Ce soir, conférence - débat de Leïla Shahid à Saint-Etienne
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Point d'information Palestine N° 213 du 31/01/2003
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Rédaction : Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier
                       
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Au sommaire
                   
Témoignage
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
- Chronique palestinienne par le Dr. Majed Nassar [traduction de l'ASSP : http://www.assp.ch]
                   
Dernière parution
- Les enfants de Rifaa - musulmans et modernes de Guy Sorman aux éditions Fayard
                   
Rendez-vous
Pour retrouver l'ensemble des rendez-vous en Europe, consultez l'agenda sur : http://www.solidarite-palestine.org/evnt.html
1. Ce soir - Conférence - débat avec Leïla Shahid à Saint-Etienne ce vendredi 31 janvier 2003 à 19h
2. Théâtre - L'homme aux petites pierres encerclé par les gros canons de André Benedetto au Théâtre des Carmes en Avignon du vendredi 7 au dimanche 9 février 2003
                   
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG. Ils sont libres de droits, sauf mention particulière.
1. Les déclarations dangereuses de Roger Cukierman par l'Union juive française pour la paix (30 janvier 2003)
2. Deux génocides parallèles et liés entre eux : l’Irak et la Palestine par Edward S. Herman in Swans (http://www.swans.com) le lundi 20 janvier 2003 [traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]
3. Sur le "boycott" des Universités Israéliennes et la situation des Universités Palestiniennes par Etienne Balibar
4. Les "pacifistes" sous influence sioniste ? Tous, pratiquement ! par Dave Kersting (20 janvier 2003) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
5. Mes ennemis, je m’en charge. Protégez-moi de mes amis ! Les militants pro-palestiniens et les Palestiniens par Michael Neumann (20 août 2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
6. Les juifs de gauche et la Palestine : de simples bêlements de désapprobation par Michael Neumann (2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                   
Revue de presse
1. L’Europe et l’Amérique : d’aucuns savent mieux, apparemment, que d’autres, ce que signifient les mots : "la guerre"… par William Pfaff in International Herald Tribune (quotidien international publié à Paris) du lundi 27 janvier 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. Le coût humain : Tony sait-il à quoi ressemblent les mouches qui se régalent des cadavres ? par Robert Fisk in The Independent (quotidien britannique) du dimanche 26 janvier 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Soyez patients avec mes voisins, Mr Bush par Terry Jones in The Observer (hebdomadaire britannique) du dimanche 26 janvier 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
4. Le Proche-Orient, le courage et la guerre par Jan Krauze in Le Monde du samedi 25 janvier 2003
5. Réunion historique des Palestiniens par Benjamin Barthe, à Ramallah in La Croix du jeudi 23 janvier 2003
6. La course folle du cadavre d'Ozeri par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du jeudi 23 janvier 2003
7. Les choix palestiniens à la veille des élections israéliennes par Wahid Abdel-Méguid in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 22 décembre 2003
8. L'importance de redonner la priorité à la cause palestinienne par Mohamed Sid-Ahmed in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 22 décembre 2003
9. "Décryptage": la presse au pilori dans le conflit du Proche-Orient Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 22 janvier 2003, 10h58
10. Deux photographes de l'AP et de l'AFP frappés au visage par des policiers israéliens Dépêche de l'agence Associated Press du mercredi 22 janvier 2003, 19h53
11. L'impunité pousse au crime par Michel Warschawski in L'Humanité du 22 janvier 2003
12. Des intellectuels boutefeux par Eric Hazan in Le Monde du mercredi 22 janvier 2003
13. Les Palestiniens peinent à négocier un cessez-le-feu par Pierre Prier in Le Figaro du mercredi 22 janvier 2003
14. Le récit du calvaire subi par Jénine va enfin être publié par Ramzy Baroud in Palestine Chronicle (e-magazine palestinien) du lundi 20 janvier 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
15. "Les Palestiniens doivent voter" un entretien avec Leïla Shahid propos recueillis par Denis Sieffert in Politis du jeudi 16 janvier 2003
16. Nouvelle crise, vieilles leçons par Robert Fisk in The Independent (quotidien britannique) du mercredi 15 janvier 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
17. Traverser les frontières : lesquelles ? par Jonathan Cook in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 2 janvier 2003 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
18. Irak : un pays broyé par le droit international par Monique Chemillier-Gendreau in Manière de Voir (Le Monde diplomatique) de janvier-février 2003                   
                   
Témoignage

                   
- Chronique palestinienne par le Dr. Majed Nassar
[traduction de l'ASSP :
http://www.assp.ch]
(Dr. Majed Nassar est directeur de la Clinique du Couvent Grec-Catholique, Beit  Sahour et directeur adjoint "Health Work Committees - Palestine".)
Beit Sahour (banlieue de Bethlehem), le vendredi 17 janvier 2003 - Le 16 janvier 2003, peu après 22h, des soldats israéliens ont attaqué la Clinique de Beit Sahour. Jusqu’au 13 janvier 2003, une équipe d’urgence restait à la Clinique pendant la nuit. Malgré le fait que nous étions toujours sous couvre-feu, imposé depuis le 22 novembre 2002, nous avions décidé de suspendre la permanence de nuit en raison de la fatigue et de l’épuisement des personnes qui l’assuraient. 
Nous avons entendu une explosion et des bruits de pilonnage. Le maire de Beit Sahour  ainsi  que plusieurs amis m’ont téléphoné pour me dire que des soldats israéliens pilonnaient la porte d’entrée en fer de la Clinique pour l’ouvrir. Nous avions vécu une très mauvais expérience en avril de l’année passée lorsque Athallah Hayek a été tué dans des circonstances très similaires. Suite à des avertissements qu’il avait reçus de la part de plusieurs voisins, il était en route vers un immeuble d’appartements dont il était le propriétaire. Ils lui disaient que des soldats israéliens étaient en train d’entrer de force dans l’immeuble. Il a été tué quand, essayant de convaincre les soldats qu’il allait leur ouvrir la porte de l’immeuble, il était encore dans sa voiture. Il est mort avant qu’une ambulance n’ait eu le temps de l’atteindre.
Nous avons décidé d’attendre. 
Je ne demeure pas loin de la Clinique et, depuis mon balcon, j’ai pu entendre le vacarme des martèlements sur les portes en fer. Entre-temps, les soldats ont lancé une bombe sonore contre l’entrée de la clinique. Nous en avons trouvé les restes dans la porte d’entrée.
Un peu plus tard, j’ai reçu d’autres appels de plusieurs voisins qui m’ont dit que les soldats étaient entrés dans la Clinique.  A environ 23h45, les soldats m’ont téléphoné :
« Mon nom est Commissaire Untel. Je suis dans la Clinique et je veux que tu viennes ici dans un délai de cinq minutes. »
« Oui, je sais que vous êtes dans la Clinique. Mais on est sous couvre-feu, et si je sors, les soldats vont tirer. »
« Non, ils ne le feront pas. »
« Assurez-vous et dites-leur de ne pas tirer. A part ça, comment sauront-ils que c’est moi ? »
« Quand tu t’approches de la Clinique, il suffit de m’appeler à haute voix et les soldats sauront. »
« Ma femme viendra avec moi, alors notez bien qu’il y aura deux personnes qui vont s’approcher de la Clinique. »
Finalement, vers 1h du matin, des soldats ont émergé du bâtiment et nous sommes entrés ensemble. Toutes les portes avaient été ouvertes de force et les encadrements étaient endommagés. Quelques-uns étaient presque sortis du mur. Le temps étant très pluvieux et humide, il y avait des traces de boue dans toutes les pièces. Même le bloc opératoire était sale. Heureusement, les soldats n’ont pas détruit de machines ou d’instruments. Le faux plafond, endommagé, pendait à plusieurs endroits.
Avant d’abandonner les lieux, les soldats m’ont assuré que cette action était nécessaire pour des raisons de sécurité. Je leur ai répondu qu’ils avaient mon numéro de téléphone ainsi que celui du maire. Nous aurions pu leur ouvrir les portes et éviter qu’elles soient toutes endommagées ou détruites par les soldats qui les avaient défoncées.
Ils nous ont quittés comme ça. Nous n’avions pas trop peur, mais nous étions tristes de voir la Clinique dans un état pitoyable. Des amis sont venus et nous sommes restés toute la nuit,  la Clinique étant totalement ouverte. A partir de 7h du matin nous avons commencé à ranger, à nettoyer et à réparer. Malgré le couvre-feu, nous avons pu terminer le jour même. Le soir, tout était remis en état. L’équipe d’urgence a repris son travail. Nous allons continuer.
                                       
Dernière parution

                   
- Les enfants de Rifaa - musulmans et modernes de Guy Sorman
aux éditions Fayard
[370 pages - ISBN : 2213613257 - 20 euros]
Face à la mondialisation ressentie comme une menace, comment sauver l'intégrité de l'Islam ? Les musulmans sont divisés. Un premier courant, celui de l'islamisme radical, peut conduire au fanatisme et à la violence ; il mobilise toute l'attention des Occidentaux. Pourtant, une autre tradition propose un islam éclairé et libéral. Son histoire commence en Egypte au XIXe siècle. Le héros en est Rifaa el-Tahtawi, penseur et homme d'Etat. Il modernise son pays en s'inspirant de la France où il a vécu. Depuis lors, les progressistes musulmans se désignent volontiers comme « les enfants de Rifaa ». Enracinés dans leur foi et leur culture, partisans de la démocratie et de l'esprit des Lumières, ils combattent les fanatismes religieux, les idéologies totalitaires et, avec courage, leurs propres tyrans. Pourtant, aucune caméra ne vient en
porter témoignage ; pas une ligne dans nos médias. Allons-nous enfin soutenir ces alliés naturels de l'Occident ? Bien souvent, en effet, nos gouvernements préfèrent s'accommoder avec des despotes. Fatale erreur ! A terme, seule la libération des musulmans contre les islamistes, les dictateurs, l'ignorance et la pauvreté pourra fonder notre propre sécurité.
Au Maroc, en Indonésie, en Egypte, en Turquie, en Palestine, au Koweït, en Arabie Saoudite, en Iran, au Bangladesh, Guy Sorman a rencontré ces "enfants de Rifaa". Qu'attendons-nous pour leur tendre la main et tenter ainsi de réconcilier les musulmans avec l'Occident ?
- Extrait d'une intervention de Guy Sorman lors de l'emission de Franz-Olivier Giesbert, "Culture et dépendances" du 8 janvier 2003 : "L'Etat d'Israël est un produit de l'histoire idéologique du XIXe siècle (...). C'est un accident historique, et je ne vois pas comment il va pouvoir tenir beaucoup plus longtemps que n'avaient tenu le royaume de Jérusalem ou le royaume de
Salomon."
- Extrait des pages 299/300 - "Etes-vous juif ?" Au cours de ma déjà longue existence protégée d'intellectuel français né après l'Holocauste, cette question ne me fut jamais posée qu'une seule fois, sur un mode agressif. C'était en Palestine, en l'an 2000, à l'entrée de la ville d'Hébron qui se trouvait cisaillée d'enclaves sous contrôle tantôt israélien, tantôt palestinien. Une sentinelle, très noire de peau, dont je ne devinai pas l'appartenance, me demanda en anglais si j'étais juif. "Et vous ?" lui répondis-je. De confession chrétienne, l'ami palestinien qui m'accompagnait démêla la situation qui devenait tendue. Le soldat était un israélien d'origine éthiopienne : un Falasha reconnu comme juif en un temps où Israël manquait d'immigrés nouveaux pour meubler les bas échelons de la nation. Les Russes n'étaient pas encore arrivés ! Le soldat ne m'avait demandé ma religion que pour me protéger : en pénétrant en territoire palestinien, les juifs courraient des risques dont il voulait m'avertir à défaut de m'en détourner. Si j'étais chrétien ou musulman, ma sécurité échappant à sa responsabilité, j'avais le droit de me faire tuer de mon plein grès. J'hésitai. Je déclarai ce jour là que j'était chrétien : n'était-ce point ce que mon père avait déclaré à des gendarmes français venus l'arrêter à Agen en 1942 ? Ceux-là avaient feint de le croire.
                                           
Rendez-vous

                   
1. Ce soir - Conférence - débat avec Leïla Shahid à Saint-Etienne
ce vendredi 31 janvier 2003 à 19h
L'Association France Palestine Solidarité et le Collectif (stéphanois) des associations de soutien au peuple palestinien "Pour les droits du peuple palestinien - Pour une paix juste et durable" vous proposent, ce vendredi 31 janvier 2003 à 19h, au Grand amphithéâtre Denis Papin de l'Université Jean Monnet - 21, rue Denis Papin - à Saint-Etienne, une rencontre autour de la Palestine, avec la participation de avec Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France, et Youssef Boussouma, historien  spécialiste des relations Europe- Israël.
                      
2. Théâtre - L'homme aux petites pierres encerclé par les gros canons de André Benedetto au Théâtre des Carmes en Avignon
du vendredi 7 au dimanche 9 février 2003
C’est l’histoire d’un type sur le dernier carré de terre de son pays occupé, privé de tout, qui refuse de disparaître, qui n’a que quelques pierres pour se défendre, une espèce de clown dans un cercle de pierres, qui joue tout ce qu’il sait tout ce qu’il voit autour de lui. A la lueur d’une bougie il appelle au secours car il reste persuadé qu’il y a encore quelques humains sur la terre qui pourraient l’entendre et lui venir en aide
[Théâtre des Carmes - 6, Place des Carmes - 84000 Avignon - Tél : 04.90.82.20.47 - Fax : 04.90.86.52.26 - Vendredi 7 et samedi 8 février à 20h30, dimanche 9 février à 16h - Durée du spectacle : 1h40 - Tarif : 16 et 12 euros]
                                            
Réseau

                   
1. Les déclarations dangereuses de Roger Cukierman par l'Union juive française pour la paix (30 janvier 2003)
[Union juive française pour la paix (UJFP) - BP 102 - 75960 PARIS Cedex 20]
L'UJFP est profondément choquée par les propos tenus par Roger Cukierman, à l’occasion du dîner annuel du CRIF. Le Président du Conseil " représentatif " des institutions juives de France (qui ne représente en fait qu’une minorité de la communauté) fait dans la " démesure ", pour le citer. Il a accusé les jeunes de banlieue d’origine maghrébine et les militants altermondialistes d’être de " nouveaux antisémites ", ce qui est foncièrement irresponsable et blessant envers tous ceux qui, hier et aujourd’hui, ont offert secours et amitié envers les juifs de France. Depuis l'affaire Dreyfus et notamment pendant l'Occupation nazie, le mouvement ouvrier français s'est battu contre les racismes, les discriminations et pour l'égalité des droits. L'engagement de ces militants contre la bête immonde et ses collaborateurs a sauvé la vie de nombre de nos parents et grands parents. Nous pensons que M. Cukierman se situe aujourd'hui dans une dynamique très dangereuse où il essaie de diaboliser tous ceux qui ne soutiennent pas, d'une manière inconditionnelle, les agissements controversés du gouvernement israélien. Comme responsable communautaire, il a perdu tout discernement entre ceux qui sont nos amis et ceux qui sont nos persécuteurs haïs. A moins qu’il ne s’agisse d’une stratégie :
Brandir la banderole de l'antisémitisme envers tous ceux qui ne suivent pas sa doctrine, est à notre avis une manière dangereuse de provoquer des sentiments antijuifs dans la population. On est en droit de se demander si M. Cukierman cherche à veiller aux intérêts des juifs de France, ou bien s’il cherche tout simplement à vider la France de ses juifs, dans l’unique but de les faire peupler les colonies israéliennes en Cisjordanie et à Gaza ?
Soutenir les droits du peuple palestinien à l'indépendance et à une existence digne est un combat pour les droits de l'homme, qui relève de la meilleure tradition juive laïque et humaniste. Certes, la répression militaire israélienne met le peuple palestinien en danger de mort. Mais elle met aussi les juifs de tous les pays en danger, dans un monde de plus en plus déchiré par les inégalités sociales et les tensions intercommunautaires. En voulant fustiger des militants de gauche qui expriment leur solidarité avec les Palestiniens, M. Cukierman a osé parler d’une alliance " vert-rouge-brun ". Nous rappelons au bons souvenirs du Président du CRIF qu’il avait confié au quotidien israélien Ha’aretz : " Lorsque Sharon est venu en France je lui ai dit qu’il doit absolument mettre en place un ministère de la propagande comme Goebbels. " Voilà qui devrait lui interdire tout commentaire au sujet d’associations avec les " bruns ".
                                               
2. Deux génocides parallèles et liés entre eux : l’Irak et la Palestine par Edward S. Herman
in Swans (
http://www.swans.com) le lundi 20 janvier 2003
[traduit de l’anglais par Marcel Charbonnier]

Vous rappelez-vous ces prévisions optimistes, il y a une douzaine d’années, qui nous annonçaient que dans le monde post-soviétique, débarrassé du conflit acharné entre deux systèmes rivaux, l’Occident capitaliste libéral ayant triomphé, nous assisterions bientôt à la généralisation de la paix, de la tolérance et de la prospérité ?
C’est hélas le contraire qui s’est produit : la concentration des grands monopoles, la globalisation et la projection agressive du pouvoir militaire désormais incontesté des Etats-Unis, ont contribué à éroder la réalité démocratique et à étendre les inégalités, les conflits, les épurations ethniques et la guerre ouverte à l’échelle planétaire.
Une chose est, toutefois, absolument remarquable, dans ce Nouvel Ordre Mondial : le génocide, que la communauté internationale était supposée ne « plus jamais » permettre qu’elle advienne à nouveau après les horreurs de l’holocauste nazi, est en train de devenir presque banal…Il est d’ailleurs actuellement en cours dans deux régions séparées, mais voisines, les deux étant politiquement liées l’une à l’autre. Il est remarquable, aussi, que ces deux génocides - parallèles et se renforçant mutuellement - soient en train d’être menés à bien par la Superpuissance qui revendique précisément sa nature de dépositaire d’une moralité particulièrement élevée, et par son client israélien, largement considéré aux Etats-Unis comme une « lumière parmi les Nations » (Anthony Lewis), et dont les citoyens – des juifs - sont les héritiers des victimes du génocide nazi.
Dans ces deux génocides en cours, les Etats-Unis sont le facteur causal dominant, étant donné qu’ils accomplissent l’un d’entre eux directement tout en facilitant l’exécution de l’autre par l’aide et la protection qu’ils accordent à son réalisateur. Ce sont eux qui ont imposé les « sanctions de destruction massive » qui ont décimé le peuple irakien, et ce sont encore eux, les Etats-Unis, qui sont en train de préparer une guerre d’agression contre cet Etat victime et sa malheureuse population vouée à payer à nouveau un terrible tribut en vies humaines sacrifiées. Cela fait un demi-siècle qu’Israël, de son côté, est engagé dans l’épuration ethnique des Palestiniens, avec l’aide économique et militaire ainsi que la protection diplomatique indéfectible et cruciale des Etats-Unis, mais il a enclenché la vitesse supérieure dans son génocide, sous la protection de George Bush et la couverture de sa « guerre contre le terrorisme ». Les Etats-Unis se servent d’Israël comme d’un supplétif afin de maintenir leur domination sur le Moyen-Orient et aussi pour d’autres « menus » services ; et Israël utilise les Etats-Unis, qui l’aident à poursuivre son « rachat » des terres qu’il confisque aux habitants non-juifs des territoires occupés.
Pour Israël, l’Irak représente depuis longtemps une puissance adverse qu’il salive à l’idée de voir détruite et occupée par son protecteur américain, et, comme cela a été relevé par maints commentateurs israéliens et autres – mais continue à être royalement ignoré par les médias américains consensuels – Israël, sous le couvert de la guerre que les Etats-Unis s’apprêtent à déchaîner contre l’Irak, aura tout loisir de mener rapidement à bien son nettoyage ethnique des territoires occupés. Cette possibilité fait l’objet d’un débat fort actif en Israël même. Les deux génocides sont aussi liés entre eux par une étroite connexion existant entre les institutions militaires des deux pays (Israël et Etats-Unis), ainsi que par l’influence du puissant lobby pro-israélien aux Etats-Unis, lequel sert les intérêts d’Israël en exerçant des pressions pour obtenir une aide et une protection américaines accrues à Israël, tout en les incitant, parallèlement, à déclencher leur guerre contre l’Irak – guerre qui servirait, elle aussi, les intérêts d’Israël. Ce lobby, non content d’aider à contrôler le débat médiatique et de transformer le Congrès américain en « territoire occupé par Israël », a veillé à ce que de nombreux responsables officiels à la « loyauté duale » occupent des postes décisionnels stratégiques dans l’administration Bush [voir Kathleen et Bill Christison, « A Rose By Another Name : The Bush Administration’s Dual Loyalties » (Appeler un chat autrement : les loyautés duplices de l’administration Bush), in Counterpunch, 13.12.2002].
Le mot « génocide » a été utilisé avec trop de légèreté à l’époque contemporaine et, à l’instar du mot « terrorisme », il est employé avec ce « double standard », ce « deux poids – deux mesures » tellement familier et tellement intrinsèque au service de propagande que l’on dénomme par antiphrase la Presse Libre. William Safire déclare ainsi que « notre patrouille imposant une zone d’interdiction de survol en Irak… protège les Kurdes irakiens d’un génocide » (The New York Times, 26.02.2001), mais Safire ne suggérerait pour rien au monde que les Kurdes turcs ont besoin d’être protégés contre un génocide eux aussi, pour ne rien dire des civils irakiens soumis aux sanctions économiques, aux bombardements et à une attaque massive à venir, diligentés par les Etats-Unis. Ce terme a été utilisé fréquemment par les médias bien pensants, en faisant référence aux agissements des Serbes au Kosovo, et auparavant à leurs opérations en Bosnie. Mais, en ce qui concerne la politique américaine à l’égard de l’Irak ou encore les agissements d’Israël dans les territoires occupés, dans les rares cas où ce mot apparaît, ce sont presque toujours les seuls Arabes et quelques autres étrangers qui osent l’employer. Ainsi, le mot « génocide » a été utilisé en 85 occurrences dans le New York Times à propos des Serbes au Kosovo en 1999 (à 16 occurrences dans les éditoriaux), mais ce terme n’est utilisé qu’à 9 reprises lorsqu’il est question d’Israël, et en aucun cas dans un éditorial (engageant son auteur politiquement), de surcroît en citant uniquement des propos tenus par des non-Américains…
Tout aussi notable est le fait que le Tribunal Pénal International pour l’Ancienne Yougoslavie (ICTY, ci-après : « le Tribunal ») ait prit quelque liberté avec l’utilisation du « génocide », Milosevic et de nombreux autres prévenus étant accusés d’avoir prétendument perpétré ce crime. En 1996, Radovan Karadzic fut accusé d’ « intention génocidaire » - accusation fondée en grande partie sur une déclaration qu’il avait faite en 1991, exhortant Alija Izetbegovic à reconnaître l’aspiration des Serbes de Bosnie à demeurer dans la Yougoslavie – Karadzic avait notamment dit : « Ne pensez pas qu’il soit possible que vous ne fassiez pas disparaître les musulmans de Bosnie, parce que les musulmans seront incapables de se défendre, en cas de guerre – Comment pourrez-vous empêcher que tout le monde ne finisse par être tué, en Bosnie-Herzégovine ? » Bien que cette phrase alambiquée ait été prononcée en manière d’avertissement, afin d’éviter une guerre, elle a été présentée par le Tribunal comme une preuve « irréfutable » d’une intention génocidaire. C’est d’une manière bien différente que sont traités les avertissements lancés par les Etats-Unis, selon lesquels ils sont prêts à « mettre fin aux Etats » qui hébergeraient des terroristes, ainsi que les dizaines de déclarations du gouvernement israélien déshumanisant ses victimes et exprimant l’intention d’expulser les non-Juifs d’Eretz-Israël– voire de se débarrasser d’eux.
On peut arguer du fait que des politiques portant le terrorisme d’Etat jusqu’au paroxysme des massacres de masse à des fins politiques et « infligeant de manière délibérée à un groupe humain des conditions de vie déterminées de façon à entraîner sa destruction physique partielle ou totale » (Article 2 c de la Convention sur la Prévention et la Lutte contre le Crime de Génocide) sont constitutives d’un génocide. Les politiques de sanction appliquées contre l’Irak, initiées à la suite de la destruction des principales infrastructures publiques, affectant la santé et l’alimentation de la population, au cours de la guerre du Golfe, en 1991, semblent remplir les conditions nécessaires pour être qualifiées de génocide, et la guerre imminente contre une population irakienne déjà très durement affectée ne pourra que renforcer la légitimité de cette déduction.
La destruction, en 1991, des systèmes d’irrigation et de drainage, a été entendue clairement par les responsables américains comme un moyen de porter atteinte à la santé des civils. Un document de l’Agence pour le Renseignement militaire (Defense Intelligence Agency), daté de 1991, affirme que les « conditions (en Irak) sont favorables à l’éclatement d’épidémies, en particulier dans les grandes concentrations urbaines affectées par les bombardements alliés » [Thomas J. Nagy : « The Secret Behind the Sanctions : How the U.S. Intentionally Destroyed Iraq’s Water Supply » (« Le secret des sanctions : comment les Etats-Unis ont-ils délibérément détruit les adductions d’eau en Irak ?), in The Progressive, septembre 2001.] De nombreuses interventions des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, visant à renforcer ces sanctions depuis leur imposition, ont empêché que ces infrastructures soient réparées, tandis que toute autre forme d’aide était déniée à une population civile irakienne souffrant terriblement de cette situation [Joy Gordon, « Sanctions as a Weapon of Mass Destruction » (Les sanctions : une arme de destruction massive), in Harper’s Magazine, novembre 2002]. Parmi de nombreuses déclarations similaires de responsables américains haut placés, citons Robert Gates, qui a affirmé  en 1991 que « les Irakiens devront payer le prix, tant que Saddam Hussein restera au pouvoir ». Il s’agit, depuis le début, de massacres de masse intentionnels, sans aucune limite apparente, jusqu’à ce que l’objectif du « changement de régime » ait été atteint.
Le nombre de tués, en Irak, est déjà impressionnant : les estimations vont de un million à un million et demi d’Irakiens, dont environ la moitié d’enfants en bas âge. Remontons à 1996 : cette année-là, Madeleine Albright admit, sur une chaîne de télévision américaine, que 500 000 enfants avaient sans doute trouvé la mort en raison des sanctions, mais elle précisa à l’époque que c’était là « le prix à payer ». Karl et John Mueller, dans la revue Foreign Affairs (« Sanctions of Mass Destruction », mai/juin 1999), concluaient en disant que les sanctions avaient tué à l’époque plus d’Irakiens que « toutes les armes de destruction massive jamais employées durant toute l’histoire ne l’avaient fait ». Il est inutile de préciser que le nombre des victimes des sanctions en Irak dépasse de manière incommensurable celui enregistré en Bosnie, pourtant perçu avec horreur en Occident comme représentant un cas très clair de génocide (il y eut en Bosnie, de manière quasi certaine, moins de 60 000 victimes, bien que l’estimation des musulmans bosniaques, de l’ordre de 200 à 250 000, ait été prise pour parole d’Evangile par David Rieff, notamment. [cf. Diana Johnstone, « Fools’ Crusade » (La Croisade des Dupes), 53-55]. Aujourd’hui, les Nations Unies estiment qu’une guerre américaine pourrait menacer jusqu’à une dizaine de millions d’Irakiens supplémentaires, en particulier en raison de leur dépendance pour leur survie des rations alimentaires gouvernementales et des effets vraisemblables de la guerre sur les transports et les communications.
Ainsi, on doit considérer comme un succès miraculeux de la propagande belliciste le fait que les médias américains, non seulement aient réussi à cacher à nos regards ce génocide qui continue à être perpétré depuis douze ans, mais encore à transformer l’obsession américaine d’écarter Saddam du pouvoir et de se débarrasser de la « menace » qu’il est censé représenter en une sorte de croisade morale – les Etats-Unis devenant ainsi un génocide (par référence au parricide, ndt) bienfaiteur ! Les médias nous présentent une soi-disant patience américaine exaspérée par un gros méchant – auquel les Etats-Unis (et la Grande-Bretagne) n’avaient pas plaint les armes de destruction massive, et qui les avait utilisées, sous la protection diplomatique des Etats-Unis, dans les années 1980. Peut-être (sait-on jamais ?) les médias indonésiens, durant les années du génocide perpétré par l’Indonésie dans l’Est-Timor (1975-1980) présentaient-ils eux aussi l’Indonésie comme une puissance morale accomplissant sa noble mission en empêchant des infidèles de s’emparer du pouvoir dans la pauvre province victime ? Ils ne peuvent en aucun cas avoir surpassé la performance de la Presse Libre, qui a littéralement occulté un génocide en cours afin d’aider ses dirigeants à conditionner le public en vue d’une guerre – et donc, d’un génocide supplémentaire.
Les agissements génocidaires d’Israël progressent lentement mais sûrement, les Israéliens étant engagés dans un processus sur le long terme d’épuration ethnique des Palestiniens, dans le but de « racheter la terre » pour les Juifs. Tel était déjà le but très clair de Theodore Herzl, dès 1895 – « le processus d’expropriation… doit être mené à bien discrètement et avec circonspection » et jusqu’à Ariel Sharon, en 1998 – « Tout ce qu’on ne pourrait pas arracher finirait entre « leurs » mains ». Les victimes ont résisté, principalement grâce à des moyens pacifiques, comme durant la première Intifada, au cours de laquelle plus de mille Palestiniens furent tués par l’Etat ethno-purificateur. Mais avec la deuxième Intifada, la population palestinienne, dans une situation encore plus désespérée, eut recours à la violence des attentats suicides. Les moyens pacifiques n’avaient eu aucun résultat – les Nations Unies et la soi-disant « communauté internationale » ayant échoué lamentablement tout au long des décennies successives, à mettre un terme à la purification ethnique inexorable perpétrée par les Israéliens. La seconde Intifada a induit une escalade de la violence israélienne ainsi qu’une nouvelle structure de pensée génocidaire en Israël, consistant en des stratégies de paupérisation délibérée et de « transfert » des Palestiniens, ce qui ne manque pas d’être lourd de la menace qu’on s’achemine vers « l’imposition délibérée, à un groupe humain, de conditions de vie telles qu’elles entraînent sa destruction, totale ou partielle. »
Ce qu’Israël a pu inscrire dans les faits tout en s’en tirant à très bon compte, sans être inquiété, est absolument stupéfiant. Tout d’abord, c’est un Etat ouvertement raciste, explicitement réservé aux juifs, tous les autres y étant de facto des citoyens de seconde catégorie – « une « Herrenvolk Democratie » régie par un « peuple de seigneurs », dit Baruch Kimmerling, sociologue à l’Université de Tel Aviv. Si les juifs de France étaient traités comme les Arabes palestiniens citoyens israéliens en Israël, nous entendrions des hauts cris, de part le monde, dénonçant l’antisémitisme et le racisme sévissant en France, qui ne manquerait pas d’être condamnée et ostracisée. Israël est le seul pays qui puisse se permettre d’avoir un système politique raciste, capable même d’accorder aux juifs vivant à l’étranger plus de droits qu’il n’en concède aux Arabes indigènes vivant sur son territoire.
En 1999, le professeur en « droits de l’homme » à Harvard et tout nouveau collaborateur régulier au New York Times Magazine - j’ai nommé Michael Ignatieff - nous expliqua pourquoi les Serbes allaient sans doute massacrer les Albanais à Racak : « La raison est simple… Il n’y a qu’en Serbie que la haine raciale soit érigée en idéologie officielle. » C’était un mensonge éhonté : Belgrade était une capitale tout ce qu’il y a de plus multiethnique et les Albanais qui y vivaient n’y étaient en butte à aucune discrimination. Dans son fameux discours de 1989, dans lequel il aurait soi-disant proclamé une supériorité ethnique nationaliste serbe, Milosevic avait affirmé que « la Yougoslavie est une communauté multiethnique, et elle ne pourra survivre qu’à la condition que soit reconnue une égalité totale entre toutes les nations qui la composent et y vivent. » Aucune affirmation ne contredisant cette déclaration ne saurait être trouvée dans l’ensemble de ses discours, et il ne proclame nulle part une supériorité ethnique ni une quelconque intention de procéder à une épuration ethnique. En revanche, on ne trouve rien qui ressemble à la déclaration de Milosevic chez Ariel Sharon, ni d’ailleurs chez feu Yitzhak Rabin, mais on peut dénombrer venant d’eux des dizaines de déclarations traduisant la haine raciale et une intention ouvertement formulée d’épuration ethnique. Mais Michael Ignatieff n’a pas encore trouvé cela digne d’attention, ses préoccupations en matière de droits de l’homme, canalisées ailleurs, s’étant sans doute égarées en chemin…
De plus, Israël est depuis très longtemps en mesure de procéder au nettoyage ethnique et à l’installation d’un peuple privilégié dans les territoires occupés, en violation de l’aversion morale proclamée de l’Occident pour l’épuration ethnique, du consensus de la communauté mondiale et de la légalité internationale. L’expression « épuration ethnique », à l’instar du « génocide », est utilisée ad libitum par les médias afin de décrire les opérations de la Serbie en Bosnie et au Kosovo, mais elle n’est jamais appliquée aux opérations d’Israël dans les territoires occupés, bien que l’expression soit beaucoup plus adaptée à ce dernier cas qu’aux Balkans [pour des données chiffrées, voir mon article : « Israel’s Approved Ethnic Cleansing, Part 3 » (L’épuration ethnique internationalement approuvée d’Israël), in Z Magazine, juin 2001]. En Bosnie, nous étions confrontés à une horrible guerre pour le contrôle territorial, durant 4-5 années, qui eut pour conséquence une épuration ethnique parmi trois parties en concurrence, la partie supposée la plus faible (les musulmans bosniaques) bénéficiant d’une assistance militaire massive de l’Otan, de l’Arabie saoudite et de mujahidines – tandis qu’Israël épure ethniquement une population quasiment désarmée, tout en bénéficiant d’une aide militaire (américaine et occidentale) massive, depuis des décennies. Au Kosovo, il y avait seulement une guerre civile (bien qu’elle eût été encouragée de l’extérieur) – et les Serbes ne repoussaient en aucun cas les Albanais en dehors du Kosovo afin de préparer le terrain pour une occupation serbe. Par contraste, dans les territoires occupés par Israël, la purification ethnique est pratiquée, très clairement, afin de débarrasser le terrain en vue de l’établissement de colonies réservées au « peuple élu ». Des maisons des seuls Palestiniens sont démolies, les oliviers et les arbres fruitiers des seuls Palestiniens sont déracinés, par milliers.
Une fois de plus, nous constatons que Michael Ignatieff est venu claironner son énorme indignation face aux « expulsions » pratiquées par les Serbes au Kosovo, indignation « fondée », répétons-le, sur un mensonge : Ignatieff a affirmé que « Milosevic avait décidé de résoudre un « problème interne » en exportant une nation toute entière vers ses voisins démunis… il s’agit d’une véritable solution finale au problème du Kosovo. » Il a tout simplement oublié de mentionner que l’exode des Albanais n’a commencé qu’APRES que l’Otan eût entrepris sa campagne de bombardements ; que l’ALK (Armée de libération du Kosovo) travaillait en coordination avec l’Otan durant cette guerre et que les attaques et les expulsions menées par les Serbes se concentraient sur des régions tenues fermement par l’ALK et qu’elles pouvaient, par conséquent, s’expliquer par des exigences militaires et stratégiques ; ainsi que le fait qu’un pourcentage plus élevé de Serbes que d’Albanais s’étaient enfuis durant les bombardements. Mais, une fois de plus, s’étant départi de son indignation lorsqu’il fustigeait les Serbes, Ignatieff garde le silence sur le nettoyage ethnique perpétré par Israël, bien que ce nettoyage ethnique soit réel, affiché et délibéré ; il s’agit pourtant, là aussi, d’un cas où ont lieu des discussions où l’on évoque d’ « exporter une nation entière » vers les pays voisins indigents… d’Israël. Ignatieff a découvert qu’une indignation canalisée avec soin, pour peu qu’elle soit compatible avec l’agenda politique de l’Etat (américain), est rentable et que, le cas échéant, le fait de mentir, pour les besoins de la cause, ne fait encourir nulle sanction.
En dépit de l’extrême clarté du programme d’épuration ethnique d’Israël, la Presse (dite) Libre se concentre sur les victimes « dignes d’intérêt », et occulte celles qui « ne le sont pas » (les Palestiniens), bien qu’elles soient en train d’être expropriées, en accord avec le gouvernement du pays où ladite Presse Libre est diffusée (les Etats-Unis). Cela évoque l’utilisation par la presse des mots « terrorisme » et « représailles », là encore en accord parfait avec la politique américaine. En Israël même, des officiers de la résistance armée, des survivants de l’Holocauste et de nombreux intellectuels désignent avec insistance l’occupation et le nettoyage ethnique comme la racine du problème : cela signifie qu’ « Israël, bien loin d’être une démocratie en état de légitime défense, est un régime ethnique suprématiste… qui gouverne des millions de personnes soumises à des conditions atroces de blocus et de couvre-feu » (Aeyal Gross, Université de Tel Aviv) ; « Quand le monde arrêtera-t-il d’ignorer le fait que l’objectif du gouvernement israélien n’est pas la sécurité, mais la continuation de l’occupation et de l’assujettissement du peuple palestinien ? » (Lev Grinberg, Université Ben Gourion). Les dirigeants israéliens « ont construit une serre dans laquelle ils sèment et cultivent les terroristes suicidaires. Une personne dont le frère bien-aimé a été tué, dont la maison a été détruite dans une orgie de vandalisme, qui a été mortellement humiliée sous les yeux de ses propres enfants… cette personne va au marché et y achète un flingue » (le pacifiste israélien Uri Avnery).
Plus récemment, des analystes critiques israéliens ont commencé à mettre l’accent sur les plans des dirigeants israéliens visant à accélérer leurs opérations de génocide [Ur Shlonsky, « Zionist Ideology, the Non-Jews, and the State of Israel » (L’idéologie sioniste, les non-juifs et l’Etat d’Israël), Université de Genève, 10.02.2002 – les citations qui suivent proviennent de cet article]. Dans cette analyse, il est reconnu que la priorité des priorités est d’écraser la résistance palestinienne. « La population civile doit être terrorisée, en assurant une destruction maximale des propriétés et des ressources culturelles. » Ensuite, une guerre doit être suscitée, afin de préparer des expulsions semblables à celles de 1948. Parallèlement, « la vie quotidienne des Palestiniens doit être rendue insupportable : ils doivent être enfermés dans les villages et les villes, on doit leur empêcher toute vie économique normale, les tenir à l’écart des emplois, des écoles et des hôpitaux. Cela encouragera l’émigration et affaiblira la résistance à de futures expulsions. » Troisièmement, la classe politique palestinienne doit être décimée au moyen d’assassinats et d’expulsions. Quatrièmement, la colonisation doit se poursuivre et s’intensifier, afin de produire des faits accomplis, sur le terrain.
Tout cela aura pour effet de stimuler le « terrorisme » venant des victimes, mais cela sera profitable, car cela sèmera la peur au sein de la population israélienne, ce qui ne pourra qu’apporter de l’eau au moulin des extrémistes. Ainsi, « tous les éléments sont mis en place pour ce que Des Forges, dans un autre contexte, avait appelé « la campagne génocidale ». De plus, les actions kamikazes permanentes et la couverture médiatique qu’elles génèrent fourniront un élément central dans la lutte visant à rallier l’opinion mondiale à la Cause Sioniste. » Cette campagne génocidale étant appelée à susciter inévitablement des critiques à l’étranger, en dépit des efforts déployés par les médias occidentaux afin de la présenter sous le meilleur jour, les communautés juives à l’extérieur d’Israël doivent être mobilisées afin de faciliter et de prendre fait et cause pour les opérations menées par Israël ». Dans un tel contexte, il deviendra nécessaire d’utiliser - et à long terme, d’encourager – la haine anti-juive en Europe et ailleurs, afin de susciter une solidarité juive avec le projet sioniste. » Cela impliquera la nécessité de se départir d’une longue tradition de soutien des Juifs aux causes laïques et humanistes, en faveur d’un objectif mesquin exigeant que l’on approuve l’épuration ethnique et jusqu’au génocide mis en œuvre par des dirigeants de l’engeance des Sharon et autre Netanyahu.
En résumé, les conditions sont mûres pour débarrasser la Palestine de ses habitants - non-juifs - importuns. Les Palestiniens des territoires occupés sont désormais régulièrement traités avec mépris, humiliés, les violations de la Convention de Genève étant « commises jour après jour, heure après heure et même minute après minute par les autorités israéliennes à l’encontre des Palestiniens » [Amnesty International, 02.04.2002]. De hauts responsables de l’Etat israélien les traitent de « poux », de « sauterelles », de « cafards » ou de « cancer à extirper », sans que l’Occident s’insurge. La population israélienne a connu de lourdes pertes, elle vit dans la crainte et elle est encline à écouter les leaders politiques qui leur promettent une « sécurité » illusoire, au moyen d’une intensification de la répression contre les Palestiniens.
La flambée des attentats suicides a amené au pouvoir des dirigeants tel Ariel Sharon, aux riches états de service en matière de brutalité et de violence contre les civils, qui sont tout à fait idoines pour mettre en application un système avancé de nettoyage ethnique, pouvant aller jusqu’à l’ « exportation d’une nation entière » vers les pays voisins. Le génocide israélien confié actuellement à la gestion diligente de Sharon n’a pas impliqué jusqu’ici de massacres massifs, même si le nombre des victimes est impressionnant (1 200 Palestiniens tués et 9 900 blessés, par l’armée israélienne, dans les territoires occupés, en 2002). La méthode israélienne consiste à rendre les conditions de vie insupportables aux Palestiniens, en détruisant leurs infrastructures, en les réduisant au dénuement le plus complet, à l’isolement, à l’humiliation, à la peur et au désespoir. Ce terrorisme d’Etat vise à les soumettre à une domination aisée dans des bantoustans, à susciter leur transfert « volontaire » et à les préparer à des expulsions de masse, manu militari.
En Israël, Sharon peut se payer le culot de suggérer de « profiter de l’opportunité représentée par une bataille à Hébron afin de « réduire le nombre des Palestiniens vivant au milieu de colons juifs », et Benjamin Netanyahu peut affirmer que « nous allons nettoyer toute la région et faire le boulot nous-mêmes », et ces déclarations sont mises au trou noir dans les médias occidentaux (ces propos n’ont été cités que par le seul Henry Siegman, dans International Herald Tribune, le 7 janvier dernier) – pendant ce temps-là, le Tribunal pour la Yougoslavie recherche désespérément des déclarations du même acabit, mais de Milosevic, car elles lui permettraient de justifier sa condamnation pour « génocide » !
Si Sharon peut faire monter d’un degré son escalade de la violence, c’est parce que l’administration Bush lui a donné un chèque en blanc pour procéder au nettoyage ethnique, à condition que cela soit mené avec discrétion. Le degré de discrétion nécessaire sera déterminé par le degré de coopération des médias, jusqu’ici exemplaire. En Israël même, Gideon Levy écrit que « si les assassinats et les arrestations font l’objet de reportages marginaux dans les médias ; en revanche l’emprisonnement du peuple palestinien dans son ensemble se poursuit, il ne connaît aucune interruption, mais les médias n’en parlent jamais. Des villes entières, dont certains quartiers sont en ruines, sont soumises à un couvre-feu quasi permanent ; une population entière se voit interdire de se rendre d’un village au village voisin… sans une autorisation de l’armée d’occupation – mais, dans le public israélien, on ne perçoit pas le moindre écho de tout cela » [Ha’aretz, 20.12.2002].
Le même mode de couverture avec sourdine caractérise les médias américains, qui traitent depuis longtemps Sharon comme un homme d’Etat responsable et respectable, bien plus que comme le terroriste de classe internationale qu’il est pourtant. Ils ne rapportent pas – et donc ne risquent pas de dramatiser – les récits de souffrances personnelles, ni ils ne critiquent avec une quelconque indignation le siège que Sharon impose à une population virtuellement sans défense, ni les colonies qui s’étendent sans cesse – et ils n’ont jamais ni pris pour cible, ni critiqué ces faits qui ressortissent pourtant à la discrimination raciale, à l’épuration ethnique et à l’illégalité. Ces agressions quotidiennes, ces humiliations, ces politiques consistant à appauvrir la population, sont désormais banalisées : on en parle, occasionnellement, en pages intérieures, à la manière dont les médias consensuels évoquaient les massacres de juifs perpétrés par les nazis durant la Seconde guerre mondiale. Les médias se refusent à aborder – et a fortiori, à critiquer – l’intention politique du gouvernement Sharon, qui comporte de manière patente la possibilité d’un « transfert » (des Palestiniens). Henry Siegman affirme que Sharon s’est félicité, dans son cercle proche, de sa nouvelle liberté d’action, qui est telle qu’en comparaison avec seulement l’année précédente, ses forces « peuvent aller et venir à leur guise dans la totalité de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, sans que personne ne dise rien. » Cela dresse le décor pour la phase ultérieure du projet génocidaire.
La communauté internationale s’oppose depuis des décennies à la politique d’Israël, mais Israël peut la perpétuer, parce que les Etats-Unis coupent court à toute action effective à l’encontre de l’épurateur ethnique, voire même, soutiennent son épuration ethnique. L’Assemblée Générale de l’ONU vote en faveur d’une action visant à contenir Israël et à le contraindre à se plier aux résolutions du Conseil de Sécurité, généralement votées à 150 ou 160 voix contre 2 ou 3. Israël viole en permanence la Quatrième Convention de Genève, qui interdit à un pouvoir occupant de s’emparer de terres du territoire occupé et d’abuser de sa population. Israël ignore ce texte fondamental, depuis longtemps, grâce à la protection que lui assurent les Etats-Unis. 
La communauté internationale s’oppose aussi au génocide américano-britannique perpétré en Irak au moyen des sanctions ainsi qu’à la menace de guerre brandie contre l’Irak. Mais, là encore, la « communauté internationale » n’a rien fait afin de s’opposer à douze années de sanctions, et elle a même permis à ces pays partenaires d’utiliser l’ONU afin d’en faire leur instrument de mort. La communauté internationale n’oppose qu’une résistance de pure forme à la guerre d’agression américano-britannique contre l’Irak. Kevin Begley a fait observer judicieusement que la résolution 1441 de l’ONU préconisant des inspections intensifiées « est le meilleur exemple d’apaisement depuis l’époque où Chamberlain avait offert la Tchécoslovaquie à Adolf Hitler. » Au lieu de défier l’agression programmée, le Conseil de Sécurité a accordé aux Etats-Unis une couverture juridique lui permettant de la légitimer, en semant de nombreuses chausse-trappes permettant ultérieurement de trouver des « infractions matérielles » et de rendre rationnelle une guerre dont l’administration Bush puisse tirer avantage, à moins que le coût politique n’en apparaisse trop élevé.
Les médias et le lobby pro-israéliens ont joué un rôle crucial dans la facilitation de ce double génocide. Comme nous l’avons noté, l’opinion publique n’a pas conscience du fait que le gouvernement américain est déjà coupable d’un génocide majeur en Irak, alors même qu’il s’apprête à perpétrer un génocide de plus. Le pays qui en est victime est considéré représenter une menace sérieuse pour le géant (américain) pitoyable. Quant à Israël, ses agissements et ses projets sont occultés, dans une très large mesure ; des mots ou des expressions comme « purification ethnique » et « génocide » ne sont pas utilisés lorsqu’on décrit sa politique, et par un nouveau miracle aux dimensions orwelliennes, sinon kafkaïennes – les attentats suicides commis par ses victimes directes sont abondamment évoqués, tandis que la régression imposée à la vie palestinienne vers les conditions de l’âge de pierre, pour servir les intérêts du « Grand Israël » est renvoyée aux pages intérieures des quotidiens ou au trou noir médiatique. Tout est prêt pour un transfert et un génocide intensifiés, qui se produiront dès que commencera le nouveau génocide en Irak.
Ressources documentaires :
Le lecteur pourra consulter avec profit le rapport du Tribunal Bertrand Russell sur les Crimes de Guerre sur la Guerre au Vietnam (1967), sur le site :
www.vietnamese- american.org/contents.html
Parmi de nombreux documents historiques, il y trouvera notamment :
"Forward," par Noam Chomsky
"After Pinkville," par Noam Chomsky
"Speech to the First Meeting," (Discours à la première réunion) par Bertrand Russell
"Aims of the Tribunal," (Les objectifs du tribunal) par Bertrand Russell et al.
"Origins and Objectives of an Intervention," (Origines et objectifs d’une intervention) by Gabriel Kolko
"Report on Chemical Warfare in Vietnam," (Rapport sur les armes chimiques utilisées au Vietnam) by Edgar Lederer
"On Genocide," (Du génocide) by Jean Paul Sartre

[Copyrigth Edward S. Herman 2003. All rights reserved. Cette version française a été autorisée par l'éditeur pour le seul Point d'information Palestine. Pour une demande d'autorisation, s'adresser à swans.com.]
                                   
3. Sur le "boycott" des Universités Israéliennes et la situation des Universités Palestiniennes par Etienne Balibar
[Etienne Balibar est professeur émérite à l'Université de Paris X Nanterre et Professor, Critical Theory, University of California Irvine.]
"L'abolition du droit à l'éducation et à l'enseignement, la fermeture des Universités, la persécution des étudiants sont intolérables, y compris et surtout dans les conditions d'une occupation militaire. Nous ne pouvons pas accepter que règnent d'un côté de la ligne de démarcation les libertés académiques, et de l'autre la contrainte et l'esclavage."
Rentrant d'Israël et de Palestine, je prends connaissance de la controverse relative au " boycott " des Universités israéliennes. Je souhaite verser à mon tour quelques éléments au dossier.
Le séjour que je viens d'effectuer avait pour but principal ma participation à l'atelier international de recherche " Catastrophes in the Age of Globalization " organisé du 6 au 8 janvier par le Cohn Institute for the History and Philosophy of Science and Ideas de l'Université de Tel Aviv avec le soutien du Van Leer Jerusalem Institute et de la Israel Science Foundation. A quoi se sont ajoutés : d'une part une rencontre entre les représentants d'associations humanitaires et d'ONG israéliennes et palestiniennes ainsi que de l'UNRWA (agence des Nations Unies pour les réfugiés palestiniens) à Jérusalem Est co-organisée par le Centre d'Information Alternative de Jérusalem ; d'autre part une conférence suivie de débat que j'ai donnée au Palestinian Institute for the Study of Democracy (MUWATIN) de Ramallah.
A l'occasion de la séance publique tenue à l'Université de Tel Aviv le 3 janvier, j'ai fait précéder mon intervention sur le fond de la déclaration suivante (traduction) :
"Je suis venu ici pour parler, écouter, discuter des intérêts qui nous sont communs. Mais aussi pour protester contre la politique israélienne dans les Territoires Occupés, et plus généralement contre la façon dont Israël traite les droits et la vie du peuple palestinien. Cependant je n'ai aucun goût pour le rôle de donneur de leçons. Je ne serais donc pas là si cette protestation n'émanait aussi, et d'abord, de citoyens, d'intellectuels et de militants de ce pays, dont je salue le courage et les risques qu'ils prennent. Je suis venu me joindre à leur protestation, dans la mesure de mes moyens.
Je suis d'autre part membre fondateur du Comité français de solidarité avec l'Université de Birzeit (étendu à l'ensemble des Universités palestiniennes) et pour le droit à l'éducation en Palestine. Au mois de novembre dernier, nous avons reçu à Paris une délégation de ces universités sortie des Territoires Occupés au prix de grandes difficultés.
Lors de la rencontre avec les universitaires français organisée le 9 novembre 2002 à l'UNESCO, nos collègues ont dressé un tableau terrible de leur solitude et de la situation dans laquelle se trouvent leurs établissements. Il s'agit d'un aspect particulier des épreuves que traverse aujourd'hui tout leur peuple (occupation, couvre-feux, humiliations, assassinats, destructions, expropriations, paupérisation forcée, etc.), mais qui comporte des aspects et une gravité spécifiques.
Ce n'est pas seulement, en effet, leur activité professionnelle et le travail de leurs étudiants qui est rendu impossible, c'est l'avenir d'une nation qui est menacé d'anéantissement. J'ai toujours pensé qu'il existait, en principe, une solidarité universelle des enseignants, des étudiants et des chercheurs. Je ne formule donc ici aucune exigence, mais j'exprime le souhait que vous fassiez plus souvent et plus massivement entendre la protestation qu'ont déjà élevée certains d'entre vous.
L'abolition du droit à l'éducation et à l'enseignement, la fermeture des Universités, la persécution des étudiants sont intolérables, y compris et surtout dans les conditions d'une occupation militaire. Nous ne pouvons pas accepter que règnent d'un côté de la ligne de démarcation les libertés académiques, et de l'autre la contrainte et l'esclavage."
Au cours de la même séance, la question a été posée aux participants étrangers de savoir quelle était leur position à l'égard du mot d'ordre de " boycott des universités israéliennes " dont la presse avait fait état, ainsi qu'à l'égard de la protestation à laquelle il donnait lieu.
J'ai fait la réponse suivante (reconstitution de mémoire) :
" J'ai signé il y a un an un appel au moratoire des relations scientifiques et culturelles entre l'Union Européenne et l'Etat d'Israël telles que prévues dans l'accord cadre entre les deux parties, aussi longtemps qu'Israël ne respecterait pas les droits du peuple palestinien et notamment son droit à l'éducation, et plus généralement ne ferait pas cesser l'occupation de la Cisjordanie, de Jérusalem Est et de Gaza. En tant qu'universitaire et intellectuel, il m'était apparu qu'il s'agissait là d'un moyen nécessaire pour alerter l'opinion publique et obtenir un minimum de respect du droit international dans une situation d'une particulière gravité. Il faut savoir que l'accord Israël/UE confère à Israël en matière de coopération universitaire les mêmes droits qu'aux pays membres de l'UE, mais comporte aussi, en contrepartie, des obligations démocratiques qui ne sauraient rester lettre morte.
Si j'avais à signer aujourd'hui un appel du même genre, je réfléchirais à nouveau - comme il faut toujours le faire - aux circonstances dans lesquelles nous nous trouvons ainsi qu'aux effets indésirables qu'il peut comporter ou aux interprétations tendancieuses dont il peut faire l'objet. Je pèserais le pour et le contre. Reste que le problème de fond d'une action des intellectuels, y compris dans le champ des relations scientifiques qui sont des relations politiques, demeure. Nos gouvernements ont des responsabilités dont nous ne pouvons les tenir quittes.
Je suis conscient de ce que ma présence ici, dans ces conditions, peut avoir de paradoxal aux yeux de certains d'entre vous. Vous êtes en droit de me demander comment je la justifie, voire de me soupçonner d'hypocrisie. Qu'il y ait une difficulté est indéniable. Mais je ne pense pas qu'il y ait de contradiction insoluble sur le fond. Il n'a jamais été question dans mon esprit (ni, je pense, dans celui des initiateurs de l'appel) de confondre la demande de moratoire des relations privilégiées entre Etats avec un boycott des individus ou un refus de participer à des activités collectives dans le cadre des institutions auxquelles ils appartiennent. Il serait évidemment absurde de " couper les ponts " et d'isoler ceux dont nous admirons précisément le courage avec lequel ils se dissocient de la politique actuelle de leur pays. Il y a donc une difficulté réelle à gérer, selon l'appréciation de chacun, mais non pas une inconséquence morale à camoufler.
Pour finir, je ne signerai évidemment aucune " contre-pétition ", même si je suis sensible à certaines des mises en garde qu'elles peuvent comporter. Non seulement parce que, dans l'état actuel des choses, je ne souhaite pas me dédire, mais parce que l'argumentaire développé dans les textes en circulation et que reproduisent leurs porte-parole dans la presse (notamment le Professeur Cohen-Tannoudji dans sa Tribune Libre du Monde du 5 janvier) comportent d'énormes contre-vérités, dont je ne mentionnerai que deux :
1.Il est faux que la demande de moratoire soit " sans précédents ". Il est certain que les précédents (par exemple relatifs à l'Afrique du Sud ou à l'URSS) évoquent des analogies redoutables, mais il n'empêche qu'il s'agit d'une contre-vérité formelle (derrière laquelle rôde une fois de plus l'imputation intolérable d'antisémitisme). Au reste je ne crois pas que l'occupation de la Palestine soit moins horrible que l'apartheid. On peut en discuter.
2.Il est inacceptable d'invoquer en général le soutien que les universitaires et chercheurs israéliens apporteraient à leurs " collègues " palestiniens, en suggérant ainsi, soit qu'on va pénaliser ces derniers en voulant punir leurs oppresseurs, soit qu'on va délégitimer les militants de la réconciliation en Israël. Ce soutien précieux ne provient hélas aujourd'hui que d'une infime minorité d'universitaires et d'intellectuels isolés, en particulier il n'est pas le fait de la " gauche israélienne ". Il n'a ni légitimité ni contenu institutionnels. C'est bien d'une solidarité collective que les universitaires et chercheurs palestiniens ressentent cruellement l'absence. Il suffirait pour s'en convaincre de donner la parole aux intéressés, ce qui devrait aller de soi. "
A tout ceci je n'ajouterai aujourd'hui qu'une remarque. Puisque les propositions de moratoire (rebaptisé "boycott") ont soulevé chez beaucoup de nos collègues une inquiétude ou une indignation certainement sincères, et qu'ils ont invoqué à cette occasion la nécessité "d'initiatives concrètes pour favoriser le dialogue entre universitaires israéliens et palestiniens", puisque ce dialogue a évidemment pour condition le rétablissement d'un minimum d'égalité entre ses partenaires (voire tout simplement, pour les uns, la continuité de leur existence), nous attendons désormais des protestataires qu'ils s'engagent eux aussi dans des initiatives d'urgence de soutien aux Universités palestiniennes et de coopération avec elles - sans préjudice d'autres réactions à l'ensemble d'une situation qui s'aggrave de jour en jour.
[Comité de solidarité avec l'université de Birzeit - Palestine : http://www.solidarite-birzeit.org]
                               
4. Les "pacifistes" sous influence sioniste ? Tous, pratiquement ! par Dave Kersting (20 janvier 2003)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
[Introduction, par Israël Shamir : "Mon excellent ami, Abe Hayeem, d’Angleterre, qui est un ami de la Palestine, m’a écrit ce qui suit : « Les Juifs sont à l’avant-garde des mouvements de résistance ; ce sont des éclaireurs des mouvements de protestation et de protection de l’environnement (comme le montrent la lutte anti-apartheid et la lutte pour les droits civiques aux Etats-Unis, dans les années 1960) ainsi que des différents groupes pacifistes et activistes en Israël/Palestine »…
Il m’a fallu quelque temps pour relire et méditer ce propos… A l’évidence, Abe désirait dire quelque chose qui fût positif, au sujet des juifs. Mais la réalité est-elle aussi idyllique qu’il la présente ? Je n’avais pas de réponse à cela, jusqu’à ce que je reçoive une interview éclairante du Dr Francis Boyle (par Dennis Bernstein), paru dans CovertAction Quarterly n° 73 (été 2002).
Dans cette interview, le Dr Boyle déclarait :
Amnesty International, et d’autres ONG de défense des droits de l’homme, ont tout fait pour détourner la discussion et la condamnation des massacres de Jénine, comme elles avaient, par le passé, bloqué la condamnation des massacres israéliens au Liban. « Aucune de ces ONG n’a rien dit, toutes n’ont absolument rien fait, au sujet des 20 000 Arabes tués au Liban ». Qui insistait pour que cela soit fait se voyait « exclu du débat par des membres pro-israélien de leur conseil d’administration. » Durant vingt ans, ces ONG se sont abstenues d’utiliser l’expression « crimes de guerre » lorsque les exactions en cause étaient du fait d’Israël. Amnesty a avalisé l’infâme histoire des couveuses koweïtiennes, qui joua un rôle déterminant dans le tournant à cent quatre-vingt degrés opéré par l’opinion publique américaine en faveur de la Guerre du Golfe. Au conseil d’administration d’Amnesty International se trouvent un grand nombre de pro-israéliens, qui font tout, absolument tout leur possible afin d’empêcher – le cas échéant, de  saboter, de faire avorter et de faire obstruction à - toute action effective en ce qui concerne (les atteintes aux droits de l’homme perpétrées par) Israël.
Boyle va plus loin encore :
Le lobby israélien joue un rôle extrêmement important dans l’orientation d’Amnesty International USA. Ses agents exercent sur elle des pressions énormes, devant lesquelles Amnesty se prosterne volontiers. Nous devons nous intéresser à la coïncidence étrange qu’il y dans la double constatation que « les juifs sont aux avant-postes », comme l’écrit Abe Hayeem, et qu’il existe un regrettable passif de « sabotage et d’obstruction » contre toute action effective au sujet des violations des droits de l’homme perpétrées par Israël, comme le relève Francis Boyle.
Une comparaison nous est offerte par un ouvrage récent consacré à Robert Maxwell, ex-agent du Mossad et truand patenté. On y trouve des pages intéressantes sur la pénétration des forces sionistes au cœur même de la Russie soviétique et d’autres pays d’Europe de l’Est. Ces forces « ostensiblement amicales » ont fini par mettre à bas le communisme, en 1991. Nous devons par conséquent être conscients du danger que représente l’entrisme sioniste au cœur des forces progressistes, en Occident, aussi.
La lettre inspirée et pleine d’émotion de Dave Kersting vient nous rappeler l’urgente nécessité de désioniser le mouvement pacifiste aux Etats-Unis et en Europe. Nous devrions passer nos propres cœurs au peigne fin afin d’y « rechercher, en vue de les détruire » les moindres adhérences de chauvinisme juif, et d’être reconnaissants à nos amis lorsqu’ils ont l’amabilité de nous les faire remarquer. Par ailleurs, la présomption selon laquelle « untel est innocent tant que sa culpabilité n’a pas été démontrée » n’a pas encore été totalement éradiquée. Beaucoup de nos camarades juifs d’origine ont réussi à sortir du lavage de cerveau nationaliste ;  c’est pourquoi l’article «Tous, pratiquement » doit être considéré comme une hyperbole très poétique."]
- L’article de Dave Kersting -
John Wheat Gibson demande :
« Qui sont donc ces (fameux) dirigeants du mouvement anti-guerre « sous influence sioniste » ? Personnellement, je n’en ai jamais rencontré…
Moi, Dave Kersting, je lui réponds ceci :
Tous, pratiquement, durant les années de guerre au Vietnam – époque où il était généralement considéré « antisémite » de dire qu’Abba Eban avait admis devant l’ONU qu’Israël avait déclenché l’attaque initiale dans la guerre des Six jours (ce qui était bien entendu la stricte vérité). A l’époque, « tout le monde savait » que « les Arabes » avaient attaqué Israël, et seul des « antisémites » auraient suggéré qu’Israël fût capable moralement de commettre une chose aussi blâmable…
Tous les pacifistes, pratiquement, dans les années 1970, lorsque le manque d’intérêt pour le nettoyage ethnique de la Palestine, financé pourtant par nos impôts, a permis qu’il n’y ait plus une seule bonne raison pour l’existence même, tout simplement… d’un mouvement anti-guerre ! (C’était l’époque « Peace and Love, en effet, ndt…)
Tous, pratiquement, en 1982, lorsque personne ne protesta contre le financement du massacre au Liban. Lorsqu’Ariel Sharon vint à San Francisco, quelques semaines seulement après les massacres de Sabra et Chatila, les organisateurs des mini-protestations qui se déroulèrent contre sa venue bannirent explicitement tout signe ou tout tract qui pût contenir la moindre critique d’Israël ou du sionisme. Nous étions tous supposés prétendre que Sharon était un renégat, et que ses actions pas gentilles, pas bien du tout, n’étaient en rien inhérente au nettoyage ethnique de la Palestine (intrinsèquement lié au sionisme) ni en sa perpétuation.
Tous, pratiquement, tout au long des années 1980, où des déclarations ouvertement racistes contre « les Arabes » abondaient sur les tables de presse du « Jewish Student Board » (l’Union des Etudiants Juifs américains) et des « Hillel Students » à l’Université de Berkeley (Californie), jour après jour, tout le monde semblant ne rien remarquer ou n’avoir aucune objection – en dépit des informations d’importance nationale qui auraient pu être apportées si une campagne appropriée avait été entreprise afin de dénoncer ce racisme ouvert. Personne, dans aucun des groupes de gauche ou progressistes, ne désirait discuter d’une campagne de cette nature.
La position constante du CISPES (Committee in Solidarity with the People of El Salvador) (Comité de solidarité avec le peuple du San Salvador) consistait à affirmer qu’ « Israël, c’est différent » et des tentatives ultérieures pour discuter de cette question furent repoussées par un flot d’obscénités généralement réservées au trust (impérialiste) General Foods.
Tous, pratiquement, à la fin des années 1980, quand Israël inaugura la politique à l’époque controversée (mais aujourd’hui admise) consistant à utiliser des balles réelles contre des enfants jetant des pierres, au cours de la première Intifada : aucun militant pour la paix, aucun militant pour l’égalité ethnique, n’a manifesté la volonté de s’opposer à leur soutien objectif de ces exactions (qu’ils finançaient de leurs impôts comme tous les Américains), en les dénonçant à haute et intelligible voix.
Tous, pratiquement, en 1991, lorsque Saddam Hussein proposa de se retirer du Koweït, à l’unique condition qu’Israël soit contraint lui aussi de se plier aux résolutions de l’ONU relatives à la Palestine, équivalant à celle que la coalition emmenée par les Etats-Unis était en train ostensiblement d’imposer à l’Irak – et que des milliers de manifestants « anti-guerre » sortirent on ne sait d’où, prétendant que non, non… ils NE MASSACRAIENT PAS des Arabes volontairement, depuis des dizaines d’années (avec leurs impôts), et perpétuant cet aveuglement volontaire en adoptant le mythe spécifique voulant que l’agression contre l’Irak N’EQUIVALAIT EN RIEN au rejet de la responsabilité d’Israël, mais qu’il s’agissait, n’est-ce pas, du « pétrole » ! ? ! (Veuillez noter, je vous prie, que les Etats-Unis ne se sont pas emparés des champs pétrolifères irakiens, par la suite, bien que leur victoire eût été aussi complète qu’il eût été possible).
Lors des premiers festivals « Pas de Sang pour le Pétrole (tout un programme… ndt)», le problème palestinien, et le lien direct avec la Palestine, furent nettement occultés par les leaders « anti-guerre », sous couvert de ce thème éculé, datant au minimum des années trente : « le sang des troupes de notre classe laborieuse (est répandu) pour les plus grands profits pétroliers des capitalistes ». Aucun des leaders du mouvement anti-guerre n’a jamais élevé la moindre objection à l’effusion du sang ARABE, perpétrée à travers notre financement massif des politiques israéliennes ouvertement racistes, et Israël ne fut surtout pas mentionné par les orateurs, excepté lorsqu’ils rendaient hommage aux foules rassemblées, pour les féliciter – avec quelle condescendance ! – de leur innocence de toute « stigmatisation d’Israël ».
Tous, pratiquement, durant les quatre premiers mois de la seconde Intifada, tandis qu’Israël et ses financiers américains volontaires (y compris virtuellement tous les leaders anti-guerre qui ne gardèrent bien de protester) assassinait 84 enfants palestiniens, avant que le premier enfant israélien ne soit tué par un renégat palestinien. Nous, qui avons pourtant tenté de susciter un débat sur ce suet, parmi ces leaders anti-guerre qui acceptaient encore de nous parler, en avons trouvé en grand nombre qui, bien loin d’être seulement « sous influence sioniste », étaient des SIONISTES déclarés, dans leur refus de soutenir le droit au retour des Palestiniens (et donc, par leur exigence que soit perpétuée la violence raciste interdisant aux familles palestiniennes déplacées de revenir dans ce pouvait rester de leurs foyers), et dans leur soutien ouvert à une solution « à deux Etats » dans laquelle la suprématie ethnique juive serait maintenue par la violence, en violation des droits humaines des Palestiniens indésirables, dans la plus grande partie (sinon la totalité) de la Palestine, du fait même de leur refus d’élever une quelconque protestation, fût-elle des plus symboliques.
Tous, pratiquement, dans les mois ayant succédé au 11 septembre, tandis que l’escalade des horreurs se poursuivait en Palestine, sans qu’aucune protestation audible ne s’élevât, mis à part celle des petits groupes, isolés, de pacifistes authentiques.
Tous, pratiquement, dans les mois ayant succédé au 11 septembre, étant donné que les « protestations anti-guerre » étaient réservées au problème afghan, et en dépit du lien constamment établi avec la Palestine par Oussama Bin Laden (cible alléguée de notre effort de guerre). Les thèmes – constants – de ces manifestations étaient : Arrêtez la guerre ! (mais seulement en Afghanistan…) ; Arrêtez la chasse au faciès ! (mais seulement aux Etats-Unis…) et Arrêtez les atteintes aux libertés civiques ! (mais seulement à NOS libertés civiques : les militants anti-guerre refusant d’objecter au financement – par nos impôts - d’attaques infiniment pires contre les libertés civiques et les droits humains des Arabes palestiniens, en raison (sans doute ?) de leur indignité ethnique dans NOTRE Etat juif établi sur LEUR territoire).
Dans l’ensemble de ces actions de protestation, la pancarte la plus courante disait : « La justice, pas la vengeance ! », comme s’il s’agît de suggérer que la populace non éduquée eût une préférence pour la vengeance sur la justice… Des militants pour l’égalité des droits se pointaient aux manifs, à l’occasion, avec des pancartes dénonçant de manière explicite les raisons fondamentales de ces guerres de diversion – c’est-à-dire : les atrocités effrontément racistes perpétrées contre les Palestiniens – mais nous étions alors court-circuités par les pacifistes « consensuels », qui avaient sans doute le sentiment qu’en appeler à une cessation de la plus violente campagne d’un racisme d’Etat jamais aussi ouvertement observée dans l’histoire, cela eût été par trop « conflictuel » ou une prise de position par trop « radicale ».
Les gens simples – tout simplement opposés au racisme, et non endoctrinés à accepter le relativisme « progressiste » sioniste – répondaient bien mieux à NOS slogans et affiches qu’ils ne le faisaient au mot d’ordre (vague et qui ne mange pas de pain) omniprésent : « La justice, pas la vengeance ! » 
Dans mon coin, le Comté de Marin (de gauche) en Californie, des militants pour l’égalité des droits civiques, qui tentaient poliment de discuter de la nécessité de mettre un terme à notre soutien volontaire (par nos impôts) à la violence du racisme d’Etat israélien – et d’inclure cette nécessité dans les mots d’ordre des manifestations contre la guerre en Afghanistan, puis, plus tard, en Irak – ont été menacés par les leaders du mouvement anti-guerre, agressés physiquement, même, par l’un d’eux, et accusés (faussement, bien entendu) d’antisémitisme par plusieurs.
Partout ailleurs où le sionisme EST critiqué, la diffamation d’ « antisémitisme » est rejetée avec mépris comme un vieux truc éculé du sionisme. Mais pas à la direction du mouvement anti-guerre, qui s’avère être elle-même une des sources – inaugurales – de cette calomnie.
Des tentatives de discuter de la nécessité d’inclure le problème palestinien - essentiel dans l’argumentation contre la guerre contre l’Irak - ont été systématiquement ignorées par pratiquement tous les dirigeants de l’action actuelle, et Richard Becker en personne, représentant l’IAC (Comité contre la Guerre en Irak) et l’appel ANSWER a mis un coup d’arrêt à des discussions de cette nature en déclarant qu’ « affirmer que les sionistes exercent une action indue sur le gouvernement américain, c’est être « antisémite » ». Il est très facile de démontrer que les horreurs racistes indéniables et non déguisées perpétrées par Israël contre les Palestiniens constituent la seule faille à faire éthiquement tache dans l’ensemble de l’idéologie américano-israélienne plaidant dans le sens d’une guerre contre l’Irak ; mais ces arguments n’ont jamais été tolérés par le leadership consensuel de la mouvance anti-guerre.
Depuis des décennies, les sionistes ont réussi à camoufler les réalités et la signification de la Catastrophe palestinienne, dans les constantes guerres « israélo-arabes ». Les terriblement peu nombreux militants anti-guerre qui ne travaillent pas sous contrôle mental sioniste savaient bien que cela n’était qu’une question de temps, et que la réalité fondamentale du nettoyage ethnique perpétré par Israël – à savoir l’ « Etat-colon » juif, officiel et ouvertement déclaré, imposé à la Palestine multiethnique – finirait bien un jour par émerger des nuages de fumée répandus par les sionistes (et leurs zombies, ndt). Nous avons toujours pensé que lorsque cet énorme tort viendrait au grand jour – apportant un argument éthique indiscutable, allant bien au-delà de tout ce que nous avions eu à notre disposition au sujet du Vietnam, de l’Amérique Centrale, etc… - le mouvement anti-guerre DEVRAIT sortir de son coma moral, et protester. Nous n’avions jamais cauchemardé au point d’imaginer que la formation et le conditionnement sionistes auraient perfusé si profondément dans la direction des mouvements anti-guerre que, le temps finalement venu – et cela est advenu il y a exactement deux ans – Israël serait totalement libre de massacrer autant de civils qu’il lui plairait, et cela au beau milieu d’un scénario OFFICIELLEMENT raciste, comportant l’érection d’un mur raciste… et que les dirigeants de nos mouvements anti-guerre continueraient à vouloir nous imposer un silence discret !
Je connais un certain nombre de leaders anti-guerre locaux, capables de rassembler chacun de quarante à cinquante personnes afin de protester contre les assassinats racistes d’enfants, etc… et il est vrai qu’ils ne sont pas sous influence sioniste. Hier, le 18 janvier, nous étions virtuellement invisibles, perdus dans la marée humaine de la manifestation géante organisée par les leaders du mouvement anti-guerre qui veillèrent à s’assurer que le problème palestinien n’apparaisse – tout au plus – que sur un demi pour-cent des pancartes et des tracts distribués. Aucun des orateurs n’a jugé bon de mentionner le racisme d’Israël – POURTANT L’UNIQUE PROBLEME – alors même qu’il représente le lien essentiel et le plus facile à dénoncer, car moralement absolument indéfendable, dans l’ensemble de l’idéologie de la guerre contre l’Irak. Les deux dernières lettres de l’acronyme ‘ANSWER’ (ce mot signifie Réponse, et il est composé des initiales de American Nation to Stop the War and End Racism : Action de la nation américaine pour arrêter la guerre et mettre un terme au racisme : ER, les deux dernières lettres, signifient) « mettre un terme au racisme », mais cela ne s’applique apparemment pas aux huit millions de dollars payés QUOTIDIENNEMENT par les contribuables américains afin de financer les atrocités racistes perpétrées par Israël contre les Palestiniens…
Il faut garder présent à l’esprit qu’une déclaration convenue, ou un commentaire contre le sionisme ou Israël, une fois en passant, ne sauraient suffire à démontrer une réelle opposition. Même une taupe sioniste professionnelle, émargeant au Mossad, ne saurait faire à moins que sacrifier à ce MINIMUM indispensable, si elle veut rendre vraiment effectif son objectif de silence généralisé, dans le monde réel, qui est de persuader les pacifistes
AUTHENTIQUES du fait que le problème palestinien ne mérite pas RELLEMENT qu’on l’évoque. 
Parmi les autocollants anti-guerre ou pacifistes que l’on voit collés aux pare-chocs des bagnoles, dans votre quartier, par exemple, quel pourcentage, d’après vous évoquent-ils la Palestine ? Ici, dans la région de la Baie de San Francisco, il y en a, tout au plus, 0,2 %… Je vais vous expliquer pourquoi : celui qui est sur le pare-chocs de la tire de mon frangin, plus celui qui est sur ma bagnole, à moi, sont les DEUX autocollants, sur environ les dix milles qui peuvent exister dans la région… Voilà aussi qui, statistiquement, démontre la domination sioniste sur la direction du mouvement anti-guerre ! Quels leaders anti-guerre connaissez-vous, qui protestent de façon audible contre le racisme sioniste, et combien de personnes sont-ils capables de réunir aussi efficacement que possible, s’ils existent ? Sait-on jamais, les principaux dirigeants du mouvement seront peut-être contraints d’emboîter le pas, le cas échéant ?…  
Enfin, permettez-moi de vous donner ce petit « tuyau » :
Si, VRAIMENT, vous avez envie de rencontrer un leader sous influence sioniste du mouvement anti-guerre, il vous suffit de vous approcher de l’estrade au prochain rassemblement anti-guerre, et de vous présenter à lui…
                           
5. Mes ennemis, je m’en charge. Protégez-moi de mes amis ! Les militants pro-palestiniens et les Palestiniens par Michael Neumann (20 août 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Michael Neumann est professeur de philosophie à Trent University, à Ontario au Canada.)
Si la situation des Palestiniens semble désespérée, ce n’est pas simplement à cause des agissements d’Israël. C’est aussi parce que la plupart des militants pro-palestiniens, tout en ne cessant de geindre au sujet de l’alliance américano-israélienne, n’épargnent aucun effort pour faire qu’elle perdure. S’ils le font, c’est parce qu’ils sont comme unis par les liens du mariage catholique avec des présupposés propre à la gauche.
Comment cela se manifeste-t-il ? Confrontée à la réalité que l’un des pays les plus puissants du monde – je parle ici, bien entendu, d’Israël – est en train d’écraser les Palestiniens, la gauche persiste à se méprendre et à voir en Israël une frêle marionnette, ce qui confère immédiatement aux Etats-Unis le statut du marionnettiste. Etant donné que le marionnettiste doit bien avoir une motivation quelconque pour le spectacle de marionnettes, Israël devient aussitôt un instrument au service des intérêts américains. C’est là l’erreur fondamentale, car cela a tendance à impliquer très logiquement que tout gouvernement américain sain d’esprit « se devrait » de soutenir Israël. En effet, tout gouvernement sain d’esprit n’a-t-il pas pour mission première de promouvoir les intérêts de son propre pays ?
Comme toutes les stratégies catastrophiquement erronées, celle-ci est néanmoins basée sur une vérité. L’engagement scandaleux, extravagant, des Etats-Unis envers Israël devrait bien entendu être stoppé immédiatement. Mais il n’en reste pas moins que c’est bien Israël qui commet les crimes, pas les Etats-Unis, et ces crimes ne sont même pas commis à l’instigation des Etats-Unis. L’Amérique est une andouille, dans cette affaire, une complice dupée, et non une co-conspiratrice. Le fait, énorme mais ignoré, fondamental dans la problématique palestinienne, c’est que l’Amérique n’est pas, comme la gauche aime tellement à le penser, en train de poursuivre on ne sait quel intérêt vital à travers son alliance avec Israël. Au contraire, l’Amérique agit contre ses propres intérêts vitaux. Et, par ‘Amérique’, je n’entends pas parler seulement des Américains formidables, aussi réels que la glèbe, comme on en voit dans les films de Denzel Washington. J’entends bien par ‘Amérique’, aussi, le monde américain des affaires et le gouvernement.
A l’époque où il y avait encore des communistes, les Etats-Unis avaient une raison paranoïaque, mais au moins était-elle vaguement plausible, de s’allier avec Israël. Israël allait se charger d’empêcher les communistes arabes d’échapper à notre contrôle. Les Etats-Unis avaient désespérément besoin d’un fort potentiel militaire dans la région, car ‘échapper à notre contrôle’ voulait dire, pour les communistes arabes, être capables, le cas échéant, de fournir des bases à l’Armée Rouge. Mais les communistes ont disparu du paysage depuis bien longtemps. Tout le monde s’y est mis, pour les balayer : d’authentiques nationalistes, comme Nasser, des forces politiques fortement enracinées, comme le parti baath de Syrie, des réactionnaires comme les gouvernants des émirats du Golfe, les Américains, Israël, sans oublier les fondamentalistes musulmans, que les derniers cités se chargèrent de cultiver.
C’était alors – rappelez vous, le Vietnam, la Guerre d’Octobre – une époque où aucune mouvance n’était jugée trop maléfique pour rejoindre le club, pour peu qu’elle combattît le communisme. C’est l’Amérique de cette époque (révolue) là qui continue à vivre dans les cerveaux congelés de la gauche. Combien de régimes affreux les Etats-Unis soutenaient-ils, dans les années 1970 ? Israël était, si ça se trouve, le moins pire d’entre eux tous. Il y avait les Sud-Vietnamiens, les colonels grecs, Pinochet et toute une brochette de salauds patentés dans l’ensemble de l’Amérique latine – au Brésil, en Argentine, en Uruguay, au Paraguay, au Guatemala, au Salvador, au Panama, en République Dominicaine. Il y avait aussi les Sud-Africains, chez eux, mais aussi en Angola, en Namibie, au Mozambique. Il y avait les massacres en Indonésie, il y avait le Shah d’Iran. J’en oublie sans doute bien d’autres, pas meilleurs.
Mais (l’avez-vous remarqué ?) nous ne sommes plus en 1975. Je ne suis pas certain que l’Amérique soutienne aujourd’hui un seul régime qui soit aussi repoussant que ses alliés de naguère. Bien entendu, les Etats-Unis continuent à pratiquer un commerce d’armements florissant avec toutes sortes de gouvernements horribles et, comme toujours, ils continuent à conclure avec eux des accords économiques bancals. Mais ces gouvernements, de pays tels l’Indonésie, le Koweït ou l’Argentine, ne sont pas plus les clients de l’Amérique qu’ils ne le sont de la France, de la Grande-Bretagne ou de l’un quelconque des autres pays qui entretiennent des relations d’affaires avec eux (de plus, la plupart d’entre eux ne sont pas aussi épouvantables que les clients des Etats-Unis de naguère). Pour quelqu’un qui serait essentiellement obnubilé par la punition des péchés des Etats-Unis, le changement pourrait sembler n’avoir aucune espèce d’importance. Mais pour quiconque veut réellement exercer une influence sur le gouvernement américain, ce changement est fondamental. Lorsqu’on examine les objectifs politiques concernés, il y a une grande différence entre le genre de soutien que les Etats-Unis accordent à Israël aujourd’hui et celui qu’ils apportaient à leurs Etats clients durant les années 1970.
En 1975, l’Amérique soutenait ses amis insortables parce qu’elle voulait ce qu’eux même désiraient. Elle voulait que les communistes, les dissidents et les révolutionnaires soient torturés et tués. Elle voulait que cela soit fait par procuration, et elle conspirait de manière active avec les pires gouvernements qui soient sur Terre, à cette fin. Si l’Amérique ne conspire plus avec ce genre de gens, c’est essentiellement parce qu’elle a obtenu ce qu’elle voulait. Mais le soutien américain à Israël a toujours été différent, de tout temps.
L’Amérique ne veut absolument pas ce qu’Israël veut, et elle ne l’a jamais voulu. L’Amérique n’a jamais eu le moindre désir de tuer des Palestiniens, ni de prendre leurs terres et leurs maisons, ni de les conduire au désespoir. Si l’Amérique a toléré les outrages de son allié/protégé, c’est à la manière dont un chef de gang peut tolérer les déviances sexuelles sadiques d’un subordonné. Mais, à l’instar du chef de gang de notre exemple, sans pour autant partager ses goûts pervers.
Mais si l’Amérique ne partage pas les objectifs d’Israël, que retire-t-elle donc de son soutien à Israël ? La gauche est devenue une véritable acrobate contorsionniste, dans ses tentatives désespérées d’expliquer ce phénomène. C’est le pétrole, dit-elle. Cette explication accorde une importance excessive au rôle joué par le pétrole dans la politique étrangère américaine, et elle n’aurait pas une grande pertinence, même si ces assomptions étaient crédibles.
L’invocation de la politique pétrolière découle dans une large mesure d’un crédit beaucoup trop important accordé à l’expression, par les gouvernements américains successifs, de leurs préoccupations au sujet de l’approvisionnement pétrolier américain sur le long terme. Naturellement, des officiels du gouvernement américain continuent à exprimer cette préoccupation, de temps à autre. Les compagnies pétrolières adorent ça, et d’ailleurs la préoccupation n’est pas du tout infondée. Mais il y a une grosse différence entre être préoccupé par un problème et en faire la force orientant l’ensemble de la politique étrangère d’un pays donné. J’en veux pour preuve la supposée politique pétrolière censée diriger l’action des Etats-Unis en Asie centrale. On en fait des tonnes sur l’engagement (pas franchement enthousiaste) de la compagnie Unocal au Kazakhstan, ainsi que sur le pipe-line qui en fait partie (voir, par exemple, Ted Rall « The New Great Game : Oil Politics in Central Asia » - Le Nouveau Grand jeu : politique pétrolière en Asie centrale, http://www.bradley.edu/las/soc/soc/classes/soc100/01valt55.html)
Mais Unocal est une compagnie de second ou troisième rang, une entreprise au capital de 9 milliards de dollars, largement écrasée par la stature d’une entreprise comme Exxon, avec son capital de 270 milliards de dollars. De plus, il s’agit plus ou moins d’une entreprise paria, puisqu’elle doit faire face actuellement à un procès à Los Angeles pour violation des droits de l’homme.
Accepteraient-“ils” cela, le “ils” représentant le grand “ils” des analyses ressortissant à la théorie du complot – si les gens d’Unocal, localement, étaient réellement les petits chéris d’un gouvernement américain tout entier tendu vers la sécurisation du pétrole de la Caspienne?
Bien entendu, le gouvernement américain veut s’assurer sa part du pétrole d’Asie centrale, et il mène une politique pétrolière à cette fin. Mais on est très loin de l’obsession, et pourquoi, d’ailleurs, devrait-ce en être une? Nous vivons aujourd’hui dans un monde dans lequel les pays producteurs de pétrole se livrent entre eux une concurrence acharnée afin de vendre le plus de pétrole possible au plus offrant. La presse des affaires considère l’arme du pétrole comme totalement inutilisable. Le manque d’intérêt des Etats-Unis pour les économies d’énergie et les énergies alternatives montre bien que ce gouvernement américain ne voit pas plus loin, dans sa politique en la matière, que la presse d’affaires. Cela ne devrait nullement nous surprendre. La plus grande puissance mondiale en matière militaire et économique sait très bien qu’elle peut se procurer du pétrole sans l’aide de quiconque –  en particulier, sans celle d’Israël.
Si l’Amérique était aussi préoccupée qu’on veut bien le dire par ses approvisionnements pétroliers, pourquoi s’allierait-elle avec le seul pays au monde qui risque d’éloigner d’elle ses fournisseurs ? Sans cette alliance israélienne, les Etats-Unis seraient à même d’exercer une pression bien plus directe et bien plus finement adaptée sur les gouvernements des pays riches en pétrole. Israël est a) bien mieux positionné afin d’exercer des pressions sur des pays qui ne sont PAS des producteurs pétroliers ayant une quelconque importance – le Liban, la Syrie, la Jordanie, l’Egypte – , b) totalement superfétatoire lorsqu’il s’agit d’exercer des pressions sur les pays du Golfe, extraordinairement faibles et, enfin, c) politiquement inutilisable, comme l’a démontré la guerre du Golfe, lorsqu’il s’agit d’exercer des pressions sur des pays producteurs puissants, comme l’Irak et l’Iran.
Faire d’Israël le porte-avion amarré à demeure de l’Amérique est tout aussi peu convainquant, dans ce contexte. Encore une fois, cela avait un sens paranoïde relatif lorsque l’ennemi était encore le communisme, parce que les Etats frontaliers d’Israël étaient considérés comme très susceptibles de devenir communistes. Mais les Etats-Unis n’ont pas besoin, ni ne veulent, qu’Israël leur fraie un chemin à travers la Syrie et la Jordanie en direction des champs pétroliers du Golfe. Cette “solution” serait beaucoup plus problématique encore que la simple occupation des champs pétrolifères par des troupes américaines. Aujourd’hui, les Etats-Unis n’éprouveraient pas plus de difficulté à sécuriser, voire à contrôler, les approvisionnements pétroliers moyen-orientaux que n’en avaient eu les alliés lors de la Première guerre mondiale, c’est-à-dire bien avant qu’Israël n’existât. Le seul élément qui pourrait s’avérer vraisemblablement pratique – à savoir un grand nombre de soldats facilement disponibles sur le terrain -, seuls des gouvernements arabes (amicaux pour les Américains) pourraient le fournir, certainement pas Israël.
On entend occasionnellement d’autres interprétations quant à l’intérêt pour les Etats-Unis de soutenir Israël. Il est dit, notamment, que la persécution des Palestiniens par Israël “donnera aux Arabes une bonne leçon”. Quelle leçon ? Sont-ils trop idiots pour voir qu’ils sont plus faibles que les Etats-Unis ? Qu’est-ce que les Arabes doivent donc apprendre à surtout éviter ? A résister à l’occupation israélienne ? Les pays arabes ont peu de sympathie, et encore moins d’intérêts communs avec les Palestiniens ; ils ne bronchent pas lorsqu’Israël persécute un peuple qu’ils craignent et/ou qu’ils méprisent.
Ou bien alors, le soutien américain à Israël aurait quelque chose à voir, peu ou prou, avec la guerre contre le terrorisme ? Oui, certainement, mais : a contrario. L’alliance entre les Etats-Unis et Israël fait obstacle à l’amélioration de leurs relations avec les gouvernements arabes, avec la fameuse « rue arabe », et avec le Pakistan. Elle représente le principal obstacle à une attaque américaine contre l’Irak. Elle bloque tant une attaque contre, qu’une réconciliation avec, l’Iran, le Soudan ou la Libye. L’alliance des Etats-Unis avec Israël porte encore plus de tort à sa guerre contre le terrorisme qu’à sa politique pétrolière.
Cela étant dit, pourquoi donc les Etats-Unis soutiennent-ils Israël ? Il y a le lobby pro-israélien, j’imagine, et aussi (c’est autre chose), le soutien des juifs américains ordinaires à la politique israélienne. Plus important, encore sans doute, est l’immense prestige des juifs et de la culture juive, dans la vie américaine. Mais, plus important que tout est probablement cette force qu’il ne faut jamais sous-estimer : la bonne vieille et toute simple routine. L’Amérique soutient Israël parce qu’elle eut jadis une raison de le faire, ou tout du moins le pensait-elle, et parce qu’elle l’a fait par le passé. Voilà tout. Bête comme chou, non ? Les intellectuels peuvent bien se sentir nargués par ce genre d’explications banales, mais ils n’en avancent pas d’autres qui soient convaincantes. Quelles que puissent être les raisons justifiant le soutien américain à Israël, on n’y trouve en aucun cas les intérêts bien compris des Etats-Unis.
Les implications de cette réalité sont énormes. Toute la stratégie palestinienne de la gauche a besoin d’une révision drastique et urgente. Primo, la démonisation, par la gauche, des Etats-Unis, est excessive et obsessionnelle. Le soutien actuel de l’Amérique à Israël est à des années lumières de son soutien vicieusement maléfique aux régimes de ses Etats-clients, à l’époque de la guerre froide. Aujourd’hui, la marionnette, c’est l’Amérique, ce n’est pas Israël.
L’Amérique n’est pas en train d’utiliser Israël pour combattre le communisme ou en vue d’avantages économiques. Absolument pas. C’est tout le contraire : Israël est en train d’utiliser l’Amérique pour mener une guerre raciale, et l’Amérique est trop ensuquée pour le comprendre. Elle se met à plat ventre devant Israël essentiellement parce qu’elle est en pleine confusion, et en partie aussi parce que ses politiciens redoutent de déplaire aux électeurs juifs. Mais l’Amérique, dans cette histoire, n’est pas l’ennemie ; elle se contente d’aider l’ennemi, nuance ! La gauche est tellement obnubilée par les péchés de l’Amérique qu’elle traite le soutien actuel des Etats-Unis à Israël de la même manière qu’elle a traité, par le passé, la sponsorisation par les Etats-Unis de véritables régimes de paille, tel celui du Chili de Pinochet et, ce faisant, elle laisse le véritable coupable tranquille. Les armes américaines infligent des destructions et des souffrances énormes aux Palestiniens, mais ce n’est pas l’Amérique qui inflige ce mal : « c’est les Israéliens, andouille ! » Même sans armes américaines, le petit Israël courageux trouverait quand même le moyen d’opprimer les Palestiniens et, par-dessus le marché, d’intimider leurs alliés rétifs.
Bien que l’Amérique ne soit pas le personnage patibulaire central dans le drame israélien, un changement dans la politique américaine n’en est pas moins essentiel si l’on veut aider les Palestiniens. La gauche est beaucoup plus intéressée à se plaindre de cette politique qu’à y changer quoi que ce soit. Toutefois, les éléments pour une stratégie véritable peuvent être trouvés dans la certitude bénigne des gens de gauche, qui voudrait que la politique américaine soit dictée par les intérêts stratégiques et économiques de l’Amérique. Si les gens de gauche voulaient véritablement contraindre Israël à plus de retenue et non pas seulement faire la morale au sujet de la complicité américaine avec lui, ils diraient clairement que les décideurs politiques américains sont plus bêtes qu’ils ne sont méchants, car la politique d’Israël va exactement à l’encontre des intérêts stratégiques et économiques de l’Amérique. Une stratégie authentiquement pro-palestinienne devrait mettre l’accent sur le fait que le soutien américain à Israël sape non seulement la guerre de l’Amérique contre le terrorisme, mais aussi sa politique pétrolière. De plus, une stratégie authentiquement pro-palestinienne ne devrait pas être par principe anti-américaine, pour la beauté de la chose. Non. Elle devrait au contraire souligner que la politique étrangère américaine, aussi répréhensible soit-elle (encore), a fait des progrès depuis 1975, et que l’Amérique dilapide les bénéfices politiques qu’elle pourrait retirer de cette amélioration, avec son soutient pavlovien à Israël. Ce n’est pas d’apologétique ou d’agitation de drapeaux dont il s’agit ; ce dont il est question, c’est de faire en sorte que notre appel soit plus audible, tant pour le gouvernement des Etats-Unis, que pour l’opinion publique américaine.
Une telle stratégie serait de nature à faire beaucoup plus que simplement amener les Américains les plus conservateurs à remettre en question la sagesse d’un soutien accordé à Israël. Cela contraindrait également les juifs américains à réévaluer leur engagement vis-à-vis d’Israël, engagement qui jusqu’à présent a été, de fait, considéré comme impeccablement pro-américain tant par la gauche que par la droite. A tout le moins, cela n’aurait absolument aucun sens, pour les pro-palestiniens, de ramasser leurs billes et de rentrer chez eux, après le constat que leurs appels à la moralité restent sans effet. Au contraire, quiconque est convaincu de l’immoralité du gouvernement américain a d’autant plus de raisons d’en appeler à l’intérêt égoïste bien senti des Américains.
Si d’aucuns insistent sur un jugement moral en la matière, le seul qui soit évident est celui qui voudrait que l’hystérie anti-américaine de la gauche représente un entêtement inexcusable dans une pétition de principes à  cause de laquelle les Palestiniens sont en train de payer un prix terriblement élevé. D’après un sondage de CNN, 43 % des Américains, au minimum, jugeraient la politique des Etats-Unis trop pro-israélienne. Ce n’est pas sans ingénuité qu’un tel courant souterrain d’opposition à la politique américaine demeure ainsi inexploité.
                           
6. Les juifs de gauche et la Palestine : de simples bêlements de désapprobation par Michael Neumann (2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Lorsque des consciences juives s’expriment ouvertement au sujet d’Israël, on constate un hiatus étonnant, dans les propos, entre le problème évoqué et la solution suggérée. La gauche juive et ses alliés commencent leur discours par des dénonciations, des plus retentissantes, qui ne tardent pas à s’atténuer, jusqu’à ne plus être que de simples recommandations, des plus timides, de surcroît.
De nombreuses personnes critiques vis-à-vis d’Israël le considèrent comme un Etat paria*. Beaucoup considèrent cet Etat raciste. Beaucoup pensent qu’il est coupable d’atrocités brutales contre le peuple palestinien, et font montre d’un intérêt presque lubrique pour ces atrocités. Beaucoup de sources d’information consensuelles, en dehors des Etats-Unis – tels la BBC, The Guardian, la CBC – véhiculent des rapports accablants sur les exactions israéliennes et, cela, depuis pas mal de temps. Nous entendons dire, par exemple, que les officiers israéliens, lorsqu’ils envisagent d’attaquer un camp palestinien, étudient au préalable la stratégie utilisée par les Allemands pour prendre d’assaut le Ghetto de Varsovie. Nous entendons horreur sur horreur. Les militants juifs et israéliens n’hésitent pas à établir des parallèles avec l’Allemagne nazie. (cf Norman Finkelstein). 
C’est terrible, non ? Que pouvons-nous faire ?
Pas grand-chose, semble-t-il, et cela ne date pas d’hier.
En 1998, le Comité Juif sur le Moyen-Orient a publié un communiqué dans lequel il déclarait explicitement qu’ « Israël est devenu, en tant que tel, un Etat paria au sein de la communauté internationale ». Cette déclaration est encore fièrement inscrite sur les pages du site ouèbe de cette organisation, qui a attribué à Israël « une idéologie raciste », affirmant que « les événements actuels ne nous rappellent que trop bien les pogromes qu’avaient dû fuir nos ancêtres, voici deux ou trois générations. »
http://www.middleeast.org/archives/jcome1.htm
Il s’agit là de personnes qui perçoivent clairement qu’il s’agit de la part d’Israël d’outrances très sérieuses – crimes de guerre, violations des droits de l’homme, violente croisade raciste. Il s’agit de gens dont le documentaire produit à compte d’auteur pourrait s’intituler « Nous, Nous Osons Parler – La Voix des Juifs Américains ». Mais que préconisent-ils, au juste ? « Les aides économiques exorbitantes accordées par les Etats-Unis à Israël doivent être réduites, au cours des deux ou trois années à venir, à des niveaux beaucoup plus raisonnables. De plus, l’assistance militaire et informationnelle considérable des Etats-Unis à Israël devrait elle aussi être réduite de manière drastique ».
Est-ce que vous lisez bien comme moi ? Cela ne signifie-t-il pas, par hasard, qu’une aide économique et militaire à cet Etat paria devrait se poursuivre ? Humm… Alors, c’est comme ça que nous sommes supposés répliquer à un Etat qui perpètre (je cite) « des tueries, des passages à tabac, des couvre-feu, des expulsions et des arrestations domiciliaires » – tout cela, contre des Palestiniens vivant dans des régions qu’Israël occupe depuis plus de vingt ans ? Comme qui dirait, l’Etat paria juif retors conserve des privilèges auxquels bien des Etats vertueux, quant à eux, ne pourraient que rêver. Mais cette déclaration fut jugée satisfaisante par Noam Chomsky, par conséquent, j’imagine qu’il devrait en aller de même pour moi ?…
Bon. Est-ce que les choses ont évolué, depuis 1988 ? Evidemment. Mais, hélas, elles n’ont fait qu’empirer. Enormément empirer. Alors, voyons un peu. Comment la réponse a-t-elle évolué, face à cette aggravation catastrophique ?
Elle n’a pas bougé d’un pouce. Le site ouèbe dissident le plus connu, Not In My Name (appel : Pas en Mon Nom ), est animé par une association juive avant tout soucieuse, apparemment, de ne pas être compromise par les crimes israéliens. Cette organisation recommande « la suspension de toute aide militaire américaine à Israël jusqu’à ce que ce pays mette un terme à son occupation de la Cisjordanie, de la bande de Gaza et de Jérusalem Est. » (cf : rubrique « Common Ground »). J’en tire donc la conclusion que l’aide économique va, quant à elle, continuer. Je reviendrai sur cette suspension de la seule aide militaire.
Et puis, il y a cet encart, publié dans le New York Times du 17 mars 2002, par Jewish Voices Against the Occupation (Voix juives contre l’occupation). Cette pétition appelle le gouvernement à suspendre son aide militaire à Israël qui poursuit son occupation, jusqu’à ce qu’il se retire totalement des territoires occupés ; à réduire l’aide économique à Israël en la défalquant des capitaux dépensés au fonctionnement des colonies, jusqu’à leur démantèlement…
OK…Il y aura donc encore un peu d’aide économique, et l’aide militaire sera rétablie dès qu’Israël se sera retiré des territoires occupés… Autrement dit : Israël recevra des cargaisons de nouveaux joujoux, automatiquement, à chaque fois qu’il fera mine de se retirer. Et le tout, à l’avenant : personne, à ce que je sache, n’exige plus que cela.
Ainsi, nous avons affaire à un pays qui est dénoncé pour ses violations - des plus graves qui soient -des droits de l’homme, dont le dirigeant est accusé de crimes de guerre… - à un Etat paria, donc - dont les exactions sont quasiment insoutenables à voir à la télévision, et totalement insoutenables, bien sûr, pour ceux qui en sont les victimes directes. Tout le monde semble bien être d’avis, pourtant, qu’un tel Etat mérite de recevoir une aide économique… Quant à l’aide militaire qu’on lui accorde, elle est tout au plus suspendue : dès qu’Israël aura quitté le lieu du crime, nous devrons nous assurer – surtout - qu’il n’aura perdu aucune de ses capacités à tuer.
Oublions un moment, voulez-vous, la question de savoir si cette réponse est proportionnée, ou non, à la gravité des crimes auxquels elle est supposée correspondre ? Demandons-nous simplement ce que la réponse est supposée viser ? Il est pratiquement inutile de mettre sur le tapis la question de l’aide économique, puisqu’elle continuera, quoi qu’il arrive, fût-ce à un niveau moindre. Qu’en est-il, alors, de cette exigence de suspension de l’aide militaire, qui voudrait se faire passer pour courageuse, mais qui est tellement pondérée et édulcorée, en réalité ?
Il s’avère, tout au moins de l’avis d’Andrew Cordesman, analyste au Centre pour les Etudes Stratégiques et Internationales de Washington (Center for Strategic and International Studies), qu’Israël pourrait soutenir une guerre pendant deux ans avant d’avoir besoin d’une aide militaire des Etats-Unis. Autrement dit : même une cessation totale et immédiate de l’aide militaire américaine ne contribuerait en rien à empêcher les Israéliens de faire subir aux Palestiniens absolument tout ce qu’ils désirent leur faire subir. On estime qu’Israël détient entre 200 et 500 têtes nucléaires, ainsi que des missiles de croisière qui ont atteint, avec succès, des cibles expérimentales situées dans un rayon de 950 miles. Israël a-t-il l’air d’être le genre de pays qui va sentir qu’une quelconque pression pèse sur lui, du simple fait que l’on aura « suspendu » l’aide militaire qui lui est prodiguée ? Même dans le cas où son buffet se retrouverait vide, il pourrait encore vendre quelques-unes de ces têtes nucléaires et acheter à peu près tout ce dont il a besoin…
Les militants juifs savent cela. Ils le savent parfaitement. Les gens de gauche le savent. Ils sont parfaitement au courant, par ailleurs, de ce que l’on doit faire, normalement, pour contenir un Etat voyou.
Normalement, toute aide est coupée. On impose un embargo sur les armements et le commerce. Tous les transferts de fonds sont gelés. Les comptes bancaires à l’étranger sont mis sous séquestre ou saisis. Les liaisons aériennes et les relations diplomatiques sont coupées ou réduites au strict minimum. On met fin à tout échange scientifique et culturel. Pour faire que tout cela tienne bon, il faut que l’Etat paria soit encerclé par des forces militaires d’une supériorité écrasante. On doit mettre en œuvre un programme d’urgence afin d’augmenter les capacités de défense de ses voisins ; une coalition emmenée par les Etats-Unis envoie sur place des milliers de combattants ; les forces navales sont déployées ; les efforts de renseignement et de contre-espionnage sont considérablement accrus. On amène tout doucettement cet Etat à prendre conscience qu’au cas où il utiliserait ses armes nucléaires, il peut s’attendre à recevoir la monnaie de sa pièce. Il s’agirait là, bien entendu, d’une réponse extrêmement pondérée, ne ressemblant à rien à ce qui a pu se passer en Serbie ou en Irak. Mais le simple fait de maîtriser Israël – et en aucun cas de l’attaquer – nécessiterait une initiative d’une envergure dépassant les concentrations de troupes en préparation de la Guerre du Golfe.
En résumé, tous ces gens qui pleurent sur les Palestiniens, tous ces militants qui s’exposent sur la ligne de front, toutes ces personnalités éminentes et ces écrivains engagés émouvants et éloquents qui condamnent les méfaits d’Israël – aucun de tous ceux-là n’exigent – si encore ils se contentaient, ne serait-ce, que de le demander… - de mesures un tant soit peu sérieuses à l’encontre d’Israël. Et on ne trouve qu’une seule explication à ce comportement étrange. Cette explication, elle est vraiment hideuse…
Les Juifs valent-ils encore plus cher, à tout prendre, à leurs yeux, que les Palestiniens ? L’ère nazie leur confère-t-elle un droit illimité aux pillages et aux massacres ? Le fait d’être juif fait-il de vous quelqu’un de tellement intouchable, de tellement sage, de tellement sacré, de tellement humaniste, de tellement chaleureux et de tellement mignon qu’un Etat juif ne saurait « réellement » commettre autant de méfaits, ou mériter plus qu’une bonne engueulade ? Les réponses possibles sont aussi limitées que déprimantes.
Une chose est claire : lorsque des crimes d’une telle ampleur sont commis par votre peuple, en votre nom, de simples bêlements ne sauraient vous absoudre de votre responsabilité. Vous devez, au moins – au strict minimum – même si vous ne « faites » rien – soutenir une action susceptible de mettre un terme à ces crimes. D’après un tel critère d’exigence, pour ce que j’en sais, même les mains d’un Chomsky ne sont pas propres.
Certainement, le monde a d’autres chats à fouetter que s’occuper d’obtenir des juifs qu’ils se défassent de leur hypocrisie. Mais, pour les Palestiniens, j’espère que la gauche juive va finir par se décider à s’y atteler.
* : Ainsi, par exemple, « Israël est devenu un ‘Etat paria’ sous le gouvernement du premier ministre Ariel Sharon et ses méthodes de lutte contre le terrorisme sont "inacceptables", a déclaré l’ex-député travailliste juif Gerald Kaufman ».
« Qu’est-ce qu’Israël pourrait bien faire afin de cesser d’être un Etat paria, si ses maîtres de Washington permettaient que cela soit fait ? » (C.G. Estabrook, CounterPunch, December 5, 2001)
Uri Avnery : « Les bouclages », les « états de siège » et tous les autres expédients en vue de la protection des colons sont en train de faire de nous un Etat paria aux yeux du monde. »
                                   
Revue de presse

                                   
1. L’Europe et l’Amérique : d’aucuns savent mieux, apparemment, que d’autres, ce que signifient les mots : "la guerre"… par William Pfaff
in International Herald Tribune (quotidien international publié à Paris) du lundi 27 janvier 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Paris – Ce n’est que dans les apparences que la crise entre les Américains, d’un côté, et les Allemands, avec les Français, de l’autre, au sujet de la guerre contre l’Irak, découle de la détermination de l’administration Bush, constante depuis 2001, à faire la guerre à Saddam Hussein. Les deux gouvernements ouest-européens ne voient, en effet, dans le dictateur irakien, qu’un problème international mineur. En revanche, ils considèrent que lui faire la guerre apporterait plus de mal que de bien. Mais il y a aussi entre Américains et Ouest-Européens une divergence sur la perspective de long terme.
Les Européens de l’Ouest, d’une manière générale, ne partagent pas l’ambition dont sont porteurs les Américains, d’une vaste réforme mondiale, ni leurs visions d’une histoire touchant à sa fin. On le comprend aisément : ils ont dû ingurgiter plus que leur saoul de cette forme de pensée, et de ses conséquences, avec le marxisme, et le nazisme.
Ce qui les intéresse, c’est une développement paisible de relations internationales civilisées et tolérantes, faisant des compromis sur les problèmes tout en évitant, autant que faire se peut, les catastrophes susceptibles de surgir chemin faisant. Ce n’est que tout récemment qu’eux-mêmes sont parvenus à se remettre des conséquences de ces immenses catastrophes que furent la Première et la Seconde guerres mondiales, au cours desquelles des dizaines de millions de personnes furent détruites. Ils ne veulent plus en entendre parler.
Les commentateurs américains, eux, se plaisent à l’idée que l’esprit pionnier de la frontière « jacksonienne » armerait l’Amérique pour dominer, réformer et démocratiser d’autres civilisations que la leur. Ils n’ont pas la notion que la confiance indéfectible de l’Amérique lui vient, dans une très large mesure, du fait qu’elle n’a jamais connu de véritable malheur, chez elle.
Le pire des conflits, en Amérique, fut la Guerre civile, au cours de laquelle la nation américaine - Nordistes et Sudistes - connut 498 000 morts en temps de guerre, toutes causes de décès confondues, ce qui représente un tout petit peu plus de 1,5 % d’une population totale s’élevant, à l’époque, à 31,5 millions d’âmes.
Par contraste, durant la Première guerre mondiale, la seule bataille de la Somme a causé deux fois plus de victimes européennes que celles dont ont souffert les Etats-Unis, en comptant les blessés, au cours de la totalité de la Guerre de Sécession.
Au cours de la Seconde guerre mondiale, ce sont 407 000 morts américains qui furent enregistrés, pour une population de 132 millions d’individus, soit : moins d’un tiers de pour-cent. Lorsqu’on se souvient de cette réalité, on voit que Washington ne possède pas réellement l’autorité qu’elle s’arroge à elle-même pour expliquer, en termes ô combien condescendants, que la réticence de l’Europe à faire la guerre à l’Irak serait due à son aversion pusillanime à regarder en face les réalités d’un univers répondant à la conception qu’en avait un Hobbes.
La différence entre les conceptions européennes et américaines s’explique beaucoup plus plausiblement en termes d’un enthousiasme irresponsable et nourri d’idéologie, pour l’aventure et le pouvoir, chez les experts et les décideurs de l’administration Bush, enthousiasme entretenu par des gens qui n’ont virtuellement aucune expérience, et auxquels manque apparemment ce minimum de capacités imaginatives qui leur permettrait de comprendre ce que cela signifie qu’une guerre, pour ceux qui en sont les victimes.
On ne soulignera jamais assez qu’aucun des personnages éminents associés à la politique étrangère de la Maison Blanche, à l’exception notable de Colin Powell, n’a la moindre expérience concrète de la guerre, la plupart d’entre eux s’étant activement et habilement arrangés de façon à échapper au service militaire au Vietnam. Leur inexpérience et leur ignorance ne sauraient être mieux mis en évidence que par des propos récents  du secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, selon lesquels les appelés n’ont « jamais apporté aucune valeur militaire, aucun avantage véritable, aux forces armées des Etats-Unis, sur une période de temps conséquente. » Qui, alors, à son avis, a combattu, dans la Seconde guerre mondiale, du côté américain : les 174 000 hommes de l’armée de métier d’avant-guerre, peut-être ?
L’armée régulière américaine n’a jamais été véritablement efficiente, avant qu’un grand nombre de civils, en temps de guerre, flexibles, intelligents et non-conformistes, aient été intégrés à son commandement, à ses états-majors et à ses rangs.
Cela a été en permanence le cas, de la Guerre de Sécession à la guerre au Vietnam – c’est alors que le système du service civil égalitaire finit d’être détruit par l’évasion de l’incorporation pratiquée par les privilégiés de la société américaine, à une époque où l’armée fut amenée à un point très proche de la mutinerie.
La résistance actuelle de l’Allemagne à la guerre du Président George W. Bush coïncide avec la re-émergence, en Allemagne, des remémorations élaborées des bombardements d’extermination, des pillages, des expulsions de populations entières et des viols massifs endurés au cours des derniers mois de la Seconde guerre mondiale. Cette expérience dévastatrice a été délibérément mise sous le boisseau, des années durant, dans la conscience allemande, en expiation de la responsabilité de l’Allemagne dans le déclenchement de la guerre ainsi que les crimes perpétrés par les forces armées allemandes.
Au cours des derniers mois, toute une série d’ouvrages et d’articles sont parus, qui ont enfin évoqué ce que les Allemands eux-mêmes qualifient de sujets tabous, en un temps où les membres des plus jeunes générations à avoir fait l’expérience de ces événements sont, pour la plupart d’entre eux, encore en vie.
Je n’entends pas par là diminuer en quoi que ce soit les mérites, la justification ni les effets réels (bien qu’au demeurant, fort minimes) sur l’effort de guerre allemand des bombardements à outrance et du déluge de feu provoqués par les alliés sur les villes allemandes, mais bien établir une réconciliation morale et esthétique avec des événements qui, à l’instar des bombardements au napalm des villes japonaises aux maisons pourtant très majoritairement construites en bois, figurent parmi les pires atrocités jamais perpétrées dans (et par) la civilisation occidentale.
En comparaison, la rhétorique de guerre de l’administration Bush, indéniablement tonitruante sur le plan intellectuel, semble incroyablement insignifiante, et ne fait que démontrer à quel point la classe politique, aux Etats-Unis, est aujourd’hui à des années lumière du reste du monde.
                           
2. Le coût humain : Tony sait-il à quoi ressemblent les mouches qui se régalent des cadavres ? par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britannique) du dimanche 26 janvier 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

C’était sur l’autoroute de Bassora ("l’autoroute de la mort", ndt)…ITV était en train de filmer des chiens sauvages en train de dépecer les cadavres d’Irakiens tués. A intervalles réguliers (et rapprochés) une de ces bêtes sauvages arrachait un bras en décomposition et l’emportait dans sa gueule, prenant la fuite avec son précieux butin en direction du désert, infini, devant nous… Des doigts contractés par la mort laissaient de fines traces dans le sable ; les restes de la vareuse militaire brûlée claquant au vent…
« C’est juste pour les archives », me dit le cameraman. Of course… parce que jamais ITV n’allait montrer ce genre de prise de vues, vous pensez bien… Ce que nous voyions – l’horreur, l’obscénité des cadavres – cela n’est pas montrable. Tout d’abord, parce qu’il ne serait pas « approprié » de diffuser une réalité de cet ordre au journal de 8 heures, quand les gens prennent leur petit-déjeuner. Ensuite, parce que, si on vous montrait à la télé ce que nous, journalistes, avons vu, il ne viendrait plus à l’idée de personne de soutenir une guerre !
Bien sûr, ce que je vous dis-là, c’était en 1991. L’ « autoroute de la mort » - qu’y disaient. Mais il y avait une autre « autoroute de mort », parallèle, encore bien pire, à quinze kilomètres plus à l’est, autre échantillon gratuit offert par l’US Air Force et la R. A. F., mais personne ne se donna la peine d’aller la filmer – et la seule image authentique des horreurs indicibles que nous y vîmes fut cette photographie de ce soldat irakien ratatiné, carbonisé, dans son camion. C’était là une illustration iconique, en réalité, car elle représentait bien ce que nous avions vu – lorsqu’on daigna, enfin, la publier.
Pour que des victimes irakiennes apparaissent à la télé, durant cette Guerre du Golfe là – il y en avait déjà eu une, avant, entre 1980 et 1988, et une troisième est dans le tuyau… – il était absolument nécessaire qu’elles soient mortes avec soin, qu’elles soient tombées romantiquement sur le dos, en prenant au moins la précaution – l’étiquette ! - de cacher d’une main leur visage ravagé. Comme ces soldats britanniques, morts sur la Somme, sur les chromos de la Première guerre mondiale, les Irakiens devaient mourir gentiment et sans plaies apparentes, sans aucune sorte d’horreur sordide, sans une seule trace d’excréments ou de mucus ou de sang coagulé sur eux, s’ils voulaient avoir quelque chance d’être présentables et de passer aux infos télévisées du lendemain matin…
Je peste contre cet artifice. A Qaa, en 1996, après que les Israéliens aient bombardé des réfugiés libanais dans un bâtiment de l’ONU, plus de dix sept minutes durant, tuant 106 civils, dont plus de la moitié étaient des enfants, je me suis retrouvé devant une jeune femme, qui tenait un homme d’âge moyen dans ses bras. L’homme était mort. « Mon père ! Mon père ! » ne cessait-elle de hurler, en lui caressant le visage. L’homme avait perdu un bras et une jambe – les Israéliens avaient utilisé des mines anti-personnelles, conçues pour causer des amputations. Mais lorsque cette scène parvint jusqu’au petits écrans en Europe et en Amérique, la caméra faisait un plan américain sur la jeune femme et sur le visage de son père tué. On aurait dit que l’homme était mort d’épuisement, et qu’il venait d’appuyer son visage sur l’épaule de la jeune femme pour mourir en paix…
Aujourd’hui, quand j’entends les rodomontades de Georges Bush contre l’Irak et les avertissements moralisateurs suraigus de Tony Blair, je me demande ce qu’ils connaissent de cette terrible réalité. George, qui a tout fait pour échapper au service militaire au Vietnam, a-t-il la moindre idée de la puanteur qui se dégageait de ces cadavres ? Tony a-t-il la moindre idée de la tronche qu’ont ces mastodontes de mouches bleu métallisé qui se régalent des cadavres du Moyen-Orient, et qui viennent se poser sur notre visage et sur nos blocs-notes, histoire de faire un brin de toilette ? Les soldats, eux, le savent. Je me souviens d’un officier anglais qui était venu nous demander s’il pouvait utiliser le téléphone cellulaire de la BBC juste après la libération du Koweït, en 1991. Il parlait à sa famille, en Angleterre, et je le regardais, attentivement. « J’ai vu des choses horribles », dit-il. Puis il s’effondra, en larmes, presque incapable de raccrocher, pris d’un violent tremblement. Sa famille a-t-elle eu la moindre idée de ce dont il voulait parler ? Certainement pas en regardant la télévision !…
C’est là l’unique raison pour laquelle nous pouvons encore envisager la perspective d’une guerre : notre glorieuse population patriote – bien que seulement 20% des Britanniques soient partisans de cette démence irakienne-là – a été protégée des réalités de la mort violente. Mais je suis très frappé par le nombre de lettres, dans mon courrier, provenant de vétérans de la Seconde guerre mondiale - hommes et femmes - qui sont unanimement contre cette nouvelle guerre en Irak, car ils conservent le souvenir ineffaçable de membres arrachés et de souffrances indicibles.
Je me souviens d’avoir vu un homme blessé, en Iran. Il avait une pièce de métal fichée dans le front, et il beuglait comme un animal – ce que, bien entendu, nous sommes, tous autant que nous sommes – puis il ne tarda pas à calancher. Je me souviens aussi de ce jeune garçon palestinien, qui s’effondra, tout simplement, sans faire d’histoire, à mes pieds, après qu’un soldat israélien l’ait descendu comme un lapin, froidement, tout à fait délibérément - criminellement : ce gosse avait jeté un caillou. Et aussi cette Israélienne, avec un pied de chaise qui lui sortait du ventre, devant la pizzeria Sbarro, à Jérusalem, après qu’un kamikaze palestinien ait décidé d’exécuter les familles qui s’y trouvaient. Et les tas de cadavres irakiens, à la bataille de Dezful, durant la guerre Iran-Irak : la puanteur des corps en décomposition parvint à s’insinuer même dans notre hélicoptère, si bien que les mullahs qui étaient à bord devinrent aussi verts que leur turban ; et encore ce jeune homme, me montrant la large trace noire laissée sur la chaussée par le sang de sa sœur, dans la banlieue d’Alger, après que des « islamistes » armés l’eurent égorgée ; et encore, et encore…
Mais George Bush, Tony Blair, Dick Cheney, Jack Straw et les autres petits soldats qui essaient de nous embobiner pour nous entraîner dans la guerre, ne se donneront pas la peine de réfléchir à ces viles images. Pour eux, il ne s’agit que de frappes chirurgicales, de dommages collatéraux et de tout leur répertoire d’euphémismes guerriers. Qu’on se le dise : nous allons avoir une guerre juste ; nous allons libérer les Irakiens – bien sûr, nous allons en tuer quelques-uns – nous allons leur donner la démocratie, protéger leurs ressources pétrolières et dresser des tribunaux pour juger les crimes de guerre, et nous allons être encore plus moraux que d’habitude, et nous allons pouvoir regarder nos « experts » en matière de stratégie à la télé, avec leurs châteaux de sable propres et nets et leur connaissance impressionnante d’armes capables de faire voler des têtes.
A propos de tête, tiens, je me souviens de celle d’un réfugié albanais, qui avait été décapité avec une netteté incroyable, quand les Américains – comme d’habitude tout ce qu’il y a de plus accidentellement - avaient bombardé un convoi de réfugiés, au Kosovo, en 1999 : ils avaient pris ces réfugiés pour une unité serbe… La tête de l’Albanais était apparemment tombée dans l’herbe haute, avec sa barbe, ses yeux exorbités : on aurait dit qu’elle avait été coupée par un bourreau des Tudor. Des mois après, j’ai appris le nom de son ancien propriétaire, et j’ai pu parler à une fillette qui avait été frappée par la tête coupée, au cours du bombardement aérien US, et qui avait déposé cette tête respectueusement dans l’herbe, à l’endroit où je l’avais découverte. L’Otan, bien entendu, ne s’est jamais excusée auprès de la famille. Ni auprès de la fille. Après guerre, personne ne dit « désolé ». Personne ne reconnaît la vérité. Personne ne vous montre ce que pourtant nous voyons. C’est grâce à ça que nos dirigeants et les « meilleurs d’entre nous » peuvent continuer à nous persuader de partir en guerre, la fleur au fusil…
                               
3. Soyez patients avec mes voisins, Mr Bush par Terry Jones
in The Observer (hebdomadaire britannique) du dimanche 26 janvier 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Je suis réellement épaté par la dernière des raisons invoquées par George Bush pour bombarder l’Irak : il perd patience… Moi aussi !
Depuis quelque temps déjà, j’en ai vraiment ras-le-bol de Mr Johnson, qui habite à quelques pas de porte, dans la même rue que moi. Oui, ce gars-là, et aussi ce Mr Patel, là, avec sa boutique de produits diététiques. Ils me regardent bizarrement, tous les deux, et je suis sûr que le Johnson est en train de me préparer une sale histoire, mais jusqu’à présent, je n’ai pas pu découvrir de quoi il s’agit. Je suis allé rôder dans les parages, à plusieurs reprises, pour voir ce qu’il est en train de mijoter, mais il n’a rien laissé transparaître. Voilà, vous avez maintenant une idée sur le caractère retors du personnage…
Quant à M. Patel, ne me demandez pas comment je sais : je sais, un point c’est tout – de sources très sures – qu’il s’agit, en réalité, d’un Criminel en Série. J’ai distribué des tracts dans la rue, afin d’avertir les résidents que si nous nous ne prenons pas, les premiers, les mesures qui s’imposent, il nous aura tous, l’un après l’autre.
Certains de mes voisins me demandent pourquoi, puisque j’ai des preuves irréfutables, je ne vais pas au commissariat de police ? Mais c’est tout simplement ridicule ! Mais, à la police, on va me dire qu’ils ont besoin d’indices prouvant le crime dont j’accuse mes voisins !
Ils vont débarquer ici, avec leur paperasserie et leurs procédures interminables, balançant le pour et le contre d’une attaque préemptive et, pendant tout ce temps-là, Mr Johnson finalisera ses plans visant à me faire subir les choses les plus atroces, tandis que Mr Patel continuera à assassiner secrètement de pauvres innocents !… Etant le seul, dans ma rue, à détenir une panoplie acceptable d’armes automatiques, je pense qu’il m’échoit de maintenir la paix. Mais jusqu’à tout récemment, il y a eu une petite difficulté. Maintenant, toutefois, George W. Bush a laissé clairement entendre que tout ce dont j’ai besoin, c’est d’être à bout de patience, à la suite de quoi je peux foncer et faire absolument tout ce qui me passe par la tête !
Or, il faut bien le reconnaître, la politique mûrement réfléchie de Mr Bush vis-à-vis de l’Irak est la seule manière d’apporter la paix et la sécurité internationale. Y a-t-il seulement un autre moyen d’empêcher des kamikazes fondamentalistes musulmans de prendre pour cibles les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne que bombarder quelques pays musulmans qui ne nous ont jamais menacés en quoi que ce soit, voulez-vous bien me le dire ?
C’est pour ça, que je veux faire sauter le garage de Mr Johnson ! Après quoi, je supprimerai sa femme et ses enfants : il faut attaquer les premiers, ça leur servira de leçon ! Après ça, ils nous laisseront en paix, et ils s’arrêteront de me surveiller du coin de l’œil – c’est totalement intolérable.
Mais Mr Bush a aussi fait savoir très clairement que tout ce dont il a besoin d’avoir la certitude, avant de bombarder l’Irak, c’est du fait que Saddam est un type vraiment affreux et qu’il a des armes de destruction massive – même si personne n’est capable de les découvrir. J’ai certainement au moins autant de raisons de tuer la femme de Johnson et ses mioches que Mr Bush n’en a de bombarder l’Irak, non ?
Le but plus lointain de Mr Bush est de faire du monde un lieu plus sûr, en éliminant les « Etats voyous » et le « terrorisme ». C’est un objectif à long terme absolument génial car, en effet, comment allez-vous bien pouvoir savoir quand vous l’aurez atteint ? Comment Mr Bush saura-t-il à quel moment il pourra se vanter d’avoir éliminé tous les terroristes, jusqu’au dernier ? Comment saura-t-il que le dernier terroriste survivant est mort ? Mais, attendez voir … un terroriste n’est terroriste que dès lors qu’il a commis un acte terroriste… Qu’en est-il, dès lors, des terroristes en puissance ? C’est ceux-là, qu’il faut absolument éliminer, puisque la plupart des terroristes patentés, qui sont des kamikazes, se sont déjà éliminés eux-mêmes.
Peut-être bien que Mr Bush devrait liquider toute personne susceptible d’être un terroriste en puissance ? Peut-être ne saura-t-il jamais avec certitude quand cet objectif aura été atteint, tant que le dernier musulman fondamentaliste sera encore en vie ? Mais, même alors, des musulmans modérés pourraient se convertir au fondamentalisme ? Ah ça alors : ne me dites pas que la seule chose que pourrait faire Mr Bush afin d’être sûr – sûr, ça serait d’éliminer, jusqu’au dernier, tous les musulmans ? Oui ! ? ! Ah bon ? Vous êtes sûr ?
Dans ma rue, c’est du pareil au même. Le Johnson et le Patel, c’est juste la partie émergée de l’iceberg. Il y a des dizaines d’autres types, dans la rue, que je n’aime pas et qui me regardent – très franchement – de travers. Aucun d’entre eux ne sera réellement inoffensif, tant que je ne les aurai pas éliminés, tous autant qu’ils sont.
Ma femme me dit de faire attention, que je vais peut-être trop loin, et patati, et patata… Mais moi, je lui réponds que je ne fais qu’appliquer la même logique que celle du Président des Etats-Unis – et ça lui en bouche un coin, vous pouvez me croire !
C’est comme Mr Bush, j’vous dis : j’en ai marre, et si c’est une raison suffisante, pour le Président, c’est bon pour moi aussi, non ? Alors je donne à tous les habitants de ma rue deux semaines – non, dix jours – pour sortir au grand jour et me livrer tous les aliens, tous les pirates interplanétaires, tous les bandits de grand chemin galactiques et tous les chefs terroristes interstellaires, et s’ils ne me les livrent pas gentiment en me disant « merci ! », je m’en vais te bombarder cette foutue rue jusqu’à ce qu’il n’en reste pas pierre sur pierre !
C’est pas plus délirant que ce que propose George W. Bush. De plus, contrairement à ce qu’il a l’intention de faire, ma politique, au moins, ne détruira qu’une seule rue !
                               
4. Le Proche-Orient, le courage et la guerre par Jan Krauze
in Le Monde du samedi 25 janvier 2003

Il y eut des guerres tentantes, désirées avant d'être amèrement regrettées, comme celle de 1914. Mais peut-on imaginer guerre plus séduisante que celle qui pointe aujourd'hui, du moins pour ceux qui la souhaitent ardemment ? On en attend des avantages multiples, et, en échange, elle ne présente à peu près aucun risque sérieux. L'expérience de la première guerre du Golfe, puis celle de l'élimination du régime taliban en Afghanistan montrent qu'il est possible pour les Etats-Unis d'envisager une opération de grande envergure où la quasi-totalité des victimes se trouve du côté ennemi. A condition bien sûr que l'adversaire choisi soit suffisamment faible – faute de quoi il est préférable, comme dans le cas de la Corée du Nord, de privilégier une autre approche. Mais, avec des effectifs massifs, des moyens financiers quasi illimités et le recours à des armes d'une efficacité incomparable à celle de l'ennemi, il est raisonnable de supposer que l'Irak, dans l'état où il se trouve, après dix ans d'embargo et de bombardements systématiques, et encerclé de tous côtés, pourra être écrasé sans que les responsables américains aient à se soucier du problème qui hanta leurs prédécesseurs à l'époque du Vietnam : celui des "body-bags", et de leur prix politique.
Certes, aujourd'hui encore, les "faucons" les plus déterminés ne se trouvent pas parmi les militaires ou les anciens généraux, comme Colin Powell. Serait-ce parce que "seuls ceux qui n'ont jamais tiré un coup de feu ni entendu les gémissements des blessés réclament du sang à cor et à cri", comme le disait pendant la guerre de Sécession le général Sherman (cité par William Pfaff dans l'International Herald Tribune) ? Il est également intéressant de noter que les principaux animateurs du parti de la guerre, de Dick Cheney à Paul Wolfowitz, se sont arrangés en leur temps pour ne pas aller au Vietnam – comme d'ailleurs George W. Bush. L'essentiel, cependant, est ailleurs : de leur point de vue, la balance entre les risques et les opportunités offertes par la guerre est lourdement inégale. Car les risques sont essentiellement pour les autres, et les opportunités pour les Etats-Unis et leurs alliés. Il ne s'agit pas tant, comme on le dit souvent pour faire simple, de prendre le contrôle du pétrole irakien que d'entreprendre la grande "réforme du Proche-Orient" qu'annoncent depuis des mois quelques éditorialistes enthousiastes.
LE GRAND SILENCE
Pour "réformer" le Proche-Orient, c'est-à-dire pour le rendre moins dangereux, moins explosif, il y aurait pourtant une autre méthode que celle qui consiste à bombarder Bagdad, à soumettre l'Irak, avant, comme l'annonce déjà un Richard Perle, de s'en prendre à l'Iran et aux autres régimes récalcitrants à la domination américaine. Il s'agit, évidemment, d'aller droit au cœur du problème, d'essayer, sinon de régler, du moins de s'engager dans le règlement du conflit israélo-palestinien, cause avérée de terreur et alibi pour les dictatures arabes, qu'elles soient amies ou ennemies.
Richard Nixon, il y a près de trente ans de cela, avait promis au roi Fayçal d'Arabie de s'engager pour l'application des résolutions des Nations unies, toujours tranquillement ignorées par Israël. Jimmy Carter s'était attelé beaucoup plus sérieusement à la tâche, avec un succès partiel mais spectaculaire, la paix entre Israël et l'Egypte. Ronald Reagan et George Bush père avaient eu quelques (brèves) velléités, et le prudent Bill Clinton lui-même s'était très tardivement décidé à une tentative, mais à la toute fin de son deuxième mandat, à l'abri donc de toute sanction électorale. Aujourd'hui, sur ce sujet essentiel, c'est le grand silence. George W. Bush, à l'automne 2001, a certes parlé d'un Etat palestinien, mais depuis il n'a pas cessé de mettre tous les devoirs du côté des Palestiniens, et tous les droits du côté d'Israël, sans hésiter à qualifier "d'homme de paix" le premier ministre israélien, Ariel Sharon, sans doute le plus brutal et le plus ouvertement colonisateur depuis des décennies. Pressé par les Européens, il a donné son aval à un plan – celui du Quartette – mais il a accepté, à la demande du même Sharon, que ses objectifs soient passés sous silence, avant d'entendre, toujours de la bouche d'Ariel Sharon, que ce plan était nul et non avenu.
La question, comme le souhaite ostensiblement M. Sharon, est donc toujours remise à plus tard et laissée dans un confortable brouillard. Critiqués au début, la réoccupation des villes de Cisjordanie et les assassinats "ciblés" (bavures comprises) sont désormais tacitement acceptés, l'extension constante des colonies regrettée du bout des lèvres ou pas du tout. Seuls les Palestiniens sont sommés d'agir : mettre un terme aux attentats, bien sûr, mais aussi, désormais, "démocratiser leurs institutions", ce qui témoigne, au choix, d'une naïveté désarmante ou d'une totale hypocrisie : a-t-on jamais vu la démocratie fleurir sous couvre-feu, et avec une administration délibérément détruite et une population poussée au désespoir ?
SOLIDARITÉ IDÉOLOGIQUE
On ne fera pas l'injure à l'administration américaine de croire qu'elle est dramatiquement mal informée, ou incapable de comprendre l'absurdité de la situation actuelle. Comment peut-on prétendre soigner manu militari les maux du Proche-Orient et en éradiquer le terrorisme, sans esquisser un geste pour éteindre le principal foyer de la région ? Un foyer nourri par l'humiliation permanente, par Palestiniens interposés, des populations arabes de toute la région, et attisé bientôt par le sentiment de rage impuissante quand le fer et le feu se déverseront sur l'Irak ?
La puissance extrême, excessive, le sentiment que tout est possible, et qu'on en a les moyens, jouent sans doute un rôle dans cette étrange attitude. Tout comme, peut-être, une certaine solidarité idéologique avec Israël de la part d'une droite républicaine américaine désormais partiellement nourrie au lait du fondamentalisme chrétien et de son esprit de croisade. Ou, encore, la très forte représentation du lobby pro-israélien au sein du "parti de la guerre".
Mais on ne peut ignorer une autre raison, plus terre à terre. S'engager clairement dans la recherche d'une solution équitable, équilibrée, au Proche-Orient, c'est, pour un homme politique américain, prendre des risques. De très grands risques, qu'il y a toujours d'excellentes raisons de différer. Il y a toujours, ou presque toujours, une élection ou une campagne électorale en cours : celle de la présidentielle de 2004 est déjà pratiquement lancée.
Il serait pourtant possible d'expliquer qu'il est indispensable de faire quelque chose, et donc de rééquilibrer la politique américaine au Proche-Orient, dans l'intérêt même des Etats-Unis, ou, si l'on préfère, de la "lutte contre le Mal", et au bout du compte dans l'intérêt même des Israéliens. Mais, pour tenir un tel discours, qui aurait d'ailleurs sans doute d'assez grandes chances d'être compris par une bonne part de l'électorat américain, il faudrait du courage. De ce courage qu'on est en droit d'attendre d'hommes politiques d'envergure. Ceux qui préfèrent risquer des voix plutôt que la vie des autres.
                               
5. Réunion historique des Palestiniens par Benjamin Barthe, à Ramallah  
in La Croix du jeudi 23 janvier 2003

Tous les mouvements palestiniens engagés dans la lutte contre Israël doivent discuter d'un arrêt des attentats suicides.
Benjamin Barthe, à Ramallah - Le Hamas et le Jihad islamique ont accepté de se joindre à une conférence interpalestinienne que l'Égypte accueille dans le but d'unifier les rangs palestiniens pour tenter de parvenir à un déblocage du processus de paix. La réunion doit s'ouvrir en principe vendredi. L'événement est d'importance. Pour la première fois de son histoire, le mouvement national palestinien pourrait afficher complet. Tous les membres de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) sont attendus, à savoir le Fatah, le parti de Yasser Arafat, les organisations marxistes (FPLP et FDLP), les communistes et quelques groupuscules oubliés comme la Saïka, d'obédience syrienne. Mais, surtout, les factions islamistes, Hamas et Jihad islamique, semblent donc avoir finalement répondu favorablement à l'invitation du président Hosni Moubarak.
Depuis plusieurs mois, les leaders de ces groupes ont multiplié les consultations avec Omar Suleiman, le patron des services secrets égyptiens. La réunion de vendredi est censée parachever ces efforts. En jeu, une plate-forme en six points qui, dans l'esprit du régime égyptien, doit mener à une trêve des attentats anti-israéliens. Mais il y a un problème : le Fatah de Yasser Arafat est le seul parti à avoir pour l'instant donné son accord.
Le plan a été dévoilé par le quotidien pan-arabe Al Shark El Awsat. La plupart des articles sont sans surprise : appel à la libération des leaders emprisonnés en Israël, à l'arrêt des incursions israéliennes en Cisjordanie et dans la bande de Gaza et à la création d'un État palestinien avec Jérusalem pour capitale. Des fuites avaient initialement laissé entendre que le Hamas consentait à ce que le texte précise que cet État serait créé sur « la terre laissée libre par Israël ». Mais cette mention, qui aurait constitué une rupture historique avec la doctrine islamiste, qui ne reconnaît pas Israël, a disparu de la version finale.
Du coup, le nœud du débat se concentre dans le seul article 2 : au régime de Yasser Arafat, il est demandé de « prévenir les attaques hors des territoires » ; aux groupes armés, de renoncer à perpétrer des « opérations violentes » en Israël, et à l'armée israélienne, de lever la traque des activistes qui respecteraient cette trêve. Le principal obstacle à l'adoption de ces principes vient de l'attitude des mouvements islamistes. Le Jihad islamique comme le Hamas ont claironné ces derniers jours qu'ils n'entendaient pas suspendre les attentats suicides. Mais leur venue au Caire indique que les choses sont un peu plus complexes.
Selon des officiels palestiniens cités par le quotidien israélien Ha'aretz, le Hamas serait prêt à signer sous trois conditions : son entrée dans le gouvernement palestinien, l'arrêt des opérations israéliennes contre ses membres et la garantie des États-Unis que les persécutions contre ses pairs dans le monde arabe cessent. Des exigences évidemment démesurées, preuve, selon un membre des services de renseignement palestiniens, que le Hamas n'est pas prêt pour une trêve.
« L'agenda du Hamas est radicalement opposé à celui de l'Autorité palestinienne, précise un expert. Même s'il ne cesse de réaffirmer publiquement sa loyauté, son objectif est de remplacer l'Autorité. Pas par un affrontement frontal. La guerre civile est une ligne rouge pour eux. Mais en sapant, lentement, les bases de son pouvoir, entre autres, par la poursuite des attentats. » Selon cet expert, l'objectif du Hamas au Caire est double : « Nouer des contacts avec les Égyptiens et les Européens qui supervisent les discussions et apparaître, ce faisant, comme l'égal du Fatah, donc une possible relève. »
                       
6. La course folle du cadavre d'Ozeri par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du jeudi 23 janvier 2003
Un cadavre que se disputent sa famille et ses " disciples ", que la police poursuit, que l'on promène toute une journée entre Hébron et Jérusalem, jusque devant le bureau de Sharon, qui disparaît dans la nuit au milieu des sirènes hurlantes et que l'on retrouve le lendemain au cimetière d'Hébron : telle est l'histoire démente advenue à la dépouille de Nathaniel Ozeri, colon juif extrémiste assassiné par deux Palestiniens samedi soir dans la " colonie " sauvage qu'il avait créée il y a deux mois, à sa sortie de prison, sur une colline proche d'Hébron. Auteur d'un livre à la gloire de Baruch Golstein, qui s'était illustré en 1994 en massacrant des fidèles musulmans au tombeau d'Abraham, Ozeri avait créé un mouvement, " la jeunesse à l'assaut des collines ", spécialisé dans la création de colonies sauvages et le lynchage des paysans palestiniens. Son beau-père, qui fit son éloge funèbre, avait été condamné à la prison à vie en 1985 pour le meurtre de plusieurs Palestiniens mais gracié sept ans plus tard. La police ayant empêché ses disciples déchaînés d'enterrer leur " guide " dans " sa " colonie, ils tentèrent de l'inhumer près de Golstein, ce à quoi s'opposèrent les colons de Kyriat Arba. Les parents exigeaient, eux, qu'on l'enterre à Jérusalem " pour que sa tombe devienne un lieu de pèlerinage ". L'horrible exhibition du cadavre dura toute la journée, accompagnée d'incroyables violences : les colons en furie cassèrent les vitres des maisons palestiniennes, brûlèrent des voitures, traitant de " nazis " les policiers qui faisaient mine de s'interposer. Ces fanatiques tabassèrent même deux photoreporters, sans doute conscients de l'image épouvantable qu'ils donnaient du judaïsme. Les rabbins sépharade et ashkénaze d'Israël ont tous deux condamné ce comportement. Mais personne n'a souligné qu'il suffirait, pour éviter d'aussi tragiques bouffonneries, d'évacuer les colonies juives, toutes illégales, de Cisjordanie et Gaza.
                               
7. Les choix palestiniens à la veille des élections israéliennes par Wahid Abdel-Méguid
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 22 décembre 2003
(Wahid Abdel-Méguid est politologue.)
La tenue de la Conférence de Londres au cours de la semaine dernière a permis de découvrir l'existence d'une entente implicite entre l'Egypte et l'Autorité palestinienne. Cette entente porte sur les mesures à prendre pour sauver les efforts de paix.
Alors que des informations ont fait état d'un projet égyptien visant à élaborer un document palestinien commun prévoyant une trêve pendant un an, le président Yasser Arafat a annoncé qu'une position unifiée sur l'action palestinienne sera prochainement annoncée.
Ceci a coïncidé avec la réussite de l'Egypte à organiser un nouveau tour de dialogue inter-palestinien qui doit s'ouvrir au Caire ce mercredi.
Le rôle de l'Egypte dans ce dialogue est de lui préparer un climat propice et tenter de lui garantir une chance de réussite et non de lui imposer un agenda déterminé. Certains opposants à ce dialogue pensaient qu'il visait à mettre fin à l'Intifada. Or, cette conception est tout à fait loin de la réalité. L'objectif de ce dialogue est de parvenir à une stratégie nationale unifiée pour l'action palestinienne dans la période à venir. L'objectif est d'unifier les efforts et de mettre un terme aux différends inter-palestiniens. Il faut donc parvenir à déterminer les objectifs des Palestiniens sur le court terme, ainsi que les moyens d'y parvenir.
Quand le dialogue a été entamé au Caire, les préparatifs des élections israéliennes avaient déjà commencé. Dans ce contexte, la délégation de Fatah de Yasser Arafat avait fait une proposition sur un arrêt des opérations martyr anti-israéliennes en contrepartie d'un retrait des forces d'occupation à leurs positions de la veille du déclenchement de l'Intifada, l'arrêt du blocus et la libération des détenus palestiniens. L'objectif de cette initiative est que les Palestiniens reprennent l'initiative en vue d'influer sur les élections israéliennes et empêcher la victoire du Likoud.
Cette vision s'est basée sur les expériences précédentes : Les extrémistes israéliens remportaient les élections à chaque fois qu'elles étaient tenues dans un climat de tension à cause de l'intensification des affrontements dans les territoires occupés.
Dans un climat de tension, les problèmes intérieurs de la société se trouvent relégués au deuxième plan, alors que le conflit avec les Palestiniens prend le dessus. Les candidats de droite peuvent alors facilement parier sur une victoire aux élections sous prétexte que « la sécurité des Israéliens est menacée ».
Ceci signifie qu'il est dans l'intérêt de Sharon et du Likoud que les élections soient tenues dans un climat de tension. Ils pourront ainsi profiter d'une opération martyr pour mobiliser davantage de voix et inciter les électeurs qui hésitent à voter pour la droite. Sharon ne nie pas cette réalité, au contraire il le reconnaît ouvertement. Par exemple, quand Arafat avait annoncé en début de janvier courant qu'il faut mettre un terme aux attaques contre les civils, Sharon s'est mis en colère pour déclarer que les propos du président palestinien ne sont « qu'une ruse visant à renforcer les chances du Parti travailliste dans les élections ». C'est comme si Sharon disait qu'il ne voulait pas cet appel de la part d'Arafat parce que ceci affaiblit sa position aux élections.
C'est donc pour cette raison que le dialogue entre Fatah et Hamas a depuis le début mis l'accent sur ce sujet. Mais le premier tour était exploratoire. De plus, d'autres factions palestiniennes s'étaient opposées à ce que deux factions seulement, même si elles sont les plus importantes, s'accaparent la prise de décision palestinienne. C'est pour cela que l'Egypte s'est dirigée vers l'élargissement du dialogue pour inclure d'autres factions qui seraient ensuite rejointes par l'ensemble des factions palestiniennes. L'objectif n'est pas de mettre fin à l'Intifada, mais de parvenir à une stratégie unifiée. Si ces factions se mettent d'accord sur une trêve provisoire dans les opérations armées à l'intérieur d'Israël, ceci signifie qu'elle est dans l'intérêt de la lutte palestinienne. Et si les factions ne parviennent pas à cet accord, elles pourront s'entendre autour d'autres questions portant sur les réformes, la coordination et la coopération dans la prise de décision. Les opérations armées ne constituent pas l'unique sujet dans l'agenda des discussions. Même si les Palestiniens parviennent à un accord sur une trêve provisoire, celle-ci s'appliquera uniquement aux opérations effectuées à l'Intérieur d'Israël dont les victimes sont des civils.
Mais en supposant la conclusion d'un tel un accord, celui-ci pourra-t-il avoir une influence sur les résultats des élections israéliennes ? Il est clair qu'il ne reste plus beaucoup de temps et il est fort probable que la plupart des électeurs israéliens aient déjà pris leurs décisions. Il est donc probable que l'influence escomptée de cet accord sera de moindre importance que si les factions palestiniennes y étaient parvenues un peu plus tôt.
Dans ce cas, il serait donc utile que le dialogue palestinien parvienne à annoncer une nouvelle initiative qui comprendrait la trêve. Il y a un intérêt palestinien à prendre l'initiative et à adresser un message au monde entier selon lequel le peuple palestinien veut réellement la paix et que c'est Sharon qui pratique le terrorisme et non le contraire. Même si Sharon ne répond pas positivement à la trêve, les Palestiniens n'auront rien perdu à exprimer leurs bonnes intentions.
De plus, même une influence minime sur les élections sera utile, puisque l'objectif n'est pas la défaite du Likoud et de Sharon, mais d'empêcher qu'ils ne réalisent une victoire écrasante. Le Parti travailliste a besoin d'un miracle pour gagner les élections. C'est pour cela qu'il est dans l'intérêt des Palestiniens de diminuer le nombre de voix que Sharon remportera pour l'empêcher de former une coalition gouvernementale qui lui donnerait une liberté de mouvement et d'action dans la poursuite de l'oppression du peuple palestinien.
Il est vrai que le Parti travailliste n'est pas vraiment meilleur mais certainement pas plus mauvais. De plus, sa direction actuelle est la plus modérée depuis Rabin. Il est donc probable que des négociations avec Mitzna à l'avenir seraient meilleures pour les Palestiniens que l'expérience précédente avec Rabin.
Mais cette éventualité ne semble pas possible après les élections de mardi prochain. Elle se réalisera peut-être après les élections ultérieures. Il est donc dans l'intérêt des Palestiniens que la vie du prochain gouvernement ne soit pas longue. C'est pour cela qu'il faut tout faire pour empêcher que le Likoud et la droite obtiennent une majorité écrasante. Priver le Likoud d'une telle majorité rendrait sa coalition instable. Dans ce cas, de nouvelles élections anticipées seront nécessaires, et là les chances de la droite de garder le pouvoir diminueront de plus en plus et celles du Parti travailliste d'accéder au pouvoir augmenteront.
                                   
8. L'importance de redonner la priorité à la cause palestinienne par Mohamed Sid-Ahmed
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 22 décembre 2003
Si les projets actuels concernant l'Iraq sont mis en application, la cause palestinienne en pâtira profondément. Le terrorisme, quant à lui, ira en s'aggravant au lieu de diminuer et la violence deviendra incontournable. Il est donc urgent de protéger la question palestinienne des effets qui peuvent découler de la crise iraqienne. Comment cela est-il possible. Sachant que Bush a décidé d'accorder la priorité au dossier iraqien !
Je pose cette question à l'occasion des visites effectuées par la délégation du Conseil égyptien des affaires étrangères, dont je fais partie, à Paris et à Brussel. L'objectif était d'engager des discussions avec des institutions semblables, en France et en Belgique, sur la position européenne vis-à-vis des questions explosives du Proche-Orient, notamment la crise iraqienne.
Il est à noter que l'Europe a commencé à prendre une position plus tranchante que celle de Washington. L'Europe refuse le déclenchement d'une guerre sans preuves valables sur une violation iraqienne de l'embargo. Elle refuse même de laisser cette question uniquement à l'appréciation des inspecteurs qui, eux-mêmes, n'arrivent pas à affirmer que l'Iraq commet des violations.
Le fait que la question iraqienne se trouve en tête des priorités est une chose décidée exclusivement par Washington afin d'appuyer l'objectif de Bush de lutter contre le terrorisme international. L'anéantissement des armes de destruction massive que posséderait l'Iraq est, selon Washington, une opération complémentaire de la chasse au terrorisme. Autrement dit, cette priorité accordée à l'Iraq n'est pas le résultat des circonstances régionales, comme c'est le cas avec le dossier palestinien, où toutes les parties sont unanimes sur le fait qu'il constitue le cœur même du conflit au Proche-Orient.
La conférence de Londres
C'est là que réside l'importance de la Conférence de Londres, qui s'est tenue la semaine dernière, même si on lui reproche de s'être limitée presque exclusivement à la réforme palestinienne. Comme si son objectif était d'adapter la question palestinienne aux exigences d'accorder la priorité à la question iraqienne. Or, c'est le contraire qui est vrai. C'est à la cause palestinienne, clé de toutes les questions proche-orientales, que la priorité doit être accordée !
Ajoutons que le remplacement d'Arafat ne doit guère constituer la pierre angulaire de la question de la « réforme ». Ce sont les Palestiniens et eux seuls qui disposent de ce droit. L'Egypte a d'ailleurs assumé un rôle important pour sensibiliser les factions palestiniennes sur ce sujet. Il serait donc inacceptable que des tierces parties interviennent pour trancher les dites réformes.
Les pays arabes quant à eux jouent un rôle non négligeable pour que la cause palestinienne revienne en tête des priorités. Des efforts arabo-européens se poursuivent dans ce sens. En Egypte, des efforts sont déployés pour renouer le dialogue inter-palestinien. A Londres, des tentatives de redonner vie au processus de paix se mettent en place. 
L'Etat palestinien 
Bush a déclaré la nécessité d'instaurer un Etat palestinien quelques jours après les événements du 11 septembre. Des rumeurs circulent selon lesquelles cette décision aurait été prise avant même ces événements. Aucune relation donc entre le 11 septembre et la décision d'instaurer un Etat palestinien. Et même si nous reconnaissons l'existence d'un rapport entre ces deux faits, aucune mesure précise n'a été prise depuis lors. Tout porte à croire qu'il ne s'agissait que d'une simple déclaration.
En effet, Washington lève toujours le slogan de « l'Etat palestinien » sans essayer de le mettre en application. Quant à Arafat, la position de Bush à son égard s'est visiblement rapprochée de celle de Sharon, pour qui Arafat est le Bin Laden du Proche-Orient.
Nous avons donc affaire à un jeu satanique dont les deux parties (Sharon et les kamikazes palestiniens) sont du point de vue subjectif les pires ennemis. Mais objectivement, elles constituent les deux faces d'une même monnaie et ont un objectif commun : saper le processus de paix.
Le désarmement est-il une fin ? 
Dans ce contexte, une question importante s'impose : le désarmement de l'Iraq est-il le véritable objectif ? A dire vrai, la question n'a rien à voir — comme le prétend Washington — avec le fait d'éviter une course à l'armement au Proche-Orient. Car les Etats-Unis peuvent éviter cette course tout simplement en engageant Israël à renoncer — ne serait-ce que graduellement — à ses armes de destruction massive avec en tête son arsenal nucléaire. Même si cela ne se réalisera qu'à travers des accords de paix globale dans la région. Cependant, les Etats-Unis ne veulent pas forcer Israël à se plier à de tels engagements et cherchent à confiner la question du désarmement aux seuls ennemis de l'Etat hébreu. Il s'agit d'une politique de deux poids, deux mesures à même de détruire toute chance de règlement.
Le pétrole est-il l'objectif ? Il est inconcevable que l'unique superpuissance puisse renoncer à son hégémonie sur le pétrole, principale source d'énergie au moins jusqu'au milieu du XXIe siècle. Il est à noter que la part des sociétés américaines dans les réserves pétrolières proche-orientales s'est élevée de 10 à 60 % entre 1940 et 1967. Et ce au moment où la part des entreprises britanniques a chuté durant cette même période de 72 à 10 %. La guerre que prépare Washington en Iraq est donc inséparable de la compétition entre grandes puissances autour de leur part du pétrole au cours des prochaines décennies. Une raison de plus qui incite les Etats-Unis à confirmer leur hégémonie, même si le coût de cette guerre pour le pétrole atteindrait des centaines de milliards de dollars.
                           
9. "Décryptage": la presse au pilori dans le conflit du Proche-Orient
Dépêche de l'Agence France Presse du mercredi 22 janvier 2003, 10h58
PARIS - Les réalisateurs Jacques Tarnero et Philippe Bensoussan "décryptent", d'un point de vue pro-israélien, le conflit du Proche-Orient et accusent les médias français d'être pro-palestiniens, dans un documentaire controversé sorti mercredi dans une salle à Paris.
"Décryptage", qui met en cause la presse écrite, la télévision ainsi que l'AFP pour sa couverture du conflit, affiche clairement la couleur. "Ce film n'est pas un documentaire prétendant à la neutralité", dit une voix off en introduction. "Il veut dire une opinion, une indignation".
Ce film a été réalisé par Jacques Tarnero, réalisateur de "Autopsie d'un mensonge" sur le fait négationniste, qui a dirigé le Centre de recherche sur l'antisémitisme, et Philippe Bensoussan, réalisateur de clips (Alain Souchon), de spots et de "docu-drama".
A travers les témoignages à charge de journalistes, de professeurs, de philosophes et d'hommes politiques, les deux réalisateurs signent un film à thèse qui met au banc des accusés aussi bien Yasser Arafat --tenu pour responsable de l'échec de Camp David et considéré comme l'instigateur d'une deuxième Intifada programmée-- que la presse accusée de jeter de l'huile sur le feu.
"L'imaginaire politique français contemporain se nourrit d'une double dette: celle de Vichy à laquelle s'ajoute celle de la guerre d'Algérie", déclare un commentaire en voix off.
Les réalisateurs appuient cette thèse par des extraits de journaux télévisés et des images d'archives, mettent en cause "le parti pris" des photographes, dissèquent le vocabulaire des médias et pèsent le poids des mots.
Ils reprochent notamment à l'AFP, "première agence arabophone" et "première source d'informations pour tous les médias français", de participer à un "travail de désinformation, d'intoxication".
La direction de l'Agence, qui n'a pas eu la parole dans "Décryptage", rappelle pour sa part que ses journalistes au Proche-Orient "font leur travail au péril de leur vie, selon les règles déontologiques de la profession. Comme leurs confrères de la presse mondiale, ils s'emploient à rendre compte d'événements douloureux et dramatiques, avec rigueur et équilibre". Ils "appliquent des règles rédactionnelles rigoureuses sur le conflit israélo-palestinien, concernant notamment la terminologie employée", souligne la direction de l'Agence.
Le Monde est, lui, invité à réagir dans le documentaire, mais dans son édition de mercredi le quotidien estimait que "la mise en scène du film (...) relève, ni plus, ni moins du procès à charge. Soit un montage d'images et de témoignages souvent tronqués et imprécis (...) Ce genre de mise en scène procède au mieux de la partialité, au pire de la malhonnêteté", ajoute Jacques Mandelbaum.
De son côté, Ange-Dominique Bouzet écrit dans Libération: "Ce manifeste confusionniste fondé sur l'omission et l'amalgame se veut une +analyse+. On dira plutôt qu'il s'agit d'une entreprise de désinformation militante".
"Décryptage" est le premier long métrage produit par Sophie Dulac Productions, dirigée par Sophie Rachline Dulac, petite-fille de Marcel Bleustein-Blanchet, le fondateur de l'agence Publicis. Elle est à la tête de cinq cinémas parisiens dont l'Arlequin où est programmé le film.
                           
10. Deux photographes de l'AP et de l'AFP frappés au visage par des policiers israéliens
Dépêche de l'agence Associated Press du mercredi 22 janvier 2003, 19h53

NAPLOUSE, Cisjordanie - Deux photographes travaillant respectivement pour l'Associated Press et l'Agence France-Presse ont été frappés au visage par des policiers israéliens après que ces derniers eurent semble-t-il utilisé deux adolescents palestiniens comme "boucliers humains" à Naplouse.
Nasser Ishtayeh, un phothographe palestinien de l'agence américaine AP, n'est pas gravement blessé mais souffre de contusions au visage. L'AP s'est plainte auprès de l'armée israélienne et a demandé que les responsables soient sanctionnés. Tsahal a annoncé l'ouverture d'une enquête.
Ishtayeh, qui travaille pour l'AP depuis neuf ans, et un parent lointain, Jafar Ishtayeh, photographe de l'AFP, se sont rendus mardi sur les lieux d'un accrochage entre de jeunes Palestiniens et les forces israéliennes lors d'un couvre-feu.
C'est alors qu'ils ont vu une jeep conduite par quatre membres de la police des frontières paramilitaire fonçant sur la route alors que deux adolescents palestiniens étaient accrochés au capot du véhicule, s'aggripant à une grille en métal pour ne pas tomber.
Selon Nasser Ishtayeh, il semble que les policiers utilisaient les garçons comme boucliers humains contre un groupe d'une vingtaine de jeunes qui jetaient des pierres, ce qui serait une violation du code militaire israélien.
Les deux journalistes ont tenté de photographier la jeep à côté de leur voiture, qui arborait clairement le sigle "TV". La jeep s'est précipitée vers eux, les policiers sont sortis du véhicule, les ont mis en joue et les ont frappés.
Un policier a serré le cordon de l'appareil photo autour du cou d'Ishtayeh. "Si nous découvrons une photo de nous publiée quelque part, nous vous tuerons comme ça", a-t-il dit en esquissant le geste de l'égorgement, raconte le photographe d'AP.
Anne Gwynne, une Britannique de 65 ans, a raconté avoir tenté d'aider les deux hommes. "J'ai vu les soldats les battre et leur crier dessus", dit-elle. "J'ai essayé de les arrêter. Un soldat m'a donné des coups de pied et m'a frappé le dos à coups de crosse." Les policiers sont repartis avec les deux jeunes Palestiniens à l'intérieur de la jeep, a précisé Ishtayeh. 
                               
11. L'impunité pousse au crime par Michel Warschawski
in L'Humanité du 22 janvier 2003
[Michel Warschawski est un journaliste israélien, cofondateur du Comité de solidarité avec l'université de Bir Zeit. Dernier ouvrage paru : "Sur la frontière", aux éditions Stock, 2002, 308 pages, 20 euros.]
Une des raisons principales du mal-être de l'Etat d'Israël est sans aucun doute le statut d'impunité dont il jouit, ou plutôt dont il souffre. Tel un enfant qui est conscient de commettre des bêtises de plus en plus graves et que personne ne rappelle a l'ordre, Israël est en manque de limites, et se sent entraîné dans le cercle infernal de la répression - représailles - répression et l'escalade de violence produite par 35 ans d'occupation.
L'application de sanctions contre un Etat qui bafoue le droit et viole les résolutions de l'ONU n'est pas seulement un acte de justice envers ses victimes. C'est aussi un moyen de lui imposer des limites et rappeler la différence entre le bien et mal, pour parler comme George W Bush, entre la loi et ce qui est hors la loi.
C'est ce qu'a compris le Parlement européen quand il votait, à une très large majorité et toutes tendances confondues, le projet, soumis par le groupe parlementaire de la Gauche unitaire européenne, de suspension de l'accord d'association entre l'Union européenne et Israël. Cette résolution ne doit pas être comprise uniquement comme l'application stricte de l'accord qui stipule le respect des droits de la personne par les bénéficiaires de cette coopération, mais comme un rappel à un principe élémentaire : il n'y a pas de droits sans devoirs, il n'y a pas de privilèges pour qui se situe hors la loi. Des dizaines de résolutions du Parlement européen sont systématiquement violées par l'Etat d'Israël, de nombreuses demandes de l'Union européenne sont cyniquement ignorées par son gouvernement : pourquoi l'Europe devrait alors continuer à donner un statut commercial privilégié à qui ne cesse de répéter que seuls les Etats-Unis comptent dans l'arène internationale ?
L'exécutif européen reste, dans le mécanisme consensuel qui le régit pour l'instant, l'otage d'une minorité de pays qui refusent toute forme de pression sur l'Etat d'Israël. C'est donc au tour des Etats membres de prendre leurs responsabilités, et de traduire par des actes forts et responsables leurs propres déclarations de principe, ainsi d'ailleurs que le vote du Parlement. Et si les Etats tergiversent, c'est aux citoyens de jouer, comme l'ont montré les enseignants de l'université Paris-VI. Ce faisant, ils n'appliquent pas seulement la décision démocratique des élus européens, mais font preuve d'un engagement citoyen et de responsabilité envers tous les protagonistes du conflit qui déchire le Moyen-Orient. Il faut le dire et le répéter : des sanctions contre Israël ne sont pas un acte hostile envers le peuple israélien, mais au contraire, l'expression d'un sens de la responsabilité envers un Etat qui devient victime de sa puissance. Et de son impunité.
Il y a évidemment ceux qui croient aider le peuple israélien en défendant inconditionnellement tous ces méfaits, et dénoncent violemment tous ceux qui croient juste de dire non aux crimes commis par l'Etat hébreu, voire d'exiger que ceux-ci soient sanctionnés. · ceux-la on ne peut répliquer qu'en dénonçant à la fois leur manque de boussole morale et leur irresponsabilité face a l'avenir de la petite minorité juive dans le Proche-Orient arabe.
Mais il y a aussi ceux qui, tout en ne taisant pas leur critique de l'occupation et de la colonisation israéliennes et des crimes commis par l'armée coloniale, dénoncent les sanctions, et plus particulièrement celles prises dans le domaine de la recherche scientifique et de la coopération inter-universitaire. Quatre arguments étayent leur critique :
Premièrement, ils dénoncent le " boycott des universitaires israéliens ", alors que les motions discutées dans de nombreuses universités d'Europe et d'Amérique du Nord ne parlent pas de boycott, mais de suspension d'accords qui donnaient des privilèges aux institutions de recherche israéliennes. Ces motions demandent de mettre fin à ces privilèges, tant que l'Etat d'Israël continue a violer les résolutions de l'ONU et les conventions internationales telles que la quatrième convention de Genève.
Deuxièmement : pourquoi seulement Israël ? N'est-ce pas le signe d'un antisémitisme plus ou moins conscient ? Cette accusation est évidemment fausse : l'Afrique du Sud a été l'objet de sanctions, voire d'un boycott, y compris dans les domaines sportifs et universitaires, la Grèce des colonels a subi des sanctions populaires, de même que l'Espagne franquiste. De même, des mesures ont été prises, dans certaines universités américaines au moins, contre la Russie, pour dénoncer la répression anti-tchétchène.
Troisièmement : pourquoi sanctionner les universités qui sont à l'avant-poste du combat pour la paix et les droits des Palestiniens ? Cette critique est révélatrice des préjugés de ceux qui la soulèvent : aucun fait ne confirme cette affirmation, car les universités ont, malheureusement, été totalement silencieuses sur la violation des droits de la personne dans les territoires occupés, et les attaques systématiques contre le droit d'étudier et contre les institutions scolaires. Ce qu'une telle contrevérité révèle en fait c'est le racisme de ceux qui la défendent : c'est le peuple qui est raciste, qui viole les droits de l'homme ; les intellectuels eux seraient, par définition, la conscience critique d'Israël, et nul n'a besoin de preuves matérielles pour étayer cette affirmation.
Quatrièmement : des sanctions porteraient atteinte à la coopération universitaire israélo-palestinienne. Autre contrevérité : non seulement la coopération (très limitée) entre universités israéliennes et palestiniennes a totalement cessé dès l'an 2000, et sans qu'aucun institut israélien n'ait fait quoi que ce soit pour permettre la reprise d'une telle coopération, et ce au moment ou les institutions scolaires et universitaires palestiniennes étaient attaquées comme " bases du terrorisme ", mais, ce qui est encore plus grave, aucune initiative, aucune motion, aucun appel n'ont émané des universités israéliennes pour dénoncer les obstacles immenses que l'armée d'occupation place devant l'activité scolaire palestinienne, du jardin d'enfant à l'université.
Parmi ceux qui, en Israël, se battent contre la violation des droits de l'homme dans les territoires palestiniens occupés, y compris contre les atteintes systématiques au droit à l'éducation, il y a de nombreux universitaires. Non seulement, ils ne parlent pas au nom des institutions dans lesquelles ils travaillent, mais sont menacés de sanctions et d'exclusion, comme l'a montré l'affaire Ilan Pappe, l'été dernier. Et ils soutiennent les sanctions exigées par leurs collègues européens, pour le bien, y compris, de leurs propres universités.
Si tous ceux qui dénoncent en France la prise de sanctions contre les institutions israéliennes s'étaient mobilisés pour défendre le droit inconditionnel des Palestiniens à l'éducation, et avaient exercé une pression efficace en ce sens, il est vraisemblable qu'il n'aurait pas été nécessaire de prendre une mesure aussi controversée.
Contrairement a ce que voudraient nous faire croire Claude Lanzman, Alain Finkielkraut et autres, le débat n'est pas entre boycott et soutien à la coopération scientifique israélo-palestinienne, mais entre défense du droit à l'éducation pour tous et l'impunité pour les criminels et leurs complices.
                               
12. Des intellectuels boutefeux par Eric Hazan
in Le Monde du mercredi 22 janvier 2003
[Eric Hazan est le fondateur des éditions La Fabrique www.lafabrique.fr]
Le dossier que Le Monde a consacré le 7 janvier à l'inquiétude des juifs de France tombe à pic : il y a en effet bien des raisons d'inquiétude par les temps qui courent.
La première tient à l'attitude de ce que les médias nomment "la communauté juive française". Je ne sais pas très bien ce qu'est cette communauté, mais qu'importe : ce que je vois, c'est que les juifs de France, groupe diasporique le plus important d'Europe, ne tiennent pas le rôle qui devrait être le leur, celui d'amis d'Israël.
Quand on a des amis, on les met en garde contre ce qui les menace, on fait tout pour les dissuader d'agir contrairement à leurs intérêts. Or, dans sa majorité, la communauté juive française – en tout cas ceux qui s'arrogent le droit de parler en son nom – renforce la paranoïa israélienne en faisant monter la mayonnaise d'un "nouvel antisémitisme"hexagonal (l'"année de cristal"d'Alain Finkielkraut).
Le rôle d'une diaspora responsable serait au contraire de montrer aux Israéliens que leur vision d'un monde globalement hostile est un fantasme dangereux. Conforter ce fantasme par un autre fantasme, c'est leur rendre le pire des services, c'est les assister dans leur course au désastre.
La deuxième raison d'inquiétude tient à l'activité des "intellectuels juifs médiatiques". Leur fonction devrait être de calmer les membres les plus excités, les moins éclairés de leur communauté, de leur faire entendre raison.
Il fut un temps – pas si lointain – où les intellectuels juifs étaient les défenseurs systématiques des opprimés et les adversaires tout aussi systématiques de la violence fasciste. Quand on annonça en 1948 la visite aux Etats-Unis de Menahem Begin, l'intelligentsia juive américaine publia dans le New York Times une lettre, signée entre autres par Albert Einstein et Hannah Arendt, mettant en garde contre celui qui n'était alors que le chef d'une bande d'assassins.
A l'opposé de cette tradition, les "intellectuels"juifs français d'aujourd'hui jouent les boutefeux. Au lieu d'utiliser des arguments rationnels, d'engager un débat sensé avec ceux qui critiquent la politique de l'Etat d'Israël à l'encontre du peuple palestinien, ils préfèrent les traiter d'antisémites ou, pour ceux qui sont juifs, de traîtres possédés par la fameuse "haine de soi".
Au lieu d'ouvrir des tribunes qui pourraient être relayées par des controverses en Israël même, ils profitent de leur place dans les médias pour manier l'insulte et la calomnie. Ils n'hésitent pas à apporter publiquement leur appui à des racistes extrémistes (Finkielkraut et Alexandre Adler lors du procès intenté à Daniel Mermet par Avocats sans frontières). C'est très inquiétant.
Enfin, la brutalité née de l'occupation militaire des territoires palestiniens rejaillit parfois jusqu'en France, comme le montrent les pratiques des groupes d'action sionistes d'extrême droite, Betar et Ligue de défense juive (dont le drapeau porte un poing entouré de l'étoile).
Les citoyens de ce pays, qui ne sont pas tous des partisans hystériques d'Ariel Sharon, finiront un jour par se demander pourquoi ils seraient tenus d'accepter les agissements de ligues fascistes sous prétexte qu'elles sont juives. Ce jour-là, on risque d'assister à une "résurgence de l'antisémitisme" qui ne sera pas cette fois du domaine du fantasme. Cette perspective est extrêmement préoccupante.
En soutenant aveuglément la politique du gouvernement israélien, ceux qui prétendent représenter les juifs de France s'intègrent dans ce cortège triomphal dont parlait Walter Benjamin, "où les maîtres d'aujourd'hui marchent sur le corps des vaincus d'aujourd'hui". Il n'est que temps pour eux de se ressaisir avant de perdre – pour commencer – leur âme.
                               
13. Les Palestiniens peinent à négocier un cessez-le-feu par Pierre Prier
in Le Figaro du mercredi 22 janvier 2003
L'accord historique sur un cessez-le-feu palestinien est-il définitivement enterré, ou simplement gelé ? La confusion régnait hier soir au sujet de la réunion du Caire, où toutes les factions palestiniennes devaient aujourd'hui discuter d'un arrêt des attentats.
L'un des dirigeants du Hamas islamiste à Gaza, Abdelaziz Rantissi, a confirmé hier un report de dernière minute de la réunion. A l'en croire, le contre-temps reposerait sur un différend relativement mineur. L'Égypte, parrain des négociations, aurait refusé d'inviter certains mouvements palestiniens peu représentatifs. Rantissi a cité en particulier le FPLP-commandement général d'Ahmed Jibril, un groupuscule basé à Damas et manipulé par la Syrie.
«Les mouvements palestiniens, dont le Hamas et le Djihad islamique, avaient demandé à l'Égypte que toutes les factions basées à Damas soient invitées, et l'Égypte avaient donné son accord. Nous avons été surpris de voir qu'elles n'étaient pas toutes arrivées», a déclaré Rantissi.
Les islamistes pourraient se faire ainsi le porte-parole de la Syrie, fâchée de voir l'Égypte se poser en parrain de la région. Pour renforcer sa légitimité, le président Bachar el-Assad se pose en défenseur véritable de la cause palestinienne. La Syrie attise la tension à la frontière libano-israélienne en laissant libre cours aux provocations du Hezbollah, le mouvement chiite libanais. Bachar el-Assad entretient également des relations complexes avec le Hamas et le Djihad islamiques palestiniens, dont les directions extérieures sont basées dans sa capitale.
Les islamistes jouent eux aussi un jeu subtil avec Damas. Les difficultés de dernière minute sont-elles destinées à servir la Syrie, ou le Hamas et le Djihad se servent-ils du FPLP-commandement général comme prétexte pour faire monter les enchères ? Les islamistes pourraient chercher ainsi à prendre le contrôle d'une conférence où se joue l'avenir politique des Palestiniens.
Les discussions devaient d'abord porter sur un cessez-le-feu partiel, mais l'organisateur, le président égyptien Hosni Moubarak, ainsi que l'Autorité palestinienne de Yasser Arafat, paraissaient déterminés à arracher un cessez-le-feu total, y compris contre les colons et les militaires dans les territoires occupés.
Hosni Moubarak exerçait ces derniers temps des pressions de plus en plus fortes sur les Palestiniens pour obtenir cette trêve avant une éventuelle offensive américaine contre l'Irak. L'Autorité palestinienne de Yasser Arafat était sur la même longueur d'onde. Arafat devait envoyer au Caire le numéro 2 de l'Organisation de la Palestine Mahmoud Abbas, dit Abou Mazen, l'homme qui a le vent en poupe pour assurer sa succession. Abou Mazen s'est déclaré récemment en faveur d'un arrêt total de toute forme de violence. En parallèle, Yasser Arafat fait tout pour calmer les cellules rétives du groupe militaire issu de son propre mouvement, les Brigades des martyrs d'al-Aqsa. Ces cellules, basées dans le nord de la Cisjordanie, avaient défié Arafat en revendiquant le double attentat suicide qui avait fait 23 morts le 5 janvier à Tel-Aviv. Selon des sources palestiniennes, Yasser Arafat a viré une importante somme d'argent à son ministre de l'Intérieur Hanni al-Hassan, afin qu'il calme les dissidents.
Quant aux islamistes, leur reculade ne constitue peut-être pas leur dernier mot. Hier, le Hamas avait déjà franchi un premier pas en acceptant officiellement un cessez-le-feu partiel dans les territoires occupés. Pratiquant une réflexion politique pointue, le Hamas a une fois de plus montré qu'il détenait des cartes majeures dans une partie serrée, dont le véritable enjeu est l'avenir de la direction palestinienne.
                           
14. Le récit du calvaire subi par Jénine va enfin être publié par Ramzy Baroud
in Palestine Chronicle (e-magazine palestinien) du lundi 20 janvier 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Seattle (PalestineChronicle.com) - J’étais assis, tranquillement, et je contemplais un mur en béton, d’une teinte pâle. L’empreinte d’un cadre de photo, absent, était comme gravée dans la poussière, épaisse et grise. La photo encadrée manquante, imaginais-je, devait être celle d’un Palestinien. A sa place, un poster portant des inscriptions en caractères hébreux pendouillait, incongru, plus ou moins attaché avec du chatterton. Ce poster n’avait pas sa place là, pensai-je en moi-même. Mais je n’osai pas en faire part à qui que ce soit, car je méfiais énormément de l’officier des services de renseignements israéliens, qui me regardait fixement, moi et deux autres Palestiniens. Mes compagnons se recroquevillèrent sur leur chaise, comme pour tenter de devenir invisibles, et se remirent à attendre la fixation de leur sort.
Il ne s’agissait pas d’un procès devant une cour martiale israélienne, bien que cela en eût tout l’air. C’était à la frontière entre Amman, la Jordanie, et la Cisjordanie, en avril 2002, moins d’un mois après l’énorme invasion israélienne de la Cisjordanie, les atrocités de Jénine et les fosses communes à Naplouse. Combien j’aurais aimé que les visages amicaux des employés palestiniens remplacent ceux de ces soldats israéliens qui, après avoir repris possession du poste frontière, avaient accroché un drapeau israélien là où naguère flottait le drapeau palestinien !
Non, je n’étais pas devenu complètement cinglé, comme l’avaient suggéré mes amis et mes proches lorsqu’ils apprirent que je me rendais en Cisjordanie, soumise, à l’époque, au couvre-feu et aux bains de sang. En réalité, tout était très clair, dans ma tête, quant à mon but : je voulais aller voir le camp de réfugiés de Jénine…
Ce qui me poussait à aller à Jénine, ce n’était pas seulement l’angoisse quant au sort de si nombreux innocents. Non. C’était ma hantise qu’Israël ne réussisse, encore une fois, à réécrire l’histoire.
Au moment où l’armée israélienne se retirait du camp – provisoirement – le 16 avril 2002, j’étais en train de finir la mise au point d’un ouvrage traitant de l’historique des massacres de Sabra et Chatila. Je fus frappé par les similitudes entre les deux événements : le statut des victimes - des réfugiés - la manière, ‘made in Israël’ de châtier les civils, le siège, l’intense bombardement aérien, les francs-tireurs, les tueries, le concassage des maisons au bulldozer, Sharon, l’étouffoir médiatique…
Dire que « l’Histoire était en train de se répéter » n’était en rien une exagération. C’était tout simplement la réalité. Au Liban, les Israéliens avaient prétendu que, n’eût été leur intervention, un nombre beaucoup plus élevé de Palestiniens auraient été tués dans les camps de réfugiés de Beyrouth Ouest, en 1982. Très peu de gens, de par le monde, savaient que c’était Israël – et en particulier Sharon – qui avait ordonné aux Phalangistes libanais d’ « éponger » les deux camps de réfugiés, tuant et violant des milliers de civils, tandis que les troupes israéliennes assiégeaient les maintenaient à l’intérieur des camps, tout en bombardant intensément leurs pauvres masures, depuis la périphérie. A la suite de quoi, les bulldozers de l’armée israélienne avaient excavé une fosse commune, afin d’y enterrer les preuves du massacre. Ils raflèrent près d’un millier d’hommes et enfants et les emmenèrent vers une destination inconnue. On ne les a jamais revus.
A Jénine, les choses se sont déroulées de manière quasi identique. Une atrocité fut menée à bien, une atrocité dont les détails insoutenables ont commencé à être connus durant les mois suivants, et, à nouveau, les tentatives de les étouffer se renouvelèrent. Mais cacher les atrocités perpétrées à Jénine était beaucoup plus ardu que dans le cas du massacre de Beyrouth. La commission de l’ONU qui se préparait à aller enquêter sur place fut bloquée par Israël, qui l’accusa d’être antisémite. Le secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan se dégonfla lamentablement, publiant un rapport quelconque fondé sur des communiqués de presse et des rapports pour la plupart générés par les groupes d’influence du lobby israélien aux Etats-Unis. La pression des Etats-Unis s’intensifia, dans une tentative de tirer d’affaire leur allié au Moyen-Orient, tentative couronnée, on le sait, de succès. Annan fit tomber sa sentence : selon lui, tant les Israéliens que les Palestiniens étaient responsables des tueries. Son rapport écarta les accusations légitimes de crimes de guerre formulées par Amnesty International et Human Rights Watch.
Alors que j’étais là, coincé au poste frontière avec la Cisjordanie, trois semaines après l’invasion israélienne de Jénine, rien de tout cela ne s’était encore produit. Je pus néanmoins en quelque sorte prédire dans les moindres détails l’étouffement du massacre de Jénine en me remémorant les détails de ce qui était advenu à Sabra et Shatila. J’étais certain, dès ce moment là, que les Palestiniens devaient enregistrer eux-mêmes cette part de leur propre histoire, et non se contenter d’attendre que d’autres narrent leur agonie avec un minimum d’honnêteté. Une équipe de journalistes attendaient mon arrivée, à Jénine, à Naplouse, à Ramallah et à Jérusalem-Est. Totalement absorbé par mes pensées, mes espoirs et mes craintes, je ne ressentis pas la présence d’un officier des renseignements israéliens, qui me jaugeait. Sur un ton sans appel, il aboya : « Baroud, vous êtes un menteur. Ce n’est pas pour rendre visite à votre famille que vous êtes venu ici. Sortez ! »
Mais il y avait Mahmoud. Mahmoud avait vingt trois ans. Très frêle, il était aussi très timide. Il avait été touché par une balle à la gorge, et cette balle s’était creusé un tunnel tout au long de sa colonne vertébrale, le laissant en équilibre entre la vie et la mort. Mahmoud Amr était l’un de ceux qui défendaient Jénine. Il avait été touché à une jambe, et, sans avoir reçu aucun soin, il était retourné se battre pour son camp de réfugiés et pour sa famille. Tandis qu’il progressait péniblement en claudiquant, un sniper israélien fit sur lui à nouveau un carton, le laissant cette fois totalement paralysé, à jamais. Je m’assis auprès de Mahmoud, dans un hôpital de Amman, deux jours avant mon départ prévu pour les Etats-Unis. Je n’avais que très peu de questions à lui poser. « Alors, Mahmoud, qu’est-ce que tu penses faire, quand tu auras quitté l’hôpital ? »
Ma question me sembla déplacée. Personne ne savait si Mahmoud sortirait de cet hôpital - vivant. De plus, Mahmoud ne risquait pas de parler… Néanmoins, le jeune homme me fit un geste, d’un index décharné, m’indiquant un crayon et un morceau de papier. Après s’être escrimé quelques minutes pour griffonner quelques mots, il fit un effort surhumain pour sourire et me tendit le morceau de papier :
« Je veux retourner me battre pour Jénine », y était-il écrit.
J’embrassai Mahmoud sur le front, et je quittai l’hôpital. J’aspirais à avoir un jour ne serait-ce qu’une fraction du courage et de la détermination dont ce jeune homme fauché dans la fleur de l’âge venait de me faire la bouleversante démonstration. Grâce à lui, j’étais prêt à mener un bon combat, pour Jénine, et pour la vérité.
Demain, j’appellerai Mahmoud. Je lui dirait qu’ « Enquête à Jénine », le livre important dont je lui ai parlé lors de ma visite à l’hôpital, vient d’être publié. Je lui dirai que les voix des victimes ont finalement échappé au censeur israélien ; que les visages, les images, les chiffres et les récits vont finalement être dits, que grâce à sa leçon de courage, les Palestiniens ne sont plus confinés dans les vestiaires, priant que d’autres veulent bien narrer leur calvaire. Désormais, ils transmettront les récits de leur Histoire eux-mêmes, de la manière dont ils entendent le faire.
Merci, Mahmoud. Mais aussi merci à vous, qui êtes plus de soixante intellectuels, journalistes et militants qui ont contribué à ce que ce livre devienne réalité. Merci, en particulier, au Professeur Noam Chomsky, pour l’introduction pénétrante qu’il a bien voulu lui consacrer, au professeur Robert Jensen, à Norman Finkelstein, à Francis Boyle, au Docteur James Zogby, au Docteur Alfred Lilienthal, au photographe de presse Mahfouz Abu Turk, au journaliste Ali Samoudi et à l’éditeur qui a pris l’initiative courageuse de publier cet ouvrage, Scott Davis.
Merci à vous tous : le calvaire de Jénine pourra finalement, grâce à vous, être présenté sans être soumis à la pression politique, sans censure et sans crainte.
                               
15. "Les Palestiniens doivent voter" un entretien avec Leïla Shahid propos recueillis par Denis Sieffert
in Politis du jeudi 16 janvier 2003

Les Palestiniens et Israël, le bilan de deux ans d'une répression sans précédent contre son peuple, l'impuissance des capitales arabes, les erreurs de l'Autorité palestinienne, l'inertie de l'Europe, et les conflits communautaires au sein de la société française : ce sont tous ces sujets que Leïla Shahid, déléguée générale de Palestine en France, évoque à la veille des élections israéliennes, et tandis que se précisent les menaces de guerre en Irak.
- Le 28 janvier, les Israéliens vont élire un nouveau Parlement. Le Likoud d’Ariel Sharon est le grand favori de ce scrutin. Mais d’autres partis proposent une autre politique à l’égard des Palestiniens. Le nouveau chef de file des travaillistes, Amram Mitzna, lui-même, propose un retour à la négociation. L’Autorité palestinienne a-t-elle un rôle à jouer dans cette élection ?

- Leïla Shahid : C’est une question difficile. La crise de confiance qui s’est installée entre Palestiniens et Israéliens, la démonisation de chacun par l’autre, font qu’une intervention directe n’est pas souhaitable, si nous voulons qu’Amram Mitzna gagne. Une intervention directe ferait aujourd’hui plus de mal que de bien. Il faut en revanche que l’Autorité palestinienne explique l’importance du vote et invite les électeurs palestiniens à ne pas boycotter l’élection comme ils l’avaient fait dans leur grande majorité en février 2001. L’abstention ou le vote, c’est un grand débat parmi les Palestiniens d’Israël. Depuis longtemps. Mais, aujourd’hui, il faut qu’ils fassent barrage à Sharon. L’Autorité palestinienne encourage donc les Palestiniens à voter.
Une autre façon d’intervenir est de parler à l’opinion publique israélienne, pas en tant qu’électeurs, mais en tant qu’opinion publique. Il faut que Yasser Arafat, les ministres, mais aussi les responsables de syndicats palestiniens et d’associations, les intellectuels, parlent aux Israéliens. Je voudrais ici faire une autocritique. L’OLP a commencé à dialoguer avec le peuple israélien très tôt, dès les années 1967-1968. À l’époque, les lois israéliennes interdisaient aux Israéliens de parler avec l’OLP, mais nous prenions alors le risque, au péril de notre vie. Beaucoup ont d’ailleurs payé de leur vie. Or, paradoxalement, il se trouve que depuis que nous sommes installés en Palestine, on leur parle moins. Peut-être avons-nous cru trop vite qu’Oslo avait détruit le doute, la méfiance et la haine. Ce manque de communication est devenu tragique au cours des deux dernières années. C’est un peu comme si l’espace public était exclusivement occupé par les officiels israéliens, par Sharon, par la violence de son armée. Nous avons perdu le contact avec la société israélienne, et la responsabilité incombe aux deux parties, nous inclus.
- Comment expliquez-vous cela ?
- L’une des raisons, c’est que Yasser Arafat, en particulier, mais nous avec lui, avons été absolument choqués par la thèse portée par le parti travailliste, et ses amis à travers le monde, selon laquelle Barak aurait fait à Camp David une « offre généreuse » que, pour des raisons totalement « mystérieuses », Arafat aurait refusée. La fabrication d’une thèse complètement mensongère, soutenue par Clinton et les médias américains, a profondément déstabilisé l’Autorité palestinienne. Nous ne comprenons pas pour quoi il fallait fabriquer cette thèse, si ce n’est pour détruire l’image du partenaire palestinien. C’est cette destruction de l’image qui a amené la victoire de Sharon. Lorsque vous dites à votre électorat que vous avez donné aux Palestiniens tout ce qu’ils demandaient et qu’ils ont refusé parce qu’ils veulent la destruction d’Israël, vous faites évidemment le jeu de ceux qui, en Israël, s’opposent aux accords d’Oslo. Le deuxième choc a été la participation de Shimon Peres et de son parti au gouvernement Sharon. Mais ce n’est pas parce que les travaillistes ont commis une erreur stratégique que nous devons, nous, abandonner le dialogue avec la société israélienne. Le conflit israélo-palestinien ne ressemble à aucun autre. Il est d’une force inouïe sur un plan humain. Autant dans la douleur et dans la tragédie que dans la complicité et la proximité. Parce qu’au fond, on est liés par un sort commun. Il s’est passé entre Palestiniens et Israéliens des choses d’une telle intensité émotionnelle et intellectuelle que cette relation-là est beaucoup plus forte que toutes celles que les Israéliens ont pu nouer avec les autres pays arabes avec lesquels ils ont signé la paix. Je ne parle pas, évidemment, des colons ou des membres des partis racistes, mais de ce que j’appellerais le courant central de l’opinion israélienne, qui peut bouger dans un sens ou dans l’autre. Cette partie de l’opinion est en train de réaliser que la stratégie de Sharon est un échec total. Cette stratégie militaire et sécuritaire a complètement échoué et elle a fait beaucoup plus de morts que jamais auparavant. Les sondages commencent à refléter cette prise de conscience.
- Mais n’est-ce pas aussi le morcellement de la société palestinienne dû à l’occupation qui conduit à une cacophonie et ne permet plus une parole politique claire, audible par les Israéliens et les Occidentaux ?
- Le plus tragique dans la stratégie israélienne de morcellement du territoire palestinien, c’est sa répercussion sur le plan intellectuel et politique. Toute réunion est devenue impossible à cause de l’impossibilité de circuler. Les gens, y compris les responsables politiques, syndicaux, associatifs, n’arrivent plus à se voir depuis deux ans. C’est le couvre-feu total. C’est l’interdiction de sortir de chez soi. Comment peut-on élaborer des stratégies politiques sans se réunir ? Les mouvements islamistes, eux, se trouvent renforcés par cette situation parce qu’ils n’ont pas de stratégie à élaborer ou à définir. Il leur suffit de chercher à détruire tout ce qui ressemble à un accord de paix. Voilà pourquoi, dans cette situation, ils gagnent du terrain. Cela, c’est une stratégie volontaire de la part d’Israël, qui fait tout pour détruire le courant laïque, pluraliste et moderne que représente l’Autorité palestinienne, et amener au pouvoir les islamistes. Mais c’est aussi, à terme, une stratégie suicidaire.
- Vous évoquez à mots couverts les attentats. Mais la stratégie des attentats est aussi celle des Brigades des martyrs d’Al-Aqsa, historiquement liées au Fatah…
- Le morcellement des milieux militants touche tous les partis politiques, y compris le Fatah. La stratégie des autorités israéliennes d’assassinats des cadres locaux, des cadres moyens des mouvements politiques, les rafles, les emprisonnements, et la paralysie totale de l’Autorité palestinienne ont abouti à affaiblir le courant laïque qui prône la coexistence avec Israël. Près de cinq cents responsables ont été assassinés, et il y a près de dix mille détenus. Parmi ceux-là, beaucoup étaient des interlocuteurs d’Israël, comme Marwan Barghouti. On a retiré à l’Autorité palestinienne toute possibilité d’influence sur les événements. Même la sécurité préventive a été détruite. Il n’y a plus de relais, il n’y a plus de médiateurs. Ils ont été assassinés ou incarcérés. La situation est devenue tributaire de la volonté des kamikazes. Il n’est pas difficile de réaliser de tels actes. Ce ne sont donc pas des actions décidées en haut par quelqu’un qui en aurait donné l’ordre, comme on le croit souvent dans la presse. Il suffit de se procurer les moyens, c’est-à-dire les bombes, et d’avoir la volonté de mourir. C’est pour cela qu’il n’y a pas de solutions techniques contre les kamikazes ; il n’y a que des moyens politiques. La seule chose qui puisse empêcher cela, c’est la réprobation de la société palestinienne qui isole ceux qui veulent commettre de tels actes. Mais cette réprobation est d’autant plus forte que la société a un projet politique, un espoir de quelque chose de meilleur. Dans ce cas, elle ne permet pas au kamikaze de saboter son avenir. Mais en rejetant, comme le fait Sharon, toute issue politique, on ouvre le chemin à ce genre d’actions désespérées. Aujourd’hui, la société palestinienne se sent menacée de destruction totale. Elle est enfermée dans une prison, derrière un mur long de 333 kilomètres qu’Israël est en train de construire. Et elle se sent abandonnée par la communauté internationale. Pour la première fois depuis 1948, la société palestinienne a le sentiment d’être en danger de destruction, de disparition en tant que nation. Une nouvelle Naqba [la « catastrophe », c’est ainsi que les Palestiniens appellent l’expulsion de 1947-1948, NDLR]. La communauté internationale reste muette, toute préoccupée par la guerre avec l’Irak, par la lutte antiterroriste, et par la peur d’avoir une opinion différente des États-Unis et d’en assumer les conséquences.
- Êtes-vous déçue par l’attitude de la France ?
- Tout dépend de ce qu’elle fera dans la crise irakienne. La France ne peut pas à elle seule remplacer les Quinze. Nous sommes à une étape très importante des relations internationales. Ce ne sont pas les attentats du 11 septembre qui ont ouvert cette période, mais la chute du mur de Berlin et la fin d’un monde bipolaire. Les attentats anti-Américains du 11 septembre sont une manifestation de ce nouveau monde dominé par une seule et unique superpuissance. Bien sûr, il faut répondre à ces attentats, mais politiquement, et non militairement. Alors que les États-Unis ont une stratégie claire autour du nouveau concept de guerre préventive, l’Europe donne le sentiment d’une hésitation. Il doit y avoir une autre vision. D’autant qu’il y a une très grande lucidité dans la société civile européenne sur la nécessité de se démarquer des outils de réponse américains, exclusivement sécuritaires et militaires. Mais face à ce discours néocolonial, qui affirme la supériorité d’une civilisation par rapport aux autres, l’Europe semble paralysée, comme frappée d’impuissance. Est-ce qui si les États-Unis décident de faire la guerre en Irak l’Europe va suivre ? L’Union européenne est-elle capable de faire respecter ses principes en faveur du droit international ? Pour leur part, les Américains veulent anticiper l’avènement d’une véritable Europe unie et élargie. Et ils s’efforcent d’occuper le terrain, alors que la puissance européenne est encore en formation. Il est temps que l’Europe s’éveille.
- Il n’y a pas que l’Europe qui hésite à s’opposer aux États-Unis, il y a aussi les pays arabes…
- Les pays arabes ont considéré comme très significative la fin de non-recevoir à la proposition qu’ils ont faite à Israël au sommet de Beyrouth, au mois de mars 2002. Pour la première fois depuis cinquante-quatre ans, il s’agissait d’une reconnaissance totale, diplomatique, culturelle, politique et économique en contrepartie de l’application des résolutions des Nations unies concernant le territoire palestinien. Cette proposition était très courageuse. Elle venait du prince Abdallah, qui représente l’Arabie Saoudite, c’est-à-dire le pays arabe le plus puissant, et le protecteur des lieux saints musulmans. Au lendemain de l’adoption de cette offre, la seule réponse fut l’entrée de l’armée d’Ariel Sharon à Ramallah et le siège de la Muqata’a, le quartier général de Yasser Arafat. Sharon indiquait ainsi qu’il ne s’intéressait pas à la paix avec les Arabes. Ce rejet a été très déstabilisant pour les capitales arabes. D’autant plus que le refus de Sharon a été soutenu à cent pour cent par le Président Bush. Les États arabes n’ont pas les moyens de s’opposer aux États-Unis puisqu’ils en dépendent. Mais ils souhaiteraient réellement s’associer à une stratégie alternative européenne si celle-ci existait.
- La violence du conflit a des conséquences au sein même de notre société. On assiste à des manifestations d’antisémitisme inquiétantes. Comment analysez-vous ce phénomène ?
- Je n’ai jamais pensé que le conflit israélo-palestinien était confiné aux Israéliens et aux Palestiniens. Depuis la fin de la décolonisation, il y a eu deux grands conflits qui ont eu une portée universelle : le combat contre l’apartheid en Afrique du Sud et le combat des Palestiniens pour disposer d’un État à côté d’Israël. Le premier est un combat contre le racisme. Le combat des Palestiniens fait partie de l’histoire de l’Europe du génocide et de la colonisation. C’est un combat emblématique pour la réciprocité du droit et pour la coexistence. Celle qui est fondée sur le droit et le respect de l’autre. C’est le même combat que les citoyens de l’Europe d’aujourd’hui. C’est aussi pour cette raison qu’ils se sentent concernés. Lorsqu’on renonce au droit, on ne laisse plus de recours qu’au repli communautaire, ethnique, religieux. C’est vrai pour la France, où vivent juifs et Arabes, et c’est vrai pour le monde entier. C’est pour cela que l’enjeu du triomphe, ou de l’échec, du droit aujourd’hui en Palestine et en Irak a tellement d’importance. La démission du droit, la démission des Nations unies, c’est le retour à une réaffirmation des appartenances claniques et tribales. Et ce sont des réflexes antisémites ou antimusulmans. Pour combattre cela, il faut réhabiliter le droit et le droit international. C’est ainsi que l’on pourra réhabiliter notre humanisme et notre universalisme.
                       
16. Nouvelle crise, vieilles leçons par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britannique) du mercredi 15 janvier 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

La crise de Suez hante les gouvernements britanniques successifs depuis près de cinquante ans – et le spectacle du HMS Ark Royal quittant Portsmouth, le week-end dernier, nous a rappelé les souvenirs de l’un des chapitres les plus sombres de notre histoire moderne. De plus, nous dit Robert Fisk, nos dirigeants mondiaux faucons feraient bien d’étudier les événements de 1956 : il est encore temps.
Il était question de collusion secrète, de tentative frauduleuse d’utiliser les Nations Unies comme une feuille de vigne pour faire la guerre, d’une désapprobation massive de l’opinion publique britannique, de journalistes utilisés à la manière de propagandistes et d’un ennemi – un dictateur arabe considéré jusqu’alors comme un ami de l’Occident – comparé aux pires criminels de la Seconde guerre mondiale. Cela vous rappelle quelque chose ? Eh bien, c’était il y a presque cinquante ans, et il ne s’agissait pas de pétrole, mais d’un étroit canal creusé par l’homme, reliant la Méditerranée à la Mer Rouge…
La crise de Suez n’a jamais cessé – depuis 1956 ! – de hanter les gouvernements britanniques successifs : elle était suspendue au-dessus de la tête de Maggie Thatcher durant la guerre des Malouines, en 1982 ; et ses fantômes errent, de nos jours, entre le Foreign Office et Downing Street, entre Jack Straw et Tony Blair. En effet, Suez avait pulvérisé un premier ministre britannique – et avec lui, pratiquement toute l’alliance anglo-américaine, symbolisant la fin de l’Empire britannique.
Cette crise entraîna la mort de nombreux civils – tous Egyptiens, bien entendu – et apporta la honte sur la tête des coalisés, lorsqu’il s’avéra qu’ils avaient commis moult crimes de guerre. Elle était fondée sur un mensonge, selon lequel les troupes britanniques et françaises allaient débarquer en Egypte afin d’y « séparer » les armées égyptienne et israélienne, bien que les Britanniques et les Français eussent au préalable tout prévu : ils avaient manigancé l’invasion israélienne eux-mêmes (en connivence avec Israël, de surcroît !).
Le Premier ministre britannique, Anthony (déjà !… ndt) Eden, avait qualifié le colonel Gamal Abdul Nasser de « Mussolini du Nil », bien que, un an auparavant, à peine, il lui eût chaudement serré la louche au cours d’un échange de congratulations après la signature d’un nouveau traité anglo-égyptien, dans le genre de la rencontre de Donald Rumsfeld avec son vieux pote le « Hitler de Bagdad », en 1983… Finalement, les troupes britanniques – équipées de bric et de broc et traitant leurs ennemis égyptiens avec un mépris parfaitement raciste – durent se retirer, humiliées, après avoir exhumé les corps de leurs camarades tués afin de pouvoir les ramener « à la maison », et d’éviter que les Egyptiens ne profanent leurs dépouilles.
L’affaire de Suez fut une crise complexe, mais elle tournait en gros autour de la décision de Nasser – à l’encontre des accords internationaux – de nationaliser le canal et de s’emparer de la Compagnie du Canal de Suez. Les banques et les entreprises britanniques dominaient depuis longtemps les investissements en Egypte, et elles possédaient 44 % des capitaux de la compagnie, négociés dès sa création, par Benjamin Disraeli.
La prise de contrôle opérée par Nasser fut accueillie par des foules égyptiennes en délire, qui avaient été frappées, de stupéfaction, peu auparavant, par l’annonce brutale du retrait américain du projet du Haut Barrage d’Assouan. Le nom de code de la prise de contrôle du canal était « de Lesseps », du nom du chevalier d’industrie (français) qui avait fait creuser le canal tandis que l’Egypte était encore une province de l’Empire ottoman. Dès la seconde où Nasser allait prononcer le nom du Français lors de son discours radiodiffusé, ses collaborateurs armés devaient investir les bureaux de la compagnie.
 « J’ai suivi tout son discours à la radio », me dit l’un d’entre eux, des années après. « Nasser a utilisé le code secret « de Lesseps » pas moins de… treize fois ! Nous pensions tous qu’il allait tout faire capoter et que nous allions tous être découverts ! »
A Londres, Eden convoqua ses chefs d’état-major. Il voulait renverser Nasser – le « changement de régime » (en Irak) est la nouvelle version de cette même vieille idée – et libérer le canal. Mais les militaires britanniques l’informèrent qu’il n’en était pas question. Les troupes n’étaient pas entraînées, les formations d’élite, nécessaires pour un débarquement, n’étaient pas mobilisées. « Ce n’est que lorsque nous finîmes par laisser tomber et par nous retirer de Port-Said », me raconta un officier parachutiste, trente ans plus tard, « que nous avons réalisé à quel point notre capacité militaire avait décliné depuis la Seconde guerre mondiale. Nos avions transporteurs de troupes se chargeaient encore par le côté, nos jeeps tombaient en panne… ils n’ont même pas été foutus de nous parachuter de l’artillerie pour nous soutenir. »
Ainsi, les jours, les semaines et les mois qui suivirent la saisie du canal de Suez par Nasser furent marqués par la prévarication, les mensonges aux parlementaires, les tentatives désespérées pour mettre en place une coalition armée et – pire que tout – une rencontre secrète à Sèvres, dans la banlieue parisienne, au cours de laquelle Israéliens [leur délégation était dirigée par Golda Meir, déguisée en homme – ce n’était pas le plus difficile, ndt], Britanniques et Français se mirent d’accord sur le scénario suivant : l’armée israélienne envahirait l’Egypte, après quoi la Grande-Bretagne et la France interviendraient, donneraient l’ordre aux armées israélienne et égyptienne de se retirer sur les deux rives du canal de Suez, puis installeraient une force d’intervention anglo-française dans la zone du Canal, autour de Port Saïd. « Opération Mousquetaire », qu’ils allaient appeler ça…Et le peuple britannique fut copieusement sorti de sa léthargie d’après-guerre par des éditoriaux qui condamnaient sans appel tous ceux qui auraient osé mettre en question le droit d’Eden à recourir à l’intervention militaire.
Le quotidien The Times donnait le « la ». « Bien sûr, l’opinion publique veut éviter le recours à la force », tonnait un éditorial écrit par le directeur en personne, William Haley. « Tout le monde pense la même chose, et nous espérons que personne ne le veut plus que le gouvernement britannique. Mais il est facile de dire cela, car il semble bien que nous ne puissions absolument pas faire autrement ; le mieux que nous ayons à faire, c’est de trouver des excuses pour ce faire, et tout oublier, une fois fait. Les nations vivent grâce à la défense vigoureuse de leurs intérêts… Le peuple, par son silence, le sait bien : il le sait bien mieux que les gens qui critiquent. Car ce peuple, lui, veut que la Grande-Bretagne conserve sa Grandeur ». The Guardian affirma que cet édito du Times représentait une attaque contre le droit à critiquer le gouvernement en temps de crise – il sera intéressant de voir si ce débat se reproduira lorsqu’une guerre en Irak sera plus proche de nous – et le chef des relations publiques d’Eden, un certain William Clark, joua un rôle qui ne manque pas d’évoquer celui d’un certain « spin doctor » (expert en bobards), aujourd’hui à Downing Street.
« Clark a toujours travaillé à l’unisson du Times », rappelle Tony Shaw dans son récit historique brillant, et parfois outrageusement comique, Eden, Suez et les Mass media : Propagande et persuasion durant la crise de Suez. Le boulot de Clark – et là encore, il y a un parallèle à faire, extrêmement dérangeant, avec George Bush et l’ONU – consistait à « préparer le terrain pour la brève période où la dispute serait confiée par le gouvernement aux Nations Unies… Cela exigeait une certaine ingénuité, étant donné que tant Eden que le journal avaient dès le début écarté l’organisation internationale, qu’ils jugeaient peu maniable et incapable de produire des résultats rapides ». Eden avait dit à Haley qu’il voulait utiliser les Nations Unies comme instrument, à seule fin de prouver la culpabilité de Nasser et de justifier le recours à la force – ce qui est précisément ce que George Bush attend des inspecteurs en désarmement de l’ONU en Irak, aujourd’hui.
Il y a un autre éditorial du Times, de 1956, qui pourrait être réimprimé aujourd’hui : on n’aurait qu’à mettre le mot « Irak » à la place du mot « canal ». « La seule objection opposée à ce qu’on porte le problème devant l’ONU et qu’on l’y laisse a toujours été – et demeure – le fait que l’ONU serait vraisemblablement hésitante, dilatoire, et qu’elle s’avérerait certainement inefficace pour atteindre l’objectif : obtenir la libération du canal. Mais le contrôle international obtenu, quel qu’en soit le degré, au final, tant par la négociation que par d’autres moyens, devra certainement être placé sous l’égide de l’ONU : le plus tôt l’ONU sera informée du développement du contentieux, le mieux ce sera. »
Comme convenu, les Israéliens attaquèrent, le 5 novembre 1956, et les franco-britanniques débarquèrent autour de Port Said, véhiculés pour la plupart à bord d’une flotte de bateaux de guerre en fin de course, depuis Chypre. 780 parachutistes britanniques furent lâchés au-dessus de l’aéroport de Gamil et 470 parachutistes français le furent au-dessus de deux ponts enjambant le canal, à Raswa. Les Britanniques investirent un commissariat de police, qui tint bon sous un feu intense, tuant la quasi totalité des policiers.
                                   
17. Traverser les frontières : lesquelles ? par Jonathan Cook
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 2 janvier 2003
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Voici quelques mois, le romancier israélien A. B. Yehoshua a écrit longuement sur le sionisme, en expliquant que l’idéologie nationaliste formulée par Theodor Herzl était sous-tendue par une notion de « frontière ». L’identité juive en diaspora, faisait-il observer, était intrinsèquement dépourvue de frontières : « Elle errait tout autour du monde, comme un globe trotter, d’hôtel en hôtel. Un juif peut changer de pays et de langue, sans pour autant perdre sa judéité. »
L’Etat juif, en revanche, requiert la fixation de limites territoriales ; il doit définir l’étendue du sanctuaire qu’il est censé fournir aux juifs. « Les frontières, c’est comme les portes d’une maison, qui viennent nous rappeler que tout ce qui se trouve à l’intérieur est placé sous la responsabilité du propriétaire. Tel est l’objet du sionisme : affirmer une souveraineté – juive – à l’intérieur de frontières définies. »
L’affirmation yehoshuaïenne au sujet des fondements idéologiques du sionisme est toutefois en contradiction absolue avec les objectifs et les politiques de tous les gouvernements israéliens qui se sont succédé après la guerre des Six jours (juin1967). De surcroît, elle ignore le soutien (plus ou moins enthousiaste, plus ou moins équivoque) au maintien d’Israël dans les territoires occupés, manifesté depuis plusieurs décennies par une écrasante majorité des juifs israéliens…
Jusqu’à la floraison des attentats suicides palestiniens, au cours de la seconde Intifada, pratiquement personne en Israël, exceptée une poignée de tenants de la gauche radicale, n’articulait sérieusement la moindre suggestion d’un retrait israélien des territoires occupés en 1967. Aujourd’hui encore, après (et en dépit de) 26 mois d’interminables troubles sanglants, les voix exigeant l’évacuation complète des colonies sont très peu nombreuses : très divergentes, elles sont généralement inspirées par le désir de donner un répit aux souffrances… des seuls Israéliens.
En réalité, tous les gouvernements israéliens, depuis celui de Golda Meir, dénient l’existence d’une frontière entre Israël et la Cisjordanie, qu’il est convenu d’appeler « Ligne verte ». Aujourd’hui, il est impossible de trouver une carte de la région, imprimée en Israël, qui mette en évidence la ligne d’armistice convenue, d’un commun accord entre Israël et la Jordanie, à la fin de la guerre, en 1949. Cet effacement idéel de la « frontière » trouve son reflet sur le terrain, où les routes israéliennes se faufilent sans difficulté à travers cette ligne de partage théorique du territoire, lorsqu’il s’agit de relier Tel Aviv aux colonies d’Immanuel, d’Ariel ou autre Kedumim, dans la profondeur du territoire palestinien. Non seulement on ne voit aucun panneau « Bienvenue en Cisjordanie ! », qui permettrait à l’automobiliste de savoir qu’il vient de passer de l’Israël légal dans l’Israël illégal, mais on ne voit pas non plus de guérites de vérification, tant est absolu le contrôle d’Israël sur les zones périphériques des implantations.
Qu’en est-il, dès lors de la « barrière de séparation » ? Ne va-t-elle pas avoir pour effet, inévitablement, d’entraîner une certaine démarcation d’un territoire palestinien, en tant que territoire distinct du territoire israélien ? La gauche (israélienne) n’est-elle pas fondée à y voir le premier signe, donné par Israël, de sa volonté de se reconnaître une frontière ? En réalité, il n’en est absolument pas question, comme une visite (fût-elle éclair) en l’un quelconque des points où ce mur est en cours de construction le confirmera. En dépit des promesses données par le gouvernement israélien, la réalisation de ce projet de mur est d’une lenteur exaspérante et la construction avance par à-coups. Sharon a veillé à ce que le tracé du mur s’éloigne de celui de la Ligne Verte autant qu’il fût possible, en raison de la nécessité, de son point de vue, « pour des motifs de « sécurité » », de faire en sorte que les Palestiniens se retrouvent du mauvais côté. En fait, le tracé du mur permettra à Israël d’annexer des milliers d’acres de terres palestiniennes supplémentaires.
Plutôt que d’isoler totalement la Cisjordanie, comme cela a été fait avec la bande de Gaza, beaucoup moins étendue et beaucoup moins « utile », Israël est en train d’ériger sa barrière électrifiée presque exclusivement dans les zones perçues comme étant les plus vulnérables car les plus susceptibles de livrer passage à des terroristes palestiniens infiltrés. Et - ô chance (pour Israël) - ces zones comportent certaines des terres agricoles palestiniennes parmi les plus riches : sans perdre de temps, l’armée israélienne  est en train de les labourer au bulldozer et de les confisquer…
Ce qui est attendu du mur, ce n’est pas tant la reconfiguration de l’horizon géopolitique israélien (ce qui serait impossible, étant donné l’intégration de colonies illégales à l’intérieur d’Israël en particulier autour de Jérusalem - que la création d’une série d’enclaves palestiniennes émasculées, incapables de lutter pour conserver leurs terres face à des implantations israéliennes de plus en plus fermement « implantées ». Effectivement, les villes palestiniennes « frontalières », telles Tulkarem et Qalqiliya, sont en train d’être cernées par le mur, qui les met en état de siège (ce qui a pour effet de mettre en prison des dizaines de milliers de leurs habitants).
Même au cas (peu probable) où le mur serait construit sur toute sa longueur, concrétisant une frontière virtuelle, Israël a pris la précaution, au cours des décennies écoulées, de souscrire deux polices d’assurance susceptibles de lui garantir qu’une telle éventualité n’advienne jamais. La première de ces polices d’assurance est le Plan Star Points (Pointes de l’Etoile) conçu par Sharon au début des années 1990 : il s’agit d’une série d’implantations satellites, qui ont commencé à être saupoudrées tout au long de la Ligne Verte, à l’instar d’une poudre détergente surpuissante.
Jouxtant ou chevauchant la frontière à intervalles réguliers, ces villages de colonisation, protégés par des barrières de fil de fer barbelé et des miradors, ressemblent comme des jumeaux aux colonies situées près de Naplouse ou d’Hébron. Abritant certains des personnages les plus puissants en Israël, les chances qu’ils soient un jour démantelés sont virtuellement nulles : ainsi, l’un d’entre eux, Kokhar Yair, a l’honneur d’être la résidence tant d’Ehud Barak, ex-premier ministre, que de Shaul Mofaz, actuel ministre de la Défense…
La deuxième police d’assurance à avoir été souscrite par Israël, c’est une autoroute géante, la Trans Israel Highway, alias Route N° 6, dont les premiers tronçons ont été récemment ouverts au trafic. Cette autoroute, la plus large d’Israël, est officiellement conçue pour réduire les temps de déplacement entre le centre du pays – Jérusalem – Tel Aviv – et les périphéries : la Galilée (au nord) et le Néguev (au sud). Néanmoins, avec beaucoup d’esprit pratique, cette autoroute serpentera tout au long de la Ligne Verte, transformant la frontière politique entre Israël et la Cisjordanie en un plat de nouilles d’échangeurs autoroutiers, agrémenté de centres commerciaux et de zones industrielles. Elle permettra également de relier les colonies situées dans la profondeur cisjordanienne au cœur stratégique d’Israël, à grande vitesse.
Cela ne veut absolument pas dire qu’Israël ne reconnaisse pas une frontière, à sa manière : Israël reconnaît la frontière qui lui agrée. Après tout, de même qu’il a une police et une armée, Israël ne dispose-t-il pas d’une « Police des Frontières » - une force paramilitaire destinée à imposer la Ligne Verte, mais (bien entendu) aux seuls Palestiniens ?… Avant l’Intifada, des dizaines de milliers de Palestiniens entraient en Israël et en sortaient quotidiennement, en produisant des permis de travail qui les autorisaient à aller travailler pour une bouchée de pain, dans la construction et l’agriculture israéliennes. Depuis l’Intifada, la frontière est devenue totalement hermétique pour eux (et uniquement pour eux).
L’imposition d’une « frontière valable que pour les seuls Palestiniens » a joué un rôle primordial, également, dans le maintien d’une séparation physique entre les deux populations palestiniennes placées sous contrôle israélien. Les plus de trois millions de Palestiniens des territoires occupés et de Jérusalem – qui n’ont pas le droit de vote et auxquels sont déniés beaucoup de droits légaux – vivent d’un côté de la ligne ; le million d’Arabes israéliens – jouissant (d’une partie, ndt) des droits inhérents à leur citoyenneté israélienne – vivent de l’autre. La Ligne Verte permet donc de séparer et d’isoler de manière effective l’une de l’autre deux populations qui partageaient, jusqu’en 1948, une histoire et une identité nationale communes. « Perpétuons une barrière théorique entre eux : les Palestiniens de chacun de ces deux ensembles n’en seront que plus affaiblis… » : telle semble bien être la philosophie de cette séparation imposée (aux seuls Palestiniens).
Cela pourrait expliquer le comportement de la Police israélienne des Frontières, ainsi que celui de l’armée, lorsque les deux populations trouvèrent brièvement une conjonction entre leurs intérêts nationaux à la fois respectifs et communs, au début de la seconde Intifada, en octobre 2000. Pour la première fois depuis la création d’Israël, le mur séparant les Arabes israéliens et les Palestiniens (des territoires occupés) fut submergé par le trop-plein d’une colère partagée à la suite des nombreux morts tombés au lendemain de la visite de Sharon sur le Haram al-Sharif (Esplanade des Mosquées – Mont du Temple, à Jérusalem, ndt). La Police des Frontières répliqua, des deux côtés de la ligne, tant à Nazareth qu’à Netzarim, avec une semblable furie de mitraille anarchique et totalement insensée. En Galilée, treize Palestiniens furent tués, en quelques jours. Soudain, des citoyens israéliens – palestiniens – se voyaient traiter avec cette même force brutale qui était jusqu’alors généralement l’ « apanage » des Palestiniens des territoires.
En réalité, l’intitulé de « Police des Frontières » a été choisi afin de tromper le brave monde, tout à fait à l’instar de la tristement célèbre Patrouille Verte (Green Patrol) (une force de police israélienne dans le Néguev), dont les prérogatives principales n’incluent aucunement les B.A. environnementales, mais consistent bien, essentiellement, en la démolition des maisons des bédouins. La Police des Frontières ne se contente pas de faire bêtement son boulot consistant en théorie à  imposer de manière absolument neutre et impartiale un partage de l’espace territorial entre Palestiniens et Israéliens. Non : cette police impose avec une impitoyable violence une loi aux Palestiniens et une autre loi, totalement différente, aux Israéliens – plus précisément : aux Israéliens juifs. Ainsi, la « frontière » ne signale pas une séparation entre deux espaces géographiques, mais bien une ségrégation  résultant de deux régimes différents de droits civiques.
Dans la pratique, les Policiers des Frontières sont des sortes de shérifs du Far West sauvage, qui protègent les colons qui occupent des terres à la frontière de l’Etat israélien, contre les attaques d’indigènes remuants. Les implantations du réseau Star Points, situées tout au long de la Ligne Verte, ne sont pas les seules à ressembler comme des sœurs jumelles aux colonies qui entourent Naplouse et Hébron ; les colonies implantées en Galilée même afin de judaïser une région majoritairement peuplée d’Arabes, ainsi que celles du désert du Néguev, ont elles aussi le même aspect de mas provençaux fortifiés. Nombreux sont les gens peu au fait des réalités israéliennes à être surpris d’apprendre qu’Israël qualifie lui-même ces localités à l’intérieur d’Israël d’ « implantations » : c’est pourtant ainsi qu’elles sont annoncées, en tous les cas, sur les panneaux routiers, en Galilée et dans le Néguev…
Pour les sionistes, la construction d’implantations (= de colonies) est un état d’esprit : il s’agit d’une compulsion à conquérir et à « racheter » la terre palestinienne, à la purifier, à en éliminer le caractère impur inhérent à son passé arabe. Les gouvernements israéliens ont consacré le plus clair de leurs efforts, durant les années 1950 et 1960, à « judaïser la Galilée », en confisquant des terres aux indigènes palestiniens demeurés sur place et en remettant ces terres aux nouveaux immigrants juifs. Aujourd’hui, 93 % du territoire d’Israël sont contrôlé par l’Etat et les tentatives des citoyens arabes du pays de bâtir sur les 3 % du territoire qu’on leur concède sont quasiment toujours jugées illégales. Le but proclamé de l’Etat est de confiner les citoyens arabes sur une superficie la plus réduite possible du territoire.
Le projet de judaïsation se poursuit encore aujourd’hui, et il a trouvé un nouvel élan au début des années 1990, avec l’arrivée de centaines de milliers d’immigrants provenant de l’ex-URSS.
Parmi les colons les plus récents, en Galilée, on trouve des membres des classes moyennes, plutôt de gauche, qui cherchent à fuir le centre du pays, urbanisé, et qui aspirent à une vie plus calme à la campagne. Ils ont été encouragés à venir s’établir dans des colonies ethniquement et socialement ségréguées, construites sur les sommets des collines et dominant leur environnement arabe. En hébreu, on appelle ces colonies « mitzpim » (ce mot signifie : belvédères), et on en attend qu’elles puissent servir de postes d’observation sur toute la campagne environnante – afin de veiller et de déceler les éventuelles tentatives de la population arabe locale pour récupérer ses terres en y construisant des maisons ou en les cultivant – exactement de la même manière que les miradors sont fièrement érigés au milieu des colonies qui dominent la Cisjordanie depuis le sommet des collines. Et, à l’instar des colonies israéliennes en Cisjordanie, ces petits villages engloutissent eux aussi de grandes superficies de terres palestiniennes qui ont la malchance de se trouver dans leur aire d’influence.
Bien des habitants de ces mitzpim seraient horrifiés si ont leur disait qu’ils ont été de facto recrutés par l’armée des colons israéliens, et qu’ils sont à mettre dans le même panier que les fanatiques religieux d’Itamar ou d’Immanuel. Mais l’Etat israélien les considère comme géographiquement et stratégiquement vitaux, exactement comme ces fanatiques religieux, et exactement pour les mêmes raisons : ils renforcent la présence juive dans des territoires arabes, et ils constituent un rempart contre une population arabe considérée représenter une menace territoriale et démographique pour l’Etat juif. C’est la raison pour laquelle le gouvernement israélien accorde d’énormes subventions et des prêts locatifs hyper privilégiés aux nouveaux habitants juifs de la Galilée et du Néguev, à l’instar des colons en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. La « mentalité de judaïsation » apparaît presque quotidiennement dans les journaux israéliens. La « logique », la pertinence autiste n’en sont pratiquement jamais mis en question. Ainsi, par exemple, en octobre dernier, l’Agence juive a annoncé un plan consistant à amener 350 000 juifs en Galilée et dans le Néguev à l’horizon 2010, afin d’assurer une « majorité sioniste » dans ces deux régions. Dans le même projet de réinvention démographique de ces régions, le gouvernement approuvait, dans le même temps, la création de 14 nouvelles implantations dans le Néguev et en Galilée. Ces nouvelles implantations ont été décidées par le service « implantations » de l’Organisation sioniste mondiale, qui travaillait ainsi – c’est une grande première – à des projets de colonies à l’intérieur d’Israël, et non plus dans des territoires occupés…
Le ministre du Logement Natan Sharansky a déclaré, commentant ce plan : « La construction de villes nouvelles et le renforcement de notre emprise sur les terres – telle est notre réponse face au terrorisme. » Il convient de se rappeler qu’il ne parlait nullement de la Cisjordanie, ni des Palestiniens, mais bien de régions de l’intérieur d’Israël, peuplées majoritairement de citoyens arabes (réputés israéliens).
De la même manière, une mentalité militariste mal placée a présidé à la décision prise, durant l’été, de construire dans la région centrale dite du Triangle une colonie « Nahal », c’est-à-dire un bastion résidentiel de style militaire, qui nous ramène aux jours anciens des pionniers occupant le terrain, avant la création de l’Etat. Le président du conseil municipal local, Dov Sandrov, expliqua la logique ayant présidé à l’édification de ce bastion, en disant qu’il s’agissait de « planter notre pancarte (« « propriété » privée ») sur le terrain, aussi rapidement que possible », ajoutant que, sans cet avant-poste, « le jour ne serait pas très éloigné où nous verrions des colonies arabes s’étendre inexorablement des deux côtés de la Ligne Verte, lesquelles colonies finiraient par former une véritable barrière. »
Les suppositions de Yehoshua quant à l’existence d’un lien entre le sionisme et les frontières sont exactes, tout au moins en un certain sens : les sionistes de l’Etat d’Israël croient, c’est très clair, en des frontières s’imposant aux seuls Arabes. Quant aux juifs, il semble bien que les maîtres de « la maison » ne connaissent absolument aucune limitation.
                               
18. Irak : un pays broyé par le droit international par Monique Chemillier-Gendreau
in Manière de Voir (Le Monde diplomatique) de janvier-février 2003

(Monique Chemillier-Gendreau est professeur à l’université Paris VII – Denis Diderot)
[Les Nations unies peuvent-elles en connaissance de cause violer le droit international et commettre des excès de pouvoir ?]
En Août 1990, le gouvernement de Bagdad commit un acte d’agression flagrant dont la qualification en droit international ne prêtait pas à hésitation. Il s’agissait bien, avec l’invasion et l’annexion du Koweït, d’une rupture de la paix qui ne pouvait être tolérée au regard des engagements de la Charte des Nations unies. Plus de dix ans durant a été organisée en silence la descente aux enfers d’un peuple, sous le masque du droit. Depuis 1990, des dizaines de résolutions ont été prises par le Conseil de sécurité des Nations unie concernant l’Irak. Leur arbitraire perce si l’on en dégage les trois articulations principales.
La première étape a été celle du 2 août 1990. La communauté internationale ne peut sans réagir laisser s’accomplir l’invasion et l’annexion du Koweït (on eût aimé qu’elle ne laissât jamais s’accomplir aucune invasion ni annexion sans réagir…). Sur la base de l’article 41 de la Charte, le Conseil de sécurité décide, par la résolution 661, des sanctions économiques très larges : embargo sur les biens en provenance de l’Irak (et du Koweït annexé) et sur toutes les marchandises vers ces territoires ; gel des fonds irakiens. A cela s’ajoute, à partir de la résolution 670 du 25 septembre 1990, un blocus applicable à tous les moyens de transport. Bien que ce blocus, notamment aérien, soit lié à l’interdiction d’exporter et d’importer et n’aurait pas dû s’appliquer au transport des personnes, il a été étendu de telle manière qu’aujourd’hui encore on ne peut se rendre à Bagdad que par la route, depuis Amman, au prix de quinze heures de trajet à travers le désert.
Le but était clairement affirmé, contraindre l’Irak à respecter le paragraphe 2 de la résolution 660 qui exigeait son retrait du Koweït et le rétablissement du gouvernement légitime de cet Etat. Pour ce faire, sont décidées des mesures d’une extrême gravité. Asphyxiant l’économie d’un Etat, privant tout un peuple d’une part normale e ses activités, l’embargo a des conséquences profondes sur l’exercice des différents droits et libertés des individus.
Contraire aux engagements internationaux généraux en matière de commerce (notamment aux règles du GATT), ainsi qu’aux normes fondamentales de l’indépendance et de la souveraineté de chaque Etat, un blocus peut aboutir à des atteintes profondes aux droits de la personne s’il conduit à affamer une population, à la priver de soins indispensables, à accroître la mortalité, la malnutrition, le dysfonctionnement du système éducatif, etc. Il peut aussi plonger l’économie de certains pays jusque-là en relations étroites avec l’Etat châtié dans des difficultés considérables.
Il en résulte que les sanctions économiques doivent être utilisées avec précaution et ne sauraient en aucun cas déborder du temps nécessaire pour obtenir la cessation des faits punissables. Le 29 novembre 1990, par la résolution 678, le Conseil de sécurité décidait d’autoriser les Etats, à compter du 15 janvier 1991, à utiliser tous les moyens nécessaires, notamment la force armée, pour obtenir ce que l’on estimait alors inaccessible par les mesures économiques. En avril 1991, la guerre contre l’Irak était achevée, le Koweït libéré et son gouvernement restauré. Le respect des dispositions de la Charte devait conduire alors sans la moindre hésitation à faire cesser les sanctions économiques.
L’article 41 ne dit pas que le Conseil de sécurité peut décider arbitrairement des sanctions mais précise qu’il « peut décider quelles mesures n’impliquant pas l’emploi de la force armée doivent être prises pour donner effet à ses décisions… » Maintenir les sanctions une fois les décisions exécutées consiste à commettre ce que le droit désigne sous le nom d’excès de pouvoir. Or, au 3 avril 1991, date de la deuxième articulation importante d’un système de sanctions prolongées, la nouvelle et longue résolution adoptée par le Conseil de sécurité sous le numéro 687 présente une double faille logique telle que dans tout système juridique relevant d’un Etat de droit, elle conduirait le juge compétent à son annulation.
D’un côté, le Conseil de sécurité se félicite « du rétablissement de la souveraineté, de l’indépendance et de l’intégrité territoriale du Koweït, ainsi que du retour de son gouvernement légitime ». C’est un constat. De l’autre, il décide que, « lorsqu’il aura approuvé le programme dont il demande l’établissement au paragraphe 19 [concernant le fonds d’indemnisation des dommages de guerre] et aura constaté que l’Irak a pris toutes les mesures prévues aux paragraphes 8 à 13 [visant le désarmement total de l’Irak dans les domaines nucléaire, chimique, biologique et balistique], les interdictions énoncées dans la résolution 661 (1990) touchant l’importation de produits de base et de marchandises d’origine irakienne et les transactions connexes seront levées ».
La première proposition ne peut conduire le Conseil de sécurité qu’à une décision et une seule : la levée des sanctions puisque son pouvoir de punir n’est pas discrétionnaire mais finalisé. Rien de tel cependant, car la seconde proposition proroge le châtiment sous deux nouveaux motifs. Le Conseil de sécurité invoque le chapitre VII mais il ne dit pas quelle nouvelle menace contre la paix, rupture de la paix ou acte d’agression il a constaté de la part de l’Irak. Or seul ce constat pouvait le conduire à l’établissement de nouvelles sanctions.
En réalité, il y a eu substitution de faits punissables réels mais alors disparus par d’autres faits, éventuels et non encore échus : que l’Irak ne paierait pas les dommages de guerre qu’on lui impute [1] et que, par son niveau d’armement, cet Etat constituerait une menace contre la paix.
Si l’on avait procédé d’une manière juridiquement correcte, que l’on eût levé les sanctions d’août 1990 contre l’Irak parce qu’elles étaient devenues sans objet et que l’on eût ouvert le débat sur l’existence de nouvelles causes justifiant de nouvelles sanctions, aurait-on trouvé au sein même du Conseil de sécurité une majorité et dans l’opinion publique internationale un assentiment suffisant ? Quelles sanctions a-t-on jamais décidées contre les Etats-Unis pour non-paiement des dommages qu’ils causèrent au Vietnam ? Et tous les Etats armés sont-ils considérés comme menaçants ? Quel est le critère qui permet de conclure que certains d’entre eux doivent être désarmés ? Certainement pas le fait d’avoir occupé indûment un territoire, sinon l’Indonésie (pour Timor-Oriental), Israël (pour la Cisjordanie et Gaza), par exemple, devraient être désarmés.
C’est pourtant le paiement des dommages de guerre et le désarmement complet qui, depuis avril 1991, sont les nouveaux objectifs des sanctions économiques qui frappent l’Irak. Le gouvernement de celui-ci tenta longtemps de résister, mais son arrogance et son caractère provocateur s’émoussèrent peu à peu devant la dureté de l’embargo.
M. Saddam Hussein dut avaler toutes les humiliations d’un contrôle tatillon du Comité des sanctions. Contrôle bureaucratique et dérisoire sur l’embargo d’abord, aux dépens du peuple irakien et sans grand souci de ses besoins humanitaires et sanitaires, comme en témoignent les agences des Nations unies présentes à Bagdad, notamment l’Unicef [2]. Contrôle ensuite du désarmement exigé.
L’Irak, peu à peu, s’est plié. Mais les inspecteurs des Nations unies soulignaient en 1995 qu’il manquait les preuves formelles de l’usage fait au fil des années de 17 tonnes de produits biologiques livrés avant la guerre du Golfe. Servant aux examens de laboratoires pour les cultures bactériologiques, ces produits ont été dispersés dans différents centres de soins du pays. Fronçant le sourcil et soupçonnant quelque secrète usine d’armes bactériologiques, le Comité des sanctions refuse son feu vert à la levée de la punition ; comme il a privé pendant de longues années les écoles de crayons, car le graphite ainsi fourni à l’Irak pourrait constituer un danger pour le reste du monde [3].
C’est dans ce contexte absurde qu’est intervenue, le 14 avril 1995, la résolution 986, troisième articulation des sanctions maintenues même si, en apparence, elles sont partiellement levées. L’embargo n’a été relâché, dans un premier temps, que pour la vente d’une quantité limitée de son pétrole, dont le produit serait versé sur un compte-séquestre, les fonds déposés étant utilisés sous contrôle des Nations unies, avec obligation d’une certaine distribution des marchandises dans le pays ; du versement de 30 % des recettes au fonds d’indemnisation ; du financement de l’intégralité des dépenses afférentes aux inspections des Nations unies, à la Commission spéciale et au Comité des sanctions. Le principe de l’égalité souveraine des Etats est totalement ignoré. L’Irak est sous gouvernorat des Nations unies.
Au-delà du non respect de la souveraineté de l’Etat, on met aussi en cause les droits fondamentaux des individus, comme en témoignent toutes les organisations présentes à Bagdad ou y ayant effectué des missions [4]. Par leurs décisions arbitraires, les Etats membres du Conseil de sécurité sont en grande partie responsables des souffrances actuelles du peuple irakien et violent la Convention de Genève sur le droit humanitaire qui interdit d’affamer la population civile [5].
Le devoir impérieux de sauver des vies humaines est supérieur à toute autre obligation. Il découle des engagements pris par les Etats dans les pactes internationaux des droits de l’homme et s’impose à tous. C’est à ce devoir que le Conseil de sécurité a failli pendant plus de dix ans.
- Notes :
[1] : La résolution 687 impute à l’Irak tous les dommages de guerre, y compris ceux commis par d’autres que lui. Voir à ce sujet Brigitte Stern, « Les problèmes de responsabilité posés par la crise et la guerre du Golfe », dans Les Aspects juridiques de la crise et de la guerre du Golfe, Monchrestien, Paris, 1991.
[2] : UNICEF Emergency. Activities in Irak 1991-1995, Bagdad, Irak, janvier 1995.
[3] :Lire Eric Rouleau, « Le peuple irakien, première victime de l’ordre américain », Le Monde diplomatique, novembre 1994.
[4] : L’auteur s’exprime ici comme témoin, ayant participé en Irak, du 12 au 20 avril 1995, à une mission de l’Association européenne des juristes pour les droits de l’homme et la démocratie dans le monde.
[5] : Article 23 de la quatrième convention de Genève sur le droit humanitaire et article 54 du protocole de 1977.