1. Israël-Palestine
: sortir de "l’étreinte fatale" par Hichem Ben Yaïche
in
L'Economiste maghrébin (bimensuel tunisien) du mercredi 3 septembre
2003
Dans le contexte de crise morale, politique et économique
profonde qui taraude le Proche et le Moyen-Orient, crise portée à incandescence
par, d’un côté, le conflit israélo-palestinien, et de l’autre, le chaos irakien
de l’après-guerre, chacun doit comprendre, aujourd’hui que le pire, dans cette
région du monde, reste – hélas – à venir. Le risque est grand : deux sources de
nuisance majeure fonctionnent simultanément, alimentant et charriant, pour ainsi
dire à l’infini, les frustrations et les humiliations des populations de la
région, lesquelles sont poussées vers un état d’apoplexie.
Tandis que la
descente aux enfers se poursuit en Irak, et prend des dimensions dramatiques,
révélant ainsi les failles et les faiblesses de la stratégie américaine de
l’après-Saddam, la réactivation de la violence en Israël-Palestine, après une
courte trêve, a réduit en miettes l’espoir de la mise en œuvre de la « feuille
de route », censée mettre sur les rails un autre plan de paix, qui n’est autre,
à quelques nuances près, que la synthèse des initiatives précédentes.
Après s’être montrés déterminés, pendant ces derniers mois, à agir sur les
responsables israéliens et palestiniens pour les « obliger » à entrer dans une
logique de négociations, avec la reprise des violences, le président George W.
Bush et son équipe semblent indiquer – période pré-électorale oblige – que ce
dossier ne figure plus en haut de ses priorités.
Assassinats ciblés,
bombardements, incursions de l’armée israélienne dans des localités
palestiniennes, destructions de maisons, etc., le Premier ministre d’Israël,
Ariel Sharon, et son ministre de la Défense, Shaul Mofaz, ont repris leur sale
besogne. Celle de la politique de main de fer.
A l’heure où l’Intifada
d’el-Aqsa va entrer dans sa troisième année – le 29 septembre prochain –, il
serait utile et éclairant de s’attarder quelque peu sur le bilan de cette «
révolte des pierres ».
S’il est vrai que le président de l’Autorité
palestinienne, Yasser Arafat et son équipe ont commis lourdement des «erreurs»
tactiques et stratégiques, il faut dire cependant, ce qui ne diminue en rien la
sévérité du jugement, que la pression américano-israélienne et le contexte de
doute, voire de suspicion prévalant alors, y avaient contribué puissamment. De
cet épisode, l’Etat hébreu ne tarda pas à mener une gigantesque opération de
désinformation via les médias américains et européens – opération bien relayée
par des juifs américains de l’équipe Clinton comme Martin Indyk, Denis Ross, et
d’autres. Un cas d’espèce qui mérite, aujourd’hui, d’être étudiée et enseignée.
L’instrumentalisation du « refus » palestinien des «concessions généreuses»
d’Israël avait tellement bien fonctionné qu’il n’était pas possible, des mois
durant, de tenir un autre discours. Et puis vint le témoignage de Robert Malley,
ancien conseiller des affaires arabes de Bill Clinton, qui enfonça un coin
sérieux à la propagande israélienne (1). Et leva le voile sur une autre
perception des réalités des négociations de Camp David et Taba. Voilà pour
l’Histoire.
L’âge de pierre
Mais ce qui
compte de dire aujourd’hui, au vu des 730 jours d’Intifada, c’est qu’avec Ariel
Sharon au pouvoir, la société palestinienne a été renvoyée à l’âge de pierre. Il
ne s’agit pas d’une litote ou d’une figure de style. L’ampleur des destructions
est considérable – et inchiffrable. Tous les témoignages dignes de foi le
confirment. Même si l’information circule en circuit fermé, on peut cependant
accéder à des sources fiables. Et même si la grande presse évite d’en parler de
peur de s’attirer la foudre des partisans des thèses jusqu'au-boutistes du
pouvoir israélien.
S’il est légitime de partager les angoisses
existentielles et les doutes des Israéliens, en revanche personne ne semble se
soucier du calvaire – et le mot est faible – des Palestiniens. Dans le même
temps, on ne peut s’empêcher de constater le processus de likoudisation d’une
partie de la société israélienne. Bien sûr, personne n’oublie le combat
fraternel, humaniste, de certains Israéliens, avec lesquels il faut travailler
ardemment pour la réconciliation. De ce point de vue, la société arabe ignore la
diversité du peuple israélien. Un point aveugle qui coûte cher, car rien n’est
envisageable sans ses liens qui tissent la réalité de la coexistence de
demain.
Le pire dans la sharonisation actuelle des esprits est de
laisser fleurir un discours que « tout le monde en veut aux Juifs ».
Pratiquement inexistant aux Etats-Unis d’Amérique, où l’on considère dans les
cercles de pouvoir de l’administration Bush – la plus pro-israélienne de
l’Histoire US – que « tout ce qui est bon pour l’Amérique est bon pour Israël,
et vice versa », ce sentiment se manifeste particulièrement en France, où une
partie non négligeable des dirigeants de la communauté juive – et pas seulement
– continue d’entretenir le sentiment que « la France est pro-arabe ».
Ces
deux dernières années, dans l’Hexagone, on a assisté à l’élaboration d’un
véritable corps de doctrine mis en œuvre notamment par Pierre-André Taguieff
(2). De nombreuses officines ont ainsi vu le jour pour relayer ce discours et
lui donner un habillage scientifique. Je citerai pour l’exemple l’Observatoire
du monde juif, dirigé par Shmuel Trigano (3). Beaucoup d’autres intellectuels ou
universitaires se mettront au service de ces idées : Alain Finkielkraut, Jacques
Tarnéro, Frédéric Encel, et bien d’autres, où l’on assimile tout simplement la
critique d’Israël à la «négation d’Israël». Dans cette atmosphère de
sur-psychodramatisation, la moindre sympathie pour les Palestiniens est jugée
comme une « attitude antisioniste », voire antisémite et hostile aux
Juifs.
A cet égard, je recommande la lecture du livre de Pascal
Boniface Est-il permis de critiquer Israël ? (4) où les 233 pages expliquent la
philosophie de qu’il appelle des ultras pro-Israéliens, qui sont nombreux et
opèrent dans des endroits stratégiques. Ce livre gêne parce qu’il met à nu des
mécanismes de fonctionnement visibles et invisibles pour mettre hors d’état
d’agir ceux qui s’autorisent de révéler le «vrai visage d’Israël» en
France.
Afin d’éviter des généralisations détestables, il faut parler
d’autres voix – certes minoritaires, mais elles existent : celles de Esther
Benbassa, de Jean-Christophe Attias, de Rony Brauman, Jean Daniel, d’Edgar
Morin, etc. – qui tentent de prévenir contre l’enfermement d’une partie des
Juifs dans une logique communautariste.
Comme on le voit, le conflit
israélo-palestinien déborde largement le cadre du Moyen-Orient ; plus grave
encore, il est en train de « pourrir » les relations judéo-arabes. Pour ne pas
demeurer dans le registre de l’incantation, toute la question aujourd’hui est de
sortir de cette logique de radicalisation dévastatrice. Mais comment ? Inutile
de se lancer dans un énième brainstorming, tout le monde connaît la solution :
elle existe depuis longtemps, mais personne n’est pressée pour la mettre en
application. Il est temps de sortir les Israéliens et les Palestiniens de leur
«étreinte fatale».
- Notes
:
(1) Voir Le Monde du mois de février 2002.
(2) "La Nouvelle
judéophobie", Ed. Mille et une Nuits, 2002. Cet auteur s’appuie, entre autres,
dans son argumentaire sur cette équation pour disqualifier toute critique : «
Juifs = sionistes (=Israéliens) ; sionisme = colonialisme et racisme ; Sharon =
Hitler ; Israéliens = nazis. » Ce chercheur a détourné la recherche
universitaire vers un militantisme jamais atteint, jusqu’ici, sans que personne
ne trouve à redire.
(3) Il est l’auteur d’un livre scandaleux "La démission
de la république (Juifs et Arabes dans la société française)", Ed. PUF,
2003.
(4) Ed. Robert Laffont, 2003.
2. Naplouse : "Une immense colère" - La
députée du Fatah, Dalal Salameh, témoigne depuis la ville de Cisjordanie
réoccupée par l'armée israélienne entretien réalisé par Valérie
Féron
in L'Humanité du vendredi 29 août 2003
Dalal Salameh est une députée du Fatah
de la région de Naplouse, née dans le camp de réfugiés de Balata. Elle répond
aux questions de l'Humanité.
- L'armée israélienne est à Naplouse depuis jeudi dernier, deux
jours après l'attentat de Jérusalem-ouest qui a fait 21 morts, pouvez-vous nous
décrire la situation ?
- Dalal Salameh : Comme à chaque incursion, les chars sont un peu
partout principalement près de la Vieille Ville et dans le camp de réfugiés de
Balata. Nous sommes sous couvre-feu quasiment en permanence. Toute tentative
d'entrer et de sortir des maisons ou de la ville est dangereuse. On vient de me
signaler que plusieurs maisons de Balata étaient encerclées par les troupes
israéliennes qui se sont installées dans l'une d'elles. Les arrestations et
démolitions de maison se poursuivent, faisant toujours plus de familles privées
de tout.
- Naplouse a toujours été un centre important de résistance à
l'occupation israélienne, dans quel esprit se trouvent les habitants ?
- Dalal Salameh : Au début de l'Intifada, lorsque les habitants ont vu
les Israéliens revenir, réenvahir notre région, cela a soulevé une immense
colère, le refus total de se voir réoccuper, et la résistance tant populaire que
militaire a été très active ici. Ce refus de vivre sous occupation est toujours
bien présent, comme ailleurs dans les territoires palestiniens, mais il faut lui
donner une nouvelle direction, et c'est d'ailleurs ce qu'a proposé l'Autorité
nationale palestinienne en acceptant le plan de paix du Quartet, la " feuille de
route ".
- Comment est perçue cette " feuille de route " dans la
situation actuelle ?
- Dalal Salameh : L'Autorité est dans une situation très critique. Il
est très difficile de convaincre nos citoyens et a fortiori les factions qu'il
faut, par exemple, suspendre toute attaque contre l'occupant quand celui-ci
continue de tuer et d'emprisonner les nôtres et de prendre nos terres.
Le cessez-le-feu proclamé le 29 juin dernier par le Hamas et d'autres
groupes a tenu cinquante et un jours. Et il avait fallu déployer d'énormes
efforts pour y parvenir. Dans le même temps, Israël a continué ses agressions,
notamment dans la région de Naplouse, et surtout, à part un vague redéploiement
du nord de Gaza et de Bethléem, il n'a pas commencé à appliquer la " feuille de
route ". L'attentat de Jérusalem est venu après cette période. Nous sommes
contre les attentats, nous les condamnons à chaque fois, mais comment convaincre
notre peuple que nous pouvons entamer un processus politique avec le
gouvernement de Ariel Sharon ? Pour aller vers quoi ? Quelle paix ? Ils n'ont
plus aucune confiance.
- Ce manque de confiance est-il valable aussi envers la
direction palestinienne ?
- Dalal Salameh : Ça, c'est ce que souhaitent les Israéliens et les
Américains. Que les Palestiniens perdent confiance, en particulier dans le
président Arafat. Ils ont en tête un autre leadership pour nous dont Yasser
Arafat serait exclu. Ils échoueront. Yasser Arafat reste notre leader
historique, notre représentant légal, élu. Il n'y a pas à l'heure actuelle de
solution politique stable et durable possible sans lui. Quant aux
simplifications sur un bras de fer entre le président et le premier ministre, il
ne faut pas oublier que Mahmoud Abbas fait partie des membres dirigeants du
Fatah et de l'OLP, instances dirigées par Yasser Arafat. Ils se connaissent de
longue date. Je crois que ce que Yasser Arafat veut, c'est que ce gouvernement
ne sorte pas des rails de nos droits et intérêts nationaux. Mais il ne travaille
pas contre ce gouvernement.
Qui, plus que les Israéliens, a intérêt à une direction palestinienne
divisée, affaiblie pour imposer leur paix ? Le président Arafat et Mahmoud Abbas
font face aux mêmes défis : le gouvernement de Ariel Sharon cherche sans cesse à
nous pousser vers la violence et n'a aucun intérêt à ce que nous réussissions
quoi que ce soit pour faire avancer le processus de paix, comme une nouvelle
trêve, et l'application de la " feuille de route ".
3. Feux croisés contre Arafat par
Jean Chatain
in L'Humanité du vendredi 29 août 2003
Washington le somme de " se mettre à l'écart ",
tandis qu'Israël annonce la poursuite des " liquidations ". Le Hamas refuse la
reprise de la trêve.
Le gouvernement Bush maintient son tir de barrage contre Yasser Arafat,
refusant de prendre en considération son appel de mercredi à une reprise de la
trêve et réaffirmant sa volonté de le voir mis à l'écart au profit du premier
ministre Mahmoud Abbas. " Arafat a une fois de plus montré qu'il constitue une
partie du problème. Il ne fait pas partie de la solution ", a déclaré une
porte-parole de la Maison-Blanche, Claire Buchan, depuis Crawford où le
président George W. Bush passe des vacances dans son ranch personnel.
Évoquant le mécontentement de la présidence américaine face à la récente
décision de Yasser Arafat de nommer un de ses proches, Jibril Rajoub, comme
conseiller pour la sécurité, la porte-parole assurait que la " feuille de route
" prévoyait que les forces de sécurité palestiniennes soient " consolidées sous
l'autorité du premier ministre Mahmoud Abbas ". Déjà, mardi, le secrétaire
d'État Richard Armitage avait proclamé que la seule chose que le leader
palestinien ait à faire est " de mettre les forces de sécurité à la disposition
de M. Abbas et se mettre à l'écart ".
Mercredi, le cabinet palestinien dirigé par Mahmoud Abbas a fait connaître
sa décision d'inscrire le budget des " forces de sécurité nationales " dans le
budget global. Cette décision concerne donc la principale force de sécurité
palestinienne dont les membres percevaient jusqu'alors directement leurs
salaires du bureau du président de l'Autorité palestinienne.
Côté Sharon, la surenchère reste la règle : Israël a prévenu que ses "
opérations de liquidation " contre des membres du Hamas vont se poursuivre après
un nouveau raid mené mardi dans la bande de Gaza, le troisième en cinq jours,
alors qu'une réunion extraordinaire du cabinet palestinien avait lieu à Gaza.
Par ailleurs, un Palestinien " armé d'un couteau " a été tué mercredi à un
barrage militaire proche de la ville de Bethléem (Cisjordanie). Cette nouvelle
mort porte à 3 432 le nombre de personnes tuées depuis le début de l'Intifada,
fin septembre 2000, dont 2 573 Palestiniens et 798 Israéliens. Le ministre
israélien Effi Eitam, membre du cabinet de sécurité, a affirmé à la radio
militaire que le Hamas et le Djihad islamique " constituent une bande
d'assassins, qu'il faut traiter comme tel ainsi que l'a décidé la semaine
dernière le cabinet ".
Retombée mécanique de tels propos, le Hamas rejetait hier matin l'appel à
la reprise de la trêve lancé par le président de l'Autorité palestinienne,
arguant que " les occupants sionistes ont torpillé la trêve avec leurs
assassinats de femmes, d'enfants et de dirigeants politiques palestiniens ",
selon les mots de l'un de ses dirigeants, Abdelaziz al-Rantissi. Le même
indiquait que son mouvement était " prêt à rencontrer le premier ministre
Mahmoud Abbas ", avant d'ajouter : " Nous sommes favorables au dialogue, mais il
est impossible de progresser dans la situation actuelle, extrêmement dangereuse.
"
4. Il faut décapiter le Hamas par Ben
Kaspit
in Maariv (quotidien israélien) repris dans Courrier International du
jeudi 28 août 2003
"Maariv" prédit “des journées de sang,
de feu et de fureur”, après l’attentat meurtrier de Jérusalem. Les autorités
israéliennes auraient décidé de tuer les responsables islamistes jusqu’au
dernier, quitte à lancer une vaste offensive terrestre dans les
Territoires.
La référence, c’est le massacre des sportifs israéliens à Munich en 1970.
Israël avait pourchassé jusqu’au dernier les commanditaires, les exécutants et
les représentants politiques. Aujourd’hui, l’histoire va se répéter. Les
responsables du Hamas, sans exception et sans distinction aucune, sont désormais
sur la liste des personnes à abattre, jusqu’au dernier. Et l’on n’imagine plus
une seule compagnie saine d’esprit contractant la moindre police d’assurance vie
avec Yasser Arafat, Ahmed Yassine ou Abdelaziz Rantissi [leaders du
Hamas].
De leur côté, les deux chefs de file du gouvernement palestinien,
Abou Mazen et Mohammad Dahlan, sentent la terre se dérober sous leurs pieds.
Dahlan se comporte comme si on lui avait planté un couteau dans le dos ? Eh
bien, disent les militaires israéliens, il va vite découvrir que lui non plus
n’est plus dans le coup. “Tout son ramdam et ses coups de téléphone, c’était de
la pose”, affirme un militaire. Dahlan déclare qu’il était sur le point de
lancer une opération coordonnée et graduelle contre les infrastructures
terroristes. “Emouvant, vraiment émouvant !” dit-on aujourd’hui à Jérusalem. “Ce
type est un menteur fini. Il perd son temps. C’est trop peu et trop tard.” Quant
à Abou Mazen, les cercles politiques israéliens le surnomment désormais
“Monsieur une pulsation par minute” et le tiennent pour politiquement
mort.
Les services de sécurité israéliens considèrent le Hamas comme l’une
des organisations les plus hiérarchisées et les plus disciplinées au monde.
C’est pourquoi Tsahal a décidé de décapiter cette pyramide et de la réduire en
morceaux. Israël ne peut pas se permettre de se retrouver avec un nouveau
Hezbollah dans son arrière-cour. Il n’est donc plus exclu qu’Israël déclenche
une vaste offensive terrestre destinée à nettoyer le terrain.
Ariel Sharon
affirme à qui veut l’entendre qu’il espère que cette offensive préparera le
terrain à une reprise du processus diplomatique. Il peut compter sur le soutien
d’un George Bush qui, selon des sources diplomatiques, tiendrait des propos
dignes des slogans d’Effi Eitam [leader israélien d’extrême droite], tandis que
les services de renseignements américains ont perdu toute patience face au chaos
qui règne chez les Palestiniens. Cependant, le feu vert donné à Israël ne sera
peut-être pas éternel. Lorsqu’un de nos missiles aura frappé par erreur une
école palestinienne, les Américains allumeront le feu orange.
Quoi qu’il en
soit, les prochains jours seront des journées de sang, de feu et de fureur.
Qu’est-ce qui en sortira ? Il existe plusieurs hypothèses. Selon l’hypothèse
optimiste, Israël va mener une offensive absolue contre le Hamas et liquider ses
dirigeants, jusqu’à ce que se déclenche une intervention internationale et
américaine destinée à ramener un peu de calme dans la région. Abou Mazen sauvera
sa peau de justesse, et le processus diplomatique redémarrera. C’est l’hypothèse
préférée de l’état-major israélien, mais sa probabilité est très faible. Selon
d’autres hypothèses, Abou Mazen et Muhammad Dahlan démissionneront (dans le
meilleur des cas) ou disparaîtront. Dans une telle situation, Arafat les suivra
presque immédiatement en exil ou dans les flammes de l’enfer. Les cartes sont
rebattues, en même temps que beaucoup de vies humaines, en attendant l’émergence
d’un nouveau leadership palestinien. Mais lequel ? Ou, pour utiliser une image
hardie, comment jeter le bébé avec l’eau du bain sans lui briser les os
?
Pendant ce temps, Israël va accélérer la construction de la clôture de
séparation selon un tracé proche de la Ligne verte (Sharon ayant finalement
renoncé à y englober la colonie d’Ariel) et imposer une séparation unilatérale
aux Palestiniens, avec le soutien des Etats-Unis. Ce soutien ne devrait pas trop
nous rassurer. Bush a la tête ailleurs et l’inertie guette le processus de paix,
une inertie qui risque de nous emporter les uns après les autres. Quoi qu’il en
soit, plus personne ici n’a le temps de se demander où nous nous sommes trompés,
ni ce que nous aurions dû faire que nous n’avons pas fait. Ce qui est certain,
c’est qu’Israël ne prendra plus en considération les subtils distinguos établis
par les Palestiniens qui prétendent que leur lutte ne vise pas nos civils, nos
enfants et nos fidèles, mais que c’est l’occupation qui est la source de tous
les maux.
Le département de planification de Tsahal a calculé qu’une
réoccupation permanente des Territoires nous coûterait 4,2 milliards d’euros par
an. L’Office de secours et de travaux des Nations unis pour les réfugiés de
Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) et le Comité international de la
Croix-Rouge (CICR) ont déjà prévenu, discrètement, qu’en pareil cas ils
évacueraient les lieux. Ce qui signifie que tout le fardeau retombera sur les
épaules d’un budget israélien en lambeaux. Une hypothèse irréaliste ?
5. L’un meurt, l’autre aussi par Mohammad
Shaker Abdallah
in Al Quds (quotidien palestinien) repris dans Courrier
International du jeudi 28 août 2003
Pour sortir du
marasme, il faut qu’Israéliens et Palestiniens considèrent enfin la vie de
l’autre de la même façon qu’ils considèrent la leur, estime le quotidien "Al
Qods", de Jérusalem-Est.
La communauté internationale pense peut-être que les Palestiniens ne sont
pas choqués par les attentats suicides. Pourtant, le spectacle de lambeaux de
chair et de corps ensanglantés jonchant le sol heurte profondément les
Palestiniens, qui, comme tous les habitants de cette planète, éprouvent des
sentiments humains vis-à-vis de tels carnages. Les Palestiniens - et il ne
s’agit pas ici de prendre nécessairement la défense de notre peuple - sont
sensibles à l’égard de la violence. Chaque fois qu’un Palestinien monte dans un
bus israélien, que ce soit pour aller travailler ou pour aller faire des achats,
la crainte que son corps puisse être déchiqueté par une bombe est toujours bien
présente dans son esprit. Il ne faut pas perdre de vue que, dans les autobus
israéliens qui circulent à Jérusalem et dans les régions proches des
Territoires, il y a un grand nombre d’Arabes. Des Arabes qui n’ont pas d’autre
choix que d’utiliser les transports en commun israéliens ont d’ailleurs été
également victimes de ces kamikazes. Un certain nombre de Palestiniens se
rendent ainsi dans des centres commerciaux à l’intérieur d’Israël, a fortiori
lorsque la Cisjordanie est bouclée, et s’exposent donc aussi au risque de
succomber aux attentats suicides qui sont susceptibles de se produire dans ce
genre d’endroit. La probabilité que des Palestiniens soient victimes de ces
attaques mortelles relève donc plus que de la simple hypothèse
théorique.
Dans ces conditions, la question qui se pose est de savoir
pourquoi certains Palestiniens recourent à ce genre de méthode, aux conséquences
doublement destructrices. On a dit que les Palestiniens avaient atteint la
limite du désespoir, qu’Israël ne leur laissait entrevoir aucune perspective
pour un avenir meilleur et qu’ils ne voyaient plus la lumière au bout du tunnel.
C’est précisément cet élément psychologique, sur lequel on n’insiste sans doute
pas encore assez, qui permet de comprendre, et non pas de justifier, qu’une
telle convergence de frustrations puisse mener parfois un individu à prendre une
décision qui mène autant à la destruction de soi qu’à celle de l’autre. La seule
solution pour sortir de ce dangereux labyrinthe, qui menace l’existence même des
deux parties qui s’affrontent, est donc que chaque partie considère enfin le
sang de l’autre de la même façon qu’il considère le sien, que chaque partie
respecte les droits de l’autre et qu’elles prennent toutes deux, avec courage et
confiance, le chemin vers la paix et la compréhension mutuelle.
6. Voyage dans une Palestine hors d'état par
Vincent Hugeux
in L'Express du jeudi 28 août 2003
Usée,
laminée, la société palestinienne ne croit guère aux promesses de la «feuille de
route». Mais déplore la rupture de la trêve des attentats
De notre envoyé spécial - «Ça, tu vois, c'est ma maison.» Le gamin pointe
l'index sur un fatras de moellons hérissés de fers à béton. En lisière de Khan
Younis, au cœur de la bande de Gaza, les monceaux de gravats grisâtres
témoignent de la brutalité de l'incursion menée en avril 2002 par l'armée
israélienne, au lendemain d'une vague d'attentats suicides perpétrés par une
poignée de terroristes palestiniens. Les chasseurs F 16 ont sonné la charge. Les
blindés et les bulldozers ont fait le reste. Saad, 14 ans, erre quant à lui dans
le camp de réfugiés de Jénine (Cisjordanie), fief des miliciens armés de
l'Intifada d'al-Aqsa, dévasté seize mois plus tôt par Tsahal au terme d'un siège
féroce. Un éclat d'obus de char lui a alors arraché la main droite, un autre lui
a balafré la joue gauche. «Depuis, je ne vais plus à l'école. Et je n'y
retournerai pas. Ça ne sert à rien. Mon père, qui bossait comme maçon en Israël,
a perdu son boulot. On vivote sur le salaire de maman, employée dans une
garderie.»
Les enfants de Palestine ont vu le jour au temps des promesses
d'Oslo, mais n'en ont, pas plus que leurs frères d'âge israéliens, jamais goûté
les fruits. Le décor? Des ruelles défoncées et jonchées d'immondices, des murs
couverts de slogans vengeurs en lettres de feu et de sang, de fresques
belliqueuses ou d'affiches à la gloire des chahid, ces «martyrs» que des gourous
nihilistes envoient, au nom d'Allah, semer la mort chez les «sionistes». Les
raids, les rafles et les barrages verrouillent le quotidien. Comme la peur, la
rage ronge les âmes. A Jénine, Hébron ou Gaza, les psychologues de Médecins sans
frontières (MSF) tentent d'apaiser les traumatismes que tout conflit laisse dans
son sillage. Troubles du sommeil, cauchemars, crises d'angoisse, bégaiement,
perte de parole, dépression. Ici, la mère d'une fillette amputée souffre du
bras. Là, toute une famille se plaint de maux de crâne depuis la mort d'un fils
atteint en voiture d'une balle en pleine tête. Sous le choc, sa voisine a porté
à la bouche un fragment de cervelle du gamin. Ecrasée par la culpabilité, elle
végète dans un état de profonde prostration.
Un univers mental hanté par la violence
A
l'adolescence, les garçons oscillent entre l'apathie et la transgression. A
l'heure des jeux guerriers, leurs cadets se disputent le «rôle du juif». Celui
du vainqueur. Les dessins détaillent les tenues et l'arsenal de l'occupant, et
dévoilent un univers mental hanté par la violence. Cadavres, maisons dynamitées,
plantations rasées. Reproduite par MSF dans un recueil de Chroniques
palestiniennes, l'esquisse de Mohammed s'inspire des épreuves traversées par sa
sœur aînée à Hébron. En trois mois, elle fut tour à tour mordue par le chien
d'un colon juif et molestée par des soldats israéliens, avant qu'un tir ne
fauche un camarade de classe. On la devine en bas à gauche, enchaînée dans la
cellule où l'a conduite la vaine agression au poignard d'un soldat de Tsahal.
Moataz, 5 ans, décrit ainsi son crayonnage: «C'est une fille comme une
omelette.» Le gosse a vu les cadavres de deux voisins déchiquetés lors d'une
attaque aérienne; il a trouvé l'oreille de l'un d'entre eux au pied du
réfrigérateur.
Permanent, répétitif, le stress sape les fondements de la
famille. D'autant que le parent qui perd pied peut l'entraîner dans son
naufrage. L'image du père, vulnérable et désœuvré, résiste mal à l'adversité.
Quand pleuvent les obus, il ne sait ni protéger les siens ni trouver les mots et
les gestes qui réconfortent. Le voici humilié au checkpoint, les pieds entravés
et les mains menottées s'il comparaît au tribunal. «On fabrique ainsi une
génération rebelle à toute autorité, constate le psychiatre Eyad Sarraj.
L'enfant cherche à s'identifier à d'autres modèles, plus combatifs. Y compris le
kamikaze de Hamas et du Jihad islamique. A Gaza, 24% des 8-12 ans, garçons et
filles, affichent leur volonté de mourir en martyr. Je compte parmi mes patients
un ado gravement déprimé: placé en tête d'une liste des futurs chahid, il ne se
remet pas d'avoir été devancé pour une mission suicide à Tel-Aviv.»
L'impuissance ne trouve souvent d'autre exutoire que la violence domestique,
notamment dans les périodes d'accalmie, quand le joug ennemi ne canalise plus
l'anxiété ou la colère. «L'homme brutal l'est davantage; celui qui ne l'était
pas le devient», note Bénédicte (MSF). Cycle infernal: le père frappe sa femme,
qui malmène les enfants, lesquels persécutent leurs copains.
La débâcle
matérielle ne fait qu'alourdir le fardeau d'une société ravagée par la précarité
et l'enfermement. «Nous avons ramené le chômage sous la barre des 50%, avance
Ghassan Khatib, ministre du Travail de l'Autorité palestinienne. Pas de quoi
pavoiser.» D'autant que les deux tiers de ses compatriotes campent sous le seuil
de pauvreté, soit un revenu de 2 euros par jour. Çà et là, les écoliers
désertent les salles de classe pour vendre des chewing-gums ou des chips. Le
chiffre d'affaires mensuel de Mustafa, bijoutier à Jénine, a fondu: 10 000
dollars avant l'Intifada déclenchée en octobre 2000; de 500 à 800 aujourd'hui.
«Tout mariage m'assurait l'écoulement d'un demi-kilo d'or. Désormais, je ne
vends plus qu'une alliance, quand on ne me propose pas les parures de la
grand-mère.»
Guère de police, pas davantage de justice
Un autre
péril mine la Palestine: l'anarchie. En Cisjordanie, les assauts de Tsahal ont
anéanti un ordre embryonnaire, teinté de clanisme et d'arbitraire. «A Gaza,
insiste Eyad Sarraj, la criminalité triple chaque année. Pourquoi respecter le
flic qu'on a vu détaler devant l'occupant?» Guère de police, pas davantage de
justice: c'est le droit du plus fort. Procureur à Jénine, Baha n'a plus de
prison. Il consigne les détenus dans une maison réquisitionnée. Dépourvus
d'armes et d'uniformes, ses agents disposent de deux véhicules civils. «En plus,
lâche Baha, il faut sans cesse louvoyer entre les textes et la tradition.»
Manière pudique d'avouer que les caïds des dynasties du cru demeurent
intouchables. Ici, dans cette ville rebelle où fleurissent les portraits de
Saddam Hussein et de ses fils défunts, les Brigades des martyrs d'al-Aqsa,
milice issue du Fatah de Yasser Arafat, font la loi. Seule une intervention
venue d'en haut a réfréné les ardeurs des «réfugiés», enclins, pour obtenir un
terrain plus vaste ou un pécule moins chiche, à débouler les armes à la main
dans les locaux de l'agence des Nations unies chargée de la reconstruction du
camp. En juillet, un commando a enlevé et rudoyé le gouverneur local, soupçonné
de corruption et de complaisance envers l'Etat hébreu. Il a fallu, là encore, un
appel du raïs pour que soit libéré le proscrit. A Naplouse, où les gangs rivaux
des Brigades se livrent une guerre sans merci, son homologue est à peine mieux
loti: l'un de ses frères a été kidnappé, un autre a vu son restaurant
disparaître en fumée.
Ripostes à l'atroce carnage de Jérusalem - 21 passagers
d'un autobus tués le 19 août par un kamikaze de Hamas aux confins d'un quartier
ultraorthodoxe - les incursions israéliennes et la relance des «liquidations
ciblées» ont muselé celles et ceux qui, nombreux, réprouvent le recours aux
attentats suicides et déplorent la rupture de la hudna, la trêve conclue à
grand-peine le 29 juin entre le Premier ministre, Abou Mazen, et les factions
islamistes. «En trois ans, je n'ai travaillé qu'un mois et demi sur des
chantiers israéliens pour cause de bouclages punitifs», soupire Abou Assil,
croisé sur une plage de Gaza. «Ces opérations, soutient en écho Thuraya,
éducatrice à Ramallah, sont humainement injustifiables et politiquement
inefficaces.» En privé, à l'abri du conformisme et des menaces, maints
Palestiniens dressent de la seconde Intifada un bilan mitigé. «Bien sûr, elle a
contraint le monde a écouter nos cris, concède un étudiant en médecine. Mais
qu'y a-t-on gagné? Des morts et une vie plus dure qu'avant.» Il arrive que des
mères de chahid, glorifiés par la rhétorique officielle, essuient des insultes;
terrible tourment pour celles qui se doivent d'affecter une fierté de commande
et d'enfouir leur douleur. A Khan Younis, on a vu en juillet des civils désarmer
les tireurs embusqués non loin d'une casemate israélienne. Au printemps, déjà,
une soixantaine de villageois de Beit Hanoun, dans le nord de la bande de Gaza,
avaient scandé des slogans hostiles aux Kassam, les roquettes artisanales
qu'emploie l'aile militaire de Hamas.
Le terrorisme, souligne l'économiste
Salah Abdel Chafi, suscite des élans contradictoires: «Le même individu peut
estimer légitime le châtiment infligé à Israël et pester contre ses effets.»
Echo à la hudna, l'allégement partiel de l'occupation n'a guère éclairci
l'horizon. «Les espérances déçues vous vaccinent contre l'illusion, avance un
vieux franciscain de Bethléem. Il ne suffit pas de lever un barrage ou
d'octroyer des permis de travail pour dissiper la méfiance.» Ariel Sharon, il
est vrai, n'a rien fait pour redorer le blason de la «feuille de route», plan de
paix dicté par Washington et censé baliser la genèse de l'Etat palestinien. «Ils
nous offre la feuille, mais se garde la route», ironise Subhi, policier à
Jénine. On ordonne le démantèlement d'une colonie juive «sauvage»? Une autre
surgit aussitôt sur la colline voisine. Les prisonniers libérés? Des droits
communs en fin de peine pour la plupart. Ici, Tsahal ouvre une route pour la
barrer d'un char dès que les équipes de télévision ont tourné les talons. Là, on
déplace de 30 mètres la tourelle d'un check-point. Comment convaincre
Al-Mawassi, miséreux village gaziote étouffé entre la mer, les fortins de
l'occupant et une florissante colonie juive, de la bonne foi de l'Etat hébreu?
Cruellement mordu aux jambes, un de ses enfants a succombé, après que les
soldats qui orchestrent au mégaphone les accès à l'enclave eurent refusé son
évacuation.
«Barrière de sécurité» ou «mur de l'apartheid»
D'autres
entraves cisaillent l'avenir. A commencer par la gigantesque clôture érigée au
nom de la lutte antiterroriste, qui corsètera sur 450 kilomètres les «cantons»
concédés à l'Autorité. «Barrière de sécurité», plaide Israël. «Mur de
l'apartheid», rétorquent les Palestiniens. Si au moins cet ouvrage jalonné de
miradors, fait tantôt de grillages dotés de capteurs électroniques et flanqués
de rouleaux de barbelés, tantôt de hautes palissades de béton strié, préfigurait
les contours d'un futur Etat souverain... Mais, loin d'épouser la «ligne verte»,
frontière en vigueur jusqu'à la guerre de 1967, son tracé annexe villages arabes
et oliveraies. «Va pour une muraille sur la ligne verte, tempête un chômeur
d'Anin, naguère salarié d'une usine chimique israélienne. Jusqu'au ciel si ça
leur chante. Mais là, c'est trop.» Tranchées, routes vouées aux patrouilles de
Tsahal: la saignée a rayé de la carte des milliers d'hectares plantés. Notable
de Jayous, Abou Samer y a perdu 500 roumis, oliviers centenaires. Cet enseignant
retraité escorte le visiteur au-delà des grillages, là où bivouaquent Youssef et
Muntasser. «On ne sait jamais si on pourra atteindre nos champs, souligne
l'aîné. Reste à dormir sur place. Dire qu'enfants on faisait cela pour le
plaisir...» «Je suis prêt à mourir pour Jérusalem, renchérit son cadet. Mais la
cité sacrée l'est moins que mes terres.» A Kalkiliya, Hassan broie du noir au
pied du rempart qui ampute son domaine. Devenu diabétique, il évoque avec
amertume ses immenses serres modèles, ses dizaines de partenaires israéliens et
le temps béni où, maraîcher prospère, il finançait chaque année la scolarité de
quatre étudiants. «Ceux-là sont diplômés. Et moi je doute de pouvoir envoyer un
jour mes fils à l'université.»
L'Etat rêvé s'apparente plus que jamais à une
chimère. «Tout dépend du bon vouloir d'Israël, ronchonne Azem, électronicien de
Beit Hanoun. Et les prétentions de Hamas ou du Jihad sur la Palestine historique
sont illusoires.» Mise-t-il pour sortir de l'ornière sur Yasser Arafat et sur
Abou Mazen, le Premier ministre que lui a imposé Washington dans le vain espoir
de marginaliser le raïs? Nullement. «Une défiance massive, à la fois juste et
injuste, nuance Raji Sourani, vétéran de la lutte pour les droits de l'homme.
Injuste, car Israël joue l'échec de la road map. Juste, tant le pouvoir demeure
chez nous confisqué par la même coterie corrompue.»
Sur le seuil de son
échoppe déserte, à deux pas de la haie d'acier qui sépare Rafah de l'Egypte et
de la maison natale confisquée par Tsahal, le vieux Abou Samir ne pose sa canne
et sa béquille que pour égrener ses rancœurs. «Arafat? Jamais vu ici. Abou
Mazen? Connais pas. Au ministère du Logement, on m'a viré sans m'écouter.
J'envie les Israéliens. Ils ont un gouvernement qui défend leurs intérêts.» Le
discrédit est tel que l'effort de transparence budgétaire entrepris par le
ministre des Finances, Salam Fayad, passe inaperçu. Trop peu, trop tard. Seul
Marwan Barghouti, patron du Fatah cisjordanien et meneur de l'Intifada,
emprisonné en Israël, échappe à l'opprobre. «Lui vit et lutte avec nous, tranche
le chef des Brigades des martyrs de Jénine. Un bel avenir l'attend.» Quant à
Abou Amar - le nom de guerre de Yasser Arafat - il doit le crédit qui lui reste
au mythe incarné, au statut de banni que Sharon lui offre et à sa capacité de
nuisance. Elle est immense.
La vieille garde a la vie dure
Le président élu
s'obstine à promouvoir ses fidèles et rechigne ainsi à céder à Mohammed Dahlan,
superflic de l'Autorité, la conduite de l'appareil sécuritaire. Il garde les
rênes de la Force 17, sa garde rapprochée, du renseignement militaire et des
forces armées. Mieux, ou pis, le raïs au keffieh, reclus dans son réduit de
Ramallah, a fondé un Conseil de sécurité nationale, confié le 25 août au fidèle
Jibril Rajoub. Or, sans l'aval explicite d'Arafat et la mobilisation de toutes
les forces de l'ordre, Abou Mazen ne peut neutraliser les adeptes de la lutte
armée. «Ce serait un suicide politique, voire un suicide tout court», concède un
éditorialiste de Tel-Aviv. Et le chemin le plus court vers une guerre civile que
Mahmoud Abbas - l'autre nom du Premier ministre - veut éviter à tout prix. Hier
périlleux, le scénario répressif paraît voué à l'échec depuis le 21 août, date
de l' «exécution» par Israël d'Ismaïl Abou Chanab, figure de proue de Hamas.
Ultime carte dans le jeu d'Abou Mazen: la démission en bloc de son cabinet, qui
priverait Arafat d'un précieux paratonnerre. La vieille garde a la vie dure.
Mais elle ne pourra éternellement invoquer l'impératif patriotique pour mieux
dédaigner l'exigence pluraliste surgie d'une société civile pourtant anémiée par
la fuite des cerveaux. «Pour l'heure, concède Raji Sourani, la combinaison
fatale du despotisme et de l'occupation enraie l'émergence de nouvelles élites.»
Sans leur concours, on voit mal qui pourrait renflouer une Palestine en si
piètre Etat.
7. "Une journée au tribunal" par Gabriel
Ash
in YellowTimes (e-magazine américain) du jeudi 28 août
2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Le tribunal militaire de Salem est sis à
l’intérieur d’une base militaire dominant Jénine. Officiellement, il est ouvert
au public. Dans la pratique, il ne l’est pas. Ce sont les soldats qui décident
qui entre, et qui n’entre pas. Habituellement, le seul public admis, ce sont les
parents des accusés. Mais les visiteurs importuns sont si rares que j’ai réussi
à me faufiler à l’intérieur, accroché au bras de l’avocat Shamai Leibovitz,
petit-fils du philosophe (israélien) Yeshaiyahu Leibovitz. Une fois à
l’intérieur, l’huissier s’alarme de ma présence incongrue. Mais je fais semblant
de ne comprendre que l’anglais, ce qui donne suffisamment de tablature à ses
maigres méninges pour qu’il me foute la paix.
Shamai est un jeune avocat
israélien, et un militant combatif des droits de l’homme, adorant la
confrontation et toujours prêt à défier le racisme routinier du tribunal. Il
porte un yarmulke à la mode colon, et il persille son propos de métaphores
tirées de la Bible. Sa seule apparition, afin de défendre quelque Palestinien
accusé de complicité de « terrorisme », a le don de crisper les greffiers. Mais
il ne se fait aucune illusion sur ses pouvoirs. « Le système est en béton », me
dit-il, « les batailles juridiques, à elles seules, sans publicité et sans les
médias, ne mènent nulle part ». Sa stratégie de défense de ses clients ? Essayer
toutes les brèches procédurales possibles et imaginables, et espérer ne
ouverture. Mais les victoires sont rares.
Un lot de prisonniers est
introduit, aux environs de onze heures et demie. Les prisonniers s’assoient dans
un box maçonné de la taille d’une salle de bains, dans un coin de la salle
d’audiences. Ils semblent hagards et soumis.
Nous nous levons, tandis que la
« juge » fait son entrée. C’est une femme gaillarde, la trentaine, en chemisier
chic sans manches, prévu mine de rien pour mettre mal à l’aise le public,
composé majoritairement de musulmans âgés. La juge minaude à travers les
procédures, souriant et plaisantant avec le personnel. Il y a un je ne sais quoi
de bizarre, dans sa jovialité, un peu comme ces toilettes où l’on force sur le
désodorisant.
Le premier cas est promptement tranché : douze mois de cabane
pour avoir pris en voiture un homme « recherché ». Aucune protestation n’est
reçue. La défense est d’accord avec la peine infligée.
La plupart des
prisonniers sont amenés devant le tribunal pour qu’on prolonge de quinze jours
leur mise aux arrêts. Comme ça, on pourra les questionner de nouveau au moyen
d’interminables sessions où ils seront privés de sommeil, menacés que l’on s’en
prenne à leur famille, battus et soumis à d’autres formes de torture « modérée »
sur lesquelles les tribunaux d’Israël ferment les yeux. La « juge » ne fait même
pas semblant de vérifier la légitimité des réquisitions de la police. Toutes les
prolongations sont acceptées les yeux fermés, le plus souvent avec l’approbation
de la défense.
La cour fait mine de respecter les procédures. Tout est
traduit de – et vers – l’arabe. Les décisions sont dictées à des sténographes.
La « juge » demande aux prisonniers s’ils ont des représentants légaux et
s’assure qu’ils comprennent bien ce qu’on leur dit. Mais comme me le dira un
avocat de la défense à la pause : « Vous savez, nous jouons tous un rôle, dans
cette pièce de théâtre. »
Saleh (pseudonyme) semble aller sur les vingt ans.
Il sourit beaucoup, d’un sourire timide. Surtout lorsqu’il s’efforce de
comprendre ce qu’on est en train de lui dire. L’accusation a demandé la
prolongation de détention de quinze jour traditionnelle. Saleh veut que le
tribunal le libère, parce qu’il a déjà passé sept mois en cabane. Oui, dit-il au
tribunal, il a un avocat, mais cet avocat, il n’est pas là. Il ne sait pas
pourquoi. L’absence de l’avocat n’est pas du tout un problème pour la « juge »,
ma foi bien peu curieuse. Elle approuve la prolongation de quinze jours, puis
elle explique patiemment à Saleh : « Tu as fait six mois de détention
administrative », (entendre : six mois de détention arbitraire) – mais ça,
apparemment, ça ne compte pas. « Maintenant, ce qui est demandé, c’est que tu
restes en état d’arrestation afin de pouvoir être interrogé ». Ah, là,
maintenant, ça y est, je pige : c’est pas la même chose ! Y’a nuance
!
La « juge » une fois partie, les familles s’élancent pour voir les
prisonniers de près. Certains pleurent, leur visage n’est que désespoir. C’est
une rare occasion de voir ses chers proches. Israël considère que le droit des
prisonniers à recevoir des visites de leur famille est un privilège indu, et
accordé essentiellement en violation du règlement. Mais l’huissier, un jeune
soldat vêtu du yarmoulke et aux traits yéménites, contient fermement les
familles et les repousse dans la direction opposée. Une femme le supplie de la
laisser parler à son fils. Il l’envoie au diable, ajoutant que s’il la punit,
c’est en raison des deux attentats à la bombe récents, à Ariel et à Rosh Ha-Ein.
Aucun doute : elle est coupable. Tous les Palestiniens ne le sont-ils pas
?
Abed (pseudonyme), pour l’audition duquel nous sommes venus à Salem, est
introduit dans le tribunal, après une attente interminable : cinq heures ! Il
s’avance devant une autre « juge », une femme officier renfrognée, en uniforme,
qui donne l’impression qu’éructer quelques borborygmes représente pour elle un
effort surhumain. Notre « juge » n’est nullement dérangée par le délai. Elle
repousse du revers de la main la suggestion qui vient de lui être faite, à
savoir qu’elle aurait dû faire des représentations à l’administration de la
prison. Mais : dites-moi un peu. Qu’est-ce que c’est, cinq petites heures, tout
au plus, dans l’emploi du temps d’un avocat ?
Shamai, l’avocat d’Abed, vient
tout juste de recevoir le dossier des charges retenues contre son client, qui
consistent essentiellement en quatre dépositions signées par lui au cours de ses
deux mois d’emprisonnement. D’après Abed, on l’a empêché de dormir durant
environ une centaine d’heures d’affilée, et on a menacé d’emprisonner son
épouse, qui vient juste d’accoucher, ses enfants se retrouvant sans leurs
parents, la maison familiale – est-il besoin de le préciser ? – ayant été
démolie.
Shamai demande à la cour de lui donner quelques jours pour lire les
pièces au dossier et planifie une procédure préalable afin d’argumenter sur la
non-nécessité de maintenir Abed en prison. La « juge » le fixe, incrédule. «
Sans doute voulez-vous consulter les autres avocats, qui ont plus d’expérience
que vous, dans ce tribunal ? », insinue-t-elle. Le tribunal, explique-t-elle
paraphrasant sans le savoir un personnage d’un roman de Kafka, ne relâche jamais
d’accusés palestiniens. Or, votre Abed, là, c’est quoi, sinon un accusé
palestinien ? ! ?
Shamai rappelle la juge à l’ordre. Il lui dit qu’elle se
doit de respecter la loi israélienne, et insiste, affirmant qu’il a le droit
d’essayer de convaincre la cour de casser la requête formulée par l’accusation
de maintenir Abed en prison sans caution. Peut-être, suggère-t-il, pourrait-il
découvrir que les preuves sont peu étayées, ou encore trouver d’autres raisons
justifiant une remise en liberté ? La « juge » bout. D’abord, elle ordonne que
Abed soit arrêté sans liberté provisoire. Mais Shamai insiste, il cite des
précédents. Finalement, elle l’autorise à verser au dossier une pétition écrite
exposant pourquoi une audience devrait être tenue. Dit simplement : la « juge »
demande à la défense d’expliquer pourquoi le tribunal devrait respecter les
procédures élémentaires qui s’imposent. Y a-t-il droit plus élémentaire que
celui de l’accusé de répondre aux affirmations de l’accusation ?
En attendant
que Abed arrive de la prison, j’ai suivi les tentatives de Shamai pour retrouver
la trace d’un de ses anciens clients, Faruq (pseudonyme), venu effectuer ici des
démarches auprès de l’ « administration civile », sise dans la même base
militaire que le tribunal. Quelques jours auparavant, Shamai avait passé des
heures au téléphone à essayer d’arracher un permis spécial pour la mère de
Faruq, l’autorisant à aller à Herzlia consulter un spécialiste du cancer du
sein. La mère de Faruq a dû rester assise devant le checkpoint de Naplouse de
huit heures du matin à six heures du soir. Le permis finit par être délivré,
mais les officiers, sur le checkpoint, ne daignèrent pas le remettre à sa mère.
Elle avait fini par renoncer à subir les examens appropriés dans son cas. Faruq
nous dit qu’elle est en train de subir une mastectomie à Naplouse, au moment où
nous parlons. Peut-être inutilement.
Trouver Faruq, ce n’est pas de la tarte.
Les Palestiniens qui ont affaire à l’ « administration civile » israélienne
entrent dans la base militaire par une autre entrée. Le portail qui conduit à
cet autre bâtiment est fermé, et il faut longtemps parlementer avec le policier
dans sa guitoune pour le persuader de bien vouloir l’ouvrir à Shamai. Il nous
avertit, avec la gestuelle d’un gardien de zoo, que pénétrer ainsi dans l’enclos
des Palestiniens n’est pas sans danger pour nous – nous pourrions nous faire
kidnapper !
M’étant un peu écarté, je jette un coup d’œil aux quelques
douzaines de Palestiniens qui sont venus aujourd’hui affronter le labyrinthe
bureaucratique israélien, dans l’espoir bien souvent illusoire d’accomplir une
petite avancée qui, pour une personne libre, ne semblerait même pas digne d’être
mentionnée, comme pouvoir aller rendre visite à un ami dans la ville d’à-côté,
ou aller chez le médecin, ou encore aller à l’école. Mais, tout cela, pour les
Palestiniens, représente une victoire aussi importante que celle qui
consisterait à ramener à la maison du lait de lionne.
Les quémandeurs
attendent leur tour, silencieux, affectés par l’oppression qui exsude de
l’endroit : quelques bancs, entourés de béton, d’un côté, et d’une grille
agrémentée de fil de fer barbelé, de l’autre ; en face, un mur avec une rangée
de vitres fumées, équipées d’interphones, via lesquels ils communiquent avec des
employés pratiquement désincarnés. Alors, les voilà ? C’est eux, ces gens
bestiaux qui font trembler les Israéliens de peur ?
Nous finissons par
trouver Faruq. Il tente d’obtenir des explications du Shabak. Il veut savoir
pourquoi on lui refuse sa carte d’identité magnétique. Sa requête est repoussée,
sans commentaire. Shamai veut représenter Faruq juridiquement. L’officier de l’
« administration civile » réagit de manière hystérique. Il hurle que Shamai doit
libérer le plancher immédiatement. Il ne parlera à personne d’autre qu’au
Palestinien, principal intéressé. Le déni du droit à la représentation légale
n’est qu’un outil de plus dans la panoplie de la répression qui assure la
domination d’Israël sur les Palestiniens.
Plus tard, tandis que nous sortons
du tribunal, le « procès » d’Abed ayant pris fin, un soldat, en armes, sans
doute l’un des employés, nous crie de derrière : « Ici, c’est autre chose. Nous
avons nos lois. Elles sont différentes des vôtres. » On n’aurait su mieux
dire.
8. Le pire est à venir par Mohamed
Moustapha
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 27 août
2003
Palestine-Israël . La trêve est résolument rompue
avec la détermination des mouvements radicaux de poursuivre la résistance armée,
tandis qu'Israël semble décidé à aller plus loin dans sa répression. La
situation s'achemine inexorablement vers une nouvelle escalade.
Gaza, de notre correspondant - Le quotidien israélien Maariv a publié vendredi dernier sur ses pages un
jeu de cartes avec noms et images de 34 personnalités palestiniennes présentées
par Israël comme étant les « dirigeants du terrorisme ». En tête de liste le
président palestinien Yasser Arafat, le cheikh Ahmad Yassine, fondateur du
Hamas, et Hassan Nassrallah, dirigeant du Hezbollah libanais. Un jeu de cartes
qui ressemble à celui établi par les Etats-Unis à la suite de l'invasion de
l'Iraq avec les personnalités de l'ancien régime demandées par les Américains.
Maariv n'a pas précisé si ces personnalités doivent être arrêtées ou liquidées
physiquement. Mais il est évident que, du point de vue des services de sécurité
israéliens, il s'agit de personnalités qui représentent un danger pour Israël et
qu'il faudrait mener une action quelconque à leur égard. Les responsables du
mouvement islamiste Hamas prennent au sérieux les menaces israéliennes. Après
l'assassinat d'Ismaïl Abou-Chanab, haut dirigeant politique du Hamas, et deux de
ses gardes du corps jeudi dernier dans un raid aérien israélien à Gaza,
l'organisation a décidé de créer un nouveau commandement qui prendrait la relève
si les hauts cadres du mouvement étaient éliminés par Israël.
La tension est à son paroxysme dans la rue
palestinienne après cet attentat. Les dirigeants du Hamas demandent une riposte
douloureuse à l'encontre de l'Etat hébreu. Le gouvernement israélien, de son
côté, menace de recourir à d'autres assassinats. Quant à l'Autorité
palestinienne, elle semble se trouver entre le marteau et l'enclume. D'un côté,
c'est le bouillonnement au sein du Hamas. D'un autre, ce sont les pressions
d'Israël et des Etats-Unis pour mettre fin aux opérations des fedayins, voire
pour démanteler purement et simplement les organisations radicales. Le président
américain George W. Bush a poussé l'Autorité palestinienne, mercredi, à
démanteler les groupes radicaux Hamas et Djihad islamique. « Il faut faire plus,
l'Autorité palestinienne doit agir pour démanteler les organisations terroristes
», a dit le porte-parole de la présidence américaine, Scott McClellan. « On ne
peut pas se contenter de les laisser exister », a-t-il ajouté. Le plus
surprenant est que le secrétaire d'Etat américain Colin Powell, qui avait
déclaré à plus d'une reprise que le président Arafat n'avait la moindre
qualification et qu'il avait trahi les espérances du peuple palestinien, en
appelle à présent au vieux lion pour qu'il réprime la résistance palestinienne.
C'est comme s'il s'était souvenu soudainement qu'Arafat tenait toujours des
cartes maîtresses en main et que sans lui on ne pouvait mettre fin au cycle
sanguinaire de violence entre les Palestiniens et les Israéliens.
Trois des principales branches militaires de la
résistance ont annoncé qu'elles rompaient la trêve proclamée unilatéralement le
29 juin dernier et pour une durée de trois mois. Il s'agit des brigades des
martyrs Ezzeddine Al-Qassam, la branche armée du Hamas, des brigades des martyrs
d’Al-Aqsa (du Fatah) et des régiments d'Al-Qods, du Djihad. Avec la fin de la
trêve qui a assuré un calme relatif à Israël, inconnu depuis le début de la
deuxième Intifada le 28 septembre 2000 (lire chronologie), le conflit
palestino-israélien a abordé une nouvelle phase. Celle-ci serait même plus
cruelle et plus sanglante que les étapes qui l'ont précédée. Avant l'assassinat
d'Abou-Chanab, un kamikaze palestinien avait provoqué le mort de 20 israéliens
et fait 130 blessés lorsqu'il s'est fait exploser dans un bus de Jérusalem. Si
cette opération a servi d'alibi pour Israël pour assassiner ce dirigeant du
Hamas, pour cette frange de la résistance, elle était une riposte à l'assassinat
par les forces israéliennes d'Abdallah Al-Qawassmeh, commandant des brigades
d’Al-Qassam, de Mohamad Sedr, commandant des brigades d'Al-Qods, et à d'autres
attentats qui ont fait 22 martyrs du côté palestinien. Il y a eu 40 violations
israéliennes de la trêve selon les Palestiniens.
Trêve rompue : Israël en
accusation
Selon le cheikh Ahmad Yassine, Israël a franchi toutes
les lignes rouges lorsque ses appareils ont mené l'attentat contre Abou-Chanab.
Dans une déclaration à Al-Ahram Hebdo, lors des funérailles de ce chef du Hamas,
auxquelles ont participé 100 000 Palestiniens à Gaza, vendredi dernier, il
affirme : « Israël payera le prix fort pour ce crime qui ne passera pas sans
châtiment ». Et d'ajouter : « Les missiles ont tué Abou-Chanab, la trêve avec.
C'est Sharon et son gouvernement qui en assument la responsabilité et pas nous
». Abdel-Aziz Al-Rantissi, un cadre du Hamas, tout en prenant au sérieux les
menaces israéliennes de « mener une opération d'enfer pour écraser les
Palestiniens », considère qu'elles constituent une rengaine que les Palestiniens
ont souvent entendue. Pour lui, elle n'a qu'un seul sens. Israël ne veut pas la
paix. « Celle-ci doit se concrétiser par des actes concrets, dont
l'établissement d'un Etat palestinien, et il refuse d'emblée cet Etat qui limite
ses convoitises d'expansion et menace son avenir en Palestine ».
La question qui se pose est de savoir comment les
Palestiniens peuvent affronter l'agression continuelle contre eux, leurs cadres,
leurs lieux sacrés et leur terre ? Al-Rantissi n'est pas de l'avis selon lequel
il faudrait arrêter l’Intifada armée afin d'éviter de tomber dans le piège de
Sharon et pouvoir obliger Israël à cheminer sur la voie de la paix. Pour lui, il
s'agit de « capitulation », surtout avec la poursuite par Israël des agressions.
« Lorsque la résistance a suspendu ses opérations militaires, Israël a en
revanche accentué ses opérations d'assassinats, de blocus et d'arrestation. Le
seul choix qui reste aux Palestiniens est donc la résistance ».
De son côté, Gamil Magdalawi, membre du bureau
politique du Front Populaire de Libération de la Palestine (FPLP), la deuxième
faction au sein de l'OLP, a assuré qu'Abou-Chanab était un symbole de la
résistance et du mouvement national palestinien en tant que tel. Il œuvrait en
vue de réorganiser « la maison palestinienne et renforcer l'unité nationale ».
Magdalawi a ajouté que « la trêve n'a pas été contraignante pour Israël, même
pour une heure. Tel-Aviv ne s'est engagé en rien en contrepartie de cette trêve
et a considéré qu'il s'agissait d'un engagement palestino-palestinien qui ne le
concernait en rien ». Il rappelle dans ce contexte que les mesures vexatoires se
sont poursuivies par la saisie des terres aux assassinats en passant par les
arrestations, ainsi que la démolition des maisons. Voire, ces démarches ont
augmenté en nombre : « Plus de 600 arrestations, des milliers d'hectares saisies
en faveur des colonies juives, un mur de séparation qui est celui de l'apartheid
». Tant et si bien que le FPLP avait considéré que « la trêve a constitué une
concession gratuite à Israël ». Il ajoute que pour son mouvement, « la feuille
de route n'est pas un accord contractuel entre des parties concernées. Ce sont
des idées présentées par les Etats-Unis que les Palestiniens ont acceptées et
souligné leur engagement à leur égard. Par contre, le gouvernement israélien ne
les a acceptées qu'avec des réserves. A observer les agissements d'Israël, on ne
peut que constater qu'il a mis en pratique ces réserves ».
Le FPLP, toujours selon Magdalawi, voit les choses
de manière plus simple. « Il y a une occupation de notre territoire qui doit
prendre fin. Notre peuple a des droits qu'il faut préserver, sinon le conflit se
poursuivra avec Israël ». Et de préciser : « Sans la fin de l'occupation, sans
la restauration des droits nationaux palestiniens, sans l'établissement d'un
Etat palestinien indépendant et souverain, il n'y aura pas de paix et de
stabilité dans la région ».
Un pessimisme de rigueur
Mais
rien dans l'avenir ne permet d'envisager les choses avec optimisme. « Il faut
s'attendre au pire au cours des pjours, surtout avec les mesures prises par
l'Autorité palestinienne contre le Hamas et le Djihad. A chaque fois qu'une
opération militaire a lieu, le gouvernement s'empresse de la condamner et de
menacer la résistance. A chaque fois, on rétorque en leur disant qu'ils ont
tort. Vous donnez des arguments à Israël pour qu'il poursuive sa répression et
son agression contre notre peuple ». En effet, le FPLP comme les autres
mouvements voient que lorsque la condamnation vient des Palestiniens, ceci
encourage Israël. Il estime même que les condamnations de la dernière opération
ont dépassé la dose, avec la suspension du dialogue avec le Hamas et le Djihad
et l'interdiction faite à leurs cadres de s'adresser à la presse. « Nous
refusons cette politique. Nous avons invité toutes les factions à la rejeter.
Nous avons convié l'Autorité à annuler ces mesures d'exception après l'attentat
de Jérusalem. C'est le seul moyen permettant de mettre de l'ordre dans les
relations palestino-palestiniennes ».
Quant à Mohamad Al-Hindi, membre du Djihad, il
souligne qu'Israël est en état de confusion, ce qui le pousse à liquider les
cadres des mouvement. Le gouvernement Sharon a révélé sa vraie face. «
Abou-Chanab était l'un des chefs politiques les plus modérés. L'assassiner de
cette manière sauvage, c'est comme si Israël voulait tuer tout le peuple
palestinien. Pourtant, il sait bien que même en tuant des dizaines de cadres,
cela ne ferait qu'augmenter la détermination de la résistance ».
Une chose est sure, la trêve appartient désormais
au passé et la responsabilité d'une telle situation incombe aux Israéliens. Pour
les Palestiniens, Sharon a donné le coup de grâce à ce cessez-le-feu suite à la
politique de terre brûlée à laquelle il a recours, dans les villes, les
villages, les camps. D'où cette unanimité des mouvements palestiniens à
considérer qu'ils ont le droit de riposter.
Une situation difficile qui met face à face
l'Autorité et les mouvements radicaux, d'autant plus que le gouvernements veut
prendre de nouvelles mesures contre la résistance, ce qui risque de diviser les
Palestiniens. « Nous demandons à l'Autorité d'assumer ses responsabilités
nationales et morales de défendre le peuple palestinien. Nous voulons qu'elle
adopte une décision pour préserver la sécurité des Palestiniens. Désarmer le
peuple et ramasser les armes au moment où Israël commet ces crimes est rejeté à
l'heure actuelle. Il est erroné de renoncer à la seule carte dont nous disposons
face aux défis que nous impose l'occupation »
Des concessions sans retour
En fait, pour ce
dirigeant comme pour d'autres, le fait que le gouvernement se soumette aux
pressions de Sharon et des Etats-Unis n'apportera pas de solution. Les exigences
de Washington et de Tel-Aviv n'ont pas de limites. Pour les observateurs dans
les territoires palestiniens, Israël veut cent pour cent de résultats de la part
d'Abou-Mazen, sans la moindre contrepartie. Israël tourne le dos aux efforts
d'apaisement dans la région. Il veut simplement que les Palestiniens capitulent.
Le gouvernement palestinien, inquiet de l'escalade de la violence, tourne les
yeux vers les Etats-Unis et appelle Israël à un accord de cessez-le-feu, au lieu
de la trêve des groupes armés palestiniens qui vient de s'effondrer. Mais si
Israël peut compter sur le soutien de l'allié américain concernant la « lutte
contre le terrorisme », les Palestiniens ont à répondre à toute une série
d'exigences de Washington. Une situation complexe qui place le gouvernement
d'Abou-Mazen dans une position inconfortable. Son avenir est tributaire de la
manière dont il saura s'y prendre avec le peuple palestinien et les mouvements
de résistance d'une part et l'alliance Etats-Unis - Israël d'autre
part.
9. Misère et violence à Hébron par Bérangère
Lepetit
in L'Humanité du lundi 25 août 2003
Une
organisation israélienne des droits de l'homme dénonce les conditions de vie des
Palestiniens à Hébron. La police israélienne est en cause.
Le constat est affligeant. La situation des populations palestiniennes dans
les territoires occupés à Hébron n'a cessé de se dégrader depuis le début de la
deuxième Intifada, en septembre 2000.C'est la conclusion du rapport rendu public
le 19 août par Betselem, le Centre israélien pour les droits de l'homme dans les
territoires occupés, qui tente de mettre au jour les violations incessantes des
droits de l'homme dans les territoires occupés. L'étude qu'elle a menée dans la
casbah (vieille ville) d'Hébron montre que 43 % de la population des trois rues
principales de la vieille ville a déménagé, soit 73 familles sur 169. " Nous
vivons comme des prisonniers dans notre maison .Le couvre-feu nous interdit
toute visite. Notre situation financière est désastreuse : nous mangeons le
strict minimum, j'ai été obligé de couper le téléphone ", rapporte Nidal Farid
Al Awiwi, employé municipal à Hébron et père de sept enfants. La pauvreté est
devenue extrême pour les familles restantes. Le couvre-feu quasi total imposé
par les autorités, sous prétexte de protéger les colons, aggrave des conditions
déjà difficiles. Entre 2 000 et 2 500 magasins ont fermé : faire ses courses est
ici devenu un véritable challenge. Trois écoles, dans lesquelles étudiaient
environ 2 000 élèves, ont dû fermer leurs portes. Dans la vieille ville, la
liberté de mouvement n'est plus qu'un lointain souvenir et les centaines de
check-points disséminés aux quatre coins de la ville sont constamment là pour le
rappeler. L'accord israélo-palestinien signé le 15 janvier 1997, qui redonnait
le contrôle d'une partie de la ville à l'Autorité palestinienne, avait permis le
retour de nombreuses familles palestiniennes en difficulté. En septembre 2000,
plus de 2 500 Palestiniens y avaient élu domicile. Mais, depuis le déclenchement
de la deuxième Intifada, des violences sans nom sont commises à l'encontre de
ces familles. Le rapport pointe la responsabilité de la police israélienne, qui
n'a pris aucune mesure pour punir les violences des colons et protéger les
familles palestiniennes qui n'ont pas pu déménager, faute de moyens financiers.
Et accuse le gouvernement israélien de tolérer tacitement ces agressions. Pour
Betselem, il est du devoir d'Israël d'assurer aux résidents de la casbah
d'Hébron des conditions de vie décentes : une éducation, la possibilité de
rendre visite à sa famille, un accès aux soins médicaux. Le droit de vivre, tout
simplement.
10. Le Centre Simon Wiesenthal accuse la France
d'"encourager le terrorisme" palestinien
Dépêche de l'agence
Associated Press du lundi 25 aout 2003, 22h22
PARIS - Le centre Simon
Wiesenthal, organisation juive de défense des droits de l'Homme, a accusé lundi
la politique de la France au Proche-Orient d'"encourager le
terrorisme".
Selon un communiqué de l'organisation, le conseiller
diplomatique du président Jacques Chirac, Maurice Gourdault-Montagne, aurait
déclaré à l'ambassadeur d'Israël à Paris, Nissim Zvilli, que rien ne prouve que
le Hamas et le Djihad islamique sont des groupes terroristes.
"Si le massacre
et la mutilation de dizaines d'enfants juifs innocents et de leurs parents la
semaine dernière à Jérusalem par un imam dépêché par le Hamas n'est pas une
preuve suffisante que le Hamas et le Djihad islamique sont des entités
terroristes, nous ne pouvons que conclure que la France est déterminée à
poursuivre sa politique dangereuse en considérant que ces meurtriers ont un rôle
légitime à jouer à l'avenir", dénonce le Centre Simon Wiesenthal.
En
rappelant que les Etats-Unis ont gelé tous les avoirs du Hamas, l'organisation
estime que "le refus de la France d'agir unilatéralement ou via l'Union
européenne revient à encourager les entités terroristes palestiniennes les plus
extrêmes".
11. Dans la famille "Hors-la-loi israéliens en
Amérique", je demande Rafi Eitan… par Kurt Nimmo
in CounterPunch
(e-magazine américain) du jeudi 25 août 2003
[traduit de l'anglais Marcel
Charbonnier]
Rafi est-il aux Etats-Unis ?
Si oui, pourquoi le FBI ne l’a-t-il pas encore arrêté ?
Eitan est l’ancien chef du Mossad pour l’Europe. C’est ce même homme qui a
recruté le spécialiste du contre-espionnage de l’US Navy, Jonathan Pollard, pour
espionner les Etats-Unis. Le même Eitan a été par ailleurs le chef de l’unité
d’espionnage scientifique et technologique ultra-secrète connue sous l’intitulé
Leshkat Kesher Madao (Lekem, pour les intimes), laquelle a été démantelée après
l’arrestation de Pollard.
D’après Richard Sale [« Pollard Recruiter
Resurfaces in U.S » (Le recruteur de Pollard ramène sa fraise aux Etats-Unis),
UPI, 31.07.2003] ainsi que des officiels de la police judiciaire fédérale
américaine, « Eitan se ballade, depuis environ un an, aux Etats-Unis, muni
certes d’un passeport israélien, mais sous un faux nom. »
Il semble qu’Eitan
se soit posé à Columbus (Ohio) puis qu’il se soit rendu dans le Midwest (Middle
West) pour y effectuer un voyage prolongé. L’ « affreux » Eitan a été
photographié en compagnie de « dealers connus appartenant à un réseau de trafic
d’ecstasy », a indiqué à Richard Sale un fonctionnaire de la police
judiciaire.
L’année dernière, deux grosses pointures israéliens du trafic
d’ecstasy ont été extradés aux Etats-Unis, au grand dam du gouvernement
israélien. L’Agence (américaine) de lutte contre la drogue [DEA – Drug
Enforcement Agency] assure que ce sont « des grands personnages du crime
israélien organisé » qui contrôlent environ 70 % du trafic mondial de l’ecstasy
[Lors de votre prochain navet – euh, pardon : rave – pensez-y ! Ndt]. Le FBI est
à la recherche de preuves qu’Eitan est (ou a été) engagé dans des activités peu
recommandables liées à ce réseau », a indiqué un fonctionnaire de la DEA à
l’agence de presse UPI.
Pour sa contribution décisive à ce qui allait devenir
le scandale autour de l’espion Pollard, Rafi Eitan fut promu à un poste très
important dans la plus importante entreprise nationalisée d’Israël, la Israel
Chemicals Company (produits chimiques). Cette responsabilité lui a été confiée
sur la recommandation d’Ariel Sharon. « Il est généralement admis que c’Eitan
qui aurait dû recevoir la plus grosse baffe dans le cadre du micmac Pollard », a
dit à UPI un ancien haut fonctionnaire très proche du dossier et ayant eu à
connaître de données confidentielles dans le cadre de ses responsabilités. « En
échange de son silence, Sharon devait (donc) s’assurer qu’on lui confierait un
bon boulot. » En 1987, Eitan avait affirmé à un quotidien israélien qui
l’interviewait que toutes ses actions avaient été entreprises avec l’aval de ses
supérieurs israéliens.
Mais Eitan n’est pas le seul Israélien à avoir été
ainsi récompensé d’avoir mis son nez dans les affaires de l’Amérique. Aviem
Sella, expert de l’armée de l’air israélienne, spécialiste ès balistique
nucléaire et livraison aérienne des bombes atomiques, était le commis de
Pollard. Après que celui-ci ait été arrêté pour avoir transmis aux Israéliens
des photographies satellite et des données ultra-secrètes relatives à des
systèmes d’armement sophistiqués (américains), Stella prit la poudre
d’escampette (direction : Tel-Aviv), après quoi il fut promu, en un temps
record, brigadier général de l’armée de l’air israélienne. « Cela avait suscité
une telle levée de boucliers aux Etats-Unis que ce Stella avait été prestement
affecté à l’Ecole de l’air israélienne », écrit Sale.
Il semble qu’espionner
les Etats-Unis soit relativement du gâteau, pour les Israéliens. D’après un
rapport de la CIA (1979) (cité par Michael Saba dans son livre « Pollard in
Perspective ») : « Les services israéliens (d’espionnage) ont largement recours
aux différentes communautés et organisations juives à l’étranger pour recruter
des espions et recueillir des renseignements… D’ordinaire, les agents israéliens
opèrent discrètement au sein des communautés juives, et ils ont l’ordre de mener
leurs missions à bien avec un doigté de la plus extrême légèreté afin d’éviter
autant que possible de porter atteinte à la réputation de blanche colombe de
l’Etat d’Israël. » Pollard, qui a été étudiant en sciences politiques à
l’Institut Fletcher de Droit et de Diplomatie de la Tufts University, après
avoir obtenu un doctorat à l’université Standford, était une de ces « perles
rares », de la plus belle eau, mollement tapie au sein de la communauté juive
américaine.
Se pourrait-il qu’Eitan soit en train « d’opérer discrètement au
sein des communautés juives» en personne, en ce moment, dans le domaine du
trafic de drogue ? Ou alors, s’agit-il d’hallucinations du FBI, depuis le début
? Et si le FBI connaît effectivement les faits et gestes d’Eitan, pourquoi ne
l’a-t-il pas coincé ? Après tout, aux Etats-Unis, il est « wanted » (recherché),
non ?
Pour Carl Cameron, de Fox News (c’est ce qu’on pouvait lire dans une
série de reportages qui ont curieusement disparu du site ouèbe de cette chaîne
de télévision), en 1997, les Israéliens ont organisé « un trafic de cocaïne et
d’ecstasy, ainsi que de fraude informatique et de détournement de cartes de
crédit réservées au VIP (malgré leur sophistication (celle des cartes, ndt))….
Les mauvais garçons surveillaient les beepers, les téléphones cellulaires
et même les téléphones fixes à usage familial des flics. Certains d’entre eux se
sont fait pincer, et ils ont avoué disposer de centaines de numéros de téléphone
afin d’échapper aux filatures. « Une enquête a permis d’établir que le réseau du
crime organisé israélien disposait d’un accès total aux banques de données
(ultra confidentielles) renfermant les informations personnelles et
biographiques des hauts fonctionnaires de la police judiciaire susceptibles de
s’intéresser à eux. »
Comment un réseau de trafiquants de drogue a-t-il pu
obtenir ces informations ? « Au cours de leurs recherches effectuées afin de
savoir d’où ils avaient pu obtenir ces informations, les enquêteurs jetèrent un
coup d’œil à la société Amdocs – une entreprise qui a pignon sur rue en Israël
», a raconté Cameron. « Cameron génère des données de facturation pour
virtuellement tous les appels téléphoniques passés en Amérique. Elle assure
aussi la validation de chèques bancaires. »
Mais il semble bien qu’Amdocs ne
soit pas seulement mouillée dans le trafic israélien de la drogue. « Plus d’une
vingtaine d’officiers du renseignement, du contre-espionnage et de la police
judiciaire, ainsi que d’autres instances, ont indiqué à la revue Insight que le
FBI est persuadé qu’Israël a intercepté des communications téléphoniques et
télématiques de certaines des lignes les plus sensibles du gouvernement
américain et ce, d’une manière continue », écrivent J. Michael Waller et Paul
Rodriguez. « Les pires intrusions semblent avoir été opérées au Département
d’Etat (= les Affaires étrangères, ndt). Mais certains pensent que les systèmes
téléphoniques (réputés) inviolables de la Maison Blanche, du ministère de la
Défense et du ministère de la Justice pourraient tout aussi bien avoir été mis
sur écoutes. Le problème, pour les agents de la célèbre Division 5 du FBI,
toutefois, n’est pas simplement de savoir ce que les espions israéliens ont bien
pu entendre – ce qui est loin d’être mince – mais aussi de cerner ce qu’ils ne
savent pas encore. »
Amdocs a « aidé Bell Atlantic à installer de nouvelles
lignes téléphoniques à la Maison Blanche en 1997… et un cadre d’Amdocs avait une
ligne T1 dédiée, reliant son bureau sis dans la banlieue de St-Louis directement
à Israël… Les enquêteurs sont en train de chercher à savoir si le détenteur de
cette ligne T1 disposait de la capacité d’intercepter des conversations
téléphoniques « en temps réel » (« real time ») passés à partir tant de la
Maison Blanche que d’autres administrations officielles dans la région de
Washington, et ils ont mis cette ligne sous surveillance, indiquent certaines
sources. Des sources proches de l’enquête indiquent que les agents du FBI mis
sur ce coup avaient sollicité un mandat d’arrêt à l’encontre de l’employé
(d’Amdocs) de St-Louis, mais que les officiels du ministère de la Justice [sub
regno Clintoni] avaient mis leur demande au panier. »
Waller et Rodriguez
citent un haut fonctionnaire américain, disant : « C’est un sujet politiquement
sensible. Je ne peux faire de commentaires, mis à part vous dire que tout ce qui
pourrait impliquer Israël, dans cette affaire en particulier, est hors de
question. C’est aussi « chaud » que ça. »
Apparemment, le Justice Department
et le FBI ont beaucoup de choses à cacher, si nous devons en croire Jeffrey
Steinberg et Edward Spannaus. Pour ces deux journalistes, les Israéliens sont
derrière « un trafic massif d’ecstasy, qui a rapporté des millions de dollars,
portant sur des drogues illégales fabriquées aux Pays-Bas et dispatchées dans
toutes les villes des Etats-Unis. Le gang du trafic de drogue opérait aussi dans
un marché noir du diamant, recourant à des juifs hassidiques comme
saute-ruisseau… Une partie des fonds récoltés grâce à ces opérations illégales,
disent certaines sources, a été siphonnée vers des comptes bancaires offshore au
nom d’Ariel Sharon, Premier ministre israélien. Certains de ces fonds sales
auraient été utilisés pour financer certaines de ses campagnes électorales. Ce
réseau maffieux israélien bénéficie du soutien logistique de plusieurs
entreprises israéliennes de télécommunications, qui sous-traitent des marchés de
grands opérateurs téléphoniques américains ainsi que d’agences gouvernementales
judiciaires… A chaque fois que la DEA, le FBI et la préfecture de police de Los
Angeles infiltraient un agent (homme, ou femme) à l’intérieur du réseau Orgad
[le « parrain » Israélien Jacob Orgad – alias « Cookie » - a été arrêté en avril
2000 par une task-force antidrogue mise sur pied par ces différentes
administrations], il (elle) se faisait repérer en quelques jours seulement… A
chaque fois qu’un tribunal ordonnait qu’une « bretelle » (d’écoute) soit
branchée sur leurs lignes téléphoniques, les malfrats visés se mettaient comme
par enchantement à « adopter le comportement de Mère Teresa », a indiqué une
source au courant de l’affaire ».
Le 16 août, Steinberg commentait ainsi la
réapparition possible d’Eitan aux Etats-Unis : « Si Eitan effectue ces voyages à
haut risque, indiquent des sources américaines et israéliennes, c’est parce
qu’il est en train de mettre au point les plans d’une nouvelle attaque majeure –
un nouveau 9/11 (onze septembre) – sur le territoire américain, dont on ferait
retomber la faute sur des terroristes musulmans ou sud-américains ( …) Ces
sources – tant les sources israéliennes que les sources américaines – ont tiré
le signal d’alarme, informant qu’Eitan est en train de mettre les dernières
touches à une telle opération, qui coïncide avec la promotion extrêmement
agressive, par le vice-président Dick Cheney, de l’idée que les Etats-Unis sont
confrontés à une attaque imminente de l’ampleur du onze septembre. Cheney a
lancé cette offensive de propagande au cours de son discours du 24 juillet
dernier devant l’American Enterprise Institute de Washington, et il bat la
campagne, depuis lors, se répandant en affirmations qu’un attentat terroriste de
grande ampleur est imminent. »
Sans égard pour la validité de l’alerte au
terrorisme de Steinberg, on a le droit de se demander pourquoi le FBI n’a pas
encore arrêté Rafi Eitan. Il existe, après tout, un mandat d’arrêt fédéral
toujours valable à son encontre. Dans ces conditions, pourquoi continue-t-il à
être ainsi autorisé à sillonner les Etats-Unis ?
Se pourrait-il (horresco
referens) que le FBI ait reçu des ordres de mettre bas les pattes devant Eitan ?
Le journal israélien Maariv écrivait en mars 2002 : « Un des types qui ont été
récemment ressorti des boules de naphtaline est le vieux pote à Sharon, Rafi
Eitan ». Est-ce Dieu possible que Sharon ait en personne envoyé Eitan (en
mission) en Amérique ?
Sharon sait qui tire les ficelles à Washington. « Je
vais vous dire les choses carrément », aurait dit Sharon à son ministre des
affaires étrangères Shimon Pérès en octobre 2001 (d’après la radio d’Etat
israélienne Kol Yisrael) : « Ne vous faites pas de souci au sujet de je ne sais
trop quelles pressions américaines sur Israël. Nous, les juifs, nous contrôlons
l’Amérique. Et les Américains le savent fort bien. »
La plupart des
Américains ne le savent peut-être pas (encore). Mais, apparemment, le FBI, lui,
est au courant.
12. La guerre ou le gaz par Guy
Chazan
in L'Intelligent - Jeune Afrique du
lundi 25 août 2003
Bloqué depuis le déclenchement de l'Intifada,
le projet Gaza Marine constituerait un parfait exemple de coopération entre les
deux pays.
Le 27 septembre 2000, Yasser Arafat en personne s'était
rendu au large de la bande de Gaza pour officialiser la découverte d'un gisement
de gaz naturel, présenté comme « un cadeau de Dieu » au peuple palestinien. Le
lendemain, la visite d'Ariel Sharon, alors chef de l'opposition, sur le site
sacré du mont du Temple - l'esplanade des Mosquées pour les musulmans -
déclenchait la seconde Intifada.
Otage du conflit israélo-palestinien depuis
près de trois ans, le projet Gaza Marine nourrit aujourd'hui beaucoup d'espoirs
dans la « feuille de route », le plan de paix soutenu par les États-Unis. Pour
ses défenseurs, il permettrait de renforcer des liens économiques mis à mal par
trente-quatre mois de carnage. « Israël a besoin de gaz, les Palestiniens en ont
et veulent le vendre », résume John Field, le dirigeant israélien de BG Group
PLC, la compagnie britannique détenant une licence sur le gisement. Toujours
selon John Field, ce serait là « un parfait exemple de coopération
transfrontalière ». Pour d'autres, en revanche, la méfiance entre les
protagonistes est aujourd'hui telle que toute collaboration de ce type semble
exclue.
BG, pour sa part, affirme ne pas vouloir développer Gaza
Marine avant d'être assuré de pouvoir vendre l'essentiel du gaz palestinien à
Israël. Mais Ariel Sharon, devenu entre-temps Premier ministre de l'État hébreu,
a jusqu'à présent refusé de soutenir le projet, invoquant des raisons de
sécurité. Yosef Paritzky, le ministre israélien de l'Infrastructure, se dit,
pour sa part, favorable à un accord tout en comprenant les réserves d'Ariel
Sharon : « Nous craignons que les royalties ne servent à financer la terreur.
[...] Nous devons trouver un mécanisme garantissant que l'argent ne sera pas
détourné au profit de quelque organisation terroriste. »
En attendant, chez BG, l'impatience est palpable. Pour
John Field, « le moment est venu de prendre une décision ». Le Premier ministre
britannique Tony Blair a d'ailleurs invité Ariel Sharon à changer d'avis lors de
la visite de ce dernier à Londres, mi-juillet. Côté palestinien aussi, on
commence à trouver le temps long. Le 1,6 billion de pieds cubes de gaz que
renferme le gisement constitue la seule ressource naturelle de l'Autorité
palestinienne. Celle-ci estime qu'elle pourrait en tirer entre 50 millions et
100 millions de dollars (entre 44,7 millions et 89,5 millions d'euros) par an.
Sachant qu'à la fin de l'année dernière, ses revenus mensuels ne dépassaient pas
18 millions de dollars... L'exploitation du gisement devrait par ailleurs lui
permettre de réduire considérablement sa facture énergétique en substituant son
gaz naturel au pétrole qu'elle doit importer pour alimenter la centrale
électrique de Gaza.
Attirer une compagnie occidentale aussi importante que BG
est éminemment prestigieux pour une Autorité palestinienne qui n'a suscité que
peu d'intérêt chez les investisseurs étrangers, surtout depuis le début de la
seconde Intifada. De 1,45 milliard de dollars en 1999, l'investissement annuel
total en Cisjordanie et à Gaza est tombé à 150 millions de dollars en 2002, soit
une chute d'environ 90 %. Les Britanniques se proposent, eux, d'investir 400
millions de dollars. Ils pomperaient le gaz de Gaza Marine et des gisements
voisins sur lesquels ils détiennent des licences - aussi bien dans les eaux
territoriales israéliennes que palestiniennes - puis l'achemineraient jusqu'à
leurs installations de transformation, encore à construire, dans le port
israélien d'Ashkelon. L'entreprise étatique Israel Electric Corp (IEC) s'est
d'ores et déjà dite intéressée par l'achat de 52,5 milliards de pieds cubes de
gaz par an sur les quinze prochaines années. Mais pour l'heure, BG attend une
lettre d'intention d'IEC, qui elle-même déclare attendre le feu vert d'Ariel
Sharon.
Ironie de l'histoire, le gaz naturel palestinien surgit à
point nommé pour Israël, dont les besoins devraient tripler d'ici à 2025, l'État
hébreu remplaçant ses centrales électriques, qui fonctionnent au pétrole et au
charbon, par des turbines à gaz, moins chères et plus efficaces. Le pays a déjà
signé un contrat avec Yam Thetis, un consortium américano-israélien qui vendra à
IEC le gaz du gisement qu'il explore au nord de Gaza. Mais IEC entend bien
diversifier son approvisionnement. Le conflit israélo-palestinien avait amené Le
Caire à suspendre un accord sur la fourniture de gaz égyptien. « IEC souhaite
ouvrir des négociations avec un second fournisseur - que ce soit l'Égypte ou BG,
cela n'a pas d'importance », a précisé Joseph Dvir, vice-président de la
compagnie israélienne.
13. Une auteure de littérature pour enfants confrontée
à l’ire juive. Le récit de la vie d’un garçon palestinien de Cisjordanie
déchaîne les pressions de divers lobbies, qui en appellent à son
interdiction par Fiachra Gibbons
in The Guardian (quotidien
britannique) du mardi 23 août 2003
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Des associations
juives font pression sur un éditeur afin qu’il retire de la vente un livre pour
enfant prenant pour personnage principal un jeune garçon palestinien grandi au
milieu de l’Intifada, en Cisjordanie.
Un Petit Morceau de Terre [A Little
Piece of Ground], un ouvrage de fiction écrit par Elizabeth Laird, auteure
lauréate d’une multitude de prix littéraires, raconte comment Karim, un jeune
garçon palestinien de douze ans – des parents duquel les oliveraies ont été
confisquées par des colons – vit la mise à nu et l’humiliation de son père par
des soldats israéliens.
Emporté dans le mouvement de protestation contre
l’occupation, ses amis ayant tenté de fabriquer un modèle de bombe en
carton-pâte, Karim rêve qu’il met au point un « acide capable de dissoudre
l’acier des tanks israéliens ».
La maison d’édition, Macmillan, a reçu trois
demandes de mise au pilon dur roman pour enfants, et de nombreuses librairies
craignent d’en avoir des exemplaires en stock, de peur que cela ne déclenche les
protestations d’associations juives. Jusqu’ici, la plupart des attaques dirigées
contre Mme Laird sont venues d’Amérique du Nord, sous la houlette d’une chaîne
de librairies canadiennes qui a formulé la première plainte – au vitriol –
auprès de l’éditeur. On en déduit que les autres provenaient de groupes de
pression juifs (britanniques).
La romancière d’origine néo-zélandaise a écrit
ce roman après une visite effectuée à Ramallah, dans le cadre d’un programme du
British Council visant à encourager l’expression écrite des enfants. Elle
rejette toute accusation de contenu anti-israélien.
« Je m’attendais à des
réactions. Mais affirmer que toute critique d’Israël est antisémite ne rend
absolument pas service à Israël. C’est une histoire importante, il faut qu’elle
soit racontée, lue, et entendue. Elle montre un enfant subissant l’occupation
militaire de son pays. C’est terrible pour les occupants, et c’est terrible pour
ceux qui sont sous occupation. J’espère avoir montré à quel point c’est horrible
pour les soldats, aussi », a déclaré Mme Laird, qui a vécu plusieurs années à
Beyrouth, ainsi qu’en Irak.
« Une grande compréhension d’Israël existe déjà
[chez nous]. C’est une donnée de fait. Tous les peuples occidentaux ont ressenti
de la sympathie pour Israël, souvent pour de bonnes raisons ; et je ne pense pas
que cela doive s’arrêter. La voix de l’enfant palestinien, en revanche, personne
ne l’entend. »
Ann Jungman, auteure de littérature pour la jeunesse et membre
de l’association libérale Jews for Justice in Palestine, a déclaré qu’elle
admirait ce livre, mais qu’elle le trouvait néanmoins de parti pris. « Ce n’est
pas le contenu qui, à mon sens, fait problème. C’est ce qui a été exclu ; le
non-dit. Il devrait y avoir une présentation plus large des réalités. (Dans ce
livre), tous les Palestiniens sont des gens très raisonnables, et tous les
Israéliens sont des monstres. »
Mme Laird, lauréate du prix Children’s Book
Award, ainsi que du prix Smarties, nominée à trois reprises à la Carnegie Medal,
affirme que son livre, A Little Piece of Ground, n’a aucune prétention
politique. « C’est vrai, beaucoup d’Israéliens s’efforcent de parvenir à un
modus vivendi avec les Palestiniens, et beaucoup refusent d’effectuer leur
service militaire en Cisjordanie. Mais le livre est vu à travers le regard d’un
garçon (palestinien) de douze ans, qui ne voit autour de lui qu’une seule chose
: des soldats (israéliens) en armes. Adopter un autre parti, dans l’écriture de
mon livre, cela aurait été trahir mes personnages », explique-t-elle.
« Le
livre parle moins de politique que de fraternité, d’amitié, d’amour et de foot.
» Il tire son titre d’un morceau de terrain vague que Karim et ses amis
transforment en terrain de football et qui devient, plus tard, le lieu de
violents affrontements.
Mme Laird insiste sur le fait que tous les éléments
présents dans le livre sont tirés de la vie réelle. « Beaucoup des incidents
décrits proviennent des sites ouèbes des principales associations israéliennes
de défense des droits de l’Homme », tandis que d’autres incidents encore
proviennent du vécu de sa collaboratrice, Sonia Nimir, maître de conférence à
l’université cisjordanienne de Bir Zeit.
Mme Laird affirme avoir « mis des
bémols » à plusieurs passages de son livre, mais qu’il fallait absolument
s’attaquer à l’analyse des motivations des attentats kamikazes. « Les attentats
suicides se poursuivent, en arrière-fond et, dans une scène, je fais questionner
Karim par son oncle, au sujet de son désir de vengeance après que son père ait
été humilié devant lui par les soldats israéliens. L’oncle de Karim lui demande
: « Est-ce que ça nous donne le droit d’aller les faire sauter avec une bombe ?
» »
Lauréat du Prix pour l’Enfance Britannique, Michael Morpurgo a pris la
défense du roman. « Parfois, nous avons besoin de quelque chose qui dépasse
l’esquive. Personne d’autre qu’Elizabeth Laird ne pouvait écrire un livre comme
celui-ci. Elle a vécu au Moyen-Orient. Elle connaît cette région du monde. Elle
l’aime. Elle en porte le deuil. Elle espère pour elle. »
Il a exhorté les
parents à encourager leurs enfants, entre onze et quatorze ans, d’acheter le
livre. « Lisez-le, et vous saurez ce que cela veut dire, être opprimé, vivre
dans la peur, jour après jour. Et cela, il faut absolument que nous le sachions,
et que nos enfants, aussi, le sachent. Car c’est – hélas ! – bien ainsi que la
majorité des hommes vivent », a-t-il dit.
La maison Macmillan a refusé
d’expliciter la provenance des pressions exigeant le retrait du livre, mais Kate
Wilson, directrice du secteur de la littérature enfantine, a déclaré que
l’entreprise n’avait absolument pas l’intention de le retirer de la vente. «
Nous avons longuement et très sérieusement réfléchi à la question de savoir si
poursuivre la diffusion du livre était une attitude responsable. Nous avons
conscience que cela risque de provoquer beaucoup de réactions, des plus
diverses. »
Elle a indiqué que Macmillan n’avait pas peur de mettre en rage
l’opinion juive. « Je ne pense pas qu’il y ait un lobby juif puissant dans notre
pays. Elizabeth est une auteure remarquable, elle a une capacité absolument
fascinante à se mettre dans la peau de ses personnages – dans le livre, nous
vivons de l’intérieur autant les dilemmes des soldats israéliens que ceux de
Karim. »
Mme Wilson a maintenu que le livre expose sans chercher à le cacher
le soutien de Karim aux kamikazes. « [Mais] le thème central du livre, à bien
des égards, c’est l’altercation de Karim avec son oncle, qui est, lui, opposé
aux attentats suicides. »
- Crise familiale -
Extrait de "A Little Piece of Ground"
Karim a assisté au spectacle de son père, tiré de la voiture familiale et
dévêtu à un checkpoint israélien… « Il (le soldat israélien) est terrifié »,
pense Karim, surpris de ce constat. « Il pense qu’on va l’attaquer ». Il pouvait
presque sentir la peur du soldat.
« Elle ne voulait pas faire de mal ! »,
dit-il, détestant le ton d’apaisement qu’il pouvait percevoir dans sa propre
voix. « Je vais la ramener à la voiture. »
Le soldat le repoussa, sans
ménagement. « Prends-la. S’il y a encore des problèmes avec vous, vous irez
là-bas, rejoindre les autres terroristes ! »
Karim prit Sirine dans ses bras,
et il courut, l’emmenant à la voiture.
Lamia avait entr’ouvert la portière,
mais un autre soldat, qui n’était pas là auparavant, se tenait à côté de la
voiture, et il lui ordonna de refermer la portière. Karim tendit Sirine à sa
mère, et il monta s’asseoir en toute hâte sur le siège arrière.
« Oh, ma
chérie ! » sanglotait Lamia, le visage perdu dans les cheveux de la petite
Sirine.
Karim était secoué de violents tremblements. Il avait mal au cœur :
une remontée de peur.
Farah se retourna et se blottit contre lui, suçant
hardiment son pouce. De son autre main, elle lui serrait le bras. Non : cette
fois, il ne la repoussa pas.
« Je les hais. Je les hais. Je les hais ! »
Pensa-t-il, incapable désormais de tourner son regard vers son père, toujours
là, debout, réduit à une chose ridicule, à côté d’un vieillard abasourdi.
14. Bernard Sabella : "La violence ne mène nulle
part" entretien réalisé par Valérie Féron
in L'Humanité du samedi 23
août 2003
Le sociologue palestinien Bernard Sabella nous
livre ses réactions après la nouvelle escalade sanglante de ces derniers
jours.
Jérusalem, correspondance particulière - " La violence
comme nous le voyons depuis le début de cette Intifada n'a mené nulle part ",
nous confie le sociologue palestinien Bernard Sabella dont nous avons suscité la
réaction quelques heures après l'attentat suicide de Jérusalem qui a coûté la
vie à une vingtaine de civils israéliens. " Chaque escalade ne sert qu'aux plus
extrémistes des deux camps. Il est pourtant toujours évident que chaque partie
devra accepter la réalité : Palestiniens et Israéliens sont sur cette terre et y
resteront. " Bernard Sabella affirme cependant qu'il fait partie de ceux qui
pensent " que ce sont les extrêmes de deux camps qui sont peut-être les plus à
même de conclure une paix durable " et étaye cet argument en se disant persuadé
que les Américains, en grandes difficultés en Irak, ont trop besoin d'afficher
un minimum de réussite au Proche-Orient pour ne pas faire pression aussi sur
leur allié israélien, même si la droite extrémiste israélienne fait partie du
gouvernement Sharon.
Sur les défis internes que doit relever la société palestinienne pour
parvenir à l'indépendance, le sociologue insiste sur la nécessité d'accepter de
bâtir le futur palestinien " sur une partie seulement de notre patrie historique
". " Il ne s'agit pas, précise-t-il, de renoncer à nos droits mais de prendre en
compte les besoins présents de notre société en matière de santé, d'éducation,
d'économie et d'y répondre. C'est bien de cela qu'il va falloir convaincre les
mouvements comme le Hamas. En fait les Palestiniens sont déchirés intérieurement
entre l'émotion profonde suscitée par les questions historiques comme celles du
droit au retour des réfugiés, ou Jérusalem et la nécessité d'être pragmatique.
Je crois que la société palestinienne est en train de prendre cette seconde
voie. Environ 20 % des Palestiniens ne se reconnaissent plus dans les partis
politiques et ce nombre est en augmentation. Ce qui veut dire qu'ils veulent du
concret, des résultats, qu'ils sont prêts à certains compromis. Sans pour autant
renoncer à leurs droits. " Quant au Hamas qui a officiellement annoncé la
rupture de la trêve jeudi il va devoir faire ses propres choix. " Aussi dur que
cela soit pour lui, il lui faudra, estime Bernard Sabella, accepter de négocier
avec l'occupant sans attendre son départ. "
Aux yeux du scientifique
palestinien la société israélienne ne serait pas prête à accepter un État
palestinien près du sien. " Je pense, dit-il, que c'est la principale raison de
l'agressivité de la classe politique israélienne à l'égard du président Arafat,
qui reste celui qui ne se plie pas aux desiderata de l'occupant. " Cependant,
ajoute Bernard Sabella, " les Israéliens devront tôt ou tard accepter la réalité
palestinienne. La construction de colonies, de murs comme celui qui va enfermer
les populations de Cisjordanie tout en leur prenant toujours plus de terres ne
pourront pas faire disparaître quatre millions de Palestiniens. Les Israéliens
croient avoir trouvé la solution pour se protéger. Or s'ils peuvent le faire
dans une certaine mesure à Gaza, qui est une immense prison, ils ne pourront pas
y parvenir en Cisjordanie où tout est trop imbriquée, tout particulièrement dans
la partie occupée de Jérusalem, entre colons israéliens et populations
palestiniennes. " Du coup de véritables remises en question restent à l'ordre du
jour de part et d'autre.
Quant à la forme que pourra prendre la cohabitation
israélo-palestinienne toujours programmée par la très compromise " feuille de
route " à l'horizon 2005, Bernard Sabella juge qu'il serait sûrement préférable
à terme de préférer une confédération à l'instauration de deux États souverains.
" Mais pour l'instant, lance-t-il, nous, Palestiniens, tenons à avoir notre
propre État. Je pense que malgré toutes les difficultés, cette solution est
toujours possible. Mais pour y parvenir il faut que chacun puisse répondre à
cette question : comment envisager ma coexistence avec l'Autre ? Le but n'est
pas de s'aimer, ni d'être amis mais de construire honnêtement des relations dans
tous les domaines d'égal à égal en se basant sur nos intérêts communs. " Bernard
Sabella reste optimiste. Il se dit persuadé qu'on en arrivera là même si
l'échéance de 2005 ne lui paraît pas tenable.
15. Menace de mort : Le Rennais Gilles Munier dans la
ligne de mire !
in 7 Jours (hebdomadaire publié à Rennes) du vendredi 22 août
2003
Quelle n’a pas été la surprise du rennais Gilles Munier,
secrétaire général des Amitiés franco- irakiennes, de découvrir dans son
courrier, à son retour de vacances, une enveloppe contenant une balle de 22 LR
accompagnée du message : « La prochaine n’arrivera pas par la poste » ! Le
courrier avait été posté le 21 juillet à Rosny-sous-Bois, en Seine-
Saint-Denis.
Il a porté plainte contre X pour « Menace de mort » le 11
août, et demandé à Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, d’intervenir « avec
fermeté » contre les expéditeurs de la lettre qui, selon lui, n’en sont pas à
leur coup d’essai. En effet, depuis un an, une dizaine de personnalités
intervenant sur le problème palestinien auraient reçu le même message, notamment
José Bové et Lucien Bitterlin, président de l’Association de Solidarité franco-
arabe. « En 30 ans de militantisme pour la politique arabe du général de Gaulle,
j’ai été parfois insulté ou diffamé, voir agressé, dit-il, mais c’est la
première fois qu’on me menace de cette façon. C’est sans doute parce que je
dénonce l’occupation de l’Irak par les Etats-Unis et que je soutiens la
résistance ». Les auteurs, ajoute-t-il, sont à rechercher parmi les pro-
israéliens les plus extrémistes, ceux qui coopèrent avec des
néo-nazis.
Parallèlement aux investigations policières qui peuvent
aboutir à un non-lieu, il compte mener sa propre enquête. « Il faut démasquer
ces gens là avant qu’ils ne passent à l’action, sinon cela finira mal », et de
remarquer : « La balle tirée sur le président Jacques Chirac lors du 14 juillet
2002 était aussi une 22 LR et le déséquilibré qui s’apprêtait à recommencer
évoluait au sein de la nouvelle extrême droite française, aujourd’hui proche des
néo-conservateurs américains ».
16. Révélation
: Voici comment Israël a aidé Amin Dada à accéder au pouvoir par
Richard Dowden
in The Independent (quotidien britannique) du dimanche 17 août
2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
La radio ougandaise ayant annoncé, à
l’aube du 25 janvier 1971, qu’Amin Dada était le nouveau dirigeant du pays,
beaucoup de gens ont soupçonné la Grande-Bretagne d’avoir donné un coup de main.
Toutefois, des archives du Foreign Office, tombées l’an dernier dans le domaine
public, révèlent l’intervention d’une autre bonne fée [penchée sur le berceau du
dictateur sanguinaire] : Israël.
Les premiers télégrammes envoyés à Londres
par le Haut Commissaire Britannique à Kampala, Richard Slater, montrent un homme
choqué et stupéfait par la survenance du coup d’état. Mais il s’était adressé
rapidement à l’homme dont il pensait que lui, savait ce qui était en train de se
passer. Cet homme, c’était le colonel Bar Lev, attaché militaire à l’ambassade
d’Israël. Il le trouva en compagnie d’Amin : ils avaient passé la matinée
ensemble, au lendemain du putsch ! Le télégramme suivant de Slater disait,
citant le colonel Bar Lev : « Au cours de la nuit passée, le général Amin a fait
arrêter tous les officiers de l’armée soupçonnés d’être restés favorables à
Obote… Amin a désormais la haute main sur tous les éléments de l’armée, qui
contrôle les points stratégiques vitaux partout en Ouganda… » L’attaché
militaire israélien excluait toute possibilité d’opposition armée à Amin.
Les Israéliens sont intervenus immédiatement afin de consolider la position
des putschistes. Au cours des jours suivants, Bar Lev resta en contact constant
avec Amin, lui prodiguant ses conseils éclairés. Slater fit savoir à Londres que
Bar Lev avait expliqué « avec un luxe de détail inouï [comment] tous les
principaux foyers potentiels de résistance, tant dans les provinces que dans la
capitale, Kampala, avaient été éliminés. » Peu après, Amin effectua son premier
déplacement officiel à l’étranger. Nous constatons que nous n’avions pas affaire
à un ingrat. En effet, il s’agissait (comme par hasard… ndt) d’une visite d’Etat
en Israël. Golda Meir, Premier ministre israélien, fut, dit-on, « abasourdie à
la lecture de la liste des commissions qu’Amin avait rédigée avant de se rendre
au supermarché de l’armement, de crainte d’oublier quelque chose ».
Mais
qu’est-ce qui pouvait bien intéresser à ce point Israël, dans ce pays enclavé en
Afrique centrale ? La raison, Slater nous la livre, dans un autre télégramme,
plus récent : Israël soutenait la rébellion dans le sud du Soudan afin de punir
ce pays coupable d’avoir soutenu le camp arabe durant la guerre dite des
Six Jours. « N’allez pas imaginer que les Israéliens veulent que les
rebelles gagnent. Non : ce qu’ils veulent, c’est continuer faire la guerre au
Soudan jusqu’au dernier rebelle… »
Les Israéliens avaient contribué à
former la nouvelle armée ougandaise, dans les années 1960. Peu après
l’indépendance, Amin avait été envoyé en stage en Israël. Devenu chef
d’état-major de la nouvelle armée, Amin effectua une mission secrète pour le
compte des Israéliens, approvisionnant les rebelles du Sud Soudan en armes et en
munition. Amin avait des motifs propres à les aider : des membres de sa tribu,
les Kakwa, vivaient dans le sud du Soudan. Obote, toutefois, voulait la paix au
sud Soudan. Cela causait du souci aux Israéliens, dont les alarmes redoublèrent
après qu’Oboté eût remercié Amin, en novembre 1970 : voilà que le gros bâton
dont ils disposaient pour frapper le Soudan venait de leur échapper brusquement
des mains...
Bien qu’ils n’aient joué qu’un rôle mineur dans le coup
d’état, les Britanniques en accueillirent la nouvelle dans l’enthousiasme. « Le
général Amin a, pour sûr, débarrassé la scène africaine de l’un de nos ennemis
les plus implacables en Afrique Australe… », écrivit un officiel du Foreign
Office, à Londres, dont les pieds ne touchaient visiblement plus par terre.
L’homme qui poussa avec le plus de véhémence la Grande-Bretagne à soutenir
militairement Amin fut Bruce McKenzie, un ancien pilote de chasse de la RAF
reconverti en agent du MI6 (cela n’empêchera nullement Amin de l’assassiner sept
ans plus tard). Il s’envola pour Israël peu de temps après le coup d’état et,
semblant demander la permission de soutenir Amin à Douglas Home, il lui dit : «
La voie est désormais libre devant notre Haut Commissariat à Kampala : il pourra
se rapprocher d’Amin ».
Mais Mr Slater, le cauteleux diplomate en poste à
Kampala, demeurait rétif. Pressé par McKenzie, Douglas-Home donna ses ordres à
Slater : « Le Premier ministre suivra cette situation et, j’en suis certain, il
voudra que nous saisissions sans plus tarder toute opportunité de vendre des
armes. Ne soyez pas exagérément timoré. »
Peu après, Amin était invité à
venir effectuer une visite d’état à Londres. Cerise sur le gâteau : il fut
invité à dîner à la table de Sa Majesté, à Buckingham Palace…
17. L’Onu condamne une nouvelle loi israélienne
régissant le mariage
par BBC News le vendredi 15 août 2003,
17h35
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Un panel d’experts de l’Onu
exhorte Israël à repousser une nouvelle loi qui obligerait les Palestinien(ne)s
épousant des Israélien(ne)s à vivre séparé(e)s de leur
conjoint(e).
Le Comité pour l’Elimination de la Discrimination Raciale (basé à Genève) a
approuvé à l’unanimité une résolution affirmant que cette loi israélienne viole
un traité international garantissant les droits humains. Toutefois,
l’ambassadeur d’Israël auprès des Nations unies à Genève a accusé le panel
d’expert de parti-pris.
Le 31 juillet dernier, le parlement israélien
(Knesset) a adopté une loi excluant les Palestinien(ne)s conjoint(e)s
d’Israélien(ne)s de l’éligibilité à la citoyenneté israélienne et au droit de
résider en Israël.
Pour les experts onusiens, Israël devra reconsidérer sa
politique, en ayant en vue de faciliter la réunion des familles sur une base
non-discriminatoire. Les Arabes représentent 20 % de la population totale
d’Israël, d’environ 6 millions de personnes. Près de 3 millions de Palestiniens
vivent en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. De nombreuses familles ont été
divisées par le conflit du Moyen-Orient, et au fil des ans, les mariages entre
les deux populations ont été assez nombreux. Jusqu’à récemment, le ministère
israélien de l’Intérieur décidait en dernière instance de l’accord (ou non) de
la citoyenneté israélienne et de la possibilité de s’établir en Israël aux
Palestinien(ne)s ayant épousé des Israélien(ne)s.
Depuis 1993, plus de cent
mille Palestiniens ont obtenu des permis israéliens à ces effets et certains
Israéliens voient dans ces autorisations du laxisme et une menace à leur
sécurité.
Défi israélien
Le comité de juristes de l’Onu – qui
assure le suivi de la mise en œuvre de la Convention Internationale (de 1966) en
vue de l’Elimination de toutes les formes de Discrimination Raciale – a condamné
la nouvelle loi israélienne.
Israël considère la condamnation du Comité comme
foncièrement de parti pris. L’ambassadeur israélien auprès de l’Onu, Yaakov
Levy, a déclaré que cette résolution traduisait « une approche biaisée, qui
pointe du doigt injustement le seul Israël. » Il a ajouté que cette loi était
encore soumise à l’examen de la Cour Suprême d’Israël, après avoir essuyé les
critiques de l’opposition.
« Le processus juridique interne (à Israël) n’a
pas encore été entièrement bouclé », a-t-il conclu.
18. Le monde interlope
israélien remonte à la surface - Guerre des gangs dans les rues par
Elli Wohlgelernter
in Forward (hebdomadaire américain) du vendredi 15 août
2003
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
Jérusalem – En dépit d’un
fragile cessez-le-feu entre Israël et les Palestiniens, les rues d’Israël se
teignent de sang, cet été, conséquence d’une explosion dans la guerre des gangs
qui a stupéfait la police.
L’un des gangsters les plus redoutés d’Israël,
Yisrael « Alice » Mizrahi, 58 ans, a été tué la semaine dernière dans
l’explosion qui a détruit sa jeep Mercedes près de son bureau situé dans les
quartiers sud de Tel-Aviv, explosion qualifiée par la police de « travail de
super-pros ». Il a été tué par une bombe à détonation télécommandée placée sous
le siège du conducteur, qui a pulvérisé le volant, laissant les roues et le
châssis de la voiture intacts. Deux autres passagers, dont son épouse Esther,
ont été miraculeusement seulement légèrement blessés.
La police déclare ne
pas savoir avec certitude qui a descendu « Alice ». Sa mort semble venir
s’ajouter à une liste d’attentats non résolus, au cours des six dernières
semaines de ce qu’un enquêteur a qualifié de « guerre mondiale » entre gangs
rivaux, pour des enjeux qui n’ont pas encore été élucidés.
05.08.2003 : Un
garçon de seize ans, de Saint-Jean-d’Acre, fils d’un officier de police, est
arrêté pour tentative d’assassinat d’un personnage suspecté appartenir au
milieu, dans la cité portuaire méridionale
02.08.2003 : Le corps de David
Amar, 40 ans, est retrouvé sur la plage de Nofshonit, près de Césarée. La police
indique qu’Amar, au casier judiciaire lourdement chargé pour trafic de drogue,
avait été tué par balle dans ce qui semble ressortir aux règlements de compte
courants dans le milieu.
31.07.2003 : Aharon Masika, 53 ans, connus sous le
sobriquet « L’Assassin », est assassiné par un homme vêtu en juif
ultra-orthodoxe qui l’a abordé dans la rue et lui a tiré une balle à bout
portant entre les deux yeux.
26.07.2003 : Le corps de Muhammad Khaled
Armush, 30 ans, est retrouvé dans un appartement du quartier Hadar, à Haïfa. La
police pense qu’Armush, qui ne lui est pas inconnu, a été tué au cours d’une
querelle entre malfrats. Sa mort porte le nombre des personnes assassinées à
Haïfa cette année à 16, à comparer avec les 8 enregistrés au cours de toute
l’année 2002.
13.07.2003 : Alex Barak, alias « L’Homme Mystère » est
sérieusement blessé par balles, devant son appartement de Tel-Aviv. Il avait
reçu un appel téléphonique d’une personne qui s’était présentée comme un
acheteur virtuel du bar dont il était le propriétaire. Barak passait pour ami
intime de feu Felix Abutbul, considéré par la police comme le chef du milieu de
la ville côtière de Netanya. Abutbul s’était fait dégommer devant un de ses
casinos pragois en août 2002. Barak, quant à lui, a passé neuf ans dans une
prison anglaise, dans les années 70 et 80, pour sa participation à une tentative
de kidnapping (contre rançon) d’un ministre nigérian.
09.07.2003 : « Nikita
», une jeune fille de dix-sept ans originaire de Beersheva, est arrêtée en
compagnie de trois hommes, soupçonnés d’être en train de préparer une exécution
collective. « C’est moi qui devais prendre le flingot et buter le type »,
a-t-elle avoué aux policiers qui l’interrogeaient.
03.07.2003 : Reuven alias
« Banjo » Adazhshivili, 42 ans, connu de la police sous le sobriquet d’ «
Assassin Number One », est retrouvé tué par balles dans sa voiture, sur un
parking situé près du Carrefour Yarkonim, dans la banlieue de
Tel-Aviv.
30.06.2003 : Le patron célèbre d’un gang de Tel-Aviv, Ze’ev (dit «
Zevik ») Rosenstein et trois de ses gardes du corps ( !) sont légèrement blessés
par des shrapnels après qu’une bombe commandée à distance ait explosé devant son
bureau de Tel-Aviv. C’était la quatrième tentative d’éliminer Rosenstein depuis
un an. La police commente disant qu’il doit être né sous une bonne
étoile.
27.06.2003 : Micha Aslan, 47 ans, un des chefs du milieu à Jérusalem
durant les décennies 70 et 80 est tué d’une balle dans le dos par un assaillant
inconnu à Eilat, où il était en vacances. Aslan avait fait de la prison pour
meurtre dans les années 1980 et 1990, et tout le monde pensait qu’il s’était
rangé après son élargissement.
19.06.2003 : Georgi Gilashvili, 40 ans,
citoyen géorgien, est arrêté par la police pour excès de vitesse en moto. Il est
accusé d’excès de vitesse, pour être entré illégalement dans le pays et posséder
des papiers d’identité falsifiés. Précédé de sa réputation d’assassin
professionnel, il sera accusé de complot visant à assassiner deux chefs de
gangs, Itzik et Meir Abergil, deux rois de la roulette et du racket en Israël,
dont les photos ont été retrouvés sur Gilashvili lors de son arrestation.
Un
rapport de la police consacré au crime organisé, publié le 9 juillet dernier,
décrit les six principaux gangs du crime opérant en Israël, dont ceux dirigés
par « Zevik » Rosenstein et Itzik Abergil, ainsi que le cercle des bédouins du
Néguev et trois autres associations de malfaiteurs. Chaque « famille » est
spécialisée dans un secteur d’ « activités ».
La raison pour laquelle les
différents gangs s’éliminent entre eux n’est pas encore élucidée. Les sources de
la police disent que ses services spécialisés dans la lutte contre le crime
organisé ont été pratiquement supprimés au cours des trois années écoulées, des
fonds budgets énormes étant consacrés à la lutte anti-terroriste et au contrôle
de la dite « ligne de séparation » entre Israël et les territoires, laissant les
casseurs de gangs dans une situation criante de sous-effectifs.
D’après
certains spécialistes, la guerre des gangs à laquelle on assiste cet été en
Israël résulte des tentatives déployées par quelques « familles » afin de
s’emparer des affaires des autres familles, coupant court à des accords tacites
remontant à plusieurs décennies dans le passé. « C’est une guerre entre des
groupes rivaux qui se battent entre eux pour savoir qui contrôlera les jeux
illégaux, l’extorsion de fonds et la drogue », indique le criminologiste de
l’Université Hébraïque Menachem Amir, qui a reçu cette année le prix Israël pour
son rôle dans l’institution de la criminologie dans le pays.
M. Amir a
indiqué qu’en plus des six principales familles de gangsters israéliens, il y a
des groupes locaux qui mènent des guerres sur leur plate-bande pour le contrôle
des opérations dans leur propre localité. « La police a cerné seulement les six
gangs qui ont commis des extorsions de fonds ou des assassinats en-dehors de
leur territoire, mais d’autres groupes existent, qui se « contentent »
d’assassiner sur leur propre territoire, comme c’est par exemple le cas à Pardès
Katz, ou à Netanya. »
« De plus », a-t-il poursuivi, « ces six gangs
n’incluent pas les Russes. Les Russes n’opèrent pas tant dans le jeu que dans la
prostitution et l’extorsion de fonds – bien que certains des gangs israéliens
soient eux aussi spécialisés dans l’extorsion de fond et le chantage contre des
maisons closes. »
C’est l’assassinat de Mizrahi, la semaine dernière, qui a
mis les projos sur les guerres entre gangs. Décrit comme l’un des personnages
les plus recherchés et les plus hauts en couleurs du milieu israélien, Mizrahi
était l’un des chefs de la « Mafia Israélienne » qui opérait dans le quartier
new-yorkais de Brooklyn à la fin des années 1980. Il était parti s’établir à New
York après cinq ans de service en Israël, pour vol à main armée, et il était
devenu le bras droit de Yehuda « Johnny » Attias, lequel dirigeait un gang
d’ex-israéliens spécialisé dans le trafic d’héroïne et de cocaïne, le racket des
stations service et l’extorsion de fonds.
A son retour en Israël, au début
des années 1990, Mizrahi fut soupçonné dans deux affaires d’assassinat. Il a été
suspecté d’avoir kidnappé et assassiné son camarade émigré israélien Albert «
Babar » Shushan sur la route de l’aéroport Kennedy de New York, en mars 1988, au
cours de ce qu’on pense avoir été une violente dispute à propos de drogue.
Un
an après, Michael Markowitz, un Israélo-américain d’origine roumaine et probable
indic du FBI, a été retrouvé mort avec trois bastos dans le crâne, dans sa
voiture, dans le quartier Sheepshead Bay de Brooklyn. Bien qu’Israélien,
Markowitz avait été présenté par la police new-yorkaise comme un personnage
important de la « mafia russe » de Brooklyn. Elle a dit que la mafia israélienne
(exclusivement séfarade) de New York ne l’avait pas intégré en son sein parce
qu’il était ashkénaze. La police new-yorkaise soupçonna Mizrahi et Attias de
l’avoir dessoudé, pour un mobile non élucidé.
Attias avait été tué en 1990.
Mizrahi avait pris un vol pour Israël immédiatement après que sa Lincoln blanche
ait été pulvérisée par une bombe devant un night-club dont le patron était
israélien. Il avait été arrêté deux ans plus tard, sur la foi d’indices envoyés
en Israël par les autorités judiciaires américaines. Israël ayant refusé son
extradition aux Etats-Unis, il avait été jugé à Tel-Aviv. Le FBI avait envoyé
des dizaines d’agents pour suivre le procès-fleuve, qui dura plusieurs mois,
mais il avait été acquitté en 1996 pour les deux affaires criminelles pesant sur
lui. Toutefois, il a été convaincu de trafic d’héroïne, depuis la Hollande vers
les Etats-Unis, et condamné à douze ans de prison.
Après sa libération sur
parole en 2001, la police dit qu’il a repris ses activités illégales dans les
jeux d’argent, dans ses prêts usuraires et le trafic de boissons alcoolisées. La
police indique que sa mort est probablement liée à un règlement de comptes avec
des associés dans le domaine des jeux d’argent, et qu’elle n’entrait pas dans le
cadre des guerres inter-gangs plus largement en cours.
D’autres observateurs
pensent qu’il est bien difficile de dire quelles sont les relations entre les
différents règlements de comptes. Amir a indiqué qu’il pensait que l’effusion de
sang ne fera que croître et embellir, bien qu’il aperçoive un rayon de
soleil.
« Dans le futur immédiat, certes, cette guerre des gangs va
s’amplifier, parce qu’ils sont puissants et qu’il n’y a pas assez d’effectifs de
police, pas assez de ressources budgétaires, pour lutter contre », dit-il, «
mais en fin de comptes, la police percevra un budget plus important afin de
lutter contre le crime organisé, et on constatera une surveillance policière
plus intensive, plus proactive. C’est ce qui va sans doute se passer.
»
19. Israël transforme la feuille de route (road map)
en barrage routier (road block) par Marwan Bishara
in The
International Herald Tribune (quotidien international) du jeudi 14 août
2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Marwan Bishara est professeur de relations internationales à
l’Université Américaine de Paris, est l’auteur de l’ouvrage Palestine / Israël :
La paix ou l’apartheid aux Ed. La Découverte.)
L’administration
Bush, préoccupée par son occupation de l’Irak, s’avérant incapable de démonter
l’occupation israélienne des territoires palestiniens, la « feuille de route »
moyen-orientale est en train de tourner à ce genre de pétards mouillés qui
finissent par donner à la diplomatie internationale une réputation
exécrable.
La feuille de route, conçue en Europe pour être une initiative
internationale fondée sur une solution à deux Etats au conflit
israélo-palestinien, a été imprimée à Washington et mise en pratique dans le
contexte de la « guerre anti-terroriste » des Etats-Unis. Ainsi l’on assiste au
spectacle d’une administration Bush ignorant royalement les violations
flagrantes par Israël de la dite feuille de route – allant même, parfois,
jusqu’à l’en féliciter – au prétexte de lutter contre le terrorisme.
La
logique de la force, qui est la logique constante d’Israël, a été illustrée par
les raids militaires effectués la semaine passée contre Naplouse, tuant et
blessant plusieurs Palestiniens. Mardi dernier, les raids ont entraîné deux
attentats suicides en représailles – tous deux menés à bien, significativement,
par des adolescents palestiniens originaires de Naplouse – dans la ville
israélienne de Rosh Haayin et près de la colonie d’Ariel, en
Cisjordanie.
Tant qu’Israël mènera sa guerre dans les territoires occupés,
l’Autorité palestinienne ne pourra pas sévir contre les factions palestiniennes
qui ont signé le cessez-le-feu encore actuellement en vigueur. Pour le nouveau
gouvernement palestinien, cela équivaudrait à un suicide politique et cela
pourrait même entraîner une guerre civile intra-palestinienne.
Tout autant
qu’elle met en danger le cessez-le-feu, l’escalade de la violence constatée
cette semaine va encore un peu plus obérer les mesures que les Palestiniens ont
prises afin de mettre en application les réformes appelées par la feuille de
route, mesures qui ont d’ailleurs, comme on pouvait s’y attendre, été
minimisées, dans une large mesure, par l’administration Bush.
Dans la phase I
de l’initiative en trois phases, les Palestiniens devaient choisir un nouvel
interlocuteur, réformer leur gouvernement et mettre un terme à la violence. Ils
ont rempli ces trois objectifs, en dépit de multiples chausse-trappes
israéliennes.
La fonction de premier ministre a été instituée, en dépit des
objections de Yasser Arafat. Le premier à en être chargé, Mahmoud Abbas, a été
louangé tant par Israël que par les responsables américains, qui voyaient en lui
un dirigeant attaché au processus de paix et à la démilitarisation de la lutte
des Palestiniens pour la liberté. Aujourd’hui, il détient un pouvoir
considérable dans l’Autorité palestinienne – pouvoir qu’il a mis à profit afin
de mettre en œuvre de nouvelles réformes politiques, comme demandé par la
feuille de route.
Au tout premier chef de ces obligations venait la réforme
dans les domaines des finances et de la sécurité. Le ministre des finances du
cabinet Abbas, Salam Fayad, ancien représentant du Fonds Monétaire
International, a réussi à centraliser le budget du gouvernement et il est en
train de faire des progrès significatifs dans la transparence et la comptabilité
de l’ensemble des transactions officielles et des dépenses de l’Etat. Les
officiels de la Banque Mondiale et de l’Onu que j’ai pu rencontrer récemment en
Palestine n’avaient que des éloges à formuler au sujet de la réforme financière
menée à bien [par Salam Fayad] dans un contexte économique et politique
extrêmement délicat.
De même, le nouveau ministre de la sécurité, Muhammad
Dahlan – chouchou de l’administration Bush – a centralisé les services
sécuritaires au ministère de l’Intérieur. Les Israéliens n’ont eu de cesse de se
féliciter d’avoir Dahlan pour interlocuteur.
Parvenir à un cessez-le-feu avec
Israël – ce cessez-le-feu que l’on se plaît à désigner de son synonyme arabe de
« hudna » - s’avéra plus difficile. Contre toute attente, le gouvernement
palestinien parvint à obtenir de toutes les factions palestiniennes qu’elles
cessent leurs attaques anti-israéliennes en respectant une trêve de trois mois,
afin de garantir le retrait d’Israël, prévu par la feuille de route. Afin de
mettre un terme aux « incitations » (à la violence) contre Israël, les
Palestiniens sont allés jusqu’à badigeonner les slogans populaires tracés sur
les murs de camps de réfugiés plongés dans la déréliction et en état de
surchauffe.
De son côté, Israël s’est répandu en bla-bla au sujet de la
feuille de route. Bien loin d’agir dans le sens d’un retour à la vie normale
pour les Palestiniens, en levant les barrages, en relâchant les restrictions aux
déplacements et en mettant définitivement un terme à ses incursions armées,
conformément à la feuille de route, Israël a continué à opérer des raids contre
les villes palestiniennes et à arrêter des militants palestiniens, les décrétant
« terroristes suspects ». Il a, de plus, maintenu plus de 125 barrages sur les
routes de Cisjordanie et de Gaza, rendant impossibles les déplacements des
personnes et le transport des marchandises.
Plus alarmant pour les
Palestiniens est la continuation de l’expansion des colonies israéliennes dans
les territoires occupés, qui représentent pourtant, aux yeux de la feuille
de route, la cause de l’instabilité et du conflit. Certes, le gouvernement du
Premier ministre Ariel Sharon a démantelé des avant-postes récemment érigés.
Mais il a prestement tourné la tête afin de ne pas voir les colons qui y
revenaient s’y installer.
En réalité, les dirigeants israéliens et
palestiniens voient dans la feuille de route des objectifs contradictoires,
qu’ils cherchent les uns comme les autres à obtenir. Les Palestiniens lisent «
Etat palestinien indépendant, viable et souverain », et ils considèrent que la
frontière de cet Etat correspond à la Ligne verte, d’une longueur de 360
kilomètres, qui symbolise la frontière d’Israël antérieure à 1967. Sharon lit,
quant à lui, « frontières provisoires » et « attributs de souveraineté », et il
pense à un demi-Etat palestinien sur la moitié de la Cisjordanie et cerné par
mille kilomètres de murs et de barrières, qui rejettent à l’extérieur la part du
lion de la patrie palestinienne.
Les Etats-Unis autorisent Israël à s’en
tirer à très bon compte en créant des faits accomplis de nature à rendre
définitif le mini-état palestinien provisoire. Du même coup, Israël est en train
de transformer la feuille de route en barrage sur la route de la paix, les
co-parrains du plan de paix international protestant tellement mollement qu’ils
en sont inaudibles.
Le président George W. Bush entamant une année
d’élections, personne ne s’attend à ce que l’Amérique fasse pression sur Israël
afin qu’il arrête ses violations et qu’il mette en application la feuille de
route. C’est pourquoi les autres membres du quartet, qui ont contribué à la mise
au point ce plan de paix – l’Onu, l’Union européenne et la Russie – doivent
revenir au cœur du processus avant que l’escalade constatée cette semaine ne
s’aggrave et ne se transforme en guerre
ouverte.
20. Un Mandela palestinien
par Cécile Hennion
in L'intelligent - Jeune Afrique
du mercredi 6 août 2003
Alors que sa détention prolongée en
Israël aurait dû mettre fin à sa carrière politique, le chef du Fatah en
Cisjordanie continue de jouer un rôle clé au sein de la résistance. Portrait du
successeur potentiel de Yasser Arafat.
C'est à partir de sa cellule que Marwane Barghouti
a mené, avec l'aide de son avocat, des négociations secrètes avec les membres de
la branche syrienne du Hamas afin de convaincre l'organisation islamiste de
suspendre ses opérations contre l'occupation israélienne. Ces négociations,
engagées avec l'accord tacite des autorités israéliennes et en coordination avec
le Premier ministre palestinien Mahmoud Abbas, ont contribué à l'acceptation de
la houdna (« cessez-le-feu ») par les groupes armés palestiniens.
Le chef du
Fatah en Cisjordanie n'a pas fini de prouver son ascendant sur les combattants
palestiniens. Le quotidien israélien Ha'aretz a affirmé, le 7 juillet, que seuls
10 % des activistes palestiniens soutiennent le Premier ministre Mahmoud Abbas,
tandis qu'ils sont bien plus nombreux à être loyaux envers le tonitruant leader
de l'Intifada, qui est même devenu, selon le journal, plus populaire qu'Arafat.
Les responsables israéliens, qui n'ignorent pas l'influence grandissante de
Barghouti, affirment que les conditions de sa libération ne sont pas encore
réunies. Avec les lourdes charges qu'ils portent contre lui, ils auraient du mal
à justifier son élargissement par de simples raisons de Realpolitik.
« Meurtre avec préméditation, complicité de
meurtre, incitation au meurtre et tentative de meurtre » : Marwane Barghouti, 43
ans, député palestinien, est accusé par Israël d'avoir « dirigé, organisé,
encouragé et participé à des actions terroristes [...] causant
intentionnellement la mort de centaines d'Israéliens ». À ce réquisitoire,
présenté à l'ouverture du procès, le 5 septembre 2002 à la Cour civile de
Tel-Aviv, succède, le 3 octobre suivant, le plaidoyer du chef de l'Intifada. À
la barre, menotté et vêtu de la longue chemise brune des prisonniers, Barghouti
énumère, « au nom de son peuple », les cinquante-quatre chefs d'inculpation dont
il accable l'État hébreu : « Génocide, crimes contre l'humanité, crimes de
guerre et apartheid », Israël s'est rendu coupable « d'assassinats ciblés, de la
mort de civils, d'expropriations systématiques, de destructions de biens et de
logements, d'actes de terrorisme envers les Palestiniens », en pratiquant
punitions collectives, représailles, etc. Rejetant toute implication dans des
attentats et réaffirmant que la « paix passe par deux États », le leader
palestinien s'adresse ensuite à l'auditoire : « Je ne suis pas jugé pour
terrorisme [...], mais parce que je me bats pour ma liberté, la liberté de mes
enfants, la liberté du peuple palestinien tout entier. Et si c'est un crime, je
plaide coupable. »
« Assassin ! », « Terroriste ! », « Vampire ! »
lancent les parents de victimes en brandissant les portraits de leurs enfants
disparus. Bousculades dans les couloirs, émeutes devant le tribunal... La police
intervient : Israéliens et Palestiniens assisteront aux débats dans deux salles
séparées. Ce procès est à l'image des négociations israélo-palestiniennes
actuelles : un dialogue de sourds. D'un côté, on veut « juger l'Intifada », de
l'autre « instruire le procès de l'occupation israélienne ». Les parties ne
s'accordent que sur un point : ce procès sera « politique » et ses répercussions
dépasseront largement le sort de l'accusé.
Marwane Barghouti, lui, dénie toute compétence à la
justice israélienne pour le juger et a décidé de parler seul pour sa défense.
Seul, mais entouré d'une légion d'organisations des droits de l'homme et
d'avocats arabes, européens, israéliens venus le soutenir et le conseiller, pour
le motif qu'« Israël a violé les accords d'Oslo en arrêtant, dans un territoire
sur lequel il n'a pas juridiction, quelqu'un qui n'est pas un de ses
ressortissants, protégé par l'immunité parlementaire de surcroît ». Parmi eux,
l'avocat israélien ultraorthodoxe Shamaï Leibowitz (le fils du célèbre
philosophe) a osé le comparer - scandale ! - à « Moïse, notre prophète, qui,
pour la liberté de son peuple, a exercé la violence contre les Égyptiens ».
Ce procès devait être pour le gouvernement Sharon
l'occasion de prouver l'implication du leadership palestinien dans le
terrorisme. Mais face au tapage médiatique, certains commencent à se demander si
l'État hébreu n'est pas, malgré lui, en train de fabriquer un Nelson Mandela
palestinien... À l'heure où la détention aurait dû mettre un terme à sa
carrière, le leader le plus populaire de l'Intifada n'a pas fini de faire parler
de lui, et de soulever la controverse... Portrait.
Marwane Barghouti ne correspond pas à l'image que
l'on peut se faire de l'« ennemi numéro un d'Israël ». Ni du héros de l'Intifada
adulé par ses troupes. Petit, moustachu, un tantinet grassouillet, on l'imagine
plus volontiers derrière le comptoir d'une épicerie que sur les barricades à
jouer les sans-culottes. Au style militaire d'Arafat, il oppose le look
décontracté - blue-jeans et polos - du Palestinien moyen de Ramallah. « Un
Palestinien ordinaire, se décrit lui-même l'intéressé, qui réclame ce que toute
personne opprimée réclame : le droit à me défendre en l'absence de toute aide
extérieure. » Un credo exprimé en termes simples et sans équivoque, répété avec
fougue dans les meetings politiques, les interviews, les manifestations, les
funérailles... ou au petit café de la place Manara, autour d'une assiette de
foul.
Cet homme qui sait parler à la rue est ainsi devenu
le symbole de cette seconde Intifada, le « Napoléon du Fatah », le fils préféré
des petits vieux et le grand frère rêvé des chebab. Son bagout lui a valu
jusqu'à la sympathie de ses geôliers israéliens : « Nous avons de très bons
rapports avec lui, a déclaré l'un d'entre eux. C'est un prisonnier très
agréable, qui passe son temps à plaisanter ! » Si, sous couvert d'anonymat,
quelques jaloux au sein de l'Autorité dénoncent « des discours populistes, au
service d'ambitions personnelles », un officier israélien estime au contraire
que Barghouti « n'est pas un idéologue. Il tire sa légitimité de sa parfaite
connaissance de la génération née après la guerre des Six Jours ».
Dans l'establishment israélien, on a un temps
regardé avec bienveillance ce petit homme prompt à dénoncer une Autorité
corrompue et déficitaire en libertés démocratiques. Et, atout non négligeable,
qui parle hébreu « comme père et mère »... Au début de l'Intifada, la gauche
israélienne le considérait comme l'emblème d'une nouvelle génération délivrée du
poids archaïque des fedayine entourant Arafat. Même à droite, le ministre
likoudnik de la Justice Meir Shetreet déclarait à cette époque à des
parlementaires européens : « Je crois que nous ne nous entendrons jamais avec
Arafat. Nous devons trouver des responsables palestiniens modérés, avec lesquels
initier un dialogue. [...] Marwane Barghouti, par exemple. » Quelques mois plus
tard, le même Shetreet évoquait le souvenir d'une rencontre particulièrement
orageuse avec une délégation palestinienne en Italie, après laquelle Barghouti
avait frappé à sa chambre d'hôtel et était resté bavarder jusqu'à 4 heures du
matin : « Nous étions bons amis alors... Hélas ! cet ami se comporte maintenant
en terroriste. »
Comment expliquer une évolution - de la vision
israélienne ou de Barghouti, selon les points de vue - aussi radicale ? Les
coups de gueule du leader palestinien à l'encontre de la politique israélienne
ne datent pourtant pas d'hier. Le Shin Beth collectionne les rapports sur cet
agitateur depuis qu'il est adolescent. Signe d'un destin inscrit dans la lutte
de libération nationale, Marwane Hassib Hussein Barghouti est né le 6 juin 1959,
huit ans, jour pour jour, avant le déclenchement de la guerre des Six Jours. Il
ressassera ainsi, à chacun de ses anniversaires, la cuisante défaite arabe.
L'environnement familial, marqué par l'influence du Parti communiste
palestinien, n'est sans doute pas non plus étranger à son engagement précoce. Il
rejoint les rangs du Fatah - le mouvement créé par Arafat et alors interdit - à
16 ans, mais c'est en 1976 que les Palestiniens le découvrent, lorsqu'il
participe à la campagne pour les élections municipales à Gaza et en Cisjordanie.
Des activités qui lui valent six ans de réclusion dans les geôles israéliennes,
période dont il profite pour apprendre l'hébreu. C'est également pendant ces
années de prison qu'il épouse une avocate blonde du nom de Fadwa.
L'épreuve de la détention et, bientôt, ses
nouvelles fonctions de père de famille n'entament en rien sa détermination. À sa
libération, il s'inscrit à l'université de Bir Zeit. Il découvre les mémoires de
De Gaulle, dont il est vite un lecteur passionné. Et partage son temps entre des
études de sciences politiques et de relations internationales (il consacre sa
thèse aux relations franco-palestiniennes) et un militantisme toujours plus
affirmé. De meneur de manifestations estudiantines et fondateur de la Chabiba
(un mouvement de jeunesse allié au Fatah), il devient stratège de la première
Intifada. Banni des Territoires en 1987, il fait le lien entre l'OLP exilée à
Tunis et les mouvements de Cisjordanie via Amman, et, finalement, est élu au
Conseil révolutionnaire du Fatah, dont il est, à 28 ans, le plus jeune membre.
De retour dans les Territoires après la signature des accords d'Oslo, il devient
secrétaire du Fatah pour la Cisjordanie avant d'être élu haut la main, en 1996,
au Conseil législatif palestinien (CLP).
Fervent partisan d'Oslo, il oeuvre alors avec
énergie en faveur d'un rapprochement israélo-palestinien, organisant des
rencontres entre parlementaires, intellectuels et professeurs des deux camps. Un
ambassadeur de la paix, certes, mais qui n'abandonne pas ses chevaux de bataille
: la fin de la colonisation qui gangrène les Territoires et la libération des
prisonniers politiques embastillés en Israël - dont deux de ses cousins, Fakhri
et Naël, depuis vingt-quatre ans. En parallèle avec le dialogue
israélo-palestinien, il prône la résistance populaire sous toutes ses formes :
désobéissance civile, jets de pierres et marches de protestation. « Longtemps,
les Palestiniens ont cru que la lutte armée était la solution, explique-t-il
alors. C'était une erreur. D'autres moyens sont nécessaires, comme la lutte
civile, qui permet de rallier des dizaines de milliers de militants
supplémentaires. »
Sous le gouvernement d'Ehoud Barak, son ton se fait
plus amer, et, lors des négociations de Camp David en juillet 2000, il s'oppose
farouchement à la conclusion d'un accord. En septembre suivant, lorsque Sharon
annonce sa « visite » sur l'esplanade des Mosquées, Barghouti sonne la
mobilisation de ses troupes, qu'il aurait souhaitée plus massive : « Être
présent sur l'esplanade des Mosquées était bien le minimum pour un patriote
palestinien. Je regrette qu'au moment de l'arrivée de Sharon il n'y ait pas eu
plus de deux ou trois députés palestiniens présents, alors qu'il y avait là dix
députés arabes de la Knesset. » Avec la poursuite des pourparlers à Taba, les
négociateurs palestiniens le pressent de baisser le ton : « Ramène le calme chez
les manifestants... S'il te plaît, c'est Clinton qui le demande. » Cet argument
n'est, de toute évidence, pas convaincant : « Clinton ou un autre, ça m'est égal
! Si les Israéliens cessent leurs actions répressives, on arrête les
manifestations. Sinon, hors de question de se soumettre ! »
Barghouti n'est pas opposé à la négociation, mais
veut « maintenir la pression ». Dans une interview donnée au quotidien israélien
Ma'ariv, il explique : « Israël ne veut pas mettre fin à l'occupation, ni à la
colonisation. Pour l'y contraindre, il n'y a que la force. [...] Cela est une
Intifada pour la paix. Je suis sérieux, elle mènera à la paix. Mais nous devons
encore durcir le combat. Cela sera dur. Beaucoup d'entre nous seront tués, mais
il n'y a pas d'autre choix. Chacun de nous est prêt à se sacrifier. »
Derrière cette radicalisation, une grande
désillusion. Pour Barghouti, en effet, « Oslo est mort avec Itzhak Rabin », et
l'élection d'Ariel Sharon au poste de Premier ministre, en février 2001, n'est
qu'une péripétie : « Sharon, Barak ou Pérès, cela n'a aucune importance. Sharon
est la dernière "cartouche" des Israéliens. Qu'ils s'en servent, ils réaliseront
alors qu'ils n'ont d'autre choix que de quitter notre terre. »
De l'autre côté de la Ligne verte, son changement
de ton n'est pas passé inaperçu et les critiques fusent, notamment de la part de
ses ex-« amis » qui l'accusent, comme Yossi Beilin, de faire « grand tort » au
camp israélien de la paix. Dans le cercle des décideurs, en revanche, on observe
son ascension avec intérêt. L'obstination de Marwane Barghouti à passer outre
aux limites posées par Arafat et sa popularité croissante dans les Territoires
font de lui, de facto, le plus sérieux rival du vieux leader palestinien. Dès
octobre 2000, un officier des renseignements israéliens, Yossi Kupperwasser,
estimait que Barghouti pourrait bien utiliser la confrontation violente avec
Israël pour étendre son influence politique et ainsi concurrencer Arafat. Selon
le quotidien israélien Ha'aretz, le Shin Beth adhère aujourd'hui à cette
analyse. Une thèse partagée par l'universitaire palestinien Khalil Shikaki :
l'Intifada, d'après lui, n'est pas seulement une réaction à l'échec du processus
de paix et à la visite de Sharon sur l'esplanade des Mosquées. Elle est aussi
une révolte interne contre la vieille garde incapable d'obtenir l'indépendance
et de gérer les affaires publiques dans la transparence.
Reste à savoir, pour les Israéliens, quelles
conclusions en tirer... et, surtout, lequel, d'Arafat ou de Barghouti, sera le
plus fort. Certains refusent l'éventualité d'avoir à négocier avec Barghouti et
sa cohorte d'amis qui ont du « sang israélien sur les mains ». D'autres, en
revanche, pensent qu'il ferait un bon interlocuteur en matière de sécurité. Même
après le 23 septembre 2001, date à laquelle Israël lance un mandat d'arrêt
contre lui, des sources sécuritaires inspirent des articles dans la presse
israélienne, suggérant de le ménager : il pourrait tout de même être un
interlocuteur pour l'avenir. Sa disparition et son silence, de la mi-mars à son
arrestation le 15 avril 2002 (voir J.A.I. n° 2154), alimenteront d'ailleurs les
spéculations les plus diverses.
En attendant, il faut calmer les ardeurs du
turbulent Palestinien. Le meilleur moyen de le rendre moins disponible pour
l'Intifada n'est-il pas de le titiller sur sa sécurité personnelle ? En décembre
2001, quinze soldats de Tsahal envahissent le domicile familial des Barghouti,
dans le quartier confortable d'el-Tirah, à Ramallah. « Opération strictement
militaire. Nous n'avons pas l'intention d'arrêter Marwane Barghouti, mais nous
allons cohabiter quelques jours », explique l'officier à Fadwa. Le principal
intéressé est absent, mais ses quatre enfants supporteront mal cette encombrante
intrusion de militaires armés qui photographient jusqu'aux casseroles sur
l'évier, squattent les chambres, installent un M16 dans le salon... et
suspendent l'étendard israélien à la rampe du balcon. Premiers pas de Ruba, la
fille de Barghouti, âgée de 11 ans, dans la résistance : le drapeau ira voltiger
dans le caniveau. La presse n'est pas autorisée à parler à la famille assiégée,
mais couvre largement l'événement.
Voulue ou non, l'importance croissante que prend
celui qui prône la poursuite de l'Intifada agace Israël. « Mais pourquoi, vous
journalistes, êtes-vous tellement obsédés par cet homme ? » répondent
invariablement les politiques israéliens quand on les interroge sur Marwane
Barghouti. Son franc-parler et sa disponibilité - avant d'entrer dans la
clandestinité, il donnait presque une interview par jour, y compris à la
télévision israélienne - ont aidé à faire de lui le chouchou des médias. Mais
ses qualités de communicateur n'expliquent pas tout : qui, avant cette Intifada,
avait entendu parler du leader du Fatah pour la Cisjordanie ?
En fait, il doit en grande partie sa formidable
promotion médiatique aux services de renseignements israéliens, qui lui ont
collé, dès le début de l'Intifada, l'étiquette aussi mystérieuse qu'inquiétante
de « chef des Tanzim ». « Une invention absurde, pour faire croire qu'il existe
une milice armée au sein du Fatah, avait rétorqué Barghouti. Tanzim, mot arabe
signifiant "organisation", n'a jamais désigné autre chose, dans notre jargon,
que le Fatah lui-même. » Courtisé par la presse, le « chef des Tanzim » a
disposé d'un réseau efficace pour transmettre ses idées. Et lorsqu'en janvier
2002 il a senti l'étau israélien se resserrer sur lui, il a vu les colonnes du
Washington Post s'ouvrir à lui : « Je ne suis pas un terroriste, mais pas non
plus un pacifiste, écrit-il alors. [...] Je ne cherche pas à détruire Israël,
mais seulement à mettre fin à l'occupation de mon pays. »
Terroriste, Barghouti ? Les chefs d'accusation qui
pèsent aujourd'hui contre lui sont parmi les plus graves jamais portés devant la
Cour de justice israélienne. Il est, selon Tel-Aviv, le cerveau des Brigades des
martyrs d'el-Aqsa, les groupuscules armés liés théoriquement au Fatah,
responsables de nombreux attentats en Israël. Sous ses ordres, son neveu Ahmed
Barghouti, dit « el-Franci », et Nasser Awis, un activiste du Fatah à Naplouse,
auraient organisé une douzaine d'attaques, dont plusieurs opérations suicide.
Les « preuves » consistent principalement en un fax, signé d'Arafat, allouant
350 dollars à chacun d'une douzaine d'activistes sur la demande d'Abou el-Qassem
(nom de guerre de Barghouti), et d'un communiqué en date du 1er avril 2002,
signé des Brigades. On y lit : « Les récents événements ont montré que les
Brigades des martyrs d'el-Aqsa, sous le commandement héroïque de Marwane
Barghouti, résistent presque seules à l'ennemi. [...] Suivant les traces d'Abou
Ammar, il est l'incarnation du leader que toute la jeunesse palestinienne
attendait. » Des documents impossibles à authentifier et des accusations « sans
aucun fondement », rétorque l'Autorité palestinienne, d'autant qu'« el-Aqsa est
constitué de petites cellules qui se sont créées de façon autonome dans la
région. Il n'y a pas de commandement central. »
Barghouti n'a jamais nié travailler avec des
organisations considérées comme « terroristes » par Israël, mais dément avoir
jamais commandité une attaque à l'intérieur de l'État hébreu. « Il y a une
coordination sur le plan politique et dans le cadre de certaines actions de
l'Intifada, nous confiait-il fin décembre 2001, mais il n'y a pas d'opérations
militaires concertées. » Après l'appel d'Arafat, le 16 décembre 2001, à arrêter
toute opération armée sur le territoire israélien, il joue d'ailleurs un rôle de
modérateur en contactant les chefs de mouvements islamistes en Syrie et les
responsables locaux des Brigades d'el-Aqsa, afin de donner une chance à la trêve
réclamée par la communauté internationale. Il annonce alors à la radio de
l'armée israélienne : « Il y a maintenant un consensus général de toutes les
factions et de tous les partis - dont le Hamas, le Djihad, le Front populaire de
libération de la Palestine [FPLP] et le Front démocratique pour la libération de
la Palestine [FDLP], le Fatah - sur l'établissement de la souveraineté d'un État
palestinien dans les frontières de 1967. » De fait, pendant plus de trois
semaines, les violences cessent.
Le 14 janvier 2002, Raed Karmi, le chef des
Brigades d'el-Aqsa, est assassiné par Tsahal. De toute évidence, l'élimination
de Karmi, alors que la trêve avait été respectée pendant trois semaines par les
Palestiniens, marque un tournant dans la vision du conflit chez Barghouti. «
Sharon nous a coupé l'herbe sous le pied ! Karmi était capable de maintenir le
calme dans son secteur [Tulkarem]. Sharon a tué celui qui pouvait mettre un
frein à la violence. » Israël devra en payer le prix : la réponse des Brigades
d'el-Aqsa est rapide et meurtrière, à coups d'attentats à Jérusalem-Ouest.
« Sans être le commanditaire des violences,
Barghouti savait que des attentats allaient être perpétrés à l'intérieur de
l'État hébreu, estime Georges Malbrunot, le correspondant de RFI à Jérusalem. Il
y était jusque-là opposé. Mais il ne fit rien pour les en empêcher, comme il le
confiera lui-même à un diplomate européen, peu de temps après. [...] La base
sait capter les messages codés transmis par la direction. Quand, à la suite
d'une opération militaire, Marwane Barghouti affirme : "S'il n'y a pas de
sécurité à Ramallah, il n'y en aura pas à Tel-Aviv", c'est un feu vert à
l'adresse des Brigades d'el-Aqsa. »
Les menaces du leader de l'Intifada s'intensifient
encore après les incursions israéliennes dans les camps de Jénine et de Balata :
« Nous allons agir n'importe où, dans les Territoires palestiniens et en dehors.
» Le surlendemain, 2 mars, une voiture piégée explose à l'entrée du quartier
ultraorthodoxe de Mea Shearim, à Jérusalem, tuant neuf Israéliens. L'attaque est
revendiquée par les Brigades d'el-Aqsa.
Cette fois, c'en est trop. Des menaces verbales,
Israël passe aux actes. Le 5 mars, une roquette pulvérise la voiture du garde du
corps de Marwane Barghouti. L'armée ne visait-elle pas Barghouti en personne ?
Ce dernier en est convaincu. De leur côté, les responsables israéliens jurent en
choeur qu'il n'a jamais été question d'éliminer physiquement le député
palestinien. Quoi qu'il en soit, l'avertissement est sévère : Barghouti
disparaît dans la nature. Il sera finalement appréhendé par une unité d'élite,
le 15 avril, au domicile de son ami et proche collaborateur Ziyad Abou Aïn, non
loin de la Muqata'a à Ramallah. Il a commis l'erreur d'appeler ses proches
depuis son téléphone portable. Sharon crie victoire.
En Israël, les réactions sont diverses. Yossi
Beilin prévient que cette arrestation risque de mettre le feu aux poudres et
appelle Israël à « relâcher Barghouti de sa propre initiative et rapidement ».
Pour Effi Eitam, ministre d'extrême droite, mieux aurait valu « l'amener dans un
champ et lui coller deux balles dans la nuque ». Plus généralement, les
Israéliens considèrent que cette prise est un succès.
Ici aurait dû prendre fin le parcours du leader
charismatique de l'Intifada. C'était sans compter avec l'aura de Marwane
Barghouti. Depuis qu'il est en prison, on n'a jamais autant spéculé sur ses
chances de succéder à Arafat. De hautes personnalités israéliennes promettent un
bel avenir politique à leur prisonnier. L'ancien ministre des Affaires
étrangères Shimon Pérès déclarait ainsi, le 28 mai, que « Marwane Barghouti
serait probablement le successeur d'Arafat ». L'ex-ambassadeur d'Israël en
France Elie Barnavi estimait dans nos colonnes (voir J.A.I. n° 2162) « qu'un
jour ou l'autre il deviendra Premier ministre de son pays ». Autant de
déclarations qui laissent à penser qu'un come-back politique de Barghouti n'est
pas inconcevable pour les Israéliens. Mais quid des Palestiniens ?
Pour l'avocat français d'origine palestinienne
Jamil Youness, qui s'est joint aux conseillers juridiques de Barghouti pour son
procès, la popularité du leader palestinien n'a pas été entamée. Des sondages en
octobre dernier ont néanmoins montré qu'ils seraient peu à voter pour lui s'il
se présentait à de futures élections. Officiellement, l'intéressé a maintes fois
répété qu'il ne serait pas candidat à la succession d'Arafat et que, le jour où
régnera la paix, il « quittera la politique ». Des voeux pieux, selon ses rivaux
potentiels, dont certains seraient, dit-on, soulagés, pour ne pas dire
satisfaits, de le savoir sous les verrous.
Au sein de l'Autorité, tous n'ont pas apprécié les
critiques de Barghouti à l'encontre de ceux qui, dans la direction
palestinienne, n'ont « pas de sympathie pour l'Intifada par peur de perdre leurs
privilèges ». Ni sa vieille habitude de fustiger la corruption et le déficit
démocratique des institutions palestiniennes. De 1997 à 1999, des marches de
protestation qu'il avait organisées à Ramallah ont même dégénéré en
affrontements avec les forces de sécurité.
D'autres assurent que, malgré tout, le chef du
Fatah pour la Cisjordanie est resté « le fidèle parmi les fidèles » de Yasser
Arafat. Quant à Barghouti, il s'est toujours présenté comme le « partenaire » du
président de l'Autorité, mais qui « ne reçoit d'ordres de personne ».
Il ne s'est en tout cas jamais privé d'exprimer
bruyamment ses désaccords avec le raïs. Lorsque, à l'hiver 2001, ce dernier
faisait arrêter des activistes du FPLP, Barghouti battait le pavé avec les
militants venus manifester à coups de kalachnikovs vers le ciel : « Ces hommes
sont des combattants de la liberté, je suis totalement opposé à ces
arrestations. »
Malgré tout, nous affirmait-il peu après, « je vois
Arafat au moins deux fois par jour et nos relations restent bonnes. Je vais vous
le prouver... Vous voulez l'interviewer ? Pas de problème, je vous arrange ça
pour ce soir. » Un éclair de malice dans les yeux, il s'éloigne un instant avec
son portable. Avant de revenir : « Ouais, il est trop occupé... » Le ton n'est
pas convaincant. Étant donné ses fonctions de député, et sa popularité,
Barghouti ajoutait que, de toute façon, il serait bien délicat pour Arafat de
mettre fin à ses activités.
Pour le vieux leader, le dynamique Barghouti était
un lieutenant indispensable. Fin connaisseur du terrain, proche de la « base »,
il servait surtout d'interface avec ses principaux opposants, les islamistes.
Barghouti expliquait lui-même que sa mission au Fatah consistait à « être le
protecteur de l'Autorité palestinienne face aux islamistes, et le protecteur des
islamistes face à l'Autorité ».
Un tel positionnement est inspiré par des
considérations pragmatiques : « Nous devons rester unis jusqu'à l'établissement
de notre État. À ce moment-là, tous les partis politiques participeront aux
élections et devront accepter le verdict des urnes. »
Arafat n'aura de cesse d'essayer de limiter les
élans de ce poulain indomptable. Exercice périlleux qui le conduira à flanquer
Barghouti de l'un des siens, Hussein el-Cheikh, nommé chef du Haut Comité du
Fatah en 2000. Sur quels réseaux pourrait s'appuyer Marwane Barghouti en cas de
retour à la vie politique ? La « rue », bien sûr, au moins en Cisjordanie, mais
aussi « la base » du mouvement national palestinien, dont une part importante a
participé à la première Intifada avant d'être exclue des institutions au profit
des « Tunisiens », revenus avec Arafat lors de l'instauration du régime
d'autonomie en 1994. Quid des factions « dures » ? Barghouti a sans aucun doute
appris à dialoguer avec elles.
Il n'empêche qu'en privé quelques-uns s'avouent
déçus « par la génération d'Arafat comme par la nouvelle ». « Où était Barghouti
quand les tanks sont entrés ? » s'indignait le chef des Brigades d'el-Aqsa du
camp d'el-Amari, à un journaliste du Times. « Si vous voulez être leader, vous
devez résister dans toutes les situations. » Que dira-t-il en cas d'une
libération anticipée - forcément suspecte - de Barghouti ? Si ce dernier pouvait
désobéir à Arafat, bien d'autres seraient prêts, à leur tour, à désobéir à
Barghouti, tant les rivalités sont nombreuses entre groupes palestiniens
urbains, ruraux et des camps de réfugiés. Reste que s'il déplaît à certains «
durs » et à une partie de l'Autorité palestinienne, Marwane Barghouti continue à
incarner l'opinion d'une majorité. « Marwane représente la tendance au sein du
peuple palestinien qui pense que l'objectif ultime de l'Intifada est de mettre
fin à l'occupation, pas plus », dit de lui le journaliste et politologue
palestinien Ghassan Khatib : « Si les Israéliens veulent faire la paix avec les
Palestiniens, ils devront aussi faire la paix avec Marwane Barghouti.
»
21. L'Orientalisme, 25 ans plus tard par
Edward W. Said
in CounterPunch du lundi 4 août 2003
[traduit de l'anglais par Olivier
Roy]
L'Humanisme à l'échelle mondiale,
contre les Bâtisseurs d'empires.
Il y a neuf ans, j'ai écrit
une postface pour L'Orientalisme qui, en essayant de clarifier ce que je croyais
avoir dit et ne pas avoir dit, faisait non seulement ressortir les nombreux
débats qui sont apparus depuis la parution de mon livre en 1978, mais aussi ce
qui a fait qu'un ouvrage sur les représentations de «l'Orient» donne lieu à des
fausses interprétations croissantes. Que je me sente aujourd'hui plus ironique
qu'irrité devant ce sujet est un signe que j'ai vieilli sans m'en rendre compte.
La mort récente de mes deux principaux mentors intellectuels, politiques et
personnels, Eqbal Ahmad [1] et Ibrahim Abu Lughod [2], a provoqué un sentiment
de tristesse et de perte tout autant que de résignation et un certain entêtement
à poursuivre.
Dans mes mémoires «À Contre-Voie» (1999), j'ai décrit les
mondes étranges et contradictoires dans lesquels j'ai grandi, fournissant à
moi-même et à mes lecteurs un récit détaillé des situations, en Palestine, en
Égypte et au Liban qui, d'après moi, ont contribué à faire de moi celui que je
suis. C'était cependant un récit tout à fait personnel qui ne faisait pas
mention de mes engagements politiques, qui ont commencé après la guerre
israélo-arabe de 1967.
«L'Orientalisme» est vraiment un livre lié à la
dynamique tumultueuse de l'histoire contemporaine. Sa première page s'ouvre sur
une description de 1975 de la Guerre Civile libanaise qui s'est terminée en
1990, mais la violence et l'horrible effusion de sang humain se poursuivent
encore aujourd'hui. Nous avons eu l'échec du processus de paix d'Oslo,
l'éclatement de la seconde Intifada et les souffrances effrayantes des
Palestiniens en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza réoccupées. Le phénomène
des attentats suicides est apparu avec tous ses dommages hideux, aucun n'étant
bien sûr plus sinistre et apocalyptique que les événements du 11 septembre 2001
et leurs suites dans les guerres contre l'Afghanistan et l'Irak. Pendant que
j'écris ces lignes, l'illégale occupation impériale de l'Irak par la
Grande-Bretagne et les États-Unis se poursuit. Ses répercussions sont réellement
horribles à observer. Cela fait entièrement partie de ce qui est supposé être un
choc des civilisations, sans fin, implacable et irrémédiable. Quoi qu'il en
soit, je n'y crois pas.
Je souhaiterais pouvoir dire que la compréhension
générale du Moyen-Orient, des Arabes et de l'Islam aux États-Unis s'est
améliorée quelque peu, mais hélas, ce n'est pas du tout le cas. Pour toutes
sortes de raisons, la situation en Europe semble être considérablement
meilleure. Aux États-Unis, le durcissement des attitudes, l'emprise des
généralisations réductrices et des clichés triomphalistes, la domination de la
puissance brute alliée à un mépris simpliste face aux dissidents et aux
«autres», a trouvé une corrélation appropriée dans le pillage et la destruction
des bibliothèques et musées irakiens. Ce que nos dirigeants et leurs laquais
semblent incapables de comprendre est que l'histoire ne peut être effacée, tel
un tableau noir, pour que «nous» puissions y écrire notre propre futur et
imposer nos propres visions de la vie à ces êtres inférieurs afin qu'ils les
suivent. Il est plutôt commun d'entendre de hauts officiels, à Washington et
ailleurs, parler de redessiner la carte du Moyen-Orient, comme si des sociétés
anciennes et des myriades de peuples pouvaient être brassées comme des bonbons
dans une jarre, ce qui est souvent arrivé avec l'«Orient», cette conception
semi-mythique qui, depuis l'invasion de l'Égypte par Napoléon à la fin du 18ème
siècle, a été construite et reconstruite maintes fois. Dans ce processus, les
innombrables sédiments de l'histoire, formée par d'innombrables histoires et une
variété vertigineuse de peuples, de langues, d'expériences et de cultures, sont
écartés ou ignorés, relégués aux oubliettes avec les trésors réduits en
fragments insignifiants qui ont été emportés hors de Bagdad.
Mon argument est
que l'histoire est faite par les hommes et les femmes, de la même façon qu'elle
peut être détruite ou réécrite pour que «notre» Est, «notre» Orient, devienne
«nôtre» à posséder et diriger. J'ai en très haute estime les pouvoirs et les
dons qu'ont les peuples de cette région à lutter pour leur vision de ce qu'ils
sont et de ce qu'ils veulent être. Il y a eu une attaque si massive et
délibérément agressive à l'encontre des sociétés arabes et musulmanes
contemporaines, pour leur arriération, leur manque de démocratie et l'abrogation
des droits des femmes, que nous avons simplement oublié que des notions telles
que la modernité, les Lumières et la démocratie ne sont en aucun cas des
concepts simples et consensuels que nous trouvons ou ne trouvons pas, comme des
œufs de Pâques dans le salon. L'insouciance ahurissante de publicistes fades qui
parlent au nom de la politique étrangère et qui n'ont aucune connaissance du
langage utilisé par les gens ordinaires a fabriqué un paysage désolé, fin prêt
pour que la puissance états-unienne y édifie un ersatz de «démocratie» de marché
libre. Nul besoin de l'arabe, du perse ni même du français pour faire
l'important en affirmant que l'effet domino de la démocratie est exactement ce
dont le monde arabe a besoin.
Par contre, il y a une différence entre la
connaissance des autres peuples et des autres temps, qui est le résultat de la
compréhension, de la compassion, de l'étude et de l'analyse attentives dans
leurs propres intérêts, et la connaissance qui fait partie d'une campagne
d'affirmation de soi-même. Il y a, après tout, une profonde différence entre la
volonté de comprendre dans un but de coexistence et d'élargir ses horizons, et
la volonté de dominer dans le but de contrôler. Qu'une guerre impériale conçue
par un petit groupe d'officiels états-uniens non élus ait été menée contre une
dictature dévastée du Tiers monde, sur des bases entièrement idéologiques ayant
à voir avec la domination du monde, le contrôle de la sécurité et des ressources
peu abondantes, mais déguisée, accélérée et raisonnée par des Orientalistes qui
ont trahi leur titre d'érudit, est indéniablement une des catastrophes
intellectuelles de l'histoire.
Les principaux hommes d'influence auprès du
Pentagone et du Conseil National de Sécurité de George W. Bush ont été des
individus comme Bernard Lewis et Fouad Ajami, des experts des mondes arabe et
musulman qui aident les faucons états-uniens à réfléchir à ces sujets si
absurdes que sont l'esprit arabe et le déclin séculaire de l'Islam, que seule la
puissance états-unienne peut renverser. Aujourd'hui, les tablettes des
librairies aux États-Unis sont couvertes de harangues mesquines faites de grands
titres tapageurs au sujet du lien entre l'Islam et le terrorisme, de l'Islam mis
à découvert, des menaces arabe et musulmane, toutes écrites par des polémistes
politiques prétendant comme d'autres avoir hérité leur savoir d'experts qui
auraient pénétré au cœur de ces étranges peuples orientaux. En compagnie d'une
telle expertise belliciste, il y a CNN et Fox, sans compter une myriade
d'animateurs de radio évangélistes et de droite, d'innombrables tabloïdes et
journaux ordinaires, recyclant tous les mêmes fictions invérifiables et
généralisations vagues pour exciter l'«Amérique» contre le démon
étranger.
Sans la perception structurée voulant que ces gens là-bas n'étaient
pas comme «nous» et qu'ils n'appréciaient pas «nos» valeurs - le cœur du
traditionnel dogme orientaliste - il n'y aurait pas eu de guerre. Ainsi, du même
conseil de savants professionnels rémunérés engagés par les conquérants
hollandais de la Malaisie et de l'Indonésie, par les armées britanniques en
Inde, en Mésopotamie, en Égypte, en Afrique de l'Ouest, par les armées
françaises en Indochine et en Afrique du Nord, sont issus les conseillers
états-uniens du Pentagone et de la Maison Blanche, employant les mêmes clichés,
les mêmes stéréotypes méprisants, les mêmes justifications de la puissance et de
la violence (après tout, entonne le chœur, la puissance est le seul langage
qu'ils comprennent) dans ce cas comme dans les précédents. Ces individus ont
maintenant été joints en Irak par une armée entière d'entrepreneurs privés et
avides à qui tout doit être confié, de l'écriture des livres d'écoles et de la
constitution jusqu'au remodelage de la vie politique irakienne et de son
industrie pétrolière.
Chaque empire, dans son discours officiel, affirme
qu'il n'est pas comme les autres, que les circonstances qui l'entourent sont
particulières, qu'il a une mission pour éclairer, civiliser, apporter l'ordre et
la démocratie et qu'il n'emploie la force qu'en dernier recours. De plus, ce qui
est encore plus attristant, il y a toujours un chœur d'intellectuels bien
disposés pour dire des mots apaisants sur les empires bénins ou
altruistes.
Vingt-cinq années après la publication de mon essai,
«L'Orientalisme» soulève encore la question de savoir si l'impérialisme moderne
a pris fin ou s'il s'est poursuivi en Orient depuis l'entrée de Napoléon en
Égypte il y a deux siècles. Les Arabes et les Musulmans se font dire que la
victimisation et l'insistance sur les déprédations par l'empire n'est qu'une
façon d'échapper aux responsabilités présentes. Vous avez échoué, vous faites
fausse route, disent les Orientalistes modernes. Cela est aussi la contribution
de V.S. Naipaul à la littérature, que les victimes de l'empire se lamentent
pendant que leur pays périclite. Quel calcul superficiel de l'intrusion
impériale est-ce là, combien peu cela souhaite faire face aux longues
successions d'années au cours desquelles l'empire a continué de faire son chemin
dans les vies des Palestiniens ou des Congolais ou des Algériens ou des
Irakiens. Réfléchissons à cette ligne qui débute avec Napoléon, se poursuit dans
la croissance des études orientales et la prise de l'Afrique du Nord et continue
dans des conquêtes similaires au Vietnam, en Égypte, en Palestine et, tout au
cours du 20ème siècle, dans la lutte pour le pétrole et le contrôle stratégique
dans le Golfe, en Irak, en Syrie, en Palestine et en Afghanistan. Puis
réfléchissons à l'émergence du nationalisme anti-colonial, de la brève période
d'indépendance libérale à l'ère des coups militaires, des insurrections, des
guerres civiles, du fanatisme religieux, du combat irrationnel et de la
brutalité intransigeante contre le dernier groupe de «natifs». Toutes ces phases
et ères produisent leur propre savoir déformé de l'autre, leurs propres images
réductrices, leurs propres polémiques douteuses.
Mon idée dans
«L'Orientalisme» est d'employer la critique humaniste pour étendre les terrains
de lutte, d'introduire un champ de pensée et d'analyse plus étendu pour
remplacer les courtes explosions de déchaînement polémique et limitatif qui nous
emprisonnent tant. J'ai nommé «humanisme» ce que j'essaie de réaliser, un mot
que je persiste à utiliser malgré le rejet dédaigneux de ce terme par des
critiques post-modernes sophistiqués. Par humanisme, j'entends avant tout
essayer de faire disparaître les «menottes forgées par l'esprit» de Blake, afin
d'être capable d'utiliser son esprit, historiquement et rationnellement, dans un
but de compréhension réfléchie. De plus, l'humanisme est soutenu par un sens de
la communauté avec d'autres interprètes et d'autres sociétés et époques: ainsi,
à proprement parler, il n'existe pas d'humaniste isolé.
Cela signifie que
toute partie est reliée aux autres et que rien de ce qui existe dans notre monde
n'a jamais été isolé et pur de toute influence étrangère. Nous devons débattre
des questions de l'injustice et de la souffrance dans un contexte amplement
situé dans l'histoire, la culture et la réalité socio-économique. Notre rôle est
d'élargir le champ de discussion. J'ai passé une bonne partie des trente-cinq
dernières années de ma vie à défendre les droits du peuple palestinien à
l'autodétermination nationale, mais j'ai aussi essayé de faire cela en ne
négligeant pas la réalité du peuple juif et de ce qu'ils ont souffert par la
persécution et le génocide. Il est primordial que la lutte pour l'égalité en
Palestine/Israël soit dirigée vers des buts humains, c'est-à-dire la
coexistence, et non pas vers davantage de répression et de déni. J'ai montré, de
façon non accidentelle, que l'orientalisme et l'antisémitisme moderne partagent
des racines communes. Ainsi, ce semble être une nécessité vitale, de la part des
intellectuels indépendants, de toujours fournir des modèles alternatifs à ceux,
simplistes, limitatifs et basés sur une hostilité mutuelle, qui prévalent au
Moyen-Orient et ailleurs depuis si longtemps.
En tant qu'humaniste dont la
spécialité est la littérature, je suis assez vieux pour avoir été formé, il y a
quarante ans, dans le domaine de la littérature comparée, dont les principales
idées proviennent d'Allemagne à la fin du 18ème et au début du 19ème siècle.
Avant cela, je dois mentionner la contribution grandement novatrice de
Giambattista Vico, le philosophe et philologue napolitain dont les idées ont
anticipé celles de penseurs allemands tels que Herder et Wolf, suivis plus tard
par Goethe, Humboldt, Dilthey, Nietzsche, Gadamer et finalement par les grands
philologues romantiques du 20ème siècle Erich Auerbach, Leo Spitzer et Ernst
Robert Curtius.
Aux jeunes gens de la présente génération, l'idée même de la
philologie suggère quelque chose d'incroyablement antique et suranné, bien que
la philologie, en réalité, soit le plus élémentaire et créatif des arts
d'interprétation. Selon moi, cela est admirablement démontré par l'intérêt de
Goethe envers l'Islam en général et Hafiz en particulier, une passion brûlante
qui a entraîné la composition du «Weststlicher Diwan» et a infléchi les idées
postérieures de Goethe au sujet de la Weltliteratur, l'étude de toutes les
littératures du monde en tant qu'ensemble symphonique qui peut être expliquée
théoriquement par la préservation de l'individualité de chaque ouvrage sans
perdre de vue l'ensemble.
Il y a donc une ironie considérable dans le fait
qu'alors que le monde globalisé d'aujourd'hui rapproche les gens de façon
semblable à ce dont je viens de parler, nous nous rapprochons peut-être du type
de standardisation et d'homogénéité contre lesquelles les idées de Goethe
étaient spécifiquement formulées. Dans un essai intitulé «Philologie der
Weltliteratur», publié en 1951, Erich Auerbach a fait remarquer cela au
commencement de la période d'après-guerre, qui était aussi le début de la Guerre
froide. Son excellent livre «Mimesis», publié à Berne en 1946, mais écrit alors
qu'Auerbach était un exilé de guerre enseignant les langues romanes à Istanbul,
devait être un testament à la diversité et au caractère concret de la réalité
représentée dans la littérature Occidentale depuis Homère jusqu'à Virginia
Woolf; mais en lisant l'essai de 1951, on sent que pour Auerbach, le grand livre
qu'il a écrit était l'éloge d'une période au cours de laquelle des gens
pouvaient interpréter des textes de façon philologique, concrète, sensitive et
intuitive, employant une érudition et une maîtrise excellente de plusieurs
langues pour soutenir le type de compréhension que Goethe préconisait pour sa
compréhension de la littérature islamique.
La connaissance positive des
langues et de l'histoire était nécessaire, mais elle n'était jamais suffisante,
pas plus qu'une accumulation machinale de faits ne constituerait une méthode
adéquate pour saisir ce qu'était un auteur comme Dante, par exemple. L'exigence
principale pour parvenir à une compréhension philologique telle que celle dont
discutaient et essayaient de pratiquer Auerbach et ses prédécesseurs, consistait
à pénétrer avec bienveillance et subjectivité dans le contenu d'un texte écrit,
vu à travers la perspective de son temps et de son auteur (Einfühlung). Au lieu
de l'aliénation et de l'hostilité envers un autre temps et une culture
différente, la philologie telle qu'appliquée à la Weltliteratur impliquait un
profond esprit humaniste déployé avec générosité et, si je peux utiliser ce mot,
avec hospitalité. Ainsi, l'esprit de l'interprète fait sérieusement une place en
lui-même pour un Autre étranger. Cette ingénieuse création d'un espace pour des
ouvrages qui seraient autrement étrangers et lointains est la plus importante
facette de la mission de l'interprète.
Tout cela a évidemment été miné et
détruit en Allemagne par le national-socialisme. Après la guerre, fait remarquer
Auerbach avec mélancolie, la standardisation des idées et la spécialisation
croissante du savoir ont graduellement réduit les opportunités pour le genre de
travail philologique investigateur et éternellement curieux, qu'il a représenté
et, hélas, il est encore plus déprimant de voir que depuis la mort d'Auerbach en
1957, l'idée autant que la pratique de la recherche humaniste ont perdu de leur
portée comme de leur centralité. Au lieu de lire dans le vrai sens du mot, nos
étudiants d'aujourd'hui s'égarent souvent dans le savoir fragmenté disponible
sur Internet et dans les médias de masse.
Pire encore, l'éducation est
menacée par des orthodoxies nationalistes et religieuses, souvent disséminées
par les grands médias par l'emphase mise sans perspective historique et avec
sensationnalisme sur les lointaines guerres électroniques qui donnent aux
spectateurs la sensation de précision chirurgicale, mais masquent en réalité la
souffrance et la destruction terrible produites par les techniques de la guerre
moderne. Dans la démonisation d'un ennemi inconnu pour qui l'étiquette
«terroriste» sert l'objectif général de garder les gens excités et colériques,
les images médiatiques forcent beaucoup trop l'attention et peuvent être
exploitées en temps de crise et d'insécurité comme la période post-11 septembre
en a produit.
Parlant en tant qu'États-unien et Arabe, je dois demander à mon
lecteur de ne pas sous-estimer le genre de vision du monde simplifiée formulée
par une poignée d'élites civiles du Pentagone pour la politique des États-Unis
dans tout le monde arabe et musulman, une vision dans laquelle la terreur, la
guerre préventive et le changement de régime unilatéral - soutenus par le budget
militaire le plus démesuré de l'Histoire - représentent les principales idées
débattues sans fin et de façon réductrice par des médias qui s'assignent le rôle
de produire de soi-disant «experts» qui valident l'opinion générale du
gouvernement. La réflexion, le débat, l'argumentation rationnelle, les principes
moraux basés sur la notion laïque voulant que les êtres humains doivent créer
leur propre histoire, ont été remplacés par des idées abstraites qui célèbrent
l'exception états-unienne ou occidentale, dénigrent la pertinence du contexte et
regardent les autres cultures avec dédain.
Peut-être direz-vous que je fais
trop de transitions abruptes entre, d'un côté, l'interprétation humaniste et, de
l'autre, la politique étrangère, et qu'une société technologique moderne qui, de
pair avec une puissance sans précédent, possède l'Internet et des avions de
chasse F-16, doit être dirigée par de formidables technocrates experts en
politique tels que Donald Rumsfeld et Richard Perle. Quoi qu'il en soit, ce qui
a réellement été perdu est un sentiment de la densité et de l'interdépendance de
la vie humaine, qui ne peuvent être réduits à une formule ni être considérés
impertinents et écartés.
Voilà une facette de ce vaste débat. Dans les pays
arabes et musulmans, la situation n'est guère meilleure. Comme le dit Roula
Khalaf, la région a glissé dans un «anti-américanisme» facile qui montre une
bien faible compréhension de ce qu'est réellement la société états-unienne.
Parce que les gouvernements sont relativement incapables d'influencer la
politique états-unienne à leur égard, ils utilisent leur énergie pour réprimer
et contenir leurs propres populations, ce qui crée un ressentiment, une colère
et des imprécations désespérées, qui ne contribuent en rien à ouvrir des
sociétés au sein desquelles les idées laïques au sujet de l'histoire humaine et
le développement ont été devancés par l'échec et la frustration, autant que par
un Islamisme édifié sur un apprentissage machinal et l'oblitération de ce qui
est perçu comme d'autres formes de savoir laïque concurrentielles. La
disparition graduelle de l'extraordinaire tradition qu'est l'ijtihad islamique
ou interprétation personnelle, a été un des désastres culturels majeurs de notre
temps, avec pour résultat que la pensée critique et la lutte individuelle contre
les problèmes du monde moderne ont tout à fait disparu.
Je ne veux pas dire
par là que le monde culturel a simplement régressé, d'un côté vers un
néo-orientalisme belliqueux et, de l'autre côté, vers un rejet généralisé. Le
Sommet des Nations Unies de Johannesburg, l'année dernière, malgré toutes ses
limites, a réellement révélé un vaste ensemble de préoccupations mondiales
communes, ce qui suggère une émergence bienvenue d'une nouvelle force politique
collective, qui donne une nouvelle urgence à la notion souvent facile d'«un
monde». Toutefois, il faut admettre qu'à travers tout cela, personne ne peut
réellement connaître la complexité extraordinaire de l'unité de notre monde
globalisé, en dépit de la réalité que le monde implique une réelle
interdépendance entre toute partie qui ne laisse pas de véritable opportunité
pour l'isolement.
Les terribles conflits qui maintiennent les gens sous des
étiquettes faussement unificatrices comme l'«Amérique», «l'Occident» ou
l'«Islam» et qui invente des identités collectives pour un grand nombre
d'individus qui sont en fait plutôt différents, ne peuvent demeurer aussi
puissants qu'ils le sont et on doit s'y opposer. Nous avons encore à notre
disposition les habiletés d'interprétation rationnelle qui sont l'héritage de
l'éducation humaniste, non pas en tant que piété sentimentale nous poussant vers
un retour à des valeurs traditionnelles ou classiques, mais comme pratique
active d'un discours rationnel, mondial et laïque. Le monde laïque forme
l'histoire telle que réalisée par des êtres humains. La pensée critique ne se
soumet pas à des ordres pour joindre les rangs en marchant contre l'un ou
l'autre des ennemis approuvés. En lieu et place d'un choc des civilisations
fabriqué, nous devons nous concentrer sur le lent travail des cultures qui se
chevauchent, empruntent les unes aux autres et coexistent de façons bien plus
intéressantes que peut le permettre un quelconque mode de compréhension abrégé
ou non authentique. Cependant, pour parvenir à cette plus large perception, nous
avons besoin de temps, de recherche patiente et sceptique, soutenue par une
croyance dans la solidarité des interprétations, qui sont difficiles à
entretenir dans un monde qui demande l'action et la réaction
instantanées.
L'humanisme est centré sur l'agencement de l'individualité et
de l'intuition subjective de l'humain, plutôt que sur des idées reçues et des
vérités approuvées. Les textes doivent être lus comme des textes qui ont été
produits et vivent dans le royaume de l'histoire de plusieurs façons, que j'ai
nommées façons universelles. Ce qui n'exclut absolument pas le pouvoir,
puisqu'au contraire j'ai essayé de montrer les insinuations et les imbrications
du pouvoir même dans la plus obscure des études.
Finalement, et le plus
important, l'humanisme est la seule - j'irais jusqu'à dire la dernière -
résistance que nous ayons contre les pratiques et injustices inhumaines qui
défigurent l'histoire humaine. Nous sommes aujourd'hui encouragés par l'énorme
espace positivement démocratique qu'est le cyberespace, ouvert à tous les
usagers de manières que n'ont même pas rêvées les précédentes générations de
tyrans ou d'orthodoxies. Les manifestations mondiales avant que la guerre
commence en Irak n'auraient pas été possibles sans l'existence de communautés
alternatives partout dans le monde, informées par des sources alternatives et
profondément conscientes des droits environnementaux et humains et des
impulsions libertaires qui nous unissent sur cette petite
planète.
- Notes :
[1] Eqbal
Ahmad (Inde ~1933 - Pakistan 1999). Lors de la partition de l'Inde en 1947, lui
et ses frères émigrent au Pakistan, où il étudia jusqu'en 1957, année au cours
de laquelle il part aux États-Unis afin de poursuivre ses études en Sciences
politiques et en Histoire du Moyen-Orient à l'Université de Princeton. Entre
1960 et 1963, il vit en Afrique du Nord, travaillant principalement en Algérie
où il rejoint le Front de Libération Nationale et travaille avec Frantz Fanon.
Ahmad a fait partie de la délégation algérienne aux pourparlers de paix d'Évian.
Dès son retour aux États-Unis, Ahmad commence à enseigner dans diverses
universités (Illinois 64-65, Cornell 65-68, Adlai Stevenson Institute 68-72,
Institute for Policy Studies 72-82, Hampshire College 82-97). Parallèlement, il
se fait connaître comme un des premiers et des plus éloquents opposants aux
politiques états-uniennes au Vietnam et au Cambodge. En 1971, il est accusé,
conjointement avec les prêtres catholiques Daniel et Phillip Berrigan et quatre
autres pacifistes catholiques, de conspiration pour enlever Henry Kissinger, le
jury ajournant le procès pour vice de procédure. Au début des années 90, le
gouvernement de Benazir Bhutto lui accorde une parcelle de terre au Pakistan
pour y construire une université indépendante et alternative, parcelle qui fut
par la suite confisquée par l'époux de Benazir Bhutto pour y construire un
terrain de golf. Auteur et activiste prolifique, Ahmad était éditorialiste du
journal Race and Class, du Middle East Report et de l'Économiste du Tiers monde
et membre du comité éditorial de Arab Studies Quarterly. Edward W. Said a écrit
de lui qu'il était «cette perle rare, un intellectuel jamais intimidé par le
pouvoir ou l'autorité, un compagnon d'armes de figures aussi diverses que Noam
Chomsky, Howard Zinn, Ibrahim Abu-Lughod, Richard Falk, Fred Jameson, Alexander
Cockburn et Daniel Berrigan. À sa retraite en 1997, il s'établit définitivement
au Pakistan où il écrit une chronique hebdomadaire dans le quotidien Dawn,
jusqu'à sa mort en mai 1999. (NdT)
[2] Ibrahim Abu-Lughod (Jaffa 1929 -
Ramallah 2001). En 1948, lui et sa famille quittent leur ville natale de Jaffa
pour aller s'établir tout d'abord à Naplouse puis à Amman, qu'il quitte en 1950
pour aller poursuivre ses études aux États-Unis où il obtient son doctorat en
Sciences politiques de l'Université de Princeton en 1957. Il commence sa
carrière avec l'UNESCO où il dirige le Département de recherche sociale en
Égypte. De 1961 à 1992, il enseigne au Smith College puis à la Northwestern
University. Il retourne s'établir en Palestine en 1992 où il devient
vice-président et professeur de relations internationales à l'Université de
Birzeit. Il a publié des dizaines de livres et articles dans lesquels il
documente, évalue et exprime la dépossession vécue par les Palestiniens. Il a
créé avec d'autres activistes l'Association of Arab-American University
Graduates en 1968 et a été membre du Conseil National Palestinien.
(NdT)