Point d'information Palestine N°
215 du 10/03/2003Newsletter privée réalisée par l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille Cedex 20
- FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail : amfpmarseille@wanadoo.frL'AMFP Marseille est une section de l'Association
France-Palestine Solidarité
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel
Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Association loi 1901 -
Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Rédaction :
Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier
Au
sommaire
APPEL
URGENT
Solidarité Lama
Un appels en français et en
anglais à relayer sur l'ensemble de vos réseaux !
Témoignage
- La serpillière par Nathalie
Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
Appels à
candidatures
1.
Les Centres culturels du Consulat
général de France à Jérusalem recrutent des enseignants de
français et des animateurs francophones
2. L'association Santé Sud
(ONG médicale de développement) recherche des bénévoles pour leur programme en
Palestine
Dernières
parutions
1. Moyen-Orient 1945-2002 - Histoire d'une lutte de classe
de Théo Cosme (Collectif) aux édition Senonevero
2. Staline, Israël et les Juifs
par Laurent Rucker aux Presses Universitaires de
France
Rendez-vous
1. Exposition photographique "Chronique
palestinienne" de Philippe Conti du 26 avril au 25 mai 2003 à Hong
Kong
2. Radio - La Voix de la Palestine tous les samedis à
Marseille de 12h30 à 14h sur Radio Gazelle (98 Mhz)
Réseau
1. Déclaration sur l’Irak du
Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au Proche-Orient
2. Les confessions d’un ancien agent du
Mossad - Extrait de "By Way of Deception" ("Par la tromperie") par
Victor Ostrovsky et Claire Hoy [traduit de l'anglais
par Marcel Charbonnier]
3. Fermeture du site
contestataire américain YellowTimes.com - L’étouffement d’une voix prêchant la
raison par Firas Al-Atraqchi (10 février 2003) [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
4. La fabrique de monstres par
Israël Shamir (16 octobre 2002) [traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
5. Marxisme contre
sionisme - Extrait de "Vomito Bianco" par Abdelkebir Khatibi
Revue de
presse
1. Leïla Shahid et la "lutte pour la
survie" des Palestiniennes Dépêche de l'Agence France Presse du
vendredi 7 mars 2003
2. Eyal Sivan menacé de mort - Le cinéaste
israélien accuse les milieux ultrasionistes par Christophe Ayad in
Libération du vendredi 7 mars 2003
3. Les citoyens arabes d'Israël au cœur de la crise identitaire de
l'Etat juif par Mouna Naïm in Le Monde des livres du jeudi 6 mars
2003
4. Nabil Chaath, ministre palestinien de la Coopération, fait le
point sur la crise iraqienne et le processus de paix dans la région : "Une
éventuelle guerre en Iraq donnera le feu vert à Sharon" propos
recueillis par Chérif Ahmed in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du
mercredi 5 mars 2003
5. Les inspecteurs, déjà, en 1920
par Georges Marion in Le Monde du samedi 1er mars 2003
6. Des joints et des tuyaux par Ridha Kéfi in Jeune
Afrique - L'Intelligent du vendredi 28 février 2003
7. "Nous
avons vu l'intolérable" - Le cri d'alarme d'une délégation de Juifs
français en Palestine par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du
mardi 25 février 2003
8. Voilà deux des hommes qui mènent Bush à la guerre par
Ed Vulliamy in The Observer (quotidien britannique) du dimanche 23 février 2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
9. Inquiétude par Stéphane Hessel
in Le Monde du jeudi 20 février 2003
10. Qui paiera pour la guerre ?
par Henri Bourguinat in Le Monde du mardi 18 févier 2003
11. Un monument d’hypocrisie par
Edward Said in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 13 février 2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
12. Le quotidien populiste londonien The Sun dans son édition du
mercredi 12 février 2003 propose quelques plaisanteries
anti-françaises... sans commentaire [traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
13. France & Belgique : leur veto (à
l’Otan) ne vise en rien la Turquie in Hürriyet (quotidien turc)
du mardi 11 février 2003 [traduit du turc par Marcel
Charbonnier]
14. Comment les Français osent
oublier par Steve Dunleavy in The New York Post (quotidien
américain) du lundi 10 février 2003 [traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
15. Ramon était mis
sur orbite et, pendant ce temps… par Gideon Levy in Ha’Aretz (quotidien
israélien) du dimanche 19 janvier 2003 [traduit
de l'anglais par Marcel Charbonnier]
16. Paris VI :
Oui à la coopération intellectuelle [Communiqué du Parti Socialiste
français] in L’Hebdo des socialistes du samedi 11 janvier 2003, n° 258
17.
Les Américains commencent à ressentir la morsure du boycott
arabe par Michael Theodoulou et Daniel McGrory in The Times (quotidien
britannique) du vendredi 11 octobre 2002 [traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier]
18. Des crimes
totalement impunis par Joseph Algazy in Ha’Aretz (quotidien israélien)
du lundi 7 octobre 2002 [traduit de l'anglais par
Marcel Charbonnier]
19. Mondialisation financière et terrorisme par Dante
Sanjurjo in Politis du jeudi 3 octobre 2002
APPEL URGENT -
Solidarité Lama
Lama est une jeune Palestinienne de 35
ans, née au Koweït, mariée et vivant en France depuis 15 ans. Elle a adopté il y
a 2 ans un petit garçon Jordanien du nom de Kais (2 ans1/2 aujourd'hui). Depuis
plus d'un an elle souffre d'une leucémie lymphoblastique aigue (cancer du sang)
qui a été traité par chimiothérapie. Malheureusement depuis quelques semaines la
maladie a récidivé et le seul traitement possible actuellement pour espérer une
guérison est une greffe de moelle osseuse. Ce traitement est lourd et nécessite
l'existence d'un donneur de moelle qui soit compatible. Toute la famille en
France et à l'étranger a été testée et aucun sujet ne correspond. La
compatibilité n'est pas liée au groupe sanguin mais plutôt aux origines
ethniques. Le fichier international des donneurs de moelle osseuse disponible
actuellement (8 millions de personnes) est essentiellement basé sur des sujets
d'origine occidentale. A ce jour aucun des sujets n'est parfaitement compatible.
Lama présente des caractéristiques génétiques HLA très particulières ce qui fait
toute l'incertitude du succès de ce traitement. La réalisation de cette greffe
de moelle pour être efficace doit se faire dans les 2 à 3 mois à venir.
Si
vous souhaitez nous aider, que vous êtes originaire du Moyen-Orient et que vous
avez moins de 50 ans, contactez votre centre de transfusion sanguine locale ou,
au mieux, un centre de don de moelle osseuse [si vous êtes en France la liste
des centres est disponible sur :
http://www.fgm.fr/2a31-CarteDVM.htm]. Demandez un
typage HLA pour être donneur de moelle international sur fichier. Ou que vous
soyez dans le monde votre typage sera disponible sur le fichier international et
pourra être évalué par l'équipe de spécialiste qui suit Lama actuellement. Vous
pouvez insister sur le fait que vous avez été sensibilise par le problème de
Lama qui est suivie à l'Hôpital Saint Eloi de Montpellier et dont le cas est
extrêmement urgent.
Le typage HLA se fait sur une simple prise de sang. Si
vous êtes compatible avec un receveur vous ne pourrez pas savoir si il s'agit de
Lama car le don de moelle est anonyme. Mais vous êtes certain de sauver une
vie.
Si vous êtes compatible avec un receveur, qui peut être Lama, le don de
moelle consiste actuellement en un prélèvement sanguin prolongé après une
stimulation de la moelle. La plupart des équipes médicales dans le monde,
n'utilisent plus le prélèvement direct de la moelle osseuse sous anesthésie. Il
s'agit donc d'un geste peu invasif pour un don exceptionnel de son
vivant.
Cette maladie est de plus en plus fréquente dans le monde et touche
les enfants ou les adultes jeunes. Elle est réputée guérissable lorsque l'on
trouve un donneur. Malheureusement les sujets issus du Moyen-Orient sont rares
parmi les donneurs. Lama, Kais (son fils) et Jean-Marc (son époux) vous
remercient d'avance pour votre attention.
Pour plus d'information sur la
greffe de moelle osseuse, vous pouvez visiter le site
http://www.fgm.fr (en
français) ou
http://www.marrow.org (en anglais).
Nous vous
remercions d'avance de nous tenir informé de toutes les initiatives (aussi
modestes soient-elles) que vous ne manquerez pas de prendre, pour relayer cette
"chaîne d'espoir" et d'information. Indiquez-nous la date et le nombre de
personnes (ou de réseaux) auxquelles vous aurez envoyé ce message, en adressant
un e-mail à l'adresse suivante : solidarity.lama@laposte.net.
URGENT CALL - Solidarity
Lama
Lama is a 35 years old Palestinian
young woman, born in Kuwait, married and living in France since 15 years. She
adopted 2 years ago a Jordanian little boy named Kais (2 years 1/2 old now). For
more than one year she has been suffering from an acute lymphoblastic leukaemia
(blood cancer) which was treated with chemotherapy. Unfortunately, a few weeks
ago, the disease recurred and the only possible treatment currently to hope for
a cure is a bone-marrow graft. This treatment is heavy and requires to find a
bone marrow's donor whose marrow matches the genetic makeup of the patient's own
marrow as perfectly as possible. The whole family in France and abroad made
tests but no subject corresponds. Compatibility is not linked to the blood group
but rather to the ethnic origins. The international bone marrow donor register
of currently available osseous marrow (8 million people) is mainly based on
subjects from Western origin. Up to now none of the subjects is perfectly
suitable. Lama shows very particular HLA genetic characteristics, and this makes
uncertain the success of the treatment. Her bone marrow graft, to be effective,
must be made within the next 2 to 3 months.
If you wish to help us, if you
are from Middle East and if you are less than 50 years old, please, contact a
centre for local blood transfusion or, at best, a centre for gift of osseous
marrow, if you are in France : http://www.fgm.fr/2a31-CarteDVM.htm. Ask a HLA
typing to be registered as international bone marrow donor. Anywhere in the
world, your typing will be available on the international database and could be
available to the team which tend Lama. You can insist on the fact that you have
been made sensitive to the problem because of Lama who is tend at the St Eloi
Hospital in Montpellier and whose case is of high emergency. Typing HLA is a
simple blood test. If you your bone marrow matches a receiver you will not know
if it matches Lama's because the gift of marrow remains anonymous. But you are
certain to save a life. If you are compatible with a receiver, who could be
Lama, the gift of marrow currently consists in a prolonged taking of blood after
stimulation of marrow.
Most of the medical teams in the world do not use any
more direct bone marrow harvest under anaesthesia. It thus is a few invasive act
for an exceptional gift. This disease is increasingly frequent in the world and
touches children or young adults. It is curable when a donor is found.
Unfortunately subjects coming from the Middle East are still rare among
donors. Lama, Kais (her son) and Jean-Marc (her husband) thank you in advance
for your attention.
For more information about bone marrow graft, visit the
site: site http://www.fgm.fr (in French) our http://www.marrow.org (in English).
Thank you to
inform us of any initiative (as modest it could be) carried out to spread this
"chain of hope" and information. Mail us the date and number of persons (or
nets) to whom or which you will have send this message to : solidarity.lama@laposte.net
Témoignage
- La serpillière par
Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
Ramallah, le
jeudi 27 février 2003 - Les premiers flocons ont commencé à tomber pendant
le cours des 9ème (équivalent des 3ème en France). C'est une classe de garçons
d'une quinzaine d'années qui me donne déjà beaucoup de fil à retordre en temps
normal. Mais là...
- Il neige miss !
- Tu aimes jouer dans la neige miss
?
- Tu as de la neige comme ça en France, miss?"
J'ai laissé tomber le
cours sur le passé composé... On a revu la météo... Emoi dans toute l'école. Les
gosses hurlent (littéralement...) de joie. Il faut dire, de beaux et gros
flocons blancs comme ce lundi 24 février, on n'en voit pas tous les ans
ici.
Bref, on ne tient plus les gosses... ni même les profs d'ailleurs ! La
réunion prévue à la fin des cours est annulée, on rentre vite chez nous à
travers les flocons. Il fait très froid, les taxis sont bondés. J'ai du
mal à en trouver un pour rentrer chez moi. Je peste et je râle. Je n'aime pas la
neige, moi. J'arrive chez moi. L'électricité a des ratés. Dommage parce que
c'est ma seule source de chauffage. Résumons la situation : il neige, il y a du
vent et pas d'électricité. Tout va bien. Seule bonne nouvelle : la neige
commence à tenir par terre : si c'est toujours le cas demain, je suis au chômage
technique, youpi !
Mardi matin, j'ouvre un oeil vers 6h30, direction la
fenêtre, ouah, tout est blanc ! Pire que ma Normandie natale ! Pas de boulot
aujourd'hui, je retourne au lit, seul endroit à dépasser les 10 degrés dans la
maison...
Je finis pourtant par me lever, surtout que l'électricité est de
retour. Il neige toujours. Pas un bruit, pas une voiture. Je monte sur la
terrasse. Toute blanche. Vingt centimètres de poudreuse sur la terrasse les
copains !
Incroyable ! Pause bonhomme de neige (on ne se refait pas) et
retour près du chauffage. L'électricité n'est pas coupée, mais la parabole est
enneigée... Pas d'infos donc...
Mercredi j'ouvre un oeil un peu plus tard :
7heures ; Toujours tout blanc. Retour au dodo. Vers 12h, des amis viennent
chercher mon appareil photo. Je pars avec eux ; c'est des raquettes qu'il
faudrait ! On s'enfonce dans la neige, on met plus d'une heure pour faire moins
d'un Km... Etrange, ces trois jours de neige...Un couvre-feu sans l'armée quoi :
On retrouve les vieux réflexes : on se lève de plus en plus tard, on économise
le pain et les produits frais (ça pour être frais...une anecdote: j'avais oublié
le beurre sur le plan de travail; quand je l'ai retrouvé le lendemain matin il
était aussi dur que s'il sortait du frigo...), on boit du thé à longueur de
journée, on peste après l'électricité ou l'eau, on joue aux cartes avec les
voisins, on téléphone aux copines (ce dernier réflexe serait d'ailleurs plutôt
un réflexe d'étrangères que de palestiniennes...). Bref, sorte de répétition
générale avant...
Ca fait du bien, ces trois jours. Pris dans notre neige, on
en a presque oublié le reste. L'armée est peu présente, contrairement à la
semaine dernière. Il parait même qu'on passe Qalandia (check point établit par
l'armée d'occupation israélienne pour se rendre à Jérusalem) les doigts dans le
nez depuis mardi...
Répétition générale donc... Il faut que je rachète du riz
et des pâtes. Viande à congeler. Côté bougies, ça va. Le gaz aussi. Et j'ai
rempli les jerricanes. Mais je n'ai toujours pas fait ma pièce-refuge ! Vous en
avez une, vous, de pièce-refuge ? Attention, c'est important... Vous avez bien
sûr entendu parler du risque NRBC ? Non ?! Mais d'où sortez-vous ? Nous, ici, on
est des professionnels de la lutte contre le risque NRBC. Risque nucléaire,
radiologique, biologique ou chimique, si vous préférez. Au cas où Saddam nous
prendrait pour des Kurdes, quoi... En gros, faut avoir une pièce refuge chez
vous en cas d'alerte NRBC. Le problème, c'est si vous n'êtes pas chez vous
quand l'alerte se déclenche... Du coup, avant d'aller dîner chez des
copains, renseignez-vous donc :
- Tu as une pièce-refuge, toi ? Je t'apporte
une serpillière ?
Refusez catégoriquement une invitation chez des gens qui
n'ont pas de pièce-refuge. Et encore... Faut être prêt à partager de véritables
moments d'intimité avec vos copains, sachant que l'alerte peut durer 2 jours et
qu'on est censé prévoir dans cette pièce... un pot de chambre ! Et bien oui, la
pièce étant "refuge", ce qui signifie donc confinée, vous ne pensez tout de même
pas que vous allez ouvrir la porte si vous avez une envie pressante !
La
pièce est censée être confinée par vos soins : plastique sur les vitres, et
serpillières sous les portes...
Ha là là, si on avait su tout ça en 1945...
Il aurait fallu leur dire aux habitants d'Hiroshima et de Nagasaki d'acheter des
serpillières ! Et les Kurdes alors ! Achetez donc des serpillières, ça pourra
vous sauver la vie... Risque NRBC donc... à cause de Bush. Mais bien plus
sûrement risque de couvre-feu en Palestine occupée à cause de Sharon. Et la
serpillière vous sauve encore une fois la vie ! En effet, après une semaine à
tourner en rond chez vous, vous avez lu trois fois tous vos bouquins, épuisé
toutes les ressources de TV5, dernière solution avant de devenir fou : le ménage
! Non, vraiment, investissez dans les serpillières !
Trois jours de
répétition générale donc. Il faut que je remplisse mon frigo. Moi, j'ai les
moyens de le faire. Beaucoup de Palestiniens ne rempliront pas le leur. Je pense
notamment aux réfugiés. Beaucoup ne survivent que grâce à l'aide alimentaire de
l'UNRWA (office de l'ONU pour les réfugiés palestiniens crée en 1948). L'UNRWA a
annoncé officiellement qu'il ne serait plus en mesure d'apporter cette aide à
compter du 15 mars prochain et cela parce que les donateurs ont brutalement
arrêté de verser leurs contributions. Parmi eux, les USA. On comprend qu'ils
n'aient plus envie de payer. Parmi eux aussi, l'Union Européenne. C'est bien
beau de faire front contre les USA et de passer pour les défenseurs des droits
de l'homme. Reste qu'ici en Palestine, à partir du 15 mars prochain, plus d'un
million de Palestiniens n'auront plus de quoi manger.
J'ai eu froid,
ces derniers jours. Mais moi j'ai un toit au-dessus de la tête et même du
chauffage. Des milliers de personnes, principalement à Gaza, sont à la rue parce
qu'Israël a détruit leurs maisons. Dehors, sous la pluie, la neige, dans le
froid. Et des milliers de prisonniers politique aussi. Détenus arbitrairement
dans des conditions terribles. Il y a un camp de détention, pas très loin de
Bétunia (village où j'habite), le camp d'Ofer. Des centaines de palestiniens y
sont détenus sans même avoir été jugés. J'ai beaucoup pensé à eux ces trois
derniers jours. Ils n'ont presque rien à manger, et surtout, ils vivent sous des
tentes. Rien ne les protège du froid. Pas assez de couvertures pour tout le
monde. Il fait 0° et ils dorment dehors. Leur tort ? Etre nés Palestiniens. La
planète est en train de devenir folle. Je ne sais plus s'il faut en rire ou en
pleurer.
Appels à
candidatures
1. Les Centres culturels du Consulat général de France
à Jérusalem recrutent des enseignants de français et des
animateurs francophones
Jeudi 20 février 2003 - Les Centres culturels
du consulat général de France à Jérusalem recherchent pour développer les
activités en français et les cours de langue, des professeurs de français
diplômes et/ou expérimentés pour enseigner la langue française à un public
d'adultes ainsi que des animateurs francophones formés et/ou expérimentés pour
encadrer des activités en français avec des enfants (6 à 14 ans).
[Envoyez vos CV et
lettres de motivation à l'adresse suivante : ccframa@p-ol.com ou par fax : +972 (0) 2 298 77 28]
2. L'association
Santé Sud (ONG médicale de développement) recherche des bénévoles pour leur programme en Palestine
> Un gynéco-obstetricien pour une mission d'aide à
la mise en place d'un service de maternité et formation du personnel de la
maternité de la Patient’s Friends Society de Jenin, nord de la Cisjordanie,
Palestine (8 à 10 personnes : IDE + SF).
> Un pédiatre avec une expérience en néonatologie
pour une mission de formation du personnel en néonatologie (10 infirmiers + 3
médecins) au service de néonatologie de l’hôpital gouvernemental de
Jenin.
> Une péricultrice avec une expérience en
néonatologie pour une mission de formation du personnel en néonatologie (10
infirmiers + 3 médecins) au service de néonatologie de l’hôpital gouvernemental
de Jenin.
- Profils : Si possible expérience des pays en voie de développement,
expérience en formation, si possible anglophone.
- Durée : Missions
de 4 mois.
- Conditions : voyage, assurances et frais de
vie pris en charge par Santé Sud ; Statut bénévole ; Indemnités :
610 euros / mois.
[Pour tout renseignement,
s’adresser à Sandrine Fadoul - Santé Sud - 200, Bld National - Le Gyptis Bât. N
- 13003 Marseille - Tél. : 04 91 95 63 45 - Fax : 04 91 95 68 05 - Email :
santesud.prog@wanadoo.fr]
Dernières parutions
1. Moyen-Orient 1945-2002 -
Histoire d'une lutte de classe de Théo Cosme (Collectif)
aux édition Senonevero
[319 pages -
15 euros - ISBN : 2951646038]
De la fin de l’Empire ottoman à la guerre du Golfe
(‘91’), la «Question d’Orient» était celle du développement des rapports
capitalistes au Moyen-Orient. L’Orient constituait une «Question» car ce
développement n’était pas endogène. La formation de bourgeoisies y fut cahotique
et la production de prolétaires catastrophique. Depuis la fin de l’Empire
ottoman, la formation de rapports sociaux spécifiquement capitalistes s’est
déroulée au Moyen-Orient au travers de la succession de trois fractions
dominantes de la bourgeoisie : bourgeoisie foncière, administrative et
commerçante ; bourgeoisie nationaliste ; bourgeoisie rentière (malgré nos
critiques, nous reconnaissons notre dette envers les travaux de Georges Corm).
Chacune, dans sa spécificité, inclut et exprime à un moment donné les nécessités
générales du développement du capital. Par là également, leur action peut
parvenir à d'autres buts que ceux qu'elles s'étaient primitivement fixés. C’est
dans ce cadre que nous étudions ici la formation de l’État d’Israël, la montée
de l’islamisme, la révolution iranienne, la guerre du Liban, la première
Intifada, l’échec du mouvement palestinien, l’invasion du Koweit et
l’élimination finale de la figure autonome du rentier. Plus généralement, les
guerres israélo-arabes constituent, pour les pays arabes, le critère et
l’histoire du développement en leur sein des rapports sociaux capitalistes,
l’existence d'Israël ayant été jusqu’à maintenant la contrainte à ce
développement. C’est la guerre du Golfe en ‘91’ qui a définitivement résolu le
problème essentiel que posait le Moyen-Orient dans la restructuration mondiale
du mode de production capitaliste : l’intégration de la rente pétrolière dans la
péréquation générale du taux de profit. On peut alors cesser de considérer le
Moyen-Orient comme une question particulière. La «Question d’Orient» se trouve
fondamentalement résolue dans la mondialisation des rapports capitalistes, ce
que confirment la caducité du sionisme, l’effacement et les risques d’implosion
de l’Arabie Saoudite, la seconde Intifada, l’évolution de l’islamisme et la
guerre américaine en Afghanistan. Reste maintenant la question générale de la
définition, de l’exploitation et de la reproduction d’un prolétariat massivement
déraciné et paradoxalement renvoyé à des solidarités apparemment
traditionnelles. Outre son découpage et la compréhension de celui-ci, le
parcours du capitalisme au Moyen-Orient pose donc plusieurs problèmes théoriques
majeurs : le caractère non endogène du développement du capitalisme ; le rapport
entre les identités intermédiaires (communautés religieuses ou ethniques) et
l’état-nation; le rapport de la rente pétrolière à la péréquation du taux de
profit ; les formalisations religieuses et nationalistes de la lutte de
classe.
[SENONEVERO - 184, rue Saint Maur - 75010
PARIS - Site : http://ca.geocities.com/senonevero - E-mail : senonevero@yahoo.fr - Contact : Lola Miesseroff - Tél/Fax : 01 42 06 38 78 -
Diffuseur : Dif’Pop’ - 21 ter, rue Voltaire - 75011 Paris - Tél : 01
40 24 21 31]
2. Staline, Israël et les
Juifs par Laurent Rucker
aux Presses Universitaires de
France
[Mai 2001 - ISBN : 2130511651
- 384 pages - 145 Francs / 22,11 Euros]
En 1947, Staline décide de fournir un appui politique, militaire et
démographique à la création d'un État juif en Palestine. Cette décision, qui a
bouleversé l'histoire du Proche-Orient, a surpris tous les acteurs politiques de
l'époque et a longtemps intrigué les historiens. Pourquoi l'URSS a-t-elle
soutenu Israël ? Quelles est la relation entre la politique de répression des
Juifs d'URSS et celle soutenue au Proche-Orient ? Existait-il un plan de
déportation des Juifs soviétiques ? Staline était-il antisémite ? Pourquoi le
sionisme et le communisme se sont-ils combattus ? A partir de documents inédits
découverts dans les archives soviétiques, l'auteur retrace cette période de
l'époque stalinienne : contacts soviéto-sionistes, négociations secrètes,
livraisons d'armes tchèques à Israël, immigration clandestine en Palestine,
procès Slansky, Affaire des blouses blanches.
- Critiques dans la presse écrite :
- Laurent Rucker, spécialiste à la fois de l'histoire soviétique et de
celle du Proche-Orient, retrace dans son livre l'histoire des relations
mouvementées et contradictoires entre le "petit père des peuples" et les Juifs.
Ce livre tente notamment de répondre à cette question: "Pourquoi Staline a-t-il
apporté un soutien politique et militaire décisif à la création d'un Etat juif
en Palestine en 1947".Alors même qu'il lançait "une vague de répression et de
purges dont les Juifs soviétiques furent l'une des cibles principales". Cet
ouvrage, très érudit, retrace les événements des années 1940 à 1950, à la
lumière des documents retrouvés récemment après l'ouverture des archives
soviétiques. Ils permettent de mieux comprendre les rapports entre l'URSS et
Israël et les Juifs soviétiques, les premiers contacts soviéto-sionistes, les
négociations secrètes, la livraison d'armes tchèques à Israël, l'immigration
clandestine en Palestine. L'auteur consacre un chapitre à "l'affaire des blouses
blanches" qui éclata en janvier 1953 et conduisit à la rupture des relations
diplomatiques entre Moscou et Tel-Aviv. Staline reprochait à son médecin
personnel de lui avoir recommandé de cesser son activité politique en raison de
son état de santé. Il y a vu une volonté de l'écarter du pouvoir fomentée "sur
ordre des cercles sionistes américains" qui seraient intervenus auprès de
médecins juifs soviétiques. Commença alors une vague d'arrestations de médecins
juifs et de procès pour lesquels "la dimension antisémite produisait un effet de
discrédit, mais au contraire d'attraction et vraisemblance, car elle
s'inscrivait dans une tradition antisémite ancienne profondément enracinée dans
la société russe". [AFP, le mercredi 30 mai 2001]
- Un ouvrage remarquable rappelle que Staline a soutenu de façon décisive
la création d'Israël, tout en menant une politique antisémite. L'Etat d'Israël
n'existerait peut-être pas si l'URSS ne lui avait apporté son soutien pendant
ses premiers mois d'existence. Un soutien indirect et paradoxal. Car
simultanément les Juifs soviétiques étaient victimes de la répression du
stalinisme. [Tribune juive, le jeudi 24 mai 2001]
- Sur ce sujet qui a déjà été longuement étudié, Laurent Rucker apporte des
éléments d'information nouveaux qui permettent d'en renouveler la
compréhension. Il étudie en particulier minutieusement la longue série des
positions prises par le Kremlin pour soutenir la création d'Israël, dont Staline
apparaît comme l'un des promoteurs, puis lui donner les moyens de gagner la
guerre contre les Palestiniens et les Etats arabes qui alors les soutiennent.
[La Quinzaine littéraire, le dimanche 01 juillet 2001]
Rendez-vous
1. Exposition photographique
"Chronique palestinienne" de Philippe Conti
du 26 avril au 25 mai 2003 à Hong
Kongau Hong Kong Art Center - 2 Harbour Road - Wanchai - Hong
Kong
[Inauguration le jeudi 25 avril 2003 - Renseignements : office@msf.org.hk]Ce
travail documentaire photographique s’est construit au cours de plusieurs
séjours effectués dans les Territoires palestiniens entre février 2001 et mai
2002, par le photographe français, Philippe Conti.
[CF. Présentation de l'exposition dans le Point d'information
Palestine N° 205 et article de Simon Petite, "Un visage sur les souffrances
palestiniennes" in Le Courrier (quotidien suisse) du mardi 1er octobre 2002
repris dans le Point d'information Palestine N°206.]
2. Radio - La Voix de la
Palestine tous les samedis à Marseille
de 12h30 à 14h sur Radio Gazelle (98
Mhz)
Raëd Bader et Ashraf Shaat présentent chaque
semaine, cette émission d'information sur la situation en Palestine, en
direct. Actualités régionales, nationales et internationales, avec des invités
et témoins présents en plateau.
Réseau
1. Déclaration sur
l’Irak du Comité de Vigilance pour une Paix Réelle au
Proche-Orient
Comité de
Vigilance pour une Paix Réelle [association 1901 , fondée par Bér’a Adli-Bloch
1931-1999] Boite Postale N° 8 - 92290 Châtenay-Malabry Cedex
Président
d’Honneur : Professeurs Jean Bardet et Jacques Milliez. Président : Georges
Labica. Vice-Président Délégué : Maurice Buttin. Vice-Présidents : Rudolf
El-Kareh, Boutros Hallaq, Ghaïss Jasser, Pierre Lafrance, Raymond du Moulin,
José Paoli, Roshdi Rashed. Secrétaire Générale : Jacqueline Olivier. Trésorière
: Marguerite d’Huart. Comité de parrainage : Guy Aurenche, Albert
Bourgi, Jacques Chatagner, Claude Cheysson, Robert Davezies, Jacques de la
Ferrière, Gisèle Halimi, Stéphane Hessel, Jean-Marie Lambert, Simon Malley,
André Miquel, Edgar Morin, Louis Odru, Pierre Pradier, Jack Ralite, Madeleine
Rebérioux, Philippe Rebeyrol, Paul Ricoeur, Pierre
Vidal-Naquet.
Paris, le 20 février 2003 - Le Comité de Vigilance pour une Paix
réelle au Proche-Orient (CVPR-PO), mobilisé depuis des années en faveur d'une
paix juste et véritable dans cette région du monde, suit avec inquiétude les
développements quotidiens de la crise qui s'y aggrave et dont le volet irakien
entre dans une phase particulièrement critique.
L'Irak est un pays rendu exsangue par dix années d'un embargo implacable et
meurtrier. Comme toutes les formes d'isolement forcé, les sanctions
aggravées ont été funestes pour la population civile dont on connaît désormais
les profondes souffrances. Cette situation n'a laissé de bénéfices qu'à ceux
qui, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la société et du territoire irakien,
en ont tiré copieusement profit.
L'éventualité, toujours très probable, d'opérations militaires de grande
envergure, fera encore une fois de la population irakienne la victime principale
des entreprises guerrières.
La guerre faut-il le rappeler n'est pas un jeu
virtuel. Elle est maculée de sang et de larmes. De nos jours, ce sont les
groupes les plus vulnérables, notamment les femmes et les enfants qui sont
les premiers touchés. Nul ne saurait non plus s’accommoder de la mort de
dizaines de milliers de soldats. Les prévisions des agences onusiennes et
humanitaires annoncent une véritable catastrophe : cinq cent mille victimes, des
millions de déplacés et de réfugiés, une population entière dépendante de l'aide
alimentaire.
De l'aveu même des dirigeants américains et des politologues qui leurs sont
proches, les objectifs de l'opération sont désormais connus : si l'on veut
obtenir le désarmement de l'Irak - seul but légitime au regard de la légalité
internationale - par une attaque militaire massive, c'est pour créer les
conditions d'un aventureux "remodelage" régional. Il aurait pour finalité de
servir les ambitions économiques - notamment pétrolières - et géopolitiques
globales d'une hyperpuissance qui se veut impériale et désire empêcher
l'émergence d'un monde multipolaire. Les enjeux sont donc planétaires.
Le CVPR veut saluer les millions de personnes qui, le 15 février 2003 sur
l'ensemble des continents de la planète, ont manifesté leur refus de la guerre
programmée par l'actuelle administration des Etats-Unis. Il souligne
l'importance de la mobilisation dans ce pays - malgré un environnement
administratif, sécuritaire et médiatique va-t-en guerre - et dans les pays
dont les gouvernements se sont docilement alignés sur les actuels dirigeants
américains.
Il s'agit là d'un événement immense, sans précédent depuis des décennies.
La mobilisation civile, affirmée avec tant de détermination et de puissance,
révèle une grande intelligence des réalités politiques et une profonde humanité.
Elle est à la mesure des enjeux historiques et moraux qui se nouent,
désormais, autour de la question de l'Irak. Elle pèse sérieusement en faveur
d'un ralentissement des ardeurs bellicistes mais celles-ci sont loin d’être
freinées de façon décisive. Si un premier résultat, et non des moindres, a pu
être obtenu dans le sens du Droit au sein de l'Organisation des Nations Unies,
la situation actuelle ne constitue qu'un répit.
C’est pourquoi le CVPR souhaite réaffirmer avec force ce qu'il considère
être des éléments essentiels du débat planétaire en cours.
Il réaffirme en premier lieu, que toute guerre dite "préventive",
unilatéralement décidée hors des dispositions de la Charte de l’ONU, est une
agression. Si une telle pratique venait à faire école, l'ensemble de la planète
serait livré à la loi du plus fort. La guerre, surtout la guerre d'agression,
risque d’être porteuse de crimes de guerre et de crimes contre l'humanité. Par
ailleurs et dans les conditions qui sont celles du Moyen-Orient, elle ajouterait
aux tensions actuelles un chaos jusque-là inégalé. Ce chaos serait aggravé par
des régressions politiques et des repliements communautaires et sectaires dont
les effets seraient ravageurs pour des sociétés déjà fragilisées, sans compter
les ondes de choc qui en seraient la conséquence.
Le CVPR dénonce en outre l'instrumentalisation des principes et des valeurs
démocratiques, à des fins de puissance. L'idée selon laquelle ces valeurs
peuvent être inculquées par la guerre et les bombes est non seulement absurde,
mais elle les discrédite. La banalisation de l’usage délibéré de l’outil
militaire à des fins de changement social et sociétal est à condamner fermement
et l'appel à l'utilisation de tels procédés par ceux qui se réclament de la
démocratie est un signe avant-coureur de dévoiements totalitaires.
Le CVPR exprime son inquiétude de constater qu'au moment même où la guerre
dite "préventive" affiche pour objectif de supprimer les armes interdites
supposées détenues par l'Irak, les dirigeants américains, par la voix de leur
Secrétaire d'Etat à la Défense, envisagent de s'arroger le droit d'utiliser des
armes prohibées par la Convention de Genève, et notamment l'arme chimique et
nucléaire. Cette menace dérive d'une nouvelle stratégie qui veut vouer à la
caducité les conventions et les traités multilatéraux, notamment en matière de
non-prolifération. Elle ouvre une terrifiante boîte de Pandore.
Il s'alarme des signes de mépris des citoyens et de l'opinion publique que
sont les manipulations et les campagnes de désinformation qui accompagnent
la crise. Il s'inquiète aussi des symptômes d'une nouvelle chasse aux sorcières
aux relents maccarthystes qui se manifestent aux Etats-Unis - notamment
sur les campus et dans le monde des media et de la création cinématographique -
et des formes multiples de racisme qui se sont exprimées, non seulement dans la
presse écrite et télévisée, mais au plus haut niveau de différentes
administrations.
Les régimes tels qu’ils existent appellent souvent des changements
radicaux, mais ceux-ci ne peuvent légitimement venir que des populations qui les
subissent. En tout état de cause, la nocivité d’un régime au regard des
principes humanitaires et de la sécurité mondiale ne peut être appréciée que par
la communauté des nations à travers ses institutions représentatives.
Le changement d'un régime par une attaque unilatérale massive, est une
violation flagrante de la Charte de l'ONU. Cette organisation, certes
perfectible, demeure l'espace et l'outil institutionnel principal de régulation
des relations internationales, y compris et précisément en matière d'usage de la
force. Le CVPR s'associe en cela à la position exprimée notamment par le Vatican
et le Conseil Œcuménique des Eglises, ainsi que par de nombreuses autorités
religieuses et morales, y compris aux Etats-Unis. Une épreuve sanglante révulse
à ce point la conscience commune qu’elle ne peut être décidée qu’en cas de
nécessité absolue et par consensus de la communauté internationale. Et nous ne
sommes pas dans ce cas de figure.
Le respect du droit international et des résolutions de l'ONU est un tout
indivisible. Les politiques établies à l'aune des deux poids et deux mesures
sont des politiques iniques qui portent en germe des désastres. L'Irak est en
effet tenu de respecter les résolutions du Conseil de Sécurité le concernant,
mais l'organisation internationale et ses instances dirigeantes sont également
tenues de faire respecter l'ensemble des résolutions onusiennes. Il est
indispensable de rappeler que l'Etat d'Israël ne s'est toujours pas plié à près
de soixante-dix résolutions le concernant, et que la Turquie demeure, à Chypre,
une puissance d'occupation sous le coup de sévères condamnations onusiennes,
même si elle bénéficie d'une complaisante impunité. La volonté d'imposer la loi
de la communauté internationale à l'Irak prendra sa dimension légitime, et sa
véritable crédibilité, à la condition d'exiger le respect de l'ensemble des
résolutions de l'ONU concernant cette région du monde, et plus précisément
celles qui se rapportent à la Palestine.
Des initiatives immédiates sur ce dernier point peuvent permettre de
rétablir une dynamique de confiance. Dans cet esprit, l'ONU est appelée à mettre
en application sans tarder la résolution 687 du Conseil de Sécurité du 3 avril
1991 dont l'article 14 prévoit que l'ensemble du Moyen-Orient devra être
exempt d'armes de destruction massive. Cela implique le contrôle et
l'élimination des armements de destruction massive de l'ensemble des Etats de la
région y compris Israël. Une telle initiative sera sans aucun doute de nature à
réduire les tensions. Elle permettra de faire éclore des initiatives politiques
capables de consolider les véritables dynamiques de paix. C'est à cette
condition que les sociétés du Moyen-Orient pourront envisager leur émancipation
interne et leur développement.
Le mouvement mondial qui se construit jour après jour contre la violence
peut trouver dans une telle démarche l’amorce d’une véritable stratégie.
Dans cet ordre d'idées, le CVPR lance un appel à l'ensemble des
organisations et des Etats soucieux de paix afin d'empêcher qu'une éventuelle
déflagration en Irak n’ouvre la voie à des exactions de plus grande ampleur en
Palestine, et plus particulièrement à de nouvelles tentatives de transfert de
population ayant pour cible non seulement la population des territoires
palestiniens occupés en 1967, mais également les Palestiniens dits "de 1948".
Cette "opportunité" est aujourd'hui ouvertement évoquée par des membres du
gouvernement d'Ariel Sharon, et publiquement débattue dans la presse et les
media israéliens.
Devant l'ensemble de ces dangers, le CVPR apporte son soutien à
l'initiative diplomatique et politique de la France et de l'Allemagne. Les
positions défendues par la Belgique montrent que le courage politique n'est pas
tributaire de la puissance. L'affirmation de ces volontés a déjà permis de
ramener le débat sur le terrain des instances onusiennes et du droit.
Elle a permis de construire un premier socle de résistance à la
dégénérescence des relations internationales. Il faut s'y tenir.
Dans le
monde, des voix de plus en plus nombreuses, que la politique de puissance et de
force souhaite voir réduites au silence, commencent à s'élever. La situation
reste fragile, mais les progrès ne sont pas négligeables.
"Vieille Europe" ? Oui, Vieille Europe des valeurs universelles, fondées
sur le respect des droits humains et les principes de la Déclaration universelle
des Droits de l'Homme et du Citoyen. La France, l'Allemagne et la Belgique ont
exprimé par le refus des diktats et la réaffirmation de la primauté des
préceptes de la Charte onusienne, la sagesse acquise par une Vieille Europe qui
a donné naissance à cette idée inédite née des horreurs de deux guerres
mondiales : le refus de la solution des conflits par la force brutale, et la
prééminence du droit.
Si la mobilisation mondiale contre la guerre a conforté ces choix de
principe, et permis des avancées à l’ONU, rien rappelons-le n’est acquis à ce
jour. Le monde est en effet à la croisée des chemins. Le CVPR lance un appel à
une mobilisation vigilante de tous les instants. Les formes que revêtiront les
solutions de la crise irakienne détermineront en effet l'ordre du monde pour les
décennies à venir.
2. Les confessions d’un ancien agent du Mossad -
Extrait de "By Way of Deception" ("Par la tromperie") par Victor
Ostrovsky et Claire Hoy
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier][Note préliminaire : Victor Ostrovsky a
grandi en Israël, bien que né au Canada. A dix-huit ans, il est devenu le plus
jeune officier de l’armée israélienne, puis il fut promu au grade de lieutenant
en charge des tests d’armes pour la marine. Il a été officier du Mossad de 1984
à 1986. Le livre (en anglais) de Victor Ostrovsky peut être commandé sur
http://www.amazon.com : "By Way of
Deception : The Making and Unmaking of a Mossad Officer" ("Par la tromperie :
construction et démolition d’un officier du Mossad") par Victor Ostrovsky et
Claire Hoy - 371 est paru en octobre 1990 aux éditions St Martin’s Press - 371
pages - ASIN : 0312056133. Est-il besoin de le mentionner, le lobby israélien a
exigé (et obtenu, dans une large mesure) une mise à l’index de cet ouvrage,
tandis que des experts pro-israéliens s’ingéniaient à tenter de le descendre en
flammes à chaque fois que l’opportunité leur en était offerte.]
Révéler les faits dont j’ai été amené à connaître en ayant eu le privilège
insigne de passer quatre années de ma vie au Mossad ne fut pas pour moi chose
aisée.
Venant d’un milieu ardemment sioniste, on m’avait inculqué que l’Etat
d’Israël était absolument incapable de toute mauvaise action. Que nous étions
David, dans une lutte éternelle contre un Goliath monstrueux et d’année en année
plus puissant. Que personne ne nous protégerait si nous venions à être menacés,
et que nous ne devions compter que sur nous-mêmes. Ce sentiment était, de plus,
corroboré par les survivants de l’Holocauste, qui vivaient parmi nous.
Nous,
la nouvelle génération d’Israélites – la nation ressuscitée sur sa propre terre,
après plus de deux millénaires d’exil – étions dépositaires du sort d’une nation
entière.
On appelait les commandants de nos armées « héros » et non pas «
généraux ». Nos dirigeants étaient des sortes de grands timoniers tenant bon la
barre d’un navire géant. En apprenant que j’avais été sélectionné pour le
Mossad, j’étais sur un petit nuage : c’était pour moi un immense honneur, un
privilège insigne, d’entrer dans ce corps d’élite.
Mais ce que j’allais y
découvrir, c’est la perversion des idéaux et un pragmatisme autiste, couplé à la
rapacité, à la dépravation et à l’absence totale de respect pour la vie humaine,
de cette soi-disant « équipe ». C’est ce qui m’a poussé à écrire ce livre, afin
de témoigner sur ce que j’ai vu.
C’est par amour pour Israël, mon pays – un
pays libre et juste – que je mets ici ma propre vie en jeu, en osant défier ceux
qui se sont arrogé le droit de faire du rêve sioniste le cauchemar éveillé qu’il
est devenu aujourd’hui.
Le Mossad, en tant que service de renseignements
investi de la responsabilité d’écrire le scénario que devront suivre les
dirigeants présidant aux destinées du pays, a trahi la confiance placée en lui.
Complotant pour son propre compte, au service d’objectifs à courte vue et
égoïstes, il a placé la nation sur la trajectoire de la guerre totale.
L’un
des principaux thèmes de cet ouvrage est mon intime conviction que le Mossad a
échappé à tout contrôle et que même le Premier ministre, en apparence (mais en
apparence, seulement), aux manettes, n’a pas d’autorité réelle sur les décisions
qu’il est censé prendre.
Victor Ostrovsky, ancien agent du Mossad, a consacré
deux ouvrages au terrorisme d’Etat israélien prenant pour cible les ennemis
d’Israël, afin de les ‘neutraliser’. Dans l’un de ces deux ouvrages, il expose
le sort de Palestiniens qui avaient pénétré clandestinement en territoire
israélien, à la recherche d’un emploi en Israël.
Plusieurs milliers de ces
jeunes hommes ont tout simplement disparu ; personne n’a plus jamais eu aucune
nouvelle à leur sujet, après qu’ils eurent été capturés par l’armée israélienne.
Certains d’entre eux ont été emmenés au centre de recherches ultra-secret ABC,
où ils subissent les horreurs indescriptibles d’expérimentations d’armes
chimiques, biologiques et nucléaires, pour lesquelles on leur fait jouer le rôle
de cobayes.
Le Mossad – je sais, cela paraît incroyable – n’a que 30 ou 35
officiers spécialisés, les ‘katsas’, en opération en même temps à travers le
monde entier. L’explication principale de cet effectif extraordinairement est
qu’à la différence des autres pays, Israël peut mettre à contribution tout un
réseau loyal et très développé, dans le monde entier, au sein de la communauté
juive de la diaspora. Cela est réalisé au moyen d’un système unique en son
genre, celui des ‘sanayim’, qui sont des supplétifs volontaires juifs
(diasporiques) (du Mossad).
Durant mes six premières semaines au Mossad, il
ne se passa pas grand-chose. Je travaillais dans un bureau en centre-ville ; mon
travail était essentiellement celui de n’importe quel employé de bureau. Mais,
par une journée glaciale de février 1984, j’embarquai dans un minibus, en
compagnie de quatorze autres agents… C’était l’effectif d’une promotion de
‘cadets’ du Mossad, qui portait le nom de Cadet 16. En effet, c’était la
seizième de la série.
Le formateur entra en trombe dans la pièce et alla
s’asseoir au bureau, tandis qu’avec les autres, nous nous assîmes au fond de la
salle. « Je m’appelle Aharon Sherf », dit-il. « Je suis le directeur de
l’Académie. Bienvenue au Mossad ! Le nom complet du service est : Ha-Mossad
le-Modiyn ve le-Tafkidim Mayuhadim [Institut du Renseignement et des Opérations
Spéciales]. Notre leit motif est le suivant : « Par la ruse, la guerre tu feras.
»
« C’est le vieux truc du Trojan ». Il alluma un clope.
« Qu’est-ce que
c’est, le « truc du Trojan ? » Je ne pouvais m’empêcher de sourire bêtement : je
n’avais jamais entendu parler de cette opération en ces termes.
« Je savais
que cela allait vous intriguer », reprit-il, avec un sourire entendu. « Shimon a
lancé l’Opération Trojan, en février de cette année. »
J’acquiesçai. J’étais
déjà au Mossad quand cet ordre avait été donné et, en raison de ma formation
navale et de ma familiarité avec la plupart des commandants dans la marine
israélienne, j’avais participé à la préparation de l’opération, en tant qu’agent
de liaison avec la marine.
Un Trojan, c’est un appareil de communications
très particulier, qui peut être implanté profondément en territoire ennemi par
des commandos. Cet appareil, une fois placé en un lieu idoine, pourra servir de
station relais permettant de diffuser des informations volontairement
trompeuses, produites par l’unité de la désinformation du Mossad, appelée LAP,
et conçues pour être captées par les stations d’écoute américaines et
britanniques. Provenant d’un bâtiment de l’armée israélienne croisant au large,
les émissions digitales préenregistrées seront alors rediffusées sur une autre
fréquence – une fréquence utilisée pour des communications officielles dans le
pays ennemi – ce après quoi elles finiront par être interceptées par les
‘grandes oreilles’ américaines, en Grande Bretagne.
Les auditeurs
intercepteurs ne douteront pas un instant avoir intercepté une communication
authentique, et c’est de là que découle le nom de Trojan, qui évoque le mythique
cheval de Troie. Ensuite, le contenu des messages, une fois déchiffré,
confirmera des informations provenant d’autres sources du renseignement. En
l’occurrence : du Mossad… Le seul problème était que le Trojan lui-même devrait
être déposé aussi près que possible de la source normale de ce genre de
transmissions, en raison des méthodes très sophistiquées de trigonométrie
(triangulation) que les Américains, et les autres services de renseignements, ne
manqueraient pas d’utiliser afin de s’assurer de ‘leur’ source.
Dans
l’opération particulière à laquelle Ephraim faisait allusion, deux unités
d’élite de l’armée s’étaient vu confier la responsabilité d’aller implanter
l’appareil Trojan dans l’emplacement le plus approprié. Une de ces unités était
l’unité de reconnaissance Matkal. L’autre était la Flottille 13 : elle est
composée de commandos marins. Les commandos furent chargés de ‘planter’
l’émetteur Trojan en un endroit précis de la capitale libyenne, Tripoli.
Dans
la nuit du 17 au 18 février, deux vedettes lance-missiles israéliennes - le SAAR
Moledet de 4ème classe, armé de missiles surface-surface Harpoon et Gabriel
(entre autres munitions) et le Geula, un navire lance-missile de classe Hohit,
avec piste de décollage pour hélico et l’armement habituel d’un SAAR 4 –
effectuaient ce qui ressemblait à une patrouille de routine en Méditerranée, et
faisaient route vers le détroit de Sicile, en passant juste au ras des eaux
territoriales libyennes. Juste au nord de Tripoli, les deux bâtiments de guerre,
qui apparaissaient tous deux sur les écrans radars tant à Tripoli que dans l’île
italienne de Lampedusa, ralentirent l’allure, descendant jusqu’à quatre nœuds –
vitesse permettant sans problème la mise à l’eau d’une équipe de douze commandos
marins, à bord de quatre sous-marins ‘humides’ (c’est-à-dire, sans habitacle
étanche : ce sont des engins comme en utilisent parfois les amateurs de plongée
sous-marine, mais militaires et armés, ndt), que les militaires surnomment
‘cochons’ ainsi que deux hors bords ultra rapides et extra plats, que les
militaires surnomment ‘oiseaux’. Les ‘cochons’ pouvaient tracter deux commandos
chacun, avec tout leur équipement de combat.
Les ‘oiseaux’, équipés chacun
d’une mitrailleuse MG de 7,62 mm de calibre, montée sur la proue et d’un stock
de missiles antitanks portables (sur l’épaule, comme les bazookas), pouvaient
emmener chacun six commandos, tout en remorquant les ‘cochons’ inutilisés. Les
‘oiseaux’ amenèrent leurs ‘cochons’ aussi près que possible de la rive,
réduisant d’autant, ce faisant, la distance que les ‘cochons’ auraient eu à
couvrir s’ils eussent été utilisés depuis les deux vedettes lance-missiles. (Ces
‘cochons’ sont submersibles silencieux, mais relativement lents).
Arrivés à
deux miles marins au large de la côte libyenne, les lumières de Tripoli étaient
visibles : elles scintillaient, plus au sud-ouest. Huit commandos se glissèrent
doucement à l’eau, s’arrimèrent à leurs ‘cochons’ et ils se dirigèrent vers la
côte. Les ‘oiseaux’ restèrent en arrière, face au point de rendez-vous, prêts à
parer à toute éventualité. Une fois sur la plage, les commandos abandonnèrent
leurs engins en forme de cigare, au fond d’une eau peu profonde, et ils se
dirigèrent à l’intérieur des terres, portant un cylindre vert foncé, de six
pieds de long et sept pouces de diamètre : le Trojan ! Un homme seul ne pouvait
le porter : ils étaient deux à le faire.
Une camionnette grise était arrêtée,
à environ cent pieds du bord de la mer, sur le bas-côté de l’autoroute reliant
Subratah à Tripoli, et qui se poursuit ensuite jusqu’à Benghazi. A cette heure
avancée de la nuit, le trafic était pour ainsi dire nul. Le conducteur de la
camionnette grise semblait en train de réparer un pneu crevé. Il s’arrêta d’y
travailler lorsqu’il vit le commando approcher, et ouvrit les portières
arrières. C’était, lui aussi, un combattant du Mossad. Sans un mot, quatre des
hommes montèrent dans la camionnette, et ils démarrèrent : direction : Tripoli.
Les quatre autres retournèrent à la mer, où ils prirent des positions
défensives, près des ‘cochons’ immergés. Leur fonction consistait à maintenir
cette position, afin d’assurer une voie de repli pour l’équipe qui fonçait vers
la capitale.
Sur ces entrefaites, une escadrille d’avions de combat
israéliens se ravitaillaient, au sud de la Crête, prêts à apporter assistance.
Ils étaient capables de maintenir à bonne distance des commandos toute force
terrestre (libyenne), en leur assurant ainsi une voie de repli, bien
qu’imparfaitement sure. A ce moment-là de l’action, la petite unité de commandos
se divisa en trois sous-groupes – elle se retrouvait ainsi dans la phase la plus
délicate de toute l’opération. Eût l’un quelconque des détails fini aux mains
des forces ennemies, ils avaient l’ordre d’observer la plus extrême prudence, à
moins que l’ennemi n’engage les hostilités.
La camionnette alla se garer
derrière un immeuble situé sur la Rue Jumhuriyyah, à Tripoli (Rue de la
République), à moins de trois blocs d’immeubles de la caserne de Bab
al-Aziziyyah, connue pour abriter le quartier général et la résidence privée de
Qaddhafi. A ce moment-là, les hommes de la camionnette s’étaient changés : ils
s’étaient déguisés en civils. Deux d’entre eux restèrent dans la camionnette,
pour faire le guet, et les deux autres aidèrent les combattants du Mossad à
monter le précieux cylindre (le Trojan) sur la terrasse de l’immeuble, qui
comportait cinq étages. Le Trojan avait été roulé dans un tapis !
Dans
l’appartement, une des extrémités du cylindre fut ouverte, un petite antenne
parabolique en fut extraite, puis placée devant une fenêtre orientée au nord.
L’unité émettrice fut activée : le cheval de Troie était dans la place
!
L’agent du Mossad avait loué l’appartement pour une durée de six mois, et
il avait payé la location cash et d’avance. Personne ne pouvait donc avoir le
moindre soupçon en voyant l’agent secret déguisé en locataire y pénétrer.
Inversement, personne d’autre n’avait rien à faire dans cet appartement.
Toutefois, dût un intrus avoir le malheur de pénétrer dans cet appartement, le
Trojan se serait autodétruit, emportant dans sa formidable déflagration
l’ensemble de la partie supérieure de l’immeuble. Les trois hommes retournèrent
à la camionnette, puis ils roulèrent vers leur rendez-vous avec leurs amis, ‘à
la plage’.
Après avoir déposé les commandos sur la plage, le combattant
retourna à vive allure à Tripoli, où il avait pour mission de surveiller le
travail de transmissions et de désinformation du Trojan durant les semaines à
venir. Les commandos, une fois sur la plage, ne traînèrent pas eux non plus, et
ils prirent le large, grâce à leurs ‘cochons’ et leurs ‘oiseaux’. Ils n’avaient
pas du tout envie de se faire pincer dans les eaux libyennes à la levée du jour.
Ils se dirigèrent donc, en poussant à plein régime leurs cochons trop poussifs à
leur goût, vers un point de rassemblement convenu à l’avance, où ils
retrouvèrent les deux vedettes lance-missiles, qui les hissèrent à bord.
Vers
la fin du mois de mars, les Américains commençaient déjà à intercepter des
messages diffusés par le Trojan, qui était activé seulement durant les heures de
pointe de transmission de télécommunications. Grâce au Trojan, le Mossad
s’efforçait de donner à penser qu’une longue série d’instructions en vue
d’attentats terroristes était en train d’être transmise aux différentes
ambassades libyennes à travers le monde entier (ou, plus exactement, pour
reprendre la terminologie des Libyens eux-mêmes, les différents « Bureaux
Populaires »… ) Conformément aux attentes du Mossad, les messages transmis (par
le Trojan) furent déchiffrés par les Américains, qui les présentèrent comme la
preuve irréfutable que les Libyens soutenaient activement le terrorisme. Pour
enfoncer le clou, des rapports du Mossad venaient systématiquement confirmer les
accusations comminatoires américaines ! ! !
Toutefois, ni les Espagnols ni
les Français n’étaient dupes. Ils ne gobaient pas ce flot subit d’informations.
Il leur semblait extrêmement suspect que soudain, de but en blanc, les Libyens,
qui avaient fait montre d’une prudence de Sioux, jusqu’alors, se mettent du jour
au lendemain à faire de la publicité pour leurs supposés actes terroristes
futurs. Ils trouvaient suspect, aussi, qu’à plusieurs reprises les rapports du
Mossad aient été rédigés en des termes très proches des messages codés libyens.
Ils avançaient – plus important – l’argument que s’il y avait eu, effectivement,
des messages codés libyens rendant compte d’attentats avérés, l’attentat contre
la discothèque La Belle, à Berlin Ouest, commis le 5 avril, aurait pu être
évité, car il y aurait sûrement eu des messages concernant cette attaque avant
qu’elle ne soit perpétrée, ce qui aurait permis aux services d’écoute de la
prévenir. Etant donné que cet attentat n’avait pas pu être évité, ils pensaient
que ce n’était pas les Libyens qui en étaient à l’origine, et que les «
nouvelles communications » soi-disant libyennes étaient un leurre. Les Français
et les Espagnols voyaient juste. L’information était bidon, et le Mossad ne
disposait pas du moindre indice sur qui avait bien pu déposer la bombe qui tua
un soldat américain et en blessa plusieurs autres, dans cette discothèque
berlinoise. Mais le Mossad était lié à la plupart des organisations terroristes
européennes, et il était convaincu que, dans l’atmosphère trouble qui s’était
emparée de l’Europe à cette époque-là, un attentat causant une victime
américaine était dans l’ordre des choses : ce n’était qu’une question de temps.
Les dirigeants du Mossad comptaient sur la promesse que les Américains leur
avait faite (qu’en cas d’attentat contre eux), ils se vengeraient au centuple
sur tout pays dont il aurait pu être prouvé qu’il soutenait le terrorisme. Le
Trojan fournit aux Américains la ‘preuve’ dont ils avaient besoin. Le Mossad se
chargea d’introduire dans l’équation l’image de lunatique dont était affublé
Qaddhafi, ce qui n’était pas difficile en raison de ses multiples déclarations
tonitruantes, qui n’étaient destinées, en réalité, qu’au seul usage
interne…
Il faut se rappeler qu’à l’époque, Qaddhafi avait en quelque sorte
tracé une ligne passant au large, fermant le Golfe de Sidra qu’elle transformait
de facto en eaux territoriales libyennes, et qu’il qualifiait la nouvelle
frontière passant au milieu de la mer de « ligne de la mort » (ces agissements
n’avaient pas peu contribué à endommager son image de dirigeant modéré).
Finalement, les Américains tombèrent tête baissée dans le piège tendu par le
Mossad, entraînant les Anglais et les Allemands derrière eux, bien que ces
derniers traînassent quelque peu les pieds. L’opération Trojan fut l’un des plus
grands succès remportés par le Mossad. Elle entraîna le bombardement aérien de
Tripoli, promis par le président américain Reagan – et ce bombardement eut trois
conséquences extrêmement importantes. Tout d’abord, il fit tourner court un
compromis qui aurait permis de libérer les otages américains au Liban, chose qui
permettait de conserver au Hizbullah (Parti de Dieu) son statut - très précieux
pour Israël - d’ennemi numéro Un aux yeux de l’Occident. Ensuite, le
bombardement américain sur Tripoli envoya un message à l’ensemble du monde
arabe, lui signifiant très précisément où les Etats-Unis en étaient, quant au
conflit arabo-israélien. Enfin, il redorait l’image du Mossad, puisque c’était
lui qui, par un habile tour de prestidigitation, avait incité les Etats-Unis à
faire ce qui convenait ! Seuls les Français ne mordirent pas à l’hameçon du
Mossad, et ils restèrent déterminés à ne pas prêter une quelconque assistance à
l’agression américaine. Les Français refusèrent le survol de leur territoire aux
bombardiers américains, en vol pour leur sinistre besogne en Libye.
Le 14
avril 1986, cent soixante bombardiers américains lâchèrent soixante tonnes de
bombes sur la Libye. Les attaquants bombardèrent l’aéroport international de
Tripoli, les casernes de Bab Al-Aziziyyah, la base navale de Sidi Bilal, la
ville de Benghazi et le terrain d’aviation de Benine, dans la banlieue de cette
dernière grande ville. L’escadrille de bombardiers consistait en deux ensembles
principaux, l’un venait d’Angleterre et l’autre avait décollé de porte-avions
voguant en Méditerranée. D’Angleterre vinrent vingt quatre F-111, depuis la base
de Lakenheath, cinq EF-111 d’Upper Heyford et vingt-huit tankers de
ravitaillement qui avaient décollé de Mildenhall et de Fairford. Durant
l’attaque, les F-111 et les EF-111 de la Royal Airforce furent rejoints par dix
huit avions d’attaque et de soutien A-6 et A-7, six avions de combat F/A-18,
quatorze avions de brouillage électronique EA-6B, ainsi que d’autres avions de
soutien logistique. Les avions de la US Navy furent catapultés par les
porte-avions Coral Sea et America. Du côté libyen, on enregistra environ
quarante morts. Tous, des civils, dont la fille adoptive de Qaddhafi. Du côté
américain, un pilote ainsi que son officier servant furent tués dans l’explosion
de leur F-111…
Immédiatement après les bombardements
américano-anglo-allemands en Libye, le Hizbullah mit fin aux négociations autour
des otages qu’il retenait au Liban, et il en exécuta trois, dont Peter Kilburn,
un Américain. Quant aux Français, ils furent remerciés de leur attitude de
non-participation dans l’attaque anti-libyenne par la libération, à la fin juin,
de deux journalistes français retenus en otages à Beyrouth. (Comme de juste, une
bombe ‘perdue’ avait endommagé l’ambassade de France lors du bombardement de
Tripoli…)
Ephraïm venait donc de tout raconter, confirmant ce que je savais
déjà. Puis il poursuivit. « Après le bombardement en Libye, notre ami Qaddhafi
va certainement être en dehors de la photo pour encore quelque temps. L’Irak et
Saddam Hussein sont la prochaine cible. Nous commençons dès maintenant à en
faire le grand méchant loup. Cela prendra un peu de temps, mais à la fin, une
chose est sûr : ça marchera ! »
« Mais Saddam n’est-il pas considéré comme
plutôt modéré à notre égard, puisqu’il est allié à la Jordanie et qu’il est
l’ennemi juré de l’Iran et de la Syrie ? », objectai-je.
« Ouaip… C’est bien
pour ça que personnellement, je suis contre cette mission. Mais ce sont les
ordres, et je dois les suivre. Heureusement, vous et moi, nous aurons terminé
nos petites manigances avant que quoi que ce soit de géant n’arrive. Après tout,
nous avons déjà détruit les installations nucléaires de Saddam, et nous sommes
en train de nous faire des c..il..s en or en lui vendant de la haute technologie
et des équipements, par l’intermédiaire de l’Afrique du Sud… »
Au cours des
semaines suivantes, on eut droit à un flot croissant de révélations toutes plus
alarmantes les unes que les autres au sujet des éléments de la machine de guerre
de Saddam, dont le fameux ‘canon géant’ ! Le Mossad a fait tout ce qu’il a pu,
jusqu’à la quasi saturation du monde parallèle de l’espionnage, afin de diffuser
des informations sur les intentions malveillantes de Saddam la Menace, en misant
sur le fait que celui-ci aurait à sa disposition une longueur de corde
suffisante pour se pendre, avant longtemps. Le but global du Mossad était
extrêmement clair. Il voulait que l’Ouest mène sa guerre à sa place, comme les
Américains l’avaient fait en Libye, en bombardant Qaddhafi. Après tout, Israël
ne possédait pas d’avions gros porteurs ni d’une énorme puissance aérienne, et
bien qu’il eût démontré sa capacité à bombarder un camp de réfugiés
(palestiniens), à Tunis, ce n’était pas la même chose. Les dirigeants du Mossad
savaient que s’ils pouvaient faire apparaître Saddam comme quelqu’un de
suffisamment mauvais, représentant une menace pour les approvisionnements
pétroliers en provenance du Golfe, dont il avait été jusqu’alors le protecteur,
dans une certaine mesure, alors les Etats-Unis et leurs alliés ne le
laisseraient pas obtenir quoi que ce soit, mais prendraient des mesures qui ne
pourraient qu’entraîner la destruction totale de son armée et de son potentiel
en armement, tout particulièrement si l’on parvenait à leur faire croire qu’il
s’agissait là de leur dernière opportunité, avant que Saddam ne devienne
‘nucléaire’…
3. Fermeture du site
contestataire américain YellowTimes.com - L’étouffement d’une voix prêchant la
raison par Firas Al-Atraqchi (10 février 2003)
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
L’escalade dans la campagne
visant à étouffer toute dissension et à censurer toute remise en question de la
politique américaine actuelle au Moyen-Orient, en général, et en Irak, en
particulier, vient d’atteindre un nouveau degré.Des sites
ouèbes abritant des opinions alternatives et/ou des opinions allant à l’encontre
de la politique étrangère américaine ne sont désormais plus tolérés sur Internet
: ils sont soumis de manière systématique à des attaques de ‘hackers’ et à des
pressions politiques visant à les inciter à se remettre en cause, sous prétexte
de changement de serveur.
Au cours des six derniers mois, YellowTimes.org a
dû faire face à des attaques intensives de ‘hackers’, pour la simple raison que
ce site publie des opinions qui interpellent directement, critiquent ou
condamnent la ligne officielle américaine en matière d’invasion planifiée de
l’Irak.
« En plus des bombardements de messages e-mail bidons, je pense
qu’ils sont en train d’essayer de saturer nos serveurs au moyen d’attaques
consistant en des refus de connexion, qui contraindront finalement notre site à
fermer. De tels incidents se sont multipliés après que nous ayons publié un
article d'Imad Kadduri », explique Erich Marquardt, éditeur en chef de
YellowTimes.org.
Imad Kadduri, ancien ingénieur atomiste irakien qui a joué
un rôle clé dans les programmes d’armement nucléaire de l’Irak dans les années
1980 et au début de la décennie 1990, a dénoncé la fausseté des allégations
récentes au sujet des compétences disponibles et de l’avancée du programme
d’armes nucléaires irakien, qu’il a qualifié de « dénuées de tout fondement ».
Dans un article publié par YellowTimes avant que cette fanzine ne se soit vu
couper sa ligne par son serveur, Kadduri a tracé un tableau peu reluisant de la
communauté scientifique irakienne, dont de nombreux cadres sont au chômage et
sont prêts à faire n’importe quel boulot après que la Guerre du Golfe et les
bombardements alliés qui n’ont jamais cessé depuis aient réduit les ambitions
nucléaires irakiennes en ruines.
Kadduri a également accusé Khidhir Hamza, un
scientifique irakien en exil, avec lequel il avait travaillé à l’époque, de
forger de toute pièce et d’exagérer l’importance qu’il lui assigne dans le
programme irakien, tel qu’il est détaillé dans l’ouvrage de ce Hamza, intitulé «
Saddam’s Bombmaker » [Le fabriquant de bombinettes de Saddam ].
Bien que de
nombreux éditorialistes de YellowTimes.org aient été félicités pour leur apport
d’informations jusque-là inédites à ses lecteurs et pour avoir informé le public
de faits qui avaient été virtuellement soumis à un « black out » par les médias
américains consensuels (CNN, New York Times, etc.), un petit nombre de lecteurs
ont fait part de leur malaise, qualifiant le site de « malsain et biaisé »,
voire de « non patriote ».
Ces gens, qui accusent le débat intellectuel de
non-patriotisme, oublient tout simplement les paroles de John Adams, l’un des
pères de la Constitution américaine :
« Les mâchoires du pouvoir sont
toujours ouvertes, prêtes à dévorer ; et ses bras sont toujours tendus, afin -
le cas échéant et si possible - de détruire la liberté de pensée, de parole et
de publication. La Liberté ne saurait être préservée sans qu’une éducation
générale soit diffusée dans le peuple, lequel peuple a un droit indiscutable,
inaliénable, indéfectible – divin – et ce droit, c’est celui d’accéder à cette
sorte de connaissance à la fois tellement redoutée et tellement désirée : je
veux parler du caractère de ses dirigeants et de leur conduite. »
Ou bien
alors, peut-être ont-ils oublié Thomas Jefferson ?
« La seule sécurité, pour
tous, réside dans une presse libre. Rien ne saurait résister à la force
impétueuse de l’opinion publique lorsqu’on lui permet de s’exprimer librement.
Il faut se soumettre devant l’agitation qu’elle ne manque pas de susciter. Cette
agitation est nécessaire : elle permet de maintenir la pureté des eaux, en
évitant qu’elles ne stagnent… »
D’autres sites ouèbes sont peut-être en train
d’être contraints à fermer, eux aussi ?
Pour ce qui nous concerne, à
YellowTimes.org, nous sommes déterminés à poursuivre dans notre ligne
déontologique, en fournissant à nos centaines de milliers de visiteurs mensuels
des informations et des points de vue alternatifs. Nous ne prenons pas le
black-out qui vient de nous être imposé à la légère.
« Ce contretemps ne va
certainement pas nous empêcher de dénoncer des dirigeants et des gouvernements
qui commettent de grossières injustices contre le genre humain », a déclaré
Marquardt.
« Croyez-moi, YellowTimes.org reviendra. Très bientôt ».
[Adresse e-mail à laquelle contacter l'équipe de
YellowTimes.org : YellowTimes@hotmail.com]
4. La fabrique de
monstres par Israël Shamir (16 octobre 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Afin de libérer l’imagination de leurs
patients, les psychologues aiment leur faire subir des tests de rapprochement de
mots. Ils vous sortent un terme, de but en blanc, et vous devez répondre avec le
premier mot qui vous vient à l’esprit : « lit » - « sexe » ; « mari » - « paie »
; « boire » - « police », etc… Ces réponses aident le psy à comprendre le mode
de fonctionnement de votre psychisme. Mais faites s’étendre un juif sur le
canapé, murmurez-lui un seul mot, « Christ », et vous obtiendrez toujours la
même réponse : « on nous accuse d’être ceux qui ont tué le Christ » !
Voici
quelques jours, un vieux juif super, membre de l’association pro-palestinienne
Al-Awda, a réagi à la nouvelle de ma conversion au christianisme avec la
réplique attendue : « Shamir nous a traités de décides ». J’ai été plutôt vexé,
puisque je sais très bien que je n’ai jamais dit cela, pour la bonne raison que
je ne le pense pas. Puis je me suis souvenu du fait qu’il y a environ un an,
tandis que j’avais comparé les assassinats de Palestiniens qui sont les enfants
bien aimés du Christ avec la mise à mort du Christ lui-même, immédiatement deux
agents (sionistes) stipendiés avaient entonné la complainte juive : « il a
traité les Juifs d’assassins du Christ ». Et pas moyen de les persuader du
contraire…
Lorsque le pape Jean-Paul II se rendit en visite dans la vénérable
capitale du Califat Omeyyade, Damas, le jeune chef de l’Etat syrien rappela à
l’assistance le sens transcendantal de la lutte pour la Palestine, déclarant
notamment : « Les Palestiniens se battent contre les ennemis du Christ et les
ennemis du Prophète (Mahomet) ».
Les propos de Bashar Al-Assad causèrent la
consternation des Juifs. Un des journaux de Conrad Black, qui soutient en
permanence les « exécutions extrajudiciaires menées par Israël » (lire : les
assassinats), écrivit, indigné : « C’était de l’antisémitisme, et de la pire
espèce. A travers les siècles, l’accusation de déicide a servi de prétexte pour
persécuter les Juifs, qui ont été constamment accusés d’avoir « tué le Christ »
».
Voulez-vous bien relire, s’ils vous plaît, attentivement cette fois, les
propos de Bashar al-Assad ? Il n’a jamais dit – ni non plus même donné à
entendre – que les Juifs ont tué le Christ. Moi non plus : il ne saurait y avoir
de culpabilité collective après de très nombreuses générations. Mais les Juifs
savent mieux que les autres ce que les gens doivent dire. De la même manière,
les Juifs savent mieux qui devrait représenter les Palestiniens, en lieu et
place d’Arafat, qui est « hors jeu » ; ils savent mieux que quiconque qui
devrait diriger l’Irak ; et même qui les Noirs devraient élire en lieu et place
de Cythia McKinney. De la même manière, ils savent mieux que quiconque ce que
nous allons dire : à savoir qu’ « ils ont tué le Christ » ! Ils attendent ça
comme un amoureux transi attend la consommation de son désir, comme le brave
soldat attend le signal de monter à l’assaut : en effet, là, ils savent quoi
répondre. Ils insisteront jusqu’à ce que nous le disions, comme dans la blague
juive suivante :
Un juif a marché sur le pied d’un Chinois, dans le métro de
New York. Il lui demande : « Etes-vous juif ? ». « Non », répond le Chinois.
Mais le juif lui repose la même question, à plusieurs reprises, si bien que
notre Chinois, exaspéré, abandonnant la partie, répond : « Oui, je suis juif ».
Et le juif, satisfait, de lui sourire en lui faisant la remarque suivante : «
Etrange, n’est-ce pas ? Vous n’avez pas du tout l’air juif… »
Cette
accusation est fausse ; ce n’est qu’une diffamation anti-chrétienne. Aucun des
Pères de l’Eglise, aucun des « fanatiques religieux de droite » de jadis, aucun
des Croisés n’aurait ni n’a effectivement accusé les juifs contemporains d’avoir
tué le Christ au motif que leurs ancêtres l’avaient fait. Ils n’étaient pas si
bêtes : personne n’est aussi bête. Cette accusation n’est qu’une invention de
l’imaginaire juif. Un universitaire éminent, le Professeur David Flusser, a dit
très judicieusement : « les juifs ne devraient pas plus être blâmés pour avoir
tué le Christ que les Français, pour avoir envoyé Jeanne d’Arc au bûcher ou les
Grecs, pour avoir condamné Socrate à boire la ciguë ».
Pourquoi, alors,
les juifs insistent-ils tellement avec cette fausse accusation ? Ils le font,
afin de camoufler le vrai grief : leur hostilité envers le Christ, le
christianisme et les chrétiens. Mon cher professeur disparu, David Flusser,
était un apologue du judaïsme très éloquent et habile : il aurait volontiers
justifié tout ce que les juifs ont bien pu faire, et il y serait parvenu. Son
raisonnement est correct, mais il manque de sincérité. Pourquoi, en effet, les
Français ne se voient-ils pas reprocher la mort atroce de la Pucelle ni ne
sont-ils considérés comme les « ennemis jurés de la Pucelle » ? Mais pour une
raison très simple : bien que les situations semblent similaires (occupation
étrangère, juges locaux corrompus), le peuple français a condamné les juges
français qui ont prononcé la sentence de mort à l’encontre de Jeanne, dont les
Français ont fait leur sainte de prédilection. Les juifs, à travers l’histoire,
en revanche, étaient effrontément fiers du méfait de leurs ancêtres, et l’ «
Evangile selon les juifs », le Toledot Yeshu (titre que l’on pourrait à juste
titre traduire par : « Comment nous avons tué Jésus ») a été le manuscrit (mis à
part la Bible)le plus fréquemment recopié au Moyen Age.
Les adeptes du
judaïsme continuèrent à combattre le Christ et les chrétiens. Les soldats du
dernier roi juif, Bar Kochba, massacrèrent les chrétiens, en 135. Au Yémen, un
potentat juif, Yusuf Zu Nawas, brûla les églises et tua des milliers de
chrétiens, en 519. Les chrétiens palestiniens furent massacrés en 529 et, à
nouveau, en 614. Ensuite, la guerre se transporta sur le terrain idéologique. Le
Moyen Age est plein de propagande juive anti-chrétienne très agressive. On peut
en trouver des exemples dans Jésus vu par des yeux juifs [1], un recueil
d’écrits juifs sur Jésus, publié récemment, qui inclut l’infâme Toledot Yeshu et
le Nestor Hakomer, écrit au neuvième siècle, en arabe. Encore aujourd’hui, des
tracts, à Jérusalem, décrivent Judas comme le « rédempteur d’Israël ». C’est
pourquoi, en résumé, les juifs ont été décrits comme « les ennemis du Christ
».
Les Chrétiens ont répliqué, et ils ont massacré eux aussi un nombre non
négligeable de juifs. C’est une particularité d’un discours moderne
particulièrement riche en circonvolutions, qui fait que les persécutions des
juifs par les chrétiens sont bien connues, tandis que les persécutions des
chrétiens par les juifs sont vouées à l’oubli. Il existe une « théologie
chrétienne post-auschwitzienne, », mais il n’y a pas de « judaïsme post-piscine
de Mamilla, ou post-Deir Yassine » ! Cette falsification de l’histoire est
utilisée par les dirigeants juifs afin d’inculquer aux chrétiens un sentiment de
culpabilité absolument dévastateur. C’est pourquoi il est extrêmement important
d’expliquer que les relations entre juifs et chrétiens n’étaient pas
unilatérales, comme les apologues juifs voudraient le faire croire.
II - La
guerre idéologique millénaire contre le Christ devint l’élément le plus
important de la judéité, et nous vivons encore en plein dedans. « Mieux vaut
servir Hitler que le Christ », - a dit un rabbin israélien très connu. Pour un
juif, la reconnaissance du Christ est le pire crime qu’il puisse commettre, et
ce sentiment est partagé par l’immense majorité de la communauté juive. Les
juifs ne sont pas simplement des « non-chrétiens », comme nous pouvons être des
« non-bouddhistes » : ils sont anti-chrétiens. Aujourd’hui encore, alors que
dans leur majorité les juifs ne pratiquent plus les canons de leur religion, cet
héritage anti-chrétien n’a pas disparu. Ainsi, par exemple, un juif baptisé se
voit dénier la citoyenneté israélienne en vertu de la Loi du Retour. Récemment,
un groupe de juifs américains honnêtes a écrit à l’Etat d’Israël qu’ils
renonçaient à leur droit au retour. Mais il n’y a qu’une façon pour ce faire ;
il n’y en a pas trente-six : reconnaissez le Christ et vous perdrez
automatiquement votre droit au retour !
Il y a bien entendu de nombreux juifs
qui pensent autrement. Aucun groupe humain n’est assez monolithique pour exclure
toute divergence d’opinion. Même dans la direction du parti nazi allemand, il y
a eu des gens qui conspiraient contre Hitler. Mais cela ne signifie nullement
que l’idéologie nazie n’existait pas. Parmi des millions de communistes russes,
on pouvait trouver des gens de toutes les opinions possibles et imaginables,
mais le parti communiste soviétique avait ses structures et son idéologie. C’est
pourquoi on ne saurait haïr quelqu’un parce qu’il est juif, ou membre du parti
nazi, etc : mais on doit rejeter sa doctrine.
Pendant des années, étant
moi-même fils de parents éclairés, je ne me sentais pas d’entrer dans une
église. Je ne crachais pas sur le trottoir dès que j’en voyais une, comme mon
grand-père, mais on m’avait inculqué le mépris du christianisme, ce « préjugé
idiot ». Dans nos milieux, la foi juive n’était bien entendu absolument pas
considérée comme un préjugé. Néanmoins, un jeune juif pouvait toujours s’essayer
au bouddhisme ou prier dans un ashram, ou danser avec des soufis. Mais le
christianisme était totalement au ban de la société ; c’était quelque chose
d’impensable, de tabou. C’est la raison pour laquelle les jeunes juifs du temps
de J. Salinger recherchaient la spiritualité dont ils étaient assoiffés dans le
bouddhisme, totalement étranger à leur culture : ils n’osaient littéralement pas
embrasser le christianisme. Ils pouvaient éventuellement manger du porc, voire
épouser une shiksa (féminin de goy : femme non juive. Littéralement, ce terme
semble signifier : ‘petite chose rampante et dégoûtante’, ndt), péché un peu
moins grave, mais nous avions ingurgité le rejet hostile du christianisme avec
le lait maternel.
L’opinion que les juifs peuvent avoir des chrétiens
n’aurait absolument aucune importance si les juifs vivaient sur la Lune. Elle
serait tolérable si les juifs étaient cireurs de chaussures ou cueilleurs de
coton. Elle n’était pas mortelle tant que les juifs étaient séparés du reste de
la population par des signes distinctifs et des manières ostensiblement
différentes, comme cela était le cas au Moyen Age. Mais dès lors que les juifs
sont devenus une part importante des élites américaines, leur présence massive
en a miné le délicat tissu social et spirituel.
Elle est d’autant plus
mortelle que la spiritualité de notre oekuméné tripartite (christianisme
occidental, monde orthodoxe oriental et dâr al-islâm) est édifié sur le Christ.
Les cathédrales de Rome, Assise, Chartres, Cologne et Canterbury, les mosquées
de Damas, Bagdad et Jérusalem, les peintures de Botticelli, Andrei Rublev et
Blake, la grande poésie de Rumi, Elliott, Block et Brodsky : tout cela découle
de cet unique rocher. C’est aussi fondamental pour notre civilisation que l’eau
et la terre. Même les ouvrages qui polémiquent avec le christianisme, tels ceux
de Rabelais et de Voltaire, de Maïakovsky et de Marx, sont eux aussi basés sur
lui. La négation du Christ tue la civilisation occidentale aussi sûrement que sa
pollution atmosphérique. Les êtres humains ne mourront pas, mais la civilisation
s’effondrera dès lors que leur union sacrée aura disparu.
La situation
actuelle aux Etats-Unis, tout à fait préoccupante, est le résultat de cet
effondrement. Cet état néo-fasciste peuplé de milliardaires et d’enfants
affamés, qui ignore les droits de l’homme, torture des prisonniers à Guantanamo,
rejette toutes les normes du droit international et planifie l’agression contre
l’Irak souverain immédiatement après avoir semé la dévastation en Afghanistan,
est le résultat de la perversion morale qui a pris l’ascendant sur une
chrétienté minée. Maria Hussain, une amie Américaine musulmane, spécialiste des
questions religieuses, a pu écrire : « le christianisme est très affaibli aux
Etats-Unis. A Ann Arbor, où j’ai grandi, il était implicite que l’on ne devait
pas mentionner le nom du Christ, sauf pour s’en moquer, et que vous ne pouviez
pas reconnaître publiquement pratiquer le christianisme, sous peine d’être
rejeté(e) par vos pairs. »
Le phénomène étrange et exclusivement américain
des sionistes chrétiens qui adorent les juifs n’est que le résultat d’une
névrose sociale causée par des sentiments extrêmement forts de culpabilité
inculqués par les élites juives. Ces âmes simples chrétiennes tentent de
concilier leur amour du Christ avec l’adoration des juifs à laquelle la société
les incite. Ils recherchent l’approbation des juifs, tout en restant attachés à
l’église. Ces forces contradictoires finissent par avoir raison de leur
psychisme, à la manière dont les corps des enfants anormaux étaient déformés par
les jeteurs de sorts fabricants de monstres. Il faut les aider à réaffirmer leur
amour du Christ et à se libérer de leur dépendance émotionnelle vis-à-vis des
juifs.
L’apparition du sionisme chrétien avait été prédite, il y a bien
longtemps – en 1902 – par un juif viennois, Solomon Ehrmann. Il évoquait un
futur où « toute l’humanité aura été judaïsée (verjudet) et se sera fondue dans
une union avec le Bnai Brith [2] judéo-maçonnique ». Aujourd’hui, alors
que les Bnai Brith sont des partisans acharnés de Sharon et de Foxman, on peut
constater qu’en effet ces chrétiens sionistes ont été totalement
judaïsés.
Leur situation spirituelle lamentable doit nous rappeler ceci : le
christianisme et le judaïsme NE SONT PAS des images renversées au miroir l’un de
l’autre. Tandis que l’Eglise veut amener chaque juif au salut, en faire un frère
aimé ou une sœur aimée, les juifs veulent faire des chrétiens des sionistes
chrétiens judaïsés, c’est-à-dire des esclaves émotionnels et spirituels des
juifs. Ceci signifie que la lutte est loin d’être terminée. Il s’agit d’une
lutte idéologique, et non pas d’une lutte raciale ; les chrétiens d’origine
juive ont de tout temps été un élément important, une sorte de bouée de
signalisation pour leurs frères hésitants, puisqu’il s’agit, aussi, d’un combat
pour l’âme des juifs. Mais aussi précieux soient-ils, ces juifs convertis au
christianisme ne le sont pas plus que les âmes des autres hommes. Si la lutte
spirituelle et idéologique contre l’influence juive n’est pas vigoureusement
ranimée, je crains que les sionistes chrétiens ne deviennent l’obédience la plus
puissante des Etats-Unis, et qu’ils ne fassent, à partir de là, des émules en
Europe.
Le Professeur David Perlmutter m’écrit : « Bien entendu, il y a vingt
ans en arrière, le « lobby israélien » était constitué essentiellement de juifs.
Et les campagnes de recueil de fonds étaient importantes. Mais aujourd’hui, ce
sont les chrétiens évangélistes qui dominent [dans ce lobby], et si la plupart
des hommes politiques sont pro-israéliens, ce n’est pas parce qu’ils veulent
recevoir l’argent des juifs, mais parce qu’ils croient en la soi-disant « cause
sacrée » ou parce qu’ils sont à l’écoute de leur très grand nombre d’électeurs
évangélistes. Bush ne s’est pas montré aussi conciliant avec Sharon que nous
avons pu le voir à cause des juifs [américains, ndt], mais bien parce que son
propre électorat s’est rebiffé contre lui [lorsqu’il a esquissé le geste de le
critiquer, ndt]. C’est là quelque chose que la plupart des Arabes et des
Israéliens n’arrivent pas à comprendre –mais vous le voyez tous les jours, dans
les églises et dans le district de Columbia [ ? eng. : DC, ndt]. Tout dirigeant
américain important appartenant à l’église évangéliste est bien plus à droite,
sur la question d’Israël, que la plupart des juifs que je connais. Depuis le 11
septembre, ils ont fait de [la défense d’Israël] leur croisade personnelle. Le
lobby israélien traditionnel (AIPAC, etc.) est désormais pratiquement hors jeu.
»
C’est pourquoi on fait souvent la métaphore entre les juifs et le « levain
» : ce dont il est question, dans cette métaphore, c’est de la capacité qu’ont
les juifs à judaïser autrui. Aux Etats-Unis, cette capacité tient pour bonne
part à leur statut élevé dans le discours politique général, dans les médias et
dans l’Université. Si les prêcheurs (évangélistes et « télévangélistes ») ne
bénéficiaient pas d’un tel soutien évident des magnats des médias, sans doute ne
seraient-ils pas aussi pro-israéliens qu’ils le sont aujourd’hui. Par ailleurs,
si la cause du Christ n’était pas aussi complètement affouillée qu’elle l’est
actuellement, sans doute leurs ouailles ne se sentiraient-elles pas obligées de
soutenir à deux mains l’apartheid de l’Etat israélien génocidaire.
III -
L’accusation de tentative de destruction de la chrétienté était un des
principaux éléments des Protocoles des Sages de Sion. Mais la réalité est plus
complexe : à mon avis, les juifs n’ont pas conscience des torts qu’ils
provoquent en rejetant le christianisme [comme ils le font], un peu de la même
manière que les Européens n’avaient pas conscience d’apporter des épidémies
dévastatrices aux populations de la Polynésie, car eux-mêmes étaient immunisés
contre ces maladies. Cela n’empêcha nullement les indigènes polynésiens de
mourir par milliers.
De cela, les juifs orthodoxes ont parfaitement
conscience. C’est pourquoi ils s’efforcent de limiter au strict minimum leur
interaction avec le monde des Gentils [c’est-à-dire, des non-juifs, ndt]. Les
antisémites, eux aussi, en ont conscience ; c’est la raison pour laquelle ils
préfèrent souvent un juif orthodoxe traditionaliste, revêtu de son shtreiml et
de sa peyoth, à un juif assimilé [ce qualificatif signifie : intégré à la
société « occidentale », ndt]. Cependant, personne ne comprend – ni chez les
uns, ni chez les autres – quelle est véritablement la source du problème, à
savoir : pourquoi les juifs assimilés causent involontairement des dégâts très
importants au tissu national [des sociétés au sein desquels ils vivent,
ndt].
Un exemple – absolument tragique – en est fourni par Léon Trotsky, juif
de naissance, qui avait rejeté catégoriquement le judaïsme et se décrivait comme
un « juif non-juif », tout en étant impliqué dans la destruction massive des
églises de la Russie. Lorsqu’il détruisait les églises (et l’Eglise), il ne
rêvait sans doute pas d’élever sur leurs ruines la bannière de George Soros [un
homme d’affaires juif, multimilliardaire, ndt] ou celle d’Ariel Sharon… Trotsky
n’était sûrement pas un suprématiste juif. Il aimait les goyim et il ne pouvait
pas encadrer les juifs. Il affirmait que les juifs étaient dans la manipulation
de l’argent depuis tellement longtemps que leurs âmes étaient presque
irrémédiablement faussées. Ils avaient, disait-il, une conscience
petite-bourgeoise, tandis que les intellectuels juifs étaient, quant à eux, des
« demi-étrangers versatiles et peu dignes de confiance ». Il parlait russe, et
il avait apparemment perdu la capacité de s’exprimer en yiddish. Il était fier
d’être considéré comme un vrai russe, et non comme un juif [3].
Pourquoi,
dans ces conditions, devint-il l’âme (damnée) de la campagne d’éradication de
l’Eglise russe ? Pour plusieurs très bonnes raisons. Il le fit instinctivement,
car il sentait, à très juste titre, que le Christ faisait obstacle à son
intégration totale au peuple russe. Il ne s’est pas élevé vers l’acceptation du
Christ : il a tenté [au contraire] d’éliminer l’ « obstacle ». Des milliers
d’églises furent détruites [sur ses ordres] et l’avenir du communisme russe fut
dès lors scellé. Finalement, ce schisme entre le communisme et l’Eglise fut la
cause du triomphe de George Soros et de Mark Rich [milliardaire véreux,
appartenant à ce qu’on appelle la « mafia russe », qu’il serait plus appropriée
d’appeler « la mafia juive de Russie » : beaucoup de Russes s’offusquent de
cette « généralisation » et le risque de renaissance de l’antisémitisme en
Russie n’est pas négligeable, de ce fait. Ndt], en Russie, après [la chute du
communisme, en] 1991.
Beaucoup de gens honnête, d’origine juive, en Europe et
en Amérique, commettent la même erreur. Ils combattent l’Eglise car ils ont
[faussement] le sentiment qu’elle fait obstacle entre eux et le reste de la
population. Hélas, l’exemple de Trotsky montre qu’il n’y a pas de raccourci. Ils
doivent se soumettre [à l’idée que l’Eglise existe et ne leur est pas hostile],
sinon ils causeront un dommage irréparable aux âmes des gens qu’ils ont à
cœur. C’est là l’unique manière d’arrêter la production de l’usine de monstres,
qui est un des aspects d’une idéologie anti-juive agissante et consciente.
-
Notes :
[1] : Editeur : Yediyot Aharonot,
Tel Aviv, 1999, ISBN 965-448-527-3
[2] : Beller, Vienne, cité par Lindemann,
Esau’s Tears (Les Larmes d’Esaü).
[3] : Nedava, Trotsky and the Jews, cité
par Lindemann.
5. Marxisme contre sionisme -
Extrait de "Vomito Bianco" par Abdelkebir
Khatibi
[Abdelkébir Khatibi est un romancier marocain,
sociologue, spécialiste de la littérature maghrébine. Né à El-Jadida en 1938,
Abdelkebir Khatibi a étudié la sociologie à la Sorbonne et soutenu en 1969 la
première thèse sur le roman maghrébin. Il fait paraître en 1971, son premier
roman, "La Mémoire tatouée". Son livre "Vomito blanco : le sionisme et la
conscience malheureuse" publié aux éditions 10/18 en 1974, est actuellement
épuisé. Il enseigne la littérature et dirige le Bulletin économique et social du
Maroc qui devient en 1987 Signes du présent. Abdelkebir Khatibivient de publier
"Le corps oriental" aux éditions Hazan, en 2002.]
Qu’est-ce que vous croyez ? Vous
croyez avoir avalé Dieu ?
Qui est coupable ? Posée en ces trois termes, la question est d’une
innocence émouvante, presque déchirante… Car, comme toute morale, la morale
politique est coupable : elle instaure une échelle des valeurs, une
hiérarchie entre les hommes, elle théorise et institutionnalise la violence de
soumettre et de se soumettre.
Cependant, je m’obstinerai à dire que la
conscience politique n’est pas réductible à sa certaine expérience du mal et du
malheur ; quand insouciante ou vide, la conscience force la damnation du destin
et se désire elle-même avec fougue l’inscription d’une innocence souveraine et
d’un jeu librement hasardé, bien au-delà du désespoir. Après tout, la conscience
malheureuse n’est qu’un effacement – parmi d’autres – du miroir de l’âme, du
côté duquel le sujet peut aussi jaillir dans le vide – ou l’insouciance.
Mais il y a des limites où la conscience malheureuse devient si ouvertement
aveugle que son énergie explosive se perd en un écart innommable. Je veux dire
qu’il m’est trop facile de rejeter le sionisme dans la paranoïa et la maladie
mentale. N’a-t-on pas utilisé cet argument expéditif chaque fois que la
différence devient intolérable ? Autrement dit, à quoi sert de mener un tel
combat, alors que ma contradiction avec l’idéologie sioniste est finalement la
perte de son écoute ? Je n’écoute le sionisme que dans la mesure où je peux y
reconnaître le désespoir d’une volonté douloureuse, séparée donc de l’objet de
sa convoitise et séparée des autres : les Arabes, la Palestine orpheline…
Je parle du délire sioniste pour accentuer le déchirement de son
expérience, mais je ne range pas ses adeptes parmi les fous de l’histoire. On
peut délirer politiquement de différentes manières : le délire sioniste couvre
en fait une stratégie mondiale liée à la domination impérialiste et transcendée,
jouée par elle. On comprend : c’est cette imbrication mutuelle que je tente
d’analyser. Là s’insère la contradiction entre marxisme et sionisme.
En laissant parler une partie de moi-même, je dis simplement ceci :
refusant de prendre à mon compte une culpabilité transférée, je ne peux
m’identifier avec l’idéologie sioniste. Et en même temps, m’étant placé dans le
vacillement de la conscience heureuse (à ne pas confondre avec l’hédonisme), je
suggère que la négation du sioniste ne m’empêche pas d’aller vers lui, à
supposer évidemment que j’y arrive…
Je ne peux rien changer à la culpabilité inavouée du sioniste ; je peux
toutefois désespérer ou rire de son désarroi et de sa dérive. Culpabilité
inavouée qui s’exaspère dans l’illusion d’une invraisemblable innocence
vis-à-vis des Palestiniens. D’où, chez le sioniste, cette possession répétitive
: finalement et par inversement ironique, il assigne à l’Etat d’Israël le rôle
non souhaité d’un bouc émissaire. Etrange dérive où la conscience se déchire
encore dans la peur du sacrifice ! Et plus étrange encore la volonté aveugle de
dissimuler au peuple israélien le danger prolongé d’une vision sanglante !
Il y a là un idéalisme superlatif, incompatible avec le marxisme
révolutionnaire. Marx entend faire de la lutte des classes le mouvement décisif
de l’histoire, mouvement qui traverserait les antagonismes entre nations, alors
que l’Etat d’Israël radicalise l’institution d’une nation-caste. Les lois
relatives à la nationalité israélienne sont bien connues, telle cette loi
déclarant que « tout juif a le droit de venir en ce pays en tant que ‘Oleh’ ».
Pratiquement, cela veut dire le refoulement définitif des Palestiniens.
Nation-caste, forteresse armée, l’Etat d’Israël s’insinue en ghetto
international. Comment cet Etat ne comprend-il pas que le peuple israélien, par
ce fait, devient bouc émissaire ? Croit-il qu’il est définitivement protégé par
l’impérialisme et ses alliés ? Israël a lié son destin à la politique officielle
des pays les plus racistes : Etats-Unis, Angleterre, R.F.A…. et même l’Afrique
du Sud. Dans ce dernier cas, le sionisme collabore avec le fascisme. J’aborderai
plus loin cette ignoble histoire.
De son côté, le capitalisme et l’impérialisme américains battent leur
plein, en exploitant tout à la fois les Noirs, les prolétaires, le tiers monde,
l’Occident, et… Israël lui-même. Accepter une telle alliance, c’est supposer que
l’impérialisme américain est éternel et que les révolutions seront toujours en
faveur d’Israël. Pour qu’un tel aveuglement ait lieu, il faut bien que l’Etat
d’Israël aligne sa politique sur celle du Département d’Etat et du Pentagone. Je
ne dis pas que l’alignement est total ; Israël a la possibilité d’accentuer une
certaine autonomie, mais celle-ci est si mince, si fragile… C’est pourquoi le
sionisme est dans l’impasse ; il s’entête pourtant à désirer inconsciemment sa
destruction. Pas étonnant alors qu’un intellectuel sioniste finit par avouer : «
Le peuple juif dans sa quasi-unanimité est devenu le peuple le plus conservateur
du monde, et parce qu’il ne participe pas à la contestation nulle part, parce
que, partout, pour toutes sortes de raisons très précises, nous sommes sur la
défensive » [1].
Et il est vrai que, par l’institution de l’Etat d’Israël (lié à
l’impérialisme), la Diaspora juive se trouve dans une situation infiniment
complexe. Je connais de près le déchirement de mes amis juifs. D’une part, la
Diaspora est divisée en elle-même, elle est traversée par des mouvements
politiques et idéologiques différents, sinon opposés. Et d’autre part, le Juif
de la Diaspora est chaque fois acculé à donner une réponse à sa double identité,
à sa double fidélité. La contradiction est souvent tragique, désespérée,
insurmontable. Loin de résoudre la question juive, la réponse sioniste ne fait
que la rendre plus tragique : il faut reconnaître au sionisme une certaine
agilité intellectuelle, qui déroute et exacerbe ses adversaires !
Et le sionisme socialiste, me dira-t-on ? Cela existe ? Cela peut exister ?
Pourquoi rendre insurmontable la contradiction entre sionisme et marxisme
révolutionnaire ? [2]. La proposition que je défendrai est que, seule, une lutte
de classe généralisée au Moyen-Orient pourra libérer et le sionisme et les
Palestiniens de la question nationale. Cette proposition a été déjà défendue par
Trotsky et récemment par Deutscher. Mais, avant de souligner la positivité de
notre proposition, il faudra bien insister sur les mésaventures du sionisme
socialiste, en particulier chez un théoricien de l’oppression, lui-même né dans
un pays arabe et installé à Paris depuis de nombreuses années.
On sait qu’Albert Memmi a raconté dans plusieurs textes son expérience de
l’oppression relative à la domination coloniale, et à celle du Juif de la
Diaspora. Il a même essayé d’en déduire une théorie générale de l’oppression,
qui serait valable, à des degrés différents, pour les Noirs et pour les femmes.
Je me contenterai de prendre des exemples qui nous concernent dans son Portrait
d’un Juif [3] ; tome premier appelé l’Impasse. Et c’est exact : ce sera
l’impasse théorique. On verra comment Memmi, tout en utilisant une version
simplifiée de la dialectique hégélienne du Maître et de l’Esclave, n’ose ni
l’assumer radicalement, ni la démentir ouvertement : il nous ennuie
pompeusement… et liquide, par une astuce rotative, l’existence du peuple
palestinien. Si bien que le poids tautologique de son texte finalement nous tire
vers l’ennui et le sommeil. Comment s’ennuyer délicatement et intelligemment ?
se demandait Kierkegaard. Par l’assolement, technique qui consiste à changer
continuellement de méthodes d’exploration. S’ennuyer bien, c’est acquérir une
élasticité intellectuelle, à partir de cela même qui fait problème. Et j’ai
rappelé (cf. Deleuze) que tout texte, en définitive, dépend de son degré
d’humour… A la limite, un système intellectuel non risible est doublement
ennuyeux : il se prend au sérieux, il exige qu’on le prenne au sérieux. Ce
double mouvement effiloche le texte et le détruit dans la trame de son propre
ennui. C’est justement ce qui m’arrive chaque fois que je me confronte aux
théorisations bien poussives de Memmi.
Et qu’arrive-t-il ? Voyons un peu de près. Dans une déclaration à un
colloque, Memmi dit avec élan : « Le Juif, qui s’accepte et qui veut œuvrer à la
transformation du monde et de sa propre condition, doit lutter, à la fois, avec
les autres hommes, qui veulent instaurer plus de justice et de liberté, et
s’atteler à transformer la condition juive. Cette solution, qui n’exclut
d’ailleurs pas les autres, mais qui est spécifique, est la libération et la
reconstruction nationale juive (c’est lui qui souligne). En deux mots : le
sionisme socialiste » [4]. Le soi-disant sionisme socialiste se réduit ici à
l’idéologie nationaliste la plus commune, fondée ici sur les concepts et les
notions de l’humanisme bourgeois. Rien d’étonnant à cela. Hegel nous avait
averti : l’intellectuel qui dissout en lui la dialectique Maître/Esclave, se
meut selon une libération illusoire, oubliant que l’univers social est
rigoureusement établi sur une hiérarchie violente. D’où la tentation de cet
intellectuel à gommer la contradiction en une seconde illusion, ici l’humanisme
universaliste. Or, toute théorie est un coup de force contre les valeurs
établies, toute théorie une violence symbolique qui défigure l’ennemi de classe.
Memmi ne peut opérer cette radicalisation d’une part parce que son sionisme
socialiste est né idéologiquement et historiquement au cœur de la bourgeoisie
occidentale, c’est l’impérialisme occidental qui a permis le sionisme. Et
d’autre part, en définissant l’oppression d’une manière trop abstraite et non
compétitive, Memmi oublie la domination subie par le peuple palestinien.
La libération nationale est une guerre entre classes sociales, une
compétition violente entre peuples. La dialectique Maître/Esclave déchire
l’histoire. Israël obéit à la règle générale : il entend fonder sa maîtrise par
la guerre ou une paix non moins meurtrière, il veut transformer les Palestiniens
en peuple esclave. Evidemment, Memmi passe sous silence la contradiction
suivante :à savoir que deux communautés opprimées (le peuple palestiniens et les
juifs de la Diapora) sont ici et maintenant en conflit mortel. Que faire dans ce
cas ? Comment résoudre un tel dilemme ? En théorie, Memmi a déjà répondu : «
Mais, je le répète, je ne vois pas ce que le malheur d’autrui peut avoir de
rassurant ou de consolant : l’immensité du malheur du monde ne me console pas du
mien, ne me console de rien, toute l’injustice du monde ne me fera pas accepter
celle que je subis » (op. cit. p. 37). Et plus loin : « Je comprends bien, en
bref, qu’il y a deux attitudes : ou l’on accepte toutes les souffrances ou on
les refuse toutes ; eh bien, je les refuse en bloc, comme je refuse en détail
chaque figure de l’oppression ».
Si encore on insiste un peu en disant à Memmi que puisque le sionisme
socialiste refuse toute oppression (en détail !), il faudra bien qu’il tienne
compte de la révolution et de la lutte des classes, fondements de tout
socialisme radical, eh bien Memmi répondra avec le même flegme : « La tentation,
la vocation naturelle des socialistes est la révolution, le bouleversement de
l’ordre social : or le socialisme et la révolution se nient » (p. 207). On a
bien compris, c’est l’impasse. Et heureusement Memmi le dit lui-même à propos de
sa démarche : « En vérité, écrit-il, nous tournons en rond : nous retrouvons
toujours la même réponse à la même question » (p. 210). Même réponse, même
question, ou même question et même réponse, c’est tout comme, tout le monde
s’ennuie. Continuons pourtant : sait-on jamais ?
A la fin du texte, Memmi finit par lâcher sa découverte : « Je crois, en
bref, qu’il existe une condition juive ; je veux dire une condition juive
spécifique. Cette condition fait du Juif un être minoritaire, différent, séparé,
séparé de lui-même et séparé des autres, un être déchiré, dans sa culture et
dans son histoire, dans son passé et dans sa vie quotidienne, un être abstrait
enfin » (pp. 291-292, c’est Memmi qui souligne.) Bref, ce que veut dire Memmi,
c’est que la conscience judaïque est une conscience malheureuse. Cela, nous le
savons déjà : Hegel a quand même existé ! Il faut partir de Hegel pour le
détruire ou le dépasser. Memmi feint de l’ignorer pour ensuite nous présenter
des découvertes creuses. Cet oubli feint a une portée plus importante : le
refoulement de Marx suppose celui de Hegel. Or, l’un et l’autre sont
irrécupérables par le sionisme dit socialiste. Alors, de quoi s’agit-il ?
La conscience malheureuse est une séparation infinie, elle vit dans le
mythe d’un retour sur soi-même, et à une identité folle. Le sionisme (de gauche
ou de droite) n’échappe pas à une telle dérive. Afin de justifier ses actes
répressifs, il tend à nous imposer une culpabilité radicale et universelle : «
Tout non-Juif, qu’il le veuille ou non, participe à l’oppression du Juif » (p.
54). Avec la bénédiction de ce proverbe, nous pouvons nous croiser les mains et
chanter en chœur le refrain de la peur du génocide. Devons-nous accepter cette
culpabilité transférée ? Hélas pour le sionisme, nous devons chanter un autre
refrain, un refrain ensoleillé et plus gai, bien au-delà de la mauvaise foi… et
du sionisme socialiste. Et sans doute ce refrain exige une souveraineté
violente. L’oppression est un champ conflictuel où une mise en question
révolutionnaire pourra libérer les Palestiniens et assurer un destin commun et
de coexistence entre Arabes et Juifs, pour le meilleur et pour le pire : voici
notre refrain.
Memmi décrit l’oppression du peuple juif, tout en se taisant sur le
déplacement de son sens. Longtemps réprimé, le Juif devenu sioniste veut
réprimer à son tour, non pas celui qui a voulu sa mort définitive, mais un
autre. Comme dans tout fondement de la maîtrise, Israël a cru trouver une
victime dans la Palestine orpheline. Or, poser la question nationale en ces
termes, par l’exclusion des Palestiniens, c’est oublier que les ruses de
l’histoire bouleversent le système des alliances. Si Israël veut survivre en
tant que peuple, il a intérêt à écouter la rage des Palestiniens et des Arabes.
Les structures sociales changent, la rage peut devenir une volonté de puissance
redoutable… Il est temps de comprendre ce qui se passe, et ce qui s’inscrit dans
la circoncision du cœur.
Cette parenthèse nous aura conduit à dénoncer le portrait idéaliste que
trace Memmi à propos de la condition juive. Et en même temps, elle aura mis le
doigt sur le refoulement de Marx à travers Hegel et inversement. La démarche de
Memmi, en général, adapte en la vulgarisant la dialectique hégélienne du
Maître/Esclave. Démarche qui nous a paru naïve, comme l’a été, sur ce point,
celle de Fanon. Et sans doute, Hegel est bien redoutable pour le sionisme et
pour la conscience malheureuse. Une lecture sioniste de Hegel s’avère, à la
limite, impossible.
Le sionisme dénonce Marx, alors que le marxisme a été finalement le
triomphe malin de Hegel, malgré le renversement tant énoncé. Si bien que Derrida
a pu constater que « l’évidence hégélienne semble plus légère que jamais au
moment où elle pèse de tout son poids » [5]. Cette légèreté dont témoigne Memmi
suppose un autre refoulement. Ce n’est pas, non plus, un hasard, si la pensée de
Nietzsche fait frémir le sionisme dit de gauche. Mouvement double à cerner dans
ses multiples implications. Nietzsche ignorait visiblement Hegel, mais son
aveuglement souverain l’a libéré de l’hégélianisme. La souveraineté
nietzschéenne excède la dialectique, hégélienne ou non, elle prend en écharpe
toute morale coupable et en dévoile les fondements théologiques. En libérant la
philosophie de sa pesanteur coupable, Nietzsche nous met à « hauteur de la mort
», au-delà du bien et du mal.
Tous deux, Hegel et Nietzsche, ont radicalisé leur pensée relative à la
séparation de l’être, l’un (Hegel) en la nommant comme un désir actif et
négateur, l’autre comme une réconciliation cruelle et souveraine avec l’histoire
et la nature. C’est au creux de ce double élan critique que la conscience
malheureuse doit être surprise, aussi bien dans le sillon de son infinie
séparation que dans le procès de ce qu’elle refoule, ou gomme tout bonnement. «
Si le ciel entier, disait le rabbin Jokhanan b. Zakkaï, n’était que parchemin,
si l’humanité ne se composait que de scribes et si tous les arbres des forêts
n’étaient que roseaux à écrire, cela ne suffit pas pour rédiger tout ce que j’ai
appris de mes maîtres ». Se disant sioniste socialiste, Memmi oublie que Hegel
et Marx sont toujours parmi nous, plus vivants que jamais. Le sionisme
socialiste est un idéalisme qui trouve sa raison, non pas dans la philosophie,
mais dans une théologie déguisée, masquée par l’humanisme bourgeois : ce qui
n’est nullement contradictoire. Certains jésuites sont très forts dans ces tours
de passe-passe.
D’une façon générale, le sionisme se nourrit de la mauvaise foi : sachant
bien que la Palestine a été conquise par un procès de colonialisation, le
sionisme a construit une bizarre théorie du vide, afin de faire disparaître le
peuple palestinien. Colonisation particulière sans doute : il s’agit non
seulement d’occuper le pays, mais d’en expulser les habitants. Double violence
impossible à justifier, surtout quand on revient à l’objectif sioniste,
explicité dans le Journal de Herzl, cet étonnant « Amants de Sion » : « Quand
nous occuperons la terre, écrit-il, nous devrons exproprier gentiment la
propriété privée dans les Etats qui nous seront désignés. Nous devrons essayer
de mettre de hors les populations pauvres vers l’autre côté de la frontière en
cherchant de l’emploi pour eux dans les pays de transit et en leur niant tout
travail dans notre pays…
L’ensemble, le procès d’expropriation et le
transfert des pauvres, doit être réalisé avec discrétion et circonspection »
[6]. Notez bien : il s’agit d’une colonisation sophistiquée, discrète et
circonspecte, gentille et finalement généreuse, dira-t-on plus tard, puisque
Israël apporte la civilisation dans ce désert. La mauvaise foi est prête à tout
balancer pour se justifier, et comme le dit si bien André Amar : « L’essence,
dans le cas d’Israël, précède l’existence » [7]. Car, dans les autres cas, la
théorie sartrienne serait plutôt valable… et « une poubelle, répondra Solers,
même si elle est historique, ne suffit pas à évacuer une philosophie périmée »
[Sic et resic]. Reprenons. Si la théorie du vide ne gêne nullement les
trouvailles non moins théoriques de Memmi, comment voulez-vous qu’un marxiste
révolutionnaire s’en accommode sans mauvaise foi ? Et il est vrai que chaque
fois qu’un Juif devient sioniste, il entre en contradiction redoutable avec le
marxisme : il cesse d’être marxiste ; et chaque fois qu’il adhère au marxisme
révolutionnaire, il se retourne contre le sionisme. Retournement douloureux,
puisque le Juif sera minoritaire et considéré comme traître : c’est un «
déraciné cosmopolite » dit Ben Gourion, cet autre « Amant de Sion ». Je parle
bien de marxisme révolutionnaire ; en effet, le marxisme réformiste louche dans
tous les sens. La position du PCF, par exemple, sur la question palestinienne,
est bien scabreuse: le PCF essaie de faire plaisir à tout le monde : à son
électorat, au Grand Parti Frère, aux Israéliens, aux Palestiniens… Mais cela est
une autre histoire.
Le sionisme a pourtant un bon cerveau, rien ne lui fait peur. Capable de
digérer (mal) la Palestine, il veut digérer la révolution. Il faut accentuer
cette dérive pour bien désigner l’irréductibilité du marxisme au sionisme.
Heureusement, j’ai devant moi les débats d’un colloque bien étrange en France,
après mai 68, sur Judaïsme et révolution [8]. Colloque sioniste, joué en
partition polyphonique, par les intellectuels juifs de langue française. Je suis
simplement étonné par la présence déplacée du grand philosophe E. Lévinas : que
fait-il dans cette comédie ?
En réalité, il s’agit dans ce colloque de penser
le rapport entre sionisme, révolution et socialisme. Inquiété par les gauchistes
juifs, l’Etat d’Israël tente de les récupérer en leur disant que la plus grande
révolution c’est… justement Israël. Comment s’opère cette récupération illusoire
? Et de quoi s’agit-il ? On est en droit, ici, de considérer le colloque comme
un théâtre de la mauvaise foi. Les déclarations les plus bizarres sur la
révolution seront ronronnées et bourdonnées par les assistants, et dès le début
Misrahi, que nous connaissons déjà, « se donne trois jours pour faire sentir »
que le judaïsme est révolutionnaire. Profitons donc de cette chance inouïe. Dès
le début, le ton est chaud, renversant : après la déclaration du même Amar
disant qu’il faut savoir « si par essence, par dispositions congénitales – mais
ne prenez pas ça au sens biologique comme s’il était question d’une hérédité -,
le Juif est révolutionnaire » (p. 25), voici que la Présidente de la première
séance jette d’un trait : « Le problème où l’on n’attrape que des coups…, le
problème du judaïsme, le judaïsme, qui est, comme vous le savez bien, cette
conscience historique qui fait que le judaïsme est toujours avant, pendant et
après l’histoire » (p. 25). Heureusement que le grand rabbin Jaïs est là. Tout
devient si clair, si évident : « Le judaïsme est par essence révolutionnaire
parce qu’il s’agit précisément d’actualiser le plus pleinement possible Dieu
ici-bas, c’est-à-dire d’actualiser la justice et la charité » (p. 53). La
charité posant question, Marcel Rajben finit par s’interroger : « Demander à un
Juif d’être révolutionnaire, c’est lui demander de pousser cette exigence
jusqu’au bout. Est-ce possible ? Je crois que c’est impossible, et c’est
tellement impossible que j’ai vu un rabbin à l’armée… C’est absurde, de voir un
rabbin à l’armée » (p. 54). Evidemment, on gomme rapidement la question que pose
Sittoun sur l’introduction de la lutte des classes au sein du judaïsme. Mais
cette question n’est pas commode, elle est si difficile… et puis le colloque y
perdrait son sens. Mieux vaut ébranler les idées et attendre la promesse de
Misrahi : il ne faut pas oublier que nous sommes encore au premier jour. Et
d’ailleurs par la suite, la question se clarifie d’une manière violente : « S’il
y eut une révolution, dit Josy Eisenberg, c’est bien l’existence de l’Etat
d’Israël » (p. 105), et d’une manière plus sublime encore : « Disons que, pour
un certain nombre de Juifs en tout cas, et sans trop vouloir jouer sur les mots,
la notion de révolution est au fond révolutionnaire » (p. 106). Au fond,
pourquoi pas ? De toutes les manières, tout cela évolue bien, le colloque bat
son plein : « Or, Israël est la vérité et la justice », s’écrie M. Guittard (p.
126), et Memmi enchaîne : « Et maintenant, il y a l’armée d’Israël, je n’ai pas
honte de dire que je rends grâce à cette armée » (p. 128), et un peu plus loin :
« Si Israël est en danger, au moment du danger, que vous soyez de droite ou de
gauche, pour le moment il s’agit de repousser l’ennemi, de sauver le corps
collectif de la nation et du peuple ». La discussion s’enflamme à tel point
qu’Eisenberg finit par dire : « Etre juif, c’est conserver des illusions » (p.
137). Bien ! Après avoir vaguement défini la révolution comme un changement
radical, les assistants continuent à suivre plusieurs buts à la fois. D’où le
chahut général, couvert par la génialité d’Eisenberg : « Je pense que pour
beaucoup d’entre nous, le sionisme est apparu comme une révolution normale de
l’histoire juive, comme une révolution qui n’en a pas l’air, mais qui en a
incontestablement la chanson » (p. 114). Je n’oublie pas la nouvelle déclaration
de Misrahi, toujours en forme, toujours sioniste socialiste convaincu. Il parle
avec émotion de la violence révolutionnaire. Ecoutez: « L’armée d’Israël
est le modèle de ce que sera plus tard, dans tous les pays du monde, une armée
révolutionnaire, quand les révolutions seront faites, c’est-à-dire quand il n’y
aura plus à les faire » (p. 160). En attendant, pour féliciter Misrahi de ses
prouesses, le Président de séance le désigne comme « intellijuif » (sic et
resic). Fin de la pièce. Rideau. Reprenons.
Cet intermède mineur révèle la tentative dérisoire du sionisme à penser la
révolution et particulièrement le marxisme. Tantôt, on nous dit que le judaïsme
et le sionisme (qui serait sa parfaite réalisation) sont par eux-mêmes
révolutionnaires, car dans le cas d’Israël, a dit Amar, l’essence précède
l’existence : ce dogme hilare ne peut évidemment pas ravir l’esprit. Tantôt on
indique tout simplement que l’Etat d’Israël est la révolution-type, à la fois
par son idéologie et sa structure socio-militaire, et c’est exact, dans la
mesure où une telle révolution est nationaliste, raciale, coloniale et impériale
: il faudra donc encourager toutes les diasporas du monde à suivre cet exemple ;
tantôt enfin, on nous signifie que le judaïsme et le sionisme sont au-delà de
toute révolution, il s’agirait d’un souffle messianique qui excèderait tout
nationalisme et tout changement historique. L’Etat d’Israël serait, en
conséquence, la concrétisation de la bonté infinie de Yahweh. Béni donc celui
qui croit à cette violence égarée ! Maudit celui, comme moi, qui n’est pas parmi
les Amants de Sion !
Le discours sioniste, par ses élans lyriques, finit par
être risible. Rusant avec l’histoire et masquant son malheur sous le dogme, le
sionisme est condamné à tourner dans le cercle de la mauvaise foi. Les Juifs
marxistes viennent compromettre toute cette extase.
« Marx ou crève ! »
s’écrient les trotskistes français. Il existe de nombreux Juifs dans le monde,
qui sont convaincus par cette alternative provocante. Alternative d’autant plus
exclusive que le sionisme, de droite ou de gauche, est incompatible avec le
marxisme. Nous avons rappelé, auparavant, que, dès qu’un Juif adhère au marxisme
révolutionnaire, il se retourne contre le sionisme, et de ce fait, contre la
sainte trilogie qui domine au Moyen-Orient, à savoir le sionisme, la réaction
arabe et l’impérialisme. La question juive étant internationale et
multinationale par situation millénaire, elle ne peut être résolue, dans le sens
sioniste, que par une alliance intime avec l’impérialisme anglo-américain. Ce
qui sera démontré plus loin.
Le Juif marxiste est donc déchiré entre deux
exigences : celle d’une solidarité avec le malheur des Juifs, et celle d’un
dépassement par rapport à une idéologie chauvine et raciale. Cette deuxième
exigence a été passionnément assumée par Isaac Deutscher [9], qui, plus qu’un
autre, a pu se soustraire à la conscience malheureuse, et a opposé, à
l’illusionnisme sioniste, cette pensée juive révolutionnaire qui va de Spinoza à
Freud, en passant par Marx, Luxembourg et Trotsky. Par un mouvement lucide,
Deutscher a mis le doigt sur la nécessité de son choix, et quand il parle,
dit-il, il le fait « en tant que marxiste d’origine juive, dont les parents sont
morts à Auschwitz et dont la famille vit en Israël » (p. 183, c’est moi qui
souligne). Il précise, dans une phrase capitale, le sens de sa position : « Il
existe une vieille formule talmudique qui dit : le Juif qui a péché reste Juif.
Ma propre pensée dépasse évidemment la notion de péché ou d’innocence » (p.
35).
La pensée de Marx lui permet de contourner la conscience malheureuse,
d’en circonscrire le geste désespéré et l’identité folle, par laquelle le visage
du Juif, après avoir été altéré par l’histoire, retrouverait, d’après le
sionisme, sa ressemblance originelle et son être intégral. Etre intégral renvoie
ici à un être chimérique, et dont la nostalgie constitue pour Deutscher un
danger et une caution à la déraison. L’histoire n’est pas le retour circulaire
du même, mais un déplacement dissymétrique entre identité et différence, le
surgissement d’un jeu violent du hasard et de la contingence.
A condition de
donner toute sa portée à la pensée de Marx, la lutte des classes fonde un sujet
historique mouvant et décentré, obéissant à une séparation infinie, non plus de
l’ordre eschatologique (comme dans le messianisme sioniste), mais séparation
comme un renversement de la maîtrise et une appropriation cruelle de la société
et de la nature. Il est illusoire de penser que la dialectique puisse échapper à
la séparation ; elle est, par définition, séparation. Et sans doute l’on croit y
mettre fin par cet absolu que serait la révolution, désignée par les
situationnistes « comme critiquant radicalement toute idéologie en tant que
pouvoir séparé des idées et idées du pouvoir séparé ». L’histoire donc comme
séparation, dans son double mouvement d’identification et de différenciation,
comme critique effaçant de décision toute trace d’absolu. A ce titre, Deutscher
a explicité nettement la relation de son identité juive à l’histoire, vue selon
la pensée marxiste. La double identité dont il parle n’est pas la correspondance
nécessaire entre judéité et sionisme, mais bien l’écart différentiel, le vide
qui inscrit la judéité par rapport à sa négation : être dedans et en dehors du
judaïsme, dit-il.
Déplacement théorique essentiel : la judéité serait cette
violence irréductible qu’aucun pouvoir politique ne saurait éteindre, elle
serait ce décentrement de l’être par lequel la recherche de l’identité ne
s’aveugle pas à l’altérité et ne s’égare point dans son propre miroir ; bref,
elle institue une ouverture à l’autre, l’autre comme possible illimité [10].
C’est pourquoi, pour Deutscher – marxiste et juif – le sionisme est une
imposture. D’où son sarcasme : « Alors, déclare-t-il, si ce n’est la race qui
définit le Juif, qu’est-ce que c’est ? La religion ? Je suis athée. Le
nationalisme juif ? Je crois à l’internationalisme. Par conséquent, je ne suis
Juif dans aucun de ces deux sens. Je suis Juif, cependant, par suite de ma
solidarité inconditionnelle avec les gens que l’on persécute et que l’on
extermine » (p. 66). Et il est évident, pour lui, que le nationalisme israélien
est conquérant et oppresseur (cf. p. 170). C’est là, pense-t-il, le signe de la
trahison à la judéité révolutionnaire, et en même temps ce nationalisme racial
n’implique pas une grande sécurité pour Israël : la stratégie mondiale peut
changer et se renverser, les sociétés arabes peuvent effectivement se développer
et imposer une épreuve de force plus redoutable.
Mais cette dénonciation d’Israël, faite au nom de l’universalisme, a ses
limites théoriques et politiques. Demander à Israël d’être universaliste alors
qu’il se fonde sur un nationalisme chauvin, c’est, à coup sûr, verser dans
l’utopie. Est-ce tellement sûr pourtant ? Faudra-t-il passer par plusieurs
guerres pour qu’Israéliens et Arabes acceptent ensuite une reconnaissance
mutuelle ? Faudra-t-il anéantir toute espérance pour retrouver une paix
meurtrière ? Faudra-t-il se séparer cruellement pour enfin se rencontrer dans le
mépris et la haine ? L’obscurité, dans cette question, est si grande que la
démarche de Deutscher est, en définitive, une parole de paix. Parole découlant
d’une critique de la conscience malheureuse et de l’idéologie sioniste. Parole
lucide, parole vigilante.
Pour l’entendre, il faut sortir d’une certaine
perversion de la mémoire et ne plus infiniment retourner la faute de l’autre sur
le peuple palestinien. Je pense que le procès mené par Deutscher contre le
sionisme met à l’écart le travestissement de son étrange intrigue, intrigue de
l’être, satisfaite de son cercle mythique : retour à l’origine radicale,
transhistoricité, affirmation d’un peuple élu dans le malheur et par le malheur.
C’est que le sionisme porte en lui la fêlure d’une histoire particulière et bien
triste, qui meurtrit encore le corps de ceux qui l’ont vécue : « Vérité tragique
et macabre, écrit Deutscher : c’est Hitler qui a le plus contribué à « redéfinir
» l’identité juive ; il faut classer cette réalisation parmi ses petits
triomphes posthumes. Auschwitz fut le terrible berceau de la nouvelle nation
juive… J’aurais préféré que les six millions d’hommes, de femmes et d’enfants
survivent et que la juiverie disparaisse » (p. 65). Mais l’histoire est là, et
l’agitation politique brouille la raison des hommes. Transgresser l’horreur
nazie n’est peut-être pas possible pour la conscience malheureuse. Celle-ci
serait-elle pour autant réductible au sionisme ? Le besoin de la menace accroît
la crainte d’un malheur soutenu, et en même temps l’Etat d’Israël se nourrit de
son « injustifiabilité ». Il croit à son destin absolu, mais nous devinons
derrière l’arrogance, le harcèlement sans victoire de son propre malheur.
L’injustifiable peut être démasqué en tant qu’imposture : c’est la démarche que
s’impose Deutscher, en toute rigueur. L’injustifiable s’évanouit au moment où,
dissociant la judéité (l’identité à soi) de sa mésaventure sioniste, on
substitue au dogme et à l’arrogance malheureuse, une conscience historique plus
lucide et plus ouverte à l’autre.
Ce qui suppose le renversement de
l’idéologie sioniste dans ses fondements mêmes, et parallèlement, l’énonciation
d’une historicité dialectique, régie par une lutte des clases à la fois
nationale et internationale. Rupture donc avec la tradition théologique et
l’identité folle : « La conscience culturelle de cet Etat (Israël) est
hébraïque, et, tirant sa substance historique de la Bible, du Talmud, de la
liturgie médiévale, elle se nourrit des fantômes du passé » (p. 71). Ou encore
ceci, plus ironique : « Israël est un Etat de personnes déplacées : voilà
pourquoi on y parle tant d’enracinement » (p. 115).
Le débat reste donc ouvert sur le dépassement du sionisme. Cela dépend en
partie de la résistance palestinienne et arabe. Cependant, la grande dépendance
d’Israël vis-à-vis des Américains est une donnée de base, impossible à révoquer.
Pour la résistance palestinienne, mettre en cause le statut actuel d’Israël,
c’est en même temps battre en brèche la puissance américaine.
Mais les
sionistes de gauche s’obstinent à refouler une telle donnée dans une
invisibilité continue : c’est la transparence de la mauvaise foi. Peuvent-ils
nier que l’économie israélienne, par exemple, est artificielle, parce
qu’alimentée par un besoin très important de dons et de capitaux étrangers ? Il
y a sans doute en Israël un système communautaire, mais les kibboutzim sont
marginalisés, ayant perdu dans certains cas leur fonction première ; ils
deviennent, parfois, un moyen de lutte de classes contre les Palestiniens. Ne
savent-ils pas, ces sionistes de gauche, que les méthodes de balance des
paiements sont absolument inédites ? Voici un pays qui ne vit surtout que de
l’argent étranger sans commercer avec ses voisins ? [11]. Ne savent-ils pas que
la stratégie américaine au Moyen-Orient utilise Israël afin de freiner le
nationalisme progressiste arabe et assurer un contrôle militaire de la région
?
Il faut dire plus car tous ces faits sont bien connus. Ce qui est moins
connu, c’est l’alliance entre l’Etat d’Israël et… l’Afrique du Sud. Israël et
apartheid, voici une correspondance bizarre, et qui n’est pas le fruit de notre
propre imagination. Qu’on veuille consulter le dossier préparé par Témoignage
Chrétien [12].
Apartheid et sionisme : David et Goliath collaborent en
Afrique, écrit un journaliste. Tout le monde sait que l’Etat sud-africain adhère
à l’idée de « nation afrikaner séparée », choisie, bien sûr, par Dieu, pour
défendre la civilisation chrétienne. Ce qui se traduit en un système de caste
blanche, institutionnalisé par la théorie du vide et l’ethnocide des cultures
Hottentot, Bushman, Xhosas, Zoulou. Ici, l’horreur atteint, sans détour, une
organisation esclavagiste : les racistes sud-africains disposent de « homelands
», comme réservoirs de main-d’œuvre noire.
La connivence entre l’Etat
d’Israël et l’Etat sud-africain est si bizarre que Verwoerd, ancien Premier
ministre, a pu dire : « Les Juifs ont pris le territoire d’Israël aux Arabes qui
y vivaient depuis mille ans. En cela, je les approuve. Ils sont comme nous, un
pays d’apartheid ». Tout cela est clair, normal, je n’ai rien à y ajouter :
l’ironie de l’histoire pardonne à toute conscience malheureuse !
Il est vrai
que les Juifs d’Afrique du Sud ne peuvent pas demander une aide à l’Afrique du
Sud et en même temps dénoncer l’apartheid. Comme aux Etats-Unis d’Amérique, les
Juifs se rangent du côté des Blancs, c’est-à-dire que leur communauté locale
tire profit de l’organisation raciale. De ce point de vue, la Diaspora est dans
l’impasse : elle doit s’accommoder de toutes les idéologies régnantes.
Cette
connivence ne se limite pas à une imposture idéologique, elle a une portée
stratégique importante : il est entendu entre les deux partenaires qu’Israël
doit contrôler le nord de l’Afrique (et le canal de Suez) et l’autre la partie
australe. Deux points de contrôle essentiels pour la politique du Pentagone.
Nous souhaitons à tous une bénédiction biblique infinie !
D’où, a posteriori,
la trahison, la nécessaire trahison de Marx.
Les faits sont là : ils sont accablants pour l’Etat d’Israël. Un marxiste
ne peut correctement les interpréter sans se retourner contre le sionisme, à
moins de faire passer l’un pour l’autre, et par cette opération scabreuse,
effacer la question de cette mutuelle irréductibilité.
De même que le
marxisme révolutionnaire, pour se réaliser, se donne pour but de briser et de
battre en brèche la formation capitalo-impérialiste, de même il aboutit
logiquement à la destruction des structures sionistes de l’Etat d’Israël. Il ne
s’agit nullement de l’extermination du peuple juif, mais d’un système de
domination politique et militaire, inséré dans la stratégie impériale et
manipulé par le Département d’Etat, le Pentagone et la C.I.A.. Que pèse donc,
dans ce jeu, l’autonomie illusoire de l’Etat d’Israël ? Les contradictions
internes à cette société sont ponctuées, rythmées, défigurées par l’intervention
soutenue de l’impérialisme. Ce qu’il nous faut saisir, c’est bien cette étrange
situation, dans laquelle la liberté du peuple israélien s’annule, en se
perpétuant dans la peur du génocide, ou le désespoir militariste. Serait-ce là
le paradis étoilé promis par Moshe Dayan, sanguinaire fasciste ? Paradis où
couleront des rivières de sang, contrairement à la métaphore et à l’espérance
bibliques ? Serait-ce donc ça l’idéal sioniste ?
Oui, le peuple israélien ne
peut entrevoir de solution que dans la guerre : on lui cache la fragilité de son
destin, on le soutient par le souvenir macabre du nazisme, on le maintient dans
une idéologie chauvine et raciale, et on lui présente cette aliénation comme une
véritable révolution, et l’incarnation divine de l’esprit mosaïque. Il est vrai
qu’Israël est en avance de deux millénaires sur tous les autres, qui
s’essoufflent à l’attraper. C’est, incontestablement, une révolution messianique
astrale, qui échappe à toute interprétation marxiste. Et comme dit admirablement
C. Duvernoy : « Israël est le premier maoïste de l’histoire, j’entends un
maoïste comme Mao » [13]. Il faut bien croire que nous avons affaire à une
société de mutants ; le même pasteur (financé par les soins de la C.I.A. ,
disent les mauvaises langues) a dévoilé sa pensée ultime : « Israël, depuis ses
origines, est lentement, patiemment, formé, éduqué, instruit, de l’extérieur,
par des canaux extra-sensoriels, extra-humains, directement par le Créateur
lui-même » [14] (c’est lui qui souligne). S’il est vrai que ce théologien est un
agent de la C.I.A., on comprendrait la nature de cet extérieur… et son état
extra-terrestre.
D’où, encore, la trahison, la nécessaire trahison de
Marx.
Cependant, les marxistes sont déchirés entre l’exigence de leur pensée
et le miroitement de la conscience malheureuse. La propagande sioniste se sert
habilement du cauchemar nazi, elle l’institue en chantage politique. Son motif
majeur est que le monde entier, et en particulier les Palestiniens, devraient
expier l’horreur sécrétée par le nazisme. Un tel chantage agit fortement au sein
de la gauche, mais les jeunes générations politiques adhérant au gauchisme
rejettent avec force une telle opération.
Mais, malgré leur antisionisme
déclaré, les marxistes capitulent devant ce chantage. Ils reconnaissent à l’Etat
d’Israël le droit d’exister, tout en exigeant la réintégration du peuple
palestinien. Finalement, ils finissent par reconnaître le fait accompli, et
renoncent à assumer avec rigueur la pensée critique de Marx qui avait dévoilé
sans détour le procès de la conscience malheureuse.
- Notes :
[1] : W. Rabi, intervention au colloque sur
Judaïsme et révolution, P.U.F., 1972, p. 153.
[2] : On me dira aussi : n’y
a-t-il pas en Israël un système communautaire ? Et une gauche marxiste ? Mais
les kibboutzim – devenus mythologiques – sont d’ailleurs un secteur minoritaire
et sont de plus en plus refoulés par le capitalisme militariste. Quant à la
gauche marxiste, elle est impuissante, et se trouve prisonnière d’un complexe
stratégique mondial qui la dépasse.
[3] : Gallimard, 1962.
[4] : in
Jeunesse et révolution, op. cit., p. 47.
[5] : Cf . De l’économie restreinte
à l’économie générale (un hégélisme radical), in l’Ecriture et la différence, p.
369.
[6] : In The Complete diaries of T. Herzl, Herzl Foundation, New York,
1960.
[7] : Les Juifs et le gauchisme, les Nouveaux Cahiers, n° 30,
1972.
[8] : In Jeunesse et révolution dans la conscience juive, op.
cit.
[9] : Je renvoie à ses Essais sur le problème juif, Payot, 1969.
[10]
: Cf. J. Derrida, Violence et métaphysique, loc. cit.
[11] : Voici quelques
données économiques, décrites par V. Ernest :
« L’origine des capitaux et
des dons étrangers est la suivante, d’après Shaul Zarhi, économiste israélien :
53,5% des Etats-Unis, 40,2% d’Europe – y compris les réparations de guerre de
l’Allemagne fédérale jusqu’en 1966 – et 5% d’Afrique du Sud.
Entre 1949 et
1965, Israël a reçu en moyenne 350 millions de dollars par an, soit la somme de
6 milliards de dollars en financements extérieurs sous forme de transferts
trilatéraux, de capitaux à long terme, etc. En tenant compte du produit national
brut, accumulé pendant la même période, 24 milliards de dollars, l’apport
extérieur a égalé en moyenne 25 % du PNB.
L’aide s’est accrue durant la même
période 1961-1965, atteignant une moyenne de 500 millions de dollars par an.
Sur les 6 milliards de dollars de la période 1949-1965, 3,6 proviennent des
organisations juives mondiales, 0,7 de l’assistance technique et économique des
Etats-Unis et 1,7 des réparations de guerre de l’Allemagne fédérale.
C’est la
grande banque juive de New York qui dirige et administre directement les
organismes qui drainent les cotisations sionistes, les dons, les fonds, qui ont
permis au gouvernement d’Israël de créer son infrastructure et de financer les
entreprises privées, et également de faire des opérations financières en y
association de gros capitaux privés.
En connaissant le fonctionnement de
cette machine financière, on comprend facilement comment la bourgeoisie juive
internationale était jusqu’ici l’élément moteur qui a permis le développement
d’Israël et simultanément son intégration à la politique économique, idéologique
et stratégique de l’impérialisme américain.
Depuis 1948, le gouvernement des
Etats-Unis a édicté une législation encourageant la communauté juive
nord-américaine à investir en Israël sans contraintes fiscales. » Impérialisme
au Moyen-Orient, op. cit., pp. 33-34.
[12] : Sionisme et apartheid, les
relations entre l’Afrique du Sud et l’Etat d’Israël, publication de la
Fédération des Groupes Témoignage Chrétien, sept.q-oct., n° 57, Paris,
1972.
[13] : Lettre de Jérusalem à une demoiselle maoïste, La Pensée
universelle, Paris, 1972, p. 27.
[14] : Idem, p.
76.
Revue de presse
1. Leïla Shahid et la "lutte
pour la survie" des Palestiniennes
Dépêche de l'Agence France
Presse du vendredi 7 mars 2003
TUNIS - "Envoyer des enfants souriants
à l'école après une nuit de bombardements, gérer un budget de moins de deux
dollars/jour, fabriquer de la nourriture avec des pousses sauvages" : Leïla
Shahid raconte le quotidien des Palestiniennes sous l'occupation et les "espoirs
de paix évanouis" au Proche-Orient.
"Depuis l'arrivée du Likoud au pouvoir en
Israël, les Palestiniennes inventent des moyens de survie alors que le chômage
frôle les 70%... Qui d'autre qu'elles peut assurer une routine de vie, lorsque
aller au marché est perçu comme une +menace à la sécurité+ d'Israël?", s'est
interrogée la représentante de l'Autorité palestinienne en France.
Mme Shahid
était invitée à raconter "les combats multiples des femmes palestiniennes" pour
la célébration à Tunis de la Journée mondiale des femmes, le 8 mars, à
l'initiative du Centre de recherche, documentation et information sur les femmes
(CREDIF).
Pour elle, "ce combat est indissociable des aspirations de toutes
les femmes autour de la Méditerranée pour la liberté, la démocratie et
l'égalité".
Mais pour l'heure, "les Palestiniennes sont confrontées au plus
grave épisode de leur histoire: une stratégie de sape systématique des
fondements de la société, une opération froidement calculée pour l'imposition
d'un diktat", s'est alarmée Mme Shahid, dont la conférence était transmise par
vidéo aux Universités de Kairouan (centre) et Sfax (sud).
Selon elle, l'enjeu
de la violence "n'est pas seulement de détruire les bâtiments ou d'assiéger
Yasser Arafat, mais de casser les ressorts de la vie quotidienne, de déchirer le
tissu de la société civile".
"Or, a-t-elle affirmé, c'est précisément là où
se retrouvent les femmes", le réseau informel des ONG ayant pris la relève pour
certains travaux de services suite à l'écrasement des jeunes institutions de
l'Autorité palestinienne.
A propos du statut juridique des femmes, Mme Shahid
a constaté que la réflexion initiée en 1994 autour d'une Charte des droits de la
Femme "a régressé" durant les deux dernières années, de même que le
développement conscient d'un discours sur l'égalité des sexes.
Le siège
imposé aux Territoires, l'impossibilité d'organiser des élections et l'influence
de "certaines forces tirant vers le bas" sont responsables de cette régression,
a dit Mme Shahid, en allusion à la montée des mouvements radicaux
islamistes.
Leïla Shahid a admis "les difficultés d'aborder le statut des
femmes au regard de la chariâa" islamique, dont l'interprétation rigoureuse
autorise la polygamie, oblige au voile et consacre l'infériorité juridique des
femmes.
"Nous n'avons pas résolu le problème", a-t-elle noté lors du débat
qui a suivi son exposé.
Présentée comme "un symbole du combat des
Palestiniennes à faire vaincre la vie en dépit de la machine de mort", Mme
Shahid s'est vivement élevée contre certaines "allégations racistes" accusant
les mères palestiniennes de vendre l'image de la détresse de leurs
enfants.
"Ce ne sont pas les Palestiniennes qui envoient leur enfants au
front, c'est la ligne de front qui est maintenant entrée dans chaque maison",
a-t-elle lancé, regrettant la disparition des "grands espoirs de paix" suscités
par les accords israélo-palestiniens d'Oslo.
"L'ambassadrice de Palestine" à
Paris a appelé à une aide aux femmes palestiniennes dans le cadre d'un
partenariat euro-méditerranéen, en "alternative, à ce que nous prépare
l'Amérique: un monde de guerre, divisé selon un 'axe du mal'", a-t-elle
conclu."
2. Eyal Sivan menacé de mort
- Le cinéaste israélien accuse les milieux ultrasionistes par
Christophe Ayad
in Libération du vendredi 7 mars 2003
A son retour d'Israël, où il participait à un séminaire de cinéastes
arabes et israéliens, Eyal Sivan a eu la désagréable surprise de découvrir une
lettre contenant une balle de 22 mm et accompagnée d'un petit carton sur lequel
était inscrit, en caractères élégants : «La prochaine n'arrivera pas par la
poste.» C'est la première fois que ce cinéaste israélien de 38 ans vivant à
Paris depuis une quinzaine d'années fait l'objet d'une menace aussi précise et
sérieuse. «Depuis trois mois, je reçois des coups de téléphone durant lesquels
je suis traité de "kapo", de "collabo". Parfois, ce sont des chansons ou alors
des insultes. On me dit : "Ta mère a couché avec les Arabes."»
Lobbyiste. Avant-hier, l'un des deux mystérieux interlocuteurs qui le
menacent jusqu'à sept fois par jour, a rappelé : «Il m'a demandé si j'avais bien
reçu la balle et m'a dit : "La prochaine fois, ce sera en pleine tête. On ira te
chercher jusqu'à Ramallah."» Trois autres lettres de ce type ont été envoyées à
une avocate, Me Coutant-Peyre, un lobbyiste proarabe, Lucien Bitterlin, et une
militante propalestinienne.
Cible. Eyal Sivan est connu pour ses prises de position propalestiniennes.
Depuis la publication, en début d'année dernière, d'une tribune libre dans le
Monde dans laquelle il dénonçait les agissements du gouvernement israélien, il
est devenu la cible d'attaques de plus en plus virulentes : Tribune juive a
estimé que son cas relevait de la «lutte antiterroriste», Alain Finkielkraut lui
a consacré deux billets sur Radio J et le président du Crif, le conseil
représentatif de la communauté juive, Roger Cukierman, l'a traité de «Hamas» sur
LCI avant de présenter des excuses.
«Depuis que le Crif a laissé le Betar et la Ligue de défense juive
organiser le service d'ordre de ses manifestations, les milieux ultrasionistes
jouissent d'une véritable impunité, dénonce Sivan. La responsabilité en incombe
à ceux qui ne les dénoncent pas. D'ailleurs, on ne fait rien contre eux.»
Eyal Sivan a réalisé quinze films, la plupart consacrés au conflit
israélo-palestinien. Le dernier, Un spécialiste, au sujet du procès Eichmann, a
été coréalisé avec Rony Brauman, ex-président de MSF, connu lui aussi pour ses
prises de position anti-Sharon. A la fin du mois, Eyal Sivan doit participer à
une rencontre à Paris d'une quarantaine de cinéastes israéliens et palestiniens.
En ce moment, il termine un film intitulé 181, la route du partage avec le
réalisateur palestinien Michel Khleifi. «Depuis que ce projet est public, les
menaces se multiplient. Ce qu'ils veulent, c'est que plus personne ne fréquente,
ne voie, ne parle même des Palestiniens. C'est une véritable campagne
d'intimidation», dénonce Eyal Sivan.
Lorsqu'il a déposé plainte au commissariat, Eyal Sivan a eu le plus grand
mal à expliquer aux policiers qu'il s'agissait bien d'un «acte antisémite», mais
pas du même genre que d'habitude.
3. Les citoyens arabes
d'Israël au cœur de la crise identitaire de l'Etat juif par Mouna
Naïm
in Le Monde des livres du jeudi 6 mars 2003
"Les citoyens arabes d'Israël" de Laurence Loër aux Editions
Balland [268 pages - 22,00 euros / 144,31 FR - ISBN :
2715814402]
A quelle histoire se rattachent ces citoyens
arabes d'Israël, ou Arabes israéliens, ou encore Palestiniens israéliens ?
Réponse cursive, vraisemblablement la seule connue du grand public jusqu'au
déclenchement de l'Intifada palestinienne : ce sont les descendants musulmans et
chrétiens des habitants de la Palestine qui n'ont pas été chassés de chez eux ni
n'en sont volontairement partis lors de la création de l'Etat d'Israël en
1948.
Ils constituent près de 20 % de la population d'Israël et sont de
confession musulmane et chrétienne. A l'horizon 2020, ils devraient représenter
près d'un citoyen israélien sur trois. Au mieux, pointe-t-on le déficit des
droits accordés à cette importante communauté dont les juifs israéliens mesurent
néanmoins le poids, tantôt pour jeter sur elle de lourdes suspiscions, voire,
pour certains, envisager son expulsion, tantôt pour la caresser dans le sens du
poil lorsqu'il s'agit de compter les voix en prévision d'une élection ou pour
assurer sa parfaite intégration. Bien peu d'ouvrages lui ont en tout cas été
consacrés en Occident où son existence a pris un certain relief depuis le
déclenchement de l'Intifada en septembre 2000.
Les Citoyens arabes d'Israël
comble cette lacune. L'auteur, Laurence Louër, chargée de recherche au Centre
d'études et de recherches internationales (CERI) et docteur en sciences
politiques de l'Institut d'études politiques de Paris (IEP), a remonté le temps
pour tracer l'historique des relations de cette communauté dans l'espace
politique et social israélien – relations forcément soumises aux aléas du
conflit israélo-palestinien et israélo-arabe et aux turbulences politiques
proprement israéliennes.
Il s'en dégage une image complexe riche en
"aménagements, complicités et compromis divers" et une réalité : les efforts de
cette communauté arabe pour faire reconnaître ses droits et son identité ne
datent pas d'hier et remontent aux années 1950, un tournant radical s'opérant au
milieu des années 1980, avec une "intégration sans précédent du discours
nationaliste dans toutes les couches de la population arabe dont une écrasante
majorité accepte désormais l'idée que les citoyens arabes d'Israël constituent
une partie inaliénable du peuple palestinien". Cette question identitaire – qui
transcende la diversité politique et idéologique des acteurs et les fractures
internes à la communauté arabe – puise donc ses racines bien plus loin que la
crise surgie en octobre 2000, la mort de treize Arabes israéliens lors de la
répression par l'armée israélienne de manifestations de soutien à l'Intifada
palestinienne n'en ayant été que le catalyseur paroxystique.
"L'ÉBRANLEMENT
DU MODÈLE"
Loin de traduire une volonté sécessionniste ou l'esprit d'une
cinquième colonne, cette revendication de la "palestinianité" est le reflet de
la revendication d'une société multiculturelle où les particularités de chaque
groupe auraient droit de cité. Le député arabe israélien Azmi Bishara est le
porte-parole le plus articulé de cette revendication : transformer la société
israélienne en une société multiculturelle. Israël ne serait plus défini comme
l'Etat du peuple juif, mais comme "l'Etat de tous ses citoyens". Cette
"irruption des citoyens arabes sur la scène publique, note Laurence Louër en
conclusion de son ouvrage, marque en réalité le dernier acte de la fin d'une
illusion : celle de l'unité nationale, où la différence n'a pas droit de cité".
"L'ébranlement du modèle hérité des pères fondateurs de l'Etat juif est d'autant
plus douloureux que la constitution des Arabes en communauté est contemporaine
d'autres phénomènes du même type, comme l'affirmation identitaire sépharade ou
russe." Autant de facettes, mais pas les seules, de la crise identitaire que
traverse Israël.
4. Nabil Chaath, ministre
palestinien de la Coopération, fait le point sur la crise iraqienne et le
processus de paix dans la région : "Une éventuelle guerre en Iraq donnera le feu
vert à Sharon" propos recueillis par Chérif Ahmed
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 5 mars
2003
— Al-Ahram Hebdo : Le sommet de
Charm Al-Cheikh a vu resurgir les différends interarabes en ce qui concerne la
solution de la crise iraqienne. Quelle est la position palestinienne à cet égard
?
— Nabil Chaath : Notre position est claire. Elle est
identique à la position de l'Egypte et celle des autres pays arabes. Il faut
éviter une guerre en Iraq qui serait très dangereuse. Une guerre, n'importe
laquelle, contre un pays arabe serait une atteinte à la sécurité des pays arabes
dans leur ensemble. Il est certain que nous sommes tous inquiets pour les
intérêts de l'Iraq et son peuple en cas de frappe américaine. Dans ce contexte,
nous soutenons la résolution 1 441 de l'Onu qui a été approuvée par les
ministres des Affaires étrangères arabes lors de leur récente réunion au Caire.
Il s'agit d'une part d'inciter Bagdad à respecter toutes les résolutions de
l'Onu et de permettre aux inspecteurs internationaux de travailler en toute
liberté. A mon avis, il est dans l'intérêt des pays arabes que Bagdad détruise
toutes ses armes de destruction massive. Ceci peut être utilisé dans l'avenir
comme une carte de pression arabe sur les Israéliens pour qu'ils détruisent eux
aussi leurs armes de destruction massive. D'autre part, en détruisant toutes les
éventuelles armes de destruction massive en sa possession, Bagdad rétablira la
confiance avec ses voisins arabes et en particulier le Koweït. Si l'Iraq accepte
la destruction de ces armes, et il semble qu'il est en train de le faire, il n'y
aura pas de guerre. Et nous les Arabes, nous devons déployer des efforts afin de
stopper cette éventuelle guerre contre l'Iraq.
— Mais quels étaient les différends entre les pays arabes à
propos de cette crise iraqienne ?
— Le différend principal
était entre les pays du Golfe qui accueillent sur le sol des bases militaires
que les Etats-Unis utiliseront en cas de frappe et d'autres pays qui n'étaient
pas d'accord avec cette situation. Et puis, il y a toujours le différend entre
l'Iraq et le Koweït sur le problème des prisonniers.
— A votre avis, quelles seront les répercussions sur le
processus de paix en cas de frappe américaine contre Bagdad ?
— Je pense qu'une guerre en Iraq donnera l'occasion au
gouvernement israélien d'intensifier les actes de violence contre le peuple
palestinien. Depuis son déclenchement, la crise iraqienne a permis au
gouvernement israélien de multiplier ses attaques dans les territoires
palestiniens profitant de l'absence de la communauté internationale et des
Etats-Unis. Lorsque les Etats-Unis parlent d'une éventuelle guerre en Iraq, cela
donnera le feu vert à Ariel Sharon pour augmenter la violence dans les
territoires palestiniens.
— Le monde est occupé actuellement par la crise iraqienne.
Pensez-vous que le conflit israélo-palestinien ait été suffisamment discuté à
Charm Al-Cheikh ?
— Le processus de paix ne peut pas être
marginalisé. La preuve est que ce sommet, qui est un sommet ordinaire, a discuté
de la crise iraqienne et du processus de paix. Si les Arabes avaient tenu un
sommet extraordinaire, ils auraient commis une grande erreur. Car un sommet
extraordinaire discute d'un seul sujet seulement et dans ce cas cela aurait été
évidemment la crise iraqienne. Pourtant, le processus de paix est un problème
qui dure et qui va durer même après cette crise. Ce problème représente la
menace la plus grande qui plane sur la sécurité dans la région.
— Que pensez-vous du nouveau gouvernement israélien qui vient
d'être formé cette semaine ?
— On ne s'attend pas à beaucoup
de progrès. Ce nouveau gouvernement d'extrême droite est contre toute
progression de la paix. Les ministres de ce gouvernement ont des idées sionistes
extrêmes. Il veut expulser les Palestiniens de leur terre.
A mon avis, ce nouveau gouvernement ne restera pas longtemps. Il n'y a pas
de stabilité à l'intérieur d'Israël. Trois gouvernements se sont succédé dans ce
pays au cours des deux dernières années. La seule garantie de stabilité est le
retrait israélien jusqu'aux frontières de 1967 et l'établissement d'un Etat
palestinien indépendant. Je voudrais signaler que ce nouveau gouvernement
israélien est en train de négocier avec les Etats-Unis le pourvoi d'une aide de
12 milliards de dollars à cause de l'Intifada. Tout ceci malgré le fait que
Washington soit très occupé par la crise iraqienne. Pourtant, après une
éventuelle guerre en Iraq, je crois que les Etats-Unis se lanceront avec toutes
leurs forces pour résoudre le conflit israélo-arabe car ceci est dans leurs
intérêts.
L'actuel gouvernement israélien n'est pas un gouvernement de paix,
il va échouer. Le seul facteur qu'on peut évoquer c'est le départ de Netanyahu
du ministère des Affaires étrangères. Le départ de Netanyahu était la moindre
des choses à faire dans ce mauvais gouvernement.
— Où en est la feuille de route du Quartette ?
— Les Etats-Unis l'ont acceptée dans un premier temps puis ils sont revenus
sur leur décision. Ils ont dit qu'il n'était pas possible d'adopter la feuille
de route avant la tenue des élections israéliennes. A présent, les élections
sont terminées et le gouvernement a été formé. Je doute que Washington déclare
l'adoption de la feuille de route même après la formation du nouveau
gouvernement israélien. Ce que nous savons c'est que Sharon veut retarder ce
plan. Il ne veut pas la paix. Pourtant, je voudrais signaler que sans
l'application de la feuille de route il n'y a aucune garantie de paix.
— Le président américain George Bush parle de l'Iraq
d'après-Saddam Hussein. Qu'en pensez-vous ?
— Il paraît que
Bush choisit un à un ses objectifs. On ne sait pas pourquoi il a choisi d'abord
l'Iraq comme objectif. On se demande pourquoi il a changé de stratégie. On est
passé de la lutte contre le terrorisme de Bin Laden et l'Afghanistan à un autre
but qui est l'Iraq. Il apparaît que ce pays possède beaucoup de pétrole. A mon
avis, Bush pourrait se fixer un autre objectif dans la région après l'Iraq. Je
veux dire qu'il pourrait frapper un autre pays arabe de la région.
— La position européenne vis-à-vis de la crise iraqienne est
modérée. Comment évaluez-vous le rôle de l'Europe en ce qui concerne la paix
dans la région ?
— Nous avons remarqué que les Européens ont
un rôle de plus en plus grand en ce qui concerne le processus de paix. L'Europe
voit que les Américains vont se tailler la part du lion après la guerre en Iraq.
Il n'y aura pas de gain pour eux dans cette affaire. En revanche, le processus
de paix intéresse beaucoup les Européens. Ils ne peuvent pas la
négliger.
5. Les inspecteurs, déjà, en 1920 par Georges
Marion
in Le Monde du samedi 1er mars 2003
Le traité de Versailles avait imposé à l'Allemagne vaincue des
inspections internationales pour s'assurer de son désarmement. Avec les
résultats que l'on sait, raconte la "Berliner Zeitung".
Alors
que les membres de l'ONU s'affrontent pour savoir s'il convient de renforcer les
inspections en Irak ou de faire la guerre, la Berliner Zeitung décrit un
exercice d'inspections internationales qui ne manque pas de ressemblances avec
celui d'aujourd'hui.
C'était en 1919, peu après la fin de la première guerre mondiale.
L'Allemagne vaincue s'apprêtait à accueillir la Mission interalliée de contrôle
militaire chargée de faire respecter les exigences imposées par le traité de
Versailles. Les conditions auxquelles la toute jeune République de Weimar avait
dû se soumettre étaient particulièrement rudes, énumère le quotidien berlinois :
"Remise de l'essentiel du matériel de guerre, création d'une armée de métier ne
dépassant pas 100 000 hommes, dissolution du grand état-major général,
destruction de nombreuses fortifications, interdiction d'importer et d'exporter
du matériel de guerre." Fort de ce programme, le chef de la délégation anglaise
au sein de la commission, Francis Bingham, avait coutume de dire : "Nous devons
arracher les dents de l'Allemagne."
En janvier 1920, la commission – qui comptait 654 hommes, 291 officiers et
88 interprètes – débarqua en Allemagne. Il était prévu qu'elle y reste quelques
mois. Il lui faudra 7 ans pour boucler une mission qui coûtera à l'Allemagne 13
millions de marks par mois ! Sept ans d'obstacles et de crises suscitées par les
protestations de la population comme par l'appareil militaire, qui n'entendait
pas se faire hara-kiri sans réagir. Les officiers de liaison allemands avaient
reçu ordre de se comporter "froidement" et de ne rien faire pour faciliter les
inspections. Rapidement, le mécanisme généra des montagnes de notes, rappels,
mises en demeure et protestations de toutes sortes qui occupèrent la totalité de
l'administration allemande des affaires étrangères.
On se disputait sur tout, écrit la Berliner Zeitung, "y compris sur les
balles à blanc et les vélos militaires (...). Même les usines de munitions de
chasse et de sport durent être démantelées, et l'interdiction de produire du
matériel de protection contre les gaz provoqua une tempête dans l'armée". Mais
c'est avec les industries chimique et lourde, qui avaient obligation de revenir
à leur niveau de production de 1914 afin d'empêcher tout réarmement sérieux, que
les difficultés furent les plus grandes, provoquant même des tensions avec la
commission des réparations, qui ne pouvait espérer récupérer de l'argent que si
l'économie allemande n'était pas sur le flanc.
Les Alliés ne firent pas dans le détail. Chez Krupp, le géant de l'acier à
l'origine de l'industrie de guerre allemande, ils entreprirent de démanteler
moules, machines-outils, fours de trempe, réservoirs d'eau et de pétrole, tours
de refroidissement et grues, en bref tout ce qui pouvait servir à couler l'acier
de haute qualité nécessaire à la fabrication des canons. Des milliers d'ouvriers
furent jetés sur le carreau, bientôt rejoints par 250 000 soldats
démobilisés.
HITLER ÉLU CHANCELIER
Dans cette "République sans républicains" qu'était le régime de Weimar,
exposée aux tentations putschistes de l'extrême droite et révolutionnaires de
l'extrême gauche, l'instabilité fut de règle. Les exigences des Alliés ne firent
rien pour l'amoindrir. "Chaque remise en question du désarmement suscitait un
ultimatum des Alliés, qui parlaient d'occuper le pays. Mais quand le
gouvernement respectait les conditions qui lui étaient imposées par le traité de
paix, c'est lui que la surenchère politique intérieure menaçait", écrit la
Berliner Zeitung. En occupant la Ruhr pour faire payer l'Allemagne qui
rechignait, la France suscita des manifestations monstres contre "les espions"
qui profitaient du contrôle pour assujettir le pays.
Mission accomplie, la commission ne quitta l'Allemagne qu'en 1927, sans
apparemment se rendre compte que Berlin, discrètement, s'était entre-temps
tourné vers Moscou pour se réarmer. Solidarité entre Etats parias oblige, la
jeune Union soviétique menacée et l'Allemagne vaincue firent rapidement affaire.
Quelques années plus tard, porté aussi par les amers souvenirs des
conditions imposées à l'Allemagne, Adolf Hitler, élu chancelier du Reich,
entamait un réarmement effréné. La suite est connue, y compris de la Berliner
Zeitung, qui s'abstient cependant d'en tirer une quelconque conclusion pour
l'avenir de l'Irak.
6. Des joints et des
tuyaux par Ridha Kéfi
in Jeune Afrique - L'Intelligent du
vendredi 28 février 2003
Depuis deux
ans, un réseau d'espionnage judéo-arabe livrait des informations au Hezbollah en
échange de haschich.
Ronit Edery, une Israélienne de 34 ans,
mère de trois enfants, habitant à Kiriat Shimona, un village situé près de la
frontière du Liban, était inconnue des services de sécurité israéliens jusqu'à
ce que son nom soit cité dans une sombre affaire d'espionnage au profit du
Hezbollah libanais. Une affaire révélée, le 18 février, par le quotidien
israélien Ma'ariv.
Selon les premiers résultats de l'enquête de la police
israélienne, Ronit appartient à un réseau d'espionnage constitué de douze
membres : trois Juifs et neuf Arabes, qui habitent, pour la plupart, le village
frontalier de Radjar, situé dans la région dite des Fermes de Cheba. Ce réseau,
en place depuis deux ans, a fourni au mouvement chiite libanais des informations
secrètes sur les déplacements des troupes israéliennes, ainsi que des documents
et des photos représentant des bases militaires à l'intérieur de l'État hébreu.
En contrepartie, ses membres ont reçu plus de quatre tonnes de haschich d'une
valeur de plusieurs millions de dollars.
« Ce n'est pas un hasard si ce
réseau est composé en grande partie d'habitants de Radjar ; ce village a la
particularité d'être scindé en deux par la frontière internationale
israélo-libanaise, et ses habitants bénéficient d'un rare privilège : celui de
pouvoir circuler librement entre la partie israélienne (revendiquée par la
Syrie) et la partie libanaise du village », précise le quotidien israélien. Au
lendemain de la guerre de juin 1967, les habitants de Radjar (jusque-là sous
contrôle syrien) ont demandé à être placés sous contrôle israélien. Leur demande
a été satisfaite. Ils sont considérés aujourd'hui comme des Israéliens à part
entière. Les autorités civiles de l'État hébreu ont longtemps hésité à installer
un poste frontalier au milieu de la localité, comme le leur demandaient les
autorités militaires. Cette affaire va sans doute les faire changer
d'avis.
7. "Nous avons vu
l'intolérable" - Le cri d'alarme d'une délégation de Juifs français en
Palestine par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du mardi 25
février 2003
" Comment le monde peut-il laisser faire ce que nous avons vu dans les
territoires palestiniens ? C'est une honte et en tant que Juive, je veux aider
les Juifs de France à ouvrir les yeux, à ne pas couvrir cela de leur silence. "
C'est Michèle Zémor, d'ATTAC, qui parle, mais elle reflète le sentiment partagé
par la délégation de quatorze personnes dont elle faisait partie. Des
personnalités françaises, en majorité juives, qui multiplient conférences de
presse et réunions publiques pour faire partager le sentiment d'urgence qu'elles
rapportent de leur voyage, celui d'une tragédie humaine en train de s'accomplir,
qu'il faut tout faire pour arrêter.
" Nous avions organisé ce voyage à la demande de nos amis du mouvement Gush
Shalom (le Bloc de la paix, un mouvement pacifiste israélien dirigé par Uri
Avnery) " explique l'ambassadeur Stéphane Hessel, qui dirigeait la délégation.
Ils nous ont dit : " Vous qui avez voulu, soutenu la création de l'Etat
d'Israël, venez un peu voir ce qu'il est devenu. Venez voir ce que l'on fait ici
des valeurs du judaïsme. "
Ils ont vu. De la Moukata, à Ramallah, où Yasser Arafat, vieil homme malade
et affaibli, est toujours assiégé, à Rafah, tout au sud de la bande de Gaza,
transformé en champ de ruines. Ils ont filmé les stigmates d'une vraie guerre :
des restes d'immeubles criblés d'obus qui font penser à Beyrouth après dix ans
de guerre civile ; des enfants en loques, aux yeux immenses et terrifiés qui
regardent sans comprendre. " En regardant ces enfants, on voit quel degré de
démolition d'une société cherche Israël " témoigne le pédiatre Mathieu de
Brunhof.
Suzanne de Brunhof, elle, récapitule les différents types de violences dont
les Palestiniens sont victimes. " Le premier type de violence, le plus évident,
c'est l'occupation militaire. Le second, c'est le statut de la propriété : en
Israël, depuis 1948, c'est l'Etat qui est propriétaire de la terre et qui
l'alloue de façon sélective, en priorité aux citoyens juifs. Après 1967, le
système a été étendu aux territoires occupés. Cela a donné lieu au développement
de la colonisation et à la spoliation des terres des Palestiniens. Et cela s'est
aggravé avec le gouvernement Sharon, créant une insécurité permanente pour les
Arabes et pour les Palestiniens dont les villages sont désormais encerclés,
isolés, par des colonies, des routes de contournement et des bases militaires.
Le troisième type de violence que nous avons constatée est politique : c'est la
campagne que mènent certaines forces politiques israéliennes pour ce qu'ils
appellent le " transfert " des Arabes hors d'Israël. "
" J'avais voulu faire ce voyage à cause du CRIF (1) qui dénonce en
permanence la moindre critique à l'égard de la politique menée par Israël comme
une manifestation d'antisémitisme ", dit pour sa part Jean-Jacques Salomon,
ancien directeur du CNAM. " C'est vrai, ajoute-t-il que les attentats suicides
sont intolérables, mais ce que nous avons vu là-bas l'est tout autant : les
représailles collectives exercées contre la population palestinienne, la
création de multiples ghettos dans ce qui devrait être l'Etat palestinien et ce
projet de déportation des Palestiniens à l'occasion d'une guerre contre l'Irak.
Pour moi, c'est une politique de terreur qu'il faut dénoncer. Et il faut
absolument que les Juifs de France dissocient leur soutien à l'Etat d'Israël de
la politique de terreur qu'il mène. " Il ajoute que, selon lui, " Israël n'a
jamais été aussi puissant et son existence n'est pas menacée ".
Un point de vue partagé par Raymond Aubrac qui dit avoir été " profondément
marqué par la violence des humiliations infligées aux Palestiniens " et revient
avec le sentiment d'avoir rencontré " deux populations qui ont peur : les
Israéliens d'être jetés à la mer et les Palestiniens d'être chassés de leur
terre une nouvelle fois ".
L'ensemble de la délégation, très choquée par ce qu'elle a pu constater,
revient avec le sentiment qu'il faut absolument, et de toute urgence, une
intervention extérieure pour éviter la catastrophe. " Notre seul espoir, c'est
vous ", leur ont dit à la fois les Palestiniens et les militants israéliens de
la paix.
(1) Conseil représentatif des
institutions juives de France.
8. Voilà deux des hommes qui
mènent Bush à la guerre par Ed Vulliamy
in The Observer (quotidien
britannique) du dimanche 23 février 2003
[traduit
de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Depuis New York, Ed Vulliamy trace un
portrait des directeurs de conscience d’une « présidence texanisée », lesquels
sont convaincus qu’une guerre signifie que l’Amérique sera respectée à l’avenir
dans le monde musulman.
Derrière l’offensive guerrière de George W. Bush contre l’Irak, il y a une
mission soigneusement définie et planifiée par des gens qui travaillent
par-dessus l’épaule de ceux que l’Amérique aime bien appeler « les Principaux »
(= « les Princes qui nous gouvernent »).
Tapis dans l’ombre derrière Bush, son vice-président, Dick Cheney, et son
Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, sont les deux personnes qui animent la
politique américaine. Derrière elles, les maîtres à penser de la présidence Bush
– il faut se souvenir que celui-ci débarque à la Maison Blanche directement de
son Texas arriéré – sont Karl Rove et Paul Wolfowitz.
Il est simpliste d’expliquer la guerre à venir par « du sang pour du
pétrole », comme le faisaient des millions de pancartes et de calicots dans les
manifestations du week-end dernier. En effet, Rove et Wolfowitz sont des
idéologues à qui les impératifs du profit importent peu. Ils représentent une
alliance improbable et formidablement puissante, nouée entre le Républicain
texan grippe-sous qui a fini par prendre le contrôle de l’Amérique, nourrie par
le fondamentalisme chrétien le plus délirant et une faction de l’intelligentsia
de la côte Est qui plonge ses racines dans les milieux conservateurs qui avaient
connu leur apogée sous Ronald Reagan, et qui sont dévoués corps et âme à une
Amérique brutale et unilatéraliste.
Cela fait des décennies que Rove et Wolfowitz attendent leur heure de
gloire, et ce moment est venu puisque la guerre approche… Bush appelle Rove, en
fonction de son humeur, « le Gars Génial » ou « l’Imbécile en fleur ». Ce Rove
est l’un des rejetons de la nouvelle génération de politiciens – orfèvres en la
matière : il soigne une campagne politique des plus personnelles depuis
vingt-quatre ans, mais il est très soucieux de ne pas dévoiler sa vraie
personnalité.
Sa foi chrétienne est une arme d’une puissance dévastatrice, mais il n’en
parle jamais ; personne ne sait si sa politique est religieuse ou si la
politique est sa religion. Né un jour de Noël à Denver, il y avait suspendu
au-dessus de son lit d’enfant un poster disant : « Wake Up, America ! »
[Amérique : Réveille-toi !] Etudiant, il était un jeune Républicain fervent, qui
s’en prenait souvent violemment aux mouvements pacifistes.
Son premier rapprochement avec Bush ne fut pas occasionné par la politique
: les deux hommes nourrissaient la même détestation idéologique et morale pour
les années 1960 – c’était après la conversion miraculeuse de Bush, qui le vit
passer du jour au lendemain de l’alcoolisme au christianisme. A l’époque, Rove
était apprécié de George Bush père, lequel avait tenté de devenir le candidat
républicain aux élections présidentielles de 1980, sans succès.
Mais ce n’est que plus tard que le génie de Rove allait se révéler, au
moment de l’élection de Bush père à la Maison Blanche (en 1988), lorsqu’il
intégra la Coalition Chrétienne de droite au camp familial des Bush, par crainte
d’une insuffisante hystérie théocratique de Bush senior...
Le protestantisme
conservateur du Sud était un électorat que Bush junior appréciait et qu’il
utilisa pour accéder à Washington, ce qui définit tant sa propre personnalité
politique que l’idéologie du Parti Républicain relooké par ses soins.
Lorsque Rove répondit à son invitation de venir au Texas, en 1978, tous les
postes de l’Etat étaient tenus par des Démocrates. Aujourd’hui, ils le sont
pratiquement tous par des Républicains. Toutes les campagnes républicaines
(couronnées de succès, on vient de le voir) ont été dirigées par Rove et, en
1994, son client – candidat au poste de gouverneur de l’Etat – était un homme
qu’il connaissait particulièrement bien : un certain… George W. Bush.
« Rove
et Bush parvinrent à une conclusion stratégique fondamentale », écrit Lou
Dubose, le biographe de Rove. « Pour pouvoir gouverner au nom de la Droite
industrielle et financière, ils devraient auparavant rassurer la Droite
chrétienne, la rassurer… et lui plaire. »
Les six années de mandat de Bush en qualité de gouverneur du Texas furent
une sorte d’entraînement à blanc en vue de la politique intérieure nationale –
entraînement supervisé par Rove, bien sûr – qu’il allait mettre en œuvre une
fois Président : faveurs somptueuses pour les compagnies du secteur énergétique,
réductions d’impôts réservées aux revenus les plus élevés et politique sociale
dictée par le zèle évangélique.
Cela ne faisait pas plus d’un an que Bush
était gouverneur du Texas quand Rove lui souffla l’idée de se porter candidat à
la Présidence. Comme il le dit lui-même : « Cela m’est tombé dessus… ». Deux ans
plus tard, en 1997, il entreprit de planifier sa campagne dans le plus grand
secret. En mars 1999, Bush donna l’ordre à Rove de vendre son cabinet de
consultant – « il voulait que Rove lui consacre 120 pour cent de son attention…
» dit un ancien employé, « il avait besoin de ses conseils à plein temps, jour
et nuit… »
Ainsi, Rove composa et dirigea la campagne présidentielle, déployant toute
la puissance de l’industrie pétrolière et se lançant dans la plus vigoureuse
tempête de mailings directs de tous les temps. « Si, comme on le dit, le diable
est bien dans les détails », écrit Dubose, « il a dû avoir la surprise d’y
trouver Rove, qui devait déjà être là, planqué dans les détails, à l’attendre…
»
Lorsque George W. Bush accéda à la présidence, Rove était en quelque sorte
le moyeu d’une roue texane connectant entre eux : la famille, le parti, la
droite chrétienne et le secteur pétrolier. Un simple épisode nous servira de
métaphore : au cours du scandale Enron, l’année dernière, une ombre atteignit ce
Rove lorsqu’il fut révélé qu’il avait vendu pour 100 000 dollars d’actions Enron
juste avant que la firme ne soit déclarée en banqueroute.
Plus intrigant encore, toutefois, était le fait que Rove avait
personnellement veillé à ce que l’ancien dirigeant de la Coalition chrétienne,
Ralph Reed, soit chargé d’un cabinet de consultants chez Enron – le plus grand
soutien financier de Bush – avec un salaire situé entre 10 000 et 20 000 dollars
par mois.
Telle était la machine à mouvement perpétuel construite par Rove.
Son principal accomplissement fut la « texanisation » du Parti Républicain
national [= au niveau de l’ensemble des Etats-Unis, ndt] sous la houlette de la
famille Bush et d’avoir réussi à ramener ce parti au poste présidentiel après
huit années d’absence [= les deux mandats démocrates de Clinton, ndt]. Rove est
incontestablement le conseiller politique le plus puissant qui soit, à la Maison
Blanche.
Pour Rove, l’islam militant était terra incognita. Toutefois, le 11
septembre 2001, il devint pour lui une nouvelle matière première dont il devait
s’occuper au plus vite. Rove et Bush étaient isolationnistes, ils voulaient
avoir le moins possible affaire avec le Moyen-Orient – ou avec une quelconque
région du monde, d’ailleurs. Mais soudain, il s’ouvrait une autre arène dans
laquelle il fallait lutter en vue d’engranger de nouveaux gains politiques ; et,
lorsque Rove y pénétra, sans retard, il y rencontra et il y fut accueilli par un
groupe de personnes qui étaient depuis des années au moins aussi occupés que lui
à mettre sur pied leur modèle politique ; cette fois-ci, en l’occurrence, il
s’agissait de l’exportation d’un pouvoir américain sans limite, partout dans le
monde.
Rove, théoriquement, ne joue aucun rôle dans la politique étrangère,
mais les connaisseurs de Washington sont d’accord pour dire qu’il s’occupe
actuellement autant des affaires mondiales que des questions domestiques. Dans
un livre récent, le plumitif conservateur David Frum rappelle l’approche
présidentielle de l’islam après les attentats et critique Bush, qu’il trouve
trop « mou face à l’islam », en raison de son insistance sur l’aspect « religion
de paix » qu’il lui prête.
Rove, écrit Frum, fut « attiré vers une réponse bien différente ». L’Islam,
expliquait Rove « était l’un des grands empires mondiaux », qui n’a jamais su
«admettre… la perte de sa puissance et de sa domination. » En réponse,
disait-il, « les Etats-Unis doivent reconnaître que, bien qu’ils ne puissent
s’attendre à être aimés, ils peuvent imposer le respect. »
La position de
Dove s’emboîta parfaitement avec les convictions de Paul Wolfowitz et l’axe
reliant le protestantisme conservateur des Etats du Sud au sionisme fervent et
hautement intellectuel de la côte Est fut forgé – chacune des extrémités étant
aussi extrémiste dans sa croyance religieuse que sa contrepartie.
On donne
souvent une image trop rapide de Wolfowitz comme un faucon enragé, mais en
réalité, il tient plus d’un Rove que de ce portrait – il est patient,
calculateur, logique, pondéré dans ses propos et déterminé. Wolfowitz est le
fils d’un universitaire juif, brillant mathématicien et diplomate. Ayant intégré
le Pentagone après la guerre de Kippour (octobre 1973), il se mit au travail,
traçant ce qui est devenu aujourd’hui la politique américaine au
Moyen-Orient.
En 1992, juste avant que le père de Bush ne fût battu aux présidentielles
par Bill Clinton, Wolfowitz écrivit un mémoire « fixant les orientations de la
nation pour le vingt et unième siècle », qui est le script exact de la politique
étrangère de George W. Bush. Intitulé « Guide de planification de la défense »,
ce document charge le Pentagone « d’établir et de protéger un nouvel ordre
(mondial) placé sous l’autorité exclusive de l’Amérique ».
Les Etats-Unis,
disait le document, doivent s’assurer de « dissuader tous leurs rivaux
potentiels ne serait-ce que de la simple aspiration à jouer un rôle régional
plus important, et à fortiori mondial » - visant notamment par « rivaux »
l’Allemagne et le Japon. Le document envisageait de recourir préventivement à
des armes nucléaires, biologiques et chimiques « même dans des conflits qui
n’engagent pas directement les intérêts nationaux des Etats-Unis. »
L’entourage de Wolfowitz se constitua en un groupe appelé Projet pour le
Nouveau Siècle Américain [Project for the New American Century], lequel incluait
Cheney et un autre vieil ami, ancien sous-secrétaire politique au Pentagone sous
Reagan : Richard Perle.
Dans un document publié voici deux ans, le Projet
examinait ce qui serait nécessaire afin d’assurer une hégémonie américaine sur
le monde, et il concluait qu’il devrait s’agir « d’un événement catastrophique
et catalysant, quelque chose comme un nouveau Pearl Harbor ». Ce document avait
indiqué auparavant que « bien que le conflit non résolu avec l’Irak apporte une
justification immédiate » pour une intervention des Etats-Unis, « la nécessité
d’une présence militaire américaine substantielle dans la région du Golfe
transcende largement la question du sort à réserver au régime de Saddam Hussein.
»
Lors d’un discours de promotion à l’Académie militaire de West Point, en
juin dernier, Bush déclara que la doctrine Wolfowitz était bien la politique
officielle. « L’Amérique a – et elle entend bien conserver », affirmait-il
alors, « des forces militaires que personne ne saurait défier. »
Au Pentagone, Wolfowitz et son patron – Rumsfeld – ont fondé un groupe de
renseignement dirigé par Abram Schulsky et le sous-secrétaire à la Défense,
Douglas Feith, tous deux amis de longue date de Wolfowitz. La face publique du
groupe est le semi-officiel Defence Policy Board, dirigé par Perle. Perle et
Feith ont écrit en 1996 un papier intitulé « Une rupture franche » [A Clean
Break], à l’attention du dirigeant d’alors du bloc Likoud d’Israël, Binyamin
Netanyahu ; la rupture franche en question désignait la nécessité d’en finir
avec le processus de paix d’Oslo. « La revendication par Israël de la terre (y
compris la Cisjordanie) est légitime et noble », affirmait ce document. « Seule
l’acceptation inconditionnelle de nos droits par les Arabes saurait représenter
une base solide pour le futur ». Au Département d’Etat, la faction « arabisante
» des experts favorables à une diplomatie fondée sur des alliances dans la
région fut noyée sous une avalanche de faucons, et en particulier par une
nouvelle unité structurelle qui leur facilitait grandement l’accès à la Maison
Blanche.
Et dans la Maison Blanche dirigée par Rove – avec son soutien actif – le
cercle était bouclé et la dernière pièce du puzzle était mise en place, avec la
nomination d’Elliot Abrams au poste de conseiller en matière de politique
moyen-orientale au Conseil National de Sécurité [NSC – National Security Council
: c’est l’officine de « Condy » Rice, ndt].
Abrams est un autre vétéran de
l’époque Reagan et de l’époque des « sales guerres » en Amérique centrale ; il a
été accusé par le Congrès d’avoir menti, avec le colonel Oliver North, dans le
scandale Iran-Contra (« Irangate »), mais le Président Bush père lui avait
accordé son pardon…
Depuis lors, il a écrit un livre avertissant la juiverie
américaine qu’elle risque de courir vers son extinction à cause des mariages
mixtes, et il s’est employé à critiquer le processus de paix et à défendre la
justesse des positions du gouvernement d’Ariel Sharon. Cet Abrams est encore un
homme de Wolfowitz. Tous les jours, il parle avec son pote de bureau,
Rove…
9. Inquiétude par
Stéphane Hessel
in Le Monde du jeudi 20 février 2003
(Stéphane Hessel est ambassadeur de
France.)
A 23 ans, je me suis battu contre la plus sanguinaire et la plus barbare
des ethnocraties pour laquelle tout ce qui n'est pas germain ou "aryen" était
méprisable et destructible.
A 27 ans, j'ai survécu miraculeusement aux camps de Buchenwald et de Dora,
où la plupart de mes proches camarades ont péri. Cette survie m'a conféré la
responsabilité de comprendre la violence et de la combattre au nom de la
justice.
A 30 ans, j'ai travaillé auprès du secrétaire général des Nations unies au
moment où - à quelques mois d'intervalle - cette organisation accueillait Israël
comme Etat membre souverain et adoptait la Déclaration universelle des droits de
l'homme.
Pendant les vingt années suivantes, j'ai pris position contre toutes les
formes de colonialisme et d'apartheid, quels qu'en soient les responsables, y
compris mes compatriotes.
A 85 ans, j'ai pu visiter Israël et les territoires occupés sous la
conduite de patriotes israéliens qui partagent mon respect pour les valeurs du
judaïsme et leur place dans la civilisation contemporaine. J'en reviens choqué
et plein d'appréhension.
Depuis l'assassinat d'Itzhak Rabin, le peuple israélien court vers
l'impasse. Les termes d'apartheid et d'ethnocratie conviennent au sort réservé
non seulement aux Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza, dont aucun des droits
fondamentaux n'est plus respecté et qui sont soumis aux violations, exactions,
humiliations qui leur sont quotidiennement infligées, mais aussi à la population
arabe d'Israël, qu'une politique subtile mais perverse marginalise
économiquement, prive de terres, de droits et de ressources, et donc de toute
promotion économique, sociale et culturelle véritable.
Le peuple israélien dans son ensemble vit cette évolution dans une morne
indifférence, l'attribuant avec un mélange d'effroi et de découragement à la
nécessité de lutter contre l'insécurité et le terrorisme, tout en sachant que
cette lutte est jusqu'ici inefficace.
En revanche, une minorité courageuse, qui n'a pas trouvé sa place dans la
Knesset et qui se tient à l'écart des partis politiques, incarne à mes yeux le
vrai patriotisme, celui pour lequel l'Etat d'Israël doit être porteur des
valeurs qui ont permis au long des siècles le rayonnement de la pensée juive :
la dignité de tous ceux qui ont été créés à l'image de Dieu, comme l'indique le
nom B'Tselem que s'est donné la principale organisation israélienne pour la
défense des droits de l'homme.
Pour les avoir rencontrés au cours de ce voyage, je reviens avec la
conviction qu'Israël n'échappera à la spirale de la violence et à la perte de
ses repères qu'en écoutant ces voix, encore tristement minoritaires, celles de
Goush Shalom, le Bloc pour la paix. Elles sont aujourd'hui étouffées par la
proclamation de la seule puissance militaire et par la résignation à cette
guerre sans fin qu'impose la diabolisation de l'adversaire.
Elles appellent à une révolution copernicienne des esprits qui ferait de
l'amitié et tout d'abord du respect mutuel des résidents des deux terres qui
composent l'ancien mandat britannique de la Palestine l'objectif ambitieux de
leur jeunesse.
J'ai pu, au cours de ce voyage trop bref, percevoir l'amorce d'actions
ainsi orientées où Israéliens et Palestiniens se rejoignent et constatent que le
clivage supposé irréversible entre leurs cultures et leurs valeurs respectives
n'est qu'un leurre propagé par ceux qui veulent garder pour les seuls juifs la
totalité des pouvoirs.
10. Qui paiera pour la guerre
? par Henri Bourguinat
in Le Monde du mardi 18 févier
2003
(Henri Bourguinat est chercheur au
LARE-Efi - université Bordeaux-IV- Montesquieu.)
Toute guerre a un prix en termes de vies humaines, de sang et de larmes.
Aussi est-on presque gêné d'avoir à en évoquer ici le coût financier. Pourtant,
pour l'Irak, alors même que cette question est assez peu prise en compte, elle
ne saurait être éludée plus longtemps. En fait, sous deux aspects : le premier
est celui de la charge financière encourue. Quelles que soient les difficultés
du chiffrage – elles sont indéniables –, une chose apparaît sûre : les montants
sont considérables. Mais, hormis ce versant de la question, un autre de ses
aspects est préoccupant. C'est celui de l'incidence finale de la charge. Dans
les conditions présentes de forts déséquilibres américains tant externes (la
balance courante) qu'internes (le budget fédéral) et donc avec des "déficits
jumeaux" reconstitués et croissants, il apparaît que le coût financier devra
nécessairement être pris en charge pour la plus grande part par le reste du
monde.
Un mot du chiffrage tout d'abord. Il est extrêmement délicat parce que tout
à fait contingent aux hypothèses faites sur la guerre. Comme le rappelait
récemment une étude du National Bureau of Economic Research (NBER), on s'est,
par le passé, souvent trompé pour estimer les coûts des guerres : n'est-il pas
vrai, par exemple, que la guerre de Sécession américaine a coûté au Nord treize
fois ce qui avait été prévu à l'origine. Ou encore pour celle du Vietnam, qu'on
envisageait en 1966 courte et devant coûter au budget américain 10 milliards et
demi de dollars sur un an, et qui en était en 1973 à une somme estimée à 110-150
milliards de dollars.
Cette fois, pour l'Irak, tout dépendra, dit-on, des "scénarios": une guerre
courte, avec trente à soixante jours de préparation aérienne et deux mois et
demi de présence des troupes au sol, ne reviendrait, estiment les experts
américains de l'Office du budget, que de 48 à 60 milliards de dollars. Mais
qu'en serait-il d'une campagne plus longue avec, par exemple, une hypothèse de
guérilla urbaine et une concentration des six divisions d'élite de la Garde
républicaine autour de Bagdad ? D'une utilisation éventuelle des armes chimiques
ou biologiques par les Irakiens ? Ici, les chiffres dérapent rapidement. On
revient vite aux premières estimations faites par Larry Lindsey, le précédent
conseiller pour l'économie du président Bush : entre 100 et 200 milliards de
dollars. Encore ne tenaient-elles pas compte des éventuels incendies collatéraux
allumés ici ou là dans le monde islamique. Pas davantage d'une occupation
post-campagne sans doute longue et coûteuse (en Bosnie, il a fallu à l'OTAN
déployer jusqu'à 50 000 hommes pour un coût initial de 10 milliards de dollars
et, six ans plus tard, 20 000 soldats y sont encore positionnés). Or on estime
de 1 à 4 milliards de dollars par mois les frais d'entretien sur le terrain
d'une force de 75 000 hommes.
Certes, il conviendrait de réintroduire ici les économies procurées par la
baisse attendue du prix du pétrole. Après une forte hausse initiale, on table en
effet sur une chute de prix du baril aux alentours de 10 dollars, grâce à une
production irakienne portée à près de 4 millions de barils/jour (contre 2,8
millions actuellement). Mais, ici encore, que d'indéterminations : l'état dans
lequel Saddam Hussein laisserait les installations, la bonne volonté des autres
pays membres de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) pour ne
pas réduire simultanément leur production, sans parler de l'incidence
macroéconomique globale de la guerre (récession, psychologie des acteurs,
etc.).
Quoi qu'il en soit, même en tenant compte d'une économie de 40 milliards de
dollars due au pétrole, W. Nordhaus, du NBER, parvient à un chiffrage
extrêmement "ouvert" qui, toutes charges confondues, pourrait être situé entre
100 et 1 900 milliards de dollars. Sans doute l'imprécision prêtera-t-elle à
ironie mais, comme aimait à le dire Keynes, ne vaut-il pas mieux avoir
approximativement raison que de se tromper de façon précise ?
Une chose est néanmoins sûre : quels que soient les scénarios, le coût
d'une guerre avec l'Irak sera – serait ? – tout à fait considérable. D'où
l'acuité de la question de savoir qui le supporterait.
Plus encore que lors de la première guerre du Golfe, l'initiateur de la
guerre n'en serait pas le payeur principal. Pour cette simple raison que l'état
des comptes américains lui-même l'interdit absolument. Les Etats-Unis en sont en
effet venus à une situation de "déficits jumeaux" du type de celle de la période
Reagan (années 1980) mais nettement aggravée. Qu'on en juge : en 2002, le
déficit de la balance des paiements courants a atteint 496 milliards de dollars,
pratiquement 100 milliards de dollars de plus que l'année précédente. Pour le
financer, l'Amérique emprunte déjà près de 2 milliards de dollars par jour
ouvrable des marchés financiers. Et voilà que ce qui faisait depuis 1995 la
fierté des autorités fédérales, l'excédent budgétaire, s'est mué, à partir de
2002, en déficit (156 milliards de dollars au moins pour cette dernière année).
On table encore sur un déficit qui dépassera les 300 milliards de dollars pour
l'exercice 2003. Baisse d'impôts et relances successives par la dépense publique
de l'après-11 septembre 2001 sont passées par là.
Sans doute existe-t-il des économistes "académiques" américains pour
lesquels le seuil critique de l'endettement extérieur soutenable par rapport au
produit national brut (PNB), estimé à 4,5 %, est déjà franchi. Mais pour
d'autres, plus nombreux, notamment au niveau des conseillers économiques des
gouvernements américains (démocrates comme républicains) et de la haute
administration, ces déficits ne font absolument pas problème. L'Amérique, ne
cesse-t-on de répéter, s'endette dans sa propre monnaie, et celle-ci est
toujours autant recherchée à l'étranger. D'ailleurs, où donc trouverait-on un
substitut à ce havre unique que représente, par sa profondeur, sa
diversification et sa sécurité, le marché financier américain ? Mieux encore,
une autre idée commence à s'exprimer, ici ou là : l'Amérique n'est-elle pas la
locomotive irremplaçable de l'économie mondiale (40 % de la croissance de cette
dernière entre 1995 et 2002 lui seraient imputables) ? Et n'est-ce pas elle qui
irrigue continûment le monde de ses innovations et incitations en tout genre ?
Enfin, pourquoi ne pas admettre qu'hier, du Kosovo à l'Afghanistan et
aujourd'hui à l'Irak, les Etats-Unis sont devenus le gendarme du monde ? A ces
motifs, qu'y aurait-il d'exorbitant à ce que le reste du monde participât au
financement de l'intervention en Irak ? Le raisonnement, pour intéressant qu'il
soit, ouvre, si à l'avenir il se généralisait, des perspectives préoccupantes
pour l'autonomie de détermination des autres pays, sur tous les plans.
Ainsi, il ressort de ce qui précède que, s'il reste bien difficile de
chiffrer précisément le coût d'une guerre éventuelle, tout donne à penser qu'il
sera lourd. Si, de plus, les Etats-Unis, après avoir pratiquement décidé seuls
du principe d'une intervention en Irak, en venaient à présenter après-coup,
presque ingénument, la note à leurs alliés, il deviendrait bien difficile de ne
pas parler d'unilatéralisme américain. Les vrais amis des Etats-Unis ne
pourraient alors que s'en préoccuper.
11. Un monument d’hypocrisie par Edward
Said
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 13 février
2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Lire ou écouter les nouvelles, dans « ce pays », voilà qui est devenu
insupportable. Je ne cessais de me répéter, pour m’en auto-persuader, qu’il
fallait feuilleter les journaux du jour et allumer la télévision, chaque matin,
pour regarder les infos nationales, histoire de voir ce que « le pays » pense et
prépare… Mais il y a des limites à la patience (et au masochisme). Le discours
de Colin Powell à l’Onu, écrit à l’évidence pour outrager le peuple américain et
entraîner l’Onu dans la guerre, me semble avoir atteint de nouveaux abîmes
d’hypocrisie morale et de manipulation politique. Mais les sermons de Donald
Rumsfeld à Munich, le week-end dernier, sont allés nettement plus loin encore
que notre Powell bourru en matière d’onctuosité hypocrite et de dérision
vacharde. Pour l’instant, je laisserai de côté George Bush et sa coterie de
conseillers, de mentors spirituels et de managers politiques, tels Pat
Robertson, Franklin Graham et Karl Rove : ces esclaves du pouvoir me semblent
être parfaitement incarnés par le bégaiement monotone de leur porte-parole
collectif Ari Fleischer (qui possède, me semble-t-il, également la nationalité
israélienne…). Bush est (il nous l’a dit) en relation directe avec Dieu. Ou, si
ce n’est avec Dieu, tout au moins avec la Providence… (Peut-être seuls les
colons israéliens sont-ils habilités à téléphoner directement au Bon Dieu ?)
Mais les secrétaires d’Etat et à la Défense semblent bien provenir du monde
séculier des hommes et des femmes réels, si bien qu’il semble plus opportun de
s’arrêter un instant à leurs propos et leurs actes…
Mais, d’abord, quelques préliminaires. Les Etats-Unis sont décidés à faire
la guerre, c’est très clair : on semble ne pas avoir le choix. Mais savoir si la
guerre va bien avoir lieu, ou non, c’est encore une autre affaire (si l’on tient
compte de l’intense activité diplomatique manifestée non pas par les pays arabes
– fidèles à leur habitude, ils semblent à la fois être paralysés et tenter des
manœuvres dilatoires – mais par la France, la Russie et l’Allemagne). Néanmoins,
lorsqu’on a transporté plus de 200 000 soldats au Koweït, en Arabie saoudite et
au Qatar (pour ne pas parler des déploiements plus modestes en Jordanie, en
Turquie et en Israël), cela ne peut avoir qu’une seule signification. (En
général, on ne déploie pas ce genre d’armada pour aller aux fraises, ndt).
Ensuite, les planificateurs de cette guerre, comme l’a dit Ralph Nader avec
beaucoup de force, sont des poussins de faucons, c’est-à-dire des fauconneaux
trop peureux pour livrer le moindre combat eux-mêmes. Wolfowitz, Perle, Bush,
Cheney et autres représentants de ce groupe exclusivement composé de civils
étaient on ne peut plus favorables à la guerre américaine au Vietnam. Néanmoins,
chacun d’entre eux avait obtenu une exemption du service militaire par pur
favoritisme. Par conséquent, aucun d’entre eux n’a combattu ni même accompli son
service militaire. Moralement, leur bellicisme n’en est que plus répugnant et,
au sens littéral du terme, antidémocratique à l’extrême. Ce que cette camarilla
non représentative recherche dans une guerre contre l’Irak n’a absolument rien à
voir avec de véritables considérations militaires. L’Irak, quelques soient les
caractéristiques repoussantes de son déplorable régime politique, ne représente
tout simplement aucune menace imminente ni crédible pour ses voisins, tels la
Turquie ou Israël, ni même pour la Jordanie (chacun de ces pays pourrait
d’ailleurs faire face à cette hypothétique menace sans difficulté) – et encore
moins, a fortiori, pour les Etats-Unis. Toute prétention du contraire ne saurait
être autre chose qu’assertion abusive et entièrement oiseuse. Avec quelques
Scuds démodés et une petite quantité d’armes chimiques et biologiques – pour la
plupart fournies par les Etats-Unis par un passé récent (comme l’a si bien dit
Nader : nous le savons – nous avons les factures…), l’Irak est contrôlable –
comme il l’a d’ailleurs été, sans problème, par le passé – bien qu’à un prix
inimaginable payé par le peuple irakien. En raison même de cette réalité
terrible, je pense qu’il est tout à fait véridique de dire qu’il y a eu une
véritable collusion entre le régime irakien et les Etats occidentaux chargés de
lui imposer les sanctions.
De plus, dès lors que les grandes puissances commencent à songer à changer
un régime – processus d’ores et déjà enclenché dans ‘ce pays’ par les Perles et
autres Wolfowitzs – on n’en voit tout simplement pas la fin. N’est-il pas
scandaleux de voir des gens d’un calibre politique aussi calamiteux continuer,
comme si de rien n’était, à proclamer qu’ils vont apporter la démocratie, la
modernisation et la libéralisation au Moyen-Orient ? Dieu sait que cette région
en a rudement besoin, comme tellement d’intellectuels, ainsi que de citoyens
ordinaires arabes et musulmans, ne cessent de le répéter depuis des années !
Mais qui a nommé ces gens-là au poste de moniteurs de progrès, pouvez-vous me le
dire ? Qu’est-ce qui les autorise ainsi à pontifier d’une manière aussi éhontée,
alors qu’il y a déjà tellement d’injustices et d’abus, dans leur propre pays,
auxquels il n’est pas remédié ? Il est particulièrement humiliant de voir qu’un
Perle, une personne aussi peu habilitée qualifiée qu’il soit à traiter d’un
quelconque sujet touchant de près ou de loin à la démocratie et à la justice,
ait pu être le conseiller électoral du gouvernement d’extrême droite de
Netanyahu entre 1996 et 1999, période durant laquelle il recommanda au renégat
israélien de saboter la moindre tentative de paix, d’annexer la Cisjordanie et
Gaza, et de faire en sorte de se débarrasser du plus grand nombre possible de
Palestiniens… Cet homme, aujourd’hui, parle d’apporter la démocratie au
Moyen-Orient et, cela, sans soulever la moindre objection chez l’un quelconque
des magnats des médias, qui l’interrogent poliment (je devrais écrire : de
manière abjecte), comme si de rien n’était, sur les chaînes nationales de
télévision ?
Enfin, le discours de Colin Powell, en dépit de ses nombreuses faiblesses,
de ses preuves plagiées et controuvées, de ses bandes magnétiques contrefaites
et de ses images retouchées, était au moins correct, sur un point. Le régime de
Saddam Hussein a violé les droits humains d’innombrables victimes et nombre de
résolutions de l’Onu. On ne saurait en disconvenir et on ne saurait trouver une
quelconque excuse à son régime. Mais l’hypocrisie la plus monumentale, dans la
position officielle des Etats-Unis, c’est le fait que littéralement toutes les
turpitudes attribuées par Powell aux Baathistes ont été monnaie courante, de la
part de tous les gouvernements israéliens qui se sont succédé depuis 1948, et
jamais de manière aussi flagrante que depuis l’occupation des territoires, en
1967. Torture, détentions illégales, assassinats, assauts contre des civils au
moyen de missiles, hélicoptères et supersoniques de combat, annexion de
territoires, déportation de civils d’un lieu à un autre afin de les emprisonner,
assassinats massifs (comme à Qana, à Jénine, à Sabra et Shatila, pour ne
mentionner que les plus tristement connus), déni du droit de circuler et de se
déplacer, obstacles à l’éducation, aux secours médicaux, utilisation de civils
comme boucliers humains, humiliations, punition de familles entières, démolition
de maisons à grande échelle, destruction de terres agricoles, confiscation de
puits, construction de colonies illégales, paupérisation, attaques contre des
hôpitaux, des travailleurs médicaux et des ambulances, assassinats de personnels
de l’Onu – pour ne mentionner que les violations les plus graves : tout cela, il
faut y insister, a été fait par Israël avec le soutien inconditionnel des
Etats-Unis, qui ont fourni à Israël continûment non seulement les armes lui
permettant de perpétrer ces exactions, mais aussi toutes les formes possibles
d’aide en matière d’expertise militaire et de renseignement, auxquelles il faut
encore ajouter près de 135 milliards de dollars d’aide économique, qui en
pourcentage font ressembler à une aumône les dépenses que le gouvernement
américain consacre à chacun de ses propres citoyens.
Il s’agit là d’un casier judiciaire incroyablement chargé à opposer aux
Etats-Unis, et en particulier à M. Powell, l’homme qui les symbolise. Etant en
charge de la politique étrangère des Etats-Unis, il est de sa responsabilité
personnelle de faire observer les lois de ce pays et de s’assurer que le respect
des droits de l’homme et la promotion de la liberté – objectif proclamé de la
politique étrangère américaine depuis, au moins, 1976 – sont appliqués de
manière universelle, sans exceptions et sans restrictions. Comment lui-même, ses
directeurs et ses collaborateurs peuvent-ils s’adresser au monde et prononcer
des sermons moralisateurs contre l’Irak, tout en ignorant totalement, au même
moment, le partenariat américain, qui se poursuit toujours, avec Israël en
matière de violation des droits de l’homme : voilà qui met toute crédibilité au
défi. Néanmoins, personne, parmi toutes les critiques – justifiées – sur les
positions américains, apparues depuis le grand discours de Powell aux Nations
unies, n’a insisté sur ce point – pas même les Français, pourtant plus honnêtes
que jamais, ni les Allemands…
Aujourd’hui, les territoires palestiniens
connaissent les prémisses d’une famine généralisée ; la crise sanitaire est en
train d’y prendre des proportions catastrophiques ; le nombre des tués s’élève
au minimum à douze, voire vingt personnes par semaine ; l’économie s’est
effondrée ; des centaines de milliers de civils innocents ne peuvent travailler,
étudier ni même se déplacer, les couvre-feu et au minimum trois cents barrages
militaires rendant leur vie quotidienne impossible ; tandis que des maisons sont
détruites à l’explosif ou passées au bulldozer de manière massive (soixante,
pour la seule journée d’hier). Et tout cela, avec de l’équipement américain,
avec le soutien politique américain, avec les financements américains. Bush
déclare que Sharon, qui est pourtant un criminel incontesté, est un « homme de
paix » : on dirait qu’il tient absolument à cracher sur la mémoire des vies des
Palestiniens innocents perdues et ravagées par Sharon et son armée criminelle.
Et il a encore le culot de prétendre qu’il agit au nom de Dieu et qu’il agit
(secondé par son administration) au service d’un Dieu « juste et loyal ».
De plus – c’est encore plus abracadabrant – il fait la leçon au monde entier sur
le non-respect par Saddam des résolutions de l’ONU, tout en continuant à
apporter son soutien à un pays – Israël – qui a violé quotidiennement, depuis
plus d’un demi-siècle, au minimum 64 desdites résolutions,.
Mais les régimes arabes sont aujourd’hui si lâches et ineptes qu’ils
n’osent formuler ces réalités publiquement. La plupart d’entre eux ont besoin de
l’aide économique américaine. La plupart redoutent les réactions de leur propre
peuple et ont besoin du soutien des Etats-Unis pour maintenir leur pouvoir. La
plupart d’entre eux pourraient être accusés de certains de ces mêmes crimes
contre l’humanité. Aussi se taisent-ils, et se contentent-ils d’espérer que la
guerre passera, en les conservant au pouvoir, tels qu’en eux mêmes, à la fin du
conflit, et de prier pour cela.
Mais cela n’occulte pas une réalité noble et grandiose : pour la première
fois depuis la Seconde guerre mondiale, des protestations massives contre la
guerre se manifestent avant – et non plus durant – la guerre elle-même. C’est
sans précédent et cela restera sans doute le fait politique central de la
nouvelle ère mondialisée où notre monde a été catapulté par les Etats-Unis et
leur statut d’hyper puissance. Ce que cela démontre, c’est qu’en dépit du
pouvoir effrayant détenu par des autocrates et des tyrans tels Saddam et ses
adversaires américains, en dépit de la complicité de mass média qui ont accéléré
la marche à la guerre (volontairement ou involontairement), en dépit de
l’indifférence et de l’ignorance d’une nombre énorme de personnes, l’action et
la protestation de masse, sur la base d’un avenir humain commun et d’un
développement humainement durable, car soutenable, ces grandes manifestations,
disé-je, demeurent les outils formidables de la résistance des Hommes.
Appelez-les « armes du pauvre », si vous voulez. Mais le fait que ces
manifestations/armes du pauvre aient pu tout au moins gêner les plans des
fauconneaux de Washington et de leurs partisans des grandes firmes, ainsi que de
millions d’extrémistes religieux monothéistes (chrétiens, juifs et musulmans),
qui croient très fort aux guerres de religion, voilà qui représente un grand
phare d’espoir pour notre temps. Où que j’aille faire des conférence ou dénoncer
ces injustices, je ne trouve personne qui soit favorable à cette guerre. En tant
qu’Arabes, notre tache consiste à lier notre opposition à une intervention
américaine contre l’Irak à notre soutien aux droits de l’homme en Irak, en
Palestine, en Israël, au Kurdistan et partout ailleurs dans le monde arabe – et
aussi à demander à d’autres de faire admettre ce lien par tout le monde : les
Arabes, les Américains, les Africains, les Européens, les Australiens et les
Asiatiques. Il s’agit bien là, en effet, d’un problème mondial, d’un problème
humain, et non pas d’une simple question stratégique à l’usage des seuls
Etats-Unis et autres grandes puissances.
En aucune façon nous ne saurions nous rendre complices, par notre silence,
d’une politique de guerre dont la Maison Blanche a d’ores et déjà annoncé
qu’elle comporterait le lancement de trois à cinq cents missiles de croisière
quotidiennement (et huit cents durant les premières quarante-huit heures de la
guerre), qui tomberaient sur la population civile de Bagdad afin de produire «
Choc et Terreur », voire même un cataclysme humain susceptible de causer dans le
population irakienne, comme l’a dit son planificateur lyrique, un certain M. (ou
bien est-ce le Dr ?) Harlan Ullman - un effet comparable à Hiroshima. Il
convient de noter qu’au cours de la guerre du Golfe de 1991, même après quarante
et un jours de bombardements, une dévastation humaine de cette ampleur n’avait
pas encore été constatée (ni même approchée) en Irak. Les Etats-Unis disposent
de 6 000 missiles « intelligents » prêts à l’emploi. Quelle sorte de Dieu
pourrait-il bien vouloir qu’il s’agît là d’une politique arrêtée et formulée à
l’usage de Son peuple ? Et quelle sorte de Dieu irait-il il proclamer qu’il ne
viserait qu’à apporter la démocratie et la liberté, non seulement au peuple
d’Irak, mais aussi à ceux de l’ensemble du Moyen-Orient, en faisant de tels
préparatifs ?
Je ne tenterai même pas de répondre à ces questions. Mais je sais, avec
certitude, que si par malheur quoi que ce soit d’approchant était en passe
d’être imposé à une quelconque population sur terre, cela sera un acte criminel,
et ses planificateurs et exécutants seraient des criminels de guerre en vertu
des Lois du Tribunal de Nuremberg, dans la formulation desquelles les Etats-Unis
ont assumé un rôle crucial. Ce n’est pas un hasard si le général Sharon et le
général Shaul Mofaz attendent cette guerre avec fébrilité, et tuent le temps en
chantant les louanges de George Bush. Qui sait combien de mal supplémentaire va
être encore fait, au nom du Bien ? Tous, nous devons élever la voix et marcher
afin de protester, maintenant et encore et encore. Nous avons besoin de pensée
créatrice et d’action audacieuse afin de conjurer les cauchemars planifiés par
une petite équipe professionnalisée et docile qui œuvre dans des endroits tels
Washington, Tel Aviv et Bagdad. Car, si ce qu’ils ont en tête est bien ce qu’ils
appellent « la sécurité généralisée », alors les mots n’ont, pour le coup, plus
aucun sens du tout. Que Bush et Sharon n’aient que mépris pour les peuples
non-blancs, sur cette planète, tombe sous le sens. La question qui se pose est,
par conséquent, la suivante : combien de temps encore pourront-ils continuer à
le faire impunément ?
12. Le quotidien populiste
londonien The Sun dans son édition du mercredi 12 février
2003 propose quelques plaisanteries anti-françaises... sans
commentaire
[traduit
de l'anglais par Marcel Charbonnier]
« Combien de
vitesses possède un char français ? - Six. Cinq pour la marche arrière et une
pour la marche avant, en cas d’attaque par derrière. »
« Comment appelle-t-on
un groupe de 100.000 Français levant les mains en l’air ? - L’armée française.
»
« Pourquoi les Français enverraient-ils des troupes dans le Golfe ? - Pour
apprendre aux Irakiens à se rendre. »
« Pourquoi les navires de guerre
français ont des fonds en verre? - Pour mieux voir ceux qui sont déjà au fond.
»
« Comment arrêter un char français ? - En abattant celui qui pousse. »
«
Comment les surplus de l’armée vendent-ils leur marchandise en France? - Avec
l’écriteau ‘Porté une fois, jamais servi’. »
« Une Française entre dans un
bar avec un perroquet. Le serveur lui demande : Quelle bête immonde, où
l’avez-vous trouvé ? - En France ! Ils en ont des millions, répond le perroquet.
»
« Pourquoi les Français ont-ils des moustaches ? - Pour ressembler à leur
mère. »
« Un Français s’est fait bannir de l’Ordre des médecins pour avoir eu
des relations sexuelles avec ses patients. - Quel dommage ! C’était le meilleur
vétérinaire de la ville ! »
« Qu’est-ce qu’un Français avec un mouton et une
chèvre dans les bras ? - Un bi-sexuel ! »
13. France & Belgique :
leur veto (à l’Otan) ne vise en rien la Turquie
in Hürriyet
(quotidien turc) du mardi 11 février 2003
[traduit du turc par Marcel
Charbonnier]
La France s’est déclarée « déterminée à
assurer la sécurité de la Turquie. » La Belgique, pour sa part, a déclaré que si
elle avait recouru, elle aussi, à son droit de veto (à l’Otan, ndt), ce n’était
en rien parce qu’elle était opposée à la défense de la sécurité de la Turquie.
Un nouveau projet de résolution a été soumis au vote du conseil de l’Otan, mais
les représentants des pays disposant du droit de veto, dans l’attente des
consignes de leurs gouvernements respectifs, ont demandé l’ajournement de ce
vote.
L’ambassadeur plénipotentiaire Benoît d’Aboville, représentant de la
France à l’Otan, a indiqué que le veto aux exigences américaines opposé par la
France, la Belgique et l’Allemagne, avait pour but de « gagner un peu plus de
temps pour la diplomatie ».
M. D’Aboville, tenant à faire savoir une
nouvelle fois, avec beaucoup de gravité, que la crise survenue lors de la
réunion de l’Otan, hier à Bruxelles, « a trait aux principes mêmes de la défense
commune qui est la raison d’être de cette organisation », a ajouté : « nous
sommes déterminés à garantir la sécurité de la Turquie. Qu’il ne soit permis à
personne d’en douter. »
A la question de savoir si cette crise au sein de
l’Otan allait perdurer ou si elle pourrait être rapidement surmontée, le
représentant français d’Aboville a répondu : « Oui. Bien entendu. Cette crise
sera dépassée. »
La Belgique : notre veto ne vise en rien la Turquie
Le vice-premier ministre et ministre des Affaires étrangères belge, Louis
Michel, a déclaré que le veto de son pays à la réunion de l’Otan ne visait en
rien la Turquie. Il a affirmé que la demande formulée par la Turquie auprès de
l’Otan (que cette organisation garantisse sa sécurité, comme cela est prévu pour
tout pays membre se jugeant menacé, ndt) était parfaitement légale et
légitime.
M. Michel, dans un entretien exclusif publié par le quotidien belge
Le Soir, a déclaré : « Ce que l’on réclamait de nous, ce n’était pas simplement
le renforcement de la sécurité de la Turquie : on exigeait de nous que nous
allions remplacer les unités armées américaines stationnées dans les Balkans et
en Allemagne et que le gouvernement des Etats-Unis entendait retirer ! Cela
aurait signifié que nous allions envoyer des troupes dans ces pays. Cela, nous
ne le voulons pas. » M. Michel poursuivait :
« Nous, voyez-vous, nous mettons
la logique de paix au premier plan. Si nous avions cédé aux exigences
américaines, sans même attendre le deuxième rapport des inspecteurs en
désarmement de l’Onu sur leur mission d’inspection en Irak (ce rapport doit être
présenté le 14.02 à l’Assemblée générale de l’Onu à New York, ndt), nous aurions
mis le doigt dans l’engrenage de la logique de guerre. »
M. Michel,
indiquant que le rapport attendu des inspecteurs en désarmement est susceptible
de représenter une nouvelle chance pour la paix, a tenu à préciser que la
Belgique « demeure un allié fiable des Etats-Unis ».
M. Michel a indiqué que
les divisions et les dissensions intervenues entre les pays européens « a fait
des Etats-Unis les garants de la sécurité mondiale ». A ce sujet, il a précisé
son analyse :
« Les Américains, depuis toujours, sont habitués à ce qu’on
leur emboîte le pas. De cette manière, on n’obtient pas une coordination utile.
La coordination ne peut prendre d’autre forme que celle d’un dialogue réciproque
et équilibré.
Ainsi, par exemple, il faut que je puisse expliquer aux
Américains que le système politique de la Belgique est différent du leur. Chez
nous, en Belgique, nous avons un gouvernement de coalition et un Parlement.
J’ajoute qu’en présentant le mémoire de maîtrise d’un étudiant comme un rapport
irréfutable de leurs services de renseignement, les Etats-Unis ne nous
facilitent nullement le travail ! En ce qui me concerne, moi, Louis Michel, je
suis obligé d’être à l’écoute de ma conscience et de la société belge. »
M.
Michel, indiquant que « la balle est dans le camp irakien » et qu’ « il faut
donner du temps aux inspecteurs en désarmement », a ensuite précisé : « nous
sommes en train de parler d’un conflit dont les conséquences tant pour l’Irak,
pour son voisin la Turquie, pour les soldats qui vont y participer, pour le
Moyen-Orient que pour la Belgique, sont totalement inconnus. Nous savons que
Saddam Hussein est un dictateur dangereux. Mais la résolution 1414 du Conseil de
Sécurité n’évoque pas un changement de régime politique (en Irak) : elle se
contente d’exiger le désarmement de ce pays. »
Il a conclu en précisant qu’au
cas où le rapport des inspecteurs de l’Onu s’avérerait négatif, la Belgique
soutiendrait l’action des Etats-Unis.
L’Allemagne : nous sommes engagés par la Résolution
1414
Joschka Fischer, ministre des Affaires étrangères allemand, a indiqué
que l’Allemagne a pour but d’obtenir une mise en application (par l’Irak) de la
Résolution 1414 par des moyens pacifiques.
Dans une interview au journal Neur Ruhr/Rhein Zeitung, il a déclaré : « A
notre connaissance, de nombreux pays ont beaucoup d’hésitations à entrer en
action contre l’Irak. Je ne pense pas que nous ayons exploré toutes les
possibilités de règlement pacifique et je ne saurais admettre que l’on fasse de
la guerre une obligation ».
Parlant de l’envoi par l’Allemagne de troupes au
Kosovo, en Macédoine et en Afghanistan, M. Fischer a rappelé que ces
participations allemandes avaient mis en danger, à trois reprises, la coalition
gouvernementale allemande. Il a ajouté que pour que l’Allemagne prenne à nouveau
ce risque, il faudrait que l’on soit assuré qu’il n’y a pas d’autre choix que
l’intervention armée, dans le cas de l’Irak.
M. Fischer a rappelé que le
vendredi 14 février, les inspecteurs en désarmement de l’Onu présenteront un
nouveau rapport sur leur travail en Irak, à la suite de quoi il sera possible de
réfléchir à la façon d’améliorer l’efficacité de ces inspections.
« Berlin et Ankara sont solidaires »
Par ailleurs, des sources proches du gouvernement allemand ont indiqué que
Berlin et Ankara sont solidaires.
Ces sources affirment que bien que la
France, l’Allemagne et la Belgique aient opposé leur veto à l’Otan à un projet
de résolution relative à la sécurité de la Turquie, l’Allemagne, notamment, est
solidaire de la Turquie. Elles ont rappelé la position allemande, affirmant
qu’en acceptant de soutenir la Turquie dans les conditions actuelles,
l’Allemagne aurait pu donner l’impression – fausse – qu’elle soutiendrait les
Etats-Unis (dans leur projet de guerre contre l’Irak)»
Le journal Alman Bild
informe pour sa part aujourd’hui que l’ambassadeur d’Allemagne à Ankara, Rudolf
Schmidt, a fait savoir au ministère turc des Affaires étrangères que Berlin
donnerait son accord à la résolution de l’Otan au cas où la guerre contre l’Irak
serait déclenchée.
A l’issue d’un entretien de quarante-cinq minutes avec Ali
Tuygan, conseiller du ministre turc des Affaires étrangères, M. Schmidt auquel
on avait demandé quelle serait précisément la position de l’Allemagne au conseil
de l’Otan, a répondu : « la conférence n’étant pas encore terminée, je ne peux
faire aucune déclaration à ce sujet ». A la question : « L’Otan a-t-il explosé ?
», M. Schmidt a répondu : « Non. Notre accord peut prendre des formes
différentes, voilà tout. »
La réunion du Conseil n’a duré qu’un quart d’heure
La réunion du Conseil de l’Otan, consacrée à l’examen d’un nouveau projet
de résolution sur la demande d’assistance de la Turquie, a été ajournée à deux
reprises de deux heures. Mais les représentants de la Belgique, de la France et
de l’Allemagne, utilisant leur droit de veto, ont indiqué qu’ils attendaient les
consignes de leurs capitales respectives. Les négociations reprendront demain.
C’est la raison pour laquelle la réunion (ajournée de quatre heures) n’a pas
duré plus qu’un quart
d’heure…
14. Comment les Français osent oublier par
Steve Dunleavy
in The New York Post (quotidien américain) du lundi 10
février 2003
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Envoyé spécial dans le cimetière
militaire américain d’Omaha Beach à Colleville-sur-mer en Normandie
- EXTRAITS : « Il ne font que
trois pieds de haut mais ils surplombent des montagnes de sacrifices. Je
me tiens dans le cimetière américain. Des nuages gris sont suspendus bas dans le
ciel, comme en deuil pour ces près de 10.000 jeunes américains enterrés derrière
ces croix et étoiles de David qui s’étendent aussi loin que l’œil peu
voir. L’air est frais mais je sens monter une rage non naturelle: je
voudrais botter toutes les fesses de France. Ces garçons sont morts pour sauver
les Français d’un tyran nommé Hitler. Et maintenant, d’autres garçons américains
sont prêts à combattre et mourir pour sauver le monde d’un tyran aussi vil,
Saddam Hussein, et où sont les Français ? Ils se cachent, pètent de trouille.
Proclament: Vivent les mauviettes ! »(…) « Un sondage affirme que les Français
sont à 91% contre les projets du président Bush ». « Mais là encore, les
Français ont l’habitude d’être contre tout, y compris cette curieuse habitude
américaine de se doucher chaque jour. »
15. Ramon était mis sur
orbite et, pendant ce temps… par Gideon Levy
in Ha’Aretz (quotidien
israélien) du dimanche 19 janvier 2003
[traduit
de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Légende d’une photo d’Ariel
Schalit accompagnant cet article : « Des étudiants et des enseignants de
l’Université de Tel-Aviv observent le lancement (de la navette Endeavour, ndt),
mercredi dernier. Au cours du véritable festival national qui a accompagné le
lancement, les médias n’ont fait aucune mention, comme de bien entendu, des
tribulations de ceux qui ne demandent qu’une chose : pouvoir bouger un peu, ici,
maintenant, sur le plancher des vaches »
Au moment même où le premier astronaute israélien s’élançait vers l’espace,
des dizaines de milliers de Palestiniens, dont des malades, des enfants et des
personnes âgées, essayaient tant bien que mal de sortir de leurs villages, pour
se rendre à la ville voisine. Au moment même où le satellite habité par Ramon
entrait sur son orbite circumterrestre, ils piétinaient dans la boue, sous la
pluie, et attendaient d’avoir l’autorisation de franchir les barrages de terre
qui condamnent leurs villages, afin de tenter de se rendre qui chez le médecin,
qui à son travail, qui dans un commerce…
Bien difficile de savoir ce qui leur
traversa l’esprit lorsqu’ils entendirent la nouvelle du fantastique succès
aéronautique israélien. Peut-être certains, parmi eux, se sont-ils souvenus de
l’amère consolation de Saïd al-Nahas al-Misthaal (Félix la Déveine), ce héros du
roman L’Opsimiste, d’Emile Habibi , qui se dit : « Et voilà, désormais la lune
est plus proche, pour nous, que ce figuier aux fruits tardifs, dans notre
village volé » ?
Les médias israéliens étant totalement occupés à faire
monter la mayonnaise du carnaval qui a accompagné le lancement, avec leurs
titres lyriques, dans le style : « Envole-toi, ô Ramon, fonce droit dans les
cieux » ; « Un grand pas pour Israël… » et autre « Nous touchons le ciel », ils
n’ont bien entendu fait aucune mention, comme d’habitude, des tribulations de
ceux qui aimeraient tout simplement pouvoir bouger un peu, ici, sur notre bonne
vieille Terre…
Le festival bruyant qui a accompagné le lancement du colonel
Ilan Ramon dans l’espace n’a fait que démontrer la profondeur de l’abîme qui
sépare, en permanence, de faux enchantements de la cruelle réalité dont la
plupart des Israéliens préfèrent détourner leur regard. Plus que jamais par le
passé, l’ignorance, par les Israéliens, des souffrances des Palestiniens est en
passe d’atteindre des dimensions difficilement concevables. Ici, ce n’est que
lorsque des Palestiniens viennent semer chez nous la mort qu’on se souvient
qu’ils existent.
Les seuls Palestiniens dont on parle encore, ce sont
les kamikazes ; les seuls enfants que l’on mentionne encore, ce sont les «
enfants terroristes », et non pas les enfants frappés par la pauvreté, ni les
orphelins, ni les enfants dont les maisons ont été démolies sous leurs yeux, ni
non plus ceux dont les pères ont été emmenés, humiliés, au plus noir de la nuit,
vers un emprisonnement sans procès et qui ne sont pas rentrés, parfois, avant
des mois, voire des années.
Dans la plupart des journaux, sur la plupart des
médias électronique, on ne mentionne plus du tout les couvre-feu, les bouclages,
la pauvreté, les souffrances. La campagne électorale n’en a cure. A une heure,
au maximum, en voiture, de tout cela, la plupart des Israéliens continuent à
mener leur vie quotidienne habituelle, qui a néanmoins cruellement pâti des
événements depuis deux ans. Même ceux des Israéliens qui sont dans la peine – et
ils sont de plus en plus nombreux – se concentrent sur leurs difficultés et leur
douleur personnelles. A Tel-Aviv, les restaurants et les cafés sont bondés,
tandis que Jénine meurt. Les programmes de la télévision regorgent d’émissions
de distraction.
Par conséquent, force nous est de nous répéter : comme dans
une sinistre routine, 26 Palestiniens ont été tués, seulement au cours des deux
semaines écoulées. Sept, seulement, parmi eux, étaient armés (information
provenant d’associations palestiniennes de défense des droits de l’homme). Dix
étaient des jeunes, voire des enfants. Les démolitions de maisons ont atteint un
rythme alarmant. Aujourd’hui, les autorités rasent même les maisons de
terroristes qui ont agi il y a un an, voire deux, laissant de plus en plus de
familles sans toit pour les protéger. Pratiquement pas un jour ne se passe sans
que des civils innocents ne se fassent tuer, pas une nuit ne se passe sans
démolitions, sans destructions. Ce sont près de 2 000 Palestiniens qui ont été
arrêtés depuis seulement le mois de septembre 2002, et le nombre de détentions
administratives, pour la même période, dépasse le nombre de 1 000.
Lors d’une
visite de membres de l’association des Médecins pour les droits de l’homme à
Kafr al-Lubed, la semaine dernière, les médecins israéliens furent confrontés au
spectacle choquant des conséquences des manques de soins causés par le
couvre-feu et le désastre économique. Des cas sérieux ne sont pas traités, ou
diagnostiqués, en raison des difficultés de déplacement et du manque d’argent ;
de plus, beaucoup d’enfants développent par ailleurs des syndromes de
malnutrition. Rien de tout cela n’est marqué au fer rouge dans la conscience du
public israélien, parce que pratiquement personne n’en parle et que personne
n’est intéressé.
A la veille du Tu Bishvat, la fête juive des arbres,
célébrée hier, le ministère palestinien de l’Agriculture a publié les données
concernant les arbres déracinés et les terres rendues inutilisables par les
Forces israéliennes « de défense » (« Tsahal »), durant la seconde Intifada :
plus de trois quarts de million d’arbres ont été déracinés et plus de 53 000
dunoms de cultures ont été détruits (soit : 5 300 hectares, ndt). Même si ces
chiffres sont exagérés, un brève randonnée dans les territoires occupés suffit à
révéler l’étendue des destructions.
Tandis que des enfants israéliens
plantaient de jeunes arbres pour cette fête, leurs grands frères étaient en
train de déraciner des arbres, de plus en plus nombreux, pour la plupart des
oliviers et des agrumes qui représentaient la dernière source de revenus restant
à leurs propriétaires. Ces soldats, qui ont déraciné ces arbres, se
souviennent-ils de leurs plantations de Tu Bishvat ? [Note sur Tu Bishvat :
cette fête, qui marque l’arrivée du mois de Shvat (février), est célébrée
traditionnellement par la plantation d’un arbre et la dégustation de différents
fruits de différentes essences. Récupérée par le mouvement sioniste, elle se
traduit chaque année par la plantation d’arbres financés par le Fond National
Juif (Keren Kayemet le-Yisraël). Ainsi, hier, plusieurs centaines de Français de
confession juive, en visite de « solidarité avec Israël » - genre d’opérations
qui, aux dires des responsables du tourisme israélien, ne comblent en rien le
marasme de ce secteur important de l’économie israélienne – ont ajouté plusieurs
arbres à la « Forêt de Jérusalem »…, se donnant sans doute l’illusion de
construire quelque chose. La paix ? Ndt]
Rien n’indique qu’un quelconque
changement se profile à un horizon proche. Bien au contraire. En l’absence de
toute attention critique de l’opinion publique et, dans la perspective du
résultat couru d’avance des élections israéliennes, il semble bien qu’Israël
sera appelé à recourir à des mesures de répression de plus en plus dures. Les
Palestiniens feront monter d’un degré l’escalade de leurs attentats terroristes,
Israël fera monter d’un degré sa brutalité et l’astronaute bleu et blanc n’est
pas encore né qui pourrait détourner très longtemps les regards des résultats
sanglants de cette escalade.
16. Paris VI : Oui à la coopération
intellectuelle [Communiqué du Parti Socialiste français]
in L’Hebdo
des socialistes du samedi 11 janvier 2003, n° 258
Le Bureau national
du Parti socialiste condamne avec la plus grande fermeté la motion adoptée par
le conseil d’administration de l’université Paris VI demandant à l’Union
européenne de ne pas renouveler son accord cadre de coopération universitaire
avec Israël. Les universités sont des lieux de liberté d’expression et de
dialogue [et le Parlement européen devrait être un
lieu d’expression démocratique, Ndlr]. Car sans liberté d’expression, sans libre débat, il ne
peut pas y avoir de travail universitaire ni de recherche scientifique. Dans le
contexte douloureux que nous connaissons au Proche-Orient, vouloir mettre à
l’index, vouloir isoler les universités israéliennes serait une lourde faute. Ce
serait sans nul doute renforcer les obscurantismes et les extrémismes. Ce serait
une autre lourde faute que d’importer en France le conflit entre Israël et la
Palestine. [Il vaut sans doute bien mieux que la
France l’exporte, avec d’autres, en Irak ? Ndlr] La coopération
intellectuelle et scientifique peut favoriser la paix aujourd’hui, comme elle
l’a permis hier. C’est pourquoi nous appelons au développement de la coopération
avec l’ensemble des institutions universitaires israéliennes et palestiniennes.
Le Parti socialiste appelle l’ensemble de ses élus et de ses adhérents à la
vigilance. Il appelle tous ceux qui siègent dans un conseil d’université à
refuser que le vote d’une motion du type de celle votée à Paris VI se
renouvelle. [Le PS a été très écouté à Grenoble,
notamment, en attendant que les autres universités se prononcent, en toute
indépendance et responsabilité. Ndlr]
17.
Les Américains commencent à ressentir la morsure du boycott
arabe par Michael Theodoulou et Daniel McGrory
in The Times
(quotidien britannique) du vendredi 11 octobre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Quand l’école est finie, Najeeb Atallah,
dix ans, et quelques copains, foncent au McDo du coin, à Amman, pour faire
barrage à leurs camarades de classe.
Deux succursales de la chaîne américaine
de fast-food ont fermé, dans la région, par crainte de représailles locales, et
certains employés ont perdu leur boulot. Ce qui n’était, au début, il y a deux
ans, qu’une protestation à bas bruit contre le soutien des Etats-Unis à Israël a
fait boule de neige, au point d’avoir pris aujourd’hui la dimension d’une vaste
campagne contre les articles des marques américaines les plus connues. Les
menaces de conflit en Irak ont donné un nouvel élan à la campagne de boycott
économique. Des distributeurs de restauration rapide, des compagnies de boissons
gazeuses et de cosmétiques, voire même Disneyland sont en train d’en ressentir
le contrecoup.
Des hommes de religion musulmans appellent au boycott durant
les prières du vendredi, des dirigeants politiques et religieux se sont
prononcés en faveur de la protestation anti-américaine à la télévision
saoudienne. Des tracts sont distribués, avec la liste des produits à boycotter ;
les messages de protestation adressées aux firmes concernées par courrier
électronique se comptent par milliers.
Les échanges commerciaux entre les
Etats-Unis et les pays arabes accusent une diminution d’au moins 25 % en
comparaison avec l’année dernière. Certains économistes expliquent cette chute
par l’effet du prix du pétrole et les taux de change monétaire, mais le boycott
a un effet certain. Des compagnies leaders sur le marché des boissons non
alcoolisées ont fait état de chutes de leur chiffre d’affaires allant de 25 à 40
%, dans les pays arabes, toujours.
En Arabie Saoudite, les prix des produits
importés des Etats-Unis ont été pratiquement divisés par deux, afin de séduire
le client local. Des protestations avec sit-in ont été organisées devant les
Burger King et les McDonald’s à Beyrouth, tandis que des fast-foods de ces
chaînes étaient vandalisés à Bahrain et dans le sultanat d’Oman. L’usine
Coca-Cola située dans le sud de l’Inde a été détruite par un attentat à la bombe
ainsi qu’une succursale de KFC à Tripoli.
Dans les rues du Caire, ce sont des
tracts appelant à boycotter McDonald’s et Burger King, les poudres à laver Tide
et Ariel [rien à voir avec Arik… ndt], les couches pour bébés Pampers, Coca-Cola
et Pepsi, les cigarettes Marlboro et le ketchup Heinz qui circulent.
Au
Liban, les protestataires visent essentiellement des multinationales comme
Johnson & Johnson, Philip Morris (cigarettes et produits alimentaires),
L’Oréal (cosmétiques – marque française, ndt), Nestlé, Timberland, Estée Lauder
(cosmétiques), Hasbro (jouets) et Sara Lee.
Les supermarchés où
s’approvisionne un marché arabe fort de 250 millions de consommateurs
reconnaissent, dépités, que toutes sortes de produits boycottés, allant des
céréales pour le petit déjeuner jusqu’aux cigarettes américaines, restent
désespérément sur les rayonnages…
18. Des crimes totalement
impunis par Joseph Algazy
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du lundi
7 octobre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Le jour même (lundi dernier, il y a tout juste une semaine, donc) où le
ministre (israélien) de la Justice, Meir Sheetrit, recevait un rapport d’Amnesty
International contenant les statistiques du grand nombre d’enfants –
palestiniens et israéliens – tués au cours de l’Intifada, des enfants étaient
tués par les tirs de l’armée israélienne : Mahmud Zaghlûl (12 ans), dans la
vieille ville de Naplouse et Rami al-Barbari (13 ans) dans le camp de réfugiés
de Balata. Durant le dernier week-end, deux autres enfants palestiniens ont été
tués par les tirs israéliens : Muhammad Zeid (15 ans), du village de Nazlât, et
Amer Rajab (15 ans), de Naplouse…
Le rapport d’Amnesty International a été
publié à la veille de la séance de clôture du congrès du Comité pour les Droits
des Enfants de l’ONU, qui se tenait à Genève, la semaine dernière. Ce Comité
travaille au suivi de l’application de la convention de l’ONU pour la sauvegarde
des Droits de l’Enfant, adoptée en 1989 et ratifiée par Israël. Durant cette
séance, le comité a entendu des éclaircissements des représentants du
gouvernement israélien au sujet d’un rapport sur la condition des enfants en
Israël remis l’an dernier par le gouvernement israélien et dans lequel la
condition des enfants palestiniens dans les territoires occupés était totalement
passée sous silence. Deux autres rapports ont été également présentés au comité
: ils ont été rédigés par la section palestinienne de l’association
Internationale de Défense de l’Enfance (Defence for Children International –
DCI), et par la branche israélienne de cette même organisation.
Pour la
Convention des Nations Unies sur les droits de l’Enfants, « est un enfant tout
être humain dont l’âge n’atteint pas dix-huit ans ». Cette définition est admise
par les organisations de défense des droits de l’homme en Israël, dans les
territoires, et dans l’ensemble du monde. Mais cette définition onusienne n’est
pas reconnue par l’armée israélienne, qui considère comme mineur, dans les
territoires occupé, tout Palestinien qui a moins de seize ans (seulement).
Sous-jacente à ce désaccord, l’idée que des jeunes entre seize et dix-huit ans
peuvent déjà être des combattants…
Une comparaison entre les chiffres
d’enfants tués, dans le rapport d’Amnesty et dans celui de B’Tselem (Centre
d’Information Israélien sur les Droits de l’Homme dans les Territoires Occupés),
montre que durant la période entre le 29 septembre 2000 et la fin septembre
2002, 271 enfants palestiniens ont été tués – soit 16 % des Palestiniens tués
durant cette période – et 73 enfants israéliens – soit 13 % des Israéliens tués,
au total. Parmi ces enfants tués, on déplore la mort de nombreux très jeunes
enfants et bébés. Le nombre des enfants palestiniens tués n’est pas précisément
établi, car toutes les morts d’enfants palestiniens tués à Naplouse et à Jénine
durant l’opération militaire israélienne baptisée « Bouclier de Protection »
n’ont pu être recensées. Au total, ce sont donc 344 morts d’enfants, tant
Palestiniens qu’Israéliens, qui ont été enregistrées durant l’intifada, soit 79
% d’enfants palestiniens et 21 % d’enfants israéliens, par rapport au nombre
total d’enfants victimes.
D’après les données publiées par le DCI en
Palestine, c’est un nombre encore plus important d’enfants palestiniens – 325 –
qui ont été tués durant la période de référence. La différence entre les
chiffres communiqués par Amnesty International et B’Tselem et ceux du DCI
résulte en partie du fait que cette organisation inclut dans ses données des
enfants morts du fait de retards dans leur acheminement à l’hôpital causés par
les barrages militaires. Bien évidemment, en plus du nombre d’enfants tués, des
milliers d’autres enfants ont été blessés ; un certain nombre parmi eux
resteront handicapés à vie. Le Comité de l’ONU pour les Droits des Enfants a
exhorté Israël et les Palestiniens à cesser de tirer sur des enfants dans le but
de les atteindre délibérément, et à s’abstenir d’impliquer des enfants dans le
conflit armé, ainsi qu’à enquêter sur tous les cas où des enfants ont été tués
ou blessés, afin de sanctionner les responsables.
Force mortelle
Le nombre d’enfants palestiniens tués se répartit pratiquement à égalité
entre la Cisjordanie et la bande de Gaza. En Cisjordanie, 141 enfants ont été
tués ; à Gaza, 127 ; trois enfants ont été tués à Jérusalem. Parmi ces enfants
tués, 131 l’ont été durant la première année de l’Intifada, et 140 durant la
deuxième année. En moyenne, ce sont près de 11 enfants qui ont été tué chaque
mois. Les mois les plus meurtriers, dans le cas des enfants, furent les deux
premiers mois de l’Intifada, soit octobre et novembre 2000 (avec respectivement
28 et 38 enfants tués) et le mois de la campagne militaire israélienne du «
Bouclier de Protection » (avril 2002) (au moins 29 enfants tués).
Les balles
de l’armée israélienne ont tué 231 enfants palestiniens. Ceci signifie que 85 %
des enfants tués ont été délibérément visés. Cette accusation apparaît dans tous
les rapports publiés par les organisations de défense des droits de l’homme,
tant en Israël qu’à l’étranger. En substance, les soldats israéliens sont «
heureux de faire des cartons » (angl. « trigger happy »), et l’armée israélienne
« fait un usage de la force mortel et disproportionné » dans la répression des
différentes formes de manifestations de protestation (des Palestiniens).
A
titre d’exemple, le rapport d’Amnesty cite le témoignage de membres de sa
délégation qui ont assisté à une manifestation, à Rafah, le 10 octobre 2000, à
laquelle participaient environ deux cents personnes, des écoliers, pour la
plupart, qui lançaient des pierres. D’après les délégués d’Amnesty, bien que la
vie des soldats israéliens ne fût nullement exposée, ils recoururent à des
mesures mortelles injustifiées, tirant sur les manifestants à balles réelles.
Les tirs ont blessé à la tête Sami Fathi Abu Jazar (12 ans) : il est décédé, le
lendemain, de ses blessures. Six autres enfants furent blessés lors de cette
manifestation.
Quatorze enfants palestiniens (5%) ont été tués, au cours de
l’Intifada, par les attaques aériennes israéliennes contre des quartiers
d’habitation, ou bien parce qu’ils se trouvaient à proximité de lieux où des
militants de l’intifada étaient soumis à des bombardements aériens. L’exemple le
plus choquant fut le bombardement d’un quartier densément peuplé, où vivait un
haut responsable du Hamas, Salah Shehadéh, le 22 juillet de cette année :
l’aviation israélienne a bombardé son immeuble avec une bombe d’une tonne.
Dix-sept personnes ont été tuées : parmi elles, huit enfants.
Parmi les
autres enfants victimes, sept ont été tués par des obus de tank. En novembre
2001, cinq jeunes ont été tués par une mine camouflée, tandis qu’ils se
rendaient à l’école, à Khan Yunis. Un garçon de 12 ans, Fares Housam Fares
Al-Saadi, a été tué dans l’après midi du 21 juin 2002, lorsque les soldats
israéliens ont fait sauter une maison inoccupée, voisine de la maison où habite
sa famille, à Jénine. D’après des témoins, les soldats n’ont donné aucun préavis
ni délai avant de faire exploser la maison. Trois enfants palestiniens ont été
tués par balles, visés délibérément, par des colons juifs dans les territoires
occupés.
D’après B’Tselem, en plus des 271 enfants palestiniens tués au cours
de l’Intifada, neuf autres enfants palestiniens ont été tués par les
Palestiniens. L’un d’entre eux, un garçon de 12 ans, a été tué « durant des
affrontements entre des Palestiniens armés et des civils palestiniens qui
tentaient de les empêcher de tirer sur des positions de l’armée israélienne »,
et huit autres mineurs palestiniens ont été tués par « les forces de sécurité
palestiniennes dans des circonstances entièrement étrangères à toute suspicion
de collaboration avec Israël. »
Il ressort de données (non exhaustives)
fournies par B’Tselem que les retards causés par les barrages routiers, voire
l’interdiction d’emmener des malades ou blessés à l’hôpital, ont causé la mort
d’au moins 13 enfants, parmi lesquels huit bébés. Ainsi, par exemple, Rana
al-Jayussi, du village de Qour, en Cisjordanie, fut prise par les contractions
de l’accouchement le 9 mars de cette année. Toutes les routes aboutissant à ce
village étant condamnées, Mme Jayussi fut contrainte à accoucher chez elle,
assistée par une sage-femme du village. Le bébé est décédé durant
l’accouchement. L’état de santé de Mme Jayussi s’aggravant, son mari a tenté de
l’emmener à l’hôpital le plus proche, dans la ville de Qalqiliyah, mais un
barrage militaire israélien les a retenus. Lorsque finalement une ambulance où
elle avait été transférée, à ce barrage, a pu atteindre l’hôpital, les médecins
ne purent que constater le décès de Mme Jayussi.
Les enfants israéliens
Trente six enfants israéliens ont été tués durant l’Intifada (jusqu’à la
fin septembre 2002). Parmi eux, 49, soit les deux tiers, sont morts, victimes
d’attentats suicides. Juin 2001 (Dolphinarium), mars 2002 (Beit Yisrael) et juin
2002 (10 enfants israéliens tués dans six attentats suicides différents) furent
les mois les plus meurtriers pour les enfants israéliens. Au total, en moyenne,
ce sont trois enfants israéliens qui ont été tués chaque mois. Dans les cas où
des enfants ont été tués, les témoignages des témoins oculaires et des passants
furent particulièrement choquants. Ce fut en particulier le cas pour l’attentat
commis à l’entrée de la discothèque Dolphinarium, à Tel Aviv (le 1er juin 2001)
et celui commis dans la pizzeria Sbarro, au centre de Jérusalem (le 9 août
2001). En dehors des enfants israéliens victimes des attentats suicides, 16
(soit 22 %) ont été tués par balle (après avoir été délibérément visés) et trois
ont été tués par des tirs de pierres.
Parmi les enfants israéliens tués, 13
avaient moins de six ans, à comparer à 16 enfants de moins de six ans du côté
palestinien. Ceci signifie que, parmi les bébés et les enfants d’âge
préscolaire, le nombre d’enfants tués est presque identique chez les Israéliens
et les Palestiniens. Comme chez les Palestiniens, le plus grand nombre d’enfants
israéliens tués a été relevé parmi les enfants plus âgés. Depuis le début de
l’Intifada, 48 enfants israéliens tués, ce qui représente les deux tiers du
total, avaient entre 14 et 18 ans.
Les associations de défense des droits de
l’homme en Israël et ailleurs dans le monde affirment qu’Israël et les
Palestiniens blessent ou tuent fréquemment des enfants, en violation des
principes du droit humanitaire international. Le rapport d’Amnesty souligne : «
La triste habitude de tuer des enfants, qui est devenue si répandue et si
intégrée au cours des deux années écoulées, s’est développée dans un contexte
d’impunité pour les responsables de ces crimes, durant de nombreuses années
antérieures à l’intifada. Entre 1987 et 2000, soit durant les treize années
antérieures au déclenchement de l’insurrection actuelle, ce sont 280 enfants
palestiniens qui ont été tués, par l’armée israélienne pour la majorité d’entre
eux, mais aussi par des colons israéliens, dans les Territoires occupés. Durant
la même période, 18 enfants israéliens ont été tués par des Palestiniens, en
majorité en Israël même, et en minorité dans les Territoires. Dans l’absolue
totalité des cas, les responsables de ces crimes n’ont pas été sanctionnés.
»
Selon Amnesty, dans la plupart des cas où des enfants palestiniens ont été
tués par des Israéliens, les autorités israéliennes n’ont pas effectué les
enquêtes nécessaires. Amnesty accuse : « Le grand nombre d’enfants tués et
blessés et les circonstances dans lesquelles ils l’ont été indiquent que rien
(ou très peu) n’a été fait par l’armée israélienne afin d’éviter qu’atteinte ne
soit portée aux enfants. »
Le rapport de cette organisation internationale
cite des déclarations faites lors de rencontres officielles entre ses
mandataires et des représentants et responsables officiels du gouvernement
israélien et des Forces Israéliennes de Défense. Le chef du Département
juridique de l’armée israélienne est cité, pour avoir déclaré lors d’une
rencontre de cette nature, le 16 janvier 2001 : « Aucune armée ne fait d’enquête
(sur les victimes) dans le cadre d’opérations militaires ». Lors d’une autre
rencontre, le 14 mai 2002, un autre officiel de l’armée israélienne a déclaré :
« Je n’ai pas besoin d’enquêter. Nous avons commis des erreurs, qui ont causé
des victimes, des deux côtés, mais aucun Palestinien n’a jamais été tué
délibérément. » Enfin, le 5 août 2002, le vice-directeur du Service des Droits
de l’Homme [ ! ndt] au ministère israélien des Affaires étrangères a déclaré aux
délégués d’Amnesty International que, dans le cadre d’un conflit armé, « on
n’ouvre pas d’enquête, à moins qu’il n’existe une présomption qu’il se passe
quelque chose d’anormal… En général, on n’ouvre pas d’investigations, à moins
que des actes délibérés (et répréhensibles) ne soient connus. »
Le lendemain
de la publication du rapport d’Amnesty sur les assassinats d’enfants, le
ministre israélien de la Défense Benjamin Ben-Eliezer a répondu à une question
du député à la Knesset Zahava Gal-On (du parti Meretz) à ce sujet, devant la
Commission du Parlement pour les Affaires étrangères et la Défense, en disant en
substance qu’après tout incident de cette nature, l’armée israélienne diligente
une enquête. Cette déclaration du ministre de la Défense contredit celles des
représentants de l’armée citées ci-dessus. Gal-On a demandé au secrétaire de la
Commission des Affaires étrangères et de la Défense, le député à la Knesset Haim
Ramon (travailliste) de convoquer le Chef du Département Juridique de l’armée
israélienne devant la Commission afin d’examiner les accusations formulées par
les associations de défense des droits de l’homme, dont le dernier rapport
d’Amnesty International, selon lequel l’armée israélienne ne prend aucune
précaution afin de préserver la vie des enfants palestiniens, tandis que les
responsables des atteintes aux Palestiniens – tant parmi les soldats de l’armée
israélienne que les colons juifs dans les Territoires – jouissent de
l’impunité.
Les critiques du rapport d’Amnesty envers les organisations
armées palestiniennes et l’Autorité palestinienne en matière de morts d’enfants
sont également très sévères. Le rapport accuse : « Des Palestiniens responsables
d’avoir tué des enfants israéliens après la création de l’Autorité
palestinienne, en 1993, ont bénéficié, eux aussi, de l’impunité. »
Amnesty
exhorte les Etats qui fournissent de l’équipement militaire à Israël et à
l’Autorité palestinienne d’exiger des garanties effectives et exécutoires afin
de s’assurer que cet équipement ne sera pas utilisé pour tuer des enfants.
L’organisation internationale a renouvelé son appel à ce que des observateurs
internationaux, chargés de veiller au respect des droits humains, soient envoyés
tant en Israël que dans les Territoires occupés.
19. Mondialisation financière et terrorisme
par Dante Sanjurjo
in Politis du jeudi 3 octobre
2002
Pour l’économiste René Passet et le journaliste Jean
Liberman, Enron et Ben Laden appartiennent au même
univers.
Voici un ouvrage qui met en lumière un aspect caché de
la mondialisation libérale. La virtualisation de l’économie, son caractère
abstrait et immatériel favorisent toutes les délinquances, y compris le
terrorisme. C’est que montrent et démontrent, dans un livre limpide et
documenté, l’économiste René Passet, qui fut longtemps président du comité
scientifique d’Attac, et Jean Liberman, que les lecteurs de Politis connaissent
bien. L’hyperterrorisme, selon l’expression des auteurs, « est un produit de la
globalisation financière, au même titre que les firmes transnationales […] ».
Les réseaux terroristes, comme les organisations mafieuses, vivent et prospèrent
comme poissons dans l’eau au cœur de la nouvelle nébuleuse financière «
dépersonnalisée et délocalisée », où « l’ennemi sans visage » peut se trouver
partout. Mais René Passet et Jean Liberman vont plus loin.
La délinquance
financière n’est pas à leurs yeux une dérive de la mondialisation libérale. Elle
n’est pas une perversion et encore moins un accident ; elle est en quelque sorte
consusbstantielle au système lui-même. Un système qui ne peut exister que dans
l’anonymat et le mystère que favorisent notamment les paradis fiscaux.
L’enrichissement rapide par la spéculation ne peut s’accommoder de la moindre
visibilité. Comme le terrorisme, il ne peut se réaliser que dans le secret et
dans un univers déréglementé. Et c’est ici que la démonstration de René Passet
et Jean Liberman prend toute sa force. Pour ceux qui vivent de ce système,
s’attaquer au terrorisme, à son intrication dans l’économie souterraine, ce
serait tuer la poule aux œufs d’or. Il faudrait pour cela remettre au jour ce
qui est caché, recréer des règles dont le nouveau capitalisme ne veut à aucun
prix.
Dans ces conditions, les limites de la guerre au terrorisme, menée par
ceux-là même qui profitent du système, sont vite atteintes. Les auteurs montrent
que la « spirale de la force brute » contre « l’Axe du mal », si elle est
meurtrière pour les populations civiles, est en revanche tout à fait inadaptée à
une lutte conséquente contre les réseaux terroristes. Mais cela n’est sûrement
pas le résultat d’une maladresse. L’atmosphère guerrière, qui domine le monde
depuis le 11 septembre 2001, agit à la fois comme un écran de fumée dissimulant
les multiples scandales qui secouent le capitalisme, et comme la justification
d’investissements colossaux dans la technologie de l’armement. Il y a entre
Enron et Ben Laden au moins une ressemblance : la passion du secret. Pour que le
puissant courtier en énergie puisse dissimuler pendant plusieurs années 22
milliards de dollars de dettes, il faut que le système soit bigrement opaque.
Pour traquer efficacement les financiers de Ben Laden et de quelques autres,
c’est cette opacité qu’il faudrait combattre.
Ce serait autrement plus
efficace que de bombarder le peuple irakien. Mais on comprend mieux après avoir
lu le livre de Passet et de Liberman pourquoi l’affairiste George Bush ne peut
pas faire ce choix.
[Mondialisation financière et
terrorisme, René Passet et Jean Liberman, Enjeux Planète, 166 pages, 15
Euros.]