1. Pascal de Crousaz : "Face à Israël,
l'irrationalité l'emporte" propos recueillis par Rache Haller
in Le
Courrier (quotidien suisse) du jeudi 5 février 2004
Pascal de
Crousaz, spécialiste du Proche-Orient, ne mâche pas ses mots pour dénoncer
l'attitude des Occidentaux face au conflit israélo-palestinien.
Expert des
questions relatives au Proche-Orient, Pascal de Crousaz dénonce la fascination
qu'exerce sur les Occidentaux le conflit israélo-palestinien. Une fascination
nourrie de projections parfois irrationnelles qui seraient autant de freins à la
résolution du conflit.
- Le Courrier : Pourquoi parlez-vous de fascination pour
décrire le rapport qu'entretient l'Europe avec Israël et la Palestine ?
- Pascal de Crousaz : Très concrètement, la place qu'occupe dans
les médias et les consciences le conflit israélo-palestinien ne possède aucune
commune mesure avec sa dimension. En cent ans, celui-ci a fait probablement
moins de victimes que la plupart des autres conflits actifs dans le monde. Alors
que depuis des décennies, Jérusalem est le deuxième nom de ville le plus souvent
cité dans les médias.
- Comment expliquez-vous cette surenchère ?
- Malgré la laïcité de nos sociétés – ou peut-être à cause d'elle
– tout ce qui touche à cette terre surinvestie en sacralité trouve un énorme
retentissement. De plus, le conflit israélo-palestinien possède tous les
ingrédients d'une tragédie propre à mobiliser les esprits: les pierres
millénaires, le sang, les larmes, le sacrifice, les passions... Plus
prosaïquement, on n'a non plus jamais reçu autant d'informations et d'images
d'un conflit. La plupart des médias disposent d'une équipe sur place qui, si ce
n'est que pour justifier ses coûts fixes, relaie petits et grands événements et
contribue à maintenir les consciences éveillées. Ainsi, la presse elle-même
s'est prise au jeu de la fascination.
- Peut-on encore parler d'objectivité
?
- Là est le noeud du problème. Les Occidentaux
investissent ce conflit d'enjeux et de questionnements qui leur sont propres. Du
coup, ils tendent à le complexifier, à l'éloigner de sa réalité et à rendre
ainsi sa résolution plus passionnelle. Pour preuve, la communauté internationale
n'arrive pas à faire appliquer les résolutions des Nations Unies édictées sur la
base d'un regard froid, objectif et juridique. Pourtant, leur contenu est
limpide. Elles reconnaissent l'existence de deux peuples, l'égalité de leurs
droits et l'illégalité de l'occupation et de la colonisation.
- Ce phénomène d'identification est-il récent ?
- Dès le début du siècle et, surtout, peu après la création de l'Etat
d'Israël, les Occidentaux ont vu en ce dernier la réunion des impossibles rendus
possibles: une cohabitation harmonieuse entre un modèle capitaliste et la
formule la plus achevée du communisme –les kibboutz–, un Etat ancien-nouveau où
la Bible pouvait servir de carte d'état-major et une langue morte reprendre vie.
Bref, Israël a longtemps incarné l'exemple du progrès dans une région dominée
par l'«obscurantisme». A partir des années 1960-1970, certains courants de
pensée ont commencé à remettre en doute la valeur absolue du progrès et à
prendre fait et cause pour des sociétés plus «authentiques», comme la société
palestinienne. Cette nouvelle tendance s'est confirmée avec la guerre du Liban
en 1982 et la première Intifada, entre 1987 et 1993, où le peuple palestinien a
été clairement identifié comme «la» victime. La situation est plus confuse
aujourd'hui, où victimes et bourreaux s'échangent leur rôle.
- Existe-t-il un clivage droite-gauche dans la perception du
conflit ?
- L'originalité de cette guerre procède
notamment du consensus qu'elle a su susciter. Ensemble, les camps bourgeois et
les partis de gauche ont soutenu l'entreprise sioniste, puis condamné
l'occupation et la répression. Mais depuis peu, la gauche et les mouvements
altermondialistes font de la cause palestinienne l'un de leurs principaux
chevaux de bataille, sans doute pour sa dimension symbolique d'oppression et de
«victimisation». Par réaction mécanique, la droite soutient de plus en plus
l'autre camp. Et cette rupture politique va jouer en défaveur des Palestiniens,
car le conflit est en train de devenir un instrument de lutte entre la gauche et
la droite, alors que seul un consensus fort entre et au sein des pays
occidentaux pourrait imposer une solution rationnelle et viable. L'exemple de
l'Italie est particulièrement frappant: pourtant à la pointe de l'action
européenne pour la reconnaissance des droits palestiniens dans les années 80 et
90, elle se range aujourd'hui du côté de Sharon, car Berlusconi a pu assimiler
les discours pour la défense des droits palestiniens à ceux de ses ennemis de
gauche.
- On vient de l'apprendre, Ariel Sharon, le premier ministre
israélien, envisagerait de faire passer des localités arabes israéliennes sous
souveraineté palestinienne, en échange de l'annexion par Israël de zones de
Cisjordanie. Un premier pas ?
- Cela permettrait
d'obtenir deux entités ethniquement plus homogènes. Certains parleraient d'une
forme douce de purification ethnique. On pourrait ainsi se «débarrasser» des
arabes israéliens, qui disposent aujourd'hui du droit de vote et qui sont perçus
comme une menace en raison de leur poids démographique croissant, pour avoir un
Etat juif plus juif que jamais.
2. Scène d'un contrôle ordinaire à
Gaza par Ghada Ageel
in L'Intelligent - Jeune Afrique du lundi 2
février 2004
Pour franchir les barrages israéliens dans
les Territoires, certains Palestiniens n'hésitent pas à défier les soldats de
Tsahal. À leurs risques et périls.
En décembre, je suis allée
rendre visite à mon cousin, Mohamed Aqil Abou Smaleh, à l'Hôpital européen. Il
avait été blessé en octobre par un missile israélien qui avait tué deux de ses
cibles et un passant. Un fragment du missile s'était logé dans la moelle
épinière de Mohamed et l'avait laissé paralysé. Il s'était trouvé au mauvais
endroit au mauvais moment.
Ma vie de famille est depuis lors bouleversée.
Nous nous battons pour préserver la santé et l'équilibre moral de Mohamed. Le
seul réconfort que nous avons est la sympathie et la sollicitude de nos voisins
de Khan Younès, des Israéliens de bonne volonté et des amis du monde entier.
En rentrant de l'hôpital, mon mari, Nasser, mon fils de 3 ans, Tariq, et
moi-même avons été bloqués pendant plus de six heures au poste de contrôle entre
Khan Younès et la ville de Gaza. Le voyage prend normalement quarante minutes.
À 18 h 50, les soldats israéliens ont autorisé quelques voitures à passer.
Au bout de cinq minutes, ils ont de nouveau interdit le passage. Les gens
étaient dans un tel état de nerfs qu'ils sont sortis de leurs taxis et qu'ils
ont avancé à pied, défiant les Israéliens. J'éprouvais un mélange d'indignation
en voyant que des Gazaouis étaient obligés d'affronter des soldats armés avec
leur poitrine nue, de fierté en constatant ce que des Palestiniens étaient
capables de faire, alors qu'il n'était que trop possible que cette résistance
non violente leur coûte la vie, et de peur en imaginant ce qui allait se passer.
J'avais bien raison de m'inquiéter. Les soldats israéliens se sont mis à
tirer dans le tas. C'était absolument terrifiant. J'ai connu la guerre, la
violence et l'occupation tout au long de mes 33 ans, mais je ne m'habituerai
jamais à l'horreur et à la peur.
Pour ajouter à la peur, il y avait la
présence de notre fils. Devant moi, un jeune homme avait reçu une balle dans la
jambe. Ses amis l'ont amené dans notre voiture. Il saignait et pleurait, et ses
sanglots se mêlaient à ceux de mon enfant. Il y a un instinct puissant chez
toutes les mères, je pense, de protéger les enfants à tout prix. Mais là, je me
sentais totalement impuissante. Et pourtant, je n'étais pas complètement
paralysée. Je me suis mise à crier aux gens de laisser le passage à notre
voiture. En même temps, je composais sur mon portable le numéro de l'hôpital,
que je ne connaissais que trop bien, pour demander une ambulance.
Après un
quart d'heure de cris et de manoeuvres, nous avons installé le jeune homme. Je
me suis aperçu que je n'avais plus de voix.
Le camp de réfugiés de ma
famille, Khan Younès, avait été attaqué deux fois en une semaine par Tsahal. Des
dizaines de maisons avaient été détruites, comme les centaines qui, à Gaza et en
Cisjordanie, ont été réduites à l'état de gravats ces trois dernières années.
Beaucoup de familles sont venues se réfugier chez mes parents. Nous étions en
2003, mais, dans ma tête, nous étions revenus à 1948.
Que veut de plus Ariel
Sharon ? À quoi cela sert-il de faire attendre des civils pendant des heures aux
postes de contrôle ? Comment les dirigeants israéliens peuvent-ils justifier
qu'ils nous aient chassés de chez nous il y a plus de cinquante-cinq ans et
qu'ils envoient maintenant leurs bulldozers dans nos camps de réfugiés ?
Je
venais de voir mon cousin allongé sur un lit d'hôpital et un adolescent saigner
abondamment à l'arrière de notre voiture sous les yeux de mon fils de 3 ans, et
je me rendais compte qu'il n'y a pas d'endroit, à Gaza, où l'on puisse se
réfugier ou se cacher. Mon fils n'avait pas été touché physiquement, mais
comment un bébé de 3 ans pourrait-il accepter mentalement ce que j'ai moi-même
du mal à comprendre ? Son activité mentale à lui, c'est de courir dans la
maison, le doigt pressé sur une détente imaginaire, en criant « Tah, tah, tah !
» pour imiter le bruit des rafales israéliennes.
Quand nous nous sommes
mariés, Nasser et moi, nous pensions que nous pourrions offrir à nos enfants la
sécurité et un avenir plein d'espoir. Je suis allée jusqu'à étudier l'hébreu en
Israël. Mais nos espoirs pour notre peuple n'ont toujours pas été réalisés.
L'occupation continue parce que Sharon continue de penser qu'il peut avoir à
la fois la sécurité et l'occupation. Or ce n'est pas possible.
Quand vous
voyez des gens désarmés marcher sous les balles pour atteindre leur destination,
vous vous rendez compte qu'ils cherchent autre chose qu'une destination
physique. La meilleure définition qu'on peut en donner, je crois, c'est le désir
très humain de la liberté. Aucun pouvoir et aucune force ne peuvent pénétrer
dans nos coeurs et le détruire.
Ce jour de la liberté palestinienne viendra
beaucoup plus vite si l'on accorde plus d'attention à de tels actes de courage
et à de telles manifestations non violentes aux États-Unis et ailleurs. Nous
n'avons pas besoin que l'armée américaine se batte pour nous. Nous demandons
seulement qu'on fasse preuve d'un peu d'équité. Nous avons souffert trop
longtemps.
3. L’Initiative de Genève : une chance pour
la paix ? par Michel Staszewski
in Points Critiques (mensuel de
l’Union des Progressistes Juifs de Belgique) du mois de janvier 2004A
en croire les grands médias, la paix et la réconciliation tant attendues
seraient enfin à portée de main. Abandonnant la politique « des petits pas »,
des personnalités courageuses, tant palestiniennes qu’israéliennes, se seraient
attaquées à toutes les questions difficiles et auraient trouvé, pour chacune
d’entre elles, et dans les moindres détails, la meilleure solution possible. Il
suffirait que les opinions publiques israélienne et palestinienne portent au
pouvoir des représentants politiques partisans de l’initiative de Genève pour
que ce conflit, vieux de plus d’un siècle, soit résolu.
Une lecture attentive
du contenu de ce projet d’accord [1] me conduit à un jugement très
différent.
Le texte publié est, tout d’abord, très incomplet. Il est dépourvu
de ses très nombreuses annexes censées fournir les détails de chacun de ses
articles. C’est ainsi que manquent des éléments aussi importants que la
délimitation exacte des territoires respectifs ou la composition des groupes de
civils et de militaires chargés de veiller à l’application des accords. Et le
problème essentiel de la répartition des ressources en eau n’est pas du tout
abordé.
D’autre part, le caractère extrêmement déséquilibré de ce document le
rend difficilement acceptable pour la grande majorité des Palestiniens, qu’ils
résident en Palestine, en Israël ou ailleurs. Examinons-en quelques
points.
Le territoire de la Palestine mandataire serait divisé sur base de la
frontière du 4 juin 1967, c’est-à-dire que 78 % des terres seraient attribuées à
l’Etat d’Israël et 22 % à l’Etat de Palestine. Rappelons que le principe de
cette répartition très inégale est officiellement accepté par l’O.L.P. depuis
les Accords d’Oslo de 1993. Les négociateurs israéliens ont cependant obtenu
l’échange de territoires cisjordaniens fortement peuplés de colons juifs contre
un territoire israélien jouxtant le sud-ouest de la Cisjordanie et une bande de
terre longeant la bande de Gaza. Pour qui connaît un peu la géographie locale,
il est clair que cet échange est très inéquitable du point de vue de la
pluviométrie. Cette inégalité pourrait néanmoins être compensée par un partage
équitable des ressources globales en eau… qui n’est pas du tout garanti par le
texte actuel puisque l’article consacré à la répartition des ressources en eau
reste à rédiger. Un corridor, ouvert en permanence, sous administration
palestinienne mais sous souveraineté israélienne, relierait la Cisjordanie à la
bande de Gaza. Des « barrières de défense » seraient construites le long de ce
corridor, en territoire israélien.
Pour ce qui concerne Jérusalem, le projet
prévoit que la ville serait à nouveau divisée. Le seul endroit où l’on pourrait,
en principe, circuler librement d’une zone à l’autre serait l’intérieur de la
vieille ville (un territoire minuscule en comparaison de l’agglomération
entière), mais à chacune de ses portes serait établi un poste de douane donnant
accès soit à l’Etat de Palestine soit à celui d’Israël. La répartition inégale
du territoire de la vieille ville - trois quarts pour la Palestine, un quart
pour Israël - ne doit pas faire illusion : dans la mesure où l’ensemble de la
vieille ville se trouve à l’est de la « ligne verte » [2], c’est bien l’Etat
israélien qui serait gagnant dans l’affaire. De plus, le grand cimetière juif du
Mont des Oliviers, situé à l’est de la vieille ville, demeurerait sous
administration israélienne. Pour le reste, Jérusalem Ouest resterait entièrement
sous contrôle israélien alors que les nombreuses colonies juives construites
depuis 1967 autour de Jérusalem-est seraient annexées à l’Etat
d’Israël.
Environ quatre des six millions de Palestiniens sont
des exilés ou des descendants des exilés de 1948. Le droit au retour des exilés
est un droit humain essentiel reconnu internationalement. Que les Palestiniens
acceptent d’en faire un objet de négociation, prenant ainsi en considération les
angoisses démographiques des Israéliens, devrait être considéré par ces derniers
comme une offre extrêmement généreuse. Or le projet d’accord implique que les
Palestiniens renoncent à leur droit au retour sans même que soit reconnu le bien
fondé de ce droit ni la moindre responsabilité israélienne dans cette affaire.
Le nombre d’exilés autorisés à se réinstaller en Israël serait « laissé à la
discrétion souveraine d’Israël ». L’Etat d’Israël accepterait néanmoins de
contribuer à un fonds d’indemnisation pour les propriétés palestiniennes «
perdues ».
Un article du projet d’accord où apparaît de manière
particulièrement flagrante son caractère déséquilibré (doux euphémisme) est
celui qui concerne la « sécurité ». Il semble, à lire les détails de cet
article, que la création d’un Etat palestinien indépendant à ses côtés,
représente pour l’Etat d’Israël un danger vraiment terrible. Jugez-en plutôt.
Alors qu’il est prévu qu’Israël conserve la souveraineté absolue sur son
territoire et l’intégralité de son équipement militaire (rappelons que « Tsahal
» est une des armées les mieux équipées du monde et qu’il est de notoriété
publique qu’Israël possède des armes nucléaires), l’Etat palestinien, uniquement
doté d’une « puissante force de sécurité » chargée de missions de police, serait
démilitarisé et devrait s’en remettre pour sa sécurité extérieure à une «
Force multinationale ». Cette Force, stationnée seulement en territoire
palestinien (y compris sur l’Esplanade des Mosquées/Mont du Temple), ferait
partie intégrante du « Groupe d’Application et de Vérification », composé de
représentants des Etats-Unis, de la Russie, de l’Union européenne et des Nations
Unies. Sa composition, sa structure et ses effectifs devraient faire l’objet
d’une annexe non publiée à ce jour. Des éléments de l’armée israélienne
resteraient présents dans la vallée du Jourdain durant 36 mois et dans deux «
stations d’alerte lointaine » situées dans le nord et l’est de la Cisjordanie
durant 10 ans. L’aviation militaire israélienne garderait le droit d’utiliser
l’espace aérien de l’Etat palestinien. La Force multinationale serait présente
aux frontières de l’Etat de Palestine avec la Jordanie et l’Egypte ainsi que
dans les ports et les aéroports palestiniens… dans lesquels les Israéliens
pourraient maintenir pendant plusieurs années « une présence discrète ». En
Cisjordanie, des « routes désignées », reliant Jérusalem à Tibériade, la Mer
morte, Bethléem et Hébron, seraient contrôlées conjointement par la police
palestinienne et la Force multinationale pour garantir la sécurité des
Israéliens qui les fréquenteraient. La « lutte contre le terrorisme » serait
supervisée par un « Comité de sécurité triangulaire » composé
d’Israéliens, de Palestiniens et … d’Américains.
La situation actuelle des
habitants des territoires occupés est si épouvantable que la concrétisation d’un
tel projet d’accord représenterait pour eux un progrès considérable. Les exilés
y gagneraient, pour leur part, le droit de s’installer définitivement dans un
pays d’accueil ou dans l’Etat de Palestine indépendant et seraient indemnisés
pour la perte de leurs propriétés situées sur le territoire de l’Etat d’Israël.
Par contre, les Palestiniens citoyens de ce même Etat et les quelques exilés
autorisés à les rejoindre se verraient confirmés dans leur position de minorité
tolérée dans « l’Etat du peuple juif » (préambule du projet d’accord). Car,
comme l’affirmait récemment Amram Mitzna, l’ancien président du parti
travailliste israélien, en signant un tel accord, les Palestiniens
reconnaîtraient « pour la première fois dans l’histoire » « l’Etat d’Israël
comme l’Etat du peuple juif, et ce à jamais. » [3] Il est en effet expressément
prévu que la mise en œuvre de cet accord « mettra fin à toutes les réclamations
des Parties découlant d’événements antérieurs à sa signature » (art. 1). Et
Mitzna d’ajouter : « Ils ont renoncé au droit au retour en Israël, assurant
ainsi que notre Etat conserverait une majorité juive stable et solide » [4].
Pour ce qu’il est convenu d’appeler la « gauche sioniste », ce projet d’accord
représente en effet une solution de rêve. Non seulement il « bétonne » le
caractère majoritairement juif de l’Etat d’Israël mais il permet d’annexer les
territoires colonisés les plus peuplés de Cisjordanie permettant ainsi de
réduire considérablement le nombre de colons mécontents d’un tel accord. De quoi
espérer une victoire électorale aux prochaines élections ?
L’« Accord de
Genève » n’est conforme ni au principe d’équité ni au droit international. Il
est basé sur un rapport de force qui permet de faire accepter aux négociateurs
palestiniens les « lignes rouges » de la « gauche sioniste ». Vu la situation
catastrophique de leur peuple et le rapport de force à ce point en leur
défaveur, il est pourtant possible qu’un accord de ce type (qui prévoit aussi la
libération graduelle de tous les prisonniers politiques) soit un jour accepté
par des négociateurs palestiniens officiels. Mais comme il n’a pas grand chose à
voir avec la justice, il ne conduira sûrement pas à une véritable
réconciliation. Il ne mettra pas définitivement fin au conflit.
Ceci étant
dit, on est aujourd’hui très loin de la conclusion d’un tel accord. Je crains
fortement que l’encensement médiatique de l’« Initiative de Genève » ne
contribue, comme l’avait fait la signature des Accords d’Oslo (de véritables
accords, ceux-là) à occulter la situation sur le terrain et à démobiliser les
opinions publiques face aux crimes qui se commettent quotidiennement sur ordre
du gouvernement israélien. Je demande à ceux qui dépensent tant d’énergie pour
défendre et pour faire connaître en Europe l’Initiative de Genève, d’en
consacrer un peu pour pousser nos représentants politiques à exercer de réelles
pressions sur le gouvernement israélien, pour qu’il ordonne le démantèlement de
la « clôture de sécurité » qui enferme les populations palestiniennes dans des
ghettos invivables, pour le retrait de l’armée des villes et villages
palestiniens, pour la libération des prisonniers politiques détenus
illégalement, pour que le rapport du Rapporteur Spécial de l’O.N.U. sur la
terrible crise alimentaire qui frappe les territoires occupés soit enfin rendu
public [5], pour soutenir les militaires « refuzniks » et les autres activistes
israéliens qui se battent contre les « attentats ciblés », les destructions de
maisons et de cultures, les confiscations de terres, les humiliations
quotidiennes aux checks points, etc. C’est là que réside la plus grande
urgence.
- NOTES :
1. Une version
française de ce texte est disponible sur la page web : http://www.solidarite-palestine.org/txt004.html2. La ligne verte est la frontière du 4 juin
1967.
3. MITZNA, A., Voilà pourquoi M. Ariel Sharon a peur, in Le Monde
Diplomatique, déc. 2003, p. 19.
4. Ibidem.
5. La publication officielle
de ce rapport, pourtant disponible depuis le mois de septembre dernier, n’a pas
encore eu lieu, du fait de pressions efficaces exercées par le gouvernement
israélien et ses soutiens extérieurs. Son texte intégral est néanmoins
disponible sur Internet, par exemple sur la page www.reseauvoltaire.net/rapport-ziegler.html [L'intégralité du Rapport à été publiée dans le Point d'information
Palestine N°229 du 09/10/2003, nous pouvons vous l'adresser par email à votre
demande, NDLR du PiP].
4. "L'ennemi est leur seul
horizon" par Agnès Rotivel
in La Croix du vendredi 30 janvier
2004
Dans les Territoires palestiniens, des jeunes sans
travail, sans éducation, sans futur et sans objectif sont unis dans la
frustration et la colère.
Une société palestinienne divisée en
tribus, une société en manque de leadership, des jeunes livrés à eux-mêmes, tels
sont les grandes lignes du tableau que Mahdi Abdoul Hadi, responsable de la
Société académique palestinienne pour l'étude des affaires internationales
(Passia) dresse des Palestiniens aujourd'hui. Une société éclatée entre «quatre
millions de Palestiniens dans la diaspora, qui continuent à exister grâce à la
mémoire de leur histoire, et nous, les 3,4 millions de Palestiniens des
Territoires occupés par Israël».
Mahdi Abdoul Hadi plaide pour
d'indispensables changements car la société palestinienne s'enfonce, ses
structures éclatent sous l'effet de l'occupation. Elle est divisée selon lui en
«trois tribus politiques» : le Fatah, parti politique de Yasser Arafat, le
Hamas, mouvement islamiste dirigé par cheikh Ahmed Yassin, et ce que Mahdi
Abdoul Hadi appelle «les professionnels», troisième groupe, dans lequel il range
«les élites des ONG, les démocrates, les visionnaires».
Le Fatah, l'arme
politique de Yasser Arafat, a pour symbole le keffieh, «notre vision de la
Palestine. Notre fierté nationale». L'Organisation de libération de la Palestine
(OLP), poursuit-il, se comporte comme «un vulgaire régime arabe faible et
corrompu». Lorsque ses chefs sont revenus dans les Territoires palestiniens en
1994, les Palestiniens de l'intérieur n'ont pas aimé ce qu'ils ont vu : «une
simple dictature, et non un État de droit». Mais que faire sans ce symbole
qu'est le «Vieux» ? «Il est comme la colle. On ne peut pas s'en défaire. Tout
passe par lui. C'est le vieux cheikh de la tribu. Il fournit de l'argent à tout
le monde, mais il n'a pas le pouvoir. Il ne gouverne pas.» Le seul réformateur
du Fatah, Marouan Barghouthi, a été arrêté et emprisonné par les Israéliens.
Palestiniens et Israéliens n'ont plus de moyens de
communiquer
Face au Fatah, le Hamas. Une organisation née en février 1987 qui a su
gagner les coeurs de nombreux Palestiniens grâce à une politique sociale active.
Elle représenterait 20 à 22 % de la société palestinienne. Mais, selon Mahdi
Abdoul Hadi, elle serait aujourd'hui profondément «divisée» entre la vieille
garde, puissante, dirigée par un «vieux roi», cheikh Ahmed Yassin, politiquement
aveugle, et les jeunes insatisfaits. Les divisions se sont creusées, dit-il,
depuis l'assassinat par Israël de plusieurs de ses dirigeants. Ce sont les
jeunes qui font la loi à Gaza. Ils ont leur propre agenda, différent des chefs
du mouvement. Ils veulent un État palestinien mais à leur façon, plus
radicale.
Enfin, la troisième tribu, un groupe éclaté dans lequel cet intellectuel
palestinien range, pêle-mêle, «les professionnels, les élites des ONG, les
démocrates, les visionnaires». Ils rêvent d'une «troisième voie». «Ils
représentent la société, mais faute de leader, ils ne peuvent développer leur
programme politique».
Qui reste-t-il dans la société en dehors de ces trois tribus ? Des jeunes
sans travail, sans éducation, sans futur et sans objectif, unis dans la
frustration et la colère. Sur ce terreau se développe ce que Mahdi Abdoul Hadi
appelle «la culture du sacrifice» qui dans l'islam veut qu'un homme ou une femme
qui meurt en défendant sa terre devienne un martyr.
«Les jeunes font la queue pour se faire sauter parce que l'ennemi est leur
seul horizon dans leur vie.» Le leadership est en peine de leur offrir un
espoir. L'ex-premier ministre palestinien Mahmoud Abbas, jugé trop «faible et
instrumentalisé par les Israéliens», a échoué. Le nouveau, Abou Ala, joue une
autre tactique, celle de la reconnaissance du plus grand nombre. On l'a vu
rendre visite au chef du Hamas à Gaza et se faire photographier à ses
côtés.
Palestiniens et Israéliens n'ont plus de moyens de communiquer, conclut
l'intellectuel, et pourtant il faut que les Israéliens comprennent qu'avec la
politique d'Ariel Sharon ils créent toujours plus de haine.
Aussi, Mahdi Abdoul Hadi prône-t-il la tenue d'élections dans les
Territoires palestiniens, mais sans la présence israélienne, afin que tous les
«sans-nom, les sans-visage de notre société puissent enfin s'exprimer».
5. L'inacceptable expulsion des
Palestiniens par Pascal Fenaux
in Courrier international du vendredi
23 janvier 2004
L'historien israélien Benny Morris a justifié l'exode
forcé des Palestiniens en 1948 en affirmant qu'à l'époque, l'alternative était
détruire ou être détruit. Un propos qui est plutôt passé inaperçu auprès de la
population israélienne mais qui a suscité de fortes réactions de la part
d'intellectuels juifs.
Le 9 janvier 2004, Mousaf Ha'Aretz, le supplément
sabbatique du quotidien libéral de centre-gauche Ha'Aretz, publiait un entretien
fleuve accordé au journaliste Ari Shavit par l'historien israélien Benny Morris.
Dans cet entretien, Benny Morris révélait le contenu de ses dernières recherches
sur les causes de l'exode palestinien de 1948 : l'armée israélienne a mis en
oeuvre des directives émises par le Premier ministre David Ben Gourion et
destinées à expulser autant de Palestiniens que possible. Loin de déplorer cet
épisode central du conflit israélo-arabe, Benny Morris déclarait qu'"en 1948,
l'alternative était détruire ou être détruit, l'épuration ethnique ou le
génocide. Un Etat juif ne pouvait naître sans le déracinement de 700 000
Palestiniens. [...] Mon sentiment est que cet endroit [Israël] serait moins
pénible si l'hypothèque démographique avait été levée une fois pour toutes. Si
Ben Gourion avait nettoyé le pays dans son entièreté, notre Etat aurait été
consolidé pour plusieurs générations."
Enfin, sur la tournure actuelle du
conflit, le cycle attentats-liquidations et l'édification d'une "clôture de
séparation" au tracé de plus en plus controversé, Benny Morris estimait que
"quand on a affaire à un tueur en série, l'essentiel n'est pas de comprendre
pourquoi mais bien de l'enfermer ou de l'exécuter. [...] Les valeurs du monde
arabe sont aujourd'hui celles de barbares. Comme les Croisés, nous, Israéliens,
sommes une branche vulnérable de l'Europe dans cette région."
Dans un premier
temps, cet entretien choc a suscité peu de commentaires du Ha'Aretz et de ses
concurrents israéliens. Certes, le quotidien conservateur Maariv y faisait
indirectement référence le lendemain de la manifestation qui, le 11 janvier,
rassemblait à Tel-Aviv 100 000 militants de droite opposés au démantèlement de
quelques colonies décrété par Ariel Sharon : "Dans cette foule portant le deuil
du Grand Israël, le nom de Benny Morris était sur toutes les lèvres. Le prophète
du post-sionisme considère désormais positivement le 'transfert' et les
manifestants déboussolés se raccrochaient à lui comme à un nouveau
Messie."
Mais il aura fallu attendre le Mousaf Ha'Aretz du 16 janvier pour
découvrir des réactions émanant d'intellectuels et de collègues de Benny Morris.
Ainsi, pour l'historien Haggaï Ram, de l'université Ben Gourion de Beersheva,
"si la liberté de parole et la liberté de recherche sont des valeurs
fondamentales, ces libertés ont des limites morales et éthiques que le
professeur Morris vient de fouler aux pieds. De sa chaire d'historien, il
délivre une interprétation anhistorique et raciste quant aux Palestiniens, au
monde arabe et au monde musulman. Ses propos reviennent à valider des crimes
contre l'humanité qu'Israël pourrait commettre à l'avenir. Enfin, Morris n'est
pas sans savoir qu'une partie de ses étudiants appartiennent à la communauté
palestinienne d'Israël [les Arabes israéliens] qu'il qualifie de 'cinquième
colonne' et de 'bombe à retardement'."
Pour Adam Keller, un des animateurs du
Goush Shalom [Bloc de la Paix, gauche radicale], "Morris est incapable de tirer
les leçons morales de ses recherches sur la guerre de 1948. Il ne s'agit pas de
démanteler l'Etat d'Israël. Un enfant né d'un viol a un droit imprescriptible à
la vie. Il s'agit tout simplement qu'Israël reconnaisse la terrible injustice
que sa création a infligée aux Palestiniens et qu'il indemnise en conséquence
ces derniers." Pour l'ancien député travailliste Ori Orr, "Benny Morris nous
présente comme une bande de voleurs bénéficiant d'une impunité de fait qui
devrait l'encourager à récidiver. De même, il nous met en garde contre un monde
arabe au comportement de tueur en série et de barbare. Et il voudrait que nous
en tirions les leçons. Désolé, mais ces leçons, il peut les garder pour lui
seul." Enfin, le politologue de l'université de Bir Zeit, Selim Tamari,
"remercie Morris d'avoir résolu la quadrature du cercle entre la recherche sur
1948 et les conclusions politiques à en tirer. J'ai toujours considéré que
l'opposition israélienne au droit de retour était moins liée à la démographie
qu'à la peur des 'barbares'."
Ce sont des organes non israéliens qui, en
définitive, auront été les plus prompts à publier des réactions israéliennes.
Sur Amin, le site Internet du journaliste américano-palestinien Jonathan Kuttab,
le sociologue Lev Grinberg réagissait dès le lendemain de la publication de
l'interview de Morris. "Voici un mois, alors que je l'invitais à débattre du
dernier livre de Yehuda Shenhav, 'Les Juifs arabes', l'ashkénaze Morris me
répondit : 'Pourquoi me fatiguer à répéter ce que je pense des Juifs orientaux
?' Et il est vrai qu'à plusieurs reprises, il a eu l'occasion d'exprimer la
répulsion que lui inspire l'Orient, tout l'Orient, Juifs orientaux y compris."
Et, dans sa newsletter hebdomadaire, Tikkun, bimestriel libéral juif américain,
publiait une réaction du sociologue israélien Adi Ophir. "Pour Morris, dans
certaines circonstances, l'expulsion, voire le génocide, sont inévitables et
justifiables. Les assassins rwandais et serbes qui comparaissent aujourd'hui
devant la justice internationale pourraient l'engager comme conseiller
juridique. Pis, Morris donne raison aux Palestiniens pour qui la mentalité
israélienne est ainsi faite qu'il est inutile de négocier avec nous. Morris nous
enferme dans une logique sans issue qu'il justifie en recourant à un vocabulaire
psychologique effrayant : les Palestiniens sont une société malade. Mais le plus
effrayant, ce n'est pas tant la logique de destruction mutuelle défendue par
Morris que le fait que Ha'Aretz ait jugé opportun de faire sa Une des propos de
cet homme. S'il y a bien une société malade, c'est celle qui autorise la
publication d'un tel discours et contribue à
l'alimenter."
6. L'ambassadeur d'Israël en Suède
vandalise une oeuvre d'art glorifiant selon lui les
kamikazes
Dépêche de l'agence Associated Press du samedi 17 janvier
2004, 16h26
STOCKHOLM - Un ambassadeur qui perd son sang-froid. Le
gouvernement suédois réclame samedi des explications au représentant d'Israël en
Suède, convoqué pour avoir endommagé dans un musée une oeuvre d'art qui selon
lui glorifie les auteurs d'attentats-suicide.
Vendredi, l'ambassadeur Zvi
Mazel, en poste depuis 2002, a été expulsé du Musée national des Antiquités: il
avait endommagé une des oeuvres exposées, en lui jetant un spot
d'éclairage.
Il s'agissait d'un petit bateau transportant la photo d'une
kamikaze du Jihad islamique flottant sur un petite piscine rectangulaire remplie
d'eau rougie. Hanadi Jaradat s'était faite exploser le 4 octobre à Haïfa,
entraînant 21 passants dans la mort.
"Ce n'était pas une oeuvre d'art,
c'était une monstruosité, une déformation obscène de la réalité", a déclaré
l'ambassadeur à la radio suédoise.
Intitulée "Blanche-Neige et la folie de la
Vérité", cette représentation visait à mettre l'accent sur les choses horribles
que deviennent capables de faire des gens faibles, isolés, manipulés, a expliqué
l'artiste d'origine israélienne, Dror Feiler. Pour lui, l'ambassadeur a "cherché
à empêcher la liberté d'expression".
Convoqué la semaine prochaine au
ministère suédois des Affaires étrangères, Zvi Mazel devra s'expliquer. "De
notre côté, nous réaffirmerons qu'il est inacceptable de détruire des oeuvres
d'art de cette manière", a déclaré la porte-parole Anna Larsson.
L'exposition
de cette oeuvre avait lieu dans le cadre de la conférence internationale sur la
prévention du génocide, qui doit s'ouvrir plus tard en janvier à Stockholm.
"Vous pouvez réagir à l'art de beaucoup de manières, mais la violence n'est
jamais défendable", a estimé Kristian Berg, directeur du musée.
Selon la
diplomatie israélienne, l'exposition "va à l'encontre" de l'accord passé entre
l'Etat hébreu et la Suède, selon lequel cette conférence ne devait pas traiter
du conflit israélo-palestinien.
L'Etat hébreu a donc réclamé la suppression
de l'oeuvre incriminée, "parce c'est une glorification d'une femme kamikaze"
ayant tué des civils israéliens, a déclaré le porte-parole de la diplomatie
israélienne David Saranga. "Si la Suède ne le fait pas, Israël rééxaminera sa
participation à la conférence".
7. Romano Prodi taxé
d'antisémitisme par Jean Quatremer
in Libération du mercredi 7
janvier 2004
Indigné, il suspend la préparation d'un
séminaire coorganisé par le Congrès juif mondial et Bruxelles.
Bruxelles (UE) de notre correspondant - Romano Prodi n'a pas supporté de se
faire taxer d'antisémitisme par les dirigeants des Congrès juifs mondial (CJM)
et européen, respectivement le célèbre homme d'affaires américain Edgar Bronfman
et l'Italien Cobi Benatoff. «A la fois surpris et choqué», le président de la
Commission européenne a annoncé hier qu'il «suspendait» la préparation d'un
séminaire sur l'antisémitisme coorganisé par le Congrès juif et l'exécutif
européen, prévu le mois prochain, en estimant que les «conditions» du dialogue
n'étaient plus remplies.
En jouant la crise, Romano Prodi a voulu placer
Bronfman et Benatoff devant leurs responsabilités. Lundi, les deux hommes ont
publié une tribune dans le Financial Times, le quotidien britannique des
affaires, dans laquelle ils jugent la Commission «coupable» d'antisémitisme, à
la fois «par action et par inaction». La charge, d'une rare violence, est
motivée par la publication, en novembre dernier, d'un sondage commandé par
Eurostat, l'office statistique de l'UE, d'où il ressortait que les citoyens
européens considéraient Israël cité dans la question avec neuf autres pays
comme «le plus grand danger pour la paix dans le monde». L'affaire s'est
aggravée lorsque le CJM a révélé que l'Observatoire européen sur le racisme et
la xénophobie avait retoqué une étude montrant une augmentation des actes
antisémites en Europe et l'implication des minorités musulmanes dans cette
recrudescence. Pour l'Observatoire basé à Vienne, l'échantillon retenu par les
chercheurs était trop restreint. Pour le CJM, c'était un acte de «censure» de la
Commission.
«Les faits sont têtus et les ignorer est très périlleux»,
écrivaient lundi Bronfman et Benatoff. «Dans le cas présent, ceux qui sont le
plus menacés ne sont pas les obstructionnistes qui ont retenu l'étude pendant
presque un an mais les juifs d'Europe, témoins et victimes des actes les plus
barbares de massacre et de cruauté jamais perpétrés de mémoire d'homme». Le
sondage et l'étude montrent, pour les dirigeants du Congrès juif mondial, que
«la politique d'Israël à l'égard des Palestiniens fournit une excuse pour
critiquer les juifs d'une façon générale» en Europe. «Pour l'Union européenne,
cacher ces faits empeste la malhonnêteté intellectuelle et la trahison morale.»
Romano Prodi a d'autant plus mal pris ces attaques qu'il pensait avoir désamorcé
le malentendu : à New York, où il se trouvait au moment de la publication du
sondage contesté, il avait proposé au CJM l'organisation d'un séminaire commun
afin de «débattre du problème de l'antisémitisme dans la perspective plus large
du rôle des communautés juives» en Europe. Ricardo Levi, proche conseiller de
Romano Prodi, ne cache pas sa surprise : «Cette tribune est publiée à l'issue
d'une période de dialogue intense. Je n'arrive pas à comprendre l'enjeu de cette
affaire.»
Cet incident participe du procès en antisémitisme qui est fait à
l'Union depuis le début de la seconde intifada. Jacques Chirac en a lui-même été
victime, en octobre dernier : un journal israélien avait alors accusé le
président de la République d'antisémitisme au prétexte faux qu'il se
serait opposé à ce que le Conseil européen condamne les propos, réellement
antisémites, du Premier ministre malaisien. Pris par surprise, Jacques Chirac
avait eu quelques difficultés à se sortir de ce guêpier : il avait fallu que le
gouvernement israélien vole finalement à son secours pour que l'affaire en reste
là. Cette fois, c'est le président de l'Union des communautés juives d'Italie,
Amos Luzzatto, qui s'y colle. Dans une déclaration publiée hier, il fait part de
sa «consternation» et «prend ses distances à l'égard du CJM» : «Cette polémique
n'aidera pas à combattre le risque d'antisémitisme.»
8. Ryad juge l’initiative de paix arabe
suffisante pour contrer les projets d’implantation par Khalil
Fleyhane
in L'Orient - Le Jour (quotidien libanais) du lundi 5 janvier
2004
Ryad, de notre envoyé spécial - Le ministre des Affaires
étrangères Jean Obeid a entamé hier des entretiens en Arabie saoudite, dans le
cadre d’une tournée arabe destinée à promouvoir l’adoption d’un plan interarabe
ayant pour objectif de contrer les projets d’implantation des réfugiés
palestiniens dans les pays d’accueil.
Les dirigeants saoudiens que M. Obeid a
rencontrés ont réitéré le soutien de la monarchie au Liban, mais sont demeurés
plus timorés au sujet de l’élaboration d’un nouveau plan pour contrer
l’implantation, estimant que l’initiative arabe de paix, adoptée en 2002 au
sommet de Beyrouth était suffisante à cet égard.
M. Obeid a été reçu hier
après-midi par le roi Fahd ben Abdel-Aziz, à qui il a transmis un message verbal
du chef de l’État, Émile Lahoud, dont la teneur n’a pas été précisée.
Au
cours de l’entretien, le chef de la diplomatie a insisté sur l’attachement du
Liban au droit de retour des réfugiés palestiniens dans leur patrie et fait État
d’une unanimité chez les Libanais à ce sujet.
M. Obeid a également été reçu
par le prince héritier et homme fort du royaume, Abdallah ben Abdel-Aziz. Ce
dernier a souligné, au cours de l’entrevue, l’importance de la solidarité
interarabe et réaffirmé le soutien de l’Arabie saoudite au Liban.
Auparavant,
le ministre des Affaires étrangères avait eu un long entretien en tête à tête
avec son homologue saoudien, le prince Saoud el-Fayçal. Durant près de deux
heures et demie, les deux responsables ont passé en revue les principaux sujets
intéressant la région, notamment le conflit israélo-arabe et la question du
droit du retour, avant d’être rejoints par leurs collaborateurs.
« La
solidité des relations entre les deux pays n’a pas besoin d’être affirmée », a
déclaré le prince Saoud lors d’une conférence de presse commune à l’issue des
discussions.
Interrogé sur la position de son pays au sujet des velléités
d’implantation des réfugiés palestiniens dans les pays d’accueil, le ministre
saoudien a dit : « Naturellement, cette question intéresse au premier chef les
Palestiniens eux-mêmes, qui ont d’ailleurs une opinion à ce sujet. » « Je pense
qu’il ne faudrait pas que nous cédions à la stratégie israélienne qui cherche à
faire en sorte que la question palestinienne devienne un problème interarabe »,
a-t-il ajouté, estimant « nécessaire de faire face à cette manœuvre » .
«
Seule la solidarité entre les pays arabes et leur capacité à traiter les
questions délicates, comme celle du retour des Palestiniens, nous le permettront
», a-t-il dit.
À la question de savoir si l’Arabie saoudite allait soutenir
les demandes du Liban au sujet du droit au retour, le chef de la diplomatie
saoudienne s’est refusé à singulariser son pays, se retranchant derrière
l’initiative arabe adoptée au sommet de la Ligue tenu à Beyrouth en mars 2002.
Cette initiative qui propose une normalisation des relations entre les pays
arabes et Israël en échange d’un retrait de tous les territoires occupés, «
évoque le droit des Palestiniens au retour », a-t-il noté.
Enfin, sur le
point de savoir s’il était favorable à un plan interarabe pour contrer
l’implantation des réfugiés, comme le propose Beyrouth, il a une nouvelle fois
éludé la réponse, affirmant que « le plan de paix » (l’initiative arabe)
pourrait faire l’affaire. Il a, d’ailleurs, souligné qu’il était « temps de
réactiver l’initiative arabe ». De son côté, M. Obeid a estimé que l’objectif de
« faire échec aux projets d’implantation fait partie de l’initiative arabe ».
Or, a-t-il poursuivi, cette initiative, ainsi que les fondements de Madrid, à
l’origine du processus de paix, sont entrés « au cœur de la “feuille de route”
agréée par le Conseil de sécurité ».
Interrogé sur le plan de paix non
officiel de Genève, conclu en novembre dernier entre Israéliens et Palestiniens,
M. Obeid a souligné que ce plan « n’est pas éloigné de la “feuille de route” ni
de l’initiative arabe ».
« Il s’agit d’un effort non gouvernemental dont nous
espérons qu’il aura des effets bénéfiques sur l’opinion publique », a-t-il
ajouté.
Par ailleurs, M. Obeid s’est rendu au siège du Conseil de coopération
du Golfe, où il s’est entretenu avec le secrétaire général de cet organisme,
Abdel Rahmane Attié.
Le chef de la diplomatie, qui était arrivé samedi à
Ryad, doit se rendre ce lundi soir à Bahreïn. Ultérieurement, il compte visiter
le Koweït, Qatar, les Émirats arabes unis et le sultanat d’Oman.
9. Vers la tenue d’un forum mondial contre
l’implantation par Edouard Bassil
in La Revue du Liban (hebdomadaire
libanais) du samedi 3 janvier 2004
Il y a eu du nouveau, ces derniers
jours, à propos de l’implantation. En effet, Ileana Ros-Lehtinen, auteur d’une
proposition de loi prévoyant l’installation des réfugiés palestiniens dans les
pays où ils résident, a décidé de la retirer, “après avoir réalisé les graves
retombées d’une telle solution sur certains Etats hôtes, le Liban en tête.
D’ailleurs, M. Farouk Kaddoumi, chef du département politique de l’OLP (notre
photo), est venu à Beyrouth cette semaine, pour réaffirmer le droit au retour
des Palestiniens de la diaspora.
Nous ne parlerons jamais assez de
l’implantation, surtout que ce sujet semble faire maintenant l’unanimité dans
les milieux officiels américains et européens.
M. Farouk Kaddoumi, chef du
département politique de l’OLP, est venu à Beyrouth pour s’en entretenir, une
fois de plus, avec les responsables et dissiper leurs craintes quant à sa
concrétisation.
Il était porteur, assure-t-on, d’un message personnel de M.
Yasser Arafat, chef de l’Autorité palestinienne, au président Emile Lahoud,
exprimant son appréciation des prises de position du chef de l’Etat et des
constantes qu’il proclame dans les instances régionales et internationales,
autour du droit des réfugiés de réintégrer leur terre et, partant, de s’opposer
à leur implantation dans les pays où ils sont actuellement établis.
Le
président de la République a réitéré devant le chef du département politique de
l’OLP ce qu’il ne cesse de répéter, à savoir que l’attachement du Liban au droit
de retour des Palestiniens, ne découle pas, uniquement, de la résolution 194 du
Conseil de sécurité, mais du fait que le déni de ce droit annihile l’essence de
la cause palestinienne.
Il nous revient que M. Kaddoumi a transmis au
président Lahoud, le souhait de l’Autorité palestinienne de le voir entreprendre
une action au double plan arabe et international, à partir du Liban, en sa
qualité de principal opposant avec la Syrie, à tous les projets d’implantation,
en vue de préparer un forum mondial à consacrer à cette grave affaire.
Il
s’agirait d’une conférence internationale appelée à élaborer un plan d’action
commun efficace, en vue de mettre en échec toute tentative destinée à faire
adopter de tels projets qui servent, en définitive, les intérêts de l’Etat
hébreu et ses visées expansionnistes.
Les pourparlers de M. Kaddoumi à
Beyrouth ont, également, porté sur les conciliabules palestino-israéliens ayant
débouché sur “l’initiative de Genève”. Les responsables libanais ont émis des
réserves sur cette initiative, pour la simple raison qu’elle ignore le problème
des Palestiniens de la diaspora et méconnaît leur droit au retour en Terre
sainte.
Le président Lahoud a attiré l’attention sur le fait que les formules
et projets ambigus ne peuvent favoriser la solution du conflit israélo-arabe.
“L’attachement aux résolutions de la légalité internationale, soutient-il, la
fermeté dans les positions envers les causes justes et la persistance de la
résistance pouvant maintenir vivante la première cause des Arabes dans la
conscience et la communauté mondiales... D’ailleurs, la création de l’Etat
hébreu en 1948 était conditionnée par la nécessité d’assurer le retour des
Palestiniens à leur terre dont ils ont été expulsés manu militari”.
10. Irak : nouveau
Vietnam ? par Gilles Munier
in 7 Jours du samedi 3 janvier
2004
En 30 ans de voyages en Irak, je n’ai jamais rencontré personne
croyant l’armée irakienne capable de barrer la route aux Américains. En
revanche, six mois avant l’agression américaine, la plupart des Irakiens se
disait prêt à résister en cas d’occupation de leur pays et il était presque de
notoriété publique que le parti Baas s’était doté d’une direction clandestine,
que des cellules dormantes attendaient leur heure et que des caches d’armes
étaient aménagées dans le pays.
En arrêtant Saddam Hussein, George W.
Bush a gagné des points dans les sondages, mais il ne peut plus accuser la
guérilla d’être composée de « gangs de tueurs nostalgiques à la solde du
président irakien ». Dans quelques semaines, il s’apercevra – paradoxalement –
que sa capture a galvanisé la Résistance. En humiliant son adversaire, il a
soulevé une vague de haine dans tout le monde musulman. La version américaine de
l’arrestation est maintenant remise en cause par un groupe indépendantiste kurde
qui la revendique. D’autres affirment que des gaz paralysants ont été utilisés
pour l’arrêter. En tout cas sur les images présentées à la télévision, il était
blessé et drogué . Finalement, le plus étonnant c’est qu’on ait laissé Saddam
Hussein en vie. Est-ce pour faire chanter des personnalités politiques
occidentales qui risquent d’être accusées de « complicité de crime contre
l’Humanité » ? S’il meurt en prison – assassiné pour le faire taire ou non - il
deviendra un martyr aux yeux de nombreux musulmans.
Sur le terrain malgré les
centaines d’arrestations, les GI’s s’enlisent. Faut-il pour cela parler de «
nouveau Vietnam », comme le font des commentateurs américains ? Quels sont les
points de comparaison entre les deux guerres ? Lyndon Johnson avait prétexté
d’un incident douteux dans le Golfe du Tonkin pour déclencher l’escalade
guerrière contre Hanoi. George W. Bush, lui, a agité la menace fictive des armes
de destruction massive irakiennes. Certes, il y a moins de morts en Irak qu’au
Vietnam, mais leur impact sur l’opinion américaine est différent. Le Pentagone a
tellement martelé la théorie du « zéro mort » qu’un militaire tué en vaut
maintenant des dizaines. Résultat : cette fois le « bourbier » est d’abord dans
les têtes. Il n’a pas fallu cinq ans pour attendre les premières réactions des
familles de soldats.
Apparemment l’Etat-major américain n’a tiré aucun
enseignement de la défaite vietnamienne. Il se prépare à « irakiser » la guerre
comme il a « vietnamisé » celle du Vietnam. Nous allons assister à une ronde de
gouvernements irakiens fantoches et d’hommes soi-disant providentiels. L’US Army
va se calfeutrer dans des bases « imprenables » pour limiter ses pertes. Des
milices locales feront régner la terreur. Demain, l’Iran et la Syrie seront
tenus pour responsables de la dégradation de la situation, comme l’ont été hier
le Cambodge et le Laos. Ils seront peut être bombardés, déstabilisés. Et après ?
Même si l’URSS et la Chine maoïste n’existent plus, même si la Résistance
irakienne n’a pas la cohésion du Vietcong, elle a derrière elle une majorité
d’Irakiens, le monde musulman et une partie de l’opinion publique mondiale.
Quantités négligeables pour George W. Bush ? Staline disait aussi : « Le Pape
! Combien de divisions ? ». On connaît la suite. Parions qu’il ne faudra
pas dix ans avant que les Américains s’en aillent.
11. Pourquoi les accords de Genève ne sont pas
viables par Thierry Meyssan
on Réseau Voltaire -
Décembre 2003
Les accords de Genève, le nouveau plan de paix né de "
l'initiative citoyenne " de l'Israélien Yossi Beilin et du Palestinien Yasser
Abed Rabo, ont bénéficié, depuis leur apparition sur la scène internationale, de
relais de communication exceptionnels. Lors de leur signature protocolaire, on
trouvait parmi les délégations un grand nombre de personnalités, acteurs,
chanteurs, philosophes. Des hommes d'État tels que Colin Powell et Tony Blair
ont salué la démarche. Une étude approfondie de l'accord révèle pourtant que,
loin d'être la solution idéale à tous les problèmes, ce texte ne permet pas
d'envisager la mise en œuvre durable de la paix.
Des accords de paix
israélo-palestiniens ont été signés en grande pompe à Genève, le 1er décembre.
Un impressionnant parterre de personnalités, venues du monde entier, assistait à
la cérémonie, tandis que la presse internationale versait des louanges sur les
principaux négociateurs, l'Israélien Yossi Beilin et le Palestinien Yasser Abed
Rabo. D'une manière générale, les commentateurs voient là le redémarrage du
processus d'Oslo, interrompu par l'assassinat de Rabin, et la preuve que la "
solution à deux États " peut être mise en œuvre immédiatement. C'est tout au
moins ce que l'on voudrait nous faire croire. Je m'efforcerai de démontrer le
contraire : l'initiative de Genève montre par défaut que la solution à deux
États est définitivement impossible.
Il existe une quantité de plans de paix
concurrents. Outre l'Initiative de Genève, on connaît notamment l'accord
Ayalon-Nusseibeh, la Feuille de route du Quartet diplomatique et l'Initiative
arabe du prince Abdallah d'Arabie saoudite. Sans parler du projet Erdan. Le
problème ne réside donc pas dans l'absence de propositions.
Lorsqu'on
présente ces plans au public, on détaille les concessions des uns et des autres.
Comme si la paix était le fruit d'un troc, d'un marchandage. Puis, on compare
les différents plans entre eux pour évaluer lequel est le plus avantageux pour
tel ou tel camp. Enfin, on explique les diverses oppositions à ce plan en
fonction d'intérêts particuliers, avant de conclure que son rejet est imputable
à des fanatismes. Cependant l'Histoire nous apprend que pour réussir, un plan de
paix doit répondre à des critères formels de négociation. Et il se trouve, que
depuis cinquante ans, aucun de ces critères n'a jamais été rempli par les plans
de paix successifs pour le Proche-Orient, y compris la récente initiative de
Genève.
Illégitimité des négociations secrètes
En premier
lieu, si l'évaluation des problèmes peut-être réalisée par des personnes
non-mandatées, dans le cadre d'initiatives privées, voire dans le secret, les
négociations proprement dites ne peuvent être conduites que par ceux qui sont en
situation d'appliquer les décisions. Lorsque le pouvoir est détenu par des
monarques, les négociations peuvent avoir lieu de personne à personne dans le
secret. Mais, lorsque le pouvoir appartient aux peuples, ceux qui les
représentent doivent leur rendre compte pas à pas, faute de quoi aucune décision
ne sera applicable. À l'issue de la Première Guerre mondiale, les démocraties
s'étaient engagées à ne plus jamais recourir à la diplomatie secrète parce que
l'expérience avait montré que des accords négociés en secret étaient source de
guerre. L'ONU a été construite sur ce principe. L'initiative de Genève est, de
ce point de vue, de toute manière vouée à l'échec.
Exclusion de certains protagonistes
En second lieu,
pour réussir, des négociations doivent impliquer toutes les parties concernées.
Or, les événements de Palestine sont présentées depuis des années comme un
conflit opposant les Israéliens aux Palestiniens. On en conclut donc que ces
deux groupes peuvent régler le problème à eux deux. Pourtant, il est absurde de
prétendre que les Israéliens en veulent aux Palestiniens. Lorsqu'il a formulé le
projet sioniste, Theodor Herzl n'envisageait pas d'installer l'État juif en
Palestine, mais en Argentine, puis en Ouganda.
Ce sont les Britanniques, en
1917, qui ont fixé le foyer national juif en Palestine. Et chacun peut constater
que les États-Unis sont aujourd'hui partie prenante du conflit. En outre,
l'expulsion des Palestiniens a provoqué des migrations dans toute la région,
étendant ainsi le problème au monde arabe. Enfin, la querelle sur la
souveraineté de Jérusalem concerne les croyants de trois religions monothéistes
: les juifs, les chrétiens et les musulmans. Il est vain d'exclure tous ces
protagonistes des négociations et de prétendre leur imposer une solution. C'est
pourtant la tactique qu'a imposée Henry Kissinger, il y a trente ans, et que
l'on poursuit encore. Cela s'appelle diviser pour régner.
Abandon du droit au retour
En troisième lieu, des
négociations doivent distinguer ce qui est fondamental de ce qui est
aménageable. Nul ne peut marchander les Droits de l'homme. Or, la résolution
194, adoptée par l'ONU en 1948, proclame que le " droit au retour " des
Palestiniens est " inaliénable ".
Ce droit s'applique aux personnes
expulsées par la force et à leurs héritiers, soit aujourd'hui environ 4 millions
de personnes. Bien sûr, il ne s'agit pas d'un droit à revenir habiter sa maison,
car celle-ci peut avoir été détruite. Mais un droit de retrouver sa terre et de
disposer d'une juste compensation de l'expropriation que l'on a subie.
Sur
ce point, l'initiative de Genève est fort confuse et les différents négociateurs
en ont d'ores et déjà une interprétation différente. Pour Yasser Abed Rabo, le
"droit au retour" a été aménagé, mais pour Yossi Beilin, il a été abandonné. Or,
le propre d'un droit inaliénable, c'est que nul ne peut y renoncer, pas même
celui qui en jouit.
Par ailleurs, pour les principaux partis politiques
israéliens, le " droit au retour " est vécu comme une menace pesant sur la
survie de l'État juif. En effet, la présence physique de 4 millions de
Palestiniens sur le territoire israélien ferait basculer l'équilibre
démographique d'un pays de 6,6 millions d'habitants, qui comprend déjà 1,2
millions d'Arabes. En négociant illégitimement et illégalement le " droit au
retour " des Palestiniens, les initiateurs du pacte de Genève ont en réalité
cherché à régler un autre problème : la nature de l'État d'Israël.
La " solution à deux États " arrive trop tard
Nous
arrivons là à la quatrième condition nécessaire à la négociation juste d'un
accord de paix : définir l'architecture finale avant de débattre des
aménagements intérieurs. Ici la question est de savoir si l'on cherche un État
fédéral bi-national, comme le souhaitait l'ONU au départ ; ou deux États
distincts, comme on le prône aujourd'hui ; ou encore un seul État garantissant
les droits individuels de chacun à égalité comme on sera forcé de le faire
bientôt. Le postulat de l'initiative de Genève, c'est la " solution à deux États
". Et le fait que, pour y parvenir, on ait été obligé de bafouer un droit
inaliénable et de violer toutes les règles diplomatiques prouve, a contrario,
que cette solution n'est plus viable.
Elle arrive trop tard
Les pères fondateurs d'Israël, en
proclamant unilatéralement la création de leur État, portent la responsabilité
d'avoir fait échouer, il y a cinquante ans, la solution de l'État binational.
Ils ont trop attendu pour la solution à deux États. Il ne reste plus que la
décolonisation au sens où elle a été conduite en l'Afrique du Sud, mais il leur
manque des hommes de la trempe de De Klerk et Mandela. Le fond du problème
réside dans le caractère anachronique du projet sioniste, dernier reliquat du
nationalisme ethnique du XIXe siècle. Ce projet n'a plus de sens dans un monde
démocratique et globalisé. Il faudra bien admettre que, pour se pérenniser,
Israël doit devenir un État comme les autres, avec une population hétéroclite.
L'initiative de Genève nous apprend qu'il existe une alternative en Israël à
la politique d'Ariel Sharon, mais elle nous montre aussi que l'opinion publique
israélienne n'est pas encore mûre pour prendre les décisions qui s'imposent. Le
soutien apporté par de nombreux intellectuels européens et par la presse
internationale à cette initiative illustre leur volonté de se démarquer de
Sharon, sans pour autant accepter l'égalité en Palestine.
12. Accord de Genève - Complicité avec le crime
d'Apartheid par Daud Abdullah
in The Palestine Times (e-mensuel
palestinien) du mois de décembre 2003
[traduit de
l'anglais par Claude Zurbach]
(Daud Abdullah
est chercheur au Palestinian Return Center et éditeur de la revue
Return.)
De tous les endroits du monde sous les feux de l'actualité,
le Moyen-Orient est certainement le plus lucratif pour l'industrie des
"résolutions de conflit". Cette région du monde est à ce point privée de paix
que n'importe quel plan peut s'y vendre. Avec la "Feuille de route" qui est tout
sauf officiellement enterrée, plusieurs initiatives sont en concurrence pour lui
succéder. Le dernier "jeu à la mode" est l'accord de Genève.
Après le fiasco
du processus de Madrid, les courtiers en paix sont retournés là où tout a
commencé, c'est-à-dire en Suisse. L'importance symbolique de ce pays est sans
égale. C'est dans la ville de Bâle que le premier congrès sioniste a lancé son
programme de promotion de "la colonisation de la Palestine par des travailleurs
et agriculteurs juifs".
Hélas, même avec l'ensemble des structures et
institutions du régime colonial encore en place, un groupe d'opposants
Israéliens et d'officiels Palestiniens ont choisi Genève comme lieu de signature
de leur agrément pour une paix finale. Le document de 10 000 mots est largement
considéré comme une production intellectuelle de l'ancien ministre de la Justice
israélien, Yossi Belin, ainsi que de Yasser Abed Rabbo, l'ancien ministre
palestinien de l'Information.
Toile de fond et timing
Si on laisse de côté le
symbolisme de Genève, le moment choisi pour la proclamation de l'accord parait
beaucoup plus significatif. Cet accord survient dans une période où la seconde
Intifada a plongé l'état d'Israël dans la pire crise sociale et économique qu'il
ait connu depuis sa création.
Après trois années de résistance à l'occupation
[imposée aux Palestiniens - N.d.T], l'économie israélienne est en phase de
déclin continu. Tourisme, investissements, et exportations sont tous
virtuellement paralysés : 66 % des services liés au tourisme ont fermé et leurs
revenus stagnent à 500 millions de dollars US, comparés aux 7 milliards de 1990.
L'ensemble des pertes subies par les industries touchées dépasse les 6,5
milliards de dollars US.
Dans le même temps une étude produite par le
Secrétariat Général des Affaires Economiques de la Ligue Arabe estime que la
poursuite de l'agression israélienne et de la résistance palestinienne
entraînent pour l'économie israélienne une perte journalière de 30 millions de
dollars US. La production en provenance des implantations coloniales a chuté de
70 % après que près de 50 % des colons aient quitté les colonies. Alors que le
nombre de migrants vers Israël ne dépasse pas les 15 % du nombre projeté, on
estime à 250 000 le nombre d'Israéliens ayant quitté leur pays.
Quant au
niveau social, le quotidien israélien, Yediot Ahronot, rapporte le 18 février
2002 que un israélien sur trois souffre d'une forme de désordre psychologique.
L'usage de stupéfiants est en augmentation, spécialement dans l'armée. Et, comme
c'est toujours le cas, cette augmentation s'est doublée d'une augmentation
régulière de la criminalité, en particulier dans les vols, les meurtres, les
viols.
Voici ce qu'il en est du contexte de l'accord de Genève.
Une annexe d'Oslo
Dans les milieux officiels, Il n'y a
eu aucune limite dans les louanges vis à vis de l'accord de Genève. Du candidat
sortant Tony Blair aux personnalités d'hier comme Bill Clinton, Nelson Mandela
et Fréderic de Klerk, les leaders mondiaux ont clairement fait bon accueil à cet
accord. Comme prévu, les mots récurrents dans leur concert de louanges sont
"pragmatisme" et "concessions". Le fait que cet accord s'attaque aux questions
de Jerusalem, des réfugiés et des colonies leur parait suffisant pour devoir
gagner leur support et leur recommandation. Mais savoir si cet accord est
conforme aux contraintes imposées par les lois internationales et par les
Nations Unies est sans importance.
Sur le futur de Jerusalem, les parties
sont d'accord sur le partage de la ville entre deux pays, chacune des entités
étant une capitale. En regard aux réfugiés, le document évite la formule de
"droit au retour". Il suggère qu'une partie des réfugiés restent dans leurs
lieux d'habitation actuels, tandis que d'autres seraient absorbés par l'Etat
Palestinien promis. Un nombre limité serait rapatrié en Israël, selon les
propres critères de celle-ci. Et, au nom du "réalisme" Israël serait autorisé à
conserver la majeure partie des colonies de Gush Etzion, Maale Adumim, Ariel et
Kiryat Arba'a et des terres occupées.
Les parties de l'accord de Genève se
déclarent non liées par les termes de cet accord et qu'ainsi il n'a aucune
statut légal. Sa valeur supposée est d'être uniquement un cadre conceptuel avec
des recommandations spécifiques sur le prix à payer pour la Paix. Pour
commencer, cet arrangement était en préparation depuis 1995. Il est dans sa
forme actuel une annexe de la Déclaration de Principes de 1993. Après la
signature de cette dernière, il est apparu évident aux deux protagonistes qu'ils
ne pourraient pas différer indéfiniment la résolution des questions de
Jérusalem, des réfugiés, des colonies, des frontières et de l'eau.
Donc
Bellin, agissant en connaissance de cause du premier ministre Rabin et du
ministre des affaires étrangères Peres, organisa une série de rencontres à Tunis
avec la direction de l'Organisation de Libération de la Palestine (OLP). Après
plus de 20 rencontres tenues secrètes en divers lieux en Europe et au
Moyen-Orient, les deux parties ont trouvé un arrangement appelé "Cadre pour la
conclusion d'un accord définitif entre Israël et l'OLP". Ceci fut complété lors
d'une rencontre dans un immeuble de Tel Aviv le 31 octobre 1995. Mis au courant
des conclusions de cet arrangement, Rabin fut cependant assassiné le 4 novembre
avant l'avoir officiellement approuvé. Le plan fut laissé en l'état après la
défaite électorale de Péres en 1996.
Le récent soutien américano-israélien à
Abu Mazen a été largement encouragé par le rôle que celui-ci a joué dans cet
arrangement et en particulier en ce qui concerne la solution de la question des
réfugiés.
Nous pouvons lire dans la section I de l'Article VII :
"Alors
que le côté Palestinien considère que le droit pour les réfugiés Palestiniens de
retourner dans leurs foyers est inscrit dans la loi internationale et dans une
justice naturelle, il reconnait que les contraintes liées à la nouvelle période
de paix et de coexistence ainsi que les réalités qui se sont imposées sur le
terrain depuis 1948 ont rendu la mise en oeuvre de ce droit impraticable. Le
côté Palestinien déclare en conséquence sa disposition à accepter et à mettre en
oeuvre une politique et des mesures qui assureront autant que possible la
sécurité matérielle et le bien-être de ces réfugiés."
De Taba à Genève
Après l'échec des négociations de Camp
David à l'été 2000, les deux parties se sont retrouvées à Taba en janvier 2001
afin d'examiner des propositions de conciliation. Beilin conduisait l'équipe
israélienne sur la question des réfugiés. Dès le début son objectif a été de se
débarrasser du droit légal et historique appartenant aux réfugiés en mettant
tout en oeuvre pour faire accepter un "arrangement pratique, mutuel et
acceptable" entre Israël et la direction palestinienne, arrangement qui mettrait
fin à toute revendication.
Lorsque les négociations ont cessé, Beilin
proclama que lui-même et Nabil Shaat avait trouvé un arrangement sur la question
des réfugiés, mais Ahmed Qureih - Abu Ala'a - le désavoua et fit une déclaration
selon laquelle " ... Les Palestiniens insistent sur le Droit au Retour, et
Israël est le seul à le rejeter".
En effet, l'accord de Genève représente un
pas en arrière par rapport aux propositions mises sur la table à Taba. Alors que
le papier "non officiel" de Beilin à Taba ne mentionnait le Droit au Retour
qu'une seule fois, et encore entre guillemets, l'ingénieux document de Genève
n'arrive même pas au niveau de cette concession. Au lieu de cela, les parties en
cause se sont mises d'accord pour transformer le Droit au Retour pour les
Palestiniens en un privilège sélectif à la discrétion et au bon vouloir
d'Israël.
L'accord ne représente pas une solution durable
En
réalité, l'accord ne représente pas une solution durable car il ne prévoit
aucune disposition pour qu'un choix individuel et volontaire puisse être fait en
ce qui concerne le rapatriment. La meilleure méthode pour la résolution du
problème des réfugiés est l'exercice de la Loi de rapatriement des réfugiés. Les
conclusions du Comité Exécutif de l'UNHCR [Haut Commissariat aux Réfugiés -
Nations Unis - N.dT] de 1980 et 1985, respectivement les conclusions 18 et 40,
spécifient que "le rapatriement des réfugiés ne peut avoir lieu qu'à la
condition d'un souhait librement exprimé; le caractère individuel et volontaire
du rapatriement des réfugiés ainsi que le besoin d'être déplacé dans des
conditions d'absolue sécurité et de préférence sur le lieu de résidence
d'origine du réfugié dans son pays, doivent être toujours respectés".
Toutes
choses étant égales, chacun pourrait s'attendre à ce que le premier ministre
Ahmad Qureih réagisse de la même façon qu'il avait réagi aux propositions de
Taba en 2001. La nécessité de disposer d'un Etat ne justifie pas d'accepter une
offre avec de tels défauts. Et surtout lorsque les négociations sont conduites
sur la base des attentes israéliennes et non pas sur la base de ce qui est juste
et légitime.
Ceci dit, Mr Qureih doit également écouter et respecter les
souhaits des réfugiés. Leurs besoins et leurs aspirations sont bien connus. Une
commission d'enquête du Palement Britannique sur les conditions de vie des
réfugiés Palestiniens fait savoir dans son rapport qu'après avoir visité les
camps de réfugiés en Syrie, au Liban, en Jordanie ainsi qu'en Cisjordanie et à
Gaza, à quel point elle a été "... surprise et impressionnée par l'unité de vue
manifestée par la majorité des réfugiés. Où que nous ayons été, les réfugiés
partagent le point de vue selon lequel le Droit au Retour doit s'appliquer à
tous les réfugiés, sans s'arrêter à leur condition physique ou financière, et où
qu'ils soient."
Mis en face d'un grand nombre de témoignages équivalents, les
auteurs de l'accord de Genève n'ont prévu aucune disposition permettant aux
réfugiés Palestiniens de mettre en pratique leur droit à choisir de revenir. Le
principe du choix individuel a toujours été le point focal de toute solution
durable. Ceci est mis en évidence dans les rapports du médiateur des Nations
Unies dont les recommandations sont à la base de la résolution 194. L'accord de
Genève ignore ce principe et aborde ce sujet comme un marchandage politique
entre Israël et l'OLP pour la promesse d'un Etat.
En addition, cet accord
mise sur la fin du conflit et sur la fin de toutes les revendications
palestiniennes avec la pleine reconnaissance d'Israël et de la nature juive de
son Etat - c'est-à-dire un Etat dans lequel les citoyens juifs sont majoritaires
et contrôlent le pays. En conséquence, Israël conserverait perpétuellement la
terre de la Palestine historique pour tous les juifs du monde. Entretemps, la
majorité des réfugiés Palestiniens qui pourraient être ramenés dans leurs
maisons et leurs villages sont appelés à renoncer à leur Droit au Retour.
Une
telle discrimination basée sur la race, la couleur, les origines, l'appartenance
nationale ou ethnique est définie par les Nations Unies comme étant du racisme.
Et toute mesure législative ou autre ayant pour objectif de provoquer la
destruction physique d'un groupe racial, de dénier délibérément à ses membres la
liberté de retourner dans son pays et le droit à la vie et à la liberté est
considéré comme un crime d'apartheid par la Convention Internationale de 1973
pour la Suppression et la Punition du Crime d'Apartheid.
Le déni du droit des
Palestiniens au retour sous le prétexte que ce droit est une menace pour la
nature juive d'Israël est un crime. La "responsabilité criminelle au niveau
international s'applique aux individus, membres d'organisations, institutions et
responsables d'Etat qui directement se font les complices, encouragent ou
coopèrent dans 'acte criminel d'Apartheid, quel que soit le motif invoqué".
[Art. III]. Ceci inclue les auteurs, sponsors et supporters de l'accord de
Genève.
13. Israël et l’Empire - Une interview de Jeff
Halper propos recueillis par John Elmer
on Togethernet le vendredi
28 novembre 2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier](Jeff Halper, anthropologue, est
le Coordinateur du Comité Israélien contre les Démolitions de Maisons [ICAHD –
Israeli Committee Against House Demolitions]. John Elmer effectue actuellement
des reportages depuis la Palestine, il est l’éditeur de http://www.FromOccupiedPalestine.org,
cet entretien a été effectué le 20 septembre 2003.)John
Elmer : [J.E.] : Vous utilisez l’expression « matrice de contrôle » pour décrire
l’occupation israélienne ? Pouvez-vous nous expliquer de quoi il s’agit, et
comment cette matrice de contrôle fonctionne-t-elle ?
Jeff Halper [Halper] : Le conflit israélo-palestinien est souvent présenté
en termes de territoires : la fin de l’occupation, un Etat palestinien viable,
et ce que cela signifie en termes de territoires. Mais deux Etats, et la
cessation totale de l’occupation, même dans le meilleur des scénarios, n’est pas
la solution la plus satisfaisante. La totalité de l’Etat palestinien
n’occuperait que 22 % du pays, et il serait divisé entre la Cisjordanie et la
bande de Gaza. L’Etat d’Israël, aujourd’hui, à l’intérieur des frontières de
1967, représente 78 % de la superficie du pays (= la Palestine historique, ndt).
J.E. : Ainsi, même dans la situation idéale, après la fin de
l’occupation et un retrait total d’Israël à l’intérieur de ses frontières
antérieures à 1967, l’Etat palestinien ne représenterait que 22 % du territoire
du pays ?
Halper : Israël ne peut pas concéder plus que cela – et encore, la question
se pose encore. Mais si Israël veut un Etat palestinien, c’est (uniquement)
parce qu’il veut se débarrasser de trois millions et demi de Palestiniens. Les
Palestiniens qui vivent, aujourd’hui, dans les Territoires occupés. Au cas où il
ne pourrait pas les expulser du pays, Israël veut tout au moins les enfermer
dans un mini-Etat du type bantoustan. Ainsi, le problème est cantonné dans les
considérations territoriales, et la question – fondamentale – qui est occultée
est celle du contrôle de ce territoire. Le problème est le suivant : les
Palestiniens, à la fin des fins, auront-ils un Etat disposant d’un potentiel de
développement économique, d’une souveraineté politique réelle, du contrôle de
ses frontières, de ses ressources, comme, notamment, l’eau ?
Les Palestiniens
auront-ils un Etat établi sur un territoire cohérent, à l’intérieur duquel les
gens pourront se déplacer librement ? Sera-ce un véritable Etat, même si cet
Etat est petit, s’agira-t-il d’un bantoustan contrôlé par Israël ? Et si tel est
le cas, la matrice de contrôle nous indique de quelle manière Israël contrôle
les Palestiniens : en incorporant la Cisjordanie à Israël proprement dit au
moyen de routes, en connectant les réseaux électriques, les réseaux d’eau, les
services urbains, etc. Elle nous indique qu’Israël entend conserver le contrôle
militaire, le contrôle sur certaines parties du pays, comme Jérusalem et
certaines parties de la Cisjordanie, ce qui aura pour résultat, au final, de
concéder aux Palestiniens des îlots non-viables.
Cette matrice de contrôle
nous indique de quelle manière s’opère la planification juridique,
administrative et bureaucratique afin de contrôler les déplacements, les
constructions et l’activité économique des Palestiniens. En d’autres termes, ce
que nous indique la matrice de contrôle, c’est qu’au-delà du problème du
contrôle militaire, et parallèlement au problème territorial, Israël exerce un
contrôle très serré et multiforme sur la Palestine. Israël contrôle l’eau, les
frontières, Jérusalem, l’armée des Palestiniens, leur liberté de mouvement. Et à
moins que la matrice de contrôle ne soit démantelée, nous n’aurons pas fait
grand-chose. La différence entre un Etat palestinien – fût-il minuscule – et un
bantoustan, c’est précisément l’existence, ou non, de cette matrice de
contrôle.
Aujourd’hui, je ne pense pas qu’il soit possible de la démanteler.
Je pense qu’elle est allée beaucoup trop loin, et que l’occupation est
définitive. Nous vivons dans un état d’apartheid. Mais tout le monde n’est pas
d’accord avec moi sur ce point. Uri Avnery n’est pas d’accord avec moi ; les
gens qui sont en faveur d’une solution à deux Etats persistent à penser que nous
pouvons mettre un terme à l’occupation, ou que nous pouvons la rouler un peu,
comme un tapis, tout juste assez pour qu’un semblant d’Etat palestinien puisse
émerger…
Mais le danger, chez ceux qui se prononcent pour un Etat palestinien
(et donc, pour une solution à deux Etats, ndt), c’est qu’ils ne comprennent pas
les dimensions de ce contrôle israélien. En réalité, ils ne font que militer en
faveur de l’instauration d’un bantoustan ! Je m’explique : Sharon, lui aussi,
veut un Etat palestinien ; il veut un Etat entièrement contrôlé par Israël.
Ainsi, si vous vous contentez de vous focaliser sur un arpent de territoire et
que vous ignorez le problème fondamental du contrôle (israélien), vous ne
faites, en fin de compte, que prôner l’instauration d’un bantoustan.
J. E. : Voyez-vous un plan politique de long terme du côté
israélien ? Ou alors, s’agit-il seulement de réactions ?
Halper : Eh bien, voyez-vous, Sharon est accusé de ne pas avoir de vision
politique, et de se contenter de frapper sur l’ « infrastructure terroriste »,
comme ils disent. Mais je pense qu’il y a bien un véritable projet politique,
très précis : l’apartheid. Sharon appelle ce plan : la cantonisation. Il
consiste en la création d’un Etat palestinien sur environ 42 % de la
Cisjordanie, en trois ou quatre cantons isolés, contrôlés – tous – et encerclés
– tous – par Israël. Ce plan implique d’amener les Palestiniens à se soumettre
en adoptant une direction fantoche qui signera le décret de création de ce
bantoustan, cette cantonisation. Cela implique également que l’on se débarrasse
de la classe moyenne palestinienne qui s’y opposera au moyen de ce qu’il est
convenu d’appeler le « transfert tranquille » - c’est-à-dire en les chassant du
pays en les contraignant à un habitat médiocre, à un système éducatif indigent
et au marasme économique, afin de créer une masse palestinienne extrêmement
malléable qui acceptera, dès lors, simplement et passivement un bantoustan.
Sharon ne dit pas cela explicitement ; il laisse les choses dans le vague, de
manière délibérée, mais c’est bien ce vers quoi il se dirige.
J. E. : S’orienter vers une solution à un seul Etat,
comme vous le suggérez, augmenterait-il la possibilité d’un nettoyage ethnique «
traditionnel » ? Comme l’a dit Sharon, il y a déjà un Etat palestinien : la
Jordanie… ?
Halper : Cela dépend du degré de la menace ressentie par Israël. Israël n’a
pas besoin de procéder à un nettoyage ethnique, à ce stade, parce qu’il est dans
une situation où il contrôle la totalité de la Palestine historique. Un Etat
palestinien est une nécessité, pour Israël, parce que tant que vous n’aurez pas
mis les Palestiniens dans un Etat qui leur soit propre, Israël sera réellement
confronté à un danger existentiel. Il y a trois millions et demi de Palestiniens
dans les Territoires, et près d’un million en Israël, qui menacent la majorité
juive. Aussi, le seul moyen pour conserver une majorité juive, c’est de
contrôler l’ensemble de la Palestine historique. C’est-à-dire, de prendre les
Palestiniens, de les mettre dans ces petits îlots, et de les appeler « Etat ».
C’est ce qu’Israël va tenter de faire. Maintenant, cela risque de ne pas très
bien marcher, à cause, par exemple, de la communauté internationale, qui
n’acceptera pas l’idée d’un bantoustan – comme cela s’est passé en Afrique du
Sud – ou encore à cause de la résistance palestinienne, ou du développement d’un
mouvement en faveur d’un seul Etat, ou encore des réfugiés, qui peuvent
manifester fortement leur volonté de retourner chez eux – c’est précisément,
dans ce type de situation où Israël se sentirait démographiquement – et par
conséquent, de manière existentielle- menacé, qu’il pourrait avoir recours au
transfert, en désespoir de cause.
J. E. : Commentant l’option de l’expulsion (des Palestiniens),
David Ben-Gourion a écrit, dans les années 1930 :
« Ce qui est inconcevable
en temps ordinaire devient possible dans un contexte révolutionnaire ; et si,
aujourd’hui, l’opportunité est manquée et si ce qui est possible, en ces heures
historiques n’est pas mené à bien – c’est un monde entier qui serait perdu. »
Les assassinats (ciblés) qu’effectue actuellement Israël aujourd’hui sont-ils, à
votre avis, une tentative de créer les conditions de « temps révolutionnaires »,
de manière très semblable à la façon dont les bombardements du Sud Liban, en
1981 et au début 1982 visaient à provoquer les inévitables représailles qui
fourniraient le prétexte de l’invasion du Liban, en 1982 ?
Halper : Ces assassinats sont, en partie, une tentative de détruire toute
direction nationale palestinienne authentique. Israël a besoin d’un Quisling,
d’un dirigeant fantoche et collaborateur – comme ceux des bantoustans en Afrique
du sud – afin d’assurer la bonne marche de son plan d’apartheid. J’ai demandé à
un ami palestinien, récemment : « Regarde, Abou Mazen (Mahmoud Abbas), cela n’a
pas marché, Abu Ala (Ahmed Qureï) ne semble pas marcher mieux ; n’y a-t-il donc
aucun dirigeant palestinien qui tienne la route ? Il m’a répondu : « Non, en
effet : Israël les a tous tués ! ». A l’instar d’Abu Jihad (Khalil al-Wazir),
chef de l’aile militaire de l’OLP, assassiné à Tunis en 1988, les dirigeants
palestiniens déterminés ont été assassinés par Israël. Et aujourd’hui, Israël
menace de s’en prendre à Arafat. Le jeu, pour Israël, consiste à éliminer les
dirigeants qui pourraient réellement lui tenir tête, et à ne laisser en vie que
ceux des dirigeants palestiniens susceptibles de signer le marché de dupe
permettant l’émergence des bantoustans qu’Israël leur réserve. Je pense que cela
fait partie de la stratégie israélienne. Israël est convaincu de pouvoir vaincre
les Palestiniens militairement, qu’il peut les soumettre. Il doit donc briser
les Palestiniens militairement.
J. E. : Y a-t-il une solution militaire ?
Halper : Sharon est convaincu qu’il y en a une. Le gouvernement israélien
et l’armée israélienne travaillent à partir de l’hypothèse qu’il s’agit d’une
situation gagnant-perdant : nous pouvons vaincre, et ils (les Palestiniens)
peuvent perdre, pensent-ils. D’ailleurs, le chef d’état-major de l’armée
israélienne, Moshe Ya’alon, a déclaré au quotidien Yediot Ahronoth, il y a
environ deux mois, que nous avions gagné, et que nous ne faisons pas autre
chose, aujourd’hui, que le ménage. Les assassinats s’inscrivent dans la guerre
menée par Israël afin d’écraser les Palestiniens, et ils font aussi partie du
processus politique consistant à éliminer les dirigeants qui n’accepteraient pas
l’option « bantoustan ».
J. E. : Pouvez-vous nous décrire et expliciter ce que vous avez
appelé le « paradigme panique » à l’intérieur de la société israélienne – et
comment le simple fait que Sharon ait serré la main à Arafat à Oslo a
profondément ébranlé le paradigme « les Arabes sont nos ennemis »
?
Halper : Des années 1920 jusqu’en 1993, toutes les générations d’Israéliens
successives ont grandi dans la notion que « les Arabes sont nos ennemi ». Nous
sommes les gentils ; ils sont les méchants : ils sont des terroristes, ils ne
veulent qu’une chose : nous tuer ; ils ne veulent rien d’autre que nous « jeter
à la mer » - il n’y a pas de solution politique. Après Oslo, on constate un
petit changement. A Oslo, le monde entier nous regardait. Sur tous les écrans de
la télévision, en Israël, on a pu voir Yitzhak Rabin, un militaire, serrant la
main de Yasser Arafat. Peut-être y aura-t-il un Etat palestinien, peut-être plus
d’occupation, peut-être plus de problème de réfugiés : en voilà assez pour créer
une véritable panique, que j’ai appelée le « paradigme panique ». Ainsi, par
exemple, on pouvait voir en Israël un autocollant, sur les pare-chocs des
bagnoles, après Oslo, affirmant : « Cette paix est un cauchemar ! ». Mais, en
1994 et en 1995, il y eut une petite fenêtre d’opportunité où il semblait que le
vieux paradigme était en train de changer. Mais cela a cessé, net, avec
l’élection de Benjamin Netanyahu, en 1996. Les attentats du Hamas contre des
autobus, en 1996, suffirent à donner à Netanyahu cette fraction de pour cent des
voix qui lui permirent de battre Pérès aux élections – et cela, bien entendu,
aboutit à l’effondrement total de l’ensemble du processus d’Oslo. Avec
Netanyahu, vous avez un retour au vieux paradigme, et cet état d’esprit-là est
encore plus fort, chez les Israéliens, aujourd’hui.
E. J. : Norman Finkelstein a fait ce commentaire : les
Israéliens renvoient toujours tout à plus tard, en l’attente d’un « miracle ».
Il cite plusieurs exemples : i) la déclaration Balfour de 1917, à laquelle
personne ne pouvait s’attendre ; ii) l’URSS et les Etats-Unis tombant d’accord,
en 1947, sur la fondation d’un Etat juif ; iii) au cours d’une très sérieuse
crise économique, dans les années 1960, ce fut le « miracle » de la guerre de
juin 1967 qui se produisit et, enfin, iv) le « miracle » de l’immigration d’un
million de juifs soviétiques, juste au moment où la « bombe démographique »
était des plus menaçante. Pouvez-vous commenter cette vision des choses
?
Halper : C’est vrai. Nous attendons. Mais nous attendons en étant en
position de pouvoir. Dans tous ces cas, que vous avez mentionnés, même si nous
avons connu des problèmes, nous étions tout de même la partie dominante.
Aujourd’hui, aussi, nous attendons, parce que les Israéliens ne pensent pas
qu’il y ait une quelconque solution. Et les Israéliens sont aussi terriblement
désabusés ; nous avons un système politique qui donne réellement tout le pouvoir
aux partis. Vous votez pour des partis politiques, vous ne votez pas pour des
candidats, en Israël, si bien qu’il y a un fossé énorme entre les partis et
l’électorat. Aucun parti politique, dans toute l’histoire d’Israël, n’a jamais
obtenu une majorité à la Knesset, pas une seule fois, si bien qu’il a fallu,
pratiquement toujours, créer des gouvernements de coalition, avec des
partenaires que votre propre électorat n’admet pas nécessairement de gaîté de
cœur. Comme l’a indiqué Avi Shlaim dans son ouvrage Le Mur de fer, lorsque
Nasser proposa sa célèbre négociation à Ben Gourion, en 1954, Ben Gourion
déclina son offre. Il lui dit que les Arabes finiraient, tôt ou tard, par faire
la paix avec « nous » (les Israéliens), parce que « nous » sommes les plus
forts.
Les Arabes seront toujours demandeurs de paix, aussi nous n’avons
aucune raison de nous précipiter. D’abord, laissez-nous obtenir tout ce que nous
voulons. Vous voyez bien : ce n’est pas une attente passive ! Vous créez une
situation qui vous permet de sélectionner vos opportunités, et vous êtes en
situation de bondir. La guerre de juin 1967 fut un miracle en ce sens qu’elle
était totalement imprévisible. D’un autre côté, quand cette guerre a éclaté,
Israël était on ne peut plus prêt, et il savait exactement ce qu’il allait
faire. En deux semaines, furent appliqués successivement le plan Dayan
(installation de juifs dans des zones arabes densément peuplées, comme à
Hébron), le plan Alon (création de colonies servant de « buffers », de tampons
territoriaux, dans des régions stratégiques… Et voilà : Israël n’a pas eu besoin
de plus de deux semaines pour prendre le contrôle de la moitié de la
Cisjordanie. Aujourd’hui, les Israéliens disent qu’il n’y a pas de solution,
mais nous bénéficions du soutien des Américains, du soutien des Européens, nous
sommes très forts militairement, aussi, il va bien falloir que quelque chose
craque, quelque part, d’une manière ou d’une autre. Et quand cela arrivera, nous
sommes fins prêts afin d’en retirer le maximum d’avantages. Pour l’instant, nous
pouvons continuer à attendre…
J. E. : Noam Chomsky a dit qu’Israël est, avant tout, une base
militaire américaine avancée. Quelle fonction stratégique Israël remplit-il dans
l’empire américain, et qu’est-ce que cela entraîne, pour le militantisme à
l’intérieur des Etats-Unis, en termes d’exigence de fin de l’occupation ? Cela
rend-il l’action militante aux Etats-Unis tout aussi importante, voire même plus
importante, qu’en Israël, voire même en Palestine ?
Halper : Je ne suis pas entièrement d’accord avec Chomsky – je pense qu’il
sous-estime le caractère proactif d’Israël, et à quel point Israël manipule les
Etats-Unis. En un sens, si vous désirez une analyse rationnelle, vous pouvez
dire que le soutien américain à Israël est contre-productif, pour les
Etats-Unis. Ce soutient met l’ensemble du monde arabe en ébullition, il a des
conséquences fâcheuses pour les approvisionnements pétroliers, et nous avons
aujourd’hui l’occupation américaine de l’Irak, qui ne peut manquer d’amener
l’opinion à faire des comparaisons avec notre occupation en Palestine.
L’alliance entre l’Amérique et Israël avait une raison d’être à l’époque de la
guerre froide. Nous avions, en Israël, une plaisanterie qui consistait à dire
que nous étions le plus grand porte-avions américain au monde. Peut-être cela
avait-il un sens, à l’époque, mais : aujourd’hui ? La clé dont tout le monde a
besoin, bien que Chomsky l’ait piquée, parce que c’est précisément son domaine
de recherches, c’est le fait qu’Israël s’est placé délibérément, du point de vue
stratégique, au centre du réseau mondial des industries d’armement. Les armes
sophistiquées israéliennes et les logiciels militaires israéliens sont très
importants pour le développement militaire, aux Etats-Unis. Israël est également
devenu le principal sous-traitant des Etats-Unis en matière d’industries
militaires. L’année dernière, tout juste, Israël a signé un contrat de formation
et d’équipement de l’armée chinoise. Il a signé un autre contrat similaire,
portant sur plusieurs milliards de dollars, avec l’armée indienne. Avec quoi
Israël équipe-t-il l’armée indienne ? Je vais vous le dire : avec des armes
américaines. D’un côté, Israël joue un rôle crucial, du fait de la
sophistication de ses industries high-tech et de ses capacités
commerciales.
En revanche, de l’autre, il n’y a en Israël aucune contrainte
éthique, ni morale : il n’y a pas le Congrès, il n’y a aucune préoccupation en
matière de droits de l’homme, il n’y a aucune loi qui interdise de toucher des
pots-de-vin – le gouvernement israélien peut faire absolument tout ce qu’il
veut. Ainsi, vous avez un pays voyou très sophistiqué – non pas un état voyou à
la libyenne, mais un état voyou high-tech, expert en développement militaire. Et
ça, il faut bien le dire, c’est terriblement utile, tant pour l’Europe que pour
les Etats-Unis. Ainsi, le Congrès américain impose des restrictions aux ventes
d’armes à la Chine, en raison des atteintes aux droits de l’homme perpétrées
dans ce pays. Alors, que fait Israël ? Il bricole des armes américaines juste
assez pour les maquiller en armes israéliennes, et voilà qui permet de
court-circuiter le Congrès des Etats-Unis ! Pour la part essentielle de ses
activités en la matière, Israël sert de couverture aux ventes d’armes
américaines aux pays du « Tiers Monde ».
Il n’y a de régime sanguinaire –
Colombie, Guatemala, Uruguay, Argentine, Chili à l’époque des colonels,
Birmanie, Taiwan, Zaïre, Liberia, Congo, Sierra Leone – qui n’ait des relations
militaires primordiales avec Israël. Les dealers d’armement israéliens se
trouvent dans ces pays, où ils se comportent en mercenaires – le type, derrière
Noriega, était Michael Harari, un Israélien, qui a pu se tirer à temps du
Panama. Les mercenaires israéliens en Sierra Leone contournent les boycotts de
l’ONU, imposés à ce que nous appelons les diamants sanglants ; il en va de même
en Angola. Israël était très impliquée en Afrique du Sud, bien entendu, comme on
sait, au temps de l’apartheid. Aujourd’hui , Israël développe un système de
missiles avec l’Angleterre, un nouveau type d’avion de chasse avec la Hollande,
et il vient d’ «acheter » trois sous-marins nucléaires sophistiquées
l’Allemagne. On le voit : Israël joue dans la cour des grands !
Les
trafiquants d’armes israéliens sont très à l’aise, ils sont comme des poissons
dans l’eau, dans des pays rudes et troublés où les Américains se feraient
bouffer tout crus : l’Ouzbékistan, le Kazakhstan, la Russie, la Chine,
l’Indonésie sont des pays où les Américains ne peuvent absolument pas opérer,
d’une part en raison des pratiques du business qui y prévalent, d’autre part
parce que des contraintes politiques (du Congrès) et juridiques les en
empêchent. C’est là précisément le chaînon manquant. Si vous consultez le site
ouèbe de l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), le principal lobby
pro-israélien aux Etats-Unis, vous verrez une rubrique : « Coopération
stratégique ». Les Etats-Unis et Israël ont conclu un traité officiel, scellant
une alliance officielle, en vertu duquel Israël a accès à pratiquement toutes
les données ultra-secrètes sur la technologie militaire américaine. Lorsque
l’Aipac vend Israël au Congrès américain, il ne va pas voir les membres du
Congrès pour leur demander de soutenir Israël parce qu’il est judéo-chrétien, ou
parce qu’il s’agirait de la seule démocratie au Proche-Orient, ou je ne sais pas
quoi (bien que l’Aipac fasse aussi cela !). Non, son argumentaire commercial est
beaucoup plus direct : « Vous êtes membre du Congrès des Etats-Unis, et il est
de votre responsabilité de soutenir Israël, car de nombreuses entreprises, dans
votre Etat, ont des liens d’affaires avec Israël, et c’est grâce à cela que de
nombreux ingénieurs en recherche-développement effectuent leurs recherches dans
les universités de votre Etat, dont beaucoup d’emplois dépendent des industries
militaires et de défense ». Et ils appliquent ce discours de manière
circonstanciée aux spécificités de chacun des parlementaires, lesquels tirent
très vite la conclusion qui s’impose : s’ils votent contre Israël, ils votent
contre la poule qui pond les œufs d’or !
Dans la plupart des districts
électoraux des Etats-Unis, les membres du Congrès dépendent énormément du
secteur de l’armement. Plus de la moitié de l’emploi industriel, en Californie,
est peu ou prou lié à la défense. Israël est très bien situé, il occupe une
position centrale, en la matière. Et c’est de là qu’il tire l’essentiel de sa
force. Et lorsque nous (le Comité israélien contre la démolition des maisons,
par exemple) allons voir un membre du Congrès des Etats-Unis, nous lui parlons
de droits de l’homme, de l’occupation, des Palestiniens. Alors, il nous regarde,
et il nous dit : « Voyez-vous, je sais tout ça. Je lis les journaux, je ne suis
pas idiot, mais ce n’est pas sur ces bases-là que je détermine mon vote. La base
sur quoi je vote, c’est ce qui est bon pour mon électorat ». Aussi, en
matière de militantisme, lorsque vous envisagez une campagne d’opinion
internationale, il est extrêmement important de dénoncer les implications
d’Israël dans les industries de la défense, dans la production d’armes, et le
soutien qu’apporte Israël à des régimes odieux et aux violations des droits de
l’homme dont ils sont responsables, et quelles en sont les conséquences pour le
monde entier. Si vous voulez parler de l’Empire, bien qu’Israël soit un tout
petit pays, il est un élément clé de l’Empire. Si vous consultez le site ouèbe
de l’Aipac, ils vous disent noir sur blanc que la mission d’Israël est de
protéger les intérêts économiques américains au Moyen-Orient. Ils disent que
nous développons des armes au laser fonctionnant depuis l’espace afin de
protéger les intérêts américains. Tout est dit clairement et effrontément.
Israël se perçoit, avec beaucoup de fierté, comme un élément essentiel de
l’Empire américain. Là où Israël dispose d’un énorme avantage, en matière de
relations publiques, c’est qu’il sait se faire passer pour une victime. C’est un
pays entouré par un océan d’Arabes, et les Arabes, c’est bien connu, n’est-ce
pas, sont tous des « terroristes », de même que tous les musulmans sont des «
fanatiques »…
J. E. : … et jouer le rôle de la victime éternelle devient un
outil politique, à l’instar de l’ « antisémitisme »… ?
Halper : Exactement. L’antisémitisme se nourrit de l’idée qu’Israël serait
une victime. Le ministère israélien des Affaires étrangères a inventé une
nouvelle forme d’antisémitisme, depuis quelques années, qu’il appelle le «
nouvel antisémitisme ». Après quoi, ses technocrates ont trouvé quelques
universitaires complaisants et très empressés à donner à cette notion un
semblant de crédibilité académique. Le « nouvel antisémitisme », qui est
aujourd’hui répandu dans le monde entier, dit que toute critique d’Israël est de
l’antisémitisme. Point barre. Et pour ce qui est de marcher, cela a marché ! Un
membre du Congrès américain nous dira, désormais : « en plus de voter dans
l’intérêt de mes mandants, je dois aussi être réélu, et la dernière chose dont
je puisse avoir besoin, c’est bien que quelqu’un vienne dire que je suis «
antisémite » ». Ce complexe est très puissant, il permet à Israël d’échapper à
toute responsabilité – on ne saurait appliquer la loi internationale à Israël,
on ne peut contraindre Israël à respecter les droits de l’homme, on ne saurait
demander à Israël des comptes sur ses agissements, car nous sommes les victimes,
nous sommes les faibles, nous ne faisons que nous défendre ! ! !
Vous ne
pouvez en aucun cas nous critiquer : nous sommes juifs, et vous nous avez
persécutés. Ce complexe est impénétrable, et il permet à Israël de faire des
pieds de nez au monde entier. Par exemple, le 19 septembre dernier, l’Assemblée
générale de l’Onu a adopté à 133 voix contre 4 une résolution contre la menace
israélienne d’expulser Arafat. Les quatre pays ayant voté contre ? Israël, les
Etats-Unis, la Micronésie et les Iles Marshall. Et ça fait des années que ça
dure : c’était déjà le cas, dans les années 1970 ! A l’époque, les Israéliens
s’interrogeaient : « La Micronésie ? C’est où, ça, la Micronésie ? » Alors ils
ont envoyé un journaliste du Yediot Ahronot, muni d’une carte précise, en
Micronésie ! Il est parti, et il a trouvé ce minuscule pays, où pas un seul
journal n’est publié, et il leur a demandé : « Pourquoi soutenez-vous Israël ? »
On lui a répondu : « 100 % de notre budget national proviennent des Etats-Unis,
alors, vous comprenez : on fait ce que les Etats-Unis nous disent de faire… Le
reste, on s’en fout. » Voilà donc comment Israël a conquis sont grand Allié du
Pacifique – la Micronésie !
Mais c’est bien le cœur du problème. Le monde
entier peut être opposé à la position des Etats-Unis sur ces questions, et les
Etats-Unis peuvent continuer à s’en moquer éperdument : le vote des seuls
Etats-Unis fait plus que contrebalancer ceux des 133 pays restants. Aussi, il
faut absolument changer cette image d’Epinal, selon laquelle Israël serait une «
victime ». En d’autres termes, nous devons recadrer les choses. Israël présente
le problème d’une certaine manière, que nous connaissons, et si nous nous
contentons de simplement réfuter ses arguments, nous ne gagnerons jamais. C’est
celui qui définit le cadre du conflit qui gagne – toujours – c’est celui qui
définit le cadre de la discussion qui l’emporte, parce que les conclusions que
tirent les gens découlent de la manière même dont vous exposez les problèmes.
Nous devons, par conséquent, dénoncer Israël en sa qualité de superpuissance
régionale et de composante indispensable à l’Empire américain, chose qu’Israël
est indubitablement, il faut le savoir. L’économie israélienne pèse trois fois
plus lourd que celles de l’Egypte, de la Palestine, de la Jordanie, de la Syrie
et du Liban prises ensemble. Non ; Israël n’est en aucun cas le petit David du
Moyen-Orient. Bien au contraire, il en est le Goliath.
14. Irak : les buts de guerre US par Hichem
Ben Yaïche
on Vigirak.com le samedi 27 décembre 2003Il serait
naïf de croire que les Etats-Unis d’Amérique vont réviser fondamentalement leur
doctrine en Irak. Les leçons des neuf mois de l’après-guerre sont en train
d’être tirées et mises à profit pour corriger le tir et ajuster la stratégie
pour lui permettre une plus grande efficacité. Le pragmatisme américain ne
s’embarrasse pas de contradictions, ce qui prime dans cette démarche, c’est
d’intégrer en permanence la réalité, d’épouser la configuration du terrain, afin
d’éviter ses pièges et ses leurres. C’est ce à quoi on assiste depuis plusieurs
semaines. Mais cela suffirait-il aux Américains pour sortir du bourbier dans
lequel ils s’enfoncent de jour en jour ? Il est encore trop tôt pour le dire
avec certitude.
Tout indique que les faucons de l’administration Bush
restent inflexibles – et intraitables – sur les objectifs stratégiques de cette
guerre, lesquels demeurent inchangés. En revanche, ils ont compris tout
l’avantage d’un changement de tactique. Cette manière de faire permet non
seulement d’ouvrir le jeu en apparence, de réduire la pression extérieure, mais
aussi de donner l’illusion aux adversaires de l’opération américaine en Irak
d’accéder à une partie de leurs arguments.
Rien de mieux pour
illustrer ce basculement, qui constitue un point tournant, est la capture de
Saddam Hussein, annoncé le 14 décembre. Le décryptage du grand show médiatique
mondialisé montre que les Etats-Unis d’Amérique est aussi hyperpuissance de la
communication et de l’image : trois ou quatre gros plans et une image fixe de
Saddam Hussein ont été, pendant plusieurs jours, l’événement qui a tout écrasé
sur son passage. Plus rien ne pouvait résister à la dramaturgie hollywoodienne
de cette arrestation. J’imagine que chacun de nous s’est frotté plusieurs fois
les yeux en regardant sur l’écran de sa télé l’ancien président irakien les
cheveux en bataille, les yeux écarquillés, le visage parcheminé : l’image
parfaite de l’homme des cavernes.
Saddam agité comme un trophée de
guerre ? On peut trouver le procédé choquant, honteux, inacceptable, mais la
tentation était trop forte, pour l’équipe Bush, de ne pas l’utiliser à des fins
de politiques intérieures, à quelques mois des élections présidentielles qui
vont nous réserver des surprises. Mais attention à l’effet boomerang ! Saddam
Hussein va parler et dire des choses, dont les dirigeants passés et actuels ont
tout à craindre. Attendons de voir.
Cependant, ne restons pas les yeux rivés
sur cette affaire, qui cache des enjeux géopolitiques majeurs. Il s’agit tout
simplement de rappeler les buts de cette guerre ? L’Irak n’est que l’alibi dans
la tête des néoconservateurs au pouvoir à Washington. Sur l’Orient arabe, leur
religion, si je puis dire, est déjà faite : leur nouveau paradigme est en phase
d’exécution [1]. Sans vouloir jouer la dramatisation à outrance, force est de
constater, cependant, que la situation en Irak s’achemine vers le chaos. Le pays
est devenu un laboratoire du terrorisme en tout genre. Les armes passent avec
une facilité déconcertante les frontières des pays voisins. Personne ne pourra
dire comment vont évoluer les choses. En tout état de cause, ce que l’on peut
dire, c’est que la méconnaissance américaine de la complexité de l’Irak – où
l’on tente, à l’insu des uns et des autres, de faire séparément un deal secret
avec les kurdes, les chiites et autres tribus –, n’augure rien de bon. Ce
marchandage confirme toutes les craintes : l’atomisation selon des critères
ethnico-religieux de la société irakienne. Cette vision a été longuement
exprimée, argumentée et exposée dans les travaux des think tanks
néoconservateurs, dont sont issus les hommes de Bush [2]. D’où le projet de
remodelage du Moyen-Orient, avec une démocratisation à la clé ! Cette conviction
s’est confirmée dans la tête des dirigeants US après les événements le 11
septembre. Pour plus de clarté, on peut la résumer ainsi : si le monde arabe ne
change pas, on se charge de le faire à sa place. Voilà tout est dit.
Les
difficultés rencontrées en Irak ont beaucoup retardé et compliqué la
planification américaine. On sait que, sauf contre-performance électorale en
novembre prochain, les Etats-Unis se donnent, au moins, cinq ans (1 + 4) pour
réussir [3].
Au-delà de l’Irak, qui constitue la matrice nourricière de la
stratégie américaine, des changements commencent à affecter la région. Les
signes de craquement de la monarchie saoudienne se multiplient et la zizanie,
pour le moment à peine maquée, dans les rangs de la famille royale risque de
faire des dégâts considérables. La vie du régime est plus que jamais comptée
[4]. Fragilisée, neutralisée, l’Arabie Saoudite sera bientôt hors jeu.
Tournons le regard maintenant vers la Syrie. Elle est une pièce maîtresse à
faire tomber pour desserrer l’étau autour d’Israël, pays au nom duquel les
néoconservateurs (Paul Wolfowitz, notamment) ont décidé de procéder à cette
redistribution géopolitique régionale. Les pressions sur ce pays sont à l’œuvre
depuis plusieurs mois déjà ; elles vont s’accentuer. Ce faisant, les Américains
veulent bouter hors du pouvoir les alaouites ou les pousser à accepter leurs
conditions : ouvrir le jeu politique et quitter le Liban, afin de porter
l’estocade finale au Hezbollah, considéré par Israël comme l’ennemi numéro 1. A
Washington, on s’accorde le temps nécessaire pour y parvenir. Pour l’instant, la
stabilisation de l’Irak reste la priorité.
Pendant ce temps, Ariel
Sharon guette la moindre opportunité pour imposer son plan de paix, tout en
maximisant une série de faits accomplis sur le terrain, notamment avec
l’érection du mur de séparation, lequel empiète largement sur les terres
palestiniennes.
Les Etats-Unis, architectes du monde arabe ? Cela ne fait
guère de doute. Toutes les raisons invoquées pour justifier cette guerre sont
épuisées. Saddam Hussein capturé, 44 sur les 55 personnalités figurant sur le
jeu cartes sont entre leurs mains. Reste une chose, qui se révèle être un vrai
mensonge : l’absence d’armes de destruction massive en Irak. La boucle est
bouclée. Ce que l’on peut dire au regard du contexte actuel, c’est que les
Etats-Unis sont implantés pour de longues années dans l’Orient arabe. Personne
ne pourra dire, aujourd’hui, ce qu’il adviendra de cette partie du monde. Ils
sont certes militairement les maîtres à bord, mais ils ont sous-estimé –
certainement par maladresse et par cette incapacité de se mettre à la place des
autres –, la psychologie profonde des peuples de la région. Les conséquences de
cette erreur seront, hélas, terribles pour les Américains, et pour les
Arabes.
- NOTES :
[1]
Lire ma chronique « Orient arabe : le nouveau paradigme US », www.vigirak.com.
[2] Sur les think tanks, consultez le site www.vigirak.com. A
paraître aux Editions du Rocher : « Quatrième guerre mondiale : faire mourir et
faire croire », de François-Bernard Huyghe.
[3] 1 + 4 : un an de pouvoir à
terminer pour Bush et 4 ans pour le nouveau mandat.
[4] Lire à ce propos le
livre « La guerre d’après », de Laurent Murawiec, Ed. Albin Michel. Un chercheur
français proche des faucons US.
15. Fadwa Touqan par Fadwa Miadi
in
L'Intelligent - Jeune Afrique du dimanche 21 décembre
2003
Poète palestinienne, décédée à Naplouse, le 13 décembre,
à 86 ans
« Il me suffit de mourir dans mon pays, d'y être enterrée,
de m'y dissoudre et m'anéantir », écrivait Fadwa Touqan l'une des rares femmes
poètes de Palestine. Son souhait, que ne saisiront pleinement que ceux qui ont
été spoliés de leur terre, s'est exaucé. Fadwa Touqan a été inhumée le 15
décembre à Naplouse, deux jours après son décès à 86 ans, des suites d'une
attaque cérébrale. C'est dans cette ville de Cisjordanie que cette dame menue
aux cheveux de jais et au regard pétillant de gamine espiègle a vu le jour en
1917, l'année de la déclaration Balfour. Elle connaîtra donc la Palestine sous
mandat britannique, assistera à la création d'Israël, vivra l'occupation et
l'émergence d'une autonomie palestinienne mais guère la paix.
Et comme si
l'oppression de l'occupant ne suffisait pas, Fadwa Touqan n'aura pas non plus
trouvé l'harmonie au sein de sa famille. C'est une enfant non désirée, née dans
un milieu de notables conservateurs. Son père règne en tyran, sa mère se soumet
et son frère Youssef fait la loi. Il lui interdit dès 13 ans d'aller à l'école.
Son tort ? Un jeune homme voulait lui offrir une rose. « Tu ne sortiras plus que
le jour de ta mort, lorsque nous t'emmènerons au cimetière », lui assène-t-il
alors. C'est le choc, l'enfermement... Heureusement, son autre frère, Ibrahim,
considéré comme l'un des fondateurs de la littérature palestinienne, l'initie à
la poésie. Condamnée à la réclusion domestique, elle trouvera son salut dans
l'écriture.
On ne s'étonnera donc pas de voir naître sous sa plume des
élégies funèbres ou des poèmes hantés par la solitude ou la tristesse. À partir
de 1967, avec l'occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza par Israël,
ses écrits prennent des accents nationalistes. « Ils sont morts / Debout astres
scintillants / Embrassant la vie sur la bouche. Regarde-les au loin enlacer la
mort pour exister encore » (Les Martyrs de l'Intifada).
Outre des recueils
de vers, celle que Mahmoud Darwish qualifie de « maître de tous les poètes »
nous a aussi légué des Mémoires d'une touchante sincérité. Dans le premier tome,
Le Rocher et la peine (éd. Langues & Mondes-L'asiathèque, 1997), elle
revient sur sa jeunesse qu'elle a passée confinée dans une chambre tapie de
livres. « Mon histoire, c'est l'histoire de la lutte d'une graine aux prises
avec la terre rocailleuse et dure. C'est l'histoire d'un combat contre la
sécheresse et la roche », confie celle qui a dû subir le despotisme d'une
société patriarcale qui l'a définitivement dégoûtée de la gent masculine. Au
point « qu'elle a toujours refusé de se marier », confie Joséphine Lama
cotraductrice de ses Mémoires.
Préoccupée par la condition féminine, elle a
d'ailleurs fondé à Naplouse un centre de recherche sur la situation des femmes.
Dans le deuxième volume, Le Cri de la pierre (même éditeur, 1998), Fadwa Touqan
raconte non sans malice ses rencontres avec Moshé Dayan qui voulait lui « parler
de poésie », Gamal Abdel Nasser qui voulait savoir de quoi elle s'était
entretenu avec le ministre de la Défense israélien et de nouveau Dayan qui se
demandait à son tour ce qu'elle avait bien pu dire au président égyptien. Cet
ouvrage est aussi l'occasion d'évoquer ses entretiens avec Anouar el-Sadate mais
aussi Yasser Arafat et de confier ses espoirs de voir la paix s'instaurer au
Moyen-Orient.
Une dame au grand charisme s'en est allée. Restera son oeuvre
marquée par le refus du double asservissement exercé et par des hommes de son
peuple et par des Israéliens. « Qu'il te suffise de n'avoir pas été vaincue ni
rompue par les flèches du destin », se consolait-t-elle dans Autoportrait, un de
ces plus célèbres poèmes.
16. "Un plan de paix parmi d’autres" pour les
Palestiniens par Valérie Féron
in La Tribune de Genève (quotidien
suisse) du lundi 1er décembre 2003
Si les critiques les plus vives
contre l’Initiative de Genève viennent des réfugiés, c’est en fait l’ensemble de
la société palestinienne qui regarde avec indifférence ou méfiance cette
proposition de paix . Dans la partie occupée de Jérusalem comme dans le reste
des territoires palestiniens, l’asphyxie économique et la poursuite de la
colonisation semble avoir vaincu toute confiance en l’avenir. L’Initiative de
Genève n’apparaît que comme un plan de paix, bien théorique, parmi d’autres.
"Le problème, c’est qu’il y a foison de plans et toujours pas de paix",
bougonne Mohammed, propriétaire d’une librairie près de la rue Salaheddine, la
grande rue commerçante près de la Vieille Ville. Quelques mètres plus loin,
Yassine, affairé à disposer les décorations de Noël dans son magasin, esquisse
un sourire las: "Il y a ceux qui discutent et nous qui essayons de survivre,
tempête cet Arménien père de deux enfants. Ce que veulent les Palestiniens, ce
sont des résultats. Du concret. Regardez la situation ici à Jérusalem. C’est de
pire en pire. Nous sommes occupés depuis 1967. Avant lorsque nous avions un
problème nous allions à la Maison d’Orient. Les Israéliens l’ont fermée en août
2001. Depuis nous n’avons personne à qui nous adresser lors de litiges. La
police israélienne, elle, n’est là que pour protéger les colons".
Un partenaire inexistant
La colonisation et le mur en
construction qui va éventrer la Cisjordanie risquent d’achever l’isolement total
de la ville, carrefour religieux économique et social des Palestiniens. Du coup
de nombreuses familles vivant "du mauvais côté" des check-points ou du mur
reviennent habiter la Vieille Ville et ses environs proches. Ici comme ailleurs
une seule conviction: tout sur le terrain démontre que "ce sont les Palestiniens
qui n’ont pas de partenaire" pour établir une vraie paix.
"Depuis la
Conférence de Madrid en 1991 combien de plans avons nous eu?" questionne Nafez,
coiffeur dans la Vieille Ville. "Et aucun n’a marché parce que les Israéliens
ont continué à voler notre terre et à refuser notre existence même ici". On ne
reconnaît donc généralement qu’un aspect positif à l’Initiative de Genève: "Elle
embarrasse le gouvernement israélien".
Pour Khader, traducteur, ce plan est
l’occasion de faire le point sans détour: "Apparemment nous, Palestiniens,
n’avons pas su expliquer clairement au monde les énormes concessions que nous
avons faites jusqu’ici qui prouvent que nous recherchons la paix. Nous avons
cédé 78% de notre patrie historique et reconnu l’Etat d’Israël. Nous n’avons
plus rien à négocier". Cet homme d’une quarantaine d’années d’une famille
chrétienne de la Vieille Ville critique la présentation du conflit à
l’extérieur: "On le présente comme celui de deux peuples qui se battent pour une
terre. Mais la réalité c’est un colonisateur israélien et un peuple palestinien
sous occupation malgré une Autorité nationale sans pouvoir".
Droit du retour trop limité
Lorsqu’il se penche sur
les clauses du projet de paix, Khader, comme beaucoup de Palestiniens, dénonce
l’application limitée du droit au retour pour les réfugiés. Une question
centrale du conflit, qui concerne quelque cinq millions de personnes
actuellement, conséquence de l’expulsion par les forces sionistes en 1948 de
deux tiers du peuple palestinien. Des faits attestés par maints historiens dont
des Israéliens, archives à l’appui, mais que continue de nier officiellement
l’Etat hébreu.
"Certes l’application de ce droit est difficile, continue
Khader, puisque les Israéliens ont détruit des centaines de villages et que des
centaines de familles juives vivent désormais dans les maisons que les nôtres
ont dû quitter en 1948. Mais ceci ne diminue en rien la valeur de ce droit,
insiste-t-il. Aucun plan de paix ne sera viable tant que les faits historiques
seront niés, tant que les Israéliens ne reconnaîtront pas clairement tous leurs
crimes et nos droits". Seule cette reconnaissance apparaît aux yeux des
Palestiniens comme le point de départ de négociations pour un accord de paix
durable.
17. Oslo-Genève : à nouveau, on regarde à travers les
lunettes israéliennes par Nayef Hawatmeh
in Al Quds Al Arabi
(quotidien arabe publié à Londres) du samedi 27 novembre 2003
[traduit de l’arabe par Marcel
Charbonnier]
(Homme politique palestinien né
le 17 novembre 1935 à Salt, en Transjordanie, dans une famille paysanne
chrétienne de rite grec catholique, Nayef Hawatmeh est le dirigeant du Front
Démocratique pour la Libération de la Palestine - FDLP. Son mouvement fut, au
début des années 90, le théâtre d'une scission emmenée par son numéro deux,
Yasser Abed Rabbo, lequel fonda alors l'Union Démocratique palestinienne (Fida)
et devint ensuite ministre de la Culture et de l'Information dans l'Autorité
palestinienne. Yasser Abed Rabbo est un des initiateurs de l'Accord de
Genève.)
L’état où en est arrivée l’Autorité palestinienne ne
saurait réjouir ses amis. Il est lourd de nouveaux drames et de nouvelles
reculades, et son seul effet constaté à ce jour est une perte nette. C’est au
beau milieu de cette confusion politique absolue que certains des mousquetaires
d’Oslo viennent nous annoncer les derniers avatars de la grande saga des
abandons successifs en matière de prescriptions du droit international, sous la
forme d’un énième accord, baptisé : « document de Genève »…
Ce document a été conçu dans le giron de rencontres subreptices menées dans
l’ombre, qui se sont poursuivies deux années durant dans les capitales et les
non capitales les plus diverses. Et voilà que les oiseaux de nuit viennent de
jeter leur dévolu sur l’hôtel Monavik, sur la mer Morte, du côté jordanien, afin
d’y conclure leur marché avec leurs interlocuteurs israéliens et y signer avec
eux les points sur lesquels ils sont tombés d’accord – première étape vers la
signature « officielle » du traité, le 4 février prochain à Genève (Suisse).
Peut-être le choix, par le côté israélien, de Genève, ne relève-t-il pas
entièrement du hasard. Voici un peu plus d’un siècle, en effet, le mouvement
sioniste tenait son premier congrès dans la ville helvétique, elle aussi, de
Bâle (c’était en 1897), annonçant au monde son projet colonial sanguinaire et
éradicateur, visant le peuple palestinien. Commença alors le calvaire de notre
peuple, qui n’a épargné aucun sacrifice afin de défendre son territoire, sa
dignité et sa liberté.
Si les Israéliens parviennent à faire passer ce document, ils récolteront
en une moisson magistrale ce qu’ils n’ont pu obtenir tout au long de leur
occupation et de leurs massacres à l’encontre de notre peuple sans défense.
Qu’il me soit permis avant de poursuivre, de rappeler que les participants
palestiniens à la rencontre de Genève ne sont nullement mandatés pour ce faire,
quand bien même Yasser Arafat leur a-t-il assuré une couverture politique. Il
s’agit, en la matière, e questions extrêmement graves, qui engagent le destin de
notre peuple, dont personne ne saurait disposer à sa guise dans son dos, ni dans
celui des composantes de l’OLP et de ses institutions nationales.
Toute
décision en la matière doit recueillir le consensus national, et l’unanimité ne
saurait se faire au prix de nos droits légitimes au retour, à l’indépendance, à
notre autodétermination et au libre choix de notre avenir.
Il semble, hélas, que l’Autorité et les ministres pressentis en échange de
concessions ad libitum n’ont rien appris du gâchis des années calamiteuses
d’Oslo, qui n’ont apporté, en fin de compte, à notre peuple, que des échecs et
des drames. Ils sont retournés à leur délire et à leurs billevesées, et ils ont
fait ingurgiter à notre peuple les malheurs les plus amers. Ils nous ont mis à
plus d’une reprise au bord du gouffre de la dissension, voire de la guerre
civile, et voilà qu’aujourd’hui, ils essaient, avec « Genève », de casser
l’unité de notre peuple, une fois encore, et de l’entraîner dans les dangers
mortels d’un gouvernement d’état d’urgence.
A chaque fois où nous avons fait front aux voleurs de décision populaire,
nous leur avons imposé de demander au peuple de trancher nos dissensions. A
chaque fois, ils sont revenus sur leurs positions en enveloppant leur nouvelle
position dans une démagogie qui était la copie conforme de celle de leurs
positions antérieures, puis ils n’ont pas tardé à revenir à leurs marottes
politiques scissionnistes et factieuses.
De la marée des exemples, je ne citerai qu’une ondée. Durant une conférence
de presse tenue à Genève un certain 14 décembre, le frère Yasser Arafat a donné
lecture de sa déclaration en anglais, comme le lui avait imposé l’administration
américaine par la voix du ministre des Affaires étrangères américain de
l’époque, Schultze, condition sine qua non de la « légitimation de l’OLP ».
Cette déclaration comportait les points suivants : le droit à l’existence
d’Israël, un règlement politique fondé sur la seule résolution 242, à
l’exclusion de tout lien avec les autres arrêts du droit international, dont la
résolution 194, et le rejet de toute violence individuelle et collective. Arafat
a justifié sa position, à Genève, en indiquant qu’elle était conjoncturelle et
improvisée, et que son insuffisante maîtrise de l’anglais ne lui avait pas
permis de faire le départ entre un mot commençait par la lettre R et un autre
commençant par un D.
Autre exemple : le 18 octobre, Fayçal al-Husseini a remis à James Baker la
liste des membres de la délégation palestinienne centrale incluse dans la
délégation jordanienne pour les seules Cisjordanie et Gaza. Or cela se passait
quatre heures seulement après la fin des travaux du conseil central palestinien,
avec notre participation unanime et contrairement aux décisions adoptées par le
dit conseil avec l’accord de Yasser Arafat. Ces décisions préconisaient une
délégation de 14 membres représentant les territoires occupés, Jérusalem et les
réfugiés de la diaspora palestinienne, sur la base des résolutions des deux
conseils – national et central – de l’OLP, chargée de négocier en une seule
fois, et de A jusqu’à Z, toutes les questions ( Jérusalem, frontières, colonies,
réfugiés), sur la base des résolutions internationales 194, 242 et 338. Nous ne
différions en rien, de ce point de vue, de la Jordanie, ni de la Syrie, ni du
Liban. Et tout ça a été fiché en l’air… N’est-ce pas là une preuve accablante et
irréfutable de leur total mépris des instances nationales consensuelles et du
programme de travail commun ?
Par la suite, et à divers moments décisifs des négociations, le courant
d’Oslo a proclamé le contraire de ce qui avait été discuté et avait fait l’objet
d’un accord avec les Israéliens. Le démenti des Israéliens a mis ce courant en
grande difficulté à chaque fois, et force est bien, malheureusement, de
reconnaître la véridicité de la version israélienne dans bien des cas.
En dépit du démenti qui leur était apporté, et de la preuve qu’ils
mentaient, qui était ainsi établie, les tenants d’Oslo ont persisté dans leur
comportement amoral. Nous nous souvenons tous de quelle manière les gens d’Oslo
se sont servi des négociations menées par la délégation palestinienne à
Washington pour couvrir leurs négociations secrètes à Oslo. Le scandale de ces
négociations parallèles ayant éclaté, le Dr. Haydar Abdal-Shafi démissionna avec
pertes et fracas et, avec lui, beaucoup des membres de sa délégation. Il a
aujourd’hui encore le cœur plein d’amertume, car il a compris que lui-même et
ses collègues ont été les victimes d’une énorme duperie, digne du cheval de
Troie.
Peu après le sommet d’Aqaba et afin de tenter bien naïvement de limiter les
dégâts destructeurs du discours qu’y avait tenu Abou Mazen, Arafat a prétendu
que celui-ci n’avait pas pu lire son discours jusqu’à la fin et que son discours
avait été, par conséquent tronqué, qu’il était incomplet ! Puis il est revenu
sur cette déclaration, optant, cette fois-ci, pour une nouvelle version des
faits selon laquelle Abou Mazen serait tombé, en fait, dans un piège : il aurait
lu son discours dans sa forme convenue d’un commun accord, tandis que Bush et
Sharon, quant à eux, auraient rompu, l’un comme l’autre, leur engagement et
n’auraient pas donné lecture des positions arrêtées au préalable avec Abou
Mazen. Les dissensions s’aggravant entre les différentes tendances de
l’Autorité, et afin de défendre sa position au sommet d’Aqaba, Abou Mazen a
réaffirmé à plusieurs reprises qu’il a bien lu l’intégralité, à la virgule près,
du discours dont il avait convenu avec Arafat. Et voilà qu’aujourd’hui Arafat
nous gratifie de sa bénédiction accordée à ce qu’il est convenu d’appeler la «
charte de Genève », allant jusqu’à préciser que « les Palestiniens qui ont
contribué à sa rédaction n’étaient pas officiellement mandatés » ? Hier encore,
Arafat faisait payer au seul Abou Mazen le prix d’une politique qu’il avait
définie avec lui, après quoi, il lui assénait le coup de grâce. Et ni leurs
longues années de combat mené côte à côte, ni leur proximité politique n’ont pu
adoucir la sanction infligée par Arafat, a fait savoir Abou Mazen au cours de la
session du 06.09.2003 du Conseil législatif, durant laquelle il a présenté la
démission de son gouvernement. Arafat pourra-t-il, cette fois encore, faire
payer la facture à sa place, sachant que la facture de ce document est
exorbitante et que le budget des instances exécutives ne sauraient y suffire ?
« Genève » sera signé dans quelques jours seulement. L’équipe « israélienne
» n’est nullement officielle, et donc aucunement responsable de sa mise en
œuvre, c’est une certitude. Sharon s’est empressé de « paralyser l’initiative »
totalement, comme il en avait usé avec le « plan Tenet » et la « déclaration
Mitchell », et comme il continue à le faire avec la « feuille de route ». Ainsi,
le document « Genève – Mer Morte » fixe-t-il le plafond des revendications
palestiniennes, revendications que les Israéliens pourront entreprendre
immédiatement de grignoter, conformément à leur habitude. Il n’est plus temps de
demander aux soutiens de ce « document », du côté palestinien, de faire leur
introspection. Il ne faut pas, non plus, voir dans ce qui sera signé de simples
éprouvettes d’essai. En effet, les cinquante pages de « Genève » sont rien moins
que la dénonciation des droits de millions de réfugiés palestiniens, et un
quitus donné aux Israéliens pour leurs gains sur le terrain et leurs colonies
expansionnistes, à tous les sens du terme. En voici les raisons :
- Le document nie toute compétence aux instances internationales dans la
recherche d’une solution au conflit, la base de la solution étant désormais
représentée par le degré d’accord obtenu par les deux protagonistes, et non par
des négociations dont la finalité ultime serait la mise en application des
décisions de l’ONU afférentes à la cause nationale palestinienne. Aucun rôle
n’est attribué, dans le document de Genève, à l’ONU, ni à la communauté
internationale, ni dans les négociations intermédiaires, ni dans les
négociations en vue d’un règlement définitif. Cela aura pour effet de laisser
les Palestiniens seuls face aux Israéliens, soutenus comme on sait par les
Etats-Unis – et, cela, en l’absence d’une quelconque supériorité dans les
rapports des forces qui leur conférerait un quelconque avantage dans ces
négociations.
Considérer que « ce document vise à mettre un terme définitif
au conflit et à rendre irrecevable toute revendication ultérieure » revient à
fermer irrévocablement et totalement la porte à tout retour aux décisions de
l’ONU et à toute compétence des instances internationales en cas de différent,
voire de conflit.
- Ce sur quoi les deux parties sont tombées d’accord fournit une base à un
règlement qui fait de l’annulation des résolutions internationales une condition
nécessaire. Dès lors, il devient légitime, pour Israël, suivant cette logique,
de refuser le principe de son retrait total des territoires palestiniens occupés
en 1967, et cela est d’ailleurs spécifié de manière très explicite par le texte
de l’accord, selon lequel « Israël » conservera les blocs de colonisation
principaux.
A ce sujet, préciser que le taux d’échange de territoires sera de
50 / 50 est une précaution superfétatoire, puisque ce qui est envisagé est rien
moins que l’accaparement par Israël de terres palestiniennes parmi les plus
fertiles, en « échange » de régions désertiques désolées situées près de Gaza,
ou encore du côté d’Hébron – Bershéva !
L’Etat (palestinien) promis sera
désarmé, ses espaces aérien et maritime, ainsi que ses frontières, seront
ouverts devant l’armée israélienne sous prétexte de garantir la sécurité
d’Israël et de faire obstacle au terrorisme. Bref, dans les faits, il s’agirait
d’un Etat non souverain et démantelé par les murs israéliens racistes de
séparation, ainsi que par les colonies.
- Les décisions de l’ONU, en particulier la 194, seront reformulées.
D’après « Genève », on renonce au droit au retour des réfugiés, et on requalifie
ce droit : les réfugiés auraient le droit de s’installer dans les régions
composant l’Etat palestinien projeté, et le statut juridique d’ »Israël », en
matière de recherche d’une solution à leur problème, change : Israël devient un
pays accueillant des réfugiés. La détermination du nombre des réfugiés admis à
se « réfugier » ( !) en Israël est du seul ressort de la souveraineté
israélienne. En échange de la suppression de toute responsabilité juridique ou
morale d’ « Israël » dans le surgissement du problème des réfugiés, dans
l’expulsion de leurs foyers et la confiscation de leurs terres et de leurs
biens, « Israël » accepte un regroupement familial symbolique pour quelques
milliers d’entre eux, en fonction d’un calendrier fixé dans le long terme. A cet
effet sera créée une commission internationale chargée de requalifier qui est
éligible au statut de réfugié et de déterminer le montant des dédommagements
auxquels le réfugié ainsi estampillé pourra prétendre. Tout ceci aura pour effet
de placer les réfugiés palestiniens devant le dilemme suivant : soit
l’installation définitive là où ils se trouvent aujourd’hui ; soit leur
expulsion.
- D’après « Genève », Jérusalem serait la capitale éternelle d’ »Israël ».
La solution proposée représente un recul considérable sur la proposition
Clinton. Les quartiers arabes de Jérusalem, conquis en 1967, seraient placés
sous souveraineté palestinienne (souveraineté : totale, partielle,
administrative… ? le texte de Genève ne le précise pas). Les quartiers juifs
d’aujourd’hui, qui en sont venus à représenter, à force d’annexions et de
judaïsation, la plus grande partie de Jérusalem, ainsi que l’enceinte de la
ville, seraient placés sous souveraineté israélienne. Le bassin sacré de
Jérusalem, quant à lui (il comporte les lieux saints, c’est-à-dire le Haram
al-Sharif [esplanade des Mosquées] et le Saint Sépulcre), ne serait soumis à la
souveraineté de personne, et placé sous contrôle international. Cela revient à
accepter la judaïsation de la plus grande partie de Jérusalem arabe occupé, qui
serait abandonnée à Israël.
- La reconnaissance du droit d’ »Israël » à l’existence, ainsi que celle de
la légitimité du « caractère juif » de cet Etat, reviennent en toute clarté à
annihiler et à condamner les droits historiques du peuple palestinien, et à nier
la légitimité de son combat historique.
Plus grave : cela revient à
légitimer le droit, pour « Israël », de persécuter les Palestiniens vivant dans
les régions englobées par « Israël » en 1948, et à menacer leur existence même,
en les plaçant face aux dangers de l’exil et de l’épuration de masse – du «
transfert ». Et ; cela ; alors même que les Arabes de 1948 luttent en vue
d’obtenir un Etat démocratique qui soit celui de tous ses citoyens, sans
considération de sexe, d’ethnie, de religion, ni de confession.
Les gens
d’Oslo – ce sont les mêmes qui ont fait « Genève » - disposent à leur guise de
la cause et des droits du peuple palestinien, sans mandat de quiconque. Et
pendant ce temps-là, l’Autorité palestinienne voit ses prérogatives limitées aux
seules Cisjordanie et Gaza, conformément aux accords d’Oslo…
- La condamnation du droit du peuple palestinien à la résistance sous ses
différents aspects et leur assimilation à du terrorisme, ainsi que l’engagement
à démanteler l’infrastructure des formations de la résistance et à leur faire la
guerre sont une condition préalable. Il convient de noter que la réalisation de
la sécurité de l’Etat d’ »Israël » est première : c’est la condition nécessaire
de toute solution au conflit (d’après Genève, toujours, bien entendu,
NdT).
- De tout ce qui précède, nous pouvons déduire que le document de Genève
reprend les choses au point où le processus d’Oslo les avait laissées,
c’est-à-dire dans l’impasse de Camp David II et de Taba, en 2000. Le document de
Genève incarne (de la part des Palestiniens) un rapprochement sans précédent des
positions israéliennes en matière de solution au conflit. Par tant, il
représente des concessions essentielles, qui sapent les piliers porteurs des
droits nationaux légitimes de notre peuple. Le pire, c’est que les Israéliens ne
manqueront pas de faire de ce document le plafond des revendications
palestiniennes recevables, qui ne manqueront pas d’être grignotées, lentement
mais sûrement, par Israël, qui arrachera ainsi encore plus de concessions (sur
ce plafond minimaliste).
Le jeu des controverses entre la gauche et la droite
sionistes israéliennes, qui a commencé dès la signature du « document de Genève
» n’est qu’un marchandage éhonté. Il représente un retour à la politique du «
pressage du citron » qu’ont pratiquée les négociateurs sionistes des
gouvernements israéliens de gauche, avec la délégation palestinienne à Oslo, à
Camp David II et à Taba, ainsi que les négociateurs de la droite sioniste lors
des accords d’Hébron, lors du partage de cette ville en deux zones, et de ceux
de Wye Plantation.
Ce à quoi revient ce projet de solution du conflit, c’est à un enchaînement
sans fin de concessions dérogatoires à la légalité internationale, et l’Autorité
issue d’Oslo ne pourra pas sortir de l’impasse où elle se trouve aujourd’hui en
rééditant les « solutions « d’Oslo, qui ont suscité l’Intifada en réponse, et en
alternative à la politique d’Oslo et à ses conséquences funestes. La seule issue
qui s’offre à elle, c’est de réintégrer l’unité nationale grâce à un débat
national général, seul à même de remettre sur pied les institutions nationales
consensuelles (sur la base d’élections réellement démocratiques), parmi
lesquelles les institutions de l’Autorité palestinienne, dont les prérogatives
électives et juridictionnelles ont atteint leur terme au mois de mars 1999
(conseil législatif + Autorité). Sa composition partisane ne produit plus que
des crises et des reculs pour le peuple palestinien. Elle fait désormais
obstacle à l’approfondissement du caractère démocratique de l’Intifada, qui,
seul, peut en assurer la poursuite et le développement.
La reconstruction
d’une nouvelle stratégie palestinienne de négociations est la première urgence.
Elle appartient à l’ensemble du peuple palestinien, représenté par ses forces,
ses formations principales, qu’elles soient « nationalistes, démocratiques ou
islamiques » . Il n’appartient plus à quiconque d’exercer ses lubies politiques,
au feu desquelles nous nous sommes brûlé les ailes. L’accord de Genève est
totalement déséquilibré, car il s’agit d’une fabrication qui n’échappe pas à une
vision israélienne expansionniste des choses, que notre peuple a expérimentée,
et dont ses combat et son Intifada représentent, précisément, la digue destinée
à en rediriger l’énergie vers une paix globale et équilibrée, sous l’égide de la
légitimité et du contrôle internationaux.
Pour finir, ce conseil aux protagonistes d’Oslo : reposez-vous ! Faites
votre introspection, avant qu’il ne soit trop tard !
18. Le texte et le contexte israéliens de l’Accord de
Genève par Shiko Behar et Michel Warschawski
on Middle East Report
Online du mercredi 24 novembre 2003
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Shiko Behar
dirige Alternative Information Center (Centre d’Informations Alternatives), une
organisation palestino-israélienne sise à Jérusalem et à Beit Sahour. Michel
Warschawski en est le fondateur et co-directeur.)
L’Accord de
Genève, dernier en date des cadres non-officiels pour une paix
israélo-palestinienne, rendu public à la mi-octobre 2003, n’est certes pas
devenu la base de négociations officielles. Mais cette initiative a déjà
remporté un succès sur un point : il a libéré autant d’espoirs exprimés à haute
voix que de protestations chez les Israéliens et les Palestiniens, même si le
gouvernement israélien l’a rejeté et même si l’Autorité palestinienne ne l’a pas
endossé de manière formelle. Essentiellement une nouvelle présentation du plan
de paix du président Bill Clinton, à la fin 2000, l’Accord de Genève stipule
plusieurs points fondamentaux sur lesquels un accord de paix permanent pourrait
être finalisé.
L’initiative de Genève appelle un examen critique sérieux de
la part de tous ceux qui sont intéressés à une paix durable – qui est tout à
fait possible – entre Israéliens et Palestiniens. Sa négociation a exigé un
nombre impressionnant de personnalités de tout premier plan, sous la houlette de
Yossi Beilin, ancien ministre dans plusieurs gouvernements israéliens
travaillistes, et Yasser Abed Rabbo, qui était encore tout récemment ministre de
l’Autorité palestinienne, chargé du cabinet du gouvernement et l’un des acteurs
majeurs dans de précédentes négociations. A l’heure actuelle, l’Accord de Genève
est le projet de document allant le plus loin à avoir été ratifié par le
consensus palestinien et certains hommes politiques israéliens. Toutefois – et
cela n’est pas sans rappeler les initiatives de l’époque Clinton – ce document
en apparence audacieux est intrinsèquement défectueux. De plus, il a été
présenté de manière trompeuse – et en fin de compte, autodestructrice – par ses
rédacteurs israéliens.
Une double urgence
Selon cet accord, Israël est
autorisé à légaliser et à conserver des implantations en Cisjordanie occupée,
qui abritent en gros 300 000 colons, dont toutes les colonies postérieures à
1967 dans Jérusalem-Est ; en échange, les Palestiniens reçoivent une
compensation sous forme de territoires cédés par Israël. Les Palestiniens se
voient accorder la souveraineté sur le territoire gagné du fait de cet échange,
ainsi que sur les autres parties de la Cisjordanie et de Gaza, dont les
quartiers arabes de Jérusalem-Est. L’entité palestinienne souveraine demeure
non-militarisée. La sécurité sur le Mont du Temple / Haram al-Sharif (les lieux
saints de Jérusalem), est supervisée par une force internationale permanente,
tandis que les aspects non-sécuritaires de la gestion de ces lieux saints
incombent aux Palestiniens ; un accès plein et entier aux Lieux saints est
garanti aux juifs. Si les Palestiniens chassés de chez eux et devenus réfugiés
en 1948 reçoivent certaines compensations, la détermination du nombre de
réfugiés – sur un total de plus de 4,1 millions de réfugiés enregistrés auprès
de l’ONU – admis à retourner dans leurs foyers en Israël est laissée à la
discrétion d’Israël.
Cette clause représente une concession énorme de la
partie palestinienne en matière de droit au retour des réfugiés – bien que
celui-ci ne soit pas totalement abandonné. A cet égard, l’opposition au
document, chez les Palestiniens, est légitime, non seulement du point de vue
politique et moral, mais aussi du point de vue humanitaire et du droit
international, où les Palestiniens ont un avantage certain. Afin de justifier
cette concession, les participants palestiniens au processus de Genève pointent
une double urgence, qui s’impose actuellement aux autres problèmes, sur le
théâtre politique israélo-palestinien.
La première de ces urgences tient au
fait que le temps s’épuise, pour une solution faisant l’objet d’un accord : dans
un futur proche, il risquerait fort de ne plus rien rester à négocier, étant
donné la colonisation incessante des Territoires par Israël, et la construction
par Israël d’un mur à l’intérieur de la Cisjordanie qui, dans les faits,
installe un système d’apartheid.
La seconde urgence résulte d’une conviction
croissante, chez les opinions publiques palestinienne et israélienne, qu’il n’y
a plus de partenaire avec qui négocier, de l’autre côté. Par tant, arguent les
négociateurs palestiniens, il risquerait de devenir rapidement impossible de
persuader les Palestiniens et les Israéliens de la possibilité de parvenir à une
quelconque solution négociée du conflit. Les participants israéliens au
processus de Genève partagent ce sentiment d’une double urgence. C’est la raison
pour laquelle ils justifient l’importance de leur initiative en en soulignant la
capacité à renverser la spirale du désespoir israélien, ou au moins à la
stopper.
Les leçons d’Oslo
Bien que le devenir de l’accord
d’Oslo soit incertain, un autre ministre palestinien, Ghassan al-Khatib, s’est
fait l’écho de bien des commentateurs lorsqu’il a déclaré que cette initiative «
crée un bruit fort utile » en Israël. Intervenant après trois années d’absence
de toute initiative officielle de négociations, du côté du gouvernement Sharon,
et parmi des critiques ouvertes de la répression impitoyable de Sharon dans les
Territoires occupés, notamment celles de Moshe Yaalon, chef d’état-major des
Forces Israéliennes de Défense, ainsi que de quatre anciens directeurs des
services israéliens de renseignement, l’initiative de Genève est susceptible
d’interrompre le glissement à droite de l’opinion publique israélienne. Mais
l’analyse de l’impact de l’accord doit prendre en considération l’expérience de
l’agrément d’Oslo, de 1993, qui semblait lui aussi promettre la paix, ainsi que
la désintégration de cette initiative de paix, dans la deuxième moitié des
années 1990.
Beaucoup, parmi ceux qui pensaient que l’accord d’Oslo
aboutirait à une paix qui était tout aussi possible avaient limité leur analyse
au texte, qui les conduisait à la conviction que l’agrément satisfaisait aux
aspirations minimales du peuple palestinien. Bien que l’agrément d’Oslo ait été
très loin de satisfaire ces aspirations, il pouvait encore servir de modeste
point de départ pour une paix israélo-palestinienne qui satisfît aux besoins
fondamentaux des Israéliens et des Palestiniens (seulement à Gaza et en
Cisjordanie) – dès lors que les Palestiniens et les Israéliens auraient compris
ce texte d’une manière similaire, et pour peu qu’ils aient mené les négociations
en toute bonne foi. Hélas, ce fut très loin d’être le cas.
Alors que les
négociateurs palestiniens semblaient authentiquement motivés à parvenir à ce
qu’ils qualifiaient de « compromis historique » sur la base de la Résolution 242
de l’ONU – qui signifiait la renonciation à rien de moins que 78 % de leurs
exigences nationales sur l’ensemble de la Palestine mandataire – les hommes
politiques israéliens utilisèrent le document d’Oslo pour consolider encore un
peu plus leur mainmise coloniale sur les vies des Palestiniens et sur leurs
terres. Tout au long du « processus de paix », les colonies existantes
s’accrurent, de nouvelles furent construites et le nombre des colons, quant à
lui, fit plus que doubler. Ces faits conduisirent à une unique conclusion : les
Premiers ministres Yitzhak Rabin et Shimon Peres avaient, dès le départ,
l’intention d’exploiter la balance asymétrique des forces entre l’Etat d’Israël,
force occupante, et la société palestinienne – occupée – afin d’imposer à
l’Autorité palestinienne une conception de la paix fondée sur la continuation de
sa domination.
Beaucoup des observateurs du processus de Genève négligent le
fait que les années 1990, en Israël, furent essentiellement une période de
gouvernement des sionistes de gauche, plus qu’une période dominée par le Likoud
et la droite ultra-nationaliste. Entre l’élection de Rabin, en juin 1992, et la
victoire de Sharon sur l’ex-Premier ministre Ehud Barak, en février 2001, il y a
eu près de six années pleines de gouvernement du parti Travailliste et du parti
de gauche Meretz. Contrairement à l’impression dominante, à l’époque, c’est la
gauche sioniste – plus que la droite – qui porte la responsabilité principale
dans l’échec du « processus de paix » durant les années 1990. Etant donné que le
processus de Genève a émergé de la même école israélienne qui avait produit le
processus d’Oslo, Beilin et ses associés auraient pu renforcer la viabilité de
leur nouveau processus de Genève, s’ils avaient publiquement reconnu leurs
échecs tout au long de la décennie 1990. Ils ne l’ont pas fait, négligeant une
fois de plus d’offrir à l’opinion publique israélienne une explication
alternative de l’Intifada qui sorte de la version rebattue selon laquelle les
Palestiniens « auraient fait le choix de la violence ».
En 1993, au lieu de
convaincre les Israéliens qu’une nouvelle ère, fondée sur une coexistence
pacifique et l’égalité était sur le point de commencer, les dirigeants de la
coalition parti Travailliste – Meretz fondèrent leur stratégie de marketing
uniquement sur la sécurité, la séparation des Palestiniens et la continuation de
la suprématie coloniale israélienne. La direction parti Travailliste – Meretz ne
voulait assumer aucune responsabilité israélienne, ou sioniste pré-étatiste,
dans plus d’un siècle de conflit. En revanche, ces dirigeants ont en toute
connaissance de cause lié le conflit, tant sur le plan politique que dans leur
rhétorique, au « terrorisme » palestinien et à un rejet historique
permanent.
En écoutant attentivement les Israéliens éminents liés au
processus de Genève – c’est particulièrement évident lorsqu’ils s’expriment en
hébreu – il appert immédiatement qu’ils n’ont rien oublié, ni rien appris, de
leur échec d’Oslo, auquel ils ont eux-mêmes travaillé. En réalité, ce sont un
comportement et des stratégies de marketing identiques vis-à-vis de l’opinion
publique israélienne qui sont inscrits dans le tissu même de l’initiative de
Genève.
Le « réalisme » et la « générosité »
Le texte de
l’accord de Genève a peu de sens si on l’extrait du contexte politique et
journalistique dans lequel il a été vendu au public israélien. Pour l’essentiel,
la véritable substance du processus est incluse dans l’exégèse verbale et écrite
qui entoure le texte de l’accord. Ces contextes explicatifs renvoient d’entrée
de jeu au fiasco politique qui semble attendre au tournant le texte, dans un
futur rapproché.
Un article, publié dans le Guardian, par l’un des plus
éminents participants au processus de Genève, le romancier et commentateur
internationalement reconnu Amos Oz, illustre cette prétention. L’article d’Oz,
intitulé « Nous avons fait le forcing de la paix », reprenait un article en
hébreu, qu’il avait publié en Israël. Oz explique que les pourparlers de Genève
diffèrent des précédentes interactions israélo-palestiniennes. Par exemple, on
ne parle plus « du droit au retour des réfugiés », mais d’ « une solution au
problème des réfugiés ». On ne parle plus de « retour aux frontières de 1967 »,
mais d’une « carte logique, qui prend les données actuelles en compte, et pas
seulement l’histoire. » Des lecteurs peu avertis peuvent en conclure que la
logique est la propriété exclusive de la gauche sioniste et que les Israéliens,
à la différence des Palestiniens, n’ont jamais fondé une quelconque de leurs
revendications nationales sur l’histoire. Le message central d’Oz est le suivant
: dans l’accord de Genève, les Palestiniens ont finalement choisi d’être «
réalistes », et de renoncer, non seulement au droit au retour, mais aussi à
l’exigence d’un retrait total jusqu’aux frontières de 1967.
Principal gourou
du mouvement israélien La Paix Maintenant, Oz fait un effort supplémentaire pour
répéter que c’est l’entêtement palestinien qui a conduit aux échecs d’Oslo et du
sommet de Camp David, en juillet 2000. Oz suggère l’idée que le camp de la paix
israélien aurait finalement réussi à convaincre les irrationnels Palestiniens du
fait qu’ils doivent accepter les lignes rouges fixées par la gauche israélienne.
Ces lignes rouges, d’après un collègue d’Amos Oz, représentent un énorme
sacrifice de sa part, dès lors qu’il est « prêt à renoncer à rien moins qu’une
partie de sa conviction religieuse, dès lors qu’il est prêt à concéder aux
Palestiniens, le cœur brisé, la souveraineté sur le Mont du Temple. » Plus loin,
Oz a recours à un symbolisme propagandiste semblable, lorsqu’il déclare que «
nous renonçons à la souveraineté sur des parties de la Terre d’Israël où
reposent nos cœurs. » Quel sont donc les principaux problèmes d’Oz, et de
l’école israélienne de Genève, qu’il représente de manière si brillante, en
matière d’opinion publique israélienne ?
Incapable d’une quelconque
autocritique, Oz renforce l’auto-justification d’Israël, et il confisque aux
Palestiniens la position de la victime, en se représentant lui-même, ainsi
qu’Israël, comme les victimes véritables. Il ne tente jamais de comprendre les
sacrifices énormes consentis par ses partenaires palestiniens. Sa prose reflète
les présupposés sous-jacents à l’offre « généreuse » qu’aurait fait Barak au
dirigeant de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat, à Camp David, en juillet
2000.
Afin de convaincre l’opinion publique israélienne, les Israéliens
participant au processus de Genève devront montrer – c’est du moins ce dont ils
sont convaincus – que les Israéliens ont « gagné » et que les Palestiniens ont «
rendu les armes ». Le plus grand défaut de l’accord de Genève tient à ce que la
notion fondamentale des droits humains et politiques du peuple palestinien est
totalement ignorée par Oz et ses associés, comme ce fut d’ailleurs déjà le cas
lors du processus d’Oslo.
A la suite de Barak, Oz remplace la notion de
droits par celle de charité – « si nous leurs avions offert, en 1967, ce que
nous leur offrons aujourd’hui… » Les droits n’étant aucunement pris en compte,
et l’équilibre des forces favorisant d’une manière aussi patente l’occupant
illégal, le discours israélien standard est le suivant : les Palestiniens ont
renoncé à leur objectif destructeur (puisque pour Oz et l’école de Genève, «
retour » est un nom de code signifiant « destruction d’Israël »), c’est
pourquoi, nous, le camp de la paix israélien, avons décidé de nous montrer
extrêmement généreux.
Une contre-productivité systématique
Mis à part ses
ambivalences morales, l’argumentation contextuelle de « marketing » des
participants israéliens à Genève est politiquement contreproductive pour
l’objectif visé, qui est de provoquer un changement dans l’opinion publique
israélienne. Si les droits humains et politiques n’existent pas, et si le
conflit résulte d’une détermination irrationnelle des Palestiniens à éradiquer
les juifs, quel Israélien va-t-il jamais croire que les Palestiniens sont
susceptibles de changer ? De plus, si les Palestiniens changent seulement parce
que le camp de la paix israélien s’est montré suffisamment dur dans ses
tractations avec eux, pourquoi, alors, n’être pas encore plus durs et les forcer
à accepter la domination israélienne, sans aucune concession que ce soit
?
Même des alchimistes du calibre de l’école de Genève ne peuvent bâtir la
confiance sur un mensonge : afin de conquérir l’opinion israélienne, certains
des participants à Genève arguent du fait que, cette fois-ci, les Palestiniens
ont renoncé à leur droit au retour. Une simple lecture de l’Article 7 de
l’accord montre que les participants palestiniens au processus de Genève sont
effectivement prêts à faire des compromis particulièrement importants sur les
droits des réfugiés palestiniens. Toutefois, ils ne sont certainement pas allés
jusqu’à renoncer totalement au « droit au retour », tel qu’il est fixé par la
Résolution 194, adoptée par l’ONU en 1948, puisqu’une telle décision ruinerait
totalement et instantanément leur légitimité aux yeux de l’opinion publique
palestinienne.
Tous ceux qui sont intéressés à une paix durable – qui est
tout à fait possible – entre les Israéliens et les Palestiniens doivent par
conséquent se poser cette unique question : pourquoi l’école de Genève
tente-t-elle d’acheter l’opinion publique israélienne en faisant le marketing de
l’exact opposé de ce que leurs homologues palestiniens disent à leur opinion
publique, précisément afin de gagner son soutien à l’initiative conjointe ? Le
résultat final du processus de Genève ne pourra être qu’un creusement de la
différence entre les lectures israélienne et palestinienne, plantant encore une
fois le décor pour l’accusation israélienne, dont les doyens de l’école de
Genève eux-mêmes se feront très vraisemblablement l’écho, à savoir que les
Palestiniens sont des menteurs.
Certains, parmi les participants israéliens
au processus de Genève les plus cyniques, savent parfaitement qu’il y a une
contradiction volatile entre la lecture palestinienne de l’agrément et la façon
dont ils le vendent à l’opinion publique israélienne. Ces Israéliens semblent
penser qu’une déformation de la position palestinienne est susceptible de les
aider à inciter les Israéliens à réinstaller le parti Travailliste au pouvoir,
où il trouvera bien le moyen d’imposer l’ «accord ».
Mais le parti
Travailliste ne réussira pas à reconquérir le pouvoir, parce que sa politique
est une pâle réplique des convictions des partis de droite. La démission du
dernier candidat travailliste au poste de Premier ministre, Amram Mitzna, de la
direction du parti, couplée à celles de Travaillistes de gauche tels Beilin et
Yael Dayan, afin de former un nouveau parti social-démocrate, attestent de
l’impossibilité d’une réforme sérieuse de ce parti. Dans le domaine
socio-économique, le parti Travailliste défend des positions néo-libérales
similaires à celles de Binyamin Netanyahu, du Likoud. Sur le conflit
israélo-arabe, les parlementaires Travaillistes, tels les généraux Binyamin Ben
Eliezer, Efraim Sneh et Dany Yatom sont probablement pires que certains des
députés Likoud à la Knesset.
Pour l’électeur israélien moyen, la question
reste la même : pourquoi voter pour un parti Travailliste copie conforme du
Likoud, alors que vous pouvez voter pour l’original ?
Que faudrait-il faire ?
S’ils sont réellement
intéressés à une paix viable et durable pour leur peuple, les hommes politiques
israéliens devront, finalement, présenter un accord de paix qui puisse conquérir
le soutien des Palestiniens de base. A cette fin, l’opinion publique israélienne
devra développer une compréhension beaucoup plus raisonnée des dynamiques
socio-politiques sous-jacentes au conflit arabo-israélien. Plutôt que de se
focaliser sur telle ou telle clause de l’Accord de Genève, les Israéliens
intéressés par l’obtention d’une paix juste et durable doivent immédiatement
concentrer leur attention sur les explications verbales et écrites, sans
arrière-pensées, qui sont nécessaires afin de contextualiser ces accords d’une
manière productive.
Tout d’abord, les Israéliens critiques doivent expliquer
au public israélien que le conflit ne résulte pas du terrorisme ou du fanatisme
palestiniens, mais bien plutôt d’une dépossession et d’une occupation
israéliennes ; la responsabilité d’Israël dans le conflit doit être démasquée
par des Israéliens. Les droits humains et politiques fondamentaux des
Palestiniens, déniés par les politiques israéliennes d’occupation et de
colonisation, doivent être pris en compte dans tout accord si l’on veut qu’il
aboutisse à une paix juste. Il doit être dit clairement à l’opinion israélienne
que la seule « offre généreuse » qui ait jamais été faite, dans l’arène
israélo-palestinienne, c’est le renoncement des Palestiniens à 78 % de leurs
revendications sur leur patrie historique.
Le droit au retour (des réfugiés
palestiniens) est un droit humain fondamental. Le fait que certains Palestiniens
soient prêts à le considérer comme objet de négociation, tout en prenant en
considération les préoccupations démographiques d’Israël, doit être compris
comme une offre généreuse palestinienne supplémentaire. Les Israéliens critiques
doivent demander à leurs compatriotes – ceux de l’école de Genève, y compris –
comment peuvent-ils demander aux Palestiniens de renoncer à leur droit au retour
avant même qu’Israël ait reconnu leur simple existence ?
Ce qui est requis,
ensuite, des Israéliens critiques – et en fin de compte des hommes politiques
israéliens – c’est de promouvoir constamment la notion positive que représente
la paix basée sur la coexistence et l’égalité entre tous les hommes. La notion
de paix qui doit être résolument rejetée, non seulement en raison de sa faillite
morale, mais parce qu’elle n’a aucune chance de fonctionner, c’est précisément
celle d’Amos Oz et de ses associés à Genève, qui entendent par « paix » le moyen
qui leur permettrait de maintenir les Palestiniens hors de leur vue, de l’autre
côté d’un mur, et de considérer que les Palestiniens représentent un danger pour
l’existence même d’Israël.
Comme c’était déjà le cas, avec les accords
d’Oslo, en 1993, dans les Accords de Genève, le contexte est plus important que
le texte – et de très loin. C’est d’autant plus le cas en ce qui concerne
l’opinion publique
israélienne.
19. Matrix Reloaded - Une nouvelle fois de
Jonathan Cook
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 13 novembre
2003
[traduit de l'anglais par Anne Claire Le
Reste]
Il se peut qu'Israël crée un jour
une sorte d'État, aux pouvoirs très limités, pour les Palestiniens de
Cisjordanie et de Gaza. Mais quel type de nation restera-t-il pour jouir de ses
quelques fruits ? Telle est la question que pose Jonathan
Cook.
L'universitaire israélien Jeff Halper a inventé l'expression "matrice de
contrôle" (the matrix of control) pour décrire le système constitué de colonies,
d'avant-postes, de routes de contournements, de terres confisquées qu'on fait
passer pour des parcs nationaux, de zones militaires, de checkpoints et,
désormais, de centaines de kilomètres d'un "mur de séparation" : un ensemble
d'éléments qui a pour effet d'enfermer la population palestinienne dans des
ghettos disséminés en Cisjordanie et à Gaza.
Ce que J. Halper cherche à
faire, c'est expliquer comment l'État d'Israël utilise, en sus des outils
militaires, des outils non-militaires (lois de planification, architecture et
géographie) dans le but d'entasser les Palestinien dans les espaces qu'il leur
alloue : les "Bantoustans" bien connus de l'apartheid sud-africain.
Le
prétexte en est peut-être bien la sécurité, mais l'objectif est d'empêcher
l'avènement d'une direction palestinienne populaire et de briser toute
résistance à l'occupation. Pendant ce temps, Israël continue son appropriation
coloniale de ressources vitales telles que la terre et l'eau. Halper, ainsi que
d'autres militants de l'extrême gauche israélienne, commencent à comprendre que,
en dépit des "concessions" récentes faites par la gauche de pouvoir israélienne
en signant l'Accord de Genève, il n'y a désormais plus d'espoir pour une
solution reposant sur la création de deux états.
Les dirigeants israéliens
n'ont pas renoncé à leur volonté de mettre en place un seul état, qui leur
permettrait de tout contrôler. Le gouvernement est déjà en train de créer une
série d'enclaves palestiniennes isolées qu'il appellera hypocritement état
palestinien.
Cela donnera l'apparence de deux états, sans aucune substance.
L'entité palestinienne, qui ne sera dotée d'aucun réel pouvoir, sera dirigée par
les héritiers de l'Autorité Palestinienne, des vieux copains qui reçoivent leurs
ordres de Jérusalem Ouest.
Cette sombre perspective est en fait plus
qu'évidente depuis quelques temps déjà. Le problème, c'est que les observateurs
étrangers, ainsi que le minuscule groupe de penseurs israéliens indépendants, se
sont entêtés à considérer que le salut du peuple palestinien résidait uniquement
dans le principe "terre contre paix" mis en avant par Oslo, et dans la mise en
place, soutenue par les Israéliens, de l'Autorité Palestinienne. Ils ne
commencent à entrevoir la vérité que tardivement.
Pour comprendre pourquoi
Israël n'a jamais envisagé la création d'un réel état palestinien, souverain et
autonome, il suffit de détourner quelque peu les yeux de Ramallah, Naplouse et
Jénine, afin de regarder ce qu'Israël a fait de ses Palestiniens d'origine – la
population indésirable qui lui est restée après avoir chassé, par la terreur, 80
% des Palestiniens vers des camps de réfugiés disséminés un peu partout au Moyen
Orient.
Les réfugiés sont parfois appelés les Palestiniens oubliés, mais en
fait, les quelques Palestiniens qui sont restés sur leurs terres à Jaffa,
Nazareth, Sakhnin, Umm Al-Fahm, dans le Négev et ailleurs, et sont devenus des
citoyens israéliens, ont été au moins autant négligés. Leur histoire est
l'histoire oubliée de la Palestine.
Le traitement historique de cette
minorité (qui atteint aujourd'hui environ un million de personnes, soit presque
20 % de la population d'Israël) éclaire de manière saisissante les intentions
actuelles de l'État juif envers les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Ce
qui est arrivé à Nazareth nous en dit beaucoup sur le destin programmé de
Ramallah, et ce qui est arrivé à Sakhnin peut suggérer ce qu'Israël réserve à
Jénine.
Ce qui relie tous ces endroits, c'est qu'ils projettent sur Israël
l'ombre d'une patrie palestinienne antérieure à son existence. Ils témoignent du
crime de guerre initial qui a donné naissance à Israël : non pas la guerre de
1967 qui a mené à l'occupation, et qui constitue le paratonnerre de l'attention
internationale, mais la guerre de 1948, qui a été largement exorcisée de nos
mémoires. En tant que tels, des Palestiniens qui continuent à vivre sur leurs
terres, que cela soit à Jaffa ou à Bethlehem, à St Jean d'Acre ou à Hébron,
constituent la même menace et doivent être neutralisés de manière similaire.
Tous les premiers ministres israéliens ont parfaitement bien compris cela,
depuis le premier, David Ben Gurion, jusqu'au plus récent, Ariel Sharon. Et
aucun d'entre eux, pas même le plus béatifié, Yitzhak Rabin, n'a dévié du
principe directeur suivant : le but principal d'Israël doit être l'éradication
de la conscience nationale du peuple palestinien, grâce à sa division en
identités séparées (les Cisjordaniens, les Gazaouites, les réfugiés, les
habitants de Jérusalem-Est et les Arabes israéliens), et à la partition sans fin
de leur territoire en blocs géographiques de plus en plus petits.
Les
dirigeants militaires israéliens croient que l'association de ces deux lignes
d'action peut venir à bout de la résistance palestinienne, en diminuant la
possibilité d'action collective, et en rétrécissant l'espace, psychologique
comme physique, dans lequel les Palestiniens – tous les Palestiniens – peuvent
manœuvrer contre l'occupation.
Pour mesurer l'étendue du succès israélien, il
suffit de constater à quel point la communauté internationale a fini par
accepter la validité de la position israélienne selon laquelle seuls les
habitants de Cisjordanie et de Gaza sont des Palestiniens, dans le sens que
seuls eux ont le droit à une forme d'état. Le récent Accord de Genève, et sa
cécité sur la question du droit au retour pour les réfugiés, est juste le
dernier plan de paix en date à traiter, de fait, comme non-Palestiniens, tous
les Palestiniens qui vivent en dehors des Territoires Occupés. Leurs destins ont
été dissociés de l'avenir palestinien.
Ceci a été rendu possible par le
présupposé des pays occidentaux selon lequel l'énorme crime de guerre commis par
Israël en 1948 (contre des Palestiniens qui constituent aujourd'hui un million
de ses citoyens, ou contre les réfugiés qui sont désormais presque quatre
millions) n'a plus d'importance. Ces deux groupes ont été, dans une large
mesure, effacés de l'histoire palestinienne.
Le danger, c'est que ce
processus insidieux perdure. La réussite du projet israélien de négation des
droits collectifs des Palestiniens de 1948, ne devrait pas nous amener à
conclure que les droits des Palestiniens de 1967 (ceux de Cisjordanie et de
Gaza) sont, par conséquent, moins menacés. Bien au contraire. Ce qui a été fait
il y a cinq décennies peut être tenté une nouvelle fois – et sera certainement
tenté. Cela pourrait être fait, comme en 1948, par un nettoyage ethnique
systématique. Ce serait la leçon des réfugiés. Mais cela pourrait aussi être
fait de manière plus subtile, en utilisant les méthodes employées à l'encontre
des citoyens palestiniens d'Israël. Ceci est le scénario le plus probable.
En
fait, les similitudes sont frappantes entre ce que l'État d'Israël est en train
de faire en Cisjordanie et à Gaza, et ce qu'il a infligé à sa minorité
palestinienne dès les toutes premières années de l'État Juif. Oubliez les tanks
et les hélicoptères de combat (les solutions à court terme pour imposer
l'occupation) et concentrez-vous plutôt sur la "matrice de contrôle" d'Halper :
le plan, à long terme, de destruction de l'identité palestinienne. La minorité
palestinienne d'Israël est confrontée à la même matrice de contrôle que les
Palestiniens des territoires occupés, mais ce depuis bien plus longtemps. Alors
que le projet d'écrasement de l'identité nationale est bien avancé dans le cas
des citoyens palestiniens d'Israël, il n'en est, en terme relatifs, qu'à ses
débuts en Cisjordanie et à Gaza.
Le processus a commencé pour la minorité
palestinienne par la colonisation de portions de leur terre (notamment de terres
agricoles) par des immigrants/colons juifs appuyés par la loi martiale locale.
C'est ainsi que l'État Juif est né : pendant les 18 premières années, jusqu'en
1966, les Palestiniens en Israël (contrairement aux citoyens juifs) étaient
soumis à l'autorité d'un gouvernement militaire qui leur rendait la moindre
sortie hors des limites étroites de leur village quasiment impossible. Pour se
déplacer (que cela soit pour rendre visite à la famille, ou pour chercher du
travail), il leur fallait demander un permis au gouverneur militaire. Souvent,
les postulants subissaient une pression extrême pour qu'ils collaborent avec les
autorités israéliennes, avant que la permission ne leur soit accordée. C'était
la genèse du système de collaboration qu'Israël a rapidement établi, et n'a
cessé de développer, parmi sa population palestinienne.
La minorité
palestinienne, parquée dans ses villages, avait peu de moyens à sa disposition
pour empêcher l'armée de convertir ses terres agricoles en zones militaires
interdites. Quand les immigrants juifs arrivaient et avaient besoin de terre,
alors seulement ces zones pouvaient être libérées pour la construction. C'est
ainsi que naquirent des centaines de kibboutz et de coopératives agricoles
moshav (qui fournirent le schéma directeur pour les colonies actuelles de
Cisjordanie et de Gaza), et, plus tard, les villes nouvelles de Nazareth Ilit et
de Karmiel, que l'on retrouve dupliquées aujourd'hui en Cisjordanie avec
Maale Adumin et Ariel.
Finalement, dans les années 1980, Israël persuada ses
classes moyennes blanches de rejoindre le projet, en établissant une série de
petites colonies luxueuses mitzpim (de guet) en Galilée et dans le Triangle
Central, près de la frontière avec la Cisjordanie. Ces colonies attirèrent tout
le monde, des banquiers aux généraux, des voyants aux acupuncteurs. Cette
dernière phase n'a pas encore débuté en Cisjordanie et à Gaza, mais vous pouvez
être certains que Sharon et quelques autres sont, en ce moment même, en train de
réfléchir à la manière dont ils vont bien pouvoir la mettre en oeuvre. Si les
classes moyennes de gauche peuvent être recrutées pour la cause, alors la
création d'un état palestinien Bantoustan devrait poser peu de problèmes.
Pour accomplir ceci, il était nécessaire de dupliquer, dans les territoires
occupés, le gouvernement militaire qui opère en Israël depuis deux décennies. Ce
qui fut fait. En ces temps médiatiques, on lui attribua un nom plus consensuel :
celui d'Administration Civile. Cette Administration, dirigée par les généraux de
l'armée israélienne, délivre les permis de travail et de circulation, impose les
couvre-feux et peut fermer les écoles et les universités palestiniennes comme
bon lui semble. Elle participe à la confiscation des terres de manière à ce que
ces dernières soient affectées à des besoins de sécurité, et ceci inclut son
attribution à des colons juifs. Elle aussi aide à diriger un vaste réseau de
collaborateurs, souvent d'anciens prisonniers qui, grâce à des pot-de-vin ou par
peur, rendent presque futile toute tentative d'organisation de la résistance à
l'occupation.
Quel est donc le scénario qui s'appliquera vraisemblablement
aux Palestiniens des territoires occupés, dans l'hypothèse où l'État d'Israël
finirait par décider qu'il peut se permettre un quelconque état palestinien
Bantoustan ? A nouveau, il convient de chercher des éléments de réponse dans le
traitement réservé à la minorité palestinienne d'Israël.
Bien que le
gouvernement militaire ait pris fin il y a de nombreuses décennies à l'intérieur
d'Israël, son héritage est toujours présent. En principe, les citoyens
palestiniens d'Israël jouissent des mêmes droits que leurs voisins juifs. Mais,
en réalité, toute tentative d'émergence d'un semblant de société civile
palestinienne (ou même arabe) en Israël, est impitoyablement réprimée.
Les
droits des minorités nationales ne sont pas reconnues par les tribunaux et
l'activité politique est sévèrement contrôlée. Le ton fut donné par le
gouvernement militaire. Les journaux arabes furent interdits. Quiconque tentait
de s'organiser politiquement était arrêté. Le seul parti nationaliste arabe créé
pendant cette période, Al-Ard, fut interdit par les tribunaux, et ses dirigeants
emprisonnés. Cette persécution continua pendant les années 70 et 80. Les Fils du
Village (Sons of the Village), un petit mouvement qui milite pour la mise en
place d'un seul état garantissant véritablement une égalité totale entre Juifs
et Palestiniens, compte dans ses rangs un nombre non négligeable d'hommes d'une
cinquantaine d'années qui peuvent vous montrer les cicatrices qu'ils gardent de
leur emprisonnement à Kishon, Nafha ou Shata, et des interrogatoires des
services du Shin Beth qu'ils y ont subi.
De même, l'éducation de la minorité
est strictement contrôlée par Israël. Lorsque les élèves demandent à ce
que leur soit enseignées l'histoire palestinienne, la perte de leur terre et la
destruction des Palestiniens en tant que peuple, les enseignants doivent
refuser.
Quant à ceux qui ne le font pas, on les force à quitter la
profession. Les cafés de Nazareth, par exemple, sont remplis d'anciens
enseignants, dont le Ministère de l'Éducation a décidé qu'ils étaient trop
"politiques" pour que l'on puisse leur confier de jeunes esprits.
Dans le
domaine de la protestation citoyenne, un droit élémentaire de toute démocratie,
Israël a également donné une série de cruelles leçons à ses citoyens
palestiniens. Ceux qui descendent dans la rue (même dans les rues de leur propre
village) apprennent à leurs dépends que la protestation pacifique n'est pas plus
tolérée que les jets de pierres des Palestiniens des territoires occupés.
En
1976, six citoyens furent abattus à Sakhnin alors qu'ils manifestaient contre le
vol systématique de leurs terres par l'État d'Israël, un épisode qui est
désormais commémoré dans tout le Moyen Orient sous le nom de Jour de la Terre.
En 1998, lorsque les habitants de Umm Al-Fahm installèrent une tente de
protestation après la transformation d'une énorme portion de leur terres
agricoles en terrain militaire, les forces de sécurité envahirent la ville,
envoyant 300 personnes à l'hôpital. Une école fut saccagée par la police et des
gaz lacrymogènes lancés dans les salles de classe, blessant de nombreux
élèves.
Et enfin, dans l'épisode le plus récent et le plus notoire, lorsque
les citoyens palestiniens voulurent manifester en soutien à leurs frères
palestiniens, au début de l'Intifada, 13 d'entre eux furent abattus par la
police. Les balles en caoutchouc et les balles réelles furent la réponse
immédiate des escouades de tireurs embusqués anti-terroristes.
Aujourd'hui,
la plupart des citoyens palestiniens savent que leur présence dans l'État juif
est à peine tolérée. Les accusations de complots terroristes fomentés par la
minorité fleurissent quotidiennement dans les médias hébreux. Quiconque a un
brin de jugeote fait profil bas. La menace d'expulsion, ou de "transfert", comme
ses partisans l'appellent hypocritement, plane constamment sur eux.
Il est
même conseillé aux dirigeants politiques de se mettre au pas, et ce de manière
on ne peut plus claire. Ainsi les services de sécurité s'acharnent-ils, devant
les tribunaux, contre les deux seuls hommes politiques palestiniens qui ont osé
s'exprimer, le nationaliste laïque Azmi Bishara et le dirigeant du Mouvement
Islamique, le cheikh Raed Salah.
Bishara est passé en justice à deux reprises
pour avoir dit ce qu'il pensait de la résistance à l'occupation. Sans
l'intervention de la Cour Suprême, il aurait été déchu de ses droits à
participer aux élections de janvier. La Cour, comme toujours, sait protéger la
réputation démocratique d'Israël quand il le faut.
Quant à Salah, qui
bénéficie d'une popularité bien moins grande dans les pays occidentaux, son sort
est pire encore : il est en prison, en attente de son procès. Ces 18 derniers
mois, on lui a interdit de quitter le pays, le journal de son parti a été
interdit et ses organisations caritatives islamiques fermées. Depuis l'élection
de Sharon, le Shin Bet a enregistré chaque coup de téléphone passé par Salah et
les dirigeants de son parti, et intercepté tous leurs emails. Il y aurait plus
de 200.000 enregistrements en attente de traduction de l'Arabe vers l'Hébreu.
Salah et quatre autres dirigeants de son parti doivent être jugés pour des chefs
d'accusation dont même la police israélienne reconnaît qu'ils reposent
principalement sur des suspicions de blanchiment d'argent, et même ces
affirmations sont fondées sur une interprétation très libre de la loi
israélienne.
L'objectif de cette persécution est de neutraliser toutes les
manifestations d'une conscience identitaire palestinienne parmi la minorité afin
de la transformer en un groupement anonyme et docile, que l'État d'Israël se
plaît à appeler les "Arabes israéliens".
A bien des égards, ce processus
s'est montré efficace. Les universitaires, commentateurs et dirigeants
israéliens ont beau affirmer que la minorité s'est radicalisée et est devenue
"plus palestinienne", il s'agit là d'une flagrante déformation de la réalité, au
service du discours de l'extrême droite israélienne. La droite cherche à
présenter la minorité palestinienne comme déloyale, comme une cinquième colonne,
parce que cela contribue à canaliser les hostilités énormes qui existent entre
les Juifs israéliens (entre religieux et laïques, Ashkénazes et Séfarades, par
exemples) en les redirigeant vers une cible solitaire et externe : les Arabes du
pays.
C'est Eux ou Nous. En général, cela permet également de préparer
l'opinion publique juive à d'éventuelles mesures extrêmes à plus long terme,
telle que l'expulsion des citoyens palestiniens d'Israël. En fait, l'identité
palestinienne de la minorité a été, dans une grande mesure, vidée de sens. S'il
y a un sentiment d'appartenance à une identité palestinienne, il constitue à
bien des égards une réaction face à l'éternel refus d'Israël d'accorder une
identité israélienne à ses citoyens palestiniens. Lorsque l'entrée dans une
nation dépend de l'appartenance à un groupe ethnique-religieux exclusif (les
Juifs) et de la participation à une armée dont le but est de détruire son propre
peuple, choisir d'être "Israélien" est une option impossible.
La hâte subite
de la minorité à revendiquer une identité israélienne pendant les années
grisantes et trompeuses du processus d'Oslo (l'empressement à afficher le
drapeau israélien, le soutien soudain pour des équipes de football et de basket
juives israéliennes) a suffisamment montré à quel point, pour beaucoup d'entre
eux, l'identité palestinienne n'avait plus grande substance.
Le projet des
dirigeants israéliens a toujours été la destruction de la conscience
palestinienne parmi la minorité arabe d'Israël, en l'isolant de son peuple et en
affaiblissant son sentiment d'appartenance à une communauté plus large. De fait,
la minorité palestinienne a perdu sa capacité à s'organiser et à résister aux
ambitions cyniques de la communauté juive concurrente et dominante.
Le
résultat fut qu'Israël réussit à s'emparer de terres palestiniennes pour la
colonisation juive. En Galilée, par exemple, le conseil des colonies juives de
Misgav contrôle désormais 18 fois plus de terres que la ville arabe voisine de
Sakhnin, alors que sa population représente à peine plus de la moitié de Sakhnin
: c'est-à-dire que chaque Juif bénéficie de presque 36 % de terres en plus. La
plupart de ces terres ont été confisquées à la population de Sakhnin.
En 55
ans d'existence de l'État d'Israël, aucun village ni aucune ville arabes n'ont
été créés (si ce n'est une poignée de municipalités, sous-financées, afin de
forcer les Bédouins à abandonner leurs terres agricoles) alors que la minorité
palestinienne a été multipliée par huit. Les citoyens palestiniens vivent dans
les communautés les plus peuplées d'Israël. Aujourd'hui, Israël possède 93 % de
la terre, ses citoyens palestiniens seulement 3 %, et ce chiffre ridicule
diminue chaque jour lorsque Israël choisit d'implanter de nouvelles routes, de
nouveaux champs de tirs, de nouveaux parcs nationaux, sur les derniers lambeaux
de terre qui appartiennent encore à la minorité palestinienne.
Ces ghettos
vont devenir de plus en plus familiers aux Palestiniens des territoires occupés,
qui sont cernés chaque jour davantage de zones militaires ou de protection de
l'environnement, sans compter les omniprésentes routes de contournements,
soi-disant nécessaires pour permettre aux colons de se rendre plus rapidement
dans leurs colonies illégales. Ils reconnaîtront également les obstacles
insurmontables auxquels la minorité palestinienne se heurte lorsqu'il s'agit
d'obtenir un permis de construire. De nombreuses constructions illégales
résultent de cette situation, et les mesures prises par les autorités pour
résoudre le problème se résument à la démolition de maisons, tout comme dans les
territoires occupés. Dans le Néguev, les fermiers bédouins sont forcés, par la
terreur, à quitter leurs terres historiques pour aller dans des villes nouvelles
qui constituent les zones les plus défavorisées d'Israël. Pour utiliser le
vocabulaire gouvernemental : ils sont "concentrés", chassés de leurs
"communautés éparses".
Les Palestiniens ont de nombreux avantages par rapport
aux citoyens palestiniens d'Israël. Au moins, cette fois-ci, le monde regarde,
même s'il comprend rarement, pendant que l'État d'Israël dépossède les
Palestiniens de leur terre. La plupart des gens s'accorde à dire que les
colonies sont illégales, et les Palestiniens ont une foule de résolutions des
Nations-Unies en leur faveur. Mais les pays occidentaux se lassent vite, et
leurs bonnes intentions sont loin d'être
garanties.