Le dernier Point d'information Palestine ?
                                 
Point d'information Palestine N° 217 du 17/04/2003
Newsletter privée réalisée par l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille Cedex 20 - FRANCE
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Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Association loi 1901
Rédaction : Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier
                                             
Si vous ne souhaitez plus recevoir nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à un réseau privé de 7014 destinataires et n'est adossé à aucun site internet. Les propos publiés dans cette lettre d'information n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs.
Consultez régulièrement les sites francophones de référence :
http://www.solidarite-palestine.org
 - http://www.paix-en-palestine.org
http://www.paixjusteauprocheorient.com - http://acrimed.samizdat.net - http://www.reseauvoltaire.net
                                       
Au sommaire
                   
Campagne de diffamation contre le Point d'information Palestine
Le Point d'information Palestine fait actuellement l'objet d'une importante campagne de diffamation. La situation désespérée qui prévaut en Palestine et en Irak, nous interdit, pour des raisons de décence, de polémiquer avec les initiateurs de cette campagne de presse. Nous vous laisserons librement apprécier leurs méthodes...
1. Charge antisémite d'une association propalestinienne par Michel Henry in Libération du jeudi 3 avril 2003
2 Un bulletin Internet propalestinien publie un texte antisémite par Ariane Chemin in Le Monde du samedi 5 avril 2003
3. Droit de réponse du Point d'information Palestine adressé au quotidien Le Monde le jeudi 10 avril 2003 (non publié à ce jour)
4. Lettre de Jacqueline et Gérard Grimault, membres de l'AFPS (Association France Palestine Solidarité) à Bernard Ravenel, président de l'AFPS
5. Lettre de Sabine Gherrak, membre de l'AFPS à l'Association France Palestine Solidarité
               
Témoignage
- Al Harb (La Guerre) par Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
                                     
Dernières parutions
1. La censure des bien pensants - Liberté d'expression : "l'exception française" de Emmanuelle Duverger et Robert Menard aux éditions Albin Michel
2. Revue d'études palestiniennes N° 87 (Printemps 2003) aux Editions de Minuit
                   
Réseau
- Une autre voix juive (Manifeste)
                                     
Revue de presse
1. Dans une sorte de bouquet final de la mise à sac de Bagdad, les ouvrages, les lettres et les documents inestimables de la Bibliothèque nationale irakienne sont réduits en cendres par Robert Fisk in The Independent (quotidien britannique) du mardi 15 avril 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. La poésie en des temps de sauvagerie par Mahmoud Darwish in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 14 avril 2003 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
3. La Palestine à l'heure de la Gaule ! par Valérie Féron in L'Humanité du lundi 14 avril 2003
4. Jay Garner : Aux ordres d’Israël par Anthony Sampson in Jeune Afrique - L'intelligent du dimanche 13 avril 2003
5. Et maintenant : que faire ? par Michael Neumann in Couterpunch.org (bi-hebdomadaire canadien) du vendredi 11 avril 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
6. La guerre de Bush - Bible et colonialisme, ou comment justifier les guerres de conquête par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du jeudi 10 avril 2003
7. Une autre Nakba ? par François Soudan Avec Ridha Kéfi in Jeune Afrique - L'intelligent du dimanche 6 avril 2003
8. Racisme au quotidien dans les aéroports israéliens par Zuhaïr Andraws in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du samedi 5 avril 2003 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
9. "L’Irak libéré" fait l’objet d’une surenchère de prophéties américaines par Subhi Hadidi in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 4 avril 2003 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
10. La guerre contre l’Irak et le rêve sioniste "de l’Euphrate au Nil" par Youssouf Nour Awadh in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 4 avril 2003 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
11. Remodelages du Moyen-Orient : une vieille histoire…par Rudolf El-Kareh in Politis du jeudi 3 avril 2003
12. Entretien avec Leïla Shahid,  Déléguée générale de Palestine en France entretien réalisé par Michel Muller in L'Humanité du mercredi 2 avril 2003
13. L’historienne française Nelsia Delanoë : "Seul le peuple américain a pu arrêter la guerre au Vietnam, il est le seul à pouvoir arrêter la guerre en Irak" par Adil Qastal in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du jeudi 27 mars 2003 [traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
14. Quand le raïs courtisait Tel-Aviv par Marcel Péju in Jeune Afrique - L'intelligent du dimanche 23 mars 2003
15. Un transfert sophistiqué par Tanya Reinhart in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du lundi 10 mars 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
16. "Où devons-nous nous exiler, à Bagdad ?" demandent à l’armée israélienne les hommes déportés de Tulkarem par Arnon Regular in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mardi 4 mars 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
17. La notion d’antisémitisme ne serait pas recevable, selon les détracteurs d’Israël par Christine Mohn in Nationen (quotidien norvégien) du jeudi 28 novembre 2003 [traduit du norvégien par Kersting et Michael Neumann]
18. "Le philosémitisme, c’est du racisme" la réponse d'Israël Shamir [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                              
                               
Campagne de diffamation contre le Point d'information Palestine

                                       
Le Point d'information Palestine fait actuellement l'objet d'une importante campagne de diffamation. La situation désespérée qui prévaut en Palestine et en Irak, nous interdit, pour des raisons de décence, de polémiquer avec les initiateurs de cette campagne de presse. Nous vous laisserons librement apprécier leurs méthodes... à travers cette sélection.
                           
1. Charge antisémite d'une association propalestinienne par Michel Henry
in Libération du jeudi 3 avril 2003

La branche marseillaise de l'AMFP a diffusé un texte ordurier.
Marseille de notre correspondant - Bien loin de ses actions habituelles de soutien à la cause palestinienne, l'Association médicale franco- palestinienne de Marseille (AMFP) a publié, le 20 mars dans sa lettre d'information, un texte ouvertement antisémite qui a provoqué la colère de certains destinataires et amené l'Association France Palestine Solidarité (à laquelle l'AMFP était affiliée) à en condamner «le contenu explicitement antisémite» et à en désavouer la publication. «Ce n'est pas possible, il n'y a pas d'excuse, le gars de l'AMFP qui a traduit ce texte a démissionné et nous avons annulé la référence du groupe de Marseille à notre association», indique Bernard Ravenel, le président de l'association France Palestine Solidarité. Les membres de l'association marseillaise n'ont pas répondu à nos appels pour exprimer leur position.
Colloque. L'auteur, Israël Shamir, qui se présente sur son site Internet comme un Israélien d'origine russe, avait déjà choqué lors d'une intervention à un colloque de l'Unesco à Paris en 2001, ce dont il se vante dans ce texte : «Lorsque j'ai fait allusion aux "magnats juifs des médias", je me suis bien rendu compte que les coeurs de mon public ont raté au moins un battement.» Cette fois, il va beaucoup plus loin, en soutenant que la «juiverie organisée» serait responsable de la guerre en Irak, comme elle l'était, selon lui, de la Seconde Guerre mondiale.
«Contrôle». Pour Shamir, les «juifs de France ont acheté secrètement et subverti des médias français durant de nombreuses années afin de déformer le discours national et de précipiter une France qui n'y était pas prête dans l'horrible et totalement inutile Seconde Guerre mondiale». Et il demande : «Est-il totalement impensable que les juifs américains aient pris secrètement le contrôle de leurs médias nationaux et soient aujourd'hui en train de précipiter les Etats-Unis dans une horrible et totalement inutile Troisième Guerre mondiale ?»
Pour dénoncer «le secret opaque du pouvoir juif», Shamir publie une liste détaillée des «magnats juifs des médias» aux Etats-Unis et appelle à les contrer, via une loi antitrust. Pour lui, «les forces patriotiques américaines» doivent «agir maintenant» : «Elles ont un ennemi, mais cet ennemi ne se trouve pas en Irak.» C'est le fameux ennemi intérieur dont se repaît depuis des lustres la littérature antisémite.
Logorrhée. Ces propos dénués d'ambiguïté ont été publiés sans sourciller par l'AMFP dans la lettre qu'elle distribue, via e-mail, à plus de 6 800 destinataires. Le traducteur, Marcel Charbonnier, a pu en apprécier mot par mot la logorrhée antisémite, qui ne l'a apparemment pas choqué. Cela le rend aujourd'hui passible de sanctions pénales. 
                        
2 Un bulletin Internet propalestinien publie un texte antisémite par Ariane Chemin
in Le Monde du samedi 5 avril 2003
L'association France-Palestine Solidarité a condamné son contenu et sa diffusion.
Sur son site Internet, sous sa photographie, Israël Shamir, journaliste et écrivain qui habite à Jaffa, explique qu'il a travaillé pour le quotidien israélien Haaretz, la BBC, la Pravda, et traduit Joyce et Homère en russe. Aujourd'hui à la retraite, il inonde de nombreuses personnes de ses articles, traduits en de multiples langues, toujours émaillés de savantes citations et de multiples références. Son militantisme anti-israélien l'avait déjà conduit à flirter avec l'antisémitisme.
"Les oreilles de Midas", article consacré à la nouvelle guerre en Irak, ne laisse plus aucune place au doute. Il a pourtant été entièrement traduit et publié, le 20 mars, par Point d'information Palestine, une lettre d'information francophone diffusée sur Internet en forme de revue de presse, et créée en 1999 par deux militants propalestiniens et "plutôt franchement de gauche", Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier, comme l'a révélé Libération du 3 avril.
Traduit par M. Charbonnier, le texte se félicite que"la première victime de la guerre en Irak"soit "le tabou le plus tabou de tout l'Occident", à savoir que "les juifs – qu'il oppose aux "gens normaux" – règnent en maîtres en Amérique". "La juiverie organisée ne cesse de pousser à la guerre tout en déniant toute prise de position et tout engagement en la matière", lit-on dans la revue de presse, comme "il est aujourd'hui prouvé (...) que des juifs de France ont acheté secrètement et subverti des médias français durant de nombreuses années afin de déformer le discours national et de précipiter une France qui n'y était pas prête dans l'horrible et totalement inutile seconde guerre mondiale", explique M. Shamir.
"Faisons en sorte que les conseillers juifs du président Bush soient virés. Ces comploteurs sont incapables de tenir ce qu'ils ont promis (...). Ils ont surestimé leurs capacités et ils ont poussé le bouchon trop loin. Comme la grenouille de La Fontaine, maintenant, ils peuvent exploser, ils peuvent crever. -Les forces américaines- ont un ennemi, mais cet ennemi ne se trouve pas en Irak", ajoute-t-il.
L'article a ému quelques-uns de ses 6 800 destinataires, dont 900 journalistes spécialistes du Proche-Orient. Alerté, Bernard Ravenel, président de l'association France Palestine Solidarité (AFPS), qui coiffe l'Association médicale franco-palestinienne de Marseille (AMFP), a fait savoir le 22 mars, dans un communiqué, que, "même s'il ne s'agit que d'une revue de presse, l'AFPS en condamne le contenu explicitement antisémite et en désavoue la publication".
"Ce qui m'a choqué, c'est qu'il n'y a eu aucune mise en garde. Quand on milite dans une organisation propalestinienne, il faut être insoupçonnable", explique cet ancien dirigeant du PSU. Lors de la première guerre du Golfe, M. Ravenel avait déjà exclu Jean Brière, un dirigeant des Verts qui avait dénoncé dans une motion de son parti le "rôle belligène d'Israël et du lobby sioniste", du Mouvement pour le désarmement, la paix et la liberté, qu'il présidait alors (Le Monde du 8 octobre 1991). M. Brière avait été exclu des Verts, condamné puis relaxé en appel, au motif que son texte "n'était pas public".
Furieux d'être désavoué, M. Charbonnier, traducteur du texte de M. Shamir, a démissionné de l'AMFP [C'est de l'AFPS et non de l'AMFP que Marcel Charbonnier a démissionné ! Tout comme pour "l'interview" de Pierre-Alexandre Orsoni, la "journaliste" abuse du copier/coller et lorsqu'elle ne nous fait pas dire le contraire de ce qu'on lui confié, elle confirme le manque de professionnalisme qui accompagne la rédaction de cet "article"... Ndlr du Point d'information Palestine]. De son côté, M. Orsoni ne livre aucun mea culpa : "On ne s'adresse pas à des collégiens, mais à des chercheurs, des journalistes, des responsables politiques... On essaie de donner des informations et de faire connaître des regards pertinents. Israël Shamir est un provocateur, un polémiste, mais il est loin d'être idiot. On sent que, derrière lui, il y a des réseaux, c'est aussi pour cela qu'il est intéressant."
Pas de regret, donc. "Non. On continuera à le passer", poursuit le responsable de la lettre d'information. "On fera peut-être un peu plus attention à la traduction : "juiverie" n'est peut-être pas bien choisi. "Organised Jewry", en anglais, a un sens plus ethnique." Puis, s'estimant victime d'une persécution : "Sinon, on arrêtera Point d'information Palestine, puisque c'est ça qu'ils veulent. Et ça nous obligera à partir là-bas."
                   
3. Droit de réponse du Point d'information Palestine adressé au quotidien Le Monde le jeudi 10 avril 2003 (non publié à ce jour)
Le Point d'information Palestine a adressé deux droits de réponse à ces journaux, non publiés à ce jour. Nous vous présentons celui adressé à Edwy Plenel, Directeur de la rédaction du quotidien "Le Monde", le jeudi 10 avril 2003.
Monsieur le Directeur de la rédaction - A la suite de la publication dans vos colonnes, d'un article mettant en cause notre association, nous vous demandons de bien vouloir passer dans les plus brefs délais, ce droit de réponse dans votre édition papier, ainsi que sur votre site internet. Dans l'attente, nous vous prions d'agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations citoyennes. Pierre-Alexandre Orsoni - Président de l'AMFP Marseille
DROIT DE RÉPONSE - Une mise au point s’impose après la publication de l’article intitulé "Un bulletin Internet propalestinien publie un texte antisémite" de Ariane Chemin dans l'édition du Monde daté du samedi 5 avril 2003.
L’AMFP Marseille, entre autres activités, réalise et diffuse Le Point d'information Palestine, revue de presse qui se fait l'écho depuis des années des débats de la presse internationale concernant le Proche-Orient.
Cette revue de presse privée est diffusée gratuitement depuis quatre ans et demi à un public averti et sur demande (notamment auprès 935 journalistes, 805 universitaires et chercheurs, 480 diplomates... tous spécialistes du Proche-Orient).
La qualité du travail réalisé par l'équipe du Point d'information Palestine a été soulignée à plusieurs reprises tant par ses destinataires que dans la presse, et notamment dans vos colonnes (Le Monde du 11 avril 2001) et dans celles de Libération (22 juin 2000).
C’est donc avec consternation que le Point d'information Palestine a pris connaissance de l’article de Ariane Chemin dans Le Monde du 5 avril 2003.
En effet, le Point d'information Palestine y est présenté comme ayant volontairement et consciemment traduit et publié un texte antisémite ("Les oreilles de Midas" par Israël Shamir in Point d'information Palestine N° 216 du 20 mars 2003).
Le Point d'information Palestine reprend une sélection d'articles de diverses sources et diverses opinions sans adhérer obligatoirement à leur contenu.
Il nous a semblé que la personnalité même de l’auteur empêche que l’on censure ses propos dès lors qu’il est une figure, certes contestée, mais médiatique en Israël même.
Il s'agit en effet d'un écrivain juif, né en Sibérie où il a milité activement dans les mouvements sionistes avant d'émigrer en Israël, pays dont il est devenu citoyen. Après avoir servi dans les rangs du corps d'élite des parachutistes de l'armée d'occupation israélienne, il consacre aujourd'hui sa vie à dénoncer la politique criminelle de l'État d'Israël, et à militer pour les droits du peuple palestinien.
La thématique soulevée dans l’article contesté est d’ailleurs très proche de celle évoquée par Laurie Goldstein dans l'article intitulés "Les divisions entre juifs américains les conduisent à faire silence sur la guerre contre l'Irak" (New York Times du 15 mars 2003), et "La crise irakienne et la guerre des Juifs" par Bradley Burston (Ha'Aretz - quotidien israélien - du 12 mars 2003). Or, la traduction de ces deux articles figurait dans le même Point d’information Palestine sans pour autant que la journaliste du Monde n’ait jugé utile de les citer.
Le Point d'information Palestine, contrairement à ce qu’affirme Ariane Chemin, ne s’estime victime d’aucune "persécution" mais considère parfaitement outrancier et préjudiciable de lui accoler l’étiquette "antisémite" pour avoir traduit un auteur juif, citant de nombreuses sources émanant d'autres auteurs juifs, vivant et s'exprimant librement en Israël et aux Etats-Unis d'Amérique. Au surplus, à la connaissance du Point d'information Palestine, les écrits d’Israël Shamir n’ont jamais fait l’objet d’aucune sanction judiciaire qui aurait pu l’alerter sur le caractère éventuellement délictueux de ses propos.
L’AMFP Marseille s’attachera néanmoins à informer ses lecteurs de la polémique provoquée par la publication de cet article dans son prochain Point d’information Palestine. [513 mots]
                       
4. Lettre de Jacqueline et Gérard Grimault, membres de l'AFPS (Association France Palestine Solidarité) à Bernard Ravenel, président de l'AFPS
[Bernard Ravenel : afps@france- palestine.org]
Vendredi 4 avril 2003 - Monsieur le Président - Vous avez envoyé aux adhérents de l'AFPS la réaction du bureau national à propos d'un texte d'Israel Shamir publié par le Point d'information Palestine de Marseille.
Nous vous avons fait part de notre désaccord avec votre position mais nous n'avons pas reçu de réponse à notre courrier.
Apparemment Libération et Le Monde ont eu plus de chance que nous. Nous apprenons par leur lecture que "quelques-uns" des 6800 destinataires ont été "émus" par ce texte.
Si vous nous considérez assez adultes pour recevoir l'information, nous aimerions savoir combien de personnes ont été troublées par cet article? Nous aimerions savoir également combien de membres du bureau l' ont condamné ? Et, par la même occasion, nous aimerions savoir ce qui s'est passé à Metz et comment 300 sionistes ont pu saboter une réunion avec Leila Shahid sans que cela ait eu l'air d'émouvoir la direction de notre association qui n' a pas cru utile d'informer ses adhérents d'un fait aussi grave ?
Peu importe qu'on soit ou non d'accord avec les analyses et le style d'Israel Shamir. Une fois encore, nous revendiquons le droit de lire qui bon nous semble et aussi le droit de penser et de dire ce que bon nous semble.
En conséquence nous vous demandons de défendre énergiquement l'AMFP de Marseille. Sa publication est un outil précieux dans la lutte que nous menons pour le peuple palestinien. Elle convient à des milliers de destinataires qui ont aussi leur mot à dire.
Nous vous demandons également de veiller à la défense de notre liberté d'expression remise continuellement en cause par les sionistes afin de museler toute critique d'une politique qui prône la déportation d'un peuple et l'annexion de son territoire comme en témoignent les nombreuses déclarations de dirigeants israéliens d'hier et d'aujourd'hui.
On peut lire dans les résolutions du XXIVè congrès sioniste mondial ( Jérusalem 17- 21 juin 2 002 ) au chapitre intitulé "Lutte conte l'antisionisme, l'antisémitisme et le racisme"
3 - ....mettre en place des groupes d'experts qui travailleront avec les faiseurs d'opinion, les médias ( presse, radio et télévision ) et les intellectuels pour combattre les fléaux de l'antisémitisme et de l'antisionisme qui se propagent actuellement dans certains de ces milieux...
4 - ...créer dans tous les pays où ce sera nécessaire, des groupes de travail qui travailleront avec des législateurs pour fair adopter une législation qui mettra hors-la-loi l'antisémitisme, l'antisionisme et le déni de l'Holocauste;
5 - ....former des groupes de juristes qui enregistreront et engageront des procès contre les hommes politiques, les médias, ou toute autre organisation qui prône la haine antisémite et antisioniste;
6 - ...créer, avec l'Union mondiale des étudiants juifs et les autres organisations sionistes d'étudiants juifs, un organisme de surveillance des activités antisémites et antisionistes sur les campus, qui dénoncera les propagateurs de haine...
7 - ...former des groupes d'éducateurs qui entreprendront une lecture  très approfondie de tous les manuels scolaires, dictionnaires et encyclopédies, pour les expurger de tout contenu antisémite, antisioniste et de déni de l'Holocauste.
8 - ....recruter dans le monde entier des personnalités morales et éthiques, dans les gouvernements et parlements, chargées de mettre en garde les gouvernements qui n'ont pas combattu assez fermement l'antisémitisme et l'antisionisme dans leur pays.
Devant un tel terrorisme intellectuel, la promptitude de notre direction à condamner un texte antisioniste est assez inquiétante.
Nous vous remercions de votre attention.
                                      
5. Lettre de Sabine Gherrak, membre de l'AFPS à l'Association France Palestine Solidarité
Samedi 12 avril 2003 - Chers Amis - Je suis très étonnée de la prise de position de Bernard Ravenel dans "Le Monde" du samedi 2 avril 2003, à propos de la publication dans le Point d'information Palestine" du 20 mars 2003 d'un article d'Israël Shamir traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier sous le titre "Les Oreilles de Midas".
D'abord parce que cette polémique tombe dans un contexte on ne peut plus inopportun alors que les massacres font rage non seulement en Irak, mais aussi contre les Palestiniens.
Ensuite elle s'attaque de front à la philosophie même de cette revue de presse qui consiste à présenter à un public averti des articles d'origines et de sensibilités diverses, propres à faire réfléchir sur ce qui touche au problème palestinien.
Pourquoi cette offensive soudaine alors que le "Point d'information Palestine" publie depuis plus de quatre ans des articles qui ont pu être tout aussi dérangeants ou provocateurs que celui de ce juif israélien, qualifié par Bernard Ravenel, d' "explicitement antisémite" ?
En fait si l'article incriminé soulève un sillage de scandale, c'est qu'il attente à un postulat sacro-saint, l'axiome régnant et soigneusement entretenu (par qui ?...), sorte de loi non écrite, voulant que l'évocation des juifs et par conséquent Israël, seraient créanciers d'un droit inaliénable, à faire ce que les autres ne peuvent se permettre et toute critique serait attentatoire au sacré dont ils sont détenteurs.
Est-ce ce qui gouverne l'attitude de Bernard Ravenel, défenseur patenté de la cause du peuple palestinien ? L'AFPS se sentirait éclaboussée par le scandale de la publication d'un article qui a un air d'insolence parce qu'il ose dire de façon joviale ce que le conformisme interdit de dire, mais que plus d'un militant de la même cause ressent fortement, et que, pour comble de défi, l'auteur du texte, "explicitement antisémite" est juif ?
Israël Shamir, à sa manière provocatrice, en transgressant la loi du silence nous sauve du ronron habituel des chantres sionistes de la mauvaise foi. Il lance un superbe défi à nos réducteurs de tête en France (les Finkielkraut, Glucksman, Lévy, Kouchner, Adler et autres) aussi bien qu'outre-Atlantique (les Rumsfeld, Wolfowitz, Cheney, etc...) qui nous font vivre à l'abri de leur concepts factices : il est alors un usurpateur saugrenu...
Un simplisme autoritaire trouve des synonymes étranges (bien que fort en vogue) entre la critique de la stratégie d'Israël et ses épigones américains, et l'antisémitisme... (rapprochement tout aussi logique que celui que font ceux qui mettent Mahomet et Ben Laden dans le même sac !)
De même une interprétation lacunaire du vocabulaire de la langue française fait passer pour attentatoire le terme "juiverie" à prendre ici dans son acception originelle de communauté juive avec pour synonyme "ghetto" (Cf. Le Grand Larousse de la langue française), traduction exacte du terme anglais "jewry".
Est-il possible que Bernard Ravenel soit contaminé par ce que notre société charrie de tabous et de compromissions dès lors qu'il s'agit des juifs ou d'Israël ?
Il le dit lui-même : " Quand on milite dans une organisation pro palestinienne, il faut être insoupçonnable".
Recevez, Chers Amis, l'expression de ma perplexité.
                       
Témoignage

                                       
- Al Harb (La Guerre) par Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
Ramallah, le jeudi 20 mars 2003 - A 4h45, cette nuit, mon téléphone a sonné. "La guerre a commencé" m'a annoncé un de mes amis. Je n'ai pas eu le courage de me précipiter sur la télévision pour voir... J'aurai tout le temps hélas après de voir...et surtout d'imaginer ce qu'ont vécu les gens sous les bombes. J'ai vu trop de sang et trop de larmes. Non, je n'ai pas envie de voir. Je ne me rendors pas. Je guette les bruits suspects dans le ciel de Bétounia. Des avions de chasse. Habituel depuis 2 ans. Dans cette aube froide et pluvieuse pourtant, ils m'effraient. Je guette d'autres bruits. Celui des jeeps et des voix inhumaines qui sortent des haut-parleurs :"Mamnou' attajawal" ("Couvre feu") nous disent-elles. Pourtant, ce matin, je n'en entends pas. Je me lève vers 6h30. TV5, les premières images, j'en ai déjà de trop... Pas de couvre-feu. Je pars donc pour l'école, sans trop savoir s'il y a cours ou pas. Surprise! Les rues sont désertes ou presque! Le chauffeur de taxi est morose. D'habitude, le matin, on a de la musique dans les taxis. Ce matin, rien. On ne parle pas. on n'écoute même plus les infos. L'école où je bosse est privée. Elle a ouvert ses portes sans trop savoir si les élèves viendraient. Les écoles publiques sont fermées. Beaucoup de commerçants n'ont pas levé leurs rideaux de fer ce matin. A l'école, les gosses sont survoltés :
- C'est la guerre, miss !
Conseil de guerre (sans jeu de mots) avec les autres prof et la direction : On fait cours ou pas ? On ne peut pas renvoyer les plus jeunes seuls chez eux, il en va de la responsabilité de l'école. Finalement, on arrête les cours à midi. Dans chaque classe, il manque presque la moitié des élèves.
Mon premier cours est avec les 5ème (CM2). Odey, le plus bavard, ne tient pas en classe. Il tend l'oreille et toutes les 5 minutes, il m'interrompt :
- Miss, on entend des dabbabat (tanks) !
Dans les autres classes, c'est à peu près la même ambiance:je gagne du galon chez les plus grands, épatés que je ne sois pas encore retournée définitivement en France...
- Miss, tu restes avec nous ? Good ! Euh....bien !
Dans la salle des profs, on ne parle que de ça. Des bombes sur Bagdad. Et puis de nous : à la surprise générale, il n'y a pas de couvre-feu. Mieux : on passait ce matin le check de Qalandia les doigts dans le nez. Deux de mes collègues sont de Jérusalem. Ce matin, ils n'ont eu aucun pépin pour venir. Ca ne leur était pas arrivé depuis plusieurs mois...
Retour chez moi en début d'après-midi. TV5, qui retransmet le journal de France 2 ; Daniel Bilalian m'a passablement énervée. Ce qui m'a mise hors de moi, c'est son commentaire sur les blessés à l'hôpital de Bagdad, images émanant de la télévision irakienne. Daniel Bilalian employait le conditionnel : "Ce serait des > blessés"... Et bien ça, vu leur état, c'était pas des danseuses d'opéra, hein !
Ce qui me met hors de moi, c'est ce racisme qui ne s'exprime pas : les images auraient été tournées par des occidentaux, on n'aurait pas employé le conditionnel. Mais en Irak, comme en Palestine, on n'accorde aucune crédibilité aux télévisions, radios, et autres journalistes locaux non pas parce qu'ils sont mauvais mais simplement parce qu'ils sont... locaux justement, et donc nécessairement de mauvaise foi. Dans un souci d'objectivité, on se sent obligé d'émettre des doutes quant à leur crédibilité. Ok. Mais alors j'attends qu'on émette des doutes quant aux images de Fox news ou CNN. C'est la même chose ici. Les images de la télévision palestinienne ou des télévisions arabes comme Al Jazira sont toujours prises avec des pincettes. Contrairement à la télévision israélienne reprise sans aucun commentaire par nos chaînes nationales. Ce soir, l'ambiance est lourde à Ramallah. On se sent un peu déboussolé : à côté de nous, la planète explose, la Jordanie vacille et nous, aujourd'hui, on n'a pas vu un soldat... Bizarre... Une question domine : à quelle sauce allons-nous être mangés, nous, et surtout quand ? J'ai écouté TV5 une bonne partie de l'après-midi. Ils ont parlé du Proche-Orient et de l'onde de choc. Ils ont parlé de la Syrie, de la Jordanie, des pays du Golfe, de la Turquie, de l'Egypte, d'Israël. Pas un mot sur la Palestine. Pas un. On est déjà rayé de la carte ? J'ai vu deux fois un reportage de Charles Enderlin sur la peur des Israéliens et sur leurs masques à gaz. Les Palestiniens, qui sont à quelques kilomètres seulement des Israéliens, n'en n'ont pas. Hier soir, j'étais chez des amis palestiniens. Ils ont reçu un coup de fil  d'un de leurs amis emprisonné en Israël. Ils ont commencé par blaguer :
- Alors, tu as mis du plastique et du scotch sous ta tente ? Tu as confiné une pièce ? Tu as fait des provisions, acheté plein de fruits et légumes, ha ha ha ?
Monsieur Enderlin, et si vous alliez faire un reportage sur les 10 000 prisonniers politiques détenus par Israël et sur leur condition de vie ? Vérifiez donc qu'ils ont un masque à gaz et des abris en cas de bombardements...
Je retourne à ma télévision... mais pas à TV5 qui commence à me gonfler avec ses images de fox news et ses débats qui tournent en rond. Finalement, je vais regarder Al Jazirah : comme sur TV5, ils disent que les sirènes ont retenti sur Bagdad, mais à la différence de TV5, ils nous montrent des images en direct dans la ville : ambulances et pompiers. J'ai pas vu ça sur TV5. Mais je suis habituée: pour la Palestine, c'est pareil. Al Jazirah nous montre des images qu'on ne voit pas ailleurs. Vous me direz, c'est peut-être truqué... Le problème, c'est que moi qui vis à Ramallah, je vois tous les jours les journalistes de cette chaîne patrouiller la ville. Et à la télé, je reconnais les lieux. Bonne soirée "guerre"
Pour finir, un petit extrait de l'album "Ombre est lumière", du groupe  musical IAM qui date déjà un peu :
"J'aurais pu croire en George Bush mais voilà
Sa vision des USA ne me satisfait pas
Justice à 2 vitesse pour les blancs pour les noirs
Les gendarmes du monde ne méritent pas d'égard
Ils sont intervenus au Koweït pour le pétrole et l'argent
Les droits de l'homme rien à cirer au pays du Klan
Les marchands d'armes contents
Les Patriots coûtent chers
Cool la guerre vue d'un fauteuil
Les soldats dans le désert
Il paraît que George aime les shits
Surtout s'ils se trouvent entre le Koweït et l'Irak
Les Kurdes peuvent attendre vu qu'ils habitent près de la frontière turque
Au nord de Bagdad
Sa justice c'est faire respecter les résolutions à qui il veut
S'offrant une sortie de la Maison Blanche sous les feux
Quand un Tomawak tombe sur un hôtel
Vous savez c'est normal la DCA irakienne vise mal
Dites moi je voudrais savoir ce que ça vous fait de bombarder un pays qui a
6000 ans d'histoire
Rien pour les auteurs d'un génocide
Moi, j'aurais pu croire en Bush
Mais je ne le crois pas."
                                      
Dernières parutions

                     
1. La censure des bien pensants - Liberté d'expression : "l'exception française" de Emmanuelle Duverger et Robert Menard
aux éditions Albin Michel

[176 pages - ISBN : 2226136142 - 15 euros]
Au nom de la morale, des droits de l'homme ou des bons sentiments, les bien-pensants ont inscrit dans la loi l'interdiction des propos racistes, antisémites ou négationnistes. Invoquant le respect de la vie privée, la défense des bonnes moeurs ou la protection des secrets d'État, ils ne tolèrent pas davantage que certaines informations soient dévoilées. Au point qu'il devient légitime de s'interroger : est-il encore permis, en France, de penser et de débattre librement ?
Criminaliser certaines opinions, fussent-elles abjectes ou aberrantes, n'est pas acceptable dans une démo- cratie. Tout doit pouvoir être discuté. Les Français sont adultes. Il faut en finir avec cette caporalisation de la pensée, cette « exception française », l'autre nom de la censure, dans le domaine de la liberté d'expression pour qu'en France nous n'ayons plus seulement le droit de nous taire.
Journaliste et fondateur de Reporters sans frontières, Robert Ménard est l'auteur de Ces journalistes que l'on veut faire taire. Emmanuelle Duverger est juriste et responsable de la justice internationale à la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme.
                   
2. Revue d'études palestiniennes N° 87 (Printemps 2003)
aux Editions de Minuit

[160 pages - 14 euros - ISBN : 2707318337]
Extrait du sommaire
- Les tribunaux palestiniens sont incompétents pour juger Marwan Barghouti par Géraud de la Pradelle
- Qui gouverne la Palestine ? par Hassan Khadr
- Le nouvel état du monde par Gilbert Achcar
- La chanson palestinienne dans les pays arabes depuis 1948 par Joseph Massad
- Mémoires d'un Palestinien dans la guerre civile espagnole par Najati Sidqi
- DOSSIER : Les massacres de Sabra et Chatila
- DOCUMENT : Les résolutions du 2e congrès de Hertlliya
- RUBRIQUES HABITUELLES : Lettres arabes - Chroniques - Notes de lecture - L'observatoire de la colonisation - Chronologie
                                                               
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- Une autre voix juive (Manifeste)
Parce que nous ne pouvons pas supporter l'horreur devenue quotidienne au Proche-Orient,
Parce que quelques institutions et quelques hommes publics monopolisent abusivement l'expression des Français juifs,
Parce que nous rassemble une certaine idée de l'humanité,
Parce que, devant les répercussions en France du conflit du Proche-Orient, la résurgence de l'extrême droite et la recrudescence d'actes antisémites, nous sommes amenés à revendiquer publiquement la part juive de notre identité personnelle,
Nous avons décidé de nous exprimer collectivement.
Citoyennes et citoyens de la République française, nos conceptions philosophiques, nos opinions politiques, nos références culturelles, nos rapports à la religion sont divers.
Descendant(e)s de longues lignées d'hommes et de femmes persécutés, méprisés, bannis, pourchassés depuis des siècles, nous luttons contre toute forme de persécution, d'oppression, comme nombre de nos parents l'ont fait avant nous.
Nous sommes filles et fils de cette République française, qui, dès son origine, a accordé la citoyenneté aux juifs, nous nous réclamons de ses valeurs... La position de chacune et chacun d'entre nous face à l'héritage juif est diverse, mais le souvenir de l'extermination, la conviction qu'elle n'appartient à personne, qu'elle ne peut justifier aucun nationalisme nous font un devoir de parler comme nous le faisons.
Certains d'entre nous ont pour Israël un attachement particulier que d'autres ne partagent pas, d'autres récusent le principe même du projet sioniste.
Nous considérons cependant tous que, né dans les conditions historiques laissées par les ruines du fascisme hitlérien, le peuple israélien a droit à un Etat aux frontières sûres et reconnues, dans le cadre des résolutions de l'ONU.
Mais nous n'autorisons ni l'Etat d'Israël ni les institutions qui, en France, prétendent représenter les citoyens juifs à parler en leur nom. Nous nous révoltons contre l'oppression coloniale dont souffrent la Palestine et les Palestiniens du fait du gouvernement d'Israël. Nous ne croyons pas que l'on combatte l'antisémitisme en laissant les Israéliens devenir un peuple d'oppresseurs. Il n'y a paix et avenir pour le peuple israélien que dans une coexistence pacifique et loyale avec le peuple palestinien. Nous soutenons tous ceux qui, en Israël, en Palestine et ailleurs, ouvrent courageusement pour la paix, pour la justice, pour l'égalité des droits, contre la politique criminelle de M. Sharon.
Nous constatons la montée en puissance de l'idéologie de l'extrême droite israélienne au sein de forces politiques françaises. De nombreux démocrates (parmi lesquels de nombreux juifs) sont victimes d'intimidations : ils se voient accusés d'antisémitisme au seul motif qu'ils combattent la politique menée par le gouvernement israélien ou réclament le respect par Israël des résolutions de l'ONU, des engagements pris à Oslo.
Que cherche-t-on en pratiquant ces amalgames monstrueux ? Que cherche-t-on en multipliant les agressions verbales et les menaces physiques contre ceux, juifs ou non, qui exercent leur responsabilité de citoyens en condamnant publiquement la politique israélienne actuelle ? Que cherche-t-on en donnant au judaïsme confisqué un visage repoussant ? Nous refusons le jeu de l'actuel gouvernement israélien, qui, pour renforcer son potentiel d'expansion, cherche à accroître l'immigration en Israël et s'accommode des résurgences de l'antisémitisme. L'antisémitisme d'aujourd'hui a certes ajouté une dimension à l'abject en qualifiant les atrocités nazies de " détail de l'histoire ". Mais certains d'entre nous pensent qu'à l'inverse soutenir qu'il n'y a d'autre crime contre l'humanité que l'extermination des juifs par les nazis, c'est nourrir les sources même du négationnisme ; nous ne réclamons aucun privilège pour les juifs en tant que victimes : nous nous dressons contre toute oppression. La politique israélienne actuelle n'a certes pas pour but l'anéantissement physique du peuple palestinien, mais plusieurs d'entre nous se demandent si, prise dans son ensemble, ses inspirateurs et ses exécutants ne relèveraient pas de la Cour pénale internationale. Quant aux attentats suicides organisés par les groupes terroristes palestiniens contre les civils israéliens, ce ne sont pas seulement des actes monstrueux ; ceux qui les trament, envoyant à la mort de jeunes êtres en spéculant sur leur désespoir, sont à nos yeux, comme à ceux de nombreux dirigeants palestiniens, des ennemis - et non des alliés dévoyés - du rétablissement des droits fondamentaux du peuple palestinien. Nous condamnons les forces palestiniennes opposées à l'existence d'Israël. De même, notre solidarité avec le peuple palestinien ne nous entraînera jamais à la moindre collusion avec ceux dont la sollicitude pour la Palestine n'a comme ressort que la haine du juif.
Il reste que :
- le peuple palestinien a des droits imprescriptibles sur une terre occupée aujourd'hui par les forces armées du plus surarmé des Etats du Proche-Orient ;
- le peuple palestinien a le droit imprescriptible d'y fonder, dans les conditions garanties par la charte des Nations unies, l'Etat de son choix ;
- le peuple palestinien a des droits imprescriptibles sur la ville de Jérusalem, capitale à partager ;
- le peuple palestinien a le droit de voir ses exilés et ses réfugiés choisir, dans des conditions à négocier, entre un retour viable sur la terre de leurs ancêtres et une juste indemnisation :
Tout ce qui s'oppose à la réalisation de ces droits nourrit la guerre sans fin, les atrocités, la haine. Parce que le siècle a connu l'effondrement de systèmes violemment oppressifs, nous croyons possible et nécessaire l'établissement d'une paix juste et durable au Proche-Orient. Devant la montée des menaces intégristes, chauvines, communautaristes, racistes et antisémites, devant les ingérences criminogènes, antidémocratiques, de la droite israélienne dans la société française, nous voulons faire entendre, obstinément, la voix de Français juifs, ou d'origine juive, qui soutiennent les idéaux de démocratie, de liberté, d'universalité des droits humains et des droits des peuples.
- Premiers signataires :
Gilles Abramovici, M. C univ. Paris-XI ; Rosette Alezard, citoyenne ; Raymond Aubrac, commissaire honoraire de la République ; Doucha Belgrave, journaliste ; Jacques Bellaiche ; Eliane Benarrosh, conseillère pédagogique ; Sandra Bessis, chanteuse ; Sophie Bessis, journaliste ; Marc Bernheim, physicien, dir. rech. CNRS, fils de déporté mort à Auschwitz ; Christine Birnbaum, enseignante Paris-XII ; Renée Blancheton Sciller, citoyenne ; Jacques Brunschwig, universitaire ; Benny Cassuto, médecin ; Yves Cassuto, enseignant ; Jacqueline Cernogora, physicienne ; Gérard Chaouat, dir. rech. CNRS ;Jacques Charby, comédien ; Liliane Chéret, citoyenne ; Alice Cherki, psychiatre psychanalyste ; Olivier Cherki-Thorent, comédien ; Henri Choukroun, MC univ. Montpellier-2 ; Daniel Cling, réalisateur ; Maurice Cling, prof. univ. émérite, matricule A5151 Auschwitz, président-délégué de la Fédération nationale des internés résistants déportés patriotes ; Jean-Marc Cohen, retraité ; Suzy Collin, astrophysicienne, dir. Rech. CNRS ; Henri Cukierman, retraité ; Maurice Cukierman, retraité ; Henri Davidson, ingénieur ; Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue, prof. univ. Paris-VII ; Claude Deutsch, physicien, dir. rech. émérite CNRS ; Solange Dimant-Zoladz, enseignante ; Claudine Falk, cardiologue ; Jean-François Faü ; Sonia Fayman, sociologue, membre fondatrice du comité Solidaires des Israéliens contre l'occupation ; Denis Feinberg, physicien, dir. rech. CNRS ; Jean-Pierre Gattégno, écrivain ; Olivier Gebuhrer, mathématicien, MC univ. Louis-Pasteur ; Sonia Gebuhrer Adam, prof. agrégée d'allemand ; Serge Grossvak, directeur de centre social, conseiller municipal, Val-d'Oise ; Janine Guespin, biologiste, prof. émérite, univ. Rouen ; Janette Habel, MC, univ. de Marne-la-Vallée ; Gérard Haddad, psychanalyste ; Catherine Hagège-Alain Hayot, sociologue, vice-président de la région PACA ; Luisa Hirschbein, généticienne, dir. rech. CNRS ; Stéphane Hessel, ambassadeur de France ; Bernard Jancovici, physicien, prof. émérite Paris-XI ; Jean-Pierre Kahane, mathématicien ; Marcel-Francis Kahn, prof émérite univ, porte-parole du Collectif des citoyens d'origine juive et arabe ; Sacha Kleinberg, maquettiste ; Hubert Krivine, MC. univ. Paris-VI ; Florence Lederer, biochimiste, dir. rech. CNRS ; Laurent Lederer, comédien ; Marianne Lederer, prof. émérite univ. Paris-III ; Pascal Lederer, physicien, dir. rech. CNRS ; Liliane Lelaidier-Marton, fille de déportés non revenus ; Annie Levi Cyferman, avocate, militante antifasciste ; S. K. Levin, journaliste ; Gabriel Lévy, psychologue ; Jacques Lewkowitz, prof. sci. gestion, univ. Robert-Schuman ; Michaël Löwy, sociologue, dir. rech. CNRS ; Yves Lubraniécki, citoyen ; Sylvia Ostrowetsky, prof. Emérite ; Youra Marcus, artiste interprète en musiques traditionnelles ; Sylvie Mayer, membre du conseil régional ×le-de-France ; Philippe Misrahi, cadre RATP ; Gabriel Mokobodzki, mathématicien, dir. rech. CNRS ; Georges Monsonego, physicien ; Patricia Moraz, cinéaste ; Alain Polian, physicien, dir. rech. CNRS ; Miriam Rosen, journaliste ; Catherine Sackur, citoyenne ; Marc Sackur, proviseur de Lycée ; Michèle Saly, prof. d'histoire et géographie ; Sylvie Sargueil, médecin journaliste ; Nicole Schnitzer Toulouse, artiste lyrique ; Elias Seidowsky, enseignant ; Abraham Segal, cinéaste ; Eva Tichauer, médecin, rescapée de la rafle du Vél' d'Hiv, matricule 20832, Auschwitz ; Catherine Tomkiewicz, pharmacien ; Danièle Touati, biologiste, dir. rech. CNRS ; Jean Torchinsky, chirurgien-dentiste ; Roger Trugnan, déporté résistant ; Frédéric Van Wijland, physicien, M.C. ; Pierre Vidal-Naquet, prof. émérite à l'IHESS ; Maya Vignando, comédienne ; Richard Wagman, président de Union juive française pour la paix ; Roland Wlos, militant des droits de l'homme ; Mariane Wolf, présidente de Rencontre progressiste juive ; Claude Zaidman, sociologue, prof. univ. Paris-VII ; Joseph Zarka, citoyen ; Michèle Zemor, maire adjointe de Saint-Denis, animatrice du Forum social européen ; Jean Zylber, chimiste, fils de déportés morts à Auschwitz
[Pour signer ce manifeste : tchapaiev@operamail.com]
                                     
Revue de presse

                               
1. Dans une sorte de bouquet final de la mise à sac de Bagdad, les ouvrages, les lettres et les documents inestimables de la Bibliothèque nationale irakienne sont réduits en cendres par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britannique) du mardi 15 avril 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Ainsi, hier, ce fut au tour des livres. D’abord vinrent les pilleurs, puis les incendiaires. C’était le chapitre final de la mise à sac de Bagdad. La Librairie et les Archives nationales – trésor inestimable de documents historiques ottomans, dont les archives royales de l’Irak – ont été réduites en cendres par un incendie dont la température a sans doute atteint les trois milles degrés centigrades. Après quoi, le musée des Corans et le Ministère des Questions religieuses ont été livrés aux flammes.
J’ai vu les pilleurs. L’un d’eux ma insulté lorsque j’ai tenté de récupérer un ouvrage de droit musulman des mains d’un gamin qui n’avait sans doute pas dix ans. Au milieu des cendres de l’histoire irakienne, j’ai trouvé un dossier dont le vent éparpillait les pièces, une à une, jusque dehors : des lettres manuscrites entre la cour du Shérif Hussein de La Mecque, qui déclencha la révolte arabe contre les Turcs, sous la directive de Lawrence d’Arabie, et le gouverneur ottoman de Bagdad.
Et les Américains n’ont rien fait. Partout, dans la cour parsemée d’immondices, les documents s’éparpillaient : des lettres de recommandation auprès des cours princières d’Arabie, des demandes de munitions pour des troupes, des rapports sur des vols de chameaux et des attaques de pèlerins, le tout dans une calligraphie arabe délicate. Je tenais dans mes mains les derniers vestiges d’une histoire manuscrite de Bagdad. Mais pour l’Irak, c’est l’Année Zéro : avec la destruction des antiquités dans le Musée archéologique, samedi dernier, et l’incendie des Archives nationales, puis de la bibliothèque des Corans historiques, c’est l’identité de l’Irak que l’on gomme. Pourquoi ? Qui a allumé ces incendies ? Pour quelle raison démente ce patrimoine est-il ainsi détruit ?
Lorsque j’ai vu l’incendie de la Bibliothèque coranique – des flammes de cent pieds ronflaient en s’échappant des fenêtres – j’ai couru jusqu’au quartier général de la puissance occupante, le Bureau des Affaires Civiles des Marines américains. Un officier cria à un collègue : « Y’a un type, là, qui dit qu’y a une bibliothèque biblique [sic] qui crame ». J’ai indiqué l’exacte situation du bâtiment sur un plan de la ville, son nom précis – en arabe et en anglais. J’ai dit qu’on pouvait voir la fumée depuis plus de cinq kilomètres et qu’ils seraient là-bas, en voiture, en cinq minutes. Une demie heure après, il n’y avait toujours pas un seul Américain sur place – et les flammes atteignaient deux cents pieds…
Il fut un temps – hier – où les Arabes disaient que leurs livres étaient écrits au Caire, imprimés à Beyrouth et lus à Bagdad. Aujourd’hui, on brûle les bibliothèques, à Bagdad. Aux Archives nationales irakiennes, ce ne sont pas seulement les archives ottomanes du Califat, ce sont aussi celles des années sombres de l’histoire contemporaine du pays, des récits manuscrits de la guerre entre l’Iran et l’Irak (1980-1988), avec des photos personnelles et des carnets de souvenirs personnels, ainsi que des microfiches de quotidiens arabes remontant au début des années 1900, qui sont partis en fumée.
Mais les archives les plus anciennes et précieuses se trouvaient dans les étages supérieurs de la bibliothèque, où on avait certainement répandu de l’essence pour que le feu ait pu être mis d’une manière aussi experte au bâtiment. La chaleur avait été tellement intense que les dalles de marbre du sol avaient leurs angles relevés vers le haut et que les escaliers en béton, que j’ai escaladés, avaient éclaté.
Les papiers, répandus sur le sol, étaient encore brûlants, on pouvait à peine les toucher. On n’y voyait plus d’écriture manuscrite ou imprimée, et ils tombaient en cendre dès que j’essayais de les ramasser. A nouveau, au milieu de cet enfer de fumée bleuâtre et de braises, je me reposai la même, la sempiternelle et lancinante question : pourquoi ?
Ainsi, en guise de réflexion extrêmement douloureuse ce que cela peut bien signifier, permettez-moi de citer des passages lus sur des fragments de papier que j’ai pu retrouver dans la rue, dehors, chassés par le vent, écrits par des hommes depuis longtemps disparus qui s’adressaient à la Sublime Porte, à Istanbul, ou à la Cour du Shérif de la Mecque, avec moult assurances de loyauté et qui signaient eux-mêmes : « votre serviteur ». Il y avait une requête pour la protection d’une caravane de chameaux chargés de thé, de riz et de sucre, signée Husni Attiya al-Hijazi (recommandant les honnêtes commerçants Abdul Ghani-Naim et Ahmed Kindi), une demande de mise au parfum et de conseils adressée par Jaber al-Ayashi, de la cour royale du Sharif Hussein, adressée à Bagdad, afin de mettre en garde contre des voleurs opérant dans le désert. « Ceci, juste pour vous donner un bon conseil, pour lequel vous serez hautement récompensé », disait Ayashi. « Si vous ne tenez pas compte de notre conseil, ce ne sera pas faute d’avoir été averti. » Hé, il y avait déjà du Saddam, là-dedans, pensai-je. C’était daté : 1912…
Certains documents détaillent les prix des balles, des chevaux militaires et de l’artillerie pour les armées ottomanes à Bagdad et en Arabie, d’autres consignent l’ouverture de la première ligne téléphonique avec le Hedjaz (future Arabie Saoudite), tandis qu’un autre raconte, depuis le village d’Azraq, aujourd’hui en Jordanie, le vol de vêtements d’une caravane de chameaux par Ali bin Kassem, qui attaqua ses interrogateurs « avec un couteau et tenta de les poignarder, mais fut maîtrisé, puis libéré, plus tard, contre rançon. » Il y a une lettre du dix-neuvième siècle, comportant une recommandation pour un commerçant, Yahya Massoudi, « homme de haute moralité, de bonne conduite et travaillant pour le gouvernement (ottoman) ». En bref, c’était là le patchwork de l’histoire arabe – et c’est tout ce qu’il en reste, tombé entre les mains du correspondant de l’Independent de Londres, pendant qu’une masse énorme de documents finissait de craquer dans la température d’enfer régnant dans la bibliothèque en ruines.
Le Roi Fayçal du Hedjaz, gouverneur de La Mecque, dont les courtisans sont les auteurs de plusieurs des lettres que j’ai pu sauver, fut ensuite déposé par les Saouds. Son fils, Fayçal, devint roi d’Irak. Winston Churchill lui remit la ville de Bagdad après que les Français l’eurent chassé de Damas – et son frère Abdullah devint le premier souverain de Jordanie – il était le père du Roi Hussein et le grand-père du monarque actuel, le Roi Abdullah II.
Durant près de mille ans, Bagdad fut la capitale culturelle du monde arabe, une métropole dont la population était la plus cultivée du Moyen-Orient. Le petit-fils de Gengis Khan, Hulagu, brûla la cité au treizième siècle et l’on dit que les eaux du Tigre furent noircies durant plusieurs jours par l’encre des manuscrits que les assaillants barbares y avaient jetés. Hier, les cendres de milliers d’inestimables documents historiques obscurcissaient le ciel de l’Irak. Pourquoi ?
                           
2. La poésie en des temps de sauvagerie par Mahmoud Darwish
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 14 avril 2003
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]
Allocution inaugurale prononcée par le poète palestinien Mahmoud Darwish le jeudi 3 avril 2003, lors de la manifestation Rencontre avec Mahmoud Darwish, à la Cité du Livre d’Aix-en-Provence.
Y a-t-il un temps pour la poésie, en une époque de sauvagerie ? Cette question n’est pas nouvelle. A chaque impasse humaine, après chaque catastrophe, l’impuissance de la poésie à humaniser l’Histoire est questionnée. Nous entendons encore le cri d’Adorno : est-il encore possible d’écrire un poème, après Auschwitz ? Il nous est encore une fois donné de nous remémorer cette question, aujourd’hui.
La poésie reste fragile, quand bien même elle s’ingénie à emprunter aux métaphores de la force de la soie ou de la solidité du miel, car la façon qu’elle a de modifier l’âme et d’élargir le cœur de l’homme est lente et invisible. Aussi habile soit-elle à établir un lien entre les sphères personnelle et universelle, elle ne peut faire oublier l’impression générale qui veut que la poésie soit fille de la solitude et de la marge, écho d’un rêve obscur.
Il est plus séant, pour les poètes, de ne pas nier cette solitude, ni – non plus – de la magnifier, et d’alléger le poids de la perplexité devant la nature nécessaire de la poésie. Il est préférable, pour eux, de développer l’angoisse créatrice, car ils ne trouveront pas de réponse dans une théorie impeccable passée au crible de la surprise poétique.
Je dois bien reconnaître, ici, que notre présente célébration est embarrassante. Non que la poésie puisse paraître étrangère à notre époque de barbarie, puisque la poésie a toujours été fille de son temps ingrat, mais parce que la célébration est fête, et que nous sommes bien incapables de ressentir la joie de la fête… Non qu’il y ait un deuil chez notre voisin, mais bien parce que nous – nous les habitants de cette petite planète – nous tous, nous sommes en deuil ! Et parce que la Terre toute entière menace de tomber dans le gouffre, après que les prémisses du vingt et unième siècle nous aient avertis qu’il est dans le pouvoir de l’idée de « progrès » de dupliquer la pire arriération jamais connue dans le passé, et que l’ « adoration de l’avenir » peut être l’autre face de l’ « adoration du passé ».
Aujourd’hui, l’humanité semble vivre un « état d’urgence » général, face à l’interrogation quant à la vérité de son humanité, d’un côté, et face à l’interrogation, de l’autre, sur son rôle face au phénomène de la tyrannie planétaire incarnée par la politique américaine libérée de toute référence collective, qu’elle soit juridique, morale ou culturelle, mise à part celle de la razzia, de la culture de la violence, de la culture d’entreprise, de la mesure des valeurs humaines à l’aune de la supériorité militaire, sans que ceux qui rêvent à la fondation de l’empire le plus étendu et le plus puissant de toute l’Histoire ne prêtent la moindre attention au fait qu’ils ont remarquablement réussi à convaincre la conscience mondiale du fait que la folie américaine est l’unique danger qui menace le monde, en dépit de toutes les prétentions dudit empire ériger cette folie au rang de une mission divine.
Il y a quelque Irak en chacun de nous – un Irak qu’on ne peut éradiquer, fait des plus anciennes lois humaines édictées par Hammourabi, de la recherche de l’immortalité initiée par Guilgamesh… jusqu’à la réalité de mort que connaît le peuple irakien aujourd’hui, avec ces bombes intelligentes mises au point par la civilisation idiote experte en assassinat.
En chacun de nous, il y a une Palestine, depuis le message d’amour et de paix apporté au monde par Jésus le Nazaréen… jusqu’au peuple palestinien d’aujourd’hui, crucifié sur la croix de l’occupation israélienne. La mort palestinienne quotidienne est devenue une sorte de bulletin météo, la tyrannie américaine ayant placé l’occupation israélienne au-dessus du droit international et élevé la puissance occupante au rang de la sainteté.
C’est un monde sauvage, dément, égoïste, dans lequel ne prévaut pas d’autre loi que celle de la jungle, un monde armé du surplus de la puissance nucléaire. Est-il encore possible d’écrire un poème ? Comment peut-on être à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du réel, en même temps ? Comment peut-on à la fois contempler et s’engager ? Comment peut-on poursuivre sa tentative permanente : recréer le monde grâce à des mots à la vitalité éternelle ? Et comment sauver ces mots de la banalité de la consommation de tous les jours ?
Sans doute avons-nous besoin aujourd’hui de la poésie, plus que jamais. Afin de recouvrer notre sensibilité et notre conscience de notre humanité menacée et de notre capacité à poursuivre l’un des plus rêves de l’humanité, celui de la liberté, celui de la prise du réel à bras le corps, de l’ouverture au monde partagé et de la quête de l’essence. Sans doute la poésie est-elle capable aujourd’hui de recouvrer son évidence, après qu’elle s’en soit éloignée dans une abstraction qui risque d’aboutir à la feuille blanche. La poésie n’explicite que son contraire. C’est le non-poétique qui nous donne à voir le poétique. La poésie est-elle capable, aujourd’hui, de se retrouver elle-même, tant la clarté de son contraire est excessive ? Peut-être, car la poésie, ce moyen particulier de supporter la vie et de se la concilier, est aussi une méthode qui nous permet de résister à une réalité inhumaine écrasant l’évidence de la vie.
En dépassant l’aspect extérieur des choses, en chipant la lumière tapie dans l’obscurité, en désespérant du désespoir, la poésie nous garantit contre la haine et la fureur. Sa fragilité crie, afin de nommer. Elle blesse, sans faire couler le sang. Si cette fragilité est détruite, c’est par des « mains nuptiales », comme le dit René Char, car ces mains utilisent des instruments sensibles et imaginaires qui renvoient à l’enfance. En effet, la poésie ne combat pas la guerre avec les armes et le langage de la guerre. La poésie n’abat pas un avion à l’aide d’un missile oratoire. La contemplation de l’éternité d’un brin d’herbe, de l’adoration du papillon à la lumière, de ce que le regard de la victime ne dit pas à son bourreau - voilà de quelle manière la poésie combat l’effet de la guerre contraire à ce qu’il y a de naturel en nous, de cohérent avec la nature. Qui d’entre nous ne connaît les paroles qu’adressa Diogène à Alexandre le Grand venu lui rendre visite et lui demander s’il avait besoin de quelque chose ? Diogène lui avait répondu : « Oui. S’il te plaît : ôte-toi de mon soleil ! »
Nous avons besoin de quelque chose qui dépasse l’occultation de notre soleil. Nous avons besoin d’arrêter la barbarie et d’éveiller les consciences. La prise de conscience par les poètes du monde entier de leur rôle moral afin de faire face à la guerre déclarée contre l’Irak, contre la conscience humaine, contre le droit des peuples à participer aux destinées de l’humanité, dépasse la question politique contemporaine posée à l’avenir de l’humanité.
Pour en revenir à la poésie, je vois dans cet éveil quelque chose qui ressemble à l’autocritique. Pour une grande part, la poésie contemporaine s’est accoutumée à son isolement et à sa séparation d’avec le lecteur, dès lors que beaucoup de poètes ont abusé de leur déguisement en moines contemplatifs – la foi mise à part – dans des cloîtres isolés du réel et de l’histoire par un brouillard d’ésotérisme artificiel délibérément choisi, avec une virtuosité suprêmement gratuite. Ils ont prétendu à une prophétie qui n’a nul besoin de l’Homme. Ils ont dénié au cœur son droit à entrer en vibration avec le poème, ils ont dénié aux sens leur droit à prendre part à la création. Ils ont prêché une signification univoque de la poésie : la compréhension de l’absurde, sachant que le lecteur authentique de leur poésie ne peut pas encore être né : pour cela, il faut en permanence attendre demain !
Il est vrai qu’une poésie qui ne conserverait pas sa vivacité en d’autres temps serait une poésie qui se dissoudrait aussi rapidement que le présent change. Il est vrai, aussi, que la poésie emporte avec elle son devenir et qu’elle renaîtra, demain. Mais il n’en est pas moins vrai que le poète ne peut pas renvoyer l’ « ici » et le « maintenant » vers un ailleurs ni vers un autre temps. C’est en ce temps de tempête que la poésie a besoin que soient posées les questions qu’elle soulève, seule, d’une façon qui la rende présente et vivante.
Rendre le langage vivant, rendre le fluide de vie aux paroles, voilà qui ne peut se faire sans redonner à la vie le sens de la vie. En cela, la quête du sens est la quête de l’essence, c’est là notre questionnement humain, collectif et personnel. C’est ce qui rend la poésie à la fois possible et nécessaire. Car la quête du sens, c’est la quête de la liberté.
                           
3. La Palestine à l'heure de la Gaule ! par Valérie Féron
in L'Humanité du lundi 14 avril 2003

Territoires palestiniens. A Ramallah comme à Bethléem, les Palestiniens affichent leur attachement à la France.
Correspondance particulière - Ramallah, place Al Manara, " les lions ", une des principales de cette ville de Cisjordanie. Point de départ ou d'arrivée de la plupart des manifestations, elle est surplombée d'immenses affiches publicitaires. Depuis plusieurs mois, deux panneaux géants vantent les cigarettes françaises, avec un slogan au goût du jour : " Liberté toujours ". Auparavant, ces mêmes panneaux étaient dédiés à de célèbres cigarettes américaines fumées par un cow-boy solitaire, la touche politique étant apportée par un portrait du président Arafat (un des rares dans les territoires palestiniens) ou, l'an dernier, de Marwan Barghouti, le chef du Fatah pour la Cisjordanie, arrêté à Ramallah lors de l'offensive israélienne d'avril 2002. Dans les rayons des épiceries servant également de dépôts de tabac, la fameuse marque française trône dans toutes ses versions. Cela fait un an environ que les fumeurs palestiniens ont opté pour la marque de l'Hexagone, se contentant de demander " les françaises ". Les américaines et les britanniques sont reléguées sur les côtés, et demander une de ces marques est généralement suivi d'un " Pourquoi leur donner de l'argent à eux ? Prends les françaises ! ", marquant l'attachement de plus en plus affiché des Palestiniens pour la " patrie des droits de l'homme ".
La présence française dans les territoires palestiniens à travers les centres culturels qui poursuivent leurs activités malgré la situation accompagne ce mouvement. Cet engouement avait commencé avec la visite du président Jacques Chirac en 1998 à Jérusalem : les Palestiniens aiment à rappeler l'épisode qui avait frisé l'incident diplomatique quand le chef de l'Etat a apostrophé les agents israéliens chargés de sa sécurité, un peu trop rapprochée à son goût, qui l'empêchaient dans la vieille ville d'aller au contact des habitants palestiniens venus le saluer.
Depuis son aura n'a cessé de grandir, avivée par la position de la France dans la crise irakienne. Du coup un nouveau prénom fait recette auprès de certains parents en quête d'originalité : Chirac.
Autre signe de cet engouement pour la France, certaines rues sont rebaptisées. C'est ce qui s'est passé dans le camp de réfugiés de Deishé, un des trois que compte la ville de Bethléem, jumelé avec Montataire, en région parisienne, où une rue du centre vient d'être baptisée Paris. Pour Mohammad Laham, un des responsables du camp : " C'est un acte politique, pour montrer notre soutien à la position française contre la guerre en Irak. Beaucoup de Français viennent nous soutenir, c'est donc aussi un message du peuple palestinien au peuple français. Et à Deishé comme ailleurs, les fumeurs ont opté pour les cigarettes françaises ! ".
                       
4. Jay Garner : Aux ordres d’Israël par Anthony Sampson
in Jeune Afrique - L'intelligent du dimanche 13 avril 2003
Deux Américains – un marchand de canons proche du Likoud et un diplomate sans états d’âme – et deux Irakiens – un opposant d’opérette à la solde du Pentagone et un octogénaire versatile exhumé par le département d’État. Quatre personnages qui devraient jouer un rôle clé dans les semaines à venir.
Dans l'Irak d'après-guerre, un nom sera au centre de toutes les controverses sur la politique américaine : Jay Garner, le général à la retraite qui attend aujourd'hui d'être le premier administrateur américain de l'après-Saddam.
Car le général Garner n'est pas seulement un ami proche et un allié politique du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld. C'est un partisan actif de la politique des faucons au Moyen-Orient et un avocat déclaré de la politique d'Ariel Sharon en Israël, en contact étroit avec un lobby pro-israélien de droite.
Les inquiétudes que suscite le général Garner sont apparues en Amérique depuis la rumeur de sa nomination dont le San Francisco Chronicle s'est fait l'écho en Californie, où Garner était jusqu'à ces dernières semaines un des dirigeants de l'entreprise d'armement SY Technology, qui participe à la fabrication des missiles Patriot. « On peut se demander ce que les Irakiens penseront de ce bonhomme, dit un professeur de l'école de commerce de l'université Berkeley, et quelle confiance ils pourront lui faire. Si ce n'est pas un conflit d'intérêts, je veux bien être pendu. »
Cette nomination est certainement très politique. Garner a fait la plus grande partie de sa carrière dans l'armée et a travaillé au programme de Guerre des étoiles de Ronald Reagan. Il s'est intéressé de plus près au Moyen-Orient après la guerre du Golfe, lorsqu'il a été en charge de l'aide humanitaire dans le nord de l'Irak. Il a exprimé publiquement sa compassion pour le peuple irakien, et affiché dans son bureau des dessins d'enfants irakiens dont il s'était occupé.
Mais lorsqu'il a pris sa retraite en 1997, il est devenu un important représentant de l'industrie américaine de l'armement, en collaboration étroite avec les faucons de Washington, dont Rumsfeld, le vice-président Dick Cheney et le secrétaire adjoint à la Défense Paul Wolfowitz. Son entreprise a travaillé pour le programme israélo-américain du missile Arrow, ce qui l'a mis en contact avec les gouvernements de l'État hébreu.
Il a été pris en main par le Jewish Institute for National Security Affairs (Jinsa), qui invite en Israël les officiers supérieurs américains. En octobre 2000, il a signé, avec quarante-trois autres généraux et amiraux, une déclaration où ils se disaient « indignés par le comportement de la direction politique et militaire palestinienne » et faisaient l'éloge de la « remarquable réserve » des militaires israéliens. Ils soulignaient les avantages à attendre d'une collaboration israélo-américaine en matière de sécurité, une collaboration entre deux pays qui croient aux mêmes valeurs politiques : « liberté, démocratie et État de droit ». Ils considéraient Israël comme « le seul pays du Moyen-Orient qui partage nos valeurs démocratiques et humanitaires ».
Le 26 mars, le Jinsa a publié un communiqué justifiant les invitations faites aux officiers supérieurs américains, expliquant que « nous avons à leur égard une dette énorme », mais affirmant qu'il n'essaie pas le moins du monde d'influencer la doctrine militaire américaine.
Quoi qu'il en soit, la nomination du général Garner comme administrateur numéro un de l'Irak, alors qu'il a des liens aussi manifestes avec le gouvernement Sharon, ne pourra pas ne pas être interprétée par les gouvernements arabes comme une décision politique. Dans l'immédiat après-guerre, Garner disposera de toute évidence d'énormes pouvoirs pour remodeler l'Irak conformément à la politique de son mentor Rumsfeld. Déjà, on le compare au général Douglas MacArthur du Japon d'après-guerre, ou au général Lucius Clay, le « dénazificateur » de l'Allemagne d'après-1945.
Garner, selon des sources arabes, désignera trois autres administrateurs américains pour superviser trois zones. La zone centrale, qui inclura Bagdad, sera confiée à Barbara Bodine, ancien ambassadeur au Yémen, qui devrait être tout particulièrement attentive aux sentiments arabes locaux. L'adjoint de Garner sera un Arabo-Américain, le général John Abizaid, qui parle l'arabe couramment. Mais Garner, avec les contacts qu'il a à Washington, sera politiquement le patron, et sa nomination donne à penser que Rumsfeld veut avoir la haute main sur l'avenir immédiat de l'Irak.
Les Britanniques s'inquiètent tout particulièrement des implications de la nomination du général Garner. Car il n'y a aucun signe en provenance de Washington pour donner à penser que des généraux ou des administrateurs britanniques participeront à la reconstruction de l'Irak, ou que des sociétés britanniques auront « l'égalité des chances » qu'elles ont demandée pour rivaliser avec les offres américaines.
Et la confusion règne en-core sur le rôle qui sera imparti à l'ONU, sur laquelle Tony Blair a tant misé. Avant la guerre, les Nations unies avaient un plan qui prévoyait qu'elles se chargeraient de l'administration de l'Irak au bout de trois mois, pour préparer le pays à l'autonomie, comme en Afghanistan. Le général Garner a indiqué à l'adjointe de Kofi Annan, Louise Frechette, qu'il souhaitait retrouver sa liberté « dès que possible ». Mais l'hostilité actuelle de Washington à l'égard de l'ONU semble écarter une telle éventualité.
Aujourd'hui, le rôle supposé de modérateur de la politique américaine attribué à Tony Blair paraît encore plus douteux, et la réalisation de sa promesse d'une relance du processus de paix israélo-palestinien grâce à la « feuille de route » du Quartet (États-Unis, ONU, Europe, Russie) s'éloigne à vue d'oeil.
Plus inquiétant, le choix d'un général de droite pour présider à la reconstruction de l'Irak semble entrer dans le cadre du plan d'ensemble des faucons de Washington dont les Britanniques sont exclus.
Au fur et à mesure que les cartes s'abattent à Washington et à New York, le complot devient de plus en plus évident : George W. Bush et ses conseillers immédiats - Rumsfeld, Cheney et Wolfowitz - avaient bel et bien décidé de faire la guerre il y a un an. Et le passage par l'ONU n'était qu'une couche de peinture diplomatique qui n'avait aucune chance d'empêcher Washington d'entrer en guerre.
La même camarilla était tout aussi déterminée à jouer un rôle « dominant » (selon le mot de Colin Powell) dans l'Irak d'après-guerre et à donner la préférence aux entreprises américaines pour la reconstruction. Dans ce scénario, le choix du général Garner est tout naturel en tant que représentant du complexe militaro-industriel.
Ce sera l'ultime humiliation de Tony Blair que de s'apercevoir, après avoir engagé les troupes britanniques dans une guerre dangereuse et provoqué une révolte parlementaire, que les Britanniques et les Nations unies n'ont pas eu droit à la parole et que la « feuille de route » tant vantée n'est qu'un torchon de papier déchiré par des faucons aux ordres des groupes de pression israéliens.
                   
5. Et maintenant : que faire ? par Michael Neumann
in Couterpunch.org (bi-hebdomadaire canadien) du vendredi 11 avril 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Michael Neumann est professeur de philosophie à l’Université de Trent, Ontario, Canada. Son livre "What’s Left : Radical Politics and the Radical Psyche" vient d’être republié par Broadview Press.)
Au point où nous en sommes, à quoi peut bien encore servir le mouvement anti-guerre ?
Dès lors que le mouvement anti-guerre n’a pas pu empêcher la guerre, il a échoué. Les penseurs et les porte-parole de ce mouvement, bien entendu, vont nier cela. Comme le Conseil d’administration d’une entreprise en déficit chronique, la défaite les incite à recycler en permanence les mêmes bons vœux pieux. Ils vont nous dire que la lutte ne fait que commencer, et que vous, oui, vous, là, vous avez réussi à mettre sur pied un mouvement incroyable…Ils vont nous dire comment ils ont assisté personnellement à telle ou telle scène particulièrement inspiratrice ou réconfortante… Très vraisemblablement, ils vont nous sortir de nouvelles blagues sur Dubya, G. W. Bush. Des plans très sérieux vont être échafaudés afin d’arrêter cette guerre, et encore une fois nous allons entendre parler du réseau des lobbies, des trusts pétroliers et des chrétiens fondamentalistes qui gouvernent l’Amérique. Encore une fois, on va nous dire que ces gens sont très méchants, sous un nombre incroyablement élevé de rapports. Et bla, bla, bla…
Mais nous ne sommes pas, là, en train d’assister à la fête d’anniversaire d’un enfant : nous ne sommes pas obligés de croire que nous sommes tous, toujours gagnants… Si j’essaie d’éviter un crime, et que le crime se produit quand même, rien ne m’oblige à m’auto-féliciter d’avoir fait ce que je pouvais, comme un bon collégien. Il en va de même pour les crimes à grande échelle perpétrés par les Etats nations. La culpabilité et la honte, et non pas la fierté d’ « avoir fait ce que j’ai pu », voilà qui serait une réaction plus appropriée. Toutefois, à gauche, ce genre de réponse, et même la simple notion que vous devez atteindre vos objectifs, voilà qui est un article que nous n’avons pratiquement plus en rayon…
Comme bien des gens, j’ai toujours eu quelque doute sur le fait que les protestations puissent effectivement renverser la vapeur. Aujourd’hui, à la réflexion, je me demande si le mouvement de protestation contre la guerre a jamais réellement envisagé de réussir. Il a essayé – il a essayé très fort – de faire obstacle à la guerre, mais « essayer », ce n’est pas la même chose qu’atteindre son objectif…
Je ne suis pas en train de couper les cheveux en quatre. Pour leurs organisateurs et ceux qui y ont participé, les manifestations contre la guerre n’ont jamais constitué un enchaînement prévisible d’événements pouvant conduire à un changement radical de la politique américaine. On n’a pratiquement jamais imaginé qu’un tel enchaînement puisse jamais exister. Les manifestations, tout aussi enthousiasmantes aient-elles pu être, sont toujours apparues plus comme une simple opposition à la guerre – « nous disons : non ! » - que comme des phases faisant parties intégrantes d’une stratégie visant à l’éviter. Bush était déterminé, personne ne pouvait s’attendre à ce que le Congrès ou le Parti républicain se rebelle, et on était très loin d’une situation où la gauche pouvait paralyser l’Amérique. Personne n’a seulement entrevu un chemin vers la victoire. Personne n’a eu à l’esprit un quelconque enchaînement d’actions commençant par les manifestations et aboutissant à l’ordre donné aux troupes américaines de rentrer à la maison.
Aujourd’hui, alors que les troupes américaines font réellement la guerre, la gauche est confrontée à des problèmes qu’elle n’identifie même pas. Elle doit tenir compte du patriotisme, dans l’opinion publique. Nous ne sommes plus dans les années 1960. Durant la guerre au Vietnam, des milliers de gens de gauche espéraient ouvertement une victoire communiste et la défaite des Américains. L’idée qui voudrait que nous soyons tous peu ou prou de bons citoyens américains, simplement entraînés par des passions aigres douces dans une sorte de drame collectif… cette idée est relativement récente. Même s’il existait, à l’époque, une certaine sympathie, à gauche, pour la chair à canon des conscrits américains, cette sympathie ne s’étendait certainement pas aux volontaires des forces spéciales, ni à ces pilotes de chasse envers lesquels les Nord Vietnamiens étaient inexplicablement si méchants… La gauche, franchement, considérait ces types comme des assassins répugnants.
Ces sentiments, si tant est qu’ils existent, aujourd’hui, sont quasiment inaudibles. Nous sommes aussi très loin des années soixante, dans un autre domaine. Nous pouvons bien être des gens de gauche plus gentils, plus courtois, aujourd’hui, qu’à l’époque, mais nous sommes aussi passablement domestiqués : il faut le dire. A l’époque, nous parlions beaucoup de « trahison ». Aujourd’hui, nous oserions à peine prononcer ce mot. C’est que nous ne nous attendons pas à bénéficier d’une certaine indulgence, comme les collégiens que nous étions hier encore ; ce à quoi nous nous attendons, c’est à être mis en cabane.
La gauche répond à cet environnement modifié en affichant un patriotisme peu convainquant. On dit que nous soutenons nos soldats ; nous voulons les ramener à la maison. Et nous sommes prudents. Nous poussons des cocoricos devant les « revers » ou les « méprises », mais nous évitons soigneusement de le faire devant les pertes américaines. Nous y allons de notre larmichette pour nos soldats professionnels tués ou faits prisonniers ; nous tremblons pour les portés disparus.
Est-ce sincère ? Le problème n’est pas seulement que nous devons agir dans un climat incommensurablement plus répressif ; c’est aussi que, les combats ayant débuté, un fossé s’est creusé entre nous et le reste de l’Amérique. Et ce gap, nous refusons de l’admettre. Oui, nous voulons ramener les soldats à la maison ; c’est aussi ce que voulaient les manifestants contre la guerre au Vietnam. Mais c’est là un objectif fallacieux. Nous savons pertinemment que seules une ou deux des choses suivantes mettra(ont) fin à la guerre : la victoire ou/et des pertes américaines importantes. En dépit de tout le bruit et de toute la fureur des années 1960, ce sont les Vietnamiens qui ont « ramené » « nos » troupes à la maison, en en tuant 50 000 individus. Si quelqu’un doit un jour « ramener les troupes à la maison » avant que le gouvernement américain ait décidé lui-même de le faire, ce sera bien les Irakiens, et non les manifestants en Amérique et ailleurs…
Non content d’avoir un objectif fallacieux, nous avons des attitudes fallacieuses. Supposons que nous préférions effectivement (comme la plupart des Américains) que tous les soldats américains rentrent d’Irak sans un seul bobo. Cela signifie-t-il que nous « soutenons » les troupes ? Voyons un peu : que préférez-vous : la mort de cent civils irakiens, ou la mort de dix soldats américains ? Si vous dites que « vous ne pouvez peser une mort contre une autre », cela signifie que vous ne préférez aucune de ces deux possibilités à l’autre, et réciproquement. Mais cela correspond exactement à la définition classique de l’indifférence face à une alternative. Peu importe que vous refusiez de peser entre des vies, le fait est que vous ne préférez en aucun cas épargner les vies américaines ? Et les questions ne font que commencer… Et s’il s’agissait de cinquante civils irakiens ? Ou de cinquante soldats irakiens ? Ou de dix ? Ou de cinq ? Ou d’un seul ? Questions difficiles, n’est-ce pas ? Elles sont difficiles parce que nous croyons (n’est-ce pas vrai ?) que des troupes d’invasion n’ont aucun droit à être là-bas (en Irak), qu’elles violent les conventions internationales et les règles de justice. Parce qu’elles servent une mauvaise cause. Nous pouvons toujours nous bercer de l’illusion que nous serions sur la même longueur d’onde que le peuple américain : c’est faux.
Quelles sont les implications stratégiques de ce tout ceci ? Il semble que nous ayons le choix entre la malhonnêteté et une franchise suicidaire. Mais notre malhonnêteté est trop évidente pour représenter une option valable : nous serons vite démasqués. Ce dont la gauche a besoin, c’est d’avoir quelque chose à offrir. Etant donné que nous ne pouvons, en réalité, réussir à ramener les soldats à la maison, nous n’avons rien à offrir, à moins que vous ne soyez capables de garder votre sérieux lorsque vous entendez que nous allons bâtir une société juste. Désolé, moi, je ne pense pas que nous allons le faire. Dites-moi un peu : nous, qui avons été infoutus ne serait-ce que d’arrêter une course vers une guerre extrêmement impopulaire, comment diable allons-nous accomplir cette tâche autrement difficile : bâtir une société juste ? ? ?
Bien. Alors ; où en est-on ? Nous n’avions pas de stratégie concrète pour éviter la guerre, et aujourd’hui, nous sommes à sa merci. Le mouvement anti-guerre va continuer à grossir et à se ratatiner suivant les victoires et les défaites irakiennes ; nous sommes devenus un simple effet ballotté au gré des événements, et certainement pas une cause leur donnant leur direction. Nombreux sont ceux qui vont se contenter de ce statut. En effet, il satisfait à cet ethos de gauche, tellement populaire, selon lequel notre tâche dans la vie se résume à discourir et à gesticuler. Nous protestons, nous proclamons notre opposition, nous témoignons, nous nous élevons et nous nous comptons, nous dénonçons, nous élevons la voix, nous envoyons un message, nous exprimons notre solidarité, notre soutien, nous disons non, mais nous n’essayons en aucun cas de faire réellement quelque chose. Mais, vraiment : cela ne suffit pas : avoir une conscience, ce n’est pas se contenter de dire au monde entier qu’on en a une. Qu’éviter la guerre ait été, ou non, l’objectif véritable ; évitée – il aurait fallu qu’elle l’ait été. Et même si arrêter la guerre n’est pas un objectif authentique, nous avons mieux à faire que vendre des visions idylliques de paix universelle et de justice sociale. Il est encore possible de retourner la politique étrangère américaine, comme c’était d’ailleurs déjà le cas avant même que la guerre ne soit déclenchée.
Cet objectif ambitieux nécessite une stratégie ambitieuse. J’entends déjà les sarcasmes monter à l’horizon : qu’allons-nous faire, bloquer des échangeurs d’autoroutes, des aéroports et des stations service ? Allons-nous procéder à des attentats suicides à la mode américaine ? Ecraser l’Etat, au moyen d’une révolution prolétarienne ? Mais la gauche n’a nul besoin de tactiques dramatiquement démonstratives ; elle a besoin d’une alternative drastique. La gauche doit proposer à l’Amérique un moyen lui permettant de remplir ses objectifs fondamentaux sans encourir la haine du monde entier.
Afin d’être en mesure de proposer quelque chose, la gauche doit dépasser son obsession moralisatrice. Aucun changement réel, et par tant, aucun bien, ne peut résulter de l’appel à la rédemption morale. Les Américains n’aspirent pas à être moralement bon : ils veulent simplement vivre en sécurité. Pour eux, une gauche qui s’illustre par d’incessants sermons et des élucubrations en matière de jurisprudence internationale ne semble pas être tout à fait la réponse qu’ils attendent. Les Américains, qui sont rationnels, même s’ils ne sont pas très moraux, aimeraient plutôt entendre quelque chose qui réponde à leurs préoccupations.
Aujourd’hui, ce dont il est question ne saurait être plus évident. Avant la guerre, on pouvait avoir l’impression que les pressions internationales seraient en mesure de dissuader les Etats-Unis de mettre en pratique une politique qui ne pouvait conduire qu’à un surcroît d’insécurité. Cela s’est avéré un espoir illusoire. Seul, un changement drastique de la politique américaine peut à la fois pallier aux dommages en train d’être causé et apporter une solution rapide aux préoccupations des Américains en matière de sécurité. Proposer ce tournant radical est la seule façon, pour la gauche, d’offrir une solution possible aux problèmes réels qui sont posés aux Américains. La gauche doit demander – c’est d’ailleurs ce qu’elle aurait dû et devrait faire depuis longtemps – que les Etats-Unis procèdent à un renversement d’alliances dans le conflit israélo-palestinien. Cela signifie que les Etats-Unis doivent s’allier aux Palestiniens et au monde musulman contre Israël, afin d’obtenir un retrait immédiat, inconditionnel et total d’Israël des territoires occupés.
« Contre », cela signifie « contre », et non pas seulement « pas avec ». Cela implique un engagement à répondre à l’intransigeance israélienne par des mesures de plus en plus sévères, aussi sévères que les Nations unies puissent en imposer. Une posture de neutralité bienveillante ne pourrait certainement pas « tout changer », dans le sens pris par cette expression après les attentats du 11 septembre 2001, mais un renversement d’alliances serait sans aucun doute en mesure de le faire. Personne n’aurait besoin de crier « pas de guerre pour le pétrole ! ». Le renversement d’alliance apporterait : « aucune guerre plus (+) le pétrole ». Il réconcilierait également instantanément les Etats-Unis avec l’Onu et avec les alliés européens que leur politique leur a aliénés. La guerre contre le terrorisme serait gagnée d’avance : l’antiaméricanisme passerait très vite de mode dans le monde musulman. Les droits civiques des Arabes et des musulmans américains ne poseraient plus problème. Le fait que les Etats-Unis aient une position irrecevable en matière d’armes de destruction massive non plus. Même sans intentions pures, même sans élévation du niveau de conscience, les Etats-Unis récupéreraient tout ce qu’ils ont perdu depuis le 11 septembre. De plus et enfin, le choc des civilisations serait remis au placard : il deviendrait immédiatement très clair que les musulmans ne sont pas plus bouleversés que la moitié de la population américaine, contrairement à ce qu’on veut bien prétendre, par quelques centimètres carrés de peau dénudée sur MTV.
Non que le conflit israélo-palestinien soit le seul problème qui compte sur la scène mondiale ; mais il s’agit du conflit le plus crucial qui soit. Tant que les Etats-Unis ne se seront pas réconciliés avec le monde musulman au sujet de la Palestine, ils resteront dans l’incapacité de faire preuve d’un quelconque engagement vis-à-vis des conventions internationales, ou de changer la teneur de leur guerre autodestructrice contre le terrorisme, ou de dépasser leur amertume jubilatoire qui empoisonne toutes leurs tentatives de développer une politique étrangère fructueuse. S’ils décident de changer de côté, dans ce conflit, en passant du bon côté, les Etats-Unis auront encore fort à faire, mais la voie s’ouvrira devant eux qui leur permettra de le faire.
Comment cette proposition serait-elle reçue par l’opinion publique américaine ? Nous n’en savons rien ; cela n’a jamais été tenté. Mais y a-t-il quelque chose qui puisse l’interdire ? Cela n’exige aucun sacrifice. Aucun de ceux qui veulent que l’Amérique soit puissante, aucun de ceux qui veulent que l’Amérique soit à l’abri du terrorisme, aucun de ceux qui veulent de l’essence à bon marché pour leur 4 x 4 n’y trouvera rien de rédhibitoire. Certes, il y a l’obstacle des préjugés anti-arabes et anti-musulmans, mais ces préjugés sont superficiels. Ils n’ont aucunement empêché les Etats-Unis de s’allier avec les pays du Golfe, le Pakistan et l’Indonésie : pourquoi empêcheraient-ils les Etats-Unis de conclure des alliances nouvelles et de renforcer les alliances existantes avec d’autres sociétés musulmanes ? Les Américains ont l’habitude de voir en Israël leur cher ami, mais ils sont aussi accoutumés à voir dans la Syrie leur ennemi mortel. Cela a-t-il empêché les Etats-Unis et la Syrie de former une alliance militaire, voici un peu plus de dix ans ? Bien sûr, il y aurait une levée de boucliers incroyable de la part des organisations juives, des néoconservateurs et d’autres encore. Mais il s’agirait d’une lutte véritable, pour un objectif véritable, avec une chance de victoire véritable. Au pire, cela accroîtrait de manière significative la pression dans le sens de la paix au Moyen-Orient.
Toutefois, le plus grand obstacle dressé devant cette proposition, serait la gauche elle-même. Nombreux sont les gens de gauche qui ont effectivement, avec beaucoup de courage moral, placé la question palestinienne au centre et au-devant de leur intérêt. Mais à quelles fins ? Ne s’agissait-il pas là, encore, que d’une de ces interminables campagnes de charité ? S’agissait-il d’autre chose que d’illustrer par un énième exemple la perfidie des Etats-Unis ? Le problème, en l’occurrence, ce n’est pas un manque d’intérêt pour cette cause mais, encore une fois, un manque d’ambition, une inaptitude à concevoir une quelconque stratégie susceptible de mettre réellement un terme au conflit israélo-palestinien. Au nom du réalisme politique, la gauche pro-palestinienne promeut la pire des illusions : celle qui voudrait que les Etats-Unis seraient capables d’arrêter le massacre simplement en tournant le robinet de l’aide américaine à Israël.
Même arrêter totalement cette aide ne servirait à rien : Israël est déterminé à ne pas bouger. Il fera occasionnellement entendre ses bougonnements au sujet de l’Etat palestinien et des négociations, mais nous savons parfaitement bien que ses « offres généreuses » excluent constamment des parties vitales de la Cisjordanie et la plupart des colonies. Nous savons également que la notion de sécurité requise prévalant actuellement en Israël implique le maintien par Israël de son contrôle sur toutes les parties des territoires occupés jugés stratégiquement importants, dont les frontières, les principales routes et les aéroports. Nous savons que même cette soi-disant « générosité » serait, c’est une quasi certitude, rejetée par l’électorat israélien.
Autrement dit, Israël n’a pas la moindre intention de faire la paix ni de donner son assentiment à l’instauration d’un Etat palestinien. Israël ne cèdera pas, même si l’on évoque la suppression des aides militaires et économiques. Israël n’a pas besoin de cette aide : d’ores déjà l’un des premiers pays exportateurs d’armement au monde, ce pays compenserait tout manque à gagner résultant de la suppression partielle ou totale des aides qu’il reçoit en incluant à son commerce mortel des articles actuellement interdits internationalement. Les Etats-Unis s’aviseraient-ils de laisser courir le bruit de timides réductions de leurs aides à Israël que celui-ci menacerait de vendre des armes ultra sophistiquées à des ennemis des Etats-Unis et ferait cliqueter son sabre nucléaire : continuez à nous armer, sinon les Arabes vont nous attaquer, et nous serons obligés de les vitrifier. Israël ne pourrait être isolé et contré que par ce qui ne manquerait pas de se constituer instantanément dès lors que les Etats-Unis décideraient de changer de côté : une coalition du monde entier, déterminée à en finir avec le chantage d’Israël. Et, est-ce un hasard, une coalition du monde entier, c’est exactement ce dont les Etats-Unis ont le plus urgent des besoins…
En attendant, comme la gauche ne le sait que trop bien, le massacre continue. Tandis que les gens de gauche se torturent les méninges à ce sujet, ils ne parviennent apparemment pas à trouver la solution. Comme les Etats-Unis, ils ne peuvent se résoudre à changer de côté, à un renversement d’alliances, afin de faire leur le seul, l’unique objectif qui résoudrait, de surcroît, les problèmes de sécurité de l’Amérique. Ils ne peuvent se résoudre à dire : « Je veux que les Etats-Unis s’allient aux Palestiniens et au monde musulman. Je veux que les Etats-Unis voient en Israël non plus le vilain garçon qui doit être privé de dessert militaire, mais un ennemi. Comme la majorité des gens, dans le monde musulman, et sans doute dans le monde entier, j’applaudis, sans réserve, la résistance du peuple palestinien. » Quelles que soient les causes de cette réticence à choisir son camp, ses effets sont désastreux. C’est jouer du violon pendant que les Palestiniens, eux, sont massacrés, c’est abandonner la meilleure chance d’éviter de nouveaux Irak à venir, c’est enfin un refus de combler le fossé entre la gauche et le peuple américain.
Moralité mise de côté, la gauche a un choix devant elle. Elle peut continuer à manifester, dans une ambiance de plus en plus hostile à toute dissension. Cela reviendrait ni plus ni moins à attendre jusqu’à ce que le nombre croissant de victimes américaines ou la montée de l’indignation de par le monde fasse notre travail à notre place. L’autre solution consiste à donner aux Américains une alternative réelle à la politique actuelle, ce qui signifie œuvrer à retourner les Etats-Unis contre Israël. Pour y contribuer, nul besoin de criailler ni de faire la morale. De plus, cela permettrait d’offrir un espoir authentique d’un réel changement dans le monde post 11 septembre. S’opposer à Israël n’est plus simplement une obligation morale ; c’est la seule manière réaliste de détourner l’Amérique de sa route dévastatrice et autodestructrice. Cela n’était pas jugé digne de considération avant l’échec de la lutte contre la guerre. Peut-être cet échec ouvrira-t-il les esprits à des idées nouvelles.
                               
6. La guerre de Bush - Bible et colonialisme, ou comment justifier les guerres de conquête par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du jeudi 10 avril 2003

Michael Prior, un prêtre irlandais de Jérusalem, dénonce l'instrumentalisation des textes sacrés.
Jérusalem, envoyée spéciale - Le père Michael Prior est irlandais et prêtre. Précisément, prêtre lazariste, un ordre charitable créé au XVIIe siècle par saint Vincent de Paul. Pourtant, Michael Prior sent le souffre. Exégète des textes bibliques et chercheur à l'Université de Surrey, près de Londres, il publie ce mois-ci un ouvrage intitulé Bible et colonialisme (1) dans lequel il montre comment les impérialistes ont de tous temps trouvé dans les " textes sacrés " des justifications de leurs expéditions coloniales : des croisades à la guerre en Irak, en passant par la conquête des Amériques et la colonisation de la Palestine. Une thèse intéressante, au moment où George W. Bush multiplie les références bibliques pour justifier la conquête de l'Irak.
La révélation de ce lien, il l'a eue en 1967 à Jérusalem, où il fréquente régulièrement l'Ecole biblique depuis plus de trente ans. " Au moment de la guerre des Six Jours, j'étais là et je regardais chaque soir les images de la guerre à la télévision. · l'époque, je soutenais Israël. Pour moi comme pour beaucoup de gens, c'était David contre Goliath. Et puis un jour, à l'Université de Bir Zeit, j'ai vu ce qu'était l'occupation pour les Palestiniens. Tout à coup, j'ai compris le lien entre la tradition biblique de la promesse de la terre et l'occupation dont je faisais l'expérience. Et j'ai commencé à lire cette tradition dans un nouvel état d'esprit. Je me suis aperçu que le don de la terre par Dieu était inextricablement lié, dans certains textes de l'Ancien Testament, à l'extermination des indigènes qui peuplaient cette terre. C'est tout à fait clair dans le texte de l'Exode (chapitre III), où Dieu promet aux Israélites, esclaves en Egypte, de "les tirer de l'esclavage et les amener sur une terre où coulent le lait et le miel". En général, chez les catholiques, la citation s'arrête là et on ne sait pas que Dieu, ensuite, décrit les peuples qui habitent cette terre et ordonne aux Israélites de les tuer. C'est donc un génocide qui est prôné pour permettre l'entrée des juifs sur une "Terre promise" débarrassée des indigènes. Dans le Livre de Josué, ce génocide est même décrit. J'ai continué mes recherches et, en 1994, je suis arrivé à la conclusion qu'il y avait un lien profond entre le don de la terre et le génocide comme obligation religieuse. J'ai alors entendu un exégète sud-africain expliquer que le texte du Deutéronome donnait une fondation religieuse et idéologique à l'apartheid. "C'est Dieu qui a séparé les peuples", expliquait-il. En y regardant de plus près, j'ai vu que l'extermination des Indiens, puis la ségrégation raciale en Amérique du Nord avaient été justifiées de la même manière. "
C'est aussi à partir des textes de l'Ancien Testament (base à la fois du christianisme et du judaïsme) que les sionistes religieux et les chrétiens sionistes justifient aujourd'hui la colonisation de la Palestine par Israël, et peut-être demain l'expulsion et la déportation des Palestiniens qui y vivent encore. Cette fois, Michael Prior est venu à Jérusalem pour étudier ce courant religieux, particulièrement inquiétant en raison de son développement impressionnant et de l'influence croissante qu'il exerce dans les milieux dirigeants aux Etats-Unis : " L'administration Bush, au plus haut niveau, est noyautée et par des chrétiens sionistes comme Pat Robertson, Hal Lindsay ou Tim Le Heye, et par des juifs sionistes comme Paul Wolfowitz, Ari Fleisher ou Richard Perle ", explique-t-il. Sans parler du fils du télévangéliste Billy Graham, devenu un des conseillers les plus écoutés du président et qui emmène aujourd'hui ses régiments de missionnaires à l'assaut des populations irakiennes.
Les chrétiens sionistes, qui disposent d'une ambassade à Jérusalem et de moyens très importants (voir ci-dessous), ne sont pas nés d'hier. En fait, il a toujours existé un courant chrétien attaché à la terre d'Israël et à son " peuple élu ", surtout depuis la Réforme et la naissance du protestantisme, qui a opéré un retour au texte biblique alors que l'Eglise n'en livrait à ses fidèles que des morceaux soigneusement sélectionnés.
Mais ce " retour aux sources " s'est parfois accompagné d'un fondamentalisme pas exempt de périls pour certains esprits naïfs, que d'autres ont su utiliser à des fins politiques.
" Des groupes de protestants se sont mis à étudier et décortiquer l'Ancien Testament en se concentrant sur le temps des verbes utilisés. Ils en ont tiré la conclusion que tout ce qui est écrit au passé raconte l'histoire et que tout le reste est prophétique : il s'agit selon eux de prédictions dont il convient d'attendre, voir de hâter l'accomplissement en révolutionnant sa propre vie pour s'y consacrer entièrement ", explique Michael Prior.
Ces " révolutionnaires " d'un type nouveau, c'est ce qu'on appelle aux Etats-Unis les " born again ", catégorie à laquelle le président George W. Bush se rattache explicitement. La tâche qu'ils s'assignent est de hâter le triomphe du Bien sur le Mal, qui doit accompagner la fin des temps, avec le retour du Messie et l'accomplissement de toutes les prédictions divines. Mais tout ceci ne pourra avoir lieu " qu'une fois le peuple juif revenu en Israël ", selon l'un des principaux promoteurs de cette doctrine établie en 1880, l'Irlandais John Nelson Derby. Evidemment, cela suppose une interprétation de textes qui racontent des histoires vieilles de 3 000 à 4 000 ans pour les adapter au monde d'aujourd'hui. Ainsi, tout texte qui parle de Nabuchodonosor est-il supposé faire référence à Saddam Hussein. Nul doute que le tyran de Bagdad en serait flatté puisqu'il se prend lui-même pour l'ancien roi de Babylone !
On nage en pleine folie, mais une folie exploitée par des puissances économiques et financières, qui ne poursuivent pas des chimères bibliques mais des intérêts sonnants et trébuchants (pétrole, eau et positions stratégiques), folie qui est en train de mettre le feu au monde.
(1) Bible et colonialisme, de Michael Prior, doit sortir à la fin d'avril chez l'Harmattan.
                           
7. Une autre Nakba ? par François Soudan Avec Ridha Kéfi
in Jeune Afrique - L'intelligent du dimanche 6 avril 2003

La mise sous tutelle américaine de l'Irak constituerait pour le monde arabe une catastrophe comparable à la création de l'État d'Israël en 1948.
Aux très rares personnalités dignes de confiance qu'ils ont consenti à « briefer » sur leurs plans de guerre avant son déclenchement, les Américains ont toujours dit ceci : nous ne prendrons pas Bagdad par un assaut frontal, nous l'encerclerons, attendrons que sa résistance se délite, puis pénétrerons en son coeur comme les Nord-Vietnamiens l'ont fait à Saigon en 1975. Ce scénario est-il en cours de réalisation ? Nul ne peut le dire tant la guerre est un exercice incertain, tout comme nul ne peut savoir si l'appel à « vaincre » et à « détruire les envahisseurs sous les murs de notre capitale », attribué à Saddam Hussein le 4 avril, est autre chose qu'un testament. Quelle que soit la forme prise par l'issue de ce conflit - dont le tournant militaire aura peut-être été l'écrasement, le 1er avril, d'une division entière de la Garde républicaine irakienne non loin de Kout -, il a d'ores et déjà profondément marqué l'ensemble du monde arabe, sans que l'on sache toutefois encore en quel sens : fierté retrouvée ou « real pessimisme », voire défaitisme aggravé. Voici pourquoi.
Arrogance. Rarement, la « rue arabe » (et musulmane) n'avait à ce point ressenti le mépris dans lequel on la tenait. Trois phrases suffisent. La première est de Shimon Pérès, ancien Premier ministre d'Israël, le 2 avril : « La victoire de la coalition va aider à libérer le monde arabe et l'ensemble des musulmans ; en ce sens, cette victoire sera aussi la leur. » La seconde est du très dangereux Richard Perle, ex-patron du Defense Policy Board du Pentagone, le 20 mars : « Ces gens [les Arabes] ne respectent que la force ; ne pas faire la guerre serait interprété par eux comme un signe de faiblesse. Ce serait le meilleur cadeau à Ben Laden. » La troisième est de Richard Burns, le « monsieur Monde arabe » du département d'État, quelques jours auparavant : « Seuls les pays arabes capables d'évoluer s'en sortiront ; les autres resteront sur le bord de la route et finiront par tomber. Le terrorisme est le produit de l'immobilisme. »
Joint à l'amplification de la propagande irakienne - mais aussi de la réalité des massacres « collatéraux » - par la voie des médias arabes et au paternalisme humiliant de la politique du feed and kill (« nourrir et tuer ») pratiquée par l'armée anglo-américaine, ce type de phrase a eu des effets dévastateurs. De Nouakchott à Djakarta, l'opinion est unanime : il s'agit d'une guerre coloniale aux fondements idéologiques et économiques (le pétrole), inscrite dans un plan d'ensemble qui vise non pas à « libérer » le Moyen-Orient, comme le sous-entend Richard Burns, mais à mieux l'asservir. Après l'Irak : la Syrie, l'Iran et, à coup sûr, le « transfert » des Palestiniens...
Résistance. C'est l'image inversée - et tout aussi nourricière - de l'arrogance. Une « mythologisation » accélérée de l'Irak et de son peuple, beaucoup plus que de Saddam lui-même, a eu lieu dès les premiers jours avec, en point d'orgue, l'image référence du paysan au keffieh dont le kalachnikov usagé a eu raison de l'hélicoptère Apache. Montée ou non, cette scène est entrée dans l'imaginaire. Enfin des Arabes qui résistent, qui n'abandonnent pas leurs godillots sur le champ de bataille. Pendant deux semaines, avant que ne surgissent les premières interrogations, la névrose de la défaite ancrée depuis 1948 s'est effacée comme par magie. Avec admiration, on compare les briefings de presse des deux adversaires : « Écoutez ! Les Américains parlent comme des Arabes et les Arabes parlent comme des Américains ! » Avec fièvre, on commente le départ pour Bagdad de quelques centaines de volontaires, réincarnation contemporaine des brigades internationales de la guerre d'Espagne. Avec jubilation, on commente à l'infini la dernière saillie du vice-président irakien Taha Yassin Ramadan contre le ministre saoudien des Affaires étrangères, le prince Saoud el-Fayçal, lequel avait suggéré à Saddam Hussein de démissionner : « Va en enfer, tu ne portes même pas un nom arabe. Tu es un agent, un laquais. Tu es trop petit, tu es trop rien pour oser dire un mot sur le leader de l'Irak. Ceux qui se rendent seront balayés de la terre des Arabes. »
 Reste que cette exaltation a aussi son revers, sur lequel comptent les cyniques de Washington et de Londres : si l'armée irakienne ne se défend plus (ou moins), si les leaders chiites donnent des signes de compromission avec l'envahisseur, si Saddam disparaît, alors réapparaîtront l'humiliation et le syndrome de la défaite. Occupé, sous loi martiale, l'Irak deviendra une autre Palestine, suscitant autant de prostration que d'écoeurement. Alors, « nous perdrons l'Irak comme nous avons perdu la Palestine. Perdre est une habitude chez les Arabes. C'est même une marque de fabrique » : la phrase, terrible, est de l'éditorialiste libanais Fouad Mattar, par ailleurs ex-hagiographe de Saddam Hussein. Quant aux régimes en place dans la région, ceux qui tolèrent les manifestations antiaméricaines comme on ouvre une soupape, en priant le ciel que la guerre ne dure pas, tous tablent sur le retour de la résignation chez leurs sujets. Il est vrai qu'ils haïssent Saddam (et se haïssent entre eux) infiniment plus qu'ils ne haïssent l'Amérique et Israël réunis.
Incohérence. Mais pourquoi donc fait-il ce qu'il fait ? Pendant deux semaines, Saddam Hussein a, semble-t-il, su manoeuvrer. Insuffler aux Irakiens et aux Arabes la conviction qu'ils devaient se battre non pas pour lui et son régime, mais pour son pays était un tour de force. Jouer sur la gamme combinée du nationalisme et de l'islamisme était une habileté prometteuse. Apparaître, disparaître, alimenter, comme en 1991, les rumeurs selon lesquelles il dormait dans une bicoque de banlieue et se promenait le jour au volant d'un taxi le visage enturbanné lui avait conféré une aura quasi mystique. Sa stratégie ? S'enfermer dans Bagdad, résister avec acharnement, infliger des pertes substantielles, attendre et pourquoi pas négocier sa survie avec un adversaire qu'il croyait, à force de regarder à la télévision les manifestations pacifistes, à force aussi de se répéter que les démocraties sont des États faibles, susceptible d'indécision, de sentimentalisme, de peur et de revirements. À quatorze reprises, lors de son allocution du 24 mars, il a répété à son peuple : « Sois patient. » Avait-il d'autre choix ? Et puis il y a eu, le 30 mars, cette décision incompréhensible, apparemment suicidaire de déployer trois divisions blindées de la Garde républicaine devant la capitale sans aucune protection antiaérienne ou presque. Parce que les soldats ont toujours un sixième sens pour détecter l'incohérence de chefs prêts à les entraîner au fond de l'abîme, surtout lorsque la vision de l'avenir de leur pays et celle de la victoire ultime leur échappent, ils ne se sont pas sacrifiés à la mesure de ce que leur raïs aurait espéré. Il est vrai que Saddam s'est toujours méfié de cette garde-là, qui, à la différence de la Garde républicaine spéciale, l'unité de loin la mieux armée, n'a jamais eu l'autorisation d'entrer dans Bagdad. Il est vrai aussi que les corps de l'armée irakienne sont beaucoup plus habitués à se surveiller entre eux qu'à combattre ensemble. Il est vrai, enfin, que Saddam est Saddam, c'est-à-dire un dictateur. Et sans doute est-ce là, la rue arabe dût-elle en désespérer, l'arme fatale entre les mains des envahisseurs.
* "Catastrophe" en arabe : terme par lequel les Palestiniens désignent la création de l"État Israël, en mai 1948.
               
8. Racisme au quotidien dans les aéroports israéliens par Zuhaïr Andraws
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du samedi 5 avril 2003
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Zuhaïr Andraws est rédacteur en chef de l'hebdomadaire Kul Al-Arab, publié à Nazareth. Fondé en 1988 et dirigé par le poète palestinien Samih Al-Qassem, "Kul Al-Arab" (“Tous les Arabes”) est le magazine politique de la minorité palestinienne en Israël. Il tire à 4000 exemplaires.)
Il n’est un secret pour personne que, depuis la création de l’Etat hébreu, les autorités israéliennes s’efforcent de mépriser et d’humilier tout ce qui a l’air palestinien, de près ou de loin. Inutile de préciser que cet Etat vit sous une sorte tente de soins intensifs alimentée à l’oxygène du racisme à l’égard de tout locuteur du dhâd [cette expression désigne les arabophones. La lettre emphatique dhâd étant propre à l’arabe. Ndt] C’est à l’ombre de cette équation que je vis et que je respire, quotidiennement. La défaite catastrophique vécue par mon peuple en 1948 [la Nakbah] a donc voulu que je sois détenteur du passeport israélien. Du point de vue des institutions gouvernementales de « mon pays », je suis un membre éminent de la cinquième colonne suspectée de comploter avec les pays arabes. D’un autre côté, je suis considéré dans la plupart des pays « frères » du monde arabe comme un traître et un espion : charmant ! Sauf que je suis resté dans mon pays et sur ma terre en dépit des projets sionistes, afin de continuer à respirer l’air de la Palestine…
Lundi dernier, en partance pour l’Angleterre afin d’y participer à un colloque sur les réformes économiques, sociales et politiques dans les pays arabes, je suis allé à l’aéroport de Lod, qu’Israël a transformé en « aéroport international Ben Gourion ». En y arrivant, le refrain d’une chanson populaire que les fils de mon peuple avaient naguère l’habitude de fredonner me revint à la mémoire. Ce refrain, combien de fois n’ai-je pas entendu mon pauvre père – que Dieu lui soit clément – le chantonner : « Votre excellence – Londres est l’endroit où nous attachons nos chevaux… » [Mandûb khabar Dawletak – Lundun marâbit khayl-nâ…]
Parvenu au premier point de contrôle de l’aéroport de l’Etat qui se glorifie du matin au soir d’être une oasis de démocratie perdue au milieu du Moyen-Orient, je tendis mon passeport. Une fliquette israélienne le prit et me dit, sur un ton sans appel : « Attendez ! Je dois appeler mon supérieur ! » Au même moment passait un juif israélien. Je me suis demandé de quel pays il était originaire, quel pays il avait quitté pour venir s’installer en Palestine ? Ce Monsieur traversa la zone de contrôle des passeports. Puis, un autre… Puis arriva une dame qui passa, elle aussi, sans encombre. Et pendant ce temps, je continuais à être soumis à un contrôle de pure provocation. Ils ont ouvert la valise que mon épouse avait arrangé avec une dextérité inimitable, puis en ont renversé le contenu. Moi, de mon côté, j’essayais de contenir ma colère. Afin de ne pas donner à cette femme policière effrontée l’occasion de se délecter de mon humiliation, je ne pouvais m’empêcher de penser : « Voilà ce qu’est le comportement d’un pays raciste : les juifs ont le feu vert automatique, et les Arabes sont systématiquement bloqués au rouge ». Fin du premier épisode de la saga raciste. Avec son effronterie qui apparemment ne l’abandonne jamais, la femme policière me dit : « Bon voyage ! »
Je pensai en moi-même que la série des humiliations était terminée. Mais j’étais par trop naïf. Soudain, j’aperçus le Dr. Ron Fondak, un des architectes de feus les accords d’Oslo – que Dieu leur soit clément et qu’Il les accueille dans les vastes jardins de son Eden ! Ce Dr. Fondak s’évertua à minimiser les vexations de la police israélienne. Je lui répondis sur un ton assez dur : « C’est d’abord avec nous que vous devez faire la paix, nous les propriétaires légitimes de cette terre, nous les enfants de la minorité nationale arabe palestinienne des territoires de 1948 ». Il me répondit : « Nous parlerons de tout ça dans l’avion : moi aussi, je vais à Londres. »
Après avoir fait les démarches nécessaires au comptoir de la compagnie British Airways, je suis monté au deuxième niveau, ma petite valise toujours à la main. Une femme de la police israélienne a scruté mon passeport, puis elle y a apposé le tampon de sortie, et je me suis avancé pour pénétrer dans le hall de l’aéroport. C’est alors que j’ai été interpellé par une jeune fille israélienne, sur le visage de laquelle se dessinaient tous les signes du mépris, de la haine et du racisme. Elle m’intima l’ordre, sur un ton pète-sec, de m’arrêter… Elle m’arracha ma petite valise des mains et entreprit de la fouiller de manière tatillonne. Montée du taux d’adrénaline chez votre serviteur. Mais je décidai de rester zen. Les autres voyageurs passaient à côté de moi, sans problème. La furie revint à la charge. Elle me demanda de lever les bras et se mit à m’inspecter le corps au moyen d’un détecteur. Ainsi, pendant quelques minutes, je fus l’attraction centrale d’une grande représentation théâtrale raciste. « Enlève ta ceinture ! » qu’elle me crie. Je défais ma ceinture. Elle l’inspecte scrupuleusement. J’étais devenu le « clou », l’ « attraction » pour tous les autres passagers, qui continuaient à évoluer sans que personne ne les provoque. La furie repassa à l’attaque. Elle me demanda de m’asseoir sur une chaise, et elle m’ordonna d’ôter mes chaussures. Juste à ce moment, le Dr Fondak passait par là : il arbora un sourire dont je ne parvins pas à percer la nature énigmatique. Elle prit mes pompes pour les examiner dans un autre appareil. Ainsi, je suis resté pieds nus et perdant mon pantalon, à la recherche d’un point de passage entre l’humiliation et la sérénité : ça se situait dans les parages de la colère…
Puis survint la plus grande surprise de la journée : là, juste à l’endroit où j’étais en train de subir le plus haut degré du racisme, un Palestinien arriva, qui appartenait à ce qui reste de l’Autorité nationale palestinienne. A peine ce  Palestinien eût-il aperçu son collègue d’Oslo qu’il lui sauta littéralement au cou, et ils s’embrassèrent avec effusion. C’est ça, la paix d’Oslo… Ce Palestinien, dont je tairai le nom – car son nom importe peu, ce qui importe, c’est ce qu’il représente – fut traité par les Israéliens avec une obséquiosité qui me souleva le cœur. Ils ne lui ont rien demandé. Ils ne l’ont pas fouillé. Il a échappé à l’humiliation et évolué sans encombre avec la foule des passagers « normaux ». Quant à moi, j’étais toujours sur les planches du théâtre du racisme israélien. Refusant ce racisme et refusant les « accords d’Oslo ».
Une demie heure, pas moins, s’écoula ainsi, et les Israéliens parvinrent à la conclusion qu’ils connaissaient d’avance, à savoir que j’étais un simple voyageur arabe palestinien et que je ne détenais aucun objet interdit dans mes bagages. Ils me relâchèrent. Je me rendis sans tarder à une cafétéria de l’aéroport pour prendre un café et fumer un clope, histoire de détendre mes nerfs tirebouchonnés. A peine m’étais-je assis et avais-je allumé ma cigarette qu’un homme de la sécurité israélienne s’approcha de moi, prétendant que la fumée nuisait à sa frêle santé. Je lui répondis : « Regardez : vous voyez ? Quantité de voyageurs sont en train de fumer. Pourquoi m’avez-vous sélectionné, moi, dans cette foule ? » Après une discussion serrée entre nous, je lui dis, texto : « Je continuerai à fumer ma cigarette, que cela vous plaise, ou non. » Alors ce hargneux entreprit d’appeler sa chef, qui exigea que j’éteigne ma cigarette. Ayant refusé, la chef hargneuse fut contrainte à demander à tous les voyageurs d’arrêter de fumer ! Une cigarette toute bête, dans l’aéroport international Ben Gourion, représente désormais un danger pour la sécurité (lorsque – et seulement lorsque - c’est un Arabe qui la fume, bien entendu). 
Une fois dans l’avion, je cherchai du regard le Dr Fondak, mais en vain. Je ne sais pas où avait disparu l’architecte des accords d’Oslo. Je ne sais pas non plus où était passé son associé palestinien dans l’élaboration de ces maudits accords.
Durant les journées de congrès, j’ai fait connaissance avec pas mal de délégués de différents pays arabes. Nous avons beaucoup parlé de la situation générale, et aussi des Arabes de 1948. L’un d’entre eux m’a demandé : « Comment êtes-vous traités, en Israël ? Bénéficiez-vous, vous aussi, de la démocratie israélienne ? » Je ne lui ai pas répondu. Peut-être cet article satisfera-t-il sa curiosité et saura-t-il, une bonne fois pour toutes, que la démocratie israélienne est une vaste fumisterie – une de plus – que le sionisme a réussi à vendre au monde arabe ?
A cet égard, une question reste posée : quel est le responsable, en dernière analyse, de l’inconscience dans laquelle le monde arabe reste plongé au sujet de ce qui se passe en Israël ?
Question difficile, en des temps difficiles, mais à cet égard, il n’est pas inutile de rappeler à nos frères arabes, du Golfe à l’Océan, que l’information est un outil fondamental, à l’ère de la mondialisation où nous vivons, et qui a réduit le monde à la taille du village planétaire. Par conséquent, les détenteurs de capitaux arabes doivent s’adresser à l’opinion publique mondiale en utilisant son langage, afin de dénoncer les pratiques racistes d’Israël à l’encontre de tous les fils du peuple arabe palestinien. J’affirme cela tout en étant parfaitement conscient du fait que le récit arabe et l’information arabe sont encore dans les limbes. J’ajoute qu’il est impératif, en ces temps critiques que traverse la nation arabe, de réfléchir sérieusement à la création de médias écrits et audiovisuels qui s’adressent à l’Occident dans le langage de l’Occident car, si nous restons tels que nous sommes aujourd’hui, si nous continuons à nous tenir des grands discours et à ne convaincre que nous-mêmes, Israël continuera à perpétrer ses pratiques répressives impunément. En effet, comme chacun sait, les médias occidentaux sont encore favorables à la présentation israélienne des choses, et nous avons un besoin impérieux de parvenir à interpeller l’opinion publique mondiale, afin de réfuter les allégations de la propagande israélo-sioniste. Il est absurde qu’Israël continue à exercer contre nous – nous, les locuteurs du dhâd – sa politique raciste et que nous, nous continuions à lui dire merci.
Encore une fois, je le répète : malheur à nous si nous perdons aussi la guerre de l’information, cette guerre qui vient une fois encore de faire la démonstration de son caractère impitoyable au cours de l’agression américano-britannique contre l’Irak.
                       
9. "L’Irak libéré" fait l’objet d’une surenchère de prophéties américaines par Subhi Hadidi
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 4 avril 2003
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

"Ce pays a besoin d’une 'dictature laïque'. L’idéal serait un nouveau Nouri Al-Saïd !"
En novembre de l’année dernière, un collègue américain  a publié dans « Atlantic Monthly » un article remarquable – prophétique, comme à l’accoutumée – intitulé « Scénarios pour l’après-Saddam », disant, en très résumé : l’extension des bases militaires américaines outre-mer s’était opérée, jusqu’à récemment, de manière aléatoire, c’est-à-dire là où se trouvaient les forces américaines à la fin de la seconde guerre mondiale. Ce dont nous avons besoin, aujourd’hui, c’est de choisir leur emplacement de manière étudiée et planifiée. Que l’Irak, donc, nous montre le chemin… »
Quel est donc ce nouveau scénario, en détail, après l’invasion de l’Irak, son occupation et l’implantation de nouvelles bases militaires ? Notre confrère n’est pas du genre à vendre des illusions, ni à avoir honte d’afficher la couleur, dût-elle traduire une sauvagerie extrême : c’est pourquoi il n’a jamais figuré au rang de ceux qui proclamaient que l’objectif de Washington était de confisquer à l’affreux jojo dénommé Irak ses armes de destruction massive et d’y instaurer la démocratie. L’unique but recherché dans le scénario immédiat, tel que cette revue nous l’expose, est bien… l’instauration d’un régime dictatorial, de transition, laïque, à même d’assurer l’unité du territoire irakien, d’empêcher la « fragile mosaïque » irakienne de se défaire, de protéger les richesses du pays, de permettre aux Etats-Unis d’y établir ses bases militaires à sa convenance, après quoi… on verra bien… On aura tout notre temps pour penser à établir, « le moment venu », un régime démocratique prenant telle ou telle forme !…
Avant ce scénario, notre confrère avait publié un livre portant le titre évocateur suivant : « La politique du combattant : Pourquoi la stratégie exige-t-elle des mœurs idolâtres ? », dans lequel il tentait d’imiter les philosophes, les penseurs et les spécialistes de sciences politiques et militaires, tels Machiavel, Thucydide, Sen Tsu et Thomas Hobbes, parvenant à la conclusion que le monde contemporain a besoin d’autre chose que la simple arrogance ou la simple naïveté, ou que le mélange des deux. Rien de mal à ce que soit prodigué aux décideurs  ce conseil, ça et là, dans les civilisations occidentales : ne vous laissez pas embobiner par la nature humaine, car il est rare qu’elle change d’une époque à l’autre (en ce qui concerne sa caractéristique principale : le mal, c’est-à-dire : le terrorisme !), les gens bons capables de faire le bien doivent exceller dans l’art de commettre aussi le mal (exactement comme George Bush et Tony Blair, en ce moment précis).
Le confrère en question est le penseur et écrivain américain Robert D. Kaplan, notre contemporain qui ne cesse de ressusciter deux mages de sa tribu : Charles Robert Darwin (1809 – 18982), et en particulier sa théorie de la sélection naturelle, et le prêtre britannique, prophète du pessimisme économique, Thomas Robert Malthus (1766 – 1834). S’il n’est nullement étonnant que ces trois mages s’associent dans une étroite symbiose de points de vue (non seulement de points de vue, mais même de scénarios…) complémentaires à travers les époques et les siècles, puisqu’ils appartiennent à une même branche de la civilisation occidentale, et qu’ils portent tous les trois le prénom de Robert ( !), ce qui est en revanche étonnant, intriguant même, c’est que l’Autre (le Palestinien, l’Irakien, l’Iranien, l’Oriental, le musulman toujours, le Balkanique de temps en temps…) fasse l’objet d’un consensus, d’une unanimité. Ou bien devons-nous, en réalité, perdre définitivement toute capacité à nous étonner, particulièrement en ces jours d’invasion anglo-américaine ?
Car il est une autre dimension du phénomène kaplanesque : l’immense influence qu’exercent ses prophéties et ses avis sur les décideurs de Washington. Depuis 1993, il s’est installé sur le trône de l’interprétation du monde nouveau comme l’un des esprits les plus pessimistes qui soient, et les plus audacieux à penser l’impensable et à forger des scénarios futurs sur le devenir d’une planète Terre vouée aux catastrophes. Cette année, il a publié son ouvrage « Les spectres des Balkans », tandis que les premiers obus tombaient sur la Bosnie, et les cercles spécialisés de la Maison Blanche ont dévoré ce bouquin et en ont fait ‘The Document’ permettant d’analyser le passé, le présent et l’avenir. L’écrivain Elizabeth Drew, dans son livre « Au bord du gouffre », n’est pas loin de jurer ses grands dieux que les élucubrations de Kaplan ont dissuadé (vous lisez bien : dissuadé !) l’administration du précédent président américain Bill Clinton d’appliquer le principe « envoie les forces et frappe ! », d’autant plus que le déchirement de la vieille Yougoslavie entre ethnies dépourvues de direction nationale apportait la preuve, matin et soir, des visions de Kaplan… ce « Saint Jean Baptiste de l’après-guerre froide ».
Un an plus tard, une nouvelle étude catastrophiste de Kaplan fut publiée, sous le titre « L’anarchie à venir », au sujet de l’Afrique, cette fois. Kaplan y considérait que le continent noir non seulement n’était plus vierge, mais qu’il s’était même mué en une vieille sorcière maléfique, grosse de toutes sortes d’horreurs prêtes à se diffuser un peu partout dans le monde civilisé, comme dans le monde non civilisé, d’ailleurs. Une fois encore, l’administration américaine fit sienne la pensée du grand homme. Timothy Worth (conseiller du président en matière de politique internationale) alla jusqu’à qualifier cet article kaplanesque d’ « avertissement de toute première importance », lui empruntant des chapitres entiers à chaque fois que l’administration américaine devait faire face à un problème, quelque part en Afrique.
Ensuite, Kaplan nous régala d’un troisième article, sur la paix au Moyen-Orient, qui comportait des prophétie d’une audace folle, d’une imagination flamboyante, absolument libéré de toute inhibition dans le libre recours à la prophétie politique. Cet article ne pouvait que susciter, au choix, deux réactions : le chair de poule, d’horreur et de sainte frousse, ou une envie irrésistible de danser de joie. Qu’avait donc aperçu pour nous et pour nos pays le Prophète des temps modernes ? Voici, à grands traits, le scénario :
1) Pour peu que la région connaisse encore quelques accords de paix arabo-israéliens supplémentaires, le chapitre que nous connaissons, marqué par divers épisodes de la guerre froide sera clos définitivement, des vagues d’optimisme vis-à-vis du nouveau Moyen-Orient s’imposeront : ce sera un festival d’embrassades, d’accolades, de poignées de mains historiques, à la mode Clinton. Ce sera le règne du bien être optimum, selon la vision de Shimon Peres. Ensuite, seulement, viendra le temps d’application de la théorie darwinienne de sélection naturelle, le plus fort finissant par imposer seul son hégémonie dans la jungle.
2) La stabilité trompeuse imposée par l’intervention des grandes puissances dans la région prendra fin, la simplicité par trop schématique de l’opposition entre les deux pôles en conflit, entre les deux groupes que constituent les juifs et les Arabes s’estompera (remarquez au passage comment une identité nationale se transforme en identité « ethnique » et comment une identité purement religieuse fait la même chose). Cela, d’une part. D’autre part, l’explosion démographique arabe (c’est ici que Malthus intervient…) exercera la plus extrême et la plus violente des pressions sur cette tranquillité traîtresse, et les sociétés arabes et musulmanes connaîtront des mutations radicales jamais vues depuis cinq siècles.
3) Il est vrai que la paix apportera (volens nolens) des projets et des investissements communs, le partage des richesses et des ressources hydriques, le développement économique et toutes les vertus du « nouveau Moyen-Orient » dont a rêvé Peres. Mais tout cela ne libérera pas les nombreuses populations arabes du fardeau d’une explosion démographique couplée au recul de la vie politique et des institutions civiles, c’est alors que se produira le double miracle suivant :
- Les couches sociales arabes qui occupent les positions supérieures dans la hiérarchie des classes se rapprocheront de plus en plus du citoyen moyen israélien représentatif (qui jouit d’un niveau de vie très supérieur à celui de ses voisins), et ce rapprochement s’opérera à différents niveaux, dont les inclinations sociologiques, culturelles et civilisationnelles quotidiennes ;
- Les couches sociales arabes les plus pauvres s’éloigneront de plus en plus de niveau de convergence ci-dessus évoqué, et les lignes de fracture ne se dessineront pas entre Israël et tel ou tel des régimes arabes, mais bien entre les couches arabes défavorisées, d’un côté, et l’Etat hébreu plus l’ensemble des régimes arabes, de l’autre.
4) Et voilà que l’histoire repasse le plat des Balkans et de la balkanisation, d’une manière inversée, comme à chaque fois que l’histoire repasse un plat : les chrétiens d’Orient (Kaplan évoque les chrétiens d’Egypte, de Syrie et de Cisjordanie, et on ignore pour quelle raison il ignore les chrétiens du Liban, d’Irak et de Jordanie, par exemple ?) connaîtront le même sort que celui échu aux musulmans des Balkans. Ici, les vieux rêves ethniques commencent à se réveiller de leur long endormissement, et se transforment en projets de mini-Etats dont seules les incendies de la guerre et des fleuves de sang pourraient parvenir à apaiser la fureur. La Syrie éclatera entre divers cantons, elle sera suivie par l’Egypte, puis la Turquie et l’Iran. Parvenu à ce point de son scénario, Kaplan oublie le critère de classe sur lequel il s’appuyait au départ, et il s’abandonne à sa passion de transformer le concept de classe sociale en celui d’aspiration ethnique, et le concept d’appartenance religieuse en celui de projet national.
5) Au fur et à mesure que s’élargissent les failles et les cassures, augmente la pression de l’économie sur la société et la politique et la perception par les pauvres du gouffre béant, tandis que se cristallise un peu plus la profonde césure verticale. Que personne n’aille penser que notre homme exclut un pays comme le royaume d’Arabie saoudite de cette lutte des classes (et l’on doit se résoudre à utiliser cette expression, aux évocations marxistes ou autres – sociologiques et plus innocentes). En effet, les pays du Golfe, à l’instar de l’Egypte, de la Syrie et des pays du Maghreb, ont connu de profondes mutations démographiques et extrêmement peu de mutations politiques et civiques. Pourquoi donc les considérerions-nous comme des exceptions ?
6) En touriste actif au Moyen-Orient, Kaplan ne passe pas une année sans le traverser à la recherche de la clarté après l’obscurité et de l’interprétation de ce qui lui donne du fil à retordre. Il trouve en lui-même une capacité extraordinaire à observer les mutations comportementales et émotionnelles qui succèdent aux mutations politiques et sociales. Il est convaincu qu’il n’est plus possible de dire par exemple des Egyptiens qu’ils sont « les Italiens du monde arabe », car la substitution à la pauvreté rurale de l’indigence urbaine leur a fait perdre en grande partie leur caractère et leur humeur traditionnels : aujourd’hui, ils sont plus durs et moins enjoués, ils sont plus sombres et moins sereins face aux difficultés, ils sont plus enclins à s’identifier au discours fondamentaliste et moins enclins à s’adapter aux changements liés à l’air du temps.
7) Tandis que s’enchaînent les péripéties de ce scénario, les Juifs d’Israël jouent au Moyen-Orient le rôle joué par leurs ancêtres au Moyen Age, c’est-à-dire un rôle d’intermédiaires économiques entre tribus, sous-tribus et factions en luttes intestines et en concurrence perpétuelles, autour des prérogatives d’un pouvoir unique, ou dans un centre civilisationnel particulier et cohérent. Kaplan dit que la société israélienne s’embourgeoise de plus en plus, tandis que la couche supérieure des officiers de l’armée devient de plus en plus religieuse. Quelle conclusion va donc en retirer notre Merlin l’Enchanteur : rien que du bien, comme il dit, car un pas en avant franchi par la société israélienne sur le chemin du confort matériel, et un pas en avant de l’armée israélienne sur le chemin de l’engagement spirituel, non seulement sont dans l’intérêt d’Israël, mais bien dans l’intérêt de la région prise dans son entièreté. Cela, parce qu’ainsi, un tel Etat se retrouvera le seul à être bardé d’armes tant matérielles que spirituelles, au milieu de la cécité d’une région qu’il appelle en toute simplicité « ce Moyen-Orient qui entre dans le vingt et unième siècle comme s’il n’avait pas cessé d’attendre au-dehors des frontières du Moyen Age ».
Kaplan conclut son article par cette phrase terrible : « Le temps où les élites laïques, tant américaines qu’israéliennes ou arabes, étaient à même d’animer les forces vives au Moyen-Orient – ce temps est révolu. S’annoncent à l’horizon de la région les prémisses d’une époque qui sera la moins stable et la moins sombre de toute la longue histoire du Moyen-Orient ». Lorsqu’il écrivait cet article, les attentats du 11 septembre ne s’étaient pas encore produits, George Bush junior n’avait pas encore été élu et l’Irak n’était qu’un Etat « transitoire » dont il fallait simplement contenir les potentialités néfastes, sans plus. Aujourd’hui, non seulement Kaplan pousse à envahir l’Irak : il préconise que l’occupation militaire de ce pays trouve sa traduction dans une « dictature laïque » !
Dans cette course aux prophéties, quel homme politique exemplaire pensez-vous que Kaplan espère donner au peuple irakien, après sa « libération » ?
Bien sûr, ce n’est ni Ahmad al-Jalabi, ni Adnan Al-Bajaji, ni Najib Al-Salihi.
Non… Il s’agit de… Nouri al-Saïd. Il n’y a que lui.
               
10. La guerre contre l’Irak et le rêve sioniste "de l’Euphrate au Nil" par Youssouf Nour Awadh
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du vendredi 4 avril 2003
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

(Le Dr. Youssouf Nour Awadh est ancien directeur des études islamiques à l’Université Salford.)
La chaîne Fox a décidé de licencier son célèbre correspondant Peter Arent, à cause d’une interview accordée à la chaîne irakienne de télévision par satellite, et au cours de laquelle il a critiqué la campagne militaire américano-britannique contre l’Irak. Il a notamment dit : « les « alliés » se sont empêtrés dans cette campagne militaire car ils n’ont pas su évaluer le degré de préparation de l’Irak à y faire face. Ils ont basé leurs plans stratégiques sur des suppositions erronées ». Fox a justifié sa décision sous prétexte que Peter Arent n’aurait pas demandé son autorisation préalable avant de répondre aux questions de la télévision irakienne, alors qu’il l’avait demandé – et obtenue. La raison invoquée par Fox ne tient donc pas, juridiquement, et le licenciement d’un correspondant de la pointure de Peter Arent ne passe pas inaperçu. Il est évident que la raison du licenciement de Peter Arent tient à ce que le correspondant a révélé un secret que le gouvernement américain ne tenait pas du tout à voir dévoilé au peuple américain, et encore moins par un journaliste aussi populaire que lui.
La chaîne Fox n’est pas la seule à recourir à la censure, dans cette guerre. Les autres chaînes télévisées, tant aux Etats-Unis qu’en Grande Bretagne, ont évité de dire la vérité à leur public, en particulier en ce qui concerne les pertes enregistrées par les armées britannique et américaine sur le champ de bataille.
Ces chaînes ont continué à ne mentionner que les victoires et une prétendue avancée sur le terrain, sans mentionner les pertes. On remarque, dans les briefings publiés par le commandement central, qu’ils consistent à dire que la guerre progresse comme prévu, qu’elle remplit ses objectifs et que les forces se rapprochent de Bagdad. Or il s’agit d’une progression qui les fait se rapprocher des positions qu’elles occupent depuis dix jours, et on peut remarquer, lors des conférences de presse tenues par l’état-major américain que seuls les journalistes occidentaux peuvent poser des questions, que ces questions sont « étudiées », et qu’il en va de même en ce qui concerne la position de l’administration américaine, puisqu’on peut remarquer que le président américain n’évoque jamais les revers et qu’il se focalise sur le fait que les autorités irakienne mobiliseraient prétendument  des hommes chargés d’assassiner d’éventuels collaborateurs avec l’envahisseur et que le peuple irakien attendrait le moment où il sera libéré de son dictateur pour exprimer ses vrais sentiments. Même chose du côté du ministre de la défense Rumsfeld et du général des Marines : leur message au peuple américain consiste à dire qu’il n’y a aucune divergence quand au plan d’attaque et que la guerre avance « sur des roulettes »…
La position du service arabe de la BBC, et tout particulièrement du correspondant au Caire, est toujours aussi partiale que depuis le début de la guerre, mais elle a commencé à s’améliorer légèrement au cours des derniers jours. Néanmoins, nous entendons toujours des expressions telles que « le président américain promet la liberté au peuple irakien » et « le président irakien est prêt à sacrifier son peuple », comme cela a pu être dit au cours d’une correspondance de la BBC depuis Washington.
Si nous nous intéressons maintenant à l’allure générale de la campagne américano-britannique, nous constatons qu’elle a été élaborée, au départ, sur des concepts erronés et une stratégie classique. C’est ce que nous allons maintenant détailler :
1) La stratégie américaine a supposé qu’après la vaste campagne menée par les dirigeants américains, le monde était prêt à la guerre contre l’Irak, avec comme objectif l’élimination des armes de destruction massive supposées se trouver dans ce pays.
2) Ce plan avait fait l’hypothèse que le peuple irakien attendrait le moment d’être débarrassé de son président, et que dès que les forces américaines fonceraient vers Bagdad, le régime s’effondrerait et le peuple irakien se soulèverait contre lui.
3) Le gouvernement américain a pris conscience du fait que la victoire décisive qu’elle réaliserait en Irak contribuerait à trouver une solution au problème palestinien dans l’intérêt d’Israël et permettrait de remodeler le Moyen-Orient dans son ensemble, dans un sens plus favorable aux intérêts américains et israéliens.
4) Le gouvernement américain a fait une lecture erronée des positions des gouvernements arabes, en extrapolant les positions des régimes arabes liges. De manière erronée, il a considéré que la position des peuples arabes serait identique à celle de leurs gouvernements.
5) Le gouvernement américain a fait le pari que dès lors que des aides et des secours lui seraient distribués, dans le contexte de guerre, le peuple irakien se rassemblerait autour des envahisseurs, voire même que cette adhésion populaire constituerait les prémisses de l’installation d’un gouvernement dans lequel les sionistes auraient la maîtrise des ressources de l’Irak, qu’ils mettraient au service d’Israël.
Mais l’invasion s’est déroulée d’une manière non seulement différente, mais radicalement opposée, qui a fait apparaître les réalités suivantes :
1) L’Irak a tiré profit du conflit diplomatique au Conseil de sécurité pour se préparer à une guerre plus que probable, en stockant les munitions et les vivres lui permettant de faire face au pire ;
2) L’insurrection espérée n’a pas eu lieu. Au contraire, le peuple irakien a vu dans l’invasion un événement totalement étranger à la position qui peut être légitimement la sienne en ce qui concerne le régime irakien ou la personne du président.
3) Le peuple irakien a fait preuve d’une conscience et d’une compréhension très claires des intentions américaines et israéliennes sous-jacentes à cette guerre ;
4) Des dissensions régionales se sont faites jour, de manière évidente, la Turquie refusant de s’allier avec les Etats-Unis, afin d’éviter de donner un prétexte à l’instauration d’un Etat kurde lourd de danger pour ses intérêts nationaux. De même, l’Iran a vu dans la présence américaine à ses frontières un danger pour ses intérêts régionaux, et Israël a commis une grossière erreur lorsque certains de ses responsables ont jugé bon de répandre la rumeur selon laquelle la Syrie aurait offert une assistance militaire à l’Irak, allant jusqu’à prétendre que l’Irak aurait entreposé des armes de destruction massive en Syrie : en cela, il s’agissait , ni plus ni moins, d’inciter les Etats-Unis à étendre la guerre à la Syrie. Cela ne fait que confirmer la conclusion à laquelle étaient parvenus nombre d’analystes au fait des réalités du Moyen-Orient, à savoir que la guerre n’a rien à voir avec le pétrole mais tout à voir avec les ambitions d’un certain nombre d’affairistes et de sionistes qui président aux destinées du pouvoir politique aux Etats-Unis, lesquels qui voient dans cette guerre une occasion unique de réaliser des fortunes immenses en volant le pétrole de l’Irak et en développant dans ce pays des projets de reconstruction susceptibles de leur rapporter des milliards de dollars ;
5) La campagne militaire a révélé la faiblesse de la planification stratégique américaine. Après les échecs en matière de renseignement et de contre-mesures militaires relevées le 11 septembre 2001, qui avaient abouti à la catastrophe de New York, les planificateurs américains ont commis une énorme erreur, non moins fatale, en recourant à la technologie dernier cri dans leur campagne contre l’Irak. Ils ont envoyé des forces importantes dans le désert irakien pour finir par découvrir que la technologie ne saurait leur garantir la victoire, et que l’infiltration de forces dans le désert, au-delà des lignes de ravitaillement, ne la leur apporterait pas non plus, parce que la stratégie irakienne avait opté pour des affrontements dans les villes, comportant des combats de rue, où la supériorité technologique américaine serait de peu de secours et au cours desquels les Américains et les Britanniques encouraient le risque de subir des pertes importantes. C’est ce qui a incité ces derniers à livrer bataille contre les villes du Sud, afin d’assurer les lignes arrières des forces d’invasion. Mais il s’agit d’un effort voué à l’échec, en particulier après le recours des Irakiens aux attentats suicides, créant une angoisse permanente au sein des forces de l’envahisseur, dont les hommes ne trouvent plus une minute pour se reposer ou pour dormir. Cette stratégie contribue puissamment à la réalisation des objectifs irakiens.
Si nous prenons tous ces éléments en compte, nous constatons que les Britanniques et les Américains se retrouvent dans une situation peu enviable, car, en dépit d’une propagande incessante affirmant que l’issue de la guerre sera sans surprise, la réalité est que ce qu’ils disent n’est pas autre chose que du rêve éveillé, qui ne trouvera aucune inscription dans la réalité. En particulier, le quotidien The Guardian a révélé un plan d’installation en Irak d’un gouvernement composé de vingt-trois ministres américains, assistés par des conseillers irakiens, mais à la condition que la haute main revienne à Wolfowitz, ce qui signifie que l’Irak deviendrait un pays soumis à l’occupation sioniste. Cette perspective qui fait d’ores et déjà rêver Israël, qui demande que le pipe-line entre Mossoul et Haïfa reprenne du service. Lorsque nous disons qu’il s’agit de rêve éveillé, c’est tout simplement parce que cela ne saurait se réaliser : en effet, si l’Irak devait se réveiller sous administration sioniste, le rêve d’un Israël s’étendant de l’Euphrate au Nil se serait réalisé. Auquel cas la Syrie et l’Iran se retrouveraient dans une situation où ces deux pays préféreraient sans doute la guerre à la capitulation, ce qui enflammerait l’ensemble du Moyen-Orient. Mais les Etats-Unis admettront-ils la défaite ?
La réponse à cette question, c’est que l’impasse dans laquelle les Etats-Unis se sont engagés n’a d’autre solution que leur recours à des armes non conventionnelles ou des négociations avec le gouvernement irakien afin de parvenir à une solution politique. Toutefois, cette deuxième option ne semble plus être de mise, car l’échec des Etats-Unis dans leur guerre contre l’Irak ne manquera pas de porter atteinte à leur image de marque, inaugurant au Moyen-Orient des développements politiques redoutables, les régimes arabes ayant apporté la démonstration de leur déréliction et de leur allégeance aux intérêts des colonialistes, qu’ils font passer bien avant ceux de leurs propres populations. L’incapacité des Etats-Unis à remplir leurs objectifs en Irak amènera l’ensemble des Arabes à reconsidérer leur position vis-à-vis d’Israël et il n’est pas exclu que certains d’entre eux emboîtent le pas à l’Irak dans sa façon d’utiliser sa confrontation avec les Etats-Unis comme un moyen de régler la question palestinienne, de même que la victoire de l’Irak a vraisemblablement contribué à dévoiler la véritable nature d’un grand nombre de régimes arabes, en les plaçant dans une situation peu enviable. Il semble qu’un grand nombre d’hommes politiques occidentaux ont commencé à prendre conscience de l’erreur fondamentale inhérente au style auquel l’administration américaine a eu recours. Au premier rang de ces hommes politiques, je citerai Robin Cook, qui a écrit dans le Mirror un article important, dans lequel il met en garde contre les conséquences de la guerre et exige le retrait des troupes britanniques. Il a mentionné que ses camarades de parti lui avaient affirmé qu’il allait s’agir d’une campagne militaire de courte durée, certains que l’armée irakienne ne se battrait pas pour Saddam. Il s’agit là pour lui d’une erreur stratégique sur laquelle l’ensemble de la guerre a été échafaudé. Par ailleurs, des divergences entre Britanniques et Américains ne manqueront pas de se faire jour au moment du partage du butin. Mais le peuple britannique patientera-t-il jusque-là, alors qu’il assiste depuis quelques jours au retour des cercueils ? C’est d’autant plus vrai après que Tony Blair soit revenu sur la position qu’il ne cessait de réaffirmer, selon laquelle les deux prisonniers britanniques auraient été exécutés, interprétation catégoriquement écartée par leurs familles, qui y ont vu un prolongement d’une propagande de guerre éhontée et fallacieuse.
La guerre actuelle, on le voit, est une guerre. Et il n’y a pas de guerre facile ou de guerre difficile, la guerre d’Irak se caractérisant par son contexte extrêmement délicat, qui est celui d’une étape historique critique qui ne saurait accepter le retour du colonialisme traditionnel, et en particulier, pas au Moyen-Orient, où perdure un problème non résolu et où l’opinion publique ne saurait admettre d’autre interprétation des raisons de cette guerre que la tentative de casser la volonté des Arabes dans l’intérêt des sionistes et la volonté de franchir un pas supplémentaire vers la réalisation du rêve sioniste éveillé, sur le motif : « De l’Irak au Nil tu t’étendras, ô Eretz Israël ! ».
                   
11. Remodelages du Moyen-Orient : une vieille histoire…par Rudolf El-Kareh
in Politis du jeudi 3 avril 2003

L'opinion publique moyen-orientale renforcée par la profondeur des liens entre les générations, et très fortement politisée en raison notamment de la Palestine, n'a rien oublié de sa propre histoire. Le discours de la propagande américaine a donc réveillé les souvenirs. La guerre de "libération" de l'Irak a ainsi remis en mémoire le communiqué du général Frédéric Maude, chef de l'expédition britannique en Mésopotamie, en 1917. "Nous venons, disait-il, en qualité de libérateurs et non d'occupants. Bientôt nous oeuvrerons de manière à ce que le peuple irakien jouisse de ses richesses et ressources dont il ne pouvait profiter sous le joug de gouverneurs injustes". Deux ans plus tard, en 1919, puis en 1923, le "libérateur" avait recours aux gaz de combat, pour tenter de soumettre la première révolte irakienne.
On peut comprendre désormais le fossé qui peut séparer les mémoires collectives des peuples du Moyen-Orient des simulations de l'état-major américain qui ne trouve pour expliquer ses déboires militaires que de constater que "l'ennemi ne se comporte pas selon les plans prévus par l'état-major".
Auto-intoxiqués par leur propre propagande, et leur vision idéologique du Proche-Orient, les idéologues américains ont une perception mécanique des sociétés et des peuples qui composent l'ensemble arabe. Diffusée largement par les relais dans les grands media de masse, cette représentation de la réalité ne correspond pas aux mouvements qui traversent en profondeur les sociétés du Proche-Orient. Si de petites minorités souvent bruyantes ont gagé leur avenir en spéculant dès le début de la crise ( "l'ennemi de mon ennemi est mon ami") sur une "victoire" américaine rapide, elles ne sont nullement représentatives des sociétés arabes du Moyen-Orient. Ces sociétés sont engagées depuis plusieurs années dans une dynamique complexe que la guerre, agent de changement social total, peut accélérer. Les objectifs de remodelage régional publiquement annoncés par les dirigeants américains ont remis en mémoire, les découpages coloniaux arbitraires issus de la première guerre mondiale d'une part et le démantèlement du projet unitaire régional subséquent à la déclaration Balfour d'autre part.
L'idée même de remodelage s'est trouvée également reliée - mauvais souvenir - dans la conscience collective, à l'entreprise israélienne de dislocation non seulement de la société palestinienne, mais également de l'environnement arabe, dont le prototype avait été l'expédition libanaise du général Sharon en 1982. La guerre du Liban a laissé des traces profondes au sein des sociétés arabes. Le vecteur idéologique de cette expédition avait été un document d'orientation intitulé "Une stratégie pour Israël dans les années 1980". Elaboré par Oded Yinon - conseiller de Menahem Begin et ancien fonctionnaire des Affaires étrangères - sur la base des spéculations géopolitiques de Bernard Lewis alors qu'il était encore, dans les années 1940, fonctionnaire du Pentagone, ce document détaillait le projet d'une division de la région en petit Etats et le démantèlement et la fragmentation de tous les Etats arabes existants.
La représentation du projet américain affichée sous le titre générique de "démocratisation" des pays du Moyen-Orient ( imitant les représentations virtuelles des sociétés balkaniques et afghanes transformées en modèles ), ajoutée à la publication des projets sur le démantèlement de l'Irak en trois zones échafaudées sur une vision communautariste primaire de la société irakienne, dépecée en trois tronçons, faisant fi du travail évolutif de l'histoire et des structures sociales, a réveillé les vieilles inquiétudes. Celles-ci sont venues se greffer, à leur tour, sur les conditions de l'évolution des sociétés arabes au cours des trois dernières décennies. Le premier choc pétrolier de 1973, ajouté à la neutralisation de l'Egypte à l'issue de la guerre d'Octobre de la même année, et du processus inauguré lors des fameuses négociations dites du "kilomètre 101", ont eu deux effets corollaires : le basculement du centre de gravité politique arabe vers les Etats du Golfe et l'intégration "culturelle" et structurelle accélérée des élites arabes, urbaines ou périurbaines, dans une mondialisation américanisée avant la lettre par le biais du système de la rente pétrolière, et de ses systèmes éducationnels standardisés.
Le projet américain "structurant" l'avenir régional autour du pétrole et des oléoducs ( zones dites utiles ), proposé sous le label de "démocratisation", est perçu par les sociétés comme une sorte de reformulation, poussée à l'extrême, d'un système pétrolier rentier qui a échoué et provoqué les dégénérescences actuelles.
La guerre dite préventive, mais apparaissant ouvertement comme un outil de remodelage sociétal et social, apparaît à l'ensembles des sociétés arabes du Moyen-Orient comme une menace pour leur personnalité historique et existentielle. Cela est notamment le cas dans les pays qui en constituent le socle historique, et dont l'Irak est un élément constitutif central. Devant ces craintes de voir la personnalité de ces sociétés née du mouvement de l'histoire détruite dans la violence physique et symbolique de l'agresseur, des réactions d'autodéfense complexes émergent. La revivification des structures d'appartenance forgées par l'histoire, y compris les structures dites " tribales" ( liens du sang et du sol mêlés, au delà des frontières héritées de la colonisation ) en est l'une des formes. Les "prières communes" des dignitaires religieux, chrétiens et musulmans, les prises de positions particulièrement virulentes des Patriarches de l'ensemble des Eglises chrétiennes d'Orient contre la guerre, l'appel lancé par des mouvements politiques "musulmans" -le Hezbollah par exemple- à ne plus parler de "croisade" pour désigner la guerre américaine, sont des exemples d'une prise de conscience en gestation, qui va à contre-courant des entreprises de fragmentation.
L'autre figure émergente est la revitalisation d'un patriotisme séculier centré sur une adhésion aux idéaux du nationalisme arabe, notamment dans les régions urbaines et au sein des couches sociales nées de l'intégration progressive dans le système mondial tout au long du 20è siècle.
Ces mécanismes de défense sont en apparence contradictoires mais en réalité complémentaires. La jonction de forces politiques, sociales, culturelles, très diversifiées autour de la défense de la société irakienne est de ce point de vue particulièrement significative. De ces dynamiques nées de la guerre peut apparaître un "nouveau Moyen-Orient". Si elles s'affirment, celui-ci ne sera certainement pas celui dont ont eu la vision les adeptes de Samuel Huntington.
                       
12. Entretien avec Leïla Shahid,  Déléguée générale de Palestine en France entretien réalisé par Michel Muller
in L'Humanité du mercredi 2 avril 2003

Leïla Shahid, la déléguée générale de Palestine, a donné une interview exclusive à l'Humanité dans laquelle elle évoque les conséquences de la guerre sur le Proche-0rient et l'ensemble de la région.
- On ne parle plus de la Palestine. Elle a disparu des écrans de télévision, de la plupart des journaux.
- C'est vrai. Le vacarme de la guerre en Irak domine tout. C'est un événement majeur sur le plan mondial, il est donc normal que tant d'attention y soit apportée. Mais lorsque les médias consacrent leurs " spéciales " à la guerre en Irak, ils abandonnent toutes les autres tragédies. Si on ne " couvre " pas les détails du scandale d'Elf Aquitaine, ce n'est pas la fin du monde. Mais si on ne témoigne pas de notre situation, c'est une catastrophe pour nous, les Palestiniens. La presse, les opinions publiques, les missions civiles sont notre unique protection. C'est pour cela que l'armée israélienne tire sur les journalistes et sur les membres des missions civiles car les occupants ne veulent pas de témoins. Sharon exploite la situation créée par l'invasion de l'Irak pour tenter de " finir le travail " de destruction de la société palestinienne et de réaliser les projets des partis de sa coalition prônant le transfert de la population palestinienne de Palestine au-delà de la rive orientale du Jourdain.
- Bush vient de reparler de la " feuille de route " pour un règlement du conflit israélo-palestinien. Pour quelles raisons ?
- A l'origine, il s'agissait d'un projet qui avait été lancé sur une idée euro-onusienne après les attentats du 11 septembre 2001. Ses initiateurs ont été tout de suite convaincus que l'une des premières victimes de cette tragédie allait être la Palestine. Ils voyaient que Sharon allait immédiatement utiliser la nature kamikaze de l'opération de Ben Laden et d'al Qaeda pour l'identifier à la nature kamikaze des actions palestiniennes afin de les confondre dans une même entité, un ennemi qui serait commun, c'est-à-dire les Palestiniens et al Qaeda.
Yasser Arafat a très vite dénoncé l'énorme supercherie de Ben Laden consistant à dire que les attentats ont été perpétrés parce que les Américains seraient responsables de l'injustice commise contre les Palestiniens. Mais dans le même temps, se tissait une alliance très forte entre Ariel Sharon et les conseillers de George W. Bush. Ces hommes - qui ont déjà travaillé avec Ronald Reagan et Bush père - prétendent que l'Irak constitue une menace grave tant pour les Etats-Unis que pour Israël. Comme pour Bush, leur base politique est la " Christian Coalition ", des fondamentalistes protestants conservateurs, profondément antisémites, qui affirment que tous les juifs du monde doivent retourner sur la terre d'Israël pour y être convertis au christianisme, afin de permettre le retour du messie. De ce fait, ils ont une alliance objective et circonstancielle avec certains mouvements sionistes extrémistes américains, puisqu'ils appellent à renvoyer les juifs de leurs pays respectifs et à soutenir Israël, afin que le " message des Saintes Ecritures " s'accomplisse. C'est une alliance complètement hors normes et très paradoxale entre des antisémites et des partisans du Likoud.
En revanche, pour les initiateurs du projet de feuille de route, il s'agissait de recentrer l'attention sur l'extinction du foyer principal de violence dans la région, le conflit israélo-palestinien. Le 24 juin 2002, le président Bush - déjà à la recherche d'une coalition pour lancer sa guerre - affirme à la tribune des Nations unies que la solution du conflit israélo-palestinien c'est l'existence de deux Etats côte à côte, qui vivront dans le respect mutuel. Tout le monde applaudit, les Palestiniens en premier. Un groupe de travail est alors constitué, le " quartet " (Europe, Russie, Etats-Unis et ONU), afin de traduire le discours de Bush par un agenda très précis qui devait aboutir à la constitution et à la reconnaissance d'un Etat palestinien souverain en 2005.
L'élément le plus important de cette feuille de route se situe dans sa méthodologie qui instaure une simultanéité entre les actions des deux parties, selon le principe qu'il ne peut y avoir de sécurité sans la paix, ni de paix sans sécurité. L'autre donnée nouvelle en est la mise en oeuvre de toutes ces étapes sous la surveillance et le contrôle des représentants du " quartet ". Nous avons approuvé ce projet. La feuille de route devait officiellement être proclamée le 20 décembre 2002, afin d'en lancer sa mise en oeuvre dès janvier 2003. Mais prenant prétexte de la chute du gouvernement israélien et de la reconstitution d'une coalition encore plus à droite à l'issue des élections, Sharon a multiplié les démarches dilatoires conduisant Bush à reporter la publication du plan. Le chef de la Maison-Blanche n'en a reparlé qu'à la veille du sommet anglo-américain des Açores pour aider Tony Blair, en grande difficulté avec une majorité qui se délite, en lui offrant un argument lui permettant de justifier sa participation à la guerre programmée. George W. Bush a alors affirmé que le projet sera relancé après la guerre contre l'Irak et qu'à ce moment-là, seulement, le document serait " remis " aux deux parties pour qu'elles donnent leur avis.
- Bush affirme vouloir remodeler la région et y " apporter " la démocratie. Qu'en pensez-vous ?
- C'est très dangereux. Les dirigeants américains ignorent profondément les réalités sociologiques et historiques des peuples arabes. Ils ont oublié l'existence d'un nationalisme irakien. Ils imaginent pouvoir fabriquer, sur le sol irakien, un Etat chiite, des Etats sunnite, kurde, chrétien et alaouite. Cette vision a déjà été défendue par certains cercles israéliens qui, eux aussi, pensent qu'il est dans l'intérêt d'Israël que le Proche-Orient redevienne une région fondée soit sur une base ethnique, soit sur une base confessionnelle. C'est aussi ce qu'avait voulu faire Sharon en 1982 au Liban où il avait tenté de créer un Etat maronite. On parle de diviser la Syrie en Etats alaouite et sunnite et de faire éclater l'unité libanaise. On va même jusqu'à évoquer la partition de l'Arabie saoudite pour en séparer l'est, où se trouvent les champs pétrolifères, et instaurer un autre Etat à l'ouest tout en éliminant la famille Saoud du pouvoir. Ce sont des projets absolument fous qui menacent la paix mondiale.
- S'achemine-t-on vers un séisme régional incontrôlable ?
- La première surprise, c'est la résistance du peuple irakien. Il est vrai que le régime irakien est l'un des plus oppresseurs de la région, ce qui aurait pu faire croire qu'il n'y aurait pas de mobilisation populaire. Mais le peuple irakien défend d'abord son intégrité nationale et territoriale. Il ne veut pas que son pays soit démembré comme ce fut le cas lors de la vaine tentative des Britanniques dans les années vingt. Deuxièmement, l'administration Bush croyait que la Turquie allait accepter docilement le passage sur son territoire de l'armée américaine. C'est le Parlement turc qui s'y est opposé contre la volonté de l'armée turque. Ce qui aura nécessairement des répercussions sur le plan de la politique intérieure, mais aussi dans la région où l'on connaît les ambitions turques.
Quant au reste du monde arabe, je constate que les opinions publiques arabes sont en porte à faux avec leurs régimes qui sont pro-américains. En réalité, il y a dans le monde arabe une mobilisation extraordinaire en faveur du peuple irakien. Et cela va bien au-delà de la question du régime de Saddam Hussein. Si l'Irak est le premier sur la liste de l'" axe du mal ", l'Iran et la Syrie sont également menacés, comme l'Arabie saoudite.
La tragédie tient au fait qu'il n'y a que très peu de perspectives constructives. Le cas de la Jordanie, qui est le pays actuellement le plus menacé de déstabilisation, est significatif. Cette déstabilisation contre le régime jordanien ne débouchera pas malheureusement sur une véritable perspective démocratique, car les seuls partis structurés qui pourraient prendre le pouvoir sont les organisations islamistes.
Il faut dire les choses comme elles sont : l'Europe est responsable d'avoir sous-estimé les conséquences de la disparition d'une alternative au projet islamiste. Les forces démocratiques et laïques des pays arabes ont été complètement ignorées et abandonnées par les gouvernements et les forces démocratiques en Europe. Qu'ont fait l'Union européenne, les partis politiques d'Europe pour soutenir les forces démocratiques en Irak ? A part les communistes, personne ne les a soutenues.
- Certains laissent entendre qu'il ne sert plus à rien de manifester maintenant que la guerre a commencé. Quelle est votre appréciation ?
 - Au contraire, il faut, à tout prix, continuer à agir. Je crois qu'il est très important d'articuler le combat contre la guerre avec la construction de la paix en Palestine et en Israël, ensemble avec tous ceux qui militent contre la guerre, Israéliens, Palestiniens, Européens ou Américains, juifs ou arabes.
Et surtout, il s'agit d'être très vigilant sur les mots d'ordre. Il ne faut pas faire l'amalgame entre un gouvernement israélien fasciste et le peuple israélien. Il y a en Israël beaucoup de forces pacifistes courageuses qui luttent avec le peuple palestinien contre l'occupation. De la même manière il faut rejeter l'amalgame entre le peuple américain et l'administration Bush, comme celui entre le régime de Saddam Hussein et le peuple irakien. Il faut aussi refuser l'amalgame entre la dénonciation de la politique de Sharon et l'antisémitisme. Il faut également dire avec force aux jeunes tentés d'identifier sionisme et judaïsme que c'est une fausse équation particulièrement néfaste et dangereuse pour tous. En revanche, il doit y avoir un débat responsable, dans la sérénité.
Profitons du respect que la France - ses citoyens mais aussi son gouvernement - a acquis aux yeux du monde entier pour agir, car nous n'avons pas d'autre moyen que celui du droit pour édifier un ordre mondial démocratique et paisible. C'est le seul moyen qui permet à tous de coexister, il permet aux citoyens de coexister dans un même pays, respectueux de leur diversité d'origine. Il permet aux nations de coexister entre elles.
                                   
13. L’historienne française Nelsia Delanoë : "Seul le peuple américain a pu arrêter la guerre au Vietnam, il est le seul à pouvoir arrêter la guerre en Irak" par Adil Qastal
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du jeudi 27 mars 2003
[traduit de l'arabe par Marcel Charbonnier]

Nelsia Delanoë se trouvait à New York le 11 septembre 2001 ; elle a vu le second avion s’écraser sur la deuxième tour du World Trade Center. Une amie lui avait demandé, sidérée : « quels idiot pilotent les avions, de nos jours ? ». Elle lui avait répondu : « Non. Ce n’est pas ça. C’est la guerre… »
Au cours de notre entretien, elle se souvient de ce jour, de ces événements qui ont modifié le cours de l’histoire et de la politique internationale : « L’attentat le plus important, c’est celui qui a frappé le Pentagone. La censure imposée par l’administration américaine aux images de cette agression sont un indice de la gravité de ce qui s’est produit. Cette attaque visait le cœur de l’empire. La violence de la vengeance américaine, à laquelle nous assistons aujourd’hui, est liée à cet événement », dit notre interlocutrice en faisant allusion à l’agression américaine contre l’Irak.
L’historienne française résume la politique américaine actuelle d’une formule lapidaire : « Nous avons affaire à entité à la fois fondamentaliste et très puissante, qui a fait l’objet d’une attaque violente à laquelle rien ne l’avait préparée », ajoutant : « Je vous en prie, surtout n’employez pas le terme « les Américains » dans votre article reflétant mes propos. Je préfère que l’on parle de « l’administration américaine » ou encore du « gouvernement américain ». Cette distinction est fondamentale. » Elle insiste à plusieurs reprises sur le fait que l’administration américaine actuelle, qui se situe « à l’extrême droite », est « fondamentaliste ». L’arrivée de Bush junior à la présidence américaine n’est pas, pour elle, un événement banal : « Que des fondamentalistes se retrouvent à la tête de la démocratie la plus puissante au monde, c’est un phénomène entièrement nouveau dans l’histoire contemporaine. »
A ma question – « Vous parlez des Etats-Unis en connaissance de cause : vous enseignez l’histoire de ce pays à l’université en France. Les responsables américains vous connaissent, peut-être liront-ils cette interview. Les critiques acerbes à leur égard abondent dans le monde entier. Les inventeurs d’Internet n’entendent-ils pas ce que l’on dit d’eux ? », elle répond : « Qui vous dit qu’ils n’entendent pas ? Si vous êtes fondamentaliste et extrémiste, peu importe l’opposition des gens à ce que vous faites, peu importe le rejet de votre politique. Un fondamentaliste est quelqu’un qui croît que Dieu est la source de son inspiration. Georges Bush prie trois fois par jour et ses propos sont émaillés d’allusions religieuses et idéologiques. »
Les bombes n’apportent pas la démocratie
Que le président Bush soit fondamentaliste ou non, une chose est certaine, dans sa biographie, c’est son lien avec l’industrie pétrolière. Comment un négociant en pétrole parvient-il à une fonction élective aux Etats-Unis, puis déclenche-t-il une guerre impitoyable malgré le désaccord de l’ensemble de ses partenaires internationaux ? Est-ce cela, la démocratie américaine ?
Nelsia Delanoë s’étonne de l’usage du concept de démocratie comme s’il s’agissait de l’idéal en lui-même. Elle dit : « La démocratie, c’est un système politique. Ce n’est pas plus que cela. La démocratie s’est opposée à la royauté, en Europe, en se basant sur certains principes, dont l’égalité entre les citoyens, inexistante auparavant. Peu après, qui est allé peupler l’Amérique ? Des gens porteurs d’un projet avant tout religieux. Le protestantisme encourage la liberté d’entreprendre. L’égalité dont nous parlons, dans le modèle américain de démocratie, concerne les seuls Blancs, à l’exclusion des autres ethnies. Le discours démocratique américain est un discours global, mondial, facilement importable. Mais l’Amérique, aujourd’hui, vit à l’ère post-industrielle et au fur et à mesure que le système démocratique s’élargit, et concerne un nombre croissant de citoyens, cela lui coûte de plus en plus cher ». L’historienne poursuit : « Après la grande crise économique de 1929, après la Seconde guerre mondiale et après la crise des années 1970, s’est cristallisée l’idée qui voudrait que seuls les créateurs de richesse en reçoivent les dividendes. Cette idée peut être résumée comme suit : les riches ne doivent pas dépenser un dollar pour les pauvres. Le principe économique en vigueur aujourd’hui aux Etats-Unis, c’est celui de la concurrence dans la production et la création de richesse. Le pauvre n’a d’autre issue que de s’efforcer d’acquérir la force lui  permettant de survivre. »
C’est cette même logique de la force qui a poussé l’administration actuelle à envahir l’Irak, sous prétexte de le libérer de son régime tyrannique. Cette « justification » ne convainc absolument pas l’historienne française : « S’il s’agissait de changer un régime politique, les Etats-Unis disposent en abondance des moyens politiques leur permettant d’atteindre ce but. Le plan Marchal, par exemple, a été beaucoup plus efficace qu’une guerre, car il la profité tant aux Américains qu’aux Européens. Il est extrêmement rare qu’une guerre et des bombes permettent d’atteindre des objectifs démocratiques. Si la démocratie était bien l’objectif, l’administration américaine aurait commencé par améliorer chez elle la situation de la femme, car la femme représente le centre de gravité de toute société démocratique. Mais ce à quoi nous assistons, c’est à l’exact contraire : cette administration a supprimé toutes les allocations relatives à la situation de la femme aux Etats-Unis et dans le tiers-monde, tels l’assistance médicale, les aides en cas d’avortement nécessaire, les subventions aux organismes de planning familial. » Tant que l’administration américaine ne se souciera absolument pas des problèmes médicaux de ses propres citoyens, comment peut-on attendre d’elle de la compassion pour le peuple irakien épuisé par l’embargo ? Les relations entre l’administration américaine et le régime irakien n’ont pas toujours été hostiles : comment les Américains peuvent-ils fusiller aujourd’hui le régime de Saddam Hussein qu’ils ont tellement aidé avant-hier ?
 « Les gouvernements américains successifs ont tous plus ou moins aidé des tyrans dont ils savaient pertinemment qu’ils étaient des tyrans, car ils pensaient qu’ils pourraient continuer à les contrôler indéfiniment. Mais l’histoire du monstre de Frankenstein est là pour nous montrer qu’un monstre fabriqué de toutes pièces peut finir par se révolter contre son démiurge. Voir Bush, qui n’est arrivé à la présidence qu’à bout de souffle, donner à autrui des leçons de démocratie, voilà un spectacle tout à fait étonnant ! »
Une culture exterminatrice et esclavagiste
Comment l’Amérique en est-elle parvenue à une telle hégémonie ? L’explication historique de l’intellectuelle française n’est pas dépourvue d’une douloureuse sincérité : « Les Américains ont bâti leur pays sur la terre d’autrui, avec la sueur d’autrui. Comme on dit aujourd’hui, ils ont acquis de grandes propriétés foncières (les terres des Indiens), en utilisant une immense force de travail (les esclaves), sans que cela ne leur coûte rien : ils ont bénéficié d’une énorme accumulation de capital, en un temps record. »
A ses yeux, « beaucoup de gens oublient que tout cela s’est produit dans le contexte d’une guerre, déjà. S’adressant aux Américains, une semaine après les attentats du 11 septembre, le président leur a dit que l’Amérique n’avait jamais connu auparavant de guerre véritable sur son sol. C’est faux. En 1876, l’Amérique a connu une grande guerre qui s’est achevée avec la défaite du général Custer, et qui a bien failli la détruire entièrement. Après quoi, elle a décidé d’éradiquer les Indiens, et elle a réussi à les exterminer après quinze ans de guerre acharnée. Ce qui est étonnant, c’est que ces événements ne trouvent aucune place dans la mémoire historique collective des Américains, ce qui fait que personne n’a réagi à la bourde de Bush ». Madame Delanoë s’est rendue à plusieurs reprises au Vietnam : elle y a vu les trous laissés par les bombardiers B 52. Elle se souvient : « Aujourd’hui, dans un de ces trous, une bufflesse peut se baigner. Parfois même deux… »
Cela signifie-t-il que la poursuite des bombardements américains finira par rayer l’Irak de la carte ? Pour l’historienne française, la guerre ne durera pas autant que l’administration américaine le voudrait. Elle précise : « Ce n’est ni vous ni moi qui pouvons arrêter cette guerre. Seule, l’opinion publique américaine peut freiner l’aventurisme de son gouvernement. »
Elle insiste : « Le peuple américain a arrêté la guerre au Vietnam, c’est lui qui fera arrêter la guerre en Irak. Si l’administration américaine persiste à répandre la plaisanterie qui voudrait que Saddam Hussein et le terrorisme représentent les plus grands dangers auxquels le monde serait confronté, et si elle continue à appliquer son plan visant à remodeler la région à sa convenance, elle se heurtera à une résistance, inéluctable, qui prendra diverses formes. Cela l’amènera forcément à réviser ses calculs. » Amen.
                           
14. Quand le raïs courtisait Tel-Aviv par Marcel Péju
in Jeune Afrique - L'intelligent du dimanche 23 mars 2003

Saddam essaya à plusieurs reprises de se rapprocher d'Israël. La dernière tentative en date fut tuée dans l'oeuf par... le président Clinton.
Saddam Hussein fut longtemps disposé, avant comme après la guerre du Golfe, à abandonner les Palestiniens à leur sort pour « normaliser » ses relations avec Israël dans l'intérêt de leurs rapports commerciaux, notamment pétroliers, mais aussi pour inciter le « lobby juif » américain à promouvoir une politique d'appeasement avec Bagdad. Pour leur part, sitôt après le 11 septembre, les talibans offrirent à Washington de lui révéler les liens que l'Irak pouvait entretenir avec el-Qaïda. Ce sont les États-Unis qui firent échouer les deux opérations : la première en opposant leur veto, en la personne de Bill Clinton, à tout rapprochement entre Bagdad et Tel-Aviv ; la seconde, en déclenchant, dès octobre 2001, le bombardement de l'Afghanistan.
Pour historique qu'elle soit, cette double révélation n'en est pas moins significative de la psychologie, et l'on n'ose dire de l'éthique des protagonistes.
La première est longuement développée dans une enquête de Dan Shilom pour le quotidien israélien de centre droit, Ma'ariv, et confirmée par l'un des principaux acteurs impliqués dans l'affaire. Les premiers contacts entre l'Irak et Israël, rapporte l'auteur, commencèrent à la fin des années quatre-vingt, alors que la guerre Iran-Irak faisait encore rage et que le likoudnik Itzhak Shamir, en Israël, présidait le premier gouvernement d'union nationale, réunissant le Likoud et le Parti travailliste.
Au début de l'été de 1987, Gil Gleiser, membre haut placé des administrations américaines de Ronald Reagan, puis de George H. Bush (le père), transmit à Moshe Shahal, un juif d'origine irakienne, alors ministre israélien de l'Énergie, une demande de rencontre de la part de l'ambassadeur d'Irak à Washington, Nizzar Hamdoun. « L'Irak n'a pas de visées contre Israël, avait expliqué celui-ci. Nous n'avons ni frontière commune ni revendications territoriales. » Et d'ajouter que Saddam Hussein en personne souhaitait nouer des contacts directs avec des représentants israéliens comme Moshe Shahal.
Surpris, mais intéressé, celui-ci en référa à Itzhak Shamir : lequel, à son étonnement, se montra enchanté. Pour mieux créer un climat favorable, Hamdoun suggéra alors, par l'intermédiaire de Gleiser, qu'Israël approuvât publiquement la position officielle de l'Irak sur une issue négociée de son conflit avec l'Iran. En contrepartie, Bagdad déclarerait publiquement n'avoir aucun contentieux avec Tel-Aviv et soutenir toute solution au conflit israélo-palestinien qui serait acceptée par les Palestiniens eux-mêmes.
Ainsi fut fait. Ministre israélien de la Défense, Itzhak Rabin, à la surprise générale, se chargea de la déclaration israélienne demandée. Et Tarek Aziz, alors ministre des Affaires étrangères, en visite à Paris en août 1987, confirma la position irakienne définie par Hamdoun.
Quelques jours plus tard, ledit Hamdoun rencontra cordialement Moshe Shahal pour la première fois et poussa plus loin ses pions. Saddam, expliqua-t-il, était disposé à conclure un traité de paix avec Israël et à établir avec lui de complètes relations commerciales. Aussitôt informé, Shamir autorisa Shahal à poursuivre les contacts.
Ici se situe un étrange épisode. Lors d'une mission en Égypte, Moshe Shahal s'entend suggérer par le président Hosni Moubarak de participer à une rencontre trilatérale, à Bagdad, avec lui-même et Saddam Hussein. Mais, contrairement à ses habitudes, Shahal, sceptique, n'en informe ni Shamir ni Pérès, ce qu'il regrette aujourd'hui, allant jusqu'à dire : « Cette rencontre de Bagdad aurait pu changer le cours de l'histoire du Moyen-Orient. »
La guerre du Golfe et le bombardement d'Israël par des Scud irakiens interrompent évidemment tout contact israélo-irakien. Mais, la guerre terminée et Saddam resté au pouvoir, celui-ci, de façon surprenante, tente à nouveau de négocier avec Israël. Son émissaire est, cette fois, le responsable des renseignements irakiens, son demi-frère Barzan el-Tikriti. En septembre 1992, le milliardaire saoudien Adnan Khashoggi suggère ainsi à Moshe Shahal, alors ministre de l'Énergie, de la Police et des Communications dans le gouvernement d'Itzhak Rabin, un rendez-vous avec l'Irakien. Celui-ci proposa de fournir à Israël du pétrole à un prix inférieur aux cours mondiaux et s'engagea, au nom de Saddam Hussein, à ne pas attaquer Israël en cas de nouveau conflit américano-irakien.
Shahal, convaincu du sérieux d'une démarche qui semblait dépasser de beaucoup le simple arrangement pétrolier, plaida en ce sens auprès de Rabin. Mais le Premier ministre israélien, soucieux d'abord de ses relations avec Washington, décida de prendre d'abord l'avis de Bill Clinton. Ce fut un « non » catégorique, renouvelé en juin 1993, puis en 1994 et en 1995, lors de nouvelles tentatives de rapprochement faites par l'Irak en direction d'Israël.
Ainsi prit fin cette extraordinaire tentative du dictateur irakien de tourner, par le biais d'Israël, l'hostilité de Washington. Moshe Shahal, qui n'exerce plus aujourd'hui de fonction ministérielle, n'a pas de mots trop durs pour critiquer le veto américain.
« La fin de non-recevoir avancée par Clinton fut une faute historique et une preuve d'imbécillité. Les États-Unis n'ont jamais rien compris au monde arabe. Pour moi, il ne fait aucun doute que Saddam Hussein n'avait aucune difficulté à s'adapter à une nouvelle donne diplomatique et à passer d'une politique anti-israélienne et prétendument propalestinienne à une politique de rapprochement avec Israël et les États-Unis, si elle lui permettait de se sauver, lui et son régime. »
Ce qui, d'un point de vue israélien, n'est probablement pas mal vu. Le moins qu'on puisse dire, en revanche, est que Saddam Hussein, qui couvre aujourd'hui de chèques en dollars les familles des kamikazes, ne parut pas beaucoup se soucier, tout au long de ces tractations, de ses « frères » palestiniens.
                           
15. Un transfert sophistiqué par Tanya Reinhart
in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du lundi 10 mars 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

A la veille de la guerre contre l’Irak, des craintes se sont fait jour, dans différents milieux, que sous couvert de cette guerre, Israël ne procède à un transfert de Palestiniens dans la zone de la « ligne de partage » située au nord de la Cisjordanie (Kalkilya, Tulkarem). La semaine dernière, l’armée en a donné un avant-goût. Le 2 avril, à trois heures du matin, une force importante a effectué une incursion dans le camp de réfugiés de Tulkarem, bloquant toutes les routes et les chemins d’accès avec des rouleaux de fil de fer barbelé et annonçant par haut-parleurs que toutes les personnes de sexe masculin, entre quinze et quarante ans, devaient se rassembler sur un terrain désigné, au centre du camp. A neuf heures du matin, l’armée a commencé à transporter les hommes (et les jeunes) ainsi rassemblés vers un (autre) camp de réfugiés, non loin de là. Cette fois, il s’agissait seulement d’une sorte de répétition, de mise en scène, et les habitants du camp furent autorisés à rentrer chez eux, quand bien même fût-ce après plusieurs jours. L’armée mit un soin tout particulier à ce que l’évacuation soit effectuée au moyen de camions – c’était là un flash-back exact vers le traumatisme de 1948. Un des habitants du camp a déclaré : « lorsque je suis monté dans ce camion, tous les souvenirs et les récits d’enfance que m’avaient faits mon père et mon grand-père de la Nakba me revinrent à la mémoire. » [voir article de Regular, Ha’aretz, 04.03.2003, ci-après]
Bien des gens voient dans cette mise en scène une « répétition  générale » de futurs transferts possibles. Aucun doute ne subsiste : le gouvernement (israélien) actuel est mentalement prêt à procéder à un transfert, mais il n’est pas sûr, en revanche, que les « circonstances internationales » soient mûres pour mettre ce transfert en pratique de la manière dont il a été mis en scène. La guerre en Irak crée aux Etats-Unis trop de risques d’enlisement pour qu’ils acceptent d’être confrontés à un autre point chaud. Mais le transfert, ce ne sont pas seulement des camions. Dans l’histoire israélienne du « rachat de la terre », il y a aussi un autre modèle, plus dissimulé et sophistiqué, de transfert. Dans le cadre du projet de « judaïsation de la Galilée », qui commença à être mis en œuvre dans les années 1950, les Palestiniens qui étaient restés en Israël se virent dépossédés de la moitié de leurs terres, isolés dans de petites enclaves entourées de colonies israéliennes et ils perdirent peu à peu les liens qui les maintenaient ensemble, en tant que nation. C’est un transfert interne de ce type qui est en train de se produire, aujourd’hui, dans les territoires occupés, et il a connu une escalade marquée depuis le déclenchement de la guerre contre l’Irak.
Le 24 mars, les bulldozers ont pénétré sur les terres du village de Mas’ha, dont la colonie d’Elkana est proche, et ils ont entrepris d’y tracer la nouveau passage du mur de séparation, qui déconnectera le village de toutes ses terres agricoles, ainsi que de plusieurs centaines d’hectares appartenant à Bidia et à d’autres villages voisins. Elkana est éloignée d’environ sept kilomètres de la Ligne verte, mais le tracé de la muraille avait été modifié au mois de juin de l’année dernière, si bien qu’elle contournera la colonie d’Elkana aussi, afin de la maintenir du côté israélien. Néanmoins, même dans le cadre de ce nouveau tracé de la muraille, il n’était absolument pas nécessaire de confisquer ces terres à ces villages.
Ce n’est pas seulement la boulimie pour les terres qui a envoyé les bulldozers sur les terres de Bidia et de Mas’ha. Ces terres sont situées sur la partie occidentale du bassin (phréatique) versant de la Montagne – il s’agit du plus important réservoir d’eau provenant de la Cisjordanie, dont les eaux s’écoulent, sous terre, également vers le centre d’Israël. Sur six cents millions de mètres cubes d’eau fournis par la Montagne annuellement, Israël en exploite cinq cents millions, extraits en  plusieurs points de captage [1]. Le contrôle des ressources hydriques a toujours été une motivation fondamentale pour la poursuite, par Israël, de son occupation. Les gouvernements travaillistes successifs, dans les années 1970, avaient situé les premières implantations officiellement reconnues par eux dans des zones définies comme « stratégiques » pour les forages de puits. Elkana est une de ces colonies fondées dans le cadre d’un plan auquel on avait donné le nom (trompeur) de « Préservation des sources du Yarkon » [2]. Depuis l’occupation des territoires, en 1967, Israël interdit aux Palestiniens de creuser de nouveaux puits mais, sur les terres des villages de Mas’ha et de Bidia, ainsi que sur celles qui avaient déjà été séparées de Kalkilya et de Tulkarem, les puits antérieurs à 1967 abondent et donnent toujours de l’eau. La poursuite de leur exploitation est susceptible de réduire – faiblement, mais qu’importe ? – la quantité d’eau qu’Israël peut tirer des siens.
Les habitants de Mas’ha et de Bidia, en lutte pour conserver leurs terres et leur gagne-pain, ont dressé des tentes en protestation, le long du passage des bulldozers. Faisant preuve d’un optimisme à toute épreuve, ils les ont baptisées : « tentes de la paix » . Des Palestiniens, des Israéliens et des militants étrangers restent en permanence dans ces tentes, jour et nuit, afin d’observer ce qui se passe et de se dresser devant les bulldozers en cas de besoin. J’y étais, samedi dernier. Tout autour, dans toutes les directions, un moutonnement de collines couvertes d’oliveraies – un vaste paysage verdoyant et champêtre, un de ces paysages qu’on ne peut admirer que là où les gens vivent sur leurs terres depuis des générations et des générations, conscients de leur beauté unique et de leur caractère précieux. Et dire que toutes ces terres sont en train d’être accaparées par des « rédempteurs des terres », qui ne manqueront pas d’en combler les puits et de les vendre à des spéculateurs immobiliers.
[1] : ce sont les données pour 1993 (donc, antérieures à Oslo), citées in Haim Gvirzman : « Two in the same basin », Ha’aretz, 16.05.1993.
D’après le Groupe des Hydrologues Palestiniens, actuellement, sur la quantité d’eau qui se reconstitue annuellement dans la partie ouest du bassin versant des Montagnes centrales – 362 millions de m3 – les Palestiniens n’en exploitent au total que 22 millions.
http://www.pengon.org
[2] : Gvirzman, ibid.
[traduit de la version anglaise d’Irit Katriel - original en hébreu]
                             
16. "Où devons-nous nous exiler, à Bagdad ?" demandent à l’armée israélienne les hommes déportés de Tulkarem par Arnon Regular
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mardi 4 mars 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Dans une pièce attenante à la mosquée du camp de réfugiés Nur Shams, à Tulkarem, quelques jeunes hommes portant la barbe étaient en train de s’affairer autour de marmites géantes. Ils préparaient le repas de réfugiés nouveaux venus : leurs voisins du camp de Tulkarem, chassés de chez eux par l’armée israélienne mercredi dernier.
Les gens du coin s’occupent de pourvoir aux besoins des nouveaux arrivants depuis le début. Non seulement ils leur proposent des repas chauds – ils veillent aussi à ce qu’ils puissent avoir accès à un téléphone, afin de pouvoir communiquer avec les femmes, les enfants et les personnes âgées qu’ils ont été contraints de quitter, dans l’autre camp, situé à l’est de Tulkarem.
Dès que les premiers hommes commencèrent à arriver, les militants du Fatah du camp de Nur Shams organisèrent des lieux de couchage pour la nuit toute proche. Sur les deux mille hommes extraits de force de chez eux, certains furent invités chez des habitants de Nur Shams. On prêta à d’autres des matelas et des couvertures, et ils passèrent la nuit dans la mosquée, tandis que d’autres encore étaient hébergés dans les villages voisins, à l’est de la ville. Certains ont même dormi à la belle étoile, dans les vergers qui entourent le camp de réfugiés.
Le mercredi d’avant, les militaires israéliens et des hommes de la police des frontières avaient rassemblé tous les hommes âgés de 15 à  40 ans du camp de Tulkarem, puis ils les avaient transférés dans le camp de Nur Shams, quatre kilomètres plus à l’est. Les soldats des FOI [forces d’occupation israélienne] expliquèrent que leur opération s’inscrivait dans le cadre d’une opération destinée à arrêter des « terroristes » [Les « » sont de moi, ndt] recherchés dans ce camp. Hier après-midi, des groupes d’hommes continuaient à converger, à pied, vers le camp de Nur Shams. C’étaient ceux qui n’avaient pas obtempéré aux premiers ordres donnés par l’armée israélienne « de se rassembler », préférant rester chez eux. Ils ont été repérés et obligés de partir après que l’armée ait entrepris une fouille maison par maison.
Mais la plupart des hommes avaient été amenés du camp de Tulkarem dès le mercredi. Un peu après trois heures du matin, les habitants du camp furent réveillés en sursaut par des tirs, des explosions de grenades et le vrombissement des hélicoptères. Selon les témoignages des résidents, une formation importante de l’armée israélienne avait pris le camp d’assaut, de toutes les directions à la fois.
Des soldats et des policiers des frontières avaient bloqué toutes les routes menant au camp avec des rouleaux de fil de fer barbelé, après quoi des jeeps et des tanks firent mouvement vers l’intérieur. Des jeeps circulant dans les rues du camp annonçaient par haut-parleur que tous les garçons et hommes entre quinze et quarante ans devaient prendre sur eux leurs pièces d’identité et aller se présenter sur une place située au centre du camp, où les deux écoles gérées par l’UNRWA sont situées.
En quelques minutes, une longue file d’hommes se forma sur le chemin des écoles. Lorsque leur tour arrivait, on les fouillait, on leur prenait leur téléphone portable, pour ceux qui en avaient, et on ne le leur rendait qu’après que les militaires aient enregistré tous les numéros de téléphones mis en mémoire – sans doute pour vérifier si l’un d’entre eux avait éventuellement un lien quelconque avec les « terroristes » [voir remarque plus haut, ndt] recherchés.
Khaled Abu Said, trente ans, a indiqué qu’après la vérification des cartes d’identité, personne ne correspondant à la liste des personnes recherchées n’ayant été trouvé, « ils ont dû rester assis là, plusieurs heures. A un moment, ils ont quand même décidé d’apporter de quoi manger, mais il n’y avait pas assez de nourriture pour tout le monde. Durant toute cette procédure, la place était calme, et les militaires se comportaient très naturellement, sans violence et sans hurlements. »
Les soldats partagèrent les arrivants en deux groupes d’âge : les quinze – vingt ans et les vingt – quarante ans. Le groupe des plus jeunes fut emmené dans des salles de classes. On les força à décrocher des photos de martyrs (shuhadâ’), à les jeter par terre et à les piétiner.
Vers neuf heures du matin, quelques heures après le début des opérations, un officier druze a dit à quelques centaines d’hommes rassemblés là : « Vous quittez le camp. Ne revenez pas avant que tout soit terminé. » Abdel-Latif Al-Sudani, trente ans, raconte : « Nous lui avons demandé : « Où devons-nous aller ? A Bagdad ? » Et l’officier druze de rétorquer : « Ouaip ! Vous seriez bien mieux là-bas ! »
Abu Said dit qu’au début, les hommes ne comprirent pas tout de suite ce qu’il voulait dire, mais bientôt un camion arriva et les soldats commencèrent à y faire monter des groupes d’hommes. Accompagné par une jeep de la police des frontières, le camion roula vers Nur Shams, où il déposa ses passagers, puis il revint à Tulkarem pour y prendre en charge un nouveau groupe.
Après quelques heures de ce manège, la place était vide, mais les soldats continuèrent à expédier des hommes de Nur Shams, à pied. Aucun chiffre précis n’est disponible, mais la plupart des hommes vivant dans le camp de Tulkarem, qui abrite au total environ 18 000 personnes, l’ont quitté depuis deux jours et n’y sont pas encore revenus.
Aux abord du camp, des groupes de jeunes hommes se sont rassemblés hier, essayant d’imaginer ce qui était en train de se passer, à l’intérieur. Lorsque l’armée israélienne entreprit de fouiller le camp maison par maison, les soldats ne trouvèrent que des femmes, des enfants et des vieillards. Ils recherchaient un activiste du Jihad islamique, Nimer Khalil ; apparemment, il n’a pas encore été arrêté.
C’est les résidents du camp qui ont dû payer ; la plupart – sinon la totalité – des hommes qui ont été déplacés n’ont aucun rapport, ni de près, ni de loin, avec le terrorisme. La plupart sont au chômage, et ils ne vivent que de dons d’associations caritatives et des allocations de l’UNRWA.
Abu Said raconte ce qu’il a ressenti en montant dans le camion : « Tout d’un coup, tous les souvenirs et les récits de mon père et de mon grand-père, quand j’étais enfant, au sujet de la Naqba, me sont revenus. Nous avions tous peur d’être en train d’être déportés, et la pensée de ma fille qui n’a que trois ans et de mon épouse, que je laissais derrière moi, ne faisait qu’augmenter mon angoisse. Mais avions-nous le choix ; pouvions-nous faire autre chose que monter dans ce camion ? »
                       
17. La notion d’antisémitisme ne serait pas recevable, selon les détracteurs d’Israël par Christine Mohn
in Nationen (quotidien norvégien) du jeudi 28 novembre 2003
[traduit du norvégien par Kersting et Michael Neumann]

Antisémitisme : la place centrale qu’occupe Israël Shamir dans certains cercles intellectuels norvégiens illustre le fait que les organes de presse nationaux en Norvège sont enclins à diffuser des idées antisémites sous couvert de positionnement critique vis-à-vis d’Israël », écrit l’auteur de cet article. Dans le monde entier, Shamir a été rejeté en tant que trublion douteux, mais pour une raison inconnue, il fait l’objet d’une sorte de culte parmi les militants de la gauche radicale norvégienne.
Au cours des derniers mois écoulés, les journaux Klassekampen, Friheten, Dagbladet et Morgenbladet ont publié assez fréquemment des déclarations et des commentaires de l’écrivain israélien Israël Shamir, à l’occasion de conférences débats sur le conflit israélo-palestinien. A l’occasion, ils allèrent même jusqu’à publier une tribune libre d’Israël Shamir.
Israël Shamir est quelqu’un de peu recommandable, car il est paradoxalement juif d’origine tout en étant antisémite. Il est né et a grandi en Union soviétique, et il se définit lui-même comme chrétien. Il a été lié au parti communiste israélien Mapam, mais cela ne l’empêche nullement de flirter avec des formations d’extrême droite.
L’élément central du programme politique de Shamir consiste à dire que les juifs sont le plus exactement définis en tant que déicides, que les juifs israéliens organisent des pogromes contre leurs concitoyens chrétiens, que les juifs aisés ont généralement acquis leur fortune par des moyens malhonnêtes et que les juifs sont par nature des individus « sans racines » qui, au sens propre du terme, ne peuvent s’intégrer nulle part. Un autre cliché antisémite qu’il adore mettre en avant est la volonté des juifs de dominer le monde économiquement et militairement, et qu’à l’instar d’un « virus », ils contaminent les sociétés non-juives dans le but de les détruire. Ces prises de position sont exprimées dans une langue agressive, grossière, sexiste, et elles sont généralement enrobées dans un discours sur le sort de Palestiniens qui font l’objet d’une attention de tous les instants, chez Shamir.
En guise de références à ses opinions sur les juifs et le judaïsme, Shamir cite, entre autres, Karl Marx, Isaac Deutscher, Knut Hamsun, T.S. Eliot et le rabbin ultra-orthodoxe Kook. En d’autres termes, il fonde sa haine sur une littérature écrite par des gens qui avaient eux-mêmes quelque part une conception quelque peu incongrue des juifs. En particulier, Shamir s’intéresse à la description des juifs en tant que peuple élu. Pour les juifs, cela implique que les juifs doivent respecter les prescriptions du judaïsme réglant leur vie quotidienne, essentiellement en matière de nourriture et de fêtes religieuses, les non-juifs devant (et étant libres d’) observer leurs propres traditions. Le phénomène de l’élection, tel qu’il est explicité dans la tradition juive, n’a rien à voir avec une plus grande proximité (des juifs) avec Dieu ni avec je ne sais quelle supériorité des juifs sur les non-juifs, contrairement à la perception que les chrétiens ont généralement de cette notion.
Shamir écrit pour certaines publications russes, dont l’hebdomadaire Zavtra, le plus antisémite sur le marché actuellement en Russie. Zavtra propage le message rouge-brun du parti néostalinien russe, le Parti Communiste de la Fédération de Russie, qui surenchérit sur la haine notoire du stalinisme pour les minorités nationales. L’éditeur de Zavtra, Alexander Prokhanov, a invité en mars 2000 l’ex-dirigeant du Ku Klux Klan David Duke à Moscou afin de le consulter sur les méthodes les plus appropriées pour nettoyer la Russie ethniquement.
De plus, au cours de la dernière campagne pour les élections présidentielles françaises, Shamir a exprimé le souhait que le Front National l’emporte, en raison de commentaires faits par Jean-Marie Le Pen, à savoir en substance que « les Juifs dominent la France ».
En dehors de l’écriture, Shamir a un hobby : il collectionne les documents nazis datant de la Seconde guerre mondiale, qu’il s’efforce de transmettre aux activistes de l’extrême droite. L’un des plus connus parmi ceux-ci, l’historien anglais David Irving, toutefois, juge Shamir « pas sérieux », et il a toujours refusé d’entrer en contact avec lui.
De nos jours, l’antisémitisme est particulièrement répandu dans le monde arabe, où Mein Kampf et les Protocoles des Sages de Sion sont en vente libre. En ce moment, la télévision égyptienne diffuse une série télévisée basée sur les Protocoles des Sages de Sion et visant à « démasquer » les menées des Israéliens. Les journaux arabes sont pleins d’affirmations qui auraient pu être publiées par Der Sturmer (journal nazi, ndt). Les films ou les livres présentant les juifs sous un jour avantageux sont généralement interdits. L’Holocauste est très souvent dénié, mais la réalité en est parfois, aussi, affirmée : dans ce cas, on y voit un événement positif. Israël Shamir, toutefois, rejette ces informations comme relevant de la « propagande sioniste ». Lorsqu’une conférence révisionniste prévue à Beyrouth, l’année dernière, a été interdite par le Liban en raison des craintes de ce pays de s’exposer aux critiques internationales, Shamir exprima le regret que « ces excellents chercheurs » n’aient pas perçu correctement le message. Il nie l’existence des organisations islamistes terroristes, et il affirme que l’attentat suicide palestinien contre la discothèque « Dolphinarium » de Tel Aviv, perpétré en juin 2001, causant la mort de vingt deux Israéliens fauchés dans la fleur de l’âge, était l’œuvre de la mafia russe.
En raison de ces prises de position, plusieurs anciens camarades de Shamir, d’extrême gauche et des mouvances islamistes, ont pris leurs distances avec lui. Parmi eux, Nigel Parry, Tim Hall, Stanley Haller et Hussein Ibish – le dernier nommé étant le dirigeant de l’association CAIR fédérant des associations musulmanes américaines – lesquels affirment que la haine anti-juive de Shamir fait de lui un piètre héraut de la cause palestinienne.
De par le monde, Israël Shamir est rejeté en tant que trublion bruyant et douteux mais, pour une raison qui nous échappe, il a acquis un statut de quasi culte dans les mouvances de l’extrême gauche norvégienne. Il n’est sans doute nullement étonnant que Friheten et Klassekampen l’aient adopté – en effet, il prône exactement vis-à-vis des juifs et d’Israël l’attitude qui était celle des communistes d’Europe de l’Est naguère – mais il est alarmant de constater que les colonnes d’organes politiquement modérés tels le Dagbladet et le Morgenbladet lui sont ouvertes. La place centrale qu’Israël Shamir occupe dans certains cercles intellectuels illustre deux choses : a) le fait que l’antisémitisme ne caractérise pas uniquement l’extrême droite et b) que les organes de la presse nationale norvégienne sont enclins à diffuser des prises de position antisémites sous couvert de critiquer Israël. Il est absolument indubitable qu’une critique objective et légitime de la politique de l’Etat d’Israël ne saurait en rien être définie comme de l’antisémitisme. Toutefois, les affirmations de Shamir ne sont ni objectives ni légitimes, et se servir de lui comme d’un grand témoin de la véridicité dans le débat autour du Moyen-Orient revient à inviter David Irving à la tribune d’un débat sur l’Holocauste.
Il est effrayant de constater que certains journalistes ne cherchent nullement à dissimuler leur haine des juifs puisqu’ils la perpétuent de leurs propres mains, et ces exemples ne font que renforcer l’impression qu’ont les juifs norvégiens qu’ils ne peuvent attendre des médias de notre pays un traitement équilibré et objectif de l’information relative à Israël et au Moyen-Orient.
                           
18. "Le philosémitisme, c’est du racisme" la réponse d'Israël Shamir
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Jaffa , le 18 décembre 2002 - Je n’aime pas les philosémites, ces gens qui choisissent de lutter contre l’antisémitisme comme s’il n’y avait pas plus urgent à faire. Dans notre monde, tellement accablé de problèmes et de vraies souffrances, il y a quelque chose de profondément pervers chez ces personnes qui préfèrent protéger et soutenir – non pas les pauvres, non pas les réfugiés, non pas les opprimés – mais un groupe fortuné, influent et entretenant des relations multiples avec les puissants de ce monde, et activement engagé dans l’épuration ethnique de la Palestine. Le principal chantre de ce mouvement richement doté est un juif américain, directeur de l’Anti-Defamation League, Abe Foxman. Voici deux ans de cela, il a été pris sur le fait en train de recevoir d’énormes sommes d'argent des mains du super-escroc Marc Rich, un forban qui avait volé le contribuable américain avant d’aller se mettre au vert en Suisse. Durant des années, Foxman et son organisation ont constitué des dossiers sur des gens qui s’opposaient à l’apartheid et ils ont vendu ces renseignements au Mossad et à l’Afrique du Sud de Forster. Ils s’introduisaient dans leurs appartements, volaient des documents, faisaient filer les militants de gauche en Californie. L’année dernière, Foxman et l’Anti-Defamation League ont été condamnés par un tribunal américain pour avoir intimidé et diffamé des parties civiles auxquelles ils ont  dû verser des millions de dollars de dommages et intérêts. Le meilleur copain de ce Foxman est un certain Ariel Sharon, vous savez, le massacreur de Sabra, Chatila, Qibiya et Jénine. Un livre récent, de Gordon Thomas et Martin Dillon, ‘L’Assassinat de Robert Maxwell : Le super-espion d’Israël’, confirme que les philosémites patentés entretiennent des liens permanents avec le Mossad, bras armé de l’apartheid israélien, célèbre, chez vous en Norvège, pour son crime perpétré à Lillehammer. Bref, les philosémites sont des gens douteux qui reçoivent de l’argent d’escrocs afin d’occulter le génocide rampant des Palestiniens.
Cela n’a rien d’étonnant, dès lors que l’emphase même mise sur l’ « antisémitisme » ressortit au racisme caractérisé, comme s’il s’agît d’un racisme pire que tout autre racisme envers un quelconque autre groupe humain. Les gens qui dénoncent l’ « antisémitisme », et non le « racisme » ou les « préjugés ethniques », ne font, en réalité, qu’affirmer qu’il y aurait quelque chose de très spécial – et de particulièrement condamnable – dans la discrimination à l’encontre de ce groupe humain en particulier. En d’autres termes, ces gens-là sont racistes.
Le Norvégien moyen n’hésitera pas à vous avouer qu’il n’aime pas les Suédois. Parfois, il se reprendra, mais ce sera pour vous dire qu’il ne peut littéralement pas les voir en peinture. Les plus âgés parlent ouvertement de leur haine des Allemands. Les juifs aussi : le best-seller récent écrit par le philosémite Goldhagen qualifie tous les Allemands de « tortionnaires volontaires au service d’Hitler ». « Tout juif doit entretenir en son cœur une sainte haine de l’Allemand », affirme Elie Wiesel, autre philosémite patenté. En somme, personne ne se formalise de ces déclarations racistes ; Wiesel a même reçu le prix Nobel de la paix de l’Académie de Norvège.
Les Allemands ne sont pas les objets exclusifs de cette haine. Un écrivain juif, Daniel Pipes, a co-écrit une tribune, avec le Danois Lars Hedegaard, dans le quotidien canadien National Post (le 27 août 2002), dont le propriétaire est le seigneur juif des médias Israel Asper, un grand ami de mon pays, Israël. Dans cette tribune, ils écrivaient :
« Les immigrés majoritairement musulmans représentent 5 % de la population, mais ils reçoivent jusqu’à 40 % des allocations sociales. Les musulmans ne représentent que 4 % de la population du Danemark, forte de 4,5 millions d’âmes, mais ils représentent la majorité des violeurs prouvés dans ce pays, sujet particulièrement sensible lorsqu’on sait que la quasi totalité des femmes qui en sont les victimes ne sont pas musulmanes ». Je ne pense pas que l’on puisse trouver plus raciste que ces propos, même en allant chercher du renfort du côté du journal nazi Der Sturmer. Néanmoins, personne ne semble s’en formaliser.
Le discours raciste sur l’antisémitisme sert à protéger le racisme israélien. Il est désarmant de constater que certaines personnes continuent à y prêter attention, et que leurs larmes de crocodile s’écoulent à longueur de colonnes dans les journaux. Je me demande pourquoi le Troisième Reich n’a pas tenté de stopper les forces alliées en affirmant qu’elles étaient motivées par un « préjugé anti-allemand ». On imagine des soldats russes entendant ce genre d’émission radiodiffusée à Stalingrad et laisser tomber le fusil, de honte… Ou bien alors, se pourrait-il que le seul préjugé blâmable soit le préjugé anti-juif ? Apparemment, c’est le cas, en ce qui concerne les philosémites : le quotidien britannique The Guardian a écrit au sujet d’un dirigeant raciste néerlandais que, bien qu’il abhorrât les musulmans et les arabes, ce n’était pas un mauvais garçon, dans la mesure où il aimait les juifs. Peut-on être plus raciste que ça ?
L’article de Christine Mohn (qui m’attaque) est bien dans la lignée. Elle me dépeint comme « un juif ethnique qui « se présente » comme chrétien ». A l’instar d’Adolf Hitler, elle pense que « quand on a été juif, c’est définitif », que ce juif soit baptisé ou pas importe peu, car il ne saurait, tout au plus, comme c’est mon cas (d’après Mme Mohn), que « se présenter » comme chrétien . Cependant, les non-racistes sont d’un autre avis. Un philosémite est un juif en puissance, puisqu’il considère que les juifs sont plus égaux que d’autres. Un juif de naissance peut couper les ponts avec l’ « ethicité juive » s’il croit en l’égalité entre tous les Hommes comme Saint Paul, Marx et Trotsky. Sur ce point, l’Eglise et le parti communiste sont du même avis.
C’était, de fait, la vision qu’avait de cette question Abram Leon, un jeune partisan de Trotsky, qui périt à Auschwitz en 1944. Dans son livre capital, ‘La Question juive : une interprétation marxiste’ (je suis reconnaissant à Noam Chomsky de m’avoir fait découvrir cet auteur), ce communiste d’origine juive décrit les juifs comme un « peuple-classe », historiquement voué à l’exploitation des autres hommes (les non-juifs, ndt). « Un homme d’origine juive a toujours la possibilité de laisser tomber « les juifs » et de rejoindre la commune humanité », a écrit ce Leon.
Mais Mme Mohn ignore absolument tout du judaïsme. Elle écrit : « Le phénomène de l’élection, tel qu’on le connaît dans la tradition juive, n’a rien à voir avec la proximité avec Dieu ou la supériorité (des juifs) par rapport aux non-juifs ». Nous ne demandons qu’à la croire, mais nous ne pouvons que croire aussi ce qu’affirmait un grand rabbin d’Israël aujourd’hui décédé, le plus grand défenseur du judaïsme contemporain, le rabbin Kook, lorsqu’il écrivait : « La différence entre une âme juive et une âme non-juive est plus importante et profonde que celle qui existe entre une âme humaine et l’âme d’une vache » [1].
Les philosémites attendent de nous que nous « parlions (seulement) en bonne part » de la judaïté et, sinon, « que nous nous taisions ». Mais c’est là la prérogative des seuls morts. Dans le discours contemporain, nous évoquons librement les insuffisances de l’islam et du christianisme, du capitalisme et du communisme, et de fait, on devrait pouvoir critiquer tout autant le judaïsme. Ce ne serait en rien tenir un discours raciste : les premiers détracteurs de la judaïté sont des gens d’origine juive, de Karl Marx à Israel Shahak. Il ne s’agit là pas plus d’un discours de droite : la Première Internationale, celle de Marx, a condamné, après un débat long et animé, tout autant les philosémites que les antisémites.
Les racistes sont souvent insupportables et stupides. Et il est de fait que Christine Mohn a réussi brillamment à concocter un article plein de fiel, qui prouve son incapacité à lire et à comprendre mon article. Ainsi, elle écrit : « La chose la plus importante dans le programme politique de Shamir consiste à affirmer que la meilleure définition qu’on puisse donner des juifs est de dire qu’ils sont les assassins du Christ », alors que c’est exactement le contraire que j’ai écrit : « Il ne saurait y avoir de culpabilité collective survivant au passage de nombreuses générations. Les juifs ne doivent pas plus être condamnés pour avoir mis à mort Jésus Christ que les Français ne doivent l’être pour avoir envoyé Jeanne d’Arc au bûcher. » [2] Ses autres allégations, à l’encan, sont tout aussi erronées.
Pour conclure, j’aimerais citer un penseur socialiste américain, Dave Kersting : « Nous devrions nous sentir offensés par cette focalisation dramatique sur l’antisémitisme – en des temps où des horreurs racistes CARACTERISEES sont en train d’être perpétrées contre la population non-juive de Palestine, qui subit la suprématie ethnique NON  DISSIMULEE  des sionistes. Cet intérêt tout à fait exagéré pour je ne sais quel « antisémitisme » est l’arme principale utilisée par la violence ethnique REELLE, à notre époque, dans notre monde. »