1. "Au nom de
l’antisionisme" de Joël et Dan Kotek [1] - Notes de
lecture par Michel Staszewski
in Points Critiques (mensuel belge) N°
238 du mois de septembre 2003
(Points
Critiques est un mensuel publié par l’Union des Progressistes Juifs de Belgique.
Michel Staszewski est Professeur d’histoire dans l’enseignement secondaire en
Belgique et coauteur du "Manifeste pour un juste règlement du conflit
israélo-palestinien. Des Juifs de Belgique s’impliquent et s’expliquent". Le
texte de ce manifeste (en français, néerlandais et anglais) ainsi que la liste
de ses signataires figurent sur le site Internet www.israel-palestine.be)
Le texte qui figure en quatrième page de couverture
résume bien le projet des auteurs : montrer aux lecteurs que dans les médias
arabes et européens, « les caricaturistes n’attaquent pas seulement les
autorités mais procèdent à une réelle délégitimation de l’Etat d’Israël en tant
que tel. Que ce soit dans de grands quotidiens arabes mais aussi européens, sur
des sites Internet arabo-musulmans mais également sur des sites
antimondialisation, des caricatures non plus anti-Sharon mais authentiquement
antisémites se multiplient de façon vertigineuse ». Ils veulent également
démontrer que « les modèles dont s’inspirent les dessinateurs (…) relèvent
de l’iconographie chrétienne moyenâgeuse, de la caricature anti-dreyfusarde et
nazie » et qu’« aujourd’hui, un même dessin est utilisé de l’extrême gauche à
l’extrême droite par des gens que tout en théorie devrait séparer, n’était leur
commune, et irrationnelle, détestation des Juifs ».
C’est ainsi qu’à coup
d’abondantes caricatures, ils tentent de convaincre les lecteurs, que « la
caricature arabe » confond systématiquement les Juifs et Israël, affirme que les
Israéliens sont pires que les nazis, présente les Juifs et les Israéliens comme
des animaux nuisibles qu’il faut détruire, comme les maîtres du monde qui
dicteraient sa politique aux Etats-Unis, comme des vampires assoiffés de sang,
des tueurs d’enfants, des menteurs, bref des êtres diaboliques. Ces caricatures
seraient donc indubitablement, dans leur ensemble, antisémites.
Ils
expliquent cet acharnement général de la « caricature arabe » contre Israël et
les Juifs par le fait que vivant dans des dictatures, les dessinateurs ne
peuvent critiquer les maux internes à leurs sociétés et que, frustrés, il faut
qu’ils s’en prennent au monde extérieur (p. 47). Dans le cadre de la «
solidarité arabe »avec les Palestiniens, les Juifs/Israéliens seraient leur
principale cible.
Juifs = Etat d’Israël
Si l’on
trouve, dans ce livre de nombreuses productions carrément odieuses ou éminemment
critiquables car contribuant à entretenir la confusion entre les Juifs et la
politique de l’Etat israélien, un grand nombre d’autres sont présentées comme
antisémites alors qu’elles ne critiquent (parfois avec très mauvais goût, selon
moi, mais c’est un autre problème) que les actions de l’armée, du gouvernement
ou du premier ministre israélien. Quelques exemples parmi beaucoup d’autres :
Dans le groupe de documents classés sous la rubrique « Le Juif déicide », un
dessin représente Sharon habillé en général romain qui expulse la Vierge Marie,
son bébé dans ses bras, avec la légende : « Jésus, fils de Marie, le premier
expulsé de Bethléem » (p. 57). Sous la même rubrique, un dessin représente un
soldat dans un char marqué de l’étoile de David, qui, armé d’un porte-voix crie
« couvre-feu » à un crucifié (p. 59). Sous une autre rubrique intitulée
zoomorphisme, un dessin représente Sharon en serpent dont la tête est coincée
par la fourche d’une catapulte ; sur le manche de celle-ci figure le texte «
Révolution des pierres » (p. 65). Dans le chapitre 3, intitulé « Le grand retour
du mythe de l’ogre et du vampire juifs », un photomontage représente Sharon, les
yeux injectés de sang et avec des dents de vampire (p. 119). Mais il est vrai
que pour les auteurs, toute critique de la politique israélienne qui pourrait
rappeler de près ou de (très) loin, à ces grands érudits, un « antisémythe » de
l’Occident chrétien de l’Ancien Régime doit être qualifiée d’antisémite : ainsi,
représenter Sharon en boucher relèverait du vieil « antisémythe » du Juif buveur
de sang. Comme si tous les caricaturistes du monde arabe et leurs lecteurs
avaient connaissance des manifestations médiévales de l’antijudaïsme chrétien.
En ce qui me concerne, voir Sharon représenté en boucher dans une caricature,
lui qui a tant de sang sur les mains, ne me dérange absolument pas.
Dans les
faits, à de nombreuses reprises, ils décrètent, sans arguments convaincants (ou
sans argument tout court), le caractère antisémite de caricatures critiquant
férocement le comportement de représentants de l’Etat israélien à l’égard des
Palestiniens. Ils entretiennent ainsi eux-mêmes la confusion entre les Juifs et
l’Etat d’Israël.
Tous antisémites, les « Arabo-musulmans »
?
Mais il y a plus grave. J’ai été particulièrement choqué par les
généralisations que se permettent, sans apporter de preuves, les frères Kotek.
De la lecture de leur livre, il ressort nettement que la grande majorité voire
tous les caricaturistes du monde arabo-musulman feraient preuve d’antisémitisme.
C’est ainsi, par exemple, qu’on peut lire dans le chapitre intitulé « La
nouvelle judéophobie arabo-musulmane » (cet intitulé contient déjà une
généralisation bien contestable à mes yeux qui englobe tout l’espace
arabo-musulman) : « Plus encore que l’« antisémythe » du Juif buveur de sang,
c’est l’accusation de meurtre rituel qui témoigne du caractère antisémite de la
caricature arabe contemporaine. Pour les dessinateurs arabes et/ou palestiniens,
l’Israélien s’attaque prioritairement aux enfants » (p. 83). Comme si les frères
Kotek nous avaient présenté, au lieu de morceaux choisis au service de leur
thèse, la production de l’ensemble des caricaturistes de ces pays.
Antisionisme =
antisémitisme
Mais cette tendance à la généralisation ne se limite
pas au monde arabo-musulman. Caricatures de journaux européens et de sites «
antimondialistes », à l’appui, les auteurs affirment que, dans leur ensemble,
les Européens souffrent d’une tendance à l’antisémitisme dont l’origine
remonterait au judéocide : « l’antisionisme serait devenu, à ce qui nous semble,
une manière de noyer un sentiment de culpabilité diffus de l’Occident à l’égard
des Juifs naguère livrés à la barbarie, un moyen élégant de compenser les
lâchetés et les renoncements du passé par une prise de position nette et sans
bavure en faveur des victimes des grandes injustices contemporaines ». Précisons
que, pour eux, l’opposant au sionisme est d’office antisémite [2]. A ce sujet,
ils citent entre autres Wladimir Jankélévitch : « l’«antisionisme » est (…) une
introuvable aubaine, car il nous donne la permission et même le droit et le
devoir d’être antisémite au nom de la démocratie ! L’antisionisme est
l’antisémitisme justifié mis enfin à la portée de tous. Il est la permission
d’être démocratiquement antisémite » [3], ainsi que Pascal Perrineau : «
L’antisionisme, dans ses différentes versions, islamiste ou occidentale, est une
idéologie mortifère qui pour les Juifs, représente la forme moderne de
l’ostracisme qui les a toujours frappés. ».[4]
« Le monde
entier nous a toujours détestés »
Ce livre qui commence sous l’apparence
sérieuse d’un exposé historique très documenté vire ainsi rapidement au délire
paranoïaque : l’antisémitisme « éternel » ne cesserait de frapper les Juifs. Les
« Arabo-musulmans », les « Occidentaux » et, en particulier, la « gauche
démocratique » qui souffrirait d’un « étonnant vide idéologique »(p. 129) en
seraient globalement coupables. Arafat est accusé de répandre l’« antisémythe »
du Juif empoisonneur pour la raison qu’il n’a pas hésité « à accuser les
Israéliens de recourir à de l’uranium appauvri contre les Palestiniens » (p.
46). Pierre Galand ressusciterait « le binôme « Juif-Financier » » (p. 130) et
José Bové mènerait une « croisade anti-israélienne »(p. 132).
Minimisant
l’importance de la propagande et de la caricature anti-palestinienne, anti-arabe
et anti-musulmane, les auteurs osent affirmer que « ce sont les Israéliens (et
les Juifs) qui, sur le terrain particulier de la propagande, s’avèrent être les
moins bien aguerris et les principales victimes » (p. 21).
Je considère
finalement ce livre comme une œuvre de propagande plutôt mal réussie car
vraiment trop délirante.
- Notes :
(1)
Référence complète : KOTEK, J. et D, Au nom de l’antisionisme. L’image des Juifs
et d’Israël dans la caricature depuis la seconde Intifida, Ed. Complexe, s.l.,
2003
(2) Ceci est logique puisqu’en sionistes conséquents, ils définissent le
sionisme comme « le mouvement de libération nationale du peuple juif » et non
comme « un mouvement politique et religieux, visant à l’établissement puis à la
consolidation d’un Etat juif en Palestine » (définition du Petit Robert).
(3)
JANKELEVITCH, W., L’Imprescriptible : pardonner dans l’honneur et la dignité ? ,
Le Seuil, Paris, 1996 (ce texte date en réalité de 1971), p.88 (cité dans le
livre de J. et D. Kotek, p. 115).
(4) GRUNBERG, G., PERRINEAU, P. et autres,
Contre l’antisionisme, pour la paix, faute d’une critique politique du
gouvernement Sharon, beaucoup d’intellectuels s’attaquent à l’existence même
d’Israël, in Le Figaro, 23 mars 2002 (cité dans le livre de J. et D. Kotek, p.
116).
2. "Une campagne de
diabolisation" - Entretien avec Amnon Kapeliouk réalisé par Françoise
Germain Robin
in L'Humanité du mercredi 17 septembre
2003
Pour l'intellectuel israélien Amnon Kapeliouk, Ariel
Sharon joue la carte du pire.
- Le gouvernement
israélien est revenu hier sur ses menaces d'expulser Yasser Arafat, sans doute
en raison de la levée de boucliers internationale. Selon vous, ces menaces
restent-elles réelles ?
- Amnon Kapeliouk. Le terrain a été
préparé depuis longtemps par la diabolisation de Yasser Arafat et les attaques
sans limites contre l'Autorité palestinienne. Le communiqué du gouvernement dit
qu'il a été décidé de le bannir parce qu'il " gêne la mise en ouvre de la paix
". C'est un prétexte officiel qui ne tient pas debout. Si Arafat est expulsé, il
aura par sa stature, son poids de symbole du nationalisme palestinien, la
possibilité de continuer à " gêner ", c'est-à-dire continuer la lutte contre
l'occupation et faire obstacle à la " paix sharonienne ". Il pourra par exemple
paraître devant l'Assemblée générale de l'ONU. Je le répète : cela ne tient pas
debout et vise à camoufler le but réel de Sharon qui est de mettre Arafat
physiquement " hors jeu ".
- Vous voulez dire de le tuer
?
- Amnon Kapeliouk. Lors d'un assaut contre la Mouqata, il
peut y avoir une " balle perdue ". De l'avis de beaucoup d'observateurs, c'est
le vrai but de Sharon. C'est Ehud Olmert, un des hommes les plus proches du
premier ministre qui a lancé un ballon d'essai sur la liquidation physique
d'Arafat pour tester la réaction internationale. Le résultat, c'est la réunion
du Conseil de sécurité.
Mais Sharon est un homme obstiné qui ne renonce pas
facilement à ses plans, surtout pour ce qui touche Arafat. Quand il parle de
lui, il sort de ses gonds. On dirait qu'il a un complexe dont il ne parvient pas
à se débarrasser. Le plan peut donc être ajourné, mais dans ce gouvernement de
droite et d'extrême droite, il n'y a pas de voix raisonnable pour arrêter
l'escalade vers ce crime.
- Que pensez-vous de la proposition de
cessez-le-feu illimité que vient de lancer Jibril Rajoub ?
-
Amnon Kapeliouk. Connaissant la scène palestinienne, je peux dire que cette
proposition est très sérieuse. Elle a été élaborée par toutes les composantes du
mouvement national palestinien, y compris les islamistes, mais aussi avec
quelques pays arabes, dont l'Égypte, l'Union européenne et la Russie.
- Dans ce cas, comment les Israéliens peuvent-ils la rejeter ?
- Amnon Kapeliouk. Connaissant Sharon, il fera tout pour la
repousser. Ce qu'il veut, c'est voir une guerre civile chez les Palestiniens,
surtout pas une entente qui, cette fois-ci, est porteuse de grands espoirs.
Sharon sait que si on passe aux pourparlers, la question des colonies sera à
l'ordre du jour. Or, pour lui, c'est quelque chose de sacré, et cela depuis
toujours.
- Mais la population israélienne, elle, ne
désire-t-elle pas la paix et n'apprécierait-elle pas un arrêt des attentats
?
- Amnon Kapeliouk. La majorité de la population veut la
paix, comme le montrent les sondages. Mais elle est victime d'une propagande qui
est devenue une arme terrible du gouvernement contre les Palestiniens et en
particulier contre Arafat. Barak porte une lourde responsabilité car il est
celui qui a réussi, après Camp David, à rejeter la responsabilité de l'échec sur
les Palestiniens en faisant croire qu'ils avaient refusé des " offres généreuses
" alors qu'il s'agissait de propositions complètement inacceptables. Depuis deux
ans et demi, il y a ainsi une campagne permanente, jour et nuit, de
diabolisation d'Arafat qui a eu des résultats très néfastes dans l'opinion
israélienne et dans laquelle, malheureusement, une partie de la gauche s'est
laissée entraîner.
- Qui peut débloquer cette situation ?
- Amnon Kapeliouk. Il faut des pressions de l'étranger. Les
réactions à l'annonce de la décision de bannissement d'Arafat étaient claires,
mais pas à la hauteur de la gravité de la situation. Seules des prises de
position plus déterminées de la part des pays arabes, des Européens et des
Russes peuvent amener les Américains à se montrer plus résolus et à stopper
Sharon. Car malheureusement, ils sont les seuls à pouvoir
l'arrêter.
3. L'ONU dénonce la
politique sécuritaire d'Israël par Pierre Hazan
in Libération du
mercredi 17 septembre 2003
Selon un rapport, elle est à
l'origine de la crise humanitaire dans les territoires.
Genève
de notre correspondant - Alors que le conflit du Proche-Orient connaît une
nouvelle recrudescence de tensions, Jean Ziegler, rapporteur spécial de l'ONU
sur le droit à l'alimentation, vient de terminer un rapport destiné à
l'Assemblée générale des Nations unies sur sa mission effectuée du 3 au 13
juillet dans les territoires palestiniens occupés. Il dénonce dans ce rapport de
25 pages «la catastrophe humanitaire» produite par «la politique de sécurité et
de bantoustanisation» menée par les autorités israéliennes.
«L'arme de la
faim». Jean Ziegler constate «la détérioration rapide de la situation
alimentaire depuis le déclenchement de la deuxième Intifada» en 2000. Selon le
rapport, plus de 22 % des enfants de moins de 5 ans souffrent de malnutrition
(contre 7,6 % en l'an 2000). Plus de 15 % des enfants du même âge sont atteints
d'anémie grave, avec toutes les conséquences physiques et intellectuelles sur
leur développement qui en résultent. Plus d'un ménage palestinien sur deux n'a
plus qu'un repas par jour. Une situation liée à l'effondrement de l'économie
palestinienne, souligne le rapport : plus de 60 % des Palestiniens vivent sous
le seuil de grande pauvreté et presque autant sont totalement dépendants de
l'aide internationale.
Pour Jean Ziegler, cette situation résulte de la
politique sécuritaire de l'Etat hébreu. Ainsi le rapport épingle les mesures
militaires qui visent à protéger la population israélienne et qui sont imposées
de telle façon qu'elles mettent en danger la sécurité alimentaire de toute la
population palestinienne : «Il ne peut pas y avoir de justification pour limiter
les déplacements qui empêchent les gens d'avoir accès à de la nourriture et à de
l'eau, à moins de vouloir utiliser l'arme de la faim.»
Après avoir rencontré
des personnalités provenant du monde politique, des organisations non
gouvernementales et des militaires, y compris des généraux israéliens et Yasser
Arafat, son constat est clair : «L'imposition généralisée de couvre-feu, de
fermeture de routes, de système de permis, de barrages sont la source de la
crise humanitaire, tout comme le niveau sans précédent de destructions et de
confiscations de terre, d'eau et d'infrastructures palestiniennes.» S'il
reconnaît le droit à la population israélienne à vivre en sécurité, il dénonce
«le dispositif exagéré» mis en place par les autorités israéliennes afin de
prévenir de nouveaux attentats meurtriers.
Annexions de facto. Le rapport de
l'ONU voit à l'oeuvre «une stratégie de bantoustanisation» de la Palestine,
accompagnée de destructions sans précédent d'arbres, de systèmes d'irrigation et
d'infrastructures qui privent beaucoup de Palestiniens de leur droit à la
nourriture. Evoquant le mur de séparation dont il utilise la double
terminologie, «barrière de sécurité» et «mur de l'apartheid», construit à l'est
de la frontière de juin 1967, Ziegler note «qu'il constitue une autre violation
du droit à l'alimentation», annexant de facto des milliers d'hectares de terres
fertiles à l'Etat hébreu.
C'est la première fois qu'un rapporteur spécial des
Nations unies était admis en Israël. Depuis la résolution de l'Assemblée
générale de l'ONU de 1975 qui assimilait le sionisme à «une forme de racisme»
(résolution abrogée en 1991), les relations sont très tendues entre l'Etat
hébreu et les Nations unies.
Interrogée sur le rapport Ziegler, Tuvia Israeli
de la mission d'Israël auprès des Nations unies à Genève, déclare à Libération :
«C'est un nouveau coup dur dans nos rapports avec les Nations unies. L'ONU
s'était engagée à nous faire parvenir le rapport avant sa publication pour que
nous puissions y incorporer nos commentaires. Et nous découvrons que ce rapport
est rendu public alors que nous ne l'avons même pas encore reçu officiellement.»
La mission d'Israël affirme qu'elle va émettre une protestation auprès du
Haut-Commissariat aux droits de l'homme.
4. Orient :
l’Amérique enlisée ? par Hichem Ben Yaïche
in Vigirak.com
(e-magazine) du mercredi 17 septembre 2003
Dans quelques semaines, le
président américain George Walker Bush consacrera l’essentiel de son temps à la
campagne des élections présidentielles de novembre 2004. Au-delà des 200
millions de dollars qu’il escompte mettre en jeu grâce à ses amis des milieux
d’affaires et autres partisans fortunés, le bilan de sa politique intérieure
pèsera lourdement dans cette élection. S’il est impossible de livrer, à ce
stade, un quelconque pronostic sur sa réélection ou non, tant les inconnues
demeurent, il n’en reste pas moins que, d’ores et déjà, les signes défavorables
au président Bush se multiplient dans l’opinion.
Ici, la haute politique n’a
guère sa place dans la bataille électorale, sauf si elle a des répercussions
négatives sur la vie quotidienne de l’Américain moyen. Celle-ci est trop
compliquée. Trop lointaine. L’électeur américain moyen a besoin de langage
simple, d’émotion, du concret… Bientôt le 43e président des Etats-Unis
d’Amérique sera jugé à cette aune ; les experts en marketing politique, déjà à
l’œuvre, passent tout au crible l’état de l’opinion, afin de pouvoir « vendre »
la nouvelle image du président.
En attendant l’entrée en scènes des
principaux acteurs des élections présidentielles, il est éminemment important de
repasser le film des événements de ces dernières années. De ce point de vue, on
ne comprendrait pas, en effet, l’Amérique d’aujourd’hui sans mesurer l’impact
sur cette société de ce que les Américains appellent le « 9 11 » – le 11
septembre 2001. L’ampleur des attentats de New York et de Washington,
visant des lieux symboles, provoqua une onde de choc majeure et un réel
traumatisme sur la société américaine.
C’est à partir de cet instant que le
leadership politique américain a basculé dans une logique d’empire, où
l’Amérique va non seulement traduire dans les faits son concept de la « guerre
préemptive », une sorte de guerre perpétuelle contre le terrorisme, mais aussi
façonner la face du monde autour de ses valeurs que sont la démocratie,
l’économie de marché, etc. Voilà une nouvelle ambition pour l’Amérique au
maximum de sa puissance. Derrière cette vision du monde, on trouve des hommes
clés occupant les postes stratégiques de l’administration Bush. Ces
derniers sont issus des think tanks, lesquelles constituent la matrice de la
pensée néo-conservatrice. Richard Cheney, Paul Wolfowitz, Richard Perle,
Condeleeza Rice, avec bien d’autres, en constituent le premier cercle de pouvoir
(2).
Deux ans après l’événement tragique du 11-septembre, l’Amérique, guidée
par l’ivresse de sa puissance, déploie ses forces sur plusieurs théâtres
d’opérations : Afghanistan, Irak... On l’a vu et revu sous tous les angles : sa
suprématie militaire et technologique est indéniable. Exit les Talibans. Exit
Saddam Hussein.
Le monde selon les néo-conservateurs
Mais où en est-on
aujourd’hui ? Malgré les six cents prisonniers de Guantánamo, le terrorisme
continue à frapper et à se répandre partout. On en vient à s’interroger sur les
buts de guerre US. Le constat qu’on peut faire jusqu’ici, c’est que, autant la
planification de la guerre et de son déroulement était maîtrisée et réussie,
autant la planification de l’après-guerre aussi bien en Afghanistan qu’en Irak
est mal conçue et, surtout, inadaptée à la réalité du terrain.
Le nouvel
ordre américain du monde, même s’il est encore à ses débuts, a mal commencé :
enlisement en Afghanistan, impasse en Irak, échec en Israël-Palestine… La
démarche américaine, celle de vouloir transformer le monde par la force des
idées, a-t-elle atteint ses limites ? Il est encore trop tôt pour répondre à
cette question centrale. Cependant, les néo-conservateurs au pouvoir à
Washington, qui commencent à s’inquiéter du retournement de la situation, à la
veille d’une période électorale cruciale, vont tout faire, dans une véritable
course contre la montre, pour éviter l’échec, et ne pas s’avouer vaincus.
Quatre mois après la fin de la guerre en Irak, ce pays se révèle être une
loupe grossissante des contradictions américaines. Chaos, délitement de l’Etat,
guérilla, terrorisme, ethnicisation, vide politique…, on est loin du scénario de
l’après-Saddam conçu à Washington, où l’Irak serait un « modèle démocratique
pour tous les pays du Moyen-Orient ». Je crains fort que les 87 milliards de
dollars de rallonge budgétaire demandée par le président Bush n’arrivent trop
tard. Le mal est fait. L’Irak est en train de devenir ingouvernable. Pourtant,
il eût fallu, dès le début, mettre d’aplomb le pays en injectant suffisamment
d’argent. Les Américains comptaient sur le pétrole irakien pour faire
tourner le pays et les affaires. Mais cela n’a pas fonctionné comme ils le
voulaient. Ils étaient trop économes de leurs sous.
Un indicateur pour
situer l’échelle des coûts du plan de reconstruction de l’Irak : les experts ont
établi une fourchette allant de 100 à 1000 milliards de dollars. C’est dire
l’ampleur des dépenses à faire !
Le principe de réalité vient de rattraper le
président Bush et son équipe d’idéologues. Il n’est guère besoin de vaticiner
sur la manière de se sortir du piège irakien, l’Amérique est tout sauf un pays
monolithique. Les langues se délient et les sources ouvertes se multiplient sur
les secrets de cette guerre. Les semaines et mois à venir – période électorale
oblige – vont conditionner une évolution de l’attitude des dirigeants américains
sur l’Irak en acceptant, peut-être sous conditions, le retour de l’ONU.
Les
choses sérieuses ne font que commencer.
-
Notes :
(1) Sur les think tanks, je vous recommande la lecture
particulièrement du livre « Washington et le monde. Dilemmes d’une
superpuissance », de Pierre Hassner et Justin Vaïsse (Ed. Autrement). Un e
synthèse remarquable. En 171 pages, tout est dit. On peut aussi consulter
www.vigirak.com. On y trouve des documents de référence sur ces « boîtes à idées
», ainsi leurs budgets. Lire aussi « 11 Septembre : la quatrième guerre mondiale
a-t-elle commencé ? », de François-Bernard Huyghe.
(2) Lire sur le même site
ma chronique « L’Amérique de Bush, ses faucons et ses mensonges ».
*
Lire aussi « Les Américains deux ans après » in Courrier international,
n°671 (www.courrierinternational.com).
5. Expulser l'ambassadeur d'Israël
! par Salama A. Salama
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire
égyptien) du mercredi 17 septembre 2003
Israël s'acharne à mettre à
feu le Proche-Orient. Il estime que la conjoncture sur les plans régional et
international est dorénavant propice à donner le coup de grâce pour réaliser
tous ses objectifs. C'est dans ce contexte qu'a été prise la décision d'expulser
Arafat ou plutôt de l'assassiner comme l'a réclamé un ministre israélien. Il
s'agit là d'une ultime action sur l'échiquier proche-oriental qui permettrait à
Israël d'imposer le règlement qu'il souhaite ou dans le pire des cas de
réoccuper la bande de Gaza et la Cisjordanie.
Sur le plan international,
toutes les réactions ont condamné la décision et mis en garde contre ses
conséquences dévastatrices sur le processus de paix qui pourraient embraser
toute la région. Les réactions arabes sont restées tièdes. Certains pays arabes
se sont même contentés de communiquer au secrétaire d'Etat américain leur
mécontentement et lui ont demandé de déployer des efforts pour empêcher Israël
d'exécuter ses plans.
Les pays arabes vont-ils se contenter de ces demandes
qui n'ont jamais été payantes auprès de l'Administration américaine ? D'autant
plus que cette dernière n'a jamais caché sa complicité avec Israël dans toutes
ses actions. Les Arabes vont-ils baisser les bras face à l'arrogance israélienne
qui est allée jusqu'à l'humiliation non seulement du peuple palestinien mais
aussi de tous les peuples arabes ?
On exige que les pays arabes adoptent une
position décisive vis-à-vis de la décision israélienne d'expulser Arafat. La
seule réponse logique est d'expulser les ambassadeurs d'Israël en Egypte et en
Jordanie. Ou plutôt de dire aux Etats-Unis et à Israël qu'expulser Arafat, le
bannir ou lui porter atteinte sera immédiatement suivie par l'expulsion de
l'ambassadeur israélien et le gel de toutes les relations avec l'Etat hébreu. Et
c'est aux Etats-Unis d'assumer les conséquences d'une telle mesure qui porterait
atteinte à leurs intérêts dans la région. Les Etats-Unis ne seront plus en droit
de parler de guerre contre le terrorisme puisque ce sont eux qui sont à
l'origine de ce phénomène. Rien dans les coutumes internationales ne justifie
une agression contre un président élu par son peuple, rien ne justifie également
qu'il soit banni ou assassiné comme le souhaite Israël, soutenu par l'hypocrisie
américaine.
Il faut rappeler à certains pays du Maghreb arabe qui se sont
permis d'accueillir le ministre israélien des Affaires étrangères et qui parlent
de l'ouverture des bureaux de liaison ou de représentation avec Israël qu'ils
aident ainsi ce pays à asséner des coups aux Palestiniens.
La question de la
lutte contre le terrorisme, cheval de bataille de la politique extérieure et
intérieure américaine, ne peut ne pas être assimilée au terrorisme d'Etat que
pratique Israël contre le peuple palestinien. Les Etats-Unis ne doivent blâmer
qu'eux-mêmes car ils ne font que propager la culture de la haine et de la
violence et risquent de déclencher une nouvelle vague de violence contre eux et
contre Israël.
6. Leïla Shahid :
"Menace sur la survie du peuple palestinien" entretien réalisé par
Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du samedi 13 septembre
2003
Leïla Shahid qui demande un protectorat de l'ONU sur la
Palestine, elle craint une tentative d'enlèvement de Yasser Arafat.
L'ambassadrice de la Palestine
en France répond aux questions de l'Humanité
- Yasser Arafat a nommé Ahmed Qoreï,
plus connu sous le nom d'Abou Ala, premier ministre après la démission de
Mahmoud Abbas. A-t-il plus de chances de réussir ?
- Leïla Shahid. Je ne le pense pas. Rien ne
prédestinait Mahmoud Abbas à l'échec puisqu'il a été soutenu par les Américains
comme aucun homme politique palestinien ne l'a été auparavant. Son échec n'est
pas du tout un échec personnel. Il a d'ailleurs expliqué pourquoi il se retirait
: " premièrement parce que les Israéliens refusent de mettre en oeuvre ce qu'ils
ont accepté verbalement, deuxièmement parce que les Américains n'ont rien fait
pour les y obliger, et enfin parce qu'Arafat m'a cherché querelle sur mes
prérogatives de premier ministre ".
- Abou Ala n'est-il pas plus proche de
Yasser Arafat que son prédécesseur ?
- Leïla Shahid. Arafat n'a pas été la cause de
l'échec. La démission d'Abou Mazen vient du fait qu'il avait perdu tout espoir
de voir les Israéliens et les Américains se comporter sérieusement dans
l'application de la feuille de route. Il ne voulait pas assumer seul cet échec.
Quand à sa dispute avec Arafat, elle est le résultat de l'ingérence des
Américains et des Israéliens : ceux qui ont voulu qu'il devienne premier
ministre ont fait en même temps la guerre à Arafat à qui les Palestiniens
n'avaient pas retiré leur confiance. Il n'était pas possible que deux années de
siège, de marginalisation, d'insultes, de tentatives d'éliminer Arafat n'aient
pas de répercussions sur sa relation avec l'homme qu'on présentait comme devant
être son successeur. Ce dernier savait que pour passer d'un système présidentiel
à un système où le premier ministre partage une partie du pouvoir exécutif, il y
aurait des tiraillements. La question, c'est celle du pouvoir : où est prise la
décision ? C'est cela le fond de la dispute, pas du tout, comme l'a dit la
presse, la politique sécuritaire vis-à-vis du Hamas : Abou Mazen, Arafat et Abou
Ala savent qu'ils ne peuvent pas attaquer militairement le Hamas sans déclencher
une guerre civile. Abou Mazen a démissionné car les Palestiniens lui demandaient
des comptes sur la feuille de route : où sont les prisonniers que l'on devait
libérer ? où est le gel de la colonisation ? où est la levée du bouclage ? où
est la trêve ? Pour la première fois dans l'histoire du mouvement palestinien le
Hamas et le Jihad ont fait une trêve d'un mois et demi. Comment a répondu Sharon
? En continuant les assassinats.
Abou Ala a exactement les mêmes atouts du
point de vue de la légitimité historique, politique, des relations avec
Israéliens : il est l'un des rares à avoir rencontré Sharon. Mais il dit
lui-même : " Cela ne servira à rien si je n'ai pas de garanties que les
Américains et les Européens seront un peu plus sérieux qu'avec Abou Mazen. "
- On parle beaucoup en Israël
d'éliminer Arafat. Est-ce possible ?
- Leïla Shahid. C'est possible. Aujourd'hui, les
Israéliens font exactement ce qu'ils ont fait après Camp David : attribuer toute
la responsabilité de l'échec à Arafat. On va le rendre responsable de l'échec
d'Abou Mazen et de tous les malheurs qui ne vont pas manquer d'arriver pour
ensuite le punir. La possibilité d'une nouvelle intervention à la Mouqata est
ouverte. Sauf si les Américains l'interdisent. Mais ils peuvent resserrer le
siège, couper l'eau, l'électricité et essayer de le déporter.
- On dit qu'Arafat, dans ce cas,
préférait la mort. Est-ce vrai ?
- Leïla Shahid. Oui. Il a toujours sur sa table un
petit pistolet court. Sa hantise, c'est de mourir en exil comme Hadj Amine el
Husseini, un grand dirigeant du mouvement national palestinien anti-britannique
qui est mort presque oublié au Liban. Arafat préférerait de très loin mourir en
martyr dans sa Mouqata, qui est devenue un mythe, que dans un lit d'hôpital à
Amman. C'est pourquoi les Israéliens échafaudent des scénarios pour lui mettre
la main dessus, comme l'utilisation du gaz par exemple. Mais il ne se laissera
pas arrêter. Il se battra.
- Comment sortir de cette situation ?
Faut-il attendre, comme le disent certains, qu'une nouvelle génération remplace
Bush, Sharon et Arafat ?
- Leïla Shahid. On n'a pas les moyens d'attendre.
Ce qu'il faut, c'est un sursaut de la société israélienne pour amener au pouvoir
autre chose que la clique militaire actuelle. Il suffit d'un sursaut du désir de
vivre, car tout cela mène à la destruction d'Israël. Dans vingt ans, il y aura
une majorité arabe en Eretz Israël. Ils se tuent à leur manière, comme le dit
très bien Abraham Burg, l'ancien président de la Knesset. La tragédie des
Israéliens, c'est qu'il n'y a pas de relève pour les tirer de leur sommeil. Mais
on ne peut pas attendre qu'ils se réveillent les bras croisés. Je crois que la
solution est la même dans les territoires palestiniens qu'en Irak : une prise en
charge totale de la gestion de la vie quotidienne des citoyens par les Nations
unies, une sorte de protectorat qui serait négociée avec les Israéliens pour
assurer la survie de la population civile en attendant des négociations plus
fructueuses.
7. Le mur contre
l'éducation par Valérie Féron
in L'Humanité du samedi 13 septembre
2003
Le mur de " sécurité " qu'érige Israël va couper en
deux l'université palestinienne de Jérusalem. Les études continuent malgré les
difficultés.
Abou Dis, correspondance particulière - " Vous
avez déjà des prisonniers dans leurs cellules ? Eh bien, c'est ça notre réalité,
une prison qui se resserre autour de nous petit à petit. " Celui qui parle est
en étudiant en droit à l'université al Qods, l'université palestinienne de
Jérusalem, située à Abou Dis, un faubourg de la partie occupée de la ville.
Depuis le terrain de sport, Saed, vingt-deux ans, contemple les bulldozers
israéliens qui s'activent quelques mètres plus bas. " Tôt ou tard ils vont
arriver sur le campus de l'université et couper le terrain de sport en deux, et
détruire les arbres autour ", soupire-t-il. Et c'est pour refuser cette fatalité
que profs, étudiants et internationaux de passage sont mobilisés depuis déjà des
semaines. Le terrain de sport est devenu le symbole de la lutte contre " le mur
de la honte " : conférence, meetings divers, soirée musicale, spectacle de danse
s'y tiennent quotidiennement. Symbole aussi de " l'échec des hommes politiques
et des faiseurs de paix ", dénoncé par le président de l'université, Sari
Nusseibeh, qui mène actuellement une campagne internationale contre le projet,
qu'il estime désormais " irréversible ".
Pour Ashraf, la situation n'est
qu'un avant-goût de ce que ses parents vivent dans sa ville natale, Tulkarem,
dans le nord-ouest de la Cisjordanie, où le mur est déjà bien avancé. " C'est
bien pire là-bas. Mes parents, fermiers, ont perdu la plupart de leurs terres
prises par les Israéliens pour la construction de ce mur. Une barrière de
sécurité, ils appellent ça. C'est surtout une autre excuse pour nous prendre nos
terres ", martèle-t-il. Un sentiment que partagent ses amis, Saed, originaire de
Jénine, dans le nord, Mohammed et Fayçal, né à Abou Dis, et Dana, de la ville de
Hébron. Saed et Dana ont renoncé cette année à retourner voir leurs familles
pratiquement toutes les semaines comme ils en avaient l'habitude : " Entre le
mur et les check-points, je rentrerai tous les trois jours, explique Saed, et
quand le mur sera terminé, j'imagine qu'on ne se parlera plus que par téléphone
! ! ! " Les blocs de béton ont peu à peu coupé la route principale menant de
Jérusalem à Abou Dis. Reste pour passer, une petite porte construite entre deux
blocs de béton. Lorsqu'elle est ouverte. En ce jeudi midi, à l'heure de la
sortie des classes, elle ne l'est pas. Du coup, petits et grands escaladent un
bloc de béton et se faufilent entre deux autres pour gagner l'autre côté, malgré
la présence de soldats israéliens qui, aujourd'hui, laissent faire. " Abou Dis
est un carrefour stratégique entre toute la région et Jérusalem. De nombreuses
familles sont désormais coupées de leurs proches. Ce mur nous coupe de
Jérusalem, c'est comme pour nous dire de l'oublier, que ce ne sera jamais notre
capitale ! " s'exclame Fayçal, marié et père de deux enfants, qui vient de
terminer ses examens de doctorat. " Il vise à nous faire mourir économiquement,
socialement, et psychologiquement, en somme, à nous faire souffrir le plus
possible ", affirme Ahmad, qui a passé son doctorat d'anglais dans cette
université et y enseigne désormais. Il passe son temps à insister auprès des
étudiants pour qu'ils poursuivent coûte que coûte leurs études : " L'éducation
est primordiale dans notre lutte. Et le simple fait d'arriver à venir à
l'université dans cette situation, c'est déjà un acte de résistance ",
souligne-t-il. " Ce que veulent les Israéliens, c'est créer des cantons non
reliés les uns aux autres avec, à terme, l'impossibilité de créer notre État,
poursuit Ashraf. Mais ce mur ne nous empêchera pas de passer. Regardez dans la
bande de Gaza, ils ont creusé des tunnels à la frontière avec l'Égypte. " Les
attaques suicides ne leur apparaissent alors que comme une réponse, violente, à
une violence quotidienne qui ne cherche à long terme qu'à les " anéantir ". " La
colonisation et l'occupation ont commencé bien avant qu'il n'y ait des
attentats, ce mur n'a rien à voir avec la sécurité ", assène Dana d'un ton aussi
sérieux qu'amer. Tout le monde reste pourtant convaincu que l'application de la
loi internationale est la seule solution. La nomination d'Ahmed Qoreï, le
nouveau premier ministre, né à Abou Dis, ne leur redonne guère d'espoir à court
terme. " Il est dans la même situation que son prédécesseur, Mahmoud Abbas,
estime Fayçal. Nous ne pourrons rien faire tant que l'on n'obligera pas les
Israéliens à sortir de chez nous. " En attendant, à l'instar de nombreux jeunes,
Saed et Ashraf rêvent de quitter les territoires palestiniens pour poursuivre
leurs études à l'étranger ou travailler. " Mais bien sûr je reviendrai ensuite,
promet Saed, le mur, c'est notre résistance qui va en venir à bout.
"
8. Un Etat pour
deux peuples ? Après l’échec d’Oslo : le point de vue d’un Palestinien
par Marwan Bishara
in The International Herald Tribune (quotidien
international) du vendredi 12 septembre 2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Il y a dix ans, les Israéliens et les Palestiniens sont
convenus de reconnaître mutuellement leurs droits nationaux respectifs et de se
séparer pacifiquement. Mais Oslo a manifestement échoué à produire ce qu’il
était fait pour produire : la fin de l’occupation de la Cisjordanie et de la
bande de Gaza, en échange de la paix.
En lieu et place, Oslo a abouti à
diviser les territoires palestiniens en 202 cantons séparés, diminuant l’accès
des habitants à l’emploi, à la santé et à l’éducation, et réduisant leur PNB de
plus d’un quart. Le nombre des colons israéliens a doublé en dix ans, et un
réseau complexe de routes de contournement ont rendu l’occupation
irréversible.
Comment ce tournant dramatique s’est-il produit ?
La part du
lion du blâme échoit aux Etats-Unis et à Israël, dont les actions ont entraîné
de les violentes réactions des Palestiniens. Les Etats-Unis n’ont pas su jouer
de leur influence considérable afin de mettre au pas les tenants du Grand
Israël, qui ont fait – lentement, mais sûrement – des confettis avec l’esprit
d’Oslo.
Comme si cela ne suffisait encore pas, l’administration Bush a confié
le poulailler au renard, en chargeant le Premier ministre israélien Ariel Sharon
de sa vision d’un Etat palestinien futur. Il en découle que, dût un jour un tel
Etat voir jamais le jour, il ressemblera aux homelands que le gouvernement
d’apartheid avait créé, en Afrique du Sud, dans les années 1980.
Si Israël
doit vraiment emboîter le pas à l’Afrique du Sud, il vaut mieux qu’il soit prêt
à faire face aux conséquences de son choix : l’alternative à la séparation, sur
le long terme, est l’intégration, et non pas l’apartheid.
Théoriquement, les
Israéliens et les Palestiniens parlent de séparation : dans la pratique, ils ne
veulent pas concilier leurs aspirations nationales avec cette séparation. C’est
la raison pour laquelle, en sus d’intellectuels palestiniens éminents, un nombre
croissant d’analystes israéliens et américains s’interrogent quant à la
faisabilité de la solution à deux Etats et commencent à envisager l’Etat
binational comme un moyen permettant d’installer une paix durable entre
Palestiniens et Israéliens.
Pour qu’une solution à deux Etats fonctionne,
Israël doit commencer par retirer physiquement ses bases militaires ainsi que
ses centaines de milliers de colons de tous les territoires occupés, y compris
Jérusalem. Pour créer un Etat binational, Israël devrait simplement se
débarrasser du système d’apartheid qui a condamné les deux peuples à la
guerre.
Un Etat unique satisferait aux exigences d’une paix authentique, qui
n’ont pas même été abordées, ni a fortiori satisfaites, dans le processus
d’Oslo. Les différents au sujet des réfugiés palestiniens, de Jérusalem, de la
minorité israélienne en Israël, des colons israéliens en Palestine, de la
sécurité d’Israël, des frontières et des ressources hydriques pourraient tous
être résolus dans le cadre d’un Etat unique partagé, fondé sur la citoyenneté et
sur la protection constitutionnelle de l’identité nationale et religieuse de ses
habitants.
Cela pourrait être obtenu dans le cadre du fédéralisme, comme en
Belgique, en Suisse ou au Canada, ou bien cela pourrait être mis en place dans
le cadre d’un système « un homme – une voix », comme en Afrique du Sud.
Historiquement, les partisans Israéliens de la solution à un seul Etat ont
préféré la première solution, tandis que les Palestiniens se faisaient les
avocats de la seconde.
Mais d’une manière comme de l’autre, la solution à un
seul Etat signifie que les Palestiniens acceptent les colons juifs comme voisins
légitimes et que les Israéliens considèrent les Palestiniens [« de 1948, ndt]
comme des citoyens à part entière. L’Etat garantirait des droits et des
privilèges égaux aux deux populations. Les deux populations auraient le droit
d’immigrer, qu’il s’appelle « awdah » [retour], pour les Palestiniens ou «
aliyah » [« montée » à immigration en Israël], pour les juifs. Pour les deux
peuples, Jérusalem serait une capitale ouverte.
Automatiquement, le nouvel
Etat aurait des relations amicales et pacifiques avec ses voisins, et il
donnerait l’exemple de la réconciliation et de la coexistence.
Cette solution
n’est pas réaliste, diront les sceptiques. Les Palestiniens ne sont pas prêts
pour cela, et Israël, obsédé par la démographie, ne l’acceptera jamais.
Toutefois, dans vingt ans, les propres citoyens palestiniens de l’Etat juif
représenteront un tiers de sa population, introduisant de ce fait même le
bi-nationalisme en Israël proprement dit. Alors quoi ? A la fin des fins, Israël
devra traiter son problème démographique au moyen de la démocratie
constitutionnelle.
Souvenez-vous : bien que les Palestiniens et les juifs
n’aient jamais été officiellement mariés, ils vivent ensemble, dans le bonheur
ou l’enfer, sur le même lopin de terre et sous le même ciel, depuis des siècles.
La mort d’Oslo offre la (rare) possibilité d’une nouvelle vie fondée sur une
paix véritable et un avenir supportable pour les Israéliens et les Palestiniens,
ensemble, qui garantirait et protégerait leurs droits collectifs.
9. La France
favorable au déploiement d'une force d'interposition entre Israël et les
Palestiniens
Dépêche de l'agence Associated Press du vendredi 12
septembre 2003, 9h43
PARIS - La communauté internationale doit mettre
en place une force d'interposition entre Israël et les Palestiniens, et
convoquer une grande conférence qui "marquerait avec énergie" le "chemin" de la
paix, a affirmé vendredi le ministre des Affaires étrangères Dominique de
Villepin.
"La solution c'est de prendre le risque de la paix. Une force
d'interposition marquerait clairement l'engagement de la communauté
internationale", a affirmé le ministre sur France-Inter.
Il faut "que la
force d'interposition puisse marquer clairement cet engagement; faire respecter
sur le terrain les décisions qui sont prises; que nous avancions donc vers des
grands rendez-vous de la communauté internationale", a précisé M. de
Villepin.
"Nous avons préconisé depuis longtemps, et nous pensons encore que
ce serait d'actualité aujourd'hui, une conférence internationale rassemblant
l'ensemble des Etats concernés (...), qui marquera avec énergie et fixera le
chemin", a-t-il ajouté.
Le chef de la diplomatie française a affirmé que la
question serait abordée samedi à Genève, au cours d'une réunion consacrée à la
crise irakienne des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations
unies: "Nous ne pourrons pas ne pas aborder cette question du Proche-Orient.
Nous aurons par ailleurs les uns avec les autres de longs entretiens bilatéraux,
et nous avons tous conscience de la gravité et de l'urgence du moment. Il faut
agir et c'est le devoir de la communauté internationale".
Dominique de
Villepin a par ailleurs condamné l'accord de principe accordé par le
gouvernement israélien à une expulsion du chef de l'Autorité palestinienne
Yasser Arafat: "Une telle décision serait une erreur, et même une faute", faute
"contre la sécurité" et "contre la paix".
10. La révolution
sioniste est morte par Avraham Burg
in Le Monde du jeudi 11
septembre 2003
(Avraham Burg, député du Parti travailliste
israélien, est ancien président de la Knesset (1999-2003), ancien président de
l'Agence juive.)
Le sionisme est mort, et ses agresseurs sont
installés dans les fauteuils du gouvernement à Jérusalem. Ils ne ratent pas une
occasion pour faire disparaître tout ce qu'il y avait de beau dans la
renaissance nationale.
La révolution sioniste reposait sur deux piliers : la
soif de justice et une équipe dirigeante soumise à la morale civique. L'une et
l'autre ont disparu. La nation israélienne n'est plus aujourd'hui qu'un amas
informe de corruption, d'oppression et d'injustice. La fin de l'aventure
sioniste est déjà à notre porte. Oui, il est devenu probable que notre
génération soit la dernière du sionisme. Après elle, il restera ici un Etat juif
méconnaissable et haïssable. Qui de nous voudra en être le patriote
?
L'opposition s'est évanouie, la coalition reste muette, Ariel Sharon s'est
retranché derrière un mur de silence. Cette société de bavards intarissables est
devenue aphone. Il n'y a tout simplement plus rien à dire. Seuls nos échecs sont
retentissants. Sans doute avons-nous ressuscité la langue hébraïque, notre
théâtre est excellent, notre monnaie résiste bien, les cerveaux juifs n'ont pas
fini d'étonner, et nous sommes cotés au Nasdaq. Est-ce pour cela que nous avons
créé un Etat ? Non, ce n'est pas pour inventer des armes sophistiquées, des
instruments d'irrigation au goutte-à-goutte, des programmes de sécurité
informatique ou des missiles antimissile que le peuple juif a survécu. Notre
vocation est de devenir un modèle, la "lumière des nations", et nous avons
échoué.
La réalité, au terme de deux mille ans de combat pour la survie, est
un Etat qui développe des colonies, sous la houlette d'une clique corrompue, qui
se moque de la morale civique et du droit. Un Etat géré au mépris de la justice
perd la force de survivre. Demandez à vos enfants lequel d'entre eux est sûr de
vivre ici dans vingt-cinq ans. Les réponses les plus clairvoyantes risquent de
vous choquer, parce que le compte à rebours de la société israélienne a
commencé.
Rien n'est plus séduisant que d'être sioniste à Beth El ou Ofra. Le
paysage biblique est enchanteur. Par la fenêtre égayée de géraniums et de
bougainvilliers, on ne voit pas l'occupation. On circule vite et sans problème
sur la nouvelle route qui longe Jérusalem du nord au sud, à 1 kilomètre
seulement à l'ouest des barrages. Qui va se soucier de ce que subit l'Arabe
humilié et méprisé, obligé de se traîner sur des routes défoncées et
interrompues par des barrages pendant des heures ? Une route pour l'occupant,
une route pour l'occupé. Pour le sioniste, le temps est rapide, efficace et
moderne. Pour l'Arabe "primitif", manœuvre sans permis en Israël, le temps est
d'une lenteur éprouvante.
Mais cela ne peut pas durer. Même si les Arabes
courbaient la tête et avalaient leur humiliation, le moment viendra où plus rien
ne marchera. Tout édifice bâti sur l'insensibilité à la souffrance d'autrui est
appelé à s'effondrer avec fracas. Attention à vous ! Vous dansez sur un toit
reposant sur des piliers qui chancellent !
Parce que nous restons
indifférents à la souffrance des femmes arabes retenues aux barrages routiers,
nous n'entendons plus la plainte des femmes battues derrière la porte voisine de
notre demeure, ni celle des mères célibataires luttant pour leur dignité. Nous
avons cessé de dénombrer les cadavres des femmes assassinées par leur conjoint.
Indifférents au sort des enfants palestiniens, pourquoi sommes-nous surpris de
les retrouver un rictus de haine à la bouche, se faisant exploser en martyrs
d'Allah là où nous venons pour nos loisirs parce que leur vie est un tourment,
dans nos centres commerciaux parce qu'ils n'ont même pas l'espoir de faire,
comme nous, des emplettes. Ils versent le sang dans nos restaurants pour nous
couper l'appétit. Chez eux à la maison, enfants et parents souffrent de la faim
et de l'humiliation. Même si on tuait 1 000 terroristes par jour, rien ne
changerait. Leurs leaders et leurs meneurs sont engendrés par la haine et la
colère et par les mesures insensées que produisent nos infrastructures
moralement corrompues. Aussi longtemps qu'un Israël arrogant, terrorisé et
insensible à soi-même et à autrui fera face à une Palestine humiliée et
désespérée, nous ne pourrons pas nous maintenir.
Si tout cela était
inévitable et infligé par une force surnaturelle, je me serais tu moi aussi.
Mais il y a une autre option. C'est pourquoi il faut hurler.
Voici ce que le
premier ministre doit dire au peuple : le temps des illusions est périmé. On ne
peut plus différer les décisions. Oui, nous aimons le pays de nos ancêtres dans
sa totalité. Oui, nous aimerions bien y résider, nous tout seuls. Mais cela ne
marche pas, les Arabes eux aussi ont leurs rêves et leurs besoins. Entre le
Jourdain et la mer, c'en est fini de la majorité juive. Tout garder, mes chers
concitoyens, comme cela, gratuitement, sans en payer le prix, est chose
impossible.
La majorité palestinienne soumise à la botte des militaires
israéliens, cela aussi est impossible. De même que croire que nous sommes la
seule démocratie du Proche-Orient, parce que nous ne le sommes pas. Sans
l'égalité complète pour les Arabes, il n'y a pas de démocratie. Conserver à la
fois les territoires et une majorité juive dans le seul Etat juif tout en
respectant les valeurs de l'humanisme et de la morale juive est une équation
insoluble.
Vous voulez la totalité du territoire d'Eretz Israël ? Parfait.
Vous avez donc renoncé à la démocratie, et nous allons mettre en place un
système efficace de ségrégation ethnique, de camps d'internement, de
villes-prisons : le ghetto Kalkilya et le goulag Jénine.
Vous voulez une
majorité juive ? Parfait. Ou bien nous entasserons tous les Arabes dans des
wagons de chemin de fer, des autobus, sur des chameaux et des ânes pour les
expulser. Ou bien nous allons nous séparer d'eux de manière radicale. Il n'y a
pas de moyen terme. Cela implique le démantèlement de toutes - je dis bien :
toutes - les implantations ainsi que la détermination d'une frontière
internationale reconnue entre le foyer national juif et le foyer national
palestinien. La loi du retour juive sera applicable exclusivement à l'intérieur
du foyer national juif. Le droit au retour arabe sera applicable exclusivement à
l'intérieur du foyer national arabe.
Si c'est la démocratie que vous voulez,
vous avez deux options : soit renoncer au rêve de l'Eretz Israël dans sa
totalité, aux colonies et à leurs habitants, soit octroyer à tous la pleine
citoyenneté avec droit de vote aux législatives, y compris aux Arabes. Dans ce
dernier cas, ceux qui ne voulaient pas les Arabes dans l'Etat palestinien voisin
les auront aux urnes, chez eux-mêmes. La majorité, c'est eux ; nous, nous sommes
la minorité.
Tel est le langage que doit tenir le premier ministre. A lui de
présenter courageusement les alternatives. C'est soit la discrimination ethnique
pratiquée par des juifs, soit la démocratie. Ou bien les colonies, ou bien
l'espérance pour deux peuples. Ou bien l'illusion d'un rempart de barbelés, des
barrages routiers et des kamikazes, ou bien une frontière internationale
consentie mutuellement, et Jérusalem capitale commune des deux Etats.
Il n'y
a, hélas, pas de premier ministre à Jérusalem. Le cancer qui ronge le corps du
sionisme a déjà atteint la tête. Les métastases fatales sont là-haut. Il est
arrivé naguère que Ben Gourion commette une erreur, mais il est resté d'une
droiture irréprochable. Quand Begin n'avait pas raison, nul ne mettait en cause
sa bonne foi, et pareillement quand Shamir ne faisait rien. De nos jours, selon
un sondage récent, les Israéliens dans leur majorité doutent de la droiture du
premier ministre, tout en lui accordant leur confiance sur le plan politique.
Autrement dit, la personnalité du premier ministre actuel symbolise les deux
faces de notre infortune : un homme de moralité douteuse, jouisseur, faisant fi
de la loi et modèle négatif d'identification, le tout combiné avec sa brutalité
envers les occupés, laquelle oppose un barrage infranchissable à la paix. D'où
la conclusion imparable : la révolution sioniste est morte.
Et l'opposition ?
Pourquoi garde-t-elle le silence ? Parce que c'est l'été ? Parce qu'elle est
lasse ? Parce qu'une partie de mes camarades souhaitent un gouvernement à tout
prix, fût-ce celui de l'identification avec la maladie de préférence à la
solidarité avec les victimes de la maladie ? Les forces du Bien perdent
l'espoir, font leurs valises et nous abandonnent ici, avec le sionisme tel qu'en
lui-même : un Etat chauvin et cruel où sévit la discrimination, un Etat dont les
nantis sont à l'étranger et où les pauvres déambulent dans les rues, un Etat où
le pouvoir est corrompu et la politique est corruptrice, un Etat de pauvres et
de généraux, un Etat de spoliateurs et de colons. Tel est en résumé le sionisme
dans sa phase la plus critique de son histoire.
L'alternative, c'est une
prise de position radicale : le blanc ou le noir - s'y dérober serait consentir
à l'abject. Voici les composantes de l'option sioniste authentique : une
frontière incontestée au centimètre près, un plan social global pour guérir la
société israélienne de son insensibilité et de son absence de solidarité - la
mise au ban du personnel politique corrompu aujourd'hui au pouvoir. Il n'est
plus question de travaillistes face au Likoud, de droite contre la gauche.
A
la place de tout cela, il faut opposer le permis au prohibé, la soumission à la
loi contre la délinquance. On ne peut plus se contenter d'une alternative
politique au gouvernement de Sharon. Il faut une alternative d'espérance à la
mise en ruine du sionisme et de ses valeurs par ses démolisseurs muets, aveugles
et démunis de toute sensibilité. (Traduit de l'hébreu par Lucien
Lazare)
11. Israël relance
sa stratégie de normalisation au Maghreb par Mounir B.
in Le
Quotidien d'Oran (quotidien algérien) du mercredi 10 septembre
2003
Tel-Aviv veut isoler Alger
Après avoir
convaincu le Maroc de rouvrir les représentations diplomatiques, Israël renoue
le dialogue avec la Tunisie dans une stratégie qui vise, en définitive, à
pousser l’Algérie à la normalisation. Tel-Aviv comptant sur la qualité des
relations algéro-américaines pour aboutir avant les élections
présidentielles.
Après la visite du chef de la diplomatie israélienne, Sylvan
Shalom, à Rabat et sa rencontre avec Mohamed VI, le gouvernement Sharon se
tourne vers l’autre voisin maghrébin pour faire aboutir une normalisation au
Maghreb. Ainsi, Shalom Cohen, chef du département Maghreb-Afrique du Nord au MAE
israélien, chargé également du dossier Algérie, s’est rendu discrètement, cette
semaine, à Tunis afin de leur proposer la réouverture des bureaux d’intérêts
dans les deux capitales, tunisienne et israélienne. Selon le quotidien israélien
«Yediot Aharonot» qui rapporte l’information, Cohen a rencontré le directeur
central du ministère tunisien des Affaires étrangères en lui remettant une
lettre de Sylvan Shalom, un sépharade originaire de la Tunisie. Cet émissaire
secret a également rencontré des membres du cabinet du président Zine El Abidine
Ben Ali, ce qui semble un début de réconciliation entre Israéliens et Tunisiens
depuis que ces derniers ont fermé leur représentation diplomatique à Tel-Aviv au
début de la seconde Intifada. Tunis aurait donné son accord pour un retour d’un
chargé d’affaires israélien sur son sol mais aurait souligné le fait qu’elle ne
rouvrira son bureau en Israël qu’après le retour des Marocains, des Egyptiens et
des Jordaniens.
Malgré ces conditions, ainsi que les discussions portant sur
l’avenir de la communauté juive en Tunisie, notamment après l’attentat
d’Al-Qaïda contre la synagogue de Djerba, les Israéliens viennent de surmonter
un autre obstacle dans leur normalisation avec les pays arabes. Car, au même
moment, durant cette offensive diplomatiques contre les pays arabes, le roi
Abdellah II de Jordanie recevait les lettres de créance du nouvel ambassadeur
d’Israël à Amman, Yakov Hadas. Il y remplace l’ancien ambassadeur David Dadonn
qui n’est autre que l’ancien chargé du bureau israélien au... Maroc. Cela
pourrait supposer que ce diplomate, connaisseur de l’Algérie, pourrait être
affecté, bientôt, à Rabat où il supervisait, déjà en 1994, le Maghreb.
Cet
activisme s’est propagé en Egypte, qui attend toujours son intégration à l’UMA,
avec les pourparlers secrets entre l’Egypte et Israël pour un gros contrat
gazier. Ariel Sharon faisant savoir qu’il préférait acheter du gaz égyptien que
celui de l’Autorité palestinienne. Une transaction démentie par Le Caire mais
confirmée par Sharon. Israël a également délégué un autre émissaire secret au
Qatar, en la personne de l’ancien patron du Mossad, Ivrahim Helivy, afin de
discuter de l’éventualité d’un sommet arabe durant lequel les pays qui n’ont pas
encore normalisé avec Israël intègrent un processus de dialogue multilatéral.
Cette idée proposée par Doha d’un sommet pour la normalisation avec Israël qui
devait se tenir à Washington, sous les auspices de l’administration Bush, est
restée au stade du projet à cause du refus de certains pays arabes de cautionner
la démarche qatarie.
Enfin, le dernier élément de ce puzzle normalisateur est
la 15ème exposition internationale de l’agriculture 2003, organisée le 15
septembre prochain à Tel-Aviv, où les organisateurs ont eu l’idée de vouloir
inviter l’ensemble des pays arabes tout en sachant qu’ils n’entretiennent pas de
relations diplomatiques avec l’Etat hébreu. Une manière comme une autre de
pousser à une logique de dialogue bilatéral sur un dossier (agriculture) crucial
pour les pays arabes.
Quant à l’Algérie, elle observe ce déploiement
diplomatique israélien dans la prudence. Washington a, souvent, remis sur le
tapis des discussions bilatérales la reconnaissance d’Israël par l’Algérie sans
pour autant exercer des pressions visibles. Alger constate, toutefois, que ses
voisins maghrébins, malgré leurs discours pro-palestiniens, reviennent à des
relations normalisées avec Israël sans pour autant arracher une contrepartie
politique.
12. Folke
Bernadotte et la première feuille de route (au Moyen-Orient) par Louis
Farshee (éditorialiste invité)
on YellowTimes.org (e-magazine américain) du
mardi 9 septembre 2003
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
Cette année, le 17 septembre tombe
un mercredi. En 1948, c’était un vendredi. En fin de matinée de ce jour-là, il y
aura bientôt cinquante-cinq ans, un DC-3 blanc, portant le symbole de la Croix
Rouge Internationale, atterrissait sans encombre à Kalandia, un aéroport civil
arabe, au nord de Jérusalem. A bord de cet avion avait pris place le Comte Folke
Bernadotte, un Suédois. C’était le médiateur envoyé en Palestine par les Nations
Unies.
Depuis le 19 novembre 1947 – jour où l’Assemblée générale des Nations
Unies avaient adopté la Résolution 181 recommandant le partage de la Palestine
entre deux Etats séparés (juif, et arabe) – la guerre civile faisait rage, en
Terre sainte. Au début du printemps 1948, il était devenu évident pour tout le
monde que les rêves illusoires d’une conformation à la résolution internationale
historique s’étaient évaporés dans les fumées des canons de l’acrimonie. Tandis
que la violence ne faisait qu’empirer, toutes sortes de propositions pour mettre
un terme au conflit étaient mises en débat aux Nations Unies. Le 14 mai 1948,
dernier jour du Mandat britannique en Palestine et veille de la déclaration
d’indépendance d’Israël, Folke Bernadotte fut nommé Médiateur pour la Palestine.
Sa mission était herculéenne : faire cesser les combats et superviser la mise en
application de la Résolution de partage.
Bernadotte s’était illustré par son
action humanitaire à la direction de la Croix Rouge Internationale durant la
Seconde guerre mondiale. Une de ses actions, en particulier, lui valut une
immense popularité : dans les dernières semaines de la guerre, il facilita et
organisa la libération de milliers de juifs, de chrétiens et de prisonniers de
guerre alliés des camps allemands de concentration et de détention de
prisonniers de guerre. Neveu du Roi de Suède, parlant couramment six langues, il
était mondialement respecté en tant que bienfaiteur humanitaire honorable et
efficient, d’une totale neutralité politique. Sa candidature à la responsabilité
de Médiateur avait été proposée par les Etats-Unis, et sa nomination avait été
votée à l’unanimité.
Durant ses quatre mois de médiation, Bernadotte fit la
navette entre les capitales arabes. Il se rendit sur les lieux d’affrontements
et dans les camps de réfugiés palestiniens. Il rencontra des responsables de
tous les camps antagonistes, réussit à obtenir deux accords de cessez-le-feu,
soumit deux rapports aux Nations Unies, proposant des recommandations en vue de
la résolution du conflit. Ce programme échevelé ne l’empêcha jamais de coucher
ses observations quotidiennes dans son journal personnel, dans lequel on peut
lire ses réflexions et aussi, de temps en temps, ses indignations acerbes devant
la belligérance israélienne.
Après l’atterrissage à Kalandia, Bernadotte et
ses accompagnateurs se rendirent en voiture à Jérusalem, où ils rencontrèrent
les Observateurs de la Trêve, des Nations Unies, après quoi ils inspectèrent
plusieurs sites proposés pour la construction d’un nouveau quartier général.
Jusque-là, en effet, Bernadotte et son équipe opéraient depuis l’Hôtel des
Roses, situé sur l’île grecque de Rhodes, laquelle était, à ses yeux, beaucoup
trop loin de la zone de guerre.
Après avoir rencontré les observateurs de la
trêve et visité quelques emplacements possibles pour le bâtiment du quartier
général, le convoi de Bernadotte, composé de trois voitures, entra dans le
quartier Katamon (de Jérusalem). Chaque voiture arborait les drapeaux des
Nations Unies et de la Croix Rouge. Personne, dans ce convoi, n’était armé, et
Bernadotte avait refusé, à plusieurs reprises, le gilet pare-balle qu’on lui
proposait.
Le Katamon, sous contrôle de l’armée israélienne, était presque
désert. Les habitants chrétiens de cette partie de Jérusalem naguère encore
aisée avaient été expulsés à la pointe des baïonnettes par les forces armées
sionistes, fin avril.
Peu après avoir franchi un checkpoint de l’armée
israélienne, le convoi fut arrêté par une jeep qui lui interdisait le passage.
Trois hommes armés, revêtus de l’uniforme de l’armée israélienne, surgirent de
cette jeep, arrosant les trois voitures de leurs balles. Bernadotte fut abattu à
bout portant. Six rafales (au minimum) d’une mitraillette Schmesseir
l’atteignirent au bras gauche, à la gorge et à la poitrine. En quelques
secondes, tout était terminé. Bernadotte venait de quitter ce monde.
Dans la
voiture du Médiateur, sur la banquette arrière, avaient pris place : Bernadotte,
à droite ; le colonel français André Sérot, chef des observateurs des Nations
Unies à Jérusalem, au milieu, et le général suédois Aage Lundstrom à gauche.
Lundstrom était chef de la supervision de la trêve en Palestine, et représentant
personnel de Bernadotte.
Sérot avait insisté pour qu’on l’autorise à
s’asseoir à côté de Bernadotte durant cette partie de leur parcours, afin de
pouvoir le remercier personnellement d’avoir secouru sa femme, internée au camp
de concentration de Dachau, en 1945. D’après Sérot, son épouse devait la vie à
Bernadotte. Les assassins, prenant Sérot pour Lundstrom, qu’ils avaient planifié
de liquider en même temps que Bernadotte, le tuèrent, lui aussi. Dans leur
déclaration dactylographiée, reconnaissant leur responsabilité dans le double
assassinat, les tueurs demandent qu’on veuille bien les excuser d’avoir abattu
Sérot « par erreur ». Quant à Lundstrom, sorti indemne de l’embuscade, il a
laissé une déposition écrite qui est un document primordial. Il figure en
Appendice I du journal personnel de Bernadotte, publié à titre posthume, sous le
titre « Vers Jérusalem ».
A l’exception notable des assassins, de leurs
complices et de leurs commanditaires, l’assassinat de Bernadotte suscita une
condamnation universelle. Suspectant que le Lehi, connu également sous le nom de
Groupe Stern, était à l’origine du double assassinat, le Premier ministre
israélien David Ben-Gourion ordonna que ses membres fussent recherchés et leur
organisation dissoute. Les quatre tueurs étaient bien, en effet, des hommes du
Groupe Stern : trois tireurs et un chauffeur. Ils furent identifiés, et leurs
noms figurent dans le livre de Kati Marton, « A Death in Jerusalem » [Mort à
Jérusalem] . Les trois tireurs étaient Yitzhak Ben-Moshe, « Gingi » Zinger et
Yehoshua Cohen. C’est ce Cohen qui a tué Bernadotte. Le quatrième larron était
Meshulam Makover, le conducteur de la jeep.
Des trois dirigeants du groupe
Stern – qui avait envoyé les tueurs en mission – Israël Eldad, Natan Yalin-Mor
et Yitzhak Shamir, seul Yalon-Mor passa en jugement, en même temps qu’un autre
membre du gang, Mattiyahu Shmulovitz. Ils furent condamnés non pas pour avoir
assassiné Bernadotte, mais pour appartenance à une organisation terroriste.
Après leur inculpation, Yalon-Mor et Shmulovitz bénéficièrent d’une amnistie
générale décrétée par Ben-Gourion. Ils n’étaient en prison que depuis deux
semaines. Dans son livre, Kati Marton note : « … aucun des membres du gang des
tueurs de Bernadotte n’a passé ne serait-ce qu’une seule nuit en prison : ils
n’ont même pas été assignés à comparaître devant un tribunal. »
La suite des
événements en Israël, après l’assassinat de Bernadotte, allait démontrer que le
fait pour un Israélien d’appartenir au groupe Stern ne représentait nullement
une flétrissure à sa bonne réputation. Bien au contraire : c’était un atout pour
l’avancement de sa carrière. Ainsi, Natan Yalin-Mor fut élu député à la Knesset
(le parlement israélien). Le tireur, Yehoshua Cohen, devint le garde du corps
personnel de Ben-Gourion. Quant à Yitzhak Shamir, il succéda à Menahem Begin au
poste de Premier ministre en 1983.
La version définitive du Plan Bernadotte
fut avalisée par les Etats-Unis qui présentèrent au vote la Résolution 194,
laquelle fut adoptée par les Nations Unies le 11 décembre 1948. Entre autres
choses, elle préconisait le rapatriement des réfugiés palestiniens, ou, à
défaut, leur dédommagement. Dès ses premiers jours en Palestine, Bernadotte
avait pu constater de visu le calvaire des réfugiés palestiniens et il ne
cessait d’évoquer ce problème. Dans son rapport et ses recommandations finales,
il écrivait que le sort incertain des réfugiés palestiniens représentait le plus
grave obstacle à la paix.
Le gouvernement israélien rejeta la Résolution 194,
qu’il déclara « obsolète » en 1965. Plus récemment, les Etats-Unis lui emboîtant
le pas, ont cessé de la soutenir. De toute évidence, la Résolution 1964 a été
avortée en raison de l’intransigeance israélienne, de l’indifférence américaine,
de la mauvaise volonté des Nations Unies à en imposer la mise en application et,
enfin, de l’assassinat de Bernadotte.
En déviant de la Première Feuille de
Route pour le Moyen-Orient, les Etats-Unis venaient de créer un précédent
fâcheux, qui allait entraîner le rejet de toutes les Feuilles de Routes
suivantes, y compris l’initiative en cours et moribonde née de George
Bush.
13. Aller à l’école
? Impossible : on se heurte à un mur ! par Gideon Levy
in Ha'Aretz
(quotidien israélien) du vendredi 5 septembre 2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
La petite fille, dans sa tenue
d’écolière, les cheveux coiffés avec soin, marche vers l’école, en ce lundi de
rentrée des classes. Elle se dirige vers l’école, ai-je dit ? Eh bien non. Pas
vraiment. Il y a un mur, en travers du chemin de l’école. En se faufilant avec
difficulté entre les gros blocs de ciment qui assiègent sa maison, elle réussit
presque à passer. Elle est fluette ; donc, elle – elle passe. Mais son cartable
flambant neuf ; non. Rebroussant chemin, elle essaie à un autre endroit, où les
gens escaladent les parpaings plutôt que de se faufiler. Elle se baisse pour
passer sous les fils de fer barbelés, avance un pied de l’autre côté, puis tire
son cartable. Après quoi, elle se redresse, elle saute et atterrit avec un petit
bruit sourd puis elle se met à courir à toutes jambes – par peur de la police
des frontières qui risque de se pointer à tout moment. Enfin, elle arrive à
l’école. Ouf ! Saine et sauve : en un seul morceau !
Bonjour le niveau : bienvenue au CP
!
Pas besoin d’aller bien loin pour voir ces scènes
inadmissibles. A un quart d’heure du centre de Jérusalem, vous pourrez vérifier
par vous-même à quoi cela ressemble, la cruauté gratuite : il s’agit de
vexations collectives sans rapport d’aucune sorte avec leur but affiché. La
petite ville d’Abou Dis fut naguère presque la capitale temporaire de la
Palestine, avec un palais du parlement imposant pour le prouver. Aujourd’hui, ce
n’est plus qu’un village poussiéreux, défiguré et abandonné, avec une muraille
passant au milieu, qui coupe tout, absolument tout en deux.
Depuis maintenant
un an, là-bas, un mur affreux, en béton, divise les gens entre bons et mauvais ;
entre captifs et libres ; entre bleus (couleur de la carte d’identité
israélienne) et orange (couleur de la carte d’identité cisjordanienne).
Officiellement, les Palestiniens qui vivent à l’ouest du mur sont des gens bien
: Israël les laisse tranquilles, ils sont considérés faire partie des habitants
de Jérusalem. Ceux qui vivent à l’est du mur, par contre, son encagés comme des
animaux de cirque.
La séparation n’est pas absolue. Malgré l’absence de tout
portail, par décision délibérée – en elle-même et par elle-même inique – des
infiltrations se produisent sous le nez des patrouilles de la police des
frontières, qui grouillent dans le village. Qui, escaladant, passe par-dessus ;
qui, rampant, passe par-dessous. Tous, humiliés. Une ville entière doit franchir
tant bien que mal le mur pour aller à l’école, à l’épicerie, au travail – jour
après jour, matin après matin : des gens âgés, des jeunes hommes, des femmes,
des enfants…
Les graffiti "Am Yisrael chai" ("Le peuple d’Israël est vivant »
côtoient les croix gammées, sur le mur.
« Va là-bas, à côté de la
mosquée, c’est plus facile à escalader », suggère un garde-frontière. Et c’est
vrai, il y a même des mémés qui escaladent, près de la mosquée. C’est plus
facile, à cet endroit-là, parce qu’on n’a pas à faire une trop grande enjambée.
Vous avez juste à relever votre jupe un tout petit peu, exposant vos jambes de
manière immodeste (ce qui est interdit aux musulmanes traditionnelles), à vous
accrocher au béton lisse comme une savonnette et à vous soulever, de toute la
force de votre bras libre. Gênant, pas facile : mais vous n’avez pas le choix.
Il y a toujours quelqu’un pour vous donner un coup de main. Ensuite, vous n’avez
plus qu’à enjamber et à sauter de l’autre côté. Mais : attention à ne pas
accrocher votre fichu au fil de fer barbelé ! Il n’y a pas une seule femme âgée,
à Abou Dis, qui n’ait franchi ce mur. Même les handicapés sont portés à bout de
bras d’un côté à l’autre, comme des sacs de farine.
Quelques étudiants venus
du versant Jérusalem arrivent : ils se rendent à l’Université Al-Quds, portant
livres et notes sous le bras. Cette université, avec son campus spacieux et ses
bâtiments en pierre de taille, est la seule au monde dont les étudiants doivent
escalader un mur pour aller assister à un cours magistral. C’est sans doute ce
qu’on appelle l’éducation de haut vol ? Tirés à quatre épingles, cheveux
gominés, les jeunes hommes naviguent avec aisance et prestance à travers le mur
de béton. Un saut de gazelle, ils sont dans les territoires ; un saut de gazelle
dans l’autre sens, hop : ils sont en Israël… Les femmes – honteuses de leur
honte, alors qu’il s’agit en réalité de la nôtre – demandent qu’on ne les
photographie pas. En voyant les femmes plus âgées, votre cœur se
retourne.
Une jeep de la police des frontières est stationnée dans une cour
privée. « Qu’est-ce que vous regardez, là ? C’est tellement banal ! », nous dit
un officier, Amitai Levy, relax dans son véhicule blindé. « Allez donc à Sowahra
al-Sharqiyya [c’est sur le mont de la Tentation]… Là-bas, alors là, oui, pour le
coup : vous verrez des choses intéressantes ! »
Un garçon approche, en vélo,
sa mère assise sur le porte-bagages, les bras chargés de sacs à provisions. Et
maintenant ? « D’abord les sacs, ensuite la bicyclette, et enfin : nous. Fais
bien attention ! » recommande la mère, soucieuse.
On assiste à des scènes
cocasses. Une femme se retrouve coincée entre deux plaques de béton. Sa tête est
dans les territoires et le reste de son corps – en Israël. Ses filles se tordent
de rire jusqu’à ce qu’elle finisse par se libérer. Trois jeunes judokas –
ceintures blanches – escaladent le mur en tenue : excellent échauffement avant
le cours ! Une estafette en Vespa réceptionne un pare-brise en plexiglas que
quelqu’un lui tend de l’autre côté ; il le fixe en toute hâte sur son scooter,
et le voilà reparti ! Une armoire en Formica blanc est en train d’opérer sa
traversée. Venant en sens contraire, elle croise un bidon d’assouplissant pour
le linge, tout rose : très belle harmonie.
Voilà. A nous de traverser.
Hésitants, un pied ici, une main qu’on nous tient charitablement, là, tremblant
un peu, il n’y a rien à quoi se raccrocher. Une solution : sauter, sans se
laisser distraire par ce plateau de petits gâteaux qui opère sa traversée depuis
une pâtisserie de l’ouest vers une réception, à l’est… « Ramallah ! Ramallah ! »
crient les chauffeurs de taxi, depuis l’autre côté, ne proposant aucune course
au-delà du checkpoint de Qalandiyah, fin de la fin du monde, via deux autres
checkpoints permanents et, allez savoir, peut-être quelques autres checkpoints
provisoires…
Une jeep de la police des frontières rapplique. Cinq flics en
sortent, dont trois casqués et portant gilet pare-balle. Ils boivent du Coca.
L’un d’entre eux glaviotte généreusement. C’est la relève.
« Allez
jeter un œil du côté du Mont de la Tentation ! », s’était enthousiasmé
l’officier Lévy. La vieille bagnole escalade la colline, de l’autre côté du mur.
Les bulldozers sont à l’œuvre depuis une semaine, ici. « L’enceinte de Jérusalem
», nom de code local pour désigner le mur d’apartheid délimitant la zone urbaine
de Jérusalem, menace désormais de rejoindre à tout moment celui d’Abou Dis. Sur
le terrain, le spectacle est effrayant. D’ores et déjà familier plus au nord, le
serpent ondule en direction du sud, se lovant autour de Jérusalem. Large,
intimidant, inexorable : là une oliveraie arrachée, là une maison sur le point
de subir une opération chirurgicale. On entend au loin le rythme des perforeuses
; les flancs de la colline et la vallée sont dévastés. Un avocat sollicité par
les habitants du coin nous dit qu’il espère au maximum leur obtenir un passage
dans le mur. Mais, tout compte fait, il y a à peine une chance sur cinq d’y
parvenir.
Des étudiants de l’Université Al-Quds font une manif sur leurs
terrains de sport, qu’ils veulent défendre face à l’avancée des bulldozers
israéliens. Depuis le sommet du Mont de la Tentation, la vue est saisissante :
le serpent fauve de terre nue qui se faufile par-dessus les collines et traverse
les vallées est en train de se compléter, des deux côtés, en menaçant le terrain
de foot du campus. Sur la gauche, on met la touche finale à une route réservée
aux colons, qui reliera demain Kedar à Ma’aleh Adumim. Il faut dire qu’il y a un
tel trafic, ces jours-ci, depuis Kedar ! [Presque une voiture tous les deux
jours !]
« On va leur péter leurs caméras, à ces barbares ! » grommellent les
gardes de la société Shahaf, mitraillette au cou, qui protègent les bulls de la
Zalman Barashi & Fils, tandis qu’une voiture de location s’arrête, avec sa
poignée de militants et de journalistes internationaux. Récemment, les travaux
ont exhumé quelques colonnes antiques, à cet endroit. La rumeur a circulé que le
mur serait déplacé un peu vers l’ouest – ou l’est, on ne sait pas très bien. Ce
que l’on sait, c’est que seuls des vestiges archéologiques sont susceptibles de
modifier le tracé du mur. Pas les maisons. Pas les habitants. Pas les pâturages.
Un terrain de foot, n’en parlons même pas.
De retour à Abou Dis, un policier
des frontières nous interdit les caméras : « Ici, c’est une zone militaire
fermée ! ». Une zone militaire fermée, qu’il a dit ? La police et les gardes
armés ont en partage une aversion flagrante pour les photographes. C’est
peut-être parce qu’ils ont honte de ce qu’ils sont en train de fabriquer ? Trois
ouvriers du bâtiment, un grand et deux râblés, munis d’une scie électrique et
d’une meule, reviennent de leur journée de turbin à Jérusalem. Mettez-vous là,
sur le côté ! Cartes d’identité ! Bingo ! (Ils étaient allés en Israël sans
permis). Maintenant, on va s’ « occuper d’eux », et dans les règles de
l’art.
M., quarante-sept ans, habitant à Azzariyéh, douze enfants. « C’est
mes prisonniers », dit un policier. « Ne leur parlez pas ! » Ah, ce n’est pas
seulement une zone militaire ; c’est donc, aussi, une propriété militaire ? «
Vous pouvez leur parler, mais seulement avec ma permission », se ravise le
commandant David Azoulay. « Tout ceux qui sont là-bas, près de ce mur, ce sont
MES prisonniers. »
Sur un geste de la main du policier, l’un des ouvriers qui
attendent là sous le cagnard, s’approche, résigné. Un autre geste, signifiant,
celui-là : « Aboule ton sac ! ». Brosse à dents, vêtements pilés, cordons
électriques, souliers éculés, des lunettes tordues : le travailleur épuisé
balance tout le contenu sur la route ; son visage dit tout le reste. Les yeux du
policier sont dissimulés derrière des lunettes noires du dernier chic dans le
vent – un gamin de dix-neuf ans en train d’humilier un père de douze gamins qui
veut rentrer chez lui : « viens ici, va là-bas ! » Finalement, sur un ordre
d’Azoulay, entouré de trois policiers, les ouvriers effrayés sont repoussés sans
ménagement, derrière un bosquet de cyprès, hors de notre vue.
14. L’Union européenne face au conflit israélo-palestinien :
Equidistance ? par Charles Gheur
in Etudes du mois de septembre
2003
(Charles Gheur est chercheur à l’Institut d’études
juridiques européennes de l’Université de Liège.)
La « feuille de route » - le plan de paix élaboré par les
Etats-Unis, l’Union européenne, la Russie et les Nations Unies – a été endossée
par les Israéliens comme par les Palestiniens. Le gouvernement d’Ariel Sharon a
néanmoins exigé, parmi d’autres réserves, que la mise en œuvre de ce plan fût
sous le contrôle exclusif des Américains. Tel-Aviv, arguant de la partialité de
la ‘roadmap’. La méfiance d’Israël à l’égard de l’Union n’est pas neuve ; elle
repose sur l’idée reçue que les Quinze ont définitivement épousé la cause
palestinienne.
Dernièrement, l’aide européenne octroyée à la
direction palestinienne a été au cœur d’une polémique qui a gagné les bancs du
Parlement de Strasbourg. Alarmés par des rumeurs de détournement, des
eurodéputés ont demandé la constitution d’une commission d’enquête sur
l’utilisation des fonds communautaires par l’Autorité de Yasser Arafat. Cette
pétition, signée par plus d’un quart des membres de l’assemblée européenne, a
été rejetée le 13 février 2003 par les présidents des différents groupes
politiques du Parlement. Une décision qui étaie la thèse – aux yeux de ceux qui
la défendent – selon laquelle les Palestiniens bénéficient d’une « indulgence
aveugle » de l’Europe…
L’idée était déjà brandie le 29 mai 2002, à Bruxelles,
où se tenait une importante « manifestation de solidarité avec Israël et pour la
paix ». Plusieurs milliers de juifs, venus des quatre coins d’Europe, défilaient
pour dénoncer la position pro-palestinienne, voire l’antisémitisme, de l’Union
européenne [1]. Parce que le terme « pro-palestinien » peut être, selon la
personne qui l’énonce, un synonyme expressif de louange ou d’injure, il importe,
avant toute chose, de le définir. Dans les lignes qui suivent, nous
l’emploierons dans le même sens que les participants à la manifestation de
Bruxelles. Lorsque ceux-ci qualifient l’UE de pro-palestinienne, ils mettent en
cause son impartialité. L’accusation est grave puisqu’elle suggère que l’Union
prend systématiquement parti pour les Palestiniens par une solidarité abstraite,
sans souci de justice ni de vérité.
Pour éviter tout amalgame, il reste à
préciser, avant d’instruire cette plainte, contre qui elle est déposée : l’Union
européenne. La procédure judiciaire introduite en Belgique contre le Premier
ministre Ariel Sharon, l’opposition des Danois à l’accréditation de
l’ambassadeur israélien à Copenhague, la motion votée par le Conseil
d’administration de Paris-VI réclamant l’arrêt des subventions aux universités
israéliennes… ces éléments ne peuvent être retenus contre l’Union européenne
proprement dite. L’objet du présent article n’est pas davantage de sonder
l’opinion publique européenne sur le conflit israélo-palestinien, afin de
déterminer pour lequel des deux camps elle penche. Ainsi circonscrit, le sujet
de cette étude n’en demeure pas moins complexe. En effet, l’Union européenne est
un acteur international composite, ne ressemblant « même pas à un aigle
bicéphale, mais plutôt à un monstre à plusieurs têtes [2] » ; ce qui nuit à
l’intelligibilité de son action extérieure.
Evolution du discours
européen
Partons de la position générale de l’Union européenne sur
le conflit du Proche-Orient. L’Union reconnaît le droit irrévocable d’Israël de
vivre en paix et en sécurité à l’intérieur de frontières internationalement
reconnues. En même temps, elle convient de la nécessité d’établir un Etat de
Palestine démocratique, viable, pacifique et souverain, sur la base des
frontières de 1967, au besoin avec des ajustements mineurs convenus par les
parties. Au fil des événements qui ont émaillé l’histoire tragique de cette
région, la position européenne sur la question palestinienne s’est beaucoup
affinée, comme l’attestent les termes employés dans les déclarations communes
des Etats membres. Les « réfugiés arabes » sont devenus des « Palestiniens »,
formant un peuple à doter d’une « patrie », puis se voyant reconnaître un «
droit à l’autodétermination ». C’est seulement en mars 1999 qu’est retenue par
le Conseil européen de Berlin « la possibilité d’un Etat palestinien [3]
».
Pour autant, il ne faut pas voir dans l’évolution du discours européen un
ralliement à la cause palestinienne. Plus qu’ils ne marquent leur soutien aux
Palestiniens, les Européens prennent acte, à mesure qu’elle se construit, de
l’identité nationale palestinienne. D’autre part, la nécessité de créer un Etat
de Palestine est, aujourd’hui, un principe clairement admis par la communauté
internationale, et notamment par les Etats-Unis. Ce sont d’ailleurs les
Américains qui ont présenté la résolution 1397 de l’ONU, adoptée en mars 2002,
dans laquelle le Conseil de sécurité se prononce pour un Etat palestinien. Le
président Bush – à la tête d’une administration américaine que d’aucuns
considèrent comme la plus pro-israélienne de l’histoire – déclarait dans son
allocution du 24 juin 2002 à la Maison-Blanche : « Ma vision est celle de deux
Etats, vivant côte à côte, en paix et en sécurité. » La vaste majorité des
Israéliens, du reste, partagent cette « vision » ; Ariel Sharon lui-même s’y est
officiellement résigné. Enfin, la ‘Two-State Solution’ préconisée par les Quinze
est aussi celle retenue dans la « feuille de route », ce plan de paix élaboré
par le Quartet fin 2002, mais dont la Maison-Blanche n’a autorisé la publication
officielle que le 30 avril 2003.
Depuis quelque temps, le « Quartet » se
veut le cadre essentiel des efforts internationaux visant à favoriser un
règlement politique global de la crise au Proche-Orient. Cette formation,
réunissant les Etats-Unis, l’Union européenne, la Russie et les Nations Unies, a
été lancée à l’initiative des Européens pour inciter, dit-on, l’administration
Bush à s’impliquer davantage dans la recherche d’une solution. Les quatre sont
convenus d’appuyer un plan de paix qui doit théoriquement conduire, en trois
phases, à un Etat palestinien d’ici à 2005. La feuille de route, adoptée dès le
départ par les Palestiniens, n’a été acceptée par le gouvernement d’Ariel Sharon
que sous la pression américaine, le 25 mai 2003, après bien des atermoiements –
et non sans qu’il émette une série de réserves. L’une d’elles trahit la méfiance
d’Israël notamment envers l’Union : la supervision de la ‘roadmap’ doit être du
ressort exclusif de Washington. Mais comment justifier la marginalisation des
Européens dans la mise en œuvre d’un plan dont ils sont les co-auteurs ?
Nul
ne peut reprocher aux Quinze la solution qu’ils prônent – celle d’un Etat de
Palestine jouxtant celui d’Israël – maintenant que celle-ci est endossée par
l’ensemble de la communauté internationale, y compris les parties en cause.
Inévitablement, si le principe d’un Etat palestinien est acquis, les dissensions
apparaissent dès que l’on aborde les modalités de sa fondation. Entre Américains
et Européens, bien qu’unis derrière la feuille de route, toutes les divergences
ne sont pas aplanies. Ainsi, le cas de Yasser Arafat les oppose. Faut-il
l’évincer, comme l’administration Bush le souhaite ? Pour Bruxelles, M. Arafat
reste le président élu des Palestiniens [4]. Il continue d’ailleurs de recevoir,
dans son quartier général en ruine de Ramallah, les visites du haut représentant
pour la politique étrangère et la sécurité commune. Javier Solana, ce faisant,
brave les menaces d’Ariel Sharon, lequel s’est engagé à boycotter les
responsables étrangers qui rencontreraient le leader palestinien.
En règle
générale, les propositions de l’Union européenne relatives à l’avenir de la
région ne sont guère sujettes à controverse. L’Union défend l’émergence d’une
Palestine, sans décrire plus avant la physionomie du futur Etat. Ses plans pour
sortir Israéliens et Palestiniens de l’impasse se limitent aux très grandes
lignes. « Il faudrait trouver une solution équitable à la question complexe de
Jérusalem, ainsi qu’une solution juste, viable et arrêtée d’un commun accord au
problème des réfugiés palestiniens [5]. » On le voit, c’est avec la plus grande
prudence – et désormais sous le couvert de la feuille de route – que les Quinze
s’engagent sur le terrain miné du Proche-Orient [6].
Mais l’Union européenne,
dans la mesure où elle tient à jouer un rôle sur le plan mondial, est amenée à
s’exprimer sur l’actualité politique internationale – donc à réagir aux
événements, le plus souvent tragiques, qui secouent le Proche-Orient. Le conflit
israélo-palestinien fait l’objet de fréquentes déclarations, à travers
lesquelles l’Union condamne tel attentat terroriste palestinien, telle nouvelle
implantation juive, telle attaque de Tsahal dans les territoires autonomes… A de
plus rares occasions, elle salue quelque tentative de rapprochement entre les
deux parties. Si ces belles paroles n’empêchent pas la situation de se dégrader,
elles peuvent néanmoins constituer un frein, dans la mesure où les dirigeants
israéliens comme palestiniens sont soucieux de leur image à l’étranger.
Les
déclarations européennes, dès lors, sont passées au crible. Elles soulèvent
inévitablement des critiques, dont les plus vives émanent du camp israélien. On
a entendu l’ambassadeur d’Israël auprès de l’UE reprocher aux Quinze d’employer
un langage semblable à celui de l’Autorité palestinienne. « L’Union européenne,
en ignorant les responsabilités palestiniennes dans la spirale actuelle de la
violence, mine sa propre crédibilité en tant qu’honnête médiateur [7]. » Une
lecture objective ne permet pourtant pas de conclure à la « partialité » qui,
selon Harry Kney-Tal, aurait marqué historiquement les déclarations politiques
européennes sur le Proche-Orient. Les torts respectifs des Israéliens et des
Palestiniens sont dénoncés en fonction et au rythme des troubles dans la région.
Et quand les Européens blâment un camp parce qu’il vient de commettre un acte de
violence, ils ne manquent pas de rappeler les responsabilités de l’autre et les
devoirs de chacun.
Du reste, l’Union européenne n’est pas réputée pour ses
prises de position politiques tranchées, quel que soit le dossier sur lequel
elle s’exprime. Cette traditionnelle retenue tient au fait qu’au stade actuel de
son intégration, l’Union n’est pas équipée pour mener une politique étrangère au
sens habituel de ce terme. Sans être le « bibelot d’inanité sonore » dont
certains l’accusent, la Politique étrangère et de Sécurité commune (PESC)
n’apparaît pas moins comme une constellation d’intérêts d’Etats membres
peu disposés à quitter le devant de la scène internationale. Plus un problème
est complexe et controversé, à l’instar du conflit israélo-palestinien, plus les
pays de l’Union, agissant dans le cadre intergouvernemental de la PESC,
éprouvent des difficultés à intervenir avec cohérence et avec vigueur. La règle
de l’unanimité qui – hormis quelques aménagements – prévaut au sein de la PESC,
entraîne un alignement sur le moins-disant. Or, on sait que certains Etats
membres – l’Allemagne, le Royaume-Uni, les Pays-Bas – ne sont guère enclins à
plus de fermeté vis-à-vis d’Israël, l’empreinte de la Shoah allant jusqu’à
interdire à Berlin toute mise en cause radicale de la politique de l’Etat hébreu
[8]. Bref, quand on reproche à l’Union européenne de prendre parti contre les
Israéliens, la faiblesse de sa « politique étrangère » lui fournit un alibi
solide.
Une Europe à juger sur ses
actes
La politique extérieure de l’Union européenne n’est pas
seulement le fait de la PESC, elle se dessine également dans les relations
économiques de la Communauté européenne avec les pays tiers. Par cette voie-là,
l’Europe agit dans le monde de manière très concrète. Et, précisément, c’est sur
ses actes, plus que sur ses dires, que l’on peut éprouver l’impartialité de
l’Union européenne. Face au drame qui se joue au Proche-Orient, les réponses
vraiment tangibles données par les Quinze consistent à envoyer une importante
assistance financière vers la Palestine. La Communauté européenne se place,
d’ailleurs, en tête des bailleurs de fonds des territoires occupés. L’aide
européenne, si l’on peut tient compte des contributions individuelles des Etats
membres, s’élève à plus de la moitié de toute l’assistance internationale aux
Palestiniens.
L’acheminement de fonds communautaires vers une population en
détresse ne suffit pas à taxer l’Union de favoritisme. A l’inverses des
Américains, les Européens ont choisi de subventionner davantage la partie au
conflit qui – sur les plans politique, économique et social – se trouve dans la
situation la plus précaire. Ce faisant, les Quinze s’attirent les foudres
israéliennes. Leur soutien budgétaire à l’Autorité palestinienne, qui s’élève à
plus de dix millions d’euros par mois [9], est la cible de campagnes de presse
récurrentes. L’argent du contribuable européen irait dans des livres scolaires
dispensant un message antisémite… Il permettrait aux fedayin d’acheter des
armes… Il servirait de salaire pour des terroristes appartenant au Fatah… Il y a
quelque temps, l’Union européenne s’est vu réclamer par un colon juif, victime
d’une embuscade palestinienne sur une route de Cisjordanie, des dommages et
intérêts de vingt millions d’euros [10] ! Dans un rapport publié en mai 2002, le
gouvernement israélien a lui-même produit une série de pièces, saisies notamment
dans les quartiers généraux de l’Autorité palestinienne lors de l’opération «
Rempart de protection », qui prouveraient que l’aide européenne a été employée à
des fins terroristes.
La Commission européenne, qui est l’institution chargée
de l’exécution du budget communautaire, a toujours réfuté ces accusations de
détournement. « La Commission a examiné tous les documents qui ont été mis à
notre disposition par les autorités israéliennes », a souligné Chris Patten,
premier visé en sa qualité de commissaire principalement responsable de
l’assistance extérieure de la Communauté. « Jusqu’ici, nous n’avons trouvé
aucune preuve que les fonds de l’Union européenne ont été utilisés pour financer
le terrorisme, ou pour d’autres objectifs que ceux convenus avec l’Autorité
palestinienne [11]. » La Commission dit soumettre l’aide en question à un
contrôle rigoureux. Il est vrai que la mise en œuvre du budget de l’Autorité
palestinienne fait l’objet d’un monitoring permanent par le Fonds Monétaire
International, lequel remet tous les mois un rapport détaillé à la Commission
européenne [12]. En outre, le versement des fonds communautaires et subordonné
au respect, par la direction palestinienne, de mesures de réforme qui visent, en
premier lieu, à renforcer la transparence de ses finances publiques [13].
Il
ne faut pas non plus perdre de vue que toutes les formes du soutien européen à
la Palestine font partie d’un vaste effort international et son apportées avec
le consentement explicite du gouvernement d’Israël. Fin 2002, celui-ci a
partiellement repris le transfert, gelé depuis de longs mois, des recettes
fiscales et douanières revenant à l’Autorité palestinienne. Pour ce faire,
Tel-Aviv a usé des mêmes mécanismes de surveillance que Bruxelles ; ce qui a
conduit Chris Patten à s’interroger : « Les prochaines victimes du terrorisme
accuseront-elles également le gouvernement israélien de complicité dans les
crimes commis contre elles [14] ? »
Les allégations portant sur l’utilisation
de deniers communautaires ont tout de même réussi à semer le doute au sein du
Parlement européen : en septembre dernier, plusieurs de ses membres, que les
explications de Chris Patten n’ont pas convaincus, ont lancé un appel pour la
constitution d’une commission d’enquête parlementaire sur l’aide européenne
octroyée à la direction palestinienne. En dépit de manœuvres obstructionnistes
dont la Commission européenne, aux dires de certains, se serait rendue coupable
[15], le quorum nécessaire pour déposer cette demande d’éclaircissement a été
atteint. Plus d’un quart des parlementaires ont donc apposé leur signature au
bas du document réclamant l’assurance que les sommes allouées par les Quinze ne
sont ni détournées, ni mal utilisées par l’Autorité de Yasser Arafat
[16].
Mais, pour que la proposition d’établir une commission d’enquête soit
soumise au vote en séance plénière, encore fallait-il que la conférence des
présidents des groupes politiques lui donne son aval. Ce qu’elle avait refusé de
faire, le 13 février 2003, au grand dam des quelque 170 députés signataires. En
revanche, les présidents de partis ont autorisé la mise en place d’un simple «
groupe de travail » composé d’euro-parlementaires membres des commissions des
Affaires étrangères, du Budget et du Contrôle budgétaire. Cette formule, qui
satisfait la Commission européenne, est considérée comme un pis-aller par ceux
qui prônent la création d’une commission d’enquête, pour lesquels le groupe de
travail ne disposerait pas de pouvoirs d’investigation suffisants et ne
pourrait, dès lors, que « ressasser des éléments très superficiels [17] ».
L’affaire est toutefois loin d’être enterrée, d’autant que le redouté Office
européen de lutte anti-fraude (OLAF) s’en est emparé. Dans un communiqué
laconique datant du 5 février 2003, l’OLAF a annoncé l’ouverture par ses
services d’une enquête externe sur l’aide budgétaire de l’Union européenne à
l’Autorité palestinienne. « Aucun autre commentaire ne sera fait sur la présente
enquête jusqu’à ce qu’elle soit clôturée. » Une discrétion qui est conforme aux
méthodes de cet Office, créé en 1999 en vue de renforcer la lutte contre la
fraude, la corruption et toute autre activité illégale portant atteinte aux
intérêts financiers de la Communauté européenne. L’OLAF, bien qu’institué au
sein de la Commission européenne, est doté d’une entière indépendance. Il est
composé d’enquêteurs de haut niveau, rompus au dépistage de toutes les
malversations, a priori plus compétents que des députés siégeant dans une
commission d’enquête. Autre avantage, du moins aux yeux de la Commission
européenne : l’Office ne connaît pas la forte médiatisation qui entoure les
travaux d’une commission d’enquête parlementaire. « Notre initiative n’est pas
un acte politique, mais un acte d’information », a déclaré l’un des partisans de
l’établissement d’une telle commission [18]. Alors, ce député ne devrait-il pas
se réjouir que l’OLAF se soit saisi du dossier, dans la mesure où, contrairement
à une commission d’enquête [19], l’Office opère à l’abri de toute politisation
?
Le rapport de l’Office de lutte anti-fraude fera, nous l’espérons, toute la
lumière sur l’utilisation de l’aide européenne. Il est légitime d’exiger la plus
grande transparence du budget palestinien. Les Israéliens, qui vivent dans
l’angoisse permanente d’attentats meurtriers, doivent recevoir toutes les
garanties que les fonds communautaires ne tombent pas dans les mains
terroristes. En même temps, pour faire la paix, Israël a besoin d’un partenaire.
A ceux qui, au delà du débat sur la destination des subsides européens,
remettent en cause leur principe même, Chris Patten répond que « l’alternative à
l’Autorité palestinienne est l’anarchie palestinienne ». Le raisonnement de la
Commission européenne est le suivant : sans le soutien financier de l’Union,
l’Autorité palestinienne s’effondrerait. Elle ne pourrait plus assurer les
services de base à la population : il n’y aurait plus de police, plus de
médecins, plus d’enseignants, plus aucune administration. La région plongerait
inévitablement dans un nouveau cycle de violence et d’instabilité – avec
d’avantage de victimes des deux côtés [20]. Bref, en empêchant le naufrage de
l’Autorité palestinienne, l’Europe veut éviter que le Proche-Orient ne sombre
dans le chaos.
Pour Bruxelles, il ne s’agit pas seulement de maintenir en vie
la direction palestinienne, il faut encore l’amener à se réformer. C’est ainsi
que les Quinze assortissent leur soutien budgétaire à l’Autorité palestinienne
d’une série d’exigences telles que : l’entière responsabilité du ministre
palestinien des Finances dans la gestion de la masse salariale, l’adoption de la
loi sur l’indépendance du pouvoir judiciaire, la consolidation de toutes les
sources de revenus de l’Autorité sur un seul compte en trésorerie, etc. [21] En
mars 2003, les pressions conjuguées des partenaires du Quartet conduisent à la
nomination de Mahmoud Abbas, alias Abou Mazen, au poste de Premier ministre ; un
nouveau gouvernement palestinien est formé quelques semaines plus tard.
Pour
mieux accompagner ces réformes, la Commission européenne décide alors de
modifier le régime d’aide à la Palestine. Afin de tenir compte de la reprise des
transferts fiscaux par les autorités israéliennes, l’aide mensuelle versée au
budget de l’Autorité palestinienne est supprimée au profit d’un système
d’assistance plus ciblée, mettant l’accent sur le secteur privé et les services
sociaux. L’occasion pour Chris Patten de dresser le bilan suivant : « Le soutien
budgétaire direct que nous avons accordé s’est révélé efficace : il a contribué
à maintenir en vie l’Autorité palestinienne, appelé à être l’interlocutrice des
futures négociations ; il a permis de fournir les services sociaux minimums à la
population palestinienne ; et puisqu’il n’était accordé qu’à des conditions
strictes, il a servi de levier pour encourager d’importantes réformes destinées
à améliorer les standards de gouvernance, principalement en ce qui concerne la
transparence et la responsabilité dans la gestion des finances publiques [22].
»
Observons que les réformes imposées par les Européens convergent –
théoriquement du moins – vers un même but : créer les conditions nécessaires à
l’édification, à côté d’Israël, d’un Etat palestinien indépendant, viable,
souverain et démocratique. Un tel dessein ne fait pas de l’Union « le sponsor
inconditionnel de la cause palestinienne », a fortiori quand on sait que le
principe est largement admis par l’opinion israélienne [23]. Bien qu’une frange
de son cabinet ministériel y soit opposée, Ariel Sharon adhère lui aussi à la
vision de deux Etats vivant côte à côte, en paix et en sécurité. C’est du moins
ce qu’il a proclamé tout au long de sa campagne électorale, avant d’être
reconduit à la tête du gouvernement en janvier 2003. C’est surtout ce
qu’implique l’acceptation de la feuille de route, lancée officiellement au
sommet d’Akaba, le 4 juin 2003. Sur le terrain, malheureusement, la volonté
affichée par le Premier ministre israélien est sans cesse contredite.
L’incohérence la plus patente demeure certainement le processus de colonisation
qui, en dépit du démantèlement symbolique de quelques « postes avancés »,
conforte « les Palestiniens dans leur crainte qu’Israël n’a pas vraiment
l’intention de mettre un terme à l’occupation [24]. »
Selon une image de plus
en plus répandue, qui séduit par sa simplicité, les deux parties au conflit
israélo-palestinien seraient chacune parrainée, l’une par les Etats-Unis,
l’autre par l’Union européenne. Celle-ci, bien entendu, se défend de
systématiquement privilégier les Palestiniens. Mais peut-on rester au-dessus de
la mêlée ? Selon Alain Gresh, quand on évoque le Proche-Orient, la neutralité
relève de l’illusion [25]. Il est un fait que le mot « neutralité » embarrasse
les Européens [26], étant donné le rapport très inégal des forces en présence.
La présidence belge de l’Union, au second semestre de l’année 2001, lui avait
préféré le terme « équidistance » : les Quinze se placent à égale distance des
deux opposants, tout en tenant compte du handicap palestinien. Comme plusieurs
députés critiquaient ladite position lors d’une session plénière du Parlement
européen, la présidente du Conseil, Annemie Neyts, eut cette formule en anglais
: ‘Equidistance is not equalising the parties involved [27]’.
En vérité, il
n’y a aucune réponse satisfaisante au problème tel qu’il est posé. Il est vain,
en effet, de chercher à savoir dans quel camp se situe l’Union. La difficulté de
déceler l’arrière-pensée de « l’hydre » européenne n’est pas le principal
obstacle à la vérification du caractère éventuellement partisan des Quinze. Le
problème tient surtout au fait que la définition d’un qualificatif comme «
pro-palestinien » renvoie à des notions subjectives, qui ne peuvent servir de
base à une démonstration. On ne peut trancher la question, sauf à émettre un
jugement de valeur. En revanche, le consensus qui existe à propos de la
nécessité d’un Etat palestinien offre un critère intéressant pour apprécier
objectivement les actes des uns et des autres.
Dans le cas qui nous occupe,
celui de l’Europe, il ressort des lignes qui précèdent que ses efforts – tant
diplomatiques qu’économiques – tendent vers une telle solution, basée sur la
coexistence des deux Etats. Du point de vue palestinien, cependant, les Quinze
ne seraient pas si cohérents dans la poursuite de cet objectif. Si l’Union
européenne veut que naisse un jour un Etat de Palestine, pourquoi laisse-t-elle
les troupes israéliennes détruire, en Cisjordanie et à Gaza, les infrastructures
qu’elle a elle-même financées [28] ? Pourquoi ferme-t-elle les yeux devant les
exécutions sommaires « extrajudiciaires » d’activistes palestiniens, et devant
l’occupation violente des territoires autonomes, leur morcellement et leur
encerclement par une « clôture de sécurité » ? Pour toutes ces raisons, des voix
s’élèvent afin que le Conseil de l’Union suspende l’accord d’association avec
l’Etat hébreu, comme l’a recommandé le Parlement européen dans sa résolution du
10 avril 2002. Une clause de conditionnalité, insérée dans l’accord UE-Israël,
autorise en effet les parties contractantes à suspendre ou à mettre fin à
celui-ci en cas de violation des droits de l’homme ou des principes
démocratiques. Néanmoins, l’idée d’actionner un tel levier à l’encontre d’Israël
recueille, à ce jour, peu de suffrages parmi les Etats membres de
l’Union.
Ceux qui stigmatisent la complaisance de l’Union européenne
vis-à-vis de l’un ou de l’autre camp détournent le débat, sciemment ou non, de
la seule question qui importe : comment mettre un terme aux malheurs des deux
peuples ? Selon un principe qui sous-tendait déjà, de manière implicite, les
accords d’Oslo, la paix doit passer par la reconnaissance d’un second Etat à
l’ouest du Jourdain. L’intérêt premier de la feuille de route réside dans le
fait que le but à atteindre se trouve précisément énoncé : « deux Etats, Israël
et la Palestine, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité ». Voilà le cap
à tenir. Les parties, les membres du Quartet, les acteurs clés de la région
doivent tous être jugés à l’aune de ce résultat escompté à l’horizon 2005. Force
est de constater, hélas ! que la perspective d’un règlement définitif et complet
du conflit continue de s’éloigner à chaque agression de Tsahal, à chaque
attentat suicide… On se demande alors jusqu’à quel point d’horreur
l’affrontement entre Israéliens et Palestiniens devra s’enfoncer pour que la
communauté internationale – et en particulier l’Union européenne – se décide à
promouvoir plus fermement la création d’un Etat palestinien, avant que cette
vision que tout le monde dit partager ne devienne irréalisable…
- Notes :
[1] : Agnès Gorissen, « Des
juifs interpellent l’Europe », Le Soir, 30 mai 2002.
[2] : E. Decaux, « Le
processus de décision de la PESC : vers une politique étrangère européenne ? »,
dans E. Cannizaro (ed.), The European Union as an Actor in International
Relations, Kluwer Law International, 2002, p. 17-49.
[3] : Sur l’évolution de
la position européenne concernant le conflit au Proche-Orient, cf. T. de Wilde
d’Estmael, « La Coopération politique européenne face au conflit
israélo-palestinien », dans Conflits et processus de paix au Proche-Orient,
Academia Bruylant, Louvain-la-Neuve, 1996, p. 231-273 ; Bishara Khader, L’Europe
et la Palestine : des Croisades à nos jours, L’Harmattan, 1999.
[4] : «
C’est évidemment à la population palestinienne qu’il revient de déterminer sa
représentation au plus haut niveau », aurait répondu Chris Patten, le
commissaire européen en charge des relations extérieures. Le Soir, 26 juin 2002
(avec Belga).
[5] : Conseil européen de Séville, 21 et 22 juin 2002,
Conclusions de la présidence (Annexe VI : Déclaration sur le Proche-Orient). La
feuille de route reprend quasiment les mêmes termes.
[6] : On s’imagine
difficilement l’Union européenne proposant une stratégie détaillée, à l’instar
des « paramètres » que Bill Clinton avait suggérés à Camp David, en juillet
2000.
[7] : Cf. les commentaires de Harry Kney-Tal, ambassadeur d’Israël
auprès de l’UE, à la suite de la déclaration du 19 avril 2001 de la présidence
suédoise du Conseil de l’UE, Bulletin Quotidien Europe, n° 7948, vendredi 20
avril 2001, p. 5.
[8] : M. Verrier, « L’Allemagne s’active au Proche-Orient
», Le Monde diplomatique, juillet 2002.
[9] : Le système en question,
consistant à verser une aide mensuelle directe au budget de l’Autorité
palestinienne, est aujourd’hui supprimé. Le 30 avril 2003, la Commission a
annoncé de nouvelles formes d’assistance pour soutenir le processus de réforme
au sein de l’AP. Voir infra.
[10] : Cf. S. Zebaida, « EU cash and Palestinian
terrorism : why one man is determined to sue the Union », European Voice, 14-20
novembre 2002.
[11] : Allocution de Chris Patten devant la commission
parlementaire des Affaires étrangères sur l’assistance budgétaire de l’UE à
l’Autorité palestinienne, 19 juin 2002, http://europa.eu.int/comm/external_relations/news/patten/sp02293.htm
[12] : Le rôle du FMI dans le monitoring du budget
de l’Autorité palestinienne fut un moment remis en cause. Rosa Valdivieso, chef
de mission pour le FMI à Gaza et en Cisjordanie, donna des assurances
catégoriques. Cf. sa lettre du 27 novembre 2002, en réponse aux questions posées
par le bureau de la député Ilka Schröder,
http://europa.eu.int/comm/external_relations/mepp/imfletter.pdf
[13] : Cf. Déclaration de la Commission européenne,
suite aux allégations de détournements des fonds communautaires par l’Autorité
palestinienne, 6 mai 2002, http://europa.eu.int/comm/external_relations/gaza/news/me02_90.htm
[14] : Cf. la lettre de Chris Patten envoyée à
European Voice concernant les allégations de détournements de fonds alloués à
l’Autorité palestinienne, http://europa.eu.int/comm/external_relations/news/patten/artev.htm
[15] : Le député européen François Zimeray soutient
que plusieurs parlementaires auraient retiré leur signature suite à des
pressions exercées par la Commission . Cf. son interview par N. Leibowitz,
http://www.proche-orient.info
[16] : En vertu de l’article 193 du traité CE, « le
Parlement européen peut, à la demande d’un quart de ses membres, constituer une
commission temporaire d’enquête pour examiner […] les allégations d’infraction
ou de mauvaise administration dans l’application du droit communautaire ».
[17] : Bulletin Quotidien Europe, n° 8393, février 2003, p. 13.
[18] :
Ibidem.
[19] : Cf. E. Vallet, « Les commission d’enquête du Parlement
européen », Revue du Droit Public, n° 5-2002, p. 1441-1457.
[20] : Cf.
notamment, la lettre de Chris Patten à European Voice, précitée.
[21] : «
L’Union européenne et le Moyen-Orient : position et situation »,
http://europa.eu.int/comm/external_relations/mepp/faq/index_fr.htm#2a
[22] : « EU to support reform of Palestinian
Authority with new forms of aid », Bruxelles, 30 avril 2003, http://europa.eu.int/comm/external_relations/gaza/news/ip03_607.htm
[23] : Que la droite et les partis religieux se
soient assuré les deux tiers des sièges à la Knesset lors des dernières
élections israéliennes n’est, selon Eric Rouleau, qu’une « illusion optique ». «
En effet, les sondages indiquent que les Israéliens sont majoritairement
favorables à la stratégie de la paix de la gauche : le retrait de la
quasi-totalité des colonies de la Cisjordanie et de la bande de Gaza,
territoires où verrait le jour un Etat palestinien. » E. Rouleau, « Peur à
Ramallah, inquiétude à Tel-Aviv », Le Monde diplomatique, mars 2003.
[24] :
Cf. la Déclaration du Conseil européen sur le Moyen-Orient, Conseil européen de
Copenhague, 12 et 13 décembre 2002, Conclusions de la Présidence, Annexe
III.
[25] : A. Gresh, Israël, Palestine – Vérités sur un conflit, Fayard, p.
23.
[26] : Cf. Bulletin Quotidien Europe, n° 7845, 20 et 21 novembre
2000.
[27] : Cf. Les débats de la session plénière du Parlement européen du 4
septembre 2001. N’y a-t-on vu qu’un artifice de langage ? Le terme
d’équidistance a fait long feu. Dans une lettre adressée à Javier Solana,
Francis Wurtz, président du groupe de la Gauche unitaire / Gauche verte nordique
du Parlement européen, s’interrogeait : « Peut-on parler aujourd’hui
d’équidistance entre l’occupant et l’occupé ? Entre un Etat constitué et une
Autorité symbolique ? Entre les attaques ou les assassinats ciblés dont se rend
coupable une armée et les actes incontrôlables de « kamikazes » ? Entre un chef
de gouvernement soutenu et encouragé par la plus grande puissance du monde et un
leader en résidence surveillée et, pour l’essentiel, abandonné des grands de ce
monde ? », Bulletin Quotidien Europe n° 8143, 4 et 5 février 2002, p. 3.
[28]
: Cf. Bulletin Quotidien Europe, n° 842 du 19 mars 2003, p. 15. Chris Patten a
envoyé au président du groupe socialiste du Parlement européen, Enrique Baron,
une liste détaillée reprenant les dommages physiques infligés par des attaques
de l’armée israélienne à des projets palestiniens financés par l’Union
européenne. Les dommages estimés le 14 décembre 2002 atteignaient
approximativement 24 millions d’euros ; 32 cas de destruction sont cités,
concernant des bâtiments administratifs, hôpitaux, écoles, installations d’eau
et d’électricité, projets d’irrigation, etc.
15. Impasse stratégique pour
la résistance palestinienne - Dans l’étau de l’occupation
israélienne par Graham Usher
in Le Monde diplomatique, septembre
2003
(Graham Usher est journaliste, auteur de Dispatches
from Palestine : the Collapse of the Oslo Agreement, Pluto Press, Londres,
1999.)
Israël comme le Hamas ont rejeté le cessez-le-feu proposé le 23
août par l’Autorité palestinienne. Avec leurs attentats aveugles, les
organisations islamistes portent une lourde responsabilité dans l’escalade. Mais
le gouvernement israélien a tout fait pour saboter la « feuille de route » :
refus de se retirer de Cisjordanie, construction du mur, assassinats de
dirigeants palestiniens. Trois ans après le début de l’Intifada, la résistance
palestinienne est dans une véritable impasse.
Le 4 juin 2003, au sommet d’Akaba, le premier
ministre palestinien Mahmoud Abbas (Abou Mazen) est adoubé par le président
américain George W. Bush, en présence du premier ministre israélien Ariel Sharon
: il représente la « face acceptable » du nationalisme palestinien. Cette
victoire est l’aboutissement d’une politique que M. Mahmoud Abbas et le courant
de la direction palestinienne qu’il représente préconisent depuis au moins un
an. Il est devenu essentiel, expliquaient-ils, de mettre fin à l’Intifada armée
pour sauver l’Autorité palestinienne, obliger Israël à se retirer des
territoires occupés et impliquer à nouveau l’administration Bush dans les
négociations. En fait, ils admettent qu’un soulèvement national ayant coûté près
de trois mille vies palestiniennes était bel et bien vaincu et que les termes de
la reddition étaient consignées dans la « feuille de route » adoptée par le
Quartet (Etats-Unis, Russie, Union européenne et ONU) le 20 décembre 2002
[1].
Cette défaite était prévisible pour un soulèvement sans objectifs, et
sans stratégie, si ce n’est une vague conscience nationaliste que les
dispositions des accords d’Oslo devaient être revues et corrigées coûte que
coûte, ce qui impliquait le remplacement des dirigeants qui les avaient
négociés. Mais le sort de l’Intifada sera scellé dès mars 2002, avec
l’assassinat, durant ce mois, de 275 Palestiniens et de 105 Israéliens – dont
une trentaine de personnes célébrant la Pâque juive dans un hôtel de Netanya le
27, au soir de l’adoption à Beyrouth du plan arabe de paix. Cette ultime
atrocité offrait à M. Ariel Sharon l’occasion de mener la « guerre contre le
terrorisme » dont il avait besoin pour écraser M. Yasser Arafat, l’Autorité
palestinienne et tout ce qui rappelait les engagements d’Oslo.
Entre le 29
mars et le 4 avril 2002, dans un mouvement massif et soigneusement planifié,
baptisé opération « Rempart », l’armée israélienne envahit la Cisjordanie et
occupe toutes les principales villes, excepté Hébron et Jéricho : 250
Palestiniens meurent, des milliers d’autres sont blessés et de vastes coups de
filet permettent d’en arrêter 8 000. M. Sharon efface tout semblant d’autonomie
et réinstalle l’autorité militaire israélienne dans chaque ville, chaque village
ou camp de réfugiés. Ce retour à la situation d’avant les accords de septembre
1993, objectif que poursuivait depuis longtemps le chef de la droite, se fonde
sur la destruction systématique des institutions de l’Autorité palestinienne et
une nouvelle géographie de la Cisjordanie, divisée en huit zones séparées les
unes des autres par des colonies et des zones tampons contrôlées par
l’armée.
L’espoir persistant chez les Palestiniens et dans les pays arabes
que l’échec des accords d’Oslo hâterait un sauvetage international sera
rapidement anéanti. M. Sharon ne tient aucun compte des appels du président Bush
l’exhortant à retirer ses troupes des villes réoccupées – « Et plus vite que ça
! ». Moyennant quoi, M. Colin Powell met huit jours à gagner Jérusalem, via
Rabat, Riyad, Le Caire, Amman et Madrid. Quand il arrive enfin, il n’impose ni
cessez-le-feu ni retrait des troupes, mais négocie un nébuleux calendrier :
l’armée quitterait certaines villes de Cisjordanie le 21 avril 2002 au plus
tard. L’unique concession faite à la sensibilité arabe sera une visite à M.
Arafat dans les ruines de son quartier général.
Pour les Palestiniens (et
pour Israël), cette rencontre n’a qu’une signification : les Etats-Unis n’ont
pas encore tiré un trait sur M. Arafat, élu démocratiquement président en 1996,
ou, plus précisément, n’ont pas encore préparé une solution de rechange. Contre
le blanchiment par l’ONU des crimes de guerre israéliens commis dans le camp de
réfugiés de Jénine, M. Sharon, à contrecoeur, permet au président palestinien de
sortir de Ramallah, le 2 mai 2002.
Il touche rapidement les dividendes de sa
« retenue », ajoutant une victoire diplomatique à celle qu’il vient de remporter
sur le terrain. En étroite consultation avec lui, le président Bush, dans son
discours du 24 juin 2002, étoffe sa « vision » d’une Palestine qui vivrait «
côte à côte avec Israël, dans la paix et la sécurité ». Il conditionne cette
perspective à la mise en place d’une « direction palestinienne nouvelle et
différente ». Il réclame « de vraies réformes », précisant qu’elles «
nécessitent des institutions politiques et économiques entièrement renouvelées,
fondées sur la démocratie, une économie de marché et des actions contre le
terrorisme ». Une fois ces conditions remplies à la satisfaction des Etats-Unis
et d’Israël, un Etat palestinien « provisoire », aux frontières déterminées par
Israël, pourrait être proclamé. Ensuite, un accord final – sur le statut de
Jérusalem, les colonies, les réfugiés et les frontières définitives – « pourrait
être conclu au bout de trois ans ». Ces conditions deviendront les paramètres de
base de la « feuille de route ».
Les Palestiniens n’ont pas tardé à mesurer
l’étendue de leur déroute, surtout ceux qui avaient dirigé le soulèvement sur le
terrain : les milices du Tanzim, issues du Fatah de M. Arafat. Leurs cadres
comprenaient maintenant que la stratégie d’Intifada armée – et particulièrement
les attentats-suicides à l’intérieur d’Israël – s’était révélée désastreuse pour
la cause palestinienne. Elle avait offert à M. Sharon, de la part de son
électorat et de Washington, le blanc-seing dont il avait besoin pour poursuivre
ses ambitions coloniales en Cisjordanie. Elle avait fini par épuiser les
réserves de sympathie diplomatique et populaire dont bénéficiaient les
Palestiniens, notamment en Europe. De plus, elle mettait en péril la
revendication du Tanzim à prendre la direction de la Palestine.
Parmi les 6
000 militants palestiniens internés par Israël au cours de la reconquête de la
Cisjordanie, beaucoup sont des cadres moyens de cette organisation, noyau dur de
la direction politique et militaire du mouvement. La prise la plus précieuse a
été l’arrestation télévisée, le 15 avril 2002, du charismatique secrétaire
général du Fatah pour la Cisjordanie, M. Marwan Barghouti. Des dizaines d’autres
dirigeants locaux du Fatah ont été, soit tués dans les combats, soit assassinés.
Ceux qui les remplacent ressemblent plutôt à des « seigneurs de guerre », qui
plus est jeunes et inexpérimentés, habitués à opérer en bandes et plus loyaux
envers leur clan, district ou communauté qu’à l’égard de la direction nationale.
D’où un mouvement indiscipliné et confus, qui voit se creuser des gouffres non
seulement entre les ailes militaire et politique, mais au sein même des unes et
des autres.
Pour renverser ce cours, la direction politique du Tanzim – en
prison ou non – lance un appel au changement en trois points. D’abord, il faut à
l’OLP une direction nouvelle et revigorée, dite d’ « urgence nationale »,
responsable de la stratégie et d’éventuelles négociations avec Israël. Ensuite,
il faut à l’Autorité un gouvernement de techniciens, plus resserré, réformé,
ayant pour seule tâche de fournir des services efficaces, et qui sera
responsable devant le peuple. Enfin, il faut parvenir à un accord qui engage
toutes les factions palestiniennes (et surtout le principal rival du Fatah, le
Hamas) sur « les moyens et les terrains de la résistance ».
Grâce à ces
changements démocratiques, l’organisation pensait non seulement rattraper les
pertes dues à la reconquête israélienne, mais également accélérer le
remplacement des dirigeants du Fatah et de l’Autorité, « lesquels, explique un
dirigeant du Tanzim, faute de stratégie au cours des deux dernières années, ont
entraîné les Palestiniens dans la crise actuelle ». Comme on pouvait s’y
attendre, la direction en place a pris des mesures pour faire capoter cette «
révolution dans la révolution ».
Depuis longtemps, des leaders historiques du
Fatah comme M. Abbas pensaient que la « militarisation » de l’Intifada signait
la mort de l’Autorité et de leur propre rôle dirigeant. Mais, vu le prix énorme
payé par les Palestiniens pour le soulèvement, ni lui ni les autres ne pouvaient
ouvertement y renoncer. L’échappatoire choisie sera plutôt un nouveau discours «
réformiste » passant la résistance sous silence. Cette formule cadre
parfaitement avec les efforts diplomatiques internationaux du Quartet, qui
cherche, au même moment, à tirer du discours du président Bush un plan
diplomatique permettant de mettre fin à l’Intifada. Ces démarches du Quartet et
de M. Mahmoud Abbas vont converger, donnant naissance à la « feuille de route »
et à son idée d’une réforme imposée par le haut, au lieu de la transformation
démocratique préconisée par le Tanzim.
« Réforme » va dès lors signifier
réorganisation des services de sécurité presque entièrement détruits et les
institutions financières selon les diktats de la CIA et du FMI. M. Abbas ne
propose pas une stratégie cohérente de résistance, mais un cessez-le-feu
unilatéral faisant l’objet d’un accord entre toutes les factions, les forces de
police palestiniennes reprenant le contrôle des territoires reconquis après un
retrait israélien planifié zone par zone. Avec le soutien du Comité central du
Fatah, il prend aussi l’engagement de mettre un terme au « phénomène des milices
», soulignant que c’est aux seules forces de l’Autorité qu’il revient de «
défendre le peuple palestinien ».
Conscient du désenchantement massif du
peuple à l’égard de ces forces, notamment en raison du grand nombre d’officiers
qui se sont enfuis lors de l’opération « Rempart », M. Abbas promet « une
réforme radicale de tout », mais se borne à proposer la tenue de nouvelles
élections et la désignation d’un nouveau premier ministre afin de priver M.
Arafat de certains de ses pouvoirs exécutifs. Ce faisant, il donne l’impression
de satisfaire à la condition, posée par M. Bush et M. Sharon, d’une « direction
palestinienne différente » comme préalable à tout nouveau processus
politique.
Pour beaucoup de membres du Tanzim, ces formulations défigurent
leurs exigences démocratiques et préparent un « changement de régime », dicté
par les Etats-Unis et Israël, et accepté par une direction défaillante qui
espère ainsi préserver sa légitimité. Le Tanzim sait aussi que, compte tenu de
l’obsession américano-israélienne d’en finir avec M. Yasser Arafat, leurs appels
à la réforme n’ont aucune chance d’être entendus par la population
palestinienne.
Le 19 septembre 2002, l’armée israélienne reprend le siège du
quartier général de M. Arafat à Ramallah, suite à deux attentats-suicides en
Israël qui ont fait sept morts civils. Craignant que cette action ne signifie
l’exil forcé d’Arafat ou pire encore, les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza
s’unissent dans la défense du vieux leader. M. Arafat voit dans ces
manifestations spontanées un « référendum » en faveur de son maintien, et fait
pression sur le Conseil législatif pour repousser la désignation d’un nouveau
premier ministre « après la création d’un Etat palestinien ». Habilement, il
présente toutes les demandes de contrôle démocratique de sa direction comme
autant de complots d’inspiration israélo-américaine visant à l’écarter, et
mobilise les militants du Fatah pour qu’ils répandent cette version auprès de
tous ceux qui auraient des velléités de réforme.
Le Hamas est devenu une
alternative
Le président palestinien parvient à étouffer dans l’œuf
les tentatives de réforme en provenance de l’intérieur. Mais cette reculade
laisse un vide, rapidement investi par les diplomates du Quartet. A ce stade,
les Etats-Unis conditionnent la publication officielle de la « feuille de route
», non seulement à une restructuration contrôlée des services de sécurité et des
institutions financières de l’Autorité, mais à la désignation d’un premier
ministre dont l’approche politique soit différente de celle de M. Arafat. Et ils
recourent à l’intimidation pour contraindre celui-ci à accepter cette réduction
de ses pouvoirs.
Dès décembre 2002, nul n’ignorait que beaucoup de membres du
gouvernement israélien voudraient profiter de la guerre américaine contre l’Irak
pour se débarrasser de M. Arafat une fois pour toutes. Le Quartet fait donc
savoir à ce dernier que sa survie politique dépend de son acceptation d’un
premier ministre disposant de pouvoirs réels. Soumis à d’énormes pressions, le
dirigeant palestinien doit se résoudre à la fois à l’idée et à l’homme, M.
Abbas, seul candidat acceptable aussi bien pour Washington que pour le Fatah.
Quatre mois plus tard, après des batailles épuisantes avec le président
palestinien sur chacun des pouvoirs dont le nouveau premier ministre sera doté,
le Conseil législatif élit, le 9 mars 2003, M. Mahmoud Abbas. M. George W. Bush
déclare voir en lui « le nouveau leader de l’Autorité palestinienne ».
La
tâche de M. Abbas, selon les termes de la « feuille de route », est aussi simple
que gigantesque : en échange de l’ « engagement » des Etats-Unis à permettre la
survie du régime palestinien, l’Autorité doit « mettre fin partout à tout acte
de violence contre les Israéliens », y compris à l’intérieur des territoires
occupés. Israël aurait voulu que cela se fasse au prix d’une guerre civile entre
Palestiniens, mais M. Abbas a opté pour une approche graduée : il entend
commencer par un cessez-le-feu accepté par toutes les factions palestiniennes,
suivi du démantèlement et du désarmement de toutes les milices, si possible de
gré, sinon de force.
Pour la plupart des Palestiniens, le premier objectif
semble à portée de main, compte tenu de l’impasse stratégique où l’Intifada
s’est enfermée. Mais ils sont peu nombreux à croire à la faisabilité du second,
vu la force et la vivacité de la « résistance armée » palestinienne, et surtout
de sa composante la plus meurtrière, le mouvement islamiste Hamas.
Dès la fin
2002, ce dernier a émergé comme la force dominante et de plus en plus
indépendante dans les territoires occupés, comblant le vide laissé par la
défaite du Tanzim par l’armée israélienne. Les sondages montrent que son niveau
de popularité égale celui du Fatah. Cette popularité, le Hamas la doit certes à
la résistance que ses combattants ont opposée aux invasions israéliennes, à
l’effondrement des forces de police de l’Autorité, à l’alliance militaire et
parfois même politique qu’il a conclue avec le Tanzim et à la popularité de ses
opérations – suicides en Israël.
Mais tout aussi important sont la discipline
du mouvement et ses programmes sociaux : la panoplie impressionnante des
services d’aide sociale et de charité du Hamas offre un contraste saisissant
avec l’inefficacité et la déliquescence des ministères de l’Autorité, a fortiori
sous l’impact de la politique israélienne de punition collective, qui visait
précisément l’isolement et la destruction des institutions palestiniennes. De
mouvement d’opposition à l’Autorité et à sa politique qu’il avait été, le Hamas
s’est mué en une possible « alternative politique, sociale, militaire et
idéologique à l’ordre palestinien actuel », selon M. Ziad Abou Amr, ministre de
la culture de l’Autorité et spécialiste de l’islamisme palestinien.
Le
nouveau rapport de forces éclate au grand jour quand le Hamas bloque les
tentatives du Tanzim de parvenir à une « politique commune » sur l’Intifada.
Lors des discussions entre factions palestiniennes à Gaza et au Caire en août
2002 et février 2003, le Fatah a formulé deux demandes : une reconnaissance par
toutes les factions que la lutte nationale a pour but l’établissement d’un Etat
palestinien à Gaza et en Cisjordanie, et que la résistance populaire armée doit
se limiter à ces territoires. Et il a aussi appelé le Hamas à rejoindre un
gouvernement d’union nationale avant la tenue des nouvelles élections. A ces
trois demandes, le Hamas – expliquait M. Abdel Aziz Rantisi, un de ses
principaux dirigeants – a opposé une fin de non-recevoir. Il revendiquait un
droit de résistance « sur toutes les terres de Palestine », y compris Israël. Il
ne participerait à un gouvernement d’union nationale que sur la base d’un «
soutien à l’Intifada et à la résistance ». Et il refusait d’adhérer à une
politique commune, « car il n’y a aucune politique commune entre Al Fatah et
Hamas ».
Mais le désaccord fondamental portait sur les objectifs. Si le Hamas
accepte de dire que le but immédiat des Palestiniens est de mettre un terme à
l’occupation des territoires envahis en 1967, il refuse de renoncer à la
revendication nationale et religieuse sur tout le territoire de l’ancienne
Palestine mandataire, y compris la partie qui est aujourd’hui Israël. «
L’Intifada vise à obliger Israël à se retirer des territoires occupés en 1967,
mais cela ne mettra pas fin au conflit israélo-arabe », précise M.
Rantisi.
La concession maximale que les islamistes acceptent, c’est un
cessez-le-feu temporaire et conditionnel en échange de « garanties » qu’Israël
se retire des territoires palestiniens reconquis en 2002, libère les prisonniers
sans discrimination entre factions et mette fin à la campagne d’assassinats
ciblés de leurs cadres politiques et militaires. Après des mois de marchandage,
ces conditions fonderont la trêve annoncée le 29 juin 2003 par le Hamas, le
Djihad islamique et le Fatah. Celle-ci ne durera pas : les organisations
islamistes y mettront fin le 19 août, avec l’attentat de Jérusalem contre un
autobus transportant des juifs ultra-orthodoxes.
Avant le déclenchement de la
seconde Intifada, à la fin de septembre 2000, le mouvement national palestinien
rongeait son frein sous un leadership inadéquat, mais unique. Désormais, il
subit trois leaderships différents.
Le premier, c’est l’ancien régime, caché
sous les habits de l’Autorité. Il se partage en deux groupes : ceux qui, comme
M. Abbas, acceptent sans rechigner le programme américain, considéré comme seul
moyen de permettre un sauvetage de la cause palestinienne par la communauté
internationale ; ceux qui redoutent que la marginalisation de M. Arafat par
Israël et les Etats-Unis n’annonce leur propre liquidation et l’érosion des «
fondements » du nationalisme palestinien (autodétermination, retrait israélien
et droit au retour). Mais tous sont d’accord pour se résigner à la « feuille de
route » et renoncer au « terrorisme ».
La deuxième exprime la génération
montante de dirigeants aujourd’hui affaiblis, représentée par le Tanzim. Leur
politique nationale – et spécialement le fait que, pour eux, l’objectif de la
lutte est l’établissement d’un Etat palestinien sur les territoires occupés en
1967 – reste majoritaire parmi les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza. Mais
les pertes immenses subies lors de la reconquête israélienne ont contraint le
Tanzim à mettre en question la justesse de l’Intifada armée comme stratégie de
libération. Selon le point de vue dominant, un soutien tactique au
cessez-le-feu, à la « feuille de route » et à M. Abbas comme premier ministre
doit permettre de libérer leurs dirigeants et d’organiser la tenue d’élections,
où « la jeune garde du Fatah tentera d’évincer l’ancienne et de prendre les
commandes », si l’on en croit la prédiction du politologue Khalil
Shikaki.
Verdict du peuple
Le troisième
leadership, c’est la « résistance » armée, menée par l’aile radicale du Hamas et
par des dissidents du Fatah comme la Brigade des martyrs d’Al-Aqsa et les
Comités de résistance populaire. Mus par une idéologie islamiste plus puissante,
alliés de plus en plus étroitement aux forces nationalistes à travers le monde
arabe et musulman, ils entendent implicitement forger un nouveau mouvement
national sur les débris de l’ancien. La stratégie envisagée est celle de la «
résistance seule », qui a si bien réussi au Hizbollah au sud du Liban. Dans la
mesure où ces mouvements se fixent un objectif à moyen terme, ce n’est pas la
paix, mais le retrait forcé d’Israël, ou bien une « séparation unilatérale » d’à
peu près tous les territoires occupés.
Cette cacophonie politique,
idéologique et organisationnelle est le fruit amer d’un soulèvement dont
beaucoup, dans le Tanzim, croyaient non seulement qu’il hâterait la fin de
l’occupation en corrigeant les points les plus désastreux des accords d’Oslo,
mais qu’il agirait comme catalyseur d’une démocratisation du régime palestinien,
leur ouvrant le chemin du pouvoir. Trois ans plus tard, aucun de ces objectifs
n’est atteint, de sorte que la direction de l’Autorité reste aux mains de
figures discutées comme M. Abbas et M. Arafat, la résistance entre celles du
Hamas et de tous ceux qui adhèrent à ses solutions militaires. Il en résulte un
mouvement clivé entre deux, voire trois stratégies mutuellement exclusives, une
réalité que l’on se contente de dissimuler par des cessez-le-feu et autres
accords provisoires, au lieu de faire face au problème.
Pour beaucoup
d’observateurs palestiniens, le seul espoir de sortir de cette impasse est, pour
le peuple, de prendre en main la recherche d’une stratégie commune de libération
pour la période de l’après-Oslo qui engagerait tout le monde, comme ont tenté de
le faire les factions à Gaza et au Caire. Une telle stratégie devra
obligatoirement s’ancrer dans le verdict du peuple lors d’élections locales,
législatives et présidentielle. Les élections nationales constituent sans doute
le seul terrain où les différents courants du mouvement national peuvent s’unir
et où l’orientation future de la lutte nationale peut être décidée légitimement,
parce que démocratiquement.
Depuis sa prison en Israël, M. Marwan Barghouti a
déclaré que les élections sont « le moyen légal et démocratique » de contraindre
au départ « beaucoup de fonctionnaires et de dirigeants de l’Autorité » qui ont
failli « dans leurs rôles et leurs responsabilités à ce moment décisif de la
bataille ». Des leaders du Hamas (y compris M. Rantisi)) ont affirmé que leur
mouvement s’inclinerait devant « la décision d’une majorité de Palestiniens, si
les élections sont libres et non assujetties aux restrictions d’Oslo », et
qu’ils accepteraient même une interdiction des attentats en Israël – or [Faute
de traduction : car, ndlr] il est inconcevable que les Palestiniens acceptent
par un vote d’interdire des actions armées contre les soldats et les colons dans
les territoires occupés.
Mais la tenue de ce scrutin devra être arrachée de
haute lutte contre la volonté israélo-américaine d’empêcher toute élection
pouvant proroger le mandat présidentiel de M. Arafat et conférer au Hamas un
rôle important dans le futur gouvernement palestinien et son administration.
Pourtant, selon de nombreux observateurs palestiniens, en l’absence de réformes
substantielles de ce type, l’Intifada s’enfoncera encore plus dans l’ornière où
elle est déjà engluée : moins une lutte nationale contre l’occupation qu’une
guerre d’usure entre factions pour la direction du mouvement, une guerre sans
contrôle et en fin de compte suicidaire.
[1] : Lire Nadine Picaudou, « D’une Intifada à l’autre, la société
palestinienne en mouvement », Le Monde diplomatique, mars
2001.
16. Des soldats - les
Blueberries - pour combattre efficacement l’antisémitisme par Gabriel
Ash
in YellowTimes.org (e-magazine américain) du lundi 1er septembre
2003
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
Une des résolutions adoptées à l’issue du 34ème
Congrès sioniste tenu à Jérusalem en 2002 appelait à criminaliser
l’antisémitisme et l’antisionisme. Et en effet, depuis lors, nous avons assisté
à un nombre croissant de tentatives de faire taire toute critique d’Israël en la
qualifiant de nouvelle forme d’antisémitisme. Des journalistes français ont été
traînés devant les tribunaux pour avoir fait des reportages sur des Palestiniens
se faisant tuer ; la BBC a été excommuniée par le gouvernement israélien et des
campagnes visant à étouffer toute critique d’Israël dans le milieu universitaire
ont été montées aux Etats-Unis, dont une a été animée par un fomenteur de haine
bien connu, j’ai nommé : Daniel Pipes. Jusqu’ici,
tout cela n’a absolument servi à rien. Mais il semble que les revers subis par
les apologistes valétudinaires d’Israël en ont amené certains, tout du moins, à
repenser leur stratégie. Aujourd’hui, ils comprennent qu’Israël doit prendre en
considération l’impact (désastreux) de ses opérations militaires sur l’opinion
publique mondiale. J’en veux pour preuve
le message suivant, reçu dans ma boîte aux lettres électronique :
De : la coalition
CLOATSP-ME
[Concerned Liberals Of America for a True Secure
Peace in the Middle East / Les libéraux américains préoccupés par une paix
authentique et durable au Moyen-Orient]
A : Monsieur Shaul Mofaz,
ministre de la Défense, Israël
Objet : Lutte contre la haine et
l’antisémitisme, par l’éducation.
Avec l’écroulement imminent de la « feuille de
route », nous prévoyons qu’Israël va, pour la énième fois, reprendre ses
incursions à grande échelle dans les villes et les camps de réfugiés
palestiniens.
Profondément convaincus que l’avenir d’Israël
dépend d’une séparation entre les (deux) territoires, nous partageons votre
attachement à la sécurité d’Israël. Dans l’esprit de cet attachement, et
profondément préoccupés par l’avenir de l’identité juive, nous appelons votre
attention sur un problème qui nous concerne, tous.
Nous pensons que le dernier cycle d’opérations
militaires israéliennes a produit chez de nombreux Palestiniens, en particulier
chez les résidents des villes prises pour cibles (telles Jénine et Gaza), une
haine viscérale envers Israël et les Israéliens. Plus troublant encore est le
fait que ces sentiments négatifs sont souvent dirigés contre les soldats
israéliens en tant que « juifs » - usage qui, à notre humble opinion, est plus
que légèrement antisémite dans ses effets, sinon dans ses intentions. Sans
chercher à excuser ceux qui s’en rendent coupables, nous notons que la diffusion
de tels sentiments contribue à augmenter le nombre des volontaires pour des
missions suicidaires.
Pire : au cours des trois derniers mois,
l’animosité à l’encontre d’Israël s’est accrue de manière exponentielle dans le
monde entier, dans une très large mesure en raison de l’attention apportée par
les médias au calvaire des Palestiniens, qui souffrent des tentatives légitimes
d’Israël de défendre ses citoyens. Une partie de cette animosité a dévié vers
des attaques anti-juives et contre des symboles juifs, comportant des incendies
volontaires de synagogues.
Nous relevons que certaines actions de soldats
israéliens, consistant par exemple à peindre des étoiles de David sur les murs
de maisons palestiniennes, contribuent au développement de ces attitudes
malsaines et profondément troublantes.
Vous étiez chef d’état-major durant les offensives
israéliennes massives, y compris la destruction du camp de réfugiés de Jénine
et, aujourd’hui, vous êtes responsable de la politique sécuritaire
d’Israël.
C’est pourquoi nous vous implorons de n’épargner
aucun effort dans la lutte contre la diffusion de l’antisémitisme. Pour cela,
nous suggérons respectueusement que les soldats israéliens prennent les mesures
ci-après au cours de toute attaque à venir contre des cibles palestiniennes
:
- Les munitions, les véhicules et les armes
seront clairement identifiés comme appartenant à l’Etat d’Israël. Si ces marques
comportent une Etoile de David, une note déclinant toute responsabilité devra
établir clairement que l’Etoile de David n’est pas utilisée en tant que symbole
religieux, mais simplement en tant que symbole national ;
- Les soldats seront mis en garde, afin qu’ils
n’utilisent jamais l’Etoile de David lorsqu’ils salopent des propriétés
palestiniennes. Les soldats devront, en lieu et place de l’Etoile de David,
tracer des Menorah [le chandelier à sept branches, ndt], qui ne sont pas aussi
fortement associées à la religion juive. A défaut, les Forces Israéliennes de
Défense devront fournir à leurs soldats des kits de barbouillage comportant des
autocollants portant la réserve (disclaimer) suivante, en arabe dialectal
palestinien : « Cet acte d’humiliation est réalisé par l’Etat d’Israël. Il n’a
par conséquent rien à voir, ni de près, ni de loin, avec la religion juive »
;
- Régulièrement, mais plus particulièrement
après les bombardements aériens, des hélicoptères Apache lanceront des tracts
expliquant la différence entre les adjectifs « juif » et « israélien ». Ces
tracts seront rédigés en une langue arabe dialectale palestinienne simple. Des
bandes magnétiques seront lâchées en même temps que ces tracts, à l’usage
personnes ne sachant pas lire ;
- Avant toute attaque contre des civils, des jeeps munies de
haut-parleurs feront le tour des cibles visées, expliquant les raisons de
l’attaque, en une langue arabe dialectale palestinienne simple. Après l’attaque,
mais avant que les ambulances ne reçoivent l’autorisation d’aller porter secours
aux blessés, les habitants du quartier concerné devront être raflés et
bénéficier d’un briefing de l’officier supérieur commandant l’attaque afin
qu’ils comprennent de quelle manière leur malheur est en réalité une
contribution à la sécurité d’Israël. Ce briefing comportera l’indication très
claire que l’attaque a été effectuée non pas par des juifs, mais par des soldats
israéliens. Des officiers de l’Armée du Sud Liban, ainsi que des officiers
druzes réquisitionnés à cet effet seront mis au premier rang, ostensiblement,
pour l’édification des locaux ;
- Les familles dont les maisons ont été détruites recevront un
dépliant d’information spécial présentant Israël, orné de photos de kibboutz
luxuriants et de scènes de la vie nocturne trépidante et torride de Tel-Aviv. Ce
dépliant comportera des informations expliquant que la perte de leurs maisons
est un mal nécessaire – en réalité, un bien – puisqu’elle libère de la place
pour de nouveaux quartiers d’habitations réservés aux juifs, qui feront
refleurir le désert. Il est très important d’humaniser les Israéliens, et
d’insister auprès des membres des familles palestiniennes, en leur faisant bien
comprendre que les soldats qui ont détruit leurs maisons sont des gens tout à
fait comme eux, et qu’eux aussi, ils ont une famille. Si les circonstances le
permettent, le commandant chargé des opérations organisera des rencontres
informelles et amicales entre les conducteurs des bulldozers et les familles, au
cours desquelles les partenaires des deux côtés se lieront d’amitié en regardant
leurs photos de familles ;
- Des travailleurs sociaux de l’armée rendront visite aux enfants afin
d’organiser des ateliers de gestion de la haine, dont l’objectif sera
d’apprendre aux enfants à maîtriser tout l’éventail des émotions négatives :
humiliation, désespoir, colère, haine, rage suicidaire, etc., qui résultent avec
une régularité lassante, force est de le constater, de toute rencontre avec des
soldats israéliens. Une partie très importante de ces ateliers éducatifs sera
consacrée à l’explication des raisons pour lesquelles l’antisémitisme est
toujours erroné. Afin de garantir des résultats maximum, nous recommandons
fortement de demander au très expérimenté et expert Abraham Foxman de
l’Anti-Defamation League d’écrire les manuels pour ces ateliers ;
- Des officiers de l’instruction militaire seront envoyés dans tous
les villages palestiniens. Ces officiers devront mettre à profit les longs
couvre-feu qui contraignent la population à rester chez elle pour passer de
maison en maison et enseigner aux habitants captifs le profond engagement
historique de la religion juive envers la justice et les droits de l’homme, la
beauté des fêtes juives, l’humour juif (si connu pour son autodérision), et les
très importantes contributions des juifs à la culture mondiale. Ces officiers
distribueront aux familles palestiniennes des exemplaires gratuits de
L’Interprétation des Rêves de Sigmund Freud, des biographies d’Albert Einstein
et d’Henrietta Szold, ainsi que des DVD gratuits de « Annie Hall » et de «
L’histoire dingue du monde » [Mad History of the World] – le tout, bien entendu,
ayant au préalable été traduit en une langue arabe dialectale palestinienne
simple ;
- Comme condition de leur libération, tous les Palestiniens détenus
par l’armée israélienne, fût-ce pour de courtes périodes, devront assister à des
séminaires qui leur expliqueront le droit international en une langue arabe
dialectale palestinienne simplifiée, et en particulier l’interdiction de toute
attaque à l’aveuglette contre des civils, du terrorisme, des attentats suicides
et autres crimes similaires. Ces séminaires devront également expliquer les
raisons qui exemptent Israël des obligations du droit international et notamment
de la Quatrième Convention de Genève, et qui lui permettent de recourir aux
punitions collectives, à la torture, aux assassinats et aux frappes militaires
massives contre des civils. Les dix dernières minutes seront consacrées à la
réfutation de toute comparaison odieuse entre le comportement de l’armée
israélienne et les agissements du Hamas, du Jihad islamique et de la Brigade des
Martyrs d’Al-Aqsa. Tout le monde peut dire que la nuit est noire, mais seule la
rhétorique la plus affinée est à même de faire paraître le jour encore plus noir
qu’elle. C’est pourquoi, nous recommandons avec insistance de confier le
programme de formation destiné à ces séminaires à nos meilleurs contorsionnistes
éthiques et légaux : Alan Dershowitz, Martha Nussbaum, Michael Walzer, etc.
;
- Une unité militaire – d’élite – que nous suggérons de baptiser du
nom de Blueberry, sera créée. Cette unité se spécialisera dans la rafle
rapide de dizaines de Palestiniens, qu’elle emmènera suivre une visite guidée du
Musée Yad Vashem (de l’Holocauste). Des guides Blueberry, spécialement formés à
cet effet, et possédant à la perfection l’arabe dialectal palestinien,
expliqueront aux captifs pourquoi il ne saurait en aucun cas être admis que l’on
comparât les souffrances du peuple juif à de quelconques autres souffrances dans
l’Histoire, et pourquoi les souffrances du peuple juif confèrent à Israël un
droit spécial à brutaliser les Palestiniens. Il est très important que les «
Blueberries » s’abstiennent de la pratique fort répandue consistant à bander les
yeux des captifs : il faut en effet que les Palestiniens soient en mesure de
voir les photos d’Auschwitz de leurs propres yeux. Les menottes en plastiques,
en revanche, ne posent pas de problème. Nous recommandons vivement d’avoir
recours aux services d’une personne suprêmement talentueuse dans l’utilisation
du langage en guise de gaz lacrymogène. Peut-être Elie (Wiesel) acceptera-t-il
de bien vouloir être le conseiller pédagogique spécial des « Blueberries »
?
- Les Palestiniens blessés désireux de se confier aux médias devront
recevoir au préalable un entraînement anti-émotivité de la part de l’armée. Les
formateurs de l’armée persuaderont les Palestiniens (en une langue dialectale
palestinienne simplifiée) qu’ils continueront à se faire tuer et à être opprimés
tant qu’ils ne seront pas capables de s’exprimer d’une manière sensée,
responsable et inclusive, exprimant un égal respect pour toutes les religions,
nationalités et races, et qui reconnaisse dans la diversité de l’existence la
beauté d’une humanité partagée.
Nous espérons sincèrement que ces mesures seront un pas en avant sur la
voie du comblement du déplorable foisonnement de la haine et de l’antisémitisme
au Moyen-Orient.
Avec notre respect. Le comité de coexistence du
CLOATSP-ME.
17. La société israélienne
s'effondre, et ses leaders gardent le silence par Avraham Burg
in
The Forward (hebdomadaire américain) du vendredi 29 août 2003
[traduit de l'anglais par l'Union Juive Française pour la
Paix]
(Avraham Burg a été président de la Knesset de
1999 a 2003. Ancien président de l'Agence Juive, il est actuellement député du
Parti travailliste.)
La révolution sioniste a toujours reposé sur deux
piliers : une voie juste et un leadership éthique. Ils ont tous les deux
disparu. Aujourd'hui, la nation israélienne s'appuie sur un échafaudage de
corruption, lui-même pose sur des fondations d'oppression et d'injustice. En
tant que telle, la fin de l'entreprise sioniste est déjà a notre porte. Il
existe une vraie probabilité que notre génération soit la dernière génération du
sionisme. Il se peut qu'il y ait un Etat juif, mais il sera d'un autre genre,
étrange et affreux.
Il reste du temps pour changer le cours des choses, mais
il est compté. Ce qu'il faut, c'est la vision nouvelle d'une société juste, et
la volonté politique pour la mettre en oeuvre. Il ne s'agit pas seulement d'une
affaire interne israélienne. Les Juifs de la diaspora, pour qui Israël est un
des piliers majeurs de leur identité, doivent le prendre en compte et élever la
voix. Si le pilier s'effondre, les étages supérieurs s'écraseront eux
aussi.
L'opposition n'existe pas, et la coalition au pouvoir, avec Arik
Sharon à sa tête, revendique le droit de garder le silence. Dans une nation de
moulins à paroles, chacun est devenu soudainement muet, car il n'y a plus rien a
dire.
Nous avons échoué, da façon tonitruante. Oui, nous avons redonne vie a
l'hébreu, crée un théâtre magnifique, et avons une monnaie forte. Nos cerveaux
juifs sont aussi acérés qu'avant. Nous sommes cotés au Nasdaq. Mais est-ce pour
cela que nous avons crée un Etat juif? Le peuple juif n'a pas survécu deux mille
ans pour créer de nouvelles armes, des programmes de sécurité informatique ou
des missiles anti-missiles. Nous devions être la
lumière des Nations. En
cela, nous avons échoué.
Il apparaît que ces deux mille ans de lutte du
peuple juif pour sa survie se réduit a un Etat de colonies, dirige par une
clique sans morale de hors-la-loi corrompus, sourds a la fois a leurs
concitoyens et a leurs ennemis. Un Etat sans justice ne peut pas survivre. De
plus en plus
d'Israéliens en arrivent a le comprendre, quand ils demandent a
leurs enfants où ceux-ci se voient vivre dans 25 ans. Les enfants les plus
honnêtes admettent, devant les parents en état de choc, qu'ils ne savent pas. Le
compte a rebours de la société israélienne a commence.
Il est très
confortable d'être sioniste dans des colonies de Cisjordanie comme Beit El et
Ofra. Le paysage biblique est charmant. De la fenêtre, on peut y admirer les
géraniums et les bougainvilliers, et ne pas voir l'occupation. En roulant sur
l'autoroute rapide qui relie Ramot, à l'extrême Nord de Jérusalem, et Gilo, à
l'extrême sud, un itinéraire de 12 minutes qui passe a peine a 800 mètres a
l'ouest des barrages routiers des territoires palestiniens, il est difficile de
mesurer l'expérience humiliante que vivent les Arabes méprisés qui doivent
ramper pendant des heures sur les routes cabossées et bloquées qui leur ont été
assignées. Une route pour l'occupant, une autre pour l'occupe.
Cela ne peut
pas marcher. Même si les Arabes baissent la tête et avalent leur honte et leur
rage indéfiniment, cela ne marchera pas. Une structure construite sur de
l'insensibilité a l'homme s'effondrera d'elle-même, inévitablement. Prenez bien
note de cet instant : la superstructure du sionisme s'effondre déjà, telle une
salle de mariage peu chère de Jérusalem (allusion a un accident dû à un défaut
de construction, qui a fait de nombreuses victimes, ndt). Seuls les fous
continuent a danser en haut de l'immeuble, alors que les piliers
s'effondrent.
Nous nous sommes habitués à ignorer la souffrance des femmes
aux barrages routiers. Il n'est pas étonnant qu nous n'entendions plus les cris
des femmes violées a coté de chez nous, ou la mère célibataire qui se bat pour
élever ses enfants dans la dignité. Nous ne comptons même plus les femmes
assassinées par leur mari.
Israël, qui a cessé de se soucier des enfants des
Palestiniens, ne doit pas être surpris quand ceux-ci viennent, baignés de haine,
se faire exploser sur les lieux ou les Israéliens fuient la réalité. Ils se
donnent a Allah sur nos lieux de loisir, car leur propre vie est une torture.
Ils font couler notre sang dans les restaurants pour nous couper l'appétit, car
chez eux, leurs enfants et leurs parents connaissent la faim et
l'humiliation.
Nous pouvons tuer mille chefs de bande, mille ingénieurs, rien
ne sera résolu, parce que les chefs viennent d'en bas, des puits de haine et de
colère, des "infrastructures" de l'injustice et de la corruption morale.
Si
tout cela était inévitable, ordonne par Dieu et immuable, je garderais le
silence. Mais les choses pourraient être différentes, et le cri est donc un
impératif moral.
Voici ce que le Premier ministre devrait dire a son peuple
:
Le temps des illusions est termine. Le moment des décisions est arrive.
Nous aimons toute la terre de nos aïeux, et en d'autres temps, nous aurions aimé
y vivre tout seuls. Mais cela ne se produira pas. Les Arabes, eux aussi, ont des
rêves et des besoins.
Entre le Jourdain et la Méditerranée, il n'existe plus
de majorité juive claire. Et donc, chers compatriotes, on ne peut garder tout
sans en payer le prix. Nous ne pouvons pas garder sous la botte d'Israël une
majorité palestinienne, et en même temps nous prendre pour la seule démocratie
du Moyen-Orient. Il ne peut pas y avoir de démocratie sans droits égaux
pour
tous ceux qui vivent ici, Juifs et Arabes. Nous ne pouvons pas conserver
les territoires et une majorité juive dans le seul Etat juif du monde, pas par
des moyens humains, moraux et juifs.
Vous voulez le Grand Israël ? Pas de
problème. Laissons tomber la démocratie. Instituons un système efficace de
séparation raciale, avec camps de prisonniers et villages de détention. Le
ghetto de Qalqilya et le goulag de Jénine.
Vous voulez une majorité juive?
Pas de problème. Mettons les Arabes dans des wagons, des bus, sur des chameaux
et sur des ânes, et expulsons-les en masse. Ou bien séparons-nous d'eux
absolument, sans trucs et sans gadgets. Il n'y a pas de voie du milieu. Nous
devons évacuer les colonies. Toutes les colonies. Et tracer une frontière
internationalement reconnue entre le foyer national juif et le foyer national
palestinien. La loi juive du retour ne
s'appliquera qu'a l'intérieur de notre
foyer national, et leur roi du retour ne s'appliquera qu'a l'intérieur des
frontières de l'Etat palestinien.
Vous voulez la démocratie? Pas de problème.
Ou bien nous renonçons au Grand Israël, jusqu'a la dernière colonie et au
dernier avant-poste, ou bien nous donnons la totalité des droits civiques, dont
le droit de vote, à tout le monde, y compris aux Arabes. Le résultat,
évidemment, sera que ceux qui ne voulaient pas d'un Etat palestinien à coté
d'eux l'auront chez eux, par l'intermédiaire du bulletin de vote.
Voila ce
que le Premier ministre devrait dire a son peuple. Il devrait présenter les
choix avec franchise : le racialisme juif, ou la démocratie.
Les colonies, ou
l'espoir pour les deux peuples. La vision de barbelés, de barrages routiers et
de kamikazes, ou une frontière internationalement reconnue entre deux Etats, et
Jérusalem comme capitale commune.
Mais il n'y a pas de premier ministre à
Jérusalem. La maladie qui ronge le corps du sionisme a déjà attaqué la tête.
David Ben Gourion s'est parfois trompé, mais il est reste droit comme une
flèche. Quand Menahem Begin s'est trompé, personne n'a mis en cause ses
motivations. Ce n'est plus le cas. Des sondages publiés ce week-end montrent
qu'une majorité d'Israéliens ne croit pas en l'intégrité personnelle du Premier
ministre, mais qu'elle lui fait confiance sur le plan politique. En d'autres
termes, le Premier ministre actuel d'Israël personnifie les deux aspects du
fléau : une moralité personnelle douteuse et un non respect ouvert de la loi,
combinés à la
brutalité de l'occupation et au piétinement de toute chance de
paix. Voilà notre nation, voila ses chefs. La conclusion inévitable est que la
révolution sioniste est morte.
Alors, pourquoi l'opposition est-elle muette?
Peut-être est-ce l'été, peut être est-elle fatiguée, peut-être certains
veulent-ils se joindre au gouvernement a tout prix, même au prix de participer à
la maladie. Mais pendant qu'ils tergiversent, les forces du bien perdent
espoir.
C'est le moment des alternatives claires. Tous ceux qui refusent de
présenter une position tranchée, "blanc ou noir", collaborent de fait au déclin.
Ce n'est pas un problème de travaillistes contre Likoud, ou de droite contre
gauche, mais du bien contre le mal, de l'acceptable contre l'inacceptable. Ceux
qui respectent la loi contre les hors-la-loi. Ce qu'il
faut, ce n'est pas le
renversement politique du gouvernement Sharon, mais une vision d'espoir, une
alternative a la destruction du sionisme et de ses valeurs par les sourds, les
muets et les insensibles.
Les amis d'Israël de l'étranger, juifs ou non, les
présidents et les premiers ministres, les rabbins et les citoyens lambda, tous
doivent choisir, eux aussi. Ils doivent tendre la main et aider Israël a trouver
son chemin, a travers la feuille de route, vers notre destin national, en tant
que lumière pour les Nations, et pour une société de paix, de justice et
d'égalité.
18. Le Premier ministre suédois s’efforce d’apaiser les
tensions après que son ministre des Affaires étrangères ait fustigé
Israël par Gil Hoffman
in The Jerusalem Post (quotidien israélien)
du jeudi 7 août 2003
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
Le Premier ministre suédois,
Goran Persson, a tenté d’apaiser les tensions entre son pays et Israël, apparues
mercredi dernier, après que des commentaires de la ministre suédoise des
Affaires étrangères, Anna Lindh, aient suscité l’ire des officiels du ministère
israélien des Affaires étrangères.
L’article du Jerusalem Post de lundi
dernier, dans lequel les responsables des Affaires étrangères israéliens
accusent Mme Lindh de parti pris anti-israélien, ont occupé la une des journaux
télévisés suédois mardi soir, après que cet article ait été diffusé par une
agence de presse suédoise.
A des journalistes qui assuraient la couverture de
sa visite officielle sur l’île suédoise d’Oland, et qui l’interrogeaient sur les
critiques formulées par Mme Lindh à l’encontre d’Israël, M. Persson a répondu
que la querelle était sans doute due à une erreur de traduction.
La crise
diplomatique avait commencé après que Mme Lindh ait réagi au rapport du
secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan, sur les opérations menées par l’armée
israélienne dans le camp de réfugiés palestiniens de Jénine, par un communiqué
de presse officiel du ministère suédois des Affaires étrangères.
« Le
refus d’Israël de toute coopération avec l’Onu a eu pour résultat
l’impossibilité de produire un rapport complet et global sur ces événements »,
avait déclaré Mme Lindh. « Ce rapport montre que des crimes sérieux contre le
droit humanitaire se sont produits », avait-elle ajouté, poursuivant
:
« Particulièrement troublante est l’information donnée par ce rapport
sur le refus opposé par Israël aux personnels humanitaires qui demandaient à
accéder aux zones dans lesquelles des combats s’étaient déroulés. La violence
des deux côtés a causé une immense souffrance chez les civils. »
Les
responsables du ministère israélien des A.E. avaient répondu avec « colère et
étonnement » à cette déclaration, alléguant qu’elle s’inscrivait dans une longue
suite de commentaires anti-israéliens proférés par Mme Lindh. Les officiels
accusèrent la ministre suédoise des A.E. de manquer du courage d’admettre
qu’elle avait exagéré dans ses déclarations antérieures, au cours desquelles
elle avait évoqué des « rumeurs de massacre perpétré à Jénine ».
La chargée
d’affaires à l’ambassade de Suède à Tel-Aviv, Erica Ferrer, a conféré avec les
responsables du ministère des Affaires étrangères au sujet de ce communiqué et
elle a apporté la précision selon laquelle les déclarations, dans la forme où
elles ont été rapportées, ne reflétaient pas précisément le point de vue de Mme
Lindh.
« Nous sommes confrontés, d’une manière générale, à un problème
avec les médias israéliens, qui ont la fâcheuse habitude de citer des propos
hors contexte », a expliqué Mme Ferrer.
« L’ambassade tient à préciser
que Mme Lindh a fermement dénoncé le terrorisme et qu’elle considère avoir une
position juste envers les deux camps. » Le ministère israélien des A.E. a
répliqué en disant qu’il fondait ses réactions sur les communiqués de presse
officiels rendant compte en anglais des déclarations de Mme Lindh, telles que
publiées par le ministère suédois des Affaires
étrangères.