PROCÈS EN VUE CONTRE LE POINT D'INFORMATION PALESTINE
Le Procureur de la République de Marseille a ouvert le 10 juin dernier, une information judiciaire pour "provocation à la haine raciale", consécutive à la plainte déposée le 11 avril 2003 par le Consistoire israélite de Marseille contre le Point d'information Palestine à la suite de la diffusion du texte, "Les Oreilles de Midas", de l'écrivain et journaliste juif israélien, Israël Shamir, dans la lettre N° 216 du 20 mars 2003.
(Sources : France 3, Metro, La Provence, La Marseillaise, Actualité Marseille L'Hebdo)
                               
                       
Point d'information Palestine N° 223 du 18/07/2003
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Au sommaire
                                    
Dernières parutions
1. Revue - Maghreb-Machrek N° 176 (Printemps 2003)
2. Livre - Face à la guerre - Lettre de Ramallah de Ilan Halevi aux Editions Sindbad - Actes Sud
                                
Réseau
1. J’accuse par Sergio Yahni (11 juin 2003) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. Une nouvelle législation antidémocratique rejette la citoyenneté israélienne par alliance par le Mossawa Center "Centre pour l’Egalité" (29 juin 2003) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Conclusion positive des négociations agricoles de la Commission avec Israël par la Commission européenne (7 juillet 2003)
4. Condamnation des mesures de rétorsion annoncées par le gouvernement israëlien contre la BBC par Reporters sans frontières (3 juillet 2003)
5. Lettre de protestation et de solidarité avec José Bové par l'Union des Fermiers Palestiniens [Palestinian Farmers Union] (Juin 2003)
                            
Revue de presse
1. Une amitié coûteuse par Patrick Seale in The Nation (hebdomadaire américain) à paraître ce lundi 21 juillet 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. Israël-Palestine, la guerre en partage, les diasporas en écho par Sylvain Cypel in Le Monde du vendredi 11 juillet 2003
3. Cisjordanie : la colonisation s'accélère par Richard Labévière sur Radio France Internationale le vendredi 11 juillet 2003
4. Les USA et les dilemmes arabes : Le temps des interrogations ontologiques par Hichem Ben Yaïche paru sur Vigirak.com le mercredi 9 juillet 2003
5. La guerre d'Ariel Sharon par l'Union juive française pour la paix in les Dernières Nouvelles d'Alsace (quotidien régional) du mardi 8 Juillet 2003
6. Les Mille et une vies de Saddam Hussein par Gilles Munier in France - Irak Actualités N° 14 du mois de juillet 2003
7. Comment on fabrique un "héros américain" par Jean-Michel Aubriet in L'Intelligent - Jeune Afrique du lundi 7 juillet 2003
8. Mon Israël : Vous ne connaîtrez jamais la paix, tant que vous n’aurez pas redécouvert ce qu’est la justice par Arthur Miller in The Times (quotidien britannique) du jeudi 3 juillet 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
9. Mornes célébrations à Bethléem à l’occasion du retrait israélien par Justin Huggler in The Independent (quotidien britannique) du jeudi 3 juillet 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
10. Choses vues à Ramallah par Christophe Ayad in Libération du jeudi 3 juillet 2003
11. Enfants palestiniens, du camp à la scène par Christophe Ayad in Libération du jeudi 3 juillet 2003
12. Les résistants d’Aïda - De jeunes acteurs palestiniens en tournée en France par Thierry Leclère in Telerama du mercredi 2 juillet 2003
13. L’insulte de l’extension des colonies ne connaît pas de fin par Amira Hass in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mardi 2 juillet 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
14. Timide désescalade par Valérie Féron in L'Humanité du mardi 1er juillet 2003
15. "Il faudrait s’écraser et ne pas répondre aux insultes ? Ce n’est pas mon genre. L’arrogance de ces gens est inconcevable" - Interview de Norman Finkelstein in The Irish Times (quotidien irlandais) du mardi 1er juillet 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
16. Washington et le Proche-Orient - Aux Etats-Unis, M. Ariel Sharon n’a que des amis par Serge Halimi in Le Monde diplomatique du mois de juillet 2003
17. Un mur pour enfermer les Palestiniens - La vraie "feuille de route" du gouvernement israélien par Gadi Algazi in Le Monde diplomatique du mois de juillet 2003
18. Un procès en sorcellerie à Montpellier par Philippe Daumas in France Pays Arabes du mois de juin 2003
19. L’Europe a tendance à oublier l’origine d’Israël – Vous avez bien dit : "suggestion absurde" ? par Fania Oz Salzberger in The International Herald Tribune (quotidien américain publié en France) du vendredi 27 juin 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
20. Alfred Grosser quitte le conseil de surveillance de "L'Express" in Le Monde du jeudi 26 juin 2003
21. Contre les abus de la victimisation par Alfred Grosser in L'Express du jeudi 22 mai 2003
22. Les Etats-Unis privatisent l'Irak par Sami Naïr in Libération du jeudi 26 juin 2003
23. Nabil Chaath : "La balle est aujourd'hui dans le camp du Hamas" propos recueillis par Randa Achmawi in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 25 juin 2003
24. L’adjoint au ministre américain des finances : "Bagdad est ouverte aux entreprises israéliennes" - Une personnalité israélienne s’est rendue en Irak par Zuhaïr Andrews in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 23 juin 2003 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
25. En Palestine, la princesse Kenizé reprend son sac de reporter entretien réalisé par Sylvie Santinie in Paris Match du jeudi 19 juin 2003
26. Une source, citant Bush : "Nous avons un problème, avec Sharon…" par Akiva Eldar in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mardi 10 juin 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
27. Palestine : toujours pas d’Etat, mais deux ministres des Affaires étrangères, deux ! par Naçriyy Hajjâj in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 2 juin 2003 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
28. Bush : entre l’impossible gouvernement de l’Irak et l’inéluctable recouvrement de la Palestine par Mutâ’ Çafadiyy in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 2 juin 2003 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
29. A propos de l’antisémitisme de gauche et du statut spécial d’Israël par Joel Kovel in Tikkun (bimensuel  américain) du vendredi 9 mai 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                        
Dernières parutions

                      
1. Revue - Maghreb-Machrek N° 176 (Printemps 2003)
[136 pages - édité par l'Institut Choiseul - ISBN en cours]
Après dix-huit mois d'interruption, Maghreb-Machrek reparaît enfin. Le N° 175 (Printemps 2003), premier de la nouvelle série publié désormais par l'Institut Choiseul, vient tout juste de paraître. Le N° 176 (Eté 2003) sera consacré à la Palestine,  N° 177 au Golfe et le N° 178 à l'Internet dans le monde arabe.
- Au sommaire du N°175 :
Maghreb-Machrek : une renaissance ? par Jean-François Daguzan
DOSSIER - Afrique du Nord : entre autoritarisme et ouverture
Présentation par Luis Martinez
Les limites d’une démocratisation par la société civile en Afrique du Nord par Jean-Noël Ferrié
L’islamisme imaginaire : identité obsédante et structurante des scènes politiques tunisiennes ? par Michel Camau et Vincent Geisser
Algérie 1992-2002 : une nouvelle économie politique de la violence par Miriam R. Lowi
"Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre". Métamorphoses et continuité du régime marocain par Myriam Catusse et Frédéric Vairel
Varia
Morales hors normes. Composer librement avec la pudeur féminine dans l’Égypte d’aujourd’hui par Patrick Haenni
Document
Entretien avec Bachar Assad au Safir par Sophie Pommier
Lectures
Laurence Louër, "Les citoyens arabes d’Israël" (Élisabeth Marteu)
Alain Dieckhoff et Riva Kastoryano, "Nationalismes en mutation en Méditerranée orientale" (Sophie Pommier)
Khalil Shikaki, "Old Guard, Young Guard: the Palestinian Authority and the Peace Process at Cross Roads" (Jean-François Legrain)
Résumés
Abstracts
Résumés en arabe

[Maghreb-Machrek (revue trimestrielle) - 16, rue de la Grange Batelière - 75009 Paris - France - Téléphone : +33 (0) 1 53 34 09 93 - Télécopie : +33 (0) 1 53 34 09 94 - E-mail : revue@geoeconomie.org ou amis_de_maghreb-machrek@club-internet.fr - Abonnement annuel 4 numéros (France métropolitaine/ Europe) : 75 euros (Amérique, Afrique, Asie) : 85 euros - Règlement par chèque ci-joint à l'ordre de "Maghreb-Machrek" ou par virement sur le compte N° 57336700202 - Crédit du Nord - 59, boulevard Haussmann - 75361 Paris Cedex 8 (Banque : 30076 - Agence : 02019 - RIB 03 - IBAN : FR76 3007 6020 1957 3367 0020 203 / frais bancaires à la charge du donneur d’ordre)]
                                               
2. Livre - Face à la guerre - Lettre de Ramallah de Ilan Halevi
aux Editions Sindbad - Actes Sud
[73 pages - 10 euros - ISBN : 2742745637]

La guerre déclenchée contre l’Irak en ce printemps 2003 est-elle un épisode sans lendemain ou préfigure-t-elle un profond remaniement des rapports internationaux, tout particulièrement entre l’Europe et les Etats-Unis ? Quelle est la finalité réelle de la politique américaine au Moyen-Orient ? Quelle place y occupent les conflits israélo-palestinien et israélo-arabe ? Face à la nouvelle guerre globale, sommes-nous en train d’assister à l’émergence d’un nouveau non-alignement ? Vues de Ramallah, où Ilan Halevi exerce des responsabilités politique au sein du mouvement national palestinien, ces questions prennent une acuité toute particulière. Au passage, l’auteur remet dans son contexte le problème du terrorisme, affronte sans faux-fuyants la recrudescence de l’antisémitisme, analyse la situation des minorités nationales et religieuses dans cette région du monde, avant de poser une dernière question, aujourd’hui peut-être plus cruciale que jamais : « Les ennemis de mes ennemis peuvent-ils être mes amis s’ils sont aussi les ennemis de tous les autres peuples ? »
Né en 1943 à Lyon, Ilan Halevi est depuis 1983 représentant permanent de l’OLP à l’Internationale socialiste. Il a été membre de la délégation palestinienne aux négociations de paix à Madrid et à Washington. Il a déjà publié : Sous Israël, la Palestine (Le Sycomore, Paris, 1978) ; Question juive : la tribu, la loi, l’espace (Minuit, Paris, 1981) ; De la terreur au massacre d’Etat (Papyrus, Paris, 1984).
                                 
Réseau

                                          
1. J’accuse par Sergio Yahni (11 juin 2003)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Sergio Yahni est le directeur du Centre d’Information Alternative - AIC Alternative Information Center : http://www.alternativenews.org - de Jérusalem, créé par Michel Warschawski.)
Jérusalem (entre tentative d’assassinat d’Abdel Aziz Rantissi et attentat du Hamas contre un bus israélien à Jérusalem).
J’accuse Ariel Sharon et Shaul Mofaz, Premier ministre et ministre de la Défense d’Israël respectivement, de provoquer l’assassinat de dizaines d’Israéliens à seule fin de promouvoir leurs intérêts politiques étroits.
J’accuse Ariel Sharon et Shaul Mofaz de provoquer délibérément une escalade militaire entre Israéliens et Palestiniens dans l’intérêt de l’entreprise de colonisation.
En approuvant la tentative manquée d’assassinat du dirigeant du Hamas Abdel Aziz  Rantisi, le Premier ministre Ariel Sharon et le ministre de la Défense Shaul Mofaz savaient que cette attaque mettrait un terme aux négociations entre l’opposition palestinienne et l’Autorité nationale palestinienne au sujet d’un cessez-le-feu général. Sharon et Mofaz savaient, aussi, que cette tentative d’assassinat entraînerait l’échec de la feuille de route. De plus, ils savent que la réplique du Hamas n’est qu’une question de temps. Par tant, ils sont responsables des représailles qui vont nécessairement s’ensuivre.
La tentative d’assassinat intervient deux jours après un congrès du Likoud au cours duquel Sharon et Mofaz ont pris conscience du fait qu’ils n’avaient pas de majorité dans ce parti ni au parlement pour voter la mise en application de la feuille de route. Les deux savaient que la mise en œuvre de la feuille de route signifierait la fin de leur carrière politique.
Mais Sharon et Mofaz savent aussi que la mise en œuvre de la feuille de route s’inscrit dans un remodelage stratégique d’ensemble du Moyen-Orient voulu par l’administration américaine. Ils savent, tous deux, que ne pas la mettre en application entraînerait inévitablement un clash avec les Américains et, là encore, le sacrifice qui ne manquerait pas d’en découler de leur carrière politique.
Seule un attentat de grande ampleur contre la population civile israélienne pourrait, grâce à l’escalade dans les hostilités qu’il permettrait, sauver la carrière politique des dirigeants du Likoud. En donnant le feu vert à l’assassinat de Rantissi, les deux dirigeants savaient qu’une attaque de cette nature donnerait (ultérieurement) une certaine légitimité à une escalade militaire dans les territoires palestiniens occupés et mettrait un terme à la mise en application de la feuille de route, tout en permettant de faire retomber publiquement la responsabilité de la déferlante de violence qui s’annonce sur le « terrorisme palestinien ».
La provocation de Sharon et Mofaz ne me surprend pas. Ariel Sharon a bâti sa carrière politique sur les cadavres des Palestiniens et des Israéliens. C’est la colonie personnelle d’Ariel Sharon (composée de sa seule maison) au cœur de la vieille ville de Jérusalem qui fut le facteur déclenchant de la première Intifada, et c’est la visite provocatrice de Sharon Ariel sur le Haram Al-Sharif qui fut le facteur déclenchant de la seconde Intifada. Quant à Shaul Mofaz, il est contre tout règlement politique avec les Palestiniens. Représentant de l’armée israélienne, il considère qu’un état de guerre permanent est dans l’ordre naturel des choses.
Le comportement criminel du gouvernement israélien est dangereux tant pour les Israéliens que pour les Palestiniens. Seule une intervention directe et indirecte de la communauté internationale peut éviter la continuation de la violence dans la région, qui a déjà coûté des milliers de morts et continuera à causer des pertes de vies humaines à l’avenir si rien n’est fait. L’absence d’intervention de la communauté internationale équivaudrait à de la complicité avec les crimes du gouvernement israélien contre des civils.
J’accuse Sharon et Mofaz d’être coupables de la mort de centaines de Palestiniens et d’Israéliens, conséquence de leur provocation.
                                       
2. Une nouvelle législation antidémocratique rejette la citoyenneté israélienne par alliance par le Mossawa Center "Centre pour l’Egalité" (29 juin 2003)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le 18 juin, la Knesset a adopté en première lecture un amendement à la Loi sur la Citoyenneté. Cet amendement refuse la citoyenneté israélienne au (à la) conjoint(e) de citoyen(ne)s israélien(ne)s marié(e)s à des résidents de la Cisjordanie ou de la bande de Gaza. Ce texte de loi, adopté à une majorité de 19 voix, aboutira à la séparation d’environ 20 000 couples mixtes ainsi formés. L’amendement a été présenté par le ministre de l’Intérieur Avraham Poraz [1]. La commission des Lois de la Knesset examinera cette loi le 30 juin.
Un amendement annoncé à la Loi sur la Citoyenneté, à l’initiative du Premier ministre Ariel Sharon et d’anciens responsables de la sécurité viendra parachever le refus de la citoyenneté à des enfants nés d’un couple formé d’un parent israélien et d’un parent palestinien des territoires occupés. Cet amendement bénéficie d’ores et déjà du soutien du Procureur général Elyakim Rubinstein.
Durant la présente législature, le prédécesseur de Poraz – Eli Yishai, membre du parti Shas – avait pris l’initiative d’une politique consistant à révoquer la citoyenneté d’Arabes suspectés d’atteinte à la sécurité. Lors de son intronisation, cette année, Poraz avait établi une comparaison entre l’emprisonnement de l’assassin du Premier ministre Yitzhak Rabin - un Israélien – et les peines infligées à des citoyens arabes accusés d’avoir tué des citoyens israéliens. Poraz avait alors affirmé qu’il démolirait la politique mise en place par Yishai, et que sous son administration les Arabes et les juifs convaincus de crime seraient traités semblablement. Toutefois, l’amendement adopté la semaine passée, bien plus inhumain que la politique de son prédécesseur, a été révélé par Poraz en personne [2]. Certains députés, tant juifs qu’arabes, ont exprimé leur indignation au cours des débats :
Le député Zehava Gal-On (du Meretz) a fait observer que ce « projet de loi raciste et discriminatoire établit un distinguo entre citoyens sur une base ethnique ». Le député Ahmed Tibi (du Hadash-Ta’al) a déclaré le projet non-éthique du fait qu’il présente les mariages par-dessus la Ligne Verte comme autant de bombes à retardement qu’il conviendrait de désamorcer. Issam Makhoul (du Hadash-Ta’al également) a qualifié la loi ainsi proposée d’antidémocratique, anti-humaine et défiant les conventions internationales [3].
Ce projet de loi met en lumière le « débat démographique » qui agite la société israélienne. Les questions de citoyenneté, d’immigration et de politique démographique sont au cœur de cette controverse « démographique ». Un article publié en avril 2002 par le quotidien Chicago Tribune mettait le doigt sur l’inquiétude grandissante des Israéliens au sujet de la croissance de la population arabe en Israël : « Certains Israéliens disent qu’au-dessous de la surface de la violente confrontation entre Arabes et juifs est étouffé le tic-tac d’une bombe à retardement, et que cette bombe est de nature démographique. » [4]
En tant que ministre de l’Intérieur, Yishai avait souvent fait état de l’opinion que les familles arabes représentent une « menace démographique » pour la pérennité d’une majorité juive en Israël. En 2002, il avait re-institué le Conseil démographique, instance chargée d’assurer le maintien d’un « équilibre démographique » (c’est-à-dire, en fait : une majorité juive) en Israël. Ce Conseil démographique avait recommandé de dissuader l’agrandissement des familles en coupant les allocations à l’enfant ; en même temps, il préconisait le lancement de programmes destinés à encourager la natalité juive. Yishai avait déclaré au quotidien Ha’Aretz : « Ils (= l’administration Poraz) vont ouvrir les portes du pays, et cela met en danger l’existence de l’Etat. J’espère simplement que ce que nous sommes en train de dire là ne sera pas enregistré, dans l’Histoire, comme un chapitre dans l’assimilation du peuple juif. » [5]
Au cours de la décennie 1980, la politique israélienne de l’immigration encouragea un afflux d’immigrants de Russie (dont la judaïté était souvent contestable) à entrer en Israël via la loi du Droit au Retour promis aux juifs dans le monde entier [6]. Plus récemment, le gouvernement a décidé de permettre à 20 000 Falashmura (descendants de juifs éthiopiens convertis au christianisme) d’immigrer en Israël. En même temps, le gouvernement israélien critique la croissance des familles arabes, tout en fermant les yeux lorsqu’il s’agit de naissances de haredim.
Le 5 février, on pouvait lire, dans le quotidien israélien Ma’ariv, le gros titre ci-après : « Rapport spécial : La polygamie représente une menace pour la sécurité. » L’article passait en revue un rapport publié par Herzl Gadge, Directeur du Ministère de l’administration démographique, qui présentait la polygamie chez les bédouins comme une « menace pour la sécurité » et se faisait l’avocat de moyens susceptibles de réduire le taux des naissances dans le secteur arabe – dont des contrôles de la population dans le style chinois. Le rapport ne faisait aucune mention de la polygamie vue sous l’angle des droits de la femme. (Les associations de femmes arabes et de défense des droits de l’Homme réclament depuis longtemps des initiatives gouvernementales afin de traiter l’impact négatif de la polygamie sur les droits tant des femmes que des enfants, avec peu de succès jusqu’ici).
Le rapport est allé jusqu’à en appeler à « une lutte sans merci » contre l’octroi aux épouses (arabes) soi-disant « illégales » de citoyens israéliens de l’autorisation de résider en Israël avec leurs enfants. D’après le rapport Gage, « 20 000 citoyens arabes d’Israël sont mariés à des femmes de Cisjordanie, de la bande de Gaza et d’autres pays arabes. » Le rapport Gage indique que le gouvernement a pleinement conscience de l’impact qu’aurait cette nouvelle politique sur les citoyens arabes d’Israël.
Le Centre Moussâwâ condamne fermement la tendance antidémocratique qui se fait jour au sein du gouvernement et des institutions israéliens, et en appelle à une définition de la citoyenneté qui soit basée sur les principes des droits humains internationalement reconnus. Le Centre Moussâwâ combattra cette législation au moyen d’une campagne coordonnée entre les médias, la Knesset et les tribunaux.
- Notes :
[1] : 47 voix pour ; 28 contre ; 5 abstentions.
[2] : En revanche, Poraz insista : « Je garantirai la citoyenneté israélienne à tous les non-juifs parents de… soldats », avec une préférence nette pour les non-Arabes. La promesse de Poaz excluait les parents de citoyens arabes, non éligibles au service militaire et, par tant, non susceptibles d’accéder à la citoyenneté israélienne à travers celle de leurs enfants.
[3] : « La Knesset interdit d’accorder la citoyenneté (israélienne) à des Palestiniens qui épousent des Israéliennes », Ha’Aretz, 18 juin.
[4] : « Les taux  de naissance affolent Israël », in Chicago Tribune, 21.04.2002.
[5] : « Un ministre israélien veut rendre les lois moins dures pour les non-juifs » par Conal Urquhart, The Guardian, 15.05.2003.
[6] : D’après l’Agence Juive pour Israël, au moins un quart du million de Soviétiques immigrés en Israël, venus à la fin des années 1980, ne sont pas juifs, d’après les lois religieuses. Le pourcentage de non-juifs parmi les immigrants a atteint les 70 %, d’après les grands rabbins d’Israël. Le ministère de l’Intérieur place la barre un peu plus bas – 58 % pour la première moitié de l’année 2002 – mais encore bien au-dessus des années précédentes (« Beaucoup de non-juifs venant vivre en Israël, les Israéliens réexaminent la aliyah russe », par Jessica Steinberg, site ouèbe de « The Jewish Agency for Israël », 10 septembre 2002).

[Pour plus d’information, et si vous désirez soutenir notre campagne, adressez-vous s’il vous plaît au Mossawa Center aux coordonnées suivantes : Tél. : 972 (0) 4 866 9587 - Fax : 972 (0) 4 866 8063 - E-mail : mosawa@rannet.com]
                               
3. Conclusion positive des négociations agricoles de la Commission avec Israël par la Commission européenne (7 juillet 2003)
Bruxelles, le 7 juillet 2003 - La Commission européenne et Israël ont paraphé un accord relatif aux nouvelles mesures réciproques de libéralisation des échanges de produits agricoles. Conformément à cet accord, la plupart des échanges de produits agricoles entre les deux parties seront libéralisés (sous la forme d'un traitement préférentiel avec ou sans quotas). Pour entrer en vigueur, l'accord devra être adopté par les États membres de l'UE.
Israël a accepté de libéraliser davantage ses importations de produits agricoles en provenance de l'UE grâce à une augmentation des quotas existants et à une réduction au niveau zéro des droits préférentiels actuels. La libéralisation couvrira, entre autres, les produits suivants: les bovins, les viandes, les produits laitiers (lait, fromage, lactosérum et beurre), les oignons et l'ail, les légumes préparés et les légumes secs, les pommes, les poires, le riz, le sucre, les fruits et jus préparés, les huiles, les préparations pour l'alimentation animale, le vinaigre et le vin.
L'UE a accordé à Israël des concessions supplémentaires pour des produits tels que les fruits frais (melons et raisins), les légumes frais et transformés (tomates et tomates transformées, pommes de terre, piments, salades, légumes séchés), les agrumes transformés, les jus, les dindes et préparations à base de dinde, le vin. En ce qui concerne les fleurs, un des principaux produits d'exportation israéliens, l'UE a accepté d'abandonner le système des prix de référence existant pour certains types de fleurs et d'augmenter légèrement le quota actuel pour les fleurs autres que les roses et les œillets.
Israël a consenti à réduire de moitié le quota applicable aux exportations préférentielles de jus d'orange vers l'UE, compte tenu des tendances observées actuellement en ce qui concerne la capacité d'exportation israélienne.
Dans l'esprit du processus de Barcelone et dans le but de renforcer progressivement la libéralisation des échanges de produits agricoles, les deux parties sont convenues d'augmenter tous les quotas de 3 % par an.
Les négociations avaient commencé fin de l'année 2000 en application de l'article 11 de l'accord d'association, qui prévoit une révision des protocoles agricoles de l'accord afin de renforcer progressivement la libéralisation réciproque des échanges de produits agricoles, conformément au processus de Barcelone, dont l'un des objectifs est la création graduelle d'une zone de libre-échange euro-méditerranéenne. Comme convenu lors des négociations, une nouvelle révision visant de nouvelles mesures de libéralisation devrait intervenir en 2007 pour entrer en vigueur en 2008.
                                   
4. Condamnation des mesures de rétorsion annoncées par le gouvernement israëlien contre la BBC par Reporters sans frontières (3 juillet 2003)
Reporters sans frontières déplore et condamne l'attitude du gouvernement israélien qui a annoncé, le 1er juillet 2003, sa décision de "couper tout lien" avec la radio télévision britannique BBC, l'accusant de "systématiquement diaboliser" Israël et de diffuser des reportages "frisant l'antisémitisme".
"Le gouvernement israélien supporte mal la liberté éditoriale de certains médias, dès lors que celle-ci ne sert pas ses propres intérêts. Sa décision de faire preuve d'un ostracisme affiché à l'égard d'un média indépendant et reconnu comme la BBC est plus que regrettable, elle est absurde. Il s'agit d'une attitude indigne d'un gouvernement qui prétend avoir intégré les présupposés et les vertus de la liberté de la presse", a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de l'organisation, avant d'ajouter : "Les accusations lancées contre la BBC sont tout aussi indignes et pathétiques".
Les mesures de rétorsion contre la BBC (boycott des officiels israéliens sur la chaîne, difficultés accrues pour ses journalistes se rendant dans le pays) ont été annoncées après la récente diffusion par la chaîne d'un reportage sur le programme nucléaire de l'Etat hébreu intitulé "L'arme secrète d'Israël".
Le gouvernement israélien a également annoncé qu'il ferait pression, par l'intermédiaire de son ambassadeur en Australie, Gaby Levy, sur la chaîne nationale australienne ABC (Australian Broadcasting Coorporation) qui a l'intention de diffuser le documentaire controversé à une date encore non déterminée.
En 2002, une querelle entre les officiels israéliens et la chaîne américaine CNN avait failli dégénérer et déboucher sur la perte du créneau satellitaire de la chaîne en Israël. Le gouvernement israélien reprochait déjà, en des termes parfois violents, à CNN ainsi qu'à la BBC leur couverture "pro-palestinienne" de la situation au Proche-Orient.
[Reporters sans frontières http://www.rsf.fr défend les journalistes emprisonnés et la liberté de la presse dans le monde, c'est-à-dire le droit d'informer et d'être informé, conformément à l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme.]
                       
5. Lettre de protestation et de solidarité avec José Bové par l'Union des Fermiers Palestiniens [Palestinian Farmers Union] (Juin 2003)
A José Bové  et à la Confédération Paysanne - Chères amies, chers amis, nous avons reçu avec grande stupéfaction la nouvelle de l’incarcération de José Bové  après une opération commando de la police française. Nous sommes inquiet de cette condamnation d’une personne qui a simplement eu l’audace de conduire des actions syndicales pour sensibiliser l’opinion publique sur les risques des OGM dans l’agriculture et l’alimentation. Nous condamnons cette action contre José Bové, dont la terre Palestinienne et la terre Française sont témoins de son action pour la défense de la liberté, la justice et contre la domination internationale que la capitalisme pratique sous le nom de mondialisation. De la terre de Palestine et au nom des fermiers Palestiniens qui souffrent quotidiennement de l’injustice et de la confiscation de leurs terres par l’occupation Israélienne, nous réaffirmons notre solidarité au côté de José Bové et de sa juste cause. Nous ajoutons notre voix avec celle du peuple Français pour demander la libération immédiate de José Bové.
Cher José Bové, nous vous envoyons ce poème de Tawfiq Zayyad (poète palestinien, maire de Nazareth mort le 6 juillet 1994 dans un accident de la route) :
Je serre vos mains
Je vous appelle / Je serre vos mains / J’embrasse la terre sous vos semelles / Et je dis : je vous donne ma vie / La lumière de mes yeux / Je vous donne la chaleur de mon cœur / Car le drame que je vis / Est mon lot de votre tragédie / Je vous appelle / Je serre vos mains / Moi, je n’ai rien refusé a ma partie / Et je n’ai pas courbé l’échine / Je me suis dresse face a mes oppresseurs / Orphelin, nu, déchaussé.
                           
Revue de presse

                      
1. Une amitié coûteuse par Patrick Seale
in The Nation (hebdomadaire américain) à paraître ce lundi 21 juillet 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Cet article est une analyse de l’ouvrage de Warren Bass : Support Any Friend : Kennedy’s Middle East and the Making of the US-Israel Alliance  (En matière d’amis, ne soyez pas bégueules : le Moyen-Orient du temps de Kennedy et la conclusion de l’alliance américano-israélienne).
Le plus gros du papotage, en Europe, ces jours-ci – dans les journaux, dans les bureaux, dans les réceptions huppées ou derrière les portes capitonnées des ministères des affaires étrangères – tourne autour de la façon dont les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont été embringués dans la guerre contre l’Irak, ou plus précisément encore, autour de la manière dont ils ont réussi à nous faire croire qu’ils avaient de bonnes raisons pour faire cette guerre… Presque tout le monde soupçonne désormais que cette guerre était frauduleuse. Mais qui a perpétré la fraude ? Et qui en a été victime ? A-t-on fourni à Bush et Blair des renseignements bidonnés, ou bien ont-ils bidouillé et maquillé les renseignements qu’ils avaient reçus afin d’exagérer la menace représentée par l’Irak pour pouvoir justifier leur attaque contre ce pays ? Tout le monde convient du fait que Saddam Hussein était un monstre. Mais l’invasion militaire destinée à l’écarter du pouvoir est considérée par beaucoup de gens, en tous les cas de ce côté-ci de l’Atlantique, comme une violation illégitime, non provoquée et flagrante de la charte de l’Onu,  laquelle représente un précédent extrêmement fâcheux dans les relations internationales. Comme nous le savons tous, il existe effectivement un endroit où, seule, la puissance dicte le droit [« might is right »]. Cet endroit, c’est hélas la jungle…
Plusieurs officines de renseignement, ainsi que les commissions des affaires étrangères au Parlement britannique et au Congrès des Etats-Unis, ont lancé des enquêtes sur la manière dont la décision de déclencher la guerre avait été prise – quand, pourquoi, sur quelles bases ? Mais c’est un effort surhumain qui sera nécessaire si l’on veut pénétrer dans la forêt vierge glauque des diverses bureaucraties gouvernementales qui se bouffent le nez entre elles, des exilés, des fantômes, des exilés, des sous-marins et autres transfuges, agents de renseignements ne recherchant que leur propre intérêt, lobbyistes pro-israéliens, éditeurs de magazines, gourous de « boîtes à idées » et idéologues assortis qui, tout du moins à Washington, ont la haute main dans la détermination de la politique étrangère.
Comment toute cette histoire a-t-elle commencé ? Un point important de l’histoire, bien qu’il ne la représente pas dans sa totalité, est la relation spéciale entre les Etats-Unis et Israël. Le livre important, et tombant à point nommé, de Warren Bass, Support Any Friend : Kennedy’s Middle East and the Making of the US-Israel Alliance  (En matière d’amis, ne soyez pas bégueules : le Moyen-Orient du temps de Kennedy et la conclusion de l’alliance américano-israélienne), écrit avec grande objectivité et fermement étayé par des sources de première main, nous ramène vers la diplomatie des années 1960, vers ce que l’auteur affirme être le début de l’extraordinaire alliance intime actuelle entre les deux pays. Ce livre décrit, en effet, la manière dont Israël et ses amis américains en sont venus à exercer une profonde influence sur la politique américaine vis-à-vis du monde arabo-musulman. Bass est convaincu que tout a commencé avec JFK (John Fitzgerald Kennedy). C’est une thèse intéressante, et il la défend très bien. Toutefois, je pense personnellement que l’entente (cordiale) américano-israélienne a commencé, en réalité, seulement avec LBJ (Lyndon Johnson), soit après l’assassinat de Kennedy.
Les néocons [sobriquet affectueux pour les « neoconservatives » eng., ndt] – groupe puissant au cœur de l’administration Bush – voulaient une guerre contre l’Irak et poussaient en ce sens avec beaucoup de détermination, écartant et intimidant tous ceux qui exprimaient des doutes, conseillaient la prudence, invoquaient la nécessité de trouver des alliés et une apparence de légitimité internationale à l’Onu, ou recommandaient de s’en tenir strictement à ces instruments bien rôdés, hérités de la guerre froide, que sont le confinement et la dissuasion. Il fallait que ce fût la guerre, insistaient les néocons, car seule une guerre permettait à leurs yeux de faire face à la menace des armes effroyables de Saddam, dont Tony Blair eut le culot de prétendre, dans son rôle tragi-comique de « chien-chien » à son Bu-Bush, qu’elles pourraient être lancées dans les quarante-cinq minutes après que l’ordre ait été donné. Et voilà que ce flot de rhétorique à vous cailler le sang dans les veines est revenu le hanter, ce qui lui a valu (de surcroît, dans le très réservé Economist, s’il vous plaît !) la manchette suivante : « Le Premier Ministre Anthony Bliar » [Jeu de mots sur Blair et « liar », qui signifie « fieffé menteur », ndt].
D’où venait l’information justifiant cette remarquable déclaration ? A quel point les renseignements d’avant-guerre parvenant jusqu’à Bush et à Blair étaient-ils fiables ? Un index accusateur est en train de pointer avec de plus en plus d’insistance une cellule spéciale des services de renseignement du Pentagone, appelée Office of Special Plans [Bureau des Projets Spéciaux], dirigée par Abram Shulsky. Ce bureau fut créé après les attentats du 11 septembre par deux néocons parmi les plus fervents et déterminés – Paul Wolfowitz, vice-secrétaire à la Défense, et Douglas Feith, sous-secrétaire à la Défense en matière politique – afin d’investiguer sur les programmes de développement d’armes de destruction massive (ADM) de Saddam ainsi que sur ses (supposés) liens avec Al-Qaida, au prétexte, disaient-ils qu’ils n’avaient aucune confiance dans les autres agences de renseignement du gouvernement américain, incapables à leurs yeux de leur apporter ce qu’ils cherchaient. Il a été suggéré que cette cellule de renseignement spéciale du Pentagone s’en remettait dans une très large mesure au réseau douteux des informateurs en exil d’Ahmad Chalabi. Si une preuve a bien été fabriquée de toutes pièces, il se pourrait fort que ce soit dans cette arrière-boutique là.
Une manière d’envisager le processus de décision à Washington consiste à le voir comme la confluence de deux courants, de deux tendances. Le premier fut, à l’évidence, l’enfant des attentats terroristes du 11 septembre 2001, qui à la fois traumatisèrent l’Amérique et la mirent dans une rage folle, faisant voler en éclats son sentiment d’invulnérabilité, mais aussi la portant au niveau de la « guerre totale » contre ses ennemis, à la manière d’un film de guerre hollywoodien. Sans doute parce qu’ils ont plus d’expérience de la guerre et des violences terroristes, les Européens furent un peu lents à saisir l’impact viscéral de ces événements sur le psychisme des Américains. Soudain, la puissante Amérique avait peur – peur du terrorisme de masse ; peur de la prolifération des ADM ; peur que des « Etats voyous » pourraient refiler des armes de cette nature à quelque groupe nébuleux, évanescent, fanatique et transnational telle Al-Qa’ida, leur donnant peut-être la capacité à frapper à nouveau avec des effets encore plus dévastateurs.
La Stratégie Nationale en matière de Sécurité agressive, arrêtée en 2002, découla de ces peurs. Elle proclama que le confinement et la dissuasion [« containment and deterrence »] étaient désormais choses du passé ; que les Etats-Unis devaient obtenir et maintenir une suprématie militaire totale sur tous leurs rivaux potentiels ; que tous les « Etats voyous » qui pourraient être tentés par l’acquisition d’ADM seraient traités sans merci, au moyen d’une guerre préventive ou préemptive. En vertu de cette « doctrine Bush », les Etats-Unis se sont décerné à eux-mêmes le droit de projeter leur puissance écrasante dès lors que (et où) cela leur plairait, d’envahir les pays qui auraient l’heur de leur déplaire, d’en renverser les régimes et de transformer des « tyrannies » hostiles en « démocraties » amies (lire : pro-américaines). Il s’agissait d’un programme en vue de la suprématie mondiale, dicté par la menace perçue contre l’Amérique, mais aussi par une vision moderne de l’ambition impériale.
La deuxième tendance, partiellement redondante – en ceci qu’elle impliquait beaucoup des mêmes personnages – se focalisait plus étroitement sur Israël dans le conflit l’opposant aux Palestiniens et à ses voisins arabes. Des juifs de droite néocons – et l’on sait que la plupart des néocons en vue sont des juifs de droite – ayant une tendance marquée à être des zélotes pro-israéliens, sont persuadés que les intérêts de l’Amérique et ceux d’Israël sont inséparables (au grand dam des juifs libéraux et favorables à la paix, que ce soit en Amérique, en Europe ou en Israël même). Amis du Likoud d’Ariel Sharon, ils ont du mal à dissimuler leur haine des Arabes et des musulmans. Pour eux, la « libération » de l’Irak était une cause qui avait fort peu à voir avec le bien-être des Irakiens, de la même manière que la cause de la « libération » de l’Iran et l’arrêt contraint de son programme nucléaire – qui a fait l’objet, récemment, d’une plaidoirie de Shimon Peres dans un éditorial du Wall Street Journal – ont fort peu à voir avec le bien-être des Iraniens. Ce à quoi ils aspiraient, c’était à une certaine amélioration dans l’environnement militaire et stratégique d’Israël.
Depuis la crise irakienne, leur nom est familier pour tous les lecteurs de quotidiens et de magazines : Wolfowitz et Feith, les numéros 2 et 3 au Pentagone ; Richard Perle, ex-président et toujours membre de l’influent Defense Policy Board, parfois appelé le parrain politique des néocons et autour duquel plane avec insistance une nuée de scandales financiers ; Elliott Abrams, directeur du service Moyen-Orient au Conseil National de Sécurité, au passé chargé en Amérique du Sud et dans le scandale de l’Irangate (Iran – contra nicaraguayenne) ; ainsi que leurs nombreux amis et leurs homologues dans les médias, tel le Centre pour la Politique de Sécurité de Frank Gaffney, l’American Enterprise Institute, l’Institut juif pour les Affaires de Sécurité nationale (Jewish Institute for National Security Affairs : JINSA), le Projet pour le Nouveau Siècle Américain, le Centre pour les études politiques moyen-orientales (Center for Middle East Policy) de l’université Hudson, le Washington Institute for Near East Policy (dépendance de l’Aipac, American Israel Public Affairs Committee – Comité américano-israélien pour les affaires publiques – lobby sioniste) et bien d’autres encore. Comme plusieurs commentateurs l’ont fait observer, les attentats du 11 septembre ont fourni aux néocons une chance unique de prendre le contrôle (d’aucuns diraient prendre en otage) la politique moyen-orientale des Etats-Unis – ainsi que le pouvoir décisionnel en matière militaire – dans l’intérêt d’Israël, en réussissant à faire en sorte que les Etats-Unis appliquent la doctrine de la guerre préemptive contre les ennemis de ce pays.
Cette tendance se fondait sur une analyse erronée – en réalité volontairement tendancieuse – des attentats subis par les Etats-Unis – non pas seulement le terrible coup qui leur a été asséné le 11 septembre, mais aussi les nombreux coups de semonce qui l’avaient précédé, tels les attentats à la bombe contre les ambassades américaines en Afrique de l’Est et l’attaque contre le bateau de guerre USS Cole dans le port d’Aden. L’argument des néocons consistait à dire que les attentats terroristes ne devaient en aucun cas être interprétés comme une réplique d’hommes ulcérés et désespérés devant ce que l’Amérique et Israël perpétraient en matière d’agressions contre le monde arabo-musulman, et en particulier contre les Palestiniens. Au contraire, si l’Amérique était ainsi attaquée, c’était parce que les terroristes enviaient le mode de vie américain. L’Amérique était vertueuse, l’Amérique était « bonne ». Le vrai problème, arguaient les néocons, résidait non pas dans la politique américaine, mais dans des sociétés islamique « malades » et « faillies» d’où les terroristes surgissaient, à cause de leurs systèmes éducatifs haineux, et de leur religion fondamentalement « violente » et « fanatique ». Ainsi, plutôt que de corriger leur politique erronée ou d’en changer, les Etats-Unis furent exhortés à « réformer » et à « démocratiser » les sociétés arabes et musulmanes – au besoin, par la force – afin d’assurer leur propre sécurité et celle de leurs alliés. Des guerres délibérément choisies tinrent désormais lieu de politique extérieure américaine officielle.
Soucieux d’assurer la pérennité de la suprématie régionale d’Israël, en brisbille avec des gens en qui ils voyaient des adversaires détestables – l’islam militant, le nationalisme arabe et le radicalisme palestinien – les néocons avancèrent la thèse selon laquelle le but de la politique américaine au Moyen-Orient devait être rien moins que la « restructuration » complète de la région, sur les plans politique et idéologique. Exporter la « démocratie » ne pourrait servir que la défense tant des Etats-Unis et d’Israël. Un Moyen-Orient « réformé » ne pourrait être que pro-américain et pro-israélien. Tout cela semble bien avoir atteint le niveau d’un programme ambitieux – peut-être un peu trop – en vue de la domination régionale d’Israël, sous la direction de l’extrême droite israélienne et de ses amis américains.
L’Irak fut le premier pays candidat à la cure de « démocratisation », mais le besoin qu’il aurait soit disant eu de cette médication douteuse pourrait tout aussi bien justifier une agression contre la Syrie, l’Egypte, l’Arabie saoudite ou tout autre pays dans lequel une « menace » pourrait être détectée et / ou le zèle réformateur américain, dirigé. Immédiatement après le 11 septembre, Wolfowitz appela à la destruction de l’Irak de Saddam Hussein. C’était là une cause qu’il défendait, sans succès, depuis le début des années 1990. Mais l’accession à des positions décisionnaires des néocons, la peur d’autres attaques terroristes et les instincts guerriers du président américain ont abouti à ce que le scénario de ce Dr Folamour apparut soudain tout à fait réalisable. Pas la moindre preuve, en revanche, n’a pu être trouvée, d’un lien entre Saddam Hussein et Oussama Ben Laden. De plus, l’Irak ne représentait une menace pour personne, et surtout pas pour les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne. Epuisé par deux guerres, ce pays a été affamé douze années durant par les sanctions internationales les plus punitives de l’histoire moderne. Les inspecteurs de l’Onu, sous la direction de Hans Blix, ont fouillé partout dans le pays et acquis une bonne connaissance de ses capacités industrielles. Ils n’ont trouvé aucun indice permettant d’affirmer que Saddam aurait reconstitué ses capacités de produire des armes de destruction massive. Ils auraient certainement souhaité disposer de plus de temps afin de continuer leurs recherches et d’atteindre une quasi certitude. Telle était la position de la plupart des experts européens. Sur ces entrefaites, les dirigeants arabes avaient enterré la hache de guerre avec l’Irak, au sommet arabe de Beyrouth, en mars 2002. Tous ce que les voisins de l’Irak voulaient, c’était rétablir leurs relations commerciales avec ce pays, et non lui faire la guerre. Dans l’atmosphère de réconciliation qui prévalait alors, même le Koweït trouvait peu probable que ses citoyens aspirassent toujours à prendre leur revanche sur l’invasion de leur pays par les troupes de Saddam, en 1990.
Toutefois, les raisons ne manquaient pas, pour lesquelles Israël et ses amis à Washington, voulaient que l’Irak fût « restructuré ». Saddam avait osé tirer des missiles Scud sur Israël, au cours de la guerre du Golfe, en 1991 et, plus récemment, il avait eu le culot d’envoyer de l’argent aux familles éplorées des kamikazes palestiniens, dont les maison avaient été détruites par les Israéliens en représailles. Ces « crimes » étaient restés « impunis ». Plus, en dépit de son apparente faiblesse, l’Irak de Saddam était le seul pays arabe qui était, à long terme, susceptible de défier Israël sur le plan stratégique. Le gouvernement égyptien avait été neutralisé et corrompu par les aides extérieures américaines et par son traité de paix avec Israël, tandis que la Syrie était affaiblie par des troubles intérieurs, une économie en déroute et un système politique totalement sclérosé, pour ne pas dire fossilisé. Il fallait donc absolument abattre le dirigeant irakien. Les néocons escomptaient que sa chute changerait la dynamique de la région, dans son ensemble. Elle intimiderait Téhéran et Damas, voire même Riyadh et Le Caire, et ferait pencher de manière décisive le rapport de force en faveur d’Israël, lui permettant d’imposer aux Palestiniens qui n’en peuvent mais les termes impitoyables de son diktat. Certains néocons envisageaient déjà qu’un traité de paix israélo-irakien serait un sous-produit bénéfique de cette guerre : la cerise sur le gâteau, en quelque sorte…
Ces préoccupations, en sus du contrôle des ressources pétrolières de l’Irak, et bien plus que les soi-disant armes de destruction massive de Saddam, furent les objectifs réels de la guerre contre l’Irak. Ces objectifs ont été adoptés par les Etats-Unis afin d’apaiser leurs propres peurs et de restaurer le sentiment qu’ils incarnent le pouvoir absolu. Mais ce qui a rendu l’offensive possible – le moteur qui l’a animée – fut un fait permanent dans la vie politique américaine : l’alliance américano-israélienne, plus étroite que toute alliance existant entre deux Etat partout ailleurs dans le monde, de nos jours. La guerre contre l’Irak fut, en réalité, un maximum atteint par les hautes eaux de cette alliance.
Dans son livre, Warren Bass s’attache à démontrer que les fondations de l’alliance américano-israélienne ont été posées par l’administration Kennedy. Il donne même une date précise – le 19 août 1962 – pour le début de l’alliance militaire telle que nous la connaissons de nos jours. Ce jour-là, à Tel-Aviv, Mike Fedelman, vice-conseiller à la Maison Blanche et homme infatigable des contacts entre Kennedy et les juifs israéliens et américains, rencontra David Ben Gourion et Golda Meir en secret. Il leur dit que « le président a décidé que des missiles Hawk doivent être fournis à Israël". Les Israéliens étaient en extase. La décision de Kennedy venait de rapporter la décision prise par Eisenhower d’imposer un embargo aux ventes de systèmes d’armement « sensibles » à Israël. « Ce qui a commencé, avec les missiles Hawks, en 1962 », écrit Bass, « allait s’avérer les relations militaires les plus extensives et les plus coûteuses de l’après-guerre. L’étiquette allait s’écrire en milliards de dollars, auxquels il ne faut pas oublier d’ajouter le coût exorbitant des conséquences diplomatiques qui allaient en découler. »
Ainsi, la vente des Hawk constitue le premier argument du dossier établi par Bass afin de démontrer que la paternité de l’alliance américano-israélienne revient bien à Kennedy. Le second de ces arguments est ce qu’il qualifie de « dérobades » de Kennedy en matière d’inspection par les Etats-Unis des installations nucléaires israéliennes secrètes de Dimona, dans le désert du Néguev. Bien qu’étayée honnêtement et de manière distrayante d’une pléiade de détails, la thèse n’est pas entièrement convaincante. En réalité, l’équipe Kennedy, à l’exception de Feldman et de ses amis, ne voulait pas établir de relation militaire spéciale avec Israël, car il redoutait que cela ne déclenchât une course aux armements au plan régional. Kennedy n’a jamais adhéré complètement à la description histrionique que Ben Gourion faisait de Nasser, le dirigeant égyptien, qu’il aimait à portraiturer sous les traits d’un agresseur cruel impatient de parachever le génocide hitlérien. Il savait qu’Israël était assez fort pour faire face à n’importe quelle menace arabe. Il ne croyait pas que ce pays avait réellement besoin des armes sophistiquées (ni de la protection formelle) de l’Amérique que, pourtant, Ben Gourion réclamait avec insistance. Il signifia d’ailleurs vertement à Ben Gourion qu’il n’entendait pas être le premier président américain à avoir fait entrer le Moyen-Orient dans l’ère des missiles à longue portée. Kennedy, en réalité, tentait à l’époque d’établir le contact avec Nasser, en qui il voyait plutôt un nationaliste qu’un communiste [ce en quoi il voyait juste, car les communistes, Nasser avait une fâcheuse tendance à les dissoudre dans l’acide sulfurique… ndt]. Il craignait que d’accorder à Israël un traitement de faveur ne poussât les Arabes entre les bras des Soviétiques. De leur côté, les experts du service Moyen-Orient au Département d’Etat ne voyait aucune raison valable, pour les Etats-Unis, de modifier leur politique en matière d’armements vis-à-vis d’Israël. Comme le dit un document interne de l’époque : « Entreprendre, en effet, d’établir une alliance militaire avec Israël serait de nature à détruire l’équilibre délicat que nous veillons à maintenir dans nos relations proche-orientales. »
Néanmoins, Kennedy finit par approuver la vente des missiles Hawk à Israël, qu’Eisenhower avait refusée catégoriquement deux ans plus tôt. Mais il semble avoir pris cette décision à son corps défendant. Il a dû finalement se rendre à l’exagération persistante et systématique, par Israël, du danger qu’aurait soi-disant représenté pour lui l’Egypte, et sans doute aussi, en particulier, aux assauts de Shimon Pérès, dont la connaissance des débats internes à l’administration américaine, atteignait un niveau de détail à vous donner la chair de poule, et qui manoeuvra finement afin de jouer la carte du Pentagone et du Conseil National de Sécurité contre le Département d’Etat.
L’argumentation de Bass concernant Dimona est, elle aussi, discutable. Bien loin d’ignorer délibérément ce qui se passait, de toute évidence, là-bas, Kennedy était tout à fait opposé à ce qu’Israël obtienne la bombe nucléaire et il était prêt à repousser les vues de la communauté juive américaine à ce sujet. Au printemps 1963, il avertit Ben Gourion, lui disant (en reprenant les termes de Bass) : « Un refus d’Israël d’autoriser des inspections à Dimona aurait les plus graves conséquences pour l’amitié naissante entre les Etats-Unis et Israël. » Kennedy écrivit deux lettres très dures à Ben Gourion, le 18 mai, puis le 15 juin, avertissant que « la caution et le soutien de (mon) gouvernement à Israël serait gravement menacé » au cas où Israël n’autoriserait pas des inspections détaillées de toutes installations du site de Dimona. Ben Gourion et son successeur, Levi Eshkol, mentirent à Kennedy entre les dents, au sujet de Dimona mais, comme Bass l’écrit, Kennedy était en train de préparer un grand coup. N’eût-il été assassiné, le 12 novembre 1963, il aurait eu nécessairement une sérieuse explication avec Israël.
La dérobade vint plus tard, avec Lyndon Johnson, qui était beaucoup moins préoccupé que Kennedy par la prolifération nucléaire. Ignorant le problème des ambitions nucléaires d’Israël, Johnson approuva la vente à ce pays de grandes quantités de tanks et d’avions de guerre américains, avant même la guerre de 1967, qui propulsa l’Etat juif à des sommets de popularité, d’où il put se gagner une large partie de la communauté juive américaine, pleine de confiance en elle, d’ambition voire même d’arrogance. Johnson est le véritable père de l’alliance stratégique entre les Etats-Unis et Israël. C’est lui, bien plus que Kennedy, qui a « institué le précédent qui finit par créer, récemment, les relations stratégiques américano-israéliennes : un marché de milliards de dollars en armements ultrasophistiqués, complété de dialogues complémentaires entre militaires, de consultations en matière sécuritaire, d’exercices d’entraînement conjoints et de joint-ventures en matière de recherche et développement.
Bass évoque la possibilité intrigante que les Hawks n’avaient jamais été conçus, contrairement à ce plaidait Ben Gourion, afin de défendre les bases aériennes d’Israël en clouant au sol les Mig de Nasser, mais qu’ils étaient bien plus adaptés pour définir un sanctuaire de défense autour de l’usine de fabrication d’armes nucléaires de Dimona afin d’en assurer la protection. Un corroboration indirecte de cette hypothèse allait apparaître plus tard. En lançant ses attaques dévastatrices contre l’armée de l’air égyptienne au premier jour de la guerre de 1967, Israël avait perdu huit appareils lors de la première vague d’attaques. Un avion endommagé rentra tant bien que mal à sa base en n’émettant plus aucun signal radio. Il s’égara dans l’espace aérien de Dimona… et fut promptement abattu par un missile Hawk israélien.
Après 1967, le foisonnement extravaguant des relations américano-israéliennes ne connut plus aucun interruption. Si Johnson a été le père de l’Alliance, Henri Kissinger en a été le papounet. En 1970, il invita Israël à intervenir en Jordanie, après qu’un roi Hussein assiégé eût appelé les Etats-Unis à la rescousse. Les troupes syriennes étaient entrées en Jordanie pour y soutenir les activistes palestiniens engagés dans une épreuve de force avec le petit roi. Israël n’était que trop heureux de se plier à cette exigence tout ce qu’il y a de plus illégale. Il procéda à des déploiements militaires très publicisés en direction du Jourdain. Enhardies par ce soutien, les propres forces armées de Hussein s’en prirent aux Syriens, qui se retirèrent promptement. L’armée de Hussein avait dès lors les mains entièrement libres pour massacrer les Palestiniens. »
Plutôt que de voir dans Septembre noir la petite querelle locale qu’il était en réalité, Kissinger en attisa les braises jusqu’à en faire un conflit « Est-Ouest » dans lequel Israël avait réussi à défaire non seulement les Syriens, mais aussi les Soviétiques. Ce fut le véritable lancement de la « relation stratégique », dans laquelle Israël se voyait investi de la « sauvegarde de la paix » au Moyen-Orient pour le compte des Etats-Unis – ce pour quoi il fut généreusement récompensé par des armes, une aide militaire et une pleine armoire d’engagements secrets, tous allant à l’encontre des intérêts arabes.
Kissinger adopta comme si elles eussent été propres à l’Amérique les thèses principales de la politique israélienne, à savoir : qu’Israël devait être en permanence plus fort qu’une quelconque combinatoire possible des pays arabes ; que l’aspiration des Arabes à recouvrer leurs territoires perdus en 1967 était « irréaliste » ; que l’OLP ne devrait jamais pouvoir être considéré comme un partenaire de paix. Ses machinations pas à pas après la guerre d’octobre 1973, visaient à écarter l’Egypte de l’alignement arabe, exposant les Palestiniens et les autres Arabes à la pleine puissance du pouvoir militaire israélien. L’invasion du Liban par Ariel Sharon, en 1982 – au cours de la quelle quelque 17 000 Palestiniens et Libanais ont été tués, ce qui a entraîné la création de la résistance du Hezbollah – fut une conséquence directe des plans de Kissinger. En 1970, Israël reçut 30 millions d’aide américaine. En 1971, après la crise jordanienne, cette somme s’accrut jusqu’à atteindre 545 millions de dollars. Durant la guerre d’octobre, Kissinger en appela au vote d’un budget supplémentaire de 3 milliards de dollars, et l’aide américaine est toujours restée, depuis lors, dans l’ordre de grandeur des milliards de dollars.
En temps utile, le Congrès fut conquis par l’Aipac – que Bass qualifie de « machine ronronnante et puissante du lobby durant les décennies 1980 et 1990 » - tandis que le Washington Institute for Near East Policy [Winep] (Institut Washington pour la politique moyen-orientale), fondé en 1985 par Martin Indyk, un lobbyiste sioniste d’origine australienne, s’employait à soigneusement modeler l’opinion publique et à placer ses hommes liges à l’intérieur de l’administration. Dennis Ross, collègue d’Indyk au Winep et négociateur de haut niveau de Bush I, fut pendant des années le coordinateur, pour Clinton, du processus de paix arabo-israélien ; il ne manqua pratiquement jamais de s’aligner sur les intérêts d’Israël, ce qui est d’ailleurs une des principales raisons pour lesquelles le processus de paix n’a conduit à rien. Aujourd’hui, il a réintégré le Winep, dont il est le directeur et l’avocat permanent.
Mais rien, dans l’histoire de l’alliance américano-israélienne, n’a jamais égalé l’accession à laquelle nous assistons d’ « amis d’Israël » aux postes clés dans l’administration Bush actuelle, ni leur lutte déterminée et couronnée de succès afin de donner l’orientation de leur choix à la politique étrangère américaine, en particulier au Moyen-Orient – destruction de l’Irak comprise.
La question lancinante demeure celle de savoir ce que cette amitié spéciale a apporté. Les guerres, les intrigues sécuritaires et les démonstrations de force politique, au cours des décennies écoulées, ont-elles servi les intérêts d’Israël ? Un spécialiste étudiant la région ne peut pas ne pas se poser les questions suivantes : Que se serait-il passé si le colombe Moshe Sharett l’avait emporté sur le faucon Ben Gourion, dans les années 1950 ? Sharett recherchait la coexistence avec les Arabes, alors que la politique de Ben Gourion consistait à les dominer par la force militaire brute, avec l’aide de la grande puissance tutélaire – position qui imprègne la pensée israélienne depuis lors. Que ce serait-il passé, si les territoires occupés avaient été effectivement échangés contre la paix après 1967 (comme l’avait recommandé Ben Gourion lui-même, dans une rare période de lucidité), ou après 1973, ou après la conférence de Madrid de 1991, et même après les accords d’Oslo conclu en 1993 ? Cela n’aurait-il pas épargné aux Israéliens et aux Palestiniens les douleurs indicibles de l’Intifada, avec son héritage misérable de haine et de vies brisées ? Le rêve triomphaliste du « Grand Israël » (contre le quel James Baker, lui au moins, avait mis Israël en garde) s’est-il avéré autre chose qu’un cauchemar hideux, infectant la société israélienne des poisons du fascisme ? L’alliance américano-israélienne est officiellement célébrée, de manière routinière, dans les deux pays, mais son legs est problématique. Sans cette alliance, Israël n’aurait sans doute pas succombé à la folie d’envahir le Liban et d’y demeurer vingt-deux ans ; ni à la brutalité insane du traitement qu’il inflige aux Palestiniens ; ni à la folie à courte vue consistant à installer 400 000 juifs à Jérusalem Est et en Cisjordanie, lesquels sont désormais en mesure d’avoir les gouvernements israéliens successifs à leur merci.
Une conclusion s’impose, incontournable : cette alliance étroite, et les politiques qui en ont découlé, ont amené tant les Etats-Unis qu’Israël à être méprisés et détestés dans la plupart des pays du monde – et d’être exposés comme jamais auparavant aux attaques terroristes.
["Support Any Friend : Kennedy’s Middle East and the Making of the U.S. Israel Alliance" par Warren Bass - 360 pages - Oxford University Press - mai 2003 - ISBN : 0195165802 - 30 Dollars.]
                           
2. Israël-Palestine, la guerre en partage, les diasporas en écho par Sylvain Cypel
in Le Monde du vendredi 11 juillet 2003
Alain Dieckhoff et Rémy Leveau dressent un bilan des sociétés israélienne et palestinienne après trois ans d'Intifada. Le sociologue Baruch Kimmerling expose le point de vue d'une minorité d'intellectuels israéliens exclus du consensus. Pascal Boniface, meurtri de se voir accusé d'antisémitisme, se défend.
ISRAÉLIENS ET PALESTINIENS, LA GUERRE EN PARTAGE d'Alain Dieckhoff et Rémy Leveau. Ed. Balland, 316 p., 25 euros.
POLITICIDE LES GUERRES D'ARIEL SHARON CONTRE LES PALESTINIENS de Baruch Kimmerling. Traduit de l'anglais par Arnaud Regnauld de la Soudière, éd. Agnès Viénot, 342 p., 19 euros.
EST-IL PERMIS DE CRITIQUER ISRAËL ? de Pascal Boniface. Ed. Robert Laffont, 240 p., 19 euros.

Est-il permis de critiquer Israël ? s'interroge Pascal Boniface. Professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem, Baruch Kimmerling ne se pose pas la question. Figure des "nouveaux sociologues" israéliens, il livre ici l'ouvrage engagé d'un "patriote israélien", soucieux "du sort d'Israël, mon seul pays", écrit-il, mais épouvanté par le consensus dont bénéficie parmi ses compatriotes la politique sharonienne envers les Palestiniens.
Structuré autour de la personnalité et du parcours d'Ariel Sharon, Politicide est de facture inégale (et entaché de quelques erreurs historiques). Analyser l'évolution politique et celle des mentalités dans l'Etat hébreu à travers la figure tutélaire d'"Arik, roi d'Israël", dont l'auteur dessine un portrait cruel et fasciné, est cependant judicieux. Que dit de la société israélienne le fait qu'elle plébiscite "un criminel de guerre, quelle que soit la norme à laquelle on se réfère", largement récusé par elle il y a encore peu ? La question hante l'auteur.
Mais l'intérêt du livre réside d'abord dans ce qu'il dit... de Kimmerling lui-même. En 2001, il appelait publiquement à voter Ehoud Barak. Aujourd'hui, son discours est celui d'une petite frange d'intellectuels israéliens qui, inaudibles pour leurs compatriotes, assistent, impuissants et désespérés, à ce qu'ils jugent être un "pourrissement du tissu interne de -leur- société", engendré par la poursuite de l'occupation des territoires palestiniens. D'où leur fréquente propension à l'outrance, semblable, par exemple, à celle d'une revue comme The Nation aux Etats-Unis, face au triomphe du néoconservatisme.
Politicide ? Le terme, même si Kimmerling le valide dans le cas palestinien, évoque celui de génocide. Une association sans objet, qui suscitera des polémiques chez ceux pour qui les représentations du conflit israélo-palestinien sont plus importantes que ses réalités. Et que dire de l'idée qu'Israël "se transforme en pays fasciste" sinon que les termes doivent garder un sens. L'histoire abonde d'Etats qui ont mené des guerres coloniales sans être pour autant fascistes.
Reste ce constat : dans ce noyau d'intellectuels israéliens, petit mais grossissant, la perception d'une "fascisation" de leur nation va croissante. Quant à la majorité des faits décrits par Kimmerling, et des analyses qu'ils induisent, ils sont fondés. L'outrance ou l'impropriété des "mots pour le dire" ne devrait pas servir à les ignorer.
La Guerre en partage se place sur un terrain moins émotionnel. Recueil d'articles de chercheurs occidentaux, israéliens et palestiniens, l'ouvrage de Dieckhoff et Leveau brosse un état des lieux des deux sociétés en conflit et de leurs diasporas, après trois ans d'Intifada. Deux articles présentent un caractère novateur. Le sociologue israélien Uri Ben Eliezer étudie "l'évolution de Tsahal comme armée postmoderne", en rupture avec "l'Etat-Nation en armes" qui fit, longtemps, sa spécificité. Avec, pour conséquence, "la formation d'une société militaire -aux- comportements explicitement néomilitaristes", qui "prend en charge le travail de reformulation de l'identité israélienne".
"DE LA VICTIME AU HÉROS"
Pénélope Larzillière, elle, se penche sur la "figure sacralisée, d'une exemplarité mortifère", du terroriste suicidaire, "devenue la référence centrale des Palestiniens". "Nihiliste", le "Shahid", écrit-elle, "nie la défaite et fait passer -son- statut, de victime, à celui de héros". Explication très partielle d'un phénomène moderne et effroyable, désormais apparu dans des situations aussi différentes que la Tchétchénie et le Maroc. Fondée sur des témoignages locaux et des "testaments" de kamikazes, son ébauche d'analyse a cependant l'avantage de réintroduire des éléments de réalités sociopsychologiques et politiques dans un questionnement souvent empreint, en Occident, de présupposés idéologiques, voire racistes.
Pascal Boniface, enfin, se livre à une attaque en règle de la politique des divers gouvernements Sharon, qu'il juge "odieuse" pour les Palestiniens et dangereuse pour Israël. Mais l'objet principal de son courroux est le CRIF, l'organisme représentatif du judaïsme français. Il lui reproche son inconditionnalité en faveur de la politique israélienne, l'enfermement du judaïsme français dans un communautarisme étroit et volontairement "alarmiste" sur l'antisémitisme en France, et enfin sa clémence à l'égard de petits groupes juifs racistes et violents.
L'homme est ulcéré d'être régulièrement dénoncé, dans des médias juifs français, comme un antisémite avéré ou masqué. Qu'a-t-il écrit pour mériter cette accusation ? Que "lier la lutte contre l'antisémitisme et la défense à tout prix d'Israël" peut "développer, malheureusement", l'antisémitisme ; et qu'en agissant ainsi "la communauté juive pourrait être perdante", face à "une communauté d'origine arabe et/ou musulmane -qui- pèsera vite plus lourd" ("Lettre à un ami israélien", Le Monde, 4 août 2002, repris dans le livre).
INSULTES ET PRESSIONS
Il ajoutait que juifs et musulmans de France devraient veiller à "faire respecter des principes universels, et non le poids de -leur- propre communauté". Mais, sur ces points, Boniface fait fausse route. La communauté juive se retrouverait-elle dominée par le Bétar que cela ne saurait "expliquer" la moindre manifestation d'antisémitisme. Et la montée en puissance d'une communauté musulmane constituée ne saurait être agitée comme une menace pour les juifs de France (ce que, par parenthèse, la droite israélienne ne cesse de son côté de clamer).
Mais ces phrases sont-elles antisémites ? Justifient-elles le torrent d'insultes et de menaces qu'a reçu leur auteur ? Les pressions sur son employeur, l'IRIS, et son parti, le PS, pour qu'ils s'en débarrassent ? Ceux qui cherchent à transformer Boniface en "nouveau Garaudy" donnent le sentiment de vouloir frapper l'homme d'un infamant stigmate, afin de disqualifier ses critiques de la politique israélienne...
Au fond, sa question est la suivante : critiquer Israël ne peut-il être qu'une manifestation d'antisémitisme ou - version soft - fait-il mécaniquement son lit ? Tel est le credo des "défenseurs inconditionnels" d'Israël, mais aussi de nombreux juifs français qui, pourtant, n'adhèrent pas tous à sa politique. Le débat sur ce soupçon, le livre de Shmuel Trigano le montre, ne fait, sans doute, que commencer.
                       
3. Cisjordanie : la colonisation s'accélère par Richard Labévière
sur Radio France Internationale le vendredi 11 juillet 2003

Près d'un mois après les sommets de Charm el-Cheikh et d'Aqaba qui ont marqué le lancement officiel de l'application de la Feuille de route du Quartette (Etats-Unis, Union européenne, Russie et Nations unies) la colonisation israélienne, sous toutes ses formes, s'est accélérée.
Des derniers rapports publiés par les ONG israéliennes et palestiniennes La Paix maintenant, B'tselem, Land-Defense-Comittee et PNGO, il ressort que des dizaines d'hectares de terrains seront expropriés pour permettre une extension de la colonie de Ramot, au nord-ouest de Jérusalem.
D'autres terrains viennent d'être saisis entre Ramallah et Naplouse pour permettre l'extension des colonies de Maale Levonah et d'Eli.
Dans les régions de Tulkarem et Jénine, des dizaines d'hectares sont également gélés pour d'importants travaux de terrassement qui s'enfoncent dans plusieurs kilomètres à l'intérieur des terres palestiniennes.
D'une manière générale, la construction de nouvelles unités d'habitation israélienne en Cisjordanie se poursuit à un rythme sans précédent depuis 2000. Cette politique de construction est officiellement menée au nom de la croissance dite "naturelle" alors que la population des colons augmente très faiblement: selon le Yesha, on dénombre, aujourd'hui 226.000 colons contre 215.000 en 2001.
Et la Paix-maintenant affirme qu'au moins un quart des logements existants restent pourtant vides.
Le ministre du logement Effie Eitam, par ailleurs porte-parole des colons, vient d'annoncer un plan prévoyant la construction de 11.806 nouvelles unités en Cisjordanie.
Les colonies isolées ne sont pas oubliées. Quelques jours après les propos d'Ariel Sharon, en mai dernier, sur une possible évacuation de Beit El et Shilo, propos aussitôt démentis, deux projets gouvernementaux d'extension ont été publiés: 112 unités nouvelles pour Beit El, 40 pour SHILO.
Au coeur de la ville d'Hébron, la colonie Tel Rumeida aussi continue de s'étendre.
Enfin, le chantier de la route de contournement de l'Est de Bethléem entre Har Homa et Tekoa/Noqdim avance également.
Les terres du village de Zaatara et de la ville de Beit-Sahour sont amputés par ce chantier qui coupera Bethléem de son arrière-pays agricole et achèvera l'encerclement du district par un réseau de colonies et de routes.
La presse palestinienne a condamné, en juin, les encouragements d'Ariel Sharon à construire, et je cite, «discrètement et sans l'annoncer», ainsi que les propos d'Effie Eitam déclarant: «la construction en Judée et en Samarie doit se poursuivre; l'arrivée de chaque nouveau colon doit être considérée comme de la croissance naturelle qui ne saurait se limiter aux seules naissances», fin de citation.
Autant de propos qui contredisent, radicalement l'esprit d'Aqaba et la feuille de route, dont la première phase prévoyait, justement le gel de la colonisation.
                           
4. Les USA et les dilemmes arabes : Le temps des interrogations ontologiques par Hichem Ben Yaïche
paru sur Vigirak.com le mercredi 9 juillet 2003
Dans l'aire arabe, l'électrochoc de la guerre US en Irak -- pour ne parler que cela -- est loin de produire tous ses effets. On l'a vu dans le passé, la conscience arabe met toujours du temps à métaboliser les chocs et les coups. Cela tient à son biorythme et à une autre temporalité fondamentalement façonné par la culture islamique.
On le sait maintenant : en Irak, une véritable guérilla contre les forces militaires US est en train de se mettre en place. Dans le désordre irakien, celle-ci va se nourrir de la confusion ambiante, du sentiment de frustration et d'insatisfaction de la population, des hésitations US et, surtout, du vide politique qui ne fait que perdurer. Incontestablement, il y a là, les signes avant-coureur d'une somalisation du pays. Pour autant, les cent quarante mille soldats anglo-américains présents en Irak n'abandonneront leur mission. On peut même dire qu'ils souffriront le martyre, mais les enjeux géopolitiques, qui sont considérables, l'emporteront sur toute autre considération. On l'a écrit, théorisé, dit et répété : l'objectif visé par le président Bush, ses ministres, ses conseillers et les néoconservateurs qui inspirent son action est de faire émerger un « modèle démocratique » qui servira d'exemple à tout le Proche-Orient arabe ! A Washington DC, on veut croire aux forces des idées pour transformer l'état du monde et surtout celui du monde arabe. L'hyperpuissance US, pense-t-on dans les cercles de décision, a les moyens de faire passer ce projet de la virtualité à la réalité. Cela reste à voir, tant l'équation comporte des inconnues !
On peut être en total désaccord avec la vision US du monde arabe, mais, dans le même temps, on ne saurait évacuer en un tournemain le diagnostic qui en est fait. Il s'agit, au fond, de s'interroger sur les échecs et les impasses arabes. Pourquoi, malgré de nombreuses tentatives, les Arabes n'ont-ils toujours pas réussi à intégrer la culture politique démocratique ? Pourquoi les Arabes, en général, ressassent-ils en permanence, comme un réflexe pavlovisé, les gloires du passé ? Qu'est-ce qui a conduit à ce que l'islam soit instrumentalisé, à ce point, par des courants salafistes, prônant et pratiquant la violence comme arme de changement ? Pourquoi le refus du réel et le choix de « héros négatifs » pour incarner certains rêves d'aujourd'hui ? Tant de questions qui nécessitent des réponses urgentes des élites et des pouvoirs politiques arabes.
On ne peut s'empêcher de penser que ce profond malaise, qui n'est autre qu'un grand mal-être, est installé dans la durée et va tarauder l'esprit de nombreuses générations d'hommes et de femmes. Ce n'est pas un truisme que de le dire. C'est loin d'être une mince affaire. Je dirais même qu'il y a péril en la demeure. Les divisions de l'islam risquent même de conduire à des interminables fitnas (discordes), rendant plus insaisissable encore, et plus incompréhensible, cet univers pour le monde extérieur.
Au-delà des actuelles interrogations de fond sur la place de l'islam dans une société moderne (un sujet primordial pour ce troisième millénaire), il y a des urgences auxquelles personne ne peut rester inerte : qu'offrir à une jeunesse impatiente, qui vit dans l'angoisse du présent et à court de perspective d'avenir ? Partout, s'inscrit en pointillé, une désespérance qui, du Maroc à l'Arabie Saoudite, en passant par l'Algérie et ailleurs, nourrit l'action de desperados de l'islam d'un type nouveau.
Dans l'aire arabe, l'électrochoc de la guerre US en Irak - pour ne parler que cela - est loin de produire tous ses effets. On l'a vu dans le passé, la conscience arabe met toujours du temps à métaboliser les chocs et les coups. Cela tient à son biorythme et à une autre temporalité fondamentalement façonné par la culture islamique.
D'ores et déjà, les conséquences du traumatisme (mental) sont visibles à travers un retour encore plus marqué vers la religion. L'interprétation qu'on peut en faire ? Il faut y voir là une manière de se sécuriser, de se sanctuariser et de se protéger contre les agressions extérieures. Il est encore trop tôt pour dire ce qu'il adviendra de ce mouvement.
Bien sûr, les réalistes savent que les réponses aux angoisses existentielles des peuples arabes -- et bien au-delà -- doivent émaner de l'intérieur, mais les concepteurs US du nouvel archétype démocratique irakien, en émergence, ont tout intérêt à se méfier de leurs certitudes. Dans le cas de l'Irak, même si, en apparence, l'axiome de base -- qu'on peut résumer dans cette fameuse phrase « Pour être colonisé, il faut être colonisable » (1) --, peut en partie se vérifier, il n'en reste pas moins que l'Amérique met consciemment le doigt dans l'engrenage d'une région, où les vieux démons peuvent, à tout moment, ressurgir. On n'est pas loin, ici, des chocs des cultures !
L'Irak, champ d'expérimentations ? Difficile de dire sur quoi débouchera « l' ?uvre civilisatrice » US. En attendant que l'écume des jours se tassent, contentons-nous de méditer les mots, étonnants de lucidité, d'un soldat US : « Que pouvons-nous faire ici ? Le peuple irakien a 5000 ans d'histoire derrière lui, alors que nous, Américains, nous en avons que 200 ! »(2)
- Notes :
(1) A coup sûr, aujourd'hui, on peut « dominer » ou « coloniser » des pays ou des populations à distance. Il faut analyser aussi la présence militaire US, désormais permanente, par rapport à ses intérêts stratégiques, dit « vitaux ».
(2) Propos tenus dans un reportage télévisé en Irak et diffusés dans un JT de France 2.
                           
5. La guerre d'Ariel Sharon par l'Union juive française pour la paix
in les Dernières Nouvelles d'Alsace (quotidien régional) du mardi 8 Juillet 2003

L'Union juive française pour la paix commente les derniers événements au Proche-Orient depuis l'adoption de la "feuille de route" et fait entendre une "autre voix pour la paix".
« Le 4 juin 2003, Ariel Sharon accepte la « Feuille de route », un document préparé par George W. Bush qui, sans vraiment ouvrir une voie vers la paix, ouvre plutôt une voie de garage pour ceux qui cherchent un règlement politique du conflit. Rappelons que le premier ministre israélien, au moment de signer ce document, a aussitôt prévenu qu'il ne serait applicable qu'à condition « d'abandonner et d'éradiquer le terrorisme et la violence ».  Moins d'une semaine plus tard, le 10 juin, le général Sharon viole cette même condition en ordonnant un assassinat ciblé contre Abdelaziz al-Rantissi, le porte-parole du Hamas à Gaza. Les missiles ont manqué leur cible mais ont fait trois morts et 20 blessés au passage. Pour ne pas en rester là, ce même jour, Tsahal a fait une incursion dans le camp de réfugiés de Jabalya, accompagnée de tirs d'hélicoptère : trois Palestiniens ont été tués et plus d'une trentaine blessés.  Les Israéliens ne sont pas dupes. Même un éditorialiste du quotidien Yedioth Ahronoth a déclaré sur le site web de ce journal, pourtant classé à droite  : « Le choix de la cible et du moment est délibéré... Il est impossible de dire que la hiérarchie politique n'en connaît pas le prix. Il semble que peu lui importe que ce soit nous qui le paierons. »
« Poursuivre la guerre de 1948 »
Le surlendemain, la prévision de Yedioth s'est confirmée  : un kamikaze du Hamas se fait exploser dans un bus à Jérusalem-Ouest, attentat qui se solde par 17 morts et plus de 100 blessés. Moins d'une demi-heure après, l'armée israélienne revient à la charge : de nouveaux missiles, tirés par deux hélicoptères, s'abattent sur un quartier de Gaza ; sept Palestiniens sont tués. Les hélicoptères israéliens reviennent dans la nuit : deux autres Palestiniens sont tués. Bilan global de ces 48 heures : 16 morts palestiniens et 16 morts israéliens, ainsi que plus de 150 blessés de part et d'autre. Presque toutes les victimes sont des civils.  Au lendemain de son élection, Ariel Sharon a annoncé son intention de « poursuivre la guerre de 48 ». On en a la démonstration avec les derniers événements, pour ceux qui en doutaient encore. L'ordre qu'a donné Sharon « d'écraser le Hamas » est plutôt interprété comme un ordre d'écraser la Feuille de Route, les négociations de Taba, celles de Camp David, les Accords du Caire, ceux de Charm El-Cheikh, le mémorandum de Wye Plantation, les Accords d'Oslo... Bref, d'écraser toutes les obligations internationales auxquelles Israël s'est engagée au cours des dernières années.  Quant aux conséquences dramatiques sur la vie quotidienne des Palestiniens et sur la sécurité des Israéliens, les uns et les autres sauront apprécier. S'il faut « écraser » quelque chose, c'est bien l'Occupation. Israël doit se retirer des Territoires et les colons doivent être rapatriés derrière la frontière de 67, permettant ainsi la création d'un Etat palestinien viable et souverain, avec Jérusalem comme capitale binationale des deux Etats. Tel-Aviv doit également arrêter immédiatement la construction du Mur de la Honte, et reconnaître enfin le droit au retour des réfugiés palestiniens.
Pour l'envoi d'une force internationale
Toute escalade répressive mènera les deux peuples au désastre. Même des officiers supérieurs israéliens l'ont dit sans détour : il n'y a pas de solution militaire au conflit. Seule une solution politique basée sur la justice et l'équité sera à même d'apporter une réelle lueur d'espoir. Avec un minimum de volonté politique du côté israélien, une telle solution politique est la seule piste pour, un jour, apporter une paix juste et durable aux deux peuples victimes de l'engrenage de l'Occupation.  Devant l'urgence de la situation, et à l'instar de l'avis émis par Kofi Annan, secrétaire général de l'ONU, nous demandons au gouvernement français de tout mettre en oeuvre pour l'envoi immédiat d'une force internationale de protection du peuple palestinien ».
                           
6. Les Mille et une vies de Saddam Hussein par Gilles Munier
in France - Irak Actualités N° 14 du mois de juillet 2003
Le président Saddam Hussein est-il vivant, ou mort sous les bombardements américains qui le visaient ? A-t-il trouvé refuge à l’étranger ? S’il est mort : qui est l’homme lui ressemblant vu à la télévision après la chute de Bagdad ? Les lettres et les messages audio adressés au peuple irakien en son nom sont-ils de lui ? Si ce n’est pas le cas, que cache cette manipulation : un dirigeant irakien utilisant sa signature ou sa voix pour galvaniser les moudjahidin ? Ou la CIA qui cherche à justifier les exécutions sommaires et les arrestations ?
Après l’avoir dit mort ou trop discrédité pour leur nuire dans l’ombre, les Américains pensent maintenant que le président irakien est vivant, qu’il coordonne ou inspire la résistance et qu’il faut l’éliminer au plus vite. Mise à prix de sa tête : 25 000 millions de dollars.
Trente ans de guerre secrète
L’appel lancé le 29 juin par Paul Bremer, pro- consul américain en Irak, à  « capturer ou tuer » Saddam Hussein n’a rien de sensationnel.  Cela fait plus de 20 ans que la CIA cherche à l’assassiner, en dépit du droit international et de l’Executive order 11905. Ce texte promulgué par le président Gerald Ford début 1976, interdisait explicitement à «toute personne employée par les Etats-Unis ou agissant au nom du gouvernement américain…(de) conspirer en vue de perpétrer des assassinats » d’hommes politiques étrangers. Certes, cela n’a jamais empêché les présidents américains de trouver des raisons de ne pas l’appliquer. Ronald Reagan bombarda la résidence du colonel Khadafi à Tripoli en 1986, tuant une des filles du président libyen. Pendant la première guerre du Golfe, la CIA a comptabilisé plus de deux cents tentatives d’assassinat du président irakien(1). Bill Clinton, décréta que l’Executive order n’interdisait que les meurtres de chefs d’Etat, pas ceux de terroristes. Il tenta néanmoins sa chance contre Saddam, sans résultat.
George W. Bush et les néo-conservateurs américains sont moins délicats. Ils ont tout simplement remplacé le décret Ford par un permis de tuer… La tête de Saddam Hussein a été mise à prix, comme dans un western. Après avoir fait courir le bruit qu’il était mort pour démoraliser ses partisans, ils attendent qu’on le leur livre « mort ou vif ».
Exil
Le 9 avril, lorsque l’US Army a traversé le Tigre à Bagdad, et a aidé des opposants en tenue civile à renverser une statue de Saddam Hussein érigée place Firdous, il n’y avait que la mort du président irakien – un complot ou son départ en exil-  pour expliquer l’étonnante facilité avec laquelle les Américains s’étaient emparés de Bagdad, expliquer pourquoi les soldats de la Garde Républicaine étaient rentrés chez eux sans combattre et où étaient passés le gouvernement irakien et le parti Baas. Aussi extraordinaire que cela puisse paraître, l’ordre donné au gouvernement et aux membres du parti Baas d’entrer dans la clandestinité, est peut-être venu de Saddam Hussein lui même, estimant qu’il valait mieux s’organiser dans l’ombre pour résister plutôt que d’affronter sans espoir un adversaire surpuissant.
Il y a ceux qui disent sérieusement que si Bagdad n’a pas tenu, c’est parce que tout allait de mal en pire en Irak depuis deux ans. Pour eux, Saddam Hussein est mort d’un cancer en 1999,  le pays était dirigé depuis par le Conseil de Commandement de la Révolution (CCR) qui manipulait un sosie !
D’autres, comme Nabih Berri, chef du mouvement chiite libanais Amal, prétendent que le président irakien s’était réfugié à l’ambassade russe à Bagdad. Faisait-il partie du convoi de diplomates russes en route pour Damas, attaqué à quinze kilomètres de Bagdad le 6 avril par les Américains ? A l’époque, la rumeur a couru que Saddam Hussein avait négocié son départ en exil à Moscou ou en Biélorussie en application d’un traité datant de l’époque soviétique. L’opération, assurait-on, avait été préparée par Evguéni Primakov lors d’une mission secrète effectuée en Irak le 23 février, et acceptée par Condoleezza Rice, conseillère de George Bush en matière de sécurité nationale,  lors d’un entretien avec le président Poutine à condition que la Garde Républicaine ne résiste pas à l’entrée des troupes américaines dans Bagdad. Difficile à croire quand on connaît Saddam Hussein. 
Avion furtif
En fait,  si le président irakien est mort, ce ne peut être qu’en trois circonstances, et si c’est le cas : les Américains cachent la vérité.
La première : Saddam Hussein est peut-être mort le 20 avril à l’aube, lors de l’opération « Décapitation » par laquelle débuta l’agression de l’Irak. Ce jour-là, un avion furtif F-114 A largua quatre bombes EGBU-27 d’une tonne chacune, guidées par GPS, sur le palais présidentiel à Bagdad. Un proche collaborateur du président aurait prévenu le Mossad que Saddam y passait la nuit et quelques minutes plus tard, l’information était traitée par l’Etat-major américain.
On sait que les services secrets israéliens suivent le président irakien à la trace. Ils on tenté de le tuer à plusieurs reprises. Une des dernières tentatives connue a tourné court avec l’explosion en 1992 d’une bombe qui décima le commando qui s’entraînait dans une ferme du désert du Néguev.
Les bombes EGBU-27 peuvent percer n’importe quel bunker. Si Saddam est sorti indemne, il a eu beaucoup de chance. En tout cas, c’est un homme fatigué qui est apparu le lendemain à la télévision irakienne pour faire taire la rumeur de sa mort. S’agissait-il d’un sosie comme le colportent de nombreux journalistes ?
Complot
Selon le major-général Alexandre Vladimirov, vice-président du Collège d’experts militaires en Russie, « Comme dans les temps anciens, une grosse quantité d’or peut venir à bout d’une forteresse inexpugnable ». Le chemin de la victoire américaine « est pavé de dollars ». Plusieurs généraux étaient en discussion avec les Américains, ajouta-t-il, et si les défenseurs de Bassora et d’Oum Kasr ont combattu aussi vaillamment, c’est «  parce qu’ils étaient coupés de leurs commandants à Bagdad et qu’ils n’ont pas reçu d’ordres à part ceux remis initialement » (2).
Le Journal du Dimanche a révélé (3) que le général Maher Soufiane Al-Tikriti, cousin du président et commandant de la Garde Républicaine était en contact depuis un an avec le Pentagone, et avait trahi son pays en ordonnant aux troupes irakiennes de laisser les Américains entrer dans Bagdad. Le général aurait assuré que Saddam Hussein était mort, et qu’il ne servait plus à rien de combattre. Selon l’AFP, l’ordre aurait été confirmé par Taher Jalil Al-Tarbouche Al-Tikriti – chef du renseignement militaire – et par un autre responsable militaire Hussein Rachid Al- Tikriti, père du directeur du bureau de Qusai, fils cadet du président irakien. Le fait que les militaires soient rentrés chez eux n’explique pas pourquoi les membres du Parti Baas et du gouvernement en ont fait autant. D’où venait l’ordre ?
En tout cas, les trois généraux félons et leur famille seraient aujourd’hui aux Etats-Unis, avec une nouvelle identité et un compte en banque bien fourni. Reste à savoir s’ils dorment en paix ! On dit aussi que Maher Soufiane aurait été tué « par erreur » en se rendant à un poste de Marines, ce qui permettrait aux Américains de ne pas tenir certaines promesses, comme de lui réserver une place dans un futur gouvernement irakien à leur solde.
Seconde circonstance au cours de laquelle Saddam serait mort : il aurait été assassiné avec Qussai par Maher Soufiane. Un garde du corps du président l’aurait enterré en un lieu qui risque de rester secret car ce dernier n’a pas survécu au bombardement de la villa d’un homme d’affaires irakien chez qui il avait trouvé refuge.
9 tonnes de bombes pour tuer
Après le bombardement de la nuit du 19 mars, Saddam avait la preuve que son entourage était infiltré. Il fit savoir à son proche entourage qu’il participerait à une réunion prévue le 9 avril dans le quartier Al Mansour pour commémorer la naissance du parti Baas. Le jour dit, il se rendit sur les lieux : un complexe de maisons qu’il lui arrivait d’utiliser situé près du restaurant Al Saa. Le traître, il en était certain, avait prévenu l’ennemi.
L’information parvint au siège du Mossad à Tel Aviv qui la transmit aussitôt au Pentagone. Le lieutenant-colonel Swan reçu l’ordre de détruire une « cible prioritaire ». Pour lui, cela ne faisait aucun doute, dira-t-il plus tard, qu’il s’agissait du « big one », c’est à dire de Saddam. Son bombardier B1, protégé par des F16 et par un avion brouilleur se rendit au dessus de l’objectif et, 45 minutes plus tard, à 15 heures locales, largua 4 bombes JDAM de haute précision guidées par satellite, de 9 tonnes chacune. A l’endroit visé, il y a un cratère de 15 mètres de  large sur 8 mètres de profondeur.
Des témoins affirment avoir vu le président et son fils quitter le lieu quelques minutes avant l’explosion. L’agent du Mossad a été liquidé. Et Abou Dhabi TV, comme pour prouver que Saddam et Qussai étaient toujours vivants, a diffusé une cassette vidéo où on les voit participer à une manifestation le 9 avril à 13 heures près de la mosquée Abou Hanifa, soit trois heures avant l’arrivée des Marines devant le socle de la statue du président érigée sur la place Firdous. Reste à savoir avec certitude, si le document remis à la chaîne de télévision n’a pas été filmé quelques jours plus tôt, ou encore s’il ne s’agissait pas de son sosie.
Depuis la dernière guerre, la rumeur qui court depuis longtemps est que Saddam Hussein dispose de trois ou quatre sosies, s’est un peu tarie. Dans les circonstances actuelles, on voit mal comment il pourrait circuler avec eux, ou – s’ils existent – pourquoi l’US Army n’en a attrapé aucun.
Intifada irakienne
Pour Mohammed Hassan, chercheur marxiste spécialiste du Proche-Orient (4), il faut se garder de parler « d’effondrement » du régime baasiste, mais parler plutôt de « retrait de l’armée et du gouvernement ». Il y a, dit-il, « une sorte de gouvernement qui agit quand les Américains dorment ».
Dans les différentes lettres qu’il a adressées au peuple irakien, Saddam Hussein – si elles sont bien toutes de sa main – annonce le déclenchement de « l’Intifada irakienne » le 17 juillet prochain, jour anniversaire de la Révolution de 1968 et de son accession à la présidence de la République, et date butoir qui correspond à la limite que s’étaient donnés les chefs chiites pour prendre une position définitive concernant leur collaboration avec les troupes d’occupation. Il appelle les Irakiens à faire des mosquées des centres de résistance et rend hommage aux chiites qui ont défendu Nadjaf et Kerballa. Mais il est peu loquace sur les détails du complot dont il a été victime. Il compare simplement ceux qui l’ont trahi au vizir Al-Alqama qui livra Bagdad aux Mongols en 1258. Sur la bande sonore diffusée par Al-Jazira le 4 juillet, pour l’Independance Day, il affirme qu’il est « toujours présent en Irak avec un groupe de dirigeants ».
En Irak, en ce début juillet, la chasse à Saddam Hussein bat donc son plein. Les Américains sont sur les dents. Une division informatisée unique au monde de 26 000 hommes, baptisée « Cheval de fer », passe au peigne fin la région qui va de Taji au nord de Bagdad à Kirkouk pour le trouver et le tuer. Elle est dotée de drones qui scannent le territoire. Ses généraux peuvent suivre en temps réel la progression de leurs soldats. Saddam, lui, se déplacerait à cheval dans le désert, de cache en cache ; ou dans de vieilles voitures, habitant dans des maisons en terre battue près des villes, comme en 1991. Il porterait l’habit traditionnel et aurait modifié son apparence physique.
Au train où vont les événements, il y aura bientôt plus de victimes officielles du coté américain depuis la chute de Bagdad que pendant l’agression proprement dite. La résistance, baasiste ou non, s’étend à tout l’Irak. Les opposants revenus d’Iran, poussés par la majeure partie de la population chiite profondément patriote, sont contraints d’élever le ton contre les occupants. Les Kurdes font part de leur mécontentement : encore une fois les promesses qui leur ont été faites à Washington ne sont pas tenues. Comme disait il y a quelques mois Scott Ritter, ancien chef de l’UNSCOM, il y a de bonnes chances que les Américains quittent l’Irak… « la queue entre les jambes ». (7 juillet 2003)
- Notes :
(1) La légende de Saddam Hussein, par Gilles Munier – Guide de l’Irak, Jean Picollec Editeur, 2000.
(2) Interview sur 
www.checkpoint-online.ch (29 juin 2003)
(3) L’homme qui a vendu Bagdad, par Gilles Delafon (Journal du Dimanche - 25 mai 2003)
(4)Interview sur :
www.Solidaire.org (20 juin 2003)
                                   
7. Comment on fabrique un "héros américain" par Jean-Michel Aubriet
in L'Intelligent - Jeune Afrique du lundi 7 juillet 2003

Doha, Qatar, mercredi 2 avril. Les journalistes qui se pressent dans le centre de presse du Centcom, le Commandement central des forces américano-britanniques dans le Golfe, sont mal réveillés. Dès l'aube, ils ont été tirés du lit par un appel téléphonique les invitant à une conférence de presse improvisée. Mais ils sont surtout intrigués. Que signifie cette convocation matinale ? Depuis le début des opérations militaires en Irak, l'état-major ne distille les informations qu'au compte-gouttes. L'affaire est-elle si importante ?
Le général de brigade Vincent Brooks, porte- parole du Centcom, fait son entrée. Tout le monde l'aime bien, le général Brooks, même s'il s'exprime en public dans une langue de l'espèce la plus boisée. Comment lui en vouloir ? Il paraît si jeune, si sympathique... Et puis, c'est un Black. Le symbole de la mission émancipatrice de l'Amérique, au Moyen-Orient et ailleurs.
Les caméras ronronnent, les flashes crépitent. « Les forces coalisées, explique Brooks, ont mené à bien une mission de sauvetage d'un prisonnier de guerre, un soldat de l'US Army détenu à Nassiriya, au sud de Bagdad. Nos hommes ont regagné sans encombre une zone contrôlée par la coalition. » Ce prisonnier, c'est le 1re classe Jessica Lynch, 19 ans, de la 507e compagnie de maintenance, basée à Fort Blix, Texas.
Le lendemain, lors du point de presse quotidien du Centcom, Brooks s'abstient d'évoquer la question, mais Tom Mintier, de CNN, lève la main : « Vous n'avez pas fait mention du sauvetage de Jessica Lynch. Or nous croyons savoir que l'opération a été filmée par une équipe de cameramen de l'armée. Pourrions-nous voir cette vidéo ? » Le général attendait l'occasion. Certains sont même convaincus qu'il s'était préalablement mis d'accord avec la direction de la chaîne. En tout cas, sa réponse est prête : « Le soldat Lynch a été repéré à l'hôpital de Nassiriya. Un commando des forces spéciales, la task force 20, a été chargé de le récupérer. Arrivé à proximité de l'objectif, il a essuyé des tirs, mais est néanmoins parvenu à pénétrer à l'intérieur du bâtiment et à en ressortir. La prisonnière est aujourd'hui saine et sauve. Nos hommes ont agi conformément à leur credo : on n'abandonne jamais un camarade tombé au combat ; on ne laisse jamais son pays dans l'embarras. D'autres questions ? »
« L'opération a été parfaitement mise en scène, commente Daphne Eviatar dans l'hebdomadaire américain The Nation. Dans les heures qui ont suivi, ces quelques faits ont été démesurément gonflés pour fournir le récit d'un "raid audacieux en territoire hostile". » Sur CNN, les images de l'évacuation de Lynch sur un brancard et son transbordement à bord d'un hélicoptère Blackhawk passent et repassent en boucle. Techniquement, elles sont de médiocre qualité, mais elles y gagnent une aura d'authenticité. Des quotidiens aussi sérieux que le Los Angeles Times ou le New York Times s'y laissent prendre. Leurs premiers « reportages » évoquent complaisamment le déluge de feu qui s'est abattu sur les hommes des forces spéciales à leur arrivée devant l'hôpital de Nassiriya. Le Washington Post va plus loin. Citant des « responsables souhaitant garder l'anonymat », ses reporters sur le terrain racontent comment, tombé dans une embuscade avec son détachement, le soldat Lynch, tel un Rambo femelle, s'est battu pied à pied contre un ennemi supérieur en nombre, abattant plusieurs séides du dictateur, avant d'être contraint de se rendre, faute de munitions. Fox News, la chaîne ultraconservatrice de Rupert Murdoch, célèbre jusqu'à la nausée cette nouvelle « héroïne américaine ». La blonde jeune femme a, il est vrai, tout pour plaire : d'origine modeste, n'a-t-elle pas dû s'engager dans l'armée pour payer ses études ? On est prié de sortir les Kleenex.
Coup sur coup, deux enquêtes, l'une de la BBC, l'autre du Washington Post, dont les yeux se sont enfin décillés, vont révéler l'ampleur de la supercherie. La seule information exacte dans ce délire patriotique est que Lynch a été grièvement blessée, puis détenue pendant neuf jours à l'hôpital Saddam-Hussein de Nassiriya, qui servait aussi de siège aux milices du parti Baas. Physiquement et psychologiquement, elle est encore loin d'être rétablie aujourd'hui. Pour le reste, tout est faux. Voici la vérité telle que les médias américains, pas franchement ravis d'avoir été si ingénieusement menés en bateau, ont fini par la reconstituer.
Le 23 mars, à l'aube, une colonne de plusieurs milliers de véhicules américains progressent difficilement vers Bagdad. Ceux de la 507e compagnie s'égarent dans les faubourgs de Nassiriya, où, vers 7 heures, ils tombent dans une embuscade. Mouvement de panique et gros carambolage. La Jeep où Lynch a pris place percute de plein fouet un camion. Ses trois camarades sont tués sur le coup. Huit autres Américains périssent dans l'engagement. Victimes de plusieurs fractures, notamment à la colonne vertébrale, la jeune femme, qui n'a naturellement pas tiré le moindre coup de feu, est capturée par les Irakiens et évacuée, inconsciente, vers l'hôpital Saddam-Hussein.
Quatre jours plus tard, le Pentagone est informé de la situation par un avocat irakien nommé Mohamed Odeh Rehaief et décide de monter une vaste opération pour sauver le soldat Lynch. Le 1er avril, appuyés par des unités de marines et de rangers, mais aussi par des avions d'attaque au sol AC-130, les Blackhawk des forces spéciales se posent à proximité de la cible. Pour faire diversion, une attaque de blindés est simultanément lancée sur Nassiriya. Le commando progresse vers l'hôpital sans rencontrer la moindre résistance. Nul « déluge de feu », et pour cause : les miliciens baasistes ont pris la fuite vingt-quatre heures auparavant ! Seuls une poignée de médecins, d'infirmières et de blessés se trouvent encore sur place. Les soldats américains évacuent la jeune femme, puis découvrent les corps sans vie de neuf de ses camarades. Quelques heures plus tard, ils prennent définitivement le contrôle de la zone. Fin de l'histoire.
Aujourd'hui réfugié aux États-Unis, l'avocat Mohamed Odeh Rehaief a touché le jackpot : il a reçu d'un éditeur un confortable à-valoir pour la rédaction d'un livre et collabore à la réalisation d'un film pour CBS. Quant à l'infortunée Jessica Lynch, clouée sur son lit de douleur, elle est l'objet d'un culte naissant. Les admirateurs se pressent devant le domicile de ses parents, dans la petite ville de Palestine, en Géorgie occidentale - ça ne s'invente pas ! Très opportunément, elle souffre d'amnésie et ne risque pas de démentir les pieux mensonges de ses supérieurs.
                       
8. Mon Israël : Vous ne connaîtrez jamais la paix, tant que vous n’aurez pas redécouvert ce qu’est la justice par Arthur Miller
in The Times (quotidien britannique) du jeudi 3 juillet 2003                   
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Dans un appel plein de passion à l’adresse des dirigeants israéliens, le dramaturge juif (Arthur Miller) affirme que les colonies en Cisjordanie et la répression qui s’abat sur les Palestiniens trahissent les idéaux bibliques de justice qui ont pourtant présidé à la fondation de l’Etat (juif).
Mesdames, Messieurs,
Je me suis rendu dans de nombreux pays aux systèmes politiques différents afin d’essayer de faire libérer des écrivains qui y étaient emprisonnés. En tant que président de International Pen, qui est une association d’écrivains du monde entier engagés dans la défense de la liberté d’écrire et de créer, j’ai visité ces pays tout simplement afin de prêter main forte à ses comités locaux dans  la lutte qu’ils mènent, dans de trop nombreux cas, ne serait-ce que pour survivre. A dire le vrai, je n’ai jamais été enclin à passer du temps loin de mon bureau, mais si j’ai mené cette action, c’est peut-être parce qu’en tant que juif d’une certaine génération, j’étais incapable d’oublier ce silence assourdissant, dans les années 1930 et 1940, tandis que le fascisme entreprenait la destruction de notre peuple, dans l’indifférence du monde entier, pendant bien trop longtemps.
C’est sans doute parce que je me suis efforcé de faire quelque chose d’utile afin de protéger les droits de l’Homme que je sais à quel point il est difficile de faire que de bonnes choses arrivent dans la réalité. Mais en même temps, cette expérience personnelle m’a montré que la majorité des gens – la grande majorité – continuent à croire en la justice et souhaitent qu’elle finisse par s’imposer.
C’est parce que j’ai au moins le sentiment des terribles contradictions de la position adoptée par Israël vis-à-vis des Palestiniens que je suis aussi pleinement conscient de la distance qui me sépare, personnellement, des réalités quotidiennes. Aussi, je n’ai nulle intention de donner de leçons ni de tenter de convaincre. Les points fondamentaux de mon opinion sont qu’Israël a le droit d’exister et que les Palestiniens, de la même manière, ont droit à leur propre Etat. Avec l’expansion des colonies, j’ai assisté, au début avec étonnement, puis avec incrédulité, à ce qui avait tout l’air d’une politique vouée à l’échec. Je ne vais pas m’engager dans une polémique, armé de connaissances de seconde main. Je vais me contenter de dire ce qui est pour moi une évidence. Cette évidence, c’est que la politique de colonisation semble bien avoir changé la nature même de l’Etat d’Israël et qu’une renaissance d’une vision humaniste est absolument nécessaire si l’on veut que la présence juive (au Moyen-Orient) mérite d’être préservée. Pour dire les choses, sans doute, de manière par trop succincte, sans la justice en son centre, aucun Etat ne peut subsister, qui prétendrait incarner l’âme juive.
Cette vision des choses qui est la mienne est sans doute liée à mon histoire personnelle, liée à un contexte qui contraste violemment avec la situation tragique que nous connaissons aujourd’hui. En 1948, j’ai été invité au dîner de gala du Waldorf en l’honneur de la reconnaissance de l’Etat d’Israël par l’Union soviétique, qui fut la première reconnaissance – et durant une période l’unique reconnaissance – internationale de ce nouvel Etat. L’idée même d’une nation de juifs existant à l’époque moderne était difficile à imaginer, à l’époque. C’était presque comme si une scène des temps bibliques était en train de se dérouler sous nos yeux, mais cette fois, avec des vrais gens, qui fumaient des cigarettes.
Imaginez ! Des chauffeurs de bus, juifs. Des policiers, juifs. Des balayeurs des rues, juifs. Des juges, juifs. Les criminels qu’ils jugeaient, juifs. Des prostituées, juives. Des stars du cinéma, juives. Des plombiers, des charpentiers, des banquiers, juifs. Un président de la république, juif. Un parlement, juif. Un secrétaire d’Etat, juif !… Tout cela était quelque chose de tellement inouï sur Terre qu’il ne m’est jamais venu à l’esprit – ni je pense, à l’esprit de la plupart des gens – que le nouvel Israël, étant un Etat gouverné par des êtres humains, se comporterait comme tout autre Etat a pu le faire au cours de l’histoire – à savoir qu’il défendrait son existence par tous les moyens jugés nécessaires, et même qu’il chercherait à élargir si possible ses frontières. En 1948, vu tout du moins depuis New York, un Etat juif ne pouvait être que de nature défensive, car ce nouvel Etat était en butte à des agressions perpétuelles ; il existait en tant que refuge pour un peuple qui avait de justesse échappé à un anéantissement génocidaire total en Europe, quelques années auparavant seulement. Et c’est sans doute pourquoi, je pense, ce même sentiment prédominant, aux cérémonies de l’hôtel Waldorf Astoria, était qu’ayant échappé au contrôle et à la domination d’autres qu’eux, le temps était arrivé pour les juifs de se comporter comme les autres, normalement.
Bien entendu, la plupart des gens, et en particulier certainement pas moi-même, ne se sont pas posé la question de ce que cela signifiait, ce « normalement ». Dans l’exaltation du Waldorf, nul ne perçut un tant soit peu, voire même pas du tout, le côté sombre de l’histoire des nouveaux Etats, et en particulier de leurs collisions violentes avec d’autres peuples dans des régions voisines, voire identiques. Durant quelques années, en particulier aux Etats-Unis, un Israël somme toute idyllique exista, dans l’imagination du public, et pour certaines personnes, il continue probablement à exister sous cette forme. L’Israël des kibbutz, de la terre sauvée ( ? ndt), des pionniers et de l’esprit pionnier et coopératif évoquant les camps scouts. Il y avait indiscutablement beaucoup de déni psychologique dans cette image d’Epinal, comme il y en a toujours dans l’imaginaire nationaliste de toute nation. Je n’étais pas sioniste, mais j’ai certainement contribué, même si ce n’était pas très futé de ma part, à cette sorte de déni, bien qu’il m’eût semblé étrange d’entendre Golda Meir répondre à une question sur les Palestiniens en ces termes : « Mais, les Palestiniens, c’est nous ! ». Mais cela me sembla presque aussi innocent que l’habitude du président américain de résoudre les inégalités insupportables de la société américaine en déclarant fièrement : « Mais nous sommes tous Américains ! »
Bien entendu, l’obsession juive pour la justice remonte aux origines. Job, après tout, ne déplore pas simplement d’avoir tout perdu, ce n’est pas le bourgeois frappé par une dépression économique. Son désarroi découle d’une vision horrible d’un monde sans justice, ce qui signifie un monde en proie au chaos et à la force brutale. Et s’il est appelé à conserver foi en Dieu, en dépit de tout, c’est en un Dieu qui, mystérieusement reste inflexible et défend la justice, quelque inscrutable soit son dessein.
Israël, au Waldorf, incarnait le triomphe de la simple survie, la détermination à vivre une vie digne d’être vécue. Il symbolisait aussi la survie d’une personnalité, la continuité de la présence juive dans le tissu de la vie et aussi d’une certaine façon l’engagement juif dans les considérations éternelles. Bref, Israël était bien plus qu’une simple entité politique, et a fortiori qu’un lieu géographique – tout au moins pour partie, car il était très loin de nous et cette distance en faisait quelque chose bien proche d’une expression artistique, d’une vision brillante d’une paix féconde.
Quelles qu’auraient pu en être les évolutions, il semble bien qu’à partir de l’assassinat de Rabin, et depuis lors, la politique de colonisation et l’abandon apparent par les dirigeants actuels des valeurs des Lumières devant les attentats suicides incessants et la peur qu’ils ont engendrée aient éloigné le pays de sa nature visionnaire et, avec lui, la perspective qui était celle du Waldorf, d’une société pacifique, progressiste et normale. Ce qui en reste, semble-t-il, est l’exact opposé – une société surarmée et plutôt désespérée, en délicatesse avec ses voisins et avec le monde entier. Le fait qu’il soit la seule démocratie dans la région est aisément considéré hors sujet, comme si cela n’avait pas grande importance, tellement sont nombreux les gens à lui être hostiles. Peut-être l’hypocrisie qui entoure ce conflit n’est-elle pas plus importante qu’à l’ordinaire, mais elle n’est certainement pas moindre.
Est-ce parce que ce pays est celui des juifs que cette hostilité a trouvé aussi peu de résistance ? Je le pense, mais non pour la raison évidente d’un antisémitisme congénital, tout au moins pas entièrement. C’est aussi parce que les juifs ont, depuis leurs origines, déclaré que Dieu signifie la justice avant toute autre valeur. Nous sommes le peuple de la Bible, et la Bible signifie la justice, sinon elle ne signifie rien, tout au moins rien d’important. Le bouclier d’Israël, me semble-t-il, était qu’en ce lieu un redressement de la balance de la justice avait été opéré : ce peuple avait survécu au génocide industrialisé et il était revenu travailler la terre et édifier de nouvelles cités. Cet Israël, d’après mon expérience personnelle, se gagna rapidement l’admiration et le respect des gens, dont beaucoup n’avaient eu jusqu’ici aucun égard particulier pour les juifs, voire leur étaient même hostiles. Ce refus de la mort et cet engagement pour la vie trouvèrent un large écho dans le monde entier et sont encore aujourd’hui, pour moi, comme il y a un demi-siècle, tout aussi importants que sa vaillance militaire.
Il peut sembler futile d’argumenter sur l’histoire rebattue selon laquelle toutes les nations modernes ont connu, dans leur phase de développement, un système démocratique pour leurs propres citoyens et quelque chose de tout différent vis-à-vis des autres hommes, à l’extérieur de ses frontières tant physiques que psychologiques. Le malheur d’Israël, dont les dirigeants actuels et leurs partisans ont sans doute conscience, est dû à son entrée tardive sur la scène internationale, bien après que la mentalité coloniale ait cessé d’être considérée non seulement comme quelque chose de normal, mais même comme un motif de fierté. Des quartiers entiers de bâtiments cossus et extrêmement solides, se dressent encore de nos jours dans les avenues de Londres, de Vienne ou de Paris, qui abritaient jadis des bureaux dont le rôle était d’administrer les vies et le sort de gens vivant à des milliers de kilomètres de ces métropoles, dans des climats qu’aucun Européen ne connaîtrait jamais. L’Israël post-rabinique, sans doute dans une attitude de défense, demande néanmoins non seulement que l’horloge s’arrête, mais même que les aiguilles retournent en arrière (vers le dix-neuvième siècle colonial) afin de permettre son expansion sur des territoires situés au-delà de ses frontières.
En fin de compte, je suis persuadé que ce serait une erreur de mettre dans une telle proportion au compte de l’antisémitisme le ressentiment du monde entier à l’encontre d’une telle politique. Les Etats-Unis, d’une manière qui laisse la plupart des Américains pantois d’incrédulité, sont en train de faire l’expérience d’une aversion très semblable du monde entier à leur égard, très vraisemblablement pour des raisons similaires. L’administration américaine a opposé un visage extraordinairement et inflexiblement dur au monde entier, en utilisant de surcroît un ton certain de donneur de leçons arrogant, et elle a fini par s’aliéner des millions de personnes qui, très peu de temps auparavant, partageaient sincèrement notre deuil après les attentats sanglants du 11 septembre 2001. Cela ne faisait pas si longtemps, après tout, que les Français – oui, j’ai bien dit : les Français – déclaraient en gros titre dans un de leurs grand quotidiens : « Aujourd’hui, nous sommes tous des Américains ».
Peut-être certains d’entre vous auront été frappés par le fait que ce dont je vous parle, depuis le début de cette intervention, c’est essentiellement de relations publiques, de l’impact d’Israël en tant qu’image pour le monde, bien plus que des difficiles questions de la sécurité et des nouveaux arrangements avec les Palestiniens. Mais mon inspiration, en la matière, remonte bien plus haut dans l’histoire que l’ère de l’industrie des relations publiques. Thomas Jefferson, lorsqu’il écrivit la Déclaration d’Indépendance américaine, y inséra une phrase destinée, sans aucun doute, à aider à justifier la décision prise par la toute nouvelle démocratie américaine de couper les ponts avec l’Empire britannique. La Déclaration, a-t-il dit, a été écrite « en tenant compte du minimum de respect dû aux opinions de l’humanité ». Bref, le pays nouveau-né, encore faible, avait besoin de l’amitié du monde, ou tout au moins de sa tolérance, même si l’on devait le préparer, dès cet instant, à la guerre en vue de son indépendance. Là déjà, quelque chose d’unique était en train de naître à un monde largement hostile ; les Britanniques étaient l’ennemi et le soutien des Français était purement stratégique, la monarchie française n’ayant guère besoin de cette nouvelle démocratie dont l’influence, soupçonnait-elle à bon droit – l’Histoire allait le démontrer – risquait de mettre en danger son propre régime.
Mais Jefferson et ses amis comprirent et admirent l’idée qu’aucune nation ne peut perdurer très longtemps, quelle que soit la vaillance de ses défenseurs, si elle ne manifeste pas un minimum de respect, en se départissant a fortiori de tout mépris, pour le reste de l’humanité, dans ses aspirations à la justice et à l’équité pour tous.
Ma conviction personnelle est loin d’être pessimiste. L’histoire d’une nation compte beaucoup dans la détermination de son avenir. L’histoire juive est extrêmement longue et remplie, comme je l’ai dit, d’une obsession pour la justice. Quelle terrible ironie qu’en un sens, l’Etat d’Israël soit attaqué aujourd’hui par ces mêmes idéaux visionnaires nés dans le cœur des juifs. Il est grand temps, pour les dirigeants juifs, de réhabiliter leur propre histoire et de lui redonner son lustre éternel et son rayonnement pour le monde entier.
[Arthur Miller a prononcé cette allocution, la semaine dernière, au cours d’une intervention enregistrée en vidéo à la Foire du Livre de Jérusalem, à l’occasion de sa réception du Prix Jérusalem pour les accomplissements littéraires en matière de liberté de l’individu au sein de la société. Participez au débat : "Miller a-t-il raison de critiquer Israël ?" E-mail : debate@thetimes.co.uk]
                           
9. Mornes célébrations à Bethléem à l’occasion du retrait israélien par Justin Huggler
in The Independent (quotidien britannique) du jeudi 3 juillet 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Cela était censé être le Jour de la Libération, à Bethléem. Mais personne n’est tombé dans le panneau. L’armée israélienne s’est retirée de la ville, dont elle a confié le contrôle à la police palestinienne. Cela devait conclure quinze mois d’agonie pour le lieu de naissance du Christ, quinze mois qui ont réduit une ville, dont les ruelles étroites pavées de tuf grouillaient autrefois de pèlerins et de simples touristes, à l’état de ville fantôme résonnant du seul vacarme des tirs.
L’année dernière, des carcasses de voitures encombraient les rues en flammes, et l’Eglise de la Nativité était assiégée par l’armée israélienne, des combattants palestiniens y ayant trouvé refuge. Néanmoins, il n’y avait que très peu de signes de réjouissance à Bethléem hier, et personne ne donnait l’impression d’être convaincu que ce retrait israélien allait changer quoi que soit.
Le moment de la libération vint, peu après quatre heures de l’après-midi. Trois policiers palestiniens entrèrent dans l’Eglise de la Nativité par sa porte étroite, afin de revêtir leur uniforme, après quoi ils re-émergèrent, l’air penaud, sur la Place de la Crèche (Manger Square) inondée de soleil. Les cloches sonnèrent, puis le muezzin de la mosquée voisine psalmodia des versets du Coran, sa voix résonnant au-dessus des terrasses de la ville. Ensuite, la police fit un tour d’honneur de la place en 4x4, toutes sirènes hurlantes.
Les officiers s’empressèrent de faire « étalage » de leur force ( !) dans la ville, quatre policiers organisant la circulation à un carrefour, tandis que d’autres barraient à la hâte certaines rues. Mais ils n’ont pas pu retourner dans leur commissariat central : c’est un tas de gravats. L’armée israélienne l’a entièrement démoli, l’année dernière. Assis sur les marches de la mairie, qui donne sur la Place de la Crèche, Hanna Nasser, le maire, avait l’air abattu. Quelqu’un alla le rejoindre pour lui présenter ses félicitations. « Des félicitations ? Et pourquoi donc ? » lui répondit le maire. « Tout ça, c’est un gros coup de bluff des Israéliens. Ils veulent montrer au monde entier qu’ils ont procédé à un retrait important, alors qu’en réalité, les checkpoints sont toujours aux sorties de la ville. Retrait ? De quel retrait parle-t-on ? Ici, il n’y avait aucun soldat », dit-il en montrant la place. « Le seul changement, c’est qu’il y a de nouveau des policiers en uniforme… »
En effet, les soldats israéliens s’étaient déjà retirés depuis un mois, et ils ne revenaient que de temps en temps, pour arrêter des activistes suspects. Dans le cadre du « retrait (pour la galerie)», l’armée israélienne est convenue de mettre fin à ces incursions.
Tout le monde, à Bethléem, a le même message : rien n’a changé. La ville est toujours cernée par des checkpoints israéliens qui empêchent les Palestiniens d’entrer dans la ville ou d’en sortir. Lundi dernier, l’armée israélienne a condamné deux routes supplémentaires reliant la ville à des villages voisins.
Naïla Shâhîn me dit, en colère : « Bien sûr que non : les touristes ne reviendront pas, s’ils voient un checkpoint sur leur route pour venir ici ! » Mme Shâhîn, qui appartient à la communauté s’étiolant rapidement des Palestiniens chrétiens de Bethléem, est la patronne d’un café donnant sur la Place de la Crèche. Avant l’Intifâdah, Elle servait des cappuccinos et des pâtisseries aux touristes. En moyenne, elle gagnait 600 shekels par jour. Aujourd’hui, elle sert des cafés arabes (« turcs ») et du thé à la menthe aux gens du coin. Elle ne gagne plus que 50 shekels. Et encore, les bons jours !
Il n’y a que trois mois que son café a réouvert, après être resté fermé durant sept mois à cause des cessez-le-feu presque continuels imposés par l’armée israélienne. Le retrait de celle-ci aurait donc dû redonner espoir à des personnes comme Mme Shâhîn. Mais elles semblent lasses et abattues.
Les soldats israéliens contrôlent encore le tombeau de Rachel, lieu de pèlerinage pour les juifs, dont ils assurent la garde en vertu des accords d’Oslo. Mais partout à l’entour, les boutiques sont fermées. Israël prévoit de construire un mur au beau milieu de la rue, séparant la maison d’Amjad Awwad, d’un côté, de sa boutique, de l’autre. La zone doit être annexée à Israël afin d’assurer l’accès des juifs au mausolée de Rachel, ce qui aura pour conséquence que des centaines de Palestiniens, dans ce coin, devront vivre entre des murs de béton, coupés tant de Bethléem, d’un côté, que de Jérusalem, de l’autre.
« Un de mes cousins est décédé. Il habitait Ramallah », me dit Nasser Dhamseh. « Je n’ai pas eu l’autorisation d’aller à ses obsèques ». Sa fille vit dans un village voisin. Il ne peut pas aller lui rendre visite. Le retrait israélien ne changera rien à cette situation. « Des retraits, nous en avons vécu d’autres, avant celui-là », dit M. Dhamseh, qui vit dans le camp de réfugiés de Deheïshéh, dans une vallée juste au-dessous de la vieille ville. « Ils sont venus. Ils ont tout démoli. Ils ont tué des gens. Puis ils se sont retirés. Mais ils sont revenus. Nous nous attendons à ce que cela recommence. »
                               
10. Choses vues à Ramallah par Christophe Ayad
in Libération du jeudi 3 juillet 2003

[THEODORA OIKONOMIDES - "Bienvenue à Ramallah" aux éditions Flammarion - 234 pages 18,00 euros.]
Théodora Oikonomides est une «internationale». Les «internationaux» sont aux territoires palestiniens ce que les humanitaires sont à certains pays d'Afrique : une tribu aussi courageuse et indispensable que parfois envahissante, voire agaçante. Dieu merci, ce n'est pas le cas de Théodora Oikonomides, une éducatrice grecque francophone de 29 ans, qui vient de passer près de trois ans à Ramallah. Une étreinte. Elle y est arrivée le 29 octobre 2000, un mois après le début de l'Intifada. De mois en mois, le ballet des lanceurs de pierres cède la place aux raids d'hélicoptères et de chasseurs bombardiers. Les check points deviennent de véritables postes frontières. Les incursions de l'armée israélienne se transforment en occupations accompagnées de cessez-le-feu. Mais plus que ce qui se passe au dehors, c'est le récit du «dedans» qui passionne et émeut : l'auteur raconte sans fard tous les états d'âme par lesquels ce traitement de choc la fait passer. Jamais un mot de trop et un sens aigu de l'humour qui aide à franchir avec légèreté les passages les plus éprouvants. Lorsque les explications deviennent trop compliquées, Théodora Oikonomides n'hésite pas à faire un petit croquis qui éclaire mieux la situation kafkaïenne dans laquelle vivent les Palestiniens. Au risque de se fâcher avec une partie de la profession, force est de reconnaître que Bienvenue à Ramallah est un très beau reportage de guerre, peut-être l'un des meilleurs sur le conflit israélo-palestinien.
                               
11. Enfants palestiniens, du camp à la scène par Christophe Ayad
in Libération du jeudi 3 juillet 2003

Durant trois ans, ils ont transmué au théâtre leur quotidien. La troupe est en tournée en France. [Al-Rowwad : «Nous sommes les enfants du camp». Le 5 juillet, animation palestinienne (photos, marionnettes) à la Goutte-d'Or, 11 h-18 h, square Léon, Paris XVIIIe. Le 5 (20 h 30) et le 6 (16 h) au théâtre de l'Epée de bois, Cartoucherie de Vincennes. Les 8, 9 et 10 à Avignon (la Barbière et Bourse du travail). Les 15 et 17, à Rennes, festival Quartiers d'été, parc des Gayeulles, 21 h. Le 18 juillet, à Carhaix, festival des Vieilles Charrues.]
Envoyé spécial à Angers - Depuis le 2 juin et jusqu'au 23 juillet, une petite troupe de théâtre palestinienne tourne dans toute la France. Al-Rowwad («les pionniers», en arabe) compte seize enfants, neuf garçons et sept filles, âgés de 10 à 15 ans. Ils viennent tous du camp de réfugiés d'Aïda, près de Bethléem. Au-delà du spectacle, le travail effectué par ces enfants tient autant de la thérapie posttraumatique que du théâtre. Libération les a suivis pendant deux jours, lors d'un séjour à Angers, les 18 et 19 juin.
Des familles meurtries
Elle ressemble à un écureuil, mais tout le monde l'appelle «la puce». Wou'oud, son prénom, signifie «promesses» en arabe, mais pour l'instant, elle n'en a guère vu la couleur. A 11 ans, la vie lui a beaucoup pris, beaucoup appris. En mars 2002, l'armée israélienne mène une énième incursion dans le camp de réfugiés d'Aïda. En pleine nuit, un détachement de soldats ordonne au père de Wou'oud d'ouvrir la porte, qui n'est pas verrouillée. La famille, tapie dans l'obscurité, ne bouge pas. Les militaires placent une charge. L'explosion blesse la mère. Pour des «raisons de sécurité», la famille n'a pas le droit d'appeler des secours. Pendant deux heures, Wou'oud voit sa mère agoniser, tandis que les soldats attaquent une cloison à la masse afin de passer chez les voisins. Depuis la mort de sa mère, elle a peur de dormir seule. Wou'oud paraît si légère qu'un souffle l'emporterait. Mais jamais elle ne se plaint. Wou'oud parle rarement de ce qui lui est arrivé. Ou alors, avec un détachement et un naturel plus inquiétants encore que le silence.
Anas, «l'ancien», est à 15 ans le plus grand des garçons. Il vit avec une balle dans le ventre car les médecins jugent l'opération risquée pour l'instant. Il sait déjà qu'il veut devenir acteur. Il sait aussi qu'avec la fin de la guerre, «les problèmes ne cesseront pas», mais il est sûr que «le théâtre aide à rendre la vie plus belle».
«La plupart de ces enfants ont perdu un cousin ou un oncle», explique Abdel Fattah Abou Sourour, fondateur d'Al-Rowwad. Khaled «le petit» est le meilleur danseur de dabké de toute la Palestine - une danse rurale où l'on frappe du pied la terre tant chérie. C'est un «bagarreur», tout comme Khaled «le grand», dont le visage taciturne ressemble déjà à celui d'un adulte. Mohamed, lui, aime le foot et la castagne avec les soldats. Selon une étude réalisée par un psychiatre de Gaza, la plupart des enfants palestiniens idéalisent le modèle du kamikaze, le seul capable, à leurs yeux, de venger la dignité bafouée de leurs pères, condamnés au chômage, humiliés aux check points et incapables de protéger leurs familles des attaques.
La vie au camp d'Aïda
Aïda est l'un des vingt-deux camps de réfugiés de Cisjordanie : 4 000 personnes y vivent dans un rectangle de 150 mètres sur 200. Camp de toile en 1948, c'est devenu une ville de tôle et de ciment, dans la banlieue nord de Bethléem, à 8 kilomètres au sud de Jérusalem. En tendant les bras, on touche les murs de part et d'autre d'une rue. Les habitations sont aussi coquettes à l'intérieur qu'elles paraissent misérables de l'extérieur. «Les réfugiés mettent tout dans leurs maisons car ils ne possèdent rien d'autre, explique Abdel Fattah Abou Sourour, le fondateur d'Al-Rowwad. Je suis né là. Quand j'étais jeune, il y avait de la place. Aujourd'hui, les enfants n'ont que la rue pour jouer et s'exprimer. Lancer une pierre contre un char israélien qui occupe le camp, c'est une réaction spontanée.» Plus de 40 % de la population a moins de 15 ans, le chômage touche 60 % des habitants. Le camp est cerné par deux barrages militaires et surplombé par la colonie de Gilo. Depuis le début de la deuxième Intifada, 26 personnes ont trouvé la mort à Aïda, dont cinq enfants. «En fondant Al-Rowwad, j'ai voulu sauver la vie de ces gamins. Je ne veux pas qu'ils deviennent un numéro de plus sur la longue liste des martyrs. Au théâtre, ils jettent des pierres, meurent... et ressuscitent.»
Le centre Al-Rowwad, fondé en 1998, se réduit à deux pièces de 16 m2. Près de 600 enfants et adultes du camp viennent y prendre des cours de théâtre, de danse traditionnelle, d'informatique, d'anglais, de français ou d'hébreu. On y apprend aussi la mosaïque, la peinture, les marionnettes, les premiers secours... Le 28 mai 2002, l'armée israélienne a investi les locaux. «Les soldats ont vidé les tubes de peinture sur les claviers d'ordinateurs, ils ont tout saccagé. Je ne comprends pas pourquoi», raconte Abdel Fattah.
«Se cultiver c'est résister»
Abdel Fattah Abou Sourour, «Abed» pour les proches, a 39 ans. En 1985, il a obtenu une bourse pour étudier la microbiologie en France. C'est d'ailleurs à Angers qu'il a commencé un séjour qui a duré à peu près tout le temps de la première Intifada (1987-1994). Lorsqu'il est rentré, Abed a découvert une génération perdue «de policiers ou de voyous». «La différence entre la première et la deuxième Intifada, dit le metteur en scène, c'est que les enfants sont plus conscients de la nécessité d'étudier. L'an dernier, ils ont perdu trois mois à cause du couvre-feu, cette année 48 jours. En revanche, ils ne connaissent même plus le visage de l'ennemi. L'occupant est devenu un avion ou un tank, au lieu d'un soldat auquel on peut se confronter. Cette guerre est aussi une guerre contre l'éducation. Se cultiver, c'est résister. On a besoin de ces jeunes pour construire la Palestine de demain.»
Les enfants ont travaillé trois ans sur la pièce. «Je suis parti de leurs improvisations», explique Abed. Peu à peu, la trame s'est mise en place toute seule : pour raconter leur histoire, celle des parents et des grands-parents, les enfants ont fini par assimiler celle de la Palestine, de la déclaration Balfour en 1917 à la deuxième Intifada, en passant par la guerre de 1948, l'exode des réfugiés, la défaite de 1967 et l'occupation, puis l'Intifada et la paix sans paix d'Oslo. La pièce se présente comme une succession de tableaux, parfois très courts et au symbolisme un peu appuyé. Le passage où les gosses brocardent la litanie absurde des plans de paix avortés est hilarant. Celui où quatre d'entre eux «jouent» aux soldats israéliens sur un check point, avec un réalisme sadique, fait froid dans le dos.
Solidarité derrière la tournée
Le rythme des représentations est épuisant. Un soir à Voiron, en Isère, le lendemain à Figeac, dans le Lot : 600 kilomètres en minibus pendant lesquels les gosses écoutent à tue-tête les hits de la pop cairote. «Il est essentiel que ces enfants montrent aux autres le résultat de leur travail, explique Abed. Il ne faut pas qu'ils s'habituent à leur vie. Ici, ils ont découvert qu'il y avait des juifs qui n'étaient pas des soldats ou des colons, des juifs contre l'occupation.» Pour mener le voyage à bien, il a fallu batailler, trouver l'argent, obtenir les visas, les permis de sortie d'Israël, de passage en Jordanie... Plus qu'aux aides institutionnelles, c'est surtout grâce à la solidarité d'anonymes que la tournée a pu se faire. Sonia Rostagni est une comédienne de Lille. Ayant découvert la question palestinienne au hasard d'une conférence, elle a effectué un séjour à Aïda. Quand les enfants sont passés par Lille, Sonia a proposé de faire un bout de chemin avec eux. Adoptée comme «grande soeur», elle va les accompagner jusqu'à la fin de la tournée. A Angers, une troupe locale a donné la recette d'une représentation. D'autres ont préparé des repas, prêté un véhicule, donné leur temps.
Dans les coulisses
Qu'ils soient sur scène ou «en civil», les enfants d'Al-Rowwad se conduisent comme des ambassadeurs itinérants. Ballottés de réception municipale en collège de banlieue, ils honorent leurs obligations sans moufter. «Comme ça, les gens sauront que les Palestiniens ne sont pas tous des terroristes, explique Anas. Plus tard, un jour, ils feront bouger les choses.» Ces enfants ne reproduisent pas le discours des adultes qui les entourent. Ils sont déjà des adultes.
Pendant son séjour à Angers, la troupe a été logée par le centre Léo-Lagrange de Trélazé, une banlieue longtemps connue pour ses ardoisières : les mines ont fermé, mais les Bretons, Polonais, Italiens, Marocains et Turcs venus y travailler sont restés. Leurs enfants ont grandi dans des cités à visage humain. «Ici, c'est tranquille, assure Rabha Kamali, responsable des 12-16 ans au centre Léo-Lagrange. La douceur angevine n'est pas un vain mot. «A part qu'il y a la guerre, les jeunes ne savent pas grand-chose», explique l'animatrice. Amélie, 14 ans, croit savoir que c'est une «guerre civile», Anthony pense que «la Palestine se trouve dans les Balkans». Les 16-25 ans sont plus informés, surtout ceux d'origine arabe. Pour Khalid Maarouf, 19 ans, «au début, c'était un conflit pour la terre, maintenant c'est une guerre de religion, le Hamas contre Israël». Les Palestiniens d'Al-Rowwad, il est passé les voir cinq minutes, en coup de vent. «Ils sont plus joyeux que je croyais. Ils profitent, pour une fois qu'ils échappent à leur galère.»
Et la France, comment la trouvent-ils ? La verdure et le calme ne les étonnent pas. «Je savais que le monde est différent, raconte Hamada. Je le vois bien à la télé.» Ce qui a le plus marqué la frêle Wou'oud ? «Le temps qui change tout le temps.» C'est tout ? «Ah oui, ici, il n'y a pas de juifs.» «Pas de soldats, reprend Abed. Ce n'est pas pareil.»
Un public bigarré
Jeudi 19 juin, 250 personnes sont venues voir le spectacle à la maison pour tous de Montplaisir, près d'Angers. Sans publicité, c'est beaucoup. Deux à trois fois plus que le nombre d'adhérents de la section locale de l'Association France-Palestine solidarité (AFPS), qui accompagne Al-Rowwad pendant la tournée. On y rencontre de tout : des catholiques et des beurs, des militants de gauche et des nouveaux venus à la cause de l'Intifada.
A la fin, pendant le rappel, les enfants laissent enfin éclater leur joie. Mais ce qu'ils aimeraient par-dessus tout, c'est montrer leur spectacle à Jérusalem. La salle du Théâtre national palestinien avait été louée pour le 30 septembre 2000. L'Intifada a éclaté la veille.
                           
12. Les résistants d’Aïda - De jeunes acteurs palestiniens en tournée en France par Thierry Leclère
in Telerama du mercredi 2 juillet 2003

Envoyé spécial en Cisjordanie - En Cisjordanie, un centre culturel donne des cours de théâtre aux enfants du camp. Jouer devient alors une autre façon de lutter contre "la violence et la laideur."
Dites-leur ! Mais dites-leur, en France, que nous ne sommes pas des terroristes. Chez vous, j'en suis sur, on voit tous les jeunes Palestiniens comme de futurs kamikazes prêts à se faire exploser... » Anas, 14 ans, les cheveux gominés, survêtement et tennis de marque, la tenue-ralliement de tous les ados du monde, aimerait convaincre la terre entière que de « fausses images «circulent sur les Palestiniens. Malgré son visage pou pin et sa dégaine de gamin un peu bouboule, Anas parle déjà comme un adulte. La maturité et le sens politique des jeunes Palestiniens sont stupéfiants. Comme si la guerre les avait fait grandir trop vite : « Nous sommes des gens éduqués. Nous aussi, nous aimons la paix, proteste en souriant l'adolescent. Nous voulons vivre une vie normale, comme tout le monde. Comme les enfants d'Israël. »
Anas et sa famille habitent Aïda, un petit camp de réfugiés en Cisjordanie - quatre mille habitants, confinés à l'entrée de Bethléem, autour de quelques rues en pente. « Camp », le mot prête d'ailleurs à confusion. On devrait plutôt dire quartier, puisque les tentes de réfugiés de ces familles chassées des villages alentour, en 1948, par les pionniers israéliens ont été, en cinquante ans, remplacées par des maisons en dur. Mais pour les habitants de Bethléem - palestiniens, eux aussi -, Aida reste un camp. Et les enfants comme Anas, des « enfants de réfugiés », des « Arabes de 48 », comme on dit. Coincé entre une colonie israélienne et le chantier du mur qui verrouille déjà une bonne partie de la Cisjordanie (1), le lieu suinte l'ennui. Nous ne sommes qu'à une dizaine de kilomètres de Jérusalem, mais atteindre Aïda est pourtant une expédition. Le camp est situé théoriquement en territoire palestinien (d'après le,  défunt accord d'Oslo), mais l'armée israélienne qui a réoccupé progressivement les territoires palestiniens depuis la deuxième Intifada (septembre 2000) quadrille le terrain et canalise les habitants vers de petites routes de traverse, les seules qu'ils aient le droit d'emprunter.
A l'entrée du camp, dans un petit deux pièces pompeusement baptisé « centre culturel », Anas et la vingtaine d'ados du théâtre Al Rowwad (« Les Pionniers ») répètent dans un joyeux brouhaha la pièce qu'ils vont bientôt jouer en tournée en France (2). Nous sommes les enfants du camp raconte leur histoire, celle de leurs parents et de leurs grands-parents, chassés de leur village - parfois à quelques kilomètres seulement d'ici - lors de la création de l'Etat d'Israël.
 « Quand j'ai fondé ce centre en 1998, j'avais une idée en tête : que ces jeunes se battent autrement qu'en lançant des pierres », explique AbdelFattah Abu-Srour. Ce biologiste d'une quarantaine d'années qui travaille - quand le couvre-feu ne lui interdit pas tout mouvement - dans un laboratoire pharmaceutique de Bethléem, est un enfant d'Aïda. C'est lui qui a écrit la pièce, cette fresque démonstrative, maladroite mais émouvante : « S'ils veulent jeter des pierres, qu'ils le fassent sur scène. S'ils veulent mourir en martyr, qu'ils meurent sur un plateau de théâtre, dit-il. Lutter par la culture, se battre contre la violence et la laideur. Voilà ce que j'appelle faire de la belle résistance. »
Sur le petit territoire d'Aïda quadrillé, comme tous les camps, par les factions palestiniennes, la « belle résistance » d'AbdelFattah Abu-Srour n'a pas été une mince aventure : « Quand la branche locale du Fatah, le mouvement de Yasser Arafat, a voulu utiliser nos danseurs dans des manifestations officielles qui frisaient la propagande, j'ai dit non tout de suite. « Le Fatah, comme les islamistes du Hamas, a monté son propre centre « culturel » dans le camp d'Aïda : autant de structures conçues davantage pour salarier des permanents et récolter des fonds que pour animer la vie du camp, selon AbdelFattah Abu-Srour...
Son fragile centre culturel Al Rowwad - « c'est mon combat, moi qui ne crois plus ni en la justice internationale ni en l'Autorité palestinienne pour libérer notre terre » confie-t-il - se heurte surtout au quotidien étouffant de l'occupation israélienne. A l'étranger, les «incursions» de l'armée d'Israël sont systématiquement mises en parallèle avec les terribles attentats kamikazes. C'est vrai, mais c'est oublier qu'entre ces deux réalités les Palestiniens «ordinaires» subissent chaque jour mille petites humiliations : barrages interminables, vexations incessantes... « Nous sommes prisonniers dans une cage qui se rétrécit de plus en plus », comme dit Salam, jeune comédienne amateur de la troupe.
Alors, que pèse le modeste théâtre Al Rowwad face à l'abîme de la violence ? Le hasard, ce jour-là, nous apporte un bout de réponse. En cette chaude fin d'après-midi du mois de mai, le centre culturel s'apprête à fermer ses portes quand plusieurs détonations retentissent à la périphérie du camp. Soudain, les soldats israéliens, invisibles pendant les premières minutes de l'opération, investissent les rues en Jeep, précédés du bruit assourdissant des grenades sonores. Les jeunes, autour du centre culturel, se ruent sur les pierres et partent aussitôt à l'assaut des véhicules. Une mini-Intifada pathétique, qui ne laisse aucune chance aux ados qui frôlent la mort à chaque intersection de rue. Une mère, les larmes aux yeux, cherche désespérément son fils. Deux autres femmes arrachent leur enfant à ce combat inégal... Anas et plusieurs de ses amis, qui ont enfilé des dossards d'infirmiers siglés du croissant rouge palestinien, dirigent vers le centre les premiers blessés ensanglantés. Cris et scènes d'hystérie. Une balle (en caoutchouc ?) a entaillé le front d'un des jeunes. Des civières sont extraites d'une réserve, une table pour soigner les blessés est installée au milieu de la pièce... Al Rowwad n'est plus un centre culturel. La salle de répétition ressemble maintenant à une infirmerie de campagne. Dans la soirée, on apprendra que plusieurs jeunes, recherchés par les Israéliens, ont été arrêtés chez eux, à l'autre bout du camp. Puis à minuit, alors que le calme est revenu, un blindé israélien revient semer la terreur ; il force le passage dans le camp en écrasant, sous nos fenêtres, la voiture d'un voisin, dans un bruit sinistre de boîte de conserve. « Juste pour impressionner », lâchent les enfants d'Al Rowwad, résignés.
" J'ai vu tout à l'heure quelques enfants du centre culturel jeter des pierres, j'ai même menacé l'un d'entre eux, s'il continuait, de l'exclure d'Al Rowwad. Mais que rétorquer à ces jeunes quand ils veulent en découdre ? Les adultes n'ont plus de réponses à leur apporter, lâche AbdelFattah Abu-Srour, épuisé et défait. Au lieu de la paix, l'accord d'Oslo a apporté la désillusion. Que demander à cette génération de la deuxième Intifada, qui n'a connu que la violence et l'enfermement ? On a mis des semaines à former ce nouveau gouvernement de Mahmoud Abbas, imposé par tes Américains. Personne ne croit plus à ces tractations en coulisses. Ce qui compte, pour nous, c'est la fin de l'occupation israélienne, il n'y a pas d'autres priorités... Quand j'étais jeune, ma génération avait au moins l'espoir de jours meilleurs, nos parents nous poussaient à faire des études, et puis nous allions en vacances à la mer, nous circulions. Les adolescents d'aujourd'hui ne connaissent plus rien de leur pays. » Salam, 13 ans, avec ses deux couettes sages encadrant son visage grave, approuve : "Jamais je n'ai rencontré un Israélite de mon âge. Je n'ai jamais discuté avec eux. Je ne suis même pas sortie de Bethléem depuis trois ans..
La guerre passe par la déshumanisation, comme l'écrit Michel Warschawski, dernier des Mohicans israélien à franchir encore les frontières entre son pays et la Palestine. L'autre n'existe plus. Pour de plus en plus d'Israéliens, le Palestinien est un barbare. Pour le Palestinien il ne faut rien attendre des «juifs » (ils ne disent pas Israéliens), « qui détestent les musulmans depuis toujours » décrète sans nuance Salam. Koultoum, une étudiante qui n'avait rien dit depuis le début de la discussion. raconte comment sa meilleure amie a voulu se faire exploser dans un attentat-suicide après la mort de son fiancé tué par les soldats israéliens : «Mon amie devait se marier à la fin de ses études ; tous deux rêvaient d'une vie normale et puis tout a basculé. N'imaginez pas tous les kamikazes comme des fous de Dieu. » Le regard éteint Koultoum parle à voix basse, sans passion : "Au début, lors des premiers attentats qui ont frappé des citoyens israéliens, on était sincèrement touchés, on éprouvait de la sympathie. Aujourd'hui, la pression quotidienne de l'armée est si intolérable, la situation tellement sans espoir que - c'est terrible à dire - on ne compatit même plus à la mort des civils israéliens. » Les jeunes Palestiniens, même quand il n'approuvent pas les attentats-suicides parlent d'ailleurs d'« action-martyre ». Le vocabulaire, au Proche-Orient est aussi une arme de guerre... Et ces suicidés, qu'ils soient désespérés ou fanatiques, sont devenus les tristes héros des gosses palestiniens. Là où les gamins d'Occident accrochent dans leur chambre les affiches de Harry Potter ou du Seigneur des Anneaux, les jeunes Palestiniens tapissent leurs murs avec des posters morbides à l'effigie des kamikazes.
Dans cette lumière noire, la petite lanterne d'Aï Rowwad brille comme une sentinelle. Quelques représentations à Bethléem, un spectacle annulé à Jérusalem pour cause d'Intifada. Mais le théâtre malgré tout. Contre le désespoir. Comme une échappée belle, aussi, grâce à cette tournée en France, organisée grâce à la mobilisation de dizaines de bénévoles réunis autour de Jean-Claude Ponsin, un ancien polytechnicien communiste devenu médecin, un retraité hyperactif toujours en révolte.
Al Rowwad, de Lille à Avignon. De festivals en soirées-débats. Un bout d'été en France, pour raconter la Palestine, autrement. La quinzaine d'ados du camp d'Aïda, qui est arrivée le 3 juin dernier avec Abdel Fattah Abu-Srour, brûle d'envie de rencontrer des jeunes de leur âge. Discuter, convaincre. Ils sont intarissables, drôles, inébranlables et bouleversants, aussi, ces gamins qui parlent du village de leurs ancêtres, eux qui n'ont jamais foulé cette terre perdue. Tous, petits-fils et petites-filles de réfugiés, nourris au biberon de cette mémoire meurtrie. Et qui, comme la jeune Fatna, 12 ans, lisent déjà l'avenir à reculons : « On est enfermés depuis presque trois ans. Tout ce qu'on peut faire maintenant, c'est se souvenir de ce qu'on a vécu avant. »
- Notes :
(1) Depuis le 16 juin 2002, les Israéliens construisent un mur de 350 kilomètres pour séparer Israël des territoires palestiniens de Cisjordanie. Ce rempart de béton et de barbelés censé protéger des infiltrations terroristes passe à quelques mètres du camp d'Aïda, situé côté palestinien.
(2) Du 2 au 6 Juillet à Paris : le 2. à 20h, Salle de l'Indépendance, 48, rue Duhesme (18') ; le 5, Manifestation Palestine à la Goutte d'or (18e), expo photos, pique-nique et rencontre avec les enfants du quartier; le 5, à 20h30, et le 6, à 16h, Théâtre de l'Epée de bols (Cartoucherie, bois de Vincennes). Du 8 au 11 juillet a Avignon et enfin du 12 au 20 juillet en Bretagne : festivals Quartiers d'été (Rennes) et Vieilles Charrues (Carhaix).
                       
13. L’insulte de l’extension des colonies ne connaît pas de fin par Amira Hass
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mardi 2 juillet 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le speaker de la Voix de la Palestine a qualifié le mouvement opéré par les Forces d’Occupation Israéliennes (FOI) dans la bande de Gaza de « retrait », bien qu’Omar Assour, commandant des Forces Nationales (palestiniennes) de Sécurité lui ait dit qu’il s’agissait seulement de l’ouverture de la route au trafic palestinien, à quatre points situés au long de la route principale, condamnée depuis deux ans…
Cela rappela aux Israéliens le printemps 1994, lorsque des Palestiniens en uniforme prirent position dans la zone pour la première fois, tandis que les forces israéliennes quittaient les villes et les camps de réfugiés situés sur le pourtour de la bande de Gaza. A l’époque, les FOI étaient restées dans un cinquième environ de la superficie de la bande de Gaza, dans des positions fortifiées. Cela correspondait exactement à l’expansion des colonies juives dans la bande de Gaza : 20 % du territoire, pour 0,5 % de la population totale !
Telle était donc la « justice » du « retrait » de 1994, que d’aucuns osèrent appeler « processus de paix ». Avant 2000, il se disait qu’il n’était « pas logique » d’abandonner les « implantations », en particulier celles qui étaient les plus isolées, au milieu de la zone la plus densément peuplée au monde.
Tout ce discours était du baratin : les colons continuaient à dicter aux Palestiniens comment ils allaient devoir vivre – ils leur enjoignaient l’endroit par où une conduite d’eau ne passerait pas ; celui où un camp de réfugiés ne pourrait pas s’agrandir ; là où les voitures ne pourraient pas passer et là où des stations d’épuration des eaux usées ne seraient pas construites.
Aujourd’hui, on parle surtout de calme et de répit. Les Israéliens aspirent à une longue rémission dans la série des attentats suicides à l’intérieur de la Ligne verte et dans les tirs de fusées Qassam, un peu de relâchement dans l’angoisse au sujet de leurs fils et filles qui effectuent leur service militaire dans les territoires.
Les Palestiniens, quant à eux, soupirent après un répit dans les tirs contre quiconque est aperçu marchant entre les maisons démolies de Khan Younis et de Rafah, ou sur les terres qui ont été rasées à la lisière des vergers. Ils veulent une pause dans les invasions des quartiers résidentiels par les tanks israéliens, dans les tirs de missiles contre des voitures circulant au milieu des embouteillages des villes. Et, bien entendu, ils aspirent à la reprise d’un semblant de vie normale, après la réouverture de la route principale qui traverse la bande de Gaza du nord au sud.
Les Palestiniens pourront arriver au travail ou à l’école à l’heure, les matières premières seront livrées aux chantiers de construction. Les responsables de l’Autorité palestinienne espèrent que cette amélioration immédiatement sensible leur permettra de s’assurer du contrôle des diverses formations (palestiniennes) armées.
Néanmoins, les responsables militaires israéliens sont sceptiques sur les chances de succès. Eux, savent pourquoi. L’armée se rend bien compte qu’afin que les Palestiniens de Cisjordanie ressentent, eux aussi, un changement en mieux, elle devra enlever tous les checkpoints et les blocs de béton bloquant les routes entre les villages et les villes, et lever toutes les restrictions imposées à leurs déplacements. Ces restrictions étaient supposées assurer le bien-être des citoyens israéliens vivant dans les colonies en Cisjordanie, qui ont tellement proliféré au cours des dix années écoulées. Et en même temps, tout cela semble presque irréel.
Le bloc de béton qui bouche l’entrée de Kalandiya sera-t-il détruit, les barrières de fil de fer barbelé autour des villages du sud de Ramallah seront-elles enlevées ? Celles qui entourent Kalkiliya, Tulkarem et Naplouse seront elles déplacées plus près des bases des FOI ? Les Palestiniens seront-ils autorisés à emprunter les bonnes routes directes, appelées (sans doute par antiphrase) « routes de contournement » ?
Imaginons que la liberté (limitée) de mouvement qui existait en 2000 soit restaurée, et que l’Autorité palestinienne réussisse à empêcher les groupes armés de violer le cessez-le-feu. Bien. Et alors ? Y a-t-il un pékin, en Israël, qui s’attende à ce que les Palestiniens seront tellement reconnaissants d’avoir été autorisés à quitter leurs quartiers réservés qu’ils ne verront même plus ce qui est en train de se produire, pourtant, sous leurs yeux ?
Et c’est quoi, ce qui est en train de se passer, au vu et au su de la population palestinienne ? Je vais vous le dire : les colonies connaissent une expansion ininterrompue ! Les implantations ne sont pas autre chose que le transfert d’une population occupante dans un territoire occupé ; elles représentent le vol cynique de réserves de terres vitales pour les villes et les villages palestiniens ; elles sont un déni de la continuité territoriale et de la possibilité de se développer pour les Palestiniens ; elles représentent l’accaparement de ressources hydriques irremplaçables ; elles impliquent le contrôle des voies de communication par Israël. Les colonies représentent tout cela, et bien d’autres choses encore.
Les colonies incarnent tous ces sentiments d’être les maîtres des lieux qui se sont développés chez les Israéliens, au fil des ans, d’un côté comme de l’autre de la Ligne verte. Il est aujourd’hui un nouvel axiome, en vertu duquel les « terres d’Etat » seraient réservées aux seuls juifs ; les Palestiniens auraient besoin de moins de terres et de moins d’eau par tête que les juifs ; ne mériteraient pas d’avoir – ou ne justifieraient pas - la même infrastructure ni les mêmes services que les juifs (allez voir la situation à Jérusalem est et dans les villages de la Galilée : vous comprendrez tout de suite…) et vivraient ici parce que nous voulons bien le leur permettre, et non parce que c’est leur droit.
Les colonies provoquent ce profond sentiment d’offense que ressent quiconque est jugé par le régime digne de beaucoup moins que son congénère humain. Telle est la discrimination pratiquée jour après jour, et minute après minute de chaque jour. C’est une insulte aliénante, lancinante, la même que celle qui était si tristement familière aux noirs d’Afrique du Sud, à ceux des Etats-Unis et aux juifs d’Europe orientale.
L’establishment militaire israélien sait désormais très bien d’où vient son scepticisme au sujet de l’accord de cessez-le-feu. La raison de ce scepticisme est que les Palestiniens, comme tout le monde, pourront parcourir de nouveau une distance de dix kilomètres en sept minutes, et non plus en cinq jours. Alors, ils verront, à nouveau, sur leur territoire, les colonies poussant partout comme des champignons, et l’armée israélienne en assurer la protection.
Ils vont découvrir un establishment politique israélien qui peut, au l’extrême rigueur, accepter de discuter des avant-postes, mais qui ne voit pas l’insulte, le résultat final de sa politique, en termes de discrimination et de vol, et pour qui (les colonies d’) Ariel, Alei Sinai, Ma’ale Adoumim, Efrat et Nokdim sont aussi naturelles et éternelles que peuvent l’être Tel-Aviv ou Raanana…
                               
14. Timide désescalade par Valérie Féron
in L'Humanité du mardi 1er juillet 2003

La trêve des groupes armés palestiniens et le début de retrait israélien à Gaza et Bethléem alimentent un fragile espoir.
Jérusalem, correspondance particulière - Le début du retrait israélien des zones autonomes, simultanément à l'annonce d'une trêve côté palestinien, constitue un début positif mais fragile pour deux " partenaires " d'un processus politique qui se regardent en chiens de faïence, l'occupant israélien déclarant ne pas croire à la trêve annoncée, l'occupé palestinien attendant de voir jusqu'où va la sincérité du gouvernement de Ariel Sharon dans sa volonté de parvenir à la paix.
Conscient des enjeux, le premier ministre palestinien en se félicitant des proclamations de cessez-le-feu a d'emblée souligné " la nécessité de poursuivre le dialogue interpalestinien pour préserver l'unité ".
Le gouvernement de Mahmoud Abbas vient de remporter une première victoire en persuadant les groupes les plus radicaux, le Hamas et le Jihad islamique de suspendre non seulement les attentats mais également les attaques contre les soldats et les colons israéliens, représentants directs de l'occupation. Le défi consiste désormais à fortifier ce rapprochement en mettant sur les rails le pacte politique proposé ces dernières semaines à l'ensemble des formations palestiniennes, en les rassemblant dans une direction nationale unifiée ayant une stratégie claire pour parvenir à l'indépendance sans avoir recours à la violence. Ce pacte politique rendrait plus solide la trêve, réconcilierait la société palestinienne avec sa direction, et reste la meilleure option pour Mahmoud Abbas de mettre fin aux bras de fer que lui livrent à la fois Ariel Sharon et les États-Unis, qui jusqu'ici exigent le démantèlement par la force des groupes armés. La direction palestinienne s'y refuse, accusant Ariel Sharon de chercher à provoquer une guerre civile et estimant être seul juge de la manière dont elle remplit ses engagements.
Le gouvernement d'Ariel Sharon, pour sa part, semble être à l'affût du moindre faux pas que commettrait le cabinet palestinien. Qualifiant le cessez-le-feu de " bombe à retardement ", le gouvernement israélien estime que cette période servira surtout aux " groupes terroristes " à se reconstituer. Le véritable test devrait porter sur les questions de retrait total et plus encore la colonisation. Ariel Sharon avait bien promis lors du sommet d'Akaba de démanteler celles déclarées " illégales " (tentant au passage de faire passer les autres pour " légales " ?), avant de déclarer la semaine dernière que la " colonisation doit se poursuivre " mais loin des caméras. Dimanche, le sujet déclenchait une crise avec la conseillère du président Bush à la sécurité nationale, Condolezza Rice, qui a soulevé la question du mur en construction en Cisjordanie, estimant qu'il vise à créer un nouveau fait accompli sur le terrain. Le gouvernement israélien lui a rétorqué qu'il est hors de question de suspendre la construction de ce mur qui, assure-t-il, n'a aucune signification politique mais reste un impératif sécuritaire. La démarche américaine a conforté les Palestiniens dans leur sentiment que l'administration Bush est sérieuse dans sa volonté de faire appliquer la " feuille de route " et sait que le soutien de la communauté internationale lui est vital pour forcer Israël à en respecter les clauses. Reste à savoir jusqu'à quel point le président Bush, qui a laissé quasiment carte blanche à Ariel Sharon depuis deux ans, exercera des pressions pour faire avancer le processus de paix dans le bon sens.
                       
15. "Il faudrait s’écraser et ne pas répondre aux insultes ? Ce n’est pas mon genre. L’arrogance de ces gens est inconcevable" - Interview de Norman Finkelstein
in The Irish Times (quotidien irlandais) du mardi 1er juillet 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Norman Finkelstein a tout de l’hérétique juif. Juif, il est antisioniste ; enfant de rescapés de l’Holocauste, il étrille de manière impitoyable ce qu’il qualifie de « shoah business », d’ « industrie de l’Holocauste » ; de gauche, ses opinions sont souvent appréciées par des hommes de la droite extrême, tenants du révisionnisme, tel un David Irving…
De tempérament, c’est un pugiliste : il ne manque jamais une opportunité de décocher des invectives contre ses ennemis des organisations juives aux Etats-Unis et en Israël. Lesquels, il faut le dire, ne sont pas les derniers à répondre sur le même ton. Les insultes n’ont pas tardé à voler lors d’une apparition récente de Finkelstein, en compagnie d’un porte-parole du gouvernement israélien, sur la radio RTE 1, dans l’émission « Bonjour l’Irlande ». Cathal Mac Coille, le présentateur, a dû séparer les deux hommes et leur demander de se calmer. « Il faudrait s’écraser et ne pas répondre aux insultes ? Ce n’est pas mon genre », s’est insurgé Finkelstein. « L’arrogance de ces gens est tout simplement incroyable. »
Il est persuadé que des organisations juives « pressent le citron » de l’Holocauste, en extorquant des fonds « en compensation » dont les survivants ne bénéficient pratiquement en rien. « Ce qu’ils ont fait, à savoir détourner la tragédie vécue par les juifs au vingtième siècle, pour faire en réalité les poches des gens, c’est tout simplement dégoûtant ; c’est indigne. » Il dénonce certaines campagnes déclenchées en vue d’obtenir des réparations de banques suisses et affirme que plus de 20 milliards de dollars (17,5 milliards d’Euros) ont d’ores et déjà été collectés au titre de « compensations » dans des plaintes ayant les persécutions de l’Holocauste pour motif.
Etant juif, Finkelstein peut se permettre d’utiliser un langage que d’autres ne pourraient jamais employer. Ainsi, il accuse certaines organisations juives de se comporter « en caricatures de Der Sturmer », magazine nazi, notoirement antisémite. Il fait constamment référence à ces organisations en les qualifiant d’ « escrocs », et il n’a pas même pas reculé devant Elie Wiesel, le survivant de l’Holocauste qui a obtenu le prix Nobel de la paix en 1986, qu’il qualifie de « clown attitré du Cirque Holocauste. »
Sa hargne plonge ses racines dans l’expérience vécue par ses parents. Le père de Finkelstein a survécu au siège du ghetto de Varsovie et au camp de concentration d’Auschwitz ; sa mère vivait dans le ghetto, et elle a été déportée au camp de Majdanek. Il les présente comme des athées convaincus.
Son père a reçu compensation du gouvernement allemand. « Je me souviens encore des enveloppes bleues qui arrivaient chez nous, une fois par mois. A la fin de sa vie, il percevait 600 dollars mensuellement, ce qui aboutit à un cumul de 250 000 dollars. Même s’il n’y avait pas d’amour de reste entre mon père et les Allemand – ils les haïssait tous – il n’y eut jamais aucune plainte au sujet de l’argent. Les Allemands ont été, en ce domaine aussi – selon leur habitude ! – très compétents et efficaces.
Par contraste, les compensations perçues par sa mère passaient par le canal d’organisations juives américaines. « Bien que mes deux parents aient subi les mêmes épreuves, elle a perçu un total de 3 000 dollars et ne perçoit aucune pension. Voilà ce que vous recevez des « généreuses » organisations juives ! »
Sa position sur le conflit israélo-palestinien est tout aussi controversée. Tout du moins à l’intérieur de sa communauté. « Un tort colossal a été porté aux Palestiniens, et aucune ratiocination ne saurait justifier ces exactions. Des possibilités de faire la paix existent, mais l’élite israélienne ne permettra jamais qu’elles aboutissent. »
Le dernier ouvrage de Finkelstein, deuxième édition de Image and Reality Of The Israel-Palestine Conflit [Image et réalité du conflit israélo-palestinien] est une tentative érudite de démonter l’image d’Epinal d’Israël et de son conflit avec les Palestiniens. Il y situe la création d’Israël, de manière catégorique, dans la tradition colonialiste, et il débusque les auteurs [négationnistes, ndt]qui prétendent que les Palestiniens n’ont jamais existé historiquement.
Il compare le traitement infligé aux Palestiniens par Israël à l’attitude de l’apartheid sud-africain envers sa population de couleur ou à la vision des indigènes « peaux rouges » qui était celle des colons américains.
 « Tous ces pionniers utilisent le même langage. Ce qui n’est jamais montré, ce qui ne figure jamais sur l’image d’Epinal, c’est qu’il y avait un peuple dans les contrées où ils sont venus s’imposer. On nous a dit et répété que c’était le désert, que c’était des terres vierges, et que, de temps en temps – oh, rarement ! – il y avait ces sauvages, un peu (très peu) au-dessus du niveau de la faune sauvage locale, qui venaient attaquer les bons pionniers courageux. »
Né à New York, Finkelstein admet qu’il a peu d’expérience directe d’Israël, bien qu’il ait visité les territoires occupés plus de vingt fois. « Lorsque je suis là-bas, personne n’en a rien à cirer, du fait que je suis juif. La première année, j’étais l’attraction ; mais, au troisième au quatrième voyage, c’était simplement : Hé, venez vite : Norman est de retour ! »
Peut-on en déduire qu’il n’est, à l’instar d’autres militants de la solidarité qui ont passé un peu de temps auprès des Palestiniens mais jouissent, quant à eux, de la liberté de parole et de leur sécurité personnelle une fois rentrés chez eux en Occident, qu’un simple empêcheur d’occuper en rond ? « Je n’aimerais pas être là-bas. Je suis un couard complet. Je lève mon chapeau devant ces jeunes gens qui travaillent dans des circonstances très difficiles, qui aident les Palestiniens à forer des puits ou portent secours à des gens qui se sont fait tirer dessus. Si c’est ça, ce que vous appeler semer le trouble, je dois dire que nous avons besoin de bien plus de gens comme eux, dans le monde où nous vivons aujourd’hui. »
A la question de savoir si l’on peut considérer qu’Israël est un Etat démocratique, il répond : « L’Afrique du Sud, autrefois, était-elle une démocratie ? Il y avait la démocratie, pour les Blancs, pour la « race supérieure ». De même, Israël, depuis pratiquement sa création, est une société dans laquelle la moitié de la population a absolument tous les droits, alors que l’autre moitié n’en a aucun. »
Mais quid des droits démocratiques des Palestiniens, sous la houlette de Yasser Arafat ? « Comment voulez-vous avoir une démocratie sous occupation ? Les gens, dans les territoires occupés, n’ont aucun droit sans que ce droit ait été approuvé par Israël. Comment le pénitencier d’Alcatraz pourrait-il être considéré démocratique ? Ou un camp de concentration ? »
 « Il y a une solution », insiste-t-il. « Je ne pense pas que trouver une issue soit aussi difficile qu’on veut bien le dire. Les gens font tout, en permanence, afin d’enfermer le conflit israélo-palestinien dans toutes les formes possibles et imaginables de mystification. Ils disent qu’il s’agit d’inimitiés ancestrales, qu’il s’agit de la Bible ou du clash entre civilisations. Mais lorsque vous allez vivre quelque temps là-bas, vous voyez bien que le problème n’a rien de compliqué. La réalité, c’est qu’il y a une occupation militaire, et qu’elle doit prendre fin. » Et après : quoi ? « Après, vous pouvez commencer à espérer que les Palestiniens et les Israéliens vivront ensemble, en paix. »
Bien que Finkelstein jouisse de la sécurité que lui apporte sa citoyenneté américaine, il a dû acquitter le prix de ses opinions. Ses quatre livres ont été des succès, en Europe. En Allemagne, 130 000 exemplaires de L’Industrie de l’Holocauste ont été vendus en trois semaines – mais, aux Etats-Unis, il a été mis à l’index et ses bouquins sont boycottés.
Le New York Times, a-t-il fait observer, a publié une critique de son Industrie de l’Holocauste plus impitoyable que celle qu’il avait réservée à Mein Kampf, un best-seller d’un certain Adolf H.. Cela lui est visiblement resté sur le cœur, et il y revient. « Je ne veux pas jouer les martyrs, mais si vous regardez mon histoire personnelle, je n’en m’en tire pas aussi bien que ça. Je n’ai pas fait les gros titres. Je suis en exil à l’Université De Paul, à Chicago, parce que je me suis fait jeter de toutes les universités de New York.
A Chicago, je ne suis pas heureux. Je veux rentrer chez moi. C’est la raison pour laquelle je conserve un pied-à-terre à New York. Je continue à prier pour qu’un miracle se produise. Vous pouvez me croire lorsque je vous dit que j’en ai bavé. »
["Image And Reality Of The Israel-Palestine Conflict" de Norman Finkelstein, est publié par les éditions Verso, ISBN 1 85984 442 / 1,15 Livres Sterling.]
                                   
16. Washington et le Proche-Orient - Aux Etats-Unis, M. Ariel Sharon n’a que des amis par Serge Halimi
in Le Monde diplomatique du mois de juillet 2003
La rencontre d’Akaba, le 4 juin 2003, a laissé espérer un progrès des négociations au Proche-Orient, perspective aussitôt remise en cause par les « meurtres ciblés » israéliens et par les attentats-suicides palestiniens. Les Etats-Unis, qui versent une aide importante à Israël, pourraient jouer un rôle crucial. Mais, un an avant les prochaines élections américaines, ni les démocrates, ni les républicains, ni le principal think tank pour les questions relatives au Proche-Orient ne veulent incommoder la droite israélienne.
L’idée qu’un lobby pro-israélien, l’American Israel Public Affairs Committee (Aipac), très actif dans les corridors du Congrès, oriente la politique américaine au Proche-Orient est désormais presque caduque. Elle suggère, en effet, qu’il suffirait que cette organisation, qui revendique soixante-quinze mille membres, perde une bataille parlementaire pour que sa puissance – et celle du gouvernement de Jérusalem – décline ipso facto. Or on n’en est plus là. C’est l’ensemble des milieux dirigeants américains – Maison Blanche, Congrès, les deux principaux partis, la presse, le cinéma [1] – qui ont construit et consolidé un système pro-israélien à ce point ancré dans la vie politique, sociale et culturelle des Etats-Unis qu’une défaite de sa part est devenue presque inconcevable.
Le 11 juin 2003, alors que semblait s’enclencher un énième « processus de paix », M. George W. Bush a eu l’audace de se déclarer « troublé » par les attaques israéliennes de la veille contre un dirigeant du Hamas. Mal lui en prit. L’Aipac, qui a pourtant rarement connu à la Maison Blanche un locataire mieux disposé à son égard, a dénoncé sur-le-champ « l’impartialité mal calculée » des commentaires présidentiels. Utiliser l’armée pour se protéger contre « une bombe à retardement » est « justifié à 100 % », ajouta M. Robert Wexler, représentant démocrate (et progressiste) de Floride. « Israël n’a d’autre choix que d’utiliser la force », opinait M. Tom Lantos, chef de file démocrate à la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants. M. Lantos passe lui aussi pour plutôt à gauche aux Etats-Unis. Cela ne l’empêche jamais de servir de Gramophone aux positions du Likoud. Si les Palestiniens ne désarment pas les « terroristes », « alors Israël le fera », a même averti ce représentant de Californie…
Il y a plus de quinze ans, en 1987, un autre membre du Congrès, Mervyn Dymally, observait déjà qu’un élu de la Knesseth était plus libre de critiquer la politique israélienne qu’un parlementaire américain [2]. Aux Etats-Unis, un postulant à une responsabilité nationale a en effet tout à gagner à s’aligner sur les positions les plus extrêmes du gouvernement – de n’importe quel gouvernement – de Jérusalem. Et il aurait tout à perdre à faire le contraire. Chacun le sait. Les coups de semonce adressés aux récalcitrants ont servi de leçon aux autres.
En 1982 et en 1983, deux parlementaires républicains de l’Illinois, Paul Findley et Charles Percy, avaient eu l’outrecuidance, pour le premier, de rencontrer M. Yasser Arafat, pour le second d’approuver la vente d’avions de reconnaissance Awacs à l’Arabie saoudite. L’Aipac finança massivement la campagne de leurs adversaires. Les deux élus perdirent leur siège (3]. Vingt ans plus tard, la même chose s’est reproduite. Coup sur coup, en juin et en août 2002, en Alabama puis en Géorgie, deux parlementaires, démocrates cette fois, Mme Cynthia McKinney et M. Earl Hilliard, ont vu des candidats très généreusement soutenus par des organisations pro-israéliennes les affronter lors de l’élection primaire. Alors que les sortants surmontent en général cette étape électorale sans difficulté, les deux parlementaires furent battus. Ils comptaient au nombre des vingt et un membres téméraires de la Chambre des représentants (sur 435) qui s’étaient opposés à une résolution… soutenant les représailles de l’armée israélienne contre des Palestiniens accusés de complicité collective avec les auteurs d’attentats-suicides.
Dans le contexte de l’après-11 septembre, la technique permettant de disqualifier un parlementaire insuffisamment inféodé aux thèses les plus intransigeantes du Likoud est parfaitement rodée. Cet élu intrépide (et original) risque d’attirer l’attention ; certains Américains d’origine arabe (ou des musulmans) vont lui témoigner leur reconnaissance et financer sa prochaine campagne. Le ver est alors dans le fruit. En passant au peigne fin la liste (qui doit être rendue publique) de ses donateurs pour y repérer des noms à consonance terrifiante, c’est bien le diable si n’y figure pas celui d’un individu qui, un jour, a été interrogé par le FBI ou qui aurait aidé une organisation charitable palestinienne naturellement « liée au terrorisme ». Ainsi, Mme McKinney avait « accepté l’argent de gens dont on a dit qu’ils étaient des terroristes arabes ». Un prince saoudien avait offert 10 millions de dollars à la ville de New York, peu après les attentats contre le World Trade Center. Il s’est vu retourner son don avec mépris par le maire républicain d’alors, M. Rudolf Giuliani, au seul motif que sa contribution était assortie d’une critique de la politique américaine au Proche-Orient.
Démagogie new-yorkaise
A New York, où résident plus du tiers des six millions de juifs américains, chacun prend ses distances avec ce qui est arabe ou musulman. Elue sénatrice de l’Etat en novembre 2000, déjà tentée par la Maison Blanche en 2008, Mme Hillary Clinton a vite compris de quoi il retournait. En 1998, elle avait exprimé son soutien à l’idée d’un Etat palestinien. Pis, l’année suivante elle avait commis la terrible imprudence de se laisser embrasser par Mme Souha Arafat. Déjà inconvenante de la part d’une First Lady, une telle étreinte devenait carrément suicidaire pour quiconque avait des ambitions électorales. Car comme l’explique M. Sidney Blumenthal, ancien conseiller politique du président Clinton, « un candidat démocrate doit obtenir deux tiers du vote juif de New York pour l’emporter dans l’Etat [4] ». Autant dire que, en quelques semaines, Mme Clinton réajusta quelques-unes de ses positions antérieures.
D’abord, elle se découvrit favorable au transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem. Etait-ce si urgent ? Cette préconisation, véritable serpent de mer de la politique américaine, avait déjà valu à M. James Carter de perdre les primaires de New York contre le sénateur Edward Kennedy, partisan de ce déménagement. C’était en … 1980. Plus récemment, les candidats Ronald Reagan et William Clinton avaient réclamé à leur tour ce transfert avant de terminer deux mandats chacun à la Maison Blanche sans que l’ambassade ait bougé d’un centimètre.
Restait l’offense redoutable d’avoir été embrassée par Mme Arafat. Hillary Clinton y consacre un passage des très indigestes (mais très lucratifs) Mémoires qu’elle vient de publier contre une avance de 8 millions de dollars : « Quand je la rejoignis sur le podium, Mme Arafat me donna l’accolade, conformément à la tradition. Si j’avais eu connaissance des mots détestables qu’elle venait de prononcer, je les aurais dénoncés sur-le-champ. (…) Mon état-major de campagne réussit à réparer les dégâts [5]. » D’autres dégâts suivraient quand on apprit que la candidate démocrate avait accepté la contribution financière de la Muslim American Alliance (qui, au même moment, appelait à voter pour M. George Bush à l’élection présidentielle…). L’argent impur fut retourné séance tenante. Et Mme Clinton se confondit en excuses pour n’avoir pas été plus vigilante.
Difficile d’imaginer intransigeance semblable quand il s’agit des partisans les plus sulfureux de M. Ariel Sharon. Que des dirigeants fondamentalistes protestants décrivent l’islam comme « diabolique et tordu », son prophète comme un « fanatique aux yeux écarquillés », voire un « pédophile possédé par le démon », que certains de ces fondamentalistes aient approuvé les attentats – « terroristes » ? – contre des médecins pratiquant l’avortement (sept morts depuis 1993), qu’ils encouragent les discriminations contre les homosexuels, voire rêvent d’un second avènement du Messie, prélude à la conversion ou à l’extermination des juifs [6], tout cela gêne à peine M. Abraham Foxman, directeur national de l’Anti-Defamation League. Il explique : « Les juifs américains ne doivent pas s’excuser quand ils s’attachent à conforter le soutien de la droite chrétienne à Israël. Israël assiégé en a besoin. Et ce soutien est à la fois énorme, constant et inconditionnel [7] ».
Une telle asymétrie est théorisée par l’ensemble des milieux dirigeants américains. « Il y a une différence, expliquait M. Giuliani, entre une démocratie, un Etat de droit, quelles que soient ses imperfections, et une dictature construite sur le principe du terrorisme [8]. » Au nom de la « clarté morale » qu’imposerait la lutte contre le terrorisme, il est désormais quasi interdit à un officiel américain, fût-il président des Etats-Unis, de réclamer quelque concession que ce soit au gouvernement israélien.
Quand M. Bush a avancé d’un millimètre dans cette direction, le directeur éditorial du Wall Street Journal, les intellectuels néoconservateurs William Kristol et Robert Kagan, l’ancien premier ministre israélien Benyamin Nétanyahou (aussi omniprésent à la télévision américaine qu’un présentateur de la météo) et le sénateur démocrate et candidat à la Maison Blanche Joseph Lieberman lui reprochèrent aussitôt une perte de « clarté morale ». Faucon dans une administration de faucons dont le chef a qualifié M. Ariel Sharon d’ « homme de paix », M. Paul Wolfowitz a même réussi, l’année dernière, à se faire huer à Washington par une foule pro-israélienne. A la tribune, où s’étaient succédé M. Giuliani, Mme Clinton, M. Richard Gephardt, dirigeant démocrate à la Chambre des représentants, et M. John Sweeney, président de l’AFL-CIO, il avait eu l’invraisemblable toupet d’évoquer la nécessité d’un Etat pour les « Palestiniens innocents qui souffrent et qui meurent aussi [9]. »
A l’heure où l’élection présidentielle de novembre 2004 conditionne tout, M. George W. Bush s’en remet à son conseiller politique, M. Karl Rove, pour la plupart de ses décisions. C’est lui qui relit chacun des discours du chef de l’Etat ; ils ont voyagé ensemble au Proche-Orient au mois de mai 2003. Aussi cynique que ses collègues conseillers en communication [10], M. Rove a estimé qu’une élection était « entièrement faite de visuels. Vous devez faire campagne comme si l’Amérique regardait la télévision le son coupé [11]. » L’électorat militariste lui étant acquis, il ne serait pas mauvais que le président des Etats-Unis passe à présent pour l’homme de la paix. Des jolies images de poignées de main à Camp David ou ailleurs pourraient sans doute y contribuer.
Comme le rappellent les biographes de M. Rove (deux livres qui lui sont consacrés viennent de sortir, et chacun évoque dans son titre « le cerveau de Bush »…), « dans une nation aussi également divisée qu’elle le fut lors de la dernière élection présidentielle, Rove n’est pas disposé à envisager une politique qui mettrait le moindre suffrage en péril. (…) Quand il favorise un changement de cap, c’est qu’il prévoit que la nouvelle position servira davantage le président, les républicains et la cause conservatrice. C’est comme cela que Rove a obtenu qu’un président libre-échangiste impose des droits de douane sur l’acier importé [12] ».La position politique de M. Bush semble a priori assez solide pour lui permettre quelques audaces au Proche-Orient. La droite chrétienne va voter en sa faveur, même s’il gourmande une fois par an un  M. Sharon qu’elle adore. Quant à l’électorat juif (environ 4 % du total), il n’est pas toujours à l’unisson du lobby pro-Likoud qui prétend parler en son nom et il pèse surtout dans des Etats (Floride mise à part) jugés acquis aux démocrates (New York, Californie, Massachussetts).
Servir la cause présidentielle, c’est aussi grignoter la base de l’adversaire. Il est déjà vraisemblable que M. Bush fera mieux l’année prochaine dans l’électorat juif qu’en novembre 2000 (il avait alors recueilli 19 % des voix contre 78 % pour M. Albert Gore). Mais, aux Etats-Unis, la première des élections reste la primaire des dollars. Et, là, le potentiel républicain est énorme : 21 % du total des dons et la moitié des contributeurs individuels du Parti démocrate sont des juifs, souvent plus favorables que les autres à la colonisation des territoires palestiniens (ils ne représentent que 2,5 % des donateurs du Parti républicain). Déjà, la prochaine campagne de M. Bush va être gavée d’argent (la baisse des impôts ne sera pas perdue pour tout le monde…). L’avantage financier des républicains deviendra gigantesque si M. Rove parvient en plus à ébranler un des principaux piliers de la base contributive du Parti démocrate. Depuis le 11 septembre, il s’y emploie. Non sans succès apparemment [13].
A ce stade, les convictions pro-Likoud des quelques néoconservateurs qu’on ne cesse de citer deviennent secondaires ; le souci de personnaliser les politiques et la paresse mimétique de la presse expliquent en partie l’impact qu’on leur attribue. Plus fondamentalement, c’est en effet l’ensemble des variables politiques, sociales, religieuses et médiatiques américaines qui confortent les objectifs des faucons israéliens. L’action du lobby est réelle, mais elle structure et organise des forces qui se déploient spontanément. Depuis le 11 septembre 2001, ces forces n’ont jamais été plus contraires aux desseins palestiniens. Cela, M. Ariel Sharon le sait bien.
- Notes :
[1] : Selon Harper’s (décembre 1998), 95 % des films représentant un héros masculin arabe en faisaient quelqu’un de cupide, violent ou malhonnête. Et c’était avant le 11 septembre…
[2] : The New York Times, 7 juillet 1987. L’ultraconservateur Patrick Buchanan a même comparé le Congrès à un « territoire occupé israélien ».
[3] : L’un des deux, Paul Findley, a fait le récit de sa mésaventure dans They Dare to Speak Out, Lawrence Hill, New York, 1983.
[4] : Sidney Blumenthal, The Clinton Wars, Farrar Strauss and Giroux, New York, 2003, p. 682.
[5] : Hillary Rodham Clinton, Mon histoire, Fayard, 2003, p. 617. Le récit par l’auteure des négociations de Camp David de juin 2000-janvier 2001 est un décalque total des thèses israéliennes.
[6] : Lire Ibrahim Warde, « Il ne peut y avoir de paix avant l’avènement du Messie », Le Monde diplomatique, septembre 2002.
[7] : Abraham Foxman, « Why evangelical support for Israel is a good thing », JTA.org, 16 juillet 2002.
http://www.adl.org/Israel/evangelical.asp
[8] : Cité par The New York Times, 28 février 1999.
[9] : Lire David Corn, « Searching for « moral clarity » », The Nation, 23 avril 2002.
[10] : Lire « Faiseurs d’élection « made in USA » », Le Monde diplomatique, août 1999.
[11] : James Moore et Wayne Slater, Bush’s Brain : How Karl Rove Made George W. Bush Presidential, John Wiley & Sons, Hoboken (NJ), 2003, p. 273.
[12] : Ibid, p. 286 et 294.
[13] : Lire Thomas Edsall, « Pledging allegiance to Bush : the GOP hopes pro-Israel policies translate into Jewish votes », The Washington Post, National Weekly Edition, 6 mai 2002.
                       
17. Un mur pour enfermer les Palestiniens - La vraie "feuille de route" du gouvernement israélien par Gadi Algazi
in Le Monde diplomatique du mois de juillet 2003
[Gadi Algazi, professeur d’histoire à l’université de Tel-Aviv, est un militant de l’association judéo-arabe Taayoush (Vivre ensemble).]
Réuni le 22 juin en Jordanie, le Quartet (Etats-Unis, Nations unies, Union européenne et Russie) s’est « inquiété » des assassinats de dirigeants du Hamas par l’armée israélienne. Ces provocations empêchent la conclusion d’une trêve avec l’ensemble des groupes palestiniens et, du même coup, la mise en œuvre de la « feuille de route ». Mais, pour comprendre quel « Etat » palestinien M. Ariel Sharon envisage réellement, il suffit de mesurer sur le terrain l’avancée du mur qui enfermera bientôt 40 % de la Cisjordanie.
Les travaux de construction du mur ont commencé en avril 2002, mais les protestations des Palestiniens ne parvinrent pas, à l’époque, à attirer l’attention internationale [1]. Les travaillistes étaient d’ailleurs à l’origine de cette barrière censée empêcher les attaques contre les civils israéliens à l’intérieur de la Ligne verte ( la frontière du 4 juin 1967). La droite nationaliste y paraissait même hostile, y voyant l’esquisse d’une frontière future entre Israël et la Palestine.
Mais presque personne, alors, ne faisait la différence entre, d’une part, une frontière régulant les échanges pacifiques entre deux entités indépendantes et, de l’autre, une clôture encerclant les colonisés et assurant au colonisateur une totale liberté d’intervention. Les prisons aussi comportent des clôtures. D’ailleurs, celle qui, depuis les années 1990, boucle complètement la bande de Gaza n’a pas empêché l’armée israélienne d’y opérer, et même de la découper en petites enclaves [2].
La dimension même du projet en Cisjordanie suffit à comprendre qu’il ne s’agit pas d’une simple barrière sécuritaire. En maints endroits, la séparation atteint, voire dépasse, 60 à 70 mètres de large, avec successivement des barbelés, un fossé, le mur lui-même, haut de 8 mètres et muni d’un système d’alarme électronique, un chemin de terre, une route asphaltée et à nouveau des barbelés. Les territoires situés entre le mur et la Ligne verte seront déclarés « zone militaire fermée » et, du côté, palestinien, d’autres zones interdites ne seront accessibles qu’en passant par des checkpoints.
Bref, c’est une énorme entreprise. Sans compter sa partie orientale, le mur coûtera 1,2 milliard d’euros. Sa partie nord, qui doit être terminée en juillet 2003, court sur 150 kilomètres, mais, au total, il en fera 650. Contrairement aux assertions selon lesquelles sa construction est très lente, les travaux, depuis un an, ont avancé très rapidement : 500 bulldozers seraient simultanément à l’œuvre [3].
Ce rythme s’explique par le flou politique entourant le mur. La plupart des Israéliens ont l’impression qu’il est construit plus ou moins sur la Ligne verte, alors qu’en réalité il se situe 6 à 7 kilomètres plus à l’est, à l’intérieur de la Cisjordanie. En juin 2002, le gouvernement avait autorisé le premier ministre et le ministre de la défense à en préciser le tracé. Mais ce sont les colons et l’armée qui ont déterminé celui-ci, M. Ariel Sharon réaffirmant régulièrement son grand intérêt pour le projet.
Le modèle « bantoustan »
Selon des chercheurs israéliens et palestiniens, 210 000 Palestiniens font d’ores et déjà les frais du mur [4]. En février 2003, des sources palestiniennes estimaient à plus de 80 000 le nombre d’arbres déracinés [5] – ce qui a d’ailleurs donné naissance à un véritable trafic d’oliviers, lesquels ont été replantés dans les villas de nouveaux riches israéliens (6]… Quelque 30 000 paysans ont perdu tout moyen d’existence, leurs terres se trouvant de l’autre côté du mur. Et pas une des portes que le gouvernement israélien avait promis d’aménager dans le mur pour qu’ils puissent s’y rendre n’a été mise en place.
Et pour cause : si le mur est un bâton, le permis d’accéder à sa terre tient lieu de carotte, agitée pour contraindre les Palestiniens à collaborer avec l’occupant. Mais la dépossession risque de devenir irréversible. En vertu de la loi ottomane, toujours en vigueur en Israël, nombre de ces terres, dites miri, appartiennent au sultan ; et si les paysans ne parviennent plus à les cultiver pendant trois ans, elles reviennent à celui-ci, donc à son successeur, l’Etat d’Israël. C’est ainsi que la majeure partie de la Cisjordanie a été déclarée « terre d’Etat » et utilisée pour y construire des colonies.
Il est difficile d’évaluer la superficie supplémentaire qu’Israël contrôlera grâce à la construction de cette clôture. La première phase concernerait 3 % de la Cisjordanie. Mais ce pourcentage – qui augmentera certainement au fur et à mesure – ne tient pas compte de l’importance de la zone pour l’économie palestinienne : la région de Tulkarem, de Kalkilya et de Jénine est en effet la plus fertile de toute la rive occidentale du Jourdain, dont elle représente 40 % des terres agricoles et les deux tiers des puits (vingt-huit d’entre eux se trouvent désormais de l’autre côté). Au-delà des communautés victimes de l’opération, c’est toute l’infrastructure de l’économie palestinienne qui est atteinte.
L’affaire ne se résume toutefois pas à des expropriations et à des annexions. Depuis le début 2003, les organisations non gouvernementales palestiniennes et les pacifistes israéliens commencent à réaliser que le mur n’est qu’un élément d’une entreprise bien plus vaste. Ce qui se construit, ce n’est pas une séparation – le « mur de l’apartheid », comme l’appellent ses opposants – mais tout un système de clôtures, de murs et d’enclaves qui détruisent l’ensemble de la Cisjordanie. Les contours du projet ne sont pas encore parfaitement clairs, mais la carte (reproduite dans cet article, note de la rédaction) fondée sur les recherches méticuleuses du journaliste israélien Meron Rapoport, en donne une idée.
Il faut distinguer quatre éléments :
- Le « mur de séparation » occidental est le plus connu. A ce stade crucial de sa construction, il tourne vers l’est et englobe de grandes colonies (surtout Ariel et Emanuel) avant de pénétrer profondément (de quelque 30 kilomètres) à l’intérieur de la Cisjordanie.
- A Jérusalem et dans ses environs, on érige une série de murs qui annexent une partie de Bethléem et encerclent nombre de banlieues palestiniennes. Des quartiers arabes se retrouvent ainsi coupés, les uns de la Cisjordanie, les autres de Jérusalem, certains enfin de l’une et de l’autre [7].
- Une troisième clôture doit être édifiée à l’est de la rive occidentale, bien avant la vallée du Jourdain. C’est le début des confiscations des terres nécessaires à sa construction qui a mis en lumière cette nouvelle dimension du projet. A terme, elle signifierait l’annexion de la partie occidentale de la Cisjordanie.
- Quatrième et dernière dimension : la multiplication d’enclaves palestiniennes. Certaines sont d’ores et déjà terminées (autour de Kalkilya), d’autres se construisent (autour de Tulkarem), certaines encore figurent sur des plans. A Kalkilya, des barbelés entourent quelque 40 000 habitants, qui ne peuvent accéder au reste de la Cisjordanie que par une seule porte. Plusieurs villages de la région sont encerclés de la même manière. La seconde grande enclave comprend Tulkarem et ses environs (74 000 habitants). D’autres sont prévues plus au nord – autour de Rummana (8 000 habitants) – et plus au sud – autour de Kivya et Rantis, Beit Liqya, autour de Jéricho et peut-être même autour de la partie palestinienne de Hébron.
Considérés dans leur ensemble, tous ces éléments le confirment : la construction du mur exprime un projet politique global. C’est ce qu’avouent, entre autres, le professeur Arnon Sofer, un démographe de droite de l’université de Haïfa, qui revendique la paternité d’une partie du projet, ainsi que plusieurs dirigeants des colons, comme M. Ron Nahman, le maire d’Ariel. Il s’agit de briser la Cisjordanie pour la transformer en une série d’enclaves et de bantoustans étroitement contrôlés par Israël, et d’empêcher ainsi toute continuité territoriale d’un futur Etat palestinien. Même l’accès aux enclaves serait aux mains des Israéliens.
En termes quantitatifs, cela revient à mettre en œuvre – unilatéralement – l’offre faite par le premier ministre aux Palestiniens : 40 % de la Cisjordanie. Mais avec une différence majeure : c’est une solution non pas provisoire, comme on l’a souvent dit, mais définitive. La création d’un système de clôtures et d’enclaves d’une telle dimension ne peut être comparé qu’au projet de colonisation massive de la Cisjordanie mis en œuvre en 1978 par le premier gouvernement Begin sous la direction de… M. Ariel Sharon.
L’actuelle entreprise prolonge la précédente, et exprime – comme elle – la vision politique cohérente de cet homme qui, aux mots et aux symboles, a toujours préféré les faits. Agriculteur lui-même, il considère que l’avenir du conflit se décide sur le terrain : ce qui compte, ce sont les hommes, la terre et l’eau. Et les faits qu’il crée actuellement pourraient bien devenir irréversibles. Le mur intervient dans un contexte agricole : refuser l’accès des Palestiniens à leurs champs et à leurs puits permet de modifier durablement les structures économiques et de rompre leurs liens avec leur terre. Si l’ensemble de ce projet voit le jour, la création d’un Etat palestinien viable deviendra inimaginable. C’est ce qu’a toujours voulu M. Ariel Sharon, lorsqu’il devint « ministre des colonies » en 1977 comme lorsqu’il présenta son plan en 1998 et quand il le reprit dans sa campagne pour les élections législatives de janvier 2003.
Zeita, un petit village de 2 800 habitants au sud de Baqa a-Sharkiya. A l’extrémité ouest, les rues s’arrêtent brutalement : voici une profonde tranchée. Au loin, on entend les bulldozers. Il est encore possible de franchir la clôture pour atteindre la maison où vivent M… et sa famille. Il fait partie des quelque 11 000 Palestiniens pris en sandwich entre le mur et la Ligne verte. La barrière les sépare du village. Les arrivées d’eau et d’électricité ont été coupées. Pour qu’ils puissent se rendre à l’école, on a installé les enfants chez des parents au village. Combien de temps cette famille devra-t-elle vivre dans ce no man’s land ? Certaines nuits, les soldats tirent au fusil et crient : « Allez-vous en ! »
Tel est l’avenir réservé aux Palestiniens par le mur : ils seront prisonniers dans leur propre pays, totalement dépendants de la bonne volonté des forces d’occupation, encerclés de barbelés dans leurs enclaves, le moindre mouvement nécessitant un laissez-passer. Voilà une version locale de l’apartheid – dans le passé, Sharon ne s’était-il pas prononcé en faveur d’un système de bantoustans [8] ? Entre l’Afrique du Sud et la Palestine, il y a néanmoins une grande différence : Israël n’a pas besoin de la main-d’œuvre locale, que le bouclage des territoires occupés et l’importation de travailleurs immigrés non juifs ont rendue superflue.
Les Palestiniens rejoignent ainsi la condition moderne de millions d’hommes et de femmes qui, au nom même de la mondialisation, ne valent même plus la peine d’être exploités. Bien sûr, ils peuvent partir. Le mur pourrait ainsi renforcer le transfert de la population palestinienne. Il ne s’agit pas ici d’un moment dramatique, où chacun doit, contraint, quitter son foyer, mais d’un processus continu, qui menace de priver la société palestinienne de ses ressources humaines et de ses espoirs d’indépendance [9].
Jusqu’ici, aucune action efficace n’a été entreprise pour arrêter la construction du mur. L’Autorité palestinienne n’est pas parvenue à en faire une préoccupation politique majeure. Les militants locaux ont le plus grand mal à mobiliser les paysans en vue d’une action de masse dépassant leur communauté locale, tant pèsent l’oppression quotidienne et la fragmentation politique comme territoriale.
Deux peuples derrière les barbelés
A la mi-juin 2003, au sommet d’Akaba, les gouvernements américain et britannique ont exigé d’Israël l’arrêt de la construction du mur, vu la modification de son tracé. Le premier ministre a refusé, ce qui aurait engendré des tensions parmi les dirigeants israéliens [10]. Et pourtant, les 150 premiers kilomètres ont été achevés sans contestation diplomatique significative – voire, selon certaines sources, avec l’accord tacite des Américains. Vu le peu de temps dont disposent les Etats-Unis pour manœuvrer (afin que le monde arabe demeure passif), leur pression suffira-t-elle à stopper un projet de dimension historique ? Encore faudrait-il que les Palestiniens, par une action civile de masse, réussissent à montrer que le projet de mur n’est une solution politique ni viable ni vivable. Une telle action impulserait-elle la solidarité de l’étranger ? L’opinion publique israélienne réaliserait-elle que le mur menace l’avenir des deux peuples ?
Dans l’histoire de ce conflit sanglant, les murs sont omniprésents, de la vision qu’avait Theodor Herzl d’un Etat juif comme élément d’un « rempart de défense contre l’Asie » au projet de David Ben Gourion de créer un « mur humain » le long des frontières d’Israël,en passant par la « muraille de fer » prônée par Zeev Jabotinsky contre les Arabes. Ce ne serait donc pas la première fois que l’on utiliserait les peurs afin de justifier un projet politique qui, au nom de la sécurité à court terme, crée une situation dangereuse à long terme. Ce ne serait pas non plus la première fois que les Israéliens confondraient sécurité et vie derrière des barbelés. En s’enfermant derrière un mur, ils encerclent aussi, en face, les Palestiniens : dans ce ghetto moderne, il y a de la place pour tous.
- Notes :
[1] : Lire Matthew Brubacher, « Le mur de la honte », Le Monde diplomatique, novembre 2002.
[2] : C’est la personne chargée de la clôture encerclant la bande de Gaza, M. Netzach Maschiach, qui supervise celle de Cisjordanie…
[3] : Voir notamment Meron Rapoport, « A wall in the heart », Yediot Aharonot, Tel-Aviv, 23 mai 2003.
[4] : Lire Yehezkel Lein, Behind the Barrier, Betselem, avril 2003 (
http://www.btselem.org/Download/2003_Behind_The_Barrier_Eng.doc)
[5] : Palestinian Agriculture Rescue Committee (PARC), Needs Assessment Study and Proposed Intervention for Villages affected by the Wall in the Districts of Jenin, Tulkarem and Qalqilia, 5 février 2003 ; Arnon Regular, « The World Bank : the separation fence will hurt Palestinians immensely », Haaretz, Tel-Aviv, 18 mai 2003.
[6] : Meron Rapoport and Oren Meiri, « Uprooted », Yediot Aharonot, 22 novembre 2002. En anglais :
http://friendvill010203.homestead.com/11Uprooted1311102.html
[7] : Voir Neve Gordon, « Can bad fences make good neighbours ? Israel’s separation wall is being used to annex territory », The Guardian, Londres, 29 mai 2003.
[8] : Lire Akiva Eldar, « Sharon’s vision of the Bantustans », Haaretz, 13 mai 2003.
[9] : Gadi Algazi et Azmi Bdeir, « Transfer’s real nightmare », Haaretz, 13 mai 2003.
[10] : Maariv, Tel-Aviv, 13 juin 2003 ; Haaretz, 16 juin 2003.
                           
18. Un procès en sorcellerie à Montpellier par Philippe Daumas
in France Pays Arabes du mois de juin 2003

Après le procès intenté au Maire de Séclin c'est maintenant au tour d'un prêtre catholique de Montpellier, le Père Jean Rouquette (à ne pas confondre avec l'écrivain occitan Max Rouquette qui, lui, est médecin), également écrivain occitan, sous le nom de plume de Joan Larzac, d'être traduit devant les tribunaux, accusé par la Licra d'antisémitisme.
Tous les ans, le Père Rouquette célèbre une messe de minuit en occitan à l'Eglise Saint Matthieu qui est fermée le reste du temps.  A Noël 2001, il avait voulu faire un parallèle entre les souffrances du Christ, il y a deux mille ans, et la persécution des Palestiniens, vingt siècles plus tard. Mal lui en a pris car faire ce rapprochement (il ne le savait pas) c'est de l'antisémitisme !
Il en va à cet égard, du Père Rouquette comme de José Bové. Ce sont des hommes qui ont leur franc-parler et qui disent sans fard ce qu'ils ont sur le cœur. Sans se doute  r que dès qu'il s'agit de la Palestine, il y a des gens, tapis dans l'ombre, aux aguets et à l'affût du moindre mot qui, pris hors de son contexte, puisse être interprété comme soupçon d'antisémitisme.
Il faut dire aussi que le Père Rouquette n'y va pas de main morte. Il a un style vigoureux, haut en couleurs, qui ne fait pas dans la dentelle et qui deteste la mièvrerie et l'expression fade. Voyez plutôt ! Les phrases qui font s'étrangler de haine les accusateurs du Père Rouquette (une dame lui a craché au visage lors de la première audience) sont les suivantes :
1. Dans le Chant de Noël 2001 : Il est né à Bethléem en Palestine. Il est né à Bethléem le pauvre innocent ! Sharon lui a tiré dessus "Rien qu'à ta mine, si ce n'est toi, c'est ton frère qui m'a tiré dessus !"
2. Dans le résumé en français de l'homélie :
Pilate, le chef de l'armée d'occupation, et Caïphe, le grand prêtre collabo relâchèrent Barabas et crucifièrent Jésus.
L'adjectif "collaborateur" serait, paraît-il (toujours selon la Licra), tout à fait inacceptable sous sa forme "collabo" en dehors du contexte de la guerre de 40.
"Tu m'en tues dix, je t'en tue trois cents, nous sommes quittes, et après on s'entend."
Deux audiences ont déjà eu lieu sans que, pour la grande fureur des adhérents de la Licra présents dans le prétoire, l'affaire ne soit jugée. Le Tribunal a d'autres chats à fouetter que de se livrer à une explication de texte pour démontrer que les allégations de la Licra ne sont pas fondées. En particulier, contrairement à ce que prétend la Licra, dans son propos, le Père Rouquette n'enfourche, dans son propos, la vieille antienne ; "Les Juifs ont tué le Christ". Le Père Rouquette est défendu par Me Jacques Martin, voix de stentor et ténor du barreau de Montpellier, et la Licra aura beaucoup de mal à prouver que les propos qu'elle reproche à Jean Rouquette relèvent en quoi que ce soit de l'antisémitisme. L'affaire est officiellement inscrite au rôle de l'audience du 1er juillet pour qu'il n'y ait pas de prescription mais ne sera, en fait jugée qu'au mois de septembre, les prévenus qui sont détenus ayant priorité sur ceux qui comparaissent libres car il en va, pour eux , de leur liberté.
Il convient de rappeler le contexte des propos qui sont injustement reprochés au Père Rouquette. Ils ont été prononcés à Noël 2001, c'est-à-dire au moment où non seulement le Président Yasser Arafat, démocratiquement élu  (il faut le rappeler aux adhérents de la Licra) par les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, était interdit de messe de minuit à Bethléem par le Général Ariel Sharon, Premier ministre d'Israël, mais où les églises et monastère de Bethléem étaient sous le feu des forces d'occupation israéliennes.
                                       
19. L’Europe a tendance à oublier l’origine d’Israël – Vous avez bien dit : "suggestion absurde" ? par Fania Oz Salzberger
in The International Herald Tribune (quotidien américain publié en France) du vendredi 27 juin 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Fania Oz Salzberger  est historienne à l'Université de Haïfa, membre du conseil scientifique de l’Institut Israélien pour la Démocratie.)
Haïfa – Israël deviendra-t-il un jour un pays membre de l’Union européenne ? La plupart des Israéliens et des Européens semblent enclins à répondre : « pas de notre vivant ». Mais une note plus optimiste nous est parvenue de la bouche de Silvio Berlusconi, qui a parlé favorablement de la candidature potentielle d’Israël à l’intégration, au cours du sommet européen réuni le week-end dernier à Porto Carras, en Grèce. La question de savoir si le Premier ministre italien est bien, en l’occurrence, le meilleur chaperon européen concevable, pour Israël, reste posée. Mais même si cette idée est susceptible de parler au cœur de certains Européens et de nombreux Israéliens, elle n’en est pas moins formulée (et mort-née) au plus mauvais moment possible.
L’image d’Israël, en Europe, s’est détériorée à la suite de sa politique de répression impitoyable à l’égard de la récente explosion de violence palestinienne, survenue au milieu de la misère humaine et de la désespérance de territoires occupés depuis bien trop longtemps. La plupart des Européens auraient bien du mal à voir dans cette démocratie de combat, déchirée par la guerre, une candidate à l’adhésion à l’Union européenne au même titre que la Turquie, par exemple, et donc à fortiori que Chypre ou Malte.
Quant aux Israéliens, leur position vis-à-vis de l’Europe n’a jamais été aussi ambiguë qu’aujourd’hui. Certains, faisant face aux vents hostiles qui soufflent du côté de beaucoup de leaders d’opinion européens, souhaiteraient nouer des contacts plus étroits avec l’Union européenne. D’autres, qui se sentent profondément mal représentés par le gouvernement et la politique d’Ariel Sharon, aspirent à une meilleure compréhension du monde politique israélien de la part des Européens. Le dicton de Groucho Marx – « Je me moque comme de ma première chemise de tout club qui ferait l’erreur de m’admettre comme un de ses membres » - rend assez bien cette sorte d’humour désenchanté qui affecte l’humeur de bien des Israéliens recherchant la paix, ces jours-ci. Une chose est sûre : aucun n’a sauté de joie en entendant la suggestion de Berlusconi…
Une réaction immédiate, toutefois, devrait nous faire sauter au plafond, pour d’autres raisons. Un « haut responsable français » courageusement anonyme, a rapporté International Herald Tribune dans son édition du 23 juin, a répondu à la suggestion de Berlusconi en la qualifiant d’ « absurde ». Israël, arguait cet officiel n’est, tout simplement, «  Pas européen. Ni géographiquement, ni historiquement, ni culturellement. »
Cette affirmation mérite examen. Si l’on ne peut qu’être d’accord sur le critère « géographique », les deux autres adverbes sont profondément troublants, voire même déchirants. Ils montrent à quel point les Européens, et en particulier les Européens francophones, ont oublié d’où vient l’Israël moderne.
Certes, Israël n’est pas européen « historiquement » - sauf qu’un peu plus de la moitié de sa population est composée d’Européens de la première, de la seconde ou de la troisième génération. Des centaines de milliers de ces Israéliens seraient aujourd’hui européens, n’eût été les nazis. Des milliers d’entre eux ont été contraints à fuir l’Europe, en conséquence directe des persécutions à leur encontre du régime de Vichy.
C’est même bien avant Hitler et Pétain que l’idée de créer un Etat juif moderne dans la terre biblique d’Israël est venue à l’esprit d’un journaliste autrichien, Theodor Herzl, venu assurer, à Paris, la couverture du faux procès et de l’humiliation publique d’Alfred Dreyfus, un officier français juif. C’est dans un tribunal parisien qu’est né le sionisme, cher « responsable français de haut rang », à l’usage de ces Européens malheureux qui se trouvaient être juifs, et qui avaient le sentiment – ô combien justifié – que leur amour pour l’Europe ne leur serait jamais rendu.
Il est parfaitement exact de dire qu’Israël n’est pas « culturellement » européen – mis à part le fait que peu de pays européens ont chez eux autant de lecteurs des différentes littératures européennes en version originale. La culture israélienne est un mélange bourdonnant de ses différentes sources européennes et moyen-orientales. Elle déborde d’art, de musique, de théâtre et de danse, et déploie la rencontre interculturelle authentique à laquelle aspirent aujourd’hui les Européens. Les institutions scientifiques et universitaires d’Israël maintiennent les traditions européennes les plus élevées, mais ils intègrent aussi des chercheurs d’origine non-européenne, dans des proportions que les universités européennes ne connaissent pas.
Curieusement, le français est encore aimé, lu et parlé, en tant que « vraie langue de culture », disent fréquemment des milliers d’Israéliens dont les racines s’étendent depuis le Maroc jusqu’à la Russie. Mais qu’est-ce que les hauts responsables français de l’Union européenne savent de cette diaspora francophone unique en son genre, que leur en chaut ?
Plus crucial encore, la politique d’Israël – pour le meilleur ou pour le pire – est européenne. Le nationalisme est un concept européen, comme le sont les instincts – plus recommandables – de démocratie et de justice sociale. Le débat public libre et vivant vient d’Europe, et de la tradition juive de la spéculation intellectuelle permanente. La lutte jamais achevée pour les droits civiques et humains découle de l’expérience et des idées d’un millénaire de judaïsme européen.
Toutes ces valeurs sont aujourd’hui menacées. L’Europe a bien peu conscience des responsabilités historiques qui sont les siennes vis-à-vis des deux épigones du conflit israélo-palestinien. Rien n’oblige les Européens à admettre Israël dans leur Union, mais ils devraient s’efforcer de trouver les moyens d’engager un dialogue historique et culturel sérieux avec lui. Peut-être un dialogue politique sérieux s’ensuivrait-il ? On a coutume de dire que « les Bourbons n’ont rien appris, ni non plus rien oublié » : au moins n’ont-ils pas oublié… L’Europe francophone va-t-elle se souvenir de son propre passé et décider de traiter plus sincèrement son rejeton historique et culturel ?
                           
20. Alfred Grosser quitte le conseil de surveillance de "L'Express"
in Le Monde du jeudi 26 juin 2003

L'HISTORIEN Alfred Grosser a démissionné du conseil de surveillance de L'Express, mardi 24 juin. Joint par Le Monde mercredi matin, il explique que son départ est dû aux réactions virulentes de nombreux lecteurs à sa critique, parue dans L'Express du 22 mai, sur le livre de Pascal Boniface Est-il permis de critiquer Israël ?, dans laquelle il estime que ce dernier « a raison de mettre en lumière les abus de la «victimisation» ». Certaines lettres et des courriels ont été publiés dans l'édition de L'Express du 19 juin. « Je démissionne en raison de ma conception sur l'information des souffrances palestiennnes, a déclaré au Monde M. Grosser. [...] Mes liens d'amitié avec L'Express restent intacts. » M. Grosser écrivait occasionnellement pour l'hebdomadaire. Il était membre du conseil de surveillance de L'Express depuis décembre 1997.
                                   
21. Contre les abus de la victimisation par Alfred Grosser
in L'Express du jeudi 22 mai 2003

Est-il permis de critiquer Israël ? C'est la question posée par Pascal Boniface
Le judaïsme français ne constitue pas un ensemble homogène. L'admirable Stéphane Hessel, de retour des Territoires et de Gaza, ne rencontre guère d'écho dans la communauté organisée, ni d'ailleurs dans la presse, lorsqu'il décrit les souffrances des Palestiniens. Et le Crif, en principe représentatif du judaïsme organisé, est-il vraiment le même, avec son président actuel, que naguère, sous la présidence du très humain et très ouvert Théo Klein? L'ultrasensibilité est compréhensible, mais ne devrait-elle pas s'exercer à l'égard de tout racisme? Quelle indulgence pour Oriana Fallaci lorsqu'elle écrit: «Il y a quelque chose dans les hommes arabes qui dégoûte les femmes de bon goût»! Et n'est-il pas choquant de la voir défendue devant les tribunaux par l'avocat juif le plus empressé à dénoncer comme antisémite la moindre critique de la politique israélienne?
Il est question de l'avocat et de bien d'autres dans le livre courageux, clair, engagé mais serein, de Pascal Boniface. Celui-ci a été diffamé. On a fait dire à l'un de ses textes ce qui ne s'y trouvait pas. Il est vrai qu'un journaliste lui a répondu, à la vue d'une rectification: «Oui, mais ce n'est pas ainsi que votre note est interprétée au sein de la communauté.» La mise au point personnelle tient une faible place et cela en fin d'ouvrage. L'essentiel est consacré au démontage d'abus divers. Abus de représentativité: il cite les professeurs d'histoire du judaïsme Jean-Christophe Attias et Esther Benbassa, rappelant que, «sur les trois cent mille juifs de Paris et de la région parisienne, six mille seulement ont voté aux élections du consistoire». Abus dans les statistiques: le nombre d'actes antisémites est établi comme si toute injure avait la même signification qu'une synagogue incendiée (encore que, dans le cas le plus spectaculaire, l'incendie ait été d'origine accidentelle).
Abus de la singularisation, celle-ci entraînant le refus de la comparaison. Les injures et les actes racistes touchent les Français arabes plus que les Français juifs.
La violence de groupes organisés
L'Express a récemment publié les résultats d'une enquête démontrant la discrimination à l'embauche des jeunes issus de l'immigration nord-africaine. Existe-t-il une discrimination antijuive comparable? Il est légitime qu'un décret du 14 juillet 2000 ait ouvert un droit de réparation aux orphelins de parents juifs morts en déportation, mais les organisations juives ont omis de protester contre le fait que ce droit n'était pas ouvert aux enfants de déportés non juifs.
Boniface a raison de mettre en lumière les abus de la «victimisation». Et aussi de dénoncer les violences de petits groupes juifs organisés. «Doit-on comptabiliser ces violences dans les actes antisémites? Ce serait logique, car les juifs ont été les victimes.» Cette ironie amère est rare dans l'ouvrage. Dans l'ensemble il parle droit et clair. Il ne faudrait pas que les médias fassent silence sur lui par peur d'être accusés d'antisémitisme. Aux lecteurs habituels de maints quotidiens et hebdomadaires, Boniface apporterait ou apporte matière à réflexion sur la façon dont les questions y sont généralement abordées. A L'Express comme ailleurs.
                       
22. Les Etats-Unis privatisent l'Irak par Sami Naïr
in Libération du jeudi 26 juin 2003

(Sami Naïr est député européen du Mouvement républicain et citoyen.)
La stratégie américaine est désormais clairement avouée : il s'agit d'une colonisation cynique du pays. Mais où est la démocratisation annoncée ?
Certains soutenaient ­ dont moi-même ­ que l'intervention militaire américaine en Irak avait seulement pour but la conquête du pétrole. Nous nous trompions... Les Américains veulent s'emparer de tout le pays, en faire le banc d'essai d'une privatisation ultralibérale à laquelle les plus fanatiques partisans de l'OMC n'oseraient rêver. Le Wall Street Journal a révélé, début mai, que la réalisation d'un plan secret américain intitulé «Pour que l'économie irakienne passe de la renaissance à la croissance continuelle» avait été confiée à BearingPoint Inc., un cabinet de conseil. Ce document donne un bon aperçu des intentions des Etats-Unis. Il ne s'agit ni plus ni moins que de vendre les industries étatisées, en particulier celles du secteur pétrolier, de créer une Bourse, d'implanter un régime fiscal comparable à celui des Etats-Unis pour favoriser les investisseurs étrangers. La plupart des compagnies étatisées sur lesquelles la population comptait pour obtenir un travail seront déclarées insolvables et liquidées. Celles qui seront considérées comme potentiellement profitables seront vendues dans le cadre de ce que le plan nomme «le large programme de privatisations de masse».
Ainsi, après avoir détruit les principales infrastructures, la reconstruction de l'Irak devient une manne d'or pour les Etats-Unis : son coût est estimé à 100 milliards de dollars ! On rapporte même que le gouvernement Bush a déjà réuni une dizaine de groupes de travail pour planifier la transformation de l'Irak, de l'agriculture au système bancaire.
L'Irak a des réserves de pétrole qui atteignent les 112 milliards de barils. Avant la guerre, les puits irakiens fournissaient 2,5 millions de barils par jour. Il est estimé qu'avec un investissement de quelques milliards, ils pourraient fournir 7 millions de barils par jour pour les prochaines années, ce qui procurerait des revenus annuels de 60 milliards au cours présent du pétrole.
La résolution 1483 de l'ONU (votée le 22 mai) crée un fonds pour le développement de l'Irak qui recevra l'argent du pétrole et sera, de fait, sous le contrôle des Etats-Unis et du Royaume-Uni. Les deux pays décideront seuls de l'affectation des ressources, via le futur gouvernement provisoire irakien. Philip Carroll, ancien PDG de Shell Oil, a été nommé pour superviser le ministère du Pétrole.
Les prétendus «contrats de lutte au feu des puits de pétrole» accordés secrètement à une filiale de Halliburton pendant la guerre ne se limiteraient pas à cette lutte, mais concerneraient aussi «les opérations et la distribution de produits». Ce qui signifie que la société que dirigeait le vice-président américain Richard Cheney de 1995 à 2000, et qui lui donne toujours jusqu'à un million de dollars par an, va gérer les puits et contrôler tout le pétrole produit en Irak. La filiale Kellog Brown & Root (KBR) a obtenu un contrat sans appel d'offres qui ne contient de limite ni sur sa durée ni sur les sommes impliquées.
Le contrat pour l'administration du port d'Oum Kasr (d'une valeur de 4,8 millions de dollars) a été attribué à la société américaine Stevedoring Services of America. Un autre contrat d'assistance technique pour l'effort de reconstruction a été consenti à la compagnie International Resources Group, qui partagera le travail avec un sous-traitant britannique, Crown Agent, agence d'aide au développement ayant elle-même fait l'objet d'une privatisation. L'Agence américaine pour le développement international (US Agency for International Development), qui coordonne les plans de reconstruction, a déjà accordé à une demi-douzaine de grandes compagnies de génie civil basées aux Etats-Unis le droit exclusif de faire une offre pour le principal contrat concernant les travaux d'infrastructures (routes, ponts... jusqu'à l'impression des manuels scolaires). D'après différents articles de presse, les principaux concurrents pour ce contrat sont Bechtel Corp et Parsans Corp. Ce dernier aurait embauché comme sous-traitant la branche Kellog Brown & Root de la compagnie Halliburton, après que Halliburton a été éliminé comme candidate, à cause d'une controverse sur les liens qui l'unissent au vice-président Cheney.
L'administration américaine écarte les entreprises étrangères des principaux contrats mais tente également de choisir les sous-traitants parmi les pays qui l'ont soutenue pendant la guerre : «Officiellement, Washington assure que le processus de sélection des sous-traitants sera équitable. Mais en privé, des responsables américains font preuve d'une attitude différente», constate le Wall Street Journal. Un responsable précise même que Bechtel a pour instruction d'exclure «toutes les entreprises françaises». La stratégie états unienne est désormais clairement avouée : il s'agit d'une colonisation cynique de l'Irak. Et la démocratie dans tout ça ?
Dès le 6 avril, le secrétaire adjoint à la Défense, Paul Wolfowitz, annonçait la couleur : l'ONU ne jouera aucun rôle dans la création d'un gouvernement de transition en Irak. Le gouvernement, mené par les Etats-Unis, restera en place au moins six mois, «probablement plus». D'après le «scénario américano-britannique de l'après-guerre» (rendu à l'issue de la réunion entre George W. Bush et Tony Blair à Belfast, les 7 et 8 avril) : 1) Le pays sera divisé en trois zones administratives correspondant aux trois régions de l'ex-Empire ottoman, dont la réunion donna naissance à l'Irak moderne. 2) Dans un deuxième temps, une administration «multiethnique» sera formée, comprenant des exilés rentrés au pays. Ses membres devraient respecter l'intégrité territoriale du pays. Cette administration ne détiendra pas de pouvoir exécutif mais travaillerait en liaison avec l'Office de reconstruction et d'assistance humanitaire (Orha), et prendrait peu à peu en charge diverses fonctions étatiques. 3) Dans un troisième temps, des élections devraient être organisées pour que le gouvernement élu prenne les fonctions assurées au moins pour six mois par l'Orha.
Paul Bremer, administrateur américain de l'Irak, sera l'unique personne dotée de pouvoirs exécutifs. Il a d'ailleurs récemment proposé d'établir une administration intérimaire irakienne dirigée par un conseil politique, écartant ainsi l'idée d'un congrès national qui élirait un gouvernement provisoire. Mais les dirigeants irakiens autoproclamés ont insisté pour la tenue du congrès, ce à quoi se refusent obstinément les autorités américaines. Cette conception très particulière de la «démocratie» à l'américaine suscite l'amorce d'une résistance de plus en plus violente du peuple irakien. La communauté musulmane chiite, contente de s'être débarrassée de Saddam Hussein, ne désire pas voir les Américains occuper et brader leur pays (la plupart des victimes civiles des bombes américaines et britanniques étaient chiites, surtout autour de Nasiriya et Hilla). A Mossoul, dans le nord de l'Irak, comme à Bassora et dans sa région, il y a tous les jours des affrontements sanglants.
Le chaos s'est installé dans le pays. Les troupes d'occupation semblent s'enliser beaucoup plus rapidement que prévu. Mais aux Etats-Unis tout semble aller pour le mieux. Le principal commentateur pour les affaires étrangères au New York Times, Thomas Friedman, écrit : «Nous avons maintenant un 51e Etat de 23 millions de personnes. Nous venons juste d'adopter un nouveau bébé du nom de Bagdad.» Plus provocateur, Max Boot, un commentateur de droite, porte-parole de la coalition derrière Bush, écrit un billet publié dans USA Today intitulé : «L'impérialisme américain ? Il ne faut pas fuir cette étiquette». Pour lui, toute opposition armée en Irak est condamnée à échouer, car, se réjouit-il, «plus de 125 000 soldats américains occupent la Mésopotamie. Ils sont appuyés par les ressources de l'économie la plus riche au monde. Dans une course au contrôle de l'Irak, les Etats-Unis peuvent dépasser et écraser tout opposant». Ainsi, de l'occupation à la colonisation de l'Irak, le chemin est ouvert.
                           
23. Nabil Chaath : "La balle est aujourd'hui dans le camp du Hamas" propos recueillis par Randa Achmawi
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 25 juin 2003

Le ministre palestinien des Affaires étrangères, Nabil Chaath, évalue le progrès dans l'application de la Feuille de route, le rôle des Etats-Unis et celui de l'Egypte pour parvenir à une trêve dans les territoires occupés. 
— Al-Ahram Hebdo : Quelle est votre évaluation de la dernière visite du secrétaire d'Etat américain Colin Powell dans la région ?
— Nabil Chaath : La visite de Colin Powell a été très utile, car il a pu réajuster en quelque sorte la position israélienne. D'abord en ce qui concerne l'acceptation de l'idée de la trêve au lieu de celle de l'anéantissement de l'infrastructure des factions palestiniennes qu'ils considèrent comme terroristes. En même temps, je pense qu'il a pu faire des progrès sur la question du retrait israélien total de la bande de Gaza et de Bethléem, ainsi que l'arrêt des assassinats ciblés. Je pense que cette visite a pu réaliser certains progrès de notre point de vue.
— Mais Powell a lancé des critiques très acerbes à l'adresse des Palestiniens, du premier ministre Abou-Mazen et du Hamas ...
— Ceci ne contredit pas ce que j'ai dit. C'est vrai que les Américains sont en train d'utiliser un langage très dur à l'égard du Hamas et même de menacer d'abandonner leurs efforts et laisser faire les Israéliens au cas où ils ne collaborent pas ou n'arrêtent pas les attaques. Si Hamas et le reste des factions sont prêts à parvenir à un accord maintenant, ceci va résoudre tous les problèmes. Je pense qu'en ce moment la balle est dans le camps de Hamas.
— On dit qu'il existe des divergences à l'intérieur des factions, qu'il y en a même à l'intérieur du Hamas. Quelle est la situation au juste ?
— Le Hamas nous annoncera dans les prochains jours sa position définitive sur l'établissement d'une « trêve ». Au cas où le Hamas l'accepte, ceci fera sans doute avancer les choses. Dans le cas contraire, il est sûr qu'on sera tous dans une situation très difficile.
— Des informations ont fait état d'une prochaine reprise du dialogue interpalestinien au Caire. Qu'en est-il ?
— Il faut d'abord discuter de la trêve. Je pense que même si le Hamas et des factions répondent positivement à l'établissement d'une trêve dans les jours à venir, on aura besoin d'un peu de temps encore pour entamer de nouvelles discussions sur les autres questions. Nous aurions dans ce cas besoin de traiter avec les factions des questions d'ordre national. On devrait dans ce cas discuter de leur rôle dans le cadre d'un gouvernement d'unité nationale. Je pense que dans ce contexte un dialogue au Caire pourrait être utile pour compléter tout cela.
— Est-ce que les Israéliens ont fait des progrès dans l'application de la Feuille de route ?
— Les Israéliens n'ont pas fait grand-chose. Il n'y a pas eu de leurs côté de véritables progrès dans l'application de la Feuille de route. Mais il faut reconnaître que du côté palestinien, il n'y a pas non plus de progrès dans le sens de l'application de la Feuille de route. La violence est toujours là. Les Israéliens n'ont pas arrêté les attaques et les Palestiniens ne l'ont pas fait non plus. Je pense que les organisations palestiniennes qui adoptent la résistance armée ne vont pas arrêter leurs attaques avant de conclure un accord avec l'Autorité palestinienne sur les termes d'une trêve.
— Mais les Israéliens n'ont-ils pas commencé à démanteler des colonies sauvages dans le cadre de l'application de la Feuille de route ?
— Les Israéliens veulent donner l'impression de faire quelque chose de positif, mais en réalité, ce qu'ils sont en train de faire est insignifiant. Il est vrai qu'ils avaient libéré cent prisonniers palestiniens, dont le plus important est Abou-Souccar, qui a passé 28 ans dans les prisons israéliennes. Lui qui avait été fait prisonnier, accusé d'avoir tué quinze Israéliens. Ils ont également libéré Tayssir Khaled qui est membre du Comité exécutif du Front Démocratique de Libération de la Palestine (FDLP). Ils ont aussi démantelé environ 15 colonies, mais celles-ci sont des postes vides où aucun colon ne vit. Par contre, Israël vient de démanteler pour la première fois une colonie où habitaient des colons. Ces démarches sont positives sur le plan symbolique uniquement. Toujours est-il que la véritable mise en place de la première étape de la Feuille de route ne commencera que lorsqu'il y aura un cessez-le-feu entre les deux parties palestinienne et israélienne.
— Quels sont exactement les objectifs de Hamas ?
— Au départ, il disait qu'il voulait s'assurer qu'Israël allait arrêter la violence. Et il avait raison sur ce point. Maintenant on sait qu'Israël est, avec des garanties américains, prêt à arrêter la violence. C'est pour cela que je dis que le temps est venu pour que le Hamas fasse confiance à l'Autorité palestinienne.
— Comment jugez-vous la mission de l'envoyé américain John Wolf, qui doit superviser l'application de la Feuille de route ?
— John Wolf est le chef de la Commission de surveillance, chargée de surveiller les démarches entreprises par les deux parties, palestinienne et israélienne. Il doit préparer des rapports qui seront présentés aux membres du Quartette sur le progrès dans l'application de la Feuille de route. Le Quartette devrait en tirer les conséquences qui s'imposent et décider de ce qu'il peut faire. Cependant, il est encore trop tôt de pouvoir porter un jugement sur sa mission. John Wolf est un homme qui n'est pas du tout connu au Moyen-Orient et c'est aussi la première fois qu'il vient dans la région. On ne pourra le juger que lorsqu'on verra son comportement.
— Quelle est votre évaluation du rôle égyptien dans les présentes circonstances ?
— C'est un rôle très positif. Que ce soit la délégation qui était là, la semaine dernière, ou avant celle-ci, celle présidée par Omar Soliman ; elles ont contribué de manière positive au dialogue avec le Hamas. Ceci en donnant des conseils très utiles sur des questions très importantes. C'est pour cela que sur le plan politique nous considérons que le rôle égyptien est très important.
— Mais comment le Hamas voit ce rôle de l'Egypte ?
— Les membres du Hamas et des autres factions palestiniennes considèrent eux aussi le rôle égyptien comme étant très positif.
                               
24. L’adjoint au ministre américain des finances : "Bagdad est ouverte aux entreprises israéliennes" - Une personnalité israélienne s’est rendue en Irak par Zuhaïr Andrews
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 23 juin 2003
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Il a été révélé hier à Tel-Aviv que le représentant de l’Agence juive, Jeff Key, est revenu en Israël samedi dernier après une visite de cinq jours en Irak. Key est le directeur du bureau de la commercialisation de l’Agence juive, et il est la première personnalité israélienne officielle à s’être rendu en Irak après son occupation par les forces américano-britanniques, effective à partir du 9 avril dernier. Des sources officielles israéliennes ont indiqué que cette visite avait reçu l’aval du Premier ministre israélien, Ariel Sharon, et qu’elle s’est déroulée en coordination avec l’administration américaine.
On indique que l’Agence juive est un appareil para-étatique chargé de l’immigration des juifs en Israël. Key a déclaré aux médias israéliens qu’il a rencontré les juifs résidant à Bagdad, qui sont au nombre de 74 personnes, pour la plupart âgées, et qu’il leur a apporté de l’argent car – selon ses dires – ils vivent dans une pauvreté absolue. Ces juifs irakiens l’ont accompagné à la synagogue de Bagdad.
Le responsable israélien a rencontré les dirigeants de l’Agence juive à Jérusalem ouest, et il leur a rendu compte de sa visite en Irak, indiquant que les efforts de l’Agence juive en Irak sont appelés à se poursuivre.
Sur ces entrefaites, le quotidien israélien Yediot Aharonot (en hébreu), a publié un entretien avec John Tailor, vice-ministre des finances américain, qui a déclaré que l’Irak est ouvert aux entreprises israéliennes, qu’il a exhortées à participer aux efforts de reconstruction de l’Irak. L’analyste économique de ce journal, Sevir Blotsker, qui a réalisé cette interview, a déclaré que Taylor est considéré comme le responsable de la politique économique dans l’administration Bush, et notamment de la politique économique en Irak. Il est considéré comme l’une des personnalités les plus influentes du monde économique à la Maison Blanche. Taylor est également secrétaire général de la commission américaine chargée de superviser l’économie israélienne, et c’est lui qui a donné son aval à l’octroi de garanties bancaires, récemment, à Israël.
Le responsable américain a poursuivi, indiquant que son pays entend ouvrir le Moyen-Orient à la liberté de marché, et affirmant que l’entrée des sociétés israéliennes en Irak, ainsi que la mise en application de la « feuille de route » contribueront grandement à l’amélioration de la situation économique israélienne, très affaiblie par l’Intifada d’al-Aqsâ.
Taylor a déclaré au quotidien israélien que les opérations de législation, dans le domaine économique dont l’Irak sera le théâtre au cours des semaines à venir donnera aux entreprises israéliennes l’opportunité de réaliser des projets en Irak et d’y investir, exprimant l’espoir qu’elles seront capables d’exploiter la nouvelle situation économique créée en Irak ainsi que les occasions en or qui s’offriront à elles dans ce pays. Il a ajouté que la participation d’Israël à la reconstruction de l’Irak boostera l’ensemble de l’économie israélienne. Le responsable américain a estimé, répondant à une question de l’analyste économique du Yediot Aharonot, que la reconstruction de l’Irak exigera vraisemblablement plusieurs années.
                           
25. En Palestine, la princesse Kenizé reprend son sac de reporter entretien réalisé par Sylvie Santinie
in Paris Match du jeudi 19 juin 2003

"De la part de la princesse morte" était son premier roman. Mais c’est en ancienne reporter, spécialiste du Moyen-Orient, que Kenizé Mourad signe aujourd’hui un livre vérité bouleversant. Les témoignages de Palestiniens humiliés et harcelés et ceux d’Israéliens mal dans leur identité. Tous en souffrance. En France beaucoup n’ont pas apprécié.
- Vous parlez davantage des exactions contre les Palestiniens que du malheur des Israéliens... Est-ce un livre militant ?
- Mais pas du tout ! C'est juste un recueil de témoignages. Je me suis immergée trois mois là-bas : pour comprendre, pour laisser à la parole le temps de se dégager des stéréotypes habituels. Je donne davantage d'exemples palestiniens car c'est un livre sur cette société-là et ses relations avec Israël. On m'accuse de partialité parce que je dénonce les actes d'un monstre, Sharon ! Mais, comme le dit ce prêtre que j'interroge : "Est-ce que les intellectuels européens ne savent plus raisonner ? C'est clair comme le soleil dans le ciel et vous ne dites rien"... Oui, c'est clair. Il s'agit non pas d'un génocide, mais d'un "sociéto-cide" : on veut anéantir la société palestinienne, pourtant la plus éduquée du monde arabe. On tente d'en briser les structures en la poussant à la misère. Mais en Europe, en France surtout, on ne peut pas dire cela sans passer pour un antisémite. C'est la grande force des sionistes que de jouer avec la culpabilité française à l'égard des juifs. Là-bas, pourtant, il y a des Israéliens remarquables qui se battent pour que les Palestiniens aient un pays et des droits.
- Des deux côtés, dites-vous, vous avez rencontré des gens "d'une élévation morale peu commune"...
- C'est vrai. Et même des Palestiniens sans haine, comme ce responsable du Fatah, torturé vingt-deux jours, frère d'une victime de Tsahal, qui jure ne "pas vouloir la mort du peuple israélien". Mais le plus souvent le mal est fait. "Ils ne connaissaient pas la haine, nous la leur avons apprise. Nous sommes de bons professeurs", m'a avoué Léa, l'avocate que ses coreligionnaires traitent de "pute" parce qu'elle défend les Palestiniens à Jérusalem-Est. Même les enfants ne pensent qu'à venger leurs morts.
- L'enfance semble être la première victime du conflit. Vous citez des cas épouvantable: un handicapé écrasé au bulldozer, un enfant tiré comme un lapin, un autre, infirme à vie parce que les soldats ne l'ont pas laissé passer à temps pour une opération salvatrice...
- La majorité des 2 600 victimes palestiniennes depuis le début de l'Intifada sont des jeunes de moins de 15 ans. Des histoires comme celles du livre, tout le monde en a vécu de semblables, plus ou moins atroces. Toutes n'ont qu'un but : "Rendre aux Palestiniens la vie tellement insupportable qu'ils finissent par partir." Je reprends là une déclaration d'un des ministres de Sharon.
- Comment peut-on faire cela lorsqu'on a été soi-même victime de l'Holocauste ?
- C'est précisément ce que ne mesurent pas les Palestiniens : la hantise de l'Holocauste dans l'imaginaire israélien. Ce peuple, qui possède l'une des armées les plus puissantes du monde et le soutien des Etats-Unis, vit dans la peur irrationnelle d'une extermination planifiée par les Palestiniens.
- Ils refusent, dites-vous, de faire leur auto-examen, comme, à l'époque, ils préféraient ne pas mentionner l'Holocauste...
- C'est le cinéaste de Tel-Aviv Ram Loewy qui le dit : "La vérité est que, au fond d'eux-mêmes, les Israéliens savent que leur pays est bâti sur le vol et sur l'expulsion par la violence." Mais la plupart ne veulent pas le reconnaître. Tel cet acupuncteur israélien qui nie l'existence même des Palestiniens. Ou cette jeune Israélienne dont la sœur a été tuée dans un attentat suicide et qui pense que les cadavres montrés à la télé sont des faux.
- Quels sont vos pronostics pour l'accomplissement de la "feuille de route" signée à Aqaba ?
- Il faudra bien, un jour ou l'autre, que soient rendus aux Palestiniens ces 22 % de la Palestine originelle qui sont réclamés depuis quinze ans. Je suis assez optimiste. Même si on n'échappe pas, au début, à des bombes, ici ou là, de la part des extrémistes des deux bords : du Hamas, mais aussi des colons. Lorsqu'ils n'auront plus le soutien de la population, cela cessera. Quant à mon livre, il n'est pas désespéré. Je cite en épilogue cette phrase magnifique du président du Forum des familles, dont le fils de 19 ans a été assassiné par le Hamas : "Si moi- même j'étais né dans le chaos politique et moral qui constitue le quotidien des Palestiniens, j'aurais certainement essayé de tuer ou de nuire à l'occupant ; sinon, j'aurais été traître à ma nature d'homme libre."»
["Le parfum de notre terre. Voix de Palestine et d'Israël", de Kenizé Mourad aux éditions Robert Laffont - 260 pages - 21 euros.]
                                   
26. Une source, citant Bush : "Nous avons un problème, avec Sharon…" par Akiva Eldar
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mardi 10 juin 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Des échanges en coulisse entre le président George Bush et le Premier ministre Ariel Sharon, au cours du sommet d’Akaba, la semaine dernière, sont peut-être l’indice d’un certain changement dans la position américaine, évoluant du camp israélien vers le camp palestinien, d’après un participant aux négociations tripartites entre délégations américaine, israélienne et palestinienne.
Cette source a cité Bush disant à sa Conseillère ès Sécurité Nationale, Condoleezza Rice : « Je constate que nous avons un problème, avec Sharon », alors qu’il aurait dit, au sujet des Palestiniens, gouvernés par le Premier ministre Mahmoud Abbas : « Eux, on peut travailler avec… »
A un certain moment, c’est un Bush furibard qui aurait envoyé dans les cordes le ministre de la Défense Shaul Mofaz, en ces termes : « Oh, mais je pense que vous pouvez (aider les Palestiniens). Et je suis même persuadé que c’est ce que vous ferez ! »
A la requête formulée par avance par Israël en vue du sommet, les conseillers de Bush avaient mis les problèmes de sécurité en premier point de l’ordre du jour des pourparlers. « La première chose dont on a demandé à Bush de parler, c’est de la sécurité », a rapporté ce participant aux négociations, qui a ajouté : « C’était une requête des Israéliens. Aussi (Bush) a-t-il demandé tout d’abord à Dahlan de faire le point. »
D’après cette source, Dahlan présenta un synopsis brillant de la situation, en cinq minutes, qu’il conclut en s’adressant à Bush : « Il y a certaines choses que nous pouvons faire, et d’autres, non. Nous ferons de notre mieux. Mais nous allons avoir besoin d’aide. »
Le ministre israélien de la Défense Shaul Mofaz a explosé, une fois l’exposé de Dahlan terminé, disant : « Eh bien, ils n’obtiendront aucune aide de notre part ; ils ont leurs propres services de sécurité ! »
Bush était furieux, cela se voyait sur sa figure, a dit notre source. Il s’est tourné vers Mofaz, lui disant sur un ton cassant : « Leurs propres services de sécurité ? Mais vous les avez détruits, leurs services de sécurité ! »
Mofaz a alors secoué la tête, disant : « Je ne pense pas que nous puissions les aider, Monsieur le Président », ce à quoi Bush a rétorqué : « Oh que si, que je pense que vous le pouvez. Et je vous dit que c’est même ce que vous ferez ! »
Puis, se tournant cette fois vers Abbas – en suivant toujours le script sur lequel les Israéliens avaient lourdement insisté : « M. le Premier ministre, peut-être allez-vous nous présenter une vision d’ensemble de la situation en Cisjordanie et à Gaza ? »
Abbas a souligné la situation de plus en plus difficile dans les territoires, indiquant que la crise humanitaire allait empirant et que, même si les décisions du nouveau ministre des finances avaient effectivement permis de régler en partie certains problèmes, l’injection de nouveaux financements était indispensable.
Soudain, Sharon lui a coupé la parole, disant : « L’injection de nouveaux financements doit dépendre de votre bonne conduite. » Bush, de nouveau, était aubergine : « Vous devez débloquer leurs fonds (les taxes à l’importation, ndt) aussi vite que possible ! Cela aidera grandement la situation ! »
Sharon secoua la tête : « Nous devons traiter la sécurité d’abord, et nous conditionnerons le déblocage de leurs fonds à cette condition » Bush fixa Sharon en clignant les paupières : « Mais… c’est leur argent !… » Sharon : « Peu importe, Monsieur le Président… ». Après quoi, Bush, impérieux : « C’est leur argent ! Rendez-le leur ! »
Après cette réunion, Bush s’adressa à sa conseillère en Sécurité nationale, Condoleezza Rice, et lui dit : « Nous avons un problème avec ce Sharon, à ce que je vois. Mais j’aime bien le petit jeune homme [Dahlan] et je pense que leur premier ministre [Abbas] est incapable de mentir. J’espère qu’ils réussiront. Eux, on peut travailler avec eux… »
Bush semblait également très satisfait de la détermination dont Abbas fit preuve pour repousser les objurgations de ses ministres Nabil Sha’ath et Yasser Abed Rabbo, qui souhaitaient qu’il durcisse son discours sur le contenu duquel il s’était mis d’accord avec la délégation américaine avant le sommet. Ils avançaient l’argument que ce discours (trop conciliant) causerait des problèmes à l’Autorité palestinienne. Ils débattirent de façon très animée avec Abbas au sujet de ses observations, y compris, à un moment, en présence de Bush. Mais Abbas s’en tint à ses positions, soulignant que ses observations suivaient les grandes lignes fixées par Bush.
Bush observa cet intermède, constatant non sans satisfaction que Abbas était d’accord avec ses suggestions en vue de la mise au point du sommet : « Si vous vous en tenez à ce qui a été décidé entre nous, je vous promets que nous irons par la suite là où vos collègues veulent que vous alliez. Mais nous allons procéder graduellement, pas à pas, chaque chose en son temps… »
                           
27. Palestine : toujours pas d’Etat, mais deux ministres des Affaires étrangères, deux ! par Naçriyy Hajjâj
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 2 juin 2003
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Naçriyy Hajjâj est un écrivain palestinien qui réside à Tunis.)
Je ne prétends pas être un grand analyste politique. On sait qu’ils se sont multipliés comme une mauvaise herbe envahissant un jardin, ceux qui aspirent à cette qualité dans les médias arabes, audiovisuels et imprimés. Je pense que porter dignement ce titre exige de son titulaire une spécialisation approfondie, une réflexion personnelle et une exhaustivité dans la connaissance des ouvrages de référence et des sources ressortissant aux disciplines les plus diverses.
Mais il y a tout de même une chose qui m’incite à écrire au sujet d’une question politique très actuelle et qui me tient à cœur. Il s’agit d’un détail qui devrait attirer éminemment l’attention, me semble-t-il, tout au moins de tout citoyen palestinien, mais qui n’a apparemment pas retenu l’attention des analystes politiques, tant palestiniens qu’arabes – et Dieu sait s’ils sont nombreux ! Il s’agit du fait que les Palestiniens disposent, depuis quelques semaines, de deux ministres des Affaires étrangères. Cela, sans disposer d’un Etat sur notre bonne vieille Planète ! Il faut le faire ! On les applaudit bien fort !
M. Mahmoud Abbas (Abou Mazen) a créé dans le nouveau gouvernement qu’il préside un ministère des affaires étrangères, dirigé par le Dr Nabil Shaath, lequel était dans le gouvernement précédent ministre de la planification et de la coopération internationale. Mais, en même temps, M. Fârûq al-Qaddûmî (Abou Lutuf) n’en continue pas moins à exercer les responsabilité de ministre des Affaires étrangères de l’Autorité palestinienne depuis son instaurationau cours de la dix-neuvième session du Conseil National Palestinien, réunie à Alger le 15 novembre 1988 …
Comme nous le savons tous, le ministre des Affaires étrangères de l’Etat de Palestine, M. Fârûq al-Qaddûmî, n’a jamais cessé d’occuper ses fonctions depuis cette date, et aucun décret n’est jamais venu indiquer qu’il aurait cesser de le faire ou qu’il aurait été remplacé par un autre ministre pour quelque raison que ce soit, ni émanent de la Commission exécutive de l’OLP, ni du Conseil central de l’OLP, ni du Conseil Législatif Palestinien, ni du Conseil National Palestinien, ni d’aucune autre instance exécutive palestinienne. Comment les choses peuvent-elles fonctionner, ceci étant, et comment peut-on nommer un deuxième ministre des Affaires étrangères ? Ne s’agit-il pas là d’une contradiction dans les prérogatives et les responsabilités, et n’y a-t-il pas en l’occurrence un imbroglio juridique ? D’autant plus que le Président Yasser Arafat est à la fois le président de l’Autorité nationale palestinienne et le président du conseil exécutif de l’Organisation de Libération de la Palestine ? De même, le Premier ministre palestinien en charge du gouvernement, M. Mahmoud Abbas, n’a-t-il pas affirmé dans plusieurs communiqués officiels lus devant le Conseil Exécutif Palestinien et les médias l’importance du rôle de l’OLP, en tant qu’autorité suprême du peuple palestinien et que référence législative et politique du gouvernement palestinien et de l’Autorité palestinienne ?
Le 15 novembre 1988, au cours de la dix-neuvième session du CNP, l’Etat palestinien a été proclamé et le chef de l’OLP, Yasser Arafat, a été élu président de cet Etat, de même que M. Fârûq al-Qaddûmî a été élu ministre des Affaires étrangères de cet Etat et la Commission exécutive de l’OLP a été considérée, par décision du Conseil National, comme le gouvernement provisoire de la Palestine et des ambassades, des délégations générales et des bureaux représentatifs ont été ouverts dans la plupart des pays du monde. L’OLP devenait membre à part entière de la Ligue des Etats arabes et membre observateur à l’Onu, au nom de la Palestine. Depuis lors, M. Fârûq al-Qaddûmî a participé aux réunions de ces instances arabes et internationales, en sa qualité de ministre des Affaires étrangères de l’Etat de Palestine, et il n’a jamais cessé de le faire.
Lorsque l’OLP a annoncé qu’elle acceptait un règlement politique à la suite de la guerre du Golfe (de 1991) et lorsque fut conclu l’accord d’Oslo, la mise sur pied de l’Autorité nationale palestinienne a été décidée en conséquence de l’accord entre l’OLP et le gouvernement israélien. Le Conseil central a alors décidé de charger le président Yasser Arafat de présider cette Autorité, et il a été élu sur cette base en 1996. Le Conseil central a alors souligné que l’OLP était la référence législative et politique de l’Autorité nationale palestinienne et qu’il considérait le Conseil législatif comme faisant partie constitutive du Conseil national, de même qu’il considérait les membres du Conseil législatif comme des membres naturels du Conseil national. L’accord de la proclamation des principes, signé à Washington par le gouvernement israélien et l’OLP le 28 septembre 1995 stipulait, dans son chapitre 6 relatif aux prérogatives et aux responsabilités :
A – Conformément à la Déclaration de Principes, l’Autorité palestinienne n’aura pas de prérogatives ni de responsabilités propres dans le domaine des relations extérieures, comportant la création d’ambassades à l’étranger ou de consulats ou de toute autres délégations ou centres culturels, ni le droit d’en créer dans la bande de Gaza ou dans la région de Jéricho, ni de désigner des corps consulaires ou d’en utiliser afin de remplir des fonctions diplomatiques.
B – En dépit des conditions fixées par le présent article, l’OLP peut mener des négociations et signer des accords avec les Etats ou les organisations internationales au nom de l’Autorité palestinienne, dans – et seulement dans – les cas suivants :
1) des accords économiques, comme mentionné en particulier dans le codicille n° 4 du présent accord ;
2) des accords avec les pays donateurs, en vue de l’application des dispositions prévues afin d’apporter une aide extérieure à l’Autorité palestinienne ;
3) des accords visant à mettre en application les plans de développement régional détaillés dans le codicille n° 4 de la Déclaration de principes ou dans les accords entrant dans le cadre des négociations multilatérales ;
4) des accords de coopération culturelle, scientifique et éducative.
C – « Les transactions entre l’Autorité palestinienne et les représentants des pays étrangers et des organisations internationales, ainsi que l’ouverture de représentations dans la bande de Gaza et dans la région de Jéricho autres que celles mentionnées dans le paragraphe 2A ci-dessus aux fins de mettre en application les accords mentionnés dans l’appendice 2B ci-dessus ne sont pas considérées comme relevant des relations extérieures. »
Conformément à ces accords et à d’autres, il n’avait pas été fait mention lors de la constitution des gouvernements palestiniens précédents celui de M. Mahmoud Abbas (Abou Mazen) d’un ministère des questions extérieures, pas plus que n’avait été nommé un quelconque ministre en charge des Affaires étrangères. Le ministère du plan et de la coopération extérieure était inclus dans le cadre des prérogatives et responsabilités énoncées par l’accord de Déclaration de principes entre l’OLP et le gouvernement israélien, et le poste de ministre des Affaires étrangères de l’Etat de Palestine détenu par M. Fârûq al-Qaddûmî était cohérent avec la responsabilité ultime de l’OLP et du Conseil National Palestinien.
En raison de l’énorme disparité du rapport de force aux plans international, arabe et palestinien, il a été demandé au Président de l’Autorité nationale palestinienne, dans le cadre de l’exigence internationale que des réformes soient apportées à l’appareil d’Etat (de l’Autorité) que soit créé un poste de Premier ministre, et que soit constitué un nouveau gouvernement au moyen de nominations de quelques personnalités nouvelles. C’est ainsi que le président Yasser Arafat a chargé M. Mahmoud Abbas (Abou Mazen), qui occupait la responsabilité de Secrétaire général de la Commission exécutive de l’OLP, de former ce gouvernement, lequel a obtenu la confiance du Conseil Législatif Palestinien. C’est le Dr Nabîl Sha’th, ministre de la planification et de la coopération internationale, qui a été nommé ministre des Affaires étrangères.
Doit-on en déduire que M. Fârûq al-Qaddûmî, ministre des Affaires étrangères de l’Etat de Palestine, proclamé en 1988, a été écarté de ses fonctions, ou encore que ses prérogatives ont été réduites, alors qu’il a été élu à ce poste par le Conseil National Palestinien ? Si le président Arafat et le premier ministre Abou Mazen ont réaffirmé que l’OLP est bien le référent politique et législatif de l’Autorité palestinienne et qu’il faut en mobiliser toutes les institutions et les appareils, cela ne signifie-t-il pas que l’on a suscité un ministère des Affaires étrangères au sein de l’Autorité en contradiction avec l’accord de Déclaration de principes, d’une part, et au détriment du rôle de l’OLP, dont on constate, du point de vue pratique et dans les conditions présentes, l’état de léthargie et de quasi absence et, cela, depuis Ramallah jusqu’au camp de réfugiés de Aïn al-Hulwéh, dans le Sud Liban ?
                                   
28. Bush : entre l’impossible gouvernement de l’Irak et l’inéluctable recouvrement de la Palestine par Mutâ’ Çafadiyy
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 2 juin 2003
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Une des idées reçues en sciences politiques est que l’Histoire se répète. Mais il serait plus exact de dire que l’Histoire répète des circonstances approchantes, lesquelles aboutissent, en revanche, à des conséquences différentes. Nous assistons, ces derniers jours, et le monde assiste, avec nous, au spectacle d’un président américain qui réitère la politique de son père, président lui aussi dix ans auparavant, mais avec l’espoir de résultats différents, comme en rêve Bush junior. Il a lancé une deuxième guerre contre l’Irak, en complément de la précédente, afin de réaliser ce que la première n’avait pas osé tenté d’obtenir, à savoir l’occupation totale de l’Irak et l’engagement dans un projet de le restructurer entièrement tant sur le plan de la société que sur celui de l’Etat. Pourtant on sait que les efforts déployés afin de mettre la victoire militaire au service de grandes victoires politiques se sont illustrés par leur incapacité à imaginer des solutions et, cela, depuis de longues décennies. Il y a le projet d’un nouvel accord d’Oslo ou d’un mini-Oslo qui vise à emprunter la « feuille de route » vers la paix jusqu’ici quasi impossible. Le président d’un pays célèbre pour son ignorance de la géographie mondiale veut imposer au monde une carte stratégique globale symbolisant une hégémonie américaine définitive, à commencer par la mainmise sur les clés du Moyen-Orient. Comme son père, il est convaincu que le fait de s’attaquer au casse-tête palestinien peut se résumer à l’assèchement des apports extérieurs absolument indispensables à sa perpétuation, qu’il recevrait sous la forme d’aides et de contributions provenance de son contexte arabe et musulman. Il a semblé que priver les Arabes de leur dernier reste de contrôle sur leurs grandes richesses pétrolières passe, en premier lieu, par la fin de la dernière entité étatique jouissant de frontières bien en-deçà de son indépendance politique. L’Irak, en dépit de tous ses problèmes spécifiques, symbolisait ce dernier reste d’indépendance politique protégeant son lac pétrolier considéré comme le deuxième au monde. Ainsi, l’Amérique des Bush, père, puis fils, a cru que la solution au casse-tête palestinien découlerait par principe de l’intérieur même de son conflit quotidien avec l’occupation israélienne continue depuis un demi-siècle. Il n’est pas douteux que l’effondrement de ce qu’on appelait le front oriental, dépendant, à l’évidence, de la profondeur irakienne, ne pourrait qu’aggraver le statut d’orphelin en devenir qui était celui de la résistance palestinienne à l’intérieur de son cadre arabe officiel. Par conséquent, l’Amérique ne pouvait pas entrevoir une quelconque solution, ni en faire vivre les circonstances historiques, sinon sur la base de l’acquis des défaites militaires qu’elle imposait aux pays environnants, en même temps qu’Israël se chargeait de répéter les vagues d’occupation du dernier pouce de la terre brûlée palestinienne. Mais la bataille du Koweït, menée par Bush père avec un ensemble d’autres pays arabe, et qui avait abouti à la conférence de Madrid, rapidement avortée au moyen des accords d’Oslo qui isolaient la Syrie et le Liban et limitaient la négociation unilatérale à l’OLP, et plus précisément à Arafat et sa clique, cette première guerre, donc, contre l’Irak et contre la solidarité arabe, n’a tiré aucun profit de l’avortement de la Conférence de Madrid, sauf peut-être en ceci qu’elle a stérilisé son enfant monstrueux, appelé « accord d’Oslo », le dépouillant par avance de la moindre condition d’établissement d’un équilibre entre les deux épigones de la relation fondamentale, plaçant une poignée d’homme face à Israël et à l’Amérique, en même temps. Cette situation perverse a amené le président Clinton à penser qu’il pourrait faire la paix, au moyen d’une médiation non impartiale, et au moyen des seules manœuvres de diversion à sa disposition, à savoir, qu’il pourrait graisser la patte à Arafat et à ses hommes au moyen de l’appellation d’Autorité nationale palestinienne, susceptible pensait-il de leur faire oublier la cause palestinienne fondamentale. Il s’agit là d’une caricature d’indépendance, devenue un simple protectorat de municipalités locales annexées aux basques d’Israël.
En ce tournant parmi les plus dangereux de toute l’histoire de la lutte palestinienne dont certains ont souhaité qu’elle connaisse son élimination finale, le volcan de la résistance s’est réveillé, qui a empêché la signature d’un Camp David bis. Non seulement les négociations sont revenues à leur point de départ, mais elles ont dépassé Oslo et Madrid, pour finir par revenir à leur contraire absolu : la résistance dans son état premier, antérieur à la crise du Koweït et la guerre malheureuse et folle à tous points de vue qui lui a fait suite, mais déclarant sans appel la chute de l’ordre arabe et la perte des derniers symboles d’indépendance nationale qui lui restaient, puisque tous les régimes arabes en sortaient vaincus, y compris le camp théoriquement des vainqueurs, celui des Etats du Golfe, qui ont régressé vers l’époque des protectorats militaires taillés dans leurs territoires, leurs richesses et leur volonté politique. Puis cette guerre a servi de prolégomènes à l’entrée de tous les pays du Mashreq successivement, en gros et en détail, dans la situation de pays occupés, potentiellement et effectivement, voire les deux. L’occupation de l’Irak a été le couronnement et la consécration de cette situation, dans l’attente d’une réaction arabe, encore à ce jour dissimulée derrière les politiques des régimes en place.
Mais il existe encore un foyer de violence inverse échappant à la logique de la défaite définitive et, cela, grâce à cette capacité de durer qui caractérise l’Intifada palestinienne, comme si elle ne reconnaissait aucun des énormes changements décisifs qui se sont produits dans la région qui l’entoure après la colonisation de l’Irak et son utilisation aux fins d’exemple destiné à terroriser tous les Etats avoisinants en leur suggérant que le même sort les attend éventuellement au tournant. Sur cette base, l’administration américaine comprend que si elle ne parvient pas à déposséder la Palestine de sa capacité à renouveler sa résistance, au moyen d’une succession d’Intifâdât ininterrompue, une menace directe continuera à peser sur sa stratégie hégémonique sur l’ensemble de la région et obérera les phases successives de sa tactique vis-à-vis de tel ou tel pays arabe. Il faut par conséquent éteindre le rougeoiement de la révolution palestinienne et en paralyser les manifestations en la compromettant dans un dédale de négociations vaines, répétant toutes les manœuvres des négociations précédentes qui avaient accompagné Oslo. Mais une chose a changé, cette fois ci, c’est le fait que les Palestiniens encourent désormais le risque d’avoir à vivre une guerre civile qui pourrait éclater entre leurs différentes factions dès lors que la feuille de route échouerait à vaincre les réticences et à entraîner le peuple palestinien dans les marécages de la négociation et de ses défis destinés à absorber l’un après l’autre tous les éléments qui en font la force.
En dépit du prix exorbitant que l’Intifada actuelle a dû acquitter, et avec elle, son peuple tenace et quasi invincible, elle ne cesse d’assumer, dans la pratique, le rôle du modèle rayonnant tout autour d’elle, grâce au seul moyen restant à la disposition des peuples de la région arabe vaincue, qui conduisent à rectifier la réalité de la nakba généralisée et qui se nourrit actuellement des avatars de la colonisation de l’Irak et de ses répercussions effrayantes quant à son avenir, et quant au devenir de ses voisins. Le tour est-il venu de la Palestine avant que la course à la guerre ne passe de l’Irak à l’Iran et à la Syrie, au moment où l’occupation américaine s’enlise en Mésopotamie sans que semble se dessiner une quelconque issue réaliste vers ce qu’on pourrait qualifier de stabilité politique, que ne peuvent même pas imaginer, jusqu’à présent, les planificateurs et les réalisateurs importés ? En effet, l’Irak se prépare à déclencher sa propre Intifada, au moment même où Bush tente d’éteindre la première du genre, l’Intifada perpétuelle qui se déroule en Palestine. Peut-être son administration prendra-t-elle le temps de vitesse afin d’éviter d’avoir à faire face, sous peu, à la jonction des deux Intifâda, depuis la profondeur irakienne jusqu’à la profondeur palestinienne, qui déboucherait sur un Moyen-Orient cerné par une ceinture de feu susceptible d’enflammer tous ses vieux fagots depuis longtemps desséchés. L’objectif central de Bush, aujourd’hui, consiste à impliquer tous les partenaires arabes et européens afin de créer une nouvelle illusion de paix, qui fasse des slogans concernant les solutions et les mesures en vogue des semblants de réalités effectives inscrites dans la réalité. Peut-être l’attention régionale se transférera-t-elle du drame irakien et de ses phénomènes négatifs interagissant vers le foyer du nouvel événement palestinien, né sous l’égide du président américain, qui va de sommet européen en sommet d’Aqaba, puis de Sharm al-Shaïkh, en semblant se conformer à l’expression arabe décrivant quelqu’un qui « cherche à s’arroger la gloire par toutes ses extrémités ». Mais, s’il a rencontré les dirigeants européens et russe, porteurs d’un projet pacifique, il ne manquera pas de transformer le quartette qui a mis au point la feuille de route en commission unique représentée par sa noble personne, en considérant qu’il a bien mérité le titre d’Empereur (irakien) du monde, après avoir éliminé le gouverneur unique et éternel de Bagdad : Saddam Hussein. C’est comme si la naissance de l’Empire mondial bushien était conditionnée à l’élimination de l’ « empereur » de Bagdad au moyen de la tragi-comédie que nous connaissons !
Malgré tout, les dirigeants de notre monde semblent traiter Bush comme s’il était effectivement l’empereur après sa grande victoire « historique » (n’ayons pas peur des mots…) remportée sur Saddam Husseïn ! Ainsi, le président Chirac se prépare à une rencontre personnelle et chaleureuse avec son vieil ami Bush afin d’éliminer les dernières traces d’incompréhension passagère entre eux et, cela, en marge du sommet des pays les plus industrialisés, le G8, à Evian. L’Union européenne ne peut que déverser ses éloges sur la mise en application de la feuille de route et sur l’adoption par Bush de la réalité de sa mise en œuvre en dépit des réserves de Sharon, dont on a dit qu’il les avait ravalées mais seulement provisoirement, afin de ne pas jouer les rabat-joie et de ne pas assombrir d’entrée de jeu les réjouissances de son grand ami américain impérial. Quant aux dirigeants arabes locaux, que Bush a choisis comme hôtes d’honneur à Sharm al-Shaïkh, ils sont volontaires d’avance pour rejoindre le chœur du nouvel Oslo, et prêts à assumer les rôles que l’Empereur en personne leur demande instamment de jouer. Chacun d’entre eux promettra à l’Empereur de déployer tous les efforts tant de son gouvernement que de son peuple afin de présenter les illusions de la feuille de route comme des réalité et des vérités informationnelles dont bruisseront les médias audiovisuels jour et nuit. Lorsque se produiront les premières anicroches, il est indispensable que tous soient prêts à jouer les bons offices entre les partenaires momentanément fâchés. Grâce à ces simagrées, le peuple est censé oublier l’Irak et ses drames, et se lancer à corps perdu dans des joutes verbales en faveur de celui-ci contre celui-là dans les deux camps palestinien et israélien, à chaque fois que le plan se heurtera à des difficultés dans sa mise en application, ou que la mise en application connaîtra quelque difficulté résultant de la pauvreté de la planification. Ainsi, le théâtre arabe s’attend à une saison osloïenne dont les prolongations pourraient bien tenir des saisons entières, voire même des années. Grâce à cela, Bush rempilera pour un deuxième mandat, afin de mener à bien l’instauration de la paix au Moyen-Orient et de pourchasser les terroristes et les Etats voyous. Mais il pourrait tout aussi bien échouer, et son empire d’opérette pourrait bien finir oublié comme ont fini oubliés avant lui son père et son nouvel ordre mondial, dont on n’a pas encore vu la couleur jusqu’à ce jour. La première chose que Bush veut obtenir des Arabes – de tous les Arabes – pour prix de sa victoire sur l’Irak, c’est leur participation volontaire à l’élimination de leur cause centrale : la Palestine, avec en lot de consolation l’histoire à dormir debout du mini-Etat coupé des deux tiers de son peuple exilé loin de sa terre. Par-dessus le marché, on exige de l’opinion publique arabe et mondiale qu’elle croie que le duo Bush / Sharon est devenu, du jour au lendemain, un duo de deux hommes de paix envoyés par la divine providence afin de régler le problème le plus difficile reçu en héritage par le troisième millénaire de son grand-père le deuxième millénaire, et que ce nouveau millénaire est candidat grâce à cela à prendre place aux côtés du premier tenant du titre – le pétrole – à la une des informations mondiales décisives.
Depuis Saint-Pétersbourg, où plus de quarante chefs d’Etat ont fêté aux côtés du président russe Vladimir Poutine le trois centième anniversaire de la création de cette ville occidentale ouverte sur l’Europe, en passant par Evian où ses sont réunis les dirigeants des huit pays les plus riches du monde, pour finir par les rencontres d’Aqaba et de Sharm al-Shaïkh, un air de rabibochage diplomatique souffle qui semble vouloir remettre au goût du jour l’harmonie avant tout, entre les deux rives de l’océan atlantique, après les divergences autour de la guerre en Irak et ses conséquences psychologique et ce qu’elles ont secrété en fait de camp des vainqueurs et de camp des vaincus, parmi les dirigeants des grandes pays. Cet intérêt, si ses prémisses finissent par trouver confirmation, trouvera son reflet dans un soutien sans précédent au projet de « réconciliation » arabo-palestino-israélienne, selon la vision que les tenants de l’époque voudraient nous donner du climat international général et de son influence effective sur le casse-tête moyen-oriental, d’autant que cette réconciliation démonstrative et de pure façade entre les différents pôles ne pourra qu’apporter de l’eau au moulin de l’hubris de victoire de Bush, comme si le monde assistait à une fête officielle d’inauguration destinée à l’annonce par l’Empire de son agrément – mieux, de sa bénédiction – accordé(e) à ses grands sujets internationaux, tandis que se dressent, sur le devant de la scène, les représentants de l’opposition, depuis la France jusqu’à la Russie, dans une sorte de théâtralité expiatrice, que seules sont venues confirmer, à ce jour, de vagues représentations diplomatiques grandiloquentes, qui ont atteint leur summum à travers les réunions spectaculaires sous les lambris dorés de magnifiques palais historiques et les rencontres collectives et en tête à tête entre les symboles de l’inimitié rentrée et de la réconciliation hypocrite. Mais c’est en Palestine et en Irak que se jouera la vraie pièce, avec les vrais enjeux, et que seront véritablement mises à l’épreuve les intentions réconciliatrices ou les inimitiés, ainsi que la façon dont sera partagé le butin de l’empire et de ses dépendance ainsi que celle dont s’effondreront, l’un après l’autre, ses châteaux en Espagne.
                           
29. A propos de l’antisémitisme de gauche et du statut spécial d’Israël par Joel Kovel
in Tikkun (bimensuel  américain) du vendredi 9 mai 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

La question embrouillée de l’antisémitisme au sein de la gauche américaine a été mise en relief, en février dernier, par une polémique enflammée entre le rabbin Michael Lerner, rédacteur en chef et fondateur de la revue Tikkun et le groupe anti-guerre marxiste-léniniste ANSWER (Act Now to Stop War and End Racism : Agissez dès maintenant afin d’arrêter la guerre et de mettre un terme au racisme). Dans les développements ci-après, je ne prends pas position pour qui avait tort ou qui avait raison dans cette polémique en particulier, ni au sujet du comportement d’Answer, bien que je puisse affirmer que l’expérience personnelle que j’ai de cette association au travers d’activités anti-guerre dans ma région ne confirment en rien les qualificatifs employés par Lerner. Mon propos est plutôt la définition de l’antisémitisme de gauche offerte par Lerner dans ses communications e-mail et un éditorial de lui paru dans le Wall Street Journal au cours de la controverse. Je ne mets pas en doute le désir sincère et passionné de Lerner de mettre un terme aux ravages de la violence perpétrée par les deux camps, ni son recours à la cicatrisation spirituelle à cet effet. (En fait, je tiens une rubrique régulière dans Tikkun et j’ai travaillé avec Lerner, depuis des années, sur ces questions). J’ai un problème, toutefois, avec son analyse politique, mis en évidence ici par l’utilisation qu’il fait de la notion d’antisémitisme, et les moyens auquel il a recours afin d’assimiler cet antisémitisme à la Gauche.
La notion d’antisémitisme de gauche est nécessairement liée à la question israélienne et à la logique du sionisme qui l’anime. Par tant, les problèmes examinés ici se situent au cœur même des choix que nous devons opérer au sujet du conflit israélo-palestinien – des choix qui entrent dans le cadre des propositions ambitieuses lancées récemment pour servir de lignes directrices à une session de formation à venir de Tikkun à Washington, et ces choix vont, bien sûr, bien au-delà encore. Nous comprenons bien que l’antisémitisme occulte la réalité de ce que cela signifie, être juif, et qu’il a ouvert la voie aux atrocités, de plus ou moins grande ampleur, commises à l’encontre du peuple juif. La question qui se pose donc aujourd’hui à nous est la suivante : une critique déficiente de l’antisémitisme risque-t-elle d’occulter la réalité de ce qu’est Israël, en affaiblissant, par tant, la lutte contre les violations des droits de l’homme perpétrées par cet Etat ?
Pour Lerner, l’antisémitisme existe bien dans une version de gauche, lorsque : a) la critique des violations par Israël des droits de l’homme n’est pas équilibrée par une critique équivalente des autres violateurs des droits de l’homme, qu’il s’agisse des terroristes palestiniens ou d’autres terroristes d’Etat ; et b) lorsque le droit d’Israël à l’existence est dénié. Ci-après, un échantillon de ses observation à ce sujet, choisi parmi ses éditoriaux et ses messages e-mail :
- La position « … retenue par l’équipe de Tikkun est que les mobilisations ont été à l’initiative d’un groupe dénommé Answer, lui-même dominé par un groupe sectaire communiste plein de haine envers Israël et qui désire voir cet Etat démantelé. Answer s’est servi des manifestations contre la guerre (en Irak) afin de discréditer Israël et de présenter la guerre contre l’Irak comme une guerre menée dans l’intérêt d’Israël. »
- « Le contexte est primordial. Le fait de critiquer Israël n’est pas répréhensible. Ce qui l’est, c’est de le faire de manière unilatérale, en montrant Israël du doigt à des fins partisanes. Nous, à Tikkun, nous avons formulé des critiques très fermes de la répression israélienne portant atteinte aux droits humains des Palestiniens. Mais nous avons dénoncé tout aussi fermement les actes de terrorisme commis contre des civils israéliens. Nous avons exhorté les Palestiniens à rejeter toute les formes de violence et à suivre l’exemple de Martin Luther King Jr. et de Gandhi, dont la lutte contre l’oppression a été victorieuse parce qu’ils ont réussi à faire passer auprès de l’oppresseur le message que l’opprimé n’en continuait pas moins à reconnaître son humanité et, de ce fait, ne recourrait pas à la violence dès qu’il aurait pu le faire. C’est le même état d’esprit qui a rendu possible la transformation de l’Afrique du Sud, sous la direction de Nelson Mandela. Les attentats terroristes, en revanche, rejettent la population israélienne entre les mains des forces les plus droitières de la société israélienne. Par conséquent, si l’un d’entre nous assiste à un meeting au cours duquel Israël est critiqué, en dehors de ce contexte plus large, le sentiment qui prédomine chez nous est que nous sommes en train d’assister à une mise d’Israël au pilori. »
- Dès lors, si les atteintes aux droits de l’homme perpétrées par Israël sont sélectionnées en dehors du contexte plus large que nous avons mentionné, en ne plaçant que les Etats-Unis au-dessus de lui dans le classement des Etats qui violent ces droits, nous devons poser la question suivante : « Pourquoi un tel silence, dans ces manifestations, sur les violations des droits de l’homme, bien plus importantes, perpétrées par Saddam Hussein ? Ou par la Chine, au Tibet ? Ou par la Russie, en Tchétchénie ? Ou par les régimes politiques en place en Arabie Saoudite, en Syrie, en Egypte et dans des dizaines d’autres Etats ?
Je suis persuadé que Lerner serait d’accord avec cette idée que l’antisémitisme, comme toutes les variétés du racisme, est, du point de vue de la logique, une conclusion fallacieuse tirée de faits concrets abusivement interprétés. Cela signifie que, là où l’on devrait voir une interaction extrêmement riche de déterminismes réels, l’antisémite insère dans son raisonnement une abstraction essentialiste, un phantasme pris pour une réalité et sorti de son contexte historique. Ainsi, nous entendons parler de « complots juifs », de « contrôle juif sur Hollywood », ou d’ « argent juif » - ou encore, comme Lerner aimerait nous le voir admettre dans sa démonstration, « des violations israéliennes des droits de l’homme » hors de leur contexte, sélectionnées et stigmatisées de manière unilatérale. Afin d’éviter une réaction antisémite face au comportement d’Israël, Lerner aimerait nous voir adopter la démarche suivante : d’abord, dénoncer les violations palestiniennes (ainsi que celles d’autres violateurs) de la même manière que nous dénonçons celles perpétrées par Israël (tout en exhortant les Palestiniens à utiliser la non-violence de Gandhi à s’inspirer de l’esprit de Nelson Mandela – à son sujet, voir plus bas) ; ensuite, procéder à cette dénonciation dans un esprit d’affirmation de la valeur intrinsèque d’Israël et de son droit à exister.
La difficulté première, dans cette approche, tient au fait qu’en exigeant l’équité et l’équilibre dans le jugement porté sur Israël, Lerner affaiblit le contexte-même qu’il appelle « le tout d’Israël ». Ce qu’il y a d’unique, dans le cas d’Israël, est passé par pertes et profits, puisque s’impose l’exigence qu’Israël soit vu à la fois comme un Etat comme les autres, et aussi comme un Etat possédant une valeur intrinsèque. Ainsi, nous abordons le sujet avec une importante collection d’œillères. Au lieu d’examiner chaque acteur du conflit du Moyen-Orient concrètement, nous sommes sommés de comparer ces acteurs et leurs violations des droits de l’homme en fonction de ce qui est commun entre eux, par exemple, le nombre des victimes, plutôt qu’en fonction de ce qui, de manière spécifique, a causé ces victimes. La quantité vient supplanter la qualité, et les déterminants réels s’évanouissent. Pour suivre fidèlement la prescription lernérienne, il vous faut comptabiliser les atteintes aux droits de l’homme et décernier le prix de consolation au candidat ayant mutilé, torturé ou tué le plus de victimes. Dans l’opération, l’histoire est effacée et une compréhension plus profonde des causes et des remèdes de l’état de choses existant est rendue impossible. L’accusation d’antisémitisme devient, par conséquent, une sorte de censure. Toute critique rationnelle étant étouffée, la critique irrationnelle prend le dessus et les chiens de l’antisémitisme sont, de fait, lâchés.
Si nous faisons maintenant abstraction de ces réserves et si nous examinons l’historique de ce problème, nous constatons que cette critique nécessairement spéciale d’Israël est garantie, et en fait, obligatoire, du simple fait qu’Israël est un Etat spécial, hanté par la métamorphose grotesque de l’exception juive en un empire logique, dans lequel le « peuple élu » aurait été élu une nouvelle fois. Cette fois-ci, toutefois, l’élection n’aurait pas été le fait de Dieu, comme le veut la tradition spirituelle : elle aurait été opérée par le Monstre connu sous le nom d’Oncle Sam.
Tant les Etats-Unis qu’Israël sont des exemples de colonialisme de peuplement messianique, avec l’exceptionnalisme qui l’accompagne. Rappelez-vous l’identification, en toute conscience, des colons puritains aux les tribus d’Israël, un lien qui reste très vivant aujourd’hui et se manifeste par l’affection de la droite chrétienne (notamment G.W. Bush) pour l’Etat sioniste. Cette variété d’expansionnisme occidental a eu un impact dévastateur pour les peuples indigènes, tant en Amérique du Nord, en Afrique du Sud, qu’en Palestine. En plus d’une racine commune, la présence aux Etats-Unis de la plus importante et puissante communauté juive de toute la diaspora a grandement contribué à l’instauration d’un lien puissant entre les deux nations. Cette relation ne s’est pas développée du jour au lendemain, toutefois. Les Etats-Unis furent presque totalement absents du processus de fondation du mouvement sioniste ; et bien qu’actifs dans les luttes ayant abouti à la création de l’Etat d’Israël, ils représentèrent pour celui-ci un allié plutôt tiède (et même, par moments, un adversaire) durant les années 1950. Pour partie, la réticence originelle des Etats-Unis vis-à-vis d’Israël tenait à un antisémitisme réel au sein des détenteurs américains du pouvoir et elle résultait, aussi, pour partie d’un malaise né des tendances socialistes des juifs en général et d’Israël, en particulier.
Cependant, vers la fin des années 1950, bien des choses avaient changé. Une bourgeoisie juive américaine conséquente était dès lors profondément installée dans des institutions puissantes, et elle avait évolué vers la droite sous l’influence des Epouvantails Rouges, en particulier avec l’affaire d’espionnage atomique du couple Rosenberg, qui fut virtuellement un procès destiné à prouver la loyauté des juifs vis-à-vis de la sécurité nationale de l’Etat. En même temps, l’Amérique, dans l’ivresse d’avoir arrêté les Britanniques et les Français dans leur élan, après la crise de Suez (1956) et profondément méfiante face au nationalisme arabe radical de l’Egypte nassérienne, se préparait à s’engager totalement dans la région primordiale du Moyen-Orient. De plus, Israël était, à cette époque, prêt à donner des gages de sa bonne foi en tant qu’acolyte impérialiste sincère. La guerre de juin 1967, d’où découle l’occupation, fut le catalyseur qui fit la synthèse entre les deux pays. Les planificateurs de la politique américaine venaient de réaliser qu’ils disposaient d’un allié inestimable, capable de liquider de manière impitoyable tout mouvement de libération nationale qui aurait pu défier l’hégémonie américaine dans les régions pétrolières du monde – et même ailleurs.
Les liens entre les Etats-Unis et Israël n’ont fait que se renforcer au fil du temps, cimentés qu’ils étaient par les quelques 130 milliards de dollars (le montant réel est pratiquement inconnu, étant donné le caractère retors de l’armée et l’absence de comptabilité) d’aides militaires accordées à Israël au fil des années. Les liens entre les deux pays ont été soulignés et renforcés par le puissant lobby sioniste, justifiés par une presse qui suit servilement la ligne officielle du parti, rationalisés par l’intelligentsia libérale et institutionnalisés par l’approbation pavlovienne du Congrès. Cette relation s’est étendue à de nouveaux sommets de cordialité avec le gouvernement de G.W. Bush, pour qui Ariel Sharon est « un homme de paix ». Du point de vue stratégique, elle est vitale, pour l’un et l’autre des deux partenaires. L’Amérique aide et arme Israël, et elle prend sa défense à l’Onu et face à l’opinion publique mondiale. Pendant ce temps, Israël joue le rôle du pitbull de l’Amérique dans la zone cruciale du Moyen-Orient, tout en accomplissant au profit de son maître des sales boulots tels que son souci de l’opinion internationale les lui rend inacceptables. Ainsi, Israël a aidé l’Afrique du Sud à contourner l’embargo sur les armements qui frappaient ce pays, il a armé et entraîné des escadrons de la mort des forces contre-révolutionnaires au Salvador et au Guatemala, il a contribué à armer l’Indonésie en vue de la perpétration de son génocide dans l’Est-Timor et cela, il convient de le noter, durant l’administration plutôt favorable à la paix du président Jimmy Carter. Tous ces faits sont notables, et ils ne représentent en aucun cas des aberrations dans la politique étatique d’Israël. Néanmoins, ils disparaissent régulièrement dans le trou de mémoire qui occulte ces réalités d’autant plus difficiles à admettre qu’elles compromettraient inexorablement le soutien dont bénéficie fondamentalement Israël dans l’opinion publique.
La quête d’équilibre de Lerner minimise ces liens. Ainsi, il écrit que « les atteintes aux droits de l’homme commise par Israël sont sélectionnées pour en faire le sujet majeur, en ne réservant une « supériorité » en la matière qu’aux seuls Etats-Unis… », comme s’il s’agissait de variables indépendantes et non d’indications non équivoques de l’existence d’une relation particulière entre les deux Etats. Pour lui, une preuve majeure de l’antisémitisme d’Answer est le fait que ce mouvement « s’est servi des manifestations contre la guerre pour stigmatiser Israël et pour présenter la guerre contre l’Irak comme une guerre au service des intérêts d’Israël. »
Cette notion de « stigmatisation » d’Israël semble quelque peu obscure – bien qu’elle implique on ne sait quelle dignité innée de l’Etat sioniste qui serait susceptible d’être diffamée. Toutefois, dès lors que cette prétendue « stigmatisation » est liée à la suggestion qu’Israël serait susceptible d’avoir « intérêt » à la guerre en Irak, la critique de l’antisémitisme de gauche devient répressive et elle a pour effet d’interdire toute critique rationnelle de l’Etat sioniste. Des tactiques diffamatoires semblables ont été abondamment utilisées depuis des années par des instances telle l’Anti-Defamation League [Ligue contre la diffamation (antisémite), équivalent américain de la Licra, ndt] afin d’interdire toute critique et elles ont incontestablement encouragé Israël à ignorer royalement les droits de l’homme.
Particulièrement problématique est l’assertion selon laquelle il serait antisémite d’affirmer que l’invasion de l’Irak sert les intérêts d’Israël. Le fait que cette guerre sert les intérêts d’Israël a été largement débattu dans la presse israélienne et par d’innombrables analystes ailleurs qu’en Israël, dont le maire de Londres, au cours de la manifestation du 15 février, devant deux millions de manifestants enthousiastes. Tous ces gens étaient-ils des antisémites ? Zalman Shoval, ancien ambassadeur d’Israël aux Etats-Unis, qui a déclaré que « le renvoi à plus tard de la guerre contre l’Irak porterait atteinte aux intérêts d’Israël » est-il antisémite ? En réalité, l’intelligentsia américaine semble la seule, sur terre, à être incapable de comprendre que l’invasion américaine et le laminage de l’Irak élimineront la seule dissuasion face aux vrais seuls détenteurs d’ « armes de destruction massive » dans la région [les Israéliens] : celle représentée par Saddam Hussein. Cette guerre rapprochera énormément les troupes du bienfaiteur impérial d’Israël du théâtre du conflit israélo-palestinien, tout en aidant Israël à acquérir des accès à l’eau et au pétrole. Et dans la mesure où la logique interne du sionisme le porte vers la « solution » de l’expulsion (ou « transfert »), c’est-à-dire vers l’épuration ethnique du peuple palestinien, cette guerre est d’autant plus chaudement accueillie qu’elle facilite cette issue horrifiante – sur laquelle nous reviendrons plus loin.
Du côté américain, la chaîne de collaboration est entre les mains de fonctionnaires clés dans l’équipe de politique étrangère de Bush, qui sont des sionistes de droite ardents, ainsi que les architectes de la guerre contre l’Irak – des hommes tels Paul Wolfowitz (Vice-secrétaire à la Défense), Douglas Feith (Sous-secrétaire à la politique de défense au ministère du même nom), Lewis Libby (chef de cabinet du vice-prédent Cheney), Eric Edelman (Premier assistant de Libby), Richard Perle (Secrétaire du Pannel des politiques de défense du Pentagone et Elliott Abrams (qui dirige la politique moyen-orientale du Conseil de la Sécurité Nationale). Abrams, connu pour avoir supervisé la contre-révolution en Amérique centrale, sous Reagan, et aussi pour sa condamnation par le Congrès des Etats-Unis pour parjure (amnistiée par Bush père) durant le scandale Iran-Contra, apporte à son nouveau poste de responsabilité le must que représente le fait d’avoir écrit un livre mettant en garde contre les mariages mixtes, dans lesquels il voit la mort du peuple juif. Il a aussi chanté les louanges de la droiture d’Ariel Sharon, tout en dénigrant de manière systématique le processus de paix en Palestine.
Perle et Feith étaient conseillers du gouvernement Netanyahu ; ils furent parmi les principaux rédacteurs d’un rapport : « Une Nouvelle Stratégie pour garantir la Sécurité de l’Empire ». Parmi ses recommandations, on trouvait ce qui suit : Israël a besoin de « rompre franchement avec le slogan d’une ‘paix globale’ [c.à d. les espoirs ouverts par les accords d’Oslo] et d’en revenir à une conception traditionnelle de la stratégie, fondée sur l’équilibre des forces. » A cette fin, Israël doit « modifier la nature de ses relations avec les Palestiniens, et notamment faire valoir son droit de poursuite, pour des raisons d’autodéfense, dans tous les territoires palestiniens, et encourager des alternatives à l’emprise exclusive d’Arafat sur la société palestinienne ». Il convient de remarquer que ces gentlemen, qui figurent aujourd’hui parmi les principaux architectes de la politique de Bush en Irak, semblent ici tracer les grandes lignes de la politique de Sharon consistant à détruire systématiquement la société palestinienne, principal moyen d’une politique d’épuration ethnique.
Pour l’essentiel, les politiques américaine et israélienne sont en harmonie au moins depuis 1967, et durant cette période, le comportement et jusqu’à l’existence même de l’Etat sioniste ont dépendu du soutien de la grande puissance. De plus, les pressions émanant tant de sa logique interne que de l’extérieur ont fait empirer de manière substantielle le comportement des deux partenaires, tout en approfondissant les liens qui les unissent. Pour les Etats-Unis, en proie à une crise persistante dans le processus d’accumulation du capital, et anticipant une raréfaction des ressources pétrolières (dans un contexte d’une demande en expansion continue), ce à quoi il faut ajouter l’opportunité offerte par les attaques terroristes d’Al-Qa’ida, cela s’est traduit par une mutation vers le militarisme préemptif et un engagement à assurer une domination mondiale totale – autant d’éléments qui renforcent l’importance stratégique d’Israël. (Notez la capacité de celui-ci à extorquer une dizaine de milliards de dollars supplémentaires d’aide militaire américaine – en des temps où tous les budgets de l’Etat américain connaissent des coupes franches – en invoquant le fait que la crise économique qu’il connaît porte atteinte à sa domination militaire). Quant à Israël per se, nous constatons un resserrage progressif et continu des boulons de la répression contre le peuple palestinien, qui prend désormais des proportions quasi-génocidaires. Les raisons sont à rechercher dans la menace représentée pour les Israéliens par une paix post-Oslo ainsi, ai-je tendance à penser, que par l’évolution autonome des présupposés fondamentaux de l’Etat sioniste, opportunément légitimés par des flambées de violence palestinienne, et en particulier par les attentats-suicides, monstrueux, futiles et totalement sans espoir.
Pour Lerner, l’intensification de l’épuration ethnique contre le peuple palestinien est l’œuvre des « forces les plus droitières » de la société israélienne. Dire cela, toutefois, revient à ne regarder que la surface des choses et à ne pas voir les structures sous-jacentes : l’atroce machine du terrorisme d’Etat, d’une fiabilité diabolique, conduite et garantie par le Parrain. Ce que l’on désigne généralement par « milieux les plus à droite », ce sont les éléments, à l’intérieur de la société, qui en exploitent les rapports de force à leur profit. La droite est donc le produit de structures et de la marche des événements, jusques et y compris quand c’est elle-même qui les provoque. Pour les Etats-Unis, les fondements de ces rapports de force sont essentiellement une accumulation du capital particulièrement agressive. Dans le cas d’Israël, le substrat est fourni par la logique d’un Etat dont la façade démocratique masque (bien que les persécutions subies par les juifs, aussi, aient été utilisées sans vergogne afin de le justifier) un mouvement inexorable en direction du contrôle territorial de la Palestine par un seul peuple : le peuple juif. C’est là l’assomption centrale du sionisme. Elle renferme en elle les germes de l’expulsion des Palestiniens et une orientation politique évoluant inexorablement vers la droitisation, aussi longtemps que le peuple dominé résiste, c’est-à-dire, se comporte comme un peuple d’êtres humains dont l’existence même est en train d’être détruite. Ajoutons à cela que, plus l’Amérique s’oriente vers la domination au Moyen-Orient, plus s’accélère la tendance d’Israël à l’épuration ethnique à l’encontre des Palestiniens. Cette course à l’abîme peut être retardée – temporairement – par des considérations tactiques, en particulier le souci de ne pas trop humilier les pays arabes. Mais, une fois l’extension impériale américaine assurée dans la région, nous pouvons faire le pari, hélas, que la destruction de la société palestinienne suivra.
Ceci nous amène à la conclusion que l’Etat sioniste n’est pas amendable dans le contexte du rapport actuel des forces. Tant que ce rapport de force n’aura pas été modifié, nous pouvons nous attendre à un enchaînement de catastrophes sans fin.
Au-delà de la solution « à deux Etats »
L’affirmation selon laquelle il serait antisémite d’aller trop loin dans la critique d’Israël sert essentiellement à gêner une analyse structurale plus approfondie. Mais elle nous laisse aussi dans le doute quant au degré dans la critique d’Israël qui serait licite. Le raisonnement exposé plus haut sera sans doute condamné, car « allant trop loin », par beaucoup de ceux qui soutiennent qu’Israël est doté d’un noyau vertueux essentiel, profondément enraciné dans les grandes traditions éthiques du judaïsme, qui se manifeste dans les nombreuses et brillantes réalisations culturelles et technologiques de ce pays, et dans le fait qu’il a offert une patrie à un peuple persécuté. Cette vision des choses, qui peut être qualifiée, en utilisant l’expression de Lerner, de conception fondamentaliste de la légitimité d’Israël, est indubitablement celle de la grande majorité des juifs américains, et elle est à l’origine de leur incapacité à admettre qu’Israël pût avoir une inclination au transfert, à l’épuration ethnique et à l’expulsion des Palestiniens.
Cette notion présuppose la capacité à fixer comme ligne d’horizon à ce qui est acceptable, la proposition de solution « à deux Etats » - une solution dans laquelle Israël reste, dans les grandes lignes, tel qu’en lui-même, avec quelques ajustements territoriaux, tandis qu’un Etat palestinien est taillé à la hache dans les territoires palestiniens, voire même seulement dans une partie d’entre eux. La logique à deux Etats est ce qui permet à Lerner d’affirmer qu’il est « à la fois pro-israélien et pro-palestinien » ( !). Cela lui permet d’afficher son programme politique en toute quiétude, rassuré sur le fait qu’il y a bien, effectivement, en Israël quelque chose sur la base de quoi une solution décente, à deux Etats, peut être élaborée. Car c’est, bien entendu, Israël qui détient toutes les cartes maîtresses de la puissance militaire, qu’il faut supplier, avec qui il faut discuter, qu’il faut convaincre… Quand bien même devrait-il y avoir, un jour, dans le futur, (quand ?), un Etat palestinien dignes d’êtres humains…
Les données de fait, toutefois, indiquent que l’Israël réellement existant n’est pas susceptible de faire l’objet de discussions, de persuasion, de marchandages ni, a fortiori, d’être gagné à une solution équitable à la crise. Le lecteur peut étudier les détails des négociations, avec d’abondantes références à plusieurs analystes israéliens reconnus, dans le superbe ouvrage de Tanya Reinhart, ‘Israël-Palestine, Comment terminer la guerre de 1948’ : il y découvrira les chicaneries incessantes et les manipulations des gouvernements israéliens successifs, depuis le centre-gauche jusqu’à l’extrême droite, afin de faire obstacle à la création de l’Etat palestinien. Le comportement d’Israël dans la deuxième Intifada (presque certainement délibérément provoquée afin d’accélérer la réoccupation des territoires en suivant les conseils de Perle et de Feith) montre de manière éclatante qu’il se contente de se jouer de l’idée d’un Etat palestinien afin de jeter de temps en temps un os à ronger à l’opinion internationale. Pendant ce temps, Sharon et compagnie – avec l’approbation, bien entendu, de Bush, de Perle, de Wolfowitz et alii – se sont évertués à aggraver à l’extrême les conditions misérables régnant dans la Palestine occupée, avec succès : triplement du taux de pauvreté au cours des deux années écoulées, destruction épouvantable de la société civile, lourd tribu payé à la malnutrition, aux blessures et aux maladies, qui dépasse largement les morts infligées directement par l’armée israélienne. Ce processus, mis en scène sur fond de hurlements des F-16 en piqué et de rugissements des bulldozers détruisant des maisons et ensevelissant vivantes des personnes (dont, récemment, l’Américaine Rachel Corrie), ne peut se comprendre que si on l’examine dans l’ensemble d’un processus de purification ethnique, pudiquement rebaptisé « transfert ».
Quand bien même cela ne serait pas le cas, l’Etat palestinien proposé dans le cadre de la solution à deux Etats est franchement indigne d’êtres humains un tant soi peu respectueux d’eux-mêmes. Comment peut-on prétendre qu’il y ait la moindre justice lorsqu’on demande à une partie de se contenter d’un territoire fragmenté et totalement cerné par ses oppresseurs, scandaleusement dominé par l’économie de l’oppresseur, ficelé de routes réservées à son armée, où les ressources vitales, telle l’eau, restent placées sous le contrôle de l’oppresseur, sans aucune garantie réelle que les colonies de fanatiques dont la construction a augmenté de manière exponentielle durant le « processus de paix » seront démantelées ?
Quel est, ceci étant, la nature réelle de l’Etat israélien et du sionisme dont il est le fruit ? Comment devons-nous appeler un projet national qui, bien qu’il se vante d’être une « démocratie », réserve 92 % de son territoire aux seuls juifs ? Où une personne qui se convertit au judaïsme ou a une grand-mère juive se voit accorder immédiatement la totalité des droits à la terre, alors que d’autres personnes, dont la famille, voyez-vous, se trouve avoir vécu là depuis des siècles, sont dans le meilleur des cas considérées comme des citoyens de deuxième catégorie et ne peuvent acquérir de terres ? Dont le territoire est ficelé de routes « réservées aux juifs » ? Dans lequel les partis politiques qui remettent en cause le caractère fondamentalement juif de sa « démocratie » sont mis hors-la-loi ? Un pays qui a peur de se donner une Constitution, parce qu’il sait pertinemmment que la première mesure qu’il devrait prendre, s’il le faisait, serait de déclarer son propre décès ?
Y a-t-il un mot qui permette de décrire ce racisme exclusiviste, institutionnalisé au niveau le plus élevé de l’Etat ? N’est-ce pas là la logique qui préside à la militarisation d’Israël, à ses mécanismes d’expansion et de répression impitoyables – et, oui, il faut le dire – à la vraisemblable expulsion des Palestiniens ? Cela ne déteint-il pas sur l’ensemble de la société, et cela ne déteint-il pas aussi en partie sur la diaspora, en corrompant le legs émancipateur du judaïsme et en semant les mauvaises graines du chauvinisme et du préjugé aveugle ?
La nature raciste de l’Etat sioniste : voilà la vérité tellement difficile à supporter pour ceux qui croient en la légitimité fondamentale de l’Etat d’Israël. Mais ce racisme détruit cette croyance de l’intérieur, car porté à un tel niveau, permettant qu’un peuple entier soit détruit pour qu’un autre peuple puisse vivre (à sa place), il devient la quintessence de ce que signifie l’expression « crime contre l’humanité ». Toutes les revendications d’être « la seule démocratie au Moyen-Orient », ou d’avoir sauvé les juifs des persécutions antisémites, ou d’avoir des orchestres symphoniques et des universités de grand renom etc., pâlissent devant son rougeoiment aveuglant.
Que faire ? Nous pouvons commencer par énumérer ce qu’il ne faut pas faire, et donc rejeter une solution à deux Etats qui ne résout rien, qui est impossible à tous les sens humains du terme, dans le contexte du rapport de force actuel, et qui sert principalement à créer une illusion, écrasant à la manière d’un énorme bloc de rocher toute imagination. Au-delà de cette illusion, il y a la confrontation avec l’Etat raciste et le rejet de l’idée selon laquelle le sionisme exprime la vocation authentique du peuple juif. En un mot, nous devons envisager un Israël non-raciste, ayant dépassé le tribalisme et ouvert à tous les hommes. Ce une voie fort ancienne, abîmée car trop longtemps inutilisée : elle est est recouverte d’herbes folles, et on l’a trop longtemps crue infréquentable : c’est le rêve d’un « Etat unique », totalement démocratique, d’une société où tous peuvent vivre ensemble. Mais cette solution a une longue et noble histoire, qui remonte à Martin Buber ; et l’échec de son alternative (la solution à deux Etats) exige qu’on la réouvre, car elle donne une direction, sinon une destination immédiatement rejoignable.
Le premier tronçon de ce passage vers un avenir ressemble aux demandes déjà formulées par des personnes de bonne volonté, comme notamment Michael Lerner : cessez de détruire le peuple palestinien, mettez un terme à l’occupation, immédiatement et unilatéralement. Ces mesures clarifieront le trajet et permettront d’aller au-delà, là où il est nécessaire d’envisager un Israël par-delà le sionisme. La perspective est déjà ébauchée par ces exigences immédiates mêmes. Mais sa réalisation requiert de bien affirmer qu’un Etat raciste, du fait qu’il génère automatiquement des crimes contre l’humanité et qu’il est dépourvu des moyens internes qui lui permettraient de corriger cette tendance, ne peut pas avoir la légitimité qui lui conférerait le droit à l’existence. En résumé : l’Etat sioniste doit être radicalement transformé, et, si nécessaire, le cas échéant, être détruit.
La simple mention de cette éventualité donne des frissons d’horreur à une imagination collective formée par la mémoire de l’Holocauste ; cette imagination collective traduit l’idée de dépasser le sionisme dans le poncif des «  juifs rejetés à la mer », comme si des Arabes vengeurs allaient attrapper Israël par le collet de ses frontières orientales et le balancer tout entier dans la Méditerranée…
A ce sujet, il faut rappeler que ce que nous envisageons de changer, en Israël, l’Etat. Un Etat, ce n’est pas une société, ni une nation, ni un territoire. L’Etat, c’est l’instance de régulation et de contrôle, qui dispose de la violence officielle. Les Etats contrôlent et dirigent les sociétés, définissent les nations et contrôlent des territoires. L’Etat raciste donne l’ascendant à un groupe humain en en détruisant d’autres, qui sont le plus généralement totalement démunis devant lui. L’Holocauste a frappé des peuples sans Etats, tels les juifs, les Tziganes, etc., qui sont devenus les victimes du nihilisme de l’Etat raciste nazi ; de même les Palestiniens, privés d’Etat, sont devenus les victimes du nihilisme de l’Etat raciste sioniste. Etant donné la violence nihiliste inhérente à l’Etat sioniste, il est raisonnable de dire qu’une solution telle que celle que nous proposons est dans l’intérêt même de la survie, tant physique que spirituelle, du peuple juif.
Le « rejet à la mer » est le phantasme d’une vengeance projetée. Son allégation vise à renforcer la pérennité de l’Etat raciste, à jamais cerné par tous ceux qu’il aura dépossédés et humiliés. Il en résulte que la principale lutte à mener est une lutte pour la création d’une société dans laquelle le cycle infernal de la vengeance soit cassé. Si cela semble totalement hors d’atteinte, en particulier en raison de la violence extrême accumulée dans l’Etat israélien, il est important de rappeler que l’Etat criminel d’apartheid a été détruit, en Afrique du Sud – et d’avoir conscience que si un succès d’une telle ampleur a pu être obtenu dans ce pays, une réalisation tout aussi grandiose peut intervenir dans le cas d’Israël/Palestine.
Bien sûr, les différences sont importantes entre Israël et l’Afrique du Sud. Celle-ci n’était qu’un client secondaire (mais non dénué d’importance) des Etats-Unis, du fait qu’il manquait de soutiens internes importants en Amérique. Plus important encore, l’Afrique du Sud ne permettait pas d’assurer un contrôle régional aussi important que celui d’Israël au Moyen-Orient. Etant donné que l’Afrique du Sud est un pays riche et largement auto-suffisant, alors qu’Israël s’écroulerait comme un château de cartes sans le soutien de son suzerain, un rôle beaucoup plus important doit être donné à l’organisation de la lutte contre le sionisme aux Etats-Unis, en comparaison avec la lutte anti-apartheid qui s’y est déroulée. Parallèlement, la profondeur des liens entre les Etats-Unis et Israël rend l’organisation de cette lutte beaucoup plus ardue, même si l’état de guerre actuel et la menace de l’expulsion du peuple palestinien (dans le cas de l’Afrique du Sud, il n’était absolument pas question d’épuration ethnique) lui confère un caractère d’extrême urgence. La prévention de la catastrophe évoquée, celle du transfert, fournit le point d’entrée dans la lutte contre le sionisme, sans en altérer l’objectif à long terme. Celui-ci est défini par les similarités profondes existant entre les deux Etats racistes.
A l’instar d’Israël, l’Etat d’apartheid était le résultat d’une aventure colonialiste de peuplement, accompagnée d’ambitions messianiques. Et comme les sionistes, les Afrikaaners se percevaient comme des vagabonds persécutés auxquels Dieu avait promis une patrie, malencontreusement habitée par des peuples « inférieurs ». Comme Israël, ils achetèrent leur autodétermination au prix de celle des populations indigènes. Poussés par un sentiment d’autorisation divine à commettre la terrible injustice qui découlait de cette contradiction inaugurale, eux aussi se mirent à édifier et à justifier le système des bantoustans, qui était leur solution « à  deux-Etats » (plus exactement : « à Etats multiples ») afin de tenter de répondre aux contradictions inhérentes à leur projet impérialiste. Et, comme Israël, ils répondirent à cette contradiction par un recours croissant à la force et à la cruauté, au fur et à mesure que le peuple opprimé affirmait avec plus de force ses droits inhérents à tous les êtres humains.
Finalement, ce régime d’apartheid fut abattu, sans bain de sang, ce qui est notable. Bien que personne ne doive se faire d’illusions quant au fait que l’Afrique du Sud en aurait terminé aujourd’hui avec ses problèmes (on en est hélas très loin), ceux-ci se rangent désormais sous le chapitre de l’exploitation « normale » d’un pays par le capital local, et non plus par un racisme meurtrier associé à une expansion impérialiste. Ecrasée par les diktats du Fonds Monétaire International, déchirée par de profondes disparités entre classes sociales, une criminalité et une violence sexuelle terrifiantes, pour ne pas parler de l’épidémie catastrophique de Sida, l’Afrique du Sud doit faire face à un avenir difficile. Mais, au moins, une démocratie stable, Blancs et Noirs vivant ensemble, est installée sur le terrain. L’Afrique du Sud (pays que j’ai visité à plusieurs reprises) est aujourd’hui pleine de luttes démocratiques et de vitalité, et seul un fou pourrait souhaiter qu’on y réinstaure le régime de l’apartheid.
Le mouvement qui a libéré l’Afrique du Sud, grâce à l’action de Nelson Mandela, continue à inspirer des espoirs de changement en Israël/Palestine. Comme le dit Lerner, nous devons adapter « l’état d’esprit qui a rendu possible la transformation de l’Afrique du Sud sous le leadership de Nelson Mandela. » Lerner a souvent recours à l’exemple de Mandela pour exhorter « les Palestiniens à rejeter toutes les formes de violence… », car ces « actes de terreur… rejettent la population israélienne dans les bras des forces les plus droitières de la société israélienne. »
Le sous-entendu très clair, dans cette exhortation, serait que Mandela et le Congrès National Sud-Africain auraient rejeté toute forme de violence et tout acte de terrorisme. Mais tel ne fut absolument pas l’ « esprit » qui permit de changer l’Afrique du Sud sous le leadership de Nelson Mandela. Très tôt, dans l’histoire de l’ANC, les principes de Gandhi ont régné (Gandhi a développé sa célèbre notion de Satyagraha durant un long séjour en Afrique du Sud), et ils n’ont jamais disparu. Mais Mandela et ses partisans, conscients de l’implacabilité du caractère meurtrier du régime d’apartheid, introduisit, en 1961, une stratégie à deux niveaux ; la résistance non-violente, dans certains cas, étant accompagnée par une lutte armée et par des actes qu’il faut bien qualifier de terroristes, dans d’autres. Il prit le commandement du Umkhonto we Sizwe, la branche armée de l’ANC, et fut condamné à la prison à vie au pénitencier de Robben Island, en grande partie sous ce chef d’inculpation. Ainsi, on le voit, la non-violence, en dépit de son importance, n’était qu’un des composantes de la lutte pour la liberté des Sud-Africains, dont la victoire fut finalement arrachée sur les champs de bataille de l’Angola, lorsque le régime raciste, ayant trouvé dans l’armée cubaine un adversaire à sa mesure, prit la décision de liquider l’apartheid et de libérer Mandela (c’est d’ailleurs la raison pour laquelle Fidel Castro est le dirigeant occidental le plus aimé en Afrique du Sud).
Le sermon que Lerner adresse aux Palestiniens est une reprise d’événements similaires survenus en 1991. Après que Mandela eut été libéré, il vint aux Etats-Unis où il rencontra, entre autres « lumières », le président Bush père, qui, de la même manière, le sermonna sur la nécessité de renoncer à la violence dans sa lutte. Homme d’une dignité sans égale, Mandela répliqua en fustigeant en public le Leader du Monde Libre qui venait d’avoir le culot cynique de dire à un peuple qui luttait pour sa liberté et pour sa propre vie ce qu’il avait à faire. Les raisons de cette rebuffade sont toujours valables actuellement.
Premièrement, personne ne devrait se sentir le droit d’intimer à un autre peuple l’ordre de changer sa manière d’agir, avant de mériter l’autorité pour ce faire. Respecter la « légitimité fondamentale » de leur oppresseur, en effet, prôner (comme Lerner l’a fait) l’intégration d’Israël dans l’Otan comme membre à part entière, en lot de consolation pour l’abandon de l’Occupation, voilà qui ne saurait conférer à quiconque le droit d’énoncer un oukaze intimant la non-violence aux Palestiniens – pas plus que la sympathie de George Bush père pour l’Etat de l’apartheid n’était de nature à le rendre sympathique à Mandela.
La rhétorique de « l’amour et pardon » ne saurait non plus occulter les choix douloureux et difficiles auxquels nous sommes confrontés dans ce monde dont il faut être conscient qu’il est extrêmement dur. Personne, certainement pas les Palestiniens, n’est au-dessus de toute critique. Mais la critique, par ailleurs, ne doit pas franchir certaines limites. Un Palestinien ou une Palestinienne est confronté(e) à la nécessité d’être fidèle tant à la complexité historique du choix qui se pose à lui (elle) qu’à la nécessité de choisir, même si ce choix signifie l’option de la lutte armée. La question posée est celle du contexte spirituel et politique dans lequel cette lutte doi têtre menée. La source de la magnificence du leadership de Mandela n’était pas la renonciation à la lutte armée. Elle résidait, plutôt, dans l’ampleur de sa vision  historique, et c’est là que réside la leçon à en tirer pour la libération d’Israël/Palestine.
Pour moi, la grandeur de Mandela découle de son rejet de la version sud-africaine de la solution à deux Etats – le système des bantoustans. Les Bantoustans représentaient un tribalisme imposé, les indigènes africans étant déplacés de force dans des réserves prises sur les terres les plus pauvres du pays. Tout le système était enveloppé d’une rhétorique raciste utopique et garanti par le développement d’institutions parallèles assurant l’éducation, la justice, etc., entre les Bantustans et l’Afrique du Sud blanche. Inutile d’ajouter que la force armée demeurait le monopole du régime d’apartheid, tandis que les territoires représentaient une source de main-d’œuvre à bon marché pour faire tourner les usines et les mines, par-delà la frontière des bantoustans, d’une manière très similaires à la situation régnant dans les territoires occupés.
Ce système, Mandela ne voulait pas en entendre parler. Il conclut, comme le rappelle son site ouèbe, que « très tôt, la politique des bantoustans s’avéra une escroquerie et une absurdité économique. » Il prédit, avec une intuition étonnante, que ce qui attendait les Sud-Africains, c’était « un programme sinistre d’éviction de masse, de persécution politique et de terreur policière », résultats familiers aux observateurs des développements de la situation en Israël/Palestine, tout comme le sont l’opportunisme et la corruption inhérents à ceux qui se contenteraient volontiers de ces objectifs misérables. En fait, c’est bien là que nous pouvons mesurer la différence de niveau entre les leaderships d’Arafat et de Mandela – le premier, cerné par une forme d’acceptation, le second grandi par son refus catégorique – d’un système du type des bantoustans. (Et il est de fait que Mandela a refusé une offre de remise en liberté du gouvernement de l’apartheid s’il acceptait de prendre la direction, à la mode Arafat, du Transkei, l’un des bantoustans).
La grandeur de Mandela a été préparée par le rejet du système des bantoustans, et confirmée par le dépassement de ce simple rejet ; on peut dire, par le « rejet du rejet ». Pour Mandela, le point essentiel était de définir une société au-delà du racisme, ce qui signifie : une société au-delà, même, de la vengeance. Il a opposé cette vision à toutes les formes de tribalisme et d’exceptionnalisme, et il y est resté fermement et fidèlement attaché. C’est cette vision qui humanise l’agression inévitable à laquelle il est nécessaire de recourir afin de se libérer de l’emprise mortelle d’un Etat raciste. Cette vision a conféré à la lutte de libération sud-africaine un esprit d’anticipation de la réconciliation à venir, qui rassembla un nombre toujours croissant de Blancs aussi bien que de Noirs, dans l’ensemble du pays. C’est ce rejet de la vengeance qui s’est avéré, par conséquent, plus important qu’une renonciation de principe à la lutte armée et qui a abouti à la création de la Commission sud-africaine pour la Vérité et la Réconciliation, et à la garantie que personne ne serait rejeté à la mer.
Michael Lerner en appelle à la création d’une commission similaire dans un Israël/Palestine pacifique d’après-occupation. Cette idée est excellente, mais elle est irréalisable dans le cadre d’une solution à deux Etats, où l’Etat sioniste restera dominant, pour la simple raison qu’une telle résolution, sous une quelconque forme humainement viable, ne pourra jamais être prise dans de telles conditions. La conséquence est d’une clarté froide. Il est futile de bâtir un mouvement pour la paix et la justice en Israël/Palestine qui ne veuille pas changer radicalement l’Etat raciste : l’ « objectif » obéré par son « ambition » au-dessous du strict niveau nécessaire ne vaudrait tout simplement pas le coup qu’on se batte pour l’atteindre. Dans la vision d’une société post-raciste, nous trouvons, néanmoins, la force morale susceptible d’inspirer et de motiver les hommes de bonne volonté, y compris au sein de toutes les parties au conflit. Si ces gens de bonne volonté ont été capables de revendiquer (et d’obtenir) la fin de l’apartheid en Afrique du Sud, pourquoi ne feraient-ils pas de même s’agissant du sionisme, et pourquoi ne pourraient-ils pas s’unir sous la banière de la lutte antisioniste ? Cette lutte sera longue et harassante, et seule la vision d’un avenir à la hauteur des sacrifices consentis sera en mesure de nous encourager à aller de l’avant.