"Je considère que tout juif de la diaspora, et donc de France, doit, partout où il peut, apporter son aide à Israël. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il est important que les juifs prennent des responsabilités politiques. En somme, dans mes fonctions et dans ma vie de tous les jours, à travers l'ensemble de mes actions, j'essaie d'apporter ma modeste pierre à la construction d'Israël." Dominique Strauss-Kahn (1991)
[Dominique Strauss-Kahn est Député du groupe Socialiste à l'Assemblée Nationale française, Membre de la commission des affaires étrangères, adjoint au Maire de Sarcelles, dans le Val-d'Oise, ancien Ministre de l'industrie et du commerce extérieur d'avril 1992 à mars 1993, ancien Ministre de l'économie, des finances et de l'industrie de juin 1997 à novembre 1999. Cette citation est extraite d'un article diffusé dans la rubrique "Réseau" de ce PiP : N° 26. Trop Proche-Orient par Slimane Zeghidour in La Vie du jeudi 11 avril 2002]
                                       
                       
Point d'information Palestine N° 224 du 08/08/2003
Newsletter privée réalisée par La Maison d'Orient - BP 105 - 13192 Marseille Cedex 20 - FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail :
lmomarseille@wanadoo.fr
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Monique Barillot (Trésorière)
Association loi 1901 déclarée à la Préfecture des Bouches-du-Rhône sous le N° 0133099659
Rédaction : Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier
                                            
  
Si vous ne souhaitez plus recevoir nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : lmomarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à un réseau strictement privé de 7331 destinataires et n'est adossé à aucun site internet.
Les propos publiés dans cette lettre d'information n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs.
Consultez régulièrement les sites francophones de référence :
http://www.solidarite-palestine.org - http://www.paix-en-palestine.org - http://www.protection-palestine.org
http://www.paixjusteauprocheorient.com - www.presse-palestine.org - http://www.vigie-media-palestine.org
http://acrimed.samizdat.net - http://www.reseauvoltaire.net - http://www.mom.fr/guides/palestine/palestine.html
                   
Au sommaire
                                   
Témoignage
- J’ai vu la Palestine par Fadi Kiblawi [traduit de l'anglais par Eric Colonna]
                               
Dernières parutions
1. Revue - Albatroz N° 33 (juillet 2003)
2. Livre - Contes populaires de Palestine de Praline Gay-Para aux éditions Actes Sud - Collection Babel
                                
Réseau
1. Campagne contre Pascal Boniface : Les gardiens de la bienséance pro-israélienne par Pascal Dillane mise en ligne le mardi 22 juillet 2003 sur le site d'Acrimed (Action Critique Média)
2. L'État binational : le loup doit vivre avec l'agneau par Uri Avnery (12 juillet 2003) [traduit de l’anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
3. Le loup, l’agneau et le serpent Ouroboros par Israël Shamir (20 juillet 2003) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                            
Revue de presse
1. Israël - La Knesset vote une loi discriminatoire par Pierre Barbancey in L'Humanité du lundi 4 août 2003
2. En quoi réside l’erreur arabe en ces temps inopinés ? par Mutâ’ Çafadiyy in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 4 août 2003 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
3. Jusqu’à quand continuerons-nous à suivre le chemin de l’illusion ? par Abdel-Aziz Ar-Rantîsî in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 4 août 2003 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
4. Philippe Séguin : "La Méditerranée attend l’équivalent d’un 'Jean Monnet' pour l’Europe" entretien réalisé par Hichem Ben Yaïche in Le Quotidien d'Oran (quotidien algérien) du dimanche 3 août 2003
5. Irak : Un parfum de guerre civile par Gilles Munier in 7 jours (hebdomadaire régional publié à Rennes) du 1er août 2003
6. Israël-Palestine Un barrage contre la paix ? Chaque kilomètre coûte 2,5 millions de dollars... par René Backmann in Le Nouvel Observateur du jeudi 31 juillet 2003
7. Les bonnes clôtures font les bons voisins par Dominique Roch sur Radio France Internationale le jeudi 31 juillet 2003
8. Réplique aux contre-vérités de mes détracteurs - Israël est un État religieux par Louis Gill in Le Devoir (quotidien québécois) du mardi 29 juillet 2003
9. Il faut sauver le "soldat Abbas" par Ridha Kéfi
in L'intelligent - Jeune Afrique du lundi 28 juillet 2003
10. Les frontières de l'arbitraire pour les Européens en Israël par Julie Kara in Libération du jeudi 24 juillet 2003
11. Critiquer Israël / Écœurement / Tradition ancienne par Bernard Langlois in Politis du mercredi 23 juillet 2003
12. Ils ont osé le faire - Quand Danone vend les eaux du Golan par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du lundi 21 juillet 2003
13. Israël à l'assaut de l'Irak par Ridha Kéfi in L'intelligent - Jeune Afrique du lundi 21 juillet 2003
14. "Les forces d’occupation l’appellent SÉCURITE, les habitants : TRANSFERT" par Amira Hass in Ha'Aretz  (quotidien israélien) du lundi 21 juillet 2003 [traduit de l'hébreu par Michel Ghys]
15. Le géopolitologue Pascal Boniface quitte le Parti socialiste par Camille Boulongne in Le Monde du samedi 19 juillet 2003
16. Le MRAP dénonce la naissance sur Internet d'"une nouvelle extrême droite arabophobe" par Sylvia Zappi in Le Monde du vendredi 18 juillet 2003
17. La fin de la solution bi-étatique ? La "barrière de séparation" inaugure une nouvelle ère dans la lutte palestinienne par Ahmad Samih Khalidi in The Guardian (quotidien britannique) du vendredi 18 juillet 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
18. La torture légalisée - La FIDH dénonce le régime " inhumain " fait aux prisonniers palestiniens et demande à l'UE de suspendre son accord  d'association avec Israël par Jean Chatain in L'Humanité du vendredi 18 juillet 2003
19. “Sharon archav ?“ par Bernard-Henri Lévy
in Le Point du vendredi 13 juin 2003
20. Ce qu’Israël fait aux Palestiniens, nous le faisons aux Irakiens par Robert Fisk in The Independent (quotidien britannique) du  samedi 12 juillet 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
21. Les (juifs) exilés d’Irak, depuis longtemps
 oubliés, aspirent à la réhabilitation par Joel Millman in The Guardian (quotidien britannique) du samedi 5 juillet 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
22. L’ombre portée de Leo Strauss par William Pfaff in The International Herald Tribune (quotidien international publié à Paris) du jeudi 15 mai 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
23. La Palestine à l'heure de la Gaule ! par Valérie Féron in l'Humanité du lundi 14 avril 2003
24. Les informaticiens de choc de Tsahal par Frédéric Magnan in Les Echos du mardi 14 janvier 2003
25. Le second Holocauste - et la complicité européenne par Ron Rosenbaum in San Francisco Chronicle (quotidien américain) du dimanche 28 avril 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
26. Trop Proche-Orient par Slimane Zeghidour
in La Vie du jeudi 11 avril 2002
27. Israël révèle comment il a acquis la Bombe par Inigo Gilmore in The Telegraph (quotidien britannique) du dimanche 23 décembre 2001 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                               
Témoignage

                      
- J’ai vu la Palestine par Fadi Kiblawi
[traduit de l'anglais par Eric Colonna]

Beyrouth Liban, 6 juillet 2003, 22ans et 3 jours après ma naissance en exil, j’ai vu ma terre natale.
Aujourd’hui, aux environs de 14h30, j’ai grimpé tout en haut d’un avant poste à la prison de Khiam, de sinistre mémoire pour ses chambres de torture durant l’occupation israélienne. Et pour la première fois, mes yeux furent invités à une vision que je ne pouvais qu’imaginer dans mes pensées auparavant. Une heure plus tard, je suis arrivé à la Porte de Fatma qui délimite la frontière entre le Liban et la Palestine.
La barrière qui se tenait devant moi, me retenait captif dans ma prison, cosmique dans une dimension physique mais constituée de mondes infiniment plus petits que la parcelle de terre entre le Jourdain et la Méditerranée. J’ai pris une pierre, les mots du poète en exil Mahmoud Darwish, résonnant dans ma tête. " Comment une pierre de notre terre construit le plafond de notre ciel ".
L’exil est un phénomène tellement absorbant, d’un caractère subjectif et d’une qualité métaphysique totalement indescriptible par des mots. Que je sois dans un tel état peut sembler inhabituel, étant donné la stabilité matérielle et politique dont j’ai pu jouir à travers mon éducation ; loin des caractéristiques définissant de la vaste majorité de mes frères palestiniens.
Il se peut que l’ordre mondial contemporain exige de moi que j’abandonne mes racines ancestrales au détriment d’une identité américaine artificielle et de son chauvinisme sociopolitique et culturel qui l’accompagne. Apparemment ce serait la voie la plus confortable, ainsi donc je défie la nature ?
Ce trait de caractère propre au Palestinien est une manifestation d’un état existentiel de dépossession…d’existence hors du temps. Ainsi, depuis ma naissance, le statut d’exilé d’une terre où je n’ai jamais vécue et que je n’ai jamais vue, a été un élément de persuasion de la reconnaissance de cette identité nationale, qui a été élaborée et s’est développée dans et en tant que résultat de l’exil. Et la dénégation d’une telle identité, bien que pas impossible (mais peut être intenable) est sûrement anormale et déraisonnable.
Etre Palestinien n’est pas un choix. C’est un fait de vie qui s’accompagne d’un désir subconscient de revenir à la terre. Donc notre simple existence est en soi une résistance ; une lutte qui ne peut s’arrêter tant que le désir n’est pas satisfait.
En 1948, David Ben Gourion, méditant sur une création coupable et ses inévitables répercussions disait ceci :
" les vieux mourront et les jeunes oublieront ". Scrutant la vallée en face de moi, je savais à cet instant que plus que jamais, il n’était aussi éloigné de la vérité. Pendant que des générations s’éteindront, d’autres générations vivront, portant en eux une identité empreinte des souvenirs de notre terre natale.
Ma main renfermant une pierre, mon esprit imprégné des mots de Darwish, je songeais à envoyer cette pierre dans le champ devant moi ; un geste symbolique. Titubant en arrière, j’ai stoppé soudainement, incapable d’achever le mouvement. Ma haine pour l’Etat qui a expulsé mes ancêtres dans les camps du Liban et a scellé notre destin dans l’exil ne pourrait pas outrepasser l’amour pour ma terre. Devant moi se trouvait mon foyer….comment pouvais je l’attaquer de cette manière. J’ai lâché le caillou et je me suis enfoncé dans ma cellule de prisonnier me promettant de revenir. J’ai continué mon trajet jusqu’au camp de réfugiés de Burj-Al-Shamali à Tyr pour rendre visite à ma famille.
Le simple fait que les réfugiés du Liban ont survécu à deux décennies d’immenses souffrances dans les camps, qu’ils accepteront seulement comme réparation le retour dans leur village en Palestine, illustre encore la base essentielle pour la réconciliation de paix .
Malgré la destruction et le dépeuplement de plus de 400 villages. Malgré les attaches fraternelles entre Sabra, Shatila, Qibya et Jenin. Malgré les routes de contournement, les checkpoints, les démolitions de maisons et les couvre feux. Malgré les hélicoptères Apache les bombes d’une tonne. Malgré une politique qui ne peut être que décrite comme sadique dans ses intentions et ses effets. tout ceci peut être surmonté malgré tout. Néanmoins, l’identité palestinienne résistera, infectant continuellement le flanc d’Israel avec une épine jusqu’à ce que son caractère de déplacement soit annulé..
22 ans et 3 jours après ma naissance en exil, j’ai vu la Palestine. 22ans et 3 jours à partir d’aujourd’hui, est que je pourrai bénéficier de mon droit au retour ? est ce que mon identité trouvera la paix ? ou est ce qu’un conflit dépossédant une génération après l’autre éternellement, brûlera pour l’intérêt d’une seule religion, quand l’inclusion est possible et une morale impérative ? [Ce témoignage est paru en anglais sur le site http://www.ramallahonline.com le 10 juillet dernier.]
 
Dernières parutions

                      
1. Revue - Albatroz N° 33 (juillet 2003)
[4 euros - 56 pages - ISSN : 0984-8993]

Les Cahiers Albatroz, "organe officiel de la littérature à l'essence de térébenthine", dont le directeur de la publication est Manuel Vaz, présentent dans cette dernière livraison, des articles consacrés à l'Irak et à la Palestine. Une revue à découvrir de toute urgence...
- Sommaire :
Comme Carthage, il faut détruire Bagdad par Mohamed Talbi
Guantanamo : Premier camp de concentration off shore de l'empire par Collectif Guantanamo
Rachel Corrie
L'échec garanti sur facture de la Feuille de route par Tanya Reinhart
Point d'information Palestine : Retour sur une campagne de diffamation
La Poésie par temps de sauvagerie par Mahmoud Darwish
Identité par Mahmoud Darwish
Poésies par Miguel Zavarof, Brás da Costa, El'Mehdi Chaibeddera, Zohra Kirad, Bruno Toméra, Jean-Christophe Ribeyre
[Albatroz - BP 404 - 75969 Paris cedex 20 - France - E-mail : manuel.vaz@revue-albatroz.com - Abonnement à 4 numéros : 16 euros]
                           
2. Livre - Contes populaires de Palestine de Praline Gay-Para
aux éditions Actes Sud - Collection Babel
[112 pages - 6 euros - ISBN : 274274150X]

- Extrait : Le roi des oiseaux
Il y avait un commerçant qui avait trois filles. Les deux aînées étaient les enfants de sa première femme. La troisième, la benjamine, était née de son deuxième mariage. La petite dernière était vraiment très belle, elle était si belle que son père l’avait nommée Sitt al-Housn, la demoiselle toute belle. Il l’aimait plus que tout au monde. Un jour, le père décide d’aller en pèlerinage. Avant de prendre la route, il appelle ses filles et leur demande :
– Que voulez-vous que je vous rapporte à mon retour ?
L’aînée dit :
– Moi je veux un bracelet en or !
La cadette dit :
– Et moi, une belle robe de soie précieuse, brodée des plus beaux motifs.
Sitt al-Housn dit :
– Père, pour moi tu ramèneras Joummâz ben Yâzoûr, le roi des oiseaux. Si tu ne me le ramènes pas, que tes chameaux s’effondrent à Akaba et qu’ils ne s’en relèvent pas !
Le père s’en va. Il voyage longtemps, il accomplit son pèlerinage et il est sur le chemin du retour maintenant.
Arrivé à Akaba, ses chameaux s’effondrent et ne se relèvent pas. Il se souvient alors de la demande de sa troisième fille :
"J’ai oublié Joummâz ben Yâzoûr, le roi des oiseaux !"
Il revient sur ses pas et fait cent fois le tour du pays. Il demande à tous ceux qu’il croise : "Savez-vous où habite Joummâz ben Yâzoûr, le roi des oiseaux ?" mais nul ne peut le renseigner.
Il rencontre enfin un vieillard qui lui indique très précisément la demeure de Joummâz ben Yâzoûr. Il lui dit :
– Quand tu arriveras devant sa porte, crie trois fois : "Joummâz ben Yâzoûr, roi des oiseaux, de ma fille tu es le cadeau !"
Le commerçant se dirige donc vers la maison que le vieillard lui a indiquée et arrive devant la porte. Il fait une chaleur caniculaire. L’homme a soif, il aperçoit une jarre d’eau. Il tend la main pour la saisir, mais la jarre se met à crier :
– Coupée soit la main de celui qui ose toucher la jarre de son maître !
Sa peur est telle, qu’il fait un bond en arrière et se met à hurler : "Joummâz ben Yâzoûr, roi des oiseaux, de ma fille tu es le cadeau ! Joummâz ben Yâzoûr, roi des oiseaux, de ma fille tu es le cadeau !" Il recule en même temps qu’il crie puis s’en va en courant pour rentrer chez lui.
Trois jours après le retour de son père, Sitt al-Housn entend, en pleine nuit, un oiseau qui frappe à sa fenêtre. Elle se lève, lui ouvre et le laisse entrer. Le visiteur bat des ailes et se métamorphose en un beau jeune homme, lumineux comme un astre. Les jeunes gens jouent, rient et prennent du bon temps, et quand le jour est sur le point de se lever le jeune homme redevient oiseau et prend son envol, lui laissant un sac d’or sous l’oreiller.
Ainsi, toutes les nuits, l’oiseau est revenu et toutes les nuits les jeunes gens ont partagé un bonheur sans égal. Tous les matins, l’oiseau est reparti et, tous les matins, il a laissé un sac d’or sous l’oreiller de la jeune fille.
Ses sœurs aînées entendent du bruit la nuit et remarquent la mine réjouie de leur benjamine. Elles se mettent à la surveiller et, une nuit, elles réussissent à rester éveillées. Elles entendent les coups de bec sur la fenêtre, elles voient Sitt al-Housn ouvrir, elles devinent la silhouette du jeune homme, elles les entendent rire tous les deux. Et quand l’oiseau a repris son envol, elles fouillent la chambre de celle-ci et trouvent le sac d’or.
La jalousie leur ronge le cœur. Elles se mettent à la questionner, l’air de rien, et elle, qui ne se méfie pas le moins du monde, répond à toutes leurs questions.
Un jour, l’aînée lui dit :
– Tu devrais demander à Joummâz ben Yâzoûr ce qu’il craint le plus au monde.
Cette nuit-là, quand l’oiseau entre chez elle, Sitt al-Housn se précipite vers lui et lui demande à brûle-pourpoint :
– Qu’est-ce que tu crains le plus au monde ?
Le jeune homme est surpris d’abord, il hésite à répondre. Elle insiste tant et tant qu’il finit par lui confier :
– La seule chose au monde que je craigne, c’est le verre brisé. Si jamais un éclat de verre me blesse, j’en mourrai.
Les sœurs qui ont l’oreille collée à la porte de la chambre entendent ce qu’elles voulaient savoir.
Le lendemain matin, quand Sitt al-Housn est loin, elles pénètrent dans sa chambre et cassent les vitres de la fenêtre.
A la tombée de la nuit, l’oiseau arrive. La jeune fille qui l’attendait lui ouvre sa fenêtre mais en entrant un éclat de verre lui blesse les pattes. Il saigne abondamment et, sans attendre, il reprend son envol et disparaît au loin.
Sitt al-Housn a le cœur serré de le voir s’en aller. A peine a-t-il disparu qu’elle l’attend déjà. Elle l’attend la nuit entière, elle l’attend deux nuits, elle l’attend une semaine, un mois. Pas un seul signe de Joummâz ben Yâzoûr. Elle finit par comprendre que ses sœurs l’ont trahie et que le jeune homme est en danger de mort.
Elle s’habille de haillons, se fait passer pour un mendiant et se met à sillonner les villes et les villages, les forêts et les campagnes à la recherche de Joummâz ben Yâzoûr.
Un jour, fatiguée de marcher, elle s’assied au pied d’un arbre. Elle entend deux colombes posées sur une branche qui discutent. L’une dit :
– Quelle affaire ! La femme de Joummâz ben Yâzoûr a voulu le tuer !
L’autre répond :
– Que la vie nous préserve du pire toi et moi ! Mais si quelqu’un a un jour l’idée d’égorger une colombe, de la saigner et de mélanger les cendres de ses plumes avec son sang, il aura trouvé le remède. Il suffira d’en enduire les jambes du roi des oiseaux pour qu’il guérisse.
Sitt al-Housn a tout entendu. Sans hésiter, elle saisit la colombe par le cou, l’égorge et la saigne. Elle brûle toutes les plumes et mélange les cendres avec le sang. Elle met le remède dans un flacon et sillonne le pays de long en large en criant à tue-tête : "Je suis le médecin qui guérit tous les maux !"
Un jour, elle passe devant une maison où des jeunes filles, assises sur le bord de la fenêtre, sont en train de pleurer. Quand elles entendent Sitt al-Housn, elles l’appellent :
– Notre frère est gravement malade et nul ne parvient à le guérir.
Ce sont les sœurs du roi des oiseaux.
Sitt al-Housn s’installe au chevet de Joummâz ben Yâzoûr. Elle soigne ses blessures et le veille nuit et jour pendant deux semaines. Quand il reprend conscience, il la reconnaît.
– Tu m’as trahi, lui reproche-t-il.
– Je n’y suis pour rien, lui répond-elle, ce sont mes sœurs qui t’ont tendu un piège.
– Ce n’est rien. C’est fini maintenant.
Quand les sœurs du roi des oiseaux découvrent que Sitt al-Housn est sa bien-aimée et qu’il souhaite l’épouser, elles vont immédiatement trouver la jeune fille et lui disent :
– Si tu veux épouser notre frère tu dois d’abord balayer et dépoussiérer toute la ville !
Elle se met à pleurer. Joummâz ben Yâzoûr lui dit :
– Sèche tes larmes. Tu vas aller au sommet de la montagne et tu vas crier : "Hé la chose, va balayer ! Hé la chose, va dépoussiérer !"
Sitt al-Housn escalade donc la montagne et, quand elle arrive au sommet, elle se met à crier :
– Hé la chose, va balayer ! Hé la chose, va dépoussiérer !
Et, en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, la ville est entièrement propre, balayée et dépoussiérée.
Mais les sœurs du roi des oiseaux ne sont pas encore satisfaites. Elles vont trouver Sitt al-Housn et lui disent :
– Si tu veux épouser notre frère, tu dois apporter autant de plumes qu’il faut pour remplir dix matelas de mariage.
Elle va immédiatement pleurer chez Joummâz ben Yâzoûr.
– Arrête de pleurer. Tu vas retourner au sommet de la montagne et tu vas crier trois fois : "Joummâz ben Yâzoûr, le roi des oiseaux, est mort !"
Sitt al-Housn escalade la montagne et, quand elle arrive au sommet, elle se met à crier à tue-tête :
– Joummâz ben Yâzoûr, le roi des oiseaux, est mort ! Joummâz ben Yâzoûr, le roi des oiseaux, est mort ! Joummâz ben Yâzoûr, le roi des oiseaux, est mort !
Elle n’a pas encore fini que tous les oiseaux du ciel se rassemblent et se posent autour d’elle. Ils se mettent à pleurer et à gémir et, tout en se lamentant de la perte de leur roi, ils s’arrachent les plumes en signe de deuil. Le sol est immédiatement recouvert d’un tapis de plumes.
La jeune fille n’a plus qu’à les ramasser.
Sitt al-Housn, radieuse, donne les plumes aux sœurs du jeune homme, mais celles-ci s’empressent de lui dire :
– Ne te réjouis pas encore. Si tu veux devenir la femme de notre frère, tu dois nous apporter le plateau de paille de l’ogresse.
Elle va de nouveau pleurer dans les bras de Joummâz ben Yâzoûr.
– Arrête donc de pleurer, il n’y a rien de plus facile. Tu vas aller chez l’ogresse et là tu trouveras de l’orge devant les lions et de la viande devant les chevaux. Tu mettras la viande devant les lions et l’orge devant les chevaux, ensuite tu verras la terrasse qui est en train de s’écrouler. Répare-la avant d’entrer dans la maison. Là tu décrocheras tout doucement le plateau de paille qui pend au mur. Fais très attention. Si jamais il heurte le mur, le bruit réveillera l’ogresse.
Sitt al-Housn se rend chez l’ogresse et fait exactement ce que le roi des oiseaux lui a dit de faire. Elle met l’orge devant les chevaux, elle met la viande devant les lions, elle répare la terrasse et, au moment où elle entre dans la maison, elle voit l’ogresse qui dort. Elle est prise de peur, elle tremble de tout son corps. Elle tend une main fébrile vers le plateau en paille et, juste quand elle le décroche, il heurte le mur. Le monde se met à trembler et l’ogresse est réveillée. La jeune fille saisit le plateau et part en courant, suivie de l’ogresse qui tente de la rattraper. L’ogresse a du mal à la suivre, elle hurle alors :
– Terrasse, attrape-la !
Et la terrasse répond :
– Jamais de la vie ! Je m’écroule depuis vingt ans et elle m’a réparée !
– Chevaux, attrapez-la !
– Jamais de la vie ! Nous n’avions pas goûté à l’orge depuis vingt ans et elle nous a nourris !
– Lions, attrapez-la !
– Jamais de la vie ! Nous n’avions pas goûté à la viande depuis vingt ans et elle nous a nourris !
Ainsi, l’ogresse n’a jamais pu mettre la main sur la jeune fille.
Sitt al-Housn rentre et donne le plateau en paille de l’ogresse aux sœurs de Joummâz ben Yâzoûr. Celles-ci sont satisfaites. La jeune fille a accompli toutes les épreuves, elle peut devenir leur belle-sœur. Ils ont célébré les noces ; Sitt al-Housn a épousé Joummâz ben Yâzoûr, le roi des oiseaux. Il l’a installée sur ses ailes et il s’est envolé. L’oiseau s’est envolé et je vous souhaite une bonne soirée.
                                 
Réseau

                                          
1. Campagne contre Pascal Boniface : Les gardiens de la bienséance pro-israélienne par Pascal Dillane
mise en ligne le mardi 22 juillet 2003 sur le site d'Acrimed (Action Critique Média) http://acrimed.samizdat.net
Annonçant la démission du PS du chercheur Pascal Boniface, Libération et Le Monde charcutent soigneusement ses propos.
Le chercheur Pascal Boniface a annoncé sa démission du Parti socialiste. Ce spécialiste des questions internationales, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), était chargé des questions stratégiques au PS quand, en avril 2001, il remettait a la direction du Parti une note dont le grand public apprendra l'existence - à défaut du contenu - l'été suivant, à la faveur d'une passe d'armes entre l'auteur et l'ambassadeur d'Israël dans les colonnes du Monde [1]. Depuis, la polémique ne s'est pas apaisée [2]. Et Pascal Boniface revient sur cette affaire dans un livre (Est-il permis de critiquer Israël ?, Robert Laffont, 2003), où est reproduite la fameuse note [3].
Annonçant le départ de Boniface du PS, Libération (18 juillet 2003) et Le Monde (19 juillet 2003) retracent d'une bien curieuse façon les termes du débat.
Première curiosité, dans Libération : le 18 juillet, l'article dans l'édition papier était titré : " Israël provoque des remous au PS ", mais quand nous consultons, le 21 juillet, le site internet de Libération, le titre est devenu : " Israël fait claquer la porte du PS ".
Le contenu même de l'article est bien plus intriguant. Pour expliquer les raisons de la démission de Boniface, Jean-Dominique Merchet écrit que le chercheur " accuse le PS, dont il est membre depuis 1980, de "communautarisme" - comprendre d'un alignement excessif sur les positions pro-israéliennes de la communauté juive. "
Passons sur " les positions pro-israéliennes de la communauté juive ", un raccourci qui peut apparaître a la fois simpliste et globalisant.
Plus important, le " communautarisme " du PS est en effet le motif mis en avant par Boniface. Pour lui (on peut le lire dans sa fameuse note comme dans son récent livre), la politique internationale d'un pays ne doit pas s'ajuster selon le poids de ses différentes " communautés " mais se fonder sur des principes universels (droits de l'homme, droit international...).
Il est donc pour le moins abusif de la part de Jean-Dominique Merchet de réduire cette thèse à la question de l' " alignement " du PS sur les " positions pro-israéliennes " supposées de la " communauté juive ". D'ailleurs, dans Le Monde, Camille Boulongne écrit, lui, que Boniface reproche au PS " de privilégier "ceux qui ont une lecture ethnique du conflit israélo-palestinien" ".
Mais Libération et Le Monde se rejoignent pour présenter de façon biaisée le contenu de la note d'avril 2001. Le premier écrit que Boniface " s'interroge, dans sa note interne destinée à François Hollande et Henri Nallet, chargé des affaires internationales au PS, sur "l'efficacité électorale" des positions du parti, jugées trop favorables à Israël alors que l'électorat d'origine arabe pèse de plus en plus lourd. " Tandis que le quotidien du soir prétend que Boniface " s'interroge sur l'"efficacité" d'une ligne politique jugée trop favorable à l'Etat juif alors que l'influence de l'électorat originaire de pays soutenant la cause palestinienne va grandissante. "
En réalité, la question électorale n'est abordée que secondairement dans cette note - Boniface n'est pas politologue mais expert en questions internationales et stratégiques. La note traite essentiellement des critères a appliquer au conflit israélo-palestinien, qui devraient être les mêmes que pour toutes les autres crises internationales : Boniface met en garde contre le " deux poids-deux mesures ".
Libération écrit ensuite : " "Peut-on diaboliser Haider et traiter normalement Sharon ?" demande-t-il dans ce texte, en mettant sur le même plan le leader de l'extrême droite autrichienne, connu pour ses positions ambiguës sur le nazisme, et un dirigeant israélien. "
En realité, voici la phrase écrite par Boniface : " Peut-on diaboliser Haider et traiter normalement Sharon, qui ne s'est pas, lui, contenté de dérapages verbaux mais est passé aux actes ? " (le mot "diaboliser" est en italiques). Dans son livre récemment paru, Boniface est plus précis, rappelant notamment que le gouvernement Sharon comporte des représentants de partis d'extrême droite.
A la lecture de la note, on voit bien que cette phrase n'est qu'une incidente et non pas un argument décisif du développement. Mais très curieusement, Le Monde, qui ne cite pourtant que deux très courts extraits d'une note de six pages, a retenu le même passage que Libé, celui sur Haider.
Encore plus fort : Le Monde tronque la phrase exactement de la même façon que Libération : " "Peut-on diaboliser Haider -le dirigeant populiste autrichien dont on rappelait alors les ambiguïtés par rapport au nazisme- et traiter normalement Sharon ?", demandait-il. "
La méthode est connue : elle consiste, pour discréditer un propos, à ne surtout pas faire état de son argumentation principale, mais à focaliser l'attention sur deux ou trois extraits périphériques, courts et le plus souvent tronqués, qu'on noircira par une interprétation aux apparences pédagogiques. Le tout suffisant à démolir l'ensemble pour le lecteur qui n'en a pas eu directement connaissance.
Dans Libération, pour couronner le tout, un encadré offre une lecture tout aussi orientée du livre Est-il permis de critiquer Israël ? L'auteur de l'article ironise : ce livre et les témoignages que Boniface rapporte montrent qu' " il n'est aujourd'hui pas si difficile de critiquer Israël ".
C'est prendre les lecteurs pour des imbéciles. En effet, ce que Boniface explique, de nombreux exemples à l'appui, c'est que, depuis quelques temps, émettre publiquement des désaccords à l'égard de la politique du gouvernement israélien, c'est s'exposer quasi-systématiquement à l'accusation d'antisémitisme, voire, comme dans son cas, à une campagne de dénigrement qui peut aller jusqu'à l'interdit professionnel. Toutes méthodes qui n'ont rien à voir avec le débat démocratique.
L'auteur de l'article ne fait pas défaut à la règle, qui, au lieu de commenter le contenu de l'ouvrage, choisit quelques passages sur lesquels il tente difficilement d'étayer l'accusation d'antisémitisme. Si Boniface écrit : " Je ne crois pas à l'existence d'un lobby juif ", Jean-Dominique Merchet commente : " la lecture de l'ouvrage laisse souvent l'impression du contraire ". Que Boniface explique qu'en France la discrimination frappe davantage les Arabes que les Juifs, et démontre que les agressions antisémites sont instrumentalisées par les ultras pro-israéliens, et Merchet tranche : " son acharnement à minimiser la " judéophobie " en France n'est guère raisonnable."
Les écrits de Pascal Boniface peuvent, comme bien d'autres, prêter à discussion - et ce n'est pas ici notre propos. Encore faudrait-il qu'ils soient rapportés honnêtement, et que certains journalistes ne rendent pas la discussion impossible en se comportant en petit procureurs.
- Notes :
[1] " Lettre à un ami israélien ", par P. Boniface, 4 août 2001 ; " Propos d'un " ami " français ", par Elie Barnavi, 7 août 2001 ; " Est-il interdit de critiquer Israël ? ", par P. Boniface, 30 août 2001.
[2] Voir par exemple dans Le Monde diplomatique " Au nom du combat contre l'antisémitisme ".
[3] Lire quelques articles à propos du livre : L'Humanité, Le Monde des livres, Bernard Langlois dans Politis, Alfred Grosser dans L'Express.
                           
2. L'État binational : le loup doit vivre avec l'agneau par Uri Avnery (12 juillet 2003)
[traduit de l’anglais par R. Massuard et S. de Wangen]

Voici une version mise à jour d'un article que j'ai écrit il y a deux ans et qui a été publié dans le réputé "Journal of Palestine Studies", lequel paraît aux États-Unis sous les auspices de UC Berkeley.
«Le loup doit vivre avec l'agneau», a dit le prophète Isaïe (11/6). C'est possible à notre époque aussi - pourvu que vous apportiez un nouvel agneau chaque jour.
Cette plaisanterie cruelle me revient à l'esprit chaque fois que l'idée d'un État binational réapparaît.
Dans les périodes de désespoir, les idées messianiques fleurissent. Elles permettent de s'échapper du sombre présent pour aller vers un monde meilleur, plus lumineux; de passer d'un sentiment d'impuissance à une sensation de créativité.
Il n'est pas étonnant que, dans ces périodes noires, l'idée binationale refasse surface dans certains cercles israéliens de gauche. C'est une belle et noble idée imprégnée de foi en l'humanité. Mais, comme la prophétie d'Isaïe, c'est une idée pour les jours du messie. Si elle avait la moindre chance de se réaliser, ce pourrait être dans deux ou trois générations. En attendant, elle est vraiment une fuite en avant. Une fuite dangereuse, comme nous allons le voir.
Selon l'idée binationale, le territoire entre la mer Méditerranée et le Jourdain - Palestine/Eretz Israel - constituera de nouveau un État, comme à l'époque du mandat britannique avant 1948. Les Israéliens et les Palestiniens, Juifs et Arabes, vivront ensemble comme des citoyens égaux. La forme exacte du régime - binational ou non national - est secondaire.
Tous les citoyens voteront pour le même parlement et le même gouvernement, serviront dans la même armée et la même force de police, paieront les mêmes impôts, enverront leurs enfants aux mêmes écoles, utiliseront les mêmes manuels scolaires. Une idée séduisante, certes.
Il peut sembler étrange que cette vision idéaliste réapparaisse juste maintenant après qu'elle eut échoué dans le monde entier. L'Union soviétique multinationale a disparu, et maintenant, même la fédération russe multinationale est menacée d'éclatement (voyez la Tchétchénie). Non seulement la Yougoslavie s'est désintégrée, mais c'est également le cas de ses composantes. La Bosnie a ainsi éclaté et ses morceaux ont été recollés artificiellement, des soldats étrangers essayant de maintenir la paix à tout prix. La Serbie a été obligée d'abandonner complètement le Kosovo même si ce dernier en fait toujours formellement partie, et l'intégrité de la Macédoine est compromise. Depuis longtemps maintenant, l'unité du Canada est menacée par des mouvements à l'intérieur de la population francophone. Chypre unifié, avec sa Constitution binationale modèle, n'est plus qu'un souvenir. Et la liste est longue: l'Indonésie, les Philippines et de nombreux autres pays, sans parler de notre voisin, le Liban.
Mais nul besoin de regarder bien loin. Notre propre réalité suffit. Les racines immédiates du conflit israélo-palestinien remontent à plus de cent ans. Une cinquième génération est née dedans et tout son monde mental a été modelé par ce conflit. Fondamentalement, il est une confrontation entre le mouvement sioniste et le mouvement national arabe palestinien. Au bout de cent ans, la force du sionisme est loin de s'émousser. Sa principale expression - expansion, occupation et colonisation - est en plein mouvement de va-et-vient offensif. Du côté palestinien, le nationalisme (y compris dans sa version islamique) s'approfondit et s'affirme martyr après martyr. Il faut avoir une vraie foi pour croire que ces deux peuples nationalistes abandonneront l'essence de leurs espoirs et passeront de l'inimitié totale à la paix totale, abandonneront leur version nationale de l'Histoire et seront prêts à vivre ensemble en citoyens supranationaux (supra-communautaires, NdT).
Le vingtième siècle a vu plusieurs «utopies» qui ont causé de terribles ravages. La vision communiste, par exemple, était basée sur l'hypothèse qu'il existe un être humain parfait ou que les humains sont perfectibles. Elle s'est heurtée à la réalité de l'imperfection des êtres humains. Comme me l'a dit un jour le dirigeant post-communiste Gregor Gysi: «Nous avons essayé d'imposer le système parfait à des êtres humains imparfaits. Alors nous avons essayé de l'imposer par la force.» Ainsi est né un système de terreur et des millions de personnes ont été massacrées, de l'Ukraine au Cambodge.
Il faut poser trois questions essentielles :
1. Les deux parties accepteront-elles cette solution ?
2. Un État binational peut-il fonctionner ?
3. Mettra-t-il fin au conflit ?
Ma réponse aux trois questions est un «non» sans réserve.
Il n'y a aucune chance que la génération israélienne actuelle post-Holocauste et les suivantes acceptent cette solution qui est en contradiction absolue avec le mythe et la philosophie d'Israël. L'objectif des fondateurs de l'État d'Israël était que les Juifs - ou une partie d'entre eux - puissent au moins prendre leur destin en mains. Un État binational signifierait l'abandon de cet objectif et, en pratique, le démantèlement d'Israël lui-même. Les Juifs reviendraient à l'expérience traumatique d'un peuple sans État, avec tout ce que cela implique. Et ce ne serait pas le résultat d'une défaite militaire écrasante mais d'un libre choix. C'est peu probable.
Et qu'en est-il pour les Palestiniens? Certains Palestiniens parlent certes avec ferveur d'un État binational mais je crois que, pour certains d'entre eux au moins, ce n'est qu'un nom de code pour l'élimination de l'État d'Israël, et pour d'autres une fuite devant l'amère réalité vers le rêve de revenir dans leurs maisons et leurs villages d'autrefois. Mais la grande majorité du peuple palestinien veut vivre enfin dans un État national qui lui soit propre, un État qui exprime son identité nationale, sous son drapeau et avec son gouvernement, comme les autres peuples.
La probabilité que les deux nations acceptent l'idée binationale dans un avenir prévisible est faible.
Un tel État - s'il voyait le jour - pourrait-il fonctionner ?
Il n'y a presque aucun État binational dans le monde qui fonctionne vraiment bien. (Ai-je mentionné la Suisse?) Parce que, pour fonctionner correctement, une de ces deux conditions doit être remplie: soit toutes les parties abandonnent leur identité nationale, soit elles doivent avoir un pouvoir économique et politique équivalent.
C'est exactement le contraire dans ce pays. Il y a une inégalité béante entre Israéliens et Palestiniens dans presque tous les domaines. La disparité est énorme. Dans un État commun, s'il devait voir le jour, les Juifs domineraient l'économie et presque tous les autres aspects de l'État et essaieraient par tous les moyens de maintenir cette situation. Ainsi un État binational serait un régime d'occupation sous une nouvelle forme qui masquerait à peine une réalité d'exploitation et de répression économique, culturelle et probablement politique. La situation des citoyens arabes en Israël, après 55 ans, n'est pas très encourageante.
Donc je ne crois pas que cette solution, si même elle était possible, mettrait fin au conflit. Elle ne ferait que le mettre sur une voie différente, peut-être encore plus mauvaise et plus violente.
Tout ceci est évidemment bien connu des partisans de l'idée binationale. Pour échapper à la contradiction entre leur vision et la réalité, ils ont développé une théorie qui dit à peu près ceci:
Au début, l'État commun se présentera comme une sorte d'État d'apartheid mais la situation changera graduellement. À la longue, les Arabes deviendront la majorité dans cet État. Déjà maintenant quelque 5,4 millions de Juifs et 4,6 millions d'Arabes palestiniens vivent entre la Méditerranée et le Jourdain. Le taux de natalité arabe modifiera rapidement cette proportion. La majorité palestinienne se battra pour l'égalité. Le monde la soutiendra, comme il a soutenu la lutte sud-africaine contre l'apartheid. Ainsi nous parviendrons à un véritable État égalitaire.
C'est un rêve. Les racistes blancs en Afrique du Sud étaient détestés par le monde entier. Contrairement aux Juifs israéliens, ils n'avaient aucune base arrière puissante. La communauté juive américaine a une immense puissance politique, économique et médiatique, et elle ne va pas la perdre avant de nombreuses années. Israël continue - et continuera encore longtemps - à compter sur le sentiment de culpabilité du monde chrétien inspiré par l'holocauste. Et en même temps les Arabes deviennent de plus en plus la bête noire du monde occidental. Il sera vraiment difficile d'exercer une pression internationale pour influencer la communauté juive qui dominera l'État binational. Cela prendra des générations et, pendant ce temps, l'expansion des colonies se poursuivra sans arrêt. Dans un État binational, chaque Juif pourra, bien sûr, s'installer où il veut. Les Palestiniens continueront à perdre sur le plan économique et le fossé entre les deux peuples s'approfondira.
On peut prédire que la lutte pour le pouvoir dans l'État binational générera des violences graves, comme cela s'est produit en Afrique du Sud.
La conclusion est: il faut deux États pour deux peuples. Cette solution permettra aux sentiments nationaux des deux peuples d'emprunter une voie raisonnable, constructive, qui rendra possible la coexistence, la coopération et, finalement, une véritable réconciliation.
La structure politique indépendante de l'État de Palestine mettra à sa disposition des instruments internationaux et nationaux contre le risque que son très puissant voisin utilise sa puissance économique pour exploiter le peuple palestinien et même l'expulser. À la longue, les Palestiniens auront le sentiment de disposer d'une base solide, comme ce fut le cas des Juifs après l'établissement de l'État d'Israël.
Le passé récent a montré que même cet objectif est extrêmement difficile à réaliser. Nous avons encore à surmonter beaucoup de peur mutuelle, de haine, de mythes et de préjugés pour y parvenir. Mais ceux qui désespèrent devant ces obstacles et adoptent l'évangile binational font penser à un athlète qui ne peut gagner le 100 mètres et qui, du coup, s'inscrit pour le marathon.
La propagation même de l'idée binationale présente un grand danger. On dit que «le mieux est l'ennemi du bien». La seule évocation de la vision binationale effraiera la grande majorité des Israéliens qui se rapprochent lentement de l'acceptation de la solution des deux États, réveillera leurs angoisses existentielles les plus profondes et les poussera dans les bras de l'extrême droite. Elle donnera à la droite une arme puissante: «Que vous avions-nous dit? Le but réel des partisans de la solution des deux États est d'abolir par étapes l'État d'Israël!»
Certains des nouveaux avocats de la solution binationale utilisent un argument très bizarre. Ils disent: «Sharon déclare qu'il est pour la solution de deux États, mais il entend par là quelques enclaves représentant 50% des Territoires occupés. Donc nous ne devons pas soutenir l'établissement d'un État palestinien.» La réponse est simple: devrions-nous abandonner une idée bonne et positive uniquement parce que les ennemis de la paix la pervertissent et essaient de l'utiliser à leurs fins? La logique pousse au contraire à montrer la perversion de l'idée par Sharon et à combattre pour un État palestinien dans les frontières d'avant 1967.
Au début des années 50, quand nous avons relancé, après la guerre de 1948, l'idée de deux États, nous ne parlions pas de «séparation». Aujourd'hui aussi nous rejetons absolument ce terme. Nous parlons de deux États ayant une frontière ouverte entre eux, avec la libre circulation des personnes et des marchandises (soumise bien sûr à des accords mutuels). Je suis convaincu que, à la lumière des faits géographiques et politiques, un processus naturel conduira à un ensemble organique - peut-être une fédération - et plus tard, par consentement mutuel, à une communauté régionale comme l'Union européenne.
A la fin, nous nous rapprocherons de l'objectif: vivre ensemble en paix, côte à côte. Peut-être qu'une génération future décidera un jour de vivre dans un État unifié. Mais aujourd'hui la propagande pour cette utopie détourne l'attention de l'objectif pratique immédiat, à un moment où le monde entier a accepté l'idée de «deux États pour deux peuples». Cette utopie à long terme bloque la voie à une solution que l'on peut atteindre dans un proche avenir et qui est cruellement nécessaire, parce que pendant ce temps des «faits accomplis» sont créés.
Je suis convaincu que le XXIe siècle apportera de grands changements dans la structure du monde et dans le mode de vie de la société humaine. L'importance de l'État-nation diminuera graduellement. Un ordre mondial, un système juridique mondial et des structures à l'échelle mondiale joueront un rôle central. Je crois qu'Israël prendra part de tout cœur à la marche de l'humanité. Nous ne serons pas en retard. Mais il n'y aucun sens à attendre des Israéliens qu'ils aient cinquante ans d'avance sur leur époque.
                                           
3. Le loup, l’agneau et le serpent Ouroboros par Israël Shamir (20 juillet 2003)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Pourquoi ne pas appliquer partout la Solution à Deux Etats proposée par Avnery, dès lors qu’elle serait réalisable en Palestine ?…
Ayant souvent l’occasion de rencontrer Uri Avnery lors de manifestations en Israël et dans des villages palestiniens, j’en suis venu à admirer tant l’octogénaire ingambe que le symbole du camp israélien de la paix. Mais j’aime encore plus le lire, pour sa plume déliée et sa faconde capable de rendre digestes jusqu’aux idées les moins acceptables qui soient.
Bertolt Brecht a écrit : un propagandiste idéal pourrait faire lécher de la moutarde à un chat, fût-ce en administrant au pauvre animal un lavement à la moutarde. Le dernier article d’Avnery, intitulé "L'État binational : le loup doit vivre avec l'agneau" [1] est un exercice du même genre : il veut nous voir aimer et admettre l’Etat juif, car (prétend-il), le sort des Palestiniens serait (encore) pire, n’eût-il existé.
Pourquoi serait-il préférable, pour les Palestiniens, d’être enfermés dans leurs minuscules enclaves, plutôt que d’être les citoyens égaux de la Palestine dans son entièreté ? En une pirouette périlleuse, Avenery marque une nouvelle révolution dans le discours public et proclame : les juifs ne peuvent vivre avec des non-juifs. Le Juif et le Goy sont comme le loup et l’agneau ; si vous voulez que le Loup habite avec l’Agneau, prière de fournir un nouvel agneau chaque jour. Il y avait, j’imagine, une petite divergence d’opinion sur qui des deux était un loup (les sionistes classiques revendiquaient la peau du mouton), mais Avnery ne nous laisse aucun doute possible : s’ils vivent ensemble, le Goy se fera avoir par le Juif. Selon ses propres termes, « Dans un Etat commun, s’il doit y en avoir un jour, les Juifs domineront l’économie et la plupart des autres aspects de l’état, et ils feront tout afin de préserver leur situation. »
Eh bien, dites-moi : n’est-ce pas là ce que pensent bien des gens, dans bien des pays ? Ils font remarquer la domination juive sur Hollywood et les médias, ainsi que dans la banque et les finances, depuis Moscou, avec ses oligarques, jusqu’à New York et Washington, et ils concluent, à l’instar d’Avnery : les juifs ne peuvent vivre dans un seul Etat avec les non-juifs, car les juifs finiront par dominer l’économie et la plupart des autres manifestations de l’Etat [2]. Généralement, ces gens en appellent au transfert des juifs, eux aussi. Toutefois, jusqu’à la publication récente de l’article sismique d’Avnery, cette opinion était efficacement bannie de la grande majorité des sites Internet et des médias imprimés. Aujourd’hui, Counterpunch a mis cette opinion à la disposition du lecteur averti, et aucun des affidés du gang de l’AntiDefamation League n’a exprimé ni choc ni dissentiment. Et il est de fait que si vous soutenez le sionisme, vous pouvez exprimer toutes les opinions possibles et inimaginables, même celle voulant que « les juifs ne peuvent  vivre dans un même Etat avec des non-juifs. »
L’Etat juif d’Amérique (Jewish State of America – JSA) n’a pas besoin d’être d’un seul tenant : il peut utiliser le modèle créé par les juifs pour les goyim de Palestine. Toutefois, les citoyens des JSA ne devraient pas avoir le droit de voter aux Etats-Unis, ni d’influencer le discours politique de ce pays, ni d’y détenir des biens, afin d’obtempérer pleinement aux idées d’Avnery sur la Palestine. Leurs propriétés à l’extérieur des frontières doivent être traitées de la même manière que l’Etat juif en Palestine a traité les biens des Gentils. Cela résoudra le principal problème qui se dresse sur le chemin de la démocratie en Palestine, telle que portraiturée par Avnery, à savoir le fait que « la communauté juive américaine détient une immense puissance politique, économique et médiatique, et elle n’est pas prête à y renoncer avant longtemps ». La puissance de la communauté juive américaine, confinée à l’intérieur des frontières des JSA, importerait peu au reste du monde. Cela résoudra le second problème soulevé par Avnery : « Les Arabes sont de plus en plus les marionnettes de l’Occident » car, les juifs ayant été précautionneusement enfermés dans les JSA, les Etats-Unis pourront s’occuper de leurs propres intérêts et deviendront les meilleurs amis des Arabes.
Si cela ne suffisait pas, des Etats juifs peuvent être créés ailleurs, aussi (pourquoi pas ?) : l’Etat juif de France, l’Etat juif de Russie, l’Etat juif d’Allemagne… car l’approche avnérienne de la Palestine renferme un message universel. (Les Allemands ont, effectivement, tenté de créer un Etat juif en Pologne, probablement pour les mêmes raisons altruistes ?)
C’est alors que nous serons à même de déconstruire l’Etat juif en Palestine. Les nationalistes juifs extrémistes  des colonies feront leur baluchon et prendront le chemin du retour vers Brooklyn (qui fera, n’en doutons pas, partie intégrante des JSA…), tandis que des millions d’habitants ordinaires de la Palestine, d’origine juive ou autre, pourront vivre ensemble en paix.
II - En effet, la construction astucieuse d’Uri Avenery est bâtie sur un mirage.
Avnery dit : « D’après l’idée bi-nationale, le territoire situé entre la Méditerranée et le Jourdain – la Palestine / Eretz Israel – constituera à nouveau un seul Etat, comme à l’époque du Mandat britannique, avant 1948. » Mais il ne s’agit absolument pas d’une « idée » novatrice : c’est la seule et triste réalité existant sur le terrain. L’Etat d’apartheid réellement existant occupe le territoire, si bien que cet Etat doit être démocratisé, et non pas créé (ça, c’est déjà fait…)
Il dit aussi : « A la base, il s’agit d’un clash entre le mouvement sioniste et le mouvement national arabo-palestinien, c’est une guerre entre deux peuples nationalistes ». Voilà une tentative de créer un symétrie là où n’y en a aucune. Les Palestiniens sont un peuple réellement existant, doté de sa langue, de sa littérature, de sa culture, cultivant ses oliviers sur ses propres terres. Ils n’ont que faire du nationalisme. Les « juifs d’Israël » ne sont rien, sans leur idéologie sioniste, méli-mélo d’immigrants divers dépourvus d’un quelconque élément unifiant. C’est la raison pour laquelle la comparaison établie par Avnery avec Chypre, la Yougoslavie, la Russie ou le Canada est trompeuse. Désionisés, les « juifs d’Israël » deviendraient des Palestiniens, à l’instar des juifs américains, lesquels, désionisés, deviendraient tout simplement des Américains. Mais en aucun cas ils ne peuvent créer une nouvelle nation.
Non seulement la position d’Avnery est immorale, puisqu’il préconise l’égalité pour les juifs partout ailleurs qu’en Palestine – et leur suprématie, en Palestine – mais un Etat juif est une impossibilité, car dans tout Etat, il faut bien que quelqu’un bosse. Et je n’entend pas par là « travailler » dans la publicité, les soldes, l’immobilier et les services d’espionnage et de surveillance. Dans l’Etat juif établi en (sur la ?) Palestine, qui bosse ? Les Palestiniens, et des Chinois, des Thaïs et des Russes importés !
Le montage de bric et de broc s’effondre. La communauté russe d’Israël, forte d’un million d’âmes, est de plus en plus agitée. « Les élites israéliennes nous ont mis sur la paille. Ils ont sucé notre sang au moyen de leurs projets immobiliers ; ils nous tiennent avec leurs prêts hypothéqués, tout en nous tenant à distance de toutes les positions de réelle influence dans la société », écrit dans un éditorial Globus, un hebdomadaire russe habituellement docile. Tout aussi remuants sont les Nord-Africains, représentés par la « marche des mères isolées », car les néolibéraux Bibi Netanyahu et Ariel Sharon ont détourné l’approche habituelle qu’ont les juifs des goyim et l’ont appliquée à l’intérieur de l’ainsi dénommée « communauté juive » afin d’en pressurer jusqu’à consommation finale les éléments les plus faibles.
Le Loup a (encore) à manger ; lorsqu’il n’aura plus d’agneaux, il se bouffera lui-même, en commençant par sa queue, plus faible. Ce ne sera plus un Loup, mais plutôt un Ouroboros, ce serpent emblématique de l’Egypte et de la Grèce antiques, représenté la queue dans la gueule et se dévorant lui-même indéfiniment. Désormais, l’Ouroboros juif s’est d’ores et déjà dégluti lui-même jusqu’au cou. La solution « à deux Etats » d’Avnery est une manière de renforcer les positions de contrôle de la vieille élite ashkénaze, mais elle ne tient pas la route. La création de l’Etat juif fut une expérience géante, qui a apporté la preuve de la futilité d’une telle idée. Elle a démontré elle même, par l’absurde, son inanité et elle a révélé la véritable dichotomie du monde : non pas les juifs par opposition aux Gentils, mais les Loups par opposition aux Agneaux. Au lieu de créer un Etat des Loups, nous devons édenter les loups et vivre pacifiquement ensemble – en Palestine, aux Etats-Unis, en France et partout ailleurs.
III - Trop d’éléments, dans les écrits d’Avnery, viennent nous le rappeler : le sionisme et le nazisme sont nés d’un même désir de combattre le communisme. Il écrit :
« Le vingtième siècle a connu plusieurs « utopies » qui ont causé de terribles désastres. La vision communiste, par exemple, était basé sur la présomption qu’un être humain parfait existe ou que les êtres humains sont perfectibles. Elle s’est fracassée sur la réalité des êtres humains, qui sont imparfaits. Comme me le dit un jour le dirigeant (est) allemand post-communiste Gregor Gysi : « Nous avons tenté d’imposer un système parfait à des êtres humains imparfaits. Aussi avons-nous dû essayer de l’imposer y compris au moyen de la force. » C’est ainsi qu’un système de terreur vit le jour, et des millions de personnes furent exterminées, depuis l’Ukraine jusqu’au Cambodge ».
Comme si le système ô combien imparfait des adorateurs de Mammon, repus de consumérisme, d’égoïsme et d’aliénation, n’avait pas été imposé par la force ! Comme si le système de terreur instauré par les Etats-Unis n’avait pas massacré des millions d’êtres humains depuis Hiroshima jusqu'au Guatemala ! La préférence que manifeste Avnery pour l’anti-utopie sioniste me rappelle cet homme qui préféra épouser une mocheté au motif que la beauté est périssable !
Le sionisme est éminemment protéiforme. Il étend ses propagules dans toutes les options philosophiques. Il est représenté à l’extrême droite, qui dit « Sauver Israël est encore plus essentiel que défaire la gauche », et « Nous ne devons à aucun prix baisser la garde dans notre bataille contre le marxisme culturel, mais plus urgente encore que la guerre contre le marxisme est la nécessité de sauver Israël de ses propres dirigeants et de sa destruction totale [3] ». Il est présent dans la gauche, qui dit : « La cause d’Israël est la quintessence de la lutte marxiste de libération [4] ». Il est représenté par Jared Israel et une pléthore d’autres « libertaires », par les anarchistes d’Antifa, par les analystes financiers du Wall Street Journal et par certains pseudo-communistes d’Europe orientale, vieux potes de feu Robert Maxwell, agent notoire du Mossad. Si le sionisme n’était pas représenté dans la lutte extrêmement importante – primordiale – pour la Palestine, cela serait bien étonnant. Hélas, l’article d’Avnery confirme que le brave homme est un représentant de la ligne sioniste dans le camp de la paix. Cela ne doit aucunement nous surprendre, dès lors qu’il a attaqué un quotidien israélien qui l’avait qualifié de « non sioniste » et qu’il a gagné son procès ! Facétieux, Uri Davis l’a qualifié « d’unique citoyen juif de l’Etat d’Israël à même de produire un procès-verbal d’un tribunal attestant de ses références sionistes » !
Il existe un camp de la paix israélien non sioniste. En même temps que paraissait l’article d’Avnery, une de ses amies et membre du mouvement Gush Shalom, qu’il a créé – Yehudith Harel, de Tel-Aviv – a publié un appel passionné au retour des réfugiés palestiniens chez eux : « Cette ressource humaine, magnifique et riche, pourrait non seulement dynamiser l’économie locale, mais contribuerait, de surcroît, à notre richesse et à notre diversité culturelles », a-t-elle écrit. Mme Harel soutient l’Etat Unique, et elle en appelle à la « désionisation d’Israël, à l’égalité et au rejet de l’apartheid ». Il y a beaucoup d’Israéliens moins connus et moins privilégiés qui n’ont rien à faire dans l’Ouroboros autophage. Il faut les fédérer.
La création d’une version palestinienne de l’ANC de Mandela est de première urgence : elle intégrerait toutes les forces non élitistes dans un front uni. Le leadership palestinien autochtone devrait abandonner sa vaine quête de la Fata Morgana de l’ « Etat palestinien indépendant » et assumer la position clé dans cette nouvelle alliance.
- Notes :
[1]
http://avnery-news.co.il/english
[2] http://www.calvin.edu/academic/cas/gpa/ley3.htm
[3] http://sm.org/exegesis
[4] http://www.g0lem.net/PHP/phpnuke/modules.php?name=Content&pa=showpage&pid=15
                                   
Revue de presse

                      
1. Israël - La Knesset vote une loi discriminatoire par Pierre Barbancey
in L'Humanité du lundi 4 août 2003

La Knesset a voté une loi empêchant les Palestiniens mariés à des Israéliens d'obtenir la citoyenneté israélienne.
Jérusalem, envoyé spécial - Israël, qui vient d'annoncer que la première phase du mur visant à séparer les Israéliens et les Palestiniens est maintenant terminée (selon la presse, la deuxième phase devrait être achevée à la fin de l'année), a trouvé le moyen de dresser une nouvelle barrière : la Knesset, le parlement, a approuvé jeudi à une forte majorité en dernière lecture un projet de loi empêchant les Palestiniens mariés à des Israéliens d'obtenir la citoyenneté israélienne. La loi a été votée par 53 voix pour, 25 contre et une abstention, à l'issue d'un débat houleux. Des députés arabes israéliens, ainsi que du Hadash (communiste), du Parti travailliste et du Meretz (gauche sioniste), ont qualifié cette loi, passée précédemment en première et deuxième lectures, de " discriminatoire et raciste ". Le député du Hadash, Ahmad Tibi, a dénoncé ce texte " inhumain ". La parlementaire Zeeva Galon a déclaré à la tribune du parlement que " la Knesset va souiller son recueil de lois par cette honte et cette injustice (...). C'est une loi raciste qui porte atteinte aux droits de l'homme ". Elle a cité l'exemple de " deux frères arabes israéliens de Nazareth dont l'un a épousé une Italienne, qui pourra devenir israélienne, alors que la Palestinienne qui a épousé le deuxième frère ne pourra pas, comme ses enfants, obtenir ce statut ".
Le ministre chargé de relations avec le parlement, Gidéon Ezra, a justifié la nouvelle loi en expliquant à la radio publique israélienne que " trente Israéliens ont été tués par des Palestiniens ayant obtenu par mariage la citoyenneté israélienne. Le phénomène a pris des allures incontrôlables, avec plus de 100 000 Palestiniens de Judée-Samarie [Cisjordanie- NDLR] et de la bande de Gaza qui ont obtenu une carte d'identité israélienne depuis les accords d'Oslo en 1993 ". Le chef du Shin Beth (service de sécurité intérieure), Avi Dichter, a également plaidé en faveur de ce texte devant le parlement en affirmant que le projet de loi était " vital pour la sécurité d'Israël ". Le ministre de l'Intérieur Avraham Poraz, considéré comme un libéral du parti centriste laïc Shinouï, gêné, a également approuvé la nouvelle législation, mais a voulu se justifier. " J'aurais préféré qu'un tel texte ne soit pas nécessaire, mais il y a des considérations de sécurité dont il faut tenir compte ", a-t-il affirmé.
Jusqu'à présent, la loi prévoyait qu'un Palestinien qui épouse une Israélienne, ou vice versa (qu'il s'agisse de juifs, de musulmans ou de chrétiens), pouvait d'abord demander le statut de résident permanent. Ce n'est qu'une fois ce statut obtenu que la citoyenneté israélienne pouvait être réclamée, ainsi que tous les droits sociaux accordés aux Israéliens. Dans la pratique, il en est tout autrement. Bien avant le vote de cette loi, l'administration israélienne a toujours retardé les démarches. Ainsi, contrairement à ce que l'on pourrait penser, le statut de résident permanent était octroyé pour des durées limitées. La situation de Michel, trente-sept ans, un chrétien palestinien de Jérusalem témoigne des multiples situations qui existent, résultante de l'occupation. Michel est né en 1966, à Jérusalem-Est. Un an plus tard, la ville était entièrement annexée par Israël. Michel est devenu israélien en 1994. Il avoue honnêtement que " les démarches n'ont pas été compliquées et j'ai eu la nationalité rapidement ". Israël, qui veut faire reconnaître Jérusalem comme sa capitale, veut ainsi montrer que tous les citoyens de Jérusalem sont des Israéliens. Mais en 1995, Michel se marie à Jérusalem avec Sarah, qui est née et vit à Bethléem. Un simple laissez-passer est accordé à la jeune femme, dont la durée varie arbitrairement. Tout dépend de l'administration militaire de Gush Ezion (un centre militaire près de Bethléem). Une fois il est valable quatre mois puis, au moment du renouvellement on lui accorde seulement un mois. " En 1998, ils nous ont assuré que cette fois était la bonne. Mais ils n'ont pas tenu leur promesse ", explique Michel. Il se résout alors à faire appel à un avocat pour plaider sa cause, et surtout celle de son épouse, devant la cour. En 2002, après avoir dépensé 2 000 dollars, les époux obtiennent gain de cause. Sarah est résidente permanente pour un an. Ils sont actuellement en attente d'une prorogation ou, mais ils n'osent l'espérer, un statut permanent de résident permanent ! Mais sans la nationalité israélienne, Sarah ne peut sortir du pays. " La nationalité, on ne va même pas la demander, on connaît déjà la réponse ", précise Michel. Le couple a deux enfants, âgés de quatre et un an. Ils sont inscrits sur la carte d'identité de Michel. Mais il ne sait pas quel sera leur statut à leur majorité.
L'avocate Orna Cohen, du Comité pour les droits de la minorité arabe en Israël (Adalah), s'est élevée contre " cette punition collective ". Elle s'étonne : "Vous avez un citoyen israélien qui est Arabe et vous ne lui permettez pas de vivre avec son épouse ? Si ce n'est pas du racisme, alors peut-être faut-il une nouvelle définition."
                               
2. En quoi réside l’erreur arabe en ces temps inopinés ? par Mutâ’ Çafadiyy
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 4 août 2003
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Paris) - Comment la conscience arabe peut-elle à nouveau se reconnaître, plongée qu’elle est dans les horreurs de défaites se succédant aussi rapidement ? Cette conscience a vécu au rythme de la défaite depuis les prémisses de son épanouissement. Il lui fut imparti de trébucher très rapidement sur des critères déjà là, et d’inventer des méthodes d’analyse rudimentaires afin de ne pas demeurer captive de l’urgence des événements et incapable de les assumer. Cette conscience était sans doute habitée par le désir de se libérer des contingences de la réalité politique, puisqu’il lui fut en permanence plus facile de déterminer un objectif matériel immédiat que de pénétrer plus profondément à l’intérieur des autres facteurs, invisibles et relatifs fondamentalement aux questions qu’elle se posait quant à sa nature propre et quant à son caractère opérationnel, ou encore de ce qu’on appelle les méthodes de vision et d’analyse. En effet, la collision avec un réel hostile imposait à la génération montante d’inventer les méthodes les plus simples possibles afin de se préparer à l’affrontement. C’est pour cette raison que fit florès la profession de forgeur de slogans se résumant aux préoccupations de la pensée sereine et armée de ses instruments cognitifs et critiques non encore épuisés. Sans doute la neutralisation de l’analyse cognitive et sa mise à l’écart de notre vie politique, tant chez le gouvernant que chez les gouvernés, a laissé aux contingences catastrophiques le premier rôle dans la détermination des lignes de l’offensive et dans le commandement de ses actants. Remarquable est la rapidité avec laquelle la nécessité d’emprunter à autrui aboutit à l’apport de slogans et à leur imposition aux événements en cours comme autant de d’oriflammes dont les vents tempétueux ne tardent pas à déchirer la trame ténue. Il y a là tout un monde d’illusions, capables non seulement de masquer les réalités, mais de les effacer du registre du monde réel alentour. L’observation, en permanence, des réalités à travers les chas d’aiguille et les meurtrières étroites de l’idéologisation n’a pas permis aux intellectuels, ni aux politiques, ni aux responsables gouvernementaux, de jamais entrevoir, dans toute son ampleur et dans toute sa profondeur, une quelconque situation dangereuse. De même que l’intellectuel a ligoté sa pensée avec des slogans, un seul désir impérieux s’est imposé au gouvernant : celui de conserver le pouvoir. Entre les deux, il n’y a jamais eu en commun que le seul fait que l’un et l’autre s’affairaient à autre chose que ce à quoi ils auraient dû consacrer leur action.
Ainsi, l’Arabe n’a jamais rencontré sa liberté – pas une seule fois – tout au long de ce long cheminement que l’on nomme généralement le combat patriotique (wataniyy) ou national (qawmiyy). Chaque génération successive était en permanence prête à se passer de cette liberté avant même de l’avoir connue ou de l’avoir approchée dans la vie quotidienne des individus qui la constituaient. Tantôt elle en faisait le sacrifice à la Nation arabe (‘Ummah), tantôt à l’avant-garde (talî’ah) ou à sa caste, et d’autres fois, enfin, au seul parti (unique), finissant par la remettre entièrement entre les mains du pouvoir. Ainsi seul, le gouvernant se retrouvait-il libre, en tant qu’individu, dans une société tout à fait comparable à un troupeau de moutons.
Jamais la société arabe pourtant qualifiée de renaissante (nâhidh) n’a rencontré de circonstance objective ou humaine qui impliquât l’émergence d’une institution digne de ce nom garantissant les libertés, qui fût le noyau de toutes les autres institutions civiles et politiques. En effet, le passage de la société tribale, pastorale, quasi primitive, à une société fondée sur la division du travail, n’a pas permis l’occurrence d’une rare occasion d’entrevoir la liberté, cette liberté qui doit ceindre le front de l’individu avant de couronner celui du groupe, qui doit interpeller l’homme avant le parti, qui doit se mettre en quête de ses manifestations dans les plus petits détails de la vie quotidienne de la collectivité avant que ne l’enserrent les clichés totalitaires.
Dans la conscience de chaque génération, la liberté était renvoyée à plus tard, à après tous les autres rendez-vous nationaux, à après la réalisation de l’Unité (arabe), à après l’instauration du socialisme, à après le développement économique, etc. etc. Comme si la philosophie du « combat » entrait fondamentalement en contradiction avec ce luxe, ce superflu, qu’aurait représenté la liberté. Cela, parce que la doxa du sacrifice pour le sacrifice devait occuper le sommet de la hiérarchie des valeurs, même lorsque cette échelle des valeurs venait à être totalement renversée cul par dessus tête. Et voilà que cette doxa se mue en un sacrifice de tous, au profit de l’instauration de la seule auto-adoration, tant du côté du gouvernant que du côté du gouverné. En effet, la société, vaincue dans ses plus grandes aspirations, se transforme en une juxtaposition de foyers d’égoïsme fermés sur eux-mêmes, en compétition pour des intérêts légitimes comme non légitimes : telle est la cause réelle de la généralisation du phénomène de la corruption, et cela, depuis la tête de la pyramide jusqu’à sa base la plus large. Plus : les grands corrompus et corrupteurs incarnent l’idéal, le parangon proclamé à imiter, qui légalise la loi de la corruption, la mettant à la portée de tout un chacun, qui pourra à loisir se perfectionner dans ses multiples techniques et ses subtilités infinies.
L’idéologisation de la liberté a pavé la voie de l’ajournement des valeurs humaines, avec elle : la répression pèse peu à un citoyen qui a accepté de mettre un frein à sa liberté, dès le départ, afin de suivre le mouvement général imposé par les concepts de la direction révolutionnaire.
Il faut rappeler que cette génération n’a jamais ressenti, au début de son entrée dans l’action politique, la moindre angoisse au sujet du développement humain, et qu’elle a été entièrement absorbée par les préoccupations collectives, dont elle imaginait qu’elles la dispensaient de s’intéresser à cette tâche autrement plus difficile, à savoir le développement humain personnel chez des individus engoncés depuis très longtemps dans des critères de comportement personnel moyenâgeux. Cela a abouti à l’interposition d’une paroi hermétique entre ses idées (progressistes) et les réalités de son comportement quotidien. En effet, l’idéologisation dominante se nourrit de l’influence de la collectivité derrière laquelle se réfugie généralement le comportement individuel, tant il est vrai que la revendication d’appartenir à un tout est un biais efficace permettant d’échapper aux responsabilités de ses actes. Cette fuite des responsabilité a été portée au degré de l’expertise sophistiquée tant chez le gouvernant que chez le gouverné, si bien que tout le monde pâtit de cette contradiction aiguë entre des valeurs suspendues dans le vide au-dessus de la tête des citoyens et ce que commettent les mains en matière de catastrophes résultant du changement pour le changement, sous des vocables divers.
Ce qui est dit, habituellement, de l’échec du pouvoir arabe dans ses expériences désastreuses de l’indépendance, ne dispense nullement de parler aussi de l’échec des sociétés régies par de tels pouvoirs, avec leur manière de gérer leurs affaires en fonction de leur volonté personnelle. Il est vrai que le modèle totalitaire, importé par le pouvoir arabe de chez son homologue soviétique stalinien légalisait la répression généralisée (idéologiquement), mais la première génération, qui dut supporter les contraintes du changement, imaginait qu’il disposait de tous les arguments objectifs à même de la pousser vers l’engagement volontaire spontané dans la bataille de l’occultation totale des erreurs et des dangers, au moment même où se renforçaient les motifs de mobilisation critique contre l’ennemi extérieur, qu’il s’agît du colonialisme ou du sionisme, et intérieur, à savoir la « réaction arabe », comme on l’appelait à l’époque. La critique à l’encontre de soi-même et de ses propres expériences individuelles et collectives était interdite, et cette interdiction de toute critique, le citoyen « progressiste » se l’imposait, au premier chef, à lui-même, avant même qu’elle ne lui tombe dessus du haut des instances gouvernementales et partisanes.
La condamnation pour sophisme de la peur de la mort et de celle de qui fait peur, sous prétexte de discours « combattant », attendait au tournant la culture de la critique qualifiée de réflexive (autocritique). Bien que ce concept soit fréquemment évoqué dans le discours révolutionnaire, il n’est bien mis souvent mis en application que lorsqu’il est question de faire chuter une faction dirigeante ou gouvernante, et de lui substituer une faction alternative qui ne tardera pas à reprendre les mêmes méthodes que la précédente sous des slogans, certes  différents, mais qui ne sont que pures paroles verbales. C’est que les révolutionnarismes successifs tombent l’un après l’autre dans des formes de dogmatisme qui pavent la voie devant le parti unique et son idéologie, comme si ces révolutionnarismes tombaient sur leurs dernières lignes de défense face au danger de leur
 mort. Tout pouvoir redoute sa fin inéluctable, c’est pourquoi il est condamné tout à la fois à s’accrocher aux éléments qui assurent sa pérennité et sa continuation et à repousser de lui-même le spectre de la mort vers tout ce qui est autre et donc douteux, et il ne voit d’ennemi que dans qui ose se dresser sur son chemin, qu’il accuse d’avance de le concurrencer sur ses propres positions, c’est-à-dire de détenir la possibilité de le menacer de mort. Il n’y a pas de passerelle enjambant le gouffre terminal entre l’autisme du pouvoir et la pluralité du collectif populaire qui l’affronte, la contradiction entre les deux est très sérieuse ; elle ne peut être dépassée qu’au prix de la disparition de l’un des deux pôles. Mais on sait que les peuples ne disparaissent pas et ne cessent pas d’exister ; ce sont donc les pouvoirs eux-mêmes qui sont condamnés à la succession à leur corps défendant – et la dévolution du pouvoir est, dans nos contrée, une nouvelle forme de violence qui se substitue à la violence ancienne. Ainsi, la culture de mort préside à ce que l’on appelle l’histoire des révolutions qui se résume en une série de coups d’état stériles, n’apportant que sang versé et chairs brûlées. En fait, même les guerres résultant d’une agression extérieure exercent leurs ravages à la manière d’un coup d’état militaire.
De même que l’ « ennemi » extérieur ne s’enquiert pas de tous les facteurs causaux de la catastrophe permanente, de même, seul, le pouvoir momifié et ne résidant que dans la tête et le cou (vulnérable) de la pyramide ne s’interroge pas à leur sujet avant que le peuple d’en bas ne se demande des comptes à lui-même sur la part qu’il a prise dans la mise au point du programme de la catastrophe et de la complicité, au minimum indirecte, dans l’ignition de son brasier, et comme il s’agit d’une contribution sous forme de bois de chauffage, comburant à bon marché pour en alimenter l’incendie, le temps catastrophique transforme tous ses actants en ses simples victimes, parmi lesquelles, on compte, y compris, l’élément dominant lui-même.
Qui dit que l’Amérique aurait gagné l’Irak en récompense de son agression barbare ? Israël a-t-il empoché le Liban après en avoir investi la capitale, Beyrouth, voici vingt et un ans ? La Grande-Bretagne, la France et Israël ont-ils décroché l’Egypte en gros lot de leur agression tripartite, après que ces pays eurent traversé le canal de Suez en 1956 ? Mais le temps calamiteux ne s’arrête pas aux seuls agresseurs ; il exige y compris des vaincus de payer le prix de leur déconfiture. Où est donc le problème, dans tout cela ? En un mot, il ne réside pas dans tant la distribution des accusations et des condamnations que dans l’impossibilité du jugement lui-même, sous la pression du temps calamiteux, qui veut que l’erreur incarne le pouvoir suprême, présidant aux différentes fonctions visibles et cachées. Ainsi, le piège américain qui a eu raison de Bagdad hier est le même qui fera chuter l’occupation aujourd’hui et demain dans l’impasse de l’impossibilité des deux solutions simultanées : rester ou se retirer. L’Amérique n’a aucun moyen d’échapper à sa propre ère calamiteuse, qu’elle a imposée à l’humanité du troisième millénaire.
En revanche, n’importe quelle autre société arabe est susceptible de voir ses libertés confisquées en tant que collectivité, de la même manière que la « répression patriotique » lui avait confisqué ses libertés en tant qu’individus, que couches sociales et qu’institutions. La question étant que le problème de la liberté n’est pas intrinsèquement arabe, mais bien mondial. Ainsi, le premier ennemi de la liberté – la corruption en connivence avec le pouvoir – est sur le point de faire tomber les Etats modernes comme les Etats sous-développés, l’Etat étant la première des institutions légitimes objectives. Une poignée de marchands de religion, de sionisme, d’armement et de pétrole ont enfourché l’éléphant de l’unique grande puissance de notre nouvelle ère et ils se sont emparés de ses rênes afin de perpétrer, par ce moyen, le cambriolage du monde entier, en commençant par ses peuples les plus faibles avant de finir par ses autres grands éléphants.
L’ère calamiteuse est d’ampleur mondiale, chaque Etat attend son heure : tel est la signification de l’ « anarchie » globalisée qui ne profitera qu’aux seules bêtes les plus féroces de la jungle. Mais, malgré cela, chaque civilisation est supposée attendre son verdict calamiteux à sa manière propre. Quant à notre civilisation arabe contemporaine, elle est la moins préparée de toutes à se voir poser les questions de sa disparition prématurée, bien qu’elle soit le théâtre de prédilection pour les plus effroyables affrontements de notre époque, qui peuvent prendre la forme de propositions en vue d’une réforme politique, soit par la force de l’envahisseur étranger ou par celle de l’usurpateur national, ou encore par celle du réformateur authentiquement populaire promis ou non encore promis ; il peut s’agir d’une sorte de remaniement du même gouvernement erroné, sous des dénominations improvisées, porteuses de parcelles d’une justesse ambiguë pour ses membres eux-mêmes, tombant de nulle part quelque part dans des déserts de stérilité éternelle.
Malgré tout cela, il est encore possible de transformer la formulation du cri  - où est l’erreur ? – en cet autre cri – par où commencer ? Il s’agit d’une expression habituelle et familière dans la littérature de nos virages historiques exténuants et usés jusqu’à la corde. Mais c’est bien cette expression qui défie en vain nos esprits les plus retors ! Quel est le nouveau Mutanabbiyy [Grand poète arabe du dixième siècle (ère chrétienne) ainsi dénommé par ses détracteurs (et ses admirateurs) qui lui prêtaient la fantaisie de se « prendre pour un prophète – nabiyy ». Ses vers sont très nombreux à avoir acquis la valeur de proverbes. Ndt] qui, osant affronter l’aventure périlleuse entre toutes, viendra au-devant des foules et tendra le bras en clamant : « Par là ! ». Et, bien que les sables des « Tempêtes du Désert » successives aient effacé absolument toutes les pistes, il y a encore des hommes pour croire en la bonne nouvelle coutumière : « Je vous fraie la voie, mais je ne la pave pas : à vous d’en découvrir l’architecture et à vous d’en perfectionner, par la suite la couverture, si vous en avez, un jour, l’opportunité… »
                                                
3. Jusqu’à quand continuerons-nous à suivre le chemin de l’illusion ? par Abdel-Aziz Ar-Rantîsî
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 4 août 2003
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Abdel-Aziz Ar-Rantîsî est membre dirigeant du mouvement Hamas.)
Depuis le début de ce qu’il est convenu d’appeler abusivement et de manière fallacieuse le « processus de paix », nous vivons encore et toujours le même petit jeu : les sionistes embobinent le négociateur palestinien et le négociateur palestinien se voit contraint de considérer ce que la partie sioniste propose au peuple palestinien comme une avancée politique, en dépit de son intime conviction qu’il s’agit en réalité d’une allégorie de l’entourloupe.
Au début, le négociateur palestinien se croyait capable d’obtenir un petit quelque chose qu’il pourrait faire passer pour une avancée politique convaincante pour le peuple palestinien : en effet, le négociateur palestinien est tombé d’entrée de jeu dans les rets de la tromperie sioniste, et je ne doute malheureusement pas du fait qu’il était alors confiant et serein quant à la validité de la voie empruntée afin d’atteindre ses objectifs ô combien modestes, mais considérés par lui comme des objectifs d’importance nationale, dont il pensait que leur obtention suffirait à mettre un terme au conflit avec l’ennemi sioniste. En partant de cette conception erronée de la nature du combat et des intentions réelles de l’ennemi sioniste, l’Autorité (nationale palestinienne) avait entrepris de frapper le mouvement islamiste afin de paralyser la résistance et de faire avorter l’Intifada. Mais, au fil des jours, elle réalisa qu’elle tournait en rond, et le négociateur palestinien prit conscience de l’impasse dans laquelle il se trouvait. Mais, hélas, trois fois hélas, il ne parvint plus à reconnaître la réalité et à sortir du tunnel. De là, sa décision de changer de braquet et de passer du stade de l’embobiné en quête de la réalité à celui du négociateur pleinement conscient d’une réalité qu’il lui est interdit de révéler. Plus, il se vit contraint de vendre la tromperie sioniste au peuple palestinien, car se posait un véritable problème : beaucoup des membres de l’Autorité palestinienne se trouvaient placés devant le dilemme suivant : soit ils fermaient les yeux et vendaient l’illusion, soit ils perdaient toutes leurs avantages personnels acquis, en mettant en jeu leur avenir politique. Cette tentative d’échapper à leur avenir inéluctable ne fut qu’une fuite en avant temporaire, mais l’état auquel parvint le négociateur palestinien s’était dégradé au point de causer des cauchemars à tous les Palestiniens, qui se virent contraints à tenir le plus grand compte de cette situation extrêmement dangereuse, sous peine de tomber dans les dissensions internes.
Sur la base de cette nouvelle réalité, le négociateur palestinien se vit contraint à vendre de l’illusion au peuple palestinien, en particulier en ce qui concerne les points politiques dirimants et objets de craintes quant à l’avenir. Ainsi, en dépit des crimes perpétrés par l’ennemi contre le peuple palestinien – assassinats, démolitions, destruction de la vie économique et sociale – le négociateur palestinien se voit contraint à affirmer que la paix est l’unique option et, bien que Sharon ait proclamé la fin d’Oslo, en propos et en actes, le négociateur palestinien n’en reste pas moins attaché à ce processus moribond, dans lequel il voit « un chemin vers la paix », bien qu’il soit intimement convaincu que la voie des négociations est un chemin stérile. Mais cela ne fait rien : il continue à le considérer comme un choix stratégique, bien que le discours sur la paix ait été contemporain d’actes sionistes sur le terrain diamétralement opposés à la paix : construction de nouvelles usurpies [je traduis ainsi le néologisme mughtaçabât utilisé par M. Rantîsî pour désigner les colonies : mustawtanât. Ndt], confiscation de terrains pour la construction de routes de contournement, judaïsation des Lieux saints, fermeture des institutions palestiniennes, démolition de maisons… Mais le négociateur palestinien n’en continuait pas moins à tenir à aller s’asseoir à la table des négociations, sans oublier de nous faire miroiter la paix juste, durable et générale. Il mettait aussi un point d’honneur à nous annoncer, à la sortie des séances de négociation, que l’ambiance en avait été constructive, en réussissant ce véritable tour de force : ne pas entendre le grondement des bulldozers en train de mettre à bas le projet d’Etat palestinien.
Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que l’un des ministres (palestiniens) exprime sa satisfaction après ses entretiens à Washington, semblant considérer que le fait d’avoir réussi à franchir les murailles américaines et de parvenir jusqu’à la Maison Blanche représente l’exploit suprême : pourquoi s’enquérir, dès lors, des résultats de la rencontre, puisque seule compte la chaleur de l’accueil à la Maison Blanche, même si le nouveau gouvernement (palestinien) n’ignore pas que l’homme qui a battu le record des visites à la Maison Blanche n’est autre que le président Arafat, qui se retrouve aujourd’hui embastillé (par les Israéliens) avec la bénédiction et l’autorisation de la susdite Blanche Maison ? Je pense que le nouveau gouvernement (dirigé par M. Mahmûd ‘Abbâs – Abû Mâzin, ndt) n’ignore pas non plus que la villégiature (je devrais écrire le « lieu de détention ») de Camp David a été le théâtre du parti pris éhonté de la Maison Blanche en faveur de l’ennemi sioniste, et que les responsables des négociations à Camp David nous ont informés du fait que la partie sioniste n’a absolument rien proposé au peuple palestinien qui fût acceptable, bien que la personne qui eût présidé aux négociations au nom de la Maison Blanche ait été un certain Bill Clinton, qui avait démontré une grande attention et une certaine sollicitude à l’égard de la partie palestinienne, et non pas Bush, cet homme dominé par la mentalité sioniste du fait qu’il croit en la Torah plus que Sharon lui-même. Ajoutons que celui qui présidait aux négociations au nom de la partie sioniste était Ehud Barak, chef du parti travailliste, c’est-à-dire de ce qu’il est convenu d’appeler le « camp de la paix », et non Sharon, le chef du Likoud allié à l’extrême droite israélienne. Des responsables palestiniens qui ont assisté à Camp David m’ont dit que ce qui y avait été proposé à la partie palestinienne représentait le maximum de ce que pouvait offrir la gauche sioniste et était considéré comme relevant de la haute trahison par la droite sioniste. Que signifie, dès lors, l’entêtement à poursuivre des négociations en prétendant y voir un choix stratégique, lorsqu’on connaît ces données de fait rien moins que décourageantes ? Peut-il signifier autre chose que l’acceptation de l’entourloupe et la syntonisation avec la tromperie ?
Comment qualifier la nature de ce soulagement qui semble s’être emparé de ce ministre, dès lors que la délégation palestinienne s’est rendue à Washington en ayant comme priorité la libération des prisonniers, et tout en sachant parfaitement que ce qui était visé par là était l’élargissement de ceux des prisonniers condamnés à vie et qui ont passé de nombreuses années derrière les barreaux – plus de dix ans pour certains, voire même quinze ans, et plus de vingt pour quelques-uns – et que, de but en blanc, Bush a pris une position très claire contre la liberté de ces héros, en harmonie avec la position de Sharon consistant à dire qu’il ne saurait être question de libérer un seul prisonnier ayant du sang juif sur les mains. Bush dit, ouvertement : « Bien entendu, nous ne voulons pas que des assassins de sang froid soient libérés et viennent porter atteinte au processus de paix ». Est-il concevable, après cette déclaration, que la délégation palestinienne se dise satisfaite et optimiste ? ! ! Pouvons-nous nous fier au sioniste Bush qui ne voit pas dans les juifs américains, russes et européens qui ont quitté leur pays et sont venus violer la Palestine et y perpétrer des centaines de massacres contre ses enfants des assassins, alors qu’il considère les victimes de l’agression sioniste qui défendent leur patrie, leur peuple et leurs lieux de culte comme des assassins qu’il faut maintenir derrière les barreaux ?
Lorsqu’on voudrait nous faire considérer comme une avancée le fait que Bush ait déclaré : « Je pense que le mur (de Sharon) pose problème et j’en ai parlé avec Sharon. Il est bien difficile d’instaurer la confiance entre Israël et les Palestiniens tant que ce mur serpente à travers la Cisjordanie », nous répondons que cette remarque ne va pas plus loin qu’une simple remontrance gentillette. Bush n’a pas exigé des sionistes [qu’ils renoncent à leur mur et le détruisent], il ne les a menacés en aucune manière. Il n’a aucunement promis de prendre des sanctions contre eux. Nous avons l’habitude de ces propos qui ne mangent pas de pain et qui ne sont pas autre chose que de l’effronterie. Combien de fois l’Amérique n’a-t-elle pas critiqué la colonisation : la colonisation s’est-elle arrêtée ? Elle ne se serait pas plutôt accélérée ? Il en ira de même avec le mur : Sharon a d’ores et déjà réaffirmé son attachement à sa muraille, immédiatement après la déclaration de Bush, et je suis persuadé que Bush comprendra le besoin que les sionistes ont de ce mur. Quant à nous, comprendrons-nous que les Palestiniens aspirent à ce que l’on cesse de vouloir leur refiler de vaines illusions ?
                                   
4. Philippe Séguin : "La Méditerranée attend l’équivalent d’un 'Jean Monnet' pour l’Europe" entretien réalisé par Hichem Ben Yaïche
in Le Quotidien d'Oran (quotidien algérien) du dimanche 3 août 2003
- A la lecture de votre livre * – l’un de vos livres le plus abouti –, on a l’impression que c’est « tout Séguin en un ». Quel est votre état d’esprit aujourd’hui après la rédaction de ce livre ?
- Philippe Séguin : A la relecture, on se dit que le livre est tout à fait imparfait : je l’aurais travaillé volontiers pendant encore un an ou deux ! Mais il y a un moment où il faut savoir s’arrêter. J’ai écrit ce livre d’abord pour moi-même – c’est une manière un peu égoïste – pour faire le point sur ce que je pensais, sur les souvenirs que je voulais fixer, sur les cohérences que je voulais vérifier. Et puis, je l’ai fait aussi pour apporter un témoignage sur une période, sur de grands problèmes qui, pour nombre d’entre eux, vont demeurer pendant longtemps.
- Les lecteurs vont pouvoir lire ce livre, où l’on trouve une vraie profondeur… Que gardez-vous, au fond, de cette introspection, de cette quête de soi ?
- PS : J’imagine une certaine sérénité, dans la mesure où je peux faire la part entre ce qui fut, avec le recul, « action utile » et « agitations inutiles ». On y trouve en effet un mélange de sérénité et de détermination car un certain nombre de choses auxquelles je croyais sont loin d’être réalisées.
- Est-ce que vous vous dites aujourd’hui : « Je n’ai pas été entièrement compris » ?
- PS : Sûrement ! Si vous éprouvez le besoin d’écrire un livre, c’est que vous avez le sentiment de ne pas être  toujours compris. Cela s’explique tout à fait. Et parfois, d’ailleurs, vous essayez de vous comprendre vous-même.
- Chacun connaît vos liens très forts avec la Méditerranée. Pourquoi n’avez-vous pas exploré ou mis en avant des idées sur cette Euro-Méditerranée qui semble avoir du « plomb dans l’aile » aujourd’hui ?
- PS : Je l’évoque dans mon livre. Mais vous savez, tant de choses auxquelles je crois  ont du « plomb sans l’aile » aujourd’hui ! Et beaucoup de chantiers sont ouverts… Cela dit, le monde arabe traverse peut-être une des plus graves crises de son Histoire suite à l’« affaire irakienne » : absence de réaction – apathie même –, passivité des Irakiens devant ce qui leur est arrivé, etc.
La Méditerranée, elle-même, s’interroge, et pourrait être politiquement rayée de la carte, en ce sens qu’il existe aux yeux de certains de grandes hypothèques qui font que rien ne peut y être organisé. Parce que Grecs et Turcs s’opposent entre eux, parce que le conflit du Moyen-Orient se poursuit, parce que certains Etats ne veulent pas avoir de relations avec la Libye, parce que l’UMA n’arrive pas à se donner une réalité vraiment concrète, parce que demeure encore la question du Sahara occidental. J’en passe et des meilleurs.
- Faut-il pour autant accepter cette fatalité ?
- PS : Bien sûr que non ! Cela étant, sur les dix, quinze ou vingt dernières années, on a plutôt le sentiment d’avoir reculé qu’avancé.
- Huit ans après le processus euroméditerranéen de Barcelone, quel est le meilleur moyen pour assurer l’intégration régionale tant souhaitée ?
- PS : On est en face de deux hypothèques. La première concerne  un certain mode de construction européenne, très intégrationniste, dont le centre de gravité est en train de déplacer vers l’Europe centrale, voire orientale.                
La deuxième, c’est qu’on a probablement eu le tort d’aborder le « processus de Barcelone » sous l’optique Nord-Sud. C’est-à-dire, d’une manière ou d’une autre : le riche face au pauvre, le dominateur potentiel face au dominé, le néo-colonialiste face à l’ex-colonisé, etc. Il faut sortir de ce type d’approche et poser sur la table tous les problèmes concrets existant en Méditerranée – et Dieu sait s’il y en a ! – en termes de pollution, de sécurité, de bon voisinage... Et, par la suite, s’ajoutant aux autres constructions, rechercher de manière pragmatique les moyens de construire un projet commun qui constituera une valeur ajoutée. Car je crois, en effet, que des valeurs méditerranéennes existent.
- Néanmoins, on est très souvent dans le registre de l’incantation, même si certains projets ont été réalisés.
- PS : On est dans le registre de l’incantation parce qu’il faut bien que quelqu’un prenne l’initiative. A supposer qu’une personne décide d’entreprendre une action dans ce sens. Celle-ci sera contestée par les uns ou par les autres, lesquels y verront des arrières-pensées et soupçonneront que tel ou tel groupe en est l’instigateur. Réflexion faite qui, après Hannibal, a pris une initiative méditerranéenne ?
- De par votre histoire et votre parcours personnel, pourquoi n’avez-vous pas pris la décision, à un moment ou un autre, de vous impliquer davantage par vos idées et votre connaissance des réalités dans cet ambitieux projet euroméditerranéen ?
- PS : Parce que je serais soit un homme seul, et dans ce cas je ne pèserais guère,  soit on me suspecterait d’arrière-pensées françaises. Par conséquent qui dit arrière-pensées françaises, dit immédiatement levée de boucliers de la part d’Israël, réminiscences du passé  aux yeux du Maghreb, disant : « Il ne faut quand même pas qu’on revienne au statu quo ante. » Sans parler de tout le reste. Cela étant – et laissons ma modeste personne de côté –, ce qui est vrai, c’est que la Méditerranée attend l’équivalent d’un « Jean Monnet pour l’Europe ».
- Pour aller plus en profondeur sur les rapports France-pays du Maghreb, pourquoi sont-ils si passionnés, passionnels, conflictuels et parfois en deçà des réalités humaines qui tissent cette relation très forte entre les deux rives ? Comment interprétez-vous ce décalage ?
- PS : On est de ce point de vue dans le domaine du paradoxe. Et à cet égard, l’Algérie vivant le paradoxe jusqu’à son terme le plus ultime. On peut dire, s’agissant de cette dernière, que le fait français est un élément constitutif de la personnalité algérienne. D’une part, il y a  rejet de cette partie d’eux-mêmes par les Algériens et, d’autre part, l’incapacité de vivre sans. Ce qui explique le rapport attirance-répulsion vis-à-vis de la France. Et puis, en  France, le souvenir de la guerre et du départ restent encore vivace, traduisant en cela l’échec des Français d’Algérie – à quelques unités près – à renouer  avec ce pays. A la différence de ce qui a pu se passer au Maroc et, a fortiori, en Tunisie, pour un grand nombre de Français ou même d’Européens d’Algérie, il y a un sentiment d’amour-haine qui demeure très fort.
- Qu’on peut du reste généraliser à l’ensemble des pays du Maghreb…
- PS : Le temps n’en est peut-être pas venu à bout. Par exemple, lorsque le président Bouteflika s’est rendu à Paris, il a eu pour les harkis – et même pour les enfants de harkis – des mots très durs. Pourtant ces derniers vivent une intégration difficile dans la société française ; ils pourraient, au contraire, constituer un trait d’union.
- Vous consacrez dans votre livre de nombreuses pages expliquant votre rapport particulier avec la Tunisie. Quel est justement votre regard sur ce pays ?
- PS : Ce rapport, je ne l’aurais pas eu avec n’importe quel autre pays. La Tunisie est  un pays de tolérance, d’échange, en ce sens que la civilisation dominante n’est jamais exclusive des autres. A cet égard, la mosquée de Kairouan est une bonne illustration de cette réalité : un haut lieu de l’Islam, mais réunissant un certain nombre d’établissements cultuels d’ailleurs. 
- Votre jugement est loin d’être neutre. Certains vous reprochent un peu – et, d’ailleurs, vous l’expliquez dans votre livre –, ce rapport fusionnel avec la Tunisie.
- PS : Oui, c’est un rapport fusionnel ! Camus disait qu’avec sa mère, on pouvait en arriver à être injuste avec les autres pour la défendre. Je considère qu’on est si injuste avec la Tunisie ! Certes, elle a aussi ses défauts, ses insuffisances, des potentialités non encore exploitées, mais on en donne une telle image en France qu’effectivement, je dois être le numéro un du lobby tunisien.
- Quel type de dialogue avez-vous avec les milieux politiques tunisiens ?
- PS : Non seulement je dialogue avec les milieux politiques, mais je m’exprime avec une extraordinaire liberté. A Tunis, je peux dire que j’ai tout abordé, en totale liberté.
- Avez-vous perçu un certain décalage entre la réalité politique et celle du pays réel ?
- PS : Disons qu’émerge cette conscience dans une partie de la classe moyenne tunisienne. Mais, moi, je souhaite savoir comment elle le traduit concrètement. C’est bien de l’exprimer, mais je ne vois pas très bien ce sur quoi cela peut déboucher, quelles sont les alternatives qu’on souhaite mettre en place… D’aucuns trouvent qu’on ne discute pas assez, bon d’accord, mais je ne suis pas sûr qu’on utilise totalement les possibilités offertes. En revanche, que le président ne voit pas toutes ses directives et tous ses souhaits mis en œuvre, cela serait extraordinaire qu’il en aille autrement ! Dans tous les lieux de pouvoir, celui qui le détient a des relais qui en rajoutent, en retranchent et ne traduisent pas fatalement, forcément, sa pensée et sa volonté. Je vois même un décalage entre ce que souhaite le président Ben Ali et ce qui se passe dans la réalité.
- Abordons la question irakienne. Comment jugez-vous, le choix politique de Jacques Chirac de ne pas s’engager aux côtés des Américains en Irak ?
- PS : C’est un choix dont chacun peut constater qu’il coûte cher à la France. Puisqu’elle  est aujourd’hui marginalisée par les Etats-Unis. A mon avis, au-delà du problème irakien, de la question du rapport général avec le monde arabo-musulman, lequel ne trouve pas sa place aujourd’hui dans le contexte international, la volonté était d’empêcher la constitution d’un monde unipolaire dominé par la superpuissance américaine, sous prétexte qu’elle possède la force militaire. Sur le plan économique, l’Europe est largement compétitive. C’est une position qu’on pourrait résumer d’une manière un peu brutale en disant « Les Nations Unies plutôt que les Etats-Unis ! » Certes, les Etats-Unis sont nos amis, mais nous ne pensons pas qu’ils aient intérêt à être une sorte de gendarme autoproclamé, un nouveau peuple élu.
- Le balancier semble être allé très, très loin dans cette affaire.
- PS : C’est vrai qu’il est allé très loin mais, pour autant, à nous de savoir dans quel monde nous voulons vivre. Est-ce un monde pluriel ? Un monde fondé sur la diversité qui est source d’enrichissement réciproque ? Ou est-ce un monde uniforme ? Dans ce cas, soyons logiques jusqu’au bout, en permettant aux Français, aux Tunisiens, aux Irakiens, etc. d’élire le président des Etats-Unis tous les quatre ans !
- Aujourd’hui, les néoconservateurs de l’équipe Bush semblent toujours vouloir en découdre avec la France pour lui faire payer son choix politique de ne pas participer à la guerre, alimentant ainsi une véritable francophobie en Amérique. Pensez-vous que cette crise profonde entre les deux pays va perdurer ? Et comment va-t-elle se traduire politiquement ?
- PS : Tout dépend de la maturité du peuple américain. Le parti républicain ne compte pas que des conservateurs, même s’ils tiennent le haut de l’affiche, en ce moment. En plus, dans le paysage politique américain, d’autres forces sont en jeu. Même si on a tendance à l’oublier en ces temps, les démocrates sont toujours là ! Certes, ils sont inaudibles.
J’espère que les Américains sauront raison garder et se souvenir qu’au-delà des divergences, dont il ne faut pas nier la profondeur, les conceptions du monde entre notre propre Administration et celle de Bush sont diamétralement opposées.
- Visiblement les Américains ont pour projet de s’installer durablement et  même de remodeler la carte géopolitique de la région du Proche-Orient. Croyez-vous à ce raisonnement ?
- PS : C’est tout à fait faisable et possible dès lors qu’ils ont la force et les moyens. Toutefois, on aura raison de se demander, si l’on est encore au temps des mandats ! Ce serait une régression.               
- Vous semblez très peu disert dans cette affaire de l’Irak..
- PS : J’ai approuvé le choix de Chirac. J’ai simplement exprimé des réserves sur  l’attitude de ses partisans politiques. On ne peut pas dire qu’il a été aidé par le « machin » qu’on appelle l’UMP. On a surtout entendu les atlantistes forcenés ! D’autre côté, je n’ai pas très bien compris, à un moment donné, certaines déclarations inutilement provocantes. Enfin, je n’ai pas très bien compris, là non plus, la position du Premier ministre disant qu’il souhaitait la victoire des Etats-Unis, alors que le silence me paraissait s’imposer. 
- Avec le recul, est-ce que vous comprenez mieux, aujourd’hui,  les enjeux du Proche-Orient ? Des problèmes s’aggravent dans cette région. Avez-vous des analyses, des idées claires sur ce sujet ?
- PS : Le problème au Proche-Orient date de l’époque de l’effondrement de l’empire  abbassides. C’est vous dire ! En comparaison, le traité de Versailles a été un feu d’artifice ! Depuis que, dans la région, les Turcs se sont  substitués aux Arabes, des  problèmes ont surgi.
Cela dit, c’est un exemple rare de civilisation en déclin politique, culturel, moral qui, néanmoins, perdure. D’autres civilisations ayant connu ce phénomène ont été rayées de la carte. Les Arabes existent toujours. Evidemment, c’est fascinant !
La grande opportunité de la libération des territoires arabes de la domination turque a été « loupée ». Il faut dire que les Français y ont contribué avec beaucoup d’ardeur. Le pétrole a achevé de perturber la situation. Compte tenu des réalités géostratégiques – et cela nous ramène  à la Méditerranée –, les dirigeants maghrébins devraient se demander si le moment n’est pas venu d’être le centre de gravité d’un pouvoir arabe. Après avoir été géographiquement, et peut-être politiquement, les « marginaux » du monde arabe, c’est maintenant à eux de prendre la parole !
- C’est une interrogation ou une certitude que vous formulez-là ?
- PS : C’est une interrogation peut-être en forme de souhait. Compte tenu de l’état actuel du monde arabe, est-ce que le Maghreb n’a pas des responsabilités particulières  et nouvelles à assumer aujourd’hui ?
- Dans votre livre, j’ai lu avec attention les quelques lignes que vous avez écrites sur Israël et la Palestine. Sur cette question, comme vous le dites, vous semblez être incompris par les juifs.. On ne peut plus parler de ces questions sans s’attirer les foudres des uns et des autres. Sur ce sujet, il y a une véritable inhibition aujourd’hui.
- PS : S’il y a quelqu’un dont je suis assez proche, c’est Pascal Boniface **, qui a écrit un livre courageux sur ce sujet. L’IRIS qu’il dirige est traversé par une véritable crise du fait de ses déclarations. N’étant pas provocateur moi-même, je prends acte de la situation. Je reste discret. Ce que je souhaite tout simplement, c’est la paix, la création d’un Etat palestinien, la sécurité pour Israël.
- Si l’on considère la réalité du terrain, cela reste des vœux pieux. Tout le monde se tait alors que la situation est au-delà de l’imaginable.
- PS : Je sais bien que ce sont de vœux pieux…
- Ce silence ou cette absence d’action ne risque-t-elle pas de se retourner contre nous tous et de nous exploser au visage.
- PS : Aussi longtemps que tous au Moyen-Orient penseront que seuls les Américains peuvent imposer la paix, aussi longtemps que l’Europe ne se donnera pas les moyens de jouer un rôle politique dans la région – et ailleurs –, aussi longtemps que celle-ci restera un géant économique et un nain politique, que voulez-vous, les changements se feront là-bas au rythme de l’Administration américaine.
* "Itinéraires dans la France d'en bas, d'en haut et d'ailleurs" de Philippe Séguin (Ed. Le Seuil) [624 pages - 24 euros - ISBN : 202059644X]
** Pascal Boniface est directeur de l’IRIS (www.iris.org). Il est l’auteur du livre "Est-il permis de critiquer Israël ?" (Ed. Robert Laffont).
                                           
5. Irak : Un parfum de guerre civile par Gilles Munier
in 7 jours (hebdomadaire régional publié à Rennes) du 1er août 2003

(Gilles Munier est journaliste, auteur du "Guide de l'Irak - 10 000 ans d'histoire en Mésopotamie" publié en 2000 aux éditions Jean Picollec - 22,71 euros - 240 pages - ISBN : 2864771799 - il est aussi le secrétaire général des Amitiés Franco-Irakiennes - 7, rue de Sarzeau - 35700 Rennes - Fax : 02 99 63 11 09 - E-mail : gilmun@club-internet.fr)
Le 22 juillet aux Etats-Unis, le cours du pétrole a baissé d’un dollar et le Nasdaq a progressé d’un point à l’annonce de la mort des fils de Saddam Hussein, comme si le développement de la lutte armée en Irak dépendait uniquement de l’existence du président irakien et de sa famille. George W. Bush commet la même erreur que Guy Mollet pendant la guerre d’Algérie qui croyait décapiter le FLN en emprisonnant Ahmed Ben Bella et  ses compagnons. L’élimination de Oudai et de Qussai, pas plus que celle éventuelle de Saddam Hussein ne provoqueront l’effondrement de la résistance irakienne, au contraire.
On a l’impression que les Américains sont parti en guerre la fleur au fusil, avec des scénarios inspirés de bandes dessinées ! Il ne leur est jamais venu à l’esprit qu’il fallait prendre en considération la nature profonde du peuple qu’ils allaient agresser. Résultat : la réalité leur explose à la figure. Bientôt, ils se rendront compte qu’ils ne peuvent pas écraser la résistance. Qu’en déduiront-ils ? Qu’ils doivent évacuer l’Irak au plus vite ? Ou choisiront-ils la fuite en avant en attaquant l’Iran ou la Syrie ?
Paul Bremer, pro-consul américain à Bagdad, est déjà sur la défensive. La reconstruction du pays traîne en longueur. Les entreprises américaines qui se réservaient les contrats n’osent pas envoyer de cadres en Irak et proposent à des sous-traitant français de les remplacer ! Dans quelques semaines, le nombre des GI tués dépassera celui annoncé après la chute de la capitale irakienne. Le « Conseil de gouvernement transitoire irakien » constitué sous la pression des événements n’est ni  représentatif, ni pris au sérieux. C’est aussi une bombe à retardement. Il suffirait qu’on révoque des membres faisant des propositions contraires aux intérêts US, ou qu’on oblige cet organisme à dénoncer une fatwa appelant à la révolte, pour que le pays sombre dans la guerre civile.
On dit que George W. Bush veut passer le relais en Irak au Nations unies cet automne. Sage décision, mais le cadeau risque d’être empoisonné. La France est d’accord pour contribuer au retour d’une situation normale dans ce pays à condition – dit Dominique de Villepin – que « le mandat de l’ONU soit précis ». Pour limiter les risques de se retrouver piégé, Paris doit veiller à ce qu’une nouvelle résolution internationale ne légitime pas l’agression rétrospectivement. Le texte voté doit permettre la reconnaissance de la résistance irakienne comme interlocuteur et de lever l’interdiction du parti Baas afin que toutes les forces politiques du pays participent à de futures élections. Il faut surtout que Washington évacue l’Irak concomitamment à l’arrivée des forces de paix, pour ne pas donner l’impression que les Occidentaux se partagent les rôles. Est-ce trop demander ? Si la déstabilisation de l’Irak ne menaçait pas la sécurité en Europe, on laisserait volontiers les Irakiens se débarrasser seuls des Américains. Personne ne souhaite que de jeunes Français aillent se faire tuer sur les bords du Tigre pour sortir George W. Bush du bourbier où il s’est enfoncé.
                   
6. Israël-Palestine Un barrage contre la paix ? Chaque kilomètre coûte 2,5 millions de dollars... par René Backmann
in Le Nouvel Observateur du jeudi 31 juillet 2003
Destinée en principe à protéger Israël des intrusions terroristes, la “barrière de sécurité”, dont le premier tronçon est aujourd’hui terminé, a surtout permis au gouvernement Sharon d’annexer de fait 2,9% du territoire palestinien et une dizaine de colonies. Et lui a valu les reproches de George Bush...
De notre envoyé spécial - “Voici l’avenir que nous proposent nos voisins israéliens…” Planté au milieu d’un carré de tomates, parmi les vergers, les serres et les jardins maraîchers qui s’étendent à la lisière de la ville, Maarouf Zahran, maire de Kalkiliya, parcourt du regard le rempart de béton de 8 mètres de haut qui transforme en cour de prison l’un des quartiers les plus agréables de la cité qu’il administre au nom du Fatah depuis 1996. A ses extrémités nord et sud, ce long mur gris se raccorde au grillage électrifié de la “barrière de sécurité” qui enferme la ville dans une véritable nasse. La seule ouverture, à l’est, près de la route de Naplouse, est contrôlée par l’armée israélienne, qui a aménagé là un petit camp militaire. Ne peuvent entrer ni sortir, à pied, que les femmes et les hommes de plus de 35 ans. Les véhicules, ambulances et voitures de médecin comprises, doivent disposer d’une autorisation exceptionnelle de l’administration civile, c’est-à-dire de l’armée.
Depuis près de deux ans, toutes les localités palestiniennes de Cisjordanie sont bouclées par l’armée israélienne. Les routes d’accès sont barrées par des blocs de béton, des monticules de terre et de gravats, renforcés par des plaques de ciment ou des carcasses de véhicules calcinés. Les piétons peuvent passer – à leurs risques et périls – par les sentiers et les oliveraies, mais les camions doivent être déchargés au barrage, et leur contenu acheminé jusqu’au village par des remorques attelées à des tracteurs agricoles, ou à dos d’âne. A cela s’ajoutent, pour ceux qui veulent se rendre d’une ville à une autre, une multitude de checkpoints militaires – environ 160 pour l’ensemble de la Cisjordanie – qui peuvent transformer un banal voyage familial en cauchemar. “Avant les bouclages, il me fallait à peine une demi-heure pour aller de Naplouse à Kalkiliya, raconte un enseignant. La dernière fois que j’ai fait le parcours, il y a quelques semaines, j’ai mis trois heures. Et j’ai des amis à qui il a fallu le double.”
Destinée en principe, lorsqu’elle sera achevée, à empêcher des terroristes de s’infiltrer en Israël ou d’y introduire des explosifs et des armes, la “barrière de sécurité” ou la “zone de séparation”, comme l’appellent les militaires qui en ont la responsabilité opérationnelle, est le plus grand chantier du gouvernement Sharon. La construction du premier tronçon, entre Salem, au nord-ouest de Jénine, et Elkana, au sud-est de Kalkiliya, a été décidée le 23 juillet 2001. “L’idée des concepteurs, explique Marc Luria, membre du Conseil pour la construction d’une barrière de sécurité pour Israël, que préside l’ancien général Uzi Dayan, est strictement technique. Il s’agit de construire autour de la Cisjordanie, c’est-à-dire du futur Etat palestinien, une installation qui nous permettra de détecter et d’empêcher les intrusions de terroristes. Une telle barrière existe déjà autour de Gaza: aucun des responsables d’attentats suicides qui ont ensanglanté Israël ne venait de Gaza. C’est assez convaincant, non?” Informaticien, originaire de Californie, Marc Luria n’est pas, à première vue, l’un de ces fanatiques de la colonisation qui jugent intolérable la création, un jour, d’un Etat palestinien. Au contraire. “Je suis pour l’existence de deux Etats vivant en bon voisinage. Mais comme ce n’est pas possible tout de suite, je pense d’abord à protéger mes enfants, ma famille, mon peuple. Lorsque les relations avec les Palestiniens seront devenues normales, je ne serai pas contre la démolition de la barrière. Ce serait un beau geste symbolique, vous ne trouvez pas?”
Large de 60 à 80 mètres, composée de réseaux de barbelés, d’une piste de détection des intrusions, d’une route de service et d’un chemin de patrouille de part et d’autre de la barrière électrifiée, jalonnée de senseurs électroniques, la “zone de séparation” serpente à flanc de colline, comme une interminable cicatrice blanche, parmi les oliviers et la rocaille. En certains points jugés dangereux par les militaires parce que des tireurs embusqués pourraient prendre pour cible les usagers de la nouvelle autoroute trans-Israël n°6 qui longe la ligne verte, un mur de béton, comme à Kalkiliya ou à Tulkarem, remplace le grillage. A l’origine, cinq points de passage devaient être aménagés dans le premier tronçon de la barrière. Mais, comme l’a indiqué au quotidien “Haaretz” l’administrateur de la “zone de séparation”, Nezach Mashiach, “le budget 2003 ne prévoyait pas les fonds nécessaires pour construire ces installations”.
A elle seule, la construction de cette première phase de la “barrière de sécurité”, qui a coûté, selon le directeur général du ministère de la Défense, Amos Yaron, près de 2,5 millions de dollars par kilomètre, a englouti 1140 hectares de terres palestiniennes “réquisitionnées pour des besoins militaires”. La majeure partie de ces terres, qui abritent l’une des principales zones aquifères de la région, était constituée de vergers, de champs cultivés, d’oliveraies ou de serres. Il suffit de suivre les méandres de la “barrière” du haut d’une colline pour constater que les oliviers, “arbres de vie” des Palestiniens, ont payé un lourd tribut à ce chantier. Près de Nizat Issa, au nord de Tulkarem, des oliviers centenaires ont ainsi été arrachés. “Ce sont les plus rentables, explique Ahmed Assad, un vieux villageois. Un arbre de quinze ans rapporte 70 dollars par an. Un arbre de cent ans, dix fois plus.” Combien d’oliviers ont été arrachés? Des dizaines de milliers, affirment les Palestiniens. Le chiffre précis est inconnu. Mais le quotidien israélien “Yediot Aharonot” a découvert que l’une des entreprises qui construit la barrière a mis en vente des oliviers “en quantité illimitée” au prix de 1000 shekels (250 euros) l’unité…
“Si les Israéliens avaient construit la barrière exactement sur le tracé de la ligne verte, qui marque depuis 1949 la séparation entre Israël et la Cisjordanie, je n’aurais pas trouvé cela très encourageant, mais j’aurais pu le comprendre vu le contexte politique, dit le géographe Khalil Toufakji, qui fut l’un des conseillers de la délégation palestinienne lors des négociations de paix. Mais profiter de la construction de cet ouvrage pour annexer de fait à Israël des colonies, c’est un fait accompli inacceptable sur le plan juridique, que la communauté internationale ne devrait pas tolérer.”
Le fait est que la “barrière de sécurité”, telle qu’elle a été conçue par les stratèges militaires et telle qu’elle apparaît, dans sa première phase, sur le terrain comme sur les cartes du ministère de la Défense, est à la fois un dispositif de protection mais aussi un acte politique, infiniment plus concret, hélas, que les engagement israéliens à respecter la “feuille de route”, c’est-à-dire le plan de paix préparé par le “quartette” (Etats-Unis, Union européenne, Nations unies, Russie) et accepté en avril par les Palestiniens puis en mai par Israël.
Car, loin de suivre le tracé de la ligne verte, les 120 premiers kilomètres de la barrière dessinent en fait de larges méandres, qui s’enfoncent parfois de 6 ou 7 kilomètres à l’intérieur de la Cisjordanie. Ces méandres contournent par l’est dix colonies israéliennes abritant près de 20000 personnes, qui se retrouvent ainsi rattachées, avec leurs terres et leurs routes d’accès, au territoire israélien. En revanche, 49 villes ou villages palestiniens, où vivent plus de 140000 personnes, se retrouvent isolés dans des enclaves, à l’ouest de la barrière, ou enfermés, comme Kalkiliya, dans une boucle entre plusieurs colonies. En outre, 36 autres localités (72200 personnes) sont coupées de leurs terres par la barrière. Selon l’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem, plus de 210000 Palestiniens sont directement affectés par la construction du premier tronçon de cette barrière, qui annexe de fait à Israël plus de 16000 hectares de terres, soit 2,9% du territoire de la Cisjordanie. “L’objectif, admet Pinchas Wallerstein, l’un des responsables du Conseil des Colonies, c’est de réunir un maximum de population juive et un minimum de population arabe sur le plus grand espace possible.”
Quand on se rappelle que les négociations israélo-palestiniennes passées ont parfois achoppé sur des contestations portant sur 2 ou 3% du territoire, on mesure la colère des Palestiniens devant ce chantier géant et devant les cartes des prochaines phases. Car les trois autres portions de la barrière déjà construites ou en travaux, au nord-est de la Cisjordanie mais surtout au nord et au sud de Jérusalem, se traduisent sur le terrain par des annexions plus spectaculaires encore. Ce sont en effet une quinzaine de colonies du pourtour de la Ville sainte, abritant 173000 personnes, qui seront intégrées au “Grand Jérusalem” lorsque la partie centrale de la barrière sera achevée, en 2004. Ce qui en fait coupera en deux la Cisjordanie.
Quant au tracé définitif des autres tronçons, à l’est et au sud, il n’est pas encore officiellement arrêté. Mais des cartes assez détaillées circulent. Un vote de la Knesset destiné à débloquer des crédits pour la construction des prochaines tranches de la barrière a été ajourné mardi dernier à la demande des députés de la majorité, qui exigeaient d’en connaître le tracé exact. Sous l’influence des colons, très mobilisés par cette question, ils souhaitent obtenir du Premier ministre un engagement certifiant que la quasi-totalité des colonies et la vallée du Jourdain seront annexées à Israël, ce qui aboutirait à priver l’Etat palestinien de près de la moitié de son territoire. Pour ne pas exaspérer Washington, Ariel Sharon affecte de tergiverser, invoquant tantôt le manque de crédits – nié par le ministre des Finances, Benyamin Netanyahou –, tantôt des “contraintes techniques”. Mais devant les chefs de sa majorité il a déjà indiqué à plusieurs reprises sa résolution à “aller jusqu’au bout” et à construire une barrière de près de 600 kilomètres.
“La vérité, dit Stéphanie Koury, conseillère juridique du département des Négociations de l’Autorité palestinienne, c’est qu’en violation du droit international et de l’accord d’Oslo le gouvernement Sharon est en train de tuer la possibilité de créer un Etat palestinien souverain et viable, en imposant sur le terrain des faits accomplis qui amputent et morcellent le territoire de ce futur Etat avant que ses frontières ne soient négociées, en 2005, dans la dernière étape de la "feuille de route". C’est si clair que, lorsque nous avons montré les cartes à Condoleezza Rice lors de sa visite à Ramallah, elle était furieuse.” George Bush lui-même a admis, la semaine dernière, en recevant à Washington le Premier ministre palestinien Mahmoud Abbas, que “le mur [était] un problème”.
“Nous ne sommes pas exempts de reproches, concède, dans son bureau de Jéricho, l’ancien chef des négociateurs palestiniens, Saëb Erekat. Nous avons par exemple été incapables de mettre en œuvre une pédagogie de la paix. Mais les Israéliens, une fois encore, jouent avec le feu. Après avoir augmenté la population des colonies de 72% entre 1993 et 2000, et construit sur les terres des Palestiniens 450 kilomètres de routes réservées aux colons, en violation flagrante des accords d’Oslo, ils refusent aujourd’hui le gel des colonies et l’arrêt du chantier de la barrière, prévus par la "feuille de route". Ils bénéficient de la trêve conclue entre l’Autorité palestinienne et les organisations islamistes, mais ils ne font rien pour la prolonger et la consolider. Proposer 540 libérations quand on détient près de 6000 prisonniers, ce n’est pas sérieux. En agissant ainsi, Sharon est en train de miner la "feuille de route". Il ne veut pas comprendre que dans le conflit israélo-palestinien il n’y aura pas un vainqueur et un vaincu mais deux vainqueurs ou deux vaincus.”
Une journée passée à circuler sur les superbes routes qui relient entre elles les 160 colonies de Cisjordanie et les raccordent au réseau routier israélien permet de constater que les constructions, dans les implantations, loin d’être gelées comme le réclame la "feuille de route", sont en plein essor. Des grues, des bulldozers, des bétonnières s’activent partout sous la surveillance de l’armée. Quant aux opérations d’“évacuation” menées par l’armée, elles n’ont touché aucune colonie en dur mais une poignée d’installations “sauvages”, c’est-à-dire de cabanes de chantier et de caravanes, le plus souvent inhabitées, parmi la centaine que recensent les experts américains.
Selon ses proches, le Premier ministre palestinien compte sur les pressions de Washington pour faire entendre raison à Sharon. “Il est convaincu, dit son conseiller politique Rami Shehadeh, qu’en mettant en place une administration compétente, en combattant le népotisme et la corruption, en remplaçant les multiples milices par une police efficace et en instaurant le règne de la loi, il gagnera la confiance des Américains.” C’est aussi l’avis du ministre de la Culture, Ziad Abou Amr, qui fut l’un des négociateurs de la trêve de trois mois conclue le 29 juin avec le Hamas et le Djihad islamique: “Nous ne savons pas ce que veut Sharon, mais nous savons que si nous respectons notre part des engagements prévus par la "feuille de route", en renonçant à la violence et en mettant en place des institutions démocratiques, nous ne changerons pas seulement notre image mais aussi quelques données du rapport de force, en devenant beaucoup plus crédibles aux yeux de l’opinion internationale et de l’administration américaine.”
Mahmoud Abbas – “N’appelez plus le Premier ministre Abou Mazen, demande l’un de ses conseillers, l’époque héroïque des "Abou" est terminée, nous sommes sortis de la résistance, nous entrons dans la construction de l’Etat” – ne manque jamais, en public, de réclamer l’arrêt de la construction de la “barrière de sécurité”, qui trace unilatéralement une frontière inacceptable. En privé, il est plus pragmatique: “Il ne cesse de nous dire: "Tout ce qui a été construit par les hommes peut être démoli, surtout un mur"”, confie Ziad Abou Amr.
A quelques centaines de mètres des ruines de la Mouqataa – au milieu desquelles Yasser Arafat est reclus depuis dix-neuf mois dans le dernier bâtiment intact –, le Premier ministre palestinien, qui n’a pas renoncé à ses siestes quotidiennes, a installé son équipe de jeunes conseillers dans un banal immeuble de bureaux d’El Bireh. Il sait que dans une période aussi critique il doit préserver ses prérogatives sans laisser Sharon marginaliser davantage Arafat, car le vieux président incarne encore aux yeux de la majorité des Palestiniens une légitimité historique et politique qui fait défaut à son Premier ministre. Accusé d’avoir fait trop de concessions en acceptant une "feuille de route" dénaturée par les réserves israéliennes, il a renoncé à démissionner, musclé son discours sur les prisonniers, les colonies et la “barrière” et ne manque pas une occasion de réclamer la fin de la réclusion du président palestinien.
“Mahmoud Abbas est honnête et sincèrement dévoué à la cause du peuple palestinien, mais il est un peu naïf, dit un vieux compagnon de Yasser Arafat. Parce que George Bush lui a tapé deux fois sur l’épaule, il croit qu’il a l’oreille du président américain. C’est dangereux parce qu’il en devient sourd à la situation sur le terrain, à la détresse et à la misère des siens.”Après deux années de bouclages, de couvre-feux et de frappes plus ou moins ciblées, il est vrai que l’économie palestinienne est en ruine. La Banque mondiale estime qu’en trois ans le produit intérieur brut s’est effondré de 5,16 milliards de dollars à 3,22 milliards de dollars et que 60% des habitants vivent aujourd’hui au-dessous du seuil de pauvreté.
“Avant l’explosion de la seconde Intifada, en septembre 2000, Kalkiliya était une ville prospère, dit Maarouf Zahran. Les bouclages et les checkpoints ont réduit à néant ou presque les échanges avec les autres localités palestiniennes. Et aujourd’hui le mur nous coupe de nos terres agricoles et interdit tous nos liens avec nos voisins israéliens. Plus de 60% des adultes sont au chômage. La majeure partie de nos 41000 habitants a besoin de l’aide de l’ONU, de la Croix-Rouge internationale ou d’organisations humanitaires pour vivre. Si le Fatah ne voit pas que le moment est venu de cesser d’être un parti armé et de participer à la construction pacifique d’un Etat, si Sharon ne comprend pas que la paix a un prix et qu’il faut le payer, ce sont des hommes comme celui qui attend à la porte de mon bureau qui seront demain au pouvoir en Palestine.”Du regard, Maarouf Zahran désigne l’austère barbu en abaya grise, coiffé d’une calotte blanche, qui vient d’arriver: le chef du Hamas à Kalkiliya.
Les grillages électrifiés de la “ barrière de sécurité ” à une extrémité de Kalkiliya.Seuls peuvent entrer et sortir, à pied, les femmes et les hommes de plus de 35 ans.
                                                       
7. Les bonnes clôtures font les bons voisins par Dominique Roch
sur Radio France Internationale le jeudi 31 juillet 2003
Les bonnes clôtures font les bons voisins. C’est ce qu’a affirme sans rire face a George Bush, Ariel Sharon qui citait le poète américain Robert Frost. Le premier ministre israélien faisait référence à la muraille de séparation de 350 km de long que construit Israël avec la Cisjordanie ; une muraille qui empiète profondément sur les terres palestiniennes. Les bons voisins d’Ariel Sharon en l’occurrence les Palestiniens qui vivent sous occupation israélienne depuis 36 ans ne semblent pas pour l’heure partager son point de vue. Israël a beau affirmer qu’il ne s’agit que d’une simple clôture destinée à empêcher les infiltrations de terroristes sur son! territoire, les travaux ont déjà pris la forme en certains endroits d ’un gigantesque mur de béton de huit mètres de haut notamment dans le nord de la Cisjordanie. Ailleurs ce ne sont que rouleaux de barbelés , tranchées de plusieurs mètres de profondeur , clôtures électrifiées et tours de contrôle. Des dizaines de milliers d’oliviers, d’amandiers ont déjà été déracines ; des paysans palestiniens se retrouvent coupés de leurs terres et une quinzaine de villes et villages palestiniens seront enclaves avec leurs 400 mille habitants du cote israélien du mur. Pour les Palestiniens, il s’agit d’une nouvelle annexion israélienne de leurs terres.
Mais le pire est à venir. Les prochaines phases de construction promettent en effet d’avoir un effet dévastateur pour l’avenir de la feuille de route, ce plan d’action international dont George Bush a fait son cheval de bataille et qui prévoit la création d’ici 2005 aux cotes d’Israël d’un Etat Palestinien viable. A la demande des colons, le gouvernement Sharon va inclure dans son trace du mur , la colonie juive d’Ariel. Du coup c’est un détour de 20km a l’intérieur de l’étroite Cisjordanie qui est prévue.
Pour les bons voisins d’Ariel Sharon a commencer par le premier ministre palestinien Mahmoud Abbas ,ce mur de séparation est un mur raciste qui perpétuera la haine. Yasser Arafat évoque le mur de Berlin et parle de cantons palestiniens; mais pour l’heure, le premier ministre israélien a l’impression d’avoir gagné la bataille des mots a Washington et ce ne sont pas les commentaires élogieux des médias israéliens qui vont le détromper. Après tout, le président américain qui avait parlé de mur la semaine dernière ne qualifie t-il pas désormais cet ouvrage de clôture?
Ariel Sharon peut se féliciter d’avoir eu, encore une fois, gain de cause à Washington mais une chose est sure : clôture ou mur, cet ouvrage risque de venir a bout de tout espoir de paix entre Israël et ses bons voisins.
                                                                   
8. Réplique aux contre-vérités de mes détracteurs - Israël est un État religieux par Louis Gill
in Le Devoir (quotidien québécois) du mardi 29 juillet 2003

(Louis Gill est professeur retraité de l'Université du Québec à Montréal.)
Dans une réplique parue le 8 juillet dans Le Devoir [http://www.ledevoir.com/cgi-bin/imprimer?path=/2003/07/08/31335.html] à mon article du 27 juin intitulé «L'irréparable handicap démocratique d'Israël» [http://www.ledevoir.com/cgi-bin/imprimer?path=/2003/06/27/30658.html], Jean-Charles Chebat rejette comme de simples «accusations partisanes» les faits que je rappelle dans cet article et pour lesquels Israël a été dénoncé à travers le monde, y compris par de très nombreux Juifs. Il franchit également sans vergogne le pas devenu classique en cette matière, en proférant à mon égard des accusations de haine dénuées de fondements. Geste des plus regrettables dans un débat qui doit nécessairement se poursuivre dans la sérénité.
Israël : un État laïque ?
À ma description de l'État juif d'Israël comme l'État d'une confession religieuse, gravé dans ses fondements mêmes d'un irréparable handicap démocratique, Chebat réplique en soutenant au contraire que, par sa Constitution, l'État d'Israël est un «État laïque qui reconnaît quatorze confessions». Voilà qui n'est pas banal ! Si le mot «laïque» a un sens, un État qui reconnaîtrait sur le même pied certaines confessions, sans reconnaître les autres, pourrait être défini comme un État religieux multiconfessionnel partial, mais certainement pas comme un État laïque.
Cette laïcité de l'État, selon Chebat, serait pourtant affirmée dans la Constitution d'Israël. Or, il n'y a pas de Constitution en Israël, qui ne s'est jamais doté d'une telle Loi fondamentale constitutive du pays protégeant notamment les droits et libertés, mais qui est régi par un ensemble de lois dites «de base» (basic laws) adoptées au fil des décennies par le Parlement, la Knesset (loi du retour, lois sur la nationalité, sur la propriété de la terre, sur le gouvernement, sur l'économie, sur l'armée, etc.), dont aucune ne fait quelque allusion à une prétendue laïcité de l'État.
On ne peut par ailleurs invoquer la reconnaissance de la liberté de culte proclamée dans la Déclaration d'indépendance de 1948 pour prétendre à la laïcité de l'État, ni même pour soutenir qu'aujourd'hui les citoyens jouiraient d'une pleine liberté en matière religieuse. La reconnaissance des confessions religieuses par l'État, en effet, n'est pas entière, mais limitée à 14 confessions, comme nous le dit Chebat. De plus, quelle que soit leur pratique effective, dont Chebat nous informe qu'elle est faible, les citoyens juifs d'Israël sont tenus de se soumettre à la religion juive, en particulier pour le mariage et le divorce selon la loi juive qui, entre autres, confine les femmes dans une nette position d'infériorité. Aussi, conformément à la loi, chaque Israélien doit appartenir à une communauté religieuse. Belle laïcité !
Chebat souhaite nous convaincre en rappelant que le mouvement sioniste a été porté par un mouvement laïque, voire socialiste, qui en conséquence n'aurait jamais pu accoucher d'un État théocratique. Il omet de dire que ce mouvement a tout autant été porté par de fortes influences religieuses qui exigeaient qu'Israël se dote d'institutions conformes à la Torah, de sorte que la société israélienne est traversée de part en part par la religion. À titre d'exemple, 20 % des sièges de la Knesset sont détenus par des chefs religieux. Si le fondateur du sionisme, Théodore Herzl, proclamait en 1896 dans L'État des Juifs que l'armée et le clergé n'ont pas à s'immiscer dans les affaires de l'État, il affirmait tout autant : «Nous ne reconnaissons notre communauté d'appartenance historique qu'à travers la foi de nos pères.»
La contradiction
Qu'en est-il des incidences démocratiques de cet État religieux ? Mentionnons d'abord qu'il a fallu attendre jusqu'en 1992 pour que soit adoptée une Loi sur la dignité de l'Homme et sa liberté, considérée comme une ébauche d'une éventuelle Déclaration des droits de l'Homme qui n'a toujours pas vu le jour. Mais cette loi ne contient pas de clause d'égalité qui garantirait aux citoyens non juifs d'Israël (20 % de la population) une protection contre la discrimination. La loi énonce au contraire que les Droits de l'Homme doivent être interprétés dans l'esprit des principes de la Déclaration d'indépendance de 1948 qui stipule que «l'État d'Israël sera fondé sur la liberté, la justice et la paix selon l'idéal des prophètes d'Israël», et qu'elle a pour objet d'instituer «les valeurs de l'État d'Israël en tant qu'État juif et démocratique».
Cette contradiction en soi qu'est un «État juif et démocratique» est illustrée en particulier par le fait que le droit des non-Juifs à se présenter comme candidats aux élections à la Knesset est soumis à leur acceptation du caractère juif de l'État, de sa composition comportant une majorité de Juifs et du privilège de «retour» en Israël accordé aux Juifs, selon le principe de la «prééminence du Droit du sang sur le Droit du sol». La loi interdit à tout candidat de se présenter aux élections sur une plate-forme politique qui nierait le «droit à l'existence de l'État d'Israël en tant qu'État du peuple juif». Un registre de la population départage par ailleurs les citoyens entre Juifs et non-Juifs.
On comprendra facilement, en contradiction avec la présentation idyllique dont Chebat voudrait nous convaincre, que les citoyens de la minorité non juive d'Israël puissent être définis comme «des étrangers de l'intérieur» et «des citoyens de seconde zone, du fait de leur non-judaïcité» par la Fédération internationale des Ligues des droits de l'Homme (FIDH) dans un rapport de 2001 d'une mission d'enquête menée par elle avec la collaboration de l'Association for Civil Rights in Israel. Ce rapport établit une liste impressionnante des discriminations économiques et sociales dont est victime la population arabe d'Israël et révèle l'absence de droits élémentaires qui est le lot quotidien de la population bédouine.
«Accusations partisanes», répliquera sans aucun doute Chebat qui y décèlera ici encore l'«écho des cris de haine venus de Durban». Faudrait-il nier ces faits sous prétexte que la négation des droits démocratiques est encore plus grande dans les États arabes ? N'est-on pas plutôt fondé de poser avec la FIDH la question suivante : «Que peut signifier un État moderne et démocratique doté d'une religion nationale où l'appartenance à cette religion nationale est un critère permettant de revendiquer le droit à la citoyenneté ?» Et de répondre avec elle : «Seule une séparation complète entre la religion et l'État [...] permettrait de restaurer au terme "démocratie" la plénitude de son acception.»
Mur de la honte
La loi allemande sur le droit de retour de descendants d'exilés allemands, en sol allemand habité par des Allemands, sur un territoire 17 fois plus grand que celui d'Israël, peut-elle vraiment être mise sur le même pied que la loi israélienne accordant un droit de «retour» aux Juifs du monde entier, sur un minuscule territoire d'où ont été évacués quatre millions d'Arabes auxquels on nie le droit de retour et dont on gruge sans cesse la partie qui est toujours considérée comme territoire palestinien ? Poser la question est y répondre. Pour Chebat, il faudrait plutôt, en plus, défendre le «droit» des colons juifs d'envahir sous protection militaire les territoires palestiniens de Cisjordanie et de Gaza !
Peut-on d'autre part condamner l'ancien «mur de la honte» de Berlin, parce qu'il empêchait les Allemands de l'Est de fuir à l'Ouest, mais soutenir en même temps l'édification par Israël de cet autre «mur de la honte» sur la frontière ouest de la Cisjordanie, en justifiant ce dernier par la volonté d'empêcher l'entrée en Israël des terroristes palestiniens ?
Précisons que ce mur de huit mètres de haut et trois mètres de large sur une distance de 350 kilomètres, dont le tiers a déjà été construit au coût de 1,6 million de dollars par kilomètre, confisque par surcroît de nouvelles parties du territoire palestinien et sépare de leurs terres des dizaines de milliers de Palestiniens. Les maisons des 40 000 habitants de la ville de Qalqiya se trouvent en effet d'un côté du mur, alors que les terres qu'ils cultivent se trouvent de l'autre. Ce sera le cas de 300 000 Palestiniens lorsque le mur sera achevé. Fait significatif, la «feuille de route» pour la paix ne fait aucune allusion à cette monstruosité qui semble normale à Chebat, ni à ce que le projet d'un mur semblable du côté est de la Cisjordanie ait d'ores et déjà été approuvé.
Je ne dirai que quelques mots de l'article de Yoram Danan paru dans Le Devoir du 17 juillet, dont la banalisation des exactions d'Israël sous prétexte que des violations des droits de la personne ont aussi lieu ailleurs est devenue un triste lieu commun. Lui aussi justifie le «mur de la honte» comme un «système de défense contre les kamikazes palestiniens». Comme l'explique le professeur israélien Gadi Algazi de l'Université de Tel-Aviv dans le Monde diplomatique de juillet, ce mur est plutôt l'instrument d'un projet politique global : «briser la Cisjordanie pour la transformer en une série d'enclaves et de bantoustans étroitement contrôlés par Israël, et d'empêcher ainsi toute continuité territoriale d'un futur État palestinien», dont la viabilité serait dès lors détruite.
Danan écrit qu'il était tout à l'honneur des pères fondateurs d'Israël d'aspirer à «plus de territoire que ce qu'ils avaient pu obtenir par la décision de partage». Dans la réalisation de ces aspirations, il serait tout autant «à l'honneur» de Sharon et consorts d'édifier aujourd'hui ce mur pour faire barrage à l'État palestinien comme condition de la réalisation de l'objectif du «Grand Israël».
En terminant, je considère comme une grave insulte faite au Québec, l'insoutenable parallèle dressé par Chebat entre la politique d'immigration d'Israël, fondée sur la discrimination et l'exclusion, et la politique de libre ouverture à une immigration de toute provenance, sans considérations de nationalité, de langue, de couleur de la peau, de religion, de sexe ou d'opinons, pratiquée par le Québec.
                                   
9. Il faut sauver le "soldat Abbas" par Ridha Kéfi
in L'intelligent - Jeune Afrique du lundi 28 juillet 2003
Pour sa première tournée depuis sa prise de fonctions fin avril, le Premier ministre palestinien Mahmoud Abbas (Abou Mazen) s'est rendu au Caire (Égypte), à Amman (Jordanie) et à Washington (États-Unis). Le 25 juillet, dans la capitale américaine, il a été reçu successivement par des membres du Congrès, par la présidente du Conseil national de sécurité, Condoleezza Rice, et par le président George W. Bush. Ce périple, qui s'est achevé par une rencontre avec le roi Mohammed VI à Rabat (Maroc), sera déterminant pour l'avenir du numéro deux palestinien.
C'est à bord de l'avion personnel de Yasser Arafat que Mahmoud Abbas a effectué le vol Amman-Washington. Cet appareil est le seul à avoir échappé, au printemps 2002, à la destruction par l'armée israélienne de la maigre flotte palestinienne sur l'aéroport international de Gaza. Au même moment, il était en Égypte... « La composition de la délégation ayant accompagné le Premier ministre - à savoir Ahmed Qoraï, président du Conseil législatif palestinien (Parlement) ; Nabil Chaâth, ministre des Affaires étrangères ; Mohamed Dahlan, ministre de la Sécurité ; et Salem Fayed, ministre des Finances - a fait l'objet d'un accord préalable avec le président de l'Autorité », explique Mounir Ghannam, ambassadeur de l'Autorité palestinienne à Tunis. Qui ajoute : « On cherche à faire accréditer la thèse selon laquelle Abou Mazen et Abou Ammar (surnom d'Arafat) sont en conflit. En réalité, l'un ne décide de rien sans l'autre. »
Comme pour dissiper tout malentendu, Abbas annonçait, la veille de son départ pour Washington, avoir reçu « un feu vert » d'Arafat. « Le président américain a, à plusieurs reprises, invité le Premier ministre à venir le rencontrer, mais ce dernier a fait savoir à chaque fois qu'il ne pourrait pas répondre à l'invitation aussi longtemps qu'Israël n'aurait pas rendu sa liberté de mouvement au président de l'Autorité, explique Mounir Ghannam. C'est à la demande d'Arafat que le Premier ministre a décidé de mettre un bémol à sa revendication, dans l'espoir de voir sa rencontre avec Bush déboucher sur la reprise du processus de paix. » Traduire : le chef de l'Autorité n'est pas hors jeu. Il est le maître du jeu.
Mahmoud Abbas, qui est dès son retour menacé d'une censure parlementaire s'il ne rapporte rien de concret de sa rencontre avec George W. Bush, représente pour nombre de Palestiniens la capitulation devant les exigences étrangères. Outre sa modestie et son manque de charisme, ses compatriotes lui reprochent de n'avoir obtenu aucune concession de la part d'Israël depuis le déclenchement du processus d'Aqaba, début juin, et, surtout, depuis la houdna, l'arrêt des attaques anti-israéliennes proclamé unilatéralement le 29 juin par cinq mouvements palestiniens. À preuve : les barrages israéliens sont encore en place sur les routes de Cisjordanie, Arafat est toujours confiné dans son quartier général de la Mouqattâ, et Israël n'a pas arrêté le chantier du « mur de sécurité », ni la construction dans les implantations.
Or, tout en continuant à exiger d'Abbas qu'il prenne des mesures énergiques pour désarmer et démanteler les « organisations terroristes » (ce qu'il se gardera sans doute de faire, si tant est qu'il en ait les moyens, de crainte d'aggraver son isolement sur la scène palestinienne), les Israéliens ne semblent pas disposés à faire le moindre « cadeau » à leur interlocuteur préféré. En relançant la construction du « mur de sécurité », en fermant les yeux sur la construction des nouvelles implantations et en refusant de fixer un calendrier pour la libération des 6 000 à 8 000 détenus palestiniens, se contentant d'annoncer la prochaine libération de « centaines » d'entre eux, le démantèlement de trois (sic) barrages militaires et le transfert aux Palestiniens de deux autres villes de Cisjordanie - des mesures cosmétiques -, ils ne renforcent pas, c'est un pléonasme, la position d'Abbas, pas plus qu'ils n'entament celle d'Arafat.
Tout porte à croire, au contraire, que les Israéliens et les Américains ont commis l'erreur de penser que le leader historique de l'OLP était politiquement fini. Alors que, face au Premier ministre, le « séquestré de la Mouqattâ » apparaît de plus en plus, aux yeux des siens, comme le véritable défenseur des aspirations nationales palestiniennes. En qualifiant Abbas, il y a un mois, de « petit poussin dont les ailes n'ont pas encore poussé », Ariel Sharon a peut-être définitivement condamné son homologue à jouer les seconds rôles, c'est-à-dire son rôle de second.
Reste à savoir si, pour sauver le « soldat Abbas » et la feuille de route, le président américain est disposé à faire pression sur le Premier ministre israélien, qu'il recevra le 29 juillet, afin de l'amener à accepter des « concessions douloureuses ». Sachant que la course à sa propre succession est lancée et que George W. Bush aura de plus en plus besoin du soutien de l'électorat juif.
                                                                           
10. Les frontières de l'arbitraire pour les Européens en Israël par Julie Kara
in Libération du jeudi 24 juillet 2003

Pour des raisons de sécurité, les étrangers, surtout français, sont de plus en plus souvent refoulés.
Frontière israélo-jordanienne correspondance - «Vous les Français, vous êtes tous les mêmes : antisémites et pro-Sadam. Rentrez chez vous.» A King-Hussein Bridge (aussi appelé pont Allenby), point de passage entre la Jordanie et Israël, sis en plein désert à une quarantaine de kilomètres d'Amman, l'accueil n'est pas vraiment chaleureux pour les citoyens européens et encore moins pour les Français. Cédric, jeune archéologue en poste depuis deux ans en Jordanie à l'Institut français du Proche-Orient (Ifapo), en a fait les frais la semaine dernière. Arrivé à 9 h 30 au poste-frontière israélien, il en est reparti près de sept heures plus tard, dépité. «Il y a une réelle volonté de la part des Israéliens d'humilier les gens. On ne m'a donné aucune raison pour cette si longue attente. Or les douaniers savent très rapidement s'ils vous laisseront entrer ou non. Je suis persuadé qu'ils agissent ainsi délibérément contre les Français. Et les faire attendre est le meilleur moyen de dissuader les gens.» Ce jour-là, sur les cinq étrangers refoulés, trois sont Français. Refoulés certes, mais avec humour : les douaniers, souvent de très jeunes femmes, leur ont proposé de retenter leur chance le lendemain, au cas où ils auraient envie de repasser une journée complète en compagnie de la sécurité israélienne, sans avoir plus de gages sur un possible passage.
Interrogatoires. Dans le bus qui parcourt les quelques kilomètres du pont qui sépare les douanes jordanienne et israélienne, la colère et l'incompréhension font place à la lassitude. Les heures d'attente épuisantes, ponctuées d'interrogatoire et de fouilles minutieuses ­ au corps pour certains ­ ont épuisé les voyageurs. Le sentiment antifrançais est-il si prégnant en Israël ? Il est certain que la position du gouvernement français sur la guerre en Irak n'est pas faite pour plaire à Israël, allié inconditionnel des Etats-Unis. «Et les Israéliens n'ont pas pardonné aux Français les actes antisémites qui ont eu lieu l'an dernier dans l'Hexagone. Ils n'ont pas oublié qu'alors, des attaques avaient eu lieu contre des synagogues», ajoute un diplomate français en poste à Tel-Aviv qui désire garder l'anonymat. «Mais il est difficile de parler d'un refoulement systématique des Français. Nous n'avons pas de chiffres nous permettant de l'affirmer même si les plaintes sont de plus en plus nombreuses à arriver au consulat. Et le problème est le même, que ce soit aux frontières terrestres ou à l'aéroport Ben-Gourion. Mais les Français ne sont pas les seuls à subir ce traitement. Tous les Européens ont de plus en plus de mal à venir en Israël.»
Côté israélien, on brandit la carte de la sécurité pour justifier le refoulement des Occidentaux. Depuis le 30 avril, date à laquelle deux citoyens britanniques d'origine pakistanaise ont commis un attentat contre un pub de Tel-Aviv, le service de sécurité intérieur, le Shin Beth, a décidé que les procédures de contrôle des étrangers «seraient réexaminées». Le nombre croissant de pacifistes refusant l'occupation israélienne rend également nerveux le gouvernement. Pourtant à King-Hussein Bridge, Cédric ne décolère pas. Invité par l'université d'Haïfa, il était venu pour participer à un colloque. Ce que les services de sécurité n'ont même pas cherché à vérifier. A ses côtés, un activiste canadien de l'ISM (International Solidarity Movement) passe, lui, sans encombres. Sentiment d'arbitraire.
Et ce renforcement des mesures de sécurité n'épargne personne. Diplomates et journalistes sont logés à la même enseigne. Ainsi l'ambassadeur de France en Jordanie a-t-il été bloqué cinq heures à King-Hussein Bridge lors d'un récent voyage à Jérusalem. Même chose pour les diplomates français basés à Tel-Aviv : «Même lorsque nous avertissons les services de sécurité de notre arrivée, il n'est pas rare d'attendre une journée à la douane.»
Harcèlement. Du côté des journalistes, la situation commence à échauffer les esprits. Ainsi Charles Enderlin, correspondant de France 2 à Jérusalem et membre de la Foreign Press Association, a-t-il reçu cette semaine plus d'une trentaine de plaintes. Les journalistes étrangers dénoncent le harcèlement aux postes-frontière. Interrogatoires, délais de plusieurs heures, confiscation du matériel informatique sont monnaie courante. Dernièrement deux journalistes françaises de France Inter, Isabelle Dor et Muriel Rozelier, ont été refoulées. Quant à Pierre Prier, chef du bureau israélien du Figaro, son ordinateur lui a été confisqué à l'aéroport Ben-Gourion. Puis égaré.
De l'autre côté du pont Allenby, les douaniers jordaniens sourient de la situation. Ils ont pris l'habitude de voir revenir les refoulés. «C'est vrai que ces derniers mois, les Français refont souvent le chemin inverse. Il n'est pas rare de les voir en larmes ou en tout cas en colère. Mais que faire ? Imaginez ce que peuvent endurer au quotidien "les Palestiniens», ironise ce policier.
                                                       
11. Critiquer Israël / Écœurement / Tradition ancienne par Bernard Langlois
in Politis du mercredi 23 juillet 2003

On vous l'avait bien dit que le livre de Pascal Boniface allait faire du bruit (bloc-notes n° 748)... Non, il n'est pas permis, en France, de critiquer Israël. Du moins, pas impunément. Un écrivain, un journaliste, un expert en relations internationales qui s'y risque (hors quelques remontrances de pure forme) doit s'attendre à de sérieux ennuis, dont l'inévitable accusation d'antisémitisme.
On vous avait raconté comment le directeur de l'Iris (Institut des relations internationales) avait dû faire front à une campagne virulente visant à le virer de son poste, suite à une note interne adressée à la direction du PS (parti dont il est membre depuis 1980, après avoir milité au PSU), en avril 2001. Dans cette analyse, qui n'avait pas vocation à être rendue publique, il la mettait en garde, en sa double qualité de militant et d'expert, contre sa complaisance envers l'État juif et son gouvernement et soulignait les risques électoraux que cette attitude faisait courir au parti. Simple remarque de bon sens, quand on sait le poids croissant du vote musulman et la solidarité que ressentent notamment de jeunes Français d'origine maghrébine - et pas seulement eux ! - avec le peuple palestinien opprimé.
Pascal Boniface ne se situait pas sur le plan de la seule efficacité électorale, mais sur celui de la morale politique : est-il bien conforme aux valeurs dont nous nous réclamons, disait-il en substance, de continuer, dans le contexte actuel, de renvoyer dos-à-dos Israël et les Palestiniens, comme si les responsabilités étaient également partagées, entre un État militarisé, surpuissant régionalement et soutenu inconditionnellement par les États-Unis d'Amérique, et un peuple sans armée ni réelle administration, ne disposant que de lambeaux de territoire, soumis à d'incessantes brimades de la puissance occupante, asphyxié économiquement et bombardé à la moindre incartade ? Est-ce moral, est-ce juste, quand ce peuple, par la voix de son représentant incontestable, a fait la concession majeure de renoncer aux terres qui étaient siennes avant la création d'Israël et accepte de reconnaître cet État, dès lors qu'on lui permet de créer le sien sur la portion de Palestine que lui octroyait le plan de partage initial, c'est-à-dire la Cisjordanie, autrement dit : les Territoires occupés ; autrement dit encore (par les Israéliens partisans du Grand Israël, ce qui dit assez qu'ils entendent y rester...) : la Judée et la Samarie ? Est-ce juste, est-ce équitable, de soutenir un État qui, depuis des décennies, s'assoie sur les résolutions de l'ONU, discrimine ses populations arabes, pratique la torture et l'assassinat politique, laisse pourrir de l'intérieur la démocratie dont il se targue par une influence de plus en plus prégnante d'une minorité religieuse intégriste ?Un État qui, même au plus fort du défunt processus de paix initié à Oslo et Madrid, n'a jamais cessé d'implanter des colonies juives dans ces territoires qu'il disait être disposé à restituer ?
Israël, ou le double jeu, en permanence. Pas besoin d'être expert pour s'en rendre compte. Pas besoin d'être socialiste pour s'en indigner.
Écœurement
Donc Boniface pond sa note. Il fait face immédiatement à une campagne de déstabilisation, comme le lobby sioniste en France sait les mener, en profitant de ses positions de pouvoir dans l'appareil d'État et dans les médias.
Pour l'avoir rencontré à cette époque (lors d'une réunion du HCCI - Haut Conseil à la Coopération internationale - dont nous étions membres tous les deux), je peux témoigner du profond écoeurement où cette campagne l'avait plongé. Mais comme c'est un battant, il s'est battu (sait-on assez que certains journalistes très connus ont renoncé à traiter d'Israël après de semblables attaques de ceux qui prétendent parler au nom de la communauté juive ?). Il publie donc son bouquin (1), où il raconte l'histoire et réaffirme ses positions. Accueil gêné de la confrérie, attaques redoublées du lobby, pour qui dire du mal de Sharon équivaut à insulter la mémoire des gazés d'Auschwitz (`, la sempiternelle instrumentalisation de la Shoah !) : la revue juive L'Arche lui consacre quatre pages finement intitulées « Est-il permis d'être antisémite ? ». Pascal a aussi, heureusement, des défenseurs. Parmi eux, Alfred Grosser, autorité morale incontestable et membre du conseil de surveillance de L'Express, qui publie un article dans cet hebdomadaire pour le soutenir : à la grande surprise (et indignation) de l'éminent professeur Grosser, la direction de L'Express croit bon de publier une pleine page de courrier des lecteurs insultante pour l'auteur. Grosser n'a plus qu'à démissionner.
On en était là jusqu'au 18 juin dernier.
Tradition ancienne
Se faire traiter d'antisémite, voire de négationniste, et devoir protester de sa bonne foi, n'est pas agréable (2). Quand ces accusations émanent des habituels porte-parole autoproclamés du philosionisme inconditionnel, on s'y fait. Quand l'accusation vient de certains de vos amis politiques, c'est insupportable.
C'est ce que Boniface a le moins supporté : que la campagne contre lui soit alimentée par des militants socialistes, et pas des moindres. Il devait pourtant s'y attendre : le PS est le parti le plus complaisant à l'égard d'Israël de la scène politique française. C'est une très ancienne tradition qui remonte à la création de l'État hébreu, quand on pouvait encore se faire des illusions sur sa nature progressiste (Ben Gourion, les kibboutz, etc.). La SFIO de Guy Mollet poussa très loin la coopération franco-israélienne, jusqu'à la pitoyable expédition de Suez. Le retour de De Gaulle mit le holà (un « peuple dominateur et sûr de lui ») et la politique française fut alors plus équilibrée, sous Mitterrand y compris. Mais nombre de dirigeants socialistes sont toujours restés des inconditionnels, tel un Strauss-Kahn avouant ingénument à Tribune juive « se lever chaque matin en se demandant comment il pourra être utile à Israël », ce qui est, on en conviendra, pour le moins incongru dans la bouche d'un responsable politique français de haut rang, qui ne cache pas ses ambitions... C'est du reste encore lui, élu de Sarcelles (rassurez-vous, il n'y habite pas), qui faisait récemment huer le nom de Boniface lors des « Douze heures pour l'amitié France-Israël » organisées par les institutions juives. Mais l'époux d'Anne Sinclair (elle-même militante sioniste acharnée) est loin d'être le seul sioniste socialiste. Fabius est plus prudent dans ses propos publics : il a tout de même cru bon de démissionner du conseil d'administration de l'Iris. Et c'est Moscovici, depuis Dijon secrétaire national aux relations internationales, qui a « débarqué » Boniface de son poste de délégué. Hollande a laissé faire. C'était donc il y a juste un mois.
Depuis, Pascal Boniface a rendu sa carte du parti socialiste. Si tous les militants socialistes que révoltent la politique de Sharon (le boucher de Sabra et Chatila : imagine-t-on Bigeard ou Aussaresses présider la République française ?) et presque autant la mollesse chafouine de Pérès et des travaillistes, si ces militants avaient des couilles, ils en feraient autant.
Ce n'est pas là l'affaire du siècle, et elle ne fait pas les gros titres. Mais elle est tellement significative d'une évolution malsaine, d'une montée des communautarismes (3), d'une importation dans la vie de la société française du conflit israélo-palestinien (que je ne crois pas du tout en voie de règlement, malgré les récents développements autour de la « feuille de route »), que j'ai voulu en entretenir mes lecteurs : le procès fait à Pascal Boniface est inacceptable. Le meilleur moyen de lui témoigner notre solidarité est encore de lire son livre.
Bonnes vacances à tous.
- Notes :
(1) Est-il permis de critiquer Israël ? aux éditions Robert Laffont.
(2) « Cette note - écrit Boniface - allait concentrer contre moi colère et même haine. J'allais devenir l'objet d'une campagne organisée. C'est une véritable fatwa qui fut lancée. Comment expliquer que le rappel de principes élémentaires ait pu susciter de telles réactions ? » (p. 196).
(3) Le Mrap dénonce ces jours-ci la floraison sur Internet de sites violemment anti-arabes, orduriers et alimentés par la fraction la plus extrémiste du lobby sioniste...
                                       
12. Ils ont osé le faire - Quand Danone vend les eaux du Golan par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du lundi 21 juillet 2003

Le groupe agro-alimentaire Danone, qui s'est rendu tristement célèbre en mettant sur le pavé des milliers de travailleurs à Calais et Ris-Orangis, va bien et fait des bénéfices. Il vient même de les investir en rachetant à 185 % de leur valeur sur le marché 20 % des parts du groupe israélien Mey Eden, distributeur des eaux minérales du plateau du Golan. Un territoire syrien occupé par Israël depuis 1967 et dont l'occupation est toujours considérée comme illégale aux yeux du droit international. La filiale européenne du groupe Mey Eden a signé un accord de joint venture avec Danone pour la distribution de ces eaux en Europe. Au départ, Danone possédera 53,2 % des parts de la nouvelle société et 50 % du droit de vote. L'accord prévoit également que Danone pourra en prendre le contrôle à 100 % d'ici à 2008. La nouvelle société couvrira le plus vaste secteur géographique qui soit dans sa branche et occupera la première place dans onze pays, dont la France, l'Espagne, les pays scandinaves et la Suisse et sera également implantée en Allemagne, en Grande-Bretagne, en Italie et en Europe.
Au moment où la Syrie demande avec insistance la reprise des négociations pour la restitution du Golan, promise par Yitzhak Rabin, certains patrons français font ainsi le choix de participer activement au pillage par Israël des ressources en eau des territoires occupés.
                                               
13. Israël à l'assaut de l'Irak par Ridha Kéfi
in L'intelligent - Jeune Afrique du lundi 21 juillet 2003

Les hommes d'affaires de l'État hébreu rêvent de prendre pied dans un pays dont les ressources et les besoins sont considérables. Mais il n'est pas sûr du tout qu'ils y soient les bienvenus...
Avant même que la guerre en Irak ne soit terminée, beaucoup d'Israéliens se sont mis à rêver de conquérir le pays de Saddam. À les entendre, l'invasion de la Mésopotamie est en marche. Des agences de voyages ont commencé à former des guides israéliens. Benyamin Netanyahou, ministre de l'Économie, a annoncé à Londres que l'oléoduc entre Kirkourk et Haïfa devrait être rouvert sous peu. L'ancien Premier ministre s'apprête, par ailleurs, à faire modifier la loi israélienne pour permettre aux producteurs de son pays d'exporter directement en Irak, toujours considéré comme pays ennemi. John Taylor, nouveau patron américain de l'Irak, a annoncé aux investisseurs israéliens que la route de Bagdad leur était ouverte. Pour l'économie israélienne, actuellement en pleine crise, le marché irakien pourrait constituer, il est vrai, une bouffée d'oxygène.
L'Intifadha d'el-Aqsa, lancée fin septembre 2000, a aggravé la récession économique dans l'État hébreu. Le mouvement financier et humain vers Israël s'est inversé au cours des deux dernières années, et l'on a assisté à des fuites de capitaux et de populations vers l'étranger. Conséquence : avec des taux de croissance du PIB négatifs, estimés, respectivement, à - 0,9 % et - 1,5 %, les années 2001 et 2002 ont été parmi les plus médiocres que l'économie israélienne ait connues depuis sa fondation en 1948. Autre conséquence : le niveau de vie des Israéliens a baissé de 6 %. De plus en plus de foyers ont été obligés de casser leur tirelire, provoquant une baisse considérable de l'épargne nationale et de l'investissement intérieur. À cette baisse directe du Produit national brut s'est ajoutée une chute des investissements directs étrangers, des exportations de biens et services, et des recettes du tourisme. Benyamin Netanyahou, qui n'a rien d'une colombe, a fait récemment cette déclaration étonnante : « Le véritable plan de sauvetage de l'économie israélienne, c'est la feuille de route. » Traduction : sans une solution, même imparfaite, du conflit israélo-palestinien, aucune reprise n'est possible.
Pour relancer leur économie, les Israéliens ont donc besoin du retour de la paix dans les Territoires palestiniens, mais aussi de la stabilité dans toute la région. D'autant qu'ils envisagent sérieusement de tirer profit des retombées de l'occupation américaine de l'Irak, un pays dont les richesses (en pétrole) et les besoins (en presque tout) sont incommensurables. Ils se demandent seulement quels marchés les Américains sont disposés à leur concéder et dans quelle mesure les Irakiens sont prêts à accepter une normalisation économique avec l'État hébreu, même par Américains interposés.
Dès la fin la guerre en Irak, des responsables du ministère israélien de l'Infrastructure ont réfléchi à la possibilité de rénover le pipeline entre l'Irak et les raffineries du port de Haïfa. « Ce projet est pour le long terme », a cependant estimé l'un d'eux. Avant d'ajouter : « À court ou à moyen terme, je ne serais pas surpris de voir Israël importer du pétrole irakien, soit par l'intermédiaire d'un pays tiers, soit par une compagnie étrangère. » Citant des sources autorisées à la présidence du Conseil à Jérusalem, des journaux israéliens ont révélé, vers la mi-mai, deux semaines après la fin officielle de la guerre d'Irak, que le sujet de la vente de pétrole irakien à Israël a été soulevé dernièrement « d'une manière informelle » entre responsables israéliens et américains. Amir Makov, président de l'Institut israélien du pétrole et de l'énergie, a déclaré, pour sa part, que soulever le sujet était encore prématuré, tout en reconnaissant que cette perspective - qui permettrait à Israël de diversifier ses sources d'approvisionnement - avait bel et bien été soulevée.
Le quotidien Yedioth Aharonoth a révélé, le 4 juin, que l'avocat Gilaad Sher, ancien conseiller du Premier ministre Ehoud Barak, qui a pris part aux négociations avec les Palestiniens, oeuvre depuis quelques semaines pour l'implication de firmes israéliennes dans des projets liés à la reconstruction de l'Irak. Le quotidien a parlé d'une dizaine d'entreprises possédant un savoir-faire et une expérience reconnus internationalement dans les domaines de la santé, du matériel médical, de la pharmacologie, de l'ingénierie et du BTP. Ces sociétés devraient cependant opérer en Irak de manière indirecte, c'est-à-dire en collaboration avec les autorités américaines, en coordination avec quelques pays de l'Union européenne ou, pour certains projets, avec la Banque mondiale. Dans tous les cas, l'identité israélienne des sociétés serait gardée secrète. La situation sécuritaire en Irak étant encore très délicate, la présence d'acteurs économiques israéliens pourrait provoquer une forte hostilité de la part de la population.
Avigdor Itshaki, directeur de cabinet d'Ariel Sharon, qui a participé au World Economic Forum, le Davos du Moyen-Orient, organisé les 21 et 22 juin à Shouneh, sur la rive jordanienne de la mer Morte, a confirmé à plusieurs journalistes israéliens et occidentaux que son pays envisage sérieusement de participer à la reconstruction de l'Irak. « Israël ne pourra cependant s'impliquer dans ce pays que dans le cadre d'une coopération avec les États Unis ainsi qu'avec les pays du Golfe, la Jordanie et les Palestiniens », a-t-il précisé. Traduction : les partenaires arabes, qui désirent participer à la reconstruction de l'Irak, mais qui n'en ont pas les compétences, pourraient le faire en acceptant une collaboration plus ou moins discrète avec Israël. L'État hébreu fournirait le savoir-faire et la technologie tandis que les pays arabes assumeraient la commercialisation et les contacts officiels avec les Irakiens. Selon Itshaki, des contacts ont déjà eu lieu entre des opérateurs israéliens et arabes. Ils concernent notamment la haute technologie et l'agriculture.
Par ailleurs, l'Institut israélien des exportations a estimé à 3 millions de dollars d'ici à la fin 2003 le potentiel d'exportation des entreprises israéliennes vers l'Irak. Pour un début, ce n'est pas si mal. Selon Shraga Brosh, le président de l'Institut, ce courant commercial pourra se développer dans quatre secteurs : l'agroalimentaire, les techniques de gestion de l'eau, l'industrie pharmaceutique et le textile militaire. « Pour un service ou un produit comparable, Israël sera toujours plus attractif », a-t-il expliqué, en insistant sur la proximité géographique d'Israël et de l'Irak, qui donne un avantage décisif, selon lui, aux entreprises israéliennes face à leurs concurrentes européennes ou américaines.
Selon d'autres informations publiées, fin juin, par la presse israélienne, l'entreprise Magal, un des leaders du contrôle d'accès aux zones sensibles, de la protection des frontières, des bases militaires et des bâtiments publics, et qui commercialise ses équipements dans une soixantaine de pays, pourrait vendre du matériel à l'Irak...
Citant des sources proches des renseignements égyptiens, le quotidien émirati Al-Bayane a fait part, le 27 juin, d'informations en provenance de l'Irak selon lesquelles « une importante délégation israélienne s'est rendue, courant juin, secrètement, à Erbil, dans le Kurdistan irakien, pour examiner avec Massoud Barzani, chef du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), la possibilité d'acheter de vastes terrains dans la région en vue d'y installer des Juifs kurdes qui avaient fui le pays dans les années 1950 et au lendemain de la guerre de libération du Koweït pour s'installer en Israël ». Ils seraient environ 150 000. Le quotidien relève, par ailleurs, que « toutes les manoeuvres israéliennes dans le nord de l'Irak se font en coordination avec les forces d'occupation américaines ». Et de livrer cette conclusion, qui peut paraître saugrenue : « Tout semble indiquer que l'État hébreu cherche à construire des colonies juives dans le nord de l'Irak dans le but de contrôler le pétrole dans la zone... »
Alors que les responsables israéliens échafaudaient des plans pour avoir un « pied-à-terre » en Irak, prendre leur part du butin de guerre ou seulement ébaucher une normalisation de leurs relations avec ce pays, l'ayatollah chiite Kazem al-Haïri a publié une fatwa interdisant la vente de terrains aux Juifs et ordonnant de tuer tout acquéreur juif de biens appartenant à des Irakiens. Selon le quotidien arabe paraissant à Londres, Al-Qods al-Arabi, qui a rapporté cette information, les sources religieuses chiites à Qom, en Iran, ont confirmé, elles aussi, l'exactitude de la fatwa, qui a obtenu, également, l'appui des dignitaires sunnites de Mossoul.
Dans un entretien accordé au quotidien palestinien Al-Qods, le 26 juin, Adnan Pachachi, l'un des hommes les plus en vue de l'ère post-Saddam, a affirmé, de son côté, que « l'Irak n'établira aucune relation diplomatique avec Israël tant qu'un État palestinien ne sera pas instauré, avec Jérusalem comme capitale, tant que les colonies ne seront pas démolies et que les réfugiés palestiniens n'auront pas retrouvé leur terre... » L'ancien ministre des Affaires étrangères irakien a souligné, par ailleurs, que « l'Irak ne normalisera pas ses relations avec Israël tant que des territoires arabes seront occupés ». Il pensait sans doute aussi au Golan syrien et aux fermes de Shebaa au Sud-Liban.
L'analyste israélien Jack Houri se montre tout aussi sceptique quant aux perspectives d'une normalisation entre Tel-Aviv et Bagdad. Dans une chronique publiée par Maariv le 26 juin, il rappelle à ses compatriotes que « les fidèles de Saddam continuent à lutter contre l'armée américaine et à lui infliger des pertes » et que « les Irakiens pansent leurs blessures, après trente-quatre années de régime dictatorial ». « Ces Irakiens sont désorientés par les changements intervenus, écrit-il. Ils ne savent pas encore à quoi ressemblera le prochain pouvoir et sont encore incapables de profiter de cette liberté nouvellement acquise. Et c'est donc dans cette pagaille que le riche seigneur tel-avivien souhaite débarquer afin de se porter acquéreur de pétrole, déguster des poissons sur l'Euphrate et tenter de récupérer les biens laissés par ses ancêtres il y a plus de cinquante ans. C'est effrayant ! [...] Les Irakiens sont dans leur immense majorité propalestiniens, et les touristes israéliens sont d'autant moins bienvenus à Bagdad que leur vie pourrait être en danger dans ce pays sans loi. »
                               
14. "Les forces d’occupation l’appellent SÉCURITE, les habitants : TRANSFERT" par Amira Hass
in Ha'Aretz  (quotidien israélien) du lundi 21 juillet 2003
[traduit de l'hébreu par Michel Ghys]

Une centaine de familles palestiniennes vivaient jusqu'il n'y a pas longtemps dans le village de Seafeh, dans le nord-ouest de la Bande de Gaza, entre les colonies de Dugit et d'Alei Sinaï. Il ne reste actuellement que 45 familles. La vie est devenue insupportable depuis que l'armée israélienne a tendu, au Sud, une clôture électronique, qu'elle a limité le passage des personnes et des marchandises à partir du village et vers le village, et depuis qu'elle a détruit 310 hectares des 350 de terres qui y étaient cultivées.
L'âne ruait de colère, refusant d'avancer. Plus exactement il refusait de revenir sur ses pas et de gravir la dune de sable qu'il n'avait consenti à descendre qu'avec beaucoup de difficultés une demi-heure plus tôt, attelé à la charrette transportant le lourd moteur de la pompe à eau. Son propriétaire, Mahmoud Abou Halima, n'a pas arrosé son champ ces dernières semaines, depuis que la pompe du puits est tombée en panne. Vingt jours plus tôt, il avait réussi à sortir de son terrain avec le moteur, pour réparation, mais son retour s'est révélé plus compliqué. Jeudi dernier, les soldats du poste ont dit n'être pas informés d'une autorisation qui aurait été donnée d'entrer avec le moteur.
Abou Halima habite à Seafeh dans le nord-ouest de la Bande de Gaza, emprisonné entre les colonies de Dugit et d'Alei Sinaï. Après quelques attaques palestiniennes contre les colonies et contre des soldats dans la région, ainsi que des tentatives d'infiltration de Palestiniens armés, une clôture électronique a été tendue dans le nord de la Bande de Gaza, au Sud de ces deux colonies et de la colonie de Niznit. En outre, ces trois dernières années, l'armée israélienne a adopté des règles très rigoureuses à l'égard des déplacements des Palestiniens sur place, même s'ils vivent là depuis des dizaines d'années avant la création des colonies, même s'ils sont les premiers à avoir fait fleurir le désert, à avoir planté des vergers, des figuiers, des plants de vigne, à avoir fait pousser des légumes et à être partis à la pêche.
Une centaine de familles palestiniennes vivaient à Seafeh jusqu'il y a peu. Il ne reste actuellement que 45 familles, environ 180 âmes. La combinaison des limitations dans les déplacements et de la destruction de la plus grosse part des terres cultivées, n'a laissé d'autre choix à la majorité que de fuir pour Beit Lahiya ou Gaza. Seafeh s'étend sur quelque 390 hectares de terres dont 350 étaient cultivés: vergers, champs de légumes, serres. Aux dires d'un des habitants, Moussa al-Ghoul, les forces armées ont, ces trois dernières années, ratissé, déraciné, mis à nu, aplani presque tout ce territoire. Il ne reste aux habitants de Seafeh que 40 hectares verdoyants sauvés des dents des bulldozers. Des 41 puits qui servaient aux habitants pour les besoins de l'agriculture comme pour les besoins domestiques, les bulldozers de l'armée israélienne en ont détruit 32 ces trois dernières années, moteurs, pompes et réseaux d'irrigation compris.
Depuis la houdna ( la trève), la situation s'est aggravée. Une toute neuve et pimpante route asphaltée s'étire à côté de la clôture électronique. Une porte a été fixée dans la clôture. La plus grande partie du temps, elle est fermée, ne s'ouvrant officiellement, et pour les habitants de Seafeh uniquement, que de sept à neuf heures du matin et de deux à cinq heures de l'après-midi. Chaque matin et chaque après-midi, un véhicule blindé se rend sur place: après un ratissage en règle, les soldats ouvrent la porte et le blindé surveille à distance le mouvement des piétons. C'est comme ça officiellement. Mais les soldats sont souvent en retard, et la porte n'est ouverte que bien après l'heure fixée. Hier, par exemple, elle n'a été ouverte qu'à huit heures moins vingt du matin. En période scolaire, les élèves arrivent régulièrement en retard en classe. Il en va de même pour les habitants qui travaillent en dehors de leur village: employés dans les services de l'Autorité, enseignants, élèves de l'enseignement secondaire. C'est ce qui en a amené beaucoup à décider d'aller s'installer à Gaza ou à Beit Lahiya.
Sur la pente de la dune, du côté sud-ouest, sont dispersées les maisons colorées de la colonie de Dugit, entourée d'une clôture. À son entrée nord-est, est fixé «Entrée des travailleurs» palestiniens: une porte métallique jaune, un alignement de blocs de béton et une position circulaire blindée tenue par des soldats. Aux heures où la porte de la clôture électronique est ouverte, les soldats contrôlent également les habitants allant au nord vers Seafeh ou allant au sud vers Gaza. L'entrée est interdite à qui n'habite pas Seafeh. L'organisation «Médecins sans Frontières» travaille sur place de manière régulière, du fait que l'entrée des équipes médicales palestiniennes se heurte à des difficultés. Mais les «Médecins sans Frontières» doivent coordonner leur entrée deux jours à l’avance. - il apparaît parfois que les soldats du véhicule blindé affecté à la surveillance de la porte ne sont au courant de rien, ce qui exige une nouvelle coordination et une nouvelle perte de temps.
Si quelqu'un a pu espérer qu'avec la houdna, quelque chose changerait à Seafeh, il a déjà abandonné son espoir. Ce n'est pas seulement que la facilitation des déplacements introduite par l'armée dans la Bande de Gaza, à la suite de la houdna, ne l'a pas été à Seafeh: les mesures ont même été durcies. Durant ces dernières années, Moussa al-Ghoul est devenu le coordinateur de fait entre les habitants et les autorités de l'armée israélienne (par l'intermédiaire des gens de la Commission Israélienne de Coordination et de Liaison). Avant la houdna, raconte-t-il, il y avait un accord pour la sortie quotidienne et le retour de 14 charrettes tirées par des ânes et chargées de produits agricoles. L'entrée de marchandises était autorisée le lundi et le jeudi uniquement. Farine, aliments pour le bétail, engrais, mazout nécessaire aux générateurs d'électricité et aux moteurs des pompes à eau (la zone n'est pas reliée aux réseaux de distribution d'eau et d'électricité). De même, trois tracteurs étaient autorisés à entrer et sortir pour le transport de charges trop lourdes. Comme un moteur. Le jeudi, les soldats amènent un chien entraîné qui a pour tâche de flairer si les appareils qui sont introduits dans le secteur ne cachent pas d'explosifs.
Or tout à coup, après la houdna, on a interdit la sortie quotidienne des charrettes et la sortie de tracteurs est devenue totalement interdite. Il y a deux semaines environ, les habitants du lieu ont reçu la nouvelle que dorénavant, la sortie des produits agricoles ne serait, elle aussi, autorisée que les lundis et jeudis. Pourquoi? Ils n'ont pas reçu d'explications. Il n'y a pas l'électricité à Seafeh, donc pas de possibilités d'entreposer les récoltes en les réfrigérant: celles-ci sont donc amenées à se dégrader rapidement. Hier matin, par exemple, le passage d'une seule charrette qui transportait des melons a été autorisé. Deux charrettes chargées d'oignons ont attendu une longue heure près du poste militaire, en vain.
Le sentiment est que souvent, les règles dépendent de l'humeur des soldats. Il y a quelques jours, racontait-on à Seafeh, un des habitants portait sur une charrette tirée par un âne, un grand jerricane contenant 20 litres d'essence. Le soldat lui a interdit de continuer avec la charrette et lui a conseillé d'aller chercher un petit jerricane vide, de le remplir, de le porter à pied jusqu'au village (à quelques centaines de mètres de la porte), de revenir, de le remplir de nouveau et ainsi de suite.
Hier matin, al-Ghoul a encore négocié, sans succès, l'autorisation de faire passer un tracteur pour sortir trois tonnes de bois secs. Après que tant d'arbres ont été déracinés, puis qu'ils ont séché, les habitants tentent au moins de les vendre comme bois à brûler. Mais leur transport n'est pas un travail pour des charrettes tirées par un âne. Jeudi, il a été démontré que même un moteur est trop lourd pour un âne.
Bien que le chien ait reniflé le moteur et que les soldats aient examiné les papiers d'Abou Halima, le passage n'a pas été autorisé. Al-Ghoul affirme que c'était la deuxième fois qu'il coordonnait le passage du moteur avec le coordinateur israélien de la Commission de Liaison. Les soldats ont dit qu'ils n'avaient pas connaissance de cela. Et qu'il fallait ramener le moteur à l'extérieur de la clôture. Quand il est apparu que la chose était impossible, ils ont engagé dans cette mission la jeep de leur unité. Elle est arrivée, puis les soldats, avec Abou Halima et encore un membre de sa famille, se sont activés à détacher l'âne et à atteler la jeep à la charrette à la place de l'âne. Le soldat qui conduisait la jeep a mis en marche, mis les gaz - et rien n'a bougé. Ainsi donc, la jeep non plus ne pouvait pas tirer le moteur dans la montée. Il ne restait plus qu'à faire appel au véhicule blindé qui était en haut, avec ses cinq soldats. Le véhicule blindé a patiné dans la descente de la dune, a tourné, la jeep a été libérée de ses liens et ceux-ci attachés au véhicule blindé. Abou Halima, menant l'âne, marchait derrière la charrette. Le véhicule blindé allait devant eux et un soldat était sur la route à diriger le convoi.
En dépit de ce spectacle surréaliste, il ne venait pas le moindre sourire sur le visage d'Abou Halima. Ses récoltes de l'été, sur les quelques ares qui n'ont pas été rasés, sont presque ravagées par la sécheresse. «Encore deux mois», dit-il tout en observant les soldats occupés à atteler le véhicule blindé à la charrette, «et nous serons tous partis d'ici». En commentaire, le porte-parole de l'armée israélienne a déclaré que «suite à un incident technique survenu récemment, les habitants ont été empêchés de faire passer de l'équipement qu'il n'était pas possible de soumettre à un contrôle de sécurité, comme requis. Jeudi, il n'y a pas eu de coordination pour le passage du moteur. Quand la demande sera transmise, selon la procédure, au personnel de coordination et de liaison, elle sera examinée par l'instance habilitée à décider. Toutes ces conditions sont destinées à empêcher le passage de moyens de lutte dans la zone». Selon le porte-parole, «la question de l'amélioration des conditions de passage et de subsistance des habitants est examinée régulièrement. Il a récemment été décidé de construire un nouvel accès à cette zone, qui offrirait une réponse à l'entrée et à la sortie de marchandises de manière régulière».
Et alors les colonies ont été fondées Des ouvriers israéliens s'affairent à l'élargissement de la route unissant Alei Sinaï et Dugit. À côté, sur les routes de sable, ne circulent pas de voitures palestiniennes: leurs déplacements ont été interdits peu après le déclenchement de l'Intifada. Il est interdit aux habitants de Seafeh de descendre à la mer. Les gens restent chez eux, à 300 mètres de la plage, et soupirent: «Comme la mer me manque».
La famille al-Ghoul est originaire du village palestinien de Harbiya dont les habitants ont été chassés et ont fui en 1948. Sur leurs terres se trouvent les kibboutz de Zikkim et Carmiya. En 1960, la famille al-Ghoul a quitté le camp de réfugiés de Shati et s'est installée dans la zone de Seafeh: comme premier pas vers le retour à la maison, à Harbiya, disait le père de famille à qui manquait tellement aussi le travail de la terre.
En 1964, l'administration égyptienne a déclaré le «projet Nasser» dans la région, vente à tempérament de parcelles de terres destinées à l'agriculture. Depuis 1967, déclare Moussa al-Ghoul, les autorités israéliennes ont fait tout leur possible pour essayer de les faire bouger de là: ils ont été coupés de la municipalité de Beit Lahiya et placés sous la responsabilité du Ministère de l'Intérieur israélien, on a exigé d'eux des montants beaucoup plus élevés que les paiements échelonnés consentis par les autorités égyptiennes, ils n'ont pas été reliés au réseau électrique, ils n'ont pas été reliés au réseau de distribution d'eau, ils se sont vus interdire d'agrandir leurs maisons ou de bâtir d'autres maisons. À certains, il a été proposé de s'en aller, contre paiement.
En 1983, Alei Sinaï a été fondé. Dugit, en 1990. «Les trois enfants de Dugit, on vient les chercher en bus pour être à l'heure à l'école et mes enfants, à cause de la clôture, ne réussissent jamais à arriver à l'heure à l'école», dit Yasser Zandah chez qui vivent 23 personnes. Dugit, avec ses maisons et ses lumières, est situé à une dizaine de mètres de sa pauvre maison: un amoncellement de blocs de béton, pas d'électricité (la maison était reliée aux maisons de Beit Lahiya, mais lors des opérations de ratissage par l'armée israélienne, le câble électrique a été coupé et l'autorisation n'a pas été donnée de rétablir la connexion). Le soldat du bulldozer comptait aussi détruire le puits qui se trouve à côté de la maison, mais Tamam Zandah, l'épouse de Yasser, s'est plantée devant le soldat et l'a imploré pour l'eau et la vie de sa famille. Quasiment tout leur terrain verdoyant a été écrasé sous les bulldozers. Ils ne peuvent pas mener paître leur bétail: la clôture leur est fermée.
Tamam Zandah est née dans une famille de réfugiés, de Jaffa. La leçon de 1948, dit-elle, l'amène à s'accrocher à sa terre en dépit des difficultés énormes. Zandah, comme al-Ghoul et d'autres habitants de Seafeh, sont convaincus que derrière la destruction de leurs terres, derrière les limitations de déplacements qui font d'eux des prisonniers hors de chez eux ou des prisonniers chez eux, se cache le vieux projet de les chasser de leur terre. Un transfert paisible, courtois. La sécurité n'est qu'un prétexte, dit al-Ghoul.
                                   
15. Le géopolitologue Pascal Boniface quitte le Parti socialiste par Camille Boulongne
in Le Monde du samedi 19 juillet 2003

EN accusant, dans une lettre à François Hollande, publiée par Libération du vendredi 18 juillet, le PS de "communautarisme" et en lui reprochant de privilégier "ceux qui ont une lecture ethnique du conflit israélo-palestinien", Pascal Boniface, directeur de l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et ancien délégué national aux questions stratégiques, va-t-il mettre fin à la polémique qui est à l'origine de sa démission ? "Je ne me considère plus comme membre du PS, déclare-t-il au Monde. Je coupe les liens institutionnels."
Cette démission, M. Boniface la motive également en renvoyant aux propos prononcés par Dominique Strauss-Kahn, membre du bureau national du PS, à l'occasion des "Douze heures pour l'amitié France-Israël", dimanche 22 juin. L'ancien ministre des finances avait en effet fustigé des "notes non autorisées -préconisant un changement de politique du PS à l'égard d'Israël-". "Elles étaient misérables...", ajoutait M. Strauss-Kahn.
"S'il faut une autorisation pour écrire des notes je n'ai rien à faire dans ce parti,réplique M. Boniface, qui était directement visé. Je préfère reprendre ma liberté. En tout cas le débat d'idées ne passe pas par le PS. Beaucoup de gens dans le parti sont d'accord avec moi, mais la discussion est impossible, c'est un véritable tabou."
La controverse renaît en effet régulièrement de ses cendres, depuis qu'une réponse de l'ambassadeur d'Israël en France, l'historien Elie Barnavi, à une tribune de M. Boniface publiée dans Le Monde du 3 août 2001, a révélé l'existence d'un document adressé à François Hollande et à Henri Nallet, à cette époque chargé des affaires internationales au PS. Il s'agit d'un texte d'avril 2001 reproduit en annexe du dernier ouvrage de M. Boniface Est-il permis de critiquer Israël (Robert Laffont, "Le Monde des livres" du 11 juillet). Celui-ci s'y s'interroge sur l'"efficacité" d'une ligne politique jugée trop favorable à l'Etat juif alors que l'influence de l'électorat originaire de pays soutenant la cause palestinienne va grandissante. "Peut-on diaboliser Haider -le dirigeant populiste autrichien dont on rappelait alors les ambiguïtés par rapport au nazisme- et traiter normalement Sharon ?", demandait-il.
Dans son article du Monde, Pascal Boniface engageait le fer avec la "communauté juive" qui "à trop permettre l'impunité du gouvernement israélien (...) pourrait être perdante". "La communauté d'origine arabe et/ou musulmane est certainement moins organisée, ajoutait-il, mais elle voudra faire contrepoids, et pèsera vite numériquement, si ce n'est déjà le cas."
                               
16. Le MRAP dénonce la naissance sur Internet d'"une nouvelle extrême droite arabophobe" par Sylvia Zappi
in Le Monde du vendredi 18 juillet 2003

Dans un rapport rendu public mercredi 16 juillet, l'association met en cause une nébuleuse de sites reliant des activistes d'extrême droite et des "extrémistes se réclamant du judaïsme".
Une "nouvelle alliance entre l'extrême droite et des extrémistes se réclamant du judaïsme" a vu le jour sur le Web. Telle est l'accusation majeure lancée par le Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP), au terme de deux ans d'une enquête menée sur des réseaux anti-arabes sur Internet. Le rapport, intitulé "La naissance d'une nouvelle extrême droite sur Internet", rendu public mercredi 16 juillet, accuse ainsi un site, sos-racaille, et un hébergeur, Liberty-web.net, d'être au centre d'une nébuleuse de sites affichant leur racisme antiarabe et leur islamophobie.
"Appels au meurtre", "menaces de mort", "provocation à la haine raciale et religieuse", "diffamation contre des particuliers, journalistes ou personnalités politiques", "attaques contre des lieux du culte musulman", autant de faits relevés sur la trentaine de sites créés de janvier 2001 à janvier 2003. "Tous ont été enregistrés sous de faux noms et de fausses adresses et étaient mis en ligne par le même groupe d'individus", dénonce le rapport. Les faits mis en cause sont lourds. Réalisée par un groupe d'informaticiens pour le compte de l'association, l'étude détaille en 182 pages les méthodes de ces pirates informatiques racistes.
Les faits remontent à juin 2001, lorsque des avocats de SOS-Racisme dénoncent la prose raciste de sos-racaille. org, site créé pour s'attaquer à l'association dirigée alors par Malek Boutih. Le site connaît un succès foudroyant dans la mouvance d'extrême droite : en quelques mois, plus de 300 000 pages vues sont recensées. Une enquête de police met en lumière que ce site est hébergé aux Etats-Unis par un serveur, Liberty-web.net, qui accueille toute une série d'autres adresses diffusant des textes arabophobes.
Se retrouvent ainsi chez le même hébergeur, selon le MRAP, des sites de la mouvance néonazie et de nationalistes européens (radikal.com, oumma.org ou tribune-libre.com) et d'autres proches de l'extrême droite israélienne (aipj.net ou amisraelhai.org). Ces pirates utilisent les mêmes méthodes : attaques ad nominem, falsification d'adresses et usurpations d'identité en s'aidant d'"anonymiseurs", programmes informatiques empêchant d'identifier l'auteur des mails, explique le MRAP. "Des dizaines de personnes qui se sont mises en travers des messages racistes anonymes sur les newsgroups ont toutes vu leur nom accolé à des écrits dont elles n'étaient pas les auteurs", soulignent les rapporteurs. Une des attaques "typiques" consistait à "faire passer pour pédophiles les personnes qui critiquaient et portaient plainte".
Au cours de la seule année 2000, plus d'une centaine de personnes ont été les cibles d'attaques répétées de ce "mailbombing".
"DES TORRENTS DE BOUE"
Au printemps 2002, ce même groupe d'activistes s'en prend aux médias – dont Le Monde – en déversant "des torrents de boue" sur les journalistes qui avaient enquêté sur leurs activités. Les passages à l'acte ont suivi les menaces via Internet, affirme le rapport : en janvier 2003, plusieurs sites ont revendiqué des attaques contre des mosquées, dont celle de Lille.
Les activités de ces "groupuscules" vont cesser momentanément en mars 2003, au moment de la guerre en Irak : les sérieuses divergences apparues au sein de la nébuleuse Liberty-web.net entre les extrémistes juifs soutenant la guerre et les néonazis favorables au nationalisme de Saddam Hussein vont pousser le responsable technique à fermer le serveur. Quelques jours plus tard, un nouveau portail prend la relève sous le nom de "Frema".
Le rapport du MRAP déplore que les plaintes de l'association n'aient abouti à aucune poursuite. Dénonçant "le manque de volonté politique", les militants antiracistes assurent avoir identifié plusieurs participants au réseau. Ainsi un ancien candidat du Front national puis du Mouvement national républicain serait l'un des contributeurs de sos-racaille.org. Le MRAP affirme également avoir identifié un autre participant du réseau, membre des réseaux catholiques intégristes. Pour l'association, l'"impunité" dont bénéficient les auteurs de cette propagande montre qu'"il existe deux poids, deux mesures dans la lutte contre le racisme : on ne tolère pas l'antisémitisme, mais l'islamophobie est omniprésente".
                           
17. La fin de la solution bi-étatique ? La "barrière de séparation" inaugure une nouvelle ère dans la lutte palestinienne par Ahmad Samih Khalidi
in The Guardian (quotidien britannique) du vendredi 18 juillet 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Ahmad Samih Khalidi est un ancien membre associé à St Antony’s College, Oxford, ancien négociateur palestinien.)
Il y a quelques jours, Tony Blair recevait Ariel Sharon au numéro 10 de la rue Downing (le Matignon britannique, ndt) : il est loisible d’imaginer, au-delà de la conversation mondaine, que Blair a fait part à son invité de l’urgence qu’il y a à consolider la trêve qui a finalement lancé pour de bon la feuille de route moyen-orientale. Sans doute Blair a-t-il exhorté Sharon à apporter son (indispensable) soutien au gouvernement palestinien réformiste emmené par Mahmoud Abbas ; Sharon a dû y consentir, mais il n’en a pas moins clamé que tout progrès à venir dépendait entièrement des résultats obtenus par les Palestiniens en matière de « sécurité ».
Pour l’instant (tout du moins), voici l’état des problèmes pendants. Les Palestiniens ont besoin qu’un nombre significatif de prisonniers soient relâchés et que des changement palpables se produisent sur le terrain. Les Israéliens veulent s’assurer que les Palestiniens seront à la hauteur de leurs engagements en matière de sécurité. Et, pour le moment (toujours), il n’est pas totalement inenvisageable que les deux camps obtiennent en partie satisfaction (mais pas totalement) – suffisamment, en tous cas, pour maintenir à flot le processus de négociation au cours des mois à venir, de manière à ce que les perspectives d’avancées ultérieures demeurent ouvertes.
Mais, dût cette dynamique se prolonger, elle ne tardera pas à se heurter à des réalités de terrain extrêmement dures. La carte géopolitique de la Palestine est en cours de remodelage, et avec elle la possibilité d’une solution fondée sur l’idée qui se trouve au cœur du processus actuel : une partition entre « l’Etat de Palestine et l’Etat d’Israël, vivant côte à côte, et en paix », conformément à la « vision » du président Bush.
Alors que la communauté internationale est convaincue depuis bien longtemps que les revendications nationales des deux camps ne sauraient être satisfaites autrement qu’au moyen d’un partage du territoire digne d’un Roi Salomon, à différents stades, chaque camp s’est montré ambigu (à dire le moins) quant à la possibilité de réduire ses aspirations à une emprise territoriale réduite. Après des décennies d’irrédentisme, le consensus palestinien a fait sienne la partition, en 1988, et la notion d’un Etat palestinien établi sur les territoires occupés en 1967 (la Cisjordanie, Jérusalem Est et la bande de Gaza) constitue désormais le socle rocheux des aspirations nationales palestiniennes.
Par contraste, l’enthousiasme originel du mouvement sioniste pour une solution bi-étatique s’est évanoui après la création de l’Etat d’Israël. Et il est de fait que, depuis 1948, aucun gouvernement israélien n’a jamais endossé l’idée des deux Etats, jusqu’à ce qu’un beau jour, Ariel Sharon, pressé d’accepter la feuille de route, la soumette à son cabinet ministériel (en mai dernier).
Mais le paradoxe (en apparence) d’un gouvernement d’ultra-droite adoptant la vision bi-étatique n’est pas difficile à déconstruire. Sharon sait que l’ « Etat » (palestinien) qu’il a en tête est tellement contraint et restreint qu’il n’est rien moins que totalement dénué de signification. Tandis que la colonisation israélienne continuait à lacérer et à diviser l’intérieur du pays palestinien, la peccamineuse « barrière de séparation » (un mur de béton de 8 mètres de hauteur, avec des miradors et des chemins de ronde minés) continue à être érigée, lentement mais sûrement…
Ostensiblement conçu pour être un périmètre de sécurité destiné à défendre Israël contre des attaques palestiniennes venant d’au-delà les lignes d’armistice de 1967, l’objectif ultime du Mur est de créer un système d’enclos visant à enserrer de tous côtés les territoires palestiniens de Cisjordanie.
Le tracé retenu de la « barrière » englobe des colonies israéliennes profondément implantée dans l’intérieur du territoire palestinien, et elle doit courir parallèlement à la vallée du Jourdain afin de prévenir toute infiltration palestinienne venue de l’est (de ces colonies). En plus de la barrière, réellement existante, qui emprisonne les 1,2 million d’habitants de la bande de Gaza, deux cantons clos supplémentaires, au moins, seront taillés dans le territoire cisjordanien, incorporant 2 millions de Palestiniens (à Israël). Ceux d’entre eux vivant à l’extérieur de la barrière et dans les zones réservées à la colonisation israélienne se retrouveront dans un énième vide juridique et politique nouvelle manière, encore totalement nébuleux.
Vu par Sharon, ce système d’enclos colle à l’Etat palestinien muni de frontières provisoires, tel que proposé par la feuille de route, et même presque trop bien. Le mur, répète-t-il, représente une mesure sécuritaire temporaire dans l’attente de la fixation des frontières définitives entre les deux Etats, par la négociation. Mais les Palestiniens, eux, savent que rien n’est plus permanent que les mesures « temporaires » israéliennes… Presque toutes les colonies israéliennes ont été, à leur début, des avant-postes provisoires, dont la plupart ont été initialement installés à des fins de sécurité.
Le mur de séparation, s’il doit être un jour achevé (son trajet définitif, irréversible, n’a pas encore été défini), marquera le début d’une ère nouvelle. Si la lutte historique pour le territoire semble être forclose, la notion d’un partage viable de la Palestine sera irrémédiablement remise en cause, et avec elle, l’idée de deux Etats nationaux « vivant côte à côte et en paix ». Pour les Palestiniens, la lutte pourrait fort bien évoluer de l’objectif national et territorial vers un combat fondé sur la réciprocité, l’égalité et les droits politiques et humains fondamentaux. Ce combat s’annonce non moins ardu ni intense que la lutte menée (avec succès) contre l’apartheid en Afrique du Sud. Pour les Israéliens, la congruence entre le mur de séparation et le régime d’apartheid ne pourra qu’entraîner une remise en cause radicale de la nature de l’Etat juif et de ses finalités.
Une telle issue n’est pas inévitable. Mais sa vraisemblance ne fait que se confirmer. Espérons que les sonnettes d’alarme résonnent bien, au numéro 10 (Downing Street) et à la Maison Blanche, afin de sauvegarder les prospectives à long terme de la feuille de route. Mais lorsqu’ils se rencontreront, aujourd’hui même, MM. Blair et Bush auront vraisemblablement d’autres sujets – d’une actualité autrement plus brûlante – à l’esprit…
                           
18. La torture légalisée - La FIDH dénonce le régime " inhumain " fait aux prisonniers palestiniens et demande à l'UE de suspendre son accord d'association avec Israël par Jean Chatain
in L'Humanité du vendredi 18 juillet 2003

La Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) demande à l'Union européenne (UE) de suspendre l'accord d'association liant l'UE et Israël jusqu'à ce que les autorités israéliennes mettent un terme à la systématisation des mauvais traitements à l'encontre des détenus palestiniens. Basée à Paris et regroupant 116 ligues ou organisations des droits de l'homme sur les cinq continents, la FIDH formule cette revendication dans un rapport sur la situation des prisonniers palestiniens en Israël (1), qui fait suite à une mission d'enquête internationale s'étant déroulée du 17 au 22 février 2003.
En conclusion de cette enquête, la FIDH demande simultanément au comité des Nations unies contre la torture de se " rendre sur place et de procéder aux enquêtes nécessaires " et " à la communauté internationale d'user des moyens nécessaires afin d'amener les autorités israéliennes à respecter leurs engagements internationaux. En particulier à l'Union européenne de suspendre la mise en ouvre de l'accord d'association liant l'Union et Israël conformément à la résolution du Parlement européen en ce sens, jusqu'à, notamment, l'adoption urgente d'engagements clairs par les autorités israéliennes, conformément aux engagements de l'État, de mettre un terme à l'usage de la détention arbitraire et au recours à la torture " (des détenus palestiniens).
La Fédération recommande par ailleurs au gouvernement israélien " de laisser un libre accès des lieux de détention et de faciliter la libre circulation des ONG israéliennes, palestiniennes ou internationales et de coopérer avec elles. De supprimer la procédure dite de détention administrative. De supprimer les juridictions militaires. De mettre un terme sans délai à tous les mauvais traitements et tortures, que ce soit lors de l'arrestation ou lors de la détention, et d'adopter une législation en ce sens. D'assurer la poursuite des membres des forces de l'ordre qui commettent des crimes et des délits, et de rendre publiques les sanctions prises et de dédommager les victimes des conséquences des actes de guerre. De ne pas autoriser l'intervention des colons, à quelque titre que ce soit, dans le cadre du maintien de l'ordre. De mettre un terme aux exécutions extrajudiciaires ".
Les membres de la mission d'enquête, qui soulignent que " les autorités israéliennes ont refusé toute entrevue ", mais qui ont rencontré les ONG israéliennes et palestiniennes ainsi que des avocats israéliens spécialisés et le CICR (Croix-Rouge internationale), écrivent que " les allégations de mauvais traitements et de tortures lors des arrestations sont parfaitement fondées ". Ils indiquent qu'il " apparaît que ces faits se déroulent dans une impunité voulue et assumée par le gouvernement israélien ".
La Cour suprême d'Israël, rappellent les auteurs du texte, autorise le recours aux méthodes de torture " sur le fondement de la légitime défense, en cas de danger imminent et d'une particulière gravité ". Le type de discours qui avait déjà beaucoup servi au colonialisme français pour justifier l'institutionnalisation de la " question " durant la guerre d'Algérie... " Ces méthodes d'interrogation et de torture sont parfaitement codifiées, et leur mise en ouvre scrupuleusement suivie et documentée par les officiers et enquêteurs israéliens ", précise la FIDH, citant parmi " les plus fréquemment utilisées ", outre les traditionnels passages à tabac et les menaces à l'encontre des proches du détenu : attacher le détenu dans des positions douloureuses pendant des heures ou des jours jusqu'à obtention d'aveux ; privation de sommeil et d'alimentation ; enfermement dans de minuscules alcôves...
" Il est donc légal de torturer, sous certaines conditions, en Israël ", souligne le rapport, dénonçant des dispositions qui reviennent " à conférer une impunité quasi absolue aux forces armées israéliennes ", impunité d'ailleurs " fermement dénoncée par les ONG israéliennes ". Une annexe reproduit notamment le dossier de Hosni Ali Ahmed Amer, arrêté le 7 avril 2002 dans le camp de réfugiés de Jénine, dont le corps sera amené vingt-quatre heures plus tard par la police militaire israélienne au centre Abu Kabir de Tel-Aviv. L'autopsie confirmera qu'il avait été battu à mort. Le rapporteur spécial contre la torture de l'ONU a été saisi de ce cas par l'organisation Al Haq.
" Aucune raison, fût-elle de sécurité, ne peut conduire à légitimer les punitions collectives, la torture et les exécutions extrajudiciaires. Le respect des droits de l'homme (...) s'impose à tous et en toutes circonstances ", réaffirme la FIDH. Dont le rapport met également en lumière la pratique des rafles policières massives, relevant que " certains villages ont été vidés de tout homme d'un âge supérieur à quinze ans. L'évolution récente montre que l'armée israélienne vise également la population féminine, notamment les épouses ou filles d'activistes, afin de faire pression sur ces derniers "...
(1) FIDH : les Prisonniers palestiniens en Israël : conditions inhumaines des détenus politiques. Rapport nø 365, juillet 2003.
                                           
19. “Sharon archav ?“ par Bernard-Henri Lévy
in Le Point du vendredi 13 juin 2003
C'est l'histoire de Begin signant, avec l'Egypte, la paix dont la gauche avait rêvé. C'est celle, toutes proportions gardées, du général de Gaulle lançant aux pieds-noirs le fameux « je vous ai compris » avant d'opérer son grand virage historique et de rendre l'Algérie aux Algériens.
Oh ! certes, nous n'en sommes pas là.
Les extrémistes juifs, les partisans du Grand Israël, les hommes et les femmes dont le tort fut, bien souvent, de prendre au mot les gouvernements de droite et de gauche qui les ont, depuis trente ans, installés dans les colonies, pèsent et pèseront de tout leur poids pour enrayer le processus.
Les faucons palestiniens, les gens, notamment, du Hamas et du Djihad islamique qui disent et répètent, aujourd'hui encore, que leur but n'est pas de bâtir la Palestine mais de détruire Israël, ces tueurs de civils juifs qui se moquent comme d'une guigne des souffrances de leurs «frères» de Naplouse et Ramallah pourvu qu'ils puissent continuer de verser le sang, risquent à tout moment, aujourd'hui peut-être, ou demain, de déclencher l'attentat suicide qui remettra tout en question.
Nul ne connaît non plus les intentions d'Arafat, pas davantage, d'ailleurs, que la marge de manœuvre qui lui reste vis-à-vis d'Abou Mazen - rien ne permet de dire si le leader de l'OLP, qui a toujours préféré son rôle de nouveau Saladin, incarnation de la revanche arabe, à celui, plus humble, moins flatteur, de bâtisseur d'un petit Etat, installé à côté d'Israël, dispose toujours, ou non, d'un pouvoir réel de nuisance.
Et quant à Sharon lui-même, il faudrait être naïf pour ne pas imaginer les mille arrière-pensées qui, à cet instant, l'assaillent : croit-il à ce qu'il dit ? est-il décidé, pour son dernier combat, à en finir avec l'« occupation » de la Cisjordanie ? l'Etat palestinien auquel il songe sera-t-il doté, vraiment, de cette continuité territoriale qui, seule, le rendra viable ? ou est-ce la dernière ruse de Fregoli, une manœuvre à double ou triple bande - un truc de politicien qui ferait juste le gros dos en attendant la réélection de George Bush ?
Bref, on peut multiplier les objections. Et il n'est pas interdit de voir dans la «feuille de route » la énième édition de ces éternels « plans de paix » qui n'en finissent pas, depuis trente-six ans, de ressusciter et de mourir car ils sont, en réalité, mort-nés.
Reste que des mots, de part et d'autre, ont été dits ; qu'ils ont, comme souvent en politique et, en particulier, dans cette région du monde, le poids et la gravité des choses ; et que l'on ne peut s'empêcher, lorsque l'on est, comme moi, et depuis toujours, éperdument attaché à la cause d'Israël en même temps qu'à celle de la justice à l'endroit des Palestiniens, de reprendre timidement espoir.
Si j'étais palestinien, je soutiendrais Abou Mazen, le plus faible, mais le plus courageux des dirigeants de Ramallah : le seul à avoir osé proclamer, en pleine Intifada, que le salut n'est pas dans le martyre mais dans la reconnaissance mutuelle de deux nations qui n'en peuvent plus de se faire la guerre.
Si j'étais propalestinien dogmatique, si j'étais l'un de ces Occidentaux qui ont, ces dernières années, embrassé sans nuances, jusqu'à l'ivresse, la cause de Yasser Arafat, je retournerais sans tarder à la Mouqata'a et déploierais la même énergie pour tenter de le convaincre qu'il tient, avec la feuille de route acceptée par son Premier ministre, sa dernière chance de ne pas rester dans l'Histoire comme le fossoyeur de la cause palestinienne : « une paix n'est jamais parfaite, je lui dirais ; toute paix suppose des compromis et tout compromis des sacrifices ; ne laissez pas à nouveau passer, comme à Camp David et à Taba, l'occasion de donner à votre peuple l'Etat auquel il a droit ».
Si j'étais israélien, si j'étais engagé, là-bas, dans le débat politique entre la droite et la gauche, j'oublierais provisoirement ce débat, je mettrais en suspens mes griefs à l'endroit du Premier ministre, je ferais ce qu'ont fait les électeurs français, après le 21 avril, en plébiscitant, non Chirac, mais les valeurs républicaines dont il était le rempart : je m'appliquerais à délikoudiser Sharon ; je soutiendrais Sharon parce qu'il défend non le Likoud, mais Israël, c'est-à-dire la paix ; je prendrais au pied de la lettre le premier homme d'Etat israélien de ce niveau à avoir, je le répète, brisé le tabou en parlant de la Cisjordanie comme d'un territoire, non disputé, mais occupé ; et, sans rire, reprenant le bon vieux slogan de l'extrême gauche à Tel-Aviv, j'irais, sous ses fenêtres, crier, non plus « Shalom archav » (« La paix maintenant »), mais «Sharon archav » (« Sharon maintenant » ; avant toute chose, maintenant, la paix - fût-elle celle de Sharon).
Comme je ne suis ni israélien ni palestinien mais français, je veux juste dire qu'il y a peut-être là un rendez-vous auquel il serait judicieux que les Européens répondent, eux aussi, à leur façon, présent : pourquoi ne pas oublier les partis pris, les vieux réflexes, les incantations, pour appuyer les faiseurs de paix, aider les protagonistes à se hisser, encore un peu plus, au-dessus d'eux-mêmes et inviter, par exemple, Abou Mazen et Ariel Sharon - ensemble - à Strasbourg ou Paris ?
                                           
20. Ce qu’Israël fait aux Palestiniens, nous le faisons aux Irakiens par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britannique) du  samedi 12 juillet 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Une comparaison très intéressante entre les atrocités perpétrées par le boucher de Qibiya, Sharon, et le président des Etats-Unis. Vous voulez critiquer les Israéliens parce qu’ils tirent sur des enfants munis de lance-pierres à Gaza ? Les Américains font la même chose à Falujah (Irak) ! La tragédie de Mansour (où l’aviation américaine a lâché des bombes « à faire sauter les bunkers » [bunker busters] sur un quartier civil à haute densité d’habitation, dans l’espoir de tuer Saddam Hussein (espoir non exaucé : en revanche, seize civils, dont des enfants, ont été massacrés) ne vous rappelle-t-elle pas la petite opération concoctée par Sharon, il y a quelques mois de cela, lorsqu’il a ordonné à un pilote israélien de lâcher une bombe d’une tonne sur un bidonville surpeuplé de Gaza, démolissant un immeuble, tuant un responsable du Hamas et – par une étrange symétrie « esthétique » ( ?) entre ces deux atrocités, massacrant, là déjà, seize civils palestiniens, des enfants, pour la plupart ? Nous avons condamné le massacre des innocents perpétré par Sharon à Gaza (qu’il avait qualifié pour sa part de « grand succès pour Israël »). Mais pourrions-nous encore le faire aujourd’hui, nous qui restons muets comme des carpes au sujet de nos propres crimes, à Mansour ?
Il y a quelques jours de cela, les forces américaines à Bagdad ont déchargé dix-sept camions de décombres et de terre au milieu de la zone militaire secrète de l’aéroport de Bagdad : ces décombres et cette terre, en effet, doivent être expédiés (par avion !) aux Etats-Unis. Aucun journaliste n’a fait de reportage sur cette opération macabre, bien qu’ils en eussent connaissance. En effet, ces gravats provenaient du site d’une atrocité perpétrée par l’aviation américaine, à la fin de ses bombardements massifs en Irak.
A un moment, les Américains ont cru que Saddam Hussein se planquait dans une banlieue de Bagdad, Al-Mansour, et, bien qu’ils aient eu connaissance du fait que ce quartier était densément peuplé de civils – cette opération n’allait pas être « sans risque », comme l’a affirmé après coup un porte-parole américain, à deux doigts de reconnaître qu’il s’agissait là d’une violation grossière des conventions de Genève – ils ont lâché des bombes « bousilleuses de bunkers » [bunker-busters] sur les immeubles densément habités d’Al-Mansour.
Ils ont tué seize civils, dont des enfants. Mais où donc était passé Saddam ? Signe de la déconvenue des Américains : presque deux mois après leur occupation de Bagdad, ils se sont mis, sans crier gare, à fouiller les décombres d’Al-Mansour… Aux Etats-Unis, où ces décombres seront expédiés, des scientifiques auront la tâche (macabre) de rechercher des traces de l’ADN de (tonton) Saddam…
Je ne suis pas certain que des précédents autorisent d’autres à commettre des crimes de guerre dans le futur – ni qu’une performance réitérée permette à d’autres de justifier des précédents passés. Mais Mansour ne vous rappelle-t-il pas la petite opération de Sharon, à Gaza, il y a quelques mois, lorsqu’il ordonna à un pilote israélien de lâcher une bombe d’une tonne sur un bidonville surpeuplé, massacrant seize civils palestiniens, pour la plupart, des enfants ? Nous avons condamné à l’époque ce massacre des innocents perpétré par Sharon (qu’il avait qualifié de « grand succès » pour Israël). Mais comment pourrions-nous encore le condamner aujourd’hui, si nous restons muets au sujet des crimes perpétrés par nous-mêmes à Al-Mansour ?
Si nous voulons nous targuer de critiquer l’armée israélienne parce qu’elle descend comme des lapins des gamins munis de frondes en Cisjordanie et à Gaza, nous devons bien prendre conscience du fait que l’armée américaine fait exactement la même chose, aujourd’hui, à Falujah.
Vous vous souciez d’exiger que l’on arrête de torturer des prisonniers palestiniens dans le centre d’interrogatoires tristement célèbre de la colonie russe de Jérusalem [Moskobiyyéh, ndt] ? Ce n’est plus tellement la peine. Avec trois prisonniers battus et torturés à mort par des interrogateurs américains à la prison de Bagram, en Afghanistan – les Etats-Unis ont reconnu deux des « morts sous interrogatoire » le 6 mars dernier – et avec le scandale de Guatanamo, avec ses prisonniers drogués, cagoulés et ligotés, ses tribunaux d’exception et probablement ses cours martiales (desquelles les British sont aussi partie prenante, semble-t-il), oubliées, les brutalités israéliennes...
Que de hauts cris n’avons-nous pas poussés (à juste titre), l’année dernière, lorsque la soldatesque anarchique d’Israël pillait et saccageait les appartements des Palestiniens, à Ramallah – mais nous ne pouvons plus nous en plaindre, désormais. Car nous savons que la soldatesque anarchique de l’Amérique (de la Troisième Division d’Infanterie, pour être précis) a absolument tout pillé et saccagé à l’aéroport de Bagdad, après sa conquête, le 3 avril dernier. Grâces soient rendues à Time Magazine – entre mille titres, je vous demande un peu ! – pour avoir divulgué cette triste nouvelle. Mais, je vous en prie : ne critiquez plus, à l’avenir, les soldats vénaux d’Israël !
Les Européens ont crié en chœur leur indignation (justifiée) devant les assassinats de Palestiniens « recherchés » - les « assassinats ciblés », comme Israël et la BBC affectionnent de qualifier cette pratique dégoûtante. Mais, aujourd’hui, dès lors que l’Amérique se vante de recourir exactement aux mêmes tactiques – attaquant des voitures au Yémen, des convois de civils en Irak, des villages en Afghanistan (et qui viennent-ils encore de tuer, en attaquant dernièrement un convoi près de la frontière syrienne, pouvez-vous me le dire ?) – nous n’avons plus qu’une seule chose décente à faire : la fermer.
L’an dernier, les Israéliens ont produit un « dossier » constitué de documents palestiniens saisis, « prouvant » qu’Arafat dirigeait le « terrorisme » contre Israël. Les papelards, atrocement mal traduits et manipulés, ne prouvaient absolument rien de la sorte. Mais après le « dossier douteux » mensonger produit par Tony Blair avant la guerre d’Irak, qui sommes-nous, pour nous permettre de critiquer Israël pour ses mensonges ?
Et comment pourrions-nous protester contre les violations flagrantes par Israël de la Résolution 242 de l’Onu et son occupation des territoires palestiniens, dès lors que les Etats-Unis occupent la totalité de la terre ancestrale de l’Irak, après avoir envahi illégalement ce pays, en tuant des milliers de ses habitants – civils – en s’emparant de ses champs pétrolifères, puis en échouant lamentablement ne serait-ce qu’à capturer le dictateur criminel qui en brutalisait la population (son propre peuple…), sans parler des « armes de destruction massive » dont on ne voit pas la queue d’une ?
Certes, les précédents sont chose dangereuse. Prenez l’insigne événement prémonitoire qui s’est inscrit dans la vie de beaucoup de lecteurs de l’Independent. Une construction massive, symbole de la puissance d’une nation, a été détruite par des « terroristes ». Le président de la nation en question a immédiatement signé un décret pour assurer la « protection du peuple et de l’Etat », en faisant de ce décret une loi, comportant des arrestations massives et le droit d’imposer des « restrictions aux libertés de la personne… des violations du secret postal… et des télécommunications, ainsi que des mandats de perquisition chez les particuliers… »
Le gouvernement avait alors dit qu’il détenait la « preuve » que des « terroristes » allaient s’en prendre au territoire national (du pays en question), y détruire des « bâtiments gouvernementaux, des musées… et des installations industrielles essentielles. » Cette législation permit dès lors au dirigeant – démocratiquement élu ! – de la dite nation de s’embarquer dans une série d’occupations militaires cruelles, annonçant après la deuxième du genre : « nous ne sommes pas venus en tyrans, mais en libérateurs » ( !…)
Le bâtiment public détruit par des « terroristes », c’était le Reichstag, la « législation d’exception » permettant de détruire la législation des droits humains avait été signée par un certain Hindenburg, la « preuve » des complots terroristes avait été « apportée » par le gouvernement prussien. Et le dirigeant élu démocratiquement qui prétendait « libérer » l’Autriche était un certain Hitler Adolf.
Parallèle évidemment monstrueux, révoltant, historiquement hors de toute proportion, bizarre, baroque… Eh bien : espérons-le encore !…
                               
21. Les (juifs) exilés d’Irak, depuis longtemps oubliés, aspirent à la réhabilitation par Joel Millman
in The Guardian (quotidien britannique) du samedi 5 juillet 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Joe Millman traite dans cet article du mouvement qui se dessine en vue de la restauration de la "communauté juive" irakienne ["Iraq's Jewry" en anglais] dans son ancienne gloire.
Durant quinze siècles, depuis Alexandre le Grand jusqu’à la fin du treizième siècle, un grand prêtre présida, depuis Babylone, aux destinées de la "communauté juive" orientale ["Eastern Jewry" en anglais]. Connu sous le nom d’Exarque, il réglait tous les conflits que lui soumettaient des juifs vivant aussi loin de Babylone qu’en Inde ou en Espagne. Son autorité ne prit fin que lorsque les hordes mongoles saccagèrent Babylone, qui abrita durant des siècles la communauté juive la plus nombreuse et prospère au monde.
Ces événements tragiques se déroulèrent en 1270. Sept siècles plus tard, un juif du nom de Naim Dangoor, autrefois commerçant à Bagdad mais aujourd’hui PDG d’une des plus grandes agences immobilières de Londres, vient de rouvrir le bureau de l’Exarque, en se nommant lui-même dans cette fonction. Cela se passait en 1970.
« Sept siècles après, pile-poil », dit en souriant M. Dangoor. « Génial, non ? »
Evoluant dans sa tunique de shabbat, de brocard cramoisi et argenté, l’homme, âgé de 89 ans continue son combat, sans faiblir, afin d’atteindre son but : restaurer la magnificence de la "communauté juive" irakienne… ["Iraqi Jewry" en anglais]
Incontestablement, il les veut, ces 20 milliards de dollars dont il estime que les nouveaux dirigeants de l’Irak – quels qu’ils puissent être – doivent à son peuple en compensation pour la calamité qui s’est abattue sur la communauté juive la plus ancienne et la plus fortunée du monde lorsque des nationalistes arabes radicaux commencèrent à diriger l’Irak, après la seconde guerre mondiale.
De nos jours, les descendants des juifs irakiens sont dispersés dans le monde entier… Mais, en dépit des efforts de M. Dangoor, peu d’entre eux bouclent leurs valises pour revenir à Bagdad. Et certains sont inquiets, car ils pensent que le spectre du vieil homme vivant ici, à Londres, dans la munificence, et harcelant l’Irak ravagé par la guerre pour récupérer une fortune perdue fera bien peu pour améliorer les relations entres Arabes et juifs.
« Il a absolument le droit de s’asseoir à la table », dit Edwin Shuker, un autre exilé juif irakien vivant à Londres, qui œuvre… à établir une commission de la vérité et de la réconciliation qui pourrait examiner la question des réparations. « Mais dites-moi un peu : doit-il parler en notre nom, à tous ? »
Il y a un paquet d'argent à récupérer. Le Trésor américain a gelé quelque 3 milliards de dollars de capitaux irakiens remontant à l’époque de Saddâm Husseïn, et les responsables américains estiment que 10 autres milliards de dollars sont récupérables en Irak même, et dans d’autres pays.
La semaine dernière, à l’ONU, une organisation appelée « Justice pour les Juifs des Pays Arabes » a lancé une campagne visant à établir les bases d’une réparation du dol subi par plus de trois quarts de millions de juifs réfugiés de l’ensemble des pays arabes…
Abraham Sofaer, ancien conseiller en chef au Département d’Etat du temps de Ronald Reagan, lui-même fils d’un juif né à Bagdad, affirme que les réclamations des juifs irakiens sont légitimes… Mais il pense que les porter devant la justice ne sera pas du gâteau. Néanmoins, des milliers d’exilés irakiens remplissent, depuis quelques semaines, des formulaires préparés par l’Organisation Mondiale des Juifs des Pays Arabes, en vue de la constitution d’un dossier pour l’instruction d’un procès au cours duquel elle se portera partie civile.
Dans une contrée ravagée par les rivalités entre Kurdes et Arabes, et entre chiites et sunnites, les réclamations juives peuvent sembler à côté de la plaque. Néanmoins, jusqu’aux années 1950, les histoires juive et irakienne étaient étroitement mêlées. En 597 avant J. C., après la conquête du royaume d’Israël par le roi Nabuchodonosor, les juifs faits prisonniers furent exilés à Babylone. Plusieurs décennies après, l’empereur de perse Cyrus permit qu’ils retournassent à Jérusalem, mais ils furent peu nombreux à le faire, tant les juifs de Babylone étaient devenus prospères.
Le grand-père de M. Dangoor était grand rabbin d’Irak ; son père avait la réputation d’être le plus grand imprimeur de livres en arabe au monde.
Durant la seconde guerre mondiale, Naim Dangoor transforma Bagdad en un véritable centre commercial… mais soudain, tout s’écroula. Avec la naissance d’Israël, en 1948, le monde arabe fut balayée par des émeutes anti-juives. En Irak, des règlements inspirés par les lois adoptées à Nuremberg par l’Allemagne nazie restreignirent le rôle des juifs dans le commerce. Vers 1952, la plupart des juifs irakiens avaient émigré à destination d’Israël…
Naim Dangoor est resté à Bagdad jusqu’en 1964. Tandis qu’il était en voyage à Londres, cette année-là, il reçut un message lui disant qu’il devait retourner immédiatement à Bagdad, sinon ses propriétés seraient confisquées car il serait considéré comme un « juif dénaturalisé ». Redoutant qu’un sort encore plus terrible ne l’attende à Bagdad, il opta pour l’exil en Angleterre, où il prospéra en achetant des appartements vétustes.
Aujourd’hui, le seul appartement décrépi pour lequel il ait conservé un quelconque un intérêt est son domicile vieillot, un bâtiment majestueux de deux étages situé sur la célèbre rue Abû Nuwwâs, à Bagdad.
Récupérer cette propriété perdue sera sans doute bien difficile… Un quotidien du cru, Al-Sâ’ah, a estimé que les « juifs de retour » sont responsables de l’envolée des prix de l’immobilier à Bagdad, depuis la chute de Saddâm Husseïn. Les (vrais) musulmans, avertit un encart publié dans le bulletin interne d’une entreprise, « doivent résister à la tentation de vendre quoi que ce soit aux juifs, de crainte que l’argent qu’ils retireraient de la revente du bien ne serve à fabriquer des balles qui seraient utilisées contre les Palestiniens. »
Les habitants de Bagdad espèrent que la rue Abû Nuwwâs retrouvera son lustre d’antan. Mais cela pourrait bien ne pas comporter un quelconque rôle pour ses anciens habitants. Un ancien voisin de M. Dangoor refuse de communiquer son nom… mais il ne cache pas son profond mépris pour les exilés kurdes et juifs qui disent aujourd’hui désirer revenir. Au sujet de M. Dangoor, il demande : « Il pense vraiment que quelqu’un se souvient de lui, après toutes ces années ? »
[Repris de Wall Street Journal Europe, 30.06.2003]
                                   
22. L’ombre portée de Leo Strauss par William Pfaff
in The International Herald Tribune (quotidien international publié à Paris) du jeudi 15 mai 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Paris. Le problème, avec le conservatisme américain, durant la plus grande partie du vingtième siècle, tenait au fait qu’il n’était pas particulièrement intelligent. Le Parti Républicain était – et reste – un parti d’affairistes, anti-intellectuels et, dans une très large mesure – xénophobes.
Les néoconservateurs radicaux, apparus durant les années 1960, constituent le premier mouvement de la droite américaine, depuis le dix-neuvième siècle, à être redoutablement intelligent. Ils veulent remodeler l’ordre international, sous une hégémonie effective des Etats-Unis, détruire les ennemis de l’Amérique et paralyser, voire éliminer tout à fait, l’Onu et les autres institutions prônant le droit international.
Parmi eux, on trouve, entre autres, le vice-secrétaire à la défense Paul Wolfowitz, ainsi qu’Abram Shulsky du bureau des Projets Spéciaux au Pentagone, Richard Perle du panel d’experts auprès du Pentagone, Elliott Abrams, du Conseil de la Sécurité Nationale et les écrivains Robert Kagan et William Kristol.
La principale influence intellectuelle à avoir inspiré les néoconservateurs a été celle du philosophe Leo Strauss, qui avait quitté l’Allemagne en 1938 et a enseigné de nombreuses années à l’Université de Chicago. Plusieurs des néoconservateurs en vue ont bénéficié de son enseignement. Wolfowitz et Shulsky l’ont eu pour directeur de thèse.
On peut dire qu’un véritable culte s’est développé autour de Strauss durant ses dernières années à Chicago, et il figure, ainsi que certains de ses admirateurs, dans un roman (à clés) de Saul Bellow : « Ravelstein ». Parler de culte n’est en effet nullement exagéré, car Strauss était convaincu que les vérités essentielles sur la société et l’histoire humaines doivent être perpétuées par une élite et ôtées des mains de gens dépourvus de la force morale permettant, seule, de détenir la vérité. La société, pensait Strauss, a besoin de croire à certains pieux mensonges consolateurs.
Il tenait la philosophie pour dangereuse, car elle interroge les conventions dont l’ordre civil et la moralité d’une société dépendent absolument. Il voyait en elle le risque qu’elle ne finisse par encourager un nihilisme dévastateur.
Pour Strauss, le relativisme de la société américaine contemporaine est un désordre moral qui est susceptible de lui interdire d’identifier ses véritables ennemis. « La clarté morale » est, pour lui, essentielle. La tolérance de la République de Weimar pour l’extrémisme avait encouragé la montée du parti nazi.
Strauss formula une critique puissante et sophistiquée du libéralisme découlant de l’ère des Lumières. Il voyait dans les Etats-Unis l’avatar le plus avancé du libéralisme et, par tant, il les considérait comme le pays le plus exposé au nihilisme.
Il pensait que la philosophie grecque classique, notamment la philosophie platonicienne, est plus authentiquement naturelle que toutes celles qui sont venues après et l’ont supplantée. Certains de ses critiques ou détracteurs disent que l’interprétation qu’il fait de Platon est perverse mais lui, il affirmait qu’il avait retrouvé le « vrai » Platon, défiguré par les derniers néoplatoniciens et les penseurs chrétiens.
Il faisait valoir que la vérité platonicienne est trop difficile à assumer, pour les gens ordinaires, et que l’exhortation classique à la « vertu », en tant qu’objectif de toutes les actions humaines, est irréalisable. De là découle la nécessité qu’il y a de mentir au peuple sur la nature (réelle) du monde politique. Une élite sait quelle est la vérité, toutefois, et cette vérité, elle la garde pour elle. Cela lui confère une clairvoyance et – de manière implicite, un pouvoir – que les autres, ceux qui n’appartiennent pas à l’élite, ne possèdent pas. Il convient de voir dans cette vision, bien entendu, un élément important de la séduction que la pensée straussienne exercée sur les néoconservateurs américains.
Il s’agit, à l’évidence, d’une philosophie pessimiste et anti-utopiste, qui va à l’encontre de pratiquement tout ce en quoi les Américains sont enclins à croire. Elle contrarie la foi conventionnelle de la société démocratique contemporaine. Elle contredit, aussi, les ambitions affichées par les néoconservateurs eux-mêmes – rendre le monde musulman démocratique et établir un nouvel ordre mondial sous la houlette des Etats-Unis – qui sont des ambitions manifestement utopistes.
Strauss, disparu en 1973, n’appréciait pas beaucoup l’hégémonie – qu’elle fût américaine, ou autre. Il affirmait qu’ « aucun individu, ni aucun groupe d’êtres humains, ne peuvent diriger l’ensemble de l’espèce humaine avec justice. » Durant les années de la Guerre froide, une chose le préoccupait tout particulièrement : l’universalisme soviétique invitait à défier la prétention de l’Amérique à diriger le monde.
Pour moi, l’attrait principal de la pensée straussienne, pour les néoconservateurs, réside en ceci que son élitisme offre une certaine rationalisation morale à une politique faite d’expédients, ainsi qu’aux « mensonges nécessaires » qu’il convient de dire à ceux que la vérité risquerait de démoraliser.
La pensée de Strauss doit être connue et débattue, car ce sont ses adeptes qui dirigent aujourd’hui la politique étrangère des Etats-Unis. Mais il y a un risque : Strauss est – de très loin – beaucoup plus intéressant que ne le sont ses émules…
                                       
23. La Palestine à l'heure de la Gaule ! par Valérie Féron
in l'Humanité du lundi 14 avril 2003

Territoires palestiniens. À Ramallah comme à Bethléem, les Palestiniens affichent leur attachement à la France.
Correspondance particulière - Ramallah, place Al Manara, " les lions ", une des principales de cette ville de Cisjordanie. Point de départ ou d'arrivée de la plupart des manifestations, elle est surplombée d'immenses affiches publicitaires. Depuis plusieurs mois, deux panneaux géants vantent les cigarettes françaises, avec un slogan au goût du jour : " Liberté toujours ". Auparavant, ces mêmes panneaux étaient dédiés à de célèbres cigarettes américaines fumées par un cow-boy solitaire, la touche politique étant apportée par un portrait du président Arafat (un des rares dans les territoires palestiniens) ou, l'an dernier, de Marwan Barghouti, le chef du Fatah pour la Cisjordanie, arrêté à Ramallah lors de l'offensive israélienne d'avril 2002. Dans les rayons des épiceries servant également de dépôts de tabac, la fameuse marque française trône dans toutes ses versions. Cela fait un an environ que les fumeurs palestiniens ont opté pour la marque de l'Hexagone, se contentant de demander " les françaises ". Les américaines et les britanniques sont reléguées sur les côtés, et demander une de ces marques est généralement suivi d'un " Pourquoi leur donner de l'argent à eux ? Prends les françaises ! ", marquant l'attachement de plus en plus affiché des Palestiniens pour la " patrie des droits de l'homme ".
La présence française dans les territoires palestiniens à travers les centres culturels qui poursuivent leurs activités malgré la situation accompagne ce mouvement. Cet engouement avait commencé avec la visite du président Jacques Chirac en 1998 à Jérusalem : les Palestiniens aiment à rappeler l'épisode qui avait frisé l'incident diplomatique quand le chef de l'État a apostrophé les agents israéliens chargés de sa sécurité, un peu trop rapprochée à son goût, qui l'empêchaient dans la vieille ville d'aller au contact des habitants palestiniens venus le saluer.
Depuis son aura n'a cessé de grandir, avivée par la position de la France dans la crise irakienne. Du coup un nouveau prénom fait recette auprès de certains parents en quête d'originalité : Chirac.
Autre signe de cet engouement pour la France, certaines rues sont rebaptisées. C'est ce qui s'est passé dans le camp de réfugiés de Deishé, un des trois que compte la ville de Bethléem, jumelé avec Montataire, en région parisienne, où une rue du centre vient d'être baptisée Paris. Pour Mohammad Laham, un des responsables du camp : " C'est un acte politique, pour montrer notre soutien à la position française contre la guerre en Irak. Beaucoup de Français viennent nous soutenir, c'est donc aussi un message du peuple palestinien au peuple français. Et à Deishé comme ailleurs, les fumeurs ont opté pour les cigarettes françaises ! "
                                       
24. Les informaticiens de choc de Tsahal par Frédéric Magnan
in Les Echos du mardi 14 janvier 2003

Apres cinq ans de formation et de mise en pratique intensive de technologies de pointe, l'armee israelienne rend a la societe civile des informaticiens ultraperformants tant par leurs competences que par leur etat d'esprit.
Jeune informaticien franco-israelien fraichement debarque a New York au debut des annees 1990, Bernard Juster se souviendra longtemps de la surprise de ses interlocuteurs lors de son premier entretien d'embauche. Aux questions sur sa maitrise d'un analyseur de spectre, de tel langage de programmation ou du traitement des signaux, il ne put repondre autre chose que : 'Oui, je sais comment ca marche, j'ai fait ca pendant cinq ans.' A tel point que ses futurs employeurs lui avouerent leur embarras pour choisir le service ou il pourrait etre affecte, tant ses competences etaient larges.
Ingenieur en electronique diplome de l'Universite Ben-Gourion a Be'er Sheva, au sud d'Israel, Bernard Juster n'a jamais pretendu etre un genie de l'informatique. Simplement, comme tout scientifique de formation superieure, il a effectue son service militaire au sein de l'une des unites d'elites de Tsahal. Il a ainsi passe cinq annees sous les drapeaux et beneficie d'une formation d''officier technique'. Quatre annees de 'travaux pratiques' suivront dans une unite specialisee dans le brouillage electronique. Sa 'deuxieme universite', ainsi que l'appelle Bernard Juster, lui a permis d'aborder des domaines que 'personne n'approche dans un parcours civil', et de mettre en oeuvre une multitude d'equipements deployes lors des exercices sur le terrain. Bernard Juster se souvient ainsi avoir ete designe a vingt-trois ans chef d'un projet dote d'une responsabilite et d'un budget de loin superieur a ce qui lui sera confie lors de son retour a la vie civile.
Des leaders mondiaux
Ce qui peut intriguer un responsable du recrutement new-yorkais ne surprendra pas son homologue de Tel-Aviv. Car ils sont des centaines de jeunes informaticiens a avoir beneficie de ce meme parcours d'excellence. Ce qui explique l'ampleur exceptionnelle qu'a pris en Israel, le phenomene start-up au debut des annees 1990. Israel possede sa propre 'Silicon Valley', situee a Herzliah Pituah, au nord de Tel-Aviv, regroupant plus de 2.000 societes specialisees dans les hautes technologies. Ces echanges entre l'armee et le secteur civil sont sans cesse alimentes, puisque le service militaire, etendu jusqu'a quarante-neuf ans pour les hommes qui sont mobilises trois semaines chaque annee, donne la possibilite aux reservistes de nourrir les avancees technologiques de l'armee aussi bien que d'y puiser de nouvelles idees. Les systemes de securisation des reseaux Internet 'Firewall' sont ainsi 'l'application civile d'un systeme militaire de surveillance electronique' de l'aveu meme de Marius Nacht et Gill Shwed qui les ont developpes au sein de leur star-up Checkpoint, leader mondial dans ce domaine. Marius Nacht est un ancien de 'Mamram', un centre informatique ultramoderne de Tsahal, tandis que Gill Shwed avait ete verse dans une unite specialisee dans 'l'ecoute des reseaux ennemis'. Une unite que connait bien egalement Zev Bregman, l'un des createurs de Comverse. Cette start-up, egalement au premier rang mondial, a su accompagner l'explosion du GSM en y associant le service des messageries vocales a partir d'une technique militaire.
Sens des responsabilites
Outre les connaissances techniques, la formation heritee de l'armee laisse bien d'autres traces dans l'esprit des informaticiens israeliens. 'Lorsque je travaillais chez Ericsson, je ne comprenais pas pourquoi ceux de Comverse remportaient constamment les marches, raconte Bernard Juster. Je pensais qu'ils avaient de meilleurs produits. Mais lorque je suis entre chez Comverse, j'ai compris : c'etait la determination de leurs equipes commerciales qui faisait la difference. Chaque appel d'offres est considere comme une mission a remplir.' Lui-meme s'avoue marque par cet etat d'esprit qui donne 'un grand sens de la responsabilite'. 'Lorsque l'on vous donne quelques jours seulement pour developper un detecteur ou un brouilleur destine a equiper une unite combattante, tout le monde s'y met, depuis le technicien jusqu'a l'ingenieur.'
Mais la medaille des start-up israelienne possede aussi son revers. 'Les societes sont trop orientees sur le court terme : remporter la mission, gagner, sans aucune strategie a moyen ou a long terme', juge-t-il. En tout cas, le degonflement de la bulle technologique a ete aussi marque en Israel qu'ailleurs. 550 des 2.700 entreprises du pays ont cesse leur activite en 2001 et plus de 10.000 personnes ont ete licenciees, soit environ 10 a 15 % des emplois du secteur. La centaine d'entreprises israeliennes cotees au Nasdaq ont vu leurs cours s'effondrer de 30 a 80 %, tandis que les salaires de leurs employes chutaient de 10 a 30 %.
Pourtant, avec 150 nouvelles start-up creees en 2001, contre 850 l'annee precedente, Israel reste dans les tous premiers rangs des lieux de creation de haute technologie dans le monde aux cotes de la Silicon Valley americaine. Pret pour la reprise.
                                           
25. Le second Holocauste - et la complicité européenne par Ron Rosenbaum
in San Francisco Chronicle (quotidien américain) du dimanche 28 avril 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Ron Rosenbaum est l’auteur de « Explaining Hitler : The Search for the Origin of His Evil » [Expliquer Hitler : A la recherche des origines de son âme maudite]. Cet article a été publié sous une autre forme dans The New York Observer.)
Washington – L’expression de « second Holocauste » – la destruction possibles des juifs en Israël – a été créée par Philip Roth, dans son roman « Operation Shylock », publié en 1993. Ce roman sembla incroyablement pessimiste, à l’époque. Mais même les choses les plus noires imaginées par Roth semblent aujourd’hui marquées au coin de l’optimisme. Tout spécialement lorsqu’on les examine à la lueur des synagogues incendiées en France. Ou de l’arrivée du néofasciste Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle en France.
Il nous faut examiner la dynamique qui est en train de se déployer dans les esprits, en Europe, en ce moment : c’est une dynamique qui suggère que les Européens, à un niveau ou à un autre, profond, sinon entièrement conscient, veulent être complices, à nouveau, dans l’élimination des juifs.
Le narrateur du roman de Roth est persuadé qu’en Europe existent « de puissants courants d’illumination et de moralité qui sont entretenus par la mémoire de l’Holocauste – c’est un véritable garde-fou contre l’antisémitisme européen », aussi virulent soit celui-ci. Cela est sans doute vrai en ce qui concerne certains Européens, peu nombreux, mais même si c’est le cas, ils sont restés fort silencieux. En réalité, il semble que la mémoire de l’Holocauste soit précisément ce qui suscite les courants les plus obscurs dans l’âme européenne. La mémoire de l’Holocauste est, précisément, ce qui explique la position unilatérale, anti-israélienne, de la presse européenne.
Et aussi des hommes politiques européens, de la culture européenne. La complaisance vis-à-vis des incendies de synagogues, la propension à mettre l’accent exclusivement sur la réponse israélienne aux kamikazes (palestiniens) se faisant exploser au milieu de familles en prières et les décimant, plutôt que sur les assassins de masse (comme les auteurs d’attentats suicides devraient être dénommés d’une manière plus appropriée) et ceux qui les financent et organisent des organisent des fêtes pour leurs familles.
La dynamique qui se déploie là-bas (en Europe) est horrible, mais évidente : à quelque niveau profond, les Européens, les hommes politiques européens, la culture européenne, ont conscience du fait que presque sans aucune exception tous les Etats européens ont été complices du génocide perpétré par Hitler. Certains ont fait fonctionner les camps de la mort, d’autres ont imprimé les ordres pour la déportation des juifs vers les camps de la mort, tout le monde savait ce qui était en train de se passer – et il faut préciser que les nazis n’ont pas eu à utiliser de la force pour faire d’eux des complices de leurs crimes. Pour la plupart, les Européens étaient entièrement volontaires. C’est la raison pour laquelle la « civilisation européenne » sera éternellement un oxymore [= une impossibilité logique, ndt] pour quiconque regarde les choses d’un peu trop près, à commencer par les massacres démentiels et totalement inutiles de la Première guerre mondiale, qui pavèrent la voie aux actions d’Hitler, plus étroitement ciblés.
Ainsi, on le comprendra, un besoin se fait sentir de faire retomber sur quelqu’un d’autre la honte de la (soi-disant) « civilisation européenne ». En l’occurrence, de faire retomber la faute sur la victime. De blâmer les juifs. Plus les pays européens pourront se focaliser en tout parti pris sur la réponse israélienne à la terreur et non sur la terreur (palestinienne) elle-même, plus ils pourront présenter les juifs sous les traits des vrais méchants, et plus ils pourront racheter leur conscience collective de leur complicité dans le massacre de masse (des juifs, ndt) dans le passé. « Hitler est peut-être allé un peu trop loin, et sans doute nous n’aurions pas dû être aussi couards et empressés à lui porter assistance, mais : voyez ce que les juifs sont en train de faire » (se disent-ils).
- N’est-il pas curieux que l’on n’ait jamais vu un « activiste pacifiste européen » se porter volontaire pour « s’interposer de leur corps » en annonçant qu’ils iraient s’exposer à un danger réel – dans les cafés et les pizzerias de Tel-Aviv, cibles privilégiées des kamikazes ? Pourquoi aucun « militant de la paix » européen n’était présent lors des Seders à Netanya ni dans les rues de Jérusalem ? Non, n’est-ce pas : les « militants européens de la paix » avaient mieux à faire : ils faisaient de leur mieux afin de protéger les courageux sponsors des kamikazes, à Ramallah…
Il convient de ne pas se contenter de replacer le complexe de culpabilité européen dans le seul contexte de leur complicité durant la Seconde guerre mondiale (avec les nazis, ndt). Il convient aussi de prendre en considération la négligence cynique qui a présidé à la création de l’Etat d’Israël. Le cadeau empoisonné d’une lichette de désert indéfendable perdue dans un océan de populations hostiles, afin que les juifs rescapés – témoins rappelant sans cesse aux Européens leur infamie – soient envoyés loin du continent, et laissent les propriétés volées aux juifs durant la guerre aux mains de la populace européenne. Et encore, lorsqu’elle ne continuait pas à tuer des juifs, comme le firent certains Polonais lorsque quelques juifs commirent la folie de tenter de retourner dans leurs maisons volées.
Qu’on ne s’y trompe pas, les Palestiniens sont des victimes de l’histoire autant que les juifs. La dernière chose que les nations européennes voulait faire, c’était la seule chose juste, qui aurait consisté à restituer aux juifs leurs maisons volées, alors (les Européens) ont donné leur accord à la création d’un Etat juif, après quoi ils n’ont rien fait afin de le rendre viable ni pour les juifs ni pour les Palestiniens, préférant se laver les mains de ce cataclysme : Que les sémites s’assassinent entre eux ! Et évidemment ils blâmèrent les seuls juifs, car c’était les sémites qu’ils étaient le plus l’habitude de haïr.
Ainsi, aujourd’hui, il est tellement facile, pour les Européens, de persécuter les juifs : ils n’ont qu’à se contenter de laisser leurs propres populations arabes incendier les synagogues et casser la gueule aux juifs dans la rue, à leur place. Néanmoins, il y a quelque chose de particulièrement répugnant dans les incendies de synagogues en France. Ils expliquent en grande partie pourquoi le gouvernement israélien agit comme il le fait actuellement – avec un petit peu moins de retenue à l’encontre des assassins de leurs enfants. Oui, j’ai bien dit : de retenue. Si les Israéliens agissaient avec la vigueur dont ils pourraient légitimement se prévaloir afin de mettre un terme aux attentats kamikazes, ils diraient aux terroristes potentiels – qui se précipitent vers leur mort en espérant que leurs familles vont célébrer leurs assassinats de masse en organisant des fêtes financées et en empochant des allocations généreusement offertes par les Saoudiens et Saddam Hussein – que leurs familles partageront exactement le même sort que les gens que les terroristes font exploser. Cela rendrait difficile le recrutement et les réjouissances devant les corps déchiquetés d’enfants juifs. Mais les Israéliens ne feront jamais cela, et c’est la raison pour laquelle il est vraisemblable qu’il y aura un second Holocauste. Non pas parce que les Israéliens font preuve de retenue, mais parce qu’ils continuent, jusqu’ici, à agir avec retenue en dépit des massacres qui rendent leur pays invivable.
Voyez ce remarquable reportage du New York Times, dans lequel les dirigeants du Hamas célèbrent allègrement leur triomphe dans le massacre de la Pâque (juive) et les massacres suivants, à Jérusalem et à Haïfa. Deux choses rendent cet article important : l’une est l’affirmation éhontée qu’ils n’ont jamais eu le moindre intérêt pour un quelconque « processus de paix » qui aboutirait pourtant à la création d’un Etat palestinien viable vivant côte à côte avec l’Etat juif. Tout ce qu’ils voulaient, c’était la destruction de l’Etat juif et son remplacement par un autre, dans lequel « les juifs pourraient continuer à vivre dans un ‘Etat islamique régi par la loi shari’a’ ».
Voilà qui définit parfaitement la réalité qui a été occultée par l’illusion d’espoir placée dans un « processus de paix ». Les Palestiniens, avec leurs 300 millions de « frères arabes » encerclant les cinq millions de juifs, ne sont pas intéressés par un « règlement négocié ».
On reproche constamment aux Israéliens de ne pas négocier, de ne pas concéder suffisamment de leur propre sécurité, mais ils n’ont personne avec qui négocier qui ne veuille exterminer leur Etat et leur peuple avec, si nécessaire.
L’autre chose remarquable, dans l’article du NYT, était le cadre : l’interview de l’un des quatre dirigeants des assassins de masse du Hamas, un certain Dr. Zahar, s’était déroulé dans une maison confortable ce « Dr. Zahar, chirurgien de son état, dispose d’une table de ping-pong dans son vaste living room, à l’usage de ses sept enfants. »
Si les Israéliens étaient aussi impitoyables que les Européens se plaisent à le dire, ils ne laisseraient pas les assassins de leurs enfants jouer au ping-pong, permettez-moi de vous le dire…
Parlons maintenant de la relation entre le premier Holocauste et le prochain. La relation entre la réponse européenne au premier Holocauste et la réponse probable d’Israël à celui qui s’annonce. Elle pourrait se résumer à merveille au moyen de ce vieux proverbe : « Si vous me b.isez une fois : honte à vous ! Mais si vous me b.isez deux fois : honte à moi ! »
La première fois, lorsque le peuple juif fut menacé par quelqu’un qui en appelait à leur extermination totale, ils fit confiance aux valeurs « éclairées » du peuple européens, comme le raconte le narrateur de Roth : « Des gens civilisés ne pourraient laisser se produire quelque chose d’aussi horrible. Des pogromes, oui, bon, d’accord, mais : des camps de la mort, des camps d’extermination ? Jamais. Ils nous envoient dans des camps, certes, mais de quelle nature ces camps peuvent-ils bien être : ces camps de travail, au pire ? Le monde entier ne laisserait pas une chose (aussi terrible que notre extermination) se produire (sans rien faire).
Eh bien, voyez-vous, le « monde » a bel et bien laissé faire – avec une complaisance extraordinaire et non sans quelque plaisir chez certains.
Mais je devine que, profondément, dans le cœur de la plupart des Israéliens, se trouve l’idée que, cette fois, nous n’allons pas dépendre des autres pour empêcher que cela se reproduise. Nous n’allons pas nous contenter d’espérer que le monde finira par se préoccuper du fait qu’on est en train d’assassiner nos enfants. Cette fois, nous ne partirons pas sans rien dire ; cette fois, si nous devons mourir, nous mourrons en combattant et nous les entraînerons avec nous dans la mort et nous en tuerons le plus possible, et que le reste du monde aille au diable. « B.isés deux fois : honte à nous ! »
J’ai mal pour les Palestiniens : je pense qu’ils méritent d’avoir un Etat. Mais ils en avaient un, d’Etat : ils faisaient parti d’un Etat, appelé Jordanie, qui a déclaré la guerre à l’Etat d’Israël et qui l’a envahi afin de le détruire – et qui finit par perdre la guerre. De perdre une guerre, cela a des conséquences, et les conséquences doivent, au moins pour partie, être déposées aux pieds de ceux qui ont voulu la guerre et qui l’ont perdue. On peut sympathiser avec le calvaire des Palestiniens, mais on peut s’imaginer quel aurait été le calvaire subi par les israéliens eussent-ils perdu la guerre…
Mais, n’est-ce pas, on dit aux Israéliens qu’ils doivent faire confiance au monde – faire confiance à l’Union européenne, garante de leur sécurité, faire confiance aux promesses de « relations normales » réitérées par la Ligue arabe, faire confiance aux Saoudiens qui financent les organisations terroristes kamikazes et on leur demande de fermer les yeux sur les ouvrages scolaires exterminationistes utilisés par les Arabes afin d’édifier leur progéniture. Les Israéliens doivent apprendre à bien se tenir ; les juifs doivent se comporter au mieux vis-à-vis de gens qui veulent les tuer. Permettez-moi de ne pas être d’accord.
En tant que juif laïc, je suis plus diasporiste que sioniste. J’ai soutenu l’Etat juif, mais j’ai toujours considéré qu’il était une solution nécessaire mais non idéale, avec un côté négatif évident : la concentration de tant de juifs au même endroit – et j’utilise le mot « concentration » à dessein – donne au monde une opportunité de tuer les juifs en masse, à nouveau. De plus, j’ai toujours pensé que les juifs prospéraient mieux là où ils échappaient au contrôle des rabbins orthodoxes et qu’ils pourraient apporter au monde entier – que dis-je ? à l’univers entier ! – les compétences exégétiques qui font la gloire de ce peuple : lire l’univers à l’instar de la Torah, comme le firent Einstein et Spinoza, plutôt que la Torah à l’instar de l’univers, comme le font les (juifs) orthodoxes.
Mais la haine implacable du fondamentalisme « arabe » (c’est le traducteur qui souligne cette imbécillité, ndt) ne fait aucun distinguo entre les juifs fondamentalistes et les juifs séculiers, se comportant en cela à l’instar d’Hitler. Ce ne sont pas seulement les colonies qu’ils veulent éradiquer, c’est l’Etat juif, c’est le peuple juif !
Voilà comment les choses risquent de se passer : tôt ou tard, une bombe nucléaire sautera à Tel-Aviv, et immédiatement (pas plus tard) il y aura des représailles nucléaires (israéliennes).
Bagdad, Damas, Téhéran. Peut-être les trois à la fois… Quelqu’un a dit, jadis, que tandis que le Christ exhortaient les Chrétiens à « présenter leur autre joue », ce sont les juifs qui, seuls, ont en réalité mis cette attitude en pratique. Pas cette fois. Le corollaire non-dit du slogan : « Plus jamais ça ! » (« Never again !»), c’est : « Et si de nouveau, pas seulement nous !» (« And if again, not us alone ! »).
Ainsi, on le voit, le temps est venu de penser au second Holocauste. Il se produira, tôt ou tard ; la question n’est pas « si », mais « quand » ? J’espère ne pas vivre jusque-là et ne pas le voir. Cela sera insoutenable pour ceux qui en seront les contemporains. Je corrige : pour ceux qui y assisterons, à l’exception des Européens – dont les consciences, comme à l’accoutumée, seront claires comme de l’eau de roche.
                               
26. Trop Proche-Orient par Slimane Zeghidour
in La Vie du jeudi 11 avril 2002
Violences d'extrémistes juifs répondant à des actes antisémites... Comment éviter l'exportation chez nous du conflit israélo-palestinien ? En rejetant tout communautarisme, qu'il soit juif ou musulman.
Pour une fois unanimes, tous les politiques hexagonaux, chefs de parti et candidats confondus, mettent en garde contre le risque de " transposer en France le conflit du Proche-Orient ". Un appel nécessaire, à un moment où des franges entières de la communauté nationale épousent les passions et les positions, qui des Israéliens, qui des Palestiniens. À cet égard, les manifestations du week-end dernier ont montré à la fois le caractère pacifique de la majorité des sympathisants de l'un ou l'autre camp, et la violence, sinon le fanatisme, de certains groupuscules arabes et juifs. Notre classe politique a raison de s'émouvoir, mais elle est loin d'être innocente en la matière : la pêche aux voix en terrain confessionnel est un sport national fort ancien. Depuis des lustres, aucun candidat à la présidence n'a manqué le pèlerinage en Israël; aucun n'a manqué de se recueillir, kippa sur la tête, au pied du mur des Lamentations. Aujourd'hui, on commence à faire étape à Alger. En attendant d'honorer Bamako ou Ankara. Et chaque visiteur d'y aller de sa petite phrase attestant son " amitié indéfectible " pour l'État juif. À la veille des élections européennes de mars 1986, Lionel Jospin, alors secrétaire général du parti socialiste, déclarait froidement, à propos du transfert de la capitale d'Israël de Tel-Aviv à Jérusalem - une démarche pourtant contraire au droit international : " En tant qu'individu, en tant qu'amoureux de la beauté et de l'Histoire, je préférerais de beaucoup que la capitale soit à Jérusalem plutôt qu'à Tel-Aviv." Il est vrai qu'à l'époque le Likoud, au pouvoir en Israël depuis 1977, cherchait à structurer une communauté juive jugée trop assimilée. "Structurer", cela passait par l'affirmation de la "centralité" d'Israël par rapport à la diaspora. D'où une conjonction entre le souci de la communauté de ménager l'appui de la France à Israël et le besoin de tel ou tel candidat d'un renfort de voix qui a fini par devenir une composante permanente de la vie politique nationale. On mesure l'évolution quand, début 1991, Dominique Strauss-Kahn affirme publiquement : " Je considère que tout juif de la diaspora, et donc de France, doit, partout où il peut, apporter son aide à Israël. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il est important que les juifs prennent des responsabilités politiques. En somme, dans mes fonctions et dans ma vie de tous les jours, à travers l'ensemble de mes actions, j'essaie d'apporter ma modeste pierre à la construction d'Israël." On conçoit que pareil discours puisse générer un contre-communautarisme, musulman, cette fois, au détriment de la cohésion nationale. Tentation d'autant plus forte que les grands partis (mis à part le PC, les Verts et... le FN) n'arrivent toujours pas à surmonter leurs blocages culturels pour s'ouvrir aux Français originaires du Maghreb, qui représentent pourtant près de 10% de la population. " Je refuse le communautarisme ", vient toutefois de lancer Lionel Jospin. Le Premier ministre candidat ajoute : " Je ne jouerai jamais les passions les unes contre les autres. " Espérons que sa déclaration n'engagera pas que lui seul... Il y va non seulement de la paix intérieure, mais aussi de la position diplomatique de la France, qui reste un acteur de poids au Proche-Orient. Or, un gouvernement français qui craindrait de mécontenter telle ou telle fraction de la population se retrouverait bien vite paralysé. Ce qui ferait le bonheur d'un Sharon ou d'un Saddam.
                                               
27. Israël révèle comment il a acquis la Bombe par Inigo Gilmore
in The Telegraph (quotidien britannique) du dimanche 23 décembre 2001
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Un film documentaire pour la télévision, dans lequel Pérès Shimon, ancien ministre israélien des Affaires étrangères, révèle pour la première fois un certain nombre de détails sur l’acquisition par Israël de l’arme nucléaire, doit être diffusé dans le monde arabe. Cette diffusion doit être entendue, dans une période de tensions croissantes, comme un avertissement.
Dans le documentaire, M. Pérès va plus loin qu’aucun autre officiel israélien ne l’avait jamais fait jusqu’ici, en confirmant que l’Etat juif a bien une capacité nucléaire. Lui-même et plusieurs officiels du gouvernement français donnent des détails sur la coopération entre Israël et la France, qui a abouti au lancement du programme nucléaire (militaire) d’Israël.
Ce documentaire, réalisé par une équipe de documentaristes israéliens chevronnés, est un signe en lui-même du fait que le gouvernement est sans doute en train de relâcher finalement quelque peu le silence absolu qu’il observait comme une règle absolue sur son programme nucléaire. Mordechai Vanunu, un technicien du centre nucléaire de Dimona, purge une sentence de dix-huit ans de prison pour avoir révélé, en 1986, qu’Israël avait un programme nucléaire et disposait de plus de cent têtes nucléaires.
Intitulé La bombe dans la cave : L’option nucléaire israélienne [The Bomb in the Basement : Israel’s Nuclear Option], il a été présenté au public le mois dernier, en Israël, et il fait l’objet de contrats de vente à des stations de télévision arabes très diffusées, telle Al-Jazeera, télévision par satellite basée au Qatar.
Ses réalisateurs pensent que la coopération du gouvernement, qui a accepté de parler des origines de sa capacité nucléaire, a été encouragée par des préoccupations liées au terrorisme international et à la probabilité que l’Iran dispose d’une capacité nucléaire d’ici quelques années.
Le metteur en scène, israélien, Michael Karpin, qui a déjà réalisé un film controversé sur l’assassinat d’Yitzhak Rabin, a indiqué qu’il n’était pas certain, voici seulement quelques semaines, que la censure militaire permettrait la diffusion du documentaire.
« Peut-être qu’après le 11 septembre, ils (le gouvernement) ont décidé que le temps était sans doute venu de révéler un peu plus de choses sur le projet nucléaire israélien », a indiqué M. Karpin. « Je pense que la décision de laisser poursuivre le projet de documentaire a quelque chose avec l’idée de vouloir dire au monde arabe : « Ecoutez : oui, c’est vrai, nous « l »’avons. »
Le film révèle de quelle manière la France a aidé Israël à développer son programme nucléaire en échange du soutien israélien à l’expédition de Suez. Au milieu des années 1950, les relations entre les deux pays connurent un net réchauffement en raison de leur inquiétude commune au sujet du bourgeonnement des mouvements nationalistes en Afrique du Nord. Israël redoutait que l’ascension de Gamal Abel Nasser, en Egypte, ne rende encore plus audacieux un ennemi déjà formidable sans cela, tandis que la France était confrontée à une insurrection arabe en Algérie, une de ses dernières colonies. L’intérêt des deux pays convergea en 1956, Israël acceptant de se joindre à une guerre décidée conjointement avec la France et la Grande-Bretagne, dans le but de punir Nasser d’avoir nationalisé le canal de Suez.
A la fin du mois de septembre 1956, à Sèvres, dans la banlieue parisienne, M. Pérès, alors un haut fonctionnaire du ministère de la Défense âgé d’une trentaine d’années, accompagna David Ben Gourion, le premier Premier ministre d’Israël, lors d’une rencontre avec des délégations française et britannique au sujet de la crise de Suez. Les Israéliens attendirent que la délégation britannique se retire pour se rapprocher des Français et s’ouvrir à ceux-ci de leur projet nucléaire.
M. Pérès a raconté : « A Sèvres, lorsque tout fut fini, je dis à Ben Gourion : « Il y a encore un point à notre ordre du jour : le sujet nucléaire. Avant que vous n’apportiez l’agrément final, laissez-moi m’en occuper ; je m’en charge ». Des quatre pays disposant à l’époque de la capacité nucléaire – Etats-Unis, Union soviétique, Grande-Bretagne et France – seule la France était disposée à nous aider… »
Dans le documentaire, on demande à M. Pérès si Israël avait demandé un réacteur nucléaire. Il répond : « J’ai demandé plus que ça. J’ai demandé d’autres choses, aussi ; de l’uranium et ce genre de choses. Je suis allé auprès de Ben Gourion, et je lui ai annoncé : « C’est arrangé. » C’est ainsi que les choses se sont déroulées. »
M. Ben Gourion donna son accord à la participation d’Israël à la campagne de Suez. Le 29 octobre 1956, 400 parachutistes israéliens furent lâchés au-dessus de l’ouest du Sinaï, première phase de l’attaque contre l’Egypte.
A Paris, Jean-François Daguzan, adjoint au directeur de la Fondation des Recherches Stratégiques, a révélé pour ce documentaire que le marché conclu par la France avec Israël avait été gardé secret durant près de trente ans. « Cela était notoire dans certains cercles politiques ou militaires, mais cela n’est devenu public qu’au milieu des années 1980, après la publication d’un ouvrage consacré à cette région du monde, dans lequel l’accord était mentionné. [Israël, Cause de la Troisième Guerre mondiale ? par Bernard Granotier, éditions L’Harmattan, ndt].
« On n’y suggérait pas que la France avait donné à Israël sa capacité nucléaire, mais qu’elle avait certainement aidé ce pays à l’acquérir. »
Officiellement, l’attitude d’Israël n’a pas changé : elle consiste à ne pas confirmer, ni démentir, la fabrication d’armes nucléaires dans son centre situé près de Dimona. Les journalistes du pays utilisent un langage codé, et n’affirment jamais positivement qu’Israël ait la bombe. Cette politique d’ambiguïté est délibérée ; elle vise à dissuader les Arabes d’attaquer Israël tout en évitant d’avoir à subir les conséquences attachées au fait de devenir une puissance nucléaire déclarée.
Ce documentaire représente une première. Pour la première fois les médias israéliens ont traité du sujet honnêtement. Certains commentateurs sont surpris de voir que la censure militaire a permis à M. Karpin de poursuivre ainsi son travail, étant donné qu’Israël détient depuis six mois un universitaire à cause d’un ouvrage écrit sur le même sujet, et a jeté en prison Yitzhak Yaakov, un général à la retraite, pour en avoir parlé à des journalistes.