"Y a-t-il au monde une chose plus importante que la réélection du Président des Etats-Unis ?"
                                                               
Michel Habib-Deloncle (Ancien Ministre du Général de Gaulle)
           
                       
Point d'information Palestine N° 230 du 31/10/2003
Newsletter privée réalisée par La Maison d'Orient - BP 105 - 13192 Marseille Cedex 20 - FRANCE
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Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Monique Barillot (Trésorière)
Association loi 1901 déclarée à la Préfecture des Bouches-du-Rhône sous le N° 0133099659
Rédaction : Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier
                                              
Si vous ne souhaitez plus recevoir nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : lmomarseille@wandoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à un réseau strictement privé de 7829 destinataires et n'est adossé à aucun site internet.
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http://www.reseauvoltaire.net - http://www.mom.fr/guides/palestine/palestine.html
                                       
NOUVEAU : http://www.ism-france.org - http://www.ism-suisse.org
L’International Solidarity Movement est une ONG palestinienne regroupant des pacifistes palestiniens et internationaux travaillant à promouvoir la lutte pour la liberté en Palestine et pour la fin de l’occupation israélienne par la résistance non-violente et des actions directes. Ces deux sites francophones soutiennent l'action d'ISM.
                                               
Au sommaire
              
Appel Urgent
- Appel urgent du Culture and Free Thought Association (CFTA) de Khan Younis (22 octobre 2003)
                   
Témoignage
- J’attends la première pierre de celui qui n’a jamais subi d’injustice par Eric Legroux
                                   
Dernière parution
- Palestine, terre promise : Journal d'un siège de Raja Shehadeh aux Editions Payot
                   
Rendez-vous
1. TELEVISION - Mediterraneo sur France 3 Méditerranée
- Samedi 22 novembre 2003 - Les braves de la paix un reportage de Gwenaëlle Lenoir et Loïc Le Moigne
- Samedi 29 novembre 2003 - Les captifs de Qalqiliya un reportage de Gwenaëlle Lenoir et Loïc Le Moigne
- Samedi 6 décembre 2003 - UNRWA un reportage de Gwenaëlle Lenoir et Loïc Le Moigne
- Echanges - Le journal de la Méditerranée tous les samedis à 13h15 sur France 3 Méditerranée.
2. CINEMA-TELEVISION - Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël un film de Eyal Sivan et Michel Khleifi
- Avant première à Paris, le 3 novembre 2003, à la Bibliothèque Nationale de France,
à Montréal, le 16 novembre 2003, au Festival du Monde Arabe,
à New-York, le 19 novembre 2003, à l'Université Columbia,
à Genève, les 29 et 30 novembre 2003, au CAC Voltaire,
- Diffusion sur Arte le 24 novembre 2003.
                             
Réseau
1. Préparation de l'apocalypse en Israël par Thierry Meyssan (20 octobre 2003)
2. La mort d'un partisan (un hommage au Pr. Léon Schwartzenberg) par Jean-François Poirier (18 octobre 2003)
3. Lettre ouverte à Jean-Noël Guérini par Jean-Paul Mignon (13 octobre 2003)
4. ARTE ou La voix de son maître… au service de la politique de Sharon par Annie Cyngiser et Michel Barak (13 octobre 2003)
5. Il est minuit moins cinq, docteur Sharon par Israël Shamir (13 octobre 2003) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
6. La profanation de la tombe de Michel Aflak à Bagdad : Un acte barbare par Gilles Munier (12 octobre 2003)
7. La Syrie dans l'œil du cyclone par Silvia Cattori (9 octobre 2003)

                            
Revue de presse
1. La libération des Palestiniens est un combat universel qui libérera aussi les Israéliens par Leïla Shahid in L'Humanité du 25 octobre 2003
2. Walid Jumblatt, le chef  druze libanais, déplore que les roquettes iraquiennes aient manquées le vice-secrétaire à la Défense américain Paul Wolfowitz Dépêche de l'agence Reuters du lundi 27 octobre 2003, 16h33 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Pour Israël la raison d'Etat ne suffit pas ? par David Meyer in Le Monde du lundi 27 octobre 2003
4. Et voilà que notre Lucy, à son tour, baisse pavillon… par Alan Ramsey in Sidney Morning Herald (quotidien australien) du samedi 25 octobre 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
5. Damas souhaite une reprise des négociations de paix avec Israël in L'Orient-Le Jour (quotidien libanais) du vendredi 24 octobre 2003
6. Israël : L’Alternative par Tony Judt in The New York Review of Books (bihebdomadaire américain) du jeudi 23 octobre  2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
7. Israël et Palestine : l'urgence d'une force d'interposition - Déclaration du collectif "Trop, c'est trop !" in Le Monde du jeudi 23 octobre 2003
8. Kaddafi : "Les Arabes sont finis !" par Samir Gharbi in L'Intelligent - Jeune Afrique du mardi 21 octobre 2003
9. Jacques Chirac accusé en Israël de cautionner l'antisémitisme par Gilles Paris in Le Monde du mardi 21 octobre 2003
10. Ce rapport qu'Israël n'a pas vu venir par Alain Guillemoles et Catherine Rebuffel, avec Benjamin Barthes à Ramallah in La Croix du lundi 20 octobre 2003
11. La route des barrages sans fin par Valérie Féron in L'Humanité du samedi 18 octobre 2003
12. Les chars israéliens ont laissé Rafah en ruines par Valérie Féron in L'Humanité du samedi 18 octobre 2003
13. Incontournable Arafat par Majed Nehmé in Le Nouvel Afrique Asie du mois d'octobre 2003
14. Tariq Ramadan réplique à Bernard-Henri Lévy in Le Point du vendredi 17 octobre 2003
15. Leïla Shahid : "Pas de répression armée de l'opposition radicale" - Propos recueillis par Pierre Ganz (RFI) et Vincent Hugeux in L'Express du jeudi 16 octobre 2003
16. Hassan Balawi : "Nous sommes au bord de l'explosion" - Propos recueillis par Pierre Ganz (RFI) et Alain Louyot in L'Express du jeudi 16 octobre 2003
17. L’affaire Tariq Ramadan : l’ère du soupçon par Denis Sieffert in Politis du jeudi 16 octobre 2003
18. De la démocratie palestinienne par Noura Borsali in Réalités (hebdomadaire tunisien) du jeudi 16 octobre 2003
19. A quoi sert l'Autorité palestinienne ? Entretien avec Georges Giacaman propos recueillis par Benjamin Barthe in La Croix du lundi 13 octobre 2003
20. Le cour a ses raisons... par Roland Wlos [courrier des lecteurs] in L'Humanité du samedi 11 octobre 2003
21. Les sionistes chrétiens, Israël et le "second avènement" [du Christ, ndt] par Donald Wagner in The Daily Star (quotidien libanais) du mercredi 8 octobre 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
22. Orient Arabe-USA - Les raisons d’un profond malentendu par Hichem Ben Yaïche in l'Economiste Maghrébin (bimensuel tunisien) du mercredi 1er octobre 2003 et sur Vigirak.com le mardi 16 septembre 2003
23. Edward Saïd a brouillé notre vision du monde arabe par Zev Chafets in The New York Daily News (quotidien américain) du mercredi 1er octobre 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
24. L’Irak et ceux qui soutenaient sa cause étaient piégés - Entretien avec Gilles Munier in France-Pays Arabes du mois d'octobre 2003
25. Proche-Orient : l’échec était écrit par Paul-Marie de La Gorce in Témoignage Chrétien du jeudi 18 septembre 2003
26. De la Guerre au Pétrole (ou il y a loin de la coupe aux lèvres) par Michel Habib-Deloncle in REFA N° 65 - Juillet-Août 2003
                           
Documents
1. Critique des (nouveaux) intellectuels communautaires par Tariq Ramadan (3 octobre 2003)
2. Discours du Dr. Mahathir Mohammad, Premier ministre de Malaisie prononcé devant la 10ème Conférence de l’Organisation de la Conférence Islamique à Putrajaya en Malaisie (16 octobre 2003) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Réponse de l'Ambassade de France en Israël au quotidien israélien "Maariv" (19 octobre 2003) 
                             
Appel Urgent

                                          
La ville de Rafah dévastée du Culture and Free Thought Association (CFTA) de Khan Younis (22 octobre 2003)
La CFTA (Association pour la Culture et la Liberté de Pensée) est une Organisation Non-Gouvernementale (ONG). Elle a été fondée en 1991, avec une mission de développement en direction des enfants, des femmes et de la jeunesse dans la Bande de Gaza. Elle œuvre à encourager le développement social au moyen de programmes d’action dans les domaines social, sanitaire et éducatif. Ses buts sont de promouvoir les idéaux de la société civile et ses valeurs fondamentales d’égalité, d’entraide et de démocratie, dans tous les aspects de la société palestinienne. La CFTA est l’une des principales ONG en Palestine. Au fil des années, elle a été appelée à aller au-delà de son mandat initial, lors des périodes d’urgence comme celle que nous traversons aujourd’hui. Elle a été impliquée dans des programmes de secours dans l’ensemble de la Bande de Gaza. Et voilà qu’aujourd’hui il lui incombe de jouer ce rôle, encore une fois hélas, à Rafah. La CFTA est gérée au moyen d’une comptabilité interne et externe régulière et reconnue. Tous les dons d’urgence seront clairement répertoriés dans notre rapport d’activité et dans notre rapport financier annuels ; y figureront dûment les sources des dons, leur identité bancaire ainsi que les coordonnées des bénéficiaires.
La semaine dernière, les Forces Israéliennes de Défense ont envahi les camps de réfugiés de Rafah. Quelques heures après le début de l’incursion, cent vingt maisons étaient totalement démolies et cinq mille personnes se retrouvaient sans toit.
Le Gouverneur de Rafah a déclaré l’état de catastrophe dans son district.
M. Peter Hansen, Commissaire Général de l’UNRWA a inspecté la région. Il a déclaré, dans un communiqué de presse, que Rafah ressemble à une ville dévastée par un tremblement de terre de forte intensité.
Ce jour, l’Association pour la Culture et la Liberté de Pensée est entrée en relation avec l’équipe d’urgentistes dirigée par le Gouverneur de Rafah. Il nous a informé du fait que plus de 5 000 habitants sont des personnes déplacées. Ils ont été hébergé dans des écoles, dans le bâtiment de la préfecture de Rafah et au Club de la Jeunesse de l’UNRWA. Le Gouverneur a déclaré que jusqu’ici, le Gouvernorat a reçu très peu d’aide afin de secourir ces familles. Il a ajouté que la situation est critique en matière d’alimentation et de matériel médical.
La nuit dernière, à nouveau (14 octobre), l’armée israélienne a fait une incursion dans le quartier Al-Salam de Rafah. L’agravation de la situation est hélas prévisible au cours des heures à venir, car les forces armées israéliennes parlent de poursuivre l’opération militaire commencée la semaine passée.
La région de Rafah est fermée depuis plus d’une semaine. Les déplacements habituels, les transports de marchandises diverses, dont l’alimentation et les fournitures médicales sont totalement interrompus.
Cette agression massive – en cours – d’Israël dans les Territoires Palestiniens Occupés, prenant pour cible une population civile dont la moitié des victimes sont des enfants, en particulier cette semaine, dans la région de Rafah, exige de tous que nous agissions et que nous nous engagions à les assister dans leur lutte pour la survie. Nous demandons des dons au moyen de versements dans toutes les monnaies possibles. Chaque dollar, chaque livre, chaque shekel, chaque dinar, chaque remmenbe et chaque… sera d’un grand secours afin de nous aider à acheter les vivres indispensables et d’assurer d’autres dépenses essentielles pour les personnes touchées.
Si nous ne demandons pas d’aides en nature (alimentation, vêtements, etc.), c’est parce que la bande de Gaza est totalement bouclée par l’armée israélienne et qu’il est impossible d’acheminer quoi que ce soit par la route dans les conditions actuelles. L’aéroport, on le sait, a quant à lui été bombardé par l’armée israélienne il y a deux ans, et jamais utilisé depuis !
Actions à entreprendre sans délai
L’Association pour la Culture et la Liberté de Pensée [CFTA – Culture and Free Thought Association] est d’ores et déjà en contact permanent avec le Gouvernorat de Rafah, l’UNRWA et des membres des familles touchées. Une première estimation des priorités et des urgences est établie. Les contacts nécessaires ont été pris avec les ONG déjà présentes et actives dans la région sinistrée. Une liste des familles les plus nécessiteuses est d’ores et déjà disponible.
La CFTA envisage actuellement de distribuer les biens de première nécessité suivants : Vivres, Citernes pour l’eau, Matériels d’hygiène personnelle, Essuie-mains, Couvertures, Cartables d’écoliers.
Le lot sera emballé et chargé à Khan Younis et il sera acheminé à Rafah où il sera distribué depuis un local central par l’équipe d’urgence du Gouvernorat de Rafah, conjointement à celle de la CFTA.
Une liste des bénéficiaires sera tenue à jour et à disposition. En dépit des conditions très difficiles dans lesquelles la CFTA opère, elle a pu continuer à apporter ses prestations aux bénéficiaires grâce à ses équipes qui résident principalement dans le Sud de la Bande de Gaza.
- Identité bancaire : Bank of Palestine LTD - Bank No. 89 - Succursale : Khan Younis - (Succursale No.: 452) - Nom du titulaire du compte : The Culture and Free Thought Association (CFTA) - Numéro de compte : 52390/4
- Compte aux Etats-Unis : Code pays : USA - Correspondant bancaire : Chase Manhattan Bank - 4 Chase Metro Tech - Brooklyn - NY 11245 - USA - Code du compte : Chasus 33 - Bank of Palestine LTD - Code de transfert : Palsps22
[The Culture and Free Thought Association (Association pour la Culture et la Liberté de Pensée) - Khan Younis, Bande de Gaza - Contacts : Mariam Zakkoot, Présidente - Majeda Al Saqqa, Chargée des Relations publiques - Tél. : +972 82 05 12 99 - Fax : +972 82 06 72 99 - Email : cfta@palnet.com]
                                       
Témoignage

                                          
- J’attends la première pierre de celui qui n’a jamais subi d’injustice par Eric Legroux
Vendredi 17 octobre 2003 - Quelle était belle ! Quand j’ai vu sa photo dans un magazine d’actualité, je me suis tout de suite souvenu de cette jeune stagiaire que nous avions accueillie dans notre entreprise, il y a quinze ans, dans la froideur de l’austère et méfiante Picardie.
Elle avait comme Elle, la même finesse de trait, la droiture décidé de son front, et cette jeunesse éblouissante qui nous fait oublier la pesanteur de nos âges. Un habillement sobre, une sorte de capuchon qui entourait ses longs cheveux afin de respecter sa coutume sans pour autant choquer un européen. Se fondre dans la foule en restant différente était son art.
Une attitude réservée, effacée la caractérisait. On aurait dit de la timidité Mais ce qui la différenciait d’une ombre, d’une figurante était la force maîtrisée de son élocution. Pas de mots inutiles, de phrases trompeuses. Simplement, le matin, un chaleureux « bonjour » à tout le personnel redonnait, par la sincérité de son intonation, tout son sens à cette salutation machinale.
Comme sur cette photo, un magnétisme se dégageait d’elle qui faisait qu’on allait spontanément la voir dans son bureau. Qu’on la regardait passer. Sans pour autant la désirer.
Peut-être était-ce cette fameuse « grâce ». Ce mot tant galvaudé de nos catéchismes et qui auréole si bien les femmes du Moyen Orient.
Elle observait et enregistrait tout ce qui se passait autour d’elle. Ne posait que très peu de question comme si tout était évident dans notre activité trépidante. Nous n’avions pas besoin de lui dire ce qu’il y avait à faire. Elle le voyait tout de suite et nous précédait presque dans nos intentions.
C’était cette clairvoyance que traduisaient ses yeux. Son regard volontaire, était loin de la soumission que son statut de femme arabe aurait pu faire supposer. Et son sourire était une proclamation de paix, de bonté, de certitude d’un monde meilleur.
Elle aussi poursuivait des études juridiques et se destinait à un métier qui la conduirait à comprendre, défendre, éduquer, rationaliser le tumulte de nos vies occidentales. Elle avait un don pour cela. Et savait si bien incliner nos décisions pour favoriser un petit client délaissé, ou délicatement attirer notre attention sur un oubli, rassurer le fébrile commissaire aux comptes.
On sentait qu’elle venait d’un milieu aisé. Mais prenait bien soin que rien, dans son attitude ou son langage, ne trahisse cette supériorité, ni ne blesse quelqu’un de moins favorisé. Son éducation lui avait inculqué un profond respect de l’autre qui détonnait complètement avec l’image que les médias nous rapportent du monde d’où elle venait.
Quand, trois semaines après son arrivée, notre irremplaçable secrétaire est soudainement tombée malade, nous laissant désemparés devant le chaos de son absence, elle prit immédiatement les rennes de la fonction à notre plus grand étonnement. La remplaçant comme si rien ne s’était passé. Connaissant l’emplacement de la moindre chose, sachant qui appeler, que faire, comment répondre. Comme si elle avait toujours été là !
Quel arrachement se fut pour nous tous quand elle nous quitta !
Mais voilà que mes larmes tachent le brouillon des mots si maladroitement agencés pour vous décrire cette présence qui me dépasse complètement. Je suis ridicule. C’est Elle, la victime ! Tant de délicatesse et d’harmonie anéantie ! Quel désastre ! Ce conflit va-t-il engloutir la moindre once de beauté et de pureté ?
Je pleure Hanadi Djaradat.
Je maudis les Israéliens qui l’ont acculé à se faire exploser à Haïfa le 4 octobre. J’attends la première pierre de celui qui n’a jamais subi d’injustice.
                                       
Dernière parution

                                          
- Palestine, terre promise : Journal d'un siège de Raja Shehadeh
aux Editions Payot
[216 pages - ISBN : 2228897671 - 16,50 euros]
Mon espace n'a cessé de se rétrécir. D'abord il est devenu dangereux d'aller se promener dans les collines autour de Ramallah. Ensuite, on m'a interdit de me rendre en Israël, puis de circuler entre les villes et les villages palestiniens. Maintenant, je ne peux même plus franchir le seuil de chez moi. Le périmètre de cette maison est tout ce qu'il me reste d'une Palestine que je puisse appeler mienne. En avril 2002, l'armée israélienne investit la Cisjordanie et s'acharne sur Ramallah. Ce livre raconte la vie en état de siège : comment passer le temps quand on est prisonnier chez soi ? Que faire quand on ne peut pas se rendre chez sa propre mère malade, quelques rues plus loin ? Qu'est-ce que la réalité quotidienne de l'occupation ? Raja Shehadeh a tenu son journal pendant cette période un document captivant, profondément émouvant et d'une grande portée politique, écrit dans une prose extraordinairement limpide.
                           
Rendez-vous

                                          
1. TELEVISION - Mediterraneo sur France 3 Méditerranée
- Samedi 22 novembre 2003 - Les braves de la paix un reportage de Gwenaëlle Lenoir et Loïc Le Moigne
- Samedi 29 novembre 2003 - Les captifs de Qalqiliya un reportage de Gwenaëlle Lenoir et Loïc Le Moigne
- Samedi 6 décembre 2003 - UNRWA un reportage de Gwenaëlle Lenoir et Loïc Le Moigne
Mediterraneo, "le magazine du bassin méditerranéen", pose une sorte de défi. Chaque semaine des journalistes de nationalités, de cultures et de pratiques différentes doivent s'entendre pour concevoir et proposer à leur public respectif, une émission commune de 26 minutes. Un magazine de reportages consacré au monde méditerranéen, son histoire, sa culture, ses habitants. La Méditerranée vue non seulement comme l'antique creuset des cultures mais aussi comme le point de convergences de trois continents et le théâtre stratégique d'enjeux politiques mondiaux. Dirigé par Sampiero Sanguinetti et Danièle Jeammet, ce programme réalise très régulièrement des reportages en Palestine. Coproduite par la RAI, France 3, France 3 Corse et France 3 Méditerranée, l'émission est partenaire de nombreuses télévisions du pourtour méditerranéen, dont la PBC (télévision nationale palestinienne).
[Programmation : Sur France 3 Méditerranée et France 3 Corse, le samedi à 12h50 ; France 3 Sud le dimanche ; France 3 Satellite, le lundi à 13 heures 05 et TV5, le samedi à 16 heures GMT.]
                   
- Ne manquez pas : Echanges
Le journal de la Méditerranée tous les samedis à 13h15 sur France 3 Méditerranée (juste après Mediterraneo)
Retrouvez chaque semaine un autre regard sur l'actualité du bassin méditerranéen, essentiellement fabriqué à partir de reportages échangés entre les télévisions du bassin méditerranéen, réalisé par Hélène Bouyé.
                   
- Samedi 22 novembre 2003 - Les braves de la paix un reportage de Gwenaëlle Lenoir et Loïc Le Moigne
Yitzhak Rabin, le premier ministre israélien assassiné par un fondamentaliste juif à Tel Aviv en 1995, parlait de « la paix des braves ». Deux ans plus tôt, avec Yasser Arafat, il avait signé dans cet esprit les Accords d’Oslo, entraînant avec lui une majorité d’Israéliens.
Aujourd’hui en Israël, les pacifistes sont ultra-minoritaires mais ils persistent et posent à leur propre société des questions dérangeantes. Michel Warschawski, fondateur de l'Alternative Information Center de Jérusalem,  Nurit Peled, fille d’un général prestigieux et mère d’une petite fille tuée dans un attentat du Hamas, sont de ceux-là…
- Samedi 29 novembre 2003 - Les captifs de Qalqiliya un reportage de Gwenaëlle Lenoir et Loïc Le Moigne
Clôture de sécurité pour les Israéliens, mur de l’Apartheid pour les Palestiniens : deux expressions au sens diamétralement opposé pour une même réalité désormais inscrite sur le terrain. Cent dix huit kilomètres de mur et de clôture le long de la Cisjordanie, vingt-deux kilomètres autour du grand Jérusalem. Les travaux de cette première phase seront bientôt achevés, rongeant les terres palestiniennes et dessinant sur le sol une nouvelle carte du futur Etat palestinien.
- Samedi 6 décembre 2003 - UNRWA un reportage de Gwenaëlle Lenoir et Loïc Le Moigne
4 millions de Palestiniens sont des réfugiés. Un million et demi vit en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Pour leur prêter assistance l’O.N.U. a créé une agence spéciale : l’UNRWA. C’est la première à avoir vu le jour en 1950. Elle agit dans tous les domaines de la vie quotidienne. Mais depuis le début de la deuxième Intifada, la situation dans les territoires palestiniens s’est fortement détériorée. Chaque jour, l’UNWRA doit aider plus de réfugiés. L’agence de l’O.N.U. vit aujourd’hui des heures critiques à plus d’un titre. Voici comment, sur le terrain, ses employés font face.
                           
2. CINEMA-TELEVISION - Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël un film de Eyal Sivan et Michel Khleifi
[270 minutes - 2003 - Coproduction France/Belgique/Allemagne/Grande Bretagne]
- Avant première à Paris, le 3 novembre 2003, à la Bibliothèque Nationale de France,
à Montréal, le 16 novembre 2003, au Festival du Monde Arabe,
à New-York, le 19 novembre 2003, à l'Université Columbia,
à Genève, les 29 et 30 novembre 2003, au CAC Voltaire,
- Diffusion sur Arte le 24 novembre 2003.
"Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël" sera diffusé par Arte le 24 novembre 2003, dans "Grand Format", à quelques jours de l'anniversaire de l'adoption par les Nations-Unies du plan de partage de la Palestine.
"Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël" sera projeté en avant-première, dans le cadre du mois du documentaire, à la BNF (Bibliothèque Nationale de France), le 3 novembre 2003 et sera édité en fin d'année en DVD, dans une version agrémentée de bonus et d'inédits.
Projections en avant première à Montréal, le 16 novembre 2003, dans le cadre du Festival du Monde Arabe [www.festivalarabe.com], à New-York, le 19 novembre 2003, à l'Université Columbia, à Genève, les 29 et 30 novembre 2003 au CAC Voltaire à 18h00, avec un débat au Musée de la Croix-Rouge de Genève de 10h à 17h.

"Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël" propose un regard inédit sur les habitants de Palestine-Israël, le regard commun d'un Israélien et d'un Palestinien. Pendant plus d'un an, deux cinéastes, l'israelien Eyal Sivan et le palestinien Michel Khleifi se sont dédiés à la réalisation de ce qu'ils considèrent comme un acte de foi cinématographique. Avec ce road-movie documentaire de 4h30, ils parcourent ensemble leur pays : Palestine-Israël. A l'été 2002, pendant deux mois, ils ont voyagé ensemble du sud au nord de leur pays. Pour accomplir ce voyage en terre natale, ils ont tracé leurs parcours sur une carte routière et l'ont intitulé "route 181". Cette ligne virtuelle suit les frontières de la résolution 181 adoptée par les Nations-Unies le 29 novembre 1947 qui prévoyait la partition de la Palestine en deux Etats. Au hasard de leurs rencontres, ils donnent la parole aux hommes et aux femmes, israéliens et palestiniens, jeunes ou anciens, civils ou militaires,… saisis dans l'ordinaire de leurs vies quotidiennes. Chacun de ces personnages a sa manière d'évoquer les frontières qui le séparent de ses voisins : béton, cynisme, barbelés, humour, indifférence, méfiance, agression,… Les frontières se sont construites sur les collines et dans les vallées, sur les montagnes et dans les plaines, mais surtout dans les esprits des deux peuples et dans l'inconscient collectif des deux sociétés. Avec "Route 181, fragments d'un voyage en Palestine-Israël", Eyal Sivan et Michel Khleifi nous invitent à un voyage déroutant à travers ce petit territoire aux enjeux démesurés.
[Contact MOMENTO - Armelle Laborie - Tél. : +33 (0) 143 662 524 - Email : momento@wanadoo.fr - Site : http://www.momento-production.com - Contact ARTE - Céline Chevalier - Tél. : +33 (0) 155 007 041 - Email : c-chevalier@artefrance.fr]
                                             
Réseau

                                          
1. Préparation de l'apocalypse en Israël par Thierry Meyssan (20 octobre 2003)
(Thierry Meyssan, journaliste et écrivain, est président du Réseau Voltaire.)
[Chaque semaine, dans sa "Chronique de l'Empire", Thierry Meyssan analyse la dérive du régime de George W. Bush et le bouleversement des relations internationales. Disponible sur le site du Réseau Voltaire :
http://www.reseauvoltaire.net.]
C'est contre Ariel Sharon et Washington que des dirigeants de l'OLP et des leaders de la gauche israélienne ont réussi à conclure un projet de paix, l'Accord de Genève. Soutenus par des travaillistes britanniques et des démocrates états-uniens, ils viennent de prouver que la paix est possible immédiatement pour ceux qui la veulent.
Mais telle n'est pas la volonté qui se dégage à Washington et à Tel Aviv où l'on observe avec certitude le pire se préparer. Après Jénine, Rafah. Chars et bulldozers de Tsahal continuent, dans un silence de mort, leur œuvre de destruction du camp de réfugiés palestiniens. On découvre la présence de mercenaires, qui réalisent habituellement le « sale boulot » pour les États-Unis, dans un convoi de véhicules du département d'État attaqué à Gaza. Le « Sommet de Jérusalem » vient de réunir extêmes droites israéliennes et états-uniennes autour de ce qui apparaît bien comme un « Axe de la guerre des civilisations ». Enfin, une réunion ultra-secrète du groupe commun militaire États-Unis/Israël étudie en ce moment les possibilités de raids aériens sur l'Iran que l'armée de l'air israélienne sous-traiterait pour Washington. En échange de quoi ?
Crimes de guerre dans un silence de mort
Vendredi 10 octobre des chars et des bulldozers de Tsahal ont envahit le camp de réfugiés de Rafah, à la frontière égyptienne. Selon le porte-parole de l'armée israélienne, cette opération visait à détruire une quarantaine de tunnels utilisés par les factions palestiniennes pour s'approvisionner en armes. De l'avis des observateurs de l'ONU, l'existence de ces tunnels, à cet endroit, est peu probable, car ils devraient être particulièrement longs pour relier le camp à l'Égypte. Quoi qu'il en soit, Tsahal a commencé son œuvre de destruction. Au moins 114 maisons ont été détruites et plus de 1200 personnes se sont soudain retrouvées sans abris. Toujours selon les observateurs de l'ONU, Rafah n'est plus qu'un champ de ruines, évoquant un paysage après un tremblement de terre.
Alors que la communauté internationale s'était mobilisée lors du massacre de Jénine, le monde est resté silencieux devant ces destructions.
Contre Sharon et Washington, Israéliens et Palestiniens de gauche concluent l'« Accord de Genève » pour gagner la paix
Pendant qu'Ariel Sharon poursuivait ses crimes de guerre, des dirigeants de l'OLP et des leaders de la gauche israélienne se rencontraient en secret en Jordanie. Voici près de trois ans, qu'ils réfléchissent ensemble à un possible traité de paix. Il existe toujours une solution lorsque l'on est de bonne volonté. Ces discussions, soutenues en sous-main par des travaillistes britanniques et des démocrates états-uniens, ont abouti à la conclusion de ce que l'on appelle désormais l'Accord de Genève.
Chaque partie a imaginé des concessions. Les plus spectaculaires sont la reconnaissance du caractère palestinien de Jérusalem Est, à l'exception du mur des lamentations qui serait internationalisé ; et le renoncement partiel du droit au retour des Palestiniens en Israël, dans la mesure où il est désormais impossible de revenir en arrière sans créer encore plus de drames, et l'indemnisation des personnes déplacées.
Cet Accord de Genève n'engage ni le gouvernement israélien, ni l'Autorité palestinienne, mais si des hommes comme Yossi Beilin et Amram Mitzna revenaient au pouvoir à Tel Aviv, et si Arafat parvenait à faire entendre raison à son extrême droite, la paix serait immédiate.
L'Accord de Genève nous apprend plusieurs choses :
D'une part, il nous montre qu'Ariel Sharon a été élu sur la base d'un mensonge. Il a fait croire à ses concitoyens que la paix était impossible et qu'ils devaient donc se résoudre à l'épreuve de force.
D'autre part, l'exemple de Sharon nous conduit à croire que le sionisme, c'est obligatoirement la guerre. Mais Yossi Beilin vient de montrer que l'idéal de certains des fondateurs d'Israël n'est pas complètement mort et que, pour quelques Israéliens encore, le sionisme est compatible avec la paix.
Enfin, force est d'admettre que Beilin, Mitzna et quelques autres sont isolés. Ainsi Shimon Perès et Ehud Barak, qui auraient normalement dû applaudir l'Accord de Genève, l'ont condamné. Non pas qu'ils en critiquent le contenu, mais parce qu'ils ont lié leur sort aux États-Unis et ne peuvent accepter un projet de traité rédigé sans Washington. En d'autres termes, ces dirigeants travaillistes préfèrent servir les États-Unis que leur propre peuple, et c'est bien là une des clefs de ce conflit qui s'éternise.
Fondation d'un « Axe de la guerre des civilisations » entre les extêmes droites israéliennes et états-uniennes
Si les travaillistes israéliens se déchirent, les partisans de la guerre s'unissent. Un grand colloque, le « Sommet de Jérusalem », vient de se tenir du 12 au 14 octobre à l'hôtel King David de Jérusalem. Aucun média n'en a rendu compte. Pour la première fois, trois groupes puissants, se sont réunis pour conjuguer leurs efforts et coordonner leurs actions.
Pour commencer, il y avait là ceux que l'on appelle à Washington les « guerriers froids », c'est-à-dire des responsables de la CIA, de l'état-major interarmes et du Conseil national de sécurité, qui se sont illustrés pendant la Guerre froide. Ils considèrent aujourd'hui, qu'après le communisme, leur ennemi, c'est islamisme. Certains d'entre eux sont impliqués dans la préparation des attentats du 11 septembre, tous les ont instrumentalisés pour lancer la « guerre au terrorisme ».
Puis, il y avait les adeptes d'une confrérie évangéliste, connue sous le nom discret de « la Famille ». Constituée au début de la Guerre froide, en 1947, cette confrérie s'est trouvé un porte-parole avec le pasteur Billy Graham. Son siège est installé juste à côté du Pentagone, dans une vaste propriété, Les Cèdres. La Famille croit que le retour du Christ est imminent, mais qu'il doit être précédé d'une bataille apocalyptique, l'Armagedon, qui se déroulera en Israël. Elle croit aussi que l'islam est une manifestation démoniaque qui doit périr au cours de cette bataille. Chaque année, la Famille sort de l'ombre à l'occasion d'un petit-déjeuner de prière, qui se tient le plus souvent au Congrès. Tous les présidents des États-Unis y ont participé, sans exception aucune, depuis 1947. Plus d'une cinquantaine de parlementaires US s'en déclarent sympathisants. La Famille, qui est une confrérie élitiste, a créé des associations de masses qu'elle dirige en sous-main. C'est d'abord la Christian Coalition, qui intervient dans toutes les législations sur les mœurs aux États-Unis, puis les Chrétiens sionistes. Ceux-ci pensent que l'Israël de la Bible est le même que l'État d'Israël actuel et affirment que c'est un devoir religieux pour les chrétiens de soutenir le gouvernement israélien. La Famille a aussi créé une représentation permanente à Jérusalem sous la dénomination d'Ambassade internationale chrétienne de Jérusalem.
Enfin, il y avait le parti israélien d'Union nationale, qui regroupe surtout des immigrés d'origine russe et milite pour l'annexion des territoires occupés et l'expansion d'Israël vers l'Égypte et la Jordanie jusqu'à la création du Grand Israël. Ce parti d'extrême droite est dirigé par Avigdor Lieberman (ancien directeur de cabinet de Netanyahu) et le rabbin Benny Elon (actuel ministre du tourisme). C'est ce parti qui a financé le colloque grâce au mécénat de son sponsor, Michael Cherney, généralement considéré comme le « parrain des parrains de la mafia russe ». M. Cherney, qui est actuellement interdit de séjour en Russie et en Bulgarie, est réfugié depuis trois ans en Israël. Parti de rien, il est devenu le patron de grandes sociétés de fabrication d'aluminum et de télécommunication, et le principal fournisseur d'armement de Tsahal.
Ainsi donc, les faucons de Washington (comme Richard Perle), les intégristes chrétiens US (Gary Bauer), et l'extrême droite israélienne (Netanyahu, Belon, etc.) étaient réunis pendant trois jours dans un grand hôtel aux frais de la mafia russe.
Des mercenaires US réalisent-ils actuellement le « sale boulot » contre les Palestiens ?
À peine ce colloque fini, un convoi de voitures du département d'État a été attaqué à Gaza faisant trois morts. Surprise : les victimes ne sont pas des diplomates états-uniens, ni même des agents de la CIA, mais des mercenaires de Dyncorp.
Cette société, qui possède une des plus importantes armées privées du monde, sous-traite les sales boulots du département d'État. Son activité a été mise en lumière, en février 2001, lorsqu'elle a livré une bataille contre les FARC en Colombie, dans le cadre de la guerre états-unienne aux drogues. Le Congrès avait interdit au gouvernement Bush de faire usage d'armes lourdes, mais les commandos de Dyncorp sont arrivés avec des hélicoptères de combat bourrés d'armes sophistiquées.
Alors, que faisaient des mercenaires de Dyncorp, dans des voitures du département d'État, en territoire palestinien occupé ? Nul ne le sait exactement. Cependant, en arrière-plan, les différentes factions palestiniennes se battent entre elles pour prendre le contrôle des services de sécurité de l'Autorité palestinienne. En définitive, d'ailleurs, Yasser Arafat a réussi provisoirement à en reprendre la direction alors que certains de ses ministres semblaient prêts à accepter une supervision des États-Unis.
Réunion ultra-secrète du groupe commun politico-militaire États-Unis/Israël
Enfin, aujourd'hui débute la réunion ultra-secrète du groupe commun politico-militaire États-Unis/Israël. Il s'agit d'une sorte d'état-major commun aux deux États, créé en 1983 par Reagan et Shamir, qui se réunit deux fois l'an.
On y étudiera les possibilités de raids aériens sur l'Iran que l'armée de l'air israélienne sous-traiterait pour Washington. Si le projet se concrétise, le général Sharon exigera une rémunération à proportion du service rendu. Ayant abandonné l'idée d'assassiner ou de déporter Arafat, il pourrait exiger des compensations territoriales.
La guerre des civilisations, ce n'est pas seulement l'idéologie funeste développée au Sommet de Jérusalem, c'est aussi une stratégie militaire qui tue tous les jours en Palestine et demain dans tout le Proche-Orient.
                               
2. La mort d'un partisan (un hommage au Pr. Léon Schwartzenberg) par Jean-François Poirier (18 octobre 2003)
J'ai vu pour la première fois Léon Schwartzenberg quand mon ami Mondher Sfar avait organisé avec le MRAP une conférence de presse le lendemain ou le surlendemain de mon expulsion de Tunisie par Ben Ali, l'« ami personnel » de Jacques Chirac, le copain de Séguin, de Pasqua, de Delanoë et de Frédéric Mitterrand (il y aurait bien d'autres noms à ajouter), j'avais commis un crime de curiosité en me rendant à el Hamma de Gabès où de jeunes émeutiers avaient tenu en respect les forces de l'ordre pendant plusieurs jours et épouvanté les parrains de Carthage. Il était arrivé un peu en retard à la conférence, assez fatigué, il relevait tout juste d'une opération de l'épaule, il avait été brutalement renversé par une charge de C.R.S. alors qu'il manifestait pour les sans-logis. « La police de gauche cogne plus fort que la police de droite », m'avait-il dit. On s'est revu souvent par la suite pour obtenir des autorités de l'aide pour des opposants tunisiens, il était parmi les membres fondateurs du Groupe de Travail sur la Tunisie.
Léon a été en butte dans les dernières années de sa vie à toutes sortes d'attaques de la part de la communauté national-sioniste. Rika Zaraï, chanteuse et officier de réserve de Tsahal, mais plus connue encore pour avoir découvert que les bains de siège constituaient une excellente thérapie d'appoint dans les traitements anticancéreux, voyait en Schwartzenberg une réincarnation du docteur Mengele comme elle l'avait audacieusement déclaré sur une antenne israélienne installée en France. Ca ne lui faisait ni chaud ni froid. Il avait une formule magique contre les accusations injustes : « Je les emmerde ». Quand je lui ai raconté que moi aussi je figurais sur les listes noires des mauvais hommes nourrissant des pensées antisémites, Léon m'avait dit de sa voix basse (il avait deux voix, une voix basse, presque expirante, et une voix « de ventre », comme il disait, pour les petits morveux) : « Tu les emmerdes. » C'est également ce qu'il avait répondu aux voyous qui avaient voulu l'expulser d'une commémoration de la rafle du Vel d'hiv et ce qu'il n'avait pas eu le temps de dire aux nervis qui l'avaient frappé à coups de pied en bas de chez lui.
Je l'ai accompagné en Palestine dans une mission improvisée plus qu'organisée par des droit del'hommistes - il était sévère pour ceux qui défendent sans sérieux les causes sérieuses, il admirait les combattants de la bande à Baader, qu'il avait soignés clandestinement à Paris, parce qu'ils avaient « une organisation impeccable ». Mais il avait finalement apprécié qu'on dorme tous les deux dans une chambre d'hôpital à Jérusalem-Est non loin des blessés de l'Intifada, réveillés à sept heures par la fille de salle venue laver les sols. Déjà fatigué par la maladie, voyant mal, il prenait tous ces incidents de parcours avec une bonne humeur de jeune homme.
On avait fait tout un périple pour aller à Hébron, jalonné de contrôles à chaque check-point, que nous n'avons d'ailleurs jamais réussi à atteindre. A l'un de ces contrôles, comme un soldat avait regardé son passeport et était éberlué qu'avec un nom pareil il se promène avec des représentants des races inférieures, il avait hurlé : « Exactement, je suis juif et mes deux frères ont été assassinés par la Gestapo ! », le soldat, un peu penaud et incertain, avait répondu : « I prefer believe you, Sir. » Il avait écrit une fort bonne relation de ce voyage que ni Le Monde ni Libération n'avaient accepté de publier. Il faut dire qu'il y racontait des énormités. Ne disait-il pas avoir vu le carré des martyrs au cimetière de Ramallah labouré par des missiles et les tombes recouvertes d'impacts de balles tirées de nuit par les colons situés sur une colline toute proche ? Il m'avait dit après coup que c'est cet épisode qui l'avait le plus impressionné dans notre voyage et qu'il était l'indice d'une très mauvaise santé mentale des Israéliens. Excités et fanatisés, les Palestiniens ?, il n'avait jamais rencontré des gens aussi calmes dans une situation aussi terrible, en matière de fanatiques il n'avait vu que quelques colons et soldats hystériques.
Il avait attrapé le virus de l'hépatite C en se faisant une piqûre anatomique il y a vingt ans et c'est ce virus qui avait mal tourné. Parti pour se faire opérer en Italie, je lui avais demandé s'il n'avait pas confiance dans les praticiens français. Non ce n'était pas cela, mais « Comme je m'appelle Schwartzenberg », m'avait-il répondu, « ils vont vouloir faire sur moi des miracles, et moi j'ai très peur des gens qui veulent faire des miracles sur moi. » Il n'y voyait pas bien et cela le faisait enrager car le livre qu'il était en train d'écrire n'avançait pas comme il le voulait. Et il lui fallait aussi dormir sept heures alors que trois heures lui suffisaient jadis, mais il était tout de même d'attaque très tôt, il me téléphonait à sept heures du matin, à moi qui suis plutôt lève-tard, pour examiner le cas de nos protégés.
Il avait gardé un peu du sens de la discipline militaire qu'il avait connue très tôt à dix-sept ans dans le maquis, dès 1941, c'est-à-dire bien avant l'arrivée de ceux qui fuyaient le S.T.O.. Il était de constitution faible, asthmatique, et il avait été durement éprouvé par ces années passées à la belle étoile. Il racontait que leur commandant les réunissait avant de partir en mission et leur demandait qui avait les mains froides, leur chef disait alors à ceux qui levaient la main de s'écarter du groupe, « Si vous avez les mains froides, c'est que vous avez peur et si vous avez peur il ne faut pas y aller. » Sa mère pour qui il avait une grande admiration lui avait trouvé sa devise : « Va où tu dois et meurs où tu peux. » Léon Schwartzenberg y aura été fidèle.
                                   
3. Lettre ouverte à Jean-Noël Guérini par Jean-Paul Mignon (13 octobre 2003)
(Jean-Noël Guérini est Président du Conseil général des Bouches-du-Rhône. Il est Sénateur (Socialiste), et membre du Groupe sénatorial France-Israël.)
Monsieur le Président du Conseil général,
Sous le titre « Monsieur Guérini à Auschwitz avant Jérusalem », La Provence du samedi 11 octobre 2003 nous apprend que « le conseil général a depuis longtemps précisé sa volonté de paix en Israël. » En juin dernier, vous vous êtes rendu sur place « pour marquer d’une pierre blanche le processus de paix, tout en précisant les partenariats économiques, culturels et sociaux entre le département des Bouches du Rhône et Israël. ». On apprend également que « vous vous êtes engagé à financer 10 « classes de l’espoir » pour permettre à des enfants israéliens de bénéficier d’un accompagnement scolaire l’après-midi. »
Ce n’est certainement pas l’intention déclarée d’œuvrer pour la paix qui pose ici problème, c’est l’immense fossé qui sépare cette intention des actes que vous posez. Comment pouvez-vous prétendre marquer d’une pierre blanche un processus de paix en manifestant votre soutien à un seul des protagonistes (la puissance qui occupe en Cisjordanie et à Gaza des terres qui, selon le droit international, ne lui appartiennent pas), et en déniant par un grave silence les droits du peuple occupé ?
Le Président de notre assemblée départementale semble manquer cruellement d’informations sur la situation au Proche-Orient… En effet, votre priorité est de développer des partenariats économiques culturels et sociaux avec Israël. Pourtant, le monde entier sait aujourd’hui que l’urgence est ailleurs, vous n’avez peut-être pas lu le rapport Ziegler pour l'ONU sur le Droit à l'Alimentation dans les Territoires Palestiniens Occupés, vous y apprendriez que :
- Plus de 22% des enfants palestiniens de moins de 5 ans souffrent de malnutrition, 16,6% souffrent d’anémie aiguë.
- Plus de la moitié des foyers palestiniens ne peuvent plus avoir qu'un seul repas par jour
- Près de 60 % des Palestiniens vivent aujourd'hui dans une pauvreté aiguë
Ce rapport établit clairement les causes de cette situation :
- Les bouclages et les entraves aux déplacements
- La destruction, l'expropriation et la confiscation des terres palestiniennes.
- Une stratégie de « bantoustanisation » (l’édification de la « barrière de sécurité / mur d’apartheid » étant une manifestation concrète de cette volonté de « bantoustanisation »)
- L'obstruction à l'aide humanitaire.
Votre engagement à financer des « classes de l’espoir » en Israël pourrait sembler louable. Comme tous les enfants du monde, les enfants d’Israël ont le droit à la paix et à la sécurité, ils ont le droit de suivre un enseignement de qualité...  Mais là encore on peut s’interroger sur le fondement de vos priorités. Je vous invite à jeter un œil sur la situation des écoles palestiniennes publiée dans le Bilan des trois dernières années d’occupation au 23 septembre 2003 par Health Development Information and Policy Institute:
- 850 écoles  fermées temporairement,
- 23 écoles converties en camps militaires et en centres de détention par l’armée israélienne.
- 185 écoles ont été bombardées ou ont été la cible de tirs par des soldats israéliens;
- 11 écoles ont été complètement détruites,
- 9 ont été saccagées.
- 132 écoliers palestiniens ont été tués, et 2.500 ont été blessés sur le chemin de l'école.
- 1.135 journées scolaires ont été perdues du fait d'attaques israéliennes.
- Durant la longue attaque de mars-avril 2002,  54.730 heures de cours par jour ont été perdues du fait de la fermeture totale des classes.
Les faits sont terribles, Monsieur le Président du Conseil général, et encore ils ne décrivent pas les agressions et humiliations quotidiennes que vous irez certainement constater par vous-même dans les territoires palestiniens occupés, lors de votre séjour à Jérusalem. Œuvrer pour la paix au Proche-Orient est une intention estimable qui demande beaucoup de courage politique et ne supporte pas le cynisme et la partialité.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de mes sentiments respectueux et vous offre en guise de conclusion ces quelques mots, que Chehata Haroun, égyptien juif, a fait écrire sur sa tombe : "Chaque être humain a plusieurs identités. Je suis un être humain. Je suis égyptien lorsque les égyptiens sont opprimés. Je suis noir lorsque les noirs sont opprimés. Je suis juif lorsque les juifs sont opprimés et je suis palestinien lorsque les palestiniens sont opprimés".
                                              
4. ARTE ou La voix de son maître… au service de la politique de Sharon par Annie Cyngiser et Michel Barak (13 octobre 2003)
[Annie Cyngiser est fille de déporté, Michel Barak, enfant caché pendant la seconde guerre mondiale, ils sont tous les deux membres de l’Union Juive Française pour la Paix. Union Juive Française pour la Paix (UJFP) - BP 102 - 75960 PARIS Cedex 20 - Tél. : 01 42 02 59 76 - E-mail : ujfp@filnet.fr]
Lettre ouverte à ARTE
Aix-en-Provence, le 17 octobre 2003 - La chaîne ARTE, jusqu’ici réputée pour la qualité de ses programmes a diffusé, Mardi 14 octobre 2003, dans le cadre des
soirées « THEMA » une émission de propagande mensongère et mystificatrice sous couvert de reportage journalistique et de pseudo analyse intellectuelle,  intitulée  « Les Français sont-ils antisémites ? ».
Sur les traces du film «  Décryptage » de messieurs Tarnero et Ben Soussan, des déclarations du président du CRIF Roger Cuckierman, accusant de «  brun-vert-rouge » les positions de l’extrême gauche française protestant contre le sort infligé aux palestiniens, cette émission réaffirme que toute dénonciation de la politique criminelle de Sharon, que toute protestation contre la guerre coloniale qui se livre au  Proche-Orient est de l’antisémitisme !
Cette confusion, cette équation infernale est au moins aussi grande que celle des jeunes blacks-blancs-beurs de banlieue qui utilisent à tire larigot des expressions éculées  tirée du bon vieux antisémitisme français, « fait pas ton juif » si l’on ne veut partager trousse ou sandwich. Elle piège le téléspectateur qui ne peut que de plus désapprouver agressions et injures contre des membres ou les bâtiments de la communauté juive.
Cette émission à l’instar de bien d’autres pseudo débats fut loin d’être démocratique en ce qui concerne le temps de parole des uns et des autres . Pâté d’alouette : une minute pour Rony Brauman, certainement « juif honteux » et le reste du temps d’antenne pour messieurs Finkelkraut, chantre et grand confiscateur devant l’ Eternel de l’identité juive, Maître Goldnagel, avocat ayant perdu tous ses procès pour accusation d’antisémitisme, (D. Mermet, E. Morin, D. Sallenave etc…), défenseur d’Oriana Fallaci ou Patrick Klugman, président de l’Union des étudiants juifs de France, tous sionistes inconditionnels et apparemment seuls détenteurs d’une juste vision des choses.
Quant à la réalité historique, le conflit du Proche-Orient, douloureux pour les deux peuples, massacre et déracinement d’une population et attentats sur des civils, quelques minutes à peine furent consacrées au travail du CAPJPO, occultant ainsi l’existence des nombreuses voix israéliennes et  juives françaises  s’élevant contre cette guerre coloniale, contre l’iniquité faite aux Palestiniens et la propre lassitude de la nation israélienne devant l’occupation . Ont été uniquement mis en relief la peur – réelle ou fantasmée- de nombre de juifs de France, la justification de leur repli communautaire entretenues par ce qu’une pièce de théâtre surprenante dévoile : « tout le monde est contre les juifs » depuis Nabuchodonosor, Isabelle la catholique jusqu’à Ben Laden  en passant bien sûr par Hitler.
Qui résisterait à de pareilles preuves ?
Et bien nous, de plus en plus nombreux, pour qui le pourcentage d’actes antisémites commis sur le sol français et publié par la Préfecture de police n’est pas une preuve de nouveaux pogroms ni de « Nuit de Cristal » mais bien la suite logique de la confusion entretenue en France, et encore dernièrement par cette émission. Celle d’un soutien inconditionnel à la politique de l’Etat d’Israël , à une armée d’occupation pour qui l’on organise, sur le sol français, des « galas de bienfaisance », où l’on tente de faire condamner comme antisémites des voix qui racontent la vie quotidienne endurée  par le peuple palestinien, ( dévastation de terres agricoles, destruction de maisons pour cause de « punition collective», impossibilité d’accéder aux hôpitaux, aux écoles, assassinats plus ou moins «  ciblés » ) des voix qui rappellent que la torture est légalisée en Israël y compris pour les enfants,  que le mur dit de sécurité érigé aujourd’hui est  l’image même du ghetto dans lequel s’enferme la société israélienne et qui n’empêchera nullement les inacceptables attentats suicides sur des civils.
Enfin des voix qui soutiennent que jamais la Shoah ne saurait justifier les pratiques coloniales de l’Etat autoproclamé « juif ».
Nous espérons que le présentateur et réalisateur Daniel Leconte de l’émission «  De quoi je me mêle » et la chaîne ARTE sauront reconnaître leur dérapage et comprendre que cette soirée, à l’encontre de leurs intentions affichées, ne peut qu’alimenter l’antisémitisme en propageant une volonté de domination défendue par le CRIF et L’Etat d’Israël.
                                   
5. Il est minuit moins cinq, docteur Sharon par Israël Shamir (13 octobre 2003)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(- Biographie d’Israël Shamir - Une blague juive raconte l’histoire d’un petit garçon qui n’avait jamais dit un mot malgré tous les efforts des médecins. Un jour, alors qu’il avait atteint l’âge tendre de dix ans, il laissa tomber sa cuiller en s’écriant : « La soupe est trop salée ! ». Ses parents abasourdis lui demandèrent pourquoi il s’était tu pendant tant d’années, et l’enfant répondit : « Jusqu’à maintenant, il n’y avait rien à redire ». Voilà l’histoire de l’apparition subite d’Israël Shamir dans les médias de langue anglaise. Cet intellectuel de pointe, russo-israélien, écrivain, traducteur et journaliste, était bien connu de ses lecteurs russes, principalement par ses livres Le Pin et l’Olivier, et Voyages à travers le Japon, ainsi que par ses traductions de James Joyce, Homère et Agnon en russe, sa langue natale. Il n’écrivait pas en anglais, jusqu’en janvier 2001, lorsque les attaques israéliennes contre les Palestiniens l’obligèrent à laisser de côté la littérature pour se tourner vers la politique. Ses articles ont commencé à paraître sur internet. Ils ont été repris sur plusieurs sites et imprimés par de nombreux journaux et magazines, le tout en plusieurs langues. Par son usage du web, Shamir a prouvé qu’une parole libératrice peut venir à bout de toute censure. Originaire de Novossibirsk, en Sibérie, il est le petit-fils d’un professeur de mathématiques et descend d’un rabbin de Tibériade en Palestine ; il a fait des études de mathématiques et de droit à la prestigieuse école de l’Académie des Sciences et à l’université de Novossibirsk. En 1969, il choisit de s’installer en Israël et sert dans les troupes de parachutistes, prenant part aux combats de la guerre de 1973. Après son service militaire, il reprend ses études de droit à l’Université Hébraïque de Jérusalem, mais renonce au barreau au profit du journalisme et de l’écriture. Il fait ses premières armes à Israel Radio, puis travaille comme journaliste indépendant. Il est amené à couvrir le Vietnam, le Laos et le Cambodge dans la dernière étape de la guerre dans le Sud-Est asiatique. En 1975, Shamir rejoint la BBC et déménage à Londres. En 1977-79 il écrit pour le quotidien israélien Maariv et des journaux japonais. Lors d’un séjour à Tokyo, il avait rédigé Voyages avec mon fils, son premier livre, et traduit un certain nombre de classiques japonais. De retour en Israël en 1980, Shamir écrit pour les quotidiens israéliens Haaretz et Al Hamishmar, et il est le porte-parole du Parti socialiste israélien (Mapam). Il a traduit les ouvrages de SY Agnon, le seul écrivain israélien qui ait eu un Prix Nobel, de l’hébreu vers le russe. Sa traduction a été publiée et rééditée plusieurs fois tant en Israël qu’en Russie. Il a également traduit des morceaux choisis de l’Ulysse de Joyce, qui ont été bien accueillis par les éditeurs de Moscou, de Tel Aviv, de New York et d’Austin (Texas). Sa traduction de Les Guerres arabo-israéliennes par le Président Herzog, est parue à Londres. Son ouvrage le plus populaire Le Pin et l’Olivier, une histoire de la Palestine/Israël, est parue en 1988. Quand éclate la première Intifada, Shamir avait quitté Israël pour la Russie, et c’est là-bas qu’il couvre les événements des turbulentes années 1991-1993. Depuis Moscou, il envoyait des reportages à Haaretz, mais il en fut radié après avoir fait paraître un article où il se montrait favorable au retour des réfugiés palestiniens et où il appelait à la reconstruction de leurs villages en ruines. Il a écrit en outre pour divers journaux et revues littéraires, tant en Israël qu’en Russie, dont le quotidien Pravda et l’hebdomadaire Zavtra. Il a également présenté une nouvelle traduction de l’Odyssée à Saint-Pétersbourg, en 2000. Son projet suivant était de traduire le manuscrit médiéval du Talmud hébraïque en russe. En réponse au déclenchement de la deuxième Intifada palestinienne, Shamir a cessé son activité littéraire pour se remettre au journalisme. Tandis que la discussion s’éternise autour de la “solution des deux États” Shamir est aux côtés d’Edward Saïd pour défendre l’unification de la Palestine et d’Israël autour du mot d’ordre “Un citoyen, un vote, un État”. Ses essais les plus récents circulent largement sur internet et sont actuellement repris sur de nombreux sites très visités. À chaque nouvel article, Shamir s’avère le champion d’un type de journalisme qui reflète à la fois les aspirations des Israéliens et des Palestiniens. Il a cinquante ans, il habite à Jaffa, et il est le père de deux garçons.)
Au nord de la prospère Herzliya, capitale de l'high-tech israélienne aux célèbres bars sushi de Cocagne, se trouve une plage agréable, au pied d’une falaise digne de l’océan Pacifique. Il s’agit d’une petite crique non surveillée, sans maître nageur, et fréquentée par quelques étrangers amoureux de la nature et des familles palestiniennes venues en pèlerinage au sanctuaire de Sidna [Notre Seigneur] Ali, situé non loin de là. Si vous poussez la promenade encore un peu plus vers le nord, au-delà des panneaux vous interdisant de continuer en raison de risques – réels – de chute de pierres, vous vous retrouverez dans une sorte d’alcôve coupée du monde, tout à fait exceptionnelle sur notre côte palestinienne tracée au cordeau. C’est l’endroit rêvé pour barboter dans les eaux transparentes de la Méditerranée. De gros cailloux polis, couleur de terre, semblent en être les gardiens ; à les regarder plus attentivement, vous comprendrez qu’il ne s’agit pas d’une formation géologique naturelle. Ce sont les pierres de bastions, détruits au treizième siècle, de la forteresse d’Arsour, construite par les Croisés, dont les ruines s’élèvent sur le plateau, juste au surplomb de la petite baie. Depuis le haut de la falaise, ces grosses pierres ont été jetées dans la mer d’émeraude par Baïbars, un grand chef militaire arabe, vainqueur des Mongols et des Croisés.
L’Anse d’Arsour
Cent cinquante ans, environ, auparavant, les Croisés avaient conquis sans problème la Terre Sainte, où ils avaient pris leurs aises. Ils avaient construit leurs châteaux et leurs fermes, épousé des chrétiennes orthodoxes et arméniennes du crû, et ils auraient pu couler des jours heureux jusqu’à la fin des temps. Mais ils avaient la manie d’inviter des aventuriers étrangers et de leur servir de tête de pont, faisant ainsi la démonstration de leur incapacité à devenir de bons voisins. On leur a pourtant tendu la perche à de nombreuses occasions, mais ils s’ingénièrent à gâcher leurs chances de se faire admettre dans le coin, et leur seconde nature de cinquième colonne en puissance du premier agresseur étranger venu leur colla à la peau.
C’est alors que le Levant – « faible et efféminé », comme chacun sait – produisit Baïbars. Il ne suffit pas de bouter les Croisés dehors, décréta ce Baïbars, cela a d’ailleurs été tenté par Saladin, et cela n’a pas empêché les Francs de revenir. La seule manière de s’en débarrasser, c’est de détruire la côte palestinienne afin qu’ils ne puissent plus s’y agripper. Forteresse après forteresse, implantation après implantation, ville après ville, Baïbars réduisit en ruines la façade maritime de la Terre Sainte : Césarée, Ascalon, Jaffa, Arsour… Ce n’est que la mort dans l’âme qu’il procédait à cette politique de la terre brûlée. Mais l’alternative aurait été une guerre éternelle dans la région.
Les bastions renversés
On dirait que l’Histoire est sur le point de se répéter. Sauf retournement inattendu dans l’enchaînement des événements, la douce terre de Palestine semble vouée à la perdition. Les sous-marins nucléaires (construits en Allemagne et équipés aux Etats-Unis) de l’Etat juif étant mis en état d’alerte pour aller semer la dévastation en Iran, en Syrie, en Arabie saoudite, il est plus qu’évident qu’Israël ne saurait en aucune façon devenir un voisin sortable, au Moyen-Orient.
Les juifs ont eu une occasion inespérée de planter leurs racines dans la terre de Palestine et de faire la paix avec les habitants originels de cette région. Mais cette chance, ils se sont ingéniés à la gâcher.
La frappe aérienne récente (non provoquée) d’Israël sur la profondeur syrienne est venue rappeler à qui aurait eu tendance à l’oublier que l’Etat juif est une entité dangereuse pour l’ensemble de la région, de par son agressivité. Trente années de calme, entre la Syrie et Israël, viennent d’être passées par pertes et profits par les généraux du général Sharon, comme si elles comptaient pour du beurre. Personne n’a été dupe de leur tentative pataude d’établir un lien entre la Syrie et l’acte sanglant de vengeance accompli par une jeune femme d’Hébron dont le frère et le fiancé avaient été trucidés sous ses yeux par la soldatesque israélienne, laquelle avait refusé par-dessus le marché tout secours médical à son père. Le clairvoyant Premier ministre de Malaisie, le Dr Mahathir Mohammad, a interprété cet événement judicieusement : « Depuis un certain temps, Israël ne cesse de bassiner l’Amérique afin qu’elle envahisse la Syrie, mais les Américains semblaient traîner les pieds. C’est pourquoi Israël a procédé à ces frappes aériennes contre la Syrie, afin de leur forcer la main. » [1]
Le problème posé par Israël n’est plus seulement (« seulement », si on ose écrire) celui de la souffrance des Palestiniens ; c’est celui de toute la région du monde qui s’étend entre l’Inde et l’Ethiopie [Esther, I], voire au-delà. En effet, la cinquième colonne des partisans d’Israël fomente des guerres dans le monde entier, de la Tchétchénie aux Philippines, de la Corée du Nord à Cuba. Ils poussent le monde tout droit vers l’Armageddon. John Bolton exhorte à la prise de contrôle de l’Iran, Murawiec exige que l’on écrabouille l’Arabie Saoudite. Le quotidien sioniste enragé New York Post ajuste la hausse de ses canons et prend dans son collimateur la France, « l’un des ennemis les plus répugnants de l’Amérique ». Cette France dont il rappelle qu’elle est dirigée par Chirac, « ce pygmée moral dont l’absence de scrupules est, fort heureusement, contrebalancée par sa couardise et son impuissance. » « Il faut que la France souffre, stratégiquement et financièrement. Les Frenchies nous ont asséné un coup de poignard dans le dos : à notre tour de les écorcher vivants », poursuit sobrement ce journal. Si l’on en juge aux états de sévices des sionistes, ce n’est pas là simple rhétorique.
L’Etat juif est une pochette surprise extrêmement dangereuse. Le fondement (archi-simple) de sa doctrine militaire est le suivant : « Comporte-toi de manière démente, les gens auront peur de toi ». La fausse menace nucléaire irakienne a été inspirée par la menace nucléaire israélienne, ô combien réelle, celle-là. Les scientifiques israéliens préparent tout aussi bien la guerre chimique et biologique. Ils ont réellement testé des gaz incapacitants contre des manifestants, à Gaza, et l’empoisonnement de l’eau potable, durant le siège de Saint-Jean d’Acre, comme l’a rapporté Abu-Sitta dans (le quotidien égyptien) Al-Ahram.
Israël est impliqué de longue date dans une interminable série d’enlèvements et d’assassinats perpétrés en territoire étranger. Personne n’est à l’abri du télescopique bras meurtrier d’Israël : les Israéliens ont assassiné en Norvège (le célèbre coup tordu de Lillehammer), ils ont kidnappé à Rome (l’affaire Vanunu), ils ont fait sauter la bibliothèque britannique et le consulat des Etats-Unis au Caire (affaire Lavon), ils ont envoyé par le fond le navire de guerre américain USS Liberty, ils ont tenté d’assassiner Joseph Mugabe, ils sont vraisemblablement trucidé le Secrétaire d’Etat américain antisioniste James Forrestal, ils ont été impliqués dans l’assassinat du Président Kennedy, comme le démontre Micheal Collins Piper dans Final Judgment, parce que ce président américain insistait pour qu’Israël procédât à son désarmement nucléaire. Quant au récent assassinat d’Anna Lindh, ministre suédoise des Affaires étrangères, qui appelait au boycott d’Israël, laissons planer encore quelque temps le mystère...
Ils ne sont pas particulièrement cachottiers : aujourd’hui, nous connaissons les noms des Israéliens qui ont assassiné le Comte Bernadotte, en 1948 ; de ceux qui ont perpétré des massacres massifs de prisonniers de guerre allemands en 1946 et de ceux qui ont massacré des prisonniers de guerre égyptiens en 1956. Ce n’est d’ailleurs pas sorcier : ils s’en vantent. Demain nous apprendrons les noms d’auteurs d’autres atrocités encore. Mais les connaître ne nous servira absolument à rien, car Israël est une planche de salut pour les criminels. A chaque fois qu’ils se sont fait pincer en flagrant délit, Israël a écarté d’un revers de la main l’indignation de l’opinion publique mondiale, car, comme l’a asséné notre premier Premier ministre, Ben Gourion : « Ce que les goyim disent n’a absolument aucune espèce d’importance. Une seule chose a de l’importance : ce que les juifs font. »
Ce palmarès désolant, que l’attaque aérienne contre la Syrie et la préparation d’une frappe nucléaire en Iran sont venues rafraîchir dans notre mémoire, est là pour nous démontrer qu’il n’y a aucun espoir de faire d’Israël un membre de la communauté des nations présentable. Il répond aussi à la question de savoir si les efforts de paix et les tentatives de ramener Israël à l’intérieur de ses frontières riment encore à quelque chose. Ce n’est pas le cas. Que ce soit à l’intérieur des frontières de 1967, de 1948 ou de 1973, Israël a toujours été une tête de pont pour l’agression, une menace pour la paix mondiale et une menace physique pour les dirigeants politiques valables de par le vaste monde. Comme la secte assoiffée de sang des Assassins, qui fut jadis la plaie de cette région, les partisans d’Israël dénigrent, quand ils ne les assassinent pas, les dirigeants les plus capables et honnêtes, tout en soutenant les ramollos tout prêts à exécuter leurs ordres. En se retirant de Cisjordanie, Israël ne changerait pas pour autant de nature. Comme nous l’enseigne le prophète Jérémie [13:23], le léopard ne parviendra jamais à se débarrasser de ses taches.
Ce comportement découle pour partie du complexe juif de supériorité et de sa conséquence, la structure ségrégationniste d’Israël. Avant Mandela, l’Afrique du Sud était, elle aussi, impliquée dans la destruction des pays voisins, le Mozambique et la Namibie, ainsi que dans de nombreux complots, ailleurs en Afrique. Ce complexe de supériorité doit être traité au moyen du démantèlement de l’Etat d’apartheid. Les événements de l’année dernière en ont apporté la démonstration sans aucun doute raisonnable possible. Le démantèlement par les moyens pacifiques de la démocratisation est la seule alternative viable pour Israël, dont la ruine, sans cela, est certaine. Tout en portant leur politique de bravade au niveau de la « folie calculée », les dirigeants israéliens n’ont pas anticipé le fait qu’elle donnerait naissance à une génération de jeunes gens qui attachent peu de prix à la vie terrestre.
Jusqu’à il y a peu, la peur des représailles impitoyables d’Israël tenait ses adversaires en respect. En 1991, le président irakien Saddam Hussein disposait de puissantes armes de destruction massive, mais il ne les utilisa pas contre Israël, car il ne s’est jamais senti acculé. De plus, il accordait foi à la menace brandie par Israël de vitrifier l’Irak au cas où il aurait recours aux armes de destruction massive. Il pensait qu’il pourrait survivre à la défaite. Il ne comprenait pas que l’idée qu’Israël se fait de la guerre lui vient d’une tradition religieuse qui ne connaît absolument aucune pitié. Si Saddam avait su que les corps suppliciés de ses fils reposeraient un jour dans une morgue de Bagdad, qu’il deviendrait un réfugié errant et que son pays serait ruiné par dix années de sanctions internationales d’une cruauté sans précédent historique pour finir par devenir la proie de l’envahisseur sioniste, il aurait très bien pu être tenté par la solution à la Samson et entraîner Israël avec lui dans les abîmes de l’Enfer, en 1991.
Saddam Hussein est parti, n’en parlons plus. Mais aujourd’hui, tout dirigeant conscient, dans le monde entier, sait à quoi il doit s’attendre dans le cas où Israël exigerait de son Golem américain qu’il lui apporte sa tête sur un plateau. Mais, paradoxalement, la cruauté même d’Israël a fait tant et si bien que la menace que ce pays représente sonne creux. En effet, dès lors qu’Israël perpètre en tout état de cause le pire du pire dont il est capable (ce qui n’est pas peu dire), céder à ses chantages serait pure folie.
Les juifs d’Israël ont réitéré la bévue commise par Napoléon à Jaffa. En 1799, le jeune général corse traversa, en effet, le désert du Sinaï, après quoi il mit le cap vers le nord, en direction de la Palestine. Rafah et Ramléh se rendirent à ses troupes, car les soldats palestiniens estimèrent qu’il n’y avait aucune raison de se battre contre la force européenne effectuant sa trouée. Napoléon marcha sur le port de Jaffa, où la garnison de cette ville, forte de six mille homme, préféra se rendre. Ces soldats pensaient qu’on les désarmerait, et qu’ils seraient renvoyés dans leurs foyers, dans leurs villages. Mais Napoléon ne voyait pas d’un œil favorable qu’on laissât un tel nombre de soldats ennemis derrière ses lignes, et il donna l’ordre de les tuer, jusqu’au dernier : il fallut trois jours aux Français pour mener cette tache à « bien ». On amena les condamnés par paquets, du couvent arménien de Saint-Nicolas jusqu’à la plage, où on les passait au fil de la baïonnette.
Après ce massacre, toute la Palestine prit les armes. Les troupes de Napoléon tombaient sur une embuscade à l’orée de la moindre orangeraie, et lorsqu’il parvint au-devant des murailles de Saint-Jean d’Acre, il ne fut plus question de reddition. Les gens du coin avaient bien compris que cela n’avait plus aucun sens. Ils se dirent que mourir pour mourir, autant mourir en combattant. Après quelques mois d’efforts vains, Napoléon tourna les talons, laissant l’ennemi qui le pourchassait achever ses soldats blessés.
Dans le centre réhabilité et embourgeoisé de Jaffa, on peut voir une figurine en papier mâché du petit caporal râblé avec son tricorne, qui rappelle aux touristes et aux habitants de la ville le comportement de boomerang qu’affectionne généralement la cruauté. Mais sans doute les dirigeants israéliens ne l’ont-ils pas suffisamment contemplée, tandis que leur politique amenait le pays au bord de la destruction.
La sensation pesante d’un désastre imminent est l’une des raisons non encore évoquée de la « solution à un seul Etat » que nous avons proposée et dont nous nous faisons l’avocat. Certes, « un seul Etat », cela serait bon pour les Palestiniens ; et cela serait bon, aussi, pour les Israéliens. Mais un nouveau partage – une « solution » à deux Etats – pourrait aussi alléger les souffrances des Palestiniens, comme l’ont fait observer à juste titre le Professeur Neumann et de nombreux militants pacifistes modérés. Cette « solution » pourrait même avoir les faveurs des élites israélienne et palestinienne, bien qu’un Etat (« palestinien ») indépendant installé en Cisjordanie et dans la bande de Gaza ne saurait en rien apporter une solution au problème des réfugiés. Toutefois, en aucune façon, le partage (ainsi proposé) ne saurait lever la menace posée au monde entier par l’Etat juif voyou, et elle n’empêcherait en rien le désastre imminent en Terre Sainte.
Même plus petit, un Etat juif n’en resterait pas moins le siège du Mossad et de son unité d’assassins sur ordres, le Kidon. Même plus petit, un Etat juif posséderait encore des armes nucléaires. Même plus petit, un Etat juif continuerait à être empoisonné par son idéologie profondément ancrée et extraordinairement xénophobe, et il resterait une source de contamination idéologique. Même plus petit, un Etat juif serait lourdement compromis dans des politiques de subversion active de Moscou à Washington, District of Columbia. Autre risque – ce n’est qu’une question de temps : le dirigeant d’un pays poussé dans ses derniers retranchements – que ce soit en Corée du Nord, en Iran, en Egypte, ou en Russie – se remémorera les corps des fils de Saddam et décidera de marcher dans les brisées de Baïbars et des sultans mongols qui ont su déloger les Assassins de leurs nids d’aigle. Car, sans Israël, les soldats américains joueraient aux boules autour de leurs bases militaires, en Géorgie (USA) ou au Texas, au lieu de pourchasser les « haïsseurs de juifs » sur les cinq continents. La chute d’Israël est inévitable ; la seule question qui se pose encore est celle de savoir s’il sera chassé par la force, son territoire étant détruit, ou s’il sera absorbé pacifiquement dans la région du Moyen-Orient.
L’égalité en Terre Sainte – voilà qui n’est pas seulement une exigence morale ; c’est la seule façon de sauver le pays de la destruction qui s’approche à grands pas. Ce n’est pas nous, les faiseurs de bien ou les amoureux de la paix, qui devrons faire le choix entre l’égalité ou la mort, c’est l’inéluctable enchaînement des événements eux-mêmes.
La cruauté d’Israël, sa vindicte et son incapacité à respecter autrui ont poussé des centaines de Palestiniens à l’horreur du martyre. Si – ou plutôt : quand – un martyr en puissance sera équipé d’une bombe nucléaire miniaturisée et non plus d’une bombe fabriquée maison avec de la dynamite et des boulons, l’histoire lamentable de l’Etat juif aura pris fin.
Le glacis juif d’Israël est fort mince : deux petites bombes nucléaires d’une demie mégatonne chacune, bien ajustées, pourraient l’effacer de la surface de la Terre. Il se peut que dans ses derniers soubresauts d’agonie, il fasse de ses menaces exprimées par le Professeur van Creveld de l’Université Hébraïque de Jérusalem une réalité, et qu’il «disparaisse dans les abîmes en emportant le monde derrière lui », car les missiles nucléaires israéliens sont pointés, nous confie ce van Creveld, aussi bien sur les capitales européennes que sur celles des pays voisins. Mais toutes les mesures de sécurité, aussi draconiennes soient-elles, ne pourront jamais arrêter une kamikaze nucléaire, et elle risquerait fort de ne tenir aucun compte du sort de gens qui n’ont su protéger ni elle-même, ni sa famille.
Alors, quelques années après l’explosion finale, les ruines de Tel-Aviv se mêleraient harmonieusement à celles d’Arsour.
[1] http://www.ndtv.com/template/template.asp?template=Palestine&slug=Malaysian%
                                          
6. La profanation de la tombe de Michel Aflak à Bagdad : Un acte barbare par Gilles Munier (12 octobre 2003)
(Gilles Munier est Secrétaire générale des Amitiés Franco-Irakiennes.)
En rasant à Bagdad la tombe de Michel Aflak, le fondateur du parti Baas, sans laisser à sa famille la possibilité de récupérer le corps du défunt, les troupes d'occupation américaine ont commis un acte qui rappelle les pratiques barbares de temps qu'on croyait révolus.
Michel Aflak, né à Damas en 1912, est mort à l'Hôpital militaire du Val de Grâce à Paris, en 1989 avant d'être enterré à Bagdad où il s'était installé après la prise du pouvoir par le Baas en 1968.
Michel Aflak, intellectuel francophone, avait fait ses études à la Sorbonne de 1928 à 1932. A Paris, il avait fondé la première Union des étudiants arabes, avant de revenir en Syrie où il enseigna l'Histoire puis fonda un cercle de pensée qui, en 1947, devint  le parti de la renaissance arabe, le Baas, qui se répandit dans la plupart des pays arabes, du Golfe à la Méditerranée. Michel Aflak s'était installé en Irak après la prise du pouvoir par le Baas en 1968.
Le grand orientaliste Jacques Berque – président fondateur des Amitiés franco- irakiennes -  a défini la philosophie politique de Michel Aflak comme la philosophie arabe la plus théoriquement fondée du XXè siècle. Sa pensée défend l'idée de l'unité de la nation arabe dans un  nationalisme arabe résolument moderne, progressiste et laïc. Ayant subi l'influence du personnalisme d’Emmanuel Mounier, Aflak était un authentique humaniste, soucieux avant tout de l'épanouissement et de la dignité de la personne humaine.
Pur intellectuel, Michel Aflak avait toujours refusé d'exercer la moindre fonction gouvernementale. Respecté dans tout le monde, il demeure le symbole d'une certaine idée de l'émancipation et de la dignité  du peuple arabe.
En rasant la tombe du fondateur du parti Baas, les Etats-Unis croient sans doute pouvoir effacer toute trace du baasssisme en Irak, mais ils ne pourront brûler tous les livres de Michel Aflak, ni effacer ses idées des esprits de centaines de milliers d'Arabes qui ont été et restent ses disciples. Ce n’est pas non plus ainsi que les troupes d’occupation américaine parviendront à réduire la résistance irakienne qui se réclame de son combat.
[Amitiés Franco-Irakiennes - 7, rue de Sarzeau - 35700 Rennes - Fax : 02 99 63 11 09 - E-mail : gilmun@club-internet.fr - Nouveau site : http://www.iraqtual.com]
                                            
7. La Syrie dans l'œil du cyclone par Silvia Cattori (9 octobre 2003)
La Syrie est un petit pays, le reflet d’une grande civilisation, dont nous ignorons presque tout. Un pays qui mérite d’être mieux connu, visité, aimé. Il y a fort à craindre que cette charmante contrée qui n’aspire qu’à vivre en paix, ne devienne le théâtre d’une nouvelle tragédie.
Malgré l’isolement international et les incessantes humiliations qu’Israël leur a infligés depuis 30 ans, les Syriens, quoique atteints dans leur dignité, ont gardé intact le sens de l’hospitalité. Depuis le début de la seconde Intifada, et de manière plus drastique depuis la guerre contre l’Irak, les Syriens payent un lourd tribut : les touristes désertent leur terre riche en sites archéologiques, leur économie périclite à vue d’oeil.
Les Syriens, ont de quoi craindre le pire, depuis ce 5 octobre 2003 où l’aviation israélienne a attaqué par surprise une cible proche de leur capitale, déployé le long de leur frontière des batteries et des troupes en renfort. Par ces manoeuvres clairement offensives, Israël a voulu leur signifier, qu’il entend jouer pleinement le rôle hégémonique que les Etats-Unis lui ont assigné.
C’est un acte d’une extrême gravité. Une violation inacceptable du droit international et des règles de souveraineté. Mais Israël, sans gêne aucune, a justifié l’injustifiable en prétextant qu’il s’agissait d’éradiquer les « terroristes ». Il s’est servi abusivement de l’attaque qui, la veille, avait emporté une jeune palestinienne et entraîné dans son sillage la mort de 20 civils à Haïfa. La propagande du Mossad - et la désinformation les médias qui la répercutent sans jamais vérifier les faits - allaient faire le reste. Plus inquiétant, le 8 octobre, un membre du cabinet israélien est allé jusqu’à affirmer que si les Palestiniens persistent à les combattre, Israël allait dévaster la Syrie, le Liban, embraser Beirut, Damas.
L’attaque sur sol syrien était planifiée bien avant que cette femme désespérée de Jenin aille se faire exploser. Cette dernière n’avait pas besoin de l’aide de la Syrie pour s’attacher autour de la taille l’arme la plus rudimentaire qui soit : une ceinture d’explosifs. Mais tout est bon pour faire des amalgames qui peuvent servir les desseins les plus sordides. L’attaque suicide qui a fait 20 morts à Haïfa n’avait rien qui la différenciait de toutes les précédentes attaques suicides. Pourquoi punir la Syrie pour un acte qu’elle n’avait pas commis ? Qu’est –ce qui a changé sinon l’orientation stratégique de Sharon ? En clair : Israël veut que l’épée de Damoclès reste suspendue sur la tête des syriens.
La Syrie ne demande qu’une chose. Qu’Israël se retire du plateau du Golan après 30 années d’humiliante occupation. Or Israël, qui n’est pas du genre à rendre aux lésés ce qu’il leur a volé, mais du genre à tout mettre en œuvre pour les éliminer, continue sa politique de l’escalade. C’est ainsi qu’il a toujours procédé avec les Palestiniens depuis plus d’un demi siècle. Après les avoir déportés, dépossédés de tous leurs biens, il les a taxés de terroristes, liquidés.
En attaquant la Syrie, Israël a voulu affirmer que, fort de sa supériorité militaire, il peut aujourd’hui frapper qui il veut, comme il veut. Qu’il domine à ce point le Moyen Orient et le monde qu’il n’a plus besoin de l’aval de Bush pour mener des guerres « préventives » à tout va, envahir ses voisins, écraser des peuples, nier leur droit à la dignité.
Quand Israël affirme qu’il défend sa sécurité, il entend par là s’octroyer le droit exclusif de jeter ses « ennemis » dans l’insécurité, le droit d’agresser, le droit de conquérir, le droit d’assassiner, le droit de déporter, le droit de construire des murs et de s’annexer de nouvelles terres. Bref, le droit de priver de tout droit tous ses voisins.
Ce qu’Israël fait à la Syrie n’est autre que la réplique de ce que son allié inconditionnel a fait à l’Irak. Les faucons pro-israéliens qui tirent les ficelles au Pentagone et n’ont d’autre rêve que d’ouvrir des champs de bataille en Syrie, au Liban, en Libye, en Iran, n’ont-ils pas claironné depuis 1996 que « la voie de Damas passe par Bagdad » ? Il suffit aux autorités israéliennes d’utiliser le slogan nauséabond de « terrorisme », de qualifier ses ennemis de terroristes, pour convaincre Bush, qu’une guerre est nécessaire.
Guerre après guerre, la majorité des gens a compris que les deux guerres contre l’Irak, qui ont déjà fait couler tant de sang et de larmes, n’avaient rien à voir avec « le nouvel ordre mondial », rien à voir avec les armes de destruction massive, rien à voir avec Al Quaida, rien à voir avec l’établissement des droits humains. Les services secrets israéliens et américains n’en continuent pas moins à fabriquer les mêmes mensonges et, avec l’aide des médias, à manipuler les craintes qu’ils ont contribué à attiser.
Israël remet ça. Il répète ad nauseum que la Syrie possède « des stocks d’armes chimiques et de destruction massive... » Combien de temps encore Israël pourra-t-il continuer à manipuler l’opinion ?
Les Américains sont en train de s’enliser dans un bourbier politique et militaire en Irak. Ils sont loin de réussir à y stabiliser un régime favorable à leurs intérêts. Cet enlisement pourrait bien les stopper là. C’est pourquoi, alors que les Etats-Unis cherchent désespérément de nouvelles stratégies pour sortir du bourbier irakien, Sharon cherche, lui, à les précipiter sur d’autres fronts.
Passée l’euphorie de la fausse victoire en Irak, Sharon a dû se rendre à l’évidence : les choses ne vont pas bien pour Bush et les conseillers pro-israéliens qui l’ont poussé. Israël, qui avait convaincu Bush à prendre la route de Damas, et qui le voit piégé, est pressé de profiter du temps qui reste pour sauver ce qui peut être sauvé, donc consolider ses acquis.
Sharon entend engranger les gains stratégiques de l’intervention en Irak et régionaliser le conflit avant que le vent tourne. Le moment choisi par Israël est révélateur. L’attaque contre la Syrie survient au moment où les critiques contre la construction du mur racial, contre la volonté israélienne de liquider Arafat, contre sa politique d’apartheid et les conséquences alimentaires des bouclages, s’amplifient à l’ONU et divisent l’administration américaine.
Comble du cynisme, au lieu de condamner Israël pour avoir frappé le Syrie en violation de toutes les lois internationales, le président Bush a accusé la Syrie « de soutenir le terrorisme » et a entrepris de la frapper de sanctions économiques.
Les Syriens, blessés dans leur amour propre, ont de quoi être moralement indignés. D’autant que l’administration Bush, qui ne connaît que l’invective et la loi du plus fort, multiplie les injonctions, pour exiger des autorités syriennes ce qu’elles ne peuvent donner : l’impossible.
L’attitude agressive de Washington contre la Syrie ne sert évidemment pas la paix et la stabilité au Moyen Orient. Elle marque une nouvelle phase inquiétante dans le durcissement de la politique de Tel Aviv. L’attitude de l’administration américaine est d’autant plus scandaleuse et dangereuse qu’elle donne un blanc seing à l’agresseur israélien.
Cela mérite d’être souligné. Depuis le temps que la Syrie subit les pressions et les menaces - sans parler de l’arrogance verbale - d’Israël et des Etats-Unis, elle a su faire montre d’une attitude digne et responsable. Son attitude courageuse, qui tranchait avec la lâcheté des dirigeants arabes tels que le Roi de Jordanie et Moubarak - pour ne parler que de ces deux – lui a valu l’estime du peuple arabe, que cette guerre humiliante et injuste, plongeait dans le désespoir. 
La Syrie est le seul pays arabe qui a dit ce que tous les peuples attendaient que l’on dise, sur l’illégalité et l’immoralité des armées occupantes en Irak et en Palestine. En quoi elle est devenue une sorte de repère, pour ces millions d’Arabes et de musulmans blessés dans leur chair.
Alors que la Syrie, agressée, choisissait la voie de la légalité et de la diplomatie en s’adressant au Conseil de Sécurité de l’ONU, elle s’est trouvée violemment prise à partie par l’ambassadeur d’Israël, Dan Gillerman, qui est allé jusqu’à traiter les Syriens de « talibans ».
Nos Etats démocratiques vont-ils continuer de se laisser intimider par l’arrogance et la vulgarité de ces imposteurs qui, en Israël et aux Etats-Unis, ne jurent que par la force ? Qu’attendent-ils  pour prendre des mesures à la hauteur de la gravité de la situation ?
Et les peuples arabes, dont les frères palestiniens et irakiens sont si sauvagement opprimés, qu’attendent-ils pour se rebeller contre la lâcheté de leurs gouvernements qui déroulent le tapis à leurs agresseurs ?
                                   
Revue de presse

                                           
1. La libération des Palestiniens est un combat universel qui libérera aussi les Israéliens par Leïla Shahid
in L'Humanité du 25 octobre 2003

[Leïla Shahid est Déléguée générale de la Palestine en France. Ce texte a été publié dans le cadre des 100 ans du journal L'Humanité : "Carte blanche pour des futurs d'Humanité".]
Le combat du peuple palestinien pour la liberté, la souveraineté, le droit au développement et à un État national est sûrement le dernier combat du vingtième siècle. Un siècle qui a vu la décolonisation en Afrique, en Asie, au Moyen-Orient mais, malheureusement, pas la libération du peuple palestinien. C'est aussi le siècle qui a vu le génocide, apogée du fascisme en Europe, dont il faut tirer les leçons. Il est tragique que l'aboutissement de cette expérience européenne ait eu lieu au Moyen-Orient : d'une certaine manière les Palestiniens, malgré eux, ont dû assumer les conséquences de cette tragédie européenne.
Ce XXe siècle a été riche en tragédies mais aussi en conquêtes de libertés : le combat contre le colonialisme, qu'il soit français, anglais, portugais ou américain. J'ai toujours pensé que les chemins de la libération ne se divisent pas par nationalités. Il y a dans la mémoire collective des hommes et des femmes du monde comme une capacité d'accumulation des acquis des luttes. Les droits sont toujours arrachés, ils ne sont jamais donnés. Que ce soit les droits des femmes, des minorités, des Noirs, des indigènes, des homosexuels, les droits des peuples à qui on a retiré la liberté. Le succès d'un combat est un plus pour tous les autres.
Les Palestiniens ont toujours eu ce sentiment. Même si leur combat semble solitaire, perdu d'avance parce qu'ils sont dans une situation unique : ils sont en confrontation avec un État, l'État d'Israël, qui pour la plupart des citoyens du monde est porteur de la mémoire du génocide.
C'est très difficile d'être l'ennemi d'un État qui est perçu comme victime et jamais comme oppresseur. Or, objectivement, Israël a le parcours classique d'une puissance de colonisation territoriale, de colonisation de peuplement. Cette terre qu'on appelle la Palestine et qui va du Sinaï au Liban et de la Méditerranée à la Jordanie était une terre à majorité arabe pendant deux mille ans. Il a fallu la transformer sur les plans démographique, sociologique, anthropologique et physique pour en faire un pays à majorité juive qui se perçoit comme un morceau d'Occident transporté là par tous ces immigrants venus d'Allemagne, de Lituanie, de France, des États-Unis et d'ailleurs. Les Palestiniens se sont retrouvés dans une situation très spéciale : en résistance contre un projet colonial de peuplement très proche de celui des Afrikaners en Afrique du Sud. Avec la différence qu'il n'amenait pas des étrangers hollandais coloniser une terre africaine, mais des juifs fuyant un génocide, une répression, un racisme, pour retrouver une terre qui pouvait être plus clémente à leur égard. Une terre qui, pour la première fois, les réunissait en tant que nation, le peuple juif ayant vécu la plus grande partie de sa vie en exil depuis la disparition du royaume de David.
La particularité de la colonisation que vivent les Palestiniens est donc très différente des colonisations classiques : vécue par eux comme une injustice et une dépossession totale, non seulement de leur terre mais aussi de leur nom, de leur identité, de leur droit à exister en tant que peuple puisqu'on a voulu pendant longtemps les appeler des Arabes et non des Palestiniens, et que l'écho de leur combat ne trouvait pas de réceptivité en Europe. L'Europe sortant de la Seconde Guerre mondiale n'avait pas le sentiment qu'elle pouvait en même temps écouter les plaintes des victimes du génocide et les cris d'appel à la justice des Palestiniens.
C'est donc un combat beaucoup plus complexe et beaucoup plus large que les frontières qu'il l'incluait. Et d'une certaine manière un combat qui ne peut être qu'universel. Non seulement dans le fait qu'il doit adhérer à des valeurs partagées par tous les combats pour la liberté, mais également parce qu'il est aussi le combat de libération des Israéliens. Je pense qu'il n'y a pas de libération des Palestiniens sans libération des Israéliens et qu'il n'y a pas de libération des Israéliens sans libération des Palestiniens. Il y a quelque chose d'unique dans ce combat : malgré eux, les Israéliens et les Palestiniens sont liés, leur salut sera commun ou leur disparition commune. Je ne pense pas qu'Israël ait les moyens de sa survie sans État palestinien, et je ne pense pas que la Palestine puisse exister s'il n'y a pas d'État israélien à côté d'elle. C'est donc un travail beaucoup plus complexe que les combats classiques de décolonisation et de libération nationale qu'on a vus ailleurs. Dans cette vision-là, l'avenir est à créer, celui des Israéliens et des Palestiniens. Même si leur présent paraît condamné, je pense que l'horizon plus lointain est très riche, potentiellement, de réalisations. Oslo, qui a permis les premiers retours en Palestine, est à cet égard très important car cela a marqué la première phase de la reconstruction d'une l'identité palestinienne qui avait explosé à travers le monde en 1948. Dans ce que nous voyons depuis deux ans et demi, c'est la destruction de cette expérience de reconstruction de la société palestinienne qui est à mes yeux la plus inquiétante. Elle se fait avec des moyens très pernicieux, décidés en très haut lieu dans le système militaire israélien : la fragmentation du territoire séparé en petits morceaux par des barrages, la fragmentation des communautés, car on ne peut pas créer un mouvement social, syndical, citoyen si on ne peut pas se retrouver ensemble. Cela se fait sous le slogan " sécurité " mais en fait il n'y a jamais eu autant d'attentats en Israël que depuis que l'armée a imposé l'atomisation de la société par le durcissement des barrages et des bouclages. Malheureusement, je suis persuadée qu'Ariel Sharon n'a jamais eu l'intention ni d'entrer dans un processus de paix, ni de reconnaître un État palestinien, ni de démanteler une seule colonie. Il fait partie d'un leadership qui n'a pas caché sa vision d'un " Grand Israël ", qui irait de la Méditerranée au Jourdain, se maintiendrait par la force des armes et amènerait là ce qu'il appelle les " réserves juives " du monde, en premier lieu ceux d'Argentine et de France, où, prétend-il, les Juifs sont en danger parce qu'il y a beaucoup d'Arabes !
Ce que nous avons vécu depuis qu'il est au pouvoir est une sorte de " politicide ", selon le mot de Baruch Kimmerling : la société palestinienne, un fois détruite, ne pourra pas revendiquer un État. Je pense que l'Autorité palestinienne a le devoir de proposer des mesures d'auto-préservation. Avant de revendiquer des kilomètres carrés et des frontières, il faut préserver le tissu de notre société et pour cela nous nous devons de proposer à notre population une forme de résistance qui permette de sauver notre tissu social, notre identité, notre culture, notre humanité, notre universalisme, et notre capacité à choisir notre avenir.
Pour moi, il n'y a pas d'espoir d'un nouveau processus de paix tant que ces hommes politiques qui font partie d'un mouvement révisionniste fascisant seront au pouvoir. Leur discours est raciste et n'a pas honte de l'être. En temps normal, les déclarations de Lieberman, de Mofaz ou de Uzi Landau susciteraient la réprobation de tous les intellectuels juifs du monde, car c'est un affront au judaïsme. Mais les images affreuses, horribles, qui hantent les esprits, des attentats kamikazes, avec la douleur des familles, bâillonnent les esprits et pas seulement les bouches.
Il faut donc que le peuple israélien se réveille et change lui-même sa direction politique et je crois qu'il y a des signes intéressants : ceux qui commencent à prendre la parole sont des anciens responsables des services de renseignement. C'est important dans un pays où l'armée compte tant. Car lorsque nos amis du Mouvement de la paix israélien essaient courageusement de lutter avec nous, leurs voix ne se font pas entendre.
Côté palestinien, il y a aussi beaucoup d'autocritiques à faire. La première c'est d'avoir eu à Oslo une attitude uniquement réactive face à des propositions israéliennes qui étaient toujours d'ordre technique. Il aurait mieux valu aller directement à l'essentiel : que les Israéliens reconnaissent notre droit à un État dans les frontières de 1967, et après, on aurait pu étendre sa mise en ouvre sur trente ans. Mais l'essentiel aurait été acquis.
La population palestinienne demande à sa direction une réflexion, une autocritique et plus de contrôle citoyen sur ses représentants. Les citoyens palestiniens réalisent très bien qu'on ne peut pas tout justifier sous prétexte que nous sommes en confrontation avec Israël. Et je crois qu'ils préfèrent ne pas avoir d'État plutôt que de se retrouver dans une république bananière.
Mais sur ce point-là je ne suis pas inquiète. Les Palestiniens ont, dans le monde arabe, la situation la plus tragique, avec ce morcellement de leur société et ce harcèlement de chaque minute, mais ils ont encore du souffle. Les citoyens du monde arabe les regardent et adhèrent à leur Intifada - un mot qui est devenu universel - car les Palestiniens, en résistant, vengent leurs propres frustrations. Ils trouvent un parfum de liberté dans leur capacité de dire non, dans l'universalité de leur combat.
Ce mouvement d'identification, cette adhésion ne se limite pas au monde arabe. On l'a vu s'étendre, ces dernières années, à tous les mouvements sociaux qui se sont voulus des mouvements de citoyens sortant des divisions sectaires des partis politiques de gauche et qui se sont sentis concernés par une autre mondialisation. Ils se sont manifestés par cette circulation extraordinaire de citoyens qui se rendent en Palestine, qui sentent qu'ils ont le devoir de refuser l'hégémonie militaire américaine, qui veulent réveiller les représentants de l'Europe. Ils ont non seulement bouleversé l'opinion publique en Palestine mais réveillé celle du monde arabe dont les citoyens se trouvaient dans un désespoir total, car incapables d'exprimer leur opposition à la guerre. Ils se sont sentis représentés par les manifestants qu'ils voyaient à la télévision à travers les capitales d'Europe et du monde, où le mouvement contre la guerre en Irak a été extraordinaire.
Là réside l'importance du travail de la presse et d'un journal comme l'Humanité. Qu'il s'agisse des articles qui y sont publiés ou du milieu qu'il crée autour de lui, c'est un outil de dialogue avec le citoyen, lieu réel du pouvoir, par ce qu'il peut créer autour de lui, par le cercle de ses lecteurs mais aussi de ses Amis - je pense aux débats que l'Humanité a organisé autour de la mondialisation, mais aussi de tous les combats, de toutes les luttes de libération qu'elle défend, par seulement celle du peuple palestinien. Ces cercles de réflexion sont importants car ils établissent des alliances avec toute une série de milieux qui contribuent à la compréhension des réalités d'aujourd'hui. Il y a d'autant plus besoin de réflexion, d'intelligence, que la situation est plus complexe et que la disparition du monde bipolaire doit produire des réflexions qui ne soient pas séparées de l'action. C'est peut-être ce qui inspire dans le combat des Palestiniens : c'est sans doute le dernier combat, après l'Afrique du Sud, qui porte sur les plans tant politique qu'intellectuel et philosophique, et qui ne nie pas l'autre mais au contraire l'intègre.
Le rôle de l'Humanité dans le siècle passé a été primordial, bien au-delà des communistes eux-mêmes, qui ont les critères qu'il faut pour pouvoir lire le monde, grâce à leurs traditions politiques, philosophiques, mais aussi à leur pratique militante. Le journal, par l'engagement de ceux qui y travaillent et qui savent aller au plus près de la réalité des gens, a influencé bien au-delà des membres du Parti communiste, servant souvent de boussole à ses lecteurs. Le projet des Amis de l'Huma est à cet égard très important.
Ce journal, qui a la capacité d'exprimer les choses d'une façon différente des autres organes de presse dans le pays, doit continuer à vivre. J'espère que dans ce nouveau siècle qui va être plus complexe, plus difficile à comprendre, et d'évidence plus violent encore que celui qu'on vient de traverser, l'Humanité pourra continuer à faire ce travail. Je lui souhaite l'intelligence, la détermination et l'engagement nécessaires.
                           
2. Walid Jumblatt, le chef  druze libanais, déplore que les roquettes iraquiennes aient manquées le vice-secrétaire à la Défense américain Paul Wolfowitz
Dépêche de l'agence Reuters du lundi 27 octobre 2003, 16h33
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Beyrouth - Un responsable politique libanais a suscité l’ire de l’Ambassade américaine à Beyrouth, hier, en déclarant qu’il espérait que la prochaine attaque contre le numéro deux du ministère de la Défense américain ne raterait pas sa cible.
Le dirigeant druze libanais Walid Jumblatt a qualifié le vice-secrétaire à la Défense Paul Wolfowitz de « virus », qu’il faut éliminer, après que l’Américain se soit extrait indemne d’une attaque de la guérilla irakienne à la roquette contre l’hôtel fortifié de Bagdad où il était descendu.
L’ambassade américaine a qualifié les commentaires de M. Jumblatt d’ « outrageants ».
Le chef druze, président du Parti Socialiste Progressiste Libanais, a déclaré, notamment, qu’il espérait que Wolfowitz, qu’il avait au préalable vilipendé en tant qu’architecte de la guerre américano-britannique contre l’Irak et d’ami d’Israël, ne survivrait pas à un nouvel attentat à l’avenir.
« Nous espérons que, la prochaine fois, le tir des roquettes sera plus précis et plus efficace, et qu’il nous débarrassera de ce virus et ses semblables, qui sèment la corruption dans les contrées arabes d’Irak et de Palestine », a déclaré M. Jumblatt.
L’ambassade américaine à Beyrouth a publié un communiqué qualifiant ces déclarations « d’outrageuses et totalement inacceptables », exhortant le gouvernement libanais à faire de même.
« De telles déclarations ne font pas que louanger des actes terroristes, elle servent à inciter à de nouvelles attaques à venir contre des officiels du gouvernement américain. Nous attendons du gouvernement libanais, également, qu’il condamne ces propos », a déclaré l’ambassade.
Wolfowitz, en visite de week-end en Irak, a échappé indemne de l’attaque contre l’Hôtel Rashid, dimanche dernier, au cours de laquelle un soldat américain a été tué et dix-sept personnes blessées. Cet attentat visait le cœur de la puissance américaine en Irak.
Wolfowitz a fait le serment que cette attaque contre un bâtiment lourdement fortifié, qui abrite également le quartier général de l’administration irakienne sous supervision américaine, n’amènerait nullement les Etats-Unis à abandonner l’Irak.
M. Jumblatt a choisi pour faire cette déclaration le jour le plus sanglant jamais enregistré à Bagdad depuis que les forces alliées conduites par les Etats-Unis ont renversé le régime du leader irakien Saddam Hussein, en avril dernier. Des kamikazes ont tué trente cinq personnes, en blessant deux cent trente, au cours d’attaques simultanées contre le siège de la Croix Rouge et trois commissariats de police dans différents quartiers de la capitale irakienne.
                                   
3. Pour Israël la raison d'Etat ne suffit pas ? par David Meyer
in Le Monde du lundi 27 octobre 2003

(David Meyer est rabbin de la Brighton and Hove new synagogue - Grande-Bretagne -, directeur rabbinique de l'International Jewish Center - Bruxelles -, membre du comité du Centre européen juif d'information - Bruxelles -.)
Une fois de plus, la nouvelle année juive s'est ouverte il y a quelques semaines dans la violence. Comme le disait jadis l'Ecclésiaste : "Il n'y a donc rien de nouveau sous le soleil." Pourtant, les fêtes juives dites de Tichri, du Nouvel An à l'exubérance de Simrhat Torah - la fête de la Torah -, nous offrent une occasion unique de réfléchir durant un mois sur les événements de l'année écoulée et d'y déceler, au-delà des répétitions, certains changements et certaines évolutions.
Quel est donc, à ce titre, l'événement le plus marquant de cette année ? Entre la guerre en Irak, l'antiaméricanisme renaissant, les divisions de l'Europe, l'escalade continuelle de la violence en Israël et la crainte perpétuelle du terrorisme, le choix est bien difficile.
A titre personnel, c'est un événement sans doute anodin et presque digne de la rubrique des faits divers que je choisirai : le décès des deux sœurs siamoises iraniennes, il y a quelques mois. Après trente-cinq années de vie commune, soudées l'une à l'autre, c'est en cherchant à se séparer, grâce au progrès de la chirurgie, que ces jeunes femmes ont trouvé la mort. Le destin tragique de ces deux sœurs me fait penser à ce qui risque bien d'arriver aux Israéliens et aux Palestiniens si le processus de séparation, enclenché par la construction du fameux mur, se poursuit.
L'image des Israéliens et des Palestiniens comme peuples siamois, se débattant en sens opposé et imaginant une vie meilleure et plus sûre dans l'acte de séparation absolue, doit donc nous faire réfléchir sur les conséquences d'une telle entreprise.
La tradition rabbinique nous fournit une réflexion fort pertinente. L'histoire se passe au début de la création du monde, lors du premier - et dernier - conflit opposant Caïn à son frère Abel. Sur les causes de la dispute, le livre de la Genèse n'est que peu bavard - "Caïn parla à son frère Abel" nous enseigne le texte. Mais que lui dit-il ? Le Midrash, livre d'interprétation allégorique du texte de la Torah, propose à notre réflexion les mots suivants : "Allons, se disent-ils, divisons donc le monde entre nous. Que l'un de nous prenne la terre et l'autre tout ce qui y vit. L'un dit alors "le lieu sur lequel tu te trouves m'appartient", ce à quoi le second rétorqua "les vêtements que tu portes m'appartiennent". "Déshabille-toi", ordonne-t-il alors à son frère. Mais celui-ci lui répond sur le champ "vole et que tes pieds ne touchent plus le sol qui est à moi". C'est alors que Caïn se leva et tua son frère."
Que nous enseigne cette histoire du Midrash ? Il me semble que cette discussion imaginaire entre les deux frères - les deux premiers frères de l'histoire humaine - nous fait tout d'abord prendre conscience de la tentation de séparation intrinsèque à notre propre nature. Différents l'un de l'autre, en conflit l'un avec l'autre, la tentation conjointe de Caïn et d'Abel est de se séparer afin de trouver, dans l'acte de la séparation, l'épanouissement, la plénitude, le bonheur et la sécurité.
Mais au-delà de cette tentation bien humaine, le récit rabbinique nous fait aussi prendre conscience que la séparation est, de fait, impossible. Il est absurde de prétendre que le sol appartient à l'un, alors que ce qui y vit appartient à l'autre. Tout comme le premier ne peut se "déshabiller et vivre", l'autre ne peut "voler et vivre". La vie des deux frères, tout comme la vie des peuples, est intriquée l'une dans l'autre et seule la mort de l'un des protagonistes - ou des deux ? - parvient à accomplir la séparation définitive. Mais il est alors trop tard.
Il en va de même entre Israéliens et Palestiniens aujourd'hui. Différents, jaloux l'un de l'autre, effrayés l'un par l'autre mais vivant côte à côte, il est impensable de croire sérieusement à l'option de la séparation.
Cette conclusion est, il convient de l'avouer, particulièrement difficile à accepter pour le peuple juif, et donc pour les Israéliens. En effet, ne l'oublions pas, la Torah elle-même définit le peuple d'Israël comme un "Am Kadosh", non pas "un peuple saint" comme les traductions le disent souvent, mais plutôt comme un "peuple séparé", car c'est bien ainsi que se traduit la racine hébraïque KaDoSH.
Le livre du Lévitique le répète avec force : "Kedoshim Tiiyou", "soyez séparés". Une notion de séparation qui, pendant des siècles et malgré les persécutions que les notions de différence et de séparation engendrent, a permis au peuple juif de survivre et de maintenir sa propre identité.
Alors pourquoi, se demandent certains, en serait-il autrement aujourd'hui dans le conflit qui nous oppose aux Palestiniens ? C'est qu'il existe une différence fondamentale entre une séparation qui nous est imposée par le monde extérieur et une séparation que l'on s'impose soi-même et que l'on impose aux autres. A travers les siècles de l'histoire juive, ce sont "les autres" qui nous ont séparés en refusant de nous laisser vivre à leur côté. Face à une telle réalité, il était bon et encourageant que la tradition juive valorise la notion de séparation. Il ne s'agissait ni plus ni moins que d'un exercice de survie morale face à l'adversité.
Il en va tout autrement lorsque, possédant la force et le pouvoir, on fait le choix délibéré de la séparation, comme semble le faire le gouvernement israélien aujourd'hui. Les rôles sont alors renversés et la naïve tentation de croire qu'un mur - quelles que soient sa hauteur et sa largeur - puisse sauver des vies risque bien de faire perdre aux Israéliens, et avec eux au peuple juif, l'âme et l'esprit de toute notre tradition.
Le grand penseur et philosophe juif sioniste qu'était Martin Buber écrivait déjà en 1949 que l'Etat d'Israël n'était pas et ne pouvait pas être un Etat comme les autres : "Un Etat, disait-il, a coutume de s'en tenir à ce qu'on appelle "la raison d'Etat" ; chaque fois qu'il a une tâche à accomplir ou un problème à résoudre, il choisit la voie où il perçoit ni plus ni moins que l'intérêt de l'Etat. Pour notre peuple, pour notre Etat et pour l'heure présente, la raison d'Etat ne suffit pas."
Plus de cinquante années après ces mots de Buber, et en ce qui concerne le mur de la séparation, le dilemme d'Israël reste inchangé.
                                   
4. Et voilà que notre Lucy, à son tour, baisse pavillon… par Alan Ramsey
in Sidney Morning Herald (quotidien australien) du samedi 25 octobre 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Dr. Hanan Mikhail Ashrawi est une femme, professeur d’anglais, militante internationale des droits de l’Homme et femme politique. L’année dernière, elle a été choisie, à l’unanimité, pour recevoir le Prix de la Paix de la ville de Sidney pour l’année 2003. Le Maire, Bob Carr, offrira une récompense à Mme Ashrawi au Parlement d’Etat, dans douze jours. Les quatre premiers récipiendaires du prix annuel de Sidney avaient eu les honneurs du Grand Hall de l’Université de Sidney. Parmi eux, l’archevêque d’Afrique du Sud Desmond Tutu (1999), le président du Timor de l’Est, Xanana Gusmao (2000) et l’Australien Sir William Deane (2001). Toutefois, pour Mme Ashrawi, le Grand Hall n’est pas disponible.
Ce qui fait problème, ce n’est pas que Mme Ashrawi soit (au choix) une femme, une universitaire, ou une militante politique. Non, tout ça, ça va. Le problème, c’est qu’elle est palestinienne. Cela suffit à entraîner une campagne virulente de diffamation et de dérision menée par des détracteurs juifs désireux de mettre son image à mal et de tenter d’amener M. Carr à renoncer à la réception et à la remise de son prix dans ce lieu prestigieux. Jusqu’ici, M. Carr a refusé de céder. Ce n’est, hélas, pas le cas de l’Université de Sidney.
Il y a quelques mois, le chancelier de l’université, le Juge Kim Santow de la Cour Suprême du NSW, a fait savoir au Professeur Stuart Rees, directeur de la Fondation Sydney pour la Paix, et à Kathryn Greiner, secrétaire de la fondation, à l’époque, que le Grand Hall de l’Université tiendrait ses portes fermées devant Mme Ashrawi. M. Rees et un de ses collègues universitaires, Ken McNabb, ont porté l’affaire devant le vice-chancelier de Sidney, Gavin Brown. Au cours de ce qui a été qualifié de réunion « laborieuse et honteuse », Brown a confirmé la décision. La campagne, à cette heure, consiste à exercer une pression politique maximale afin que d’autres sponsors institutionnels et privés laissent choir Mme Ashrawi et intimident M. Carr.
Lucy Turnbull, Maire de Sydney depuis que Frank Sartor a rejoint le gouvernement de M. Carr après les élections du NSW en mars dernier, a été la dernière en date à baisser pavillon. M. Sartor, en tant que maire, avait pris des dispositions afin que la Ville de Sidney abonde de 30 000 dollars par an, durant cinq ans, la conférence de la Fondation de la Paix, qui est toujours prononcée, lors d’une cérémonie séparée, par le récipiendaire du prix de la paix, à la veille de la cérémonie de remise du prix, le premier mercredi du mois de novembre.
Mardi dernier, dans une brève missive adressée au « Cher Professeur Rees », datée du 20 octobre, Mme Turnbull disait à M. Rees que le Conseil municipal de Sidney « sera dans l’impossibilité de participer aux cérémonies de remise du Prix de la Paix, cette année ». En clair, le conseil démolissait tant la conférence que la cérémonie de remise du prix. Les raisons invoquées par Mme Turnbull pour ce faire étaient controuvées : la bouillie pour les chats ignorants habituelle, faite d’allégations sempiternellement servies par les habituels suspicieux envers tout Palestinien jouissant de quelque autorité internationale et partie prenante au processus de paix.
Lucy Turnbull devrait lire la lettre publiée par un universitaire juif de l’Université d’Oxford, publié hier dans le Herald. Après quoi, elle devrait aller se cacher pour échapper à la honte. Cette lettre était une réponse à un article de Tony Stephen publié voici deux jours dans le Herald au sujet de la lâche capitulation de Mme Turnbull devant la campagne anti-Ashrawi. Il disait : « L’opposition à la remise du prix de la Paix de Sidney au Dr. Hanan Ashrawi est fondée sur l’ignorance historique, la cécité idéologique, la malveillance volontaire et l’opportunisme politique provincial. » [Are you listening, Malcolm ? T’écoutes, Malcolm ?]
La lettre poursuivait : « Le Dr. Ashrawi a toujours été une voix rare et précieuse de raison dans le processus de paix, et son engagement en vue d’une solution juste a toujours été exemplaire. Elle encourage depuis toujours les Palestiniens à rejeter la violence, en dépit de l’expansion territoriale continue des Israéliens et de l’oppression politique systématique qu’ils infligent aux Palestiniens. » [Signé : Ben Saul, Assistant en droit international, Magdalen College, Université d’Oxford, Angleterre]
Et que pense M. Rees du blanc plumage de Lucy ? Il l’a dit, hier : « Lorsque j’ai négocié le contrat de sponsoring avec la Ville, c’est avec Jack Sartor que je l’ai fait, et non avec Lucy Turnbull, qui est une personne intéressante. J’ai eu des rencontres face à face avec tous les sponsors d’entreprises qui nous soutiennent dans cette affaire. Je suis même « descendu » en avion à Melbourne afin de conférer avec l’entreprise Rio Tinto. Mais Lucy Turnbull & Co. sont un peu comme les Médicis de la Mairie de Sidney. Elle ne m’adresse jamais la parole. Tout ce que j’ai pu obtenir, c’est cette note résumée, il y a deux ou trois jours, dans laquelle, pour des raisons connues d’elle seule, elle donne une interprétation délirante des déclarations publiques de Mme Ashrawi, et elle annonce qu’elle ne nous apportera pas son soutien public, cette année ! »
« Autrement dit, on ne la verra pas dans la même compagnie que Mme Ashrawi. Elle ne veut même pas être vue dans l’amphithéâtre ! Apparemment, cela lui coûterait plus cher que de ruiner la vie politique de son tendre époux. »
Ah, oui, bien sûr, j’oubliais : Malcolm Tumbull est le poulain favori et très publicisé de Peter King, du parti libéral, dans sa conquête du siège fédéral de Wentworth, dans la banlieue est. Lucy Turnbull a dû atterrir depuis sa fameuse lettre adressée à Rees, commençant par « Cher John », cette semaine. Mais un grand industriel a téléphoné mardi dernier à Rees afin de le mettre au courant d’une conversation qu’il avait surprise lors d’une réception la veille. Cette conversation comprenait apparemment ces propos, qui auraient été tenus à Lucy : « Ce minable de King se répand, disant que vous soutenez les Palestiniens, parce que vous auriez l’intention de participer à cette cérémonie de remise de prix. »
Rees a commenté en ces termes : « Ainsi, Hanan Ashrawi voit son nom salit et tourné en ridicule parce que les Turnbulls veulent avoir encore plus de pouvoir qu’ils n’en ont actuellement. »
Et Kathryn Greiner ? Mme Greiner a été présidente de la Fondation de Sydney pour la Paix durant quatre ans, jusqu’à sa démission, cette année, au sujet d’une action de solidarité impliquant son mari, Nick, contre le Sénat de l’Université de Sidney et sans aucun rapport avec les coups de pied dans les chevilles autour du prix de la paix. Elle était l’une des six membres du jury qui élut Ashrawi à l’unanimité en septembre dernier (les cinq autres étant : Rees ; le sociologue Hugh Mackay ; le Dr. Jane Fulton de l’université de gestion ; Stella Cornelius, grande dame spécialiste des médiations, quatre-vingt trois ans, de Sidney et James McLachlan, un des directeurs de Kerry Packer PBL).
Greiner reste abstentionniste et favorable à Rees. Mais, voici deux semaines, le 9 octobre dernier, elle a téléphoné à Rees pour lui parler franchement et lui exprimer ses préoccupation au sujet d’une campagne médiatique prenant de l’accélération contre Mme Ashrawi. Une retranscription de leur conversation donne ce qui suit :
- KG : « Je dois parler logiquement. C’est soit Hanan Ashrawi, soit la Fondation de la Paix. Nous devons choisir, Stuart. J’ai la claire impression que si tu t’entêtes à recevoir Ashrawi ici, ils te détruiront. Rob Thomas, de City Group, a des problèmes simplement parce qu’il nous soutient. Je pense qu’il a dû recevoir un appel téléphonique de New York. Et tu sais bien que Danny Gilbert [associé du cabinet juridique Gilbert & Tobin] a déjà été dissuadé. »
- SR : « Tu plaisantes, ou quoi ? On a déjà parlé de ça cent fois. Nous nous sommes largement consultés. Nous sommes d’accord pour dire que la décision du jury, prise il y a plus d’un an, non seulement a été prise à l’unanimité, mais que, de plus, nous la soutiendrons ensemble. »
- KG : « Mais enfin, écoute : j’essaie de me représenter la logique de tout ça. Ils détruiront ce pour quoi tu as travaillé d’arrache-pied. Ils sont déterminés à montrer que nous avons fait un mauvais choix. Je pense que c’est le fric de Frank Lowy. Tu ne comprends tout simplement pas à quel point l’opposition est forte. Nous ne pouvons pas continuer ainsi. S’il y avait eu le moindre progrès au Moyen-Orient, cela serait un peu moins un si mauvais moment. »
- SR : « Je ne vais pas me laisser maltraiter et intimider. Nous sommes menacés par des gens appartenant à un puissant groupe de pression et qui pensent qu’ils ont quelque titre à dicter aux autres ce qu’ils ont à faire. Cette opposition est orchestrée. Les arguments sont toujours les mêmes – qu’Hanan Ashrawi n’a pas assez condamné la violence, quelle a été très critique envers Israël dans son discours devant la conférence sur le racisme des Nations Unies à Johannesburg, et d’autres accusations plus véhémentes que je ne peux même pas répéter. »
- KG : « Mais tu ne veux pas entendre ce qui est pourtant la logique même. La Banque du Commonwealth – j’étais à une de leurs réceptions, hier soir – est très critique. Nous n’avons pas pu nous rapprocher d’eux pour obtenir une aide en vue du Prix de la Paix pour les Ecoles. Nous n’obtiendrons d’eux aucun soutien. Le monde des affaires va resserrer les rangs. Ils disent que nous sommes de parti pris, que nous ne soutenons que le côté palestinien. »
- SR : « Kathryn, il faut absolument éviter de tomber dans le piège et ne même pas entrer dans ce faux débat du « un seul côté ». Ce n’est pas le problème. On est en train de nous faire du chantage et de nous intimider, et tu es en train de me demander qu’on les laisse faire. Les rédacteurs de lettres et les donneurs de coups de téléphone professionnels encouragés par ce groupe ont passé des semaines à harceler une de mes collègues, qui a vingt-cinq ans, et qui dirige l’administration de la fondation. Et toi, tu me demandes de me joindre à la meute des harceleurs. »
- KG : « Tu comprends pas. Je vais te dire à quel point c’est sérieux. Bob Carr n’assistera pas au dîner. Il refilera le bébé à son adjoint Andrew Refshauge, au dernier moment. Et tu n’auras pas la Mairie. Lucy n’en veut à aucun prix. Ils nous boycotteront, nous aussi. »
- SR : « Je ne me suis jamais couché devant les menaces. La vie publique se caractérise bien trop par la lâcheté. Si nous cédions, j’aurais tellement honte que je ne pourrais plus me regarder dans une glace. L’image de marque de la Fondation pour la Paix serait honteuse. Notre réputation serait anéantie. »
- KG : « Mon pote, je te dis ce qu’il en est en réalité : la Fondation sera détruite. Je détesterais voir tout le boulot accompli réduit à néant, à cause de ce problème. Nos détracteurs disent que nous avons fait un choix horrible (en sélectionnant Hanan Ashrawi pour le prix, ndt] »
- SR : « Ces détracteurs, se sont les « ils » et les « eux », ce sont des gens invisibles, mais très puissants. Ils restent puissants parce qu’ils sont invisibles. Ils contraignent et intimident, et dans le même souffle, ils se comportent en piliers immaculés de la communauté. Tu veux dire que dans notre Australie si cauteleuse, et bien souvent dénuée de tripes, nous allons céder là-dessus ? Non. Je m’en tiendrai résolument à notre décision. »
                               
5. Damas souhaite une reprise des négociations de paix avec Israël 
in L'Orient-Le Jour (quotidien libanais) du vendredi 24 octobre 2003

Le Premier ministre syrien Nadji al-Otri a déclaré jeudi que son pays verrait d’un bon œil une relance des efforts de paix avec Israël, fondée sur le résultat des précédents efforts et des résolutions adoptées par l’Onu. Les propos d’Otri interviennent deux semaines après un raid aérien israélien en territoire syrien, provoquant un regain de tension dans la région. « La Syrie, qui souhaite la paix et a déployé des efforts intenses pour combattre le terrorisme, affirme qu’elle est favorable à toute tentative sérieuse de parvenir à une paix juste et globale », a déclaré Otri.
Par ailleurs, le chef d’état-major syrien, le général Hassan Turkmani, a affirmé que son pays était à même de « dissuader » Israël de lancer une nouvelle attaque en Syrie, comparable au raid aérien du 5 octobre. « La Syrie n’a pas riposté au raid israélien, mais elle est capable de dissuader Israël et de mettre fin à ses aventures belliqueuses », a déclaré le général Turkmani, cité hier par la presse syrienne.
                           
6. Israël : L’Alternative par Tony Judt
in The New York Review of Books (bihebdomadaire américain) du jeudi 23 octobre  2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Le processus de paix au Moyen-Orient est terminé. Il n’est pas mort : il a été tué. Mahmoud Abbas a été sapé par le président de l’Autorité palestinienne et humilié par le Premier ministre israélien. Son successeur attend un sort similaire. Israël continue à se moquer de son maître américain, construisant des colonies illégales en violation cynique de la « feuille de route ». Le Président des Etats-Unis d’Amérique a été réduit au stade de la marionnette du ventriloque, répétant de manière pathétique la scie du cabinet israélien : « C’est la faute à Arafat ». Quant aux Israéliens, ils attendent sombrement le prochain kamikaze. Les Arabes palestiniens, confinés dans des bantoustans allant sans cesse se rétrécissant, survivent grâce aux subsides de l’Union européenne. Sur le paysage parsemé de cadavres du Croissant Fertile, Ariel Sharon, Yasser Arafat et une poignée de terroristes peuvent tous, désormais clamer leur victoire. C’est d’ailleurs ce qu’ils font. Avons-nous touché le fond ? Que faut-il faire ?
Au crépuscule du vingtième siècle, et à l’aube des empires continentaux, les peuples sujets de l’Europe rêvaient de former des « Etats nations », des foyers territoriaux dans lesquels les Polonais, les Tchèques, les Serbes, les Arméniens et d’autres pourraient vivre libres, maîtres de leur propre destin. Lorsque les empires des Habsbourg et des Romanof s’effondrèrent, après la Première guerre mondiale, leurs dirigeants saisirent l’opportunité qui s’offraient à eux. Une flopée de nouveaux Etats émergea ; et la première chose qu’ils firent, ce fut de privilégier leur propre majorité nationale, « ethnique » - définie par la langue, ou la religion, ou l’ancienneté, ou encore les trois – au détriment de minorités locales gênantes, auxquelles fut assigné un statut de seconde classe d’éternels étrangers en résidence temporaire dans leur propre demeure.
Mais le sionisme, mouvement nationaliste lui aussi, fut frustré dans ses ambitions. Le rêve d’un foyer national juif convenablement situé au beau milieu de l’Empire turc défunt allait devoir attendre le retrait de l’Empire britannique : processus qui exigea trois décennies supplémentaires et une Seconde guerre mondiale. Ainsi, ce n’est qu’en 1948 qu’un Etat – nation juif fut créé dans une Palestine anciennement ottomane. Mais les fondateurs de l’Etat juif avaient été influencés par les mêmes concepts et les mêmes catégories que leurs contemporains fin de siècle, à Varsovie, à Odessa ou encore à Bucarest ; rien d’étonnant à ce que l’autodétermination d’Israël en termes ethno-religieux, et sa discrimination à l’encontre des « étrangers » de l’intérieur ait depuis toujours eu beaucoup de choses en commun avec, disons, les pratiques de la Roumanie post-habsbourgienne, qu’aucun des deux camps ne semble vouloir l’admettre.
Le problème d’Israël est donc, en bref – comme cela est parfois suggéré – qu’il s’agit d’une « enclave » européenne à l’intérieur du Monde arabe ; mais plus encore, d’être venu trop tard. Il a importé un projet séparatiste typiquement fin dix-neuvième (siècle) dans un monde qui a évolué, un monde des droits de l’homme, des frontières ouverte, et du droit international. L’idée même d’un « Etat juif » - un Etat dans lequel les citoyens non-juifs sont à jamais exclus – s’enracine dans une autre époque et en d’autres lieux. Bref : Israël est un anachronisme.
Cependant, Israël est doté d’une caractéristique vitale, qui le rend bien différend des micro-Etats incertains et toujours sur la défensive de jadis, issus de l’effondrement impérial : c’est une démocratie. D’où son dilemme actuel. Par la « grâce » de son occupation des territoires qu’il a conquis en 1967, Israël est aujourd’hui confronté à trois choix tous aussi peu « sexy » les uns que les autres. Il peut démanteler les colonies juives dans les Territoires ; il peut se retirer jusqu’aux frontières de 1967 à l’intérieur desquelles les juifs représentent une majorité incontestable, ce qui lui permettrait de demeurer à la fois un Etat juif et une démocratie, bien qu’elle comporte une communauté constitutionnellement anomale de citoyens arabes de seconde catégorie.
Autre possibilité, Israël peut continuer à occuper la « Samarie », la « Judée » et Gaza, dont la population arabe – s’ajoutant à celle d’Israël tel qu’on le connaît aujourd’hui – deviendra la majorité démographique d’ici cinq à huit ans ; auquel cas, Israël sera soit un Etat juif (avec une majorité toujours plus nombreuse de non-juifs asservis) ou bien il sera une démocratie. Mais, en toute logique, il ne saurait être les deux à la fois.
Ou bien encore – troisième possibilité – Israël peut conserver le contrôle des Territoires Occupés mais se débarrasser de la majorité écrasante de leur population arabe : soit en les expulsant manu militari, soit en les privant de leurs terres et de tout moyen de vivre, en ne leur laissant d’autre choix que l’exil. De cette manière, nul doute qu’Israël puisse rester juif et, tout du moins en apparence, démocratique. Mais ce serait au prix d’être devenu la première démocratie contemporaine à mener à bien une épuration ethnique à grande échelle prenant la dimension d’un projet national, ce qui condamnerait à jamais Israël au statut de l’Etat hors-la-loi, de paria international.
Quiconque présume que cette dernière option est impensable, par-dessus tout pour un Etat juif, n’a certainement pas eu l’occasion de voir le bourgeonnement continuel des colonies et des confiscations de terres en Cisjordanie tout au long du dernier quart de siècle, ni entendu les propos de certains généraux et hommes politique israéliens de droite, dont certains sont aujourd’hui au gouvernement. Le marais de la politique israélienne est occupé aujourd’hui par le Likoud. Sa principale composante est le parti Herut, celui de feu Menahem Begin. Ce parti Herut est l’héritier de la formation des Sionistes Révisionnistes de Vladimir Jabotinsky, un parti de l’entre-deux guerres dont l’indifférence totale pour les courbettes légales et territoriales lui valu jadis du côté des sionistes dont le cœur penchait à gauche le charmant épithète de « fasciste ». Lorsqu’on entend le vice-premier ministre Ehud Olmert affirmer fièrement que son pays n’écarte pas l’option d’assassiner le président élu de l’Autorité nationale palestinienne, il est clair que cette étiquette lui va mieux que jamais. L’assassinat politique est en effet la spécialité des fascistes.
La situation d’Israël n’est pas désespérée, mais elle est sans doute bien près de sans espoir. Les kamikazes ne mettront jamais l’Etat israélien à genoux, et les Palestiniens n’ont pas d’autre arme. Il y a, c’est vrai, des Arabes radicaux qui n’auront de cesse de bouter jusqu’au dernier juif dans la Méditerranée, mais ils ne représentent pas une menace stratégique pour Israël, et les militaires israéliens le savent bien. Ce que les Israéliens raisonnables redoutent plus que le Hamas ou que les Brigades d’Al-Aqsa, c’est l’émergence lente mais assurée d’une majorité arabe dans le « Grand Israël », et par-dessus tout, l’érosion de la culture politique et de la morale civique de leur propre société. Comme l’a écrit récemment l’éminent homme politique travailliste Avraham Burg, « Après deux mille ans de lutte pour sa survie, la réalité d’Israël est celle d’un Etat colonial, dirigé par une clique corrompue qui raille et tourne en dérision la loi et la moralité civique. » [1]
http://www.nybooks.com/articles/16671#fn1
Sauf changement, d’ici cinq ans, Israël ne sera (plus) ni juif, ni démocratique.
C’est là où les Etats-Unis entrent en scène. Le comportement d’Israël s’avère un désastre pour la politique étrangère américaine. Avec le soutien américain, Jérusalem a, avec constance et effronterie, bafoué les résolutions de l’ONU lui enjoignant de se retirer de territoires conquis et occupés par la guerre. Israël est le seul Etat du Moyen-Orient dont tout le monde sait qu’il détient des armes de destructions massive bien réelles (celles-là) et effectivement mortelles. En fermant les yeux, les Etats-Unis ont très efficacement sapé leurs propres efforts de plus en plus frénétiques afin d’éviter que des armes de ce type ne tombent aux mains d’autres petites puissances potentiellement belliqueuses. Le soutien inconditionnel de Washington à Israël, en dépit de ses incartades (passées sous silence) est la principale raison qui fait que le reste du monde n’accorde plus la moindre once de crédit à notre bonne foi.
Cela est désormais tacitement concédé par les gens qui adoptent la position consistant à dire que les raisons qu’avait l’Amérique de faire la guerre à l’Irak n’étaient pas nécessairement celles qui étaient affichées à l’époque de sa préparation [2]. http://www.nybooks.com/articles/16671#fn2
Pour bien des membres de l’actuelle administration américaine, une considération stratégique majeure était le besoin de déstabiliser le Moyen-Orient afin de le remodeler d’une façon dont on pensait qu’elle serait favorable à Israël. Cette histoire se poursuit. Si nous sommes en train de produire, aujourd’hui, des bruits de bottes envers la Syrie, c’est parce que les services de renseignement israélien nous ont affirmé que des armes irakiennes ont été transportées dans ce pays pour les y mettre à l’abri – affirmation dépourvue de toute preuve évidente d’une quelconque source indépendante, autre qu’israélienne. La Syrie soutient le Hezbollah et le Jihad islamique : des ennemis jurés d’Israël, sans aucun doute, mais bien loin de représenter une menace internationale. Toutefois, Damas a fourni jusqu’ici aux Etats-Unis des données extrêmement précieuses concernant Al-Qa’ida. Comme l’Iran, autre cible de vieille date de la colère israélienne que nous nous appliquons à nous aliéner, la Syrie est plus utile aux Etats-Unis en tant qu’amie qu’ennemie. Quelle guerre sommes-nous donc en train de mener ? [Pour qui nous battons-nous, en réalité ?]
Le 16 septembre dernier, les Etats-Unis ont opposé leur veto à une résolution du Conseil de Sécurité exigeant d’Israël qu’il revienne sur ses menaces d’exiler Yasser Arafat. Même les officiels américains reconnaissent, en aparté, que cette résolution onusienne était raisonnable et sage, et que les déclarations de plus en plus folles de l’actuelle direction israélienne, en restaurant le prestige d’Arafat dans le monde arabe, représentent un obstacle majeur à la paix. Mais les Etats-Unis ont néanmoins bloqué cette résolution, sapant encore un peu plus notre crédibilité d’honnête courtier dans la région. Les amis et les alliés de l’Amérique, dans le monde entier, ne sont plus surpris face à ce genre de comportement, mais ils n’en sont pas moins déçus et amers.
Depuis bien des années, les hommes politiques israéliens contribuent activement à créer leurs propres difficultés ; pourquoi continuons-nous à les aider et à les suivre dans leurs erreurs ? Les Etats-Unis ont cherché, en vain, par le passé, à exercer des pressions sur Israël en le menaçant de prélever sur aides annuelles qu’ils lui versent une partie des fonds utilisés afin de subventionner les colons en Cisjordanie. Mais la dernière fois que cette manœuvre fut tentée, du temps de l’administration Clinton, Jérusalem détourna la sanction en imputant ces fonds sur la ligne budgétaire des « dépenses de sécurité ». Washington ferma les yeux sur ce subterfuge, et sur les 10 milliards de dollars d’aide américaine versés durant quatre ans, de 1993 à 1997, ce sont moins de 775 millions de dollars qui ont été ainsi retenus. Le programme de colonisation se poursuivit sans encombre. Aujourd’hui, nous n’essayons même plus de le stopper.
Cette réticence à élever la voix ou à sévir ne nous apporte rien. Elle a même envenimé le débat politique à l’intérieur des Etats-Unis. Plutôt que de penser sainement au Moyen-Orient, les politiciens et les pontifes américains morigènent nos alliés européens lorsqu’ils ne sont pas d’accord avec nous, parlent à tort et à travers de manière irresponsable d’une résurgence de l’antisémitisme dès lors qu’on critique Israël, et envoient paître de manière péremptoire quiconque, chez nous, ose déroger au consensus.
Mais la crise au Moyen-Orient ne va pas se régler comme ça, sur un claquement de doigts. Le président Bush va vraisemblablement se tenir en dehors de la mêlée durant l’année à venir, après s’être contenté de dire, en juin dernier, au sujet de la feuille de route, tout juste ce qu’il fallait afin de rassurer Tony Blair. Mais tôt ou tard, un homme d’Etat américain [digne de ce nom] devra bien dire la vérité à  un Premier ministre israélien et trouver un moyen de faire en sorte que celui-ci écoute ce qu’il a à lui dire. Les Israéliens libéraux et les Palestiniens modérés insistent inlassablement depuis deux décennies que leur seul espoir état qu’Israël démantèlerait toutes les colonies et se retirerait à l’intérieur des frontières de 1967, en échange de la reconnaissance de ces frontières et d’un Etat palestinien stable et exempt de tout terrorisme, garanti par les instances internationales et européennes. Le consensus conventionnel est toujours celui-là, et il aurait pu représenter jadis une solution possible et juste.
Mais je crains qu’il ne soit trop tard. Il y a trop de colonies, de trop nombreux colons juifs, et de trop nombreux Palestiniens qui vivent ensemble, même s’ils sont séparés par des barbelés et des permis de circulation. Quoi que dise la « feuille de route », la véritable carte est celle qui est inscrite sur le terrain, et qui, comme le disent les Israéliens, sont le reflet des réalités. Il se peut fort bien que plus d’un million de colons juifs lourdement armés et subventionnés veuillent quitter volontairement la Palestine ; mais personne que je connaisse ne croit que cela arrivera. Beaucoup de ces colons mourront – et tueront – plutôt que de partir. Le dernier homme politique israélien à avoir tiré sur des juifs dans le cadre de la politique gouvernementale fut David Ben Gourion, qui désarma par la force la milice illégale de Begin, l’Irgoun, en 1948, après quoi il l’intégra dans les Forces Israéliennes de Défense, créées depuis peu. Mais Ariel Sharon, ce n’est pas Ben Gourion [3].
http://www.nybooks.com/articles/16671#fn3
Le temps est venu de penser l’impensable. La solution à deux Etats – noyau dur du processus d’Oslo et de l’actuelle « feuille de route » - est vraisemblablement d’ores et déjà condamnée. Avec chaque année qui passe, nous ajournons un choix inévitable, qui devient de plus en plus difficile, que seules l’extrême droite et l’extrême gauche ont identifié, chacune pour ses raisons propres. Le véritable choix auquel le Moyen-Orient sera confronté dans les quelques années à venir sera un choix entre un Grand Israël ethniquement nettoyé et un Etat unique, intégré, binational des juifs et des Arabes, des Israéliens et des Palestiniens. C’est en réalité comme cela que le cabinet Sharon envisage le choix ; et c’est la raison pour laquelle il anticipe l’éviction des Arabes, condition inéluctable de la survie d’un Etat juif.
Mais… Et si il n’y avait nulle place, dans le monde d’aujourd’hui, pour un « Etat juif » ? Et si la solution binationale était une issue non seulement vraisemblable, mais bel et bien désirable ? L’idée n’est pas aussi farfelu qu’il y paraît. La plupart des lecteurs du présent article vivent dans des Etats pluralistes, devenus il y a bien longtemps multiethniques et multiculturels. L’ « Europe chrétienne » de M. Valéry Giscard d’Estaing, est désormais lettre morte ; de nos jours, la civilisation occidentale est un patchwork de couleurs, de religions et de langues, de Chrétiens, de juifs, de musulmans, d’Arabes, d’Indiens et de beaucoup d’autres – comme toute personne visitant Londres, Paris ou Genève, le constatera [4].
http://www.nybooks.com/articles/16671#fn4
Israël lui-même est une société multiculturelle dans tous les domaines, sauf son intitulé ; néanmoins, il se distingue d’entre les pays démocratiques par son attachement à des critères ethnoreligieux auxquels il recourt avec insistance afin de nommer et de qualifier ses ressortissants. C’est une curiosité parmi les nations modernes, non pas – contrairement à ce que ses partisans les plus paranoïaques prétendent – parce qu’il s’agit d’un Etat juif et que personne ne veut que les juifs aient un Etat ; mais parce que c’est un Etat juif dans lequel une seule communauté – celle des juifs – est considérée au-dessus des autres, en une époque où ce type d’Etat [anachronique] n’a pas de place.
Durant de nombreuses années, Israël eut un sens particulier pour le peuple juif. Après 1948, il accueillit des centaines de milliers de survivants désemparés qui n’avaient nul refuge où aller ; sans Israël, leur situation aurait été absolument désespérée. Israël avait besoin de juifs, et les juifs avaient besoin d’Israël. Les circonstances de sa naissance ont de ce fait marqué l’identité de cet Etat, inextricablement associé à la Shoah, projet allemand d’exterminer l’ensemble des juifs d’Europe. Il en résulte que toute critique à l’encontre d’Israël est ramenée inexorablement dans le passé mémoriel de ce projet, filon que les apologistes américains d’Israël sont honteusement prompts à exploiter. Trouver un quelconque défaut à l’Etat d’Israël, serait dès lors avoir des préjugés envers les juifs ; le fait ne serait-ce que d’imaginer une configuration différente du Moyen-Orient est considéré comme se laisser aller à un équivalent moral du génocide.
Dans les années de l’après-guerre, ces millions de juifs qui ne vivaient pas en Israël ont souvent été rassurés par sa seule existence – qu’ils y vissent une sorte de police d’assurance contre un antisémitisme renaissant ou simplement un rappel donné au monde que les juifs pouvaient répliquer, et qu’ils le feraient le cas échéant. Avant qu’il y ait un Etat juif, les minorités juives, dans les sociétés chrétiennes, regardaient avec anxiété par-dessus leur épaule et gardaient profil bas ; depuis 1948, ils peuvent marcher la tête haute. Mais, ces dernières années, la situation s’est retournée, d’une manière tragique.
Aujourd’hui, les juifs non-Israéliens se sentent à nouveau exposés aux critiques et vulnérables face à des accusations portées contre eux pour des choses dont ils ne sont pas responsables. Mais cette fois-ci, c’est un Etat juif, et non pas un pays chrétien, qui les tient en otages de ses agissements. Les juifs de la Diaspora ne peuvent en rien influer sur la politique israélienne, mais ils sont implicitement identifiés à elle, ce en quoi la revendication par Israël de leur allégeance ne joue pas un rôle mineur. Le comportement d’un Etat autoproclamé « juif » affecte la manière dont tout un chacun regarde les juifs. Les occurrences plus nombreuses d’agressions envers les juifs, en Europe et ailleurs, sont attribuables au premier chef à la volonté mal dirigée, souvent de jeunes musulmans, de rendre ses coups à Israël. La vérité – déprimante – est que le comportement actuel d’Israël n’est pas dommageable seulement pour l’Amérique, bien qu’il le soit certainement. Il n’est pas même simplement dommageable pour Israël lui-même, comme le reconnaissent de très nombreux juifs dans la confidence. La vérité – terrible – est qu’aujourd’hui, Israël représente un danger pour les juifs.
Un monde dans lequel les nations et les peuples se mêlent de plus en plus et lient entre eux des liens de mariage ; où les obstacles culturels et nationaux à la communication se sont pratiquement tous effondrés ; où de plus en plus d’entre nous avons des identités de prédilection multiples et dans lequel nous nous sentirions injustement brimés si nous devions n’en assumer qu’une ; dans un monde tel celui-ci – le nôtre – Israël représente un authentique anachronisme. Et non seulement un banal anachronisme, mais un anachronisme aberrant. Dans le « clash des cultures » que nous vivons aujourd’hui, entre des démocraties ouvertes et pluralistes et des Etats ethniques agressivement intolérants et soumis à une idéologie religieuse, Israël risque véritablement de se trouver dans le mauvais camp.
Faire d’Israël, d’Etat juif qu’il est actuellement, un Etat binational, ne serait pas chose aisée, bien que pas aussi impossible qu’il ne semble : le processus a d’ores et déjà été amorcé de facto. Mais cela causerait bien moins de ruptures à la plupart des juifs et des Arabes que les ennemis religieux et nationalistes de cet Etat binational ne le proclament. Quoi qu’il en soit, personne que je connaisse n’a de meilleure idée : quiconque imagine de bonne foi que la barrière électronique très controversée en train d’être construite résoudra le problème est quelqu’un qui a eu piscine pendant les cinquante années écoulées de l’histoire humaine. Le « mur » - en réalité une zone militarisée fortifiée constituée de tranchées, de grilles, de détecteurs, de pistes de sables (pour enregistrer les empreintes de pas) et d’un mur de béton de huit mètres de hauteur, par segments – occupe, divise et volent leurs terres agricoles aux Arabes ; il détruira des villages, le gagne-pain des paysans et les derniers vestiges d’une vie commune entre Arabes et juifs. Il coûte approximativement un demi million de dollars au kilomètre et il n’apportera rien d’autre qu’humiliation et inconfort pour les deux parties. Comme le mur de Berlin, il confirme la banqueroute morale et institutionnelle du régime qu’il prétend protéger.
Un Etat binational au Moyen-Orient requerrait une direction américaine courageuse et inlassablement engagée. La sécurité des juifs et des Arabes nécessiterait la garantie d’une force internationale – toutefois un Etat binational légitimement constitué trouverait sans doute beaucoup plus facile de contrôler des militants de toutes natures à l’intérieur de ses frontières qu’actuellement, où ils peuvent s’infiltrer à partir de l’extérieur en bénéficiant de l’aide de minorités exclues et en colère de chaque côté de la frontière [5].
http://www.nybooks.com/articles/16671#fn5
Un Etat binational demanderait l’émergence, chez les juifs comme chez les Arabes, d’une nouvelle classe politique. L’idée même représente un mélange peu prometteur de réalisme et d’utopie, ce qui est, il faut bien le dire, pas vraiment la meilleure façon de commencer quoi que ce soit. Mais les alternatives sont bien pire. De loin. De très très loin. [25 Septembre 2003]
- NOTES :
[1] :
http://www.nybooks.com/articles/16671#fnr1
Voir l’essai de Burg : La Révolution sioniste est morte », le Monde, 11.09.2003. Ancien directeur de l’Agence juive, l’auteur de cet article a été porte-parole de la Knesset de 1999 à 2003, et il est aujourd’hui député travailliste à la Knesset. Son article a paru une première fois en hébreu dans le quotidien Yediot Aharonot ; il a été largement republié, notamment dans Forward (29.08.2003) et le quotidien londonien Guardian (15.09.2003).
[2] :
http://www.nybooks.com/articles/16671#fnr2
Voir l’interview du vice-secrétaire à la défense Paul Wolfowitz dans Vanity Fair de juillet 2003
[3] :
http://www.nybooks.com/articles/16671#fnr3
En 1979, à la suite de l’accord de paix conclu avec Anwar El-Sadate, le Premier ministre Begin et son ministre de la Défense Sharon donnèrent effectivement à l’armée l’ordre de démanteler des colonies juives dans le territoire appartenant à l’Egypte. La résistance haineuse de certains des colons fut écrasée par la force, bien qu’il n’y ait pas eu de mort. Mais, à l’époque, l’armée faisait face à trois mille extrémistes seulement, et non à un quart de million d’entre eux, et le territoire concerné était le désert du Sinaï, et non pas les « bibliques » « Judée et Samarie ».
[4] :
http://www.nybooks.com/articles/16671#fnr4
Les Albanais, en Italie ; les Arabes et les Noirs d’Afrique, en France ; les Asiatiques, en Angleterre : tous continuent à rencontrer autour d’eux l’hostilité. Une minorité d’électeurs en France, en Belgique, voire même au Danemark ou en Norvège, soutient des partis politiques dont l’hostilité envers l’immigration tient lieu parfois d’unique programme politique. Mais, comparée à ce qu’elle était il y a trente ans, l’Europe est un patchwork multicolore de citoyens égaux et cela représente, à n’en pas douter, la vision d’avenir.
[5] :
http://www.nybooks.com/articles/16671#fnr5
Comme le relève Burg, la politique actuelle d’Israël est l’instrument le plus efficace de recrutement des terroristes : « Nous sommes indifférents au sort des enfants palestiniens, affamés et humiliés ; aussi, pourquoi sommes-nous surpris lorsqu’ils viennent nous faire sauter dans nos restaurants ? Même si nous tuions 1 000 terroristes par jour, cela ne changerait rien. » Voir : Burg, « La révolution sioniste est morte ».
                       
7. Israël et Palestine : l'urgence d'une force d'interposition - Déclaration du collectif "Trop, c'est trop !"
in Le Monde du jeudi 23 octobre 2003
[- Premiers signataires : Étienne Balibar, Nicole Bernheim, Alexandre Bilous, Olivia Elias, Stéphane Hessel, Alain Joxe, Henri Korn, Gilles Manceron, Pierre Nicodème, Madeleine Rebérioux, Abraham Ségal, Géraldine Sourdot, Marie-Noëlle Thibault et Pierre Vidal-Naquet.]
La nouvelle négociation dite de la " feuille de route ", ouverte sous les auspices du Quartet, se referme sous nos yeux sans avoir jamais commencé : alors que les acteurs du Quartet (Etats-Unis, Union européenne, Russie et Nations unies) avaient proposé une négociation sans préalables, le gouvernement israélien a voulu imposer ses conditions. Voilà qui confirme sa stratégie : non pas rechercher la paix, mais poursuivre une conquête, lente et constante, qui ne cesse de rogner le territoire palestinien par l'extension des colonies. À cela il a ajouté un nouveau mode d'annexion avec le tracé du " Mur " qui englobera une grande partie de la Cisjordanie si sa construction n'est pas arrêtée.
Nous récusons l'argument du gouvernement Sharon selon lequel ce " Mur " est destiné à empêcher les attentats-suicide qui suscitent aussi, chez nous, une très vive émotion. En fait, la stratégie israélienne  vise la destruction de la société palestinienne. Elle recrée en même temps, sans cesse, les conditions du terrorisme de désespoir.
On peut craindre aujourd'hui une fuite en avant. Nous redoutons tout particulièrement que, parmi les solutions examinées par le gouvernement israélien, il ne choisisse, pour réaliser le Grand Israël, de parfaire l'expulsion des Palestiniens de leurs terres. À l'expulsion graduelle par des entraves accrues à la circulation et à la vie économique, sociale et culturelle d'une population prise aux pièges des espaces militarisés et de l'avancée du " Mur ", peut succéder, dans un moment de crise, une expulsion plus brutale, par des destructions et des tueries collectives plus graves encore qu'à Jénine et Naplouse.
C'est pourquoi doit s'engager dans les plus brefs délais la négociation sans préalables proposée par le Quartet : c'est pour l'essentiel aux États-Unis dont nul n'ignore  l'influence sur Israël d'assumer la responsabilité de cette décision.
De toutes manières, la violation extrême par une puissance occupante de la Convention de Genève qui protége les populations civiles autorise les Nations unies à décider des mesures de protection en faveur des civils opprimés.
Nous lançons donc un appel urgent au gouvernement français, à l'Union européenne et aux Nations unies pour que des pressions politiques et économiques soient faites sur le gouvernement Sharon et le conduisent à renoncer à un processus qui multiplie en Palestine occupée les vocations au martyr ; et pour que soit mis en place sur la " ligne verte " un dispositif de protection efficace des populations civiles palestiniennes.
Ne pas agir serait se rendre complice.
                       
8. Kaddafi : "Les Arabes sont finis !" par Samir Gharbi
in L'Intelligent - Jeune Afrique du mardi 21 octobre 2003
Depuis son accession au pouvoir, en 1969, le Guide a multiplié les projets d’union avec les différents pays de la région. À chaque fois, il a été déçu. Dans un discours fleuve prononcé le 6 octobre, il exprime son dépit avec une virulence rare.
Dans une série de discours prononcés devant des milliers de femmes rassemblées dans plusieurs villes à l’occasion de « l’Année de la femme » [la 35e année de la Révolution, qui va du 1er septembre 2003 au 31 août 2004], le colonel Mouammar Kaddafi a renouvelé, pour la énième fois, son appel aux Congrès populaires « pour approuver le départ définitif de la Libye de la Ligue arabe ».
À 61 ans, au pouvoir depuis le 1er septembre 1969, Kaddafi a constaté avec amertume l’échec de son projet d’union arabe. « Aujourd’hui, les Arabes se font écraser en Palestine et en Irak. Tout ce que la Libye a enduré dans le passé est dû aux positions que nous avons prises en faveur des Arabes. Malgré tous nos sacrifices, ils se sont alliés avec les États-Unis et avec le sionisme. Il n’y a plus rien à espérer d’eux », a déclaré le « Caïd » (le Guide) libyen dans le discours fleuve qu’il a prononcé à Sebha dans la nuit du 5 au 6 octobre. EXTRAITS : 
L’unité arabe était l’objectif du mouvement révolutionnaire que nous avons lancé dès 1959, ici, à Sebha, avec des groupes clandestins d’étudiants et militaires libres et unionistes. C’est pourquoi je vous invite à vous pencher sérieusement sur cet événement historique en raison de l’état dans lequel se trouve actuellement la Nation arabe, le nationalisme arabe, l’unité arabe…
Nous, nous avons fait notre devoir pour la cause arabe et avons souffert depuis que nous étions étudiants. Nous avons manifesté, nous avons fait de la prison, nous avons soutenu l’Algérie, la Palestine, la fusion entre l’Égypte et la Syrie, la révolution irakienne, la bataille de Bizerte en Tunisie, le Yémen du Sud… C’était le temps de la lutte armée pour la libération. Nous ne voyions pas alors notre destin en dehors de l’union panarabe. J’ai dit et redit dans mes discours et mes écrits que la Nation arabe n’aura pas d’avenir tant qu’elle ne réalisera pas son unité. Aujourd’hui, je constate avec beaucoup d’amertume que les Arabes ont échoué.
Quand je militais pour l’unité arabe, avant et après la révolution du 1er septembre 1969, quand je distribuais des tracts, quand je m’exposais au danger, je le faisais sincèrement pour une cause juste. Ce n’était pas pour des raisons sentimentales ou affectives, mais pour des raisons existentielles. Il n’y avait aucune raison de douter de la viabilité d’une Nation arabe si bien dotée en ressources naturelles : du pétrole, du gaz, des métaux, des minerais… Cette nation domine la mer Méditerranée, la mer Rouge et l’océan Indien. Elle s’étend sur deux continents, l’Asie et l’Afrique.
Malgré toutes leurs ressources, les Arabes n’ont rien fait à ce jour. Ce ne sont pas les peuples qu’il faut blâmer, mais les militaires qui ont pris le pouvoir en leur nom. Toute l’erreur est là : les révolutions, à commencer par celle de Nasser en Égypte, étaient militaires, même si elles affichaient des slogans populaires et unionistes ! Des groupes se sont infiltrés à l’intérieur de ces régimes révolutionnaires, comme des virus ou des microbes à l’intérieur du corps humain, pour les tuer. Les peuples ont fait confiance à leurs officiers libres et à leurs armées. Résultat : zéro. Les armées arabes ont été vaincues par l’ennemi. Pis, elles ont bâillonné les peuples pour les empêcher de se révolter, de s’unir… C’est ainsi que l’union entre la Syrie et l’Égypte a été annulée par les militaires trois ans après sa proclamation. Quand l’Irak a été menacé, dans les années 1970, je lui ai proposé de se défendre en réalisant une union avec la Syrie et l’Iran. Le président irakien m’a répondu : « Parlez de votre pays, ne parlez pas de l’Irak… » Je lui ai rétorqué : « Bien, bien, d’accord, mais attendez et vous verrez où votre isolement va vous mener. »
L’Algérie a combattu seule la colonisation française pendant une dizaine d’années. Pourquoi n’avons-nous pas vu des milliers d’Arabes combattre à ses côtés ? La Libye a affronté la colonisation italienne pendant vingt ans, les Arabes nous ont regardés sans bouger… Comme ils ont regardé sans bouger les Yéménites, les Palestiniens… La solidarité arabe, ça n’existe pas ! Les dirigeants arabes n’ont ni pitié, ni dignité, ni honneur, ni amour envers les femmes, les enfants, leurs frères et sœurs en Irak, en Palestine, en Somalie, aux Comores, en Libye, et partout ailleurs dans le monde arabe.
Quand les Britanniques ont demandé à Margaret Thatcher pourquoi elle avait aidé les Américains dans leur attaque contre la Libye en 1986, elle a répondu qu’elle l’avait fait par solidarité. Pourquoi les Arabes ne se sont-ils pas conduits avec la Libye comme Thatcher avec les États-Unis ? Les Arabes ont regardé, comme des spectateurs au cinéma, les forces aériennes et navales nous bombarder. Ils n’ont pas levé le petit doigt.
Arabes, mais où êtes-vous donc ? Où sont vos dirigeants ? Fini le nationalisme arabe, fini la Nation arabe, fini l’âge d’or des Arabes. Ils sont entrés dans l’ère du déclin. L’Inde, malgré ses sept cents communautés, a constitué un État unique. Les Américains ont formé une fédération de cinquante États. Ils n’étaient pas une nation, mais ils le sont devenus. Il en est de même de la Turquie, de l’Iran, de l’Italie…
Nous avons dit aux Arabes : « Unissez-vous ! » Mais personne ne nous a répondu. Aujourd’hui, le monde a changé. C’est le temps de la technologie, le temps des grands ensembles. Les continents s’unissent en Amérique, en Europe et également en Afrique.
Toi l’Égyptien, toi le Soudanais, toi le Libyen, toi le Tunisien, toi l’Algérien, toi le Marocain et toi le Mauritanien, vous êtes des Africains. Vous ne pouvez plus parler de nationalisme arabe, d’unité arabe. Vous faites partie du continent africain. Vous devez parler de l’Union africaine. Si l’Afrique n’est pas votre terre, alors revenez à votre terre, revenez à la péninsule Arabique. Ah ! si tous les Arabes de Mauritanie jusqu’à l’Égypte retournaient à la péninsule arabique, ils auraient au moins une part de pétrole… C’est tout ce qui leur reste. Car les Arabes sont devenus la risée de tous. Ils sont finis. Ils n’ont pas réfléchi à leur avenir, ils n’ont pas voulu s’unir… Aujourd’hui, ils voient les autres, autour d’eux, en train de s’unir. Des petits se joignent aux grands, des grands se joignent aux petits, pour former des espaces encore plus grands.
Les Maghrébins ont fait l’Union du Maghreb arabe... Mais cela fait des lustres que je leur demande de s’unir. Nous avons signé la « déclaration de Djerba » qui devait réaliser la fusion entre la Tunisie et la Libye. J’ai signé un accord à Hassi Messaoud avec le président algérien Houari Boumedienne. Il devait permettre à nos deux pays de fusionner si l’Égypte reconnaissait Israël. L’Égypte a reconnu Israël, mais la fusion entre la Libye et l’Algérie ne s’est pas faite comme prévu… Nous avons ensuite proclamé l’Union avec le Maroc à Oujda...
Pourquoi rien de tout cela ne s’est réalisé ? La faute n’incombe pas à la Libye, mais à ses partenaires. Anouar el-Sadate a déchiré le traité d’Union égyptolibyenne. Gaafar Nimeiri a déchiré le traité d’union tripartite entre le Soudan, l’Égypte et la Libye…
À quoi sert aujourd’hui l’Union du Maghreb arabe ? Sa création ne répond pas à ma demande, mais à celle de… l’Union européenne. Elle n’est pas le fruit d’une réflexion maghrébine, mais celui d’une stratégie européenne. L’Union européenne a dit qu’elle ne pouvait pas coopérer séparément avec chacun de nos pays. Il fallait nous unir pour créer un marché unique de Tripoli à Nouakchott. Les Européens ricanent quand quelqu’un de chez nous vient leur acheter dix voitures et qu’un autre vient ensuite lui en commander cent… Ils nous disent : unissez-vous pour qu’on puisse vous en vendre cinq cent mille d’un coup ! Même cette Union du Maghreb arabe, qui a été faite à la demande des Européens, nous n’arrivons pas à la faire vivre.
La Libye, depuis la révolution de 1969, s’est donc battue en faveur de l’union arabe. Et c’est pour cela qu’elle est devenue l’ennemi numéro un des États-Unis, du sionisme, de l’Occident. Nous n’avions aucun problème bilatéral ni avec les Américains, ni avec les Européens, ni même avec les Juifs. Toutes les catastrophes que nous avons subies s’expliquent par notre soutien aux causes arabes. Ils ont bombardé nos maisons, tué nos enfants… Et, pendant ce temps-là, les Arabes ont regardé sans broncher.
C’est en fait parce que la Libye est considérée comme un pays arabe que les médias ne nous laissent pas tranquilles. Est-ce qu’ils parlent du Lesotho, du Botswana, du Malawi ou de la Guinée équatoriale ? Non. Alors, je leur dis stop : la Libye est désormais un État africain. Arrêtez de vous en prendre à nous, de nous insulter. Considérez-nous comme des Africains, comme des nègres, éloignez-vous de nous et nous nous éloignerons de vous.
Qu’y a-t-il de commun entre la Libye et le Koweït ? Rien. L’une se trouve en Afrique et l’autre en Asie et ce sera ainsi jusqu’à la fin des temps. Nous ne nous rencontrerons jamais, l’un est au paradis [Kaddafi considère l’Afrique avec ses terres, ses fleuves et ses forêts comme un paradis] et l’autre en enfer. Ne nous méprisez pas, ne complotez pas contre nous, nous ne sommes plus arabes. Nous sommes africains.
Ô ! frères d’Égypte, de Tunisie, du Koweït, d’Arabie saoudite, du Maroc et d’ailleurs, considérez-nous désormais comme des Africains de São Tomé e Príncipe ou de Guinée-Conakry. Laissez-nous vivre en paix. Nous vous avons donné de l’argent, nous vous avons donné des armes, nous avons souffert à cause de vous. Sans résultat. Aujourd’hui, vous êtes tous amis avec les États-Unis, vous avez reconnu Israël. La Libye ne reconnaîtra jamais Israël jusqu’à la fin du monde, si Dieu le veut ! Aujourd’hui, vous nous insultez. Sadate nous a insultés, lui à qui nous avons offert, lors de la guerre d’octobre 1973, cent avions de combat Mirage, des canons, des munitions, des missiles, des bulldozers ainsi que les équipements nécessaires pour franchir le canal de Suez. Le pauvre peuple égyptien ne l’a jamais su. Je ne demande pas que l’on me remercie, je n’ai fait que mon devoir devant l’Histoire.
Nous avons donné notre sang également aux Libanais, aux Palestiniens… Nous leur avons donné notre argent. Nous avons entraîné leurs troupes. Et, à cause de tout cela, nous sommes devenus les terroristes tandis que, eux, se réconciliaient avec les Américains, avec les Israéliens. À cause de tout cela, mon pays figure jusqu’à aujourd’hui sur la liste noire des États terroristes…
C’est sur intervention de plusieurs États arabes ainsi que des responsables de la Ligue arabe que j’ai à nouveau renoncé à quitter la Ligue [mars 2002, NDLR]. Si la Libye sort de la Ligue, l’Égypte sera isolée, le Machrek et le Maghreb seront coupés en deux, m’a-t-on dit. C’est alors que je leur ai proposé une dernière bouée de sauvetage. J’ai présenté mon projet d’Union arabe [30 août 2003], une Union qui remplacerait la Ligue arabe et qui serait dotée d’une Constitution, d’un Conseil présidentiel, d’un Conseil des ministres, d’une Banque centrale, d’un Fonds monétaire, d’un marché commun… J’ai proposé, à l’intérieur d’une confédération ou d’une fédération, la création et le renforcement de groupes régionaux : la Syrie et le Liban formeraient une sorte d’entente, qui légaliserait définitivement la présence militaire syrienne ; le Conseil de coopération du Golfe accepterait l’adhésion du Yémen et de l’Irak, l’Union du Maghreb arabe sortirait de sa léthargie ou de son coma… Les médias n’ont jamais parlé de ce projet, évidemment sur ordre des pouvoirs politiques en place. Mais ils ont beaucoup parlé de choses futiles, comme le règlement des affaires de Lockerbie ou du DC-10 d’UTA. Ils se sont attaqués à Kaddafi…
Les Arabes sont, en fait, incapables de réaliser le moindre projet commun. Ils ont perdu leur dignité, leur honneur. Ils sont finis. Leurs régimes sont finis. Nous ne devons plus perdre de temps avec eux. Désormais, nous appartenons à l’Union africaine, à l’Afrique. Pour la mille et deuxième fois, je demande au peuple libyen de quitter la Ligue arabe sans délai… La Ligue arabe ne vaut rien dans la réalité, ses fonctionnaires ne sont plus payés depuis quatre mois, les pays membres ne versent plus leur contribution… Les Arabes attendent qu’on les écrase, qu’on les égorge, qu’on les coupe en morceaux, qu’on les mange cuits ou grillés… Tous attendent, un État après l’autre, une ville après l’autre, après Bagdad, Gaza, Jénine… (Traduit et adapté par Samir Gharbi, à partir du texte publié par le quotidien libyen Al-Jamahiriya le 6 octobre.)
                               
9. Jacques Chirac accusé en Israël de cautionner l'antisémitisme par Gilles Paris
in Le Monde du mardi 21 octobre 2003
Lancée par le quotidien "Maariv", la polémique sur la pseudo-non-condamnation par la France des propos antisémites de Mahathir Mohamad a été reprise par le gouvernement israélien. Dimanche, Jérusalem évoquait un possible "malentendu".
Jérusalem de notre correspondant - Le président de la République, Jacques Chirac, s'est retrouvé en fort mauvaise compagnie, dimanche 19 octobre, sous la plume violente du rédacteur en chef du quotidien israélien Maariv, Amnon Dankner. Selon le journal israélien, M. Chirac avait en effet montré "le visage de l'antisémitisme français", en s'opposant deux jours plus tôt à la mention de la condamnation des propos du premier ministre de Malaisie, Mahathir Mohamad, dans le communiqué final du Conseil européen, le 17 octobre.
Devant l'Organisation de la conférence islamique, ce dernier avait tenu des propos ouvertement antisémites en assurant notamment que "les juifs règnent sur le monde par procuration". Sous un titre explicite "le collaborateur", illustrée d'une photo à charge inspirée des tabloïds britanniques, le président de la République a donc été rangé aux côtés des antidreyfusards, des comploteurs des Ligues et "de la majorité des Français qui collaborèrent avec les nazis pendant l'occupation de leur pays", aux côtés du "maréchal Pétain" et "des centaines de milliers de Français qui pourchassèrent les juifs de France", aux côtés enfin "de ceux qui aidèrent des dizaines de milliers de collaborateurs à échapper au châtiment et même à continuer de servir à des postes importants pendant des décennies". "Il est exact qu'il existe des antisémites plus grands, plus brutaux et plus virulents", a conclu Amnon Dankner, dressant un tableau alarmant de la situation des juifs de France, "mais aujourd'hui, l'antisémitisme ne dispose pas dans le monde de collaborateur actif occupant une position aussi élevée".
Les affirmations du Maariv ont placé l'Elysée dans une posture inconfortable. Sur la foi du contenu de ce journal, le ministre israélien des affaires étrangères, Silvan Shalom, a poursuivi dans une veine similaire en estimant que "c'est une honte qu'un pays comme la France, un pays important fasse preuve de la moindre compréhension ou acceptation des remarques antisémites" du premier ministre de Malaisie. D'autant que Mahathir Mohamad, dont les propos avaient suscité de vives critiques, y compris de l'Union européenne et donc de la France, s'est aussitôt empressé de remercier M. Chirac pour sa "compréhension" et de lui témoigner sa "gratitude" pour l'intervention qui lui avait été prêtée.
"INACCEPTABLE"
Alors que la présidence française multipliait de farouches dénégations, le rédacteur en chef du Maariv a reçu en milieu d'après-midi une missive courroucée émanant de l'ambassade de France à Tel-Aviv. "Il est faux, mensonger, et par là même odieux et inacceptable de prétendre que le président de la République française se serait opposé à la mise en cause des propos de M. Mahatir", a indiqué le chargé d'affaires, Michel Miraillet, "votre conscience professionnelle aurait dû vous conduite à vérifier les faits et à considérer avec plus d'attention la mise au point que cette ambassade avait fournie à votre quotidien dès vendredi soir". "Vos insultes (...) salissent l'image de la presse israélienne en France mais -elles- ne parviendront pas à ternir la relation entre la France et Israël", a conclu le diplomate qui a demandé par ailleurs un droit de réponse. Cela n'a pas dissuadé le Maariv. Ce journal à grand tirage a cru bon d'annoncer en "une", dans son édition de lundi, sous une photo cependant plus avenante du chef de l'Etat français, que c'est sous sa pression que M. Chirac avait finalement "cédé".
Toutefois, dimanche soir, un porte-parole du ministère israélien des affaires étrangères, Jonathan Peled, déclarait que "de notre point de vue l'incident est clos", se félicitant de la lettre envoyée par M. Chirac à Mahathir Mohamad, dans laquelle il souligne que les propos antisémites de ce dernier "ne peuvent qu'être condamnés par tous ceux qui gardent la mémoire de l'Holocauste".
Par le plus grand des hasards, ce nouvel accès de fièvre est survenu le jour même de l'arrivée à Tel-Aviv du nouvel ambassadeur de France, Gérard Araud. Ce dernier avait été épinglé à la fin d'août par la presse israélienne pour avoir, lors d'une réception à Paris, qualifié Israël de pays "paranoïaque" et Ariel Sharon de "voyou". M. Araud avait par la suite nié avoir tenu ces propos.
Le 16 septembre, les diplomaties israélienne et française s'étaient pourtant félicitées de la signature du relevé de conclusions d'un haut comité ad hoc chargé de relancer les relations entre les deux pays. Il reste manifestement du travail à accomplir.
                           
10. Ce rapport qu'Israël n'a pas vu venir par Alain Guillemoles et Catherine Rebuffel, avec Benjamin Barthes à Ramallah
in La Croix du lundi 20 octobre 2003
Selon un rapport de l’ONU rédigé par le Suisse Jean Ziegler, une catastrophe humanitaire menace dans les territoires palestiniens où la politique sécuritaire menée par Israël paralyse la vie quotidienne.
Depuis trois semaines, on ne parle que de lui dans les couloirs de l'ONU. En Israël, il a suscité l'ire des autorités. Le sociologue et universitaire suisse, Jean Ziegler, rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à se nourrir, est l'auteur d'un rapport cinglant sur la situation alimentaire dans les territoires palestiniens. Il affirme que ces Territoires sont au bord de la «catastrophe humanitaire».
Pourquoi un tel tollé ? Les Israéliens sont furieux que Jean Ziegler n'ait pas mentionné l'Intifada et les attentats à la bombe qui justifient selon eux leur politique de sécurité en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ils lui reprochent aussi d'avoir laissé circuler un document qui aurait dû rester confidentiel tant que les autorités israéliennes ne l'avaient pas assorti de leurs commentaires. La procédure onusienne prévoit en effet que, dans ce genre d'affaire, l'État ou l'institution mis en cause doit pouvoir se défendre avant que le rapport ne soit traduit dans toutes les langues de l'ONU et mis en ligne sur le site internet des Nations Unies.
Cette procédure n'ayant pas été respectée, puisque des fuites ont permis de rendre le rapport public dans sa version «brute», Israël s'est plaint auprès de la Commission des Droits de l'Homme de l'ONU, organe dont dépend Jean Ziegler, afin que des sanctions soient prises à son encontre. Dans les milieux informés, on se dit sceptique sur un quelconque aboutissement de cette démarche car la Commission des Droits de l'Homme à Genève, présidée par la Libyenne Najat-al-Ajjaji, est globalement composée de pays plutôt pro-arabes.
Tel-Aviv acceptait de recevoir un rapporteur pour la première fois
Le rapport ne contient rien de vraiment nouveau pour les spécialistes de l'action humanitaire dans les territoires palestiniens. "Le tort de Ziegler, vu d'Israël, c'est d'avoir appelé les choses par leur nom. Je ne vois pas où est le scandale. Les réactions israéliennes démontrent simplement que toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. Que Ziegler parle du mur de sécurité dans un rapport sur les problèmes alimentaires, c'est logique, car ce mur perturbe les systèmes d'approvisionnement", indique sous couvert d'anonymat un expatrié travaillant pour l'ONU dans la bande de Gaza.
Israël semble avoir été pris de court par Jean Ziegler, un homme pourtant réputé incontrôlable. Cet ex-député socialiste suisse âgé de 69 ans, tiers-mondiste convaincu, s'est notamment fait connaitre par ses critiques au vitriol des grands groupes pharmaceutiques suisses en 1976, des banques suisses qu'il a accusées de recycler de l'argent sale en 1987, puis du mythe de la neutralité de son pays dans le second conflit mondial en accusant la Confédération helvétique d'avoir été complice du génocide des juifs («La Suisse, l'or et les morts», 1997). Rejeton d'une famille de la bourgeoisie suisse qui comptait de nombreux pasteurs calvinistes dans ses rangs il n'a jamais retenu ses mots.
Jean Ziegler estime que le contexte international du printemps dernier, lorsque de fortes pressions étaients exercées sur le gouvernement Sharon en pleine discussion sur la «feuille de route», expliquerait le feu vert d'Israël. C'était en tout cas la première fois que Tel Aviv acceptait de s'entretenir avec un rapporteur spécial de l'ONU.
L'ancien haut commissaire de l'ONU aux droits de l'homme, Mary Robinson, s'était rendue sur place en 1999 mais sans pouvoir rencontrer les autorités israéliennes. En outre, sa liberté d'expression avait été entravée par le fait que le Haut commissariat aux Droits de l'Homme est directement rattaché au secrétariat général de l'ONU alors que la Commission des droits de l'homme est un organe intergouvernemental dépendant de l'Assemblée générale.
Polémique défavorable pour les relations entre l’ONU et Israël
Au bout du compte, Israël ne cache pas sa déception. «Ce rapport semble avoir été écrit avant le voyage. Rien de ce qui est dedans n'est objectif. Il ne retient rien des positions de notre gouvernement auxquelles M. Ziegler a pu avoir largement accés. Pour nous ce rapport n'est pas légitime. Nous sommes prêts à dialoguer avec l'ONU, à recevoir d'autres rapporteurs. Mais il faut qu'ils viennent de bonne foi», indique Barnea Hassid, porte-parole de l'ambassade israelienne à Paris.
Finalement, après plusieurs semaines d'atermoiements, le rapport devrait être rendu public mardi 21 octobre, sur le site internet de l'ONU, explique Jean Ziegler. Son examen devant l'Assemblée générale de l'ONU est quant à lui programmé pour le 11 novembre.
À Genève, de hauts-fonctionnaires des Nations-Unies jugent que la polémique tombe assez mal pour l'ONU qui cherchait depuis longtemps à normaliser ses rapports avec l'État hébreu. Israël a demandé que Jean Ziegler soit démis de ses fonctions. Réponse demain devant la Commission des droits de l'homme.
Mais ce serait alors désavouer sur le fond un travail dont le principal reproche «objectif» porte sur la publicité abusivement anticipée qui en a été faite. Et donner ainsi raison à Israël, qui, pour sa part, a dénoncé un rapport «politiquement biaisé». Cela n'irait en tous cas pas vers un renforcement du rôle de l'ONU dans le règlement du conflit israélo-palestinien.
                                   
11. La route des barrages sans fin par Valérie Féron
in L'Humanité du samedi 18 octobre 2003
Pour les milliers de Palestiniens qui doivent parcourir chaque jour la petite centaine de kilomètres séparant le nord du sud de la bande de Gaza le voyage prend la forme d'une longue expédition jonchée d'obstacles.
Bande de Gaza, envoyée spéciale - Dans la minuscule bande de Gaza, coincée entre les fils de fer qui la sépare du territoire israélien et la Méditerranée, les distances entre les localités sont extensibles en fonction de l'arbitraire de l'occupation. Il faut souvent la journée pour passer du nord au sud, surtout en cette période où ce mouchoir de poche est de nouveau coupé en quatre zones. Contrairement à la Cisjordanie où les soldats sont présents sur toutes les routes et vérifient les identités, l'occupant ici n'a pas d'autre visage la plupart du temps que celui des jeeps, des chars et des bulldozers. Il a ses règles : des fermetures ou ouvertures de checkpoints par feux bicolores, barrière et haut parleur. " C'est vraiment difficile aujourd'hui, soupire Sofiane, qui tient une compagnie de taxi à Gaza, lui qui est pourtant si habitué à faire le chemin vers le sud de la bande. Quand nous arrivons à hauteur du premier barrage, à la sortie de Gaza, près de la colonie de Netzarim, la voie est barrée à cet instant aux voitures mais ouverte aux piétons. À huit heures et demie du matin, la file de camions et voitures est déjà longue sur la route qui longe le bord de mer. On écoute les infos pour s'assurer que Aboul Hole, le checkpoint du centre qui permet de passer vers le sud de la bande, sera bien ouvert. L'enjeu consiste à arriver le plus vite possible sur place pour espérer être le plus vite possible de l'autre côté et filer vers Khan Younès ou Rafah. Et faire si besoin le chemin inverse avant la fermeture du checkpoint.
Ces jours-ci il n'est ouvert que par intermittence, quelques heures par jour. Beaucoup préfèrent poursuivre leur chemin à pied. Les charrettes tirées par des chevaux ou des ânes peuvent passer. Du coup, elles ont un certain succès auprès des piétons mais ne peuvent résoudre le problème. Les files d'enfants, d'adolescents, de femmes, de vieillards s'étendent sur des kilomètres. On reprend des taxis un peu plus loin quand il y en a et qu'ils ne sont pas déjà pleins. Sans compter ceux qui ne peuvent plus s'offrir les moyens de transport. Ce qui est le cas de plus en plus d'étudiants de la région sud qui passent des heures pour tenter d'aller suivre leurs cours dans les universités de Gaza ville. " Pour moi c'est comme un défi permanent, explique Nasreen, étudiante de vingt ans aux yeux et lèvres délicatement maquillés, qui sillonne la route en compagnie de deux camarades. " Les Israéliens peuvent tout essayer pour nous empêcher de vivre normalement, j'essaierai toujours de passer. Mais c'est vrai que souvent je reste chez mon oncle à Gaza pendant la semaine, c'est plus simple. "
Passer pour continuer ses études, son travail, se soigner, vivre tout simplement. La situation permet quelques entorses aux traditions : comme s'asseoir hommes et femmes côte à côte dans les taxis et sur les charrettes. Plus on approche de Aboul Hole, le barrage du central, plus les files de camions et voitures se resserrent. On s'y entasse par petits groupes, dans la poussière et la chaleur, ayant quitté le bord de mer qui offrait quelques bouffées d'air frais. Toute la vie de ceux qui doivent circuler tous les jours entre le nord et le sud de la bande de Gaza dépend de ce checkpoint devenu le cauchemar de beaucoup. Un cauchemar qui se résume à un tronçon de route, bloqué de chaque côté par des feux rouges et au milieu une tour de béton avec deux meurtrières derrière lesquels on devine la présence des soldats. Les feux rouges passent à l'orange, les haut-parleurs hurlent des ordres en hébreu, que chacun comprend ou devine, par habitude : avancer, reculer, s'arrêter ou rebrousser chemin.
À deux pas de là, les voitures des colons israéliens de la région passent et repassent. Oum Omar, soixante-dix ans, attend, assise à l'arrière d'une camionnette en compagnie de plusieurs jeunes femmes et de leurs enfants depuis près d'une heure. Les enfants, calmes, réclament qui de l'eau, qui un biscuit, " voilà notre vie lance-t-elle, parqués comme des animaux ! " De l'autre côté dans le sens de Gaza, en attendant de passer, on fume une cigarette en discutant, certains font leur prière, d'autres tâchent de dormir un peu. On arrive même à sourire et à plaisanter. Les regards laissent deviner le reste : tristesse, colère, lassitude.
La route vers Khan Younès et Rafah est faite de rues asphaltées et de chemin de sable perdu au milieu des cultures, espace vert qui surgit au détour d'une route. Tout le long du chemin, les policiers et membres des forces de sécurité sont présents, généralement assis devant leur guérite, ou plantés au milieu des carrefours s'efforçant de régler la circulation avec patience. Sur les bas-côtés, à l'heure de la sortie des classes vers midi, on croise une multitude d'enfants, en jean et T-shirt pour la plupart, cartable de toile au dos, selon les critères de la mode internationale. Eux aussi feront une longue route pour regagner leur domicile.
Midi. Aboul Hole va fermer. Les voitures qui remontent vers Gaza se renseignent auprès de ceux qui font la route dans l'autre sens : " Le checkpoint est-il encore ouvert, a-t-on encore une chance de passer ? " Chacun espère arriver à temps. Mais les règles ne sont jamais fixes. L'attente recommence dans une pagaille indescriptible. Chacun se rue dans son véhicule au moindre signe d'ébranlement. Une dizaine de voitures passent et sont immobilisées avant d'avoir pu gagner l'autre côté. Trois jeeps font irruption et des soldats prennent position, fusil pointé en avant. Les chauffeurs tentent de se renseigner par talkies-walkies sur ce qui se passe. Après une demi-heure, on pousse un soupir de soulagement lorsque les jeeps partent et que le haut-parleur hurle ruh ! (" vas-y "). De l'autre côté, c'est à nouveau des kilomètres de marche qui attendent des centaines de personnes. La file de voitures et de camions en sens inverse est longue de plus de cinq kilomètres. La plupart des chauffeurs resteront à dormir sur place, car il est trop tard pour espérer passer aujourd'hui. Le parcours du combattant recommencera demain.
                                       
12. Les chars israéliens ont laissé Rafah en ruines par Valérie Féron
in L'Humanité du samedi 18 octobre 2003
Alors que croissent les pressions sur l'Autorité palestinienne, l'armée israélienne multiplie les incursions dans le sud de la bande de Gaza.
Rafah (bande de Gaza), envoyée spéciale - " Où allons nous aller maintenant ? " hurle Oum Omar, la cinquantaine, assise sur un amas de béton, derniers vestiges de la maison où elle habitait avec son mari et ses quatre enfants non mariés, avant que l'armée israélienne ne la détruise. Dans le camp de réfugiés de Rafah, un seul spectacle s'offre aux yeux : des habitations criblées de balles, noircies de fumée, d'autres rasées, d'autres éventrées, laissant apparaître l'intimité des familles dans les pièces de derrière dont les murs sont encore debout, certains menaçant à chaque seconde de tomber. Parmi les amas de béton, on découvre des jouets, des chaussures d'enfants, des livres, témoins d'un quotidien perdu. Plus de cent vingt maisons ont été détruites, depuis le début de l'offensive sans précédent de l'armée israélienne, dans cette région de quelque 130 000 habitants.
Les quelque deux mille personnes laissées sans toit se sont retrouvées sous des tentes de l'UNRWA, l'organisme de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, d'autres ont dû se séparer de leur femmes et enfants, relogés chez des proches vivants eux-mêmes à l'étroit. C'est le cas de Issam, la quarantaine et père de onze enfants dont la famille est complètement éclatée. Son foyer et son magasin de volailles ne sont plus qu'un tas de gravats, le privant lui et sa famille de ses sources de revenus et de son foyer. Sur les débris de béton on trouve quelques traces de son commerce : les corps calcinés des poulets, les sacs de graines inutilisables, et le petit olivier à moitié arraché dans le coin aménagé en jardin pour les volatiles : " Vous pouvez me dire ce que mes animaux avaient fait aux soldats israéliens ? ", demande-t-il rempli d'amertume. " Et les arbres ? enchaîne d'une voix douce Ibtissam, jeune femme d'une trentaine d'années éducatrice pour enfants. Ils en ont détruit tellement ! " Elle n'ose pas cependant s'aventurer dans les champs, les chars israéliens se trouvant à quelques mètres de là, prêts à entrer, à n'importe quel moment. De préférence la nuit.
Après la première phase de l'opération de Tsahal, officiellement terminée dimanche et engagée sous prétexte de démolir des tunnels qui serviraient à passer des armes depuis l'Égypte, la deuxième phase consiste à multiplier des incursions nocturnes de chars appuyés par des hélicoptères de combat : " Nous sommes seules face à une armée sophistiquée, nous n'avons aucun moyen de nous défendre, et le monde ne fait rien ", dit Ibtissam.
" Les Israéliens déclarent qu'ils sont venus ici pour détruire à la source les circuits d'acheminement des armes en territoire palestinien. D'abord, nous avons le droit de résister à l'occupation ", lance Akram, trente-quatre ans, le regard plein de défi. " Deuxièmement, ajoute le jeune homme, je voudrais bien qu'ils me montrent où se trouvait le tunnel, dans ma propre maison qu'ils ont détruite. "
À Rafah, on semble s'être rendu à la dure évidence d'être seuls face aux chars et aux bulldozers géants de l'armée israélienne, qui ont détruit plus de 1 200 maisons dans le secteur depuis le début de l'Intifada il y a trois ans, et des dizaines d'hectares de terres cultivées, créant ainsi un no man's land qui s'agrandit de jour en jour, près des colonies israéliennes à l'est et de la frontière avec l'Égypte.
                                   
13. Incontournable Arafat par Majed Nehmé
in Le Nouvel Afrique Asie du mois d'octobre 2003
La politique israélienne vis-à-vis des Palestiniens, soutenue par l’administration Bush, est dans l’impasse. Voulant mettre hors-jeu Yasser Arafat, le président élu des Palestiniens, Sharon et ses complices américains lui ont donné une occasion en or de rebondir et de se mettre en selle.
Ils l’avaient enterré trop vite. Yasser Arafat, le partenaire palestinien le plus engagé dans la recherche d’un compromis historique avec l’Etat d’Israël, pourtant fondé sur la négation même des droits nationaux palestiniens, celui qui a convaincu son peuple d’accepter, au nom du réalisme, l’idée de deux Etats indépendants sur la même terre de Palestine, qui a accepté que cet Etat ne s’établisse que sur 22 % de la Palestine historique, est devenu, aux yeux des faucons israéliens et américains, l’ennemi de la paix, l’“obstacle absolu” qu’il faudra éliminer physiquement (pour Sharon et ses généraux) ou politiquement (pour Bush et ses néoconservateurs). Cette politique à la fois myope et improductive se retourne aujourd’hui contre ses propres initiateurs. Non seulement elle a conduit à un désastre, mais elle produit surtout l’effet contraire à celui escompté. Yasser Arafat, qu’ils ont voulu reléguer au musée de l’histoire s’impose comme le pivot de l’histoire, l’homme sans lequel aucune avancée significative n’est possible.
Son éphémère premier ministre, Mahmoud Abbas, alias Abou Mazen, imposé par les Américains comme l’homme providentiel de la relève, l’a appris à ses dépens. Et, contrairement aux apparences, ce n’est pas Arafat qui l’a poussé à la démission, mais, comme l’avait prédit Uri Avneri (voir dans notre n° 168 “Qui peut sauver Abou Mazen ?”), ce sont ses faux protecteurs, Bush et Sharon, qui n’ont rien fait pour lui faciliter la tâche. Bien qu’il ait réussi à convaincre le Hamas, le Jihad et les Martyrs d’Al-Aqsa de décréter unilatéralement une trêve des opérations, l’armée israélienne a continué ses assassinats dits “ciblés”, poursuivi sa stratégie de colonisation rampante, maintenu le blocus des territoires, et n’a libéré aucun des six mille prisonniers politiques, comme le prévoyait la feuille de route, devenue feuille morte avant même qu’elle ne trouve un début d’application sur le terrain.
C’est un secret de polichinelle que d’affirmer que le gouvernement Sharon n’a ni l’intention et encore moins les moyens de signer un accord de paix avec les Palestiniens. Tous ses faits et gestes depuis l’an 2000 l’attestent sans ambiguïté. En désignant Arafat comme le responsable du terrorisme, comme l’avaient fait invariablement tous les gouvernements israéliens jusqu’aux accords d’Oslo de 1993, Sharon pense trouver à bon compte une excuse pour se dérober aux engagements pris par ses prédécesseurs et enterrer définitivement ces accords. Il a trouvé dans l’administration Bush un allié de poids. En adhérant du bout des lèvres à la feuille de route, un plan sans envergure parrainé par l’Onu, l’Union européenne, la Russie et les Etats-Unis, et qui prévoit la reprise du processus de paix avec comme perspective un Etat indépendant “temporaire” sur seulement 40 % des territoires occupés, il savait qu’il ne risquait rien. D’autant plus qu’il se savait soutenu par Bush qui partage avec lui son aversion pour le leader palestinien, et qui, comme lui, avait exigé des Palestiniens qu’ils choisissent un autre interlocuteur à travers la création d’un poste de Premier ministre, taillé sur mesure pour Abou Mazen, prélude à la déposition d’Arafat, assiégé dans les ruines de la Mouqata’a, sa résidence officielle à Ramallah. On connaît la suite.
Cette élimination programmée montre aujourd’hui ses limites. Sharon découvre soudain que l’ami américain, confronté lui aussi à un fiasco en Irak, est loin de lui accorder un soutien inconditionnel. Isoler Arafat, oui, dit Bush, mais sans l’expulser ni le liquider physiquement, comme l’avaient proposé ouvertement plusieurs membres du gouvernement Sharon, dont le numéro deux Ehud Olmert. La réaction la plus surprenante à cet appel au meurtre est venu de Colin Powell en personne, qui avait déclaré à Fox News, la chaîne préférée des néoconservateurs américains, depuis Bagdad où il était venu constater l’ampleur du bourbier : “Les Etats-Unis ne soutiennent ni l’élimination ni l’exil de M. Arafat. [...] Le gouvernement israélien le sait…Je pense qu’on pourrait craindre (dans cette hypothèse) qu’une furie se déchaîne dans l’ensemble du monde arabe, du monde musulman et dans de nombreuses autres régions du monde.”
C’est la première fois qu’un membre de l’administration Bush va aussi loin et aussi clairement dans la réprobation de la politique de Sharon, qui, lui, n’a d’autre stratégie que de se débarrasser d’Arafat. Le sale travail qu’il n’avait pu achever en 1982, lors de l’invasion du Liban, il voudrait le terminer aujourd’hui, alors que son prisonnier est à portée de canon des assiégeants israéliens. Mais là aussi il se voit retenu, non pas seulement par la marée humaine palestinienne qui s’est formée autour de son QG pour le protéger, mais aussi par les réactions sans équivoque de la communauté internationale, voire d’une partie de la classe politique israélienne. Même la Syrie, qui n’a jamais porté Arafat dans son cœur, lui a transmis par la bouche de son ministre des Affaires étrangères, Farouk al-Chareh, “le soutien de la Syrie, président, gouvernement et peuple confondus”.
Ce sursaut tardif s’explique par la gravité de la situation et le sérieux des menaces. Car Sharon a besoin, alors qu’il voit toute sa stratégie sécuritaire s’effondrer, d’une “victoire” et il pense que la seule victoire possible dans la conjoncture actuelle est l’élimination physique de son adversaire de toujours. Mohammed Dahlane, chargé de la sécurité de feu le gouvernement de Mahmoud Abbas, et qui a la confiance des Israéliens, ne prend pas cette menace à la légère. Car Israël “veut” se débarrasser de M. Arafat et “attend une occasion pour le faire”. Cela étant, dit-il, “Israël commettrait ainsi une grave erreur qui compromettra la sécurité et l’avenir du peuple israélien avant ceux du peuple palestinien”.
Avi Dichter, le chef du Shin Beth, chargé de la lutte antiterroriste, s’est paraît-il, du moins si l’on croit les informations de la presse israélienne, opposé à la décision des idéologues du gouvernement en estimant que cela renforcerait la position d’Arafat et aurait un effet boomerang pour Israël. Les services de renseignements militaires ont, eux aussi, fait preuve de prudence, de crainte d’avoir à endosser par la suite la responsabilité d’une décision prise par les “politiques”. Shlomo Ben Ami, l’ancien ministre israélien des Affaires étrangères reconnaît, dans une chronique parue dans Le Monde, que, certes, “Arafat n’a jamais été un interlocuteur facile”. “Je crains toutefois, ajoute-t-il, que le mettre complètement à l’écart aille à l’encontre du but recherché. Qu’on le veuille ou non, Arafat garantit aux Palestiniens un certain ordre et les retient au bord de l’anarchie totale, apocalyptique. Il demeure la principale source d’autorité et de légitimité pour un peuple désorienté en état d’agitation volcanique. Certains leaders israéliens se font des illusions lorsqu’ils supposent qu’en changeant de dirigeant palestinien, on changera aussi le prix de la paix. Ils se trompent totalement, bien sûr, car il n’y a aucune différence entre Arafat, Abou Mazen et Abou Ala [le nouveau Premier ministre palestinien] lorsqu’il s’agit de définir les aspirations nationales fondamentales des Palestiniens.”
Lorsqu’il fut élu Premier ministre en février 2001, Ariel Sharon avait promis à son peuple le retour à la sécurité. Il avait clairement annoncé les couleurs : l’origine du mal est dans les accords d’Oslo. Il faudra donc remettre les pendules à l’heure, vider ces accords de leur substance et imposer une nouvelle politique de faits accomplis. Reprenant à son compte la formule de Mitterrand en 1956, affirmant que “la seule négociation possible avec le FLN est la guerre”, Sharon a privilégié la guerre totale contre l’Intifada, avant toute reprise de négociation. Mais la deuxième Intifada, dont il fut l’élément déclencheur en l’an 2000 lors de sa visite provocatrice sur l’Esplanade des mosquées, a atteint en deux ans et demi un niveau insupportable et inégalé pour la population et l’économie israéliennes depuis des décennies. “On parle toujours des morts, signale un politologue occidental qui suit de près ce conflit, mais on oublie le nombre encore bien plus considérable des blessés dans la population civile israélienne. Ces blessés ne sont jamais «légers». Combien d’estropiés à vie aura provoqués en Israël l’Intifada palestinienne armée? ”
Comment arrêter la spirale infernale attentats-représailles-attentats? Comment sortir de l’impasse ? Depuis l’échec des négociations de Camp David en juillet 2000 et celles de Taba en décembre 2000 et janvier 2001, et surtout depuis le fiasco du tout-sécuritaire de Sharon, de plus en plus de voix s’élèvent pour exiger une paix imposée aux deux parties. Or seuls les Etats-Unis sont en mesure de le faire. Mais c’est trop demander à une administration en perte de vitesse en Irak et en Afghanistan et dont le bilan économique, à l’approche des présidentielles de novembre 2004, laisse à désirer. Bush n’a ni la volonté ni les moyens d’une telle politique.
Dans l’espoir d’une accalmie sur le front palestinien, Bush sera contraint de revoir sa stratégie d’exclusion de Yasser Arafat. Ce dernier ne le sait que trop bien. Dans un article intitulé “Trois hommes dans un bateau”, paru dans le New York Review of Books, Robert Malley, ancien conseiller de Clinton et directeur du ICG, et Hussein Agha, un politologue palestinien brossent les portraits de Sharon, Arafat et Abou Mazen (avant sa chute). Ils y évoquent le prisonnier d’Al-Mouqata’a d’une façon saisissante et authentique. En voici un passage très éclairant : “Ceux qui accusent les Palestiniens de recourir à la violence, alors que ces mêmes accusateurs font la même chose et sur une échelle beaucoup plus large, et en premier lieu les Américains et les Israéliens, sont, pense-t-il, tous des hypocrites. Hypocrites sont aussi ceux qui invoquent le prétexte de la démocratie pour exiger son départ, alors que personne dans le monde arabe ne bénéficie d’un mandat populaire comme lui. On le traite d’extrémiste alors qu’il a toujours été parmi les premiers à promouvoir les meilleures relations avec les Etats-Unis et qu’il s’est toujours engagé dans le processus de paix avec les Israéliens. On le dénonce pour s’être montré équivoque sur les propositions de paix de Clinton en 2000 tout en excusant Sharon pour les avoir complètement rejetées.
Ils cherchent à exporter des institutions occidentales et parlent de réforme, comptabilité, gouvernement représentatif, alors qu’ils savent pertinemment que tout cela n’a rien à voir avec les droits de son peuple, avec sa lutte et sa cause légitime. Mais tout cela aussi, il en est sûr, est passager. Tout va, à la fin, revenir là où il a été. Tout va revenir à lui.” Incontournable, Arafat ? Plus que jamais.
                             
14. Tariq Ramadan réplique à Bernard-Henri Lévy
in Le Point du vendredi 17 octobre 2003
[Mis en cause dans Le bloc-notes de Bernard-Henri Lévy - "Tariq Ramadan et les altermondialistes" in Le Point du 10 octobre 2003, l'intellectuel musulman Tariq Ramadan réagit.]
La réponse de Bernard-Henri Lévy à mon article est surprenante par sa violence et ses excès, et, au demeurant, elle vient confirmer le sens même de mon propos. Sans prendre la peine de discuter mes thèses, on me renvoie un jugement définitif : je suis antisémite, la cause est entendue et tous les démocrates altermondialistes sont sommés de « prendre [leurs] distances ». J'avais avancé que certains intellectuels versaient dans une « réflexion dangereusement communautaire », mais nous observons ici un phénomène bien plus grave encore, puisqu'il s'agit de l'expression d'un pur « réflexe communautaire », du domaine du passionnel, de l'impensé et, au fond, incroyablement disproportionné. Il n'y a plus débat, il ne reste qu'invectives et insultes.
Passons très vite sur les remarques et allusions peu dignes me concernant. Non, Monsieur Lévy, je ne suis pas « imam ». Je peux comprendre votre difficulté à traiter avec moi d'égal à égal (vous avez pendant si longtemps été habitué à l'attitude paternaliste qui vous donnait le droit de penser pour les « jeunes beurs » ou les immigrés des banlieues, notamment avec SOS-Racisme), mais cela ne vous permet pas d'avancer des contre-vérités ou d'induire par allusion votre lecteur en erreur. « Formé à l'école des Frères musulmans », je serais forcément radical, et retors, et fanatique. Etre le petit-fils de mon grand-père serait donc en soi, et par déterminisme, un délit ? Oserai-je vous rappeler, cher M. Lévy, que Shah Massoud, dont vous vous êtes fait le chantre inconditionnel, est issu, et de façon ô combien plus militante que moi, de cette école ? Cette filiation ne prouverait rien quand vous louez un mort désormais silencieux et serait donc une circonstance aggravante et rédhibitoire quand un vivant vous critique ?
Passons. Je savais que M. Pierre-André Taguieff n'était pas juif avant même la publication du texte : on me l'avait dit et je l'avais vérifié. Je conviens que mon texte peut laisser sous-entendre le contraire et j'aurais dû l'indiquer très précisément. Soit, je prends acte et je regrette ce déficit dans ma formulation. L'essentiel de mon propos n'est pourtant pas là et vous le savez bien : j'affirme clairement qu'un certain nombre d'intellectuels, majoritairement juifs mais pas seulement, sont en train de nous imposer une lecture biaisée des enjeux politiques nationaux et internationaux. Les thèmes des banlieues, de la population d'origine maghrébine, du soutien à la Palestine jusqu'aux réflexions sur la guerre en Irak ou les alliances stratégiques sont abordés sans que l'on avoue clairement quels intérêts sont défendus, à savoir ceux du sionisme et d'Israël. Je n'ai par ailleurs jamais parlé ni de lobby juif ni de complot.
C'est à cela que j'aimerais que vous répondiez de façon claire et sans essayer de déplacer le débat. Je n'ai jamais laissé entendre que votre livre sur l'odieux assassinat de Daniel Pearl avait pour but unique de stigmatiser le Pakistan. Je constate seulement que votre enquête vous permet de chercher à mettre ce pays au ban de la civilisation : ne venez-vous pas d'écrire un article dans le Washington Post mettant en garde le gouvernement américain contre une alliance avec ce pays ? Votre enquête ne s'arrêtait donc pas aux causes de l'assassinat. Je ne suis pas un défenseur, tant s'en faut, du Pakistan, mais je constate seulement que votre récente prise de position est exactement dans la ligne du gouvernement israélien. C'est troublant. Vous avez, dites-vous, plus d'une fois exprimé ce qui vous séparait du gouvernement de Sharon : Monsieur, un esprit démocrate et empreint de justice ne se « sépare » pas de la politique de Sharon, il la condamne. Et sans contorsion intellectuelle.
Je n'ai cessé quant à moi de condamner l'antisémitisme dans mes livres, et notamment dans une « Tribune » du Monde (22 décembre 2001), comme je demeure un critique attentif des dérives dans le monde musulman. Je ne peux, ni ne veux, accepter aucune démarche sélective. S'il faut saluer votre courage quant à la dénonciation des horreurs du monde (à Sarajevo, en Afghanistan, au Pakistan, etc.), on ne peut qu'être révolté par votre aveuglement et votre manque d'objectivité vis-à-vis d'Israël. C'est le cas de tous les intellectuels que j'ai cités. Tel est le sens de ma critique : vous avez rapproché mon texte de l'odieux « Protocole des sages de Sion ». Ailleurs, Alain Finkielkraut avait parlé en France de nouvelles « nuits de cristal » pour dénoncer les actes antisémites. Etes-vous seulement conscient de la portée de vos propos ? Qu'elle est effrayante et dangereuse, cette façon de verser dans l'excès et de passionner le débat avec l'intention, au fond, de l'éviter ! - Tariq Ramadan -
                       
15. Leïla Shahid : "Pas de répression armée de l'opposition radicale" - Propos recueillis par Pierre Ganz (RFI) et Vincent Hugeux
in L'Express du jeudi 16 octobre 2003
(Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France, décrypte le bras de fer qui oppose Yasser Arafat à ses Premiers ministres successifs.)
- Que signifie la crise qui secoue l'Autorité palestinienne ?
- Après l'attentat terrible du 4 octobre, qui a coûté la vie à 19 Israéliens à Haïfa, Yasser Arafat a déclaré l'état d'urgence et annoncé la formation d'un gouvernement d'urgence. Deux concepts curieux en l'absence de toute souveraineté, dont on ne connaît pas vraiment le contenu, et qui inquiètent de nombreux parlementaires. Il y a donc une vraie controverse qui, au risque de la confusion, n'a pas été très bien expliquée par l'Autorité. J'y vois la manifestation très saine de la force du débat intérieur et de la crédibilité du Conseil législatif. Nous ne pouvons pas construire une démocratie et bâillonner la moitié du Parlement.
- Pourquoi Arafat a-t-il récusé le général Nasser Youssef, pressenti pour l'Intérieur ?
- C'est vrai qu'il y a un problème personnel. Nasser Youssef, respecté dans l'opinion, a refusé de prêter serment le 7 octobre, ce qui a profondément vexé le président. Sur le fond, le différend, déjà patent sous le cabinet précédent, porte sur les prérogatives du ministre de l'Intérieur. Le raïs accepte que les pleins pouvoirs en matière de sécurité échoient au chef du gouvernement, mais nomme les trois vice-ministres chargés de ce dossier, dont ceux du renseignement et de la police.
- En clair, il reprend d'une main ce qu'il cède de l'autre.
- D'une certaine manière. Mais ce n'est pas surprenant. Pensez-vous qu'une transition politique soit aisée au sein d'un mouvement de libération si ancien? Surtout quand elle se joue sur fond de pressions israéliennes et américaines visant à marginaliser le président. S'il n'était pas enfermé depuis deux ans, si l'on n'essayait pas de l'empêcher d'assumer ses fonctions, il n'en serait pas là. C'est, dans une situation anormale, un instinct normal d'autodéfense. Voilà un homme qui a été le père de la nation pendant trente-cinq ans, qui a tout dirigé en solo. Pas facile pour lui de déléguer le pouvoir politique, sécuritaire et symbolique au moment où on le combat d'une manière inacceptable.
- Qu'adviendrait-il si le Premier ministre Ahmed Qoreï renonçait ?
- Ce serait tragique. Une crise ouverte. Les institutions s'effondreraient. Aucun autre candidat ne jouit de la même estime et de sa représentativité. Le monde doit comprendre ceci: nous n'aurons jamais recours, pas plus sous Ahmed Qoreï que sous son prédécesseur, à la répression armée des mouvements d'opposition à l'origine des opérations kamikazes, car cela reviendrait à une déclaration de guerre civile. Nous allons donc tenter de parvenir à une nouvelle trêve. La précédente a très bien tenu, du 29 juin au 15 août. L'infrastructure des kamikazes, c'est le désespoir qui emplit leur cœur. On ne peut combattre les attentats suicides que d'une manière politique, en dégageant un horizon. Sous (Itzhak) Rabin, Israël nous traitait en partenaires. Il existait une coopération sécuritaire. Ariel Sharon, lui, nous détruit, enferme notre président et nous somme d'arrêter les kamikazes. On nous demande d'agir comme un Etat transparent et respectueux de la loi sans nous en accorder les moyens. Il y a là un paradoxe que les Israéliens doivent assumer.
- Comment se porte Yasser Arafat ?
- Pas bien. C'est un homme de 74 ans à la santé fragile. Contrairement à ce que dit la presse, il ne souffre pas de la maladie de Parkinson, mais d'une affection neurologique non évolutive appelée constant tremor (tremblement permanent). Le voilà enfermé depuis deux ans dans une pièce de 10 mètres carrés sans fenêtre, avec deux bonbonnes d'oxygène. Il ne voit pas le soleil, respire un air malsain. Récemment, il a souffert d'une grippe intestinale très forte et de vomissements qui l'ont beaucoup affaibli. Il y a donc une vraie inquiétude quant à sa santé.
- Comment sortir de l'impasse stratégique que fut la militarisation de l'Intifada ?
- L'impasse est israélo-palestinienne. Quand Sharon érige son «mur de sécurité», loin de la ligne verte, il annexe des territoires - dont Jérusalem, qui est aussi le cœur du monde chrétien. La militarisation de l'Intifada est la conséquence de la répression amorcée par Ehud Barak en septembre 2000. Lui savait qu'il poussait les Palestiniens à la faute d'une réponse armée.
                                   
16. Hassan Balawi : "Nous sommes au bord de l'explosion" - Propos recueillis par Pierre Ganz (RFI) et Alain Louyot
in L'Express du jeudi 16 octobre 2003
(Hassan Balawi, journaliste à la télévision palestinienne, vit et décrit l'occupation israélienne au quotidien.)
- Quelles sont les conséquences pour les Palestiniens de l'édification en cours du mur destiné à protéger Israël des attentats suicides ?
- Si ce mur est achevé, 58% de la terre palestinienne de Cisjordanie se trouvera de facto annexée par Israël. D'ores et déjà, certaines villes palestiniennes, comme Kalkilya, sont coupées en deux. Plus de 200 000 Palestiniens vont se voir, à cause de lui, privés de leur terre, de leurs oliviers, de leurs puits. Ariel Sharon entend créer ainsi des enclaves palestiniennes isolées les unes des autres et n'ayant plus aucune frontière avec la Jordanie ou l'Egypte. Un Etat palestinien sur 42% seulement de la Cisjordanie ne serait évidemment pas viable.
- Quel est votre état d'esprit aujourd'hui, en tant que journaliste palestinien ?
- Je suis très inquiet. Nous sommes au bord de l'explosion. Si Israël met en œuvre ses menaces de bannir ou de tuer le président Arafat, ce sera sans aucun doute la fin du processus de paix, de la reconnaissance par les Palestiniens de l'Etat d'Israël. Tout le travail accompli depuis 1974 serait anéanti.
- Vous parlez d'explosion possible, mais la situation peut-elle empirer ? On a déjà connu l'Intifada, les attentats des kamikazes...
- Cela, en effet, peut être pire encore. Il s'agit d'une guerre entre l'armée israélienne, la plus puissante de la région, et un peuple désespéré. Et tout peut arriver. Ce peuple n'a plus rien à perdre. Il vit au-dessous du seuil de pauvreté, avec 2 dollars par personne et par jour. Le chômage a dépassé les 73% - ce sont là les chiffres de la Banque mondiale. Les barrages israéliens empêchent ou compliquent tout déplacement. 27 femmes palestiniennes ont été ainsi contraintes d'accoucher dans leur voiture, bloquée à un checkpoint, et l'une d'elles a même récemment prénommé son nouveau-né du mot qui signifie «barrage»...
- Comment la télévision palestinienne rend-elle compte des attentats suicides contre des civils israéliens, tel celui de Haïfa, qui a fait une vingtaine de morts? Les condamne-t-elle ?
- C'est une télévision officielle et elle n'approuve donc pas ce type d'actions qui, moralement ou politiquement, desservent la cause palestinienne. Nous disons donc publiquement que nous sommes contre, car cela fournit un prétexte à Ariel Sharon pour nous agresser. Et la mort de 20 civils à Haïfa ne fait pas progresser notre cause.
- Croyez-vous qu'Ariel Sharon va expulser Yasser Arafat? Où pourrait-il aller ? En Egypte ?
Certains parlent du Soudan, de l'Egypte... Ce qui est sûr, c'est que le président Arafat préférera tomber en martyr, les armes à la main, plutôt que de quitter sa terre. Ce n'est pas comme lorsqu'il a été contraint de quitter Beyrouth, en 1982. Aujourd'hui, il est déterminé à se battre jusqu'au bout, car, cette fois, il est chez lui, en Palestine.
- Les récents messages de l'ancien président de la Knesset Abraham Burg, appelant Israéliens et Palestiniens à la raison, vous paraissent-ils porteurs d'espoir ?
- Des personnalités israéliennes comme Abraham Burg peuvent aider à trouver la solution que cherchent ou qu'espèrent les partisans de la paix. Du côté palestinien, nous avons, certes, un travail important à accomplir pour la consolidation de notre démocratie, mais cela ne pourra se faire avec l'occupation actuelle. Le 20 janvier 2003, nous voulions organiser des élections présidentielle, législatives et municipales, mais cela n'a pas été possible de les tenir en raison de cette occupation militaire israélienne.
                           
17. L’affaire Tariq Ramadan : l’ère du soupçon par Denis Sieffert
in Politis du jeudi 16 octobre 2003
Un texte controversé de l’intellectuel musulman Tariq Ramadan a suscité une avalanche de réactions hostiles. André Glucksmann crie à l’antisémitisme. BHL adjure les altermondialistes de prendre leurs distances. Même si le texte contient des maladresses, on ne les suivra pas sur ce terrain.
Les articles de presse roulent parfois avec la simultanéité d’une salve d’artillerie. Dans ce qu’il faut bien à présent appeler l’« affaire Ramadan », l’emballement chronologique est à cet égard édifiant. Le 3 octobre, l’intellectuel musulman Tariq Ramadan adresse un texte de son cru sur une liste de discussion d’Internet préparant le Forum social européen de novembre. Six jours plus tard, Le Nouvel Observateur publie sous la signature de Claude Askolovitch (encore lui !) un article qui s’ouvre sur cette sobre interrogation : « Peut-on être altermondialiste et antisémite ? » Le lendemain, 10 octobre, Bernard-Henri Lévy consacre la totalité de son bloc-notes dans Le Point, à « l’imam genevois » qu’il définit abruptement comme « l’un des porte-parole des courants les plus durs de l’islam européen » (sic) (1). Le 11, c’est Libé qui leur fait écho sous un titre à l’emporte-pièce : « Des relents d’antisémitisme sur la toile altermondialiste ». Le même jour, l’éditorialiste du Figaro Magazine, Joseph Macé-Scaron, ferme (provisoirement ?) le ban en s’indignant : « Une autre personnalité que Tariq Ramadan serait immédiatement sommée de s’expliquer. » Macé-Scaron n’a d’ailleurs pas tort : Ramadan n’a pas été « sommé » de s’expliquer ; il a été condamné sans autre forme de procès. Quant aux lecteurs, aux nombreux lecteurs de ces publications par ailleurs fort honorables, ils n’auront guère eu l’occasion de se forger une opinion, sauf à aller visiter eux-mêmes la liste de discussion du Forum social européen. Bizarre. Nulle part en effet, hormis dans Le Monde, qui en fit d’ailleurs une analyse infiniment plus nuancée (et sollicita une réaction de Ramadan lui-même), le texte incriminé n’aura été reproduit. Ce qui fraie la voie à une désinformation très fâcheuse. Quelle idée par exemple peut se faire le lecteur de L’Obs lorsqu’il lit sous la plume d’André Glucksmann, invité à dire très fort ce que le journaliste Claude Askolovitch n’avait fait que suggérer, ces lignes définitives : « Ce qui est étonnant, ce n’est pas que monsieur Ramadan soit antisémite, mais qu’il ose désormais se revendiquer comme tel. ». Nous sommes là au fond du gouffre. Au nom de quoi le fiévreux philosophe peut-il, dans un journal sérieux, affirmer une pareille contre-vérité ? Non seulement Ramadan proclame qu’il n’est pas antisémite, mais il affirme en toutes circonstances que la lutte contre la judéophobie est sa priorité (il l’a écrit dans plusieurs tribunes, voir notamment Le Monde du 23 décembre 2001). On peut certes interpréter ses propos, ou les juger insincères, éventuellement vouloir en démonter les ressorts supposés cachés, mais on ne peut les travestir à ce point. Le brûlot de Glucksmann, c’est d’ailleurs l’arroseur arrosé. S’il ne « trouve pas étonnant que Ramadan soit antisémite », c’est au nom de quel présupposé ? Au nom de quel préjugé s’agissant d’un homme qui a toujours affirmé le contraire ?
La promptitude de la riposte et son excessive violence ne facilitent pas le débat. À lire Glucksmann ou BHL osant comparer le texte de Ramadan au pamphlet antisémite le Protocole des Sages de Sion, on éprouve à notre tour un certain malaise. Le choeur des outragés jetterait-il par avance l’opprobre sur quiconque oserait prolonger avec un l’intellectuel musulman un dialogue jusqu’ici fructueux ? S’agit-il de miner le futur Forum social européen qui s’annonce comme un succès ? La marque d’infamie posée sur le front de Ramadan est toute prête à resservir. Mais que dit Ramadan de si extraordinaire ? Il accuse certains intellectuels « juifs français », ou « nationalistes », « de développer des analyses de plus en plus orientées par un souci communautaire qui tend à relativiser la défense des principes universels d’égalité ou de justice » (2). Il leur reproche une indignation sélective. Or, c’est un fait que l’on n’a pas souvenir d’avoir beaucoup entendu Finkielkraut, Adler, BHL ou encore Taguieff condamner la politique de répression de Sharon. Et lorsque Askolovitch s’indigne que l’on puisse décrire Finkielkraut comme « un défenseur de Sharon », on a envie de le mettre au défi de nous apporter la preuve du contraire. Depuis trois ans que le conflit au Proche-Orient exporte ses peurs et ses haines, nous n’en trouvons pas trace. De même, beaucoup de ces intellectuels gagneraient en efficacité dans leur lutte contre l’antisémitisme s’ils s’inspiraient de l’exemple de Théo Klein. Pour l’ancien président du Crif, « c’est une erreur de sortir la violence antijuive de son contexte général avec l’air de dire : "Quand ça touche les autres, ça ne nous intéresse pas." » Cessons donc de nous effaroucher quand Ramadan ne dit au fond qu’une évidence : il n’y a pas parmi les intellectuels qu’il prend à partie un seul qui ait le courage d’un Avraham Burg, l’ancien président de la Knesset, demandant à son pays de se retirer des territoires « sans mégoter ». Tous donnent le désagréable sentiment de défendre un corps de doctrine homogène qui ressemble à s’y méprendre au choc des civilisations cher aux néoconservateurs américains : soutien à la manière forte de Bush et Sharon, et en France, croisade contre le voile, comme si la laïcité tout entière en dépendait. Ajoutons à cela une sainte détestation de l’altermondialisme (José Bové fut longtemps leur cible favorite). Il est vrai que le mouvement altermondialiste, si divers, se retrouve sur des grands principes comme l’anticolonialisme. Il soutient le droit des Palestiniens à un État dans les frontières de 1967. Il est antiguerre sinon pacifiste. Surtout quand la guerre est notoirement une guerre de conquête, au profit des grands pétroliers, ou pour étendre le système libéral. Il fut à l’origine de la mobilisation contre la guerre d’Irak. Et sa grille de lecture est sociale. Pour les militants altermondialistes, les violences du monde n’ont pas d’autres causes que les déséquilibres que génère la société libérale. Il ne propose pas d’explications endogènes ou religieuses. Il refuse les murs, les grandes fractures civilisationnelles, les lignes Maginot. Il va au contact, se mêle, se mélange. Et cela ne va pas sans risque. Les partisans des murs, des exclusions, et de tous les anathèmes auront toujours beau jeu de traquer dans la manifestation la banderole ou le mot d’ordre qui feront scandale ­ et qu’il faut en effet condamner avec force. À l’image de ces militants de l’organisation de jeunesse sioniste Hashomer Atzaïr qui tentèrent de discréditer le forum social de Berlin, au printemps dernier, parce qu’ils avaient aperçu un tee-shirt, porté par un militant, amalgamant stupidement sionisme et nazisme.
Comment donc sortir par le haut d’un débat si mal engagé ? Comment faire bouger les lignes ? En évitant certes des écueils que Tariq Ramadan n’évite pas toujours dans son texte. En évitant les énumérations, sinon les amalgames. La preuve : Bernard-Henri Lévy ne fut pas favorable à la guerre d’Irak. En évitant de prêter des arrière-pensées. Le soupçon est dans le débat public le pire des poisons. Le livre de BHL retraçant le drame du journaliste américain Daniel Pearl, assassiné par des islamistes pakistanais parce que journaliste, parce qu’Américain, et parce que juif, est un grand livre. Et c’est l’honneur de son auteur de l’avoir écrit. Et qu’importe si son reportage a pu rejoindre des considérations stratégiques, mêmes israéliennes. En évitant enfin d’interroger trop intimement les motivations de nos actes. La part du repli communautaire n’est sans doute pas négligeable dans le refus de toute critique publique à Israël. Mais la plupart des intellectuels épinglés par Ramadan sont aussi, et peut-être surtout, des membres du « parti de l’ordre ». Il se peut que Sharon soit à leurs yeux l’incarnation de l’État, qu’il représente la force et, au même titre que Bush ou Sarkozy, un idéal sécuritaire dans un monde en état de guerre. Ils se trompent sans aucun doute. Notre conviction, c’est que c’est leur stratégie et leurs peurs qui amènent l’insécurité. Pour notre part, nous continuerons de dialoguer avec Tariq Ramadan, de le publier le cas échéant, sans céder aux injonctions de BHL qui adjure le mouvement altermondialiste de « prendre ses distances » avec l’intellectuel musulman (a-t-on songé un seul instant à demander à BHL de rompre avec Finkielkraut parce que celui-ci avait loué le pamphlet islamophobe, et authentiquement raciste celui-là, d’Oriana Fallaci ?). Précisément, ce qui nous intéresse dans la démarche de Ramadan, c’est la volonté de sortir les jeunes musulmans des organisations communautaires, et de les encourager à s’inscrire dans le mouvement social (3). Au mouvement altermondialiste de fixer les règles de cette participation. Mais c’est une autre affaire.
- NOTES :
1. Tariq Ramadan n’est évidemment pas imam.
2. Par une formulation maladroite, le texte peut laisser entendre que Pierre-André Taguieff est juif. Ce qui n’est pas le cas.
3. Lire à ce propos les Musulmans d’Occident et l’avenir de l’islam, Sindbad-Actes Sud, 385 p., 25 euros (voir la critique que nous en avions faite dans Politis n° 738).
                           
18. De la démocratie palestinienne par Noura Borsali
in Réalités (hebdomadaire tunisien) du jeudi 16 octobre 2003

La vie politique palestinienne, en dépit de l’occupation israélienne avec son lot de violences quotidiennes, et de la difficulté, de ce fait, de fonder un véritable Etat et de véritables institutions dans ces bouts de territoires pour seule patrie, connaît un dynamisme peu habituel dans le Monde arabe. L’Autorité palestinienne vit, depuis plusieurs mois, une crise institutionnelle, si bien qu’on compte, depuis la fin du mois d’avril dernier, deux Premiers ministres qui se sont succédé à la tête du gouvernement palestinien. “ C’est une crise profonde du système politique palestinien dans une période difficile ”, a reconnu sur LCI la déléguée générale de la Palestine en France, Leïla Shahid, avant d’ajouter qu’“ il n’est pas facile, lorsqu’on a eu un système présidentiel unique pendant quarante ans, de passer à un régime parlementaire avec un Premier ministre dont les fonctions ne sont pas claires ” (AP). Pour nous en tenir aux tout derniers événements, le Premier ministre Mahmoud Abbas a claqué la porte après cent jours de “ pouvoir ”. Et le nouveau chef du gouvernement, Ahmed Qoreï, après avoir menacé de démissionner quelques jours seulement après sa prise de fonction, a enfin accepté d’expédier les affaires courantes durant trois semaines, en attendant que soit désigné un nouveau Premier ministre. Si Ahmed Qoreï part à la date annoncée, il sera le deuxième Premier ministre à démissionner en quelques semaines. Cette instabilité ministérielle est, dans les deux cas, le résultat de différends qui ont opposé les chefs des gouvernements au Président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat. Ces désaccords ne portent pas sur de simples questions de procédure mais principalement sur le pouvoir du Premier ministre et sur les attributions du ministre de l’Intérieur ainsi que sur le contrôle des forces de sécurité. En fait, ils concernent les limites ou l’élargissement du pouvoir exécutif. Mahmoud Abbas, tout en dénonçant la politique de blocage des Etats-Unis et d’Israël à son encontre par l’insuccès de “ la feuille de route ”, a admis l’existence de problèmes, voire de dissensions avec le Président palestinien, même si, solidarité oblige en ces temps difficiles, il a qualifié ce dernier de “ leader historique ” et appelé les Américains et les Israéliens à cesser leur appel à son bannissement. Dans son allocution devant le Conseil Législatif Palestinien (CLP), Abbas, qui a démissionné le 6 septembre dernier mais qui a quitté le pouvoir sous les cris hostiles des sympathisants d’Arafat qui l’a accusé de “ collaboration avec l’ennemi ”, a précisé, en émettant ses critiques “ à peine voilées ” à l’encontre du vieux chef de l’Autorité, que “ les Palestiniens avaient pris, au cours des années, de mauvaises habitudes en étant soumis à une “ gestion problématique ” des affaires palestiniennes ”. La situation des chefs des gouvernements palestiniens, subissant des pressions tant extérieures qu’intérieures, n’est en rien confortable. Mahmoud Abbas, qui a toujours refusé d’engager une épreuve de force avec les groupes armés palestiniens et qui, ayant opté pour la voie du dialogue et de la négociation, a réussi une trêve unilatérale de trois mois proclamée le 29 juin dernier par le Hamas et le Jihad Islamique, a accusé Israël de l’avoir rompue en assassinant un chef politique du Hamas le 21 août. Mais la crise est également interne et est due à la question du contrôle des services de sécurité dont la plupart relèvent de Yasser Arafat. Certes, Washington comme Tel-Aviv, tenant à la neutralisation des groupes de résistance et sommant les divers gouvernements mis en place de détruire ces groupes radicaux, voudraient retirer au chef de l’Exécutif palestinien le contrôle des forces de sécurité. Mais l’unification de ces dernières est également une demande nationale pressante. Arafat demeure conscient du fait qu’au cas où il serait dessaisi de la responsabilité de la sécurité et qu’il la remettrait à d’autres, il ne pèserait plus aux yeux des Américains et des Israéliens et, selon lui, il s’agirait d’une “ capitulation ”. L’enjeu, pour le chef palestinien, est donc de conserver ce pouvoir de contrôle, quitte à maintenir un état de crise permanent et à entrer en conflit ouvert avec ses Premiers ministres et ministres de l’Intérieur —souvent ses fidèles compagnons de route— qui réclament une définition claire de leurs attributions et un pouvoir réel et renforcé.
Arafat persiste à vouloir contrôler lui-même la plupart des forces de sécurité et exige que le cabinet gouverne par décrets. Cette question n’a pas manqué de diviser le Parlement dont une majorité préfère un cabinet “ ordinaire ” qui rendrait de ses actes devant le Parlement (AFP). On a souvent reproché au président palestinien de recourir à des manœuvres juridiques pour transformer le cabinet de l’Autorité nationale palestinienne (ANP) en gouvernement provisoire. Dans toute cette débâcle juridique, le Conseil législatif palestinien, institution politique nationale dont se sont enfin dotés les Palestiniens, élu au suffrage universel le 20 janvier 1996 et se composant de 88 sièges dont une majorité appartient au Fatah, parti de Yasser Arafat, tient à remplir son rôle de contre-pouvoir à l’Exécutif comme l’énonce la loi palestinienne. En mai 2002, Arafat a ratifié une loi constitutionnelle, la Constitution de l’Autorité palestinienne, vue par les législateurs comme “ la fin de la mainmise du Président palestinien sur le pouvoir ” et, selon le communiqué de l’Autorité palestinienne, comme un texte “ définissant la juridiction d’une autorité palestinienne intérimaire, en prévision d’un Etat indépendant… ”. C’est en vertu de cette loi qu’eut lieu, en septembre 2002, le bras de fer entre le CLP et Yasser Arafat qui a nommé un gouvernement sans requérir, comme le stipule la loi, le vote de confiance de ce Parlement prêt à sanctionner par un vote de déviance tout excès de pouvoir venant de l’Exécutif (voir “ Nota Bene ”, Réalités n° 873). “ Du point de vue théorique, la Constitution prévoit un ordre idéal, confie un Palestinien à l’hebdomadaire “ Al Ahram Hebdo ”. En fait, quand on observe la réalité palestinienne, on remarque que ce peuple exerce naturellement la démocratie. Et que la rue palestinienne a plusieurs formes de multipartisme et de respect mutuel entre les diverses tendances politiques ”. Et l’hebdomadaire d’ajouter : “ En outre, la société civile palestinienne, avec son réseau serré d’associations, est très forte et très indépendante ”. Pour les Palestiniens vivant l’occupation et la guerre, il n’y pas de lendemains sans démocratie…
                       
19. A quoi sert l'Autorité palestinienne ? Entretien avec Georges Giacaman propos recueillis par Benjamin Barthe
in La Croix du lundi 13 octobre 2003

Depuis la démission du premier ministre Mahmoud Abbas, au début de septembre, l’Autorité palestinienne, épuisée par trois ans d’Intifada, tangue au gré des attentats suicides, des menaces d’expulsion de Yasser Arafat et de la querelle entre ce dernier et Ahmed Qoreï, sur la formation du gouvernement. Après avoir menacé de démissionner jeudi 9 octobre, Ahmed Qoreï négociait dimanche 12 octobre pour prendre, sous réserves, la tête d’une équipe restreinte de huit ministres. Philosophe et directeur de Muwateen, l’institut pour l’étude de la démocratie, Georges Giacaman analyse la crise de l’Autorité palestinienne
- Compte tenu du spectacle désolant donné par la direction palestinienne depuis un mois, pensez-vous que l’Autorité palestinienne est encore crédible ?
- Georges Giacaman : Ne faisons pas semblant de découvrir les difficultés de l’Autorité palestinienne. Depuis sa création au milieu des années 1990, c’est un régime sous occupation, avec des pouvoirs limités à tous les niveaux. Depuis le début de l’Intifada, il y a trois ans, elle fait l’objet d’attaques continues de l’armée israélienne. Songez qu’en quarante-huit heures d’incursions à Rafah (NDLR : au sud de la bande de Gaza), les soldats israéliens ont détruit, partiellement ou totalement, près de 70 maisons. Alors oui, c’est un fait : l’Autorité ne tient plus que grâce à l’aide de la communauté internationale : les 17 millions de dollars qui arrivent chaque mois et qui permettent de payer les salaires des fonctionnaires. Ils maintiennent l’Autorité en survie artificielle, comme dans une unité de soins intensifs.
- Le refus persistant de Yasser Arafat de partager son pouvoir n’est-il pas l’une des raisons de la crise du régime palestinien ?
- L’Autorité palestinienne n’a jamais fonctionné de façon démocratique. Ce n’est pas un scoop. Tout est dans les mains d’Arafat. C’est lui et lui seul qui peut amalgamer les différentes tendances au sein du Fatah. Pendant le processus d’Oslo, la communauté internationale ne s’est pas émue de cette situation car cela profitait à Israël. Dès que l’Intifada a commencé, on s’en est inquiété. Or moi, je persiste à penser qu’il est dans l’intérêt d’Israël d’avoir comme voisin un régime autoritaire. Seul un régime de ce type est susceptible d’accepter les plans d’Ariel Sharon.
- Vous ne pensez pas qu’Arafat est en partie responsable du chaos que traverse l’Autorité ?
- Oui, en partie. Arafat se bat pour sa survie politique. Depuis le discours de Bush en juin 2002, qui l’a mis à l’écart de la scène internationale, la jeune garde du Fatah le critique de plus en plus ouvertement. Mais comprenez bien : ces tensions ne recoupent pas un clivage pour ou contre l’Intifada. Il s’agit juste d’une lutte pour le partage du gâteau. Dans l’esprit d’Arafat, aussitôt qu’il y aura un premier ministre palestinien reconnu par la communauté internationale, il deviendra inutile. Alors il s’accroche. Il refuse de céder le contrôle des services de sécurité. Il veut qu’Israël et les États-Unis finissent par reconnaître qu’il est le seul capable de calmer la situation.
- Pensez-vous qu’Israël cherche à détruire l’Autorité palestinienne ?
- Non, pas du tout. Le gouvernement et l’armée israélienne n’ont aucun intérêt à revenir au régime d’occupation d’avant Oslo, ne serait-ce qu’à cause de son coût. Ce que veut Ariel Sharon, c’est changer, par la force, la nature de l’Autorité palestinienne. Il veut un régime qui serait le supplétif d’Israël en matière de sécurité et qui accepterait un État sur 42 % des Territoires. Or il sait que cela n’arrivera jamais aussi longtemps qu’Arafat est au pouvoir. D’où son acharnement.
- Dans ce contexte, l’Autorité palestinienne n’a-t-elle pas intérêt à s’autodissoudre ?
- C’est un sujet de débat dans la presse palestinienne. Plutôt que de servir de cache-sexe à l’occupation israélienne, disent certains, le régime palestinien devrait disparaître de lui-même. «Mieux vaut une occupation claire et nette qu’un système bâtard», ajoutent-ils. Mais qui pourrait prendre une décision pareille. Et comment l’appliquer ?
                                 
20. Le cour a ses raisons... par Roland Wlos [courrier des lecteurs]
in L'Humanité du samedi 11 octobre 2003
Dans les années soixante et soixante-dix, l'attachement que nous portions aux valeurs humanistes, sur lesquelles se fondent les droits de l'homme, nous conduisait à condamner l'apartheid et toutes les dispositions institutionnelles et pratiques ségrégatives de l'État raciste d'Afrique du Sud.
Or, aujourd'hui, lorsque, à partir des mêmes sentiments, nous critiquons sévèrement l'État d'Israël qui érige un mur (un temps considéré par George W. Bush comme un problème) et qui, dans les faits, met en place dans les territoires occupés de véritables bantoustans (intitulés pudiquement " réorganisation de l'occupation ") comparables aux bantoustans noirs d'Afrique du Sud au temps de l'apartheid - de même quand nous nous élevons contre une loi raciste et discriminatoire votée récemment par la Knesset empêchant d'obtenir la citoyenneté israélienne à des Palestiniens mariés à des Israéliens - nous serions antisémites, parce que l'on ose critique la politique du gouvernement Sharon. C'est ce que laissent entendre certaines déclarations du CRIF, d'Alain Finkelkraut, de Pierre André Taguieff et tous les défenseurs de la politique du gouvernement israélien. Pour eux, tout citoyen français juif se doit de soutenir le gouvernement d'Israël quoi qu'il fasse.
Dans cet esprit, il convient également de noter que certains, parmi ceux qui s'indignaient de l'existence d'un mur à Berlin, ne trouvent rien à redire quand Israël en édifie un empiétant, sans vergogne, le territoire palestinien, séparant des familles, arrachant des oliviers, confisquant au passage des terres cultivées qui faisaient vivre des familles palestiniennes.
Les Israéliens du camp de la paix, soucieux de l'avenir, comme Avraham Burg, député du parti travailliste, ancien président de la Knesset, Shlomo Ben Ami..., qui désapprouvent la politique du gouvernement Sharon sont-ils, eux aussi, antisémites voire antisionistes aux yeux des inconditionnels français de ce gouvernement israélien de droite et d'extrême droite ? Comme dit le proverbe, le cour a ses raisons que la raison ignore.
                                   
21. Les sionistes chrétiens, Israël et le "second avènement" [du Christ, ndt] par Donald Wagner
in The Daily Star (quotidien libanais) du mercredi 8 octobre 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Donald Wagner est professeur de théologie et d’études moyen-orientales à la North Park University de Chicago où il dirige le Centre d’Etudes du Moyen-Orient.)
L’expression « sionisme chrétien », d’une cuvée relativement récente, n’était que rarement utilisée avant la décennie 1990. Des organisations autoproclamées sionistes chrétiennes, telle [Créons] l’Ambassade Internationale Chrétienne à Jérusalem et Ponts pour la Paix, sises aux Etats-Unis, et qui ont toutes deux des bureaux à Jérusalem, existent depuis une vingtaine d’années. Mais ce n’est qu’après les attentats du 11 septembre 2001 que les radars de la plupart des experts en études moyen-orientales et des principaux médias se sont focalisés sur elles.
Dit brièvement, le sionisme chrétien est un mouvement du fondamentalisme protestant qui voit dans l’Etat d’Israël l’accomplissement de la prophétie biblique, et qui considère par conséquent que cet Etat mérite tout leur soutien politique, financier et religieux. Les sionistes chrétiens, qui oeuvrent en étroite collaboration avec le gouvernement israélien, des organisations juives sionistes religieuses et séculières, jouissent d’une influence toute particulière durant les périodes où le parti Likoud, plus conservateur contrôle la majorité de la Knesset. Les médias tant religieux que laïques situent le sionisme chrétien à l’intérieur de la mouvance protestante évangéliste, qui revendique jusqu’à 125 millions de membres aux Etats-Unis. Toutefois, il serait plus exact de considérer que ce mouvement est l’aile fondamentaliste du christianisme protestant, dès lors que le mouvement évangéliste est nettement plus large et plus divers quant à sa théologie et à son développement historique.
Le sionisme chrétien émane d’un système théologique particulier appelé « dispensationalisme prémillénariste », qui a émergé au début du dix-neuvième siècle, en Angleterre, à une époque où les doctrines millénaristes étaient légion. Les prêches et les écrits d’un clergyman irlandais renégat, John Nelson Darby [fondateur du darbysme, mouvement représenté en France, notamment en Ardèche, ndt] et d’un Ecossais, Edward Irving, mirent l’accent sur l’accomplissement futur littéral de ces enseignements bibliques dans lesquels ils virent « l’extase » [au sens d’enlèvement vers les cieux], l’avènement de l’Antéchrist, la Bataille de l’Armageddon et le rôle central qu’aurait à jouer un Etat nation d’Israël nouvelle manière dans ces jours ultimes de l’Apocalypse.
Le prémillénarisme [millénarisme] est un type de théologie chrétienne aussi vieux que le christianisme lui-même. Il plonge ses racines dans la pensée apocalyptique juive et il maintient généralement que Jésus reviendra sur Terre afin d’y instaurer, littéralement, un royaume millénaire placé sous sa souveraineté. Darby ajouta les éléments originaux de l’extase (ou de l’enlèvement vers les cieux) des Chrétiens authentiques, re-nés, avant le second avènement de Jésus, et il a interprété tous les textes prophétiques majeurs en leur donnant une dimension prémonitoire. Il a aussi identifié dans l’Histoire du monde certaines périodes, qu’il a appelées « dispensations », qui ont servi à montrer aux croyants la manière dont ils devaient se comporter. L’accomplissement des signes prophétiques devenait, dès lors, la tâche centrale de l’exégèse chrétienne.
Les idées de Darby devinrent le trait dominant dans la catéchèse de beaucoup des grands prédicateurs de la période 1880 – 1900, dont les évangélistes Dwight L. Moody et Billy Sunday, le grand prédicateur presbytérien James Brooks, le prédicateur (plus tard, radiophonique) de Philadelphie Harry B. Ironsides et Cyrus I. Scofield. Lorsque Scofield appliqua l’eschatologie de Darby à la Bible, il en résulta la surimpression de nuances millénaristes dispensationalistes au texte biblique, qui aboutit au texte connu sous l’intitulé de Bible Scofield. Progressivement la Bible Scofield devint la seule version utilisée par la plupart des chrétiens évangélistes et fondamentalistes au cours des 95 années suivantes.
Si l’on voulait formuler une définition fonctionnaliste du sionisme chrétien, on pourrait dire qu’il s’agit d’un mouvement interne au fondamentaliste protestant, aux 19ème et 20ème siècles, qui soutient (en particulier à la fin du siècle dernier – le vingtième – et de nos jours) les prétentions maximalistes du sionisme politique juif, dont la souveraineté d’Israël sur l’ensemble de la Palestine historique, Jérusalem comprise. L’Etat moderne d’Israël, en tant qu’accomplissement des écrits prophétiques, est considéré comme un stade nécessaire avant la seconde venue de Jésus. Le sionisme chrétien se distingue par les convictions théologiques suivantes :
1/ L’alliance de Dieu avec Israël est éternelle, exclusive et irrévocable, conformément à Genèse 12:1-7; 15:4-7; 17:1-8; Lévitique 26:44-45 et Deutéronome 7:7-8.
2/ La Bible comporte deux alliances distinctes et parallèles, l’une avec Israël, irrévocable ; l’autre avec l’Eglise, qui sera remplacée par l’alliance avec Israël. L’Eglise n’est que « simple parenthèse » dans le plan de Dieu et, en tant que telle, elle sera éliminée de l’histoire au cours de l’Extase [Enlèvement aux cieux] (1 Thessaloniciens 4:13-17 et 5:1-11). Après quoi, Israël, en tant que nation, sera restauré comme l’instrument premier de Dieu sur Terre].
3/ Les sionistes chrétiens affirment que le passage 12 :3 (« Je bénirai ceux qui te bénissent et maudirai ceux qui te maudissent ») de la Genèse doit être interprétée littéralement et nous conduire à soutenir politiquement, économiquement, moralement et spirituellement l’Etat d’Israël et, en général, le peuple juif.
4/ Les sionistes chrétiens ont une interprétation littérale de la Bible et une compréhension herméneutique des textes apocalyptiques (ensemble du Livre de Daniel, Zacharie 9-12, Ezéchiel 37-8, Thessaloniciens 4-5 et Livre des Révélations), et ils sont persuadés que les messages qu’ils renferment seront accomplis dans le futur. Plus précisément, la version du millénarisme popularisée par Darby, Irving et Scofield devrait être appelée « dispensationalisme futuriste prémillénariste », afin de le différencier du prémillénarisme historique, une eschatologie prônée [au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne, ndt] par plusieurs Pères de l’Eglise, tels Tertullien, Cyrille de Jérusalem, Justin le Martyr et d’autres.
5/ Les sionistes chrétiens adoptent une approche dispensationaliste de l’Histoire, telle que proposée par Darby et vulgarisée par la version Scofield de la Bible publiée par Oxford University Press, en 1909. [Le traducteur attire l’attention du lecteur sur le grave problème que représente la falsification de la Bible de Saint-Jacques, version antérieure aux manipulations des darbystes. La Bible étudiée aux Etats-Unis, sur laquelle le président prête serment est la darbyste. Ndt] Les meneurs d’hommes, les prélats, les collèges, instituts et séminaires bibliques utilisant tous la Bible Scofield, cet ouvrage devint l’agent de transmission le plus significatif du dispensationalisme prémillénariste et, par tant, pava la voie au sionisme chrétien.
6/ Les sionistes chrétiens, ainsi que les dispensationalistes prémillénaristes, ont une vue pessimiste de l’Histoire, et ils attendent dans la fébrilité la survenue d’une série de guerres et de tragédie annonciatrices du retour de Jésus. La création de l’Etat d’Israël, la reconstruction du Troisième Temple, l’ascension de l’Antéchrist et la concentration d’armées prêtes à attaquer Israël, figurent parmi les signes qui conduisent à la bataille finale et au retour de Jésus. Les auteurs sionistes chrétiens faisant autorité en matière de prophétisme biblique cherchent à interpréter les développements politiques [contemporains] à la lumière du déroulement prophétique d’événements qui devraient se succéder conformément à l’interprétation qu’ils font des Ecritures. En tant que type de théologie apocalyptique et dualiste, ce mouvement s’efforce de détecter dans l’Histoire la montée en puissance et en influence de forces sataniques obéissant à l’Antéchrist et qui, lorsque la fin des temps sera proche, combattront Israël et ceux qui se seront rangés à ses côtés. Le Jugement tombera sur les nations et les individus en fonction de l’intensité (et de la sincérité) avec laquelle ils « bénissent Israël » (Genèse 12:3)
7/ Le sionisme chrétien diffère de la doctrine de l’Eglise, en partie du fait qu’il a été développé par des clercs et des théologiens anglais anti-étatistes. Aujourd’hui, sa doctrine trouve un soutien significatif auprès des églises charismatique, pentecôtistes et bibliques indépendantes, qui ressortissent, toutes, au fondamentalisme protestant. Les sionistes chrétiens voient parfois les obédiences protestante, orthodoxe et catholique classiques d’un œil hostile, et ils ont pu parfois considérer que le Conseil Mondial des Eglises ainsi que les organismes qui en dépendent d’un très mauvais œil, car ils y voient des instruments de l’Antéchrist. En Terre sainte, les sionistes chrétiens sont hostiles aux Palestiniens chrétiens et ils détestent généralement les musulmans, en qui ils voient des brebis égarées adorant un autre Dieu. Des commentaires récents de sionistes chrétiens tels Jerry Falwell, Pat Robertson et Franklin Graham (fils de l’évangéliste Billy Graham) n’ont fait qu’en rajouter à la suspicion avec laquelle de nombreux musulmans voient l’Occident chrétien.
Le sionisme chrétien est un mouvement politique et religieux en pleine expansion à l’intérieur des branches les plus conservatrices du fondamentalisme protestant, mais on peut également le trouver dans les branches plus largement évangéliste du christianisme, dont les branches évangéliques des Eglises consensuelles presbytérienne, méthodiste unifiée, luthérienne et autres. Il est florissant durant les périodes de troubles politiques et économiques telle celle que nous traversons, caractérisée par le terrorisme, la récession mondiale et la crainte d’une nouvelle guerre au Moyen-Orient. Par sa vision pessimiste de l’Histoire, le sionisme chrétien s’efforce de fournir des réponses simples et claires, grâce à une approche littérale et divinatoire de la Bible. Certains auteurs estiment que près de 25 millions de fondamentalistes chrétiens américains partagent cette vision, et le phénomène ne fait que croître et embellir.
                                   
22. Orient Arabe-USA - Les raisons d’un profond malentendu par Hichem Ben Yaïche
in l'Economiste Maghrébin (bimensuel tunisien) du mercredi 1er octobre 2003 et sur Vigirak.com le mardi 16 septembre 2003
Personne ne peut dire quels sont les états d’âme du président américain George Walker Bush à l’approche des élections présidentielles de novembre 2004. Pour le moment, il semble dominer ses instincts, et donne volontiers l’impression de cultiver une sorte de «paix intérieure», laquelle est assise sur une foi inébranlable. Pourtant, les études d’opinion de ces derniers mois, qui esquissent une courbe descendante continue, doivent sérieusement l’inquiéter, pour ne pas dire l’obséder, quand on sait comment il s’était autoprogrammé pour être président des Etats-Unis. Une ambition forte, prégnante et ancienne, au point qu’il avait commandé, sous le règne de Bush père, une étude ultraconfidentielle sur le processus de fabrication des présidents américains (1). Un viatique politique qui semble lui avoir donné le bon mode d’emploi et la clé pour réaliser son objectif! Certes, mais George Bush fils, malgré ce tableau idyllique, n’avait jamais accepté, ni admis l’échec de son père dans sa tentative de briguer un second mandat. Et c’est justement ce «syndrome de l’échec» qui le taraude en ces temps électoraux.
Une inquiétude présidentielle d’autant plus forte que les signes annonciateurs de mauvaises nouvelles se multiplient en Afghanistan, en Irak et en Israël-Palestine. Pour le président Bush, l’heure de vérité approche. D’ores et déjà, la presse américaine et quelques voix du camp démocrate commencent à s’interroger sur la nature des projets présidentiels et à pointer du doigt « les mensonges » de l’équipe Bush sur le dossier irakien, où l’on a fini par admettre, officiellement, l’absence des armes de destruction massive en Irak. Ce n’est que le début ! En tout état de cause, dans les semaines et les mois à venir – à moins d’un imprévu majeur –, on va assister à des révélations et autre « grand déballage » entre républicains et démocrates, une manière bien américaine de laver le « linge sale » en public, période électorale oblige.
Pour autant, George W. Bush et son équipe ne s’avouent nullement « déstabilisés » par les incertitudes qui se profilent à l’horizon. Bien ancrés dans leurs certitudes, les néoconservateurs au pouvoir à Washington pensent être dans le (bon) sens de la marche de l’histoire, et que, tôt ou tard, la réalité finira par entrer dans leurs schémas de pensée. En attendant, on fait comme si… Les centaines d’articles, de livres et autres études, publiés ces derniers mois, avaient tout dit, décrit et expliqué la stratégie géopolitique US en Irak. Quelque 200 jours après la fin officielle de la guerre dans ce pays, on peut dire, sans prendre le risque de se tromper, qu’on est bien loin du scénario imaginé dans la tête des stratèges américains, qui est de faire émerger un « pays-modèle » pour tous les pays arabes (et musulmans) voisins, en termes de gouvernance politique, économique et culturelle. Force est de constater, aujourd’hui, qu’on est bien loin de cette chimère. L’Irak s’enfonce de jour en jour dans un processus de délitement complet. La violence, qui a pris un caractère multiforme, est partout, même si elle vise d’abord les militaires américains.
Comment en est-on arrivé là ? Pourquoi un échec si rapide? Devant tant d’erreurs d’appréciation, comment va-t-on trouver le bon mode d’emploi pour lancer la véritable reconstruction de l’Irak? Les interrogations sont nombreuses et les « zone d’ombres », aussi. Car, il ne suffit pas d’être une hyperpuissance pour que les choses trouvent une solution, comme par magie. La pax americana a de sérieux hoquets, en Irak ! On peut même dire qu’elle est en panne, en ce moment.
Dans ce contexte, les propos sévères du général William Odom, militaire conservateur à la retraite, ancien directeur de l'Agence nationale de sécurité (NSA), ont le mérite d’apporter un autre éclairage sur les buts cachés de cette guerre: «Il n'y a eu aucune planification, dit-il. Un petit groupe de gens, néoconservateurs, proches du Likoud israélien et de la droite religieuse américaine, a voulu cette guerre pour transformer le Proche-Orient et, croyaient-ils, protéger Israël. Que ce soit la pagaille maintenant, ils s'en moquent ! Ce qui compte, à leurs yeux, c'est que les Arabes soient affaiblis.» Et ce travail d’affaiblissement va se poursuivre, par Israël interposé. Ce dernier, avec le feu vert américain, est déjà entré en action en bombardant la Syrie, puis, demain, en s’attaquant au Hezbollah au Liban, avant de mener une frappe symbolique à forte résonance diplomatique sur l’Iran – ce qui est loin d’être exclu aujourd’hui.
Les erreurs psychologiques américaines
Mais je voudrais revenir, ici, sur un aspect insuffisamment traité, qui est le rapport Orient arabe-Etats-Unis d’Amérique. Il est la clé de voûte de toutes les explications possibles et imaginables. L’Amérique n’a jamais su dialoguer, parler et communiquer avec les Arabes «d’en bas» (3). A cette erreur psychologique fondamentale, vient s’ajouter un parti pris pro-israélien absolu sur le conflit israélo-palestinien. Toutes les grandes crises du monde avaient été dénouées ou résolues, sauf celle du Moyen-Orient. Ce conflit a une portée symbolique considérable dans l’imaginaire arabe: dans un univers d’humiliation en tout genre, dit-on dans la «rue arabe », seuls les Palestiniens sont debout. Cette dimension structure et alimente l’antiaméricanisme arabe. Depuis le 11 septembre 2001, les USA s’étaient lancés dans une vaste entreprise d’influence en direction de l’opinion arabe et des élites, afin d’inverser le processus d’hostilité et de haine à leur égard. Pourtant, les hommes de terrain et les arabisants américains – peu écoutés et jugés trop arabophiles –, savent pertinemment que l’impact de cette démarche reste limitée, tant qu’on ne s’attaquera pas à la racine du mal, qui est le règlement du conflit israélo-palestinien. Sans se rendre compte vraiment, les Etats-Unis d’Amérique, à tort ou à raison, sont en train, par une manière de faire et par une méthode « coup de poing », de radicaliser de nombreux secteurs des sociétés arabes et musulmanes, et de réveiller de vieux antagonismes Occident contre Orient, christianisme contre Islam, etc. Le doigt américain est mis sur un engrenage qui risque de nous conduire vers une réelle guerre de civilisations. Tous les ingrédients sont réunis aujourd’hui. Qui aura la lucidité de stopper cette machine folle?
- NOTES :
1. Sur ce sujet, je vous recommande la lecture de « La guerre des Bush » et « Le monde secret de Bush », les deux livres sont d’Eric Laurent. Editions Plon.
2. Le Monde du 18 septembre 2003.
3. J’y reviendrai plus longuement dans d’autres chroniques.
                           
23. Edward Saïd a brouillé notre vision du monde arabe par Zev Chafets
in The New York Daily News (quotidien américain) du mercredi 1er octobre 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Que l’on sache, Saddam Hussein n’est pas près de lâcher l’Irak, Oussama Ben Laden se cache quelque part dans les steppes tribales du Pakistan et le Sheikh Ahmed Yassine continue à esquiver les bombes israéliennes à Gaza. Mais le djihad a perdu un héros, la semaine dernière, juste ici, à New York City. Edward Said, le célèbre universitaire – combattant de l’Université Columbia est mort, emporté par la leucémie. Il avait 67 ans.
Columbia est en deuil. « Cette disparition est une perte irremplaçable pour le monde des idées », a dit Lee Bollinger, son Président. La peine de Bollinger est partagée par beaucoup. CounterPunch, une revue de la gauche radicale, a publié une série d’hommages fervents à la vie et à l’œuvre d’Edward Said. Arab News, contrôlée par le gouvernement saoudien, a célébré sa mémoire en termes presque dithyrambiques. Jamais, depuis la signature du pacte de non-agression soviéto-nazi de 1939, on n’avait vu pareille harmonie idéologique. Said n’a pas seulement fait l’unanimité entre les fascistes et les communistes, il a même établi un pont œcuménique.
Il était le seul Episcopalien à être admiré par le Hamas, dont il partageait l’objectif : éradiquer Israël ; par le Hezbollah – dont il fut l’hôte au Sud Liban, séjour qu cours duquel il effectua sa fameuse excursion rendue célèbre par le gadin qu’il balança en direction d’Israël – ainsi que par d’autres piliers de l’orthodoxie islamique. Cela n’est pas aussi incongru qu’il y paraît. Said était un homme pimpant, bien connu dans les salons du Tout New York pour sa virtuosité pianistique et son appréciation nuancée des romans de Jane Austen. Mais sous les dehors tirés à quatre épingles, battait le cœur d’un martyr.
Son ouvrage le plus célèbre, L’Orientalisme, publié en 1979, fit plus pour le djihad qu’un bataillon d’Oussamas. Comme tous les grands ouvrages de polémique, L’Orientalisme est fondé sur une thèse simple : les Occidentaux sont intrinsèquement incapables de juger honnêtement, voire même de comprendre, le monde arabe. En fait, toute tentative déployée pour ce faire s’identifie à l’impérialisme intellectuel. Cette idée a été adoptée par les étudiants américains en langues et civilisations du Moyen-Orient, qui y ont vu une perspective libératrice. S’ils ne pouvaient comprendre le monde arabe – si, en effet, étudier ce sujet revenait à perpétrer une agression impérialiste – alors ils pouvaient sécher les cours et aller déguster un hommos dans la gargote arabe du coin. Pour devenir des arabisants distingués, ils n’avaient qu’à s’en tenir à une attitude d’humilité et à une parfaite maîtrise des canons orthodoxes édictées par Said et autres experts…
« L’Orientalisme » a fait de Said un héros, non seulement dans les mosquées de Gaza, mais aussi sous les tonnelles de lierre. Jamais depuis les Notes Cliffs une œuvre n’a autant simplifié les études. Depuis 1979, une génération de Saidistes – professeurs, diplomates et correspondants de presse à l’étranger – ont dominé le discours politiquement correct sur le Moyen-Orient. Le principe qui les anime est le politiquement correct même : ne jamais rien voir de mal, ne jamais entendre rien de mal, et ne jamais rien dire de mal au sujet du monde arabe. Bien entendu, Said s’autorisait, personnellement, à dire du mal des régimes arabes – généralement au motif qu’ils n’étaient pas assez révolutionnaires à son goût. Mais il restait précautionneusement à l’intérieur des limites de l’opinion arabe admissible. Jusqu’à sa mort, il contribua à Al-Ahram, organe domestique du gouvernement égyptien. Said n’était en rien responsable des turpitudes du régime d’Hosni Mubarak, ni d’aucune autre tyrannie arabe, n’est-ce pas ?.
Saïd n’a pas fait sauter des Marines au Liban, en 1983, ni allumé la mèche de l’Intifada ou envoyé des missionnaires wahhabites prêcher la violence contre les Infidèles. Il n’a certainement pas précipité d’avion de ligne sur le World Trade Center. Non. Il s’est contenté de brouiller le radar intellectuel de l’Amérique.
Il n’était pas l’architecte des attentats du 11 septembre, mais il fut le père de l’incapacité à les comprendre du 12 septembre. Ah, hé bien voilà, Said est au paradis, maintenant. En tant qu’épiscopalien, il n’a pas droit aux soixante-douze vierges légendaires, mais je ne serais pas autrement surpris d’apprendre qu’il est gratifié, là-haut, de deux ou trois appétissantes postulantes au doctorat. Personne ne le mérite plus que lui. En attendant, son legs est vivant. Comme George Steinbrenner, Bollinger a recruté une nouvelle super-étoile pour le « monde des idées » columbien. Rashid Kalidy, tel est le nom désormais de celui qui assène l’authenticité arabe sur les collines de Morningside…  Et il a les titres pour le prouver : c’est lui qui a enseigné à Edward Said les sciences moyen-orientales.
                           
24. L’Irak et ceux qui soutenaient sa cause étaient piégés - Entretien avec Gilles Munier
in France-Pays Arabes du mois d'octobre 2003
[Gilles Munier est Secrétaire général des Amitiés Franco- Irakiennes.]
- Que ressentez- vous après tant d’efforts en vue de donner une bonne image de l’Irak, un engagement constant et la mobilisation de nombreuses personnalités françaises contre la guerre, alors que le régime de Saddam Hussein apparaît bien comme discrédité ?
- Je me demande parfois si tous les efforts déployés la guerre du Golfe de 1991 ont servi à quelque chose. J’ai l’impression que tout a été bâti sur du sable. Mais, si c’était à refaire, je recommencerai, car il n’y avait pas d’autre solution. L’Irak et ceux qui soutenaient sa cause étaient piégés.
Le régime baassiste irakien et le président Saddam Hussein sont moins discrédités que ne le prétendent les médias occidentaux ! Le « régime » s’est effondré parce que les forces militaires en présence étaient totalement disproportionnées et les Irakiens épuisés par 12 ans d’embargo. S’il n’y avait pas eu trahison à haut niveau, nous aurions quand même assisté à une bataille de Bagdad féroce. Mais l’issue des combats était inéluctable.
- A quand remonte votre dernier voyage en Irak et quelle impression en rapportiez-vous ?
- Au mois de mars, j’ai quitté Bagdad la veille des bombardements avec une mission des Volontaires de la Paix. A l’hôtel Palestine où je résidais, j’avais l’impression d’assister à la fin d’une époque. Le temps semblait suspendu. La situation avait des cotés surréalistes. En quittant Bagdad en pleine nuit, la question que je me posais était déjà de savoir comment aider la résistance qui se manifesterait après le renversement du gouvernement. Je me demandais si la seconde équipe dirigeante, créée parallèlement à la direction officielle du Baas irakien, tiendrait le coup. Aujourd’hui, tout le monde a la réponse.
- Estimez-vous qu’il était possible d’éviter cette guerre ? Saddam Hussein, en tergiversant pendant des années sur l’application des résolutions du Conseil des Nations unies, ne porte-t-il pas une lourde responsabilité dans la situation qui prévaut aujourd’hui ? En s’attaquant au Koweït en 1990 n’est-il pas à l’origine de l’occupation de son pays par les Américains ?
- La guerre aurait peut être été évitée si l’ONU avait joué son rôle, si Kofi Annan avait convoqué l’Assemblée générale. Une majorité écrasante aurait certainement soutenu la France et condamné toute idée de guerre préventive. Les Américains auraient sans doute reculé.
On ne peut pas dire que Saddam Hussein ait tergiversé pendant des années sur l’application des résolutions. Chaque fois que l’Irak en respectait une, les Etats-Unis en faisaient voter une autre, plaçant toujours la barre plus haut. Si finalement les Américains ont agressé l’Irak en dehors de toute légalité internationale, c’est bien parce qu’ils étaient acculés car toutes les résolutions avaient été respectées. Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter aux dernières déclarations de Hans Blix.
Quant à savoir s’il en aurait été autrement si Saddam Hussein n’avait pas donné l’ordre d’envahir le Koweït en 1990 : Dieu seul le sait ! Je pense que les Américains auraient provoqué un autre incident pour renverser le régime. L’objectif des Etats-Unis est de neutraliser tout pays arabe capable de tenir tête à Israël. Le plan américano-israélien qui vise à partager les états du Proche-Orient en petites entités ethniques ou confessionnelles date d’Henry Kissinger dans les années 70. Après l’Irak, si Washington et Tel Aviv parviennent à leurs fins, ce sera le tour de l’Iran et de la Syrie.
- Vous avez appelé à la libération immédiate du Vice- Premier ministre Tarek Aziz, pourquoi lui seul ?
- En fait, les Amitiés Franco- Irakiennes ont appelé à la libération de tous les Irakiens séquestrés par les forces d’occupation américaines, en partant du principe que l’agression étant illégale, les arrestations l’étaient tout autant. Elles le sont de surcroît puisque selon les conventions internationales, seuls des militaires en armes peuvent être arrêtés par des occupants.
Si nous avons demandé la libération immédiate de Tarek Aziz, c’est en raison de son état de santé et parce qu’en  le singularisant on attirait l’attention des médias. Depuis, nous avons appris que le vice- Premier ministre irakien a eu une nouvelle crise cardiaque fin septembre et que la santé de Saadoun Hammadi, président de l’Assemblée nationale, est plus que préoccupante. Il faut le libérer, lui aussi, pour qu’il puisse se soigner. Qui parmi les hommes politiques en exercice, qui parmi ceux qui les ont reçu en grande pompe, aura le courage d’interpeller les Américains pour qu’ils respectent les droits de l’homme et les conventions internationales ?
- Avez-vous des informations sur les conditions de détention des anciens dirigeants baassistes, des prisonniers irakiens en général ? Sont-ils visités par la Croix Rouge Internationale ?
- Ils sont incarcérés dans des conditions déplorables et volontairement humiliantes. Les dirigeants sont enfermés, pour la plupart, dans des cages grillagées érigées près de l’aéroport de Bagdad, par une température qui dépasse souvent les 50°. Ces cages sont recouvertes d’une bâche. Un trou a été creusé dans le sol pour servir de WC. Ils ont une ration de l’armée américaine pour nourriture et deux litres d’eau par jour. En comparaison, les GI ont huit litres d’eau par jour.
Les autres  prisonniers sont dans des camps militaires ou dans les prisons irakiennes. En raison des pénuries, des coupures d’électricité, leur vie est un enfer. Il y a officiellement 10 000 prisonniers politiques. Suite à de multiples demandes en Irak et dans le monde, le « pro consul » américain Paul Bremer a finalement accepté que la Croix Rouge Internationale leur rende visite, mais il leur refuse toujours le droit d’avoir un avocat et la possibilité de recevoir la visite de membres de leur famille. C’est Guantanamo sur Tigre !
- Où en êtes- vous de l’action à mener par les Amitiés Franco- Irakiennes ?
- Nous poursuivons notre campagne pour la libération des prisonniers après l’interlude de l’été. Plus de 180 personnalités ont signé notre appel. Avec notre bulletin « France- Irak Actualités » et le site Internet  « www.Iraqtual.com » que nous venons d’inaugurer, nous espérons tripler le nombre des signataires. En décembre,  nous envisageons d’organiser à Paris une conférence pour la paix et la démocratie en Irak, et d’y réclamer l’effacement de la dette irakienne contractée pendant la guerre Iran- Irak ou découlant de la première guerre du Golfe. Nos activités dépendront de l’évolution de la situation.
-  Qu’en est-il de cette mission de paix (la 3ème) composée principalement d’avocats et de journalistes qui pourrait se rendre en Irak à l’automne pour tenter de rencontrer les prisonniers politiques ?
- Quatre avocats français nous ont donné leur accord ainsi qu’une dizaine de journalistes. Pour l’instant, ce qui nous retient c’est un problème de sécurité.  Nous ne voulons pas, non plus,  faire les frais d’une provocation et gêner la politique française que nous soutenons. Dès que cela sera possible, nous partirons.
- France- Irak envisage t-elle d’aider le peuple irakien à retrouver son indépendance ? Si oui de quelle manière ?
- Lors de notre dernière assemblée générale en juin dernier, nous avons décidé d’aider le peuple irakien à retrouver son indépendance et sa souveraineté. Pour cela, et en attendant que la résistance dispose de représentants à l’étranger, nous militons pour qu’on la reconnaisse au niveau international.
Paul Bremer a décidé d’interdire le Parti Baas. Il a eu tort, mais il peut toujours revenir en arrière. Comment peut-il parler d’instaurer la démocratie si le courant nationaliste arabe, baasiste ou nassérien,  n’est pas représenté aux élections ? D’ailleurs, qui peut dire si ces élections pourront se tenir dans neuf mois ?
- Vous titrez dans votre communiqué du 24 juin paru dans « France – Irak Actualités » : « Aucune relation avec un gouvernement irakien sous tutelle américaine ». Maintenez- vous cette position alors que le ministre irakien actuel des Affaires étrangères, M. Hoshyar Zebari a siégé le 9 septembre dernier au Conseil de la Ligue arabe au Caire ?
- La Ligue Arabe n’a reconnu la légitimité de M. Hoshyar Zebari que provisoirement. Quant à nous, nous maintenons notre position et nous la maintiendrons tant que le Conseil transitoire irakien ne sera pas représentatif. L’Irak n’est pas une addition d’ethnies ou de confessions. Même si c’était le cas, elles n’y sont pas toutes représentées. Les Chaldéens par exemple, et certains mouvements chiites, ont été marginalisés : pourquoi ? Des délégués ne représentent qu’eux mêmes. Ils ne sont là que par la volonté de la CIA. Certains ministres, fraîchement arrivés des Etats-Unis ou de Grande Bretagne, se perdent dans Bagdad ! On se croirait revenu à l’époque du mandat britannique, en pire…
Pour nous, c’est au peuple irakien de décider de son avenir, pas aux Américains. La France doit absolument aider l’Irak à sortir de ce mauvais pas. Il ne faut pas que ce pays sombre dans la guerre civile.
                           
25. Proche-Orient : l’échec était écrit par Paul-Marie de La Gorce
in Témoignage Chrétien du jeudi 18 septembre 2003
(Paul-Marie de La Gorce est journaliste. Dernier livre : La Ve République, PUF.)
Le gouvernement israélien en a ainsi décidé : Yasser Arafat pourrait être expulsé de sa résidence de Ramallah, ou tué s’il résiste. Le gouvernement américain a fait savoir sa désapprobation, sinon son hostilité, donnant ainsi une satisfaction symbolique aux États arabes. Peut-être l’essentiel est-il déjà fait depuis qu’Ariel Sharon a annoncé qu’Israël exigeait que Arafat soit définitivement mis à l’écart des négociations. Une décision confirmée presque automatiquement par George W. Bush, et tout s’est passé, depuis, comme si elle devait s’imposer à tous.
On en mesure maintenant les détestables conséquences après l’échec et la démission de Mahmoud Abbas, pratiquement désigné comme Premier ministre par les américains. Il est toujours dangereux de rechercher à tout prix un interlocuteur réputé « modéré », qui devient ainsi suspect à son propre camp de trop de complaisance, et incapable de lui faire accepter les concessions nécessaires à un accord. C’est l’expérience que l’on vient de faire : Abbas, personnalité très estimable et sincèrement patriote, ne pouvait pas imposer son indispensable cohésion à la résistance.
Mais on n’en est plus là aujourd’hui. Car il n’est plus possible d’ignorer que, depuis longtemps, nous sommes en présence d’une avant-scène tragique et d’un arrière-plan lourd de conséquences politiques. À l’avant-scène, il y a l’engrenage tragique des assassinats de responsables palestiniens et des attentats-suicides, des représailles et des ripostes. Au point qu’il est inutile de rechercher les responsabilités des violences qui ont mis fin à la trêve qu’avaient acceptée les organisations minoritaires de la résistance palestinienne. À chaque fois, l’exigence israélienne est la même : l’Autorité palestinienne doit détruire les organisations accusées, ou responsables des attentats ou des ripostes aux opérations de Tsahal.À l’arrière-plan se situe ainsi le véritable enjeu : pousser les Palestiniens à une guerre civile. Mais même au cas où elle le voudrait, l’Autorité palestinienne le pourrait-elle ? Très probablement non. Et le gouvernement israélien est le premier à le savoir. Dans la première phase de la seconde intifada, il a fait détruire systématiquement les infrastructures de l’Autorité, de sa police, les infrastructures de son administration, ses bureaux, ses archives, ses ordinateurs et même le cadastre. De plus, quels arguments aurait-elle pour convaincre la population de la soutenir ? Ce ne serait évidemment ni les libérations au compte-gouttes de prisonniers sur le point d’achever leur temps de détention, ni la détestable situation économique et sociale des territoires autonomes, ni leur amputation par le développement continu des colonies.
De même, à l’avant-scène, on voit s’ériger ce mur que le gouvernement d’Ariel Sharon justifie par des exigences de sécurité. Justement, ce n’est pas un dispositif de protection, c’est une construction lourde, rigide, faite pour durer. À l’arrière-plan apparaît sa nature et son but : c’est une frontière qu’on veut tracer. Il n’y aurait donc pas de retour aux frontières de 1967, base officielle, pourtant, de tout processus de paix, puisque son tracé empiète, parfois très nettement, sur les territoires palestiniens. Il resterait donc très peu de chances pour un partage raisonnable de Jérusalem, et l’incorporation de nombreuses colonies israéliennes en deçà du mur montre qu’il s’agit bien de les rattacher à l’État d’Israël. L’arrière-plan que l’on découvre maintenant derrière l’avant-scène tragique des événements quotidiens, révèle quels obstacles apparemment insurmontables s’opposent à une paix équilibrée et durable. Pour l’imposer, il faudrait au président américain une formidable énergie qu’on n’a pas vue jusqu’ici sur ce sujet, ni chez ses prédécesseurs d’ailleurs.
                                       
26. De la Guerre au Pétrole (ou il y a loin de la coupe aux lèvres) par Michel Habib-Deloncle
in REFA N° 65 - Juillet-Août 2003

(Michel Habib-Deloncle est ancien Ministre du Général de Gaulle. Il est Président d’honneur de la Chambre de Commerce Franco-Arabe (CCFA) http://www.ccfranco-arabe.com.)
De mauvais esprits, et aussi quelques bons, ont cru voir, dans le désir de prendre le contrôle du pétrole irakien, un des motifs, sinon même le principal, qu’ont eu les Américains, c’est-à-dire, en l’occurrence, le Président George W. Bush, de se lancer dans la guerre d’Irak.
La recherche d'armes de destruction massive qu’on n’a pas trouvée et qu’on ne trouvera peut-être jamais, le renversement de Saddam Hussein, devenu infréquentable après qu’il eut été un si bon ami du temps de Khomeiny, les liens entre le régime baasiste et Al Qaïda, qui n’ont jamais été prouvés, tout cela ne semble pas une raison suffisante pour mobiliser une armada et mener une guerre à l’autre bout de la planète.
Le pétrole est un produit d’importance économique et stratégique majeur et le demeurera sans doute pendant encore longtemps. La production des Etats-Unis, qui en sont les plus importants consommateurs, est en baisse constante. Les gisements irakiens représentent, après l’Arabie Saoudite, les plus grosses réserves mondiales. Devenu un “maillon faible” dans la région, après la guerre de 1991, l’Irak, avec son pétrole représentait une proie tentante.
Oui, mais ! Après une victoire éclair contre une armée qui s'est évaporée, les forces de la coalition ne parviennent pas à contrôler le pays. Tous les jours est annoncée la mort de malheureux jeunes hommes, qui auraient mérité un sort meilleur. Il semble que s'organise une résistance qui frappe les Américains au point le plus sensible, puisqu'elle s'exerce aux dépens des oléoducs. A quoi bon contrôler les puits si on est mis dans l'impossibilité d'acheminer le précieux liquide vers les terminaux et même, à l'intérieur du pays, vers les raffineries ? Dans ce contexte, l'annonce de mirifiques contrats accordés à des firmes de la coalition fait un peu sourire. Mais pas tout le monde. On apprend en effet que les Britanniques, qui pouvaient légitimement espérer une part du gâteau en remerciement de leur participation à la guerre, se sont montrés très déçus de voir tous ces contrats raflés par des compagnies américaines, présentées par la presse comme “proches” du Président Bush !
Commentaire : y a-t-il au monde une chose plus importante que la réélection du Président des Etats-Unis ?
                                                      
Documents

Dans cette rubrique nous vous présentons des textes auquels les médias font référence sans les présenter dans leur intégralité.
                                           
1. Critique des (nouveaux) intellectuels communautaires par Tariq Ramadan (3 octobre 2003)
(Tariq Ramadan est l'auteur de "Les Musulmans d’Occident et l’avenir de l’islam, Actes Sud/Sindbad, 2003. Il est membre du Groupe des Sages sur le dialogue des peuples et des cultures attaché à la Commission européenne sous la présidence de Romano Prodi.)
La rentrée est agitée. On ne compte plus les livres traitant de l'antisémitisme ou du sionisme. Pour les uns, il existerait un nouvel antisémitisme parmi les jeunes français d'origine immigrée (arabes et musulmans) ou dans les rangs du mouvement altermondialiste qui le dissimuleraient derrière leur critique du sionisme et de l'Etat d'Israël. En face, on dénonce “ Un intolérable chantage ” à la judéophobie.
Force est de constater, en amont de ce débat, un phénomène qui brouille les données. Depuis quelques années (avant même la seconde intifada), des intellectuels juifs français que l'on avait jusqu'alors considérés comme des penseurs universalistes ont commencé, sur le plan national comme international, à développer des analyses de plus en plus orientées par un souci communautaire qui tend à relativiser la défense des principes universels d'égalité ou de justice.
Les travaux de Pierre-André Taguieff sont très révélateurs. Son pamphlet La nouvelle judéophobie est le prototype d'une réflexion “ savante ” faisant fi des critères scientifiques. Le sociologue s'est mué en défenseur d'une communauté en danger dont le nouvel ennemi réel ou potentiel est l'Arabe, le musulman, fusse-t-il français. On ne trouve pas ici de mise en perspective fondée sur une analyse critique de la politique sociale de l'Etat, des réalités de la banlieue ou même de la scène internationale. La conclusion est limpide : la communauté juive de France ferait face au nouveau danger que représente cette nouvelle population d'origine maghrébine qui, de concert avec l'extrême gauche, banaliserait la judéophobie et la justifierait par une critique très retors d'Israël et un “ antisionisme absolu ”. C'est surtout Alain Finkielkraut qui excelle dans le genre : on savait le penseur impliqué dans les grands débats sociaux mais voilà que l'horizon se réduit et que le philosophe est devenu un intellectuel communautaire. Son dernier ouvrage Au nom de l'Autre, réflexions sur l'antisémitisme qui vient se présente comme une attaque sans nuance de toutes les dérives antisémites (altermondialistes, immigrées ou médiatiques). Alain Finkielkraut verse dans tous les excès sans être gêné de soutenir Sharon. Le débat n'est plus fondé sur des principes universels et même s'il prétend être lié à la tradition européenne commune, sa prise de position révèle une attitude communautariste qui fausse les termes du débat, en France comme au sujet de la Palestine. Sa dénonciation du “ culte de l'Autre ” ne cesse, en miroir, d'exacerber le sentiment d'altérité du juif-victime et le mur de la honte devient “ une simple clôture de sécurité ” qu'Israël construit à contre cœur. Juifs ou sionistes (ceux qui font la différence sont antisémites) ne seront jamais des victimes ou des oppresseurs comme les autres.
Alexandre Adler avait témoigné, au côté de Finkielkraut, dans le procès surréaliste intenté au journaliste Daniel Mermet. On pouvait s'étonner. L'analyse attentive de ses écrits nous éclaire néanmoins. La lecture du monde qu'il nous propose se comprend surtout au regard de son attachement à Israël. Il ne s'en cache pas et dans l'ouvrage collectif Le sionisme expliqué à nos potes il avance qu'il “ devient de plus en plus inenvisageable de concevoir une identité juive qui ne comporterait pas une composante sioniste forte ”1 et plus loin : “ Un équilibre va s'instaurer entre diaspora et appartenance israélienne, autour duquel le nouveau judaïsme va se développer ”2. On relèvera le mélange de genres mais on retiendra la leçon au moment d'analyser ses positions en politique internationale, de même que celles de certains intellectuels juifs français, notamment lorsque Adler rappelle lui-même que les Etats-Unis ont renforcé leur soutien à Israël, lequel a par ailleurs établi une alliance stratégique avec l'Inde.
La récente guerre en Irak a agi comme un révélateur. Des intellectuels aussi différents que Bernard Kouchner, André Glucksman ou Bernard-Henri Lévy, qui avaient pris des positions courageuses en Bosnie, au Rwanda ou en Tchétchénie, ont curieusement soutenu l'intervention américano-britannique en Irak. On a pu se demander pourquoi tant les justifications paraissaient infondées : éliminer un dictateur (pourquoi pas avant ?), pour la démocratisation du pays (pourquoi pas l'Arabie Saoudite ?), etc. Les Etats-Unis ont certes agi au nom de leurs intérêts mais on sait qu'Israël a soutenu l'intervention et que ses conseillers militaires étaient engagés dans les troupes comme l'ont indiqué des journalistes britanniques participant aux opérations (The Independent, 6 juin 2003). On sait aussi que l'architecte de cette opération au sein de l'administration Bush est Paul Wolfowitz, sioniste notoire, qui n'a jamais caché que la chute de Saddam Hussein garantirait une meilleure sécurité à Israël avec des avantages économiques assurés. Dans son livre Ouest contre Ouest, André Glucksman nous livre un plaidoyer colérique pour la guerre qui passe sous un silence très parlant les intérêts israéliens. Bernard-Henri Lévy, défenseur sélectif des grandes causes, critique très peu Israël à qui il ne cesse de témoigner sa “ solidarité de juif et de Français ”3. Sa dernière campagne contre le Pakistan semblait comme sortie de nulle part, presque anachronique. En s'intéressant à l'abominable et inexcusable meurtre de Daniel Pearl, il en profite pour stigmatiser le Pakistan dont l'ennemi, l'Inde, devrait donc naturellement devenir notre ami… Lévy n'est bien sûr pas le maître à penser de Sharon mais son analyse révèle une curieuse similitude quant au moment de son énonciation et à ses visées stratégiques : Sharon vient d'effectuer une visite historique en Inde afin de renforcer la coopération économique et militaire entre les deux pays.
Que ce soit sur le plan intérieur (lutte contre l'antisémitisme) ou sur la scène internationale (défense du sionisme), on assiste à l'émergence d'une nouvelle attitude chez certains intellectuels omniprésents sur la scène médiatique. Il est légitime de se demander quels principes et quels intérêts ils défendent au premier chef ? On perçoit clairement que leur positionnement politique répond à des logiques communautaires, en tant que juifs, ou nationalistes, en tant que défenseurs d'Israël. Disparus les principes universels, le repli identitaire est patent et biaise le débat puisque tous ceux qui osent dénoncer cette attitude sont traités d'antisémites. C'est pourtant sur ce terrain que doit s'engager le dialogue si l'on veut éviter le choc des communautarismes pervers. S'il faut exiger des intellectuels et acteurs arabes et musulmans qu'ils condamnent, au nom du droit et des valeurs universelles communes, le terrorisme, la violence, l'antisémitisme et les Etats musulmans dictatoriaux de l'Arabie Saoudite au Pakistan ; on n'en doit pas moins attendre des intellectuels juifs qu'ils dénoncent de façon claire la politique répressive de l'Etat d'Israël, de ses alliances et autres méthodes douteuses et qu'ils soient au premier rang de la lutte contre les discriminations que subissent leurs concitoyens musulmans. On relèvera avec respect le courage de celles et de ceux, juifs (pas forcément altermondialistes ou d'extrême gauche), qui ont décidé de s'insurger contre toutes les injustices et notamment celles qui sont le fait de juifs. Avec les Arabes et les musulmans qui ont la même cohérence, ils sont la lumière et l'espoir de l'avenir parce que celui-ci a plus que jamais besoin de cette exigence et de ce courage.
- NOTES :
1. Le sionisme expliqué à nos potes, éditions la Martinière, 2003, Paris, p. 241
2. Le sionisme expliqué à nos potes, éditions la Martinière, 2003, Paris, p. 241
3. Le sionisme expliqué à nos potes, éditions la Martinière, 2003, Paris, p. 14
                                           
2. Discours du Dr. Mahathir Mohammad, Premier ministre de Malaisie
prononcé devant la 10ème Conférence de l’Organisation de la Conférence Islamique à Putrajaya en Malaisie (16 octobre 2003)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Le texte en anglais est dispnible sur le site de l'OCI : http://www.bernama.com/oicsummit/speechr.php?id=35&cat=BI)
ALHAMDULILLAH, Louanges à Dieu, par la Grâce et les Bénédictions Duquel nous, dirigeants des pays membres de l’Organisation de la Conférence Islamique sommes réunis ici, en ce jour, afin de nous concerter et, nous l’espérons, de tracer une voie pour l’avenir de l’Islam et de la Ummah islamique dans le monde entier.
Au nom du Gouvernement et du peuple aux ethnies et aux religions si diverses de la Malaisie, permettez-moi de vous accueillir, vous tous et chacun de vous en particulier, chaudement, à cette 10ème session de la Conférence Islamique au Sommet, ici, à Putrajaya, capitale administrative de la Malaisie.
C’est pour la Malaisie un très grand honneur que de recevoir cette réunion et d’assurer la présidence de l’OCI. Je remercie les pays participants pour leur confiance dans la présidence malaise.
Permettez-moi également de saisir cette occasion afin d’adresser des remerciements particuliers à l’Etat du Qatar, plus particulièrement à Son Excellence Shaikh Hamad Bin Khalifa Al-Thani, Emir du Qatar, qui ont assuré de manière remarquable le secrétariat de notre organisation au cours des trois dernières années.
En tant que pays hôte, la Malaisie est particulièrement honorée par la représentation au plus haut niveau des pays membres de l’Organisation. Ce fait illustre manifestement notre foi constante et notre engagement vis-à-vis de notre organisation et de notre souhait collectif ainsi que de notre détermination à renforcer notre rôle dans l’intérêt de la dignité et de la prospérité de la Ummah.
Je voudrais aussi souhaiter la bienvenue aux dirigeants et représentants de nombreux pays qui souhaitent assister à cette réunion en tant qu’observateurs, en raison de leur population musulmane conséquente. Qu’ils soient musulmans ou non, leur présence ici contribuera à instaurer une meilleure compréhension des musulmans et de l’Islam, ce qui contribuera à dissiper la perception erronée d’un Islam – religion rétrograde et terroriste.
Le monde entier a les yeux fixés sur nous. Bien entendu, un milliard trois cent millions de musulmans – un sixième de la population mondiale – placent leurs espoirs en nous, en notre présente réunion, même s’ils peuvent afficher un certain cynisme quant notre volonté et à notre capacité de ne serait-ce que restaurer l’honneur de l’Islam et des musulmans, et a fortiori de libérer leurs frères et leurs sœurs de l’oppression et de l’humiliation dont ils souffrent aujourd’hui.
Je ne procèderai pas ici à l’énumération des occurrences de notre humiliation et des lieux où nous souffrons d’être opprimés, et je ne vais pas, pour la énième fois, condamner nos détracteurs et nos oppresseurs. Ce serait là un exercice futile, parce qu’ils ne sont pas près de changer leur attitude simplement parce que nous les condamnons verbalement. Si nous voulons un jour recouvrer notre dignité et celle de l’Islam, notre religion, c’est à nous qu’il revient de décider. Et c’est à nous qu’il incombe d’agir.
Tout d’abord, les gouvernements de tous les pays musulmans peuvent resserrer les rangs et adopter une position commune, sinon sur toutes les questions, au moins sur certaines questions fondamentales, comme celle de la Palestine. Nous sommes tous musulmans. Nous sommes tous opprimés. Nous sommes tous en butte à l’humiliation. Mais nous, qui avons été placés par Allah au-dessus de nos frères, les musulmans, afin de diriger nos pays, nous n’avons jamais réellement essayé d’agir de concert afin de faire la démonstration – à notre niveau – de la fraternité et de l’unité auxquelles l’Islam nous enjoint.
Mais ce ne sont pas seulement nos gouvernements qui sont divisés, c’est la Ummah musulmane [= la communauté des croyants, dans le monde entier, ndt] qui est, elle aussi, divisée, et ses divisions sont divisées à leur tour, et ainsi de suite. Durant les quatorze siècles écoulés, les exégètes de l’Islam, les sages, les oulémas, ont interprété et réinterprété l’unique religion islamique révélée par le Prophète Mahommet [Que les Prières d’Allah soient sur Lui], de manières si diverses qu’aujourd’hui nous avons un millier de religions, lesquelles sont trop souvent tellement en désaccord entre elles que nous nous combattons et nous nous entretuons, hélas, en leur nom.
De la Ummah unique [du début de l’Islam, ndt], nous nous sommes laissés diviser en d’innombrables sectes, mazâhib [pl. de mazhab, école juridique, ndt] et tariqât [confréries mystiques, ndt], chacun(e) d’entre eux (elles) étant beaucoup plus préoccupé(e) de revendiquer sa nature de véritable Islam, que d’affirmer notre appartenance à la Ummah islamique, et donc notre unicité. Nous ne voyons pas que nos détracteurs et nos ennemis se moquent bien de savoir si nous sommes de vrais musulmans, ou non. Pour eux, nous sommes tous musulmans, c’est à dire les fidèles d’une religion et d’un Prophète dont ils affirment qu’ils encouragent le terrorisme, et à leurs yeux, tous, tous autant que nous sommes, nous sommes leurs ennemis jurés. Ils nous attaqueront, nous tueront, envahiront nos pays, renverseront nos gouvernements, que nous soyons sunnites ou chiites, alaouites ou druzes, ou que sais-je encore. Et nous ne faisons que les aider et les encourager en nous attaquant et en nous affaiblissant les uns les autres, et parfois en leur préparant le terrain, en agissant comme leurs supplétifs afin d’attaquer des musulmans, qui sont nos frères. Nous tentons de renverser nos gouvernements par la violence, et tout ce que nous réussissons à faire, c’est affaiblir et appauvrir nos pays.
Nous avons ignoré – et nous persistons à le faire – l’exhortation de l’Islam à nous unir et à être les frères les uns des autres, nous, les gouvernements des pays musulmans et de la Ummah.
Mais ce n’est pas cela, seulement, que nous ignorons, parmi les enseignements de l’Islam. L’Islam nous enjoint de Lire, « ‘Iqra’ » [Cet impératif du verbe qara’a signifie « lire » (à haute voix) et aussi « réciter ». Les sourates du Coran commençant par l’injonction divine adressée à Mahommet : ‘Iqra’ bi-smi-Rabbika : « Enonce au nom de ton Seigneur… », le recueil des propos divins, transmis par la voix du Prophète Mahommet est intitulé Al-Qur’ân : la Lecture – la Récitation. C’est ce mot qui a été francisé en ‘Coran’. Ndt] , c’est-à-dire à acquérir des connaissances. Les premiers Musulmans comprirent que cela signifiait traduire et étudier les œuvres des savants grecs et d’autres civilisations d’avant l’Islam. Et ces savants musulmans ont enrichi le corpus des connaissances [du monde connu] par leurs propres recherches et méditations.
Les premiers Musulmans donnèrent au monde de grands mathématiciens et savants, des médecins, des astronomes, etc. et ils excellèrent dans toutes les disciplines du savoir de leur temps, tout en étudiant et en pratiquant leur propre religion, l’Islam. Il en résultat que les Musulmans furent à même de développer et de tirer des richesses de leurs terres et à travers leur commerce d’envergure mondiale, ils purent renforcer leurs défenses, protéger leur peuple et leur enseigner le mode de vie prescrit par l’Islam, Ad-Dîn [La Religion, au sens étymologique de « re-ligere » : lier les membres d’une société entre eux grâce à une croyance et à des règles morales partagées, ndt]. A cette époque, l’Europe médiévale était encore arriérée et en proie aux superstitions, tandis que les Musulmans éclairés avaient déjà bâti une grande civilisation, la civilisation musulmane, respectée et puissante, très capable d’entrer en compétition avec le reste du monde et de protéger la Ummah contre l’agression extérieure. Les Européens eurent à poser le genou devant les grand savants musulmans afin de pouvoir accéder à leur propre héritage scolastique.
Les Musulmans étaient conduits par de grands dirigeants tels Abdul Rahman III, Al-Mansour, Salâh ad-Dîn al-‘Ayyûbiyy (Saladin) et bien d’autres, qui allèrent livrer bataille à la tête de leurs armées afin de protéger la terre musulmane et la Ummah.
Mais, à mi-chemin sur la construction de la grande civilisation islamique, vinrent de nouveaux exégètes de l’Islam, qui professèrent que l’acquisition de la connaissance par les musulmans signifiait seulement qu’il fallait étudier la théologie islamique. Les études scientifiques, médicales, etc. furent déconsidérées.
Intellectuellement, les Musulmans se mirent à régresser. Avec cette régression intellectuelle, la grande civilisation musulmane commença à faiblir et à pâlir. Sans l’émergence des guerriers Ottomans [en Anatolie, ndt], la civilisation musulmane aurait disparu totalement, à la chute de Grenade, en 1492.
Les premiers succès des Ottomans ne s’accompagnèrent pas d’une quelconque renaissance intellectuelle. Bien loin de là, hélas, ils se préoccupèrent de plus en plus de considérations futiles, telle la question de savoir si leurs pantalons serrés et leurs casques à pointe, bien que d’un chic fou, étaient bien islamiques, si on devait ou non introduire dans l’Empire la machine à écrire ou s’il était licite d’éclairer les mosquées au moyen d’ampoules électriques. Les Musulmans ratèrent le train de la révolution industrielle. Et la régression des musulmans poursuivit son cours inexorable jusqu’à ce que leur rébellion à l’instigation des Britanniques et des Français contre le pouvoir turc entraîne la chute des Ottomans, la dernière puissance musulmane mondiale, auxquels succédèrent des colonies européennes et non des Etats indépendants comme promis. Ce n’est qu’après la Seconde guerre mondiale que ces colonies acquirent leur indépendance.
Avec les nouveaux Etats – nations, nous adoptâmes aussi le système démocratique occidental. Cela, aussi, contribua à nous diviser, car les partis et groupes politiques que nous formons, dont certains se proclament musulmans, rejettent l’islam des autres partis et refusent d’accepter le verdict de la pratique démocratique lorsqu’ils échouent dans les élections. Ils ont recourt à la violence, et cela a pour résultat de déstabiliser l’ensemble des pays musulmans.
En raison de tous ces développements, depuis des siècles, la Ummah et la civilisation islamique sont devenues si faibles qu’il fut un temps où il n’y avait plus un seul pays musulman qui ne fût colonisé ou contrôlé par l’hégémonie des Européens. Mais la reconquête de l’indépendance n’a en rien aidé les musulmans à se renforcer. Leurs états étaient faibles et mal administrés, en proie à des troubles endémiques. Les Européens pouvaient faire ce qu’ils voulaient des territoires musulmans. Rien d’étonnant à ce qu’ils aient pu se tailler une tranche de territoire musulman pour y installer l’Etat d’Israël afin de solutionner leur « problème juif ». Divisés, les Musulmans n’ont rien pu faire qui pût efficacement stopper la transgression de Balfour et des sionistes.
D’aucuns voudraient nous faire croire qu’en dépit de tout ceci, notre existence est meilleure que celle de nos détracteurs. Certains sont persuadés que notre pauvreté est islamique, que nos souffrances et l’oppression dont nous souffrons sont islamiques. Que ce bas monde n’est pas pour nous. Que seuls nous intéressent les joies du Paradis dans l’au-delà. Que tout ce que nous devrions faire, ce serait accomplir certains rites, porter certains vêtements (et pas d’autres) et nous donner un certain look. Notre faiblesse, notre arriération et notre incapacité à aider nos frères et nos sœurs oppressés, tout cela relèverait de la Volonté d’Allah, de la souffrance qu’il nous incomberait de supporter avant la béatitude céleste dans l’au-delà. Que nous devrions accepter le sort qui nous est imparti. Que tout ce que nous devrions faire, c’est ne rien faire. Car nous ne pourrions rien faire contre la Volonté d’Allah.
Mais s’agit-il bien de la Volonté d’Allah ? Allah nous aurait-il dit que nous ne pouvons et nous ne devons rien faire ? Allah a dit dans la Sourate Ar-Ra’d [L’Eclair], verset 11 qu’Il ne changerait pas le sort d’une communauté tant que cette communauté n’aurait pas cherché à changer son sort par elle-même.
Les premiers Musulmans furent aussi opprimés que nous le sommes aujourd’hui. Mais après leurs efforts sincères et déterminés à s’entraider conformément aux enseignements de l’Islam, Allah les a aidés à vaincre leurs ennemis et à créer une civilisation musulmane grandiose et puissante. Mais quel effort avons-nous fait, nous, les Musulmans modernes, en dépit des ressources que Dieu nous a accordées ?
Aujourd’hui, nous sommes 1,3 milliard d’âmes ; c’est une force. Nous avons les plus grandes réserves de pétrole au monde. Nous avons de grandes richesses. Nous ne sommes pas aussi ignorants que les premiers convertis à l’Islam, à l’époque de la Jâhiliyyah [Epoque de « l’Ignorance » : elle désigne, dans l’Islam, l’époque antéislamique. Ce terme ‘ignorance’ n’est absolument pas péjoratif pour les civilisations antérieures à l’Islam, mais les Musulmans considèrent que ces civilisations ignoraient la Vraie religion = l’Islam]. Nous sommes très à l’aise en matière de fonctionnement des mondes de l’économie et de la finance. Nous contrôlons cinquante des cent quatre-vingt pays du monde. Nos votes peuvent faire ou défaire les organisations internationales. Néanmoins, nous semblons plus impuissants que la poignée de convertis de la Jâhiliyyah qui adoptèrent le Prophète pour guide. Pourquoi ? Cela relève-t-il de la volonté d’Allah, ou bien alors est-ce parce que nous avons interprété notre religion de manière erronée, ou parce que nous n’avons pas su suivre les véritables enseignements de notre religion, parce que nous avons commis des erreurs ?
Notre religion nous enjoint de nous tenir prêts à défendre la Ummah. Malheureusement, nous ne développons pas une véritable défense, mais les armes surannées datant de l’époque du Prophète. Ces armes et ces chevaux ne peuvent plus nous permettre de nous défendre de nos jours. Ce dont nous avons besoin, c’est de canons et de missiles, de bombes et d’avions de guerre, de tanks et de vedettes, pour nous défendre. Mais parce que nous décourageons les études scientifiques et mathématiques, etc., sous prétexte qu’elles ne nous serviraient à rien dans la ‘âkhirah – l’au-delà – aujourd’hui, nous sommes incapables de produire les armes qui nous permettraient de nous défendre. Nous sommes obligés d’acheter nos armes à nos détracteurs, voire pire : à nos ennemis. Voilà où nous amène l’interprétation superficielle du Coran, qui insiste non pas sur la substance de la sunnah – la tradition prophétique – et sur les injonctions coraniques, mais préfère mettre l’accent sur le style et les moyens utilisés au premier siècle de l’Hégire. Et il en va de même en ce qui concerne les autres enseignements de l’Islam. Nous sommes beaucoup plus préoccupés par les formes que par la substance des paroles d’Allah, et nous adhérons qu’à l’interprétation littérale des traditions du Prophète [Les hadîth, dont l’ensemble compose la Tradition – Sunnah, notion à ne pas confondre avec celle de sunnisme, toutes les branches de l’Islam reconnaissant la Sunnah du Prophète, ndt].
On pourrait, pourquoi pas, recréer le premier siècle de l’Hégire [septième siècle de l’ère chrétienne, ndt], et le mode de vie de cette époque lointaine, afin de mettre en pratique ce que nous pensons être la véritable vie musulmane. Mais personne ne nous en laissera le loisir. Nos détracteurs et ennemis mettront à profit l’arriération et l’affaiblissement qui résulteraient de cette décision baroque, et ils en profiteraient pour renforcer leur domination sur nous. L’Islam n’est pas fait seulement pour le septième siècle après Jésus-Christ. L’Islam est éternel. Et les temps ont changé. Que cela nous plaise, ou non, nous devons évoluer, non en changeant notre religion mais en appliquant ses enseignements dans le contexte d’un monde radicalement différent de celui qui existait au premier siècle de l’Hégire. L’Islam n’est pas erroné, ce sont les interprétations de nos exégètes – qui ne sont pas des prophètes, même s’ils sont éventuellement très érudits – qui peuvent se tromper. Il nous faut remonter aux enseignements fondamentaux de l’Islam afin d’y vérifier si ce que nous croyons et pratiquons est bien l’Islam que le Prophète a prêché. Nos croyances et nos pratiques sont tellement différentes entre elles que nous ne pouvons pas tous – tous autant que nous sommes – pratiquer l’Islam correct, l’Islam vrai : c’est totalement impossible !
Aujourd’hui, l’ensemble de la Ummah musulmane, c’est-à-dire : nous tous, sommes traités avec mépris et déshonneur. Notre religion est dénigrée. Nos lieux saints sont désacralisés. Nos pays sont occupés. Notre peuple est affamé et assassiné.
Aucun de nos pays n’est réellement indépendant. Nous sommes soumis aux pressions pour que nous nous pliions au bon vouloir de nos oppresseurs quant à ce en quoi nous devrions croire, à la manière dont nous devrions gérer notre territoire, et même à notre manière de penser.
Aujourd’hui, s’ils veulent agresser notre pays, tuer notre peuple, détruire nos villages et nos villes, nous ne pouvons absolument rien faire qui soit efficace. Et c’est l’Islam qui serait la cause de ce désastre ? N’est-ce pas plutôt nous, qui avons failli à faire notre devoir, conformément à notre religion ?
La seule réaction que nous ayons, c’est d’être de plus en plus en colère. Les gens en colère ne peuvent pas réfléchir correctement. Aussi nous voyons certains, dans notre peuple, réagir de manière irrationnelle. Ils lancent leurs propres attaques personnelles, tuent absolument tous ceux qu’ils trouvent sur leur passage, y compris des coreligionnaires musulmans, pour passer sur autrui leur colère et leur frustration. Leurs gouvernements sont impuissants à les arrêter. L’ennemi réplique et augmente la pression sur les gouvernements, lesquels n’ont pas d’autre choix que céder, accepter les directives de l’ennemi et renoncer littéralement à leur indépendance d’action.
Cela ne fait que rendre leur peuple et la Ummah encore plus en colère et ils se retournent contre leurs propres gouvernements. Toute tentative de solution pacifique est sabotée par de nouvelles attaques calculées afin de mettre l’ennemi hors de lui et d’empêcher tout règlement pacifique. Mais ces attentats ne résolvent rien, bien entendu. Le seul résultat, c’est que les Musulmans sont de plus en plus opprimés.
Dans les pays musulmans et chez les peuples musulmans, il y a un sentiment d’impuissance et de désespoir. Les gens ont l’impression qu’ils ne peuvent rien faire qui aboutisse. Ils sont convaincus que les choses ne peuvent aller que de mal en pis. Que les Musulmans seront toujours opprimés et dominés par les Européens et les juifs. Qu’ils seront éternellement pauvres, attardés et faibles. Certains pensent, comme je l’ai déjà indiqué, que cet état des choses est la Volonté d’Allah, que la situation normale, pour les Musulmans, est d’être pauvres et opprimés, en ce bas monde.
Mais est-il raisonnable de penser que nous ne devons rien (et ne pouvons rien) faire pour nous-mêmes ? Se peut-il qu’un milliard trois cent millions de personnes soient impuissantes à se sauver elles-mêmes de l’humiliation et de l’oppression qui leur sont infligées par un ennemi infiniment moins nombreux ? Laisser libre cours, en réponse, à leur colère, est-ce la seule chose qu’elles puissent faire ? N’y a-t-il pas d’autre solution que de demander à nos jeunes gens d’aller se faire sauter afin de tuer des gens, en provoquant ainsi le massacre d’encore plus des nôtres ?
Il est inconcevable qu’il n’y ait pas d’autre voie. 1,3 million de musulmans ne peuvent être vaincus par quelques millions de juifs. Il doit y avoir un moyen. Et nous ne pourrons trouver ce moyen que dès lors que nous aurons cessé de penser, de balancer nos faiblesses et nos points forts, de planifier, de réfléchir à une stratégie et, seulement alors, de contre-attaquer. En tant que Musulmans, nous devons rechercher la guidance du Coran et de la Tradition (Sunnah) du Prophète. Les vingt-trois années de lutte du Prophète peuvent certainement nous apporter une indication de ce que nous pouvons – et devrions – faire.
Nous savons que le Prophète et ses premiers disciples ont été opprimés par les Quraïsh. A-t-il lancé contre eux des actions de représailles ? Non. Il se tenait prêt à procéder à des retraites stratégiques. Il envoya ses premiers partisans dans un pays chrétien et il émigra, lui-même, ensuite à Médine. Là, il rassembla des partisans, il renforcé ses capacités de défense et il fut capable d’apporter la sécurité à son peuple. A Hudaïbiyyah, il était prêt à accepter un traité inique, contre le souhait de ses compagnons et de ses disciples. Durant la période de paix qui s’ensuivit, il consolida ses forces et fut finalement à même de faire son entrée à La Mekke et de la conquérir à l’Islam. Mais même là, il ne rechercha pas la vengeance. Et les habitants de La Mekke adoptèrent l’Islam et beaucoup d’entre eux devinrent ses partisans les plus déterminés, prêts à défendre les Musulmans contre tous leurs ennemis.
Telle est, brièvement, l’histoire de la lutte du Prophète. Nous parlons beaucoup de la nécessité de respecter et de suivre la sunnah du Prophète. Nous citons les occurrences et les traditions avec prolixité. Mais en réalité, nous les ignorons toutes.
Si nous utilisions les facultés intellectuelles qu’Allah nous a accordées, nous saurions que nous sommes en train de nous comporter de manière irrationnelle. Nous combattons sans objectif, sans autre but que celui de faire mal à l’ennemi parce qu’il nous fait mal. Naïvement, nous attendons qu’il se rende. Nous sacrifions des vies sans nécessité, n’obtenant d’autre résultat que nous attirer de nouvelles représailles massives et de nouvelles humiliations.
Il est grand temps que nous prenions le temps de la réflexion. Sera-ce du temps perdu ? Durant largement un siècle, nous nous sommes battus pour la Palestine. Qu’avons-nous obtenu ? Rien. Nous sommes dans une situation pire qu’avant. Si nous avions pris le temps de la réflexion, nous aurions pu préparer un plan, une stratégie, qui puisse nous apporter la victoire finale. Faire une pause afin de réfléchir calmement ne saurait représenter une perte de temps. Nous avons besoin d’opérer une retraite stratégique et d’évaluer calmement notre situation.
Aujourd’hui, nous sommes très forts. 1,3milliard de personnes ne peuvent être balayés comme ça. Les Européens ont tué six millions de juifs, sur douze millions. Mais aujourd’hui, les juifs gouvernent le monde par procuration. Ils font en sorte que d’autres combattent et se fassent tuer pour eux.
Nous ne sommes peut-être pas capables d’en faire autant. Nous ne sommes peut-être pas capables de nous unir, tous, nous les 1,3 milliard de Musulmans. Nous ne sommes peut-être pas en mesure de faire en sorte que tous les gouvernements musulmans agissent de concert. Mais si nous pouvons amener ne serait-ce qu’un tiers de la Ummah et un tiers des pays musulmans à travailler ensemble, nous pourrons déjà faire quelque chose.
Rappelez-vous que le Prophète n’avait pas beaucoup de partisans lorsqu’il émigra à Médine. Mais il unifia les Ansar [Partisans] et les Muhâjirîn [Emigrés] et finalement il devint assez fort pour défendre l’Islam. En plus de l’unité fût-elle partielle dont nous avons besoin, nous devons tirer profit de nos atouts. J’ai déjà mentionné notre force démographique et nos ressources pétrolières. Dans le monde d’aujourd’hui, nous possédons beaucoup de puissance politique, économique et financière, assez en tous les cas pour compenser notre faiblesses sur le plan militaire.
Nous savons, aussi, que tous les non-Musulmans ne nous sont pas hostiles. Certains sont bien disposés à notre endroit. Certains considèrent même nos ennemis comme leurs propre ennemis. Même chez les juifs, beaucoup de personnes n’approuvent pas ce que les Israéliens font.
Nous ne devons pas nous mettre tout le monde à dos. Nous devons nous gagner les cœurs et les esprits. Nous devons les gagner à nos côtés, non pas en mendiant leur aide, mais grâce à la manière honorable même dont nous tentons d’aller de l’avant. Nous devons nous garder de renforcer l’ennemi en poussant tout le monde dans son camp à cause de comportement irresponsables et totalement contraires au véritable Islam. Souvenez-vous de Saladin, et de la manière avec laquelle il a combattu contre les Croisés au nom usurpé, en particulier le roi Richard Cœur de Lion d’Angleterre. Souvenez-vous du respect du Prophète pour les ennemis de l’Islam. Nous devons faire de même. Ce qui importe, ce n’est pas les représailles haineuses, ce n’est pas la revanche, c’est la victoire.
Nous devons bâtir notre force dans tous les domaines, non pas seulement dans celui de la puissance armée. Nos pays doivent être stables et bien administrés, ils doivent être fort économiquement et financièrement, ils doivent être industriellement compétents et technologiquement avancés. Cela prendra du temps, mais cela peut être fait, et cela sera du temps utilisé à bon escient. Notre religion nous enjoint d’être patients. ‘Inna-Llâh ma’a-ççâbirîn [Dieu, certes, est avec ceux qui patientent.]. A l’évidence, il y a de la vertu à être patient.
Mais la défense de l’Oummah, la contre-offensive, ne doit pas commencer avant que nous ayons mis nos maisons en ordre. D’ores et déjà, nous avons des atouts suffisants qui nous permettre de nous mettre en formation autour de nos détracteurs. Il nous reste à les identifier et à imaginer comment nous pouvons nous servir d’eux afin de mettre un terme au carnage causé par l’ennemi. Cela est tout à fait possible si nous prenons le temps de réfléchir, de planifier, d’arrêter une stratégie et de prendre les quelques premières mesures stratégiques qui s’imposent. Même ces quelques mesures peuvent apporter des résultats positifs.
Nous savons que les Arabes du temps de la Jâhiliyyah s’adonnaient à la vendetta et se tuaient entre eux au simple motif qu’ils appartenaient à des tribus différentes. Le Prophète leur prêcha la fraternité de l’Islam
et ils furent capables de dépasser leur haine mutuelle, à s’unir et à contribuer à l’instauration de la grandiose civilisation musulmane. Pouvons-nous dire que ce que les gens de la  Jâhiliyyah ont pu faire, les musulmans ne pourraient pas le faire aujourd’hui ? Si nous ne pouvons pas le faire, tous, certains d’entre nous le peuvent. A défaut d’initier la renaissance de notre grande civilisation, qu’au moins on assure la sécurité de la Oummah !
Faire les choses qui s’imposent n’exigera même pas de nous tous que nous renoncions à nos différences. La seule chose dont nous avons besoin, c’est de décréter une trêve afin de commencer à agir ensemble pour nous concentrer sur la solution de certains problèmes qui relèvent de notre intérêt commun, tel le problème de la Palestine, par exemple.
Dans tout combat, dans toute guerre, rien n’est plus important que l’action concertée et coordonnée. Un niveau de discipline minimal est la seule chose requise. Le Prophète a perdu, à la bataille du Jabal Uhud, parce que ses forces ont rompu les rangs. Nous le savons, et néanmoins nous rechignons à nous discipliner et à abandonner nos actions irrégulières et anarchiques. Nous devons êtres courageux, braves, mais pas des têtes brûlées. Nous devons penser non pas à la seule récompense céleste que nous recevrons dans l’au-delà, mais aussi aux résultats concrets, bien terrestres, de notre mission.
Le Coran nous enseigne que lorsque l’ennemi recherche la paix, nous devons réagir positivement. Bien entendu, le traité qui nous est proposé ne nous est pas favorable. Mais nous pouvons négocier. Le Prophète a négocié, à Hudaïbiyyah. Et, finalement, il a triomphé.
J’ai bien conscience que toutes ces idées ne seront pas populaires. Ceux qui sont en colère vont vouloir les rejeter sans autre forme d’examen. Ils voudraient même réduire au silence quiconque propose ou soutient cette ligne d’action. Ils voudraient envoyer encore plus de jeunes hommes et de jeunes femmes au sacrifice suprême. Mais où tout cela va-t-il nous mener ? Certainement pas à la victoire. Depuis plus de cinquante ans de lutte en Palestine, nous n’avons obtenu aucun résultat. En réalité, nous n’avons fait qu’aggraver notre situation.
L’ennemi accueillera probablement ces propositions favorablement, et il conclura que leurs promoteurs apportent de l’eau à son moulin. Mais réfléchissons. Nous sommes opposés à un peuple qui réfléchit. Ils ont survécu à deux mille ans de pogroms non pas en répliquant, mais en réfléchissant. Ils ont inventé et promu avec succès le socialisme, le communisme, les droits de l’Homme et la démocratie de telle manière que continuer à les persécuter apparaisse quelque chose de mal, afin qu’ils puissent jouir de droits égaux aux autres. Grâce à cela, ils ont conquis le contrôle des pays les plus puissants tandis qu’eux, cette communauté extrêmement réduite, sont devenus une puissance mondiale. Nous ne pouvons pas nous contenter de les combattre avec nos seuls gros bras. Nous devons utiliser aussi notre ciboulot.
Récemment, en raison de leur puissance et de leur succès apparent, ils sont devenus arrogants. Et les gens arrogants, comme les gens en colère, feront nécessairement des erreurs, oublieront à un moment de réfléchir.
Ils commencent déjà à faire des bourdes. Et ils vont en faire de plus en plus. Il y a peut-être des fenêtres d’opportunité pour nous, aujourd’hui, et à l’avenir. Ces opportunités, nous devons les saisir. Mais pour ce faire, nous devons ajuster nos actes. La rhétorique est une bonne chose. Elle nous aide à dénoncer les torts qui nous sont infligés, et sans doute à nous gagner quelque sympathie et quelque soutien. Elle peut aussi renforcer notre moral, notre volonté et notre résolution, afin de faire face à l’ennemi.
Nous pouvons – nous devons – prier Allah [Qu’Il soit exalté] car, à la fin des fin, c’est Lui qui déterminera si nous réussirons ou si nous échouerons. Nous avons besoin de Ses bénédictions et de Son aide dans nos entreprises.
Mais c’est la manière dont nous agissons et ce que nous faisons qui déterminera si Il nous aidera et nous accordera – ou non – la victoire. Il l’a déjà dit dans le Coran. A nouveau, la Sourate Ar-Ra’d, au verset 11.
Comme je l’ai dit en commençant, le monde entier nous regarde, la Ummah islamique toute entière place ses espoirs dans cette conférence des dirigeants des nations islamiques. Ils n’attendent pas simplement de nous que nous donnions libre cours à notre frustration et à notre colère, par des discours et des gesticulations, ni que nous prions afin de nous attirer les bénédictions d’Allah. Ils attendent de nous que nous fassions quelque chose, que nous agissions. Nous, dirigeants des nations islamiques, nous ne pouvons pas nous défiler. Nous ne pouvons pas nous résigner à dire que nous sommes incapables de nous unir même lorsque nous sommes confrontés à la destruction de notre religion et de notre Ummah.
Nous savons que nous pouvons le faire. Il y a énormément de choses que nous pouvons faire. Nous avons beaucoup de ressources à notre disposition. Ce dont nous avons besoin, c’est simplement de la volonté de le faire. En tant que Musulmans, nous devons être pleins de gratitude pour la guidance que nous apporte notre religion, nous devons faire ce qui doit être fait, avec volonté et détermination. Allâh ne nous a pas placés, nous les chefs d’Etat, au-dessus de nos frères afin que nous puissions jouir du pouvoir égoïstement, pour nous-mêmes. Le pouvoir qui nous est conféré est pour notre peuple, pour la Ummah, pour l’Islam. Nous devons avoir la volonté d’utiliser ce pouvoir judicieusement, prudemment, de manière concertée. Inshâ’Allâh, nous finirons par triompher.
Je prie Allâh pour lui demander que cette 10ème Conférence de l’OCI, ici à Putrajaya, en Malaisie, nous apporte à tous une nouvelle direction positive, qu’elle soit bénie par le succès que seul peut accorder Allâh Tout Puissant, Ar-Rahmân Ar-Rahîm [Compatissant et Miséricordieux].
                                   
3. Réponse de l'Ambassade de France en Israël au quotidien israélien "Maariv" (19 octobre 2003) 
Tel-Aviv, le 19 octobre 2003 - Monsieur Annon Dankner Rédacteur en Chef de Maariv - Sous le titre « le collaborateur », vous avez jugé bon de mettre en cause à la fois l’attitude du Président de la République française et d’une façon plus générale, mon pays, dans le cadre de la condamnation effectuée par l’Union européenne des propos antisémites inacceptables de M. Mahatir.
La déformation complète de la réalité des faits, les propos insultants que vous avez choisi d’utiliser m’amènent à vous faire de la façon la plus ferme la mise au point suivante que je vous prie de publier dans votre prochaine édition , au nom même du respect du droit de réponse :
- La France s’est pleinement associée à la condamnation lors du sommet européen, des propos inacceptables prononcés par le premier ministre de Malaisie.
- C’est parce qu’elle souhaitait que cette condamnation et celle de tous les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union européenne prenne un relief particulier qu’elle a souhaité qu’une déclaration ad hoc soit effectuée par la présidence italienne de l’Union européenne. Ce qui a été fait immédiatement à l’issue du Conseil tenu vendredi dernier à Bruxelles.
- La Présidence de la République française a rappelé aujourd’hui dimanche 19 octobre sa condamnation des propos de M. Mahatir.
Il est donc faux, mensonger, et par là même odieux et inacceptable de prétendre que le Président de la République française se serait opposé à la mise en cause des propos de M. Mahatir. Votre conscience professionnelle aurait du vous conduire à vérifier les faits et considérer avec plus d’attention la mise au point que cette ambassade avait fournie à votre quotidien dès vendredi soir.
S’agissant des accusations inadmissibles d’antisémitisme et de collaboration prononcés à l’encontre du Président de la République française et d’une « certaine France » selon vos propos, ma tentation première serait de ne pas vous répondre tant l’insulte est aussi révoltante que méprisable.
Je vous rappelle néanmoins, car vos propos pourraient porter sur des esprits moins bien informés, l’engagement personnel de l’auteur du discours du Vel’ d’Hiv de 1995, et du promoteur des recommandations de la commission Mattéoli et du souci d’une réparation aussi large que possible des errements monstrueux du régime de Vichy.
Je veux aussi rappeler au rédacteur en chef du second quotidien de ce pays la détermination affichée lors de la multiplication d’incidents à connotation antisémite auxquels il a été mis fin par une politique de fermeté sans concession ni tolérance.
Permettez moi enfin de vous rappeler que l’antisémitisme, phénomène abject, a toujours vu se lever en face de lui dans mon pays ce mouvement du refus qui explique notamment que la France ait pu conserver les trois quarts de sa communauté juive malgré le drame inexpiable du nazisme et de la collaboration. Le père du philosophe Emmanuel Levinas rappelait au début du siècle « qu’un pays où l’on se déchire pour un petit capitaine juif est un pays où il faut aller ». Ce qu’il fit. Je vous engage moi même à vous y rendre afin de tenter de renverser votre postulat – contraire aux jugements portés par tous les représentants de la communauté juive de mon pays - d’une France où se multiplieraient les agressions contre les juifs. Malgré vos insultes qui salissent l’image de la presse israélienne en France mais ne parviendront pas à ternir la relation entre la France et Israël, vous y serez reçu.