"On ne peut pas, comme ça, entasser des gens sur des camions pour s'en débarrasser... Je préfère préconiser une politique positive, consistant à créer, en effet, des conditions qui, de manière positive, inciteront les gens à partir." Ariel Sharon
                                       
Extrait de "L'expulsion de force des Arabes de plus en plus à l'ordre du jour en Israël"
par David Bernstein in The Times (quotidien britannique) du mercredi 24 août 1988
             
                       
Point d'information Palestine N° 227 du 18/09/2003
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Au sommaire
                                                           
Témoignage
- Taxi 1 par Julien, citoyen de Gaza en Palestine
                            
Dernières parutions
1. L'Identité palestinienne - la construction d'une conscience nationale moderne de Rachid Khalidi aux éditions La Fabrique
2. Maghreb-Machrek N° 176 (Eté 2003) "En attendant la Palestine"
3. à paraître le 2 octobre 2003 - L'autre visage d'Israël de Israël Shamir aux Éditions Balland / Éditions Blanche
4. Antisémitisme : l'intolérable chantage - Israël-Palestine, une affaire française ? de Étienne Balibar, Rony Brauman, Judith Butler, Sylvain Cypel, Éric Hazan, Daniel Lindenberg, Marc Saint-Upéry, Denis Sieffert, Michel Warschawski aux éditions de La Découverte
                             
Réseau
1. La Stratégie du désastre par Uri Avnery (13 septembre 2003) [traduit de l’anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
2. Déclaration de Madame Anna Lindh, Ministre suédoise des Affaires étrangères [assassinée à Stockholm ce 11 septembre 2003] , devant la 60ème session de la Commission des Droits de l’Homme de l’Onu le 19 mars 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Bons baisers de Suède (Anna Lindh) par Hanan Ashrawi (12 septembre 2003) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
4. Déclaration de Dominique de Villepin, Ministre français des Affaires étrangères au sujet de la décision de principe israélienne d’expulser Monsieur Arafat des Territoires palestiniens le 11 septembre 2003
5. Quelques méfaits d’Israël à rappeler et hommage à Dominique de Villepin, Ministre des Affaires Etrangères, présidentiable souhaité par Gonzague Hutin (12 septembre 2003)
6. Réflexions personnelles sur la Palestine par Norman Finkelstein (11 septembre 2003) [traduit de l'anglais par Olivier Roy]
                            
Revue de presse
1. "Au nom de l’antisionisme" de Joël et Dan Kotek [1] - Notes de lecture par Michel Staszewski in Points Critiques (mensuel belge) du mois de septembre 2003
2. "Une campagne de diabolisation" - Entretien avec Amnon Kapeliouk réalisé par Françoise Germain Robin in L'Humanité du mercredi 17 septembre 2003
3. L'ONU dénonce la politique sécuritaire d'Israël par Pierre Hazan in Libération du mercredi 17 septembre 2003
4. Orient : l’Amérique enlisée ? par Hichem Ben Yaïche in Vigirak.com (e-magazine) du mercredi 17 septembre 2003
5. Expulser l'ambassadeur d'Israël !  par Salama A. Salama in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 17 septembre 2003
6. Leïla Shahid : "Menace sur la survie du peuple palestinien" entretien réalisé par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du samedi 13 septembre 2003
7. Le mur contre l'éducation par Valérie Féron in L'Humanité du samedi 13 septembre 2003
8. Un Etat pour deux peuples ? Après l’échec d’Oslo : le point de vue d’un Palestinien par Marwan Bishara in The International Herald Tribune (quotidien international) du vendredi 12 septembre 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
9. La France favorable au déploiement d'une force d'interposition entre Israël et les Palestiniens Dépêche de l'agence Associated Press du vendredi 12 septembre 2003, 9h43
10. La révolution sioniste est morte par Avraham Burg in Le Monde du jeudi 11 septembre 2003
11. Israël relance sa stratégie de normalisation au Maghreb par Mounir B. in Le Quotidien d'Oran (quotidien algérien) du mercredi 10 septembre 2003
12. Folke Bernadotte et la première feuille de route (au Moyen-Orient) par Louis Farshee (éditorialiste invité) on YellowTimes.org (e-magazine américain) du mardi 9 septembre 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
13. Aller à l’école ? Impossible : on se heurte à un mur ! par Gideon Levy in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 5 septembre 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
14. L’Union européenne face au conflit israélo-palestinien : Equidistance ? par Charles Gheur in Etudes du mois de septembre 2003
15. Impasse stratégique pour la résistance palestinienne - Dans l’étau de l’occupation israélienne par Graham Usher in Le Monde diplomatique, septembre 2003
16. Des soldats - les Blueberries - pour combattre efficacement l’antisémitisme par Gabriel Ash in YellowTimes.org (e-magazine américain) du lundi 1er septembre 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
17. La société israélienne s'effondre, et ses leaders gardent le silence par Avraham Burg in The Forward (hebdomadaire américain) du vendredi 29 août 2003 [traduit de l'anglais par l'Union Juive Française pour la Paix]
18. Le Premier ministre suédois s’efforce d’apaiser les tensions après que son ministre des Affaires étrangères ait fustigé Israël par Gil Hoffman in The Jerusalem Post (quotidien israélien) du jeudi 7 août 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier] 
                         
Témoignage

                                          
- Taxi 1 par Julien, citoyen de Gaza en Palestine
[Julien est un pseudonyme, l'auteur de ce texte ayant fait l'objet de "pressions" à la suite de ses témoignages diffusés dans le Point d'information Palestine.]
Gaza, le mardi 9 septembre 2003 - La vieille ville de Gaza est perchée au sommet d’une colline artificielle, née de l’empilement millénaire de toutes les villes qui se sont succédées ici depuis sans doute les origines de Gaza. Deux grandes avenues, Omar el Mokhtar et el Wehdeh, descendent l’une jusqu’à la mer, sur le port, l’autre jusqu’à l’hôpital Shifa. Il est midi et demi, il fait chaud, j’attends un taxi en haut de la rue el Wehdeh. Les voitures passent, les taxis qui ont encore des places disponibles klaxonnent et s’approchent des quelques personnes qui attendent au bord de la chaussée, comme moi. Chacun annonce sa destination. Si elle se trouve sur le chemin du chauffeur, on monte, sinon on attend le prochain.
« Rue el Nasser ! » Les voitures passent, une deux, puis enfin arrive une voiture, vieille et poussiéreuse, un seul passager à l’avant. Deux jeunes, qui attendaient à ma gauche, montent, puis le chauffeur s’arrête à ma hauteur. « Rue el Nasser ? » Ça marche, d’un geste de la main il me fait signe de monter. Je m’installe à côté des deux jeunes. Quelques dizaines de mètres plus loin il débarque le passager avant ; nous sommes place Palestine, cœur populaire de la ville, avec sa fontaine, ses marchés et la mairie de Gaza. Il repart, en klaxonnant. Une solide matrone avance lentement, en plein milieu de la chaussée. Elle porte les vêtements traditionnels, d’avant la catastrophe de 1948, une longue robe noire, discrètement brodée, un long et fin voile blanc, enroulé autour de la tête et du cou, qui retombe presque jusqu’au sol. Il avance vers elle, klaxonne, elle sursaute, pose la main sur le capot, râle contre le chauffeur qui grimace en lui répétant : « Dégage ! Dégage ! », prenant soin d’articuler chaque syllabe et accompagnant la parole d’un geste aussi lent que la démarche de la femme. Les deux garçons se regardent puis éclatent de rire. Le chauffeur, grimaçant, découvre, dans un large sourire, ce qu’il reste d’une dentition après quelques décennies passées à boire une eau polluée. Il klaxonne aussi pour éviter les ânes qui abondent dans ce quartier de marchés, pour prévenir la voiture devant lui qu’il va doubler, pour chercher un client ; en voilà un qui veut aller rue el Nasser. L’homme, la trentaine, plutôt mince, les traits usés, monte. « Ah, mais c’est toi que j’ai amené ici il n’y a pas longtemps ! s’exclame le chauffeur. Ça tombe bien. Tu veux aller où ? Je t’emmène où tu veux, mais donne-moi une cigarette ! Et allume-la pour moi s’il te plait. » Nous passons devant le marché Feras, il fait chaud, l’air est poussiéreux. La circulation se ralenti souvent dans cette partie étroite de la rue el Mokhtar. Devant, l’homme allume la cigarette puis la tend au chauffeur qui le gratifie d’un « merci beaucoup » en français. « Ah ! Tu ne sais pas ce que ça veut dire ? C’est du français. » Puis prenant un ton doctoral, découpant chaque mot, chaque syllabe presque : « Mais si tu veux, je peux aussi te le dire en sanskrit. C’est une langue très difficile le sanskrit, la plus difficile du monde. » Il se met à prononcer une série de sons incompréhensibles, les deux jeunes qui riaient de bon cœur se mettent à rire plus bruyamment encore. Ils suivent la conversation entre le chauffeur à moitié édenté et son compagnon de voyage incrédule, répondant aux facéties du premier par de francs éclats de rire. Nous filons sur Omar el Mokhtar, en écoutant l’histoire de cet homme qui voulait faire monter un éléphant sur un âne lui-même perché sur une fourmi. Puis rue el Jala nous apprenons comment il a fait croire un jour au chauffeur de taxi arrêté à côté de lui au feu rouge, près d’al Saraya, qu’il y avait trois F16 dans le ciel. L’autre passa la tête par la fenêtre pour scruter le ciel, et notre chauffeur, content de son effet, découvre ses chicots dans un large sourire. Le feu est rouge, les deux compères tentent la même blague avec le chauffeur d’à côté, puis avec un passant. A l’arrière, deux morts de rire. Le feu passe au vert, on repart, le chauffeur fonce et continue à déverser son flot ininterrompu de paroles, il insulte ceux qui avancent trop lentement, ceux qui tournent en lui coupant la route, tout en continuant à raconter comment il se moqua un jour d’un client qui avait un accent particulièrement lourd. Ses imitations, son débit volontairement lent, son articulation appuyée, ses insultes de théâtre nous ont fait passer un bon quart d’heure à rire. Nous sommes arrivés en face de l’université al Quds, je descends.
                                   
Dernières parutions

                                
1. L'Identité palestinienne - la construction d'une conscience nationale moderne de Rachid Khalidi
aux éditions La Fabrique
[296 pages - 20 euros - ISBN : 2913372244]

Selon une opinion largement répandue, les Palestiniens ont tiré leur identité comme peuple de leur conflit avec le mouvement sioniste. Leur position récurrente de perdants de l’histoire a évidemment conforté cette opinion, qui va dans le sens du refus de leurs droits nationaux.
Dans ce livre, traduit de l'anglais par Joëlle Marelli, Rachid Khalidi s’appuie sur des sources sionistes et israéliennes autant qu’arabes pour montrer que si cette identité est «construite», elle n’en est pas moins réelle. Il montre la conscience nationale qui émerge dès la fin de l’époque ottomane dans les milieux instruits. Il se fonde pour cela sur les archives des bibliothèques privées des grandes familles et des intellectuels palestiniens, mais aussi sur la presse de l’époque et sur les parcours d’hommes politiques palestiniens au tournant du XIXe et du XXe siècle. Tous ces documents tracent le passage d’une réalité identitaire stratifiée, multiple, à un sentiment national plus uni et plus déterminé. Cette identité palestinienne qui se forme à partir de la fin du XIXe siècle ne correspond ni à un donné naturel, ni à une abstraction intellectuelle: la conscience nationale palestinienne est sans nul doute un construit, une manière historiquement conditionnée de se placer dans le monde. Mais cette historicité ne la prive aucunement de réalité : à son tour, elle conditionne des rapports, une histoire, une politique. La force de cet ouvrage est de montrer l’identité palestinienne comme une réalité historiquement construite, ce qui permet de mieux comprendre non seulement l’histoire de cette région et les enjeux pour le peuple palestinien, mais aussi de nourrir une discussion plus large autour des nationalismes.
«L’étude approfondie que fait Khalidi de la construction de l’identité nationale palestinienne est une œuvre pionnière de première importance. C’est le premier livre dont la prémisse est que cette identité existe dans les faits, et qui en dévoile les strates croisées, les phases historiques et les tragiques défaites, avec une parfaite connaissance de la bibliographie et des sources arabes, hébreues et occidentales.» (Edward Said). 
Rashid Khalidi est professeur d’histoire et dirige le Centre d’études internationales de l’université de Chicago. Il a été président de la Middle East Studies Association.  Il est l’auteur de nombreux articles et a écrit et dirigé plusieurs ouvrages portant en particulier sur l’histoire de l’OLP et sur les origines du nationalisme arabe. 
                               
2. Maghreb-Machrek N° 176 (Eté 2003)
[ISSN 1241 5294 - 136 pages - 20 euros]

Dans cette nouvelle livraison, Maghreb-Machrek présente un dossier consacré à la Palestine, "En attendant la Palestine", dirigé par Jean-François Legrain.
- Au sommaire :
Introduction
- "Les Phalanges des martyrs d’Al-Aqsa en mal de leadership national" par Jean-François Legrain
A travers une approche historique et sociologique des Phalanges des martyrs d’Al-Aqsa, fer de lance militaire de la mouvance Fath dans l’Intifada, cette étude vise à comprendre en quels termes les modes traditionnels de fonctionnement du politique en Palestine, basé sur le jeu entre les solidarités locales primaires et l’échelon national, sont aujourd’hui confrontés à l’absence de toute perspective de déblocage du conflit israélo-palestinien. Sans cesse contrainte à de nouvelles concessions, la direction palestinienne a perdu l’appui de pans entiers de la population quand ses capacités d’intervention financière et sociale se sont vues considérablement réduites. Les Phalanges des martyrs d’Al-Aqsa, dans la logique de l’expérience de leurs fondateurs acquise au début des années 1990 au sein des Panthères noires, des Faucons de Fath et des Brigades du Jihad islamique, ont alors investi le terrain perdu par le leadership national. Solidaires de l’héritage nationaliste palestinien, elles appellent néanmoins de leurs vœux la restauration d’une direction centrale sous l’autorité de Yasser Arafat mais conditionnent cette restauration à la réaffirmation des droits du peuple palestinien tels que traditionnellement formulés par les instances légitimes de l’OLP. La capacité d’un leadership national palestinien à conjuguer les forces, naturellement centrifuges, des localismes tient, en effet, au degré de consensus suscité par le projet politique dont il se fait le porteur.
- "Dynamiques religieuses et identité nationale dans les camps de réfugiés palestiniens du Liban" par Bernard Rougier
Depuis la fin de la guerre libanaise, des acteurs religieux se réclamant sur salafisme ont développé leurs réseaux de socialisation dans les camps de réfugiés du Liban, en cherchant à capter l’allégeance d’une population politiquement désorientée, exclue de la reconstruction libanaise et dépourvue de perspectives sur son avenir. Par la construction d’un milieu différencié, avec ses bases doctrinales, ses ennemis intérieurs et extérieurs, ses instruments de mobilisation, ces acteurs ont opéré une sortie de l’espace de référence palestinien. Dans ce contexte, la seconde Intifada, loin de provoquer un sentiment unanime de solidarité avec les Palestiniens des territoires, a plutôt révélé l’ampleur des clivages identitaires qui divisent dorénavant la société palestinienne au Liban, entre ceux qui continuent, malgré leurs divisions, à se déterminer par rapport aux enjeux de la scène palestinienne et ceux qui, en se projetant dans le champ de l’islamisme mondial, ont choisi de détruire l’idée même d’une identité nationale palestinienne.
- "La Question palestinienne et l’internationale islamiste ou l’histoire d’un jihad ajourné" par Dominique Thomas
Depuis le début de la décennie 80, les groupes islamistes, favorables au jihad armé, avaient pris l’habitude de privilégier leur combat vers d’autres contrées musulmanes que la Palestine, en Afghanistan tout d’abord, puis en Bosnie, au Cachemire ou en Tchétchénie. Cet éloignement géographique pouvait laisser transparaître une forme de désintérêt à l’égard de la question palestinienne. Les partisans du courant international salafiste-jihadiste n’ont pourtant jamais cessé leur campagne de prédication afin de libérer un territoire qu’ils considèrent comme sacré, du fait de la présence de Jérusalem-Al-Quds et de son importance dans la tradition prophétique musulmane. Pour les fondateurs de ce courant, la question est plutôt de savoir quand et comment inscrire ce jihad, longtemps retardé par des circonstances défavorables, dans leur agenda politique. Malgré d’efficaces relais de solidarité établis grâce à la chaîne humanitaire des ONG islamistes, le discours avancé est surtout mis à l’épreuve des faits, dont le bilan reste d’ailleurs pour l’instant relativement modeste. On peut néanmoins penser que, dans l’avenir, cette question demeurera la dynamique privilégiée dans la mobilisation des rangs de l’internationale islamiste.
- "De l'émigration au transfert? Réalités démographiques et craintes politiques en Jordanie" par Mohamed Kamel Doraï, Jalal Al Husseini et Jean Christophe Augé
La seconde Intifada dans les Territoires palestiniens avec la réoccupation de la majeure partie des villes et villages de Cisjordanie et de la bande de Gaza ainsi que l'arrivée à la tête du gouvernement israélien d'Ariel Sharon ont réactivé la crainte d'un transfert massif de population palestinienne dans l'opinion publique arabe, et particulièrement jordanienne. Les conséquences politiques et sociales du soulèvement se font sentir de façon particulièrement prononcé dans le Royaume hachémite, dont près de la moitié de la population est d'origine palestinienne et qui entretient des liens étroits avec la rive ouest du Jourdain, qui faisait partie intégrante du royaume jusqu'en 1988. Les autorités jordaniennes se retrouvent face à une contradiction de taille, qui consiste à exprimer leur soutien au soulèvement palestinien, partagé par la population, tout en condamnant les manifestations violentes et en poursuivant à entretenir des relations avec Israël conformément au traité de paix signé en 1994.
Varia
«Changements démographiques et organisation familiale en Algérie», Kamel Kateb
Document
Constitution de Qatar adoptée par référendum le 29 avril 2003 (Olivier Da Lage)
Lectures
Mounia Bennani-Chraïbi, Olivier Fillieule (dir.), Résistances et protestations dans les sociétés musulmanes, Paris, Presses de Sciences Po, 2003. (Karam Karam)
Daniel Rivet, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Paris, Hachette littératures, 2002 (Luis Martinez)
Nadia Yassine, Toutes voiles dehors, Éditions Le Fennec Casablanca, 2003 (Michel Gilquin).
                           
3. à paraître le 2 octobre 2003 - L'autre visage d'Israël de Israël Shamir
aux Éditions Balland / Éditions Blanche
[418 pages - 20 euros - ISBN : 2715814712]

Plus que jamais, la question palestinienne et son corollaire, l’avenir d’Israël, déchirent le Proche-Orient et divisent profondément la société française. La seconde Intifada est bien plus qu’un conflit en Terre sainte, c’est la pièce centrale d’un combat d’idées, d’une vision du monde à l’échelle mondiale. Les victimes d’hier peuvent-elles, sans que la communauté internationale n’intervienne, devenir les bourreaux d’aujourd’hui ? N’y a-t-il pas, de la part du sionisme, une volonté d’hégémonie et qu’importe le prix à payer pour y parvenir ?
Les articles d’Israël Shamir nous décrivent une autre vision d’Israël : les élites fuient le pays ; la récession économique est permanente ; de nouveaux arrivants juifs s’isolent et s’éloignent du vrai judaïsme ; des rabbins haineux tournent le dos à la foi pour assouvir leurs rêves de domination…
Israël Shamir dénonce avec force, mais sans haine, un sionisme de destruction, machinerie idéologique qui s’acharne à faire croire qu’avant leur arrivée en 1948, la Palestine n’était qu’un désert peuplé de bergers. Alors que dire de Naplouse, Béthléem, Ramallah, ville millénaire et berceau de la civilisation : sont-elles apparues depuis 1948 ? Mais la pire faute du sionisme, selon Shamir, est qu’elle vise au nettoyage ethnique d’une population avec le soutien appuyé et aveugle des États-Unis. Si la bataille de la Palestine était perdue, alors, pour Israël Shamir, la chute de la Terre sainte créerait un point de non-retour pour l’humanité et signifierait l’asservissement total de l’homme par les forces de la domination.
Israël Shamir est juif israélien d’origine russe. Journaliste, écrivain et traducteur, il lutte avec un courage inouï pour faire entendre la voix des Israéliens qui refusent l’effroyable logique dans laquelle se fourvoient ses gouvernements successifs. Comme d’autres avec lui, il croit fermement à l’existence pacifique des différentes communautés  sur la terre sacrée de Palestine grâce à la mise en place d’un seul État, démocratique et laïque.
[> Contact presse : Isabelle Mazzaschi - 4 rue Caroline - 75017 PARIS - Tél. : 01 55 30 40 29 - Fax : 01 55 30 40 40 > Contact éditeur : Denis Bourgeois - Tél. : 01 43 25 74 40 - Franck Spengler - Tél. : 01 55 30 40 46]
                                       
4. Antisémitisme : l'intolérable chantage - Israël-Palestine, une affaire française ? de Étienne Balibar, Rony Brauman, Judith Butler, Sylvain Cypel, Éric Hazan, Daniel Lindenberg, Marc Saint-Upéry, Denis Sieffert, Michel Warschawski
aux éditions de La Découverte
[144 pages - 7,50 euros - ISBN : 2707141062]

« Lorsque Sharon est venu en France, je lui ai dit qu’il doit absolument mettre en place un ministère de la Propagande, comme Goebbels. » La déclaration à un grand quotidien israélien de Roger Cukierman en septembre 2001 fait froid dans le dos. Ce livre est né de l’effroi devant le soutien croissant apporté au gouvernement israélien par une partie de la communauté juive et de ses représentants et par de nombreux intellectuels français, juifs ou non. Effroi aussi devant l’utilisation de plus en plus systématique du thème de la « nouvelle judéophobie », pour disqualifier toute critique de la politique militaire et coloniale menée par le gouvernement d’Ariel Sharon. Effroi plus général enfin devant la voie suicidaire empruntée par la société et les gouvernements israéliens et ses répercussions sur une partie de la communauté juive de France. Aujourd’hui, les militants de gauche, en particulier ceux qui militent pour une paix juste au Proche-Orient, sont ainsi confrontés à une inacceptable logique du soupçon et à un intolérable chantage à l’antisémitisme. C’est à cette logique que certains d’entre eux ont souhaité répondre ici, en démontant les mécanismes de ce chantage, en rappelant leurs engagements et leur condamnation des actes antisémites commis en France, et en réaffirmant leur droit à critiquer Israël.
- Table des matières :
Introduction - 1. Antisémitisme : entre réalités et manipulations, par Denis Sieffert - 2. Décryptage de Décryptage : vous avez dit désinformation ?, par Sylvain Cypel - 3. L’« islam » et les « Arabes » vus par les « défenseurs d’Israël » : une désinformation permanente, par Daniel Lindenberg - 4. Du chantage au harcèlement judiciaire, par Éric Hazan - 5. Le cynique, le paranoïaque et le provocateur, par Michel Warschawski - 6. Sur la réprobation de la réprobation. À propos de l’ « acharnement médiatique contre Israël », par Marc Saint-Upéry - 7. Un nouvel antisémitisme ?, par Étienne Balibar - 8. L’accusation d’antisémitisme : les juifs, Israël, et les risques de la critique publique. Un éclairage américain, par Judith Butler - Épilogue. L’avenir n’est pas écrit…, par Rony Brauman (propos recueillis par Denis Sieffert) - Les auteurs.
                                                   
Réseau

                                          
1. La Stratégie du désastre par Uri Avnery (13 septembre 2003)
[traduit de l’anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
(Uri Avnery, ancien membre de la Knesset - le parlement israélien -, est journaliste et chroniqueur à Ma'ariv - quotidien israélien. Il est l'un des dirigeants de Gush Shalom (Bloc de la Paix). Vous pouvez consulter son site internet en anglais, en arabe et en hébreu : http://www.avnery-news.co.il.)
Le journaliste juif israélien Uri Avnery, dirigeant de Gush Shalom (Bloc de la Paix), appelle son peuple à briser le silence face à la décision du gouvernement Sharon d'assassiner Yasser Arafat. « Depuis la guerre de 1973, explique-t-il, les deux peuples ont fini par accepter l'idée d'un compromis entre les deux grands mouvements nationaux. » « L'assassinat d'Arafat, prévient l'ancien parlementaire, mettra fin à cela, peut-être à jamais. Nous en reviendrons au stade du "tout ou rien". » L'objectif du général Sharon est de créer « une situation qui obligera les Palestiniens à partir. […] Et une période d'anarchie et d'effusion de sang serait une bonne chose pour parvenir à cette fin. » Après avoir rédigé cette tribune, Uri Avnery s'est rendu à la Muqata, la résidence du président de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, où il séjourne actuellement. Il a adressé un message à son compatriote, le général Sharon : « Si vous voulez tuer Arafat, vous devrez d'abord verser du sang juif. »
Ainsi, maintenant c’est officiel : le gouvernement d’Israël a décidé d’assassiner Yasser Arafat. Et non plus de l’« exiler ». Et non plus de l’« expulser ou le tuer ». Simplement de le « transférer ». Naturellement, l’intention n’est pas de le « transférer » dans un autre pays. Personne ne croit sérieusement que Yasser Arafat va de lui-même se rendre et accepter de partir. Lui et ses hommes seront tués « au cours d’un échange de tirs ». Ce ne serait pas la première fois.
Même s’il était possible d’expulser Arafat vers un autre pays, personne dans les sphères dirigeantes israéliennes ne songerait à le faire. Comment donc ? Lui permettre de rendre visite à Poutine, Schroeder et Chirac ? Dieu nous en garde. Donc le plan est de le transférer vers l’autre monde.
Pas immédiatement. Les Américains l’interdisent. Cela pourrait irriter Bush. Sharon ne veut pas ennuyer Bush.
Certains se réfugient dans l’idée que ce n’est qu’une résolution sans effet. On suppose que pour qu’elle soit appliquée, le moment et la façon sont encore à décider. Mais ce n’est qu’une chimère, une consolation dangereuse. La décision légitimant l’assassinat est en elle-même un acte politique d’une portée considérable. Elle a pour but que les Israéliens et l’opinion publique internationale se fassent à cette idée. Ce qui semblait être un complot dément de fanatiques a l’air aujourd’hui d’une démarche politique légitime, ne laissant ouverts que le moment et la manière.
Quiconque connaît Ariel Sharon peut imaginer comment les choses vont se passer à partir de maintenant. Il attendra l’occasion. Elle peut se présenter d’une minute à l’autre, ou dans une semaine, un mois, un an. Il est patient. Quand il décide de faire quelque chose, il est prêt à attendre, mais il ne déviera pas de son objectif.
Donc, quand l’assassinat prévu sera-t-il exécuté ? Quand un gros attentat suicide aura lieu en Israël, si énorme qu’une réaction extrême sera comprise par les Américains. Ou quand quelque chose se produira quelque part qui détournera l’attention du monde de notre pays. Ou quand un événement dramatique, quelque chose de comparable à la destruction des tours jumelles, rendra Bush furieux.
Qu’arrivera-t-il alors ?
Les dirigeants arabes disent que cela aura des « conséquences incalculables ». Mais, en vérité, les conséquences peuvent parfaitement être calculées bien à l’avance.
Le meurtre d’Arafat apportera un changement historique dans les relations entre Israël et le peuple palestinien. Depuis la guerre de 1973, les deux peuples ont fini par accepter l’idée d’un compromis entre les deux grands mouvements nationaux. Dans les accords d’Oslo, après un processus engagé par Yasser Arafat pratiquement seul, les Palestiniens ont abandonné 78% du pays qui s’appelait Palestine avant 1948. Ils ont accepté d’installer leur Etat dans les 22% restants. Seul Arafat avait la stature morale et politique nécessaire pour entraîner son peuple avec lui, tout comme Ben Gourion avait été capable de convaincre notre peuple d’accepter le plan de partage.
Même dans les crises les plus aiguës depuis lors, les deux peuples sont restés convaincus qu’à la fin il y aurait un compromis.
L’assassinat d’Arafat mettra fin à cela, peut-être à jamais. Nous en reviendrons au stade du « tout ou rien » : le « Grand Israël » ou la « Grande Palestine », jeter les Juifs à la mer ou pousser les Palestiniens dans le désert.
L’Autorité palestinienne disparaîtra. Israël s’emparera des territoires palestiniens, avec toute la charge économique et humaine que cela implique. L’« occupation de luxe », qui permet à Israël d’avoir les mains libres dans les territoires pendant que le monde paie les factures, sera terminée.
La violence règnera en maître. Ce sera le seul langage des deux peuples. A Jérusalem et à Ramallah, à Haïfa et à Hébron, à Tulkarem et à Tel-Aviv, la peur envahira les rues. Chaque mère, en envoyant ses enfants à l’école, sera rongée par l’inquiétude jusqu’à ce qu’ils rentrent. La terreur de part et d’autre, une spirale de violence croissante, une escalade incontrôlable et incessante.
Le séisme ne se limitera pas au territoire compris entre la Méditerranée et le Jourdain. Le monde arabe dans son ensemble sera en éruption. Arafat le shahid, le martyr, le héros, le symbole, deviendra une figure mythologique pour tous les Arabes et tous les musulmans. Son nom deviendra un cri de guerre pour tous les révolutionnaires, de l’Indonésie au Maroc, un slogan pour toutes les organisations clandestines religieuses et nationales.
La terre tremblera sous les pieds de tous les régimes arabes. Comparés à Arafat, le dernier héros, tous les rois, les émirs et les présidents sembleront des lâches, des traîtres et des mercenaires. Si l’un d’eux tombe, l’effet domino entrera en action.
L’effusion de sang sera universelle. Toute cible israélienne – avion, groupe de touristes, institution – sera en danger permanent.
Les Américains ont leurs raisons pour mettre leur veto à l’assassinat. Ils savent que le meurtre d’Arafat ébranlera très profondément leur position dans le monde arabe et musulman. La guerre de guérilla qui est en train de s’étendre en Irak se répandra dans tous les autres pays arabes et musulmans et dans le monde entier. Tous les Arabes et tous les musulmans seront convaincus que Sharon aura agi avec le consentement et l’encouragement des Américains, quelle qu’aura été leur timide opposition verbale. La colère sera dirigée contre eux. Une foule de nouveaux Ben Laden préparera la vengeance.
Sharon comprend-t-il tout cela ? Bien sûr que oui. Les nullités politiques qui constituent le gouvernement peuvent ne pas être capables de voir plus loin que le bout de leur nez, comme des généraux bornés dont la seule solution est de tuer et détruire. Mais Sharon sait quelles sont les conséquences prévisibles et il s’en délecte.
Sharon veut mettre fin à l’affrontement historique entre le sionisme et le peuple palestinien par une décision claire et nette : un contrôle israélien rigoureux sur l’ensemble du pays et une situation qui obligera les Palestiniens à partir. Yasser Arafat est vraiment, comme cela est dit dans la résolution du gouvernement, l’« obstacle total » à l’application de ce dessein. Et une période d’anarchie et d’effusion de sang serait une bonne chose pour parvenir à cette fin.
Et le peuple d’Israël ? Le pauvre peuple, qui a subi un lavage de cerveau, désespéré et apathique, n’intervient pas. La majorité silencieuse, meurtrie, se conduit comme si tout cela ne la concernait pas, ni elle ni ses enfants. Elle suit Sharon, comme les enfants suivaient le joueur de flûte, tout droit dans la rivière.
Ce silence assourdissant est désastreux. Pour éviter le désastre, il est de notre devoir de briser ce silence.
                           
2. Déclaration de Madame Anna Lindh, Ministre suédoise des Affaires étrangères [assassinée à Stockholm ce 11 septembre 2003] , devant la 60ème session de la Commission des Droits de l’Homme de l’Onu le 19 mars 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Madame Anna Lindh, Ministre des affaires étrangères de la Suède, s'est félicitée  que la Suède soit devenue membre de la Commission des droits de l'homme pour  les années 2002 à 2004. Elle a souligné que les droits de l'homme constituent l'un des piliers de la politique étrangère de son pays. Relevant que la mondialisation a permis d'abolir les frontières de l'économie, du commerce et des marchés, elle a souligné qu'un marché sans frontières doit être équilibré par des valeurs également sans frontières.
La Ministre suédoise a par ailleurs attiré l'attention de la Commission sur le conflit du Moyen-Orient qui menace de dégénérer en guerre totale. La période prolongée d'occupation du territoire palestinien ainsi que les violations du droit international auxquelles se livre Israël sont à la base des crises actuelles. Nous sommes préoccupés par les exécutions extrajudiciaires et sommaires et l'usage excessif et aveugle de la force auxquels se livre Israël contre des civils, a insisté Mme Lindh.
Nous sommes également préoccupés par les attentats-suicides et par les actes terroristes perpétrés par des Palestiniens à l'encontre de civils israéliens, a-t-elle ajouté. Ce conflit ne saurait être résolu par des moyens militaires, a souligné Mme Lindh. Il faut qu'il y ait une solution politique basée sur le droit international et sur le principe de la terre contre la paix, a-t-elle précisé avant de souligner que le moment est venu d'agir. Un accord sur la mise en place d'un mécanisme de surveillance international qui serait chargé de veiller au respect du droit international, du droit humanitaire international et des conventions internationales constituerait une étape constructive, a déclaré la Ministre.
                                   
3. Bons baisers de Suède (Anna Lindh) par Hanan Ashrawi (12 septembre 2003)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

La Suède, « petit » pays « lointain » de Scandinavie, a eu un impact non négligeable sur l’histoire de la Palestine (ainsi que sur sa réalité humaine) – un impact bien plus sensible que celui de bien des pays plus proches, ou plus puissants, dans l’ensemble du monde.
Cet impact a été toujours constructif, positif, et humain – avec une tradition bien ancrée d’honnêteté, de justice et d’intervention prudente et pacifique. Malheureusement, trois de ces héros suédois ont trouvé une mort aussi violente que prématurée ; chacune de ces morts représentant en elle-même une tragédie. Pour la nation suédoise, cela va sans dire. Mais aussi, plus largement, pour le monde entier.
L’assassinat du Comte Folke Bernadotte, médiateur des Nations unies en Palestine, en 1948, perpétré par l’organisation terroriste israélienne Stern, marqua le début d’un rapport avec la Palestine qui alla s’avérer parfois mortel, pour la Suède.
Ardent héraut du « chien battu », de l’opprimé – en particulier, des victimes juives de l’holocauste – et champion des droits de l’homme au plan mondial, le Comte Bernadotte fut recruté par les Nations unies afin d’assurer une médiation entre les belligérants et de superviser la mise en application, de manière pacifique, de la Résolution de partition de la Palestine. Il fut brutalement assassiné, tué à bout portant par trois membres du gang Stern, à Jérusalem.
La Palestine venait de perdre son premier défenseur suédois.
En 1968, un autre héraut des droits de l’homme, combattant infatigable pour la paix, la justice, la tolérance et la dignité humaine, tomba, victime d’un crime insensé. La mort de celui qui était alors le Premier ministre de Suède, Olof Palme, priva le monde, la Suède et la Palestine d’une voix courageuse et de son action inlassable en vue de la mise en place d’une politique fondée sur le respect de la morale et de l’individu.
Olof Palme, qui dénonçait infatigablement le régime raciste d’apartheid en Afrique du Sud, a apporté un soutien indéfectible à l’African National Congress et aux autres victimes de ce régime abhorré.
En Palestine, il rechercha la reconnaissance internationale pour l’OLP et la validation d’une résolution pacifique du conflit à travers la fin de l’occupation des territoires palestiniens ainsi que des autres territoires arabes occupés par Israël en 1967. Olof Palme arrimait fermement sa politique à la légalité internationale et aux résolutions de l’ONU, mais aussi à un engagement profondément ressenti vis-à-vis de l’honnêteté et de la dignité humaine.
Hier, une troisième tragédie a frappé la Suède, l’Europe et le monde, avec l’assassinat aussi insensé qu’horrible de la ministre suédoise des Affaires étrangères, Anna Lindh.
Anna, elle aussi, a courageusement élevé la voix pour défendre les opprimés et les exclus. Elle a prêté sa voix aux bâillonnés et elle s’en est faite la porte-parole avec conviction et fidélité. Personne n’a jamais pu l’intimider ni la réduire au silence, et l’exercice brutal du pouvoir par les puissants n’a fait qu’ajouter à la puissance de son message affable et néanmoins déterminé.
Au moment où  Olof Palme me fit l’honneur de me décerner le prix pour la paix portant son nom, je ressentis que la cause palestinienne – et aussi, d’une manière générale la cause de la paix, de la justice et de l’humanité – se voyait gratifiée d’un renouveau d’espoir et de vitalité.
Sten Anderssen et Pierre Schorri – deux militants éminents, mondialement reconnus, de la cause de la paix et de la responsabilité en matière politique – se voyaient attribuer cette distinction avec moi. Comme moi, eux aussi reconnaissaient dans l’action d’Anna Lindh un espoir et une promesse renouvelés.
Elle nous a tous émus par son humanité, son intelligence, son honnêteté et son génie. Elle contraignit tous ceux qui étaient par trop imbus d’eux-mêmes à voir quel est le pouvoir d’une femme – d’une sœur – qui, tranquillement et gentiment, savait contrebalancer leur sens ô combien mal placé de toute-puissance et de domination. Si elle a jamais dominé, c’est en refusant de tout contrôler, et aussi de se laisser mener par le bout du nez. Elle rayonnait de sérieux et de bonne humeur, mais jamais elle n’accepta de se compromettre avec l’injustice ou l’oppression. Elle était d’une simplicité formidable.
Anna est une personne dont il aurait fallu ne jamais pouvoir parler au passé. Elle aurait dû rester avec nous, dans le présent, et aussi rester une promesse pour l’avenir. Et sa promesse était – que dis-je : reste – un avenir meilleur pour l’ensemble de l’Humanité.
La disparition d’Anna est pour moi une perte personnelle ; et nous la pleurons, avec sa famille et ses amis. La perte d’Anna est une tragédie humaine, une promesse condamnée prématurément, une absence qui sera ressentie dans l’affliction et dans un profond sentiment de perte.
Encore une fois, la Suède a généreusement prodigué au monde, hélas pour qu’on l’arrache brutalement à celui-ci, une énième preuve d’amour.
                           
4. Déclaration de Dominique de Villepin, Ministre français des Affaires étrangères au sujet de la décision de principe israélienne d’expulser Monsieur Arafat des Territoires palestiniens le 11 septembre 2003
Je viens d'apprendre la décision de principe prise par le cabinet de sécurité israélien d'envisager l'expulsion du Président Arafat. Le recours à une telle extrémité serait une grave erreur. Je demande au gouvernement israélien de revenir sur cette décision, compte tenu des conséquences qu'elle ne manquerait pas d'avoir pour les Territoires palestiniens, pour Israël et pour l'ensemble de la région.
Yasser Arafat est le président élu et légitime de l'Autorité palestinienne. La France appelle le gouvernement israélien à bien mesurer aussi toutes les implications internationales d'une telle action. Elle appelle les parties à la raison et réitère qu'il n'y a d'autre issue à la crise actuelle qu'une reprise du processus sur lequel les Parties se sont engagées à Aqaba en acceptant la Feuille de route du Quartet.
J'ai fait part de cette position au Premier Ministre de l'Autorité Palestinienne M. Ahmed Qorei, ainsi qu'à M. Silvan Shalom, Vice-Premier Ministre et Ministre des Affaires étrangères d'Israël.
                                               
5. Quelques méfaits d’Israël à rappeler et hommage à Dominique de Villepin, Ministre des Affaires Etrangères, présidentiable souhaité par Gonzague Hutin (12 septembre 2003)
(Gonzague Hutin est ancien collaborateur de S.E. Paul-Marc Henry, ambassadeur de France.)
A l’heure où Israël décide avec arrogance de bannir un président étranger élu par son peuple et déjà privé d’agir enfermé depuis deux ans dans un pays lui-même emmuré et sous occupation depuis 36 ans, il est utile de rappeler certains faits véritablement outrageants :
- Créé par l’ONU, Israël n’a jamais depuis honoré les recommandations et décisions de sa Créatrice. Bien moins, en 1948, peu après sa création, Israël par la main du groupe Stern, a assassiné le représentant de l’Organisation Internationale au Proche-Orient, le Comte Bernadotte. On pourrait y voir un précédent au dernier assassinat du représentant de l’ONU en Irak …
- Un homme de paix, faucon devenu colombe et premier Ministre d’Israël, Itzhak Rabin co-prix Nobel de la Paix, a été assassiné par l’un de ses compatriote d’une Droite aujourd’hui au pouvoir et hélas soutenue par plus de 65% des israéliens, parce qu’il menait les négociations d’Oslo avec le Président Arafat, à une époque d’espoir sans kamikaze ni violence outrancière …
- Aujourd’hui, Israël s’immisce chez son voisin palestinien dont il veut bannir le président élu, Yasser Arafat, co-prix Nobel de la Paix… et envisage même – une fois de plus - de l’assassiner… prétextant qu’il est l’obstacle à la paix… Tout comme Itzhak Rabin !
Non décidément les hommes de Paix n’ont pas vocation de réussite dans la Région. Et si les Prix Nobel de la Paix y sont proscrits, créons donc le Prix du Meilleur Fabriquant de Kamikazes, on l’appellera le Prix BuSharon (histoire de plaire à Alain Finkielkraut...). Gageons que les premiers lauréats seront précisément ceux qui portent ce noble et pacifique double nom. Félicitations et bons vents de force 10 !
Au passage, rendons hommage à Dominique de Villepin, seul homme d’Etat, avec Lula, à rappeler publiquement sans crainte de déplaire aux inconditionnels de Sharon, la nécessité quotidienne d’une Justice internationale et l’exigence constante du « Bien Commun ». A l’inverse du très bon livre de Jean-Marie Rouard*, on pourra dire , grâce à Dominique de Villepin : « Bonjour à la France qui revient ». Avec courage et panache, fils spirituel de de Gaulle, qu’il soit le moment venu notre Président !
* "Adieu à la France qui s’en va", aux Editions Grasset.
                               
6. Réflexions personnelles sur la Palestine par Norman Finkelstein (11 septembre 2003)
[traduit de l'anglais par Olivier Roy]

(Norman Finkelstein est professeur de science politique à l'Université De Paul à Chicago. Auteur de Image and Reality of the Israel-Palestine Conflict - Verso, 1995, 2003, The Rise and Fall of Palestine - University of Minnesota, 1996, A Nation on Trial : The Goldhagen Thesis and Historical Truth - Henry Holt, 1998, et The Holocaust Industry : Reflections on the Exploitation of Jewish Suffering - Verso, 2002 (L'industrie de l'Holocauste réflexion sur l'exploitation de la souffrance des Juifs, aux éditions de la Fabrique 157 pages, 2001, 12 euros - ISBN: 2913372104). Il a reçu son doctorat de l'Université Princeton pour une thèse sur la théorie du sionisme. Le présent texte sert de postface à l'édition allemande de son livre The Rise and Fall of Palestine.)
Depuis que j'ai achevé cet essai en 1995, je suis retourné en Palestine tous les ans. En fait, à l'exception de mes voyages à l'étranger pour donner des conférences, la Palestine est le seul endroit où je suis allé depuis mon premier séjour là-bas il y a quinze ans. J'ai quelquefois rêvé de passer des vacances en Grèce ou en Italie, mais je ne l'ai jamais fait. Si j'ai le temps et que le coût n'est pas prohibitif, je retourne toujours en Palestine. Je le fais surtout par sens du devoir - ai-je un droit d'être ailleurs? - soulagé par l'affection authentique que j'y ai développée pour des amis. Je ne peux pas dire que je me réjouis d'y retourner. Dès que j'arrive, avant même d'arriver, je compte les minutes qui me restent avant de repartir.
L'éminent sociologue de l'Université Hébraïque, Baruch Kimmerling, a décrit la Bande de Gaza comme «le plus grand camp de concentration de l'histoire». La Cisjordanie suit de très près. Lorsque le mur israélien, actuellement en construction, sera terminé, la Cisjordanie remplacera la Bande de Gaza au premier rang. Bordée sur chaque côté par des tranchées de quatre mètres, fortifiée par des tours de guet à des intervalles réguliers et surmontée par des barbelés, cette massive barricade s'étendra sur 347 kilomètres - deux fois plus que le Mur de Berlin. (Un tiers est déjà achevé.) S'enfonçant profondément à l'intérieur de la Cisjordanie et causant de sérieux problèmes pour les Palestiniens pris au piège entre le mur et la «Ligne verte» (la frontière d'Israël d'avant juin 1967), le mur entraînera probablement l'annexion de fait de 10% de la Cisjordanie et l'expulsion des Palestiniens vivant à ces endroits, tout en isolant également 300.000 Palestiniens (14% de la population de la Cisjordanie) vivant à Jérusalem-Est. À en juger par de récentes déclarations israéliennes, ce mur pourrait éventuellement enfermer complètement les Palestiniens et les rassembler dans moins de la moitié de la Cisjordanie, territoire que le Premier ministre Sharon (avec le soutien des États-Unis) nommerait alors «État» palestinien.
Il n'est pas fait mention du mur dans l'actuelle initiative de l'administration Bush, la «feuille de route», et encore moins d'une demande pour que sa construction soit arrêtée. En vérité, la feuille de route est simplement une version réchauffée des accords d'Oslo. De la même façon que le «processus de paix», culminant à Oslo, avait commencé après la première destruction de l'Irak aux mains des États-Unis, la feuille de route a été publiée après la seconde destruction. Dans les deux cas, le calcul des États-Unis et d'Israël était que les Palestiniens, se sentant suffisamment dépassés, démoralisés et isolés (sous le coup du «choc» et de l'«effroi»), accepteraient un bantoustan de style sud-africain. Ce pari a échoué la première fois, lorsque Arafat a refusé, en juillet 2000 à Camp David, de se plier au diktat israélo-états-unien. Il a été en conséquence chassé du pouvoir, et un nouveau «dirigeant» palestinien, Abou Mazen, a pris la place. (Les sondages démontrent que Mazen serait chanceux s'il obtenait 5% du vote des Palestiniens lors d'une élection libre - un parfait dirigeant «démocratique» selon les standards états-uniens.) Reste à voir si Mazen sera plus accommodant et se pliera devant la vision de Sharon pour un État palestinien. Lorsque tous ceux que je rencontrais en Cisjordanie ont commencé à faire référence au «mur», mon premier réflexe a été de me souvenir du premier livre que ma défunte mère (une survivante du ghetto de Varsovie) m'avait recommandé de lire sur l'holocauste nazi, le roman historique de John Hersey sur le ghetto de Varsovie, intitulé The Wall (Le Mur).
Je retourne en Palestine par sens du devoir tout en me sentant coupable, comme si je me moquais des Palestiniens: je peux venir et repartir comme bon me semble, mais vous y êtes captifs. Pourquoi puis-je y entrer et en repartir alors qu'ils ne le peuvent pas? Je m'efforce constamment de trouver une réponse qui atténuerait l'injustice et qui apaiserait ma conscience, mais n'en trouve jamais. Pire encore, je suis toujours porteur de mauvaises nouvelles. C'est de la sincérité politique sans conséquences personnelles. Quel prix dois-je payer pour dire aux Palestiniens que les choses ne feront qu'empirer (comme elles le font invariablement)? Annoncer la terrible vérité aux Palestiniens n'est pas très héroïque de la part d'un étranger. Qu'en pensent mes amis palestiniens? «Norman est de retour pour nous dire encore une fois que c'est sans espoir. Facile à dire pour lui...» Qu'auraient pensé mes parents si un Allemand en bonne santé s'était constamment présenté devant eux pour leur dire que les choses ne feraient qu'empirer?
Aujourd'hui, au lieu de faire mes sinistres prédictions habituelles, je change de sujet. Ce n'est pas que cela aide. Tout le monde sait ce que je pense. J'ai remarqué que plusieurs amis semblent bien moins impatients de me voir. Je suppose qu'ils sont fatigués de mes prévisions lugubres, toujours bien argumentées, à leurs dépens. Ont-ils vraiment besoin d'apprendre de cet «expert» qu'ils ont perdu? Tout ce qui les entoure empeste la misère et le désespoir. Leur jeunesse a passé et leur vie a été gaspillée; ils ne peuvent même plus rêver d'un futur meilleur. Je suis le rappel annuel, le miroir railleur de ces décombres. Auparavant, je pouvais successivement argumenter avec véhémence et rire de bon cœur avec les proches amis de Moussa, Esmail et Caid. Lors de mon dernier voyage, ils se sont glissés hors du camp de Fawwar, se sont assis avec moi sur le balcon de Moussa, en silence, pendant quinze minutes, puis sont repartis. Si je n'y retourne pas, je crains que les Palestiniens pensent que j'ai abandonné la lutte; si je retourne, je crains qu'ils croient que j'ai transformé la Palestine en une marotte. En fait, je me fais du souci à ce sujet. J'écris des livres sur la Palestine, je suis invité à faire des conférences sur la Palestine. Serait-ce que je tire un bénéfice de leur martyr? Récemment, un producteur indépendant m'a demandé d'être acteur dans un documentaire sur la Palestine basé sur cet essai. Me voilà donc, débarquant dans les maisons de mes amis palestiniens avec une équipe de tournage, les caméras et l'équipement de prise de son derrière moi.
Souvent, ceux qui m'introduisent lors de conférences rendent hommage à mon «courage». Je recule de honte devant cet éloge. Quel courage? De l'intégrité peut-être, mais du courage, absolument pas. J'ai peur à chaque pas que je fais en Palestine. Je suis inévitablement le plus terrifié parmi ceux avec qui je voyage. Je me cache derrière chaque édifice, je tremble en entendant le moindre coup de feu, je transpire à la vue de tout soldat ou colon. J'ai été si souvent embarrassé par ma couardise. Je me souviens distinctement de ces épisodes dans mon esprit, mais la fierté m'empêche de les écrire. J'avais l'habitude de mettre cette poltronnerie sur le dos de mes parents: après tout ce qu'ils ont enduré, ce serait impardonnable de leur faire subir ma propre mort. Maintenant qu'ils sont décédés, je ne peux plus me servir de cet alibi. Je m'accroche désespérément à la vie, comme mes parents se sont désespérément accrochés à la vie. (Est-ce une autre évasion de prétendre que j'ai hérité de leur gène de «survie»?)
Pour trouver du courage, il faut regarder ces merveilleux et stimulants jeunes gens de l'International Solidarity Movement qui se mettent volontairement dans la ligne de tir israélienne pour protéger des Palestiniens. Rachel Corrie d'Olympia, Washington, a été tuée par un bulldozer israélien en voulant empêcher la destruction d'une maison palestinienne. Tom Hurndall de Manchester, Grande-Bretagne, a reçu une balle en pleine tête, par un tireur d'élite israélien qui se trouvait derrière lui, alors qu'il essayait de sauver des jeunes filles égarées sous les tirs israéliens (il est maintenant dans un état de mort cérébrale). Il faut regarder vers Moussa, qui documente quotidiennement les abus israéliens des droits de l'Homme tandis que les balles sifflent autour de lui. Il faut regarder vers les petits enfants palestiniens de Gaza qui font face aux blindés et aux véhicules de transport de troupes (APC) israéliens avec des pierres. Mais, pour l'amour du ciel, ne me regardez pas.
Je n'ai aucune sympathie pour les colons; en effet, je considère qu'ils sont une cible légitime de la résistance armée (à l'exception, bien sûr, des enfants). S'ils choisissent, appuyés par la puissance militaire, de voler la terre (et l'eau) sous les pieds des Palestiniens, alors laissons-les récolter ce qu'ils ont semé. Cependant, je cherche encore l'attitude «appropriée» envers les soldats israéliens. En quittant Gaza, je vois trois jeunes gens israéliens postés au barrage: une femme bien proportionnée, sortie tout droit d'une scène d'un film de James Bond, portant un treillis kaki moulant et des chaussures de cuir à talons aiguilles, un jeune homme assis sur une véranda, chantant et grattant sur sa guitare une mélodie juive envoûtante, et un second jeune homme avec des lunettes à monture d'écaille aux verres très épais. Chacun brandit de façon incongrue un fusil d'assaut faisant la moitié de leur taille. Pour l'amour du ciel, que font-ils là? Mais attendez: Gaza est «le plus grand camp de concentration de l'histoire». Pourquoi ai-je pitié de ces gardiens de camp de concentration?
Bien que je ne puisse admettre les attentats suicides palestiniens, je peux toutefois les comprendre. Si des membres de ma famille étaient emprisonnés, battus, torturés, tués, notre maison démolie, notre terre volée, nos vies détruites, attendant son heure jusqu'à la mort, souhaitant à moitié qu'elle vienne plus tôt que plus tard - j'espérerais certainement conserver mon humanité, mais en toute honnêteté, je ne peux prévoir quelle serait ma réaction. Contrairement à moi, plusieurs Palestiniens qui étaient en dissidence de principe concernant les attaques contre les civils israéliens, ne le sont plus. En fait, de tous mes amis là-bas, seuls Moussa et Afaf et Samira et Stephan y sont encore catégoriquement opposés. Certains pensent que c'est la seule tactique qui fera bouger Israël, alors que d'autres veulent juste une revanche - pour faire changement, qu'ils souffrent. Cependant, tous les Palestiniens que je rencontre font une distinction pour l'attentat du Hamas à l'Université Hébraïque. Moussa demande à son fils de six ans ce qu'il en pense: «C'est mal. Ils ne faisaient qu'étudier.»
Lorsque j'ai rencontré le Dr Rantissi, porte-parole politique du Hamas, j'ai discuté avec lui de l'attaque contre l'Université Hébraïque. Je lui ai répété ce que le fils de Moussa avait dit. Visiblement contrarié par ma question, il essaie de se justifier de n'importe quelle façon: ils sont peut-être en train d'étudier, mais plus tard, ils serviront l'occupation. Je lui fais remarquer que les Nazis prétendaient de façon semblable qu'il était correct de tuer les enfants juifs parce qu'un jour ils voudraient se venger du meurtre de leurs parents. Avec une satisfaction évidente, Rantissi rapporte que le ratio des morts palestiniens et israéliens au début de la nouvelle Intifada était de 10 pour 1, mais maintenant il est de 3 pour 1. Je mentirais en niant que cet argument a une résonance. La vie palestinienne ne sera pas prise gratuitement: si vous tuez un des nôtres, vous devez payer un prix. C'est brutal, c'est primitif, mais je peux malgré cela comprendre cette arithmétique. En fait, je calcule moi aussi le ratio secrètement. Lorsqu'un commando spécial israélien exécute un Palestinien, une partie de moi crie vengeance. Si les Palestiniens ne réagissent pas, je suis déçu. Où est donc la dignité, le respect de soi? Face à la brutalité impitoyable d'Israël, moi aussi, comme beaucoup de Palestiniens, j'ai développé une dureté de cœur.
Mais aussi compréhensible que puisse être sa satisfaction, je n'ai pas cessé de répéter à Rantissi que c'est tout à fait immoral. Je commence alors à me sentir mal à l'aise. Ma responsabilité n'est pas de faire la leçon à Rantissi, mais de m'opposer à l'occupation. Ne suis-je pas arrogant? Il a passé dix ans dans une prison israélienne; il est maintenant un détenu dans un camp de concentration israélien. Qui suis-je pour l'instruire sur les détails de la moralité, avec le confort de mon visa de tourisme? Il pense probablement que tous les Juifs sont ainsi. Si arrogant, si satisfaits d'eux-mêmes. En le quittant, je me demande si je dois lui serrer la main. Je ne serrerais certainement pas celle de Sharon. Puis je le fais. Lorsque j'ai plus tard demandé son opinion à Moussa, il n'a pas été d'accord. Moussa me rappelle avec colère qu'en approuvant l'attaque contre l'Université Hébraïque à la télévision, Rantissi a tourné l'opinion mondiale contre les Palestiniens. Maintenant, je commence à douter de la sagesse de ma décision. Mais n'est-ce pas là encore cette arrogance: pourquoi faire une fixation sur ma poignée de main? La prérogative de montrer de la magnanimité appartient aux Palestiniens, pas aux Juifs états-uniens.
En tant que Juif, je n'ai pas plus de scrupules envers les soldats (et colons) israéliens qui essuient des revers dans les Territoires occupés que je n'en ai, en tant qu'États-unien, envers les GI qui essuient des revers en Irak. Je célèbre toute victoire sur un occupant étranger. De la même façon dont je me réjouis des coups infligés aux occupants nazis par les résistants en Europe, je me réjouis des coups que le Hezbollah a infligés aux occupants israéliens au Liban, que les Palestiniens infligent aux occupants israéliens et que les Irakiens infligent aux occupants états-uniens. Cette solidarité ne provient pas d'un artifice intellectuel ou politique. Je n'ai pas à réprimer mes instincts tribaux ou patriotiques pour être constant du point de vue moral. C'est plutôt le contraire, c'est dans ma constitution - je hais viscéralement les occupants, tous les occupants. (Un autre gène familial?) Il n'y a pas la moindre différence s'ils sont Juifs ou États-uniens. Si j'ai des scrupules - et j'en ai - c'est pour les combattants dont le sang est versé. Ils sont jeunes, dans la fleur de l'âge. Ils pourraient très bien être mes étudiants. (Plusieurs de ceux envoyés en Irak l'étaient.) La plupart ne veulent pas être là où ils sont; ils veulent être chez eux. Si quelqu'un doit être sur la ligne de feu, je préférerais bien mieux que ce soient les damnés politiciens qui les ont envoyés ou les pontifes, universitaires et journalistes bien mis et en forme qui battent les tambours de la guerre, de loin. Néanmoins, je ne défendrai pas les maraudeurs effrontés et les vandales conquérants, übermenschen sans foi ni loi faisant peu de cas de la vie des innocents. Les soldats nazis étaient aussi des jeunes dans la fleur de l'âge...
Tandis que les Palestiniens ont tous les droits de résister avec violence face aux soldats et aux colons israéliens, je ne crois pas que cette stratégie soit prudente. C'est l'arène dans laquelle Israël est le plus fort, et les Palestiniens y sont les plus faibles: la force brute. En relation avec cela, les attentats suicides sont non seulement indéfendables moralement, mais probablement aussi contre-productifs. Ils s'aliènent ainsi l'opinion mondiale et fournissent à Israël un prétexte pour poursuivre la répression armée - raison pour laquelle Israël les provoque désespérément lorsque qu'il y a une accalmie. Les attentats ont sans aucun doute affecté la société israélienne, affaiblissant l'élan populaire et causant des torts à l'économie. Mais il est peu probable qu'ils forcent un retrait israélien. Insensibles et cyniques, les dirigeants israéliens considèrent les victimes civiles comme un prix à payer, regrettable, mais néanmoins tolérable, pour maintenir leur pouvoir. Leurs incitations répétées envers le terrorisme palestinien suggèrent que ces dirigeants ne sont guère préoccupés de son effet nuisible sur la société israélienne. Les attentats ne pousseront probablement pas les Israéliens ordinaires à s'opposer à l'occupation. Le contraire serait vrai: viser des soldats en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza signale une opposition à l'occupation israélienne, mais cibler des civils à Tel-Aviv et Haifa signale une opposition à l'ensemble de la société israélienne. Si leur existence elle-même semble menacée, alors les Israéliens se battront sans pitié jusqu'au bout.
Ce qui est regrettable, c'est que l'intransigeance d'Israël a commencé à convaincre plusieurs Palestiniens qu'ils ne peuvent réellement pas coexister pacifiquement: c'est nous ou eux. Il y a une chance pour que la stratégie de désobéissance civile non-violente massive puisse forcer le retrait israélien. Durant la première Intifada, cela avait galvanisé l'opinion mondiale derrière les Palestiniens et avait isolé Israël. Cela avait neutralisé l'armée israélienne qui s'était enlisée dans des opérations de police - ce qui avait troublé l'élite israélienne. La stratégie aurait peut-être réussi, à l'origine, si (comme je le suggère dans le chapitre deux) la direction palestinienne s'était investie dans la lutte populaire plutôt que dans le cul-de-sac des négociations. Cependant, il est complètement hypocrite de la part des Israéliens de se demander pourquoi les Palestiniens ne poursuivent pas une stratégie non-violente. Une raison évidente est qu'à chaque fois qu'ils l'ont fait, Israël les a réprimés brutalement. Le philosophe britannique Bertrand Russell, bien que pacifiste engagé, doutait de l'efficacité de la résistance non-violente face à l'Allemagne nazie: «Cela dépend de l'existence de certaines vertus en ceux contre qui elle est utilisée. Lorsque les Indiens se couchaient sur les voies ferrées et mettaient au défi les autorités de les écraser sous les trains, les Britanniques considéraient intolérable une telle cruauté. Mais les Nazis n'avaient aucun scrupule en de telles situations.» Il n'en revient pas seulement - ni même principalement - aux Palestiniens de pratiquer la non-violence, mais aux Israéliens de prouver qu'ils y réagiront positivement. À en juger par le sort qui a été réservé à Rachel Corrie et Tom Hurndall - non pas des Palestiniens anonymes, mais des citoyens des deux plus proches alliés d'Israël - il semble que la réaction d'Israël est plus proche de celle de l'Allemagne nazie que de celle de la Grande-Bretagne. Il faut cependant le dire, les attentats suicides n'ont pas aidé - une autre raison de mettre en question leur bien-fondé, bien qu'il faille également dire que (comme je le démontre dans le chapitre quatre) les Israéliens n'ont pas montré la moindre clémence lors de la première Intifada, majoritairement non-violente. Finalement, même si le terrorisme réussissait à entraîner un retrait israélien, son succès reposerait sur une arme moralement condamnable. L'État palestinien auquel il aurait donné naissance risquerait fort de devenir une place où peu de Palestiniens souhaiteraient vivre.
Samira continue d'enseigner l'anglais à Talitha Kumi, mais elle a aussi pris plusieurs autres engagements professionnels pour pouvoir joindre les deux bouts. Son époux, Stephan, contremaître de la construction à Jérusalem, ne réussit à travailler qu'irrégulièrement à cause des bouclages israéliens. Leur fille aînée, Rana, a quitté Beit Sahour pour épouser un Palestinien étudiant à Londres. Après avoir passé quelques années en Angleterre, ils ont déménagé en Jordanie pour être plus près de leur famille. Samira est récemment devenue grand-mère lorsque Rana a donné naissance à un jeune garçon. À la veille de l'opération Bouclier Défensif, en mars 2002, Samira et Stephan, craignant à juste titre que les jeunes hommes palestiniens seraient ciblés, ont envoyé leur seul fils, Basil, en Jordanie où il est maintenant au collège. Leur autre enfant, Rita, a soigné les blessés palestiniens dans un hôpital de Jérusalem durant le saccage israélien de mars et avril.
Plusieurs jeunes gens de Beit Sahour ont quitté. J'avais l'habitude de taquiner Nadim Issa en lui disant qu'il sauterait sur la première occasion pour partir. Les premières années, il démentait avec véhémence, mais plus tard il a admis, à contrecœur, cette possibilité. L'année dernière, j'ai appris qu'il s'était marié dans une famille ayant de la parenté au Michigan et qu'il est parti. Je pense quelquefois essayer d'entrer en contact avec lui, mais ne le fais jamais: c'est un «Je te l'avais dit» que je préfère laisser passer. Mufid Hanna, qui ne pouvait se décider s'il voulait ou non tuer ce Juif lorsque nous nous sommes rencontrés la première fois, est maintenant un réalisateur talentueux. Lorsque nous nous sommes parlés la dernière fois, il m'a mentionné que son partenaire d'affaires israélien est aussi son plus proche confident.
George Hanna, le physicien de l'Université de Bir Zeit, est actuellement responsable de la coordination de l'International Solidarity Movement. Il y a quelques semaines, j'ai reçu un courriel m'informant que des soldats israéliens avaient saccagé son bureau de l'ISM à Beit Sahour. Alors que certains volontaires de l'ISM sont actuellement frappés d'une interdiction de séjour en Israël parce qu'ils représenteraient une «menace pour la sécurité», d'autres doivent signer une déclaration exonérant Israël de toute responsabilité pour ce qui peut leur arriver. Qui peut contredire l'ingéniosité qu'il y a dans le fait de forcer à signer leur ordre d'exécution ceux qui sont ciblés pour être tués?
Moussa travaille actuellement sur le terrain pour B'Tselem, le Centre israélien d'information sur les droits humains dans les Territoires occupés, documentant de première main les violations israéliennes des droits humains dans la région de Hébron. Son épouse, Afaf, qui tolérait à peine les idées politiques de Moussa lorsque nous nous sommes rencontrés la première fois, travaille maintenant pour le Comité central du Parti du Peuple. Leurs trois enfants aînés, Marwa, Urwa et Arwa, sont maintenant des adolescents. Urwa espère éventuellement venir vivre avec moi, tandis qu'Arwa, une dirigeante-née (et une impressionnante joueuse d'échec), passe presque tout son temps au téléphone, conseillant ses amis. Pendant ce temps, Moussa et Afaf ont donné naissance à deux autres garçons, Suhail et Ayham. Alors que les plus âgés ont des activités plus importantes à faire que de distraire les invités, les petits s'occupent des habitués et des nouveaux venus avec de multiples accolades et embrassades. Moussa vit au sommet d'une colline surplombant le camp de réfugiés de Fawwar, où il est né. Monter le sentier de fortune jusqu'à sa maison est une marche ardue. Je plaisante souvent avec Moussa en lui disant que j'aurai bientôt besoin d'une canne pour m'aider, puis d'une chaise roulante jusqu'à ce que, finalement, un avis arrive informant que Norman ne montera plus la colline.
Si la lutte pour la liberté en Palestine ressemble parfois à un travail de Sisyphe, ce n'est pas parce que le caractère vain de la résolution du conflit israélo-palestinien était prédestiné. Ce qui empêche un règlement, ce n'est pas une «animosité ancienne», une «haine religieuse» ou un «choc des civilisations». Ce sont là des confections idéologiques destinées à déguiser et à mystifier une réalité qui n'est pas si compliquée. C'est plutôt le refus d'Israël, avec l'appui des États-Unis, de mettre fin à l'occupation et de permettre la création d'un véritable État Palestinien souverain à ses côtés ou de cohabiter en paix dans un seul pays.
                                       
Revue de presse

                           
1. "Au nom de l’antisionisme" de Joël et Dan Kotek [1] - Notes de lecture par Michel Staszewski
in Points Critiques (mensuel belge) N° 238 du mois de septembre 2003

(Points Critiques est un mensuel publié par l’Union des Progressistes Juifs de Belgique. Michel Staszewski est Professeur d’histoire dans l’enseignement secondaire en Belgique et coauteur du "Manifeste pour un juste règlement du conflit israélo-palestinien. Des Juifs de Belgique s’impliquent et s’expliquent". Le texte de ce manifeste (en français, néerlandais et anglais) ainsi que la liste de ses signataires figurent sur le site Internet www.israel-palestine.be)
Le texte qui figure en quatrième page de couverture résume bien le projet des auteurs : montrer aux lecteurs que dans les médias arabes et européens, « les caricaturistes n’attaquent pas seulement les autorités mais procèdent à une réelle délégitimation de l’Etat d’Israël en tant que tel. Que ce soit dans de grands quotidiens arabes mais aussi européens, sur des sites Internet arabo-musulmans mais également sur des sites antimondialisation, des caricatures non plus anti-Sharon mais authentiquement antisémites se multiplient de façon vertigineuse ». Ils veulent également démontrer que  « les modèles dont s’inspirent les dessinateurs (…) relèvent de l’iconographie chrétienne moyenâgeuse, de la caricature anti-dreyfusarde et nazie » et qu’« aujourd’hui, un même dessin est utilisé de l’extrême gauche à l’extrême droite par des gens que tout en théorie devrait séparer, n’était leur commune, et irrationnelle, détestation des Juifs ».
C’est ainsi qu’à coup d’abondantes caricatures, ils tentent de convaincre les lecteurs, que « la caricature arabe » confond systématiquement les Juifs et Israël, affirme que les Israéliens sont pires que les nazis, présente les Juifs et les Israéliens comme des animaux nuisibles qu’il faut détruire, comme les maîtres du monde qui dicteraient sa politique aux Etats-Unis, comme des vampires assoiffés de sang, des tueurs d’enfants, des menteurs, bref des êtres diaboliques. Ces caricatures seraient donc indubitablement, dans leur ensemble, antisémites.
Ils expliquent cet acharnement général de la « caricature arabe » contre Israël et les Juifs par le fait que vivant dans des dictatures, les dessinateurs ne peuvent critiquer les maux internes à leurs sociétés et que, frustrés, il faut qu’ils s’en prennent au monde extérieur (p. 47). Dans le cadre de la « solidarité arabe »avec les Palestiniens, les Juifs/Israéliens seraient leur principale cible.
Juifs = Etat d’Israël
Si l’on trouve, dans ce livre de nombreuses productions carrément odieuses ou éminemment critiquables car contribuant à entretenir la confusion entre les Juifs et la politique de l’Etat israélien, un grand nombre d’autres sont présentées comme antisémites alors qu’elles ne critiquent (parfois avec très mauvais goût, selon moi, mais c’est un autre problème) que les actions de l’armée, du gouvernement ou du premier ministre israélien. Quelques exemples parmi beaucoup d’autres : Dans le groupe de documents classés sous la rubrique « Le Juif déicide », un dessin représente Sharon habillé en général romain qui expulse la Vierge Marie, son bébé dans ses bras, avec la légende : « Jésus, fils de Marie, le premier expulsé de Bethléem » (p. 57). Sous la même rubrique, un dessin représente un soldat dans un char marqué de l’étoile de David, qui, armé d’un porte-voix crie « couvre-feu » à un crucifié (p. 59). Sous une autre rubrique intitulée zoomorphisme, un dessin représente Sharon en serpent dont la tête est coincée par la fourche d’une catapulte ; sur le manche de celle-ci figure le texte « Révolution des pierres » (p. 65). Dans le chapitre 3, intitulé « Le grand retour du mythe de l’ogre et du vampire juifs », un photomontage représente Sharon, les yeux injectés de sang et avec des dents de vampire (p. 119). Mais il est vrai que pour les auteurs, toute critique de la politique israélienne qui pourrait rappeler de près ou de (très) loin, à ces grands érudits, un « antisémythe » de l’Occident chrétien de l’Ancien Régime doit être qualifiée d’antisémite : ainsi, représenter Sharon en boucher relèverait du vieil « antisémythe » du Juif buveur de sang. Comme si tous les caricaturistes du monde arabe et leurs lecteurs avaient connaissance des manifestations médiévales de l’antijudaïsme chrétien. En ce qui me concerne, voir Sharon représenté en boucher dans une caricature, lui qui a tant de sang sur les mains, ne me dérange absolument pas.
Dans les faits, à de nombreuses reprises, ils décrètent, sans arguments convaincants (ou sans argument tout court), le caractère antisémite de caricatures critiquant férocement le comportement de représentants de l’Etat israélien à l’égard des Palestiniens. Ils entretiennent ainsi eux-mêmes la confusion entre les Juifs et l’Etat d’Israël.
Tous antisémites, les « Arabo-musulmans » ?
Mais il y a plus grave. J’ai été particulièrement choqué par les généralisations que se permettent, sans apporter de preuves, les frères Kotek. De la lecture de leur livre, il ressort nettement que la grande majorité voire tous les caricaturistes du monde arabo-musulman feraient preuve d’antisémitisme. C’est ainsi, par exemple, qu’on peut lire dans le chapitre intitulé « La nouvelle judéophobie arabo-musulmane » (cet intitulé contient déjà une généralisation bien contestable à mes yeux qui englobe tout l’espace arabo-musulman) : « Plus encore que l’« antisémythe » du Juif buveur de sang, c’est l’accusation de meurtre rituel qui témoigne du caractère antisémite de la caricature arabe contemporaine. Pour les dessinateurs arabes et/ou palestiniens, l’Israélien s’attaque prioritairement aux enfants » (p. 83). Comme si les frères Kotek nous avaient présenté, au lieu de morceaux choisis au service de leur thèse, la production de l’ensemble des caricaturistes de ces pays.
Antisionisme = antisémitisme
Mais cette tendance à la généralisation ne se limite pas au monde arabo-musulman. Caricatures de journaux européens et de sites « antimondialistes », à l’appui, les auteurs affirment que, dans leur ensemble, les Européens souffrent d’une tendance à l’antisémitisme dont l’origine remonterait au judéocide : « l’antisionisme serait devenu, à ce qui nous semble, une manière de noyer un sentiment de culpabilité diffus de l’Occident à l’égard des Juifs naguère livrés à la barbarie, un moyen élégant de compenser les lâchetés et les renoncements du passé par une prise de position nette et sans bavure en faveur des victimes des grandes injustices contemporaines ». Précisons que, pour eux, l’opposant au sionisme est d’office antisémite [2]. A ce sujet, ils citent entre autres Wladimir Jankélévitch : « l’«antisionisme » est (…) une introuvable aubaine, car il nous donne la permission et même le droit et le devoir d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est l’antisémitisme justifié mis enfin à la portée de tous. Il est la permission d’être démocratiquement antisémite » [3], ainsi que Pascal Perrineau : « L’antisionisme, dans ses différentes versions, islamiste ou occidentale, est une idéologie mortifère qui pour les Juifs, représente la forme moderne de l’ostracisme qui les a toujours frappés. ».[4]   
« Le monde entier nous a toujours détestés »
Ce livre qui commence sous l’apparence sérieuse d’un exposé historique très documenté vire ainsi rapidement au délire paranoïaque : l’antisémitisme « éternel » ne cesserait de frapper les Juifs. Les « Arabo-musulmans », les « Occidentaux » et, en particulier, la « gauche démocratique » qui souffrirait d’un « étonnant vide idéologique »(p. 129) en seraient globalement coupables. Arafat est accusé de répandre l’« antisémythe » du Juif empoisonneur pour la raison qu’il n’a pas hésité « à accuser les Israéliens de recourir à de l’uranium appauvri contre les Palestiniens » (p. 46). Pierre Galand ressusciterait « le binôme « Juif-Financier » » (p. 130) et José Bové mènerait une « croisade anti-israélienne »(p. 132).
Minimisant l’importance de la propagande et de la caricature anti-palestinienne, anti-arabe et anti-musulmane, les auteurs osent affirmer que « ce sont les Israéliens (et les Juifs) qui, sur le terrain particulier de la propagande, s’avèrent être les moins bien aguerris et les principales victimes » (p. 21).
Je considère finalement ce livre comme une œuvre de propagande plutôt mal réussie car vraiment trop délirante.
- Notes :
(1) Référence complète : KOTEK, J. et D, Au nom de l’antisionisme. L’image des Juifs et d’Israël dans la caricature depuis la seconde Intifida, Ed. Complexe, s.l., 2003
(2) Ceci est logique puisqu’en sionistes conséquents, ils définissent le sionisme comme « le mouvement de libération nationale du peuple juif » et non comme « un mouvement politique et religieux, visant à l’établissement puis à la consolidation d’un Etat juif en Palestine » (définition du Petit Robert).
(3) JANKELEVITCH, W., L’Imprescriptible : pardonner dans l’honneur et la dignité ? , Le Seuil, Paris, 1996 (ce texte date en réalité de 1971), p.88 (cité dans le livre de J. et D. Kotek, p. 115).
(4) GRUNBERG, G., PERRINEAU, P. et autres, Contre l’antisionisme, pour la paix, faute d’une critique politique du gouvernement Sharon, beaucoup d’intellectuels s’attaquent à l’existence même d’Israël, in Le Figaro, 23 mars 2002 (cité dans le livre de J. et D. Kotek, p. 116).
                                   
2. "Une campagne de diabolisation" - Entretien avec Amnon Kapeliouk réalisé par Françoise Germain Robin
in L'Humanité du mercredi 17 septembre 2003

Pour l'intellectuel israélien Amnon Kapeliouk, Ariel Sharon joue la carte du pire.
- Le gouvernement israélien est revenu hier sur ses menaces d'expulser Yasser Arafat, sans doute en raison de la levée de boucliers internationale. Selon vous, ces menaces restent-elles réelles ?
- Amnon Kapeliouk. Le terrain a été préparé depuis longtemps par la diabolisation de Yasser Arafat et les attaques sans limites contre l'Autorité palestinienne. Le communiqué du gouvernement dit qu'il a été décidé de le bannir parce qu'il " gêne la mise en ouvre de la paix ". C'est un prétexte officiel qui ne tient pas debout. Si Arafat est expulsé, il aura par sa stature, son poids de symbole du nationalisme palestinien, la possibilité de continuer à " gêner ", c'est-à-dire continuer la lutte contre l'occupation et faire obstacle à la " paix sharonienne ". Il pourra par exemple paraître devant l'Assemblée générale de l'ONU. Je le répète : cela ne tient pas debout et vise à camoufler le but réel de Sharon qui est de mettre Arafat physiquement " hors jeu ".
- Vous voulez dire de le tuer ?
- Amnon Kapeliouk. Lors d'un assaut contre la Mouqata, il peut y avoir une " balle perdue ". De l'avis de beaucoup d'observateurs, c'est le vrai but de Sharon. C'est Ehud Olmert, un des hommes les plus proches du premier ministre qui a lancé un ballon d'essai sur la liquidation physique d'Arafat pour tester la réaction internationale. Le résultat, c'est la réunion du Conseil de sécurité.
Mais Sharon est un homme obstiné qui ne renonce pas facilement à ses plans, surtout pour ce qui touche Arafat. Quand il parle de lui, il sort de ses gonds. On dirait qu'il a un complexe dont il ne parvient pas à se débarrasser. Le plan peut donc être ajourné, mais dans ce gouvernement de droite et d'extrême droite, il n'y a pas de voix raisonnable pour arrêter l'escalade vers ce crime.
- Que pensez-vous de la proposition de cessez-le-feu illimité que vient de lancer Jibril Rajoub ?
- Amnon Kapeliouk. Connaissant la scène palestinienne, je peux dire que cette proposition est très sérieuse. Elle a été élaborée par toutes les composantes du mouvement national palestinien, y compris les islamistes, mais aussi avec quelques pays arabes, dont l'Égypte, l'Union européenne et la Russie.
- Dans ce cas, comment les Israéliens peuvent-ils la rejeter ?
- Amnon Kapeliouk. Connaissant Sharon, il fera tout pour la repousser. Ce qu'il veut, c'est voir une guerre civile chez les Palestiniens, surtout pas une entente qui, cette fois-ci, est porteuse de grands espoirs. Sharon sait que si on passe aux pourparlers, la question des colonies sera à l'ordre du jour. Or, pour lui, c'est quelque chose de sacré, et cela depuis toujours.
- Mais la population israélienne, elle, ne désire-t-elle pas la paix et n'apprécierait-elle pas un arrêt des attentats ?
- Amnon Kapeliouk. La majorité de la population veut la paix, comme le montrent les sondages. Mais elle est victime d'une propagande qui est devenue une arme terrible du gouvernement contre les Palestiniens et en particulier contre Arafat. Barak porte une lourde responsabilité car il est celui qui a réussi, après Camp David, à rejeter la responsabilité de l'échec sur les Palestiniens en faisant croire qu'ils avaient refusé des " offres généreuses " alors qu'il s'agissait de propositions complètement inacceptables. Depuis deux ans et demi, il y a ainsi une campagne permanente, jour et nuit, de diabolisation d'Arafat qui a eu des résultats très néfastes dans l'opinion israélienne et dans laquelle, malheureusement, une partie de la gauche s'est laissée entraîner.
- Qui peut débloquer cette situation ?
- Amnon Kapeliouk. Il faut des pressions de l'étranger. Les réactions à l'annonce de la décision de bannissement d'Arafat étaient claires, mais pas à la hauteur de la gravité de la situation. Seules des prises de position plus déterminées de la part des pays arabes, des Européens et des Russes peuvent amener les Américains à se montrer plus résolus et à stopper Sharon. Car malheureusement, ils sont les seuls à pouvoir l'arrêter. 
                                       
3. L'ONU dénonce la politique sécuritaire d'Israël par Pierre Hazan
in Libération du mercredi 17 septembre 2003

Selon un rapport, elle est à l'origine de la crise humanitaire dans les territoires.
Genève de notre correspondant - Alors que le conflit du Proche-Orient connaît une nouvelle recrudescence de tensions, Jean Ziegler, rapporteur spécial de l'ONU sur le droit à l'alimentation, vient de terminer un rapport destiné à l'Assemblée générale des Nations unies sur sa mission effectuée du 3 au 13 juillet dans les territoires palestiniens occupés. Il dénonce dans ce rapport de 25 pages «la catastrophe humanitaire» produite par «la politique de sécurité et de bantoustanisation» menée par les autorités israéliennes.
«L'arme de la faim». Jean Ziegler constate «la détérioration rapide de la situation alimentaire depuis le déclenchement de la deuxième Intifada» en 2000. Selon le rapport, plus de 22 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition (contre 7,6 % en l'an 2000). Plus de 15 % des enfants du même âge sont atteints d'anémie grave, avec toutes les conséquences physiques et intellectuelles sur leur développement qui en résultent. Plus d'un ménage palestinien sur deux n'a plus qu'un repas par jour. Une situation liée à l'effondrement de l'économie palestinienne, souligne le rapport : plus de 60 % des Palestiniens vivent sous le seuil de grande pauvreté et presque autant sont totalement dépendants de l'aide internationale.
Pour Jean Ziegler, cette situation résulte de la politique sécuritaire de l'Etat hébreu. Ainsi le rapport épingle les mesures militaires qui visent à protéger la population israélienne et qui sont imposées de telle façon qu'elles mettent en danger la sécurité alimentaire de toute la population palestinienne : «Il ne peut pas y avoir de justification pour limiter les déplacements qui empêchent les gens d'avoir accès à de la nourriture et à de l'eau, à moins de vouloir utiliser l'arme de la faim.»
Après avoir rencontré des personnalités provenant du monde politique, des organisations non gouvernementales et des militaires, y compris des généraux israéliens et Yasser Arafat, son constat est clair : «L'imposition généralisée de couvre-feu, de fermeture de routes, de système de permis, de barrages sont la source de la crise humanitaire, tout comme le niveau sans précédent de destructions et de confiscations de terre, d'eau et d'infrastructures palestiniennes.» S'il reconnaît le droit à la population israélienne à vivre en sécurité, il dénonce «le dispositif exagéré» mis en place par les autorités israéliennes afin de prévenir de nouveaux attentats meurtriers.
Annexions de facto. Le rapport de l'ONU voit à l'oeuvre «une stratégie de bantoustanisation» de la Palestine, accompagnée de destructions sans précédent d'arbres, de systèmes d'irrigation et d'infrastructures qui privent beaucoup de Palestiniens de leur droit à la nourriture. Evoquant le mur de séparation dont il utilise la double terminologie, «barrière de sécurité» et «mur de l'apartheid», construit à l'est de la frontière de juin 1967, Ziegler note «qu'il constitue une autre violation du droit à l'alimentation», annexant de facto des milliers d'hectares de terres fertiles à l'Etat hébreu.
C'est la première fois qu'un rapporteur spécial des Nations unies était admis en Israël. Depuis la résolution de l'Assemblée générale de l'ONU de 1975 qui assimilait le sionisme à «une forme de racisme» (résolution abrogée en 1991), les relations sont très tendues entre l'Etat hébreu et les Nations unies.
Interrogée sur le rapport Ziegler, Tuvia Israeli de la mission d'Israël auprès des Nations unies à Genève, déclare à Libération : «C'est un nouveau coup dur dans nos rapports avec les Nations unies. L'ONU s'était engagée à nous faire parvenir le rapport avant sa publication pour que nous puissions y incorporer nos commentaires. Et nous découvrons que ce rapport est rendu public alors que nous ne l'avons même pas encore reçu officiellement.» La mission d'Israël affirme qu'elle va émettre une protestation auprès du Haut-Commissariat aux droits de l'homme.
                                               
4. Orient : l’Amérique enlisée ? par Hichem Ben Yaïche
in Vigirak.com (e-magazine) du mercredi 17 septembre 2003

Dans quelques semaines, le président américain George Walker Bush consacrera l’essentiel de son temps à la campagne des élections  présidentielles de novembre 2004. Au-delà des 200 millions de dollars qu’il escompte mettre en jeu grâce à ses amis des milieux d’affaires et autres partisans fortunés, le bilan de sa politique intérieure pèsera lourdement dans cette élection. S’il est impossible de livrer, à ce stade, un quelconque pronostic sur sa réélection ou non, tant les inconnues demeurent, il n’en reste pas moins que, d’ores et déjà, les signes défavorables au président Bush se multiplient dans l’opinion.
Ici, la haute politique n’a guère sa place dans la bataille électorale, sauf si elle a des répercussions négatives sur la vie quotidienne de l’Américain moyen. Celle-ci est trop compliquée. Trop lointaine. L’électeur américain moyen a besoin de langage simple, d’émotion, du concret… Bientôt le 43e président des Etats-Unis d’Amérique sera jugé à cette aune ; les experts en marketing politique, déjà à l’œuvre, passent tout au crible l’état de l’opinion, afin de pouvoir « vendre » la nouvelle image du président.
En attendant l’entrée en scènes des principaux acteurs des élections présidentielles, il est éminemment important de repasser le film des événements de ces dernières années. De ce point de vue, on ne comprendrait pas, en effet, l’Amérique d’aujourd’hui sans mesurer l’impact sur cette société de ce que les Américains appellent le « 9 11 » – le 11 septembre 2001. L’ampleur des attentats de  New York et de Washington, visant des lieux symboles, provoqua une onde de choc majeure et un réel traumatisme sur la société américaine.
C’est à partir de cet instant que le leadership politique américain a basculé dans une logique d’empire, où l’Amérique va non seulement traduire dans les faits son concept de la « guerre préemptive », une sorte de guerre perpétuelle contre le terrorisme, mais aussi façonner la face du monde autour de ses valeurs que sont la démocratie, l’économie de marché, etc. Voilà une nouvelle ambition pour l’Amérique au maximum de sa puissance. Derrière cette vision du monde, on trouve des hommes clés  occupant les postes stratégiques de l’administration Bush. Ces derniers sont issus des think tanks, lesquelles constituent la matrice de la pensée  néo-conservatrice. Richard Cheney, Paul Wolfowitz, Richard Perle, Condeleeza Rice, avec bien d’autres, en constituent le premier cercle de pouvoir (2).
Deux ans après l’événement tragique du 11-septembre, l’Amérique, guidée par l’ivresse de sa puissance, déploie ses forces sur plusieurs théâtres d’opérations : Afghanistan, Irak... On l’a vu et revu sous tous les angles : sa suprématie militaire et technologique est indéniable. Exit les Talibans. Exit Saddam Hussein.
Le monde selon les néo-conservateurs
Mais où en est-on aujourd’hui ? Malgré les six cents prisonniers de Guantánamo, le terrorisme continue à frapper et à se répandre partout. On en vient à s’interroger sur les buts de guerre US. Le constat qu’on peut faire jusqu’ici, c’est que, autant la planification de la guerre et de son déroulement était maîtrisée et réussie, autant la planification de l’après-guerre aussi bien en Afghanistan qu’en Irak est mal conçue et, surtout, inadaptée à la réalité du terrain.
Le nouvel ordre américain du monde, même s’il est encore à ses débuts, a mal commencé : enlisement en Afghanistan, impasse en Irak, échec en Israël-Palestine… La démarche américaine, celle de vouloir transformer le monde par la force des idées, a-t-elle atteint ses limites ? Il est encore trop tôt pour répondre à cette question centrale. Cependant, les néo-conservateurs au pouvoir à Washington, qui commencent à s’inquiéter du retournement de la situation, à la veille d’une période électorale cruciale, vont tout faire, dans une véritable course contre la montre, pour éviter l’échec, et ne pas s’avouer vaincus.
Quatre mois après la fin de la guerre en Irak, ce pays se révèle être une loupe grossissante des contradictions américaines. Chaos, délitement de l’Etat, guérilla, terrorisme, ethnicisation, vide politique…, on est loin du scénario de l’après-Saddam conçu à Washington, où l’Irak serait un « modèle démocratique pour tous les pays du Moyen-Orient ». Je crains fort que les 87 milliards de dollars de rallonge budgétaire demandée par le président Bush n’arrivent trop tard. Le mal est fait. L’Irak est en train de devenir ingouvernable. Pourtant, il eût fallu, dès le début, mettre d’aplomb le pays en injectant suffisamment d’argent. Les Américains comptaient sur le pétrole  irakien pour faire tourner le pays et les affaires. Mais cela n’a pas fonctionné comme ils le voulaient. Ils étaient trop économes de leurs sous.
Un indicateur pour situer l’échelle des coûts du plan de reconstruction de l’Irak : les experts ont établi une fourchette allant de 100 à 1000 milliards de dollars. C’est dire l’ampleur des dépenses à faire !
Le principe de réalité vient de rattraper le président Bush et son équipe d’idéologues. Il n’est guère besoin de vaticiner sur la manière de se sortir du piège irakien, l’Amérique est tout sauf un pays monolithique. Les langues se délient et les sources ouvertes se multiplient sur les secrets de cette guerre. Les semaines et mois à venir – période électorale oblige – vont conditionner une évolution de l’attitude des dirigeants américains sur l’Irak en acceptant, peut-être sous conditions, le retour de l’ONU.
Les choses sérieuses ne font que commencer.
- Notes :
(1) Sur les think tanks, je vous recommande la lecture particulièrement du livre « Washington et le monde. Dilemmes d’une superpuissance », de Pierre Hassner et Justin Vaïsse (Ed. Autrement). Un e synthèse remarquable. En 171 pages, tout est dit. On peut aussi consulter
www.vigirak.com. On y trouve des documents de référence sur ces « boîtes à idées », ainsi leurs budgets. Lire aussi « 11 Septembre : la quatrième guerre mondiale a-t-elle commencé ? », de François-Bernard Huyghe.
(2) Lire sur le même site ma chronique « L’Amérique de Bush, ses faucons et ses mensonges ». 
* Lire aussi « Les Américains deux ans après » in  Courrier international, n°671 (
www.courrierinternational.com).
                                      
5. Expulser l'ambassadeur d'Israël !  par Salama A. Salama
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 17 septembre 2003

Israël s'acharne à mettre à feu le Proche-Orient. Il estime que la conjoncture sur les plans régional et international est dorénavant propice à donner le coup de grâce pour réaliser tous ses objectifs. C'est dans ce contexte qu'a été prise la décision d'expulser Arafat ou plutôt de l'assassiner comme l'a réclamé un ministre israélien. Il s'agit là d'une ultime action sur l'échiquier proche-oriental qui permettrait à Israël d'imposer le règlement qu'il souhaite ou dans le pire des cas de réoccuper la bande de Gaza et la Cisjordanie.
Sur le plan international, toutes les réactions ont condamné la décision et mis en garde contre ses conséquences dévastatrices sur le processus de paix qui pourraient embraser toute la région. Les réactions arabes sont restées tièdes. Certains pays arabes se sont même contentés de communiquer au secrétaire d'Etat américain leur mécontentement et lui ont demandé de déployer des efforts pour empêcher Israël d'exécuter ses plans.
Les pays arabes vont-ils se contenter de ces demandes qui n'ont jamais été payantes auprès de l'Administration américaine ? D'autant plus que cette dernière n'a jamais caché sa complicité avec Israël dans toutes ses actions. Les Arabes vont-ils baisser les bras face à l'arrogance israélienne qui est allée jusqu'à l'humiliation non seulement du peuple palestinien mais aussi de tous les peuples arabes ?
On exige que les pays arabes adoptent une position décisive vis-à-vis de la décision israélienne d'expulser Arafat. La seule réponse logique est d'expulser les ambassadeurs d'Israël en Egypte et en Jordanie. Ou plutôt de dire aux Etats-Unis et à Israël qu'expulser Arafat, le bannir ou lui porter atteinte sera immédiatement suivie par l'expulsion de l'ambassadeur israélien et le gel de toutes les relations avec l'Etat hébreu. Et c'est aux Etats-Unis d'assumer les conséquences d'une telle mesure qui porterait atteinte à leurs intérêts dans la région. Les Etats-Unis ne seront plus en droit de parler de guerre contre le terrorisme puisque ce sont eux qui sont à l'origine de ce phénomène. Rien dans les coutumes internationales ne justifie une agression contre un président élu par son peuple, rien ne justifie également qu'il soit banni ou assassiné comme le souhaite Israël, soutenu par l'hypocrisie américaine.
Il faut rappeler à certains pays du Maghreb arabe qui se sont permis d'accueillir le ministre israélien des Affaires étrangères et qui parlent de l'ouverture des bureaux de liaison ou de représentation avec Israël qu'ils aident ainsi ce pays à asséner des coups aux Palestiniens.
La question de la lutte contre le terrorisme, cheval de bataille de la politique extérieure et intérieure américaine, ne peut ne pas être assimilée au terrorisme d'Etat que pratique Israël contre le peuple palestinien. Les Etats-Unis ne doivent blâmer qu'eux-mêmes car ils ne font que propager la culture de la haine et de la violence et risquent de déclencher une nouvelle vague de violence contre eux et contre Israël.
                               
6. Leïla Shahid : "Menace sur la survie du peuple palestinien" entretien réalisé par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du samedi 13 septembre 2003

Leïla Shahid qui demande un protectorat de l'ONU sur la Palestine, elle craint une tentative d'enlèvement de Yasser Arafat.
L'ambassadrice de la Palestine en France répond aux questions de l'Humanité
- Yasser Arafat a nommé Ahmed Qoreï, plus connu sous le nom d'Abou Ala, premier ministre après la démission de Mahmoud Abbas. A-t-il plus de chances de réussir ?
- Leïla Shahid. Je ne le pense pas. Rien ne prédestinait Mahmoud Abbas à l'échec puisqu'il a été soutenu par les Américains comme aucun homme politique palestinien ne l'a été auparavant. Son échec n'est pas du tout un échec personnel. Il a d'ailleurs expliqué pourquoi il se retirait : " premièrement parce que les Israéliens refusent de mettre en oeuvre ce qu'ils ont accepté verbalement, deuxièmement parce que les Américains n'ont rien fait pour les y obliger, et enfin parce qu'Arafat m'a cherché querelle sur mes prérogatives de premier ministre ".
- Abou Ala n'est-il pas plus proche de Yasser Arafat que son prédécesseur ?
- Leïla Shahid. Arafat n'a pas été la cause de l'échec. La démission d'Abou Mazen vient du fait qu'il avait perdu tout espoir de voir les Israéliens et les Américains se comporter sérieusement dans l'application de la feuille de route. Il ne voulait pas assumer seul cet échec. Quand à sa dispute avec Arafat, elle est le résultat de l'ingérence des Américains et des Israéliens : ceux qui ont voulu qu'il devienne premier ministre ont fait en même temps la guerre à Arafat à qui les Palestiniens n'avaient pas retiré leur confiance. Il n'était pas possible que deux années de siège, de marginalisation, d'insultes, de tentatives d'éliminer Arafat n'aient pas de répercussions sur sa relation avec l'homme qu'on présentait comme devant être son successeur. Ce dernier savait que pour passer d'un système présidentiel à un système où le premier ministre partage une partie du pouvoir exécutif, il y aurait des tiraillements. La question, c'est celle du pouvoir : où est prise la décision ? C'est cela le fond de la dispute, pas du tout, comme l'a dit la presse, la politique sécuritaire vis-à-vis du Hamas : Abou Mazen, Arafat et Abou Ala savent qu'ils ne peuvent pas attaquer militairement le Hamas sans déclencher une guerre civile. Abou Mazen a démissionné car les Palestiniens lui demandaient des comptes sur la feuille de route : où sont les prisonniers que l'on devait libérer ? où est le gel de la colonisation ? où est la levée du bouclage ? où est la trêve ? Pour la première fois dans l'histoire du mouvement palestinien le Hamas et le Jihad ont fait une trêve d'un mois et demi. Comment a répondu Sharon ? En continuant les assassinats.
Abou Ala a exactement les mêmes atouts du point de vue de la légitimité historique, politique, des relations avec Israéliens : il est l'un des rares à avoir rencontré Sharon. Mais il dit lui-même : " Cela ne servira à rien si je n'ai pas de garanties que les Américains et les Européens seront un peu plus sérieux qu'avec Abou Mazen. "
- On parle beaucoup en Israël d'éliminer Arafat. Est-ce possible ?
- Leïla Shahid. C'est possible. Aujourd'hui, les Israéliens font exactement ce qu'ils ont fait après Camp David : attribuer toute la responsabilité de l'échec à Arafat. On va le rendre responsable de l'échec d'Abou Mazen et de tous les malheurs qui ne vont pas manquer d'arriver pour ensuite le punir. La possibilité d'une nouvelle intervention à la Mouqata est ouverte. Sauf si les Américains l'interdisent. Mais ils peuvent resserrer le siège, couper l'eau, l'électricité et essayer de le déporter.
- On dit qu'Arafat, dans ce cas, préférait la mort. Est-ce vrai ?
- Leïla Shahid. Oui. Il a toujours sur sa table un petit pistolet court. Sa hantise, c'est de mourir en exil comme Hadj Amine el Husseini, un grand dirigeant du mouvement national palestinien anti-britannique qui est mort presque oublié au Liban. Arafat préférerait de très loin mourir en martyr dans sa Mouqata, qui est devenue un mythe, que dans un lit d'hôpital à Amman. C'est pourquoi les Israéliens échafaudent des scénarios pour lui mettre la main dessus, comme l'utilisation du gaz par exemple. Mais il ne se laissera pas arrêter. Il se battra.
- Comment sortir de cette situation ? Faut-il attendre, comme le disent certains, qu'une nouvelle génération remplace Bush, Sharon et Arafat ?
- Leïla Shahid. On n'a pas les moyens d'attendre. Ce qu'il faut, c'est un sursaut de la société israélienne pour amener au pouvoir autre chose que la clique militaire actuelle. Il suffit d'un sursaut du désir de vivre, car tout cela mène à la destruction d'Israël. Dans vingt ans, il y aura une majorité arabe en Eretz Israël. Ils se tuent à leur manière, comme le dit très bien Abraham Burg, l'ancien président de la Knesset. La tragédie des Israéliens, c'est qu'il n'y a pas de relève pour les tirer de leur sommeil. Mais on ne peut pas attendre qu'ils se réveillent les bras croisés. Je crois que la solution est la même dans les territoires palestiniens qu'en Irak : une prise en charge totale de la gestion de la vie quotidienne des citoyens par les Nations unies, une sorte de protectorat qui serait négociée avec les Israéliens pour assurer la survie de la population civile en attendant des négociations plus fructueuses.
                               
7. Le mur contre l'éducation par Valérie Féron
in L'Humanité du samedi 13 septembre 2003
Le mur de " sécurité " qu'érige Israël va couper en deux l'université palestinienne de Jérusalem. Les études continuent malgré les difficultés.
Abou Dis, correspondance particulière - " Vous avez déjà des prisonniers dans leurs cellules ? Eh bien, c'est ça notre réalité, une prison qui se resserre autour de nous petit à petit. " Celui qui parle est en étudiant en droit à l'université al Qods, l'université palestinienne de Jérusalem, située à Abou Dis, un faubourg de la partie occupée de la ville. Depuis le terrain de sport, Saed, vingt-deux ans, contemple les bulldozers israéliens qui s'activent quelques mètres plus bas. " Tôt ou tard ils vont arriver sur le campus de l'université et couper le terrain de sport en deux, et détruire les arbres autour ", soupire-t-il. Et c'est pour refuser cette fatalité que profs, étudiants et internationaux de passage sont mobilisés depuis déjà des semaines. Le terrain de sport est devenu le symbole de la lutte contre " le mur de la honte " : conférence, meetings divers, soirée musicale, spectacle de danse s'y tiennent quotidiennement. Symbole aussi de " l'échec des hommes politiques et des faiseurs de paix ", dénoncé par le président de l'université, Sari Nusseibeh, qui mène actuellement une campagne internationale contre le projet, qu'il estime désormais " irréversible ".
Pour Ashraf, la situation n'est qu'un avant-goût de ce que ses parents vivent dans sa ville natale, Tulkarem, dans le nord-ouest de la Cisjordanie, où le mur est déjà bien avancé. " C'est bien pire là-bas. Mes parents, fermiers, ont perdu la plupart de leurs terres prises par les Israéliens pour la construction de ce mur. Une barrière de sécurité, ils appellent ça. C'est surtout une autre excuse pour nous prendre nos terres ", martèle-t-il. Un sentiment que partagent ses amis, Saed, originaire de Jénine, dans le nord, Mohammed et Fayçal, né à Abou Dis, et Dana, de la ville de Hébron. Saed et Dana ont renoncé cette année à retourner voir leurs familles pratiquement toutes les semaines comme ils en avaient l'habitude : " Entre le mur et les check-points, je rentrerai tous les trois jours, explique Saed, et quand le mur sera terminé, j'imagine qu'on ne se parlera plus que par téléphone ! ! ! " Les blocs de béton ont peu à peu coupé la route principale menant de Jérusalem à Abou Dis. Reste pour passer, une petite porte construite entre deux blocs de béton. Lorsqu'elle est ouverte. En ce jeudi midi, à l'heure de la sortie des classes, elle ne l'est pas. Du coup, petits et grands escaladent un bloc de béton et se faufilent entre deux autres pour gagner l'autre côté, malgré la présence de soldats israéliens qui, aujourd'hui, laissent faire. " Abou Dis est un carrefour stratégique entre toute la région et Jérusalem. De nombreuses familles sont désormais coupées de leurs proches. Ce mur nous coupe de Jérusalem, c'est comme pour nous dire de l'oublier, que ce ne sera jamais notre capitale ! " s'exclame Fayçal, marié et père de deux enfants, qui vient de terminer ses examens de doctorat. " Il vise à nous faire mourir économiquement, socialement, et psychologiquement, en somme, à nous faire souffrir le plus possible ", affirme Ahmad, qui a passé son doctorat d'anglais dans cette université et y enseigne désormais. Il passe son temps à insister auprès des étudiants pour qu'ils poursuivent coûte que coûte leurs études : " L'éducation est primordiale dans notre lutte. Et le simple fait d'arriver à venir à l'université dans cette situation, c'est déjà un acte de résistance ", souligne-t-il. " Ce que veulent les Israéliens, c'est créer des cantons non reliés les uns aux autres avec, à terme, l'impossibilité de créer notre État, poursuit Ashraf. Mais ce mur ne nous empêchera pas de passer. Regardez dans la bande de Gaza, ils ont creusé des tunnels à la frontière avec l'Égypte. " Les attaques suicides ne leur apparaissent alors que comme une réponse, violente, à une violence quotidienne qui ne cherche à long terme qu'à les " anéantir ". " La colonisation et l'occupation ont commencé bien avant qu'il n'y ait des attentats, ce mur n'a rien à voir avec la sécurité ", assène Dana d'un ton aussi sérieux qu'amer. Tout le monde reste pourtant convaincu que l'application de la loi internationale est la seule solution. La nomination d'Ahmed Qoreï, le nouveau premier ministre, né à Abou Dis, ne leur redonne guère d'espoir à court terme. " Il est dans la même situation que son prédécesseur, Mahmoud Abbas, estime Fayçal. Nous ne pourrons rien faire tant que l'on n'obligera pas les Israéliens à sortir de chez nous. " En attendant, à l'instar de nombreux jeunes, Saed et Ashraf rêvent de quitter les territoires palestiniens pour poursuivre leurs études à l'étranger ou travailler. " Mais bien sûr je reviendrai ensuite, promet Saed, le mur, c'est notre résistance qui va en venir à bout. "
                               
8. Un Etat pour deux peuples ? Après l’échec d’Oslo : le point de vue d’un Palestinien par Marwan Bishara
in The International Herald Tribune (quotidien international) du vendredi 12 septembre 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Il y a dix ans, les Israéliens et les Palestiniens sont convenus de reconnaître mutuellement leurs droits nationaux respectifs et de se séparer pacifiquement. Mais Oslo a manifestement échoué à produire ce qu’il était fait pour produire : la fin de l’occupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, en échange de la paix.
En lieu et place, Oslo a abouti à diviser les territoires palestiniens en 202 cantons séparés, diminuant l’accès des habitants à l’emploi, à la santé et à l’éducation, et réduisant leur PNB de plus d’un quart. Le nombre des colons israéliens a doublé en dix ans, et un réseau complexe de routes de contournement ont rendu l’occupation irréversible.
Comment ce tournant dramatique s’est-il produit ?
La part du lion du blâme échoit aux Etats-Unis et à Israël, dont les actions ont entraîné de les violentes réactions des Palestiniens. Les Etats-Unis n’ont pas su jouer de leur influence considérable afin de mettre au pas les tenants du Grand Israël, qui ont fait – lentement, mais sûrement – des confettis avec l’esprit d’Oslo.
Comme si cela ne suffisait encore pas, l’administration Bush a confié le poulailler au renard, en chargeant le Premier ministre israélien Ariel Sharon de sa vision d’un Etat palestinien futur. Il en découle que, dût un jour un tel Etat voir jamais le jour, il ressemblera aux homelands que le gouvernement d’apartheid avait créé, en Afrique du Sud, dans les années 1980.
Si Israël doit vraiment emboîter le pas à l’Afrique du Sud, il vaut mieux qu’il soit prêt à faire face aux conséquences de son choix : l’alternative à la séparation, sur le long terme, est l’intégration, et non pas l’apartheid.
Théoriquement, les Israéliens et les Palestiniens parlent de séparation : dans la pratique, ils ne veulent pas concilier leurs aspirations nationales avec cette séparation. C’est la raison pour laquelle, en sus d’intellectuels palestiniens éminents, un nombre croissant d’analystes israéliens et américains s’interrogent quant à la faisabilité de la solution à deux Etats et commencent à envisager l’Etat binational comme un moyen permettant d’installer une paix durable entre Palestiniens et Israéliens.
Pour qu’une solution à deux Etats fonctionne, Israël doit commencer par retirer physiquement ses bases militaires ainsi que ses centaines de milliers de colons de tous les territoires occupés, y compris Jérusalem. Pour créer un Etat binational, Israël devrait simplement se débarrasser du système d’apartheid qui a condamné les deux peuples à la guerre.
Un Etat unique satisferait aux exigences d’une paix authentique, qui n’ont pas même été abordées, ni a fortiori satisfaites, dans le processus d’Oslo. Les différents au sujet des réfugiés palestiniens, de Jérusalem, de la minorité israélienne en Israël, des colons israéliens en Palestine, de la sécurité d’Israël, des frontières et des ressources hydriques pourraient tous être résolus dans le cadre d’un Etat unique partagé, fondé sur la citoyenneté et sur la protection constitutionnelle de l’identité nationale et religieuse de ses habitants.
Cela pourrait être obtenu dans le cadre du fédéralisme, comme en Belgique, en Suisse ou au Canada, ou bien cela pourrait être mis en place dans le cadre d’un système « un homme – une voix », comme en Afrique du Sud. Historiquement, les partisans Israéliens de la solution à un seul Etat ont préféré la première solution, tandis que les Palestiniens se faisaient les avocats de la seconde.
Mais d’une manière comme de l’autre, la solution à un seul Etat signifie que les Palestiniens acceptent les colons juifs comme voisins légitimes et que les Israéliens considèrent les Palestiniens [« de 1948, ndt] comme des citoyens à part entière. L’Etat garantirait des droits et des privilèges égaux aux deux populations. Les deux populations auraient le droit d’immigrer, qu’il s’appelle « awdah » [retour], pour les Palestiniens ou « aliyah » [« montée » à immigration en Israël], pour les juifs. Pour les deux peuples, Jérusalem serait une capitale ouverte.
Automatiquement, le nouvel Etat aurait des relations amicales et pacifiques avec ses voisins, et il donnerait l’exemple de la réconciliation et de la coexistence.
Cette solution n’est pas réaliste, diront les sceptiques. Les Palestiniens ne sont pas prêts pour cela, et Israël, obsédé par la démographie, ne l’acceptera jamais. Toutefois, dans vingt ans, les propres citoyens palestiniens de l’Etat juif représenteront un tiers de sa population, introduisant de ce fait même le bi-nationalisme en Israël proprement dit. Alors quoi ? A la fin des fins, Israël devra traiter son problème démographique au moyen de la démocratie constitutionnelle.
Souvenez-vous : bien que les Palestiniens et les juifs n’aient jamais été officiellement mariés, ils vivent ensemble, dans le bonheur ou l’enfer, sur le même lopin de terre et sous le même ciel, depuis des siècles.
La mort d’Oslo offre la (rare) possibilité d’une nouvelle vie fondée sur une paix véritable et un avenir supportable pour les Israéliens et les Palestiniens, ensemble, qui garantirait et protégerait leurs droits collectifs.
                                   
9. La France favorable au déploiement d'une force d'interposition entre Israël et les Palestiniens
Dépêche de l'agence Associated Press du vendredi 12 septembre 2003, 9h43
PARIS - La communauté internationale doit mettre en place une force d'interposition entre Israël et les Palestiniens, et convoquer une grande conférence qui "marquerait avec énergie" le "chemin" de la paix, a affirmé vendredi le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin.
"La solution c'est de prendre le risque de la paix. Une force d'interposition marquerait clairement l'engagement de la communauté internationale", a affirmé le ministre sur France-Inter.
Il faut "que la force d'interposition puisse marquer clairement cet engagement; faire respecter sur le terrain les décisions qui sont prises; que nous avancions donc vers des grands rendez-vous de la communauté internationale", a précisé M. de Villepin.
"Nous avons préconisé depuis longtemps, et nous pensons encore que ce serait d'actualité aujourd'hui, une conférence internationale rassemblant l'ensemble des Etats concernés (...), qui marquera avec énergie et fixera le chemin", a-t-il ajouté.
Le chef de la diplomatie française a affirmé que la question serait abordée samedi à Genève, au cours d'une réunion consacrée à la crise irakienne des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies: "Nous ne pourrons pas ne pas aborder cette question du Proche-Orient. Nous aurons par ailleurs les uns avec les autres de longs entretiens bilatéraux, et nous avons tous conscience de la gravité et de l'urgence du moment. Il faut agir et c'est le devoir de la communauté internationale".
Dominique de Villepin a par ailleurs condamné l'accord de principe accordé par le gouvernement israélien à une expulsion du chef de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat: "Une telle décision serait une erreur, et même une faute", faute "contre la sécurité" et "contre la paix".
                               
10. La révolution sioniste est morte par Avraham Burg
in Le Monde du jeudi 11 septembre 2003

(Avraham Burg, député du Parti travailliste israélien, est ancien président de la Knesset (1999-2003), ancien président de l'Agence juive.)
Le sionisme est mort, et ses agresseurs sont installés dans les fauteuils du gouvernement à Jérusalem. Ils ne ratent pas une occasion pour faire disparaître tout ce qu'il y avait de beau dans la renaissance nationale.
La révolution sioniste reposait sur deux piliers : la soif de justice et une équipe dirigeante soumise à la morale civique. L'une et l'autre ont disparu. La nation israélienne n'est plus aujourd'hui qu'un amas informe de corruption, d'oppression et d'injustice. La fin de l'aventure sioniste est déjà à notre porte. Oui, il est devenu probable que notre génération soit la dernière du sionisme. Après elle, il restera ici un Etat juif méconnaissable et haïssable. Qui de nous voudra en être le patriote ?
L'opposition s'est évanouie, la coalition reste muette, Ariel Sharon s'est retranché derrière un mur de silence. Cette société de bavards intarissables est devenue aphone. Il n'y a tout simplement plus rien à dire. Seuls nos échecs sont retentissants. Sans doute avons-nous ressuscité la langue hébraïque, notre théâtre est excellent, notre monnaie résiste bien, les cerveaux juifs n'ont pas fini d'étonner, et nous sommes cotés au Nasdaq. Est-ce pour cela que nous avons créé un Etat ? Non, ce n'est pas pour inventer des armes sophistiquées, des instruments d'irrigation au goutte-à-goutte, des programmes de sécurité informatique ou des missiles antimissile que le peuple juif a survécu. Notre vocation est de devenir un modèle, la "lumière des nations", et nous avons échoué.
La réalité, au terme de deux mille ans de combat pour la survie, est un Etat qui développe des colonies, sous la houlette d'une clique corrompue, qui se moque de la morale civique et du droit. Un Etat géré au mépris de la justice perd la force de survivre. Demandez à vos enfants lequel d'entre eux est sûr de vivre ici dans vingt-cinq ans. Les réponses les plus clairvoyantes risquent de vous choquer, parce que le compte à rebours de la société israélienne a commencé.
Rien n'est plus séduisant que d'être sioniste à Beth El ou Ofra. Le paysage biblique est enchanteur. Par la fenêtre égayée de géraniums et de bougainvilliers, on ne voit pas l'occupation. On circule vite et sans problème sur la nouvelle route qui longe Jérusalem du nord au sud, à 1 kilomètre seulement à l'ouest des barrages. Qui va se soucier de ce que subit l'Arabe humilié et méprisé, obligé de se traîner sur des routes défoncées et interrompues par des barrages pendant des heures ? Une route pour l'occupant, une route pour l'occupé. Pour le sioniste, le temps est rapide, efficace et moderne. Pour l'Arabe "primitif", manœuvre sans permis en Israël, le temps est d'une lenteur éprouvante.
Mais cela ne peut pas durer. Même si les Arabes courbaient la tête et avalaient leur humiliation, le moment viendra où plus rien ne marchera. Tout édifice bâti sur l'insensibilité à la souffrance d'autrui est appelé à s'effondrer avec fracas. Attention à vous ! Vous dansez sur un toit reposant sur des piliers qui chancellent !
Parce que nous restons indifférents à la souffrance des femmes arabes retenues aux barrages routiers, nous n'entendons plus la plainte des femmes battues derrière la porte voisine de notre demeure, ni celle des mères célibataires luttant pour leur dignité. Nous avons cessé de dénombrer les cadavres des femmes assassinées par leur conjoint. Indifférents au sort des enfants palestiniens, pourquoi sommes-nous surpris de les retrouver un rictus de haine à la bouche, se faisant exploser en martyrs d'Allah là où nous venons pour nos loisirs parce que leur vie est un tourment, dans nos centres commerciaux parce qu'ils n'ont même pas l'espoir de faire, comme nous, des emplettes. Ils versent le sang dans nos restaurants pour nous couper l'appétit. Chez eux à la maison, enfants et parents souffrent de la faim et de l'humiliation. Même si on tuait 1 000 terroristes par jour, rien ne changerait. Leurs leaders et leurs meneurs sont engendrés par la haine et la colère et par les mesures insensées que produisent nos infrastructures moralement corrompues. Aussi longtemps qu'un Israël arrogant, terrorisé et insensible à soi-même et à autrui fera face à une Palestine humiliée et désespérée, nous ne pourrons pas nous maintenir.
Si tout cela était inévitable et infligé par une force surnaturelle, je me serais tu moi aussi. Mais il y a une autre option. C'est pourquoi il faut hurler.
Voici ce que le premier ministre doit dire au peuple : le temps des illusions est périmé. On ne peut plus différer les décisions. Oui, nous aimons le pays de nos ancêtres dans sa totalité. Oui, nous aimerions bien y résider, nous tout seuls. Mais cela ne marche pas, les Arabes eux aussi ont leurs rêves et leurs besoins. Entre le Jourdain et la mer, c'en est fini de la majorité juive. Tout garder, mes chers concitoyens, comme cela, gratuitement, sans en payer le prix, est chose impossible.
La majorité palestinienne soumise à la botte des militaires israéliens, cela aussi est impossible. De même que croire que nous sommes la seule démocratie du Proche-Orient, parce que nous ne le sommes pas. Sans l'égalité complète pour les Arabes, il n'y a pas de démocratie. Conserver à la fois les territoires et une majorité juive dans le seul Etat juif tout en respectant les valeurs de l'humanisme et de la morale juive est une équation insoluble.
Vous voulez la totalité du territoire d'Eretz Israël ? Parfait. Vous avez donc renoncé à la démocratie, et nous allons mettre en place un système efficace de ségrégation ethnique, de camps d'internement, de villes-prisons : le ghetto Kalkilya et le goulag Jénine.
Vous voulez une majorité juive ? Parfait. Ou bien nous entasserons tous les Arabes dans des wagons de chemin de fer, des autobus, sur des chameaux et des ânes pour les expulser. Ou bien nous allons nous séparer d'eux de manière radicale. Il n'y a pas de moyen terme. Cela implique le démantèlement de toutes - je dis bien : toutes - les implantations ainsi que la détermination d'une frontière internationale reconnue entre le foyer national juif et le foyer national palestinien. La loi du retour juive sera applicable exclusivement à l'intérieur du foyer national juif. Le droit au retour arabe sera applicable exclusivement à l'intérieur du foyer national arabe.
Si c'est la démocratie que vous voulez, vous avez deux options : soit renoncer au rêve de l'Eretz Israël dans sa totalité, aux colonies et à leurs habitants, soit octroyer à tous la pleine citoyenneté avec droit de vote aux législatives, y compris aux Arabes. Dans ce dernier cas, ceux qui ne voulaient pas les Arabes dans l'Etat palestinien voisin les auront aux urnes, chez eux-mêmes. La majorité, c'est eux ; nous, nous sommes la minorité.
Tel est le langage que doit tenir le premier ministre. A lui de présenter courageusement les alternatives. C'est soit la discrimination ethnique pratiquée par des juifs, soit la démocratie. Ou bien les colonies, ou bien l'espérance pour deux peuples. Ou bien l'illusion d'un rempart de barbelés, des barrages routiers et des kamikazes, ou bien une frontière internationale consentie mutuellement, et Jérusalem capitale commune des deux Etats.
Il n'y a, hélas, pas de premier ministre à Jérusalem. Le cancer qui ronge le corps du sionisme a déjà atteint la tête. Les métastases fatales sont là-haut. Il est arrivé naguère que Ben Gourion commette une erreur, mais il est resté d'une droiture irréprochable. Quand Begin n'avait pas raison, nul ne mettait en cause sa bonne foi, et pareillement quand Shamir ne faisait rien. De nos jours, selon un sondage récent, les Israéliens dans leur majorité doutent de la droiture du premier ministre, tout en lui accordant leur confiance sur le plan politique. Autrement dit, la personnalité du premier ministre actuel symbolise les deux faces de notre infortune : un homme de moralité douteuse, jouisseur, faisant fi de la loi et modèle négatif d'identification, le tout combiné avec sa brutalité envers les occupés, laquelle oppose un barrage infranchissable à la paix. D'où la conclusion imparable : la révolution sioniste est morte.
Et l'opposition ? Pourquoi garde-t-elle le silence ? Parce que c'est l'été ? Parce qu'elle est lasse ? Parce qu'une partie de mes camarades souhaitent un gouvernement à tout prix, fût-ce celui de l'identification avec la maladie de préférence à la solidarité avec les victimes de la maladie ? Les forces du Bien perdent l'espoir, font leurs valises et nous abandonnent ici, avec le sionisme tel qu'en lui-même : un Etat chauvin et cruel où sévit la discrimination, un Etat dont les nantis sont à l'étranger et où les pauvres déambulent dans les rues, un Etat où le pouvoir est corrompu et la politique est corruptrice, un Etat de pauvres et de généraux, un Etat de spoliateurs et de colons. Tel est en résumé le sionisme dans sa phase la plus critique de son histoire.
L'alternative, c'est une prise de position radicale : le blanc ou le noir - s'y dérober serait consentir à l'abject. Voici les composantes de l'option sioniste authentique : une frontière incontestée au centimètre près, un plan social global pour guérir la société israélienne de son insensibilité et de son absence de solidarité - la mise au ban du personnel politique corrompu aujourd'hui au pouvoir. Il n'est plus question de travaillistes face au Likoud, de droite contre la gauche.
A la place de tout cela, il faut opposer le permis au prohibé, la soumission à la loi contre la délinquance. On ne peut plus se contenter d'une alternative politique au gouvernement de Sharon. Il faut une alternative d'espérance à la mise en ruine du sionisme et de ses valeurs par ses démolisseurs muets, aveugles et démunis de toute sensibilité. (Traduit de l'hébreu par Lucien Lazare)
                                   
11. Israël relance sa stratégie de normalisation au Maghreb par Mounir B.
in Le Quotidien d'Oran (quotidien algérien) du mercredi 10 septembre 2003

Tel-Aviv veut isoler Alger
Après avoir convaincu le Maroc de rouvrir les représentations diplomatiques, Israël renoue le dialogue avec la Tunisie dans une stratégie qui vise, en définitive, à pousser l’Algérie à la normalisation. Tel-Aviv comptant sur la qualité des relations algéro-américaines pour aboutir avant les élections présidentielles.
Après la visite du chef de la diplomatie israélienne, Sylvan Shalom, à Rabat et sa rencontre avec Mohamed VI, le gouvernement Sharon se tourne vers l’autre voisin maghrébin pour faire aboutir une normalisation au Maghreb. Ainsi, Shalom Cohen, chef du département Maghreb-Afrique du Nord au MAE israélien, chargé également du dossier Algérie, s’est rendu discrètement, cette semaine, à Tunis afin de leur proposer la réouverture des bureaux d’intérêts dans les deux capitales, tunisienne et israélienne. Selon le quotidien israélien «Yediot Aharonot» qui rapporte l’information, Cohen a rencontré le directeur central du ministère tunisien des Affaires étrangères en lui remettant une lettre de Sylvan Shalom, un sépharade originaire de la Tunisie. Cet émissaire secret a également rencontré des membres du cabinet du président Zine El Abidine Ben Ali, ce qui semble un début de réconciliation entre Israéliens et Tunisiens depuis que ces derniers ont fermé leur représentation diplomatique à Tel-Aviv au début de la seconde Intifada. Tunis aurait donné son accord pour un retour d’un chargé d’affaires israélien sur son sol mais aurait souligné le fait qu’elle ne rouvrira son bureau en Israël qu’après le retour des Marocains, des Egyptiens et des Jordaniens.
Malgré ces conditions, ainsi que les discussions portant sur l’avenir de la communauté juive en Tunisie, notamment après l’attentat d’Al-Qaïda contre la synagogue de Djerba, les Israéliens viennent de surmonter un autre obstacle dans leur normalisation avec les pays arabes. Car, au même moment, durant cette offensive diplomatiques contre les pays arabes, le roi Abdellah II de Jordanie recevait les lettres de créance du nouvel ambassadeur d’Israël à Amman, Yakov Hadas. Il y remplace l’ancien ambassadeur David Dadonn qui n’est autre que l’ancien chargé du bureau israélien au... Maroc. Cela pourrait supposer que ce diplomate, connaisseur de l’Algérie, pourrait être affecté, bientôt, à Rabat où il supervisait, déjà en 1994, le Maghreb.
Cet activisme s’est propagé en Egypte, qui attend toujours son intégration à l’UMA, avec les pourparlers secrets entre l’Egypte et Israël pour un gros contrat gazier. Ariel Sharon faisant savoir qu’il préférait acheter du gaz égyptien que celui de l’Autorité palestinienne. Une transaction démentie par Le Caire mais confirmée par Sharon. Israël a également délégué un autre émissaire secret au Qatar, en la personne de l’ancien patron du Mossad, Ivrahim Helivy, afin de discuter de l’éventualité d’un sommet arabe durant lequel les pays qui n’ont pas encore normalisé avec Israël intègrent un processus de dialogue multilatéral. Cette idée proposée par Doha d’un sommet pour la normalisation avec Israël qui devait se tenir à Washington, sous les auspices de l’administration Bush, est restée au stade du projet à cause du refus de certains pays arabes de cautionner la démarche qatarie.
Enfin, le dernier élément de ce puzzle normalisateur est la 15ème exposition internationale de l’agriculture 2003, organisée le 15 septembre prochain à Tel-Aviv, où les organisateurs ont eu l’idée de vouloir inviter l’ensemble des pays arabes tout en sachant qu’ils n’entretiennent pas de relations diplomatiques avec l’Etat hébreu. Une manière comme une autre de pousser à une logique de dialogue bilatéral sur un dossier (agriculture) crucial pour les pays arabes.
Quant à l’Algérie, elle observe ce déploiement diplomatique israélien dans la prudence. Washington a, souvent, remis sur le tapis des discussions bilatérales la reconnaissance d’Israël par l’Algérie sans pour autant exercer des pressions visibles. Alger constate, toutefois, que ses voisins maghrébins, malgré leurs discours pro-palestiniens, reviennent à des relations normalisées avec Israël sans pour autant arracher une contrepartie politique.
                                   
12. Folke Bernadotte et la première feuille de route (au Moyen-Orient) par Louis Farshee (éditorialiste invité)
on YellowTimes.org (e-magazine américain) du mardi 9 septembre 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Cette année, le 17 septembre tombe un mercredi. En 1948, c’était un vendredi. En fin de matinée de ce jour-là, il y aura bientôt cinquante-cinq ans, un DC-3 blanc, portant le symbole de la Croix Rouge Internationale, atterrissait sans encombre à Kalandia, un aéroport civil arabe, au nord de Jérusalem. A bord de cet avion avait pris place le Comte Folke Bernadotte, un Suédois. C’était le médiateur envoyé en Palestine par les Nations Unies.
Depuis le 19 novembre 1947 – jour où l’Assemblée générale des Nations Unies avaient adopté la Résolution 181 recommandant le partage de la Palestine entre deux Etats séparés (juif, et arabe) – la guerre civile faisait rage, en Terre sainte. Au début du printemps 1948, il était devenu évident pour tout le monde que les rêves illusoires d’une conformation à la résolution internationale historique s’étaient évaporés dans les fumées des canons de l’acrimonie. Tandis que la violence ne faisait qu’empirer, toutes sortes de propositions pour mettre un terme au conflit étaient mises en débat aux Nations Unies. Le 14 mai 1948, dernier jour du Mandat britannique en Palestine et veille de la déclaration d’indépendance d’Israël, Folke Bernadotte fut nommé Médiateur pour la Palestine. Sa mission était herculéenne : faire cesser les combats et superviser la mise en application de la Résolution de partage.
Bernadotte s’était illustré par son action humanitaire à la direction de la Croix Rouge Internationale durant la Seconde guerre mondiale. Une de ses actions, en particulier, lui valut une immense popularité : dans les dernières semaines de la guerre, il facilita et organisa la libération de milliers de juifs, de chrétiens et de prisonniers de guerre alliés des camps allemands de concentration et de détention de prisonniers de guerre. Neveu du Roi de Suède, parlant couramment six langues, il était mondialement respecté en tant que bienfaiteur humanitaire honorable et efficient, d’une totale neutralité politique. Sa candidature à la responsabilité de Médiateur avait été proposée par les Etats-Unis, et sa nomination avait été votée à l’unanimité.
Durant ses quatre mois de médiation, Bernadotte fit la navette entre les capitales arabes. Il se rendit sur les lieux d’affrontements et dans les camps de réfugiés palestiniens. Il rencontra des responsables de tous les camps antagonistes, réussit à obtenir deux accords de cessez-le-feu, soumit deux rapports aux Nations Unies, proposant des recommandations en vue de la résolution du conflit. Ce programme échevelé ne l’empêcha jamais de coucher ses observations quotidiennes dans son journal personnel, dans lequel on peut lire ses réflexions et aussi, de temps en temps, ses indignations acerbes devant la belligérance israélienne.
Après l’atterrissage à Kalandia, Bernadotte et ses accompagnateurs se rendirent en voiture à Jérusalem, où ils rencontrèrent les Observateurs de la Trêve, des Nations Unies, après quoi ils inspectèrent plusieurs sites proposés pour la construction d’un nouveau quartier général. Jusque-là, en effet, Bernadotte et son équipe opéraient depuis l’Hôtel des Roses, situé sur l’île grecque de Rhodes, laquelle était, à ses yeux, beaucoup trop loin de la zone de guerre.
Après avoir rencontré les observateurs de la trêve et visité quelques emplacements possibles pour le bâtiment du quartier général, le convoi de Bernadotte, composé de trois voitures, entra dans le quartier Katamon (de Jérusalem). Chaque voiture arborait les drapeaux des Nations Unies et de la Croix Rouge. Personne, dans ce convoi, n’était armé, et Bernadotte avait refusé, à plusieurs reprises, le gilet pare-balle qu’on lui proposait.
Le Katamon, sous contrôle de l’armée israélienne, était presque désert. Les habitants chrétiens de cette partie de Jérusalem naguère encore aisée avaient été expulsés à la pointe des baïonnettes par les forces armées sionistes, fin avril.
Peu après avoir franchi un checkpoint de l’armée israélienne, le convoi fut arrêté par une jeep qui lui interdisait le passage. Trois hommes armés, revêtus de l’uniforme de l’armée israélienne, surgirent de cette jeep, arrosant les trois voitures de leurs balles. Bernadotte fut abattu à bout portant. Six rafales (au minimum) d’une mitraillette Schmesseir l’atteignirent au bras gauche, à la gorge et à la poitrine. En quelques secondes, tout était terminé. Bernadotte venait de quitter ce monde.
Dans la voiture du Médiateur, sur la banquette arrière, avaient pris place : Bernadotte, à droite ; le colonel français André Sérot, chef des observateurs des Nations Unies à Jérusalem, au milieu, et le général suédois Aage Lundstrom à gauche. Lundstrom était chef de la supervision de la trêve en Palestine, et représentant personnel de Bernadotte.
Sérot avait insisté pour qu’on l’autorise à s’asseoir à côté de Bernadotte durant cette partie de leur parcours, afin de pouvoir le remercier personnellement d’avoir secouru sa femme, internée au camp de concentration de Dachau, en 1945. D’après Sérot, son épouse devait la vie à Bernadotte. Les assassins, prenant Sérot pour Lundstrom, qu’ils avaient planifié de liquider en même temps que Bernadotte, le tuèrent, lui aussi. Dans leur déclaration dactylographiée, reconnaissant leur responsabilité dans le double assassinat, les tueurs demandent qu’on veuille bien les excuser d’avoir abattu Sérot « par erreur ». Quant à Lundstrom, sorti indemne de l’embuscade, il a laissé une déposition écrite qui est un document primordial. Il figure en Appendice I du journal personnel de Bernadotte, publié à titre posthume, sous le titre « Vers Jérusalem ».
A l’exception notable des assassins, de leurs complices et de leurs commanditaires, l’assassinat de Bernadotte suscita une condamnation universelle. Suspectant que le Lehi, connu également sous le nom de Groupe Stern, était à l’origine du double assassinat, le Premier ministre israélien David Ben-Gourion ordonna que ses membres fussent recherchés et leur organisation dissoute. Les quatre tueurs étaient bien, en effet, des hommes du Groupe Stern : trois tireurs et un chauffeur. Ils furent identifiés, et leurs noms figurent dans le livre de Kati Marton, « A Death in Jerusalem » [Mort à Jérusalem] . Les trois tireurs étaient Yitzhak Ben-Moshe, « Gingi » Zinger et Yehoshua Cohen. C’est ce Cohen qui a tué Bernadotte. Le quatrième larron était Meshulam Makover, le conducteur de la jeep.
Des trois dirigeants du groupe Stern – qui avait envoyé les tueurs en mission – Israël Eldad, Natan Yalin-Mor et Yitzhak Shamir, seul Yalon-Mor passa en jugement, en même temps qu’un autre membre du gang, Mattiyahu Shmulovitz. Ils furent condamnés non pas pour avoir assassiné Bernadotte, mais pour appartenance à une organisation terroriste. Après leur inculpation, Yalon-Mor et Shmulovitz bénéficièrent d’une amnistie générale décrétée par Ben-Gourion. Ils n’étaient en prison que depuis deux semaines. Dans son livre, Kati Marton note : « … aucun des membres du gang des tueurs de Bernadotte n’a passé ne serait-ce qu’une seule nuit en prison : ils n’ont même pas été assignés à comparaître devant un tribunal. »
La suite des événements en Israël, après l’assassinat de Bernadotte, allait démontrer que le fait pour un Israélien d’appartenir au groupe Stern ne représentait nullement une flétrissure à sa bonne réputation. Bien au contraire : c’était un atout pour l’avancement de sa carrière. Ainsi, Natan Yalin-Mor fut élu député à la Knesset (le parlement israélien). Le tireur, Yehoshua Cohen, devint le garde du corps personnel de Ben-Gourion. Quant à Yitzhak Shamir, il succéda à Menahem Begin au poste de Premier ministre en 1983.
La version définitive du Plan Bernadotte fut avalisée par les Etats-Unis qui présentèrent au vote la Résolution 194, laquelle fut adoptée par les Nations Unies le 11 décembre 1948. Entre autres choses, elle préconisait le rapatriement des réfugiés palestiniens, ou, à défaut, leur dédommagement. Dès ses premiers jours en Palestine, Bernadotte avait pu constater de visu le calvaire des réfugiés palestiniens et il ne cessait d’évoquer ce problème. Dans son rapport et ses recommandations finales, il écrivait que le sort incertain des réfugiés palestiniens représentait le plus grave obstacle à la paix.
Le gouvernement israélien rejeta la Résolution 194, qu’il déclara « obsolète » en 1965. Plus récemment, les Etats-Unis lui emboîtant le pas, ont cessé de la soutenir. De toute évidence, la Résolution 1964 a été avortée en raison de l’intransigeance israélienne, de l’indifférence américaine, de la mauvaise volonté des Nations Unies à en imposer la mise en application et, enfin, de l’assassinat de Bernadotte.
En déviant de la Première Feuille de Route pour le Moyen-Orient, les Etats-Unis venaient de créer un précédent fâcheux, qui allait entraîner le rejet de toutes les Feuilles de Routes suivantes, y compris l’initiative en cours et moribonde née de George Bush.
                                       
13. Aller à l’école ? Impossible : on se heurte à un mur ! par Gideon Levy
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du vendredi 5 septembre 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

La petite fille, dans sa tenue d’écolière, les cheveux coiffés avec soin, marche vers l’école, en ce lundi de rentrée des classes. Elle se dirige vers l’école, ai-je dit ? Eh bien non. Pas vraiment. Il y a un mur, en travers du chemin de l’école. En se faufilant avec difficulté entre les gros blocs de ciment qui assiègent sa maison, elle réussit presque à passer. Elle est fluette ; donc, elle – elle passe. Mais son cartable flambant neuf ; non. Rebroussant chemin, elle essaie à un autre endroit, où les gens escaladent les parpaings plutôt que de se faufiler. Elle se baisse pour passer sous les fils de fer barbelés, avance un pied de l’autre côté, puis tire son cartable. Après quoi, elle se redresse, elle saute et atterrit avec un petit bruit sourd puis elle se met à courir à toutes jambes – par peur de la police des frontières qui risque de se pointer à tout moment. Enfin, elle arrive à l’école. Ouf ! Saine et sauve : en un seul morceau !
Bonjour le niveau : bienvenue au CP !
Pas besoin d’aller bien loin pour voir ces scènes inadmissibles. A un quart d’heure du centre de Jérusalem, vous pourrez vérifier par vous-même à quoi cela ressemble, la cruauté gratuite : il s’agit de vexations collectives sans rapport d’aucune sorte avec leur but affiché. La petite ville d’Abou Dis fut naguère presque la capitale temporaire de la Palestine, avec un palais du parlement imposant pour le prouver. Aujourd’hui, ce n’est plus qu’un village poussiéreux, défiguré et abandonné, avec une muraille passant au milieu, qui coupe tout, absolument tout en deux.
Depuis maintenant un an, là-bas, un mur affreux, en béton, divise les gens entre bons et mauvais ; entre captifs et libres ; entre bleus (couleur de la carte d’identité israélienne) et orange (couleur de la carte d’identité cisjordanienne). Officiellement, les Palestiniens qui vivent à l’ouest du mur sont des gens bien : Israël les laisse tranquilles, ils sont considérés faire partie des habitants de Jérusalem. Ceux qui vivent à l’est du mur, par contre, son encagés comme des animaux de cirque.
La séparation n’est pas absolue. Malgré l’absence de tout portail, par décision délibérée – en elle-même et par elle-même inique – des infiltrations se produisent sous le nez des patrouilles de la police des frontières, qui grouillent dans le village. Qui, escaladant, passe par-dessus ; qui, rampant, passe par-dessous. Tous, humiliés. Une ville entière doit franchir tant bien que mal le mur pour aller à l’école, à l’épicerie, au travail – jour après jour, matin après matin : des gens âgés, des jeunes hommes, des femmes, des enfants…
Les graffiti "Am Yisrael chai" ("Le peuple d’Israël est vivant » côtoient les croix gammées, sur le mur.
 « Va là-bas, à côté de la mosquée, c’est plus facile à escalader », suggère un garde-frontière. Et c’est vrai, il y a même des mémés qui escaladent, près de la mosquée. C’est plus facile, à cet endroit-là, parce qu’on n’a pas à faire une trop grande enjambée. Vous avez juste à relever votre jupe un tout petit peu, exposant vos jambes de manière immodeste (ce qui est interdit aux musulmanes traditionnelles), à vous accrocher au béton lisse comme une savonnette et à vous soulever, de toute la force de votre bras libre. Gênant, pas facile : mais vous n’avez pas le choix. Il y a toujours quelqu’un pour vous donner un coup de main. Ensuite, vous n’avez plus qu’à enjamber et à sauter de l’autre côté. Mais : attention à ne pas accrocher votre fichu au fil de fer barbelé ! Il n’y a pas une seule femme âgée, à Abou Dis, qui n’ait franchi ce mur. Même les handicapés sont portés à bout de bras d’un côté à l’autre, comme des sacs de farine.
Quelques étudiants venus du versant Jérusalem arrivent : ils se rendent à l’Université Al-Quds, portant livres et notes sous le bras. Cette université, avec son campus spacieux et ses bâtiments en pierre de taille, est la seule au monde dont les étudiants doivent escalader un mur pour aller assister à un cours magistral. C’est sans doute ce qu’on appelle l’éducation de haut vol ? Tirés à quatre épingles, cheveux gominés, les jeunes hommes naviguent avec aisance et prestance à travers le mur de béton. Un saut de gazelle, ils sont dans les territoires ; un saut de gazelle dans l’autre sens, hop : ils sont en Israël… Les femmes – honteuses de leur honte, alors qu’il s’agit en réalité de la nôtre – demandent qu’on ne les photographie pas. En voyant les femmes plus âgées, votre cœur se retourne.
Une jeep de la police des frontières est stationnée dans une cour privée. « Qu’est-ce que vous regardez, là ? C’est tellement banal ! », nous dit un officier, Amitai Levy, relax dans son véhicule blindé. « Allez donc à Sowahra al-Sharqiyya [c’est sur le mont de la Tentation]… Là-bas, alors là, oui, pour le coup : vous verrez des choses intéressantes ! »
Un garçon approche, en vélo, sa mère assise sur le porte-bagages, les bras chargés de sacs à provisions. Et maintenant ? « D’abord les sacs, ensuite la bicyclette, et enfin : nous. Fais bien attention ! » recommande la mère, soucieuse.
On assiste à des scènes cocasses. Une femme se retrouve coincée entre deux plaques de béton. Sa tête est dans les territoires et le reste de son corps – en Israël. Ses filles se tordent de rire jusqu’à ce qu’elle finisse par se libérer. Trois jeunes judokas – ceintures blanches – escaladent le mur en tenue : excellent échauffement avant le cours ! Une estafette en Vespa réceptionne un pare-brise en plexiglas que quelqu’un lui tend de l’autre côté ; il le fixe en toute hâte sur son scooter, et le voilà reparti ! Une armoire en Formica blanc est en train d’opérer sa traversée. Venant en sens contraire, elle croise un bidon d’assouplissant pour le linge, tout rose : très belle harmonie.
Voilà. A nous de traverser. Hésitants, un pied ici, une main qu’on nous tient charitablement, là, tremblant un peu, il n’y a rien à quoi se raccrocher. Une solution : sauter, sans se laisser distraire par ce plateau de petits gâteaux qui opère sa traversée depuis une pâtisserie de l’ouest vers une réception, à l’est… « Ramallah ! Ramallah ! » crient les chauffeurs de taxi, depuis l’autre côté, ne proposant aucune course au-delà du checkpoint de Qalandiyah, fin de la fin du monde, via deux autres checkpoints permanents et, allez savoir, peut-être quelques autres checkpoints provisoires…
Une jeep de la police des frontières rapplique. Cinq flics en sortent, dont trois casqués et portant gilet pare-balle. Ils boivent du Coca. L’un d’entre eux glaviotte généreusement. C’est la relève.
 « Allez jeter un œil du côté du Mont de la Tentation ! », s’était enthousiasmé l’officier Lévy. La vieille bagnole escalade la colline, de l’autre côté du mur. Les bulldozers sont à l’œuvre depuis une semaine, ici. « L’enceinte de Jérusalem », nom de code local pour désigner le mur d’apartheid délimitant la zone urbaine de Jérusalem, menace désormais de rejoindre à tout moment celui d’Abou Dis. Sur le terrain, le spectacle est effrayant. D’ores et déjà familier plus au nord, le serpent ondule en direction du sud, se lovant autour de Jérusalem. Large, intimidant, inexorable : là une oliveraie arrachée, là une maison sur le point de subir une opération chirurgicale. On entend au loin le rythme des perforeuses ; les flancs de la colline et la vallée sont dévastés. Un avocat sollicité par les habitants du coin nous dit qu’il espère au maximum leur obtenir un passage dans le mur. Mais, tout compte fait, il y a à peine une chance sur cinq d’y parvenir.
Des étudiants de l’Université Al-Quds font une manif sur leurs terrains de sport, qu’ils veulent défendre face à l’avancée des bulldozers israéliens. Depuis le sommet du Mont de la Tentation, la vue est saisissante : le serpent fauve de terre nue qui se faufile par-dessus les collines et traverse les vallées est en train de se compléter, des deux côtés, en menaçant le terrain de foot du campus. Sur la gauche, on met la touche finale à une route réservée aux colons, qui reliera demain Kedar à Ma’aleh Adumim. Il faut dire qu’il y a un tel trafic, ces jours-ci, depuis Kedar ! [Presque une voiture tous les deux jours !]
« On va leur péter leurs caméras, à ces barbares ! » grommellent les gardes de la société Shahaf, mitraillette au cou, qui protègent les bulls de la Zalman Barashi & Fils, tandis qu’une voiture de location s’arrête, avec sa poignée de militants et de journalistes internationaux. Récemment, les travaux ont exhumé quelques colonnes antiques, à cet endroit. La rumeur a circulé que le mur serait déplacé un peu vers l’ouest – ou l’est, on ne sait pas très bien. Ce que l’on sait, c’est que seuls des vestiges archéologiques sont susceptibles de modifier le tracé du mur. Pas les maisons. Pas les habitants. Pas les pâturages. Un terrain de foot, n’en parlons même pas.
De retour à Abou Dis, un policier des frontières nous interdit les caméras : « Ici, c’est une zone militaire fermée ! ». Une zone militaire fermée, qu’il a dit ? La police et les gardes armés ont en partage une aversion flagrante pour les photographes. C’est peut-être parce qu’ils ont honte de ce qu’ils sont en train de fabriquer ? Trois ouvriers du bâtiment, un grand et deux râblés, munis d’une scie électrique et d’une meule, reviennent de leur journée de turbin à Jérusalem. Mettez-vous là, sur le côté ! Cartes d’identité ! Bingo ! (Ils étaient allés en Israël sans permis). Maintenant, on va s’ « occuper d’eux », et dans les règles de l’art.
M., quarante-sept ans, habitant à Azzariyéh, douze enfants. « C’est mes prisonniers », dit un policier. « Ne leur parlez pas ! » Ah, ce n’est pas seulement une zone militaire ; c’est donc, aussi, une propriété militaire ? « Vous pouvez leur parler, mais seulement avec ma permission », se ravise le commandant David Azoulay. « Tout ceux qui sont là-bas, près de ce mur, ce sont MES prisonniers. »
Sur un geste de la main du policier, l’un des ouvriers qui attendent là sous le cagnard, s’approche, résigné. Un autre geste, signifiant, celui-là : « Aboule ton sac ! ». Brosse à dents, vêtements pilés, cordons électriques, souliers éculés, des lunettes tordues : le travailleur épuisé balance tout le contenu sur la route ; son visage dit tout le reste. Les yeux du policier sont dissimulés derrière des lunettes noires du dernier chic dans le vent – un gamin de dix-neuf ans en train d’humilier un père de douze gamins qui veut rentrer chez lui : « viens ici, va là-bas ! » Finalement, sur un ordre d’Azoulay, entouré de trois policiers, les ouvriers effrayés sont repoussés sans ménagement, derrière un bosquet de cyprès, hors de notre vue.
                                   
14. L’Union européenne face au conflit israélo-palestinien : Equidistance ? par Charles Gheur
in Etudes du mois de septembre 2003

(Charles Gheur est chercheur à l’Institut d’études juridiques européennes de l’Université de Liège.)
La « feuille de route » - le plan de paix élaboré par les Etats-Unis, l’Union européenne, la Russie et les Nations Unies – a été endossée par les Israéliens comme par les Palestiniens. Le gouvernement d’Ariel Sharon a néanmoins exigé, parmi d’autres réserves, que la mise en œuvre de ce plan fût sous le contrôle exclusif des Américains. Tel-Aviv, arguant de la partialité de la ‘roadmap’. La méfiance d’Israël à l’égard de l’Union n’est pas neuve ; elle repose sur l’idée reçue que les Quinze ont définitivement épousé la cause palestinienne.
Dernièrement, l’aide européenne octroyée à la direction palestinienne a été au cœur d’une polémique qui a gagné les bancs du Parlement de Strasbourg. Alarmés par des rumeurs de détournement, des eurodéputés ont demandé la constitution d’une commission d’enquête sur l’utilisation des fonds communautaires par l’Autorité de Yasser Arafat. Cette pétition, signée par plus d’un quart des membres de l’assemblée européenne, a été rejetée le 13 février 2003 par les présidents des différents groupes politiques du Parlement. Une décision qui étaie la thèse – aux yeux de ceux qui la défendent – selon laquelle les Palestiniens bénéficient d’une « indulgence aveugle » de l’Europe…
L’idée était déjà brandie le 29 mai 2002, à Bruxelles, où se tenait une importante « manifestation de solidarité avec Israël et pour la paix ». Plusieurs milliers de juifs, venus des quatre coins d’Europe, défilaient pour dénoncer la position pro-palestinienne, voire l’antisémitisme, de l’Union européenne [1]. Parce que le terme « pro-palestinien » peut être, selon la personne qui l’énonce, un synonyme expressif de louange ou d’injure, il importe, avant toute chose, de le définir. Dans les lignes qui suivent, nous l’emploierons dans le même sens que les participants à la manifestation de Bruxelles. Lorsque ceux-ci qualifient l’UE de pro-palestinienne, ils mettent en cause son impartialité. L’accusation est grave puisqu’elle suggère que l’Union prend systématiquement parti pour les Palestiniens par une solidarité abstraite, sans souci de justice ni de vérité.
Pour éviter tout amalgame, il reste à préciser, avant d’instruire cette plainte, contre qui elle est déposée : l’Union européenne. La procédure judiciaire introduite en Belgique contre le Premier ministre Ariel Sharon, l’opposition des Danois à l’accréditation de l’ambassadeur israélien à Copenhague, la motion votée par le Conseil d’administration de Paris-VI réclamant l’arrêt des subventions aux universités israéliennes… ces éléments ne peuvent être retenus contre l’Union européenne proprement dite. L’objet du présent article n’est pas davantage de sonder l’opinion publique européenne sur le conflit israélo-palestinien, afin de déterminer pour lequel des deux camps elle penche. Ainsi circonscrit, le sujet de cette étude n’en demeure pas moins complexe. En effet, l’Union européenne est un acteur international composite, ne ressemblant « même pas à un aigle bicéphale, mais plutôt à un monstre à plusieurs têtes [2] » ; ce qui nuit à l’intelligibilité de son action extérieure.
Evolution du discours européen
Partons de la position générale de l’Union européenne sur le conflit du Proche-Orient. L’Union reconnaît le droit irrévocable d’Israël de vivre en paix et en sécurité à l’intérieur de frontières internationalement reconnues. En même temps, elle convient de la nécessité d’établir un Etat de Palestine démocratique, viable, pacifique et souverain, sur la base des frontières de 1967, au besoin avec des ajustements mineurs convenus par les parties. Au fil des événements qui ont émaillé l’histoire tragique de cette région, la position européenne sur la question palestinienne s’est beaucoup affinée, comme l’attestent les termes employés dans les déclarations communes des Etats membres. Les « réfugiés arabes » sont devenus des « Palestiniens », formant un peuple à doter d’une « patrie », puis se voyant reconnaître un « droit à l’autodétermination ». C’est seulement en mars 1999 qu’est retenue par le Conseil européen de Berlin « la possibilité d’un Etat palestinien [3] ».
Pour autant, il ne faut pas voir dans l’évolution du discours européen un ralliement à la cause palestinienne. Plus qu’ils ne marquent leur soutien aux Palestiniens, les Européens prennent acte, à mesure qu’elle se construit, de l’identité nationale palestinienne. D’autre part, la nécessité de créer un Etat de Palestine est, aujourd’hui, un principe clairement admis par la communauté internationale, et notamment par les Etats-Unis. Ce sont d’ailleurs les Américains qui ont présenté la résolution 1397 de l’ONU, adoptée en mars 2002, dans laquelle le Conseil de sécurité se prononce pour un Etat palestinien. Le président Bush – à la tête d’une administration américaine que d’aucuns considèrent comme la plus pro-israélienne de l’histoire – déclarait dans son allocution du 24 juin 2002 à la Maison-Blanche : « Ma vision est celle de deux Etats, vivant côte à côte, en paix et en sécurité. » La vaste majorité des Israéliens, du reste, partagent cette « vision » ; Ariel Sharon lui-même s’y est officiellement résigné. Enfin, la ‘Two-State Solution’ préconisée par les Quinze est aussi celle retenue dans la « feuille de route », ce plan de paix élaboré par le Quartet fin 2002, mais dont la Maison-Blanche n’a autorisé la publication officielle que le 30 avril 2003.
Depuis quelque temps, le « Quartet » se veut le cadre essentiel des efforts internationaux visant à favoriser un règlement politique global de la crise au Proche-Orient. Cette formation, réunissant les Etats-Unis, l’Union européenne, la Russie et les Nations Unies, a été lancée à l’initiative des Européens pour inciter, dit-on, l’administration Bush à s’impliquer davantage dans la recherche d’une solution. Les quatre sont convenus d’appuyer un plan de paix qui doit théoriquement conduire, en trois phases, à un Etat palestinien d’ici à 2005. La feuille de route, adoptée dès le départ par les Palestiniens, n’a été acceptée par le gouvernement d’Ariel Sharon que sous la pression américaine, le 25 mai 2003, après bien des atermoiements – et non sans qu’il émette une série de réserves. L’une d’elles trahit la méfiance d’Israël notamment envers l’Union : la supervision de la ‘roadmap’ doit être du ressort exclusif de Washington. Mais comment justifier la marginalisation des Européens dans la mise en œuvre d’un plan dont ils sont les co-auteurs ?
Nul ne peut reprocher aux Quinze la solution qu’ils prônent – celle d’un Etat de Palestine jouxtant celui d’Israël – maintenant que celle-ci est endossée par l’ensemble de la communauté internationale, y compris les parties en cause. Inévitablement, si le principe d’un Etat palestinien est acquis, les dissensions apparaissent dès que l’on aborde les modalités de sa fondation. Entre Américains et Européens, bien qu’unis derrière la feuille de route, toutes les divergences ne sont pas aplanies. Ainsi, le cas de Yasser Arafat les oppose. Faut-il l’évincer, comme l’administration Bush le souhaite ? Pour Bruxelles, M. Arafat reste le président élu des Palestiniens [4]. Il continue d’ailleurs de recevoir, dans son quartier général en ruine de Ramallah, les visites du haut représentant pour la politique étrangère et la sécurité commune. Javier Solana, ce faisant, brave les menaces d’Ariel Sharon, lequel s’est engagé à boycotter les responsables étrangers qui rencontreraient le leader palestinien.
En règle générale, les propositions de l’Union européenne relatives à l’avenir de la région ne sont guère sujettes à controverse. L’Union défend l’émergence d’une Palestine, sans décrire plus avant la physionomie du futur Etat. Ses plans pour sortir Israéliens et Palestiniens de l’impasse se limitent aux très grandes lignes. « Il faudrait trouver une solution équitable à la question complexe de Jérusalem, ainsi qu’une solution juste, viable et arrêtée d’un commun accord au problème des réfugiés palestiniens [5]. » On le voit, c’est avec la plus grande prudence – et désormais sous le couvert de la feuille de route – que les Quinze s’engagent sur le terrain miné du Proche-Orient [6].
Mais l’Union européenne, dans la mesure où elle tient à jouer un rôle sur le plan mondial, est amenée à s’exprimer sur l’actualité politique internationale – donc à réagir aux événements, le plus souvent tragiques, qui secouent le Proche-Orient. Le conflit israélo-palestinien fait l’objet de fréquentes déclarations, à travers lesquelles l’Union condamne tel attentat terroriste palestinien, telle nouvelle implantation juive, telle attaque de Tsahal dans les territoires autonomes… A de plus rares occasions, elle salue quelque tentative de rapprochement entre les deux parties. Si ces belles paroles n’empêchent pas la situation de se dégrader, elles peuvent néanmoins constituer un frein, dans la mesure où les dirigeants israéliens comme palestiniens sont soucieux de leur image à l’étranger.
Les déclarations européennes, dès lors, sont passées au crible. Elles soulèvent inévitablement des critiques, dont les plus vives émanent du camp israélien. On a entendu l’ambassadeur d’Israël auprès de l’UE reprocher aux Quinze d’employer un langage semblable à celui de l’Autorité palestinienne. « L’Union européenne, en ignorant les responsabilités palestiniennes dans la spirale actuelle de la violence, mine sa propre crédibilité en tant qu’honnête médiateur [7]. » Une lecture objective ne permet pourtant pas de conclure à la « partialité » qui, selon Harry Kney-Tal, aurait marqué historiquement les déclarations politiques européennes sur le Proche-Orient. Les torts respectifs des Israéliens et des Palestiniens sont dénoncés en fonction et au rythme des troubles dans la région. Et quand les Européens blâment un camp parce qu’il vient de commettre un acte de violence, ils ne manquent pas de rappeler les responsabilités de l’autre et les devoirs de chacun.
Du reste, l’Union européenne n’est pas réputée pour ses prises de position politiques tranchées, quel que soit le dossier sur lequel elle s’exprime. Cette traditionnelle retenue tient au fait qu’au stade actuel de son intégration, l’Union n’est pas équipée pour mener une politique étrangère au sens habituel de ce terme. Sans être le « bibelot d’inanité sonore » dont certains l’accusent, la Politique étrangère et de Sécurité commune (PESC) n’apparaît pas moins comme une constellation d’intérêts d’Etats  membres peu disposés à quitter le devant de la scène internationale. Plus un problème est complexe et controversé, à l’instar du conflit israélo-palestinien, plus les pays de l’Union, agissant dans le cadre intergouvernemental de la PESC, éprouvent des difficultés à intervenir avec cohérence et avec vigueur. La règle de l’unanimité qui – hormis quelques aménagements – prévaut au sein de la PESC, entraîne un alignement sur le moins-disant. Or, on sait que certains Etats membres – l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas – ne sont guère enclins à plus de fermeté vis-à-vis d’Israël, l’empreinte de la Shoah allant jusqu’à interdire à Berlin toute mise en cause radicale de la politique de l’Etat hébreu [8]. Bref, quand on reproche à l’Union européenne de prendre parti contre les Israéliens, la faiblesse de sa « politique étrangère » lui fournit un alibi solide.
Une Europe à juger sur ses actes
La politique extérieure de l’Union européenne n’est pas seulement le fait de la PESC, elle se dessine également dans les relations économiques de la Communauté européenne avec les pays tiers. Par cette voie-là, l’Europe agit dans le monde de manière très concrète. Et, précisément, c’est sur ses actes, plus que sur ses dires, que l’on peut éprouver l’impartialité de l’Union européenne. Face au drame qui se joue au Proche-Orient, les réponses vraiment tangibles données par les Quinze consistent à envoyer une importante assistance financière vers la Palestine. La Communauté européenne se place, d’ailleurs, en tête des bailleurs de fonds des territoires occupés. L’aide européenne, si l’on peut tient compte des contributions individuelles des Etats membres, s’élève à plus de la moitié de toute l’assistance internationale aux Palestiniens.
L’acheminement de fonds communautaires vers une population en détresse ne suffit pas à taxer l’Union de favoritisme. A l’inverses des Américains, les Européens ont choisi de subventionner davantage la partie au conflit qui – sur les plans politique, économique et social – se trouve dans la situation la plus précaire. Ce faisant, les Quinze s’attirent les foudres israéliennes. Leur soutien budgétaire à l’Autorité palestinienne, qui s’élève à plus de dix millions d’euros par mois [9], est la cible de campagnes de presse récurrentes. L’argent du contribuable européen irait dans des livres scolaires dispensant un message antisémite… Il permettrait aux fedayin d’acheter des armes… Il servirait de salaire pour des terroristes appartenant au Fatah… Il y a quelque temps, l’Union européenne s’est vu réclamer par un colon juif, victime d’une embuscade palestinienne sur une route de Cisjordanie, des dommages et intérêts de vingt millions d’euros [10] ! Dans un rapport publié en mai 2002, le gouvernement israélien a lui-même produit une série de pièces, saisies notamment dans les quartiers généraux de l’Autorité palestinienne lors de l’opération « Rempart de protection », qui prouveraient que l’aide européenne a été employée à des fins terroristes.
La Commission européenne, qui est l’institution chargée de l’exécution du budget communautaire, a toujours réfuté ces accusations de détournement. « La Commission a examiné tous les documents qui ont été mis à notre disposition par les autorités israéliennes », a souligné Chris Patten, premier visé en sa qualité de commissaire principalement responsable de l’assistance extérieure de la Communauté. « Jusqu’ici, nous n’avons trouvé aucune preuve que les fonds de l’Union européenne ont été utilisés pour financer le terrorisme, ou pour d’autres objectifs que ceux convenus avec l’Autorité palestinienne [11]. » La Commission dit soumettre l’aide en question à un contrôle rigoureux. Il est vrai que la mise en œuvre du budget de l’Autorité palestinienne fait l’objet d’un monitoring permanent par le Fonds Monétaire International, lequel remet tous les mois un rapport détaillé à la Commission européenne [12]. En outre, le versement des fonds communautaires et subordonné au respect, par la direction palestinienne, de mesures de réforme qui visent, en premier lieu, à renforcer la transparence de ses finances publiques [13].
Il ne faut pas non plus perdre de vue que toutes les formes du soutien européen à la Palestine font partie d’un vaste effort international et son apportées avec le consentement explicite du gouvernement d’Israël. Fin 2002, celui-ci a partiellement repris le transfert, gelé depuis de longs mois, des recettes fiscales et douanières revenant à l’Autorité palestinienne. Pour ce faire, Tel-Aviv a usé des mêmes mécanismes de surveillance que Bruxelles ; ce qui a conduit Chris Patten à s’interroger : « Les prochaines victimes du terrorisme accuseront-elles également le gouvernement israélien de complicité dans les crimes commis contre elles [14] ? »
Les allégations portant sur l’utilisation de deniers communautaires ont tout de même réussi à semer le doute au sein du Parlement européen : en septembre dernier, plusieurs de ses membres, que les explications de Chris Patten n’ont pas convaincus, ont lancé un appel pour la constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur l’aide européenne octroyée à la direction palestinienne. En dépit de manœuvres obstructionnistes dont la Commission européenne, aux dires de certains, se serait rendue coupable [15], le quorum nécessaire pour déposer cette demande d’éclaircissement a été atteint. Plus d’un quart des parlementaires ont donc apposé leur signature au bas du document réclamant l’assurance que les sommes allouées par les Quinze ne sont ni détournées, ni mal utilisées par l’Autorité de Yasser Arafat [16].
Mais, pour que la proposition d’établir une commission d’enquête soit soumise au vote en séance plénière, encore fallait-il que la conférence des présidents des groupes politiques lui donne son aval. Ce qu’elle avait refusé de faire, le 13 février 2003, au grand dam des quelque 170 députés signataires. En revanche, les présidents de partis ont autorisé la mise en place d’un simple « groupe de travail » composé d’euro-parlementaires membres des commissions des Affaires étrangères, du Budget et du Contrôle budgétaire. Cette formule, qui satisfait la Commission européenne, est considérée comme un pis-aller par ceux qui prônent la création d’une commission d’enquête, pour lesquels le groupe de travail ne disposerait pas de pouvoirs d’investigation suffisants et ne pourrait, dès lors, que « ressasser des éléments très superficiels [17] ».
L’affaire est toutefois loin d’être enterrée, d’autant que le redouté Office européen de lutte anti-fraude (OLAF) s’en est emparé. Dans un communiqué laconique datant du 5 février 2003, l’OLAF a annoncé l’ouverture par ses services d’une enquête externe sur l’aide budgétaire de l’Union européenne à l’Autorité palestinienne. « Aucun autre commentaire ne sera fait sur la présente enquête jusqu’à ce qu’elle soit clôturée. » Une discrétion qui est conforme aux méthodes de cet Office, créé en 1999 en vue de renforcer la lutte contre la fraude, la corruption et toute autre activité illégale portant atteinte aux intérêts financiers de la Communauté européenne. L’OLAF, bien qu’institué au sein de la Commission européenne, est doté d’une entière indépendance. Il est composé d’enquêteurs de haut niveau, rompus au dépistage de toutes les malversations, a priori plus compétents que des députés siégeant dans une commission d’enquête. Autre avantage, du moins aux yeux de la Commission européenne : l’Office ne connaît pas la forte médiatisation qui entoure les travaux d’une commission d’enquête parlementaire. « Notre initiative n’est pas un acte politique, mais un acte d’information », a déclaré l’un des partisans de l’établissement d’une telle commission [18]. Alors, ce député ne devrait-il pas se réjouir que l’OLAF se soit saisi du dossier, dans la mesure où, contrairement à une commission d’enquête [19], l’Office opère à l’abri de toute politisation ?
Le rapport de l’Office de lutte anti-fraude fera, nous l’espérons, toute la lumière sur l’utilisation de l’aide européenne. Il est légitime d’exiger la plus grande transparence du budget palestinien. Les Israéliens, qui vivent dans l’angoisse permanente d’attentats meurtriers, doivent recevoir toutes les garanties que les fonds communautaires ne tombent pas dans les mains terroristes. En même temps, pour faire la paix, Israël a besoin d’un partenaire. A ceux qui, au delà du débat sur la destination des subsides européens, remettent en cause leur principe même, Chris Patten répond que « l’alternative à l’Autorité palestinienne est l’anarchie palestinienne ». Le raisonnement de la Commission européenne est le suivant : sans le soutien financier de l’Union, l’Autorité palestinienne s’effondrerait. Elle ne pourrait plus assurer les services de base à la population : il n’y aurait plus de police, plus de médecins, plus d’enseignants, plus aucune administration. La région plongerait inévitablement dans un nouveau cycle de violence et d’instabilité – avec d’avantage de victimes des deux côtés [20]. Bref, en empêchant le naufrage de l’Autorité palestinienne, l’Europe veut éviter que le Proche-Orient ne sombre dans le chaos.
Pour Bruxelles, il ne s’agit pas seulement de maintenir en vie la direction palestinienne, il faut encore l’amener à se réformer. C’est ainsi que les Quinze assortissent leur soutien budgétaire à l’Autorité palestinienne d’une série d’exigences telles que : l’entière responsabilité du ministre palestinien des Finances dans la gestion de la masse salariale, l’adoption de la loi sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, la consolidation de toutes les sources de revenus de l’Autorité sur un seul compte en trésorerie, etc. [21] En mars 2003, les pressions conjuguées des partenaires du Quartet conduisent à la nomination de Mahmoud Abbas, alias Abou Mazen, au poste de Premier ministre ; un nouveau gouvernement palestinien est formé quelques semaines plus tard.
Pour mieux accompagner ces réformes, la Commission européenne décide alors de modifier le régime d’aide à la Palestine. Afin de tenir compte de la reprise des transferts fiscaux par les autorités israéliennes, l’aide mensuelle versée au budget de l’Autorité palestinienne est supprimée au profit d’un système d’assistance plus ciblée, mettant l’accent sur le secteur privé et les services sociaux. L’occasion pour Chris Patten de dresser le bilan suivant : « Le soutien budgétaire direct que nous avons accordé s’est révélé efficace : il a contribué à maintenir en vie l’Autorité palestinienne, appelé à être l’interlocutrice des futures négociations ; il a permis de fournir les services sociaux minimums à la population palestinienne ; et puisqu’il n’était accordé qu’à des conditions strictes, il a servi de levier pour encourager d’importantes réformes destinées à améliorer les standards de gouvernance, principalement en ce qui concerne la transparence et la responsabilité dans la gestion des finances publiques [22]. »
Observons que les réformes imposées par les Européens convergent – théoriquement du moins – vers un même but : créer les conditions nécessaires à l’édification, à côté d’Israël, d’un Etat palestinien indépendant, viable, souverain et démocratique. Un tel dessein ne fait pas de l’Union « le sponsor inconditionnel de la cause palestinienne », a fortiori quand on sait que le principe est largement admis par l’opinion israélienne [23]. Bien qu’une frange de son cabinet ministériel y soit opposée, Ariel Sharon adhère lui aussi à la vision de deux Etats vivant côte à côte, en paix et en sécurité. C’est du moins ce qu’il a proclamé tout au long de sa campagne électorale, avant d’être reconduit à la tête du gouvernement en janvier 2003. C’est surtout ce qu’implique l’acceptation de la feuille de route, lancée officiellement au sommet d’Akaba, le 4 juin 2003. Sur le terrain, malheureusement, la volonté affichée par le Premier ministre israélien est sans cesse contredite. L’incohérence la plus patente demeure certainement le processus de colonisation qui, en dépit du démantèlement symbolique de quelques « postes avancés », conforte « les Palestiniens dans leur crainte qu’Israël n’a pas vraiment l’intention de mettre un terme à l’occupation [24]. »
Selon une image de plus en plus répandue, qui séduit par sa simplicité, les deux parties au conflit israélo-palestinien seraient chacune parrainée, l’une par les Etats-Unis, l’autre par l’Union européenne. Celle-ci, bien entendu, se défend de systématiquement privilégier les Palestiniens. Mais peut-on rester au-dessus de la mêlée ? Selon Alain Gresh, quand on évoque le Proche-Orient, la neutralité relève de l’illusion [25]. Il est un fait que le mot « neutralité » embarrasse les Européens [26], étant donné le rapport très inégal des forces en présence. La présidence belge de l’Union, au second semestre de l’année 2001, lui avait préféré le terme « équidistance » : les Quinze se placent à égale distance des deux opposants, tout en tenant compte du handicap palestinien. Comme plusieurs députés critiquaient ladite position lors d’une session plénière du Parlement européen, la présidente du Conseil, Annemie Neyts, eut cette formule en anglais : ‘Equidistance is not equalising the parties involved [27]’.
En vérité, il n’y a aucune réponse satisfaisante au problème tel qu’il est posé. Il est vain, en effet, de chercher à savoir dans quel camp se situe l’Union. La difficulté de déceler l’arrière-pensée de « l’hydre » européenne n’est pas le principal obstacle à la vérification du caractère éventuellement partisan des Quinze. Le problème tient surtout au fait que la définition d’un qualificatif comme « pro-palestinien » renvoie à des notions subjectives, qui ne peuvent servir de base à une démonstration. On ne peut trancher la question, sauf à émettre un jugement de valeur. En revanche, le consensus qui existe à propos de la nécessité d’un Etat palestinien offre un critère intéressant pour apprécier objectivement les actes des uns et des autres.
Dans le cas qui nous occupe, celui de l’Europe, il ressort des lignes qui précèdent que ses efforts – tant diplomatiques qu’économiques – tendent vers une telle solution, basée sur la coexistence des deux Etats. Du point de vue palestinien, cependant, les Quinze ne seraient pas si cohérents dans la poursuite de cet objectif. Si l’Union européenne veut que naisse un jour un Etat de Palestine, pourquoi laisse-t-elle les troupes israéliennes détruire, en Cisjordanie et à Gaza, les infrastructures qu’elle a elle-même financées [28] ? Pourquoi ferme-t-elle les yeux devant les exécutions sommaires « extrajudiciaires » d’activistes palestiniens, et devant l’occupation violente des territoires autonomes, leur morcellement et leur encerclement par une « clôture de sécurité » ? Pour toutes ces raisons, des voix s’élèvent afin que le Conseil de l’Union suspende l’accord d’association avec l’Etat hébreu, comme l’a recommandé le Parlement européen dans sa résolution du 10 avril 2002. Une clause de conditionnalité, insérée dans l’accord UE-Israël, autorise en effet les parties contractantes à suspendre ou à mettre fin à celui-ci en cas de violation des droits de l’homme ou des principes démocratiques. Néanmoins, l’idée d’actionner un tel levier à l’encontre d’Israël recueille, à ce jour, peu de suffrages parmi les Etats membres de l’Union.
Ceux qui stigmatisent la complaisance de l’Union européenne vis-à-vis de l’un ou de l’autre camp détournent le débat, sciemment ou non, de la seule question qui importe : comment mettre un terme aux malheurs des deux peuples ? Selon un principe qui sous-tendait déjà, de manière implicite, les accords d’Oslo, la paix doit passer par la reconnaissance d’un second Etat à l’ouest du Jourdain. L’intérêt premier de la feuille de route réside dans le fait que le but à atteindre se trouve précisément énoncé : « deux Etats, Israël et la Palestine, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité ». Voilà le cap à tenir. Les parties, les membres du Quartet, les acteurs clés de la région doivent tous être jugés à l’aune de ce résultat escompté à l’horizon 2005. Force est de constater, hélas ! que la perspective d’un règlement définitif et complet du conflit continue de s’éloigner à chaque agression de Tsahal, à chaque attentat suicide… On se demande alors jusqu’à quel point d’horreur l’affrontement entre Israéliens et Palestiniens devra s’enfoncer pour que la communauté internationale – et en particulier l’Union européenne – se décide à promouvoir plus fermement la création d’un Etat palestinien, avant que cette vision que tout le monde dit partager ne devienne irréalisable…
- Notes :
[1] : Agnès Gorissen, « Des juifs interpellent l’Europe », Le Soir, 30 mai 2002.
[2] : E. Decaux, « Le processus de décision de la PESC : vers une politique étrangère européenne ? », dans E. Cannizaro (ed.), The European Union as an Actor in International Relations, Kluwer Law International, 2002, p. 17-49.
[3] : Sur l’évolution de la position européenne concernant le conflit au Proche-Orient, cf. T. de Wilde d’Estmael, « La Coopération politique européenne face au conflit israélo-palestinien », dans Conflits et processus de paix au Proche-Orient, Academia Bruylant, Louvain-la-Neuve, 1996, p. 231-273 ; Bishara Khader, L’Europe et la Palestine : des Croisades à nos jours, L’Harmattan, 1999.
[4] : « C’est évidemment à la population palestinienne qu’il revient de déterminer sa représentation au plus haut niveau », aurait répondu Chris Patten, le commissaire européen en charge des relations extérieures. Le Soir, 26 juin 2002 (avec Belga).
[5] : Conseil européen de Séville, 21 et 22 juin 2002, Conclusions de la présidence (Annexe VI : Déclaration sur le Proche-Orient). La feuille de route reprend quasiment les mêmes termes.
[6] : On s’imagine difficilement l’Union européenne proposant une stratégie détaillée, à l’instar des « paramètres » que Bill Clinton avait suggérés à Camp David, en juillet 2000.
[7] : Cf. les commentaires de Harry Kney-Tal, ambassadeur d’Israël auprès de l’UE, à la suite de la déclaration du 19 avril 2001 de la présidence suédoise du Conseil de l’UE, Bulletin Quotidien Europe, n° 7948, vendredi 20 avril 2001, p. 5.
[8] : M. Verrier, « L’Allemagne s’active au Proche-Orient », Le Monde diplomatique, juillet 2002.
[9] : Le système en question, consistant à verser une aide mensuelle directe au budget de l’Autorité palestinienne, est aujourd’hui supprimé. Le 30 avril 2003, la Commission a annoncé de nouvelles formes d’assistance pour soutenir le processus de réforme au sein de l’AP. Voir infra.
[10] : Cf. S. Zebaida, « EU cash and Palestinian terrorism : why one man is determined to sue the Union », European Voice, 14-20 novembre 2002.
[11] : Allocution de Chris Patten devant la commission parlementaire des Affaires étrangères sur l’assistance budgétaire de l’UE à l’Autorité palestinienne, 19 juin 2002,
http://europa.eu.int/comm/external_relations/news/patten/sp02293.htm
[12] : Le rôle du FMI dans le monitoring du budget de l’Autorité palestinienne fut un moment remis en cause. Rosa Valdivieso, chef de mission pour le FMI à Gaza et en Cisjordanie, donna des assurances catégoriques. Cf. sa lettre du 27 novembre 2002, en réponse aux questions posées par le bureau de la député Ilka Schröder,
http://europa.eu.int/comm/external_relations/mepp/imfletter.pdf
[13] : Cf. Déclaration de la Commission européenne, suite aux allégations de détournements des fonds communautaires par l’Autorité palestinienne, 6 mai 2002, http://europa.eu.int/comm/external_relations/gaza/news/me02_90.htm
[14] : Cf. la lettre de Chris Patten envoyée à European Voice concernant les allégations de détournements de fonds alloués à l’Autorité palestinienne, http://europa.eu.int/comm/external_relations/news/patten/artev.htm
[15] : Le député européen François Zimeray soutient que plusieurs parlementaires auraient retiré leur signature suite à des pressions exercées par la Commission . Cf. son interview par N. Leibowitz, http://www.proche-orient.info
[16] : En vertu de l’article 193 du traité CE, « le Parlement européen peut, à la demande d’un quart de ses membres, constituer une commission temporaire d’enquête pour examiner […] les allégations d’infraction ou de mauvaise administration dans l’application du droit communautaire ».
[17] : Bulletin Quotidien Europe, n° 8393, février 2003, p. 13.
[18] : Ibidem.
[19] : Cf. E. Vallet, « Les commission d’enquête du Parlement européen », Revue du Droit Public, n° 5-2002, p. 1441-1457.
[20] : Cf. notamment, la lettre de Chris Patten à European Voice, précitée.
[21] : « L’Union européenne et le Moyen-Orient : position et situation »,
http://europa.eu.int/comm/external_relations/mepp/faq/index_fr.htm#2a
[22] : « EU to support reform of Palestinian Authority with new forms of aid », Bruxelles, 30 avril 2003, http://europa.eu.int/comm/external_relations/gaza/news/ip03_607.htm
[23] : Que la droite et les partis religieux se soient assuré les deux tiers des sièges à la Knesset lors des dernières élections israéliennes n’est, selon Eric Rouleau, qu’une « illusion optique ». « En effet, les sondages indiquent que les Israéliens sont majoritairement favorables à la stratégie de la paix de la gauche : le retrait de la quasi-totalité des colonies de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, territoires où verrait le jour un Etat palestinien. » E. Rouleau, « Peur à Ramallah, inquiétude à Tel-Aviv », Le Monde diplomatique, mars 2003.
[24] : Cf. la Déclaration du Conseil européen sur le Moyen-Orient, Conseil européen de Copenhague, 12 et 13 décembre 2002, Conclusions de la Présidence, Annexe III.
[25] : A. Gresh, Israël, Palestine – Vérités sur un conflit, Fayard, p. 23.
[26] : Cf. Bulletin Quotidien Europe, n° 7845, 20 et 21 novembre 2000.
[27] : Cf. Les débats de la session plénière du Parlement européen du 4 septembre 2001. N’y a-t-on vu qu’un artifice de langage ? Le terme d’équidistance a fait long feu. Dans une lettre adressée à Javier Solana, Francis Wurtz, président du groupe de la Gauche unitaire / Gauche verte nordique du Parlement européen, s’interrogeait : « Peut-on parler aujourd’hui d’équidistance entre l’occupant et l’occupé ? Entre un Etat constitué et une Autorité symbolique ? Entre les attaques ou les assassinats ciblés dont se rend coupable une armée et les actes incontrôlables de « kamikazes » ? Entre un chef de gouvernement soutenu et encouragé par la plus grande puissance du monde et un leader en résidence surveillée et, pour l’essentiel, abandonné des grands de ce monde ? », Bulletin Quotidien Europe n° 8143, 4 et 5 février 2002, p. 3.
[28] : Cf. Bulletin Quotidien Europe, n° 842 du 19 mars 2003, p. 15. Chris Patten a envoyé au président du groupe socialiste du Parlement européen, Enrique Baron, une liste détaillée reprenant les dommages physiques infligés par des attaques de l’armée israélienne à des projets palestiniens financés par l’Union européenne. Les dommages estimés le 14 décembre 2002 atteignaient approximativement 24 millions d’euros ; 32 cas de destruction sont cités, concernant des bâtiments administratifs, hôpitaux, écoles, installations d’eau et d’électricité, projets d’irrigation, etc.
                                   
15. Impasse stratégique pour la résistance palestinienne - Dans l’étau de l’occupation israélienne par Graham Usher
in Le Monde diplomatique, septembre 2003

(Graham Usher  est journaliste, auteur de Dispatches from Palestine : the Collapse of the Oslo Agreement, Pluto Press, Londres, 1999.)
Israël comme le Hamas ont rejeté le cessez-le-feu proposé le 23 août par l’Autorité palestinienne. Avec leurs attentats aveugles, les organisations islamistes portent une lourde responsabilité dans l’escalade. Mais le gouvernement israélien a tout fait pour saboter la « feuille de route » : refus de se retirer de Cisjordanie, construction du mur, assassinats de dirigeants palestiniens. Trois ans après le début de l’Intifada, la résistance palestinienne est dans une véritable impasse.
Le 4 juin 2003, au sommet d’Akaba, le premier ministre palestinien Mahmoud Abbas (Abou Mazen) est adoubé par le président américain George W. Bush, en présence du premier ministre israélien Ariel Sharon : il représente la « face acceptable » du nationalisme palestinien. Cette victoire est l’aboutissement d’une politique que M. Mahmoud Abbas et le courant de la direction palestinienne qu’il représente préconisent depuis au moins un an. Il est devenu essentiel, expliquaient-ils, de mettre fin à l’Intifada armée pour sauver l’Autorité palestinienne, obliger Israël à se retirer des territoires occupés et impliquer à nouveau l’administration Bush dans les négociations. En fait, ils admettent qu’un soulèvement national ayant coûté près de trois mille vies palestiniennes était bel et bien vaincu et que les termes de la reddition étaient consignées dans la « feuille de route » adoptée par le Quartet (Etats-Unis, Russie, Union européenne et ONU) le 20 décembre 2002 [1].
Cette défaite était prévisible pour un soulèvement sans objectifs, et sans stratégie, si ce n’est une vague conscience nationaliste que les dispositions des accords d’Oslo devaient être revues et corrigées coûte que coûte, ce qui impliquait le remplacement des dirigeants qui les avaient négociés. Mais le sort de l’Intifada sera scellé dès mars 2002, avec l’assassinat, durant ce mois, de 275 Palestiniens et de 105 Israéliens – dont une trentaine de personnes célébrant la Pâque juive dans un hôtel de Netanya le 27, au soir de l’adoption à Beyrouth du plan arabe de paix. Cette ultime atrocité offrait à M. Ariel Sharon l’occasion de mener la « guerre contre le terrorisme » dont il avait besoin pour écraser M. Yasser Arafat, l’Autorité palestinienne et tout ce qui rappelait les engagements d’Oslo.
Entre le 29 mars et le 4 avril 2002, dans un mouvement massif et soigneusement planifié, baptisé opération « Rempart », l’armée israélienne envahit la Cisjordanie et occupe toutes les principales villes, excepté Hébron et Jéricho : 250 Palestiniens meurent, des milliers d’autres sont blessés et de vastes coups de filet permettent d’en arrêter 8 000. M. Sharon efface tout semblant d’autonomie et réinstalle l’autorité militaire israélienne dans chaque ville, chaque village ou camp de réfugiés. Ce retour à la situation d’avant les accords de septembre 1993, objectif que poursuivait depuis longtemps le chef de la droite, se fonde sur la destruction systématique des institutions de l’Autorité palestinienne et une nouvelle géographie de la Cisjordanie, divisée en huit zones séparées les unes des autres par des colonies et des zones tampons contrôlées par l’armée.
L’espoir persistant chez les Palestiniens et dans les pays arabes que l’échec des accords d’Oslo hâterait un sauvetage international sera rapidement anéanti. M. Sharon ne tient aucun compte des appels du président Bush l’exhortant à retirer ses troupes des villes réoccupées – « Et plus vite que ça ! ». Moyennant quoi, M. Colin Powell met huit jours à gagner Jérusalem, via Rabat, Riyad, Le Caire, Amman et Madrid. Quand il arrive enfin, il n’impose ni cessez-le-feu ni retrait des troupes, mais négocie un nébuleux calendrier : l’armée quitterait certaines villes de Cisjordanie le 21 avril 2002 au plus tard. L’unique concession faite à la sensibilité arabe sera une visite à M. Arafat dans les ruines de son quartier général.
Pour les Palestiniens (et pour Israël), cette rencontre n’a qu’une signification : les Etats-Unis n’ont pas encore tiré un trait sur M. Arafat, élu démocratiquement président en 1996, ou, plus précisément, n’ont pas encore préparé une solution de rechange. Contre le blanchiment par l’ONU des crimes de guerre israéliens commis dans le camp de réfugiés de Jénine, M. Sharon, à contrecoeur, permet au président palestinien de sortir de Ramallah, le 2 mai 2002.
Il touche rapidement les dividendes de sa « retenue », ajoutant une victoire diplomatique à celle qu’il vient de remporter sur le terrain. En étroite consultation avec lui, le président Bush, dans son discours du 24 juin 2002, étoffe sa « vision » d’une Palestine qui vivrait « côte à côte avec Israël, dans la paix et la sécurité ». Il conditionne cette perspective à la mise en place d’une « direction palestinienne nouvelle et différente ». Il réclame « de vraies réformes », précisant qu’elles « nécessitent des institutions politiques et économiques entièrement renouvelées, fondées sur la démocratie, une économie de marché et des actions contre le terrorisme ». Une fois ces conditions remplies à la satisfaction des Etats-Unis et d’Israël, un Etat palestinien « provisoire », aux frontières déterminées par Israël, pourrait être proclamé. Ensuite, un accord final – sur le statut de Jérusalem, les colonies, les réfugiés et les frontières définitives – « pourrait être conclu au bout de trois ans ». Ces conditions deviendront les paramètres de base de la « feuille de route ».
Les Palestiniens n’ont pas tardé à mesurer l’étendue de leur déroute, surtout ceux qui avaient dirigé le soulèvement sur le terrain : les milices du Tanzim, issues du Fatah de M. Arafat. Leurs cadres comprenaient maintenant que la stratégie d’Intifada armée – et particulièrement les attentats-suicides à l’intérieur d’Israël – s’était révélée désastreuse pour la cause palestinienne. Elle avait offert à M. Sharon, de la part de son électorat et de Washington, le blanc-seing dont il avait besoin pour poursuivre ses ambitions coloniales en Cisjordanie. Elle avait fini par épuiser les réserves de sympathie diplomatique et populaire dont bénéficiaient les Palestiniens, notamment en Europe. De plus, elle mettait en péril la revendication du Tanzim à prendre la direction de la Palestine.
Parmi les 6 000 militants palestiniens internés par Israël au cours de la reconquête de la Cisjordanie, beaucoup sont des cadres moyens de cette organisation, noyau dur de la direction politique et militaire du mouvement. La prise la plus précieuse a été l’arrestation télévisée, le 15 avril 2002, du charismatique secrétaire général du Fatah pour la Cisjordanie, M. Marwan Barghouti. Des dizaines d’autres dirigeants locaux du Fatah ont été, soit tués dans les combats, soit assassinés. Ceux qui les remplacent ressemblent plutôt à des « seigneurs de guerre », qui plus est jeunes et inexpérimentés, habitués à opérer en bandes et plus loyaux envers leur clan, district ou communauté qu’à l’égard de la direction nationale. D’où un mouvement indiscipliné et confus, qui voit se creuser des gouffres non seulement entre les ailes militaire et politique, mais au sein même des unes et des autres.
Pour renverser ce cours, la direction politique du Tanzim – en prison ou non – lance un appel au changement en trois points. D’abord, il faut à l’OLP une direction nouvelle et revigorée, dite d’ « urgence nationale », responsable de la stratégie et d’éventuelles négociations avec Israël. Ensuite, il faut à l’Autorité un gouvernement de techniciens, plus resserré, réformé, ayant pour seule tâche de fournir des services efficaces, et qui sera responsable devant le peuple. Enfin, il faut parvenir à un accord qui engage toutes les factions palestiniennes (et surtout le principal rival du Fatah, le Hamas) sur « les moyens et les terrains de la résistance ».
Grâce à ces changements démocratiques, l’organisation pensait non seulement rattraper les pertes dues à la reconquête israélienne, mais également accélérer le remplacement des dirigeants du Fatah et de l’Autorité, « lesquels, explique un dirigeant du Tanzim, faute de stratégie au cours des deux dernières années, ont entraîné les Palestiniens dans la crise actuelle ». Comme on pouvait s’y attendre, la direction en place a pris des mesures pour faire capoter cette « révolution dans la révolution ».
Depuis longtemps, des leaders historiques du Fatah comme M. Abbas pensaient que la « militarisation » de l’Intifada signait la mort de l’Autorité et de leur propre rôle dirigeant. Mais, vu le prix énorme payé par les Palestiniens pour le soulèvement, ni lui ni les autres ne pouvaient ouvertement y renoncer. L’échappatoire choisie sera plutôt un nouveau discours « réformiste » passant la résistance sous silence. Cette formule cadre parfaitement avec les efforts diplomatiques internationaux du Quartet, qui cherche, au même moment, à tirer du discours du président Bush un plan diplomatique permettant de mettre fin à l’Intifada. Ces démarches du Quartet et de M. Mahmoud Abbas vont converger, donnant naissance à la « feuille de route » et à son idée d’une réforme imposée par le haut, au lieu de la transformation démocratique préconisée par le Tanzim.
« Réforme » va dès lors signifier réorganisation des services de sécurité presque entièrement détruits et les institutions financières selon les diktats de la CIA et du FMI. M. Abbas ne propose pas une stratégie cohérente de résistance, mais un cessez-le-feu unilatéral faisant l’objet d’un accord entre toutes les factions, les forces de police palestiniennes reprenant le contrôle des territoires reconquis après un retrait israélien planifié zone par zone. Avec le soutien du Comité central du Fatah, il prend aussi l’engagement de mettre un terme au « phénomène des milices », soulignant que c’est aux seules forces de l’Autorité qu’il revient de « défendre le peuple palestinien ».
Conscient du désenchantement massif du peuple à l’égard de ces forces, notamment en raison du grand nombre d’officiers qui se sont enfuis lors de l’opération « Rempart », M. Abbas promet « une réforme radicale de tout », mais se borne à proposer la tenue de nouvelles élections et la désignation d’un nouveau premier ministre afin de priver M. Arafat de certains de ses pouvoirs exécutifs. Ce faisant, il donne l’impression de satisfaire à la condition, posée par M. Bush et M. Sharon, d’une « direction palestinienne différente » comme préalable à tout nouveau processus politique.
Pour beaucoup de membres du Tanzim, ces formulations défigurent leurs exigences démocratiques et préparent un « changement de régime », dicté par les Etats-Unis et Israël, et accepté par une direction défaillante qui espère ainsi préserver sa légitimité. Le Tanzim sait aussi que, compte tenu de l’obsession américano-israélienne d’en finir avec M. Yasser Arafat, leurs appels à la réforme n’ont aucune chance d’être entendus par la population palestinienne.
Le 19 septembre 2002, l’armée israélienne reprend le siège du quartier général de M. Arafat à Ramallah, suite à deux attentats-suicides en Israël qui ont fait sept morts civils. Craignant que cette action ne signifie l’exil forcé d’Arafat ou pire encore, les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza s’unissent dans la défense du vieux leader. M. Arafat voit dans ces manifestations spontanées un « référendum » en faveur de son maintien, et fait pression sur le Conseil législatif pour repousser la désignation d’un nouveau premier ministre « après la création d’un Etat palestinien ». Habilement, il présente toutes les demandes de contrôle démocratique de sa direction comme autant de complots d’inspiration israélo-américaine visant à l’écarter, et mobilise les militants du Fatah pour qu’ils répandent cette version auprès de tous ceux qui auraient des velléités de réforme.
Le Hamas est devenu une alternative
Le président palestinien parvient à étouffer dans l’œuf les tentatives de réforme en provenance de l’intérieur. Mais cette reculade laisse un vide, rapidement investi par les diplomates du Quartet. A ce stade, les Etats-Unis conditionnent la publication officielle de la « feuille de route », non seulement à une restructuration contrôlée des services de sécurité et des institutions financières de l’Autorité, mais à la désignation d’un premier ministre dont l’approche politique soit différente de celle de M. Arafat. Et ils recourent à l’intimidation pour contraindre celui-ci à accepter cette réduction de ses pouvoirs.
Dès décembre 2002, nul n’ignorait que beaucoup de membres du gouvernement israélien voudraient profiter de la guerre américaine contre l’Irak pour se débarrasser de M. Arafat une fois pour toutes. Le Quartet fait donc savoir à ce dernier que sa survie politique dépend de son acceptation d’un premier ministre disposant de pouvoirs réels. Soumis à d’énormes pressions, le dirigeant palestinien doit se résoudre à la fois à l’idée et à l’homme, M. Abbas, seul candidat acceptable aussi bien pour Washington que pour le Fatah.
Quatre mois plus tard, après des batailles épuisantes avec le président palestinien sur chacun des pouvoirs dont le nouveau premier ministre sera doté, le Conseil législatif élit, le 9 mars 2003, M. Mahmoud Abbas. M. George W. Bush déclare voir en lui « le nouveau leader de l’Autorité palestinienne ».
La tâche de M. Abbas, selon les termes de la « feuille de route », est aussi simple que gigantesque : en échange de l’ « engagement » des Etats-Unis à permettre la survie du régime palestinien, l’Autorité doit « mettre fin partout à tout acte de violence contre les Israéliens », y compris à l’intérieur des territoires occupés. Israël aurait voulu que cela se fasse au prix d’une guerre civile entre Palestiniens, mais M. Abbas a opté pour une approche graduée : il entend commencer par un cessez-le-feu accepté par toutes les factions palestiniennes, suivi du démantèlement et du désarmement de toutes les milices, si possible de gré, sinon de force.
Pour la plupart des Palestiniens, le premier objectif semble à portée de main, compte tenu de l’impasse stratégique où l’Intifada s’est enfermée. Mais ils sont peu nombreux à croire à la faisabilité du second, vu la force et la vivacité de la « résistance armée » palestinienne, et surtout de sa composante la plus meurtrière, le mouvement islamiste Hamas.
Dès la fin 2002, ce dernier a émergé comme la force dominante et de plus en plus indépendante dans les territoires occupés, comblant le vide laissé par la défaite du Tanzim par l’armée israélienne. Les sondages montrent que son niveau de popularité égale celui du Fatah. Cette popularité, le Hamas la doit certes à la résistance que ses combattants ont opposée aux invasions israéliennes, à l’effondrement des forces de police de l’Autorité, à l’alliance militaire et parfois même politique qu’il a conclue avec le Tanzim et à la popularité de ses opérations – suicides en Israël.
Mais tout aussi important sont la discipline du mouvement et ses programmes sociaux : la panoplie impressionnante des services d’aide sociale et de charité du Hamas offre un contraste saisissant avec l’inefficacité et la déliquescence des ministères de l’Autorité, a fortiori sous l’impact de la politique israélienne de punition collective, qui visait précisément l’isolement et la destruction des institutions palestiniennes. De mouvement d’opposition à l’Autorité et à sa politique qu’il avait été, le Hamas s’est mué en une possible « alternative politique, sociale, militaire et idéologique à l’ordre palestinien actuel », selon M. Ziad Abou Amr, ministre de la culture de l’Autorité et spécialiste de l’islamisme palestinien.
Le nouveau rapport de forces éclate au grand jour quand le Hamas bloque les tentatives du Tanzim de parvenir à une « politique commune » sur l’Intifada. Lors des discussions entre factions palestiniennes à Gaza et au Caire en août 2002 et février 2003, le Fatah a formulé deux demandes : une reconnaissance par toutes les factions que la lutte nationale a pour but l’établissement d’un Etat palestinien à Gaza et en Cisjordanie, et que la résistance populaire armée doit se limiter à ces territoires. Et il a aussi appelé le Hamas à rejoindre un gouvernement d’union nationale avant la tenue des nouvelles élections. A ces trois demandes, le Hamas – expliquait M. Abdel Aziz Rantisi, un de ses principaux dirigeants – a opposé une fin de non-recevoir. Il revendiquait un droit de résistance « sur toutes les terres de Palestine », y compris Israël. Il ne participerait à un gouvernement d’union nationale que sur la base d’un « soutien à l’Intifada et à la résistance ». Et il refusait d’adhérer à une politique commune, « car il n’y a aucune politique commune entre Al Fatah et Hamas ».
Mais le désaccord fondamental portait sur les objectifs. Si le Hamas accepte de dire que le but immédiat des Palestiniens est de mettre un terme à l’occupation des territoires envahis en 1967, il refuse de renoncer à la revendication nationale et religieuse sur tout le territoire de l’ancienne Palestine mandataire, y compris la partie qui est aujourd’hui Israël. « L’Intifada vise à obliger Israël à se retirer des territoires occupés en 1967, mais cela ne mettra pas fin au conflit israélo-arabe », précise M. Rantisi.
La concession maximale que les islamistes acceptent, c’est un cessez-le-feu temporaire et conditionnel en échange de « garanties » qu’Israël se retire des territoires palestiniens reconquis en 2002, libère les prisonniers sans discrimination entre factions et mette fin à la campagne d’assassinats ciblés de leurs cadres politiques et militaires. Après des mois de marchandage, ces conditions fonderont la trêve annoncée le 29 juin 2003 par le Hamas, le Djihad islamique et le Fatah. Celle-ci ne durera pas : les organisations islamistes y mettront fin le 19 août, avec l’attentat de Jérusalem contre un autobus transportant des juifs ultra-orthodoxes.
Avant le déclenchement de la seconde Intifada, à la fin de septembre 2000, le mouvement national palestinien rongeait son frein sous un leadership inadéquat, mais unique. Désormais, il subit trois leaderships différents.
Le premier, c’est l’ancien régime, caché sous les habits de l’Autorité. Il se partage en deux groupes : ceux qui, comme M. Abbas, acceptent sans rechigner le programme américain, considéré comme seul moyen de permettre un sauvetage de la cause palestinienne par la communauté internationale ; ceux qui redoutent que la marginalisation de M. Arafat par Israël et les Etats-Unis n’annonce leur propre liquidation et l’érosion des « fondements » du nationalisme palestinien (autodétermination, retrait israélien et droit au retour). Mais tous sont d’accord pour se résigner à la « feuille de route » et renoncer au « terrorisme ».
La deuxième exprime la génération montante de dirigeants aujourd’hui affaiblis, représentée par le Tanzim. Leur politique nationale – et spécialement le fait que, pour eux, l’objectif de la lutte est l’établissement d’un Etat palestinien sur les territoires occupés en 1967 – reste majoritaire parmi les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Mais les pertes immenses subies lors de la reconquête israélienne ont contraint le Tanzim à mettre en question la justesse de l’Intifada armée comme stratégie de libération. Selon le point de vue dominant, un soutien tactique au cessez-le-feu, à la « feuille de route » et à M. Abbas comme premier ministre doit permettre de libérer leurs dirigeants et d’organiser la tenue d’élections, où « la jeune garde du Fatah tentera d’évincer l’ancienne et de prendre les commandes », si l’on en croit la prédiction du politologue Khalil Shikaki.
Verdict du peuple
Le troisième leadership, c’est la « résistance » armée, menée par l’aile radicale du Hamas et par des dissidents du Fatah comme la Brigade des martyrs d’Al-Aqsa et les Comités de résistance populaire. Mus par une idéologie islamiste plus puissante, alliés de plus en plus étroitement aux forces nationalistes à travers le monde arabe et musulman, ils entendent implicitement forger un nouveau mouvement national sur les débris de l’ancien. La stratégie envisagée est celle de la « résistance seule », qui a si bien réussi au Hizbollah au sud du Liban. Dans la mesure où ces mouvements se fixent un objectif à moyen terme, ce n’est pas la paix, mais le retrait forcé d’Israël, ou bien une « séparation unilatérale » d’à peu près tous les territoires occupés.
Cette cacophonie politique, idéologique et organisationnelle est le fruit amer d’un soulèvement dont beaucoup, dans le Tanzim, croyaient non seulement qu’il hâterait la fin de l’occupation en corrigeant les points les plus désastreux des accords d’Oslo, mais qu’il agirait comme catalyseur d’une démocratisation du régime palestinien, leur ouvrant le chemin du pouvoir. Trois ans plus tard, aucun de ces objectifs n’est atteint, de sorte que la direction de l’Autorité reste aux mains de figures discutées comme M. Abbas et M. Arafat, la résistance entre celles du Hamas et de tous ceux qui adhèrent à ses solutions militaires. Il en résulte un mouvement clivé entre deux, voire trois stratégies mutuellement exclusives, une réalité que l’on se contente de dissimuler par des cessez-le-feu et autres accords provisoires, au lieu de faire face au problème.
Pour beaucoup d’observateurs palestiniens, le seul espoir de sortir de cette impasse est, pour le peuple, de prendre en main la recherche d’une stratégie commune de libération pour la période de l’après-Oslo qui engagerait tout le monde, comme ont tenté de le faire les factions à Gaza et au Caire. Une telle stratégie devra obligatoirement s’ancrer dans le verdict du peuple lors d’élections locales, législatives et présidentielle. Les élections nationales constituent sans doute le seul terrain où les différents courants du mouvement national peuvent s’unir et où l’orientation future de la lutte nationale peut être décidée légitimement, parce que démocratiquement.
Depuis sa prison en Israël, M. Marwan Barghouti a déclaré que les élections sont « le moyen légal et démocratique » de contraindre au départ « beaucoup de fonctionnaires et de dirigeants de l’Autorité » qui ont failli « dans leurs rôles et leurs responsabilités à ce moment décisif de la bataille ». Des leaders du Hamas (y compris M. Rantisi)) ont affirmé que leur mouvement s’inclinerait devant « la décision d’une majorité de Palestiniens, si les élections sont libres et non assujetties aux restrictions d’Oslo », et qu’ils accepteraient même une interdiction des attentats en Israël – or [Faute de traduction : car, ndlr] il est inconcevable que les Palestiniens acceptent par un vote d’interdire des actions armées contre les soldats et les colons dans les territoires occupés.
Mais la tenue de ce scrutin devra être arrachée de haute lutte contre la volonté israélo-américaine d’empêcher toute élection pouvant proroger le mandat présidentiel de M. Arafat et conférer au Hamas un rôle important dans le futur gouvernement palestinien et son administration. Pourtant, selon de nombreux observateurs palestiniens, en l’absence de réformes substantielles de ce type, l’Intifada s’enfoncera encore plus dans l’ornière où elle est déjà engluée : moins une lutte nationale contre l’occupation qu’une guerre d’usure entre factions pour la direction du mouvement, une guerre sans contrôle et en fin de compte suicidaire.
[1] : Lire Nadine Picaudou, « D’une Intifada à l’autre, la société palestinienne en mouvement », Le Monde diplomatique, mars 2001.
                                       
16. Des soldats - les Blueberries - pour combattre efficacement l’antisémitisme par Gabriel Ash
in YellowTimes.org (e-magazine américain) du lundi 1er septembre 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Une des résolutions adoptées à l’issue du 34ème Congrès sioniste tenu à Jérusalem en 2002 appelait à criminaliser l’antisémitisme et l’antisionisme. Et en effet, depuis lors, nous avons assisté à un nombre croissant de tentatives de faire taire toute critique d’Israël en la qualifiant de nouvelle forme d’antisémitisme. Des journalistes français ont été traînés devant les tribunaux pour avoir fait des reportages sur des Palestiniens se faisant tuer ; la BBC a été excommuniée par le gouvernement israélien et des campagnes visant à étouffer toute critique d’Israël dans le milieu universitaire ont été montées aux Etats-Unis, dont une a été animée par un fomenteur de haine bien connu, j’ai nommé : Daniel Pipes. Jusqu’ici, tout cela n’a absolument servi à rien. Mais il semble que les revers subis par les apologistes valétudinaires d’Israël en ont amené certains, tout du moins, à repenser leur stratégie. Aujourd’hui, ils comprennent qu’Israël doit prendre en considération l’impact (désastreux) de ses opérations militaires sur l’opinion publique mondiale. J’en veux pour preuve le message suivant, reçu dans ma boîte aux lettres électronique :
De : la coalition CLOATSP-ME
[Concerned Liberals Of America for a True Secure Peace in the Middle East / Les libéraux américains préoccupés par une paix authentique et durable au Moyen-Orient]
A : Monsieur Shaul Mofaz, ministre de la Défense, Israël
Objet : Lutte contre la haine et l’antisémitisme, par l’éducation.
Avec l’écroulement imminent de la « feuille de route », nous prévoyons qu’Israël va, pour la énième fois,  reprendre ses incursions à grande échelle dans les villes et les camps de réfugiés palestiniens.
Profondément convaincus que l’avenir d’Israël dépend d’une séparation entre les (deux) territoires, nous partageons votre attachement à la sécurité d’Israël. Dans l’esprit de cet attachement, et profondément préoccupés par l’avenir de l’identité juive, nous appelons votre attention sur un problème qui nous concerne, tous.
Nous pensons que le dernier cycle d’opérations militaires israéliennes a produit chez de nombreux Palestiniens, en particulier chez les résidents des villes prises pour cibles (telles Jénine et Gaza), une haine viscérale envers Israël et les Israéliens. Plus troublant encore est le fait que ces sentiments négatifs sont souvent dirigés contre les soldats israéliens en tant que « juifs » - usage qui, à notre humble opinion, est plus que légèrement antisémite dans ses effets, sinon dans ses intentions. Sans chercher à excuser ceux qui s’en rendent coupables, nous notons que la diffusion de tels sentiments contribue à augmenter le nombre des volontaires pour des missions suicidaires.
Pire : au cours des trois derniers mois, l’animosité à l’encontre d’Israël s’est accrue de manière exponentielle dans le monde entier, dans une très large mesure en raison de l’attention apportée par les médias au calvaire des Palestiniens, qui souffrent des tentatives légitimes d’Israël de défendre ses citoyens. Une partie de cette animosité a dévié vers des attaques anti-juives et contre des symboles juifs, comportant des incendies volontaires de synagogues.
Nous relevons que certaines actions de soldats israéliens, consistant par exemple à peindre des étoiles de David sur les murs de maisons palestiniennes, contribuent au développement de ces attitudes malsaines et profondément troublantes.
Vous étiez chef d’état-major durant les offensives israéliennes massives, y compris la destruction du camp de réfugiés de Jénine et, aujourd’hui, vous êtes responsable de la politique sécuritaire d’Israël.
C’est pourquoi nous vous implorons de n’épargner aucun effort dans la lutte contre la diffusion de l’antisémitisme. Pour cela, nous suggérons respectueusement que les soldats israéliens prennent les mesures ci-après au cours de toute attaque à venir contre des cibles palestiniennes :
- Les munitions, les véhicules et les armes seront clairement identifiés comme appartenant à l’Etat d’Israël. Si ces marques comportent une Etoile de David, une note déclinant toute responsabilité devra établir clairement que l’Etoile de David n’est pas utilisée en tant que symbole religieux, mais simplement en tant que symbole national ;
- Les soldats seront mis en garde, afin qu’ils n’utilisent jamais l’Etoile de David lorsqu’ils salopent des propriétés palestiniennes. Les soldats devront, en lieu et place de l’Etoile de David, tracer des Menorah [le chandelier à sept branches, ndt], qui ne sont pas aussi fortement associées à la religion juive. A défaut, les Forces Israéliennes de Défense devront fournir à leurs soldats des kits de barbouillage comportant des autocollants portant la réserve (disclaimer) suivante, en arabe dialectal palestinien : « Cet acte d’humiliation est réalisé par l’Etat d’Israël. Il n’a par conséquent rien à voir, ni de près, ni de loin, avec la religion juive » ;
- Régulièrement, mais plus particulièrement après les bombardements aériens, des hélicoptères Apache lanceront des tracts expliquant la différence entre les adjectifs « juif » et « israélien ». Ces tracts seront rédigés en une langue arabe dialectale palestinienne simple. Des bandes magnétiques seront lâchées en même temps que ces tracts, à l’usage personnes ne sachant pas lire ;
- Avant toute attaque contre des civils, des jeeps munies de haut-parleurs feront le tour des cibles visées, expliquant les raisons de l’attaque, en une langue arabe dialectale palestinienne simple. Après l’attaque, mais avant que les ambulances ne reçoivent l’autorisation d’aller porter secours aux blessés, les habitants du quartier concerné devront être raflés et bénéficier d’un briefing de l’officier supérieur commandant l’attaque afin qu’ils comprennent de quelle manière leur malheur est en réalité une contribution à la sécurité d’Israël. Ce briefing comportera l’indication très claire que l’attaque a été effectuée non pas par des juifs, mais par des soldats israéliens. Des officiers de l’Armée du Sud Liban, ainsi que des officiers druzes réquisitionnés à cet effet seront mis au premier rang, ostensiblement, pour l’édification des locaux ;
- Les familles dont les maisons ont été détruites recevront un dépliant d’information spécial présentant Israël, orné de photos de kibboutz luxuriants et de scènes de la vie nocturne trépidante et torride de Tel-Aviv. Ce dépliant comportera des informations expliquant que la perte de leurs maisons est un mal nécessaire – en réalité, un bien – puisqu’elle libère de la place pour de nouveaux quartiers d’habitations réservés aux juifs, qui feront refleurir le désert. Il est très important d’humaniser les Israéliens, et d’insister auprès des membres des familles palestiniennes, en leur faisant bien comprendre que les soldats qui ont détruit leurs maisons sont des gens tout à fait comme eux, et qu’eux aussi, ils ont une famille. Si les circonstances le permettent, le commandant chargé des opérations organisera des rencontres informelles et amicales entre les conducteurs des bulldozers et les familles, au cours desquelles les partenaires des deux côtés se lieront d’amitié en regardant leurs photos de familles ;
- Des travailleurs sociaux de l’armée rendront visite aux enfants afin d’organiser des ateliers de gestion de la haine, dont l’objectif sera d’apprendre aux enfants à maîtriser tout l’éventail des émotions négatives : humiliation, désespoir, colère, haine, rage suicidaire, etc., qui résultent avec une régularité lassante, force est de le constater, de toute rencontre avec des soldats israéliens. Une partie très importante de ces ateliers éducatifs sera consacrée à l’explication des raisons pour lesquelles l’antisémitisme est toujours erroné. Afin de garantir des résultats maximum, nous recommandons fortement de demander au très expérimenté et expert Abraham Foxman de l’Anti-Defamation League d’écrire les manuels pour ces ateliers ;
- Des officiers de l’instruction militaire seront envoyés dans tous les villages palestiniens. Ces officiers devront mettre à profit les longs couvre-feu qui contraignent la population à rester chez elle pour passer de maison en maison et enseigner aux habitants captifs le profond engagement historique de la religion juive envers la justice et les droits de l’homme, la beauté des fêtes juives, l’humour juif (si connu pour son autodérision), et les très importantes contributions des juifs à la culture mondiale. Ces officiers distribueront aux familles palestiniennes des exemplaires gratuits de L’Interprétation des Rêves de Sigmund Freud, des biographies d’Albert Einstein et d’Henrietta Szold, ainsi que des DVD gratuits de « Annie Hall » et de « L’histoire dingue du monde » [Mad History of the World] – le tout, bien entendu, ayant au préalable été traduit en une langue arabe dialectale palestinienne simple ;
- Comme condition de leur libération, tous les Palestiniens détenus par l’armée israélienne, fût-ce pour de courtes périodes, devront assister à des séminaires qui leur expliqueront le droit international en une langue arabe dialectale palestinienne simplifiée, et en particulier l’interdiction de toute attaque à l’aveuglette contre des civils, du terrorisme, des attentats suicides et autres crimes similaires. Ces séminaires devront également expliquer les raisons qui exemptent Israël des obligations du droit international et notamment de la Quatrième Convention de Genève, et qui lui permettent de recourir aux punitions collectives, à la torture, aux assassinats et aux frappes militaires massives contre des civils. Les dix dernières minutes seront consacrées à la réfutation de toute comparaison odieuse entre le comportement de l’armée israélienne et les agissements du Hamas, du Jihad islamique et de la Brigade des Martyrs d’Al-Aqsa. Tout le monde peut dire que la nuit est noire, mais seule la rhétorique la plus affinée est à même de faire paraître le jour encore plus noir qu’elle. C’est pourquoi, nous recommandons avec insistance de confier le programme de formation destiné à ces séminaires à nos meilleurs contorsionnistes éthiques et légaux : Alan Dershowitz, Martha Nussbaum, Michael Walzer, etc. ;
- Une unité militaire – d’élite – que nous suggérons de baptiser du nom  de Blueberry, sera créée. Cette unité se spécialisera dans la rafle rapide de dizaines de Palestiniens, qu’elle emmènera suivre une visite guidée du Musée Yad Vashem (de l’Holocauste). Des guides Blueberry, spécialement formés à cet effet, et possédant à la perfection l’arabe dialectal palestinien, expliqueront aux captifs pourquoi il ne saurait en aucun cas être admis que l’on comparât les souffrances du peuple juif à de quelconques autres souffrances dans l’Histoire, et pourquoi les souffrances du peuple juif confèrent à Israël un droit spécial à brutaliser les Palestiniens. Il est très important que les « Blueberries » s’abstiennent de la pratique fort répandue consistant à bander les yeux des captifs : il faut en effet que les Palestiniens soient en mesure de voir les photos d’Auschwitz de leurs propres yeux. Les menottes en plastiques, en revanche, ne posent pas de problème. Nous recommandons vivement d’avoir recours aux services d’une personne suprêmement talentueuse dans l’utilisation du langage en guise de gaz lacrymogène. Peut-être Elie (Wiesel) acceptera-t-il de bien vouloir être le conseiller pédagogique spécial des « Blueberries » ?
- Les Palestiniens blessés désireux de se confier aux médias devront recevoir au préalable un entraînement anti-émotivité de la part de l’armée. Les formateurs de l’armée persuaderont les Palestiniens (en une langue dialectale palestinienne simplifiée) qu’ils continueront à se faire tuer et à être opprimés tant qu’ils ne seront pas capables de s’exprimer d’une manière sensée, responsable et inclusive, exprimant un égal respect pour toutes les religions, nationalités et races, et qui reconnaisse dans la diversité de l’existence la beauté d’une humanité partagée.
Nous espérons sincèrement que ces mesures seront un pas en avant sur la voie du comblement du déplorable foisonnement de la haine et de l’antisémitisme au Moyen-Orient.
Avec notre respect. Le comité de coexistence du CLOATSP-ME.
                                   
17. La société israélienne s'effondre, et ses leaders gardent le silence par Avraham Burg
in The Forward (hebdomadaire américain) du vendredi 29 août 2003
[traduit de l'anglais par l'Union Juive Française pour la Paix]

(Avraham Burg a été président de la Knesset de 1999 a 2003. Ancien président de l'Agence Juive, il est actuellement député du Parti travailliste.)
La révolution sioniste a toujours reposé sur deux piliers : une voie juste et un leadership éthique. Ils ont tous les deux disparu. Aujourd'hui, la nation israélienne s'appuie sur un échafaudage de corruption, lui-même pose sur des fondations d'oppression et d'injustice. En tant que telle, la fin de l'entreprise sioniste est déjà a notre porte. Il existe une vraie probabilité que notre génération soit la dernière génération du sionisme. Il se peut qu'il y ait un Etat juif, mais il sera d'un autre genre, étrange et affreux.
Il reste du temps pour changer le cours des choses, mais il est compté. Ce qu'il faut, c'est la vision nouvelle d'une société juste, et la volonté politique pour la mettre en oeuvre. Il ne s'agit pas seulement d'une affaire interne israélienne. Les Juifs de la diaspora, pour qui Israël est un des piliers majeurs de leur identité, doivent le prendre en compte et élever la voix. Si le pilier s'effondre, les étages supérieurs s'écraseront eux aussi.
L'opposition n'existe pas, et la coalition au pouvoir, avec Arik Sharon à sa tête, revendique le droit de garder le silence. Dans une nation de moulins à paroles, chacun est devenu soudainement muet, car il n'y a plus rien a dire.
Nous avons échoué, da façon tonitruante. Oui, nous avons redonne vie a l'hébreu, crée un théâtre magnifique, et avons une monnaie forte. Nos cerveaux juifs sont aussi acérés qu'avant. Nous sommes cotés au Nasdaq. Mais est-ce pour cela que nous avons crée un Etat juif? Le peuple juif n'a pas survécu deux mille ans pour créer de nouvelles armes, des programmes de sécurité informatique ou des missiles anti-missiles. Nous devions être la
lumière des Nations. En cela, nous avons échoué.
Il apparaît que ces deux mille ans de lutte du peuple juif pour sa survie se réduit a un Etat de colonies, dirige par une clique sans morale de hors-la-loi corrompus, sourds a la fois a leurs concitoyens et a leurs ennemis. Un Etat sans justice ne peut pas survivre. De plus en plus
d'Israéliens en arrivent a le comprendre, quand ils demandent a leurs enfants où ceux-ci se voient vivre dans 25 ans. Les enfants les plus honnêtes admettent, devant les parents en état de choc, qu'ils ne savent pas. Le compte a rebours de la société israélienne a commence.
Il est très confortable d'être sioniste dans des colonies de Cisjordanie comme Beit El et Ofra. Le paysage biblique est charmant. De la fenêtre, on peut y admirer les géraniums et les bougainvilliers, et ne pas voir l'occupation. En roulant sur l'autoroute rapide qui relie Ramot, à l'extrême Nord de Jérusalem, et Gilo, à l'extrême sud, un itinéraire de 12 minutes qui passe a peine a 800 mètres a l'ouest des barrages routiers des territoires palestiniens, il est difficile de mesurer l'expérience humiliante que vivent les Arabes méprisés qui doivent ramper pendant des heures sur les routes cabossées et bloquées qui leur ont été assignées. Une route pour l'occupant, une autre pour l'occupe.
Cela ne peut pas marcher. Même si les Arabes baissent la tête et avalent leur honte et leur rage indéfiniment, cela ne marchera pas. Une structure construite sur de l'insensibilité a l'homme s'effondrera d'elle-même, inévitablement. Prenez bien note de cet instant : la superstructure du sionisme s'effondre déjà, telle une salle de mariage peu chère de Jérusalem (allusion a un accident dû à un défaut de construction, qui a fait de nombreuses victimes, ndt). Seuls les fous continuent a danser en haut de l'immeuble, alors que les piliers s'effondrent.
Nous nous sommes habitués à ignorer la souffrance des femmes aux barrages routiers. Il n'est pas étonnant qu nous n'entendions plus les cris des femmes violées a coté de chez nous, ou la mère célibataire qui se bat pour élever ses enfants dans la dignité. Nous ne comptons même plus les femmes assassinées par leur mari.
Israël, qui a cessé de se soucier des enfants des Palestiniens, ne doit pas être surpris quand ceux-ci viennent, baignés de haine, se faire exploser sur les lieux ou les Israéliens fuient la réalité. Ils se donnent a Allah sur nos lieux de loisir, car leur propre vie est une torture. Ils font couler notre sang dans les restaurants pour nous couper l'appétit, car chez eux, leurs enfants et leurs parents connaissent la faim et l'humiliation.
Nous pouvons tuer mille chefs de bande, mille ingénieurs, rien ne sera résolu, parce que les chefs viennent d'en bas, des puits de haine et de colère, des "infrastructures" de l'injustice et de la corruption morale.
Si tout cela était inévitable, ordonne par Dieu et immuable, je garderais le silence. Mais les choses pourraient être différentes, et le cri est donc un impératif moral.
Voici ce que le Premier ministre devrait dire a son peuple :
Le temps des illusions est termine. Le moment des décisions est arrive. Nous aimons toute la terre de nos aïeux, et en d'autres temps, nous aurions aimé y vivre tout seuls. Mais cela ne se produira pas. Les Arabes, eux aussi, ont des rêves et des besoins.
Entre le Jourdain et la Méditerranée, il n'existe plus de majorité juive claire. Et donc, chers compatriotes, on ne peut garder tout sans en payer le prix. Nous ne pouvons pas garder sous la botte d'Israël une majorité palestinienne, et en même temps nous prendre pour la seule démocratie du Moyen-Orient. Il ne peut pas y avoir de démocratie sans droits égaux pour
tous ceux qui vivent ici, Juifs et Arabes. Nous ne pouvons pas conserver les territoires et une majorité juive dans le seul Etat juif du monde, pas par des moyens humains, moraux et juifs.
Vous voulez le Grand Israël ? Pas de problème. Laissons tomber la démocratie. Instituons un système efficace de séparation raciale, avec camps de prisonniers et villages de détention. Le ghetto de Qalqilya et le goulag de Jénine.
Vous voulez une majorité juive? Pas de problème. Mettons les Arabes dans des wagons, des bus, sur des chameaux et sur des ânes, et expulsons-les en masse. Ou bien séparons-nous d'eux absolument, sans trucs et sans gadgets. Il n'y a pas de voie du milieu. Nous devons évacuer les colonies. Toutes les colonies. Et tracer une frontière internationalement reconnue entre le foyer national juif et le foyer national palestinien. La loi juive du retour ne
s'appliquera qu'a l'intérieur de notre foyer national, et leur roi du retour ne s'appliquera qu'a l'intérieur des frontières de l'Etat palestinien.
Vous voulez la démocratie? Pas de problème. Ou bien nous renonçons au Grand Israël, jusqu'a la dernière colonie et au dernier avant-poste, ou bien nous donnons la totalité des droits civiques, dont le droit de vote, à tout le monde, y compris aux Arabes. Le résultat, évidemment, sera que ceux qui ne voulaient pas d'un Etat palestinien à coté d'eux l'auront chez eux, par l'intermédiaire du bulletin de vote.
Voila ce que le Premier ministre devrait dire a son peuple. Il devrait présenter les choix avec franchise : le racialisme juif, ou la démocratie.
Les colonies, ou l'espoir pour les deux peuples. La vision de barbelés, de barrages routiers et de kamikazes, ou une frontière internationalement reconnue entre deux Etats, et Jérusalem comme capitale commune.
Mais il n'y a pas de premier ministre à Jérusalem. La maladie qui ronge le corps du sionisme a déjà attaqué la tête. David Ben Gourion s'est parfois trompé, mais il est reste droit comme une flèche. Quand Menahem Begin s'est trompé, personne n'a mis en cause ses motivations. Ce n'est plus le cas. Des sondages publiés ce week-end montrent qu'une majorité d'Israéliens ne croit pas en l'intégrité personnelle du Premier ministre, mais qu'elle lui fait confiance sur le plan politique. En d'autres termes, le Premier ministre actuel d'Israël personnifie les deux aspects du fléau : une moralité personnelle douteuse et un non respect ouvert de la loi, combinés à la
brutalité de l'occupation et au piétinement de toute chance de paix. Voilà notre nation, voila ses chefs. La conclusion inévitable est que la révolution sioniste est morte.
Alors, pourquoi l'opposition est-elle muette? Peut-être est-ce l'été, peut être est-elle fatiguée, peut-être certains veulent-ils se joindre au gouvernement a tout prix, même au prix de participer à la maladie. Mais pendant qu'ils tergiversent, les forces du bien perdent espoir.
C'est le moment des alternatives claires. Tous ceux qui refusent de présenter une position tranchée, "blanc ou noir", collaborent de fait au déclin. Ce n'est pas un problème de travaillistes contre Likoud, ou de droite contre gauche, mais du bien contre le mal, de l'acceptable contre l'inacceptable. Ceux qui respectent la loi contre les hors-la-loi. Ce qu'il
faut, ce n'est pas le renversement politique du gouvernement Sharon, mais une vision d'espoir, une alternative a la destruction du sionisme et de ses valeurs par les sourds, les muets et les insensibles.
Les amis d'Israël de l'étranger, juifs ou non, les présidents et les premiers ministres, les rabbins et les citoyens lambda, tous doivent choisir, eux aussi. Ils doivent tendre la main et aider Israël a trouver son chemin, a travers la feuille de route, vers notre destin national, en tant que lumière pour les Nations, et pour une société de paix, de justice et d'égalité.
                                       
18. Le Premier ministre suédois s’efforce d’apaiser les tensions après que son ministre des Affaires étrangères ait fustigé Israël par Gil Hoffman
in The Jerusalem Post (quotidien israélien) du jeudi 7 août 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le Premier ministre suédois, Goran Persson, a tenté d’apaiser les tensions entre son pays et Israël, apparues mercredi dernier, après que des commentaires de la ministre suédoise des Affaires étrangères, Anna Lindh, aient suscité l’ire des officiels du ministère israélien des Affaires étrangères.
L’article du Jerusalem Post de lundi dernier, dans lequel les responsables des Affaires étrangères israéliens accusent Mme Lindh de parti pris anti-israélien, ont occupé la une des journaux télévisés suédois mardi soir, après que cet article ait été diffusé par une agence de presse suédoise.
A des journalistes qui assuraient la couverture de sa visite officielle sur l’île suédoise d’Oland, et qui l’interrogeaient sur les critiques formulées par Mme Lindh à l’encontre d’Israël, M. Persson a répondu que la querelle était sans doute due à une erreur de traduction.
La crise diplomatique avait commencé après que Mme Lindh ait réagi au rapport du secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, sur les opérations menées par l’armée israélienne dans le camp de réfugiés palestiniens de Jénine, par un communiqué de presse officiel du ministère suédois des Affaires étrangères.
 « Le refus d’Israël de toute coopération avec l’Onu a eu pour résultat l’impossibilité de produire un rapport complet et global sur ces événements », avait déclaré Mme Lindh. « Ce rapport montre que des crimes sérieux contre le droit humanitaire se sont produits », avait-elle ajouté, poursuivant :
 « Particulièrement troublante est l’information donnée par ce rapport sur le refus opposé par Israël aux personnels humanitaires qui demandaient à accéder aux zones dans lesquelles des combats s’étaient déroulés. La violence des deux côtés a causé une immense souffrance chez les civils. »
Les responsables du ministère israélien des A.E. avaient répondu avec « colère et étonnement » à cette déclaration, alléguant qu’elle s’inscrivait dans une longue suite de commentaires anti-israéliens proférés par Mme Lindh. Les officiels accusèrent la ministre suédoise des A.E. de manquer du courage d’admettre qu’elle avait exagéré dans ses déclarations antérieures, au cours desquelles elle avait évoqué des « rumeurs de massacre perpétré à Jénine ».
La chargée d’affaires à l’ambassade de Suède à Tel-Aviv, Erica Ferrer, a conféré avec les responsables du ministère des Affaires étrangères au sujet de ce communiqué et elle a apporté la précision selon laquelle les déclarations, dans la forme où elles ont été rapportées, ne reflétaient pas précisément le point de vue de Mme Lindh.
 « Nous sommes confrontés, d’une manière générale, à un problème avec les médias israéliens, qui ont la fâcheuse habitude de citer des propos hors contexte », a expliqué Mme Ferrer.
 « L’ambassade tient à préciser que Mme Lindh a fermement dénoncé le terrorisme et qu’elle considère avoir une position juste envers les deux camps. » Le ministère israélien des A.E. a répliqué en disant qu’il fondait ses réactions sur les communiqués de presse officiels rendant compte en anglais des déclarations de Mme Lindh, telles que publiées par le ministère suédois des Affaires étrangères.