6. Israël-Palestine Un barrage contre la
paix ? Chaque kilomètre coûte 2,5 millions de dollars... par René
Backmann
in Le Nouvel Observateur du jeudi 31 juillet
2003
Destinée en principe à protéger Israël des intrusions
terroristes, la “barrière de sécurité”, dont le premier tronçon est aujourd’hui
terminé, a surtout permis au gouvernement Sharon d’annexer de fait 2,9% du
territoire palestinien et une dizaine de colonies. Et lui a valu les reproches
de George Bush...
De notre envoyé spécial - “Voici
l’avenir que nous proposent nos voisins israéliens…” Planté au milieu d’un carré
de tomates, parmi les vergers, les serres et les jardins maraîchers qui
s’étendent à la lisière de la ville, Maarouf Zahran, maire de Kalkiliya,
parcourt du regard le rempart de béton de 8 mètres de haut qui transforme en
cour de prison l’un des quartiers les plus agréables de la cité qu’il administre
au nom du Fatah depuis 1996. A ses extrémités nord et sud, ce long mur gris se
raccorde au grillage électrifié de la “barrière de sécurité” qui enferme la
ville dans une véritable nasse. La seule ouverture, à l’est, près de la route de
Naplouse, est contrôlée par l’armée israélienne, qui a aménagé là un petit camp
militaire. Ne peuvent entrer ni sortir, à pied, que les femmes et les hommes de
plus de 35 ans. Les véhicules, ambulances et voitures de médecin comprises,
doivent disposer d’une autorisation exceptionnelle de l’administration civile,
c’est-à-dire de l’armée.
Depuis près de deux ans, toutes les localités
palestiniennes de Cisjordanie sont bouclées par l’armée israélienne. Les routes
d’accès sont barrées par des blocs de béton, des monticules de terre et de
gravats, renforcés par des plaques de ciment ou des carcasses de véhicules
calcinés. Les piétons peuvent passer – à leurs risques et périls – par les
sentiers et les oliveraies, mais les camions doivent être déchargés au barrage,
et leur contenu acheminé jusqu’au village par des remorques attelées à des
tracteurs agricoles, ou à dos d’âne. A cela s’ajoutent, pour ceux qui veulent se
rendre d’une ville à une autre, une multitude de checkpoints militaires –
environ 160 pour l’ensemble de la Cisjordanie – qui peuvent transformer un banal
voyage familial en cauchemar. “Avant les bouclages, il me fallait à peine une
demi-heure pour aller de Naplouse à Kalkiliya, raconte un enseignant. La
dernière fois que j’ai fait le parcours, il y a quelques semaines, j’ai mis
trois heures. Et j’ai des amis à qui il a fallu le double.”
Destinée en
principe, lorsqu’elle sera achevée, à empêcher des terroristes de s’infiltrer en
Israël ou d’y introduire des explosifs et des armes, la “barrière de sécurité”
ou la “zone de séparation”, comme l’appellent les militaires qui en ont la
responsabilité opérationnelle, est le plus grand chantier du gouvernement
Sharon. La construction du premier tronçon, entre Salem, au nord-ouest de
Jénine, et Elkana, au sud-est de Kalkiliya, a été décidée le 23 juillet 2001.
“L’idée des concepteurs, explique Marc Luria, membre du Conseil pour la
construction d’une barrière de sécurité pour Israël, que préside l’ancien
général Uzi Dayan, est strictement technique. Il s’agit de construire autour de
la Cisjordanie, c’est-à-dire du futur Etat palestinien, une installation qui
nous permettra de détecter et d’empêcher les intrusions de terroristes. Une
telle barrière existe déjà autour de Gaza: aucun des responsables d’attentats
suicides qui ont ensanglanté Israël ne venait de Gaza. C’est assez convaincant,
non?” Informaticien, originaire de Californie, Marc Luria n’est pas, à première
vue, l’un de ces fanatiques de la colonisation qui jugent intolérable la
création, un jour, d’un Etat palestinien. Au contraire. “Je suis pour
l’existence de deux Etats vivant en bon voisinage. Mais comme ce n’est pas
possible tout de suite, je pense d’abord à protéger mes enfants, ma famille, mon
peuple. Lorsque les relations avec les Palestiniens seront devenues normales, je
ne serai pas contre la démolition de la barrière. Ce serait un beau geste
symbolique, vous ne trouvez pas?”
Large de 60 à 80 mètres, composée de
réseaux de barbelés, d’une piste de détection des intrusions, d’une route de
service et d’un chemin de patrouille de part et d’autre de la barrière
électrifiée, jalonnée de senseurs électroniques, la “zone de séparation”
serpente à flanc de colline, comme une interminable cicatrice blanche, parmi les
oliviers et la rocaille. En certains points jugés dangereux par les militaires
parce que des tireurs embusqués pourraient prendre pour cible les usagers de la
nouvelle autoroute trans-Israël n°6 qui longe la ligne verte, un mur de béton,
comme à Kalkiliya ou à Tulkarem, remplace le grillage. A l’origine, cinq points
de passage devaient être aménagés dans le premier tronçon de la barrière. Mais,
comme l’a indiqué au quotidien “Haaretz” l’administrateur de la “zone de
séparation”, Nezach Mashiach, “le budget 2003 ne prévoyait pas les fonds
nécessaires pour construire ces installations”.
A elle seule, la
construction de cette première phase de la “barrière de sécurité”, qui a coûté,
selon le directeur général du ministère de la Défense, Amos Yaron, près de 2,5
millions de dollars par kilomètre, a englouti 1140 hectares de terres
palestiniennes “réquisitionnées pour des besoins militaires”. La majeure partie
de ces terres, qui abritent l’une des principales zones aquifères de la région,
était constituée de vergers, de champs cultivés, d’oliveraies ou de serres. Il
suffit de suivre les méandres de la “barrière” du haut d’une colline pour
constater que les oliviers, “arbres de vie” des Palestiniens, ont payé un lourd
tribut à ce chantier. Près de Nizat Issa, au nord de Tulkarem, des oliviers
centenaires ont ainsi été arrachés. “Ce sont les plus rentables, explique Ahmed
Assad, un vieux villageois. Un arbre de quinze ans rapporte 70 dollars par an.
Un arbre de cent ans, dix fois plus.” Combien d’oliviers ont été arrachés? Des
dizaines de milliers, affirment les Palestiniens. Le chiffre précis est inconnu.
Mais le quotidien israélien “Yediot Aharonot” a découvert que l’une des
entreprises qui construit la barrière a mis en vente des oliviers “en quantité
illimitée” au prix de 1000 shekels (250 euros) l’unité…
“Si les Israéliens
avaient construit la barrière exactement sur le tracé de la ligne verte, qui
marque depuis 1949 la séparation entre Israël et la Cisjordanie, je n’aurais pas
trouvé cela très encourageant, mais j’aurais pu le comprendre vu le contexte
politique, dit le géographe Khalil Toufakji, qui fut l’un des conseillers de la
délégation palestinienne lors des négociations de paix. Mais profiter de la
construction de cet ouvrage pour annexer de fait à Israël des colonies, c’est un
fait accompli inacceptable sur le plan juridique, que la communauté
internationale ne devrait pas tolérer.”
Le fait est que la “barrière de
sécurité”, telle qu’elle a été conçue par les stratèges militaires et telle
qu’elle apparaît, dans sa première phase, sur le terrain comme sur les cartes du
ministère de la Défense, est à la fois un dispositif de protection mais aussi un
acte politique, infiniment plus concret, hélas, que les engagement israéliens à
respecter la “feuille de route”, c’est-à-dire le plan de paix préparé par le
“quartette” (Etats-Unis, Union européenne, Nations unies, Russie) et accepté en
avril par les Palestiniens puis en mai par Israël.
Car, loin de suivre le
tracé de la ligne verte, les 120 premiers kilomètres de la barrière dessinent en
fait de larges méandres, qui s’enfoncent parfois de 6 ou 7 kilomètres à
l’intérieur de la Cisjordanie. Ces méandres contournent par l’est dix colonies
israéliennes abritant près de 20000 personnes, qui se retrouvent ainsi
rattachées, avec leurs terres et leurs routes d’accès, au territoire israélien.
En revanche, 49 villes ou villages palestiniens, où vivent plus de 140000
personnes, se retrouvent isolés dans des enclaves, à l’ouest de la barrière, ou
enfermés, comme Kalkiliya, dans une boucle entre plusieurs colonies. En outre,
36 autres localités (72200 personnes) sont coupées de leurs terres par la
barrière. Selon l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme
B’Tselem, plus de 210000 Palestiniens sont directement affectés par la
construction du premier tronçon de cette barrière, qui annexe de fait à Israël
plus de 16000 hectares de terres, soit 2,9% du territoire de la Cisjordanie.
“L’objectif, admet Pinchas Wallerstein, l’un des responsables du Conseil des
Colonies, c’est de réunir un maximum de population juive et un minimum de
population arabe sur le plus grand espace possible.”
Quand on se rappelle que
les négociations israélo-palestiniennes passées ont parfois achoppé sur des
contestations portant sur 2 ou 3% du territoire, on mesure la colère des
Palestiniens devant ce chantier géant et devant les cartes des prochaines
phases. Car les trois autres portions de la barrière déjà construites ou en
travaux, au nord-est de la Cisjordanie mais surtout au nord et au sud de
Jérusalem, se traduisent sur le terrain par des annexions plus spectaculaires
encore. Ce sont en effet une quinzaine de colonies du pourtour de la Ville
sainte, abritant 173000 personnes, qui seront intégrées au “Grand Jérusalem”
lorsque la partie centrale de la barrière sera achevée, en 2004. Ce qui en fait
coupera en deux la Cisjordanie.
Quant au tracé définitif des autres
tronçons, à l’est et au sud, il n’est pas encore officiellement arrêté. Mais des
cartes assez détaillées circulent. Un vote de la Knesset destiné à débloquer des
crédits pour la construction des prochaines tranches de la barrière a été
ajourné mardi dernier à la demande des députés de la majorité, qui exigeaient
d’en connaître le tracé exact. Sous l’influence des colons, très mobilisés par
cette question, ils souhaitent obtenir du Premier ministre un engagement
certifiant que la quasi-totalité des colonies et la vallée du Jourdain seront
annexées à Israël, ce qui aboutirait à priver l’Etat palestinien de près de la
moitié de son territoire. Pour ne pas exaspérer Washington, Ariel Sharon affecte
de tergiverser, invoquant tantôt le manque de crédits – nié par le ministre des
Finances, Benyamin Netanyahou –, tantôt des “contraintes techniques”. Mais
devant les chefs de sa majorité il a déjà indiqué à plusieurs reprises sa
résolution à “aller jusqu’au bout” et à construire une barrière de près de 600
kilomètres.
“La vérité, dit Stéphanie Koury, conseillère juridique du
département des Négociations de l’Autorité palestinienne, c’est qu’en violation
du droit international et de l’accord d’Oslo le gouvernement Sharon est en train
de tuer la possibilité de créer un Etat palestinien souverain et viable, en
imposant sur le terrain des faits accomplis qui amputent et morcellent le
territoire de ce futur Etat avant que ses frontières ne soient négociées, en
2005, dans la dernière étape de la "feuille de route". C’est si clair que,
lorsque nous avons montré les cartes à Condoleezza Rice lors de sa visite à
Ramallah, elle était furieuse.” George Bush lui-même a admis, la semaine
dernière, en recevant à Washington le Premier ministre palestinien Mahmoud
Abbas, que “le mur [était] un problème”.
“Nous ne sommes pas exempts de
reproches, concède, dans son bureau de Jéricho, l’ancien chef des négociateurs
palestiniens, Saëb Erekat. Nous avons par exemple été incapables de mettre en
œuvre une pédagogie de la paix. Mais les Israéliens, une fois encore, jouent
avec le feu. Après avoir augmenté la population des colonies de 72% entre 1993
et 2000, et construit sur les terres des Palestiniens 450 kilomètres de routes
réservées aux colons, en violation flagrante des accords d’Oslo, ils refusent
aujourd’hui le gel des colonies et l’arrêt du chantier de la barrière, prévus
par la "feuille de route". Ils bénéficient de la trêve conclue entre l’Autorité
palestinienne et les organisations islamistes, mais ils ne font rien pour la
prolonger et la consolider. Proposer 540 libérations quand on détient près de
6000 prisonniers, ce n’est pas sérieux. En agissant ainsi, Sharon est en train
de miner la "feuille de route". Il ne veut pas comprendre que dans le conflit
israélo-palestinien il n’y aura pas un vainqueur et un vaincu mais deux
vainqueurs ou deux vaincus.”
Une journée passée à circuler sur les superbes
routes qui relient entre elles les 160 colonies de Cisjordanie et les raccordent
au réseau routier israélien permet de constater que les constructions, dans les
implantations, loin d’être gelées comme le réclame la "feuille de route", sont
en plein essor. Des grues, des bulldozers, des bétonnières s’activent partout
sous la surveillance de l’armée. Quant aux opérations d’“évacuation” menées par
l’armée, elles n’ont touché aucune colonie en dur mais une poignée
d’installations “sauvages”, c’est-à-dire de cabanes de chantier et de caravanes,
le plus souvent inhabitées, parmi la centaine que recensent les experts
américains.
Selon ses proches, le Premier ministre palestinien compte sur les
pressions de Washington pour faire entendre raison à Sharon. “Il est convaincu,
dit son conseiller politique Rami Shehadeh, qu’en mettant en place une
administration compétente, en combattant le népotisme et la corruption, en
remplaçant les multiples milices par une police efficace et en instaurant le
règne de la loi, il gagnera la confiance des Américains.” C’est aussi l’avis du
ministre de la Culture, Ziad Abou Amr, qui fut l’un des négociateurs de la trêve
de trois mois conclue le 29 juin avec le Hamas et le Djihad islamique: “Nous ne
savons pas ce que veut Sharon, mais nous savons que si nous respectons notre
part des engagements prévus par la "feuille de route", en renonçant à la
violence et en mettant en place des institutions démocratiques, nous ne
changerons pas seulement notre image mais aussi quelques données du rapport de
force, en devenant beaucoup plus crédibles aux yeux de l’opinion internationale
et de l’administration américaine.”
Mahmoud Abbas – “N’appelez plus le
Premier ministre Abou Mazen, demande l’un de ses conseillers, l’époque héroïque
des "Abou" est terminée, nous sommes sortis de la résistance, nous entrons dans
la construction de l’Etat” – ne manque jamais, en public, de réclamer l’arrêt de
la construction de la “barrière de sécurité”, qui trace unilatéralement une
frontière inacceptable. En privé, il est plus pragmatique: “Il ne cesse de nous
dire: "Tout ce qui a été construit par les hommes peut être démoli, surtout un
mur"”, confie Ziad Abou Amr.
A quelques centaines de mètres des ruines de la
Mouqataa – au milieu desquelles Yasser Arafat est reclus depuis dix-neuf mois
dans le dernier bâtiment intact –, le Premier ministre palestinien, qui n’a pas
renoncé à ses siestes quotidiennes, a installé son équipe de jeunes conseillers
dans un banal immeuble de bureaux d’El Bireh. Il sait que dans une période aussi
critique il doit préserver ses prérogatives sans laisser Sharon marginaliser
davantage Arafat, car le vieux président incarne encore aux yeux de la majorité
des Palestiniens une légitimité historique et politique qui fait défaut à son
Premier ministre. Accusé d’avoir fait trop de concessions en acceptant une
"feuille de route" dénaturée par les réserves israéliennes, il a renoncé à
démissionner, musclé son discours sur les prisonniers, les colonies et la
“barrière” et ne manque pas une occasion de réclamer la fin de la réclusion du
président palestinien.
“Mahmoud Abbas est honnête et sincèrement dévoué à la
cause du peuple palestinien, mais il est un peu naïf, dit un vieux compagnon de
Yasser Arafat. Parce que George Bush lui a tapé deux fois sur l’épaule, il croit
qu’il a l’oreille du président américain. C’est dangereux parce qu’il en devient
sourd à la situation sur le terrain, à la détresse et à la misère des
siens.”Après deux années de bouclages, de couvre-feux et de frappes plus ou
moins ciblées, il est vrai que l’économie palestinienne est en ruine. La Banque
mondiale estime qu’en trois ans le produit intérieur brut s’est effondré de 5,16
milliards de dollars à 3,22 milliards de dollars et que 60% des habitants vivent
aujourd’hui au-dessous du seuil de pauvreté.
“Avant l’explosion de la
seconde Intifada, en septembre 2000, Kalkiliya était une ville prospère, dit
Maarouf Zahran. Les bouclages et les checkpoints ont réduit à néant ou presque
les échanges avec les autres localités palestiniennes. Et aujourd’hui le mur
nous coupe de nos terres agricoles et interdit tous nos liens avec nos voisins
israéliens. Plus de 60% des adultes sont au chômage. La majeure partie de nos
41000 habitants a besoin de l’aide de l’ONU, de la Croix-Rouge internationale ou
d’organisations humanitaires pour vivre. Si le Fatah ne voit pas que le moment
est venu de cesser d’être un parti armé et de participer à la construction
pacifique d’un Etat, si Sharon ne comprend pas que la paix a un prix et qu’il
faut le payer, ce sont des hommes comme celui qui attend à la porte de mon
bureau qui seront demain au pouvoir en Palestine.”Du regard, Maarouf Zahran
désigne l’austère barbu en abaya grise, coiffé d’une calotte blanche, qui vient
d’arriver: le chef du Hamas à Kalkiliya.
Les grillages électrifiés de la “
barrière de sécurité ” à une extrémité de Kalkiliya.Seuls peuvent entrer et
sortir, à pied, les femmes et les hommes de plus de 35 ans.
7. Les bonnes
clôtures font les bons voisins par Dominique Roch
sur Radio France
Internationale le jeudi 31 juillet 2003
Les bonnes clôtures font les bons voisins. C’est ce qu’a affirme
sans rire face a George Bush, Ariel Sharon qui citait le poète américain Robert
Frost. Le premier ministre israélien faisait référence à la muraille de
séparation de 350 km de long que construit Israël avec la Cisjordanie ; une
muraille qui empiète profondément sur les terres palestiniennes. Les bons
voisins d’Ariel Sharon en l’occurrence les Palestiniens qui vivent sous
occupation israélienne depuis 36 ans ne semblent pas pour l’heure partager son
point de vue. Israël a beau affirmer qu’il ne s’agit que d’une simple clôture
destinée à empêcher les infiltrations de terroristes sur son! territoire, les
travaux ont déjà pris la forme en certains endroits d ’un gigantesque mur de
béton de huit mètres de haut notamment dans le nord de la Cisjordanie. Ailleurs
ce ne sont que rouleaux de barbelés , tranchées de plusieurs mètres de
profondeur , clôtures électrifiées et tours de contrôle. Des dizaines de
milliers d’oliviers, d’amandiers ont déjà été déracines ; des paysans
palestiniens se retrouvent coupés de leurs terres et une quinzaine de villes et
villages palestiniens seront enclaves avec leurs 400 mille habitants du cote
israélien du mur. Pour les Palestiniens, il s’agit d’une nouvelle annexion
israélienne de leurs terres.
Mais le pire est à venir. Les prochaines phases de construction promettent
en effet d’avoir un effet dévastateur pour l’avenir de la feuille de route, ce
plan d’action international dont George Bush a fait son cheval de bataille et
qui prévoit la création d’ici 2005 aux cotes d’Israël d’un Etat Palestinien
viable. A la demande des colons, le gouvernement Sharon va inclure dans son
trace du mur , la colonie juive d’Ariel. Du coup c’est un détour de 20km a
l’intérieur de l’étroite Cisjordanie qui est prévue.
Pour les bons voisins d’Ariel Sharon a commencer par le premier ministre
palestinien Mahmoud Abbas ,ce mur de séparation est un mur raciste qui
perpétuera la haine. Yasser Arafat évoque le mur de Berlin et parle de cantons
palestiniens; mais pour l’heure, le premier ministre israélien a l’impression
d’avoir gagné la bataille des mots a Washington et ce ne sont pas les
commentaires élogieux des médias israéliens qui vont le détromper. Après tout,
le président américain qui avait parlé de mur la semaine dernière ne qualifie
t-il pas désormais cet ouvrage de clôture?
Ariel Sharon peut se féliciter d’avoir eu, encore une fois, gain de cause à
Washington mais une chose est sure : clôture ou mur, cet ouvrage risque de venir
a bout de tout espoir de paix entre Israël et ses bons voisins.
8. Réplique aux contre-vérités de mes détracteurs -
Israël est un État religieux par Louis Gill
in Le Devoir (quotidien
québécois) du mardi 29 juillet 2003
(Louis Gill est
professeur retraité de l'Université du Québec à Montréal.)
Dans une
réplique parue le 8 juillet dans Le Devoir
[http://www.ledevoir.com/cgi-bin/imprimer?path=/2003/07/08/31335.html] à mon
article du 27 juin intitulé «L'irréparable handicap démocratique d'Israël»
[http://www.ledevoir.com/cgi-bin/imprimer?path=/2003/06/27/30658.html],
Jean-Charles Chebat rejette comme de simples «accusations partisanes» les faits
que je rappelle dans cet article et pour lesquels Israël a été dénoncé à travers
le monde, y compris par de très nombreux Juifs. Il franchit également sans
vergogne le pas devenu classique en cette matière, en proférant à mon égard des
accusations de haine dénuées de fondements. Geste des plus regrettables dans un
débat qui doit nécessairement se poursuivre dans la sérénité.
Israël
: un État laïque ?
À ma description de l'État juif d'Israël comme
l'État d'une confession religieuse, gravé dans ses fondements mêmes d'un
irréparable handicap démocratique, Chebat réplique en soutenant au contraire
que, par sa Constitution, l'État d'Israël est un «État laïque qui reconnaît
quatorze confessions». Voilà qui n'est pas banal ! Si le mot «laïque» a un sens,
un État qui reconnaîtrait sur le même pied certaines confessions, sans
reconnaître les autres, pourrait être défini comme un État religieux
multiconfessionnel partial, mais certainement pas comme un État laïque.
Cette laïcité de l'État, selon Chebat, serait pourtant affirmée dans la
Constitution d'Israël. Or, il n'y a pas de Constitution en Israël, qui ne s'est
jamais doté d'une telle Loi fondamentale constitutive du pays protégeant
notamment les droits et libertés, mais qui est régi par un ensemble de lois
dites «de base» (basic laws) adoptées au fil des décennies par le Parlement, la
Knesset (loi du retour, lois sur la nationalité, sur la propriété de la terre,
sur le gouvernement, sur l'économie, sur l'armée, etc.), dont aucune ne fait
quelque allusion à une prétendue laïcité de l'État.
On ne peut par ailleurs
invoquer la reconnaissance de la liberté de culte proclamée dans la Déclaration
d'indépendance de 1948 pour prétendre à la laïcité de l'État, ni même pour
soutenir qu'aujourd'hui les citoyens jouiraient d'une pleine liberté en matière
religieuse. La reconnaissance des confessions religieuses par l'État, en effet,
n'est pas entière, mais limitée à 14 confessions, comme nous le dit Chebat. De
plus, quelle que soit leur pratique effective, dont Chebat nous informe qu'elle
est faible, les citoyens juifs d'Israël sont tenus de se soumettre à la religion
juive, en particulier pour le mariage et le divorce selon la loi juive qui,
entre autres, confine les femmes dans une nette position d'infériorité. Aussi,
conformément à la loi, chaque Israélien doit appartenir à une communauté
religieuse. Belle laïcité !
Chebat souhaite nous convaincre en rappelant que
le mouvement sioniste a été porté par un mouvement laïque, voire socialiste, qui
en conséquence n'aurait jamais pu accoucher d'un État théocratique. Il omet de
dire que ce mouvement a tout autant été porté par de fortes influences
religieuses qui exigeaient qu'Israël se dote d'institutions conformes à la
Torah, de sorte que la société israélienne est traversée de part en part par la
religion. À titre d'exemple, 20 % des sièges de la Knesset sont détenus par des
chefs religieux. Si le fondateur du sionisme, Théodore Herzl, proclamait en 1896
dans L'État des Juifs que l'armée et le clergé n'ont pas à s'immiscer dans les
affaires de l'État, il affirmait tout autant : «Nous ne reconnaissons notre
communauté d'appartenance historique qu'à travers la foi de nos pères.»
La contradiction
Qu'en est-il des incidences
démocratiques de cet État religieux ? Mentionnons d'abord qu'il a fallu attendre
jusqu'en 1992 pour que soit adoptée une Loi sur la dignité de l'Homme et sa
liberté, considérée comme une ébauche d'une éventuelle Déclaration des droits de
l'Homme qui n'a toujours pas vu le jour. Mais cette loi ne contient pas de
clause d'égalité qui garantirait aux citoyens non juifs d'Israël (20 % de la
population) une protection contre la discrimination. La loi énonce au contraire
que les Droits de l'Homme doivent être interprétés dans l'esprit des principes
de la Déclaration d'indépendance de 1948 qui stipule que «l'État d'Israël sera
fondé sur la liberté, la justice et la paix selon l'idéal des prophètes
d'Israël», et qu'elle a pour objet d'instituer «les valeurs de l'État d'Israël
en tant qu'État juif et démocratique».
Cette contradiction en soi qu'est un
«État juif et démocratique» est illustrée en particulier par le fait que le
droit des non-Juifs à se présenter comme candidats aux élections à la Knesset
est soumis à leur acceptation du caractère juif de l'État, de sa composition
comportant une majorité de Juifs et du privilège de «retour» en Israël accordé
aux Juifs, selon le principe de la «prééminence du Droit du sang sur le Droit du
sol». La loi interdit à tout candidat de se présenter aux élections sur une
plate-forme politique qui nierait le «droit à l'existence de l'État d'Israël en
tant qu'État du peuple juif». Un registre de la population départage par
ailleurs les citoyens entre Juifs et non-Juifs.
On comprendra facilement, en
contradiction avec la présentation idyllique dont Chebat voudrait nous
convaincre, que les citoyens de la minorité non juive d'Israël puissent être
définis comme «des étrangers de l'intérieur» et «des citoyens de seconde zone,
du fait de leur non-judaïcité» par la Fédération internationale des Ligues des
droits de l'Homme (FIDH) dans un rapport de 2001 d'une mission d'enquête menée
par elle avec la collaboration de l'Association for Civil Rights in Israel. Ce
rapport établit une liste impressionnante des discriminations économiques et
sociales dont est victime la population arabe d'Israël et révèle l'absence de
droits élémentaires qui est le lot quotidien de la population bédouine.
«Accusations partisanes», répliquera sans aucun doute Chebat qui y décèlera
ici encore l'«écho des cris de haine venus de Durban». Faudrait-il nier ces
faits sous prétexte que la négation des droits démocratiques est encore plus
grande dans les États arabes ? N'est-on pas plutôt fondé de poser avec la FIDH
la question suivante : «Que peut signifier un État moderne et démocratique doté
d'une religion nationale où l'appartenance à cette religion nationale est un
critère permettant de revendiquer le droit à la citoyenneté ?» Et de répondre
avec elle : «Seule une séparation complète entre la religion et l'État [...]
permettrait de restaurer au terme "démocratie" la plénitude de son acception.»
Mur de la honte
La loi allemande sur le droit de
retour de descendants d'exilés allemands, en sol allemand habité par des
Allemands, sur un territoire 17 fois plus grand que celui d'Israël, peut-elle
vraiment être mise sur le même pied que la loi israélienne accordant un droit de
«retour» aux Juifs du monde entier, sur un minuscule territoire d'où ont été
évacués quatre millions d'Arabes auxquels on nie le droit de retour et dont on
gruge sans cesse la partie qui est toujours considérée comme territoire
palestinien ? Poser la question est y répondre. Pour Chebat, il faudrait plutôt,
en plus, défendre le «droit» des colons juifs d'envahir sous protection
militaire les territoires palestiniens de Cisjordanie et de Gaza !
Peut-on
d'autre part condamner l'ancien «mur de la honte» de Berlin, parce qu'il
empêchait les Allemands de l'Est de fuir à l'Ouest, mais soutenir en même temps
l'édification par Israël de cet autre «mur de la honte» sur la frontière ouest
de la Cisjordanie, en justifiant ce dernier par la volonté d'empêcher l'entrée
en Israël des terroristes palestiniens ?
Précisons que ce mur de huit mètres
de haut et trois mètres de large sur une distance de 350 kilomètres, dont le
tiers a déjà été construit au coût de 1,6 million de dollars par kilomètre,
confisque par surcroît de nouvelles parties du territoire palestinien et sépare
de leurs terres des dizaines de milliers de Palestiniens. Les maisons des 40 000
habitants de la ville de Qalqiya se trouvent en effet d'un côté du mur, alors
que les terres qu'ils cultivent se trouvent de l'autre. Ce sera le cas de 300
000 Palestiniens lorsque le mur sera achevé. Fait significatif, la «feuille de
route» pour la paix ne fait aucune allusion à cette monstruosité qui semble
normale à Chebat, ni à ce que le projet d'un mur semblable du côté est de la
Cisjordanie ait d'ores et déjà été approuvé.
Je ne dirai que quelques mots
de l'article de Yoram Danan paru dans Le Devoir du 17 juillet, dont la
banalisation des exactions d'Israël sous prétexte que des violations des droits
de la personne ont aussi lieu ailleurs est devenue un triste lieu commun. Lui
aussi justifie le «mur de la honte» comme un «système de défense contre les
kamikazes palestiniens». Comme l'explique le professeur israélien Gadi Algazi de
l'Université de Tel-Aviv dans le Monde diplomatique de juillet, ce mur est
plutôt l'instrument d'un projet politique global : «briser la Cisjordanie pour
la transformer en une série d'enclaves et de bantoustans étroitement contrôlés
par Israël, et d'empêcher ainsi toute continuité territoriale d'un futur État
palestinien», dont la viabilité serait dès lors détruite.
Danan écrit qu'il
était tout à l'honneur des pères fondateurs d'Israël d'aspirer à «plus de
territoire que ce qu'ils avaient pu obtenir par la décision de partage». Dans la
réalisation de ces aspirations, il serait tout autant «à l'honneur» de Sharon et
consorts d'édifier aujourd'hui ce mur pour faire barrage à l'État palestinien
comme condition de la réalisation de l'objectif du «Grand Israël».
En
terminant, je considère comme une grave insulte faite au Québec, l'insoutenable
parallèle dressé par Chebat entre la politique d'immigration d'Israël, fondée
sur la discrimination et l'exclusion, et la politique de libre ouverture à une
immigration de toute provenance, sans considérations de nationalité, de langue,
de couleur de la peau, de religion, de sexe ou d'opinons, pratiquée par le
Québec.
9. Il faut sauver le "soldat
Abbas" par Ridha Kéfi
in L'intelligent - Jeune Afrique du lundi 28 juillet
2003
Pour sa première tournée depuis sa prise de fonctions fin avril,
le Premier ministre palestinien Mahmoud Abbas (Abou Mazen) s'est rendu au Caire
(Égypte), à Amman (Jordanie) et à Washington (États-Unis). Le 25 juillet, dans
la capitale américaine, il a été reçu successivement par des membres du Congrès,
par la présidente du Conseil national de sécurité, Condoleezza Rice, et par le
président George W. Bush. Ce périple, qui s'est achevé par une rencontre avec le
roi Mohammed VI à Rabat (Maroc), sera déterminant pour l'avenir du numéro deux
palestinien.
C'est à bord de l'avion personnel de Yasser Arafat que Mahmoud
Abbas a effectué le vol Amman-Washington. Cet appareil est le seul à avoir
échappé, au printemps 2002, à la destruction par l'armée israélienne de la
maigre flotte palestinienne sur l'aéroport international de Gaza. Au même
moment, il était en Égypte... « La composition de la délégation ayant accompagné
le Premier ministre - à savoir Ahmed Qoraï, président du Conseil législatif
palestinien (Parlement) ; Nabil Chaâth, ministre des Affaires étrangères ;
Mohamed Dahlan, ministre de la Sécurité ; et Salem Fayed, ministre des Finances
- a fait l'objet d'un accord préalable avec le président de l'Autorité »,
explique Mounir Ghannam, ambassadeur de l'Autorité palestinienne à Tunis. Qui
ajoute : « On cherche à faire accréditer la thèse selon laquelle Abou Mazen et
Abou Ammar (surnom d'Arafat) sont en conflit. En réalité, l'un ne décide de rien
sans l'autre. »
Comme pour dissiper tout malentendu, Abbas annonçait, la veille de son
départ pour Washington, avoir reçu « un feu vert » d'Arafat. « Le président
américain a, à plusieurs reprises, invité le Premier ministre à venir le
rencontrer, mais ce dernier a fait savoir à chaque fois qu'il ne pourrait pas
répondre à l'invitation aussi longtemps qu'Israël n'aurait pas rendu sa liberté
de mouvement au président de l'Autorité, explique Mounir Ghannam. C'est à la
demande d'Arafat que le Premier ministre a décidé de mettre un bémol à sa
revendication, dans l'espoir de voir sa rencontre avec Bush déboucher sur la
reprise du processus de paix. » Traduire : le chef de l'Autorité n'est pas hors
jeu. Il est le maître du jeu.
Mahmoud Abbas, qui est dès son retour menacé d'une censure parlementaire
s'il ne rapporte rien de concret de sa rencontre avec George W. Bush, représente
pour nombre de Palestiniens la capitulation devant les exigences étrangères.
Outre sa modestie et son manque de charisme, ses compatriotes lui reprochent de
n'avoir obtenu aucune concession de la part d'Israël depuis le déclenchement du
processus d'Aqaba, début juin, et, surtout, depuis la houdna, l'arrêt des
attaques anti-israéliennes proclamé unilatéralement le 29 juin par cinq
mouvements palestiniens. À preuve : les barrages israéliens sont encore en place
sur les routes de Cisjordanie, Arafat est toujours confiné dans son quartier
général de la Mouqattâ, et Israël n'a pas arrêté le chantier du « mur de
sécurité », ni la construction dans les implantations.
Or, tout en continuant à exiger d'Abbas qu'il prenne des mesures énergiques
pour désarmer et démanteler les « organisations terroristes » (ce qu'il se
gardera sans doute de faire, si tant est qu'il en ait les moyens, de crainte
d'aggraver son isolement sur la scène palestinienne), les Israéliens ne semblent
pas disposés à faire le moindre « cadeau » à leur interlocuteur préféré. En
relançant la construction du « mur de sécurité », en fermant les yeux sur la
construction des nouvelles implantations et en refusant de fixer un calendrier
pour la libération des 6 000 à 8 000 détenus palestiniens, se contentant
d'annoncer la prochaine libération de « centaines » d'entre eux, le
démantèlement de trois (sic) barrages militaires et le transfert aux
Palestiniens de deux autres villes de Cisjordanie - des mesures cosmétiques -,
ils ne renforcent pas, c'est un pléonasme, la position d'Abbas, pas plus qu'ils
n'entament celle d'Arafat.
Tout porte à croire, au contraire, que les Israéliens et les Américains ont
commis l'erreur de penser que le leader historique de l'OLP était politiquement
fini. Alors que, face au Premier ministre, le « séquestré de la Mouqattâ »
apparaît de plus en plus, aux yeux des siens, comme le véritable défenseur des
aspirations nationales palestiniennes. En qualifiant Abbas, il y a un mois, de «
petit poussin dont les ailes n'ont pas encore poussé », Ariel Sharon a peut-être
définitivement condamné son homologue à jouer les seconds rôles, c'est-à-dire
son rôle de second.
Reste à savoir si, pour sauver le « soldat Abbas » et la feuille de route,
le président américain est disposé à faire pression sur le Premier ministre
israélien, qu'il recevra le 29 juillet, afin de l'amener à accepter des «
concessions douloureuses ». Sachant que la course à sa propre succession est
lancée et que George W. Bush aura de plus en plus besoin du soutien de
l'électorat juif.
10. Les frontières de l'arbitraire pour les Européens
en Israël par Julie Kara
in Libération du jeudi 24 juillet
2003
Pour des raisons de sécurité, les étrangers, surtout
français, sont de plus en plus souvent refoulés.
Frontière
israélo-jordanienne correspondance - «Vous les Français, vous êtes tous les
mêmes : antisémites et pro-Sadam. Rentrez chez vous.» A King-Hussein Bridge
(aussi appelé pont Allenby), point de passage entre la Jordanie et Israël, sis
en plein désert à une quarantaine de kilomètres d'Amman, l'accueil n'est pas
vraiment chaleureux pour les citoyens européens et encore moins pour les
Français. Cédric, jeune archéologue en poste depuis deux ans en Jordanie à
l'Institut français du Proche-Orient (Ifapo), en a fait les frais la semaine
dernière. Arrivé à 9 h 30 au poste-frontière israélien, il en est reparti près
de sept heures plus tard, dépité. «Il y a une réelle volonté de la part des
Israéliens d'humilier les gens. On ne m'a donné aucune raison pour cette si
longue attente. Or les douaniers savent très rapidement s'ils vous laisseront
entrer ou non. Je suis persuadé qu'ils agissent ainsi délibérément contre les
Français. Et les faire attendre est le meilleur moyen de dissuader les gens.» Ce
jour-là, sur les cinq étrangers refoulés, trois sont Français. Refoulés certes,
mais avec humour : les douaniers, souvent de très jeunes femmes, leur ont
proposé de retenter leur chance le lendemain, au cas où ils auraient envie de
repasser une journée complète en compagnie de la sécurité israélienne, sans
avoir plus de gages sur un possible passage.
Interrogatoires. Dans le bus qui
parcourt les quelques kilomètres du pont qui sépare les douanes jordanienne et
israélienne, la colère et l'incompréhension font place à la lassitude. Les
heures d'attente épuisantes, ponctuées d'interrogatoire et de fouilles
minutieuses au corps pour certains ont épuisé les voyageurs. Le
sentiment antifrançais est-il si prégnant en Israël ? Il est certain que la
position du gouvernement français sur la guerre en Irak n'est pas faite pour
plaire à Israël, allié inconditionnel des Etats-Unis. «Et les Israéliens n'ont
pas pardonné aux Français les actes antisémites qui ont eu lieu l'an dernier
dans l'Hexagone. Ils n'ont pas oublié qu'alors, des attaques avaient eu lieu
contre des synagogues», ajoute un diplomate français en poste à Tel-Aviv qui
désire garder l'anonymat. «Mais il est difficile de parler d'un refoulement
systématique des Français. Nous n'avons pas de chiffres nous permettant de
l'affirmer même si les plaintes sont de plus en plus nombreuses à arriver au
consulat. Et le problème est le même, que ce soit aux frontières terrestres ou à
l'aéroport Ben-Gourion. Mais les Français ne sont pas les seuls à subir ce
traitement. Tous les Européens ont de plus en plus de mal à venir en
Israël.»
Côté israélien, on brandit la carte de la sécurité pour justifier le
refoulement des Occidentaux. Depuis le 30 avril, date à laquelle deux citoyens
britanniques d'origine pakistanaise ont commis un attentat contre un pub de
Tel-Aviv, le service de sécurité intérieur, le Shin Beth, a décidé que les
procédures de contrôle des étrangers «seraient réexaminées». Le nombre croissant
de pacifistes refusant l'occupation israélienne rend également nerveux le
gouvernement. Pourtant à King-Hussein Bridge, Cédric ne décolère pas. Invité par
l'université d'Haïfa, il était venu pour participer à un colloque. Ce que les
services de sécurité n'ont même pas cherché à vérifier. A ses côtés, un
activiste canadien de l'ISM (International Solidarity Movement) passe, lui, sans
encombres. Sentiment d'arbitraire.
Et ce renforcement des mesures de sécurité
n'épargne personne. Diplomates et journalistes sont logés à la même enseigne.
Ainsi l'ambassadeur de France en Jordanie a-t-il été bloqué cinq heures à
King-Hussein Bridge lors d'un récent voyage à Jérusalem. Même chose pour les
diplomates français basés à Tel-Aviv : «Même lorsque nous avertissons les
services de sécurité de notre arrivée, il n'est pas rare d'attendre une journée
à la douane.»
Harcèlement. Du côté des journalistes, la situation commence à
échauffer les esprits. Ainsi Charles Enderlin, correspondant de France 2 à
Jérusalem et membre de la Foreign Press Association, a-t-il reçu cette semaine
plus d'une trentaine de plaintes. Les journalistes étrangers dénoncent le
harcèlement aux postes-frontière. Interrogatoires, délais de plusieurs heures,
confiscation du matériel informatique sont monnaie courante. Dernièrement deux
journalistes françaises de France Inter, Isabelle Dor et Muriel Rozelier, ont
été refoulées. Quant à Pierre Prier, chef du bureau israélien du Figaro, son
ordinateur lui a été confisqué à l'aéroport Ben-Gourion. Puis égaré.
De
l'autre côté du pont Allenby, les douaniers jordaniens sourient de la situation.
Ils ont pris l'habitude de voir revenir les refoulés. «C'est vrai que ces
derniers mois, les Français refont souvent le chemin inverse. Il n'est pas rare
de les voir en larmes ou en tout cas en colère. Mais que faire ? Imaginez ce que
peuvent endurer au quotidien "les Palestiniens», ironise ce policier.
11. Critiquer Israël / Écœurement / Tradition
ancienne par Bernard Langlois
in Politis du mercredi 23 juillet
2003
On vous l'avait bien dit que le livre de Pascal Boniface allait
faire du bruit (bloc-notes n° 748)... Non, il n'est pas permis, en France, de
critiquer Israël. Du moins, pas impunément. Un écrivain, un journaliste, un
expert en relations internationales qui s'y risque (hors quelques remontrances
de pure forme) doit s'attendre à de sérieux ennuis, dont l'inévitable accusation
d'antisémitisme.
On vous avait raconté comment le directeur de l'Iris
(Institut des relations internationales) avait dû faire front à une campagne
virulente visant à le virer de son poste, suite à une note interne adressée à la
direction du PS (parti dont il est membre depuis 1980, après avoir milité au
PSU), en avril 2001. Dans cette analyse, qui n'avait pas vocation à être rendue
publique, il la mettait en garde, en sa double qualité de militant et d'expert,
contre sa complaisance envers l'État juif et son gouvernement et soulignait les
risques électoraux que cette attitude faisait courir au parti. Simple remarque
de bon sens, quand on sait le poids croissant du vote musulman et la solidarité
que ressentent notamment de jeunes Français d'origine maghrébine - et pas
seulement eux ! - avec le peuple palestinien opprimé.
Pascal Boniface ne se
situait pas sur le plan de la seule efficacité électorale, mais sur celui de la
morale politique : est-il bien conforme aux valeurs dont nous nous réclamons,
disait-il en substance, de continuer, dans le contexte actuel, de renvoyer
dos-à-dos Israël et les Palestiniens, comme si les responsabilités étaient
également partagées, entre un État militarisé, surpuissant régionalement et
soutenu inconditionnellement par les États-Unis d'Amérique, et un peuple sans
armée ni réelle administration, ne disposant que de lambeaux de territoire,
soumis à d'incessantes brimades de la puissance occupante, asphyxié
économiquement et bombardé à la moindre incartade ? Est-ce moral, est-ce juste,
quand ce peuple, par la voix de son représentant incontestable, a fait la
concession majeure de renoncer aux terres qui étaient siennes avant la création
d'Israël et accepte de reconnaître cet État, dès lors qu'on lui permet de créer
le sien sur la portion de Palestine que lui octroyait le plan de partage
initial, c'est-à-dire la Cisjordanie, autrement dit : les Territoires occupés ;
autrement dit encore (par les Israéliens partisans du Grand Israël, ce qui dit
assez qu'ils entendent y rester...) : la Judée et la Samarie ? Est-ce juste,
est-ce équitable, de soutenir un État qui, depuis des décennies, s'assoie sur
les résolutions de l'ONU, discrimine ses populations arabes, pratique la torture
et l'assassinat politique, laisse pourrir de l'intérieur la démocratie dont il
se targue par une influence de plus en plus prégnante d'une minorité religieuse
intégriste ?Un État qui, même au plus fort du défunt processus de paix initié à
Oslo et Madrid, n'a jamais cessé d'implanter des colonies juives dans ces
territoires qu'il disait être disposé à restituer ?
Israël, ou le double
jeu, en permanence. Pas besoin d'être expert pour s'en rendre compte. Pas besoin
d'être socialiste pour s'en indigner.
Écœurement
Donc Boniface pond sa note. Il fait face
immédiatement à une campagne de déstabilisation, comme le lobby sioniste en
France sait les mener, en profitant de ses positions de pouvoir dans l'appareil
d'État et dans les médias.
Pour l'avoir rencontré à cette époque (lors d'une
réunion du HCCI - Haut Conseil à la Coopération internationale - dont nous
étions membres tous les deux), je peux témoigner du profond écoeurement où cette
campagne l'avait plongé. Mais comme c'est un battant, il s'est battu (sait-on
assez que certains journalistes très connus ont renoncé à traiter d'Israël après
de semblables attaques de ceux qui prétendent parler au nom de la communauté
juive ?). Il publie donc son bouquin (1), où il raconte l'histoire et réaffirme
ses positions. Accueil gêné de la confrérie, attaques redoublées du lobby, pour
qui dire du mal de Sharon équivaut à insulter la mémoire des gazés d'Auschwitz
(`, la sempiternelle instrumentalisation de la Shoah !) : la revue juive L'Arche
lui consacre quatre pages finement intitulées « Est-il permis d'être antisémite
? ». Pascal a aussi, heureusement, des défenseurs. Parmi eux, Alfred Grosser,
autorité morale incontestable et membre du conseil de surveillance de L'Express,
qui publie un article dans cet hebdomadaire pour le soutenir : à la grande
surprise (et indignation) de l'éminent professeur Grosser, la direction de
L'Express croit bon de publier une pleine page de courrier des lecteurs
insultante pour l'auteur. Grosser n'a plus qu'à démissionner.
On en était là
jusqu'au 18 juin dernier.
Tradition ancienne
Se faire traiter d'antisémite,
voire de négationniste, et devoir protester de sa bonne foi, n'est pas agréable
(2). Quand ces accusations émanent des habituels porte-parole autoproclamés du
philosionisme inconditionnel, on s'y fait. Quand l'accusation vient de certains
de vos amis politiques, c'est insupportable.
C'est ce que Boniface a le
moins supporté : que la campagne contre lui soit alimentée par des militants
socialistes, et pas des moindres. Il devait pourtant s'y attendre : le PS est le
parti le plus complaisant à l'égard d'Israël de la scène politique française.
C'est une très ancienne tradition qui remonte à la création de l'État hébreu,
quand on pouvait encore se faire des illusions sur sa nature progressiste (Ben
Gourion, les kibboutz, etc.). La SFIO de Guy Mollet poussa très loin la
coopération franco-israélienne, jusqu'à la pitoyable expédition de Suez. Le
retour de De Gaulle mit le holà (un « peuple dominateur et sûr de lui ») et la
politique française fut alors plus équilibrée, sous Mitterrand y compris. Mais
nombre de dirigeants socialistes sont toujours restés des inconditionnels, tel
un Strauss-Kahn avouant ingénument à Tribune juive « se lever chaque matin en se
demandant comment il pourra être utile à Israël », ce qui est, on en conviendra,
pour le moins incongru dans la bouche d'un responsable politique français de
haut rang, qui ne cache pas ses ambitions... C'est du reste encore lui, élu de
Sarcelles (rassurez-vous, il n'y habite pas), qui faisait récemment huer le nom
de Boniface lors des « Douze heures pour l'amitié France-Israël » organisées par
les institutions juives. Mais l'époux d'Anne Sinclair (elle-même militante
sioniste acharnée) est loin d'être le seul sioniste socialiste. Fabius est plus
prudent dans ses propos publics : il a tout de même cru bon de démissionner du
conseil d'administration de l'Iris. Et c'est Moscovici, depuis Dijon secrétaire
national aux relations internationales, qui a « débarqué » Boniface de son poste
de délégué. Hollande a laissé faire. C'était donc il y a juste un mois.
Depuis, Pascal Boniface a rendu sa carte du parti socialiste. Si tous les
militants socialistes que révoltent la politique de Sharon (le boucher de Sabra
et Chatila : imagine-t-on Bigeard ou Aussaresses présider la République
française ?) et presque autant la mollesse chafouine de Pérès et des
travaillistes, si ces militants avaient des couilles, ils en feraient autant.
Ce n'est pas là l'affaire du siècle, et elle ne fait pas les gros titres.
Mais elle est tellement significative d'une évolution malsaine, d'une montée des
communautarismes (3), d'une importation dans la vie de la société française du
conflit israélo-palestinien (que je ne crois pas du tout en voie de règlement,
malgré les récents développements autour de la « feuille de route »), que j'ai
voulu en entretenir mes lecteurs : le procès fait à Pascal Boniface est
inacceptable. Le meilleur moyen de lui témoigner notre solidarité est encore de
lire son livre.
Bonnes vacances à tous.
- Notes :
(1) Est-il permis de critiquer Israël ? aux éditions
Robert Laffont.
(2) « Cette note - écrit Boniface - allait concentrer contre
moi colère et même haine. J'allais devenir l'objet d'une campagne organisée.
C'est une véritable fatwa qui fut lancée. Comment expliquer que le rappel de
principes élémentaires ait pu susciter de telles réactions ? » (p. 196).
(3)
Le Mrap dénonce ces jours-ci la floraison sur Internet de sites violemment
anti-arabes, orduriers et alimentés par la fraction la plus extrémiste du lobby
sioniste...
12. Ils ont osé le faire - Quand Danone vend les eaux
du Golan par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du lundi 21
juillet 2003
Le groupe agro-alimentaire Danone, qui s'est rendu
tristement célèbre en mettant sur le pavé des milliers de travailleurs à Calais
et Ris-Orangis, va bien et fait des bénéfices. Il vient même de les investir en
rachetant à 185 % de leur valeur sur le marché 20 % des parts du groupe
israélien Mey Eden, distributeur des eaux minérales du plateau du Golan. Un
territoire syrien occupé par Israël depuis 1967 et dont l'occupation est
toujours considérée comme illégale aux yeux du droit international. La filiale
européenne du groupe Mey Eden a signé un accord de joint venture avec Danone
pour la distribution de ces eaux en Europe. Au départ, Danone possédera 53,2 %
des parts de la nouvelle société et 50 % du droit de vote. L'accord prévoit
également que Danone pourra en prendre le contrôle à 100 % d'ici à 2008. La
nouvelle société couvrira le plus vaste secteur géographique qui soit dans sa
branche et occupera la première place dans onze pays, dont la France, l'Espagne,
les pays scandinaves et la Suisse et sera également implantée en Allemagne, en
Grande-Bretagne, en Italie et en Europe.
Au moment où la Syrie demande avec
insistance la reprise des négociations pour la restitution du Golan, promise par
Yitzhak Rabin, certains patrons français font ainsi le choix de participer
activement au pillage par Israël des ressources en eau des territoires occupés.
13. Israël à l'assaut de l'Irak par Ridha
Kéfi
in L'intelligent - Jeune Afrique du lundi 21 juillet
2003
Les hommes d'affaires de l'État hébreu rêvent de
prendre pied dans un pays dont les ressources et les besoins sont considérables.
Mais il n'est pas sûr du tout qu'ils y soient les
bienvenus...
Avant même que la guerre en Irak ne soit terminée,
beaucoup d'Israéliens se sont mis à rêver de conquérir le pays de Saddam. À les
entendre, l'invasion de la Mésopotamie est en marche. Des agences de voyages ont
commencé à former des guides israéliens. Benyamin Netanyahou, ministre de
l'Économie, a annoncé à Londres que l'oléoduc entre Kirkourk et Haïfa devrait
être rouvert sous peu. L'ancien Premier ministre s'apprête, par ailleurs, à
faire modifier la loi israélienne pour permettre aux producteurs de son pays
d'exporter directement en Irak, toujours considéré comme pays ennemi. John
Taylor, nouveau patron américain de l'Irak, a annoncé aux investisseurs
israéliens que la route de Bagdad leur était ouverte. Pour l'économie
israélienne, actuellement en pleine crise, le marché irakien pourrait
constituer, il est vrai, une bouffée d'oxygène.
L'Intifadha d'el-Aqsa,
lancée fin septembre 2000, a aggravé la récession économique dans l'État hébreu.
Le mouvement financier et humain vers Israël s'est inversé au cours des deux
dernières années, et l'on a assisté à des fuites de capitaux et de populations
vers l'étranger. Conséquence : avec des taux de croissance du PIB négatifs,
estimés, respectivement, à - 0,9 % et - 1,5 %, les années 2001 et 2002 ont été
parmi les plus médiocres que l'économie israélienne ait connues depuis sa
fondation en 1948. Autre conséquence : le niveau de vie des Israéliens a baissé
de 6 %. De plus en plus de foyers ont été obligés de casser leur tirelire,
provoquant une baisse considérable de l'épargne nationale et de l'investissement
intérieur. À cette baisse directe du Produit national brut s'est ajoutée une
chute des investissements directs étrangers, des exportations de biens et
services, et des recettes du tourisme. Benyamin Netanyahou, qui n'a rien d'une
colombe, a fait récemment cette déclaration étonnante : « Le véritable plan de
sauvetage de l'économie israélienne, c'est la feuille de route. » Traduction :
sans une solution, même imparfaite, du conflit israélo-palestinien, aucune
reprise n'est possible.
Pour relancer leur économie, les Israéliens ont donc
besoin du retour de la paix dans les Territoires palestiniens, mais aussi de la
stabilité dans toute la région. D'autant qu'ils envisagent sérieusement de tirer
profit des retombées de l'occupation américaine de l'Irak, un pays dont les
richesses (en pétrole) et les besoins (en presque tout) sont incommensurables.
Ils se demandent seulement quels marchés les Américains sont disposés à leur
concéder et dans quelle mesure les Irakiens sont prêts à accepter une
normalisation économique avec l'État hébreu, même par Américains interposés.
Dès la fin la guerre en Irak, des responsables du ministère israélien de
l'Infrastructure ont réfléchi à la possibilité de rénover le pipeline entre
l'Irak et les raffineries du port de Haïfa. « Ce projet est pour le long terme
», a cependant estimé l'un d'eux. Avant d'ajouter : « À court ou à moyen terme,
je ne serais pas surpris de voir Israël importer du pétrole irakien, soit par
l'intermédiaire d'un pays tiers, soit par une compagnie étrangère. » Citant des
sources autorisées à la présidence du Conseil à Jérusalem, des journaux
israéliens ont révélé, vers la mi-mai, deux semaines après la fin officielle de
la guerre d'Irak, que le sujet de la vente de pétrole irakien à Israël a été
soulevé dernièrement « d'une manière informelle » entre responsables israéliens
et américains. Amir Makov, président de l'Institut israélien du pétrole et de
l'énergie, a déclaré, pour sa part, que soulever le sujet était encore
prématuré, tout en reconnaissant que cette perspective - qui permettrait à
Israël de diversifier ses sources d'approvisionnement - avait bel et bien été
soulevée.
Le quotidien Yedioth Aharonoth a révélé, le 4 juin, que l'avocat
Gilaad Sher, ancien conseiller du Premier ministre Ehoud Barak, qui a pris part
aux négociations avec les Palestiniens, oeuvre depuis quelques semaines pour
l'implication de firmes israéliennes dans des projets liés à la reconstruction
de l'Irak. Le quotidien a parlé d'une dizaine d'entreprises possédant un
savoir-faire et une expérience reconnus internationalement dans les domaines de
la santé, du matériel médical, de la pharmacologie, de l'ingénierie et du BTP.
Ces sociétés devraient cependant opérer en Irak de manière indirecte,
c'est-à-dire en collaboration avec les autorités américaines, en coordination
avec quelques pays de l'Union européenne ou, pour certains projets, avec la
Banque mondiale. Dans tous les cas, l'identité israélienne des sociétés serait
gardée secrète. La situation sécuritaire en Irak étant encore très délicate, la
présence d'acteurs économiques israéliens pourrait provoquer une forte hostilité
de la part de la population.
Avigdor Itshaki, directeur de cabinet d'Ariel
Sharon, qui a participé au World Economic Forum, le Davos du Moyen-Orient,
organisé les 21 et 22 juin à Shouneh, sur la rive jordanienne de la mer Morte, a
confirmé à plusieurs journalistes israéliens et occidentaux que son pays
envisage sérieusement de participer à la reconstruction de l'Irak. « Israël ne
pourra cependant s'impliquer dans ce pays que dans le cadre d'une coopération
avec les États Unis ainsi qu'avec les pays du Golfe, la Jordanie et les
Palestiniens », a-t-il précisé. Traduction : les partenaires arabes, qui
désirent participer à la reconstruction de l'Irak, mais qui n'en ont pas les
compétences, pourraient le faire en acceptant une collaboration plus ou moins
discrète avec Israël. L'État hébreu fournirait le savoir-faire et la technologie
tandis que les pays arabes assumeraient la commercialisation et les contacts
officiels avec les Irakiens. Selon Itshaki, des contacts ont déjà eu lieu entre
des opérateurs israéliens et arabes. Ils concernent notamment la haute
technologie et l'agriculture.
Par ailleurs, l'Institut israélien des
exportations a estimé à 3 millions de dollars d'ici à la fin 2003 le potentiel
d'exportation des entreprises israéliennes vers l'Irak. Pour un début, ce n'est
pas si mal. Selon Shraga Brosh, le président de l'Institut, ce courant
commercial pourra se développer dans quatre secteurs : l'agroalimentaire, les
techniques de gestion de l'eau, l'industrie pharmaceutique et le textile
militaire. « Pour un service ou un produit comparable, Israël sera toujours plus
attractif », a-t-il expliqué, en insistant sur la proximité géographique
d'Israël et de l'Irak, qui donne un avantage décisif, selon lui, aux entreprises
israéliennes face à leurs concurrentes européennes ou américaines.
Selon
d'autres informations publiées, fin juin, par la presse israélienne,
l'entreprise Magal, un des leaders du contrôle d'accès aux zones sensibles, de
la protection des frontières, des bases militaires et des bâtiments publics, et
qui commercialise ses équipements dans une soixantaine de pays, pourrait vendre
du matériel à l'Irak...
Citant des sources proches des renseignements
égyptiens, le quotidien émirati Al-Bayane a fait part, le 27 juin,
d'informations en provenance de l'Irak selon lesquelles « une importante
délégation israélienne s'est rendue, courant juin, secrètement, à Erbil, dans le
Kurdistan irakien, pour examiner avec Massoud Barzani, chef du Parti
démocratique du Kurdistan (PDK), la possibilité d'acheter de vastes terrains
dans la région en vue d'y installer des Juifs kurdes qui avaient fui le pays
dans les années 1950 et au lendemain de la guerre de libération du Koweït pour
s'installer en Israël ». Ils seraient environ 150 000. Le quotidien relève, par
ailleurs, que « toutes les manoeuvres israéliennes dans le nord de l'Irak se
font en coordination avec les forces d'occupation américaines ». Et de livrer
cette conclusion, qui peut paraître saugrenue : « Tout semble indiquer que
l'État hébreu cherche à construire des colonies juives dans le nord de l'Irak
dans le but de contrôler le pétrole dans la zone... »
Alors que les
responsables israéliens échafaudaient des plans pour avoir un « pied-à-terre »
en Irak, prendre leur part du butin de guerre ou seulement ébaucher une
normalisation de leurs relations avec ce pays, l'ayatollah chiite Kazem al-Haïri
a publié une fatwa interdisant la vente de terrains aux Juifs et ordonnant de
tuer tout acquéreur juif de biens appartenant à des Irakiens. Selon le quotidien
arabe paraissant à Londres, Al-Qods al-Arabi, qui a rapporté cette information,
les sources religieuses chiites à Qom, en Iran, ont confirmé, elles aussi,
l'exactitude de la fatwa, qui a obtenu, également, l'appui des dignitaires
sunnites de Mossoul.
Dans un entretien accordé au quotidien palestinien
Al-Qods, le 26 juin, Adnan Pachachi, l'un des hommes les plus en vue de l'ère
post-Saddam, a affirmé, de son côté, que « l'Irak n'établira aucune relation
diplomatique avec Israël tant qu'un État palestinien ne sera pas instauré, avec
Jérusalem comme capitale, tant que les colonies ne seront pas démolies et que
les réfugiés palestiniens n'auront pas retrouvé leur terre... » L'ancien
ministre des Affaires étrangères irakien a souligné, par ailleurs, que « l'Irak
ne normalisera pas ses relations avec Israël tant que des territoires arabes
seront occupés ». Il pensait sans doute aussi au Golan syrien et aux fermes de
Shebaa au Sud-Liban.
L'analyste israélien Jack Houri se montre tout aussi
sceptique quant aux perspectives d'une normalisation entre Tel-Aviv et Bagdad.
Dans une chronique publiée par Maariv le 26 juin, il rappelle à ses compatriotes
que « les fidèles de Saddam continuent à lutter contre l'armée américaine et à
lui infliger des pertes » et que « les Irakiens pansent leurs blessures, après
trente-quatre années de régime dictatorial ». « Ces Irakiens sont désorientés
par les changements intervenus, écrit-il. Ils ne savent pas encore à quoi
ressemblera le prochain pouvoir et sont encore incapables de profiter de cette
liberté nouvellement acquise. Et c'est donc dans cette pagaille que le riche
seigneur tel-avivien souhaite débarquer afin de se porter acquéreur de pétrole,
déguster des poissons sur l'Euphrate et tenter de récupérer les biens laissés
par ses ancêtres il y a plus de cinquante ans. C'est effrayant ! [...] Les
Irakiens sont dans leur immense majorité propalestiniens, et les touristes
israéliens sont d'autant moins bienvenus à Bagdad que leur vie pourrait être en
danger dans ce pays sans loi. »
14. "Les forces d’occupation l’appellent SÉCURITE, les
habitants : TRANSFERT" par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien
israélien) du lundi 21 juillet 2003
[traduit de
l'hébreu par Michel Ghys]
Une centaine de familles
palestiniennes vivaient jusqu'il n'y a pas longtemps dans le village de Seafeh,
dans le nord-ouest de la Bande de Gaza, entre les colonies de Dugit et d'Alei
Sinaï. Il ne reste actuellement que 45 familles. La vie est devenue
insupportable depuis que l'armée israélienne a tendu, au Sud, une clôture
électronique, qu'elle a limité le passage des personnes et des marchandises à
partir du village et vers le village, et depuis qu'elle a détruit 310 hectares
des 350 de terres qui y étaient cultivées.
L'âne ruait de colère, refusant
d'avancer. Plus exactement il refusait de revenir sur ses pas et de gravir la
dune de sable qu'il n'avait consenti à descendre qu'avec beaucoup de difficultés
une demi-heure plus tôt, attelé à la charrette transportant le lourd moteur de
la pompe à eau. Son propriétaire, Mahmoud Abou Halima, n'a pas arrosé son champ
ces dernières semaines, depuis que la pompe du puits est tombée en panne. Vingt
jours plus tôt, il avait réussi à sortir de son terrain avec le moteur, pour
réparation, mais son retour s'est révélé plus compliqué. Jeudi dernier, les
soldats du poste ont dit n'être pas informés d'une autorisation qui aurait été
donnée d'entrer avec le moteur.
Abou Halima habite à Seafeh dans le
nord-ouest de la Bande de Gaza, emprisonné entre les colonies de Dugit et d'Alei
Sinaï. Après quelques attaques palestiniennes contre les colonies et contre des
soldats dans la région, ainsi que des tentatives d'infiltration de Palestiniens
armés, une clôture électronique a été tendue dans le nord de la Bande de Gaza,
au Sud de ces deux colonies et de la colonie de Niznit. En outre, ces trois
dernières années, l'armée israélienne a adopté des règles très rigoureuses à
l'égard des déplacements des Palestiniens sur place, même s'ils vivent là depuis
des dizaines d'années avant la création des colonies, même s'ils sont les
premiers à avoir fait fleurir le désert, à avoir planté des vergers, des
figuiers, des plants de vigne, à avoir fait pousser des légumes et à être partis
à la pêche.
Une centaine de familles palestiniennes vivaient à Seafeh
jusqu'il y a peu. Il ne reste actuellement que 45 familles, environ 180 âmes. La
combinaison des limitations dans les déplacements et de la destruction de la
plus grosse part des terres cultivées, n'a laissé d'autre choix à la majorité
que de fuir pour Beit Lahiya ou Gaza. Seafeh s'étend sur quelque 390 hectares de
terres dont 350 étaient cultivés: vergers, champs de légumes, serres. Aux dires
d'un des habitants, Moussa al-Ghoul, les forces armées ont, ces trois dernières
années, ratissé, déraciné, mis à nu, aplani presque tout ce territoire. Il ne
reste aux habitants de Seafeh que 40 hectares verdoyants sauvés des dents des
bulldozers. Des 41 puits qui servaient aux habitants pour les besoins de
l'agriculture comme pour les besoins domestiques, les bulldozers de l'armée
israélienne en ont détruit 32 ces trois dernières années, moteurs, pompes et
réseaux d'irrigation compris.
Depuis la houdna ( la trève), la situation
s'est aggravée. Une toute neuve et pimpante route asphaltée s'étire à côté de la
clôture électronique. Une porte a été fixée dans la clôture. La plus grande
partie du temps, elle est fermée, ne s'ouvrant officiellement, et pour les
habitants de Seafeh uniquement, que de sept à neuf heures du matin et de deux à
cinq heures de l'après-midi. Chaque matin et chaque après-midi, un véhicule
blindé se rend sur place: après un ratissage en règle, les soldats ouvrent la
porte et le blindé surveille à distance le mouvement des piétons. C'est comme ça
officiellement. Mais les soldats sont souvent en retard, et la porte n'est
ouverte que bien après l'heure fixée. Hier, par exemple, elle n'a été ouverte
qu'à huit heures moins vingt du matin. En période scolaire, les élèves arrivent
régulièrement en retard en classe. Il en va de même pour les habitants qui
travaillent en dehors de leur village: employés dans les services de l'Autorité,
enseignants, élèves de l'enseignement secondaire. C'est ce qui en a amené
beaucoup à décider d'aller s'installer à Gaza ou à Beit Lahiya.
Sur la pente
de la dune, du côté sud-ouest, sont dispersées les maisons colorées de la
colonie de Dugit, entourée d'une clôture. À son entrée nord-est, est fixé
«Entrée des travailleurs» palestiniens: une porte métallique jaune, un
alignement de blocs de béton et une position circulaire blindée tenue par des
soldats. Aux heures où la porte de la clôture électronique est ouverte, les
soldats contrôlent également les habitants allant au nord vers Seafeh ou allant
au sud vers Gaza. L'entrée est interdite à qui n'habite pas Seafeh.
L'organisation «Médecins sans Frontières» travaille sur place de manière
régulière, du fait que l'entrée des équipes médicales palestiniennes se heurte à
des difficultés. Mais les «Médecins sans Frontières» doivent coordonner leur
entrée deux jours à l’avance. - il apparaît parfois que les soldats du véhicule
blindé affecté à la surveillance de la porte ne sont au courant de rien, ce qui
exige une nouvelle coordination et une nouvelle perte de temps.
Si quelqu'un
a pu espérer qu'avec la houdna, quelque chose changerait à Seafeh, il a déjà
abandonné son espoir. Ce n'est pas seulement que la facilitation des
déplacements introduite par l'armée dans la Bande de Gaza, à la suite de la
houdna, ne l'a pas été à Seafeh: les mesures ont même été durcies. Durant ces
dernières années, Moussa al-Ghoul est devenu le coordinateur de fait entre les
habitants et les autorités de l'armée israélienne (par l'intermédiaire des gens
de la Commission Israélienne de Coordination et de Liaison). Avant la houdna,
raconte-t-il, il y avait un accord pour la sortie quotidienne et le retour de 14
charrettes tirées par des ânes et chargées de produits agricoles. L'entrée de
marchandises était autorisée le lundi et le jeudi uniquement. Farine, aliments
pour le bétail, engrais, mazout nécessaire aux générateurs d'électricité et aux
moteurs des pompes à eau (la zone n'est pas reliée aux réseaux de distribution
d'eau et d'électricité). De même, trois tracteurs étaient autorisés à entrer et
sortir pour le transport de charges trop lourdes. Comme un moteur. Le jeudi, les
soldats amènent un chien entraîné qui a pour tâche de flairer si les appareils
qui sont introduits dans le secteur ne cachent pas d'explosifs.
Or tout à
coup, après la houdna, on a interdit la sortie quotidienne des charrettes et la
sortie de tracteurs est devenue totalement interdite. Il y a deux semaines
environ, les habitants du lieu ont reçu la nouvelle que dorénavant, la sortie
des produits agricoles ne serait, elle aussi, autorisée que les lundis et
jeudis. Pourquoi? Ils n'ont pas reçu d'explications. Il n'y a pas l'électricité
à Seafeh, donc pas de possibilités d'entreposer les récoltes en les réfrigérant:
celles-ci sont donc amenées à se dégrader rapidement. Hier matin, par exemple,
le passage d'une seule charrette qui transportait des melons a été autorisé.
Deux charrettes chargées d'oignons ont attendu une longue heure près du poste
militaire, en vain.
Le sentiment est que souvent, les règles dépendent de
l'humeur des soldats. Il y a quelques jours, racontait-on à Seafeh, un des
habitants portait sur une charrette tirée par un âne, un grand jerricane
contenant 20 litres d'essence. Le soldat lui a interdit de continuer avec la
charrette et lui a conseillé d'aller chercher un petit jerricane vide, de le
remplir, de le porter à pied jusqu'au village (à quelques centaines de mètres de
la porte), de revenir, de le remplir de nouveau et ainsi de suite.
Hier
matin, al-Ghoul a encore négocié, sans succès, l'autorisation de faire passer un
tracteur pour sortir trois tonnes de bois secs. Après que tant d'arbres ont été
déracinés, puis qu'ils ont séché, les habitants tentent au moins de les vendre
comme bois à brûler. Mais leur transport n'est pas un travail pour des
charrettes tirées par un âne. Jeudi, il a été démontré que même un moteur est
trop lourd pour un âne.
Bien que le chien ait reniflé le moteur et que les
soldats aient examiné les papiers d'Abou Halima, le passage n'a pas été
autorisé. Al-Ghoul affirme que c'était la deuxième fois qu'il coordonnait le
passage du moteur avec le coordinateur israélien de la Commission de Liaison.
Les soldats ont dit qu'ils n'avaient pas connaissance de cela. Et qu'il fallait
ramener le moteur à l'extérieur de la clôture. Quand il est apparu que la chose
était impossible, ils ont engagé dans cette mission la jeep de leur unité. Elle
est arrivée, puis les soldats, avec Abou Halima et encore un membre de sa
famille, se sont activés à détacher l'âne et à atteler la jeep à la charrette à
la place de l'âne. Le soldat qui conduisait la jeep a mis en marche, mis les gaz
- et rien n'a bougé. Ainsi donc, la jeep non plus ne pouvait pas tirer le moteur
dans la montée. Il ne restait plus qu'à faire appel au véhicule blindé qui était
en haut, avec ses cinq soldats. Le véhicule blindé a patiné dans la descente de
la dune, a tourné, la jeep a été libérée de ses liens et ceux-ci attachés au
véhicule blindé. Abou Halima, menant l'âne, marchait derrière la charrette. Le
véhicule blindé allait devant eux et un soldat était sur la route à diriger le
convoi.
En dépit de ce spectacle surréaliste, il ne venait pas le moindre
sourire sur le visage d'Abou Halima. Ses récoltes de l'été, sur les quelques
ares qui n'ont pas été rasés, sont presque ravagées par la sécheresse. «Encore
deux mois», dit-il tout en observant les soldats occupés à atteler le véhicule
blindé à la charrette, «et nous serons tous partis d'ici». En commentaire, le
porte-parole de l'armée israélienne a déclaré que «suite à un incident technique
survenu récemment, les habitants ont été empêchés de faire passer de
l'équipement qu'il n'était pas possible de soumettre à un contrôle de sécurité,
comme requis. Jeudi, il n'y a pas eu de coordination pour le passage du moteur.
Quand la demande sera transmise, selon la procédure, au personnel de
coordination et de liaison, elle sera examinée par l'instance habilitée à
décider. Toutes ces conditions sont destinées à empêcher le passage de moyens de
lutte dans la zone». Selon le porte-parole, «la question de l'amélioration des
conditions de passage et de subsistance des habitants est examinée
régulièrement. Il a récemment été décidé de construire un nouvel accès à cette
zone, qui offrirait une réponse à l'entrée et à la sortie de marchandises de
manière régulière».
Et alors les colonies ont été fondées Des ouvriers
israéliens s'affairent à l'élargissement de la route unissant Alei Sinaï et
Dugit. À côté, sur les routes de sable, ne circulent pas de voitures
palestiniennes: leurs déplacements ont été interdits peu après le déclenchement
de l'Intifada. Il est interdit aux habitants de Seafeh de descendre à la mer.
Les gens restent chez eux, à 300 mètres de la plage, et soupirent: «Comme la mer
me manque».
La famille al-Ghoul est originaire du village palestinien de
Harbiya dont les habitants ont été chassés et ont fui en 1948. Sur leurs terres
se trouvent les kibboutz de Zikkim et Carmiya. En 1960, la famille al-Ghoul a
quitté le camp de réfugiés de Shati et s'est installée dans la zone de Seafeh:
comme premier pas vers le retour à la maison, à Harbiya, disait le père de
famille à qui manquait tellement aussi le travail de la terre.
En 1964,
l'administration égyptienne a déclaré le «projet Nasser» dans la région, vente à
tempérament de parcelles de terres destinées à l'agriculture. Depuis 1967,
déclare Moussa al-Ghoul, les autorités israéliennes ont fait tout leur possible
pour essayer de les faire bouger de là: ils ont été coupés de la municipalité de
Beit Lahiya et placés sous la responsabilité du Ministère de l'Intérieur
israélien, on a exigé d'eux des montants beaucoup plus élevés que les paiements
échelonnés consentis par les autorités égyptiennes, ils n'ont pas été reliés au
réseau électrique, ils n'ont pas été reliés au réseau de distribution d'eau, ils
se sont vus interdire d'agrandir leurs maisons ou de bâtir d'autres maisons. À
certains, il a été proposé de s'en aller, contre paiement.
En 1983, Alei
Sinaï a été fondé. Dugit, en 1990. «Les trois enfants de Dugit, on vient les
chercher en bus pour être à l'heure à l'école et mes enfants, à cause de la
clôture, ne réussissent jamais à arriver à l'heure à l'école», dit Yasser Zandah
chez qui vivent 23 personnes. Dugit, avec ses maisons et ses lumières, est situé
à une dizaine de mètres de sa pauvre maison: un amoncellement de blocs de béton,
pas d'électricité (la maison était reliée aux maisons de Beit Lahiya, mais lors
des opérations de ratissage par l'armée israélienne, le câble électrique a été
coupé et l'autorisation n'a pas été donnée de rétablir la connexion). Le soldat
du bulldozer comptait aussi détruire le puits qui se trouve à côté de la maison,
mais Tamam Zandah, l'épouse de Yasser, s'est plantée devant le soldat et l'a
imploré pour l'eau et la vie de sa famille. Quasiment tout leur terrain
verdoyant a été écrasé sous les bulldozers. Ils ne peuvent pas mener paître leur
bétail: la clôture leur est fermée.
Tamam Zandah est née dans une famille de
réfugiés, de Jaffa. La leçon de 1948, dit-elle, l'amène à s'accrocher à sa terre
en dépit des difficultés énormes. Zandah, comme al-Ghoul et d'autres habitants
de Seafeh, sont convaincus que derrière la destruction de leurs terres, derrière
les limitations de déplacements qui font d'eux des prisonniers hors de chez eux
ou des prisonniers chez eux, se cache le vieux projet de les chasser de leur
terre. Un transfert paisible, courtois. La sécurité n'est qu'un prétexte, dit
al-Ghoul.
15. Le géopolitologue Pascal Boniface quitte le Parti
socialiste par Camille Boulongne
in Le Monde du samedi 19 juillet
2003
EN accusant, dans une lettre à François Hollande, publiée par
Libération du vendredi 18 juillet, le PS de "communautarisme" et en lui
reprochant de privilégier "ceux qui ont une lecture ethnique du conflit
israélo-palestinien", Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations
internationales et stratégiques (IRIS) et ancien délégué national aux questions
stratégiques, va-t-il mettre fin à la polémique qui est à l'origine de sa
démission ? "Je ne me considère plus comme membre du PS, déclare-t-il au Monde.
Je coupe les liens institutionnels."
Cette démission, M. Boniface la motive
également en renvoyant aux propos prononcés par Dominique Strauss-Kahn, membre
du bureau national du PS, à l'occasion des "Douze heures pour l'amitié
France-Israël", dimanche 22 juin. L'ancien ministre des finances avait en effet
fustigé des "notes non autorisées -préconisant un changement de politique du PS
à l'égard d'Israël-". "Elles étaient misérables...", ajoutait M.
Strauss-Kahn.
"S'il faut une autorisation pour écrire des notes je n'ai rien
à faire dans ce parti,réplique M. Boniface, qui était directement visé. Je
préfère reprendre ma liberté. En tout cas le débat d'idées ne passe pas par le
PS. Beaucoup de gens dans le parti sont d'accord avec moi, mais la discussion
est impossible, c'est un véritable tabou."
La controverse renaît en effet
régulièrement de ses cendres, depuis qu'une réponse de l'ambassadeur d'Israël en
France, l'historien Elie Barnavi, à une tribune de M. Boniface publiée dans Le
Monde du 3 août 2001, a révélé l'existence d'un document adressé à François
Hollande et à Henri Nallet, à cette époque chargé des affaires internationales
au PS. Il s'agit d'un texte d'avril 2001 reproduit en annexe du dernier ouvrage
de M. Boniface Est-il permis de critiquer Israël (Robert Laffont, "Le Monde des
livres" du 11 juillet). Celui-ci s'y s'interroge sur l'"efficacité" d'une ligne
politique jugée trop favorable à l'Etat juif alors que l'influence de
l'électorat originaire de pays soutenant la cause palestinienne va grandissante.
"Peut-on diaboliser Haider -le dirigeant populiste autrichien dont on rappelait
alors les ambiguïtés par rapport au nazisme- et traiter normalement Sharon ?",
demandait-il.
Dans son article du Monde, Pascal Boniface engageait le fer
avec la "communauté juive" qui "à trop permettre l'impunité du gouvernement
israélien (...) pourrait être perdante". "La communauté d'origine arabe et/ou
musulmane est certainement moins organisée, ajoutait-il, mais elle voudra faire
contrepoids, et pèsera vite numériquement, si ce n'est déjà le cas."
16. Le MRAP dénonce la naissance sur Internet d'"une
nouvelle extrême droite arabophobe" par Sylvia Zappi
in Le Monde du
vendredi 18 juillet 2003
Dans un rapport rendu public
mercredi 16 juillet, l'association met en cause une nébuleuse de sites reliant
des activistes d'extrême droite et des "extrémistes se réclamant du
judaïsme".
Une "nouvelle alliance entre l'extrême droite et des
extrémistes se réclamant du judaïsme" a vu le jour sur le Web. Telle est
l'accusation majeure lancée par le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié
entre les peuples (MRAP), au terme de deux ans d'une enquête menée sur des
réseaux anti-arabes sur Internet. Le rapport, intitulé "La naissance d'une
nouvelle extrême droite sur Internet", rendu public mercredi 16 juillet, accuse
ainsi un site, sos-racaille, et un hébergeur, Liberty-web.net, d'être au centre
d'une nébuleuse de sites affichant leur racisme antiarabe et leur
islamophobie.
"Appels au meurtre", "menaces de mort", "provocation à la haine
raciale et religieuse", "diffamation contre des particuliers, journalistes ou
personnalités politiques", "attaques contre des lieux du culte musulman", autant
de faits relevés sur la trentaine de sites créés de janvier 2001 à janvier 2003.
"Tous ont été enregistrés sous de faux noms et de fausses adresses et étaient
mis en ligne par le même groupe d'individus", dénonce le rapport. Les faits mis
en cause sont lourds. Réalisée par un groupe d'informaticiens pour le compte de
l'association, l'étude détaille en 182 pages les méthodes de ces pirates
informatiques racistes.
Les faits remontent à juin 2001, lorsque des avocats
de SOS-Racisme dénoncent la prose raciste de sos-racaille. org, site créé pour
s'attaquer à l'association dirigée alors par Malek Boutih. Le site connaît un
succès foudroyant dans la mouvance d'extrême droite : en quelques mois, plus de
300 000 pages vues sont recensées. Une enquête de police met en lumière que ce
site est hébergé aux Etats-Unis par un serveur, Liberty-web.net, qui accueille
toute une série d'autres adresses diffusant des textes arabophobes.
Se
retrouvent ainsi chez le même hébergeur, selon le MRAP, des sites de la mouvance
néonazie et de nationalistes européens (radikal.com, oumma.org ou
tribune-libre.com) et d'autres proches de l'extrême droite israélienne (aipj.net
ou amisraelhai.org). Ces pirates utilisent les mêmes méthodes : attaques ad
nominem, falsification d'adresses et usurpations d'identité en s'aidant
d'"anonymiseurs", programmes informatiques empêchant d'identifier l'auteur des
mails, explique le MRAP. "Des dizaines de personnes qui se sont mises en travers
des messages racistes anonymes sur les newsgroups ont toutes vu leur nom accolé
à des écrits dont elles n'étaient pas les auteurs", soulignent les rapporteurs.
Une des attaques "typiques" consistait à "faire passer pour pédophiles les
personnes qui critiquaient et portaient plainte".
Au cours de la seule année
2000, plus d'une centaine de personnes ont été les cibles d'attaques répétées de
ce "mailbombing".
"DES TORRENTS DE BOUE"
Au printemps 2002, ce même groupe
d'activistes s'en prend aux médias – dont Le Monde – en déversant "des torrents
de boue" sur les journalistes qui avaient enquêté sur leurs activités. Les
passages à l'acte ont suivi les menaces via Internet, affirme le rapport : en
janvier 2003, plusieurs sites ont revendiqué des attaques contre des mosquées,
dont celle de Lille.
Les activités de ces "groupuscules" vont cesser
momentanément en mars 2003, au moment de la guerre en Irak : les sérieuses
divergences apparues au sein de la nébuleuse Liberty-web.net entre les
extrémistes juifs soutenant la guerre et les néonazis favorables au nationalisme
de Saddam Hussein vont pousser le responsable technique à fermer le serveur.
Quelques jours plus tard, un nouveau portail prend la relève sous le nom de
"Frema".
Le rapport du MRAP déplore que les plaintes de l'association n'aient
abouti à aucune poursuite. Dénonçant "le manque de volonté politique", les
militants antiracistes assurent avoir identifié plusieurs participants au
réseau. Ainsi un ancien candidat du Front national puis du Mouvement national
républicain serait l'un des contributeurs de sos-racaille.org. Le MRAP affirme
également avoir identifié un autre participant du réseau, membre des réseaux
catholiques intégristes. Pour l'association, l'"impunité" dont bénéficient les
auteurs de cette propagande montre qu'"il existe deux poids, deux mesures dans
la lutte contre le racisme : on ne tolère pas l'antisémitisme, mais
l'islamophobie est
omniprésente".
17. La fin de la solution bi-étatique ? La "barrière
de séparation" inaugure une nouvelle ère dans la lutte palestinienne
par Ahmad Samih Khalidi
in The Guardian (quotidien britannique) du vendredi
18 juillet 2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Ahmad Samih Khalidi est un
ancien membre associé à St Antony’s College, Oxford, ancien négociateur
palestinien.)
Il y a quelques jours, Tony Blair recevait Ariel
Sharon au numéro 10 de la rue Downing (le Matignon britannique, ndt) : il est
loisible d’imaginer, au-delà de la conversation mondaine, que Blair a fait part
à son invité de l’urgence qu’il y a à consolider la trêve qui a finalement lancé
pour de bon la feuille de route moyen-orientale. Sans doute Blair a-t-il exhorté
Sharon à apporter son (indispensable) soutien au gouvernement palestinien
réformiste emmené par Mahmoud Abbas ; Sharon a dû y consentir, mais il n’en a
pas moins clamé que tout progrès à venir dépendait entièrement des résultats
obtenus par les Palestiniens en matière de « sécurité ».
Pour l’instant (tout
du moins), voici l’état des problèmes pendants. Les Palestiniens ont besoin
qu’un nombre significatif de prisonniers soient relâchés et que des changement
palpables se produisent sur le terrain. Les Israéliens veulent s’assurer que les
Palestiniens seront à la hauteur de leurs engagements en matière de sécurité.
Et, pour le moment (toujours), il n’est pas totalement inenvisageable que les
deux camps obtiennent en partie satisfaction (mais pas totalement) –
suffisamment, en tous cas, pour maintenir à flot le processus de négociation au
cours des mois à venir, de manière à ce que les perspectives d’avancées
ultérieures demeurent ouvertes.
Mais, dût cette dynamique se prolonger, elle
ne tardera pas à se heurter à des réalités de terrain extrêmement dures. La
carte géopolitique de la Palestine est en cours de remodelage, et avec elle la
possibilité d’une solution fondée sur l’idée qui se trouve au cœur du processus
actuel : une partition entre « l’Etat de Palestine et l’Etat d’Israël, vivant
côte à côte, et en paix », conformément à la « vision » du président
Bush.
Alors que la communauté internationale est convaincue depuis bien
longtemps que les revendications nationales des deux camps ne sauraient être
satisfaites autrement qu’au moyen d’un partage du territoire digne d’un Roi
Salomon, à différents stades, chaque camp s’est montré ambigu (à dire le moins)
quant à la possibilité de réduire ses aspirations à une emprise territoriale
réduite. Après des décennies d’irrédentisme, le consensus palestinien a fait
sienne la partition, en 1988, et la notion d’un Etat palestinien établi sur les
territoires occupés en 1967 (la Cisjordanie, Jérusalem Est et la bande de Gaza)
constitue désormais le socle rocheux des aspirations nationales
palestiniennes.
Par contraste, l’enthousiasme originel du mouvement sioniste
pour une solution bi-étatique s’est évanoui après la création de l’Etat
d’Israël. Et il est de fait que, depuis 1948, aucun gouvernement israélien n’a
jamais endossé l’idée des deux Etats, jusqu’à ce qu’un beau jour, Ariel Sharon,
pressé d’accepter la feuille de route, la soumette à son cabinet ministériel (en
mai dernier).
Mais le paradoxe (en apparence) d’un gouvernement
d’ultra-droite adoptant la vision bi-étatique n’est pas difficile à
déconstruire. Sharon sait que l’ « Etat » (palestinien) qu’il a en tête est
tellement contraint et restreint qu’il n’est rien moins que totalement dénué de
signification. Tandis que la colonisation israélienne continuait à lacérer et à
diviser l’intérieur du pays palestinien, la peccamineuse « barrière de
séparation » (un mur de béton de 8 mètres de hauteur, avec des miradors et des
chemins de ronde minés) continue à être érigée, lentement mais
sûrement…
Ostensiblement conçu pour être un périmètre de sécurité destiné à
défendre Israël contre des attaques palestiniennes venant d’au-delà les lignes
d’armistice de 1967, l’objectif ultime du Mur est de créer un système d’enclos
visant à enserrer de tous côtés les territoires palestiniens de
Cisjordanie.
Le tracé retenu de la « barrière » englobe des colonies
israéliennes profondément implantée dans l’intérieur du territoire palestinien,
et elle doit courir parallèlement à la vallée du Jourdain afin de prévenir toute
infiltration palestinienne venue de l’est (de ces colonies). En plus de la
barrière, réellement existante, qui emprisonne les 1,2 million d’habitants de la
bande de Gaza, deux cantons clos supplémentaires, au moins, seront taillés dans
le territoire cisjordanien, incorporant 2 millions de Palestiniens (à Israël).
Ceux d’entre eux vivant à l’extérieur de la barrière et dans les zones réservées
à la colonisation israélienne se retrouveront dans un énième vide juridique et
politique nouvelle manière, encore totalement nébuleux.
Vu par Sharon, ce
système d’enclos colle à l’Etat palestinien muni de frontières provisoires, tel
que proposé par la feuille de route, et même presque trop bien. Le mur,
répète-t-il, représente une mesure sécuritaire temporaire dans l’attente de la
fixation des frontières définitives entre les deux Etats, par la négociation.
Mais les Palestiniens, eux, savent que rien n’est plus permanent que les mesures
« temporaires » israéliennes… Presque toutes les colonies israéliennes ont été,
à leur début, des avant-postes provisoires, dont la plupart ont été initialement
installés à des fins de sécurité.
Le mur de séparation, s’il doit être un
jour achevé (son trajet définitif, irréversible, n’a pas encore été défini),
marquera le début d’une ère nouvelle. Si la lutte historique pour le territoire
semble être forclose, la notion d’un partage viable de la Palestine sera
irrémédiablement remise en cause, et avec elle, l’idée de deux Etats nationaux «
vivant côte à côte et en paix ». Pour les Palestiniens, la lutte pourrait fort
bien évoluer de l’objectif national et territorial vers un combat fondé sur la
réciprocité, l’égalité et les droits politiques et humains fondamentaux. Ce
combat s’annonce non moins ardu ni intense que la lutte menée (avec succès)
contre l’apartheid en Afrique du Sud. Pour les Israéliens, la congruence entre
le mur de séparation et le régime d’apartheid ne pourra qu’entraîner une remise
en cause radicale de la nature de l’Etat juif et de ses finalités.
Une telle
issue n’est pas inévitable. Mais sa vraisemblance ne fait que se confirmer.
Espérons que les sonnettes d’alarme résonnent bien, au numéro 10 (Downing
Street) et à la Maison Blanche, afin de sauvegarder les prospectives à long
terme de la feuille de route. Mais lorsqu’ils se rencontreront, aujourd’hui
même, MM. Blair et Bush auront vraisemblablement d’autres sujets – d’une
actualité autrement plus brûlante – à l’esprit…
18. La torture légalisée - La FIDH dénonce le régime "
inhumain " fait aux prisonniers palestiniens et demande à l'UE de suspendre son
accord d'association avec Israël par Jean Chatain
in L'Humanité du
vendredi 18 juillet 2003
La Fédération internationale des ligues des
droits de l'homme (FIDH) demande à l'Union européenne (UE) de suspendre l'accord
d'association liant l'UE et Israël jusqu'à ce que les autorités israéliennes
mettent un terme à la systématisation des mauvais traitements à l'encontre des
détenus palestiniens. Basée à Paris et regroupant 116 ligues ou organisations
des droits de l'homme sur les cinq continents, la FIDH formule cette
revendication dans un rapport sur la situation des prisonniers palestiniens en
Israël (1), qui fait suite à une mission d'enquête internationale s'étant
déroulée du 17 au 22 février 2003.
En conclusion de cette enquête, la FIDH
demande simultanément au comité des Nations unies contre la torture de se "
rendre sur place et de procéder aux enquêtes nécessaires " et " à la communauté
internationale d'user des moyens nécessaires afin d'amener les autorités
israéliennes à respecter leurs engagements internationaux. En particulier à
l'Union européenne de suspendre la mise en ouvre de l'accord d'association liant
l'Union et Israël conformément à la résolution du Parlement européen en ce sens,
jusqu'à, notamment, l'adoption urgente d'engagements clairs par les autorités
israéliennes, conformément aux engagements de l'État, de mettre un terme à
l'usage de la détention arbitraire et au recours à la torture " (des détenus
palestiniens).
La Fédération recommande par ailleurs au gouvernement
israélien " de laisser un libre accès des lieux de détention et de faciliter la
libre circulation des ONG israéliennes, palestiniennes ou internationales et de
coopérer avec elles. De supprimer la procédure dite de détention administrative.
De supprimer les juridictions militaires. De mettre un terme sans délai à tous
les mauvais traitements et tortures, que ce soit lors de l'arrestation ou lors
de la détention, et d'adopter une législation en ce sens. D'assurer la poursuite
des membres des forces de l'ordre qui commettent des crimes et des délits, et de
rendre publiques les sanctions prises et de dédommager les victimes des
conséquences des actes de guerre. De ne pas autoriser l'intervention des colons,
à quelque titre que ce soit, dans le cadre du maintien de l'ordre. De mettre un
terme aux exécutions extrajudiciaires ".
Les membres de la mission
d'enquête, qui soulignent que " les autorités israéliennes ont refusé toute
entrevue ", mais qui ont rencontré les ONG israéliennes et palestiniennes ainsi
que des avocats israéliens spécialisés et le CICR (Croix-Rouge internationale),
écrivent que " les allégations de mauvais traitements et de tortures lors des
arrestations sont parfaitement fondées ". Ils indiquent qu'il " apparaît que ces
faits se déroulent dans une impunité voulue et assumée par le gouvernement
israélien ".
La Cour suprême d'Israël, rappellent les auteurs du texte,
autorise le recours aux méthodes de torture " sur le fondement de la légitime
défense, en cas de danger imminent et d'une particulière gravité ". Le type de
discours qui avait déjà beaucoup servi au colonialisme français pour justifier
l'institutionnalisation de la " question " durant la guerre d'Algérie... " Ces
méthodes d'interrogation et de torture sont parfaitement codifiées, et leur mise
en ouvre scrupuleusement suivie et documentée par les officiers et enquêteurs
israéliens ", précise la FIDH, citant parmi " les plus fréquemment utilisées ",
outre les traditionnels passages à tabac et les menaces à l'encontre des proches
du détenu : attacher le détenu dans des positions douloureuses pendant des
heures ou des jours jusqu'à obtention d'aveux ; privation de sommeil et
d'alimentation ; enfermement dans de minuscules alcôves...
" Il est donc
légal de torturer, sous certaines conditions, en Israël ", souligne le rapport,
dénonçant des dispositions qui reviennent " à conférer une impunité quasi
absolue aux forces armées israéliennes ", impunité d'ailleurs " fermement
dénoncée par les ONG israéliennes ". Une annexe reproduit notamment le dossier
de Hosni Ali Ahmed Amer, arrêté le 7 avril 2002 dans le camp de réfugiés de
Jénine, dont le corps sera amené vingt-quatre heures plus tard par la police
militaire israélienne au centre Abu Kabir de Tel-Aviv. L'autopsie confirmera
qu'il avait été battu à mort. Le rapporteur spécial contre la torture de l'ONU a
été saisi de ce cas par l'organisation Al Haq.
" Aucune raison, fût-elle de
sécurité, ne peut conduire à légitimer les punitions collectives, la torture et
les exécutions extrajudiciaires. Le respect des droits de l'homme (...) s'impose
à tous et en toutes circonstances ", réaffirme la FIDH. Dont le rapport met
également en lumière la pratique des rafles policières massives, relevant que "
certains villages ont été vidés de tout homme d'un âge supérieur à quinze ans.
L'évolution récente montre que l'armée israélienne vise également la population
féminine, notamment les épouses ou filles d'activistes, afin de faire pression
sur ces derniers "...
(1) FIDH : les
Prisonniers palestiniens en Israël : conditions inhumaines des détenus
politiques. Rapport nø 365, juillet 2003.
19. “Sharon archav ?“ par Bernard-Henri
Lévy
in Le Point du vendredi 13 juin 2003
C'est l'histoire de Begin signant, avec l'Egypte, la paix dont la gauche
avait rêvé. C'est celle, toutes proportions gardées, du général de Gaulle
lançant aux pieds-noirs le fameux « je vous ai compris » avant d'opérer son
grand virage historique et de rendre l'Algérie aux Algériens.
Oh ! certes,
nous n'en sommes pas là.
Les extrémistes juifs, les partisans du Grand
Israël, les hommes et les femmes dont le tort fut, bien souvent, de prendre au
mot les gouvernements de droite et de gauche qui les ont, depuis trente ans,
installés dans les colonies, pèsent et pèseront de tout leur poids pour enrayer
le processus.
Les faucons palestiniens, les gens, notamment, du Hamas et du
Djihad islamique qui disent et répètent, aujourd'hui encore, que leur but n'est
pas de bâtir la Palestine mais de détruire Israël, ces tueurs de civils juifs
qui se moquent comme d'une guigne des souffrances de leurs «frères» de Naplouse
et Ramallah pourvu qu'ils puissent continuer de verser le sang, risquent à tout
moment, aujourd'hui peut-être, ou demain, de déclencher l'attentat suicide qui
remettra tout en question.
Nul ne connaît non plus les intentions d'Arafat,
pas davantage, d'ailleurs, que la marge de manœuvre qui lui reste vis-à-vis
d'Abou Mazen - rien ne permet de dire si le leader de l'OLP, qui a toujours
préféré son rôle de nouveau Saladin, incarnation de la revanche arabe, à celui,
plus humble, moins flatteur, de bâtisseur d'un petit Etat, installé à côté
d'Israël, dispose toujours, ou non, d'un pouvoir réel de nuisance.
Et quant à
Sharon lui-même, il faudrait être naïf pour ne pas imaginer les mille
arrière-pensées qui, à cet instant, l'assaillent : croit-il à ce qu'il dit ?
est-il décidé, pour son dernier combat, à en finir avec l'« occupation » de la
Cisjordanie ? l'Etat palestinien auquel il songe sera-t-il doté, vraiment, de
cette continuité territoriale qui, seule, le rendra viable ? ou est-ce la
dernière ruse de Fregoli, une manœuvre à double ou triple bande - un truc de
politicien qui ferait juste le gros dos en attendant la réélection de George
Bush ?
Bref, on peut multiplier les objections. Et il n'est pas interdit de
voir dans la «feuille de route » la énième édition de ces éternels « plans de
paix » qui n'en finissent pas, depuis trente-six ans, de ressusciter et de
mourir car ils sont, en réalité, mort-nés.
Reste que des mots, de part et
d'autre, ont été dits ; qu'ils ont, comme souvent en politique et, en
particulier, dans cette région du monde, le poids et la gravité des choses ; et
que l'on ne peut s'empêcher, lorsque l'on est, comme moi, et depuis toujours,
éperdument attaché à la cause d'Israël en même temps qu'à celle de la justice à
l'endroit des Palestiniens, de reprendre timidement espoir.
Si j'étais
palestinien, je soutiendrais Abou Mazen, le plus faible, mais le plus courageux
des dirigeants de Ramallah : le seul à avoir osé proclamer, en pleine Intifada,
que le salut n'est pas dans le martyre mais dans la reconnaissance mutuelle de
deux nations qui n'en peuvent plus de se faire la guerre.
Si j'étais
propalestinien dogmatique, si j'étais l'un de ces Occidentaux qui ont, ces
dernières années, embrassé sans nuances, jusqu'à l'ivresse, la cause de Yasser
Arafat, je retournerais sans tarder à la Mouqata'a et déploierais la même
énergie pour tenter de le convaincre qu'il tient, avec la feuille de route
acceptée par son Premier ministre, sa dernière chance de ne pas rester dans
l'Histoire comme le fossoyeur de la cause palestinienne : « une paix n'est
jamais parfaite, je lui dirais ; toute paix suppose des compromis et tout
compromis des sacrifices ; ne laissez pas à nouveau passer, comme à Camp David
et à Taba, l'occasion de donner à votre peuple l'Etat auquel il a droit ».
Si
j'étais israélien, si j'étais engagé, là-bas, dans le débat politique entre la
droite et la gauche, j'oublierais provisoirement ce débat, je mettrais en
suspens mes griefs à l'endroit du Premier ministre, je ferais ce qu'ont fait les
électeurs français, après le 21 avril, en plébiscitant, non Chirac, mais les
valeurs républicaines dont il était le rempart : je m'appliquerais à
délikoudiser Sharon ; je soutiendrais Sharon parce qu'il défend non le Likoud,
mais Israël, c'est-à-dire la paix ; je prendrais au pied de la lettre le premier
homme d'Etat israélien de ce niveau à avoir, je le répète, brisé le tabou en
parlant de la Cisjordanie comme d'un territoire, non disputé, mais occupé ; et,
sans rire, reprenant le bon vieux slogan de l'extrême gauche à Tel-Aviv,
j'irais, sous ses fenêtres, crier, non plus « Shalom archav » (« La paix
maintenant »), mais «Sharon archav » (« Sharon maintenant » ; avant toute chose,
maintenant, la paix - fût-elle celle de Sharon).
Comme je ne suis ni
israélien ni palestinien mais français, je veux juste dire qu'il y a peut-être
là un rendez-vous auquel il serait judicieux que les Européens répondent, eux
aussi, à leur façon, présent : pourquoi ne pas oublier les partis pris, les
vieux réflexes, les incantations, pour appuyer les faiseurs de paix, aider les
protagonistes à se hisser, encore un peu plus, au-dessus d'eux-mêmes et inviter,
par exemple, Abou Mazen et Ariel Sharon - ensemble - à Strasbourg ou Paris
?
20. Ce qu’Israël fait aux Palestiniens, nous le
faisons aux Irakiens par Robert Fisk
in The Independent (quotidien
britannique) du samedi 12 juillet 2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Une comparaison très
intéressante entre les atrocités perpétrées par le boucher de Qibiya, Sharon, et
le président des Etats-Unis. Vous voulez critiquer les Israéliens parce qu’ils
tirent sur des enfants munis de lance-pierres à Gaza ? Les Américains font la
même chose à Falujah (Irak) ! La tragédie de Mansour (où l’aviation américaine a
lâché des bombes « à faire sauter les bunkers » [bunker busters] sur un quartier
civil à haute densité d’habitation, dans l’espoir de tuer Saddam Hussein (espoir
non exaucé : en revanche, seize civils, dont des enfants, ont été massacrés) ne
vous rappelle-t-elle pas la petite opération concoctée par Sharon, il y a
quelques mois de cela, lorsqu’il a ordonné à un pilote israélien de lâcher une
bombe d’une tonne sur un bidonville surpeuplé de Gaza, démolissant un immeuble,
tuant un responsable du Hamas et – par une étrange symétrie « esthétique » ( ?)
entre ces deux atrocités, massacrant, là déjà, seize civils palestiniens, des
enfants, pour la plupart ? Nous avons condamné le massacre des innocents
perpétré par Sharon à Gaza (qu’il avait qualifié pour sa part de « grand succès
pour Israël »). Mais pourrions-nous encore le faire aujourd’hui, nous qui
restons muets comme des carpes au sujet de nos propres crimes, à Mansour
?
Il y a quelques jours de cela, les forces américaines à Bagdad ont déchargé
dix-sept camions de décombres et de terre au milieu de la zone militaire secrète
de l’aéroport de Bagdad : ces décombres et cette terre, en effet, doivent être
expédiés (par avion !) aux Etats-Unis. Aucun journaliste n’a fait de reportage
sur cette opération macabre, bien qu’ils en eussent connaissance. En effet, ces
gravats provenaient du site d’une atrocité perpétrée par l’aviation américaine,
à la fin de ses bombardements massifs en Irak.
A un moment, les Américains
ont cru que Saddam Hussein se planquait dans une banlieue de Bagdad, Al-Mansour,
et, bien qu’ils aient eu connaissance du fait que ce quartier était densément
peuplé de civils – cette opération n’allait pas être « sans risque », comme l’a
affirmé après coup un porte-parole américain, à deux doigts de reconnaître qu’il
s’agissait là d’une violation grossière des conventions de Genève – ils ont
lâché des bombes « bousilleuses de bunkers » [bunker-busters] sur les immeubles
densément habités d’Al-Mansour.
Ils ont tué seize civils, dont des enfants.
Mais où donc était passé Saddam ? Signe de la déconvenue des Américains :
presque deux mois après leur occupation de Bagdad, ils se sont mis, sans crier
gare, à fouiller les décombres d’Al-Mansour… Aux Etats-Unis, où ces décombres
seront expédiés, des scientifiques auront la tâche (macabre) de rechercher des
traces de l’ADN de (tonton) Saddam…
Je ne suis pas certain que des précédents
autorisent d’autres à commettre des crimes de guerre dans le futur – ni qu’une
performance réitérée permette à d’autres de justifier des précédents passés.
Mais Mansour ne vous rappelle-t-il pas la petite opération de Sharon, à Gaza, il
y a quelques mois, lorsqu’il ordonna à un pilote israélien de lâcher une bombe
d’une tonne sur un bidonville surpeuplé, massacrant seize civils palestiniens,
pour la plupart, des enfants ? Nous avons condamné à l’époque ce massacre des
innocents perpétré par Sharon (qu’il avait qualifié de « grand succès » pour
Israël). Mais comment pourrions-nous encore le condamner aujourd’hui, si nous
restons muets au sujet des crimes perpétrés par nous-mêmes à Al-Mansour ?
Si
nous voulons nous targuer de critiquer l’armée israélienne parce qu’elle descend
comme des lapins des gamins munis de frondes en Cisjordanie et à Gaza, nous
devons bien prendre conscience du fait que l’armée américaine fait exactement la
même chose, aujourd’hui, à Falujah.
Vous vous souciez d’exiger que l’on
arrête de torturer des prisonniers palestiniens dans le centre d’interrogatoires
tristement célèbre de la colonie russe de Jérusalem [Moskobiyyéh, ndt] ? Ce
n’est plus tellement la peine. Avec trois prisonniers battus et torturés à mort
par des interrogateurs américains à la prison de Bagram, en Afghanistan – les
Etats-Unis ont reconnu deux des « morts sous interrogatoire » le 6 mars dernier
– et avec le scandale de Guatanamo, avec ses prisonniers drogués, cagoulés et
ligotés, ses tribunaux d’exception et probablement ses cours martiales
(desquelles les British sont aussi partie prenante, semble-t-il), oubliées, les
brutalités israéliennes...
Que de hauts cris n’avons-nous pas poussés (à
juste titre), l’année dernière, lorsque la soldatesque anarchique d’Israël
pillait et saccageait les appartements des Palestiniens, à Ramallah – mais nous
ne pouvons plus nous en plaindre, désormais. Car nous savons que la soldatesque
anarchique de l’Amérique (de la Troisième Division d’Infanterie, pour être
précis) a absolument tout pillé et saccagé à l’aéroport de Bagdad, après sa
conquête, le 3 avril dernier. Grâces soient rendues à Time Magazine – entre
mille titres, je vous demande un peu ! – pour avoir divulgué cette triste
nouvelle. Mais, je vous en prie : ne critiquez plus, à l’avenir, les soldats
vénaux d’Israël !
Les Européens ont crié en chœur leur indignation
(justifiée) devant les assassinats de Palestiniens « recherchés » - les «
assassinats ciblés », comme Israël et la BBC affectionnent de qualifier cette
pratique dégoûtante. Mais, aujourd’hui, dès lors que l’Amérique se vante de
recourir exactement aux mêmes tactiques – attaquant des voitures au Yémen, des
convois de civils en Irak, des villages en Afghanistan (et qui viennent-ils
encore de tuer, en attaquant dernièrement un convoi près de la frontière
syrienne, pouvez-vous me le dire ?) – nous n’avons plus qu’une seule chose
décente à faire : la fermer.
L’an dernier, les Israéliens ont produit un «
dossier » constitué de documents palestiniens saisis, « prouvant » qu’Arafat
dirigeait le « terrorisme » contre Israël. Les papelards, atrocement mal
traduits et manipulés, ne prouvaient absolument rien de la sorte. Mais après le
« dossier douteux » mensonger produit par Tony Blair avant la guerre d’Irak, qui
sommes-nous, pour nous permettre de critiquer Israël pour ses mensonges ?
Et
comment pourrions-nous protester contre les violations flagrantes par Israël de
la Résolution 242 de l’Onu et son occupation des territoires palestiniens, dès
lors que les Etats-Unis occupent la totalité de la terre ancestrale de l’Irak,
après avoir envahi illégalement ce pays, en tuant des milliers de ses habitants
– civils – en s’emparant de ses champs pétrolifères, puis en échouant
lamentablement ne serait-ce qu’à capturer le dictateur criminel qui en
brutalisait la population (son propre peuple…), sans parler des « armes de
destruction massive » dont on ne voit pas la queue d’une ?
Certes, les
précédents sont chose dangereuse. Prenez l’insigne événement prémonitoire qui
s’est inscrit dans la vie de beaucoup de lecteurs de l’Independent. Une
construction massive, symbole de la puissance d’une nation, a été détruite par
des « terroristes ». Le président de la nation en question a immédiatement signé
un décret pour assurer la « protection du peuple et de l’Etat », en faisant de
ce décret une loi, comportant des arrestations massives et le droit d’imposer
des « restrictions aux libertés de la personne… des violations du secret postal…
et des télécommunications, ainsi que des mandats de perquisition chez les
particuliers… »
Le gouvernement avait alors dit qu’il détenait la « preuve »
que des « terroristes » allaient s’en prendre au territoire national (du pays en
question), y détruire des « bâtiments gouvernementaux, des musées… et des
installations industrielles essentielles. » Cette législation permit dès lors au
dirigeant – démocratiquement élu ! – de la dite nation de s’embarquer dans une
série d’occupations militaires cruelles, annonçant après la deuxième du genre :
« nous ne sommes pas venus en tyrans, mais en libérateurs » ( !…)
Le bâtiment
public détruit par des « terroristes », c’était le Reichstag, la « législation
d’exception » permettant de détruire la législation des droits humains avait été
signée par un certain Hindenburg, la « preuve » des complots terroristes avait
été « apportée » par le gouvernement prussien. Et le dirigeant élu
démocratiquement qui prétendait « libérer » l’Autriche était un certain Hitler
Adolf.
Parallèle évidemment monstrueux, révoltant, historiquement hors de
toute proportion, bizarre, baroque… Eh bien : espérons-le encore !…
21. Les (juifs) exilés d’Irak, depuis longtemps
oubliés, aspirent à la réhabilitation par Joel Millman
in The
Guardian (quotidien britannique) du samedi 5 juillet 2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Joe Millman traite dans cet
article du mouvement qui se dessine en vue de la restauration de la "communauté
juive" irakienne ["Iraq's Jewry" en anglais] dans son
ancienne gloire.
Durant quinze siècles, depuis Alexandre le Grand jusqu’à la fin du
treizième siècle, un grand prêtre présida, depuis Babylone, aux destinées de la
"communauté juive" orientale ["Eastern Jewry" en
anglais]. Connu sous le nom d’Exarque, il réglait
tous les conflits que lui soumettaient des juifs vivant aussi loin de Babylone
qu’en Inde ou en Espagne. Son autorité ne prit fin que lorsque les hordes
mongoles saccagèrent Babylone, qui abrita durant des siècles la communauté juive
la plus nombreuse et prospère au monde.
Ces événements tragiques se
déroulèrent en 1270. Sept siècles plus tard, un juif du nom de Naim Dangoor,
autrefois commerçant à Bagdad mais aujourd’hui PDG d’une des plus grandes
agences immobilières de Londres, vient de rouvrir le bureau de l’Exarque, en se
nommant lui-même dans cette fonction. Cela se passait en 1970.
« Sept siècles
après, pile-poil », dit en souriant M. Dangoor. « Génial, non ? »
Evoluant
dans sa tunique de shabbat, de brocard cramoisi et argenté, l’homme, âgé de 89
ans continue son combat, sans faiblir, afin d’atteindre son but : restaurer la
magnificence de la "communauté juive" irakienne… ["Iraqi
Jewry" en anglais]
Incontestablement, il les veut, ces 20 milliards de
dollars dont il estime que les nouveaux dirigeants de l’Irak – quels qu’ils
puissent être – doivent à son peuple en compensation pour la calamité qui s’est
abattue sur la communauté juive la plus ancienne et la plus fortunée du monde
lorsque des nationalistes arabes radicaux commencèrent à diriger l’Irak, après
la seconde guerre mondiale.
De nos jours, les descendants des juifs irakiens
sont dispersés dans le monde entier… Mais, en dépit des efforts de M. Dangoor,
peu d’entre eux bouclent leurs valises pour revenir à Bagdad. Et certains sont
inquiets, car ils pensent que le spectre du vieil homme vivant ici, à Londres,
dans la munificence, et harcelant l’Irak ravagé par la guerre pour récupérer une
fortune perdue fera bien peu pour améliorer les relations entres Arabes et
juifs.
« Il a absolument le droit de s’asseoir à la table », dit Edwin
Shuker, un autre exilé juif irakien vivant à Londres, qui œuvre… à établir une
commission de la vérité et de la réconciliation qui pourrait examiner la
question des réparations. « Mais dites-moi un peu : doit-il parler en notre nom,
à tous ? »
Il y a un paquet d'argent à récupérer. Le Trésor américain a gelé
quelque 3 milliards de dollars de capitaux irakiens remontant à l’époque de
Saddâm Husseïn, et les responsables américains estiment que 10 autres milliards
de dollars sont récupérables en Irak même, et dans d’autres pays.
La semaine
dernière, à l’ONU, une organisation appelée « Justice pour les Juifs des Pays
Arabes » a lancé une campagne visant à établir les bases d’une réparation du dol
subi par plus de trois quarts de millions de juifs réfugiés de l’ensemble des
pays arabes…
Abraham Sofaer, ancien conseiller en chef au Département d’Etat
du temps de Ronald Reagan, lui-même fils d’un juif né à Bagdad, affirme que les
réclamations des juifs irakiens sont légitimes… Mais il pense que les porter
devant la justice ne sera pas du gâteau. Néanmoins, des milliers d’exilés
irakiens remplissent, depuis quelques semaines, des formulaires préparés par
l’Organisation Mondiale des Juifs des Pays Arabes, en vue de la constitution
d’un dossier pour l’instruction d’un procès au cours duquel elle se portera
partie civile.
Dans une contrée ravagée par les rivalités entre Kurdes et
Arabes, et entre chiites et sunnites, les réclamations juives peuvent sembler à
côté de la plaque. Néanmoins, jusqu’aux années 1950, les histoires juive et
irakienne étaient étroitement mêlées. En 597 avant J. C., après la conquête du
royaume d’Israël par le roi Nabuchodonosor, les juifs faits prisonniers furent
exilés à Babylone. Plusieurs décennies après, l’empereur de perse Cyrus permit
qu’ils retournassent à Jérusalem, mais ils furent peu nombreux à le faire, tant
les juifs de Babylone étaient devenus prospères.
Le grand-père de M. Dangoor
était grand rabbin d’Irak ; son père avait la réputation d’être le plus grand
imprimeur de livres en arabe au monde.
Durant la seconde guerre mondiale,
Naim Dangoor transforma Bagdad en un véritable centre commercial… mais soudain,
tout s’écroula. Avec la naissance d’Israël, en 1948, le monde arabe fut balayée
par des émeutes anti-juives. En Irak, des règlements inspirés par les lois
adoptées à Nuremberg par l’Allemagne nazie restreignirent le rôle des juifs dans
le commerce. Vers 1952, la plupart des juifs irakiens avaient émigré à
destination d’Israël…
Naim Dangoor est resté à Bagdad jusqu’en 1964. Tandis
qu’il était en voyage à Londres, cette année-là, il reçut un message lui disant
qu’il devait retourner immédiatement à Bagdad, sinon ses propriétés seraient
confisquées car il serait considéré comme un « juif dénaturalisé ». Redoutant
qu’un sort encore plus terrible ne l’attende à Bagdad, il opta pour l’exil en
Angleterre, où il prospéra en achetant des appartements vétustes.
Aujourd’hui, le seul appartement décrépi pour lequel il ait conservé un
quelconque un intérêt est son domicile vieillot, un bâtiment majestueux de deux
étages situé sur la célèbre rue Abû Nuwwâs, à Bagdad.
Récupérer cette
propriété perdue sera sans doute bien difficile… Un quotidien du cru, Al-Sâ’ah,
a estimé que les « juifs de retour » sont responsables de l’envolée des prix de
l’immobilier à Bagdad, depuis la chute de Saddâm Husseïn. Les (vrais) musulmans,
avertit un encart publié dans le bulletin interne d’une entreprise, « doivent
résister à la tentation de vendre quoi que ce soit aux juifs, de crainte que
l’argent qu’ils retireraient de la revente du bien ne serve à fabriquer des
balles qui seraient utilisées contre les Palestiniens. »
Les habitants de
Bagdad espèrent que la rue Abû Nuwwâs retrouvera son lustre d’antan. Mais cela
pourrait bien ne pas comporter un quelconque rôle pour ses anciens habitants. Un
ancien voisin de M. Dangoor refuse de communiquer son nom… mais il ne cache pas
son profond mépris pour les exilés kurdes et juifs qui disent aujourd’hui
désirer revenir. Au sujet de M. Dangoor, il demande : « Il pense vraiment que
quelqu’un se souvient de lui, après toutes ces années ? » [Repris de Wall Street Journal Europe,
30.06.2003]
22. L’ombre portée de Leo Strauss par William
Pfaff
in The International Herald Tribune (quotidien international publié à
Paris) du jeudi 15 mai 2003
[traduit de l'anglais
par Marcel Charbonnier]
Paris. Le problème, avec le
conservatisme américain, durant la plus grande partie du vingtième siècle,
tenait au fait qu’il n’était pas particulièrement intelligent. Le Parti
Républicain était – et reste – un parti d’affairistes, anti-intellectuels et,
dans une très large mesure – xénophobes.
Les néoconservateurs radicaux,
apparus durant les années 1960, constituent le premier mouvement de la droite
américaine, depuis le dix-neuvième siècle, à être redoutablement intelligent.
Ils veulent remodeler l’ordre international, sous une hégémonie effective des
Etats-Unis, détruire les ennemis de l’Amérique et paralyser, voire éliminer tout
à fait, l’Onu et les autres institutions prônant le droit
international.
Parmi eux, on trouve, entre autres, le vice-secrétaire à la
défense Paul Wolfowitz, ainsi qu’Abram Shulsky du bureau des Projets Spéciaux au
Pentagone, Richard Perle du panel d’experts auprès du Pentagone, Elliott Abrams,
du Conseil de la Sécurité Nationale et les écrivains Robert Kagan et William
Kristol.
La principale influence intellectuelle à avoir inspiré les
néoconservateurs a été celle du philosophe Leo Strauss, qui avait quitté
l’Allemagne en 1938 et a enseigné de nombreuses années à l’Université de
Chicago. Plusieurs des néoconservateurs en vue ont bénéficié de son
enseignement. Wolfowitz et Shulsky l’ont eu pour directeur de thèse.
On peut
dire qu’un véritable culte s’est développé autour de Strauss durant ses
dernières années à Chicago, et il figure, ainsi que certains de ses admirateurs,
dans un roman (à clés) de Saul Bellow : « Ravelstein ». Parler de culte n’est en
effet nullement exagéré, car Strauss était convaincu que les vérités
essentielles sur la société et l’histoire humaines doivent être perpétuées par
une élite et ôtées des mains de gens dépourvus de la force morale permettant,
seule, de détenir la vérité. La société, pensait Strauss, a besoin de croire à
certains pieux mensonges consolateurs.
Il tenait la philosophie pour
dangereuse, car elle interroge les conventions dont l’ordre civil et la moralité
d’une société dépendent absolument. Il voyait en elle le risque qu’elle ne
finisse par encourager un nihilisme dévastateur.
Pour Strauss, le relativisme
de la société américaine contemporaine est un désordre moral qui est susceptible
de lui interdire d’identifier ses véritables ennemis. « La clarté morale » est,
pour lui, essentielle. La tolérance de la République de Weimar pour l’extrémisme
avait encouragé la montée du parti nazi.
Strauss formula une critique
puissante et sophistiquée du libéralisme découlant de l’ère des Lumières. Il
voyait dans les Etats-Unis l’avatar le plus avancé du libéralisme et, par tant,
il les considérait comme le pays le plus exposé au nihilisme.
Il pensait que
la philosophie grecque classique, notamment la philosophie platonicienne, est
plus authentiquement naturelle que toutes celles qui sont venues après et l’ont
supplantée. Certains de ses critiques ou détracteurs disent que l’interprétation
qu’il fait de Platon est perverse mais lui, il affirmait qu’il avait retrouvé le
« vrai » Platon, défiguré par les derniers néoplatoniciens et les penseurs
chrétiens.
Il faisait valoir que la vérité platonicienne est trop difficile à
assumer, pour les gens ordinaires, et que l’exhortation classique à la « vertu
», en tant qu’objectif de toutes les actions humaines, est irréalisable. De là
découle la nécessité qu’il y a de mentir au peuple sur la nature (réelle) du
monde politique. Une élite sait quelle est la vérité, toutefois, et cette
vérité, elle la garde pour elle. Cela lui confère une clairvoyance et – de
manière implicite, un pouvoir – que les autres, ceux qui n’appartiennent pas à
l’élite, ne possèdent pas. Il convient de voir dans cette vision, bien entendu,
un élément important de la séduction que la pensée straussienne exercée sur les
néoconservateurs américains.
Il s’agit, à l’évidence, d’une philosophie
pessimiste et anti-utopiste, qui va à l’encontre de pratiquement tout ce en quoi
les Américains sont enclins à croire. Elle contrarie la foi conventionnelle de
la société démocratique contemporaine. Elle contredit, aussi, les ambitions
affichées par les néoconservateurs eux-mêmes – rendre le monde musulman
démocratique et établir un nouvel ordre mondial sous la houlette des Etats-Unis
– qui sont des ambitions manifestement utopistes.
Strauss, disparu en 1973,
n’appréciait pas beaucoup l’hégémonie – qu’elle fût américaine, ou autre. Il
affirmait qu’ « aucun individu, ni aucun groupe d’êtres humains, ne peuvent
diriger l’ensemble de l’espèce humaine avec justice. » Durant les années de la
Guerre froide, une chose le préoccupait tout particulièrement : l’universalisme
soviétique invitait à défier la prétention de l’Amérique à diriger le
monde.
Pour moi, l’attrait principal de la pensée straussienne, pour les
néoconservateurs, réside en ceci que son élitisme offre une certaine
rationalisation morale à une politique faite d’expédients, ainsi qu’aux «
mensonges nécessaires » qu’il convient de dire à ceux que la vérité risquerait
de démoraliser.
La pensée de Strauss doit être connue et débattue, car ce
sont ses adeptes qui dirigent aujourd’hui la politique étrangère des Etats-Unis.
Mais il y a un risque : Strauss est – de très loin – beaucoup plus intéressant
que ne le sont ses émules…
23. La Palestine à l'heure de la Gaule ! par
Valérie Féron
in l'Humanité du lundi 14 avril
2003
Territoires palestiniens. À Ramallah comme à Bethléem,
les Palestiniens affichent leur attachement à la France.
Correspondance particulière - Ramallah, place Al Manara, " les lions ", une
des principales de cette ville de Cisjordanie. Point de départ ou d'arrivée de
la plupart des manifestations, elle est surplombée d'immenses affiches
publicitaires. Depuis plusieurs mois, deux panneaux géants vantent les
cigarettes françaises, avec un slogan au goût du jour : " Liberté toujours ".
Auparavant, ces mêmes panneaux étaient dédiés à de célèbres cigarettes
américaines fumées par un cow-boy solitaire, la touche politique étant apportée
par un portrait du président Arafat (un des rares dans les territoires
palestiniens) ou, l'an dernier, de Marwan Barghouti, le chef du Fatah pour la
Cisjordanie, arrêté à Ramallah lors de l'offensive israélienne d'avril 2002.
Dans les rayons des épiceries servant également de dépôts de tabac, la fameuse
marque française trône dans toutes ses versions. Cela fait un an environ que les
fumeurs palestiniens ont opté pour la marque de l'Hexagone, se contentant de
demander " les françaises ". Les américaines et les britanniques sont reléguées
sur les côtés, et demander une de ces marques est généralement suivi d'un "
Pourquoi leur donner de l'argent à eux ? Prends les françaises ! ", marquant
l'attachement de plus en plus affiché des Palestiniens pour la " patrie des
droits de l'homme ".
La présence française dans les territoires palestiniens
à travers les centres culturels qui poursuivent leurs activités malgré la
situation accompagne ce mouvement. Cet engouement avait commencé avec la visite
du président Jacques Chirac en 1998 à Jérusalem : les Palestiniens aiment à
rappeler l'épisode qui avait frisé l'incident diplomatique quand le chef de
l'État a apostrophé les agents israéliens chargés de sa sécurité, un peu trop
rapprochée à son goût, qui l'empêchaient dans la vieille ville d'aller au
contact des habitants palestiniens venus le saluer.
Depuis son aura n'a
cessé de grandir, avivée par la position de la France dans la crise irakienne.
Du coup un nouveau prénom fait recette auprès de certains parents en quête
d'originalité : Chirac.
Autre signe de cet engouement pour la France,
certaines rues sont rebaptisées. C'est ce qui s'est passé dans le camp de
réfugiés de Deishé, un des trois que compte la ville de Bethléem, jumelé avec
Montataire, en région parisienne, où une rue du centre vient d'être baptisée
Paris. Pour Mohammad Laham, un des responsables du camp : " C'est un acte
politique, pour montrer notre soutien à la position française contre la guerre
en Irak. Beaucoup de Français viennent nous soutenir, c'est donc aussi un
message du peuple palestinien au peuple français. Et à Deishé comme ailleurs,
les fumeurs ont opté pour les cigarettes françaises ! "
24. Les informaticiens de choc de Tsahal par
Frédéric Magnan
in Les Echos du mardi 14 janvier
2003
Apres cinq ans de formation et de mise en pratique
intensive de technologies de pointe, l'armee israelienne rend a la societe
civile des informaticiens ultraperformants tant par leurs competences que par
leur etat d'esprit.
Jeune informaticien franco-israelien
fraichement debarque a New York au debut des annees 1990, Bernard Juster se
souviendra longtemps de la surprise de ses interlocuteurs lors de son premier
entretien d'embauche. Aux questions sur sa maitrise d'un analyseur de spectre,
de tel langage de programmation ou du traitement des signaux, il ne put repondre
autre chose que : 'Oui, je sais comment ca marche, j'ai fait ca pendant cinq
ans.' A tel point que ses futurs employeurs lui avouerent leur embarras pour
choisir le service ou il pourrait etre affecte, tant ses competences etaient
larges.
Ingenieur en electronique diplome de l'Universite Ben-Gourion a
Be'er Sheva, au sud d'Israel, Bernard Juster n'a jamais pretendu etre un genie
de l'informatique. Simplement, comme tout scientifique de formation superieure,
il a effectue son service militaire au sein de l'une des unites d'elites de
Tsahal. Il a ainsi passe cinq annees sous les drapeaux et beneficie d'une
formation d''officier technique'. Quatre annees de 'travaux pratiques' suivront
dans une unite specialisee dans le brouillage electronique. Sa 'deuxieme
universite', ainsi que l'appelle Bernard Juster, lui a permis d'aborder des
domaines que 'personne n'approche dans un parcours civil', et de mettre en
oeuvre une multitude d'equipements deployes lors des exercices sur le terrain.
Bernard Juster se souvient ainsi avoir ete designe a vingt-trois ans chef d'un
projet dote d'une responsabilite et d'un budget de loin superieur a ce qui lui
sera confie lors de son retour a la vie civile.
Des leaders mondiaux
Ce qui peut intriguer un responsable du recrutement new-yorkais ne
surprendra pas son homologue de Tel-Aviv. Car ils sont des centaines de jeunes
informaticiens a avoir beneficie de ce meme parcours d'excellence. Ce qui
explique l'ampleur exceptionnelle qu'a pris en Israel, le phenomene start-up au
debut des annees 1990. Israel possede sa propre 'Silicon Valley', situee a
Herzliah Pituah, au nord de Tel-Aviv, regroupant plus de 2.000 societes
specialisees dans les hautes technologies. Ces echanges entre l'armee et le
secteur civil sont sans cesse alimentes, puisque le service militaire, etendu
jusqu'a quarante-neuf ans pour les hommes qui sont mobilises trois semaines
chaque annee, donne la possibilite aux reservistes de nourrir les avancees
technologiques de l'armee aussi bien que d'y puiser de nouvelles idees. Les
systemes de securisation des reseaux Internet 'Firewall' sont ainsi
'l'application civile d'un systeme militaire de surveillance electronique' de
l'aveu meme de Marius Nacht et Gill Shwed qui les ont developpes au sein de leur
star-up Checkpoint, leader mondial dans ce domaine. Marius Nacht est un ancien
de 'Mamram', un centre informatique ultramoderne de Tsahal, tandis que Gill
Shwed avait ete verse dans une unite specialisee dans 'l'ecoute des reseaux
ennemis'. Une unite que connait bien egalement Zev Bregman, l'un des createurs
de Comverse. Cette start-up, egalement au premier rang mondial, a su accompagner
l'explosion du GSM en y associant le service des messageries vocales a partir
d'une technique militaire.
Sens des responsabilites
Outre les connaissances techniques, la formation heritee de l'armee laisse
bien d'autres traces dans l'esprit des informaticiens israeliens. 'Lorsque je
travaillais chez Ericsson, je ne comprenais pas pourquoi ceux de Comverse
remportaient constamment les marches, raconte Bernard Juster. Je pensais qu'ils
avaient de meilleurs produits. Mais lorque je suis entre chez Comverse, j'ai
compris : c'etait la determination de leurs equipes commerciales qui faisait la
difference. Chaque appel d'offres est considere comme une mission a remplir.'
Lui-meme s'avoue marque par cet etat d'esprit qui donne 'un grand sens de la
responsabilite'. 'Lorsque l'on vous donne quelques jours seulement pour
developper un detecteur ou un brouilleur destine a equiper une unite
combattante, tout le monde s'y met, depuis le technicien jusqu'a
l'ingenieur.'
Mais la medaille des start-up israelienne possede aussi son
revers. 'Les societes sont trop orientees sur le court terme : remporter la
mission, gagner, sans aucune strategie a moyen ou a long terme', juge-t-il. En
tout cas, le degonflement de la bulle technologique a ete aussi marque en Israel
qu'ailleurs. 550 des 2.700 entreprises du pays ont cesse leur activite en 2001
et plus de 10.000 personnes ont ete licenciees, soit environ 10 a 15 % des
emplois du secteur. La centaine d'entreprises israeliennes cotees au Nasdaq ont
vu leurs cours s'effondrer de 30 a 80 %, tandis que les salaires de leurs
employes chutaient de 10 a 30 %.
Pourtant, avec 150 nouvelles start-up creees
en 2001, contre 850 l'annee precedente, Israel reste dans les tous premiers
rangs des lieux de creation de haute technologie dans le monde aux cotes de la
Silicon Valley americaine. Pret pour la reprise.
25. Le second Holocauste - et la complicité
européenne par Ron Rosenbaum
in San Francisco Chronicle (quotidien
américain) du dimanche 28 avril 2002
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Ron
Rosenbaum est l’auteur de « Explaining Hitler : The Search for the Origin of His
Evil » [Expliquer Hitler : A la recherche des origines de son âme maudite]. Cet
article a été publié sous une autre forme dans The New York
Observer.)
Washington – L’expression de « second Holocauste » – la
destruction possibles des juifs en Israël – a été créée par Philip Roth, dans
son roman « Operation Shylock », publié en 1993. Ce roman sembla incroyablement
pessimiste, à l’époque. Mais même les choses les plus noires imaginées par Roth
semblent aujourd’hui marquées au coin de l’optimisme. Tout spécialement
lorsqu’on les examine à la lueur des synagogues incendiées en France. Ou de
l’arrivée du néofasciste Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection
présidentielle en France.
Il nous faut examiner la dynamique qui est en train
de se déployer dans les esprits, en Europe, en ce moment : c’est une dynamique
qui suggère que les Européens, à un niveau ou à un autre, profond, sinon
entièrement conscient, veulent être complices, à nouveau, dans l’élimination des
juifs.
Le narrateur du roman de Roth est persuadé qu’en Europe existent « de
puissants courants d’illumination et de moralité qui sont entretenus par la
mémoire de l’Holocauste – c’est un véritable garde-fou contre l’antisémitisme
européen », aussi virulent soit celui-ci. Cela est sans doute vrai en ce qui
concerne certains Européens, peu nombreux, mais même si c’est le cas, ils sont
restés fort silencieux. En réalité, il semble que la mémoire de l’Holocauste
soit précisément ce qui suscite les courants les plus obscurs dans l’âme
européenne. La mémoire de l’Holocauste est, précisément, ce qui explique la
position unilatérale, anti-israélienne, de la presse européenne.
Et aussi des
hommes politiques européens, de la culture européenne. La complaisance vis-à-vis
des incendies de synagogues, la propension à mettre l’accent exclusivement sur
la réponse israélienne aux kamikazes (palestiniens) se faisant exploser au
milieu de familles en prières et les décimant, plutôt que sur les assassins de
masse (comme les auteurs d’attentats suicides devraient être dénommés d’une
manière plus appropriée) et ceux qui les financent et organisent des organisent
des fêtes pour leurs familles.
La dynamique qui se déploie là-bas (en Europe)
est horrible, mais évidente : à quelque niveau profond, les Européens, les
hommes politiques européens, la culture européenne, ont conscience du fait que
presque sans aucune exception tous les Etats européens ont été complices du
génocide perpétré par Hitler. Certains ont fait fonctionner les camps de la
mort, d’autres ont imprimé les ordres pour la déportation des juifs vers les
camps de la mort, tout le monde savait ce qui était en train de se passer – et
il faut préciser que les nazis n’ont pas eu à utiliser de la force pour faire
d’eux des complices de leurs crimes. Pour la plupart, les Européens étaient
entièrement volontaires. C’est la raison pour laquelle la « civilisation
européenne » sera éternellement un oxymore [= une impossibilité logique, ndt]
pour quiconque regarde les choses d’un peu trop près, à commencer par les
massacres démentiels et totalement inutiles de la Première guerre mondiale, qui
pavèrent la voie aux actions d’Hitler, plus étroitement ciblés.
Ainsi, on le
comprendra, un besoin se fait sentir de faire retomber sur quelqu’un d’autre la
honte de la (soi-disant) « civilisation européenne ». En l’occurrence, de faire
retomber la faute sur la victime. De blâmer les juifs. Plus les pays européens
pourront se focaliser en tout parti pris sur la réponse israélienne à la terreur
et non sur la terreur (palestinienne) elle-même, plus ils pourront présenter les
juifs sous les traits des vrais méchants, et plus ils pourront racheter leur
conscience collective de leur complicité dans le massacre de masse (des juifs,
ndt) dans le passé. « Hitler est peut-être allé un peu trop loin, et sans doute
nous n’aurions pas dû être aussi couards et empressés à lui porter assistance,
mais : voyez ce que les juifs sont en train de faire » (se disent-ils).
-
N’est-il pas curieux que l’on n’ait jamais vu un « activiste pacifiste européen
» se porter volontaire pour « s’interposer de leur corps » en annonçant qu’ils
iraient s’exposer à un danger réel – dans les cafés et les pizzerias de
Tel-Aviv, cibles privilégiées des kamikazes ? Pourquoi aucun « militant de la
paix » européen n’était présent lors des Seders à Netanya ni dans les rues de
Jérusalem ? Non, n’est-ce pas : les « militants européens de la paix » avaient
mieux à faire : ils faisaient de leur mieux afin de protéger les courageux
sponsors des kamikazes, à Ramallah…
Il convient de ne pas se contenter de
replacer le complexe de culpabilité européen dans le seul contexte de leur
complicité durant la Seconde guerre mondiale (avec les nazis, ndt). Il convient
aussi de prendre en considération la négligence cynique qui a présidé à la
création de l’Etat d’Israël. Le cadeau empoisonné d’une lichette de désert
indéfendable perdue dans un océan de populations hostiles, afin que les juifs
rescapés – témoins rappelant sans cesse aux Européens leur infamie – soient
envoyés loin du continent, et laissent les propriétés volées aux juifs durant la
guerre aux mains de la populace européenne. Et encore, lorsqu’elle ne continuait
pas à tuer des juifs, comme le firent certains Polonais lorsque quelques juifs
commirent la folie de tenter de retourner dans leurs maisons volées.
Qu’on ne
s’y trompe pas, les Palestiniens sont des victimes de l’histoire autant que les
juifs. La dernière chose que les nations européennes voulait faire, c’était la
seule chose juste, qui aurait consisté à restituer aux juifs leurs maisons
volées, alors (les Européens) ont donné leur accord à la création d’un Etat
juif, après quoi ils n’ont rien fait afin de le rendre viable ni pour les juifs
ni pour les Palestiniens, préférant se laver les mains de ce cataclysme : Que
les sémites s’assassinent entre eux ! Et évidemment ils blâmèrent les seuls
juifs, car c’était les sémites qu’ils étaient le plus l’habitude de
haïr.
Ainsi, aujourd’hui, il est tellement facile, pour les Européens, de
persécuter les juifs : ils n’ont qu’à se contenter de laisser leurs propres
populations arabes incendier les synagogues et casser la gueule aux juifs dans
la rue, à leur place. Néanmoins, il y a quelque chose de particulièrement
répugnant dans les incendies de synagogues en France. Ils expliquent en grande
partie pourquoi le gouvernement israélien agit comme il le fait actuellement –
avec un petit peu moins de retenue à l’encontre des assassins de leurs enfants.
Oui, j’ai bien dit : de retenue. Si les Israéliens agissaient avec la vigueur
dont ils pourraient légitimement se prévaloir afin de mettre un terme aux
attentats kamikazes, ils diraient aux terroristes potentiels – qui se
précipitent vers leur mort en espérant que leurs familles vont célébrer leurs
assassinats de masse en organisant des fêtes financées et en empochant des
allocations généreusement offertes par les Saoudiens et Saddam Hussein – que
leurs familles partageront exactement le même sort que les gens que les
terroristes font exploser. Cela rendrait difficile le recrutement et les
réjouissances devant les corps déchiquetés d’enfants juifs. Mais les Israéliens
ne feront jamais cela, et c’est la raison pour laquelle il est vraisemblable
qu’il y aura un second Holocauste. Non pas parce que les Israéliens font preuve
de retenue, mais parce qu’ils continuent, jusqu’ici, à agir avec retenue en
dépit des massacres qui rendent leur pays invivable.
Voyez ce remarquable
reportage du New York Times, dans lequel les dirigeants du Hamas célèbrent
allègrement leur triomphe dans le massacre de la Pâque (juive) et les massacres
suivants, à Jérusalem et à Haïfa. Deux choses rendent cet article important :
l’une est l’affirmation éhontée qu’ils n’ont jamais eu le moindre intérêt pour
un quelconque « processus de paix » qui aboutirait pourtant à la création d’un
Etat palestinien viable vivant côte à côte avec l’Etat juif. Tout ce qu’ils
voulaient, c’était la destruction de l’Etat juif et son remplacement par un
autre, dans lequel « les juifs pourraient continuer à vivre dans un ‘Etat
islamique régi par la loi shari’a’ ».
Voilà qui définit parfaitement la
réalité qui a été occultée par l’illusion d’espoir placée dans un « processus de
paix ». Les Palestiniens, avec leurs 300 millions de « frères arabes »
encerclant les cinq millions de juifs, ne sont pas intéressés par un « règlement
négocié ».
On reproche constamment aux Israéliens de ne pas négocier, de ne
pas concéder suffisamment de leur propre sécurité, mais ils n’ont personne avec
qui négocier qui ne veuille exterminer leur Etat et leur peuple avec, si
nécessaire.
L’autre chose remarquable, dans l’article du NYT, était le cadre
: l’interview de l’un des quatre dirigeants des assassins de masse du Hamas, un
certain Dr. Zahar, s’était déroulé dans une maison confortable ce « Dr. Zahar,
chirurgien de son état, dispose d’une table de ping-pong dans son vaste living
room, à l’usage de ses sept enfants. »
Si les Israéliens étaient aussi
impitoyables que les Européens se plaisent à le dire, ils ne laisseraient pas
les assassins de leurs enfants jouer au ping-pong, permettez-moi de vous le
dire…
Parlons maintenant de la relation entre le premier Holocauste et le
prochain. La relation entre la réponse européenne au premier Holocauste et la
réponse probable d’Israël à celui qui s’annonce. Elle pourrait se résumer à
merveille au moyen de ce vieux proverbe : « Si vous me b.isez une fois : honte à
vous ! Mais si vous me b.isez deux fois : honte à moi ! »
La première fois,
lorsque le peuple juif fut menacé par quelqu’un qui en appelait à leur
extermination totale, ils fit confiance aux valeurs « éclairées » du peuple
européens, comme le raconte le narrateur de Roth : « Des gens civilisés ne
pourraient laisser se produire quelque chose d’aussi horrible. Des pogromes,
oui, bon, d’accord, mais : des camps de la mort, des camps d’extermination ?
Jamais. Ils nous envoient dans des camps, certes, mais de quelle nature ces
camps peuvent-ils bien être : ces camps de travail, au pire ? Le monde entier ne
laisserait pas une chose (aussi terrible que notre extermination) se produire
(sans rien faire).
Eh bien, voyez-vous, le « monde » a bel et bien laissé
faire – avec une complaisance extraordinaire et non sans quelque plaisir chez
certains.
Mais je devine que, profondément, dans le cœur de la plupart des
Israéliens, se trouve l’idée que, cette fois, nous n’allons pas dépendre des
autres pour empêcher que cela se reproduise. Nous n’allons pas nous contenter
d’espérer que le monde finira par se préoccuper du fait qu’on est en train
d’assassiner nos enfants. Cette fois, nous ne partirons pas sans rien dire ;
cette fois, si nous devons mourir, nous mourrons en combattant et nous les
entraînerons avec nous dans la mort et nous en tuerons le plus possible, et que
le reste du monde aille au diable. « B.isés deux fois : honte à nous ! »
J’ai
mal pour les Palestiniens : je pense qu’ils méritent d’avoir un Etat. Mais ils
en avaient un, d’Etat : ils faisaient parti d’un Etat, appelé Jordanie, qui a
déclaré la guerre à l’Etat d’Israël et qui l’a envahi afin de le détruire – et
qui finit par perdre la guerre. De perdre une guerre, cela a des conséquences,
et les conséquences doivent, au moins pour partie, être déposées aux pieds de
ceux qui ont voulu la guerre et qui l’ont perdue. On peut sympathiser avec le
calvaire des Palestiniens, mais on peut s’imaginer quel aurait été le calvaire
subi par les israéliens eussent-ils perdu la guerre…
Mais, n’est-ce pas, on
dit aux Israéliens qu’ils doivent faire confiance au monde – faire confiance à
l’Union européenne, garante de leur sécurité, faire confiance aux promesses de «
relations normales » réitérées par la Ligue arabe, faire confiance aux Saoudiens
qui financent les organisations terroristes kamikazes et on leur demande de
fermer les yeux sur les ouvrages scolaires exterminationistes utilisés par les
Arabes afin d’édifier leur progéniture. Les Israéliens doivent apprendre à bien
se tenir ; les juifs doivent se comporter au mieux vis-à-vis de gens qui veulent
les tuer. Permettez-moi de ne pas être d’accord.
En tant que juif laïc, je
suis plus diasporiste que sioniste. J’ai soutenu l’Etat juif, mais j’ai toujours
considéré qu’il était une solution nécessaire mais non idéale, avec un côté
négatif évident : la concentration de tant de juifs au même endroit – et
j’utilise le mot « concentration » à dessein – donne au monde une opportunité de
tuer les juifs en masse, à nouveau. De plus, j’ai toujours pensé que les juifs
prospéraient mieux là où ils échappaient au contrôle des rabbins orthodoxes et
qu’ils pourraient apporter au monde entier – que dis-je ? à l’univers entier ! –
les compétences exégétiques qui font la gloire de ce peuple : lire l’univers à
l’instar de la Torah, comme le firent Einstein et Spinoza, plutôt que la Torah à
l’instar de l’univers, comme le font les (juifs) orthodoxes.
Mais la haine
implacable du fondamentalisme « arabe » (c’est le traducteur qui souligne cette
imbécillité, ndt) ne fait aucun distinguo entre les juifs fondamentalistes et
les juifs séculiers, se comportant en cela à l’instar d’Hitler. Ce ne sont pas
seulement les colonies qu’ils veulent éradiquer, c’est l’Etat juif, c’est le
peuple juif !
Voilà comment les choses risquent de se passer : tôt ou tard,
une bombe nucléaire sautera à Tel-Aviv, et immédiatement (pas plus tard) il y
aura des représailles nucléaires (israéliennes).
Bagdad, Damas, Téhéran.
Peut-être les trois à la fois… Quelqu’un a dit, jadis, que tandis que le Christ
exhortaient les Chrétiens à « présenter leur autre joue », ce sont les juifs
qui, seuls, ont en réalité mis cette attitude en pratique. Pas cette fois. Le
corollaire non-dit du slogan : « Plus jamais ça ! » (« Never again !»), c’est :
« Et si de nouveau, pas seulement nous !» (« And if again, not us alone ! »).
Ainsi, on le voit, le temps est venu de penser au second Holocauste. Il se
produira, tôt ou tard ; la question n’est pas « si », mais « quand » ? J’espère
ne pas vivre jusque-là et ne pas le voir. Cela sera insoutenable pour ceux qui
en seront les contemporains. Je corrige : pour ceux qui y assisterons, à
l’exception des Européens – dont les consciences, comme à l’accoutumée, seront
claires comme de l’eau de roche.
26. Trop Proche-Orient par Slimane
Zeghidour
in La Vie du jeudi 11 avril 2002
Violences d'extrémistes juifs répondant à des actes
antisémites... Comment éviter l'exportation chez nous du conflit
israélo-palestinien ? En rejetant tout communautarisme, qu'il soit juif ou
musulman.
Pour une fois unanimes, tous les politiques hexagonaux, chefs de parti et
candidats confondus, mettent en garde contre le risque de " transposer en France
le conflit du Proche-Orient ". Un appel nécessaire, à un moment où des franges
entières de la communauté nationale épousent les passions et les positions, qui
des Israéliens, qui des Palestiniens. À cet égard, les manifestations du
week-end dernier ont montré à la fois le caractère pacifique de la majorité des
sympathisants de l'un ou l'autre camp, et la violence, sinon le fanatisme, de
certains groupuscules arabes et juifs. Notre classe politique a raison de
s'émouvoir, mais elle est loin d'être innocente en la matière : la pêche aux
voix en terrain confessionnel est un sport national fort ancien. Depuis des
lustres, aucun candidat à la présidence n'a manqué le pèlerinage en Israël;
aucun n'a manqué de se recueillir, kippa sur la tête, au pied du mur des
Lamentations. Aujourd'hui, on commence à faire étape à Alger. En attendant
d'honorer Bamako ou Ankara. Et chaque visiteur d'y aller de sa petite phrase
attestant son " amitié indéfectible " pour l'État juif. À la veille des
élections européennes de mars 1986, Lionel Jospin, alors secrétaire général du
parti socialiste, déclarait froidement, à propos du transfert de la capitale
d'Israël de Tel-Aviv à Jérusalem - une démarche pourtant contraire au droit
international : " En tant qu'individu, en tant qu'amoureux de la beauté et de
l'Histoire, je préférerais de beaucoup que la capitale soit à Jérusalem plutôt
qu'à Tel-Aviv." Il est vrai qu'à l'époque le Likoud, au pouvoir en Israël depuis
1977, cherchait à structurer une communauté juive jugée trop assimilée.
"Structurer", cela passait par l'affirmation de la "centralité" d'Israël par
rapport à la diaspora. D'où une conjonction entre le souci de la communauté de
ménager l'appui de la France à Israël et le besoin de tel ou tel candidat d'un
renfort de voix qui a fini par devenir une composante permanente de la vie
politique nationale. On mesure l'évolution quand, début 1991, Dominique Strauss-Kahn affirme publiquement :
" Je considère que tout juif de la diaspora, et donc
de France, doit, partout où il peut, apporter son aide à Israël. C'est
d'ailleurs la raison pour laquelle il est important que les juifs prennent des
responsabilités politiques. En somme, dans mes fonctions et dans ma vie de tous
les jours, à travers l'ensemble de mes actions, j'essaie d'apporter ma modeste
pierre à la construction d'Israël." On conçoit que pareil
discours puisse générer un contre-communautarisme, musulman, cette fois, au
détriment de la cohésion nationale. Tentation d'autant plus forte que les grands
partis (mis à part le PC, les Verts et... le FN) n'arrivent toujours pas à
surmonter leurs blocages culturels pour s'ouvrir aux Français originaires du
Maghreb, qui représentent pourtant près de 10% de la population. " Je refuse le
communautarisme ", vient toutefois de lancer Lionel Jospin. Le Premier ministre
candidat ajoute : " Je ne jouerai jamais les passions les unes contre les
autres. " Espérons que sa déclaration n'engagera pas que lui seul... Il y va non
seulement de la paix intérieure, mais aussi de la position diplomatique de la
France, qui reste un acteur de poids au Proche-Orient. Or, un gouvernement
français qui craindrait de mécontenter telle ou telle fraction de la population
se retrouverait bien vite paralysé. Ce qui ferait le bonheur d'un Sharon ou d'un
Saddam.
27. Israël révèle
comment il a acquis la Bombe par Inigo Gilmore
in The Telegraph
(quotidien britannique) du dimanche 23 décembre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Un film documentaire pour la télévision,
dans lequel Pérès Shimon, ancien ministre israélien des Affaires étrangères,
révèle pour la première fois un certain nombre de détails sur l’acquisition par
Israël de l’arme nucléaire, doit être diffusé dans le monde arabe. Cette
diffusion doit être entendue, dans une période de tensions croissantes, comme un
avertissement.
Dans le documentaire, M. Pérès va plus loin qu’aucun autre
officiel israélien ne l’avait jamais fait jusqu’ici, en confirmant que l’Etat
juif a bien une capacité nucléaire. Lui-même et plusieurs officiels du
gouvernement français donnent des détails sur la coopération entre Israël et la
France, qui a abouti au lancement du programme nucléaire (militaire) d’Israël.
Ce documentaire, réalisé par une équipe de documentaristes israéliens
chevronnés, est un signe en lui-même du fait que le gouvernement est sans doute
en train de relâcher finalement quelque peu le silence absolu qu’il observait
comme une règle absolue sur son programme nucléaire. Mordechai Vanunu, un
technicien du centre nucléaire de Dimona, purge une sentence de dix-huit ans de
prison pour avoir révélé, en 1986, qu’Israël avait un programme nucléaire et
disposait de plus de cent têtes nucléaires.
Intitulé La bombe dans la cave :
L’option nucléaire israélienne [The Bomb in the Basement : Israel’s Nuclear
Option], il a été présenté au public le mois dernier, en Israël, et il fait
l’objet de contrats de vente à des stations de télévision arabes très diffusées,
telle Al-Jazeera, télévision par satellite basée au Qatar.
Ses réalisateurs
pensent que la coopération du gouvernement, qui a accepté de parler des origines
de sa capacité nucléaire, a été encouragée par des préoccupations liées au
terrorisme international et à la probabilité que l’Iran dispose d’une capacité
nucléaire d’ici quelques années.
Le metteur en scène, israélien, Michael
Karpin, qui a déjà réalisé un film controversé sur l’assassinat d’Yitzhak Rabin,
a indiqué qu’il n’était pas certain, voici seulement quelques semaines, que la
censure militaire permettrait la diffusion du documentaire.
« Peut-être
qu’après le 11 septembre, ils (le gouvernement) ont décidé que le temps était
sans doute venu de révéler un peu plus de choses sur le projet nucléaire
israélien », a indiqué M. Karpin. « Je pense que la décision de laisser
poursuivre le projet de documentaire a quelque chose avec l’idée de vouloir dire
au monde arabe : « Ecoutez : oui, c’est vrai, nous « l »’avons. »
Le film
révèle de quelle manière la France a aidé Israël à développer son programme
nucléaire en échange du soutien israélien à l’expédition de Suez. Au milieu des
années 1950, les relations entre les deux pays connurent un net réchauffement en
raison de leur inquiétude commune au sujet du bourgeonnement des mouvements
nationalistes en Afrique du Nord. Israël redoutait que l’ascension de Gamal Abel
Nasser, en Egypte, ne rende encore plus audacieux un ennemi déjà formidable sans
cela, tandis que la France était confrontée à une insurrection arabe en Algérie,
une de ses dernières colonies. L’intérêt des deux pays convergea en 1956, Israël
acceptant de se joindre à une guerre décidée conjointement avec la France et la
Grande-Bretagne, dans le but de punir Nasser d’avoir nationalisé le canal de
Suez.
A la fin du mois de septembre 1956, à Sèvres, dans la banlieue
parisienne, M. Pérès, alors un haut fonctionnaire du ministère de la Défense âgé
d’une trentaine d’années, accompagna David Ben Gourion, le premier Premier
ministre d’Israël, lors d’une rencontre avec des délégations française et
britannique au sujet de la crise de Suez. Les Israéliens attendirent que la
délégation britannique se retire pour se rapprocher des Français et s’ouvrir à
ceux-ci de leur projet nucléaire.
M. Pérès a raconté : « A Sèvres, lorsque
tout fut fini, je dis à Ben Gourion : « Il y a encore un point à notre ordre du
jour : le sujet nucléaire. Avant que vous n’apportiez l’agrément final,
laissez-moi m’en occuper ; je m’en charge ». Des quatre pays disposant à
l’époque de la capacité nucléaire – Etats-Unis, Union soviétique,
Grande-Bretagne et France – seule la France était disposée à nous aider…
»
Dans le documentaire, on demande à M. Pérès si Israël avait demandé un
réacteur nucléaire. Il répond : « J’ai demandé plus que ça. J’ai demandé
d’autres choses, aussi ; de l’uranium et ce genre de choses. Je suis allé auprès
de Ben Gourion, et je lui ai annoncé : « C’est arrangé. » C’est ainsi que les
choses se sont déroulées. »
M. Ben Gourion donna son accord à la
participation d’Israël à la campagne de Suez. Le 29 octobre 1956, 400
parachutistes israéliens furent lâchés au-dessus de l’ouest du Sinaï, première
phase de l’attaque contre l’Egypte.
A Paris, Jean-François Daguzan, adjoint
au directeur de la Fondation des Recherches Stratégiques, a révélé pour ce
documentaire que le marché conclu par la France avec Israël avait été gardé
secret durant près de trente ans. « Cela était notoire dans certains cercles
politiques ou militaires, mais cela n’est devenu public qu’au milieu des années
1980, après la publication d’un ouvrage consacré à cette région du monde, dans
lequel l’accord était mentionné. [Israël, Cause de la Troisième Guerre mondiale
? par Bernard Granotier, éditions L’Harmattan, ndt].
« On n’y suggérait pas
que la France avait donné à Israël sa capacité nucléaire, mais qu’elle avait
certainement aidé ce pays à l’acquérir. »
Officiellement, l’attitude d’Israël
n’a pas changé : elle consiste à ne pas confirmer, ni démentir, la fabrication
d’armes nucléaires dans son centre situé près de Dimona. Les journalistes du
pays utilisent un langage codé, et n’affirment jamais positivement qu’Israël ait
la bombe. Cette politique d’ambiguïté est délibérée ; elle vise à dissuader les
Arabes d’attaquer Israël tout en évitant d’avoir à subir les conséquences
attachées au fait de devenir une puissance nucléaire déclarée.
Ce
documentaire représente une première. Pour la première fois les médias
israéliens ont traité du sujet honnêtement. Certains commentateurs sont surpris
de voir que la censure militaire a permis à M. Karpin de poursuivre ainsi son
travail, étant donné qu’Israël détient depuis six mois un universitaire à cause
d’un ouvrage écrit sur le même sujet, et a jeté en prison Yitzhak Yaakov, un
général à la retraite, pour en avoir parlé à des journalistes.