1. Vive le vent, vive le
vent, vive le vent d'hiver... par David Torrez, citoyen de Gaza en
Palestine
Gaza, le vendredi 20 décembre 2002 - Il y a un
mois, alors que nous marchions sur la route de la mer, Nasser me demandait si je
voulais me baigner. La Méditerranée était ce matin-là un lac placide, l’eau,
transparente, laissait apparaître les rochers du fond, à quelques mètres de la
plage ; on était au début du ramadan… Depuis, l’hiver s’est installé à Gaza. Un
soir, son manteau gris a recouvert la ville, en un éclair il posa ses bagages ;
dans ses valises les vents froids et humides, les rafales pluvieuses, qui jouent
à couvrir de rides les mares qui s'étalent dans les rues. A cause d’eux, on ne
se déplace qu’en baissant la tête, en s’accrochant à sa capuche, en refermant
nerveusement son blouson. Ils s’engouffrent partout, renversent les citernes mal
fixées sur les toits de tôles de Shatti, tourbillonnent dans les patios,
poussent les gouttes de pluie jusque dans les moindres fissures des murs, ils
les enfoncent dans les joints de fenêtres, l’eau suinte des murs froids, imbibe
matelas et tapis.
L’hiver a changé la géographie de Gaza. Là où la rue était
un long ruban de sable blond il a fait surgir un fleuve puissant qui en quelques
jours a creusé de larges vallées, peu profondes ou l’eau s’écoule lentement,
mais ailleurs aussi des rapides, étroits et sinueux, qu’on traverse d’un bond.
La rue devient un paysage complexe, les rivières se rejoignent pour en former de
plus grosses, leur cours sinueux dessinent leurs courbes autour d’îles éphémères
; plus bas, vers Shatti, privé de pente, le fleuve étale ses bras dans un delta
qui, quelques mètres plus loin, se concentre à nouveau pour dévaler le bitume.
Puis, après une course rapide, il ira se jeter dans la mer, juste à côté de la
maison de Yasser. Partout, sur les cours de ces eaux, le sable emporté laisse un
lit de galet quand l’éclaircie assèche les torrents. Et l’on voit de jeunes
hommes en tongues, le pantalon remonté à mi-mollet, traverser la rue, les pieds
dans l’eau glacée, un enfant dans les bras. Da ns une rue étroite, des
parpaings, posés à intervalles réguliers sur la chaussée, comme les piles d’un
pont qui n’existe pas, laissent passer les flots, pressés de traverser le camp.
Mais lorsque le ciel se vide sur la terre, la crue envahi l’espace entre les
maisons, la vie du camp se réfugie derrière des parois de parpaing, je rentre
chez moi. De temps en temps le bruit d’une taule qui se plie au loin brise la
monotonie de la soirée. Dehors on entend clairement le vent hurler, déchiré par
les arêtes grises des tours. Quand il reprend son souffle, on perçoit le
grondement de la mer et ses masses noires qu’elle écrase dans un fracas sourd
sur la plage.
A 100 kilomètres d’ici les soldats s’amusent dans leur char.
Aujourd’hui ils ont forcé un étudiant à se déshabiller, complètement, en plein
milieu de la rue. Puis il a du se mettre à quatre pattes et aboyer. Sur sa peau
aussi l’hiver a dessiné des courbes glacées…
Joyeux Noël à vous tous.
2. Aïd à Balata par
Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
Ramallah, le
mardi 10 décembre 2002 - Quatre jours sans école, le bonheur ! On vient
d'avoir quatre jours de vacances pour l’Aïd ! J'en ai profité pour oublier tous
mes livres... et prendre des cours de recettes palestiniennes. Je suis
incollable sur la maqloubé et je sais aussi faire le sahlab [boisson sucrée chaude à base de lait aromatimée à la
canelle, ndlr] ! D'ailleurs, j'ai bien rigolé en faisant le
sahlab : mes amis sont des réfugiés palestiniens. Ils touchent donc depuis des
dizaines d'années une aide alimentaire. Et on a fait le sahlab avec de la poudre
de lait provenant de l'aide alimentaire européenne !
Jeudi, premier jour de
l'Aïd : Je bulle, ça fait du bien…
Vendredi, 2ème jour de l'Aïd : Je bulle
toujours, ça fait toujours du bien... Quand même, je me réveille un peu dans
l'après-midi, et ce pour aller faire un tour chez des copains français qui sont
allés à Jérusalem et m'en ont ramené mon passeport muni d'un visa tout neuf !
Allah Akbar ! Je suis à nouveau en règle ! (ça fait 15 jours que je suis sans
papiers et que je fais la morte). Du coup, je change tous mes plans pour le
week-end. Sur un coup de tête, sans trop réfléchir, je décide de partir pour…
Naplouse et Balata ! Revoir tous ceux que j'aime là-bas, revoir la ville et le
camp de réfugiés.
Samedi matin : Réveil difficile… vers 11h. Coup de
fil à mon pote S. (qui est de Balata mais habite Ramallah). Il part vers 12h 30
pour Balata et je l'accompagne. Direction Qalandia : moi je peux passer le
check, mais pas lui : il a une carte d'identité palestinienne. Il ne peut « donc
» pas passer. On reprend un taxi et on contourne l'aéroport du coin (qui n'a
jamais servi), au vu et au su de l'armée israélienne dont nous croisons
plusieurs jeeps... On fait des tours et détours dans des chemins qui n'en sont
pas, avec la poussière qui rentre partout. On longe un mur en barbelés, le
nouveau Mur de la Honte, celui que Sharon veut installer sur la ligne verte.
Après 40 minutes, on
arrive... à Qalandia ! Oui, à l'endroit même où on
était avant, mais cette fois, on est de l'autre côté du check. En gros si
vous voulez, on a payé 10 shekels (15 francs), on a marché dans la poussière, on
a perdu 40 minutes pour faire...10 mètres !
Bref, check de Qalandia passé.
L'armée est partout. On cherche une voiture pour Naplouse. Il y en a un peu plus
loin, mais les soldats vérifient les cartes de ceux qui se dirigent par là-bas.
Mon pote S. n'est pas trop copain avec eux... :
- Viens, on va aller voir
s'il y a des voitures ailleurs !
Je le suis, pas trop convaincue... Chance !
Un taxi privé arrive à l'instant de Naplouse, il cherche 4 clients. Avec nous,
il en a déjà 2 ! On attend un peu, en mangeant un morceau. Un vieux monsieur
arrive, puis un jeune homme originaire d'Hébron. Ca y est, on part ! On roule à
vive allure. Ca fait des mois et des mois que je ne suis pas passée par là : Ca
a changé ! Encore plus de colonies, des grues pour la construction, et des
pancartes géantes écrites en hébreu qui apparemment vantent les avantages
d'habiter dans les colonies (je déduis le sens du sourire ravi des 4 membres de
la famille idéale [papa, maman, le garçon, la fille] qui posent, heureux, devant
une maison à toit rouge et pelouse verte (je pense au lac de Tibériade dont le
niveau baisse, et au Jourdain que je peux traverser en sautant à pieds
joints...).
On roule. Barrage, m... ! Mon copain a un coup de chaud (il a des
difficultés avec les israéliens), le jeune homme d'Hébron aussi… Un camion de
l'armée, des soldats qui jouent aux méchants et... qui obligent tous les
véhicules à se garer dans un champ ! Hé oui ! La sécurité d'Israël est à ce prix
: on doit stationner dans un champ. Et attention ! On entre en marche arrière
dans le champ ! Si on rentre en marche avant, ça fâche les soldats ! Va
comprendre, Charles.. Une fois garés, on doit sortir de la voiture, et se mettre
à genoux... Les hommes sont sommés de relever leurs chemises. On attend comme
des cons assis par terre !
Jamais été très patiente moi, et puis j'aime bien
comprendre pourquoi je fais certaines choses. Le vieux monsieur en a marre lui
aussi :
- Dis, toi, tu as un passeport étranger ?
- Oui je suis
française.
- Viens, on va dire au soldat qu'il y a un vieux et une française
!
- Ok !
On va vers la jeep, le vieux monsieur discute un peu, le soldat
mange un
cake aux raisins, et moi j'écoute.
- Bon allez, c'est qui avec
vous dans le taxi ?
Youpi ! On a gagné ! On donne vite fait les noms de mon
copain et du jeune homme d'Hébron et on file... un peu honteux quand même de
laisser les passagers des autres taxis à genoux... Mais bon, 30 minutes à
genoux, ça suffit, merde ! On roule...10 minutes.
Gros barrage. Des soldats
comme on en voit seulement en Israël : ils sont en kaki, avec un fusil
mitrailleur, mais se débrouillent quand même pour avoir un look à la Lenny
Kravitz ! Bref, les pétards, chez eux, c'est sûrement pas que pour les fusils.
Des babas-cool prêts à tuer quoi...
Mais nous, on a pigé… Le vieux monsieur
se fait un peu plus vieux qu'il ne l'est, et je glisse les identités des garçons
dans mon beau passeport 100% français. Et ça remarche ! Ils ne contrôlent pas
les garçons, et on repart aussitôt… pour faire 5 mètres ! Nouveau barrage...
Lassant, oui vraiment, c'est lassant. Mais cette fois, nouveauté : ce n'est pas
un barrage de l'armée mais un barrage de la police ! Ca change tout ! Cette
fois, ils ne peuvent pas arrêter les palestiniens. Les papiers de la bagnole
sont en règle, les clignotants et les stops aussi…
- Mais vous ne portez pas
vos ceintures de sécurité ! Nous aboie l'abruti en bleu et blanc (depuis que je
connais les flics israéliens, je regrette les français...)
- Ben non, on
vient de redémarrer, on était au check à côté !
- Faut avoir sa ceinture
avant de démarrer, c'est une faute, ça !
(Oh, ta gueule connard, hein !)
- Donnez-moi vos papiers, vous avez chacun une amende à payer... Ha, tu es
française, toi ? Bon, toi, t'as pas d'amende.
- Ben pourtant j'ai pas ma
ceinture…
- Oui mais bon...Enfin si tu continues, tu vas en avoir une aussi,
hein !
- Ok, ok. »
Mon pote S. est assis à l'arrière, au milieu. Y a pas
de ceinture.
- Moi j'ai une amende aussi ? Je ne peux pas mettre la ceinture,
il n'y en a pas…
- T'as une amende ! Et si tu continues, ce n'est pas 100,
mais 250 shekels que tu vas payer !
- Ok, ok.
On redémarre... en
confectionnant des confettis… Bon, la route, c'est déjà pas drôle, mais le plus
dur reste à faire : entrer dans Naplouse. Le check principal, faut même pas y
penser : S. ne pourra pas passer. Je garde un très mauvais souvenir de cet
endroit : la dernière fois que j'y suis venue, il y a plus d'un an, les soldats
m'avaient tiré dessus. On prend la route de Tell : environ 2 Km à pied… Je
savais bien que je n'aurais pas dû mettre mes chaussures neuves… Allez, une
ballade dans la montagne, ça fait pas de mal.
Au milieu de ces 2 km : un
check… Lassant, je vous dis .Des soldats qui demandent aux jeunes palestiniens
de soulever leurs chemises. S. se retrouve à moitié à poil… Notre technique est
désormais au point : sa carte d'identité est glissée dans mon passeport.
Quelques questions, et on passe finalement. Taxi de l'autre côté. Il y a encore
des check nous dit-on. On fait (encore !) des détours. On surplombe une sorte de
caserne avec plein de tanks, on s'enfonce dans la glaise, on passe entre des
oliviers. Presque une heure de route dans les chemins creux… Enfin Naplouse !
J'avais oublié à quelle point elle est belle cette ville ! J'avais oublié à quel
point je l'aimais ! Un autre taxi, pour Balata. Une nouveauté encore : une sorte
de barrière est installée depuis 2 jours. Elle sépare Balata du reste de la
ville. Aujourd'hui, elle est ouverte. On arrive chez S. ! Il est 18h. On
est partis à 12h 30. Ramallah-Naplouse : 45km.
S. m'invite à dîner chez ses
parents, puis je file retrouver tous mes copains, et parmi eux Samer, dont je
vous ai parlé récemment, et qui vient de passer 35 jours en prison. Je ne les ai
pas vus depuis un an, les retrouvailles sont émouvantes… On se raconte nos
différentes expériences des couvre-feux, des visites des soldats… Je passe la
nuit chez eux… Une nuit "calme" me disent-ils. Les deux frères mariés habitent à
l'étage. Trop dangereux de dormir là-haut. Ils dorment au rez-de-chaussée. Comme
les parents, les deux soeurs pas mariées, les deux frères pas mariés, une
vieille tante, un autre frère, sa femme et ses deux enfants. Et moi en plus.
Dans les camps, la place fait défaut. Les garçons dorment dans une pièce,
les filles dans l'autre ; on pose des matelas par terre, des couvertures et on
dort. Depuis un an, certaines pièces de la maison sont trop exposées aux tirs :
on ne peux plus y dormir. Saher, qui vient de rentrer d'Europe, me raconte sa
nuit d'horreur, quand ça mitraillait de partout et que les fenêtres volaient. On
écoute la télévision. Il est 23h. Hayed, tout jeune papa, descend et nous dit à
voix basse :
- Ils sont là ! Au coin de la maison !
- Eteignez les
lumières ! La télévision, vite !
- Planquez-vous !
On se tasse dans les
pièces du fond, on fait taire les enfants. Ahmad, deux ans, refuse obstinément
:
-Chut, Ahmad ! Ils vont t'entendre !
- Ils sont méchants !
La soirée
se poursuit, dans l'obscurité et à voix basse. On entend des chiens et quelques
bruits suspects, difficilement identifiables. Vers minuit, Hayed, qui guettait,
descend nous dire que la jeep stationnée au coin vient de partir… Ouf, on va
pouvoir dormir... Et surtout je vais pouvoir aller aux toilettes, moi ! Ca fait
une heure que j'ai une envie pressente, malheureusement pour moi, les toilettes
sont du côté de la maison exposé aux tirs !
Dodo, et réveil vers 10h. Comme
toujours en Palestine, la télévision est déjà allumée quand je me lève. Au
moment où j'émerge de mon sommeil, j'entends la douce voix de la présentatrice
de la chaîne arabe si décriée Al Jazireh parler de Jean-Pierre Rrraffarrrin
(roulez les "r"). Impossible d'être tranquille, décidément…
Je fais un tour
dans Naplouse, et ses destructions. Je revois des amis, et je repars vite sur
Ramallah. Cette fois j'ai de la chance : je voyage en voiture consulaire
française. La même route que samedi, mais cette fois, on met une heure
seulement. Mon pote S. reste quelques jours de plus chez lui à Balata. En ce
mardi matin, il était censé rentrer à Ramallah. Je l'ai eu au téléphone : il est
parti de Balata à 4 heures du matin, s'est fait prendre par l'armée et confisqué
sa carte d'identité. Il a dû vider son sac dans une flaque d'eau et attendre. Au
bout de quelques heures, son frère a été autorisé à partir. Lui non. Il est
resté seul avec les soldats. Ils l'ont forcé à se tenir debout sous la pluie et
dans le vent. "Les soldats riaient" m'a-t-il dit. "J'étais seul. J'ai cru qu'ils
allaient tirer." Vers 12h30, ils lui ont rendu sa carte en lui ordonnant
de rentrer chez lui à Balata. Il a essayé de leur dire qu'il devait se rendre à
Ramallah, où il travaille. Les soldats n'ont rien voulu savoir. Il est donc
retourné à Balata, et demain matin il tentera à nouveau sa chance... dans la
pluie, le froid et la peur au ventre.
Pas très loin de là, hier, une jeune
femme de 25 ans a été tuée par l'armée alors qu'elle circulait en voiture avec
son mari et sa mère qui eux ont été blessés.
3. En guise de voeux par Claude
Abou-Samra, citoyenne de Ramallah en Palestine
Ramallah, le jeudi
5 décembre 2022 - Premier jour de l'aïd, après le mois de ramadan. Rien ne
nous donne envie de fêter, mais nous nous plions au rituel des visites
familiales, pour dire à chacun "kull sanaa enta bkhrer ... " (que tu soies toute
l'année dans le bien ... ou dans la paix ...) selon la formule consacrée que
l'on a tendance, maintenant, à ponctuer d'un incertain "inch'Allah" car le bien
.... la paix ... ça existe ?
Chez la maman de Youssef nous recevons
l'invitation inattendue au mariage de Ghassan, un neveu, que l'on nous annonce
pour le troisième jour de la fête, ... inch'Allah ! C'est la troisième
tentative depuis les fiançailles en été qui n'ont pu être suivies du mariage
pour cause de couvre-feu ou d'impossibilité d'une des deux familles à se
déplacer, le fiancé vivant à Naplouse qui est à 50 kms du lieu de résidence de
la fiancée près de Ramallah. Or, la levée providentielle du couvre-feu à
Naplouse qui dure depuis des mois permet d'espérer d'organiser à la hâte cette
fête pour samedi.
Vendredi, le deuxième jour de la Fête est cruellement
endeuillé par l'agression de l'armée israélienne au camp de El Borej dans la
bande de Gaza : 10 morts, des dizaines de blessés, des destructions ....
Allons-nous faire ce mariage demain ?
Samedi, ceux qui ont pu venir ont fêté
modestement mais chaleureusement les mariés. Les mariages avec des centaines
d'invités et des orchestres, ça a existé mais c'était il y a longtemps... on a
oublié. On prolonge malgré tout le dimanche autour d'un repas que mes
belles-soeurs, comme toutes les femmes palestiniennes, ont le don de réussir
avec peu de choses en peu de temps. La fête a eu lieu, il faut maintenant
envisager le voyage du retour à Naplouse avant la réimposition probable du
couvre-feu sur la ville. Pour 50 Kms, il faut compter 3 à 4 heures pour les plus
chanceux, d'autres auront besoin de la journée, et un minimum de 90 shekels
(env. 15 euros) par personne (en temps "normal" - mais quand était-ce ?
Cela devait être 8 shekels ...) car il faut changer plusieurs fois de voiture et
faire des détours incroyables.
Tout en me disant que ces déplacements sont
insensés - peut-être parce que je n'ai pas le courage de le faire, je ne suis
pas allée à Naplouse depuis le 30 septembre 2000 - je reconnais qu'ils ont
raison de le faire. Ces moments en famille nous ont fait du bien, les mariés
sont heureux, la vie continue ...
Nous les quittons car nous ne voulons pas
rater un spectacle de danse de "Bara'em el-Funoun" prévu à Ramallah dans
l'après-midi. Annulé à plusieurs reprises pour cause de couvre-feu, on compte
bien le voir aujourd'hui. Le rideau s'ouvre sur une magnifique fresque peinte,
avec l'inscription en arabe au milieu de dessins naïfs de la phrase " TOUS LES
HOMMES NAISSENT LIBRES ET EGAUX" sous laquelle surgissent avec une grâce et une
vitalité extraordinaires les jeunes danseurs souriants, qui vont nous donner une
heure de vrai bonheur. Vingt cinq danseurs, garçons et filles de 8 à 15 ans, ont
pris la relève de la troupe "El Funoun" qui, lors de la première Intifada, nous
donnait les mêmes moments de joie et de réconfort. Ils ont répété pendant les
mois d'occupation, les bombardements, les destructions, les couvre-feux, pour
nous donner un spectacle d'une chorégraphie remarquable, du folklore palestinien
authentique et modernisé, des costumes éblouissants, où les danseurs se
produisent sur des musiques de Marcel Khalifé, de Fairuz, ou de compositeurs
locaux comme Suheil Khouri, Saïd Murad, Sabreen ... Pas de discours, juste
quelques mots, et cette chanson dédiée par son auteur "à ceux qui sont morts
pour que nous puissions vivre ... si toutefois nous restons en vie", applaudie
par un public enthousiaste. De l'humour au-delà de la peine, du travail bien
fait, une volonté farouche de vivre, d'exister, de danser ... la vie
continue. Plus comme "avant". Avant on savait faire la fête à certains
moments et pleurer à d'autres, maintenant on sait faire les deux à la
fois.
Pour répondre au déferlement de violence et de destruction qui s'abat
sur lui dans l'indifférence générale, le peuple palestinien résiste. Quelques
uns ont choisi de mourir debout pour sauver leur dignité en se sacrifiant avec
le sentiment du devoir accompli, d'autres, la majorité silencieuse,
accomplissent leur même devoir en continuant à vivre et à espérer. Alors,
puisque après l'Aïd arrivent Noël et la nouvelle année, il n'est pas dérisoire
de vous envoyer nos souhaits de Palestine "pour que vous viviez cette
nouvelle année dans le bien et la paix". La paix du coeur qu'il est possible de
connaître en temps de guerre, cet espoir de paix qui est, comme le dit
Mahmoud Darwish, le mal incurable dont souffre le peuple palestinien.
Réseau
1. Une introduction au
conflit israélo-palestinien par Norman Finkelstein (Septembre
2002)
[traduit de
l'anglais par Marcel Charbonnier](Norman Finkelstein
est né à Brooklyn en 1953, de parents survivants du camp de concentration nazi
d'Auschwitz. Il enseigne la théorie politique à la City University de New York.
Il a passé sa thèse de doctorat à Princeton sur la théorie du sionisme. Il est
l'auteur de nombreux ouvrages dont deux traduits à ce jour en
français, "L'industrie de l'Holocauste, réflexions sur l'exploitation de la
souffrance des Juifs", aux éditions La Fabrique - 2001 - et coécrit avec Ruth
Bettina Birn "L'Allemagne en procès, la thèse de Goldhagen et la vérité
historique", paru chez Albin Michel - 2000 - . Vous pouvez retrouver de nombreux
textes de Norman Finkelstein - en anglais - sur son site : http://www.normanfinkelstein.com.)Le
contexte
Afin de résoudre ce qu’il était convenu d’appeler « la
question juive » - c’est-à-dire le défi réciproque entre la répulsion pour les
Juifs, chez les Gentils (l’antisémitisme) et l’attrait des sociétés des Gentils
pour les Juifs (l’assimilation) – le mouvement sioniste chercha, à la fin du
dix-neuvième siècle, à créer un Etat très majoritairement, sinon totalement,
juif, en Palestine [1]. Le mouvement sioniste ayant conquis un pied à terre en
Palestine grâce à la publication par la Grande-Bretagne de la Déclaration
Balfour [2], le principal obstacle qui se dressait devant la réalisation du
projet sioniste était la population arabe indigène de la Palestine. En effet, à
la veille de la colonisation sioniste, la Palestine, dans son écrasante majorité
n’était pas juive : elle était peuplée d’Arabes, musulmans et chrétiens
[3].
D’un extrême du spectre sioniste à l’autre, il était clair, dès le
début, que la population arabe indigène de la Palestine ne dirait pas ‘amen’ à
sa dépossession. « Contrairement à ce que l’on prétend souvent, le sionisme
n’était pas aveugle à la présence des Arabes en Palestine », fait observer Zeev
Sternhell. « Si les intellectuels et les dirigeants sionistes ignoraient le
dilemme des Arabes, c’était avant tout parce qu’ils savaient parfaitement que ce
problème n’avait pas de solution dans la conception sioniste des choses… En
général, les uns et les autres se comprenaient très bien entre eux, ils savaient
que la mise en pratique du sionisme ne pourrait se faire qu’aux dépens des
Arabes palestiniens ». Moshe Shertok (par la suite : Sharett) repoussait avec
mépris les « espoirs illusoires » de ceux qui parlaient d’une « compréhension
mutuelle » entre « nous » et les Arabes, d’ « intérêts communs » et de « la
possibilité d’une unité et d’une paix entre les deux peuples frères. » « Il
n’existe pas d’exemple, dans l’Histoire », déclara Ben Gourion, en cadrant de
manière lapidaire le cœur du problème, « qu’une nation ouvre les portes de son
pays, non par nécessité… mais parce que la nation qui veut venir s’y installer a
manifesté son désir de le faire. » [4].
« La tragédie du sionisme », écrira
Walter Laqueur dans son ouvrage historique de référence, « fut qu’il apparut sur
la scène mondiale à une époque où n’existait plus aucun espace libre sur la
mappemonde. » Ce n’est pas tout à fait exact. En fait, il n’était plus
politiquement possible de créer de tels espaces : l’extermination avait cessé
d’être une option admissible, en vue de la conquête territoriale [5].
Fondamentalement, le mouvement sioniste n’avait de choix qu’entre deux options
stratégiques, pour atteindre son but : ce que Benny Morris a appelé « la méthode
Sud-Africaine » - « l’établissement d’un Etat d’apartheid, dans lequel une
minorité de colons règnerait sur une importante majorité indigène exploitée » -
ou la « méthode du transfert » - « vous pouviez créer un Etat juif homogène ou
tout au moins, un Etat avec une écrasante majorité juive, en déplaçant, en «
transférant » la totalité, ou la plupart, des Arabes, dehors » [6]
Première étape – « La méthode du transfert
»
Dans la première étape de la conquête, le mouvement sioniste jeta
son dévolu sur la « méthode du transfert ». En dépit d’un fatras rhétorique
autour de la volonté de « vivre avec les Arabes dans des conditions d’unité et
d’honneur mutuel, afin de transformer la patrie commune, avec eux, en une terre
florissante » (douzième Congrès sioniste, 1921), les sionistes, dès le début,
visèrent à les expulser. « L’idée du transfert a accompagné le mouvement
sioniste dès ses tous premiers balbutiements », relève Tom Segev. « La
‘disparition’ des Arabes se trouve au cœur du rêve sioniste, et elle est aussi
une condition nécessaire de son existence… A de rares exceptions près, aucun
sioniste ne remettait en question la nécessité désirable d’un transfert par la
force – ni son caractère moral. » L’essentiel était de ne pas rater le moment
opportun. Ben Gourion, réfléchissant à l’option expulsive à la fin des années
1930, écrit : « Ce qui est inconcevable en temps normal devient concevable en
des temps révolutionnaires ; si à ce moment-là l’opportunité est manquée et si
ce qui est possible en ces heures décisives n’est pas mené à bien – c’est tout
un monde qui est alors perdu. » [7]
L’objectif de ‘désapparition’ de la
population arabe indigène met en évidence un truisme virtuel enterré sous une
montagne de littérature sioniste apologétique : ce qui aiguillonnait
l’opposition des Palestiniens au sionisme n’était pas l’antisémitisme au sens
d’une haine irrationnelle des Juifs, mais bien la perspective – tout ce qu’il y
a de plus réelle – de se voir expulsés. « La peur de l’éviction territoriale et
de la dépossession », conclut judicieusement Morris, « fut le moteur essentiel
de l’opposition arabe au sionisme ». De la même manière, dans son étude
magistrale du nationalisme palestinien, Yehoshua Porath suggère l’idée que le «
facteur principal nourrissant » l’antisémitisme arabe « n’était pas la haine des
Juifs en tant que tels, mais l’opposition à la colonisation juive de la
Palestine. » Il poursuit, en avançant l’argument que bien que les Arabes
eussent, dans un premier temps, établi un distinguo entre les Juifs et les
sionistes, il était « inéluctable » que leur opposition à la colonisation
sioniste se muât en détestation de l’ensemble des Juifs : « Au fur et à mesure
que l’immigration (juive) s’intensifiait, l’identification de la communauté
juive (de Palestine) au mouvement sioniste suivait le même mouvement… Les
facteurs non-sionistes et antisionistes devinrent une minorité négligeable, et
il fallait une sérieuse dose de sophistication pour continuer à établir le
distinguo de naguère. Il était tout à fait déraisonnable d’espérer que la
population arabe, dans son ensemble, et le noyau d’insurgés qui en faisait
partie, continueraient à maintenir cette distinction. » [8]
Depuis ses
premiers remous, à la fin du XIXème siècle, et tout au long du raz-de-marée de
son insurrection, dans les années 1930, la résistance palestinienne se focalisa
constamment sur les deux piliers de la conquête sioniste : les colons juifs et
les colonies juives. [9] Des écrivains apologues du sionisme, comme Anita
Shapira, oppose la colonie juive, pacifique, au recours à la force. [10] En
réalité, la colonisation, c’était la quintessence de la force armée. « De
l’extérieur, le sionisme était vu comme recourant à l’emploi de la force afin de
réaliser des aspirations nationales », observe Yosef Gorny. « Cette force
consistait avant tout en la capacité collective de reconstruire un foyer
national (pour les Juifs) en Palestine. » Par l’implantation, le mouvement
sioniste ambitionnait – pour reprendre les paroles de Ben Gourion – « un alliage
parfait, idéal, entre la charrue et le fusil. » Plus tard, Moshé Dayan écrivit
dans ses mémoires : « Nous sommes une génération de pionniers ; sans le casque
de combat et le chargeur de la mitraillette, nous n’aurions pas pu planter un
seul arbre ni construire une seule maison. » [12] Le mouvement sioniste
présupposait, derrière la résistance palestinienne à la colonisation juive, un
antisémitisme générique (et génétique), des colons juifs « étant assassinés »,
déclara sans ambages Ben Gourion, « pour la seule raison qu’ils étaient juifs »
- manière pour lui de cacher au monde extérieur et aussi, de se cacher à
lui-même, les récriminations logiques et légitimes de la population
palestinienne indigène. [13] Dans le bain de sang qui en résulta, les parents et
amis martyrs du sionisme allaient, comme c’est le cas aujourd’hui pour les
parents et amis des martyrs palestiniens, revêtir de lustre et de fierté ces
sacrifices patriotiques. « Je suis très fier », déclarait avec emphase le père
d’une victime juive, « d’avoir été le témoin vivant d’un tel Evénement
historique. » [14]
Il convient de relever ici, afin d’éclairer la suite de
notre propos, que, depuis la période entre les deux guerres mondiales, jusqu’aux
premières années d’après-guerre, l’opinion publique occidentale n’était pas
autrement opposée au transfert de population, comme expédient (bien qu’extrême)
pour résoudre des conflits ethniques. Les socialistes français et la presse
juive européenne manifestèrent leur soutien à l’idée du transfert des Juifs à
Madagascar, pour résoudre le « problème juif » en Pologne, au milieu des années
1930. Le principal transfert forcé de population, avant la Seconde guerre
mondiale, fut mis en œuvre entre la Turquie et la Grèce. Décidé par le Traité de
Lausanne (1923) et approuvé et supervisé par la Ligue des Nations, ce
déplacement brutal de plus d’un million et demi de personnes finit par être
considéré par la majorité des responsables officiels en Europe comme un
précédent prometteur. Les Britanniques citèrent ce précédent heureux, à la fin
des années 1930, comme le Modèle à suivre afin de résoudre le conflit en
Palestine. Vladimir Jabotinsky, dirigeant sioniste de droite, encouragé par les
expérimentations démographiques des Nazis dans les territoires conquis (environ
un million et demi de Polonais et de Juifs avaient été expulsés et avaient été
remplacés par des centaines de milliers d’Allemands venus habiter à leur place),
s’exclama : « Le monde s’est habitué à l’idée de migrations massives, et on
dirait presque qu’il aime ça. Hitler – aussi odieux soit-il, à nos yeux – a
donné à cette idée une bonne réputation dans le monde entier. » Durant la
guerre, l’Union soviétique (de Staline) mena elle aussi à bien des déportations
sanglantes de minorités récalcitrantes, tels les Allemands de la Volga, les
Tchétchéno-Ingouches et les Tatars. Les sionistes travaillistes excipèrent des «
expériences positives » qu’avaient été à leurs yeux les expulsions gréco-turques
et soviétiques, afin de justifier l’idée du transfert des Palestiniens.
Rappelant le « succès » (appréciation signée Churchill) du transfert forcé et de
l’échange de population gréco-turc, les Alliés autorisèrent, à la conférence de
Postdam (1945), l’expulsion de quelque 13 millions d’Allemands d’Europe centrale
et orientale (près de deux millions de civils périrent au cours de cet horrible
déracinement). Il ne fut pas jusqu’au parti Travailliste britannique (de
gauche), qui ne prétendît, dans sa plate-forme programmatique pour l’année 1944,
que « les Arabes devaient être encouragés à se tirer » de Palestine, comme le
fit lui-même le philosophe humaniste Bertrand Russell, afin de laisser la place
à la colonisation sioniste [16].
En effet, dans l’Occident – cet Occident «
éclairé » - nombreux furent ceux qui en vinrent à considérer que le déplacement
de la population arabe indigène de Palestine était une conséquence inévitable du
progrès de la Civilisation. L’identification des Américains au projet sioniste
fut des plus aisées, étant donné que « l’ordre social du Yishuv [= la communauté
juive en Palestine} était édifié sur l’éthique de la « société de la frontière
», dans laquelle la colonie-implantation de pionniers fournissait l’exemple
édifiant à suivre ». Afin d’expliciter l’ « ignorance quasi totale du sort des
Arabes » par les Américains, un parlementaire travailliste britannique éminent,
Richard Crossman, expliqua, au milieu des années 1940 : « Après tout, le
sionisme n’est que la tentative des Juifs européens de bâtir leur vie nationale
sur le sol de Palestine, d’une manière tout à fait comparable à celle dont les
pionniers américains ont développé l’Ouest (Far West). Ainsi, les Américains
vont-ils accorder aux colons juifs en Palestine le bénéfice du doute, et
considérer les Arabes comme des aborigènes qui doivent s’incliner devant la
marche du progrès. » Opposant les Arabes « débraillés» aux colons juifs
intrépides qui avaient « mis en branle des forces révolutionnaires au
Moyen-Orient », Crossman lui-même professa son soutien au sionisme au nom du «
progrès social ». Le candidat libéral de gauche aux élections présidentielles
américaines, en 1948, Henry Wallace, compara la guerre de conquête des sionistes
en Palestine à « la lutte menée par les colonies américaines, en 1776. De la
même manière que les Anglais avaient ameuté les Iroquois, à l’époque des guerres
américaines, dans leur guerre contre les pionniers (républicains américains),
ils excitent aujourd’hui les Arabes (contre les sionistes « progressistes ») »
[17]
En 1948, le mouvement sioniste tira profit des « circonstances
révolutionnaires » offertes par la première guerre israélo-arabe - d’une façon
très comparable aux Serbes profitant des bombardements de l’Otan pour procéder
au nettoyage ethnique au Kosovo – pour expulser plus de 80 % de la population
indigène (750 000 Palestiniens), et du même coup atteindre son objectif, en
l’occurrence un Etat presque entièrement peuplé de Juifs, même si cet état ne
s’étendait pas encore – provisoirement – sur la totalité de la Palestine [18].
Berl Katznelson, connu pour être la « conscience » du sionisme travailliste,
n’en démordait pas : il continuait à affirmer que « jamais auparavant une
entreprise coloniale n’a(vait) été à ce point caractérisée par la justice et
l’honnêteté à l’égard d’autrui que l’œuvre que nous av(i)ons accomplie, ici, en
Eretz Israel. » Dans son épopée consacrée à la dépossession de la population
indigène américaine par les colons – The Winning of the West – Theodore
Roosevelt, de la même manière, concluait qu’ « aucune autre Nation conquérante
n’a jamais traité les sauvage propriétaires du sol avec une telle générosité que
l’ont fait les Etats-Unis ». Les récipiendaires de cette bienfaisance auraient
vraisemblablement une version bien différente de l’histoire à nous raconter…
[19].
Deuxième étape : « la méthode sud-africaine
»
La principale crainte des Arabes (et des Britanniques), avant et
après la guerre de 1948, était que le mouvement sioniste n’utilise l’Etat juif
taillé dans la Palestine comme tremplin pour leur expansion ultérieure [20]. En
réalité, les sionistes suivaient depuis bien longtemps une stratégie « par
étapes » consistant à conquérir la Palestine par appartements – stratégie qu’ils
allaient plus tard vilipender les Palestiniens de suivre. « La vision sioniste
ne saurait être accomplie en un seul coup », rapporte le biographe officiel de
Ben Gourion, « et singulièrement pas la transformation de la Palestine en un
Etat juif. L’approche par étapes, dictée par des circonstances qui n’étaient en
rien favorables, requérait la fixation d’objectifs qui eussent l’apparence de «
concessions ». Le mouvement sioniste accepta les propositions britanniques et
américaines de partage de la Palestine, mais seulement « comme une étape sur la
voie d’une implantation sioniste beaucoup plus étendue » (Ben Gourion) [21]. Le
principal regret des sionistes, à la suite de la guerre de 1948, fut d’avoir
échoué à conquérir l’ensemble de la Palestine. Plus tard, en 1967, Israël
exploiterait les « temps révolutionnaires » de la guerre de Juin afin de
parachever le travail [22]. Sir Martin Gilbert, dans sa brillante Histoire
d’Israël, affirmait que les dirigeants sionistes avaient toujours considéré, dès
le début, que les territoires conquis représentaient une « charge indésirable
qui pèserait lourdement sur les épaules d’Israël. » Dans une nouvelle étude,
unanimement reconnue, Six Days of War, (Six Jours de Guerre), Michael Oren
suggère l’idée que l’occupation du Sinaï, des hauteurs du Golan, de la
Cisjordanie et de Gaza « résulta dans une très large mesure du facteur chance »,
« des hasards et de l’impétuosité de la guerre. » A la lumière des impératifs
permanents du mouvement sioniste en matière territoriale, Sternhell observe
quant à lui, plus sobrement : « Le rôle de l’occupant, qu’Israël dut commencer à
assumer quelques mois seulement après sa victoire éclair remportée en juin 1967,
n’était pas le résultat de quelque erreur de calcul commise par les dirigeants
de l’époque, ni de la conjonction de circonstances fortuites. Non : il
s’agissait bien d’un pas supplémentaire vers la réalisation des ambitions
supérieures du sionisme. » [23]
Israël fut confronté, après l’occupation de
la Cisjordanie et de Gaza, au même dilemme qu’à l’aube du mouvement sioniste :
il voulait les territoires - pas leurs habitants. L’expulsion, toutefois,
n’était plus envisageable. Après les expériences brutales du nazisme,
accompagnées de la mise en application et de la planification d’une véritable
ingénierie démographique, l’opinion publique mondiale avait cessé d’accorder une
quelconque forme de légitimité aux transferts de population. La Quatrième
Convention de Genève, texte fondamental ratifiée en 1949, « prohibait (pour la
première fois) d’une manière non équivoque la déportation » de civils soumis à
une occupation militaire (articles 49,147) [25]. Il en découle qu’Israël opta,
après la guerre de juin 1967, pour la mise en application de la seconde des deux
options évoquées plus haut – l’apartheid. Ce choix allait s’avérer la principale
pierre d’achoppement sur la voie d’un règlement diplomatique du conflit
israélo-palestinien.
Le « processus de paix »
Immédiatement
après la guerre de juin 1967, l’ONU délibéra des modalités permettant de
réaliser une paix juste et durable. Un très large consensus, tant à l’Assemblée
générale qu’au Conseil de Sécurité, appelait au retrait d’Israël des territoires
arabes occupés par ce pays au cours de la guerre. La Résolution 242 du Conseil
de Sécurité rappela, dans son préambule, le principe fondamental du droit
international suivant : « … mettant l’accent sur l’inadmissibilité de
l’acquisition de territoires par la force armée. » [26]. En même temps, la
Résolution 242 appelait les Etats arabes à reconnaître le droit d’Israël « à
vivre en paix, à l’intérieur de frontières sures et reconnues, à l’abri des
menaces et des agressions armées. » Afin de satisfaire aux aspirations
nationales des Palestiniens, le consensus international finit par prévoir la
création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, après le
retrait d’Israël à l’intérieur de ses frontières antérieures à juin 1967. (La
242, quant à elle, se contentait de mentionner indirectement les Palestiniens,
en appelant à « la recherche (et l’obtention) d’une solution équitable au
problème des réfugiés. »)
Bien que le ministre de la Défense Moshe Dayan
reconnût en privé que la 242 exigeait son retrait total, Israël maintenait sa
position officielle, selon laquelle cette résolution autorisait des « révisions
territoriales » [27]. Le refus israélien, en février 1971, de se retirer
complètement du Sinaï, en échange de l’offre égyptienne d’un accord de paix,
conduisit directement à la guerre d’Octobre 1973 [28]. Les paramètres
fondamentaux de la politique israélienne relative aux territoires palestiniens
avaient été exposés dès la fin des années 1960 dans la proposition d’Yigal
Allon, un membre éminent du parti Travailliste, membre du Cabinet. Le « plan
Allon » préconisait l’annexion à Israël d’une partie de la Cisjordanie pouvant
aller jusqu’à la moitié, tandis que les Palestiniens se verraient confinés dans
l’autre moitié, divisés entre deux cantons non reliés entre eux, au nord et au
sud. Sasson Sofer aime à relever, généralement, l’ « ambiguïté fertile » de la
diplomatie israélienne – on pourrait parler plus justement de « cynisme créatif
» - consistant à « mettre en exergue le caractère sui generis de la question
juive afin d’asseoir la légitimité (de l’Etat juif, ndt), puis à mettre l’accent
sur la normalité de l’existence souveraine d’Israël en tant qu’Etat, auquel
devraient être accordés tous les droits et privilèges reconnus par la communauté
internationale à toute entité nationale. » Dans le cas d’espèce, Israël
demandait, à l’instar de tous les Etats souverains, l’entière reconnaissance –
parfois aussi qualifiée de ‘droit’ – à la conquête territoriale, au nom de la
souffrance des Juifs - sans équivalent historique - et en dérogation à la loi
internationale. Comme nous le montrons par ailleurs, l’invocation de
l’holocauste nazi joua un rôle crucial dans ce petit jeu diplomatique
[29].
Au début, les Etats-Unis soutinrent l’interprétation consensuelle de la
Résolution 242, en ne fermant les yeux que sur des ajustements « mineurs » et «
mutuellement consentis » de la frontière - non reconnue - entre Israël et la
Cisjordanie sous souveraineté Jordanienne [30]. Au cours d’échanges privés, très
vifs, avec les Israéliens, durant des efforts de médiation sponsorisés par l’ONU
et menés par Gunnar Jarring, en 1968 [31], les officiels Américains ne
démordirent pas de leur position, selon laquelle « les termes [frontières]
‘reconnues et sures’ signifiaient qu’il y avait possibilité d’ « arrangements de
sécurité » et d’une « reconnaissance » des nouvelles lignes de front comme
frontières internationales » et que ces termes « ne signifiaient en aucune
manière qu’Israël pourrait étendre son territoire afin d’y englober la
Cisjordanie et Suez, (même) s’il jugeait cette extension indispensable à sa
sécurité » et, aussi, qu’ « il n’y aurait jamais de paix aussi longtemps
qu’Israël tenterait de s’arroger des superficies importantes des territoires
occupés. » En le désignant explicitement par son nom, les Américains déplorèrent
le fait que le Plan Allon, même dans sa version la plus minimaliste, «
n’apportait aucune ouverture » et était « inacceptable, dans son principe même.
» [32]
La politique américaine, toutefois, effectuant un virage crucial (sous
l’administration Nixon-Kissinger) se réaligna sur celle d’Israël [33]. Exceptés
Israël et les Etats-Unis (et, à l’occasion, tel ou tel Etat client de ceux-ci),
la communauté internationale a soutenu, sans défaillir, tout au long du quart de
siècle écoulé, la solution « à deux Etats » : retrait total d’Israël des
Territoires occupés ; reconnaissance totale de l’Etat d’Israël par les pays
arabes ainsi que création d’un Etat palestinien à côté d’Israël. Les Etats-Unis
furent le seul pays à opposer leur veto aux résolutions du Conseil de Sécurité
adoptées en janvier 1976, puis en avril 1980, confirmant la préconisation de la
solution à deux Etats avalisée par l’Organisation de Libération de la Palestine
(OLP) et les pays arabes voisins. Une résolution de l’Assemblée générale, en
décembre 1989, sur les mêmes positions, fut adoptée à 151-3 voix (pas
d’abstention) : les trois votes négatifs ayant été ceux : d’Israël ; des
Etats-Unis et de Saint Domingue [34]. Lorsqu’on prend conscience ce lourd passif
de mépris (américano-israélien) total pour l’opinion internationale, il n’est
nullement surprenant qu’Israël ait posé sans ambages comme condition préalable à
toute négociation que les Palestiniens « abandonnassent leur exigence
traditionnelle » d’un « arbitrage international » ou d’un « mécanisme du Conseil
de Sécurité. » [35] Le principal obstacle empêchant l’annexion totale des
territoires occupés, c’était l’OLP. Mais, celui-ci ayant adopté la solution à
deux Etats au milieu des années 1970, il n’était plus possible de l’écarter en
l’accusant de n’être qu’une organisation terroriste vouée à la destruction
d’Israël. Et en effet, des pressions croissantes s’exercèrent sur Israël,
l’exhortant à rechercher un agrément avec l’ « approche du compromis » adoptée
par l’OLP. En conséquence de quoi, Israël envahit le Liban, où les dirigeants
palestiniens avaient leurs quartiers généraux, afin de tuer dans l’oeuf ce que
le spécialiste ès stratégie Avner Yaniv a pu qualifier de manière lapidaire d’ «
offensive de paix » ( !) de l’OLP. [36]
En décembre 1987, frustrés par
l’impasse diplomatique causée par l’obstructionnisme américano-israélien (à
l’ONU), les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza se soulevèrent contre
l’occupation : il s’agissait d’une insurrection civile et non-violente -
l’Intifada. La répression brutale d’Israël (à laquelle s’ajoutèrent les effets
désastreux de la direction inepte et corrompue de l’OLP) finit par aboutir à la
défaite du soulèvement. [37] Du fait de l’implosion de l’Union soviétique, de la
destruction de l’Irak et de la suspension des financements des pays arabes du
Golfe, les Palestiniens connurent un revers de fortune supplémentaire. Les
Etats-Unis et Israël saisirent cette opportunité afin de recruter au sein de la
direction palestinienne déjà vénale et désormais aux abois – « à la veille de la
banqueroute » et « dans une situation extrêmement affaiblie », dira Uri Savir,
chef négociateur à Oslo – les supplétifs palestiniens du pouvoir israélien.
Telle est la signification des accords d’Oslo signés en septembre 1993 : il
s’agissait de créer un bantoustan palestinien en faisant miroiter à Arafat et à
la direction de l’OLP les prérogatives et les privilèges du pouvoir, d’une
manière très semblable à celle dont avaient usé les Britanniques afin de prendre
le contrôle de la Palestine durant les années du Mandat, en utilisant le Mufti
de Jérusalem, Amin al-Husayni, et le Conseil Musulman Suprême (aux mêmes fins).
[38] Après Oslo, « l’occupation continua », écrit un observateur israélien «
ayant de la bouteille », Meron Benvenisti, qui poursuit : « même si c’était avec
une télécommande, désormais, et avec le consentement du peuple palestinien,
représenté par son « unique représentant » - l’OLP. » Benvenisti poursuit : « Il
va sans dire que cette ‘coopération’ basée sur le statu quo du rapport des
forces respectives n’était pas autre chose que la continuation - - déguisée - de
la domination israélienne et que l’autonomie palestinienne n’était qu’un
euphémisme politiquement correct pour désigner la bantoustanisation. » Le « test
», pour Arafat et l’OLP, d’après Savir, était de savoir s’ils « utiliseraient
leur pouvoir tout neuf afin de démanteler le Hamas et d’autres groupes violents
oppositionnels » qui osaient continuer à contester l’apartheid israélien.
[39
La politique israélienne de colonisation des Territoires Occupés au cours
de la décennie écoulée révèle le contenu réel du « processus de paix » mis en
œuvre à Oslo. Les détails sont donnés dans une étude exhaustive réalisée par
B’Tselem (Centre Israélien d’Information sur les Droits de l’Homme dans les
Territoires Occupés), intitulée : L’accaparement des terres. [40] En raison, en
tout premier lieu, de subventions très importantes accordées par le gouvernement
israélien, la population des colons juifs est passée de 250 000 à 380 000 au
cours des années ‘d’Oslo’, l’activité de colonisation connaissant un rythme plus
soutenu sous le mandat du Travailliste Ehud Barak que sous celui de Benjamin
Netanyahu, du Likoud. Illégales au regard du droit international, car
construites sur des territoires illégalement saisis à des Palestiniens, ces
colonies recouvrent aujourd’hui près de la moitié de la superficie de la
Cisjordanie. Elles ont été annexées à Israël sous de multiples prétextes (la loi
israélienne s’applique non seulement aux Israéliens, mais également aux Juifs
non-Israéliens résidant dans les colonies) et interdites aux Palestiniens non
munis d’une autorisation spéciale. En fragmentant la Cisjordanie en enclaves
disjointes et non viables, les colonies ont empêché tout développement
significatif de l’économie palestinienne. Dans certaines parties de la
Cisjordanie et de Jérusalem Est, les seuls terrains constructibles sont sous
juridiction israélienne, tandis que la consommation d’eau des 5 000 colons de la
vallée du Jourdain équivaut à 75 % de la consommation totale des deux millions
d’habitants palestiniens de la Cisjordanie. Pas une seule colonie n’a été
démantelée durant les années ‘Oslo’, tandis que le nombre de nouvelles unités
d’habitation, dans les colonies, croissait de plus de 50 % (sans tenir compte de
Jérusalem Est) ; là encore, la plus importante floraison de constructions
nouvelles ne s’est pas produite du temps du gouvernement Netanyahu, mais bien
durant celui de Barak, précisément en 2000 – exactement à l’époque où Barak
prétendait « ne pas avoir laissé une seule pierre sans la retourner » tant était
intensive sa quête de la paix !
« Dans les territoires occupés, Israël
a instauré un régime de séparation (apartheid) fondé sur la discrimination, en
appliquant deux système juridiques différents dans une même zone territoriale et
en faisant dépendre les droits des individus de leur nationalité », conclut
l’étude de B’Tselem. « Ce régime est unique en son genre, dans le monde entier,
et il rappelle les régimes détestables aujourd’hui disparus, tel le régime
d’apartheid de l’Afrique du Sud. »
Durant les dix-huit premiers mois du gouvernement Sharon,
au total 44 colonies nouvelles – fustigées par la Commission des Droits de
l’Homme de l’ONU comme « des provocations destinées à mettre le feu aux poudres
» - ont été construites [41]. Tandis que les colonies se multiplient, Israël
cantonne les Palestiniens de Cisjordanie dans huit parcelles de territoire,
entourées chacune de fil de fer barbelé, un permis spécial étant requis pour
tout déplacement ou pour toute activité commerciale entre elles (les camions
doivent décharger leur marchandise à la ‘frontière’ et la marchandise doit être
rechargée sur d’autres camions, de l’autre côté, dans un système dit «
back-to-back » (litt. : ‘dos à dos’)). Il en résulte une aggravation
supplémentaire de la situation d’une économie palestinienne dans laquelle le
chômage atteint désormais plus de 70 % dans certaines régions, où la moitié de
la population vit au-dessous d’un seul de pauvreté fixé à
2dollars/jour/personne, et où un enfant de moins de cinq ans, sur cinq, souffre
de malnutrition, largement causée – d’après un rapport de l’organisme américain
USAID – par les entraves mises aux transports. « Ce qui est vraiment terrible »,
déplorait un journaliste de Ha’Aretz, « c’est la manière complètement blasée
avec laquelle les mass media ont traité ces informations… Où est l’indignation
de l’opinion publique devant cette tentative de saucissonner les territoires et
d’imposer des laissez-passer… et d’humilier et harceler une population qui a les
plus grandes difficultés pour gagner de quoi vivre et mener une existence
normale ? » [42]
Après sept années, cahin-caha, de négociations, après une
succession de nouveaux accords intérimaires qui s’arrangèrent de manière à
piquer aux Palestiniens les quelques miettes tombées de la table du maître de
maison, à Oslo [43], le moment de vérité arriva, à Camp David, en juillet 2000.
Le président américain William (Bill) Clinton et le Premier ministre israélien
Barak présentèrent à Arafat un ultimatum lui donnant le ‘choix’ entre accepter
de manière formelle le Bantoustan qui lui était offert ou, à défaut, assumer
l’entière responsabilité de l’effondrement du « processus de paix ». Arafat,
toutefois, refusa de déroger au consensus international sur les moyens de régler
le conflit. D’après Robert Malley, un négociateur clé, américain, à Camp David,
Arafat persista à en tenir pour un « Etat palestinien édifié dans le cadre des
frontières (internationales) du 4 juin 1967, vivant à côté d’Israël », tout en «
acceptant l’idée qu’Israël annexât des parties du territoire cisjordanien pour
arranger les colonies, bien qu’il insistât sur un échange de territoires
fifty-fifty (de territoires ‘de superficie et de valeur identiques’ – ce qui
revient exactement aux ajustements frontaliers ‘mineurs’ et ‘mutuels’ de la
position originelle des Etats-Unis sur la résolution 242. Le récit fait par
Malley de la proposition palestinienne à Camp David – une offre qui fut
immédiatement repoussée par Israël, mais rarement décrite – mérite d’être citée
in extenso : « un Etat d’Israël incorporant certains territoires conquis en 1967
et comportant une grande majorité de (ses) colons établis sur ces territoires ;
la plus grande Jérusalem juive de toute l’Histoire ; la préservation de
l’équilibre démographique israélien entre Juifs et Arabes ; la sécurité,
garantie par une présence internationale sous la supervision des Etats-Unis. »
En face, contrairement au mythe inventé par Barak-Clinton, ainsi que par des
médias plus que complaisants, « Barak offrit des apparences de souveraineté
palestinienne », observa un conseiller spécial du Foreign Office (Affaires
Etrangères britanniques), « tout en perpétuant l’asservissement des Palestiniens
». Bien qu’existent plusieurs versions de la proposition Barak, sensiblement
différentes entre elles, tous les observateurs au courant sont unanimes à dire
qu’elles auraient abouti à ce que « les territoires annexés par Israël seraient
allés très loin à l’intérieur du territoire de l’Etat palestinien » (Malley),
divisant la Cisjordanie entre plusieurs enclaves discontinues, de plus, cette
proposition offrait des échanges de territoires palestiniens contre des
territoires israéliens qui n’étaient ni de la même étendue, ni d’une valeur
équivalente. [44]
A cet égard, il est intéressant de se pencher sur la
réaction d’Israël au plan de paix proposé par les Saoudiens en mars 2002. Le
Prince régnant Abdullah a proposé – et l’ensemble des vingt et un autres membres
de la Ligue des Etats arabes ont approuvé – un plan qui offrait des concessions
qui allaient, en réalité, au-delà du consensus international. En échange d’un
retrait total d’Israël des Territoires, ce plan offrait non seulement une
reconnaissance sans réserve d’Israël, mais des « relations normales » avec lui,
il appelait non pas au « droit au retour » des réfugiés palestiniens, mais bien
plutôt à une « solution équitable » du problème des réfugiés. Un commentateur de
Ha’Aretz nota que le plan saoudien « ressemblait de façon frappante à ce que
Barak prétendait avoir proposé deux ans auparavant », à Camp David. Israël se
serait-il engagé à un retrait total en échange d’une normalisation de ses
relations avec le monde arabe, que le plan saoudien, avalisé à l’unanimité par
le sommet de la Ligue arabe (à Beyrouth) aurait été accueilli dans l’euphorie.
En fait, après un temps éphémère d’évitement et de silence, ce plan fut
rapidement déposé dans le ‘trou à mémoire’ d’Orwell. [45] Néanmoins, le faux de
Barak et Clinton, selon lequel les Palestiniens auraient rejeté, à Camp David,
l’offre la plus généreuse possible jamais faite par Israël offrit une couverture
morale décisive pour les horreurs qui allaient s’ensuivre.
Leçons tirées de l’Holocauste
nazi
En septembre 2000, les Palestiniens s’embarquèrent pour
une deuxième Intifada contre la domination israélienne. Dans le « raisonnement
gondolé » des Israéliens, à la suite d’Oslo, écrivit la journaliste Amira Hass,
du quotidien Ha’Aretz, immédiatement après la résurgence de la résistance, « les
Palestiniens étaient supposés enclins à accepter une situation de coexistence
dans laquelle ils étaient sur un pied d’inégalité vis-à-vis des Israéliens et
dans laquelle ils étaient catalogués comme des personnes ayant droit à moins, à
beaucoup moins, que les Juifs. Toutefois, à la fin des fins, les Palestiniens ne
voulaient pas admettre cet arrangement bancal. La nouvelle Intifada… est une
ultime tentative de placer un miroir devant la figure des Israéliens et de leur
dire : « Regardez-vous une bonne fois, et voyez à quel point vous êtes devenus
racistes. » Pendant ce temps, Israël, dont la politique de la carotte
initialisée à Camp David venait d’échouer, tendit le bras pour s’emparer du gros
bâton. Deux conditions devaient être remplies, toutefois, avant qu’Israël pût
étaler son écrasante supériorité militaire : le « feu vert » des Etats-Unis et
un prétexte suffisant. Déjà, durant l’été 2001, le Jane’s Information Group,
service de renseignements faisant autorité, avait fait état de l’achèvement par
Israël de la mise au point d’une invasion massive et sanglante des Territoires
Occupés. Mais les Etats-Unis objectèrent à sa mise en œuvre, et l’Europe
manifesta son opposition totale. Après les attentats du onze septembre (2001,
aux Etats-Unis), toutefois, les Etats-Unis franchirent le pas. Le but de Sharon
– écraser les Palestiniens – collait exactement à l’objectif de l’administration
américaine – exploiter l’atrocité du World Trade Center afin d’éliminer les
dernières poches de résistance arabe à une domination totale des Etats-Unis –
ou, pour reprendre la formulation lapidaire de Robert Fisk, « afin de ramener
les Arabes sous notre strict contrôle, de nous assurer de leur loyauté. » Grâce
à un extraordinaire déploiement de volonté et en dépit d’une direction à la
corruption babylonienne, les Palestiniens ont prouvé qu’ils étaient la force
populaire la plus résiliente et la plus récalcitrante et tenace dans le monde
arabe. Les mettre à genoux nécessiterait désormais d’infliger un traumatisme
psychologique dévastateur à l’ensemble de la région moyen-orientale
[46].
Ayant reçu le feu vert des Etats-Unis, tout ce dont Israël
avait désormais besoin, c’était du prétexte pour déchaîner sa répression. De
manière prévisible, il procéda à l’escalade dans les assassinats de dirigeants
palestiniens, à chaque accalmie dans les attentats terroristes (afin de relancer
le cycle infernal, ndt). « En dépit de destructions de maisons à Rafah et à
Jérusalem, les Palestiniens continuèrent à pratiquer une certaine retenue »,
observe Shulamit Aloni, du parti israélien (de gauche) Meretz. « Sharon et son
ministre des armées, craignant apparemment d’être contraints de retourner à la
table des négociations, décidèrent de faire quelque chose : ils liquidèrent
Ra’ed Karmi. Ils savaient pertinemment qu’il y aurait une riposte, et que nous
allions devoir payer le prix de cette « élimination » avec le sang de nos
concitoyens. » [47] Effectivement, il est hélas tout à fait authentique
qu’Israël a recherché cette riposte terriblement sanglante. Une fois que les
attentats terroristes eurent franchi le seuil déterminé à l’avance – et
ardemment désiré – Sharon put déclarer la guerre et commencer à annihiler la
population civile palestinienne, totalement sans défense.
Seuls les aveugles volontaires peuvent ne pas remarquer
que l’invasion par Israël de la Cisjordanie, en mars-avril 2002 (« Opération
Bouclier Défensif ») était la répétition, dans une très large mesure, de
l’invasion du Liban de 1982. Afin d’écraser l’objectif des Palestiniens (un Etat
indépendant vivant à côté d’Israël – vous savez, l’ « offensive de paix » de
l’OLP…), Israël avait entrepris de planifier, dès septembre 1981, l’invasion du
Liban. Pour lancer cette invasion, toutefois, Israël avait besoin du feu vert de
Washington, et d’un prétexte. A son grand dam et en dépit de multiples
provocations, Israël était incapable de provoquer une attaque palestinienne à sa
frontière Nord. Qu’à cela ne tienne : Israël procéda à l’escalade dans ses raids
aériens contre le Sud Liban et après un bombardement particulièrement meurtrier,
qui fit deux cent morts, tous des civils – dont soixante petits malades d’un
hôpital pédiatrique – l’OLP finit par répliquer, tuant un Israélien. Ayant
désormais son prétexte en main, et le feu étant passé au vert du côté de
l’administration Reagan, Israël procéda : il envahit… Utilisant le sempiternel
slogan « éradiquer la terreur », Israël procéda au massacre d’une population
civile sans défense, tuant quelque 20 000 Palestiniens et Libanais entre juin et
septembre 1982 – presque tous, des civils. On peut noter, à titre de comparaison
que, au mois de mai 2002, le chiffre israélien officiel des « Juifs qui ont
donné leur vie pour la création et la sécurité de l’Etat Juif » - c’est-à-dire,
le nombre total des Juifs qui ont péri (la plupart d’entre eux) en temps de
guerre, au combat, ou dans les attentats terroristes depuis l’aube du mouvement
sioniste, c’est-à-dire, voici cent vingt ans de cela, jusqu’à ce jour –
s’établit à 21 182 personnes. [48] [Même nombre de victimes en quatre mois (côté
arabe… au Liban seulement, et seulement en 1982) et en cent vingt ans (côté
israélien)…]
Afin de mieux réprimer la résistance palestinienne, un
officier supérieur israélien exhorta, au début de l’année 2002, l’armée à «
analyser… la manière dont l’armée allemande avait investi le ghetto de Varsovie,
et à en tirer les leçons » ! A en juger au carnage provoqué par l’armée
israélienne en Cisjordanie, le summum étant atteint avec l’opération Bouclier de
Protection – avec la prise pour cible d’ambulances palestiniennes et de
personnel soignant, de journalistes, l’assassinat d’enfants palestiniens « pour
se distraire » (Chris Hedges, ancien directeur du bureau du New York Times au
Caire), les rafles, les mains menottées et les bandeaux sur les yeux de tous les
Palestiniens (de sexe masculin) entre 15 et 50 ans), l’inscription de numéros
sur leur poignet, les tortures infligées de manière arbitraire aux Palestiniens
arrêtés, les privations de nourriture, d’eau, d’électricité et de soins médicaux
aux civils palestiniens, les attaques aériennes contre les quartiers
d’habitation palestiniens, l’utilisation de Palestiniens comme boucliers
humains, la démolition au bulldozer de maisons palestiniennes, parfois sur leurs
habitants qui s’y étaient mis à l’abri – il est évident que l’armée a suivi les
conseils de cet officier supérieur. Lorsque l’opération, soutenue par rien moins
que 90 % des Israéliens, fut enfin terminée, 500 Palestiniens avaient été tués
et 1 500, blessés. {49]
Une enquête de Human Rights Watch (Observatoire des Droits
de l’Homme) sur l’attaque israélienne du camp de réfugiés de Jénine, en avril
2002, a constaté que « l’armée israélienne a commis des violations graves du
droit humanitaire, dont certaines s’apparentent à première vue à des crimes de
guerre ». Quelque 4 000 Palestiniens, soit plus du quart de la population du
camp, sont devenus sans domicile à cause de « destructions qui allaient bien
au-delà de toute ‘justification’ technique sur les nécessités de creuser un
accès jusqu’aux combattants – destructions totalement disproportionnées par
rapport aux objectifs militaires recherchés. » Parmi les atrocités israéliennes
caractérisées, relevées par Human Rights Watch, celles-ci : « un paralytique âgé
de 37 ans a été tué lorsque l’armée israélienne a détruit sa maison au bulldozer
(tandis qu’il était chez lui), après avoir refusé à des membres de sa famille de
leur laisser le temps de le sortir de la maison » ; « un homme de 57 ans,
handicapé, condamné au fauteuil roulant… a été ‘abattu’ et un char a écrasé son
cadavre, sur une route importante, en dehors du camp… Bien qu’il y eût un
drapeau blanc attaché à son fauteuil roulant » ; des soldats israéliens ont
forcé une femme palestinienne, âgée de 65 ans, à rester exposée, sur la terrasse
de sa maison, en face d’une position de ‘Tsahal’, au beau milieu d’un combat où
étaient engagés des hélicoptères ». Un chercheur chevronné de Human Rights Watch
relève, de plus, que ce qui s’est passé à Jénine « ne différait sensiblement pas
de l’ensemble des attaques » opérées durant l’opération ‘Bouclier de Défense’,
dont les villes de Naplouse et de Ramallah ont souffert plus encore que toutes
les autres villes palestiniennes. [50]
Une chose est sûre : Ehud Barak a désapprouvé l’Opération
Bouclier de Protection. Mais pour morigéner Sharon, qui aurait dû agir, déclara
Barak, « beaucoup plus fortement ». En même temps, en rejetant toute critique
d’Israël au prétexte que toute critique ne saurait être que dictée uniquement
par l’antisémitisme, le Président Directeur Général de Holocaust Industry &
Co, Elie Wiesel, affirmait bruyamment son soutien inconditionnel à Israël – «
Israël n’a jamais rien fait d’autre que réagir… Tout ce qu’Israël a fait, Israël
devait le faire… Je ne pense pas qu’Israël soit en train de violer la charte des
Droits de l’Homme… La guerre, que voulez-vous, a ses règles propres, bien à
elle… » - soulignant, inlassablement, « la grande douleur et l’anxiété » subies
par les soldats israéliens n’accomplissant que « leur strict devoir ». En se
vantant de manière insupportablement cynique « de (‘leur’) avoir laissé (en
souvenir) un stade de foot » (en détruisant tout le centre du camp de Jénine),
l’un des pauvres soldats éprouvés, selon Wiesel, chargé de manœuvrer au
bulldozer à Jénine, racontera plus tard, à la presse : « Je voulais tout
détruire. Tout. J’ai supplié les officiers… de me laisser tout bousiller, de
fond en comble. De tout araser, de tout niveler… Trois jours durant, je n’ai
fait que détruire, détruire, et détruire encore… Je prenais mon pied à chaque
fois qu’une maison dégringolait, parce que je savais que cela ne leur fait ni
chaud ni froid, de crever, mais que de perdre leur tanière, ça, par contre, ça
les fait chier. Si vous butez une maison, c’est comme si vous ‘en’ mettiez une
quarantaine ou une cinquantaine (de Palestiniens) au trou pour des générations.
S’il y a une seule chose que je regrette, c’est de ne pas avoir réduit toute
cette merde de camp en charpie… J’ai pris un panard pas possible. Un vrai trip.
» Une enquête de l’organisation (israélienne des droits de l’homme) B’Tselem a
relevé que, de manière tout à fait signée, « non seulement les ordinateurs en
réseau du Ministère de l’Education ont été emportés, ce fut le cas aussi pour
les rétroprojecteurs et les magnétoscopes. D’autres équipements, dont des
téléviseurs et des armoires métalliques pleines de documents confidentiels et
irremplaçables, comme des dossiers scolaires d’étudiants, furent simplement
détruits sur place… Des disques durs d’ordinateur ont été volés à des
associations de la société civile qui avaient investi des années de travail et
des millions de dollars pour réunir leur documentation. C’était absolument
incroyable », a raconté un jeune conscrit israélien, « les types s’acharnaient à
casser et à voler… Le sergent major s’occupait de son côté de trouver un camion
et d’aider à y charger le ‘butin’. Tout cela, au vu et au su de tout le monde ».
Le tableau général, conclut B’Tselem, « est composé d’un assaut vengeur et
rageur contre tous les symboles de la société palestinienne et aussi, de
l’identité palestinienne. Cela, combiné avec ce qu’on ne peut que qualifier de
vandalisme : résultat du déchaînement de dizaines d’adolescents et de jeunes
hommes israéliens portant l’uniforme et auxquels on avait donné carte blanche
pour se déchaîner dans les villes palestiniennes, avec l’assurance qu’aucun
compte ne leur serait jamais demandé ». Le quotidien Ha’Aretz a écrit que les
soldats israéliens occupant Ramallah « on détruit même des dessins d’enfants »
au Ministère de la Culture… et « pissé et chié absolument partout » dans les
bâtiments du Ministère, réussissant même, pour les plus doués d’entre eux, à «
chier dans un photocopieur » - nul doute, au prix d’une « douleur » et d’une «
anxiété » extrêmes [51]…
En juillet 2002, Israël agit promptement afin de prévenir
encore une nouvelle catastrophe politique. Avec l’assistance de diplomates
européens, les organisations de la résistance palestinienne, dont le Hamas,
parvenaient à un accord aux termes duquel elles sursoyaient à toute attaque à
l’intérieur d’Israël, pavant ainsi possiblement la voie du retour vers la table
des négociations. Mais les dirigeants israéliens veillaient. Quatre-vingt-dix
minutes, à peine, avant l’heure convenue pour l’annonce de cet accord, qu’ils
connaissaient dans les moindres détails, ils donnèrent l’ordre à un bombardier
F-16 de lâcher une bombe… d’une tonne, sur un quartier d’habitation densément
peuplé, à Gaza, tuant, en plus d’un responsable du Hamas, onze enfants et cinq
autres adultes, et blessant cent quarante personnes… Comme prévu, la déclaration
fut déchirée et les attentats palestiniens recommencèrent de plus belle, car il
s’y ajoutait une lourde revanche, quoi que faiblement proportionnée au massacre.
« Qu’est devenue la sagesse ? » demanda à la Knesset un dirigeant du parti
Meretz. « Au moment précis où il semblait que nous étions sur le point d’obtenir
quelque chose qui ressemblait peu ou prou à un cessez-le-feu, ou à une action
diplomatique, nous régressons régulièrement de cette manière là – juste quand il
y a une période de calme, nous ‘liquidons’ ? ! ? » Toutefois, ayant décapité,
tué dans l’œuf une énième infâme « offensive de paix » palestinienne, cet assaut
meurtrier d’Israël était parfaitement calculé. Ne soyons nullement étonnés, par
conséquent, à l’évocation de l’appréciation – proprement historique - de Sharon
: « [ce raid] fut l’un de nos succès les plus éclatants. » [52] Le gouvernement
israélien enregistra encore une victoire politique majeure le mois suivant, en
empêchant des militants pacifistes israéliens de faire la liaison avec sept
cents de leurs homologues palestiniens à Bethléem. Depuis Bethléem, précisément,
la journaliste israélienne Amira Hass observait que très nombreux étaient les
Palestiniens à œuvrer en vue de l’ « ouverture d’un débat public afin de réduire
le soutien des Palestiniens aux attentats à l’intérieur d’Israël, sans même
attendre pour ce faire un quelconque changement dans la politique israélienne. »
« La manifestation commune, palestino-israélienne », poursuivait-elle, était «
un exemple de ce type de mobilisation et d’action. C’est uniquement parce qu’il
a été contré par les autorités israéliennes que cet effort a échoué. »
[53]
La menace d’expulsion (« transfert
»)
Le processus d’Oslo a été conçu, dès le départ, afin de
trouver une direction palestinienne crédible qui puisse camoufler l’apartheid
israélien : il fallait trouver (difficile…) une sorte de Nelson Mandela qui
voulût bien se prêter au jeu en interprétant le rôle du chef zoulou Buthelezi.
[54]. Camp David signa l’échec de cette stratégie-stratagème : Arafat refusa -,
disons plus exactement, ne put, à cause de la résistance populaire – jouer le
rôle qui lui était imparti. Sans une telle façade palestinienne assurant une
légitimité factice, la réalité de l’apartheid israélien sauterait aux yeux du
monde entier : cet apartheid ferait très rapidement l’objet des mêmes critiques
à boulets rouges que son prédécesseur sud-africain. « Si les Palestiniens
étaient Noirs, Israël serait un Etat paria, soumis à des sanctions économiques
impitoyables imposées par les Etats-Unis », écrivit dans un éditorial le London
Observer, après l’éclatement de la seconde Intifada. « Sa façon de développer
ses colonies et de créer de nouvelles implantations en Cisjordanie serait
considérée comme caractéristique d’un système d’apartheid, dans lequel la
population autochtone n’est autorisée à vivre que sur une minuscule portion de
son propre pays, dans des « bantoustans », les «Blancs » monopolisant les
ressources en eau et les fournitures d’électricité. Et, de la même manière que
la population noire n’était admise dans les territoires réservés aux Blancs, en
Afrique du Sud, que pour y être cantonnée dans des townships sordides et
misérables, ce qui avait soulevé la réprobation internationale, la
discrimination d’Israël à l’égard des Arabes israéliens – particulièrement
flagrante, en matière d’éducation et de logement – ne tarderait pas à être jugée
tout aussi scandaleuse. » Des personnalités consensuelles, appartenant à tout le
spectre des tendances politiques modérées, du conseiller du président Carter
pour la Sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, à l’archevêque anglican
d’Afrique du Sud, prix Nobel de la Paix, Monseigneur Desmond Tutu, ont formulé
des dénonciations similaires. « J’ai été très choqué par ma visite récente en
Terre sainte », déclara ainsi Desmond Tutu. « Cela m’a tellement rappelé ce qui
nous est arrivé, à nous, les Noirs, dans mon pays, l’Afrique du Sud. J’ai vu
l’humiliation des Palestiniens aux barrages militaires et aux checkpoints, je
les ai vus souffrir, comme nous souffrions, nous aussi, lorsque de jeunes
policiers blancs nous empêchaient de nous déplacer et de vaquer à nos affaires.
» [55]
Mais, paradoxalement, alors que l’apartheid n’est
désormais plus une option tenable pour Israël, l’expulsion peut de nouveau en
être une. Israël a adopté une stratégie d’apartheid après que de nouveaux
précédents survenus dans le droit international et dans l’opinion publique
mondiale eurent rendu impossibles les expulsions ethniques. Récemment,
toutefois, ces contraintes juridiques et morales ont connu un relâchement aussi
spectaculaire que dramatique. En particulier, depuis le onze septembre 2001
(attentats de New York et Washington), non seulement les Etats-Unis ont
carrément cessé de respecter et de défendre le droit international au moment
même où il était en train de se défaire, ils l’ont carrément déclaré
effectivement nul et non advenu. A la (notable) différence de leur dévastation
de l’Irak, en 1991, l’assaut des Etats-Unis contre l’Afghanistan a été lancé
sans qu’il y eût de quelconques sanctions de l’ONU explicites – non qu’ils
fussent incapables d’en obtenir le vote, mais parce qu’ils mettaient un point
d’honneur à s’en passer. A la différence de ses us et coutumes passés de coups
tordus et de légitimations de façade, telle l’opération de soutien aux « Contras
» du Nicaragua, afin de renverser des gouvernements étrangers exaspérants (pour
eux), les Etats-Unis parlent aujourd’hui effrontément de « changements de régime
». De plus, en proclamant la doctrine des guerres préventives, l’administration
Bush a porté un « coup mortel » à l’article 51 de la Charte de l’Onu interdisant
toute attaque armée, sauf en cas de menace imminente. « Depuis que Bush est aux
manettes », observe un journaliste du journal The Guardian, de Londres, « le
gouvernement des Etats-Unis a violé plus de traités internationaux et a ignoré
plus de conventions de l’ONU que l’ensemble du reste du monde ne l’a fait en
vingt ans. »
Ainsi, il a sabordé la convention interdisant les armes
biologiques en expérimentant, illégalement, des armes biologiques développées
secrètement. Il a refusé de garantir aux inspecteurs en armes chimiques un accès
libre à l’ensemble de ses laboratoires, il a coupé court à des tentatives de
lancer des inspections des armes chimiques en Irak. Il a déchiré le traité
interdisant les missiles balistiques, et il semble être sur le point de violer
le traité interdisant les tests nucléaires. Il a autorisé les commandos de choc
de la CIA à reprendre leurs opérations secrètes, du genre de celles qui
incluaient, par le passé, jusqu’à l’assassinat de chefs d’Etats étrangers. Il a
saboté le traité sur les armes conventionnelles, sapé la cour criminelle
internationale, refusé de signer le protocole sur le changement climatique et,
le mois dernier, il a tenté de bloquer les travaux de la convention des Nations
Unies contre la torture, afin de pouvoir continuer à interdire aux observateurs
étrangers de se rendre dans son camp d’internement de Guantanamo. Il n’est pas
jusqu’à sa mobilisation en vue de faire la guerre à l’Irak sans mandat du
Conseil de Sécurité de l’Onu qui ne constitue un défi au droit international
bien plus caractérisé que celui que Saddam Hussein, dit-on, lancerait de son
côté. [56]
Grâce au soutien inconditionnel et absolument crucial des
Etats-Unis, Israël est tout à fait capable de violer les conventions
internationales – comme en ont apporté la preuve le traitement méprisant et
humiliant qu’il a réservé à la mission d’enquête des Nations Unies qui devait se
rendre à Jénine (mais qui ne l’a pas fait car il lui manquait l’ «autorisation »
(sic) d’Israël pour ce faire ! (ndt)) et le passage au broyeur de documents les
accords d’Oslo, en réoccupant les zones administrés par l’Autorité palestinienne
en Cisjordanie. Des décideurs politiques influents, et même le doyen des «
nouveaux historiens » israéliens [57], Benny Morris, envisagent à voix haute
l’expulsion des Palestiniens. Morris, reprenant à son compte, de manière tout à
fait explicite, l’expulsion des Palestiniens – « un peuple malade, psychotique »
- dans l’éventualité d’une guerre, est allé jusqu’à proférer : « Ce territoire
est si petit qu’il n’y a pas assez de place pour deux peuples. Dans cinquante
ans, dans cent ans, il n’y aura qu’un seul Etat entre la mer (Méditerranée) et
le Jourdain. Cet Etat, ce ne peut être que l’Etat d’Israël ». D’après un sondage
récent de l’Institut israélien Jaffee Center for Strategic Studies, près de la
moitié des Israéliens sont partisans de l’expulsion des Palestiniens habitant la
Cisjordanie et la bande de Gaza, et près d’un tiers des Israéliens soutiennent
l’expulsion des Palestiniens citoyens d’Israël (trois cinquièmes des Israéliens
se contenteraient d’ « encourager » les Palestiniens citoyens d’Israël à aller
voir ailleurs.) [58]
Mais ce n’est pas tout : une autre menace, majeure, est
pendante. Tout au long de son histoire, le mouvement sioniste a fait des paris
insensés. La victoire semblait, en permanence, hors de portée. « L’Etat d’Israël
doit son existence », écrit Yael Zerubavel, « à ce discours éthique même qui
place l’engagement idéologique au-dessus de tous les calculs réalistes. » Et,
effectivement, à chaque croisée des chemins, un « miracle » - l’historiographie
sioniste est bourrée de « miracles »… - est venu sauver le sionisme : le «
miracle » de la Déclaration Balfour (dixit Ben Gourion) ; le « miracle » de la
Résolution de Partage de la Palestine (dixit Chaim Weizmann) ; la « miraculeuse
simplification des tâches pour Israël » qu’a représenté (aux yeux notamment de
Weizmann) la guerre de 1948 (puisque les Arabes ont fui…) (biblique, non ? ndt)
; le « miracle » de la guerre de Juin 1967 ; le « miracle » de la juiverie
soviétique. Une lecture attentive de la documentation historique montre,
toutefois, qu’il ne s’agissait pas de véritables miracles (en matière de
miracles, il faut se méfier des contrefaçons, ndt). Disons plutôt qu’en chacune
de ces occurrences, les sionistes ont exploité jusqu’à la corde une opportunité
historique ténue, une chance infime – vous vous souvenez, les « conjonctures
révolutionnaires » ?… - en mettant dans la bataille tous leurs atouts matériels
et humains. Le onze septembre n’a pas encore montré qu’il pouvait être une
occasion de ce genre ; cela peut encore venir. Le monde a accordé – soyons
honnête : s’est vu contraint d’accorder – aux Etats-Unis une sorte de période de
grâce durant laquelle ils peuvent se comporter ouvertement comme un Etat sans
foi ni loi. Voilà qui donne à Israël une rare opportunité (un « fenêtre de tir
», pourrait-on écrire, à juste titre, si on osait cet humour noir, ndt) pour
résoudre la question palestinienne, une bonne fois pour toutes : c’est un «
miracle » qui est seulement en train d’attendre son moment… Mis à part un
retrait total, le seul choix qui s’offre à Israël est entre : continuer à
tolérer les attentats terroristes ; ou expulser les Palestiniens. Il est très
difficile d’imaginer, toutefois, qu’Israël pourra absorber ces attaques
(palestiniennes, sur son sol, ndt) indéfiniment. La poursuite implacable des
attentats pourrait bien, aussi, tempérer la condamnation internationale
(d’Israël) qui ne manquerait pas de faire suite à une expulsion des
Palestiniens. [59]
Dût Israël essayer l’expulsion, il pourrait sans doute
compter sur le soutien de secteurs puissants en Amérique. Le chef de file de la
majorité à la chambre des Représentants, Tom DeLay, et le chef de la majorité,
Dick Armey, sont à l’origine d’une résolution soutenant la revendication par
Israël de la totalité de la « Judée-Samarie » ; Armey soutenant explicitement
que « les Palestiniens qui vivent actuellement en Cisjordanie devraient en
partir. » Le Sénateur James M. Inhofe (Oklahoma) a clamé que « la raison la plus
importante » pour laquelle les Etats-Unis doivent soutenir Israël est que «
c’est Dieu qui l’a dit… Voyez la Genèse… Verset (13:14-17)… Il ne s’agit en rien
d’une bagarre politique. Il s’agit de savoir si la Parole de Dieu est Véridique
ou non ! » Lorsque la Sénatrice Hillary Clinton, démocrate libérale de New York,
est venue en visite en Israël, il y a quelques mois, elle a été accueillie à
bras ouverts (y compris littéralement) par Benny Elon, le chef du Moledet, parti
dont la raison d’être officielle est le « transfert » des Palestiniens.
Lorsqu’on se tourne, maintenant, vers la juiverie organisée des Etats-Unis, le
tableau s’assombrit encore un peu plus. Un avocat respecté de Washington, qui
est aussi le dirigeant de la communauté juive de cette ville, Nathan Lewin, en a
appelé à l’exécution de tous les membres de la famille des Palestiniens ayant
commis un attentat suicide. Repoussant des critiques exprimées à l’encontre de
cette géniale idée humaniste, un éminent professeur de la Faculté de Droit de
l’Université Harvard, Alan Dershowitz, ainsi que le directeur national de
l’Anti-Defamation League (Association américaine dont la Licra est la
succursale, ndt), ont pris la défense de Lewin, qualifiant sa suggestion de «
tentative tout à fait légitime de proposer une politique à même de mettre un
terme au terrorisme ». Dans une audacieuse envolée que l’on pourrait qualifier
de « chantage à la mode de Lidice », Dershowitz en personne recommanda une «
nouvelle réponse au terrorisme palestinien » : la « destruction automatique »
d’un village palestinien entier après chaque attentat terroriste (ainsi que la
légalisation de la torture de suspects de menées terroristes). La proposition
Dershowitz, toutefois, manque de nouveauté. Israël a mis en application cette
stratégie de représailles meurtrières à l’encontre des civils arabes au début
des années 1950. Un massacre perpétré par un certain Ariel Sharon dans le
village de Qibya, qui entraîna la mort de quelque 70 villageois (en majorité,
des femmes et des enfants), fut comparé, en effet, au massacre de Lidice (par
les Nazis, en Tchécoslovaquie, ndt), par des journaux américains. Inspirés par
Dershowitz, un groupe d’anciens officiers et colons israéliens soutenus par une
association de bienfaisance pro-israélienne de New York a mis sur son site web
cette proposition ingénieuse de nature à faciliter le « transfert » : « Israël
n’a qu’à diffuser un avertissement disant qu’en riposte à tout attentat
terroriste, il nivellera un village arabe, sélectionné, par ordinateur, au
hasard, sur une liste préétablie et publique… L’utilisation de l’ordinateur pour
sélectionner le village désigné permettra de mettre les Arabes et les Juifs sur
un pied d’égalité. En effet, les Juifs ne savent pas à l’avance où les
terroristes vont frapper : de la même manière, les Arabes ne sauront pas, eux
non plus, lequel de leurs villages ou de leurs quartiers sera supprimé en
représailles. Que l’on y prête bien attention : le mot « supprimé » reflète très
précisément l’intensité de la riposte israélienne éventuelle. »
[60]
Pendant ce temps, le colossal faux propagandiste de Joan
Peters, From Time Immemorial, [De toute Eternité], ouvrage qui soutient que la
Palestine avait été désertée (par les Palestiniens) avant la colonisation
sioniste [61] a été republié en février 2001 : sponsorisé par les organisations
et les publications juives américaines, le livre occupa presque immédiatement la
première place au classement des bestsellers chez le libraire sur Internet
Amazon, place qu’il occupe d’ailleurs toujours. Après s’être évanouie dans la
nuit après la dénonciation de sa fraude, Mme Peters est « de nouveau très
demandée pour des conférences », et elle reçoit (dit-elle complaisamment
elle-même) « une réponse absolument merveilleuse, fantastiquement positive » de
son public. En sus de son bréviaire « What palestinian Land ? » (Quelle terre
palestinienne ? Où ça, une terre palestinienne ?), les multiples cordes à l’arc
d’expertise de Mme Peters se sont enrichies de « Worldwide Islamic Jihad » (Le
Djihâd islamiste mondial), « Terrorism » et « Religions Persecution by Muslims »
(Les persécutions religieuses musulmanes) ; cependant que son site internet
comporte cette sentence définitive extraite d’une de ses interview récentes – «
Les menottes et boulets d’Oslo doivent être détruits et jetés dans la poubelle
de l’Histoire » [‘The handcuffs ans shakles of Oslo must be destroyed and thrown
in the dustbin of history’.] Un film documentaire basé sur From Time Immemorial
est en cours de production. Avec une ironie incomparable, il sera intitulé « The
Myth »… [62]. Cet investissement sioniste en soutien aux affirmations absurdes
de Peters constitue, signalons-le en passant, un aveu bien involontaire de ce
que, eût la Palestine été habitée (ce qu’elle était, évidemment), l’entreprise
sioniste aurait été moralement indéfendable (…).
En affirmant que Sharon « a toujours affiché un plan très
clair – rien moins que débarrasser Israël des Palestiniens », l’historien
militaire respecté Martin van Creveld a fourni deux prétextes alternatifs pour
l’expulsion : a/ la diversion offerte par une crise mondiale, comme par exemple,
« une attaque américaine contre l’Irak ». A cet égard, il convient de rappeler
qu’en 1989, Benjamin Netanyahu avait exhorté le gouvernement israélien à
exploiter politiquement la conjoncture favorable offerte par le massacre de la
place Tiananmen à Pékin afin de mener à bien des expulsions « à grande échelle
», « car dans un tel moment, les dommages portés à l’image d’Israël auraient été
relativement réduits » ; b/ un attentat terroriste spectaculaire « tuant des
centaines de personnes ». Mise à part la regrettable probabilité importante que
les Palestiniens commettent une telle atrocité, il n’est pas impossible que
Sharon la provoque lui-même, si l’on en juge à ses états de sévices (pardon : de
service ! ndt).
Bien que « d’aucuns pensent que la communauté
internationale ne permettrait pas un tel nettoyage ethnique », van Creveld
conclut, très plausiblement : « Je n’en ferais pas le pari. Si Sharon décide de
foncer, le seul pays qui puisse l’arrêter, ce sont les Etats-Unis. Les
Etats-Unis, toutefois, se considèrent eux-mêmes en guerre contre des parties du
monde musulman qui ont soutenu Oussama Ben Laden. L’Amérique ne trouvera pas
nécessairement quelque chose à redire à ce que l’on inflige une bonne leçon au
dit monde musulman. » La principale crainte des Américains est que cette
expulsion ne déclenche une réaction dans la « rue arabe », qui renverserait
leurs régimes arabes clients. Mais, déjà à deux reprises, à la veille des
assauts contre l’Irak et l’Afghanistan, l’opinion des élites américaines avait
exprimé une crainte similaire. Dans les deux cas, elle s’est avérée infondée.
L’administration Bush pourrait tenter à nouveau sa chance, en croisant les
doigts, dans l’espoir que la « rue arabe » est bien une chimère. Dans Ha’Aretz,
Meron Benvenisti a exorcisé le scénario cauchemardesque que voici : « Un attaque
américaine contre l’Irak, malgré l’opposition arabe et mondiale et avec
l’engagement d’Israël – fût cet engagement seulement symbolique – entraîne
l’effondrement du régime hashémite en Jordanie. Israël met alors en application
la vieille « option jordanienne » - en expulsant des centaines de milliers de
Palestiniens au-delà du Jourdain. » En soulignant la vraisemblance d’une
expulsion profitant de la guerre, dans l’état de « dissolution morale » que
connaît actuellement Israël (« il n’y a jamais eu de meilleure opportunité »),
il conclut que « Personne ne pourra prétendre qu’il n’avait pas été averti. »
[63]
Reste la Question. Que faudrait-il faire afin d’imposer un
retrait effectif total à Israël et prévenir la survenue de la catastrophe qui
menace ? « La tendance de fond de la politique israélienne, et aussi du peuple
israélien… », observe le perspicace écrivain israélien Boas Evron, «… consiste à
résoudre les problèmes par la force et de considérer la force comme l’alpha et
l’oméga, plutôt que d’essayer, une fois seulement, histoire de voir… une
solution diplomatique et politique », et aussi « à ne voir dans les frontières
avec les Etats arabes voisins rien d’autre qu’une dimension, parmi d’autres, du
rapport de force ». Dans le même état d’esprit, Zev Sternhell avance que la
doctrine sioniste est « de ne jamais abandonner une position ou un territoire
sans y être contraint par une force supérieure. » A cet égard, il convient aussi
de se souvenir de ce que Creveld appelle « la position unique » occupée par les
valeurs militaires et martiales dans la société israélienne : « Si une
comparaison est possible, ce qui reste à voir, cela est comparable seulement au
statut dont jouissait les forces armées en Allemagne entre 1871 et 1945 ». (Le «
plus grand compliment que l’on puisse recevoir en Israël est celui d’être un «
combattant », et « le plus signalé compliment que puisse recevoir quelqu’un pour
un succès est de s’entendre dire : « vous avez mené cette affaire comme une
opération militaire » !) [64]. On peut raisonnablement en déduire qu’Israël ne
se retirera des Territoires Occupés que si les Palestiniens (et leurs
soutiens) parviennent à rassembler suffisamment de force pour changer le calcul
des coûts (de l’occupation), pour Israël : c’est-à-dire, s’ils sont capables de
rendre ce prix trop exorbitant à payer, pour les Israéliens. Les précédents
historiques étayent cette hypothèse. Israël s’est retiré de territoires occupés,
dans le passé, à trois occasions : il s’est retiré du Sinaï égyptien, en 1957,
après l’ultimatum d’Eisenhower ; il s’est retiré du Sinaï occupé, en 1979, après
la démonstration de force inopinément impressionnante des Egyptiens durant la
guerre d’Octobre 1973 ; et enfin, Israël s’est retiré du Liban à deux reprises,
en 1985 et en 2000, en raison des pertes que lui infligeait la résistance
libanaise (dont les « terroristes » de M. Jospin… ndt). Ajoutons à cela qu’il
semble bien que les élites au pouvoir en Israël ont sérieusement envisagé de se
retirer des Territoires durant les premières années de la première Intifada
(1987-1989), en raison des coûts imposés à Israël par l’insurrection
palestinienne, tant sur le plan international qu’au plan interne.
Ni une guerre conventionnelle, ni une guérilla ne semblent
des choix possibles, pour les Palestiniens. Le terrorisme – mis à part le fait
qu’il est répréhensible (même s’il n’a rien de surprenant) – ne fera pas bouger
Israël d’un pouce. Les élites israéliennes acceptent les victimes civiles, dans
lesquelles elles voient un prix à payer en contrepartie de leur pouvoir (même si
c’est regrettable). Elles ne sont affectées que lorsque l’armée israélienne
subit des pertes ou lorsque sa capacité de dissuasion est affaiblie. A cet
égard, l’évaluation faite par Sternhell de l’impact sur Israël de la seconde
Intifada est éloquente :
« Le nombre de victimes civiles israéliennes, au cours de
l’année écoulée, est très supérieur à celui des soldats tués ou blessés. Tout
bien examiné, l’armée israélienne est en train de mener une guerre de luxe :
elle bombarde des villages et des villes sans défense, et cette situation
convient parfaitement tant à elle-même qu’aux colons. Ils ont pleine conscience
que, si l’armée connaissait autant de pertes qu’elle en avait eues au Liban,
nous serions aujourd’hui en train de nous retirer des Territoires.
Nous percevons la mort de civils lors d’attaques aux armes
à feu ou lors d’attentats commis par des kamikazes fous en plein cœur de nos
villes, y compris la disparition de familles entières, comme un décret du sort
ou comme une sorte de loi de la nature. En revanche, la mort de soldats soulève
immédiatement les questions fondamentales suivantes : Quels sont les buts de la
guerre ainsi menée ? Pour quel objectif des soldats sont-ils en train de se
faire tuer ? Qui les a envoyés à la mort ? Aussi longtemps que les troupes de
conscrits ne paient pas un tribut trop lourd, aussi longtemps que les
réservistes ne sont pas rappelés massivement afin de protéger l’occupation et de
la défendre, la question du « pourquoi » n’est pas déterminante dans le
calendrier politique national. » [65]
Les précédents historiques ne manquent pas – depuis les
bombardements aveugles des Alliés contre l’Allemagne jusqu’aux bombardements
américains impitoyables au Vietnam – qui laissent présumer que la population
civile israélienne est peu susceptible de céder face au terrorisme. Le
terrorisme juif a certainement catalysé la décision britannique de mettre fin au
Mandat en 1947, mais la raison fondamentale en était l’insolvabilité financière
de la Grande-Bretagne au sortir de la Seconde guerre mondiale. [66]
A plus d’un égard, le recours actuel des Palestiniens au
terrorisme présente une ressemblance troublante avec la campagne terroriste des
sionistes contre l’occupation britannique, après la Seconde guerre mondiale.
Bien que dénonçant officiellement le terrorisme anti-britannique, Ben Gourion et
l’autorité sioniste qu’il présidait – l’Agence Juive – ne coopérèrent jamais
avec les Britanniques à l’arrestation de suspects et ils n’appelèrent jamais la
communauté juive à respecter la loi. D’un côté, Ben Gourion affirmait que, par
principe, il ne pouvait contribuer à mettre en vigueur les décrets d’une
occupation injuste. « Sans soutenir le moins du monde les actes (terroristes)
commis », écrivit-il aux officiels britanniques, l’ « Exécutif considère la
politique menée présentement par le Gouvernement Mandataire… comme étant la
première responsable de la situation tragique qui s’est installée en Palestine.
L’Exécutif ne saurait envisager tranquillement que l’on puisse lui enjoindre
d’apparaître dans la position présentée comme « enviable » d’être convié à
participer à l’imposition de cette politique. » De l’autre, Ben Gourion plaidait
la perte de contrôle sur une communauté juive qui ne pouvait plus accepter
l’occupation britannique… Un rapport d’évaluation britannique de l’époque
concluait que les responsables sionistes avaient fomenté le terrorisme juif,
mais aussi qu’ils ne parvenaient plus à l’arrêter : « En poussant le Yishuv (la
communauté juive en Palestine, ndt) à la rébellion par leur propagande
anti-britannique et anti-gouvernementale constante, ils ont à un tel point
enflammé les jeunes hommes juifs et les jeunes femmes juives que les
organisations terroristes juives ont reçu un coup de fouet, tant en matière de
recrutement que de sympathie et de soutien dans la population juive.
Aujourd’hui, l’Agence Juive découvre qu’elle n’est plus capable de faire un pas
en arrière sans perdre son ascendant sur la communauté juive, et elle est
poussée à encore plus d’extrémisme. Jusqu’à quel point coopère-t-elle avec les
organisations terroristes, voilà qui n’est pas défini… Il existe toutefois
certains indices que l’Agence Juive a eu connaissance préalable des différents
incidents qui se sont produits. » Des révélations ultérieures allaient confirmer
l’existence d’une telle coopération. Ainsi, par exemple, l’Agence Juive déplora
publiquement l’attentat terroriste de grande ampleur contre l’Hôtel King David
(à Jérusalem), qui entraîna la mort d’au moins 90 personnes, bien qu’elle eût
approuvé la prise pour cible de cet hôtel. La condamnation sioniste officielle
(de cet attentat), a écrit un historien, « contenait plus d’une once
d’hypocrisie et d’opportunisme ». [67]
« Ce qui était intolérable – et c’est ce qui était
déployé, dans les faits – c’était cette tentative de gagner sur les deux
tableaux », releva un parlementaire britannique travailliste pro-sioniste venu
sur place : « réclamer des droits constitutionnels pour l’Agence Juive, en tant
que collaboratrice loyale du Mandat et, en même temps, organiser le sabotage et
la résistance. » Tout en veillant à « rester dans le cadre de la légalité en
tant que président de l’Agence » en condamnant le terrorisme, Ben Gourion « n’en
tolérait pas moins le terrorisme comme méthode pour mettre la pression sur
l’administration mandataire. » Les dirigeants sionistes approuvèrent les
attentats sanglants pour une autre raison, aussi, d’après ce parlementaire
britannique : le terrorisme juif « conquérait le soutien populaire », « des
Juifs parfaitement honnêtes, en Palestine, ne pouvant pas s’empêcher d’admirer
peu ou prou les terroristes, et même de les aider lorsque ceux-ci leur
demandaient de les protéger et de les cacher chez eux. » Ben Gourion et l’Agence
Juive ne pouvaient pas faire autre chose que « soutenir le terrorisme », seul
moyen pour eux « d’éviter un glissement de l’opinion publique » vers les partis
sionistes extrémistes et donc, contre eux-mêmes. La seule manière de lutter
contre le terrorisme juif, concluait le parlementaire, consistait « à satisfaire
aux récriminations et aux revendications légitimes de tous les Juifs en
Palestine » et « d’évaluer objectivement… les causes historiques de l’apparition
et de la croissance de ce phénomène bestial chez un peuple civilisé. » Si les
Britanniques décidaient de satisfaire aux demandes des Juifs, ils pourraient «
compter sur le soutien des éléments modérés qui les aideraient à réduire le
terrorisme, et je suis persuadé que la majorité de la population (juive) se
retournerait contre les extrémistes. » Si, en revanche, les Britanniques
ignoraient les raisons sous-jacentes au soutien apporté par les Juifs au
terrorisme et s’ils se contentaient d’exiger « le remplacement de l’Agence Juive
par une autre organisation et le désarmement » de la résistance juive,
avertissait notre député, « ils ne feraient que provoquer les Juifs et les
inciter à apporter un soutien total, fanatique, aux extrémistes ».
[68]
Après que les Britanniques eurent imposé la loi martiale
en rétorsion contre de multiples attaques terroristes des Sionistes (« Les
atrocités perpétrées par ces Nazis ne pouvaient plus durer », allait écrire dans
un éditorial, peu après, le morne Times de Londres), Ben Gourion condamna avec
passion les mesures draconiennes prises par les Britanniques, les accusant
d’infliger une punition collective au peuple juif et de saper, en réalité, la
lutte contre le terrorisme. Ne serait-ce qu’en raison de ses échos
contemporains, cette dénonciation mérite d’être citée in extenso :
« Deux cent cinquante mille Juifs de Tel Aviv et
faubourgs, le noyau dur de la vie sociale et économique du pays, et trente mille
Juifs à Jérusalem, (vivant) essentiellement dans des quartiers ouvriers, coupés
de tout contact normal avec le monde extérieur, confrontés à l’effondrement
complet des mécanismes de la vie civilisée, à l’exception d’un ravitaillement en
comestibles de première nécessité et d’un embryon de services médicaux. Une
industrie amputée, un commerce paralysé, un chômage en passe de devenir
catastrophique. Les matières premières pour l’industrie n’entrent plus, les
produits manufacturés et les stocks disponibles ne peuvent être commercialisés à
l’extérieur. Des ouvriers renvoyés de leur emploi, des enfants chassés de
l’école. Ces restrictions n’ont ni affecté les terroristes ni mis un terme à
leurs outrages ; au contraire, elles n’ont fait qu’augmenter le ressentiment des
populations durement frappées, créant un terreau fertile pour la propagande
terroriste, et tuant dans l’œuf toutes les tentatives déployées par la
communauté (juive) elle-même de lutter, seule, contre le terrorisme. La loi
martiale (est) absolument futile et n’a aucun sens, à moins qu’elle ne vise en
réalité à punir une population entière, à ruiner son économie et à détruire les
fondations du Foyer National Juif. » [69]
Il faut aussi rappeler, cependant, que bien que les
attentats terroristes juifs (près d’une vingtaine par mois) aient causé des
centaines de morts et de blessés parmi les (militaires et administratifs)
Britanniques, ceux-ci « n’ont jamais tiré délibérément sur la foule », et «
aucun massacre de Juifs à grande échelle ne s’est jamais produit». « Des
colonies juives entières n’ont pas non plus été démolies à l’explosif. » La
raison de cette retenue relative des Britanniques, d’après van Creveld, était le
fait que « les Britanniques reconnaissaient que les Juifs constituaient une
ethnie « semi-européenne ». Par contraste, les Palestiniens souffrent du fait
d’Israël le sort fatal réservé aux non-Européens. [70]
Une révolte civile
palestinienne – non violente – reprenant de manière créatrice les acquis de la
première Intifada en synchronisation avec des pressions internationales – en
particulier américaines – représente sans doute le moyen le plus prometteur de
sortir de la crise actuelle. Cela pourrait désorienter et neutraliser l’armée
israélienne. L’une des préoccupations majeures d’Israël, durant la première
Intifada, était la perte de moral et d’élan de l’armée, et cela était dû au fait
que cette armée était occupée à réprimer par la violence toute une population
civile, et que s’amenuisaient les capacités de l’armée à mener une « vraie
guerre » pour laquelle on l’avait formée, engagée qu’elle était dans des «
opérations de police » (c’est l’original qui souligne) [71]. Une réserve de
soutien populaire à une telle stratégie de désobéissance civile existe peut-être
déjà. [72] Qu’une direction palestinienne vînt à mobiliser avec succès cette
société, il y a de bonnes raisons d’espérer que son message trouvera un écho
auprès d’un assez grand nombre d’Israéliens. Le mouvement des refuseniks, parmi
les conscrits israéliens, a suscité un débat national en Israël et, bien que
manifestant un soutien franc et massif à la répression brutale du général
Sharon, les Israéliens soutiennent toujours dans la même proportion le retrait
d’Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. [73]
Ce n’est que lorsque leurs intérêts vitaux seront en
danger ou lorsque l’opinion publique les aura contraints à le faire que les
Etats-Unis imposeront à Israël le retrait total. Pas avant. Il est encore
possible d’exercer sur eux des pressions de ce type. Le soutien à Israël parmi
les Américains ordinaire a connu un déclin marqué. [74]. Une campagne est en
cours – de la taille et de la profondeur du mouvement anti-apartheid en Afrique
du Sud – et elle ne fait que gagner en importance sur les campus universitaires
américains, qui vise à inciter les universités à désinvestir les capitaux
qu’elles ont pu placer dans des institutions israéliennes. Accordant sa stature
morale à cette campagne, l’archevêque Desmond Tutu a exhorté « les citoyens
ordinaires à se montrer à la hauteur de la responsabilité du moment que nous
sommes en train de vivre, les obstacles se dressant devant une action redoublée
absolument nécessaire ne le cédant qu’au caractère d’extrême urgence morale de
la nécessité de les surmonter. » [76] Et en effet, les Européens envisagent tout
un éventail d’actions, depuis le boycott au niveau des consommateurs jusqu’aux
embargos sur les armements destinés à Israël, tandis que des dizaines de
volontaires internationaux courageux (parmi lesquels de nombreux Juifs) se sont
rendus dans les Territoires occupés afin d’y protéger les civils palestiniens
contre les attaques de l’armée et des colons israéliens et de porter à la
connaissance du public les atrocités israéliennes. Les thuriféraires d’Israël, à
l’instar d’Elie Wiesel, déplorent ces initiatives, dans lesquelles ils
s’ingénient à voir une preuve de la résurgence d’on ne sait quel antisémitisme.
Démolissant des allégations similaires après l’invasion du Liban par Israël, en
1982, l’universitaire israélien respecté Uriel Tal (leur) répondait : « Les
hauts cris au sujet de l’antisémitisme qui, soit disant, relèverait sa tête
hideuse partout dans le monde, ne sert qu’à dissimuler le fait que ce qui est en
train de se désintégrer, dans le monde, c’est la position d’Israël, et
absolument pas celle des Juifs. Les accusations d’antisémitisme ne visent qu’à
enflammer le public israélien, à lui inculquer la haine et le fanatisme, à
cultiver une obsession paranoïde comme si le monde entier était en train de nous
persécuter et comme si tous les autres peuples, dans le monde entier, étaient
contaminés par ce prétendu antisémitisme, tandis que nous, Israéliens, serions
les seuls purs, les seuls immaculés. » Une chose est certaine : la situation des
Juifs dans le monde ne fera que se détériorer s’ils ne se désolidarisent pas
publiquement des crimes commis par Israël. Dans une dénonciation passionnée de
la politique israélienne actuelle qu’il accuse « de souiller de sang l’Etoile de
David », un député vétéran du parti Travailliste britannique, parlementaire juif
éminent, déplorait que « le peuple juif… est aujourd’hui symbolisé dans le monde
entier par le brute épaisse Ariel Sharon, ce criminel de guerre impliqué dans
l’assassinat de centaines de Palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et
Chatila, et à nouveau, aujourd’hui, impliqué dans les tueries de Palestiniens. »
[77]
« Désormais, chaque matin, je me réveille, tout près de la
Méditerranée, à Beyrouth, avec un sentiment de fort mauvais augure », nous
confiait l’année dernière Robert Fisk, le correspondant d’un grand quotidien
britannique au Moyen-Orient, connu pour y voir clair. « Un ouragan de feu se
prépare. Nous en ignorons béatement l’approche ; et même, en réalité, nous la
provoquons. » [78] En dehors du fait qu’elle représente une abomination morale,
l’expulsion des Palestiniens est susceptible de déclencher une réaction en
chaîne dans le monde arabe, à côté de laquelle le 11 Septembre sera de la petite
bière. Mais il est encore à portée de notre main de nous emparer de
l’opportunité donnée par ces temps éminemment troublés afin d’imposer une paix
équitable et durable pour Israël et pour la Palestine.
-
NOTES :
[1] Voir Norman G. Finkelstein, Image and Reality of the
Israel-Palestine Conflict (New York: 1995) pp.
7-12. (dans la suite du texte
: I&R). L’Etat juif envisagé ne tolérerait pas une minorité arabe dépassant
15 % de la population totale. (Simha Flapan, The Birth of Israel (New York:
1987), p. 104.
[2] Pour les répercussions, cruciales, pour le mouvement
sioniste, de son pari sur la Grande Bretagne, voir I&R, pp. 16-20.
[3] Voir I&R, chapitre 2
[4] Zeev Sternhell, The Founding Myths of
Israel (Princeton: 1998), pp. 43-4. Benny Morris, Righteous Victims (New
York: 1999), p. 91 (Shertok). Simha Flapan, Zionism and the Palestinians
(London: 1979), p. 143 (Ben-Gurion). Pour plus de débat et de
documentation voir I&R, pp. 98-110.
[5] Walter Laqueur, A History of
Zionism (New York: 1976), p. 597 (discussion, voir I&R, p. 198,
note
13). L’annexion totale du territoire conquis avait elle
aussi cessé d’être une option possible, en raison essentiellement de la décision
de la Grande Bretagne de publier la Déclaration Balfour (voir Isaiah
Friedman, The Question of Palestine (New Brunswick, NJ: 1992), en particulier
aux pp. 175, 188-9, 288).
[6] Benny Morris, "Revisiting the Palestinian
exodus of 1948," in Eugene L. Rogan and Avi Shlaim (eds), The War for Palestine
(Cambridge: 2001), pp. 39-40.
[7] Yehoshua Porath, The Emergence of the
Palestinian-Arab National Movement, 1918-1929 (Frank
Cass: 1974), p. 147
(Congress). Tom Segev, One Palestine, Complete (New York: 2001), pp.404-5;
cf.
pp. 403, 406-7, 508. Morris, "Revisiting the Palestinian exodus,"
p. 42 (Ben-Gurion); pour le calendrier des opérations, voir aussi Shabtei
Teveth, Ben-Gurion and the Palestinian Arabs (Oxford: 1985), p. 35. Pour plus de
discussion et de documentation sur les plans d’expulsion des sionistes, voir
I&R, pp. 16, 103-4, et en particulier Morris, Righteous Victims, pp. 139-44,
168-9.
[8] Morris, Righteous Victims, p. 37. Porath, Emergence, pp. 59, 62.
[9] Neville J. Mandel, The Arabs and Zionism (Berkeley: 1976), p. 40.
Yehoshua Porath, The Palestinian National Movement: From Riots to Rebellion
(London: 1970), pp. 91-2, 165-6, 297.
[10] Voir : I&R, chap. 4.
[11]
Yosef Gorny, Zionism and the Arabs, 1882-1948 (Oxford: 1987), p. 176; pour une
analyse détaillée de la thèse de Gomy, voir I&R, chap. 1. Teveth,
Ben-Gurion, p. 155.
[12] Uri Ben-Eliezer, The Making of Israeli
Militarism (Bloomington: 1998), p. 89 ("fusion") (cf. p. 62). Martin Gilbert,
Israel: A History (New York: 1998), p. 312 (Dayan). Pour la discussion,
voir I&R, p. 106.
[13] David Ben-Gurion, My Talks with Arab Leaders (New
York: 1973), p. 3. (Pour l’aveu privé par Ben Gourion des vrais raisons
motivant les attaques arabes, voir I&R, pp. 108, 110.) Norman G.
Finkelstein, The Holocaust Industry (New York: 2000), pp. 49-53, 62-3.
[14]
Segev, One Palestine, p. 182.
[15] Saul Friedlander, Nazi Germany and the
Jews, vol. I (New York: 1997), p. 219. Sur les schémas de réinstallation,
voir Michael J. Cohen, Churchill and the Jews (London: 1985), pp. 236, 249-51,
and Philippe Burrin, Hitler and the Jews (New York: 1989), pp. 59-61.
[16]
Pour les transferts de population de l’entre-deux guerres à la période d’après
Seconde guerre mondiale, voir Joseph B. Schechtman, European Population
Transfers, 1939-1945 (New York: 1946), et Postwar Population Transfers in
Europe, 1945-1955 (Philadelphia: 1962), Alfred M. de Zayas, Nemesis at Potsdam
(London: 1977),
Andrew Bell-Fialkoff, Ethnic Cleansing (New York: 1996),
Norman M. Naimark, Fires of Hatred (Cambridge: 2001). Segev, One
Palestine, pp. 406-7 (Jabotinsky) (voir aussi : Gorny, Zionism, pp. 270-1). Voir
: I&R, p. 103 pour « une expérience positive » ; Nur Masalha, Expulsion of
the Palestinians (Washington: 1992), pp. 157-61 (Parti Travailliste).
Bertrand Russell, "The Role of the Jewish State in Helping to Create a Better
World" (1943), repris in Zionism (1981).
[17] Sasson Sofer, Zionism and the
Foundations of Israeli Diplomacy (Cambridge: 1998), p. 367 ("ordre social ,
social order"). Richard Crossman, Palestine Mission (London: 1947), pp.
33, 152, 167. Kenneth Ray Bain, The March to Zion (London: 1979), p. 35
(Wallace) (cf. pp. 34-6 pour l’identification par les Américains de la conquête
sioniste avec la conquête américaine de l’Ouest). Pour une comparaison détaillée
entre l’entreprise sioniste et la conquête de l’Ouest américain, voir I&R,
pp. 89-98, et en particulier Norman Finkelstein, The Rise and Fall of Palestine
(Minn.: 1996), pp.104-21. (dans la suite du texte : R&F)
[18] Voir
I&R, chap. 3; pour plus de preuves étayant l’argumentation de ce chapitre,
voir Laila Parsons, "The Druze and the birth of Israel," in Rogan and Shlaim,
War, chap. 3, ainsi que Ben-Eliezer, Making, pp. 170-81. Pour les
comparaisons, évoquées récemment par les Israéliens consensuels avec l’expulsion
des Albanais pratiquée par les Serbes (Kosovo), voir Finkelstein, Holocaust, pp.
70-1.
[19] Sternhell, Founding Myths, p. 173 (Katznelson; pour le soutien de
Katznelson au transfert forcé, voir p.176). Theodore Roosevelt, The
Winning of the West (New York: 1889), vol. 4, p. 54.
[20] Wm.
Roger Louis, The British Empire in the Middle East, 1945-1951 (Oxford: 1984),
pp. 117, 448, 614. Michael J. Cohen, Palestine and the Great Powers,
1945-1948 (Princeton: 1982), pp. 197-8, 201.
[21] Voir : I&R, pp. 10-11,
15, 102-3. Teveth, Ben-Gurion, p. 101 (cf. pp. 129, 187-90). Pour
d’abondantes preuves que, même en l’absence de toute agression arabe, les
dirigeants sionistes n’ont jamais eu l’intention de respecter les frontières
fixées par la Résolution de Partage de 1947, voir : Ben-Eliezer, Making, pp.
144, 150-1.
[22] Pour la guerre de Juin (« Guerre des Six Jours », voir :
I&R, chap. 5.
[23] Pour les impératifs territoriaux des sionistes, après
1948, voir : I&R, p. 143. Martin Gilbert, Israel: A History (New York:
1998), p. 393. Michael Oren, Six Days of War (Oxford: 2002), p. 312.
Sternhell, Founding, p. 330.
[24] Yosef Weitz, officiel sioniste influent au
moment de l’expulsion de 1948, mit en garde, de manière très significative,
après les conquêtes de la guerre de 1967, sur la nécessité de préserver le
caractère juif de l’Etat d’Israël en faisant en sorte de « toujours maintenir la
minorité non-juive au-dessous des 15 % de la population » (Nur Masalha, A Land
Without A People (London: 1997), p. 79.
[25] M. Cherif Bassiouni, Crimes
Against Humanity in International Criminal Law (Boston: 1999), pp. 312 ("de
manière non équivoque"), 322 (voir pp. 312-27 pour le développement historique
du droit international en matière de déportation).
[26] Voir : I&R, pp.
144-7.
[27] Voir : I&R, pp. 221-2, note 63.
[28] Voir : I&R, chap.
6.
[29] Geoffrey Aronson, Creating Facts (Washington: 1987), pp. 14ff. (Allon
plan). Sofer, Zionism, p. 385. Finkelstein, Holocaust, pp. 47-8.
[30]
Voir : I&R, pp. 147-8.
[31] Pour la mission Jarring, voir : I&R, pp.
151ff.
[32] Foreign Relations of the United States, 1964-1968, Volume XX
(Washington, DC: 2001), pp. 619, 634-5 ("meant"/"never meant" :
‘signifiait’/’n’a jamais signifié’), 639, 639 ("large chunks"/"non-starter" :
‘de larges parties’/’n’apportait aucune ouverture’), 641, 654 ("unacceptable" :
‘inacceptable’), 655, 699.
[33] Noam Chomsky, The Fateful Triangle (Boston:
1983), pp. 65-6. Pour les mobiles stratégiques derrière ce revirement politique
des Etats-Unis et ses répercussions pour les Juifs américains, voir Finkelstein,
Holocaust, chap. 1.
[34] Pour une recension exhaustive des vetos isolés des
Etats-Unis au Conseil de Sécurité et des votes négatifs israélo-américains à
l’Assemblée Générale, sur le conflit du Moyen-Orient, voir : Finkelstein,
R&F, pp. 53-7.
[35] Uri Savir, The Process (New York: 1998), p.
6.
[36] Avner Yaniv, Dilemmas of Security (Oxford: 1987), pp. 20 ("approche
de compromis"), 70 ("offensive de paix"). Pour discussion plus approfondie et
documents, voir R&F, pp. 44-5.
[37] Pour une documentation
détaillée de la répression israélienne, Voir : R&F, chap. 3.
[38] Savir,
Process, pp. 5, 25. Pour le précédent du gouvernement
britannique en Palestine, Voir Baruch Kimmerling et Joel S. Migdal,
Palestinians: The Making of a People (Cambridge: 1994), pp. 86, 90-1, ainsi que
Porath, Emergence, p. 202. Les Britanniques imposèrent leur gouvernement direct
dans leur Empire, pour la première fois, après avoir écrasé brutalement
l’insurrection indienne, en 1857. Le commentaire de Victor Kiernan sur cette
stratégie des Britanniques pourrait servir aisément d’épitaphe au processus
d’Oslo : « Des gouvernant encore la veille stigmatisés sous l’appellation de
tyrans orientaux se voyaient du jour au lendemain portés aux nues en qualité de
dirigeants naturels de leur peuple. Laisser un tiers du pays sous le
gouvernement des maharadjahs pouvait être présenté de manière spécieuse comme
une concession aux sentiments des Indiens ; et si – comme c’était de plus en
plus le cas – les conditions y étaient pires que dans l’Inde Britannique, les
nationalistes pourraient être invités à réfléchir aux conséquences
(désastreuses) de l’auto-gouvernement. » (The Lords of Human Kind (Boston:
1969), p. 52).
[39] Meron Benvenisti, Intimate Enemies (New
York: 1995), pp. 218, 232. Savir, Process, p. 147. Pour une analyse en
détail des accords d’Oslo, voir : Norman G. Finkelstein, "Whither the `Peace
Process?'" in
New Left Review (July/August 1996). Pour un panorama complet
des développements de l’après-Oslo, voir : Nicholas Guyatt, The Absence of Peace
(London: 1998).
[40] Mai 2002.
[41] Daniel Williams, "Settlements
Expanding Under Sharon," in Washington Post (31 May 2002). "Les experts de
l’ONU disent que les colonies et les démolitions de maisons sont des crimes de
guerre », in Haaretz (15 June 2002). Jackson Diehl, "Making a Palestinian state
impossible," (« Rendre un Etat palestinien impossible),in Washington Post (23
July 2002).
[42] Amira Hass, "Donors are funding cantonization," [‘Les
donateurs financent la cantonalisation’], in Haaretz (22 Mai 2002). Brian
Whitaker, "UN to feed 500,000 needy Palestinians," [‘L’ONU va devoir nourrir 500
000 Palestiniens nécessiteux], in Guardian (22 Mai 2002). Karen DeYoung,
"Hezbollah Buildup in
Lebanon Cited," [Les concentrations du Hezbollah au
Liban mis en accusation], in Washington Post (15 Juin 2002)
(unemployment/chômage). Justin Huggler, "Palestinians face disaster, warns US
government group," [‘Les Palestiniens sont confrontés à un désastre, averti le
groupe (d’émissaires) du gouvernement américain’] in Independent (6 Août 2002)
(malnutrition). Thomas O'Dwyer, "Nothing Personal: Parts and Apartheid,"
in Haaretz (24 Mai 2002) ("appalling" / (situation) ‘alarmante’).
[43] Voir :
Norman G. Finkelstein, "Securing Occupation: The Meaning of the Wye River
Memorandum," [‘Garantir la poursuite de l’occupation : la signification du
mémorandum de Wye River’], in New Left Review (Novembre/Decembre 1998), et, en
particulier : Mouin Rabbani, "A Smorgasbord of Failure," in Roane Carey (ed),
The New Intifada (Verso: 2001), chap. 3.
[44] Hussein Agha et Robert Malley,
"Camp David: The Tragedy of Errors," "Camp David and After: An Exchange - A
Reply to Ehud Barak," "Camp David and After - Continued: Robert Malley and
Hussein Agha reply," in New York Review of Books (9 Août 2001, 13 Juin 2002, 27
Juin 2002). (Citations de Robert Malley tirées du deuxième article)
David Clark, "The brilliant offer Israel never made," [‘L’offre extraordinaire
qu’Israël n’a jamais faite’], in Guardian (10 Avril 2002) (David Clark est un
diplomate britannique).
[45] Pour le texte du plan de paix saoudien, voir :
Guardian (28 Mars 2002) ; pour sa version révisée sur le point du « droit au
retour », voir Suzanne Goldenberg, "Arab leaders reach agreement by fudging
refugee question," [‘Les dirigeants arabes parviennent à un accord en éludant le
problème des réfugiés’], in Guardian, 29 mars 2002. Aviv Lavie, "So what if the
Arabs want to make peace?" [‘Les Arabes veulent faire la paix ? Et alors ? Où
est le problème ?’], in Haaretz (5 Avril 2002). Pour un commentaire
pénétrant, voir Uri Avnery, « How to Torpedo the Saudis" » (4 March 2002)
[‘Comment torpiller les Saoudiens’], sur le site : http://w.w.w.counterpunch.org/avnerysaudis.html.
[46] Amira Hass, "The mirror does not lie," [‘Le
miroir ne ment pas], in Haaretz (1er Novembre 2000). Jane's Foreign
Report (12 Juillet 2001). Robert Fisk, "One year on: A view from the
Middle East" [‘Un an après : aperçu depuis le Moyen-Orient’], in Independent (11
Septembre 2002). Fisk pointe du doigt, à bon escient, l’ordre impérial imposé au
monde arabe par les Britanniques et les Français au lendemain de la Première
guerre mondiale, en tant que précédent des projets politiques actuels des
Etats-Unis.
[47] Shulamit Aloni, "You can continue with the liquidations,"
[‘Continuez les liquidations extra-judiciaires : allez-y !’], in Yediot Aharonot
(18 Janvier 2002); cf. Tanya Reinhart, "Evil Unleashed" [‘Le Diable
déchaîné’](19 Décembre 2001), sur le site http://www.zmag.org.
[48] Pour le contexte de la guerre au Liban, voir R&F, pp. 44-5
et les sources citées. Les données officielles israéliennes se trouvent sur le
site : http://www.ou.org/yerushalayim/yomhazikaron/default.htm.
[49] Amir Oren, "At the gates of Yassergrad," in
Haaretz (25 Janvier 2002), et Uzi Benziman, "Immoral Imperative," in Haaretz (1
Février 2002) (officier israélien). Chris Hedges, "A Gaza Diary," in
Harpers (Octobre 2001) (la phrase citée provient d’une interview sur National
Public Radio interview). Jessica Montell, "Operation Defensive Shield: the
Propaganda and the Reality," (‘Opération Bouclier de Protection : entre
propagande et réalité) @www.btselem.org (90 %). Editorial, Guardian (2 Août
2002) (tués et blessés).
[50] Human Rights Watch, "Jenin: IDF Military
Operations" (Jénine : opérations militaires de ‘Tsahal’)(Mai 2002).
Suzanne Goldenberg, "Across West Bank, daily tragedies go unseen," (A travers la
Cisjordanie : des tragédies quotidiennes passent inaperçues) in Guardian (27
Avril 2002) ("pas si différent"). Edward Cody,
"Unnoticed Nablus May
Have Taken West Bank's Worst Hit" (Sans que l’on ne s’en rende compte, c’est
Naplouse qui a peut-être le plus souffert, de toute la Cisjordanie) in
Washington Post (21 Mai 2002). Naplouse a été la ville la plus touchée, avec 75
Palestiniens tués, dont 50 civils, à comparer avec la mort d’un seul soldat
israélien.
[51] "Camp David and After: An Exchange - An Interview with Ehud
Barak," (Camp David et la suite : un échange. Interview d’Ehud Barak) in New
York Review of Books (13 Juin 2002) (Barak). En ce qui concerne Elie Wiesel,
voir Megan Goldin, Reuters (11 Avril 2002), Greer Fay Cushman, "Wiesel: World
doesn't understand threat of suicide bombers," (Wiesel : « Le monde ne comprend
pas (cet imbécile… ndt) la menace que représentent les attentats suicides ») in
Jerusalem Post (12 Avril 2002), CNN (14 Avril 2002), Caroline B. Glick, "We must
not let the hater define us," (Nous ne devons pas permettre que le porteur de
haine nous dicte notre conduite) in Jerusalem Post (19 Avril 2002), interview
d’Elie Wiesel interview par Gabe Pressman au cours de l’émission télévisée "News
Forum" (21 Avril 2002). Tsadok Yeheskeli, "I made them a stadium in the
middle of the camp," (Je leur ai dégagé un terrain de foot au milieu du camp…)
in Yediot Aharanot (31 Mai 2002). Montell, "Operation Defensive Shield"
(B'Tselem). Amira Hass, "Someone even managed to defecate
into the
photocopier," (Quelqu’un a même réussi le tour de force de déféquer dans le
photocopieur) in Haaretz (6 Mai 2002).
[52] Justin Huggler, "Ten killed in
Israeli air strike on home of Hamas chief," (Dix tués dans un raid aérien
israélien contre le domicile d’un responsable du Hamas) in Independent (23
Juillet 2002). Uli Schmetzer, "Israeli strike kills at least 12 in Gaza," (Un
raid israélien tue au moins douze Palestiniens à Gaza) in Chicago Tribune (23
Juillet 2002). Bradley Burston, "Background/Shehada `hit' sends shockwaves back
to Israel," (Les frappes contre les Martyrs envoie des ondes de choc en retour
jusqu’en Israël » in Haaretz (24 Juillet 2002) (dirigeant du parti Meretz).
Akiva Eldar, "How to cease from a cease-fire," (Comment en finir avec un
cessez-le-feu) in Haaretz (25 Juillet 2002). Gideon Samet, "It's a horror story,
period," (C’est une question d’honneur. Point barre) in Haaretz (26 Juillet
2000). Graham Usher, "Sharon accused of shattering ceasefire," (Sharon
accusé de rompre le cessez-le-feu) in Guardian (27 Juillet 2002). Akiva
Eldar, "If there's smoke, there's no cease-fire," (Il n’y a pas de fumée avec un
cessez-le-feu !) in Haaretz (30 Juillet 2002). "Letter for an American editor,"
in Haaretz (30 July 2002) (Texte d’un projet de déclaration publique.) Pour les
aspects fondamentaux du contexte et des développements possibles, voir Mouin
Rabbani et son analyse très brillante, comme il est de règle avec cet auteur :
"The Costs of Chaos in Palestine," (Les coûts du chaos en Palestine) @
www.merip.org.
[53] Amira Hass, "Making life difficult for the Palestinian peace camp,"
(Comment rendre la situation ingérable au camp de la paix palestinien) in
Haaretz (14 Août 2002).
[54] Finkelstein, "Whither the `Peace Process'?" (Où
est passé le « processus de paix » ?), p. 148.
[55] "Israel must end the
hatred now," (Israël doit mettre fin à la haine. Maintenant) in Observer (15
Octobre 2000). Haroon Siddiqui, "Tutu likens Israeli actions to
apartheid," (Monseigneur Desmond Tutu compare les agissements d’Israël à ceux de
l’Afrique du Sud ségrégationniste), in Toronto Star (16 Mai 2002) (Brzezinski).
Desmond Tutu, "Apartheid in the Holy Land," (L’Apartheid – en Terre sainte !) in
Guardian (29 Avril 2002).
[56] Jonathan Steele, "The Bush doctrine makes
nonsense of the UN charter," (La doctrine Bush ignore royalement la charte de
l’ONU) in Guardian (6 Juin 2002) (atteinte morale). George Monbiot, "The logic
of empire," in Guardian (5 Août 2002). Les Etats-Unis ont fait preuve d’une
violence identique sur le front économique. Ainsi, Paul Krugman éditorialiste
économique du New York Times, relève, par exemple, que les taxes imposées par
l’administration Bush sur les aciers imposés « démontrent un mépris sans aucun
précédent pour les lois contradictoires » ("America the Scofflaw" (L’Amérique,
cette hors-la-loi) (24 May 2002).
[57] Sur les « Nouveaux Historiens », voir
: I&R, chap. 3.
[58] "Many Israelis content to see Palestinians go,"
(Nombreux sont les Israéliens à se réjouir de voir les Palestiniens partir) in
Chicago Sun-Times (14 Mars 2002) (sondage de l’institut
Jaffee).
Ari Shavit, "Waiting for the sign," in Haaretz (22 Mars
2002). Tom Segev, "A black flag hangs over the
idea of transfer," (Un
drapeau noir flotte au-dessus de l’idée de transfert) in Haaretz (5 Avril
2002). Gil Hoffman, "Fight on the right," (Bataille, à droite) in
Jerusalem Post (10 Mai 2002). Lily Galili, "A Jewish demographic state,"
in Haaretz (28 Juin 2002). Boaz Evron, "Demography as the enemy of
democracy," in Haaretz (11 Septembre 2002). Cypel Sylvain, "Benny Morris,
le nouvel historien, a rejoint le consensus israelien," in Le Monde (30 Mai
2002) (cf. Baudoin Loos, "Interview with Benny Morris," @ http://msanews.mynet.net/Scholars/Loos/morris2001.html (25 Février 2001), "The Arabs Are Responsible," (La faute
aux Arabes) in Yediot Ahronot (23 Novembre 2001), "The Arabs Are The Same
Arabs," (Les Arabes restent des Arabes !) [voir Point d’Information Palestine
N°208] in Between the Lines (Décembre 2001), Benny Morris, "Peace? No chance,"
in Guardian (21 Février 2002)). Pour la notion de « transfert » dans le
discours politique israélien, depuis la fondation de l’Etat, voir Masalha.
[59] Yael Zerubavel, Recovered Roots (Racines retrouvées) (Chicago: 1995),
p. 183; cf. p. 14. Teveth, Ben-Gurion, p. 36 (Le "miracle" de la
Déclaration Balfour). Louis, British Empire, p. 487 (Le « miracle » de la
Résolution de Partage de la Palestine); cf. pp. 395, 445, 460. James
McDonald, My Mission to Israel (New York: 1952), p. 176 (1948 : une «
simplification providentielle » ).
[60] "Hardball with Chris Matthews,"
Transcription (1er Mai 2002) @
http://www.adc.org/action/2002/02May2002.htm (Delay et Armey). "Peace in the Middle
East,"
Senate Floor Statement par le sénateur James M. Inhofe (Républicain,
Oklahoma), @
http://inhofe.senate.gov/fl030402.html (4 Mars 2002). Ali Abunimah, "The growing clamor for
ethnic
cleansing," (La clameur croissante en faveur de la purification
ethnique) in Electronic Intifada (28 Août 2002) (Clinton). Ami Eden, "Top
Lawyer Urges Death For Families of Bombers," (Un haut magistrat recommande la
peine de mort pour les familles de kamikazes) in Forward (7 Juin 2002).
Alan Dershowitz, "New response to Palestinian terrorism," in Jerusalem Post (11
Mars 2002). Alan Dershowitz, Shouting Fire (New York: 2002),
p.
476-7. Benny Morris, Israel's Border Wars, (Les guerres d’Israël
pour ses frontières) 1949-1956 (Oxford: 1993), chap. 8 (massacre de Qibya).
Ritchie Ovendale, Britain, the United States and the Transfer of Power in the
Middle East, 1945-1962 (La Grande-Bretagne, les Etats-Unis et le transfert du
pouvoir au Moyen-Orient : 1945-1962) (New York: 1996), p. 97 (Journaux
américains). Boris Shusteff, "The Logistics of Transfer" (3 Juillet 2002)
@ www.gamla.org.il/english/article/2002/july/b1.htm see section "E. Israel's Actions in Yesha
and the
relocation itself")(voir la section E : Les actions d’Israël - Yesha et la
réinstallation elle-même). Pour le recours du sionisme consensuel aux
représailles terroristes durant les dernières années du mandat britannique, voir
I&R, pp. 112-4, et Ben-Eliezer, Making, chap. 1-2.
[61] Voir :
I& R, chap. 2.
[62] Les phrases citées et les informations relatives au
projet d’un film proviennent de "The Rehabilitation of Joan Peters: Discredited
Author Finds a New Audience," (La réhabilitation de Joan Peters : un auteur
discrédité trouve un nouveau public) in The Rittenhouse Review (19 Juin 2002)
@
http://rittenhouse.blogspot.com/2002_06_16_ritenhouse_archive.html. Pour le site ouèbe de Peters, voir http://www.israelunitycoalition.com/Speakers_Bureau/j_peters.htm.
Pour la propagation du mythe de Peters par les
organisations sionistes canadiennes, voir Myron Love, "Arab journalist puts lie
to Palestinian claims," (Un journaliste arabe dément les allégations
palestiniennes) in Canadian Jewish News (21 February 2002).
[63] "Sharon's
plan is to drive Palestinians across the Jordan," (Le plan de Sharon est
d’expulser les Palestiniens par-delà le Jourdain) in Sunday Telegraph, 28 Avril
2002 (Creveld). Menachem Shalev, "Netanyahu recommends large-scale
expulsions," in Jerusalem Post (19 Novembre 1989). Meron Benvenisti,
"Preemptive warnings of fantastic scenarios," (Premiers prémisses menaçants de
scénarios abracadabrants) in Haaretz (15 Août 2002).
[64] Boas Evron, Jewish
State Or Israeli Nation? (Etat Juif, ou Nation israélienne ?) (Bloomington, IN:
1995), pp. 169, 237. Sternhell, Founding Myths, p. 331. Martin van
Creveld, The Sword and the Olive (Le sabre et l’olivier) (New York: 1998), pp.
123-5, 154.
[65] Zeev Sternhell, "Balata has fallen," (Balata est tombé) in
Haaretz (8 Mars 2002).
[66] Cohen, Palestine, pp. 247, 249. Lewis,
British Empire, pp. 467, 476.
[67] Cohen, Palestine, pp. 69, 79, 90-1,
230, 238-9. Pour discussion plus approfondie, notamment le soutien des Juifs
américains à la campagne de terreur sioniste, voir David Hirst, The Gun and the
Olive Branch (London: 1977), pp. 108-123.
[68] Crossman, Palestine, pp. 129,
169-70, 178-81.
[69] Cohen, Palestine, p. 239, 245 (éditorial du Times).
[70] van Creveld, Sword, pp. 57-61.
[71] van Creveld, Sword, pp. 361-2.
[72] Edward Said, "A New Current in Palestine," in The Nation (4 Février
2002).
[73] Pour plus de détails sur le mouvement des refuseniks et des
dissidents israéliens, voir Roane Carey et Jonathan Shainin (ed.), The Other
Israel (L’Autre Israël) (New York: 2002).
[74] Janine Zacharia, "Poll
shows Americans' support for Israel in decline," (Un sondage montre un déclin du
soutien américain à Israël) in Jerusalem Post (13 Juin 2002).
[75] Alisa
Solomon, "Stop American Billions for Jewish Bombs," (Arrêtez les milliards de
dollars américains qui financent les bombes juives » in Village Voice (26
Décembre 2001). Liza Featherstone, "The Mideast War Breaks Out On Campus," (‘La
guerre au Moyen-Orient éclate en plein campus’), in Nation (17 Juin
2002).
[76] Desmond Tutu, "Build moral pressure to end the occupation," (Il
faut faire monter la pression morale pour qu’un terme soit mis à l’occupation)
in International Herald Tribune (14 Juin 2002), voir aussi : Desmond Tutu et
Ian Urbina, "Against Israeli Apartheid," (Contre l’apartheid israélien) in
Nation (15 Juillet 2002).
[77] Evron, Jewish State, p. 96 (Tal). Nicholas
Watt, "MP accuses Sharon of `barbarism,'" (Un député accuse Sharon de « barbarie
») in Guardian (17 Avril 2002).
[78] Robert Fisk, "There is a firestorm
coming, and it is being provoked by Mr Bush," « Un ouragan de feu est annoncé.
C’est M. Bush qui en est la cause) in Independent (25 Mai
2002).
2. Un racisme
"respectable" par Rachad Antonius
paru dans "Les Relations ethniques
en question : Ce qui a changé depuis le 11 septembre 2001" ouvrage collectif
publié sous la direction de Jean Renaud, Linda Pietrantonio et Guy Bourgeault
aux Presses Universitaires de Montréal
[ISBN : 2760618447 - Novembre 2002 - 20,00 euros / 131,19
francs]
(Rachad Antonius est docteur en sociologie et
professeur de mathématiques au collège régional Champlain au Québec. Né en
Égypte où il a été formé jusqu’au doctorat en mathématiques qu’il a fait à
Winnipeg, il est chercheur au Groupe de recherche ethnicité et société de
l’Université de Montréal, membre du Groupe de recherche et d'étude sur la
sécurité au Moyen-Orient (GRESMO) et membre du Conseil de presse de Télé-Québec.
Il vient de publier "Interpreting Quantitative Data with SPSS" chez Sage
Publications Ltd.)
Introduction
« Il n'existe aucune
cause aux attentats de mardi dernier, il n'y a que de pauvres victimes et de
sales meurtriers. […]. Inutile de chercher une logique, une séquence raisonnable
à l'événement. Celui-ci s'enracine dans la haine et débouche sur l'«ab-sens» »
[1] .
Cette citation est typique des réactions qui ont suivi les événements
du 11 septembre, où les notions de haine et de folie revenaient souvent comme
seul cadre explicatif de la tragédie. Les motivations attribuées à ses auteurs
présumés ont vite débouché sur des caractérisations racistes de l’ensemble des
Arabes et des musulmans, érigés en « autre » absolu. Nous proposons ici quelques
remarques critiques sur le processus de représentation de cet «autre» qui a
suivi ces événements, processus que nous éclairerons à l’aide du concept de
racisme «respectable» que nous introduisons dans ce texte.
Le discours
scientifique sur l’ethnicité est conditionné tant par les dynamiques
productrices d’identification ethnique, que par les paradigmes utilisés pour
observer et analyser ces dynamiques. Sur ces deux plans, les événements du 11
septembre et les réactions qui les ont suivis ont révélé et exacerbé des
tendances existantes avant cette date. Il faut comprendre comment ces tendances
se manifestaient pour comprendre pourquoi ce sont ces tendances-là qui ont pris
le dessus après le 11 septembre. Nous en tirerons des conclusions concernant les
paradigmes utilisés dans l’étude de l’ethnicité, et la nécessité d’y introduire
certaines dimensions trop souvent négligées. Le conflit en Palestine sera notre
centre d’attention à cause de son rôle central dans l’émergence du phénomène que
nous voulons décrire. Nous montrerons pourquoi les représentations des Arabes et
des musulmans qui se sont formées en rapport avec ce conflit sont en lien étroit
avec celles qui se sont formées suite aux événements du 11
septembre.
II. Sociologie d’un racisme « respectable
»
Nous utiliserons la notion de racisme respectable pour qualifier
des discours et des pratiques qui seraient certainement qualifiés de racistes en
fonction de n’importe quelle définition raisonnable du racisme, mais qui ne sont
pas perçus comme tels par les courants politiques et intellectuels dominants, et
qui au contraire sont propagés par des acteurs qui se réclament de la plus haute
moralité politique.
Cette notion de respectabilité est fondamentale pour
comprendre les manifestations de ce discours raciste et ses conséquences sur les
dynamiques d’identification ethnique en Amérique du Nord. Les contours de son
objet sont quelque peu flous : tantôt il vise les musulmans, tantôt les Arabes,
et tantôt les Palestiniens, et à l’occasion il confond ces groupes entre eux. Sa
logique, sa justification et sa dynamique découlent de dynamiques et de
processus qui se jouent au niveau international. Et surtout, il n’est pas perçu
comme tel, ou, quand il est perçu, il n’est pas nommé, et cet aspect du
phénomène en est un aspect constituant. Soulignons aussi que notre analyse se
centre sur le discours et non pas sur les pratiques. Le discours peut donner
lieu à des pratiques racistes, mais ceci n’est pas l’objet de cette
étude.
Les représentations des Arabes et des musulmans qui ont émergé depuis
le 11 septembre ne peuvent être uniquement le résultat de la couverture
médiatique de ces événements. Elles se rattachent à des tendances à plus long
terme qui résultent de la représentation dominante du conflit
israélo-palestinien, puisque c’est surtout à travers ce conflit que les élites
politiques et le grand public en Occident perçoivent la région et les sociétés
arabes et musulmanes [2] . Le lien entre les représentations qui ont suivi
le 11 septembre et les tendances à plus long terme est assuré par un élément qui
est fondamental pour la structuration du discours raciste à l’endroit des Arabes
et des musulmans : c’est le déni de leur rationalité [3] . Nous allons examiner
cette idée de plus près.
La déni de rationalité
Nous
identifions les étapes suivantes dans la structuration interne du discours
raciste sur les Arabes (ou les musulmans, ou les Palestiniens).
1. Le
point de départ, c’est une information sur les sociétés arabes et musulmanes
tronquée d’un de ses éléments les plus importants: l’effet désastreux des
politiques américaines pour ces peuples, en particulier en ce qui concerne
l’appui américain aux politiques israéliennes, et les violations majeures de
leurs droits qui en découlent. Viennent ensuite les étapes suivantes :
2. la mise en évidence, de façon sélective, de la colère face aux
résultats de ces politiques;
3. l’explication de cette colère par la
haine (puisque les causes réelles sont occultées);
4. l’explication de
cette haine par la culture ou la religion;
5. l’émergence, en
conséquence, d’une représentation stéréotypée des peuples concernés et la
généralisation conséquente des caractéristiques négatives de ces stéréotypes à
ceux et celles qui partagent cette culture ou cette religion.
Structuré
ainsi, ce discours s’appuie sur une logique interne cohérente qui résiste aux
critiques des prémisses sur lequel il est fondé. Car pour être possible, cette
critique nécessite une grande familiarité avec les données empiriques du conflit
israélo-palestinien, puisque ces données sont occultées en dehors des cercles
spécialisés. La démonstration du caractère raciste de ce discours ainsi que la
démonstration de sa respectabilité vont donc nécessairement passer par une
discussion des faits empiriques sur lesquels il se fonde. On ne pourra donc pas
faire l’économie d’une référence, ne serait-ce que brève, aux faits empiriques
du conflit.
Quels que soient les auteurs réels des attentats du 11
septembre, ces attentats ont été attribués dès les premières minutes du drame à
des réseaux clandestins islamiques ou arabes animés par la haine, ou encore par
la folie, c’est-à-dire par des sentiments irrationnels plutôt que par une pensée
qui est le résultat d’une analyse politique [4] . Pour que l’explication par la
haine soit crédible, une condition est nécessaire : que d’autres explications
aient été écartées. Nous illustrerons plus loin les processus par lesquels ces
autres explications sont écartées. Notons en attendant que l’explication
des motivations des auteurs par la haine pave la voix à un discours raciste. Car
l’antagonisme envers les politiques américaines est ressenti et exprimé par de
larges secteurs dans les sociétés arabes et musulmanes, et la perception de cet
antagonisme est amplifiée par une couverture médiatique qui a tendance à le
mettre en évidence au détriment d’autres aspects de la relation entre ces
sociétés et l’Occident. Devant la prédominance de ces images, il devient
possible d’expliquer la haine – présentée comme l’explication des attitudes
antagonistes – non plus par des caractéristiques psychopathiques individuelles,
mais par ce qui est commun à ces milliers ou à ces millions de manifestants que
l’on nous montre à la télévision, ou à ces centaines d’adolescents palestiniens
qui lancent des pierres : la culture ou la religion. Si c’est la culture qui est
la source de la haine, on peut donc présumer que tous ceux et celles qui
partagent cette culture partagent aussi la même haine de l’Occident, et il en va
de même pour la religion. L’assignation de l’identité ‘arabe’ ou ‘musulmane’ aux
individus qui viennent de ces régions est tributaire de ces processus. Voilà
donc la mise en place d’un puissant facteur qui prend sa source dans un espace
global, et qui va se répercuter au niveau local et même au niveau du quotidien,
en renforçant les processus d’assignation, et donc les clivages ethniques en
Amérique du Nord. Toutes les précautions linguistiques qui seront prises par la
suite par les dirigeants américains pour ne pas faire d’amalgames tomberont à
plat, car l’amalgame est inscrit dans la négation de la rationalité aux auteurs
présumés de l’attaque du 11 septembre et dans leur représentativité réelle ou
supposée.
L’objet du discours raciste
Le discours fondé sur le déni
de rationalité des auteurs présumés des événements du 11 septembre nous amène à
faire le lien avec les représentations du conflit israélo-palestinien. En effet
les schèmes dominants d’interprétation de ces événements se sont appuyés sur les
représentations des Palestiniens, des Arabes et des musulmans qui étaient déjà
dominantes avant le 11 septembre, et qui se sont formées essentiellement en
rapport avec le conflit israélo-palestinien. Nous devons donc analyser le
discours qui a pour objet premier les Palestiniens et les Palestiniennes. Nous
avons indiqué au paragraphe précédent comment le déni de rationalité des auteurs
des attentats, étant expliqué par la culture ou la religion, a pour conséquence
que les représentations négatives débordent nécessairement leur objet premier,
et visent soit les Arabes dans leur ensemble, soit les musulmans dans leur
ensemble. En ceci, elles convergent vers les représentations découlant des
perceptions qu’on se fait des Palestiniens. Ce débordement n’est donc pas une
erreur, mais il est inscrit dans la logique même qui fonde le discours raciste,
dont la négation de la rationalité est le fondement. Mais ce sont les enjeux
entourant le conflit israélo-palestinien qui donnent à ce discours son
impulsion, son orientation, et sa cohérence interne, comme nous allons le
montrer.
Deux catégories de discours
Nous
identifions deux catégories dans le discours dominant sur les Palestiniens en
Amérique du Nord, outre les tendances qui sont présentes mais qui ne sont pas
dominantes [5] . Il existe un discours qui est ouvertement raciste, et nous en
donnerons des exemples. Mais il existe aussi un discours qui n’est pas
ouvertement raciste, et qui se veut même objectif et tolérant, mais qui pave la
voie au discours raciste, qui le prépare, qui le justifie, qui le défend, qui le
rend légitime, et qui, ultimement, lui confère cette respectabilité qui est au
centre de notre analyse. C’est ce deuxième discours qui nous
intéresse.
Nous illustrerons les deux discours. Le premier pour
démontrer qu’il existe bel et bien, et pas seulement dans les repères de
l’extrême droite, mais aussi dans des tendances politiques qui sont qualifiées
de modérées ou de libérales, et le deuxième pour montrer comment il contribue
activement à la respectabilité du premier.
La spécificité du discours raciste contre les
Palestiniens
Albert Memmi a écrit que "Le racisme est la
valorisation, généralisée et définitive de différences, réelles ou imaginaires,
au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une
agression ou des privilèges" [6] . Les privilèges qu’il faut légitimer dans le
discours actuel sur les Palestiniens, c’est le contrôle des 22 % qui restent de
la Palestine, c’est-à-dire la Cisjordanie et la Bande de Gaza, que la communauté
internationale n’a pas reconnue comme faisant partie d’Israël [7] .. L’enjeu de
ce rapport de domination est donc un ensemble de privilèges que le groupe
dominant veut légitimer au détriment des victimes, privilèges liés au contrôle
du territoire palestinien. En cela, le discours raciste sur les Palestiniens
ressemble à tous les discours du même type. Cependant, un élément important
distingue ce racisme des autres racismes qu’on est habitué à analyser.
Dans
les sociétés plurielles d’Europe et d’Amérique du Nord, le groupe dont les
privilèges sont défendus par le discours raciste est relativement restreint et
bien déterminé, et tous les ‘autres’ sont exclus. Par exemple, le groupe
privilégiés peut être les « Français de souche », ou les Européens. Les autres,
les exclus, étaient généralement les immigrants (sauf dans l’anti-sémitisme, où
les victimes du racisme ne sont pas des immigrants, mais des citoyens
présentés comme ‘autres’ à cause de leur religion). Dans le cas de la
Palestine, c’est un peu le contraire. Ce sont les immigrants (les Juifs
européens dans un premier temps, et du monde entier par la suite) qui ont exclu
les autochtones (les Palestiniens), un processus contemporain qui ressemble à
certains égards aux conquêtes du nouveau monde il y a trois siècles. Le
discours raciste se structure donc différemment : il ne s’agit plus de
dévaloriser tous ceux qui sont différents, mais plutôt de dévaloriser un groupe
particulier, les autochtones dont on convoite la terre. Dans le cas des sociétés
occidentales le groupe valorisé est bien déterminé, et le groupe exclu est
composé de tous le ‘autres’. Dans le cas de la Palestine, le groupe valorisé
peut provenir du monde entier, de cultures diverses (mais d’une seule religion),
et même avoir des couleurs de peau variées (pensez aux Falashas) mais le groupe
exclu consiste en un groupe spécifique, les habitants autochtones de la terre
convoitée, c’est-à-dire les Palestiniens. Ce racisme ciblé peut donc se combiner
avec une valorisation de la différence, avec une grande ouverture envers toutes
les cultures qui ne sont pas un obstacle à ce projet colonial précis, et avec un
discours en faveur de la tolérance qui est mis de l’avant dans les sociétés
occidentales mais qui disparaît dès qu’on parle des Palestiniens. On peut
observer alors le phénomène bizarre d’un ‘anti-racisme sélectif’, soit des
individus et des institutions qui militent contre le racisme dans les pays
d’immigration récente, qui font des alliances anti-racistes avec les exclus des
pays d’immigration, mais qui appuient l’exclusion et la dépossession des
Palestiniens de leur terre. Ainsi, certains individus vont militer contre toutes
les formes de discrimination ici même au Canada et vont prendre des positions de
leadership dans la lutte pour l’égalité, mais vont déclarer publiquement que
donner aux Palestiniens nés à Jérusalem ou à Haïfa les mêmes droits que les
Israéliens juifs nés à Montréal et immigrés en Israël est un euphémisme pour la
destruction d’Israël et que cette demande constitue un appel au génocide contre
les juifs !! On peut résumer cette situation de façon sans doute trop
schématique en disant que dans les discours racistes habituellement étudiés,
l’inclusion est spécifique et l’exclusion universelle, alors que dans le cas du
racisme anti-palestinien, l’inclusion est (presque) universelle, et l’exclusion
spécifique (avec les contours flous dont nous avons parlé plus haut). Cet
élément contribue grandement à la ‘respectabilité’ du racisme que nous
analysons.
Les manifestations du discours raciste à l’endroit
des Palestiniens
Le discours ouvertement raciste se retrouve
d’abord dans les milieux de la droite israélienne, et il est d’ailleurs
vertement dénoncé par une partie de la gauche en Israël. Mais en Amérique
du Nord, il se retrouve dans les courants qui ne sont pas perçus comme étant
marginaux ou extrémistes. Dans un éditorial publié au beau milieu de la guerre
contre les civils Palestiniens [8] , par exemple, la chaîne Southam
écrivait :
‘Why can’t some Muslims agree that killing innocent non-Muslims
is unacceptable? Part of the problem lies with Muslim civilization itself’. Et
plus loin : ‘But even by the barbaric standards of the Arab Middle East, Yasser
Arafat and the Palestinian terrorist organizations that operate freely under his
wit have hit new lows’ (c’est l’auteur qui le souligne).
Pour vérifier le degré de racisme de ces énoncés,
considérez l’énoncé hypothétique suivant :
“Why can’t some Jews agree that
killing innocent non-Jews is unacceptable? Part of the problem lies with Jewish
civilization itself. Even by the barbaric standards of the Jewish West, Ariel
Sharon and the Israeli terrorist army that operates under his wit have hit new
lows’.
Cette phrase aurait été considérée avec raison comme étant
anti-sémite, et aurait peut-être même mérité à l’éditorialiste un blâme outré à
l’Assemblée Nationale. Mais avec les mots arabe et musulman, son impact émotif
est différent. Elle serait sans doute considérée ‘biaisée’ par beaucoup de
lecteurs, mais pas raciste, et elle serait défendue sous couvert de la liberté
d’expression.
Le même éditorial explique ensuite que les Palestiniens
envoient leurs enfants devant les soldats israéliens dans le but de fournir à la
chaîne de télévision Al Jazeera une flot continu de sang…. Il accuse aussi
‘les Palestiniens’ (dans toute la généralité du terme) d’avoir tué délibérément
Muhammad Al Durra dans le seul but d’incriminer Israël. Muhammad Al Durra est
cet enfant palestinien que toutes les télévisions du monde on montré pendant que
des soldats israéliens lui tiraient dessus alors qu’il tentait de se protéger
dans les bras de son père au pied d’un mur, et qui est mort pour ainsi dire en
direct.
Une caricature du Philadelpha Enquirer du 4 avril 2002 va même plus
loin, prétendant que ce sont des enfants qu’on transforme en bombes humaines.
Même discours au Comité Canada Israël, dont le président, Joseph Wilder,
rapportait, ainsi sa rencontre avec le Premier Ministre, M. Jean Chrétien, en
présence du B’nai Brith qui se définit comme une organisation des droits de la
personne : «I went on to talk about how Arafat insidiously uses children. I told
him that Arafat's bullets are stronger than the Israeli bullets because his
bullets are the children » [9] . Qualifiés de ‘balles plus fortes que les balles
israéliennes’, les enfants palestiniens deviennent dès lors des cibles
légitimes.
Ces caractérisations ne sont pas le résultat de
l’ignorance où des préjugés, mais elles ont une fonction : légitimer la guerre
contre les Palestiniens en vue de leur dépossession, maintenant qu’on les a tous
décrit, incluant les enfants, comme des terroristes. Elles donnent d’ailleurs
lieu à un discours qui prône ouvertement et directement la violence contre les
civils palestiniens. Ainsi, M. Daniel Pipes dont les chroniques sont reprises
régulièrement par de grands journaux canadiens et américains écrit :
'If
Israel truly wants to end its problem with the Palestinians, it must adopt the
opposite approach: Convince Palestinians not of its niceness but its toughness.
This means not replanting Arab olive trees but punishing violence so hard its
enemies will eventually feel so deep a sense of futility they will despair of
further conflict.'
Une autre chroniqueuse très publiée, Linda Chavez,
écrit :
‘Israel must be allowed to defend itself - and if that means a
full-scale assault on the West Bank and Gaza, so be it’ [10] .
Ces appels à la violence contre les civils palestiniens ne
sont pas ceux d’intellectuels isolés dans leur tour d’ivoire, mais sont repris
par la plus importante chaîne de journaux au pays et transformés en politique
éditoriale. L’éditorial de Southam News cité plus haut déclare simplement que
des terroristes armés se cachent dans chaque ambulance, ce qui justifie leur
destruction, même quand elles transportent des patients. Cette tendance des
Palestiniens d’utiliser leurs propres enfants par méchanceté envers les Juifs
est ainsi expliquée par Barbara Amiel :
‘But the Arab countries take a
somewhat different view of life on this Earth from that of the West. Arab
culture appears to put the glory of the tribe or Allah before the individual's
suffering or happiness [11] .
On a donc un cas d’école pour illustrer la définition de
Memmi : une valorisation de la différence pour légitimer une agression et des
privilèges. Ici l’appel à la violence se double d’une falsification des faits :
depuis le début des pourparlers d’Oslo, Israël a détruit des milliers d’oliviers
centenaires appartenant à des Palestiniens, et n’a pas replanté des oliviers,
pour faire la place à des autoroutes réservées exclusivement aux colons juifs
ainsi que pour élargir des colonies existantes. Ces oliviers mettent des
dizaines d’années à atteindre leur pleine maturité productive.
De nombreux
exemples de ce type se retrouvent dans la presse nord-américaine, mais nous n’en
ferons pas l’inventaire ici. Ce que nous voulons souligner, ce n’est pas
simplement l’existence de ce discours, car il y a des discours similaires de la
part de groupes suprématistes ou antisémites, et ces discours sont dénoncés et
marginalisés. À l’inverse, le discours raciste contre les Palestiniens, les
musulmans ou les Arabes dans la presse nord-américaine provient de groupes et
d’individus qui sont au cœur des élites politiques. Il n’est pas marginal. Il
est banal. Il est politiquement correct. Il est respectable.
La notion de respectabilité
La plus
importante manifestation de la ‘respectabilité’ de ce discours raciste, c’est
qu’il n’est pas perçu comme raciste. Il est perçu comme une description exacte
de la réalité. Quand Norman Webster (ancien président de l’Institut Nord-Sud, et
ancien rédacteur en chef de The Gazette), Barbara Amiel (chroniqueuse imposée au
MacLean et à tous les journaux qui appartenaient à Conrad Black), Marcus Gee
(chroniqueur régulier au Globe and Mail), Tommy Schnurmacher (chroniqueur à The
Gazette et hôte d’une émission de radio populaire) et d’autres disent que les
Arabes sont violents et animés par la haine [12] , ils n’ont pas l’impression de
faire des déclarations racistes mais de décrire la réalité [13] , de la même
façon qu’un certain discours raciste affirmait il n’y a pas si longtemps que les
noirs sont inférieurs et moins intelligents que les blancs. Surtout, ils n’ont
pas à rendre de comptes à qui que ce soit pour ces déclarations et n’ont pas
besoin de les prouver : elles sont considérées comme évidentes. Ce n’est pas un
impair de dire que les Arabes sont tous assoiffés de sang (le term
‘bloodlusting’ a été utilisé par plusieurs chroniqueurs pour décrire les Arabes
en général). On peut faire ces affirmations ouvertement racistes tout en
maintenant une façade de haute moralité politique [14] . L’arrogance avec
laquelle ces affirmations racistes sont faites témoigne aussi du sentiment
profond de rectitude morale de ceux et celles qui les font, qui ne sentent pas
qu’ils violent des normes morales quand ils parlent ainsi des Palestiniens et
des Palestiniennes. Cela, c’est aussi une manifestation de la respectabilité de
ce racisme.
Une chaîne de journaux puissante peut écrire de telles
affirmations qui, si elles étaient faites envers d’autres groupes ethniques,
auraient probablement causé des tollés de protestation, et pas seulement de la
part des groupes visés, mais des associations de droits, des groupes
anti-racistes, etc. Dans le cas des Arabes et des musulmans, personne ne
proteste hors les groupes directement concernés [15] . C’est ce qu’on a pas
besoin de prouver. C’est ce qu’un conférencier, une animatrice de radio, ou un
politicien peuvent dire sans avoir à le démontrer et sans se faire questionner
par leurs supérieurs. Pour utiliser une métaphore informatique, on dirait que
l’explication par la haine est ce qu’on suppose par défaut, quand on n'a pas
d’informations contraires.
Pour que cela soit possible, il faut que
l’agression dont parle Memmi dans sa définition ne soit pas perçue comme une
agression. Il faut qu’elle soit perçue comme une autodéfense. Il faut aussi que
les privilèges dont parle Memmi ne soient pas perçus comme des privilèges, mais
comme des droits qui reviennent légitimement au groupe privilégié, et auxquels
les exclus n’ont pas droit. L’établissement de ces deux éléments ne nécessite
pas le recours à un discours explicitement raciste, mais implique une
falsification des données empiriques dans un sens qui légitime les privilèges du
groupe dominant. Tout un discours peut donc se mettre en place pour rendre
légitime l’agression et les privilèges dont parle Memmi, contribuant ainsi à la
respectabilité du discours raciste qui n’apparaît plus comme tel. Ce discours là
n’est pas un discours raciste : c’est une représentation des données empiriques,
mais une représentation suffisamment falsifiée pour que le discours raciste
apparaisse comme crédible. Cela aussi est un aspect de la respectabilité.
La
respectabilité se manifeste aussi par le fait que les porteurs de ce discours
occupent des positions importantes parmi les élites politiques, économiques et
intellectuelles du pays. Ce discours acquiert alors la respectabilité conférée
par le pouvoir de ceux et celles qui l’adoptent.
La respectabilité du
discours raciste se manifeste enfin par le fait que les représentations
empiriques sur lesquelles il se fonde deviennent dominantes. Dans le cas du
conflit Palestinien, ces représentations sont fondées sur l’explication du
conflit par la haine plutôt que par les politiques de dépossession des
Palestiniens. La section Proche-Orient du site web de Radio-Canada, par exemple,
porte le titre : La spirale de la haine. [16]
Contester ces
affirmations peut être très coûteux professionnellement parce qu’on est accusé
de ‘défendre les terroristes’ et on s’expose alors à une campagne de salissage
[17] .
Les processus intellectuels qui produisent ce
racisme
Pour que de tels discours soient possibles, il faut que la
représentation sociale qu’on se fait du conflit les autorise. La prémisse de
départ de notre analyse est que la représentation du conflit est faussée dans le
discours dominant. Nous consacrerons cette section du texte à établir cette
prémisse. Cela suppose à la fois des mécanismes politiques de contrôle de ce qui
se dit dans les média [18] et sur ce que les politiciens peuvent dire sans
se faire huer et sans risquer de perdre leurs élections, et des processus
intellectuels qui permettent d’interpréter la réalité dans un sens qui rend ces
discours ‘respectables’. En analysant ces processus intellectuels, nous ne
parlerons pas des rapports de pouvoir qui font qu’un individu a peur de dire
quelque chose qu’il ou elle voudrait dire. Nous voulons analyser les cas où des
gens se veulent objectifs, sont convaincus qu’ils le sont, mais préparent en
même temps le racisme ouvert des autres. C’est ce discours là qu’il nous semble
intéressant d’analyser. Compte tenu des limitations d’espace, nous proposerons
ici des illustrations partielles de ce processus. [19]
1. Distorsion des faits
Comme il
a été dit plus tôt, le fondement de tout ce discours, c’est au départ une
distorsion des faits. Illustrons cela par un exemple. Nous avons entrepris une
analyse de contenu des éditoriaux de certains grands journaux canadiens sur la
situation au Proche-Orient [20] . Un des résultats préliminaires de notre
enquête concerne les éditoriaux de The Gazette (Montréal) publiés entre avril
2000 et mars 2001 sur tout ce qui touche Israël et la Palestine. Le mot
‘occupation’ ou ‘occupé’ n’apparaît que 7 fois en un an : 4 fois pour parler du
Liban, 1 fois pour parler du Koweït, et deux fois pour parler des territoires
Palestiniens. De ces deux fois, une phrase affirme qu’on peut comprendre que les
Palestiniens veuillent mettre fin à l’occupation, et l’autre pour dire qu’Israël
pourrait annexer les territoires occupés en représailles à la déclaration d’un
État Palestinien. Mais la notion de politiques d’occupation militaire des
territoires palestiniens n’y figure aucune fois durant l’année complète et ne
fait absolument pas partie du schème d’analyse. Pourtant ces politiques forment
un volet important de la stratégie israélienne et elles constituent le nœud du
problème [21] . En faisant comme si elles n’existaient pas, le problème est
réduit à une dimension psychologique : les Palestiniens luttent contre Israël
parce qu’ils n’aiment pas les juifs, et Israël occupe le territoire palestinien
uniquement pour se protéger et garantir sa sécurité. Même si le fait d’ignorer
les politiques d’occupation militaire et civile des territoires palestiniens
n’est pas en soi raciste, il propage une représentation du conflit sur la base
de laquelle le discours raciste peut apparaître comme crédible. Cette omission
contribue de façon fondamentale à la respectabilité de ce discours. Il en
va de même pour les points suivants.
Un autre élément de distortion des
faits, ce sont les termes utilisés pour parler du conflit. Selon le journaliste
Robert Fisk [22] , l’un des observateurs les plus informés sur la situation du
Proche-Orient, la chaîne CNN a donné elle aussi des instructions très strictes à
ses journalistes : les colonies de peuplement autour de Jérusalem, construites
sur des terres confisquées aux Palestiniens en violation de la Convention de
Genève, ne doivent pas être appelées ‘colonies’ mais ‘quartiers juifs’. Une
circulaire en ce sens émanant du siège social à Atlanta était très claire : "We
refer to Gilo as 'a Jewish neighbourhood on the outskirts of Jerusalem, built on
land occupied by Israel in 1967. We don't refer to it as a settlement.''
De plus un des correspondants de CNN aurait déclaré à Robert Fisk : “But now
there's pressure on us not to use the word 'settler' in any context but to
just refer to the settlers as 'Israelis'." [23] Il ne faut pas
sous-estimer l’importance de ce détail technique dans la représentation des
Palestiniens : si Gilo est un quartier juif ordinaire d’Israël, les pierres que
lancent les jeunes palestiniens contre ses résidents deviennent l’expression de
la haine qu’ils ressentent envers les Juifs et de leur désir de détruire Israël
et de jeter les Juifs à la mer, théorie répétée par des citoyens instruits et
même par des directeurs de départements de sciences humaines dans les pages du
Devoir [24] . Alors que s’il s’agit d’une colonie construite sur des terres
confisquées, elle constitue une violation de la IVe Convention de Genève, et
l’attitude exprimée par les Palestiniens prend un tout autre sens. Il faut
souligner que Gilo a été construite sur des terres palestiniennes pendant qu’on
négociait la paix dans le cadre des Accords d’Oslo, et après la signature de ces
accords …
2. Négationnisme sélectif
Un des aspects
de la falsification de l’histoire, c’est la négation de l’expulsion violente des
Palestiniens de leurs terres en 1947-48, négation qui va jusqu’à la négation
entière de leur existence comme peuple. Outre la fameuse déclaration de Golda
Meir (« There is no such thing as a Palestinian people ») de 1967, on peut citer
l’exemple du livre de Joan Peters [25] dont l’auteur a été invitée avec
tous les honneurs dans plusieurs universités montréalaises et même au Parlement
du Canada, et qui dit simplement que les Palestiniens n’existent pas et n’ont
jamais existé en tant que peuple : il s’agit selon elle d’Arabes des pays
avoisinants qui sont venus en Palestine pour profiter des réalisations
économiques des immigrants juifs… Pendant deux ans, le livre a reçu une
excellente couverture médiatique, et il a été utilisé dans des cours sur le
Proche-Orient dans des universités américaines et canadiennes. Ses critiques,
qui démontraient les falsifications systématiques du livre, étaient traités
d’antisémites ou de ‘self-hating Jews’, jusqu’à ce qu’un historien israélien
senior, Yehoshua Porath, écrive dans le New York Times que ce livre était une
fraude monumentale (a ‘hoax’). Le livre incluait des citations de documents
historiques où les phrases avaient été modifiées sciemment pour leur faire dire
le contraire de ce qu’elles disaient. Là encore, ce qui est significatif ce
n’est pas l’existence de ces procédés de falsification, c’est leur
respectabilité : le livre avait été endossé, sur sa page couverture, par des
personnalités publiques telles que Elie Wiesel, par plusieurs historiens, et par
le directeur du US Census Bureau qui avait pris la peine d’écrire une note
méthodologique de deux pages pour dire combien le livre était rigoureux.
L’importance de ce livre et des publications similaires est cruciale : si les
Palestiniens n’ont jamais existé sur la terre de Palestine, leur revendications
ne peuvent être expliquées que par la haine des Juifs. La négation du fait
historique s’inscrit dans une stratégie de domination et n’est pas le résultat
aléatoire des lubies d’une écrivaine.
Conclusions
Nous pouvons résumer les points les plus importants que
nous avons présentés de la façon suivante :
1. Il existe un discours
ouvertement raciste qui vise les Palestiniens.
2. L’enjeu de ce
discours, c’est le contrôle des 22 % de la Palestine historique, que la
communauté internationale ne reconnaît pas comme étant territoire israélien.
3. Ce racisme a acquis une certaine ‘respectabilité’ en Amérique du
Nord, ce qui rend son étude plus difficile.
4. L’étude de ce racisme
nécessite des paradigmes spécifiques, car il se conjugue avec un discours de
tolérance et d’ouverture très sélectives envers tous les groupes qui ne sont pas
un obstacle à la réalisation de l’enjeu de la relation de domination qui le
fonde, ce qui contribue à sa ‘respectabilité’.
5. Ce discours n’est pas
marginal, et il est repris par des individus et des institutions qui sont au
cœur des élites politiques, économiques ou intellectuelles en Amérique du Nord,
ce qui constitue un aspect de sa ‘respectabilité’.
6. Le premier aspect
de cette respectabilité est que le racisme de ce discours n’est pas reconnu pour
ce qu’il est.
7. Pour maintenir un caractère de respectabilité, ce
discours requiert un autre discours, pas nécessairement raciste, qui le prépare
et le justifie. Les processus intellectuels par lesquels cette respectabilité se
construit ont été ébauchés ici mais nécessitent une élaboration plus
approfondie.
8. Le déni de rationalité est un des processus
fondamentaux de ce discours, et il entraîne un débordement de l’objet du
discours raciste pour inclure l’ensemble des Arabes ou des musulmans. Car si la
domination est niée, le refus de cette domination ne s’explique que par la
haine, elle-même résultant de la culture ou de la religion, ce qui ouvre la voie
aux généralisations à l’ensemble des Arabes ou des musulmans.
9. Les
phénomènes d’assignation et d’adhésion à l’identité ethnique qui résultent de
cette situation mettent en jeu des transferts de statut (dominant/dominé) à
travers l’espace et le temps, dimensions qui n’ont pas été explorées ici.
Plusieurs questions concernant l’étude de l’ethnicité restent à creuser dans
cette approche. AU niveau théorique, les phénomènes décrits mettent en rapport
des processus qui se déroulent à des niveaux géographiques différents, et dans
des espaces différents, et qui se déroulent sur des longueurs de temps
différentes. La façon d’intégrer de façon organique le temps et l’espace dans
les processus d’assignation et d’adhésion à l’identité ethnique reste à
développer.
Les processus par lesquels un certain discours raciste acquiert
sa respectabilité méritent aussi d’être étudiés, et nous n’avons fait que les
évoquer. Mais cette étude reste un terrain miné car les groupes dominants dans
le rapport que nous avons analysé sont étroitement apparentés aux victimes de
l’antisémitisme, qui est loin d’avoir été éradiqué. L’étude de rapports de
domination où l’un des groupes dominants est issu de groupes qui étaient
dominés il n’y a pas si longtemps pose donc des problèmes à la fois théoriques
et politiques qui nécessitent de grandes précautions dans l’analyse, une grande
rigueur, et une attention aux sensibilités des divers acteurs. Par ailleurs, ces
analyses doivent être faites sans complaisance si le but est de comprendre les
dynamiques productrices de clivages ethniques. Nous espérons que les
problématiques soulevées ici vont permettre un débat approfondi sur ces
questions, et que ce débat saura éviter les démonisations mutuelles si faciles
dans le climat de conflit aigu à travers lequel passe la région du
Proche-Orient. - Montréal, 6 avril 2002 - [Publié
dans le Point d'information Palestine avec l'accord de
l'auteur.]
- NOTES :
[1] Jocelyn
Létourneau, Titulaire de la chaire de recherche du Canada en histoire et
économie politique du Québec contemporain, Université Laval, Le Devoir, 15
septembre 2001.
[2] Ce dernier point a été exploré dans R.Antonius,
L'information internationale et les groupes ethniques : Le cas des Arabes, Revue
canadienne d’études ethniques, vol XVIII nº2, 1986, ainsi que dans
Catégories politiques, groupes ethniques et distortion des faits dans le
discours sur les Arabes, communication présentée au Colloque annuel de
l'ACSALF 1988, Moncton (manuscrit, 1988).
[3] Ce terme a été suggéré par
Naïma Bendris lors de discussions sur les représentations sociales des Arabes.
Mme Bendris a aussi noté l’importance des représentations bestiales des Arabes
dans ce discours raciste.
[4] Rappelons qu’on a pas déterminé avec certitude
qui sont les auteurs de la tragédie du 11 septembre, et si il y a eu ou non
implication et dérapage de la part des divers services secrets qui ont manipulé
dans le passé les réseaux tels que celui d’Al Qa’ïda. Même si beaucoup de signes
pointent vers des réseaux clandestins violents qui se réclament de l’Islam,
plusieurs questions fondamentales pour la compréhension des événements restent
sans réponse et interdisent de nommer les auteurs avec certitude.
[5] Le
discours sur ces questions en Europe diffère de façon qualitative. Celui que
nous analysons est avant tout celui qui est dominant aux États-Unis, et dans une
moindre mesure au Canada y compris au Québec, avec la précision que dans les
média francophones et parmi l’élite politique francophone, il nous semble que ce
discours est moins dominant, et peut-être même minoritaire.
[6] Albert Memmi,
Le Racisme, Gallimard (Collection Idées), Paris, 1982.
[7] Les premiers 78%
de la Palestine historique ont été attribués à Israël par les Nations unies en
1947, sans l’accord des Palestiniens.
[8] The Gazette (Montréal), le 2 avril
2002. Le même éditorial a été repris mot pour mot dans une dizaine de journaux à
travers le Canada, mais avec des titres différents.
[9] Propos rapportés par
le Canadian Jewish News en date du 26 octobre 2000. Il s’agissait d’une réunion
entre les représentants d’organismes de la communauté juive et le Premier
Ministre, M. Jean Chrétien.
[10] Philadelphia Enquirer, 31 janvier
2002.
[11] Dans le MacLean ainsi que dans une demi-douzaine de journaux dont
le Ottawa Citizen, le 11 novembre 2000.
[12] Marcus Gee commence une de ses
chroniques dans le Globe and Mail par la phrase : ‘The rock throwers and Jew
haters in the Palestinian streets are feeling good these days.” (26 octobre
2000).
[13] C’est du moins ce qui ressort des échanges que nous avons eu avec
certains d’entre eux ou avec leurs rédacteurs en chef.
[14] Au sens du
concept de la face élaboré par Erwin Goffman. Il y aurait lieu de creuser cette
dimension et de lier les analyses de Goffman sur la face à l’arrogance
tranquille que prodigue l’appartenance à un groupe dominant.
[15] Cette
tendance semble être en voie de changer. Les deux dernières années les
séminaires et journées de discussion pour lutter contre l’islamophobie se sont
multipliés, avec la participation d’institutions officielles (gouvernementales
ou non) telles que la Commission des droits de la personne et des droits de la
jeunesse et la Ligue des Droits et Libertés.
[16] http://www.radio-canada.ca[17] Charles Enderlin, correspondant de la
chaîne française France 2 et lui-même citoyen juif israélien, déclare que si les
journalistes ne répètent pas la version israélienne officielle et seulement
cette version ils sont accusés d’antisémitisme (rapporté par The Gazette à la
mi-janvier 2002).
[18] On se rappelera qu’au mois d’août 2001, le
propriétaire de la chaîne CanWest, M. Israel Asper, a fait parvenir une
circulaire à tous ses journaux indiquant qu’il était interdit de critiquer les
politiques israéliennes, et que c’était le siège social de CanWest qui
établirait désormais la politique éditoriale de tous les journaux de la chaîne.
La série d’éditoriaux que nous avons cités plus haut est l’une des
manifestations de cette politique.
[19] Il s’agit d’une illustration par des
exemples, plutôt qu’une analyse véritable. Une analyse plus approfondie sera
développée dans un texte subséquent.
[20] Recherche en cours avec la
collaboration de M. Béchir Oueslati. La recherche n’est pas terminée.
[21]
Même l’ancien président Jimmy Carter déclare dans le Washington Post du 26
novembre 2000: It was clear that Israeli settlements in the occupied territories
were a direct violation of this agreement and were, according to the long-stated
American position, both "illegal and an obstacle to peace".
[22] The
Independent, Londres, 3 septembre 2001.
[23] Idem.
[24] Une autre
manifestation de la respectabilité du racisme anti-palestinien.
[25] Joan
Peters, From Time Immemorial, Harper & Row, 1984.
3. Viva Palestina - Le rêve
vivant de l'équipe nationale de football palestinien par le Miftah (The
Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue & Democratie -
http://www.miftah.org) (18 décembre
2002)
[traduit de l'anglais par Monique
Barillot]
Au moment où les Palestiniens sont relégués
en touche, négligés et niés, l'équipe nationale palestinienne de football,
symbole d'indépendance, est plus décidée que jamais à maintenir l'espoir vivant.
Bien qu'il soit devenu de plus en plus difficile de jouer et de rester motivé,
les membres de l'équipe réussissent à représenter dignement la Palestine dans
les matches de football internationaux. L'équipe nationale palestinienne
participe aux rencontres internationales depuis 1992, a été reconnue par la FIFA
en 1998 et classée 151ème sur les 203 pays du classement mondial de la FIFA.
L'entraîneur polonais de 47 ans, Andrzej Wisniewski a été mis à disposition par
la Fondation asiatique de football de l'ouest pour aider l'équipe
palestinienne. Voulant éviter la politique, Wisniewski a fait remarquer : "la
vie en Bande de Gaza est difficile." Cependant, fier de son équipe, il a ajouté,
"je veux rester avec l'équipe parce que je pense qu'ils sont fantastiques."
Wisniewski devait encore rencontrer la moitié de son équipe incapable de voyager
en raison des restrictions israéliennes et des couvre-feux imposés aux villes de
Cisjordanie aux villes dont ils viennent.
En fait, il est même extrêmement
difficile de voyager d'un endroit de la Bande de Gaza à un autre et beaucoup de
joueurs locaux sont contraints de manquer l'entraînement pour cause
d'incursions, de points de contrôle et parfois même de mort. Les statistiques
montrent aujourd'hui que plus de 130 sportifs palestiniens ont été tués par des
troupes israéliennes depuis septembre 2000.
Beaucoup de footballeurs
internationaux font partie de la classe favorisée de la jet set, mais le
milieu de terrain palestinien Jamal Al Houly est sans abri depuis le 2 août,
après que l'armée israélienne ait démoli sa maison. Al Houly vit dans le Camp de
réfugiés de Rafah et sa maison a fait partie des centaines de maisons rasées par
des bulldozers israéliens. Décrivant la façon par laquelle les Israéliens s'y
sont pris, il a dit, "Ils sont venus à 2h00 et nous ont dit avec un haut-parleur
:
"Restez et vous mourrez, fuyez et vous vivrez ! Nous avons fuit en
quelques minutes. Ce n'était pas le moment de rechercher mes médailles des
tournois internationaux". Juste avant les championnats arabes en décembre, Al
Houly - le sans abri - s'exprimait avec optimisme : "j'ai perdu la médaille,
mais cela ne m'empêchera pas d'essayer d'en gagner une autre, peut-être même une
meilleure."
L'Équipe Nationale palestinienne de Football est sans le sou et
elle a aussi perdu des subventions de la FIFA. Le projet de stade que la FIFA
voulait construire en Palestine a subi de nombreux retards depuis septembre
2000.
Néanmoins, la FIFA a reconnu que des joueurs de football palestiniens
pourraient être recrutés à l'étranger, étant donnée la situation de trouble
politique et social en Palestine occupée. Les Palestiniens ayant une double
nationalité peuvent pour la Palestine, mais ne peuvent pas jouer pour une autre
nation.
Avec une population de plus de 6 millions de réfugiés dans le monde
entier, les Palestiniens peuvent facilement être recrutés au Chili, en
Argentine, au Pérou, au Honduras et au Mexique. "Certes, je suis intéressé
par l'idée."
C'est aspect international et ce serait une bonne idée d'y
participer. Nous savons que les Palestiniens vivants dans une zone de conflit
ont besoin de notre aide. C'est une porte qui s'est ouverte," a dit Pablo Abdala
milieu de terrain en Argentine.
Avec des noms comme Pablo Abdala (un
Argentin qui joue pour le club Cobreloa),les frères Roberto , Fabian Bishara et
Roberto Kettlun, qui tous jouent pour le club de première de division
chilien Palestino, l'équipe palestinienne est colorée et unique.
L'entraîneur
Nicola Hadweh, un Chilien de parents palestiniens, a rejoint l'équipe de rêve
palestinienne et fait communique son enthousiasme latin et sa passion qui ont
dopé le moral de l'équipe.
"Notre but principal objectif est d'aller en
finale en Allemagne et de devenir champions du monde," a dit Hadweh plaisantant
à demi. "Quel intérêt y aurait-il à relever le défi sans avoir des objectifs
ambitieux?
Les joueurs palestiniens d'Amérique latine peuvent nous aider il
n'y a aucun doute là dessus", a-t-il ajouté. Cette initiative des Palestiniens
est encore un autre exemple de la persévérance palestinienne et de la
détermination à ne pas être laminé.
En raison du manque de moyens financiers,
les joueurs palestiniens sont en général employés à temps plein, travaillant
comme policiers, manœuvres et ouvriers du bâtiment.
Ils sont les Ambassadeurs
de la Palestine - une nation, une entité et un rêve. Ils sont fiers,
travailleurs et pauvres et c'est pourquoi ils sont déjà vainqueurs.
Ils ont
gagné le respect international et, ce qui est plus important, ils sont les vrais
héros qui se battent pour maintenir le rêve vivant.
4. La Cité du Bien-Aimé ou
l’Argument de Persée par Israël Shamir (13 décembre
2002)
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]
Leurs trois noms comportent une
nuance de mystère du Moyen-Age, mais au lieu d’Espérance, de Pénitence et de
Merci, les trois sœurs s’appellent Amal, Thawra et Tahrir (Espoir, Révolution et
Libération)… Vêtues comme des collégiennes ordinaires, que sont d’ailleurs deux
d’entre elles, elles ne dépareraient pas à Yale, ni à l’Université de Tel-Aviv.
Leurs livres et leurs CD sont les mêmes que ceux que j’ai aperçus ce matin sur
l’étagère, dans la chambre de mon fiston. Mais leur sourire – leur magnifique
sourire heureux – leur esprit enjoué et leur moral au beau fixe… : voilà qui
sort tout à fait de l’ordinaire, lorsqu’on connaît leurs conditions
d’existence…
Voilà cinquante ans, leurs
parents ont été chassés de leur maison ancestrale, dans le Sud de la Palestine,
parce qu’ils n’étaient pas juifs. Ainsi les trois sœurs sont nées dans une
famille de réfugiés, à Hébron. Elles sont nées l’une derrière l’autre, avec peu
d’écart entre elles, comme pour compenser les nombreuses années perdues en
prison par leur père. Elles le connurent près d’elles, mais pas longtemps : il a
été gazé à mort après qu’un colon eût balancé une grenade lacrymogène au beau
milieu de leur salon. La plus jeune des trois sœurs, Amal, est au collège,
tandis que Tahrir est déjà à l’université, en deuxième année d’architecture, ce
bel art d’édifier des idées en pierres de taille et de projeter des lieux de
vie. Leur maison, en pierres, modeste, avec trois pièces et de grandes fenêtres,
est entourée par les rangées de vignes, au fond d’une vallée. Hélas, elle est
condamnée.
Les anges de la dévastation
étaient là, dehors, écarquillant les yeux comme pour mieux contempler les ruines
de la maison voisine, sa terrasse fendue, au milieu des gravats, et une femme
aux cheveux gris, en train de chercher quelque chose parmi les vestiges de ce
qui était sa maison, la veille encore.
« Yalla, ufi kvar ! » crissa à la
vieille dame une grande Juive dépendeuse d’andouilles, une
Barbara-ou-quelque-chose-dans-ce-genre-là,: « Disparais ! »
Un officier qui l’accompagnait
intervint, obséquieux. Il répéta en arabe l’ordre de la grande sauterelle juive
et, tandis que la femme âgée émergeait péniblement du cratère, il rendit compte
à Barbara-ou-je-ne-sais-quoi de ce que cette vieille femme lui avait répondu
:
« Sa jambe neuve… » dit-il. « Cinq mille shékels… Plus de mille dollars…
L’a achetée y’a tout juste un mois… La portait seulement pour les grandes
occases… Hier, quand on lui a pété sa bicoque, l’avait qu’sa vieille jambe de
bois… »
« Non, non… l’a perdu sa jambe
enfant, en 48, dans le bombardement de la Vieille Ville de Jérusalem… » répondit
l’officier à une question qu’avait dû lui poser un homme grand, imposant,
portant un complet gris très élégant et une petite kippa sur la tête. Pendant ce
temps, deux bulldozers repoussaient les restes de la maison de la vieille dame,
dévorant impitoyablement les restes de la vigne et écrabouillant ses feuilles
rouges et pourpres, en les mélangeant à la gadoue.
A cette époque de l’année, le
rouge pourpre recouvre les collines de la campagne hébronite. C’est la terre des
vignes, que Bethléem sépare de la terre des oliviers, plus au nord. C’est le
pays des vastes terrains en terrasses, de la terre rougeâtre craquelée, des
riches troupeaux de moutons, des sources rares, de la foi solide comme le roc et
du raisin. Bien que, voici quelques siècles, les gens du coin aient abandonné
leur religion orthodoxe pour se convertir à l’islam, ils pressent toujours leur
raisin dans leurs pressoirs en pierre millénaires. En automne, vêtues de leurs
longues tuniques sombres aux broderies délicates, les femmes d’Hébron vendent, à
la Porte de Damas, à Jérusalem, les grappes jaunes, lourdes et sucrées, encore
recouvertes de la poussière du vignoble. Lorsque ma femme a accouché de notre
premier garçon, je lui ai offert une de ces robes palestiniennes, noire et
cramoisi, brodée des semaines durant dans un village tout proche d’Hébron…
Autant j’aime les paysages de
vignobles et les gens d’Hébron, autant ce n’est pas un endroit que je puisse
visiter le cœur léger, et je ne suis certainement pas le seul dans ce cas. Comme
dans quelque tragédie grecque, une terrible malédiction pèse sur la cité. Si
dans l’histoire de Persée c’est un monstre marin qui dévore les vierges de
Jaffa, le Monstre d’Hébron, quant à lui, grignote lentement mais inexorablement
la ville et ses habitants. Aujourd’hui, Hébron n’est plus que ce genre d’objets
à demi digérés que les pêcheurs trouvent parfois dans l’estomac d’un requin
hissé sur le pont. Elle conserve certains traits de l’antique et fière cité des
hommes, mais elle est à moitié bouffée. Si vous avez quelque moment rendu visite
à une belle jeune fille souffrant d’une maladie incurable, et donc condamnée,
vous saurez de quoi je veux parler.
En des temps normaux, la contrée
d’Hébron serait à juste titre admirée et célébrée. C’est par excellence le Pays
de la Bible : le mode de vie de ses habitants n’a guère changé, depuis ces temps
reculés. Ce sont toujours ces mêmes pâtres et ces mêmes vignerons et les noms de
leurs villages sont gonflés de mémoire. Le grand bandit palestinien Daud, plus
tard Roi David, faisait payer l’impôt du sauf-conduit à Maan ; le prophète Amos
grandit à Tukua ; Gad est enterré à Halhul. Khalil fut appelé Hébron, puis Saint
Abraham, puis de nouveau Khalil, ce qui signifie le Bien-Aimé, car c’est le
surnom d’Abraham, le grand héros culturel du Moyen-Orient. C’est la Judée
originelle, celle des rois et des prophètes. Judéens, et non pas (en dépit de la
proximité dans la consonance) Juifs, et même tout à fait étrangers aux Juifs
d’autrefois, qui ne se sont jamais aventurés aussi loin vers le sud : ils n’ont
jamais mis les pieds dans cette province trop aride pour eux. L’historien juif
Flavius Josèphe ne connaissait rien de ces lieux ; les livres juifs, le Talmud
et la Mishna, ne font presque pas mention d’Hébron ni de Bethléem. Les Juifs
appelaient cette région « Idumée », et ses habitants judéens « Iduméens ». (De
la même manière, les Juifs appelaient le pays d’Israël « Samarie », et ses
habitants israélites « Samaritains », dans leur désir de privatiser et de
s’approprier l’héritage biblique). Les Judéens indigènes, les gens d’Hébron,
d’Al-Khalil, s’en moquaient bien : ils continuaient à travailler leurs champs et
à prier dans les mêmes mausolées que leurs ancêtres, les authentiques héros de
la Bible…
Par-dessus tout, ils chérissent
leur Mosquée Ibrahimiyyé, qui commémore Al-Khalil, le Bien-Aimé de Dieu, Ibrahim
(ou Abraham), pionnier spirituel de l’humanité. Cet édifice massif en pierres
rustiques a été érigé en des temps immémoriaux. Les Croisés bâtirent une belle
basilique sur les anciennes fondations, et les gouvernants éclairés du Caire et
de Damas, d’Istanbul et de Bagdad, ornèrent ses murailles de versets du Coran
calligraphiés. La Mosquée d’Hébron exsude la sainteté et la grâce, c’est une
fontaine spirituelle jaillissant au milieu des collines de la Judée. Oui, c’est
cela, le caractère unique de la Terre Sainte : tandis que le Tout Puissant
donnait de l’huile à leurs voisins, Il donna aux Hébronites un trésor
inépuisable d’esprit saint. Au contraire de l’huile, qui finit un beau jour par
manquer, plus il est prodigué d’esprit saint, plus il en reste. C’est
probablement la raison pour laquelle l’ennemi rend tellement difficile tout
déplacement là-bas…
La Vieille Ville d’Hébron est un
dense grouillement de maisons médiévales se pressant autour de la Mosquée
Ibrahimiyyé. Les maisons serrées les unes contre les autres ne ménagent que
quelques entrées dans ce labyrinthe. Et ces entrées, elles ont été condamnées
par des portails en fer et du fil de fer barbelé, ne laissant que deux accès à
la ville. Les entrées en sont contrôlées par des checkpoints renforcés. Les
soldats vérifièrent une énième fois nos papiers, nous fouillèrent et nous
laissèrent entrer, enfin, dans la
Cité-du-Bien-Aimé-transformée-en-la-pire-des-prisons dans l’archipel du Goulag
de Palestine…
J’avais pour Virgile, dans cette
descente aux Enfers, un homme exceptionnel, Jerry Levin, un Américain originaire
de l’Alabama. Ancien directeur du bureau de la CNN au Liban, il a passé pas loin
d’une année de son existence otage du Hezbollah. Depuis sa libération, il vit
dans la Vieille Ville d’Hébron en compagnie d’une petite équipe de militants
pacifistes chrétiens. Les membres de cette équipe, le Christian Peacemakers
Team, apportent de la nourriture aux civils assiégés, s’efforcent de protéger
les habitants de la ville et souffrent en silence des avanies et de la violence
des colons et des militaires de ‘Tsahal’. Né juif, Jerry a choisi de laisser
tomber le culte de la vengeance ; il a embrassé le christianisme et opté pour le
camp des opprimés de la Terre.
« Ne soyez pas trop impressionné
par ma captivité au Liban », me prévint-il, un sourire forcé aux lèvres. « Tout
le monde, ici, pourra vous parler de captivités beaucoup plus longues et
beaucoup plus dures que la mienne… »
Des yeux d’enfants nous
épiaient, derrière des barreaux de fer. Les rues étaient désertes : depuis de
nombreux mois, les indigènes n’ont pas été autorisés à fouler les voies pavées
de leur ville. Un couvre-feu quasi éternel a été imposé, ici, depuis des années.
Les échoppes ont été saccagées et brûlées par des pillards colons ; les murs
portent des graffiti en lettres cursives hébraïques : « Tuez les Goyim – c’est
bon pour les Juifs ! » ; « Kahane avait raison ! » ; « Sois béni, Ô, Docteur
Goldstein ! »
Nous frappâmes à la porte en fer
d’une maison, et nous entendîmes des sons de lourdes targettes que l’on tirait.
La porte fut entrebâillée, juste de quoi nous permettre de passer et d’entrer.
Après avoir monté des escaliers très étroits, nous nous retrouvâmes sur une
terrasse. Le grandiose édifice de la Mosquée s’élève haut dans le ciel, juste à
deux cent mètres de là, mais les habitants s’aventurent rarement aussi loin. Des
planches étroites relient les terrasses de la ville et permettent aux Hébronites
assiégés d’aller rendre visite à leurs voisins. Leurs enfants, comme des
moineaux, courent de maison en maison, sur des planches suspendues à des
hauteurs vertigineuses, ou bien observent la rue, au-dessous de leur fenêtre, en
passant la tête entre les barreaux. Les rues ont été privatisées par les colons,
à leur usage exclusif, de telle sorte qu’ils peuvent y déambuler en toute
quiétude, sans même être gênés par la vue importune des Gentils. Régulièrement,
les colons fracassent des portes et attaquent les citoyens, balancent leur
literie et leurs meubles par les fenêtres et leur cassent la figure. C’est
pourquoi leurs portes sont condamnées par d’épaisses planches clouées et par des
serrures impressionnantes, afin de ralentir la progression des soldats et des
colons au cours de leurs fréquents pogromes. Les habitants ne peuvent même pas
sortir de chez eux pour aller acheter de quoi manger : il faut que des
volontaires européens et américains leur apportent du ravitaillement… Beaucoup,
s’évadant de cet enfer invivable, abandonnent derrière eux leur maison, leurs
vignes et leurs propriétés et partent pour l’exil. Dans cette ville à demi
bouffée, seuls les plus solides peuvent rester.
Une fois, mon ami américain
Michael m’a demandé si les Palestiniens pratiquaient une forme quelconque de
lutte non-violente. A Hébron, chaque journée, chaque heure, chaque minute de la
vie d’un Palestinien est une lutte non-violente pour l’existence.
Malheureusement, cette lutte ne remporte pas un grand succès. Apparemment, les
monstres d’Hébron, eux aussi, ont bien besoin d’un Persée qui vienne les
convaincre…
Nous ressortons, à découvert. Un
colon nous interpelle : il cligne des yeux dans l’obscurité qui emplit l’étroit
passage voûté :
« Sales Arabes ! Foutez le camp
! »
Un soldat, au carrefour, le
calma : « C’est pas des Arabes, c’est des Internationaux ! »
« Y sont encore pires ! », hurla
le colon, un Juif d’Europe de l’Est, âgé. Puis il nous harangua dans son anglais
aux fortes consonances est européennes : « Partez ! On ne veut pas de vous dans
le coin ! »
« On ne veut pas de vous non
plus ! » répondîmes-nous, prenant la direction de la Mosquée. Elle était
entourée de trois rangées de soldats, fraîchement importés d’Ethiopie et
d’Ukraine, pour la plupart. On nous fouilla et on nous refouilla, on nous
demanda d’où nous venions et pourquoi, nous passâmes sous des portiques
détecteurs de métaux et détecteurs de mensonge, sentant vrillés sur nous les
regards soupçonneux des troufions, pleins de leur haine infatigable habituelle,
et nous pénétrâmes dans le gigantesque cénotaphe d’Abraham. Eh bien, vous me
croirez si vous voulez, malgré tout ça, j’ai été saisi par l’émanation de
sainteté qui émanait de ce lieu, comme si mon esprit était soulevé et porté par
la grande lame d’un tsunami. Haut. Très haut. Je ne sais pas si un lieu saint
est saint en raison du saint homme qui y est enterré, ou si, vice-versa, on
enterre les hommes saints dans les lieux saints parce que ces lieux sont saints…
Mais une chose est sûre : pour un lieu saint, c’était un lieu saint !
En me retournant, je vis ceux
qui ont privatisé la source spirituelle. Ils portaient des châles de prière
blancs, avec des rayures noires, sur leurs épaules. Ils me virent.
« C’est un Arabe ! » dit l’un
d’entre eux.
« Non… C’est un Fritz ! »
« Non : c’est un Arabe avec un
passeport israélien - voilà pourquoi il a l’air tellement arrogant », reprit le
premier.
« Toi y en être Arabe ? »
demanda le second.
« Bien sûr , Monseigneur»,
répondis-je, posément.
« Fous le camp d’ici, vermine !
» crièrent-ils, en chœur.
En réalité, les colons se
moquent de la Tombe du Bien Aimé comme de leur première chemise. Ils ont un
autre tombeau à honorer, celui d’un meurtrier en gros, originaire de Brooklyn,
le Dr. Goldstein. Ce Dr. Goldstein conquit la gloire lors du Pourim de 1994. Le
Pourim est la seule fête joyeuse du calendrier des Juif. Cette fête marque en
effet l’anniversaire d’un joli massacre perpétré par leurs ancêtres, en Perse,
voici quelque vingt quatre siècles, au cours duquel 75 000 Goyim, hommes, femmes
et enfants, furent allègrement égorgés par les Juifs – on le voit : une bonne
raison, durable, de faire la fête… Cela est décrit dans l’Ancien Testament, et
cela fait, par conséquent, partie des Ecritures chrétiennes, aussi. Mais les
Chrétiens lisent cela et prennent cette histoire pour une délivrance, alors que
pour les Juifs, il n’y a pas de délivrance qui ne soit suivie de
vengeance.
En 1994, donc, aux jours du
Pourim, le Dr. Baruch Goldstein fit irruption dans la Mosquée, armé de deux
mitraillettes et d’un tas de chargeurs de rechange. Les soldats à l’œil de lynx
ne nous auraient pas laissé introduire une lime à ongle, dans la Mosquée, mais
lui, ils ne l’arrêtèrent pas… Il entra dans la salle de prières, s’écria «
Joyeux Pourim ! », après quoi il ouvrit un feu nourri. Il massacra quelque
trente fidèles bien entendu désarmés, avant que les survivants ne parviennent à
abattre la bête enragée. Alors qu’ils étaient en train d’évacuer leurs morts et
leurs blessés de la mosquée, les soldats ouvrirent le feu et tuèrent une
trentaine de fidèles supplémentaire, en s’écriant : « Joyeuses Fêtes de Pourim !
». Lorsque la nouvelle du massacre parvint à la Knesset, le Parlement israélien,
Hanan Porat, chef du Parti Juif National Religieux offrit ses vœux de « Joyeux
et Bon Pourim » aux parlementaires…
Le Dr. Goldstein fut enterré
avec les plus grands amour et respect ; son tombeau devint un lieu de
pèlerinages de masse pour les colons et leurs admirateurs venus d’Israël,
d’Amérique et d’un peu partout à travers le monde. Des jeunes filles juives
potelées et respirant la santé viennent déposer sur sa tombe des bouquets de
fleurs et des lampions. De jeunes soldats juifs posent leurs flingues M-16
américains sur sa dalle tombale et invoquent l’assistance et la guidance
du saint homme. Devant sa tombe, de jeunes couples échangent des vœux et des
hommes âgés récitent le Kaddish pour le repos de l’âme du défunt vénéré…
Après le massacre, des voix
s’élevèrent, en Israël, demandant qu’on évacuât d’Hébron les colons. Mais le
gouvernement israélien utilisa le massacre comme prétexte pour punir… les
victimes. Une moitié de la mosquée fut investie par les Juifs ; les fidèles du
coin se virent interdits de vénérer le Tombeau d’Abraham le Bien-Aimé de Dieu ;
les accès à la Vieille Ville furent condamnés ; des dizaines de maisons
palestiniennes furent confisquées et rasées ; la rue principale de la ville fut
interdite à la circulation des Goys. Au final, la différence est mince : qu’un
Juif tue ou soit tué, l’Etat juif utilisera toujours le crime comme prétexte
pour voler aux Palestiniens des terres supplémentaires et pour les punir encore
plus.
Bien. Revenons à nos colons. Le
vendredi, ils vont au Tombeau d’Abraham, qu’ils vénèrent comme le font les
Chrétiens et les Musulmans, mais pour une raison différente. Tandis que pour
nous, Abraham est le père spirituel, l’homme qui trouva le moyen de communier
avec Dieu et d’en témoigner pour l’humanité, eux le revendiquent pour ancêtre
biologique et comme justification de leur appropriation du lieu saint. (Adams,
le héros américain de la nouvelle de Mark Twain les coifferait au poteau, lui
qui revendique descendre en lignée directe d’Adam). S’ils pouvaient prouver que
George Washington était juif, ils s’approprieraient à coup sûr la Maison
Blanche. (A y repenser, c’est bel et bien ce qu’ils ont fait, d’ailleurs). Cette
lecture perverse est profondément ancrée dans le psychisme juif, et Nathalie,
une gentille journaliste israélienne qui nous accompagnait, me demanda :
«Les Arabes du coin
considèrent-ils, eux aussi, qu’Abraham est leur ancêtre ? »
« Le monde entier le considère
comme notre ancêtre spirituel »… Je tentai de lui expliquer la foi
non-biologique, spirituelle et universelle d’Abraham. Je lui rappelai qu’Abraham
avait rejeté son père, que Mahomet avait rejeté sa tribu, que le Christ avait
rejeté ses frères, qui estimaient avoir sur lui des droits, proclamant que ses
frères-en-esprit étaient bien plus importants pour lui que ses
frères-par-la-chair. Mais mes propos n’avaient visiblement pas de prise sur la
vision dont elle était imbue. La privatisation, l’appropriation est une tendance
très juive : quand les Palestiniens voient dans une fontaine une source à
laquelle tous ceux qui le veulent, tous les assoiffés, peuvent venir s’abreuver,
la tradition juive, elle, voit quelque chose à s’approprier, à privatiser.
Le vendredi, la ville appartient
totalement aux colons. L’armée impose un couvre-feu particulièrement sévère et
ne permet à aucun goy de sortir de chez lui, ce qui offusquerait la vue d’un
Juif. Les soldats tirent sur les gamins qui oseraient jouer dehors. La ville
retient son souffle, jusqu’à ce que le dernier Juif disparaisse derrière le
quartier hérissé de fil de fer barbelé, strictement réservé aux Juifs. Hébron
est un endroit tout à fait idoine pour étudier les intentions véritables des
Juifs quant à la façon dont le monde, à leurs yeux, doit être géré – venir ici,
cela vaut bien mieux que lire leurs éditoriaux hypocrites édulcorés à la
saccharine…
Mais vendredi dernier, il en
alla différemment. Après que l’escorte habituelle, armée jusqu’aux dents, eût
raccompagné les colons dans leur ghetto, ayant emprunté le chemin de retour vers
ses baraquements, elle fut prise sous les tirs des guérilleros. Les tireurs
palestiniens ne voulaient surtout pas copier sur l’assassin industriel juif ;
ils laissèrent les fidèles juifs rentrer paisiblement chez eux, et ce n’est
qu’après qu’ils ouvrirent le feu. Persée est passé dans le coin ; il est venu
rendre une petite visite au monstre…
On fait subir aux soldats
israéliens le lavage de cerveau afin de les persuader de leur supériorité
raciale, de la supériorité de leurs armes, de la protection de leur
Commandant-En-Chef-Le-Très-Haut, de la soumission des naturels… Ils
étaient absolument certains que l’esprit des Khalilis avait été irrémédiablement
laminé. Arrogants et impitoyables, ils se lancèrent à leur poursuite. Les
combattants firent retraite dans une sente serpentant au milieu des vignes et,
tandis que les soldats ennemis s’y aventuraient, ils leur sautèrent sur le
râble, refermant leur piège mortel.
Les combattants du Jihad
utilisèrent l’arme de l’intelligence contre la force - ruse déjà décrite par les
historiens romains, et dont on fit bien plus tard une pièce de théâtre, Les
Horaces et les Curiaces, écrite par le grand dramaturge allemand Bertolt Brecht.
Les deux clans romains ennemis, les Horaces et les Curiaces, s’affrontèrent sur
le champ de bataille. Les Horaces, plus faibles, simulèrent la fuite, et lorsque
leurs ennemis lourdement armés les suivirent et s’éparpillèrent en route, ils
firent volte-face, tuant leurs poursuivants, l’un après l’autre.
Le résultat de l’opération est
rien moins que miraculeux : trois combattants du Jihad, armés de leurs seules
carabines, ont réussi à abattre douze Juifs lourdement armés, dont le
tourmenteur en chef de la ville d’Hébron, le Colonel Gauleiter de la cité, le
Commandant de la Division d’Hébron. Les combattants palestiniens ne purent
s’échapper : en prenant la noble décision de ne s’en prendre qu’à des soldats et
de laisser passer en paix les colons, ils avaient scellé leur propre destin. Il
n’en demeure pas moins qu’ils ont apporté la preuve de leur force d’âme, aussi
solide que les fondations de leur grand mausolée.
Souvent, on entend dire que les
Palestiniens devraient faire ceci, ne pas faire cela… Ils ne doivent pas tuer
l’ennemi, si l’ennemi a ôté sa vareuse militaire pour partir en week-end. Ils
doivent être particulièrement regardants en matière de cibles, parce que sinon,
leur action est « contre-productive »… L’embuscade d’Hébron a démontré que tout
ça, ce ne sont que billevesées. L’attaque contre ces soldats fut l’une des plus
équitables jamais lancées contre l’oppresseur. Cela n’a pas empêché le président
des Etats-Unis de la qualifier de « crime haineux » ; ni le Secrétaire Général
de l’ONU d’y voir « un horrible acte sanglant » ; ni un Pape égaré d’y faire
allusion en évoquant un « massacre de fidèles ». Même le chef d’état-major
israélien s’est esclaffé devant ces commentaires : il s’est refusé à qualifier
cette embuscade de « massacre ». Nos soldats sont morts au combat, a-t-il
déclaré. Néanmoins, fidèle à son habitude, il a quand même ordonné que l’on
détruisît les maisons longeant la route sur laquelle l’embuscade avait été
dressée…
Ainsi, on le voit, peu importe
ce que font les Palestiniens. Qu’ils tuent des enfants israéliens ou qu’ils
combattent des soldats israéliens, voire même qu’ils se fassent tuer par des
colons, ils seront toujours déclarés coupables, pour la simple raison qu’ils ne
capitulent pas devant les Juifs. Bien sûr, ceux qui se sont rendus sans même
combattre (suivez mon regard …) ne vont pas les excuser. Mais les Palestiniens
d’Hébron, ces gens les plus maltraités sur Terre, savent bien où est la vérité.
Et c’est pourquoi leur large sourire rayonnant ne quitte pas les visages
innocents des trois sœurs, Espoir, Révolution et Libération.
Nathalie, la gentille
journaliste israélienne, s’est crue obligée d’équilibrer son reportage pour le
rendre acceptable aux yeux de son rédac chef :
« Mais que dites-vous au sujet
des attentats terroristes commis à Tel-Aviv contre des civils israéliens » ?
demanda-t-elle aux trois filles dont la maison allait être démolie. Je me
demande ce que mon grand-père, qui vivait dans le ghetto de Stanislawow, aurait
répondu à la question d’un journaliste allemand sur ses état d’âme devant les
victimes civiles allemandes des bombardements alliés ? Il aurait probablement
répondu la même chose que l’éditorialiste juif canadien Mordechaï Richler : « Je
suis heureux que Dresde ait été bombardée, précisément parce qu’il n’y avait à
Dresde aucun objectif militaire ! »… [1].
Nous étions près de l’endroit où
l’embuscade s’était produite, sur la grande véranda des trois sœurs. Sans doute
nos regards trahirent-ils nos sentiments, car le groupe de colons et ceux qui
étaient avec eux se retournèrent vers nous. Un colon, un Juif maigrichon, nous
dit :
« Vous devriez être de notre
côté »… « Vous êtes Juifs, n’est-ce pas ? » « C’est eux, ou nous. Ecoutez la
voix du sang ; soutenez votre propre peuple contre ses ennemis ! »
« Démolir les maisons de gens
innocents simplement parce que quelqu’un a tiré sur vos soldats dans le coin,
était-ce bien nécessaire ? » demanda Jerry.
Le grand homme imposant au
complet gris nous jaugeait d’un regard sévère.
« Comment osez-vous parler de
vulgaires maisons, alors que des vies humaines ont pris fin, en ces lieux mêmes
? » C’était un Américain, de New York, un certain Rabbin Wise.
« Démoliriez-vous une maison, à
New York, parce qu’un membre de votre peuple aurait été tué à côté ? »
demandai-je.
« Oh, bien sûr ! Ce serait un
devoir ! », répondit le Rabbin Wise, tandis que son sourire carnivore,
prédateur, trahissait ses sentiments. Il le ferait. Il raserait Harlem si un
Noir tuait un Juif. Pour les Rabbins Wise de ce monde, la vie et les biens d’un
Goy ne valent pas tripette, les Goys ne sont que des emmerdeurs, une sorte de
nid de guêpes à éliminer. S’ils ne passent pas au bulldozer les maisons des Goys
à New York, c’est tout simplement parce qu’ils ont à leur disposition des outils
plus adaptés : les privatisations, les mises sous séquestre, les expropriations.
A Khalil, ou Hébron, comme ils appellent cette ville, en utilisant son ancien
nom, ils mettent en actes leurs rêves les plus fous, sans que rien les
retienne.
Dans cette ville pourtant
désormais aux mains de colons malfaisants et de militaires brutaux, personne ne
saurait être plus vil que ce Rabbin Wise. Les colons ont fait de la vie des
habitants palestiniens un enfer, et les soldats protègent les colons : mais
c’est exactement ce que le Rabbin Wise veut, et c’est pourquoi il leur apporte
des milliards de dollars volés aux Américains, et détournés à leur intention
dans les corridors du Congrès et du Sénat. Je ressentis une immense pitié pour
les Américains, ce peuple industrieux et généreux, dilapidé et transformé en
esclaves de Mordor par ses politiciens.
« Vous êtes Juifs, n’est-ce pas
? » - insista le colon élancé.
« Oh, que non ! Gloire au
Christ, nous ne sommes pas Juifs ! », répondis-je, tirant pour la première fois
un avantage un peu trivial de mon baptême récent. « Si vous, vous êtes Juifs,
alors, nous ne le sommes sûrement pas ».
Le phénomène sans précédent de
ces vingt dernières années, j’entends par là l’Ascension météoritique des Juifs
dans le monde, a été douloureux pour tout le monde : pour les Palestiniens, qui
ont perdu leurs maisons et leur liberté ; pour les Américains, dont le «
territoire des hommes libres » connaît le plus fort taux de population carcérale
au monde, tout en étant à la pointe en matière d’exécutions capitales et de
disparité sociale entre pauvres et riches ; pour les Européens, qui doivent
rejeter leurs traditions culturelles ; pour les Musulmans, condamnés à être
éternellement bombardés et vilipendés par Cohen et Pipes ; pour les Chinois, qui
sont la prochaine victime sacrificielle par eux choisie en offrande à leur dieu
vindicatif.
Paradoxalement, cette ascension
nous fut bénéfique, à nous, les enfants des Juifs qui avons rejeté la politique
juive. Tant que les Juifs étaient faibles, la conversion, cela vous avait un
arrière-goût de désertion. Julian Tuwim, grand poète polonais, chrétien
d’origine juive, a dit, après la Seconde guerre mondiale : « Si je suis Juif, ce
n’est pas à cause du sang qui coule dans mes veines. Si je suis Juif, c’est à
cause du sang qui coule des veines d’autrui ». Aujourd’hui que le sang s’écoule
des veines des Gentils, il nous est plus facile – que dis-je – c’est même de
toute première urgence – de rejeter le culte victorieux de la haine et de
rejoindre la commune humanité. Les Israéliens et les Juifs qui ont le sentiment
que manifester contre les politiques de leur gouvernement ne saurait suffire
sont désormais de plus en plus nombreux à commettre plus aisément l’impensable -
l’horreur de l’abomination.
Neta Golan, une jeune femme
israélienne super, qui est restée aux côtés des villageois palestiniens assiégés
à Kufr Harith, a été célébrée à la manière d’une icône de la « bonne Juive ».
Mais dès qu’elle a rejeté la foi de la Haine pour la foi de la Miséricorde, son
nom a disparu des pages des journaux juifs américains, car elle ne pouvait leur
servir qu’en tant qu’alibi pour les tueurs et leurs soutiens. D’une manière
totalement inattendue, le rêve des sectateurs (anti)chrétiens sionistes, à
savoir la conversion des Juifs au Christ sur les ruines de la Palestine, peut
encore se révéler vrai, car de plus en plus de Juifs confrontés au véritable
judaïsme - le judaïsme tel qu’il triomphe dans l’enfer d’Hébron - rejettent le
paradigme de la Domination et embrassent celui de la Fraternité Humaine. Les
(anti)chrétiens sionistes étaient dans le vrai, mais pour la mauvaise raison :
le rassemblement des Juifs en Terre Sainte amènera les hommes bons à apercevoir
la lumière, confrontés qu’ils seront à cette noirceur absolue dépouillée de ses
ornements, qu’ils ne pourront que rejeter avec horreur.
C’est pourquoi l’Intifada est
tellement importante : il pourrait s’agir du début d’une Intifada mondiale,
universelle, contre les forces infernales de l’Avidité. Il ne faut pas qu’elle
s’arrête aux limites de la Terre Sainte. Je sais bien que cette idée est
étrangère aux Palestiniens. Eux combattent pour leurs villages et leurs villes,
pour leur égalité et pour leur liberté de vivre et de prier dans leurs
sanctuaires. Pour eux, si les colons finissaient par perdre leurs privilèges, le
problème serait réglé. Les Palestiniens ne comprennent pas que pour le Rabbin
Wise et ses semblables, leur servitude et la possession par les Juifs de la
Palestine constituent la preuve terrestre nécessaire de leur « Election », la
manifestation ultime de l’Ascension des Juifs. Les Palestiniens ne comprennent
pas (encore) que, maintenant que les Juifs tiennent leur victoire, ils ne vont
pas lâcher prise facilement.
Cette idée effraie les amis de
la Palestine, qui rejettent avec horreur le Dr. Goldstein, mais qui n’osent pas
affronter un Rabbin Wise, de peur de s’aliéner, s’ils l’osaient, leurs camarades
juifs. Ils ne comprennent pas (pas encore…) que les Bons Juifs, tout dégoûtés
soient-ils par les colons, ne vont pas se battre contre leurs frères dévoyés.
Michael Neumann l’exprime avec clarté : lorsque la poussée, devenue plus
insistante, deviendra bousculade, « tous ces merveilleux et courageux
manifestants juifs, qui pleurent sur les enfants de Palestine, feront leur
baluchon, rentreront chez eux et tireront le verrou sur leur porte. On ne les
verra plus. On ne les entendra plus. Les pétitions, ils ne les signeront plus.
Les articles, ils n’en écriront plus. » Et il est de fait que leurs prises de
position n’auraient aucune espèce d’importance si le Discours de l’Occident
n’était pas tenu aussi fermement par les mains des Juifs, comme c’est
aujourd’hui le cas.
Tout se résume à la morale de
notre pièce du début : Amal, Espoir d’Hébron, n’est autre qu’une des sœurs de
Libération du Discours et d’Intifada Mondiale contre les forces de
l’Avidité.
- [1] : Cité par le Vancouver
Sun, 13.09.1966, p. 5 « Lest We Forget… I Hate the Germans », [Jusqu’à ce que je
perde la mémoire, je haïrai les Allemands], par Mordechai Richler du Spectator –
extraits d’un article publié dans le supplément « Livres » de la British Weekly
Review.
5. Israël : La police des
frontières frappe un photographe de l'Agence France-Presse par
Reporter sans frontières (19 décembre 2002)
Un photographe palestinien de l'AFP a été frappé, le 19
décembre à Naplouse, par deux gardes-frontières israéliens. Cette agression
alourdit un peu plus le bilan des entraves à la liberté de la presse perpétrées
dans les Territoires occupés palestiniens en 2002.
La police des frontières frappe un photographe de l'Agence
France-Presse Le 19 décembre, à un barrage militaire dans les environs de
Naplouse (Cisjordanie), deux gardes-frontières israéliens ont battu Jaafar
Achtiyé, un photographe palestinien travaillant pour l'Agence France-Presse
(AFP).
Journalistes dans les Territoires occupés
"Les autorités israéliennes ont beau jeu, sous couvert de lutte contre le
terrorisme palestinien, de menacer et d'agresser les journalistes qui résident
et travaillent dans les Territoires occupés", a déclaré Robert Ménard,
secrétaire général de Reporters sans frontières. "Comme après chaque incident de
ce type, nous demandons l'ouverture d'une enquête afin d'identifier et de
sanctionner les auteurs de ces entraves à la liberté de la presse. Les
engagements pris par l'armée israélienne pour juguler les violences de certains
soldats à l'encontre des journalistes n'ont malheureusement que très rarement
été tenus", a-t-il ajouté.
Alors qu'il se présente le 19 décembre, vers 10 heures du matin, à un
barrage routier entre Naplouse et la localité de Salim, Jaafar Achtiyé a été
battu à coups de poing par deux gardes-frontières israéliens. Ceux-ci l'ont
pourtant clairement reconnu comme journaliste. Ils ont menacé de confisquer son
appareil photographique, puis ont changé d'avis en constatant qu'aucune photo
n'avait été prise. Avant de laisser partir le photographe, les gardes-frontières
ont menacé de le tuer s'il revenait à cet endroit. Le porte-parole de la police
des frontières n'était pas joignable pour commenter l'incident, ni auprès de
l'AFP, ni auprès de Reporters sans frontières.
L'organisation tient à souligner qu'au cours de l'année 2002 les entraves
au travail des médias couvrant le conflit entre Israéliens et Palestiniens ont
atteint des proportions alarmantes :
Trois journalistes ont été tués dans les Territoires occupés, dont Raffaele
Ciriello, correspondant du journal italien Corriere della Sera, le 13 mars 2002
à Ramallah. D'après nos informations, et en l'absence des enquêtes promises par
les autorités israéliennes, ces drames sont imputables à l'usage excessif de la
force par l'armée israélienne.
Huit journalistes, dont deux Français et un Américain, ont été blessés par
balles alors qu'ils étaient en reportage dans des villes palestiniennes occupées
par l'armée. Dans la majorité des cas, ces journalistes étaient clairement
identifiables et ne représentaient aucun danger pour les militaires. Ils ont été
blessés par des tirs de sommation ou d'intimidation, qui n'avaient certes pas
l'intention de tuer, mais ont entraîné des blessures parfois sérieuses.
Une quinzaine de journalistes palestiniens ont été emprisonnés sans procès
ni jugement, selon la procédure de la détention administrative, pendant des
périodes allant de un à huit mois. Deux d'entre eux, Khalid Ali Mohammed Zwawi
et Nizar Ramadan, sont toujours détenus, respectivement depuis avril et juin
2002, alors que les autorités israéliennes n'ont fourni aucun élément sur les
faits qui leur sont reprochés.
Des dizaines de journalistes dans les Territoires occupés ont été menacés,
agressés, pris pour cibles à un barrage militaire ou ont vu leur matériel
confisqué par l'armée israélienne. Les sanctions contre les auteurs de ces
atteintes à la liberté de la presse étant, à notre connaissance,
exceptionnelles, un sentiment d'impunité s'est développé au sein de l'armée.
Depuis maintenant deux ans, le Bureau gouvernemental de la presse (GPO) ne
renouvelle plus qu'au compte-gouttes les accréditations de presse pour les
journalistes palestiniens, parmi lesquels figurent des collaborateurs de longue
date des agences de presse internationales telles l'Agence France-Presse,
Reuters et Associated Press.
La passivité de l'armée pour remédier à ces nombreuses violations de la
liberté de la presse, ainsi que les discours de hauts responsables accusant
globalement les médias étrangers de "partialité", de "paresse", voire de
profiter de l'hospitalité des Israéliens pour les "sodomiser" (sic), trahissent
une hostilité grandissante à l'égard de la presse internationale. En plus d'être
particulièrement violente, cette stratégie vise à tarir les sources
d'information et à contrôler la couverture du conflit par les médias étrangers.
Les allégations de "massacre" qui ont suivi les combats entre Israéliens et
Palestiniens dans le camp de réfugiés de Jénine en avril 2002 sont, de ce point
de vue, révélatrices des effets néfastes d'une politique qui vise à limiter
l'information et interdire la présence des journalistes.
[Reporters sans frontières défend les
journalistes emprisonnés et la liberté de la presse dans le monde, c'est-à-dire
le droit d'informer et d'être informé, conformément à l'article 19 de la
Déclaration universelle des droits de l'homme. Visitez leur site sur
: http://www.rsf.org.]
6. Elections israéliennes :
un test pour la démocratie par Hanan Ashrawi (20 novembre
2002)
[traduit de l'anglais par Marcel
Charbonnier]Le premier ministre (d’Israël) Ariel
Sharon semble avoir plus confiance en la démocratie palestinienne qu’en la
démocratie israélienne.
Il ne cesse de répéter qu’il fait confiance au
peuple palestinien pour changer ses dirigeants élus, et cela, à cause des
conditions (pour lui : grâce aux conditions) extrêmement dures qui règnent dans
les Territoires palestiniens.
Cependant, il ignore délibérément la
responsabilité qui est la sienne dans l’effondrement de la société israélienne,
en matière sécuritaire, économique et sociale – effondrement qui résulte de sa
politique dangereuse et irresponsable.
Néanmoins, c’est un égal mépris pour
l’intelligence des deux entités qu’il affiche, lorsqu’il rejette sur la partie
palestinienne (nommément : le président Arafat) la faute de l’effondrement total
des relations entre elles, ainsi que celle de la détérioration des conditions de
vie des deux côtés, sans procéder le moins du monde à l’évaluation du rôle joué
par le principal responsable de cette tragédie : lui.
Une telle présomption
d’ignorance et de naïveté ne fait qu’ajouter l’insulte à l’offense faite à
l’électorat israélien. Mais, plus sérieusement, elle trahit une déconnexion très
préoccupante d’avec la réalité et, par tant, une absence totale des moyens
susceptibles de l’améliorer.
Les résultats des primaires du parti
Travailliste, tenues hier, indiquent qu’une part significative de l’électorat
travailliste manifeste la volonté de tourner le dos à l’héritage sharonien fait
de toutes les morts et de toutes les destructions qu’il a infligé à la société
israélienne (pour ne rien dire de la victimisation d’un peuple entier : le
peuple palestinien).
Même si les Palestiniens se gardent bien de commenter
les élections israéliennes – un « sujet d’ordre purement interne » - il est
évident que l’impact des résultats de ces élections sera ressenti des deux côtés
de la barrière.
La majorité obtenue par Amram Mitzna aux primaires
travaillistes traduit de manière claire une rupture décisive d’avec la politique
de Sharon et la recherche d’une alternative nette, exempte de tout rapprochement
dommageable avec la participation d’hier à un gouvernement aussi extrémiste et
désastreux que celui de Sharon.
De plus, Mitzna n’aura pas à réinventer le
fil à couper le beurre : il peut bâtir sur les acquis des négociations
antérieures, qui s’étaient approchées du but, à Taba, apportant ainsi des
résultats rapides et concrets. Les conséquences – calamiteuses pour Israël - de
la politique d’escalade militaire et de brutalité de Sharon, ainsi que celles de
la faillite politique qui en a résulté, commencent à être ressenties fortement
par les Israéliens qui voient dans cette politique la raison de la perte, en
Israël, de la sécurité économique et personnelle.
Le pouvoir et la capacité
de nuisance – énormes – des colons, leur prise en otage des priorités
politiques, économiques, légales et morales d’Israël, sont mieux discernés par
l’opinion publique israélienne, en général. Leurs tentatives de continuer à
détruire toutes les chances de paix – notamment au moyen du mécanisme
autodestructeur qui consiste à rendre impossible la nécessaire séparation (entre
les deux pays) qui, seule, peut permettre la mise en œuvre d’une solution à deux
Etats - sont tout aussi clairement rejetées par l’opinion publique israéliennes,
comme l’indiquent de fréquents sondages.
A cet égard, le « camp de la paix »
israélien a un besoin urgent, lui aussi, d’un leadership conséquent, à même d’en
réunir les différentes composantes, porteur d’un message non équivoque et
audacieux, et de chefs suffisamment charismatiques pour être capables de le
sortir du marigot des récriminations réciproques et de l’association entre rejet
de la faute sur autrui et la faiblesse interne, héritée de l’ère
Barak-Sharon.
Le message de Mitzna trouvera sans nul doute un écho (il semble
qu’il ait déjà commencé à en trouver un) chez les Palestiniens, qui ont ressenti
durement l’absence de message et de stratégie en faveur de la paix en Israël, en
particulier à cause de l’escalade militaire – totalement insensée – et de la
violence des colons, et aussi d’une politique folle consistant à nier en bloc
tous leurs droits, leur identité, leur humanité et leur sécurité.
La question
de savoir comment (et si) ce discours va trouver un écho dans l’opinion publique
israélienne reste posée : l’électorat israélien continuera-t-il à soutenir (et à
générer) l’extrémisme, fourvoyé par l’idée totalement illusoire et fausse que
l’armée peut vaincre la volonté d’un peuple, comme le peuple palestinien, poussé
en avant par la liberté, la dignité et l’indépendance ; ou bien les Israéliens
vont-ils parvenir à la conclusion – la bonne, la seule – que non seulement la
politique de Sharon a échoué, mais qu’elle a été la principale cause de
l’escalade et des souffrances de part et d’autre ?
L’extrémisme obsessionnel
de Sharon a mis les deux peuples sur le chemin de la destruction mutuelle, en
ressuscitant l’équation mortelle du « soit – soit » et en en faisant une
question de vie ou de mort, ce qui n’a abouti qu’à porter le conflit à un tel
degré d’acharnement qu’il ne pourrait prendre fin, en toute absence de raison,
que par la disparition des deux camps à la fois.
Si Mitzna tient sa promesse
de mettre fin à l’occupation et de reconnaître l’égalité des droits aux
Palestiniens, il aura accompli une bonne partie du chemin vers l’élimination des
causes de l’escalade et des souffrances. Peut-être (comme antidote souverain à
la politique de haine et de domination) sera-t-il capable d’injecter un peu de
responsabilité, de moralité et en définitive, d’espoir, dans la situation
désespérée que les gouvernements israéliens précédents ont imposée ?
C’est
désormais à Mitzna de faire ses preuves, à lui de prouver s’il sera capable
d’apporter l’autorité personnelle nécessaire. C’est aussi un test pour l’opinion
publique israélienne : saura-t-elle reconnaître qu’elle a besoin d’un tel
charisme politique ?
Les résultats des élections du 28 janvier 2003 seront
déterminants pour la vigueur de la démocratie israélienne. Ils traceront, aussi,
l’avenir de l’ensemble de la région du Moyen-Orient. En Israël, les élections ne
sauraient être une question purement intérieure.
[http://www.miftah.org]
Revue de
presse
1. Deux écrivains égyptiens
racontent une société "cernée de partout et humiliée" par Mouna
Naïm
in Le Monde du dimanche 22 décembre 2002
Le Caire de notre envoyée spéciale - Ce sont deux écrivains que
bon nombre de Français connaissent, certains de leurs ouvrages ayant été
traduits. Etoile d'août (aux éditions Sindbad-Actes Sud), Les Années de Zeth
(chez Babel), Le Comité ou encore Warda (chez Actes Sud), pour ne citer que
quelques-uns de ses romans, suffiront peut-être à identifier Sonallah Ibrahim.
Et ceux qui ont lu l'Epître des destinées (Seuil) ou encore La Mystérieuse
Affaire de l'impasse Zaafarani, entre autres, reconnaîtront Gamal Ghitany.
Que les Etats-Unis accusent l'Irak d'avoir commis de graves omissions dans
le rapport sur l'état de son désarmement n'a guère surpris Sonallah Ibrahim . Le
contraire l'aurait même étonné. Pour lui, les Américains sont déterminés à aller
à la guerre. "Sinon, à quoi riment ces impressionnants préparatifs militaires,
ces 50 000 hommes déployés je ne sais trop où, ces avions, ces navires ?
Croyez-vous qu'ils vont leur dire de rentrer ?", interroge-t-il dans un
rire.
"- George - Bush n'a-t-il pas maintes fois répété que les conclusions des
experts du désarmement ne l'intéressaient pas et qu'il avait tantôt des preuves
et tantôt des soupçons, on ne sait plus, qui incriminent l'Irak ?..." "Le monde
arabe est cerné de partout, avec toutes ces bases militaires de la Méditerranée
au Yémen, en passant par Israël", un pays, dit-il, avec lequel il n'est plus
possible de faire la paix.
"Hier encore, raconte Sonallah Ibrahim, je recevais trois journalistes
américains. Lorsque j'ai posé la question : "Pourquoi donc voulez-vous frapper
l'Irak ?", l'une d'entre eux a répondu : "Honnêtement, je l'ignore !" L'Irak pas
plus que la Palestine ne les intéressaient ; ils voulaient m'interroger sur les
islamistes et sur les possibilités de réformes en Egypte, et je leur ai dit :
"La première réforme à faire est de nous débarrasser de vous, les Américains !"
(...) Vous ne trouverez pas un seul foyer en Egypte dont les membres ne se
sentent pas floués, humiliés par les Etats-Unis et Israël. Mais la police veille
à empêcher toute expression de mécontentement."
Pas question que Sonallah Ibrahim soutienne Saddam Hussein. Mais qu'on ne
s'y méprenne pas, dit-il, "bon nombre d'ouvriers, de paysans, de commerçants et
certains hommes d'affaires ont noué des liens d'intérêts avec le pouvoir à
Bagdad et exportent nos marchandises. Et, parmi les gens ordinaires, certains
sont probablement fascinés par un homme -Saddam Hussein- qui se dresse seul pour
défier le monde". Entre la répression israélienne en Palestine, l'affaire
irakienne et le comportement des pays occidentaux, qu'il juge fourbe, "les gens
ont le sentiment que le monde tout entier est contre eux et ils se demandent
pourquoi ! Ils savent que ce qui est en jeu c'est le pétrole et la mainmise
d'Israël sur la région, qu'éliminer Saddam Hussein et Yasser Arafat sont les
deux faces d'une même médaille".
"C'est aux peuples irakien et palestinien de se débarrasser d'eux s'ils le
veulent", pas aux Etats-Unis de le faire. Après avoir longtemps adhéré aux
idéaux de nationalisme et d'unité arabes et s'être revendiqué marxiste, Gamal
Ghitany, qui "croit toujours au socialisme", affirme n'avoir qu'un seul objectif
aujourd'hui : "sauvegarder l'Egypte", dont il "souhaite" qu'elle "ne se laisse
entraîner dans aucune action militaire" contre l'Irak.
Rédacteur en chef de l'hebdomadaire littéraire Akhbar Al-Adab ("Nouvelles
de la littérature"), Gamal Ghitany, par ailleurs intime de Naguib Mahfouz, Prix
Nobel de littérature (1998), clame son hosti- lité à une intervention américaine
pour renverser quelque régime que ce soit, y compris l'irakien. Après tout,
proteste-t-il, la plupart des régimes arabes sont des régimes autoritaires, et
les Etats-Unis appuient depuis plus d'un demi-siècle le pire d'entre eux,
l'Arabie saoudite, parangon "de l'alliance entre la puissance économique et la
forme la plus dangereuse et minoritaire de l'islam, le wahhabisme".
L'évolution de l'Irak, de toute évidence, a été un vecteur important des
illusions perdues de Gamal Ghitany. Un pays qui, dit-il, jusque vers le milieu
des années 1970 était riche de promesses mais dont "le régime a pulvérisé le
pluralisme politique et l'idée même de nationalisme arabe, et fait du parti Baas
la formation d'un homme -Saddam Hussein-, d'une famille, d'un clan". Lui qui a
soutenu l'Irak lors de sa guerre contre l'Iran dit avoir découvert un peu tard
"que la guerre a été conduite dans l'intérêt des Etats-Unis". Que signifient
pour autant, demande-t-il, ces inspections intrusives "humiliantes non seulement
pour l'Irak mais pour tout Arabe" menées par les experts internationaux du
désarmement, alors même que, aux "frontières de l'Egypte, Israël possède 250
têtes nucléaires" ? "J'approuverais les Etats-Unis s'ils se faisaient les
promoteurs d'un plan d'élimination de toutes les armes de destruction massive de
la région, dont l'armement israélien, s'ils lançaient un projet de paix réel qui
traiterait la question palestinienne avec le même sérieux que le problème
irakien". Et voici que les Etats-Unis prétendent, avec moins de 30 millions de
dollars, apprendre la démocratie aux Arabes, ironise Gamal Ghitany. "L'histoire
nous a appris qu'aucune valeur imposée de l'extérieur n'entraîne des changements
positifs." Cela pourrait même avoir un effet contraire.
Le changement lui paraît inévitable. "L'opinion publique internationale est
une force de pression bien plus puissante que les B-52. Une information publiée
apporte une plus grande protection que la VIe flotte..."
2. Veto américain à une
résolution condamnant Israël par Bernard Estrade (pour
AFP)
in Le Soir (quotidien belge) du
samedi 21 décembre 2002
Les Etats-Unis ont mis vendredi leur veto à un
projet de résolution condamnant Israël pour les meurtres de plusieurs employés
des Nations unies dans les territoires palestiniens, un texte qui avait
recueilli 12 voix sur 15 au Conseil de sécurité. Le veto américain est le 76ème
depuis la création des Nations unies et la plupart d'entre eux ont été mis à des
projets de résolution sur le Proche Orient et condamnant Israël.
Seuls le Cameroun et la Bulgarie se sont abstenus dans le vote que la Syrie
avait demandé sur ce projet de résolution condamnant Israël à la suite
d'incidents survenus ces deux derniers mois au cours desquels plusieurs employés
de l'Onu ont trouvé la mort. Tous les autres pays membres du Conseil de
sécurité, y compris la Grande-Bretagne habituellement alignée sur les positions
des Etats-Unis, ont voté, tard dans la nuit de vendredi à samedi, en faveur de
ce texte présenté en début de semaine mais mis vendredi seulement à l'agenda du
Conseil. Il était à la fois légitime et justifié, a déclaré après le vote
l'ambassadeur de France à l'ONU Jean-Marc de la Sablière, que le Conseil de
sécurité engage une nouvelle fois Israël à respecter les obligations qui sont
les siennes en vertu du droit international humanitaire et particulièrement en
vertu de la Quatrième Convention de Genève. La France, a-t-il souligné, regrette
que le Conseil n'ait pas été en mesure de voter ce projet de résolution à
l'objet limité mais essentiel.
Le représentant américain, John Negroponte, avait annoncé dès avant le vote
qu'il mettrait le veto des Etats-Unis à un texte qui vise plus à condamner
l'occupation israélienne qu'à assurer la sécurité du personnel des Nations
unies. Il a également reproché à la Syrie d'avoir refusé de considérer une
proposition alternative que la délégation américaine avait fait circuler
vendredi après-midi. Seuls les cinq membres permanents du Conseil de sécurité
(Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne et Russie) disposent du droit de
veto.
Le 22 novembre dernier, le Britannique Iain Hook, 53 ans, de l'Agence des
Nations unies pour l'aide aux réfugiés de Palestine (UNRWA), avait été tué dans
le camp palestinien de Jenine (Cisjordanie) par un soldat israélien qui, selon
la version officielle, avait confondu son téléphone portable avec une arme. Le 6
décembre dernier, deux Palestiniens, également employés de l'UNWRA, avait été
tuées ainsi que 8 autres personnes lors d'un raid israélien dans la bande de
Gaza. Les soldats israéliens ont aussi détruit avec des charges explosives,
également dans le bande de Gaza, un entrepôt du Programme alimentaire mondial
(PAM) qui contenait 537 tonnes d'aide alimentaire. Des enquêtes sur ces
incidents auxquels le projet de résolution syrien faisaient directement
référence, ont été ouvertes, a affirmé vendredi devant le Conseil de sécurité,
Aaron Jacob, l'ambassadeur adjoint israélien. Le diplomate, affirmant que son
pays veut vraiment la paix, a également critiqué le texte syrien qui est, selon
lui, une tentative pour montrer du doigt Israël.
Le représentant de la Palestine, Nasser al Kidwa, a pour sa part estimé que
les actes en cause constituaient clairement, selon le droit humanitaire
international, des crimes de guerre. La communauté internationale doit prendre
des mesures contre ceux qui les ont commis et qui doivent être présentés à la
justice, a-t-il déclaré. Israël, a ajouté le diplomate palestinien, peut
continuer à montrer un mépris systématique d'Israël pour le droit international
car il bénéficie de la protection automatique que lui accorde un membre
permanent du Conseil de sécurité.
3. Arafat accuse Ben Laden de
"se cacher derrière la cause palestinienne"
Dépêche de l'agence Associated Press du dimanche 15
décembre 2002, 23h57
JERUSALEM - Yasser Arafat accuse Oussama Ben Laden
de se servir de la cause palestinienne pour justifier ses actions terroristes
contre des cibles occidentales et lui demande de ne plus s'en réclamer. "Je lui
dis directement de ne pas se cacher derrière la cause palestinienne", déclare le
président de l'Autorité palestinienne dans une interview au journal dominical
londonien "Sunday Times".
Le dirigeant palestinien reproche également au chef du
réseau terroriste Al-Qaïda d'exploiter la souffrance du peuple palestinien pour
récupérer de nouveaux soutiens dans le monde arabe.
"Pourquoi Ben Laden parle-t-il aujourd'hui de la
Palestine? Jamais, pas une seule fois, Ben Laden n'a mis en avant ce sujet, il
ne nous a jamais aidés, il travaillait dans une autre région complètement
différente et contre nos intérêts", souligne Yasser Arafat dans cette interview
accordée dans son quartier général de Ramallah, en Cisjordanie.
Un proche de Yasser Arafat a confirmé dimanche cette
position. "L'Autorité palestinienne et les autres groupes palestiniens déclarent
tous qu'ils combattent l'occupation de la terre de Palestine et nulle part
ailleurs", a renchéri Ahmed Abdel Rahman, interrogé par l'Associated
Press.
"Nous ne luttons pas contre le monde entier, la
civilisation et les peuples. Nous ne voulons pas que notre juste cause soit
utilisée comme une couverture par (le Premier ministre israélien Ariel) Sharon
et son gouvernement pour poursuivre l'escalade et dire que, si les Etats-Unis
combattent Al-Qaïda en Afghanistan, Israël combat Al-Qaïda en Palestine", a
ajouté ce proche
d'Arafat.
4. Jean Brétéché,
représentant de la Commission européenne pour la bande de Gaza et la Cisjordanie
: "M. Sharon a entre les mains l'organisation ou non des élections
palestiniennes" propos recueillis par Stéphanie Le Bars et Gilles
Paris
in Le Monde du mercredi 11 décembre 2002
- L'aide financière que la Commission européenne apporte à
l'Autorité palestinienne ne cesse de progresser. N'avez-vous pas le sentiment de
financer l'occupation militaire israélienne dans les territoires palestiniens
?
- Selon la convention de Genève, l'armée d'occupation est
responsable des services minimaux rendus aux populations, éducation, santé,
alimentation. On est dans ce cas d'école.
Mais, dans les territoires palestiniens, l'armée
israélienne n'assume pas cette responsabilité. On peut donc effectivement se
poser la question de savoir si nous ne sommes pas aujourd'hui des supplétifs de
l'armée israélienne et si nous ne devrions pas présenter la facture au
gouvernement israélien. En outre, il n'est pas acceptable qu'Israël nous crée
des difficultés alors même que nous faisons le travail à sa place ; des
humanitaires sont refoulés à l'aéroport, les camions d'aides sont
bloqués...
- Concrètement, à quoi sert l'argent de la
Commission européenne dans les territoires ?
- Les moyens que la Commission alloue aux Palestiniens
s'élevaient à 200 millions d'euros en 2001, 252 millions en 2002 ; ils sont de
300 millions pour 2003. Ils couvrent des besoins humanitaires, médicaments,
nourriture, créations d'emplois, subventionnent certains secteurs, santé,
éducation et aident à la mise en œuvre des réformes. Notre assistance vise à
préparer les bases du futur Etat palestinien.
Chaque mois, la Commission verse également 10 millions
d'euros à l'Autorité palestinienne. Elle contribue ainsi au paiement des
salaires de 120 000 fonctionnaires. L'Autorité palestinienne a besoin d'un
budget mensuel de 90 millions d'euros. Or ses ressources domestiques – 15 à 20
millions, contre 40 millions avant l'Intifada –, l'aide des pays arabes – qui
est passée de 55 millions il y a un an à 17 millions en novembre – et celle de
la Commission ne suffisent même pas à régler les 54 millions nécessaires aux
salaires des fonctionnaires.
Le déficit budgétaire est de 600 millions d'euros par an ;
l'Autorité affiche aussi 400 millions de factures impayées. Dans le même temps,
les Israéliens ne transfèrent rien des 700 millions d'euros qu'ils doivent aux
Palestiniens. Sous la pression des Européens et des Américains, ces versements
pourraient reprendre prochainement à hauteur de 25 millions par mois. Cela
permettrait de revigorer l'économie palestinienne alors que 66 % des habitants
de Cisjordanie et de la bande de Gaza vivent sous le seuil de pauvreté et que
l'Europe assiste plus de 50 % de la population.
Un salaire de fonctionnaire fait vivre 18 personnes
aujourd'hui, au lieu de 9 il y a seulement trois mois. Le produit intérieur brut
(PIB) palestinien a été divisé par deux depuis 1999.
- La Commission européenne devait aussi
financer l'organisation des élections prévues en janvier dans la bande de Gaza
et en Cisjordanie. Qu'en est-il ?
- Nous avons mis de côté 10 millions d'euros pour
permettre le recensement des électeurs, la création des bureaux de vote, le
financement des campagnes, la venue d'observateurs. Mais nous avons dit à Yasser
Arafat -le chef de l'Autorité palestinienne- qu'il nous fallait quatre à cinq
mois pour préparer des élections transparentes et irréfutables.
Dans ces conditions, il est clair que les élections ne se
tiendront pas en janvier, mais ce n'est pas à nous de le décider. C'est au
comité électoral qui a été désigné de dire quand les conditions lui paraîtront
propices. Or il n'est pas possible d'organiser des élections sous occupation
israélienne et sous couvre-feu. Nous devons obtenir d'Israël que les gens
puissent se déplacer et que l'armée ouvre les villes. C'est donc Ariel Sharon
-le premier ministre israélien- qui a entre les mains l'organisation ou non des
élections palestiniennes. Mais ce serait incongru que ceux-là mêmes qui ont
demandé à ce qu'elles aient lieu – Américains, Européens et Israéliens – disent
maintenant aux Palestiniens "vous ne pouvez pas les organiser dans les
conditions actuelles".
- Quelle est l'ampleur des réformes que la
Commission européenne contribue à mettre en œuvre dans les territoires
?
Depuis deux ans, malgré la situation – les sièges des
villes, les bouclages –, nous avons mené à bien des réformes, notamment celle du
ministère des finances. Les efforts sont assez exemplaires. En ce qui concerne
les fonds versés aux forces de sécurité par exemple, la transparence est
désormais totale.
Nous travaillons aussi sur l'indépendance entre le pouvoir
exécutif et le pouvoir judiciaire. Il s'agit de rendre le système judiciaire
acceptable car la population palestinienne n'a pas confiance en sa
justice.
- Périodiquement, les Israéliens affirment que
les aides accordées à l'Autorité palestinienne financent des activités
terroristes. Avez-vous les moyens de contrôler la destination des fonds que vous
versez ?
On a demandé au Fonds monétaire international de procéder
à un contrôle sur les 10 millions d'euros mensuels que nous versons à l'Autorité
palestinienne. Nous réalisons également des audits sur chaque action engagée.
Pour l'instant, nous n'avons aucun début de preuve que l'argent européen est
utilisé à d'autres fins que ce pour quoi il est prévu.
5. Mer jette un
froid
in Le Figaro du vendredi 15 novembre
2002
Le ministre de l'Économie, Francis Mer, a jeté un froid en
Conseil des ministres, mercredi, en relatant son entretien avec le directeur de
la Deutsch Bank : « Il affirme que la seule solution pour relancer l'économie,
c'est la guerre. Je pense exactement comme lui. »
6. Entretien avec Leïla
Shahid, Déléguée générale de Palestine en France propos recueillis par
Monique Etienne
in Clara Magazine (bimensuel) N°74 - Novembre 2002
Pour Clara Magazine, Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine
en France, éclaire les rapports de force qui se jouent sur l'échiquier
international. Face à la vision des Etats-Unis, l'Europe et les citoyens ont une
carte à jouer pour la construction de la paix dans le
monde.
- Comment voyez-vous l'évolution du monde depuis le
11 septembre 2001 et dans le contexte des menaces de guerre contre l'Irak
?
- Personnellement je ne pense pas que le 11 septembre ait
changé les rapports stratégiques et politiques dans le monde. C'est la chute du
mur de Berlin et la disparition du monde bipolaire de Yalta qui ont transformé
les relations géo-stratégiques, économiques, commerciales et culturelles. Les
Etats-Unis sont devenus la seule force hégémonique du monde, avec une capacité
militaire, financière et technologique qui leur permet une politique unilatérale
dans tous les domaines. C'est ainsi qu'ils peuvent refuser de signer l'accord de
Kyoto sur l'environnement, la convention pour le Tribunal Pénal International ou
les accords de I'Organisation Mondiale du Commerce.
La tragédie du 11
septembre est la conséquence de la politique stupide et irresponsable que les
Etats-Unis et leurs alliés ont menée en Afghanistan contre l'Union Soviétique
lorsqu'ils ont entraîné, financé et armé les mouvements islamistes
fondamentalistes contre le régime communiste de Kaboul. Après la chute de
celui-ci et la guerre civile en Afghanistan, les Talibans, soutenus par le
Pakistan pro-américain, ont pris le pouvoir et ont accueilli le mouvement
d'Oussama Ben Laden, lui-même ex-agent des Américains. C'est un cas classique de
retournement spectaculaire d'alliances contre-nature. Le tragique dans ce cas
particulier, c'est que ce sont les civils américains qui en ont payé le prix,
dans une action terroriste qui glace le dos par son désir de traumatiser, de
terroriser et de faire mal à une société entière qui jusqu'alors était protégée
des guerres du XXème siècle. Ce choc a donné au président Bush et à son
administration, la légitimité nécessaire pour lancer de nouvelles guerres, en
premier lieu contre l'Afghanistan, mais aussi contre l'Irak et Dieu seul sait
contre qui d'autre, demain ? Cette nouvelle stratégie américaine est appelée
"guerre préventive" de lutte contre le terrorisme. Personnellement, je crois
qu'elle contribue à l'alimenter et non à le combattre parce qu'elle neutralise
totalement le travail de consensus politique multilatéral du Conseil de Sécurité
et qu'elle sanctionne des populations civiles qui payent la facture de
gouvernements qu'ils n'ont pas élus et qu'ils ne soutiennent pas.
- Pensez-vous que l'Europe partage cette vision stratégique
?
- Tout dépend comment on définit l'Europe. La Grande-Bretagne
n'a pas l'habitude de remettre en cause les choix de politique étrangère
américaine et donc, Tony Blair s'est distingué dans son soutien à la guerre
contre l'Irak. L'Allemagne a entrepris une révolution copernicienne depuis que
Gérard Schröder a osé remettre en cause son soutien à la politique américaine.
Dans ces deux cas, les opinions publiques ont joué un rôle très important. En
Grande-Bretagne pour s'opposer à la politique du gouvernement de Tony Blair, en
Allemagne, pour soutenir le chancelier et le ré-élire pour un nouveau mandat. En
France, il y a une tradition de plus grande autonomie dans la vision politique
internationale.
Nous sommes à un moment charnière de l'histoire du monde, où
les axes qui doivent définir le nouvel ordre mondial, économique, politique,
technologique et militaire se mettent en place. L'Europe doit faire des choix
propres, de stratégie militaire ou pacifique, de respect du droit international
ou du rapport de force, de renforcement ou pas des institutions multilatérales
qui protègent le monde que ce soit pour l'environnement (couche d'ozone), la
santé (SIDA) ou la sécurité (Barcelone). En 1995, l'Union Européenne a lancé à
Barcelone, le partenariat euro-méditerranéen, basé sur une vision des relations
politiques, économiques et culturelles avec les partenaires du Sud. Le
partenariat avait l'ambition d'un projet de société pour l'avenir des
communautés méditerranéennes. Ce projet, il faut le construire ensemble, non sur
des idées morales comme la division du monde en axe du mal et du bien ou des
concepts de "clash de civilisations" mais, sur le principe d'un monde de droit
et d'interdépendance dans lequel nous devons vivre dans le respect des droits de
chaque peuple, de chaque identité culturelle et dans le respect de l'autre et de
sa différence. Ce n'est malheureusement pas la vision du Président Bush. Il est
temps que les Européens explicitent leur propre vision du monde. Je crois à ce
sujet que les citoyens européens, les mouvements sociaux sont en avance, au plan
de la réflexion et de l'action, sur leurs partis politiques et leurs
institutions gouvernementales.
- Quelle est la situation en
Palestine aujourd'hui, à la lumière de ce contexte international ?
- Absolument tragique. Au delà de ce qui peut être exprimé en paroles. Avant
tout parce que Sharon a détruit tout ce que les hommes de paix israéliens ou
palestiniens, juifs ou arabes, avaient construit depuis Oslo. Mais Bush en
donnant à Sharon la légitimité de ce qu'il a appelé "la guerre contre le
terrorisme" a permis la destruction systématique des institutions nationales
palestiniennes qui devaient permettre la constitution d'un état palestinien.
Aujourd'hui, toute l'infrastructure économique est détruite. Le chômage atteint
80% de la population active, principalement à cause du couvre-feu et du bouclage
des populations civiles à l'intérieur de leurs villes et villages. Deux tiers de
la population vit sous le seuil de la pauvreté, c'est-à-dire avec moins de deux
dollars par jour. 50% des enfants souffrent de malnutrition et tous les revenus
de l'Autorité palestinienne qui viennent de l'impôt de la TVA sont retenus par
Israël. Mais le plus inquiétant, c'est la perspective d'une guerre contre l'Irak
qui permettrait à Sharon de finir son travail de destruction de l'Autorité
palestinienne pour que tout espoir d'un état en Palestine soit anéanti à jamais.
- Et la solidarité internationale ?
- Sur le
plan gouvernemental, le soutien américain à Sharon a malheureusement, paralysé
la diplomatie européenne. Depuis plus de deux ans, l'Union Européenne demande
l'envoi d'observateurs internationaux pour surveiller l'application de tous les
accords, d'Oslo à Charm el-Cheikh. Mais rien n'est mis en œuvre parce que Sharon
refuse ce principe et l'Union Européenne n'utilise aucune de ses prérogatives,
inscrites dans les traités d'association économique avec Israël, pour exiger le
respect des résolutions européennes. La diplomatie européenne est pratiquement
paralysée depuis le 11 septembre. Ce n'est pas le cas des opinions publiques en
Europe qui sentent la gravité du moment historique et la nécessité de se
démarquer des options militaires américaines et israéliennes par une stratégie
politique européenne basée sur le droit international et la justice. Ce qui est
nouveau dans le mouvement de solidarité, c'est son orientation très citoyenne,
au-delà des clivages idéologiques et partisans, son alliance réelle avec les
mouvements sociaux en France mais aussi dans le monde entier. Ce mouvement
citoyen a décidé de se rendre sur place, en Palestine et en Israël, pour
défendre la cause de la justice et de la paix et de ne pas se contenter de le
faire à partir d'ici. C'est très important pour soutenir le moral et la foi des
Palestiniens et des Israéliens qui continuent avec beaucoup de courage à croire
à la coexistence.
Une chose est sûre, la centralité du conflit
israélo-palestinien pour la construction de la paix dans le monde devient de
plus en plus évidente, même si aux Etats-Unis le discours sur les guerres de
religions et de civilisations bat son plein. En Europe, je crois que la
réflexion et l'analyse sont fondamentalement justes. Ce qui manque, c'est le
courage politique et la détermination à les traduire en actions politiques, en
initiative diplomatique qui assure le droit, la justice, la sécurité pour tous.
- Et les femmes palestiniennes dans ce contexte ?
- Les femmes palestiniennes, je dirais même, les femmes arabes en général
sont, dans les sociétés civiles méditerranéennes, l'élément le plus dynamique,
le plus engagé dans l'action politique. Elles n'ont rien à perdre parce que ce
sont elles qui payent en premier la facture de la guerre, de l'absence de
démocratie et de l'échec des forces politiques laïques et progressistes. De
l'Algérie à l'Afghanistan, en passant par la Palestine, elles réalisent que
c'est le soutien américain aux mouvements islamistes qui les ont affaiblies.
Alors, aujourd'hui, elles développent leur propre vision de la modernité dans
laquelle elles veulent s'inscrire qui s'enracine dans leur culture propre et non
dans un mimétisme aveugle avec la culture américaine ; une modernité qui leur
assure un statut de citoyenne égal aux hommes où elles peuvent s'épanouir,
travailler, créer et contribuer à une société laïque, démocratique, égalitaire,
à même de relever le défi du XXIe siècle.