins quinze cas d’assassinats de citoyens arabes par la police ou les garde-frontières, qui viennent s’ajouter aux treize victimes de la répression des manifestations d’octobre 2000, au début de la seconde Intifada. « En octobre 2000, le gouvernement et la Sécurité intérieure (Shabak) ont décidé, au plus haut niveau, de faire rentrer les Arabes chez eux, car ils percevaient leur soulèvement comme une guerre contre l’ensemble d’Eretz Israël, affirme M. Jafar Farah, directeur général du Centre Mossawa. Maintenant, nous nous trouvons plutôt dans un climat de transfert [4], au point qu’on entend souvent crier « Mort aux Arabes ! », et, de toute évidence, ce climat influence la police. »
Ce climat, M. Farah, comme tous les interlocuteurs de cette enquête, l’admet volontiers, résulte de l’état de guerre qui règne entre Israéliens et Palestiniens, et par-dessus tout des attentats-suicides contre des civils en Israël. Mais la plupart des cas recensés par le Centre Mossawa n’ont rien à voir avec les kamikazes ni, plus largement, avec des questions de sécurité. Aucun des quinze Arabes tués depuis trois ans par la police n’était impliqué dans des activités terroristes, et seuls quelques-uns étaient soupçonnés d’infractions pénales. En majorité, c’étaient des personnes complètement innocentes, sans aucun lien avec la délinquance ou le terrorisme. Est-il besoin de préciser qu’aucun citoyen juif israélien délinquant, soupçonné d’infraction pénale ou autre, n’a été assassiné pendant cette même période ?
La commission Or, mise en place par la Knesset pour enquêter sur le meurtre de citoyens arabes durant les émeutes d’octobre 2000, a conclu que la police avait tiré à balles réelles contre des manifestants arabes sans justification, et en contrevenant à tous les règlements. Mais, dix jours seulement après la publication de ces conclusions, en septembre 2003, la police ouvrait le feu, à Kfar Kassem, contre des citoyens arabes qu’elle voulait arrêter, blessant onze personnes manifestement innocentes : aucune d’entre elles n’a fait l’objet de poursuites.
Deux mois auparavant, un autre cas flagrant de violence policière s’était produit. Naser Abou Al-Qian, 23 ans, conduisait une camionnette sur la route de Beersheva. Alors qu’il était arrêté à un feu, des garde-frontières l’ont soupçonné de transporter des travailleurs palestiniens en situation irrégulière. Estimant qu’Abou Al-Qian ne lui répondait pas assez vite, l’un des policiers a brisé la vitre de sa camionnette avec son pistolet et lui a tiré dans la tête à bout portant. La police a tout d’abord affirmé que l’homme avait tenté de fuir, mais, devant les témoignages multiples, dont ceux de conducteurs juifs, le meurtrier a été accusé d’homicide. Aucun des quatorze autres meurtriers, précise M. Farah, n’a été inculpé. Peut-être n’y avait-il aucun témoin juif ?
Cette lame de fond déferle aussi d’en haut. Ainsi, en vue des élections législatives de janvier 2003, une commission parlementaire avait décidé d’interdire à deux députés arabes (MM. Azmi Bishara et Ahmed Tibi) de se présenter et à un parti arabe (le Balad) de proposer ses candidats. Il a fallu que la Cour suprême annule cette décision. Et M. Bishara, premier député israélien poursuivi pour une déclaration [5], a retrouvé son immunité parlementaire. La plupart des neuf députés arabes ont été l’objet d’enquêtes policières… qui n’ont servi à rien. Et le Centre Mossawa a enregistré, en trois ans, vingt-cinq cas d’agression de députés arabes par la police.
S’il est devenu banal, en Israël, d’accuser les députés arabes d’incitation à la rébellion, certains ne voient dans cette dénonciation qu’une tentative délibérée de déligitimer les dirigeants arabes. « De telles tentatives ont déjà eu lieu dans le passé, estime Mme Alexander, mais pas à ce niveau et avec un tel soutien au sein de la Knesset. »
D’autant que l’épouvantail du « danger démographique », agité encore récemment par le ministre du Trésor Benyamin Nétanyahou, a d’ores et déjà conduit à la promulgation, en juillet 2003, d’une loi apparemment discriminatoire et raciale : la loi relative à la citoyenneté et à l’entrée en Israël. La Knesset examine maintenant une autre proposition de loi visant à obliger les organisations non gouvernementales à soumettre à l’examen d’autorité gouvernementale tous les dons qu’elles reçoivent de l’étranger, l’autorité en question ayant le droit d’interdire le financement d’organisations qui « cherchent à influencer une position ou l’opinion publique dans la société israélienne ». S’il était voté, ce texte affecterait indubitablement les organisations non gouvernementales arabes, qui reçoivent la plupart de leurs fonds de l’Union européenne ou d’Etat européens.
Journalistes ou porte-parole officiels ?
Autre atteinte grave aux libertés : le gouvernement a approuvé, en avril 2003, un plan visant à évacuer 70 000 Bédouins des endroits où ils vivent depuis cinquante ans et à les forcer à se sédentariser dans des villes. « Je ne pense pas qu’ils réussiront à expulser des villages non reconnus la totalité de ces Bédouins, mais un grand nombre d’entre eux seront déportés. En tout cas, c’est la première fois qu’un projet aussi précis a été approuvé », déclare M. Farah. Ces mesures s’inscrivent d’ailleurs – nos interlocuteurs s’accordent sur ce point – dans un climat « transfériste ». « La ville de Beersheva est tombée aux mains de bandes de criminels bédouins », a déclaré le ministre de la sécurité intérieure, Tzahi Hanegbi, au quotidien Maariv (4 août 2003), à l’occasion d’une visite dans cette ville, en août dernier. Et d’ajouter : « Je vous le dis, les gars, soulevez-vous par milliers, armez-vous de gourdins et chassez les criminels bédouins. »
Ces déclarations ont, hélas !, reçu un écho favorable dans bien des médias. Ces derniers se sont en effet engagés dans le « combat contre le terrorisme », en fait contre les Arabes israéliens.
« Le gouvernement a réussi à imposer son point de vue à la plus grande partie des médias », affirme le professeur Mordechai Kremnitzer, de l’Université hébraïque, président sortant du Conseil des journalistes, l’institution bénévole la plus éminente des médias israéliens. « Il existe un mécanisme, consistant à adopter la version officielle, renchérit le professeur Haezrahi, qui, au sein de la Knesset, s’efforce de défendre le journalisme indépendant. Il est devenu impossible de distinguer un porte-parole officiel et un journaliste. » Ce phénomène ne se limite pas à l’autocensure, courante en temps de guerre : selon le professeur Kremnitzer et bien des professionnels, le gouvernement exerce une pression grandissante sur les médias, au point que l’on assiste à une érosion de la liberté d’expression.
« Depuis un an environ, le gouvernement intervient de façon flagrante, témoigne un journaliste important de la radio-télévision israélienne, qui contrôle la première chaîne de télévision et Kol Israel, la station de radio la plus populaire. Les pressions existaient auparavant, mais elles n’avaient pas cette intensité. Vous regardez les actualités et vous vous dites que vous voyez ce que le rédacteur ou le présentateur veulent vous montrer. La réalité est complètement travestie. » D’ailleurs, ajoute-t-il, « le président du conseil d’administration est un membre actif du Likoud, et il fait passer des notes indiquant qui doit être interviewé et qui ne doit pas l’être. » « Le directeur général est encore pire, poursuit ce journaliste. Avant les dernières élections générales, il a refusé de donner son aval à une interview d’Amram Mitzna. Il fallut d’âpres discussions pour que soit autorisé cet entretien avec le chef du plus grand parti d’opposition, candidat au poste de premier ministre, qui aurait été de soi en temps normal. »
Uri Dan, l’un des amis les plus proches de M. Ariel Sharon, anime un programme radio de deux heures qu’il consacre exclusivement à un éloge des hauts faits du premier ministre et à une dénonciation violente de ses détracteurs. Il a rejoint dernièrement les membres permanents du panel qui intervient dans le prestigieux magazine d’actualités télévisées du vendredi soir. Ce magazine était animé par Dan Shilon, l’un des pères fondateurs de la télévision israélienne, jusqu’au jour où celui-ci eut la surprise de lire dans la presse qu’il avait perdu son emploi. Motif : malgré des appels urgents provenant de la salle de contrôle, il n’avait pas donné le micro assez vite à Uri Dan.
« Le gouvernement a pris le contrôle de l’Office de radio-télévision, estime le professeur Kremnitzer. Nous revenons au temps de David Ben Gourion, quand cette institution n’était pas encore un organisme indépendant, protégé par une loi spéciale, mais un simple service dépendant du bureau du premier ministre. »
Le problème va bien au-delà. Mohamed Bakri, l’un des acteurs les plus populaires d’Israël, a donc réalisé un film documentaire controversé sur les affrontements qui eurent lieu dans le camp de réfugiés de Jénine, en avril 2002. La Commission de visionnage des films et des pièces de théâtre, une sorte d’organe de censure pratiquement moribond, décida d’interdire le film au motif qu’il pourrait heurter la sensibilité des soldats qui ont pris part à l’opération. Le procureur général appuya cette décision aussi rare qu’étrange, jusqu’à ce que la Cour suprême autorise la projection. Mais le procureur général a fait appel de la décision de la Cour, et le film, présenté dans de nombreux festivals à l’étranger, n’a pas encore été projeté en Israël.
« Cela aurait été impensable il y a trois ans », assure le professeur Kremnitzer, qui évoque aussi la décision de l’Office national de la presse de ne délivrer la carte de presse qu’aux journalistes considérés comme « propres » par le Shabak – seule la pression conjointe de la presse étrangère et israélienne a finalement permis de remettre en cause cette procédure. D’ailleurs, selon une récente étude de l’Institut israélien de la démocratie, Israël est tombé au 31ème rang sur les 36 pays démocratiques ayant fait l’objet d’un sondage. « Nous avons la notation la plus basse de toute la presse libre, déplore le professeur Kremnitzer. Il suffirait de tomber un petit peu plus bas pour être classé comme Etat « semi-démocratique ». »
Cette réalité inquiétante ne concerne pas seulement les manifestants de gauche, les Arabes israéliens, les membres de la Knesset ou les professionnels des médias. Elle atteint les fondements mêmes de la société israélienne. L’an passé, M. Nétanyahou a engagé une campagne féroce contre les prestations sociales en général et les syndicats travaillistes en particulier, avec un jargon typique de la contre-Intifada. La campagne fut marquée par un célèbre lapsus : « Nous ne capitulerons pas devant les ennemis », déclara-t-il en employant le terme hébreu ‘oyvim’ (ennemis) au lieu de ‘ovdim’ (travailleurs).
« Tout son discours s’adressait à des ennemis, décrypte M. Yuval Elbashan, avocat et directeur de la « clinique juridique » de l’Université hébraïque. Son lapsus n’avait rien d’accidentel. » Il est d’ailleurs question, ajoute-t-il, d’interdire les tribunaux du travail, dernier bastion des syndicats. Un comité spécial examine actuellement l’avenir de ces juridictions, et M. Elbashan se dit certain qu’elles vont être supprimées : « Et quand vous n’avez plus de système juridique, toute la société s’effondre. »
Indifférence et machiavélisme
Le ministre du Trésor vient de passer un accord sans précédent avec la police : il lui accordera des fonds supplémentaires, en échange de la mise en place par cette dernière d’une unité spéciale chargée de retrouver les personnes percevant des prestations sociales frauduleuses. L’argent que cette « police des allocations sociales » récupérera permettra à l’Etat d’économiser : il restera… dans la police. Cette perspective donne froid dans le dos au professeur Haezrahi : « C’est le ministère du Trésor le plus cruel de l’histoire d’Israël. Avec une indifférence et un machiavélisme rares, il envisage de détruire toutes les institutions sociales. L’impératif de la sécurité a eu raison de tout. Le terrorisme a affecté le mouvement politique des droits de l’homme, et la voie est ouverte à d’autres atteintes contre les droits civiques. »
Début janvier, l’Association des droits civiques a remporté une modeste victoire contre M. Nétanyahou. L’Association avait saisi la Cour suprême : la réduction de 30 %, opérée en 2003, des allocations destinées aux chômeurs de longue durée – et notamment aux mères célibataires – pouvait, arguait-elle, porter atteinte au droit humain fondamental à une vie dans la dignité. Lors de l’audience, il apparut que le ministère du Trésor n’avait pas évalué les besoins minimaux requis pour vivre dignement. La Cour a donc renvoyé le gouvernement à ses devoirs, s’attirant une violente attaque de la Knesset. « Le ministère du Trésor passe outre et désobéit à la loi », affirme le professeur Aharon Zamir, ancien juge auprès de la Cour suprême et l’un des hommes les plus pondérés de tout le système judiciaire israélien. Une guerre entre la Cour suprême et la Knesset ? Une démocratie en crise ? « Lorsqu’une politique d’atteintes aux droits de l’homme infecte une société, conclut M. Elbashan, elle la gangrène entièrement. »
                       
28. La brutalité d’Israël au quotidien à Gaza par Rana El-Khatib
in The Arizona Republic (quotidien américain) du dimanche 25 janvier 2004
[traduit de l'angalis par Gérard Jugant]
(Rana El-Khatib est une poétesse palestino-américaine, activiste, vivant à Phoenix. Elle est l’auteur de Brandes, La poésie d’un Soit-Disant "Terroriste", un recueil de poèmes disponible chez les libraires en ligne en mars 2004. On peut la contacter à brandedpoetry@yahoo.com.)
"C’est bon Israël !". Ce sont là les derniers mots qu’avec mon mari nous entendîmes en passant l’ultime check-point d’Eretz, la frontière édifiée par Israël afin de contrôler toutes les entrées et sorties de Gaza.
Je me retournai pour un dernier regard au soldat. Je vis une menue et séduisante blonde, le visage presque souriant. Ses bras reposaient confortablement sur la longue crosse de son M-16. Ses mots résonnaient glacialement dans ma tête, non parce que je ne voulais pas la croire, mais parce que je venais de voir l’autre face d’Israël : le "pas-si-bon" Israël.
Nous allions à Gaza pour ramener à leur existence de camp de réfugiés Asma et Hiba, deux soeurs jumelles âgées de 6 ans. Les petites filles avaient passé les cinq derniers mois chez nous à Phoenix à se remettre d’une importante opération chirurgicale. Elles s’étaient attachées à leurs docteurs ainsi qu’aux dizaines de familles qu’elles avaient rencontrées au cours de leur séjour.
Elles s’étaient aussi accoutumées au confort matériel du mode de vie américain. Elles y avaient un bon lit. Elle pouvaient dormir la nuit sans les déchirants tirs d’artillerie tout autour. Elle avaient une télé. Elles pouvaient se doucher chaque jour et aimaient se baigner dans la mousse chaude. Elles n’avaient pas à craindre un hélicoptère. Elles avaient l’électricité en permanence. Elles pouvaient être des enfants.
A Gaza, elle dorment sur des paillasses à même le sol. Elles prennent une douche lorsqu’il y a de l’eau. Les hélicoptères les terrorisent. Leur père est souvent empêché de se rendre à son travail d’infirmier. Les pannes d’électricité sont fréquentes. Le soldat incarne la terreur et la haine. On leur refuse leur enfance telle que nous la concevons.
Nos quatre jours agités et nos trois nuits sans sommeil à Gaza étaient remplis des images et des sons d’une société totalement bouleversée. L’atrophie infestait tous les aspects de la vie, et une profonde sensation d’isolement était en suspension dans l’air.
Le jour, on essayait avec nos amis d’oublier les conditions délabrées. Mais les nuits, c’était une autre histoire. Essayer de dormir en dépit des sons rauques des armes de l’artillerie israélienne contre le pathétique pap, pap, pap des Kalashnikov des Palestiniens, était difficile.
Parfois, seulement quelques salves retentissaient au-dessus de la ville. D’autres fois, mon mari et moi on se crispait impuissants en pensant à ceux qui étaient frappés par la grêle de balles. Quand la fusillade commençait, elle réduisait au silence les coqs aux chants déphasés et les sporadiques et effrayants cris stridents des faucons qui transperçaient la nuit.
Et une fois au moins chaque nuit, il y avait un son qui me ramenait à la conscience, celui des braiments d’un âne angoissé vociférant. Chaque espèce était perturbée.
Notre chambre au neuvième étage de l’hôtel vide offrait une vue panoramique sur deux mondes très disparates. Juste en-dessous de nous, la vision était celle du monde délabré des Palestiniens. A distance, une colonie qui pourrait s’intituler "Juifs Seulement" nichée soigneusement au bord de la mer, clôturée autour d’une luxuriante verdure et protégée par des soldats en armes dans des tours de garde.
Quand je demandai si je pouvais prendre des photos, on me prévint clairement : "Les Israéliens vont vous voir et ils peuvent vous tirer dessus". Les trous des balles qu’il y avait dans notre fenêtre de l’hôtel et dans le mur qui lui faisait face nous convainquirent de la sagesse du conseil.
Les balles aussi parfois proviennent des redoutables tours d’observation israéliennes. Ces taches sur le paysage avancent menaçant la très dense population urbaine. Et quand les balles s’abattent, pour quelque raison que ce soit, elles tuent ou blessent des personnes innocentes dans leur vie quotidienne, comme celle d’Hani, un enfant de 9 ans.
On a vu son corps sans vie ensanglanté à la morgue de l’hôpital. Il a été touché d’une balle dans la tête alors qu’il jouait au football.
Les soldats israéliens portent atteinte à la plus élémentaire des libertés : le droit de sortir de chez soi. Quand les Palestiniens ne sont pas emprisonnés chez eux avec le couvre-feu, leur liberté est restreinte par les multiples check-points de triste réputation, qui les bloquent de 15 minutes à 15 heures selon les cas.
A ces check-points, les soldats les scrutent à travers de petites, obscures et rectangulaires fenêtres dans de laides structures d’acier qui se dressent sur des routes défoncées. Les décisions d’entrée ou de sortie des zones bouclées sont la plupart du temps arbitraires et sans fondement.
Les chars Merkava dominent aussi la société. Cachés sous des murs de 3 pouces d’acier, les soldats israéliens surgissent méchamment dans les petites rues surpeuplées. Les chars volontairement endommagent les rues, transformant l’asphalte en de multiples cratères, en faisant des terrains d’obstacles de vidanges suintantes pour les ânes émaciés et le petit nombre d’automobiles qui tentent de manoeuvrer.
Les soldats stationnent quelquefois leurs monstres d’acier à un endroit précis, déplaçant leurs canons d’un côté à l’autre, provoquant les jeunes et les intrépides pour qu’ils leur lancent des pierres. Par conséquent, les soldats ouvrent le feu dans les foules, semant à la fois destruction et mort dans leur sillage.
Les avions de combat F-16 ajoutent encore une encoche supplémentaire à la ceinture de la domination israélienne, renforçant son contrôle sur les Palestiniens. Ils traversent sinistrement à vive allure le ciel de Gaza jour et nuit, laissant sur leur passage des tas d’immeubles en béton déchiquetés.
Le plus terrifiant visage de l’occupation israélienne prend la forme des hélicoptères Apache. Leur simple vue provoque une panique dans les rues. Les gens rampent pour se mettre à l’abri. Personne ne se sent en sécurité. La mission des Apaches consiste, la plupart du temps, à exécuter des individus qui sont déclarés unilatéralement constituer des "menaces pour la sécurité d’Israël".
Dans cette procédure d’exécution des gens sans le moindre procès, d’innocents badauds aussi bien sont tués. Ils étaient soit par malchance dans le secteur où l’attaque s’est produite, soit en train de porter secours aux victimes de l’agression initiale. Ces innocents êtres humains viennent s’ajouter à la pile montante des "dommages collatéraux".
L’actuel gouvernement israélien a développé la politique d’installation (avec les moyens financiers pour les logements) de colons illégaux sur les terres volées aux Palestiniens. Ces colons circulent sur des routes (uniquement réservées aux Juifs) qui aboutissent aux somptueuses colonies (réservées uniquement aux Juifs) avec leurs pelouses impeccables et leurs piscines. Les Palestiniens, à moins d’un mile de là, n’ont même pas suffisamment d’eau potable pour boire !
Sans doute le plus énorme acte de l’occupation israélienne auquel nous avons directement assistés est la politique de châtiment collectif de démolition des maisons. Des milliers de maisons et d’appartements ont été démolis. Des familles entières se trouvent forcées de vivre dans des tentes fournies par les Nations Unies, faisant de nouveaux réfugiés, parfois des réfugiés pour la seconde, troisième ou même quatrième fois. On estime que 40.000 Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie sont devenus des sans-logis depuis septembre 2000.
Nous avons ramené nos précieuses Asma et Hiba dans la cellule de leur gigantesque prison. Leur crime est de refuser de disparaître dans cette version-là de l’histoire. La Palestine peut avoir été effacée des cartes du monde, mais pas les Palestiniens. Asma et Hiba non plus. Du moins pas encore.
                           
29. La bulle de Genève - Ilan Pappe fait la préhistoire des dernières propositions par Ilan Pappé
in The London Review of Books (mensuel britannique) Vol.26/N°1 du jeudi 8 janvier 2004
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Ilan Pappé enseigne les sciences politiques à l'Université de Haïfa. Il est doyen de l'Institut Emile Touma pour les Etudes Palestiniennes.)
Bien que nous vivions à l'ère des couvertures médiatiques intensives et intrusives, les téléspectateurs israéliens ont eu la chance insigne d'un rush sur les réunions qui ont abouti à l'accord de Genève ! Le clip qu'il nous a été donné de voir, en novembre dernier, montrait un groupe d'écrivains et de peaceniks israéliens bien connus, invectivant un groupe de Palestiniens pas aussi connus et plutôt résignés. Des officiels de l'Autorité palestinienne, pour la plupart. Abba Eban a dit, un jour, que les Palestiniens ne manquent jamais une occasion de rater l'occasion. C'était là, plus ou moins, ce que nos Israéliens répétaient à qui mieux mieux. « C'est votre dernière chance », disaient-ils aux Palestiniens. L'offre était censée la meilleure et la plus généreuse que les Israéliens eussent jamais faite…
Scène familière. Air connu. Les différents récits produits par les acteurs principaux des accords d'Oslo montrent que c'est déjà le même genre de discours qui prévalut durant leur négociation. Des fuites échappées du sommet de Camp David, tenu en 2000, faisaient état d'échanges similaires entre Clinton, Barak et Arafat. En réalité, le ton et l'attitude israéliens n'ont pratiquement jamais changé, depuis l'époque où l'exaspération britannique aboutit à ce que la question palestinienne soit transférée aux Nations unies, à la fin de la Seconde guerre mondiale… L'Onu était une très jeune organisation, inexpérimentée, à l'époque, et les gens qui furent recrutés afin de trouver une solution au conflit ne savaient ni par où commencer, ni comment faire… L'Agence juive se fit une joie de remplir le vide, exploitant le désarroi et la passivité des Palestiniens. Jusqu'au bout.
En mai 1947, l'Agence proposa un plan, très complet, avec cartes et tout et tout, au Comité Spécial de l'ONU pour la Palestine (UN Special Committee on Palestine - UNSCOP], proposant la création d'un Etat juif s'étendant sur 80 % de la Palestine - ce qui correspond, grosso modo, à la superficie de l'Etat actuel d'Israël proprement dit (sans les T.O.). En novembre 1947, le Comité réduisit la superficie de l'Etat juif à 55 % de la Palestine, et il transforma son plan en la résolution 181 de l'Assemblée générale. Le rejet de cette résolution par la Palestine ne surprit personne : les Palestiniens étaient résolument opposés au partage (de leur pays) depuis 1918. En revanche, son adoption par les sioniste était courue d'avance et, aux yeux des policiers internationaux, cela suffisait amplement à fournir la base d'une paix en Terre Sainte !… Mais le fait d'imposer la volonté d'un camp à l'autre risquait peu d'amener à une réconciliation, et la résolution 181 déclencha la violence sur une échelle sans précédent dans toute l'histoire de la Palestine moderne.
Les Palestiniens n'étant pas satisfaits de l'idée sioniste du partage, le temps était venu de l'action unilatérale. La direction sioniste reprit sa carte de mai 1947, qui montrait clairement quelles parties de la Palestine étaient convoitées pour l'établissement du futur Etat juif. Le problème, c'était que sur les 80 % du territoire ainsi taillés, les juifs ne représentaient qu'une minorité (de 40 %) de la population (660 000 juifs, contre 1 million de Palestiniens). Mais les dirigeants du Yishuv avaient négligé cette difficulté, lors de l'émergence du projet sioniste en Palestine. La solution, pensaient-ils, résidait dans le transfert (par la force armée) de la population indigène, afin qu'un Etat exclusivement juif puisse être créé. Le 10 mars 1948, la direction sioniste adopta l'infâme Plan Dalet, qui aboutit au nettoyage ethnique des régions considérées constituer le futur Etat juif en Palestine.
La Palestine n'a pas été « partagée ». Non. Elle a été détruite. Et la majorité de sa population a été expulsée. Tels furent les événements qui allumèrent le conflit qui n'a jamais cessé depuis lors. L'OLP a émergé à la fin des années 1950, incarnation de la lutte des Palestiniens pour leur retour, la reconstruction et la restitution de leur patrie. Mais les réfugiés ont été royalement ignorés par la communauté internationale et les pouvoirs arabes en place dans la région du Moyen-Orient. Seul Nasser sembla adopter leur cause, forçant la Ligue arabe à exprimer sa préoccupation pour leur sort. Comme l'ont illustré les manœuvres pitoyables de juin 1967, ce fut très loin de suffire.
En juin 1967, c'est l'ensemble de la Palestine qui devint Israël. La nouvelle réalité géopolitique exigeait un processus de paix d'un genre nouveau. Tout d'abord, l'Onu prit l'initiative. Mais elle fut vite supplantée par les « faiseurs de paix » américains. Les premiers architectes de la Pax Americana avaient des idées bien à eux, mais ils furent éconduits sans égards par les Israéliens, et n'aboutirent à rien. Les bons offices des Américains ne furent qu'une doublure de ceux des Israéliens, lesquels se fondaient sur trois principes : l'épuration ethnique de 1948 n'était pas un problème ; les négociations ne concerneraient l'avenir que des seules zones occupées par Israël en 1967 (à savoir : la Cisjordanie et la bande de Gaza) et, enfin, le sort de la minorité palestinienne en Israël devait être exclu de tout règlement global. Cela signifiait que 80 % de la Palestine et 50 % des Palestiniens (excusez du peu !) devaient être tenus en dehors du processus de négociation ! La formule fut adoptée, inconditionnellement, par les Etats-Unis, et elle fut vendue au reste du monde, en tant que « meilleure offre possible »…
Durant un temps - jusqu'en 1977 - les Israéliens insistèrent sur une autre condition préalable. Ils voulaient se partager la Cisjordanie avec le royaume hashémite de Jordanie. (On appelait ça l' « option jordanienne » ; elle fut reprise par l'administration Reagan dans son propre plan de paix.) Le Likoud ayant accédé au pouvoir, en 1977, l'option jordanienne passa à la trappe : le nouveau gouvernement de droite n'était pas intéressé par un quelconque accord ni même par un simple compromis. Mais l'option jordanienne fut remise au goût du jour à l'époque du gouvernement d'union nationale, qui régna entre 1984 et 1987, jusqu'à ce que les Jordaniens finissent par se rendre compte que le gouvernement israélien ne leur remettrait jamais la totalité de la Cisjordanie - même pas à eux…
L'occupation israélienne continua, sans problème, en l'absence d'un processus de paix digne de ce nom. Depuis les débuts de l'occupation - soit, très longtemps avant les premiers attentats suicides - il y eut des démolitions de maisons, des tueries de civils innocents, des expulsions, des bouclages de territoire et un harcèlement généralisé. Les années 1950 et 1960 connurent une expansion d'un mouvement de colonisation exponentiel, qui entraîna non seulement des expropriations foncières, mais aussi de plus en plus de brutalités. Les Palestiniens répliquèrent au moyen d'une forme radicale d'islam politique, qui, à la fin de la deuxième décennie d'occupation, atteignit le niveau d'une force avec laquelle il fallait compter. Cet islam radical était plus audacieux, dans sa résistance à l'occupation, qu'aucun des mouvements qui l'avaient précédé. Mais il était tout aussi dur vis-à-vis des mouvements concurrents, et de la population palestinienne, d'une manière générale. Aucun des mouvements de la résistance, pas plus que le gouvernement Likoud, avant eux, ne montra le moindre intérêt pour une quelconque initiative diplomatique en vue de la résolution du conflit. La frustration monta, dans les territoires occupés, jusqu'à ce que, en décembre 1987, la population se révoltât contre l'occupant.
Le moment venu, cette violence prit fin, et une nouvelle période de meccano de la paix commença, très ressemblante à celles qui l'avaient précédée. Du côté israélien, l'équipe fut élargie, incluant des universitaires aussi bien que des hommes politiques. Une fois encore, il s'agissait d'un effort israélien désireux de conquérir l'approbation américaine. Une fois encore, les Américains essayèrent de suggérer quelques idées de leur cru : le processus de Madrid, en 1991, s'inscrivait dans une tentative américaine de justifier la première guerre du Golfe. Il y eut des idées avec lesquelles les Palestiniens pouvaient, éventuellement, être d'accord. Mais ce fut un processus très long et laborieux. Sur ces entrefaites, une nouvelle initiative israélienne prenait forme…
Cette initiative comportait un élément inédit. Pour la première fois, les Israéliens s'étaient mis en quête de partenaires palestiniens intéressés à une paix bien dans leur style (à l'israélienne), en Palestine. Et ils visaient haut : la direction de l'OLP à Tunis. Rien que ça ! Ses membres furent circonvenus et séduits par une promesse israélienne, contenue dans l'Article 5, Paragraphe 3 de l'accord d'Oslo, selon laquelle, après cinq années au service des besoins de sécurité d'Israël, les principales revendications palestiniennes seraient mises sur la table des négociations, en vue d'un accord définitif.
Dans l'intervalle, les Palestiniens pourraient jouer à l'indépendance. On leur offrait l'opportunité de créer une Autorité palestinienne, ornée des symboles (des symboles, seulement…) de la souveraineté. Et cette Autorité n'aurait aucun problème, aussi longtemps qu'elle sévirait d'une poigne de fer contre tout mouvement de résistance contre l'occupation israélienne. A cet effet, l'Autorité palestinienne recruta pas moins de cinq services secrets, qui ajoutèrent leurs exactions et leurs violations à l'encontre des droits humains et civiques des Palestiniens à celles des l'occupant. La quasi autonomie de la Palestine ne pouvait pas grand-chose contre l'occupation. Dans certaines régions, celle-ci était imposée directement. Dans d'autres, elle l'était indirectement. De plus en plus de colons juifs arrivèrent, et le harcèlement des Palestiniens continua - partout. L'opposition palestinienne ayant commencé à avoir recours à des représailles prenant la forme d'attentats suicides, les Israéliens enrichirent leur répertoire de punitions collectives, d'une manière telle que le soutien de la population palestinienne aux kamikazes se mit à croître, semaine après semaine.
Six ans après la signature d'Oslo, le « camp de la paix » accéda, une fois de plus, au pouvoir en Israël, avec, à sa tête, Ehud Barak. Un an après, il était confronté à la défaite électorale, à cause de ses ambitions exagérées dans presque tous les domaines. La paix avec les Palestiniens : voilà quelle semblait être l'unique planche de salut. Les Palestiniens attendirent de la promesse qu'on leur avait faite à Oslo qu'elle représente la base de nouvelles négociations. Ils avaient bien vu qu'ils avaient dû attendre cinq ans : le temps était venu de débattre du problème de Jérusalem, du sort des réfugiés et de l'avenir des colonies. Les Israéliens, là encore, préparèrent la tactique, en mobilisant encore de nouveaux universitaires et experts « professionnels ». La direction palestinienne, divisée, était incapable de fournir des contre-propositions sans aide extérieure, et elle rechercha avis et conseils dans des officines aussi improbables que l'Adam Smith Institute de Londres ! Pas étonnant, à ce compte-là, si, seul, le projet israélien était déposé sur la table des négociations à Camp David, à l'été 2000 ! Avalisé par les Américains, il proposait un retrait de la plus grande partie de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, laissant environ 15 % de la superficie de la Palestine historique aux Palestiniens, sous la forme de cantons isolés, zébrés d'autoroutes, entourés de colonies, de camps militaires et de murailles. Pas de capitale à Jérusalem, pas de solution au problème des réfugiés. Et prise en dérision totale des concepts de souveraineté et d'indépendance palestiniennes… Même le fragile Arafat, qui semblait jusqu'alors assez satisfait d'avoir obtenir la Salata (les pots de vin), mais qui n'avait jamais exercé la Sulta (le pouvoir réel), ne pouvait se résoudre à signer un document qui tournait en ridicule absolument toutes les demandes palestiniennes… Aussitôt, on le portraitura en fauteur de guerre.
Des manifestants non armés montrèrent leur désarroi, à l'automne 2000, et l'armée israélienne les abattit sans pitié. La réponse palestinienne ne tarda pas à arriver : la résistance se militarisa. Après trois ans de seconde Intifada, l'effort de paix reprit, une fois encore. La même formule fut, pour la énième fois, remise sur le tapis : il s'agissait, toujours en encore, d'une initiative israélienne visant la satisfaction de des seules opinion et exigences israéliennes. Initiative déguisée sous les atours d'un honnête courtage des Américains.
Ce furent, en réalité, trois initiatives qui apparurent, au cours de l'année 2003. La première avait d'ores et déjà emporté l'adhésion américaine : la feuille de route. Au bout de cette route, 10 % de la Palestine se retrouverait divisée entre deux énormes camps de prisonniers : l'un, à Gaza ; et l'autre en Cisjordanie. Sans aucune solution au problème des réfugiés et un contrôle israélien total sur Jérusalem. Les initiateurs de la feuille de route recherchent encore un agent de circulation palestinien en chef. Après avoir perdu Mahmoud Abbas, ils placent leurs espoirs en Ahmad Qurei.
La seconde initiative est la proposition Ayalon-Nusseibeh. Elle est fondée sur un retrait total d'Israël des territoires occupés (à l'exception du grand Jérusalem, qui occupe tout de même un tiers de la Cisjordanie), en échange de l'engagement des Palestiniens à abandonner le droit au retour des réfugiés. Je soupçonne Sari Nusseibeh, président de l'université Al-Quds et ancien représentant de l'Autorité palestinienne à Jérusalem, de réitérer sa tentative de la première Intifada, lorsqu'il avait suggéré une annexion de jure des territoires occupés à Israël, afin de montrer aux Israéliens qu'Israël ne pouvait inclure la Cisjordanie et la bande de Gaza à l'intérieur de ses frontières tout en restant un Etat juif et démocratique. Aujourd'hui, il espère faire la démonstration de la mauvaise volonté d'Israël à démanteler les colonies. Le plan Ayalon-Nusseibeh a échoué, jusqu'ici, à impressionner les Israéliens, mais il a en revanche gravement déprimé les communautés de Palestiniens réfugiés, et je me demande si cela en valait la peine. Ami Ayalon chef du Shin Bet (services secrets israéliens) de 1996 à 2000, vit dans l'ancien village (palestinien) d'Ijzim, d'où la population autochtone a été entièrement chassée en 1948.
Et voilà qu'aujourd'hui, nous avons la bulle de Genève : production impressionnante. Tant par le document en lui-même qu'en raison de la cérémonie hollywoodienne qui en a entouré la promulgation. Cette bulle ne s'inscrira probablement jamais dans la réalité, mais cela vaut néanmoins la peine d'y jeter un coup d'œil. Ses traits fondamentaux ont été décrits par David Grossman dans l'introduction qu'il a écrite pour la version en hébreu.
Pour la première fois, il y a reconnaissance pleine et entière, par les Palestiniens, du droit du peuple juif à un Etat - Israël - et la reconnaissance de Jérusalem pour capitale de cet Etat. Le document propose des solutions pratiques et détaillées au problème des réfugiés. On le sait, il s'agit du problème qui a, jusqu'ici, entraîné l'échec de tous les projets précédents. On y trouve aussi la promesse que la majorité des juifs vivant au-delà de la Ligne Verte resteront là où ils vivent actuellement, tout en devenant des citoyens de l'Etat d'Israël. Il y a, aussi, l'engagement des Palestiniens à démilitariser l'Etat palestinien et à n'autoriser aucune armée étrangère à y stationner.
Ce qui frappe, toutefois, non seulement dans cette préface, mais dans le document pris dans son ensemble, c'est le fait que, tandis que le droit au retour des réfugiés est considéré comme un obstacle qu'il convient d'écarter si l'on veut aboutir à la réconciliation et à la paix, la judaïté d'Israël - c'est-à-dire : le caractère juif de l'Etat d'Israël du départ + celui des blocs de colonisations dans les territoires occupés + celui du grand Jérusalem - en revanche, n'en représente absolument pas un… Au contraire, ce qui est requis, dans cette logique, c'est la reconnaissance, par les Palestiniens, du grand Israël nouvelle manière. Et qu'offre-t-on aux Palestiniens, afin de les encourager à reconnaître l'Etat bâti sur la terre d'où ils ont été nettoyés ethniquement en 1948 et celle qui leur a été volée en 1967 ? Quelle est cette offre généreuse que les peaceniks israéliens ont si bruyamment exhorté leurs correspondants dans la campagne médiatique de Genève à ne pas oublier ? Un mini-Etat, bâti sur 15 % de la superficie de ce qui fut la Palestine, avec une « capitale » - non pas à, mais à côté de - Jérusalem, et pas d'armée ! A y regarder de plus près, l'autorité et le pouvoir inhérents à cet « Etat » n'ont pas grand-chose à voir avec la notion d'indépendance que l'on trouve généralement dans la réalité mondiale, voire même dans les manuels de science politique.
Bien plus grave, encore, le projet de Genève laisserait les réfugiés palestiniens dans l'exil. Les passages en caractères minuscules, à la fin, disent que les réfugiés palestiniens pourraient choisir soit de rentrer dans ce qu'il reste de leur ancien pays, soit rester dans leurs camps. Comme ils choisiront probablement d'attendre que la communauté internationale satisfasse à son engagement de rendre possible leur retour inconditionnel sous l'empire de la résolution 194, ils resteront des réfugiés. Pendant ce temps-là, leurs compatriotes, en Israël, continueront à être des citoyens de seconde catégorie, sur les 85 % restants de la Palestine.
Il n'y a donc aucune reconnaissance de la cause de ce conflit : l'épuration ethnique de 1948. Il n'y a aucun processus de vérité et de réconciliation qui rende Israël redevable de ce qu'il a fait, tant en 1948 que depuis. Dans ces conditions, ni les Palestiniens, ni le monde arabe ne pourront se permettre d'admettre l'existence d'un Etat juif.
Au cours d'une célébration à Tel Aviv, les architectes de l'accord de Genève ont repassé en boucle une chanson populaire intitulée : « Et Tel Aviv s'appellera Genève ».
Mais Tel Aviv, ce n'est pas Genève : Tel Aviv a été construite sur les ruines de six villages palestiniens détruits en 1948.
Et Tel Aviv ne doit pas non plus devenir Genève : Tel Aviv doit aspirer à devenir Alexandrie, ou Beyrouth, afin que les juifs qui ont envahi le monde arabe par la force puissent au moins faire montre d'une certaine volonté à s'intégrer au Moyen-Orient, plutôt que persister à y représenter un corps étranger aliéné. (18 décembre 2003)
                           
30. "Les juifs s’interrogent sur leur avenir dans ce pays…" - La France et l’accusation d’antisémitisme : qu’est devenue la "place  particulière ?" par Subhi Hadidi
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 21 novembre 2003
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Il y a quelques jours de cela, le président français Jacques Chirac présidait un conseil des ministres restreint, qui réunissait, outre le Premier ministre, un certain nombre des ministres de son cabinet, afin d’examiner les mesures à prendre pour lutter contre l’antisémitisme en France. Ce conseil extraordinaire s’inscrivait dans le contexte de l’incendie d’une école confessionnelle juive, dans la ville de Gagny, située dans la banlieue est de Paris, et il venait couronner une série de larges débats autour d’intellectuels juifs et musulmans (Finkielkraut, Glüksman, Henri-Lévy, opposés au prédicateur musulman et universitaire Tariq Ramadan). L’ambassadeur d’Israël en France, Nissim Zvili, avait donné à ce débat une tonalité dramatique, en déclarant au cours d’une interview à la radio que « les juifs de France s’interrogent quant à leur avenir, dans ce pays. »
Il est de fait que la France occupe une place à part dans le cœur des sionistes, ou en tout cas, qu’elle devrait occuper une place particulière. Pour des raisons historiques. Car, en fin de compte, c’est bien en France qu’eut lieu la célèbre « affaire » Dreyfus, du nom d’un officier français juif, Alfred Dreyfus, qui alluma la flamme de l’idée d’un « Etat juif » dans le cœur et l’esprit d’un journaliste juif autrichien, un certain Théodore Herzl. Il était, à l’époque, le correspondant du journal « Neue Freue Press », l’un des plus grands quotidiens libéraux d’Europe. Il est vrai qu’Herzl n’a pas connu la réhabilitation de Dreyfus, car il est mort trop tôt, en 1904. Mais il a bien assisté, en revanche, de visu, et il a bien entendu, de uditu, les cris provenant de gorges françaises et qui s’élevaient des manifestations (anti-dreyfusardes), hurlant : « Mort aux juifs ! ». Sur fond du procès fleuve de l’officier innocent, ce climat d’antisémitisme incita Herzl à écrire une pièce de théâtre – Le Nouveau ghetto – et son pamphlet, beaucoup plus célèbre, intitulé : « L’Etat juif »…
Le paradoxe – qui veut que Dreyfus ait été on ne pouvait plus éloigné de la pensée sioniste (il ne changea pas d’avis à ce sujet, jusqu’à sa disparition, en 1935) – ne change pas grand-chose à la nature de la controverse dynamique qui lança le mouvement sioniste. Ainsi, la déclaration du vice-ministre israélien des Affaires étrangères, Mikhaïl Melchior, dans laquelle il accusait la France d’être aujourd’hui le plus antisémite des pays occidentaux, comme celles de Zvili, et d’autres, ne changent rien à l’influence notable dont jouissent les milieux sionistes dans les différents secteurs de la vie française, qu’ils s’agisse de ceux de la politique, de l’économie, ou encore de la culture.
Aujourd’hui, les médias français sont le théâtre, sur une base quasi quotidienne, de polémiques enflammées autour de la question de savoir s’il est – ou non – loisible de critiquer les politiques mises en œuvre par l’Etat hébreu, sans tomber sous le coup de l’accusation d’antisémitisme ? Ou bien si un juif peut – qu’il soit écrivain, historien, journaliste ou simple citoyen – protester contre la barbarie d’Ariel Sharon, sans se voir accuser – lui qui est juif de père en fils – d’antisémitisme ! S’agit-il d’un phénomène nouveau ? Pas vraiment, en réalité, même s’il prend aujourd’hui une orientation différente, qui n’est pas très éloignée d’humilier la société française dans son ensemble, tant il est vrai qu’on ne saurait, à la légère, avancer que la France serait le pays le plus antisémite de tout l’Occident.
Voici quelques années, à l’occasion du deuxième anniversaire de l’assassinat du Premier ministre israélien Yitzhak Rabin, cinq intellectuels et journalistes juifs éminents publiaient une tribune qu’ils intitulaient « S.O.S. », non pas pour sauver l’éternelle victime juive, ni pour la commémoration immémoriale et éternelle de l’Holocauste, ni pour protester contre le sang juif répandu par le « terrorisme » arabe, selon les scénarios familiers, mais… pour protester contre la politique du premier ministre israélien Benyamin Netanyahou, en premier lieu, et contre les positions assumées par le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France (Crif).
Les signataires de cet appel au secours furent les deux journalistes Jacques Derogy (un des grands maîtres du journalisme d’investigation) et Jean Libermann, le célèbre psychiatre Jacques Hassoun, l’historien Daniel Lindenberg, et Pierre Vidal-Naquet, un académicien éminent, spécialiste du lien entre histoire et mémoire. En réalité, cet appel au secours était le second du genre, car les mêmes signataires avaient publié ensemble un article non moins brûlant, dans Le Monde, par lequel ils exhortaient les juifs de France à prendre une distance critique suffisante et déclarée par rapport à la politique – « suicidaire » - de Netanyahou, consistant à entraver les négociations, à esquiver la mise en application de ses engagements et des accords signés, à reprendre la construction des colonies sur le Jabal Abû Ghanaïm (« Har Homa », près de Bethléem, ndt). Dans cet article, les cinq auteurs protestaient contre les positions du Crif,  consistant tantôt en un soutien inconditionnel aux politiques de Netanyahou, tantôt en un silence complice.
Mais le second article comportait un nouveau détail - là encore, un appel au secours – venu, cette fois-ci, de Mme Lea Rabin, la veuve d’Yitzhak, sous la forme d’une lettre ouverte aux cinq signataires. Et le fait que Mme Rabin ait débuté cette lettre par cette expression dramatique : « Tenez bon, nous avons besoin de vous ! » n’est pas dénué de signification. Tenez bon ? Contre qui ? Tenez bon contre une minorité d’Israéliens qui gouvernent aujourd’hui l’Etat hébreu par la violence et l’agression ! répondait elle-même Mme Rabin. Tenez bon, là-bas, parce que vous nous aidez, là-bas, et ici, aussi !
Dans un passage, Léa faisait des confidences : « Vous savez, Israël a écouté une minorité violente et agressive, tandis que la voix de la majorité – pour des raisons que j’ignore – se tait, aujourd’hui. C’est la raison du drame qui s’est produit, chez nous. C’est ainsi que cette minorité a réussi à exciter les gens contre l’homme et le dirigeant merveilleux qui voulait la paix pour les peuples du Moyen-Orient : mon ami et mon cher époux Yitzhak Rabin. Ils l’ont assassiné, ils ont détruit le chemin de la foi et de l’espoir, ils ont semé le désespoir et le trouble dans l’ensemble de la région. C’est pourquoi j’ai voulu vous dire que la mission que vous vous êtes donnée est une mission sacrée et que vous méritez la reconnaissance, l’admiration et les encouragements, de ma part, et de la part de la majorité silencieuse ».
Que cette couche de la société israélienne ait été « majoritaire » et « silencieuse » ou non – ce sont les cinq intellectuels qui posent la question – la cassure, chez les juifs, ne semble pas simplement passagère : elle est profondément significative d’une situation suspendue, qui produit de l’angoisse et se reproduit jour après jour, en Europe, aux Etats-Unis et dans l’Etat hébreu, si ce n’est pour le chemin de la paix arabo-israélienne, tout au moins, pour le chemin de la paix judéo-juive. La rupture, ici, n’est pas une simple crise. C’est un « drame », comme le disait Léa Rabin, et la division, ici, n’est pas un luxe d’intellectuels, mais un besoin insistant et urgent, devant lequel tombent toutes les considérations de solidarité protocolaire et ancestrale, entre juif et juif.
Naturellement, ce qui est essentiel, en l’occurrence, c’est que l’occasion (de cet appel) était l’assassinat d’Yitzhak Rabin, et le contexte celui de l’existence ou non d’une logique agissante sur fond de l’articulation entre une minorité agissante et violente et une majorité silencieuse et conciliante. En d’autres termes : la logique agissante implique l’existence de rapports de force mutuels, politiques, électoraux, culturels, idéologiques, religieux et confessionnels, qui tournent autour de la lutte entre l’existence et la non-existence. C’est ce qu’a voulu signifier Théo Klein, ancien président du Crif, rien de moins, lorsqu’il a déclaré : « Ceux qui veulent détruire Oslo endosseront la responsabilité d’avoir affaibli Israël, et même la responsabilité d’avoir détruit l’Israël démocratique, pour être précis ».
Un jour, Benjamin Nétanyahou était devant les caméras de CNN, et donc devant des millions de téléspectateurs, dans le monde entier, afin de résumer tous les sentiments douloureux qui l’assaillaient après l’assassinat de Rabin. Il dit : « c’est le crime du millénaire, il n’est jamais arrivé qu’un juif assassine son frère juif, depuis deux mille ans ». Naturellement, Netanyahu mentait effrontément et ouvertement, et il envoyait son mensonge au monde entier sans grand souci de l’histoire, pourtant chère à la mémoire juive. Le journaliste américain Glenn Frankel, spécialiste de politique israélienne, avait démenti Nétanyahou d’avance, si l’on peut dire, précisément, dans le journal Washington Post. En effet, alors que les commentaires nécrologiques se succédaient, posant la question : « Est-il possible qu’un juif assassine son frère juif ? », Frankel avait répondu : « Je veux, mon neveu, c’est tout-à-fait possible ! Non seulement dans la Torah, qui regorge de tueries et de trahisons entre frères ennemis, mais aussi (et c’est plus important) dans l’histoire contemporaine qui a abouti à la création d’Israël ».
En effet, en 1924, le hakham (rabbin) Jacob Israël Duhan, chef d’un groupe religieux juif intégriste, tomba sous des balles tirées par un inconnu tandis qu’il sortait de la synagogue de la rue Jaffa, à Jérusalem Ouest. L’assassin est toujours inconnu, aujourd’hui, mais les rumeurs, fondées, disent que le rabbin a été assassiné sur l’ordre direct de l’état-major de la Haganah, parce qu’ils s’opposait à la politique du mouvement sioniste en Palestine. En 1943, Elyahou Gil’adi, chef du mouvement « des Combattants pour la Liberté d’Israël » (Lehi), autrement connu sous le nom de « gang Stern », s’est enrôlé afin de préparer l’assassinat de David Ben Gourion et d’un certain nombre d’autres sionistes trop modérés (à son goût !). Mais, au lieu de les bouffer au déjeuner, c’est lui qui leur a servi de souper ! La même année, il fut traversé de part en part par des balles mortelles, près de la plage, au sud de Tel Aviv, et le paradoxe voulut que l’ordre de l’abattre eût émané de son compagnon d’armes Itzak Shamir, qui reconnut, à son tour, avoir organisé l’opération dans l’un des chapitres de ses mémoires récemment édités. En 1948, quelques jours après la naissance officielle de l’Etat d’Israël, Ben Gourion donna des ordres très clairs à un jeune chef de guerre prometteur, un certain Yitzhak Rabin (mais oui !) d’ouvrir le feu sur le navire Altalena, au mouillage dans le port de Tel Aviv, et chargé d’armes destinées à la formation militaire dissidente de Menahem Begin. La bataille dura dix heures, et quinze juifs perdirent la vie, des deux côtés. Les combats ne cessèrent qu’après que les combattants de Begin se furent rendus.
Sur le plan de la représentation idéologique, seul à même de faire avaler ces réalités, les détails paraissent encore plus surprenants et lourds de signification. Ce sont peut-être ces détails que Léa Rabin, ainsi que les intellectuels français, avaient à l’esprit, lorsqu’ils lancèrent leurs messages de détresse. Le niveau idéologique est résumé par cette relation polarisante et intense résultant de l’hégémonie qu’exerce la religion (sous sa forme intégriste) sur la politique générale ou les politiques quotidiennes dans l’Etat hébreu, et ce que cela crée en matière d’intense agressivité entre un radicalisme religieux intransigeant antisioniste (tel le mouvement national « laïc » sous telle ou telle forme) et les divers courants sionistes et post-sionistes. Où est la majorité et où est la minorité ? Où sont les rapports de force, dans ce scénario ? Se mettent-ils en mouvement, ou au contraire se figent-ils, entre une élection et la suivante ? Où se situe la société, par rapport à ces deux lignes de fracture ?
Telles sont les questions qui découlent et découleront à l’avenir de cette réalité de polarisation qui menace l’existence politique et institutionnelle (l’Etat – plus précisément : l’Etat démocratique) et qui menace, aussi, l’existence sociale et sociétale, voire même… ethnologique ! Cette troisième menace n’est-elle pas la pierre angulaire de l’idéologie kahaniste, qui prône l’affrontement total et ne passe aucun compromis avec le « judaïsme hellénisé », c’est-à-dire avec ces juifs qui ont insufflé la culture occidentale à la Torah et qui ont importé les tares du libéralisme, du socialisme et du capitalisme ? Les idées du rabbin Meïr Kahana ne représentaient-elles pas, en quelque sorte, l’expression ultime de ce syncrétisme improbable entre la combativité nationaliste juive à l’état pur et des tendances rédemptrices et salvifiques, le miracle ayant voulu que la « laïcité » sioniste intégriste rencontre la tendance religieuse intégriste ? Où est, par conséquent, la minorité ? Où est la majorité ? Le collier ne se défait-il pas, aujourd’hui, entre un groupe conquérant, et un autre en recul ? Mieux : le collier lui-même, qu’en reste-t-il ?
De même que le « nouvel » historien israélien Benny Morris n’a eu aucun problème à retourner neuf dixième des conclusions auxquelles il était parvenu dans ses recherches, nous le voyons aujourd’hui pointer un index accusateur sur les Palestiniens et les Arabes, en bloc, car il considère qu’ils ne visent pas à autre chose qu’à jeter Israël à la mer…de même, les Israéliens renversent sans autre forme de procès leur relation à la France, pourtant faite d’une longue amitié pour l’Etat hébreu, et cela, en dépit des services précieux apportés par la France au mouvement sioniste (à commencer par l’idée de l’Etat juif, elle-même, en passant par les hautes technologies, pour finir par l’arme nucléaire). Bien sûr, il est inévitable qu’ils renient une poignée de juifs français honnêtes, que leur conscience vivante empêche de digérer les spectacles horrifiants prodigués par la barbarie israélienne.
Cela, à son tour, s’inscrit dans la logique même de l’éparpillement du collier !
                           
31. Servitude et grandeur de la coopération arabo-arabe par Richard Labévière
Editorial sur Radio France Internationale du lundi 18 oaût 2003

«La coopération arabo-arabe est plus que jamais nécessaire au monde d'aujourd'hui», c'est Mohamed Benaïssa, le ministre marocain des affaires étrangères, secrétaire général de la Fondation du Forum d'Assilah, qui parle. Cet appel à une coopération inter-arabe est régulièrement lancé et relancé depuis le 22 mars 1945, alors que les fondateurs de la Ligue arabe entendaient travailler ensemble à l'établissement d'un monde arabe économiquement plus homogène, et politiquement plus uni.
Le moins que l'on puisse dire est que la Ligue arabe n'a pas réussi à concrétiser cet objectif. L'absence de l'Egypte, pendant plus de dix ans, après une paix négociée séparément avec Israël à Camp David, ainsi que la première Guerre du Golfe déclenchée après l'invasion irakienne du Koweit en août 1990 ont considérablement affaibli l'organisation.
La dernière guerre d'Irak n'a rien arrangé. La discrétion, sinon l'absence de la Ligue arabe pendant les différentes phases de la crise ont ajouté au discrédit. Et cette inertie caractérise tout aussi bien la Ligue que l'Organisation de la conférence islamique (OCI), et le Conseil de coopération du Golfe (CCG), mais concerne graduellement les principaux Etats-membres, animateurs de ces différentes structures de coopération régionale.
Au premier rang des responsables du silence assourdissant de la Ligue arabe à toutes les étapes de la crise irakienne, il faut évidemment se tourner, d'abord vers l'Egypte, première bénéficiaire, après Israël, de l'aide américaine au Proche-Orient avec 3 milliards de dollars consolidés par année.
La Jordanie n'est pas dans une situation très différente, ses bases militaires ayant largement servi de tête-de-pont aux opérations américaines visant l'ouest et le nord-irakien.
La même remarque vaut pour le Koweit et l'Arabie saoudite qui ont prêté leurs infrastructures militaires à l'armée américano-britannique, tout comme le Qatar qui abrite le nouveau commandement inter-armées américain du Proche-Orient, précédement installé sur la base Prince Sultan, au sud de Riyad.
Lorsqu'on l'interroge sur les raisons de cette participation honteuse, en tout cas non assumée de la plupart des pays de la région à la dernière guerre contre l'Irak, Abderramane Ben Hamad Alatia, le secrétaire général du Conseil de coopération du Golfe invoque la souverainté nationale et préfère parler de coopération économique et de la future union monétaire de ses six pays membres.
Sur les autres grands dossiers, la coopération inter-arabe n'est guère plus brillante. Tant que le conflit du Sahara occidental n'est pas réglé, les relations entre l'Algérie et le Maroc demeurent problématiques, par conséquent l'Union du Maghreb arabe reste une chimère. Mais plus grave encore, du Maghreb au Machrek, le monde arabe a le plus grand mal a trouver une position commune et clairement affichée face aux alternoiements de Tel-Aviv quant à l'application de la Feuille de route, face à la continuation de la colonisation en Palestine, et enfin, face au Mur de la honte dont le premier ministre israélien Ariel Sharon poursuit obstinément la construction.