"Chaque fois que j'entends quelqu'un dire qu'Israël est notre seul ami au Moyen-Orient, je ne peux m'empêcher de penser qu'avant la création d'Israël, nous n'avions aucun ennemi, au Moyen-Orient."
John Sheehan (Jésuite américain)
 
                                   
                       
Point d'information Palestine N° 226 du 07/09/2003
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Rectificatif - Dans le Point d'information Palestine N° 225 du 17 août dernier, nous avons présenté un article intitulé : "Le lobby sioniste et la gauche : questions embarrassantes" par Jeffrey Blankfort paru dans la revue Left Curve N° 27. Cette revue n'est pas publiée au Canada comme nous l'avons indiqué, mais aux Etats-Unies, dans la région de San Francisco. Dans ce même texte il faut lire : "Au beau milieu de la seconde Intifada, Chomsky est allé encore plus loin, avançant qu’il est particulièrement incongru – en particulier aux Etats-Unis – de condamner les « atrocités israéliennes », et que « conflit américano-israélo-palestinien » est une expression plus correcte, car elle est comparable au fait de désigner les véritables responsabilités, comme dans le cas des « crimes commis par les Russes en Europe de l’Est et « des crimes commandités par les Etats-Unis en Amérique centrale ». Et pour bien souligner ce point, Chomsky a écrit : « Les hélicoptères de l’armée israélienne sont des hélicoptères américains, pilotés par des Israéliens. » "
                   
Au sommaire
                                   
CONCERTons-nous Pour La Paix
- Grand concert de solidarité avec la Palestine avec Manu Dibango, Marcel Khalifé, Sapho, Zebda, Trio, Djamel Allam, Baobab, Diwan de Bechar, Rim El Banna, Sara Alexander, Imad Saleh, Badila, Rekoroz, Sanktion... avec la participation de Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France
le samedi 27 septembre 2003 de 16h à minuit au Parc des Expositions de la Porte de Versailles - Hall 4 - Paris 15ème
                                                                
Réseau
1. "Il faut suspendre les accords commerciaux avec le régime d'apartheid israélien" par Alima Boumédiene-Thiery déclaration prononcée devant la Commission Européenne à Strasbourg le jeudi 4 septembre 2003
2. Les journalistes trouvent que c'est calme quand seuls les Palestiniens meurent par le FAIR Media Advisory (22 août 2003) [traduit de l'anglais par Ana Cleja]
3. Medecins du Monde (MdM), PHR-Israel (Physicians for Human Rights-Israel) et UPMRC (Union of Palestinian Medical Relief Committees) s'unissent pour dénoncer une série de violations du droit international humanitaire commises par l'armée israélienne à Naplouse
4. Déclaration des Patriarches et Chefs d'Eglises de Jérusalem concernant le mur de séparation [traduction de l'anglais par Manfred-C. Stricker]
5. Un américain victime du lavage de cerveau par Tunz-o-Mazah (24 août 2003) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
6. Aidez-nous en tant que Partenaires, et non par la Charité ou la Domination par Ghassan Andoni (22 août 2003) [traduit de l`anglais par Eric Colonna]
7. Cherchez la réforme dans les ministères de l'Autorité palestinienne par Bassam Abu Sharif (15 août 2003) [traduit de l'anglais par Giorgio Basile]
8. L'explication de la résistance au colonialisme en Asie de l'ouest par Benjamin Beit-Hallahmi (2003) [traduit de l'anglais par Corinne Grassi]
                            
Revue de presse
1. Israël-Palestine : sortir de "l’étreinte fatale" par Hichem Ben Yaïche in L'Economiste maghrébin (bimensuel tunisien) du mercredi 3 septembre 2003
2. Naplouse : "Une immense colère" - La députée du Fatah, Dalal Salameh, témoigne depuis la ville de Cisjordanie réoccupée par l'armée israélienne entretien réalisé par Valérie Féron in L'Humanité du vendredi 29 août 2003
3. Feux croisés contre Arafat par Jean Chatain in L'Humanité du vendredi 29 août 2003
4. Il faut décapiter le Hamas par Ben Kaspit in Maariv (quotidien israélien) repris dans Courrier International du jeudi 28 août 2003
5. L’un meurt, l’autre aussi par Mohammad Shaker Abdallah in Al Quds (quotidien palestinien) repris dans Courrier International du jeudi 28 août 2003
6. Voyage dans une Palestine hors d'état par Vincent Hugeux in L'Express du jeudi 28 août 2003
7. "Une journée au tribunal" par Gabriel Ash in YellowTimes (e-magazine américain) du jeudi 28 août 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
8. Le pire est à venir par Mohamed Moustapha in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 27 août 2003
9. Misère et violence à Hébron par Bérangère Lepetit in L'Humanité du lundi 25 août 2003
10. Le Centre Simon Wiesenthal accuse la France d'"encourager le terrorisme" palestinien Dépêche de l'agence Associated Press du lundi 25 aout 2003, 22h22
11. Dans la famille "Hors-la-loi israéliens en Amérique", je demande Rafi Eitan… par Kurt Nimmo in CounterPunch (e-magazine américain) du jeudi 25 août 2003 [traduit de l'anglais Marcel Charbonnier]
12. La guerre ou le gaz par Guy Chazan in L'Intelligent - Jeune Afrique du lundi 25 août 2003 
13. Une auteure de littérature pour enfants confrontée à l’ire juive. Le récit de la vie d’un garçon palestinien de Cisjordanie déchaîne les pressions de divers lobbies, qui en appellent à son interdiction par Fiachra Gibbons in The Guardian (quotidien britannique) du mardi 23 août 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
14. Bernard Sabella : "La violence ne mène nulle part" entretien réalisé par Valérie Féron in L'Humanité du samedi 23 août 2003
15. Menace de mort : Le Rennais Gilles Munier dans la ligne de mire ! in 7 Jours (hebdomadaire publié à Rennes) du vendredi 22 août 2003
16. Révélation : Voici comment Israël a aidé Amin Dada à accéder au pouvoir par Richard Dowden in The Independent (quotidien britannique) du dimanche 17 août 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
17. L’Onu condamne une nouvelle loi israélienne régissant le mariage par BBC News le vendredi 15 août 2003, 17h35 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
18. Le monde interlope israélien remonte à la surface - Guerre des gangs dans les rues par Elli Wohlgelernter in Forward (hebdomadaire américain) du vendredi 15 août 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
19. Israël transforme la feuille de route (road map) en barrage routier (road block) par Marwan Bishara in The International Herald Tribune (quotidien international) du jeudi 14 août 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
20. Un Mandela palestinien par Cécile Hennion in L'intelligent - Jeune Afrique du mercredi 6 août 2003
21. L'Orientalisme, 25 ans plus tard par Edward W. Said in CounterPunch du lundi 4 août 2003 [traduit de l'anglais par Olivier Roy]
                             
CONCERTons-nous Pour La Paix

                      
- Grand concert de solidarité avec la Palestine avec Manu Dibango, Marcel Khalifé, Sapho, Zebda, Trio, Djamel Allam, Baobab, Diwan de Bechar, Rim El Banna, Sara Alexander, Imad Saleh, Badila, Rekoroz, Sanktion... avec la participation de Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France
le samedi 27 septembre 2003 de 16h à minuit au Parc des Expositions de la Porte de Versailles - Hall 4 - Paris 15ème
Une manifestation nationale contre les occupations en Palestine et en Irak précédera le concert et se dirigera vers le lieu du concert.
Les recettes de ce concert seront versées à l'association AMI Aide Médicale Internationale [http://www.amifrance.org] pour ses missions chirurgicales à Gaza.
Les tarifs sont les suivants : Normal : 18 euros - Chômeurs, RMIstes, enfants de 6 à 18 ans : 14 euros - Pour les enfants de moins de 6 ans : gratuit
Vous pouvez d'ores et déjà passer vos commandes, par voie postale, en envoyant vos chèques à l'association organisatrice : COSPO - 23, rue du Départ - 75014 Paris
Tarifs spéciaux pour les achats en groupe hors région Ile-de-France.
Les billets sont également mis en vente par le réseau des grands circuits classiques (FNAC, Carrefour...) et par les associations membres du Collectif National pour une Paix Juste au Proche-Orient, notamment la CAPJPO : http://www.paixjusteauproche-orient.asso.fr et également sur le site de la FNAC http://www.fnac.com (rubrique "spectacle", tapez <Concert pour une paix juste au Proche-Orient>)
[Renseignements : 01 45 48 40 38 - E-mail : concert27septembre@free.fr - Site web : http://concert27septembre.free.fr]
                           
Réseau

                                          
1. "Il faut suspendre les accords commerciaux avec le régime d'apartheid israélien" par Alima Boumédiene-Thiery
déclaration prononcée devant la Commission Européenne à Strasbourg le jeudi 4 septembre 2003

(Alima Boumédiene-Thiery est députée française (Verts) au Parlement européen.)
Messieurs les Présidents de la Commission et du Conseil - Permettez moi de saisir cette déclaration sur l'application de l'accord d'association UE-Israël pour vous rappelez que le 10 avril 2002, notre parlement a voté une résolution appelant au gel de cet accord en raison de la violation par Israël de l'art 2 de cet accord sur le respect des DH et des principes démocratiques.
Or, 18 mois après, cette résolution est toujours ignorée par vous !
Peut-on considérer qu'il s'agit d'un soutien infaillible à la politique actuelle de l'Etat israëlien malgré ses violations aux DH et au Droit International ?
Comme vous le savez, cette guerre coloniale fait de plus en plus de victimes !
Ariel Sharon, en toute impunité, poursuit sa stratégie d'erradication de l'entité nationale palestinienne et destruction de toute perspective de paix négociée entre Israëliens et Palestiniens.
Alors que la feuille de route prévoit le gel de la colonisation, les colonies juives continuent à croître, l'armée assure leur protection et plus de 450 km de routes de contournement, réservées aux israëliens, ont été construites pour les relier à Israël et éviter les villes palestiniennes.
En Israël même, la situation est dramatique.
Des citoyens israëliens sont discriminés, persécutés et exclus de certains droits car ils sont arabes israëliens, et leurs élus comme Ahmad Tibi ou Ismir Bishara sont sous pression et sous menaces perpétuelles.
Ainsi, le 31 07, la Knesset a voté une loi qui empêche les Palestiniens d'obtenir la citoyenneté israëlienne par mariage et aux enfants nés de cette union"c'est une loi discriminatoire et raciste qui porte atteinte aux DH" déclarent plusieurs députés arabes et israëliens d'opposition.
Un récent rapport du 25.08.03 de la FIDH et du Réseau euro-méditerranéen des DH nous informe d'une forme moderne d'esclavage envers les travailleurs migrants, dont 60 % sont en situation illégale : bas salaires, pas de jours de congé, mauvaises conditions de travail, confiscation du passeport par l'employeur, violations des conventions de l'OIT et des Nations Unies, etc...
Abraham Burg, député et ex-pdt de la Knesset, lance un cri d'alarme dans la presse israëlienne le 30.08.03 (je conseille aux amis d'Israël de lire cet article) :
"la nation israëlienne s'appuie sur un échafaudage de corruption, lui-même posé sur des fondations d'oppression et d'injustice, ..., qui se réduit à un Etat de colonies, dirigé par une clique sans morale de hors la loi corrompus, ... Nous ne pouvons pas garder sous la botte d'Israël une majorité palestinienne, et en même temps nous prendre pour la seule démocratie du Moyen Orient. Il ne peut pas y avoir de démocratie sans droits égaux pour tous ceux qui vivent ici, juifs et arabes...".
Quant à Javier Solana, haut commissaire européen aux Affaires Etrangères, il a renoncé le 31.08.03, à rencontrer Yasser Arafat et Mahmoud Abbas, conformément à la requête du gouvernement israëlien qui clame son refus de s'entretenir avec les responsables étrangers qui rendent visite au Président Arafat.
Mais pourquoi et depuis quand le représentant de l'UE se plie aux volontés de Sharon ?
Le 02 09 03, le résultat d'une commission d'enquête accuse la police israëlienne d'hostilité flagrante envers la minorité arabe, la rend responsable de la mort de plusieurs manifestants et dénonce "sa culture du mensonge" en ayant voulu cacher le fait que les policiers ont tiré à balles réelles.
Dans les territoires occupés, la situation est catastrophique.
Elle s'est encore dégradée depuis la guerre contre l'Irak. Profitant de l'agression américaine, l'armée israëlienne multiplie les incursions dans les villes et les camps de réfugiés pour assassiner, emprisonner et détruire les habitations et les terres.
Pour vous convaincre, faut-il également que je vous parle de ce mur de la honte qui matérialise l'apartheid et l'injustice que vit la société palestinienne ?
Ce mur transforme la vie de dizaines de milliers de personnes en enfer, sépare des familles et ainsi "crée un peuple de détenus et un peuple de gardiens de camp".
Ce mur est également un désastre écologique en Palestine : destruction d'habitations, spoliation de terres, arrachage de cultures, altération des flux d'eau, confiscation et détournement des sources et des puits, déclin et rarification des populations animales et végétales, déchets des colonies polluant les villages, les cours d'eau et les exploitations agricoles, canalisations des eaux usagées brisées et contaminant l'eau potable, empoisonnements des terres et de l'eau provoqués par les munitions à l'uranium appauvri ou par la non-gestion, non-transfert ou non traitement des déchets solides qui se retrouvent dans des décharges de fortune dans des zones urbaines dont certains sont ensuite incinérés et polluent l'air...
Ne laissons pas ce "mur de Berlin" israëlien, durer 30 ans. Nous devons le combattre avec force et vigueur et agir pour mettre fin rapidement à ce drame !
Aujourd'hui ce mur se construit dans le silence de l'Europe sous prétexte de sécurité pour protéger la population israëlienne ?
Mais qui est victime du terrorisme aujourd'hui ?
Ce terrorisme d'Etat qui assassine quotidiennement une population civile réfugiée dans des camps et poussée au désespoir !
Voulez-vous des chiffres ? Savez vous que depuis le début de l'intifada plus de 5000 palestiniens se trouvent arbitrairement dans des prisons et centres de détention israëliens sans jugement, plus de 2500 palestiniens civils ont été tués et 23 000 blessés au cours d'attaques israëliennes par les forces militaires et les colons en Palestine occupée, sans parler des liquidations ciblées qui tuent aussi des populations civiles comme les derniers raids israëliens à Gaza ? et depuis le 1er juillet il y a eu 845 violations de la trêve, violations commises par les forces d'occupation israëlienne.
Il ne s'agit pas de refaire l'histoire, ni d'être pro-israëlien ou pro-palestinien, mais il s'agit de faire reconnaître la vérité et rendre justice aux victimes.
Envoyons d'urgence une force de protection du peuple palestinien, peuple que l'Etat israëlien est en train d'exterminer sous nos yeux et sous vos yeux !
En gardant le silence, nous nous rendons complice d'un nouveau crime contre l'humanité !
L'UE, comme les Nations Unies, doit assumer sa responsabilité politique et historique.
N'avons-nous pas le devoir de faire pression sur le gouvernement israëlien par tous les moyens dont nous disposons, y compris les moyens économiques et commerciaux ?
Et pourquoi ne pas paralyser nos accords d'association avec Israël, comme hier nous l'avons fait contre l'apartheid en Afrique du Sud ? Je vous remercie.
                               
2. Les journalistes trouvent que c'est calme quand seuls les Palestiniens meurent par le FAIR Media Advisory (22 août 2003)
[traduit de l'anglais par Ana Cleja]
(FAIR - Fairness & Accuracy In Reporting - est un organisme américain de surveillance médiatique fondé en 1986, qui milite en faveur d'une plus grande diversité d'opinion dans la presse, et pointe les pratiques des médiaslorsqu'elles marginalisent l'intérêt public, les minorités et les points de vues dissidents. Opposée à la censure, elle révèle des informations négligées par la presse et prend la défense des journalistes lorsqu'ils sont muselés. http://www.fair.org.)
L'attaque suicide meurtrière du bus de Jérusalem le 19 août était prévisible après les deux attaques suicides intervenant une semaine plus tôt , dans lesquelles deux Israéliens avaient été tués. Alors que les médias américains avaient eu tendance à décrire ces attaques comme étant un retour à la violence après une période de calme relatif, beaucoup de tueries qui ont eu lieu dans les semaines précédentes ont conduit aux attaques suicides. Cela démontre le manque d'équité porté aux pertes de vies dans le conflit israélo-palestinien.
Quand les deux Palestiniens «kamikazes» ont chacun tué un civil israélien en plus d'eux-mêmes le 12 août, les médias américains ont immédiatement dépeint les attaques comme étant une résurgence apparente de la violence au Proche-Orient. «La trêve d'été brisée en Israël», a annoncé CBS (12/08/03) alors que NBC (12/08/03) a annoncé que «les attaques ont brisé plus d'un mois de silence relatif». Le Los Angeles Times (13/08/03) a écrit que les attaques suicides avaient «cassé une période de six semaines pendant laquelle les gens de ce pays fatigué de la guerre avaient jouit d'un calme relatif».
Pendant cette période de six semaines de «calme relatif», néanmoins, quelque 17 Palestiniens ont été tués, et au moins 59 autres blessés par les soldats d'occupation et par des colons, d'après le Croissant Rouge Palestinien. Parmi ces morts, Mahmoud Qabha, un garçon de 4 ans , qui était assis sur le siège arrière d'une jeep avec sa famille. Un soldat israélien a tiré une rafale de balles sur la jeep à un check-point - et l'armée a appelé cela simplement «une rafale de balles accidentelle» (Associated Press, 25/07/03). Pratiquement aucun des reportages principaux aux États-Unis sur les attaques suicides du 12 août n'ont fait allusion au nombre de victimes palestiniennes pour cette période, laissant ainsi de côté une des pièces majeures de l'histoire. La violence n'a jamais cessé pour les Palestiniens de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza. Alors que les attaques israéliennes avaient diminué, il n'y a jamais eu quelque chose ressemblant à un cessez-le-feu israélien.
Un rapport d'Associated Press le 19 août (déposé juste avant l'attaque suicide) a reconnu que depuis le 29 juin, «plus de 20 personnes avaient été tuées des deux côtés». Ce qu'il n'a pas fait remarquer, c'est que sur ces «plus de 20», 21 au moins étaient palestiniens, selon le Croissant Rouge.
Après plus d'un mois et demi pendant lequel des Palestiniens se sont fait tuer plusieurs fois par semaine et dont on n'a pratiquement pas parlé, le Washington Post et le New York Times ont tous deux mis les attaques suicides en première page le 13 août, chacun déclarant que la violence était une rupture des semaines de «calme relatif», et chacun mettant une photo des familles des victimes endeuillées. USA Today a aussi inclus une photo des familles des victimes sur sa première page avec le titre: «Deux attaques suicides brisent l'accalmie de six semaines dans le conflit». On peut avoir de l'empathie vis-à-vis des pertes des survivants, tout en reconnaissant que les familles des Palestiniens qui sont morts pendant «l'accalmie» étaient virtuellement invisibles.
Sur CNN, les attaques suicides du 12 août ont fait la une avec huit reportages séparés parlant des attaques sur une période de trois heures. Le présentateur Wolf Blitzer a déclaré: «un retour sinistre aux jours de combat en Israël et dans les territoires palestiniens». Son collègue Aaron Brown s'est fait l'écho sur le même thème, notant «qu'après une période de calme relatif, une vague majeure de la violence a déferlé en Israël et dans les territoires palestiniens». Le correspondant Jerrold Kessel a annoncé que les attaques suicides «jetaient un doute sur la viabilité du processus de paix connu en tant feuille de route pour la paix».
Ces attaques ont tué quatre personnes dont les «kamikazes». Quatre jours auparavant, le 8 août , deux Palestiniens et un Israélien ont été tués lors d'un raid israélien sur un militant soupçonné, et deux Palestiniens de plus ont été tués lors du rassemblement qui s'en est suivi: un par balles et l'autre à cause des gaz lacrymogène israéliens (Chicago Tribune, 09/08/03). Mais ces trois morts - la plupart palestiniens - ne sont pas considérés sur CNN comme étant «une vague déferlante de la violence» ou «un retour sinistre aux jours de combat». Au lieu de cela, le présentateur Carol Costello (08/08/03) a suggéré que le raid israélien «pourrait être juste une autre tache, ou si vous voulez un cahot, sur la feuille de route vers la paix».
La tendance des médias de minimiser ou d'ignorer complètement la souffrance et la mort palestiniennes n'est pas nouvelle. Fin 2001 et début 2002 par exemple, un cessez-le-feu branlant déclaré par Arafat a abouti à très peu de morts israéliens, mais des morts palestiniens continus - et les médias américains ont tout le temps parlé de cette période comme étant une période de «calme relatif»  (FAIR Action Alert, 10/01/02; 05/02/02)
Afin de transmettre la crise au Proche-Orient dans toute sa complexité, les journalistes doivent prendre sérieusement en compte la violence dont souffrent toutes les communautés. Des références au «calme relatif» alors que des Palestiniens sont tués tous les jours ne servent qu'à banaliser la vie humaine et à voiler le cycle de violence qui affecte la région.
                                           
3. Medecins du Monde (MdM), PHR-Israel (Physicians for Human Rights-Israel) et UPMRC (Union of Palestinian Medical Relief Committees) s'unissent pour dénoncer une série de violations du droit international humanitaire commises par l'armée israélienne à Naplouse
Ces nombreuses violations interviennent dans le contexte des opérations militaires massives menées par l'armée israélienne depuis plus d'une semaine. Voici celles dont nous avons été témoins :
- Le 21 août 2003, une clinique appartenant à UPMRC, située dans la vieille ville de Naplouse, a été occupée par l'armée.
- Dans la nuit du 25 au 26 août 2003, les forces militaires israéliennes ont pénétré dans le service des urgences de l'hôpital Rafidia de Naplouse pour arrêter deux patients gravement blessés qui avaient été admis dans l'unité de réanimation. Les méthodes violentes employées par les soldats ont mis gravement en danger la vie de ces deux personnes.
- Le 26 août 2003, des soldats israéliens ont forcé la porte du dispensaire municipal de la ville de Naplouse où travaille MDM. Ils ont occupé les structures médicales, fouillé dans les dossiers médicaux et endommagé les locaux. L'occupation de cette unité médicale a duré plus d'une journée et a empêché la population des alentours d'avoir accès aux soins. Le personnel médical s'est vu à plusieurs reprises refuser le droit d'accéder au dispensaire pour apporter son assistance médicale.
- Le 28 août 2003, MDM a vu des soldats israéliens refuser à l'équipe d'urgence de UPMRC le droit d'apporter les premiers soins à des civils retenus dans un immeuble. Au même moment l'équipe d'UPMRC qui voulait venir en aide à la population du camp de Balata a été empêchée d'y entrer. Les soldats ont confisqué et détruit les papiers d'identité des membres de cette équipe.
En réaction à ces entraves persistantes et répétées du droit international humanitaire, MDM, PHR-Israel et UPMRC exigent de la part des autorités israéliennes l'arrêt des violations des principes humanitaires de base et leur demandent de respecter le droit fondamental pour tout patient d'avoir accès aux soins et pour le personnel médical de circuler librement et à tout moment.
- Contacts Presse :
- MDM : Paris : Laure Weisgerber / Annabelle Quenet : 01 44 92 14 31 / 32 - Jérusalem : Blandine Contamin : 972 57 249450
- UPMRC : Mustafa Barghouthi : 97259 254218
- PHR-Israël, Miri Weingarten : 972 67 700477

                                         
4. Déclaration des Patriarches et Chefs d'Eglises de Jérusalem concernant le mur de séparation
[traduction de l'anglais par Manfred-C. Stricker]

Jérusalem, le 26 août 2003 - Nous, chefs des églises de Jérusalem, affirmons que nous sommes déterminés à faire tout ce que nous pouvons pour lutter pour la paix en terre sainte -  une paix qui concerne le bonheur de tout habitant de ce pays, Israélien ou Palestinien, pour leur assurer la sécurité, la justice, la liberté, l’indépendance et la dignité personnelle.
Que personne ne doute de l’horreur que nous éprouvons pour la violence, de qui qu’elle vienne. La paix  ne sera établie que si toute violence est extirpée des deux côtés.  Si la présente « feuille de route » doit apporter des résultats positifs, nous estimons que le mur de séparation constitue un grave obstacle.  Pour les deux nations, le mur procurera un sentiment d’isolement. En plus, pour beaucoup de Palestiniens il entraîne la privation de terre (environ 10% de plus que celle de l’occupation de 1967),  de moyens d’existence,  de vie collective et de vie de famille.  L’occupation est la cause fondamentale du conflit et des souffrances continuelle en  terre sainte.
Prenons l’exemple de l’effet sur les chrétiens du mur de séparation devant encercler Bethléem, lieu de naissance de Jésus Christ, prince de la paix. Les effets seront dévastateurs pour la communauté chrétienne ; l’effet psychologique sur la vie quotidienne ne sera pas le moindre.  La communauté sera isolée par privation d’accès à la terre et de la liberté de mouvement.  La visite de pèlerins sera encore plus découragée. Nous en appelons aux deux autorités, israélienne et palestinienne – et à tous les hommes aimant la paix sur toute la terre (nous allons prendre un contact urgent avec leurs chefs, à la fois politiques et religieux), pour un effort de supprimer cet obstacle à une paix compréhensive et durable.
- Déclaration signée par :
Mgr Michel Sabbah, Patriarche Latin de Jérusalem,
Torkom II, Patriarche Orthodoxe Apostolique Arménien de Jérusalem,
Frère Giovanni Battistelli, O.F.M., Custade de Terre Sainte,
Mgr Anba Abraham, Archevêque Orthodoxe Copte de Jérusalem,
Mgr Swerios Malki Murad, Archevêque Orthodoxe Syrien de Jérusalem,
Mgr Abba Cuostos, Archevêque Othodoxe Etiopien de Jérusalem,
Mgr Riah Abu El-Assal, Evèque Anglican de Jérusalem,
Mgr Munir A. Younan, Evèque Evangelique Luthérien de Jérusalem,
Mgr Archimandrite Mtanious Haddad, Patriarche Exarch Catholique Grec de Jérusalem,
Mgr Butros Malki, Evèque Catholique Syrien de Jérusalem.
                                       
5. Un américain victime du lavage de cerveau par Tunz-o-Mazah (24 août 2003)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Fut un temps, je lisais des bouquins. J’avais un sens de la réalité, bien qu’il se soit recroquevillé dans le fond de mon cerveau, incapable qu’il était de soutenir la compétition avec la télé, de surcroît en couleurs.
La couverture à la télé de l’attentat contre un bus israélien à Jérusalem ne me pose guère de problèmes. J’ai toujours su que les vies juives étaient plus importantes que les vies palestiniennes. Le summum du pire, c’est la mort d’un enfant juif. Mon humanité en est outragée.
La couverture de la télé est tellement efficace, avec tout ce baratin des commentateurs juifs et pro sionistes. Maintenant, je comprends des problèmes qui autrefois étaient pour moi de véritables casse-tête. Aujourd’hui, je sais :
Le ratio entre enfants palestiniens tués et enfants juifs tués est impeccable : y’a rien à redire. Pour 93 enfants palestiniens tués, 4 enfants juifs sont tués. N’est-ce pas purement scandaleux que quatre enfants israéliens soient tués ?! Il aurait fallu que, seuls, les quatre-vingt treize enfants palestiniens soient tués. Par chance, la plupart des attaques menées par Israël ne sont pas même évoquées sur mes chaînes favorites.
Jérusalem est une ville sous occupation. Israël l’a conquise par la force. Bien ! Que Jérusalem reste donc comme elle est ! Elle est très bien comme ça ! Invitons plutôt le maire de la ville occupée à la synagogue de Baltimore et qu’il vienne nous dire à quel point l’occupation est belle et bonne.
J’ai lu quelque part qu’Israël avait chassé plusieurs millions de Palestiniens et avait confisqué leur pays, la Palestine, après quoi ils l’avaient rebaptisé Israël. Aujourd’hui, ça, c’est un truc que j’ai complètement oublié, et qui ne m’empêche absolument pas de dormir !
Heureusement que les Palestiniens n’ont pas de tanks, ni d’artillerie, ni de fantassins [Ce sont nos gouvernements, finauds, qui veillent à ce qu’ils n’en aient pas.] Mais ils essaient de casser l’occupation en se transformant eux-mêmes en bombes, et il y a beaucoup de dommages collatéraux, dont la mort de ces merveilleux enfants juifs. Je pleure, pour ces enfants. Grâce au Ciel, les Palestiniens n’ont pas d’armes sophistiquées, sans quoi nos forces armées [excusez-moi, je veux dire : les forces armées israéliennes] risqueraient d’être en danger.
J’ai lu quelque part que le droit international dit que les victimes d’une occupation ont le droit de riposter et de tuer autant d’occupants qu’ils le peuvent, sans égard pour la question de savoir si les occupants voyagent en autobus ou en tank. Même que c’est écrit dans un bouquin de droit qui avait été invoqué contre les nazis durant la Seconde guerre mondiale. Mais heureusement, la télé m’aide à écarter cette loi compliquée de la réciprocité.
Attention : là, je passe à un sujet autrement plus difficile, à la question à mille balles : l’attentat contre le quartier général de l’Onu à Bagdad. Comment osent-« ils » attaquer l’Onu ! Je sais que c’est pas bien de tuer qui que ce soit. Alors pourquoi quelqu’un irait-il donc s’en prendre à l’Onu, alors que la seule préoccupation de cette organisation, c’est la « reconstruction » de l’Irak ? Pouvez-vous me le dire ?
Là, je suis tellement choqué par cet attentat, avec toutes ces horreurs, ces morts et ces destructions, que je suis prêt à oublier une bonne partie de ce que j’avais appris à l’époque où je lisais encore des livres. C’est pas vrai, que l’Onu n’a pas approuvé l’invasion américaine de l’Irak ? Alors… Attaquer le quartier général de l’Onu à Bagdad : quelle honte !
[Et ne venez pas me raconter que l’Onu était partie prenante dans l’occupation américaine. Ne venez pas me dire qu’un vigile militaire américain gardait le quartier général onusien. Ne venez pas me dire qu’un « diplomate » était en train de coordonner la « reconstruction » quand la bombe a sauté. Ne me dites pas que l’Onu ne peut installer un quartier général à Bagdad  sans l’accord préalable des Etats-Unis. Qu’est-ce que vous êtes en train d’essayer de faire, là ? Me déprogrammer ? Foutez-moi la paix. Moi, je VEUX croire !]
Malheureusement, les lectures que j’ai faites avant que la télé me lave le cerveau ne cessent de me revenir à l’esprit. Mon cerveau – c’est terrible, My God – ne cesse de générer de la pensée. Arrête-moi ça ! Moi, je veux croire !
Mon maudit cerveau me dit que, bien qu’elle n’ait pas approuvé l’invasion américano-anglaise, l’Onu n’a jamais condamné l’invasion de l’Irak, bien que les Etats-Unis et le Royaume-Uni eussent violé, de toute évidence, sa charte fondamentale ? Qu’est-ce qu’y va-t-y pas chercher là ?
Le Secrétaire général Kofi Annan n’a jamais condamné l’invasion américano-britannique. En fait, il a constamment condamné l’Irak et son dirigeant mujâhid.
L’Onu soutenait à fond l’embargo et les sanctions imposés à l’Irak, qui causèrent la mort de plus d’un million d’enfants irakiens sur une période de douze ans. Il s’agissait là, en réalité, de sanctions qui avaient été imposées à l’Irak, mais qui devaient être respectées y compris par des pays musulmans comme le Pakistan.
L’Onu n’a jamais mis en application ses résolutions à l’encontre d’Israël. Pas une seule fois.
Aucune sanction n’a été imposée à Israël, bien que ce pays ait violé à ce jour absolument toutes les résolutions de l’Onu le concernant.
Mon maudit cerveau me dit qu’en réalité, ce sont les Nations Unies qui ont refilé la Palestine aux juifs.
Mêmes ces régions de Palestine qui étaient supposés ne pas être israéliennes dans la logique compliquée des Nations Unies sont aujourd’hui occupées par les tanks israéliens. L’Onu prend-il de quelconques mesures à l’encontre Israël ? Que nenni…
Et les résolutions de l’Onu sur le Cachemire ? Elles ont été mises en application ? Ne me fais pas rigoler, j’ai des aphtes ! Oublie ça, veux-tu bien ?!
L’Onu a-t-il imposé des sanctions à la Russie pour son génocide en Tchétchénie ? C’est pas bien, de se moquer ! Tu penses qu’on a pris la peine de fabriquer l’Onu à seule fin d’aider ces « sales musulmans », ou quoi ?
[Malgré les vapeurs qui obscurcissent le fond de mon cerveau, je me rappelle un excellent bouquin qui démontrait que l’Onu n’est rien d’autre qu’un instrument du pouvoir américano-britannique. Chassons cette mauvaise pensée ! Je ne veux pas que la réalité revienne me hanter !]
Après avoir repoussé les fantômes de la réalité hébergés par mes méninges, je retourne devant la téloche. Sur MSNBC, il y a un débat. Un professeur juif de l’université de Haïfa, et un juif américain, Steve Emerson, causent du « terrorisme » [c’est le nom de code de l’Islam] dans le cadre de l’émission « Tir de penalty ». Ah ! Enfin ! Je peux m’arrêter de penser et jouir du spectacle !
N’est-ce pas absolument terrible que quelqu’un ait osé faire sauter l’Onu à Bagdad ? Comment ont-« ils » osé arrêter la dynamique « reconstruction » de l’Irak ? ! ? Nous autres, nous sommes en train de libérer l’Irak, et voilà que ces terroristes à la con viennent essayer de nous en empêcher ! Quel culot !
J’aime le président Bush. Quel réconfort, sa profonde pensée, selon laquelle l’attaque contre le quartier général de l’Onu était en réalité une attaque contre « le peuple irakien ». Quelle profondeur, quelle hauteur de vues, chez ce Dubya !
[Malheureusement, les troupes US à Bagdad ne croient pas Bush. Dans la nuit de l’attentat contre l’Onu, les Américains ont imposé un couvre-feu très strict à Bagdad. Quelle honte ! Le moins que j’attendais de tous ces va-nu-pieds d’Irakiens, c’est qu’ils sortent de chez eux et qu’ils viennent manifester leur soutien aux Etats-Unis et condamner l’attentat. Comment sortiront-ils de chez eux, maintenant, avec ce couvre-feu ? C’est fin !]
J’aime vachement la télé, mais elle me fait au cerveau un truc inattendu. J’ai tellement été impressionné par le « choc et la stupeur » [c’est comme ça qu’on avait appelé tout ce show haut en couleurs d’explosions énormes à Bagdad, quand les B-52 et les B-1 déversaient leurs cargaisons de bombes sur une métropole musulmane]. Eh ben, je dois dire qu’après « le choc et la stupeur », cette petite colonne de fumée sortant du quartier de l’Onu, ça faisait un peu riquiqui.
Si l’explosion avait été plus forte et plus colorée, il y aurait eu un meilleur rendu, à l’écran.
[Mais veux-tu bien arrêter, maudite cervelle ! L’US Air Force ne faisait que son devoir. Apprends à aimer ces magnifiques avions majestueux. Oh, comme je les ai aimées, ces explosions dans les montagnes afghanes, à Tora Bora ! Quelle gloire ! Ah, tous ces petits Hiroshima faisant sursauter les cahutes de boue de l’Afghanistan, et gronder les montagnes solennelles…]
Arrête ton cirque, et regarde la télé ! Voici que s’avance Martin Indyk, ancien ambassadeur américain en Israël, qui vient nous expliquer les ravages du fondamentalisme musulman sur CNN. Sieg Heil ! Sieg Heil ! J’aime Bush ! J’aime l’US Air Force !
                                           
6. Aidez-nous en tant que Partenaires, et non par la Charité ou la Domination par Ghassan Andoni (22 août 2003)
[traduit de l`anglais par Eric Colonna]

(Ghassan Andoni est le Directeur du «Palestinian Centre for Rapprochement between People» http://www.rapprochement.org, et l'un des fondateurs de l'International Solidarity Movement (ISM) http://www.palsolidarity.org.)
Durant ces 20 dernières années, mon travail m`a permis de connaître beaucoup d`organisations internationales et de personnes oeuvrant en Palestine. J`ai rencontré et travaillé avec tant de gens admirables. Des gens passionnés, très dévoués et dotés d`une grande intelligence. J’ai beaucoup appris à leur contact et j`ai une immense admiration pour ces personnes. Je ressens ici, le besoin de mettre l`accent sur un problème épineux.
Récemment, j’ai participé  a un atelier de travail et j`ai fait la connaissance d`une personne très gentille, une éducatrice américaine qui travaille pour une organisation locale palestinienne - en liaison avec l’église. Suite a notre brève conversation, j`ai décidé d`écrire cet article.
Apres qu`elle m`ai dit qu`elle résidait tout près de mon bureau a Beit Sahour, je lui ai demandé, ``Que faite vous en Palestine ?``.
``Je dirige un programme pour apprendre aux enfants palestiniens comment adopter la non-violence comme style de vie``, me répondit-elle en souriant.
``Est ce que ce programme a été établi en coordination avec le Ministère de l`Education Palestinien ?``, lui demandai-je.
``Non. Non, nous travaillons directement avec les enfants et les instituteurs``, me répondit-elle.
Quelque chose me démangeait et j’ai poussé la discussion plus loin. ``Mais qui vous a donné le droit de le faire ?``.
Je sentis que ma question l’avait mise en colère et elle me répondit :``Ce sont des enfants traumatisés. Ils n`ont que l`autorité des parents et des enseignants pour leur dire ce qu’ils devaient faire ou ne pas faire. Personne ne leur permet de penser autrement et je suis ici pour les aider à changer cela``.
J`étais vraiment désolé de l`avoir forcée à adopter cette attitude défensive. Pourtant, j`avais envie de prolonger cette discussion. ``Ecoutez, travailler avec les enfants est une chose très délicate. Ils ne sont pas encore prêts à faire des choix, ce n`est pas comme avec des adultes. Pourquoi pensez vous que vous avez le droit de décider a leur place d`un style de vie ?``.
A cet instant, je pense qu`elle a paniqué. Je pense qu’elle ne s’attendait pas a entendre cela de la part d`une personne qui a consacré une grande partie de sa vie à promouvoir et à pratiquer la non-violence.
Aussi, cherchant un moyen de sortir de cette impasse, j’ai essayé de lui expliquer. ``Je me sens très mal a l`aise quand des groupes palestiniens, par exemple le Hamas, organisent des camps d`été et tentent d`influencer directement le comportement des enfants. Malgré le consentement des parents, je pense que sur un plan éthique, c`est une erreur. Ma réaction est identique``. Je ne pense pas m’être clairement fait comprendre ; en fait, il semble que mes explications n’ont fait qu’aggraver la situation.
Qu`est ce qui a pu motiver cette éducatrice américaine et l’organisation pour laquelle elle travaille? Je crois vraiment que c’est le désir d’aider. Alors, pourquoi cela me tracasse-t-il ? Je pense que l’aide apportée manque de règles et de bases éthiques.
Sur un plan purement professionnel, elle aurait probablement été d`accord avec mon raisonnement. La nature donne aux parents le droit d’élever et d’éduquer leurs enfants. Les communautés locales, à des degrés divers, sont de facto les environnements dans lesquels les enfants grandissent. Les écoles se sont engagées à partager cette responsabilité basée sur des règles et des principes qui se sont développés historiquement et/ou sont formulés par une corporation que la communauté reconnaît comme digne de confiance. Ethiquement parlant, ce sont des corporations légitimes qui, même lorsque des désaccords existent, méritent le respect. Le meilleur moyen de produire un changement désiré est de travailler patiemment pour influencer le système et offrir un consensus différent.
Je me suis demandé sur quelles bases cette aide avait-t-elle été jugée nécessaire. Les Palestiniens manquent t-ils de ressources humaines ? Dans le domaine de l`éducation, je pense que la réponse est un grand NON. Quelqu’un a t-il une idée du nombre de lettrés palestiniens ayant étudié dans les meilleures Universités occidentales qui sont revenus pour vivre et travailler en Palestine ? Vraisemblablement beaucoup trop pour les compter. Combien d`établissements d`enseignement, les Palestiniens ont t-ils construit pendant ce temps ? des centaines.
Je réalise maintenant que ma première réaction à son projet fut le sentiment d`être insulté. La L`affront était que l`on prenne une éducatrice américaine et une association caritative pour décider du destin de nos enfants. Aucune consultation avec le responsable de l’institution  Palestinienne n’a été nécessaire. J`avais l`impression que cela correspondait a l`idée d`être encore une nation sous le joug d’une nation étrangère.
Le second point fut le sentiment d’être accusé. Cela suggérait que, bien que les Palestiniens disposent de ressources, nous sommes une nation incapable de les utiliser ou ayant la volonté de la faire.
L`idée de permettre a des oeuvres de charité et des individus d`intervenir avec des agendas imposes est, pour moi, très gênante. Ceci est vrai même si ces individus et organisations ont les plus nobles des intentions et que leurs valeurs soient d`une qualité irréprochable.
Le fond du problème est celui ci. Sont ils ici pour collaborer avec nous ou pour nous donner des ordres ?
                                                      
7. Cherchez la réforme dans les ministères de l'Autorité palestinienne par Bassam Abu Sharif (15 août 2003)
[traduit de l'anglais par Giorgio Basile]
(Ancien membre du bureau politique du Front Populaire de Libération de la Palestine de George Habache, Bassam Abu Sharif s'est éloigné de ce dernier en 1986 pour se rapprocher de Yasser Arafat, dont il est aujourd'hui un proche conseiller. Il est l'auteur d'une déclaration présentée le 5 juin 1988 qui, après avoir servi de base de discussions au sein des institutions palestiniennes, a débouché sur l'adoption par le Conseil National Palestinien d'un programme politique appelant à la solution de deux États en Palestine, ce qui lui a valu dans le monde entier le titre d'«Artisan de la Paix». Il a joué un rôle central dans l'élaboration de la déclaration par laquelle Yasser Arafat a  reconnu Israël devant l'Assemblée Générale des Nations unies, qui s'est tenue à Genève le 13 décembre 1988. Ses articles peuvent être consultés (en anglais) sur le site Peace On Line :  http://www.peace-online.org)
Les Américains et les Israéliens, mais aussi les Palestiniens avant eux, ont reconnu, et reconnaissent encore, la nécessité de prendre des mesures drastiques en vue de réformer les institutions et l'administration de l'Autorité nationale palestinienne pour les rendre plus efficaces et plus transparentes. Ces mesures pourraient constituer le prélude à la mise en place d'institutions saines et fiables dans un État valide. Cependant, la définition américaine et israélienne du mot «réforme» est différente de celle des Palestiniens lorsqu'ils réclamaient des réformes institutionnelles. Ce que recherchaient, et recherchent toujours, les Américains et les Israéliens, se résume à garantir la sécurité d'Israël en mettant hors-jeu les organisations de résistance armée. Ils veulent contrôler l'argent afin que personne, pas même le président Arafat, ne puisse l'utiliser pour acheter des armes. En tous cas, c'est ce qu'ils disent. En fait, cela revient à priver le président Arafat, que nous avons démocratiquement élu, de ses prérogatives en matière de sécurité et de politique financière.
Les Palestiniens, quant à eux, réclament depuis longtemps des réformes touchant à la définition même de leurs ministères et aux objectifs qu'ils se sont assignés. À quoi bon des ministères s'ils ne sont pas entièrement dévolus au service des usagers? Les Palestiniens sont las de la bureaucratie, des lenteurs administratives et de l'arrogance des fonctionnaires. Les fonctionnaires sont las de l'absence continuelle de leurs ministres, qu'ils ne voient que rarement si ce n'est à la télévision où ils discutent de tout sauf des questions qui sont directement liées aux ministères dont ils ont la charge.
Hier, j'ai demandé à plusieurs hauts fonctionnaires de différentes administrations s'ils pouvaient me dire quelle était leur mission au ministère. La réponse a été unanime: «On n'en a pas. On vient au ministère où les programmes sont inexistants. On boit du café, on débat de questions politiques et on repart. Quand on voit le ministre, qui nous rend visite une fois tous les trente-six du mois, on parle, encore, de la situation politique, mais jamais du plan d'action ou des missions du ministère». L'un d'eux m'a même répondu: «Ce que je fais au Ministère? je suis directeur général.» Notre propos n'est pas ici d'insinuer que cette situation prévaut dans tous les ministères. Certains poursuivent leur travail et leur mission dans la routine bureaucratique, soit parce qu'ils sont contraints de le faire, soit parce que le ministre est assidu et qu'il tient à faire avancer le travail dans son administration.
Pour éviter les généralisations abusives, nous nous pencherons sur un certain nombre d'exemples concrets illustrant ce que les gens reprochent aux ministères dont certains ont fait la preuve de leur incapacité à mener leur mission à bien. Certains, parmi nous, attendaient beaucoup de la nouvelle équipe gouvernementale, notamment des ministères dont la mission est réputée vitale pour les gens: c'est le cas des ministères des Finances, de la Santé, du Travail, etc. Au début, les ministres nouvellement nommés répondaient aux demandes, aux doléances, aux lettres des usagers ou au téléphone. Mais les choses n'ont pas tardé à changer. Certains ont fini par se conduire en despotes. Ils ont cessé de répondre au téléphone et au courrier. Chaque fois que les gens pouvaient espérer beaucoup d'un ministre, «leur ministre» les décevait car il se trouvait pris dans d'interminables négociations, ou s'absentait de plus en plus après être devenu membre du comité de négociations et de ses innombrables délégations.
En outre, les chaînes de télévision, qu'elles soient locales ou transmises par satellite, n'ont pas tardé à donner libre cours à leur penchant pour les interviews politiques, sollicitant les différents ministres en fonction des actions menées par leurs ministères respectifs, de leurs succès, de leurs échecs ou du degré d'avancement des réformes. Plus encore, les fonctionnaires de ces ministères eux-mêmes ont fini par se prendre pour des despotes, traitant leurs concitoyens en mendiants du service public et non en usagers légitimes au service desquels l'administration se doit tout entière.
Quant au chômage: qu'a fait le gouvernement dans ce domaine? Qu'a-t-il fait pour supprimer les lenteurs administratives dans des ministères aussi essentiels que ceux des Finances, de la Santé, du Commerce ou de la Communication. Lorsque j'ai demandé à un fonctionnaire relevant du service de police et de sécurité civile pourquoi on n'avait pas fourni de l'eau aux régions qui souffraient de la chaleur et de la sécheresse afin de répondre aux besoins des populations concernées, il m'a répondu: «Nous n'y sommes pour rien. C'est la faute du ministère de la Communication». Et quand je lui ai demandé de me dire pourquoi, il m'a répliqué: «Les Nations Unies ont subventionné l'achat de treize citernes d'eau censées servir dans de telles circonstances, mais on attend toujours l'autorisation écrite du ministère de la Communication, bien que trois mois se soient déjà écoulés».
Comment de tels errements peuvent-ils se produire? Et où est donc Son Excellence, le ministre? Comment peut-on, de la sorte, priver d'eau la population? La responsabilité financière a beau être indispensable, peut-elle tenir lieu de réforme? Concernant les transactions financières, nous pourrions continuer ainsi pendant des jours. Nos ministères ont établi un nouveau record du monde en compliquant la vie de nos concitoyens qui croulent sous les formalités, provoquant un profond mécontentement. Avant l'avènement du nouveau gouvernement, les fonctionnaires accomplissaient leur tâche avec application et diligence à chaque intervention du cabinet du président Arafat. Aujourd'hui, il ne sert à rien d'essayer. Tout le monde attend la visite du ministre, après avoir rendu les formalités désespérément compliquées.
Ce que pensent les gens de cette situation se résume dans ces mots: «Ayez pitié de nous. Que dieu ait pitié de vous». Comment nos fonctionnaires peuvent-ils espérer que notre peuple résiste farouchement à l'occupation, à l'état de siège, à l'humiliation, à la destruction, à l'arrachage des arbres et à l'expropriation, si ses propres ministres ne font rien pour soulager ses souffrances. Le moins que l'on puisse exiger des ministres est qu'ils travaillent consciencieusement afin d'accroître l'efficacité et la compétence de leur administration et qu'ils réduisent les effets de la bureaucratie.
Nombreux sont ceux qui se demandent pourquoi la journée de travail dans les administrations doit s'arrêter à 14 heures. À supposer que les fonctionnaires soient disciplinés et qu'ils arrivent au bureau à 9 heures ou 9 heures et demi et repartent à 14 heures, ils ne travaillent en tout et pour tout que cinq heures par jour, ou même moins. Comment, avec un temps de travail aussi réduit, l'administration peut-elle décemment servir les usagers? Dans toutes les sociétés civilisées et les institutions efficaces, on met l'accent sur une journée de huit heures de travail effectif. Alors pourquoi pas nous? Peut-on raisonnablement engager des réformes touchant à tous les domaines sans commencer par reformer les heures de travail et le service public, par accroître l'efficacité et la compétence et par faire reculer la bureaucratie? Ajoutons à cela que certains ministères ferment leurs portes au nez de nos concitoyens (prétextant un travail interne) un jour par semaine, en plus du vendredi. Nous ne contestons pas l'importance du travail interne et de l'organisation, mais nous aimerions savoir combien d'heures de travail effectif, au service des usagers, l'administration peut inscrire à son actif.
Les gens peuvent se demander: «Où est le système de santé qui garantit à chacun le droit aux soins dans les institutions médicales de l'Autorité?» Pourquoi certains de nos concitoyens sont-ils obligés d'envoyer des lettres implorant l'administration pour obtenir des soins et des médicaments? Tout au long de l'Intifada, la Palestine a reçu et reçoit encore des équipements, des appareils et des milliers de tonnes de médicaments. On a construit des hôpitaux et des centaines de médecins se sont portés volontaires. Alors, pourquoi ne pas mettre ces aides à profit pour bâtir un système de santé qui épargne à la population l'humiliation d'avoir à mendier les soins?
Où sont nos cliniques de village?
Quelqu'un parmi vous a-t-il visité les hôpitaux pour se faire un idée de la façon dont sont gérés les différents services, du bloc opératoire aux problèmes de propreté? Jetez un coup d'œil et vous verrez!
Les Palestiniens se demandent pourquoi les magasins regorgent de marchandises israéliennes ou de produits que les Israéliens importent et qu'ils nous vendent. Pourquoi le ministère du Commerce ne travaille-t-il pas à ouvrir les voies qui permettraient aux hommes d'affaires et aux commerçants palestiniens d'importer ces biens directement de leur pays d'origine? De plus, pourquoi les administrations achètent-elles leurs fournitures à des marchands israéliens, alors que nos marchés abondent de produits identiques importés par des Palestiniens? Ceci s'applique surtout au gros matériel, aux bulldozers, aux véhicules et aux camions. Qui décide des achats effectués par les ministères et qui peut interdire l'acquisition de fournitures auprès de fournisseurs israéliens quand elles sont disponibles chez des marchands palestiniens? Bonne question pour le gouvernement.
Est-il concevable que le peuple palestinien ne dispose d'aucune maison d'édition digne de ce nom, équipée de presses typographiques, susceptible de publier les œuvres de nos nouvelles générations d'écrivains, de poètes et de peintres, qui en sont réduits à mendier pour voir leur travail diffusé? Où sont les librairies qui importent les livres et les vendent à un prix raisonnable?
Voilà en quoi consiste la vrai réforme, celle que demande notre peuple, et non celle qu'exigent Sharon et Bush et qui n'est, ni plus ni moins, qu'un coup d'état politique interne.
                                               
8. L'explication de la résistance au colonialisme en Asie de l'ouest par Benjamin Beit-Hallahmi (2003)
[traduit de l'anglais par Corinne Grassi]

(Benjamin Beit-Hallahmi est professeur au département de psychologie de l'Université israélienne de Haïfa.)
Depuis les années 1960, un grand nombre de papiers sur les aspects psychologiques du conflit Israélo-arabe ont été
publiés (j'en ai écrit quelques-uns moi-même). Aucun autre conflit violent n'a été ainsi choisi pour le traitement psychologique. La plupart des contributeurs à cette littérature sont Américains et Israéliens et la plupart des non-Israéliens sont de descendance juive et tout à fait compatissants au sionisme.
Ce que j'ai trouvé dans la majorité des analyses, présentes chaque jour dans les médias et dans des papiers académiques,
c’est une perspective dominante est qui est totalement euro- centrée, exprimant une identification totale avec les idées colonialistes, les pouvoirs coloniaux et les pratiques coloniales. Ce n'est pas différent de la perspective que l’on peut trouver en retournant aux écrits occidentaux entre 1830 et 1950 qui décrivent les territoires colonisées de l'Asie et l'Afrique. Les populations indigènes à cette époque ont été décrits comme des terroristes sauvages dans la révolte contre l'autorité légitime et leurs actes étaient expliqués exclusivement sur la base "de la psychologie" locale et des traditions culturelles. Un exemple bien connu est celui de l'insurrection mau-mau au Kenya dans les années 1950.
Expliquer ce qui ressemble à l’indocilité unique de ce conflit devient plus facile quand nous réalisons que ce n'est pas juste
un conflit inter-ethnique, ou un "mouvement entre deux nations", mais un conflit impliquant la colonisation et décolonisation. Je voudrais suggérer que le point de départ psycho- historique pour n'importe quelle discussion sérieuse à propos du conflit israélo-arabe et du conflit palestino-israélien soit la réalité de colonialisme. Le colonialisme est un système formel sous lequel, dans un territoire défini, les non-natifs du pays ont des droits politiques que les natifs n’ont pas. C'était la pratique en Inde sous l'Empire britannique, sur la Côte D'or avant qu’elle ne soit devenue le Ghana. À la différence de la pratique dans ces territoires, le sionisme n'a pas cherché à exploiter la population locale ou les ressources naturelles de la Palestine, mais de les déplacer et de les remplacer par des colons. Sous un tel système, connu comme le colonialisme de colon, la population locale est déplacée, pour laisser la place aux colons et à leur nouvelle société. Alors que les traditions culturelles uniques jouent certainement un rôle dans un conflit particulier, le colonialisme a été un système global et une idéologie globale, dont les conséquences et les implications peuvent élucider le cas examiné.
Le conflit israélo-arabe pourrait être mieux expliqué s’il était présenté comme le résultat d'une rencontre entre le colonialisme de colon et la population indigène d'Asie de l’Ouest. Le colonialisme, comme il a été pratiqué depuis l’époque des conquistadors espagnols, est une extension de l'idée d'avoir le contrôle sur la nature au bénéfice de l'humanité. La terre est là pour être prise et l'Europe doit là y régner. Ce qui est le plus significatif pour n'importe quelle analyse c’est la normalité idéologique et psychologique du colonialisme dans le discours euro-centré.
La compréhension de l’esprit colonialiste est rarement à l'ordre du jour. La brutalité du colonialisme comme institution, avec
le droit de prendre un territoire, le définir ensuite, le nommer et exploiter les habitants du pays est considéré comme allant de soi.
Pendant les cinq siècles passés, le colonialisme de colon a été couronné de succès dans la création des nouvelles nations
comme les Etats-Unis, l'Australie, l'Argentine et la Nouvelle-Zélande, pour n’en nommer que quelques-unes. Le projet sioniste a dû faire face à plus de résistance que les précédents. Comme un historien compatissant a écrit : "la tragédie du sionisme est qu’il est apparu sur la scène internationale quand il n'y avait plus d'espace vides sur la carte du monde" (Laqueur, 1976, p. 597). L'approche familière euro-centrée au colonialisme considère les habitants du pays comme des sauvages, non civilisés et résistants au progrès. C'est certainement vrai dans le sens où les cultures natales sont traditionnelles, parfois d'avant l’écriture et fortement autoritaires et non démocratiques. Le système politique imposé auquel ils résistent, celui du colonialisme, n’est en réalité pas plus démocratique que n'importe quel système local. Mais dans un discours euro- centré normal la résistance indigène était toujours considérée comme ayant besoin d'une explication et vue comme illégitime, pathologique, ou le reflet de modèles uniques culturels.
Affronter les habitants du pays a été reconnu comme un problème dès le début dans l'histoire du sionisme politique. Ceci
est reflété dans une citation d'un journal personnel : "nous essayerons d’apporter l'esprit à la population sans de l’autre côté de la frontière en procurant des emplois pour cela dans les pays de transit pendant toute sorte d’emploi sera dénié dans notre propre pays." (Theodor Herzl, début du Journal écrit à la main, 12 juin 1895, [Cental Zionist Archivess H ii B I]; dans les Journaux Complets de Theodor Herzl, trad. Harry Zohn, (New York, 1960), Vol.1, p.88). Ceci a été écrit longtemps avant qu’Herzl ait accepter l'idée que l'état Juif serait créé en Palestine. Au moment d’écrire, Herzl était prêt à considérer beaucoup d'endroits et c'était son idée du destin de n'importe quelle population indigène qui pouvait gêner le projet sioniste, pas nécessairement les Palestiniens. Comment Herzl a t’il eu de telles idées ? Est-ce qu'il était exceptionnellement cruel ?
Non. Il écrivait simplement dans le cadre du colonialisme, vu comme normal et légitime. Victoria est devenue Reine de l'Inde en 1876, quand Theodor Herzl avait 16 ans.
La Conférence de Berlin a été tenue à Berlin entre le 15 novembre 1884 et le 26 novembre 1885, sous la direction du
Chancelier allemand Otto von Bismarck. Elle a impliqué un groupe de messieurs européens assis ensemble avec des cartes, partageant le continent africain entre les pouvoirs européens. Considérer les désirs des peuples indigènes était la chose la plus éloignée de leurs esprits. Un des actes les plus notoires de la Conférence de Berlin a été l'octroi du Congo à Léopold, le roi de la Belgique, comme sa propriété privée, parce qu'il n'y avait aucun autre preneur. En 1908, Léopold a vendu le Congo à la Belgique et c'est devenu une colonie. En 1919 le gouvernement belge a annoncé que la population du Congo était la moitié de ce qu’elle était en 1879. Herzl (nous) écrivait ses mots choquants dans son journal seulement dix ans après la Conférence de Berlin. Il a été alors impliqué dans le développement du sionisme politique dans les années
1890 de même que Cecil Rhodes travaillait inlassablement pour établir le dominion Britannique "du Cap au Caire." Les pratiques et les idéologies de l'impérialisme occidental et du colonialisme ont été transportés en Asie occidentale. L'accord sykes-picot entre la Grande-Bretagne et la France en 1916 était de nouveau un cas dans lequel des messieurs européens ont dessiné des cartes, cette fois l'Asie occidentale, se partageant le territoire à leur propre avantage et voyant cela comme la voie normale et désirable de faire des affaires. Notre identification automatique et inconsciente avec le point de vue colonialiste commence par la pratique de nommer le monde autour de nous. Nier les faits de base commence par la terminologie de base et notre choix de termes vraisemblablement objectifs géographiquement et historiquement reflète nos engagements idéologiques, nos partis pris et nos préférences. Le concept du Moyen-Orient fait partie de l'héritage impérialiste européen. Le terme géographique correct (employé par les Asiatiques) c’est l'Asie de l’ouest. La région c’est le Moyen-Orient ou le Proche-Orient quand vous êtes assis dans un bureau à Whitehall à Londres ou au Quai d'Orsay à Paris. Dans d'autres parties du monde, la terminologie coloniale est remplacée, comme nous parlons moins souvent de l'Extrême-Orient, mais plus souvent de l'Asie orientale.Quels termes allons-nous employer pour le conflit lui-même et pour des événements spécifiques dans son histoire ? Le terme "le conflit israélo-arabe" est devenu courant dans les années 1960. Le terme  "le conflit palestino-israélien" est entré en utilisation dans les années 1980 et a reflété les fortunes naissantes des Palestiniens. La simple apparition du mot « palestinien » dans le discours occidental a été un accomplissement important, contré par Israël et ses partisans. Le terme « Palestine » a disparu des cartes et des consciences après 1948. L'apparition récente Israël / Palestine comme une désignation géopolitique est un changement majeur.
Ce que nous observons dans le comportement des Palestiniens depuis le commencement du colonialisme de colons à la
fin du 19ème siècle c’est surtout la passivité ponctuée par de rares apparitions de résistance et d’insurrection. Les habitants du pays ont été, la plupart du temps, faibles, passifs et étaient abasourdis. Les rares occasions de résistance massives étaient poussées à la défaite. La rébellion principale entre 1936-39 a abouti à la défaite principale. Cela à son tour a causé, dix ans plus tard, en 1948, une défaite plus grande et la désintégration complète de la société palestinienne, avec la plupart des Palestiniens devenus réfugiés. Ainsi ce que nous devons expliquer c’est à la fois la passivité et la résistance. La question d'unicité culturelle semble secondaire comparée aux contraintes structurelles imposées par le colonialisme de colon. Les Norvégiens se seraient-ils comportés différemment dans ces circonstances ? Les Africains ? La passivité de la part des populations indigènes est la réalité dans tous les cas de colonialisme. Un fait de base du colonialisme et en réalité ce qui le permet, c’est la disparité de pouvoir et de technologies entre les deux côtés. Une société traditionnelle, souvent d'avant l’écriture, est détruite par la culture supérieure européenne.
L’expropriation est possible à cause de la passivité et de l'impuissance face à la technologie. La passivité est en effet le
cachet de la réponse indigène face à la puissance supérieure, la technologie, l'organisation, la confiance, la planification et la motivation des colonisateurs. Cette passivité a été expliquée comme le résultat d'intérioriser les valeurs et les images du colonialiste. Comment cette passivité n’est-elle jamais surmontée ? Comment l'indigène dépossédé peut-il surmonter sa crainte paralysante ? Une réponse, loin du point de vue normal euro- centré, se trouve dans les écrits de Franz Fanon. Son analyse touche directement la question de la résistance violente comme une voie de surmonter la passivité. Selon Fanon, la longue lutte violente vers l'indépendance est nécessaire, non juste pour des raisons instrumentales, mais aussi pour changer la mentalité du colonisé. La violence n'est pas nécessaire juste pour chasser les colonisateurs, mais aussi pour construire chez les indigènes la confiance en soi et l'identité. On peut être intéressé par la violence comme instrument, comme moyen vers une fin, mais Fanon a été aussi intéressé par la nature psychologique de la violence en tant que un processus. Il a commencé par une analyse de la situation coloniale, qui était en soi basée sur la violence, sur l'oppression et sur la soumission. La violence du colonialisme a affecté les deux côtés, les oppresseurs et les opprimés. Le processus de décolonisation arrivera au succès seulement quand le colonisé participe à l'action violente, pour effacer l'héritage psychologique du colonialisme. Chaque individu doit éprouver l'effet cathartique de la violence, à travers lequel les sentiments d'infériorité et de soumission seront surmontés et remplacés avec un sentiment individuel d'indépendance. Pour reprendre les propres mots de Fanon : « Au niveau des individus, la violence est une force purifiante. Elle libère l'indigène de son complexe d'infériorité, de désespoir et d’inaction; elle lui fait perdre sa peur et rétablit le respect de soi » (1968, p. 94).
Fanon est largement considéré comme un avocat de la violence, parce qu'il considère l’engagement personnel dans des
actes violents comme une chose préalable pour la libération personnelle et nationale. Beaucoup de libéraux et d’humanistes peuvent être choqués par son accent sur la nécessité des actes individuels de violence, qui peut en réalité avoir l'intention de tuer et mutiler des membres du groupe de colonisateurs, indépendamment de leurs actions personnelles ou de leurs responsabilités. C'est important à ce point de séparer la théorie psychologique de Fanon de son idéologie. Même si nous n'acceptons pas la théorie de Fanon comme norme, comme un appel pour l'action, nous pouvons l'employer comme une source d’idées et de compréhension, et une explication de la signification psychologique de la violence dans la lutte pour la libération.
Sartre (1968), après Fanon, décrit la violence des colonisateurs, une violence qui est d'abord employée pour des raisons
pratiques pour contrôler le colonisé. Plus tard, le colonisateur refuse de voir dans la résistance indigène « les instincts que poussent les esclaves au massacre leur maître ? Ne peut-il pas reconnaître ici que sa propre cruauté s'est retourné contre lui ? Dans la sauvagerie de ces paysans opprimés, ne retrouve-t’il pas la sauvagerie de son propre colon, qu'ils ont absorbée par chaque pore de la peau et pour lequel il n'y a aucun remède ? » La violence de l'opprimé est alors seulement une réaction et un comportement appris ou imité, quoique cela puisse devenir moins subtil que la violence du modèle imité. La brutalité commence avec le colonisateur et sa force supérieure construit chaque aspect de réalité du territoire. Le colonialisme crée non seulement la violence, mais aussi l'identité. Il est souvent revendiqué que c'est le sionisme qui a créé l'identité palestinienne et il est souvent sous-entendu la négation de la légitimité de cette dernière, mais cela arrivé à chaque territoire colonisé. Les colonisateurs ont créé des identités indigènes au Zimbabwe, au Nigeria, en Côte d'Ivoire, ou au Rwanda. L’idéalisation de la culture et du comportement des victimes ne doit pas avoir lieu. La souffrance n'anoblit pas et la victimisation ne nous rend pas meilleurs. La brutalité du colonialisme mène invariablement à la brutalité du colonisé. Dans chaque cas de domination coloniale, en Algérie, au Kenya, en Afrique du Sud, ou en Palestine, le colonisé suit le colonisateur dans la brutalité et peut justifier son utilisation de la violence en soulignant la terreur aveugle employée dans le projet de colonisation. Mais dans ce processus douloureux d'identification avec le brutal colonisateur une nouvelle identité est gagnée.
- Références :
- Beit-Hallahmi, B. Péchés Originaux : Réflexions sur l'histoire du sionisme et d’Israël. Londres : Presse de Pluton, 1992 ; New York : Liez, 1993.
- Fanon, F. (1968)."Le Misérable de la Terre" New York : Grove Press.
- Laqueur, W. (1976). Une histoire du sionisme. New York
- Sartre, J. P. (1968). Préface, dans F. Fanon, "le Misérable de la Terre." New York : Grove Press.
                                   
Revue de presse

                        
1. Israël-Palestine : sortir de "l’étreinte fatale" par Hichem Ben Yaïche
in L'Economiste maghrébin (bimensuel tunisien) du mercredi 3 septembre 2003

Dans le contexte de crise morale, politique et économique profonde qui taraude le Proche et le Moyen-Orient, crise portée à incandescence par, d’un côté, le conflit israélo-palestinien, et de l’autre, le chaos irakien de l’après-guerre, chacun doit comprendre, aujourd’hui que le pire, dans cette région du monde, reste – hélas – à venir. Le risque est grand : deux sources de nuisance majeure fonctionnent simultanément, alimentant et charriant, pour ainsi dire à l’infini, les frustrations et les humiliations des populations de la région, lesquelles sont poussées vers un état d’apoplexie.
Tandis que la descente aux enfers se poursuit en Irak, et prend des dimensions dramatiques, révélant ainsi les failles et les faiblesses de la stratégie américaine de l’après-Saddam, la réactivation de la violence en Israël-Palestine, après une courte trêve, a réduit en miettes l’espoir de la mise en œuvre de la « feuille de route », censée mettre sur les rails un autre plan de paix, qui n’est autre, à quelques nuances près, que la synthèse des initiatives précédentes. 
Après s’être montrés déterminés, pendant ces derniers mois, à agir sur les responsables israéliens et palestiniens pour les « obliger » à entrer dans une logique de négociations, avec la reprise des violences, le président George W. Bush et son équipe semblent indiquer – période pré-électorale oblige – que ce dossier ne figure plus en haut de ses priorités.
Assassinats ciblés, bombardements, incursions de l’armée israélienne dans des localités palestiniennes, destructions de maisons, etc., le Premier ministre d’Israël, Ariel Sharon, et son ministre de la Défense, Shaul Mofaz, ont repris leur sale besogne. Celle de la politique de main de fer.
A l’heure où l’Intifada d’el-Aqsa va entrer dans sa troisième année – le 29 septembre prochain –, il serait utile et éclairant de s’attarder quelque peu sur le bilan de cette « révolte des pierres ». 
S’il est vrai que le président de l’Autorité palestinienne, Yasser Arafat et son équipe ont commis lourdement des «erreurs» tactiques et stratégiques, il faut dire cependant, ce qui ne diminue en rien la sévérité du jugement, que la pression américano-israélienne et le contexte de doute, voire de suspicion prévalant alors, y avaient contribué puissamment. De cet épisode, l’Etat hébreu ne tarda pas à mener une gigantesque opération de désinformation via les médias américains et européens – opération bien relayée par des juifs américains de l’équipe Clinton comme Martin Indyk, Denis Ross, et d’autres. Un cas d’espèce qui mérite, aujourd’hui, d’être étudiée et enseignée. L’instrumentalisation du « refus » palestinien des «concessions généreuses» d’Israël avait tellement bien fonctionné qu’il n’était pas possible, des mois durant, de tenir un autre discours. Et puis vint le témoignage de Robert Malley, ancien conseiller des affaires arabes de Bill Clinton, qui enfonça un coin sérieux à la propagande israélienne (1). Et leva le voile sur une autre perception des réalités des négociations de Camp David et Taba. Voilà pour l’Histoire.  
L’âge de pierre
Mais ce qui compte de dire aujourd’hui, au vu des 730 jours d’Intifada, c’est qu’avec Ariel Sharon au pouvoir, la société palestinienne a été renvoyée à l’âge de pierre. Il ne s’agit pas d’une litote ou d’une figure de style. L’ampleur des destructions est considérable – et inchiffrable. Tous les témoignages dignes de foi le confirment. Même si l’information circule en circuit fermé, on peut cependant accéder à des sources fiables. Et même si la grande presse évite d’en parler de peur de s’attirer la foudre des partisans des thèses jusqu'au-boutistes du pouvoir israélien. 
S’il est légitime de partager les angoisses existentielles et les doutes des Israéliens, en revanche personne ne semble se soucier du calvaire – et le mot est faible – des Palestiniens. Dans le même temps, on ne peut s’empêcher de constater le processus de likoudisation d’une partie de la société israélienne. Bien sûr, personne n’oublie le combat fraternel, humaniste, de certains Israéliens, avec lesquels il faut travailler ardemment pour la réconciliation. De ce point de vue, la société arabe ignore la diversité du peuple israélien. Un point aveugle qui coûte cher, car rien n’est envisageable sans ses liens qui tissent la réalité de la coexistence de demain. 
Le pire dans la sharonisation actuelle des esprits est de laisser fleurir un discours que « tout le monde en veut aux Juifs ». Pratiquement inexistant aux Etats-Unis d’Amérique, où l’on considère dans les cercles de pouvoir de l’administration Bush – la plus pro-israélienne de l’Histoire US – que « tout ce qui est bon pour l’Amérique est bon pour Israël, et vice versa », ce sentiment se manifeste particulièrement en France, où une partie non négligeable des dirigeants de la communauté juive – et pas seulement – continue d’entretenir le sentiment que « la France est pro-arabe ».
Ces deux dernières années, dans l’Hexagone, on a assisté à l’élaboration d’un véritable corps de doctrine mis en œuvre notamment par Pierre-André Taguieff (2). De nombreuses officines ont ainsi vu le jour pour relayer ce discours et lui donner un habillage scientifique. Je citerai pour l’exemple l’Observatoire du monde juif, dirigé par Shmuel Trigano (3). Beaucoup d’autres intellectuels ou universitaires se mettront au service de ces idées : Alain Finkielkraut, Jacques Tarnéro, Frédéric Encel, et bien d’autres, où l’on assimile tout simplement la critique d’Israël à la «négation d’Israël». Dans cette atmosphère de sur-psychodramatisation, la moindre sympathie pour les Palestiniens est jugée comme une « attitude antisioniste », voire antisémite et hostile aux Juifs. 
A cet égard, je recommande la lecture du livre de Pascal Boniface Est-il permis de critiquer Israël ? (4) où les 233 pages expliquent la philosophie de qu’il appelle des ultras pro-Israéliens, qui sont nombreux et opèrent dans des endroits stratégiques. Ce livre gêne parce qu’il met à nu des mécanismes de fonctionnement visibles et invisibles pour mettre hors d’état d’agir ceux qui s’autorisent de révéler le «vrai visage d’Israël» en France. 
Afin d’éviter des généralisations détestables, il faut parler d’autres voix – certes minoritaires, mais elles existent : celles de Esther Benbassa, de Jean-Christophe Attias, de Rony Brauman, Jean Daniel, d’Edgar Morin, etc. – qui tentent de prévenir contre l’enfermement d’une partie des Juifs dans une logique communautariste. 
Comme on le voit, le conflit israélo-palestinien déborde largement le cadre du Moyen-Orient ; plus grave encore, il est en train de « pourrir » les relations judéo-arabes. Pour ne pas demeurer dans le registre de l’incantation, toute la question aujourd’hui est de sortir de cette logique de radicalisation dévastatrice. Mais comment ? Inutile de se lancer dans un énième brainstorming, tout le monde connaît la solution : elle existe depuis longtemps, mais personne n’est pressée pour la mettre en application. Il est temps de sortir les Israéliens et les Palestiniens de leur «étreinte fatale».
- Notes :
(1) Voir Le Monde du mois de février 2002.
(2) "La Nouvelle judéophobie", Ed. Mille et une Nuits, 2002. Cet auteur s’appuie, entre autres, dans son argumentaire sur cette équation pour disqualifier toute critique : « Juifs = sionistes (=Israéliens) ; sionisme = colonialisme et racisme ; Sharon = Hitler ; Israéliens = nazis. » Ce chercheur a détourné la recherche universitaire vers un militantisme jamais atteint, jusqu’ici, sans que personne ne trouve à redire.
(3) Il est l’auteur d’un livre scandaleux "La démission de la république (Juifs et Arabes dans la société française)", Ed. PUF, 2003.
(4) Ed. Robert Laffont, 2003.
                                                                                                   
2. Naplouse : "Une immense colère" - La députée du Fatah, Dalal Salameh, témoigne depuis la ville de Cisjordanie réoccupée par l'armée israélienne entretien réalisé par Valérie Féron
in L'Humanité du vendredi 29 août 2003
Dalal Salameh est une députée du Fatah de la région de Naplouse, née dans le camp de réfugiés de Balata. Elle répond aux questions de l'Humanité.
- L'armée israélienne est à Naplouse depuis jeudi dernier, deux jours après l'attentat de Jérusalem-ouest qui a fait 21 morts, pouvez-vous nous décrire la situation ?
- Dalal Salameh : Comme à chaque incursion, les chars sont un peu partout principalement près de la Vieille Ville et dans le camp de réfugiés de Balata. Nous sommes sous couvre-feu quasiment en permanence. Toute tentative d'entrer et de sortir des maisons ou de la ville est dangereuse. On vient de me signaler que plusieurs maisons de Balata étaient encerclées par les troupes israéliennes qui se sont installées dans l'une d'elles. Les arrestations et démolitions de maison se poursuivent, faisant toujours plus de familles privées de tout.
- Naplouse a toujours été un centre important de résistance à l'occupation israélienne, dans quel esprit se trouvent les habitants ?
- Dalal Salameh : Au début de l'Intifada, lorsque les habitants ont vu les Israéliens revenir, réenvahir notre région, cela a soulevé une immense colère, le refus total de se voir réoccuper, et la résistance tant populaire que militaire a été très active ici. Ce refus de vivre sous occupation est toujours bien présent, comme ailleurs dans les territoires palestiniens, mais il faut lui donner une nouvelle direction, et c'est d'ailleurs ce qu'a proposé l'Autorité nationale palestinienne en acceptant le plan de paix du Quartet, la " feuille de route ".
- Comment est perçue cette " feuille de route " dans la situation actuelle ?
- Dalal Salameh : L'Autorité est dans une situation très critique. Il est très difficile de convaincre nos citoyens et a fortiori les factions qu'il faut, par exemple, suspendre toute attaque contre l'occupant quand celui-ci continue de tuer et d'emprisonner les nôtres et de prendre nos terres.
Le cessez-le-feu proclamé le 29 juin dernier par le Hamas et d'autres groupes a tenu cinquante et un jours. Et il avait fallu déployer d'énormes efforts pour y parvenir. Dans le même temps, Israël a continué ses agressions, notamment dans la région de Naplouse, et surtout, à part un vague redéploiement du nord de Gaza et de Bethléem, il n'a pas commencé à appliquer la " feuille de route ". L'attentat de Jérusalem est venu après cette période. Nous sommes contre les attentats, nous les condamnons à chaque fois, mais comment convaincre notre peuple que nous pouvons entamer un processus politique avec le gouvernement de Ariel Sharon ? Pour aller vers quoi ? Quelle paix ? Ils n'ont plus aucune confiance.
- Ce manque de confiance est-il valable aussi envers la direction palestinienne ?
- Dalal Salameh : Ça, c'est ce que souhaitent les Israéliens et les Américains. Que les Palestiniens perdent confiance, en particulier dans le président Arafat. Ils ont en tête un autre leadership pour nous dont Yasser Arafat serait exclu. Ils échoueront. Yasser Arafat reste notre leader historique, notre représentant légal, élu. Il n'y a pas à l'heure actuelle de solution politique stable et durable possible sans lui. Quant aux simplifications sur un bras de fer entre le président et le premier ministre, il ne faut pas oublier que Mahmoud Abbas fait partie des membres dirigeants du Fatah et de l'OLP, instances dirigées par Yasser Arafat. Ils se connaissent de longue date. Je crois que ce que Yasser Arafat veut, c'est que ce gouvernement ne sorte pas des rails de nos droits et intérêts nationaux. Mais il ne travaille pas contre ce gouvernement.
Qui, plus que les Israéliens, a intérêt à une direction palestinienne divisée, affaiblie pour imposer leur paix ? Le président Arafat et Mahmoud Abbas font face aux mêmes défis : le gouvernement de Ariel Sharon cherche sans cesse à nous pousser vers la violence et n'a aucun intérêt à ce que nous réussissions quoi que ce soit pour faire avancer le processus de paix, comme une nouvelle trêve, et l'application de la " feuille de route ".
                                                   
3. Feux croisés contre Arafat par Jean Chatain
in L'Humanité du vendredi 29 août 2003
Washington le somme de " se mettre à l'écart ", tandis qu'Israël annonce la poursuite des " liquidations ". Le Hamas refuse la reprise de la trêve.
Le gouvernement Bush maintient son tir de barrage contre Yasser Arafat, refusant de prendre en considération son appel de mercredi à une reprise de la trêve et réaffirmant sa volonté de le voir mis à l'écart au profit du premier ministre Mahmoud Abbas. " Arafat a une fois de plus montré qu'il constitue une partie du problème. Il ne fait pas partie de la solution ", a déclaré une porte-parole de la Maison-Blanche, Claire Buchan, depuis Crawford où le président George W. Bush passe des vacances dans son ranch personnel.
Évoquant le mécontentement de la présidence américaine face à la récente décision de Yasser Arafat de nommer un de ses proches, Jibril Rajoub, comme conseiller pour la sécurité, la porte-parole assurait que la " feuille de route " prévoyait que les forces de sécurité palestiniennes soient " consolidées sous l'autorité du premier ministre Mahmoud Abbas ". Déjà, mardi, le secrétaire d'État Richard Armitage avait proclamé que la seule chose que le leader palestinien ait à faire est " de mettre les forces de sécurité à la disposition de M. Abbas et se mettre à l'écart ".
Mercredi, le cabinet palestinien dirigé par Mahmoud Abbas a fait connaître sa décision d'inscrire le budget des " forces de sécurité nationales " dans le budget global. Cette décision concerne donc la principale force de sécurité palestinienne dont les membres percevaient jusqu'alors directement leurs salaires du bureau du président de l'Autorité palestinienne.
Côté Sharon, la surenchère reste la règle : Israël a prévenu que ses " opérations de liquidation " contre des membres du Hamas vont se poursuivre après un nouveau raid mené mardi dans la bande de Gaza, le troisième en cinq jours, alors qu'une réunion extraordinaire du cabinet palestinien avait lieu à Gaza. Par ailleurs, un Palestinien " armé d'un couteau " a été tué mercredi à un barrage militaire proche de la ville de Bethléem (Cisjordanie). Cette nouvelle mort porte à 3 432 le nombre de personnes tuées depuis le début de l'Intifada, fin septembre 2000, dont 2 573 Palestiniens et 798 Israéliens. Le ministre israélien Effi Eitam, membre du cabinet de sécurité, a affirmé à la radio militaire que le Hamas et le Djihad islamique " constituent une bande d'assassins, qu'il faut traiter comme tel ainsi que l'a décidé la semaine dernière le cabinet ".
Retombée mécanique de tels propos, le Hamas rejetait hier matin l'appel à la reprise de la trêve lancé par le président de l'Autorité palestinienne, arguant que " les occupants sionistes ont torpillé la trêve avec leurs assassinats de femmes, d'enfants et de dirigeants politiques palestiniens ", selon les mots de l'un de ses dirigeants, Abdelaziz al-Rantissi. Le même indiquait que son mouvement était " prêt à rencontrer le premier ministre Mahmoud Abbas ", avant d'ajouter : " Nous sommes favorables au dialogue, mais il est impossible de progresser dans la situation actuelle, extrêmement dangereuse. "
                               
4. Il faut décapiter le Hamas par Ben Kaspit
in Maariv (quotidien israélien) repris dans Courrier International du jeudi 28 août 2003

"Maariv" prédit “des journées de sang, de feu et de fureur”, après l’attentat meurtrier de Jérusalem. Les autorités israéliennes auraient décidé de tuer les responsables islamistes jusqu’au dernier, quitte à lancer une vaste offensive terrestre dans les Territoires.
La référence, c’est le massacre des sportifs israéliens à Munich en 1970. Israël avait pourchassé jusqu’au dernier les commanditaires, les exécutants et les représentants politiques. Aujourd’hui, l’histoire va se répéter. Les responsables du Hamas, sans exception et sans distinction aucune, sont désormais sur la liste des personnes à abattre, jusqu’au dernier. Et l’on n’imagine plus une seule compagnie saine d’esprit contractant la moindre police d’assurance vie avec Yasser Arafat, Ahmed Yassine ou Abdelaziz Rantissi [leaders du Hamas].
De leur côté, les deux chefs de file du gouvernement palestinien, Abou Mazen et Mohammad Dahlan, sentent la terre se dérober sous leurs pieds. Dahlan se comporte comme si on lui avait planté un couteau dans le dos ? Eh bien, disent les militaires israéliens, il va vite découvrir que lui non plus n’est plus dans le coup. “Tout son ramdam et ses coups de téléphone, c’était de la pose”, affirme un militaire. Dahlan déclare qu’il était sur le point de lancer une opération coordonnée et graduelle contre les infrastructures terroristes. “Emouvant, vraiment émouvant !” dit-on aujourd’hui à Jérusalem. “Ce type est un menteur fini. Il perd son temps. C’est trop peu et trop tard.” Quant à Abou Mazen, les cercles politiques israéliens le surnomment désormais “Monsieur une pulsation par minute” et le tiennent pour politiquement mort.
Les services de sécurité israéliens considèrent le Hamas comme l’une des organisations les plus hiérarchisées et les plus disciplinées au monde. C’est pourquoi Tsahal a décidé de décapiter cette pyramide et de la réduire en morceaux. Israël ne peut pas se permettre de se retrouver avec un nouveau Hezbollah dans son arrière-cour. Il n’est donc plus exclu qu’Israël déclenche une vaste offensive terrestre destinée à nettoyer le terrain.
Ariel Sharon affirme à qui veut l’entendre qu’il espère que cette offensive préparera le terrain à une reprise du processus diplomatique. Il peut compter sur le soutien d’un George Bush qui, selon des sources diplomatiques, tiendrait des propos dignes des slogans d’Effi Eitam [leader israélien d’extrême droite], tandis que les services de renseignements américains ont perdu toute patience face au chaos qui règne chez les Palestiniens. Cependant, le feu vert donné à Israël ne sera peut-être pas éternel. Lorsqu’un de nos missiles aura frappé par erreur une école palestinienne, les Américains allumeront le feu orange.
Quoi qu’il en soit, les prochains jours seront des journées de sang, de feu et de fureur. Qu’est-ce qui en sortira ? Il existe plusieurs hypothèses. Selon l’hypothèse optimiste, Israël va mener une offensive absolue contre le Hamas et liquider ses dirigeants, jusqu’à ce que se déclenche une intervention internationale et américaine destinée à ramener un peu de calme dans la région. Abou Mazen sauvera sa peau de justesse, et le processus diplomatique redémarrera. C’est l’hypothèse préférée de l’état-major israélien, mais sa probabilité est très faible. Selon d’autres hypothèses, Abou Mazen et Muhammad Dahlan démissionneront (dans le meilleur des cas) ou disparaîtront. Dans une telle situation, Arafat les suivra presque immédiatement en exil ou dans les flammes de l’enfer. Les cartes sont rebattues, en même temps que beaucoup de vies humaines, en attendant l’émergence d’un nouveau leadership palestinien. Mais lequel ? Ou, pour utiliser une image hardie, comment jeter le bébé avec l’eau du bain sans lui briser les os ?
Pendant ce temps, Israël va accélérer la construction de la clôture de séparation selon un tracé proche de la Ligne verte (Sharon ayant finalement renoncé à y englober la colonie d’Ariel) et imposer une séparation unilatérale aux Palestiniens, avec le soutien des Etats-Unis. Ce soutien ne devrait pas trop nous rassurer. Bush a la tête ailleurs et l’inertie guette le processus de paix, une inertie qui risque de nous emporter les uns après les autres. Quoi qu’il en soit, plus personne ici n’a le temps de se demander où nous nous sommes trompés, ni ce que nous aurions dû faire que nous n’avons pas fait. Ce qui est certain, c’est qu’Israël ne prendra plus en considération les subtils distinguos établis par les Palestiniens qui prétendent que leur lutte ne vise pas nos civils, nos enfants et nos fidèles, mais que c’est l’occupation qui est la source de tous les maux.
Le département de planification de Tsahal a calculé qu’une réoccupation permanente des Territoires nous coûterait 4,2 milliards d’euros par an. L’Office de secours et de travaux des Nations unis pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) ont déjà prévenu, discrètement, qu’en pareil cas ils évacueraient les lieux. Ce qui signifie que tout le fardeau retombera sur les épaules d’un budget israélien en lambeaux. Une hypothèse irréaliste ?
                                       
5. L’un meurt, l’autre aussi par Mohammad Shaker Abdallah
in Al Quds (quotidien palestinien) repris dans Courrier International du jeudi 28 août 2003

Pour sortir du marasme, il faut qu’Israéliens et Palestiniens considèrent enfin la vie de l’autre de la même façon qu’ils considèrent la leur, estime le quotidien "Al Qods", de Jérusalem-Est.
La communauté internationale pense peut-être que les Palestiniens ne sont pas choqués par les attentats suicides. Pourtant, le spectacle de lambeaux de chair et de corps ensanglantés jonchant le sol heurte profondément les Palestiniens, qui, comme tous les habitants de cette planète, éprouvent des sentiments humains vis-à-vis de tels carnages. Les Palestiniens - et il ne s’agit pas ici de prendre nécessairement la défense de notre peuple - sont sensibles à l’égard de la violence. Chaque fois qu’un Palestinien monte dans un bus israélien, que ce soit pour aller travailler ou pour aller faire des achats, la crainte que son corps puisse être déchiqueté par une bombe est toujours bien présente dans son esprit. Il ne faut pas perdre de vue que, dans les autobus israéliens qui circulent à Jérusalem et dans les régions proches des Territoires, il y a un grand nombre d’Arabes. Des Arabes qui n’ont pas d’autre choix que d’utiliser les transports en commun israéliens ont d’ailleurs été également victimes de ces kamikazes. Un certain nombre de Palestiniens se rendent ainsi dans des centres commerciaux à l’intérieur d’Israël, a fortiori lorsque la Cisjordanie est bouclée, et s’exposent donc aussi au risque de succomber aux attentats suicides qui sont susceptibles de se produire dans ce genre d’endroit. La probabilité que des Palestiniens soient victimes de ces attaques mortelles relève donc plus que de la simple hypothèse théorique.
Dans ces conditions, la question qui se pose est de savoir pourquoi certains Palestiniens recourent à ce genre de méthode, aux conséquences doublement destructrices. On a dit que les Palestiniens avaient atteint la limite du désespoir, qu’Israël ne leur laissait entrevoir aucune perspective pour un avenir meilleur et qu’ils ne voyaient plus la lumière au bout du tunnel. C’est précisément cet élément psychologique, sur lequel on n’insiste sans doute pas encore assez, qui permet de comprendre, et non pas de justifier, qu’une telle convergence de frustrations puisse mener parfois un individu à prendre une décision qui mène autant à la destruction de soi qu’à celle de l’autre. La seule solution pour sortir de ce dangereux labyrinthe, qui menace l’existence même des deux parties qui s’affrontent, est donc que chaque partie considère enfin le sang de l’autre de la même façon qu’il considère le sien, que chaque partie respecte les droits de l’autre et qu’elles prennent toutes deux, avec courage et confiance, le chemin vers la paix et la compréhension mutuelle.
                                           
6. Voyage dans une Palestine hors d'état par Vincent Hugeux
in L'Express du jeudi 28 août 2003

Usée, laminée, la société palestinienne ne croit guère aux promesses de la «feuille de route». Mais déplore la rupture de la trêve des attentats
De notre envoyé spécial - «Ça, tu vois, c'est ma maison.» Le gamin pointe l'index sur un fatras de moellons hérissés de fers à béton. En lisière de Khan Younis, au cœur de la bande de Gaza, les monceaux de gravats grisâtres témoignent de la brutalité de l'incursion menée en avril 2002 par l'armée israélienne, au lendemain d'une vague d'attentats suicides perpétrés par une poignée de terroristes palestiniens. Les chasseurs F 16 ont sonné la charge. Les blindés et les bulldozers ont fait le reste. Saad, 14 ans, erre quant à lui dans le camp de réfugiés de Jénine (Cisjordanie), fief des miliciens armés de l'Intifada d'al-Aqsa, dévasté seize mois plus tôt par Tsahal au terme d'un siège féroce. Un éclat d'obus de char lui a alors arraché la main droite, un autre lui a balafré la joue gauche. «Depuis, je ne vais plus à l'école. Et je n'y retournerai pas. Ça ne sert à rien. Mon père, qui bossait comme maçon en Israël, a perdu son boulot. On vivote sur le salaire de maman, employée dans une garderie.»
Les enfants de Palestine ont vu le jour au temps des promesses d'Oslo, mais n'en ont, pas plus que leurs frères d'âge israéliens, jamais goûté les fruits. Le décor? Des ruelles défoncées et jonchées d'immondices, des murs couverts de slogans vengeurs en lettres de feu et de sang, de fresques belliqueuses ou d'affiches à la gloire des chahid, ces «martyrs» que des gourous nihilistes envoient, au nom d'Allah, semer la mort chez les «sionistes». Les raids, les rafles et les barrages verrouillent le quotidien. Comme la peur, la rage ronge les âmes. A Jénine, Hébron ou Gaza, les psychologues de Médecins sans frontières (MSF) tentent d'apaiser les traumatismes que tout conflit laisse dans son sillage. Troubles du sommeil, cauchemars, crises d'angoisse, bégaiement, perte de parole, dépression. Ici, la mère d'une fillette amputée souffre du bras. Là, toute une famille se plaint de maux de crâne depuis la mort d'un fils atteint en voiture d'une balle en pleine tête. Sous le choc, sa voisine a porté à la bouche un fragment de cervelle du gamin. Ecrasée par la culpabilité, elle végète dans un état de profonde prostration.
Un univers mental hanté par la violence
A l'adolescence, les garçons oscillent entre l'apathie et la transgression. A l'heure des jeux guerriers, leurs cadets se disputent le «rôle du juif». Celui du vainqueur. Les dessins détaillent les tenues et l'arsenal de l'occupant, et dévoilent un univers mental hanté par la violence. Cadavres, maisons dynamitées, plantations rasées. Reproduite par MSF dans un recueil de Chroniques palestiniennes, l'esquisse de Mohammed s'inspire des épreuves traversées par sa sœur aînée à Hébron. En trois mois, elle fut tour à tour mordue par le chien d'un colon juif et molestée par des soldats israéliens, avant qu'un tir ne fauche un camarade de classe. On la devine en bas à gauche, enchaînée dans la cellule où l'a conduite la vaine agression au poignard d'un soldat de Tsahal. Moataz, 5 ans, décrit ainsi son crayonnage: «C'est une fille comme une omelette.» Le gosse a vu les cadavres de deux voisins déchiquetés lors d'une attaque aérienne; il a trouvé l'oreille de l'un d'entre eux au pied du réfrigérateur.
Permanent, répétitif, le stress sape les fondements de la famille. D'autant que le parent qui perd pied peut l'entraîner dans son naufrage. L'image du père, vulnérable et désœuvré, résiste mal à l'adversité. Quand pleuvent les obus, il ne sait ni protéger les siens ni trouver les mots et les gestes qui réconfortent. Le voici humilié au checkpoint, les pieds entravés et les mains menottées s'il comparaît au tribunal. «On fabrique ainsi une génération rebelle à toute autorité, constate le psychiatre Eyad Sarraj. L'enfant cherche à s'identifier à d'autres modèles, plus combatifs. Y compris le kamikaze de Hamas et du Jihad islamique. A Gaza, 24% des 8-12 ans, garçons et filles, affichent leur volonté de mourir en martyr. Je compte parmi mes patients un ado gravement déprimé: placé en tête d'une liste des futurs chahid, il ne se remet pas d'avoir été devancé pour une mission suicide à Tel-Aviv.» L'impuissance ne trouve souvent d'autre exutoire que la violence domestique, notamment dans les périodes d'accalmie, quand le joug ennemi ne canalise plus l'anxiété ou la colère. «L'homme brutal l'est davantage; celui qui ne l'était pas le devient», note Bénédicte (MSF). Cycle infernal: le père frappe sa femme, qui malmène les enfants, lesquels persécutent leurs copains.
La débâcle matérielle ne fait qu'alourdir le fardeau d'une société ravagée par la précarité et l'enfermement. «Nous avons ramené le chômage sous la barre des 50%, avance Ghassan Khatib, ministre du Travail de l'Autorité palestinienne. Pas de quoi pavoiser.» D'autant que les deux tiers de ses compatriotes campent sous le seuil de pauvreté, soit un revenu de 2 euros par jour. Çà et là, les écoliers désertent les salles de classe pour vendre des chewing-gums ou des chips. Le chiffre d'affaires mensuel de Mustafa, bijoutier à Jénine, a fondu: 10 000 dollars avant l'Intifada déclenchée en octobre 2000; de 500 à 800 aujourd'hui. «Tout mariage m'assurait l'écoulement d'un demi-kilo d'or. Désormais, je ne vends plus qu'une alliance, quand on ne me propose pas les parures de la grand-mère.»
Guère de police, pas davantage de justice
Un autre péril mine la Palestine: l'anarchie. En Cisjordanie, les assauts de Tsahal ont anéanti un ordre embryonnaire, teinté de clanisme et d'arbitraire. «A Gaza, insiste Eyad Sarraj, la criminalité triple chaque année. Pourquoi respecter le flic qu'on a vu détaler devant l'occupant?» Guère de police, pas davantage de justice: c'est le droit du plus fort. Procureur à Jénine, Baha n'a plus de prison. Il consigne les détenus dans une maison réquisitionnée. Dépourvus d'armes et d'uniformes, ses agents disposent de deux véhicules civils. «En plus, lâche Baha, il faut sans cesse louvoyer entre les textes et la tradition.» Manière pudique d'avouer que les caïds des dynasties du cru demeurent intouchables. Ici, dans cette ville rebelle où fleurissent les portraits de Saddam Hussein et de ses fils défunts, les Brigades des martyrs d'al-Aqsa, milice issue du Fatah de Yasser Arafat, font la loi. Seule une intervention venue d'en haut a réfréné les ardeurs des «réfugiés», enclins, pour obtenir un terrain plus vaste ou un pécule moins chiche, à débouler les armes à la main dans les locaux de l'agence des Nations unies chargée de la reconstruction du camp. En juillet, un commando a enlevé et rudoyé le gouverneur local, soupçonné de corruption et de complaisance envers l'Etat hébreu. Il a fallu, là encore, un appel du raïs pour que soit libéré le proscrit. A Naplouse, où les gangs rivaux des Brigades se livrent une guerre sans merci, son homologue est à peine mieux loti: l'un de ses frères a été kidnappé, un autre a vu son restaurant disparaître en fumée.
Ripostes à l'atroce carnage de Jérusalem - 21 passagers d'un autobus tués le 19 août par un kamikaze de Hamas aux confins d'un quartier ultraorthodoxe - les incursions israéliennes et la relance des «liquidations ciblées» ont muselé celles et ceux qui, nombreux, réprouvent le recours aux attentats suicides et déplorent la rupture de la hudna, la trêve conclue à grand-peine le 29 juin entre le Premier ministre, Abou Mazen, et les factions islamistes. «En trois ans, je n'ai travaillé qu'un mois et demi sur des chantiers israéliens pour cause de bouclages punitifs», soupire Abou Assil, croisé sur une plage de Gaza. «Ces opérations, soutient en écho Thuraya, éducatrice à Ramallah, sont humainement injustifiables et politiquement inefficaces.» En privé, à l'abri du conformisme et des menaces, maints Palestiniens dressent de la seconde Intifada un bilan mitigé. «Bien sûr, elle a contraint le monde a écouter nos cris, concède un étudiant en médecine. Mais qu'y a-t-on gagné? Des morts et une vie plus dure qu'avant.» Il arrive que des mères de chahid, glorifiés par la rhétorique officielle, essuient des insultes; terrible tourment pour celles qui se doivent d'affecter une fierté de commande et d'enfouir leur douleur. A Khan Younis, on a vu en juillet des civils désarmer les tireurs embusqués non loin d'une casemate israélienne. Au printemps, déjà, une soixantaine de villageois de Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza, avaient scandé des slogans hostiles aux Kassam, les roquettes artisanales qu'emploie l'aile militaire de Hamas.
Le terrorisme, souligne l'économiste Salah Abdel Chafi, suscite des élans contradictoires: «Le même individu peut estimer légitime le châtiment infligé à Israël et pester contre ses effets.» Echo à la hudna, l'allégement partiel de l'occupation n'a guère éclairci l'horizon. «Les espérances déçues vous vaccinent contre l'illusion, avance un vieux franciscain de Bethléem. Il ne suffit pas de lever un barrage ou d'octroyer des permis de travail pour dissiper la méfiance.» Ariel Sharon, il est vrai, n'a rien fait pour redorer le blason de la «feuille de route», plan de paix dicté par Washington et censé baliser la genèse de l'Etat palestinien. «Ils nous offre la feuille, mais se garde la route», ironise Subhi, policier à Jénine. On ordonne le démantèlement d'une colonie juive «sauvage»? Une autre surgit aussitôt sur la colline voisine. Les prisonniers libérés? Des droits communs en fin de peine pour la plupart. Ici, Tsahal ouvre une route pour la barrer d'un char dès que les équipes de télévision ont tourné les talons. Là, on déplace de 30 mètres la tourelle d'un check-point. Comment convaincre Al-Mawassi, miséreux village gaziote étouffé entre la mer, les fortins de l'occupant et une florissante colonie juive, de la bonne foi de l'Etat hébreu? Cruellement mordu aux jambes, un de ses enfants a succombé, après que les soldats qui orchestrent au mégaphone les accès à l'enclave eurent refusé son évacuation.
«Barrière de sécurité» ou «mur de l'apartheid»
D'autres entraves cisaillent l'avenir. A commencer par la gigantesque clôture érigée au nom de la lutte antiterroriste, qui corsètera sur 450 kilomètres les «cantons» concédés à l'Autorité. «Barrière de sécurité», plaide Israël. «Mur de l'apartheid», rétorquent les Palestiniens. Si au moins cet ouvrage jalonné de miradors, fait tantôt de grillages dotés de capteurs électroniques et flanqués de rouleaux de barbelés, tantôt de hautes palissades de béton strié, préfigurait les contours d'un futur Etat souverain... Mais, loin d'épouser la «ligne verte», frontière en vigueur jusqu'à la guerre de 1967, son tracé annexe villages arabes et oliveraies. «Va pour une muraille sur la ligne verte, tempête un chômeur d'Anin, naguère salarié d'une usine chimique israélienne. Jusqu'au ciel si ça leur chante. Mais là, c'est trop.» Tranchées, routes vouées aux patrouilles de Tsahal: la saignée a rayé de la carte des milliers d'hectares plantés. Notable de Jayous, Abou Samer y a perdu 500 roumis, oliviers centenaires. Cet enseignant retraité escorte le visiteur au-delà des grillages, là où bivouaquent Youssef et Muntasser. «On ne sait jamais si on pourra atteindre nos champs, souligne l'aîné. Reste à dormir sur place. Dire qu'enfants on faisait cela pour le plaisir...» «Je suis prêt à mourir pour Jérusalem, renchérit son cadet. Mais la cité sacrée l'est moins que mes terres.» A Kalkiliya, Hassan broie du noir au pied du rempart qui ampute son domaine. Devenu diabétique, il évoque avec amertume ses immenses serres modèles, ses dizaines de partenaires israéliens et le temps béni où, maraîcher prospère, il finançait chaque année la scolarité de quatre étudiants. «Ceux-là sont diplômés. Et moi je doute de pouvoir envoyer un jour mes fils à l'université.»
L'Etat rêvé s'apparente plus que jamais à une chimère. «Tout dépend du bon vouloir d'Israël, ronchonne Azem, électronicien de Beit Hanoun. Et les prétentions de Hamas ou du Jihad sur la Palestine historique sont illusoires.» Mise-t-il pour sortir de l'ornière sur Yasser Arafat et sur Abou Mazen, le Premier ministre que lui a imposé Washington dans le vain espoir de marginaliser le raïs? Nullement. «Une défiance massive, à la fois juste et injuste, nuance Raji Sourani, vétéran de la lutte pour les droits de l'homme. Injuste, car Israël joue l'échec de la road map. Juste, tant le pouvoir demeure chez nous confisqué par la même coterie corrompue.»
Sur le seuil de son échoppe déserte, à deux pas de la haie d'acier qui sépare Rafah de l'Egypte et de la maison natale confisquée par Tsahal, le vieux Abou Samir ne pose sa canne et sa béquille que pour égrener ses rancœurs. «Arafat? Jamais vu ici. Abou Mazen? Connais pas. Au ministère du Logement, on m'a viré sans m'écouter. J'envie les Israéliens. Ils ont un gouvernement qui défend leurs intérêts.» Le discrédit est tel que l'effort de transparence budgétaire entrepris par le ministre des Finances, Salam Fayad, passe inaperçu. Trop peu, trop tard. Seul Marwan Barghouti, patron du Fatah cisjordanien et meneur de l'Intifada, emprisonné en Israël, échappe à l'opprobre. «Lui vit et lutte avec nous, tranche le chef des Brigades des martyrs de Jénine. Un bel avenir l'attend.» Quant à Abou Amar - le nom de guerre de Yasser Arafat - il doit le crédit qui lui reste au mythe incarné, au statut de banni que Sharon lui offre et à sa capacité de nuisance. Elle est immense.
La vieille garde a la vie dure
Le président élu s'obstine à promouvoir ses fidèles et rechigne ainsi à céder à Mohammed Dahlan, superflic de l'Autorité, la conduite de l'appareil sécuritaire. Il garde les rênes de la Force 17, sa garde rapprochée, du renseignement militaire et des forces armées. Mieux, ou pis, le raïs au keffieh, reclus dans son réduit de Ramallah, a fondé un Conseil de sécurité nationale, confié le 25 août au fidèle Jibril Rajoub. Or, sans l'aval explicite d'Arafat et la mobilisation de toutes les forces de l'ordre, Abou Mazen ne peut neutraliser les adeptes de la lutte armée. «Ce serait un suicide politique, voire un suicide tout court», concède un éditorialiste de Tel-Aviv. Et le chemin le plus court vers une guerre civile que Mahmoud Abbas - l'autre nom du Premier ministre - veut éviter à tout prix. Hier périlleux, le scénario répressif paraît voué à l'échec depuis le 21 août, date de l' «exécution» par Israël d'Ismaïl Abou Chanab, figure de proue de Hamas. Ultime carte dans le jeu d'Abou Mazen: la démission en bloc de son cabinet, qui priverait Arafat d'un précieux paratonnerre. La vieille garde a la vie dure. Mais elle ne pourra éternellement invoquer l'impératif patriotique pour mieux dédaigner l'exigence pluraliste surgie d'une société civile pourtant anémiée par la fuite des cerveaux. «Pour l'heure, concède Raji Sourani, la combinaison fatale du despotisme et de l'occupation enraie l'émergence de nouvelles élites.» Sans leur concours, on voit mal qui pourrait renflouer une Palestine en si piètre Etat.
                                       
7. "Une journée au tribunal" par Gabriel Ash
in YellowTimes (e-magazine américain) du jeudi 28 août 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le tribunal militaire de Salem est sis à l’intérieur d’une base militaire dominant Jénine. Officiellement, il est ouvert au public. Dans la pratique, il ne l’est pas. Ce sont les soldats qui décident qui entre, et qui n’entre pas. Habituellement, le seul public admis, ce sont les parents des accusés. Mais les visiteurs importuns sont si rares que j’ai réussi à me faufiler à l’intérieur, accroché au bras de l’avocat Shamai Leibovitz, petit-fils du philosophe (israélien) Yeshaiyahu Leibovitz. Une fois à l’intérieur, l’huissier s’alarme de ma présence incongrue. Mais je fais semblant de ne comprendre que l’anglais, ce qui donne suffisamment de tablature à ses maigres méninges pour qu’il me foute la paix.
Shamai est un jeune avocat israélien, et un militant combatif des droits de l’homme, adorant la confrontation et toujours prêt à défier le racisme routinier du tribunal. Il porte un yarmulke à la mode colon, et il persille son propos de métaphores tirées de la Bible. Sa seule apparition, afin de défendre quelque Palestinien accusé de complicité de « terrorisme », a le don de crisper les greffiers. Mais il ne se fait aucune illusion sur ses pouvoirs. « Le système est en béton », me dit-il, « les batailles juridiques, à elles seules, sans publicité et sans les médias, ne mènent nulle part ». Sa stratégie de défense de ses clients ? Essayer toutes les brèches procédurales possibles et imaginables, et espérer ne ouverture. Mais les victoires sont rares.
Un lot de prisonniers est introduit, aux environs de onze heures et demie. Les prisonniers s’assoient dans un box maçonné de la taille d’une salle de bains, dans un coin de la salle d’audiences. Ils semblent hagards et soumis.
Nous nous levons, tandis que la « juge » fait son entrée. C’est une femme gaillarde, la trentaine, en chemisier chic sans manches, prévu mine de rien pour mettre mal à l’aise le public, composé majoritairement de musulmans âgés. La juge minaude à travers les procédures, souriant et plaisantant avec le personnel. Il y a un je ne sais quoi de bizarre, dans sa jovialité, un peu comme ces toilettes où l’on force sur le désodorisant.
Le premier cas est promptement tranché : douze mois de cabane pour avoir pris en voiture un homme « recherché ». Aucune protestation n’est reçue. La défense est d’accord avec la peine infligée.
La plupart des prisonniers sont amenés devant le tribunal pour qu’on prolonge de quinze jours leur mise aux arrêts. Comme ça, on pourra les questionner de nouveau au moyen d’interminables sessions où ils seront privés de sommeil, menacés que l’on s’en prenne à leur famille, battus et soumis à d’autres formes de torture « modérée » sur lesquelles les tribunaux d’Israël ferment les yeux. La « juge » ne fait même pas semblant de vérifier la légitimité des réquisitions de la police. Toutes les prolongations sont acceptées les yeux fermés, le plus souvent avec l’approbation de la défense.
La cour fait mine de respecter les procédures. Tout est traduit de – et vers – l’arabe. Les décisions sont dictées à des sténographes. La « juge » demande aux prisonniers s’ils ont des représentants légaux et s’assure qu’ils comprennent bien ce qu’on leur dit. Mais comme me le dira un avocat de la défense à la pause : « Vous savez, nous jouons tous un rôle, dans cette pièce de théâtre. »
Saleh (pseudonyme) semble aller sur les vingt ans. Il sourit beaucoup, d’un sourire timide. Surtout lorsqu’il s’efforce de comprendre ce qu’on est en train de lui dire. L’accusation a demandé la prolongation de détention de quinze jour traditionnelle. Saleh veut que le tribunal le libère, parce qu’il a déjà passé sept mois en cabane. Oui, dit-il au tribunal, il a un avocat, mais cet avocat, il n’est pas là. Il ne sait pas pourquoi. L’absence de l’avocat n’est pas du tout un problème pour la « juge », ma foi bien peu curieuse. Elle approuve la prolongation de quinze jours, puis elle explique patiemment à Saleh : « Tu as fait six mois de détention administrative », (entendre : six mois de détention arbitraire) – mais ça, apparemment, ça ne compte pas. « Maintenant, ce qui est demandé, c’est que tu restes en état d’arrestation afin de pouvoir être interrogé ». Ah, là, maintenant, ça y est,  je pige : c’est pas la même chose ! Y’a nuance !
La « juge » une fois partie, les familles s’élancent pour voir les prisonniers de près. Certains pleurent, leur visage n’est que désespoir. C’est une rare occasion de voir ses chers proches. Israël considère que le droit des prisonniers à recevoir des visites de leur famille est un privilège indu, et accordé essentiellement en violation du règlement. Mais l’huissier, un jeune soldat vêtu du yarmoulke et aux traits yéménites, contient fermement les familles et les repousse dans la direction opposée. Une femme le supplie de la laisser parler à son fils. Il l’envoie au diable, ajoutant que s’il la punit, c’est en raison des deux attentats à la bombe récents, à Ariel et à Rosh Ha-Ein. Aucun doute : elle est coupable. Tous les Palestiniens ne le sont-ils pas ?
Abed (pseudonyme), pour l’audition duquel nous sommes venus à Salem, est introduit dans le tribunal, après une attente interminable : cinq heures ! Il s’avance devant une autre « juge », une femme officier renfrognée, en uniforme, qui donne l’impression qu’éructer quelques borborygmes représente pour elle un effort surhumain. Notre « juge » n’est nullement dérangée par le délai. Elle repousse du revers de la main la suggestion qui vient de lui être faite, à savoir qu’elle aurait dû faire des représentations à l’administration de la prison. Mais : dites-moi un peu. Qu’est-ce que c’est, cinq petites heures, tout au plus, dans l’emploi du temps d’un avocat ?
Shamai, l’avocat d’Abed, vient tout juste de recevoir le dossier des charges retenues contre son client, qui consistent essentiellement en quatre dépositions signées par lui au cours de ses deux mois d’emprisonnement. D’après Abed, on l’a empêché de dormir durant environ une centaine d’heures d’affilée, et on a menacé d’emprisonner son épouse, qui vient juste d’accoucher, ses enfants se retrouvant sans leurs parents, la maison familiale – est-il besoin de le préciser ? – ayant été démolie.
Shamai demande à la cour de lui donner quelques jours pour lire les pièces au dossier et planifie une procédure préalable afin d’argumenter sur la non-nécessité de maintenir Abed en prison. La « juge » le fixe, incrédule. « Sans doute voulez-vous consulter les autres avocats, qui ont plus d’expérience que vous, dans ce tribunal ? », insinue-t-elle. Le tribunal, explique-t-elle paraphrasant sans le savoir un personnage d’un roman de Kafka, ne relâche jamais d’accusés palestiniens. Or, votre Abed, là, c’est quoi, sinon un accusé palestinien ? ! ?
Shamai rappelle la juge à l’ordre. Il lui dit qu’elle se doit de respecter la loi israélienne, et insiste, affirmant qu’il a le droit d’essayer de convaincre la cour de casser la requête formulée par l’accusation de maintenir Abed en prison sans caution. Peut-être, suggère-t-il, pourrait-il découvrir que les preuves sont peu étayées, ou encore trouver d’autres raisons justifiant une remise en liberté ? La « juge » bout. D’abord, elle ordonne que Abed soit arrêté sans liberté provisoire. Mais Shamai insiste, il cite des précédents. Finalement, elle l’autorise à verser au dossier une pétition écrite exposant pourquoi une audience devrait être tenue. Dit simplement : la « juge » demande à la défense d’expliquer pourquoi le tribunal devrait respecter les procédures élémentaires qui s’imposent. Y a-t-il droit plus élémentaire que celui de l’accusé de répondre aux affirmations de l’accusation ?
En attendant que Abed arrive de la prison, j’ai suivi les tentatives de Shamai pour retrouver la trace d’un de ses anciens clients, Faruq (pseudonyme), venu effectuer ici des démarches auprès de l’ « administration civile », sise dans la même base militaire que le tribunal. Quelques jours auparavant, Shamai avait passé des heures au téléphone à essayer d’arracher un permis spécial pour la mère de Faruq, l’autorisant à aller à Herzlia consulter un spécialiste du cancer du sein. La mère de Faruq a dû rester assise devant le checkpoint de Naplouse de huit heures du matin à six heures du soir. Le permis finit par être délivré, mais les officiers, sur le checkpoint, ne daignèrent pas le remettre à sa mère. Elle avait fini par renoncer à subir les examens appropriés dans son cas. Faruq nous dit qu’elle est en train de subir une mastectomie à Naplouse, au moment où nous parlons. Peut-être inutilement.
Trouver Faruq, ce n’est pas de la tarte. Les Palestiniens qui ont affaire à l’ « administration civile » israélienne entrent dans la base militaire par une autre entrée. Le portail qui conduit à cet autre bâtiment est fermé, et il faut longtemps parlementer avec le policier dans sa guitoune pour le persuader de bien vouloir l’ouvrir à Shamai. Il nous avertit, avec la gestuelle d’un gardien de zoo, que pénétrer ainsi dans l’enclos des Palestiniens n’est pas sans danger pour nous – nous pourrions nous faire kidnapper !
M’étant un peu écarté, je jette un coup d’œil aux quelques douzaines de Palestiniens qui sont venus aujourd’hui affronter le labyrinthe bureaucratique israélien, dans l’espoir bien souvent illusoire d’accomplir une petite avancée qui, pour une personne libre, ne semblerait même pas digne d’être mentionnée, comme pouvoir aller rendre visite à un ami dans la ville d’à-côté, ou aller chez le médecin, ou encore aller à l’école. Mais, tout cela, pour les Palestiniens, représente une victoire aussi importante que celle qui consisterait à ramener à la maison du lait de lionne.
Les quémandeurs attendent leur tour, silencieux, affectés par l’oppression qui exsude de l’endroit : quelques bancs, entourés de béton, d’un côté, et d’une grille agrémentée de fil de fer barbelé, de l’autre ; en face, un mur avec une rangée de vitres fumées, équipées d’interphones, via lesquels ils communiquent avec des employés pratiquement désincarnés. Alors, les voilà ? C’est eux, ces gens bestiaux qui font trembler les Israéliens de peur ?
Nous finissons par trouver Faruq. Il tente d’obtenir des explications du Shabak. Il veut savoir pourquoi on lui refuse sa carte d’identité magnétique. Sa requête est repoussée, sans commentaire. Shamai veut représenter Faruq juridiquement. L’officier de l’ « administration civile » réagit de manière hystérique. Il hurle que Shamai doit libérer le plancher immédiatement. Il ne parlera à personne d’autre qu’au Palestinien, principal intéressé. Le déni du droit à la représentation légale n’est qu’un outil de plus dans la panoplie de la répression qui assure la domination d’Israël sur les Palestiniens.
Plus tard, tandis que nous sortons du tribunal, le « procès » d’Abed ayant pris fin, un soldat, en armes, sans doute l’un des employés, nous crie de derrière : « Ici, c’est autre chose. Nous avons nos lois. Elles sont différentes des vôtres. » On n’aurait su mieux dire.
                               
8. Le pire est à venir par Mohamed Moustapha
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 27 août 2003
Palestine-Israël . La trêve est résolument rompue avec la détermination des mouvements radicaux de poursuivre la résistance armée, tandis qu'Israël semble décidé à aller plus loin dans sa répression. La situation s'achemine inexorablement vers une nouvelle escalade. 
Gaza, de notre correspondant -
Le quotidien israélien Maariv a publié vendredi dernier sur ses pages un jeu de cartes avec noms et images de 34 personnalités palestiniennes présentées par Israël comme étant les « dirigeants du terrorisme ». En tête de liste le président palestinien Yasser Arafat, le cheikh Ahmad Yassine, fondateur du Hamas, et Hassan Nassrallah, dirigeant du Hezbollah libanais. Un jeu de cartes qui ressemble à celui établi par les Etats-Unis à la suite de l'invasion de l'Iraq avec les personnalités de l'ancien régime demandées par les Américains. Maariv n'a pas précisé si ces personnalités doivent être arrêtées ou liquidées physiquement. Mais il est évident que, du point de vue des services de sécurité israéliens, il s'agit de personnalités qui représentent un danger pour Israël et qu'il faudrait mener une action quelconque à leur égard. Les responsables du mouvement islamiste Hamas prennent au sérieux les menaces israéliennes. Après l'assassinat d'Ismaïl Abou-Chanab, haut dirigeant politique du Hamas, et deux de ses gardes du corps jeudi dernier dans un raid aérien israélien à Gaza, l'organisation a décidé de créer un nouveau commandement qui prendrait la relève si les hauts cadres du mouvement étaient éliminés par Israël.
La tension est à son paroxysme dans la rue palestinienne après cet attentat. Les dirigeants du Hamas demandent une riposte douloureuse à l'encontre de l'Etat hébreu. Le gouvernement israélien, de son côté, menace de recourir à d'autres assassinats. Quant à l'Autorité palestinienne, elle semble se trouver entre le marteau et l'enclume. D'un côté, c'est le bouillonnement au sein du Hamas. D'un autre, ce sont les pressions d'Israël et des Etats-Unis pour mettre fin aux opérations des fedayins, voire pour démanteler purement et simplement les organisations radicales. Le président américain George W. Bush a poussé l'Autorité palestinienne, mercredi, à démanteler les groupes radicaux Hamas et Djihad islamique. « Il faut faire plus, l'Autorité palestinienne doit agir pour démanteler les organisations terroristes », a dit le porte-parole de la présidence américaine, Scott McClellan. « On ne peut pas se contenter de les laisser exister », a-t-il ajouté. Le plus surprenant est que le secrétaire d'Etat américain Colin Powell, qui avait déclaré à plus d'une reprise que le président Arafat n'avait la moindre qualification et qu'il avait trahi les espérances du peuple palestinien, en appelle à présent au vieux lion pour qu'il réprime la résistance palestinienne. C'est comme s'il s'était souvenu soudainement qu'Arafat tenait toujours des cartes maîtresses en main et que sans lui on ne pouvait mettre fin au cycle sanguinaire de violence entre les Palestiniens et les Israéliens.
Trois des principales branches militaires de la résistance ont annoncé qu'elles rompaient la trêve proclamée unilatéralement le 29 juin dernier et pour une durée de trois mois. Il s'agit des brigades des martyrs Ezzeddine Al-Qassam, la branche armée du Hamas, des brigades des martyrs d’Al-Aqsa (du Fatah) et des régiments d'Al-Qods, du Djihad. Avec la fin de la trêve qui a assuré un calme relatif à Israël, inconnu depuis le début de la deuxième Intifada le 28 septembre 2000 (lire chronologie), le conflit palestino-israélien a abordé une nouvelle phase. Celle-ci serait même plus cruelle et plus sanglante que les étapes qui l'ont précédée. Avant l'assassinat d'Abou-Chanab, un kamikaze palestinien avait provoqué le mort de 20 israéliens et fait 130 blessés lorsqu'il s'est fait exploser dans un bus de Jérusalem. Si cette opération a servi d'alibi pour Israël pour assassiner ce dirigeant du Hamas, pour cette frange de la résistance, elle était une riposte à l'assassinat par les forces israéliennes d'Abdallah Al-Qawassmeh, commandant des brigades d’Al-Qassam, de Mohamad Sedr, commandant des brigades d'Al-Qods, et à d'autres attentats qui ont fait 22 martyrs du côté palestinien. Il y a eu 40 violations israéliennes de la trêve selon les Palestiniens.
Trêve rompue : Israël en accusation
Selon le cheikh Ahmad Yassine, Israël a franchi toutes les lignes rouges lorsque ses appareils ont mené l'attentat contre Abou-Chanab. Dans une déclaration à Al-Ahram Hebdo, lors des funérailles de ce chef du Hamas, auxquelles ont participé 100 000 Palestiniens à Gaza, vendredi dernier, il affirme : « Israël payera le prix fort pour ce crime qui ne passera pas sans châtiment ». Et d'ajouter : « Les missiles ont tué Abou-Chanab, la trêve avec. C'est Sharon et son gouvernement qui en assument la responsabilité et pas nous ». Abdel-Aziz Al-Rantissi, un cadre du Hamas, tout en prenant au sérieux les menaces israéliennes de « mener une opération d'enfer pour écraser les Palestiniens », considère qu'elles constituent une rengaine que les Palestiniens ont souvent entendue. Pour lui, elle n'a qu'un seul sens. Israël ne veut pas la paix. « Celle-ci doit se concrétiser par des actes concrets, dont l'établissement d'un Etat palestinien, et il refuse d'emblée cet Etat qui limite ses convoitises d'expansion et menace son avenir en Palestine ».
La question qui se pose est de savoir comment les Palestiniens peuvent affronter l'agression continuelle contre eux, leurs cadres, leurs lieux sacrés et leur terre ? Al-Rantissi n'est pas de l'avis selon lequel il faudrait arrêter l’Intifada armée afin d'éviter de tomber dans le piège de Sharon et pouvoir obliger Israël à cheminer sur la voie de la paix. Pour lui, il s'agit de « capitulation », surtout avec la poursuite par Israël des agressions. « Lorsque la résistance a suspendu ses opérations militaires, Israël a en revanche accentué ses opérations d'assassinats, de blocus et d'arrestation. Le seul choix qui reste aux Palestiniens est donc la résistance ».
De son côté, Gamil Magdalawi, membre du bureau politique du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), la deuxième faction au sein de l'OLP, a assuré qu'Abou-Chanab était un symbole de la résistance et du mouvement national palestinien en tant que tel. Il œuvrait en vue de réorganiser « la maison palestinienne et renforcer l'unité nationale ». Magdalawi a ajouté que « la trêve n'a pas été contraignante pour Israël, même pour une heure. Tel-Aviv ne s'est engagé en rien en contrepartie de cette trêve et a considéré qu'il s'agissait d'un engagement palestino-palestinien qui ne le concernait en rien ». Il rappelle dans ce contexte que les mesures vexatoires se sont poursuivies par la saisie des terres aux assassinats en passant par les arrestations, ainsi que la démolition des maisons. Voire, ces démarches ont augmenté en nombre : « Plus de 600 arrestations, des milliers d'hectares saisies en faveur des colonies juives, un mur de séparation qui est celui de l'apartheid ». Tant et si bien que le FPLP avait considéré que « la trêve a constitué une concession gratuite à Israël ». Il ajoute que pour son mouvement, « la feuille de route n'est pas un accord contractuel entre des parties concernées. Ce sont des idées présentées par les Etats-Unis que les Palestiniens ont acceptées et souligné leur engagement à leur égard. Par contre, le gouvernement israélien ne les a acceptées qu'avec des réserves. A observer les agissements d'Israël, on ne peut que constater qu'il a mis en pratique ces réserves ».
Le FPLP, toujours selon Magdalawi, voit les choses de manière plus simple. « Il y a une occupation de notre territoire qui doit prendre fin. Notre peuple a des droits qu'il faut préserver, sinon le conflit se poursuivra avec Israël ». Et de préciser : « Sans la fin de l'occupation, sans la restauration des droits nationaux palestiniens, sans l'établissement d'un Etat palestinien indépendant et souverain, il n'y aura pas de paix et de stabilité dans la région ».
Un pessimisme de rigueur
Mais rien dans l'avenir ne permet d'envisager les choses avec optimisme. « Il faut s'attendre au pire au cours des pjours, surtout avec les mesures prises par l'Autorité palestinienne contre le Hamas et le Djihad. A chaque fois qu'une opération militaire a lieu, le gouvernement s'empresse de la condamner et de menacer la résistance. A chaque fois, on rétorque en leur disant qu'ils ont tort. Vous donnez des arguments à Israël pour qu'il poursuive sa répression et son agression contre notre peuple ». En effet, le FPLP comme les autres mouvements voient que lorsque la condamnation vient des Palestiniens, ceci encourage Israël. Il estime même que les condamnations de la dernière opération ont dépassé la dose, avec la suspension du dialogue avec le Hamas et le Djihad et l'interdiction faite à leurs cadres de s'adresser à la presse. « Nous refusons cette politique. Nous avons invité toutes les factions à la rejeter. Nous avons convié l'Autorité à annuler ces mesures d'exception après l'attentat de Jérusalem. C'est le seul moyen permettant de mettre de l'ordre dans les relations palestino-palestiniennes ».
Quant à Mohamad Al-Hindi, membre du Djihad, il souligne qu'Israël est en état de confusion, ce qui le pousse à liquider les cadres des mouvement. Le gouvernement Sharon a révélé sa vraie face. « Abou-Chanab était l'un des chefs politiques les plus modérés. L'assassiner de cette manière sauvage, c'est comme si Israël voulait tuer tout le peuple palestinien. Pourtant, il sait bien que même en tuant des dizaines de cadres, cela ne ferait qu'augmenter la détermination de la résistance ».
Une chose est sure, la trêve appartient désormais au passé et la responsabilité d'une telle situation incombe aux Israéliens. Pour les Palestiniens, Sharon a donné le coup de grâce à ce cessez-le-feu suite à la politique de terre brûlée à laquelle il a recours, dans les villes, les villages, les camps. D'où cette unanimité des mouvements palestiniens à considérer qu'ils ont le droit de riposter.
Une situation difficile qui met face à face l'Autorité et les mouvements radicaux, d'autant plus que le gouvernements veut prendre de nouvelles mesures contre la résistance, ce qui risque de diviser les Palestiniens. « Nous demandons à l'Autorité d'assumer ses responsabilités nationales et morales de défendre le peuple palestinien. Nous voulons qu'elle adopte une décision pour préserver la sécurité des Palestiniens. Désarmer le peuple et ramasser les armes au moment où Israël commet ces crimes est rejeté à l'heure actuelle. Il est erroné de renoncer à la seule carte dont nous disposons face aux défis que nous impose l'occupation »
Des concessions sans retour
En fait, pour ce dirigeant comme pour d'autres, le fait que le gouvernement se soumette aux pressions de Sharon et des Etats-Unis n'apportera pas de solution. Les exigences de Washington et de Tel-Aviv n'ont pas de limites. Pour les observateurs dans les territoires palestiniens, Israël veut cent pour cent de résultats de la part d'Abou-Mazen, sans la moindre contrepartie. Israël tourne le dos aux efforts d'apaisement dans la région. Il veut simplement que les Palestiniens capitulent. Le gouvernement palestinien, inquiet de l'escalade de la violence, tourne les yeux vers les Etats-Unis et appelle Israël à un accord de cessez-le-feu, au lieu de la trêve des groupes armés palestiniens qui vient de s'effondrer. Mais si Israël peut compter sur le soutien de l'allié américain concernant la « lutte contre le terrorisme », les Palestiniens ont à répondre à toute une série d'exigences de Washington. Une situation complexe qui place le gouvernement d'Abou-Mazen dans une position inconfortable. Son avenir est tributaire de la manière dont il saura s'y prendre avec le peuple palestinien et les mouvements de résistance d'une part et l'alliance Etats-Unis - Israël d'autre part.
                                   
9. Misère et violence à Hébron par Bérangère Lepetit
in L'Humanité du lundi 25 août 2003

Une organisation israélienne des droits de l'homme dénonce les conditions de vie des Palestiniens à Hébron. La police israélienne est en cause.
Le constat est affligeant. La situation des populations palestiniennes dans les territoires occupés à Hébron n'a cessé de se dégrader depuis le début de la deuxième Intifada, en septembre 2000.C'est la conclusion du rapport rendu public le 19 août par Betselem, le Centre israélien pour les droits de l'homme dans les territoires occupés, qui tente de mettre au jour les violations incessantes des droits de l'homme dans les territoires occupés. L'étude qu'elle a menée dans la casbah (vieille ville) d'Hébron montre que 43 % de la population des trois rues principales de la vieille ville a déménagé, soit 73 familles sur 169. " Nous vivons comme des prisonniers dans notre maison .Le couvre-feu nous interdit toute visite. Notre situation financière est désastreuse : nous mangeons le strict minimum, j'ai été obligé de couper le téléphone ", rapporte Nidal Farid Al Awiwi, employé municipal à Hébron et père de sept enfants. La pauvreté est devenue extrême pour les familles restantes. Le couvre-feu quasi total imposé par les autorités, sous prétexte de protéger les colons, aggrave des conditions déjà difficiles. Entre 2 000 et 2 500 magasins ont fermé : faire ses courses est ici devenu un véritable challenge. Trois écoles, dans lesquelles étudiaient environ 2 000 élèves, ont dû fermer leurs portes. Dans la vieille ville, la liberté de mouvement n'est plus qu'un lointain souvenir et les centaines de check-points disséminés aux quatre coins de la ville sont constamment là pour le rappeler. L'accord israélo-palestinien signé le 15 janvier 1997, qui redonnait le contrôle d'une partie de la ville à l'Autorité palestinienne, avait permis le retour de nombreuses familles palestiniennes en difficulté. En septembre 2000, plus de 2 500 Palestiniens y avaient élu domicile. Mais, depuis le déclenchement de la deuxième Intifada, des violences sans nom sont commises à l'encontre de ces familles. Le rapport pointe la responsabilité de la police israélienne, qui n'a pris aucune mesure pour punir les violences des colons et protéger les familles palestiniennes qui n'ont pas pu déménager, faute de moyens financiers. Et accuse le gouvernement israélien de tolérer tacitement ces agressions. Pour Betselem, il est du devoir d'Israël d'assurer aux résidents de la casbah d'Hébron des conditions de vie décentes : une éducation, la possibilité de rendre visite à sa famille, un accès aux soins médicaux. Le droit de vivre, tout simplement.
                                       
10. Le Centre Simon Wiesenthal accuse la France d'"encourager le terrorisme" palestinien
Dépêche de l'agence Associated Press du lundi 25 aout 2003, 22h22

PARIS - Le centre Simon Wiesenthal, organisation juive de défense des droits de l'Homme, a accusé lundi la politique de la France au Proche-Orient d'"encourager le terrorisme".
Selon un communiqué de l'organisation, le conseiller diplomatique du président Jacques Chirac, Maurice Gourdault-Montagne, aurait déclaré à l'ambassadeur d'Israël à Paris, Nissim Zvilli, que rien ne prouve que le Hamas et le Djihad islamique sont des groupes terroristes.
"Si le massacre et la mutilation de dizaines d'enfants juifs innocents et de leurs parents la semaine dernière à Jérusalem par un imam dépêché par le Hamas n'est pas une preuve suffisante que le Hamas et le Djihad islamique sont des entités terroristes, nous ne pouvons que conclure que la France est déterminée à poursuivre sa politique dangereuse en considérant que ces meurtriers ont un rôle légitime à jouer à l'avenir", dénonce le Centre Simon Wiesenthal.
En rappelant que les Etats-Unis ont gelé tous les avoirs du Hamas, l'organisation estime que "le refus de la France d'agir unilatéralement ou via l'Union européenne revient à encourager les entités terroristes palestiniennes les plus extrêmes".
                                   
11. Dans la famille "Hors-la-loi israéliens en Amérique", je demande Rafi Eitan… par Kurt Nimmo
in CounterPunch (e-magazine américain) du jeudi 25 août 2003
[traduit de l'anglais Marcel Charbonnier]

Rafi est-il aux Etats-Unis ? Si oui, pourquoi le FBI ne l’a-t-il pas encore arrêté ?
Eitan est l’ancien chef du Mossad pour l’Europe. C’est ce même homme qui a recruté le spécialiste du contre-espionnage de l’US Navy, Jonathan Pollard, pour espionner les Etats-Unis. Le même Eitan a été par ailleurs le chef de l’unité d’espionnage scientifique et technologique ultra-secrète connue sous l’intitulé Leshkat Kesher Madao (Lekem, pour les intimes), laquelle a été démantelée après l’arrestation de Pollard.
D’après Richard Sale [« Pollard Recruiter Resurfaces in U.S » (Le recruteur de Pollard ramène sa fraise aux Etats-Unis), UPI, 31.07.2003] ainsi que des officiels de la police judiciaire fédérale américaine, « Eitan se ballade, depuis environ un an, aux Etats-Unis, muni certes d’un passeport israélien, mais sous un faux nom. »
Il semble qu’Eitan se soit posé à Columbus (Ohio) puis qu’il se soit rendu dans le Midwest (Middle West) pour y effectuer un voyage prolongé. L’ « affreux » Eitan a été photographié en compagnie de « dealers connus appartenant à un réseau de trafic d’ecstasy », a indiqué à Richard Sale un fonctionnaire de la police judiciaire.
L’année dernière, deux grosses pointures israéliens du trafic d’ecstasy ont été extradés aux Etats-Unis, au grand dam du gouvernement israélien. L’Agence (américaine) de lutte contre la drogue [DEA – Drug Enforcement Agency] assure que ce sont « des grands personnages du crime israélien organisé » qui contrôlent environ 70 % du trafic mondial de l’ecstasy [Lors de votre prochain navet – euh, pardon : rave – pensez-y ! Ndt]. Le FBI est à la recherche de preuves qu’Eitan est (ou a été) engagé dans des activités peu recommandables liées à ce réseau », a indiqué un fonctionnaire de la DEA à l’agence de presse UPI.
Pour sa contribution décisive à ce qui allait devenir le scandale autour de l’espion Pollard, Rafi Eitan fut promu à un poste très important dans la plus importante entreprise nationalisée d’Israël, la Israel Chemicals Company (produits chimiques). Cette responsabilité lui a été confiée sur la recommandation d’Ariel Sharon. « Il est généralement admis que c’Eitan qui aurait dû recevoir la plus grosse baffe dans le cadre du micmac Pollard », a dit à UPI un ancien haut fonctionnaire très proche du dossier et ayant eu à connaître de données confidentielles dans le cadre de ses responsabilités. « En échange de son silence, Sharon devait (donc) s’assurer qu’on lui confierait un bon boulot. » En 1987, Eitan avait affirmé à un quotidien israélien qui l’interviewait que toutes ses actions avaient été entreprises avec l’aval de ses supérieurs israéliens.
Mais Eitan n’est pas le seul Israélien à avoir été ainsi récompensé d’avoir mis son nez dans les affaires de l’Amérique. Aviem Sella, expert de l’armée de l’air israélienne, spécialiste ès balistique nucléaire et livraison aérienne des bombes atomiques, était le commis de Pollard. Après que celui-ci ait été arrêté pour avoir transmis aux Israéliens des photographies satellite et des données ultra-secrètes relatives à des systèmes d’armement sophistiqués (américains), Stella prit la poudre d’escampette (direction : Tel-Aviv), après quoi il fut promu, en un temps record, brigadier général de l’armée de l’air israélienne. « Cela avait suscité une telle levée de boucliers aux Etats-Unis que ce Stella avait été prestement affecté à l’Ecole de l’air israélienne », écrit Sale.
Il semble qu’espionner les Etats-Unis soit relativement du gâteau, pour les Israéliens. D’après un rapport de la CIA (1979) (cité par Michael Saba dans son livre « Pollard in Perspective ») : « Les services israéliens (d’espionnage) ont largement recours aux différentes communautés et organisations juives à l’étranger pour recruter des espions et recueillir des renseignements… D’ordinaire, les agents israéliens opèrent discrètement au sein des communautés juives, et ils ont l’ordre de mener leurs missions à bien avec un doigté de la plus extrême légèreté afin d’éviter autant que possible de porter atteinte à la réputation de blanche colombe de l’Etat d’Israël. » Pollard, qui a été étudiant en sciences politiques à l’Institut Fletcher de Droit et de Diplomatie de la Tufts University, après avoir obtenu un doctorat à l’université Standford, était une de ces « perles rares », de la plus belle eau, mollement tapie au sein de la communauté juive américaine.
Se pourrait-il qu’Eitan soit en train « d’opérer discrètement au sein des communautés juives» en personne, en ce moment, dans le domaine du trafic de drogue ? Ou alors, s’agit-il d’hallucinations du FBI, depuis le début ? Et si le FBI connaît effectivement les faits et gestes d’Eitan, pourquoi ne l’a-t-il pas coincé ? Après tout, aux Etats-Unis, il est « wanted » (recherché), non ?
Pour Carl Cameron, de Fox News (c’est ce qu’on pouvait lire dans une série de reportages qui ont curieusement disparu du site ouèbe de cette chaîne de télévision), en 1997, les Israéliens ont organisé « un trafic de cocaïne et d’ecstasy, ainsi que de fraude informatique et de détournement de cartes de crédit réservées au VIP (malgré leur sophistication (celle des cartes, ndt))…. Les  mauvais garçons surveillaient les beepers, les téléphones cellulaires et même les téléphones fixes à usage familial des flics. Certains d’entre eux se sont fait pincer, et ils ont avoué disposer de centaines de numéros de téléphone afin d’échapper aux filatures. « Une enquête a permis d’établir que le réseau du crime organisé israélien disposait d’un accès total aux banques de données (ultra confidentielles) renfermant les informations personnelles et biographiques des hauts fonctionnaires de la police judiciaire susceptibles de s’intéresser à eux. »
Comment un réseau de trafiquants de drogue a-t-il pu obtenir ces informations ? « Au cours de leurs recherches effectuées afin de savoir d’où ils avaient pu obtenir ces informations, les enquêteurs jetèrent un coup d’œil à la société Amdocs – une entreprise qui a pignon sur rue en Israël », a raconté Cameron. « Cameron génère des données de facturation pour virtuellement tous les appels téléphoniques passés en Amérique. Elle assure aussi la validation de chèques bancaires. »
Mais il semble bien qu’Amdocs ne soit pas seulement mouillée dans le trafic israélien de la drogue. « Plus d’une vingtaine d’officiers du renseignement, du contre-espionnage et de la police judiciaire, ainsi que d’autres instances, ont indiqué à la revue Insight que le FBI est persuadé qu’Israël a intercepté des communications téléphoniques et télématiques de certaines des lignes les plus sensibles du gouvernement américain et ce, d’une manière continue », écrivent J. Michael Waller et Paul Rodriguez. « Les pires intrusions semblent avoir été opérées au Département d’Etat (= les Affaires étrangères, ndt). Mais certains pensent que les systèmes téléphoniques (réputés) inviolables de la Maison Blanche, du ministère de la Défense et du ministère de la Justice pourraient tout aussi bien avoir été mis sur écoutes. Le problème, pour les agents de la célèbre Division 5 du FBI, toutefois, n’est pas simplement de savoir ce que les espions israéliens ont bien pu entendre – ce qui est loin d’être mince – mais aussi de cerner ce qu’ils ne savent pas encore. »
Amdocs a « aidé Bell Atlantic à installer de nouvelles lignes téléphoniques à la Maison Blanche en 1997… et un cadre d’Amdocs avait une ligne T1 dédiée, reliant son bureau sis dans la banlieue de St-Louis directement à Israël… Les enquêteurs sont en train de chercher à savoir si le détenteur de cette ligne T1 disposait de la capacité d’intercepter des conversations téléphoniques « en temps réel » (« real time ») passés à partir tant de la Maison Blanche que d’autres administrations officielles dans la région de Washington, et ils ont mis cette ligne sous surveillance, indiquent certaines sources. Des sources proches de l’enquête indiquent que les agents du FBI mis sur ce coup avaient sollicité un mandat d’arrêt à l’encontre de l’employé (d’Amdocs) de St-Louis, mais que les officiels du ministère de la Justice [sub regno Clintoni] avaient mis leur demande au panier. »
Waller et Rodriguez citent un haut fonctionnaire américain, disant : « C’est un sujet politiquement sensible. Je ne peux faire de commentaires, mis à part vous dire que tout ce qui pourrait impliquer Israël, dans cette affaire en particulier, est hors de question. C’est aussi « chaud » que ça. »
Apparemment, le Justice Department et le FBI ont beaucoup de choses à cacher, si nous devons en croire Jeffrey Steinberg et Edward Spannaus. Pour ces deux journalistes, les Israéliens sont derrière « un trafic massif d’ecstasy, qui a rapporté des millions de dollars, portant sur des drogues illégales fabriquées aux Pays-Bas et dispatchées dans toutes les villes des Etats-Unis. Le gang du trafic de drogue opérait aussi dans un marché noir du diamant, recourant à des juifs hassidiques comme saute-ruisseau… Une partie des fonds récoltés grâce à ces opérations illégales, disent certaines sources, a été siphonnée vers des comptes bancaires offshore au nom d’Ariel Sharon, Premier ministre israélien. Certains de ces fonds sales auraient été utilisés pour financer certaines de ses campagnes électorales. Ce réseau maffieux israélien bénéficie du soutien logistique de plusieurs entreprises israéliennes de télécommunications, qui sous-traitent des marchés de grands opérateurs téléphoniques américains ainsi que d’agences gouvernementales judiciaires… A chaque fois que la DEA, le FBI et la préfecture de police de Los Angeles infiltraient un agent (homme, ou femme) à l’intérieur du réseau Orgad [le « parrain » Israélien Jacob Orgad – alias « Cookie » - a été arrêté en avril 2000 par une task-force antidrogue mise sur pied par ces différentes administrations], il (elle) se faisait repérer en quelques jours seulement… A chaque fois qu’un tribunal ordonnait qu’une « bretelle » (d’écoute) soit branchée sur leurs lignes téléphoniques, les malfrats visés se mettaient comme par enchantement à « adopter le comportement de Mère Teresa », a indiqué une source au courant de l’affaire ».
Le 16 août, Steinberg commentait ainsi la réapparition possible d’Eitan aux Etats-Unis : « Si Eitan effectue ces voyages à haut risque, indiquent des sources américaines et israéliennes, c’est parce qu’il est en train de mettre au point les plans d’une nouvelle attaque majeure – un nouveau 9/11 (onze septembre) – sur le territoire américain, dont on ferait retomber la faute sur des terroristes musulmans ou sud-américains ( …) Ces sources – tant les sources israéliennes que les sources américaines – ont tiré le signal d’alarme, informant qu’Eitan est en train de mettre les dernières touches à une telle opération, qui coïncide avec la promotion extrêmement agressive, par le vice-président Dick Cheney, de l’idée que les Etats-Unis sont confrontés à une attaque imminente de l’ampleur du onze septembre. Cheney a lancé cette offensive de propagande au cours de son discours du 24 juillet dernier devant l’American Enterprise Institute de Washington, et il bat la campagne, depuis lors, se répandant en affirmations qu’un attentat terroriste de grande ampleur est imminent. »
Sans égard pour la validité de l’alerte au terrorisme de Steinberg, on a le droit de se demander pourquoi le FBI n’a pas encore arrêté Rafi Eitan. Il existe, après tout, un mandat d’arrêt fédéral toujours valable à son encontre. Dans ces conditions, pourquoi continue-t-il à être ainsi autorisé à sillonner les Etats-Unis ?
Se pourrait-il (horresco referens) que le FBI ait reçu des ordres de mettre bas les pattes devant Eitan ? Le journal israélien Maariv écrivait en mars 2002 : « Un des types qui ont été récemment ressorti des boules de naphtaline est le vieux pote à Sharon, Rafi Eitan ». Est-ce Dieu possible que Sharon ait en personne envoyé Eitan (en mission) en Amérique ?
Sharon sait qui tire les ficelles à Washington. « Je vais vous dire les choses carrément », aurait dit Sharon à son ministre des affaires étrangères Shimon Pérès en octobre 2001 (d’après la radio d’Etat israélienne Kol Yisrael) : « Ne vous faites pas de souci au sujet de je ne sais trop quelles pressions américaines sur Israël. Nous, les juifs, nous contrôlons l’Amérique. Et les Américains le savent fort bien. »
La plupart des Américains ne le savent peut-être pas (encore). Mais, apparemment, le FBI, lui, est au courant.
                                            
12. La guerre ou le gaz par Guy Chazan
in L'Intelligent - Jeune Afrique du lundi 25 août 2003 
Bloqué depuis le déclenchement de l'Intifada, le projet Gaza Marine constituerait un parfait exemple de coopération entre les deux pays.
Le 27 septembre 2000, Yasser Arafat en personne s'était rendu au large de la bande de Gaza pour officialiser la découverte d'un gisement de gaz naturel, présenté comme « un cadeau de Dieu » au peuple palestinien. Le lendemain, la visite d'Ariel Sharon, alors chef de l'opposition, sur le site sacré du mont du Temple - l'esplanade des Mosquées pour les musulmans - déclenchait la seconde Intifada.
Otage du conflit israélo-palestinien depuis près de trois ans, le projet Gaza Marine nourrit aujourd'hui beaucoup d'espoirs dans la « feuille de route », le plan de paix soutenu par les États-Unis. Pour ses défenseurs, il permettrait de renforcer des liens économiques mis à mal par trente-quatre mois de carnage. « Israël a besoin de gaz, les Palestiniens en ont et veulent le vendre », résume John Field, le dirigeant israélien de BG Group PLC, la compagnie britannique détenant une licence sur le gisement. Toujours selon John Field, ce serait là « un parfait exemple de coopération transfrontalière ». Pour d'autres, en revanche, la méfiance entre les protagonistes est aujourd'hui telle que toute collaboration de ce type semble exclue.
BG, pour sa part, affirme ne pas vouloir développer Gaza Marine avant d'être assuré de pouvoir vendre l'essentiel du gaz palestinien à Israël. Mais Ariel Sharon, devenu entre-temps Premier ministre de l'État hébreu, a jusqu'à présent refusé de soutenir le projet, invoquant des raisons de sécurité. Yosef Paritzky, le ministre israélien de l'Infrastructure, se dit, pour sa part, favorable à un accord tout en comprenant les réserves d'Ariel Sharon : « Nous craignons que les royalties ne servent à financer la terreur. [...] Nous devons trouver un mécanisme garantissant que l'argent ne sera pas détourné au profit de quelque organisation terroriste. »
En attendant, chez BG, l'impatience est palpable. Pour John Field, « le moment est venu de prendre une décision ». Le Premier ministre britannique Tony Blair a d'ailleurs invité Ariel Sharon à changer d'avis lors de la visite de ce dernier à Londres, mi-juillet. Côté palestinien aussi, on commence à trouver le temps long. Le 1,6 billion de pieds cubes de gaz que renferme le gisement constitue la seule ressource naturelle de l'Autorité palestinienne. Celle-ci estime qu'elle pourrait en tirer entre 50 millions et 100 millions de dollars (entre 44,7 millions et 89,5 millions d'euros) par an. Sachant qu'à la fin de l'année dernière, ses revenus mensuels ne dépassaient pas 18 millions de dollars... L'exploitation du gisement devrait par ailleurs lui permettre de réduire considérablement sa facture énergétique en substituant son gaz naturel au pétrole qu'elle doit importer pour alimenter la centrale électrique de Gaza.
Attirer une compagnie occidentale aussi importante que BG est éminemment prestigieux pour une Autorité palestinienne qui n'a suscité que peu d'intérêt chez les investisseurs étrangers, surtout depuis le début de la seconde Intifada. De 1,45 milliard de dollars en 1999, l'investissement annuel total en Cisjordanie et à Gaza est tombé à 150 millions de dollars en 2002, soit une chute d'environ 90 %. Les Britanniques se proposent, eux, d'investir 400 millions de dollars. Ils pomperaient le gaz de Gaza Marine et des gisements voisins sur lesquels ils détiennent des licences - aussi bien dans les eaux territoriales israéliennes que palestiniennes - puis l'achemineraient jusqu'à leurs installations de transformation, encore à construire, dans le port israélien d'Ashkelon. L'entreprise étatique Israel Electric Corp (IEC) s'est d'ores et déjà dite intéressée par l'achat de 52,5 milliards de pieds cubes de gaz par an sur les quinze prochaines années. Mais pour l'heure, BG attend une lettre d'intention d'IEC, qui elle-même déclare attendre le feu vert d'Ariel Sharon.
Ironie de l'histoire, le gaz naturel palestinien surgit à point nommé pour Israël, dont les besoins devraient tripler d'ici à 2025, l'État hébreu remplaçant ses centrales électriques, qui fonctionnent au pétrole et au charbon, par des turbines à gaz, moins chères et plus efficaces. Le pays a déjà signé un contrat avec Yam Thetis, un consortium américano-israélien qui vendra à IEC le gaz du gisement qu'il explore au nord de Gaza. Mais IEC entend bien diversifier son approvisionnement. Le conflit israélo-palestinien avait amené Le Caire à suspendre un accord sur la fourniture de gaz égyptien. « IEC souhaite ouvrir des négociations avec un second fournisseur - que ce soit l'Égypte ou BG, cela n'a pas d'importance », a précisé Joseph Dvir, vice-président de la compagnie israélienne.
                                           
13. Une auteure de littérature pour enfants confrontée à l’ire juive. Le récit de la vie d’un garçon palestinien de Cisjordanie déchaîne les pressions de divers lobbies, qui en appellent à son interdiction par Fiachra Gibbons
in The Guardian (quotidien britannique) du mardi 23 août 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Des associations juives font pression sur un éditeur afin qu’il retire de la vente un livre pour enfant prenant pour personnage principal un jeune garçon palestinien grandi au milieu de l’Intifada, en Cisjordanie.
Un Petit Morceau de Terre [A Little Piece of Ground], un ouvrage de fiction écrit par Elizabeth Laird, auteure lauréate d’une multitude de prix littéraires, raconte comment Karim, un jeune garçon palestinien de douze ans – des parents duquel les oliveraies ont été confisquées par des colons – vit la mise à nu et l’humiliation de son père par des soldats israéliens.
Emporté dans le mouvement de protestation contre l’occupation, ses amis ayant tenté de fabriquer un modèle de bombe en carton-pâte, Karim rêve qu’il met au point un « acide capable de dissoudre l’acier des tanks israéliens ».
La maison d’édition, Macmillan, a reçu trois demandes de mise au pilon dur roman pour enfants, et de nombreuses librairies craignent d’en avoir des exemplaires en stock, de peur que cela ne déclenche les protestations d’associations juives. Jusqu’ici, la plupart des attaques dirigées contre Mme Laird sont venues d’Amérique du Nord, sous la houlette d’une chaîne de librairies canadiennes qui a formulé la première plainte – au vitriol – auprès de l’éditeur. On en déduit que les autres provenaient de groupes de pression juifs (britanniques).
La romancière d’origine néo-zélandaise a écrit ce roman après une visite effectuée à Ramallah, dans le cadre d’un programme du British Council visant à encourager l’expression écrite des enfants. Elle rejette toute accusation de contenu anti-israélien.
« Je m’attendais à des réactions. Mais affirmer que toute critique d’Israël est antisémite ne rend absolument pas service à Israël. C’est une histoire importante, il faut qu’elle soit racontée, lue, et entendue. Elle montre un enfant subissant l’occupation militaire de son pays. C’est terrible pour les occupants, et c’est terrible pour ceux qui sont sous occupation. J’espère avoir montré à quel point c’est horrible pour les soldats, aussi », a déclaré Mme Laird, qui a vécu plusieurs années à Beyrouth, ainsi qu’en Irak.
« Une grande compréhension d’Israël existe déjà [chez nous]. C’est une donnée de fait. Tous les peuples occidentaux ont ressenti de la sympathie pour Israël, souvent pour de bonnes raisons ; et je ne pense pas que cela doive s’arrêter. La voix de l’enfant palestinien, en revanche, personne ne l’entend. »
Ann Jungman, auteure de littérature pour la jeunesse et membre de l’association libérale Jews for Justice in Palestine, a déclaré qu’elle admirait ce livre, mais qu’elle le trouvait néanmoins de parti pris. « Ce n’est pas le contenu qui, à mon sens, fait problème. C’est ce qui a été exclu ; le non-dit. Il devrait y avoir une présentation plus large des réalités. (Dans ce livre), tous les Palestiniens sont des gens très raisonnables, et tous les Israéliens sont des monstres. »
Mme Laird, lauréate du prix Children’s Book Award, ainsi que du prix Smarties, nominée à trois reprises à la Carnegie Medal, affirme que son livre, A Little Piece of Ground, n’a aucune prétention politique. « C’est vrai, beaucoup d’Israéliens s’efforcent de parvenir à un modus vivendi avec les Palestiniens, et beaucoup refusent d’effectuer leur service militaire en Cisjordanie. Mais le livre est vu à travers le regard d’un garçon (palestinien) de douze ans, qui ne voit autour de lui qu’une seule chose : des soldats (israéliens) en armes. Adopter un autre parti, dans l’écriture de mon livre, cela aurait été trahir mes personnages », explique-t-elle.
« Le livre parle moins de politique que de fraternité, d’amitié, d’amour et de foot. » Il tire son titre d’un morceau de terrain vague que Karim et ses amis transforment en terrain de football et qui devient, plus tard, le lieu de violents affrontements.
Mme Laird insiste sur le fait que tous les éléments présents dans le livre sont tirés de la vie réelle. « Beaucoup des incidents décrits proviennent des sites ouèbes des principales associations israéliennes de défense des droits de l’Homme », tandis que d’autres incidents encore proviennent du vécu de sa collaboratrice, Sonia Nimir, maître de conférence à l’université cisjordanienne de Bir Zeit.
Mme Laird affirme avoir « mis des bémols » à plusieurs passages de son livre, mais qu’il fallait absolument s’attaquer à l’analyse des motivations des attentats kamikazes. « Les attentats suicides se poursuivent, en arrière-fond et, dans une scène, je fais questionner Karim par son oncle, au sujet de son désir de vengeance après que son père ait été humilié devant lui par les soldats israéliens. L’oncle de Karim lui demande : « Est-ce que ça nous donne le droit d’aller les faire sauter avec une bombe ? » »
Lauréat du Prix pour l’Enfance Britannique, Michael Morpurgo a pris la défense du roman. « Parfois, nous avons besoin de quelque chose qui dépasse l’esquive. Personne d’autre qu’Elizabeth Laird ne pouvait écrire un livre comme celui-ci. Elle a vécu au Moyen-Orient. Elle connaît cette région du monde. Elle l’aime. Elle en porte le deuil. Elle espère pour elle. »
Il a exhorté les parents à encourager leurs enfants, entre onze et quatorze ans, d’acheter le livre. « Lisez-le, et vous saurez ce que cela veut dire, être opprimé, vivre dans la peur, jour après jour. Et cela, il faut absolument que nous le sachions, et que nos enfants, aussi, le sachent. Car c’est – hélas ! – bien ainsi que la majorité des hommes vivent », a-t-il dit.
La maison Macmillan a refusé d’expliciter la provenance des pressions exigeant le retrait du livre, mais Kate Wilson, directrice du secteur de la littérature enfantine, a déclaré que l’entreprise n’avait absolument pas l’intention de le retirer de la vente. « Nous avons longuement et très sérieusement réfléchi à la question de savoir si poursuivre la diffusion du livre était une attitude responsable. Nous avons conscience que cela risque de provoquer beaucoup de réactions, des plus diverses. »
Elle a indiqué que Macmillan n’avait pas peur de mettre en rage l’opinion juive. « Je ne pense pas qu’il y ait un lobby juif puissant dans notre pays. Elizabeth est une auteure remarquable, elle a une capacité absolument fascinante à se mettre dans la peau de ses personnages – dans le livre, nous vivons de l’intérieur autant les dilemmes des soldats israéliens que ceux de Karim. »
Mme Wilson a maintenu que le livre expose sans chercher à le cacher le soutien de Karim aux kamikazes. « [Mais] le thème central du livre, à bien des égards, c’est l’altercation de Karim avec son oncle, qui est, lui, opposé aux attentats suicides. »
- Crise familiale - Extrait de "A Little Piece of Ground"
Karim a assisté au spectacle de son père, tiré de la voiture familiale et dévêtu à un checkpoint israélien… « Il (le soldat israélien) est terrifié », pense Karim, surpris de ce constat. « Il pense qu’on va l’attaquer ». Il pouvait presque sentir la peur du soldat.
« Elle ne voulait pas faire de mal ! », dit-il, détestant le ton d’apaisement qu’il pouvait percevoir dans sa propre voix. « Je vais la ramener à la voiture. »
Le soldat le repoussa, sans ménagement. « Prends-la. S’il y a encore des problèmes avec vous, vous irez là-bas, rejoindre les autres terroristes ! »
Karim prit Sirine dans ses bras, et il courut, l’emmenant à la voiture.
Lamia avait entr’ouvert la portière, mais un autre soldat, qui n’était pas là auparavant, se tenait à côté de la voiture, et il lui ordonna de refermer la portière. Karim tendit Sirine à sa mère, et il monta s’asseoir en toute hâte sur le siège arrière.
« Oh, ma chérie ! » sanglotait Lamia, le visage perdu dans les cheveux de la petite Sirine.
Karim était secoué de violents tremblements. Il avait mal au cœur : une remontée de peur.
Farah se retourna et se blottit contre lui, suçant hardiment son pouce. De son autre main, elle lui serrait le bras. Non : cette fois, il ne la repoussa pas.
« Je les hais. Je les hais. Je les hais ! » Pensa-t-il, incapable désormais de tourner son regard vers son père, toujours là, debout, réduit à une chose ridicule, à côté d’un vieillard abasourdi.
- Vous pouvez acheter "A little piece of ground" de Elizabeth Laird paru aux éditions Macmillan Children's [Août 2003 - 214 pages - ISBN : 0330436791 - 8.99 Livres sterling] auprès d'Amazon (UK) : http://www.amazon.co.uk/exec/obidos/ASIN/0330436791/qid=1062241231/sr=2-1/ref=sr_2_3_1/202-0557072-1747810
                                           
14. Bernard Sabella : "La violence ne mène nulle part" entretien réalisé par Valérie Féron
in L'Humanité du samedi 23 août 2003

Le sociologue palestinien Bernard Sabella nous livre ses réactions après la nouvelle escalade sanglante de ces derniers jours.
Jérusalem, correspondance particulière - " La violence comme nous le voyons depuis le début de cette Intifada n'a mené nulle part ", nous confie le sociologue palestinien Bernard Sabella dont nous avons suscité la réaction quelques heures après l'attentat suicide de Jérusalem qui a coûté la vie à une vingtaine de civils israéliens. " Chaque escalade ne sert qu'aux plus extrémistes des deux camps. Il est pourtant toujours évident que chaque partie devra accepter la réalité : Palestiniens et Israéliens sont sur cette terre et y resteront. " Bernard Sabella affirme cependant qu'il fait partie de ceux qui pensent " que ce sont les extrêmes de deux camps qui sont peut-être les plus à même de conclure une paix durable " et étaye cet argument en se disant persuadé que les Américains, en grandes difficultés en Irak, ont trop besoin d'afficher un minimum de réussite au Proche-Orient pour ne pas faire pression aussi sur leur allié israélien, même si la droite extrémiste israélienne fait partie du gouvernement Sharon.
Sur les défis internes que doit relever la société palestinienne pour parvenir à l'indépendance, le sociologue insiste sur la nécessité d'accepter de bâtir le futur palestinien " sur une partie seulement de notre patrie historique ". " Il ne s'agit pas, précise-t-il, de renoncer à nos droits mais de prendre en compte les besoins présents de notre société en matière de santé, d'éducation, d'économie et d'y répondre. C'est bien de cela qu'il va falloir convaincre les mouvements comme le Hamas. En fait les Palestiniens sont déchirés intérieurement entre l'émotion profonde suscitée par les questions historiques comme celles du droit au retour des réfugiés, ou Jérusalem et la nécessité d'être pragmatique. Je crois que la société palestinienne est en train de prendre cette seconde voie. Environ 20 % des Palestiniens ne se reconnaissent plus dans les partis politiques et ce nombre est en augmentation. Ce qui veut dire qu'ils veulent du concret, des résultats, qu'ils sont prêts à certains compromis. Sans pour autant renoncer à leurs droits. " Quant au Hamas qui a officiellement annoncé la rupture de la trêve jeudi il va devoir faire ses propres choix. " Aussi dur que cela soit pour lui, il lui faudra, estime Bernard Sabella, accepter de négocier avec l'occupant sans attendre son départ. "
Aux yeux du scientifique palestinien la société israélienne ne serait pas prête à accepter un État palestinien près du sien. " Je pense, dit-il, que c'est la principale raison de l'agressivité de la classe politique israélienne à l'égard du président Arafat, qui reste celui qui ne se plie pas aux desiderata de l'occupant. " Cependant, ajoute Bernard Sabella, " les Israéliens devront tôt ou tard accepter la réalité palestinienne. La construction de colonies, de murs comme celui qui va enfermer les populations de Cisjordanie tout en leur prenant toujours plus de terres ne pourront pas faire disparaître quatre millions de Palestiniens. Les Israéliens croient avoir trouvé la solution pour se protéger. Or s'ils peuvent le faire dans une certaine mesure à Gaza, qui est une immense prison, ils ne pourront pas y parvenir en Cisjordanie où tout est trop imbriquée, tout particulièrement dans la partie occupée de Jérusalem, entre colons israéliens et populations palestiniennes. " Du coup de véritables remises en question restent à l'ordre du jour de part et d'autre.
Quant à la forme que pourra prendre la cohabitation israélo-palestinienne toujours programmée par la très compromise " feuille de route " à l'horizon 2005, Bernard Sabella juge qu'il serait sûrement préférable à terme de préférer une confédération à l'instauration de deux États souverains. " Mais pour l'instant, lance-t-il, nous, Palestiniens, tenons à avoir notre propre État. Je pense que malgré toutes les difficultés, cette solution est toujours possible. Mais pour y parvenir il faut que chacun puisse répondre à cette question : comment envisager ma coexistence avec l'Autre ? Le but n'est pas de s'aimer, ni d'être amis mais de construire honnêtement des relations dans tous les domaines d'égal à égal en se basant sur nos intérêts communs. " Bernard Sabella reste optimiste. Il se dit persuadé qu'on en arrivera là même si l'échéance de 2005 ne lui paraît pas tenable.
                                   
15. Menace de mort : Le Rennais Gilles Munier dans la ligne de mire !
in 7 Jours (hebdomadaire publié à Rennes) du vendredi 22 août 2003
Quelle n’a pas été la surprise du rennais Gilles Munier, secrétaire général des Amitiés franco- irakiennes, de découvrir dans son courrier, à son retour de vacances, une enveloppe contenant une balle de 22 LR accompagnée du message : « La prochaine n’arrivera pas par la poste » ! Le courrier avait été posté le 21 juillet à Rosny-sous-Bois, en Seine- Saint-Denis.
Il a porté plainte contre X pour « Menace de mort » le 11 août, et demandé à Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, d’intervenir « avec fermeté » contre les expéditeurs de la lettre qui, selon lui, n’en sont pas à leur coup d’essai. En effet, depuis un an, une dizaine de personnalités intervenant sur le problème palestinien auraient reçu le même message, notamment José Bové et Lucien Bitterlin, président de l’Association de Solidarité franco- arabe. « En 30 ans de militantisme pour la politique arabe du général de Gaulle, j’ai été parfois insulté ou diffamé, voir agressé, dit-il, mais c’est la première fois qu’on me menace de cette façon. C’est sans doute parce que je dénonce l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis et que je soutiens la résistance ». Les auteurs, ajoute-t-il, sont à rechercher parmi les pro- israéliens les plus extrémistes, ceux qui coopèrent avec des néo-nazis.
Parallèlement aux investigations policières qui peuvent aboutir à un non-lieu, il compte mener sa propre enquête. « Il faut démasquer ces gens là avant qu’ils ne passent à l’action, sinon cela finira mal », et de remarquer : « La balle tirée sur le président Jacques Chirac lors du 14 juillet 2002 était aussi une 22 LR et le déséquilibré qui s’apprêtait à recommencer évoluait au sein de la nouvelle extrême droite française, aujourd’hui proche des néo-conservateurs américains ».
                                   
16. Révélation : Voici comment Israël a aidé Amin Dada à accéder au pouvoir par Richard Dowden
in The Independent (quotidien britannique) du dimanche 17 août 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

La radio ougandaise ayant annoncé, à l’aube du 25 janvier 1971, qu’Amin Dada était le nouveau dirigeant du pays, beaucoup de gens ont soupçonné la Grande-Bretagne d’avoir donné un coup de main. Toutefois, des archives du Foreign Office, tombées l’an dernier dans le domaine public, révèlent l’intervention d’une autre bonne fée [penchée sur le berceau du dictateur sanguinaire] : Israël.
Les premiers télégrammes envoyés à Londres par le Haut Commissaire Britannique à Kampala, Richard Slater, montrent un homme choqué et stupéfait par la survenance du coup d’état. Mais il s’était adressé rapidement à l’homme dont il pensait que lui, savait ce qui était en train de se passer. Cet homme, c’était le colonel Bar Lev, attaché militaire à l’ambassade d’Israël. Il le trouva en compagnie d’Amin : ils avaient passé la matinée ensemble, au lendemain du putsch ! Le télégramme suivant de Slater disait, citant le colonel Bar Lev : « Au cours de la nuit passée, le général Amin a fait arrêter tous les officiers de l’armée soupçonnés d’être restés favorables à Obote… Amin a désormais la haute main sur tous les éléments de l’armée, qui contrôle les points stratégiques vitaux partout en Ouganda… » L’attaché militaire israélien excluait toute possibilité d’opposition armée à Amin.
Les Israéliens sont intervenus immédiatement afin de consolider la position des putschistes. Au cours des jours suivants, Bar Lev resta en contact constant avec Amin, lui prodiguant ses conseils éclairés. Slater fit savoir à Londres que Bar Lev avait expliqué « avec un luxe de détail inouï [comment] tous les principaux foyers potentiels de résistance, tant dans les provinces que dans la capitale, Kampala, avaient été éliminés. » Peu après, Amin effectua son premier déplacement officiel à l’étranger. Nous constatons que nous n’avions pas affaire à un ingrat. En effet, il s’agissait (comme par hasard… ndt) d’une visite d’Etat en Israël. Golda Meir, Premier ministre israélien, fut, dit-on, « abasourdie à la lecture de la liste des commissions qu’Amin avait rédigée avant de se rendre au supermarché de l’armement, de crainte d’oublier quelque chose ».
Mais qu’est-ce qui pouvait bien intéresser à ce point Israël, dans ce pays enclavé en Afrique centrale ? La raison, Slater nous la livre, dans un autre télégramme, plus récent : Israël soutenait la rébellion dans le sud du Soudan afin de punir ce pays coupable d’avoir soutenu le camp arabe durant la guerre dite des Six  Jours. « N’allez pas imaginer que les Israéliens veulent que les rebelles gagnent. Non : ce qu’ils veulent, c’est continuer faire la guerre au Soudan jusqu’au dernier rebelle… » 
Les Israéliens avaient contribué à former la nouvelle armée ougandaise, dans les années 1960. Peu après l’indépendance, Amin avait été envoyé en stage en Israël. Devenu chef d’état-major de la nouvelle armée, Amin effectua une mission secrète pour le compte des Israéliens, approvisionnant les rebelles du Sud Soudan en armes et en munition. Amin avait des motifs propres à les aider : des membres de sa tribu, les Kakwa, vivaient dans le sud du Soudan. Obote, toutefois, voulait la paix au sud Soudan. Cela causait du souci aux Israéliens, dont les alarmes redoublèrent après qu’Oboté eût remercié Amin, en novembre 1970 : voilà que le gros bâton dont ils disposaient pour frapper le Soudan venait de leur échapper brusquement des mains... 
Bien qu’ils n’aient joué qu’un rôle mineur dans le coup d’état, les Britanniques en accueillirent la nouvelle dans l’enthousiasme. « Le général Amin a, pour sûr, débarrassé la scène africaine de l’un de nos ennemis les plus implacables en Afrique Australe… », écrivit un officiel du Foreign Office, à Londres, dont les pieds ne touchaient visiblement plus par terre.
L’homme qui poussa avec le plus de véhémence la Grande-Bretagne à soutenir militairement Amin fut Bruce McKenzie, un ancien pilote de chasse de la RAF reconverti en agent du MI6 (cela n’empêchera nullement Amin de l’assassiner sept ans plus tard). Il s’envola pour Israël peu de temps après le coup d’état et, semblant demander la permission de soutenir Amin à Douglas Home, il lui dit : « La voie est désormais libre devant notre Haut Commissariat à Kampala : il pourra se rapprocher d’Amin ».
Mais Mr Slater, le cauteleux diplomate en poste à Kampala, demeurait rétif. Pressé par McKenzie, Douglas-Home donna ses ordres à Slater : « Le Premier ministre suivra cette situation et, j’en suis certain, il voudra que nous saisissions sans plus tarder toute opportunité de vendre des armes. Ne soyez pas exagérément timoré. »
Peu après, Amin était invité à venir effectuer une visite d’état à Londres. Cerise sur le gâteau : il fut invité à dîner à la table de Sa Majesté, à Buckingham Palace…
                                   
17. L’Onu condamne une nouvelle loi israélienne régissant le mariage
par BBC News le vendredi 15 août 2003, 17h35
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Un panel d’experts de l’Onu exhorte Israël à repousser une nouvelle loi qui obligerait les Palestinien(ne)s épousant des Israélien(ne)s à vivre séparé(e)s de leur conjoint(e).
Le Comité pour l’Elimination de la Discrimination Raciale (basé à Genève) a approuvé à l’unanimité une résolution affirmant que cette loi israélienne viole un traité international garantissant les droits humains. Toutefois, l’ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies à Genève a accusé le panel d’expert de parti-pris.
Le 31 juillet dernier, le parlement israélien (Knesset) a adopté une loi excluant les Palestinien(ne)s conjoint(e)s d’Israélien(ne)s de l’éligibilité à la citoyenneté israélienne et au droit de résider en Israël.
Pour les experts onusiens, Israël devra reconsidérer sa politique, en ayant en vue de faciliter la réunion des familles sur une base non-discriminatoire. Les Arabes représentent 20 % de la population totale d’Israël, d’environ 6 millions de personnes. Près de 3 millions de Palestiniens vivent en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. De nombreuses familles ont été divisées par le conflit du Moyen-Orient, et au fil des ans, les mariages entre les deux populations ont été assez nombreux. Jusqu’à récemment, le ministère israélien de l’Intérieur décidait en dernière instance de l’accord (ou non) de la citoyenneté israélienne et de la possibilité de s’établir en Israël aux Palestinien(ne)s ayant épousé des Israélien(ne)s.
Depuis 1993, plus de cent mille Palestiniens ont obtenu des permis israéliens à ces effets et certains Israéliens voient dans ces autorisations du laxisme et une menace à leur sécurité.
Défi israélien
Le comité de juristes de l’Onu – qui assure le suivi de la mise en œuvre de la Convention Internationale (de 1966) en vue de l’Elimination de toutes les formes de Discrimination Raciale – a condamné la nouvelle loi israélienne.
Israël considère la condamnation du Comité comme foncièrement de parti pris. L’ambassadeur israélien auprès de l’Onu, Yaakov Levy, a déclaré que cette résolution traduisait « une approche biaisée, qui pointe du doigt injustement le seul Israël. » Il a ajouté que cette loi était encore soumise à l’examen de la Cour Suprême d’Israël, après avoir essuyé les critiques de l’opposition.
« Le processus juridique interne (à Israël) n’a pas encore été entièrement bouclé », a-t-il conclu.
                                   
18. Le monde interlope israélien remonte à la surface - Guerre des gangs dans les rues par Elli Wohlgelernter
in Forward (hebdomadaire américain) du vendredi 15 août 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Jérusalem – En dépit d’un fragile cessez-le-feu entre Israël et les Palestiniens, les rues d’Israël se teignent de sang, cet été, conséquence d’une explosion dans la guerre des gangs qui a stupéfait la police.
L’un des gangsters les plus redoutés d’Israël, Yisrael « Alice » Mizrahi, 58 ans, a été tué la semaine dernière dans l’explosion qui a détruit sa jeep Mercedes près de son bureau situé dans les quartiers sud de Tel-Aviv, explosion qualifiée par la police de « travail de super-pros ». Il a été tué par une bombe à détonation télécommandée placée sous le siège du conducteur, qui a pulvérisé le volant, laissant les roues et le châssis de la voiture intacts. Deux autres passagers, dont son épouse Esther, ont été miraculeusement seulement légèrement blessés.
La police déclare ne pas savoir avec certitude qui a descendu « Alice ». Sa mort semble venir s’ajouter à une liste d’attentats non résolus, au cours des six dernières semaines de ce qu’un enquêteur a qualifié de « guerre mondiale » entre gangs rivaux, pour des enjeux qui n’ont pas encore été élucidés.
05.08.2003 : Un garçon de seize ans, de Saint-Jean-d’Acre, fils d’un officier de police, est arrêté pour tentative d’assassinat d’un personnage suspecté appartenir au milieu, dans la cité portuaire méridionale
02.08.2003 : Le corps de David Amar, 40 ans, est retrouvé sur la plage de Nofshonit, près de Césarée. La police indique qu’Amar, au casier judiciaire lourdement chargé pour trafic de drogue, avait été tué par balle dans ce qui semble ressortir aux règlements de compte courants dans le milieu.
31.07.2003 : Aharon Masika, 53 ans, connus sous le sobriquet « L’Assassin », est assassiné par un homme vêtu en juif ultra-orthodoxe qui l’a abordé dans la rue et lui a tiré une balle à bout portant entre les deux yeux.
26.07.2003 : Le corps de Muhammad Khaled Armush, 30 ans, est retrouvé dans un appartement du quartier Hadar, à Haïfa. La police pense qu’Armush, qui ne lui est pas inconnu, a été tué au cours d’une querelle entre malfrats. Sa mort porte le nombre des personnes assassinées à Haïfa cette année à 16, à comparer avec les 8 enregistrés au cours de toute l’année 2002.
13.07.2003 : Alex Barak, alias « L’Homme Mystère » est sérieusement blessé par balles, devant son appartement de Tel-Aviv. Il avait reçu un appel téléphonique d’une personne qui s’était présentée comme un acheteur virtuel du bar dont il était le propriétaire. Barak passait pour ami intime de feu Felix Abutbul, considéré par la police comme le chef du milieu de la ville côtière de Netanya. Abutbul s’était fait dégommer devant un de ses casinos pragois en août 2002. Barak, quant à lui, a passé neuf ans dans une prison anglaise, dans les années 70 et 80, pour sa participation à une tentative de kidnapping (contre rançon) d’un ministre nigérian.
09.07.2003 : « Nikita », une jeune fille de dix-sept ans originaire de Beersheva, est arrêtée en compagnie de trois hommes, soupçonnés d’être en train de préparer une exécution collective. « C’est moi qui devais prendre le flingot et buter le type », a-t-elle avoué aux policiers qui l’interrogeaient.
03.07.2003 : Reuven alias « Banjo » Adazhshivili, 42 ans, connu de la police sous le sobriquet d’ « Assassin Number One », est retrouvé tué par balles dans sa voiture, sur un parking situé près du Carrefour Yarkonim, dans la banlieue de Tel-Aviv.
30.06.2003 : Le patron célèbre d’un gang de Tel-Aviv, Ze’ev (dit « Zevik ») Rosenstein et trois de ses gardes du corps ( !) sont légèrement blessés par des shrapnels après qu’une bombe commandée à distance ait explosé devant son bureau de Tel-Aviv. C’était la quatrième tentative d’éliminer Rosenstein depuis un an. La police commente disant qu’il doit être né sous une bonne étoile.
27.06.2003 : Micha Aslan, 47 ans, un des chefs du milieu à Jérusalem durant les décennies 70 et 80 est tué d’une balle dans le dos par un assaillant inconnu à Eilat, où il était en vacances. Aslan avait fait de la prison pour meurtre dans les années 1980 et 1990, et tout le monde pensait qu’il s’était rangé après son élargissement.
19.06.2003 : Georgi Gilashvili, 40 ans, citoyen géorgien, est arrêté par la police pour excès de vitesse en moto. Il est accusé d’excès de vitesse, pour être entré illégalement dans le pays et posséder des papiers d’identité falsifiés. Précédé de sa réputation d’assassin professionnel, il sera accusé de complot visant à assassiner deux chefs de gangs, Itzik et Meir Abergil, deux rois de la roulette et du racket en Israël, dont les photos ont été retrouvés sur Gilashvili lors de son arrestation.
Un rapport de la police consacré au crime organisé, publié le 9 juillet dernier, décrit les six principaux gangs du crime opérant en Israël, dont ceux dirigés par « Zevik » Rosenstein et Itzik Abergil, ainsi que le cercle des bédouins du Néguev et trois autres associations de malfaiteurs. Chaque « famille » est spécialisée dans un secteur d’ « activités ».
La raison pour laquelle les différents gangs s’éliminent entre eux n’est pas encore élucidée. Les sources de la police disent que ses services spécialisés dans la lutte contre le crime organisé ont été pratiquement supprimés au cours des trois années écoulées, des fonds budgets énormes étant consacrés à la lutte anti-terroriste et au contrôle de la dite « ligne de séparation » entre Israël et les territoires, laissant les casseurs de gangs dans une situation criante de sous-effectifs.
D’après certains spécialistes, la guerre des gangs à laquelle on assiste cet été en Israël résulte des tentatives déployées par quelques « familles » afin de s’emparer des affaires des autres familles, coupant court à des accords tacites remontant à plusieurs décennies dans le passé. « C’est une guerre entre des groupes rivaux qui se battent entre eux pour savoir qui contrôlera les jeux illégaux, l’extorsion de fonds et la drogue », indique le criminologiste de l’Université Hébraïque Menachem Amir, qui a reçu cette année le prix Israël pour son rôle dans l’institution de la criminologie dans le pays.
M. Amir a indiqué qu’en plus des six principales familles de gangsters israéliens, il y a des groupes locaux qui mènent des guerres sur leur plate-bande pour le contrôle des opérations dans leur propre localité. « La police a cerné seulement les six gangs qui ont commis des extorsions de fonds ou des assassinats en-dehors de leur territoire, mais d’autres groupes existent, qui se « contentent » d’assassiner sur leur propre territoire, comme c’est par exemple le cas à Pardès Katz, ou à Netanya. »
« De plus », a-t-il poursuivi, « ces six gangs n’incluent pas les Russes. Les Russes n’opèrent pas tant dans le jeu que dans la prostitution et l’extorsion de fonds – bien que certains des gangs israéliens soient eux aussi spécialisés dans l’extorsion de fond et le chantage contre des maisons closes. »
C’est l’assassinat de Mizrahi, la semaine dernière, qui a mis les projos sur les guerres entre gangs. Décrit comme l’un des personnages les plus recherchés et les plus hauts en couleurs du milieu israélien, Mizrahi était l’un des chefs de la « Mafia Israélienne » qui opérait dans le quartier new-yorkais de Brooklyn à la fin des années 1980. Il était parti s’établir à New York après cinq ans de service en Israël, pour vol à main armée, et il était devenu le bras droit de Yehuda « Johnny » Attias, lequel dirigeait un gang d’ex-israéliens spécialisé dans le trafic d’héroïne et de cocaïne, le racket des stations service et l’extorsion de fonds.
A son retour en Israël, au début des années 1990, Mizrahi fut soupçonné dans deux affaires d’assassinat. Il a été suspecté d’avoir kidnappé et assassiné son camarade émigré israélien Albert « Babar » Shushan sur la route de l’aéroport Kennedy de New York, en mars 1988, au cours de ce qu’on pense avoir été une violente dispute à propos de drogue.
Un an après, Michael Markowitz, un Israélo-américain d’origine roumaine et probable indic du FBI, a été retrouvé mort avec trois bastos dans le crâne, dans sa voiture, dans le quartier Sheepshead Bay de Brooklyn. Bien qu’Israélien, Markowitz avait été présenté par la police new-yorkaise comme un personnage important de la « mafia russe » de Brooklyn. Elle a dit que la mafia israélienne (exclusivement séfarade) de New York ne l’avait pas intégré en son sein parce qu’il était ashkénaze. La police new-yorkaise soupçonna Mizrahi et Attias de l’avoir dessoudé, pour un mobile non élucidé.
Attias avait été tué en 1990. Mizrahi avait pris un vol pour Israël immédiatement après que sa Lincoln blanche ait été pulvérisée par une bombe devant un night-club dont le patron était israélien. Il avait été arrêté deux ans plus tard, sur la foi d’indices envoyés en Israël par les autorités judiciaires américaines. Israël ayant refusé son extradition aux Etats-Unis, il avait été jugé à Tel-Aviv. Le FBI avait envoyé des dizaines d’agents pour suivre le procès-fleuve, qui dura plusieurs mois, mais il avait été acquitté en 1996 pour les deux affaires criminelles pesant sur lui. Toutefois, il a été convaincu de trafic d’héroïne, depuis la Hollande vers les Etats-Unis, et condamné à douze ans de prison.
Après sa libération sur parole en 2001, la police dit qu’il a repris ses activités illégales dans les jeux d’argent, dans ses prêts usuraires et le trafic de boissons alcoolisées. La police indique que sa mort est probablement liée à un règlement de comptes avec des associés dans le domaine des jeux d’argent, et qu’elle n’entrait pas dans le cadre des guerres inter-gangs plus largement en cours.
D’autres observateurs pensent qu’il est bien difficile de dire quelles sont les relations entre les différents règlements de comptes. Amir a indiqué qu’il pensait que l’effusion de sang ne fera que croître et embellir, bien qu’il aperçoive un rayon de soleil.
« Dans le futur immédiat, certes, cette guerre des gangs va s’amplifier, parce qu’ils sont puissants et qu’il n’y a pas assez d’effectifs de police, pas assez de ressources budgétaires, pour lutter contre », dit-il, « mais en fin de comptes, la police percevra un budget plus important afin de lutter contre le crime organisé, et on constatera une surveillance policière plus intensive, plus proactive. C’est ce qui va sans doute se passer. »
                               
19. Israël transforme la feuille de route (road map) en barrage routier (road block) par Marwan Bishara
in The International Herald Tribune (quotidien international) du jeudi 14 août 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Marwan Bishara est professeur de relations internationales à l’Université Américaine de Paris, est l’auteur de l’ouvrage Palestine / Israël : La paix ou l’apartheid aux Ed. La Découverte.)
L’administration Bush, préoccupée par son occupation de l’Irak, s’avérant incapable de démonter l’occupation israélienne des territoires palestiniens, la « feuille de route » moyen-orientale est en train de tourner à ce genre de pétards mouillés qui finissent par donner à la diplomatie internationale une réputation exécrable.
La feuille de route, conçue en Europe pour être une initiative internationale fondée sur une solution à deux Etats au conflit israélo-palestinien, a été imprimée à Washington et mise en pratique dans le contexte de la « guerre anti-terroriste » des Etats-Unis. Ainsi l’on assiste au spectacle d’une administration Bush ignorant royalement les violations flagrantes par Israël de la dite feuille de route – allant même, parfois, jusqu’à l’en féliciter – au prétexte de lutter contre le terrorisme.
La logique de la force, qui est la logique constante d’Israël, a été illustrée par les raids militaires effectués la semaine passée contre Naplouse, tuant et blessant plusieurs Palestiniens. Mardi dernier, les raids ont entraîné deux attentats suicides en représailles – tous deux menés à bien, significativement, par des adolescents palestiniens originaires de Naplouse – dans la ville israélienne de Rosh Haayin et près de la colonie d’Ariel, en Cisjordanie.
Tant qu’Israël mènera sa guerre dans les territoires occupés, l’Autorité palestinienne ne pourra pas sévir contre les factions palestiniennes qui ont signé le cessez-le-feu encore actuellement en vigueur. Pour le nouveau gouvernement palestinien, cela équivaudrait à un suicide politique et cela pourrait même entraîner une guerre civile intra-palestinienne.
Tout autant qu’elle met en danger le cessez-le-feu, l’escalade de la violence constatée cette semaine va encore un peu plus obérer les mesures que les Palestiniens ont prises afin de mettre en application les réformes appelées par la feuille de route, mesures qui ont d’ailleurs, comme on pouvait s’y attendre, été minimisées, dans une large mesure, par l’administration Bush.
Dans la phase I de l’initiative en trois phases, les Palestiniens devaient choisir un nouvel interlocuteur, réformer leur gouvernement et mettre un terme à la violence. Ils ont rempli ces trois objectifs, en dépit de multiples chausse-trappes israéliennes.
La fonction de premier ministre a été instituée, en dépit des objections de Yasser Arafat. Le premier à en être chargé, Mahmoud Abbas, a été louangé tant par Israël que par les responsables américains, qui voyaient en lui un dirigeant attaché au processus de paix et à la démilitarisation de la lutte des Palestiniens pour la liberté. Aujourd’hui, il détient un pouvoir considérable dans l’Autorité palestinienne – pouvoir qu’il a mis à profit afin de mettre en œuvre de nouvelles réformes politiques, comme demandé par la feuille de route.
Au tout premier chef de ces obligations venait la réforme dans les domaines des finances et de la sécurité. Le ministre des finances du cabinet Abbas, Salam Fayad, ancien représentant du Fonds Monétaire International, a réussi à centraliser le budget du gouvernement et il est en train de faire des progrès significatifs dans la transparence et la comptabilité de l’ensemble des transactions officielles et des dépenses de l’Etat. Les officiels de la Banque Mondiale et de l’Onu que j’ai pu rencontrer récemment en Palestine n’avaient que des éloges à formuler au sujet de la réforme financière menée à bien [par Salam Fayad] dans un contexte économique et politique extrêmement délicat.
De même, le nouveau ministre de la sécurité, Muhammad Dahlan – chouchou de l’administration Bush – a centralisé les services sécuritaires au ministère de l’Intérieur. Les Israéliens n’ont eu de cesse de se féliciter d’avoir Dahlan pour interlocuteur.
Parvenir à un cessez-le-feu avec Israël – ce cessez-le-feu que l’on se plaît à désigner de son synonyme arabe de « hudna » - s’avéra plus difficile. Contre toute attente, le gouvernement palestinien parvint à obtenir de toutes les factions palestiniennes qu’elles cessent leurs attaques anti-israéliennes en respectant une trêve de trois mois, afin de garantir le retrait d’Israël, prévu par la feuille de route. Afin de mettre un terme aux « incitations » (à la violence) contre Israël, les Palestiniens sont allés jusqu’à badigeonner les slogans populaires tracés sur les murs de camps de réfugiés plongés dans la déréliction et en état de surchauffe.
De son côté, Israël s’est répandu en bla-bla au sujet de la feuille de route. Bien loin d’agir dans le sens d’un retour à la vie normale pour les Palestiniens, en levant les barrages, en relâchant les restrictions aux déplacements et en mettant définitivement un terme à ses incursions armées, conformément à la feuille de route, Israël a continué à opérer des raids contre les villes palestiniennes et à arrêter des militants palestiniens, les décrétant « terroristes suspects ». Il a, de plus, maintenu plus de 125 barrages sur les routes de Cisjordanie et de Gaza, rendant impossibles les déplacements des personnes et le transport des marchandises.
Plus alarmant pour les Palestiniens est la continuation de l’expansion des colonies israéliennes dans les territoires occupés, qui  représentent pourtant, aux yeux de la feuille de route, la cause de l’instabilité et du conflit. Certes, le gouvernement du Premier ministre Ariel Sharon a démantelé des avant-postes récemment érigés. Mais il a prestement tourné la tête afin de ne pas voir les colons qui y revenaient s’y installer.
En réalité, les dirigeants israéliens et palestiniens voient dans la feuille de route des objectifs contradictoires, qu’ils cherchent les uns comme les autres à obtenir. Les Palestiniens lisent « Etat palestinien indépendant, viable et souverain », et ils considèrent que la frontière de cet Etat correspond à la Ligne verte, d’une longueur de 360 kilomètres, qui symbolise la frontière d’Israël antérieure à 1967. Sharon lit, quant à lui, « frontières provisoires » et « attributs de souveraineté », et il pense à un demi-Etat palestinien sur la moitié de la Cisjordanie et cerné par mille kilomètres de murs et de barrières, qui rejettent à l’extérieur la part du lion de la patrie palestinienne.
Les Etats-Unis autorisent Israël à s’en tirer à très bon compte en créant des faits accomplis de nature à rendre définitif le mini-état palestinien provisoire. Du même coup, Israël est en train de transformer la feuille de route en barrage sur la route de la paix, les co-parrains du plan de paix international protestant tellement mollement qu’ils en sont inaudibles.
Le président George W. Bush entamant une année d’élections, personne ne s’attend à ce que l’Amérique fasse pression sur Israël afin qu’il arrête ses violations et qu’il mette en application la feuille de route. C’est pourquoi les autres membres du quartet, qui ont contribué à la mise au point ce plan de paix – l’Onu, l’Union européenne et la Russie – doivent revenir au cœur du processus avant que l’escalade constatée cette semaine ne s’aggrave et ne se transforme en guerre ouverte.
                                                       
20. Un Mandela palestinien par Cécile Hennion
in L'intelligent - Jeune Afrique du mercredi 6 août 2003 
Alors que sa détention prolongée en Israël aurait dû mettre fin à sa carrière politique, le chef du Fatah en Cisjordanie continue de jouer un rôle clé au sein de la résistance. Portrait du successeur potentiel de Yasser Arafat.
C'est à partir de sa cellule que Marwane Barghouti a mené, avec l'aide de son avocat, des négociations secrètes avec les membres de la branche syrienne du Hamas afin de convaincre l'organisation islamiste de suspendre ses opérations contre l'occupation israélienne. Ces négociations, engagées avec l'accord tacite des autorités israéliennes et en coordination avec le Premier ministre palestinien Mahmoud Abbas, ont contribué à l'acceptation de la houdna (« cessez-le-feu ») par les groupes armés palestiniens.
Le chef du Fatah en Cisjordanie n'a pas fini de prouver son ascendant sur les combattants palestiniens. Le quotidien israélien Ha'aretz a affirmé, le 7 juillet, que seuls 10 % des activistes palestiniens soutiennent le Premier ministre Mahmoud Abbas, tandis qu'ils sont bien plus nombreux à être loyaux envers le tonitruant leader de l'Intifada, qui est même devenu, selon le journal, plus populaire qu'Arafat. Les responsables israéliens, qui n'ignorent pas l'influence grandissante de Barghouti, affirment que les conditions de sa libération ne sont pas encore réunies. Avec les lourdes charges qu'ils portent contre lui, ils auraient du mal à justifier son élargissement par de simples raisons de Realpolitik.
« Meurtre avec préméditation, complicité de meurtre, incitation au meurtre et tentative de meurtre » : Marwane Barghouti, 43 ans, député palestinien, est accusé par Israël d'avoir « dirigé, organisé, encouragé et participé à des actions terroristes [...] causant intentionnellement la mort de centaines d'Israéliens ». À ce réquisitoire, présenté à l'ouverture du procès, le 5 septembre 2002 à la Cour civile de Tel-Aviv, succède, le 3 octobre suivant, le plaidoyer du chef de l'Intifada. À la barre, menotté et vêtu de la longue chemise brune des prisonniers, Barghouti énumère, « au nom de son peuple », les cinquante-quatre chefs d'inculpation dont il accable l'État hébreu : « Génocide, crimes contre l'humanité, crimes de guerre et apartheid », Israël s'est rendu coupable « d'assassinats ciblés, de la mort de civils, d'expropriations systématiques, de destructions de biens et de logements, d'actes de terrorisme envers les Palestiniens », en pratiquant punitions collectives, représailles, etc. Rejetant toute implication dans des attentats et réaffirmant que la « paix passe par deux États », le leader palestinien s'adresse ensuite à l'auditoire : « Je ne suis pas jugé pour terrorisme [...], mais parce que je me bats pour ma liberté, la liberté de mes enfants, la liberté du peuple palestinien tout entier. Et si c'est un crime, je plaide coupable. »
« Assassin ! », « Terroriste ! », « Vampire ! » lancent les parents de victimes en brandissant les portraits de leurs enfants disparus. Bousculades dans les couloirs, émeutes devant le tribunal... La police intervient : Israéliens et Palestiniens assisteront aux débats dans deux salles séparées. Ce procès est à l'image des négociations israélo-palestiniennes actuelles : un dialogue de sourds. D'un côté, on veut « juger l'Intifada », de l'autre « instruire le procès de l'occupation israélienne ». Les parties ne s'accordent que sur un point : ce procès sera « politique » et ses répercussions dépasseront largement le sort de l'accusé.
Marwane Barghouti, lui, dénie toute compétence à la justice israélienne pour le juger et a décidé de parler seul pour sa défense. Seul, mais entouré d'une légion d'organisations des droits de l'homme et d'avocats arabes, européens, israéliens venus le soutenir et le conseiller, pour le motif qu'« Israël a violé les accords d'Oslo en arrêtant, dans un territoire sur lequel il n'a pas juridiction, quelqu'un qui n'est pas un de ses ressortissants, protégé par l'immunité parlementaire de surcroît ». Parmi eux, l'avocat israélien ultraorthodoxe Shamaï Leibowitz (le fils du célèbre philosophe) a osé le comparer - scandale ! - à « Moïse, notre prophète, qui, pour la liberté de son peuple, a exercé la violence contre les Égyptiens ».
Ce procès devait être pour le gouvernement Sharon l'occasion de prouver l'implication du leadership palestinien dans le terrorisme. Mais face au tapage médiatique, certains commencent à se demander si l'État hébreu n'est pas, malgré lui, en train de fabriquer un Nelson Mandela palestinien... À l'heure où la détention aurait dû mettre un terme à sa carrière, le leader le plus populaire de l'Intifada n'a pas fini de faire parler de lui, et de soulever la controverse... Portrait.
Marwane Barghouti ne correspond pas à l'image que l'on peut se faire de l'« ennemi numéro un d'Israël ». Ni du héros de l'Intifada adulé par ses troupes. Petit, moustachu, un tantinet grassouillet, on l'imagine plus volontiers derrière le comptoir d'une épicerie que sur les barricades à jouer les sans-culottes. Au style militaire d'Arafat, il oppose le look décontracté - blue-jeans et polos - du Palestinien moyen de Ramallah. « Un Palestinien ordinaire, se décrit lui-même l'intéressé, qui réclame ce que toute personne opprimée réclame : le droit à me défendre en l'absence de toute aide extérieure. » Un credo exprimé en termes simples et sans équivoque, répété avec fougue dans les meetings politiques, les interviews, les manifestations, les funérailles... ou au petit café de la place Manara, autour d'une assiette de foul.
Cet homme qui sait parler à la rue est ainsi devenu le symbole de cette seconde Intifada, le « Napoléon du Fatah », le fils préféré des petits vieux et le grand frère rêvé des chebab. Son bagout lui a valu jusqu'à la sympathie de ses geôliers israéliens : « Nous avons de très bons rapports avec lui, a déclaré l'un d'entre eux. C'est un prisonnier très agréable, qui passe son temps à plaisanter ! » Si, sous couvert d'anonymat, quelques jaloux au sein de l'Autorité dénoncent « des discours populistes, au service d'ambitions personnelles », un officier israélien estime au contraire que Barghouti « n'est pas un idéologue. Il tire sa légitimité de sa parfaite connaissance de la génération née après la guerre des Six Jours ».
Dans l'establishment israélien, on a un temps regardé avec bienveillance ce petit homme prompt à dénoncer une Autorité corrompue et déficitaire en libertés démocratiques. Et, atout non négligeable, qui parle hébreu « comme père et mère »... Au début de l'Intifada, la gauche israélienne le considérait comme l'emblème d'une nouvelle génération délivrée du poids archaïque des fedayine entourant Arafat. Même à droite, le ministre likoudnik de la Justice Meir Shetreet déclarait à cette époque à des parlementaires européens : « Je crois que nous ne nous entendrons jamais avec Arafat. Nous devons trouver des responsables palestiniens modérés, avec lesquels initier un dialogue. [...] Marwane Barghouti, par exemple. » Quelques mois plus tard, le même Shetreet évoquait le souvenir d'une rencontre particulièrement orageuse avec une délégation palestinienne en Italie, après laquelle Barghouti avait frappé à sa chambre d'hôtel et était resté bavarder jusqu'à 4 heures du matin : « Nous étions bons amis alors... Hélas ! cet ami se comporte maintenant en terroriste. »
Comment expliquer une évolution - de la vision israélienne ou de Barghouti, selon les points de vue - aussi radicale ? Les coups de gueule du leader palestinien à l'encontre de la politique israélienne ne datent pourtant pas d'hier. Le Shin Beth collectionne les rapports sur cet agitateur depuis qu'il est adolescent. Signe d'un destin inscrit dans la lutte de libération nationale, Marwane Hassib Hussein Barghouti est né le 6 juin 1959, huit ans, jour pour jour, avant le déclenchement de la guerre des Six Jours. Il ressassera ainsi, à chacun de ses anniversaires, la cuisante défaite arabe. L'environnement familial, marqué par l'influence du Parti communiste palestinien, n'est sans doute pas non plus étranger à son engagement précoce. Il rejoint les rangs du Fatah - le mouvement créé par Arafat et alors interdit - à 16 ans, mais c'est en 1976 que les Palestiniens le découvrent, lorsqu'il participe à la campagne pour les élections municipales à Gaza et en Cisjordanie. Des activités qui lui valent six ans de réclusion dans les geôles israéliennes, période dont il profite pour apprendre l'hébreu. C'est également pendant ces années de prison qu'il épouse une avocate blonde du nom de Fadwa.
L'épreuve de la détention et, bientôt, ses nouvelles fonctions de père de famille n'entament en rien sa détermination. À sa libération, il s'inscrit à l'université de Bir Zeit. Il découvre les mémoires de De Gaulle, dont il est vite un lecteur passionné. Et partage son temps entre des études de sciences politiques et de relations internationales (il consacre sa thèse aux relations franco-palestiniennes) et un militantisme toujours plus affirmé. De meneur de manifestations estudiantines et fondateur de la Chabiba (un mouvement de jeunesse allié au Fatah), il devient stratège de la première Intifada. Banni des Territoires en 1987, il fait le lien entre l'OLP exilée à Tunis et les mouvements de Cisjordanie via Amman, et, finalement, est élu au Conseil révolutionnaire du Fatah, dont il est, à 28 ans, le plus jeune membre. De retour dans les Territoires après la signature des accords d'Oslo, il devient secrétaire du Fatah pour la Cisjordanie avant d'être élu haut la main, en 1996, au Conseil législatif palestinien (CLP).
Fervent partisan d'Oslo, il oeuvre alors avec énergie en faveur d'un rapprochement israélo-palestinien, organisant des rencontres entre parlementaires, intellectuels et professeurs des deux camps. Un ambassadeur de la paix, certes, mais qui n'abandonne pas ses chevaux de bataille : la fin de la colonisation qui gangrène les Territoires et la libération des prisonniers politiques embastillés en Israël - dont deux de ses cousins, Fakhri et Naël, depuis vingt-quatre ans. En parallèle avec le dialogue israélo-palestinien, il prône la résistance populaire sous toutes ses formes : désobéissance civile, jets de pierres et marches de protestation. « Longtemps, les Palestiniens ont cru que la lutte armée était la solution, explique-t-il alors. C'était une erreur. D'autres moyens sont nécessaires, comme la lutte civile, qui permet de rallier des dizaines de milliers de militants supplémentaires. »
Sous le gouvernement d'Ehoud Barak, son ton se fait plus amer, et, lors des négociations de Camp David en juillet 2000, il s'oppose farouchement à la conclusion d'un accord. En septembre suivant, lorsque Sharon annonce sa « visite » sur l'esplanade des Mosquées, Barghouti sonne la mobilisation de ses troupes, qu'il aurait souhaitée plus massive : « Être présent sur l'esplanade des Mosquées était bien le minimum pour un patriote palestinien. Je regrette qu'au moment de l'arrivée de Sharon il n'y ait pas eu plus de deux ou trois députés palestiniens présents, alors qu'il y avait là dix députés arabes de la Knesset. » Avec la poursuite des pourparlers à Taba, les négociateurs palestiniens le pressent de baisser le ton : « Ramène le calme chez les manifestants... S'il te plaît, c'est Clinton qui le demande. » Cet argument n'est, de toute évidence, pas convaincant : « Clinton ou un autre, ça m'est égal ! Si les Israéliens cessent leurs actions répressives, on arrête les manifestations. Sinon, hors de question de se soumettre ! »
Barghouti n'est pas opposé à la négociation, mais veut « maintenir la pression ». Dans une interview donnée au quotidien israélien Ma'ariv, il explique : « Israël ne veut pas mettre fin à l'occupation, ni à la colonisation. Pour l'y contraindre, il n'y a que la force. [...] Cela est une Intifada pour la paix. Je suis sérieux, elle mènera à la paix. Mais nous devons encore durcir le combat. Cela sera dur. Beaucoup d'entre nous seront tués, mais il n'y a pas d'autre choix. Chacun de nous est prêt à se sacrifier. »
Derrière cette radicalisation, une grande désillusion. Pour Barghouti, en effet, « Oslo est mort avec Itzhak Rabin », et l'élection d'Ariel Sharon au poste de Premier ministre, en février 2001, n'est qu'une péripétie : « Sharon, Barak ou Pérès, cela n'a aucune importance. Sharon est la dernière "cartouche" des Israéliens. Qu'ils s'en servent, ils réaliseront alors qu'ils n'ont d'autre choix que de quitter notre terre. »
De l'autre côté de la Ligne verte, son changement de ton n'est pas passé inaperçu et les critiques fusent, notamment de la part de ses ex-« amis » qui l'accusent, comme Yossi Beilin, de faire « grand tort » au camp israélien de la paix. Dans le cercle des décideurs, en revanche, on observe son ascension avec intérêt. L'obstination de Marwane Barghouti à passer outre aux limites posées par Arafat et sa popularité croissante dans les Territoires font de lui, de facto, le plus sérieux rival du vieux leader palestinien. Dès octobre 2000, un officier des renseignements israéliens, Yossi Kupperwasser, estimait que Barghouti pourrait bien utiliser la confrontation violente avec Israël pour étendre son influence politique et ainsi concurrencer Arafat. Selon le quotidien israélien Ha'aretz, le Shin Beth adhère aujourd'hui à cette analyse. Une thèse partagée par l'universitaire palestinien Khalil Shikaki : l'Intifada, d'après lui, n'est pas seulement une réaction à l'échec du processus de paix et à la visite de Sharon sur l'esplanade des Mosquées. Elle est aussi une révolte interne contre la vieille garde incapable d'obtenir l'indépendance et de gérer les affaires publiques dans la transparence.
Reste à savoir, pour les Israéliens, quelles conclusions en tirer... et, surtout, lequel, d'Arafat ou de Barghouti, sera le plus fort. Certains refusent l'éventualité d'avoir à négocier avec Barghouti et sa cohorte d'amis qui ont du « sang israélien sur les mains ». D'autres, en revanche, pensent qu'il ferait un bon interlocuteur en matière de sécurité. Même après le 23 septembre 2001, date à laquelle Israël lance un mandat d'arrêt contre lui, des sources sécuritaires inspirent des articles dans la presse israélienne, suggérant de le ménager : il pourrait tout de même être un interlocuteur pour l'avenir. Sa disparition et son silence, de la mi-mars à son arrestation le 15 avril 2002 (voir J.A.I. n° 2154), alimenteront d'ailleurs les spéculations les plus diverses.
En attendant, il faut calmer les ardeurs du turbulent Palestinien. Le meilleur moyen de le rendre moins disponible pour l'Intifada n'est-il pas de le titiller sur sa sécurité personnelle ? En décembre 2001, quinze soldats de Tsahal envahissent le domicile familial des Barghouti, dans le quartier confortable d'el-Tirah, à Ramallah. « Opération strictement militaire. Nous n'avons pas l'intention d'arrêter Marwane Barghouti, mais nous allons cohabiter quelques jours », explique l'officier à Fadwa. Le principal intéressé est absent, mais ses quatre enfants supporteront mal cette encombrante intrusion de militaires armés qui photographient jusqu'aux casseroles sur l'évier, squattent les chambres, installent un M16 dans le salon... et suspendent l'étendard israélien à la rampe du balcon. Premiers pas de Ruba, la fille de Barghouti, âgée de 11 ans, dans la résistance : le drapeau ira voltiger dans le caniveau. La presse n'est pas autorisée à parler à la famille assiégée, mais couvre largement l'événement.
Voulue ou non, l'importance croissante que prend celui qui prône la poursuite de l'Intifada agace Israël. « Mais pourquoi, vous journalistes, êtes-vous tellement obsédés par cet homme ? » répondent invariablement les politiques israéliens quand on les interroge sur Marwane Barghouti. Son franc-parler et sa disponibilité - avant d'entrer dans la clandestinité, il donnait presque une interview par jour, y compris à la télévision israélienne - ont aidé à faire de lui le chouchou des médias. Mais ses qualités de communicateur n'expliquent pas tout : qui, avant cette Intifada, avait entendu parler du leader du Fatah pour la Cisjordanie ?
En fait, il doit en grande partie sa formidable promotion médiatique aux services de renseignements israéliens, qui lui ont collé, dès le début de l'Intifada, l'étiquette aussi mystérieuse qu'inquiétante de « chef des Tanzim ». « Une invention absurde, pour faire croire qu'il existe une milice armée au sein du Fatah, avait rétorqué Barghouti. Tanzim, mot arabe signifiant "organisation", n'a jamais désigné autre chose, dans notre jargon, que le Fatah lui-même. » Courtisé par la presse, le « chef des Tanzim » a disposé d'un réseau efficace pour transmettre ses idées. Et lorsqu'en janvier 2002 il a senti l'étau israélien se resserrer sur lui, il a vu les colonnes du Washington Post s'ouvrir à lui : « Je ne suis pas un terroriste, mais pas non plus un pacifiste, écrit-il alors. [...] Je ne cherche pas à détruire Israël, mais seulement à mettre fin à l'occupation de mon pays. »
Terroriste, Barghouti ? Les chefs d'accusation qui pèsent aujourd'hui contre lui sont parmi les plus graves jamais portés devant la Cour de justice israélienne. Il est, selon Tel-Aviv, le cerveau des Brigades des martyrs d'el-Aqsa, les groupuscules armés liés théoriquement au Fatah, responsables de nombreux attentats en Israël. Sous ses ordres, son neveu Ahmed Barghouti, dit « el-Franci », et Nasser Awis, un activiste du Fatah à Naplouse, auraient organisé une douzaine d'attaques, dont plusieurs opérations suicide. Les « preuves » consistent principalement en un fax, signé d'Arafat, allouant 350 dollars à chacun d'une douzaine d'activistes sur la demande d'Abou el-Qassem (nom de guerre de Barghouti), et d'un communiqué en date du 1er avril 2002, signé des Brigades. On y lit : « Les récents événements ont montré que les Brigades des martyrs d'el-Aqsa, sous le commandement héroïque de Marwane Barghouti, résistent presque seules à l'ennemi. [...] Suivant les traces d'Abou Ammar, il est l'incarnation du leader que toute la jeunesse palestinienne attendait. » Des documents impossibles à authentifier et des accusations « sans aucun fondement », rétorque l'Autorité palestinienne, d'autant qu'« el-Aqsa est constitué de petites cellules qui se sont créées de façon autonome dans la région. Il n'y a pas de commandement central. »
Barghouti n'a jamais nié travailler avec des organisations considérées comme « terroristes » par Israël, mais dément avoir jamais commandité une attaque à l'intérieur de l'État hébreu. « Il y a une coordination sur le plan politique et dans le cadre de certaines actions de l'Intifada, nous confiait-il fin décembre 2001, mais il n'y a pas d'opérations militaires concertées. » Après l'appel d'Arafat, le 16 décembre 2001, à arrêter toute opération armée sur le territoire israélien, il joue d'ailleurs un rôle de modérateur en contactant les chefs de mouvements islamistes en Syrie et les responsables locaux des Brigades d'el-Aqsa, afin de donner une chance à la trêve réclamée par la communauté internationale. Il annonce alors à la radio de l'armée israélienne : « Il y a maintenant un consensus général de toutes les factions et de tous les partis - dont le Hamas, le Djihad, le Front populaire de libération de la Palestine [FPLP] et le Front démocratique pour la libération de la Palestine [FDLP], le Fatah - sur l'établissement de la souveraineté d'un État palestinien dans les frontières de 1967. » De fait, pendant plus de trois semaines, les violences cessent.
Le 14 janvier 2002, Raed Karmi, le chef des Brigades d'el-Aqsa, est assassiné par Tsahal. De toute évidence, l'élimination de Karmi, alors que la trêve avait été respectée pendant trois semaines par les Palestiniens, marque un tournant dans la vision du conflit chez Barghouti. « Sharon nous a coupé l'herbe sous le pied ! Karmi était capable de maintenir le calme dans son secteur [Tulkarem]. Sharon a tué celui qui pouvait mettre un frein à la violence. » Israël devra en payer le prix : la réponse des Brigades d'el-Aqsa est rapide et meurtrière, à coups d'attentats à Jérusalem-Ouest.
« Sans être le commanditaire des violences, Barghouti savait que des attentats allaient être perpétrés à l'intérieur de l'État hébreu, estime Georges Malbrunot, le correspondant de RFI à Jérusalem. Il y était jusque-là opposé. Mais il ne fit rien pour les en empêcher, comme il le confiera lui-même à un diplomate européen, peu de temps après. [...] La base sait capter les messages codés transmis par la direction. Quand, à la suite d'une opération militaire, Marwane Barghouti affirme : "S'il n'y a pas de sécurité à Ramallah, il n'y en aura pas à Tel-Aviv", c'est un feu vert à l'adresse des Brigades d'el-Aqsa. »
Les menaces du leader de l'Intifada s'intensifient encore après les incursions israéliennes dans les camps de Jénine et de Balata : « Nous allons agir n'importe où, dans les Territoires palestiniens et en dehors. » Le surlendemain, 2 mars, une voiture piégée explose à l'entrée du quartier ultraorthodoxe de Mea Shearim, à Jérusalem, tuant neuf Israéliens. L'attaque est revendiquée par les Brigades d'el-Aqsa.
Cette fois, c'en est trop. Des menaces verbales, Israël passe aux actes. Le 5 mars, une roquette pulvérise la voiture du garde du corps de Marwane Barghouti. L'armée ne visait-elle pas Barghouti en personne ? Ce dernier en est convaincu. De leur côté, les responsables israéliens jurent en choeur qu'il n'a jamais été question d'éliminer physiquement le député palestinien. Quoi qu'il en soit, l'avertissement est sévère : Barghouti disparaît dans la nature. Il sera finalement appréhendé par une unité d'élite, le 15 avril, au domicile de son ami et proche collaborateur Ziyad Abou Aïn, non loin de la Muqata'a à Ramallah. Il a commis l'erreur d'appeler ses proches depuis son téléphone portable. Sharon crie victoire.
En Israël, les réactions sont diverses. Yossi Beilin prévient que cette arrestation risque de mettre le feu aux poudres et appelle Israël à « relâcher Barghouti de sa propre initiative et rapidement ». Pour Effi Eitam, ministre d'extrême droite, mieux aurait valu « l'amener dans un champ et lui coller deux balles dans la nuque ». Plus généralement, les Israéliens considèrent que cette prise est un succès.
Ici aurait dû prendre fin le parcours du leader charismatique de l'Intifada. C'était sans compter avec l'aura de Marwane Barghouti. Depuis qu'il est en prison, on n'a jamais autant spéculé sur ses chances de succéder à Arafat. De hautes personnalités israéliennes promettent un bel avenir politique à leur prisonnier. L'ancien ministre des Affaires étrangères Shimon Pérès déclarait ainsi, le 28 mai, que « Marwane Barghouti serait probablement le successeur d'Arafat ». L'ex-ambassadeur d'Israël en France Elie Barnavi estimait dans nos colonnes (voir J.A.I. n° 2162) « qu'un jour ou l'autre il deviendra Premier ministre de son pays ». Autant de déclarations qui laissent à penser qu'un come-back politique de Barghouti n'est pas inconcevable pour les Israéliens. Mais quid des Palestiniens ?
Pour l'avocat français d'origine palestinienne Jamil Youness, qui s'est joint aux conseillers juridiques de Barghouti pour son procès, la popularité du leader palestinien n'a pas été entamée. Des sondages en octobre dernier ont néanmoins montré qu'ils seraient peu à voter pour lui s'il se présentait à de futures élections. Officiellement, l'intéressé a maintes fois répété qu'il ne serait pas candidat à la succession d'Arafat et que, le jour où régnera la paix, il « quittera la politique ». Des voeux pieux, selon ses rivaux potentiels, dont certains seraient, dit-on, soulagés, pour ne pas dire satisfaits, de le savoir sous les verrous.
Au sein de l'Autorité, tous n'ont pas apprécié les critiques de Barghouti à l'encontre de ceux qui, dans la direction palestinienne, n'ont « pas de sympathie pour l'Intifada par peur de perdre leurs privilèges ». Ni sa vieille habitude de fustiger la corruption et le déficit démocratique des institutions palestiniennes. De 1997 à 1999, des marches de protestation qu'il avait organisées à Ramallah ont même dégénéré en affrontements avec les forces de sécurité.
D'autres assurent que, malgré tout, le chef du Fatah pour la Cisjordanie est resté « le fidèle parmi les fidèles » de Yasser Arafat. Quant à Barghouti, il s'est toujours présenté comme le « partenaire » du président de l'Autorité, mais qui « ne reçoit d'ordres de personne ».
Il ne s'est en tout cas jamais privé d'exprimer bruyamment ses désaccords avec le raïs. Lorsque, à l'hiver 2001, ce dernier faisait arrêter des activistes du FPLP, Barghouti battait le pavé avec les militants venus manifester à coups de kalachnikovs vers le ciel : « Ces hommes sont des combattants de la liberté, je suis totalement opposé à ces arrestations. »
Malgré tout, nous affirmait-il peu après, « je vois Arafat au moins deux fois par jour et nos relations restent bonnes. Je vais vous le prouver... Vous voulez l'interviewer ? Pas de problème, je vous arrange ça pour ce soir. » Un éclair de malice dans les yeux, il s'éloigne un instant avec son portable. Avant de revenir : « Ouais, il est trop occupé... » Le ton n'est pas convaincant. Étant donné ses fonctions de député, et sa popularité, Barghouti ajoutait que, de toute façon, il serait bien délicat pour Arafat de mettre fin à ses activités.
Pour le vieux leader, le dynamique Barghouti était un lieutenant indispensable. Fin connaisseur du terrain, proche de la « base », il servait surtout d'interface avec ses principaux opposants, les islamistes. Barghouti expliquait lui-même que sa mission au Fatah consistait à « être le protecteur de l'Autorité palestinienne face aux islamistes, et le protecteur des islamistes face à l'Autorité ».
Un tel positionnement est inspiré par des considérations pragmatiques : « Nous devons rester unis jusqu'à l'établissement de notre État. À ce moment-là, tous les partis politiques participeront aux élections et devront accepter le verdict des urnes. »
Arafat n'aura de cesse d'essayer de limiter les élans de ce poulain indomptable. Exercice périlleux qui le conduira à flanquer Barghouti de l'un des siens, Hussein el-Cheikh, nommé chef du Haut Comité du Fatah en 2000. Sur quels réseaux pourrait s'appuyer Marwane Barghouti en cas de retour à la vie politique ? La « rue », bien sûr, au moins en Cisjordanie, mais aussi « la base » du mouvement national palestinien, dont une part importante a participé à la première Intifada avant d'être exclue des institutions au profit des « Tunisiens », revenus avec Arafat lors de l'instauration du régime d'autonomie en 1994. Quid des factions « dures » ? Barghouti a sans aucun doute appris à dialoguer avec elles.
Il n'empêche qu'en privé quelques-uns s'avouent déçus « par la génération d'Arafat comme par la nouvelle ». « Où était Barghouti quand les tanks sont entrés ? » s'indignait le chef des Brigades d'el-Aqsa du camp d'el-Amari, à un journaliste du Times. « Si vous voulez être leader, vous devez résister dans toutes les situations. » Que dira-t-il en cas d'une libération anticipée - forcément suspecte - de Barghouti ? Si ce dernier pouvait désobéir à Arafat, bien d'autres seraient prêts, à leur tour, à désobéir à Barghouti, tant les rivalités sont nombreuses entre groupes palestiniens urbains, ruraux et des camps de réfugiés. Reste que s'il déplaît à certains « durs » et à une partie de l'Autorité palestinienne, Marwane Barghouti continue à incarner l'opinion d'une majorité. « Marwane représente la tendance au sein du peuple palestinien qui pense que l'objectif ultime de l'Intifada est de mettre fin à l'occupation, pas plus », dit de lui le journaliste et politologue palestinien Ghassan Khatib : « Si les Israéliens veulent faire la paix avec les Palestiniens, ils devront aussi faire la paix avec Marwane Barghouti. »
                                       
21. L'Orientalisme, 25 ans plus tard par Edward W. Said
in CounterPunch du lundi 4 août 2003
[traduit de l'anglais par Olivier Roy]

L'Humanisme à l'échelle mondiale, contre les Bâtisseurs d'empires.
Il y a neuf ans, j'ai écrit une postface pour L'Orientalisme qui, en essayant de clarifier ce que je croyais avoir dit et ne pas avoir dit, faisait non seulement ressortir les nombreux débats qui sont apparus depuis la parution de mon livre en 1978, mais aussi ce qui a fait qu'un ouvrage sur les représentations de «l'Orient» donne lieu à des fausses interprétations croissantes. Que je me sente aujourd'hui plus ironique qu'irrité devant ce sujet est un signe que j'ai vieilli sans m'en rendre compte. La mort récente de mes deux principaux mentors intellectuels, politiques et personnels, Eqbal Ahmad [1] et Ibrahim Abu Lughod [2], a provoqué un sentiment de tristesse et de perte tout autant que de résignation et un certain entêtement à poursuivre.
Dans mes mémoires «À Contre-Voie» (1999), j'ai décrit les mondes étranges et contradictoires dans lesquels j'ai grandi, fournissant à moi-même et à mes lecteurs un récit détaillé des situations, en Palestine, en Égypte et au Liban qui, d'après moi, ont contribué à faire de moi celui que je suis. C'était cependant un récit tout à fait personnel qui ne faisait pas mention de mes engagements politiques, qui ont commencé après la guerre israélo-arabe de 1967.
«L'Orientalisme» est vraiment un livre lié à la dynamique tumultueuse de l'histoire contemporaine. Sa première page s'ouvre sur une description de 1975 de la Guerre Civile libanaise qui s'est terminée en 1990, mais la violence et l'horrible effusion de sang humain se poursuivent encore aujourd'hui. Nous avons eu l'échec du processus de paix d'Oslo, l'éclatement de la seconde Intifada et les souffrances effrayantes des Palestiniens en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza réoccupées. Le phénomène des attentats suicides est apparu avec tous ses dommages hideux, aucun n'étant bien sûr plus sinistre et apocalyptique que les événements du 11 septembre 2001 et leurs suites dans les guerres contre l'Afghanistan et l'Irak. Pendant que j'écris ces lignes, l'illégale occupation impériale de l'Irak par la Grande-Bretagne et les États-Unis se poursuit. Ses répercussions sont réellement horribles à observer. Cela fait entièrement partie de ce qui est supposé être un choc des civilisations, sans fin, implacable et irrémédiable. Quoi qu'il en soit, je n'y crois pas.
Je souhaiterais pouvoir dire que la compréhension générale du Moyen-Orient, des Arabes et de l'Islam aux États-Unis s'est améliorée quelque peu, mais hélas, ce n'est pas du tout le cas. Pour toutes sortes de raisons, la situation en Europe semble être considérablement meilleure. Aux États-Unis, le durcissement des attitudes, l'emprise des généralisations réductrices et des clichés triomphalistes, la domination de la puissance brute alliée à un mépris simpliste face aux dissidents et aux «autres», a trouvé une corrélation appropriée dans le pillage et la destruction des bibliothèques et musées irakiens. Ce que nos dirigeants et leurs laquais semblent incapables de comprendre est que l'histoire ne peut être effacée, tel un tableau noir, pour que «nous» puissions y écrire notre propre futur et imposer nos propres visions de la vie à ces êtres inférieurs afin qu'ils les suivent. Il est plutôt commun d'entendre de hauts officiels, à Washington et ailleurs, parler de redessiner la carte du Moyen-Orient, comme si des sociétés anciennes et des myriades de peuples pouvaient être brassées comme des bonbons dans une jarre, ce qui est souvent arrivé avec l'«Orient», cette conception semi-mythique qui, depuis l'invasion de l'Égypte par Napoléon à la fin du 18ème siècle, a été construite et reconstruite maintes fois. Dans ce processus, les innombrables sédiments de l'histoire, formée par d'innombrables histoires et une variété vertigineuse de peuples, de langues, d'expériences et de cultures, sont écartés ou ignorés, relégués aux oubliettes avec les trésors réduits en fragments insignifiants qui ont été emportés hors de Bagdad.
Mon argument est que l'histoire est faite par les hommes et les femmes, de la même façon qu'elle peut être détruite ou réécrite pour que «notre» Est, «notre» Orient, devienne «nôtre» à posséder et diriger. J'ai en très haute estime les pouvoirs et les dons qu'ont les peuples de cette région à lutter pour leur vision de ce qu'ils sont et de ce qu'ils veulent être. Il y a eu une attaque si massive et délibérément agressive à l'encontre des sociétés arabes et musulmanes contemporaines, pour leur arriération, leur manque de démocratie et l'abrogation des droits des femmes, que nous avons simplement oublié que des notions telles que la modernité, les Lumières et la démocratie ne sont en aucun cas des concepts simples et consensuels que nous trouvons ou ne trouvons pas, comme des œufs de Pâques dans le salon. L'insouciance ahurissante de publicistes fades qui parlent au nom de la politique étrangère et qui n'ont aucune connaissance du langage utilisé par les gens ordinaires a fabriqué un paysage désolé, fin prêt pour que la puissance états-unienne y édifie un ersatz de «démocratie» de marché libre. Nul besoin de l'arabe, du perse ni même du français pour faire l'important en affirmant que l'effet domino de la démocratie est exactement ce dont le monde arabe a besoin.
Par contre, il y a une différence entre la connaissance des autres peuples et des autres temps, qui est le résultat de la compréhension, de la compassion, de l'étude et de l'analyse attentives dans leurs propres intérêts, et la connaissance qui fait partie d'une campagne d'affirmation de soi-même. Il y a, après tout, une profonde différence entre la volonté de comprendre dans un but de coexistence et d'élargir ses horizons, et la volonté de dominer dans le but de contrôler. Qu'une guerre impériale conçue par un petit groupe d'officiels états-uniens non élus ait été menée contre une dictature dévastée du Tiers monde, sur des bases entièrement idéologiques ayant à voir avec la domination du monde, le contrôle de la sécurité et des ressources peu abondantes, mais déguisée, accélérée et raisonnée par des Orientalistes qui ont trahi leur titre d'érudit, est indéniablement une des catastrophes intellectuelles de l'histoire.
Les principaux hommes d'influence auprès du Pentagone et du Conseil National de Sécurité de George W. Bush ont été des individus comme Bernard Lewis et Fouad Ajami, des experts des mondes arabe et musulman qui aident les faucons états-uniens à réfléchir à ces sujets si absurdes que sont l'esprit arabe et le déclin séculaire de l'Islam, que seule la puissance états-unienne peut renverser. Aujourd'hui, les tablettes des librairies aux États-Unis sont couvertes de harangues mesquines faites de grands titres tapageurs au sujet du lien entre l'Islam et le terrorisme, de l'Islam mis à découvert, des menaces arabe et musulmane, toutes écrites par des polémistes politiques prétendant comme d'autres avoir hérité leur savoir d'experts qui auraient pénétré au cœur de ces étranges peuples orientaux. En compagnie d'une telle expertise belliciste, il y a CNN et Fox, sans compter une myriade d'animateurs de radio évangélistes et de droite, d'innombrables tabloïdes et journaux ordinaires, recyclant tous les mêmes fictions invérifiables et généralisations vagues pour exciter l'«Amérique» contre le démon étranger.
Sans la perception structurée voulant que ces gens là-bas n'étaient pas comme «nous» et qu'ils n'appréciaient pas «nos» valeurs - le cœur du traditionnel dogme orientaliste - il n'y aurait pas eu de guerre. Ainsi, du même conseil de savants professionnels rémunérés engagés par les conquérants hollandais de la Malaisie et de l'Indonésie, par les armées britanniques en Inde, en Mésopotamie, en Égypte, en Afrique de l'Ouest, par les armées françaises en Indochine et en Afrique du Nord, sont issus les conseillers états-uniens du Pentagone et de la Maison Blanche, employant les mêmes clichés, les mêmes stéréotypes méprisants, les mêmes justifications de la puissance et de la violence (après tout, entonne le chœur, la puissance est le seul langage qu'ils comprennent) dans ce cas comme dans les précédents. Ces individus ont maintenant été joints en Irak par une armée entière d'entrepreneurs privés et avides à qui tout doit être confié, de l'écriture des livres d'écoles et de la constitution jusqu'au remodelage de la vie politique irakienne et de son industrie pétrolière.
Chaque empire, dans son discours officiel, affirme qu'il n'est pas comme les autres, que les circonstances qui l'entourent sont particulières, qu'il a une mission pour éclairer, civiliser, apporter l'ordre et la démocratie et qu'il n'emploie la force qu'en dernier recours. De plus, ce qui est encore plus attristant, il y a toujours un chœur d'intellectuels bien disposés pour dire des mots apaisants sur les empires bénins ou altruistes.
Vingt-cinq années après la publication de mon essai, «L'Orientalisme» soulève encore la question de savoir si l'impérialisme moderne a pris fin ou s'il s'est poursuivi en Orient depuis l'entrée de Napoléon en Égypte il y a deux siècles. Les Arabes et les Musulmans se font dire que la victimisation et l'insistance sur les déprédations par l'empire n'est qu'une façon d'échapper aux responsabilités présentes. Vous avez échoué, vous faites fausse route, disent les Orientalistes modernes. Cela est aussi la contribution de V.S. Naipaul à la littérature, que les victimes de l'empire se lamentent pendant que leur pays périclite. Quel calcul superficiel de l'intrusion impériale est-ce là, combien peu cela souhaite faire face aux longues successions d'années au cours desquelles l'empire a continué de faire son chemin dans les vies des Palestiniens ou des Congolais ou des Algériens ou des Irakiens. Réfléchissons à cette ligne qui débute avec Napoléon, se poursuit dans la croissance des études orientales et la prise de l'Afrique du Nord et continue dans des conquêtes similaires au Vietnam, en Égypte, en Palestine et, tout au cours du 20ème siècle, dans la lutte pour le pétrole et le contrôle stratégique dans le Golfe, en Irak, en Syrie, en Palestine et en Afghanistan. Puis réfléchissons à l'émergence du nationalisme anti-colonial, de la brève période d'indépendance libérale à l'ère des coups militaires, des insurrections, des guerres civiles, du fanatisme religieux, du combat irrationnel et de la brutalité intransigeante contre le dernier groupe de «natifs». Toutes ces phases et ères produisent leur propre savoir déformé de l'autre, leurs propres images réductrices, leurs propres polémiques douteuses.
Mon idée dans «L'Orientalisme» est d'employer la critique humaniste pour étendre les terrains de lutte, d'introduire un champ de pensée et d'analyse plus étendu pour remplacer les courtes explosions de déchaînement polémique et limitatif qui nous emprisonnent tant. J'ai nommé «humanisme» ce que j'essaie de réaliser, un mot que je persiste à utiliser malgré le rejet dédaigneux de ce terme par des critiques post-modernes sophistiqués. Par humanisme, j'entends avant tout essayer de faire disparaître les «menottes forgées par l'esprit» de Blake, afin d'être capable d'utiliser son esprit, historiquement et rationnellement, dans un but de compréhension réfléchie. De plus, l'humanisme est soutenu par un sens de la communauté avec d'autres interprètes et d'autres sociétés et époques: ainsi, à proprement parler, il n'existe pas d'humaniste isolé.
Cela signifie que toute partie est reliée aux autres et que rien de ce qui existe dans notre monde n'a jamais été isolé et pur de toute influence étrangère. Nous devons débattre des questions de l'injustice et de la souffrance dans un contexte amplement situé dans l'histoire, la culture et la réalité socio-économique. Notre rôle est d'élargir le champ de discussion. J'ai passé une bonne partie des trente-cinq dernières années de ma vie à défendre les droits du peuple palestinien à l'autodétermination nationale, mais j'ai aussi essayé de faire cela en ne négligeant pas la réalité du peuple juif et de ce qu'ils ont souffert par la persécution et le génocide. Il est primordial que la lutte pour l'égalité en Palestine/Israël soit dirigée vers des buts humains, c'est-à-dire la coexistence, et non pas vers davantage de répression et de déni. J'ai montré, de façon non accidentelle, que l'orientalisme et l'antisémitisme moderne partagent des racines communes. Ainsi, ce semble être une nécessité vitale, de la part des intellectuels indépendants, de toujours fournir des modèles alternatifs à ceux, simplistes, limitatifs et basés sur une hostilité mutuelle, qui prévalent au Moyen-Orient et ailleurs depuis si longtemps.
En tant qu'humaniste dont la spécialité est la littérature, je suis assez vieux pour avoir été formé, il y a quarante ans, dans le domaine de la littérature comparée, dont les principales idées proviennent d'Allemagne à la fin du 18ème et au début du 19ème siècle. Avant cela, je dois mentionner la contribution grandement novatrice de Giambattista Vico, le philosophe et philologue napolitain dont les idées ont anticipé celles de penseurs allemands tels que Herder et Wolf, suivis plus tard par Goethe, Humboldt, Dilthey, Nietzsche, Gadamer et finalement par les grands philologues romantiques du 20ème siècle Erich Auerbach, Leo Spitzer et Ernst Robert Curtius.
Aux jeunes gens de la présente génération, l'idée même de la philologie suggère quelque chose d'incroyablement antique et suranné, bien que la philologie, en réalité, soit le plus élémentaire et créatif des arts d'interprétation. Selon moi, cela est admirablement démontré par l'intérêt de Goethe envers l'Islam en général et Hafiz en particulier, une passion brûlante qui a entraîné la composition du «Weststlicher Diwan» et a infléchi les idées postérieures de Goethe au sujet de la Weltliteratur, l'étude de toutes les littératures du monde en tant qu'ensemble symphonique qui peut être expliquée théoriquement par la préservation de l'individualité de chaque ouvrage sans perdre de vue l'ensemble.
Il y a donc une ironie considérable dans le fait qu'alors que le monde globalisé d'aujourd'hui rapproche les gens de façon semblable à ce dont je viens de parler, nous nous rapprochons peut-être du type de standardisation et d'homogénéité contre lesquelles les idées de Goethe étaient spécifiquement formulées. Dans un essai intitulé «Philologie der Weltliteratur», publié en 1951, Erich Auerbach a fait remarquer cela au commencement de la période d'après-guerre, qui était aussi le début de la Guerre froide. Son excellent livre «Mimesis», publié à Berne en 1946, mais écrit alors qu'Auerbach était un exilé de guerre enseignant les langues romanes à Istanbul, devait être un testament à la diversité et au caractère concret de la réalité représentée dans la littérature Occidentale depuis Homère jusqu'à Virginia Woolf; mais en lisant l'essai de 1951, on sent que pour Auerbach, le grand livre qu'il a écrit était l'éloge d'une période au cours de laquelle des gens pouvaient interpréter des textes de façon philologique, concrète, sensitive et intuitive, employant une érudition et une maîtrise excellente de plusieurs langues pour soutenir le type de compréhension que Goethe préconisait pour sa compréhension de la littérature islamique.
La connaissance positive des langues et de l'histoire était nécessaire, mais elle n'était jamais suffisante, pas plus qu'une accumulation machinale de faits ne constituerait une méthode adéquate pour saisir ce qu'était un auteur comme Dante, par exemple. L'exigence principale pour parvenir à une compréhension philologique telle que celle dont discutaient et essayaient de pratiquer Auerbach et ses prédécesseurs, consistait à pénétrer avec bienveillance et subjectivité dans le contenu d'un texte écrit, vu à travers la perspective de son temps et de son auteur (Einfühlung). Au lieu de l'aliénation et de l'hostilité envers un autre temps et une culture différente, la philologie telle qu'appliquée à la Weltliteratur impliquait un profond esprit humaniste déployé avec générosité et, si je peux utiliser ce mot, avec hospitalité. Ainsi, l'esprit de l'interprète fait sérieusement une place en lui-même pour un Autre étranger. Cette ingénieuse création d'un espace pour des ouvrages qui seraient autrement étrangers et lointains est la plus importante facette de la mission de l'interprète.
Tout cela a évidemment été miné et détruit en Allemagne par le national-socialisme. Après la guerre, fait remarquer Auerbach avec mélancolie, la standardisation des idées et la spécialisation croissante du savoir ont graduellement réduit les opportunités pour le genre de travail philologique investigateur et éternellement curieux, qu'il a représenté et, hélas, il est encore plus déprimant de voir que depuis la mort d'Auerbach en 1957, l'idée autant que la pratique de la recherche humaniste ont perdu de leur portée comme de leur centralité. Au lieu de lire dans le vrai sens du mot, nos étudiants d'aujourd'hui s'égarent souvent dans le savoir fragmenté disponible sur Internet et dans les médias de masse.
Pire encore, l'éducation est menacée par des orthodoxies nationalistes et religieuses, souvent disséminées par les grands médias par l'emphase mise sans perspective historique et avec sensationnalisme sur les lointaines guerres électroniques qui donnent aux spectateurs la sensation de précision chirurgicale, mais masquent en réalité la souffrance et la destruction terrible produites par les techniques de la guerre moderne. Dans la démonisation d'un ennemi inconnu pour qui l'étiquette «terroriste» sert l'objectif général de garder les gens excités et colériques, les images médiatiques forcent beaucoup trop l'attention et peuvent être exploitées en temps de crise et d'insécurité comme la période post-11 septembre en a produit.
Parlant en tant qu'États-unien et Arabe, je dois demander à mon lecteur de ne pas sous-estimer le genre de vision du monde simplifiée formulée par une poignée d'élites civiles du Pentagone pour la politique des États-Unis dans tout le monde arabe et musulman, une vision dans laquelle la terreur, la guerre préventive et le changement de régime unilatéral - soutenus par le budget militaire le plus démesuré de l'Histoire - représentent les principales idées débattues sans fin et de façon réductrice par des médias qui s'assignent le rôle de produire de soi-disant «experts» qui valident l'opinion générale du gouvernement. La réflexion, le débat, l'argumentation rationnelle, les principes moraux basés sur la notion laïque voulant que les êtres humains doivent créer leur propre histoire, ont été remplacés par des idées abstraites qui célèbrent l'exception états-unienne ou occidentale, dénigrent la pertinence du contexte et regardent les autres cultures avec dédain.
Peut-être direz-vous que je fais trop de transitions abruptes entre, d'un côté, l'interprétation humaniste et, de l'autre, la politique étrangère, et qu'une société technologique moderne qui, de pair avec une puissance sans précédent, possède l'Internet et des avions de chasse F-16, doit être dirigée par de formidables technocrates experts en politique tels que Donald Rumsfeld et Richard Perle. Quoi qu'il en soit, ce qui a réellement été perdu est un sentiment de la densité et de l'interdépendance de la vie humaine, qui ne peuvent être réduits à une formule ni être considérés impertinents et écartés.
Voilà une facette de ce vaste débat. Dans les pays arabes et musulmans, la situation n'est guère meilleure. Comme le dit Roula Khalaf, la région a glissé dans un «anti-américanisme» facile qui montre une bien faible compréhension de ce qu'est réellement la société états-unienne. Parce que les gouvernements sont relativement incapables d'influencer la politique états-unienne à leur égard, ils utilisent leur énergie pour réprimer et contenir leurs propres populations, ce qui crée un ressentiment, une colère et des imprécations désespérées, qui ne contribuent en rien à ouvrir des sociétés au sein desquelles les idées laïques au sujet de l'histoire humaine et le développement ont été devancés par l'échec et la frustration, autant que par un Islamisme édifié sur un apprentissage machinal et l'oblitération de ce qui est perçu comme d'autres formes de savoir laïque concurrentielles. La disparition graduelle de l'extraordinaire tradition qu'est l'ijtihad islamique ou interprétation personnelle, a été un des désastres culturels majeurs de notre temps, avec pour résultat que la pensée critique et la lutte individuelle contre les problèmes du monde moderne ont tout à fait disparu.
Je ne veux pas dire par là que le monde culturel a simplement régressé, d'un côté vers un néo-orientalisme belliqueux et, de l'autre côté, vers un rejet généralisé. Le Sommet des Nations Unies de Johannesburg, l'année dernière, malgré toutes ses limites, a réellement révélé un vaste ensemble de préoccupations mondiales communes, ce qui suggère une émergence bienvenue d'une nouvelle force politique collective, qui donne une nouvelle urgence à la notion souvent facile d'«un monde». Toutefois, il faut admettre qu'à travers tout cela, personne ne peut réellement connaître la complexité extraordinaire de l'unité de notre monde globalisé, en dépit de la réalité que le monde implique une réelle interdépendance entre toute partie qui ne laisse pas de véritable opportunité pour l'isolement.
Les terribles conflits qui maintiennent les gens sous des étiquettes faussement unificatrices comme l'«Amérique», «l'Occident» ou l'«Islam» et qui invente des identités collectives pour un grand nombre d'individus qui sont en fait plutôt différents, ne peuvent demeurer aussi puissants qu'ils le sont et on doit s'y opposer. Nous avons encore à notre disposition les habiletés d'interprétation rationnelle qui sont l'héritage de l'éducation humaniste, non pas en tant que piété sentimentale nous poussant vers un retour à des valeurs traditionnelles ou classiques, mais comme pratique active d'un discours rationnel, mondial et laïque. Le monde laïque forme l'histoire telle que réalisée par des êtres humains. La pensée critique ne se soumet pas à des ordres pour joindre les rangs en marchant contre l'un ou l'autre des ennemis approuvés. En lieu et place d'un choc des civilisations fabriqué, nous devons nous concentrer sur le lent travail des cultures qui se chevauchent, empruntent les unes aux autres et coexistent de façons bien plus intéressantes que peut le permettre un quelconque mode de compréhension abrégé ou non authentique. Cependant, pour parvenir à cette plus large perception, nous avons besoin de temps, de recherche patiente et sceptique, soutenue par une croyance dans la solidarité des interprétations, qui sont difficiles à entretenir dans un monde qui demande l'action et la réaction instantanées.
L'humanisme est centré sur l'agencement de l'individualité et de l'intuition subjective de l'humain, plutôt que sur des idées reçues et des vérités approuvées. Les textes doivent être lus comme des textes qui ont été produits et vivent dans le royaume de l'histoire de plusieurs façons, que j'ai nommées façons universelles. Ce qui n'exclut absolument pas le pouvoir, puisqu'au contraire j'ai essayé de montrer les insinuations et les imbrications du pouvoir même dans la plus obscure des études.
Finalement, et le plus important, l'humanisme est la seule - j'irais jusqu'à dire la dernière - résistance que nous ayons contre les pratiques et injustices inhumaines qui défigurent l'histoire humaine. Nous sommes aujourd'hui encouragés par l'énorme espace positivement démocratique qu'est le cyberespace, ouvert à tous les usagers de manières que n'ont même pas rêvées les précédentes générations de tyrans ou d'orthodoxies. Les manifestations mondiales avant que la guerre commence en Irak n'auraient pas été possibles sans l'existence de communautés alternatives partout dans le monde, informées par des sources alternatives et profondément conscientes des droits environnementaux et humains et des impulsions libertaires qui nous unissent sur cette petite planète.
- Notes :
[1] Eqbal Ahmad (Inde ~1933 - Pakistan 1999). Lors de la partition de l'Inde en 1947, lui et ses frères émigrent au Pakistan, où il étudia jusqu'en 1957, année au cours de laquelle il part aux États-Unis afin de poursuivre ses études en Sciences politiques et en Histoire du Moyen-Orient à l'Université de Princeton. Entre 1960 et 1963, il vit en Afrique du Nord, travaillant principalement en Algérie où il rejoint le Front de Libération Nationale et travaille avec Frantz Fanon. Ahmad a fait partie de la délégation algérienne aux pourparlers de paix d'Évian. Dès son retour aux États-Unis, Ahmad commence à enseigner dans diverses universités (Illinois 64-65, Cornell 65-68, Adlai Stevenson Institute 68-72, Institute for Policy Studies 72-82, Hampshire College 82-97). Parallèlement, il se fait connaître comme un des premiers et des plus éloquents opposants aux politiques états-uniennes au Vietnam et au Cambodge. En 1971, il est accusé, conjointement avec les prêtres catholiques Daniel et Phillip Berrigan et quatre autres pacifistes catholiques, de conspiration pour enlever Henry Kissinger, le jury ajournant le procès pour vice de procédure. Au début des années 90, le gouvernement de Benazir Bhutto lui accorde une parcelle de terre au Pakistan pour y construire une université indépendante et alternative, parcelle qui fut par la suite confisquée par l'époux de Benazir Bhutto pour y construire un terrain de golf. Auteur et activiste prolifique, Ahmad était éditorialiste du journal Race and Class, du Middle East Report et de l'Économiste du Tiers monde et membre du comité éditorial de Arab Studies Quarterly. Edward W. Said a écrit de lui qu'il était «cette perle rare, un intellectuel jamais intimidé par le pouvoir ou l'autorité, un compagnon d'armes de figures aussi diverses que Noam Chomsky, Howard Zinn, Ibrahim Abu-Lughod, Richard Falk, Fred Jameson, Alexander Cockburn et Daniel Berrigan. À sa retraite en 1997, il s'établit définitivement au Pakistan où il écrit une chronique hebdomadaire dans le quotidien Dawn, jusqu'à sa mort en mai 1999. (NdT)
[2] Ibrahim Abu-Lughod (Jaffa 1929 - Ramallah 2001). En 1948, lui et sa famille quittent leur ville natale de Jaffa pour aller s'établir tout d'abord à Naplouse puis à Amman, qu'il quitte en 1950 pour aller poursuivre ses études aux États-Unis où il obtient son doctorat en Sciences politiques de l'Université de Princeton en 1957. Il commence sa carrière avec l'UNESCO où il dirige le Département de recherche sociale en Égypte. De 1961 à 1992, il enseigne au Smith College puis à la Northwestern University. Il retourne s'établir en Palestine en 1992 où il devient vice-président et professeur de relations internationales à l'Université de Birzeit. Il a publié des dizaines de livres et articles dans lesquels il documente, évalue et exprime la dépossession vécue par les Palestiniens. Il a créé avec d'autres activistes l'Association of Arab-American University Graduates en 1968 et a été membre du Conseil National Palestinien. (NdT)