Point d'information Palestine N° 214 du 16/02/2003
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Au sommaire
                   
Témoignage
- Où les rues avaient un nom par Hanan Elmasu, citoyenne de Ramallah en Palestine [traduit de l'anglais par Eric Colonna]
                   
Dernières parutions
1. Revue d’études palestiniennes n° 86 aux Edition de Minuit
2. à paraître le 15 mars prochain - À tombeau ouvert - La crise de la société israélienne de Michel Warschawski aux éditions La Fabrique
                   
Réseau
1. Les pacifistes sionistes ! de Claire Bertrand (12 février 2003)
2. Des faits, rien que des faits ! par Tarik Tazdaït (12 février 2003)
3. Irak, ira pas ? par Christiane Taubira distribué par le Réseau Voltaire le 4 février 2003
4. L’étrange argument de Jared Israël par Israël Shamir (3 octobre 2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                                                           
Revue de presse
1. Au lieu de vilipender les Français, on ferait mieux de les écouter par John Lichfield in Independent (quotidien britannique) du mercredi 12 février 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. Economie : Les sociétés américaines se postent déjà pour extraire le brut irakien par Myret Zaki in Le Temps (quotidien suisse) du mercredi 12 février 2003
3. Le pétrole, une affaire de famille chez les Bush par Ram Etwareea in Le Temps (quotidien suisse) du mercredi 12 février 2003
4. La petite faiseuse de rêves par Dalia Chams in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 12 février 2003
5. La défaite de la modernité par Tahar Ben Jelloun in Libération du mercredi 12 février 2003 
6. Ce cimetière est une pièce à conviction qui accuse la France in Corriere della Sera (quotidien italien) du mardi 11 février 2003 [traduit de l'italien par Marcel Charbonnier]
7. Insulté et menacé de mort par des inconnus, José Bové a décidé de porter plainte par Caroline Monnot in Le Monde du mardi 11 février 2003
8. Ce plagiat britannique qui conforte les opposants à la guerre en Irak par Jean-Pierre Langellier in Le Monde du dimanche 9 février 2003
9. A propos d'un pseudo-boycott par Monique Chemillier-Gendreau in Le Monde du samedi 8 février 2003
10. Un officier israélien limogé pour avoir refusé de mettre en danger des civils palestiniens Dépêche de l'agence Associated Press du vendredi 7 février 2003, 23h13
11. La “ Vieille Europe ” projette une intervention de casques bleus en Iraq in Der Spiegel (hebdomadaire allemand) du vendredi 7 février 2003 [traduit de l'allemand par Françoise Diehlmann]
12. Les résistants d'Israël par Denis Sieffert in Politis du jeudi 6 février 2003
13. Les euros palestiniens sous expertise par Pascal Martin in Le Soir (quotidien belge) du mercredi 5 février 2003
14. Des intellectuels français scandalisés par les conditions de vie des Palestiniens par Stéphanie Le Bars in Le Monde du mercredi 5 février 2003
15. Les combats de Mecca Cola par Patrice Claude in Le Monde du mercredi 5 février 2003
16. Raymond Aubrac s'adresse à la résistance palestinienne propos recueillis par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du mardi 4 février 2003
17. Leïla Shahid à Saint-Étienne : la paix qui saigne en Palestine par Jean Thollot in Le Progrès (quotidien régional français) du lundi 3 février 2003
18. Leïla Shahid : "Notre combat est universel" propos recueillis par Jean Thollot in Le Progrès (quotidien régional français) du vendredi 31 janvier 2003
19. Des "inspecteurs" canadiens en quête d'armes de destruction US Dépêche de l'agence Reuters du jeudi 30 janvier 2003
20. "Les Palestiniens cherchent les moyens de résister à l'occupation et à trouver du travail" - Interview de Intessar Al-Wazir propos recueillis par Atef Saqr in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 29 janvier 2003
21. Quand allons-nous résister ? par Edward Saïd in The Guardian (quotidien britannique) du samedi 25 janvier 2003 [traduit de l'anglais par CCIPPP]
22. Nous attendons toujours l’application de la 242 par Paul Foot in The Guardian (quotidien britannique) du mercredi 13 novembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
23. Après l’Irak, Bush attaquera sa cible véritable par Eric Margolis in Toronto Sun (quotidien canadien) du lundi 10 novembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
24. La mauvaise conscience du sionisme par Joel Kovel in Tikkun (bimensuel  américain) du mois de septembre/octobre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
25. La censure dans les médias américains dès qu’il est question d’Israël : "Je vous en supplie, faites-le savoir" par Mark Schneider in Palestine Chronicle (e-magazine palestinien) du jeudi 19 septembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
26. Le président Bush et le lobby chrétien-sioniste par Clifford Kiracofe in The Daily Star (quotidien libanais) du vendredi 5 septembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
27. il y a vingt ans... - Le bloc-notes de Lotfallah Soliman in France - Pays Arabes du mois de septembre 1982
                   
Témoignage

                                       
- Où les rues avaient un nom par Hanan Elmasu, citoyenne de Ramallah en Palestine
[traduit de l'anglais par Eric Colonna]

(Hanan Elmasu possède la double nationalité, palestinienne et canadienne. Elle est consultante des droits de l'Homme, et la représentante internationale pour Addameer, une association de soutien aux prisonniers et de défense des droits de l'Homme basée à Ramallah http://www.addameer.org.)
Ramallah, le vendredi 24 janvier 2003 - Ces jours-ci, marcher dans les rues de Ramallah est devenu un acte de réflexion, d'incertitude, de force de volonté. Revenant juste d'un passage au Caire, où je me suis souvenue de ce que voulait dire marcher dans les rues d'un pays arabe sans appréhension, avec son agitation et sa vie, ses odeurs, ses cris, ses rires et son chaos organisé, je ne pouvais rien faire d'autre que me lamenter de la perte de ces promenades dans Ramallah. De retour, en taxi de l'aéroport (le troisième taxi sur la route du retour, un de l'aéroport à Jérusalem, un autre de Jérusalem au passage de la frontière à Qalandia, pouvant aussi bien s'appeler un check-point, et un troisième de l'autre côté du passage jusqu'à mon appartement à Ramallah, un total de trois heures, comparé à mon heure de vol pour le Caire), je me suis de nouveau rappelée de la beauté de cette ville appelée Ramallah. C'est une beauté unique, gâchée par la tragédie et la peur, mais une beauté néanmoins. Lorsqu'on est attiré par les yeux d'un enfant dont la vie est marquée telle une cicatrice par la tristesse, alors on est attiré par la beauté de cet endroit.
Sa beauté est très différente de ce à quoi je m'attendais, quand je suis revenue la première fois, des histoires de mes souvenirs d'enfance au Canada, des histoires d'oliviers, d'amandiers, d'abricotiers, des histoires d'étés nonchalants dans les brises fraîches au milieu d'une chaleur étouffante. Il y a de la lumière et de la vie émanant de cette ville telle que je ne l'ai rencontrée dans aucune autre ville lors de mes nombreux voyages. À la différence du Caire, où il nous est constamment rappelé la vie qui jaillit de ses rues, la sensation d'une ville qui possède une âme et un esprit qui lui est propre, des rues de cette cité suinte une vie qui est ancienne dans sa souffrance, mais qui a persévéré en dépit d'attaques continuelles. C'est une vie que tu ressens lorsque tu touches la peau d'une personne et que tu sens la pulsation sous cette frêle protection... un lent et constant courant de vie qu'il est dur de détruire.
J'arpente les rues maintenant, et je songe à ce qui se passera durant chaque trajet. En passant à la boutique à l'angle, je regarde les camionnettes Ford qui transportent les gens à travers la ville et je me demande si les Forces Spéciales israéliennes pouvaient se trouver à l'intérieur, stoppant n'importe où dans la ville, surgissant du van avec des armes et des gaz lacrymogènes, ouvrant le feu dans les rues, ou faisant une razzia dans un immeuble du centre. J'observe les gens qui marchent devant moi, à côté, derrière moi, pour voir si je les reconnais, me demandant si l'homme à coté de moi avec la tête recouverte d'un keffieh pourrait être un membre d'un autre groupe de Forces Spéciales qui, subitement, sortirait un pistolet et attaquerait le jeune homme devant moi. Je me demande si, soudainement, le bourdonnement d'avions de reconnaissance qui tournent souvent au-dessus de nous, disparaîtrait et serait remplacé par un hélicoptère Apache qui commencerait à larguer des bombes, alors que je me dirige vers la maison de mon amie. Je regarde le véhicule garé sur le côté de la route à côté de moi, alors que j'attends un taxi qui s'arrête et me prend, et je me demande ce qui se passerait si ce véhicule venait à exploser. À quelle distance devrais-je rester pour m'assurer de ne pas être blessée en cas d'explosion? Cela changera-t-il quelque chose si je traverse la rue? Je ne suis pas rassurée de marcher vers des angles où je ne peux apercevoir l'autre bout de la route, parce que, peut-être, une jeep israélienne, tapie dans les buissons, attend quelqu'un à arrêter ou à viser. Alors que je rentre à la maison, j'entends un énorme bruit, et je me demande si c'est un camion poubelle qui passe sur un ralentisseur, ou la maison d'une personne dynamitée par l'armée israélienne.
Mais mes promenades de prédilection sont celles qui se déroulent lorsque cette cité est sous couvre-feu. Lorsque son pouls a été ralenti à la suite de substances étrangères que son corps s'est habitué à rejeter. Je marche la nuit, pendant le couvre-feu, pour que ce soient ces petits actes de bravade qui me rappellent que je suis encore un être humain, qui me forcent à rejeter le poison d'une occupation, occupation qui s'évertue à me jeter des accusations afin de me convaincre que je ne suis pas un être humain. C'est une sensation de liberté que d'arpenter les rues après 6 heures du soir, lorsque le couvre-feu est imposé, ça me maintient en vie. Cette liberté est un délit sous occupation. Malgré tout, je commets ce délit la tête haute, en défiant quiconque de me dire de faire autrement, et je guette d'autres «criminels» faisant la même chose. Quand marcher dans les rues de votre ville natale devient un crime, vous savez que vous posez les pieds en eaux troubles. Cependant, ce sont ces petits actes de défi qui cimentent le courage d'un peuple. Comme l'histoire de mon amie Cathy, me racontant que sous le couvre-feu, son collègue décida de prendre sa voiture pour acheter des provisions de cigarettes et du pain. Aux protestations pleines d'inquiétude de sa femme, il répondit simplement «Ana mish kalb»... je ne suis pas un chien. Pourtant, ici, tant de gens ont été traités pire que des chiens toute leur vie, qu'il est parfois devenu difficile de les persuader qu'ils n'en sont pas.
Pourtant, ces actes de courage découlent de ramifications si sérieuses, qui forment la lutte quotidienne de la résistance non violente des Palestiniens. Tenter d'avoir une vie comme tout être humain, dans les Territoires occupés, a été une des plus longues formes de résistance non violente de notre histoire. Je suis fatiguée et écœurée par les appels continuels lancés aux Palestiniens afin qu'ils adoptent une résistance non violente face à l'occupation brutale d'Israël. Je suis découragée par ceux qui ne vivent pas sous occupation et qui me disent que si seulement les Palestiniens appelaient à cesser toute violence, alors le monde soutiendrait leur cause. Les Palestiniens ont fait ceci, il me semble, toute leur vie (le simple fait d'existence est une résistance). En réalité, ils ont été les précurseurs de la résistance pacifique face à l'oppression. Un ami me rappelait, il y a quelque temps, qu'ils furent en fait parmi les premiers à utiliser la désobéissance civile, dès 1925, au moyen de grèves générales en protestation à la colonisation sioniste, et plus tard en 1936, pendant la révolte arabe, où une grève générale étendue a tenu durant six mois, bien avant le mouvement des droits civiques aux USA. Un peu plus tard, ce sont les milices sionistes que la communauté internationale avait condamnées comme terroristes. La seule différence avec aujourd'hui, c'est que ces milices sont devenues un État, dont le gouvernement et son armée mène un terrorisme d'État, avec l'accord tacite et, parfois, carrément le soutien de la communauté internationale.
Si tu m'aurais dit il y a dix ans, lorsque j'étais à Vancouver, que j'aurais à vivre cette vie, je t'aurais ris au nez. Si tu avais essayé de me relater ce que signifiait le simple fait de marcher dans les rues, ici en ce moment, je t'aurais pris pour un cas paranoïde. Si tu m'aurais dit aussi que je passerais une nuit comme celle d'hier, réveillée par les soldats israéliens frappant à la porte à 3 heures du matin, m'obligeant moi et les autres quarante locataires de mon immeuble (beaucoup parmi eux sont des enfants) à rester dehors sous un froid glacial pendant qu'ils fouillaient à l'intérieur, je t'aurais dit que des choses comme cela n'arrivent plus dans ce monde moderne.
Pourtant, je suis ici, à 12h30, ayant passé la journée encore à écrire un autre communiqué de presse concernant une personne détenue arbitrairement, cette fois-ci, alors qu'elle se rendait à un forum mondial pour discuter de ces mêmes questions, je suis ici, attendant le retour des soldats israéliens, parce qu'ils ont dit qu'ils repasseraient. Je suis ici, lisant encore des tragédies quotidiennes, d'enfants tués, de leaders arrêtés, d'humiliations aux check-points, de quartiers entiers démolis et détruits. Je vis ici, où l'irréel est devenu une réalité horrifiante. Et je me demande si, dans dix ans, je serai de retour à Vancouver, à rêver aux rues que j'empruntais pour descendre, des rues qui, autrefois, avaient un nom, avant de disparaître sous le bulldozer de l'apathie, le manque de volonté politique, et la reconnaissance trop tardive d'un peuple privé de vie.
                                   
Dernières parutions

                   
1. Revue d’études palestiniennes n° 86
aux Edition de Minuit

[160 pages - ISBN : 2707318264 - 14 euros]
Extrait du sommaire :
- Jalal Al Husseini : L'UNRWA et les réfugiés
Enjeux humanitaires, intérêts nationaux. Une étude exhaustive sur l'UNRWA, ce qu'elle est, ce qu'elle représente pour les Palestiniens, ce qu'elle est appelé à devenir.
- Juan Goytisolo : Le monde après le 11 septembre
Le point de vue de l'auteur espagnol sur les conséquences des attentats du 11 septembre 2001 et sur la politique des Etats-Unis.
- Entretien avec Eyad El Sarraj : "Le désespoir lorsqu'il n'y a plus de différence entre vivre et mourir"
Le psychiatre Eyad El Sarraj répond aux questions de Linda Butler à propos de l'évolution des mentalités en Palestine, notamment de la mentalité des jeunes. Un constat inquiétant.
- Moshé Sharett : Le raid de 1953 sur Qibya
Extraits du Journal du ministre israélien des Affaires étrangères (1948-1956) qui fut aussi Premier ministre (1954-1956). Ces extraits sont présentés par Walid Khalidi et annotés par Neil Caplan. Les notes couvrent la période du 13 octobre au 21 décembre 1953 et concernent exclusivement le raid mené par l'unité 101 de l'armée israélienne les 14 et 15 octobre 1953 sur le village de Qibya, en Cisjordanie, alors jordanienne. Ce raid fut initié et préparé par un jeune commandant israélien de 25 ans, Ariel Scheinerman (qui devint Sharon), fondateur et commandant de l'unité 101.
- Gadi Algazi et Azni Bdeir
Le véritable cauchemar des transferts. Deux journalistes de Haaretz donnent leur point de vue sur le comportement des colons israéliens dans les territoires occupés et estiment que le transfert des populations palestiniennes a déjà commencé.
- Document : La " feuille de route " du président George W. Bush
L'avant-projet d'un plan par étapes élaboré par l'administration Bush pour créer un Etat palestinien.
                                   
à paraître le 15 mars prochain
2. À tombeau ouvert - La crise de la société israélienne de Michel Warschawski
aux éditions La Fabrique

[128 pages - ISBN : 2913372260 - 13 euros]
Michel Warschawski présentera son livre, le mardi 18 mars 2003 à 19 heures, à la Librairie Compagnie - 58, rue des Ecoles - 75005 Paris
Avril 2002 : l'occupation du camp de réfugiés de Jénine donne lieu a une explosion de brutalité qui marque un tournant dans les normes de conduite de l'armée israélienne et du gouvernement qui lui donne ses ordres : assassinats d'hommes désarmés, destructions systématiques de maisons sur leurs habitants, utilisation de jeunes Palestiniens comme boucliers humains, interdiction aux ambulances de venir secourir des blessés. Sans parler du vandalisme systématique et de la multiplication des actes de pillage. Quelques semaines plus tôt, on pouvait voir des soldats israéliens faire courir devant eux des Palestiniens a moitié nus, d'autres marquer leurs prisonniers avec un numéro sur le bras. La presse israélienne faisait même état d'un officier superieur qui appelait a étudier les tactiques appliquées par la Wehrmacht pour écraser l'insurrection de Varsovie.
Quelque chose a craqué dans la societe israélienne, en profondeur : une nouvelle mentalité, de nouvelles normes comportementales et morales se sont fait jour. Une nouvelle politique aussi, et une armée dont la composition et les méthodes ont radicalement changé.
Ce changement, on peut le dater : fin juillet 2000, avec le fiasco du sommet de Camp David, et les ravages provoqués par le Grand Mensonge d'Ehoud Barak : "les Palestiniens ont refusé nos offres généreuses ; la preuve est faite qu'ils n'ont jamais renoncé à leur objectif intial: détruire l'État d'Israël". La société israélienne se persuade que son existence même est menacée et qu'elle est obligée de mener, une fois de plus, une guerre de survie. Et tout est permis pour se défendre : on a le droit de tuer, de torturer, de détruire des quartiers entiers, de bombarder des zones d'habitations civiles.
Quand on mène une guerre de survie,  il faut aussi s'en donner les moyens en termes de mobilisation citoyenne et de protection face au "danger intérieur". Une véritable révolution nationale est donc en cours, à travers les changements structurels entrepris par le ministère de l'Éducation nationale, les médias de plus en plus enrégimentés et une Cour suprême qui remet en question certaines de ses propres jurisprudences en faveur des libertés individuelles.
Particulièrement préoccupante est la volonté de "remettre a sa place" la minorité palestinienne d'Israël, par une législation visant à réinstitutionaliser leur enfermement en ghetto et à interdire toute forme d'expression politique qui ne serait pas conforme aux "priorités nationales". Les vingt ans de libéralisation et de normalisation qu'a connus la société israélienne après l'invasion du Liban en 1982 sont bel et bien révolus. L'intégrisme militariste et le colonialisme messianiste ont triomphé des partisans de la paix. Israël ne croit plus à la paix, Israël ne veut plus croire a la coexistence et semble avoir fait le choix du conflit total avec le monde arabo-musulman, quel qu'en soit le prix.
Comment un tournant aussi extrême, avec des implications aussi graves, a t-il pu se produire si rapidement ?
On a sans doute  exagéré les ruptures internes à la société israélienne pendant les années 1980 et 1990 :  les racines du mal actuel étaient déjà là, même pendant la période du "processus de paix". Trois facteurs principaux peuvent expliquer pourquoi Israël a fait, le choix de la guerre totale : 1) le poids de la peur dans la culture israélienne, entretenue par les machines de formation idéologique mais aussi liée a l'histoire du génocide dont les effets sont encore omniprésents ; 2) la mentalité coloniale dont même les pacifistes israéliens ont de la peine a se débarrasser dans leurs relations avec les Palestiniens, ce qui explique l'incapacité de négocier une paix fondée sur l'égalité et la réciprocité ; 3) la mentalité tribale : confrontée au choix entre réconciliation avec les Arabes ou réconciliation nationale, la grande majorité des Israéliens préfèrent perdre la paix pour garantir l'union nationale.
Le choix d'un ghetto armé et dépendant totalement des États Unis est un choix suicidaire où la société israélienne risque, après avoir tout détruit sur son passage, de se précipiter droit dans le mur, comme Samson dans sa guerre face aux Philistins.
                                                               
Réseau

                               
1. Les pacifistes sionistes ! de Claire Bertrand (12 février 2003)
(Claire Bertrand est une responsable de la coordination Israël/Territoires occupés de la section française d'Amnesty International.)
> Ce courrier a été adressé à la rédaction du Point d'information Palestine.
Chers amis - Merci d'abord pour votre compilation que je lis toujours avec beaucoup de plaisir. […] Je réagis à l'article N°4 de votre dernière compilation qui range Amnesty International parmi les organisations qui "ont tout fait pour détourner la discussion et la condamnation des massacres de Jénine" [Cf. Les "pacifistes" sous influence sioniste ? Tous, pratiquement ! par Dave Kersting in 213ème Point d'information Palestine du 31/01/2003]. Nous recevons beaucoup de mails à Amnesty International comme beaucoup d'autres organisations nous accusant d'être pro-palestiniens, mais jusqu'ici jamais encore d'accusations d'être soumis au lobby israélien. Je recommande à tous ceux que cela intéresse de visiter notre site www.amnesty.asso.fr. A propos de Jénine, par exemple, les membres de la mission d'Amnesty International ont été parmi les premières personnes à entrer à Jénine le lundi 15 avril 2002, mais le premier document concernant Jénine date du 10 avril et a été suivi par toute une série d'autres communiqués de presse presque quotidiens à cette époque. Le 22 avril, dans "Les premières conclusions des délégués d'Amnesty International de retour de Jénine" Amnesty International affirme que "Les éléments que nous avons pu rassembler montrent que de graves atteintes au droit international humanitaire et aux normes internationales relatives aux droits humains, dont des crimes de guerre, ont été commises." Je vous laisse libres de juger s'il est utile ou non de publier cette courte réponse, je ne l'ai écrite que parce que certains peuvent peut-êter être influencés par ce genre de désinformation contre laquelle nous luttons chacun de notre côté. Avec mes amitiés.
                               
2. Des faits, rien que des faits ! par Tarik Tazdaït (12 février 2003)
(Tarik Tazdaït est chercheur au CNRS.)
Il est devenu commun chez les défenseurs inconditionnels d'Israël d'assimiler à des antisémites tous ceux qui se font l'écho de la tragédie palestinienne et qui, par là même, condamnent le caractère discriminatoire du sionisme. Ce mouvement inauguré par le livre de Pierre-André Taguieff, "La nouvelle judéophobie", a été illustré il y a encore peu par des propos de Roger Cukierman, président du CRIF, lors du dîner annuel de cette même institution, selon lesquels l'antisionisme d'extrême gauche et des Verts voilerait un antisémitisme qui guette les faux pas des démocrates.
Cette position se fonde sur une ambivalence qui a fait tout le succès du livre de Taguieff. D'après celui-ci, derrière ce qu'il nomme la "palestinophilie" se cache une "judéophobie" qui abuse sans compter du spectre du nazisme pour délégitimer Israël. En comparant la politique israélienne à celle de l'ère nazie, les "palestinophiles" commettent un délit moral qui reflète la haine qu'ils éprouvent à l'égard de l'ensemble du peuple juif.
C'est pourtant aller un peu vite en besogne que de ne présenter qu'un aspect de l'exploitation de la mémoire du Judéocide. Qu'il y ait des excès dans la condamnation du caractère discriminatoire du sionisme, on ne peut le nier, notamment chez cette frange marginale qui établit un amalgame entre sionisme et judaïsme. Une auto-critique de ces derniers est en ce sens incontournable. Mais elle l’est encore plus pour les initiateurs de ce phénomène, à savoir les dirigeants sionistes eux-mêmes (sans parler de leurs partisans). Le recours à une terminologie liée au nazisme pour condamner l'adversaire a été, depuis la création de l’Etat d’Israël, une de leur pratique les plus prisées, la banalisant au point de lui faire perdre toute sa symbolique. Comme le souligne Tom Segev en parlant des représentants politiques israéliens, "les deux facettes du spectre politique [gauche et droite] ont toujours eu recours au nazisme pour délégitimer l'adversaire et on peut encore le voir aujourd'hui à la Knesset. De même, aucun dirigeant arabe, pas même le président Sadate, n'a échappé à l'assimilation à Hitler. David Ben Gourion comparait fréquemment Menahem Begin à Hitler, tandis que Begin traitait Yasser Arafat de « Führer ».(…) Menahem Begin (…) annonçait avoir envoyé Tsahal à la conquête de Beyrouth afin, je cite, « de mettre la main sur Adolf Hitler [Yasser Arafat] dans son bunker »".
Il est intolérable que sous couvert d'antisémitisme, on en vienne à taire les critiques relatives à la politique discriminatoire des gouvernements israéliens successifs. Encore aujourd'hui, on voudrait nous faire oublier que le concept de "transfert" de populations est intrinsèque au projet sioniste, que les expulsions manu militari de 1948 ont jeté sur les routes de l'exode entre 700 et 800.000 palestiniens, que les massacres de population civile ont été nombreux (Deir Yassin, Kafar Kassem, Qibya, etc), que près de 375 villes palestiniennes ont disparu de la carte, que des cimetières musulmans ont été balayés (celui de Jaffa, par exemple, a été recouvert par un hôtel, l'hôtel Hilton, tandis que celui d'Afouleh a été transformé en dépôt d'ordures), que la législation n'a eu de cesse de légitimer les expropriations de palestiniens, qu'Israël ne se prive pas de démembrer les Territoires Autonomes palestiniens en favorisant l'implantation de colonies, et cela au mépris même de ses propres engagements dûment signés, … En vertu de ce bref panorama il devient impérieux, pour ne pas dire un devoir, de s'élever contre le caractère colonial du sionisme.
Les travaux les plus originaux sur le sujet nous viennent aujourd'hui d'historiens et de politologues israéliens qui ont pour nom Simha Flapan, Benny Morris, Ilan Pappé, Tom Segev, Gershon Shafir, Avi Shlaim ou Zeev Sternhell. Le contenu des documents israéliens et anglais déclassifiés dont ils ont pris connaissance les a heurtés au point qu'il devenait inadmissible de s'en tenir aux discours officiels. On n'imagine pas le courage qu'il leur a fallu pour dévoiler les supercheries de la propagande. Plus que le courage, il leur a fallu la force de se remettre en cause, ce qui est signe d'une intégrité dont certains intellectuels français ne peuvent se prévaloir. Ils sont beaucoup à prendre position ou, plus simplement, à s'exprimer sur le conflit israélo-palestinien sans jamais évoquer, ni même faire allusion aux transferts, à la dépossession des terres ou à la destruction des villages. L'amnésie semble être de mise dans certains milieux intellectuels, or ces omissions (volontaires ou involontaires) biaisent considérablement la compréhension du problème par le grand public, le vidant notamment de sa substance.
Ajoutons, enfin, que l'antisémitisme est une chose beaucoup trop sérieuse pour que l'on se permette d'en faire un argument d'humeur ou partisan. Lorsque cet argument est utilisé pour balayer les droits des palestiniens, il devient urgent de préciser qu'en agissant de la sorte les inconditionnels d'Israël en viennent à cautionner l'antisémitisme. Ils en deviennent même l'un des fers de lance. Rappelons, si besoin est, que l'antisémitisme traduit la haine des juifs pour le seul fait qu'ils soient juifs, mais également la haine des arabes pour le seul fait qu'ils soient arabes. Dénier leurs droits aux palestiniens parce qu'ils sont palestiniens, c'est être antisémite.
Il ne suffit pas d'être un partisan d'Israël, et encore moins sioniste, pour disposer du flambeau de la lutte contre l'antisémitisme. Combattre l'antisémitisme est un choix qui s'insère dans une vision des relations humaines rythmée par les valeurs de justice et d'égalité. C'est sur la base de ces valeurs qu'il devient possible de déterminer ce qui tient ou non de l'antisémitisme. Ceux qui refusent que l'on critique la politique discriminatoire israélienne dans le seul but de priver les palestiniens de leur dû ne peuvent prétendre à l'intégrité morale qu'exige la lutte contre l'antisémitisme. Et cela, il faut savoir le dire avec fermeté, comme il importe de rappeler que les mouvements d'extrême gauche et les Verts ont toujours été à la pointe de la lutte contre le racisme et la xénophobie. N'est ce pas justement la Ligue Communiste Révolutionnaire qui fut à l'origine des manifestations républicaines contre l'extrême droite à l'annonce du score du Front national au premier tour des présidentielles de 2002 ? Une chose est sûre, ce n'est ni l'extrême gauche, ni les Verts, qui se sont fourvoyés à déclarer que ce score était "un message aux musulmans leur indiquant de se tenir tranquille". Même ça, on voudrait nous le faire oublier.
                                                                       
3. Irak, ira pas ? par Christiane Taubira
distribué par le Réseau Voltaire [http://www.reseauvoltaire.net] le 4 février 2003

(Christiane Taubira est députée de Guyane, première vice-présidente du Parti radical de gauche (PRG), candidate à l'élection présidentielle française de 2002.)
Voilà un dictateur épais, sanguinaire, obscène que personne n'aime. Même pas son peuple. Car, qui aime bien châtie bien. Or, on ne châtie pas en votant à cent pour cent. Pourtant, il dure. Autant que durent l'embargo et ses dérogations pétrole-nourriture, que persiste la dépendance d'une population livrée au seul pouvoir dispensateur de ressources, de subsides et d'expédients, que demeurent une mortalité infantile effrayante, une minorité kurde sans droits, des femmes sans larmes, un avenir sans espoir pour une jeunesse qui aura bien du mal à ne point haïr.
Et voilà les États-Unis, champions de la déstabilisation de régimes démocratiques du Chili à l'Argentine, jouisseurs de lupanars de Cuba à Hawaï, envahisseurs et occupants de Haïti à Grenade, voilà ces fomenteurs de coups d'État au nom de la doctrine de Monroe, ces tombeurs de présidents démocrates, ces as de la révocation sanglante de dictateurs devenus indociles comme au Panama, ces imbattables du soutien à l'opposition conservatrice comme à Caracas, ces pourvoyeurs charitables de stages et de logistiques comme à Ben Laden, ces sauveurs de minorités comme dans les Balkans, voilà ces invincibles vaincus par la spirale de la morale sommaire du bien et du mal, prêts à nous entraîner tous, avec la désapprobation irrésolue de nos dirigeants, dans le ve rtige d'un embrasement r égional, dans le chaos diffus de frustrations aveuglément meurtrières, dans l'égarement d'alliances opportunistes et douteuses.
Avec la désapprobation ou sans l'approbation de nos dirigeants. Ce n'est pas d'hier que nous pataugeons dans les atermoiements à l'égard de ce pays à qui Victor Hugo disait à propos de la condamnation à mort d'un abolitionniste Blanc « vous sauvez votre honte mais vous tuez votre gloire ». Ce n'est pas d'aujourd'hui que nous cultivons des velléités coupables face à cette « justice immuable » et discriminatoire, que nous n'entendons de la voix de l'Amérique que celle de son président, ignorant à dessein la polyphonie démocratique, clairvoyante et généreuse de ses opposants prestigieux ou ordinaires. Ce n'est pas la première fois que nous plions face à cette conception désordonnée de l'ordre international. Comme si nous consentions, nous aussi, au manichéisme commode des bases américaines qui se pérennisent contre Saddam le méchant qui s'éternise. Comme si les bombes américaines et britanniques déversées depuis dix ans n'étaient que faits divers. Comme si les trafics d'armes et l'économie interlope de la région n'étaient qu'anecdotes. Comme si nous pouvions céder le sort du monde à des stratèges de pacotille et des rentiers d'artillerie. Comme si nous étions d'imprévoyants comparses.
A moins de clamer haut et fort que le droit international est notre référence, que l'ONU n'est pas une chambre d'enregistrement mais l'espace, déjà imparfait, de la démocratie internationale. A moins d'exiger, conformément à l'article 35 de la Constitution, un débat et un vote au Parlement. A moins que la France, dans un sursaut d'honneur et d'indépendance, use solennellement de son droit de veto. Car, « celui qui ne hurle pas la vérité se fait complice des faussaires » (Péguy).
                                                               
4. L’étrange argument de Jared Israël par Israël Shamir (3 octobre 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Les Maîtres du Discours ne seraient pas ce qu’ils sont s’ils ne recouraient pas à la ruse. Nombreux sont les gens qui en arrivent à la conclusion que les médias, les experts et les hommes politiques les trompent. Fort bien. Mais la réalité vraie, quelle est-elle ? Les Maîtres du Discours fournissent un vaste choix de pièges et d’explications trompeuses de la réalité – des explications toujours, à la fois, partiellement vraies et partiellement fausses. Seule une lecture très attentive peut nous permettre de remarquer le traquenard.
Le site ouèbe Emperor’s Clothes (litt. : les Vêtements de l’Empereur = « Le roi est nu… ») a toutes les qualités requises pour passer pour oppositionnel : on y fait force objections à la politique actuelle de l’administration Bush. On peut éventuellement y désapprouver l’arrogance israélienne. On y dénonce très judicieusement certains des mensonges injectés dans les médias et dans le discours des hommes politiques américains. Mais ce n’est que très rarement que les propos tenus sur ce site reflètent son véritable projet politique. Une lettre d’un lecteur, un M. Golub, a attiré mon attention sur l’un de ses nombreux pièges.
Un échange récent d’observations http://www.emperors- clothes.com/letters/joan.htm entre l’un des éditorialistes les plus actifs d’Emperor’s Clothes et un lecteur, nous donne l’opportunité unique de voir à quel point l’opposition de ce site est contrefaite. Ce lecteur demandait à Jared Israël s’il ne voyait pas un lien entre les bruits de botte à Washington et le lobby juif aux Etats-Unis.
Et la voix prétendument oppositionnelle de démentir aussitôt l’ « allégation » :
« Je connais beaucoup de juifs, et je puis vous dire, en ce qui concerne Israël, que la plupart d’entre eux sont convaincus que les conséquences des attentats du onze septembre ont rendu les choses beaucoup plus difficiles pour ce pays. La plupart des juifs américains NE VEULENT PAS d’une guerre avec l’Irak. »
Si vous avalez ça, demain, on vous vendra le pont de Brooklyn ! La plupart des juifs QUI COMPTENT, aux Etats-Unis, poussent à l’Apocalypse. Parmi eux, Richard Perle, secrétaire du panel de la politique de défense au Pentagone, ancien employé d’une entreprise d’armements israélienne (Soltam) ; le grand partisan de cette guerre, Paul Wolfowitz, vice-secrétaire à la défense ; Douglas Feith, sioniste de choc et représentant de commerce d’un fabriquant d’armes israélien ; Dov Zakheim, sous-secrétaire à la défense ; Edward Luttwak, du groupe des études de sécurité nationale au département de la défense, au Pentagone ; Lewis Libby, chef de cabinet du vice-président Dick Cheney et avocat de l’escroc Mark Rich ; Robert Satloff, expert auprès du Conseil national de défense et directeur exécutif de la boîte à idée du lobby israélien : le Washington Institute for Near East Policy ; Elliott Abrams, expert auprès du Conseil national de sécurité ; et bien d’autre encore… Il y a certainement des juifs qui sont contre la guerre, (aux Etats-Unis), mais on ne les entend pas.
Je ne vous livre pas, là, des informations classées « défense », diffusées par d’obscurs sites Internet. Un juif honnête, Philip Weiss, reconnaît, dans le quotidien New York Observer [1] : « Les juifs et la droite ont conclu une alliance – sacrée ou non, c’est une autre question – et ensemble, ils poussent à la guerre ». « Qu’en est-il de la propension naturelle des juifs au libéralisme ? », demande ensuite Weiss, qui répond immédiatement : « les libéraux ont gagné de l’autorité dans le débat politique. Le refus des juifs américains libéraux d’adopter une position qui leur soit propre a mis la gauche américaine dans le désarroi. Le libéralisme américain tire sa force, depuis toujours, des juifs. Les juifs libéraux évoquent souvent, en privé, le Moyen-Orient, en reconnaissant l’absence de charisme du gouvernement israélien et le désespoir des Palestiniens. Mais, généralement, ils ne souhaitent pas que ces questions soient abordées publiquement avec d’autres citoyens américains (non juifs). Le discours juif à usage interne est devenu terriblement raciste. Ainsi, The Jewish Press a publié un pamphlet contre « L’épidémie des mariages judéo-arabes » », conclut-il.
Voilà pour le premier mensonge de Jared Israël. Mais il ne s’arrête pas là. Il doit encore dissuader ses lecteurs de penser que ce sont bien Israël et les juifs américains qui poussent à la guerre.
Dans un petit bijou de désinformation, il écrit : « RIEN NE SERAIT PIRE, pour Israël, qu’une guerre au Moyen-Orient. Israël, en effet, est un petit pays, aux frontières difficiles à défendre, cerné par des pays dominés par l’islam et dont la population est près de cinquante fois plus importante. Pour Israël, la pire des choses serait une guerre en Irak, qui ne pourrait qu’attiser les flammes du fanatisme musulman, lequel se retournerait très vite contre lui. Si les Etats-Unis et l’Angleterre attaquent… c’est Israël qui paiera les pots cassés… »
Bien. Israël est, concédons-le, « cerné par des pays dominés par l’islam », mais ce « petit pays » qu’est Israël, non content de posséder le troisième arsenal nucléaire au monde, est totalement soutenu par « un pays dominé » par les juifs qui – voyez comme le hasard fait bien les choses – se trouve être, aussi, l’hyperpuissance mondiale unique ! Lorsqu’il affirme qu’une guerre contre l’Irak serait pour Israël le pire des scénarios, Jared Israël pense sans doute à un autre Israël que celui que nous connaissons… En effet, tous les hommes politiques israéliens importants, ses premiers ministres, ses ministres de la défense, ses porte-parole – officiels comme officieux – appellent à la guerre (contre l’Irak), tant publiquement qu’en privé.
Victor Ostrovsky [2], ancien agent du Mossad, a demandé à ses supérieurs pourquoi ils déployaient une telle énergie afin de causer une guerre entre les Etats-Unis et l’Irak. On lui a répondu que c’était parce qu’Israël n’avait pas le personnel et les avions gros-porteurs nécessaires !… Les toutes premières déclarations d’Ehoud Barak et de Bibi Nétanyahou, immédiatement après les attentats du onze septembre (2001), furent pour demander la destruction de l’Irak (prochains pays sur la liste : l’Iran et la Libye… Mais : chaque chose en son temps…) Sans relâche, Ariel Sharon pousse les Américains à la guerre. S’il est allé, tout récemment, à Moscou, c’est uniquement dans le but de tenter de convaincre le président Poutine de se joindre à la meute.
Bien entendu, la guerre va à l’encontre des véritables intérêts des juifs vivant en Israël [dont Israël Shamir fait partie, ndt]. Mais nous n’avons pas voix au chapitre : nos politiciens sont totalement intégrés à l’establishment judéo-américain. Ils sont financés par les juifs américains. Bref, c’est au son des violons des juifs américains que nos dirigeants dansent. Nos intérêts bien compris n’émergeront – s’ils émergent un jour – que le jour où les juifs américains auront perdu leur ascendant sur le discours politique aux Etats-Unis.
Le troisième mensonge développé par Jared Israël franchit un degré supplémentaire dans l’effronterie : « Les Etats-Unis et l’Angleterre attaquent… Israël paie les pots cassés » : quelle stupidité ! Israël ne paie JAMAIS. Quoi qu’il se passe – redéploiement de l’armée israélienne, attaques violentes contre les Palestiniens, construction de nouvelles colonies dans les Territoires occupés, assassinats d’enfants palestiniens – ce sont toujours les citoyens américains et européens qui raquent. Ils ont financé le retrait israélien du Liban et d’une partie du Golan (syrien). Aujourd’hui, ils paient les vivres destinés aux Palestiniens qui risquent de connaître la famine, et ils paieront tout « accord de paix » qu’Israël voudra bien daigner parapher.
Lorsque les activistes du  « camp de la paix » israélien suggère l’idée de compensation versée aux réfugiés palestiniens, ils ne proposent jamais de payer les terrains et les maisons volées où ILS habitent : leur condition est, en permanence, la même : « tout sera remboursé par la communauté internationale » ! Les factures d’Israël ne sont pas honorées non plus par les juifs américains : ils ne sont pas complètement idiots ! Non, voilà ce que font les juifs américains : ils paient les hommes politiques de leur choix, ou bien ils les menacent de les faire tomber définitivement dans les oubliettes de la politique, si d’aventure ils avaient le mauvais goût de refuser de faire casquer les goyiim américains. Et si, malgré toute leur bonne volonté, des considérations politiques les obligent à se dédire, alors les juifs américains trouvent le moyen de contraindre les goyiim allemands et suisses à payer la note.
Comment le lecteur peut-il prendre connaissance de l’agenda politique réel d’un menteur effronté ? Il y a quelques indices révélateurs :
D’abord, le menteur effronté va rapidement traiter un peu tout le monde de « nazi », depuis les frères Dulles jusqu’à votre humble serviteur. Il va invoquer l’Holocauste à tout bout de champ. Poussé dans ses derniers retranchements, il vous fera le coup de la « théorie du complot ». Ainsi, Jared Israël répond à son interlocuteur : « si vous voyez un complot dans le fait qu’Ari Fleischer [le porte-parole de la Maison Blanche, ndt] est juif, pourquoi le fait que je sois MOI MEME juif n’attirerait-il pas automatiquement les soupçons sur ma personne ? » Eh bien, c’est exactement ce qu’on a dit lorsque toutes les lumières de l’Amérique juive ET de l’Etat d’Israël – depuis Foxman jusqu’à Barak – sont allé supplier Bill Clinton d’absoudre leur vieux copain (escroc d’envergure mondiale) Mark Rich. Norman Finkelstein, un écrivain américain juif qui voit clairement les choses, a fait observer : « Lorsque les juifs en vue agissent de concert, devons-nous fermer les yeux, désespérés, et nous lamenter en pleurnichant : « Oh non ! Ça en peut pas être vrai ! Sinon, on va encore être accusés d’être des tenants de la « théorie du complot » ! » Pour dire les choses très simplement : oui, Monsieur Jared Israël, vous faites partie du complot judéo-sioniste ! Je vous accuse de fournir aux instigateurs juifs de la guerre (contre l’Irak) le camouflage dont ils ont désespérément besoin !
Que le site ouèbe Emperor’s Clothes fasse campagne contre la guerre, voilà qui est fort bien. Qu’il ne soutienne pas l’effort de guerre du lobby juif, voilà qui est excellent. Mais tout ça ne vaut pas un clou si l’on n’y dénonce pas les véritables instigateurs de la guerre annoncée. Ce n’est certainement pas le grand dadais de la Maison Blanche, ni même le Pentagone. Non. C’est l’establishment juif – les juifs avec lesquels il faut compter – qui poussent à la guerre, avec la connivence des libéraux, lesquels se taisent. Le seul espoir qui nous reste, c’est un brillant philosophe canadien – juif -, Michael Neumann, qui l’a magnifiquement exprimé :
« Tôt ou tard, les grands hommes blancs d’Amérique prendront conscience de leurs intérêts véritables : alors, il se chercheront une nouvelle équipe de scribouilleurs de discours et autres grands pontes, experts ès stratégie. Ce jour là, les juifs seront passés de mode ».
- Notes :
[1] :
http://www.observer.com
[2] : « The Other Side of Deception : A Rogue Agent Exposes the Mossad’s Secret Agenda », 1995.
                                           
Revue de presse

                               
1. Au lieu de vilipender les Français, on ferait mieux de les écouter par John Lichfield
in Independent (quotidien britannique) du mercredi 12 février 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

D’un différend entre alliés, on a fait une parodie de la pire espèce de campagne électorale américaine en vue des primaires.
Mieux vaut, à tout prendre, être « un ouistiti pusillanime caséïphage » qu’un « gorille obèse, dévoreur de beurre de cacahuètes et bardé de flingues ».
C’est le problème, avec les insultes. Elles paralysent le débat rationnel ; elles vous forcent à répliquer par l’insulte. Les baquets d’invectives nauséabondes déversés sur ces Français, - vous savez, les « ouistitis pusillanimes », les « rats quittant le navire», les « poules mouillées », les « fouines », etc. – dans la presse américaine et anglaise, ces jours derniers, ne parviennent plus à détourner l’attention de quiconque du problème posé par la crise irakienne. On le comprend aisément, puisque le problème – ce sont précisément ces invectives.
Les insultes ont certes été portées à des sommets d’inventivité par la droite américaine, mais c’est le Secrétaire d’Etat à la Défense, Donald Rumsfeld, qui a donné le signal du départ, en raillant « la vieille Europe ». Ce qui aurait pu être un débat politique et diplomatique entre alliés – les torts et les raisons étant largement partagés – a été transformé en une parodie de la pire espèce de campagne primaire américaine, où tous les coups (bas) sont permis. L’adversaire, on ne se contente pas de s’y opposer : on le traîne dans la boue ; on le détruit en l’associant à des épouvantails à moineaux (dans le cas de la France, et de l’Allemagne : l’antisémitisme et le nazisme).
Ce n’est certainement pas la seule raison pour laquelle la France refusera de se plier à la ligne américaine au Conseil de Sécurité de l’ONU, qui doit se tenir la semaine prochaine – mais c’est une des raisons. Pour beaucoup d’observateurs, le Président Jacques Chirac semblait laisser ouvertes beaucoup d’options, la semaine passée. Plus maintenant. Ce serait suicidaire, politiquement, pour lui, de donner l’impression qu’il se plie aux quatre volontés des Etats-Unis. Voilà un pays qui, au nom de la démocratie, paradoxalement, refuse de tolérer la moindre dissension parmi ses amis...
Si l’alliance atlantique semble menacée d’effondrement, ce n’est pas seulement à cause du refus de trois pays (la France, l’Allemagne et la Belgique) de s’inscrire dans la planification de la guerre concoctée à Washington. L’Otan en a vu d’autres, à commencer par le retrait de la France de De Gaulle de l’aile militaire de l’organisation, dans les années 1960. Néanmoins, nous sommes en train de vivre la tension la plus terrible de toute l’histoire du Pacte atlantique. Si l’alliance est menacée, c’est simplement parce que la température de l’altercation a été portée délibérément à un degré destructeur.
Ce n’était en rien inéluctable. Prenons un peu de recul, un bref instant, voulez-vous ?
Les Etats-Unis sont convaincus qu’après douze années de tergiversations, Saddam Hussein doit être immédiatement désarmé, précisément au moyen d’une intervention armée. Washington argue, avec quelque raison, du fait que les inspections en désarmement de l’ONU ont été essayées et qu’elles ont échoué, et que l’Irak ne pourra jamais être cru tant que Saddam y demeurera aux manettes. La France préconise le désarmement de Saddam, mais elle pense qu’il n’y a aucune urgence qui justifie en quoi que ce soit de déclencher une guerre contre l’Irak, qui entraînerait la mort de milliers de civils innocents et renforcerait la haine de l’Occident, grande pourvoyeuse de terroristes, dans le monde musulman.
La majorité des Etats membres de l’Union européenne et de l’Otan sont d’accord avec les Etats-Unis. Soit. Cela fait-il de la France on ne sait trop au juste quelle sorte d’Etat paria cynique, égoïste, couard, antisémite et boulimique de fromage ? En aucune façon.
Le point de vue de la France est partagé par une vaste majorité des opinions publiques dans l’ensemble des pays européens, y compris la Grande-Bretagne. Il est soutenu par la majorité au Conseil de Sécurité de l’Onu. Il est partagé, presque mot pour mot, par le Secrétaire général de l’Onu, Kofi Annan. Il est même admis par près de la moitié de l’opinion publique aux Etats-Unis mêmes. Les Français peuvent se tromper. Ils peuvent aussi avoir raison. L’important étant qu’ils ont une argumentation rationnelle et recevable, qui mérite d’être écoutée, et certainement pas raillée.
Au-delà de la controverse en cours au sujet de l’Irak, la France a des préoccupations plus profondes – au sujet des Etats-Unis eux-mêmes. Il est peut-être exact que drapée dans la toge du juge de l’Amérique, la France est sans doute un témoin peu fiable, ou à tout le moins un critique de très vieille date. Peut-être la raison en est-elle que la France a des mobiles égoïstes ( en tant que membre permanent au Conseil de Sécurité) à vouloir conserver ce consensus d’après-guerre, qui laisse entendre que les Nations Unies sont le meilleur garde-fou contre un comportement (américain) à demi civilisé (et donc à demi sauvage).
Toutefois, ce n’est pas la seule France qui a été – ou devrait être – alarmée par la « doctrine de Dubya », qui veut que l’Amérique ait un rôle spécifique à jouer dans le monde de l’après 11 septembre. Le Président Bush ne dit pas que la puissance, c’est le droit (« might is right »). Il affirme que l’Amérique dispose d’une puissance écrasante et qu’elle n’en demeure pas moins dans son droit parce qu’elle est (tout simplement)… l’Amérique ! Si le Conseil de Sécurité de l’Onu veut survivre, il doit le faire, dans le monde de l’après 11 septembre, en tant que réincarnation d’une sorte de Soviet Suprême international, dont la mission est d’entériner les visions de l’Amérique. Ou de l’Otan (c’est du pareil au même).
Inutile d’être américanophobe (j’ai vécu très heureux aux Etats-Unis durant cinq ans ; mon fils a la nationalité américaine) pour que cette approche vous foute les jetons. Je suis persuadé que de nombreuses personnes, en Amérique, la trouvent, eux aussi, plutôt effrayante. Je suis convaincu que le gouvernement britannique la trouve tout aussi flippante que les Français. L’absolutisme moral inadmissible dont témoignent ces attaques contre des opposants amis démontre à quel point elle est préoccupante.
Tony Blair semble penser que la meilleure façon de contrôler le gorille d’une tonne bardé de flingues, c’est encore de le chevaucher. Les Français ont tenté de le faire rentrer dans sa cage et de le distraire pour le faire patienter. Ni l’une, ni l’autre de ces méthodes, n’ont marché. L’Otan est en ruines. Le tour de l’Onu est peut-être venu de s’effondrer. Et dire que la guerre n’a même pas encore commencé !
                                   
2. Economie : Les sociétés américaines se postent déjà pour extraire le brut irakien par Myret Zaki
in Le Temps (quotidien suisse) du mercredi 12 février 2003

PETROLE. A l'heure du divorce avec Riyad, le contrôle américain de l'or noir irakien devient crucial. Washington redistribue déjà les cartes. Exit TotalFinaElf, Lukoil, China National Petroleum Company. Place à Exxon, Chevron, Halliburton, Unocal. Les alliés qui auront coopéré auront une part du gâteau.
«Achetez des actions de sociétés de services pétroliers américains.» Dans une note aux investisseurs datée du 31 janvier, Bank of America Securities vante sans détours les opportunités du régime post-Saddam: «L'ouverture des champs pétrolifères combinée à la fin de l'incertitude quant aux investissements dans la région sera positive pour les sociétés américaines du secteur.» L'analyste explique: «Il est considéré parfaitement légal, pour la force d'occupation, d'utiliser les revenus du pétrole pour engager des sociétés de services dans le but d'augmenter la production de pétrole.»
En cas de conflit, les cartes seraient redistribuées en faveur des sociétés américaines. Lors d'une éventuelle occupation, les Etats-Unis veilleraient à «sécuriser» les 1500 puits de pétrole irakien. Les forces armées auraient le droit d'utiliser les revenus des ressources capturées pour restaurer les capacités. Ce vaste marché d'ingénierie, d'équipements et de services pétroliers reviendra presque certainement en priorité aux firmes américaines telles Halliburton, Baker Hughes, et Weatherford International, qui auraient déjà des contrats ou seraient en cours de discussion. Elles seront talonnées par les majors américains de la production et distribution Exxon Mobil, Unocal et Chevron Texaco. Des 2 millions de barils par jour actuellement, la production pourra passer à 6 milions d'ici à cinq ans. A terme, la maximisation de la production de pétrole irakien est considérée comme un but en soi, si ce n'est même la plus haute priorité de l'administration Bush après la «déclaration de victoire» américaine. Il s'agirait là d'un spectaculaire retournement de situation .
Lors des dix dernières années, les Etats-Unis sont en effet restés à l'écart des contrats pétroliers en Irak. Des sociétés russes, françaises et chinoises se partageaient cette manne virtuelle car suspendue à la levée de l'embargo. Deutsche Bank estime à 38 milliards de dollars la valeur des contrats de production pétrolière accordés par Saddam Hussein. Lukoil, China National Petroleum Company, TotalFinaElf et ENI comptent parmi celles ayant signé les contrats les plus importants.
Tous ces contrats n'auront donc de valeur qu'une fois les sanctions levées. Cette situation a été utilisée par Washington à son avantage. Soutenu par les Américains, l'opposant irakien Ahmad Chalabi, qui dirige le groupe dissident du Congrès national irakien, a d'ores et déjà dénoncé l'ensemble des contrats pétroliers en place, tout en entamant des discussions avec les compagnies américaines, déclarant qu'il les récompenserait avec des contrats si Washington libère Bagdad de Saddam.
Si les autres sociétés veulent conserver leur part du gâteau, cela sera fonction de la participation de leur pays à l'effort de guerre, si l'on se réfère à la déclaration de l'ancien directeur de la CIA, James Woolsey, selon laquelle «seuls les pays alliés aux Etats-Unis dans la guerre pourraient espérer coopérer à l'avenir avec les groupes pétroliers américains en Irak».
En attendant, Bank of America estime que les actions américaines des services pétroliers s'apprécieront en moyenne de 33% sur les douze prochains mois, une attente de performances phénoménales en période de déprime boursière. Elle recommande de miser en particulier sur Patterson Utilities, qu'elle voit s'apprécier de 60%, suivie par BJ Services (+18%), Ensco International (+44%) et Rowan Companies (+54%). 
                                                        
3. Le pétrole, une affaire de famille chez les Bush par Ram Etwareea
in Le Temps (quotidien suisse) du mercredi 12 février 2003

George Bush père et fils, mais aussi d'autres dignitaires de la Maison-Blanche, comme Dick Cheney, ont partie liée avec d'importantes sociétés pétrolières.
L'administration américaine a une forte odeur de pétrole. Dans les années 1970, c'est-à-dire bien avant qu'il ne devienne président des Etats-Unis, George Bush a fait son entrée dans l'industrie pétrolière en s'associant avec Ambusto Energy, entreprise de forage à Midland (Texas). Puis en 1986, il devient l'un des principaux actionnaires de la société Harken. Celle-ci, grâce à l'influence de son père qui s'apprête à conquérir la Maison-Blanche, décroche, au grand dam de certains grands pétroliers dont Amocco, un permis d'exploitation off shore à Bahreïn, dans le golfe Persique. Pour la petite histoire, George Bush n'a pas fini d'expliquer pourquoi il a vendu au plus haut sa participation dans Harken en 1990, alors que huit jours plus tard, l'entreprise annonçait des pertes spectaculaires de 23 millions de dollars. Le fils du président avait-il commis un délit d'initié?
Mais c'est peut-être le vice-président Dick Cheney qui est encore davantage trempé dans l'or noir. Avant de déménager à Washington, il a dirigé Halliburton (services pétroliers) durant dix ans. L'entreprise opère aux quatre coins du monde, y compris dans les Etats dits voyous. Sous son règne, elle a vendu pour plusieurs dizaines de millions de dollars d'équipements à l'Irak. Comme l'association avec un pays proscrit par les Etats-Unis était plutôt mal vue, Halliburton est passé par des filiales étrangères (Dresser Rand et Ingersoll-Dresser) pour signer des contrats avec l'ennemi. Pendant un temps, Cheney niait les faits. Il les a avoués plus tard, en disant que c'était le malheureux résultat d'une fusion. Halliburton fut la première entreprise à proposer un emploi à Bush Jr.
Collusion d'intérêt
Condoleezza Rice, directrice du Conseil national de sécurité, a passé neuf ans chez Chevron, aujourd'hui en première ligne pour exploiter les gisements irakiens dans l'ère post-Saddam Hussein. En guise de cadeau de départ, la société a donné le nom de son ancienne collaboratrice à l'un de ses pétroliers [Espérons qu'il ne viendra pas s'échouer sur les côtes bretonnes ! ndlr du PiP]. Dans ses nouvelles fonctions, Condoleezza Rice est l'architecte de la nouvelle stratégie pétrolière américaine, qui est de réduire la dépendance du Proche et Moyen-Orient en s'approvisionnant davantage en Asie centrale et en Afrique. Don Evans, le secrétaire d'Etat au Commerce comme son adjoint Grand Aldonas viennent les deux du même secteur.
Il n'est par ailleurs un secret pour personne que l'industrie pétrolière a largement financé la campagne électorale de George Bush à la Maison-Blanche et de Dick Cheney. Parmi les donateurs notoires, Kenneth Lay, qui n'a pas eu à s'expliquer sur les comptes manipulés de la défunte Enron dont il était le patron.
Le clan Bush entretient aussi des relations troublantes avec le Carlyle Group. Le pot aux roses a été révélé par le New York Times le 5 mars 2001, qui mettait en garde le nouveau maître de la Maison-Blanche contre une collusion d'intérêt. Tel un fonds d'investissement, le groupe finance, achète et revend des entreprises à travers le monde. Il est aussi l'un des plus importants fournisseurs de l'armée américaine, en armes, en pétrole et autres équipements. Il gère aujourd'hui la somme colossale de 13 milliards de dollars et doit son succès à une équipe de «vendeurs» de choc. Parmi lesquels, George Bush, père du président. 
                       
4. La petite faiseuse de rêves par Dalia Chams
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 12 février 2003

A 15 ans, elle a signé son premier roman Rêver la Palestine où elle pénètre des lieux et des êtres lointains mais qu'elle sent très proches. Randa Ghazi, Egyptienne d'origine, vivant en Italie, voit son œuvre qu'elle a écrite en italien publiée dans sa langue maternelle, chez Dar Al-Chorouq.
Elle croit en la toute puissance des rêves, cette puissance onirique ; on dirait des signes d'Allah. Quand elle avait 9 ans, raconte-t-elle, son grand-père maternel, installé également en Italie, est décédé. Affligée par cette disparition, elle entend son aïeul en rêve : « Je suis avec toi, tout près ». Etonnant. C'est comme s'il venait lui rendre visite en classe, après sa mort.
Quelque temps après, une autre vision : elle aurait vu durant son sommeil, les questions qu'elle aura le lendemain matin pour son épreuve de grec ancien.
Ces coïncidences ont fait l'objet d'un poème sur l'espoir qu'elle a composé ultérieurement et qui lui a valu un prix sur concours au montant de 100 lires italiennes.
Aujourd'hui, à travers son premier roman, c'est tout un pays qu'elle rêve : la Palestine.
Bien qu'elle n'ait jamais rencontré de Palestiniens avant d'écrire son roman Rêver la Palestine, et qu'elle n'ait jamais visité cette terre de conflits et de rêves, justement, Randa Ghazi a su pénétrer les lieux et les âmes. Elle explore, jusqu'au menu détail, l'intérieur de ces êtres, de ces héros palestiniens, ravagés par tant d'années de lutte, en dépit de leur jeune âge. Eux aussi cherchent parfois refuge dans un monde onirique. Comme elle, tout à fait. Le voilà, Ibrahim, principal protagoniste, qu'elle a appelé du nom de son père, s'exprimer : « Je pense que les leurres peuvent parfois se substituer à la réalité et représenter une bonne alternative pour affronter la situation. Nous avons tous tendance à aborder la réalité de manière trop directe ; de quoi nous blesser. Car la quête de la réalité n'est pas toujours la meilleure des choses, notamment qu'en ce moment précis je suis conscient à quel point rêves et espérances peuvent nous apaiser ».
Cette manière de méditer sa vie n'empêche qu'il s'agit pour la plupart de personnes stoïques, dont Ibrahim, son préféré. « Le moment le plus émouvant pour moi a été quand j'ai perdu Ibrahim vers la fin. J'étais très attachée à mes personnages, je les ai créés et je détestais les voir périr ». Ses yeux encerclés d'un crayon vert bleu pétillaient de mille éclats. La chevelure frisottée, elle n'est pas sans ressembler à Riham, l'une de ses protagonistes. « On a toutes les deux la même manière de cacher notre côté fragile et de nous montrer très protectrices envers notre jeune frère ». L'une tient de l'autre également une grande fascination pour les étoiles : « Ces étoiles innombrables telles des taches de rousseur sur le visage » ! Elle sourit. Car « rien ne se perd si l'on maintient la capacité de sourire », cette phrase provient d'elle, elle s'en sert pour décrire l'affabilité de l'un de ses personnages, Djihad.
Tant de similarités entre ses personnages imaginaires et son quotidien font que tous ceux qui la connaissent tentent d'en déchiffrer les codes. Ibrahim Al-Moallem, l'éditeur de la traduction en arabe, Halem bi Falastine (Dar Al-Chourouq, février 2003) souligne à titre d'exemple que l'un des héros, Ahmad, se retranche constamment dans la lecture de Shakespeare notamment, à l'instar de l'auteure elle-même. « Lire, c'est comme prendre un train dont vous ignorez la destination. A l'arrivée, on se sent triste de devoir descendre (…). Je pensais pouvoir rester ici à lire jusqu'à la fin du monde, mais … », dit Ahmad dans le roman.
En effet, Randa est une « malade de lire ». Elle a accompagné depuis toujours sa mère, diplômée en philosophie, à la bibliothèque. Et dès l'âge de 5 ans, elle n'a pu arrêter cette fureur de lire. Elle lisait, quand tout le monde dormait, avec les lumières éteintes, sous sa douche ou durant les visites familiales … L'été, quand elle visitait la ville natale de ses parents, Alexandrie, elle partait sur les traces de Naguib Mahfouz, dans Miramar, avec ses cafés, la corniche, les auberges …
« Toute petite, elle cachait les bouquins dans le panier à linge, à la salle de bain ! Et garde dans son sac un livre qui l'intéresse, quand on rend visite à des amis ou des parents, si elle ne se sent pas concernée par la conversation, elle se met dans un coin et sort une lecture ! », se souvient sa mère. Elle qui la connaît tellement bien se dit parfois épatée de la voir répondre aux journalistes comme elle le fait. Pourtant, elle connaît sa fille comme les lignes de la main et est consciente qu'elle est plutôt du genre qui ne cède jamais. « Elle cherchait souvent à me convaincre et ne baissait jamais les bras ! A la suite d'un accident qu'elle a eu à l'âge de 8 ans, l'auscultation médicale nous a révélé qu'elle est une surdouée, son QI est supérieur à la moyenne ».
Randa Ghazi a toujours rêvé d'écrire un livre, mais que cela se concrétise de manière si précoce ? Toutefois, il y a eu un déclic non négligeable : les images de Mohamad Al-Dorra criblé de balles israéliennes et le témoignage du soldat hébreu qui l'a tué affirmant qu'il a commis son acte exprès pour torturer le père ! Elle avait 15 ans, alors que Mohamad Al-Dorra n'avait que 12. Terrible ébranlement. Elle navigue sur Internet, creuse, demande des explications à son père vivant en Italie depuis une trentaine d'années … les informations ne faisaient qu'accroître sa désolation. Elle voulait comprendre pourquoi Al-Dorra a été tué, qu'est-ce qui pousse autant de jeunes martyrs à effectuer volontairement des opérations suicides ... et pour quelle raison l'on n'aboutit guère à une paix durable. « Pas de paix sans justice. Pas de paix sans justice », répète le père d'Ibrahim dans Rêver la Palestine. Sur ce, « le djihad est légitime », c'est dur d'expliquer à un enfant pourquoi sa mère est morte …
Randa Ghazi tente d'opérer une secousse frénétique, adressée surtout à des Occidentaux qu'elle côtoie et qui connaissent mal la cause palestinienne ou voient rarement ces images choquantes comme c'est le cas en Italie, son pays de naissance. « On ne fait pas la paix avec des morts, nom de Dieu ! », lance-t-elle dans son roman, de peur qu'un jour ce ne soit trop tard.
La parution de son roman et sa présentation à travers la Foire internationale de Bologne ont chamboulé son existence. C'est la consécration. « Difficile à ménager. J'essaye d'en prendre l'habitude mais il me faut une année pour comprendre ce qui m'arrive. Le soir, on me traite de vedette, m'interviewe et parfois m'entoure de gardes du corps. Et le matin, je dois revenir l'étudiante que je suis ». Du jour au lendemain, l'adolescente « milanaise » qu'elle est se transforme en star laquelle donne des conférences et voyage en tournée. « D'abord, j'ai posé ma candidature pour un concours littéraire d'adultes, avec une nouvelle de 7 pages. Je reçois alors le deuxième prix, et un membre du jury également membre de l'administration de la maison d'édition R.C.S. Libri SpA me demande de leur écrire un roman inspiré du même thème ou sur une autre intrigue de mon choix ». Et c'est parti. Seulement, la mission devait être accomplie en deux semaines, car l'éditeur voulait hâtivement participer à la grande Foire de Bologne. Le retard était alors inexcusable et le défi à relever. La nouvelle se transforme en roman. Un roman écrit dans le rythme saccadé de la guerre, la narration est consternée à son tour et les répétitions sont de mise. « En écrivant, je me sentais de plus en plus égyptienne, par conséquent arabe, et par conséquent palestinienne. Et plusieurs personnes ont cru que j'étais palestinienne. Mais je ne faisais qu'écouter les chansons du groupe palestinien Radio-derviche. Il y avait cette colère en moi, qui progressivement a mué en une insistance sur mon côté égyptien ».
Une cure identitaire. Une révolte contre tous les mensonges cités dans plusieurs ouvrages concernant le conflit arabo-israélien. « Parfois je ne savais qui croire, mon père ou l'Internet ! », ironise-t-elle à maintes reprises, lors des conférences données récemment au Caire, à l'occasion de la sortie de son ouven langue arabe. Souvent, les questions tournaient au politique. La jeune interlocutrice ne bat pas de l'aile. Maintenant, après tant de questions autour de l'antisémitisme, du racisme, du djihad et du processus de paix, soulevées aux quatre coins de la terre, elle semble en avoir l'habitude. L'adolescente s'en tire pas mal, bien qu'elle ait moins d'engouement pour les questions politiques. Celles-ci n'ont pas manqué de lui attirer les foudres du lobby juif, notamment en France. Car son roman a été traduit en plusieurs langues. C'est alors que le rêve a failli tourner en cauchemar.
« Au début, j'aimais bien que les gens parlent politique, j'avais des choses à dire. Mais je n'ai que 16 ans, j'ai écrit la guerre à 15 ans. L'expérimentation littéraire doit compter plus que les questions politiques ». Ensuite, elle poursuit dans un mélange d'anglais et d'égyptien dialectal : « Je suis inquiète, je ne sais pas si plus tard j'aborderais un sujet qui n'est pas aussi politique, les gens seront-ils toujours aussi curieux de le lire ? Aurais-je droit à autant de traductions ? ». Car, cette fois-ci, le choix de son sujet lui a valu une notoriété ; l'étudiante de troisième secondaire lettres a vu même son ouvrage se transformer partiellement en performance théâtrale en Sicile. Celle-ci était jouée par d'autres étudiants et était essentiellement centrée autour de l'amour entre Sarrah, la juive et Rami, le Palestinien. Un amour impossible sans doute, dit-elle dans son roman, compte tenu de l'histoire de guerre entre les deux peuples. Les colombes s'envolent. L'étoile est fugitive. Et nous entrons dans le rêve, mais il ralentit le pas pour nous échapper comme le clame si bien Mahmoud Darwich, dans son poème S'envolent les colombes.
[Jalons  - 1986 : Naissance à Milan (Italie). - 2001 : Lauréate du deuxième prix du concours littéraire pour adultes. - 2002 : Publication de son premier roman, en italien, Sognando Palestina (Rêver la Palestine), éditions R.C.S. Libri SpA, Milano. Et sortie de la traduction en français, chez Flammarion. - 2003 : Traduction du roman vers l'arabe, par Miriam Rizqallah, Halem bi Falestine, éditions Dar Al- Chourouq.]
                                                  
5. La défaite de la modernité par Tahar Ben Jelloun
in Libération du mercredi 12 février 2003

(Tahar Ben Jelloun est écrivain. Dernier ouvrage paru : "Cette Aveuglante Absence de lumière" aux éditions Corps 16 - 2002.)
Sur l'Irak, l'Europe doit plus que jamais résister à la brutalité d'une Amérique qui s'apprête à agir au mépris de la morale, du droit et de la démocratie.
La furie du monde hante nos enfants. La peur diffuse et persistante grandit dans leur sommeil. En même temps, l'angoisse fait le siège de l'homme qui ne sait comment résister à la folie qui s'est emparée de quelques puissants. Il a appris comment vivre avec les autres en érigeant des principes, en respectant des valeurs. Il a appelé cela «démocratie» et «Etat de droit». Il découvre que l'intelligence et la pensée sont vaincues par la brutalité et l'arrogance d'une grande puissance, celle-là même qui avait dressé une liste des «Etats voyous» et se comporte aujourd'hui avec une désinvolture déconcertante. Cette puissance est en fait fragile puisqu'elle s'apprête à se conduire comme un «super-Etat voyou», elle va «légitimer» l'arbitraire et ne pourra plus donner des leçons de morale aux Etats qu'elle condamnait et dénonçait. Elle perd son âme comme elle risque de perdre la raison.
La défaite qu'on nous prépare est celle de l'homme qui fait une chute dans le chaos, ce désordre du monde où la force évacue de manière arbitraire les valeurs qu'on croyait universelles. Dans cette chute, l'homme n'est plus qu'une poussière négligeable. Il serait apaisé dans l'inconscience du monde parce qu'il ne veut pas de cette douleur et de ces massacres planifiés avec une technicité sophistiquée. Il s'est assis sur le bord de la route et regarde passer les convois de la mort. Cet homme n'est même pas visible ; il n'est rien et sa voix n'est pas audible. Il parle, il crie, il agite ses bras, mais ses mots sont ravalés parce qu'ils n'ont pas où aller, où se poser. Ils tombent comme de la cendre, n'ayant pas trouvé de sens. Personne ne les entend.
Alors la douleur du monde se couvre de terre grise et de sable blanc, ailleurs, elle est enfouie sous l'herbe parce que tout va bien, tout est encadré par l'immense machine qui produit des preuves et des mensonges, tout est dirigé par la cruauté enrobée dans une prière où Dieu est invoqué, où Dieu est supplié de protéger les soldats du Bien contre les pouilleux rongés par le Mal. Tout est arrangé par l'étrange et grotesque bruit de la peur.
La honte tombe et perd ses oripeaux. Elle ne s'affiche plus sur les visages, dans les consciences, elle ne signifie rien ; elle est devenue inutile, sans valeur, sans couleur.
Le monde ne se console plus. Il continue de respirer la mauvaise poussière. Il bouge pour se convaincre qu'il n'est pas mort, peut-être pour résister, pour nous demander de déchirer les images qui défilent à grande vitesse et nous donnent à voir à Bagdad ou à Bassora une famille mutilée, père mort, enfant qu'un éclat d'obus a rendu aveugle, et puis les autres à l'affût de n'importe quel mouvement qui ressemble à la vie, cette chose devenue rare et froissée, cruelle et imprévisible, s'acharnant sur des gens anonymes, des gens qui ne demandent rien au ciel, juste respirer dans la dignité et ne pas mourir pour rien ou pour sauvegarder les intérêts des autres.
D'autres, adolescents, répètent des mots d'ordre stupides pour ne pas pleurer. Oui, ils résisteront, oui, ils se battront contre les envahisseurs, oui, ils creuseront de leurs mains les tombes des soldats américains et anglais, oui, ils vaincront et n'iront plus à l'école. Oui, ils auront toute la mort pour rire de leur destin funeste. Ils seront ensevelis sous des tonnes de bombes et peut-être aussi sous des sacs de nourriture largués par les mêmes avions.
Au-dessus de leurs têtes, veille la statue du Commandeur, Saddam, le grand, le très grand fossoyeur de son peuple, celui qui tue de ses propres mains tout être soupçonné d'opposition, celui qui a programmé la mort par gaz de milliers de Kurdes à Halabja.
Rôde la douleur. Rôde la défaite des hommes, de leur culture, de leurs valeurs. Rôde la déchéance de la morale qu'elle soit politique ou métaphysique.
Intolérable, cette mascarade qui veut nous faire croire que la planète sera détruite de manière massive et irrémédiable par un seul homme, un dictateur mille fois plus pernicieux et dangereux pour son peuple que pour le reste du monde. Un dictateur installé, soutenu, choyé par ceux-là mêmes qui s'en servent aujourd'hui pour détruire un pays, une population désespérée, usée par tant de malheur et que personne ne vient secourir. Ils détruiront pour mieux réorganiser les choses. Mais que de régimes totalitaires et moyenâgeux seront confortés dans leur système anachronique et antidémocratique !
Désarmer Saddam, certes, mais à quel prix ? Au prix de la défaite de la modernité, défaite de la force du droit, défaite de la culture dont les conséquences seront incommensurables. Mais une grande puissance qui perd la faculté d'entendre et de raisonner, qui s'entête à vouloir avoir raison contre le monde et sa douleur, est-elle encore une grande puissance ? Plus que jamais, cette «vieille Europe», Europe des Lumières, de l'Esprit des lois et de l'abolition de la peine de mort, devra résister à la brutalité américaine.
                                                                               
6. Ce cimetière est une pièce à conviction qui accuse la France
in Corriere della Sera (quotidien italien) du mardi 11 février 2003
[traduit de l'italien par Marcel Charbonnier]

"Ils sont morts pour la Fance. Mais la France les a oubliés" : telle est peut-être l'attaque la plus violente encore jamais prononcée dans la guerre des invectives entre les Etats-Unis et la France. C'était le titre du New York Post d'hier, un quotidien populaire de la Grosse Pomme, qui tire à 600 000 exemplaires. "Quand je vois comment ils ont abandonné ce cimetière, où sont enterrés des milliers de boys américains morts pour libérer la France, mon coeur se remplit de colère", clame l'éditorial tirant à boulets rouges. Ces derniers jours, le New York Post avait fait un sort aux Français, les qualifiant de "singes bâfreurs de fromage", tandis que le Wall Street Journal, de son côté, tonnait : "Chirac n'est qu'un pygmée déguisé en Jeanne d'Arc!".
Francophobie contre antiaméricanisme : la première victime de guerre, c'est l'amitié entre les deux rives de l'Océan atlantique...
                               
7. Insulté et menacé de mort par des inconnus, José Bové a décidé de porter plainte par Caroline Monnot
in Le Monde du mardi 11 février 2003

Des soupçons se portent sur les extrémistes juifs.
Militants altermondialisation, membres de la LCR ou des Verts soutenant les Palestiniens : ils sont désormais plusieurs à affirmer être l'objet de menaces de mort, d'intimidations, d'appels téléphoniques incessants à leur domicile, y voyant le signe d'une radicalisation de groupes extrémistes juifs ; situation aggravée, selon eux, par les récents propos du président du CRIF, Roger Cukierman fustigeant une "alliance brun-vert-rouge". "Les dirigeants du CRIF jouent avec le feu en taxant tous ceux qui ont approché de près ou de loin la cause palestinienne d'antisémitisme, indique Christian Picquet, un des responsables de la LCR. Les individus dérangés ou les groupuscules extrémistes à l'origine des dérapages auxquels on assiste depuis plusieurs semaines peuvent se sentir encouragés."
C'est ainsi que lundi 3 février, José Bové, porte-parole de la Confédération paysanne, a déposé une plainte contre X à la gendarmerie de Millau (Aveyron) après une série de messages sur son téléphone portable, des menaces révélées par Le Journal du dimanche. "Durant trois jours, à Porto Alegre, j'ai reçu des menaces extrêment précises me promettant de me "crever" à mon retour à Roissy. Du coup, la Confédération et Attac ont demandé au ministère de l'intérieur de prendre des dispositions pour assurer ma sécurité à l'aéroport, explique-t-il. Puis il y a eu un nouvel appel de ce type dans la nuit du samedi 1er au dimanche 2 février, alors que j'étais rentré à Millau. Là, on a décidé que cela suffisait et on a fait écouter aux gendarmes le message qui avait été enregistré sur la boite vocale." La qualification de la plainte devrait être précisée lors d'une entrevue entre François Roux, avocat de M. Bové, et le procureur de la République de Millau.
EXCUSES PUBLIQUES
Le syndicaliste paysan est devenu la cible privilégié de groupes extrémistes juifs après être allé soutenir Yasser Arafat, assiégé à Ramallah, en avril 2002. Et, surtout, après avoir tenu à son retour des propos laissant notamment entendre que le Mossad aurait intérêt à la poussée d'agressions antisémites en France - propos dont il s'est publiquement excusé depuis.
"Il y a maintenant un tel degré de haine sur la personne de Bové", constate M. Picquet qui, comme animateur des manifestations de soutien aux Palestiniens, dit avoir lui aussi fait l'objet de menaces téléphoniques. "J'ai décidé de ne pas porter plainte pour le moment", indique-t-il. De son côté, Noël Mamère, député Verts de Gironde, fait aussi état d'inscriptions malveillantes devant son domicile et d'incessants coups de fil d'insultes ou de menaces, jugeant que "le président du CRIF a lancé une véritable fatwa sur les Verts".
                                                                                       
8. Ce plagiat britannique qui conforte les opposants à la guerre en Irak par Jean-Pierre Langellier
in Le Monde du dimanche 9 février 2003

Londres de notre correspondant - A trop vouloir prouver les vices de Saddam Hussein, le gouvernement britannique a été pris en flagrant délit de... plagiat. Le 5 février, à la tribune du Conseil de sécurité, le secrétaire d'Etat américain, Colin Powell, avait attiré l'attention de son auditoire sur l'"excellent dossier présenté par le Royaume-Uni qui décrit en détail les activités de dissimulation irakiennes". Ce document avait été publié deux jours plus tôt sur le site web du 10 Downing Street.
Quelle ne fut pas la surprise d'un chercheur américain, Ibrahim Al-Marashi, en découvrant que 4 des 19 pages de ce document reproduisaient mot pour mot des extraits de sa thèse de troisième cycle. "On a même recopié mes erreurs de grammaire et mes fautes d'orthographe !", a déclaré l'intéressé au San Francisco Chronicle. Ce travail universitaire, dont un résumé a été édité en septembre 2002 dans une revue spécialisée, ne contient, bien sûr, aucune révélation, ni même aucun indice récent sur les activités illégales du régime de Saddam Hussein. Il se fonde sur des informations vieilles de douze ans, contenues dans des dossiers abandonnés par les Irakiens en 1991 après leur fuite du Koweït et dans des documents saisis par des rebelles kurdes dans le nord du pays. Rien à voir donc avec l'actuelle dissimulation d'armes de destruction massive dénoncée par le "dossier" britannique.
Ce texte, présenté à Londres comme émanant en partie des "services d'espionnage", contient d'ailleurs d'autres emprunts. Selon Glen Rangwala, professeur à Cambridge, 11 pages au total ont été "entièrement puisées dans des documents universitaires". Pris la main dans le sac, les services de Tony Blair ont dû faire amende honorable. "Nous aurions dû, pour lever toute confusion, faire connaître quelles parties du dossier provenaient de sources publiques, et quelles autres provenaient d'autres sources", a reconnu, penaud, vendredi 7 février, le porte-parole du premier ministre. Avant d'ajouter que, dans sa substance, ce texte était "solide" et "exact".
Le recours, de la part d'un gouvernement démocratique, à une méthode de propagande aussi grossière a conforté tous les opposants à la guerre en Irak. Beaucoup y ont vu un nouveau dérapage des spin doctors(conseillers en communication) de Downing Street, ces experts en manipulation de l'information qui veillent – avec beaucoup trop de zèle – à "vendre" l'image de Tony Blair. L'ancienne actrice – et actuelle députée travailliste – Glenda Jackson s'est indignée : " Voilà un nouvel exemple de la façon dont le gouvernement tente de tromper le public et le Parlement à propos d'une guerre éventuelle en Irak."
                                                                               
9. A propos d'un pseudo-boycott par Monique Chemillier-Gendreau
in Le Monde du samedi 8 février 2003

(Monique Chemillier-Gendreau est professeur de droit international à l'université Paris-VII-Denis-Diderot.)
L'affaire du prétendu "boycottage des universités israéliennes"qui aurait été réclamé en décembre 2002 par le conseil d'administration de l'université Paris-VI (Pierre-et-Marie-Curie) a fait l'objet de confusions très graves dont les enjeux implicites sont lourds de sens et qu'il faut impérativement dévoiler. Des appels à critiquer la position de cette université ont circulé et de fortes pressions ont été exercées (sans succès) sur les membres de son conseil pour les inciter à revenir sur leurs positions.
Cette campagne a eu pour objectif de renforcer l'impunité d'Israël et de laisser croire que les collègues qui ont soutenu la démarche de Paris-VI auraient basculé dans l'antisémitisme (certains appels ont tenté d'entretenir la confusion en évoquant les mesures de Vichy). Heureusement, d'autres universités (Grenoble, Montpellier-III) se sont prononcées à leur tour, limitant ainsi l'indifférence inquiétante de nos sociétés envers le sort fait au peuple palestinien.
Dans ce contexte, il paraît indispensable de poser ici une série de questions.
– Pourquoi avoir ignoré grossièrement le contenu exact de la motion de Paris-VI ? Selon les termes adoptés, cette université a demandé que l'Union européenne ne renouvelle pas l'accord qu'elle avait passé en 1995 avec Israël accordant à cet Etat des avantages commerciaux, mais aussi des financements d'infrastructures ou de programmes de recherche, qu'elle appelle les collègues israéliens à prendre position sur le sort fait aux universités palestiniennes qui sont mises dans l'impossibilité de travailler et qu'elle mandate son président pour nouer des contacts avec les universitaires des deux parties afin d'aider à la paix. Il n'y a là aucun "boycottage". Il est seulement demandé que l'UE ne renouvelle pas l'accord d'association afin de ne pas cautionner par des mesures très favorables à Israël l'évolution dramatique de la situation.
– Pourquoi refuse-t-on de prendre en considération une clause qualifiée d'essentielle dans un accord international ? L'accord d'association UE-Israël, signé en 1995, était soumis à la condition centrale du respect des droits de l'homme et des principes démocratiques considérés comme les fondements des relations entre les deux parties et de toutes les dispositions de cet accord (article 2).
Ignore-t-on qu'Israël viole les droits des Palestiniens massivement ? Que la répression fait chaque jour son lot de morts et de blessés, notamment parmi les enfants, que les assassinats extrajudiciaires sont fréquents et revendiqués par le gouvernement israélien, que la torture est pratiquée, les emprisonnements arbitraires multipliés, que les terres des Palestiniens sont depuis cinquante ans confisquées et qu'on y érige des colonies de peuplement afin de rendre la paix impossible ? Que les maisons et les plantations sont détruites quotidiennement ?
Combien de temps va-t-on rester sans comprendre que tant d'injustices conduisent les plus fragiles des Palestiniens à l'horreur d'une mort qu'ils se donnent en y entraînant des civils israéliens innocents et que c'est en rompant avec l'injustice que l'on enrayera la spirale de la violence ?
Ignore-t-on que les infrastructures développées en Palestine avec les sommes versées par l'UE ont été détruites avec provocation par l'armée israélienne dans les derniers mois ?
Toutes les raisons sont ainsi réunies pour suspendre l'accord sur la base des dispositions de son article 2, ce que le Parlement européen (serait-il gagné par l'antisémitisme ?) a voté le 10 avril 2002. Refuser d'évoquer cette clause droits de l'homme, c'est donc considérer qu'elle ne vaut rien, que ce sont des mots pour les mots, des mots pour rire ou pour grincer des dents.
Aussi est-ce l'honneur des collègues de Paris-VI que d'avoir pris ce texte au sérieux. La neutralité universitaire est un mauvais argument pour critiquer leur position car elle consiste à se laver les mains de violations graves du droit international. Et l'invocation de la laïcité et du respect de la diversité des opinions invoquée par d'autres universitaires pour ne porter aucun jugement sur l'application de l'accord voudrait-elle dire implicitement que les violations massives des droits des Palestiniens ne seraient que les conséquences d'une "opinion" acceptable parmi d'autres et que le respect des droits de l'homme et du droit international seraient une "religion" que le principe de laïcité autoriserait à ne pas pratiquer ?
– Cela nous mène à la dernière question que ceux qui ont manifesté contre le prétendu "boycottage" ne peuvent pas esquiver. Que faisons-nous, que proposons-nous pour mettre un terme à la descente aux enfers des Palestiniens ? La réponse est : rien. Nos gouvernements se dérobent. Les efforts de la société civile sont inéluctablement limités. Les universités sont des établissements publics qui ne peuvent être indifférents aux conditions dans lesquelles se déploie la coopération internationale. Qu'une poignée d'universitaires lancent un appel pour exiger que cette coopération soit conforme aux principes affichés, est une lueur d'espoir dans un océan d'indifférence.
La détermination était plus forte lorsque nous tentions d'enrayer l'apartheid de l'Afrique du Sud. La démission collective face aux dérives criminelles de certaines sociétés éloigne l'heure des solutions et encourage les pires répressions. Le sort fait au peuple tchétchène mériterait lui aussi une mobilisation autour de mesures fortes contre la Russie au lieu des marques d'amitié que l'on ne cesse de prodiguer au gouvernement de Vladimir Poutine.
Demander que l'accord d'association entre l'UE et Israël ne soit pas renouvelé ou plutôt que ce renouvellement soit l'occasion de faire pression sur Israël pour un changement radical de politique, est le premier pas dans la voie d'une attitude enfin conforme au respect des droits de l'homme que nous prétendons défendre. Comment pouvons-nous invoquer les textes sur les droits de l'homme contre les répressions ou contre le racisme et l'antisémitisme dans toutes les situations où ces fléaux se développent si, lorsque ces textes sont la base d'un engagement concret, nous en faisons aussi peu de cas ? Les manifestants contre la motion de Paris-VI qui brandissent le risque d'antisémitisme feraient bien de se poser cette question.
                                                               
10. Un officier israélien limogé pour avoir refusé de mettre en danger des civils palestiniens
Dépêche de l'agence Associated Press du vendredi 7 février 2003, 23h13

JERUSALEM - Un officier du renseignement israélien a été limogé pour avoir refusé, de peur que des civils palestiniens ne soient blessés, de relayer une information sans laquelle l'armée n'a pas pu bombarder une cible palestinienne, a confirmé vendredi une source au renseignement.
L'attaque visait un bâtiment abritant un bureau du Fatah de Yasser Arafat à Khan Younès, dans la bande de Gaza. Il s'agissait de représailles après le double attentat-suicide qui avait tué 23 Israéliens et des travailleurs étrangers le 5 janvier à Tel Aviv.
Le lieutenant en question a refusé de dire au Shin Bet (sécurité intérieure) qui se trouvait dans le bâtiment, déclarant à ses supérieurs que leur ordre était illégal et que la loi israélienne l'obligeait à désobéir, selon un autre officier du renseignement, qui a requis l'anonymat.
Le lieutenant est passé en cour martiale et a été relégué à un poste administratif sur une autre base mais, selon le quotidien "Maariv", qui cite des sources militaires, l'homme a vu sa punition adoucie pour éviter que la colère ne l'amène à révéler des informations.
L'armée israélienne a seulement confirmé que le lieutenant "avait été démis de ses fonctions pour avoir refusé un ordre direct de ses supérieurs, nuisant à une opération" militaire.
C'était, selon le "Maariv", la première fois qu'un soldat n'appartenant pas à une unité de combat sur la ligne de front refusait d'obéir à un ordre qu'il estimait illégal.
                                                                   
11. La “ Vieille Europe ” projette une intervention de casques bleus en Iraq
in Der Spiegel (hebdomadaire allemand) du vendredi 7 février 2003
[traduit de l'allemand par Françoise Diehlmann]

l'Allemagne et la France oeuvrent à un plan alternatif visant le désarmement de l'Iraq. Les soldats de l’ONU doivent occuper le pays et assurer le travail des inspecteurs, annonce le Spiegel. L'intervention aurait lieu avec participation allemande. Le plan secret a été convenu avec la Russie et la Chine pour l’instant.
Berlin - Le ministre américain de la Défense, Donald Rumsfeld, ne s’y attendait certainement pas : En effet, au cours de la conférence de Munich sur la sécurité, alors qu’il plaidait avec son éloquence habituelle pour l’adhésion à un cours inflexible
contre Saddam Hussein, la “ vieille Europe ”, qu’il surnomma ainsi avec moquerie pour les hésitations dont elle fait preuve, envisage dans le secret absolu l’intervention avec participation allemande.
l'Allemagne et la France tentent en toute dernière minute un forcing diplomatique, visant au maintien de la Paix dans le Golfe. Elles travaillent à un plan de désarmement complet de l'Iraq. Le projet secret "Mirage" prévoit que des milliers de casques bleus armés des Nations Unies pénètrent en Iraq pour permettre le travail des inspecteurs . Sous leur protection, les inspecteurs pourraient procéder à une énorme “ perquisition ” à travers tout le de pays. Les casques bleus se chargeraient effectivement du contrôle du pays pendant des années et garantiraient un "régime de désarmement durable" – également avec une participation allemande : “ Si cette idée d'un régime de désarmement durable l’emporte, alors l'Allemagne y sera ”,  a déclaré un membre du gouvernement au Spiegel. Depuis le début de l'année, la chancellerie et l’Elysée travaillent à un modèle de désarmement. “ Seulement dire Non ne suffit plus ” lance Schröder au cours de discussions internes sur la situation. D’après le concept qui sera sans doute présenté comme projet de résolution franco-allemand au conseil de sécurité, tout l’Iraq serait déclaré zone d'interdiction de vol pour le régime.. Des avions de reconnaissance français du type "Mirage IV" soutiendraient en vol le travail des inspecteurs dont le nombre serait triplé.
Des soldats américains doivent assurer l'intervention de la paix
Les Mirages dotés de caméras de surveillance spéciales obtiendraient, conformément au plan, un soutien des drones allemands, Luna, et des avions espions américains U2. Un poste de coordination permanent central en Iraq, éventuellement sous l'ordre de l'inspecteur en chef, Hans Blix, surveillerait les inspections. Les 200.000 soldats américains déployés autour de l'Iraq devraient rester en position comme support en cas de menace, pour assurer l'intervention pacifique. l'Iraq ne serait plus de fait, selon le plan, qu’un protectorat de l'ONU, et Saddam seulement le dirigeant formel de son pays. “ Si cela devait conduire à ce que les forces modérées du pays se renforcent et à ce que l’étau qui se resserre autour du régime de Saddam le fasse imploser, on s’en accomoderait simplement, mais ce ne serait pas le premier objectif de l’exercice ”, selon un conseiller du chancelier. Tout un réseau resserré de sanctions intensifierait le contrôle du régime. En feraient partie, outre Les contrôles accrus d'exportation dans les pays industrialisés, les accords internationaux avec les Etats voisins de l'Iraq, pour empêcher la fraude pétrolière, le pétrole étant une des sources de revenus les plus importantes du régime. Le plan est étudié actuellement avec plusieurs critiques de la stratégie américaine, parmi eux le premier ministre grec et président en exercice du Conseil de l'Union européenne Kostas Simitis, le président russe Vladimir Poutine et le président chinois Hu Jintao.
                                               
12. Les résistants d'Israël par Denis Sieffert
in Politis du jeudi 6 février 2003

En faisant entendre dans leur livre des voix dissidentes trop souvent étouffées par le poids du consensus, Michel Warschawski et Michèle Sibony brossent le portrait d'un autre Israël, ultra- minoritaire, mais digne et insoumis.
« Nous ne sommes plus un peuple différent et bizarre, au teint pâle et au regard empli de sagesse, mais un soldat brutal comme tout le monde. Nous ne sommes plus un peuple différent, mais enfin semblable à toutes les nations. Et tout cela en soixante courtes années ! N'est-ce pas une nouvelle optimiste ? » Ces mots d'une ravageuse ironie sont d'un grand éditorialiste israélien, dont le nom de plume est B. Michael. Son texte, publié une première fois dans le quotidien Yedioth Aharonot le 15 mars 2002, au plus fort de l'offensive militaire israélienne dans les territoires palestiniens, figure dans un recueil qui paraît ces jours-ci sous le titre À contre choeur (1). Une soixantaine d'autres textes, souvent douloureux, parfois rageurs, ou témoignant simplement de regards singuliers sur la société israélienne, ont ainsi été sélectionnés par Michel Warschawski et Michèle Sibony. Émerge de leur travail le portrait d'un Israël méconnu, digne et insoumis. L'étonnant est dans la diversité de ces voix dissidentes. Ce sont souvent des militants de longue date, comme Michel Warschawski lui-même, président du Centre d'information alternative de Jérusalem, mais parfois des personnalités en vue de l'establishment israélien, un universitaire de renom, un grand journaliste, un juriste, quand ce n'est pas un ancien chef des services de sécurité générale (le Shin Beit), comme Ami Ayalon, qui ne craint pas de prononcer le mot d'apartheid. On trouve évidemment des noms familiers de ce qu'il faut bien nommer la résistance : la journaliste Amira Hass - la seule journaliste israélienne vivant à Ramallah, parmi les Palestiniens - et son collègue de Haaretz Gidéon Lévy, ou la sociologue Tanya Reinhart, ou encore évidemment le superbe Uri Avnery, patriarche de la paix, fondateur de Gush Shalom (le Bloc de la paix). Celui qui fut le premier Israélien a oser rencontrer Arafat, en 1982, dans Beyrouth assiégé, publie d'ailleurs ces jours-ci sa Chronique d'un pacifiste israélien pendant l'intifada (2).
Mais le lecteur français découvrira à leur côté des signatures moins connues comme celles de l'historien et géographe Meron Benvenisti, de l'universitaire Ran Hacohen ou de l'écrivain Yitshak Laor. C'est ce dernier qui raconte cette histoire terrible : « Tandis que les corps en décomposition jonchaient le camp de Jénine, et que de jeunes enfants couraient dans tous les sens à la recherche de nourriture ou de leurs parents portés disparus, que les blessés se vidaient encore de leur sang, l'armée israélienne empêchant tout secours et les représentants de l'ONU de pénétrer dans le camp (qu'avaient-ils donc à cacher ?), le ministère de l'Éducation distribuait une circulaire à l'ensemble des écoles stipulant que les enfants devaient envoyer des colis aux soldats [...] Imaginez l'engagement idéologique de ces enfants dans l'avenir », remarque Yitshak Laor, avant de laisser tomber cette terrible sentence : « C'est là juste l'un des aspects de notre société sans opposition. »
On n'est pas très loin ici en effet de cette propagande dont Israël accuse les livres scolaires palestiniens. Ce qui frappe, dans ces textes, c'est leur violence. Nos grands inquisiteurs médiatiques français ne sont pas derrière Ami Ayalon ou B. Michaël ou Tom Seguev, pour les accuser d'antisémitisme. Il est vrai que ceux qui laissent échapper ces cris de révolte sont toujours légitimes. Leur colère ne peut être suspectée d'aucune arrière-pensée. Il faut d'ailleurs souligner l'une des grandes vertus de ce livre, et qui explique aussi l'engagement de Michèle Sibony, Française, vice-présidente de l'Union juive française pour la paix : montrer qu'Israël, pas plus que la communauté juive française, n'est un bloc, et qu'il existe encore dans ce pays des personnages qui osent crier haut et fort leur révolte. Il n'existe peut-être plus en Israël de camp de la paix, mais il existe encore un camp de la morale et du droit.
Le lecteur lira d'ailleurs avec grand intérêt l'introduction de Michel Warschawski qui retrace l'histoire de ces « Israéliens à contre choeur ». Il comprendra mieux aussi les raisons profondes de l'effondrement du camp de la paix, lié au parti travailliste. Warschawski en voit l'origine dans une approche qui ne s'est jamais départie du regard colonial. Au plus fort de sa mobilisation, le mouvement « La Paix maintenant » a toujours expliqué son action par la nécessité de préserver la société israélienne des effets pervers de la colonisation. Jamais par le respect du droit des Palestiniens. Tout naturellement, les accords d'Oslo, en 1993, ont été interprétés par les dirigeants de ce mouvement comme une fin en soi. Pour Warschawski et la plupart de ceux qui apparaissent dans ce livre, ce devait être au contraire le début d'une nouvelle mobilisation. La signature des dirigeants israéliens ne valait pas renoncement à la colonisation. Le doublement du nombre des colons entre 1993 et 2000, puis la mystification de Camp David, a rapidement prouvé que l'analyse juste était de ce côté-là.
- Notes :
(1) À contre choeur, Michel Warschawski, Michèle Sibony, Textuel, 314 p., 24 euros.
(2) Chronique d'un pacifiste israélien pendant l'intifada, Uri Avnery, L'Harmattan, 304 p., 24 euros (on peut lire la chronique hebdomadaire d'Uri Avnery sur le site de Gush Shalom :
www.gush- shalom.org
                                                
13. Les euros palestiniens sous expertise par Pascal Martin
in Le Soir (quotidien belge) du mercredi 5 février 2003

Union européenne - Une commission d'enquête pourrait être lancée
Le quorum nécessaire pour demander la constitution d'une commission d'enquête sur l'aide financière à l'Autorité palestinienne a été atteint mardi au sein du Parlement européen. Un quart des parlementaires au moins 170, selon certaines sources a apposé sa signatures au bas du document qui demande la transparence des comptes et l'assurance que l'aide européenne n'est ni détournée ni mal utilisée. Tous les groupes politiques sont représentés. Un seul socialiste français est cependant de la partie.
L'Union attribue chaque mois dix millions d'euros à l'Autorité palestinienne. L'argent doit contribuer au paiement des salaires de ses fonctionnaires. Des accusations de corruption, mais aussi de financement d'actes terroristes ont été régulièrement formulées.
Les fonds alloués servent également au financement de l'enseignement palestinien. Selon l'eurodéputée (MR) Frédérique Ries, qui compte avec le VLD Willy De Clercq parmi les instigateurs de l'initiative, ils auraient également permis l'achat de manuels scolaires prônant la haine contre Israël : Le Juif est ton ennemi, cite-t-elle de mémoire. C'est ton serpent. La victoire finale est inéluctable. Elle poursuit : La Commission rétorque qu'elle a financé l'achat des bancs, qu'elle paie les salaires et les locaux, mais qu'elle n'a rien à voir avec ces livres. C'est inacceptable.
La constitution d'une commission d'enquête est une procédure assez rare. Le Parlement n'y a recouru qu'une demi-douzaine de fois, la dernière en date s'étant penchée sur la vache folle. Pour que la requête soit soumise au vote en séance plénière, la conférence des présidents de partis devra lui donner son aval le 13 février prochain.
Les intiateurs du projet craignent toutefois que Chris Patten, qui a la responsabilité de la gestion de ces fonds, n'enterre le dossier. J'ai peur que le Commissaire aux Affaires extérieures ne s'oriente vers une commission d'enquête temporaire ou la création d'un groupe de travail, explique Frédérique Ries. Ces outils risquent de nous enlever les moyens de faire un travail sérieux. Les principaux groupes politiques représentés au Parlement que sont le PPE (centre-droit et conservateurs) et le PSE (social-démocrate) seraient pour leur part favorables à un groupe de travail associant les commissions des Affaires étrangères, du Budget et du Contrôle budgétaire du PE.
Chawki Armali, le représentant de l'Autorité palestinienne en Belgique, conclut à la manoeuvre politique, au lobby proisraélien. L'argent européen, promet-il, sert bien au paiement des salaires des fonctionnaires. Sa destination a été examinée par la Banque mondiale, le FMI et la Commission. Patten a dit lui-même qu'il n'y a pas de preuves de malversations allégation à laquelle Frédérique Ries rétorque que le Commissaire n'en a pas fourni les preuves.
                                           
14. Des intellectuels français scandalisés par les conditions de vie des Palestiniens par Stéphanie Le Bars
in Le Monde du mercredi 5 février 2003

Une visite de six  jours en Israël et en Palestine
Jérusalem de notre correspondante - Après une visite de six jours qui les a menés de Jérusalem à Ramallah, en passant par Gaza, Nazareth et Tel-Aviv, une douzaine d'intellectuels français juifs et non juifs, venus confronter leur connaissance du conflit israélo-palestinien à la réalité du terrain, ont quitté Israël, lundi 3 février, déterminés à témoigner de leur expérience dès leur retour en France. Ces militants de la paix, parmi lesquels d'anciens résistants comme Raymond Aubrac, ont tenu à se démarquer des institutions juives de France.
Ils ont fait part du "choc" ressenti en découvrant in situles conditions de vie des Palestiniens et la politique de colonisation du gouvernement israélien."La situation des habitants de Gaza est scandaleuse, incompatible avec les droits de l'homme et la civilisation démocratique", a jugé Stéphane Hessel, ancien ambassadeur de France. "Nous avons observé dans les territoires tous les signes d'une occupation intolérable, qui explique bien des violences", a renchéri le scientifique Jean-Jacques Salomon.
Des images et des paroles emmagasinées, chacun a retenu ce qui l'a le plus révolté. "J'ai été submergé par des termes que je ne connaissais que dans les livres d'histoire, tels que transfert, déportation, illégalité", s'est indigné le producteur Sacha Goldman. Pour Annick Weiner, universitaire, la vision des habitations palestiniennes détruites par l'armée israélienne s'est superposée, de manière choquante, à celle des "splendides maisons en haut des collines", celles des colons. Les avancées de la présence israélienne dans les territoires occupés les ont particulièrement marqués. "J'ai été frappé par le génie de la colonisation autour de Jérusalem", a souligné le docteur Mathieu de Brunhoff, évoquant le réseau routier que développent les Israéliens pour couper la ville du reste de la Cisjordanie.
Optimistes par nature, ces partisans de la paix n'ont pu masquer un certain pessimisme. "La méfiance, le racisme partagé, sont contraires à ce qui serait souhaitable pour une solution à court terme", a estimé M. Salomon. "Côté palestinien, il n'y a plus de matrice pour une société ; la police, la justice, les prisons ont été détruites", a rappelé M. Goldman. Leur rapide visite au quartier général dévasté de Yasser Arafat n'a fait qu'amplifier ce sentiment. "J'ai perçu la faiblesse de l'Autorité palestinienne, écrasée par Israël et rongée de l'intérieur par une crise de légitimité", a témoigné M. Salomon. "Nous avons eu le sentiment qu'aucune solution ne peut venir de l'intérieur ; une intervention internationale est essentielle", a estimé le chercheur Gérard Toulouse.
Pour eux, le manque de réaction de la majeure partie de la société israélienne demeure incompréhensible. "Il est paradoxal de constater que, face à la litanie des violations des droits élémentaires, si peu de gens soient choqués", s'est étonné Martin Hirsch, président d'Emmaüs France. Leur admiration pour leurs hôtes, les pacifistes israéliens, n'en est que renforcée.
                                                   
15. Les combats de Mecca Cola par Patrice Claude
in Le Monde du mercredi 5 février 2003
Derrière l'étonnant succès du Mecca Cola, premier produit engagé de consommation de masse, se dissimulent un militant et son rêve  : créer une télévision arabe en Europe.
La boucherie musulmane du boulevard de la Villette, dans le vieux Belleville, à Paris, en stocke plusieurs dizaines, juste au-dessus des gondoles de viande hallal. "C'est le même prix que le Coke. Alors, si on peut éviter de donner notre flouze à Bush pour qu'il aille encore attaquer des Arabes, autant le faire, non ? C'est ce que je dis à mes clients en tout cas..." De Belleville à Casablanca, de Barbès à Tripoli, Amsterdam, Berlin, Bruxelles et bientôt en Arabie saoudite, dans les Emirats du Golfe persique, au Pakistan, au Bangladesh, en Indonésie et ailleurs encore, c'est partout la même histoire. Comme dit Tawfik Mathlouthi, "ils veulent tous mon Mecca Cola..."
Trois millions de bouteilles d'un litre et demi vendues en quelques mois, 16 autres millions en commande, "entre 250 millions et 300 millions d'ici la fin de l'année", espère l'inventeur. Voici l'incroyable histoire d'un produit de consommation qui n'existait pas l'été passé, qui fut lancé par un homme seul, fauché, et qui semble sur le point de conquérir le monde musulman, voire au-delà, puisqu'un gros commerçant américain de Californie vient à son tour de passer commande. Quel est ce miracle ?
Qu'y a-t-il donc dans ce "sirop typhon" qu'on s'arrache ? Réponse : à l'intérieur de la bouteille, rien. Ou plutôt si, il y a le triste mélange habituel des sodas : de l'eau gazéifiée, du sucre, du sirop de glucose-fructose, un peu de caféine, un zeste d'acide phosphorique et une dose d'un colorant caramel poétiquement dénommé E150D. Adeptes du bio, s'abstenir. En réalité, la martingale que semble avoir découverte Tawfik Mathlouthi, improbable et nouveau "seigneur des bulles" sur un marché bien encombré, n'est pas à l'intérieur du récipient. Elle est collée dessus et elle tient en six mots : "Ne buvez plus idiot, buvez engagé."
Le coup de génie du papa de Mecca Cola est tout entier dans ce slogan publicitaire et ses déclinaisons politiques subliminales qu'a très bien comprises notre épicier de Belleville. "Pas un sou pour les guerres de Bush !" Le breuvage, on l'a compris, ressemble à du Coca-Cola – son étiquette rouge à grandes lettres blanches pourrait même s'apparenter à une sorte de plagiat de l'estampille "real thing", il a presque le même goût que le Coca-Cola ou le Pepsi-Cola – en moins sucré —, et il coûte le même prix que le fameux brouet américain.
La différence entre l'ancien et le nouveau est ailleurs. Dans la répartition des profits surtout. Chez Mecca, c'est écrit sur l'étiquette, et une "Fondation Mecca Cola" qui détient un cinquième du capital "le garantit". Parole de Tawfik Mathlouthi, 10 % iront à des œuvres caritatives européennes, "dont celle de l'abbé Pierre", précise-t-il, et dix autres pour cent seront réservés à des œuvres charitables qui aident l'enfance palestinienne. Qui ne souscrirait à une consommation plus "éthique"? En ces temps d'antiaméricanisme virulent dans les pays musulmans où l'on regarde chaque soir avec rage et mauvaise conscience les "frères palestiniens" combattre et se faire tuer chez eux par l'armée et les colons d'Israël avec l'apparent assentiment et les armes de l'Amérique, le boycottage des produits made in USA est un phénomène en pleine ascension. McDonald's, Coca et les autres admettent tous une baisse d'activité dans ces régions.
Vint alors le premier "produit de consommation politique de masse" pour le nouveau siècle. Nul ne peut dire si sa carrière sera longue ou éphémère, mais pour les tsars du marketing, son envol à la verticale est déjà un cas d'école. "Culture Pub", l'émission spécialisée de M6 prépare un dossier sur le sujet. Toutes les grandes chaînes télévisuelles, de France et d'ailleurs, de BBC-TV à CNN en passant bien sûr par Al-Jazira, ont diffusé des reportages sur Mecca Cola, "premier produit anti-impérialiste du millénaire".
On a vu la bonne bouille ronde, les lunettes cerclées et la barbe taillée au cordeau de M. Tawfik Mathlouthi partout, dans les news magazines comme dans les quotidiens les plus réputés : du New York Times à la Stampa en passant par Le Figaro, plusieurs gazettes pakistanaises, quelques saoudiennes, les principaux journaux du Golfe. Et désormais Le Monde. Un budget publicitaire de rêve, entièrement gracieux. Dans la presse, on résiste rarement à une "bonne histoire".
"Tout commence en mai dernier" se souvient notre homme."A la suite du massacre de Jénine en Palestine occupée" plus précisément. Militant propalestinien "depuis sa plus tendre enfance en Tunisie", quand l'OLP de Yasser Arafat y était encore bannie, Tawfik Mathlouthi entend l'appel au boycottage lancé après Jénine par de nombreux comités de défense spécialisés. Il se met à chercher le moyen d'embrayer le mouvement en France. Des similis cocas, il en existe déjà une bonne trentaine de par le monde.
Elle-même accusée en son temps d'avoir un peu copié sa célèbre – et toujours secrète – recette sur un produit français de la fin du XIXe siècle qu'on appelait "le vin Mariani", la firme d'Atlanta ne l'ignore pas. Et ne bouge pas. Le plus célèbre de ces succédanés s'appelle "Zamzam Cola". Il a été créé en 1979 en Iran pour remplacer "the real thing", décrétée non grata en république islamique. Zamzam, c'est le nom d'une célèbre source sacrée à La Mecque. Et La Mecque, en anglais, se dit "Mecca". Mais n'anticipons pas.
Tawfik Mathlouthi appelle Zamzam à Téhéran. Une fois, deux fois, dix fois, "impossible d'obtenir un responsable" jure-t-il. " Moi, tout ce que je voulais, c'était devenir leur représentant en France et populariser le produit." Agent local de firmes internationales est un job que notre homme, juriste de formation et consultant agréé de plusieurs grands "groupes internationaux", connaît bien. A la fin des années 1990, avant de prendre la mesure du "caractère sanglant du régime Ben Ali" et d'entrer dans l'opposition tunisienne, il avait obtenu de la société américaine de courrier rapide, DHL International, l'exclusivité de sa représentation en Tunisie. Il est d'ailleurs en procès là-bas avec l'un des gendres du président qui lui a soufflé la place, "en toute illégalité".
Bref, sans réponse idoine des Iraniens, lesquels n'arrivent déjà plus à fournir une demande qui a décuplé depuis l'an dernier, notamment en Arabie saoudite, Tawfik Mathlouthi, naturalisé français en 1998, né le 10 octobre 1956 à Kalâa Kebira en Tunisie, fils aîné et "unique immigré" d'une famille de neuf enfants élevés par un père enseignant et imam de sa mosquée, décide de se lancer tout seul dans l'aventure. Il invente l'appellation, se jette sur Internet, trouve la composition de son produit et se met en quête d'un producteur. Il découvre vite que "sur les 22 fabricants français de soda, 18 appartiennent à Coca et Pepsi". L'un des quatre derniers indépendants accepte de lui faire confiance. L'homme d'affaires emprunte alors, "à droite, à gauche", la somme de 22 000 euros. Ce sera, dit-il, tout son viatique.
Il dépose sa marque, commande 160 000 bouteilles et crée un site – mecca-cola.com – pour populariser son produit. Bingo ! Le 27 septembre, Le Point rédige un petit papier sur la nouveauté. C'est parti. Le 10 octobre, le fabricant remet les premiers échantillons. Le 27, il livre la commande. Dix jours après, "tout était vendu". La suite est connue. Le siège de Mecca Cola à Saint Denis, dans la banlieue parisienne, occupe désormais 18 m2 de bureau et 8 personnes à plein temps. Ce n'est qu'un début. Des partenaires ont été trouvés dans le Golfe et en Asie, quatre usines sont en construction là-bas pour fabriquer le Mecca sous licence. Tawfik Mathlouthi a lancé les dés, il a gagné.
Ce n'est pas son premier essai, mais la chance n'a pas toujours été au rendez-vous. "Ce type a énormément d'estomac, il vous sort une idée à la minute et il n'a peur de rien, s'ébahit un de ses amis. Le problème, c'est qu'il se disperse." Outre ses différents mandats de consultant (pour le Port de Marseille, Air Corse, Al Amri International Group, etc.), l'inventeur de Mecca Cola a fondé plusieurs sociétés aux destins divers : un magazine de business, bien revendu, deux stations de radio, quelques associations, un prix international pour l'enfance, et même, en 2001, une formation politique – le Parti de la France plurielle, aujourd'hui en sommeil.
Grand "tchatcheur" devant l'Eternel, l'homme est un passionné de communication. En 1995, il ne s'en cache pas, il a même été conseiller d'Omar Bongo pour la présidentielle du Gabon. Autant, dira-t-on, pour le combat ardemment revendiqué par lui "contre toutes les dictatures et pour la démocratie..." Narcissique et généreux, agaçant et séduisant, chaleureux et calculateur, l'inventeur de Mecca Cola apparaît comme un homme rusé et pétri de contradictions. Il peut, dans le même battement de cils, vous citer Napoléon et Gandhi.
Sur Radio Méditerranée, une petite station "beur" qu'il a fondée et dirige depuis 1992 (en FM, 88,6 MHz) avec un succès mitigé, il peut agonir "le régime criminel et barbare de Saddam Hussein" et conduire lui-même à Bagdad quatre délégations d'opposants à la guerre comprenant notamment son "vieil ami" le professeur Léon Schwartzenberg. Ces voyages ont fait naître une méchante rumeur sur d'éventuels subsides irakiens ? Il rit : "Si les Irakiens me finançaient, franchement, je ne serais pas obligé de courir après les fonds comme je le fais."
Tawfik Mathlouthi est un type un peu énigmatique. Il se reconnaît lui-même "un peu mégalo, un peu prétentieux peut-être". C'est quelqu'un qui revendique "de laisser une trace sur terre". En tout cas, il se voit un destin. "J'ai une ambition illimitée", dit-il. "Pas commerçant", il refuse l'étiquette mercantile et jure que sa démarche "est cent pour cent politique". Mais il admet chercher désespérément de l'argent pour mettre sur pied le grand projet de sa vie, "une véritable idée fixe" intitulée "Télé-Liberté". Ce serait une sorte de nouvelle Al Jazira, inondant l'Europe en trois langues – arabe, français et anglais. Les statuts sont déjà déposés. A Londres, "parce qu'il est impossible de le faire en France, où les esprits décideurs sont trop liés au sionisme".
Ah, le sionisme ! L'idéologie politique qui a créé Israël en Palestine en 1948 et dont se réclame toujours Ariel Sharon pour occuper la plus grande partie du dernier quart des territoires mandataires en principe réservés aux trois millions de Palestiniens, c'est la grande affaire, le grand ennemi de "Monsieur Mecca Cola". Sur les ondes de sa station, tous les dimanches, entre deux pubs pour ses bulles caramélisées, Tawfik Mathlouthi, ligne ouverte et phrasé saccadé, vitupère contre "le criminel de guerre Sharon et sa soldatesque".
Fondateur l'an dernier d'une association, l'Observatoire national contre le racisme et l'antisémitisme à l'égard des Arabes et des musulmans (Onacram), il attaque bille en tête et souvent nommément ce qu'il appelle "toutes les dérives prosionistes des pouvoirs et des hommes politiques en place" dans ce pays. Cela lui vaut quelques ennuis. En décembre, Radio Méditerranée a été vandalisée, la porte défoncée et des étoiles de David peinturlurées sur les murs. Les sites Internet de l'extrême droite sioniste le mettent à l'honneur et l'agonisent d'insultes racistes.
Pour Tawfik Mathlouthi, il n'y a pas à sortir de là, "le sionisme est une idéologie raciste anti-arabe"qu'il convient de combattre. A ceux qui, comme Yasser Arafat et l'OLP, ont accepté l'existence d'Israël sur les trois quarts de la Palestine mandataire, et dont certains critiquent son radicalisme, il rétorque : "Nous ne combattons pas pour la même Palestine." Lui, souhaite ouvertement la disparition de ce qu'il n'appelle jamais que "l'entité sioniste"et son remplacement par un Etat arabe sur la totalité de la Palestine,"étant entendu que les Juifs de la région pourraient évidemment y rester et y vivre". Le même homme qui annonce fièrement avoir pour principal chroniqueur politique "un Juif non sioniste"– il s'agit de Patrick Azoulay, fils du célèbre chanteur Lili Boniche —, le même qui coupe brutalement l'antenne à un auditeur quand il le sent déraper de l'antisionisme à l'antisémitisme, partage, sur le sort d'Israël, exactement la même position que le Hamas.
Un brin islamiste, le Rastignac de Kebira ? Rien ne le met plus en colère."Je suis un Arabe, un musulman croyant et fier de l'être, qui ne va pas assez à la mosquée. Mais je suis aussi un Français, un républicain et un laïque." L'intégrisme, "c'est le repli sur soi, le contraire de moi". La semaine dernière, après le Pakistan et le Golfe, Tawfik Mathlouthi est passé à Londres. Il annonce des partenaires sérieux pour "Télé-Liberté". A suivre ?
                                                                                   
16. Raymond Aubrac s'adresse à la résistance palestinienne propos recueillis par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du mardi 4 février 2003
Raymond Aubrac est arrivé à Jérusalem mercredi dernier, avec une délégation de quatorze personnalités, dont plusieurs juifs de France, conduite par l'ambassadeur Stéphane Hessel. Une visite organisée avec l'association pacifiste israélienne Gush Shalom (Le bloc de la paix) " pour nous rendre compte par nous-mêmes de la situation et manifester notre solidarité ", précise l'ambassadeur. Au cours d'une rencontre avec la presse organisée par le consul de France à Jérusalem alors que la délégation revenait d'une visite à Ramallah où elle avait rencontré Yasser Arafat, Raymond Aubrac a livré ses premières réflexions à l'Humanité : " Ma première impression, dit-il, est que la résistance palestinienne me semble terriblement mal organisée. Certes, la résistance est légitime face à l'occupation, et l'occupation israélienne, on le constate tous les jours, est très brutale. Mais les attentats suicides sont inacceptables et moralement injustifiables car ils touchent des civils. C'est très différent de la résistance du Vietnam où je me suis rendu à seize reprises. Je connaissais très bien Hô Chi Minh. Je l'ai vu travailler : il était très attentif à l'opinion publique française et il faisait tout ce qu'il pouvait pour lui faire comprendre la justesse de son combat. Les Palestiniens devraient en faire autant à l'égard de l'opinion israélienne : expliquer pourquoi ils se battent et utiliser des méthodes acceptables par la majorité des Israéliens au lieu de les braquer contre eux avec ces attentats aveugles. Je comprends très bien ce que peuvent ressentir les Palestiniens face aux humiliations quotidiennes qu'ils subissent. C'est fait pour recruter des terroristes et, après cela, avoir un prétexte pour exercer des représailles. On peut comprendre ces jeunes qui souffrent tant et n'ont aucun avenir devant eux, mais on ne peut approuver ceux qui les recrutent et les envoient à la mort en leur faisant commettre ces actes horribles. Pour avoir une chance de se libérer, les Palestiniens doivent unifier leur résistance, comme nous l'avons fait nous-même pendant l'occupation. "
                                                                           
17. Leïla Shahid à Saint-Étienne : la paix qui saigne en Palestine par Jean Thollot
in Le Progrès du lundi 3 février 2003
«En cinquante-cinq ans de conflit, la haine n'a jamais été aussi profonde», a dit avant-hier soir à Saint Etienne la déléguée générale de la Palestine en France. Un drame sur lequel pèse la menace de guerre contre l'Irak.
C'était sa première venue à Saint Etienne, la neige et le froid n'ont pas découragé ceux que préoccupe le conflit israélo-palestinien. Ils sont venus nombreux, hier soir, écouter Leïla Shahid, d'autant que la déléguée générale de la Palestine en France intervenait dans un contexte plus sensible encore pour le peuple palestinien. Ainsi confie-t-elle d'entrée que la réélection d'Ariel Sharon lui inspire «une angoisse justifiée par l'évaluation de deux années de guerre» et que «la quasi totalité des citoyens palestiniens partagent ce sentiment». Elle ajoute même qu' «en cinquante-cinq ans de conflit, la haine n'a jamais été aussi profonde» et que ce n'est pas fini: les menaces qui se précisent d'une guerre contre l'Irak promettent d'en rajouter. D'autant que «Benyamin Netanyahu a déjà dit son intention d'en profiter pour éliminer Yasser Arafat et finir de détruire l'Autorité palestinienne».
Les haines accumulées de part et d'autre ne plaident-elles pas en faveur d'un nouveau leader? «Pas question de se plier au diktat d'Israël», répond avec force la déléguée de la Palestine.
«Dans le grand Israël dont rêve le Likoud, il n'y a pas de place pour un Etat palestinien. Dès lors, tout devient alibi pour ne pas négocier». Quitte à jouer la carte du pire: «On a le sentiment que chaque fois qu'on approche d'une trêve que pourraient accepter le Hammas et le Jihad islamique, une nouvelle vague d'assassinats réamorce la violence et fait tout échouer», dit Leïla Shahid qui chiffre à trois cents le nombre d'assassinats perpétrés en deux ans.
«C'est énorme pour une population de seulement trois millions et demi d'habitants». La couverture des événements par la presse laisse dans l'ombre la douloureuse question du sort des prisonniers. «Il est très difficile de savoir où et combien ils sont. Ni la Croix Rouge Internationale ni les avocats n'ont accès aux camps, au mépris du droit international. Seules des bribes d'informations nous parviennent par le biais de certaines ONG israéliennes qui militent pour les Droits de l'Homme, ou encore quand les prisonniers se révoltent».
«Non assistance à peuple en danger»
De cette manière, l'objectif des rafles est atteint: «Elles ne visent pas les leaders. Les leaders, on les assassine. C'est sur des jeunes qu'on fait main basse pour terroriser la population et briser son moral». Hier soir, une jeune femme palestinienne, qui vit à Saint Etienne, a donné des nouvelles de ses proches restés à Naplouse. Un cri pudique de désespoir et de révolte. La mort programmée, au quotidien. Le silence complice des Nations. «La non assistance à personne en danger est un délit qu'on punit comme tel. La non assistance à un peuple en danger n'est-elle pas un délit?» s'indigne l'historien Youssef Boussamah. Sale temps pour la paix au Proche-Orient. Et toujours pas d'espoir en vue. Dans ce contexte de barbarie, le moindre geste de fraternité prend dimension de soleil. Leïla Shahid a remercié les Stéphanois qui ont hébergé et soigné des enfants de Palestine victimes des conflits. «Vous leur avez rendu un peu de foi en l'homme. C'est important que l'action citoyenne ne démissionne pas». Hier, ils étaient près de huit cents à le dire.
                                                   
18. Leïla Shahid : "Notre combat est universel" propos recueillis par Jean Thollot
in Le Progrès (quotidien régional français) du vendredi 31 janvier 2003

La déléguée générale de Palestine en France est à Saint-Etienne cet après-midi. Au lendemain des élections en Israël et à la veille d'une possible guerre contre l'Irak qui « finirait de détruire le peuple palestinien », Leïla Shahid insiste plus que jamais sur la dimension universelle du conflit israélo-palestinien.
Depuis dix ans qu'elle est déléguée générale de la Palestine en France, Leïla Shahid se bat avec la force des mots pour la paix de son peuple. Leïla Shahid est à Saint-Etienne, cet après-midi, à l'initiative de l'association France Palestine Solidarité. Pour rappeler que le conflit israélo-palestinien est un conflit universel et pas seulement communautaire : « Se battre pour la paix en Palestine, c'est se battre pour la paix partout dans le monde ». Elle a répondu hier à nos questions.
- Comment avez-vous réagi à la réélection d'Ariel Sharon ?
- Avec beaucoup d'angoisse. C'est un gouvernement qui ne veut pas de la paix, il a une foi aveugle dans la force militaire. Cette fois, c'est le camp de la paix en Israël qui est vaincu.
- Le parti travailliste est affaibli.
- Il paie ses erreurs passées. Lors du sommet de Camp David, l'été 2000, Ehud Barak, qui dirigeait le gouvernement, a détruit le partenaire palestinien et piétiné le projet de paix. Le parti travailliste ne s'est pas contenté de faire le jeu d'Ariel Sharon, il a accepté de servir de caution pour une politique qui a fini de détruire, en deux ans, tous les acquis d'Oslo, de 1993 à 2001. Quel échec cuisant pour le parti fondateur de l'Etat d'Israël, il y a 55 ans, celui qui a porté le projet de paix avec les Palestiniens !
- Qu'attendez-vous du prochain gouvernement ?
- Qu'il tire la leçon tragique, pour les Palestiniens mais aussi pour les Israéliens, des deux dernières années, en renonçant à une politique de répression militaire et de stratégie uniquement sécuritaire.
- La violence et l'aveuglement ne sont-ils pas dans les deux camps ?
- L'insécurité, les kamikases sont la conséquence d'une résistance à une occupation militaire qui nie la société palestinienne. Ce n'est pas un problème de délinquance juvénile, ni d'islamisme fondamentaliste. C'est le pourrissement d'une situation d'occupation, de répression militaire, de pauvreté économique et de désespoir qui est la cause de la violence dont souffrent les deux peuples. On ne peut y mettre fin que par une solution politique avec la création d'un Etat palestinien. 
- Et maintenant, la guerre contre l'Irak se précise.
- Face aux Américains, il n'y a que la position courageuse de l'Allemagne et de la France, contredite, ce matin, par huit pays européens qui se rangent aux côtés de l'Amérique.
- Quelles sont vos craintes ?
- Une nouvelle guerre contre l'Irak aura des répercussions très graves non seulement pour le peuple irakien, mais pour tous les peuples de la région, à commencer par les plus vulnérables, comme le peuple palestinien. Il y a un mois, Benyamin Netanyaou a osé dire qu'Israël profiterait de l'attaque contre l'Irak pour se débarrasser de Yasser Arafat et de l'Autorité palestinienne.
- Que peut faire l'Europe ?
- Défendre le droit. L'Europe ne peut pas revendiquer sa crédibilité lorsqu'elle fait appliquer le droit au Kosovo, en Bosnie, au Koweït et que, dans le même temps, elle permet à Israël une impunité totale depuis trente-six ans que les résolutions des Nations unies ne sont pas appliquées. L'Union européenne, qui est le premier partenaire économique d'Israël, a des responsabilités et des moyens, telle que la suspension des accords d'association.
- Et l'opinion publique, comment comptez-vous la mobiliser ?
- En montrant que l'enjeu du conflit va bien au-delà de nos frontières. Se battre pour la justice et pour la paix en Palestine, c'est se battre pour la justice et la paix en France, en Europe, partout. Si on réussit là-bas, ce sera bon pour nous ici. Et si on y arrive ici, alors, il est urgent de nous aider là-bas.
                                                               
19. Des "inspecteurs" canadiens en quête d'armes de destruction US
Dépêche de l'agence Reuters du jeudi 30 janvier 2003

OTTAWA - Dénonçant ce qu'elle qualifie d'"hypocrisie américaine" dans la crise irakienne, une députée canadienne a annoncé jeudi qu'elle dirigerait une équipe d'inspecteurs "bénévoles" en désarmement qui se rendront aux Etats-Unis le mois prochain à la recherche d'armes de destruction massive.
Libby Davies, députée du Nouveau Parti démocratique à la Chambre des communes à Ottawa, a déclaré que le président améri cain George W. Bush repr ésentait tout autant un danger pour l'humanité que le dirigeant irakien Saddam Hussein, dont le régime est actuellement dans la mire de Washington.
"Notre action a pour but de contester l'hypocrisie du président américain et sa position sur les armes de destruction massive", a-t-elle déclaré dans un communiqué.
S'exprimant au nom d'une nouvelle coalition internationale baptisée "Rooting Out Evil" (Supprimer le mal), Libby Davis a précisé que les inspecteurs se rendraient dans la région de Washington le 22 février prochain.
Selon les responsables de la coalition, les Etats-Unis sont coupables des mêmes torts que ces derniers imputent à l'Irak -- la possession de grandes quantités d'armes de destruction massive, le manque de respect envers les Nations unies et la violation de traités internationaux en vigueur.
"Nous suivons l'exemple de Bush et demandons aux Etats-Unis de nous donner accès, immédiatement et sans contrainte, à n'importe quel site au pays", a déclaré Christy Ferguson , l'une des organisatrices de la campagne.
L'organisme canadien présentera sous peu au secrétaire américain à la Défense, Donald Rumsfeld, une requête officielle pour autorisations afin d'effectuer des inspections, a-t-elle ajouté.
Personne n'a pu être contacté dans l'immédiat à l'ambassade américaine à Ottawa pour commenter cette initiative.
                                                                                   
20. "Les Palestiniens cherchent les moyens de résister à l'occupation et à trouver du travail" - Interview de Intessar Al-Wazir propos recueillis par Atef Saqr
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 29 janvier 2003
Ministre palestinienne des Affaires sociales, Intessar Al-Wazir décrit les conditions de vie difficiles des Palestiniens et les maux sociaux dont ils souffrent à cause de l'occupation militaire israélienne.
— Al-Ahram Hebdo : Quelle est la situation réelle de la société palestinienne sous l'occupation israélienne, notamment après plus de deux ans d'Intifada ?
Intessar Al-Wazir : Le blocus et le siège ont empêché le déplacement et la circulation entre les villages et les camps de réfugiés. Du coup, les contacts sont coupés entre les personnes, voire entre les membres d'une même famille. Les jeunes représentent 23 % de la population. Cependant, la société renferme un fort taux de handicapés de l'ordre de 10 %, en raison des affrontements avec les forces de l'occupation israélienne. Ces gens souffrent de maladies diverses, y compris psychologiques à cause de l'occupation. L'occupation israélienne a désarticulé et déchiré le peuple et les territoires palestiniens. Dans ce cadre, nous menons une campagne sérieuse pour offrir une aide psychologique aux Palestiniens.
— Qui sont les cibles de cette campagne ?
— Au départ, elle se concentrait sur les enfants. Aujourd'hui, elle se penche sur les problèmes de la femme et de l'enfant, notamment les épouses des martyrs et des détenus.
— Comment cette prise en charge psychologique est-elle menée ?
— Elle repose fondamentalement sur l'enseignement et l'apprentissage. Elle inculque à la mère la façon de réagir au cas où son enfant est pris de panique ou d'hystérie, le comportement à suivre chez soi en cas de bombardement. Il est également question de la prise en charge des mères des martyrs, des épouses des détenus et les familles des blessés, ou celles dont la maison a été détruite par l'armée israélienne.
Plusieurs associations caritatives et des droits de l'homme palestiniennes et internationales prennent part à cette campagne, ainsi que des organisations des Nations-Unies. Des institutions internationales se sont chargées de trouver des maisons en location aux familles sans abri. Cependant, ce sont les tentes qui sont la solution la plus courante dans ces cas. D'autre part, l'UNRWA (Office des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens) et le ministère du Logement se chargent de construire de nouveaux logements en location. L'Arabie saoudite et les Emirats arabes unis financent, quant à eux, la location de logements pour une durée de 6 mois pour les familles sans abri. Le ministère des Affaires sociales offre de son côté des couvertures et des vêtements aux plus défavorisés grâce aux donations qui viennent des Etats arabes, du Fonds du soutien à l'Intifada, du Croissant-Rouge égyptien et de l'épouse du président égyptien, Suzanne Moubarak. Le ministère des Affaires sociales œuvre également en coordination avec la Banque islamique de développement par l'intermédiaire du Fonds de soutien aux familles de martyrs.
— Quel est l'impact économique du blocus imposé par Israël sur la vie quotidienne des Palestiniens ?
— Le taux de chômage est de 65 % dans la bande de Gaza, entre 50 et 55 % en Cisjordanie. 70 % du peuple palestinien vit en dessous du seuil de pauvreté. Les Israéliens empêchent les ouvriers de se rendre au travail et interdisent l'importation des matières premières. Les patrons des usines locales sont souvent obligés de licencier des employés. Le problème devient complexe et le taux de chômage s'accroît. Car Israël poursuit sa politique de destruction des usines et des établissements industriels. Il y a de moins en moins d'offres d'emploi pour les cadres. Ce qui implique la propagation du travail précaire. Ce qui n'aide bien évidemment pas à redresser économiquement la société palestinienne.
La réoccupation israélienne des territoires palestiniens a eu des conséquences désastreuses sur tous les aspects de la vie, économique, éducative et sanitaire. Le nombre de familles qui ont perdu leur tuteur est aujourd'hui en forte hausse. Le nombre de victimes palestiniennes de l'Intifada s'approche de 2 500 martyrs. Par ailleurs, la destruction des terres cultivées et des oliviers fait perdre aux agriculteurs palestiniens leur gagne-pain. En outre, l'Autorité palestinienne est aujourd'hui incapable de payer ses employés.
— Et les jeunes dans tout cela ?
— Contrairement aux jeunes ailleurs, la jeunesse palestinienne n'a pas de temps, par exemple, pour soutenir des clubs de football. Elle s'occupe plutôt d'apporter son soutien aux partis et aux organisations politiques dans le but de renforcer la lutte contre les Israéliens. Le peuple palestinien cherche le moyen de résister à l'occupation, et le moyen de trouver un emploi.
L'enfant palestinien peut aujourd'hui distinguer les divers types de missiles des avions israéliens et même les divers genres de projectiles des bombes utilisées par l'armée.
— Comment venez-vous en aide à cette population démunie ?
— Le ministère des Affaires sociales présente des aides à 48 000 familles à Gaza et en Cisjordanie et à 23 000 familles à l'extérieur de la Palestine, qui sont les familles des martyrs. Et il y a les organisations internationales, y compris américaines qui travaillent en collaboration avec des institutions locales.
— Ces organisations aident-elles les résistants palestiniens ?
— Non, ceux-ci ne reçoivent aucune aide de ces organisations. Elles considèrent qu'une telle assistance se traduit par davantage de « violence et de terrorisme ». Par conséquent, elles se concentrent sur les questions sociales, comme le développement ou les droits de l'homme.
— Qu'en est-il de l'assistance financière apportée par les gouvernements arabes ?
— L'Arabie saoudite respecte à la lettre ses engagements financiers. D'autres Etats tiennent plus ou moins intégralement leurs promesses alors que d'autres ne le font pas du tout. Nous espérons que tous les pays pourront aider les Palestiniens dans cette période cruciale.
— Quel est votre avis sur les accusations lancées contre l'Autorité palestinienne, selon lesquelles cette dernière a permis l'enrichissement d'une minorité ?
— C'est une campagne menée par l'Etat hébreu contre l'Autorité palestinienne dans le but de la discréditer. Les Israéliens ne veulent pas faire la paix avec le peuple palestinien. Preuve la plus parlante est l'assassinat par un extrémiste de l'ancien premier ministre israélien Yitzhaq Rabin, qui a conclu l'accord d'Oslo avec les Palestiniens. La société israélienne se dirige vers l'extrémisme. Et on en est à ce stade parce que les accords de paix auraient dû aussitôt être mis en application.
Il y a certes une corruption chez nous, comme partout dans le monde. Cela ne veut pas dire que la corruption est enracinée. Le problème est qu'Israël désire une autre direction palestinienne qu'il qualifie de « différente ». Autrement dit, une direction qui abandonne la lutte nationale.
— Pouvez-vous nous évaluer la situation particulière des habitants de Jérusalem-Est sous l'occupation ?
— Ils souffrent autant que tous les autres Palestiniens à cause du blocus et des points de passage. Les Israéliens tentent de séparer Jérusalem des autres villes et villages palestiniennes en vue de la couper de la Cisjordanie. Israël tente de séparer Jérusalem de son entourage arabe par le blocus. Il empêche les Palestiniens de se rendre dans la ville en fixant l'âge de ceux qui peuvent aller prier à la mosquée d'Al-Aqsa. 
                                                           
21. Quand allons-nous résister ? par Edward Saïd
in The Guardian (quotidien britannique) du samedi 25 janvier 2003
[traduit de l'anglais par CCIPPP]

(CCIPPP : Campagne Civile Internationale pour la Protection du Peuple Palestinien http://www.missions- palestine.org)
"Les Etats-Unis se préparent à attaquer le monde arabe, et les Arabes sont soumis et gémissent."
Quiconque ouvre le New York Times de façon quotidienne peut lire l'article le plus récent à propos des préparatifs de guerre qui occupent les Etat-Unis. Un autre bataillon, encore des transports de troupes et des croiseurs, un nombre toujours plus important d'avions, de nouveaux contingents d'officiers sont envoyés dans le Golfe Persique. Une force énorme et délibérément intimidante est en train d'être rassemblée au-delà des mers, alors que dans notre pays les mauvaises nouvelles sociales et économiques se multiplient de façon implacable.
L'immense machine capitaliste parait vaciller et semble même mettre à bout la majorité des citoyens. Et pourtant George Bush propose une nouvelle et importante réduction d'impôt pour le 1% le plus riche de la population. Le système public d'éducation est en crise et une assurance sociale n'existe tout simplement pas pour 50 millions d'Américains. Israël demande pour 15 billions de dollars de nouvelles garanties de prêt et d'aide militaire. Et les taux de chômage aux Etats-Unis augmentent de façon inexorable en même temps que chaque jour des emplois sont perdus.
Les préparatifs pour une guerre incroyablement coûteuse se poursuivent néanmoins, sans approbation publique et, au moins jusqu'à très récemment, avec une évidente désapprobation. Une indifférence générale de la majorité de la population (qui peut dissimuler une grande crainte, de l'ignorance ou de l'appréhension) a accueilli le bellicisme de l'administration [Bush, N.d.T] et son curieux manque de réponse au défi manifesté par la corée du Nord. Dans le cas de l'Iraq, où il n'y a pas d'armes de destruction massive dont on puisse parler, les Etats-Unis planifie une guerre ; dans le cas de la Corée du Nord, ils offrent aide économique et énergétique. Quelle humiliation dans la différence entre le traitement imposé aux Arabes et le respect manifesté face à la Corée du Nord, une dictature aussi sombre et cruelle.
Dans les mondes arabe et musulman, la situation apparait plus singulière. La plupart des politiciens américains, des experts, des officiels de l'administration et des journalistes ont répété les poncifs devenus des standards très éloignés de la réalité de l'Islam et du monde arabe. Une bonne part de ces poncifs a précédé le 11 septembre. Au cœur unanime d'aujourd'hui s'est ajouté le rapport des Nations Unies concernant le développement social du monde Arabe, rapport certifiant que les Arabes sont dramatiquement à la traîne du reste du monde en ce qui concerne la démocratie, la connaissance et les droits des femmes.
Chacun sait (avec bien évidemment quelque justification) que l'Islam demande une réforme et que le système éducatif dans le monde Arabe est un désastre - de fait, une école pour fanatiques religieux et bombes humaines [suicide bombers - N.d.T] fondée non seulement par des imams ayant perdu la raison et leurs riches adeptes (tel Oussama Ben Laden) mais aussi par des gouvernements considérés comme des alliés des Etats-Unis.
Les seuls " bons " Arabes sont ceux qui occupent les médias et dénigrent sans aucune réserve la culture et la société arabe d'aujourd'hui. Rappelons-nous la répétitivité de leurs condamnations, avec rien à dire de positif sur eux-mêmes, ni sur leur peuple ni sur leur langue ; ils ne font que recracher les éternelles et fatigantes formules américaines que l'on trouve sur les ondes ou les pages imprimées.
Nous manquons de démocratie, disent-ils ; nous n'avons pas assez mis en cause l'Islam, nous devons faire plus pour nous débarasser du spectre du nationalisme arabe et du credo de l'unité arabe. Tous ceci ne serait que détritus idélogiques et sans aucun crédit. Tout ce que nous disons avec nos instructeurs américains à propos des Arabes et de l'Islam - des clichés orientalistes recyclés et imprécis, répétés à satiété par des médiocrités du type de Bernard Lewis - sont exacts, insistent-ils. Le reste ne serait pas assez réaliste ou pragmatique.
" Nous " avons besoin d'accéder à la modernité - modernité signifiant de fait que nous soyons occidentalisés, globalisés, avec un marché libre et une démocratie, quoi que ces mots puissent signifier. Il pourait y avoir un essai de rédigé sur la prose de grands diplômés tels Fuad Ajami, Fawwaz Gerges, Kanan Makiya, Shibli Talhami, Mamoon Fandy, et sur les relents de servilité contenus dans leur langage, l'inauthenticité et la répétition guindée et désespérée de ce qui leur est imposé.
Le choc des civilisations, que George Bush et ses esclaves tentent de promouvoir afin de justifier une guerre préventive pour le pétrole et leurs vues hégémoniques sur l'Irak, est supposé aboutir à la construction triomphale d'une nation démocratique, au changement de régime et à une modernisation forcée à l'américaine.
Qu'importent les bombes et les ravages produits par les sanctions jamais mentionnées. Il s'agira d'une guerre purificatrice dont les buts sont de chasser Saddam et ses sbires et de les remplacer tout en redessinant la carte de toute la région. Nouveau Sykes Picot. Nouveau Balfour. Nouveaux 14 points de Wilson. Monde tout à fait nouveau. Nous sommes appelés par les Irakiens dissidents, et les Irakiens fêteront leur libération et oublieront peut-être leurs souffrances passées. Peut-être …
Pendant ce temps, la destruction des âmes et des corps se poursuit en Palestine, empirant à chaque instant. Il ne semble pas y avoir de force capable de stopper Ariel Sharon et son ministre de la défense, Shaul Mofaz, lesquels meuglent leur défi au monde entier. Nous interdisons, nous punissons, nous bannissons, nous brisons, nous détruisons. Le torrent d'une violence sans frein s'abat sur une population entière.
Au moment où j'écris ces lignes, j'ai reçu une information selon laquelle le village d'Al-Daba' dans le district de Qalqilya (Cisjordanie) est sur le point d'être rayé de la carte par les bulldozers israéliens (fabriqués aux Etats-Unis) de 60 tonnes : 250 Palestiniens perdront leurs 42 maisons, 700 dunums de terre agricole, une mosquée et une école élémentaire pour 132 enfants. Les Nations Unies restent passives, contemplant comment à chaque heure sont transgressées ses résolutions. Hélas, George Bush s'identifie à Ariel Sharon, et non pas au jeune Palestinien de 16 ans utilisé comme bouclier humain par les soldats israéliens.
Pendant ce temps, l'Autorité Palestinienne propose un retour aux pourparlers de paix, et probablement à Oslo. Bien qu'ayant été floué pendant 10 ans, Arafat paraît inexplicablement vouloir y revenir. Ses fidèles lieutenants produisent des déclarations et écrivent des contributions dans la presse, suggérant leur bonne volonté à accepter quelque chose que ce soit. De façon tout à fait remarquable, la grande masse de ce peuple héroïque paraît vouloir aller de l'avant, sans paix et sans répit, saignant, affamé, mourant jour après jour. Leur confiance en la justesse de leur cause et leur dignité leur interdisent de se soumettre honteusement à Israël comme l'ont fait leurs responsables. Que peut-il y avoir de plus décourageant pour l'habitant de Gaza qui résiste à l'occupation israélienne, que de voir ses dirigeants jouant les suppliants à genoux devant les Américains ?
Dans ce panorama de désolation, ce qui saute aux yeux est la totale passivité et l'impuissance de tout le monde Arabe. Le gouvernement américain et ses valets, déclaration après déclaration, affichent leurs objectifs, déplacent des troupes et du matériel, transportent des tanks et des contre-torpilleurs, et les Arabes, individuellement et collectivement peuvent à peine, en rassemblant leur courage, manifester un faible refus. Au mieux ils disent : " Non, vous ne pouvez pas utiliser nos bases militaires sur notre territoire ", pour se déjuger quelques jours plus tard.
Pourquoi un tel silence et une impuissance aussi stupéfiante ? La puissance dominante dans le monde est en train de préparer une guerre contre un pays Arabe souverain actuellement gouverné par un régime épouvantable, avec pour objectif non seulement de détruire le régime du Ba'ath mais aussi de refaire la carte de tout le monde Arabe, en changeant peut-être d'autres régimes et d'autres frontières dans la foulée. Personne ne pourra se mettre à l'abri d'un tel cataclysme s'il se produit. Et nous n'avons droit qu'à un long silence suivi de quelques bêlements polis en guise de réponse. Des millions de personnes vont être affectées, et l'Amérique planifie leur futur avec mépris et sans les consulter. Est-ce que nous méritons un tel mépris raciste ?
Ceci n'est pas seulement inacceptable mais aussi impossible à croire. Comment une région de 300 millions d'individus peut-elle attendre passivement les coups à venir sans pousser un hurlement collectif de résistance ? Le monde Arabe s'est-il dissout ? Même un prisonnier sur le point d'être exécuté prononce en général quelques mots. Pourquoi n'y a-t-il pas à présent une ultime déclaration pour toute une région historique, pour une civilisation sur le point dêtre bousculée et totalement transformée, pour une société qui malgré ses inconvénients et ses faiblesses, fonctionne ?
Des enfants Arabes naissent tous les jours, d'autres enfants vont à l'école, des hommes et des femmes se marient, travaillent, ont des enfants ; ils jouent, et rient, et mangent, ils sont tristes, ils souffrent de maladie et de mort. Il y a de l'amour et de la compagnie, de l'amitié et de l'enthousiasme. Oui, les Arabes sont réprimés et mal gouvernés, terriblement mal gouvernés, mais ils s'adaptent malgré tout dans leur travail et dans leur vie. C'est une réalité ignorée des dirigeants arabes et des Etats-Unis lorsqu'ils gesticulent à destination d'une soit-disante "rue Arabe" [Arabe street - N.d.T], concept inventé par de médiocres orientalistes.
Qui traite aujourd'hui des questions existentielles qui se posent à propos du futur de notre peuple ? La tâche ne peut pas dépendre d'une cacophonie de religieux fanatiques ni de moutons fatalistes et soumis. Mais il semble que ce soit malgré tout le cas. Les gouvernements Arabes - non, la plupart des pays Arabes - se reculent dans leurs sièges et attendent, tandis que l'Amérique prend des poses, met en garde et menace, tout en alignant plus de bateaux, de soldats et de F-16 avant de porter ses coups. Le silence est assourdissant.
Des années de sacrifices et de luttes, d'os brisés dans des centaines de prisons et chambres de tortures de l'Atlantique jusqu'au Golfe, des familles détruites, de la pauvreté et de la souffrance sans fin. Des armées énormes et chères. Et tout cela pour quoi ?
Ce n'est pas une question de parti, d'idéologie ou de faction : c'est une question que le grand théologien Paul Tillich nommait le sérieux ultime [ultimate seriousness, N.d.T]. La technonologie, la modernisation et une inévitable globalisation ne constituent pas une réponse face à ce qui nous menace maintenant. Nous avons dans notre tradition une part complète de discours séculaire et religieux traitant de début et de fin, de vie et de mort, d'amour et de colère, de société et d'histoire. Mais aucune voix, aucun individu disposant d'une large vision et d'une autorité morale parait capable d'y puiser et de porter cela à l'attention.
Nous sommes à la veille d'une catastrophe et nos dirigeants politiques, moraux et religieux font de timides mises en garde et, tout en se dissimulant derrière des chuchotements, des clins d'oeil de connivence et des portes fermées, ils font des plans sur les moyens d'échapper à la tempête. Ils réfléchissent à leur survie et peut-être à la providence. Mais qui est en charge du présent, de ce qui est matériel, de la terre, de l'eau, de l'air et des vies qui dépendent des uns et des autres ? Personne ne parait avoir cette responsabilité.
Il y a une expression magnifique qui exprime de façon précise et ironique notre inacceptable impuissance, notre passivité et notre incapacité à nous aider les uns les autres alors que notre force serait requise. Cette expression est : la dernière personne à sortir peut-elle éteindre les lumières ?
Nous sommes à la veille d'un bouleversement qui laissera peu de chose debout et qui dangereusement laissera même peu de chose dont on puisse se souvenir, excepté la dernière injonction pour faire disparaître la lumière.
Le temps n'est-il pas venu d'affirmer une sincère alternative pour le monde Arabe, face aux ravages sur le point d'engloutir notre société ? Il ne s'agit pas d'invoquer uniquement un changement de régime, et Dieu sait comme nous savons le faire. En tout cas cela ne peut être un retour à Oslo qui serait une nouvelle supplication à Israël d'accepter notre existence et de nous laisser vivre en paix, ou autrement dit une autre incitation servile et rampante à la pitié. Personne ne viendra donc se mettre en pleine lumière pour refléter une vision de notre futur qui ne soit pas basée sur un scénario écrit par Donal Rumsfeld et Paul Wolfowitz, ces deux symboles de nullité du pouvoir et d'arrogance incontinente ?
J'espère que quelqu'un m'entend ....
                                                                                           
22. Nous attendons toujours l’application de la 242 par Paul Foot
in The Guardian (quotidien britannique) du mercredi 13 novembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Les photos triomphalistes des journaux, montrant les quinze membres du Conseil de Sécurité de l’ONU au complet (pas un ne manque !) votant à l’unanimité la résolution 1441 sur l’Irak, m’ont rappelé une image assez semblable, qui a trôné dans la maison de mes parents pendant une bonne décade. Mon père, Hugh Foot, qui fut ennobli en Lord Caradon, passa le plus clair de son existence en tant que fonctionnaire colonial. Il contribua à ramener l’Union Jack, au Nigeria, où il était secrétaire général, à la Jamaïque et à Chypre, où il fut gouverneur. Mais, de très loin, ce dont il était le plus fier, c’était d’avoir été le représentant du Royaume-Uni à l’ONU en 1967, année où il parvint, après cinq mois de négociations soutenues et délicates, à persuader l’ensemble des quinze membres du Conseil de Sécurité de voter la résolution 242. Il avait fait encadrer la photo du scrutin, et cette photo a trôné fièrement sur son bureau jusqu’à sa mort, en 1990.
La résolution 242 portait sur la conquête et l’occupation de territoires par l’armée israélienne au cours de la guerre de juin 1967 (dite ‘des six jours’), territoires peuplés majoritairement de Palestiniens. Elle appelait au « retrait des forces israéliennes des territoires conquis au cours du récent conflit ». Les termes de cette résolution ont fait l’objet de débats très vifs, depuis lors. Des juristes pro-israéliens futés font observer que le mot « tous » (all) n’apparaît pas, dans le texte anglais, devant les mots « territoires occupés » (… territories occupied…) et que, par conséquent, la résolution laisse toute latitude à l’armée israélienne de se retirer seulement de « certains » (‘some’) territoires occupés, et non pas de la totalité. Ainsi, j’ai été très heureux de lire un article dans la dernière livraison de la très sérieuse revue International and Comparative Law Quarterly, écrit par le procureur de Londres John McHugo. Il y démolit méticuleusement et exhaustivement ce qu’il appelle la version « de droite » de cette résolution. Afin d’illustrer son propos, il cite l’exemple d’une pancarte, dans un parc public, qui annoncerait « les chiens doivent être tenus en laisse » (‘dogs must be kept on a lead’) en demandant si cela peut être interprété dans le sens : « certains chiens doivent être tenus en laisse » (‘some dogs must be kept on a lead’), ou bien dans le sens : « tous les chiens doivent être tenus en laisse » (‘all dogs must be kept on a lead’) ? Plus sérieusement, il interprète la résolution 242 dans le contexte de son préambule qui insiste sur l’ « inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la guerre ». Après avoir analysé les différentes contributions au débat ayant précédé l’adoption de la résolution, à l’ONU, dont celle de mon père, il conclut que la résolution voulait bien dire ce qu’elle voulait dire, à savoir : les forces israéliennes doivent être retirées des territoires qu’elles ont occupées au cours de la guerre des six jours : la Cisjordanie, la bande de Gaza, les hauteurs du Golan et une grande partie de Jérusalem.
Quel rapport, entre les réactions après l’adoption de la résolution 242, et celles constatées après la résolution adoptée la semaine dernière concernant l’Irak ? La résolution sur l’Irak a été adoptée avec une hâte qui frise la précipitation. Les inspecteurs en armement sont attendus en Irak sous huitaine, et à la moindre hésitation, fût-elle momentanée, de la part du gouvernement irakien, tout le monde suppose qu’une guerre s’ensuivra. La résolution 242, par ailleurs, a été prise voici 35 ans. Durant tout ce temps, elle a été ignorée avec mépris par le  gouvernement israélien. Quelle conclusion pouvons-nous tirer de cette comparaison ?
Certains juristes internationaux avancent l’argument que la résolution ‘Irak’ a été adoptée dans le cadre du chapitre VII de la charte de l’ONU et que, par conséquent, elle exige une prise de décision rapide en cas d’infraction, ce qui n’est pas le cas de la résolution 242. Et pourquoi donc ? Pourquoi l’exigence du retrait israélien des territoires occupés n’est-elle pas soutenue par la menace du recours à la force ? Comme le président Bush l’a déclaré lui-même dans son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU, le 12 septembre : « Les résolutions du Conseil de Sécurité sont-elles faites pour être appliquées, ou bien pour être mis dans un coin, sans aucune conséquence ? » L’argument qui tue, derrière le ‘deux poids – deux mesures’ (‘double standard’) semble être ceci : les résolutions unanimes de l’ONU allant dans le sens de l’impérialisme pétrolier des Etats-Unis seront mises en applications avec la rigueur militaire la plus impitoyable, tandis que les résolutions de l’ONU prises à l’unanimité mais dirigées contre des Etats amis des Etats-Unis seront ignorées. Est-ce cela, que les fondateurs de l’ONU avaient à l’esprit ? Ce n’est pas clair. Ce qui est, en revanche, parfaitement clair, c’est que, quoi qu’il arrive en Irak, la Palestine restera le Problème numéro 1…
                                                               
23. Après l’Irak, Bush attaquera sa cible véritable par Eric Margolis
in Toronto Sun (quotidien canadien) du lundi 10 novembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Eric Margolis connaît bien la politique au Moyen-Orient. Il met en lumière ici un des aspects de la guerre contre l’Irak, rarement débattu. La cible visée, in fine, est l’Iran, un pays à l’industrie nucléaire naissante, qui préoccupe beaucoup plus Israël que ne le fait l’ogre irakien édenté.)
New York – Le président Bush, drapé dans le ‘Stars and Stripes’ (étoiles et rayures), le drapeau américain, a remporté une victoire électorale majeure, la semaine dernière, qui a vu les électeurs américains lui confier les clés à la fois du Congrès et du parti Républicain. Aux élections de mi-mandat (‘mid-term’), comme celles-ci, le parti au pouvoir s’en tire généralement plutôt mal. Mais cette année, l’électorat, pétrifié par la hantise du terrorisme et qu’une propagande survoltée avait mis dans un état de fébrilité guerrière, a massivement voté républicain. Merci, Oussama ! Et puis, aussi, n’oublions pas : merci, Saddam !
Une photo, poignante, en disait des volumes, à elle seule : celle montrant le sénateur Démocrate de l’Etat de Géorgie, Max Cleland, assis dans un fauteuil à roulettes. Il est cul de jatte et a perdu un bras, dans les combats au Vietnam. Ce héros surmédaillé a été battu par un ancien fauteur de guerre au Vietnam, qui eut l’audace de l’accuser, durant sa campagne électorale, d’avoir été « antipatriote » après que le sénateur eût voté courageusement contre les pleins pouvoirs demandés par Bush en vue de sa guerre annoncée. Je n’ai pas souvenir d’un moment plus honteux dans toute la vie politique américaine…
La victoire accordée à Bush est clairement un feu vert qui vient de lui être donné pour poursuivre sa croisade contre l’Irak. Les préparations guerrières en sont à un stade ultime. Depuis des semaines, les Etats-Unis déménagent tranquillement leur armada, leurs blindés et leurs unités mécanisées d’Europe au Moyen-Orient. L’équivalent de trois divisions terrestres et d’une brigade lourde de la Marine sont désormais à pied d’œuvre, presque sur le théâtre des opérations. Des forces spéciales américaines opèrent dans le nord de l’Irak, et aussi, en coopération avec des unités de repérage israéliennes, dans le désert occidental de l’Irak, tout près de la base aérienne H2, extrêmement importante sur le plan stratégique. La guerre pourrait débuter dès la mi-décembre, à moins qu’un coup d’Etat renverse Saddam Hussein d’ici là…
Mais, en dépit d’un flot de propagande autour du pernicieux Saddam, l’Irak n’est pas l’objectif principal de la petite, mais néanmoins pittoresque, coterie de faucons qui, au Pentagone, dirigent la politique de sécurité nationale de l’administration Bush. L’Irak n’est pas, non plus, l’objectif de leurs homologues intellectuels et émotionnels dans le parti israélien de droite, le Likud. La cible réelle de la guerre annoncée est l’Iran, pays en lequel Israël voit son ennemi principal. Et aussi le plus dangereux. L’Irak sert simplement de prétexte permettant de fouetter les sangs de l’Amérique afin de la placer dans une frénésie guerrière et de justifier l’envoi d’un grand nombre de soldats américains en Mésopotamie.
Menace mineure
Les responsables israéliens de la défense ont depuis longtemps remisé l’Irak en ruines dans la catégorie des menaces mineures, même si ce pays détient encore vraisemblablement des missiles Scud, qu’il tient cachés et qui seraient au nombre, au minimum de six et au maximum de dix-huit. Saddam n’a pas utilisé d’armes chimiques en 1991 [lors de ses bombardements du territoire israélien, ndt] de crainte qu’Israël ne riposte en le ‘nucléarisant’. Israël dispose, aujourd’hui, du système anti-missiles le plus évolué au monde – Arrow – dont deux batteries sont d’ores et déjà opérationnelles, ainsi que de nombreuses batteries de missiles américains Patriot de dernière génération, déjà en place.
L’opinion dominante au sein de la soldatesque israélienne est que l’Irak sera rapidement défait par les forces américaines, après quoi ce pays sera vraisemblablement scindé entre deux ou trois cantons. Les partisans nord américains d’Israël, toutefois, continuent à être entretenus ‘dans la ligne du parti’, selon laquelle Israël est en danger de mort, ce danger provenant de l’Irak…
L’Iran, c’est une autre histoire. L’Iran est susceptible de produire quelques bombes nucléaires d’ici cinq ans, afin de faire face au très important arsenal nucléaire israélien, et il développe des missiles à moyenne portée, les Shihab 3 et Shihab 4, qui peuvent atteindre Tel Aviv facilement.
Avec ses 68 millions d’habitants et sa puissance industrielle en croissance rapide, l’Iran représente aux yeux des Israéliens une menace sérieuse et un rival géopolitique majeur, au Moyen-Orient. Les deux pays louchent sur les énormes réserves pétrolières de l’Irak.
Le ministre de la défense israélien nouvellement nommé, un dur, ancien général de l’aviation israélienne, Shaul Mofaz, lequel est né en Iran, a déjà menacé, par le passé, de s’en prendre aux installations nucléaires de l’Iran. Grâce à ses avions F-15 I fournis (surprise, surprise…) par les Etats-Unis, auxquels s’ajoutent ses missiles de croisière et ses missiles balistiques, Israël peut frapper toutes les cibles qu’il désire, en n’importe quel point de l’immense territoire iranien. Cette semaine, la stratégie israélienne à grande échelle a été révélée sans ambages, pour la première fois, même si cette information a été à peine relevée par les médias nord américains. En effet, le premier ministre israélien Ariel Sharon a appelé à l’invasion de l’Iran « dès le lendemain » de l’écrasement de l’Irak…
Les élections en Israël, prévues pour la fin janvier 2003, renouvelleront vraisemblablement le mandat du Likud de Sharon et de ses alliés d’extrême droite, qui seront, cette fois-ci, en position de force. Une compétition féroce, pour la direction du parti, entre l’homme aux poings d’acier, Sharon, et Benjamin Netanyahou, encore plus dur que celui-ci, laisse entrevoir la perspective d’une accentuation du virage vers l’extrême droite, l’annihilation de toute chance de paix avec les Palestiniens et une politique plus agressive envers les voisins qui ne filent pas le parfait amour avec Israël.
Aux Etats-Unis, les partisans de la tendance dure au Pentagone élaborent des plans d’invasion de l’Iran, une fois que l’Irak et son pétrole auront été « libérés ». Ils espèrent qu’une guerre civile éclatera en Iran, pays déchiré depuis des siècles par des dissensions entre factions se haïssant cordialement, après quoi un régime pro-américain s’emparerait des manettes, à Téhéran. Si cette évolution espérée au Pentagone tarde à se dessiner, pas de problème : des forces américaines basées en Irak se positionneront de manière idoine, afin d’attaquer l’Iran… Ou bien, elles pourraient tout aussi bien faire mouvement vers l’ouest et envahir la Syrie, autre ennemi d’Israël, et non des moindres…
Les Likudniks israéliens sont assoiffés de revanche contre la Syrie – et aussi l’Iran – car ces deux pays ont soutenu le mouvement Hezbollah au Liban, qui a réussi à chasser l’armée israélienne du Sud de ce pays, occupé par Israël et ses supplétifs.
Le superfaucon du Pentagon, Richard Perle, a déclaré lors d’une émission de la chaîne de télévision TVO intitulée ‘Immunité Diplomatique’, que les Etats-Unis sont prêts à attaquer la Syrie, l’Iran et le Liban…
Aux environs de février-mars, les médias américains seront vraisemblablement saturés d’avertissements alarmistes au sujet de la menace que l’Iran est censé représenter pour le monde entier. Le lobby pro-israélien aux Etats-Unis détournera ses flingues de l’Irak pour les pointer sur l’Iran. Des « liens » seront, très vraisemblablement, « découverts » opportunément entre l’Iran et l’organisation terroriste Al-Qa’ida… Le système à l’emporte-pièce qui a si bien fonctionné pour faire monter la mayonnaise de la psychose de guerre contre l’Irak pourrait tout aussi bien fonctionner contre l’Iran, la Syrie, ou même l’Arabie Saoudite – et permettre (à Bush) de remporter les prochaines élections présidentielles américaines…
                                                   
24. La mauvaise conscience du sionisme par Joel Kovel
in Tikkun (bimensuel  américain) du mois de septembre/octobre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Joel Kovel enseigne à Bard College. Son dernier ouvrage, "The Enemy of Nature", vient d’être publié par Palgrave (Zed Books, Londres). Pour plus d’information, voici l’adresse de son site personnel : http://joelkovel.org. "Tikkun" signifie "Réparation" en hébreu, ce magazine publié à San Francisco, se défini comme un bimensuel Juif de critique politique, de culture et de société. Son site : http://www.tikkun.org)
Permettez-moi de commencer par quelques questions très directes, dont le caractère abrupt ne jurera pas sur la toile de fond de la situation en Israël/Palestine. Comment les juifs, associés depuis des temps immémoriaux à la souffrance et à de hautes considérations morales, en sont-ils venus à être identifiés à un Etat-nation mondialement honni en raison de son caractère oppressif à l’égard d’un peuple indigène ployant sous son joug ? Pourquoi une majorité substantielle de juifs a-t-elle choisi de tromper l’opinion mondiale afin de la rallier à un Etat connu essentiellement pour avoir fait de territoires qu’il occupe illégalement un énorme camp de concentration, contraignant les populations soumises à son occupation à recourir à des expédients aussi incroyablement barbares que des attentats suicides ? Pourquoi la communauté sioniste, dans sa rage impuissante contre le terrorisme, oublie-t-elle que trois premiers ministres d’Israël, au cours des vingt dernières années – Begin, Shamir et Sharon – sont unanimement connus pour avoir été des terroristes de première classe et des assassins de masse ?  Et pourquoi ces mots que je viens tout juste d’écrire – ainsi que les propos d’autres juifs critiquant Israël – doivent-ils être systématiquement vilipendés haineusement et amèrement dénoncés par les sionistes et qualifiés par eux de « typiques du juif se haïssant lui-même » et d’ « antisémites » ? Pourquoi donc les sionistes ne voient-ils pas, ou plus exactement - voient mais continuent à nier - la réalité brutale que cet Etat a créée ?
L’utilisation que je viens de faire de la notion de déni suggère que la communauté sioniste justifie d’un traitement psychologique. Mais en ces matières, la psychologie n’est qu’un des aspects d’un ensemble beaucoup plus important qui inclut des faits têtus, et notamment l’occupation par la force d’un territoire revendiqué, mais autrefois habité par d’autres. Les phénomènes de conscience relèvent certes d’un traitement subjectif. Mais ils ne naissent jamais à l’intérieur des esprits ni ne restent jamais limités à des pensées et à des sentiments. La conscience est également objective, elle est liée à des notions telles la justice et la loi, qui existent à l’extérieur d’une volonté individuelle quelconque. La conscience est aussi collective, elle est relative à ce qui est fait par le groupe à l’intérieur duquel l’identité prend forme. Ces phénomènes de groupe sont, pouvons-nous dire, organisés en « univers moraux », dans lesquels l’histoire, la mythologie et les comportements moraux individuels sont rassemblés et fusionnés en un ensemble plus large. De tels univers peuvent à leur tour être universalisants, en ce sens que cet ensemble en inclut d’autres, qui sont perçus comme des parties constituantes de la commune humanité (ou, dans le cas des créatures non-humaines, de la nature). Ou bien alors, comme c’est trop souvent le cas, ils peuvent être unis au seul moyen (et au seul prix) d’une sécession d’avec les facultés morales.
La situation qui prévaut aujourd’hui en Israël/Palestine est une situation où la commune humanité est déniée, où l’Autre n’est pas reconnu, et où prévaut le deux poids – deux mesures (‘double standard’). Dans une conception telle que celle-là (qui a entaché l’Histoire depuis ses origines et constitue l’un des principaux obstacles à l’avènement d’un monde meilleur), c’est la loi du talion qui règne : la violence envers Autrui est approuvée et la violence venant d’Autrui est diabolisée. Comme dans les domaines de la matière et de l’anti-matière, chacun de ces univers moraux est associé de manière bijective avec ceux du domaine antagoniste. Mais un tel effet de miroir n’implique nullement une équivalence morale ; il n’y a aucun doute à avoir sur le fait que ceux qui ont dépossédé autrui et occupent illégalement le territoire national d’autrui endossent la culpabilité initiale. Ceci n’excuse en rien telles ou telles exactions palestiniennes ou arabes qui se sont manifestées au cours des affrontements – les admettre reviendrait à perdre son sens moral – mais donne seul le contexte permettant de comprendre le conflit à un niveau plus profond et nous oblige à examiner avec un soin particulier la situation curieuse qui est celle des juifs. En dépit des innombrables variantes qui existent entre les différentes fractions du judaïsme, certaines forces historiques communes ont abouti à un dilemme commun et ont joué un rôle crucial dans l’apparition et l’épanouissement du sionisme.
De tout temps, les juifs sont supposés savoir mieux, être mieux (que les autres). D’avoir été persécuté et d’avoir vécu éternellement aux marges de l’Europe était supposé avoir rendu les juifs moralement plus développés. Je parle d’expérience, ayant été éduqué, depuis ma plus tendre enfance, dans l’idée que j’avais hérité d’une double supériorité, du simple fait que j’appartenais à un peuple à la fois plus intelligent et plus moral que les non-juifs qui nous entouraient. Nous, juifs, étions les exceptions de l’Histoire.
Un mythe avait rendu cette croyance cohérente, à travers les siècles, tout en donnant forme à l’identité juive : il y avait un « pacte », une sorte de traité spécial, de promesse, entre les juifs et Dieu. Un livre, appartenant au petit univers de mon enfance, aux jours de la Yeshiva [première communauté juive en Palestine, avant la création d’Israël, ndt], avait pour titre : « Quelle idée, tout de même, ce Bon Dieu : aller choisir les juifs ? »
Le sentiment d’avoir été choisi par l’Etre Suprême et d’avoir été de ce fait placé au-dessus des simples « goyim » [les non-juifs, ndt] , cela vous donne un optimisme et un allant indéniables. Les implications morales douteuses de cette attitude et le mépris haineux qui l’accompagnaient souvent – on aurait presque pu entendre s’écraser le crachat sur le trottoir lorsque le mot « goyim » était prononcé – étaient équilibrés par le fait que les juifs parlaient depuis une position de victimes. L’exceptionnalisme juif était une sorte d’acompte qui annulait les siècles de réclusion dans des ghettos, de déni des droits fondamentaux tel le droit à posséder des terres, de persécution, de chasses à l’homme, de massacres, d’expulsions, pour ne pas parler de ce que cela représentait d’être en permanence dans la ligne de mire du système raciste régnant - l’antisémitisme.
D’avoir vécu avec l’antisémitisme, même dans les périodes où sa violence ouverte était plus latente, a contribué à promouvoir la conscience de soi du caractère juif et aussi sa sensibilité à fleur de peau. Aujourd’hui encore, peu de juifs sont tout à fait capables de ne pas ressentir la peur viscérale inhérente à l’héritage du judaïsme : il existe toujours un arrière-fond de reproche, qui est lourd du pogrom à venir. Un juif vit encore aujourd’hui avec le fait que son peuple a été pris pour bouc émissaire, des siècles durant, par l’Europe chrétienne – nous entendons toujours, dans notre tête, dire que les juifs étaient les assassins du Christ, et qu’ils sont donc responsables des échecs de la chrétienté ; la destruction de la vie communautaire médiévale (en Europe) était attribuée aux usuriers juifs, et non pas aux propriétaires terriens, les barons ; les juifs étaient tenus responsables de la misère du peuple russe, et non le Tsar… De multiples façons, trop nombreuses pour les énumérer ici, les juifs devaient payer pour les crimes de l’Occident, et pour la trahison de ses idéaux. L’exaltation particulière liée à la persuasion d’être soi-même le peuple élu est à la fois le résultat et aussi, dans une certaine mesure, la cause de la persécution antisémite : ils nous haïssent, mais nous sommes meilleurs qu’eux ; de là : s’ils nous haïssent, c’est parce que nous sommes meilleurs qu’eux. L’exceptionnalisme a renforcé le tribalisme imposé aux juifs et leur tribalisme a été l’instrument de l’antisémitisme, même s’il les en défendait.
C’est dans cette configuration qu’une grande variété de manières d’être juif apparurent. Elles comportaient, en particulier pour les juifs vivant en diaspora en Europe occidentale, la possibilité de s’assimiler ou de rester à l’écart des sociétés où ils habitaient. Certains juifs, bien entendu, se reposèrent sur la protection assurée par les mœurs tribales, qui leur offraient un moyen de se défendre contre un monde très dur et ostracisant. D’autres embrassèrent les professions financières qui avaient été imposées aux juifs bien avant que le capitalisme ne devienne le système dominant, et ils les développèrent, devenant les maîtres de la finance lorsque le capital en vint à occuper le centre de la scène. En Occident, certains juifs virent dans les grands idéaux de l’universalité et des Lumières un moyen de transcender le rôle tribal étriqué qui leur avait été jusqu’alors imparti. Ayant été persécuté, après s’être vu dénier les droits élémentaires d’autodétermination accordés aux autres, les juifs de cette catégorie adoptèrent l’idéal des droits universels de l’homme, apparus à l’ère des Lumières (dix-huitième siècle, ndt) et se firent les champions de l’émancipation.
Ensuite, vers la fin du dix-neuvième siècle, l’ancienne alliance du Pacte prit la forme d’une Terre promise bien réelle. Israël offrit aux juifs d’Europe l’opportunité matérielle d’équilibrer les tensions entre le tribalisme et l’esprit des Lumières. Poussé par la montée de l’antisémitisme qui avait commencé quelques années auparavant et qui allait culminer en donnant un stimulus horrifiant au Troisième Reich, Israël devint la résidence de la tribu, l’endroit sûr où les juifs pouvaient être juifs. Concomitamment, Israël offrait aux juifs qui s’identifiaient au libéralisme des Lumières la possibilité de démontrer leur compétence dans les industries libérales occidentales (y compris socialistes). Ainsi, naquit un projet qui aspirait à combiner et à synthétiser ensemble les valeurs démocratiques occidentales et des valeurs tribales ancestrales.
De l’Occident, les sionistes adoptèrent les valeurs de la démocratie libérale, mais aussi les objectifs, les tactiques et la mentalité d’un impérialisme qui accompagnaient très généralement celle-ci. La convergence entre tribalisme et impérialisme parut, en surface, représenter une symbiose heureuse des différentes motivations du projet sioniste. A partir des toutes premières implantations juives en Palestine, la mentalité impérialiste permit aux sionistes d’immédiatement « justifier » le déplacement auquel ils procédaient des indigènes palestiniens en invoquant la notion d’une « mission civilisatrice », enjolivée d’un répertoire complet de préjugés orientalistes (et donc, racistes, ndt).
L’allégeance du sionisme à la modernité lui conféra également un haut degré de compétences techniques et une grande faculté en matière organisationnelle. A l’époque du Yishuv (ou implantation des pionniers), cela était illustré par le point auquel les sionistes évinçaient constamment dans leurs productions et leurs performances les populations indigènes en dépit de l’énorme supériorité numérique de celles-ci. Plus tard, à l’époque des guerres qui aboutirent à la création de l’Etat d’Israël, ainsi qu’aux guerres déclenchées par cet Etat lui-même, une capacité organisationnelle supérieure, combinée à un armement nettement supérieur firent d’Israël le mastodonte numéro 1 de la région, guidé par la loi du talion héritée du tribalisme juif et par la ridiculisation raciste de l’adversaire, de surcroît.
Pendant un temps, il fut facile de sympathiser avec l’Etat juif,  en fermant les yeux sur ses tendances impérialistes, particulièrement durant la période cruciale de la deuxième moitié des années 1940, lorsque la réalité de l’Holocauste s’imposa en aide-mémoire diabolique de la vulnérabilité des juifs aux malignités de la Civilisation Occidentale autoproclamée. Je me souviens très bien comment, alors que j’avais à l’époque seulement douze ans, de l’explosion de joie et d’espoir lorsqu’il fut de plus en plus évident que nous allions enfin avoir « notre Etat », et je sais parfaitement à quel point les juifs autour de moi partagèrent profondément ces sentiments.
Mais ni la compréhension ni la sympathie ne peuvent rien au fait qu’en suivant cette pente, le sionisme dressait le décor, aussi sûrement que l’auraient fait un Eschyle ou un Euripide, de la situation que nous connaissons, proprement infernale. Cela est très lié au fait que la notion d’un Etat « juif démocratique », en dépit du fait que cela sonne bien, est un oxymoron : une impossibilité logique, doublée d’un piège. Il est absolument navrant qu’un peuple aussi sophistiqué que le peuple juif ait autant de difficulté à saisir l’impossibilité inhérente à leur notion de Terre promise : il ne saurait exister de démocratie réservée à un peuple déterminé, car la raison fondamentale constitutive d’un Etat démocratique moderne est, précisément, que cet Etat revendique son caractère d’universalité.
Les Etats nations modernes sont des synthèses complexes de deux notions : la nation, laquelle incarne le territoire vécu, territorial, sensible et sensuel, l’histoire mythifiée d’un peuple ; et l’Etat, lequel représente l’instance supérieure qui régit une société et qui détient la capacité, comme l’a écrit Max Weber, d’exercer la violence légale. Dans sa forme pré-moderne et non-démocratique, l’Etat nation pouvait exprimer directement la volonté d’un corps de la nation particulier. Dans ces cas-là, le pouvoir d’Etat était exercé par les personnes ou les groupes qui contrôlaient la nation. En pratique, il s’agissait d’un ensemble de rois et d’aristocrates qui exerçaient un contrôle territorial direct, secondés par les théocrates de la classe ecclésiale qui contrôlaient les productions symboliques et mythico-poétiques. C’est en opérant un compromis entre le droit divin des souverains et les pouvoirs territoriaux des prêtres que prit forme la légalité des Etats pré-modernes.
L’Etat nation démocratique est une mutation de ce compromis, opérée de manière à s’allier le pouvoir des nouvelles classes capitalistes émergentes, certes, mais aussi à promouvoir la notion de droits humains universels, à savoir l’idéal à la fois novateur et émouvant des droits universels de l’homme. Mais il faut bien tenir présent à l’esprit que nos espoirs d’un monde dépassant le stade de la vendetta tribale et de l’arbitraire des gouvernants dépendent de manière absolue du renforcement et de la promotion de la notion des droits universels de l’humanité. La légitimité des Etats nations modernes – qui n’est autre que la légitimité de la justice elle-même – dépend de ces droits universels de l’homme. Bien entendu, tous les Etats nations démocratiques ne sont pas équitables, dans la pratique, et, pour certains, ils ne doivent pas non plus leur existence à des moyens conformes aux droits universels de l’homme qu’ils prônent. Néanmoins, Ben Nighthorse (Cheval de Nuit) Cambell, un Indien d’Amérique, siège au Sénat des Etats-Unis, tandis que Colin Powell et Condoleezza Rice, tous deux descendants d’esclaves africains, gèrent la politique étrangère américaine (inutile d’ajouter qu’ils le font d’une manière des plus cordiales pour Israël… ce n’est pas là notre propos), et l’un comme l’autre pourraient bien être élu(e) président(e) un jour.
Rien de ce que nous avons dit ne contredit ce fait essentiel : le racisme interdit à l’Etat démocratique moderne d’être à même d’accomplir sa mission. Mais il y a une différence de taille entre un Etat qui faillit à remplir son contrat social à cause de son histoire saturée de racisme, et un Etat où le contrat génère de par lui-même le racisme, comme c’est le cas d’un Israël colonialiste de peuplement qui prétend tout à la fois être une démocratie et une ethnocratie organisée par et pour le peuple juif. Dans ces conditions, le racisme n’est pas un simple atavisme historique : il s’agit bien d’un trait normal et constant du paysage politique que l’Etat présente. Vouloir un Etat créé expressément pour un peuple déterminé détruit et ridiculise en permanence les aspects soi-disant démocratiques et émancipateurs du sionisme. En résumé : le sionisme est construit sur une impossibilité. Vivre dans le sionisme et en faire partie revient à vivre un mensonge et dans le mensonge.
Dans le cas de certains autres Etats post-colonialistes de population, la promesse démocratique, quoi que compromise, confère une légitimité. Dans le cas d’Israël, la logique de l’Etat ethnocratique écarte toute démocratie authentique et est antithétique de toute légitimité. Toute cette propagande autour d’Israël, « seule démocratie au Moyen-Orient », j’en passe et des meilleures, est fausse jusqu’au trognon, aussi nombreuses soient les institutions sophistiquées qui soient construites en Israël, ou les miettes jetées aux Arabes autorisés à résider à l’intérieur de ses frontières. On peut en apporter un nombre incalculable de façons, dont l’incapacité d’Israël de se donner une Constitution et une Loi fondamentale n’est pas la moindre.
Nous savons que nombreux sont les Etats, dans le monde contemporain, à s’autoproclamer faits pour un peuple donné, et nous savons aussi que ces Etats sont à bien des égards des endroits où il est encore beaucoup plus déplaisant de vivre qu’en Israël, j’en veux pour preuve notamment certains Etats islamiques, tels le Pakistan ou l’Arabie saoudite. Mais aucun de ces Etats n’a la prétention extravagante d’incarner les bienfaits de la modernité démocratique, ce qu’Israël, lui, passe son temps à faire. Ainsi, on n’attend rien du Pakistan ni de l’Arabie saoudite, en matière de démocratie : et ce rien, on l’obtient ! Il n’y a pas de déconvenue. Israël, lui, grince – craque, même - de toutes parts, sous la torsion des contradictions découlant du fait qu’il s’ingénie en vain à introduire des traits de la démocratie libérale occidentale dans une mission nationale de nature tribale et fondamentalement pré-moderne.
En Israël, l’exceptionnalisme juif devient le catalyseur d’une explosion dévastatrices des facultés morales et, par extension, de l’ensemble de l’univers moral qui polarise la pensée juive. En effet, le peuple élu de Dieu, avec son identité durement gagnée de haut sens moral, n’est pas susceptible – pour ainsi dire, par définition – de tomber dans l’ornière de la violence raciste. « C’est pas nous, c’est pas possible ! » se rengorge le sioniste, quand ce sont précisément les sionistes qui sont en train de faire ce à quoi nous assistons. Le résultat, inévitable, c’est une schizophrénie qui élimine du tableau la responsabilité de leurs propres actes. Subjectivement, ceci signifie que les différentes facultés de conscience, de désir et de contrôle se désintègrent et sont soumises à des processus de développement séparés. Il en résulte que le sionisme ne connaît aucune dialectique interne, et par conséquent aucune possibilité de correction dialectico-cybernétique, sous sa façade d’exceptionnelle vertu exceptionnaliste. L’Alliance devient licence à dominer, et non plus engagement à l’élévation morale. Le sionisme, par conséquent, ne peut grandir ; il ne peut que bégayer ses crimes et poursuivre son implacable dégénérescence. Seul un peuple aspirant à une telle élévation pouvait tomber aussi bas…
Nous pouvons résumer ces phénomènes à un seul : la présence d’une « mauvaise conscience » à l’intérieur du sionisme. Ici, le malaise fait référence aux effets de la haine, qui est l’affect primaire résultant du hiatus entre les idéaux exaltés de promesse divine et les impératifs triviaux du tribalisme et de l’impérialisme. Une susceptibilité extraordinairement épidermique et le déni de toute responsabilité en sont les produits inévitables. L’incapacité à voir dans les Palestiniens des êtres humains à part entière agace la conscience, mais la douleur est totalement renversée et exsude sous la forme de la haine dirigée contre ceux qui risquent de rappeler la trahison : les Palestiniens, bien sûr, mais aussi d’autres, et en particulier certains juifs, qui seraient susceptibles de montrer du doigt les contradictions du sionisme. Incapable de tolérer la moindre critique, la mauvaise conscience transforme instantanément le déni en projection. Le « ça peut pas être nous » devient un « c’est forcément eux », et cela ne fait qu’envenimer le racisme, la violence et la gravité du « deux poids, deux mesures ». Ainsi, le « juif ayant la haine de lui-même » est l’image renversée au miroir d’un sionisme incapable de s’y reconnaître. C’est aussi l’écran sur lequel la mauvaise conscience est susceptible d’être projetée. Il s’agit d’une culpabilité qui ne peut être transcendée afin de devenir prise de conscience ou réelle réparation, et qui, de ce fait, s’impose encore et encore, sous ses avatars du délire de persécution et de l’agression permanente.
La mauvaise conscience du sionisme est incapable d’opérer une distinction entre la critique authentique (bienveillante) et les tromperies miroitantes d’un antisémitisme toujours prêt à resurgir, tapis au fond des marécages de notre civilisation mais réveillés par la crise actuelle. (Pour lui), l’une comme les autres sont des menaces, bien que la critique progressiste, mieux ajustée, est en réalité la plus dangereuse, en ce qu’elle pointe la réalité d’Israël et montre la voie vers l’auto-transformation au moyen de la différenciation entre judéité et sionisme ; tandis que l’antisémitisme considère le juif à la manière d’une abstraction et de manifestations démoniaques telles l’ « argent juif » ou les « complots juifs », ce qui lui fait manquer la cible véritable. Le sionisme use et abuse de l’antisémitisme, qu’il instrumentalise : l’antisémitisme lui sert à la fois de poubelle où jeter tous ses contempteurs et de couveuse où cultiver la peur qui lui sert à rameuter les juifs autour de lui. Il ne faut pas, pour autant, minimiser la menace que l’antisémitisme représente, ni la nécessité qu’il y a de le combattre avec vigueur. Mais la priorité est celle de développer une perspective authentiquement critique, et de ne pas se laisser entraîner dans l’impasse consistant à confondre la critique d’Israël et l’antisémitisme. On ne peut, en conscience, condamner l’antisémitisme tout en soutenant Israël, dès lors que c’est Israël qui doit impérativement être changé si l’on veut qu’un jour le monde soit tiré de son cauchemar.
Nous n’explorerons pas ici la configuration à laquelle conduirait ce changement. Mais le principe directeur peut en être défini, très clairement. En faisant d’Israël un refuge et un foyer pour des juifs voulant échapper à des siècles de persécution, en passant, de surcroît, un pacte faustien avec l’impérialisme, ceux parmi les juifs qui ont opté pour le sionisme ont renié leurs souffrances passées et troqué leur faiblesse passée contre leur force présente. Mais cette force, fondée qu’elle est sur la domination, l’oppression et l’expulsion d’autrui, est inutile. Le sionisme a nié ce qui a été fait aux juifs, mais il n’a pas réussi à nier la négation elle-même, et c’est pourquoi il réitère le passé, en revêtant simplement des masques différents. Quiconque en doute n’a qu’a penser à toutes les formes d’oppression infligées aux juifs par la chrétienté : contraints à vivre dans des ghettos, on leur a dénié des droits élémentaires, notamment à la propriété foncière, ils ont été rejetés, expulsés, exilés et soumis à un régime raciste par leurs oppresseurs ; et se demander ensuite si ce n’est pas la même situation qui a été imposée aux Palestiniens par les sionistes, à la seule différence, notable, des modalités d’expression du racisme ?
Il n’est jamais trop tard pour remédier à ce genre de situation, et une minorité non négligeable de gens de bonne volonté sont en train d’agir d’ores et déjà en ce sens, avec courage. Mais il serait irresponsable de tenter de dissimuler le fait que le cœur du problème est le sionisme lui-même, qui persiste à en tenir pour l’absurdité selon laquelle Etat (fait) pour un peuple particulier puisse être un Etat démocratique. Aussi longtemps que cette absurdité sera tenue pour une possibilité, les contradictions empoisonnées continueront à jaillir du territoire ancestral appelé Palestine ou Israël. Un Etat d’Israël ouvertement non-démocratique, voire même fasciste, pouvant difficilement représenter un mieux, nous sommes conduits à la conclusion qu’une remise en cause totale de l’exceptionnalisme juif constitue le fondement de toute paix juste et durable au Moyen-Orient. Cela a beaucoup de conséquences, toutes à examiner. Mais reste que, pour le peuple juif, il est grand temps de reprendre sa marche vers l’universalité.
                   
25. La censure dans les médias américains dès qu’il est question d’Israël : "Je vous en supplie, faites-le savoir" par Mark Schneider
in Palestine Chronicle (e-magazine palestinien) du jeudi 19 septembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Mark Schneider et quatre autres Américains de l’Etat du Colorado sont revenus récemment d’un séjour de quatre semaines en Palestine. Vous pouvez lire plus de détails sur leur voyage en Palestine sur le site suivant : http://www.ccmep.org. Mark Schneider est l’organisateur de la Campagne du Colorado pour la Paix au Moyen-Orient. Vous pouvez le contacter à l’adresse e-mail ci-après : dogbuckeye@cs.com.)
[Réponse – étonnante - d’un journaliste : « Bien que je sois entièrement d’accord avec vous sur les liens géopolitiques entre les Etats-Unis et Israël, (je ne peux pas en parler) : autant aller faire tout de suite le ménage dans mon bureau (parce que si j’en parlais, je serais sûr d’être viré !) »]
Amjad Shawa, secrétaire général d’une association de défense des droits de l’homme de Gaza, fumant cigarette sur cigarette, les traits du visage tirés par l’épuisement et le désespoir, une barbe de deux jours, partagea avec moi plusieurs photos – horribles – de jeunes Palestiniens mystérieusement assassinés par l’armée israélienne, quelques jours seulement avant notre rencontre.
Shawa m’a imploré : « s’il vous plaît, je vous en supplie : envoyez un communiqué de presse : ils faut que les gens le sachent ! ». Il faisait allusion aux médias américains. La délégation, composée de cinq Américains et un Canadien, dont je faisais partie, représentait la seule présence d’Occidentaux à Gaza. Absolument personne d’autre.
En écrivant mon communiqué, j’étais au bord des larmes : je revoyais tout « le film » : trois jeunes Palestiniens avaient essayé de passer en Israël clandestinement pour y travailler, s’étaient fait tirer dessus, avaient été passés à tabac, abattus, puis sauvagement éviscérés. Sans délicatesse, les corps avaient été restitués quatre jours après, sans explication. Aussi aguerri que l’on puisse l’être, il s’agissait là d’un événement majeur, riche en arrière-plans politiques.
A l’instant même où je tapais à la machine le communiqué, qui allait être ensuite faxé à des dizaines de médias américains, je savais d’avance qu’aucun journal ni a fortiori aucune chaîne de télé ne le liraient, n’y apporteraient le moindre intérêt ni n’en tireraient effectivement un « item » d’information. Et, pas manqué : aucun ne l’a diffusé !
Il y a certainement des tas d’autres histoires à vous briser le cœur et qui, d’après les critères en vigueur dans les médias américains, ne sont jamais retenues, bien que « toute nouvelle soit bonne à publier. » Pourquoi ? D’après les journalistes auxquels j’ai parlé, et l’expérience personnelle qu’il m’a été donné d’acquérir en la matière, Israël occupe une place à part dans les médias américains. Inutile de cacher, par ailleurs, que le lien des entreprises, de l’armée et du gouvernement américains avec Israël est solide comme le roc.
A de rares et remarquables exceptions, les médias américains sont incapables d’assurer une couverture de niveau professionnel des événements du point de vue palestinien, voire même simplement d’un point de vue objectif et seulement soucieux des droits de l’homme. J’ai été très longtemps dubitatif au sujet de telles allégations de censure et d’autocensure dans les médias américains, mais aujourd’hui, j’ai changé, après en avoir été le témoin direct. Je vous en donne ci-après quelques exemples :
A la mi-février 2001, les Américains lancèrent un raid de bombardements aériens massifs sur l’Irak, en dehors des zones « de non-survol » déjà en elles-mêmes très discutées internationalement. Il s’agissait du premier bombardement massif de l’Irak depuis la prise de fonctions de Bush Junior. Sachant que mon association protesterait contre ce bombardement, une station locale de télévision nous téléphona afin de nous solliciter pour une interview. Plusieurs heures après, dans un des studios de cette chaîne télévisée, le porte-parole de notre association, le Révérend (Père) Bob Kinsey était interviewé par l’un des reporters chevronnés, qui lui demanda quelles étaient, à son avis, les principales causes des problèmes au Moyen-Orient. Le Révérend Kinsey évoqua l’aide militaire américaine massive à Israël et l’instabilité qui en résulte. Et, stupeur, l’interviewer lui répondit : « Bien que je sois entièrement d’accord avec vous sur les liens géopolitiques entre les Etats-Unis et Israël, (je ne peux pas en parler) : autant aller faire tout de suite le ménage dans mon bureau (parce que si j’en parlais, je serais sûr d’être viré !) ». Bien entendu, cette interview ne fut jamais diffusée.
Plusieurs mois ayant passé, j’ai eu l’occasion de parler avec ce reporter. Je lui ai demandé pourquoi il continuait à travailler dans cette pesante atmosphère de censure. « Pour cinq ou dix marronniers que j’écris sur les Broncos ou l’élevage des chiens », me répondit-il, « il y a un article ayant un réel contenu, qui me permet d’exercer réellement mon métier. Dans les médias indépendants ou alternatifs, je peux écrire sur tous les sujets que je veux, mais il n’y a pratiquement personne qui écoute véritablement ce que je dis, en-dehors d’un cénacle restreint ». Puis il m’informa qu’il aimerait partir en Palestine comme reporter télé, mais que cela n’était pas pour demain… Les sociétés qui possèdent les stations de télévision, surtout préoccupées de gouvernance et de profit financier, se soucient fort peu de journalisme d’investigation, ou de couvrir l’actualité internationale. Pourquoi le feraient-elles ? Elles engrangent des profits monstres sans cela, alors… » Au mieux, me confia-t-il, elles peuvent faire à l’occasion du vrai journalisme, juste pour le prestige et pour décrocher certains prix, mais en aucun cas pour apporter au public une bonne information.
En décembre dernier, je me préparais à partir en Palestine pour y participer à une action directe non violente avec des militants internationaux pour exiger la cessation de l’occupation israélienne illégale. Mon groupe avait convenu d’une interview avec le bureau régional de la chaîne Fox. Le journaliste était très intéressé, car il voyait, comme nous, dans notre histoire un lien entre notre région et un grand problème international. Bien que l’interview eut été fixée plusieurs jours à l’avance et mise au point par les chargés de l’information ad hoc, elle fut abruptement supprimée, une heure à peine avant mes quinze secondes de temps-télé. « Vous savez, moi, je suis un simple piou-piou, pas un général ! » répondit le journaliste à nos demandes d’explication.
Dix jours plus tard, deux attentats suicides horrifiants se produisirent en Israël, et voilà que la même chaîne eut tout à coup besoin d’un avis local. Le même journaliste me joignit au téléphone et parvint à arrêter un rendez-vous en moins d’une heure… Très rapidement, car il craignait que son sujet ne soit condamné à la casse, nous eûmes un petit quart d’heure d’interview. Par la suite, il me confia que le directeur de l’information de la chaîne lui avait recommandé, sur un ton d’injonction, de tenir compte « des deux camps », en l’avertissant : « je vous tiens à l’œil ». « Alors, je fais ce qu’on me dit : je demande des avis dans les deux camps… », me dit le reporter, piqué au vif , «… je les envoie sur les ondes, et très vite, je rentre chez moi, et je prie (pour conserver mon boulot) ! »
Un reporter chevronné d’une autre chaîne, CBS, qui avait réalisé juste deux ans auparavant un reportage fort honnête sur ma mission de paix en Irak (bien qu’il y ait aux Etats-Unis une loi interdisant aux citoyens américains d’aller dans ce pays), refusa même mes propositions d’exclusivité en ces termes : « Votre voyage en Irak était à finalité humanitaire. Mais cette fois, votre mission (en Palestine) est beaucoup plus politique ». Pas d’interview…
Pour se faire une idée plus précise de ce qui se passe en coulisses, il suffit d’examiner l’histoire que nous avons eue avec l’antenne locale de la chaîne Warner Brothers TV. A notre retour de notre mission en Palestine, couronnée de succès mais très traumatisante, un des producteurs de cette chaîne était très désireux de nous avoir en direct, afin que nous parlions brièvement de notre mission et que nous montrions même quelques extraits des documents vidéo que nous ramenions de Palestine. Interview arrangé plusieurs jours à l’avance : tout baigne. Puis, moins de vingt quatre heures avant l’interview, la  productrice m’appelle, plutôt gênée, en colère et confuse. Elle avait eu plusieurs heures d’ « engueulade de magnitude 5 » avec les gros bonnets de la chaîne, au sujet de l’interview.
« Je ne comprend pas ce qui se passe », me dit-elle, désespérée. Le matin même, à son arrivée au siège de la chaîne, on lui avait dit, sans autre explication, d’annuler immédiatement l’interview. Alors qu’elle insistait pour qu’on lui donne les raisons de cette décision, un éditorialiste lui répondit : « nous avons déjà couvert leur histoire, hier soir. » La veille, au soir, nous étions allés, mes camarades et moi, protester contre la visite de l’Ancien Premier Ministre Benjamin Netanyahou (le même Netanyahou qui a un jour appelé à l’expulsion d’Arafat et dit « nous pourrions balayer toute la population palestinienne. Nous n’utilisons pas même un centième de notre puissance. ») Alors qu’elle insistait, l’éditorialiste l’estomaqua en lui disant : « Nous n’avons pas l’intention d’avoir des gens de leur espèce sur nos antennes. Point final ! » Visiblement ébranlée, la productrice se répandit en plates excuses à nouveau. En retour, je lui dis que j’étais vraiment désolé qu’elle ait à travailler dans une telle ambiance…
La presse écrite fournit d’autres exemples :
En avril 2001, l’un des membres de notre association, Brian Wood, s’apprêtait à aller en Palestine pour s’impliquer plus directement dans la résistance internationale à l’occupation israélienne. Avant son départ, il s’était mis d’accord avec l’éditeur d’un quotidien alternatif, pour écrire une tribune libre par mois, au tarif de 40 dollars la tribune. Leur accord fut remis en cause après la troisième tribune libre. Brian était-il un piètre écrivain ? Non. Le problème était que le rédacteur en chef était rentré de congés, sur ces entrefaites. Lorsqu’il a vu les tribunes de Brian, nous a raconté un des journalistes de la maison, « il devint rouge comme une pivoine et se mit à fulminer sur « l’incroyable  parti pris de ces articles. » Chose sans précédent, le rédacteur en chef décréta que c’est lui qui prendrait, à l’avenir, les décisions éditoriales finales, plaçant l’éditeur dans une situation délicate, où il avait l’impression de devoir marcher sur des œufs.
Puis, en un rare moment de chance apparente, l’un des principaux quotidiens de Denver, The Rocky Mountain News, publia une tribune de Beth Daoud, une femme parmi cinq Américains originaires du Colorado, tout juste de retour d’une expérience harassante en Palestine. Mais, chose absolument incroyable : quelques jours plus tard, le rédacteur en chef, Vincent Carroll, appela Beth au téléphone, et commença à lui poser des questions sur le caractère véridique (ou non) de son article…
« Je lui ai donné l’adresse du site ouèbe du CCMEP pour qu’il puisse voir les photos », raconta Beth. « Et je lui ai dit que je serais heureuse de lui communiquer les noms et les numéros de téléphone des témoins oculaires. Il déclina cette offre. Puis il me dit qu’il n’avait pas aimé le ton de ma lettre, ni son contenu, commençant à vouloir débattre avec moi autour de mes positions sur la question. Il me demanda si j’avais jamais VU un Palestinien en train de se faire tuer. Je lui répondis que « non », mais que je connaissais des gens dont c’était le cas. Je lui ai cité le cas de trois membres de la famille de mon mari, tués simplement parce qu’ils se trouvaient au mauvais endroit au mauvais moment. Il me rit au nez d’une façon sardonique et me dit : « Oh, alors comme ça, vous n’avez en réalité JAMAIS VU de Palestinien en train de se faire tuer ; les Palestiniens inventent des histoires ! » Après m’avoir harcelé quelques minutes supplémentaires, il me dit : « Votre cause est désespérée, vous ne changerez pas l’opinion des gens – ni même d’une seule personne – sur les Palestiniens ! »
Autres cas de censure :
L’une des membres de notre association qui est allée en Palestine a perdu son emploi dans un hebdomadaire « alternatif ». Tandis que nous étions en Palestine, ce périodique avait publié une lettre ouverte envoyée par un autre membre de notre association. Comme une réédition de ce qui était arrivé à Brian, lorsque le rédacteur en chef rentra de congés, trouvant cet article, « il fit péter les plombs ». Avant son départ, notre amie avait eu un accord verbal pour publier deux reportages  (annoncés en page de couverture) sur son voyage en Palestine. Non seulement ces deux reportages ont été supprimés, mais elle a été virée sans autre forme de procès quelques semaines après, à cause des tensions politiques autour de cette histoire d’articles censurés, et elle a fort peu de chances d’être reprise, même après procès aux prud’hommes.
Et les rares fois où les médias font leur boulot, est-ce la fin des problèmes ?
Ayant vu à la télévision la protestation de notre association contre la venue à Denver de l’ancien Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, l’association « Forum des Femmes d’Affaires de Denver » [Denver Business Women’s Forum Group] annula une conférence programmée depuis longtemps de trois participantes à notre délégation (de cinq personnes, au total) en Palestine. Pourquoi ? Ces dames n’ont pas du tout aimé ce qu’avait dit Val Phillips dans son interview à Channel 4 (du groupe CBS), et elles ont estimé que la conférence que nous avions prévue serait « trop politique » (sic) !
Voici ce que Val avait déclaré à Channel 4 :
« L’occupation israélienne, c’est du terrorisme. L’occupation est le principal obstacle à la paix au Moyen-Orient, et elle doit prendre fin. L’Etat d’Israël et l’Etat de Palestine peuvent coexister en paix. Le peuple palestinien dit depuis longtemps que c’est cela qu’il veut. Mais l’armée israélienne et les colons israéliens doivent quitter la Cisjordanie et Gaza pour que le peuple palestinien puisse vivre libre. »
                                                                                       
26. Le président Bush et le lobby chrétien-sioniste par Clifford Kiracofe
in The Daily Star (quotidien libanais) du vendredi 5 septembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Clifford Kiracofe est journaliste et vit à Washington, DC. Il a exercé une fonction importante dans le secrétariat du Comité des Affaires étrangères du Sénat américain.)
Le doute au sujet de l’influence et de la pénétration de l’idéologie chrétienne-sioniste au Congrès des Etats-Unis n’est plus de mise, après les déclarations du chef du parti républicain à la Chambre des Représentants. Le 1er mai, le Congressiste du Texas Richard Armey a déclaré tout de go à la télévision (talk show sur MSNBC), au présentateur Chris Mathews, qu’il soutenait l’expulsion en masse des Palestiniens des territoires palestiniens occupés.
L’influence chrétienne-sioniste sur les Congressistes et les Sénateurs républicains a atteint un niveau tel que le président Bush lui-même, en tant que chef du parti Républicain au plan national, ne peut empêcher les Républicains du Congrès d’introduire et de voter des résolutions aussi extrémistes qu’irresponsables, diamétralement opposées aux intérêts des Etats-Unis et aux nécessités de la stabilité au Moyen-Orient.
Bien que rejetée par toutes les églises chrétiennes des Etats-Unis, l’idéologie chrétienne-sioniste est promue de manière agressive par une petite minorité de fondamentalistes liés au lobby juif sioniste aux Etats-Unis, en corrélation avec les éléments les plus extrémistes de l’éventail politique israélien.
Bien que conclue au milieu des années 1980, cette alliance politique stratégique n’est devenue un sujet de débat politique national aux Etats-Unis que depuis le début de la crise actuelle au Moyen-Orient (septembre 2000, ndt) déclenchée par les provocations et les agressions israéliennes sous la houlette de Sharon. Même si le Congressiste Armey part à la retraite cette année, son petit poulain et protégé, le Congressiste texan Tom DeLay prendra sa place, l’année prochaine : c’est prévu. A l’instar d’Armey, DeLay épouse ouvertement l’idéologie chrétienne-sioniste. Il utilise toujours les termes codés de « Judée » et « Samarie » lorsqu’il évoque la Palestine occupée.
Les liens entre les sionistes chrétiens américains et Israël remontent essentiellement à la guerre de 1967. Au lendemain de la guerre, des éléments extrémistes créèrent en Israël le Mouvement pour le Grand Israël, ainsi que le mouvement des colons qui créèrent la colonie de Kiryat Arba’, près d’Hébron. C’est dans cette pépinière que naquit le mouvement de colons extrémistes Gush Emunim (= « Armée de la Foi »…)
Au cours des années suivantes, le Gush Emunim devint la formation de proue de la nouvelle droite israélienne, laquelle comportait trois formation : les factions du parti Travailliste (de « gôche », ndt) favorables au Mouvement pour le Grand Israël, les activistes nationaux religieux nouvelle manière et la vieille droite nationaliste de la vieille ligne Jabotinsky (parfois dite « révisionniste », ndt), reversée dans le parti Herut dirigé par Menahem Begin.
Entre 1974 et 1977, trois dirigeants du parti Travailliste se faisaient concurrence pour présider aux destinées du pays - chacun d’entre eux eut son conseiller Gush Emunim préféré. C’est ainsi que le Premier ministre Rabin (prix Nobel de la « paix » ! ndt) eut pour conseiller spécial un certain général… Ariel Sharon !
Le ministre de la Défense, Shimon Peres, eut quant à lui pour conseiller Yuval Neeman, qui devint par la suite chef du parti Ha-Techiyah, proche du Gush-Emunim. Le ministre des Affaires étrangères, Yigal Allon, était pour sa part, en personne, le patron du réseau de colons fanatiques qui développèrent Kiryat Arba’.
Lorsqu’en 1977 le Likoud accéda au pouvoir, la domination du Gush Emunim sur le gouvernement devint totale, Begin étant depuis toujours un grand supporter du mouvement des colons.
Aux Etats-Unis, toutefois, l’administration Carter s’efforça de mener une politique moyen-orientale un peu plus équilibrée, tenant tête à un lobby sioniste américain tout-puissant. C’est ainsi que des intellectuels juifs sionistes extrémistes, autrefois liés au parti Démocrate, changèrent d’attitude. Ils se mutèrent en néoconservateurs dans le but de s’infiltrer dans les réseaux décisionnels du parti Républicain en matière de politique étrangère, en ayant en ligne de mire les élections de 1980 et la victoire probable, en tout cas potentielle, de la nouvelle droite américaine.
En Israël, le Likud oeuvra afin d’établir des relations politiques avec les groupes fondamentalistes chrétiens aux Etats-Unis, sur lesquels il pouvait compter pour soutenir sa politique du Grand Israël (« Eretz Israel »). A son tour, cet alignement politique ne manquerait pas de renforcer la position des néoconservateurs juifs dans une administration Républicaine (attendue) à Washington.
Une thèse universitaire fondamentale pour cette question, réalisée par la jeune et brillante universitaire israélienne Yona Malachy, a servi de manuel opérationnel aux stratèges politiques du Likud pour conquérir le terrain américain. Cette thèse, intitulée « Fondamentalisme et Israël : la relation entre les Eglises fondamentalistes avec le sionisme et Israël » [American Fundamentalism and Israel : The Relation of Fundamentalist Churches to Zionism and the State of Israel], fut publiée en 1978 par l’Institut juif contemporain [Institute of Contemporary Jewry] de l’Université Hébraïque de Jérusalem.
En temps opportun, une Ambassade Chrétienne Universelle à Jérusalem [International Christian Embassy-Jerusalem – ICEJ] fut instituée dans cette ville. C’était le 20 septembre 1980. Le maire, Teddy Kollek, accueillit la cérémonie d’inauguration de cette ambassade d’un genre un peu particulier, et l’organisation devint une officine de soutien du sionisme chrétien à la politique d’Eretz Israel menée par le parti conservateur Likoud. Le bureau de l’ICEJ a Washington devint rapidement le point de ralliement des activités politiques et du lobbying des chrétiens sionistes aux Etats-Unis.
Après plusieurs années de mise en place organisationnelle dans l’ensemble des Etats-Unis, le mouvement chrétien sioniste sortit du placard avec le « Premier Déjeuner de Prières pour Israël » organisé à Washington le 6 février 1985. L’événement attira nombre de personnalités politiques et de célébrités.
« Des sentiments d’appartenance historique, de poésie et de moralité, voilà de quoi étaient imbus les chrétiens sionistes qui commencèrent, il y a plus d’un siècle de cela, à écrire, à planifier et à organiser la renaissance d’Israël », déclama notamment, dans son allocution, l’animateur de ce déjeuner de gala. « Les écrits de chrétiens sionistes, britanniques et américains, ont directement influencé des dirigeants aussi importants que Loyd George, Arthur Balfour et Woodrow Wilson ». Cet orateur invité, particulièrement éloquent, n’était autre que l’ambassadeur israélien aux Etats-Unis, un certain… Benjamin Netanyahu…
Au cours des dix dernières années, une nouvelle organisation est apparue, qui est le bras armé des sionistes chrétiens américains : elle porte le titre pompeux de Coalition d’Unité Nationale pour Israël [National Unity Coalition for Israel – NUCI]. Bien entendu, cette organisation a des liens très étroits avec l’ICEJ, ainsi qu’avec les cercles de réflexion (think tanks : boîtes à idées, ndt) néconservateurs à Washington et les conseillers néoconservateurs, très puissants dans l’entourage de Bush.
Sur la Colline du Capitole, la NUCI travaille en parallèle avec le très influent Comité Américano-Israélien pour les Affaires Publiques [American Israel Public Affairs Committee – AIPAC] afin de dominer le Congrès lorsqu’il s’agit de décider de mesures législatives et politiques relatives au Moyen-Orient.
Le président Bush est confronté à de multiples défis internationaux, dans sa politique de solution à deux Etats à la question de Palestine, même si le plan saoudien et le nouveau « quartette » offrent certaines ouvertures. Mais le président des Etats-Unis devra - avant toute chose - imposer son autorité constitutionnelle plénière, « à la maison », aux Etats-Unis, s’il veut pouvoir mener une politique étrangère quelconque en dépit d’un Congrès et d’un Parti Républicain récalcitrants, aux mains d’une minorité chrétienne sioniste extrémiste.
                                                           
il y a vingt ans...
27. Le bloc-notes de Lotfallah Soliman
in France - Pays Arabes du mois de septembre 1982

Il aura donc fallu que l’horreur atteigne le niveau de l’intolérable pour que M. Reagan finisse par « se mettre en colère » ! Il aura donc fallu que le Premier Ministre d’un Etat souverain, particulièrement jaloux de la spécificité et de l’indépendance de son pays, menace d’en appeler aux jeunes juifs de France pour mettre de l’ordre dans les affaires françaises, pour que l’on finisse par admettre que les prétentions du « roi de Jérusalem » ne se limitent pas à l’Etat d’Israël, quelles que soient ses frontières, à sa sécurité ou même à son expansionnisme régional, sinon universel ! Il aura donc fallu que le ministre des Affaires étrangères de l’Etat dit « hébreu » ose comparer l’argumentation française sur « les responsabilités intérieures » et les « ingérences extérieures » à la logomachie nazie, pour que l’on finisse par réaliser que l’antisémitisme le plus dévastateur peut être suscité, encouragé et catastrophiquement amplifié par ceux-là même qui font mine de le dénoncer le plus bruyamment !
Basculer, quelles qu’en soient les justifications, dans un quelconque antisémitisme, primaire ou élaboré, serait faire le jeu de ceux qui veulent faire de notre opposition à l’insoutenable politique des dirigeants israéliens, une manifestation de racisme rampant ou installé, honteux ou déclaré. Aujourd’hui plus que jamais, il ne faut surtout pas donner raison – même a posteriori – à ceux qui veulent ternir notre cause en la confessionalisant, à ceux qui veulent faire croire que les juifs ne pourront jamais se sentir en sécurité qu’en Israël. Pour qu’elle puisse, un jour, sortir victorieuse, malgré les épreuves subies et quel qu’en soit le prix, notre cause doit demeurer juste. Aussi, j’adjure mes compatriotes arabes et leurs amis de raison garder. Je les adjure, au nom de la morale qui doit être la nôtre, mais également au nom de l’efficacité, de ne rien faire, de ne rien dire qui puisse donner, ne fut-ce  qu’une seule goutte d’eau au moulin de ceux dont nous ne sommes plus les seuls ennemis. Malgré nos défaites apparentes, jamais, depuis près d’un demi-siècle, nous n’avons été moins seuls. Cette percée dans la conscience universelle – et surtout, dans la conscience juive -, nous l’avons trop chèrement payée. La dilapider serait nous suicider. Et jamais, en dépit de ce que d’aucuns pensent, le suicide n’a été révolutionnaire.
Mais ne pas basculer ne doit aucunement signifier admettre le basculement des autres. Des phrases entendues et enregistrées, à Tel-Aviv et à Paris, comme « ces Arabes, il faut tous les tuer », doivent être épinglées, agrandies et mises sous le nez de tous ceux qui, aujourd’hui, veulent nous faire la morale, sous prétexte que « les mots tuent ». D’autant que de telles phrases ne sortent pas spontanément du néant et qu’elles répondent, en écho, à toute une philosophie, à toute une éducation continuellement distillées.
En d’autres termes, il ne faut pas tolérer que l’on s’en tienne quitte en dénonçant les « écarts » d’un Begin ou d’un Sharon, tout en acceptant la philosophie dont Begin et Sharon sont les avocats outranciers. Entre un Begin et un Pérès, un Sharon et un Rabin, la différence n’est que quantitative. Pas fondamentale. L’épithète de « terroriste » accolée à tout Palestinien désireux de recouvrer son identité nationale, ne date pas de Begin et Sharon. Le « ces Arabes, il faut tous les tuer » et le « les Arabes ne comprennent que la force », aussi.
Il est vrai que « les mots tuent ». Mais cette vérité à laquelle nous sommes décidés à nous astreindre, cette vérité doit être appliquée à tout le monde.
Sinon, à notre corps défendant, il faut s’attendre à ce que les mots continuent à tuer.
P.S.  Je tiens à signaler que « l’optimisme historique » que j’affichais ici, le mois dernier, ne se trouve nullement démenti ni par le pilonnage répété de Beyrouth par les Israéliens, ni par le départ probable de l’OLP du Liban. Je continue à croire que jamais la création d’un Etat palestinien n’a été aussi concrètement proche. Toutes les conditions politiques sont actuellement remplies et il n’y aura plus que des « incidents de parcours » qui ne changeront rien à ce déterminisme historique devenu actualité.