1. Israël : l'armée
accusée - Une arme très meurtrière aurait été utilisée dans un raid sur
Gaza par Jean-Luc Allouche
in Libération du vendredi 21 novembre
2003
Jérusalem de notre correspondant - L'armée de l'air
israélienne a-t-elle débité un gros mensonge, ou livré une semi-vérité, sur les
armes employées lors du raid aérien du 20 octobre sur le camp de réfugiés de
Nusseirat, à Gaza et particulièrement meurtrières ? Le nombre de victimes
douze dont dix civils avait déclenché une polémique sur ces «attaques
ciblées», au coeur d'une population très dense. A grand renfort d'images prises
d'un drone, montrées sur toutes les chaînes de télévision, Tsahal s'était
employé à prouver l'absence de foule au moment du tir de ses deux missiles
(Libération du 23 octobre).
Le député du Méretz (gauche pacifiste) Yossi
Sarid, en possession d'«informations confidentielles», a menacé de les révéler,
faute de recevoir les précisions qu'il a demandées à la Commission de la défense
du Parlement. Précisions qu'a accepté de lui donner, mercredi, le chef
d'état-major de l'armée de l'air : le général Dan Haloutz a confirmé l'emploi de
missiles Hellfire tirés depuis des hélicoptères Apache, et il a reconnu qu'une
autre arme, plus sophistiquée, «couverte par le secret militaire», a bien été
employée mais que, jusqu'à cette heure, l'armée évite de le dévoiler pour des
«raisons opérationnelles». Ces armes ne seraient pas interdites par les
conventions sur la guerre, selon l'armée.
Cette révélation fera au moins deux
nouvelles victimes : le général Dan Haloutz lui-même, candidat au poste de chef
d'état-major de Tsahal, qui s'est «mis dans de beaux draps», comme titrait,
hier, le quotidien Maariv, en taisant, il y a un mois, la vérité. Et surtout, la
confiance entre la poignée de journalistes politiques et militaires qui forme un
relais privilégié, et très bien informé, entre l'armée et l'opinion publique. La
presse d'hier lançait cet avertissement : il n'est pire vengeance que celle d'un
journaliste à qui l'on a servi de pieux mensonges...
2. Défense :
Premier F-16.I pour Israël
in Air et Cosmos (hebdomadaire français)
du vendredi 21 novembre 2003
Le ministre israélien de la Défense,
Shaul Mofaz, a réceptionné le 14 novembre à Fort Worth (Texas) le premier des
102 biplaces Lockheed Martin F-16.I commandés au titre de programme “Peace
Marble V”. L’appareil a reçu le nom de baptême de “Soufra” (tempête) dans l’IAF.
Il est équipé de réservoirs conformes de fuselage, du radar APG-68(V)9 et du
réacteur F100. Vingt-quatrième client du Fighting Falcon, l’IAF avec 362
exemplaires en service ou en commande devient le second utilisateur de ce
chasseur après les Etats-Unis.
3. Bush campe sur
ses positions par Jean-Christophe Ploquin
in La Croix du mercredi 19
novembre 2003
Le président américain n'a pas profité de sa venue en
Europe pour esquisser un rapprochement sur l'Irak, le Proche-Orient ou le
recours à la force
Le président américain George W. Bush ne s'est pas écarté
des positions habituelles de son administration sur les grands dossiers
internationaux lors d'un important discours prononcé le 19 novembre à Londres,
durant la visite d'État de trois jours qu'il effectue au Royaume-Uni. Il a
cherché à enfoncer le clou plutôt qu'à aménager de nouveaux espaces de
discussions, notamment sur les questions de l'Irak et du
Proche-Orient.
George W. Bush a défendu la guerre en Irak. « Dans certains
cas, le recours mesuré à la force est tout ce qui nous protège d'un monde
chaotique dirigé par la force, a-t-il déclaré lors de son discours au palais de
Whitehall. [...] Ce devoir requiert parfois de restreindre par la violence les
hommes violents. »
Rappelant les attentats du 11 septembre 2001, il a mis en
garde contre le danger de l'inaction. « Ces terroristes prennent les innocents
pour cible, ils ont tué des milliers de gens, et ils en tueraient des millions
s'ils obtenaient les armes qu'ils cherchent [...]. Le mal est bien visible. Le
danger ne fait qu'augmenter lorsqu'on le nie. »
Le président américain a
rappelé comment les Alliés avaient travaillé après la fin de la Seconde guerre
mondiale pour ramener l'Allemagne sur le chemin de la démocratie, et a remercié
la Grande-Bretagne qui aide Washington à faire de même en Irak. « La démocratie
réussira en Irak, parce que notre volonté est ferme, notre parole est bonne et
le peuple irakien ne renoncera pas à sa liberté », a-t-il affirmé.
Au sujet
du Proche-Orient, George W. Bush a demandé aux dirigeants européens de cesser
les contacts avec les dirigeants palestiniens jugés indignes de confiance, son
administration ayant elle-même coupé tout contact depuis près de deux ans avec
Yasser Arafat. « Les dirigeants européens doivent arrêter de soutenir les
dirigeants palestiniens qui trahissent la cause de leur peuple, a-t-il demandé.
La paix ne sera pas atteinte avec des dirigeants palestiniens qui intimident
l'opposition, qui tolèrent et profitent de la corruption et maintiennent des
liens avec les groupes terroristes. Ceux qui veulent diriger une nouvelle
Palestine doivent adopter des méthodes pacifiques et créer les institutions
viables d'une démocratie stable. »
Le président Bush a également demandé à
Israël d'arrêter l'implantation de colonies juives dans les territoires occupés
et de cesser « les humiliations quotidiennes des Palestiniens et ne pas préjuger
du résultat final des négociations en construisant des murs et clôtures ». Il a
réaffirmé l'engagement de son administration en faveur de la création d'un État
palestinien indépendant. Il a par ailleurs appelé les dirigeants européens à «
fermement combattre l'antisémitisme qui empoisonne le débat public sur l'avenir
du Proche-Orient ».
Le président américain a ainsi tenté de montrer que sa
diplomatie s'appuie sur « trois piliers » à savoir le soutien aux institutions
internationales, la promotion de la paix et de la démocratie, et la nécessité
d'agir, y compris par la force, pour défendre celles-ci. Quant aux contentieux
commerciaux entre les États-Unis et l'Union européenne, il ne semble pas être
venu pour les apaiser.
4. Palestine : juste un autre
plan de paix ? par Valérie Féron
in 24 heures (quotidien suisse) du
lundi 17 novembre 2003
Dans les territoires palestiniens où le texte
n’a pu être distribué, la poste ne fonctionnant pas en raison de l’occupation et
des bouclages, les discussions portent plus sur les soucis du moment que sur
l’Initiative de Genève dont le texte intégral était disponible dans l’édition du
jour du quotidien national al Quds (Jérusalem) et avait déjà été publié dans la
presse au début du mois. Les préparatifs se poursuivent pour en sortir des
copies prochainement et organiser des conférences.
Survivre
Loin des agitations diplomatiques autour de
l’Initiative de Genève, Bethléem a vécu hier une journée calme, les habitants de
la région respectant le repos dominical chrétien. En cette période de Ramadan,
quelques épiceries étaient ouvertes et préparaient des qatayef, ces petits ronds
de pâte fourrés aux noix et arrosés de sucre en sirop, traditionnellement
dégustés en ce mois sacré par toute la population palestinienne toutes religions
confondues. «Que voulez-vous que les gens vous disent?, lance Ashraf du camp de
réfugiés d’Aïda où, à quelques mètres, un bulldozer nivelle un terrain pour la
construction de la «barrière de sécurité» selon l’appellation israélienne. Ce
«mur de la honte» pour les Palestiniens va éventrer la Cisjordanie et, au
passage, isoler une partie du camp d’Aïda. «Voilà notre réalité: le mur, les
morts et les destructions de maisons tous les jours. Les gens ne se concentrent
que sur une chose actuellement: survivre!»
«Solutions concrètes»
Même ambiance dans le camp de réfugiés de Deishe,
où Mohammed Taher, responsable du Fatah, le parti du président Arafat, est assis
à son bureau le texte de Genève près de lui: «Je ne peux pas dire que cet
accord, qui n’est pas officiel, est vraiment négatif. Il faut discuter. Il
propose des solutions concrètes et durables contrairement aux précédents accords
qui laissaient ouvertes les questions cruciales comme Jérusalem et la question
des réfugiés. En principe, il n’abandonne pas les droits des réfugiés. Mais le
problème porte sur les applications concrètes.»
Nafez al-Rifai, en costume
cravate, écoute debout près de la porte, le regard las: «Disons-le clairement,
nous n’avons aucune confiance en les Israéliens. Les expériences passées nous
ont toujours prouvé que leur stratégie consiste à faire durer des négociations,
au mieux à les appliquer partiellement ce qui oblige ensuite à renégocier une
partie de ce qui avait déjà été conclu. Et on veut nous faire croire que, cette
fois-ci, ils vont se retirer des territoires, que nous aurons des frontières et
que tout va être réglé en trente mois!»
Ce haut responsable régional du
Fatah est partisan d’un statu quo diplomatique à court terme: «Sharon est en
train de rendre impossible la solution des deux Etats. On va vers l’apartheid.
Mais un futur Sharon et un futur Arafat devront faire ce que De Klerk et Mandela
ont fait en Afrique du Sud. C’est pourquoi je suis contre toute rencontre entre
Abou Alaa (le premier ministre palestinien) et Sharon, car ce dernier ne s’en
servira que pour l’image extérieure. Ce jeu nous le connaissons.»
Si la
situation est dramatique, les esprits restent combattants: «Nous sommes prêts à
continuer à nous battre pour obtenir nos droits, insiste Mohammed Taher, appuyé
par Nafez al-Rifai qui ajoute «Nous sommes prêts pour une vraie paix. Nous avons
déjà reconnu Israël sur 78% de notre patrie historique. Quel que soit l’accord à
venir, la seule solution passe par le retrait complet des Israéliens aux
frontières de 1967. Je ne vois pas pourquoi nous devons négocier cela!»
5. Orient arabe : le nouveau paradigme US
par Hichem Ben Yaïche
on Vigirak [http://vigirak.com] le lundi 17 novembre
2003
Une "destruction créatrice" du monde arabe,
selon G W Bush
L'avant et l'après-guerre en Irak ont mis à nu les
défauts structurels du monde arabe, qui se trouve ainsi dans un état pétrifié,
incapable d'agir sur le cours des choses. En plus, il est inaudible. Chaque pays
est entré dans sa coquille, en se contentant de contrôler une opinion intérieure
en état de dépression.
Pour les Américains, la situation en Irak se complique
de jour en jour sérieusement : le harcèlement des forces militaires de la
coalition et la multiplication des attentats aveugles rendent aléatoires, voire
inefficaces, les efforts de reconstruction du pays. Paul Bremer,
l’administrateur civil de l’Irak, et ses quelque huit cents fonctionnaires
auront bien des soucis avant de pouvoir mettre le pays d’aplomb. On en est très
loin !
Pour autant, et ce n’est nullement contradictoire avec ce qui vient
d’être dit, les Américains sont en « cours d’apprentissage » des réalités
géopolitiques de la région, de sa culture et des subtilités de cet Orient arabe
qui leur échappe pour le moment. Depuis l’électrochoc du 11 septembre 2001, le
virage idéologique est pris. Les néoconservateurs de l’administration Bush sont
décidés à aller jusqu’au bout de leur stratégie de remodeler le paysage
politique arabe (1). Même si leurs ambitions sont en ce moment malmenées, voire
contrariées sur le terrain, par une violence qui s’enfle jour après jour, les
idéologues de Washington sont en train d’élaborer des scénarios, notamment en
politique intérieure, afin de subir le minimum de dégâts d’ici aux élections
présidentielles prévues en novembre 2004.
Hier, c’était la guerre froide,
qui déboucha sur le triomphe idéologique de l’Amérique sur l’Union soviétique.
Mais les attentats du 11 septembre 2001 sur le sol américain avaient produit un
choc psychologique profond dans l’opinion et chez les dirigeants US. Devant
cette agression, l’Amérique ne pouvait pas rester inerte. L’Afghanistan,
sanctuaire du djihadisme à la Ben Laden, servit d’acte inaugural à la guerre
contre le terrorisme. Mais les idéologues de Washington ont petit à petit
réactivé, en les adaptant à l’Irak, des idées développées ces dernières années
dans les think tanks. D’où la mise en place du concept «axe du mal», établissant
une liste de pays-cibles, dont l’Amérique se doit de changer les régimes
politiques ou de les contenir par la force militaire : Irak, Syrie, Iran, Corée
du Nord.
S’il est vrai que l’extrémisme islamique est le « cœur de
cible» de cette bataille des idées des faucons de l’équipe Bush, il n’en reste
pas moins vrai qu’une série de maladresses au plan du discours, en particulier
du président George W. Bush, et des glissements sémantiques, fréquents, dans la
presse américaine, dessinent, à tort ou à raison, un nouveau paradigme qui est
fondé sur le choc des civilisations : Orient versus Occident. Il ne s’agit
nullement d’une hypothèse fantaisiste. Ecoutons ces paroles: « (Richard) Perle a
réussi à faire renverser Saddam. Il menace l’Iran et la Syrie. L’Arabie Saoudite
est également dans sa ligne de mire, et l’Egypte commence à se sentir mal à
l’aise. Si ce n’est pas une guerre contre le musulman, dites-moi ce que c’est !
», explique, sous couvert d’anonymat, un haut responsable du Département d’Etat
(2). Les responsables de cette politique ont verrouillé tous les lieux
névralgiques du pouvoir, à Washington, en prenant soin d’écarter les
orientalistes suspectés d’« arabophilie ». L’orientaliste juif américain,
Bernard Lewis est devenu le maître penseur des faucons. Ces derniers «ne sont
pas [seulement] liés à Israël, note Eric Laurent (3), mais aux organisations les
plus virulentes et les plus opposées à la paix. George W. Bush ne le voit pas,
ou refuse de l’admettre.»
L’avant et l’après-guerre en Irak ont mis à nu les
défauts structurels du monde arabe, qui se trouve ainsi dans un état pétrifié,
incapable d’agir sur le cours des choses. En plus, il est inaudible. Chaque pays
est entré dans sa coquille, en se contentant de contrôler une opinion intérieure
en état de dépression. Pour les architectes américains du nouveau monde arabe,
cette phase de « destruction créatrice » est une étape nécessaire pour que les
plaques tectoniques des sociétés arabes se réaménagent et débouchent, un jour,
sur de nouveaux pouvoirs démocratiques. Voilà un pari bien risqué !
En
attendant, l’Amérique, en redéployant massivement ses services de renseignements
dans l’aire arabe et musulmane, cherche à capturer l’énergie de ses peuples pour
mieux les conquérir et les séduire par l'American Way of Life. Conversion des
élites politiques et économiques, télévision, radio, presse écrite…, rien n’est
épargné dans cette bataille des idées américaines.
Nous sommes qu’au tout
début d’une nouvelle ère. Les incertitudes et le poids des antagonismes sont
considérables. La guerre froide n’a-t-elle pas coûté 13 mille milliards de
dollars au contribuable américain ? Les Etats-Unis d’Amérique semblent prêts à
payer le prix de leur nouvelle politique mondiale (4). Avec ou sans George W.
Bush, les décideurs actuels – et, probablement, ceux à venir –, qui sont plus
que jamais en phase avec les attentes du complexe militaro-industriel, ont de
fortes chances de confirmer l’orientation actuelle de l’hyperpuissance
américaine. A moins que l’imprévisible ne s’en mêle en stoppant la machine… .
- NOTES
:
[1] Paul Wolfowitz, secrétaire adjoint à la
Défense (n°2) et concepteur du plan de remodelage du Moyen-Orient ; Richard
Perle, conseiller au Pentagone, dont l’influence occulte est considérable ;
Elliott Abrams, directeur du Moyen-Orient au Conseil national de sécurité de la
Maison Blanche ; Douglas Feith, secrétaire adjoint à la Défense
(n°3).
[2] Propos rapportés par Eric Laurent (p. 153) dans son livre
“Le monde secret de Bush (la religion, les affaires, les réseaux occultes).
Editions Plon, Paris 2003.
[3] Livre d'Eric Laurent cité plus
(p.152).
[4] Chiffre donné par Melton Dearden, ancien responsable à la
CIA (voir www.arte-tv.com/cia).
6. "Si la famine guette, en
Cisjordanie, suivez mon regard : Israël", dit la Croix-Rouge par Amos
Harel, Aluf Benn et Yoav Stern
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du
dimanche 16 novembre 2003
[traduit de l'anglais
par Marcel Charbonnier]
Correspondants et
Agences - Le Comité International de la Croix-Rouge [CICR] est en train de
distribuer ses derniers colis alimentaires de secours en Cisjordanie, tout en
tirant la sonnette d’alarme : la crise économique qui affecte gravement cette
région du monde est la conséquence directe des bouclages militaires israéliens,
et Israël doit assumer ses responsabilités, en sa qualité de puissance
occupante, en pourvoyant aux besoins économiques de la population palestinienne.
Ce geste intervenait à un moment où précisément les médias israéliens faisaient
état des propos de François Bellon, le représentant de la Croix-Rouge, qui a dit
à des généraux de l’armée israélienne à la retraite que l’Autorité palestinienne
était au bord d’une « implosion » qui pourrait conduire à la « pire crise
humanitaire » jamais encore constatée dans les territoires occupés. Israël
redoute que d’autres organisations internationales n’emboîtent le pas à la
Croix-Rouge, ce qui le placerait devant la nécessité de prendre financièrement
en charge le coût des services de base qu’il fournit, actuellement, à un tarif
annuel que certains experts estiment atteindre la somme rondelette d’1,1
milliard de dollars.
L’économie palestinienne s’est effondrée sous le poids
des bouclages militaires des villes palestiniennes, qui interdisent aux
Palestiniens de transporter leurs marchandises ou de se rendre à leur travail
dans d’autres villes que celles où ils résident, ou en Israël. L’année dernière,
et au début de celle-ci, des couvre-feux imposés tout juste pour une durée de
quatre heures par semaine par l’armée israélienne suffisaient à empêcher les
Palestiniens de se rendre à leur travail. Le gouvernement israélien affirme que
les bouclages très stricts sont rendus nécessaires par la prévention
d’éventuelles infiltrations transfrontalières d’activistes palestiniens vers
Israël, en vue d’attentats kamikazes ou d’autres types d’attaques, mais il a été
accusé d’infliger une forme de punition collective aux civils palestiniens.
Moshe Ya’alon, chef d’état-major de l’armée israélienne, s’est élevé, récemment,
contre les bouclages, dont il a affirmé qu’ils ne faisaient que susciter de la
colère et un désir de vengeance envers Israël chez les Palestiniens. En raison
de l’effondrement économique, un cinquième des enfants palestiniens sont
dénutris, d’après un rapport publié l’année dernière par une agence
gouvernementale américaine d’aide humanitaire. Les organisations internationales
se sont apprêtées à apporter l’assistance nécessaire. Au lendemain de l’invasion
et de la réoccupation des villes de Cisjordanie, en avril dernier, la Croix
Rouge avait lancé un programme d’aide alimentaire et de services fondamentaux en
faveur des Palestiniens.
La Croix-Rouge a dépensé, l’an dernier, 46 millions
de dollars, dont la moitié a été consacrée à la distribution de vivres et de
biens de première nécessité telles les allumettes et l’huile de friture, à
quelque 300 000 familles palestiniennes, parmi les plus nécessiteuses, en
Cisjordanie. Mais, aujourd’hui, le CICR informe qu’il est contraint d’arrêter
ces distributions, et qu’Israël doit prendre ses responsabilités de puissance
occupante, sous l’empire de la Quatrième Convention de Genève, qui lui impartit
de prendre en charge les besoins économiques de la population civile de
Cisjordanie et de la bande de Gaza. Un porte-parole du CICR, Vincent Bernard, a
déclaré : « Ces secours humanitaires étaient destinés à soulager la population,
dans une situation d’urgence humanitaire, et non pas à pallier aux problèmes de
plus long terme occasionnés par les couvre-feu, les bouclages et l’effondrement
de l’économie auxquels nous assistons depuis plusieurs mois. Il ne relève pas de
notre responsabilité de prendre en charge les besoins économiques des
Palestiniens. Nous n’avons eu de cesse de rappeler qu’il s’agit là de la
responsabilité exclusive de la puissance occupante. »
M. Bernard a démenti
des propos rapportés par la presse israélienne, selon lesquels ce programme de
secours alimentaire aurait été supprimé pour des raisons budgétaires. « En tant
que puissance occupante, Israël se doit de minimiser les conséquences
humanitaires de ses interventions », a-t-il rappelé. « Les couvre-feu et les
bouclages qui sont en train de détruire l’économie palestinienne ne sauraient se
poursuivre indéfiniment. Les Israéliens doivent trouver des moyens alternatifs
de défendre leur sécurité. S’ils levaient ces mesures sécuritaires paralysantes,
l’économie palestinienne, quoi que fortement endommagée, redémarrerait. » M.
Bernard s’est refusé à tout commentaire sur un article du quotidien Ha’aretz,
selon lequel M. Bellon aurait indiqué au cours d’une rencontre relativement
récente que les Palestiniens étaient au bord d’une grave crise humanitaire.
Néanmoins, il s’agit là d’une évaluation à laquelle des hauts responsables de
l’armée israéliennes semblent apporter un certain crédit. Pour l’instant, le
Programme Alimentaire Mondial, de l’ONU, est venu colmater la brèche, en mettant
sur pied un programme alimentaire de remplacement jusqu’à l’été
prochain.
7. L'amputation des oliviers
palestiniens, arme des colons israéliens dans la conquête territoriale
par Gilles Paris
in Le Monde du 13 novembre 2003
La
période autrefois faste de la cueillette des olives suscite la
peur.
Ein Abous de notre envoyé spécial - Hassan Ahmed
Souleiman pourrait passer la journée entière à regarder la colline. Entre
l'école et le cimetière du village d'Ein Abous, au sud de Naplouse, il cherche
le meilleur point de vue et découpe du doigt les parcelles invisibles où
trônaient ses oliviers, à quelques centaines de mètres de là. "C'est mon père
qui les avait plantés là il y a une quarantaine d'années, 400 arbres en tout si
on ajoute ceux de mes frères qui vivent en Jordanie, dont je m'occupais aussi",
assure-t-il. Il ne reste plus que des troncs par terre. Il y a quelques jours,
les colons israéliens d'Itzhar, l'implantation qui court sur la crête, ont coupé
les arbres les plus proches des premiers baraquements.
"Nous n'osions pas
nous y rendre pour ramasser les olives, explique-t-il, puis le 1er novembre deux
bus de pacifistes internationaux sont arrivés pour nous accompagner, comme les
années précédentes. Mais il était déjà trop tard. Ce sont eux qui ont découvert
la catastrophe. Moi, je n'ai pas eu la force d'y aller." Il ne compte pas aller
là-haut à présent pour déblayer les branches coupées à la tronçonneuse. "On a
perdu le chameau, on ne va pas se battre pour la selle", lâche-t-il,
découragé.
Au village d'As-Saouiya, plus près de Ramallah, les colons ont eu
la main un peu moins lourde. "Les arbres ont été écornés au plus près du tronc,
assure le maire, Abdallah Youssef, mais, même dans ce cas, pour nous, cela veut
dire cinq ou six ans sans récolte." Comme à Ein Abous, les parcelles touchées
jouxtent un point de colonisation, en fait une extension de l'implantation
d'Eli, qui se trouve à 2 km de là. Pour le maire, le message est clair. "Ce ne
sont pas des représailles de leur part, mais au contraire une stratégie pour
gagner toujours plus de terre. Les colons diront, dans un premier temps, que les
terres n'ont plus de valeur compte tenu de l'état des arbres pour lever les
objections de l'armée, puis ils traceront une route. Plus tard, ils installeront
de nouvelles caravanes, puis des maisons. Ils ont toujours procédé de cette
manière." Faute d'autres recours, les paysans touchés transmettront une
protestation officielle au bureau de liaison palestinien de Naplouse, qui la
fera suivre à sa contrepartie israélienne.
PARCELLES RAVAGÉES
Hassan Ahmed
Souleiman rédigera également une déclaration à l'intention du ministère
palestinien de l'agriculture, mais sans se faire d'illusions. "Avec leur
dédommagement, je n'irai pas bien loin", se plaint-il, lui qui, à 60 ans, a
perdu, à l'en croire, sa principale source de revenus. Les habitants d'Ein Abous
et d'As-Saouiya ont beau assurer qu'ils ne craignent pas les colons, aucun n'ose
monter seul jusqu'aux parcelles ravagées. "Trop dangereux, assure Abdallah
Youssef, les colons ont des armes et des chiens. On ne sait jamais comment cela
peut tourner avec eux." Depuis le début de l'Intifada, la période autrefois
faste de la cueillette des olives suscite la peur. Pour les parcelles les plus
proches des colonies, les villageois essaient de s'organiser avec une armée
jugée peu coopérative, ou avec les pacifistes israéliens ou internationaux, dont
la présence, selon eux, a un effet aussi dissuasif sur les colons que celle des
militaires israéliens.
A Ein Abous, personne n'a eu vent de la visite
effectuée quelques jours auparavant dans les champs touchés par le député
israélien Ephraïm Sneh, un ancien militaire membre du Parti travailliste, qui
n'est pourtant pas un inconnu pour le vieux moukhtar (maire), Abou Youssef, 82
ans. Ce dernier se souvient, en effet, d'avoir eu affaire à lui par le passé,
lors d'une affectation dans la région dans les années 1980. Le député, choqué
par ce que le chroniqueur militaire du Haaretz, Zeev Schiff, a qualifié d'"autre
forme de terrorisme", a assuré ensuite que la Knesset serait saisie de cette
affaire. Jeudi 6 novembre, la nouvelle a laissé cependant de marbre les
Palestiniens concernés.
8. Sharon indésirable à
Ankara
in L'Intelligent - Jeune Afrique du mercredi 12 novembre
2003
En visite à Moscou au tout début de novembre, le Premier ministre
israélien Ariel Sharon se proposait de passer par Ankara sur le chemin du
retour. Les autorités turques l'en ont dissuadé, au motif que l'emploi du temps
de son homologue, Recep Tayyip Erdogan, était déjà chargé. Les diplomates turcs
s'emploient à minimiser l'incident : les relations privilégiées qu'entretiennent
Israël et la Turquie depuis l'accord de coopération militaire de 1998 demeurent
inchangées, affirment-ils. En réalité, les Israéliens ont modérément apprécié
les réserves émises par Ankara sur leur politique en Palestine. L'entretien de
matériels militaires américains livrés à la Turquie, qui devait incomber aux
Israéliens, n'est plus assuré par ces derniers. Depuis plusieurs semaines, la
presse nationaliste turque reproche à Israël de nouer des liens avec les Kurdes
d'Irak, en négociant auprès d'eux le rachat de terres abandonnées par quelque
150 000 juifs irakiens sous le régime de Saddam.
9. Bertrand Delanoë reçu par
Yasser Arafat
Dépêche de l'agence Associated Press du lundi 10
novembre 2003, 09h24
Le maire socialiste de Paris, Bertrand Delanoë, a
rencontré samedi matin le dirigeant palestinien Yasser Arafat à Ramallah, en
Cisjordanie, dans son quartier général de la Moukatta, où il est assiégé depuis
près de deux ans par l'armée israélienne.
"Je suis venu apporter mon salut au
président élu du peuple palestinien, nous sommes très peinés par la souffrance
de ce peuple", a déclaré M. Delanoë aux journalistes.
"Paris est aux côtés de
tous ceux qui en Palestine et en Israël cherchent et veulent la paix", a-t-il
souligné.
Le ministère israélien des Affaires étrangères a déploré cette
rencontre qui va à l'encontre des efforts israéliens d'écarter Yasser Arafat de
la scène politique.
M. Delanoë avait entamé jeudi en Israël une tournée de
quatre jours au Proche-Orient par une rencontre avec le chef de la diplomatie
israélienne, Sylvan Shalom. Il a également assisté aux cérémonies officielles
honorant la mémoire de Yitzhak Rabin.
Outre les relations bilatérales,
principal sujet de l'entretien, les discussions avaient aussi porté sur le rôle
de l'Europe dans le processus de négociations israélo-palestiniennes,
actuellement au point mort.
10. Le temps est venu de
supprimer l'Autorité Palestinienne par Gideon Levy
in Ha’Aretz
(quotidien israélien) du dimanche 9 novembre 2003
[traduit de l'hébreu par Michel
Ghys]
Si les chefs de l'Autorité
Palestinienne se souciaient véritablement du bien-être de leur peuple, ils
démissionneraient et ôteraient le masque à cette illusion de gouvernement et à
celle d'un «État en gestation».
Il aurait fallu mettre fin depuis longtemps à
cette farce. Si les chefs de l'Autorité Palestinienne étaient dotés de davantage
de respect de soi, d'empressement à se dévouer et d'audace politique, ils
auraient déjà annoncé depuis longtemps l'abolition de l'Autorité et confié
toutes les clefs à Israël.
S'ils étaient davantage soucieux de ce dont ils
sont censés avoir la charge, le bien-être de leur peuple, ils démissionneraient
et ôteraient le masque à cette illusion de gouvernement et à celle d'un «État en
gestation»; ils cesseraient d'être la feuille de vigne qui sert l'occupation
israélienne et la perpétue. Au lieu de cela, ils s'attachent aux quelques
honneurs et gratifications qu'Israël dispense encore à certains d'entre eux et
ils continuent de prêter la main à cette grande supercherie selon laquelle
existeraient une Autorité palestinienne souveraine et un gouvernement doté de
pouvoirs.
Sous couvert de titres vides, ils collaborent à cette escroquerie -
à laquelle beaucoup en Israël et dans le monde trouvent encore confortable de
croire - qui veut que l'occupation israélienne dans les Territoires n'est pas
redevenue pleine et entière, et qu'il y ait un gouvernement
palestinien.
«Ministres», «directeurs-généraux», «secrétaires d'État» et
«gouverneurs» dont les titres ne recèlent aucun pouvoir, aucune capacité de
gouverner ou de rien décider - en dehors des voitures de cérémonie et des
certificats réservés aux personnages de marque, qui leur permettent de passer
aux barrages - tous continuent de tromper leur peuple et le monde.
Le
Ministre de la Sécurité Intérieure palestinien peut-il assurer la sécurité d'un
civil palestinien face aux assassinats ciblés, aux hélicoptères, aux soldats qui
font irruption dans les maisons au milieu de la nuit? Le Ministre de la Santé
est-il capable de se préoccuper de la santé des citoyens quand n'importe quel
soldat à un barrage peut retenir des ambulances et des malades et que villes et
villages sont placés sous couvre-feu prolongé? Que peut faire le Ministre de
l'Agriculture alors que des colons abattent, sans être inquiétés, des centaines
d'oliviers ou empêchent la récolte, et que l'armée israélienne «déblaie» des
milliers de dounams de champs et de vignes? Et comment le Ministre du Travail
s'occuperait-il de l'emploi des habitants alors qu'ils ne peuvent même pas
sortir de leurs lieux de résidence? Le Ministre des Communications peut-il
s'occuper de la circulation dans son pays semé de barrages où l'armée
israélienne est seul maître pour décider quelle route sera réservée uniquement
aux Juifs, et quelle ligne d'autobus palestinienne sera autorisée à circuler? Et
ainsi de suite.
À la fin de la semaine, dans une rue de Ramallah, un passant
plaisantait: «Le temps que les Palestiniens aient polémiqué pour savoir si
Nasser Youssouf sera Ministre de l'Intérieur ou non, les Israéliens auront
terminé de construire la clôture de séparation». Beaucoup de Palestiniens ne
savent pas qui sont les ministres de leur gouvernement, et ce n'est pas sans
raisons: l'essentiel de la petite assistance qu'ils reçoivent leur vient
d'organisations comme l'UNRWA ou des autorités locales, pas de leur gouvernement
imaginaire.
Les ministres palestiniens atteignent des sommets dans le
pitoyable, lors de leurs rencontres avec leurs homologues israéliens. Telle
était, par exemple, la rencontre du Ministre des Finances, Salam Fayad (qui
s'est suspendu lui-même de ses fonctions, jeudi), le chéri des États-Unis et
d'Israël, avec le Ministre de la Défense, Shaoul Mofaz, rencontre qui était
exclusivement destinée à faire le lit de la visite de Mofaz à Washington. Il est
difficile de comprendre comment le ministre palestinien a pu consentir à
rencontrer Mofaz, l'homme qui est responsable de la politique dure à l'égard de
son peuple, au seul profit des besoins politiques du ministre
israélien.
Pourquoi est-il permis à Israël de boycotter des dirigeants
palestiniens, à commencer par Yasser Arafat, tandis que les ministres
palestiniens n'ont pas de ligne rouge? Pendant que des représentants européens
et américains s'abstiennent de se rendre au cabinet du Ministre israélien de la
Justice situé à Jérusalem-Est, le Ministre de la Justice palestinien sortant,
Abd al-Karim Abu Salah, se présente en compagnie du Ministre préposé à la
question des prisonniers, Hisham Abd al-Razak, pour une rencontre avec le
Ministre israélien de la Justice, Joseph Lapid, dans son cabinet. Dans le public
palestinien, on n'a que mépris pour de tels ministres.
Cette présentation
fallacieuse d'un gouvernement et d'une Autorité pseudo-autonome amène ceci
qu'Israël a dès lors quelqu'un à accuser et quelqu'un dont il peut exiger une
lutte contre le terrorisme, et il lui est aussi possible de prétendre, à
destination du reste du monde, que l'occupation israélienne n'est pas
complète.
Israël a fait beaucoup, ces trois dernières années, pour porter
atteinte à tous les fondements du pouvoir de l'Autorité Palestinienne. Il ne
reste pas grand chose, et le mort-vivant qui rôde encore dans les rues de
Ramallah doit maintenant quitter ce monde. Il ne s'agit pas seulement d'une
affaire intérieure palestinienne mais aussi de la lourde responsabilité qui pèse
à la porte d'Israël et dont Israël essaie de se dégager.
Si les ministres
palestiniens se présentaient comme un seul homme et faisaient savoir que le jeu
est terminé - il n'y a pas d'Autorité ni de gouvernement - tout le poids de la
responsabilité liée à l'occupation tomberait sur Israël.
11. La double exclusion des
réfugiés palestiniens par Mouna Naïm
in Le Monde du samedi 8
novembre 2003
La revue "Maghreb-Machrek" consacre son
dernier numéro au conflit israélo-palestinien. Elle met l'accent sur la dérive
vers les mouvements fondamentalistes islamiques, longtemps
clandestins.
Après avoir consacré au Maghreb le premier numéro
de sa "renaissance" - une crise de deux ans a failli le faire disparaître -, le
trimestriel Maghreb-Machrek a centré le suivant (n° 176) sur le conflit
israélo-palestinien. Un article de Jean-François Legrain, rédacteur en chef et
chercheur au CNRS/Gremmo (Maison de l'Orient et de la Méditerranée/Lyon), est
centré sur les Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, la branche armée du Fatah "en mal
de leadership national".
Puis la revue propose une lecture excentrée du
conflit selon trois perspectives différentes : Bernard Rougier, chercheur à
l'Institut français du Proche-Orient, conduit le lecteur dans les camps de
réfugiés palestiniens du Liban ; Mohammed Kamel Doraï, Jalal Husseini et
Jean-Chrisophe Augé l'emmènent en Jordanie ; Dominique Thomas, consultant pour
les questions islamistes, le fait entrer dans les arcanes de la communauté
d'intégristes islamistes arabes installés à Londres, le "Londonistan". Au Liban,
dont la classe politique est hantée par la crainte de "l'implantation des
réfugiés palestiniens" accueillis sur son territoire, les interdits
officiellement imposés à ces derniers sont tels qu'ils rendent leurs conditions
de vie intolérables. Au moins une partie d'entre eux ont également eu le
sentiment d'être les laissés-pour-compte du processus de paix
israélo-palestinien, mis en route après les accords d'Oslo en
1993.
"LONDONISTAN"
Cette double exclusion, ainsi que les divisions
internes de ces réfugiés et le poids de l'influence syrienne dans le pays,
explique la dérive vers les voies fondamentalistes islamiques prônées par des
mouvements et des chefs religieux longtemps discrets, sinon clandestins. La
question palestinienne transgresse là les frontières identitaires pour se fondre
dans un projet à l'échelle mondiale. Bernard Rougier livre les clés historiques
et politiques de cette mutation, qui n'est pas sans rapport avec l'histoire
particulière, voire l'emplacement géographique, des camps de réfugiés. Alors
qu'à la faveur de la "lutte contre le terrorisme" Londres est apparu comme l'un
des pivots de l'islamisme djihadiste - éclaté entre l'Afghanistan, la Bosnie ou
encore la Tchétchénie et peut-être désormais l'Irak - et que la Palestine
semblait, au mieux, instrumentalisée par les groupes militants, au pis,
totalement oubliée, Dominique Thomas assure qu'il n'en est rien. Sur la base
d'un pointilleux décryptage des dits et écrits de dirigeants ou maîtres à penser
de nombreuses formations islamistes - dont certains sont eux-mêmes d'origine
palestinienne -, le lecteur découvre que la libération de Jérusalem est une
cause sacrée, qui transcende toutes les autres luttes au cœur du projet
islamiste. Le passage à l'acte reste néanmoins différé en attendant des
circonstances favorables. L'article est par ailleurs riche d'enseignements sur
le "Londonistan".
Lorsque les territoires palestiniens s'embrasent, la
Jordanie redouble d'inquiétude. Ce royaume, dont la population est en majorité
d'origine palestinienne, est la voie de passage obligée vers l'extérieur des
Palestiniens de la Cisjordanie occupée et le pays dont le premier ministre
israélien Ariel Sharon voulait faire, dans les années 1970, la patrie des
Palestiniens. Il est tiraillé, en particulier depuis le début de l'Intifada
Al-Aqsa, entre la crainte d'une nouvelle immigration de Palestiniens et, plus
encore, de leur transfert massif par Israël, sa solidarité avec les habitants
des territoires occupés et le respect du traité de paix conclu en 1994 avec
l'Etat juif.
Avec, en toile de fond, cette interrogation : quel sort sera
réservé, dans un éventuel accord de paix, aux réfugiés dont la Jordanie est le
principal pays d'accueil ?
Outre ce dossier palestinien, Maghreb-Machrek
publie un article de Kamel Kateb sur les changements démographiques et
l'organisation familiale en Algérie. Et, en document, le texte de la
Constitution du Qatar, qui a été approuvée par référendum le 29 avril 2003.
[revue@geoeconomie.org]
12. Des policiers passent à
tabac deux Arabes de Nazareth
par l’Association Arabe pour les
Droits de l’Homme le samedi 8 novembre 2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Lundi 3 novembre, deux Arabes habitants
de Nazareth ont été passés à tabac par des policiers, à Tel Aviv. Les deux
Arabes venaient d’assister à la prière à la mosquée Hassan Bek. Lorsqu’ils
reprirent leur voiture, ils se rendirent compte qu’elle avait été vandalisée à
coups de tournevis. Tandis que l’un d’entre eux ressortait de la voiture pour
constater les dégâts, un policier le pris par le paletot et lui donna un coup de
poing au visage. Interrogé sur les raisons de son agression, le policier
répondit : « Vous êtes arabes, c’est déjà trop ! » Peu de temps après, des
voitures de la police sont arrivées sur les lieux. Une vingtaine de policiers en
surgirent, qui se mirent immédiatement à donner des coups de matraque et de
pieds aux deux citoyens de Nazareth, criant des slogans tels : « Sales Arabes,
vous ne méritez que la mort ! ». Une des victimes a déclaré qu’un policier lui a
dirigé du gaz lacrymogène dans les yeux, après quoi il s’est mis à lui donner
des coups de pied dans la figure, à tel point que la victime se mit à saigner
des yeux. Après une demi-heure de coups redoublés, les deux hommes ont été
emmenés dans un commissariat. En chemin, les policiers continuaient à les
frapper en chemin, et ils continuèrent à le faire au poste de police. L’un des
deux hommes a mentionné qu’il souffrait de problèmes cardiaques : rien n’y fit,
cela ne lui épargna pas les coups. Les policiers ont menacé les deux
Palestiniens de les tuer s’ils parlaient de l’incident à quiconque.
13. A Kamani, un Israélien
juif agresse des citoyens arabes
par l’Association Arabe pour les
Droits de l’Homme le samedi 8 novembre 2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Un Israélien juif de la colonie de Kamun
(Israël) a agressé une famille du village voisin de Kamani, le samedi 2 novembre
courant. L’agresseur est arrivé à bord de sa voiture devant la maison de la
famille Sh’hadi. Il est descendu de sa voiture et il a commencé à leur crier des
insanités, après quoi il leur a tiré dessus avec un fusil qu’il avait dans sa
voiture. Un des membres de la famille, Amir Mahmoud Sh’hadi, s’est vu pointer le
canon du fusil sur la poitrine. Ce n’est qu’après un certain laps de temps que
la police est arrivée sur place et qu’elle a arrêté l’agresseur, qui a été
relâché dès le lendemain.
Il convient de noter que l’agresseur est un voisin
de cette famille, et qu’il cherche depuis longtemps à obtenir que les Sh’hadis
soient chassés de chez eux. Dans le passé, il les avait déjà
menacés.
14. Le ministre irakien des
Émigrés a quitté le Liban humilié - La grossière et dangereuse erreur de
Beyrouth à l’encontre de Bagdad par Ziyad Makhoul
in L'Orient - Le
Jour (quotidien libanais) du vendredi 7 novembre 2003
Que Mohammed
Jassem Khodayer soit venu à Beyrouth pour apporter son soutien aux 812 Irakiens
réfugiés au Liban et voir dans quelle mesure ils ne menaceraient pas, en cas de
retour au bercail, la sécurité de l’Irak ; qu’il se soit déplacé pour juste
faire connaissance avec les responsables libanais, leur raconter la situation en
son pays, vue par les yeux d’un membre à part entière du Conseil de gouvernement
transitoire, ou qu’il soit venu pour évoquer avec les autorités libanaises des
sujets bien plus délicats et stratégiques, ne change rien à l’affaire. En
claquant toutes les portes officielles – à l’exception de celles, nécessaires
certes mais loin d’être suffisantes, du patron de la Sûreté générale – au nez du
ministre irakien des Émigrés, rentré humilié à Bagdad, Beyrouth a commis une
très grossière erreur.
L’État a d’abord fait montre d’une impolitesse et
d’une inhospitalité flagrantes, dont il était finalement, il faut le
reconnaître, peu coutumier. Surtout à l’encontre d’un « pays-frère », arabe qui
plus est, d’un membre de cette famille pour le respect de laquelle le pouvoir en
place s’est toujours pourtant montré, en toutes occasions, d’une intransigeance
carrément obtuse. Et ce n’est pas Michel Aoun qui dira le contraire.
L’État a
ensuite réaffirmé sa capacité, son habileté et sa rapidité à commettre de très
graves erreurs de jugement. Afficher un tel mépris face à un ministre – et
au-delà, de tout un gouvernement – dont le pays va bien finir par offrir – et il
le fait déjà – un choix phénoménal de chantiers de reconstruction et de
possibilités d’investissements... c’est de l’inconscience et de l’immaturité
pures. Ou alors, avec 35 milliards de dollars de dette publique, un véritable
suicide économique.
L’État a également donné une nouvelle et énième preuve
non seulement de son suivisme aveugle, bêtifiant et honteux à l’égard de la
Syrie, mais surtout de son enthousiasme, souvent démontré, à payer tous les pots
cassés, à dynamiter sa crédibilité internationale, à la place de son
tuteur.
Voilà une des premières explications à cette fin de non-recevoir –
sous les fallacieux prétextes d’agendas surbookés ou de santé fragile – que les
ministres libanais – Obeid, Murr et Farhat – ont été « obligés » d’asséner, en
réponse à la toute naturelle demande d’audience formulée par Mohammed Jassem
Khodayer. Au lendemain des sévères critiques du président du Conseil de
gouvernement transitoire, le Kurde Jalal Talabani, à l’encontre du ministre
syrien des Affaires étrangères – « la façon dont l’invitation a été lancée à
l’Irak pour la réunion de Damas est provocatrice et insultante », avait-il dit –
; au lendemain de cette campagne menée par Bagdad contre Damas, il était tout
naturel pour les Syriens d’y répondre. Mais par le biais de leur pupille
libanais, trop souvent utilisé comme bouc-émissaire, tant avec Israël qu’avec
les membres de la Ligue arabe. Parce que la Syrie n’a aucun intérêt, surtout en
ce moment, à provoquer sciemment une nette cassure dans ses relations avec le
binôme Bagdad-Washington.
C’est peut-être d’ailleurs au niveau américain
qu’il pourrait y avoir une deuxième explication au scandaleux comportement du
Liban. L’ambassadeur US Vincent Battle s’est particulièrement impliqué, mais en
vain, pour tenter d’organiser des rencontres entre leur protégé irakien et les
ministres libanais. Or – et cela commence à devenir mathématique –, Beyrouth se
fait un point d’honneur, depuis quelques jours, à systématiquement dire « non »
à Washington. Non à l’interdiction du feuilleton al-Chatat que diffuse al-Manar,
non à la condamnation officielle des propos de Walid Joumblatt à propos de Paul
Wolfowitz, non à un rapport explicatif du palais Bustros au sujet de l’incident
qui avait opposé un convoi diplomatique US à des membres du Hezbollah, etc. Que
des bras de fer que la Syrie refuse d’engager avec les États-Unis, mais qu’elle
sous-traite sans conditions. À croire que Beyrouth a la capacité ou la force
nécessaires pour ce genre de mano a mano.
Il n’empêche, des sources plus ou
moins officielles ont laissé entendre hier que le Liban n’avait aucune envie de
donner à la visite du ministre irakien une couleur politique. Qui impliquerait
de facto la reconnaissance du régime mis en place par Paul Bremer à Bagdad – et
auquel Beyrouth refuse, en écho à Damas et aux toutes récentes déclarations de
Bouchra Kanafani, la porte-parole du ministère syrien des AE, d’accorder la
moindre légitimité. Parce que le Conseil de gouvernement transitoire, arguent le
tuteur et surtout son pupille, habitué aux surenchères ultra-complaisantes,
n’est pas issu de la libre volonté du peuple irakien.
C’est ubuesque. Comme
si le pouvoir en place à Beyrouth était, lui, issu d’une quelconque volonté
populaire.
15. Peut-on arrêter Sharon
? par Patrick Seale
in L'intelligent - Jeune Afrique du vendredi 7
novembre 2003
Il est largement reconnu - et ce depuis des décennies -
que le Premier ministre israélien Ariel Sharon est un homme dangereux dont la
sanglante carrière a fait le symbole du militarisme israélien agressif. En tant
que massacreur d'Arabes, Sharon est sans égal. À la poursuite de son rêve d'un «
Grand Israël », il a détruit la société palestinienne et causé de terribles
dommages à la sécurité, à l'économie et à la réputation de son pays.
Les
tensions sont aujourd'hui telles, non seulement dans les Territoires, mais aussi
sur les frontières de la Syrie et en Irak, que beaucoup d'observateurs ont le
sentiment d'assister au prélude d'un conflit plus vaste. Il y a du pré-1967 dans
l'air. Mais les dégâts dont Sharon et ses amis de droite aux États-Unis peuvent
être tenus pour responsables s'étendent bien au-delà du Proche-Orient. L'une des
conséquences a été une explosion de haine anti-israélienne et antiaméricaine
sans précédent dans le monde arabe, au point qu'elle est l'une des principales
sources d'instabilité, de violence et de terreur sur la planète. Que peut-on
faire pour enrayer cette descente aux enfers ? La pente peut-elle être remontée
? Peut-on arrêter Sharon ?
L'accord de Genève
Une réponse est venue d'un petit groupe de
Palestiniens et d'Israéliens courageux qui, travaillant plus ou moins en secret
depuis janvier 2001, avec l'aide financière du ministère suisse des Affaires
étrangères, a mis au point jusque dans le détail, avec des cartes, le texte d'un
accord de paix israélo-palestinien. Connu sous le nom d'accord de Genève, ce
document doit être officiellement signé à Genève dans les semaines à venir. Il a
déjà été publié dans la presse israélienne et peut être consulté sur le site Web
du quotidien Ha'aretz. Un exemplaire a été remis aux ministres égyptien et
français des Affaires étrangères et au président d'Israël, Moshe Katsav.
Il
est prévu de distribuer ce document de trente pages bien remplies aux deux
millions de foyers juifs en Israël et de contacter la population palestinienne
via la presse arabe. Pour la première fois depuis trois ans, Israéliens et
Palestiniens se voient offrir une solution de rechange pacifique à l'horrible
violence dont ils sont les uns et les autres victimes. L'hystérique réponse du
gouvernement Sharon à l'accord est une indication de l'importance de la menace
qu'il représente pour l'extrême droite israélienne. Se refusant même à en
discuter le contenu, les autorités ont cherché à faire passer le projet pour une
tentative illégitime de court-circuiter le gouvernement israélien et a invité la
communauté internationale à ne pas le prendre en compte. Certains membres du
gouvernement ont même demandé que les signataires israéliens de l'accord soient
condamnés à mort pour haute trahison !
Comme on le sait, les principaux
négociateurs de l'accord sont Yossi Beilin, ancien ministre travailliste
israélien et partisan bien connu de la paix, et, du côté palestinien, Yasser
Abed Rabbo. Ils se sont assuré le soutien d'une large frange de personnalités de
gauche en Israël, comme l'ancien dirigeant du Parti travailliste Amram Mitzna,
l'ancien président de la Knesset Avraham Burg, l'écrivain Amos Oz, et un nombre
impressionnant de généraux à la retraite. Du côté palestinien, on trouve de
jeunes dirigeants du Fatah comme Qadura Farès et Mohamed Urami.
L'accord de
Genève a soulevé une vive opposition de la part d'Ehoud Barak, qui cherche à
faire un come-back après son désastreux passage au poste de Premier ministre.
Par pusillanimité et absence de vision en 1999-2000, il a raté l'occasion de
faire la paix avec la Syrie comme avec les Palestiniens. Sa thèse selon laquelle
il n'y a personne à qui parler du côté palestinien serait immédiatement
invalidée si l'accord de Genève était un succès.
Avec la mort de la feuille
de route du Quartet et le honteux refus du président George W. Bush de s'engager
dans le conflit israélo-palestinien, l'accord de Genève représente la seule
initiative de paix encore valide. Il offre une occasion unique de sortir du
cycle actuel de mort et de destruction. Il est essentiel de susciter un
mouvement d'opinion international en sa faveur.
Ce que les États arabes doivent
faire
Voici quelques suggestions à l'intention des
dirigeants arabes, menacés comme leurs concitoyens par la vague de violence qui
submerge toute la région.
1. Les États arabes devraient signer une
vigoureuse déclaration commune de soutien à l'accord de Genève.
2. Ils
devraient, en même temps, relancer le plan de paix du prince Abdallah d'Arabie
saoudite, approuvé à l'unanimité au sommet arabe de Beyrouth en mars 2002, mais
qui est resté depuis dans un tiroir.
Le plan de paix de Beyrouth proposait à
Israël une normalisation avec l'ensemble du monde arabe une fois qu'il se serait
retiré sur les frontières d'avant 1967 et aurait autorisé la création d'un État
palestinien indépendant. Sur le fond, il est étonnamment semblable à l'accord de
Genève.
3. Des délégations des ministres arabes des Affaires étrangères
devraient faire une tournée en Europe et dans d'autres capitales mondiales pour
recueillir un soutien en faveur du plan de paix de Beyrouth et de l'accord de
Genève. En particulier, le Premier ministre britannique Tony Blair, qui déclare
être totalement favorable à la solution des deux États, devrait être invité à
affirmer publiquement son soutien à l'accord.
4. Les États du Golfe et
l'Arabie saoudite devraient créer un important fonds d'indemnisation des
réfugiés palestiniens et solliciter des contributions d'autres pays, tels que
les États-Unis, les membres de l'Union européenne, la Chine et le Japon.
Un
point clé de l'accord de Genève, qu'on trouve aussi, quoique moins
explicitement, dans le plan de paix de Beyrouth, est l'échange proposé du «
droit au retour » des Palestiniens contre la souveraineté palestinienne sur le
Haram el-Sharif (le mont du Temple), ainsi que contre les trois quarts de la
Vieille Ville de Jérusalem. Pour la grande majorité des réfugiés palestiniens,
renoncer au « droit au retour » n'est concevable qu'en échange d'un
dédommagement généreux. D'où la nécessité impérieuse d'un important fonds
d'indemnisation, géré dans une totale transparence et disposant d'abondantes
ressources internationales.
5. S'ils souhaitent agir sur l'opinion
israélienne et américaine, les États arabes seraient bien avisés de faire preuve
de compréhension concernant les craintes sécuritaires d'Israël. À cet égard, ils
devraient prendre collectivement l'engagement de mettre fin à la violence
exercée contre Israël par les groupes extrémistes - à la condition qu'Israël, de
son côté, renonce à la violence et accepte des relations de bon voisinage.
6. Enfin, les États arabes devraient se joindre à ceux qui demandent la
création d'une force internationale sous les auspices des Nations unies pour
surveiller l'application sur le terrain du plan de paix israélo-palestinien.
Shlomo Ben Ami, ancien ministre israélien des Affaires étrangères, a demandé
publiquement qu'un mandat international soit exercé sur les Territoires avec
l'aide d'une force multinationale. Sa tâche serait de guider l'Autorité
palestinienne dans la transition vers un État démocratique, de désarmer les
milices, mais aussi de contrôler à la fois l'évacuation des colons juifs hors
des Territoires et le reclassement des réfugiés palestiniens.
L'accord de
Genève donne aux Arabes une arme stratégique pour défier et défaire les ennemis
de la paix.
16. De l’Afrique du Sud à la
Palestine par Leila Farsakh
in Le Monde diplomatique du mois de
novembre 2003
(Leila Farsakh est chercheuse au Center for
International Studies, Massachusetts Institute of Technology (MIT) de
Boston.)
Le 4 novembre 2003, huit ans jour pour
jour après le meurtre d’Itzhak Rabin, des personnalités représentatives de
la gauche israélienne et des différentes forces palestiniennes – sauf les
islamistes – devaient signer, à Genève, un futur accord de paix. Ce document
règle toutes les questions en suspens. Un Etat palestinien verra le jour dans
les territoires occupés en 1967 (sauf 2,5 % de la Cisjordanie échangés par
Israël pour regrouper le gros de ses colonies). Il aura sa capitale à
Jérusalem-Est, où il contrôlera la Vieille Ville, à l’exception du quartier juif
et du Mur des lamentations. Sauf quelques dizaines de milliers autorisés à
revenir en Israël, les réfugiés pourront s’installer dans l’Etat de Palestine.
Voilà donc un événement majeur : en pleine escalade guerrière, il démontre que
la paix est possible, et que les Israéliens ont un partenaire pour la bâtir.
D’autant qu’y sont associés, non seulement des ministres de l’Autorité, mais
aussi des représentants du Tanzim de M. Marwan Barghouti. Si le général Ariel
Sharon a violemment dénoncé l’accord de Genève, c’est que celui-ci place son
gouvernement au pied du mur. Le refuser, c’est poursuivre une fuite en avant
meurtrière et suicidaire.
« Cela ressemble beaucoup à ce qui est arrivé aux
Noirs de l’Afrique du Sud. J’ai vu l’humiliation des Palestiniens aux points de
passage et aux barrages routiers, souffrant comme nous quand de jeunes policiers
blancs nous empêchaient de circuler [1]. » Ainsi, l’évêque sud-africain Desmond
Tutu, Prix Nobel de la paix, décrivait-il sa visite en Terre sainte. On a
souvent établi un parallèle entre l’apartheid sud-africain et la situation
israélo-palestinienne, mais sans toujours clairement l’expliciter. Certains
facteurs rendent cette comparaison tentante, même si elle ne va pas de
soi.
Les deux conflits sont historiquement issus du colonialisme. Les colons
blancs pour l’Afrique du Sud, tout comme les pionniers du sionisme, se sont
installés dans un pays où vivait déjà un autre peuple. Comme en Afrique du Sud,
les colonisateurs de la Palestine vont expulser la population indigène arabe de
sa terre, soit les deux tiers des Palestiniens vivant sur le territoire qui
deviendra Israël en 1948, s’emparer de leurs terres et de leurs biens et faire
longtemps subir à ceux qui restent dans ce qui est désormais défini comme un «
Etat juif » une législation ségrégationniste. Cependant, admettre le caractère
colonialiste de la naissance d’Israël ne suffit pas pour établir une équivalence
avec l’Afrique du Sud de l’apartheid. Le sociologue israélien Gershon Shafir
fait remarquer que, si l’enjeu des deux conflits était la maîtrise du sol, l’un
et l’autre se sont déroulés dans des conditions historiques et économiques
différentes, qui eurent un impact particulier sur leur évolution et sur les
rapports entre colons et indigènes [2].
Les nouveaux venus vont en effet
réagir différemment à la réalité démographique indigène. En Palestine, le projet
sioniste cherche à nier l’existence d’une population indigène non juive vivant
sur ce territoire (3], évoquant « un peuple sans terre pour une terre sans
peuple ». Il vise à établir une domination démographique juive, en expulsant les
Palestiniens tout en faisant obstacle à l’indépendance structurelle de leur
économie et surtout de leur main-d’œuvre. Avant 1948, celle-ci ne représentera
jamais plus qu’un tiers de l’ensemble des travailleurs employés dans le secteur
juif [4] ; à la veille de la guerre de juin 1967, ce pourcentage ne dépasse pas
15 % de la main-d’œuvre d’Israël [5].
La situation en Afrique du Sud était
différente. Plutôt que d’expulser les Noirs, les colons blancs cherchaient à les
dominer, les incorporant comme citoyens de seconde classe. La population
indigène est demeurée largement majoritaire, représentant 75 % de la
main-d’œuvre du pays dès le début du vingtième siècle.
C’est en 1948 que la
minorité blanche imposera, en Afrique du Sud, le système dit d’apartheid,
ensemble de discriminations juridiques, économiques et résidentielles. Au cœur
de cette politique figure une ségrégation territoriale, avec création de
réserves de main-d’œuvre fixées par les Blancs, espaces géographiquement
délimités où les Noirs devaient vivre. Ces espaces représentaient 13 % du
territoire sud-africain.
Entre 1951 et 1970, quatre lois importantes seront
promulguées [6], grâce auxquelles ces réserves deviendront des bantoustans, où
l’on accordait les droits et responsabilités de l’ « autonomie » aux indigènes.
Ceux-ci avaient le droit de définir leur politique économique et d’administrer
les affaires civiles ainsi que la vie quotidienne, mais ils devaient cogérer
avec les colons toutes les questions de sécurité et ne pouvaient revendiquer une
politique étrangère autonome. En 1974, une citoyenneté bantoue est créée et, dès
1976, dix bantoustans ont accédé à l’indépendance, leurs populations perdant la
nationalité sud-africaine.
La terre sans sa population
En
Israël / Palestine aucune structure territoriale de ségrégation ne sera créée –
sauf, de 1948 à 1966, quand le gouvernement militaire astreint les Arabes
d’Israël à des permis de déplacement, au couvre-feu, aux assignations à
résidence, et favorise la colonisation juive à travers la confiscation de leurs
terres.
Alors que le régime de l’apartheid voulait la terre avec sa
population, les Israéliens en Palestine voulaient la terre sans sa population.
Mais cette vision sera sérieusement ébranlée par la guerre de juin 1967, qui va
modifier les données démographiques du conflit. Près d’un million de
Palestiniens vont rester dans les territoires occupés (Cisjordanie, Gaza et
Jérusalem-Est), ce qui représente à l’époque un tiers de la population juive
totale.
Bien que le gouvernement israélien ait persévéré dans sa politique de
transfert des populations, plus volontaire que forcé, la majorité des
Palestiniens choisira de rester. Qu’en faire ? C’est en examinant la réponse
apportée à cette question cruciale que l’on pourra comprendre les ressemblances
de plus en plus marquées avec l’Afrique du Sud, malgré les différences
historiques.
Après la guerre de 1967, Israël va développer ses revendications
sur les territoires occupés. Quand la droite remporte les élections de 1977, le
gouvernement de Menahem Begin met sur pied une politique complexe, faite
d’intégration des territoires et de séparation démographique. Parallèlement, le
gouvernement militaire en Cisjordanie et à Gaza accélère l’expropriation des
terres palestiniennes et la clôture pour permettre l’installation des colons.
Ceux-ci continueront de relever du droit israélien, alors que ce même
gouvernement militaire va promulguer une série de lois différentes pour régir
les affaires civiles, économiques et juridiques des habitants
palestiniens.
Ces décrets ont pour conséquence d’étrangler l’économie
palestinienne, tout en aggravant sa dépendance et son intégration à Israël.
Entre 1967 et 1990, les frontières entre Israël et les territoires occupés
restent ouvertes. Plus d’un tiers de la main-d’œuvre palestinienne travaille
alors en Israël et génère un quart du PNB des territoires occupés.
En 1993,
on recense 145 colonies et 196 000 colons, dont la moitié vivent dans dix
colonies autour de Jérusalem-Est [7] – sans compter les colons de la partie
orientale de la ville. Destinés à contrer la poussée démographique
palestinienne, le développement exponentiel des colonies et leur répartition à
travers tous les territoires jettent les bases d’un éclatement géographique de
la Cisjordanie et de Gaza. Nombreux sont les observateurs qui estiment que ce
système d’intégration territoriale et de séparation sociétale fait de la
politique israélienne une sorte d’apartheid qui ne dit pas son nom
[8].
Rapporter le modèle de l’apartheid aux relations israélo-palestiniennes
pose cependant problème. D’abord quant à la définition géographique de l’ «
apartheid israélien » : celui-ci s’étend-il à tout Israël ou seulement aux
territoires occupés ? Le fait est que les Palestiniens vivant à l’intérieur de
la ligne verte sont citoyens israéliens, ce qui n’est pas le cas de ceux de la
Cisjordanie et de Gaza. Les premiers ne sont ni confinés dans un périmètre, avec
interdiction d’en sortir, ni exclus du processus politique israélien – ils
votent et sont éligibles, même s’ils subissent certaines discriminations. Les
seconds constituent une population sous occupation, en attente d’une solution
politique.
« Bantoustanisation » des territoires
occupés
La comparaison avec l’apartheid met en lumière une deuxième
différence. Le Congrès national africain (ANC), devenu la principale
organisation politique indigène, rejeta le séparatisme des Afrikaners, appela à
la fin de l’apartheid et à l’instauration d’une démocratie pour tous.
L’Organisation de la libération de la Palestine (OLP), elle, adoptera dès 1974
la partition comme solution à même de satisfaire le droit à l’autodétermination
du peuple palestinien. Et, en 1993, Israël reconnaîtra en l’OLP son seul
interlocuteur légitime et acceptera l’idée d’un partage, les frontières et le
statut des territoires palestiniens demeurant en suspens.
La troisième
différence tient à l’attitude de la communauté internationale, qui n’a jamais
accepté le système de l’apartheid ni la création d’entités étatiques séparées
pour les indigènes (en 1967, quand le gouvernement sud-africain voulut faire
entrer l’un des dix bantoustans, le Transkei, aux Nations unies, celles-ci
refusèrent [9].) Dans le cas de la Palestine, au contraire, l’ONU va préconiser
la création d’Etats-nations séparés comme solution au conflit.
Adoptée le 29
novembre 1947, la résolution 181 de l’Assemblée générale des Nations unies, dite
plan de partage, prône la coexistence d’un Etat juif et d’un Etat arabe. Et la
résolution 242 du Conseil de sécurité, votée le 22 novembre 1967, si elle laisse
dans le flou les droits nationaux des Palestiniens, réaffirme que la paix au
Proche-Orient passe par la restitution des territoires occupés pendant la guerre
et la reconnaissance de tous les Etats de la région. Or le processus d’Oslo sera
fondé sur la résolution 242.
Malgré ces différences considérables entre le
conflit israélo-palestinien et l’expérience de l’apartheid sud-africain, les
événements des dix dernières années les ont paradoxalement rapprochés. En
institutionnalisant à la fois la séparation sociétale et l’intégration
territoriale, les accords d’Oslo auront effectivement jeté les bases de la «
bantoustanisation » des territoires occupés, transformés en réserves de
population fragmentées, économiquement non viables et privées de toute
souveraineté politique.
Trois mécanismes y ont contribué. Géographiquement,
l’application des accords d’Oslo a conduit à une fragmentation territoriale de
la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Alors que l’Autorité palestinienne était
censée diriger la quasi-totalité de la Cisjordanie dès 1996, elle n’en
contrôlait en fait que 17,2 % en juillet 2000 (zone A [10]). On peut penser que
l’opposition au processus d’Oslo – les attentats-suicides et leurs répercussions
en Israël, mais aussi l’assassinat d’Itzhak Rabin et l’élection de M. Benyamin
Netanyahou – a contribué à retarder le redéploiement israélien. A la veille de
l’Intifada Al-Aqsa, la juridiction palestinienne restait limitée : 59 % de la
Cisjordanie et 30 % de la bande de Gaza lui échappaient encore.
Les colonies
constituent une autre clé de la « bantoustanisation » des territoires
palestiniens. Les zones C, aux mains des seuls Israéliens, divisent la
Cisjordanie en trois grands secteurs, découpés à leur tour en petites réserves
de population par les quatre grands blocs de colonies (Jérusalem, Ariel /
Shomron, Gush Etzion, Benjamin / vallée du Jourdain) et les routes de
contournement. Entre 1993 et 2000, la population des colonies (Jérusalem – Est
compris) aura doublé, pour atteindre le chiffre de 410 000, soit environ 15 % de
la population des territoires. Et Israël aura construit plus de 400 kilomètres
de routes de contournement et 72 colonies nouvelles (11].
Juridiquement, les
accords d’Oslo ont rapproché le statut des Palestiniens de celui des habitants
des bantoustans.
En premier lieu, ces accords, comme les résolutions
concernant les bantoustans d’Afrique du Sud, ne font pas de la population
autochtone l’unique source d’autorité de l’entité autonome. Le président et le
Conseil législatif palestiniens, démocratiquement élus, ne jouissent que
d’attributions limitées : c’est le gouvernement militaire israélien, jamais
dissous, qui leur « délègue » toutes les juridictions (territoriale, civile,
juridique) qu’ils sont censés exercer. Si le Conseil et l’Autorité nationale
exercent une juridiction essentiellement civile ou fonctionnelle sur 93 % de la
population palestinienne, leur juridiction territoriale provisoire porte sur
moins de 19 % de la Cisjordanie.
Ensuite, les accords d’Oslo ne stipulent pas
que le droit international a priorité sur le droit israélien. Ils ne mettent pas
fin à l’occupation et ne mentionnent pas la quatrième convention de Genève, pas
plus que la résolution 181 de l’Assemblée générale de l’ONU, qui fonde la
légitimité internationale d’un Etat arabe sur les terres de la Palestine
historique. Ils ne font référence qu’à la résolution 242 du Conseil de sécurité
(et à la 338, qui la réaffirme en 1973), l’une et l’autre ne précisant ni le
droit des Palestiniens à un Etat, ni l’étendue des territoires occupés, ni le
tracé des frontières.
Troisièmement, les accords d’Oslo privilégient
l’établissement d’une étroite collaboration entre les parties palestinienne et
israélienne plutôt que leur séparation. Des comités paritaires devaient être
créés dans tous les domaines, mais surtout dans celui de la sécurité, demeurée
entièrement sous contrôle israélien. On exigeait le même type de coopération
sécuritaire des bantoustans de l’Afrique du Sud.
Dernier trait
caractéristique d’une « bantoustanisation », le traitement de la population
palestinienne : l’institutionnalisation du système de permis de circulation et
des fermetures de frontière, introduits pour la première fois en 1990, va placer
les Palestiniens dans une situation semblable à celle que connurent les Noirs
sud-africains sous le régime du laissez-passer. Avec, là encore, une différence
: ce régime entendait contrôler les flux de main-d’œuvre bon marché pour
l’économie sud-africaine, alors qu’en Palestine les permis obéissent
essentiellement à des impératifs de sécurité – mais les conséquences seront
identiques. Avec le schéma de contrôle territorial israélien, le système des
permis conduit déjà – de fait – à la transformation de la Cisjordanie et de la
bande de Gaza en réserves non viables et fragmentées pour des populations
emprisonnées.
Face à l’Intifada, qui commence fin septembre 2000, Israël va
développer davantage le système des permis et la fragmentation du territoire.
Ainsi, en avril 2002, il décide de découper la Cisjordanie et Gaza en huit zones
principales, hors desquelles les Palestiniens ne pourront vivre sans permis
[12]. Entre-temps, l’expansion des colonies continue sans relâche : entre
septembre 2000 et janvier 2003, plus de 2 500 maisons et 52 nouvelles
implantations s’ajoutent aux précédentes [13]. Et la construction d’un mur de
séparation d’au moins 600 kilomètres entre Israël et la Cisjordanie marque une
frontière unilatéralement définie par Israël, qui empiète sur celle de 1967 et
isole encore plus les zones palestiniennes les unes des autres [14].
Hélas,
la « feuille de route » du Quartet (Etats-Unis, Union européenne, Russie,
Nations unies) ne renversera pas la logique des accords d’Oslo. Elle met
l’accent sur les nécessaires avancées de la coopération sécuritaire et de la
construction des institutions palestiniennes, légitimant l’intervention d’Israël
dans les affaires palestiniennes. Et, si elle préconise l’établissement d’un
Etat palestinien dans des frontières provisoires dès 2005, elle ne précise pas
comment un tel Etat pourra être souverain sans que ses frontières définitives
soient fixées. Le texte demeure très vague aussi sur trois autres questions
vitales : l’avenir des colonies, le sort de Jérusalem et celui des
réfugiés.
Le nouveau plan de paix a cependant le mérite de préconiser un rôle
pour la communauté internationale, ce que ne prévoyaient pas les accords d’Oslo.
Sur le papier tout au moins, il fait du Quartet le gardien de l’accord et
confère aux Etats-Unis la responsabilité de suivre de près la coopération entre
les deux parties. Mais les Quatre n’ont pas le pouvoir d’imposer leurs
arbitrages ni leurs contrôles. Si bien que la principale nouveauté de la «
feuille de route » est d’apporter l’aval de la communauté internationale à la
transformation de fait des territoires en bantoustans : n’accepte-t-elle pas la
création d’un Etat palestinien aux frontières provisoires, sans démantèlement
des colonies ni capitale à Jérusalem – Est, le gouvernement israélien restant
libre de redéfinir à sa guise les frontières de 1967…
Malgré les différences
historiques, l’évolution du conflit le rapproche donc de plus en plus du modèle
de l’apartheid sud-africain. Cette évolution est-elle temporaire ou durable,
sachant que ces « bantoustans » palestiniens ne sont ni aussi clairement définis
ni aussi étendus que ceux naguère réservés aux Noirs, et qu’Israël a moins
besoin de cette main-d’œuvre, remplacée depuis plus de dix ans par quelque 250
000 travailleurs asiatiques, africains ou est-européens ? Si elle devait se
poursuivre, elle mettrait en tout cas en péril la perspective d’une solution par
la coexistence de deux Etats. Une option dont la disparition condamnerait Israël
à devenir à la fois un Etat d’apartheid et binational, à moins qu’il ne se lance
dans un « transfert » massif de population…
- NOTES :
[1] : The Guardian, Londres, 29 avril 2002.
[2]
: Gerson Shafir, Land, Labour and the Origins of the Israeli-Palestinian
Conflict, 1883-1914, Cambridge University Press, Cambridge, 1989.
[3] :
L’idée de l’expulsion ou de transfert de la population indigène est inhérente au
sionisme depuis les débuts. Cf. Nur Masalha, Expulsion of the Palestinians : the
Concept of « Transfer » in Zionist Political Thought, 1882-1984, Institute of
Palestinian Studies, Washington DC, 191.
[4] : Baruch Kimmerling, Zionism and
Economy, Schenkmen, Cambridge Massachusetts, 1983, p. 51.
[5] : Statistical
Abstract of Israel, Office central israélien de statistiques, Jérusalem, 2002,
table 16.15.
[6] : Il s’agit du Bantu Authorities Act de 1951, du Promotion
of Bantu Self-Government Act de 1959, et du Bantu Homeland Citizenship de 1970,
amendé en 1974.
[7] : Report on Israeli Settlements in the Occupied
Territories, Fondation pour la paix au Moyen-Orient (FMEP), Washington DC, 2001,
vol 11/6, table I.
[8] : Uri Davis, Israel : An Apartheid State, London, Zed
Books, 1987 ; Roane Carey (éd.), The New Intifada : Resisting Israel’s
Apartheid, Verso, Londres, 2001 ; Marwan Bishara, Israël / Palestine : Peace or
Apartheid, Zd Books, Londres, 2001 (en français Palestine-Israël : la paix ou
l’apartheid, La Découverte, Paris, 2002) ; Law (The Palestinian Society for the
Protection of Human Rights and Environment), Apartheid, Bantustans and Cantons :
The ABC of the Oslo Accords, 1998 (www.lawsociety.org/apartheid/palngo.html)
[9] : Alexander Kerby, South Africa’s Bantustans
: What Independence for the Transkei, World Council of Churches, Genève, 1987.
[10 : Selon les accords d’Oslo II, fin septembre 1995, la zone A (3 % de la
Cisjordanie) relevait de l’autonomie palestinienne ; la zone B (27 %) était
gérée en commun ; et la zone C (70 %) dépendait des seuls Israéliens. En juillet
2000, les proportions sont respectivement de 17,2 %, 26,8 % et la zone C 59 %.
Voir la carte publiée dans l’Atlas du Monde diplomatique en janvier
2003.
[11] : Report on Israeli Settlements in the Occupied Territories, FMEP,
2003, vol 13/2.
[12] : The Israeli Security Zones make up 45,25 % of the West
Bank, including 158 Israeli Colonies, Applied Research Institute Jerusalem, 2002
(www.poica.org/casestudies/security-zones)
[13] : Report on Israeli Settlements in the
Occupied Territories, FMEP, 2002, vol 12/2.
[14] : Jusqu’ici, 140 km de mur
ont été construits, coupant de leurs terres et des autres parties de la
Palestine 14 000 familles (Betselem, 2003). La nouvelle tranche, décidée par le
gouvernement israélien le 1er octobre, ira jusqu’au sud de la Cisjordanie et
fera 450 km. Lire Gadi Algazi, « Un mur pour enfermer les Palestiniens », Le
Monde diplomatique, juillet 2002.
17. Enfants qui meurent,
enfants qui tuent par Leah Tsemel
in Le Monde diplomatique du mois
de novembre 2003
(Leah Tsemel est une avocate
israélienne, Jérusalem. Cet article est tiré de l’intervention de l’auteur au
colloque organisé par la Fondation Giorgio Cini sur le thème « Enfance et droits
humains », à Venise, le 20 septembre 2003.)
Mes parents ont quitté l’Europe juste avant le
génocide, dans lequel a péri la plus grande partie de ma famille, pour venir
dans cette région qui s’appelait alors la Palestine – et que nous nommons Israël
– m’offrir une vie meilleure et la sécurité d’un Etat. Près de soixante ans
après, je ne puis pas dire qu’ils aient réussi, bien au contraire. Tous ceux qui
voulaient bâtir l’Etat d’Israël ne semblent pas avoir compris qu’on ne saurait
ériger un nouveau futur sur un socle d’oppression. Voilà plus de trente ans que
je défends des Palestiniens devant les tribunaux israéliens, et je n’ai toujours
pas réussi, malgré mes efforts acharnés, à faire comprendre aux juges cette
vérité élémentaire. La situation ne cesse de se détériorer et, l’an dernier,
pour en pas en avant, j’ai dû reculer de deux.
L’écrivain David Grossman
parle du « recyclage » linguistique. « Occupation » s’est transformée en «
libération », « colonisation » en « implantation pacifique », « assassinat » en
« ciblage »… A cette tentative de dissimulation du forfait répond, chez les
Palestiniens, une radicalisation du langage. Naguère, ceux qui venaient me
consulter à Jérusalem parlaient de « soldats » ou de « colons », mais maintenant
ils n’emploient plus ces mots : ils disent carrément Elyahud (les juifs) : « Les
juifs m’ont confisqué ma carte d’identité », « les juifs m’ont frappé », « les
juifs ont détruit… » Que l’Etat d’Israël devienne ainsi le représentant de tous
les juifs du monde me terrifie, car tous les juifs vont se voir accoler l’image
de soldats, de policiers et de colons…
L’enfant palestinien qui parle
d’Elyahud pour désigner les gens en uniforme va embrasser le fanatisme. Mais un
fanatisme du même type – religieux – se renforce du côté juif. Sur les murs de
nos villes, on peut lire en hébreu : « Les Arabes dehors » ou « Mort aux Arabes
». D’ailleurs, notre gouvernement débat ouvertement du sort de M. Yasser Arafat,
le président élu des Palestiniens : allons-nous le tuer, ou le déporter, ou
appeler à l’élection d’un autre président assez faible pour que nous obtenions
de lui ce que nous voulons ?
Les principales victimes de l’occupation et de
l’oppression sont naturellement, des deux côtés, les enfants. Les lois
promulguées avant 1948, en vigueur sous le mandat britannique, existent encore.
Elles permettent à toute puissance occupante d’imposer des châtiments
collectifs.
J’ai perdu récemment un procès. J’avais tenté de faire opposition
à la destruction de la maison d’un jeune Palestinien qui s’était suicidé à la
bombe près d’un camp militaire, tuant huit personnes. La loi mandataire
(britannique) veut que la maison de l’auteur d’un attentat soit détruite.
Lorsque j’ai appelé la famille pour lui dire que j’avais perdu le procès, la
mère de ce jeune homme m’a dit : « Je savais qu’il n’y avait pas d’espoir, et
cela fait des heures que nous avons évacué la maison. »
Souvent, l’armée
procède sans préavis. « Vous avez cinq minutes pour évacuer les lieux. » Tout
est cassé, y compris les meubles et les effets personnels. J’ai parfois demandé
à ces familles ce qu’elles emportaient lorsqu’elles disposaient de quelques
minutes. Réponse : « Les diplômes scolaires des enfants ». « Quel optimisme ! »,
me suis-je réjouie.
Les enfants, ou les frères et les sœurs, des terroristes
palestiniens seront parqués à vie. Sous l’occupation militaire, ils n’auront pas
le droit de quitter le pays, de se déplacer d’une ville à l’autre, d’aller faire
leurs études ailleurs, de rendre visite à leurs proches en prison. Ces dernières
années, les familles de terroristes présumés sont déplacées par mesure punitive.
Depuis le début de la nouvelle Intifada, toutes les villes et tous les villages
palestiniens sont soumis à des bouclages et à des couvre-feux complets, et les
tanks israéliens rentrent et sortent de ces localités comme ils l’entendent. Les
enfants palestiniens se livrent à un sport inédit : escalader les collines et
tous les obstacles dressés par Israël pour empêcher le passage d’un lieu à un
autre. Si cette discipline existait aux Jeux olympiques, les Palestiniens
auraient la médaille d’or…
M. Ariel Sharon érige entre Israël et la Palestine
une « clôture de sécurité, qui ne correspond pas au tracé des frontières de
1967. Il s’agit d’un mur visant à la fois à créer une forme d’apartheid entre
les populations juive et palestinienne, en isolant les Palestiniens, et à placer
les terres palestiniennes non encore confisquées par les colonies juives sous le
contrôle de l’Etat d’Israël.
Si le spectacle de ces mères escaladant murs et
barrières prête à rire, les incidents tragiques se multiplient : récemment, de
jeunes soldats israéliens ont empêché une jeune Palestinienne sur le point
d’accoucher de passer à un barrage, provoquant la mort du bébé. L’oppression et
l’humiliation pèsent de plus en plus lourd. Pour faire soigner son enfant, un
père habitant un village près de Ramallah devra marcher des heures avant
d’atteindre un hôpital. Et quelle humiliation va subir de patriarche, aux yeux
des siens, lorsqu’il devra supplier les soldats, aux barrages, de le laisser
passer ? Quelle image de leurs parents auront les enfants ?
Sans parler de
l’assassinat de cet enfant de 10 ans tué, près d’un barrage à la sortie de
Jérusalem, par un soldat auquel il avait lancé une pierre ; ni de la bombe d’une
tonne larguée par un avion israélien sur Gaza, et qui a tué seize enfants… Le
petit Mohammad Al-Dura, mort dans les bras de son père il y a trois ans, n’est
pas seulement un symbole, mais une expérience quotidienne.
Cette vaste
tragédie tien en partie à la similitude entre les deux nations. A un ami
européen qui me demandait comment les soldats pouvaient différencier les juifs
des Arabes alors que tout le monde se ressemble, j’ai répondu ce que j’ai
entendu dire : « Le soldat regarde la personne droit dans les yeux, et si
celle-ci a les yeux d’un juif, à coup sûr elle est arabe. »
L’autre jour, à
la frontière entre Jérusalem-Est et Jérusalem-Ouest, j’ai vu 150 Palestiniens
d’un certain âge rassemblés dans un jardin. Ils venaient de Cisjordanie et
n’avaient pas de permis. Sûre – comme femme, blanche, juive et avocate – de
pouvoir tout régler, j’ai essayé d’intervenir. Les soldats avaient confisqué les
batteries de leurs téléphones portables et leur ont intimé l’ordre de ne pas
parler. Ils sont demeurés silencieux, et je me suis soudain sentie stupide, car
ils comprenaient la situation bien mieux que moi : ils savaient qu’il leur
coûterait cher de me répondre et que mon intervention… ne servirait à rien.
L’arbitraire pèse bien plus lourd que le système juridique que je représente.
J’ai pensé à Primo Levi, en me disant qu’il devait être heureux de ne pas avoir
vécu le moment où d’autres seraient opprimés par des juifs.
Golda Meir
affirmait, suscitant un tollé justifié, que la démographie galopante des
Palestiniens lui donnait des cauchemars. Le 29 août, la Knesset a adopté un
projet de loi prévoyant qu’en cas de « mariage entre un Israélien et une
Palestinienne des territoires occupés, l’épouse n’aura pas le droit de venir en
Israël, et tout enfant qui naîtra de cette union et qui ne sera pas inscrit la
première année de sa naissance ne figurera pas dans le registre israélien ».
Nous tentons de lutter de toutes nos forces contre cette politique de
différenciation, osons le mot : raciste.
Comment ne pas évoquer les auteurs
d’attentats-suicides ? Ce sont des enfants. Je connais ceux qui ne sont pas
morts, et je connais ceux qui sont morts. Ne nous y trompons pas : ils ne
choisissent pas la mort pour les soixante-dix vierges qu’on leur promettrait une
fois devenus shahid, ni parce qu’on leur aurait lavé le cerveau. Si ces jeunes
de toutes catégories se portent volontaires pour mourir, c’est parce qu’ils
éprouvent un immense désespoir : ils ont le sentiment d’avoir très peu à perdre
et quelque gloire à gagner. Que dire d’une société – comme la palestinienne –
qui produit des enfants prêts à mourir ou qui – comme la nôtre – sécrète un
groupe clandestin de colons capables de piéger une voiture près d’une école de
fillettes palestiniennes à Jérusalem ?
Tuer les enfants, c’est une obsession
! Depuis la dernière Intifada, 700 Palestiniens et 100 Israéliens de moins de 16
ans ont perdu la vie. Au cours des trois dernières années, l’armée et les colons
israéliens ont tué 382 enfants palestiniens, et 79 enfants juifs sont morts.
Etre un enfant israélien en Israël relève donc du cauchemar. Vous avez peur de
prendre le bus, d’aller au marché ou chez un copain ; avant d’entrer où que ce
soit, des gardes vous fouillent. Et il y a cet amalgame malsain, contre lequel
je m’élève, entre le souvenir du génocide (« nous avons toujours été des
victimes ») et la nouvelle « victimologie » israélienne (« nous sommes des
victimes car les Palestiniens nous tuent »).
Comparaison inacceptable : dans
le passé, nous avons été des victimes, mais actuellement, c’est nous qui
victimisons les autres. Après trente-six ans d’occupation, une deuxième
génération de colons dans les territoires occupés parle au nom de la Bible : «
Comment peut-on nous déraciner de notre nouvelle patrie ? » Juste après 1967,
les jeunes soldats s’interrogeaient : « Avons-nous le droit de conquérir les
terres d’un autre peuple ? » Désormais, on ne se pose pratiquement plus de
questions. Tous les jeunes soldats sont contaminés. Pas un seul qui n’ait été
posté à un barrage, pas un seul qui n’ait pas réveillé au moins une fois une
famille en pleine nuit pour arrêter quelqu’un.
Une petite minorité, dont les
rangs grandissent peu à peu, refusent de faire leur service militaire dans les
territoires occupés. De plus en plus d’Israéliens se disent : « Je ne veux pas
m’impliquer là-dedans. » Un autre espoir vient de ces héroïques parents
palestiniens qui, malgré l’occupation, n’enseignent pas la haine à leurs
enfants, refusent de considérer tous les Israéliens comme des démons, parlent
des différences d’opinions entre eux, apprennent à leurs enfants à juger les
gens en fonction de leurs actes et non de leur origine.
A ces mères
palestiniennes, je voudrais dire : « Soyez patientes, une reconnaissance
mutuelle est possible, nous avons déjà obtenu celle de l’Organisation de
libération de la Palestine (OLP). Actuellement, il existe dans le monde – ce
n’était pas le cas en 1967 – un consensus favorable à la création d’un Etat
palestinien aux côtés d’Israël. Préparez la prochaine génération, car le futur
est porteur d’une promesse.
Aux mères israéliennes qui se battent pour la
paix, je voudrais rappeler qu’elles ont déjà gagné une guerre et qu’elles
doivent continuer. L’organisation des Quatre mères, en référence aux mères de la
Bible, a déjà obtenu que l’armée israélienne se retire du Liban. Une autre
organisation, celle des Femmes en noir, manifeste toutes les semaines depuis
vingt ans contre l’occupation. Je leur dis : « Vous allez gagner ».
Il existe
également un groupe de femmes israéliennes qui surveille les barrages où des
atrocités sont commises. Elles s’y rendent et se tiennent près des soldats,
leurs fils, en leur disant, de même qu’aux Palestiniens : « Nous n’avons rien à
voir avec ce racisme, nous sommes contre. »
Nourit Peled, dont le père était
un général haut placé, milite pour la paix. Sa fille, une adolescente, a été
tuée à Jérusalem lors d’un attentat-suicide commis par un adolescent palestinien
[1]. Choisissant la paix plutôt que la haine, elle a créé une organisation qui
rassemble des parents palestiniens et israéliens victimes du terrorisme et qui
lutte pour la paix.
Lorsqu’elle a reçu le prix Sakharov en 2001, elle a
évoqué devant le Parlement européen Abraham, père mythologique d’Isaac et
d’Ismaël, symbole des deux nations. Abraham voulait sacrifier Isaac pour prouver
à Dieu toute sa confiance, mais Dieu lui interdit de sacrifier son fil et lui
donna une chèvre à la place. Elle conclut : « Si nous ne voulons pas que notre
planète devienne le royaume des enfants morts, nous devons élever la voix, notre
voix de mères, et faire taire toutes les autres. Nous devons faire en sorte que
tout le monde entende la voix de Dieu disant à Abraham : « Ne lève pas la main
sur l’enfant… » »
- NOTE :
[1] :
Lire Nourit Peled-Elhanan, « Bibi qu’as-tu fait ? », Le Monde diplomatique,
octobre 1997.
18. Les gens et la politique -
Alibis et berceuses par Akiva Eldar
in Ha'Aretz (quotidien
israélien) du jeudi 6 novembre 2003
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Le chef d’état-major
de l’armée israélienne, Moshe Ya’alon, a montré à l’échelon politique de quelle
manière un simple titre dans la presse peut faire passer d’un coup d’un seul
quelqu’un de la case « solution » à la case « problème ». Ce même Ya’alon, qui
avait fait la promesse que l’année 2003 serait l’ « année décisive », a compris
que même la grosse Bertha de Tsahal ne détient pas la solution au problème de
l’occupation. Ses aides disent qu’il est parvenu à la conclusion que s’il
continuait à se tenir à carreau politiquement, il entrerait dans l’histoire
comme le premier chef d’état-major à se faire sauter avec une ceinture
d’explosifs. Finalement, les évaluations des services de renseignement militaire
l’ont persuadé que se débarrasser d’Arafat ne ferait qu’aggraver le problème et
éloigner la solution.
Ya’alon a tiré le tapis de sous les pieds de son
ministre, Shaul Mofaz, un grand partisan de l’élimination d’Arafat, en dénonçant
l’échec de la politique du ministre de la défense. Les critiques de Ya’alon sur
la manière dont Israël a fait échouer un premier ministre jugé trop obéissant
vis-à-vis d’Arafat a été une erreur de jugement, qui a fini par rendre
l’assassinat d’Arafat impossible. Résultat : le gouvernement israélien n’a
d’autre choix que d’accueillir à bras ouverts Ahmed Qureï (Abu Ala), un premier
ministre palestinien non moins lige vis-à-vis d’Arafat que ne l’était Mahmoud
Abbas.
Mais, à part l’accueil poli, Sharon et Mofaz sont en train de proposer
à Abu Ala exactement le même marché que celui qu’ils avaient offert à Abou
Mazen. Démanteler les organisations terroristes (sic, ndt), arrêter des hommes
recherchés et collecter les armes illégales. Et que reçoivent, en retour, les
Palestinien ? L’arrêt des assassinats programmés durant une quinzaine de jours ?
Peanuts ! Le démantèlement d’avant-postes ? Pas question ! Le gel des colonies ?
Ne les faites pas rire. D’après l’entourage de Qureï, il n’y a aucune chance
qu’il accepte le marché. Il a vu ce qui est arrivé à un premier ministre qui
pensait que si les Israéliens et les Américains l’aimaient bien, cela lui
permettrait de contrôler plus facilement le Hamas et le Tanzim.
Sur les plans
politique et militaire, les gens sont déjà en train de préparer un alibi pour la
vague de terreur à venir, avant même que Qureï n’annonce quelle sera sa
politique générale et sécuritaire. Ils doivent expliquer aux Israéliens que si
le coupable est Arafat, alors pourquoi ne l’élimine-t-on pas ? Si l’occupation
est le problème, ils ont à faire face aux récriminations de Washington au sujet
des avant-postes, du mur et des checkpoints. Aussi, le salut vient du nord. Dans
le dialogue stratégique noué la semaine dernière avec les représentants
américains à Tel Aviv, des officiers israéliens ont montré du doigt la Syrie,
dans laquelle ils ont vu l’élément clé derrière la dernière flambée de
violences. Les pistes de certains des kamikazes ont conduit jusqu’à des banques,
en Syrie et au Liban.
Saddam et Oussama étant portés aux abonnés absents,
Bashar al-Assad est devenu le nouveau croquemitaine en vogue à Washington.
L’administration américaine n’a rien tenté afin de bloquer une initiative
sénatoriale dirigée contre la Syrie. En réalité, elle s’en est même frotté les
mains.
Et le lobby anti-syrien à Washington a été récemment regonflé à bloc
quand le vice-président Dick Cheney, exécutant en chef de la politique étrangère
américaine, est allé cueillir le néoconservateur – qui est aussi juif (ce qui ne
gâche rien, ndt) – David Wurmser, un associé de Richard Perle au Pentagone, qui
entretient des relations suivies avec Israël, et il l’a nommé dans l’équipe des
managers de son cabinet. Wurmser est le type qui a écrit, en 1998, « qu’Israël
n’a jamais fait payer à la Syrie son terrorisme », parce qu’attaquer la Syrie
aurait pu être considéré comme un aveu que la paix sponsorisée par les
Etats-Unis était une vaste fumisterie. Après tout, Wurmser ne pense-t-il pas que
les accords d’Oslo furent « une reddition israélienne inconditionnelle », le
résultat d’un « repli stratégique » consécutif à la guerre de 1982 »
?
Un massacre d’oliviers
Le
brigadier général Ephraim Sneh, qui commandait le district militaire du sud
Liban au début des années 1980 et présidait à l’Administration civile ( !) en
Judée et Samarie [= la Cisjordanie en novlangue israélienne, ndt] juste avant le
déclenchement de la première Intifada, et qui devint ensuite vice-ministre de la
Défense, a eu récemment l’occasion de voir de près les iniquités de
l’occupation. En tant que député travailliste à la Knesset, il s’est rendu dans
le village d’Inabus, en Samarie, en début de semaine. Au retour, il a déclaré
qu’il n’avait jamais été aussi choqué et jamais il n’avait ressenti une telle
honte que lorsqu’il vit les centaines d’oliviers de Fawzi Hussein abattus : les
troncs avaient été sciés. La semaine dernière, j’ai relaté dans cette même
tribune de quelle manière des colons avaient scié des oliviers millénaires dans
les oliveraies des villages d’El Sawiyyé et d’Inabus. Cette semaine, Sneh a
cette horreur par lui-même.
Avant de se rendre dans les vergers, il a
rencontré le vice commandant de la division stationnée dans la région, qui a
expliqué fièrement à l’ancien général et député en place comment l’armée protège
de manière quotidienne les paysans palestiniens du coin des menées des colons
juifs – comme s’il était tout à fait naturel que le gouvernement envoie ses
meilleurs petits gars, et pourquoi pas rappelle des réservistes ( ?) afin de
protéger le gagne-pain des gens contre les longs bras malfaisants de voyous
juifs.
Mais, une fois dans les oliveraies, même l’officier ne parvenait pas
à croire ce que ses yeux, pourtant, voyaient. Des dizaines d’arbres
supplémentaires avaient été sciés, en plus des centaines déjà détruits durant
l’été. Apparemment, quelqu’un, quelque part, avait dit aux colons que l’armée
arrivait, et ils ont opéré leur méfait en toute hâte. Sneh a promis à
Hussein qu’il n’aurait de cesse que le ministre de la Défense lui accorde un
dédommagement pour ses oliviers détruits. Il n’aura de cesse, non plus,
promet-il, que la Knesset inscrive ce scandale à son ordre du jour.
Hussein
ne croit pas beaucoup aux promesses israéliennes. Il conserve les dépositions de
sa plainte à la police, en janvier 2001, lorsque 55 de ses arbres avaient été
détruits. D’après les colons du coin, ces arbres auraient tous été abattus afin
de libérer le passage de « routes de sécurité » en direction d’avant-postes dans
la région. Des « éléments de sécurité », comme dit le Ministère de la
Défense.
Dans le dernier rapport du Contrôleur financier de l’Etat, le
conseiller du ministre de la Défense pour les questions des colonies indique que
« la politique du commandement central consiste à garantir la sécurité des
résidents juifs dans ceux des points de peuplement qui sont en cours de
légalisation. » C’est, dit en novlangue bureaucratique, unes des ruses les plus
vicieuses utilisées pour rendre légaux les avant-postes illégaux : présenter des
« éléments de sécurité » est l’un des critères de base pour décrocher le statut
d’implantation définitive. D’abord, vous coupez les arbres fruitiers – privant
ainsi les Palestiniens d’une de leurs principales sources de revenus – après
quoi vous tracez une « route de sécurité » : voilà comment on prépare une
nouvelle colonie, protégée de toute évacuation, à la « croissance naturelle
»…
Des chants pour Rabin
Le 4
novembre 1995, Bat Chen Shahak, quatorze ans, de Tel Monde, écrivit un poème en
mémoire du Premier ministre (assassiné), qu’elle envoya à sa veuve, Léah : «
Trois balles, et puis tout est fini : désormais, on parle de lui au passé »,
disait ce poème.
Six mois plus tard, le jour de son quinzième anniversaire,
Bat Chen a été tuée dans un attentat perpétré au Centre (commercial)
Dizengoff.
Ses parents, Ayelet et Zvi, jurèrent qu’ils ne laisseraient ni le
terrorisme ni l’occupation tuer l’espoir. Ils se joignirent au Cercle Yitzhak
Frankenthal des Parents Eprouvés, et ils allèrent rencontrer les parents
endeuillés de l’autre côté. Passant d’une école à l’autre, ils finirent par
visiter toutes les écoles, juives et arabe, d’un bout à l’autre du pays.
Des
rencontres similaires se produisent, de l’autre côté, et quand c’est possible,
des parents palestiniens endeuillés par la perte d’un enfant viennent en Israël.
En retournant la force de la douleur, Ayelet, Zvi et leurs partenaires
israéliens et palestiniens, tels Yaacov Grossman, Boaz Kitai, Rami Elhanan et
Razi Brijit, qui a perdu deux frères, s’adressent aux cœurs et aux esprits des
jeunes, israéliens et palestiniens.
Beaucoup d’enseignants les remercient de
se rendre dans des endroits où ils n’osent pas aller. D’autres protestent contre
leur discours, qu’ils jugent trop « politique ». Ainsi, M. Elhanan dit qu’il n’y
a aucune différence entre le terroriste qui a tué sa fille Smadar sur l’avenue
Ben Yehuda de Jérusalem et le soldat israélien qui bloque une femme enceinte sur
le point d’accoucher à un checkpoint sur la route de Ramallah. Il affirme que
Menachem Begin et Yitzhak Shamir avaient du sang sur les mains, et qu’afin de
permettre qu’encore plus de sang ne soit versé, ceux qui ont planifié
l’assassinat de Smadar, la petite-fille du major général à la retraite de
l’armée israélienne Matti Peled, doivent être libérés, eux aussi.
On perçoit
un reflet de l’humeur de la génération des « jeunes allumeurs de veilleuses »,
comme Bat Chen Shahak, dans les questionnaires que relèvent ces parents dans des
lieux comme Netanya, les villes de la plaine côtière du Sharon et Ra’anana. « La
rencontre a changé ma manière de voir les choses », a ainsi écrit un adolescent.
« Avant, je n’avais pas conscience du fait que les Arabes souffrent comme nous
et qu’ils ont aussi de nombreuses victimes. La plupart des jeunes que je connais
ne sont pas intéressés par la vie en bonne intelligence. Ils parlent tout le
temps de guerre. De tuer les Arabes. Notre rencontre émet le message que la
guerre ne mènera nulle part, et qu’il faut prendre les choses en mains et
arrêter tout ça. » « Avant la rencontre, j’avais des sentiments du genre « Les
Arabes, à mort ! », a écrit un autre jeune. « A dire vrai, c’est toujours ce que
je pense, mais après cette rencontre, je veut seulement la mort de ceux qui font
du mal aux juifs. » Mais il y a aussi ceux qui n’ont pas changé. « Barak était
prêt à tout leur donner, jusqu’à la moitié de Jérusalem ! », écrit un élève. «
Mais même là, ils n’ont pas voulu la paix. La seule solution, c’est la
G-U-E-R-R-E».
19. Sniper riposte à Sarkozy -
Faute de recevoir des "excuses publiques", les rappeurs menacent d'une plainte
en diffamation le ministre de l'Intérieur qui avait jugé leurs textes
"antisémites, racistes et injurieux" par Philippe Mathon
sur le
portail Bouygues Telecom mis en ligne le mercredi 5 novembre 2003
Le hall d'entrée du cabinet d'avocat est trop étroit pour accueillir les
va-et-vient incessants de Ben, le manager de Sniper. L'homme s'agite au
téléphone. A son correspondant, il balbutie d'un ton haché : "Je ne comprends
pas pourquoi il dit ça. Maintenant, il va falloir qu'il prouve ce qu'il dit". Le
"il", c'est Nicolas Sarkozy qui a annoncé, mercredi à l'Assemblée nationale,
qu'il porterait plainte contre les textes de chansons ou de rap "racistes et
antisémites". Le ministre de l'Intérieur répondait à une question d'une députée
UMP de Meurthe-et-Moselle qui s'inquiétait de la tenue prochaine d'un concert de
Sniper dans son département. L'affaire n'a pas tardé à produire son premier
effet : les responsables de la discothèque où le groupe devait se produire ont
décidé d'annuler le concert "pour ne pas troubler l'ordre public". Une décision
prise "sans aucune pression", ajoutent-t-il comme pour faire taire les mauvaises
langues. Les Sniper, un des groupes de rap les plus populaires de l'Hexagone
(plus de 500.000 ventes en deux albums) seront finalement remplacés par le plus
consensuel Doc Gyneco.
Jeudi, les rappeurs sont donc restés à Paris. Mais,
une fois n'est pas coutume, ils ont passé la journée loin des studios
d'enregistrement ou de leur banlieue "du 93 et du 95" . C'est dans le cabinet de
leur avocat que tf1.fr a pu les rencontrer. Une entrevue informelle d'une
vingtaine de minutes. Mais pas d'enregistrement de la conversation ni de
déclaration publique. "Ils ne veulent pas être manipulés par les médias",
souffle leur avocat, maître Dominique Tricaud. Lors de l'entretien, les quatre
Snipper (El Tunisiano, Black Renega, Aketo et le scratcheur DJ Boudj, âgés de 23
à 25 ans) et leur manager se sont déclarés "choqués" par les déclarations du
ministre. "Nous traiter d'antisémites, c'est dingue ! Notre manager est juif !",
a dit l'un d'eux. Un autre a refusé le raisonnement selon lequel leurs textes
pourraient influencer des fans mal intentionnés. "Ta life, tu l'as fait pas
grâce à un skeud" (un disque, ndlr). Jamais quelqu'un n'a tué après avoir
entendu nos titres ! Le groupe ajoute que "la musique en général et plus
particulièrement la notre, est composée d'images fortes qu'aucun auditeur de
bonne foi ne prend au premier degré".
"Cela vous évitera de travestir le sens de
nos chansons"
Partant du principe que la meilleure défense est
l'attaque, les rappeurs, qui se disent "ni antisémites ni anti-français", ont
menacé de "porter plainte en diffamation contre Nicolas Sarkozy" si celui-ci ne
leur présente pas "des excuses publiques". Dans un courrier adressé jeudi au
ministre dont tf1.fr a obtenu copie, les rappeurs se permettent d'ironiser sur
"la crise de démagogie passagère" et le "populisme" de l'hôte de la Place
Beauvau : "Nous pensons qu'avec tout le travail que vous avez, vous n'avez pas
pris le temps d'écouter nos albums et nous vous invitons à le faire. Cela vous
évitera de travestir le sens de nos chansons". Et de citer pêle-mêle Maxime Le
Forestier, Léo Ferré, Serge Gainsbourg, Georges Brassens comme autant d'artistes
à "condamner" …
[...] Dans une
autre chanson, intitulée Jeteur de pierre (2003), le groupe évoque les
attentats-suicides en Israël : "Tu f'rais quoi, si on avait tué ton père et
détruit ton toit ? (...) J'aurais envie d'faire un carnage", "Palestiniens dans
les rues, Israéliens dans les bus, le mal par le mal, venger les
tiens".
20. L'éclaircie par
Régine Deforges
in L'Humanité du mercredi 5 novembre 2003
Quand un
général de l'armée de l'air d'Israël, Yiftah Spector, dit : " L'occupation est
la principale cause du terrorisme ; en occupant toujours plus de terres
palestiniennes, nous mettons en danger l'existence de l'État juif que nous avons
créé avec tant de succès. Si les Palestiniens n'ont pas leur propre État, ils
devront vivre avec nous dans un seul et même pays. Alors, ils nous battront,
parce que la démographie joue en leur faveur. L'occupation a commencé de façon
non intentionnelle. Les Palestiniens profitaient de cette situation et nous
aussi. Leur niveau de vie s'est amélioré. Nous espérions que la prospérité nous
mettrait sur la voie de la paix. Mais, au début de la première Intifada, j'ai
compris qu'Israël occupait une autre nation et que celle-ci avait droit à un
État ", on croit voir la Colombe montrer le bout de ses ailes. Le général Yiftah
Spector a participé à de nombreuses batailles décisives de l'État hébreu,
notamment la Guerre des Six Jours. Il n'a pas hésité à signer, en compagnie de
vingt-sept pilotes, la lettre au gouvernement israélien dans laquelle il
s'engage à ne plus " obéir aux ordres illégaux et immoraux " et à refuser de "
prendre part à des attaques aériennes contre des centres de population civile ",
en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Cette lettre a fait grand bruit, en
Israël, qui a déclaré, le mois dernier, une " guerre totale " aux islamistes du
Djihad et du Hamas, suite à la reprise des attentats suicide. " Je ne suis pas
un " baba cool ". Je suis pour attaquer et stopper, par tous les moyens, les
bombes humaines en marche et tous les salopards ; mais je refuse de devenir
moi-même un salopard. Je suis contre le fait de tuer des femmes et des enfants
palestiniens. On ne peut pas tuer son ennemi en transperçant le coeur d'une
jeune fille, même si cela implique que d'autres jeunes filles doivent mourir
chez nous, sous les bombes des terroristes. Je suis contre le terrorisme et
l'antisémitisme. Mais je dis à mon peuple : ``Ne devenez pas anti-arabes'' ", a
déclaré le général Yiftah Spector. Le chef de l'armée de l'air, Dan Haloutz, a
accusé les signataires " d'avoir planté un couteau dans le dos des combattants
et de la démocratie israélienne ". Accusation à laquelle répond Yiftah Spector :
" Je ne suis pas un insoumis. Israël est un État fondé sur la moralité. Depuis
le procès Eichmann qui avait plaidé devant la justice israélienne n'avoir fait
qu'obéir aux ordres, une loi dit que personne, en Israël, ne peut échapper à ses
responsabilités s'il viole les conventions internationales protégeant les civils
des conflits. Chaque soldat israélien affiche, dans son salon, le texte de la
loi du ``drapeau noir''. Celle-ci dit que si un drapeau noir s'élève dans votre
conscience lorsque vous recevez un ordre immoral, vous avez le droit de
désobéir. "
Pendant ce temps-là, à Genève, un plan de paix non officiel a
été signé entre l'ancien ministre travailliste de la Justice, l'Israélien Yossi
Beilin, et l'ex-ministre de l'Information palestinien, Yasser Abed-Rabbo.
L'accord propose des solutions aux principaux obstacles du processus de paix,
prévoyant, entre autres, que les Palestiniens renoncent au retour en Israël, le
partage de la souveraineté sur la vieille ville de Jérusalem ; le mont du
Temple, site le plus sacré du judaïsme sur lequel se trouve l'esplanade des
Mosquées, troisième lieu saint de l'Islam, situé à Jérusalem- est, passerait
sous autorité palestinienne. Le mur des Lamentations ainsi que le quartier juif
resteraient à Israël. De son côté, l'État israélien s'engagerait à restituer aux
Palestiniens 97,5 % de la Cisjordanie occupée depuis 1967. Cela ne fait pas
l'affaire d'Ariel Sharon ni celle de Yasser Arafat, qui jugent l'initiative de
Genève " dangereuse ". " Il faut lutter pour empêcher l'adoption de l'Initiative
de Genève et contre l'aide qui lui est apportée par les États européens ", a
déclaré le premier ministre israélien. David Leffler, ancien collaborateur de
Yitzhak Rabin, s'est réjoui de l'appui apporté par un certain nombre de
comédiens d'Hollywood, dont Brad Pitt, préconisant l'organisation d'un
référendum avec les deux populations. " Nous souhaitons que la solution de ce
conflit sanglant vienne de la base et ne soit pas présentée sous forme d'un plan
tout prêt qui serait à prendre ou à laisser ", a déclaré David Leffler. Une
éclaircie se ferait-elle dans le ciel israélo-palestinien ?
Le livre
d'Israël Shamir, l'Autre Visage d'Israël (1), a été retiré de la vente à la
suite de pressions sur Denis Bourgois, coéditeur, avec Franck Spengler, de
l'ouvrage, sous prétexte de " passages antisémites ". " Des passages de la
traduction française, lus trop hâtivement, présentent un caractère antisémite.
Aussi, les Éditions Balland ont-elles décidé d'interrompre immédiatement la
commercialisation de l'ouvrage ", a annoncé Denis Bourgois contre l'avis de
Franck Spengler. Selon l'éditeur, " l'auteur de ce livre traduit de l'anglais,
citoyen israélien d'origine russe, s'en prend à la politique actuelle du
gouvernement Sharon et prône la création pacifique d'un État
israélo-palestinien. " Prise de position qui mérite pour le moins que l'on
retire le livre de la vente avant de le brûler, et l'auteur avec... (1) Aux
Éditions Blanche-Balland
21. A la culotte - Des
caleçons de deuxième main pour les soldats de Tsahal
in Marianne du
lundi 3 novembre 2003
L'argent est décidément le nerf de la guerre.
Par souci d'économie, l'armée israélienne vient d'acquérir, auprès du Pentagone,
un lot de caleçons longs usagés. Cet hiver, les soldats israéliens porteront
donc, sous leurs uniformes, des sous-vêtements de seconde main. Les caleçons
seront, bien sûr, lavés avant d'être distribués dans les casernes. Ces
sous-vêtements feront ainsi figure de vétérans : première guerre du Golfe,
retour au pays et entraînement, intervention en Somalie, retour au pays, guerre
en Afghanistan, retour au pays, deuxième guerre de Golfe, retour au pays puis
départ pour Israël ! Malgré ces périples, les morceaux d'étoffe sont toujours
vaillants. On notera qu'Israël et les Etats-Unis sont plus que jamais cul et
chemise.
22. Israël est la plus grande
menace pour la paix, selon les Européens (sondage)
Dépêche de
l'Agence France Presse du lundi 3 novembre 2003, 14h02
Une majorité de
citoyens de l'UE estiment qu'Israël représente la menace la plus sérieuse "pour
la paix" dans le monde, avant l'Iran, la Corée du Nord et les Etats-Unis, qui
arrivent tous trois en deuxième position, selon un sondage Eurobaromètre dont
les chiffres officiels ont été rendus publics lundi. 59% des personnes
interrogées ont répondu par l'affirmative à la question de savoir si Israël
présentait ou pas une "menace pour la paix dans le monde", selon l'enquête
d'opinion. Les personnes interrogées devaient se prononcer sur une liste de pays
pré-selectionnés. L'Iran, la Corée du Nord et les Etats-Unis sont arrivés en
deuxième position avec chacun 53% de réponses. L'Irak est arrivé en troisième
position (52%), suivi de l'Afghanistan (50%), du Pakistan (48%), de la Syrie
(37%), de la Libye (36%), de l'Arabie saoudite (36%), de la Chine (30%), de
l'Inde (22%), de la Russie (21%), de la Somalie (16%) et de l'UE (8%).Par pays,
le sondage indique que les Néerlandais ont été les plus nombreux (74%) à citer
Israël comme une menace, tandis que les Italiens se sont déclarés les moins
préoccupés (48%).Les résultats du sondage ont été dénoncés par les autorités
israéliennes avant même leur parution officielle. L'exécutif européen s'est
refusé lundi à commenter sur le fond ce sondage. "Il n'y aura pas de réaction
politique spécifique", a déclaré un porte-parole Gerassimos Thomas lors d'un
point de presse."Ce n'est pas notre travail d'interpréter chaque enquête
d'opinion", a-t-il dit face à un barrage de questions."Le sondage est ce qu'il
est. Il est transparent et on le publie, un point c'est tout", a-t-il ajouté,
tout en jugeant "légitime" la réaction israélienne. Le ministre en charge des
relations avec la diaspora Nathan Chtcharansky a déclaré dimanche au quotidien
Yédiot Aharonot que "l'UE, qui a montré qu'elle était sensible aux questions
relevant des droits de l'Homme, devrait faire cesser le lavage de cerveau qui
vise à diaboliser Israël avant que l'Europe ne retombe une fois encore dans les
périodes sombres de son passé". A Rome lundi, l'ambassadeur d'Israël en Italie,
Ehud Gol, a estimé dans un entretien au quotidien Il Messagero que le sondage
avait été réalisé "dans le seul but de dénigrer Israël".La Commission européenne
avait livré des résultats intermédiaires du sondage la semaine dernière mais
sans citer ces chiffres, qui ont été révélés jeudi par le quotidien espagnol "El
Pais". Malgré de vives protestations israéliennes, la Commission européenne n'a
pas reçu de plainte officielle, a indiqué lundi le porte-parole. Le sondage a
été réalisé en octobre par téléphone auprès d'un échantillon de 7.515 citoyens
de l'Union européenne.
[Vous pouvez consulter
l'intégralité de l'Eurobaromètre en version pdf (voir la page 80) à cette
adresse :
23. Israël outré qu’un sondage
effectué auprès de citoyens de l’Union européenne le qualifie de menace pour la
paix par Peter Beaumont
in The Observer (hebdomadaire britannique)
du dimanche 2 novembre 2003
[traduit de l'anglais
par Marcel Charbonnier]
Israël a été qualifié de toute
première menace pour la paix dans le monde, devançant le peloton de tête composé
de la Corée du Nord, de l’Afghanistan et de l’Iran, par un sondage (non encore
publié) de la Commission Européenne, effectué auprès de 7 500 ressortissants des
pays membres, suscitant une controverse internationale.
Ce sondage, effectué
courant octobre, auprès d’un échantillon représentatif de 500 personnes dans
chacun des pays membres de l’Union européenne, couvrait (par conséquent) quinze
pays et comportait une liste de quinze pays au sujet desquels on demanda aux
sondés « s’ils représentaient, ou non, une menace pour la paix dans le monde ».
Israël aurait, d’après certaines fuites, été choisi par 59 % des personnes
interrogées.
Les fuites au sujet des résultats de ce sondage, au bénéfice du
quotidien espagnol El Pais et français International Herald Tribune, ont
déclenché une acerbe polémique, un groupe juif de défense des droits de l’homme
et de lobbying, le Centre Simon Wiesenthal, allant jusqu’à exiger que l’Union
européenne soit exclue du processus de paix israélo-palestinien et à accuser
l’Europe de connaître la pire flambée d’ « antisémitisme » depuis la Seconde
guerre mondiale.
Ces résultats semblent vouloir marquer la désapprobation,
très large, en Europe, des tactiques employées par le gouvernement Sharon dans
sa répression de l’actuelle Intifada.
Les ministres et le porte-parole du
gouvernement israélien ont également mouillé la chemise, récemment, afin de
tenter de démontrer qu’une définition de l’ « antisémitisme » mise au goût du
jour se devrait d’inclure toute critique formulée à l’encontre de la manière
dont l’Etat d’Israël choisit de se protéger, en qualifiant ces critiques
d’attaques ouvertes contre l’existence même d’Israël.
Certains membres du
gouvernement Sharon ont regimbé devant les efforts déployés par Tony Blair et
d’autres responsables britanniques afin d’établir une médiation entre les deux
parties.
A un moment donné, on fit savoir aux journalistes qu’Israël
considérait que le Foreign Office avait un « parti pris pro-arabe
».
Réagissant au sondage, le Centre Simon Wiesenthal, qui revendique 400 000
membres encartés aux seuls Etats-Unis, a initialisé une pétition afin de
condamner la Commission européenne et d’exiger que l’Union européenne ne soit
plus représentée, dorénavant, dans le groupe dit du « Quartette », qui s’efforce
d’effectuer une médiation en vue de la fin des violences entre Israël et la
Palestine.
Ce sondage intervient également sur fond d’un accroissement des
agressions antisémites en Europe, au cours de l’année écoulée, bien que tout
indique que dans des pays, telle la France, la plupart de ces incidents aient
été provoqués par de jeunes islamistes. ( ! du traducteur).
« Ce sondage est
l’indication que les Européens ont mordu à la campagne menée tant par les médias
que par les dirigeants européens, tendant à vilipender et à démoniser l’Etat
d’Israël et ses partisans – ils ont tout avalé : l’hameçon, la ligne et le
flotteur » ; a déclaré M. le rabbin Marvin Hier, fondateur du Centre
Wiesenthal.
« Ce résultat outrageant – à savoir qu’Israël serait la plus
grande menace pour la paix du monde, plus grande même que celle de la Corée du
Nord et de l’Iran – défie toute logique. Il s’agit d’une incartade raciste qui
ne fait que démontrer combien profondément l’antisémitisme est ancré dans la
société européenne, plus qu’à aucune période depuis la fin de la (Seconde)
guerre (mondiale) », a-t-il ajouté.
24. Une petite fenêtre pour une prison à ciel
ouvert par Valérie Féron
in L'Humanité du samedi 1er novembre
2003
Visite dans les camps palestiniens. Le récit d'une délégation
française pour la promotion des jumelages.
Correspondance particulière - Fernand Thuil, coprésident de
l'Association pour la promotion des jumelages entre villes de France et camps de
réfugiés palestiniens (AJPF), vient d'effectuer à la tête d'une délégation de 29
personnes une visite officielle de cinq jours dans les territoires palestiniens.
Cinq jours au pas de charge : des rencontres avec le président Arafat à
Ramallah, avec des députés du Parlement israélien à Jérusalem-Ouest, le consul
général de France à Jérusalem, Régis Koetschet et des pacifistes israéliens,
dont Michel Warshawsky, ainsi que le travail habituel de terrain avec les
partenaires palestiniens des camps de réfugiés. La délégation s'est divisée en
petits groupes de travail dans les camps de Jénine (au nord de la Cisjordanie)
et dans d'autres autour de Ramallah (notamment celui de Qalandia) et de Bethliem
(dont Deishe). Au-delà des projets en cours et à venir, le voyage a été comme à
chaque fois l'occasion de mieux s'imprégner de la réalité palestinienne au
quotidien.
Face à une réalité inextricable
Sept heures. C'est le temps qu'il aura fallu à la délégation conduite par
Fernand Thuil pour faire la soixantaine de kilomètres qui séparent Ramallah de
Jénine. Pour les initiés, pas grand-chose de nouveau sinon l'impression que
l'étau ne cesse de se resserrer autour des Palestiniens. Pour la vingtaine de
personnes qui effectuaient leur premier voyage en territoire palestinien, il
s'agissait d'une plongée dans une réalité dont ils étaient certes conscients
mais qu'ils allaient cette fois toucher pour de bon. Une réalité bien
inextricable aux repères bouleversés, où les distances ne se comptent plus en
kilomètres mais en check-points, en chars et en soldats rencontrés. Après le
premier arrêt pour sortir de Ramallah par la voie la plus facile, celle réservée
aux étrangers et diplomates, la délégation, installée dans deux minibus, a pris
" la route des colons ", pratiquement déserte, pour terminer son voyage à
travers champs, toutes les voies d'accès gardées par l'armée israélienne leur
ayant été refusées. À mi-route, un premier groupe de soldats acceptent de les
laisser continuer, quand, trois mètres plus loin, un autre groupe leur intime
l'ordre de rebrousser chemin sur un ton péremptoire qui découragea quiconque
d'entamer le dialogue. Sentiment conforté par la scène d'un jeune Palestinien
mains attachées, empoigné comme un vulgaire paquet par trois soldats, qui l'ont
laissé choir sur le bas côté de la route, face contre terre. Combien de temps ?
Nul ne le saura. Une série de palabres avec les chauffeurs de taxi du coin plus
tard pour prendre un autre chemin, une pancarte prometteuse indique en grand :
Jénine. S'engageant sur des routes défoncées, les deux minibus butent cette fois
sur deux chars israéliens. Un des minibus est autorisé à passer, mais pas le
second, forçant à nouveau tout le groupe à rebrousser chemin. " Il y a des
millions de chemins pour aller à Jénine, on va y arriver ", promet Wael, un des
chauffeurs, le ton plein de défi. En attendant de trouver le bon chemin, la
délégation fait du tourisme un peu particulier, découvrant les villages et
hameaux du centre de Cisjordanie et les espaces agricoles qui ont jusqu'ici
échappé aux bulldozers et aux chars israéliens. Guidé finalement par un habitant
du coin, qui les fera traverser les quelques kilomètres restants à travers
champs, où se croisent ainsi de nombreux taxis, Jénine l'inespérée s'étale
soudain sous leurs yeux. Mission accomplie. C'est un groupe couvert de poussière
et fatigué qui arrive dans le camp de réfugiés, juste à temps pour partager
l'iftar (la rupture du jeûne) de ce premier jour du mois de ramadan avec leurs
collègues palestiniens, avant de passer la soirée en réunions et mises au point
de projets. Cela après une visite obligatoire du camp, dont le centre, dévasté
au printemps 2002 à coups de missiles par l'armée israélienne, qui ressemble
désormais à un étrange terrain vague. Neuf d'entre eux resteront sur place 24
heures, alors que les autres retourneront dès le lendemain matin à Ramallah,
pour être ensuite dispatchés par petits groupes dans les autres camps prévus au
programme. Le retour sera moins compliqué, mais comportera les mêmes défis que
la veille, la même guerre psychologique lorsqu'un groupe de soldats exigera que
tous les passagers descendent des minibus pour vérification des identités, des
bagages, des véhicules, avant de décréter qu'ils ne peuvent les laisser passer.
Ces cinq jours leur ont laissé l'impression d'être une pelote d'émotions dont
ils mettront du temps à démêler les fils. Comme Marie-Hélène, Bretonne, membre
de l'AFPS depuis deux ans, qui raconte ce qui l'a plus choquée lors de ce voyage
: " C'est ce jeune militaire israélien qui, à l'un des barrages où l'on nous a
fouillés, nous a dit avec un air très calme et naturel : " Il y a eu une bombe.
" Il parlait de l'explosion d'une maison palestinienne tout près de l'endroit où
nous étions. Cette maison gênait la construction du mur qui va encercler les
Palestiniens. J'ai ressenti dans son ton et son air insouciant toute la
déshumanisation de ce peuple. " Marie Hélène a déjà effectué un premier voyage
en juin dernier et se déclare frappée par les changements : " En juin, les gens
parlaient énormément de la " feuille de route ", maintenant pas un mot sur ce
plan de paix, on parle de résistance. Mais je pense que ce que j'ai ressenti le
plus fortement cette fois-ci, c'est la force psychologique des Palestiniens,
cette ténacité et cette dignité qu'ils gardent dans cette situation effroyable,
si difficile à faire comprendre et à faire admettre à l'extérieur. " Et
pourtant, c'est bien à cette tâche que la délégation, comme des dizaines
d'autres, va s'atteler dès son retour en France. Témoigner de ce qu'elle a vu et
continuer à concrétiser des projets avec les habitants des camps de réfugiés
palestiniens en Cisjordanie, dans la bande de Gaza, au Liban et en Syrie.
25. Fernand Thuil : "La volonté de paix est très
forte chez les Palestiniens" entretien réalisé par Valérie Féron
in
L'Humanité du samedi 1er novembre 2003
Fernand Thuil, président de l'association pour le jumelage des
villes françaises avec les camps palestiniens, explique les buts de sa visite et
sa vision de la situation.
- Quel était le but de cette visite ?
- Fernand Thuil. D'abord se rendre compte directement de la situation pour,
comme à chaque fois, témoigner à notre retour en France. C'est aussi pour être
une petite fenêtre sur l'extérieur pour les Palestiniens qui vivent dans une
prison à ciel ouvert. Le deuxième objectif était de mettre en ouvre de nouveaux
projets. L'un d'entre eux, intitulé " Un cartable pour chaque enfant palestinien
", concerne plus particulièrement l'aide à l'éducation. Il s'agit, avec l'accord
des comités des camps, d'encourager le retour des enfants à l'école, pour qu'ils
retrouvent une certaine normalité, ce qui est extrêmement difficile dans la
situation actuelle, avec les bouclages. La campagne nationale a été lancée en
France il y a un mois. Un des responsables du camp de Jénine, où les enfants
sont très traumatisés, m'a dit ceci, qui résume bien l'idée du projet : " Ce que
l'on veut, c'est pouvoir continuer à expliquer à nos enfants que la vie, ce
n'est pas la haine, c'est la paix. " Voilà une des premières préoccupations des
Palestiniens. Que leurs enfants vivent comme les autres. C'est sur cela qu'est
basée notre campagne, dont le cartable est bien sûr un symbole. La campagne nous
permet de parler de la situation des enfants palestiniens et l'argent récolté,
de répondre aux besoins les plus urgents : là, l'achat de chauffage ; ailleurs,
de livres, ou le financement de bourses, etc. Il faut bien comprendre qu'une
journée d'école pour un enfant palestinien, c'est une victoire.
- Une partie de votre famille vit en Israël, vous vous décrivez
comme humaniste et athée. Vous travaillez avec des pacifistes israéliens.
Comment faites-vous passer vos messages ?
- Fernand Thuil. Je parle de la même manière partout. Je sais que, en
défendant le peuple palestinien, je défends aussi le peuple israélien, qui lui
aussi est en train de crever, avec de moins en moins de protection sociale, un
chômage terrible. Je trouve ignoble que des groupes déclarent parler au nom de
tous les juifs du monde. Ce sont eux qui sèment la haine. J'ai bien sûr eu droit
à des menaces de mort, je me suis fait traiter d'antisémite, alors qu'une bonne
partie de ma famille vit en Israël. Mais leurs insultes et leurs menaces de mort
à mon encontre ne changeront rien à mon discours. Et doit-on une fois encore
rappeler que les Palestiniens n'ont aucune responsabilité dans l'Holocauste ?
Nous avons un rôle énorme à jouer pour retisser des liens entre les deux
peuples. Il ne faut pas les laisser se débrouiller tout seuls. Le président
Arafat me l'a lui-même déclaré : " Je ne vous demande pas d'être les ennemis des
Israéliens, je vous demande même d'être leurs meilleurs amis. Au moins, ils vous
écouteront. " La volonté de paix est très forte chez le peuple palestinien, qui
est profondément laïc et démocratique. Il est temps de mener une action qui
puisse être l'équivalente de celle qui a mis fin au régime d'apartheid en
Afrique du Sud. Il s'agit réellement de non-assistance à peuple en danger. Et on
ne peut pas dire, en 2003, que l'on ne sait pas ce qui se passe en Palestine.
J'en profite d'ailleurs pour saluer, tout gouvernement confondu, la position de
notre pays sur la question palestinienne ainsi que le travail extraordinaire
effectué depuis des années par le consulat général de France à Jérusalem. La
France a une position claire et je souhaite qu'elle prenne encore plus
d'initiatives.
- Vous et votre association êtes directement concernés par le
droit au retour des réfugiés palestiniens, qui est l'une des questions les plus
sensibles de ce conflit. Quelle est votre position ?
- Fernand Thuil. Je suis profondément pour le droit au retour d'abord comme
reconnaissance politique. Dans tous les camps de réfugiés, les Palestiniens que
je rencontre n'ont qu'un rêve : revenir chez eux. Ils ont encore leurs clés. Il
faut que le monde reconnaisse la plus grande injustice du XXe siècle qu'est
l'expulsion du peuple palestinien en 1948 et la destruction de quelque 500 de
ses villages. Cette reconnaissance est obligatoire si l'on veut qu'il y ait un
jour une réconciliation des deux peuples. Il faut qu'il y ait reconnaissance et
demande de pardon pour ouvrir la voie à une réconciliation. Je suis pour un État
palestinien dans les frontières de 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale. Avec
le démantèlement de toutes les colonies.
- Que devient alors le souhait des Israéliens de vivre dans un
" État juif " ?
Fernand Thuil. Prenez l'accord de Genève élaboré par Yossi Beilin et Yasser
Abed Rabbo, qui prévoit qu'un pourcentage de Palestiniens puissent, avec
l'accord d'Israël, rentrer en territoire israélien. Personnellement, je ne suis
pas d'accord avec cette proposition restrictive, mais je pense que c'est déjà un
premier pas. Il faut s'appuyer sur toutes les chances offertes d'arriver à des
compromis. Je ne suis pas pour autant pour un État binational. Je n'y crois pas.
Je crois à deux États séparés, avec un État palestinien, bien évidemment viable,
et un État d'Israël, " juif ", si c'est le souhait des Israéliens. Mais avec un
retour des réfugiés palestiniens où ils le souhaitent à travers des
négociations. Faisons confiance aux peuples. Ils sont forts pour faire la guerre
mais aussi pour faire la paix. Je me souviens de ce jeune couple palestinien du
camp d'el Bureij dans la bande de Gaza. La femme et l'enfant ont été tués dans
l'explosion d'une bombe de l'armée israélienne dans leur maison. Lui-même a les
deux jambes coupées. J'étais avec lui pour le quarantième jour de commémoration.
Ce qu'il m'a dit, c'est : " Je ne souhaite à aucun père israélien de connaître
une souffrance telle que celle que j'endure maintenant. " Il faut cesser de
présenter les Palestiniens comme des belliqueux. Mais si rien ne bouge
maintenant, je crains cependant que les extrémistes prennent le pouvoir.
Précisons aussi que les Palestiniens ne se sentent aucun lien avec des gens
comme Ben Laden.
26. L'Association "Au service des hommes" par
Valérie Féron
in L'Humanité du samedi 1er novembre
2003
L'Association pour la promotion des jumelages entre villes de
France et camps de réfugiés palestiniens, AJPF, est une association
franco-palestinienne coprésidé par Fernand Thuil pour la France et Ahmed
Muhaissen, habitant du camp de Deishe, pour la Palestine. Elle a été créée il y
a une vingtaine d'années après les massacres des réfugiés des camps palestiniens
de Sabra et Chatila, au Liban. Le premier jumelage a eu lieu avec la ville de
Montataire. Près de soixante villes ou villages français sont actuellement
concernés. Le partenariat repose sur la base " d'une relation d'égal à égal ".
Fernand Thuil définit l'association non pas comme humanitaire à proprement
parler mais " politique dans le sens premier du terme, au service des Hommes ".
Outre les projets directs pour les camps de réfugiés, l'AJPF organise des
rencontres entre Palestiniens de la diaspora et des territoires " membres d'une
même nation, coupés les uns des autres " ; entre jeunes Palestiniens des
territoires occupés et jeunes Français des banlieues, notamment pour des
activités sportives. Outre la campagne " un cartable pour chaque enfant
palestinien ", l'association organise des rencontres entre femmes palestiniennes
et européennes. Une visite en France de dix jours des représentantes des femmes
palestiniennes des camps de Palestine, de Syrie, de Jordanie et du Liban est
prévue dans les prochains mois pour élaborer une charte sur le thème " nous les
femmes, nous voulons changer le monde ". Le temps fort de cette initiative sera
le 8 mars 2004.
[AJPF : Mairie de Montataire, 60160 Montataire.
Tél. : 03 44 64 44 04 - Fax : 03 44 64 44 05]
27. La guerre américaine en
Irak : Encore une bataille pour protéger les intérêts israéliens ? par
Delinda C. Hanley
in Washington Report on Middle East Affairs (mensuel
américain) du mois d'octobre 2003
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Delinda C.
Hanley est éditorialiste au Washington Report on Middle East
Affairs.)
Pourquoi le président George W. Bush a-t-il décidé
d’envahir l’Irak ? Certains développement très curieux, dans l’Irak occupé par
les Etats-Unis, mettent mal à l’aise les Irakiens et leurs voisins arabes,
lorsqu’on les interroge sur les motivations de Bush. Les récits étonnants qu’ils
en font pourraient fort rendre furieux également les Américains, qui commencent
à suspecter qu’ils ont une fois de plus été entraînés dans une énième bataille
pour le compte d’Israël.
A la veille de la guerre, le président Bush et le
Premier ministre britannique Tony Blair avaient dit à leur peuple que les masses
de destructions massives de l’Irak représentaient un danger réel et immédiat
pour les Américains, leurs cousins britanniques, et même pour l’ensemble de la
Planète. Si Saddam Hussein n’a pas utilisé lui-même ces armes, avançaient les
Anglo-américains, il pourrait en remettre à des groupes terroristes. Les
citoyens américains et britanniques crurent ce que leur disaient leurs
dirigeants, ils pensèrent qu’ils ne recherchaient pas autre chose que leur
sécurité, et qu’ils détenaient des preuves des intentions diaboliques de Saddam
Hussein, qu’ils n’étaient pas encore en mesure de divulguer.
Aujourd’hui, ce
sont quelque 1 500 enquêteurs américains qui inspectent l’Irak à la recherche de
preuves qui permettraient, enfin, d’étayer ces affirmations pour le moins
sujettes à caution. Scott Ritter, un ancien inspecteur en armement de l’ONU,
doute que ces enquêteurs, qui constituent ce qu’on appelle le Iraq Survey Group
[Groupe de Surveillance de l’Irak] auront quelque chance de trouver quoi que ce
soit.
Il fait observer, tout d’abord, que tous les documents du gouvernement
irakien relatifs au programme d’armement étaient stockés dans des coffres
métalliques situés dans un immeuble de la banlieue Jadariya, de Bagdad. Ces
archives ont constitué la base de la déclaration de quelque 12 500 pages
compilée par l’Irak, pour l’ONU, en 2002. Le 8 avril dernier, les troupes
américaines ont investi ce complexe d’immeubles administratifs. Ils n’ont jamais
interviewé les scientifiques qui continuaient à venir à leur travail, ni ils
n’ont entrepris d’examiner les archives. Non. Tout simplement, les soldats
américains se sont retirés, tout simplement, au bout de deux semaines, laissant
sur place toutes les preuves : les ordinateurs, les disques durs, les
enregistrements vidéo d’entrevues, à l’ONU, avec des scientifiques irakiens tout
au long des années 1990, et la documentation très bien tenue.
Des pillards
ont mis à sac ces locaux, détruisant ainsi toute preuve d’un quelconque
programme d’armement. Quiconque regarde la télévision sait que, lorsqu’on
enquête sur un crime, la première chose à faire, c’est de sécuriser la scène du
drame. On ne peut donc que se demander pourquoi les forces américaines
n’ont-elles jamais pris la peine de le faire, ni de protéger le centre de
recherches nucléaires de Tuwaitha, ainsi que six autres sites nucléaires, en
Irak, qui furent dévastés par les pillards.
Les dirigeants de la coalition
savaient-ils, depuis le début, qu’il n’y avait en Irak aucune arme
de
destruction massive ? Il semble, de plus en plus, que les manifestants
anti-guerre voyaient juste, lorsqu’ils affirmaient : « Pas de guerre pour du
pétrole ! » L’Irak, l’un des principaux pays producteurs de pétrole au monde, a
un potentiel de production de 2,5 millions de barils par jour. Les Etats-Unis
attaqueraient-ils réellement un pays pour s’emparer de son pétrole ? Qu’à Dieu
cela ne plaise ! La coalition promit que le pétrole irakien bénéficierait,
enfin, au peuple irakien, au lieu d’aller finir dans les poches de leurs
dirigeants.
Aujourd’hui, les Irakiens eux-mêmes commencent à en douter,
étant donné que les pénuries d’essence et les longues queues qui s’étirent
devant les stations-service les amènent à se demander s’ils connaîtront quelque
moment une situation à nouveau normale.
Et voilà qu’un nouveau soupçon,
affreux, leur traverse l’esprit. Les conseillers de Bush dans la lignée « Israël
avant toute chose » ont-ils décider d’envahir l’Irak à seule fin de garantir à
Israël un accès aisé au pétrole ? Un article publié le 31 mars par le quotidien
israélien Ha’aretz faisait état de plans prochains visant à rouvrir un pipeline
inutilisé depuis bien longtemps, qui relie les champs pétrolifères de Kirkouk au
port israélien d’Haïfa. Le ministre israélien de l’Infrastructure nationale,
Joseph Paritzky, a suggéré qu’après l’éviction de Saddam Hussein, le pétrole
pourrait s’écouler à gros bouillons vers l’Etat juif, dans lequel il serait
consommé, le restant étant exporté. D’après un article de John Cooley, paru le
23 avril dans The Christian Science Monitor, « L’idée est économiquement
tentante, pour Israël, et pour certains de ses amis, en particulier ceux dont
les entreprises pourraient tirer profit d’un projet de cette nature. Pauvre en
ressources pétrolières, Israël, indique le Middle East Economic Survey [MEES], a
besoin du pétrole brut de haute qualité extrait à Kirkouk pour sa raffinerie de
Haïfa. Pour le moment, les raffineries israéliennes utilisent des pétroles bruts
d’origine russe, ouest-africaine, égyptienne, ou autre.
« Politiquement, ce
projet est une véritable bombe potentielle », avertit Cooley, car Israël et
l’Irak ont toujours été des ennemis implacables et, cela, depuis 1948. « Sa mise
en pratique pourrait déclencher une nouvelle explosion dans l’enchaînement des
réactions à l’invasion et à l’occupation américaines de l’Irak, qui commence
tout juste aujourd’hui à se réverbérer d’une extrémité à l’autre d’un
Moyen-Orient en proie au trouble. » Néanmoins, d’après un article paru dans le
Ha’aretz du lendemain, « un haut responsable du Pentagone » a envoyé un
télégramme à un « responsable au plus haut niveau du ministère des Affaires
étrangères à Jérusalem », afin de vérifier la faisabilité de pomper du pétrole
provenant des champs pétrolifères irakiens vers des raffineries situées à Haïfa
et de reconstruire le pipeline Kirkuk – Mossoul – Haïfa.
Selon cette missive,
« le pipeline vers Haïfa est une sorte de « bon point » que les Etats-Unis
remettront à Israël pour le récompenser de son soutien à la campagne américaine
en Irak. » Début septembre, Paritzky ira à Washington, afin d’y présenter au
Secrétaire d’Etat à l’Energie, Spencer Abraham, les projets de pipeline
israélien, ainsi qu’un devis estimé de son coût. Le ministère israélien des
Infrastructures estime qu’un pipeline de 42 pouces, entre Kirkuk et Haïfa,
coûterait environ 400 000 dollars au kilomètre. Le plan demande l’accord de la
Jordanie, mais Amman percevrait des royalties de transit en paiement de
l’autorisation qu’il donnerait au transit du pétrole sur son territoire. Les
voisins de la Jordanie pourraient trouver quelque chose à y redire, mais les
Irakiens auront-ils leur mot à dire, dans une décision concernant leur propre
pétrole ? Pour faire taire les rumeurs, la Turquie a averti Israël qu’elle
verrait dans ce schéma un coup sérieux porté aux relations turco-israélienne.
Aujourd’hui, le pétrole irakien est transporté, via la Turquie, vers un port
proche de la Syrie. Ankara dépend de droits de passage collectés sur ce pétrole.
Le Memri ouvre une nouvelle succursale : à
Bagdad !
Autre développement choquant, mentionné au départ par le
site ouèbe IslamOnline.net, cause aujourd’hui la consternation, en Irak. Israël
a ouvert un « Centre pour les Etudes Moyen-Orientales », dans un building
lourdement gardé, dans la rue bagdadienne d’Abu Nuwwas.
Ce centre est
affilié au Memri [Middle East Media Research Institute]. Certains des
cofondateurs du Memri ont travaillé dans les services secrets militaires
israéliens. Le Memri traduit des articles de presse incendiaire qu’il trouve
dans la presse arabe, en hébreu, anglais, allemand, français et italien,
articles dont il assure la diffusion à ses abonnés.
D’après l’article de
Brian Whitaker, publié dans The Guardian (« Selective Memri, repris dans le
Washington Report de novembre 2002, page 22), « Les histoires sélectionnées par
Memri afin de les traduire répondent à un schéma familier : soient ils s’agit de
portraits caricaturaux du caractère des Arabes, soit ils correspondent, peu ou
prou, à l’agenda politique d’Israël ». Le Memri a reçu les patentes nécessaires
de l’Autorité américaine d’occupation en Irak, ainsi que du Pentagone. Le 15
juillet dernier, il publiait sa première « revue de presse » irakienne, ainsi
que la traduction des sermons du vendredi, prononcés dans diverses mosquées
irakiennes. L’action du Memri parle d’elle-même : on se reportera aux articles
qu’il a sélectionnés afin de les publier sur son site ouèbe (www.memri.org). Ne vous attendez pas à y trouver
quelques traductions des délires israéliens publiés dans la presse en langue
hébraïque. Les Irakiens sont furieux contre les forces américaines d’occupation,
qui ont autorisé le Memri à ouvrir boutique dans leur pays.
Le Dr. Anwar
Abdul Aziz, de l’Université de Bagdad, a déclaré à IslamOnline que le Memri et
ses rejetons ont une finalité sinistre. « Les objectifs lointains d’Israël, au
Moyen-Orient, ne sont un secret pour personne », nous a-t-il dit. « Ce centre,
en effet, n’est qu’une façade dissimulant des organismes d’intelligence et de
sécurité dirigés par le Mossad (le service de renseignement israélien) ». « Qui
aurait pu imaginer qu’un jour Bagdad abriterait un organisme au service des
complots et des plans d’Israël ? » s’est interrogé la Dr Souad Bahauddin
Al-Mawsili, de l’Université Al-Rafidayn. L’ouverture de ce centre a fini de la
convaincre que la guerre menée par les Etats-Unis contre l’Irak l’a été au nom
d’Israël : « Tel est le résultat de l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis.
Voilà qui ne pourra que renforcer notre conviction qu’Israël et les Etats-Unis
ne sont que les deux côtés de la même médaille. »
Un autre rapport
stupéfiant, publié le 27 août dernier par le Jerusalem Post, fournit la dernière
pièce du puzzle, en répondant à la question de savoir pourquoi les soutiens
américains inconditionnels d’Israël ont poussé Washington à faire cette guerre à
l’Irak : le chef du Congrès National Irakien, Ahmed Chalabi, candidat destiné
par le Pentagone à gouverner l’Irak, mais discrédité, a placé un traité de paix
avec Israël en tête de l’ « ordre du jour » d’un nouveau gouvernement irakien.
En l’absence d’un règlement équitable du conflit israélo-palestinien, cela
n’aurait jamais pu se produire, n’eût l’Irak connu un changement de régime dans
un sens très favorable à Israël. La persuasion que les soldats américains font
en réalité le sale boulot d’Israël, voilà peut-être la raison pour laquelle les
Irakiens sont en train de tuer ses « libérateurs ».
Et il est de fait que
cette impression est confirmée, toujours et encore, par les articles traduits et
diffusés depuis Bagdad par le Memri, au cours des dernières semaines écoulées.
Tout Irakien sait qu’Israël, jadis, redoutait la puissance de l’armée irakienne,
ainsi que les atouts économiques, politiques et intellectuels de l’Irak. Israël
et ses acolytes américains s’emploient, depuis des décennies, à isoler les pays
arabes avancés et à les empêcher de développer tout leur potentiel.
Si les
soupçons des Irakiens sont justifiés, les Américains sont aller faire la guerre
à seule fin de renforcer la position d’Israël au Moyen-Orient. Il semble, de
plus en plus, que les gens que nous sommes allés « libérer » disent
vrai…
28. L'avocate et la
kamikaze
in L'Intelligent - Jeaune Afrique du vendredi 31 octobre
2003
Membre de l'Association arabe des jeunes avocats (AAJA), la
Palestinienne Taraji Yasser Abu Chawareb a été arrêtée le 23 octobre par les
autorités israéliennes et placée dans un centre de détention près de Tel-Aviv.
Son « crime » : Hanadi Jaradat, l'auteur de l'attentat suicide du 4 octobre
contre un restaurant d'Haïfa (vingt morts), a fait, il y a quelques mois, un
stage dans son cabinet. Le président de l'AAJA, le Tunisien Chawki Tabib, a
rendu public un communiqué appelant à la libération immédiate de sa
collègue.
29. L'Oscar 2004 du film étranger pour la Palestine
?
in L'Intelligent - Jeaune Afrique du vendredi 31 octobre
2003
La course à la sélection pour les oscars décernés chaque année à
Hollywood concerne aussi, et de plus en plus, les non-Américains. Dans la
catégorie « meilleur film étranger », cinquante-cinq oeuvres, représentant
autant de pays, sont en lice - un record. La liste des cinq « nominés » sera
rendue publique par l'Académie des oscars le 27 janvier prochain. Parmi les
principaux favoris, pour 2004 : Intervention divine, du Palestinien Elia
Suleiman.
30. Le mur par Michel
Habib-Deloncle
in Refa N°66 (septembre-octobre 2003)
Depuis que les Soviétiques, lors de la Guerre froide, coupèrent
en deux la ville de Berlin par un mur flanqué de miradors et de soldats
armés, prêts à tirer sur l’imprudent qui voudrait s’envoler vers la liberté, les
murs n’ont pas bonne réputation en politique.
Imaginons, sur un coin de cette terre de Palestine, que sa
famille a cultivé de père en fils, depuis un temps immémorial, cet agriculteur,
qui s'appelle Ahmed, ou peut-être Youssef. Il est aisé. Il possède des pâtures
pour ses troupeaux, des champs qui produisent des céréales ou des primeurs,
qu’on apprécie partout dans la région, sans oublier ses vergers et ses
oliveraies. Il alimente les marchés d’alentour. Il emploie, outre les membres de
sa famille, des ouvriers agricoles, qu’il fait vivre. Il pourrait être
heureux,de ce bonheur simple que provoque une vie honnête et bien
employée.
Seulement voilà : sa propriété est située non loin de la “Ligne
verte ”, qui suit le tracé de la frontière établie de facto entre l’Etat
d’Israël et la Jordanie, après la première guerre de 1948. Elle délimite
aujourd’hui la Cisjordanie, qu’on appelle en anglais “The West Bank ”et, au
Likoud, la Judée Samarie. Cette ligne devrait, en principe, constituer la
frontière entre Israël et le futur Etat palestinien, souverain et indépendant,
dont la proclamation est sans cesse retardée.
A proximité de cette Ligne, du
côté (en principe) palestinien, on a vu fleurir, au sommet de quelques collines,
des implantations de colons juifs, que personne n’avait invités. Cette intrusion
n’a pas été du goût des légitimes propriétaires. Des accrochages s’en sont
suivis. Dans un contexte plus large,les incursions israéliennes, au mépris des
décisions des Nations Unies et des accords conclus avec l’Autorité
Palestinienne, ont provoqué des réactions prévisibles, sous la forme d’attentats
commis en Israël même.
La parade israélienne ? Un mur ! Un mur qui barrera
aux “terroristes” l’accès du territoire d’Israël. Mais il semble que la main de
ceux qui ont dessiné le tracé de ce mur ait tendance à dévier. Pour assurer la
protection des colons contre d’éventuelles attaques, rien de tel que de
corriger, plus ou moins légèrement, le tracé du mur. Au lieu de suivre
scrupuleusement la Ligne verte, on procédera à des inflexions. Est-il vraiment
important que le mur englobe, ici ou là, des terres qui appartiennent aux
Palestiniens, jusqu’à encercler complètement telle ville ou tel village.
Que
va devenir notre Ahmed (ou notre Youssef) ? Qui va prendre soin de ses terres,
coupées de sa maison par un mur ou une clôture infranchissables ? De quoi
va-t-il vivre, désormais ? Qui viendra l’aider dans sa détresse ?
Face à la
“sécurité d’Israël ”, quelle importance ? L’essentiel n ’est-il pas que ces
terres soient exploitées.
Soyons tranquilles : Les colons s’en chargeront !
Quelle tristesse que de voir Ariel Sharon chausser les bottes de Nikita
Khroutchev !
31. Des fusées, du napalm, des
torpilles et des gros mensonges : L’attaque israélienne contre le USS Liberty,
revisitée par Jeffrey St. Clair
on Counterpunch le vendredi 24
octobre 2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Ceci est un extrait du nouvel ouvrage
très « chaud », proposé par CounterPunch, The Politics of Anti-Semitism (La
politique de l’antisémitisme). Counterpunch.)
Au début du mois de juin 1967,
à la veille de la guerre des Six Jours, le Pentagone envoya le navire de guerre
USS Liberty, depuis l’Espagne, vers les eaux internationales au large de la côte
de Gaza, afin de surveiller les développements de l’attaque d’Israël contre les
pays arabes. Le Liberty était un navire de surveillance, muni (seulement)
d’artillerie légère.
Quelques heures seulement après le début de sa présence
dans les dites eaux, le Liberty fut repéré par l’armée israélienne. « Tsahal »
envoya des avions de reconnaissance afin d’identifier le bâtiment. Ils
effectuèrent huit navettes en l’espace de trois heures. Le Liberty arborait un
grand drapeau américain et, pour un œil averti, sa silhouette de bâtiment de
guerre américain ne laissait aucun doute quant à sa nationalité.
Quelques
heures après les premiers avions, d’autres arrivèrent. Il s’agissait cette fois
d’avions de chasse israéliens du type Mirage III [Made in France, tout chauds
des usines de Marcel Dassault, ndt], armés de missiles et de mitrailleuses.
Tandis que des officiers américains en repos prenaient le soleil sur le pont,
les Mirage ouvrirent le feu sur le bateau américain non armé, lançant des volées
de missiles et de rafales de mitrailleuses.
Quelques minutes après, une
deuxième vague d’avions de chasse survolèrent le bateau : des Mystère, de
fabrication française [again ! Ndt], qui non seulement ratissèrent le navire de
leurs tirs de mitrailleuses, mais lancèrent des petites bombes au napalm,
tartinant généreusement le pont de gelée enflammée. En quelques secondes, le
Liberty était en flammes, et des dizaines d’hommes de l’US Navy avaient été tués
ou blessés, à l’exception de quelques officiers supérieurs.
L’équipe radio du
Liberty tenta de lancer des appels de détresse, mais elle ne lui fallut pas plus
de quelques secondes pour réaliser que ses fréquences étaient brouillées par les
avions israéliens, au moyen de ce que les spécialistes appellent un « buzzsaw
sound », ce qui signifie, dans la langue de Molière : « un bruit de scie
sauteuse ». Enfin, un canal non brouillé fut trouvé et le Liberty put émettre un
message indiquant qu’il était sous un feu nourri, message qui fut capté par un
énorme porte-avion de la Sixième Flotte (américaine), l’USS America.
Deux F-4
s’élancèrent des pistes de ce porte-avion afin de se porter au secours du
Liberty. Apparemment, ces avions n’étaient armés « que » de bombes nucléaires.
Lorsque l’information parvint au Pentagone, le secrétaire à la Défense Robert
McNamara entra dans une des colères dont il avait le secret, et il donna l’ordre
aux jets de rentrer « à la maison ». « Dites à (notre) Sixième Flotte de ramener
ces avions chez elle, et que ça saute ! », hurla-t-il. Les injonctions de
McNamara furent répercutées en un langage moins châtié par l’Amiral David L.
McDonald, chef des opérations navales : « Vous ramenez ces b.rdels de coucous
sur votre pont, et vous leur dites de se tenir à carreau ! ». Les avions firent
donc demi-tour. Et l’attaque contre le Liberty se poursuivit.
Après que les
avions de combat israéliens eurent déversé leur cargaison mortelle, trois
corvettes armées israéliennes s’approchèrent du Liberty. Deux torpilles furent
tirées sur le navire qui ressemblait déjà à une crêpe bretonne. L’une d’entre
elles creusa un trou de trois mètres de diamètre dans la coque, ce qui causa
l’ennoyage immédiat des compartiments situés au-dessous de la ligne de
flottaison, tout en causant la mort d’une douzaine de marins américains
supplémentaires.
Tandis que le Liberty prenait du gîte sur une mer agitée,
le pont en flammes, des membres de l’équipage lançaient des canots de sauvetage
à l’eau et s’apprêtaient à saborder le navire. En raison du nombre très élevé de
blessés, l’opération s’annonçait très risquée. Mais, très rapidement, elle
s’avéra impossible, car les vedettes israéliennes d’attaque se mirent à coudre à
la machine les canots de sauvetage avec leurs mitrailleuses. Personne ne
pourrait avoir la vie sauve de ce côté-là.
Après plus de deux heures
d’attaques irrémissibles, les Israéliens décidèrent que les marins américains
devaient avoir eu leur dose. L’un des torpilleurs se rapprocha du Liberty. Un
officier israélien demanda, en anglais, par porte-voix : « Afez-fous pesoin
t’aite ? »
Le commandant du Liberty, blessé, Lieutenant William McGonagle
donna instruction au quartier-maître de répondre avec autant d’emphase qu’il le
pouvait : « Allez vous faire foutre ! ». Le bateau israélien manoeuvra et
s’éloigna.
Un destroyer soviétique répondit à l’appel de détresse avant la
marine américaine, bien qu’un sous-marin américain, en mission secrète, se
trouvait sans doute dans les parages et avait suivi l’attaque israélienne depuis
le début. Le navire soviétique atteignit le Liberty six heures avant le navire
américain USS Davis. Le capitaine du navire soviétique offrit son aide, mais
l’officier pilote du Liberty déclina son offre.
Finalement, seize heures
après le début de l’agression, deux destroyers américains parvinrent dans les
parages du Liberty. Déjà, 34 marins étaient décédés et 174 étaient blessés, dont
beaucoup dans un état très grave. Tandis qu’on évacuait les blessés, un officier
du Bureau des Renseignements de la Marine Militaire [Office of Naval
Intelligence] donna aux hommes l’ordre de ne pas parler de leur calvaire à la
presse.
Le lendemain matin, Israël lançait son invasion surprise de la Syrie,
violant le dernier accord de cessez-le-feu et s’emparant des hauts plateaux du
Golan.
En trois semaines, la marine américaine mit au point un rapport de
sept cents pages, qui exonère les Israéliens, affirmant que l’attaque a été
purement accidentelle et que les Israéliens se seraient retirés immédiatement
après avoir pris conscience de leur erreur. Le secrétaire à la Défense de
l’époque, McNamara, suggéra que l’on oubliât toute cette (pénible) affaire. « Ce
genre d’erreurs, vous savez, ça arrive », conclut-il.
***
Dans Assaut sur
le Liberty [Assault on the Liberty], un récit de première main de James Ennes
Jr. à faire se dresser les cheveux sur la tête, la version des événements
présentée par McNamara est dénoncée pour ce qu’elle est : une grosse embrouille,
aussi mensongère que les bobards de l’époque au sujet du Vietnam. L’ouvrage de
Ennes provoqua une tempête médiatique à l’occasion de sa première publication
par Random House, en 1980, comportant notamment [comme il fallait s’y attendre]
des accusations de mensonge et d’antisémitisme.
Néanmoins, le livre se
vendit à plus de 40 000 exemplaires. Mais il ne fut pas réédité. Aujourd’hui,
Ennes publie une version mise à jour, qui comporte de nouvelles preuves
supplémentaires, si besoin était, du caractère délibéré de l’agression
israélienne et du fait que le gouvernement américain a déployé des prodiges de
manipulation afin de tenter de cacher la vérité.
C’est un grand roman
d’agression israélienne, d’incompétence pentagonale, de mensonges officiels et
de maquillage des faits, qui continue encore aujourd’hui. Le livre tire une
grande force du caractère immédiat du récit de première main fait par Ennes de
l’attaque elle-même, mais aussi des manips qui s’en suivirent.
Aujourd’hui,
trente-cinq ans après, Ennes nous avertit que le bain de sang à bord du Liberty
et ses conséquences devraient servir d’avertissement tragique au sujet des liens
toujours aussi fusionnels entre les gouvernements américain et
israélien.
Attaque Contre le Liberty est le genre de livres qui vous font
bouillir les sangs de colère. Ennes documente avec art la vie du marin moyen sur
l’un des vaisseaux les plus originaux de toute la marine de guerre américaine,
avec une attention apportée aux moindres détails, qui évoque Dana ou encore
O’Brien. Après tout, cela se passait en 1967, et la majorité des hommes du
Liberty étaient certainement heureux de servir sur un navire non-combattant, au
milieu de la Méditerranée, plutôt que dans le Golfe du Tonkin ou le Delta du
Mékong !
Mais ce livre ne ressemble en rien à Two Years Before the Mast [Deux
ans matelot]. En fait, l’équipée d’Ennes sur le Liberty ne dura pas plus de
quelques courtes semaines. Il venait à peine d’entrer dans une sorte de routine
quand son bateau flambant neuf fut réduit en charpie devant ses yeux.
Ennes a
rejoint le Liberty en mai 1967, en tant qu’Officier du matériel électronique.
Servir sur un « vaisseau fantôme », comme les épouses des marins qualifiaient le
Liberty, semblait le tremplin assuré vers un avancement de carrière. La routine
ordinaire du Liberty consistait à longer la côte africaine, et à braquer ses
grandes oreilles indiscrètes afin d’espionner le trafic électronique dans la
région.
Le Liberty avait à peine rejoint la côte africaine lorsqu’il reçut un
message urgent des états-majors unifiés, lui ordonnant de mettre le cap, depuis
la Côte d’Ivoire vers la Méditerranée, où il devait se repositionner au large de
la côte du Sinaï afin de surveiller l’attaque israélienne contre l’Egypte et les
pays arabes coalisés.
La guerre s’intensifiant, le Liberty envoya une requête
à l’état-major de la marine afin de requérir une escorte. Celle-ci lui fut
refusée par l’Amiral William Martin. Le Liberty continua, non escorté, jusqu’à
une position située dans les eaux internationales, à environ 13 miles marins au
large d’Al-Arish, ville égyptienne soumise alors à des bombardements intensifs
de l’armée israélienne.
Le 6 juin, la coordination des chefs d’état-major
envoya à l’Amiral McCain, père du sénateur de l’Arizona du même nom, un message
urgent lui donnant l’ordre de faire sortir le Liberty de la zone de risques
jusqu’à une position située à un minimum de cent miles marins de la côte de
Gaza. McCain n’a jamais transmis ce message au navire.
Peu après sept heures
du matin, le 8 juin, Ennes monta sur le pont du Liberty afin de prendre son
quart. On lui dit qu’une heure auparavant, un « fourgon volant » avait survolé
le navire à basse altitude [l’engin allait être identifié plus tard comme un
Noratlas Nord 2501 bimoteur]. Ennes raconte qu’il a remarqué alors que le
drapeau américain du navire était souillé de suie, et qu’il a ordonné qu’on lève
un nouveau drapeau en haut du mat. Le temps était clair et calme, une légère
brise soufflait.
A neuf heures, Ennes repéra un autre avion de
reconnaissance, qui décrivit des cercles au-dessus du Liberty. Une heure après,
deux avions israéliens frôlèrent le bâtiment. Durant les quatre heures
suivantes, des avions israéliens survolèrent le Liberty à quatre nouvelles
reprises.
Au moment de l’attaque du premier avion de chasse, un peu avant
deux heures de l’après-midi, Ennes observait le ciel, depuis le côté tribord du
pont, il avait ses jumelles à la main. Un missile frappa le navire juste
au-dessous de l’endroit où Ennes se trouvait : les éclats découpèrent en
lanières les hommes qui étaient à côté de lui.
Après l’explosion, il
remarqua qu’il était le seul à être resté debout. Mais il avait été, lui aussi,
atteint par plus de vingt éclats de shrapnel, et le souffle de l’explosion lui
avait fait éclater la jambe gauche. Tandis qu’il rampait en direction du poste
de pilotage, un deuxième avion d’assaut passa comme un éclair juste au-dessus
d’eux, et il lâcha son chargement de bombes sur le Liberty estropié.
A ce
moment-là, Ennes dit que l’équipage du Liberty n’avait aucune idée de la
nationalité de l’assaillant, ni de la raison de l’attaque. Durant quelques
instants, ils soupçonnèrent qu’il pouvait s’agir de Soviétiques, après qu’un
officier eut cru reconnaître, par erreur, des Mig-15 dans les avions agresseurs.
Ils savaient que l’aviation égyptienne avait d’ores et déjà été totalement
décimée par les bombardiers israéliens. L’idée que les Israéliens pussent les
attaquer ne leur traversa pas l’esprit jusqu’à ce qu’un membre de l’équipage
aperçût une Etoile de David sur l’aile de l’un des Mystères de construction
française.
Enfin, on emmena Ennes sous le pont, où un hôpital de fortune
avait été organisé en toute hâte, avec d’autres hommes blessés. C’était tout,
sauf un havre sûr. Tandis qu’Ennes, se tordant de douleur, gardait suffisamment
de conscience pour être en proie à la hantise que les os fracturés de sa jambe
n’entaillassent son artère fémorale et qu’il ne connusse la triste fin d’un
cochon saigné à blanc, le Liberty continuait à être pilonné de missiles, de tirs
de mitrailleuse, le tout, couronné par le bouquet : une torpille de fabrication
italienne, chargée de 1 000 livres d’explosif…
L’attaque interminable ayant
pris fin, un ami d’Ennes vint le voir, Pat O’Malley, un jeune officier, qui
venait juste d’envoyer une liste des tués et des blessés au Bureau du Personnel
de la Marine. Il avait reçu immédiatement un message en retour. « Ils disaient :
‘ (Des hommes)… blessés dans quelle action ? Tués dans quelle action ? »,
rapporta O’Malley à Ennes. « C’était pas un engagement, qu’ils disaient. C’était
un accident, qu’ils disaient. J’aimerais qu’ils viennent voir par ici : je leur
montrerais ce que c’est, la différence entre une action et un accident, à ces
connards ! ».
Les cadavres n’étaient pas encore refroidis, que déjà
l’opération de dissimulation était enclenchée…
32. Lionel Brisson, représentant onusien à Gaza,
témoigne sur le raid israélien : "120 maisons ont été détruites en 72 heures à
Rafah" entretien réalisé par ar Jean-Luc Allouche
in Libération du
mercredi 15 octobre 2003
Jérusalem de notre correspondant - Lionel Brisson est le directeur
des opérations de l'UNRWA (Office de secours des Nations unies pour les réfugiés
palestiniens) à Gaza, mais aussi pour l'ensemble des camps de réfugiés en
Cisjordanie, en Jordanie et au Liban. Il fait le point sur les opérations de
l'armée israélienne à Rafah visant selon un porte-parole militaire, «à achever
de détruire des tunnels servant à la contrebande d'armes à partir de l'Egypte
vers la bande de Gaza». Lors d'une première opération achevée dimanche, huit
Palestiniens, dont deux enfants, avaient été tués et une soixantaine d'autres
blessés par des tirs israéliens.
- Quelle est la situation humanitaire à Rafah, après les
opérations de l'armée israélienne depuis jeudi dernier ?
- Depuis le 11 octobre, 120 maisons ont été détruites, en soixante-douze
heures, 1 240 personnes sont sans toit. Au total, à Rafah, les maisons
détruites, entièrement ou en partie, se montent à 835, depuis le début de
l'Intifada, et 7 810 personnes en sont affectées. Pour l'ensemble de la bande de
Gaza, ce sont 1 357 maisons, affectant 12 285 personnes.
- Avez-vous des difficultés d'approvisionnement
?
- A Rafah, compte tenu des difficultés accumulées, nous avons nos propres
entrepôts. Plus généralement, l'assistance humanitaire à Gaza, depuis le début
de l'Intifada, est compliquée : le territoire est coupé en deux, voire en quatre
morceaux, le flux économique est entravé, les heures d'ouverture des barrages
très limitées. Or les besoins alimentaires sont considérables, le taux de
chômage frôle les 50 % (selon la Banque mondiale), une véritable pauvreté
règne.
- Y a-t-il des problèmes de malnutrition ?
- La malnutrition touche 13 % de la population, mères, enfants, personnes
âgées. Nous donnons de la nourriture, tous les quarante-cinq jours, à 620 000
personnes, mais nous ne couvrons que 40 % des besoins minima en calories.
Souvent, les enfants vont à l'école le ventre vide. Mais le problème principal
est l'emploi, les Palestiniens qui travaillaient autrefois en Israël ont perdu
cette ressource, les entreprises palestiniennes sont au chômage technique.
L'UNRWA fournit une aide à la création de l'emploi à quelque 4 500 personnes
supplémentaires, en CDD, par rapport aux 8 000 que nous employons habituellement
: enseignants, médecins, infirmières. Ainsi, il y a une augmentation de plus de
40 % de patients, les écoles sont gravement perturbées. A quoi s'ajoutent des
grands travaux de construction d'écoles, de routes.
- Comment sont vos rapports avec les Israéliens
?
- Nous n'oublions pas que nous sommes des humanitaires au coeur d'un
conflit. Nous sommes en contact permanent avec les autorités israéliennes et le
coordonnateur un militaire des activités civiles. Certes, il est
difficile de concilier les impératifs des uns et des autres, mais nous
percevons, ces derniers temps, une plus grande volonté de nous faciliter les
choses. Ils ont fait un effort pour faire passer le message aux soldats sur le
terrain. J'espère que cela va continuer, et que nous aurons plus facilement
accès aux réfugiés. Pour l'aide humanitaire, un système a été mis en place au
passage de Karni qui nous donne priorité. Cela fonctionne de manière à peu près
satisfaisante. Mais pour les mouvements de personnels, cela reste compliqué.
33. Propagandes par Denis Sieffert
in
Politis du jeudi 9 octobre 2003
Il ne doit pas être tous les jours facile d’être
rédacteur en chef d’un journal télévisé. Que faire par exemple quand vous
arrivent des images dont la réalisation doit beaucoup trop peut-être à
l’état-major de l’armée israélienne ? Sans trop de précautions, France 2 diffusa
lundi un étonnant reportage (mais est-ce le mot qui convient ?) où l’on voyait
l’armée israélienne faisant la leçon à ses soldats (1). On y voyait ce qu’elle
ne veut plus donner à voir : des soldats rudoyant des femmes palestiniennes, ou
brutalisant des vieillards, un char écrasant négligemment une ambulance, un
enfant pleurant sa mère abattue dans sa propre maison. Et on y entendait sous
forme de recommandations ce que, désormais, l’armée israélienne voudrait montrer
d’elle-même : la courtoisie de ses soldats, le respect dont ils témoignent en
toutes circonstances à la population palestinienne, les égards qu’ils réservent
aux femmes, aux vieux et aux jeunes enfants. Leur exquise humanité en quelque
sorte. Comme si l’inhumanité résidait dans le comportement des jeunes
Israéliens, et non dans leur fusil mitrailleur, et dans le sentiment d’impunité
que toute idéologie coloniale inculque. Sans doute, certains y ajoutent un zèle
personnel, expression de leur mépris ou de la peur. Mais on ne résiste pas
longtemps au mépris quand on n’a pas trop de principes et que l’on est placé en
situation de domination absolue. Et on n’échappe pas à la peur quand on a
conscience, par sa seule présence, de susciter la haine. Les inspirateurs de ce
petit film le savent bien. Et c’est pourquoi nous avions le désagréable
sentiment que cette leçon de civisme colonial s’adressait moins aux soldats
israéliens qu’à nous-mêmes, téléspectateurs occidentaux. Avec un peu de patience
nous verrons bientôt un vieux Palestinien frapper de sa canne un soldat
israélien stoïque. La guerre coloniale n’ayant évidemment aucune réalité, nous
aurons ainsi une autre explication de l’Histoire. Au moment où des militaires
courageux révèlent les véritables instructions qui sont données (Politis n° 758)
aux soldats en mission dans les territoires palestiniens, on peut s’interroger
sur l’intérêt qu’il y a à diffuser de telles images, brutes de décoffrage ou
presque. On nous rétorquera bien sûr que le téléspectateur est adulte et qu’il
se forgera une opinion par lui-même. Peut-être. Mais si la propagande était sans
effets, elle n’aurait plus cours depuis longtemps.
La propagande moderne
n’est pas une invention des dictatures, mais des grandes démocraties
occidentales. C’est Noam Chomsky qui nous le rappelle dans une série
d’entretiens récemment réédités (2). Le linguiste américain évoque la figure
d’Edward Bernays, qui fonda dans les années 1920 l’industrie de la
communication. Celui-ci, libéral américain au meilleur sens politique du terme,
s’enchantait de disposer de méthodes pour enrégimenter « l’esprit public
exactement dans la même mesure qu’une armée enrégimente les corps de ses soldats
». Son compère Walter Lippmann parlait du « nouvel art de la démocratie ». Qui a
dit qu’Israël n’était pas une démocratie ?
Mais la propagande ne sert pas
seulement à travestir une occupation coloniale en simple mission de maintien de
l’ordre. Elle peut aussi, bien sûr, inventer une « menace irakienne » pour
justifier une guerre du pétrole. Et elle peut même, beaucoup plus pacifiquement,
détourner un débat sur l’Europe de ses véritables enjeux. Un jour, sans doute,
des linguistes se pencheront sur la sémantique utilisée dans la presse pour
présenter la constitution européenne. L’ouverture, samedi à Rome, de la
conférence intergouvernementale, a donné lieu à un festival d’adjectifs
louangeurs. La présidence de l’Union sera « stable », les pouvoirs du parlement
seront « accrus », les votes seront « simplifiés » et les droits sociaux «
reconnus » (3). Ici, c’est un peu comme dans le document de l’armée israélienne
: la désinformation réside moins dans ce qui est dit que dans ce qui demeure
caché. Voyez les « droits sociaux reconnus » pour ne citer que cet exemple
, ils ne vont guère au-delà de la condamnation de l’esclavage et du travail
des enfants. Et le pot de terre social aura tôt fait de se briser contre le pot
de fer d’une économie de marché aux principes réaffirmés. Mais gardons-nous à
notre tour de désinformer et ne portons pas trop sommairement la contradiction
aux laudateurs de la constitution européenne. Ils ont leurs raisons qui ne sont
pas toutes mauvaises. Regrettons seulement que les véritables termes du débat ne
soient jamais posés. Depuis Maastricht, le procédé est toujours le même : ou
bien vous êtes pour cette Europe libérale, destructrice de services publics, ou
bien vous êtes anti-européens. Et cette désinformation est parfois infiniment
subtile. Elle fait mine d’instruire son propre procès : si les opinions
publiques boudent l’Europe, c’est, nous dit-on, la faute d’une mauvaise
communication, ou d’une piètre pédagogie. Non. La communication est excellente.
Si le but est d’éloigner les citoyens de la politique, elle remplit
admirablement son office.
- NOTES :
(1)
Ce sujet était fort heureusement précédé d’un traitement irréprochable de
l’actualité du conflit.
(2) De la propagande, Noam Chomsky, « 10-18 », 336
p., 7,80 euros.
(3) Voir Libération des 4 et 5
octobre.
34. Israël est en train de
perdre la partie par Richard Cohen
in The Washington Post (quotidien
américain) du vendredi 7 octobre 2003
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
J’ai discuté, il y a
quelques jours, avec un Américain qui vient de rentrer d’Israël, où il a passé
plus de vingt ans de sa vie. Nous n’étions pas dans le cadre d’une interview,
c’est pourquoi je ne mentionnerai pas le nom ni la profession de cet ami. Tout
ce que je peux dire, c’est que c’est quelqu’un d’assez connu en Israël, pays
qu’il aime beaucoup, mais qu’il a décidé de quitter, sans doute définitivement,
parce qu’il ne peut plus supporter le genre de vie qui règne là-bas. Cet ami ne
trouverait pas de rubrique correspondant à sa catégorie : les victimes vivantes
du terrorisme…
Combien les Israéliens sont-ils à lui ressembler, je n’en sais
rien. Il dispose d’une des facilités les plus appréciables dans le monde
d’aujourd’hui – un passeport américain – et ce n’est qu’à grand regret et en se
posant moult questions sur l’authenticité de son courage qu’il y a eu recourt
pour tirer sa révérence. Sa boîte est allée à vau-l’eau, sa vie était en
permanence en danger. Bref : il en avait raz la casquette.
Dans leur guerre
perpétuelle contre Israël, les ennemis de ce pays sont en train de gagner.
L’économie est en plein marasme. Les parents ne veulent pas que leurs enfants
sortent de chez eux. La plage est présumée sans danger, mais ce n’est plus le
cas d’aucun café ni d’aucun restaurant. Un trajet en bus urbain (je sais, j’ai
essayé…) et vous avez les boyaux qui font des nœuds. Vous devez sans cesse épier
tout le monde autour de vous. A quoi un kamikaze peut bien ressembler, et si ce
type en était un, là ? Le dernier – plutôt la dernière – en date avait
vingt-neuf ans. Elle était titulaire d’une licence de droit. Elle a tué aussi
bien des Arabes que des juifs. Même les endroits sûrs ne sont plus
sûrs…
Aussi je ne critiquerai pas Israël lorsqu’il réplique. Il assassine des
dirigeants du Hamas et du Jihad islamique, ainsi que des militants de base de
ces mouvements. Il rase les maisons des kamikazes. Il confine Yasser Arafat dans
son QG détruit et pourrait bien l’exiler un de ces jours, voire le tuer. Il a
bombardé un camp de soi-disant terroristes en Syrie. Mais rien de ce qu’Israël a
pu faire ne lui a en rien apporté plus de paix et de sécurité.
A la lecture
de la presse israélienne, le désespoir est palpable. Pour certains, en
particulier à gauche, Israël est devenu un pays dont la société est désormais
virtuelle et hors d’état de fonctionner. Le gouvernement est incapable de
protéger les citoyens. La corruption est endémique. Les extrémistes religieux
ont acquis une influence inouïe, et leur vision d’un Grand Israël pousse à
construire ou à renforcer les colonies de Cisjordanie et de la bande de Gaza. A
chaque attentat suicide, la chose logique à faire – se retirer des territoires
palestiniens – est perçue plus comme de la faiblesse que comme une chance
laissée à l’espoir.
Israël doit retourner en deçà de la Ligne verte –
c’est-à-dire la frontière antérieure à la guerre dite des « Six jours » de juin
1967. Il doit démanteler la plupart des colonies. Il doit le faire, parce que la
colonisation est corruptrice et, à long terme, insoutenable. Plus Israël s’étend
ou s’accroche aux colonies, plus il est coincé dans un traquenard où l’ennemi
est partout. De septembre 2000 jusqu’à récemment, quelque 17 400 attaques
[anti-israéliennes] ont été enregistrées dans les territoires – dont la
quasi-totalité ont atteint tous les secteurs. Même lorsque les terroristes
frappent en Israël proprement dit, ils viennent dans la totalité des cas de
Cisjordanie.
Néanmoins, Ariel Saron a décidé dernièrement d’inclure deux
nouvelles colonies du côté israélien du mur en construction dans le but de
séparer l’Etat juif de la Cisjordanie. En étirant le mur de séparation afin
qu’il englobe les colonies, Sharon ne fait que garantir la pérennisation de ses
problèmes. Ce qu’il lui faut, c’est : sortir des territoires, se
retirer.
Pour un peuple du Livre, pour un pays créé autant par l’Histoire que
par les hommes, Israël se comporte comme si rien de ce qui s’est produit dans le
passé n’avait la moindre conséquence sur ce qui est en train de se produire de
nos jours. Mais l’Histoire ne manque pas de se venger et d’admonester Israël.
Les seuls endroits [sur notre Planète] où une culture occidentale se soit
transplantée avec succès sont ces contrées où une grande pression démographique
et des génocides cyclopéens ont été utilisés afin d’en extirper les populations
indigènes. C’est ce qui s’est passé, notamment, aux Etats-Unis.
Un génocide
est impensable. Ni le monde, ni Israël ne le permettraient, du point de vue
moral. Néanmoins, Israël continue à donner du bois pour se faire battre. Au lieu
de se retirer dans le territoire où les juifs sont à l’évidence majoritaires, il
continue à s’accrocher à des colonies où les juifs ne font démographiquement pas
le poids face à un environnement exclusivement palestinien. Chaque nouvelle
colonie, à chaque nouvelle journée de colonisation, met Israël de plus en plus
en danger. Chaque colonie est une provocation. L’exil – sinon l’assassinat –
d’Arafat n’aura pas d’autre effet que de faire de lui un martyr et d’exacerber
le chaos. Cet homme n’est, par lui-même, rien d’autre qu’un symptôme du problème
israélien.
Le rêve israélien idyllique est en lambeaux. Personne ne veut plus
aller vivre en Israël. Au contraire, les gens veulent en partir. Pour chaque
attentat suicide perpétré, un nombre indéterminé d’autres attentats ont été
évités – vingt-deux au cours du mois de septembre, d’après Zeev Schiff, l’estimé
correspondant militaire du quotidien israélien Ha'’retz.
Israël frappe. Il
vient de bombarder la Syrie. Après la Syrie, qui ? L’Iran ? Cela n’est pas une
stratégie, c’est de la folie pure. Je peux le comprendre. Mais je comprends très
bien, aussi, pourquoi après plus de vingt ans, cet homme que j’ai rencontré
récemment a quitté Israël. Vous pourriez avoir tendance à dire qu’il a perdu son
sang-froid. Lui, il vous dirait que ce qu’il a perdu, ce n’est pas son
sang-froid, c’est l’espoir.
35. Proche-Orient : la paix
est dans la rupture par Yézékiel Ben-Ari, Edgar Morin, Véronique
Nahoum-Grappe et François Tanguy
in Libération du lundi 29 septembre
2003
(Yézékiel Ben-Ari est directeur de l'Institut de
neurobiologie de la Méditerranée ; Edgar Morin est philosophe ; Véronique
Nahoum-Grappe enseigne à l'Ecole des hautes études en sciences sociales ;
François Tanguy est directeur du théâtre du Radeau au
Mans.)
Pour régler le conflit israélo-palestinien, voici le
plan de séparation que l'ONU devrait mettre en oeuvre.
A l'évidence, la
«feuille de route» comme les accords d'Oslo agonisent. Etant donné la haine et
la méfiance entre les deux peuples, le projet d'un Etat binational dans le
territoire de la Palestine de 1948 est illusoire. Tout aussi illusoires sont les
différents plans car ils impliquent tous un statu quo suivi d'un retrait partiel
des colonies et des négociations sur le tracé définitif, offrant ainsi de
nombreuses occasions aux extrémistes des deux bords de faire parler la poudre et
interdire son application. Une internationalisation du conflit et la séparation
des deux parties sont par conséquent la seule solution viable au conflit (cf.
Elie Barnavi, Marianne, septembre 2003).
Nous proposons un plan de paix basé
sur le principe d'une séparation complète sans négociations directes et un
retour immédiat aux frontières du 6 juin 1967 avec une force d'interposition des
Nations unies placée le long de la frontière de 1967. Pendant la période
intérimaire limitée à deux ans , l'autorité palestinienne transfère
ses pouvoirs à un gouverneur nommé par les Nations unies qui a pour charge
en plus du commandement de la force d'interposition l'application d'un
plan Marshall pour la Palestine. Ce plan est piloté par les pays du quartet et
en particulier par l'UE que des liens équilibrés avec les deux parties et
l'échec de l'approche américaine embourbée en Irak offrent une occasion unique
de réinvestir une région et d'affirmer sa politique.
La démission de
l'autorité palestinienne élue démocratiquement est injuste. Elle est cependant
nécessaire car elle garantit aux Palestiniens la création d'un Etat viable sur
tous les territoires occupés depuis 1967et permet d'obtenir les soutiens
financiers pour la reconstruction de la Palestine. En ce qui concerne les
Israéliens opposés de toujours à l'internationalisation du conflit ,
il est temps enfin d'adopter des mesures coercitives : en cas de refus, le
blocage par l'UE de toutes les relations, y compris économiques, accompagné d'un
embargo et l'inclusion des crimes commis pendant le conflit dans le cadre de
poursuites devant les cours de justice internationales. Une attitude ferme aura
un effet bénéfique sur une opinion publique en train de se rendre compte combien
la politique de Sharon est un échec et représente à terme un risque pour la
survie de l'Etat (cf. l'article de A. Burg, le Monde du 11
septembre).
L'assemblée des Nations unies vote la résolution
suivante.
- Volet juridique
Article 1 :
L'autorité palestinienne est dissoute et ses pouvoirs exécutifs sont transférés
pour une durée de deux ans à un gouverneur nommé par le secrétaire général des
Nations unies, sur proposition des membres permanents du Conseil de sécurité. Le
président Arafat et les membres de son gouvernement recevront l'aide et la
protection du gouverneur général pendant cette durée.
Article 2 : Le
gouverneur commande les forces d'interposition, contrôle les finances, bat
monnaie et possède les pouvoirs financiers et économiques y compris réception
des dons attribués par les Etats et organisations caritatives et onusiennes
(UNRWA, etc.). Il contrôle la police et nomme des représentants auprès d'organes
de gestion et de gouvernement local. Cependant, les maires élus conservent leur
pouvoir jusqu'à la prochaine élection.
Article 3 : Une assemblée constituante
représentative composée de membres du parlement palestinien, de personnalités
compétentes et de personnalités civiles palestiniennes de la diaspora est nommée
par le secrétaire général des Nations unies six mois après le début
d'application de cet accord. Elle fera une proposition d'organisation d'un Etat
palestinien au plus tard dix-huit mois après le début de l'application de cet
accord.
Article 4 : Des élections générales sont organisées sous l'égide des
Nations unies, dix-huit mois après l'entrée en vigueur de ce plan. Elles
aboutissent à l'élection des organes de gouvernement de l'Etat palestinien qui
prend fonction six mois plus tard à la date d'expiration du mandat du
gouverneur. Toutes les personnes vivant en Palestine ou ayant quitté le
territoire depuis la guerre des Six Jours pourront voter et sont éligibles à ces
institutions.
- Volets militaires et
territoriaux
Article 1 : Les forces israéliennes quittent les
territoires occupés depuis 1967 dans les six mois qui suivent l'adoption de
cette résolution. Ces forces ne pourront en aucun cas intervenir en territoire
palestinien quelle qu'en soit la cause. Les installations construites par Israël
routes, bâtiments, camps militaires etc. sont cédées en l'état aux
autorités de transition.
Article 2 : Une force d'interposition est placée sur
la ligne de démarcation du 6 juin 1967. Ces forces de l'ordre de 10 000
soldats et officiers ont pour tâche principale d'interdire, y compris par
l'usage de la force, tout passage entre des deux entités. Elle est placée sous
commandement de l'UE avec la participation des Etats-Unis et des autres membres
du quartet. Les forces israéliennes peuvent prendre toute disposition y compris
la construction de murs et le placement de forces militaires afin de verrouiller
la frontière à la condition expresse que ces éléments soit placés à l'intérieur
des frontières de l'Etat d'Israël celles du 5 juin 1967.
Article 3 :
Toutes les colonies israéliennes sont transférées à l'intérieur du territoire
israélien au plus tard six mois après l'adoption de cette résolution.
Article
4 : Pendant la phase de transition, Jérusalem, y compris la partie Est, reste
sous l'autorité d'Israël. Des propositions pour le statut définitif de la ville
sont faites par une commission nommée à cet effet par le secrétaire général des
Nations unies. Le principe est que cette ville doit rester unie avec les
autorités centrales des deux Etats. Si les Israéliens refusent, la ville est
partagée le long de la frontière de 1967. L'annexion de la partie Est de la
ville par Israël qui n'a d'ailleurs pas été reconnue par la quasi-totalité
des nations est nulle et non avenue ainsi que les confiscations de biens
et terres par Israël depuis 1967.
Article 5 : Les forces de police
palestinienne, composées notamment des policiers de l'actuelle autorité, sont
placées sous l'autorité du gouverneur qui nomme des officiers y compris à partir
d'éléments extérieurs.
Article 6 : Une amnistie générale est décrétée pour
les personnes condamnées pour des délits liés au conflit y compris délits
de sang. Les prisonniers détenus en Israël sont remis aux mains de l'autorité du
gouverneur. De la même façon, les militaires israéliens ne sauraient être
poursuivis pour faits liés au conflit et antérieurs à la signature de cet
accord.
Article 7 : Un plan de démilitarisation est prévu dans l'accord. Il
s'attache notamment une limitation de la future armée palestinienne en
interdisant pendant vingt ans la possession d'armées de l'air et de mer et une
limitation du nombre de chars d'assaut.
- Volet économique
Article 1 :
Un plan type Marshall est décrété afin de reconstruire la Palestine. Il est doté
d'un fonds conjoncturel de l'ordre de 10 milliards d'euros provenant des pays
les plus riches (Club des 7, UE, Etats-Unis, etc.), des banques mondiales et des
pays arabes. Ces fonds sont gérés par le gouverneur de la Palestine et affectés
tant à la reconstruction des infrastructures routes, hôpitaux, port et
aéroport que des maisons détruites par les combats. Les travaux de
construction sont effectués par des ouvriers et techniciens palestiniens afin de
faire redémarrer l'économie palestinienne.
Article 2 : Dans le même souci,
l'UE, les Etats-Unis, le Japon et les pays arabes limitrophes acceptent de
détaxer totalement les produits palestiniens pour une durée de deux ans à partir
de la signature de ces accords.
Article 3 : Le fonds spécial dédommage les
colons israéliens pour leurs propriétés à concurrence de 25 000 euros maximum à
la condition que celles-ci soient laissées en bon état. Cette somme s'ajoute à
celles qui peuvent être attribuées par les autorités israéliennes.
Article 4
: Les appartements et maisons laissées par les colons sont distribués par une
commission nommée par le gouverneur notamment au profit de familles endeuillées
par la disparition d'un membre pendant la guerre.
- Autres aspects
Article 1 : A
la fin de la période intérimaire, les nouvelles autorités palestiniennes
récupèrent leurs droits régaliens et peuvent adopter une loi du retour pour les
réfugiés.
Article 2 : Un dédommagement est proposé aux réfugiés palestiniens
et/ou à leurs descendants qui ont quitté la Palestine lors des guerres
précédentes et notamment celle de 1948. Un budget financé par les
donations des organismes et Etats riches qui garantissent l'application de cet
accord est créé et géré par une commission nommée par le secrétaire général des
Nations unies. L'Etat d'Israël reconnaît une part de responsabilité dans
l'expulsion de Palestiniens en 1948 et participe au fonds spécial à concurrence
de 10 % de la totalité de la somme fixée par les Nations unies
.
[- Contact : ben-ari@inmed.univ-mrs.fr]
36. Dans tous ses états - Portrait d'Ilan
Halévy, 60 ans. Juif et Palestinien, proche d'Arafat et ex-ministre de Mahmoud
Abbas. Endosse toutes ses contraditions. par Christophe Ayad
in Libération du mercredi 17 septembre
2003
ILAN HALÉVY EN 12 DATES
1943
Naissance à Lyon, dans la clandestinité.
1959 Musicien de jazz.
1962
Journaliste à la radio nationale malienne.
1964 Séjour en Algérie.
1966
Installation en Israël, où il milite dans l'extrême gauche antisioniste.
1974
Correspondant de «Libération».
1977 Premier séjour à Beyrouth pour rencontrer
l'OLP.
1983 Représente l'OLP auprès de la Commission de l'ONU pour les droits
de l'homme. Allers-retours avec Tunis, siège de l'OLP.
1991 Participe à la
conférence de Madrid.
1996 S'installe à Ramallah.
2000 Début de la
deuxième Intifada.
2003 Publie «Lettre de Ramallah» (Sindbad-Actes Sud),
vice-ministre adjoint des Affaires étrangères dans le gouvernement
démissionnaire de Mahmoud Abbas.
Oxymoron : «Figure qui consiste à allier deux mots de sens incompatibles
pour leur donner plus de force expressive. Exemple : une douce violence.» Autre
exemple : juif de nationalité palestinienne ou Palestinien d'origine juive, ce
qui ne revient pas au même. Ilan Halévy, vice-ministre adjoint des Affaires
étrangères du gouvernement démissionnaire de Mahmoud Abbas, est bien un
oxymoron. CQFD. Mais, contrairement à ce que ce nom grinçant pourrait laisser
croire, survient un homme petit et jovial, agile de corps et d'esprit, les yeux
aux aguets, le teint de là-bas et l'allure d'ici, séduisant sans être beau. En
scrutant son visage à la recherche d'un indice, on se dit qu'il a cette chance
rare d'avoir l'air du coin où qu'il soit. Il parle couramment le français,
l'arabe, l'hébreu, l'anglais, l'italien et l'espagnol.
Ilan Halévy est donc un diplomate palestinien portant un nom juif et se
déplaçant avec un passeport français («Les Israéliens ont refusé que j'aie un
passeport palestinien.») D'autres y voient un inextricable écheveau de
contradictions, lui pas. Dans un conflit étouffé par les haines ethniques et
confessionnelles, où l'identité est un tatouage mortel, Ilan Halévy veut
continuer de croire que l'homme ne se résume pas à son ADN ni à sa tribu. Il y a
longtemps déjà, il s'est choisi palestinien. Il rabroue ceux qui veulent voir en
lui le symbole d'un avenir possible en commun. Ilan Halévy n'est pas israélien,
il est palestinien, juif certes, mais palestinien. Jusqu'à sa façon de parler en
français, lorsque la voix reste suspendue en fin de phrase, à la manière des
Cisjordaniens. Jamais, il ne se souvient avoir eu droit à une remarque
désobligeante en Palestine, ce qui n'a pas toujours été le cas ailleurs dans le
monde arabe. Un jour, une secrétaire lui fait remarquer à Ramallah : «Ton nom
est comme celui d'un juif. - C'est parce que je suis juif, a-t-il répondu. -
Mais tu as l'air arabe. - C'est parce que je suis arabe. - Et alors qu'est-ce
que ça fait d'être moitié-moitié, l'interroge-t-elle avec commisération. - Je
suis à 100 % juif et à 100 % arabe.»
Quelle est la part juive alors ? «Comme l'a dit un jour Maxime Rodinson, je
suis "juif à divers titres". Ce qui rassemble les juifs, c'est le fait
d'appartenir à une communauté définie négativement de l'extérieur.»
«L'antisémitisme, c'est le socialisme des imbéciles», a-t-il coutume de citer,
lui qui est né en 1943 à Lyon dans un bureau de poste qui servait de planque à
la Résistance. «L'ostracisme, la catégorisation, c'est ce qu'ont toujours fait
les antisémites et les religieux. Pour moi, être juif c'est refuser tout statut
à part. Je réclame le droit commun.» Ses parents, juifs résistants et
communistes, étaient déjà viscéralement laïcs. «Il faut remonter à mon
grand-père pour trouver un rabbin. Je sais que mon parcours intrigue. La
curiosité qu'il suscite n'est pas très saine.» Comme Malraux, il pense que la
vie privée est un «misérable petits tas de secrets». Tout ce qu'on saura c'est
qu'il a eu cinq enfants, dispersés un peu partout sur la planète, et dont
l'aîné, Laurent, musicien, est mort l'année dernière, laissant une blessure qui
ne se referme pas.
Lorsqu'il est de passage à Paris, Ilan Halévy donne rendez-vous au café en
face de chez lui, toujours le même, toujours à la même place, au fond de la
salle avec un oeil sur la porte d'entrée. Il a gardé de vieilles habitudes de
révolutionnaire professionnel, le sens de l'humour et de la fête en plus. «On ne
connaît pas Ilan si on ne l'a pas vu danser», raconte une amie. Musicien de jazz
à 16 ans, puis journaliste à la radio malienne en pleine fièvre
postindépendance, c'est dans l'Algérie de Ben Bella qu'il découvre la cause
palestinienne.
En 1966, il se rend pour la première fois en Israël, non pas pour faire son
aliya (la «montée» synonyme pour les juifs d'installation sur la Terre sainte)
mais pour le combattre de l'intérieur. Il mettra dix ans à comprendre «que toute
volonté de détruire Israël ne fait que le renforcer». A comprendre surtout
qu'Israël est une véritable nation, pas une simple création coloniale. Installé
à Nahlaot, «un des rares quartiers de Jérusalem où l'on n'habite pas une maison
volée», il tente de «s'établir» en travaillant comme docker, typographe, etc.
tout en militant au Matzpen, un groupuscule d'extrême gauche antisioniste. Il
travaille un temps comme journaliste - à Libération -, conçoit le journalisme
comme un prolongement de son combat.
A son retour à Paris en 1976, il participe aux premiers contacts entre
l'OLP et l'extrême gauche israélienne. D'interlocuteur, il devient compagnon de
route et finit par être adopté par la famille OLP : l'évolution s'est faite
toute seule. Ilan Halévy est un vrai homme d'appareil, un de ces rouages
invisibles qui font tourner les partis. Et le parti, c'est Yasser Arafat. Il a
pour le «raïs» une affection quasi filiale. Il assume tout, même les désaccords
: l'alignement sur l'Irak pendant la guerre du Golfe de 1991 («traumatisant»),
les négociations secrètes d'Oslo et l'accord bâclé, l'autocratie, la corruption,
la militarisation de l'Intifada...
Tout comme Arafat et son entourage, Ilan Halévy vit dans un autre âge,
comme s'il n'avait pas compris que les règles du jeu ont radicalement changé
depuis le 11 septembre 2001. Alors qu'Arafat est au bord de l'expulsion, Ilan
Halévy épilogue sur les byzantineries de la Moqataa. «Entre Abou Mazen et
Arafat, c'était un peu comme entre Rocard et Mitterrand, ni meilleur, ni pire.»
Il doit tout à Arafat : c'est lui qui l'a nommé représentant de l'OLP à la
Commission des droits de l'homme de l'ONU et à l'Internationale socialiste.
«Quand nous croisions des Israéliens, ils devenaient hystériques. J'étais un
traître, un collabo.» Il est fier lorsqu'un responsable israélien l'apostrophe
ainsi : «Vous, les Palestiniens...»
Parfois, le découragement perce la carapace du militant : «Pendant trente
ans, l'OLP a déployé des trésors de patience pour distinguer les juifs, des
Israéliens et des sionistes. Et maintenant...» Maintenant, la jeunesse
palestinienne pense qu'un Israélien est un tankiste et que tous les juifs sont
des colons. Il y a de quoi pleurer. Ilan Halévy juge les attentats-suicides
«immoraux et politiquement nuisibles». «C'est une régression terrible, mais
quand on vit là-bas, on comprend très bien pourquoi cela arrive. C'est de la
vendetta : "Vous tuez nos femmes et enfants, nous aussi !" S'attaquer à des
civils est criminel, mais résister à une armée d'occupation et à des colons
armés est non seulement légitime mais reconnu par le droit international.» En
avril 2002, pendant l'opération Rempart, son immeuble a été saccagé en son
absence par des soldats israéliens. Puis, les chebabs du camp palestinien voisin
sont venus piller ce qui restait. «Quand j'étais enfant, la guerre était simple,
tout était noir ou blanc.»
37. Le credo d’une
vie par Azmi Bishara
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du
jeudi 4 septembre 2003
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
(Tuer des civils, puis
mentir effrontément : Ariel Sharon connaît ça, il le pratique depuis un
demi-siècle. Azmi Bishara passe ici en revue la carrière du Premier ministre
israélien.)
Sofia Mohamed Mahmoud Shamasna, Amina Isa
Abdel-Halim Al-Faqih, Halima Hassan Ahmed Taha – trois femmes de Qatana, au
nord-ouest de Jérusalem, abattues sur leur chemin vers le puits du village par
des soldats en embuscade. Leurs noms n’ont jamais été rendus publics, et peu de
gens savent – comme sans doute personne ne l’a su à l’époque – que la personne
qui a donné l’ordre de les abattre, voici cinquante ans de cela, était un
certain Sharon Ariel.
Au début de l’année universitaire 1952 – 1953, Sharon
s’était inscrit à l’Université Hébraïque de Jérusalem, et il s’apprêtait à
devenir étudiant lorsqu’il fut rappelé dans l’armée afin d’y prendre la
direction d’un régiment de réservistes dans la région de Jérusalem. Peu après
cette affectation, il rassembla ses officiers et leur déclara que les
villageoises de Qatana passaient en territoire israélien, sans le savoir,
lorsqu’elles allaient chercher de l’eau au puits. La frontière entre la colonie
israélienne de Ma’aliya Hahmishah et le village de Qatana n’était pas clairement
indiquée, leur dit « Arik », qui ajouta qu’afin de « corriger cette erreur »,
ils allaient monter une embuscade. « Arik » donna aussi à ses officiers la
consigne de garder le plus grand secret sur ce projet afin qu’il ne parvienne
pas jusqu’aux oreilles du Commandement central du district, ni au Quartier
général.
Le scénario fut exécuté selon les moindres détails planifiés par
Arik. Quatre tireurs d’élite furent positionnés nuitamment, et ils tirèrent,
tuant deux des quatre femmes qui se rendaient au puits du village. L’artillerie
jordanienne ouvrit le feu sur les villages israéliens du coin et l’artillerie
israélienne répliqua. L’incident prit fin grâce à l’intervention d’observateurs
des Nations Unies chargés de contrôler le cessez-le-feu. Plus tard, en
expliquant l’incident à ses supérieurs, « Arik » fit un long exposé sur la
différence qu’il y a entre tirer sur des cibles depuis une position immobile et
les viser depuis une position mobile, durant des combats.
Ce récit des
événements se trouve dans l’ouvrage d’Uzi Benziman intitulé « Il grille les feux
rouges » [He Does not Stop at Red] (Adama Books, Tel Aviv, 1994, pp. 35-36).
Ayant pris contact avec cet auteur pour recueillir sa confirmation de ce récit,
il m’a confié que ses sources étaient des soldats qui avaient servi dans la même
unité que Sharon. Après quoi je me suis rendu à Qatana où des habitants
confirmèrent mes informations : trois femmes avaient été tuées cette nuit-là, et
non deux. Je demandai alors quels étaient les noms des victimes. Je ne les avais
trouvé dans aucune source israélienne. Je pensais qu’il était important de citer
leur nom dans cet article. [Voilà qui est fait.]
Contrairement à l’impression
prédominante chez les habitants des villages du nord-ouest de Jérusalem, ce
crime atroce fut perpétré avant la création du tristement célèbre commando
spécial – dit Unité 101 – lequel fut créé en réalité en août 1953. Dirigée dès
sa création par Sharon, la mission de cette Unité 101 fut d’organiser des raids
de représailles contre les villages palestiniens situés tout au long de la
frontière jordanienne, ainsi que contre des cibles civiles dans la bande de Gaza
et tout au long de la ligne d’armistice avec la Syrie.
Sharon organisa en
personne la fusion de son unité avec la brigade de paras numéro 890, en janvier
1954, laquelle fut à son tour incorporée par Moshé Dayan dans le corps des
paras, à la tête duquel Sharon se retrouva catapulté commandant.
C’est
précisément cette Unité 101 qui légua à l’histoire militaire d’Israël son « mot
de passe » le plus tristement célèbre. Quelques soldats israéliens ayant émis
quelques scrupules quant à l’éthique qu’il y avait à prendre pour cible des
civiles lors d’opérations de représailles, Shlomo Baum, sous-commandant de la
célèbre unité, répondit abruptement : « C’est nettoyés que nos fusils doivent
être : on n’a jamais dit qu’ils devaient être purs ! ». En d’autres termes, il
revenait au soldat de s’assurer que son artillerie était en excellent état de
fonctionnement et prête à l’usage au combat, et non de se soucier de critères
moraux qui n’avaient que faire dans la foi combattante de cette unité. Les
soldats de l’Unité 101, et ensuite ceux du corps des paras devinrent les modèles
du combattant israélien agressif. Cette unité formula la doxa « morale » de
toute l’armée israélienne. Non que le modèle qu’elle donnait ait été suivi dans
tous les domaines, à l’exception notable de son implication dans des mensonges
et des rapports falsifiés (pratique omniprésente dans l’armée israélienne),
comme nous le verrons.
La première offensive effectuée par l’Unité 101 fut
planifiée contre le camp de réfugiés Al-Bureij, durant la nuit du 28 août 1953.
Ayant appris que sa présence avait été découverte, bien loin de se retirer, elle
investit ce camp et quitta le champ des opérations par le côté opposé, se
retrouvant ainsi au milieu de civils désarmés. Le massacre qui s’ensuivit causa
la vie à 43 réfugiés palestiniens, dont sept femmes, et 22 blessés. Les pertes
de l’Unité 101 s’établirent à deux blessés. Sharon avait mené personnellement
l’attaque. Dans son rapport à ses supérieurs, il justifia l’énorme tribut en
pertes humaines du côté des civils palestiniens comme suit : « L’ennemi a ouvert
le feu contre moi depuis le nord-ouest… J’ai décidé qu’il était préférable de
passer à travers le camp et de nous éloigner par l’extrémité opposée plutôt que
de retourner là d’où je venais, parce que des cultures, des potagers, des fils
de fer barbelés et des gardiens rendaient le mouvement périlleux dans cette
dernière direction… J’ai décidé également que l’offensive était préférable au
fait de donner l’impression que nous cherchions à fuir… C’est pourquoi j’ai
investi le camp (de réfugiés) à la tête de ma formation. » [Benny Morris,
Israel’s Border Wars : 1949-1956 – Les guerres frontalières d’Israël :
1949-1956, Aam Ufid, Tel Aviv, 1996, p. 273].
Comme l’illustre la dernière
phrase de son rapport, Sharon préféra attaquer et tuer des civils plutôt que
donner l’impression qu’il se retirait. L’équation est claire, et le prix payé
est encore plus clair. Les observateurs internationaux du cessez-le-feu
qualifièrent l’opération de Bureij d’ « exemple alarmant de massacre délibéré ».
Le gouvernement israélien dénia, à l’époque, toute responsabilité dans cette
opération, donnant à accroire aux diplomates occidentaux qu’elle avait été
engagée en toute indépendance par des miliciens et des membres de kibbutzim
proches de la frontière jordanienne, en représailles d’incursions perpétrées par
des Palestiniens infiltrés. Ce mensonge, dans lequel l’Israël officiel se
servait comme d’un paravent de civils israéliens agissant soi-disant de leur
propre initiative, allait se répéter, à plus grande échelle, à Qibya.
Le 13
octobre 1953, le Premier ministre Ben Gourion rencontra le ministre de la
Sécurité Yitzhak Lavon, ainsi que Moshe Dayan, chef des opérations au cabinet du
chef d’état-major, pour décider avec eux de représailles à la suite de
l’assassinat d’une femme juive et de ses deux enfants au cours d’une attaque à
la grenade menée par sa maison par un Palestinien infiltré. Qibya fut considérée
représenter une cible convenable et il existait déjà, apparemment, un plan prêt
à l’emploi recommandant la démolition de 50 maisons dans ce village qui en
comportait 280. Toutefois, ce qui doit retenir notre attention ici, c’est ce qui
est advenu de l’ordre au fur et à mesure qu’il redescendait la pyramide
hiérarchique du commandement militaire.
Sous la plume de Dayan, l’ordre
indiquait : « Opération Shushna : Objectif : effectuer des représailles très
dures contre des villages servant de bases à des opérations palestiniennes
d’infiltration. Mission A : incursion à l’intérieur de Naalein et de Shiqba,
dans le but de détruire un certain nombre de maisons et d’en blesser (seulement)
( !) les habitants. Mission B : attaquer Qibya, l’occuper temporairement, faire
sauter des maisons et causer des blessures, forçant les habitants à fuir le
village. »
L’ordre fut remis de la main à la main au Commandant de la Région
Centre, qui le reformula comme suit : « L’objectif du Chef d’état-major est de
monter des opérations impitoyables consistant à détruire et à tuer en
représailles contre des villages arabes. La mission : attaquer Qibya, l’occuper
temporairement, démolir des maisons et tuer autant d’habitants que possible afin
de pousser (tous) les habitants à fuir et à abandonner leurs maisons… Envahir
Naalein et Shiqba, détruire un certain nombre de maisons et tuer les habitants
et les hommes en armes. »
Là, déjà, l’ordre était plus explicitement
meurtrier que l’original, comme le démontre d’abondance l’adjonction du « tuer
autant d’habitants que possible ». A l’époque, travaillait au Commandement de la
Région Centre un certain David Alazar, officier d’opérations (qui devint plus
tard, lors de la guerre de 1973, chef d’état-major). Son collègue au cabinet du
chef de garnison était Rahboam Zaiffi, surnommé Gandhi. Suit la manière dont
Sharon, commandant de l’opération, interpréta l’ordre donné aux forces qui
devaient y participer :
« L’objectif du commandement est de monter des
opérations de représailles impitoyables… La mission : envahir Qibya, l’occuper,
tuer autant de gens que possible et faire le plus de dégâts possible… Envahir
Naalein et Shaqba, tuer les habitants et faire sauter un certain nombre de
maisons. »
Dans un article publié dans le quotidien Ha’aretz le 8 juin 1994,
l’hagiographe semi-officiel de Ben Gourion, Shabtai Tibit, a tenté de
réhabiliter l’ancien Premier ministre israélien. Il attribue la métamorphose de
la feuille de route du commando à la culture militaire du Palmach, une
organisation paramilitaire clandestine qui fut la pouponnière de la plus grande
partie de l’élite militaire israélienne. La formule « tuer autant d’habitants
que possible » (en hébreu : « causer une perte maximale de vies ») était
en usage au sein du Palmach depuis que la Haganah, le 12 décembre 1947, avait
adopté une politique de « défense effective » et de « représailles systématiques
». En termes voilés mais clairs, Shabtai tient à nous suggérer que personne ne
saurait être tenu responsable de la rhétorique prodigue en hémoglobine des
ordres de l’opération contre Qibya, dès lors que de telles formulations sont
profondément ancrées dans le credo militaire sioniste.
L’opération fut menée
à « bien » dans l’après-midi du 15 octobre. Emportant 700 kilos d’explosifs, le
commando fit sauter 54 maisons en trois heures. Soixante-dix villageois furent
tués – des femmes et des enfants, pour la plupart. La majorité des victimes
furent tuées par balles. Nombre d’entre elles périrent ensevelies sous les
gravats de leur maison, aucun ordre ne leur ayant été signifié de
l’évacuer.
Le massacre de Qibya suscita une vague mondiale d’indignation
devant laquelle Tel Aviv publia le communiqué suivant : « Depuis quatre ans, les
armées de Transjordanie (lire : du Royaume de Jordanie) et d’autres pays arabes
s’infiltrent dans des « implantations » juives proches des frontières ainsi qu’à
Jérusalem afin d’y perpétrer des meurtres et des vols. Des centaines de citoyens
(« israéliens », bien entendu, ndt) – hommes, femmes, enfants et vieillards –
ont été tués et blessés. Les gouvernements arabes ont endossé ces opérations
directement et indirectement dans un but politique évident : détruire Israël et
y rendre la vie impossible. A cette fin, ils ont exploité des réfugiés
palestiniens, auxquels ils refusent d’accorder la citoyenneté et qu’ils n’aident
en rien à remettre leurs affaires en ordre ( !) alors que le gouvernement
d’Israël, lui, a aidé, et continue à aider des réfugiés juifs de pays arabes à
s’installer dans ce pays… ». Le communiqué continue sur ce ton de prêchi-prêcha
jusqu’à finalement asséner la position du gouvernement sur (le massacre de)
Qibya : « Nous regrettons tous le sang versé, où que ce soit. Personne ne
ressent plus de peine que le gouvernement d’Israël si du sang a été versé au
cours de l’opération de représailles menée à Qibya. Toutefois, l’entière
responsabilité (de ce regrettable incident) incombe au gouvernement de
Transjordanie. Le gouvernement israélien rejette véhémentement la fiction qui
voudrait que 600 membres des Forces Israéliennes de Défonce aient pris part à
l’opération contre Qibya. Nous avons mené une enquête approfondie, et nous
savons aujourd’hui, sans l’ombre d’un doute qu’aucune unité militaire, aussi
petite ait-elle été, n’a été absente de son campement au moment des destructions
dont il a été fait état à Qibya ».
Ce communiqué, lu officiellement par Ben
Gourion en personne à la radio, est un mensonge éhonté, aggravé d’un sermon
péremptoire et d’un déni mordicus d’une quelconque culpabilité. Combien cela est
évocateur des communiqués publiés au lendemain des massacres de civils
palestiniens, dans lesquels les officiels de l’armée israélienne assènent que
des enquêtes scrupuleuses confirment qu’aucun soldat israélien n’a ouvert le feu
et que la responsabilité doit être recherchée ailleurs ! Qu’importe, la
déclaration de Ben Gourion suscita des haussements de sourcils en Occident. Des
diplomates anglo-saxons, en particulier, trouvèrent difficile à gober que le
chef d’un état démocratique ami puisse mentir de la sorte, avec un tel
aplomb.
Mais n’est-ce pas là la doxa de l’école israélienne du machiavélisme
: Israël doit toujours se montrer fort ? Il doit en permanence faire comprendre
aux Arabes le prix extrêmement élevé qu’ils devront payer s’ils osent
l’attaquer. Après quoi, justifiez ces actions en mentant comme un arracheur de
dents. Telle est l’école politique et militaire à laquelle a été élevé Sharon,
qui se vantera, plus tard, de la puissance dissuasive de Qibya et autres
massacres similaires. Dans sa préface aux mémoires de Meir Haritson, Sharon
vante les exploits de l’Unité 101 : « Ses succès les plus éclatants, l’Unité 101
les obtint à Qibya et à Hébron. Ces opérations changèrent la façon de penser de
l’armée, et restaurèrent sa confiance en elle. Elles eurent un effet immédiat
sur l’ennemi. Dans la région de Lod, où se produisaient de fréquentes
infiltrations ennemies qui causaient beaucoup de pertes en vies humaines, le
calme prévalut durant de nombreuses années. L’Unité obtint un succès similaire
dans la région de Jérusalem. » [Meir Haritson, Memoir Chapters, Levine-Epstein,
Tel Aviv, 1969, p. 16.)
L’Unité 101 mena de nombreuses opérations après son
intégration dans la 890ème division parachutistes. Le 29 mars 1954, l’unité
envahit le village de Nahhalin, tira quatre villageois de leur maison au beau
milieu de la nuit et les abattit.
Le 26 mai, elle monta une opération
analogue à Kherbat Janba, extrayant les gens de chez eux et les fusillant après
leur avoir lié les mains derrière le dos. La co-star de Sharon, dans ces
opérations, trop nombreuses pour en dresser ici l’inventaire, fut Meir Harzion,
le héros de l’Unité par excellence [en français dans le texte, ndt], son
combattant le plus brutal, devenu de nos jours une véritable légende dans la
saga militaire israélienne.
Dans ses mémoires, le récit fait par Harzion de
ses « aventures » du bon vieux temps évoque une forme de réalisation
personnelle. La sœur d’Harzion, ainsi que son petit ami, avaient été tués par un
Bédouin tandis que leur « promenade » les avait conduits (par erreur…) en
territoire jordanien.
Trois semaines plus tard, le 4 mars 1955, Harzion se
vengeait. Avec trois de ses potes paras, il traversa la frontière et se fraya un
chemin jusqu’au campement appartenant à des membres de la tribu des Azazma et
des Jahalin, situé à huit kilomètres à l’est de la frontière. Ils ouvrirent le
feu. Un Bédouin, qui tentait de fuir, fut tué, et ils en capturèrent cinq
autres. Après plusieurs vaines tentatives d’interroger leurs prisonniers – aucun
des soldats ne connaissait l’arabe – ils en tuèrent quatre en les
poignardant (ou en les égorgeant, d’après un autre récit). Le cinquième fut
laissé en vie : il fallait que quelqu’un puisse raconter ces hauts-faits
édifiants…
Bien qu’initialement Ben Gourion eût condamné cette opération et
ordonné que ses exécutants fussent jugés, personne ne fut mis en examen. Ce qui
nous intéresse, dans cette histoire, c’est que l’armée israélienne était
impliquée dans l’opération et que Sharon avait apporté un appui tactique aux
assassins. Il leur avait fourni des armes, de la nourriture et des munitions, il
les avait véhiculés à bord d’une jeep jusqu’à la frontière et il avait pris des
dispositions afin que quelques paras se tiennent prêts à les « cueillir » dans
leur retraite précipitée. Sharon avait donné également aux quatre « justiciers »
l’ordre de ne pas coopérer avec la police. « Nous ne parlerons pas, c’est un
ordre d’Arik », ne cessaient-ils de répéter aux officiers (de police) qui
faisaient semblant de les interroger.
Le 22 juin 2003, au cours d’un débat au
sein de son cabinet au sujet de la construction d’une (énième) colonie, Sharon
dit à ses ministres : « Construisez, mais taisez-vous. Il n’y a absolument
aucune raison d’aller danser dans les rues à chaque fois que l’autorisation de
construire est accordée… Vous savez combien les liens de foi commune et de
confiance qui nous unissent aux Etats-Unis sont puissants, alors… » (Yediot
Aharonot, 23 juin 2003). On ne peut s’empêcher de se demander si Sharon a donné
à ses fistons le conseil paternel de se prévaloir du « droit au silence » lors
des enquêtes en cours sur des allégations de fraude fiscale formulées à
l’encontre de Gilad Sharon...
38. Un ex-chef du Mossad prône
la libération de Barghouti
Dépêche de l'agence Reuters du jeudi 4
septembre 2003, 18h12
JERUSALEM - Un ancien directeur du Mossad
israélien s'est déclaré jeudi favorable à la libération de Marouane Barghouti,
ancien chef du Fatah pour la Cisjordanie, dans l'espoir de consolider le pouvoir
du Premier ministre palestinien, le modéré Mahmoud Abbas.
Ephraïm Halevy, qui
a dirigé les services d'espionnage de l'Etat hébreu de 1998 à 2002, et dont
l'opinion sur les questions de sécurité est très respectée dans son pays, prône
également l'abandon de la politique israélienne visant à refuser la libération
de tout Palestinien "ayant du sang sur les mains".
"Cela vaudrait aussi la
peine de remettre en liberté Barghouti (...) Sa libération pourrait grandement
aider à consolider la ligne modérée d'Abou Mazen" (Mahmoud Abbas).
"Barghouti
pourrait faire partie d'une direction palestinienne pragmatique avec laquelle il
nous serait possible de travailler. Sa remise en liberté pourrait enfin avec une
influence sur le comportement de la rue palestinienne."
Barghouti, soupçonné
par les Israéliens d'être le chef des Brigades des martyrs d'El Aksa,
responsables de nombreux attentats suicide, avait été capturé en avril 2002 à
Ramallah et incarcéré en Israël. Il est actuellement jugé pour avoir orchestré
des attaques et des attentats qui ont fait au total 26 victimes côté
israélien.
L'intéressé nie toute complicité avec les auteurs des attentats
attribués aux Brigades de martyrs d'El Aksa.