Dernières parutions
1. Est-il permis de critiquer
Israël ? de Pascal Boniface
aux éditions Robert Laffont
[240 pages - ISBN : 2221099699 - 19
euros]
Un livre politiquement incorrect destiné à faire
polémique…
Spécialiste des questions de géopolitique, Pascal Boniface enseigne les
relations internationales. Il est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages sur les
questions internationales, dont «Les Guerres de demain», «La Terre est ronde
comme un ballon» (tous deux au Seuil) et «Les Leçons du 11 septembre»
(PUF). Pascal Boniface met au jour une réalité singulière : l’impossibilité
de critiquer le gouvernement Sharon sans encourir les accusations les plus
extravagantes et des mesures de rétorsion qui s’apparentent au terrorisme
intellectuel. Alors même que les juifs de France sont divers, que beaucoup
d’entre eux critiquent le gouvernement actuel d’Israël et se rattachent au parti
de la paix, la droite et l’extrême droite ont lancé sur la «communauté» une OPA
intolérante visant à rallier, selon une logique strictement communautariste,
tous les juifs français à un soutien inconditionnel envers la politique de la
droite israélienne.
Dès lors, toute critique de cette politique, toute
tentative de traiter du conflit du Proche-Orient selon des critères universels,
non communautaires, est assimilée à une volonté de détruire Israël et à une
position antisémite. Ce sectarisme bruyant et organisé qui prétend prendre les
juifs de France en otages pour en faire des simples courroies de transmission de
la politique Sharon a trois inconvénients: il tend à disqualifier toute
argumentation qui viserait à donner du conflit une vision plus équilibrée qui
ferait droit aux revendications des Palestiniens; il fait peser une pression
indue sur la politique étrangère de la France et sur l’évolution du débat public
relatif au Proche-Orient en France; il accentue par sa violence verbale les
tendances communautaires qui travaillent la société française.
Auteur, en
avril 2001, d’une note qui va être jugée explosive sur le conflit
israélo-palestinien à l’intention du PS, Pascal Boniface a été lui-même victime
d’une véritable campagne organisée. Il analyse ici le mécanisme dangereux, la
«fatwa», dont il a été l’objet. Mais surtout il donne, sur le conflit du
Proche-Orient, des informations et des réflexions propres à rétablir une vision
équilibrée sans laquelle aucune négociation de paix ne sera possible. Il met
également en lumière les risques d’importation en France du conflit du
Proche-Orient.
[A noter que dans ce livre, Pascal Boniface
cite à cinq reprises le Point d'information Palestine... ce qui nous
honore, compte-tenu de la qualité et de l'importance de cet
ouvrage.]
2. Le Parfum de notre terre -
Voix de Palestine et d’Israël de Kenizé Mourad
aux éditions Robert Laffont
[368 pages - ISBN : 2221098226 - 21
euros]
Kenizé Mourad donne la parole aux victimes
du conflit Israëlo-palestinien, et nous replonge au cœur de la vérité de ce
drame…
Kenizé Mourad est la fille d’une princesse de l’Empire
ottoman et d’un rajah indien. Elle a raconté l’histoire de sa famille dans son
célèbre roman «De la part de la princesse morte», publié aux éditions Robert
Laffont. Elle a travaillé pendant quinze ans comme reporter spécialisé dans
les affaires du Moyen-Orient et du sous-continent indien. C’est avec son
expérience de journaliste et sa sensibilité de romancière qu’elle aborde
aujourd’hui le drame vécu par Israéliens et Palestiniens. Évitant les analyses
politiques et les généralités dont nous sommes submergés, ce livre décrit et
laisse s’exprimer des hommes et des femmes des deux camps.
En israël, mais
aussi à Jérusalem, Jénine, Gaza, ou dans les colonies israéliennes… Kenizé
Mourad est allée à la rencontre de tous. C’est leur histoire qu’elle nous
raconte, mais aussi celle de leur famille, car il est impossible de mesurer ce
qui se passe aujourd’hui sans remonter le fil des tragédies vécues par les
générations successives. Palestiniens, Arabes israéliens, Juifs… En
retraçant leur vie, et celle de leurs parents, rescapés des camps de la mort, ou
chassés de leurs villages de Palestine et parqués dans des camps de réfugiés,
Kenizé Mourad nous fait comprendre leurs besoins, leurs angoisses, et leurs
façons d’appréhender le présent.
3. Dialogue N° 3 (Avril 2003)
[32 pages - ISSN : 1634-8826 - 3
euros]
Cette revue trimestrielle de "discussion entre militants arabes et juifs de
Palestine", publiée en français (mais qui propose des abonnements en arabe, en
hébreu et an anglais) a été crée en juin 2002.
- Extrait du sommaire :
Le mouvement "anti-mondialisation et la Palestine par Ilya Kamarinsky
Lettre de Palestine : les régimes arabes, la guerre en Irak et la Palestine
par Malika Khaled
Les élections israéliennes : conséquences d'une crise, facteur d'une crise
par Arié Ben-David
Le New England Committee to Defend Palestine (NECDP) : un développement
significatif de la lutte contre l'apartheid d'Israël aux Etats-Unis par Scott
Cooper
[Dialogue c/o Pierre Lambert - 87, rue du
Faubourg Saint-Denis - 75010 Paris - E-mail : mjo@wanadoo.fr - Abonnement annuel (4 numéros) : 15 euros (chèque à l'ordre
des "Amis de Dialogue") N'oubliez-pas de préciser la version que vous souhaitez
recevoir : française, arabe, hébraïque ou anglaise.]
4. À tombeau ouvert - La crise de la société
israélienne de Michel Warschawski
aux éditions La
Fabrique
[128 pages - ISBN :
2913372260 - 13 euros]
EXTRAIT - Vers Massada
? - « Comme le savent tous les parents, c’est au cours des premières
années de la vie que l’on apprend à connaître les limites, en général par
l’expérience. Mais il y a des enfants auxquels les parents n’ont pas donné
l’occasion de faire ces expériences, des enfants nés pour un autre destin, que
l’on regarde avec admiration quand ils grimpent sur le plus grand arbre de la
cour. « Cet enfant », dit-on avec un sourire chaleureux, « n’a peur de rien ».
Sharon est cet enfant qui n’a peur de rien, qui a été envoyé effacer la
frontière au cours d’opérations de représailles, qui a aboli les frontières de
l’Autorité palestinienne […] « Le talon d’Achille de Sharon, c’est la frontière,
qu’il n’a jamais intériorisée. C’est l’expression spatiale de son monde moral.
Sharon est la seule personne dans l’histoire de l’Etat d’Israël à qui l’on a
interdit de devenir ministre de la Défense après qu’il a élargi jusqu’à Beyrouth
les frontières de l’action de représailles qui lui avait été permise au Liban…
L’homme qui refuse de bâtir une barrière ne fixera pas de frontière à un fils
qui veut s’enrichir rapidement ni à un autre fils qui a recruté pour le Likoud
tous les bas-quartiers de Ramat Gan et les hauts quartiers de l’armée du
Sud-Liban… Une telle ambiguïté dans la frontière qui sépare le pouvoir de la
famille est inédite en Israël.
L’homme sans frontière a changé notre Etat. »
[Arie Caspi, « L’homme sans frontière », Haaretz, supplément hebdomadaire,
17.01.2003.]
Ce portrait du Premier ministre israélien est en fait une
description de la classe politique au pouvoir et, dans une large mesure, de la
société israélienne tout entière. Une société qui n’a plus de frontière, ni
géographique ni éthique, et dont les freins semblent avoir lâché et ce, au
moment où l’Etat juif s’est engagé sur une pente extrêmement raide et glissante.
Qu’y a-t-il au bout de cette pente ? Un conflit armé, voire nucléaire, avec
l’ensemble du monde arabe et musulman. Suicidaire ? Sans doute, comme la
parabole de Samson, prêt à mourir avec les Philistins, parabole qui revient
régulièrement dans les conversations chaque fois que l’on demande : « Mais à
long terme, quelle sera l’issue de ce cercle vicieux de violences – représailles
– violences ? »
Option Samson, tel est le nom que donne Seymour Hersh,
journaliste américain lauréat du prix Pulitzer, au programme nucléaire israélien
: « Depuis la création de l’Etat d’Israël, certain de ses dirigeants, y compris
David Ben Gourion et Ernst David Bergmann – scientifique peu connu qui a été le
père de la bombe israélienne [le père adoptif, seulement, puisqu’il s’agit d’un
cadeau du Général De Gaulle, ndlr] – étaient déterminés à ce qu’aucun ennemi ne
puisse réaliser un nouvel holocauste. De même que Samson a fait tomber les
colonnes du Temple et a provoqué sa propre mort en même temps que celle de ses
ennemis, de même Israël est prêt à détruire avec lui ceux qui veulent sa
destruction. La prochaine guerre au Proche-Orient risque bien d’être nucléaire.
» [Seymour M. Hersh, The Samson Option, Random House, New York,
1991.]
L’option nucléaire israélienne a un autre nom de code : le plan
Massada, qui évoque cet épisode de l’histoire juive à l’époque de la conquête
romaine, où les combattants préférèrent se suicider avec femmes et enfants
plutôt que de se rendre. Cette identification avec le symbole mortifère de
Massada remonte aux premiers jours de l’Etat d’Israël, et c’est seulement au
cours des « années de normalisation » [1982 – 1996] qu’intellectuels et
chercheurs ont dénoncé à la fois l’interprétation historique et l’usage
idéologique néfaste de cet épisode. Tout se passe comme si, dans l’inconscient
collectif israélien, la fin tragique de l’Etat juif était inscrite dans son code
génétique, comme si au fond d’elle-même la société israélienne n’avait jamais
cru à son propre projet. Pourtant il ne s’agit plus d’un projet, mais de
l’existence de cinq millions de Juifs dont la plupart sont nés dans ce pays et
dont l’écrasante majorité n’a pas d’éventuel pays de repli.
La dégénérescence
d’Israël, ce n’est pas seulement sa militarisation extrême et le messianisme
nationaliste qui dominent le discours politique actuel. C’est aussi, comme nous
l’avons vu, un pourrissement de tout ce qui distingue une société civilisée d’un
gang de voyous : des lois, des normes démocratiques, des droits universels et
des règles. Le problème d’Israël n’est pas tant la corruption de la famille
Sharon ou la mainmise de la mafia sur une partie de la classe politique, que la
légitimité qu’accorde une partie importante du public à ces phénomènes. Le
problème d’Israël n’est pas tant le poids des partis religieux et de leur
idéologie dans l’appareil d’Etat, que l’absence de mouvement véritablement laïc
et démocratique. Le problème n’est pas tant la montée dramatique de la violence
interne, que la démission de ceux qui en seront les prochaines victimes.
En
un sens, la course folle vers sa propre destruction se déroule dans le champ
domestique au moins autant que dans celui des relations entre l’Etat d’Israël et
son environnement arabe. Le pourrissement interne pourrait venir à bout d’Israël
avant même que se pose la question d’une guerre totale avec le monde
arabo-musulman. En s’inscrivant dans le projet de croisade de l’Occident contre
le monde islamique, Israël est en train de faire le choix d’un Kulturkampf
domestique qui peut, à court terme, consacrer l’hégémonie d’un intégrisme
religieux et guerrier, prêt à lancer le Jihad messianique, au nom du Dieu juif
et… de la civilisation chrétienne. Car telle est bien l’essence de l’alliance
perverse entre les courants messianico-nationalistes juifs et l’intégrisme
protestant, par ailleurs théologiquement antisémite, qui entoure George W.
Bush.
C’est autour de cette alliance que le 11 septembre 2001 prend toute sa
signification pour Israël. L’un des garde-fous les plus efficaces de la
politique extérieure israélienne a toujours été l’existence d’une certaine
tension entre les objectifs ultimes et maximalistes du sionisme et les intérêts
des puissances de ce monde. Même le plus fidèle des alliés stratégiques
d’Israël, les Etats-Unis d’Amérique, avait jusqu’à présent intérêt à modérer des
visées expansionnistes et bellicistes israéliennes. La stabilité régionale
l’exigeait. Le 11 septembre a changé la donne et Ariel Sharon a été l’un des
premiers à le comprendre.
Pour Dick Cheney, Condoleezza Rice et Donald
Rumsfeld, la stabilité n’est plus un objectif en soi, et certainement pas une
raison suffisante pour mettre un frein à leurs aventures guerrières ou à celles
de leurs alliés. On frappe sur tout ce qui bouge, après l’avoir évidemment
labellisé « terroriste ». Ariel Sharon a compris qu’il suffisait de délégitimer
Yasser Arafat pour obtenir le feu vert de Washington pour une guerre totale
contre les Palestiniens, baptisée « éradication du terrorisme ». Cette guerre
contre le peuple palestinien (et demain contre les peuples arabes ?) est perçue
à la Maison Blanche et au Pentagone comme la pointe avancée de la croisade du
bien contre le mal. Et si les Juifs s’y cassent les dents ou y laissent des
plumes, pour les intégristes protestants du parti républicain, ce ne serait
qu’un acompte sur ce qui reste à payer pour la mort du Christ. [A supposer qu’il
s’agît d’antisémites de la branche « anti-déicides », ce qui serait très
difficile à prouver. Ndlr]
La pauvreté intellectuelle d’un Benjamin
Nétanyahou, le provincialisme culturel d’un Ariel Sharon les aveuglent : croyant
utiliser les Etats-Unis dans leur projet colonial, ils ne sont en fait que
l’outil d’un projet autrement plus ambitieux qui a pour objectif, entre autres,
la perte du peuple d’Israël. [voir Gilbert Achcar, Le Choc des Barbaries,
éditions Complexes, 2002, pp. 124 – 129.] Comme à l’époque du prophète Jérémie,
les dirigeants hébreux ont choisi le mauvais camp et fait un choix
suicidaire.
Ce choix risque d’ailleurs d’emporter dans la tourmente une
partie importante des communautés juives à travers le monde. Le comportement
d’Israël sur la scène internationale rend l’Etat juif haïssable à travers le
monde entier, sans parler des prétextes fournis aux antisémites de tous poils
qui, près de soixante ans après l’écroulement du nazisme, recommencent à dire
ouvertement ce qu’ils ne pouvaient dire quand les rescapés étaient encore en
vie. L’identification inconditionnelle des dirigeants communautaires juifs avec
Israël, en Amérique du Nord et en Europe, risque d’être fatale pour les
communautés qu’ils prétendent représenter. Eux aussi feraient bien de relire le
livre d’Isaïe et de méditer sur la parabole du soutien du roseau brisé. [Isaïe,
36,6]
Il est vrai que les nouveaux dirigeants des institutions juives en
Europe ne se distinguent pas par leur connaissance des textes qui ont façonné la
culture de leurs pères. Dans la catastrophe qui s’annonce, les porte-parole
souvent autoproclamés des communautés juives à travers le monde porteront aussi
leur part de responsabilité. Au lieu d’utiliser l’expérience accumulée au cours
des siècles de vie diasporique pour mettre en garde le jeune Etat juif, ils sont
fascinés par la force, par l’image du para juif qui sait être aussi brutal que
le légionnaire français et le marine américain. Ils éprouvent de la jouissance à
voir des Juifs qui, pour une fois, ne sont pas exclus du droit mais qui ont
enfin l’occasion d’exclure le droit de leur existence.
La catastrophe
est-elle donc inévitable ? Rien ne l’est. Et c’est le pari des dissidents
israéliens, marginalisés mais plus déterminés que jamais, qui savent qu’en
défendant le droit – celui des Palestiniens d’abord, mais aussi le droit comme
fondement de la société dans laquelle ils et elles vivent – ils oeuvrent au
sauvetage de leur existence souveraine. La société israélienne est en train de
se précipiter la tête la première droit dans le mur. C’est pour empêcher ce
suicide que les Femmes en noir et les militantes de la Coalition israéliennes
des femmes pour la paix, ceux de Gush Shalom et du mouvement Taayush, les
organisations de défense des droits de l’homme et, last but not least, les
soldats et officiers réfractaires mènent leur combat. Lutter contre
l’occupation, résister contre la politique de force, faire barrage aux sinistres
perspectives d’épuration ethnique et de guerre totale contre le monde
arabo-musulman. Mais aussi combattre contre la philosophie de la séparation qui
enferme Israël dans un nouveau ghetto, puissamment armé mais de plus en plus
isolé ; maintenir ouvertes les lucarnes de coopération et de solidarité pour
éviter que de l’autre côté aussi se referment à jamais les perspectives de
coexistence. C’est un acte de responsabilité – certains diraient d’amour – que
de faire sortir des rails cette société qui se précipite vers sa propre
destruction, en refusant de collaborer quand on est israélien et en faisant
l’impossible, quand on est citoyen du monde, pour mettre fin à un statut
d’impunité qui ne peut qu’encourager Israël dans sa course folle vers Massada.
Réussiront-ils ? Réussirons-nous ? Rien n’est moins certain. Pourtant c’est la
seule voie possible, car c’est le pari de la vie.
5.
Musique - "Il y a un
pays... Palestine" (Double CD)
Première compilation
franco-palestinienne de solidarité avec le peuple palestinien et de soutien à
ses musiciens. Une co-production du Tactikollectif et de l'association
Conscience et Culture. Noir Désir, Manu Chao, Sergent Garcia, Aïcha Redouane, IV
My people, Meï Teï Sho, Zebda, Baobab... une vingtaine de groupes, chanteurs
français, d'origines diverses, aux styles hétéroclites, côtoient les artistes
palestiniens les plus en vue et à découvrir tels que Sabreen, Rim Banna, Adel
Salameh, DAM, etc... Un double CD, témoignage collectif de solidarité avec tout
un peuple, dont les bénéfices iront au soutien de projets d'échanges culturels
avec la Palestine, ses enfants, ses camps de réfugiés.
- Les
artistes de la compilation : Adel Salameh [Palestine] / Aïcha
Redouane / Alcid H [IV My People] / Baobab / Cie Montanaro [Fr.-Palestine] /
Dal'ouna [Palestine-Fr.] / DAM [Palestine] / Fermin Merguruza / Gaâda / Ganoub /
Issa Boulos [Palestine] / Kaliman / Les Hurlements D'Léo / Manu Chao / Maz'ooj
[Palestine] / Meï Teï Shô / Mohamed El Liazid / MWR [Palestine] / Noir Désir /
Rim Banna [Palestine] / Rua de Moleke / Sabreen [Palestine] / Sadaâqa
[Palestine-Fr.] / Sergent Garcia / Zebda / 100% Collègues.
[Contact : Le tactikollectif : Tél : +33 (0) 534 408 070 - E-mail
: tactikollectif@wanadoo.fr. Ce CD peut être commandé à : Conscience et Culture c/o Librairie
Envie de Lire - 16, rue Gabriel Peri - 94200 Ivry-sur-Seine - E-mail:
conscienceetculture@yahoo.fr. Chèques à l'ordre de Conscience et Culture - Étranger : 18 euros
- France : 17 euros.]
Rendez-vous
1. Soirée d'information sur les réfugiés
palestiniens du Liban
le mercredi 14 mai 2003 à 19
heures à la Faculté Saint-Charles de Marseille
[Faculté Saint-Charles - Amphithéâtre de chimie -
3, Place Victor Hugo (M° Gare St-Charles) Marseille
3ème]
Documentaire - Rêves
d’exil de Maï Masri
[Film documentaire - Palestine/Liban/ Etats-Unis - 2001 - 56
minutes]
(Maï Masri est née en 1959. Elle suit des études de cinéma à l’Université
de San Francisco aux Etats-Unis.
Documentariste et productrice, elle a
réalisé ou co-réalisé avec son mari, le cinéaste libanais Jean-Khalil Chamoun,
plusieurs films sur les effets de la guerre au Liban, ainsi que sur la
résistance palestinienne, notamment du point de vue des femmes et des enfants,
parmi lesquels Sous les décombres en 1983, Fleur d’Ajonc et Femmes du Sud Liban
en 1986, Beyrouth, Génération de la Guerre en 1988. Les Enfants du feu, un film
sur l’Intifada, en 1990. Rêves suspendus en 1992. En 1995, elle réalise le
portrait d’une femme palestinienne, leader politique : Hanan Ashrawi, une femme
de son temps, et en 1998, elle filme Les Enfants de Chatila.
En 1994, Maï
Masri et Jean-Khalil Chamoun fondent " Nour Productions ".)
Du camp de
Shatila à Beyrouth à celui de Dheisheh à Bethléem, un gros plan sur deux
adolescentes, Mona 13 ans et Manar, 14 ans, qui, séparées par l’exil, vont faire
connaissance et se lier d’amitié via l’Internet jusqu’à ce qu’une rencontre soit
possible à la faveur des évènements politiques. Tourné après la libération du
Sud-Liban de l’occupant israélien et le début de la deuxième Intifada, le film,
en témoignant du processus de cette rencontre, questionne les relations entre
mémoire, rêve et identité palestinienne. (2001)
suivi d'une Conférence-débat
- Situation des réfugiés palestiniens au Liban et droit au
retour par Salah Salah
Salah Salah
est né en Palestine, en 1936. Expulsé en 1948 avec toute sa famille, il vit
depuis au Liban. Ancien responsable du Front Populaire de Libération de la
Palestine au Liban, qu'il quittera en 1991, au moment des négociations d'Oslo,
il est aujourd'hui membre du Conseil National Palestinien (OLP) et membre de la
Direction des affaires des réfugiés palestiniens au Liban. En 1998, il fonde
l'association Ajial au Liban avec des jeunes palestiniens, issus de différents
camps de réfugiés. Son objectif est de donner aux jeunes les moyens de devenir
acteurs de leur Vie, autour de l'identité palestinienne et d'élaborer
ensemble des projets culturels, sociaux et sportifs. Au Liban, la
situation des réfugiés palestiniens est très alarmante et souvent
méconnue. 370 000 réfugiés n'ont pas la possibilité de se faire
naturaliser et n'ont pas accès au réseau de santé publique, ni au système public
d'éducation. Ils ne bénéficient d'aucun droit civique et un grand nombre
d'emplois leur est interdit. Plus de 60 % de la population vit en dessous du
seuil de pauvreté. L’UNRWA, office des Nations Unies pour les réfugiés, qui
jusqu‘à présent était la seule possibilité d‘aide et de soutien, dans les
domaines de la santé, de l’éducation et du logement a réduit
considérablement son budget, depuis la signature des accords d’Oslo.
Les
réfugiés du Liban sont exclus du droit au retour et exclus du droit de vivre
dignement.
[Soirée organisée par Ajial France - 10 rue
Briffaut - 13005 Marseille - Tél : +33 (0) 491 485 394 - E-mail
: jodon.ajial@wanadoo.fr]
2. Conférence-débat -
Judaïsme, retour à quelle identité ? par Pierre Stambul
le vendredi
16 mai 2003 à 19h00 à l'IUFM de Marseille- IUFM - 63, La
Canebière - Marseille 1er (M° Noaille) - Professeur de mathématiques à
Marseille. Militant de l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix) et de l’Ecole
Emancipée, il a présenté le 17 avril 2002 à Mille Bâbords un exposé sur « les
Juifs, le Sionisme et Israël ».
Il n’y a pas d’issue militaire à la guerre
entre Israël et la Palestine. Si la guerre continue, c’est en grande partie à
cause du soutien absolu et irrationnel apporté par la majorité des Israéliens et
des Juifs de la diaspora à une politique de conquête, de colonisation et de
négation des droits du peuple palestinien. Soutien qui va jusqu’à accuser
d’antisémitisme toute personne critique vis-à vis d’Israël ou du sionisme. C’est
le « complexe de Massada » qui est à l’œuvre. Le sentiment fou et faux que
l’alternative à cette politique, c’est l’anéantissement des Juifs. Un sentiment
né d’une vision tragique de l’Histoire des Juifs. L’Histoire et l’identité juive
sont beaucoup plus complexes. C’est en faisant un retour sur la diversité de
cette identité qu’on sortira des simplifications meurtrières. Et qu’on réalisera
qu’à tous les moments de l’Histoire, il y a eu chez les Juifs une confrontation
entre ceux qui s’ouvraient au monde et ceux qui prônent le repli communautaire.
Cet exposé s’adresse aux Juifs et aux non-Juifs. Aux premiers pour qu’au-delà de
discours irrationnels, ils retrouvent les valeurs universelles du judaïsme. Aux
seconds pour qu’ils évitent le piège des confusions entre Juifs et sionistes.
[Rencontre organisée par Mille Bâbords - 61, rue
Consolat - 13001 Marseille - E-mail : Mille-
Babords@wanadoo.fr]
Réseau
1. Palestine :
désinformations d'agences de presse par Yves Rebours
sur Acrimed
(action critique médias) http://acrimed.samizdat.net mise en ligne le 23
avril 2003 Informations faussées, informations biaisées :
des agences de presse au travail. Deux
exemples.
Ariel Sharon revu et
corrigéUn entretien publié dimanche 13 avril par le quotidien
israélien Haaretz, Sharon a fait l'objet de plusieurs dépêches d'agences.
Dimanche 13 avril 2003, 13h06 : une dépêche de
l'AFP est titrée : « Après-Irak : un accord rapide possible avec les
Palestiniens, selon Sharon ». On peut y lire notamment ceci : « Il a
également souligné qu'il "y avait un problème" à propos du "droit au retour" des
réfugiés palestiniens. Pour parvenir à la paix, M. Sharon a toutefois réaffirmé
qu'il était prêt à prendre "des mesures douloureuses pour tout juif et pour moi
en particulier (...) Toute notre histoire est liée à des lieux saints tels que
Bethléem, Shilo et Beit El (une ville autonome palestinienne et deux colonies de
Cisjordanie). Je sais que nous devrons nous séparer d'une partie de ces lieux".
Mais, interrogé sur un éventuel gel de la colonisation israélienne dans les
territoires palestiniens, M. Sharon a esquivé en qualifiant le sujet de
"sensible" et en affirmant qu'il serait "évoqué dans la phase finale des
négociations". »
Dimanche 13 avril 2003, 11h01, la dépêche d'Associated
Press (AP) annonce : « Israël cédera des colonies juives de Cisjordanie si les
Palestiniens renoncent au retour des réfugiés, affirme Ariel Sharon ». Cela
commence ainsi : « L'Etat hébreu cédera des colonies juives de Cisjordanie pour
la paix, mais les Palestiniens doivent abandonner leur demande visant à
autoriser le retour des réfugiés dans leurs anciennes résidences en Israël,
affirme le Premier ministre israélien Ariel Sharon dans un entretien publié
dimanche (…) ». Ainsi, Ariel Sharon aurait mis pour condition à la «
cession » de quelques colonies l'abandon des demandes de retour des
Palestiniens. Ce n'est pas exactement ce qu'a lu l'Agence France Presse. Mais
l'agence Reuters a fait beaucoup mieux
Dimanche 13 avril 2003, 10h41 -
Une dépêche de l'agence Reuters livre en titre cette information étonnante : «
Sharon prêt à renoncer aux colonies juives pour la paix ». On peut lire ceci, en
guise de première phrase : « Le Premier ministre israélien Ariel Sharon se dit
prêt à renoncer aux colonies juives pour parvenir à la paix avec les
Palestiniens. » A lire cette dépêche, Sharon se serait engagé à « renoncer
aux colonies », et non à quelques unes, alors que la suite de la dépêche indique
qu'il s'est montré, pour le moins, sélectif. On lit en effet : « Dans un
entretien publié dimanche par le quotidien israélien Haaretz, Sharon, grand
partisan des colonies juives dans les territoires occupés, affirme être prêt à
prendre des mesures "douloureuses pour chaque juif et pour moi personnellement".
"Toute notre histoire est attachée à ces lieux : Bethléem, Shiloh, Beit El. Je
sais que nous aurons à nous séparer de certains de ces lieux", déclare le chef
du gouvernement israélien. "J'ai décidé de faire tous les efforts pour parvenir
à un règlement (de paix). Je sens que la nécessité rationnelle de parvenir à un
règlement prend le dessus sur mes sentiments" (…) »
Reuters n'a rien lu sur
le retour des réfugiés. Et ni Associated Presse, ni Reuters n'ont lu ce que
rapporte l'AFP et qu'il faut répéter : « Mais, interrogé sur un éventuel gel de
la colonisation israélienne dans les territoires palestiniens, M. Sharon a
esquivé en qualifiant le sujet de "sensible" et en affirmant qu'il serait
"évoqué dans la phase finale des négociations". »
La guerre revue et
corrigée
L'Etat d' Israël mène une guerre non déclarée contre les
Palestiniens. Cette fois, c'est à l'agence Reuters, que l'on peut emprunter
le compte-rendu de l'un des épisodes sanglant de cette guerre.
Dimanche 20
avril 2003, 9h33. Titre de la dépêche signée par Atef Sa'ad et Nidal
al-Moughrabi « L'armée israélienne tue 6 Palestiniens à Gaza et en Cisjordanie »
Voici les premières lignes : « Des soldats israéliens ont tué six
Palestiniens, dont un cameraman de télévision, au cours de violents accrochages
samedi en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, ont rapporté témoins et
médecins. Plusieurs dizaines de soldats israéliens ont effectué un raid dans la
vieille ville ("casbah") de Naplouse (Cisjordanie), où ils se sont heurtés à des
groupes de jeunes Palestiniens qui leur ont lancé des pierres, selon des témoins
palestiniens. Le cameraman Nazih Darouazeh, 45 ans, qui travaillait pour la
télévision publique palestinienne ainsi que pour l'agence américaine AP, a été
atteint au visage durant la fusillade. Il est décédé lors de son transfert à
l'hôpital, ont rapporté les journalistes de Reuters et des médecins
palestiniens. »
Le même jour, mais quelques heures plus tôt,
Associated Press diffusait une dépêche sur un autre sujet.
Dimanche 20 avril
2003, 2h22. Titre de la dépeche d'AP : « Le Premier ministre palestinien menace
de démissionner » - Extraits : « Le Premier ministre palestinien Mahmoud
Abbas a claqué samedi la porte d'une réunion avec Yasser Arafat et ses
conseillers, dont l'objectif était de déterminer la composition du futur
gouvernement palestinien. (…) Après une heure de discussion, M. Abbas a quitté
la réunion et menacé de démissionner. » Et ceci pour conclure : « La
démission de M. Abbas mettrait un coup d'arrêt aux progrès du processus de paix
israélo-palestinien. Les Etats-Unis ont affirmé qu'ils dévoileraient la "feuille
de route" visant au retrait progressif des troupes israéliennes des territoires
occupés, à la cessation de la violence et à la création d'un Etat palestinien
une fois le gouvernement palestinien formé. »
A relire : « La démission de
M. Abbas mettrait un coup d'arrêt aux progrès du processus de paix
israélo-palestinien. ». Vous avez bien lu : en dépit des opérations
militaires israéliennes, il existe un « processus de paix
israélo-palestinien », qui accomplit des « progrès ». Qui parle, dans la
phrase citée ? Les Etats-Unis ou, plus exactement le gouvernement américain. Qui
tient la plume ? Associated
Press.
2. L’Union européenne en
Palestine : si loin, si proche par Philippe Jacqué
sur le site Café
Babael http://www.cafebabel.com
(Philippe Jacqué est journaliste. Il a passé un an à
l'Université de Birzeit à Ramallah en 1999-2000, avant la deuxième intifada. Il
y est retourné la semaine du 21 avril 2003 pour réaliser ce
reportage.)Après les accords d’Oslo, l’UE s’empressait d’accorder
son soutien à l’Autorité palestinienne… Dix ans, une Intifada et des milliers de
morts plus tard, comment est perçue l’Union européenne ? Reportage dans une
Palestine exsangue et réoccupée.
« On ne pense qu’a cela, on ne discute plus
que de cela, notre vie ne tourne qu’autour de cela ! » s’exaspère Fella, une des
5 000 étudiantes que compte aujourd’hui Birzeit University. « Cela », c’est «
Surda », le check -point mis en place près du village de Surda qui bloque depuis
mars 2001 la route qui mène au campus de Birzeit quelques 20 kilomètres au nord
de Ramallah. Au croisement de cette route et d’une route de contournement
israélienne qui rejoint la colonie de Beit El, l’armée israélienne a labouré le
bitume et érigé talus et blocs de béton pour empêcher tout passage. Toute
personne désirant passer doit parcourir près d’un kilomètre à pied …A chaque
extrémité, des dizaines de taxis jaunes attendent leurs clients… Avant 2001, il
fallait un petit quart d’heure pour se rendre à Birzeit, aujourd’hui, il faut
environ une demi-heure à trois-quarts d’heure de trajet. Voire plus d’une heure
quand les soldats israéliens se sont mis en tête de vérifier les papiers
d’identité des milliers de personnes qui passent tous les jours par Surda.
Quelque fois cela dérape, des étudiants, voire des professeurs, sont arrêtés et
les manifestations reprennent, les pierres se remettent à voler...
« Dans
ces conditions, reprend Fella, on n’a pas vraiment le temps de penser à l’Union
européenne… » Pourtant, l’UE est bien présente à Surda. Un prêt de la Banque
européenne d’investissement a financé la rénovation et l’élargissement de cette
route en 2000. « Vous savez, poursuit l’étudiante en traduction, matériellement,
c’est une bonne chose que les Européens nous aident, mais ce que nous voulons
aujourd’hui, c’est notre liberté. Le peuple palestinien est content d’avoir des
routes, mais s’il ne peut les utiliser, cela ne sert à rien ! » Simple bon sens.
Plus acerbe, Imad Ghayathah, un jeune professeur assistant au département
d’histoire de Birzeit : « l’Union européenne ne fait rien en Palestine, elle se
contente de faire le sale boulot, elle est faible… L’UE donne de l’argent pour
stabiliser la situation au profit des Etats-Unis et d’Israël. » Et l’UE donne
beaucoup : près de 4 milliards d’euros entre 1993 et 1999. Et quand l’Intifada
battait son plein en 2001 et 2002, elle a débloqué en urgence des fonds,
histoire de soutenir le peuple palestinien et les finances de l’Autorité
palestinienne. A côté de cela, reprend Imad, « quand les Etats-Unis demande à
l’UE de faire pression sur Yasser Arafat pour faire cesser les violences, elle
s’exécute… Jamais, l’UE ne demande aux Etats-Unis de faire pression sur le
Premier ministre israélien Ariel Sharon pour faire cesser l’occupation. Dans la
situation actuelle, cette dernière remarque est désespérante de justesse. Alors
que le calme est revenu dans les territoires palestiniens sous les coups de
boutoir de l’armée israélienne, qu’un gouvernement sous l’égide d’Abou Mazen,
l’éternel second d’Arafat, entre en fonction et que les Etats-Unis présente leur
« feuille de route » pour retrouver la paix dans la région, l’Union européenne
est destinée à jouer les seconds rôles. Israël a explicitement déclaré qu’il ne
souhaitait pas la médiation des Européens, même si ceux-ci sont membres du «
quartet » qui a proposé cette nouvelle initiative de paix.
Pas de
respect pour les « nains »Roger Heacock est professeur d’histoire à
Birzeit et multilatéraliste convaincu. Pour ce franco-britannique, l’Union
européenne est une très belle institution, mais si « les Palestiniens, et Yasser
Arafat le premier, adorent l’Europe, ils ne la respectent pas : c’est un nain
diplomatique ! ». « C’est exact, renchérit Yoke van der Meulen, la responsable
du programme ‘Palestine Arabic Studies’ créé pour sensibiliser les étudiants
étrangers à la question palestinienne, l’Europe est pleine de bonnes intentions
vis-à-vis de la Palestine, elle est mieux perçue par les Palestiniens que les
Etats-Unis, mais, jusqu'à preuve du contraire, elle n’a pas de réel poids
diplomatique ». Si Israël est clairement soutenu par les Etats-Unis, ajoute
Roger Heacock, « les Européens sont beaucoup trop timorés en Palestine,
tiraillés qu’ils sont entre différentes tendances, différentes alliances en son
sein… Les Palestiniens ne se rendent pas compte de ces divergences ». Du coup,
reprend le professeur d’histoire, vu de Ramallah ou Gaza, « l’Europe est
velléitaire et floue, sa politique n’est pas comprise, sa voix n’est pas écoutée
» et son envoyé spécial est refoulé de Ramallah par Ariel Sharon sans un
mot.
L’UE fait tout de même espérer beaucoup. Selon Abir, une chargée de
cours d’histoire à l’université d’Al Quds, l’université de la partie arabe de
Jérusalem : « Les Européens ont besoin de vite construire leur armée, pour
s’imposer sur la scène internationale, mais je crois qu’il y a encore quelques
problèmes de leadership… » Cette ingénuité est d’autant plus touchante que cette
jeune diplômée avoue son intérêt et son admiration pour une Union européenne qui
a su s’entendre pour se développer ensemble… « Pour les Arabes, c’est un exemple
à étudier, les Européens ont réussi à concilier différentes cultures,
différentes langues, tandis que nous, dans la Ligue arabe, l’entente paraît
impossible, malgré une langue et une histoire commune… » Pour Imad Ghayathah, «
c’est clairement dans notre intérêt que l’Europe devienne la seconde puissance
mondiale. » Cependant, prévient l’assistant professeur « avant toute chose,
avant que la Palestine puisse accepter pleinement l’Europe, je veux qu’elle
reconnaisse mes droits historiques, le droit de vivre sur ma terre et qu’elle
reconnaisse sa culpabilité. C’est la faute de la Grande Bretagne si je suis
aujourd’hui prisonnier dans mon propre pays, c’est la faute de l’Europe si
Israël est né… »
« Prodi, c’est qui celui-la ? »Mal
perçue, ignorée, et responsable du lourd passé colonial de ses pays membres,
l’Union européenne essaie de faire face en Palestine… La délégation de la
Commission européenne à Jérusalem-Est tente de coordonner les initiatives
diplomatiques de ses quinze membres. Elle tente aussi de peser dans le débat et
de faire entendre une voix européenne, mais cela semble peine perdue. En effet,
cette UE manque d’une figure reconnaissable… Un simple sondage parmi les
Palestiniens sur les différents dirigeants européens suffit à cerner l’étendue
de l’anonymat de nos commissaires européens. Pas une personne ne semble avoir
entendu parler de leur président Romano Prodi… « C’est qui celui-la ? » est la
réponse la plus fréquente.
Seul l’ambassadeur européen au Proche Orient,
Miguel Angel Moratinos rappelle un vague souvenir aux Palestiniens. Pour
beaucoup l’UE, c’est avant tout Blair et Chirac, plus précisément Blair contre
Chirac. Le premier est cordialement détesté pour sa position sur l’Irak tandis
que le second est adoré de Jérusalem, où sa prise a partie de soldats israéliens
lors de sa visite de la vieille ville en 1996 est restée dans toutes les
mémoires, à Ramallah où son discours contre la corruption de l’Autorité
palestinienne avait suscité des hourras devant un Yasser Arafat, paradoxalement
aux anges… Mais la méconnaissance de l’UE est plus profonde. A Birzeit, rares
sont les cours où l’on entend parler de cet objet institutionnel non identifié.
La complexité de l’architecture institutionnelle, l’absence de politique
étrangère claire et identifiable est criante dans les territoires palestiniens…
Mais pendant ce temps-la, à Surda, les Palestiniens marchent, et comme dit
Fella, « Grâce aux Israéliens, on a plus besoin de s’abonner à un club de gym,
tous les jours on peut marcher au moins deux kilomètres ! »
3. La chaîne de télévision
américaine MSNBC révèle les sites israéliens de production et de stockage
d’armes de destruction massive par Ira Chernus (22 avril
2003)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Ira
Chernus est professeur de théologie à l’Université Boulder du Colorado aux
Etats-Unis d'Amérique.)
Voilà que MSNBC nous donne aujourd’hui plus
d’information sur les armes israéliennes de destruction massive (ADM) que je
n’en n’ai jamais obtenu jusqu’ici d’aucune autre source ‘de gauche’ ou
pacifiste. Voilà que ce média consensuel américain parmi les médias consensuels
américains, voilà que cette bête que nous avons appris à détester, nous livre
une information qui vend totalement la mèche…
Consulter le site, en anglais, à l’adresse
ci-après :
http://www.msnbc.com/news/wld/graphics/strategic_israel_dw.htmIl
s’agit en l’occurrence du genre d’information dont on s’attendrait de la part de
ce média des élites à ce qu’il s’ingénie à la cacher, tant elle est
embarrassante pour les décideurs politiques américains. Comment quelqu’un
pourrait-il se réjouir du carnage en Irak, où aucune arme de destruction massive
n’a été trouvée à ce jour, dès lors que ce quelqu’un saurait qu’Israël est le
seul pays du Moyen-Orient à disposer d’un arsenal prouvé d’ADM ? Y a-t-il
quelqu’un qui pourrait approuver une politique américaine qui tue des innocents
là où tout semble indiquer qu’il n’y a pas d’armes de destruction massive, tout
en détournant pudiquement les yeux de là où elles existent, sous toutes les
formes, et de manière évidente ?
Loin de dissimuler la réalité, MSNBC va
jusqu’à déployer ses compétences en arts graphiques interactifs afin de mettre
tous les détails à la disposition d’un clic de notre souris : c’est dingue ! Que
se passe-t-il donc ?
Les partisans d’Israël vous donneront la réponse,
lapidaire : c’est l’antisémitisme ! Ces gens nous surprendront toujours avec
leur dénonciation de je ne sais quel parti pris anti-israélien dans les médias
américains, qui serait, à leurs dires, une preuve d’un antisémitisme latent,
chez eux. C’est idiot, bien sûr. Si les médias avaient une quelconque prévention
à l’égard d’Israël, les informations concernant les ADM israéliennes auraient
fait les gros titres quotidiennement depuis que le débat s’est engagé autour de
la guerre en Irak. Ces faits faisaient les unes des journaux, il est vrai… Mais
pas chez nous : dans le monde arabe… Or c’était là une information cruciale, car
elles était de nature à mettre à bas la principale justification invoquée par
l’administration Bush pour lancer cette expédition guerrière. Mais les médias
consensuels, ici, aux Etats-Unis, n’y ont apporté, c’est le moins qu’on puisse
en dire, qu’une attention minime.
Aujourd’hui encore, MSNBC ne met pas cette
information à la disposition du grand public. Elle est reléguée dans un recoin
obscur de son site ouèbe. Essayez de la retrouver à partir de la page d’accueil
(‘home page’), et si vous y arrivez, ne manquez pas de me le faire savoir ! (Je
n’y ai eu personnellement accès que grâce à un lien direct reçu dans un message
e-mail). Lorsque j’ai tenté de faire une recherche avec le mot clé ‘Dimona’
(l’un des centres de production d’armes nucléaires les plus connus d’Israël), je
n’ai obtenu aucune réponse. Lorsque j’ai essayé de retrouver ce document, avec
sa carte interactive, à partir du sommaire principal du site (‘root directory’),
je me suis heurtée à la réponse : « vous n’êtes pas autorisée à accéder à cette
page »…
Néanmoins, l’information est bien là, sur le site, dès lors que vous
savez comment y accéder (et maintenant, vous le savez !). Il faut se demander :
pourquoi ? Peut-être certains employés de la chaîne MSNBC étaient réellement
motivés à exhumer les faits, comme tout vrai journaliste. Peut-être ne leur
a-t-il jamais traversé l’esprit qu’étaler ces données confidentielles pouvait
être gênant pour pas mal de monde…
Après tout, les journalistes américains
consensuels ne sont nullement embarrassés lorsqu’il s’agit de se vanter de
l’arsenal d’armes de destruction massive des Etats-Unis, le plus important et le
plus sophistiqué au monde ? Pourquoi le cacher, présument-ils, puisque nos ADM à
nous sont de gentilles ADM ? Nous sommes une démocratie. Nous ne saurions
utiliser nos ADM à des fins agressives ou immorales. Nous ne les utiliserions,
le cas échéant, que lorsque cela serait absolument nécessaire à notre
autodéfense. La plupart des Américains sont persuadés que nos ADM sont
moralement pures, puisque les journalistes qui leur donnent aujourd’hui leur
vérité de chaque jour (Amen !) en sont eux-mêmes persuadés.
La plupart de ces
journalistes bien comme il faut ont la même conviction en ce qui concerne les
ADM d’Israël. Nos médias bien pensants dépeignent Israël sous les traits d’un
bastion de démocratie cerné par des ennemis totalitaires. Il en découle que les
ADM de ce pauvre petit pays menacé doivent être au moins aussi belles et bonnes
que les nôtres. S’il y a un parti pris, en l’occurrence, il s’agit bien d’un
parti pris en faveur – et non pas à l’encontre – d’Israël et de sa
politique.
Mais cela ne m’empêche nullement de me poser encore des questions.
Durant des décennies, Israël s’est ingénié à dissimuler ses programmes de
développement d’armes de destruction massive. Ces programmes ont été entourés du
secret le plus absolu. Les journalistes qui s’aventuraient à écrire un papier à
leur sujet encouraient les foudres des partisans d’Israël. Certes, ils étaient
portés en triomphe par les anti-israéliens… Piètre consolation.
Les chiens de
garde d’Israël aux Etats-Unis sont infatigables et très bien renseignés. S’ils
pensaient que cette information sur le site de MSNBC présentait un quelconque
inconvénient pour Israël, je subodore que cette information serait retirée vite
fait de son site ouèbe. En fait, le petit diable cynique à l’intérieur de
moi-même me souffle à l’oreille que cette information se trouve peut-être bien,
précisément, sur ce site, parce que le gouvernement israélien lui-même tient à
ce qu’elle y figure…
Regardez la carte interactive en vous mettant dans la
peau d’un stratège militaire à Damas, ou au QG du Hamas à Gaza. Vous y verrez
une force tellement écrasante qu’il serait stupide de simplement rêver de lutter
contre Israël, et encore plus d’envisager de le faire en réalité. Regardez le
document, cette fois, du point de vue d’un stratège militaire à Istanbul ou à
New Delhi. Vous y verrez un allié potentiel particulièrement attrayant,
disposant d’une puissance de feu bien supérieure à ce que vous pouvez seulement
rêver d’acquérir dans un futur pas trop éloigné. Regardez-le avec les yeux d’un
stratège de Téhéran ou d’Islamabad. Dites-moi : vous voudriez qu’Israël soit
votre ennemi, ou votre ami ? Ah bon : vous me rassurez, je croyais que vous
étiez suicidaire.
Mais dévoiler les faits sur les ADM israéliennes peut bien
ne pas être du tout l’idée d’Israël. L’initiative peut venir du nid de faucons
néoconservateurs des hautes sphères du Pentagone. Ce qu’ils veulent peut-être,
c’est que toutes ces capitales, au Moyen-Orient et en Asie du Sud, prennent bien
conscience des réalités. Les néocons sont en train de planifier un nouvel ordre
international dans cette partie du monde. Ils ont annoncé très clairement que
leur conquête de l’Irak n’était qu’une première étape dans ce remodelage. Ils
projettent de faire d’Israël la pierre angulaire militaire de leur ordre
nouveau.
Pourquoi les dirigeants du Moyen-Orient et d’Asie du Sud
devraient-ils obtempérer et accepter le nouvel ordre néoconservateur ? Jetez un
coup d’œil au graphique de MSNBC. Des réalités militaires incontestables, sur le
terrain, en disent bien plus que des mots : ai-je besoin d’insister
?
Peut-être l’information est-elle reléguée dans un coin du cyberespace
tellement difficile à dénicher pour la simple raison que le grand public n’est
pas « autorisé à accéder à cette page » ? Peut-être s’agit-il d’envoyer un
message spécifique à un public ciblé. Ou bien, alors, autre possibilité :
peut-être suis-je par trop cynique ?
Quoi qu’il en soit, vous aussi savez,
maintenant, à quel point le programme israélien de développement d’armes de
destruction massives est gigantesque. Alors : y a t’il des volontaires pour
devenir inspecteurs internationaux en désarmement ? Ou bien alors, faites-vous
confiance aux Etats-Unis et à leur « coalition des bonnes volontés » pour faire
le boulot ?
4. Divine tempête -
Hommage à Simone Weil par Israël Shamir (30 mars 2003)
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]De véritables murailles de pluie glaciale
et de grêle ont entouré ma chère Jaffa. Les rues se sont transformées en
torrents impétueux tandis que la neige saupoudrait les palmiers et blanchissait
les trottoirs de Tel-Aviv la subtropicale, en un contraste violent avec des
cieux violacés et très bas, juste une paume de main au-dessus des beffrois et
des minarets, et que l’ouragan balayait des masses de sable et des nuages
menaçants vers l’intérieur de la Palestine, en franchissant la Mer Morte. Une
tempête de sable d’une force inouïe a éclaté d’un bout à l’autre du
Moyen-Orient, arrêtant les tanks américains dans le désert, aveuglant les
pilotes des avions, recouvrant les viseurs de leurs armes, menaçant de renverser
les monstrueux vaisseaux de guerre dans le Golfe. Une centaine de transports de
troupes blindés ont été bousillés par le sable s’infiltrant partout. Une Tempête
Divine avait semblablement sauvé le Japon du débarquement des hordes mongoles de
Kubilaï Khan ; et c’est un ouragan semblable qui avait protégé l’Angleterre
élisabéthaine de l’occupation espagnole.
Comme les Espagnols de l’Armada
cinglant vers les côtes d’Albion, l’armada Mammonite n’était pas prête à une
rencontre impromptue avec l’intervention divine. Les envahisseurs avaient prévu
de pénétrer dans le ventre mou de l’Asie aussi facilement et onctueusement que
la dague de Jack l’Eventreur avait lardé celui de pauvres femmes sans défense.
Aucune opposition, quelle qu’elle soit, n’avait seulement été envisagée.
John
Wayne ou Burt Lancaster auraient balancé leur flingot de secours à leur ennemi
désarmé avant que ne commencent les échanges de tirs fatals. Mais les Mammonites
n’ont rien avoir avec les nobles héros américains des vieux westerns. Non
contents de leur écrasante supériorité technologique et de l’avantage numérique
(dix contre un) de la population américaine sur celle de l’Irak, ils exigeaient
que l’on désarmât leur ennemi. Les couards ne débarquèrent qu’après que la
servile Onu eût dûment désarmé les Irakiens et pilonné les derniers vieux
missiles tout rouillés qui leur restaient.
Ils ne s’attendaient nullement à
cette intervention surnaturelle des éléments, car le pouvoir des Mammonites et
basé, pour reprendre l’expression de Dostoïevski, sur l’intime conviction que
Dieu n’existe pas. Mais le monde matériel n’est pas pour autant fait de matière
inerte. Tout, dans ce monde, est vivant et corrélé : notre histoire, notre
présent et notre futur, nos conceptions et nos structures sociales, les tempêtes
de sable et les ouragans, les tremblements de terre et les révolutions : tout
cela fait partie intrinsèque de la trinité étroitement soudée constituée de la
Terre, de l’Homme et de Dieu. La volonté des humains, de milliards d’hommes et
de femmes opposés à l’agression anglo-américaine, a trouvé son expression dans
des manifs monstres tout autour de la Planète, ainsi que sous les voûtes
solennelles des Nations unies, mais cette volonté a été méprisée par les
Mammonites. Alors, la volonté du peuple s’est transmuée en tempête de sable,
comme pour nous rappeler que nos désirs sont aussi puissants que ceux des
dieux de l’Olympe, et que la volonté commune du peuple est en vérité la Vox Dei.
En ignorant la Volonté de Dieu et des Hommes, le Parti de la Guerre a semé les
germes de sa destruction, car il est totalement intoxiqué par son ubris de
Puissance.
II« Le fort n’est jamais absolument fort, ni
le faible absolument faible. Ceux qui ont reçu la Puissance en dépôt de la part
du destin comptent exagérément sur elle et finissent par être détruits. La
Puissance est aussi impitoyable pour l’homme qui la possède (ou pense la
posséder) qu’avec ses victimes. Si elle écrase celles-ci, elle intoxique
celui-là », écrit Simone Weil, la philosophe française visionnaire qui a été
témoin de cette grande intoxication de Puissance appelée Seconde guerre
mondiale. Elle fait allusion à la guerre de Troie, tirant de l’Iliade cette
leçon sublime : « L’espèce humaine ne se divise pas, dans l’Iliade, entre
conquis et conquérants. Il n’y a aucune échappatoire au destin ; apprenez à ne
pas admirer la Puissance, à ne pas haïr l’ennemi, à ne pas mépriser le vaincu.
»
Cette sainte contemporaine, qui, née dans une famille juive, avait rejoint
les Communistes, combattu en Espagne, travaillé avec les ouvriers de Renault et
suivi Sainte Thérèse en entrant dans les ordres – Simone Weil, donc – a fait de
la guerre de Troie une tragédie tant pour les Grecs que pour les Troyens, car ni
les uns ni les autres n’ont su arrêter la guerre quand ils auraient pu le faire.
A un certain moment du combat, les Grecs auraient pu obtenir quatre vingt dix
pour cent de leurs exigences, mais ils préférèrent jouer leur va-tout. A un
autre moment, les Troyens auraient pu voir quatre vingt dix pour cent de leurs
buts de guerre satisfaits, mais eux aussi préfèrent tout risquer. Les deux camps
souffrirent, perdirent leurs meilleurs hommes, et les Achéens victorieux furent
défaits, cinquante ans plus tard, par le déferlement des envahisseurs
Doriens.
De la même manière, en 1939, les nazis allèrent trop loin. Le monde
avait satisfait à certaines de leurs exigences, car Prague avait été soumise au
gouvernement germanique durant des siècles, et le contrôle de la vallée de la
Ruhr par la France n’avait aucun fondement juridique ni traditionnel. L’exigence
allemande d’un accès totalement libre à Dantzig et à Königsberg n’avait rien
d’exorbitant. Hitler aurait pu s’en tenir là et obtenir ce qu’il demandait. L’ «
apaisement » était une politique sensée et il allait de soi, en 1938. Mais, en
1939-1940, le Reich fit la démonstration de sa boulimie. La Tchécoslovaquie, la
Pologne, la Yougoslavie, la Grèce, le Danemark – bref, de très nombreux Etats
furent enfoncés, si bien que le monde décida de mettre un terme à l’expansion
nazie. La guerre, épouvantable, ruina l’Europe et la Russie, préparant le
terrain à l’accession au pouvoir des Mammonites.
Les sionistes, eux aussi,
sont allés trop loin. Ils auraient pu se contenter d’une part décente de la
douce terre de Palestine, des ouvriers palestiniens pleins d’entrain et amicaux,
des fournitures infinies de pétrole à bon marché, provenant des puits de
l’intérieur du continent asiatique et s’écoulant par pipe-line vers les
raffineries de Haïfa – en résumé : de très bonnes conditions d’existence pour
eux-mêmes et leurs descendants. Mais ils voulurent tout avoir, et ne rien
laisser aux vaincus. C’est la raison pour laquelle leurs jours sont
comptés.
Les Mammonites sont en train de répéter les erreurs d’Hitler et de
Sharon. D’abord, l’Afghanistan. Personne n’a jamais pu comprendre pourquoi les
Mammonites ont décidé de s’en prendre à ce royaume perdu, mais ils l’ont
détruit, procédant au massacre de masse des prisonniers, détruisant les moyens
de vivre des Afghans, relançant une production d’opium que les Taliban
contrôlaient sévèrement jusqu’à il y a peu. Aujourd’hui, c’est au tour de
l’Irak. La bataille n’est pas encore tranchée, et voilà que déjà Michael A.
Ledeen, de l’American Enterprise Institute, sioniste et mammonite (si tant est
que ces deux idéologies siamoises puissent être séparées), vient nous rappeler
que l’ « Irak, c’est une bataille, ce n’est pas la guerre. Après Bagdad,
viendront Téhéran, Damas, Riyad » [1]. Et, encore après, Paris, Berlin, Moscou,
Pékin. Aujourd’hui, ils veulent déboulonner Saddam Hussein ; demain ils
exigeront la tête de Chirac, de Shroeder et de Poutine.
D’ores et déjà, ils
exigent un boycott total de la France [2] et les actions de représailles sont en
préparation. Voici une publicité payée par les Mammonites : « Boycottons la
France, car des vies et la sécurité américaines sont en jeu. La France a
absolument le droit de ne pas être d’accord avec l’Amérique. Mais la France a
quitté le terrain de la simple dissension, passant à l’hostilité active à
l’encontre de l’Amérique. Le président français Chirac a averti les pays est
européens que s’ils s’avisaient de prendre parti pour l’Amérique, la France
s’opposerait à leur entrée dans l’Union européenne ». Cette semaine, William
Safire a écrit dans le New York Times que « la France aidait secrètement l’Irak
à s’armer, notamment à acquérir des missiles à longue portée. Ces missiles
pourraient bientôt être lancés contre des soldats américains ». Safire est un
Commissaire sioniste de première bourre, et son « rapport » est une fatwa
sioniste lancée contre la France et son Président. Dans ce rapport [3] de
l’union des fomenteurs de guerre, ce plan est dévoilé : « Kristol a insisté sur
la nécessité de séparer l’Allemagne de la France, mais il a relevé que « la
diplomatie intelligente (nécessaire pour ce faire) risque fort d’être au-dessus
de ce qu’on est en droit d’attendre de la part du Département d’Etat. » Perle
ayant déclaré que les « Américains ne sont pas vindicatifs », Ledeen
l’interrompit pour affirmer que, dans le cas de la France, il espérait fortement
qu’ils le seraient, et fortement.
C’est pourquoi il est urgent de prendre de
la graine de l’histoire américaine. En 1823, le président James Monroe présenta
la fameuse Doctrine (qui porte son nom) dans le cadre de son adresse annuelle au
Congrès. En déclarant que le Vieux continent et le Nouveau monde avaient des
systèmes (politiques) différents et devaient demeurer des sphères distinctes,
Monroe insistait sur quatre points fondamentaux : 1) Les Etats-Unis
n’interféreraient pas dans les affaires intérieures des Etats européens, ni dans
les guerres qui pourraient les opposer entre eux ; 2) Les Etats-Unis
reconnaîtraient et n’interviendraient pas dans les colonies et les dominions de
l’hémisphère occidentale ; 3) L’hémisphère occidentale était fermée à toute
forme de colonisation et, enfin 4) toute tentative d’une puissance occidentale
d’opprimer ou de prendre le contrôle de toute autre Etat dans l’hémisphère
occidentale serait considérée comme un acte hostile aux Etats-Unis.
Il est
plus que temps de proclamer la Doctrine eurasienne rigoureusement symétrique à
celle-ci. Que les Etats-Unis se tiennent à bonne distance du Vieux monde de
l’Eurasie, et qu’ils cessent leurs tentatives d’opprimer ou de contrôler toute
nation en Eurasie. La Grande Bretagne devra décider si elle a l’intention d’agir
en Cheval de Troie, pour reprendre l’expression tellement pertinente de Charles
de Gaulle, ou si elle veut rejoindre sincèrement l’Europe. Les nations libres de
l’Eurasie, conduites par la France, l’Allemagne, la Russie et la Chine,
devraient condamner l’agression mammonite à l’Onu et en appeler à des sanctions
contre les agresseurs. Le dollar devrait cesser de représenter la monnaie de
réserve, et le remboursement de la dette américaine, qui atteint aujourd’hui 6,4
trillions de dollars, devrait être exigé rubis sur l’ongle. Les médias possédés
par les Etats-Unis, ces instruments de propagande, devraient être traités comme
les apologues du racisme qu’ils sont, pour avoir sanctifié le massacre de
milliers d’Arabes. Les forces armées des Etats-Unis devraient quitter l’Eurasie.
La paix serait ainsi restaurée dans l’intérêt de toutes les
parties.
IIILes sanctions iniques contre le noble peuple
irakien doivent être levées immédiatement. Ces sanctions ont causé la mort de
millions d’innocents, dont un million d’enfants. Elles ont préparé le terrain à
l’agression Mammonite. La terrible campagne de démonisation des médias
Mammonites contre Saddam Hussein, les Irakiens et les Arabes, en général, doit
être dénoncée pour ce qu’elle est : une apologie du sectarisme
raciste.
Saddam Hussein n’est ni le Père Noël ni Saint François d’Assise. Ce
n’est pas un gentil roi philosophe. Mais le président chilien Allende était le
dirigeant le plus libéral et progressiste qui fût, et cela n’a nullement empêché
qu’il ait été renversé et assassiné par un dictateur sponsorisé par la CIA, le
général Pinochet, grand ami des Mammonites sionistes Margaret Thatcher, Henry
Kissinger et Conrad Black. Le premier ministre libéral et progressiste d’Iran,
Mohammed Mossadegh, avait, lui aussi, été renversé et remplacé par le régime
autoritaire du Shah. Saddam Hussein a été créé par l’esprit même du monde arabe,
comme son défenseur. En effet, une civilisation (au sens que Toynbee donne à ce
terme) confrontée à un péril mortel produit des dirigeants inflexibles et
martiaux capable de faire face à ce genre de défi.
Sur le point d’être
attaquée par son ennemi le plus cruel et le plus dangereux de toute son
histoire, la Russie avait produit un prêtre géorgien défroqué, implacable et
cruel, et en avait fait le chef de l’Union soviétique. Un homme plus gentil,
plus souple, n’aurait pas été capable de sacrifier des millions de Russes (dont
son propre fils) à la victoire sur le Troisième Reich.
Le monde arabe avait
été lamentablement géré depuis des siècles par des pouvoirs étrangers : les
Turcs ottomans, les colonialistes, et aujourd’hui la pieuvre des mammonites
néo-colonialistes. Saddam Hussein est le premier dirigeant arabe fort et
véritablement indépendant depuis Saladin ; cela n’est pas pure coïncidence s’il
est né à Tikrit, cette ville qui a jadis donné le jour au noble vainqueur des
Croisés. Il peut unifier le monde arabe et restaurer le Califat – comme de
Gaulle et Adenauer ont su restaurer l’Empire carolingien. Cela doit être fait,
car la parcellisation actuelle des pays arabes a eu pour seul résultat de
produire des émirats opulents, des puits de pétrole sous haute protection
étrangère et l’appauvrissement des peuples. Saddam est capable de tenir tête aux
Mammonites et aux sionistes, c’est pourquoi il est tellement aimé des peuples du
Moyen-Orient.
Saddam est traîné dans la boue par les médias mammonites, mais
cela ne prouve qu’une seule chose : il est l’homme qui convient, là où il faut.
Car si l’on regarde ceux que les médias mammonites louangent, on constate qu’il
s’agit obligatoirement de leurs collaborateurs. Ils aimaient Mikhail Gorbachev,
le démolisseur de l’URSS ; ils aiment Tony Blair, qui a fait de l’Angleterre une
colonie américaine. John Pilger a bien décrit ce phénomène dans son introduction
à la nouvelle édition du grand classique de Phillip Knightley : La Première
victime [4] [The First Casualty] : « Les médias eurent beau jeu de saluer « le
nombre miraculeusement peu élevé de victimes » durant la guerre du Golfe (il
s’agit bien entendu du peu de victimes britanniques et américaines), alors que
l’horreur de près d’un quart de million d’Irakiens massacrés par les forces sous
direction américaine était pratiquement passée sous silence. » Hier, à la
télévision israélienne, le cruel ex-ministre de la défense d’Israël, Fuad Ben
Eliezer, assassin de centaines de civils palestiniens, a qualifié Saddam Hussein
de « personnage effrayant. » Pour moi, et pour bien d’autres que moi, au
Moyen-Orient, quiconque est de taille à effrayer Ben Eliezer ne saurait être
quelqu’un d’entièrement mauvais.
Saddam a passé avec succès et avec les
honneurs un très difficile examen de guerre : son peuple lui demeure loyal et
continue à combattre l’agresseur mammonite. Nous devrions lui apporter notre
soutien en ces heures cruciales, de la même manière que Winston Churchill avait
apporté son soutien à Joseph Staline. Ne vous faites pas de souci : lorsque le
monde arabe aura reconquis son indépendance, dans le cadre de l’Eurasie amicale,
il produira des dirigeants sympathiques et doux, amateurs des arts et des
lettres.
IV
Des soldats américains et anglais ont été
envoyés commettre le pire des crimes de guerre : l’agression contre un Etat
souverain. Mais ce n’est pas dans l’intérêt des Américains et des Anglais qu’ils
ont été envoyés le perpétrer. On les a envoyés en Irak afin d’étendre le règne
mammonite à l’ensemble du Moyen-Orient. Nous n’identifions pas les Mammonites à
l’ensemble du peuple américain. Les Mammonites viennent et disparaissent, alors
que le peuple, lui, demeure à jamais. Les Européens ne doivent pas non plus
répéter la folie américaine en tentant de « libérer » l’Amérique. Laissons les
Américains se libérer tout seuls du joug mammonite. C’est dans l’intérêt des
Européens, car les Mammonites ne sont pas des gens dépourvus de rancune. Ils ne
pardonneront à aucun de ceux qui se sont opposés à leurs menées. Ils vont tout
faire afin d’écraser l’opposition interne aux Etats-Unis : ils ont d’ailleurs
stocké toutes les photographies des participants aux manifestations anti-guerre,
et ils vont les utiliser, tôt ou tard.
Les Mammonites sont aveuglés par leur
pouvoir absolu et par la réussite de leur bon coup, qui a consisté à entraîner
l’Amérique dans leur plan mondial. Leur absence totale de compassion s’est
manifestée à Guantanamo, où ils maintiennent en cage leurs prisonniers
infortunés. Leur culot, leur ‘chutzpah’, s’est montré avec éclat lorsqu’ils ont
exigé que l’on désarmât l’Irak avant de l’attaquer eux-mêmes, nous transformant
tous, autant que nous sommes, en hommes de main à leur service. Leur absence de
sincérité s’affiche à travers leurs campagnes massives de mensonges et de
désinformation. Leur nature athée se révèle dans leur refus d’obéir aux
instructions pastorales des Eglises (Seuls de rares prêcheurs sionistes
télévisés soutiennent leur croisade).
Les Mammonites utilisent le réseau
d’influence des sionistes et trompent les juifs, les incitant à leur obéir. Le
Sénat américain a commencé la guerre en offrant dix milliards de dollars à
l’Etat juif. En retour, le titre en lettres géantes « God Bless America » ornait
la une du grand quotidien israélien, Yediot Aharonot d’aujourd’hui, tandis que
le site ouèbe du même journal déclarait que « les cœurs et les prières des
Israéliens sont tournés vers les forces armées des Etats-Unis ». (Ben voyons !
Ndt)
« La plus grosse part de la justification idéologique et de la
pression politique en faveur de la guerre contre l’Irak est venue des sionistes
américains de droite, dont de nombreux juifs étroitement alliés au Premier
ministre israélien Ariel Sharon et occupant des fonctions d’influence tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur de l’administration Bush. Il s’agit d’une guerre de
Bush et de Sharon contre l’Irak », a écrit Patrick Seale, observateur
britannique spécialiste du Moyen-Orient. Seale a raison – jusqu’à un certain
point : les rangs des sionistes « de gôche », dont beaucoup sont juifs, sont
infestés de Mammonites, à l’instar de leurs acolytes de droite.
Bob Norman
écrit, depuis le Sud de la Floride [5] : « Robert Wexler s’est fait l’un des
critiques les plus acerbes du Président Bush. Ce membre libéral du Congrès a
attaqué Bush sur les questions environnementales, la lutte anti-drogues, les
scandales des grandes firmes, les suppressions d’impôts en faveur des riches et
la tactique électorale du président en 2000. Mais ce Wexler a néanmoins déclaré
à la télévision que la guerre contre l’Irak était une belle et bonne idée.
Wexler et plusieurs autres juifs démocrates du Congrès, emmenés par le Sénateur
du Connecticut Joe Lieberman et un petit troupeau de Représentants de Californie
et de New York, ont tombé la veste pour mener la bagarre en faveur de la guerre.
Ces mêmes hommes politiques représentent habituellement le noyau dur de
l’opposition (démocrate) à Bush : ils ont donc contribué, ce faisant, à démolir
tout espoir de voir le parti démocrate retenir les chiens de guerre de Dick
Cheney ».
En soutenant la guerre, les sionistes américains et britanniques
ne mettent pas en danger, eux, les fondements de leur pouvoir. Alors que leurs
positions éminentes dans les médias sont bien connues, « il y a moins de quinze
soldats juifs (0,03 % de la force d’invasion britannique en Irak) parmi les 45
000 soldats britanniques actuellement en action dans le cadre de la campagne
militaire sous direction américaine [6], écrit le quotidien israélien Haaretz.
Cette disparité en dit très long, et explique notamment l’expression satirique
de « fauconneaux » (du Pentagone). Les idées démentes de ceux-ci incluent la
restauration du Grand Israël du Nil à l’Euphrate, ainsi que la « revanche
historique » sur Babylone pour la destruction du Temple de Salomon, en 586 avant
J.C., revanche à laquelle appelait David Ben Gourion, le fondateur d’Israël.
Inutile de dire que ces plans démentiels ne sont ni dans l’intérêt bien compris
des Américains, ni dans celui de la majorité des juifs, heureusement sains
d’esprit.
En rejetant le pacte entre les Mammonites et les sionistes, nous
n’identifions nullement l’ennemi avec un groupe ethnique ou religieux. Et il est
de fait que de nombreux Américains d’origine juive sont contre la guerre et
contre les Mammonites. Je ne veux pas à nouveau mentionner ici leurs noms
éminemment respectables, car il n’est nul besoin d’établir un distinguo
quelconque entre eux et les Américains honnêtes non-juifs. L’ennemi, c’est
l’idéologie mammonite, « cet étrange croisement entre attitudes romaines et
hébraïques », pour reprendre l’expression de Simone Weil, qui a écrit :
« Les
Romains et les Hébreux sont très admirés, et on les cite à chaque fois que l’on
veut justifier un crime. Les peuples conquis par les Romains faisaient l’objet
de leur mépris, et ils n’avaient droit à aucun récit épique propre, à aucune
tragédie. Pour les Hébreux, la cruauté envers les peuples vaincus était licite,
et même indispensable ». Simone Weil voyait dans les Evangiles l’ultime et
brillante manifestation de l’esprit hellène de l’Iliade, cet esprit de
compassion qui prend en compte l’humanité des deux camps dans la guerre. C’est
cet esprit que les Américains feraient bien d’invoquer.
L’Amérique
compatissante et férocement indépendante d’Henry Thoreau et Gore Vidal peut et
doit remporter sa longue bataille contre l’esprit mammonite. Etant donné que les
principales régions des Etats-Unis sont infiltrées au même point, l’issue
consiste à donner plus, beaucoup plus, de pouvoir aux Etats, tout en réduisant
les fonctions du Gouvernement fédéral, en les réduisant à la gestion de la poste
américaine. Le meilleur magasine intellectuel américain, Harpers’ Monthly, a
tracé récemment un portrait idyllique d’un monde dans lequel, au lieu des
Etats-Unis monstrueux, quelques sept ou huit Etats (la Californie, la Nouvelle
Angleterre, le Texas, la Confédération, etc.) occuperaient le territoire
nord-américain situé entre le Mexique et le Canada. Ces Etats plus petits et
donc plus gérables (ils auraient la taille de la France !) seraient à même de
forger des relations faisant sens entre leur population et leur territoire, de
créer des communautés réelles et non pas seulement imaginaires comme c’est
aujourd’hui le cas, de produire de l’art et de relier l’Homme et Dieu.
Les
Américains vivraient bien mieux, seraient plus heureux, auraient des vies plus
inspirées. Ainsi, par exemple, les 75 milliards de dollars que l’Amérique est en
train de dépenser pour sa guerre en Irak permettraient d’offrir à cinquante
millions d’Américain des soins gratuits, ou encore d’offrir à six millions de
jeunes gens un enseignement universitaire. Les Américains seraient à même de
célébrer la Nativité du Christ, et non pas seulement les « soldes » de Noël, et
sa Résurrection à Pâques, sans peur.
Il n’est pas jusqu’à l’esprit de
commerce mammonite qui ne fût capable de s’ébrouer de sa destructivité, si on le
confinait à la Grosse Pomme. Qui sait, peut-être une New York indépendante
recréerait-elle la gloire de Venise, la grande République commerçante, une fois
dégagée de l’emprise du continent géant ?
Israël, l’Etat juif exclusiviste,
n’a quant à lui pas de place dans un Moyen-Orient libéré ; mais ses habitants,
Palestiniens adoptifs de religion ou d’origine juive, seront les citoyens
bienvenus et désirés du Commonwealth palestinien, à égalité avec les indigènes
palestiniens. Leurs capacités les aideront à mener leur pays commun vers la
prospérité et l’égalité. Ainsi, le noble objectif sioniste de ramener les juifs
au foyer de leurs ancêtres sera accompli, et les descendants des juifs, ailleurs
dans le monde, pourront oublier le séparatisme et se fondre pacifiquement dans
les nations au sein desquelles ils vivent.
- Notes :
[1] : New York Sun, 19.03.2003.
[2] : http://www.newsmaxstore.com/a/boycottad[3] : http://www.worldnetdaily.com/news/article.asp?
ARTICLE_ID=31725[4] : http://evatt.labor.net.au/news/201.html[5] : http://www.newtimesbpb.com/issues/2002-09-
26/norman.html/1/index..html[6] : http://www.haaretzdaily.com/hasen/spages/275621.html
Revue de presse
1. Entretien avec Nabil
Chaath, ministre palestinien des relations extérieures propos
recueillis par Mouna Naïm
in Le Monde du samedi 10 mai
2003
"Que les Etats-Unis montrent leur disponibilité à assumer
leurs responsabilités". Yasser Arafat demande l'aide de la France à Jacques
Chirac et Dominique de Villepin.
- Quel est l'objectif de votre visite
éclair en France ?
- Je suis porteur d'un message écrit du
président Yasser Arafat au président Jacques Chirac et je demanderai l'aide de
la France lors de ma rencontre avec Dominique de Villepin, qui était l'un de
ceux qui nous incitaient instamment à procéder à des réformes et à accepter la
Feuille de route -établie par le Quartette Etats-Unis, ONU, Union européenne et
Russie pour la solution du conflit israélo-palestinien-. Nous avons accepté ces
conseils et nous voulons qu'ils nous aident.
Nous avons accepté la Feuille de
route, malgré ses nombreuses lacunes, parce qu'elle contient trois dispositions
importantes :
1- Elle prévoit une simultanéité des obligations des deux
parties, dont aucune ne peut poser ses conditions ni procéder de manière
éclectique.
2- Elle englobe les volets politique, sécuritaire, humanitaire et
économique, à la différence des plans qui l'ont précédée -depuis plus de deux
ans- qui traitaient des seules questions de sécurité. Les termes de référence
nous satisfont, de même que l'objectif, la création d'un Etat palestinien
indépendant qui met fin à l'occupation israélienne commencée en 1967 et le
règlement de tous les autres problèmes, dont celui des réfugiés. Faute d'être
parfaite, la scansion est en outre logique ;
3- La tâche d'évaluer ce qui a
été fait revient à une force internationale et non à Israël qui jusqu'à
maintenant s'est érigé en juge et partie.
Nous en avons entamé l'exécution :
nous nous sommes dotés d'un premier ministre, avons procédé à des réformes
financières et administratives, restructuré nos organismes de sécurité, élaboré
une nouvelle Constitution et engagé un certain nombre de mesures à commencer par
un dialogue avec les différentes parties palestiniennes pour parvenir à une
longue trêve qui permette de mettre fin à la violence. Mais Israël ne s'est pas
encore acquitté de la première de ses obligations : accepter la Feuille de
route, et publier le communiqué annonçant l'arrêt de toutes les opérations
militaires contre les Palestiniens et le début d'un processus politique devant
aboutir à la création d'un Etat palestinien viable - nous mêmes devant
parallèlement annoncer l'arrêt de toutes les opérations militaires et de toute
violence anti-israéliennes et l'acceptation du droit d'Israël à vivre et de
notre volonté de vivre côte à côte avec lui.
- Et vous l'avez
fait ?
- Nous l'avons déjà fait maintes fois. -Le premier
ministre Mahmoud Abbas alias- Abou Mazen l'a dit et nous sommes disposés à le
faire encore si nécessaire. Si la décision est prise par exemple de faire des
annonces simultanées. Mais Israël multiplie les tueries et les assassinats. Je
crois qu'ils cherchent à saboter la Feuille de route de trois manières : par une
escalade sur le terrain qui place le gouvernement palestinien dans une impasse ;
par les atermoiements et le recours au lobby israélien aux Etats-Unis dans le
but d'amender la Feuille de route ; par une lecture de ce document exclusivement
centrée sur son volet sécuritaire palestinien.
Nous sommes menacés de perdre
totalement la confiance du peuple palestinien qui nous dit : "vous avez tout
accepté en échange de rien ! Les Etats-Unis, qui ont occupé l'Afghanistan et
l'Irak en l'espace d'un an, qui font pression sur la Syrie, le Liban, l'Arabie
saoudite, l'Egypte, bref sur le monde entier, ne sont-ils pas capables d'imposer
aux Israéliens le respect d'un processus de paix ? !" De fait, tout ne sera que
vain mot si les Etats-Unis ne font pas pression sur Israël. S'il existait un
équilibre entre le rôle des Etats-Unis et celui des trois autres membres du
Quartette, il n'y aurait pas de problème. Mais Israël à ce jour affirme qu'il ne
traite qu'avec eux et non avec le Quartette. Et la mise en œuvre de la Feuille
de route ne sera possible qu'une fois qu'Israël aura annoncé son
acceptation.
- Comment la France peut-elle vous aider
?
- La France demeure un pôle très important de l'Union
européenne. La position franco-allemande à propos de la guerre en Irak n'a pas
rompu les ponts avec la Grande-Bretagne, l'Espagne et l'Italie. La Palestine est
en outre l'un des points de rencontre entre Européens. Par ailleurs, pour nous,
la réunion du G 8 prévue prochainement à Evian est d'une grande importance. Les
Etats-Unis devraient y faire preuve d'une plus grande disponibilité à assumer
leurs responsabilités.
- Le refus du Hamas et du Djihad islamique
d'arrêter la violence peut affaiblir votre position.
- Bien
sûr, mais il ne faut pas oublier que le Hamas est la cible de la pire vague
d'assassinats jamais commise par Israël. Des assassinats quotidiens. Le Hamas a
néanmoins toujours dit que si Israël arrête ses opérations contre les
Palestiniens, il arrêtera les siennes.
- La police palestinienne,
qui a été l'une des cibles des attaques israéliennes, est-elle encore en mesure
d'empêcher les actes de violence anti-israéliens ?
- Encore
faut-il qu'elle soit relégitimée aux yeux d'Israël, avant même qu'elle soit
remise sur pied ! Car non seulement nos forces de sécurité n'ont pas le droit,
aux yeux des Israéliens, d'avoir des uniformes, d'être armés et de bénéficier de
la liberté de mouvement, mais elles n'ont même pas le droit d'exister. Sans
oublier que tout bâtiment relevant de la police, du simple poste, jusqu'à
l'hôpital, a été détruit par les Israéliens !
2. Le vrai visage d ’Henry
Kissinger par Jean-Claude Raspiengeas
in La Croix du mercredi 7 mai
2003Le procès de Henry Kissinger d'Eugene Jarecki et et Alex
Gibney DOCUMENTAIRE - La responsabilité du diplomate américain,
prix Nobel de la paix, secrétaire d ’État sous Richard Nixon, semble établie
derrière une longue liste de «crimes de guerre».
Henry Kissinger, 80 ans ce
mois-ci, va-t-il être rattrapé par les secrets de son passé ? Ce flamboyant
diplomate, adepte de la realpolitik, prix Nobel de la Paix, devra-t-il un jour
comparaître devant une juridiction internationale pour «crimes de guerre» ?
Depuis l’assignation à résidence en Grande-Bretagne d ’Augusto Pinochet, en
1998, sur demande du juge espagnol Baltazar Garzon, cette épée de Damoclès est
suspendue au-dessus de la tête de «M.K». À l’époque, l ’administration Clinton a
dû, pour répondre aux exigences de la justice, déclasser une partie de ses
archives, lesquelles font apparaître la responsabilité écrasante d’Henry
Kissinger dans un certain nombre d’opérations secrètes, et son rôle,
considérable, dans la poursuite de la guerre au Vietnam, l ’assassinat, le 11
septembre 1973,de Salvador Allende, le président socialiste du Chili,
démocratiquement élu, et celui, trois ans plus tôt, du général René Schneider,
le chef de l’armée chilienne qui avait refusé de déclencher un coup
d’État.
Un apparatchik conspirateur, manipulateur,
dissimulateurEugene Jarecki et Alex Gibney,les deux réalisateurs
américains de ce documentaire – Le Procès de Henry Kissinger – sont partis du
livre d’un journaliste britannique, Christopher Hitchens, qui établissait la
culpabilité de l ’ancien secrétaire d’État américain sous l’ère Nixon (1).
Jarecki et Gibney avouent, dans le dossier de presse, qu’avant d entreprendre
leur enquête, ils avaient une «image hyperpositive» du personnage, «celle d’un
homme de paix qui avait bien mérité son prix Nobel». Les témoins qu’ils ont
retrouvés ruinent cette belle réputation. Ceux qui ont travaillé directement
avec ce «génie de la diplomatie » reconnaissent son époustouflante intelligence
mais parlent aussi d’un «apparatchik conspirateur, manipulateur, menteur,
dissimulateur».
Les pièces accumulées dans ce dossier à charge sont
accablantes et les dérobades successives de l’accusé, refusant de se rendre aux
convocations des juges ou de répondre à Christopher Hitchens, puis aux deux
cinéastes, renforcent le malaise. Son implication directe pour saboter les
pourparlers de paix en 1968 à Paris qui auraient mis fin à la guerre du Vietnam,
son acharnement à faire bombarder le Cambodge, son soutien à l’invasion
sanglante du Timor-Oriental par l ’Indonésie et ses coups fourrés en faveur des
dictatures d’Amérique latine dressent le portrait d’un «criminel de guerre».
«Cette affirmation, dit Christopher Hitchens, n’est ni un exercice de
rhétorique, ni une métaphore, c’est juste une définition de poste»
Le refus
des États-Unis de ratifier la convention de Rome instituant la Cour pénale
internationale assure l’immunité à Kissinger qui s’est toujours élevé contre
l’idée d’une telle juridiction … «Comment concilier le devoir de justice
universelle avec l’exception Kissinger ?», demandent les deux cinéastes. Bonne
question à laquelle les États-Unis se devront, un jour ou l’autre, d’apporter
une réponse et cesser d’opposer le silence à l’exigence de
vérité.
- (1) «Les crimes de Monsieur
Kissinger», Éditions Saint-Simon, 2001. Plusieurs sites Internet alimentent
cette thèse, notamment : http://elitewatch.netfirms.com/Kissinger_Associates.html. Et celui (en anglais) du journaliste Christopher Hitchens
: http://www.trialofhenrykissinger.org.
3. La terreur, en face, est
tout aussi anonyme par Amira Hass
in Ha’Aretz (quotidien israélien)
du dimanche 4 mai 2003
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
« Entrez, je vous en prie », me
dit un homme au pâle sourire, en ouvrant une porte en fer donnant sur l’une des
étroites venelles du camp de Yibne, près de Rafah. Mais après avoir franchi la
porte en fer, il était bien difficile de décider si son invitation « entrez, je
vous en prie » était dite avec un esprit d’hospitalité, ou avec ironie, car à
l’intérieur de la maison, en l’occurrence, toutes les cloisons avaient été
démolies et, à travers les murs extérieurs partiellement écroulés eux aussi, on
pouvait apercevoir un gros tas de gravats : c’est tout ce qui restait de deux
maisons voisines.
« Maison » est un terme impropre, à Rafah. Ici, comme dans
les autres camps, la demeure courante des réfugiés est construite de minces
tôles, parfois enduites de plâtre. Elles ont à peu près l’épaisseur du carton.
La cour est entourée de plusieurs pièces au toit de fibrociment soutenu par deux
ou trois poutres. La nature éminemment précaire de la tôle ondulée et du
fibrociment forme un contraste saisissant avec les portes qui, elles, sont en
fer, souvent décorées de motifs floraux en fer forgé qui donnent une impression
de solidité, de permanence, de durée.
Ici ou là, les gens ont réussi à mettre
un peu d’argent de côté et à remplacer la maison typique par une maison en
ciment, de deux ou trois étages, pour abriter toute la famille. Ces maisons plus
modernes sont généralement laissées brutes de décoffrage : leur grisaille
dénudée vient encore accentuer la petitesse et le caractère éphémère des
autres.
Le 19 avril, une formation de plusieurs douzaines de tanks, de
transports de troupes blindés et d’énormes bulldozers, appuyés par des
hélicoptères qui – une fois n’est pas coutume ! – n’ont rien tiré, ni missiles,
ni roquettes, ni balles, ont investi un petit quartier – plusieurs rues et
allées comprises – de ce camp.
Cinq jours après ce samedi-là, après les
funérailles pleines de douleurs et de fureur de cinq personnes tuées durant
l’attaque, les habitants étaient encore sous le choc tandis qu’ils déambulaient
parmi les ruines abandonnées par les Forces Israéliennes de « Défense » qui
venaient – enfin ! – de se retirer.
Le camp de Yibné, qui s’étend sur 12
hectares et demi, abrite quelque 11 000 habitants. L’armée israélienne en a
investi un peu moins du cinquième. Treize maisons, abritant 23 familles (soit
116 personnes), ont été totalement détruites dans l’opération, d’après l’UNRWA.
Sept autres maisons – abritant 12 familles (soit 60 personnes) – ont été si
gravement endommagées par des explosions ou des tirs de mortier, qu’elles ne
pourront être réparées et devront par conséquent être démolies. L’armée a fait
état de trois immeubles démolis et de dix autres, endommagés par des tirs.
Ce
sont 150 habitations (maisons et petits immeubles) – abritant 186 familles (soit
1 035 personnes) – qui ont été partiellement endommagées et qui, de ce fait,
sont réparables : les dégâts consistent, pour l’essentiel, en chauffe-eau
solaires criblés de balles, en vitres brisées, en plafonds effondrés, en murs
fissurés et en câbles électriques sectionnés.
Cinq jours après, les habitants
veulent à tout prix expliquer pourquoi cette attaque a été tellement
traumatisante pour eux, pourquoi ils la considèrent comme le coup le plus dur
encaissé jusqu’ici par cette agglomération qui connaît pourtant trop bien ce que
sont la mort, les tirs, les raids, les tirs de fléchettes, les démolitions de
maisons et la destruction constante des minuscules espaces verts pour le simple
plaisir de détruire.
Le premier effet de surprise est dû à l’heure
inhabituelle. Il était environ dix heures du soir lorsque le convoi de véhicules
militaires (les Palestiniens les évaluent à 47, toutes catégories confondues)
s’est formé à Tel Zuarun, une colline située à l’ouest de la ville. Il faut
préciser ici que les gens sont habitués à voir rappliquer les tanks
beaucoup plus tard dans la nuit.
Ensuite, pour la première fois, l’armée
pénétra profondément à l’intérieur du camp, situé entre Yibne et Shabura, soit à
environ cinq kilomètres de l’entrée nord-ouest de la ville de Rafah, et à
environ cinq cent mètres de la frontière égyptienne. Les habitants disent que
jusqu’alors les tanks et les bulldozers étaient intervenus en bordure des camps,
dans les parages de la frontière. C’est là qu’ils détruisaient généralement des
maisons, qu’ils faisaient sauter des souterrains, et c’est là aussi où des
Palestiniens, armés ou non, avaient été tués par les tirs de l’armée
israélienne.
Mais, cette fois-ci, les tanks roulèrent sans s’arrêter jusqu’au
centre de Rafah, localité dont les camps de réfugiés sont plus vastes que la
ville elle-même.
Ensuite, pendant quelques jours, les Palestiniens eurent
l’impression, en particulier ceux qui vivent à Rafah, qu’en geste de bonne
volonté afin de saluer la nomination du gouvernement Abu Mazen, Israël
s’abstiendrait de lancer des raids par trop sévères. Or, en ce samedi soir-là,
le nombre des tanks, le plus important jamais constaté à la fois à Rafah, est
venu pulvériser cette illusion.
Enfin, autre circonstance peu ordinaire, tout
Rafah était fort occupée, ce soir-là, à suivre à la télévision un match de foot
entre deux équipes égyptiennes (le club Zamalek contre le Ahli), et à analyser
doctement les résultats. Le football est ‘The Sport’, à Rafah. Ses habitants ont
pratiquement adopté la Ligue nationale égyptienne. Le Ahli est l’équipe favorite
dans la bande de Gaza, en général, et à Rafah tout particulièrement – plus
encore, peut-être, chez les réfugiés. L’équipe Ahli est celle d’un quartier
pauvre du Caire ; Zamalek est un quartier cairote relativement prospère : ceci
explique peut-être cela…
Ce soir-là, Zamalek a gagné. Mais, « la prochaine
fois, c’est sûr : ce sera le Ahli », étaient en train de se dire les
téléspectateurs pour se consoler mutuellement, lorsqu’ils entendirent le
grondement des tanks au loin. Très rapidement, les premiers coups de téléphone
paniqués commencèrent à affluer de Tel Sultan : les tanks avançaient dans la rue
Abu Bashar Sadiq.
Panique et recherche éperdue
d’abris
Les tanks avançaient, inexorablement. Ceux qui étaient allés
chez des amis ou des parents, simplement en visite, ou pour suivre ensemble le
match à la télévision, se mirent à rentrer en toute hâte chez eux, tandis que
d’autres – en particulier, les militants politiques, les anciens prisonniers et
les parents d’ « individus » recherchés – abandonnèrent leur maison et prirent
la fuite, disparaissant dans le labyrinthe des ruelles de Shabura, beaucoup trop
étroites pour des blindés.
Les chauffeurs de taxi sautèrent dans leur
voiture et s’éloignèrent le plus possible du centre. Les boutiquiers, sur le
marché, dont les échoppes étaient encore ouvertes à cette heure tardive, les
abandonnèrent et prirent la fuite. Le lendemain, ils allaient retrouver leur
marchandise intacte, à sa place. Personne n’a pillé quoi que ce soit. Pendant ce
temps-là, les enfants se blottissaient dans les angles des pièces les plus
éloignés de la rue.
Les membres des comités de résistance populaire,
appartenant à toutes les factions (palestiniennes), commencèrent à se rassembler
dans le quartier de Yibné. Qui alla chercher en courant sa Kalashnikov, qui un
chargeur de balles supplémentaire, d’autres allant quérir les bombes faites
maison exactement en vue de ce genre d’éventualité. Le courant ne tarda pas à
être coupé et tout le coin fut plongé dans l’obscurité. Et les tanks avançaient
toujours, précédés et annoncés par les premières explosions des tirs qui
s’intensifiaient au fur et à mesure que le convoi se rapprochait.
Un
combattant courait dans la rue, portant son bébé dans ses bras. Alors T., mère
de deux enfants, ouvrit sa porte. Il lui refila son bébé, le jetant presque à
l’intérieur en demandant à la femme de prendre soin de lui. Jusqu’à son retour
(si retour il devait y avoir). La mère gratifiée d’un troisième rejeton ne
connaissait même pas le nom du bébé. Et le bébé ne la connaissait pas non plus.
Pendant toute la nuit, les balles sifflèrent tout autour de chez elle, certaines
percèrent les murs et atterrirent sur le carrelage. Ses enfants un peu plus
grands, deux fillettes, se cachaient sous une couverture. Calmement, de temps en
temps, T. allait vérifier si elles étaient toujours indemnes. Le bébé,
désorienté et apeuré, lui, ne cessait de pleurer.
Quittant la rue
principale, les tanks obliquèrent dans deux rues étroites, à peine assez large
pour leur permettre de passer. Un tank poussa deux voitures devant lui, les
écrasant contre le mur de tôles de la famille Ashur : 14 véhicules connaîtront
le même sort, cette nuit-là, dont une ambulance du Croissant Rouge. Les murs,
évidemment, s’effondrèrent. Le plafond, de même.
Dans la deuxième rue,
parallèle à la première, un autre tank se jouait de gros blocs de ciment que les
comités de résistance avaient déposés au carrefour comme obstacles. Un des blocs
vint atterrir sur une maison de tôle, l’écrasant complètement, tandis que la
famille se rapetissait dans un coin. Un autre tank – ou alors, est-ce le même
que celui qui venait d’écrabouiller les deux voitures ? – s’arrêta devant la
maison des Abou Obeïd. Les enfants de Moufid Abou Obeïd dormaient dans la maison
d’à-côté, de trois étages, celle (pas encore finie) de leur grand-père.
Leur
mère était partie en visite dans sa famille à Shabura, ce soir-là, de l’autre
côté de la rue principale. Leur père suivait le match en compagnie d’amis. Les
tanks défoncèrent les deux grosses portes en fer, au rez-de-chaussée. Les
soldats donnèrent l’ordre à tous ceux qui étaient dans cette maison de sortir.
Ce fut la panique : il fallait rassembler les enfants, les femmes, le grand-père
; tous durent descendre à tâtons les escaliers plongés dans l’obscurité, sortir
dans la rue sans éclairage et finir par se retrouver nez-à-nez avec l’énorme
véhicule blindé.
Dans la panique, Walid, neuf ans, qui portait le petit
Mohammed, deux ans, était perdu : il cherchait ses parents. Walid confia le bébé
à son grand-père, qui insistait pour rester sur le pas de sa porte, refusant de
quitter sa maison. Puis Walid sortit, paniqué, perdu dans la rue plongée dans
l’obscurité, se faufilant derrière la file de tanks, voulant retrouver le reste
de sa famille, qui avait trouvé refuge chez des voisins. Plus tard, son père
relatera que les soldats israéliens ont pris le garçon dans un des tanks et
l’ont emmené un peu plus loin dans la rue, où ils l’ont abandonné.
Pendant ce
temps-là, la mère rentrait en courant depuis Shabura à Hibné, pour être auprès
de ses enfants. Elle venait juste de tourner le coin de sa rue lorsqu’elle fut
atteinte par une balle à l’estomac. Ce n’est qu’une heure après qu’on a pu
finalement l’évacuer : elle a été hospitalisée, dans un état préoccupant. Elle
fut l’un des trois Palestiniens blessés par balle, cette nuit-là.
Puis les
soldats firent sauter à l’explosif la maison de tôles ondulées de Moufid Abou
Obeïd, ainsi que deux autres maisons voisines. L’armée a déclaré avoir détruit
un tunnel utilisé par le Hamas. Ce tunnel était censé passer sous la maison.
Même qu’il y en avait encore un autre, plus petit, a précisé
l’armée…
La maison des Abou Shamallah
Au même moment, des
tanks et d’autres véhicules blindés, accompagnés d’un ou deux bulldozer(s),
faisaient mouvement vers l’Ouest, vers la rue Salah ed-Din. Vers 10 h 30, ils se
mirent à converger vers la maison de Mohammed Abou Shamallah. Cet homme âgé de
trente ans, appartenant à la milice Izz ed-Din al-Qassâm, du Hamas, était
recherché par l’armée israélienne, laquelle soupçonnait son implication dans
l’assassinat d’un officier à Rafah, en 1994. Deux de ses frères s’enfuirent de
la maison lorsqu’ils entendirent les tanks faisant mouvement vers Yibné. Ils
redoutaient d’être pris en otages s’ils se faisaient coincer. Les autres
occupants de la maison restèrent à l’intérieur, avec leurs épouses, leurs
enfants et la grand-mère, âgée, qui souffre de diabète et ne se déplace qu’avec
sa canne.
« Umm Khalil, sortez sur le pas de la porte, et mettez-vous le dos
face à la rue ! », cria une voix dans la nuit, qui lui demandait à elle,
nommément, de sortir.
Plus tard, Umm Khalil déclara : « Ils criaient :
‘Hello, Hello, la famille Abu Shamallah ! Faites sortir les enfants et que les
hommes armés sortent en tenant leur arme au-dessus de leur tête !’. Alors j’ai
dit : ‘Voilà, je sors, je sors !’. Eux ont alors crié : ‘Rendez-vous !
Rendez-vous !’ Ils ne nous ont rien laissé emporter : nous avons quitté la
maison comme nous y étions entrés. Il n’y a pas une seule tasse à thé qui soit
encore entière. Pendant six heures, ils ont ravagé la maison. Dehors, il y avait
des tanks, des tas de tanks. Alors, on a fait ce qu’on nous disait de faire : on
est sortis, les mains en l’air… »
Une de ses brus prit les jumeaux, trois
ans, et sortit à son tour.
« Un soldat m’a mis en joue », dit-elle, encore en
proie à la colère, mais surtout à la crainte pour la vie de ses enfants. « Ils
m’ont dit de poser les enfants près du tank et de lever les mains en l’air. J’ai
posé les enfants, qui pleuraient – bien sûr, les pauvres – et j’ai levé les
mains en l’air. Ah, vous auriez vu les deux bébés : ils semblaient tellement
minuscules, à côté de cet énorme masse de ferraille… ! »
L’asphalte de la
route avait été porté presque au point de fusion par la chaleur des moteurs. Les
enfants qui étaient sortis pieds nus ou qui avaient perdu une sandalette ou une
chaussure eurent des brûlures aux pieds, me dit cette femme. Les soldats
disaient de nous éloigner, ou bien ils nous faisaient comprendre très clairement
leurs intentions en gesticulant avec leurs fusils d’assaut pour nous faire
peur.
La jeune mère fit mettre en ligne ses enfants devant elle, l’un à côté
de l’autre. « Si un soldat me tire dessus, pensai-je, au moins les enfants ne
seront pas tués. »
Trente-deux personnes vivent dans la maison, construite
grâce à des économies pour la mère, veuve depuis 1977 et ses enfants et
petits-enfants. L’armée a prétendu que des munitions avaient été trouvées, à
l’intérieur.
Un autre des fils d’Umm Khalil était resté chez lui, tétanisé
par la peur, incapable de bouger. Ses enfants descendirent les escaliers pour
aller dire aux soldats qu’il y avait encore quelqu’un à l’intérieur, mais un des
soldats pointa son fusil vers eux et leur dit de rester dans l’appartement, dans
ce petit immeuble situé juste en face de la maison vouée à la démolition. C’est
là qu’ils passèrent la nuit, tandis que les soldats installaient les explosifs
en vue de la démolition. C’est là qu’ils étaient encore, lorsqu’à dix mètres de
distance, la maison des Abu Shamallah fut soufflée par l’explosion, s’effondra
sur elle-même et détruisit la façade de leur appartement donnant sur
l’est.
La famille Kishta, vivant dans une baraque de tôles à côté, n’eut pas
le temps non plus d’évacuer. Un énorme bulldozer frôla la porte en fer, qui
ouvre sur une cour entourée d’un mur. La porte en fer fut tordue et la serrure
faussée. Ils ne pouvaient plus sortir. « Nous avons frappé sur la porte, nous ne
savions pas ce qui se passait dehors, et à cause du vacarme des tanks et des
tirs, personne ne nous a entendus », raconte une des filles.
Alors, elle est
montée sur une table, à la cuisine, elle a ouvert la fenêtre et s’est penchée à
l’extérieur. Elle a crié aux soldats qu’il y avait des enfants, à l’intérieur de
la maison, et aussi une femme âgée qui devait être transportée à l’extérieur. Le
soldat, dit-elle, lui a crié de rentrer « sinon vous allez être tuée »,
explique-t-elle.
« Faites-nous sortir », continua-t-elle à crier. « Nous
allons tous mourir, là-dedans. »
Et le soldat lui cria, en réplique : «
Rentrez ! Rentrez chez vous ! Comme ça, au moins, vous mourrez à domicile !
»
Elle poussa les enfants de son frère sous l’escalier de fer qui conduit de
la cour à la terrasse. Et c’est-là qu’ils se pelotonnèrent, tremblants, tandis
que les tirs s’intensifiaient ; des voix s’approchaient, puis s’éloignaient, les
tirs… puis l’explosion. Enorme. Avec l’explosion, la maison des Kishta
s’effondra. Leur seul luxe – un ordinateur – fut détruit avec tout le
reste.
Plus tard, les tanks partirent. Les gens ne se souviennent plus s’il
était 2 h 30 ou 3 h 30. C’est à ce moment-là qu’ils trouvèrent un soldat mort,
tué par un tireur palestinien dans l’étroite allée entre la maison des Kishta et
celle des Abu Shamallah. Il s’agissait de Lior Ziv, le cameraman du porte-parole
de l’armée.
Pas de logement disponible
La famille Abu
Shamallah mit quatre jours à trouver une maison à louer. Il y a très peu de
maisons inoccupées ou de pièces à louer chez l’habitant, à Rafah, la ville la
plus pauvre des territoires palestiniens (seule la situation de Khan Younis est
comparable), la plupart des logements ayant été loués, au cours des deux années
écoulées, à des réfugiés dont les maisons avaient été démolies.
A chaque
nouvelle démolition, il devient plus difficile de trouver un logement de
remplacement. Il y a même des maisons qui ont été endommagées lors de
précédentes démolitions, qui ont été réparées, mais qui ont fini par être
démolies définitivement lors de nouvelles opérations de démolition.
Halil
Abu Shamallah, fonctionnaire au ministère palestinien des Communications, a fini
par trouver un appartement en terrasse dans un immeuble de la même rue. Il y a
installé quelques matelas offerts par une organisation caritative islamique, et
il a pu récupérer quelques vêtements d’enfant dans les décombres de ce qui avait
été sa maison.
Les fournitures de l’UNRWA, supposées arriver depuis la ville
de Gaza, restent invisibles. Explication : pour Pâque, l’armée a coupé la route
qui parcourt la bande de Gaza du nord au sud.
De la fenêtre de l’appartement
donnant sur le nord-ouest, on peut voir un tank, à un kilomètre et demi, ou
deux, de distance. A un demi kilomètre de distance, il y a un poste militaire,
avec un drapeau israélien. Par la fenêtre donnant sur le sud-ouest, on voit un
autre poste militaire avec un drapeau, et aussi le mur que les soldats du génie
de l’armée israélienne ont construit tout au long de la route côtière. Dans le
nouvel appartement, certaines vitres sont brisées. Il y a des trous laissés par
les balles dans les murs. Simplement en regardant par la fenêtre, on risque sa
vie. Mais la famille Abu Shamallah n’a rien trouvé d’autre à louer qu’un
appartement comme celui-là, exposé aux tirs, comme le sont d’ailleurs tous les
immeubles à étage, à Rafah et à Khan
Younis.
4. Contre le repli
communautariste, contre la politique de Sharon dans les territoires : Il existe
une autre voix juive par Olivier Gebuhrer et Pascal Lederer
in
Libération du lundi 5 mai 2003 (Olivier Gebuhrer est
mathématicien. Pascal Lederer est physicien. Ils sont coanimateurs d'«Une autre
voix juive» www.paixjusteauprocheorient.asso.fr.)Un
manifeste circule en ce moment, parmi les citoyens juifs ou d'origine juive de
ce pays, mais aussi dans d'autres milieux, non directement liés au judaïsme. Il
suscite, chez les uns, une adhésion enthousiaste, comme une bouffée d'air pur
dans une atmosphère malsaine. Chez d'autres, une hostilité soupçonneuse ou
hargneuse. L'indifférence ne l'accompagne pas...
Ce manifeste, désormais
signé par plus de 500 citoyens juifs ou d'origine juive, se propose de faire
entendre, c'est son titre, «Une autre voix juive».
Une autre voix ? En effet,
l'opinion publique de ce pays est exposée depuis trop longtemps à une voix juive
monopolisée par une fraction du judaïsme organisé de ce pays, celle qui domine
en ce moment le Crif. L'acronyme lui-même (Comité représentatif des institutions
juives de France) laisse entendre qu'il s'agit bien là d'un organisme
représentatif, habilité à parler au nom de tous. Sans doute, quand M. Roger
Cukierman, président en exercice du Crif, fait telle ou telle déclaration, telle
ou telle analyse, lorsqu'il développe des interventions publiques qualifiant
d'antisémite quiconque critique la politique de M. Sharon, représente-t-il une
certaine partie de l'opinion juive de ce pays. Le problème, c'est qu'il est fort
probable que cette fraction n'est même pas majoritaire parmi les citoyens
qu'elle concerne. Au sein même du Crif, qui regroupe plus de cinquante
organisations, une minorité non négligeable la critique fortement. Après tout,
dira-t-on, si ce courant critique est minoritaire, où est le scandale ? La
majorité s'exprime, c'est son droit !
Oui, mais voilà : le nombre de citoyens
juifs qui participent à ces institutions juives elles-mêmes regroupées en Crif
ne représente pas plus de 20 % de la population juive de France ! Pour mille
raisons, 80 % des juifs de France, sans renier leurs origines, leur héritage,
leur culture, leur histoire, n'éprouvent pas le besoin de s'affilier à une
organisation juive membre du Crif. D'origines sociales, d'opinions politiques
diverses, avec un éventail large de pratiques religieuses ou de relation avec la
foi, avec une multitude d'opinions contradictoires sur Israël, ou sur le
sionisme, ces Français juifs ou d'origine juive, à l'aise dans la République, à
l'aise dans la laïcité, vivent leur vie de citoyens, avec ses heurs et malheurs,
sans souhaiter faire de leur judéité manifestation publique, ou expression
collective. Pour beaucoup, la leçon qu'ils ont tirée de leur rencontre avec
l'antisémitisme, c'est le rejet de toute idéologie nationaliste, de tout
chauvinisme, la haine de tous les fascismes, de tous les racismes, de toutes les
oppressions : pour eux, il y a partie liée entre le judaïsme et la démocratie,
les grandes idées d'universalité des droits humains, des droits des
peuples.
Or voilà que la dynamique propre à l'histoire du Proche-Orient vient
porter sur le devant de la scène des gens qui disent parler au nom des juifs,
qui revendiquent en leur nom une politique qu'ils ne peuvent que détester, une
politique nationaliste, une politique chauvine, une politique approuvée par les
fascistes de France et d'Israël (lire la déclaration de Le Pen dans le journal
israélien Haaretz approuvant la politique de Sharon «qui lui rappelle la
politique de l'Algérie française»), une politique qui légitime au nom du
judaïsme la négation des droits d'un peuple !
Ce discours s'articule sur une
pseudo-évidence, qui est un succès remarquable de propagande politique
insistante et multiforme menée par Israël et par des forces politiques diverses
aux Etats-Unis et dans le monde depuis plus de cinquante ans : Israël
représenterait les intérêts juifs dans le monde, Israël serait le dépositaire de
la mémoire du génocide, l'héritier des souffrances juives... En découle une
autre pseudo-évidence que bon nombre de nos concitoyens partagent innocemment :
tout citoyen juif serait aussi israélien. Depuis qu'à la suite de l'assassinat
de Yitzhak Rabin, les accords d'Oslo sont sabotés et piétinés chaque jour un peu
plus par le gouvernement israélien, tout citoyen juif, à en croire M. Roger
Cukierman qui en rajoute une couche, serait tenu d'approuver Ariel Sharon et
d'être complice des crimes de l'occupation israélienne en Palestine !
Il y a
là manipulation perverse des fibres les plus essentielles, les plus intimes, des
convictions les plus profondes de dizaines de milliers de nos concitoyens juifs.
Jusqu'à ces dernières semaines, beaucoup étouffaient littéralement d'angoisse à
voir insulter en leur nom ! des démocrates, leurs frères, qui
exercent leur responsabilité de citoyens en condamnant la politique actuelle du
gouvernement israélien. Ils étouffaient de voir nier, au profit d'un
communautarisme étroit se réclamant du judaïsme, les solidarités qui lient les
juifs à leurs concitoyens de toutes origines ou toutes confessions, chrétiens,
musulmans, athées, etc., qui comme eux, aspirent à un monde sans racisme, un
monde de justice et de progrès, d'égalité des droits, de respect des droits des
peuples.
Voilà pourquoi, de cette angoisse et de cet étouffement, a surgi le
manifeste «Une autre voix juive», comme un cri libérateur : «Parce que nous ne
pouvons plus supporter l'horreur devenue quotidienne au Proche-Orient...». Ainsi
commence ce manifeste, accueilli comme une délivrance par tant de nos
concitoyens juifs qui se voient enfin offrir la possibilité de faire entendre
«Une autre voix juive», leur voix.
5. Attention : embouteillage
! Une feuille de route vers nulle part par Kathleen Christison
in
CouterPunch.org (newsletter politique américaine) du dimanche 4 mai
2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
(Kathleen Christison a travaillé
à la CIA, dont elle a pris sa retraite en 1979. Depuis lors elle se consacre
principalement à la question palestinienne. Elle est l’auteur des ouvrages
"Impressions de Palestine" - Perceptions of Palestine - et "La Blessure de
la dépossession" - The Wound of Dispossession -.)
La « feuille de
route » vers la paix entre Israël et les Palestiniens, enfin remise avec peu de
fanfare et encore moins d’enthousiasme le 1er mai, après pas moins d’un an
d’errance sans but, est condamnée à l’échec, c’est une certitude. Des défauts
internes quasi fatals et des contraintes politiques extrêmes imposées à sa mise
en application en font une carte routière vers nulle part, destinée au même
terrain vague sur lequel les épaves des Plan Mitchell, Tenet et Zinni ont fini
par rouiller, durant les deux années de bons et loyaux services du tandem
Bush-Sharon au chevet du soi-disant « processus de paix ».
La ‘carte
routière’, tracée pour la première fois en automne 2002, est l’œuvre commune du
Quartet, une combinaison diplomatique informelle concoctée par Colin Powell,
pour les Etats-Unis, Kofi Annan pour l’Onu, Javier Solana pour l’Union
européenne et le ministre des Affaires étrangères, Igor Ivanov, pour la Russie.
Mise au point en décembre dernier, la ‘feuille de route’ préconise une première
phase, qui doit se prolonger jusqu’à la fin du mois de mai, durant laquelle les
Palestiniens doivent mettre un terme inconditionnel à tout acte de violence et
procéder à des réformes politiques dans son administration, nommer un premier
ministre, rédiger une constitution et tenir des élections, Israël se retirant,
dans le même temps, des zones (ré)occupées depuis le début de l’Intifada, en
septembre 2000, démantelant les colonies construites depuis mars 2001 (soit
depuis l’entrée en fonctions d’Ariel Sharon), et gelant toutes les activités de
colonisation. Inutile de dire que, même si la date limite pour la mise en
pratique de cette phase ne tombait pas déjà dans trois semaines, il y aurait peu
d’espoir de voir remplis ces objectifs conséquents dans un futur
rapproché.
Au cours de la seconde phase, de juin jusqu’à décembre 2003, le
Quartet doit convoquer une conférence internationale afin de lancer un processus
de négociations conduisant à l’établissement d’un « Etat palestinien indépendant
doté de frontières provisoires et d’attributs de souveraineté ». La troisième
phase (finale), impliquant la tenue d’une deuxième conférence internationale,
ambitionne la fin de l’occupation israélienne et la création d’un Etat
palestinien « indépendant, démocratique et viable » à une date indéterminée,
mais courant 2005. L’accord de paix définitif résoudra toutes les questions
restées en suspens, dont les frontières, les implantations, le statut de
Jérusalem et le sort à réserver aux réfugiés. Ce plan exhorte aussi « les pays
arabes à accepter d’avoir des rapports normaux et sans restriction avec Israël »
à la fin du processus de négociations, sans donner plus de détails.
Bien que
la feuille de route soit le fruit de la collaboration des membres du Quartet,
les Etats-Unis en contrôlent quasi seuls le contenu et le calendrier, et ils en
seront l’arbitre en dernière instance, en coopération avec un Israël extrêmement
réticent à le mettre en œuvre. On a la très forte impression qu’il s’agit du
baiser de la mort. Israël a fait savoir qu’il a en réserve une centaine
d’avenants à apporter à cette feuille de route et qu’il est d’ores et déjà en
train d’interpréter le plan à la lumière de sa vision propre des choses, en
particulier pour ce qui concerne l’importante question de savoir si ce plan
appelle à une mise en application pratique de ses exigences de manière parallèle
entre les deux parties, ou séquentielle ? Bien que le plan énonce très
clairement que, dans chaque phase, « les parties sont censées satisfaire à leurs
obligations parallèlement, sauf indication contraire », il conditionne, plus
loin, l’action israélienne à des gestes palestiniens préalables, appelant Israël
à se retirer des zones (ré)occupées depuis septembre 2000, mais seulement «
progressivement » et seulement « au fur et à mesure que les performances des
Palestiniens en matière de sécurité auront progressé. » Colin Powell a fait part
de son point de vue – qui n’aide en rien – selon lequel les étapes de la feuille
de route « seront parallèles, mais elles ne seront pas exactement mutuellement
synchronisées (entre les deux parties). » ( !, ndt)
Un kamikaze palestinien a
d’ores et déjà fourni à Israël un prétexte pour temporiser, en commettant un
attentat le jour où le nouveau premier ministre palestinien, Mahmoud Abbas,
prenait ses fonctions. Sharon a décidé de garantir qu’il y aura bien terrorisme
palestinien à l’avenir, et donc échec des « avancées globales en matière de
sécurité » de Abbas, en lançant des attaques à Gaza le lendemain même de la
publication de la feuille de route. Cette attaque particulièrement violente a
causé la mort de treize Palestiniens, pour la plupart des civils, dont un bébé
de deux ans, deux jeunes adolescents, un handicapé mental, une femme, et un
homme âgé de soixante-quinze ans.
S’agissant de Sharon, nous avions là son
modus operandi standard. Grâce à des opérations d’assassinats parfaitement
programmées et à des attaques dites « de représailles » ainsi que des incursions
à l’intérieur des territoires palestiniens, il a réussi à faire échouer toute
les initiatives de paix au cours des trois ou quatre années écoulées. Il a
saboté au moins deux missions de médiation, à l’initiative de l’envoyé spécial
Anthony Zinni, en 2001 et 2002, au moyen d’opérations d’assassinats « ciblés »
qui provoquèrent directement des attentats suicides; il a fait capoter
l’initiative de paix de l’Arabie Saoudite et de la Ligue arabe, en mars 2002, en
procédant à une incursion majeure dans des camps de réfugiés palestiniens, qui
conduisit, elle aussi, à un attentat suicide ; il cassa un cessez-le-feu en
cours avec le Hamas en bombardant un immeuble de Gaza, tuant quatorze civils qui
y dormaient, dont la moitié étaient des enfants, en juillet 2002 ; et il a
veillé à saper toutes les tentatives déployées par Yasser Arafat afin d’imposer
un cessez-le-feu, en lançant de multiples incursions dans les territoires
palestiniens, alors mêmes que les Palestiniens, de leur côté, s’évertuaient à
maintenir le calme. La plupart des observateur – excepté, bien entendu, ceux de
l’administration Bush – ont qualifié comme il convenait ces actes de
provocations, ce qu’elles étaient en réalité. Mais Bush et son équipe persistent
à voir en Sharon un « homme de paix » et ils vont sans doute continuer à le
faire, même lorsque Sharon réussira, comme par le passé, à provoquer un regain
de terrorisme dans le but de faire échouer la ‘feuille de route’.
Les
Etats-Unis n’ont pas accédé à la demande de Sharon qui voulait que des
modifications soient apportées au plan avant même sa publication. Mais Bush a
indiqué très clairement que les deux parties peuvent déjà commencer à négocier
sur les points énoncés dans la feuille de route, ce qui revient à donner à
Sharon carte blanche pour allonger à l’infini les délais et faire obstruction.
Bush lui-même et son administration sont visiblement peu enthousiastes pour ce
plan et apparemment, s’ils ont fini par le publier, après un délai de six mois,
c’est uniquement afin d’aider Tony Blair qui avait grand besoin de pouvoir
montrer à ses opposants intérieurs quelque signe suggérant qu’on avance vers la
paix au Moyen-Orient après sa participation, très impopulaire, à la guerre de
Bush en Irak.
Colin Powell est, de toute évidence, le seul héraut de la
feuille de route dans l’administration américaine, laquelle la condamnera
vraisemblablement, le moment venu. La plupart des décideurs politiques et des
experts auprès de M. Bush ne reconnaissent même pas que les territoires
concernés sont des « territoires occupés », et ils s’opposent activement à ce
qu’on exige d’Israël qu’il s’en retire. Donald Rumsfeld est connu pour avoir
qualifié ces territoires de « territoires soi-disant occupés », l’année dernière
; Richard Cheney ne s’est pas aussi explicitement fait remarquer, mais, en tant
que membre de longue date d’organisations de droite aussi outrageusement
pro-israéliennes que le Jinsa, il n’est de toute évidence pas un partisan
enthousiaste du compromis territorial de la part d’Israël ; d’autres
personnalités de poids de l’administration tels Douglas Feith et Richard Perle,
au ministère de la Défense ou dans sa périphérie, ainsi qu’Elliott Abrams, au
Conseil de Sécurité Nationale, affichent depuis longtemps leur conviction
qu’Israël détient en bon père de famille la Cisjordanie, Gaza et Jérusalem Est,
en vertu de droits de propriété bibliques et qu’il doit à jamais en conserver le
contrôle. Aucune feuille de route vers la paix n’est à espérer avec ces gens-là
!
Après s’être incliné aussi facilement qu’on sait durant la gué-guerre
intestine à l’administration au sujet de la guerre contre l’Irak, Powell semble
dès lors totalement dans l’incapacité de tenir tête – et peut-être n’a-t-il même
pas seulement l’intention de se battre contre elles – aux pressions
internes qui ne manqueront pas de s’exercer sur la feuille de route.
Les
pressions sur Bush et compagnie, venues de l’extérieur de l’administration, sont
encore beaucoup plus intenses. Israël est en train de lancer une action de
lobbying intensif et massif contre la feuille de route, tout du moins dans son
état actuel, conjointement avec l’Aipac, d’autres grandes organisations juives
et la communauté des chrétiens fondamentalistes au sens large. Le ministre
israélien du tourisme, l’un parmi d’autres chauds partisans du « transfert »
(l’expulsion des Palestiniens) du gouvernement Sharon, est en ce moment même aux
Etats-Unis dans le but très précis de susciter une campagne anti-feuille de
route en dehors de l’administration. La plupart du travail préparatoire a d’ores
et déjà été mené à bien, par d’autres, à son intention : 88 sénateurs et 316
membres du Congrès ont déjà envoyé à Bush des lettres en ce sens. A
l’instigation de l’Aipac, ces lettres expriment des réserves très sérieuses au
sujet de la feuille de route, en raison des pressions qu’elle ferait peser sur
Israël, et plusieurs dirigeants fondamentalistes chrétiens l’ont très fortement
condamnée. Dans la droite chrétienne, beaucoup de gens, dont les deux
prédicateurs évangélistes les plus connus, des membres du Congrès et d’autres
hommes politiques, ont été très clairs au sujet du soutien qu’ils apportent à
Israël afin qu’il conserve les territoires et en expulse les Palestiniens.
En
revanche, un groupe de cent rabbins américains et un autre groupe de quatorze
philanthropes juifs ont envoyé des courriers à Bush soutenant la feuille de
route et l’exhortant à la faire mettre en application le plus rapidement
possible. Mais ce sont là des voix prêchant dans le désert, en comparaison avec
les forces mobilisées contre elle. Les autres membres du Quartet ne semblent pas
non plus être assez forts pour presser les Etats-Unis de donner suite à la
feuille de route jusqu’au bout. En fin de compte, Bush sera très réticent à
entrer dans une confrontation directe avec Sharon, qu’il aime bien, apparemment,
et avec lequel il a le bon « feeling ». Et, sans doute encore plus important,
même s’il était enclin à pousser de l’avant une initiative de paix authentique,
il serait néanmoins extrêmement réticent, à l’approche des prochaines élections
présidentielles, à l’idée de se mettre à dos le lobby conjoint des
fondamentaliste chrétiens et des pro-israéliens.
Même en faisant abstraction
de l’opposition virtuellement insurmontable à laquelle la feuille de route est
confrontée, il s’agit d’un document passablement déséquilibré. Sur le papier, la
feuille de route énonce beaucoup de choses très justes. Elle reconnaît qu’il y a
une occupation [ce n’est pas le cas de tout le monde, nous l’avons vu, ndt] et
elle appelle à ce qu’il y soit mis fin. Elle réclame un gel de la colonisation
israélienne. Elle donne l’impression d’exiger une mise en œuvre simultanée des
phases successives par les deux parties, en fondant un futur accord de paix sur
les résolutions du Conseil de sécurité n° 242 et sur le principe « la terre
contre la paix ». Elle entérine, enfin, la nécessité, pour le futur Etat
palestinien, d’être viable.
Néanmoins, dans l’ensemble, ce document est un
moteur grippé (‘a non-starter’ : une bagnole qui ne démarre pas, dit
l’expression américaine, très imagée. ndt).
Le cadre temporel à long terme
et l’approche par étapes en sont les insuffisances majeures. Les Palestiniens
craignent à juste titre toute approche par étapes, car Oslo leur a délivré le
message très clair selon lequel, sans de fortes pressions des Etats-Unis, Israël
fera de chaque phase intérimaire (et, en tant que telle, insatisfaisante du
point de vue palestinien) un arrangement permanent. Cela représente un danger
tout particulier au cours de la phase II de la feuille de route, qui appelle à «
un Etat palestinien indépendant, doté de frontières provisoires et d’attributs
[remarque : ‘d’attributs’, et non ‘des attributs’. Veut-on refaire aux
Palestiniens le coup de la résolution préconisant le retrait « de » territoires
en anglais et « des » territoires en français, ou bien est-ce en raison du
caractère encore provisoire des frontières… ? Méfiance, méfiance ! ndt] de
souveraineté. » Mis à part le fait évident que, si les frontières sont seulement
provisoires, il ne peut y avoir ni véritable Etat, ni indépendance, ni
souveraineté, ni même attributs de quoi que ce soit, d’ailleurs, le réel danger,
ici, est qu’ayant réalisé ce qu’Israël, les Etats-Unis et le reste du monde
appelleront, n’en doutons pas un instant, « une souveraineté étatique
indépendante », peu importe ce que sera la réalité, les Palestiniens impuissants
n’auront à leur disposition absolument aucun moyen d’exercer une quelconque
pression pour que l’on passe à l’étape suivante.
Un accord de paix et une
souveraineté nationale palestinienne programmée, mais pas avant 2005, dans une
situation où le plan, qui n’en est qu’à son tout début, a déjà pris six mois de
retard ? Ces semelles de plomb sont en elles-mêmes la garantie qu’un certificat
de décès finira par être délivré pour ce plan. A moins que la construction de
colonies, de routes et les confiscations de terres palestiniennes par Israël ne
soient stoppées dès aujourd’hui, il n’y aura pas d’endroit où installer ni un
Etat provisoire, cette année, ni un Etat réel, d’ici deux ans. Les saisies de
terrains par les Israéliens se poursuivent à un rythme tellement inexorable et
la Cisjordanie est en train d’être pavée de blocs de colonies tellement énormes
et d’autoroutes à accès limité sur une échelle tellement importante que la
Cisjordanie aura vraisemblablement été totalement phagocytée par Israël avant
même que la feuille de route ait fini par permettre de trouver un itinéraire
vers une paix authentique.
Philip Wilcox, ancien consul américain à
Jérusalem et aujourd’hui directeur de la Fondation pour la Paix au Moyen-Orient,
sise à Washington, a observé récemment qu’il est impossible de se faire une
représentation correcte de l’échelle des projets israéliens de colonisation et
de la rapidité avec laquelle ils se poursuivent tant qu’on n’est pas allé sur
place pour voir ce qui est en train de se passer dans cette région. Peu
d’Américain – y compris chez les décideurs politiques – lisent ne serait-ce que
les textes à ce sujet ou ne regardent les cartes ; encore moins nombreux, y
compris chez les décideurs politiques, sont-ils à avoir jamais vu la situation
telle qu’elle est en se rendant sur place.
L’absence de clauses exécutoires,
et la forte probabilité qu’aucun gouvernement américain n’exercera jamais aucune
pression sur Israël pour le contraindre à mettre en application les mesures
qu’il doit prendre afin de permettre au projet d’avancer, sont aussi des
empêchements majeurs. En dépit de son appel à une démarche parallèle, la feuille
de route reste très vague quant au timing et très imprécise sur le séquençage,
si bien que tout le poids pèse sur les Palestiniens. Les Palestiniens se sont
déjà vu requérir de réformer leur administration et Israël demande aujourd’hui
explicitement aux Palestiniens qu’ils se plient à l’exigence de mettre un terme
définitif à toute action violente avant qu’il ne daigne procéder lui-même à une
quelconque avancée. L’administration Bush ne va, c’est une quasi-certitude,
formuler aucune objection à cette exigence abusive, et elle ne va sans doute
même pas non plus sourciller devant le genre de provocations qu’Israël a
déclenché la semaine dernière.
D’après le commentateur israélien Akiva Eldar,
Daniel Kurtzer, ambassadeur des Etats-Unis en Israël, avait fait une conférence
l’année dernière, en Israël, sur la feuille de route. Critiquant à demi mots
Bush et son administration, il avait cité un aphorisme de Yogi Berra : « Si vous
ne savez pas où vous allez, soyez prudent, car vous risqueriez de ne jamais y
arriver. » Yogi ne croyait pas si bien dire : la feuille de route semble aller
tout droit, très clairement, vers un super embouteillage sur la super autoroute
des relations américano-israéliennes. Tous les indices aujourd’hui disponibles
indiquent que l’administration Bush préfèrera ignorer le bouchon autoroutier,
plutôt que de porter atteinte à ces sacro-saintes Relations.
6. Pouvons-nous en parler
? par Eric Altman
in L'intelligent - Jeune Afrique du dimanche 4 mai
2003
Cette guerre a mis les juifs en vitrine comme jamais auparavant.
Ses principaux architectes - Paul Wolfowitz, Richard Perle et Douglas Feith -
sont tous des néoconservateurs juifs. Juifs aussi, beaucoup de ceux qui mènent
le combat dans les médias, tels William Kristol, Charles Krauthammer et Marty
Peretz. Joe Liberman, l'homme politique juif le plus en vue aux États-Unis, a
été l'un des va-t-en-guerre les plus actifs.
Se pose aussi le problème de la
« mainmise » juive sur les médias. S'il n'y a pas à tirer de conclusion
particulière du fait que les familles propriétaires du New York Times et du
Washington Post sont juives, ce n'est pas le cas avec les patrons juifs, disons,
du U.S. News and World Report et de la New Republic. Mortimer Zuckerman est à la
tête de la Conférence des présidents des principales organisations juives
américaines, et Peretz est le président officieux du Comité antidiffamation
américano-arabe. Ni l'un ni l'autre n'hésitent à remplir leur magazine
d'informations qui peuvent être utiles aux juifs.
Ce qui n'arrange rien,
c'est que beaucoup de ces activistes juifs - ces « likoudniks », comme on les
appelle - semblent avoir un comportement conforme aux stéréotypes antisémites
les plus éculés. À la grande joie des authentiques antisémites, le projet d'une
nouvelle guerre pour chasser Saddam a été partiellement conçu à la demande de
l'ex-Premier ministre du Likoud Benyamin Netanyahou dans un document écrit
expressément à son intention par Perle, Feith et d'autres en 1996.
Or la
difficulté quand on s'interroge sur la thèse du complot de la « guerre juive »
est la réticence générale à se poser la question de l'influence israélienne et
américano-juive sur la politique étrangère des États-Unis. Quelques auteurs,
notamment Stanley Hoffmann, Robert Kaiser et Mickey Kaus, se sont interrogés
prudemment. Mais dans la page « Opinions » du Washington Post, le rédacteur en
chef de la New Republic Lawrence Kaplan écrit qu'évoquer seulement « le spectre
du double loyalisme » est « toxique ». Kaus notait à juste titre dans Slate que
le tabou du double loyalisme est « très manifestement destiné à empêcher les
gens de poser le problème des likoudniks ». Et ça marche.
Tout cela est très
embarrassant pour le gentil chroniqueur juif que je suis. Mon double loyalisme à
moi - voilà, j'ai avoué - m'a été inspiré par mes parents, mes grands-parents,
mes professeurs de l'école hébraïque et mes rabbins, sans parler des moniteurs
qui nous accompagnaient dans nos voyages d'adolescents en Israël et des
représentants à l'université du lobby Aipac. C'était à peu près le seul point
sur lequel ils étaient tous d'accord. Et pourtant, cette fidélité à Israël
provoque une certaine confusion chez ceux qui la pratiquent, à savoir : quels
intérêts sont prioritaires, ceux de l'Amérique ou ceux d'Israël ? À gauche, on
est certain que la fin de l'occupation et l'existence d'un État palestinien
pacifique et prospère sont le meilleur moyen de préserver à la fois la sécurité
d'Israël et les intérêts américains. Les likoudniks pensent que la meilleure
solution pour Israël comme pour les États-Unis, c'est de taper sur les Arabes
aussi fort que possible, car « la force est la seule chose que ces gens-là
comprennent ».
Mais il faudrait avoir l'honnêteté d'imaginer au moins une
opposition hypothétique entre les intérêts américains et israéliens. Ici, je me
sens un peu seul quand je reconnais que de temps en temps, je pencherais pour
l'intérêt d'Israël. Comme on me l'a expliqué et réexpliqué quand j'étais jeune,
l'Amérique peut faire un million d'erreurs, personne n'annexera notre pays ni ne
nous liquidera. Israël est loin d'être aussi vulnérable que beaucoup d'entre
nous l'ont cru, mais il reste un petit îlot juif entouré par une mer d'Arabes
largement hostiles. Peut-être l'aide apportée par l'Amérique à Israël en 1973
a-t-elle été une erreur stratégique, mais l'alternative étant ce qu'elle était,
peu m'importe. Comme Moshe Dayan l'a dit à Golda Meir à l'époque, le « troisième
temple » était menacé. Tant pis pour le prix de l'essence !
Je serais
surpris si les faucons likoudniks ne ressentaient aucune émotion à l'idée de
défendre le « troisième temple » de Dayan. L'incapacité où nous sommes de poser
la question fait sombrer la discussion dans des profondeurs parfois antisémites.
Si les likoudniks ont joué un rôle malsain dans la préparation de cette guerre
(et dans celles qui suivront), et si de nouveaux débats éclairent ce fait
regrettable, je dirais : « Que la lumière soit ! » S'il y a quelque chose de «
toxique » simplement à en parler, le problème n'est probablement pas dans les
paroles, mais dans les actes.
7. L'ombre des mots
par Robert Solé
in Le Monde du dimanche 4 mai 2003
(Robert
Solé est le médiateur du quotidien Le Monde.)
RIEN n'échappe aux
lecteurs. Surtout pas les mots employés de travers, qui faussent le sens des
informations... Henri Lopes, de Suresnes (Hauts-de-Seine), a lu dans Le Monde
daté 20-21 avril le titre suivant : "Quatre généraux en retraite sont candidats
à la présidence du Nigeria". Il commente : "Je me suis demandé si une guerre
avait éclaté au Nigeria et si au cours de celle-ci des généraux avaient été
contraints de battre en retraite. L'autre possibilité était qu'il s'agissait de
généraux chrétiens qui s'étaient retirés dans quelque monastère du pays. La
lecture de l'article m'a permis de comprendre que l'auteur avait voulu parler de
généraux à la retraite, c'est-à-dire d'anciens militaires qui avaient quitté la
vie active, frappés par la limite d'âge. N'étant pas français mais simplement
francophone, j'aimerais que vous me précisiez si mon interprétation est
exacte."
Elle l'est, bien sûr, et M. Lopes connaît trop bien la langue de
Molière pour en douter... A titre de précaution, je suis allé vérifier dans la
banque de données du Monde si l'on n'avait pas commis la même erreur avec le
général américain Jay Gardner, nommé administrateur civil provisoire en Irak.
Dieu merci, il a bien été qualifié de général à la retraite.
Le chroniqueur
militaire du Monde, Jacques Isnard, me fait cependant remarquer que le mot
"retraite" s'applique mal à un général, qui est un cadre de réserve, susceptible
d'être rappelé à tout moment. Ajoutons, pour compliquer les choses, que Jay
Gardner est diplômé de l'université Harvard et non de l'académie militaire de
West Point : il n'est général qu'en raison des missions administratives qu'il a
accomplies, notamment au Vietnam.
Que dire alors de Tarek Aziz ? Le
vice-premier ministre de Saddam Hussein n'est plus rien depuis la chute du
régime à Bagdad. Il pouvait passer pour général du temps de sa splendeur. A tort
: l'uniforme qu'il portait dans les réunions officielles, au milieu d'autres
moustachus galonnés, était celui du parti Baas, non de l'armée
irakienne.
Tarek Aziz est désormais en état d'arrestation, nous a appris Le
Monde du 26 avril : "Malgré sa notoriété, son nom ne figurait qu'au 43e rang des
55 personnalités irakiennes les plus recherchées par les Américains (le 8 de
pique dans le jeu de cartes distribué par le Pentagone)."
Cette dernière
précision a choqué plusieurs lecteurs, dont Philippe Denis (Paris). "Je trouve
déplorable, écrit-il, l'usage de ces images qui, par leur mise en scène,
transforment la chute de ce régime brutal en un jeu, et ses anciens responsables
en figures de cartes à abattre. Cette présentation ludique me semble manifester
un grand mépris, pour les intéressés, pour leurs victimes et pour les peuples de
la région, aux yeux desquels un jeu de cartes ne signifie rien, sinon la morgue
des vainqueurs."
J'allais donner tort à M. Denis, en faisant valoir qu'un
journal ne peut ignorer une telle opération de communication, quand j'ai lu la
suite de sa lettre. "D'un point de vue strictement journalistique, ajoute-t-il,
si la création de ce "jeu", concocté par les généraux du Pentagone, représentait
une information digne d'intérêt et de commentaires, sa reprise et sa
banalisation ne laissent pas d'étonner." Il n'est pas nécessaire, en effet, de
répéter à chaque fois que Tarek Aziz a été qualifié de 8 de pique par les
Américains. Le Monde du 30 avril a d'ailleurs fait état de la reddition de
l'ex-ministre du pétrole, Amer Mohammed Rachid, 47e sur la liste, sans préciser
- ce qui ne nous intéresse pas - s'il était 9 de trèfle ou 10 de
carreau...
Dans le même ordre d'idées, des lecteurs reprochent régulièrement
au Monde d'appeler "Tsahal" l'armée israélienne. En adoptant ce nom officiel, ne
gomme-t-on pas le caractère guerrier de l'institution ? Ne lui donne-t-on pas
une connotation positive, sinon héroïque ?
En sens inverse, certains ne
supportent pas que Yasser Arafat soit appelé familièrement "le Vieux". Mais
peut-on se dispenser de ces expressions ou clichés, qui font partie du discours
public ? Souvent, les journalistes ne les utilisent que pour une raison
technique : éviter les répétitions de mots.
Il est en d'autres, plus
délicats, qui suscitent immanquablement des protestations. "Origine juive", par
exemple. C'est une manière de désigner des juifs non pratiquants, laïques voire
athées, sans leur donner une étiquette religieuse à laquelle ils ne tiennent
nullement. Valable pour un pays ou une région géographique, le mot "origine"
peut-il s'appliquer à une religion ? Dans certains cas, il vaut mieux dire que
telle personne est de "parents juifs" ou de "famille juive"; dans d'autres, tout
simplement qu'elle est juive. A condition cependant que ces précisions soient
nécessaires pour comprendre l'information.
ETAIT-IL nécessaire d'indiquer
l'appartenance juive de plusieurs néoconservateurs américains dans l'article
d'Alain Frachon et de Daniel Vernet, intitulé "Le stratège et le philosophe" (Le
Monde du 16 avril) ? Commentaire acerbe d'un avocat parisien, Serge Cohen :
"Votre article permet aux lecteurs de bien savoir qui sont vraiment les
bellicistes qui noyautent l'administration américaine. Cette initiative, très
intéressante, mérite d'être développée et généralisée. A l'avenir, dans tous les
articles du Monde, dès qu'il serait fait mention d'une personne juive elle-même
ou dont l'un des quelconques parents (jusqu'à la quatrième génération incluse)
était juif, l'indication de cette religion serait immédiatement signalée. A ce
sujet, je me permets de vous faire une petite suggestion d'ordre pratique et
typographique : on ferait suivre le nom de chacune des personnes répondant aux
caractéristiques susmentionnées d'une étoile de David, de couleur jaune
naturellement."
De manière moins polémique, Philippe Gelblat (courriel) pose
des questions : "Cet article est très intéressant, mais pourquoi les auteurs
ont-ils jugé utile de préciser qu'un certain nombre des néoconservateurs
américains sont juifs ? Est-il besoin de savoir que Wolfowitz est juif pour
comprendre le courant de pensée néoconservateur ? L'article note d'ailleurs que
les néoconservateurs s'opposent à Kissinger, mais sans préciser que ce dernier
aussi est juif, ce qui démontrerait a contrario que l'origine religieuse n'a
aucun intérêt dans ce débat. Normalement, je n'y prêterais pas attention. Mais
comme, au même moment, certains, dans les manifestations, condamnent à la fois
l'intervention irakienne en Irak et la politique israélienne, et que d'autres
attaquent les "croisés et les juifs", je me demande si ce n'est pas entrer dans
la logique de l'antisémitisme que de rappeler systématiquement l'origine
religieuse des responsables américains."
AYANT relu l'article en question,
qui est très éclairant sur les influences subies par George Bush, je ne partage
pas l'opinion de M. Gelblat. D'abord, il n'y a pas de "rappel systématique":
l'appartenance juive de plusieurs personnes citées n'est pas indiquée, parce
qu'elle n'a pas d'incidence dans ce débat. En revanche, il était nécessaire de
dire que plusieurs inspirateurs du courant néoconservateur sont juifs, de même
que d'autres membres de l'entourage présidentiel sont qualifiés de
fondamentalistes chrétiens. C'est vrai, en particulier, pour Paul Wolfowitz, qui
affirme lui-même l'importance de son judaïsme. C'est encore plus vrai pour Leo
Strauss, dont il se réclame et qui avait placé l'Ancien Testament au cœur de sa
réflexion.
Un lecteur bruxellois, Lucien Basch, est indigné, lui, de la
mention "philosophe juif d'origine allemande Leo Strauss". Il commente : "Les
auteurs de l'article auraient-ils fait état du "philosophe juif d'origine
française Henri Bergson" ? Cette mention n'est pas antisémite en soi, mais elle
fait le lit de l'antisémitisme."
J'ai du mal à suivre ce raisonnement.
L'origine allemande de Leo Strauss devait être soulignée dans l'article :
n'est-ce pas l'effondrement de la République de Weimar qui a conduit ce
philosophe à analyser la fragilité des régimes démocratiques face à la tyrannie
? N'est-ce pas son expérience d'Allemand et de juif qui lui a permis d'élaborer
sa réflexion ?
Toujours à propos de cet article, un autre lecteur, Michel
Garbarz, s'élève contre le qualificatif de "juif new-yorkais". Pourquoi,
demande-t-il, met-on en avant la religion, avant la citoyenneté ? "Cela ne vaut
que pour les juifs. Il ne viendrait pas à l'idée décrire "un protestant
français" ou "un catholique anglais". Seuls les juifs bénéficient de ce
traitement de faveur, qui permet de les isoler et de les montrer du doigt. Cet
ostracisme est le premier degré de l'antisémitisme."
De grâce, ne voyons pas
de l'antisémitisme là où il n'est pas ! "Juif new-yorkais"n'a rien d'infamant.
Cela correspond à un groupe culturel bien défini, qui est fier de ses
traditions, de ses succès, de son humour. Il n'est même pas besoin, pour le
souligner, d'appeler Woody Allen à la rescousse...
8. "Le chapeau aux
Palestiniens" par Valérie Féron
in 24 heures (quotidien suisse) du
samedi 3 mai 2003
Selon le député israélien Mustapha Barghouti, Sharon
va tout mettre en œuvre pour faire capoter le plan de pacification.
Ramallah
- L’opération israélienne à Gaza, «préparée bien avant la publication (mercredi)
de la feuille de route» selon un porte-parole israélien, n’a en rien étonné les
Palestiniens: «Le but de Sharon est d’empêcher l’application de la «feuille de
route» et de faire porter aux Palestiniens le chapeau pour son échec, explique
le député Mustapha Barghouti. Il va tout faire pour cela. Il fait croire à
l’extérieur qu’il accepte la «feuille de route», alors qu’en fait il n’en est
rien, et pour une raison très simple: la «feuille de route» exige le gel de la
colonisation. Sans pression américaine, il ne bougera pas. Ce jeu-là, nous
l’avons déjà vu avec Oslo. L’approche est la même en pire: un accord intérimaire
qui évite de mettre sur la table les principales questions: les réfugiés,
Jérusalem, les frontières, la souveraineté. Et, à chaque étape, nous,
Palestiniens, perdons un peu plus de notre terre.»
Risque de
radicalisation
Et de rappeler que mardi, au moment où le Parlement
ouvrait sa session pour voter la confiance au cabinet de Mahmoud Abbas, quatre
Palestiniens avaient déjà été tués dans des incursions israéliennes. Le
président Arafat y avait fait allusion dans son discours, estimant qu’il
s’agissait «d’un message clair» envoyé aux Palestiniens. Le gouvernement fut
approuvé sans enthousiasme, les députés se demandant quelle serait sa marge de
manœuvre réelle. Le mercredi, deux jeeps israéliennes rôdaient près des bureaux
du premier ministre, alors que ce dernier recevait les représentants du
«quartette» venus lui remettre la feuille de route censée relancer le processus
de paix. En l’absence de perspectives politiques sérieuses, le risque de
radicalisation de la société, déjà au bord du gouffre depuis des mois, est
sérieux. Un jeu mal compris à l’extérieur, estime le ministre du Travail, le
politologue Ghassan el-Khatib: «Ne confondons pas les causes avec les effets.
C’est l’occupation israélienne avec ses atrocités qui est la cause de la
réaction violente du Hamas et d’autres groupes. 60 à 80% des Palestiniens
soutiennent la lutte armée pour se débarrasser de l’occupation. Ils estiment que
quelqu’un doit répondre aux Israéliens. C’est pourquoi une véritable reprise des
pourparlers est nécessaire, avec un arrêt des agressions israéliennes et un
retrait des zones autonomes réoccupées, pour que les gens sentent qu’il faut
laisser une chance aux efforts politiques. Là le cabinet pourra être
efficace.»
Mustapha Barghouti, qui prône avec d’autres une troisième voie, va
plus loin: «Des réformes oui, mais plus importantes, avec une démilitarisation
de l’Intifada, mais accompagnée d’une vraie résistance, forte et pacifique, qui
dirait au monde que le conflit n’est pas une simple dispute de négociateurs;
qu’il est question de l’oppression d’un peuple qui veut être libre. En quoi cela
porte-t-il préjudice aux Israéliens? Si les Palestiniens obtiennent leur
indépendance, ils protégeront l’accord signé puisqu’il sera le futur des deux
peuples. Mais un autre accord obtenu par la force et basé sur l’injustice
n’apportera que plus de souffrances.»
9. La "Feuille de
route"
in Le Monde du samedi 3 mai 2003
Voici le texte
intégral des trois étapes prévues par la "feuille de route". Ce nouveau plan de
paix a été élaboré par le Quartet, rassemblant les Etats-Unis, l'Union
européenne, la Russie et les Nations unies. Ce document, officiellement
transmis, le 30 avril, au gouvernement israélien et à l'Autorité palestinienne,
constitue, selon les auteurs "un élément crucial des efforts internationaux pour
promouvoir une paix globale" dans la région.
Le Quartet présente aujourd'hui
au gouvernement d'Israël et à l'Autorité palestinienne une feuille de route pour
la réalisation de la vision, partagée par les Etats-Unis, l'Union européenne, la
Fédération de Russie et les Nations Unies, de deux Etats, Israël et la
Palestine, vivant côte à côte dans la paix et la sécurité. Les membres du
Quartet œuvreront avec les parties et avec les acteurs-clés de la région pour
l'exécution de cette feuille de route, dans la logique de cette vision.
(...)
Le but est un règlement définitif et complet du conflit
israélo-palestinien d'ici à 2005, conformément au discours du 24 juin du
président Bush, qui reçut l'approbation de l'Union européenne, de la Russie et
des Nations unies, exprimée par les déclarations officielles du Quartet, le 15
juillet et le 17 septembre. (...) Le plan a fixé un calendrier réaliste pour son
exécution. Néanmoins, reposant sur des mesures concrètes, sa progression
nécessitera et dépendra des efforts de bonne foi faits par les parties, et de
leur observation de chacune des obligations exposées ci-dessous. Si les parties
s'acquittaient rapidement de leurs obligations, l'accomplissement de chaque
étape et le passage de l'une à l'autre pourraient intervenir plus tôt que prévu
par le plan. Le non-respect des obligations ralentira le processus. (...)
Cette initiative constitue un élément crucial des efforts internationaux
pour promouvoir une paix globale sur tous les volets de la question, incluant le
problème d'Israël avec la Syrie et le Liban. (...)
1. Première
phase. Fin de la terreur et de la violence, normalisation de la vie des
Palestiniens, mise en place d'institutions palestiniennes, jusqu'en mai 2003.
Au cours de la première phase, les Palestiniens mettent un terme
immédiat et inconditionnel à la violence, conformément aux étapes suivantes :
cette action devra s'accompagner de mesures de soutien prises par Israël.
Palestiniens et Israéliens reprennent la coopération sécuritaire sur la base du
plan de travail Tenet pour en finir avec la violence et le terrorisme, et leur
incitation, à travers des services de sécurité palestiniens restructurés et
efficaces. Les Palestiniens entreprennent des réformes politiques globales pour
préparer l'émergence d'un Etat, incluant la rédaction d'une Constitution
palestinienne et des élections ouvertes, libres et justes, sur la base de ces
deux mesures.
Israël prend toutes les dispositions nécessaires pour
contribuer à la normalisation de la vie des Palestiniens. Israël se retire des
zones palestiniennes occupées depuis le 28 septembre 2000, et les deux parties
rétablissent le statu quo existant à l'époque, pendant que progressent la
coopération et la réalité de la sécurité. Israël gèle également toutes les
activités de colonisation, conformément au rapport Mitchell.
Dès le début de
la première phase : l'autorité palestinienne publie une déclaration sans
équivoque, réitérant le droit d'Israël à exister en paix et en sécurité, et
appelant à un cessez-le-feu immédiat et sans condition, afin de mettre un terme
à l'activité armée et à tous les actes de violence, partout, contre des
Israéliens. Toutes les institutions officielles palestiniennes mettent fin à
l'incitation à la violence contre Israël. L'autorité israélienne publie une
déclaration sans équivoque affirmant son engagement en faveur de la solution de
deux Etats, avec un Etat palestinien indépendant, viable et souverain, vivant en
paix et en sécurité à côté d'Israël, comme l'a exposé le président Bush, et
appelant à la cessation de tous les actes de violence, partout, contre des
Palestiniens. Toutes les institutions officielles israéliennes mettent fin à
l'incitation à la violence contre les Palestiniens.
Sécurité. Les
Palestiniens décrètent une fin sans équivoque de la violence et du terrorisme,
et sur le terrain ils s'efforcent désormais visiblement d'arrêter, d'entraver,
d'interner les individus et les groupes menant ou préparant des attaques
violentes contre des Israéliens, où que ce soit. L'appareil sécuritaire
(Autorité palestinienne), refondé et recentré, lance des opérations ciblées et
efficaces pour s'opposer à tous ceux qui pratiquent la terreur, et pour
démanteler les capacités ainsi que les infrastructures terroristes. Ces
opérations supposent que l'on commence à confisquer les armes illégales, et que
soit renforcée l'autorité sécuritaire, hors toute association avec la terreur et
la corruption.
Le gouvernement d'Israël renonce à des actions minant la
confiance, notamment les déportations et attaques de populations civiles, la
confiscation et/ou la démolition de maisons et biens palestiniens, comme mesure
punitive ou pour faciliter des constructions israéliennes, la destruction
d'institutions et d'infrastructures palestiniennes. Plus d'autres mesures
détaillées dans le plan de travail Tenet. S'appuyant sur les mécanismes
existants et les ressources sur le terrain, les représentants du Quartet
amorcent une surveillance informelle et lancent une concertation avec les
parties pour la mise en place d'un mécanisme formel de contrôle et son bon
fonctionnement.
Mise en œuvre, conforme à un accord antérieur, d'un plan de
coopération américaine de reconstruction, de formation et de retour à la
sécurité, en collaboration avec le comité extérieur de surveillance (Etats-Unis,
Egypte, Jordanie). Soutien du Quartet aux efforts pour arriver à un
cessez-le-feu durable, global. Tous les organismes palestiniens de sécurité sont
réunis en trois services sous tutelle d'un ministre de l'intérieur doté de
pouvoirs. Restructurées et ayant suivi une nouvelle formation, les forces de
sécurité palestiniennes ainsi que leurs homologues des forces de défense
israéliennes (IDF) reprennent progressivement une coopération en faveur de la
sécurité et d'autres initiatives pour la mise en œuvre du plan de travail Tenet,
dont des réunions régulières à haut niveau, avec la participation de
fonctionnaires américains de la sécurité.
Les Etats arabes suppriment les
financements publics et privés, ainsi que toute autre forme de soutien à des
groupes prônant ou pratiquant la violence et la terreur. Tous les donateurs
fournissant une aide financière aux Palestiniens font transiter ces fonds par le
compte unique du Trésor public du ministère palestinien des finances. Au fur et
à mesure que progresse la réalité d'une sécurité globale, les IDF se retirent
progressivement des secteurs occupés depuis le 28 septembre 2000. Les forces de
sécurité palestiniennes se redéploient dans les zones évacuées par les
IDF.
Mise en place d'institutions palestiniennes. Action immédiate pour un
processus crédible d'élaboration d'un projet de Constitution pour un Etat
palestinien. Aussi rapidement que possible, un comité constitutionnel fait
circuler, pour commentaires et débats publics, un projet de Constitution
palestinienne fondée sur une démocratie parlementaire forte, et un cabinet doté
d'un premier ministre disposant de larges pouvoirs. Après élections, le comité
constitutionnel soumet le document à l'approbation d'institutions palestiniennes
compétentes. Nomination d'un premier ministre ou d'un cabinet intérimaires,
dotés respectivement d'une pleine autorité exécutive ou d'un corps
décisionnaire.
Le gouvernement d'Israël donne toute facilité de circulation
aux représentants palestiniens, pour les sessions du cabinet et du Conseil
législatif palestinien (PLC), les programmes de recyclage en sécurité, sous
contrôle international, l'activité électorale ou réformatrice, et il encourage
d'autres mesures de soutien liées aux efforts de réforme. Suite de nominations
de ministres palestiniens habilités à entreprendre des réformes fondamentales.
Franchissement de nouvelles étapes pour atteindre une authentique séparation des
pouvoirs, comprenant toute réforme de la législation palestinienne nécessaire à
cet effet. Mise en place d'une commission électorale palestinienne indépendante.
Révision et amendement par le CLP de la loi électorale. Compétence palestinienne
en matière de références judiciaire, administrative et économique, comme arrêtée
par la Task Form internationale (ensemble des donateurs) pour la réforme
palestinienne.
Aussi vite que possible, sur la base des mesures sus-exposées
et dans le contexte d'un débat ouvert ainsi que d'une campagne électorale de
désignation des candidats transparente, fondée sur un processus libre et
pluripartite, tenue par les Palestiniens d'élections libres, ouvertes et justes.
Le gouvernement israélien facilite l'assistance de la Task Force pour
l'élection, l'inscription sur les listes électorales, le déplacement des
candidats et des responsables officiels. Soutien des ONG engagées dans le
processus électoral. Réouverture par le gouvernement israélien de la chambre de
commerce palestinienne et autres institutions palestiniennes fermées dans
Jérusalem-Est, contre l'engagement de ces institutions à opérer en stricte
conformité avec des accords passés préalablement entre les parties.
Réponse
humanitaire. Israël prend des mesures pour améliorer la situation humanitaire.
Israël et les Palestiniens appliquent intégralement toutes les recommandations
du rapport Bertini pour améliorer les conditions humanitaires, en levant les
couvre-feux, en diminuant les restrictions de circulation des personnes et des
biens, en autorisant un accès libre, total et sans entrave au personnel
international et humanitaire. Examen, par le Comité de liaison ad hoc, de la
situation humanitaire ainsi que des perspectives de développement économique en
Cisjordanie et à Gaza, et lancement d'un effort massif d'aide financière
d'origine privée, incluant l'effort de réforme.
Le gouvernement israélien et
l'autorité palestinienne reprennent le processus des mouvements financiers et
des transferts de fonds, y compris des arriérés, conformément à un mécanisme de
contrôle transparent et accepté.
Société civile. Reprise de l'aide financière
privée, et possibilités financières accrues à travers les ONG ou les PVO
(organisations bénévoles privées). Pour les programmes de peuple à peuple,
développement du secteur privé et initiatives de la société civile.
Colonies.
Démantèlement immédiat par le gouvernement d'Israël de tous les points de
colonisation construits après mars 2001. Dans la logique du rapport Mitchell,
gel par le gouvernement d'Israël de toutes les activités de colonisation (y
compris l'extension naturelle de colonies existantes).
2. Deuxième
phase. Transition juin 2003 — décembre 2003.
Pendant la deuxième
phase, les efforts sont concentrés sur l'option de la création d'un Etat
palestinien indépendant, avec des frontières provisoires et les attributs de la
souveraineté, fondé sur la nouvelle Constitution et constituant une étape vers
l'accord sur un statut permanent. Comme il a été remarqué, ce but ne peut être
atteint que lorsque les Palestiniens disposeront d'une direction qui lutte
résolument contre la terreur, qui soit désireuse et capable de bâtir une
démocratie pratiquante fondée sur la tolérance et la liberté. Avec une telle
direction, des institutions civiles et des structures sécuritaires réformées,
les Palestiniens auront le soutien actif du Quartet et, plus largement, de la
communauté internationale pour l'installation d'un Etat indépendant et
viable.
Le passage à cette deuxième phase dépendra du jugement consensuel du
Quartet qui évaluera si les conditions sont réunies pour continuer, au vu des
accomplissements des deux parties. Poursuivant et accentuant les efforts pour
normaliser la vie des Palestiniens et bâtir l'institution palestinienne, la
deuxième phase commence après les élections palestiniennes, et s'achève avec la
création possible d'un Etat indépendant aux frontières provisoires, en 2003. Ses
objectifs premiers sont de continuer à assurer une sécurité globale et une
coopération effective en matière de sécurité, la normalisation de la vie
palestinienne et la construction de l'institution, le maintien et le
développement des objectifs dessinés dans la première phase, la ratification
d'une Constitution palestinienne démocratique, la mise en place formelle de la
fonction de premier ministre, la consolidation de la réforme politique, et la
création d'un Etat palestinien aux frontières provisoires.
Conférence
internationale. Convoquée par le Quartet, en concertation avec les parties,
juste après la conclusion heureuse des élections palestiniennes, pour soutenir
le redressement économique palestinien et lancer un processus conduisant à
l'installation d'un Etat palestinien indépendant aux frontières provisoires. Une
telle rencontre ne serait pas restrictive, fondée sur l'objectif d'une paix
globale au Proche-Orient (incluant Israël et la Syrie d'une part, Israël et le
Liban d'autre part), elle-même fondée sur les principes exposés dans le
préambule du présent document.
Restauration par les Etats arabes des liens
entretenus avec Israël avant l'Intifada (commerce, affaires, etc.). Reprise de
l'engagement multilatéral sur des questions incluant les ressources en eau de la
région, l'environnement, le développement économique, les réfugiés, le contrôle
des armes. Finalisation et approbation par les institutions palestiniennes
compétentes d'une nouvelle Constitution pour un Etat palestinien indépendant et
démocratique. Organisation, s'il est besoin, d'élections après l'approbation de
la nouvelle Constitution. Réforme autorisée du cabinet, avec instauration
formelle d'une charge de premier ministre, dans la logique du projet de
Constitution. Poursuite d'une politique globale de sécurité, incluant une
coopération efficace en la matière, sur les bases définies dans la première
phase.
Création d'un Etat palestinien indépendant aux frontières provisoires,
à travers un processus d'engagement israélo-palestinien, puis lancement par la
conférence internationale. Dans le cadre de ce processus, application des
accords antérieurs, pour étendre au maximum la continuité territoriale,
notamment par une action supplémentaire sur les colonies, conjointement avec
l'établissement d'un Etat palestinien aux frontières provisoires. Renforcement
du rôle international dans le contrôle de la transition, avec le soutien actif,
constant et opérationnel du Quartet. Action des membres du Quartet en faveur
d'une reconnaissance internationale de l'Etat palestinien, avec adhésion
éventuelle aux Nations Unies.
3. Troisième phase. Accord sur un
statut définitif et fin du conflit israélo-palestinien.
2004-2005.
Passage à la troisième phase conditionné au jugement
consensuel du Quartet, prenant en compte les actions des deux parties et le
pilotage du Quartet. Les objectifs de la troisième phase sont la consolidation
des réformes et la stabilisation des institutions palestiniennes, le
fonctionnement soutenu et efficace de la sécurité palestinienne, et des
négociations israélo-palestiniennes en vue de parvenir à un accord définitif en
2005.
Seconde conférence internationale. Convoquée début 2004 par le Quartet,
en concertation avec les parties, pour avaliser l'accord atteint sur un Etat
palestinien indépendant aux frontières provisoires, et lancer, avec le soutien
actif, constant et opérationnel du Quartet, un processus conduisant à une
résolution de statut définitif et permanent d'ici à 2005, réglant le problème
des frontières, de Jérusalem, des réfugiés, des colonies ; et encourageant les
progrès vers une solution globale au Proche-Orient à atteindre le plus vite
possible, solution réglant la situation entre Israël et le Liban, la situation
entre Israël et la Syrie.
Progrès constant, efficace et soutenu de la
sécurité, coopération soutenue et efficace pour cette sécurité, sur les bases
définies dans la première phase. Efforts internationaux pour faciliter la
réforme et stabiliser les institutions ainsi que l'économie palestiniennes, en
vue de l'accord définitif sur le statut.
Les parties parviennent à un accord
sur un statut définitif et complet qui met un terme au conflit
israélo-palestinien en 2005, à travers un accord négocié entre les parties et
fondé sur les résolutions 242, 338 et 1397, qui met également un terme à
l'occupation commencée en 1967, comporte une solution réaliste, juste, équitable
et acceptée au problème des réfugiés, une solution négociée sur le statut de
Jérusalem prenant en compte les préoccupations religieuses et politiques des
deux parties, préserve les intérêts religieux des juifs, des chrétiens et des
musulmans du monde entier, satisfait la vision de deux Etats, Israël et une
Palestine viable, démocratique, indépendante et souveraine, vivant côte à côte
dans la paix et la sécurité. Acceptation arabe de relations pleines et normales
avec Israël, sécurité pour tous les Etats de la région dans le contexte d'une
paix israélo-arabe globale. (Traduit de l'anglais par
Françoise Cartano)
10. L'amertume des
intellectuels arabes par Mouna Naïm
in Le Monde du vendredi 2 mai
2003
Tristesse, humiliation, douleur. Dans le monde arabe, l'onde de
choc de l'invasion américaine de l'Irak passe aussi par une réflexion politique
sur l'incapacité des dirigeants à formuler un projet cohérent, et par une
autocritique des opposants.
Abdul Rahman Mounif est profondément meurtri. De
la "barbarie" du comportement de l'armée américaine en Irak, des "bombardements
sévères et aveugles, de cibles civiles en particulier", le grand romancier arabe
a déjà tiré une conclusion : "La guerre et l'occupation de l'Irak n'ont pas pour
seul objectif de renverser un régime, mais de se venger d'un pays, de son
histoire et de sa civilisation et de réduire son rôle à néant." "Comment
expliquer autrement ce qui s'est passé au Musée de Bagdad, alors qu'un seul char
et quelques soldats auraient suffi pour dissuader des pillards ? interroge-t-il.
Comment justifier la mise à sac de la bibliothèque nationale, celle des wakfs
(biens religieux) et des archives, et d'autres institutions culturelles
irakiennes dans plusieurs villes ? Comment admettre, alors que l'Irak était
coupé du monde à cause des opérations militaires, que des centaines d'œuvres
volées aient pu franchir les frontières en moins de temps qu'il n'en fallait
pour se retrouver à Londres, à Paris et en Iran ? N'était la mobilisation
internationale, l'interception de ces trésors aurait-elle jamais été possible
?"
De Damas au Caire en passant par Beyrouth, la guerre anglo-américaine
contre l'Irak et l'occupation de l'ancienne Mésopotamie ont laissé des
meurtrissures. Quelles qu'aient été ou que soient leurs engagements politiques
passés ou présents, les hommes et femmes de plume, d'art ou d'esprit parlent de
"tristesse", d'"humiliation", de "douleur" et nourrissent la plus grande
défiance à l'égard des Etats-Unis. Au-delà des victimes civiles que tout le
monde déplore, des interrogations ou des accusations de "lâcheté" ou de
"trahison" que suscite "l'évaporation" des dirigeants irakiens, de leur armée et
de leurs milices, et de la question des armes de destruction massive, souvent
qualifiée de "faux prétexte" pour envahir l'Irak, la dévastation des lieux de
mémoire a laissé une trace profonde dans les esprits. L'idée, au mieux d'un
"gouffre d'inculture et d'ignorance de l'histoire", au pis d'une volonté de
"vengeance" américaine, est assez répandue. Le dépit est très grand, même chez
ceux qui, tel cet éditeur, refusent de se confier, parce que, dit-il, le temps
de la presse n'est pas celui de la réflexion, parce qu'il ne sert à rien de se
livrer à un sentimentalisme déplacé, parce que Bagdad n'est pas la première
capitale occupée - et Beyrouth et Jérusalem !, dit-il -, parce que tous les pays
arabes du Golfe à la Méditerranée sont "aux ordres de Washington". Mais
l'affaire irakienne semble avoir catalysé une réflexion sur les projets et rêves
politiques impossibles ou avortés aussi bien des régimes en place que des
opposants dans leur infinie variété.
DAMAS
Abdul Rahman
Mounif est l'un des plus grands romanciers arabes contemporains, l'un des plus
prolifiques aussi, traduit dans plusieurs langues. Son roman historique en cinq
volumes, Les Villes de sel, est sans doute son œuvre la plus connue ; en France,
A l'est de la Méditerranée et Une ville dans la mémoire sont publiés aux
éditions Actes Sud-Sindbad. A 70 ans, il a été témoin des grands événements du
XXe siècle et son interminable exil a aiguisé son sens de la mémoire
individuelle et collective. Bagdad fut une des villes d'accueil de cet écrivain,
privé depuis quarante ans de sa nationalité saoudienne pour pensée politiquement
non correcte. A son départ pour Damas, en 1981, les responsables du Musée de
Bagdad lui avaient offert une statuette, aujourd'hui posée sur une étagère du
modeste salon de son appartement, sur les murs duquel sont accrochées quelques
toiles d'artistes arabes, souvent irakiens. Porteur successivement de passeports
algérien, yéménite, irakien et syrien, Abdul Rahman Mounif se tient depuis des
années à distance de toute activité politique, convaincu que sa seule "arme" est
sa plume. Ses pays d'accueil successifs ont étrangement respecté cette liberté
d'esprit. Il faut parfois croire au miracle, dans une région où la tolérance
n'est pas la première qualité des gouvernants.
La colère retenue, ne se
laissant aller à aucun effet de manche, il livre un verdict impitoyable : la
destruction et le pillage des symboles d'une culture et d'une histoire en Irak
étaient "inévitablement organisés entre l'envahisseur américain et les bandes de
pillards dans un double objectif : couper les liens du peuple irakien avec sa
civilisation et faire main basse sur les pièces les plus précieuses du
patrimoine, après avoir brisé tout ce qui paraissait secondaire ou
intransportable". Destination finale, les Etats-Unis, "nouveaux colonisateurs"
et "Etat sans racines", qui se livrent à une "accumulation compulsive d'œuvres
d'art et historiques pour se doter d'une histoire et d'une civilisation". Le
colonisateur britannique, dit-il, avait usé de "roublardise, cherché à
s'attacher les peuples et à s'adapter à leur mode de vie" ; la France coloniale
"charriait avec elle toute sa culture". "Les Américains, eux, au nom du
pragmatisme qu'ils professent, n'ont jamais hésité, tout en se prétendant des
hérauts des droits de l'homme, à soutenir et protéger les pires régimes
dictatoriaux, quitte à les brader lorsqu'ils ne sont plus utiles."Au-delà de
l'Irak aujourd'hui, leur objectif est de "faire main basse sur le pétrole, de la
source au consommateur, pour s'imposer à tous les concurrents réels ou
potentiels, qu'il s'agisse du Japon, de la Chine ou de l'Europe" ; Abdul Rahman
Mounif se refuse néanmoins à se laisser aller à cette autocompassion, longtemps
la marque déposée d'un monde arabe se présentant toujours en victime de
"complots". Les défaillances arabes sont multiples, dit-il, pointant d'abord
"une absence totale de rationalité et d'équilibre". "Le chacun pour soi est la
règle et la solidarité arabe un vain mot. Les institutions collectives stagnent,
pis, se délitent. L'autocritique est impérative. Pouvoirs et opposants sont tout
aussi responsables. Les slogans n'ont jamais servi à autre chose qu'à séduire
les foules pour mieux les manipuler. L'intellectuel, qui, il y a cinquante ans
encore, était le noble, le censeur qui faisait trembler le prince, est
aujourd'hui le salarié du prince, un instrument de son pouvoir. Tout
contrevenant est relégué dans des prisons devenues lieux de passage obligé pour
remodeler les esprits, les domestiquer et les remettre dans le droit chemin. Si
essor il y eut, ce fut bien celui des prisons !"
Abdul Rahman Mounif veut
néanmoins garder l'espoir, qu'il voit poindre dans la résistance irakienne à
l'occupation américaine. "Ce qui se passe sous nos yeux en Irak est peut-être un
tournant historique, dit-il. Les manifestations qui ont eu lieu dans les pays
arabes ont suscité une nouvelle prise de conscience. Les Etats-Unis ont fermé le
parapluie sous lequel ils abritaient les dirigeants régionaux. Les rois sont
nus, ou presque."
Damas toujours. S'il devait "résumer d'un mot" son état
d'esprit, Ali Al-Atassi parlerait d'"humiliation". A trente-cinq ans, cet
universitaire et éditorialiste syrien en veut aux Etats-Unis, aux médias, aux
dirigeants arabes, et s'inquiète pour son pays. Il veut bien "admettre que les
soldats américains n'avaient pas le temps ni les moyens de faire la police à
Bagdad, mais ils l'ont quand même fait sur certains sites, le ministère du
pétrole singulièrement ! Je ne vois pas des complots partout, dit-il, mais ce
qui s'est passé révèle le gouffre d'irrespect pour tous les aspects humains et
culturels. La destruction des musées, des bibliothèques, a privé l'Irak de ces
richesses. L'Irak, ce n'est pas seulement le pétrole !", s'exclame-t-il. Il est
atterré par cet "orientalisme télévisuel", qui prend une importance "énorme" et
qui, fondé sur une méconnaissance totale de la culture et de l'histoire,
"s'intéresse à des images qui correspondent à des clichés et des mythes,
présentant les Irakiens comme des Bédouins affamés et assoiffés ou comme des
bandes de pillards" que seule la rapine intéresse. Des images "qui ne
correspondent guère à la réalité de l'Irak, un pays de classes moyennes, de
technocrates, d'une intelligentsia que l'on ne voit jamais". Des images qui en
rappellent d'autres, présentant l'ensemble du Proche-Orient quasi exclusivement
comme "un foyer de guerres, ou sous l'angle de régimes dictatoriaux, ou comme
berceau de l'intégrisme". Les télévisions occidentales ont donné le "la", mais
leurs consœurs arabes n'ont pas fait mieux, qui fonctionnent sur le même mode,
"déversant un flux d'images qui ne peuvent qu'engendrer la dépression, terreau
idéal pour le terrorisme".
Ali Al-Atassi est inquiet pour son pays, la Syrie,
où il ne souhaite guère "voir se répéter ce qui s'est passé en Irak". Il
conteste le prétendu projet américain d'imposer la démocratie "du haut de la
tourelle des chars" et note, ironiquement amer, que les Etats-Unis ne font
aucune allusion aux droits de l'homme dans les exigences qu'ils ont formulées à
son pays. Pour lui, la balle est aujourd'hui dans le camp du pouvoir, qui "doit
comprendre qu'il ne peut se défendre s'il ne respecte pas la dignité et la
liberté des citoyens. Pour faire face aux pressions, ce pouvoir n'a d'autre
choix que de se tourner vers le peuple et lui donner la liberté, souligne-t-il.
Nous sommes tous concernés par ce qui se passe et l'opposition dans toutes ses
composantes souhaite une réconciliation nationale pour peu que les règles
démocratiques soient respectées".
L'universitaire Hanane Kassab Hassan,
professeur au département de français de l'université de Damas, partage cet
avis. "C'est le moment ou jamais d'un changement intérieur, dit-elle. Que les
Etats-Unis disent vouloir imposer la démocratie, et nous réclamerons des prisons
! Qu'ils se dressent contre le régime, et nous le soutiendrons ! Mais les
Américains, assure-t-elle, ne veulent pas vraiment la démocratie. C'est
d'ailleurs leur soutien qui a permis aux régimes actuels de rester en place. Ils
savent que les vrais démocrates s'opposeront plus encore à leur présence." Après
ce qui est arrivé en Irak, Hanane Kassab Hassan craint une "recrudescence du
fanatisme et du nationalisme dans son sens le plus étroit d'anti-occidentalisme
primaire. Et cela se fera contre nous", les démocrates, qui aspirons à la
liberté et à la laïcité.
"Déjà, souligne-t-elle, dans l'esprit des
fanatiques, la laïcité se confond avec l'athéisme. Marginalisées, divisées,
embourbées dans des discours alambiqués, les élites intellectuelles sont de
surcroît privées d'espace public, alors que les religieux, eux, ont le leur, la
mosquée." Le plus "douloureux" pour elle, dans cette guerre d'Irak, ce sont "ces
pillages, ces destructions, ce chaos", et elle a du mal à croire qu'un peuple
"élégant" comme le sont les Irakiens "se comporte de cette manière". "Ce ne sont
pas des affamés qui ont pillé !, note-t-elle. D'ailleurs, ce ne sont pas les
dépôts de produits alimentaires qui ont été dévastés." Tout donne l'impression
que c'était "organisé, provoqué".
BEYROUTH
A Beyrouth,
l'une de ses escales préférées, Nuha Al-Radi fulmine. Tout ou presque de ce qui
vient de se passer en Irak paraît chargé de symboles à cette Irakienne peintre,
céramiste et sculpteur, à la sensibilité à fleur de peau, pour qui les
Américains et les Britanniques ont "fait pire que le Mongol Houlagou, qui a au
moins eu la décence, lui, de ne pas prétendre venir libérer les Irakiens". Ce
qui est arrivé, dit-elle, est un "énorme film à l'américaine", qui permet aux
"criminels" de l'administration Bush et à Tony Blair de mettre la main sur
l'Irak. Même "s'il n'y a pas de preuves", Nuha Al-Radi est convaincue que la
mise à sac des musées et la mise à feu des bibliothèques étaient "organisées"
par les envahisseurs. "Les pilleurs, cela existe, bien sûr, dit-elle, mais ils
s'en prennent aux maisons de riches et aux commerces, pas aux archives et à la
documentation."
L'objectif ? "Laisser s'installer le chaos, montrer que les
Irakiens sont des Bédouins vivant sous la tente et prétendre commencer
l'histoire à zéro." L'indignation se lit jusque dans sa gestuelle lorsqu'elle
ajoute : "Et ces réunions de l'opposition à Nassiriya... Pourquoi Nassiriya, me
suis-je demandé ? Mais la réponse s'est imposée d'elle-même : parce que c'est
l'ancienne Our, voyons ! Ils veulent être les nouveaux Abraham. Israël ne
serait-il pas dans le coup ?" Diplômée de la Byan Shaw School of Art de Londres,
Nuha Al-Radi, qui a enseigné à l'université américaine de Beyrouth après avoir
vécu entre l'Iran, l'Inde, l'Egypte, l'Irak et le Liban, au gré des
pérégrinations de son père diplomate, s'est retrouvée écrivain sans le savoir.
Son Journal (Bagdad Diaries, publié aux éditions Saqi Books à Londres) -
le seul ouvrage récent sur l'Irak qui en parle comme d'un "vrai pays", selon
l'universitaire américano-palestinien Edward Saïd - raconte, non sans humour, la
vie à Bagdad et en exil depuis douze ans. Saddam Hussein n'est à ses yeux qu'un
lâche, dont le seul et unique souci a été pendant trente ans sa propre survie,
et qui, elle en est persuadée, a "vendu" l'Irak aux Etats-Unis et à la
Grande-Bretagne en échange de sa fuite vers quelque lieu sûr à l'autre bout du
monde. Ce n'est pas vrai, dit-elle, que la guerre était inévitable pour
débarrasser l'Irak de ce satrape. La seule solution "humaine et honorable"
aurait été de lever les sanctions, et de permettre aux Irakiens de vivre
dignement. Maintenant que George W. Bush réclame la levée de ces sanctions
"parce que cela l'arrange", Nuha Al-Radi souhaite que les Nations unies, qui "se
sont déshonorées dans toute cette affaire, connaissent un sursaut, lui disent
non, reprennent les choses en main".
Wajih Kawtharani n'est pas de cet avis,
qui estime que, bien que "les Etats-Unis aient chaussé les bottes de Saddam pour
fouler l'Irak aux pieds", bien qu'ils aient "hérité des méthodes colonialistes,
voire fascistes", bien qu'ils aient pendant des années "fermé les yeux sur la
question des droits de l'homme dans cette région, voire encouragé les
dictatures", leur "ingérence en Irak était un mal inévitable". Ce Libanais,
professeur d'histoire à l'université libanaise, qui, comme un grand nombre
d'autres de sa génération, a vibré aux idées du nationalisme arabe ou du
marxisme, est "triste, affligé", par le sort réservé à l'Irak. "Mais le régime
de Saddam Hussein avait atteint de tels sommets de cruauté sanguinaire qu'il
n'était plus possible d'y remédier autrement", estime-t-il. "En Irak, les Arabes
récoltent ce qu'ils ont semé", dit encore Wajih Kawtharani. "Nous autres élites,
partis politiques, pouvoirs et régimes arabes, n'avons pas réussi à bâtir l'Etat
moderne" après les indépendances.
De la même manière que les anciennes
puissances coloniales avaient réussi à exploiter au service de leurs stratégies
les particularismes régionaux - l'islam politique, la structure communautaire,
le tribalisme -, "les liens d'allégeance, de dominant à dominé, de clientélisme,
d'assujettissement, d'oppression et d'autoritarisme ont fait partie de la trame
de la relation de l'Etat avec la société" après la décolonisation. "Il y a bien
eu des tentatives sérieuses pour moderniser la culture politique arabe de la
part des pionniers de la nahda (renaissance) arabe. Ces constitutions
démocratiques ont bien été adoptées, en Irak, en Egypte, en Syrie et au Liban,
mais, depuis les années 1950, plutôt que de faire évoluer ces tentatives
embryonnaires d'une expérience démocratique, les coups d'Etat successifs les ont
mises en échec." "L'autocritique est aujourd'hui fondamentale, dit encore Wajih
Kawtharani, non pour exonérer l'Occident, mais parce qu'aussi bien les élites
que les populations arabes ont tellement focalisé leurs critiques sur lui
qu'elles occultent leurs propres responsabilités." Malgré son "amertume", cet
universitaire veut rester "optimiste à terme". Le "projet de renaissance arabe
n'est pas impossible, mais il obéit à certaines conditions, la première et la
plus fondamentale étant que les Arabes reconnaissent qu'ils sont défaits et
s'emploient à pointer les raisons de cette défaite", dit-il.
LE
CAIRE
Oui, ils ont quelque chose à dire, les romanciers égyptiens
Sonallah Ibrahim et Gamal Ghitani et le chercheur Nader Ferghani ; et d'abord et
avant tout sonner le glas de l'ordre arabe, dont la crise irakienne a, selon
eux, révélé l'inanité et l'échec. Un dessin, publié l'autre jour par
l'hebdomadaire Al-Ahram Weekly, illustre bien ce dépit : la Ligue arabe y est
représentée sous l'aspect d'un géant brandissant une pancarte, sur laquelle il
est écrit "Pas de guerre s'il vous plaît", alors que défile entre ses grandes
jambes écartées une colonne de chars américains.
"Face à l'agression dirigée
contre l'Irak, l'ordre arabe national et transfrontalier représenté par la Ligue
arabe est tombé", martèle Nader Ferghani, coordonnateur du fameux rapport du
PNUD sur les carences du développement humain dans le monde arabe. "Il y a ceux
qui ont commis le crime, les Américains, mais il y a aussi les "accessoires", et
ce sont les régimes arabes, dit-il. L'impuissance du système régional arabe
s'est révélée dans toute sa splendeur. Il est désormais inévitable d'en finir
avec la Ligue des gouvernements arabes, au profit d'une Ligue des peuples arabes
et des organisations" de la société civile. "Si à quelque chose malheur est bon,
l'invasion de l'Irak aura permis aux gens d'exprimer leurs vues, malgré la
répression des régimes dont ils ne se sont pas privés de dire tout le mal qu'ils
pensent." Autre conséquence "positive", selon lui : "Un mouvement populaire est
en gestation, dans les pays arabes et au-delà, dont la Toile est un support
capital, qui embrasse les questions irakienne, palestinienne - l'affaire
irakienne a aplani le terrain pour une solution du conflit israélo-palestinien
au profit d'Israël -, les politiques officielles et la mondialisation dans ses
aspects les plus sauvages."
Comme Nader Ferghani, le romancier et
éditorialiste égyptien Gamal Ghitany, que les Français connaissent, et qui, en
tant qu'ancien correspondant de guerre, connaît la chose militaire, s'interroge
sur les mystères de la chute de Bagdad sans la moindre résistance, "les forces
américaines pénétrant dans la ville, avec l'air serein de ceux qui savent qu'ils
n'auront pas à se battre". La défaite de l'Irak était prévisible, dit-il, "mais
j'aurais souhaité que cela ne se passe pas aussi facilement. La résistance d'Oum
Qasr a fait espérer une réédition à Bagdad". Il n'en a rien été, et Nader
Ferghani et Gamal Ghitany sont quasi convaincus qu'il y a eu un "accord", un
"marché" peut-être.
Gamal Ghitany, qui "connaît bien l'Irak", qui y a "des
amis personnels", refuse que l'image de Saddam Hussein entache tout baasiste ou
soldat de l'armée irakienne. Il accuse le dictateur d'avoir galvaudé la notion
de panarabisme, d'abord en lançant une guerre contre l'Iran pour annexer le
Kouzistan-Arabistan, puis en envahissant le Koweït.
"L'idée de panarabisme,
dit-il, doit être révisée. Une ethnie, l'arabe, et une communauté, la sunnite,
ont imposé leur pouvoir à l'Irak, pays multiethnique et pluricommunautaire ! La
première leçon que doit en tirer le monde arabe est de ne pas réprimer l'Autre,
quel qu'il soit. Le panarabisme doit être culturel." Son premier souci à l'heure
actuelle est l'Egypte, dont l'histoire, déplore-t-il, a été malmenée depuis la
vague panarabiste survenue en 1952. "Nos élèves ne connaissent pas par exemple
l'histoire des coptes -chrétiens-... L'Egypte doit être culturellement
redécouverte, parce que son passé est constitutif de son présent. Le faire,
c'est assurer la protection du panarabisme." Il est indispensable, dit encore
Gamal Ghitany, que "le gouvernement, qui a réussi sa prestation dans l'affaire
irakienne, mesure à présent l'importance d'une véritable libéralisation
démocratique à l'intérieur". Il est également indispensable, face à la brutalité
de l'intervention américaine, illustrée notamment par "la mise à sac du Musée de
Bagdad et des bibliothèques, et dont l'objectif est de contester à l'Irak une
civilisation millénaire", que les "civilisations anciennes, oubliant les
contentieux passés, se rapprochent, dans l'intérêt même de l'humanité". A cet
égard, Gamal Ghitani tire son chapeau à la France, à l'Allemagne et au pape,
dont la position à propos de l'Irak a battu en brèche, d'après lui, l'idée d'une
"guerre des civilisations" qui se répandait au niveau populaire.
Sonallah
Ibrahim, l'auteur de Warda, (éditions Actes-Sud), ou encore des Années de Zeth
(Babel), entre autres, ne croit plus pour sa part qu'à la création d'un "large
front transnational compte non tenu de l'appartenance ethnique, religieuse et
politique, pour faire face à l'occupation américaine et israélienne". Il ne veut
plus jamais utiliser le vocable "démocratie", parce que chacun lui donne le sens
qui l'arrange. "Les slogans de démocratie et de liberté" brandis jusqu'à
maintenant "n'étaient que vains mots et, à propos de l'Irak, les régimes arabes
ont frisé la caricature, usant et abusant du verbe, mais incapables, voire non
désireux d'agir !" "Lorsque j'étais petit, dit-il, j'avais horreur de la
rédaction, parce que c'est parler pour ne rien dire. De passage l'autre jour au
Caire, Dominique de Villepin, le ministre français des affaires étrangères, a
fait un discours... Un discours très puissant... au sens arabe du terme...
c'est-à-dire vide de sens ; la rédaction encore !", regrette Sonallah Ibrahim,
que l'affaire irakienne a "bien sûr peiné", mais qui est "également content,
parce que tout est désormais très clair : il est évident qu'il existe un bloc,
l'Occident, qui se sert de slogans pour parvenir à ses buts", et parce que la
mobilisation de l'opinion publique à travers le monde est le signe avant-coureur
d'une opposition mondiale à l'ordre nouveau que les Etats-Unis veulent imposer
au monde.
Et il ajoute : "Depuis trente ans, le lavage de cerveau auquel ont
été soumis les gens a quasiment anéanti leur conscience politique. Ces deux
dernières années, les choses ont commencé à changer, l'Intifada palestinienne
jouant un rôle essentiel de catalyseur. Ce qu'il y a de plus intéressant
aujourd'hui, c'est que le citoyen ordinaire a réussi à faire le lien entre ses
propres difficultés quotidiennes, sa dignité, ce qui arrive dans son pays et
dans la région, et ce qui se passe dans le monde." Bien sûr, des dérives
extrémistes sont possibles, reconnaît-il, mais l'opposition à l'occupation
américaine en Irak et israélienne en Palestine est "soutenue par une opinion
publique laïque à travers le monde, et cette conjonction est de nature à
neutraliser les aspects dogmatiques, étroitement chauvinistes, du
mouvement".
11. Une stratégie du désordre
sans frein ni fin par Alain Joxe
in Le Monde diplomatique du mois de
mai 2003
(Alain Joxe est directeur du Centre
interdisciplinaire de recherches sur la paix et d’études stratégiques (Cirpes),
auteur de L’Empire du chaos, La Découverte, Paris, 2002.)
La guerre
illégale menée par les Etats-Unis contre l’Irak marque un tournant dans
l’histoire stratégique, mais on ne peut en dresser encore qu’un bilan lacunaire,
car les ruptures de style qu’elle permet de déceler sont trop nombreuses et
choquent, sur trop de plans à la fois, le savoir-faire des commentateurs chargés
de la banalisation du présent.
On a du mal à ordonner les différentes
analyses dans un ensemble cohérent. On peut essayer de le faire en partant du
matériel militaire et des tactiques utilisées pour arriver aux chroniques
opérationnelles, puis aux systèmes des représentations stratégiques. Mais, dès
l’énoncé de cette hiérarchisation traditionnelle, quelque chose grippe.
Plusieurs facteurs matériels sont des agents produisant des effets qu’on peut
appeler « transscalaires », c’est-à-dire qui transcendent les différentes
échelles d’organisation : en partant du matériel, on touche aux représentations
stratégiques globales de l’administration Bush ; en partant de l’opérationnel,
on débouche sur des incohérences politico-stratégiques et logistiques.
C’est
ce qui produit l’effet chaotique du résultat. C’est ce qui érode dans ses
fondements le caractère rationnel et précis de la pensée de l’action asymétrique
locale, lorsqu’elle n’est qu’un moment d’une volonté de domination globale
délocalisée.
On doit s’attacher soigneusement aux détails de la mise en œuvre
de matériels et de tactiques liées à l’utilisation de nouveaux armements (y
compris les bricolages secrets comme les drones antiaériens ou antichars, ou les
bombardements de parcelles métalliques brouillant ou faisant sauter les circuits
électriques ou électroniques). Mais, ces objets étant liés à la révolution
électronique, le matériel est en fait surtout un logiciel nouveau, celui de la
maîtrise du temps court de la destruction et de l’élimination des « frictions
clausewitzienenes », c’est-à-dire les aléas qui dans la guerre sont liés aux
facteurs humains et qui déforment les plans les mieux raisonnés – au moins au
niveau opérationnel. Il met en scène la maîtrise d’un espace-temps ponctuel
quadrillé par le ciblage précis, l’observation satellitaire et la sélection et
le traitement des cibles en temps réel. Des bavures de type nouveau
interviennent sur les ennemis ou sur les amis (les erreurs de ciblage de l’appui
aérien) et contribuent sans doute positivement à l’effet de chaos, qui semble
recherché comme moment de l’effet de choc.
La surpuissance matérielle permet
de recourir à des mouvements offensifs en colonne (chars, infanterie,
hélicoptères et appui aérien) progressant – en prenant des risques logistiques –
droit vers le centre de gravité (stratégique, opérationnel ou tactique) désigné.
On fonce ainsi vers Bagdad d’abord, puis, à Bagdad, tout droit au centre, sans
en faire le siège. Cette forme offensive est accompagnée d’un droit illimité au
« feu à volonté » qui va jusqu’au simple soldat. Ainsi la haute précision
accompagne paradoxalement un effet de terreur de masse par ses effets
collatéraux. L’opération finit par être l’équivalent d’une action non ciblée en
ce qui concerne les populations civiles « libérées ».
Si on s’attache aux
chroniques opérationnelles, l’asymétrie prend une figure qui n’est nullement
dominée par le déséquilibre du potentiel des forces matérielles mais par des «
surprises ». Des deux côtés, des aléas proviennent d’erreurs étonnantes sur le
plan strictement politique, donc stratégique. Saddam Hussein, qui accepte la «
bataille de Bagdad », oublie de faire sauter les ponts et de miner ou de
détruire l’aéroport. Du côté américain, c’est plus grave :
- la
macro-logistique de l’opération de prise en tenaille supposait le passage des
troupes américaines par la voie terrestre au nord. Le refus politique d’Ankara a
retardé la guerre, mais, en outre, a mis l’unique colonne offensive visant
Bagdad dans une situation risquée, faute de gardiennage suffisant de la ligne
logistique étirée depuis Oum Qasr ;
- La complexité des affrontements avec des éléments infraétatiques (milices
du parti, etc.) aurait dû être maîtrisée à l’avance, car elle était rendu
totalement prévisible par le but politique principal : la destruction de l’Etat
baasiste.
L’alliance turque était incompatible avec l’alliance kurde, et
l’association avec les chiites au sud aurait supposé un ralliement populaire
qu’empêchait le souvenir de la trahison américaine, livrant en 1991 les chiites
soulevés à la répression du président Saddam Hussein.
Dès le début des
opérations, la perspective d’une destruction du régime restaurait, à l’échelle
nationale, les conflits entre des groupes soudés auparavant par la terreur
baasiste et, à l’échelle urbaine, suscitait le pillage généralisé. Les
tentatives de restaurer la loi et l’ordre et remettant en selle la police de
l’Etat paraissent également une improvisation politique erronée.
Les
retombées politiques du militarisme absolu des Etats-Unis, avec des guerriers
disposant, comme au Far West, d’une libre initiative, apparaîtront dans le temps
long. La victoire rapide deviendra sans doute une source durable d’hostilité
contre les « libérateurs » voués au statut d’occupant.
Conception clausewitzienne
On remarque alors plus précisément que la
révolution tactique – les automatismes intégrés dans le matériel – est porteuse
de révolution stratégique : la stratégie « choc et effroi » (concept central
dans la guerre urbaine et la guerre asymétrique qui dominent la stratégie
nouvelle) n’est plus, comme autrefois, le niveau supérieur qui doit unifier les
aspects tactiques et opérationnels par une pensée de rang supérieur,
nécessairement au contact du but politique. La révolution stratégique unifie
toutes les opérations au niveau de la temporalité rapide et de l’espace précis.
Elle n’est « stratégique » que par son effet de terreur sur les troupes et sur
la population irakiennes, mais aussi sur les alliés et les troupes amies
elles-mêmes, justifiant à chaque instant tous les débordements par une nervosité
qui ne dépend pas du danger venant de l’ennemi, constamment écrasé, mais de la
confrontation avec le chaos dominant.
De ce fait, l’opération doit être
soutenue moralement par un comportement de vengeance, plutôt que d’affrontement,
qui produit des victimes civiles sans aucune nécessité. Les troupes américaines
sont donc de très mauvais instruments de conquête, malgré, ou à cause, de leur
victoire militaire écrasante ; leurs exactions pèsent sur les représentations
politiques des vaincus.
Mais on retrouve une cohérence globale dans le fait
que l’état d’esprit des vainqueurs est lié en amont à un mensonge,
provisoirement efficace, du président Bush, qui envoie au combat des troupes
très jeunes et très ignorantes en leur faisant croire qu’ils vont venger en Irak
l’attentat du 11 septembre 2001. Voir Bagdad s’enflammer sous les chapelets de
bombes leur paraît légitime puisqu’il s’agit d’une vengeance. Protéger la
colonne en tirant sur tout ce qui bouge, laisser piller la ville, ne pas
protéger les hôpitaux, sacrifier le Musée de Bagdad, également.
Le pouvoir
impérial surpuissant semble parier, à la manière clausewitzienne ancienne, sur
l’autonomie du but militaire par rapport à l’objectif politique – domination du
pétrole, reconquête coloniale du Proche-Orient ou punition exemplaire qui vise
le monde entier. Mais l’empire déhiérarchise tout, sauf le « capital-feu » et la
maîtrise du temps court qui commande le travail politico-militaire et le temps
long. Ainsi, même le plan militaire subit, sous l’influence de la révolution
électronique, la contagion du modèle néolibéral sauvage de l’entreprise
transnationale surfant sur une gestion électronique des flux financiers. Cette
économie n’a pas pour objectif la paix dite de « concurrence loyale » favorisant
le commerce, mais la comptabilité éclatée d’un flux de profit délocalisé et
permanent détaché des aléas de la production et de la vente. Le début de la «
guerre sans fin » annoncée par l’administration Bush est une guerre sans
victoire et sans paix, probablement sans reconstruction. On s’arrangera pour que
les destructions comme les reconstructions soient source de profits
d’entreprises, et on sauvera ainsi la morale d’entreprise en sacrifiait la
morale et l’intelligence politique.
Washington ayant éliminé tout souci de
consensus international, la guerre d’Irak, malgré le rôle subalterne de M.
Blair, est bien une guerre purement américaine, et, si elle « finit » mal, les
Américains devront s’en prendre à eux-mêmes et sans doute écarter une réélection
du commandant en chef actuel et le maintien de son équipe au sommet du pouvoir
mondial.
12. Bon, d’accord… Mais où
sont passés les sosies de Saddam ? par Siddharth Varadarajan
in The
Times of India (quotidien publié en Inde) du mardi 29 avril
2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier](The Times of India tire
quotidiennement à 1 300 000 exemplaire. Fondé en 1838 à Bombay, le "Times of
India" est une institution en Inde. D’abord baptisé "Bombay Times and Journal of
Commerce", il a adopté son nom actuel en 1861. http://timesofindia.indiatimes.com)Depuis
la chute de Bagdad, tout le monde se demande où est passé Saddam et où sont les
armes de destruction massives qu’il était censé détenir. Très bien. Mais la
question qui m’intrigue au plus haut point est la suivante : Où sont donc passés
ses fameux sosies ? Si Saddam est mort, tous ses sosies sont-ils morts, eux
aussi, jusqu’au dernier ? Et s’il s’est éclipsé d’Irak – vers la Syrie, la
Biélorussie, que sais-je ?- a-t-il eu le temps d’emmener tous ses duplicata avec
lui ? Y a-t-il, au moment où nous sommes en train de parler, une douzaine de
Saddam en train de siroter des vodkas (doubles, bien sûr…) dans quelque bar
glauque de Minsk ou de Vitebsk ?
Dès le premier jour de la guerre, la
télévision irakienne s’est mise à diffuser des reportages montrant un Saddam
fanfaronnant, sorti indemne du « bombardement – décapitation » américain lancé
contre lui, et les médias américains et anglais se sont évertués à nous avertir
que nous ne devions pas en croire nos propres yeux. Même si vous avez
l’impression de voir Saddam, nous prévenaient des reporters haletants, vous ne
pouvez jamais être sûrs, parce que le véritable leader irakien est connu pour
utiliser une série de clones dans ses apparitions en public. Cette affirmation
était soit tout simplement assénée comme un fait incontestable, soit, dans le
meilleur des cas, attribuée à des « Irakiens en exil » et à des « agences
occidentales de renseignement »…
Confidence pour confidence, j’ai toujours
été sceptique quant à cette explication. Tout d’abord, depuis trente huit ans
que je parcours cette planète, je n’ai encore jamais vu personne qui ait un
sosie parfait, et encore moins plusieurs répliques humaines aussi parfaites que
celles dont usait et abusait prétendument Saddam.
Et puis, il y avait aussi
un aspect administratif, qui me posait question. Y avait-il, dans le
gouvernement irakien, un ministère spécial chargé de repérer les sosies, de les
évaluer et de les noter en fonction de leur qualités et de leur fiabilité et
décidant lequel des Saddam, le numéro 1, le numéro 4 ou le numéro 8 devait être
utilisé pour telle ou telle apparition en public ? En effet, que se serait-il
passé au cas où l’un des sosies de Saddam – ou l’un de leurs formateurs – aurait
décidé d’affirmer que le vrai Saddam était en réalité un imposteur et ordonné
son exécution sommaire ? Y a-t-il eu une procédure concluante qui aurait permis
d’identifier le véritable McCoy ? Des test DNA, la détermination du groupe
sanguin, quelque cicatrice opportunément infligée à la partie la plus charnue de
son individu, que sais-je encore ?
Pour ma part, je suis prêt à parier que
l’échec des occupants américains à localiser et à capturer ne serait-ce qu’un
seul des clones allégués de Saddam suggère que le dirigeant irakien n’en a
jamais eu un seul à sa disposition. Je pense que cette histoire de doubles est
une manipulation psychologique classique ; une théorie probablement diffusée par
le Bureau d’influence stratégique du Pentagone afin de démoraliser et de
désorienter l’ennemi. Je ne sais pas qui a lancé le premier cette information de
guerre dans les médias, ni comment, mais une fois cela fait, il n’a pas manqué
de journalistes et d’éditorialistes assez crédules pour reprendre à leur compte
cette théorie éminemment suspecte.
Mais les manipulations psychologiques ne
s’arrêtent pas là. Tout au long de la guerre, le Pentagone a eu recours aux
médias pour diffuser de la désinformation sur le déroulement des combats,
inventant des insurrections populaires là où il n’y en avait pas (Bassorah), des
usines d’armement chimique là où elles n’existaient pas (près de Nadjaf), des
obus de la DCA irakienne retombant au sol et tuant des civils (à la place des
missiles américains, véritables responsables de ces morts), et des inventions
bizarres de « soldats irakiens poussant devant eux des femmes et des enfants
dans les rues » et tirant contre « les forces coalisées » de derrière ces «
boucliers humains ». Bien que cette dernière allégation fasse partie de la
propagande de guerre classique, il n’y a aucun témoignage, même provenant d’un
journaliste « couchant avec » (ang. : ‘embedded’) venant étayer ce genre
d’accusation, ni a fortiori permettant d’affirmer qu’il se serait agi d’une
tactique généralisée de l’armée irakienne. Cette propagande a réussi, toutefois,
à faire retomber la responsabilité des morts de civils sur les défenseurs, en
innocentant l’armée d’invasion.
La manœuvre psychologique la plus
impressionnante de cette guerre, toutefois, s’est produite le dernier jour,
lorsque des soldats américains ont renversé une statue de Saddam Hussein Place
Firdaws, à Bagdad. Cette place est située juste en face de l’hôtel Palestine où
résident la plupart des journalistes étrangers. Toutes les chaînes de télévision
américaines ont montré des vues bien cadrées de ce qui pouvait passer pour une
foule importante d’Irakiens renversant la statue de Saddam, aidés par un
véhicule blindé américain. Ces scènes ont été passées en boucle des heures
durant, en particulier par CNN et la BBC, et citées par les dirigeants
américains comme la preuve que cette guerre était « légitime ».
Même si la
plupart des Irakiens étaient heureux d’être débarrassés de Saddam, ils ont été
réticents à se prêter en grand nombre à cette mise en scène au profit de l’armée
d’invasion. Bush et Rumsfeld, qui avaient déjà le sang de près de deux mille
civils et de dix mille militaires irakiens sur les mains, avaient besoin d’une
mise en scène cathartique de masses populaires irakiennes s’élançant vers la
Liberté. Le renversement de la statue de la Place Firdaws était prévu à
cet effet ; il fut brillamment exécuté.
Si les caméras de télévision avaient
montré un panorama de la Place Firdaws, l’impression créée par le déboulonnage
de Saddam aurait été bien différente. On peut voir un extrait assez long à
l’adresse suivante :
http://www.nyc.indymedia.org/front.php3?
article_id=55384&group=webcastlequel
montre une place pratiquement déserte, cernée par des tanks. Des petits groupes
d’Irakiens, à l’extérieur de la place, observent de loin le renversement de la
statue, plus en spectateurs silencieux qu’en participants actifs.
La question
qui se pose est la suivante : qui étaient les quelques dizaines d’Irakiens qui
tentaient, sans y parvenir, de faire basculer la statue de Saddam ? De toute
évidence, il s’agissait de gens en qui les Américains avaient entière confiance,
car les reprises de la télévision montrent clairement une vingtaine d’hommes
excités escaladant un véhicule armé américain et montant à l’assaut de la
statue. Rappelez-vous : c’était dix jours, à peine, après une attaque suicide,
dans le centre de l’Irak, qui avait causé la mort de quatre soldats américains
et quelques jours après que des Marines à la gâchette facile aient fauché une
famille entière, parce que leur voiture n’avait pas ralenti à l’approche d’un
barrage routier.
Mais même si les destructeurs d’effigies de Saddam étaient
des hommes en qui les Américains pouvaient avoir confiance, qui étaient-ils ?
Des photographes suggèrent fortement, sur Internet, qu’il s’agissait de membres
de la milice du Congrès national irakien d’Ahmad Chalabi, que l’on avait
acheminés par hélicoptère à Nassiriya le 6 avril. Un homme du CNI en uniforme,
vu à Nassiriya en compagnie de Chalabi réapparaît en civil sur une photo de
Reuters prise à Bagdad le 9 avril, le jour où la statue de Saddam a été
renversée, célébrant l’entrée des soldats américains dans la capitale. Les deux
clichés peuvent être comparés sur le site ouèbe mentionné plus haut.
La seule
explication plausible pour cette « coïncidence » serait qu’à l’instar de Saddam,
le supporter de Chalabi a lui aussi au moins un clone. Y sont roublards, hein,
ces Irakiens ?
13. Leïla Shahid " La balle
est dans le camp d'Israël " entretien réalisé par Françoise
Germain-Robin
in L'Humanité du vendredi 25 avril 2003
Un entretien
avec Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en France. Leïla
Shahid pense que la nomination d'Abou Mazen ouvre la voie à la reprise du
processus débouchant sur un État palestinien, sachant que sa création doit être
garantie par la communauté internationale.
- L'attentat suicide
qui s'est produit à Kfar Saba est-il lié à l'annonce de la formation du cabinet
Abou Mazen, comme le disent certains commentateurs, qui y voient un
avertissement au nouveau gouvernement ?
- Leïla Shahid.
Absolument pas. Cet attentat répond, comme les précédents, à une série de
meurtres ciblés commis par l'armée israélienne contre des militants palestiniens
de différentes organisations. Celles-ci répondent par des représailles qui,
malheureusement, touchent des civils. Mais il faut savoir que, au cours du mois
écoulé, il y a eu plus de cent civils palestiniens tués, dont des enfants, pour
la plupart victimes des missiles utilisés par Israël lors de ces " meurtres
ciblés " qui touchent la population se trouvant dans les parages. C'est un cycle
terrible, qui ne s'arrêtera pas tant qu'il n'y aura pas la perspective d'une
solution politique.
- Cette fois, ce sont les Brigades des
martyrs d'al Aqsa qui ont revendiqué l'attentat. Or, elles sont liées au Fatah,
dont fait aussi partie Abou Mazen.
- Leïla Shahid. Il faut
bien comprendre qu'il y a, depuis le début de l'Intifada, une coordination
totale entre les diverses organisations palestiniennes présentes sur le terrain
: Hamas, Jihad islamique, Front populaire, Brigades, etc. Toutes considèrent
comme légitimes les réponses armées aux attaques armées israéliennes et à une
répression qui n'a jamais été aussi terrible. Cette coordination des activités
militaires sur le terrain échappe aux politiques, et je pense qu'elles
continueront tant qu'il n'y aura pas une suspension des meurtres ciblés de la
part d'Israël. Cela donne une idée de la difficulté de la tâche qui attend le
nouveau Premier ministre : s'il veut réussir, il doit absolument obtenir cette
suspension et l'arrêt de ce qu'il faut bien appeler du terrorisme d'État.
- Abou Mazen condamne depuis longtemps le recours aux attentats,
et même à la lutte armée. Ne va-t-il pas se heurter à ceux qui les pratiquent ?
- Leïla Shahid. Abou Mazen a défendu une position courageuse,
mais qui n'est pas partagée par tous les Palestiniens. Elle consiste à dire que
l'Intifada armée a été néfaste à la cause palestinienne. Il est certain qu'il
aura du mal à convaincre, si Sharon et l'armée israélienne ne suspendent pas
leur répression armée contre les Palestiniens.
- Les
déclarations de Sharon au journal Haaretz, où il parle de " concessions
douloureuses " à faire pour la paix, comme le retrait de certaines colonies, ne
sont-elles pas encourageantes, alors que le président Bush s'apprête à publier
la " feuille de route " qui doit aboutir à la création d'un État palestinien
?
- Leïla Shahid. Ce qui serait encourageant, ce serait que
Sharon accepte la feuille de route telle qu'elle est, comme nous l'avons faite.
Or, il a demandé 15 modifications, dont la suppression de la référence à un État
palestinien indépendant. Les Américains ont dit qu'Israël devait accepter cette
feuille de route telle qu'elle est, et j'espère qu'ils seront fermes sur cette
position. Car la feuille de route est le résultat de plus d'un an de discussions
du Quartet (1) avec tous les acteurs du conflit. Elle résume tous les accords
signés depuis Oslo, plus les conclusions des rapports Mitchell et Tenet et les
propositions du plan saoudien présenté l'an dernier à Beyrouth : la
normalisation des relations du monde arabe avec Israël, contre un retrait total
des territoires occupés. La balle est donc dans le camp d'Israël, puisque la
dernière condition pour la publication de cette feuille de route, à savoir la
formation du gouvernement palestinien, est remplie.
- Il semble
que Yasser Arafat ait eu beaucoup de mal à s'y résoudre. Pourquoi ? Était-ce une
question de personnes, notamment autour de la nomination de Mohamed Dalhan à la
sécurité intérieure ?
- Leïla Shahid. Yasser Arafat a fait
tout ce qu'on lui demandait sur le plan des réformes. Mais il était conscient de
la tentative qui est faite de le mettre à l'écart de la suite des négociations
de paix. C'était donc extrêmement douloureux pour lui, président légitimement
élu, d'accepter cela. Il l'a fait parce que les intérêts du peuple palestinien
passent avant les siens et parce que ce qui l'intéresse, maintenant, c'est la
feuille de route et le fait que la communauté internationale reprenne vraiment
en main le processus de paix, après nous avoir beaucoup déçus. C'est une des
choses nouvelles de la feuille de route : elle prévoit un mécanisme de contrôle
et de surveillance des mesures qui doivent être prises par les deux parties, et
qui sont, cette fois, des mesures parallèles. Elle prévoit aussi, pour la
première fois, une date pour la création de notre État : 2005. Une procédure de
surveillance et un calendrier, c'est ce qui avait manqué aux accords d'Oslo,
selon le rapport Mitchell. J'espère que, cette fois, la communauté
internationale assumera ses responsabilités. Ce matin même, le président Arafat
a d'ailleurs téléphoné au président Chirac, afin de lui demander de ne pas
relâcher ses efforts pour que la feuille de route réussisse. C'est notre seule
lueur d'espoir alors que le peuple palestinien n'a jamais, depuis plus de
cinquante ans, connu une situation aussi terrible.
(1) États-Unis, Union européenne, Russie,
ONU.
14. Les leçons du 21 avril /
Critiquer Israël ? / Critiquer les États-Unis ? / Deux solutions par
Bernard Langlois
in Politis du jeudi 24 avril 2003
Quelles leçons
nos hommes politiques, de droite comme de gauche, ont-ils tiré du 21 avril ? On
ne peut pas dire qu'on a oublié de leur poser la question... Les diverses
tribunes médiatiques se sont emparées du thème anniversaire avec gourmandise. Et
quelquefois, ce n'était pas inintéressant.
Il me semble, à la lecture, à
l'écoute de ces introspections en cascade, qu'un assez large consensus se
dégage, chez les acteurs comme chez les commentateurs que nous sommes, pour
reconnaître ce qui était assez évident le soir même du « coup de tonnerre » : ce
que nous avons vécu ce jour-là n'est pas tant une poussée de l'extrême droite
associée à un relatif succès de l'extrême gauche que l'effondrement symétrique
des « partis de gouvernement ». Gonflé à l'excès sous le coup de l'émotion, le
score de Le Pen est aujourd'hui assez généralement relativisé comme « un effet
d'optique » (ce qui ne veut pas dire que sa capacité de nuisance soit caduque ;
je pense même que la « grimaldisation » du FN - la montée en puissance de la
fille du chef - lui assure une capacité de rebondir, dans un scénario à
l'italienne). La « crise de la représentation », en revanche, semble avoir de
beaux jours devant elle. Il ne m'a pas semblé que des idées lumineuses pour y
remédier aient jailli des débats. La coupure entre la France officielle et la
France réelle ne s'est en rien comblée. Et si l'activisme de Sarkozy semble
encore assez efficace, le gouvernement dans son ensemble, confronté aux réalités
économiques et à une crise sociale qui s'aggrave (le dossier des retraites
pourrait provoquer un premier clash sérieux) est déjà sur la défensive, quand
son chef entame sa glissade sur le toboggan du désamour... Même si la droite
dispose depuis un an de tous les pouvoirs (Cambadélis parle d' « un mai 58 à
froid », quand les gaullistes avaient tout raflé après le coup d'État d'Alger),
on doute qu'elle soit capable de réduire les fractures (sociales, politiques,
civiques) d'une société française durablement désenchantée. Peut-être parce
qu'il y a « de moins en moins de grain à moudre », comme dit Séguin (entendez :
que la politique à l'échelon national n'est plus qu'un théâtre d'ombres, qu'elle
se fait ailleurs, à Bruxelles ou à l'OMC) : à quoi bon voter pour des
représentants dont on mesure l'impuissance ? La crise irakienne a certes permis
à Chirac de recueillir les fruits de sa fermeté lucide. Mais il lui faudra bien
remettre tôt ou tard les mains dans le cambouis national, et sur ce terrain, il
ne s'est jamais montré bien performant...
Certes, c'est pire encore pour une
gauche « sans leader, sans stratégie, sans programme » (Cambadélis encore), à
qui certains promettent pourtant « un bel avenir » (1). C'est beau l'optimisme !
Si l'on veut dire que le PS, avec ce qui reste de ses alliés, reviendra au
pouvoir tôt ou tard par le jeu de l'alternance, c'est probable en effet. Mais
quid d'une alternative au capitalisme libéral sans cesse plus brutal, plus
gourmand ? À coup sûr, c'est dans un « nouvel internationalisme », qu'Henri
Weber appelle de ses voeux, qu'il faudra chercher un chemin.
C'est
probablement pour n'avoir pas su en indiquer l'entrée que la campagne de Lionel
Jospin a explosé en vol.
Critiquer Israël ?
Le vote
juif (s'il existe) a-t-il manqué à Jospin ? Ou, à l'inverse, celui-ci a-t-il
subi une sanction significative des Français musulmans, au profit de Chirac ? La
double question est posée au détour d'un essai de Pascal Boniface (2) qui va
susciter la polémique.
Ce spécialiste des questions de géopolitique, auteur
d'une trentaine de livres sur les questions internationales et souvent sollicité
par les médias les plus divers (y compris Politis) est aussi un militant du PS.
En avril 2001, en sa double qualité d'expert et de militant, il juge nécessaire
d'alerter son parti sur les risques qu'il y aurait à adopter une attitude trop
complaisante envers le gouvernement Sharon. Il y écrivait en substance que cette
complaisance (du parti comme du gouvernement) était condamnable sur le plan des
« principes universels » et risquait en outre de coûter cher sur le plan
électoral. « Le soutien à Sharon - demandait-il - mérite-t-il que l'on perde
2002 ? » Cette petite phrase, qui n'était pourtant qu'une incidente dans un
développement très argumenté, a déchaîné contre son auteur, à l'intérieur comme
à l'extérieur du PS, une véritable campagne de dénigrement (une « fatwa »,
dit-il), qui est allée jusqu'à tenter de le démettre de ses fonctions
professionnelles à l'IRIS, l'institut de recherches qu'il dirige. Au lendemain
de l'élection catastrophe, un éditorial publié sur le site du Consistoire de
Paris attribuait à Boniface la perte des « quelques centaines de milliers de
voix qui ont manqué à Lionel Jospin ». Plus sûrement, on peut penser que c'est
l'inverse qui est vrai, et que l'expert socialiste avait raison : de nombreux
électeurs d'origine musulmane, ou même d'électeurs tout court (chez les jeunes
notamment), révoltés par la politique répressive israélienne envers les
Palestiniens et qui reprochaient à Jospin de renvoyer dos à dos les
protagonistes (toujours l'équilibre !), ont refusé leur voix du premier tour au
candidat socialiste. Mais là n'est pas l'essentiel de ce livre de combat, dont
on aura sûrement l'occasion de reparler. Au-delà de cette campagne très dure,
scandaleuse, orchestrée contre lui, Pascal Boniface pose la question de fond,
qui est celle du titre de l'ouvrage : « Est-il permis de critiquer Israël ? »
Sous-entendu : sans se faire aussitôt traiter d'antisémite.
À l'évidence, en
France, la réponse est non. Et nous sommes nombreux à pouvoir en témoigner...
Critiquer les États-Unis ?
De la même façon, et
généralement ça marche ensemble, il n'est pas possible de critiquer les
États-Unis sans déclencher les foudres des valets de plume de l'Empire. Cette
semaine, c'est Bernard-Henri Lévy qui s'y colle, dans sa chronique du Point (3).
Dans le style imprécatoire qu'il affectionne, le philosophe médiatique
interpelle les dirigeants français (Élysée et Quai d'Orsay) sur « le vrai
problème d'aujourd'hui, le plus brûlant [...], cet antiaméricanisme fou,
déchaîné, pavlovisé, qui est en train de déferler sur le monde et dont on voit
avec effarement la France faire, ici et là, office de porte-drapeau. » Nos
clercs pro-américains ne se consolent pas, en effet, des positions prises par la
France ; et notamment du fait que, malgré leurs objurgations, Jacques Chirac
persévère : il dépêche Villepin à Damas au moment même où Washington menace la
Syrie de ses foudres, dénonce le « crime contre l'humanité » que constitue le
pillage des richesses archéologiques de Bagdad (et chacun comprend qu'il en veut
moins aux pillards qu'à ceux qui les ont regardés faire, l'arme à la bretelle),
et last but not least, appelle un chat un chat et les soldats américains des «
troupes d'occupation ». De quoi révulser notre BHL national, qui nous voit déjà
revenus aux années 1930, celle de Drieu et Brasillach, de cette « idéologie
française » dont la dénonciation enflammée constitue son fonds de commerce
permanent. Ecoutez-le : « Les temps reviennent, oui, d'un antiaméricanisme qui
n'est plus un thème comme un autre participant, avec d'autres, de telle ou telle
idéologie, mais une idéologie à part entière, peut-être la dernière, où viennent
fusionner, comme dans un chaudron, tous les débris épars des discours les plus
inquiétants du moment : islamismes, antisémitismes, négationnismes divers, haine
de l'autre et du lointain, souverainismes et chauvinismes, antimondialismes,
régressions identitaires. » C'est pour offrir ? Voulez-vous un paquet-cadeau ?
Mais non, cher Bernard-Henri, on ne te hait point. Ni comme juif, ni comme
philosophe, ni même comme renégat de ta jeunesse anti-impérialiste. Et si tu
n'existais pas, il faudrait t'inventer : tu nous fait rigoler !
Deux
solutions
L'attitude de Chirac et de son ministre des Affaires
étrangères est cohérente. Elle est pesée. Elle ne relève évidemment pas d'un
anti-américanisme foncier.
Elle est cohérente : la victoire militaire,
évidente dès le premier jour, ne rend ni sa légalité, ni sa légitimité à une
expédition décidée unilatéralement et dont le décideur a piteusement échoué à
justifier les buts invoqués. Il n'y a donc aucune raison de courir s'aplatir aux
pieds du César texan. Elle est pesée : chacun voit bien que les États-Unis ne se
sortiront pas sans peine du merdier où ils se sont fourrés. Il suffit d'observer
la détermination des foules chiites et de les entendre conspuer le corps
expéditionnaire US pour comprendre que Washington ne parviendra pas à imposer
seul (Blair, déjà, a commencé à prendre ses distances) un nouveau pouvoir qui
ait les apparences de la légalité, ni qui obtienne la reconnaissance de la
communauté internationale (on ne parle même pas de démocratie !). S'ils s'y
essayent, ils vont au-devant de graves déboires, dont le résultat à terme sera,
après un retrait sans gloire, l'installation d'un régime islamiste pur et dur
sur le modèle iranien. Ils ont donc le choix entre deux solutions, qui l'une et
l'autre confortent la position française et celle du « camp de la paix » en
général : soit le retour rapide devant l'ONU, qui devra s'employer à réparer
(tenter de...) les pots cassés ; soit la fuite en avant dans un aventurisme
guerrier qui les isolera encore davantage. À cet égard, les menaces sur la Syrie
doivent être prises au sérieux. Il apparaît que la religion de George Dubbleyou,
sur ce point, n'est pas encore faite. Le camp des faucons est divisé. Si le
Président américain garde un brin de lucidité, il choisira la première solution
: ONU, apaisement, recherche d'un consensus avec ses alliés traditionnels (ce à
quoi le pousse le Premier ministre britannique) ; s'il est décidément fou, il
foncera dans la seconde voie. Advienne alors que pourra !
La proximité de la
campagne électorale plaide plutôt pour le premier terme de l'alternative.
L'exemple paternel devrait faire réfléchir Bush Jr : on peut gagner une guerre
et se rétamer deux ans après à une présidentielle !
Inch Allah
!
- Notes :
(1) Le Bel Avenir de la
gauche, Henri Weber, Seuil, 206 p., 17 euros.
(2) Est-il permis de critiquer
Israël ? Pascal Boniface, Robert Laffont, 238 p., 19 euros.
(3) « Chirac et
Villepin auront-ils le courage de désavouer l'antiaméricanisme qui déferle ? »,
Le Point du 18 avril. On note (avec plaisir) que Julliard, dans L'Obs', tiens le
discours inverse : « Chaque fois que la France est attaquée, il s'élève dans
notre bourgeoisie et au sein même de nos élites un débat, toujours le même, sur
la meilleure façon de capituler. [...] À ces déclarations haineuses, insensées
(des dirigeants américains) aurait dû répondre, dans les milieux politiques,
économiques, intellectuels, un tollé général. C'est pourtant le moment que
certains choisissent pour nous faire la morale sur l'antiaméricanisme [...].
Quand on a besoin de courage, ce n'est pas du côté des élites qu'il faut aller
le chercher. » (« À genoux devant Wolfowitz ? », Le Nouvel Observateur du 17
avril.)
15. Les "ignobles menteurs"
derrière la guerre meurtrière de Bush contre l’Irak par Jeffrey
Steinberg
in Executive Intelligence Review (hebdomadaire américain) du
vendredi 18 avril 2003
[traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
Le dimanche 16 mars 2003, le
vice-président américain Dick Cheney a émergé de son abri souterrain pour
participer à l’émission « Meet the Press » (Forum de la presse) sur la chaîne
NBC News, durant laquelle il a été interviewé une heure durant par Tim Russert.
Au cours de cette heure d’interview, Cheney a annoncé tout de go que Saddam
Hussein ne pouvait absolument rien faire qui soit susceptible d’éviter une
invasion américaine, non provoquée et totalement injustifiable, de l’Irak.
Cheney cita à plusieurs reprises les attentats du 11 septembre 2001, les
qualifiant de « raz-de-marée historique » justifiant, pour la première fois dans
l’Histoire, le déclenchement d’une guerre préventive unilatérale par les
Etats-Unis. Mais ce même Cheney, voici une douzaine d’années, avait déjà adopté
l’idée de guerre préventive – non pas contre Saddam Hussein, qui avait été
abondamment pourvu par les administrations Reagan, puis Bush père, en armes de
destruction massive – mais contre toute nation ou tout ensemble de nations qui
aurai(en)t représenté une menace pour la primauté militaire mondiale américaine
de l’ère post-soviétique. Sur le sujet, central, de la guerre préventive, Cheney
était manifestement en train de mentir, délibérément. Mais ce n’était encore là
que la partie émergée de l’iceberg…
La déclaration extraordinaire et d’une
heure de durée de Cheney fut constituée, presque exclusivement, de
désinformation, laquelle avait soit déjà été très largement discréditée, soit ne
tarderait pas à être dénoncée pour ce qu’elle était, à savoir : de purs
mensonges.
Cheney affirma notamment que Saddam Hussein cherchait activement à
se procurer des armes nucléaires, alors même que, quelques jours auparavant, le
chef des inspecteurs de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique, Mohammed
El-Baradei, avait témoigné devant le Conseil de sécurité de l’Onu du fait que
ces allégations se « fondaient » sur des documents dont il était prouvé qu’il
s’agissait de faux. Et il est de fait que dans le numéro du 31 mars du magazine
The New Yorker, le journaliste d’investigation Seymour Hersh avait exposé
comment les inspecteurs de l’AIEA avaient établi, après quelques heures de
recherche seulement, que de prétendus communiqués du gouvernement nigérian
confirmant la vente à Bagdad de 500 tonnes de « yellow cake », précurseur de
l’uranium n’étaient que des faux grossiers, rédigés sur du papier à lettres à
en-tête (depuis longtemps remisé aux vieux papiers) du gouvernement nigérian.
Hersh écrivait que ces faux avaient été remis à l’Administration Bush par
l’intermédiaire des services d’espionnage britanniques MI 6, et qu’ils avaient
probablement pour origine ce service même d’espionnage, ainsi que le Mossad, ou
des opposants irakiens affiliés au Conseil National Irakien (CNI) du Dr. Ahmed
Chalabi.
Cheney réitéra aussi l’accusation, pourtant déjà à l’époque
totalement discréditée, selon laquelle Saddam Hussein aurait entretenu « depuis
longtemps déjà » des liens avec l’organisation terroriste Al-Qa’ida, et que la
remise par Saddam d’armes de destruction massive – biologiques, chimiques et, en
fin de compte, nucléaires – au gang de Ben Laden n’était « qu’une question de
temps ». Comme Cheney le savait pertinemment, une estimation du directeur de la
CIA, George Tenet, datant d’octobre 2002, remise au Comité de Supervision des
Services de Renseignement du Sénat, avait très précisément indiqué que Saddam
Hussein n’aurait éventuellement recours aux Armes de destruction massive (ADM),
ou ne s’engagerait dans une action conjointe avec Al-Qa’ida, que dans le seul
cas où il se sentirait cerné et confronté à une attaque militaire américaine
imminente. Des efforts répétés d’agents du « parti de la guerre », tels l’ancien
directeur de la CIA et lobbyiste du CNI (Conseil National Irakien), R. James
Woolsey, avaient pourtant échoué à établir une quelconque preuve crédible d’une
collusion entre Saddam et Al-Qa’ida, en particulier antérieurement au 11
septembre 2001.
Sans doute le plus gros mensonge de Cheney – proféré en dépit
de toutes les évaluations de la CIA, de l’Agence des renseignements de la
Défense (DIA – Defence Intelligence Agency), des chefs d’Etat-major associés
(Joint Chiefs of Staff – JCS) et des experts ès-Moyen-Orient du Secrétariat
d’Etat – a été celui consistant à affirmer que la conquête militaire de l’Irak
serait une « promenade dominicale. » Cheney a dit à Russert : « Aujourd’hui, je
pense que la situation est à ce point dégradée, en Irak, du point de vue de la
population irakienne elle-même, que nous devrions être accueillis, j’en suis
persuadé, en libérateurs. »
Russert contesta cette prévision idyllique de
Cheney : « Si votre analyse est erronée, et si nous ne sommes pas accueillis en
libérateurs, mais en conquérants, et si les Irakiens opposent une résistance, en
particulier à Bagdad, pensez-vous que le peuple américain soit prêt à une
bataille longue, coûteuse et sanglante, entraînant un nombre élevé de pertes
dans l’armée américaine ? »
Ce à quoi Cheney répondit : « Eh bien, je ne
pense pas que les choses se passeront comme vous le dites, Tim, parce que je
pense réellement que nous serons accueillis en libérateurs. J’ai parlé avec
beaucoup d’Irakiens, durant ces derniers mois, et je les ai même amenés à la
Maison Blanche… La lecture que nous avons du peuple irakien est qu’il ne veulent
qu’une seule chose : être débarrassés de Saddam Hussein, et qu’ils accueilleront
les Etats-Unis en libérateurs, le moment venu ». Plus tard, au cours de son
interview, Cheney ajouta : « Si vous regardez l’opposition, ils se sont
rassemblés, je pense, de manière très efficace : il y a des représentants des
chiites, des sunnites, et des Kurdes : toutes les composantes de la société
irakienne sont représentées ».
Vers la fin de sa prestation, le
vice-président généralisa sa prévision de « promenade d’agrément » en affirmant
que, bien plus, l’action militaire préventive américaine visant à renverser
Saddam Hussein ne pourrait que stabiliser le Moyen-Orient. Il cita le Dr Bernard
Lewis, agent du Bureau Arabe britannique et auteur du « Croissant de Crise »,
ainsi que de ce véritable fiasco qu’est son bouquin « La Carte islamique »,
comme faisant autorité : « Je pense fermement, comme des gens, vous savez, comme
euh… Bernard Lewis, qui est l’un des grands – je pense – euh… étudiants ( !) de
cette partie du monde, qu’une réponse forte, ferme, des Etats-Unis au terrorisme
et aux menaces contre les Etats-Unis contribuerait pour beaucoup, franchement, à
calmer le jeu dans cette partie du monde. » [Traduction respectant les
hésitations de l’orateur, ndt.]
Presque quatre vingt heures après
l’apparition de Cheney sur NBC-TV, les Etats-Unis lançaient une guerre non
provoquée et totalement évitable contre l’Irak. D’après des sources arabes
diplomatiques, très sérieuses, à Washington, les gouvernements du Moyen-Orient
avaient été informés par de hauts responsables de l’administration Bush, la
veille de l’attaque seulement, que la guerre d’Irak serait achevée en une
semaine, ou au maximum une dizaine de jours…
Le mensonge
straussien
La performance mensongère du vice-président Cheney au
Forum de la presse n’était pas simple acte d’hubris ou de folie personnelles. Sa
déclaration de guerre préventive contre l’Irak – que certains de ses alliés
néoconservateurs, tel le « fasciste universel » autoproclamé Michael Ledeen, ont
célébrée avec sans doute plus de franchise comme le début d’une guerre
perpétuelle du Clash entre Civilisations, prenant en ligne de mire virtuellement
tous les pays arabes du Moyen-Orient – marqua le point culminant d’une campagne
enclenchée voici plus de douze ans, visant à redessiner en permanence la carte
du Proche-Orient et du Golfe persique, au moyen d’une guerre interminable et
d’une confiscation colonialiste pure et simple des matières premières de cette
région du monde.
Plus, c’était le signal d’un putsch politique, préparé
depuis longtemps à Washington par un petit groupe de néoconservateurs – dont la
majorité sont des émules du philosophe fasciste d’origine allemande Leo Strauss
(1899 – 1973) [Voir article récent du Monde, ndlr]. Cette politique vise à
transformer de manière définitive les Etats-Unis, de république
constitutionnelle dédiée à la poursuite du bien-être général et une communauté
de principes parmi des Etats-nations parfaitement souverains, en une imitation
brutale et post-moderne de l’Empire romain, engagée dans des aventures
impériales meurtrières à l’extérieur, et dans une politique de répression
étatique brutale, à l’encontre de ses propres citoyens, à l’intérieur.
Bien
que juif, actif dans les cercles sionistes révisionnistes dirigés par Vladimir
Jabotinsky dans l’Allemagne des années 1920, Strauss était aussi un protégé et
un promoteur enthousiaste des idées de deux intellectuels marquants du parti
nazi : le philosophe existentialiste et nietzschéen Martin Heidegger ; et le
juriste nazi Carl Schmitt, qui rédigea une analyse juridique justifiant le
putsch dictatorial d’Adolf Hitler consécutif à l’incendie du Reichstag, en
février-mars 1933. Schmitt veilla personnellement à permettre à Strauss de
quitter l’Allemagne, après avoir reçu une bourse de la Fondation Rockefeller, en
1932, qui lui a permis d’aller étudier à Londres et à Paris, et ensuite
d’accéder à des postes d’enseignement aux Etats-Unis ; tout d’abord à la New
School for Social Research de New York, puis à l’Université de Chicago.
Dans
l’Allemagne des années 1920 et 1930, il y avait des juifs qui étaient nazis mais
qui, à l’instar de Strauss et de la joyeuse bande des nietzschéens de gauche de
l’Ecole de Francfort (Théodore Adorno, Max Horkheimer, Léo Lowenthal, Herbert
Marcuse et d’autres), n’eurent aucune chance de se voir promus, en raison de
l’antisémitisme d’Hitler ; ainsi, ils choisirent de quitter l’Allemagne, afin de
poursuivre des idées et des politiques fascistes plus « universelles » ailleurs,
et en particulier aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.
Pour Léo Strauss et
ses disciples, le mensonge le plus ignoble – la désinformation – était la clé
permettant d’obtenir et de conserver le pouvoir politique. Et la puissance
politique dans son état le plus brut était leur but ultime. Pour Strauss et les
straussiens, les principes naturels, la loi naturelle, les vertus, l’agapè, la
notion d’homme créé à l’image de Dieu : tout cela n’était que
billevesées.
William Kristol, un des straussiens en vue à Washington, et chef
de la propagande publique pour le parti de la guerre de l’administration de
George W. Bush, l’avoua carrément, au cours d’une interview accordée à Nina J.
Easton, qui a écrit un livre consacré aux profils des principaux dirigeants de
l’insurrection de droite des années 1990, le Gang des Cinq (éditions Simon &
Schuster, New York, 2000). Kristol lui dit : « L’un des principaux enseignements
du Maître (Strauss) est que toutes les politiques sont limitées, et qu’aucune
n’est véritablement fondée sur la vérité. Ainsi, il y a une certaine disposition
philosophique, dans laquelle vous prenez une certaine distance avec ces luttes
politiques… vous savez… Vous ne vous prenez pas vous-même, et vous ne prenez pas
les causes que vous défendez… aussi sérieusement que si vous pensiez que tout
cela est « vrai » à cent pour cent. Les mouvements politiques regorgent toujours
de partisans, de militants qui se battent pour défendre leur opinion. Mais leur
opinion, et la « vérité », cela fait deux. »
Du haut de son perchoir de
rédacteur en chef du magazine Weekly Standard contrôlé par Rupert Murdoch et
fondé en 1995, Kristol a porté à la perfection l’art de la tromperie politique
et du « Gros mensonge » à la Goebbels. Fils de deux des néoconservateurs de la
première génération d’après-guerre, Irving Kristol et Gertrude Himmelfarb
[Couleur du Ciel, n’est-ce pas mignon ? ndt], Kristol a reçu l’enseignement, à
l’âge de dix-huit ans, de l’un des principaux disciples de Leo Strauss, Harvey
Mansfield Junior.
L’un des petits camarades d’études à Harvard et frères en
straussisme de Kristol était un certain Alan Keyes, qui allait devenir haut
fonctionnaire au Département d’Etat sous Reagan, et candidat malheureux aux
sénatoriales du Maryland (Kristol mena la campagne de Keyes, en 1988, contre le
Démocrate Paul Sarbanes). Ses autres camarades d’université incluaient un
certain Francis Fukuyama, qui fut plus tard le promoteur de l’idée nitzschéenne
de « fin de l’histoire », et qui vint à Harvard poursuivre un doctorat à
l’institut Cornell, où il fut formé par Allan Bloom, autre membre du cercle
intime des étudiants de Strauss à l’université de Chicago. La vie de Bloom a été
racontée par son camarade chicagolien Saul Bellow dans un roman réaliste
intitulé Ravelstein.
Le putsch néoconservateur du onze
septembre
L’hommage de Bellow à Bloom met également en lumière un
autre straussien qui joue aujourd’hui un rôle plus grand que nature dans le
putsch interne de l’administration Bush : Paul Wolfowitz.
Wolfowitz fut l’un
des premiers disciples de Strauss-Bloom à venir à Washington. Par l’entremise de
Bloom, qui terminait son doctorat à l’université de Chicago à l’époque,
Wolfowitz fut introduit auprès du fondateur de la Rand Corporation, Albert
Wohlstetter ainsi que de Paul Nitze, un expert en contrôle des armements qui
avait occupé des fonctions importantes dans la plupart des gouvernements
postérieurs à la Seconde guerre mondiale. Dans les années 1970, notre petit
Paupol (Wolfowitz) faisait son petit bonhomme de chemin dans la bureaucratie du
contrôle des armements – tout en établissant des liens avec d’autres protégés
des straussiens et de Wohlstetter, qui avaient été « implantés » parmi les
employés de divers comités sénatoriaux. Parmi les collaborateurs de Wolfi,
durant cette période, on trouve Richard Perle, Steven Bryen et Elliott Abrams,
qui ont été employés comme attachés sénatoriaux par Henry « Scoop » Jackson
(Démocrate –Etat de Washington), de Clifford Case (Républicain, New Jersey),
ainsi que de Daniel Patrick Moynihan (Démocrate, New York), respectivement.
Perle a indiqué qu’il avait été introduit auprès de Wolfowitz en 1969, alors
qu’ils avaient été tous deux conjointement missionnés par Wohlstetter pour
effectuer des recherches pour le compte du Sénateur Jackson.
On trouve, parmi
les autres disciples de Strauss qui font actuellement partie de l’insurrection
néoconservatrice en cours : John Podhoretz, éditorial du tabloïde sur papier
jaunâtre de Murdoch, The New York Post, ancien rédacteur en chef du Weekly
Standard, et rejeton des néoconservateurs de première génération Norman
Podhoretz et Midge Decter ; le juge à la Cour suprême Clarence Thomas ; l’Avocat
général John Aschcroft, I. Lewis « Scooter » Libby, chef du personnel et premier
conseiller en matière de sécurité nationale du vice-président Cheney, qui fut
introduit dans le petit monde straussien par son propre directeur de thèse et
mentor de l’Université de Yale, Paul Wolfowitz ; l’officier préposé à la
désinformation pentagonale Abram Shuslky ; Gary Schmitt, directeur exécutif du
Projet pour un Nouveau Siècle Américain (PNAC) dirigé par Kristol ; David Brook,
autre éditorialiste du Weekly Standard ; Werner Dannhauser, un protégé de
Strauss, qui abandonna l’Université pour se consacrer à la direction du magazine
emblématique des néoconservateurs Commentary, après le départ à la retraite de
Norman Podhoretz ; Robert Kagan, lui aussi du Weekly Standard, et enfin le fils
du straussien de Yale en vue, Donald Kagan.
Comme le montre le cas Wolfowitz,
cette cabale des disciples de Strauss, alliée à un cercle tout aussi restreint
de néoconservateurs alliés à des compagnons de route likoudniks, a mis en place
et animé un réseau souterrain, à l’intérieur et autour du gouvernement, depuis
trente ans – attendant le moment opportun pour lancer leur o.p.a. mais non plus
tellement à bas bruit. Le 11 septembre leur a donné l’opportunité unique de
passer à l’action – et, ce moment crucial arrivé, ils avaient eu le temps de
parfaitement se préparer.
Comme l’a écrit Lyndon LaRouche dans son rapport
sur sa campagne électorale de 2004, intitulé ‘Zbigniew Brzezinski et le 11
septembre’, les attentats n’auraient pu se produire sans une complicité
conséquente d’éléments internes à l’establishment de la sécurité nationale
étatsunienne, étant donnés l’effondrement total des procédures les plus
rudimentaires en matière de sécurité et la profondeur des connaissances
d’initiés que de telles vulnérabilités impliquaient. Les attentats du 11
septembre, affirmait LaRouche, n’auraient pas pu être commis par les terroristes
d’Al-Qa’ida sans ces complicités. Et en effet, les attentats étaient un action
militaire sophistiquée sous couvert de guerre irrégulière, tout à fait hors de
portée des capacités de l’appareil terroriste de Ben Laden. L’idée qu’Oussama
Ben Laden, opérant à partir de grottes en Afghanistan, aurait pu avoir réussi
l’acte le plus important de guerre secrète de toute l’histoire des Etats-Unis
est, sans doute, le plus « gros mensonge » [dans l’acception qu’avait Goebbels
de cette expression (« Plus c’est gros, plus ça passe », ndt)] entre
tous.
Dans son rapport sur ‘Brzezinski et le 11 septembre’, LaRouche insiste
sur le fait que, tandis que l’obtention de détails sur la manière précise dont
les attentats avaient été orchestrés impliquerait d’avoir connaissance de
données militaires secrètes qu’il est le plus souvent extrêmement difficile
d’interpréter, la question plus large du cui bono – à qui profite le crime ? –
avec ces attentats est beaucoup plus accessible. La traiter requiert, toutefois,
de passer en revue certains événements critiques dont certains remontent, au
minimum, à la période de la présidence de « Bush 41 » [Walker,
ndt].
Une guerre impériale préventive
Le 21 mai 1991, à
la demande du Secrétaire à la Défense de l’époque – un certain Dick Cheney – une
équipe de stratèges civils du bureau des politiques du Pentagone fit un rapport
oral à Cheney sur l’environnement stratégique post-soviétique et ses
conséquences pour les Etats-Unis en matière de sécurité nationale à longue
portée. L’essentiel de ce rapport fut présenté par l’adjoint au Secrétaire (à la
Défense) en matière de politique stratégique, Paul Wolfowitz. Parmi les autres
membres de cette équipe, se trouvaient : Lewis Libby, adjoint de Wolfowitz ;
Zalmay Khalilzad, de la Rand Corporation (Université de Chicago) et protégé
d’Albert Wohlstetter, qui était à l’époque également membre de l’équipe de
Wolfowitz au Pentagone et Eric Edelman, un officier de carrière du Service
Etranger, travaillant lui aussi sous les ordres de Wolfowitz. Aujourd’hui, ces
quatre hommes occupent des postes éminents dans le gouvernement de « Bush 43 »
[Deubeuliou, ndt] : Wolfowitz est adjoint au Secrétaire à la Défense ; Libby est
chef du personnel et adjoint en chef en matière de sécurité nationale du
vice-président Dick Cheney ; Edelman est l’adjoint de Libby dans ces fonctions
et, enfin, Khalilzad est l’agent de liaison de la Maison Blanche avec
l’opposition
irakienne.
Toujours en cet an de grâce 1991, faisant son rapport à Cheney, Wolfowitz
proposa que les USA adoptent une politique d’action préventive afin de dissuader
toute nation ou tout ensemble de nations de défier la « primauté » américaine en
matière militaire et économique dans le futur envisageable, en recourant à tous
les moyens nécessaires. Lorsque Cheney décida d’incorporer le concept
wolfowitzien à son programme directeur en matière de défense pour l’année 1992
[1992 Defense Planning Guidance – DPG], on assista à une sorte de branle-bas de
combat. Les officiers supérieurs exfiltrèrent des passages de ce DPG au New York
Times ; le président George H.W. Bush, son conseiller en sécurité nationale (le
général Brent Scowcroft) et son Secrétaire d’Etat James Baker III, rejetèrent
tous unanimement la stratégie Cheney-Wolfowitz.
Finalement, le DPG fut
réécrit, et la nouvelle version ne comportait qu’une version substantiellement
édulcorée du schéma wolfowitzien. Mais, à la suite de la défaite électorale du
président Bush (père), en janvier 1993, le Secrétaire Cheney et son équipe
tirèrent le penalty d’égalisation, en publiant la teneur d’un rapport sur la
stratégie de défense pour la décennie 1990 : The Regional Defense Strategy,
lequel, non seulement ressuscitait l’idée d’une guerre préventive unilatérale,
mais mettait en avant l’idée que les Etats-Unis devaient développer une nouvelle
génération de bombes atomiques miniaturisées (des bombinettes ? ndt),
appropriées à une utilisation contre des cibles situées dans les pays du
Tiers-monde.
Ce n’est un secret pour personne que tant Cheney que Wolfowitz
étaient furieux contre le président Bush qui n’avait pas autorisé la « coalition
» emmenée par les Etats-Unis à foncer sur Bagdad et à renverser Saddam Hussein à
la fin de l’opération « Tempête du Désert », en 1991. Et effectivement, des
associés de Wolfo font état de son obsession de renverser Saddam et de mettre
sens dessus dessous l’ensemble de l’échiquier moyen-oriental et, cela, depuis la
fin des années 1970. Le roman à clé Ravelstein de Saul Bellow comporte un coup
de téléphone de Wolfo à son mentor straussien Allan Bloom, de retour à Chicago,
dans lequel il voue aux gémonies le président Bush et son manque d’hubris
nietzschéenne.
La « Rupture Franche »
Très largement
écarté du pouvoir à Washington durant les huit années des deux présidences
Clinton successives, la cabale straussienne n’en profita pas pour se tourner les
pouces ; loin de là. A la suite de la signature des accords d’Oslo à la Maison
Blanche, en septembre 1993, les straussiens et les néocons(ervateurs) lancèrent
une offensive tous azimuts visant à tuer dans l’œuf le marchandage « la terre
contre la paix ». Plusieurs disciples de marque de Strauss et de Bloom avaient
déjà émigré en Israël, et ils allaient former le noyau dur d’un appareil, à
l’intérieur d’Israël, entièrement dédié à envoyer le processus de paix par le
fond.
En 1994, Hillel Fradkin et Yoram Hazoney fondèrent le Centre Shalem,
grâce au généreux financement de deux milliardaires américains, tous deux
associés au peu connu mais néanmoins puissant « Groupe Mega », dirigé par deux
sionistes de droite ‘première pression’ : Ronald Lauder et Rogert Hertog. Hertog
est jusqu’à ce jour actionnaire minoritaire, avec Lord Conrad Black et Michael
Steinhardt, du quotidien New York Sun ; par ailleurs, il est détenteur au tiers,
avec Martin Peretz et Steinhardt, du quotidien The New York Republic, bastion de
vieille date de la propagande politique straussienne. (Le rédacteur en chef du
New Republic, Lawrence Kaplan, s’est ainsi associé récemment à William Kristol
du Weekly Standard, afin de produire une défense et illustration de la guerre
contre l’Irak qui nécessiterait un volume entier.)
Ce Fradkin a été un des
étudiants d’Allan Bloom, et il a enseigné au Comité pour la pensée sociale de
l’Université de Chicago. Ensuite, il a lancé le bureau de Washington du Shalem
Center, tout en étant directeur du Centre pour les Politiques Ethiques et
Publiques (il avait remplacé Elliott Abrams à ce poste, lorsque celui-ci avait
été embauché au Conseil de la Sécurité Nationale sous « Bush 43 »), et chercheur
en matière de Moyen-Orient à l’American Enterprise Institute (AEI). Hazoney a
obtenu son doctorat (PhD) à l’Université Rotgers sous la houlette d’un autre
disciple de Strauss, Wilson Cary McWilliams, à la suite de quoi, il déménagea en
Israël, où il devint l’écrivaillon qui pondait les discours du dirigeant Likoud
Benjamin Nétanyahou. Hazoney est un partisan impénitent du rabbin raciste Meir
Kahane, le non regretté fondateur de l’organisation terroriste Jewish Defense
League [Ligue de Défense Juive, présente et « active » et du mouvement
Kach.
En plus du Shalem Center et de la Fondation pour une Démocratie
constitutionnelle, lancés par l’éminent émule de Strauss, Paul Eidelberg –
avocat de l’annexion définitive de toute la « Judée », de la « Samarie » et de
la bande de Gaza par Israël – une troisième « boîte à idées » [think tank]
israélienne joua un rôle fondamental dans la promotion des idées
strausso-néocon(servatrices) durant la présidence Clinton. Il s’agit de
l’Institut pour les Etudes Avancées Stratégiques et Politiques (Institute for
Advanced Strategic and Political Studies – IASPS), qui a des bureaux à Jérusalem
et à Washington, et fut inauguré en 1984 : il s’agit d’un avant-poste de l’Ecole
de Chicago, qui promeut le système britannique d’économie de libre marché,
illustrée par les œuvres d’Adam Smith, Friedrich von Hayek et Milton Friedman.
Douze ans plus tard, cet Institut a créé une Division pour la Recherche en
matière de Stratégie. L’IASPS se présente lui-même comme un centre de
rayonnement de la pensée straussienne en Israël. Une publicité pour le programme
de bourses d’études stratégiques destinées à des chercheurs étrangers venant
étudier à Washington (de cet institut), figurant sur son site ouèbe, avertit les
impétrants qu’ils n’ont même pas à prendre la peine de postuler s’ils ne sont
pas des adeptes de Léo Strauss.
En 1996, à la suite de l’assassinat du
Premier ministre Yitzhak Rabin, la Division de Recherches en Stratégie de
l’IASPS, tout récemment instituée, passa commande d’une série d’études sur la
manière de démolir les accords d’Oslo, pour le compte du nouveau Premier
ministre israélien Netanyahou.
La principale de ces études, « Une Rupture
Franche : Une Nouvelle Stratégie pour Assurer la Sécurité de l’Empire » [A Clean
Break : A New Strategy for Securing the Realm », a été rédigée par une équipe de
nécons(ervateurs) américains sous la direction de Richard Perle. Les autres
membres de ce groupe d’étude étaient : James Colbert du Jewish Institute for
National Security Affairs (JINSA) ; Charles Fairbanks de la John Hopkins
School of Advanced International Studies (SAIS) (un disciple de Strauss et un
ami intime de Paulo (Wolfowitz) depuis les années 1960) ; Douglas Feith,
actuellement sous-secrétaire à la Défense pour la stratégie politique ; Robert
Loewenberg, Président de l’IASPS ; Jonathan Torop du Washington Institute for
Near East Studies (WINEP) (Institut de Washington pour les Etudes
Moyen-Orientales), il s’agit d’une boîte à idées parrainée par l’AIPAC (American
Israel Public Affairs Committee, le grand organe du lobbying officiel israélien
aux Etats-Unis ; David Wurmser, alors directeur du projet ‘Moyen-Orient’ à
l’American Entreprise Institute (AEI) et aujourd’hui assistant spécial du
contrôleur en armements en chef du Département d’Etat John Bolton – lui-même
ancien vice-secrétaire de l’AEI et Meyrav Wurmser, ancien du Middle East
Research and Information Project (MERIP) de l’officier du renseignement
militaire israélien (Mossad) sharoniste, le colonel Yigal Carmon, aujourd’hui
directeur des programmes ‘Moyen-Orient’ à l’Institut
Hudson.
Le document « Rupture Franche »
(Clean Break), de six pages, fut remis en mains propres par Perle à
Netanyahou le 8 juillet 1996, deux jours après un discours prononcé par le
Premier ministre israélien devant une session plénière du Congrès américain. La
plus grande partie du discours de Netanyahou avait consisté en des extraits
présélectionnés de « Rupture Franche ». Le document prônait un rejet total
d’Oslo et de l’échange « les territoires contre la paix » ; une incursion
militaire brutale dans les territoires sous la responsabilité de l’Autorité
palestinienne et leur réoccupation par les Forces Israéliennes de Défense – qui
devaient être justifiées sur la base du « droit à poursuivre à chaud » les «
terroristes » (palestiniens), et pouvaient aboutir éventuellement à une annexion
définitive à Israël de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza; et enfin,
une guerre contre l’Irak, afin de renverser non seulement le régime de Saddam
Hussein à Bagdad, mais aussi le régime baathiste de Damas.
« Israël est
en mesure de donner forme à son environnement stratégique (à sa convenance) »,
écrivaient Perle et compagnie, « en coopération avec la Turquie et la Jordanie,
en affaiblissant, en contenant, voire même en repoussant la Syrie. Cet effort
peut se focaliser sur le renversement du pouvoir de Saddam Hussein en Irak –
objectif stratégique en tant que tel, pour Israël – car moyen permettant de
cisailler les ambitions régionales de la Syrie. »
Perle et consorts ont
rédigé le rapport « Rupture Franche » tout en sachant pertinemment qu’en 1990-91
l’administration Bush avait lancé l’opération Tempête sur le Désert en réponse
aux menaces d’Israël de lancer sa propre guerre d’extermination contre Saddam
Hussein. L’initiative intempestive d’Israël aurait déclenché une guerre de
religions interminable au Moyen-Orient, précisément sur les lignes de fracture
du Clash des Civilisations décrit pour la première fois par le Dr. Bernard Lewis
dans un article du mensuel Atlantic Monthly, en 1990, soit trois ans avant la
parution dans la revue Foreign Affairs du pamphlet intitulé « Le Clash des
Civilisations » (plus connu) de Samuel Huntington. L’administration Bush prit
très au sérieux les menaces israéliennes et elle prit les devants en frappant
l’Irak, en prenant la tête de la guerre de la « Coalition » et en imposant les
sanctions de l’après-guerre, les zones d’interdiction aérienne, etc.
Aujourd’hui, grâce à Perle, Feith, Wurmser et alii, les straussiens rattrapent
le retard (pour Israël, pris de court en 1991).
« Un Nouveau
Siècle Américain »
Au début de l’année 1997, William Kristol et
Robert Kagan, deux des « intellectuels straussiens » en vue à Washington, ont
rejoint les collaborateurs de l’AEI (American Enterprise Institute) afin de
faire avaler à l’administration Clinton la politique de la « Rupture Franche ».
Utilisant des bureaux libres au cinquième étage du siège de l’AEI, Kristol et
ses acolytes lancèrent un nouveau groupe de façade, bénéficiant d’exemptions
d’impôts, le Project for the New American Century (PNAC) [Je pense qu’il faut
traduire cet acronyme par : « Projet pour le Nouveau Siècle (qui sera, que vous
le vouliez ou non) Américain », ndt], tout particulièrement dans le but de
mettre sur pied une force militaire américaine chargée de faire unilatéralement
la police dans le monde entier – en commençant par le renversement de Saddam
Hussein.
Le 3 juin 1997, le PNAC publia une Déclaration de Principes, signée
d’Elliott Abrams, Gary Bauer, William Bennett, Jeb Bush (gouverneur de Floride
et frère de Deubeuliou), Dick Cheney, Midge Decter, Francis Fukuyama, Lewis
Libby, Norman Podhoretz, Peter Rodman, Donald Rumsfeld, Paul Wolfowitz et
d’autres.
Cette Déclaration de Principes se fondait sur un article co-écrit
par William Kristol et Robert Kagan et publié dans le numéro de Foreign Affairs
de juillet/août 1996 (c’est la publication du New York Council on Foreign
Relations) – simultanément à la publication de la « Rupture Franche » de
Perle-Feith-Wurmser. Kristol et Kagan en appelaient, dans cet article, à une «
politique étrangère néo-reaganienne ». Il s’agissait d’un choix des mots
volontairement malhonnête, étant donné que l’une des réalisations les plus
notables de la politique étrangère et de sécurité nationale du président Reagan
avait été sa collaboration avec Lyndon LaRouche dans le lancement de
l’Initiative de Défense Stratégique (Strategic Defense Initiative – SDI), que
Reagan envisageait au départ comme une politique commune et coopérative, avec
l’Union soviétique, permettant de mettre un terme à l’ère de la « destruction
mutuelle garantie » (= « équilibre de la terreur », ndt). Dès lors que le
secrétaire général du Soviet suprême Youri Andropov avait rejeté l’offre
généreuse (déjà !… ndt) de coopération scientifique et technique en vue de
mettre sur pied une défense mondiale contre les armes nucléaires, l’effondrement
de l’empire soviétique était assuré, comme l’avait prédit LaRouche dès 1984, et
comme il l’avait redit lors d’un discours fameux prononcé en octobre 1988 à
Berlin Ouest, dans lequel il anticipait l’écroulement du mur de Berlin, qui se
produisit un an après.
Kristol et Kagan définirent leur « politique étrangère
néo-reaganienne » en la qualifiant d’ « hégémonie (américaine) mondiale mais
néanmoins bienveillante », fondée sur une énorme concentration de puissance
militaire par les Etats-Unis. Les auteurs ressuscitaient la doctrine de guerre
préventive formulée par Wolfowitz en 1991, en déclarant de manière très
explicite : « L’objectif convenable pour la politique étrangère américaine est
de faire en sorte que cette hégémonie se prolonge aussi longtemps que possible.
»
Kristol et Kagan prônaient spécifiquement le renversement de plus de deux
siècles de traditions anticolonialistes américaines, en faisant de John Quincy
leur repoussoir personnel : « Les conservateurs, de nos jours », écrivaient-ils,
« succombent aisément à la métaphore surannée et charmante des Etats-Unis en
tant que « petite ville sur la colline ». Ils ressassent l’admonition de John
Quincy Adams selon qui l’Amérique ne doit pas « aller à l’étranger à la
recherche de monstres à détruire ». Mais pourquoi pas ? L’alternative serait e
laisser des monstres vadrouiller en liberté, ravageant et pillant tout leur
saoul, tandis que les Américains resteraient sur la touche, à les regarder ?
Non. Ce serait inacceptable. Ce qui avait pu sans doute être un conseil avisé,
en 1823, alors que l’Amérique était un petit pays perdu au milieu d’un monde de
géants européens, ne l’est plus aujourd’hui, alors que c’est l’Amérique qui est
devenu le géant unique. C’est précisément parce que l’Amérique dispose de la
capacité de contrôler et de détruire la plupart des monstres qui ravagent le
monde, dont la plupart peuvent être débusqués sans beaucoup chercher, et parce
que la responsabilité de la paix et de la sécurité de l’ordre international pèse
si lourdement sur ses épaules, qu’une politique qui consisterait à rester assis
en haut de notre colline et à nous contenter de diriger (le monde) en donnant le
bon exemple (aux autres) ne serait, en pratique, qu’une politique lâche et
déshonorante. »
Le 26 janvier 1998, le PNAC publia une Lettre ouverte au
Président Clinton, l’exhortant à procéder immédiatement à un « changement de
régime » en Irak, en se fondant sur le prétexte bidon que Saddam était sur le
point de lancer des armes de destruction massive contre les Etats-Unis et leurs
alliés. Parmi les signataires de cette lettre ouverte, on trouvait les noms
suivants (qui sont tous, aujourd’hui, des membres de l’administration de « Bush
43 ») : Abrams, Richard Armitage, John Bolton, Fukuyama, Khalilzad, Perle, Peter
Rodman, Rumsfeld, Wolfowitz et Robert Zoellick. D’autres signataires encore :
Kristol, Kagan et James Woolsey, qui fut brièvement le Directeur de la CIA sous
Clinton et qui était, au moment où la lettre ouverte du PNAC fut publiée, déjà,
l’avocat général chargé des intérêts du Congrès National Irakien (CNI).
En
septembre 2000, à la veille d’élections présidentielles qui mettaient face à
face George W. Bush et Al Gore, le PNAC publia une longue étude intitulée «
Reconstruire la Défense américaine – Stratégie, Forces et Ressources pour un
Nouveau Siècle », qui reprenait dans une large mesure la stratégie de guerre
préventive prônée dans les années 1991 par le tandem Cheney-Wolfowitz. Parmi les
« suspects habituels » qui contribuèrent à l’étude « Reconstruire », on trouve
Lewis Libby, un protégé de Wolfo. Il venait tout juste de mener à son terme une
mission en qualité de conseiller général près la Commission Cox, qui prônait un
affrontement stratégique en Corée du Nord avec la Chine et la Corée du Nord ; il
allait bientôt devenir le chef du personnel du vice-président Cheney. En
disponibilité de la fonction publique, Libby avait été aussi l’avocat personnel
de Marc Rich, un parrain de la « Mafya » russe, qui avait été condamné par
contumace par un tribunal fédéral (américain) pour évasion fiscale et « commerce
avec l’ennemi » - l’Iran de l’Ayatollah Khomeiny – durant la crise des otages de
l’Ambassade américaine à Téhéran en 1979-1980. Libby fut le Svengali en
coulisses, responsable de l’amnistie présidentielle calamiteuse accordée par
Clinton à Marc Rich, lequel opérait directement avec les « anciens » agents du
Mossad Zvi Rafiah et Avner Azulay.
En dépit de la prolifération des
straussiens et des néocon(servateurs) dans l’équipe de sécurité nationale qui
entoure George Deubeuliou (Bush), le lobby en faveur de la guerre contre l’Irak
fit très peu de chemin (il fit même du sur-place) jusqu’à la survenue de cet
événement que le vice-président Dick Cheney qualifia de « raz-de-marée politique
».
Le 11 septembre 2001, les attentats contre le Pentagone et le World Trade
Center déclenchèrent une riposte immédiate des néocon(servateurs) de l’intérieur
de l’administration Bush et de sa périphérie. Quatre jours (seulement) après ces
attentats, Paul Wolfowitz assistait à une session du Conseil de Sécurité
Nationale (NSC) (le 15 septembre, donc), avec le président Bush, à Camp David,
au cours de laquelle il prononça un discours préconisant une invasion immédiate
de l’Irak. Pour des raisons qui font encore aujourd’hui objet de controverse, le
président, le vice-président, et même le Secrétaire à la Défense, Rumsfeld
(Rummy pour les intimes – même lui : c’est dire ! ndt), rejetèrent la
proposition de Wolfo, en raison de son caractère « prématuré ». Toutefois,
quelques jours après, dans un ordre touchant à la sécurité nationale émanant du
président et autorisant le passage à l’offensive contre l’Afghanistan, Bush
autorisait la CIA et l’armée à entreprendre l’étude de plans prévisionnels
relatifs à la manière de régler le cas « Saddam ».
Naissance de l’ «
Agence de Renseignement des Fauconneaux »
Une semaine après l’appel
à la Croisade « prématuré » de Wolfowitz, Richard Perle convoqua une session du
Panel de la Politique de la Défense (Defense Policy Board) au cours de laquelle
ont pris la parole le vétéran du British Arab Bureau, le Dr Bernard Lewis (un
revenant…) et le fondateur du CNI, le Dr Ahmed Chalabi, casseur (irakien) de
banques et protégé d’Albert Wohlstetter à l’Université de Chicago, qui est le
successeur pressenti par le lobby sioniste américain et la droite israélienne
pour succéder à Saddam Hussein. A la CIA et au Département d’Etat, Chalabi était
quasiment considéré persona non grata, et son parapluie du Conseil National
Irakien était vu comme une bande de professionnels de la politique en exil
grands amateurs de Martinis on the rocks, mais presque entièrement dépourvus
d’un quelconque poids sur le terrain en Irak même. Perle et Bernard Lewis
avaient été introduits auprès de Chalabi au début des années 1980, et l’ancien
banquier, condamné par contumace à vingt ans d’emprisonnement en Jordanie pour
fraude bancaire et trafic de devises, est depuis cette date le petit poulain
favori du Jinsa et de l’AEI (American Enterprise Institute,
rappelons-le).
C’est durant une de ces fameuses périodes de calme qui
précèdent généralement les catastrophes, peu de temps avant le 11 septembre,
donc, que le Secrétaire à la Défense Rumsfeld avait confié à des associés qu’il
envisageait de renoncer à son poste ministériel et de retourner à Chicago. Son
explication avait été révélatrice : « Le Likoud a pris le contrôle de la baraque
(désignant ainsi le Pentagone », avait-il confié à ses amis, faisant allusion à
la cabale Wolfo-Perlesque qui avait commencé à le cerner dès les premiers mois
de l’administration « Bush 43 ». Certaines sources de l’entourage de Rumsfeld
décrivent le Secrétaire d’Etat comme un « maniaque du contrôle » et un manager
soucieux du moindre détail, qui pensait que sa participation à la commission sur
la prolifération des missiles, sous Clinton, avait suffisamment compensé son
éloignement de Washington, pendant près d’un quart de siècle, et qu’il serait
capable de maintenir d’une poigne d’acier la foisonnante bureaucratie (civile)
du Pentagone, dont le commandement militaire unifié avait la (lourde et
délicate) charge.
Grâce aux efforts personnels de l’ancien Secrétaire d’Etat
et de l’idéologue de l’ « Ecole de Chicago » George Shultz, le vice-secrétaire à
la Défense Wolfowitz avait été introduit dans les cercles les plus restreints
des sponsors de la campagne électorale de George W. Bush, appelés les « Vulcans
», ce qui lui permit d’amener Perle et l’ensemble de la petite troupe des
néocons(servateurs) à Austin (Texas) afin d’y « former » (on devrait écrire,
plus justement : coditionner) le Président en puissance. Wolfowitz parlementa en
vue de cette relation personnelle avec le nouveau Président, et il fournit au
bureau de Rumsfeld une véritable armée de clones tous identiques entre eux, tous
plus disciples de Strauss et Likoudniks les uns que les autres.
En juin 1988,
nous (= Executive Intelligence Review) avions révélé que le bureau des
conseillers du Secrétaire à la Défense de l’époque, Caspar Weinberger, avait
établi une liste de personnes soupçonnées d’appartenir au « Comité X » [Non,
cher lecteur, il ne s’agit ni de films osés, ni de Polytechnique ! ndt], un
réseau d’espions israéliens et d’agents d’influence qui avaient infiltré
l’establishment de la sécurité nationale de l’administration Reagan-Bush (41…),
et dont on avait de fortes raisons de penser qu’ils avaient dirigé les actes
d’espionnage de Jonathan Jay Pollard [Célèbre espion israélien, emprisonné aux
Etats-Unis et objet de multiples campagnes de « rachat » par le gouvernement
israélien, ndt]. Parmi la douzaine de suspects principaux du « Comité X »,
auxquels l’équipe des conseillers en questions générales demanda des comptes, on
relevait les noms de : Wolfowitz, Perle, Feith, Wohlstetter, Fred Iklé, Stephen
Bryen, Michael Ledeen, Frank Gaffney, John Lehman et Henry Rowen.
Sous
Wolfo, le Pentagone de l’ère « Bush 43 » devint derechef un foyer d’influence et
d’entrisme pour le « Comité X ».
Néanmoins, les informations provenant de la
CIA, du DIA et du Département d’Etat rejetaient énergiquement toute preuve d’un
lien quelconque entre Saddam Hussein et les attentats du 11 septembre.
L’évidence patente suggérait aussi que l’Irak ne représentait aucune menace pour
les Etats-Unis ni pour aucun de ses voisins, que ce soit dans l’immédiat ou à
court terme. Très tôt dans le mandat Bush, le Secrétaire d’Etat Colin Powell
avait proposé une révision des sanctions imposées à l’Irak – on appela ces
nouvelles sanctions « intelligentes » - en reconnaissant que le soutien
international à la poursuite de l’isolement de l’Irak s’effilochait.
Afin de
saisir l’opportunité offerte par le virage dramatique des attentats du 11
septembre 2001, Wolfowitz et le vice-secrétaire à la défense chargé de la
politique de défense, Dough Feith, l’un des jabotinskistes [partisans du
sionisme révisionniste de Jabotinski, ndt] les plus fanatiques de la
bureaucratie civile du Pentagone, créa une unité de renseignement secrète. Sa
mission consistait à fournir au Secrétaire à la Défense (Rumsfeld) – qui avait
abandonné ses projets d’avant-attentats de partir à la retraite, et était
désormais en totale syntonisation avec la cabale à Wolfo – un flux constant de «
renseignements », afin de contrer la résistance de la CIA/DIA au programme « Qui
veut la Peau de Roger Saddam ? » de la fine équipe partisane de la « Rupture
Franche ». L’un des principaux pourvoyeurs de ces « renseignements » « sans
garantie du gouvernement » ne devait être autre que… le fameux Conseil National
Irakien – complètement discrédité – de Chalabi.
Wolfo et Feith choisirent
Abram Shulsky pour diriger cette cellule secrète, bien planquée dans le
labyrinthe de la bureaucratie civile du Pentagone, soumise à la houlette du
Vice-Secrétaire à la politique de défense. Straussien (of course ! ndt), ce
Shulsky avait fait partie du personnel du cabinet du Sénateur Daniel Patrick
Moynihan (Démocrate – New York), en même temps qu’Elliott Abrams et Gary
Schmitt, actuellement président du PNAC, « œuvre philanthropique » (= pompe à
phynances) de Bill Kristol et de Robert Kagan. Shulsky avait travaillé au Comité
de Surveillance des Services de Renseignement (du Sénat). Il avait été un
sous-fifre d’un enfant prodige néoconservateur et agent du scandale Iran-Contra,
Roy Godson, au Consortium pour l’Etude du Renseignement, filiale du National
Strategy Information Center basé à New York. Enfin, Shulsky était le coauteur,
avec Zalmay Khalilzad et d’autres, d’une étude de la Rand Corporation, en 1999,
intitulée « Les Etats-Unis face à une Chine en plein Essor », qui popularisa
l’idée que la Chine, plus que toute autre nation, représentait un défi direct
pour la primauté militaire américaine tant mondiale que régionale et que ce défi
devait être relevé de manière frontale.
Qui fabrique ces «
Renseignements » ?
Les autres personnes associés à l’ « agence de
renseignement des fauconneaux » de Shulsky comprenaient : Harold Rhode,
spécialiste du Moyen-Orient au bureau des Evaluations de Réseaux (Office of Net
Assessments – ONA) du Pentagone, dirigé par le Dr . Andrew Marshall. Ce Marshal
fut un cofondateur, avec Albert Wohlstetter, de la Rand Corporation à la fin de
la Seconde guerre mondiale. Il fut nommé au Pentagone en 1975 par le Secrétaire
à la Défense d’alors, James Rodney-Schlesinger, qui créa l’ONA tout exprès pour
abriter Marshall et son équipe d’analystes des systèmes et d’utopistes des
théories des jeux, formés par la Rand Co. Dès le début de l’administration «
Bush 43 », Marshall avait conquis l’oreille de Rumsmfeld, provoquant une quasi
émeute parmi les chefs d’Etat major associés, qui ne tardèrent pas à voir en lui
le deux ex-machina de la « révolution dans les affaires militaires » frappée au
coin d’une périlleuse incompétence.
Michael Ledeen, dans ses jérémiades qui
se traînent tout au long de son bouquin « La Guerre contre les Maîtres du
terrorisme » [The War Against the Terror Masters] (New York, St. Martins Press,
2002), décrit Rhode comme son « gourou en matière de Moyen-Orient durant près de
vingt ans. » En 1991, Rhode était au Bureau de la Politique de Sécurité
Internationale du Pentagone, chargé de la Turquie, à l’époque où Perle et Feith
dirigeaient une mission internationale de consultants destinée à vendre du
matériel militaire israélien à l’armée turque. Wolfo a décrit Rhode comme son «
conseiller pour les questions islamiques », à l’ONA ; et d’après un témoin,
Rhode avait mis en scène une confrontation houleuse en face-à-face avec un
officiel saoudien de haut rang, au cours d’une réunion tenue durant les premiers
mois de l’administration Bush, en affirmant que le partenariat historique
américano-saoudien « appartenait désormais au passé ». L’incident, dit-on, a
coûté à Rhode un poste plus important – plus visible, ce n’était pas difficile –
au sein de la bureaucratie wolfowitzio-feithienne du Pentagone.
Selon
plusieurs sources, Rhode s’est rendu à plusieurs occasions à Londres en
compagnie de Richard Perle, secrétaire, jusqu’à récemment, du Bureau de la
Politique de Défense, afin de recueillir des « renseignements » d’officiels du
CNI (Congrès National Irakien) ; « renseignements » qui ont ensuite été
communiqué par l’intermédiaire de la boutique de Shulsky à Rumsfeld – sans avoir
été au préalable évalués ni recoupés par des professionnels de la CIA ou de
l’Agence du Renseignement de la Défense (Defense Intelligence Agency –
DIA).
William Luti, un ancien conseiller du vice-président Cheney, nommé plus
récemment vice sous-secrétaire à la Défense chargé des Plans spéciaux pour les
Affaires de l’Asie du Sud et du Proche-Orient, a été décrit par quelqu’un qui
lui a rendu visite récemment à son bureau comme un homme chargé de la mission
d’éliminer Saddam Hussein. « Il m’a fait penser à un serial killer, tout droit
sorti d’un film d’horreur d’Hollywood », a rapporté ce témoin, qui donna une
description hallucinante du bureau de Luti au Pentagone : ce bureau était
couvert, du sol au plafond, de photographies surchargées et de coupures de
presse concernant Saddam Hussein et son cercle restreint. Capitaine de la Marine
à la retraite et pilote de chasse qui a servi durant l’Opération Tempête du
Désert, Luti fut décrit, le 11 mars 2002 par un reportage du New Yorker, écrit
par Seymour Hersh, comme « tellement obsédé par l’idée de renverser le plus tôt
possible Saddam Hussein qu’il n’a pas eu le temps de penser aux conséquences. »
En dépit de ce profil psychologique peu reluisant, Luti fut l’un des agents
civils du Pentagone, travaillant avec l’ « opposition » irakienne tant au
renseignement qu’aux opérations sur le terrain. D’après plusieurs articles du
New York Times, Luti fut envoyé à Londres en novembre et décembre 2002, pour y
rencontrer Chalabi et d’autres Irakiens en exil.
Le 17 décembre dernier, Luti
et le major général David Barno ont rencontré (dans le plus grand secret) onze
responsables de l’opposition irakienne à Londres, et ils ont sélectionné le
groupe initial des Irakiens qui devraient être entraînés en Hongrie afin d’être
capables de prendre part à tout type d’opération militaire, afin de fournir la
vitrine à l’usage des « indigènes » de ce qui allait être, en réalité, une
invasion militaire purement anglo-américaine.
Dans un discours prononcé à
Washington le 16 octobre 2002, Luti avait fait une promotion agressive du besoin
qu’avaient, selon lui, les Etats-Unis d’adopter une nouvelle politique
interventionniste, impériale, qu’il baptisa du nom d’ « autodéfense
anticipative. »
Reuel Marc Gerecht, officier de la CIA à la retraite, a été
identifié comme l’un des agents de liaison entre l’ « agence des fauconneaux »
de Shulsky au Département de la Défense et les opposants irakiens à Londres et
ailleurs en Europe. Basé la plupart du temps à Bruxelles, comme Robert Kagan,
Gerecht est directeur d’études à l’AEI (American Enterprise Institute) et il est
le Directeur de l’Initiative pour le Moyen-Orient au PNAC (Projet pour un
Nouveau Siècle Américain), où il travaille directement sous la supervision de
Kristol, Kagan et Gary Schmitt, bras droit de Shulsky…
16. Le blanchiment d’Abou
Mazen : un révisionniste, un théoricien du complot, un promoteur du terrorisme
par Nissan Ratzlav-Katz
in The National Review Magazine (mensuel
américain) du mercredi 19 mars 2003
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Nissan
Ratzlav-Katz est éditorialiste politique pour Israel National News, l'agence de
presse des colons juifs israélien.)
Mahmoud Abbas, connu sous son
nom de guerre d’Abou Mazen, a été pressenti par le chef de l’OLP Yasser Arafat
pour devenir le Premier ministre de l’Autorité palestinienne. Le simple fait
qu’il ait été choisi par l’archi-terroriste Arafat pour le revêtir la toge de
l’autorité gouvernementale devrait à soi seul amener les gens déterminés à
lutter contre le terrorisme à réfléchir cinq minutes. En fait, toute personne
impliquée dans cette organisation terroriste duplice et corrompue qu’est l’OLP –
dont Abou Mazen est le chef du comité exécutif – devrait être considérée comme
inapte à diriger autre chose qu’un atelier carcéral. Au-delà de cette fonction
éminente au sein de l’OLP, toutefois, il faut savoir qu’Abou Mazen est aussi un
révisionniste niant l’Holocauste, un théoricien du complot et un promoteur du
terrorisme.
Pourquoi, dans ces conditions, le ministre israélien de la
défense Shaul Mofaz, le Premier ministre Ariel Sharon et le ministre des
Télécommunications, Yosef Paritzky ont-ils qualifié la nomination récente d’Abou
Mazen de développement encourageant ? Le Premier ministre Sharon a même ajouté
que « tout dépendra de la réponse apportée à la question de savoir quelle
autorité effective Abou Mazen recevra du président Arafat ».
Toutefois, cette
réserve ne fait que rendre l’approbation du choix d’Abou Mazen par Israël plus
prononcée – et de ce fait, d’autant plus troublante. Bien plus, pourquoi le
bureau du porte-parole des Forces israéliennes de défense a-t-il fait
disparaître de ses publications toute référence aux déclarations récentes d’Abou
Mazen soutenant les attaques terroristes contre des cibles juives et
israéliennes ?
Ces questions n’en acquièrent que plus d’acuité lorsqu’on
creuse un peu dans le passé. Dans une interview exclusive à Arutz Sheva (radio
d’extrême-droite israélienne, ndt), le député à la Knesset et ancien chef de
l’infirmerie militaire Aryeh Eldad (du parti de l’Union nationale) a déclaré que
durant les jours précédant l’annonce des accords d’Oslo, le ministère israélien
des Affaires étrangères et le Département d’Etat américain ont contacté le
Centre Simon Wiesenthal basé en Californie afin de le prier de supprimer une
traduction d’écrits de la plume d’Abou Mazen prouvant qu’il est un révisionniste
de l’Holocauste. Plusieurs années après, des informations au sujet de ces écrits
hautement incendiaires étant parvenue à la presse, grâce à la popularité
récemment acquise d’Abou Mazen en sa qualité d’architecte des accords d’Oslo
pour l’OLP, le Centre Wiesenthal a invité publiquement Abbas à clarifier sa
position sur l’Holocauste. Mais on n’a vu venir aucune déclaration satisfaisante
de sa part.
Aujourd’hui, il n’est nul besoin de déclarations supplémentaires.
Mahmoud Abbas / Abou Mazen a été extrêmement clair à plusieurs reprises dans un
passé récent et aussi, plus tellement récent. Dans une interview au quotidien
al-Sharq al-Awsat, basé à Londres, daté du 3 mars dernier, Abou Mazen précise
des déclarations précédentes qui avaient été mal interprétées par de nombreux
commentateurs, qui pensaient qu’elles étaient un appel à démilitariser le
conflit arabo-israélien. Il explique : « Sur la base de conversations tenues au
Caire (entre l’OLP, le Hamas, le Jihad islamique, etc.), nous sommes parvenus à
un accord sur le gel des opérations militaires palestiniennes [cet euphémisme,
dans sa bouche, désigne le terrorisme] pendant un an… Nous n’avons pas dit,
toutefois, que nous renoncions à la lutte armée… L’Intifada doit se poursuivre.
» Telles sont les déclarations que le gouvernement israélien a ordonné de
supprimer des publications du porte-parole des relations publiques de
l’armée.
Mais il y a plus grave. En sus de son accord tacite sur des attaques
contre des juifs vivants, Abou Mazen a apporté sa contribution au dénigrement de
ceux qui ont d’ores et déjà été tués. En 1983, il a écrit ‘La Face cachée des
Relations secrètes entre le nazisme et le mouvement sioniste’, ouvrage dans
lequel il suggère que le chiffre de six millions de juifs assassinés par les
nazis est faux – ce chiffre aurait été « colporté » par les juifs. Afin d’étayer
cette thèse, il cite des révisionnistes notoires en les présentant comme des
sources faisant autorité. A la recherche d’une théorie du complot qui pourrait
servir les intérêts arabes, Abou Mazen a écrit également que le mouvement
sioniste « a mené une vaste campagne d’incitation à la haine contre les juifs
vivant sous le régime nazi… afin d’étendre de manière drastique l’extermination
de masse. » Les sionistes, prétend-il, ont collaboré avec les nazis dans
l’assassinat de juifs, afin de gagner la sympathie de l’opinion publique à la
création de l’Etat d’Israël. Il est outrageant que la chaîne de télévision
britannique BBC puisse décrire l’auteur de ces propos insensés comme « un grand
intellectuel… auteur de nombreux ouvrages. »
Posons-nous simplement la
question de savoir où cet « auteur de nombreux ouvrages » veut-il nous emmener ?
Actuellement, l’OLP exige la formation d’un Etat arabe souverain sur les terres
de la Judée, de la Samarie [il s’agit de la Cisjordanie « biblique », ndt]et de
Gaza. Que ce soit Abou Mazen ou Yasser Arafat qui dirige cet Etat n’a absolument
aucune importance, dès lors que le Fatah, mouvement dont tant Abou Mazen
qu’Arafat sont des membres imminents, déclare ouvertement et brutalement qu’ «
une entité palestinienne légitime représente l’arme la plus puissante dont les
Arabes puissent disposer contre Israël, cet avant-poste des puissances
impérialistes. » Cette déclaration faisait partie d’un manifeste célébrant le
trente huitième anniversaire de la création du Fatah, qui par la suite allait
englober la direction de l’OLP (le 1er janvier 2002). Précisément, l’article
insistait sur le fait que le Fatah a été fondé à la fin des années 1950 et qu’il
a mené à bien sa première opération terroriste contre Israël en 1965 – donc,
avant qu’Israël n’ait conquis les territoires aujourd’hui revendiqués pour
l’établissement de l’Etat de l’OLP. L’article commémoratif explique : « Le Fatah
estime que le mouvement sioniste représente le plus grave danger non seulement
pour la sécurité nationale palestinienne, mais aussi pour celle du monde arabe
dans sa totalité. »
Abou Mazen et Yasser Arafat étant en réalité des
copies au papier carbone, on comprend que le gouvernement israélien et le
Département d’Etat tiennent tellement à occulter les déclarations et les écrits
du premier ministre pressenti par l’OLP. Si Abou Mazen, dirigeant de l’OLP
constamment qualifié de « modéré » est le même Abou Mazen qui a été vilipendé en
raison de son antisémitisme et de son soutien affiché au terrorisme, cela place
Israël et les Etats-Unis face à une vérité difficilement tenable et absolument
dévastatrice sur le plan politique : cette vérité, c’est qu’il n’y a pas de
partenaire pour la paix du côté arabe de l’équation, telle qu’elle se présente
actuellement. Cela signifie que la différence entre le Hamas et le dirigeant le
plus modéré de l’OLP n’est qu’une différence tacticienne ; cela signifie que
l’Autorité palestinienne sous direction OLP doit être détruite, et non pas
simplement relookée ; enfin, cela signifie que la Feuille de route vers la paix
au Moyen-Orient, tracée par les Etats-Unis, est une imposture qui ne mène
absolument nulle part.
Les Etats-Unis et même le Premier ministre israélien
de droite, Ariel Sharon, ayant déjà exprimé publiquement leur soutien à la
création d’un Etat palestinien, dans le cadre d’une grande vision d’un
Moyen-Orient d’après guerre, on comprend qu’il leur soit difficile d’admettre
que ladite « vision » est en réalité un cauchemar. Mais vous pouvez poser la
question à Shimon Peres…