[Lieu : La Maison du Spectacle- La Bellone -
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Dernières parutions
1. La Pensée de Midi -
Regarder la guerre (N° 9 - Hiver 2002/2003)
aux éditions Actes Sud
[174 pages - ISBN :
2742739211 - 15 euros]
Nous avons voulu croire que la
geurre s'était absentée, qu'elle avait été comme mise entre parenthèses, guerre
froide à l'ombre des armes nucléaires, sur lesquelles durant près de cinquante
ans l'équilibre de la terreur a reposé. Ce temps-la, du ni guerre ni paix, est
bien révolu. La guerre est de retour et il nous faut apprendre à bien la
regarder en face. Comme le souligne Paul Virilio dans l'entretien qui ouvre ce
numéro, "Regarder la guerre et faire la guerre, c'est le même jeu." Une
réflexion qui va nous poursuivre longtemps...
EXTRAIT DU
SOMMAIRE
- Editorial : Thierry Fabre
- L'art de
l'effroi par Thierry Fabre et Maryline Crivello
- Entretien avec Paul
Virilio par Thierry Fabre
- Regards sur la guerre fragments d'histoire par Maryline Crivello
- Un héros des temps modernes : le correspondant de guerre par Emile Témime
- Processus de guerre par Christian-Marc Bosséno
- En finir avec la guerre contre les civils par Rashid Khalidi
- Téléviser des monstres en Méditerranée par Daniel Dayan
- "C'est fragile, une images" Entretien avec Jean-Claude Coutausse par
Renaud Ego
- "Les Etas-Unis réécrivent l'histoire" Entetien avec Stewart O'Nan
- Contre toute attente par Sophie Elbaz
2. Recettes contre l’oubli :
Saveurs orientales
édité et distribué par la
Cimade[40 pages - 7,5 euros -
Illustrations en couleur - Format : 21x21cm - Mars 2003]Ce
livre, contenant 20 recettes et 11 interviews, est édité par la Cimade, service
œcuménique d’entraide, en partenariat avec l’association de femmes
palestiniennes et libanaises Najdeh.
Synonyme de fête, de convivialité,
d’échange et de partage, la cuisine est aussi un mode d’expression
extraordinaire pour raconter l’histoire et la vie d’un peuple. Quand l’odeur du
pain chaud se mêle à celle de l’huile d’olive et au parfum corsé de la
cardamome, c’est un véritable voyage dans le temps et dans l’espace qui vous est
offert ! Dans cet ouvrage, les femmes palestiniennes réfugiées au Liban vous
livrent leurs secrets de cuisine : hommous, taboulé, poulet farci, caviar
d’aubergine, koubbé, falafels… Le destin d’un peuple exilé, qui a préservé
l’essentiel de son identité en dépit de son histoire dramatique, se révèle au
fil de recettes savoureuses et parfumées. En vous confiant quelques unes de
leurs recettes, ces femmes vous invitent à une rencontre avec leur culture et
leur vie quotidienne.
Les bénéfices réalisés par la vente de ce livre seront
reversés à l’association Najdeh, pour le jardin d’enfants du camp de réfugiés
palestiniens de Borj El Barajneh à Beyrouth.
Vous pouvez commander le
livre de cuisine en envoyant un chèque à la Cimade (7,5 euros + 1,5 euros de
frais d'envoi) ou l’acheter dans les boutiques Artisans du Monde. Pour plus de
renseignements : Cimade-Documentation - 176, rue de Grenelle - 75007 Paris - Tél
: 01 44 18 60 54 - E-mail : ssi@cimade.org
Réseau
1. Feux d'artifice pour une
résolution finale ? Ariel Sharon prendra-t-il les devants ? par Bernard
Cornut
CE
TEXTE A ETE ECRIT LE 14 MARS 2003...
(Bernard Cornut est polytechnicien,
président de "For a Just UNO", auteur de "Ben Laden ou Kyoto ? Orienter -
l'Occident plutôt qu'occire l'Orient" aux éditions de l'Harmattan à paraître fin
mars 2003.)
Paris, le 14 mars 2003 - Nous tenons de
source généralement bien informée qu’un bref projet de résolution ferme et
finale circule entre quelques membres du Conseil de Sécurité de l’ONU, et non
des moindres.
France, Syrie, Royaume-Uni semblent déjà d’accord pour un
texte en 2 paragraphes seulement qui couronnerait tous les efforts déployés à
grands frais par les Etats-Unis pour impressionner ceux qui résistent encore à
une application rapide et précise du droit international, sans délais ni
conditions.
La Russie et la Chine, et l’Allemagne évidemment, ont fait
savoir à la France qu’elles seraient d’accord mais attendent la version finale
en leur langue pour se prononcer publiquement. Le Pakistan n’hésite plus à
sortir de sa réserve et a trouvé le 20 mars l’occasion de dire à une réception
de la Francophonie : Vive la France, bravo Chirac !
On voit mal G.W.
Bush opposer seul un veto contre une résolution qui confirmerait brillamment
qu’obtenir le désarmement et la paix sans tirer un coup de feu, c’est une très
belle victoire. Le président américain a néanmoins besoin de quelques jours pour
déterminer en consultation la date clé qui sera inscrite dans la résolution.
La Bulgarie et l’Espagne le suivraient avec un ouf de soulagement d’avoir
participé avec patience à l’unité du vote européen et à la paix en Méditerranée
aussi. Constatant l’unanimité retrouvée des cinq membres permanents, les autres
pays membres se rallieraient.
Les pays africains, Angola, Cameroun, Guinée,
y ont déjà vu leur intérêt pour amortir les tensions sur les marchés pétroliers.
Naturellement le Chili a déclaré qu’il s’alignerait sur cette position commune
Nord-Sud.
Voici sans doute en exclusivité mondiale le projet de résolution
dans son état à jour au 14 mars, dans une version traduite en français à partir
du draft non-paper transmis par une personne bien placée qui a requis
l’anonymat.
«Rappelant toutes ses résolutions antérieures pertinentes, le
Conseil de Sécurité décide, en vertu du Chapitre VII de la Charte, qu’elles
devront toutes être en début d’application au JJ/MM/2003 à minuit TU, et toutes
appliquées intégralement un an plus tard, sauf difficultés techniques pour
lesquelles le Conseil reste saisi.
Le Conseil prie le Secrétaire Général de
consulter tous les Etats Membres de l’ONU lors d’une session extraordinaire de
l’Assemblée générale sur les définitions d’assiettes et les taux d’une triple
redevance volontaire globale sur les énergies fossiles, les productions d’armes
et les transferts internationaux de capitaux. Cette redevance serait affectée à
un « Fonds des Nations Unies pour la paix par la Justice et le Développement
durable », pouvant assumer les justes compensations dues aux victimes civiles
des guerres passées et leurs ayant droit, à établir sous les auspices de la Cour
Internationale de Justice d’ici 10 ans.» (jusqu’au JJ/MM/2013,
NDLR).
2. S’il vous plaît, Monsieur
le Président, bombardez Seattle ! par Geov Parrish
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Seattle, le 28 février 2003 - Cher
Président Bush, je vous écris en tant qu’Américain fier de l’être et en tant que
résident de l’une de nos si nombreuses grandes cités : Seattle. Vous avez sans
doute entendu parler de nous ? Space Needle, les montagnes, les forêts, le
saumon… Microsoft… Lorsque vous possédiez le club de base-ball Texas Rangers,
votre équipe était dans la même division que la nôtre : les Mariners. Nous avons
perdu, à l’époque. Nous espérons que vous nous en êtes toujours reconnaissant.
Oh, et puis, j’allais oublier : la firme Boeing vous envoie ses affectueux
baisers.
Monsieur le Président, j’ai une énorme faveur à vous demander.
Pourriez-vous, s’ils vous plaît, nous bombarder ?
Non pas une fois ou deux,
comme ça, pour la galerie. Non. Je dis bien : bombardez bien comme il faut la
ville de Seattle, impitoyablement, comme vous planifiez de le faire à Bagdad, et
probablement aussi à Pyongyang, à Téhéran et à Damas et sur n’importe laquelle
des cinquante ou soixante capitales mondiales qui sont couchées sur les listes
des planificateurs du Pentagone. J’insiste : faites tout péter et ramenez-nous
bien, surtout, à l’âge de pierre. Y faut que ça saigne ! Envoyez nous un message
inoubliable !
Je préférerais que vous n’hésitiez pas trop longtemps et que
vous n’y pensiez pas trop : je ne voudrais surtout pas que vous alliez nous
attraper une migraine, ou quoi que ce soit… Mais si vous chopez un mal de tête,
dites-vous que, nous aussi, nous courbons l’échine sous le joug d’un dirigeant
avide de pouvoir que nous n’avons jamais élu, qui utilise la torture et qui
opprime les minorités religieuses et politiques, faisant disparaître des gens
des rues de nos villes dans un système carcéral d’où ils n’émergent plus jamais.
Ce gouvernement dispose d’un nombre incroyable d’armes redoutables, et il semble
impatient de les utiliser, non ?
En ce qui concerne Seattle, eh bien,
Monsieur le Président, il faut bien reconnaître que nous sommes dans la partie «
rouge » du pays, la partie qui a voté pour Al Gore. Aussi, je suis persuadé que
vous comprendrez que nous avons apporté plus que notre contribution au
terrorisme au fil des années. Ces terroristes de l’intérieur, arrêtés il y a
quelques semaines, pour avoir volé des plans top secrets à l’armée ? C’étaient
des gars de chez nous. Nous les avons élevés patiemment, des années durant,
tous, depuis les snipers du District of Columbia en passant au Tueur de Green
River et Ted Bundy pour finir par bien d’autres. Nous avons « protégé » tous ces
types-là. Pour votre talentueuse équipe, prouver que nous représentons une
menace internationale sera un jeu d’enfant. Prenez juste quelques photos
satellite floues au-dessus de notre ville et encerclez une ou deux voitures.
Vous les trouverez assis dans des 4 x 4 aux heures de pointe, tous les jours,
dès que les nuages se seront dissipés et que vos caméras pourront les filmer.
Après ça, laissez votre ami Colin faire son boulot…
Très sérieusement,
Monsieur le Président, regardons les choses en face : les plus grandes menaces
contre la sécurité planétaire tendent à provenir des pays les plus riches et les
plus puissants, et non pas des plus petits. Et si vous voulez vraiment avoir un
quelconque espoir de les remettre à leur place, vous devrez les convaincre que
vous êtes prêt à sacrifier tout le monde, même votre propre mère. Même votre
propre ville.
Dégommez-nous, disons…, avec une de ces grosses bombes
nouvelles, les post-daisy-cutter (modèle supérieur aux « faucheuses de
marguerites »), ces bombes MOAB (bombes à effet de vide, de neuf tonnes, dont le
sobriquet est « Mères de toutes les bombes », ndt), vous savez, ces bombes qui
tuent exactement comme la bombe atomique d’Hiroshima, sauf qu’il n’y a pas de
retombées radioactives (c’est plus propre…). Balancez-nous sur la tronche, je
sais pas moi, quelques centaines ou quelques milliers de missiles de croisière,
avant, histoire de nous assouplir, ou bien alors envoyez les missiles en même
temps que les MOAB, pour être bien sûr que les boules de feu s’étendront bien
au-delà des banlieues. Des missiles idiots, des missiles intelligents : tout ce
que vous avez sous la main fera l’affaire.
Cela donnerait à tous les
Américains un respect bien plus sincère pour le nouvel Empire américain dans
l’aventure duquel vous vous êtes embarqué. Voyez-vous, le problème avec
l’oblitération de Bagdad et de ses cinq millions d’habitants, c’est que cette
ville et ces gens sont beaucoup trop loin d’ici. Pour la plupart des Américains,
le travail d’artiste découlant de votre génie serait, là bas, à Bagdad, tout
simplement trop abstrait pour qu’ils puissent l’apprécier à sa juste valeur. En
revanche, prenez un endroit comme Seattle – une ville qu’ils ont sans doute
visitée, un endroit où ils ont peut-être des souvenirs de régiment ou un ami ou
deux – et ça devient tout de suite beaucoup plus concret. Une proximité
imprenable : seulement à deux ou trois fuseaux horaires des grandes chaînes de
télé ! Un bombardement de Seattle attirera beaucoup plus les médias qu’une
attaque contre je ne sais quel jardin d’enfants d’un obscur dictateur. Et puis,
vous n’auriez pas à vous fier à des correspondants de guerre maison importunant
vos soldats, et vous bénéficieriez des prises de vue les plus brillantes en
direct, en prime time. Il suffit que vous le demandiez : je suis sûr que les
réseaux de télévision sont prêts à coopérer. (Un peu dans le genre des prises de
vue qu’ils font dans les stades de foot, avec le soleil couchant au-dessus du
Pacifique, mais avec en plus, d’énormes explosions ! Parfait, pour le nettoyage
de printemps !)
Mieux : les téléspectateurs pourront totalement apprécier ce
que vos armes peuvent faire, les survivants ayant la même tronche qu’eux (à part
les brûlures), et parlant même (presque) la même langue, accordant à la vie
humaine la même valeur que nous. Mais si vous bombardez, ici, nos dilemmes
sembleront beaucoup plus immédiats à nos compatriotes américains que le sort de
vingt trois millions de suppôts de Saddam Hussein. Cela sera pain béni pour
d’incroyables reality shows télévisés.
Notre proximité rendra beaucoup plus
facile la tâche des organisations humanitaires, également, ainsi que celle des
travailleurs convoyant des secours médicaux et des vivres de survie. De plus,
une ville riche, du Premier monde, comme Seattle, avec son gigantesque panorama
urbain et son infrastructure moderne, cela signifiera, c’est bien évident, des
centaines de milliards de dollars de contrats de reconstruction après la guerre
– ce sont là d’énormes retombées dont vous pourrez faire bénéficier vos copains
de business sous forme de petites faveurs politiques, au cours de votre prochain
dîner de gala électoral, en 2004…
Et puis, voilà le meilleur : il ne semble
pas que nous ayons aucun moyen de répliquer, ou quoi que ce soit dans ce
genre-là… Nous pourrions demander à notre police municipale de le faire, je
suppose, mais toute action dépassant le saupoudrage au poivre de motocyclistes
noirs se situerait nettement au-delà de ses prérogatives. Et puis, au cas où
vous vous ennuieriez, il vous suffirait de nous re-bombarder ! Bombarder,
reconstruire, re-bombarder, re-reconstruire… voilà qui re-dynamiserait notre
économie !
L’un dans l’autre, Monsieur le Président, je pense que cela serait
parfait pour le nouvel Empire américain que vous avez l’intention de bâtir. Il
s’agit d’une attaque sans provocation, contre une population civile sans
défense, basée sur des crimes commis soit par des dirigeants irresponsables,
soit par des individus psychopathes qui, à un moment ou à un autre, sont passés
en ville. Cela rendra vos amis encore plus riches, et cela contribuera, d’une
manière beaucoup plus directe qu’une campagne outre-mer ne pourrait le faire, à
votre réélection l’année prochaine. Ce sera douze circonscriptions électorales
gagnées d’avance : autant de soucis en moins pour vous. Et nous y gagnerons une
nouvelle autoroute urbaine.
Maintenant que vous y avez réfléchi, Monsieur le
Président, je suis sûr que vous avez pris conscience que vous ne pouvez plus
reculer. Je suis persuadé que Powell fera les représentations nécessaires aux
puissances étrangères dans les plus brefs délais. Je pense que vous serez
surpris par le nombre de nations qui voudront – que dis-je, qui seront
impatientes de – signer cette déclaration de guerre contre Seattle. Faites-moi
confiance là dessus. Votre ami patriote, Geov Parrish.
P.S. 1 : Je déménage à
Phoenix. Très bientôt.
P.S. 2 : Bigre ! Je viens juste de me souvenir d’un
truc : nous n’avons aucune réserve pétrolière inexploitée, à Seattle. Ah, mince
alors ! J’imagine que ça remet tout notre projet en cause, mmh ? Tant pis…
3. Nos médias, ces parents
qui nous couvent par Gabriel Ash
paru sur le site américain
YellowTimes.org le vendredi 14 mars 2003
[traduit
de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Supposons que
vous soyez journaliste et qu’il y ait eu des élections. Supposons que
l’administration du nouveau gouvernement ait décidé de lancer une guerre à sa
convenance contre un autre pays, pour des raisons que le monde entier trouve
embarrassantes. Supposons qu’un autre journaliste découvre que la décision de
déclencher une guerre n’a même pas été examinée conformément aux procédures
classiques du Département d’Etat, mais se fonde uniquement sur des
recommandations provenant du Pentagone. Que feriez-vous ?
Peut-être
dresseriez-vous une liste des plus hauts responsables du Pentagone ? Peut-être
examineriez-vous de près leurs biographies, leurs déclarations publiques et
leurs accointances, afin de vous faire une idée de leur vision du monde et de
leurs motivations ?
Supposons maintenant que vous découvriez que le troisième
officier par ordre d’importance décroissante était l’un des membres d’un groupe
de personnes extrêmement liées entre elles et entretenant des relations très
suivies et étroites avec un parti politique d’un pays étranger ? Notre officier
de tout à l’heure, par exemple, était membre du conseil d’administration d’une
organisation appelée Jinsa, The Jewish Institute for National Security Affairs.
Ne seriez-vous pas intrigué ? Ne voudriez-vous pas savoir quelle obscur rapport
peut bien exister entre le judaïsme et la sécurité nationale ? Et, sait-on
jamais, s’il s’agissait d’une théorie biblique inconnue à propos de la
dissuasion nucléaire ?
Maintenant, ne voudriez-vous pas savoir qui d’autre
appartient à ce fameux Jinsa, ce que le Jinsa fait, d’où il tire ses
financements ? Votre curiosité ne serait-elle pas aiguillonnée si vous appreniez
que le Jinsa regorge de hauts cadres de sociétés d’armement contractant avec les
hauts responsables de la défense américaine, ou encore que le conseil
d’administration du Jinsa gère notamment une « association caritative » qui
finance des implantations juives en territoire syrien ? Ne chercheriez-vous pas
à savoir si les gens du Pentagone n’ont pas, par hasard, eux aussi, soutenu des
violations patentes de certaines résolutions du Conseil de Sécurité
?
Supposons que vous ayez découvert que le Jinsa a pour principale fonction
de faire du lobbying au profit d’Israël (ce n’est pas du tout un secret –
quelques ‘clics’ de souris sur le site ouèbe du Jinsa permettent de s’en rendre
compte immédiatement). Ne trouveriez-vous pas notable qu’Israël soit le seul
pays au monde dont les dirigeants veulent positivement une guerre contre l’Irak
? Ne voudriez-vous pas savoir pourquoi ?
Et si vous aviez découvert que
l’officier en question – à propos, il s’appelle Douglas Feith – lorsqu’il était
en fonctions, a donné à Israël des conseils visant à l’aider à miner l’influence
des Etats-Unis dans le monde ? Publieriez-vous un article sur toutes ces
découvertes troublantes ?
Ne me faites pas marcher : je parie que vous le
feriez !
Mais le New York Times ne le publierait pas, cet article. Non, ce
n’est pas, comme vous pourriez être amené à le penser, parce que ce journal est
extrêmement soucieux de la bonne réputation des gens. Le NY Times n’hésite
jamais à se draper dans le drapeau national lorsqu’il publie des mensonges
éhontés sur le compte du physicien nucléaire sino-américain Wen Ho Lee. Bien
sûr, Lee, c’est différent. Lee n’est qu’un immigrant « ethniquement handicapé »
[en américain « politiquement correct », ndt : ‘racially challenged’]. Le Times
a des scrupules, voyez-vous, mais seulement lorsqu’il s’agit des gens
appartenant aux sphères du pouvoir à Washington.
On pourrait penser que si
les journaux existent, c’est afin de tenir la population informée. Le NY Times,
toutefois, se considère comme le gardien de notre tranquillité d’esprit. Comme
un papa – poule, il nous met à l’abri du monde dérangeant des adultes – remettre
en cause les loyautés des détenteurs du pouvoir à Washington serait un
traumatisme beaucoup trop insupportable pour nos tendres âmes
infantiles…
Mais, il faut bien le reconnaître : c’est vraiment difficile,
d’être parents, à l’ère d’Internet. L’information circule plus rapidement
qu’elle ne l’avait jamais fait. D’autres se sont chargés d’exhumer ces sujets
que le NY Times trouve quant à lui trop dérangeants. Les gens communiquent entre
eux d’un point à l’autre du globe en un clin d’œil. Les nouvelles relatives à la
Zionist Connexion à Washington, ignorant l’interdiction parentale du NY Times,
continuent à circuler…
Finalement, quand le scandale devient trop énorme pour
être ignoré, le NY Times change de stratégie.
Le 8 mars courant, il nous a
fait bénéficier d’une de ces conversations sérieuses entre adultes sur les
choses de la vie – il s’agissait d’une tribune due à la plume de Bill Keller. Le
sujet de cet article d’une insupportable condescendance entendait nous rappeler
que nous, les enfants, nous ne devons pas adresser la parole à des inconnus. En
effet, seule une information passée au crible de la « discussion consensuelle »
(je traduis : qui soit du goût du patron de Keller), peut être sans danger pour
notre petite santé fragile d’enfants délicats…
L’argumentation de ce Keller
ne tient pas debout. Il tire son pouvoir de l’amplification et de la
manipulation du sentiment d’insécurité de ses lecteurs en les menaçant de se
couvrir de ridicule et d’être rejetés par autrui s’ils n’adoptent pas
intégralement et servilement ses vues. Sa stratégie consiste à stigmatiser le
travail d’investigation accompli de manière déontologique par des journalistes
tel Jason Westas, en les qualifiant de « théorie du complot ».
Au sens
trivial du terme, toute décision prise à huis clos est un complot. Toute
explication qui tente de déduire la nature d’une telle décision d’indices
circonstanciels relève donc de la théorie du complot. La théorie selon laquelle
le Troisième Reich a conspiré afin d’exterminer les Juifs d’Europe est une
théorie du complot, de même que la théorie soutenant que onze barbus venus
d’Afghanistan ont descendu les Tours jumelles (du World Trade Center, ndt). Je
suppose que Keller admet pourtant la validité de ces deux théories ? Oui ? A la
bonne heure : moi aussi...
L’expression « théorie du complot » était
généralement utilisée jusqu’ici pour désigner un mode paranoïde d’interprétation
qui ne laissait aucune place à la falsification. Dans ce mode de raisonnement
paranoïde, une preuve confirme la thèse, mais une preuve contradictoire,
c’est-à-dire une preuve qui « démontre » qu’un indice a été supprimé ou ajouté,
le fait aussi. Une théorie du complot était généralement jusqu’ici une théorie
qui postulait l’existence d’une conspiration secrète et toute-puissante, tout en
manipulant les lois d’inférence, afin de parvenir à tout coup à la même
conclusion, quels que soient les indices matériels.
La théorie de la Maison
Blanche, selon laquelle l’Irak détiendrait des armes nucléaires, quand bien même
tous les indices tendent à prouver le contraire (en laissant de côté les faux
fournis par le Pentagone) est un exemple classique de la manière de penser des
théoriciens du complot. Comme le dit Rumsfeld en personne : « l’absence de
preuve n’est pas la preuve de l’absence », mais c’est la preuve que des efforts
sont déployés afin de faire disparaître des indices…
Cependant, pour Keller,
la « théorie du complot » n’est qu’une insulte qu’il est facile de proférer à
l’encontre de quiconque se pose la question des motivations des grands
personnages du pouvoir. Si vous pensez qu’il y a une différence entre la
rhétorique et la réalité, que comprendre la politique requiert bien plus que la
répétition servile de passages d’un discours officiel, si vous pensez que les
hommes sont souvent motivés par toute autre chose que de nobles idéaux, ou
encore que les hommes politiques disent derrière une porte close des choses que
jamais ils ne déclareraient en public, Keller en déduira que vous êtes un «
théoricien du complot ».
Keller ne se donne jamais la peine de citer un
opposant crédible. Bien loin de s’attaquer à des sujets sérieux et profondément
dérangeants, tels les synergies malsaines entre le sionisme et l’industrie
militaire américaine, Keller tourne en ridicule l’ « idée que nous serions en
train d’envoyer un quart de million de soldats américains à la guerre pour les
beaux yeux d’Israël. » Présenter les choses de cette manière est simpliste et
complètement faux. Le NY Times, toutefois, n’a pas permis jusqu’ici que ses
lecteurs aient l’opportunité de lire une analyse convaincante du rôle joué par
les sionistes à Washington.
Le principal « argument » de Keller est sans
queue ni tête. Keller rejette la pertinence d’un document stratégique dans
lequel Perle, Feith et Wurmser, trois hommes du Pentagone, conseillaient au
Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, en 1996, d’œuvrer au
renversement du régime de Saddam Hussein. Ce document, intitulé « Rupture
franche » [« Clean Break »] serait, selon lui, non pertinent, parce que ses
auteurs « n’ont pas appelé à une conquête de Saddam par les Américains », mais
ont suggéré à Israël d’agir seul. Mettons de côté pour le moment, voulez-vous,
la dyslexie bouddhique qui s’est emparée du stylo de Keller – « la conquête de
Saddam » sonne comme le titre d’un film porno que, personnellement, je
préfèrerais ne pas regarder. Keller veut nous faire croire que les conseils
éclairés donnés à Israël par Perle, Feith et Wurmser, en 1996, (à savoir :
œuvrer au renversement du gouvernement irakien) n’a rien à voir avec l’actuelle
marche à la guerre, qui se trouve, sans doute par hasard, viser exactement le
même objectif ? Mais Keller trouve immédiatement la réponse : les auteurs du
rapport ne pouvaient escompter que les Etats-Unis attaquent l’Irak, en 1996,
pour la seule « bonne » raison que Clinton était alors au pouvoir et que, eux,
ils n’y étaient pas ! Keller, à l’évidence, est convaincu que la plupart de ses
lecteurs sont trop stupides pour remarquer qu’il n’a absolument rien à
dire.
Le rapport « Rupture franche » montre très clairement que trois
sionistes néoconservateurs entretenant des relations étroites avec les milieux
de droite israéliens, voyaient dans le renversement de Saddam Hussein un but
stratégique pour Israël et, cela, en 1996. Ce document révèle aussi à quel point
ses auteurs s’identifient à Israël, partagent entre eux les mêmes croyances
fanatiques au sujet du « droit à la terre » d’Israël, de la légitimité de la
construction de colonies dans les Territoires occupés… etc. Cela ne prouve en
aucune manière qu’Israël contrôlerait la politique américaine. Mais cela
suggère, à tout le moins, que le sionisme joue un rôle important, peut-être trop
important (la question est ouverte au débat), dans la détermination de la
politique américaine.
Keller pointe le fait que « Franche Rupture » prône un
Etat d’Israël plus indépendant, qui pourrait « réorganiser » le Moyen-Orient à
sa convenance. Et en effet, d’après un article du quotidien Ha’aretz du 20 mars
2002, ce n’est que l’année dernière que Douglas Feith s’est rendu en Israël et
qu’il a conseillé en privé au gouvernement Sharon de commencer à faire en sorte
de se passer de l’aide militaire américaine, afin d’être moins dépendants de
Washington. Les sionistes du Pentagone déploient un tel zèle dans leur soutien à
un Israël jusqu’au-boutiste qu’ils considèrent que l’influence américaine
produit sur cet Etat un effet par trop modérateur !… Leur idéologie non
seulement les situe à droite de Colin Powell ; elle les rend plus à droite même
qu’Ariel Sharon : ils sont à l’aise au milieu des colons les plus fanatiques. On
dit souvent que le but des pro-guerre néoconservateurs est un empire américain
capable d’imposer ses quatre volontés au monde entier. Pour au moins un d’entre
eux – Feith – il y a au moins une exception, et elle est de taille : dans le cas
d’Israël, il préfère à l’évidence voir la capacité des Etats-Unis à exercer une
influence sur cet Etat diminuée, plutôt que renforcée !
Les autres tribunes
de Keller ne valent pas mieux. Il admet, en réalité, l’idée que les Israéliens
veulent la guerre contre l’Irak, qui les aiderait à « rester droits dans leurs
bottes » et à refuser tout compromis avec les Palestiniens. Mais il continue à
ne se douter de rien et à espérer que George W. Bush contraindra Israël à
démanteler ses colonies. En l’occurrence, Keller escompte de ce même président
qui a reçu ses soixante secondes d’éducation géopolitique d’une cabale de
sionistes d’extrême droite qu’il devienne vraiment intraitable avec le Veau
d’Or, idole de ses conseillers les plus proches. Remettons les pieds sur terre !
Si Keller veut vraiment la paix pour Israël, je lui suggère de se joindre à moi
afin d’en appeler à mettre l’Empereur Bush à la retraite anticipée et à
poursuivre devant la justice tous ses conseillers pour tentative de crimes
contre l’humanité.
En dépit de tout son battage prétentieux, l’article de
Keller représente une petite victoire pour tous ceux qui s’efforcent d’informer
les Américains du lien existant entre les sionistes et la guerre contre l’Irak.
Le présent article donne la mesure de notre succès à diffuser l’information que
le NY Times veut occulter.
Dans deux mois environ, lorsque le rôle des
sionistes dans le déclenchement ou (espérons-le) la seule planification de cette
guerre sera largement connu, le NY Times publiera sans doute un éditorial
déplorant d’un air embarrassé la manière qu’auront eue certains responsables du
Pentagone de laisser leurs opinions personnelles influencer la politique des
Etats-Unis. Si Keller a de la chance, son article pourrait même constituer une
preuve à conviction que le NY Times a divulgué l’information au bon moment, mais
que personne n’a voulu l’écouter… C’est ainsi que l’on écrit, chez nous, les
archives de l’histoire.
Gandhi a dit : « D’abord, ils vous ignorent. Puis ils
vous rient au nez. Après quoi, ils vous combattent. Enfin, vous vainquez. » Ce
genre de déclaration, ça requinque, vous ne trouvez pas
?…
4. Les oreilles de
Midas par Israël Shamir (11 mars 2003)
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Un nouveau spectre hante l’Amérique. Il
s’insinue dans les salles capitonnées des conseils d’administration des grands
journaux et des banques, il secoue les fondations de ses gratte-ciel. C’est le
spectre de la glasnost : le secret opaque du pouvoir juif est exposé à la vue de
tous. Récemment encore, c’était un sujet « troisième rail », « pas touche »,
mortellement dangereux, à ne pas mentionner. L’évoquer, c’était l’assurance de
mettre un terme prématuré à sa carrière professionnelle. Hier, Joe Public, en
arrachant sa chaîne de télévision à un magnat détenteur d’un passeport
israélien, mais pour la confier à un membre d’une boîte à idées… juive, devait
se marmonner à lui-même : C’est certainement une simple coïncidence si autant de
gens importants et très majoritairement non élus appartiennent à cette petite
minorité. C’est certainement une simple coïncidence s’ils appartiennent à
différents partis politique et s’ils finissent néanmoins par aboutir aux mêmes
conclusions. C’est certainement juste une coïncidence si quatre-vingt dix pour
cent de l’aide américaine à l’étranger sont destinés à leurs cousins vivant dans
la prospère Tel Aviv. Le fait qu’ils dirigent nos journaux, nos chaînes de
télévision, notre cinéma, nos universités relève certainement du plus pur des
hasards. Quoi qu’il en soit, nous ne sommes pas autorisés à remarquer cet
éléphant campé au beau milieu de notre salon…
Seuls, quelques rares
desperados osent un commentaire, à l’instar d’Edgar Steele sur le site Rense.com
: « Le silence, en Amérique, autour des Juifs, est rien moins qu’assourdissant…
Un vieil adage ne dit-il pas que, lorsqu’on visite un pays étranger et que l’on
veut savoir avec certitude qui le dirige réellement, il suffit de recenser les
personnes dont on ne parle qu’en chuchotant, voire dont on ne parle jamais ? » A
en juger à cette aune, les Juifs règnent en maîtres en Amérique. Et en effet,
lorsque j’ai fait allusion, en été 2001, au cours d’une conférence à l’Unesco,
aux « magnats juifs des médias », je me suis bien rendu compte que les cœurs de
mon public ont raté au moins un battement…
La Guerre encore non livrée contre
l’Irak a changé tout ça. La date de l’ultimatum américain était fixée au 17
mars, jour de la fête juive de Pourim. La fête de Pourim 1991 vit la destruction
de l’armée irakienne et la mort de 200 000 Irakiens. Cela fait bien des
coïncidences, pour une guerre purement « américaine » ?… Les Américains ont
risqué un œil dans les abysses sans fond de la Troisième Guerre Mondiale et ils
se sont extirpés de leur torpeur vieille d’une génération. Ainsi, la première
victime de la guerre en Irak, ce n’est certainement pas la vérité, mais bien le
tabou le plus tabou de tout l’Occident. Un membre – démocrate – du Congrès,
spécimen au demeurant plutôt docile de cette instance (un certain James Moran),
a osé déclarer à ses supporters : « N’était-ce le soutien acharné de la
communauté juive à cette guerre contre l’Irak, nous ne serions pas en train de
vouloir la lancer. »
Il reçut immédiatement une baffe oratoire d’un Juif venu
tout spécialement surveiller ses propos : « Entendre le Représentant Moran
proférer ce genre d’accusations est totalement ahurissant ! », a clamé ce
contradicteur, Directeur du National Jewish Democratic Council, un certain Ira
N. Forman. « On le sait : un certain nombre des dirigeants du mouvement
anti-guerre qui se développe rapidement aujourd’hui aux Etats-Unis sont juifs,
et les organisations juives ne sont visiblement pas à l’avant-garde des groupes
qui soutiennent activement et bruyamment une guerre en Irak ». Forman dixit :
les médias rendirent compte de son opinion, en l’amplifiant, et Moran se
rétracta, dûment, et digéra sa baffe. Mais il n’est pas le seul.
Le secret
est éventé et, comme le secret du Roi Midas et de ses grandes oreilles, il est
répété à cor et à cri de la côte Ouest à la côte Est, en dépit des efforts
frénétiques déployés par la communauté juive organisée afin de remettre
prestement le couvercle sur le chaudron en ébullition. Kathleen et Bill
Christison [1], deux anciens experts auprès de la CIA, ont décrit le lien
reliant les Juifs de droite américains et l’administration Bush. Edward Said,
célèbre intellectuel américain d’origine palestinienne, a bien résumé la
situation : « Une république immensément riche et puissante vient d’être piratée
par une petite cabale d’individus dont aucun n’est élu : ces gens ne sont par
conséquent en rien susceptible d’être affectés par une quelconque pression de
l’opinion publique. » [2]
Il fut secondé par des hommes courageux, Herman,
Neumann et Blankfort. Ces Américains, d’origine juive, dénoncent le pouvoir juif
non-élu, et donc, antidémocratique, comme ils le feraient de toute minorité
jouissant d’un pouvoir exorbitant. Leur intervention – qui a été rendue possible
par le fait qu’ils ne craignent absolument pas de se voir étiqueter d’ «
antisémites » - a joué un rôle fondamental dans le retournement de la vague,
protégeant la majorité des Américains, qui se tiennent cois, de campagnes
(sionistes) d’intimidation multiples et multiformes.
Edward Herman,
co-auteur (avec Noam Chomsky) de La Fabrique du consentement [Manufacturing
Consent], a évoqué dans cet ouvrage « le lobby pro-israélien très puissant aux
Etats-Unis, qui assure la promotion des intérêts d’Israël en faisant pression
sur l’administration dans le sens de plus d’aides et de protection américaines à
cet Etat, ainsi, dans la période actuelle, qu’en la poussant à une guerre contre
l’Irak, laquelle servirait, là encore, les intérêts israéliens. Ce lobby n’a pas
seulement contribué à assurer aux sionistes un contrôle quasi total sur le débat
médiatique et à faire du Congrès un « territoire occupé par Israël », il a
veillé à ce que de nombreuses personnalités officielles « à la loyauté duale »
occupent des fonctions stratégiques dans des postes clés de l’administration
Bush. »
Jeffrey Blankfort, ce Californien qui a débouté l’Anti Defamation
League (l’équivalent américain de la Licra, ndt) qu cours d’un procès qu’elle
lui intentait et a obligé Foxman à lui payer des sacs de dollars en raison de
ses activités d’espionnage contre des militants, a franchi un nouveau pas,
important, en rejetant les analyses défendues par Noam Chomsky, Joel Beinin et
Stephen Zunes, qui sont des radicaux de l’ancienne génération et qui minimisent
l’importance pourtant cruciale du pouvoir juif. Jeff Blankfort a découvert les
racines de l’ascension météoritique du mouvement des Evangélistes extatiques aux
Etats-Unis. Cette secte obscure n’aurait jamais quitté sa tanière, dans ce trou
perdu qu’est Dixie, sans les magnats juifs des médias. Jeff a observé que lors
de la prise de contrôle de la chaîne de télévision Black Entertainement
Television [c’est une chaîne de variétés « ethniques » s’adressant aux « colored
persons » aux Etats-Unis. Un rapide coup d’œil à son site ouèbe en dit beaucoup
sur sa profonde débilité, ndt] par Viacom, dont le propriétaire, Sumner Redstone
(né Murray Rothstein) a été présenté, tout récemment, par le New York Times
comme le plus grand magnat des médias au niveau mondial, il en a fait
disparaître les programmes d’information et a immédiatement programmé des
publicités institutionnelles pour l’Etat d’Israël, réalisées et payées par les
églises chrétiennes évangélistes. La liste des « juifs des médias » [3] dressée
par Blankfort permet de comprendre le secret de l’irrésistible charme juif, et
on peut la comparer à celle, exhaustive, du Professeur Kevin McDonald, de
l’Université de Californie.
La guerre contre l’Irak – et a fortiori son lien
avec la Palestine – est devenu le test au papier tournesol du pouvoir juif. La
juiverie organisée ne cesse de pousser à la guerre tout en déniant toute prise
de position et tout engagement en la matière. Néanmoins, le Conseil municipal de
la ville de New York a rejeté une résolution dénonçant cette guerre, laquelle
résolution n’a reçu que 12 votes (ce conseil municipal compte 51 membres). A New
York, ville où existe une communauté juive numériquement très importante, cela
ne saurait surprendre. D’ailleurs, le Représentant (démocrate) Robert Jackson, a
déclaré, d’une manière très directe : « New York City est la deuxième résidence
de très nombreux juifs ; et nombreux sont les membres de la communauté juive à
être persuadés que la guerre servira au mieux les intérêts de l’Etat d’Israël. »
D’après ce Jackson, plusieurs de ses collègues membres du conseil municipal ont
été intimidés et réduits au silence par les cris d’un public majoritairement
pro-israélien dans les tribunes : « Les gens ne parlent pas du tout de cette
question » !
Jackson avait certainement raison, mais un journal juif [4] (que
l’on doive ou non s’en étonner, TOUS les journaux de la région de New York ont
des propriétaires juifs, c’est un fait), l’a condamné pour racisme : « [Non
seulement il a clamé] que les Juifs dirigent New York, mais il a même affirmé
que les juifs avaient réduit leurs adversaires au silence par la menace. Jackson
pourrait tout aussi bien appeler New York Hymietown, du temps qu’il y est !
»
Cette réplique est absolument remarquable, en raison de sa logique
typiquement juive. Tout d’abord, l’argument rationnel de l’adversaire est
perverti et déformé, puis il est voué à l’opprobre et, enfin, phase ultime :
l’adversaire est détruit. Définitivement. C’est une des bottes secrètes du
pouvoir juif : les Juifs entament le « dialogue » en étant d’entrée de jeu comme
fous furieux, avec une véhémence aussi éloignée que possible du style
socratique. Alors que les gens normaux se contentent de citer correctement leur
adversaire et de contrer son argumentation, les fous (car un homme hors de lui
est un individu temporairement fou), eux, attaquent leur adversaire toutes
griffes dehors.
Ainsi, David Mamet, un dramaturge américain juif, nous donne
un bon exemple de cette véhémence dans cette remarque : « [C’était] une vieille
Volvo, la bagnole de mes frères, les libéraux congénitaux. Elle était ornée,
comme il convient pour ce genre de bagnole, de toutes sortes d’exhortations sur
lesquelles il n’y a rien à redire : « Sauvez James Bay, Respectez la
biodiversité, etc., etc… » Mais il y avait aussi un autocollant, sur un
pare-chocs, qui proclamait : « Israël hors des territoires ! Démantèlement des
colonies ! » Slogan que l’on ne saurait traduire que par : « Juifs au nez
crochu, crevez ! » »
Je me demande bien pourquoi Mamet s’en est arrêté en «
si bon » chemin, car ce slogan pourrait aussi être traduit, si l’on reprenait sa
logique, avec une égale exactitude : « Torturez les bébés ! Dénoncez l’Amérique
et Brûlez la Tarte au Pomme ! » Quelqu’un a-t-il quoi que ce soit à cirer de la
forme du nez des juifs ? Il y a déjà fort longtemps que Mel Brooks a fait
remarquer que les jeunes filles juives ont des petits nez parmi les plus mignons
qui soient, chefs d’œuvres des plus brillants chirurgiens esthétiques…
C’est
la politique juive raciste en Palestine occupée qui révulse les gens bien, «
congénitalement libéraux ». Mais si, pour changer, Mamet devenait honnête, il ne
s’appellerait plus Mamet…
Passons maintenant à Bill Keller, du New York
Times, qui a fait une analyse du Riot Act [Loi sécuritaire « anti-émeutes »]
pour les Américains. Il admet, très gentiment, que « la plupart des grandes
organisations juives et de nombreux donateurs soutiennent la guerre », mais il
insiste sur le fait que « la suggestion que les intérêts d’Israël dicteraient
l’une des mutations les plus drastiques dans la politique étrangère américaine
est simpliste et offensante. » Bien. Keller est certainement payé pour avoir ce
genre de convictions par un magnat juif des médias de la pire espèce, Arthur
Sulzberger Jr, propriétaire du New York Times, du Boston Globe et d’une kyrielle
d’autres journaux. Voilà qui sape la véracité des affirmations de Keller. Que
l’on nous écrive ce genre de choses dans un journal non-juif, passe encore !
Mais hélas, des journaux de quelque importance qui ne soient pas détenus ou
contrôlés par des juifs, aux Etats-Unis, cela n’existe pas !
C’est sûrement
une coïncidence ? N’en mettez pas votre main à couper. Il y a quelques jours de
cela, à l’Université Hébraïque de Jérusalem, une importante conférence consacrée
à l’antisémitisme et réunissant les communautés juives du monde entier s’est
tenue, sous l’égide du prestigieux Institut Sassoon. L’intervention de
l’historien juif français Simha Epstein porta sur la France d’avant-guerre, mais
elle collait très bien à la situation actuelle en Amérique. Voici ce qu’Epstein
a dit :
« Les antisémites, avant-guerre, affirmaient que les Juifs de France
ourdissaient un cartel destiné à financer secrètement la presse afin de la
subvertir. Et que disaient les Juifs, à l’époque ? « Bien sûr que non ! Non,
c’est un mensonge, bien sûr que non ! Nous ne sommes pas engagés dans un
quelconque complot ! » Et que dirent les historiens et l’historiographie juive,
par la suite ? « Bien sûr que non ! C’est des balivernes antisémites ! » Mais
nous savons, aujourd’hui – de sources juives – que les Juifs de France
finançaient secrètement plusieurs journaux, avant la Seconde guerre
mondiale.
« Depuis la fin du dix-neuvième siècle, il existait une
organisation secrète juive, très bien financée, qui achetait ou finançait des
journaux. Cette organisation prit le contrôle d’un certains nombres de journaux,
qui devinrent du jour au lendemain dreyfusards du simple fait qu’ils avaient
perçu des financements juifs. Par ailleurs, quelques quotidiens (non
communautaires, ndt) furent créés spécialement par des juifs. Deux journaux très
importants de l’époque, Les Droits de l’Homme, et l’Humanité, quotidien
socialiste puis communiste français, étaient également financés par les juifs.
Bien entendu, j’affirme ceci en me basant sur des sources juives faisant
autorité.
« Et cela nous amène à un dilemme dramatique propre à
l’historiographie. Dire cela, dire ce que je viens d’affirmer, est quelque chose
d’horrible et d’inacceptable, parce que cela signifie que les juifs ont organisé
un complot et ont acheté secrètement les médias, ou une partie des médias. C’est
précisément ce que les antisémites affirmaient à l’époque, et c’est ce qu’ils
continuent à soutenir aujourd’hui. Et nous savons, de sources juives, que ces
allégations étaient véridiques, qu’il existait bien une activité clandestine de
prise de contrôle de la presse. » Fin de citation.
Certaines personnes
considèrent que la moindre suggestion que des juifs soient susceptibles d’agir
de concert ressortit à une théorie du complot délirante. Qu’ils lisent et
relisent donc ce rapport, présenté par un historien juif devant un public juif.
S’il est aujourd’hui prouvé au-delà de la possibilité raisonnable d’avoir le
moindre doute que des juifs de France ont acheté secrètement et subverti des
médias français durant de nombreuses années afin de déformer le discours
national et de précipiter une France qui n’y était pas prête dans l’horrible et
totalement inutile Seconde guerre mondiale, est-il totalement impensable que les
juifs américains aient pris secrètement le contrôle de leurs médias nationaux et
soient aujourd’hui en train de précipiter les Etats-Unis dans une horrible et
totalement inutile Troisième guerre mondiale ?
En réalité, il n’est nul
besoin de secret. L’un des principaux idéologues sionistes, Zeev Hefetz
(ex-porte-parole du Premier ministre Menahem Begin), a écrit dans un journal
américain : « Désarmer l’Irak, ce n’est qu’un début dans ce que nous avons à
faire au Moyen-Orient », étant donné que « les cultures arabe et iranienne (sic
!) » sont « irrationnelles » et que rien ne peut être tenté – mis à part (bien
sûr) la guerre – afin d’ « améliorer la santé mentale collective des sociétés
arabes ». [5] Ce « désarmement » massif sera certainement mené à bien, n’en
doutons pas un instant, par des soldats américains, même si les ordres seront
donnés par les fauconneaux sur leur perchoir au Pentagone. Quant aux prétextes
de la guerre, ils ont été formulés de manière éloquente par un ténor lors d’une
conférence sur l’antisémitisme, Yehuda Bauer, le directeur de l’Institut
Mémorial de l’Holocauste Yad va-Shem de Jérusalem :
« Le judaïsme n’est ni
une nationalité, ni une religion », a-t-il dit. « Les juifs constituent une
civilisation, et ils ont une mission civilisatrice. Ils ne peuvent tolérer la
civilisation musulmane concurrente, de la même manière qu’il ne pouvaient
tolérer jadis le christianisme ou le communisme. C’est pourquoi la guerre, avec
l’Islam, est inévitable. »
Sauf que la guerre est évitable ! Même
aujourd’hui, quelques minutes avant l’Heure « H », la guerre est évitable. Et si
un coup de balai est inévitable, faisons en sorte que les conseillers juifs du
président Bush soient virés. Faisons en sorte que ce Pourim voit le grand Exode
de la « Cabale de Wolfowitz » du Pentagone. Si l’on écarte la possibilité
clinique que G.W. Bush ait d’ores et déjà été transformé en zombie, il devrait
être capable de comprendre qu’il a été fourvoyé par cette minorité très
puissante et non élue. Ces comploteurs sont incapables de tenir ce qu’ils ont
promis. De plus, leurs jours au sommet de la République américaine sont comptés.
Ils ont surestimé leurs capacités et ils ont poussé le bouchon trop loin. Comme
la grenouille de La Fontaine, maintenant, ils peuvent exploser, ils peuvent
crever. Bush peut encore négocier un virage en épingle à cheveux, se sauver
lui-même et sauver son pays.
Par certains aspects, l’Amérique d’aujourd’hui
rappelle la Russie de 1986, au début de la glasnost [ère de la transparence,
ndt]. Dès le jour où les citoyens soviétiques ont été autorisés à savoir qui les
gouvernaient, et comment, les jours du régime étaient comptés. La glasnost
laissa place à la perestroïka [ère de la reconstruction, ndt]. Aujourd’hui, pour
la première fois de toute une génération, les Américains sont à même de voir les
hommes qui détiennent le pouvoir et la combinaison toxique entre les démocrates
de droite de Lieberman, les néo-libéraux républicains, les néoconservateurs et
les conservateurs pur sucre. C’est la guerre (programmée) contre l’Irak qui les
a amenés à se mettre en avant et placés sous les projecteurs. Aujourd’hui, le
temps est venu de démonter leur emprise.
Cela ne saurait être renvoyé à plus
tard, car la présidence semeuse de discorde de George Deubeuliou Bush est perçue
comme la période phare du pouvoir des « blancs » anglo-saxons protestants, en
dépit de la prépondérance de ses conseillers juifs. Tous les challengers
disponibles pour les prochaines élections – Lieberman, Kelly, voire même
Kuchinich – se glorifient de leurs connexions juives et clament leur loyauté
indéfectible aux juifs et à l’Etat d’Israël. Dans la configuration politique
américaine actuelle, il n’y aura donc pas de réelle alternative à la
prépondérance juive. Si Bush échoue lamentablement, il sera présenté par les
médias comme un raté « blanc, anglo-saxon et protestant » (« WASP »). S’il est
élu, son succès sera perçu comme un grand succès par ses conseillers
juifs.
C’est la raison pour laquelle les forces patriotiques américaines ne
devraient pas attendre les prochaines élections, ou la fin de la guerre. Elles
doivent agir maintenant, exiger la suspension du projet de guerre. Elles ont un
ennemi, mais cet ennemi ne se trouve pas en Irak.
Ce dont le monde a un
besoin urgent, c’est d’une nouvelle Révolution américaine, aussi importante que
le New Deal et l’abolition de l’esclavage. Il s’agit, en l’occurrence, de la
révolution contre la monopolisation du discours – du discours des médias et des
universités, pour commencer.
Au début du vingtième siècle, les Américains
ont démantelé la puissante Standard Oil. Ils ont voté, pour ce faire, des lois
contre la constitution de monopoles et ils ont définitivement éliminé la menace
qui pesait sur la démocratie. Rien n’interdit d’obtenir un succès de la même
ampleur aujourd’hui.
- Notes :
[1] : Kathleen &
Bill Christison, « A Rose By Another Name : The Bush Administration’s Dual
Loyalties », Counterpunch, 13.12.2002.
[2] : http://www.ahram.org.eg/2003/628/op2.htm[3] : Voici un échantillon qui permettra de voir qu’il ne
s’agit sans doute pas d’une coïncidence :
Tout d’abord, Sumner Redstone (né
Murray Rothstein) possède pour 8 milliards de dollars d’actions de Viacom, ce
qui lui donne le contrôle sur CBS, Viacom, MTV à l’échelle mondiale (Brian
Graden, PDG). Très récemment, il a acheté Black Entertainment Television : il a
immédiatement supprimé ses émissions relatives aux affaires publiques. Le
président de CBS est Leslie Moonves, petit-neveu de David Ben
Gourion.
Michael Esner est le principal détenteur de Disney-Capitol Cities,
qui détient ABC. David Westin est le PDG d’ABC News. Bien que cette chaîne ait
perdu beaucoup de téléspectateurs, son journaliste qui anime le talk-show
Nightline, Ted Koppel, est un pro-israélien acharné. Lloyd Braun est président
d’ABC Entertainment et Jack Myers y occupe des fonctions importantes.
Bien
que Rupert Murdoch, de la chaîne Fox, ne soit pas juif, Mel Karamazin, le
président, l’est, ainsi que Peter Chernin, second en importance dans le
conglomérat médiatique de Murdoch.
Sandy Grushow est directrice de Fox
Entertainment, et Gail Berman en est le président. Murdoch a reçu de nombreuses
distinctions de différentes organisations « caritatives » juives.
Jamie
Kellner est président et PDG de Turner Broadcasting.
Walter Isaacson est le
directeur de l’information de CNN, où l’on trouve également Wolf Blitzer,
animateur de la Dernière édition, Larry King du talk-show « Larry King Live »,
Paula Zahn et Andrea Koppel, fille de Ted (Turner).
Jordan Levin est
directeur de Warner Bros. Entertainment.
Howard Stringer est le fondateur de
Clear Channel Communications.
Terry Semel, ex co-directeur de Warners, est
PDG de Yahoo.
Barry Diller, ancien propriétaire d’Universal Entertainment,
est directeur de USA Interactive.
Joel Klein est directeur et PDG de
Bertelsmann’s American operations, la plus grande entreprise de publicité au
monde.
Mort Zuckerman, président de la Conférence des Présidents des
Principales Organisations Juives Américaines [le Crif à la sauce américaine,
ndt], possède US News and World Report ainsi que New York Daily News.
Arthur
Sulzberger, Junior, publie le New York Times, le Boston Globe et une pléiade
d’autres journaux.
Marty Peretz publie le quotidien New Republic,
outrageusement pro-israélien. Il en va de même du Weekly Standard, dont le
rédacteur en chef est William Kristol.
Donald Graham Jr. est le directeur et
le PDG de Newsweek et du Washington Post.
Michael Ledeen, connu pour avoir
trempé dans le scandale Iran-Contra (Irangate), publie National Review.
Ron
Rosenthal est le directeur de San Francisco Chronicle et Phil Bronstein en est
le directeur exécutif.
David Schneiderman possède Village Voice et plusieurs
autres hebdomadaires dits « alternatifs ».
Les éditorialistes William Safire,
Tom Friedman, Charles Krauthammer, Richard Cohen, Jeff Jacoby, sont les
publicistes les plus lus.
Il y a un grand nombre d’animateurs de talk-shaws,
tels Michael Savage (ABC), présent sur plus de cent radios, Michael Meved, sur
124 radios et Dennis Prager dont le site ouèbe arbore un drapeau israélien…
D’autres encore : Ron Owens, Ben Wattenberg, et un ancien responsable de ZOA,
Jon Rothman, travaillent tous à ABC (San Francisco).
A Hollywood, qui fut
fondé par des juifs, on trouve bien entendu Stephen Spielberg, David Geffen et
Jeffrey Kranzberg, sur Dreamworks, Eisner de la Disney, Amy Pascal, directeur de
Columbia et de très nombreux autres.
En ce qui concerne les intellectuels,
nous avons NPR, avec le mandarin Daniel Schorr et ses hôtes du week-end Scott
Simon et Liane Hansen, Robert Segal, Susan Stanberg, Eric Weiner, Daniel Lev,
Linda Gradstein (conférencière incontournable des manifestations
pro-israéliennes), qui assure la couverture de Jérusalem, Mike Schuster (dont
l’interview bonasse d’Ariel Sharon au lendemain de Sabra et Chatila aurait dû
l’amener devant la cour israélienne dans le cadre de l’enquête menée par
Hamarabi), ainsi que Brook Gladstein.
Ce ne sont là que des amuse-gueule.
Depuis le patron jusqu’aux garçons de livraison, la liste est impressionnante.
Même si tous ces gens ne peuvent pas être mis totalement dans le même panier
lorsqu’il est question de leur position sur Israël, ils garantissent tous, plus
ou moins, qu’il y aura des limites à toute critique éventuelle qu’ils pourraient
(accidentellement) formuler à l’égard d’Israël.
[4] : New York Post,
22.02.2003.
[5] : The New Haven Register, 12.11.2002.
Revue de presse
1. La Guerre du feu
par Richard Labévière
sur Radio France International le mardi 18 mars
2003Ainsi, et ce n'est pas complètement une surprise, la
Grande-Bretagne et l'Espagne, emmenés par les Etats-Unis lanceront très bientôt
une guerre qui n'aura pas l'aval de l'ONU. Des peintres en bâtiment ayant pris
possession de la salle du Conseil de sécurité, la réunion qui s'est tenue hier
matin dans les sous-sols de la maison de verre - le siège de l'ONU à New-York -
confinait, justement au mythe de la caverne : un jeu d'ombres qui prétend
incarner le réel. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et l'Espagne annonçant le
retrait de leur projet commun de résolution.
Cette résolution dont les
Etats-Unis annonçaient, pourtant depuis quinze jours la mise au vote devait
légitimer le recours à la force contre l'Irak. Si ce texte a été retiré, c'est
justement parce qu'il ne recueillait que la voix de ses auteurs - Etats-Unis,
Grande-Bretagne, Espagne - ajouté à celle de la Bulgarie contre les onze autres
Etats membres du Conseil de sécurité continuant à privilégier le désarmement de
l'Irak par les inspections.
Malgré les pressions politiques, malgré une
avalanche de dollars, malgré l'écoute téléphonique de leurs diplomates et autres
coups tordus... Les six pays dit flottants - les trois Africains, les deux
Latino-américains et le Pakistan - ne se sont pas laissés convaincre.
Cette
cinglante déroute diplomatique traduit une indéniable perte d'influence, sinon
l'aveu d'impuissance de l'hyper puissance américaine qui indique
vraisemblablement le début de la fin de l'empire... Pourtant, ce revers qui
exprime clairement le sentiment de la communauté internationale dans sa très
large majorité n'entame en rien la détermination américaine de faire une guerre
planifiée bien avant les attentats du 11 septembre 2001.
Colin Powell s'était
engagé à respecter les procédures des Nations unies. Mais l'ONU n'avalisant pas
ses vues, l'Empire décide de passer outre. C'est un jeu de billes truqué,
explique un diplomate africain, soudain celui qui est en train de perdre rafle
les billes et accuse le joueur le plus habile d'avoir triché.
Avec courage et
dignité le ministre britannique Robin Cook a démissionné anticipant à n'en pas
douter le courage et la dignité à venir de son patron Tony Blair qui avait exclu
une guerre sans l'ONU. La Grèce qui assure la présidence de l'Union européenne
déclare même que l'Espagne et la Grande-Bretagne se placent ainsi hors de
l'Union, hors de la légalité internationale.
George Bush a beau invoquer à
longueur de journée... Dieu, la justice et la démocratie, cette guerre annoncée
restera la première de l'histoire des Etats-Unis déclenchée contre un pays qui
ne les a pas directement attaqué.
Ce sera aussi la première guerre de la
doctrine dite préventive, doctrine d'un monde où les Etats-Unis s'accordent le
droit de frapper qui bon leur semble et quand ils le
souhaitent afin de
protéger leurs intérêts économiques et d'imposer leur vision des
choses.
Cette régression absolue qui rompt avec l'impulsion donnée au droit
international depuis la fin de la Seconde guerre mondiale nous ramène à un monde
hobbesien où chaque Etat est un loup pour l'Etat; régression au monde primitif
de la guerre du feu, projection dans un monde où la délinquance internationale
impose la loi de la force contre celle de l'intelligence.
[Ecoutez l'éditorial "international" de sur RFI, du lundi au
vendredi, à 6h15, 11h55 et 17h55 (temps universel) sur http://www.rfi.fr]
2. Mille mercis, président
Bush par Paulo Coelho
in Le Monde du mardi 18 mars
2003
(Paulo Coelho est écrivain.)
Merci à vous,
grand dirigeant. Merci, George W. Bush. Merci de montrer à tous le danger que
représente Saddam Hussein. Nombre d'entre nous avaient peut-être oublié qu'il
avait utilisé des armes chimiques contre son peuple, contre les Kurdes, contre
les Iraniens. Hussein est un dictateur sanguinaire, l'une des expressions les
plus manifestes du Mal aujourd'hui.
Mais j'ai d'autres raisons de vous
remercier. Au cours des deux premiers mois de l'année 2003, vous avez su montrer
au monde beaucoup de choses importantes, et pour cela vous méritez ma
reconnaissance.
Ainsi, me rappelant un poème que j'ai appris enfant, je veux
vous dire merci.
Merci de montrer à tous que le peuple turc et son Parlement
ne se vendent pas, même pour 26 milliards de dollars.
Merci de révéler au
monde le gigantesque abîme qui existe entre les décisions des gouvernants et les
désirs du peuple. De faire apparaître clairement que José Maria Aznar comme Tony
Blair n'ont aucun respect pour les voix qui les ont élus et n'en tiennent aucun
compte. Aznar est capable d'ignorer que 90 % des Espagnols sont opposés à la
guerre, et Blair ne fait aucun cas de la plus grande manifestation publique de
ces trente dernières années en Angleterre.
Merci, car votre persévérance a
forcé Tony Blair à se rendre au Parlement britannique avec un dossier truqué,
rédigé par un étudiant il y a dix ans, et à le présenter comme "des preuves
irréfutables recueillies par les services secrets britanniques".
Merci
d'avoir fait en sorte que Colin Powell s'expose au ridicule en présentant au
Conseil de sécurité de l'ONU des photos qui, une semaine plus tard, ont été
publiquement contestées par Hans Blix, l'inspecteur responsable du désarmement
de l'Irak.
Merci, car votre position a valu au ministre français des affaires
étrangères Dominique de Villepin, prononçant son discours contre la guerre,
l'honneur d'être applaudi en séance plénière – ce qui, à ma connaissance,
n'était arrivé qu'une fois dans l'histoire des Nations unies, à l'occasion d'un
discours de Nelson Mandela.
Merci, car grâce à vos efforts en faveur de la
guerre, pour la première fois, les nations arabes – en général divisées – ont
unanimement condamné une invasion, lors de la rencontre du Caire, la dernière
semaine de février.
Merci, car grâce à votre rhétorique affirmant que "l'ONU
avait une chance de démontrer son importance", même les pays les plus
réfractaires ont fini par prendre position contre une attaque de
l'Irak.
Merci pour votre politique extérieure qui a conduit le ministre
britannique des affaires étrangères, Jack Straw, à déclarer en plein XXIe siècle
qu'"une guerre peut avoir des justifications morales" – et à perdre ainsi toute
sa crédibilité.
Merci d'essayer de diviser une Europe qui lutte pour son
unification ; cet avertissement ne sera pas ignoré.
Merci d'avoir réussi ce
que peu de gens ont réussi en un siècle : rassembler des millions de personnes,
sur tous les continents, qui se battent pour la même idée – bien que cette idée
soit opposée à la vôtre.
Merci de nous faire de nouveau sentir que nos
paroles, même si elles ne sont pas entendues, sont au moins prononcées. Cela
nous donnera davantage de force dans l'avenir.
Merci de nous ignorer, de
marginaliser tous ceux qui ont pris position contre votre décision, car l'avenir
de la Terre appartient aux exclus.
Merci parce que, sans vous, nous n'aurions
pas connu notre capacité de mobilisation. Peut-être ne servira-t-elle à rien
aujourd'hui, mais elle sera certainement utile plus tard.
A présent que les
tambours de la guerre semblent résonner de manière irréversible, je veux faire
miens les mots qu'un roi européen adressa autrefois à un envahisseur : "Que pour
vous la matinée soit belle, que le soleil brille sur les armures de vos soldats
– car cet après-midi je vous mettrai en déroute."
Merci de nous permettre à
tous, armée d'anonymes qui nous promenons dans les rues pour tenter d'arrêter un
processus désormais en marche, de découvrir ce qu'est la sensation
d'impuissance, d'apprendre à l'affronter et à la transformer.
Donc, profitez
de votre matinée, et de ce qu'elle peut encore vous apporter de
gloire.
Merci, car vous ne nous avez pas écoutés, et ne nous avez pas pris au
sérieux. Sachez bien que nous, nous vous écoutons et que nous n'oublierons pas
vos propos.
Merci, grand dirigeant George W. Bush.
Merci
beaucoup.
[Traduit du portugais (Brésil) par
Françoise Marchand Sauvagnargues.]
3. Au-delà du
pacifisme par Edgar Morin
in Le Monde du mardi 18 mars
2003
(Edgar Morin est sociologue.)
L'HISTOIRE
humaine a commencé il y a huit millénaires. Elle s'est mise en mouvement avec
l'essor des Etats, animés par une mégalomanie dominatrice, que surdétermine la
soif de gloire de leurs souverains et la soif de sang de leurs dieux. L'histoire
naît de la guerre et fait naître la guerre. Elle voit l'essor des civilisations
; chacune apporte ses arts, ses techniques, ses mythes, ses chefs-d'œuvre. Mais
elle voit aussi le naufrage de ces civilisations, perdues corps et biens dans
d'innombrables Titanic historiques. L'histoire a actualisé des potentialités
rationnelles, techniques, économiques, imaginaires, esthétiques créatrices,
ludiques, poétiques, mais aussi la démence et la démesure d'homo
sapiens-demens.
Les guerres ont pris un cours nouveau à partir de la
révolution industrielle, qui multiplie la puissance mortifère des armements. Les
Etats, devenus maîtres de formidables méga-machines sociales, utilisent des
armes de plus en plus massivement meurtrières.
La première guerre mondiale
opère des hécatombes sans précédent, elle s'en prend aux populations civiles et
devient guerre totale. La seconde décuple l'efficacité des armes de destruction,
anéantit des millions de civils par bombardements et déportations, et elle
s'achève sur les champignons funèbres d'Hiroshima et de Nagasaki. La
civilisation scientifique-technique-militaire est désormais capable d'anéantir
l'humanité, c'est-à-dire de s'anéantir elle-même.
Le pacifisme moderne est né
en réaction d'horreur à la première guerre mondiale. Il s'est désintégré sous
l'occupation nazie, sa logique conduisant au paradoxe de la collaboration à la
guerre hitlérienne, et il a fait place chez beaucoup, dont l'auteur de ces
lignes, à la Résistance, c'est-à-dire à l'entrée dans un camp en
guerre.
Toutefois, la menace nucléaire d'après Hiroshima a fait renaître le
pacifisme. Mais, dès que l'URSS fut maîtresse de l'arme atomique, le Mouvement
de la paix, manipulé par l'URSS (qui interdisait en son sein toute contestation
pacifiste) continua à se concentrer contre l'armement occidental. Ce qui fit
dire justement à François Mitterrand : "Les pacifistes sont à l'Ouest et les
missiles à l'Est."
La guerre du Vietnam, les guerres de libération coloniale
firent naître dans les pays colonisateurs des oppositions aux guerres
répressives. Aux Etats-Unis, le mouvement pacifiste idéalisa le Vietminh, ignora
le système totalitaire qu'il instaurait, et se trouva pris à contre-pied quand
le Vietnam envahit le Cambodge.
En dépit de sa maladie infantile
prosoviétique, le pacifisme d'après Hiroshima témoignait de la conscience d'un
passage à une menace globale sur l'humanité. Le pacifisme contre la guerre du
Vietnam, en dépit de son caractère borgne, témoignait que dans les pays
colonisateurs, une conscience universaliste du droit des peuples s'était formée
et demandait à l'Occident de rompre avec son passé hégémonique. Il n'y eut
cependant pas de mouvement civil global pour la destruction de toutes les armes
de destruction massive, au premier chef nucléaires.
Les manifestations
récentes ont constitué une coalition hétéroclite d'un pacifisme absolu, d'un
antiaméricanisme héritage ultime du prospectivisme mort, d'un pacifisme motivé
contre une impudence et imprudence belliqueuse, et enfin d'un pacifisme qui
trahit les besoins vitaux de l'ère planétaire.
Il y a effectivement dans le
soulèvement pacifique une part de réaction contre l'impudence d'une chasse au
Ben Laden qui se transforme par tour de prestidigitation en chasse au Saddam
Hussein, de réaction contre l'inanité des arguments sur le danger irakien,
contre la dissimulation des vrais desseins qui, fondamentalement stratégiques et
pétroliers visent au contrôle du Moyen-Orient. Plus encore, il y a une réaction
contre la politique hégémonique quasi impériale des Etats-Unis déterminée à
assurer l'ordre mondial même sans accord des Nations unies.
Il y a aussi une
part de réaction contre l'imprudence d'une intervention au cœur de la zone
sismique de la planète. Une guerre contre l'Irak ne saurait être circonscrite,
ce sera une opération d'apprenti sorcier pouvant déclencher une réaction
cataclysmique en chaîne.
Sous les imposantes manifestations récentes en
Europe, aux Etats-Unis, en Australie, c'est-à-dire dans le monde occidental
lui-même, il y a, à mon sens, le sentiment sous-jacent d'une menace
apocalyptique. Il ne s'agit nullement de sauver Saddam Hussein. Il s'agit d'une
réaction contre un cercle vicieux de haine et de terreur déjà en activité
abominable dans la relation Israël-Palestine.
De plus, la situation actuelle
porte en elle un message encore informulé : la guerre, fille de l'histoire et
mère de l'histoire, est arrivée au point fatal où elle risque de faire chavirer
l'histoire. Une telle réévaluation prend sens, non seulement parce que le
développement même de l'histoire, devenue planétaire, conduit à l'abîme, mais
aussi parce qu'elle nous conduit du même coup aux préliminaires d'une
post-histoire possible. En effet, l'ultime étape de la mondialisation, commencée
en 1990, a produit les infrastructures techno-économiques d'une société-monde.
Mais elle est incapable d'en instaurer les structures et déchaîne un chaos qui
la rend hautement improbable.
Nous voici donc devant le paradoxe de notre
troisième millénaire : nous avons désormais la possibilité de sortir de
l'histoire par le haut, c'est-à-dire en accédant à une société-monde qui dépasse
les Etats et leurs conflits, et instaure non pas un gouvernement mais une
gouverne mondiale à partir d'instances de décision concernant les problèmes
vitaux de la planète. Mais, en même temps, les nations ne sont pas capables
d'instaurer le pouvoir supranational qui limiterait leur souveraineté ; les
Nations unies sont impuissantes à constituer la force de gouvernance mondiale
qui permettrait de dépasser l'ère des guerres en dépassant l'ère de la
souveraineté absolue des Etats nationaux. Or nous sommes dans l'alternative : ou
les Nations unies arrivent à se hisser à assumer leur rôle de pacification
planétaire, ou bien la voie sera libre à la domination d'un nouvel Empire qui
aspire aujourd'hui à prendre en charge la société-monde. Réformer les Nations
unies est devenu une exigence forte pour l'humanité.
L'alternative va devenir
de plus en plus pressante ; ou sortir de l'histoire par le haut, ou se faire
engloutir par les ultimes déchaînements de l'histoire. On sortirait alors de
l'histoire par le bas. Nous en avons la prémonition dans le film Mad Max, où une
formidable barbarie de tous contre tous se déchaîne en utilisant les débris et
détritus de la civilisation technique.
L'idée de "sortir de l'histoire"
semble utopique. Mais l'humanité n'est-elle pas, il a quelques milliers
d'années, sortie de la préhistoire ? Sortir de l'histoire n'est pas
s'immobiliser. C'est continuer l'évolution mais selon d'autres normes et à un
méta-niveau. Ainsi, l'évolution des sociétés humaines a continué l'évolution
biologique, mais selon d'autres normes et à un méta-niveau... Et l'ère
planétaire produit les conditions d'une méta-évolution.
Tout cela se passe à
l'ombre de la mort. La crise planétaire s'intensifie. Mais nous savons que la
conscience du danger peut le prévenir si, évidemment, elle n'est pas trop
tardive. Et c'est dans la crise que peuvent surgir et s'activer les puissances
génératrices et régénératrices qui sont incluses, inhibées, endormies en chaque
être humain, en chaque société et en toute l'humanité.
4. Tsahal : "La mort d’une
activiste américaine à Gaza est un "accident regrettable" par Arnon
Regular
in Ha'Aretz (quotidien israélien) du lundi 17 mars
2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
La mort d’une militante pacifiste
américaine, dimanche dernier, tuée par un bulldozer de l’armée israélienne qui
l’a écrasée au cours de la démolition d’une maison du camp de réfugiés de Rafah,
dans le sud de la bande de Gaza, était un « accident regrettable », d’après un
porte-parole de l’armée israélienne.
« Il s’agit d’un accident
regrettable », a indiqué le porte-parole des forces israéliennes « de défense »,
le capitaine Jacob Dallal. « Nous avons à faire à un de ces groupes de
protestataires qui se comportent de manière totalement irresponsable, mettant
tout le monde en danger », a-t-il ajouté.
Rachel Corey, 23 ans, originaire
d’Olympia, dans l’Etat de Washington, a été tuée alors qu’elle s’est portée
au-devant un bulldozer afin de tenter de l’empêcher de détruire une maison, ont
témoigné des médecins de Gaza. Un autre militant a été blessé au cours de cet
affrontement.
Quelques heures après, deux Palestiniens étaient tués par les
forces israéliennes « de défense », dans la bande de Gaza toujours, ont indiqué
des sources palestiniennes. Un jeune palestinien a été tué à Khan Yunis, d’après
ces mêmes sources, tandis qu’un autre Palestinien était tué à Rafah, à l’extrême
sud de la bande de Gaza, sur la frontière entre l’Egypte et la Palestine.
«
Corey a été tuée dans le Quartier As-Salâm (= Quartier de la Paix !) lorsqu’un
bulldozer de l’armée israélienne, auquel elle tentait de barrer la route de son
corps, l’a ensevelie sous le sable », a indiqué le Dr Ali Musa, un médecin de
l’hôpital Al-Najâh [Ha'Aretz écrit Al-Najar ! Ndt], situé dans le sud de la
bande de Gaza. Il a précisé que la victime était morte de ses blessures à la
boîte crânienne et à la poitrine.
Greg Schnabel, 28 ans, de Chicago, a
précisé que les manifestants se tenaient dans la maison du Dr Samir Masri.
«
Rachel était seule dehors, devant la maison, et nous tentions de les persuader
d’arrêter », a précisé Greg Schnabel. « Avec les bras, elle faisait de grands
signes au bull, lui demandant de s’arrêter. Elle est tombée et le bull a
continué à avancer. Nous hurlions : ‘Stop ! Arrêtez ! Arrêtez !’ Mais le bull ne
s’est absolument pas arrêté. Il lui est passé de toute la longueur de ses
chenilles sur le corps, puis il a fait marche arrière, et : même chose.
»
Depuis le début de l’Intifada, des groupes de protestataires internationaux
se regroupent dans différents lieux dans les territoires, s’érigeant en «
boucliers humains » et tentant d’entraver les opérations des forces israéliennes
« de défense ».
Corey est la première militante de ces groupes constituant le
« Mouvement international de solidarité » à avoir été tuée au cours du conflit.
Greg Schnabel a indiqué que Corey était étudiante au Collège Evergreen et
qu’elle devait passer sa maîtrise cette année.
Il a raconté qu’il y avait
huit militants sur le site, quatre Américains et quatre Britanniques. « Nous
restons avec les familles dont la démolition de la maison est programmée »,
a-t-il dit à l’agence Associated Press au téléphone, depuis Rafah, peu après
l’incident.
Pour l’instant, le Département d’Etat américain n’a fait aucun
commentaire. [2 h16 heure israélienne : GMT + 2]
5. Les divisions entre juifs américains les conduisent
à faire silence sur la guerre contre l’Irak par Laurie Goodstein
in
The New York Times (quotidien américain) du samedi 15 mars 2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Des organisations juives connues pour
n’avoir jamais par le passé hésité à publier des résolutions sur la politique
étrangère américaine, en particulier au Moyen-Orient, sont restées silencieuses
sur la question de savoir si les Etats-Unis devaient (ou non) faire la guerre à
l’Irak.
Certains dirigeants de la communauté juive (américaine) disent que,
bien qu’ils soutiennent le président Bush en qui ils voient un allié fiable du
gouvernement israélien, ils sont de plus en plus effrayés à l’idée d’un retour
de manivelle dans la tronche au cas où la guerre tournerait mal.
Mais une
autre raison – plus fondamentale – de leur réticence face à cette guerre est le
fait que leurs propres adhérents sont incapables, depuis des mois, de se mettre
d’accord sur la question de savoir si une guerre contre l’Irak est une bonne
idée, ou non.
La question de savoir comment les juifs américains se situent
par rapport à cette guerre a revêtu une acuité accrue, cette semaine, après que
James P. Moran, Représentant démocrate de l’Etat de Virginie, a été condamné par
des membres des deux partis (républicain et démocrate) pour avoir déclaré que
des juifs influents entraînaient les Etats-Unis dans la guerre, déclarations
pour lesquelles il a été contraint de présenter des excuses publiques.
Tandis
que des responsables de la communauté juive reconnaissaient que certains
décideurs politiques juifs avaient contribué à dessiner la stratégie
présidentielle en ce qui concerne l’Irak, et que certains lobbyistes juifs
soutiennent cette stratégie, beaucoup d’indices montrent que les juifs
américains sont aussi divisés entre eux sur cette question que le reste de la
nation américaine.
« Le seul consensus auquel nous sommes parvenus
concerne le fait qu’il n’existe pas, précisément, de consensus », a déclaré
Hannah Rosenthal, directeur du Conseil juif pour les affaires publiques,
évoquant la réunion à Baltimore, il y a deux semaines de cela, de 700 dirigeants
juifs actifs au sein de son organisation, qui compte des juifs ressortissants
aux quatre principales branches de la communauté : les reconstructionnistes, les
réformistes, les conservateurs et les orthodoxes.
« Le sentiment général », a
indiqué le rabbin Elie Yoffie, président de l’Union des Congrégations hébraïques
américaines, « est qu’il existe une profonde ambiguïté. Il n’y a aucun
enthousiasme effréné pour une action militaire contre l’Irak, au sein de la
communauté juive… En tous cas, certainement pas dans le mouvement que j’anime
personnellement. »
Au cours d’une réunion, cette semaine, du bureau exécutif
de l’union – qui représente des synagogues de l’obédience du mouvement
réformiste, le plus important du judaïsme américain – certains membres n’ont
même pas tenté de mettre aux voix une prise de position sur la guerre, car il
était hautement improbable qu’ils puissent parvenir à un accord durant une seule
journée, a indiqué le rabbin Yoffie. Plusieurs sondages ont permis de constater
que les juifs sont moins susceptibles que l’opinion publique générale de
soutenir une action militaire contre l’Irak. Un ensemble de sondages réalisé par
le Centre de recherches Pew, d’août 2002 à février 2003 ont permis de constater
que 52 % des juifs sont en faveur de la guerre, 32 % y sont opposés et 16 % sont
indécis (parmi l’ensemble des Américains, ces mêmes sondages aboutissent aux
résultats suivants : 62 % favorables, 28 % opposés et 10 % sans opinion).
Des
responsables juifs ont déclaré, dans une vingtaine d’interviews, cette semaine,
qu’ils ont le sentiment d’être confrontés à un dilemme. Ils voient en Saddam
Hussein un danger imminent et ils souhaiteraient le voir écarté du pouvoir. Le
rabbin David Ellenson, président du Collège hébraïque unifié – Institut juif
religieux (il s’agit d’une université réformiste) – a déclaré : « Les juifs
américains reconnaissent le danger que le terrorisme représente pour le monde
entier, et je pense que les juifs américains sont plus au courant que d’autres
Américains du très mauvais dossier de Saddam Hussein en matière de violations
des droits de l’homme, tout simplement parce que nous, les juifs, nous accordons
une attention plus soutenue (que d’autres) à ce qui se passe au Moyen-Orient.
»
Mais certains juifs sont de plus en plus préoccupés par l’absence d’un
large soutien international à une frappe (américaine) préemptive, et ils sont
sceptiques quant à la capacité des Etats-Unis à instaurer un gouvernement qui
jouisse d’une relative stabilité dans l’Irak de l’après-guerre.
Le rabbin
Ismar Schorsch, chancelier du Séminaire théologique juif d’Amérique, centre
universitaire et spirituel du judaïsme conservateur, a déclaré, cette semaine,
au cours d’une conférence : « Nous vivons dans un monde devenu fou, un monde
dans lequel un tigre de papier est devenu l’ennemi mortel de l’Amérique, un
monde dans lequel l’Amérique s’apprête à entrer dans une guerre dans laquelle
l’Amérique se retrouve seule. »
Au cours d’une interview, ce même rabbin a
déclaré être persuadé que la Corée du Nord représente une menace plus importante
que l’Irak, que la fin de l’Irak [nous pensons que le rabbin Schorsch veut
parler du régime irakien ? Ndlr] ne sera pas celle d’Al-Qa’ida, et que les
Etats-Unis ont « gravement affaibli les institutions de l’arène internationale,
si péniblement édifiées après la Seconde guerre mondiale. »
La plupart des
confessions chrétiennes ont pris position contre une entrée en guerre de
l’Amérique. Mais chez les juifs, si certains individus ont joué un rôle éminent
dans les manifestations et les déclarations pacifistes, les groupements
juifs ont fait extrêmement peu de déclarations qui soient explicitement opposées
à la guerre, ou qui la soutiennent.
Les juifs « colombes » disent que le fait
que les associations juives ne se soient pas prononcées contre la guerre est une
preuve de la nature intrinsèquement « faucon » de la plupart des juifs. Mais les
faucons juifs disent exactement le contraire : à savoir que leur silence
assourdissant traduit, précisément, à quel point les « colombes » sont
prépondérants parmi les juifs américains.
Les dirigeants juifs disent que
bien qu’ils aient eu de temps à autre des rencontres avec des responsables
officiels à la Maison Blanche et au Département d’Etat au sujet des problèmes du
Moyen-Orient, l’administration ne leur a jamais demandé de mettre la sourdine à
– ou au contraire de monter le son de – leurs déclarations publiques au sujet de
la guerre.
Une vingtaine de dirigeants juifs ont rencontré hier Condoleezza
Rice, la conseillère en matière de sécurité nationale, afin de commenter le bref
discours que M. Bush venait de prononcer dans la Roseraie de la Maison Blanche,
et dans lequel il a déclaré que la « feuille de route » vers une paix au
Moyen-Orient serait très prochainement remise à l’ordre du jour, une fois que
les Palestiniens auront intronisé un nouveau premier ministre susceptible de
faire véritablement contrepoids à Yasser Arafat.
« Ils ne nous demandent pas
d’être sur le front ; ils ne nous demandent pas d’être sur le front », a déclaré
Steve Rosen, responsable des questions de politique internationale au Comité
d’action politique américano-israélien.
Les dirigeants juifs ont confié
s’être retrouvés, la semaine passée, dans une situation fort inconfortable, les
projecteurs étant braqués sur eux afin de leur arracher des prises de position
sur la question irakienne. La semaine dernière encore, une notion souvent
formulée en Europe et dans certains pays arabes était devenue le sujet de
conversation des médias consensuels américains : en substance, que M. Bush est
poussé à la guerre par une clique de juifs introduits dans les hautes sphères de
la politique étrangère des Etats-Unis.
Cette idée gagna en popularité lorsque
des informations commencèrent à circuler, suggérant que M. Moran, congressiste
de Virginie, avait déclaré lors d’un forum anti-guerre tenu voici quelques
semaines, que « n’était le soutien très fort de la communauté juive à cette
guerre contre l’Irak, nous ne serions pas là. » Mr Moran avait ajouté que « les
dirigeants de la communauté juive (américaine) ont suffisamment d’influence pour
pouvoir changer la direction vers laquelle les choses sont en train d’évoluer »,
ajoutant : « Je pense d’ailleurs qu’ils devraient le faire. »
Les
responsables juifs répliquèrent, indignés. M. Moran présenta des excuses, et,
hier, il a démissionné de sa responsabilité de chef de groupe régional à la
Chambre des Représentants (il existe 24 de ces commissions régionales). Mais ce
coup de torchon a occasionné une large discussion autour du rôle des juifs dans
la politique étrangère américaine et des motivations de la politique
présidentielle, ainsi que de la question de savoir si soulever ce genre de
problèmes relève ou non de l’antisémitisme.
David A. Harris, président
exécutif du Comité juif américain, a qualifié les commentaires tels ceux de M.
Moran de « syndrome antisémite classique. Et, comme chacun sait, nous
n’utilisons jamais le terme « antisémite » à la légère. » M. Harris a ajouté que
les commentaires de M. Moran partaient d’une « once de vérité » - à savoir qu’un
certain nombre de juifs travaillant dans l’équipe de l’administration
spécialisée dans la détermination de la politique étrangère prônent depuis
longtemps la stratégie d’une guerre préventive contre M. Saddam Hussein.
Ce
qui, par contre, relève de la théorie du complot, c’est de dire que ces
décideurs politiques juifs jouissent d’un pouvoir démesuré, qu’ils sont plus
loyaux à Israël qu’aux Etats-Unis, et qu’ils sont en train de manipuler un
gouvernement trop crédule.
« Si la guerre tourne mal », a ajouté M. Harris, «
il y aura immanquablement des gens qui vont s’efforcer de nous ressortir la
théorie élimée voulant que nous cherchions à tout prix un bouc émissaire : et
l’on sait que les juifs servent de boucs émissaires aux bigots sectaires depuis
des siècles. »
Malcolm Hoenlein, directeur de la Conférence des présidents
des principales organisations juives américaines a déclaré, pour sa part : «
Personne ne dit que Colin Powell et Condoleezza Rice étant noirs, nous assistons
à un effort concerté de la communauté noire afin de pousser à la guerre. »
6. Un génocide n’a pas besoin
de chambres à gaz ! par Shulamit Aloni
paru dans Ha’Aretz (quotidien
israélien) traduit dans Courrier International du jeudi 13 mars
2003
Cri de colère contre la politique d’Ariel Sharon dans
les Territoires palestiniens, par Shulamit Aloni, ex-ministre de la Culture du
gouvernement Rabin et leader de la gauche israélienne.
Nous
n’avons pas de chambres à gaz ni de fours crématoires, mais il n’existe pas
qu’une seule méthode pour commettre un génocide. Le Dr Ya’akov Lazovik écrit
dans le journal "Ha’Aretz" que le gouvernement de l’Etat d’Israël et la nation
ne sauraient projeter de commettre un génocide. Est-ce là de la naïveté ou de
l’hypocrisie ? C’est difficile à dire. On sait bien qu’il n’y a pas qu’une façon
de commettre un meurtre, et cela vaut également pour le génocide. L’écrivain Y.
L. Peretz parlait de ce “chat vertueux” qui ne fait pas couler le sang, mais
étouffe ses victimes.
Le gouvernement israélien, avec son armée et ses
instruments de destruction, non seulement fait couler le sang, mais étouffe
aussi ses victimes. Comment qualifier autrement le largage d’une bombe de 1
tonne sur une zone urbaine densément peuplée [le 22 juillet dernier, à Gaza],
officiellement pour tuer un dangereux terroriste et sa femme ? Bien sûr, les
autres personnes - dont des femmes et des enfants - qui ont été tuées ou
blessées ne comptent pas. Comment peut-on expliquer qu’on expulse des citoyens
de chez eux à 3 heures du matin sous la pluie, puis qu’on place des bombes dans
leurs maisons et qu’on s’en aille sans rien leur dire ?
Et comment justifier
ce qui s’est passé à Jénine ? Nous n’avons pas détruit tout le quartier, mais
seulement 85 maisons ; ce n’était pas un massacre, nous n’avons tué qu’une
cinquantaine de personnes. Combien de gens faut-il tuer, combien de maisons
faut-il détruire pour que ce soit un crime ? Un crime contre l’humanité tel
qu’il est défini par les lois de l’Etat d’Israël et pas seulement par les lois
belges.
Mieux encore : un couvre-feu et le bouclage d’une ville entière pour
permettre à quelques adeptes d’une bande raciste [les ultras des colonies
juives] d’entrer dans le caveau des Patriarches à Hébron, des chars qui
détruisent des étals de fruits et légumes, des bulldozers abattant des maisons
et des généraux qui, dans leur immense orgueil, sont prêts à détruire tout un
quartier pour un groupe de voyous de colons. Couvre-feu, bouclages, brutalités,
meurtres, destruction des maisons des suspects... on a fait tout
cela.
L’ordre qu’a donné Ariel Sharon aux soldats qui sont allés se venger à
Qibiah [en Jordanie, en 1956] - “Maximisez les pertes en vies et en biens” - n’a
pas été oublié. Aujourd’hui, le Premier ministre Sharon, [le ministre israélien
de la Défense] Shaül Mofaz et [le chef de l’état-major] Moshe Yaalon, les trois
généraux qui dirigent la politique de ce gouvernement, se comportent comme le
chat hypocrite : ils s’emploient à étouffer leurs victimes. Benny Alon, ministre
du gouvernement actuel, l’a bien dit : “Rendez-leur [aux Palestiniens] la vie
tellement impossible qu’ils partiront d’eux-mêmes.”
C’est ce qui se fait tous
les jours. Le chef d’état-major a annoncé qu’il détruisait “pour reconstruire”.
Ses actions laissent supposer que, par “construire”, il entend : construire de
nouvelles colonies. Pour ne pas être obligée de veiller au bien-être des
habitants, l’armée pénètre dans un village, tue, détruit, arrête et se replie.
Ceux qui restent au milieu des cendres et des ruines n’ont plus qu’à se
débrouiller tous seuls.
Israël ne veut tout simplement pas savoir
Nombre de nos enfants sont endoctrinés, on leur dit dans les écoles
religieuses que les Arabes sont des Amalécites [tribu ennemie des Hébreux] et la
Bible nous enseigne qu’il faut anéantir les Amalécites. Un rabbin (Israël Hess)
a écrit une fois dans le journal de l’université Bar-Ilan que nous devions
commettre un génocide car ses recherches avaient montré que les Palestiniens
étaient des Amalécites.
La nation israélienne ne projette pas un génocide ;
elle ne veut tout simplement pas savoir ce qui se passe dans les Territoires. La
nation obéit aux ordres donnés par ses représentants légitimes. Depuis
l’assassinat du Premier ministre légitime [Yitzhak Rabin, en 1995], qui voulait
apporter la paix, le doigt est sans cesse sur la détente, la cupidité passe
avant tout et il existe toujours une raison pour brutaliser l’ensemble des
habitants d’une ville qui en compte des dizaines, voire des centaines de
milliers - parce qu’il y a toujours des gens qui sont recherchés. Il suffit
qu’une personne soit recherchée pour bombarder et tuer, par erreur bien entendu,
des femmes, des enfants, des ouvriers et d’autres êtres humains - en admettant
qu’on les considère encore comme des êtres humains.
Bien entendu, avec notre
hypocrisie, avec l’adoration que nous vouons à notre “morale juive”, nous
faisons en sorte que tout le monde sache que les victimes palestiniennes sont
merveilleusement soignées dans nos hôpitaux. Mais nous nous gardons bien de
faire savoir combien de Palestiniens sont exécutés de sang-froid dans leur
propre maison.
Le génocide dont il s’agit aujourd’hui n’est pas le même que
celui dont nous avons été victimes dans le passé. Comme me l’a dit l’un de ces
généraux malins, nous n’avons pas de chambres à gaz ni de fours
crématoires.
7. La doctrine Bush contre
les valeurs américaines par Georges Soros
in Le Figaro du jeudi 13
mars 2003
(Georges Soros est Président de l'Open Society Institute et du
Soros Fund Management.)
Alors que les troupes américaines et britanniques se préparent à envahir
l'Irak, l'opinion publique de ces pays s'oppose à une guerre sans l'accord de
l'ONU. Le reste du monde est lui aussi dans sa grande majorité opposé à cette
guerre ; la communauté internationale considère néanmoins que Saddam Hussein est
un dictateur qui doit être désarmé. Le Conseil de sécurité de l'ONU a voté à
l'unanimité la résolution 1441 qui exige qu'il détruise ses armes de destruction
massive. Pourquoi ce désaccord ?
C'est la première fois que la doctrine Bush
est appliquée et cela provoque une réaction de rejet. Cette doctrine repose sur
deux piliers : les USA doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour
maintenir leur suprématie militaire et ils s'arrogent le droit de déclencher des
actions préventives.
Elle suppose l'existence de deux types de souveraineté :
d'une part la souveraineté américaine qui primerait sur le droit international,
d'autre part la souveraineté des autres pays. Cela rappelle La Ferme des animaux
de George Orwell, une fiction dans laquelle tous les animaux sont égaux, mais
certains sont plus égaux que d'autres. La doctrine Bush n'est pas présentée
aussi brutalement, car elle se cache sous un double langage orwellien. Ce double
langage est nécessaire, car la doctrine Bush est en contradiction avec les
valeurs américaines.
L'Administration Bush estime que les relations
internationales sont basées sur des relations de pouvoir, la légalité et la
légitimité ne servant que de décorum. Cette idée n'est pas fausse, mais elle
repose sur un aspect de la réalité exagérément grossi, à l'exclusion de tous les
autres aspects : la puissance militaire. Mais aucun empire ne peut reposer
exclusivement sur la puissance militaire.
Or c'est cette idée qui anime le
gouvernement américain. Le premier ministre israélien Sharon y croit aussi, et
on en voit le résultat. L'idée que la puissance fonde le droit est inconciliable
avec l'idée d'une société ouverte, d'où la nécessité de faire appel au double
langage orwellien.
L'Administration Bush a pris les rênes du pouvoir avec une
idéologie fondée sur le «fondamentalisme de marché» et la suprématie militaire.
Avant le 11 septembre, elle ne pouvait guère la mettre en oeuvre car elle ne
disposait ni d'un mandat clair en ce sens ni d'un ennemi bien défini. Le
terrorisme lui a fourni l'ennemi idéal parce qu'il est invisible et ne disparaît
jamais. En déclarant la guerre au terrorisme, le président Bush a trouvé le
mandat qui lui faisait défaut.
Mais sa politique a déjà des conséquences
graves et inattendues. L'UE et l'Otan sont divisées et les USA donnent l'image
d'un forcené qui s'agite en tous sens. L'Afghanistan a été libéré, mais la loi
et l'ordre ne s'appliquent pas au-delà de Kaboul et le président Karzaï doit
être protégé par des gardes du corps américains. Le conflit israélo-palestinien
s'envenime.
Une victoire rapide en Irak avec des pertes limitées pourrait
entraîner un changement spectaculaire de situation. Le prix du baril de pétrole
pourrait s'effondrer, les marchés boursiers se redresser, les ménages
recommencer à consommer et les entreprises accroître leurs investissements. Le
conflit israélo-palestinien serait plus facile à résoudre, l'Amérique ne serait
plus dépendante du pétrole saoudien et elle pourrait entamer des négociations
avec la Corée du Nord sans risquer de perdre la face. C'est ce sur quoi compte
le président Bush.
Mais une victoire militaire sur l'Irak est l'étape la plus
facile, c'est la suite qui pose problème. Lors de la formation d'une bulle
boursière, le début du phénomène tend à renforcer l'erreur de raisonnement qui
lui a donné naissance. C'est cette situation que l'on peut craindre en ce qui
concerne l'Irak.
Il n'est pas encore trop tard pour empêcher que le processus
de formation de la bulle n'échappe à tout contrôle. L'ONU pourrait accorder à
Hans Blix, le chef des inspecteurs, les quelques mois supplémentaires qu'il
demande pour achever sa mission. La présence militaire américaine dans la région
pourrait être réduite, quitte à être renforcée si l'Irak se dérobe à ses
obligations ; l'invasion pourrait intervenir si nécessaire à la fin de l'été. Ce
serait une victoire tant pour l'ONU que pour les USA qui auront poussé le
Conseil de sécurité à agir avec fermeté. C'est ce que proposent les Français,
mais ce n'est pas ce qui va se passer. Le président Bush a pratiquement déclaré
la guerre.
Il reste à espérer que la conquête de l'Irak sera rapide et sans
trop de dommage. Déloger Saddam est une bonne chose, il n'en reste pas moins
qu'il faut s'opposer à la méthode suivie par le président Bush. A long terme,
une société ouverte ne peut survivre que si les personnes qui y vivent croient
en elle.
(Copyright : Project Syndicate, mars 2003.(Traduit de l'anglais par
Patrice Horovitz.)
8. Un site pour "noircir" la
Belgique... par Serge Dumont
in Le Soir (quotidien belge)
du jeudi 13 mars 2003
Noircir l'image de la Belgique dans le
monde. Tel est l'objectif affiché par les promoteurs israéliens d'un nouveau
site internet consacré à la face cachée du royaume qui veut juger Ariel Sharon
alors qu'il a tant de sang sur les mains. Récemment lancé par des spécialistes
en relations publiques désireux de garder l'anonymat, financé grâce à quelques
donateurs américains, ce site antibelge consacre ses pages à l'affaire Dutroux,
aux méfaits de la colonisation du Congo, à la collaboration durant la deuxième
guerre mondiale. Il est illustré par des photos de Léopold II, de Léon Degrelle
ainsi que par des affiches appelant les Belges à s'engager dans la Waffen
SS.
La Belgique accuse notre Premier ministre de crime contre l'humanité mais
elle ne poursuit pas les phalangistes libanais chrétiens qui ont vraiment commis
le massacre de Sabra et de Chatilah, affirment les auteurs. En revanche, aucun
dirigeant belge n'a jamais été poursuivi par la justice de son pays pour avoir
laissé commettre des atrocités contre les Noirs au Congo et pour avoir fermé les
yeux sur les massacres au Rwanda. Le reste est à l'avenant. C'est-à-dire mal
documenté, partial, voire outrageusement mensonger. Ce qui n'a pas empêché
plusieurs médias israéliens dont le « Yediot Aharonot » (le quotidien le plus
lu) d'y consacrer des articles.
Paradoxalement, ce site a été créé alors que
les relations belgo-israéliennes retrouvent un semblant de calme depuis que
Silvan Shalom a remplacé Binjamin Netanyehou à la tête de la diplomatie. Certes,
rappelé à Jérusalem le 13 février, l'ambassadeur d'Israël en Belgique Yehoudi
Keinar n'a pas encore réintégré son bureau ucclois. Cependant, la récente lettre
publique adressée par Michel à ses « amis israéliens » et la manière posée avec
laquelle la commission de la Justice de la Chambre examine une série
d'amendements à la loi sur la compétence universelle contribuent à réchauffer le
climat.
9. Les réformes vues par la
presse palestinienne par Hoda Saliby-Yehia
in Le Monde du jeudi 13 mars
2003
Yasser Arafat a approuvé la création du poste de
premier ministre et a proposé son bras droit Mahmoud Abbas, alias Abou Mazen,
considéré comme un modéré. "Les réformes au sein de l'Autorité palestinienne
(...) arrivent en retard et apparaissent comme une réponse aux exigences
israélo-américaines. En fait, ce sont des revendications palestiniennes.
L'objectif étant d'assainir le système politique et non pas de transformer le
poste de Yasser Arafat en un poste honorifique", commente Al Ayyam.
"La création d'un poste de premier ministre répond à la volonté
américano-israélienne d'écarter Arafat, bien qu'il soit arrivé au pouvoir par
des élections libres", enchaîne Al Quds Al Arabi. Le quotidien palestinien de
Londres qualifie les accords d'Oslo, dont Abou Mazen fut l'un des artisans,
d'"erreur stratégique" et le met en garde contre "toutes négociations, secrètes
ou publiques, qui pourraient aboutir à des accords sacrifiant Jérusalem ou
brader le droit au retour des réfugiés palestiniens".
Les deux quotidiens appuient "la poursuite des réformes et la
démocratisation de l'Autorité palestinienne", mais restent méfiants, car c'est
"sous la pression des critiques internationales" que ces initiatives sont
prises. Ils s'inquiètent surtout de l'opposition de certaines factions qui
contraste avec l'approbation quasi unanime du Conseil législatif. En effet, les
islamistes du Hamas et du Djihad, tout comme les laïcs du Front populaire et du
Front démocratique, précise Al Quds Al Arabi, ont rejeté l'idée de nommer un
premier ministre. C'est, pour les islamistes, "une mesure qui restera sans
lendemain. Elle est inefficace tant que l'occupation israélienne se poursuit. La
priorité actuelle du peuple palestinien est la lutte pour la libération et non
pas l'innovation dans la hiérarchie politique".
Yasser Arafat continuant de contrôler la défense et la diplomatie, le
Jerusalem Post ne voit "rien de nouveau" dans ces réformes. Américains,
Européens et Israéliens s'attendaient "à un vrai transfert du pouvoir et au
remplacement d'Arafat. Or, ce n'est pas le cas". Ils sont prêts à "sacraliser
Mahmoud Abbas, car ils recherchent plus un interlocuteur qu'une vraie
démocratisation palestinienne". Mais celui-ci a beau être considéré comme un
"modéré, en réalité, il n'a pas appelé à l'arrêt total des violences mais
seulement à l'arrêt des attaques-suicides à l'intérieur d'Israël".
Paradoxalement, le Post arrive à la même conclusion que les islamistes : "Cette
nomination n'a aucune importance." Le travailliste Yossi Beilin ne partage pas
cet avis et décrit, dans le Yediot Aharonoth, Abou Mazen comme "un pragmatique,
ouvert au dialogue avec n'importe quel Israélien".
10. La crise irakienne et la
guerre des Juifs par Bradley Burston
in Ha’Aretz (quotidien
israélien) du mercredi 12 mars 2003
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
La crise irakienne a
déclenché le plus grand mouvement préventif anti-guerre de l’Histoire, avec des
millions de manifestants défilant en protestation contre une guerre qui n’a pas
encore commencé. Tandis que la vague d’opposition à cette guerre enflait,
parallèlement, un argument sous-jacent selon lequel l’influence juive en
Amérique et en Israël représenterait un facteur crucial poussant Washington dans
la bataille se répandait, suscitant à son tour un débat extrêmement vif autour
de la frontière séparant la libre expression de l’antisémitisme classique.
Le
dernier foyer où a eu lieu un débat de cette nature a été un district (sorte de
canton, ndt) proche de Washington, où l’ancien membre du Congrès américain
(démocrate) James P. Moran Junior suscita contre lui un tollé en expliquant lors
d’une assemblée contre la guerre dans une église de Virginia pourquoi il pensait
que l’opposition massive à une offensive contre l’Irak, dans l’ensemble des
Etats-Unis, n’avait pratiquement rien fait qui soit de nature à renverser la
vapeur, dans la marche inexorable vers la guerre.
« N’était le soutien
extrêmement fort de la communauté juive à cette guerre contre l’Irak, nous ne
serions pas là », dit Moran, entre autres réflexions citées mardi dernier par le
Washington Post. « Les dirigeants de la communauté juive ont une influence telle
qu’ils pourraient changer la direction où les choses sont actuellement engagées.
J’ajoute que je pense qu’ils devraient le faire. »
C’est un raz de marée de
critiques qui s’ensuivit, que les excuses de Moran ne parvinrent pas à apaiser.
Exprimant ses regrets d’avoir répondu comme il l’a fait parce que son
interlocutrice s’était présentée comme juive, Moran a maintenu que ses opinions
s’adressaient aux organisations, en général. « Si plus d’organisations, dans ce
pays, y compris les groupes religieux, étaient plus déterminées dans leur
protestation contre la guerre, je ne pense pas que les Etats-Unis continueraient
aujourd’hui à considérer la guerre comme un choix envisageable. »
Sophie R.
Hoffman, présidente du Conseil de la Communauté juive du Grand Washington, ne
fut absolument pas convaincue par ces explications. « Lorsque Moran s’est rendu
compte à quel point ses remarques étaient outrageantes, il a tenté de faire
marche arrière, en disant qu’il ne voulait pas dire ce qu’il a pourtant dit très
distinctement », a-t-elle indiqué. « Mais, cette fois, ça ne marchera pas.
»
Le porte-parole de Mme Hoffman est allé encore plus loin, qualifiant les
déclarations de Moran de « répréhensibles et antisémites ».
Les observations
de Moran s’inséraient dans un flot de commentaires provenant d’analystes tant de
la gauche que de la droite américaines, suggérant que l’administration Bush
était à l’écoute des conseils – voire recevait carrément des ordres – du
gouvernement Sharon et de l’establishment de l’armée israélienne quant à la
manière de s’y prendre avec Saddam Hussein.
Ces commentaires de spécialistes
se sont accélérés tandis que des responsables israéliens de haut rang
multipliaient les déclarations prédisant que la guerre était susceptible d’avoir
un effet curatif souverain sur la plupart des maladies affectant la sécurité de
l’Etat juif et paralysant sa vie économique.
L’image d’un tel deus ex machina
a déjà été évoquée tellement souvent qu’elle est désormais intégrée au discours
public en Israël, qu’elle est devenue synonyme des effets collatéraux positifs
d’une guerre contre l’Irak – une solution qui, aussi tirée par les cheveux
puisse-t-elle paraître à bien des égards – est sans doute le seul remède, rien
d’autre de positif ne se profilant à l’horizon.
Dernièrement, ce sont
précisément ces mêmes organisations juives qui protestent contre ce qu’elles
considèrent comme une nouvelle forme d’antisémitisme qui sont accusées d’ « être
aux ordres de montreurs de marionnettes juifs et israéliens, qui se tiennent
dans les coulisses ». En octobre dernier, le poète afro-américain Amiri Baraka –
qui jure qu’il résistera aux tentatives visant à le destituer du prix de poésie
qui lui a été décerné par l’Etat du New Jersey, parce qu’il a écrit des vers
suggérant l’idée que les juifs et le gouvernement israélien savaient d’avance
que les attentats du 11 septembre allaient se produire – a déclaré devant les
membres d’un club de poésie de New York qu’il aimerait bien savoir « pourquoi la
Anti-Defamation League [= la Licra américaine, ndt] du B’nai Brith [= le Crif à
la sauce américaine, ndt] n’est pas enregistrée en qualité de succursale d’une
puissance étrangère. »
Les premiers grondements du débat actuel au sujet de
l’influence alléguée des juifs et d’Israël se sont fait entendre plusieurs
années avant l’élection de George W. Bush. L’administration Clinton était
truffée de conseillers juifs occupant des postes clés.
Mais ce débat
jusqu’ici feutré n’est devenu totalement public que sous la présidence Bush.
Plusieurs des conseillers actuels de Bush en matière de défense nationale
avaient en effet joué un rôle fondamental dans la mise au point d’un document de
doctrine remis en 1996 au premier ministre israélien de l’époque, Benjamin
Netanyahu, petit chéri de plusieurs politiciens se qualifiant eux-mêmes de «
néoconservateurs », dont de nombreux Républicains juifs de haute volée. Ce
document à destination des responsables israéliens leur faisait entre autres la
recommandation de « concentrer leurs efforts sur la mise à l’écart de Saddam
Hussein du pouvoir en Irak. »
Parmi les auteurs du document figuraient
notamment Douglas Feith, aujourd’hui sous-secrétaire à la Défense pour les
questions politiques de Bush, Richard Perle, aujourd’hui secrétaire du Panel de
la Politique de Défense qui joue un rôle d’expert auprès du Pentagone et David
Wurmser, aujourd’hui assistant spécial du sous-secrétaire d’Etat [affaires
étrangères, ndt] John R. Bolton.
Les voix qui se font entendre, alléguant une
influence indue d’Israéliens et de juifs jusqu’au-boutistes, citent également
les nominations du faucon Paul Wolfowitz au poste de vice-secrétaire à la
Défense et du protégé de Perle, Elliot Abrams, qui est considéré comme un
détracteur persuasif du processus de paix israélo-palestinien moribond, à celui
de directeur des affaires moyen-orientales au Conseil National de Sécurité
[présidé par Condy Rice, ndt]. La nomination d’Abrams avait incité un haut
fonctionnaire de l’administration Bush ayant préféré conserver son anonymat à
déclarer au quotidien Washington Post, au mois de février dernier, que « les
Likudniks sont désormais réellement dans la place. »
« La théorie du complot
apparaît sous différents avatars, allant du malveillant au purement cynique », a
écrit l’éditorialiste du New York Times Bill Keller dans un article qu’il a
consacré aux controverses au sujet d’une influence juive et israélienne indue
sur la politique des Etats-Unis. « Mais elle se présente, en gros, comme suit :
Une coterie de zélotes pro-sionistes, à l’intérieur de l’administration Bush et
de son chœur médiatique (le « coin des bénis oui oui », comme les a appelés
crûment l’isolationniste Pat Buchanan la dernière fois que nous avons menacé
l’Irak), a planifié depuis longtemps le remodelage du Moyen-Orient, afin de le
rendre plus sûr pour Israël en éradiquant le régime hostile de Saddam Hussein.
Ils ont finalement réussi, conclut cette théorie, à force de manœuvres, à faire
déposer leur programme politique sur le bureau d’un président américain trop
crédule. »
Deux semaines tout juste après les attentats du 11 septembre,
Buchanan, un conseiller à la Maison Blanche sous les présidences de Nixon et de
Reagan, et à trois reprises candidat aux présidentielles, fit allusion au lien
entre Netanyahou et les néconservateurs. Il écrivit ceci : « La guerre que
veulent Netanyahou et les néoconservateurs, impliquant que les Etats-Unis et
Israël combattent l’ensemble des Etats islamistes radicaux, est aussi la guerre
que veut Ben Laden : c’est exactement cette guerre dont ses tueurs espéraient
allumer les feux lorsqu’ils envoyèrent des avions de ligne se fracasser contre
le World Trade Center et le Pentagone. »
Après avoir évoqué le règlement du
sort des Taliban en Afghanistan, Buchanan demandait : « Allons-nous maintenant
dynamiter la coalition américano-arabo-musulmane mise sur pied par Powell en
utilisant la puissance américaine pour envahir l’Irak ? Allons-nous procéder à
un renversement d’alliances et faire de la guerre d’Israël la guerre des
Etats-Unis ? »
Mis à part Buchanan et d’autres politiciens de droite qui
posent implicitement la question de l’influence juive, des arguments similaires
sont avancés par la gauche américaine. Bien que certains juifs, à gauche, soient
habitués depuis longtemps à être fustigés – le plus souvent par leurs
coreligionnaires – et qualifiés d’antisémites pour la simple raison qu’ils osent
critiquer Israël, les vociférations anti-israéliennes de certains des militants
anti-guerre ont convaincu jusqu’à des juifs de gauche, eux aussi sur des
positions anti-guerre, du fait que l’antisémitisme est bien le terme
approprié.
Le rabbin militant pacifiste Michael Lerner, rédacteur en chef de
la publication juive de gauche Tikkun Magazine, lui-même fréquemment la cible
des responsables de la communauté juive ulcérés par ses attaques contre le
gouvernement Sharon et sa défense du droit des Palestinien à un Etat, a, le mois
dernier, qualifié certains discours tenus à des meetings anti-guerre organisés
par des groupes d’extrême gauche de « tirs de barrage d’éreintement d’Israël et
de stupidités antisémites. »
« Le climat passionnel, dans ces manifestations,
était celui que la plupart des juifs avec qui j’en ai parlé situent quelque part
entre le gênant et l’ouvertement antisémite », a-t-il déclaré au Los Angeles
Weekly. « Ainsi, à mon avis, il est incroyablement autodestructeur, pour un
mouvement anti-guerre – qui, pour l’instant, ne bénéficie pas du soutien d’une
majorité des Américains – de repousser ainsi l’une des couches les plus
progressistes de la société américaine, à savoir les voix libérales et
progressistes des juifs » qui critiquent Israël mais soutiennent activement son
droit à l’existence.
Il y a une autre source, encore, de tension : c’est le
moment choisi par Israël pour formuler la demande pressante auprès de la Maison
Blanche qu’elle donne son feu vert à des milliards de dollars d’aide à Tel Aviv
sous forme de prêts garantis et d’investissements directs.
En réponse à ce
débat bourgeonnant, le directeur national de l’Anti-Defamation League, Abraham
Foxman, a déclaré à l’hebdomadaire U.S. Jewish Forward, le mois dernier, que,
s’il est certainement légitime de poser la question de savoir comment se
positionnent le gouvernement Sharon et les groupes juifs américains par rapport
à la guerre, la ligne de démarcation, très ténue, est franchie par ceux qui
véhiculent une présentation de ces organisations sous les traits d’une
conspiration juive ourdie dans l’ombre, et exerçant son contrôle sur la
politique étrangère américaine.
« Dire que les juifs contrôlent l’Amérique et
sa politique étrangère est un bobard ancien, bien connu », a indiqué Foxman. «
Au cours des deux guerres mondiales, les antisémites prétendaient que les juifs
avaient réussi en complotant à entraîner les Américains dans la guerre. Aussi,
lorsqu’il vous est donné d’entendre à nouveau ce même refrain, il y a de bonnes
raisons d’être sur nos gardes et d’avoir une sensibilité épidermique pour ces
diffamations. »
D’après l’ancien ministre de l’éducation nationale et de la
culture Amnon Rubinstein, les accusations selon lesquelles la guerre imminente
(contre l’Irak) « est un complot couvé par les juifs » ont quelque chose de
familier à l’oreille. Elles évoquent l’affirmation arabe selon laquelle
l’attentat contre les Tours Jumelles (du World Trade Center) aurait été perpétré
par le Mossad (« Il est absolument indéniable que, ce jour-là, les juifs ne sont
pas venus au bureau ») ou encore la diffamation suprême selon laquelle les juifs
seraient en train de tout faire afin de répandre le Sida en Egypte.
« Ce qui
rend ces accusations extrêmement intéressantes, c’est le fait qu’elles associent
la propagande antisémite à la propagande anti-israélienne », écrit Rubinstein
dans le quotidien Ha’aretz, mardi dernier. « C’est vrai, toute critique envers
Israël n’est pas nécessairement infondée et tous ceux qui dénoncent les
incursions militaires dans les camps de réfugiés de Gaza ne sont pas
antisémites. »
Toutefois, poursuit Rubinstein, une attention particulière
devrait être apportée au boycott pratiqué depuis quelque temps par une galerie
d’art de Malaga, en Espagne, contre « toute personne ayant un rapport avec
Israël. En effet, nous sommes en désaccord total avec la politique
ségrégationniste de cet Etat, et nous adoptons, nous le déclarons ouvertement,
une attitude antisémite à l’égard de toute personne ayant un lien quelconque
avec ce pays. »
Bien que cette affaire de Malaga soit un cas extrême,
Rubinstein la cite car il y voit un signe précurseur d’un retour de la haine
classique anti-juive – même dans une société laïque dans laquelle l’Eglise a
pratiquement perdu toute influence.
« L’incident de Malaga démontre que
même là où il n’y a aucun juif ou de très nombreux chrétiens engagés, il demeure
néanmoins un résidu préoccupant de cet âge d’or de la haine. Même lorsque le
sourire d’une oreille à l’autre de l’Eglise s’est évanoui, son sourire
antisémite demeure – en Espagne [par exemple].
11. Israël veut rafler la
mise par Samar Al-Gamal
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 12 mars 2003
Un enthousiasme exaspérant et un empressement
unique : Israël est le seul pays au monde où gouvernement et peuple affichent un
soutien sans réserve à une guerre contre l’Iraq. Contrairement a ce qui s’est
passé partout dans le monde, même aux Etats-Unis, aucune voix ne s’est élevée au
sein de l’Etat hébreu pour dire non au conflit à venir. Aucune personnalité,
même dans le camp pacifiste israélien, n’a émis une réserve ou n’a lancé un
appel a la paix.
Et contrairement à ce que déclarent les responsables
israéliens, un nouveau conflit au Proche-Orient servira les intérêts de l’Etat
hébreu, peut-être pas sur le plan économique ou sécuritaire, mais à d’autres
niveaux encore plus forts.
Ce manque de réaction de la part des Israéliens
démontre qu’ils ont tout intérêt à ce que les enfants de l’oncle Sam déclenchent
une offensive militaire contre Bagdad et surtout à ce qu’ils en sortent
victorieux. Sur le court terme, les militaires israéliens comptent sur cette
deuxième guerre du Golfe pour en finir avec la deuxième Intifada. La première
n’avait-elle pas connu un sort identique en 1991, après la première guerre du
golfe ? Et comme ceci a été le cas lors de la guerre en Afghanistan, le
gouvernement Sharon en profitera pour en finir avec les Palestiniens, lorsque
les Américains seront en mission en Iraq. Alors que des raids étaient menés sur
Kaboul, parallèlement l’armée israélienne avait bombardé Ramallah. Cette
fois-ci, le résultat serait une « réoccupation de toute la Cisjordanie et de la
bande de Gaza », comme le craignent nombreux responsables palestiniens. Affaire
d’opportunité donc. Et sous la houlette des Etats-Unis, les Israéliens
poursuivront un projet aussi ancien que leur existence. Le transfert des
Palestiniens. En réoccupant Gaza et la Cisjordanie, ils forceront les
Palestiniens à l'exil ou au moins une partie d’entre eux.
« Violence
aveugle, répressions et assassinants, ça sera leur façon pour régler le conflit
», estime Ahmed Qorei, président du Conseil législatif palestinien. Des terres
palestiniennes sans Palestiniens … pas de conflit, donc. Mais où iront alors ces
Palestiniens ? Peu importe pour le projet sioniste. Peut-être dans la partie
centrale de l’Iraq. Scénario presque irréel, mais fort possible avec des
Israéliens fort soutenus par la Maison Blanche. Qui osera alors s’y opposer ? La
carte américaine de la région de l’après-guerre en Iraq est donc, selon Qorei,
une carte tout à fait israélienne Une chute du régime iraqien aura des effets
positifs sur Israël. Si Saddam tombe, pourquoi pas Arafat ? Renverser ou
éliminer le premier permettrait d’évincer le second et le remplacer par une
nouvelle direction. D’après Ephraim Halevy, ancien directeur du Mossad, le
président palestinien « pourrait alors perdre le peu qui lui reste ». Arafat,
qui a été assimilé par Sharon à Ossama bin Laden suite aux événements du 11
septembre, sera associé à Saddam Hussein.
Pour Israël encore, un changement
de pouvoir à Bagdad aura également des répercussions sur d’autres pays de la
région, mais dans l’intérêt de Tel-Aviv. La chute de Bagdad aura un « effet de
dominos » sur ses voisins. Dans une interview au magazine Times, Ariel Sharon a
demandé à George Bush d’attaquer l’Iran dès que la guerre avec l’Iraq sera
terminée. En finir avec des régimes ennemis, tel est l’objectif israélien.
L’Iran mais aussi la Syrie, en soutenant le Hezbollah au Liban, ont été
responsables d’une des plus grandes humiliations qu’ait subies Tsahal. Et à la
place ? Des régimes démocratiques ? Oui, une démocratie « made in USA », et par
conséquent pro-israélienne, ou dans le pire des cas pas anti-israélienne. Parce
que Israël, cette clé de voûte de la domination américaine au Proche-Orient, ne
doit être menacé en aucun cas. Ce gendarme des Américains, qui bénéficie chaque
année de 4 milliards de dollars d’aide militaire américaine et qui a construit
avec l’aide de la France le sixième arsenal nucléaire au monde, préserve son
impunité totale. Avec une protection américaine mais aussi européenne, Israël
s’est permis de cracher sur toutes les résolutions de l’Onu. Pour garantir à
jamais l’existence de l’Etat hébreu, c’est à l’Iraq, après la Palestine, de
payer le
prix.
12. La Palestine via
Bagdad par Randa Achmawi et Ahmed Loutfi
in Al-Ahram Hebdo
(hebdomadaire égyptien) du mercredi 12 mars 2003
La guerre
contre l'Iraq aura des répercussions dramatiques sur la région. Mais la question
palestinienne, qui en subira les contrecoups, reste la
question-clef.
La situation au Proche-Orient « ne sera pas stable tant que le problème
palestinien ne sera pas résolu. Nous ne pouvons pas parler seulement de la
tension créée par la question de l'Iraq sans accorder une attention, au moins
égale, à la question centrale qui est celle de la Palestine ». Amr Moussa,
secrétaire général de la Ligue arabe, qui s'adressait à l'Onu, reprenait ainsi
les divers rappels lancés par de nombreux chefs d'Etat arabes pour lesquels la
guerre attendue contre l'Iraq ne devrait pas faire oublier que la clef de la
stabilité au Proche-Orient résidait surtout dans la question palestinienne. Le
président Hosni Moubarak, lors du sommet arabe de Charm Al-Cheikh et celui de
l'Organisation de la Conférence islamique de Doha, n'a pas manqué de répéter que
la question palestinienne était beaucoup plus difficile à résoudre que la crise
iraqienne. Il a même fait état d'entretiens téléphoniques avec George W. Bush où
il a expliqué cette idée et les risques qui découleraient d'une négligence de ce
problème. D'une certaine manière, la question qui se pose est de savoir si ces
affirmations, si pertinentes soient-elles, ont droit de cité à l'heure où une
attaque américaine contre l'Iraq est imminente et que le rappel d'autres
priorités ne semble pas utile ... En fait, cet antagonisme ou ces vues
divergentes entre le monde arabe et les Etats-Unis datent de l'élection de
George W. Bush. Celui-ci, dès son entrée à la Maison Blanche, a fait savoir
qu'il ne voyait pas de rapport direct entre l'Iraq et la Palestine et qu'il
n'envisageait pas le Proche-Orient comme un tout. Ainsi, il a dès le départ
considéré qu'il allait accorder sa priorité à l'Iraq. La question palestinienne
est ainsi passée au second plan, du moins pour l'Administration américaine.
Pourtant, pour les Arabes, il est toujours temps de rappeler à Bush que
quelle que soit l'issue de la crise iraqienne, la complexité de la question
palestinienne rendra précaire tout équilibre dans la région.
L'opposition
entre les deux agendas se reflète dans la feuille de route censée apporter une
solution, du moins provisoire, à la question palestinienne. Ainsi Moussa a
demandé que le Quartette (les Etats-Unis, l'Union européenne, les Nations-Unies
et la Russie), qui essaie de trouver une issue au conflit israélo-palestinien,
procède à la publication, plusieurs fois reportée, de la « feuille de route »
devant aboutir à la création de deux Etats vivant côte à côte et en paix. «
Publier la feuille de route est une étape nécessaire. Ce n'est pas grand-chose,
mais cela engagerait les membres du Quartette », a ajouté le secrétaire général
de la Ligue arabe.
Questions sur l'après-guerre
Amr Moussa fait
partie d'une délégation qui a été chargée par le sommet de Charm Al-Cheikh
(Egypte) d'exposer la position arabe sur la crise iraqienne aux Nations-Unies,
et cette visite a coïncidé avec la tenue d'une réunion ministérielle du Conseil
de sécurité sur l'Iraq.
Les Américains ont laissé entendre qu'ils allaient
s'engager sur le volet palestinien une fois qu'ils en auraient terminé avec
l'Iraq. Même son de cloche en Israël. Ce qui semble déconcertant, voire irréel,
pour de nombreux politiciens et analystes arabes habitués à la remise aux
calendes grecques de toute issue en Palestine. D'autant plus que les Etats-Unis
ont fait preuve d'un véritable cynisme dans leur gestion de la crise iraqienne.
« Il est très préoccupant de voir que les Etats-Unis ont l'intention de mettre
de côté les principes de la légitimité internationale en Iraq. Comment alors
espérer qu'ils veillent à l'application des résolutions des Nations-Unies en
Palestine ? », souligne Emad Gad, rédacteur en chef du mensuel Israeli Digest.
D'ailleurs, croit-il savoir, Washington envisage de nommer comme gouverneur de
l'Iraq dans la période de l'après-Saddam « un proche d'Ariel Sharon, à savoir le
général J. Garden qu'on présente généralement comme un ami d'Israël. Le
gouvernement américain fait ainsi preuve d'un manque de bon sens flagrant dans
sa gestion des questions régionales », ajoute Gad. Ainsi donc pour ce
spécialiste des questions israéliennes, il ne s'agit que de promesses, comme
celles qui ont été faites par les Américains des dizaines de fois. Mais au
moment où elles doivent être concrétisées, on ne voit pas les Etats-Unis exercer
la moindre pression sur Israël.
L'opportunisme israélien
D'ailleurs, l'Etat hébreu,
fort de ce soutien inconditionnel de Washington, ne manque pas de jeter l'huile
sur le feu et d'encourager les Etats-Unis à mettre dans le même camp
Palestiniens, Saddam Hussein et terroristes. Ainsi le premier ministre
israélien, Ariel Sharon, a assimilé l'attentat suicide commis mercredi dernier à
Haïfa, qui a fait 15 victimes, à l'attaque du 11 septembre 2001 contre le World
Trade Center de New York. « Le terrorisme qui a frappé les tours (du World Trade
Center) est le même que celui qui tue des lycéens, ce qui montre à qui nous
avons affaire », a affirmé Sharon dans un discours retransmis par la radio
publique.
Le premier ministre israélien a d'ailleurs affirmé qu'une lettre
avait été retrouvée dans la poche du kamikaze qui a commis l'attentat de
mercredi dans laquelle il se « félicitait de l'attentat contre les Twin Towers »
de New York. Vrai ou faux, cela a donné toute latitude au premier ministre,
lui-même coupable de crimes de guerre, de poursuivre : « Pendant des années, le
monde, y compris nos plus proches alliés, n'a pas compris le danger que
représente le terrorisme. Aujourd'hui, le monde comprend mieux, et en
particulier les Etats-Unis avec le président George W. Bush qui a pris la tête
de la bataille du monde libre contre le terrorisme ». Un discours destiné sans
doute à encourager Bush dans sa campagne iraqienne et à lui demander de ne pas
faire la différence entre Palestiniens et Iraqiens, et de manière générale entre
les différents peuples arabes et musulmans. Ainsi Emad Gad estime que les
Israéliens sont tout à fait en harmonie avec Washington. « Le gouvernement
israélien est convaincu que cette Administration américaine ne va pas exercer de
pressions sur lui, ni l'obliger à prendre des mesures qu'il ne souhaite pas ».
De plus, Israël semble vouloir récolter les fruits de cette guerre qu'il appelle
de ses vœux (lire encadré). En premier lieu, un Iraq affaibli et divisé rendra
fragile le monde arabe qui sera obligé d'accepter les termes d'un règlement
dicté par un gouvernement d'extrême droite en Israël.
Les conséquences régionales de crise iraqienne
Entre-temps, Sharon en profite pour mettre les bouchées doubles. Le
lendemain de l'attentat, l'armée israélienne a effectué une incursion dans un
camp de réfugiés très densément peuplé du nord de la bande de Gaza, tuant 11
Palestiniens, dont huit directement touchés par l'explosion d'un obus tiré sur
la foule par un char. Les Palestiniens ont immédiatement dénoncé un « crime de
guerre » et affirmé que ces actes laissaient présager d'un important
durcissement des interventions armées d'Israël dans les territoires occupés,
quand une guerre débuterait en Iraq.
Cela ne manque pas cependant
d'embarrasser Washington, si puissants soient-ils.
En cherchant à agir, même
sans l'aval de l'Onu, contre l'Iraq, les Etats-Unis souhaitaient quand même ne
pas se mettre à dos l'ensemble du monde arabe. Ainsi le président George W. Bush
a fait état de sa préoccupation devant la mort de Palestiniens innocents lors de
telles opérations. Deux jours auparavant, la Maison Blanche avait déjà critiqué
Israël pour les démolitions de maisons palestiniennes
Selon des sources
occidentales au Caire, Bush est conscient du sérieux de la situation en
Palestine et sait « que la corde palestinienne vibre plus que la corde iraqienne
pour les Arabes. Tout le monde craint que la situation en Palestine soit
envenimée pendant la période critique de frappes contre l'Iraq. Tout le monde va
essayer d'influencer les Israéliens pour faire en sorte de ne pas aggraver la
situation dans la région ». Mles Israéliens vont-ils comprendre que cette
escalade n'est pas dans leur intérêt ?
D'ailleurs, Saïd Kamal, secrétaire
général adjoint de la Ligue arabe chargé du dossier de la Palestine, craint
d'autres répercussions qui toucheraient l'Autorité palestinienne. Il a mis en
garde les Etats-Unis contre « la résistance aux attaques américaines à
l'intérieur de l'Iraq, susceptible de faire tâche d'huile et de gagner les
Palestiniens ». Cette résistance risque de se propager dans les territoires. «
Elle pourrait contribuer à faire s'écrouler l'Autorité palestinienne », estime
Kamal. Le dirigeant du Hamas, Mahmoud Al-Zahar, avait annoncé qu'il profiterait
de l'attaque américaine contre l'Iraq pour prendre le dessus à l'intérieur des
territoires sur les plans politique, financier et social.
Les jeux sont faits
d'une certaine manière. La question palestinienne que l'on croyait oubliée
pourrait être le catalyseur d'une crise plus vaste, surtout qu'aucune solution
véritable n'est recherchée. Sharon a clairement fait comprendre que son cabinet
ne chercherait pas à renouer des négociations avec les Palestiniens tant que
Washington n'aura pas réussi à mettre à l'écart Saddam Hussein.
Le président
de l'Autorité palestinienne, Yasser Arafat, lui, a réagi en nommant premier
ministre Mahmoud Abbass (Abou-Mazen), numéro deux de l'Organisation de
Libération de la Palestine (OLP), qui est considéré comme un modéré et un
pragmatique. Il veut prendre ainsi de court les Etats-Unis qui visent à
remodeler le Proche-Orient et y appliquer des réformes voire des changements de
régime.
De toute façon, l'Amérique semble dominer la situation. C'est du
moins ce qu'affirme Mohamad Bassiouni, ancien ambassadeur d'Egypte en Israël et
vice-président de la commission des Affaires de sécurité au Conseil consultatif.
« Les promesses américaines sont à prendre ou à laisser. On n'a pas
d'alternative. On doit accepter les promesses d'un règlement de la question
palestinienne parce qu'elles ne viennent pas uniquement des Etats-Unis, mais du
Quartette. Ce sont les membres du Quartette qui ont élaboré ce plan. Nous les
appelons à être à la hauteur de leur responsabilité et à appliquer la feuille de
route ».
Mais une chose est sûre : rien ne sera plus comme avant après cette
guerre et le règlement de la question palestinienne serait peut-être la seule
soupape de sécurité pour la région.
13. Les Palestiniens n'ont même pas de météo
par Tanya Reinhart
in Yediot Aharonot (quotidien israélien) du 9 mars
2003
[traduit de l'anglais par
Giorgio Basile]
(Tanya Reinhart enseigne la
linguistique à l'université de Tel Aviv. Elle est l'auteur de "Détruire la
Palestine - ou comment terminer la guerre de 1948" paru en 2002 aux
éditions La Fabrique.)
Dans la mesure où l'on discute en Israël des
récentes actions militaires dans les Territoires, le débat ne tourne quasi
exclusivement qu'autour de la question de savoir s'il est possible de cette
façon de mettre un terme au terrorisme palestinien. Les Palestiniens, en tant
qu'êtres humains, n'existent tout simplement pas.
Il y a quelques jours, il a neigé à Jérusalem. Mardi 25 février, la vague
de froid a fait la une de tous les quotidiens israéliens. Même dans ma maison
chauffée de Tel Aviv, il faisait froid. Mes pensées allaient vers mes amis
palestiniens – mes collègues de l'université de Bir Zeit. Sous la neige, comment
s'en tire une famille qui dispose encore d'une maison, mais pas d'argent pour la
chauffer? Et qu'en est-il pour ceux qui n'ont plus de maison? Il neigeait aussi
à Jénine. Comment les réfugiés de Jénine survivent-ils dans le froid, ou bien
ceux qui ont été récemment forcés de fuir Hébron? Et qu'en est-il pour les
personnes âgées, particulièrement vulnérables au froid? Comment les nouveaux
sans abris de Gaza ont-ils passé la nuit – tous ceux dont la maison a été
démolie ce même jour? L'UNRWA est-elle encore en mesure de leur fournir des
couvertures et des tentes?
Début février, l'UNRWA (l'Office des Nations Unies pour l'aide aux réfugiés
palestiniens) a renouvelé son appel d'urgence à la communauté internationale
afin d'obtenir des contributions financières pour les six premiers mois de 2003.
L'UNRWA a fait savoir qu'à défaut de ce financement, qui a baissé récemment,
l'agence manquerait de ressources d'ici la fin mars. [1]
Le cœur cherche des réponses, mais les journaux ne vous racontent rien à ce
propos. De l'autre côté de la clôture, hors des médias, hors de la conscience,
les Palestiniens n'ont même pas de météo.
Le même jour, cependant, le Ha'aretz faisait état d'une nouvelle campagne,
lancée par les hauts responsables de la sécurité israélienne, et destinée à
confisquer les fonds transférés aux Palestiniens – «des dizaines de millions de
dollars, provenant principalement d'organisations caritatives dans les pays
arabes et en Europe - via des banques israéliennes» (Amos Har'el, dans l'édition
en hébreu seulement). Alors que l'UNRWA est sur le point de s'effondrer, les
Palestiniens devraient également être privés de l'aide humanitaire qui les aide
à survivre.
Il ne s'agit pas d'un incident isolé, mais d'une étape supplémentaire dans
la politique israélienne systématique d'étranglement économique. Déjà, en juin
2002, «des conclusions internes aux services de sécurité, à la suite de
l'opération «Rempart», ont estimé que les réserves financières de l'Autorité
palestinienne sont sur le point de toucher le fond... Dans un futur pas trop
éloigné, la majorité des Palestiniens ne pourront poursuivre une vie décente
qu'en ayant recours à l'aide internationale.» (Amos Har'el, Ha'aretz, édition en
hébreu, 23 juin 2002). Au même moment, Israël, avec l'aide du lobby juif auprès
du Congrès américain, lançait une campagne en vue de restreindre l'aide
internationale, en demandant que soient «reconsidérées» les opérations menées
par l'UNRWA dans les Territoires occupés:
«Israël a entamé une campagne aux États-Unis et auprès des Nations unies,
les pressant de reconsidérer le mode de fonctionnement de l'UNRWA, qui alimente
les camps de réfugiés de Cisjordanie et de Gaza. Israël accuse les travailleurs
de l'UNRWA d'ignorer purement et simplement le fait que des organisations
palestiniennes ont transformé les camps en bases terroristes, et demande que
l'agence fasse rapport aux Nations unies de toutes les actions militaires ou
terroristes survenant à l'intérieur des camps... Entre-temps, des lobbies juifs
et pro-israéliens mènent aux États-Unis une campagne parallèle... Les lobbyistes
juifs américains fondent leurs efforts sur le fait qu'actuellement, les
États-Unis contribuent à hauteur de 30% au budget annuel de l'UNRWA, qui est de
400 millions de dollars, et sont dès lors en position d'exercer une pression sur
l'agence. Un refus du Congrès d'approuver le financement de l'UNRWA pourrait
compromettre sérieusement son fonctionnement.» (Nathan Guttman, Ha'aretz, 29
juin 2002)
La malnutrition des enfants palestiniens dans les Territoires occupés
atteint désormais la même ampleur qu'au Congo ou au Zimbabwe [2], mais Israël
«entame une campagne» pour faire obstacle même au peu qui leur reste pour se
nourrir.
Dans notre esprit, le génocide est associé à des charniers, ou à des
convois de populations déplacées. La mort lente infligée au peuple palestinien
n'a, sans doute, pas encore de nom jusqu'à présent, et pourtant, comment se
fait-il que la société israélienne ferme son cœur et se refuse à voir ce qui
est? La réponse vient en partie de ce que le mal est enveloppé dans des propos
ayant trait à la «guerre contre le terrorisme». Des sources sécuritaires
annoncent que l'UNRWA «ne tient pas compte» des activités terroristes (comme si
l'UNRWA était une force de police), ou que les aides caritatives envoyées aux
Palestiniens représentent des «millions de dollars pour le terrorisme», et les
médias se contentent de faire circuler leurs prophéties. Aucune autre preuve
n'est nécessaire.
Suite à la confiscation des aides caritatives, qui a débuté dans des
banques de Jérusalem-Est, «le Commandant de la région, Levi, a refusé de
divulguer des détails précis au sujet des activités terroristes à Jérusalem qui
auraient été financées à l'aide de ces fonds [confisqués]» (Arnon Regular et
Amos Har'el, Ha'aretz, 28 février 2003). L'instinct premier de l'Israélien de
croire que l'armée ne ment jamais fait le reste.
La persécution par Israël du peuple palestinien n'est pas une guerre contre
le terrorisme. Il existe un remède simple au terrorisme suicidaire palestinien:
quitter les Territoires, et donner aux Palestiniens des raisons de vivre. La
guerre contre les Palestiniens, c'est pour la «Terre Promise» de Sharon, de
l'armée et des colons. Dans une guerre de ce genre, il faut mentir constamment,
parce que (selon les sondages), la plupart des Israéliens ne se soucient pas des
Territoires, et qu'ils sont prêts à ce qu'ils soient évacués dès demain.
Laissé à lui-même, le peuple ne chercherait pas des moyens d'affamer, de
torturer et d'abandonner dans le froid des millions d'autres personnes. Pour lui
faire accepter cela, il faut entretenir ses peurs. De la même manière, la moitié
du peuple américain qui soutient la guerre contre l'Irak s'imagine que si le
peuple irakien n'est pas immédiatement éliminé, Saddam Hussein va éliminer les
États-Unis.
- Notes
:
[2] Chris McGreal, The Guardian, 11
février 2003.
14. Gaza a faim par
Peter Hansen
in The Guardian (quotidien
britannique) du mercredi 5 mars 2003
[traduit de
l'anglais par Ana Cleja]
(Peter Hansen est le
Commissaire Général de l'Office de Secours et de Travaux des Nations Unies pour
les Réfugiés de Palestine - UNRWA - UN Relief and Works Agency.)
En Palestine, l'échec du processus de
paix et la destruction de l'économie par Israël ont conduit à un terrible
désastre naturel.
Le monde a pris l'habitude de considérer que
la faim se manifeste par des joues creuses et des ventres ballonnés à l'image
des famines en Afrique. Mais aujourd'hui dans la bande de Gaza et en
Cisjordanie, une faim insidieuse a pris le peuple palestinien dans ses griffes.
Une malnutrition silencieuse, cachée dans le sang anémié des enfants ou perdue
dans les statistiques de croissances rabougries, traque les Palestiniens.
Les
populations de Gaza et de la Cisjordanie vivent depuis plus de deux ans avec des
check-points, des verrouillages et des couvre-feux qui ont ravagé leur économie.
La moitié des Palestiniens sont au chômage et plus des deux tiers d'entre eux
vivent sous le seuil de pauvreté.
L'effet de cet effondrement de l'économe
s'est fait sentir tout d'abord par l'érosion de l'épargne des familles, suivi
par l'endettement, puis par la vente forcée des biens du ménage. La famille
étendue palestinienne et le réseau de la communauté ont sauvé les Territoires
d'un effondrement total comme on aurait pu trouver ailleurs face aux mêmes
situations de déclin rapide.
Dans les Territoires occupés, chaque dollar est
partagé. Chaque personne qui a un salaire ou un cousin travaillant à l'étranger,
soutient jusqu'à sept autres adultes. Néanmoins, après trente mois d'Intifada,
la pauvreté se fait de plus en plus sentir dans les ventres.
Dans les termes
des experts, les Palestiniens souffrent de micro-déficiences dues au manque de
nourriture - ce que le l'Organisation Mondiale de la Santé appelle "la faim
cachée". C'est sans doute moins grave que la malnutrition due au manque de
protéines que traquent les urgences africaines, mais à l'échelle des
Palestiniens, c'est tout aussi sérieux. Les enfants souffrant de
micro-déficiences nutritives ne grandissent pas et ne se développent pas; leur
capacité d'apprendre est endommagée souvent de façon sévère et irréversible;
leurs systèmes immunitaires sont compromis. Les capacités mentales et physiques
sont défaillantes chez les enfants comme chez les adultes. Le résultat, dans les
cas extrêmes, peut être la cécité ou la mort.
Le développement mental et
physique d'une génération d'enfants palestiniens est remis en question. Une
étude financée par l'Agence des États-Unis pour le Développement International a
trouvé que quatre enfants sur cinq vivant à Gaza et en Cisjordanie ont un manque
de fer et de zinc, des déficiences qui provoquent de l'anémie et amoindrissent
le système immunitaire. Plus de la moitié des enfants dans chaque territoire ne
reçoit pas assez de vitamine A et de calories.
La vérité est que presque le
quart des enfants palestiniens souffre de malnutrition aiguë ou chronique et
cela pour des raisons purement provoquées par l'homme. Aucune sécheresse n'a
frappé Gaza ou la Cisjordanie, les récoltes n'ont pas fait défaut et les
magasins sont souvent pleins de nourriture. Mais l'échec du processus de paix et
la destruction de l'économie causée par la politique d'enfermement d'Israël ont
le même effet qu'un terrible désastre naturel.
Les femmes allaitantes et les
femmes enceintes souffrent également. Elles consomment en moyenne 15 à 20 % de
calories en moins par jour qu'avant l'éruption du conflit en 2000. La
conséquence de l'anémie, la prise réduite d'acide folique et le manque de
protéines, menacent leur santé comme celle de leurs enfants.
L'agence
d'assistance des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens, l'UNRWA, est la
plus grande organisation d'aide dans les Territoires. Avant le début de
l'Intifada, elle fournissait de la nourriture à environ 11.000 familles dans la
bande de Gaza et en Cisjordanie - familles qui avaient perdu leur soutien de
famille ou qui se trouvaient dans des situations à risque. Ces deux dernières
années, le programme de nourriture de l'UNRWA (devenu un programme d'urgence)
s'est étendu à 220.000 familles, soit presque la moitié de la population
palestinienne dans les Territoires.
L'UNRWA a été aussi obligée d'augmenter son programme d'aide de nourriture
parce que seuls 12.000 Palestiniens reçoivent des permis pour quitter les
Territoires alors qu'auparavant 150.000 Palestiniens partaient travailler en
Israël et pouvaient ainsi subvenir aux besoins de leur famille. À l'intérieur
même des Territoires, les déplacements sont presque impossibles. Les villes
palestiniennes sont encerclées par des troupes israéliennes et coupées les unes
des autres. Cela, et les fréquentes incursions militaires dans les villes,
empêchent les gens de circuler pour leur travail et empêchent les marchandises
des usines et les récoltes des fermiers d'atteindre les marchés. La bande
étroite de Gaza est régulièrement étouffée par les check-points sur la seule
route ouverte Nord/Sud. Les destructions de maisons et le déblaiement des terres
agricoles jouxtant les colonies, associés à la politique des verrouillages,
conduisent à un effondrement presque total de l'économie.
Le déclin de
l'économie palestinienne a été tellement rapide que seuls les efforts des
Nations Unies, de la Croix Rouge et d'autres agences d'aide ont empêché
l'effondrement économique de devenir une effondrement social total. L'UNRWA
elle-même nourrit 1,3 million de personnes et presque tous les Palestiniens
dépendent maintenant d'une aide étrangère pour survivre. Pour financer cet
énorme effort de sécurité de subsistance en plus des autres situations
d'urgence, l'UNRWA s'est tournée vers la communauté internationale avec
plusieurs requêtes d'urgence. La dernière requête pour couvrir les opérations
d'urgence pendant la première moitié de 2003, a été lancée en décembre et
représente une demande de 32 millions de dollars afin de fournir de la
nourriture à Gaza et en Cisjordanie. C'est inquiétant de constater qu'après deux
mois, l'Agence n'a reçu que seulement 1,5 millions de dollars. Les demandes sont
en concurrence avec l'Afghanistan et l'Afrique, et avec l'inquiétude concernant
l'impact humanitaire provoqué par une guerre éventuelle en Irak, les donateurs
évitent de faire des promesses concernant notre fonds d'urgence.
La
télévision ne trouvera pas encore de visages squelettiques à Gaza à filmer, pas
de ventres ballonnés qui provoqueraient une réaction dans le monde; mais ce
serait une triste accusation vis-à-vis des priorités du monde si ce programme de
nourriture se faisait attendre à cause de la relative non visibilité de cette
crise.
15. Comment nier le choc
Islam-Occident ? par Hubert Védrine
in Le Monde du vendredi 28 février 2003
(Hubert Védrine est ancien ministre des
affaires étrangères.)
Le choc des civilisations ? Plutôt que de nous offusquer de cette théorie,
trouvons les moyens d'en sortir, car il a commencé il y a longtemps, il se
poursuit sous nos yeux, il peut s'aggraver.
Comment nier le choc Islam-Occident alors même qu'il se manifeste de mille
façons, que ses racines plongent profondément dans l'histoire, que des
extrémistes spéculent sur lui, et qu'une guerre en Irak, la privation de toute
espérance pour les Palestiniens, le terrorisme islamique et l'ubris américaine
peuvent le faire dégénérer ?
On a caricaturé Samuel P. Huntington, comme s'il avait préconisé cet
affrontement, alors qu'il prévenait d'un risque. Sa formule de "clash des
civilisations" heurte ou fait peur. Elle heurte en Occident les hommes de bonne
volonté engagés dans cet exorcisme rituel qu'est le dialogue des cultures ainsi
que tous ceux qui croient en l'existence d'une seule civilisation : la
démocratie. Elle effraie les Européens, qui aspiraient à vivre dans un monde
post-tragique. Elle fait peur aux nominalistes, qui craignent qu'admettre le
risque revienne à favoriser le fait. Elle accable les musulmans modernes, qui
luttent vaillamment dans leur monde contre la régression et voient dans cette
expression fatidique l'annonce de ce qui les broiera.
Et pourtant... toutes ces dénégations bien intentionnées ne conjurent rien.
Les éléments du clash sont à l'œuvre de part et d'autre.
D'abord dans le monde musulman, du fait d'un long passé qui ne passe pas :
après les foudroyantes conquêtes arabes du début, des siècles de croisades,
d'affrontements, de colonisation chrétienne suivis d'un XXe siècle humiliant,
formellement de décolonisation, mais qui, en fait, aura conduit le Moyen-Orient
de l'Empire ottoman à la domination américaine. Plus la plaie vive
israélo-palestinienne.
Aujourd'hui, le cocktail des rancœurs, des ignorances croisées et des peurs
symétriques reste explosif. Alors que se précise le retour à l'ingérence avec
ses conséquences imprévisibles, nous n'aimons pas, nous, Occidentaux, nous
rappeler ces siècles où l'ingérence occidentale a été la règle, la non-ingérence
l'exception. Chez nous, le remords colonial et tiers-mondiste est bien loin,
recouvert par l'amnésie et la bonne conscience. Les musulmans, eux, n'ont pas
oublié.
On peut essayer de se rassurer en notant que ceux qui, en Islam comme en
Occident, cherchent à en découdre sont ultraminoritaires et que le recours à la
violence est condamné partout. Mais ils trouvent dans leur monde un écho. Ainsi,
la quasi-totalité des musulmans récuse le terrorisme et le nihilisme islamiste,
et la grande majorité résiste aux intégristes ; mais, dans le même temps, une
immense majorité honnit l'Occident, son mépris, son hégémonie, ses diktats, son
cynisme au Proche-Orient, tout ce qu'exploitent sans relâche les islamistes, qui
inondent leurs fidèles de prêches haineux, et les terroristes, qui se
nourrissent de ces rancœurs.
On peut rétorquer en soulignant les responsabilités musulmanes, le fiasco
politique et social des régimes arabes. Cela ne change rien au problème.
En Occident, les fondamentalistes américains qui influencent tant
aujourd'hui le Parti républicain au pouvoir à Washington, et sont alliés avec
une partie de la droite et de l'extrême droite israéliennes, les Folamour et les
apprentis sorciers qui veulent "remodeler" à leur façon le Moyen-Orient sont
très minoritaires.
Il n'empêche que, dans leur ensemble, les Occidentaux d'aujourd'hui – sur
ce point les Européens ne diffèrent pas des Américains – sont sincèrement
convaincus de la valeur universelle, c'est-à-dire de l'absolue supériorité, de
la démocratie occidentale sur tous les autres systèmes de valeurs et de
l'urgence de sa propagation, notamment dans le monde arabo-musulman. C'est un
fait.
D'ailleurs, l'administration Bush a joué dans l'affaire irakienne de cette
conviction pour essayer d'ébranler le pacifisme ou le multilatéralisme des
opinions qui sont contre la guerre, mais ne peuvent pas être contre la
démocratie en Irak.
Le traumatisme du 11 septembre 2001 ayant libéré à l'encontre de l'Islam
bien des inhibitions, une partie de l'Occident est ainsi disponible, voire
candidate à exercer à nouveau notre séculaire "mission civilisatrice", même s'il
y a controverse sur les moyens : le recours aux armes effraie, mais pas, sous
des noms à peine modernisés, la recolonisation, les protectorats, les
mandats.
Une nouvelle islamophobie intellectuelle se développe même sans provoquer
grande réaction.
Les résistances à cette tentation au sein du monde occidental ? Un
relativisme culturel embarrassé et déclinant, une complaisance complexée envers
l'Islam, un formalisme multilatéral, l'appel à la coopération, le pacifisme des
opinions européennes. Mais pas de vraie contestation de principe.
C'est dire que les facteurs de confrontation sont bien réels, et que les
événements qui s'annoncent peuvent les aggraver.
Ni l'Islam ni l'Occident ne pourront sans doute aller très loin dans le
sens des pulsions antagonistes de leurs éléments les plus extrêmes. Ils n'auront
d'autre choix que de continuer à coexister. L'Occident est beaucoup plus fort.
Aucun terrorisme ne l'affaiblira, au contraire. Et s'il peut assujettir des
gouvernements arabes ou effectuer aisément des opérations militaires, il ne
pourra ni convertir ni soumettre les musulmans.
Mais, en attendant, le fossé s'élargit sous nos yeux, le ressentiment croît
et la disproportion croissante entre l'hyperpuissance américaine et la faiblesse
de tous les autres fait que tout peut arriver. Ces remarques seraient valables
même sans l'imminence d'une guerre en Irak ; elles le sont a fortiori
avec.
Nous ne pouvons accepter la fatalité de cette confrontation. Que faire, en
ce qui nous concerne, pour l'arrêter ? D'abord cesser de faire l'autruche
:
– ne pas nier le risque, mais au contraire en prendre la mesure ;
– ensuite parler entre politiques, religieux, intellectuels des "deux
rives" de ce qui l'alimente, pour trouver ensemble des réponses ;
– combattre en nous-mêmes la résurgence d'une arrogance et d'un délire de
puissance occidentaliste ;
– nous méfier des nombreuses fausses bonnes raisons de recoloniser l'ancien
tiers-monde ;
– contrer les arguments ou les slogans de nos propres extrémistes
antimusulmans, comme Oriana Fallacci ;
– imposer – c'est crucial – la création d'un Etat palestinien viable
;
– faire, s'il y a lieu, de l'après-Saddam Hussein une démonstration de
modernisation démocratique et de multilatéralisme réussi ;
– soutenir plus courageusement partout les musulmans modernes ;
– encourager aux réformes les pays arabo-musulmans, sans diktat ni
maladresse dominatrice ;
– intégrer mieux les musulmans d'Europe sans transiger quant aux principes
fondamentaux de nos sociétés.
Tout cela est connu et déjà proclamé ? Mais on le fait sans le faire, dans
un tissu de contradictions.
De la part des responsables arabes, et musulmans, il serait courageux de
reconnaître que, s'il y a risque de clash, ce n'est pas seulement du fait d'une
pression néocolonialiste occidentale ou de l'aventurisme de l'administration
Bush, mais aussi en raison des rancœurs et des tensions accumulées au sein du
monde arabo-islamique, et de tous ceux qui y font de la haine de l'Occident un
exutoire.
Les intellectuels et les religieux devraient oser aborder sans détour ces
problèmes. Quant aux dirigeants de ces pays, s'ils continuent à s'arc-bouter sur
un statu-quo "pré-démocratique" sous prétexte de ne pas faire le jeu des
islamistes, ils finiront broyés entre ces derniers, leur population et les
occidentaux. Ils doivent faire sans tarder de vraies réformes politiques et
sociales, celles qui ne sont acceptées que si elles viennent de l'intérieur. Il
faut que des visionnaires, des hommes d'Etat occidentaux et musulmans et de
grandes figures religieuses concluent un pacte, une alliance pour la réforme, la
démocratisation et la coopération dont les objectifs seraient affichés et les
risques assumés solidairement.
Rien ne prédispose les Etats-Unis d'aujourd'hui à concevoir cette stratégie
ni à mener cette politique. Les musulmans modernes ne leur feraient d'ailleurs
pas confiance, même après une impressionnante démonstration de force militaire
en Irak. Sauf si l'administration Bush changeait radicalement de politique dans
l'affaire israélo-palestinienne et devenait porteuse d'espérance pour tous les
peuples de la région. Mais tout annonce le contraire.
C'est donc l'Europe qui pourrait en être le concepteur et l'initiateur.
L'Europe, aux divergences démasquées par l'épreuve irakienne ? Oui, l'Europe
quand même, car elle dispose pour ce faire de tous les atouts, à commencer par
l'intelligence historique de la situation. Elle pourrait trouver là, si elle en
a la volonté, de quoi refaire son unité et jouer un rôle à sa mesure dans un
monde désemparé aux fractures rouvertes.
On mesure dans quelle poudrière l'administration Bush veut à tout prix
mettre en œuvre ses projets. Mais, même si la guerre en Irak devait au bout du
compte ne pas avoir lieu, nous serons quand même, nous Occidentaux, placés
devant ce défi : il n'y aura pas de communauté internationale tant que nous
n'aurons pas écarté le spectre d'un affrontement Islam-Occident, tant que nous
n'aurons pas su lui ôter toute justification et lui substituer une autre vision,
partagée, de l'avenir de l'humanité, en nous libérant des siècles qui nous
pré-déterminent.
16. Crécher dans le
désert par Christophe Ayad
in Libération du vendredi 21 février
2003
Neta Golan, 32 ans, une des seules
Israéliennes à vivre dans les territoires, a épousé un Palestinien dont elle
attend un enfant.
Neta Golan en 11 dates
:
1971 - Naissance à Tel-Aviv.
1975-1980 - Sa famille s'installe
momenta-nément au Canada.
1987 - Début de l'Intifada.
1988-1990 - Elle
s'enfuit au Canada pour échapper au service militaire.
1993 - Fin de la
première Intifada, accords d'Oslo.
1997 - Elle rencontre Nizar Kamal lors
d'une visite à Naplouse, en Cisjordanie.
Janvier 2000 - S'installe avec Nizar
à al-Ram.
Septembre 2000 - Début de la deuxième Intifada.
Novembre 2001 -
Mariage avec Nizar et installation à Ramallah.
Avril 2002 - Opération
rempart, Neta passe un mois assiégée dans le QG d'Arafat.
Juillet 2002 - Tombe enceinte,
s'installe chez sa belle-soeur à Naplouse.
Elle doit accoucher
le mois prochain et elle aurait préféré une fille. «Qu'est-ce que je vais lui
répondre, à mon garçon, quand il va vouloir aller lancer des pierres ?» Elle le
dit avec un mélange de cabotinage et d'absolue sincérité. Palestinienne
d'adoption, Israélienne malgré tout. Neta Golan, Mme Kamal depuis qu'elle s'est
mariée à Nizar, un Palestinien de Naplouse, est la fille de Yoram Golan et de
Gila Gabrielef. Son père, courtier en assurances, vote Sharon ; sa mère,
ultraorthodoxe, habite chez les «hommes en noir», à Bnei Brak, un shetl polonais
perdu dans la banlieue de Tel-Aviv. Neta a aussi deux frères : Yishaï, comédien,
et Hazi, architecte, qui rêve de sauver le tiers monde en construisant des
maisons écologiques... Sans oublier un oncle d'extrême droite qui dirige la
colonie d'Efrat. Sa famille, c'est Israël en miniature. On ne choisit pas sa
famille, mais Neta Golan ne la renie pas pour autant.
Neta est la seule Israélienne installée dans les territoires palestiniens,
à l'exception d'Amira Hass, l'exemplaire correspondante du quotidien Ha'Aretz.
Elle est la seule à s'être mariée à un Palestinien des territoires occupés, en
pleine Intifada. Neta Golan est une exception absolue, ses compatriotes la
prennent pour une folle. Mais dans une société saisie de folie, qui est le fou?
Neta Golan n'est ni une folle, ni une icône, juste une jeune femme de 32
ans, l'air sérieux mais la mine épanouie. Avec ses joues un peu rondes et ses
taches de rousseur, Neta Golan est bien la petite-fille de juifs polonais et
allemands qui ont fui l'Europe avant la Seconde Guerre mondiale. C'est la vie
plus que les idées qui ont amenée Neta là où elle est aujourd'hui, dans un
appartement inconfortable qu'elle partage avec sa belle-soeur palestinienne en
pleine casbah de Naplouse. En 1998, bien avant l'Intifada, Neta a rencontré
Nizar lors d'une visite dans les territoires palestiniens. «J'ai eu le coup de
foudre, mais, pour lui, ça n'a pas été aussi évident. Il a fallu un an pour que
les choses deviennent concrètes.» Sa belle-soeur, elle, a mis trois ans avant
d'accepter leur liaison, puis leur mariage. Aujourd'hui, elle les héberge
volontiers, même si elle n'a jamais pardonné à Israël d'avoir interdit à sa
vieille mère malade de revoir la Palestine avant de mourir, il y a quelques
années.
Neta et Nizar, comme si les Montaigu et les Capulet avaient surmonté leur
différend, pas leurs différences. Aujourd'hui encore, alors que Neta se raconte
sans façons, Nizar s'efface, tendu tel un chat effarouché. Par pudeur peut-être,
par prudence sûrement. Il travaille comme fonctionnaire pour l'Autorité
palestinienne. Elle, enfant choyée aux yeux noisette et sûre de son droit, a
toujours fait ce qu'elle voulait. Lui, orphelin aux yeux bleus transparents, né
en exil de parents réfugiés, a appris à ne pas faire de vagues. Elle s'excuse
presque de son enfance sans douleur, de son aisance actuelle. «Toute ma vie,
c'est l'histoire d'un long déconditionnement.»
Neta Golan vient d'une famille de petits-bourgeois, sionistes et de droite.
Jusqu'à l'âge de 15 ans, elle n'avait jamais entendu parlé de l'occupation ni
des Palestiniens. «Le monde était simple et effrayant. Il y avait les bons, les
juifs, et les méchants, tous les autres, surtout les Arabes qui voulaient tous
nous tuer. Pour les juifs, il n'y avait que deux options : l'Holocauste ou un
Etat hébreu fort.»
Un jour, une activiste de la Paix maintenant fait une conférence dans sa
classe sur la Cisjordanie et Gaza. «Je n'en ai pas cru mes oreilles. Je me suis
dit : c'est le Chili, l'Argentine, mais pas Israël !» Elle décide alors de ne
pas faire son service militaire. La veille de sa convocation, à 17 ans, elle
part au Canada. «J'ai prétexté des vacances. De là-bas, j'ai écris une longue
lettre d'explication à mon père. Il s'est senti trahi, ça a été terrible.» A
chaque foucade de Neta, le paternel a commencé par tempêter avant de renouer :
«Il a toujours eu assez d'amour pour ne pas rompre.» Il a longtemps mis la main
à la poche.
A 19 ans, elle rentre chez papa-maman. Pas d'armée donc pas de bac, elle
vire baba cool : shiatsu, séjour en Inde, stage bouddhiste en France, retraite
dans le Sinaï avant d'atterrir dans un village «alternatif» en Galilée... C'est
là qu'elle rencontre les Palestiniens des environs, des Arabes israéliens. Puis
s'enhardit et participe avec son association à des rencontres-débats dans les
territoires palestiniens. «Je n'avais même pas conscience qu'il y avait une
frontière. Quand on allait voir mon oncle, on allait juste en Judée-Samarie, pas
en Cisjordanie occupée.»
Elle rencontre Nizar et tombe amoureuse des Palestiniens : «En Israël, on
les présente comme des terroristes ou des émeutiers. Nous, nous ne pouvons être
que des victimes ou des héros. En fait, ce sont les Israéliens qui manquent de
beauté, d'humanité, de gentillesse par rapport aux Palestiniens...» La deuxième
Intifada n'a pas encore éclaté mais Neta découvre qu'il n'y a pas de processus
de paix. «Les barrages, les humiliations, la colonisation, tout cela se
poursuivait alors que les Israéliens mangeaient les fruits d'Oslo sans en payer
le prix.» En janvier 2000, elle quitte Jérusalem pour s'installer avec son
fiancé à Al-Ram, un village arabe près de Ramallah où il travaillait à l'époque.
Avec une bonne dose d'optimisme et de naïveté, ils se lancent dans
l'organisation de visites «touristico-politiques» des territoires palestiniens
pour les Israéliens curieux de cette terra incognita à quelques kilomètres de
chez eux. «J'avais beau faire, à chaque fois que j'allais à Ramallah, pendant le
premier quart d'heure j'étais saisie par une panique suffocante. J'avais
l'impression que tout le monde allait me tuer. Et puis c'est passé.» Elle ne se
souvient plus quand.
Lorsque l'Intifada éclate, fin septembre 2000, Neta n'est pas surprise. «Ce
qui m'a choquée, c'était la violence de la réaction israélienne. Je ne pensais
pas que les Israéliens accepteraient que leur armée assassine des gosses, ni que
la communauté internationale laisserait faire la destruction et la réoccupation
des territoires.» A cause des bouclages de plus en plus hermétiques, elle décide
de s'installer avec Nizar à Ramallah, en territoire autonome. Le lynchage de
deux soldats israéliens, en octobre 2000, ne l'a pas dissuadée. «Je ne veux pas
justifier, mais ils étaient des soldats. Quand on arrive armé, on ne doit pas
s'attendre à être bien accueilli.» Jamais elle n'a été inquiétée, ni menacée :
«Quand les gens apprennent qui je suis, ils se fâchent parfois et déversent leur
colère, puis ils se radoucissent. Ce qu'ils veulent, c'est être entendus.» Le
couple s'est marié en octobre 2001, en Italie, «parce que c'était la seule
possibilité de ne pas faire un mariage religieux». Les familles se sont
rencontrées, quand c'était possible : «Personne n'est enthousiaste mais les
relations sont civiles.»
En deux ans, l'Intifada a fait de la baba cool fleur bleue une militante
endurcie. Elle organise la venue des missions civiles internationales de
protection du peuple palestinien, se fait casser le bras par un policier
israélien dans une manifestation devant la colonie de son oncle, harangue les
militaires en leur demandant de désobéir, manifeste devant le domicile de
Sharon, reste enfermée plus d'un mois comme bouclier humain dans la Moqataa en
avril dernier avec Yasser Arafat assiégé par les chars... Sa culpabilité presque
expiatoire effraie la gauche israélienne, son pacifisme à l'emporte-pièce énerve
les groupes armés palestiniens... Neta n'en a cure, elle fonce. Les kamikazes
palestiniens qui se font sauter dans les bus et les cafés ? Les exécutions
sommaires de «collabos» dont les corps sont pendus aux réverbères ? Tout cela,
pour elle, est la faute de l'occupation. Neta Golan pense parfois un peu court,
mais elle pense clair.
Depuis sa grossesse, elle a mis son militantisme en sourdine et découvre
l'enfer de la vie quotidienne en territoire palestinien : l'ennui, la survie,
l'imprévisible arbitraire du couvre-feu et l'armée qui tire sur les civils,
détruit les maisons... Avant même de naître, son fils aura goûté au pire et au
meilleur de ce que la vie peut offrir : l'humiliation d'un père et l'honneur
d'une mère.
17. Ces Israéliens qui rêvent
de "transfert" par Amira Hass
in Le Monde diplomatique du mois de
février 2003
(Amira Hass est correspondante du
quotidien Ha'aretz (Tel-Aviv) à Ramallah.)
Une nouvelle
expulsion de Palestiniens paraît impensable, moralement et politiquement.
Pourtant, l'idée du « transfert » a progressé dans l'opinion israélienne. Un tir
de scuds chimiques irakiens, un méga-attentat palestinien, voire une
manifestation qui dégénère, pourraient en donner le signal. En Palestine même,
l'armée et les colons provoquent déjà de «mini-transferts».
A
la fin décembre 2002, un diplomate européen a découvert un nouveau panneau
routier sur une route de la vallée du Jourdain : elle
s'appelait désormais « Gandhi » - surnom paradoxal du général Rehavam Zeevi,
fondateur du parti Moledet, qui avait explicitement appelé au
«transfert» des Palestiniens vers les pays arabes. Plaisanterie de mauvais
goût ou cynisme délibéré ? Le panneau se trouvait juste avant la bifurcation de
la route vers l'est, vers le pont Allenby (passage vers la frontière
jordanienne) - la direction du «transfert» souhaité par celui qu'un commando du
Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) assassina en octobre
2001.
Au lendemain d'un nouvel attentat-suicide, peu avant sa mort, Rehavam
Zeevi avait osé déclarer tout haut à nouveau que la seule « solution » était le
«transfert» ( accepté») des Arabes, se sentant assez soutenu pour transmettre
clairement à la radio un message que, pendant des années, il avait été obligé de
brouiller. C'est que les Israéliens ne considèrent
les attentats-kamikazes ni comme une forme de lutte contre l'occupation ni comme
une vengeance face aux agressions de l'armée - qui ont fait, selon
le Croissant-Rouge palestinien, plus de 2 000 morts palestiniens, dont au
moins 1 500 civils : ils y voient la preuve que les Palestiniens entendent
effacer l'Etat d'Israël de la carte et « tuer les juifs parce qu’ ils sont
juifs ». Dans ce contexte, l’« initiative du transfert » se présente comme une
solution défensive, une « réponse humaine » à une situation sans autre issue. Et
les autorités légales ne font rien pour empêcher la propagation de cette idée.
Ce qui reste volontairement flou, c'est la population visée. Les Palestiniens
résidant dans la bande de Gaza et en
Cisjordanie ? Les réfugiés ? Ou tous les Arabes vivant entre la Méditerranée et
le Jourdain, y compris ceux qui sont des citoyens israéliens ?
En donnant
pour consigne aux écoles de célébrer l'anniversaire de la mort de Rehavam Zeevi,
la ministre de l'éducation a légitimé ce débat. De fait, des banderoles
apparaissent, affirmant : «Pas d'Arabes, pas
d'attentats», « Transfert = paix » ou « La Palestine, c'est la Jordanie ». Un
sondage indique que 20 % des juifs « envisageraient » de voter pour le parti
d'extrême droite Kach (C'est ainsi) fondé par le rabbin Meïr [Cabane et
interdit depuis 1988, s'il était autorisé à se présenter. Et 73 % des habitants
des villes de développement (1) estiment qu'Israël doit encourager l'émigration
des Arabes israéliens - 87 % des religieux et 76 % des immigrés de l'ex-URSS
partagent cette opinion. Dans les années 1980, le Kach n'avait obtenu qu'un seul
siège, avec environ 1,5 % des voix...
Des
scénarios-catastrophes
A l'aide de sociétés
de ressources humaines situées à l'étranger et publiant des offres
d'emploi dans les journaux arabes, des militants du parti Moledet (Patrie)
proposent aux Palestiniens du travail à l'étranger. Ils cherchent ainsi à
montrer qu'il est possible, légal et même « humain » d'«encourager l
'émigration ». Mais chacun convient qu'un « transfert
volontaire » de centaines de milliers de personnes est impensable : il serait
nécessairement « forcé ». Numéro deux de la liste Moledet, le professeur Arieh
Eldad, ancien commandant du service de santé de l'armée, distingue
pourtant transfert « volontaire » et « accepté » : le premier suppose que
tous les Palestiniens acceptent d'émigrer (mais il est peu probable, admet M.
Eldad, qu'un fellah quitte sa terre de plein gré) ; le second,
poursuit-il, se produira avec l'aval de la communauté
internationale, que Moledet cherche à obtenir.
A
droite, certains vont plus loin : ils lient « transfert » et conflit. Numéro un
du Parti national religieux (Mafdal), M. Effi Eitam voit la souveraineté
israélienne s'étendre sur l'ensemble des terres
comprises entre le Jourdain et la Méditerranée et un Etat palestinien naître en
Jordanie et dans le Sinaï ; les Palestiniens auront alors le choix entre
«résidence éclairée» dans le Grand Israël et « citoyenneté obscure » dans l'Etat
palestinien. « Je ne parlerais pas de transfert, précise-t-il (2). Je ne le
considère ni comme une option poli- tique ni comme
quelque chose qui puisse passer sur le plan moral », mais une guerre
est « un jeu avec d'autres règles». L'ancien général affirme ne pas rechercher
la guerre, mais pense que, lorsque celle-ci éclatera, « de nombreux citoyens
arabes ne resteront pas ici ». Lui-même établit un lien avec la guerre de
1948 et l'expulsion, alors, de quelque 800 000 Palestiniens...
Plus direct,
le maire de la colonie de Kyriat Arba, M. Zvi Katzover, un des fondateurs du
mouvement colonisateur du Goush Emounim (Bloc de la foi), répondit à un
journaliste, fin novembre 2002, après la bataille de Hébron qui fit douze morts
parmi les soldats israéliens et trois parmi les Palestiniens : « Lorsque
commencera la grande guerre et que les Arabes fuiront, il sera possible de
retourner aux maisons (3). » (Les maisons en question sont celles qu'habitaient
des juifs jusqu'au massacre de 1929.)
Les partisans du « transfert » restent
néanmoins perçus comme une minorité, et leurs « idées » comme irréalistes et
immorales. Dans les journaux, des éditoriaux et des lettres de lecteurs les
condamnent, même si d'autres, plus fréquentes qu'autrefois,
approuvent. Le Likoud et la plupart des autres partis de droite ne mènent
pas campagne sur ce thème. En revanche, on peut se demander si, derrière les
efforts pour préparer l'opinion, certains dirigeants politiques et
militaires ne conservent pas dans leurs tiroirs de
véritables scénarios- catastrophes. Les forces démocratiques auront-elles
le pouvoir de les arrêter à temps ? Qu'ils soient israéliens ou
qu'ils habitent en Cisjordanie et à Gaza, les
Palestiniens gardent tous en mémoire
l'expulsion de 1948. Sans relâche, ils le jurent : « Cette fois, nous ne les
laisserons pas nous chasser. .» Cette conscience du danger, le savoir-faire
acquis en matière de recours aux instances légales et les liens, de part et
d'autre de la Ligne verte, avec la
communauté internationale constituent autant de digues.
La commission
électorale du Parlement, majoritairement de droite, n'a pas moins tenté
d'interdire la participation aux élections du 28 janvier 2003
d'une liste arabe (celle de l'Alliance nationale
démocratique) et de deux candidats : MM. Ahmad Tibi et Azmi Bishara. - le
conseiller juridique du gouvernement, M. Elyakim Rubinstein, reprochait en
particulier à ce dernier de prôner la destruction de l'Etat d'Israël et de
soutenir le terrorisme. Mais il excluait aussi la candidature de l'ancien numéro
deux de Kach, M. Baruch Marzel, candidat d'un autre parti d'extrême droite, le
Herout (Liberté), qui édulcore un peu le message du « transfert » - tout en
refusant de juger ceux qui tentent de mettre en œuvre le « transfert accepté »
en proposant aux Palestiniens des emplois à l'étranger.
La gauche a appelé à
la mobilisation contre cette tentative de « transfert parlementaire » : 20 % des
citoyens arabes auraient été privés de leurs
droits civiques. Mais les manifestations n'ont pas rassemblé de grandes foules.
Le sursaut est venu de la Cour suprême, qui, le 9 janvier 2003, a finalement
autorisé l'Alliance nationale démocratique à se présenter, offrant ainsi à la
démocratie israélienne une bouée de sauvetage contre la
perspective d'un boycottage massif du scrutin par les Palestiniens...
Le même
Elyakim Rubinstein avait pris position contre le « transfert », mais refusé de
poursuivre ceux qui le prônent. Réponse d'un parlementaire travailliste, qui
exigeait une enquête sur les partisans de l'«émigration volontaire» : la loi
fondamentale contre le racisme interdit de distinguer
entre « transfert » volontaire et « transfert » forcé. Dans le même
esprit, des jeunes du Parti travailliste ont participé à une initiative des
militants du « Courage de refuser » - qui regroupe des
officiers refusant de servir dans les territoires occupés (4) - consistant à
effacer les slogans racistes. Certains de leurs aînés s'en sont indignés,
considérant les refuzniks comme des «traîtres antisionistes ».
D'autres
s'opposent au refus de servir d'un point de vue de gauche : il ne faut pas,
disent-ils, laisser l'armée aux mains de la droite et des colons, qui risquent,
le moment venu, de concrétiser le « transfert ». Or plusieurs enquêtes montrent
que la proportion d'originaires de l'ex-URSS dans les unités combattantes a
beaucoup augmenté, de même que celle des partisans de la droite
religieuse parmi les officiers supérieurs - deux milieux parmi
lesquels cette idée du « transfert » jouit d'un appui solide.
Dans les
territoires occupés, la présence de militaires pacifistes n'empêche pas des «
mini-transferts » de se produire. La vieille ville de Hébron, où vivent 500
colons juifs agressifs, s'est vidée de nombre de ses habitants palestiniens, qui
ne supportent plus le harcèlement incessant de leurs «. voisins » juifs. Pas
plus qu'ils ne supportent le couvre-feu presque permanent que leur impose
l'armée, au nom de la sécurité de ces « voisins ». Dans le nord de la
Cisjordanie, quelque 180 habitants du village de Yanoun ont dû quitter leurs
maisons pour s'installer plus loin, sous la pression croissante des agressions
des habitants d'Itamar, la colonie voisine. Sans parler des expulsions
entraînées par la construction du « mur » (5).
Ces « mini-transferts
» n'ont pas échappé à l'opinion israélienne, et ils ont fait l'objet de
manifestations. Mais celles-ci n'ont pas empêché les Palestiniens de se voir
dépossédés à un rythme accéléré, depuis deux ans,
de leurs terres et de leur espace.
Le « bouclage intérieur »
enferme deux millions et demi d'entre eux en Cisjordanie et plus d'un million à
Gaza dans leurs villes et leurs villages : l'armée, face au conflit meurtrier
qui a éclaté en septembre 2000, leur interdit (à l'exception du tout petit
nombre muni de permis spéciaux) de se déplacer sur les routes principales, de
sortir de leurs communes et de se rendre dans les villes. Autour de ces
dernières s'est construit un système de barrages, de clôtures,
de portes en fer, de buttes, de chars et de patrouilles militaires
qui gêne tout mouvement sans vraiment décourager ceux
qui partent commettre des attentats en Israël. Quiconque
voyage sur les routes réservées aux Israéliens peut avoir l'impression que
l'expulsion a déjà eu lieu : routes vides,
villages palestiniens déserts, terres et vergers sans âme qui
vive. Nombre d'habitants sont allés s'installer dans les grandes
villes où ils travaillent, afin de s'épargner les check-points
quotidiens.
Tourmentés par la peur des attentats, les
Israéliens restent inaccessibles à l'argument selon lequel le bouclage est
une punition collective qui renforce le soutien aux attentats. Des
officiers supérieurs le présentent comme une mesure «
réversible », qui sera annulée dès que les Palestiniens renonceront au
terrorisme. En attendant, c'est une politique qui convient à merveille aux
projets d'« accord définitif» nourris par plusieurs partis de droite, ceux-là
mêmes qui prennent garde à ne pas parler de « transfert ». Ainsi les Russes
d'Israël-Beitenou (Israël-Notre maison), alliés à Moledet, proposent la création
de plusieurs enclaves-prisons isolées, sans continuité
territoriale. Seule différence avec l'« Etat palestinien » d'Ariel Sharon : la
dimension des enclaves...
Un attentat-prétexte ?
Certains redoutent que
l'opération des Etats-Unis contre l'Irak ne crée les conditions d'une expulsion
massive - surtout si Bagdad lançait sur Israël des missiles à charge chimique ou
si les Palestiniens manifestaient leur soutien à M. Saddam Hussein, les choses
pouvant alors échapper à tout contrôle... Mais Washington a besoin de stabilité
au Proche-Orient pour mettre en œuvre ses
plans, et une expulsion massive
aurait l'effet contraire.
D'autres craignent qu'une organisation
palestinienne ne parvienne à perpétrer un méga-attentat particulièrement
meurtrier. Un officier supérieur nous a dit - et il en était sincèrement inquiet
- que, dans ce cas, il doutait que l'armée veuille et puisse faire obstacle à
une «initiative» locale visant à expulser, par exemple, les habitants du village
dont les terroristes seraient originaires. Et d'évoquer
l'absence de réaction des autorités et de l'armée lorsque, à l'automne 2002, des
colons empêchèrent par la force des villageois palestiniens de récolter
leurs olives.
Ceux qui continuent d'envoyer des jeunes commettre des
attentats en Israël (et projetteraient ce méga-attentat) ne semblent pas mesurer
que leurs actes risquent de susciter une réaction - l'expulsion - qui, dans des
circonstances extrêmes, pourrait être comprise d'une grande partie de l'opinion
en Israël, et même dans les pays occidentaux. Ces mouvements fondamentalistes
palestiniens expriment leur foi - symétrique à celle des fondamentalistes juifs
– dans la chance qu'offrirait une « grande guerre » de
renverser la vapeur...
Depuis deux ans, la Jordanie a progressivement durci
les règles en vigueur pour l'entrée des habitants de Cisjordanie et de Gaza sur
son territoire. Amman craint, certes, une vague de Palestiniens fuyant les
souffrances de l'occupation, mais redoute aussi les scénarios-catastrophes. Et
pour cause : on a pu lire dans Haaretz, le 28 novembre 2002, que le premier
ministre Ariel Sharon refusait de prendre publiquement l'engagement que les
Palestiniens ne seraient pas expulsés vers la Jordanie, au motif que ce simple
soupçon était blessant. Le premier ministre jordanien a donc rappelé que le
traité israélo-jordanien excluait toute expulsion. Mais les tenants du transfert
s'intéressent peu aux accords de paix...
Pour l'instant, la mise en œuvre
progressive du « mini-transfert » comme du « transfert » intérieur dans les
territoires occupés opère comme un soporifique sur l'opinion israélienne et
mondiale. S'il convient donc, en priorité, de réagir à ces pratiques aussi
illégales que dangereuses, on ne saurait pour autant considérer
comme imaginaire la menace d'une expulsion massive. La percée
des conceptions fondamentalistes et catastrophistes, la
disparition des repères moraux dans la politique israélienne, la
diversification des méthodes d'oppression de l'armée, l'absence d'une direction
palestinienne capable d'orienter la résistance à l'occupation et la passivité de
la communauté internationale constituent autant d'indices
inquiétants.
(1) Ces cités champignons
s'apparentent à ce que l'on appelait naguère, en
France, «villes nouvelles», Ndt.
(2) Haaretz, 22 février 2002.
(3)
Interview à la première chaîne de télévision, 27 novembre 2002.
(4) Lire
Joseph Algazy, « Ces soldats israéliens qui disent non », Le Monde diplomatique,
mars 2002.
(5) Lire Matthew Brubacker, « Le mur de la honte », Le Monde
diplomatique, novembre 2002.
18. Quand les « boîtes à
idées » américaines donnent des cours de politique étrangère… par Brian
Whitaker
in The Guardian (quotidien britannique) du lundi 19 août
2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier](Brian Whitaker enquête ici sur le réseau
des « instituts de recherche » américains, dont les avis et les prestations
télévisées sont en passe de supplanter toute autre opinion, aussi autorisée
soit-elle, sur les problèmes du Moyen-Orient.)
Il existe un fait, assez peu
connu, au sujet de Richard Perle, le principal avocat de la ligne dure au
Pentagone. Ce fait, c’est qu’il a jadis écrit un polar. Ce roman, intitulé fort
judicieusement « La ligne dure » (Hard Line), est campé aux beaux jours de la
guerre froide avec l’Union soviétique. Son héros est un haut fonctionnaire
(mâle) au Pentagone, travaillant tard le soir et luttant presque à lui seul afin
de sauver les Etats-Unis des mains des poules mouillées libérales du Département
d’Etat, lesquelles veulent brader la dissuasion nucléaire de l’Amérique dans le
cadre d’un accord de désarmement sur le point d’être conclu avec les Russes…
Dix ans plus tard, Mr Perle se retrouve dans le rôle de son héros de
fiction, mais dans la vie réelle. La différence : les Russes ne représentent
plus une menace. Alors, il doit se contenter des Irakiens, des Saoudiens, et du
terrorisme, de manière générale…
Autre différence : dans la vraie vie, Mr
Perle ne mène pas son combat tout seul. Il dispose, autour de lui, d’un réseau
confortable et astucieusement architecturé d’ « experts » en questions
moyen-orientales, qui partagent sa vision néoconservatrice et dont les bobines
apparaissent, comme surgissant d’une boîte à ressort, sur les télévisions
américaines, dans les journaux, les livres, les dépositions devant les
commissions parlementaires et lors des dîners d’affaires à Washington…
Ce
réseau s’appuie sur des centres de recherche, des boîtes à idées qui s’efforcent
d’influencer la politique gouvernementale et sont financés par des dons non
imposables de généreux donateurs anonymes.
Lorsqu’il n’est pas trop occupé au
Pentagone, ni à diriger Hollinger Digital – filiale du groupe qui publie entre
autres le Daily Telegraph en Angleterre – ni à quelque conseil d’administration
du Jerusalem Post, Mr Perle est « chercheur invité » de l’une de ces boîtes à
idées : The American Enterprise Institute (AEI).
Mr Perle a un ami intime, et
un allié politique, à l’AEI : David Wurmser, directeur de son département
d’études sur le Moyen-Orient. Mr Perle a fort judicieusement écrit
l’introduction d’un ouvrage de ce Mr Wurmser : « L’Allié de la tyrannie :
Comment l’Amérique a échoué devant Saddam Hussein » [ ! ? !, ndt]. L’épouse de
Mr Wurmser, Meyrav, est cofondatrice, avec le colonel Yigal Carmon, ancien des
services secrets israéliens, du Memri (Middle East Media Research Institute –
Institut de recherches en matière médiatique sur le Moyen-Orient), qui se fait
une spécialité de traduire et de distribuer des articles présentant les Arabes
sous un mauvais jour.
Elle a aussi des opinions très tranchées sur les
intellectuels de gauche israéliens, qu’elle considère comme une menace pour
Israël (voir « Selective Memri », Guardian Unilimited,
12.08.2002)
Aujourd’hui, Mme Wurmser dirige la section Moyen-Orient d’une
autre boîte à idées, le Hudson Institute, dont Mr Perle a rejoint, récemment, le
conseil d’administration. De plus, Mme Wurmser appartient à une organisation
ayant nom The Middle East Forum (Forum du Moyen-Orient).
Michael Rubin,
spécialiste de l’Iran, de l’Irak et de l’Afghanistan, venu tout récemment
d’encore une autre boîte à idées, The Washington Institute for Near East Policy
(Institut Washington pour les politiques moyen-orientales), assiste Mr Perle et
Mme Wurmser à l’AEI. Mr Rubin appartient lui aussi au Middle East Forum. Un
autre chercheur sur le Moyen-Orient à l’AEI est Laurie Mylroie, auteur de La
Guerre inachevée de Saddam Hussein contre l’Amérique [Saddam Hussein’s
Unifinished War Against America], qui expose une théorie complètement zinzin,
selon laquelle l’Irak aurait manigancé l’attentat commis en 1993 contre le World
Trade Center…
Lorsque ce livre fut publié par l’AEI, Mr Perle le salua comme
« splendide et parfaitement convaincant ! »
Un précédent livre sur Saddam
Hussein et la crise dans le Golfe, dont Mme Mylroie est la co-auteure avec
Judith Miller, une journaliste du New York Times, avait été le premier best
seller au palmarès de ce journal.
Tant Mme Mylroie que Mme Miller ont des
liens avec le Middle East Forum. Mr Perle, Mr Rubin, Mme Wurmser, Mme Mylroie et
Mme Miller sont tous clients d’Eleana Benador, une linguiste péruvienne qui joue
en quelque sorte le rôle de conseiller théâtral pour les experts sur le
Moyen-Orient et le terrorisme : elle organise leurs prestations télévisées et
même leurs conférences publiques…
Sur les vingt huit clients de Madame
Benador, neuf, au moins, sont liés à l’AEI, au Washington Institute et au Middle
East Forum. Bien que ces trois organismes privés ne fassent la promotion des
vues que d’une extrémité du spectre politique, la publicité dont ils jouissent
grâce à leurs livres, leurs articles et leurs émissions télévisées est
absolument extraordinaire.
Ainsi, le Washington Institute, par exemple, peut
se glorifier d’avoir placé environ quatre-vingt dix articles rédigés par ses
membres – en grande partie des tribunes libres – dans la presse, au cours de
l’année écoulée.
Sur ces quatre-vingt dix articles, quarante ont paru dans le
Los Angeles Times, neuf dans New Republic, huit dans le Wall Street Journal,
huit dans le Jerusalem Post, sept sur National Review Online, six dans le Daily
Telegraph, six dans le Washington Post, quatre dans le New York Times et quatre
dans le Baltimore Sun. Au total, cinquante de ces articles étaient dus à la
plume de Michael Rubin…
Quiconque a essayé d’envoyer une tribune à un grand
quotidien appréciera l’ampleur de ce succès ! L’attention médiatique accordée à
ces boîtes à idées ne doit rien au manque d’experts en la matière. Les
universités américaines comptent environ 1 400 professeurs à plein temps
spécialisés dans le Moyen-Orient…
Sur ces 1 400, entre 400 et 500 sont
spécialisés dans l’un ou l’autre des aspects de la politique contemporaine dans
cette région du monde. Mais leurs analyses sont rarement sollicitées ou
entendues, que ce soit par les médias, ou par le gouvernement…
« Je vois un
défilé incessant de gens de ces instituts qui viennent nous causer dans le
poste. Je vois très rarement, en revanche, un professeur d’université participer
à ce genre d’émissions », dit Juan Cole, professeur d’histoire à l’Université du
Michigan, très critique sur ces instituts privés.
« Les universitaires sont
fort occupés à analyser ce qui est en train de se passer, mais ils ne sont pas
des propagandistes, ils sont de ce fait beaucoup moins péremptoires », dit-il. «
L’expertise sur le Moyen-Orient existe dans les universités. Elle n’est pas
utilisée, même pas pour donner au public l’information élémentaire. »
Bien
entendu, très peu d’universitaires disposent d’agents (« artistiques ») comme
Eleana Benador, afin de faire la promotion de leurs travaux, et très peu d’entre
eux se trouvent à Washington – ce qui rend les rendez-vous avec les télévisions
plutôt difficiles à obtenir, ou les occasions de côtoyer les hauts
fonctionnaires du Département d’Etat plutôt rares.
Les gens qui travaillent
dans les boîtes à idées américaines s’affublent volontiers de titres pseudo
universitaires tels que « maître assistant » ou « professeur associé », mais
leurs recherches sont très différentes de celles qui sont menées dans les
universités – elles visent exclusivement à exercer une influence sur la
politique du gouvernement. Ce que personne, à l’extérieur de ces boîtes à idées,
ne sait, toutefois, est d’où vient l’argent consacré à ces recherches en
lobbying ?
Selon les lois américaines en vigueur, les dons importants en
faveur d’organisations à but non lucratif et « non partisanes », telles les
boîtes à idées, doivent être déclarés sur leur formulaire de déclaration d’impôt
(formulaire n° 990) par les donateurs. Mais l’identité des donateurs n’est
pas obligatoirement rendue publique.
L’AEI, qui traite de bien d’autres
sujets que le Moyen-Orient, disposait de 35,8 millions de dollars de capitaux et
avait perçu 24,5 millions de dollars de revenus en 2000. La même année, il
percevait sept dons d’un million de dollars (ou plus) en valeur ou en actions,
le don le plus important étant d’un montant de 3,35 millions de dollars.
Le
Washington Institute, qui est spécialisé exclusivement dans les questions
moyen-orientales, avait en 2000 un fonds de roulement de 11,2 millions et un
revenu de 4,1 millions. L’institut indique que ses donateurs sont identifiables,
car ils sont également ses actionnaires, mais la liste des actionnaires comporte
239 personnes, ce qui rend totalement impossible la distinction entre les
mécènes importants et le menu fretin.
Quant au plus petit, le Middle East
Forum, il avait un revenu de moins d’1,5 million en 2000, le don le plus
important étant d’un montant de 355 000 dollars.
En terme de capacité à
influencer la politique gouvernementale, les boîtes à idées ont plusieurs
avantages sur les universités. Tout d’abord, elles peuvent louer des personnels
sans aucune procédure collégiale, ce qui leur permet de mettre sur pied des
équipes de chercheurs qui partagent une orientation politique
similaire.
Elles peuvent aussi publier elles-mêmes des livres sans avoir à
passer par les processus de vérification académique requis par les publications
universitaires. De plus, elles s’installent généralement à Washington, tout près
du gouvernement et des principaux médias nationaux.
Mis à part influencer la
politique moyen-orientale du gouvernement américain, le Washington Institute et
le Middle East Forum ont lancé, dernièrement, une campagne visant à discréditer
les universités spécialisées dans l’étude de la région concernée…
Après le 11
septembre, après que divers services gouvernementaux aient pris conscience d’un
manque d’Américains connaissant bien l’arabe, on a assisté à diverses
initiatives destinées à renforcer les facultés habilitées à en former.
Mais
Martin Kramer, du Washington Institute et du Middle East Forum, ancien directeur
du Moshe Dayan Center de l’Université de Tel Aviv, voyait, lui, les choses
autrement…
Il produisit un pamphlet au vitriol, intitulé « Les Tours d’ivoire
bâties sur le sable » [Ivory Towers on Sand], dans lequel il critiquait les
instituts d’études orientales des différentes universités américaines. Son livre
a été publié par le Washington Institute et a fait l’objet d’une chaude critique
dans le Weekly Standard, dont le rédacteur en chef, William Kristol, est membre
du Middle East Forum, comme Mr Kramer lui-même ! « Kramer a rendu un service
crucial en dénonçant la décomposition intellectuelle régnant dans un domaine
universitaire présentant une importance vitale pour le bien-être de la Nation »,
écrivait notamment la revue…
Le Washington Institute est considéré comme la
plus influente des « boîtes à idées » sur le Moyen-Orient, c’est d’ailleurs
celle que le Département d’Etat prend le plus au sérieux. Son directeur est un
ancien diplomate américain, Dennis Ross.
En plus de ses publications et de
son entrisme auprès des journaux, cet institut déploie plusieurs autres types
d’actions qui ne ressortissent pas au lobbying du point de vue juridique, car
cela en changerait le statut. Il organise des dîners et des séminaires, à peu
près trois fois par semaine, au cours desquels des idées sont échangées et où le
tissage du réseau politique prend place. Mentionnons qu’il a témoigné devant des
commissions parlementaires (au Congrès) à neuf reprises au cours des cinq années
passées.
Tous les quatre ans, il réunit une « commission bipartisane « sélect
» », connue sous le nom du Groupe d’études présidentiel, lequel groupe d’études
présente un rapport permettant d’éclairer la politique moyen-orientale du
président nouvellement élu [C’est là un point sur lequel j’attire l’attention :
ndt].
L’institut ne fait pas un secret de Polichinelle de ses liens très
étroits avec Israël, il est d’ailleurs l’hôte, actuellement, de deux chercheurs
provenant des forces armées israéliennes.
Israël est un allié, et la
connexion est tellement connue que les officiels et les hommes politiques en
tiennent compte lorsqu’ils traitent avec l’institut. Mais il en irait
vraisemblablement tout autrement si l’allié en question était un pays tel
l’Egypte, le Pakistan ou l’Arabie saoudite…
Excepté quelques bévues, telle la
publication du livre de M. Kramer, le Washington Institute est le type même de
la voix sobre et pondérée du conservatisme américano-israélien. Le Middle East
Forum en revanche, en est la voix stridente : deux tonalités différentes, mais
pratiquement les mêmes personnes.
Trois personnalités éminentes du Washington
Institute – Robert Satloff (directeur de la politique), Patrick Clawson
(directeur de la recherche) et M. Rubin (écrivain prolixe, actuellement à l’AEI)
– appartiennent également au Forum.
Daniel Pipes, le barbu qui se fait 100
000 dollars par an à la direction du Forum, figure sur la liste en tant qu’ «
associé », tandis que M. Kramer, l’éditeur de la revue du forum, est présenté
comme « un collègue visiteur ».
M. Pipes est devenu la bête noire des
associations musulmanes américaines après qu’il ait publié un article dans
National Review, en 1990, qui faisait allusion à « l’immigration massive de gens
au teint basané qui cuisinent une tambouille bizarre et ne maintiennent pas des
standards d’hygiène que l’on pourrait qualifier d’authentiquement germaniques
»…
Etant donné qu’il a l’habitude de protester vigoureusement lorsque ses
propos sont cités en dehors de leur contexte originel, le lecteur est invité à
lire l’article dans son entièreté à l’adresse URL suivante :
http://www.danielpipes.orgIl est connu
également pour ses performances au combat au corps à corps sur la chaîne Fox
News, où on lui trouve d’intéressantes relations d’affaires. Recherchez son nom
sur le site web de Fox News, et vous verrez, à côtés de transcriptions de ses
interviews télévisées, un encart publicitaire disant « Daniel Pipes est
joignable par l’intermédiaire de Barber & Associates, première entreprise de
service proposant des conférenciers en matière de business, de relations
internationales et de technologie depuis 1977 ».
The Middle East Forum publie
régulièrement deux revues, le Middle East Quarterly et le Middle East
Intelligence Bulletin (publié conjointement pour ce dernier avec le Comité
américain pour un Liban libre [United States Committee for a Free Lebanon]).
Le Middle East Quarterly se présente lui-même comme « audacieux, pénétrant
et polémiste ». Parmi les études publiées dans sa dernière livraison, on notera
une article sur les armes de destruction massive, qui affirme que la Syrie «
détient plus de capacités destructrices » que l’Irak ou l’Iran…
Le Middle
East Intelligence Bulletin, qui est envoyé gratuitement par email – mais qui
parvient néanmoins à payer (grassement) ses contributeurs – est spécialisé dans
la couverture des aspects obscurs des relations syro-libanaises. Tiens : coucou,
le revoilou ! Le vibrionnant Mr Rubin figure à son conseil de rédaction...
Le
Middle East Forum prend aussi pour cibles les universités, à travers son bureau
des conférenciers de campus – lesquels, adoptant la ligne définie dans l’ouvrage
de M. Kramer, veillent à corriger « les cursus orientalistes déficients dans le
système éducatif américain », en dénonçant les « partis pris » et les « erreurs
fondamentales » et en apportant « une meilleure information » que les étudiants
ne sauraient en obtenir de la part des trop nombreux professeurs «
irresponsables » dont ils sont persuadés qu’ils grouillent dans les facs
américaines…
En des temps où le monde entier est abasourdi par ce qu’il
perçoit comme un éventail de politiques de plus en plus bizarroïdes sur le
Moyen-Orient en provenance de Washington, comprendre le gentil petit réseau
présenté plus haut est susceptible de rendre ces politiques peut-être un petit
peu plus explicables (je n’ai pas écrit : ‘compréhensibles’…)
Bien entendu,
ces gens et ces organisations ne sont pas les seules à tenter d’exercer une
influence sur la politique américaine au Moyen-Orient. Il en est d’autres, qui
essaient de l’infléchir, elles aussi, dans différentes directions, au demeurant.
Toutefois, ce réseau-là est agissant dans un climat politique qui est
particulièrement réceptif aux idées qu’il véhicule.
Ce réseau est très bien
pourvu par ses bienfaiteurs anonymes. Il est très bien organisé. Les idées
semées par un des actants sont amoureusement arrosées et nourries par les
autres.
Quoi que puissent penser les gens qui observent cela de l’extérieur,
les Américains, plutôt pragmatiques, ne voient pas là motif à s’inquiéter outre
mesure. Ce n’est qu’une coterie de copains sur la même longueur d’onde, qui font
leur petit boulot habituel. Bref : une histoire de tous les jours dans la vie
politique telle qu’elle se vit à Washington…
[brian.whitaker@guardian.co.uk - Signalons un site très utile, réalisé par Brian Whitaker,
auteur de cet article :http://www.al-bab.com]