Le Collectif pour le respect des droits du peuple palestinien organise à Marseille,
à partir du samedi 28 décembre 2002 à 12h sur le Quai du Vieux-Port,
"24 heures pour la Palestine" (débats, témoignages et expositions...)
                                                                                 
                  
Point d'information Palestine N° 210 du 27/12/2002
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Rédaction : Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier
 
                               
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Au sommaire
                              
Témoignages
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
1. Vive le vent, vive le vent, vive le vent d'hiver... par David Torrez, citoyen de Gaza en Palestine
2. Aïd à Balata par Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
3. En guise de voeux par Claude Abou-Samra, citoyenne de Ramallah en Palestine
              

Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG. Ils sont libres de droits, sauf mention particulière.
1. Une introduction au conflit israélo-palestinien par Norman Finkelstein (Septembre 2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. Un racisme "respectable" par Rachad Antonius paru dans "Les Relations ethniques en question : Ce qui a changé depuis le 11 septembre 2001" ouvrage collectif publié sous la direction de Jean Renaud, Linda Pietrantonio et Guy Bourgeault aux Presses Universitaires de Montréal
3. Viva Palestina - Le rêve vivant de l'équipe nationale de football palestinien par le Miftah (18 décembre 2002) [traduit de l'anglais par Monique Barillot]
4. La Cité du Bien-Aimé ou l’Argument de Persée par Israël Shamir (13 décembre 2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
5. Israël : La police des frontières frappe un photographe de l'Agence France-Presse par Reporter sans frontières (19 décembre 2002)
6. Elections israéliennes : un test pour la démocratie par Hanan Ashrawi (20 novembre 2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                                      
Revue de presse
1. Deux écrivains égyptiens racontent une société "cernée de partout et humiliée" par Mouna Naïm in Le Monde du dimanche 22 décembre 2002
2. Veto américain à une résolution condamnant Israël par Bernard Estrade (pour AFP) in Le Soir (quotidien belge) du samedi 21 décembre 2002
3. Arafat accuse Ben Laden de "se cacher derrière la cause palestinienne" Dépêche de l'agence Associated Press du dimanche 15 décembre 2002, 23h57
4. Jean Brétéché, représentant de la Commission européenne pour la bande de Gaza et la Cisjordanie : "M. Sharon a entre les mains l'organisation ou non des élections palestiniennes" propos recueillis par Stéphanie Le Bars et Gilles Paris in Le Monde du mercredi 11 décembre 2002
5. Mer jette un froid in Le Figaro du vendredi 15 novembre 2002
6. Entretien avec Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France propos recueillis par Monique Etienne in Clara Magazine (bimensuel) N°74 - Novembre 2002
                                                                                                       
Témoignages

                           
1. Vive le vent, vive le vent, vive le vent d'hiver... par David Torrez, citoyen de Gaza en Palestine
Gaza, le vendredi 20 décembre 2002 - Il y a un mois, alors que nous marchions sur la route de la mer, Nasser me demandait si je voulais me baigner. La Méditerranée était ce matin-là un lac placide, l’eau, transparente, laissait apparaître les rochers du fond, à quelques mètres de la plage ; on était au début du ramadan… Depuis, l’hiver s’est installé à Gaza. Un soir, son manteau gris a recouvert la ville, en un éclair il posa ses bagages ; dans ses valises les vents froids et humides, les rafales pluvieuses, qui jouent à couvrir de rides les mares qui s'étalent dans les rues. A cause d’eux, on ne se déplace qu’en baissant la tête, en s’accrochant à sa capuche, en refermant nerveusement son blouson. Ils s’engouffrent partout, renversent les citernes mal fixées sur les toits de tôles de Shatti, tourbillonnent dans les patios, poussent les gouttes de pluie jusque dans les moindres fissures des murs, ils les enfoncent dans les joints de fenêtres, l’eau suinte des murs froids, imbibe matelas et tapis.
L’hiver a changé la géographie de Gaza. Là où la rue était un long ruban de sable blond il a fait surgir un fleuve puissant qui en quelques jours a creusé de larges vallées, peu profondes ou l’eau s’écoule lentement, mais ailleurs aussi des rapides, étroits et sinueux, qu’on traverse d’un bond. La rue devient un paysage complexe, les rivières se rejoignent pour en former de plus grosses, leur cours sinueux dessinent leurs courbes autour d’îles éphémères ; plus bas, vers Shatti, privé de pente, le fleuve étale ses bras dans un delta qui, quelques mètres plus loin, se concentre à nouveau pour dévaler le bitume. Puis, après une course rapide, il ira se jeter dans la mer, juste à côté de la maison de Yasser. Partout, sur les cours de ces eaux, le sable emporté laisse un lit de galet quand l’éclaircie assèche les torrents. Et l’on voit de jeunes hommes en tongues, le pantalon remonté à mi-mollet, traverser la rue, les pieds dans l’eau glacée, un enfant dans les bras. Da ns une rue étroite, des parpaings, posés à intervalles réguliers sur la chaussée, comme les piles d’un pont qui n’existe pas, laissent passer les flots, pressés de traverser le camp. Mais lorsque le ciel se vide sur la terre, la crue envahi l’espace entre les maisons, la vie du camp se réfugie derrière des parois de parpaing, je rentre chez moi. De temps en temps le bruit d’une taule qui se plie au loin brise la monotonie de la soirée. Dehors on entend clairement le vent hurler, déchiré par les arêtes grises des tours. Quand il reprend son souffle, on perçoit le grondement de la mer et ses masses noires qu’elle écrase dans un fracas sourd sur la plage.
A 100 kilomètres d’ici les soldats s’amusent dans leur char. Aujourd’hui ils ont forcé un étudiant à se déshabiller, complètement, en plein milieu de la rue. Puis il a du se mettre à quatre pattes et aboyer. Sur sa peau aussi l’hiver a dessiné des courbes glacées…
Joyeux Noël à vous tous.
                                       
2. Aïd à Balata par Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
Ramallah, le mardi 10 décembre 2002 - Quatre jours sans école, le bonheur ! On vient d'avoir quatre jours de vacances pour l’Aïd ! J'en ai profité pour oublier tous mes livres... et prendre des cours de recettes palestiniennes. Je suis incollable sur la maqloubé et je sais aussi faire le sahlab [boisson sucrée chaude à base de lait aromatimée à la canelle, ndlr] ! D'ailleurs, j'ai bien rigolé en faisant le sahlab : mes amis sont des réfugiés palestiniens. Ils touchent donc depuis des dizaines d'années une aide alimentaire. Et on a fait le sahlab avec de la poudre de lait provenant de l'aide alimentaire européenne !
Jeudi, premier jour de l'Aïd : Je bulle, ça fait du bien…
Vendredi, 2ème jour de l'Aïd : Je bulle toujours, ça fait toujours du bien... Quand même, je me réveille un peu dans l'après-midi, et ce pour aller faire un tour chez des copains français qui sont allés à Jérusalem et m'en ont ramené mon passeport muni d'un visa tout neuf ! Allah Akbar ! Je suis à nouveau en règle ! (ça fait 15 jours que je suis sans papiers et que je fais la morte). Du coup, je change tous mes plans pour le week-end. Sur un coup de tête, sans trop réfléchir, je décide de partir pour… Naplouse et Balata ! Revoir tous ceux que j'aime là-bas, revoir la ville et le camp de réfugiés.
Samedi matin : Réveil difficile… vers 11h.  Coup de fil à mon pote S. (qui est de Balata mais habite Ramallah). Il part vers 12h 30 pour Balata et je l'accompagne. Direction Qalandia : moi je peux passer le check, mais pas lui : il a une carte d'identité palestinienne. Il ne peut « donc » pas passer. On reprend un taxi et on contourne l'aéroport du coin (qui n'a jamais servi), au vu et au su de l'armée israélienne dont nous croisons plusieurs jeeps... On fait des tours et détours dans des chemins qui n'en sont pas, avec la poussière qui rentre partout. On longe un mur en barbelés, le nouveau Mur de la Honte, celui que Sharon veut installer sur la ligne verte. Après 40 minutes, on
arrive... à Qalandia ! Oui, à l'endroit même où on était  avant, mais cette fois, on est de l'autre côté du check. En gros si vous voulez, on a payé 10 shekels (15 francs), on a marché dans la poussière, on a perdu 40 minutes pour faire...10 mètres !
Bref, check de Qalandia passé. L'armée est partout. On cherche une voiture pour Naplouse. Il y en a un peu plus loin, mais les soldats vérifient les cartes de ceux qui se dirigent par là-bas. Mon pote S. n'est pas trop copain avec eux... :
- Viens, on va aller voir s'il y a des voitures ailleurs !
Je le suis, pas trop convaincue... Chance ! Un taxi privé arrive à l'instant de Naplouse, il cherche 4 clients. Avec nous, il en a déjà 2 ! On attend un peu, en mangeant un morceau. Un vieux monsieur arrive, puis un jeune homme originaire d'Hébron. Ca y est, on part ! On roule à vive allure. Ca fait des mois et des mois que je ne suis pas passée par là : Ca a changé ! Encore plus de colonies, des grues pour la construction, et des pancartes géantes écrites en hébreu qui apparemment vantent les avantages d'habiter dans les colonies (je déduis le sens du sourire ravi des 4 membres de la famille idéale [papa, maman, le garçon, la fille] qui posent, heureux, devant une maison à toit rouge et pelouse verte (je pense au lac de Tibériade dont le niveau baisse, et au Jourdain que je peux traverser en sautant à pieds joints...).
On roule. Barrage, m... ! Mon copain a un coup de chaud (il a des difficultés avec les israéliens), le jeune homme d'Hébron aussi… Un camion de l'armée, des soldats qui jouent aux méchants et... qui obligent tous les véhicules à se garer dans un champ ! Hé oui ! La sécurité d'Israël est à ce prix : on doit stationner dans un champ. Et attention ! On entre en marche arrière dans le champ ! Si on rentre en marche avant,  ça fâche les soldats ! Va comprendre, Charles.. Une fois garés, on doit sortir de la voiture, et se mettre à genoux... Les hommes sont sommés de relever leurs chemises. On attend comme des cons assis par terre !
Jamais été très patiente moi, et puis j'aime bien comprendre pourquoi je fais certaines choses. Le vieux monsieur en a marre lui aussi :
- Dis, toi, tu as un passeport étranger ?
- Oui je suis française.
- Viens, on va dire au soldat qu'il y a un vieux et une française !
- Ok !
On va vers la jeep, le vieux monsieur discute un peu, le soldat mange un
cake aux raisins, et moi j'écoute.
- Bon allez, c'est qui avec vous dans le taxi ?
Youpi ! On a gagné ! On donne vite fait les noms de mon copain et du jeune homme d'Hébron et on file... un peu honteux quand même de laisser les passagers des autres taxis à genoux... Mais bon, 30 minutes à genoux, ça suffit, merde ! On roule...10 minutes.
Gros barrage. Des soldats comme on en voit seulement en Israël : ils sont en kaki, avec un fusil mitrailleur, mais se débrouillent quand même pour avoir un look à la Lenny Kravitz ! Bref, les pétards, chez eux, c'est sûrement pas que pour les fusils. Des babas-cool prêts à tuer quoi...
Mais nous, on a pigé… Le vieux monsieur se fait un peu plus vieux qu'il ne l'est, et je glisse les identités des garçons dans mon beau passeport 100% français. Et ça remarche ! Ils ne contrôlent pas les garçons, et on repart aussitôt… pour faire 5 mètres ! Nouveau barrage... Lassant, oui vraiment, c'est lassant. Mais cette fois, nouveauté : ce n'est pas un barrage de l'armée mais un barrage de la police ! Ca change tout ! Cette fois, ils ne peuvent pas arrêter les palestiniens. Les papiers de la bagnole sont en règle, les clignotants et les stops aussi…
- Mais vous ne portez pas vos ceintures de sécurité ! Nous aboie l'abruti en bleu et blanc (depuis que je connais les flics israéliens, je regrette les français...)
- Ben non, on vient de redémarrer, on était au check à côté !
- Faut avoir sa ceinture avant de démarrer, c'est une faute, ça !
(Oh, ta gueule connard, hein !)
- Donnez-moi vos papiers, vous avez chacun une amende à payer... Ha, tu es française, toi ? Bon, toi, t'as pas d'amende.
- Ben pourtant j'ai pas ma ceinture…
- Oui mais bon...Enfin si tu continues, tu vas en avoir une aussi, hein !
- Ok, ok. »
Mon pote S. est assis à l'arrière, au milieu. Y a pas de ceinture.
- Moi j'ai une amende aussi ? Je ne peux pas mettre la ceinture, il n'y en a pas…
- T'as une amende ! Et si tu continues, ce n'est pas 100, mais 250 shekels que tu vas payer !
- Ok, ok.
On redémarre... en confectionnant des confettis… Bon, la route, c'est déjà pas drôle, mais le plus dur reste à faire : entrer dans Naplouse. Le check principal, faut même pas y penser : S. ne pourra pas passer. Je garde un très mauvais souvenir de cet endroit : la dernière fois que j'y suis venue, il y a plus d'un an, les soldats m'avaient tiré dessus. On prend la route de Tell : environ 2 Km à pied… Je savais bien que je n'aurais pas dû mettre mes chaussures neuves… Allez, une ballade dans la montagne, ça fait pas de mal.
Au milieu de ces 2 km : un check… Lassant, je vous dis .Des soldats qui demandent aux jeunes palestiniens de soulever leurs chemises. S. se retrouve à moitié à poil… Notre technique est désormais au point : sa carte d'identité est glissée dans mon passeport. Quelques questions, et on passe finalement. Taxi de l'autre côté. Il y a encore des check nous dit-on. On fait (encore !) des détours. On surplombe une sorte de caserne avec plein de tanks, on s'enfonce dans la glaise, on passe entre des oliviers. Presque une heure de route dans les chemins creux… Enfin Naplouse ! J'avais oublié à quelle point elle est belle cette ville ! J'avais oublié à quel point je l'aimais ! Un autre taxi, pour Balata. Une nouveauté encore : une sorte de barrière est installée depuis 2 jours. Elle sépare Balata du reste de la ville. Aujourd'hui, elle est ouverte. On arrive chez S. !  Il est 18h. On est partis à 12h 30. Ramallah-Naplouse : 45km.
S. m'invite à dîner chez ses parents, puis je file retrouver tous mes copains, et parmi eux Samer, dont je vous ai parlé récemment, et qui vient de passer 35 jours en prison. Je ne les ai pas vus depuis un an, les retrouvailles sont émouvantes… On se raconte nos différentes expériences des couvre-feux, des visites des soldats… Je passe la nuit chez eux… Une nuit "calme" me disent-ils. Les deux frères mariés habitent à l'étage. Trop dangereux de dormir là-haut. Ils dorment au rez-de-chaussée. Comme les parents, les deux soeurs pas mariées, les deux frères pas mariés, une vieille tante, un autre frère, sa femme et ses deux enfants. Et moi en plus. Dans les camps, la place fait  défaut. Les garçons dorment dans une pièce, les filles dans l'autre ; on pose des matelas par terre, des couvertures et on dort. Depuis un an, certaines pièces de la maison sont trop exposées aux tirs : on ne peux plus y dormir. Saher, qui vient de rentrer d'Europe, me raconte sa nuit d'horreur, quand ça mitraillait de partout et que les fenêtres volaient. On écoute la télévision. Il est 23h. Hayed, tout jeune papa, descend et nous dit à voix basse :
- Ils sont là ! Au coin de la maison !
- Eteignez les lumières ! La télévision, vite !
- Planquez-vous !
On se tasse dans les pièces du fond, on fait taire les enfants. Ahmad, deux ans, refuse obstinément :
-Chut, Ahmad ! Ils vont t'entendre !
- Ils sont méchants !
La soirée se poursuit, dans l'obscurité et à voix basse. On entend des chiens et quelques bruits suspects, difficilement identifiables. Vers minuit, Hayed, qui guettait, descend nous dire que la jeep stationnée au coin vient de partir… Ouf, on va pouvoir dormir... Et surtout je vais pouvoir aller aux toilettes, moi ! Ca fait une heure que j'ai une envie pressente, malheureusement pour moi, les toilettes sont du côté de la maison exposé aux tirs !
Dodo, et réveil vers 10h. Comme toujours en Palestine, la télévision est déjà allumée quand je me lève. Au moment où j'émerge de mon sommeil, j'entends la douce voix de la présentatrice de la chaîne arabe si décriée Al Jazireh parler de Jean-Pierre Rrraffarrrin (roulez les "r"). Impossible d'être tranquille, décidément…
Je fais un tour dans Naplouse, et ses destructions. Je revois des amis, et je repars vite sur Ramallah. Cette fois j'ai de la chance : je voyage en voiture consulaire française. La même route que samedi, mais cette fois, on met une heure seulement. Mon pote S. reste quelques jours de plus chez lui à Balata. En ce mardi matin, il était censé rentrer à Ramallah. Je l'ai eu au téléphone : il est parti de Balata à 4 heures du matin, s'est fait prendre par l'armée et confisqué sa carte d'identité. Il a dû vider son sac dans une flaque d'eau et attendre. Au bout de quelques heures, son frère a été autorisé à partir. Lui non. Il est resté seul avec les soldats. Ils l'ont forcé à se tenir debout sous la pluie et dans le vent. "Les soldats riaient" m'a-t-il dit. "J'étais seul. J'ai cru qu'ils allaient tirer."  Vers 12h30, ils lui ont rendu sa carte en lui ordonnant de rentrer chez lui à Balata. Il a essayé de leur dire qu'il devait se rendre à Ramallah, où il travaille. Les soldats n'ont rien voulu savoir. Il est donc retourné à Balata, et demain matin il tentera à nouveau sa chance... dans la pluie, le froid et la peur au ventre.
Pas très loin de là, hier, une jeune femme de 25 ans a été tuée par l'armée alors qu'elle circulait en voiture avec son mari et sa mère qui eux ont été blessés.
                                           
3. En guise de voeux par Claude Abou-Samra, citoyenne de Ramallah en Palestine
Ramallah, le jeudi 5 décembre 2022 - Premier jour de l'aïd, après le mois de ramadan. Rien ne nous donne envie de fêter, mais nous nous plions au rituel des visites familiales, pour dire à chacun "kull sanaa enta bkhrer ... " (que tu soies toute l'année dans le bien ... ou dans la paix ...) selon la formule consacrée que l'on a tendance, maintenant, à ponctuer d'un incertain "inch'Allah" car le bien .... la paix ... ça existe ?
Chez la maman de Youssef nous recevons l'invitation inattendue au mariage de Ghassan, un neveu, que l'on nous annonce pour le troisième jour de la fête, ... inch'Allah !  C'est la troisième tentative depuis les fiançailles en été qui n'ont pu être suivies du mariage pour cause de couvre-feu ou d'impossibilité d'une des deux familles à se déplacer, le fiancé vivant à Naplouse qui est à 50 kms du lieu de résidence de la fiancée près de Ramallah. Or, la levée providentielle du couvre-feu à Naplouse qui dure depuis des mois permet d'espérer d'organiser à la hâte cette fête pour samedi.
Vendredi, le deuxième jour de la Fête est cruellement endeuillé par l'agression de l'armée israélienne au camp de El Borej dans la bande de Gaza : 10 morts, des dizaines de blessés, des destructions .... Allons-nous faire ce mariage demain ?
Samedi, ceux qui ont pu venir ont fêté modestement mais chaleureusement les mariés. Les mariages avec des centaines d'invités et des orchestres, ça a existé mais c'était il y a longtemps... on a oublié. On prolonge malgré tout le  dimanche autour d'un repas que mes belles-soeurs, comme toutes les femmes palestiniennes, ont le don de réussir avec peu de choses en peu de temps. La fête a eu lieu, il faut maintenant envisager le voyage du retour à Naplouse avant la réimposition probable du couvre-feu sur la ville. Pour 50 Kms, il faut compter 3 à 4 heures pour les plus chanceux, d'autres auront besoin de la journée, et un minimum de 90 shekels (env. 15 euros) par personne (en temps "normal" - mais quand était-ce ?  Cela devait être 8 shekels ...) car il faut changer plusieurs fois de voiture et faire des détours incroyables.
Tout en me disant que ces déplacements sont insensés - peut-être parce que je n'ai pas le courage de le faire, je ne suis pas allée à Naplouse depuis le 30 septembre 2000 - je reconnais qu'ils ont raison de le faire. Ces moments en famille nous ont fait du bien, les mariés sont heureux, la vie continue ...
Nous les quittons car nous ne voulons pas rater un spectacle de danse de "Bara'em el-Funoun" prévu à Ramallah dans l'après-midi. Annulé à plusieurs reprises pour cause de couvre-feu, on compte bien le voir aujourd'hui. Le rideau s'ouvre sur une magnifique fresque peinte, avec l'inscription en arabe au milieu de dessins naïfs de la phrase " TOUS LES HOMMES NAISSENT LIBRES ET EGAUX" sous laquelle surgissent avec une grâce et une vitalité extraordinaires les jeunes danseurs souriants, qui vont nous donner une heure de vrai bonheur. Vingt cinq danseurs, garçons et filles de 8 à 15 ans, ont pris la relève de la troupe "El Funoun" qui, lors de la première Intifada, nous donnait les mêmes moments de joie et de réconfort. Ils ont répété pendant les mois d'occupation, les bombardements, les destructions, les couvre-feux, pour nous donner un spectacle d'une chorégraphie remarquable, du folklore palestinien authentique et modernisé, des costumes éblouissants, où les danseurs se produisent sur des musiques de Marcel Khalifé, de Fairuz, ou de compositeurs locaux comme Suheil Khouri, Saïd Murad, Sabreen ... Pas de discours, juste quelques mots, et cette chanson dédiée par son auteur "à ceux qui sont morts pour que nous puissions vivre ... si toutefois nous restons en vie", applaudie par un public enthousiaste. De l'humour au-delà de la peine, du travail bien fait, une volonté farouche de vivre, d'exister, de danser ... la vie continue.  Plus comme "avant". Avant on savait faire la fête à certains moments et pleurer à d'autres, maintenant on sait faire les deux à la fois.
Pour répondre au déferlement de violence et de destruction qui s'abat sur lui dans l'indifférence générale, le peuple palestinien résiste. Quelques uns ont choisi de mourir debout pour sauver leur dignité en se sacrifiant avec le sentiment du devoir accompli, d'autres, la majorité silencieuse, accomplissent leur même devoir en continuant à vivre et à espérer. Alors, puisque après l'Aïd arrivent Noël et la nouvelle année, il n'est pas dérisoire de vous envoyer nos souhaits de Palestine "pour que vous viviez  cette nouvelle année dans le bien et la paix". La paix du coeur qu'il est possible de connaître en temps de guerre, cet espoir de paix qui  est, comme le dit Mahmoud Darwish, le mal incurable dont souffre le peuple palestinien.
                                      
Réseau

                        
1. Une introduction au conflit israélo-palestinien par Norman Finkelstein (Septembre 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Norman Finkelstein est né à Brooklyn en 1953, de parents survivants du camp de concentration nazi d'Auschwitz. Il enseigne la théorie politique à la City University de New York. Il a passé sa thèse de doctorat à Princeton sur la théorie du sionisme. Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont deux traduits à ce jour en français, "L'industrie de l'Holocauste, réflexions sur l'exploitation de la souffrance des Juifs", aux éditions La Fabrique - 2001 - et coécrit avec Ruth Bettina Birn "L'Allemagne en procès, la thèse de Goldhagen et la vérité historique", paru chez Albin Michel - 2000 - . Vous pouvez retrouver de nombreux textes de Norman Finkelstein - en anglais - sur son site : http://www.normanfinkelstein.com.)
Le contexte
Afin de résoudre ce qu’il était convenu d’appeler « la question juive » - c’est-à-dire le défi réciproque entre la répulsion pour les Juifs, chez les Gentils (l’antisémitisme) et l’attrait des sociétés des Gentils pour les Juifs (l’assimilation) – le mouvement sioniste chercha, à la fin du dix-neuvième siècle, à créer un Etat très majoritairement, sinon totalement, juif, en Palestine [1]. Le mouvement sioniste ayant conquis un pied à terre en Palestine grâce à la publication par la Grande-Bretagne de la Déclaration Balfour [2], le principal obstacle qui se dressait devant la réalisation du projet sioniste était la population arabe indigène de la Palestine. En effet, à la veille de la colonisation sioniste, la Palestine, dans son écrasante majorité n’était pas juive : elle était peuplée d’Arabes, musulmans et chrétiens [3].
D’un extrême du spectre sioniste à l’autre, il était clair, dès le début, que la population arabe indigène de la Palestine ne dirait pas ‘amen’ à sa dépossession. « Contrairement à ce que l’on prétend souvent, le sionisme n’était pas aveugle à la présence des Arabes en Palestine », fait observer Zeev Sternhell. « Si les intellectuels et les dirigeants sionistes ignoraient le dilemme des Arabes, c’était avant tout parce qu’ils savaient parfaitement que ce problème n’avait pas de solution dans la conception sioniste des choses… En général, les uns et les autres se comprenaient très bien entre eux, ils savaient que la mise en pratique du sionisme ne pourrait se faire qu’aux dépens des Arabes palestiniens ». Moshe Shertok (par la suite : Sharett) repoussait avec mépris les « espoirs illusoires » de ceux qui parlaient d’une « compréhension mutuelle » entre « nous » et les Arabes, d’ « intérêts communs » et de « la possibilité d’une unité et d’une paix entre les deux peuples frères. » « Il n’existe pas d’exemple, dans l’Histoire », déclara Ben Gourion, en cadrant de manière lapidaire le cœur du problème, « qu’une nation ouvre les portes de son pays, non par nécessité… mais parce que la nation qui veut venir s’y installer a manifesté son désir de le faire. » [4].
« La tragédie du sionisme », écrira Walter Laqueur dans son ouvrage historique de référence, « fut qu’il apparut sur la scène mondiale à une époque où n’existait plus aucun espace libre sur la mappemonde. » Ce n’est pas tout à fait exact. En fait, il n’était plus politiquement possible de créer de tels espaces : l’extermination avait cessé d’être une option admissible, en vue de la conquête territoriale [5]. Fondamentalement, le mouvement sioniste n’avait de choix qu’entre deux options stratégiques, pour atteindre son but : ce que Benny Morris a appelé « la méthode Sud-Africaine » - « l’établissement d’un Etat d’apartheid, dans lequel une minorité de colons règnerait sur une importante majorité indigène exploitée » - ou la « méthode du transfert » - « vous pouviez créer un Etat juif homogène ou tout au moins, un Etat avec une écrasante majorité juive, en déplaçant, en « transférant » la totalité, ou la plupart, des Arabes, dehors » [6]
Première étape – « La méthode du transfert »
Dans la première étape de la conquête, le mouvement sioniste jeta son dévolu sur la « méthode du transfert ». En dépit d’un fatras rhétorique autour de la volonté de « vivre avec les Arabes dans des conditions d’unité et d’honneur mutuel, afin de transformer la patrie commune, avec eux, en une terre florissante » (douzième Congrès sioniste, 1921), les sionistes, dès le début, visèrent à les expulser. « L’idée du transfert a accompagné le mouvement sioniste dès ses tous premiers balbutiements », relève Tom Segev. « La ‘disparition’ des Arabes se trouve au cœur du rêve sioniste, et elle est aussi une condition nécessaire de son existence… A de rares exceptions près, aucun sioniste ne remettait en question la nécessité désirable d’un transfert par la force – ni son caractère moral. » L’essentiel était de ne pas rater le moment opportun. Ben Gourion, réfléchissant à l’option expulsive à la fin des années 1930, écrit : « Ce qui est inconcevable en temps normal devient concevable en des temps révolutionnaires ; si à ce moment-là l’opportunité est manquée et si ce qui est possible en ces heures décisives n’est pas mené à bien – c’est tout un monde qui est alors perdu. » [7]
L’objectif de ‘désapparition’ de la population arabe indigène met en évidence un truisme virtuel enterré sous une montagne de littérature sioniste apologétique : ce qui aiguillonnait l’opposition des Palestiniens au sionisme n’était pas l’antisémitisme au sens d’une haine irrationnelle des Juifs, mais bien la perspective – tout ce qu’il y a de plus réelle – de se voir expulsés. « La peur de l’éviction territoriale et de la dépossession », conclut judicieusement Morris, « fut le moteur essentiel de l’opposition arabe au sionisme ». De la même manière, dans son étude magistrale du nationalisme palestinien, Yehoshua Porath suggère l’idée que le « facteur principal nourrissant » l’antisémitisme arabe « n’était pas la haine des Juifs en tant que tels, mais l’opposition à la colonisation juive de la Palestine. » Il poursuit, en avançant l’argument que bien que les Arabes eussent, dans un premier temps, établi un distinguo entre les Juifs et les sionistes, il était « inéluctable » que leur opposition à la colonisation sioniste se muât en détestation de l’ensemble des Juifs : « Au fur et à mesure que l’immigration (juive) s’intensifiait, l’identification de la communauté juive (de Palestine) au mouvement sioniste suivait le même mouvement… Les facteurs non-sionistes et antisionistes devinrent une minorité négligeable, et il fallait une sérieuse dose de sophistication pour continuer à établir le distinguo de naguère. Il était tout à fait déraisonnable d’espérer que la population arabe, dans son ensemble, et le noyau d’insurgés qui en faisait partie, continueraient à maintenir cette distinction. » [8]
Depuis ses premiers remous, à la fin du XIXème siècle, et tout au long du raz-de-marée de son insurrection, dans les années 1930, la résistance palestinienne se focalisa constamment sur les deux piliers de la conquête sioniste : les colons juifs et les colonies juives. [9] Des écrivains apologues du sionisme, comme Anita Shapira, oppose la colonie juive, pacifique, au recours à la force. [10] En réalité, la colonisation, c’était la quintessence de la force armée. « De l’extérieur, le sionisme était vu comme recourant à l’emploi de la force afin de réaliser des aspirations nationales », observe Yosef Gorny. « Cette force consistait avant tout en la capacité collective de reconstruire un foyer national (pour les Juifs) en Palestine. » Par l’implantation, le mouvement sioniste ambitionnait – pour reprendre les paroles de Ben Gourion – « un alliage parfait, idéal, entre la charrue et le fusil. » Plus tard, Moshé Dayan écrivit dans ses mémoires : « Nous sommes une génération de pionniers ; sans le casque de combat et le chargeur de la mitraillette, nous n’aurions pas pu planter un seul arbre ni construire une seule maison. » [12] Le mouvement sioniste présupposait, derrière la résistance palestinienne à la colonisation juive, un antisémitisme générique (et génétique), des colons juifs « étant assassinés », déclara sans ambages Ben Gourion, « pour la seule raison qu’ils étaient juifs » - manière pour lui de cacher au monde extérieur et aussi, de se cacher à lui-même, les récriminations logiques et légitimes de la population palestinienne indigène. [13] Dans le bain de sang qui en résulta, les parents et amis martyrs du sionisme allaient, comme c’est le cas aujourd’hui pour les parents et amis des martyrs palestiniens, revêtir de lustre et de fierté ces sacrifices patriotiques. « Je suis très fier », déclarait avec emphase le père d’une victime juive, « d’avoir été le témoin vivant d’un tel Evénement historique. » [14]
Il convient de relever ici, afin d’éclairer la suite de notre propos, que, depuis la période entre les deux guerres mondiales, jusqu’aux premières années d’après-guerre, l’opinion publique occidentale n’était pas autrement opposée au transfert de population, comme expédient (bien qu’extrême) pour résoudre des conflits ethniques. Les socialistes français et la presse juive européenne manifestèrent leur soutien à l’idée du transfert des Juifs à Madagascar, pour résoudre le « problème juif » en Pologne, au milieu des années 1930. Le principal transfert forcé de population, avant la Seconde guerre mondiale, fut mis en œuvre entre la Turquie et la Grèce. Décidé par le Traité de Lausanne (1923) et approuvé et supervisé par la Ligue des Nations, ce déplacement brutal de plus d’un million et demi de personnes finit par être considéré par la majorité des responsables officiels en Europe comme un précédent prometteur. Les Britanniques citèrent ce précédent heureux, à la fin des années 1930, comme le Modèle à suivre afin de résoudre le conflit en Palestine. Vladimir Jabotinsky, dirigeant sioniste de droite, encouragé par les expérimentations démographiques des Nazis dans les territoires conquis (environ un million et demi de Polonais et de Juifs avaient été expulsés et avaient été remplacés par des centaines de milliers d’Allemands venus habiter à leur place), s’exclama : « Le monde s’est habitué à l’idée de migrations massives, et on dirait presque qu’il aime ça. Hitler – aussi odieux soit-il, à nos yeux – a donné à cette idée une bonne réputation dans le monde entier. » Durant la guerre, l’Union soviétique (de Staline) mena elle aussi à bien des déportations sanglantes de minorités récalcitrantes, tels les Allemands de la Volga, les Tchétchéno-Ingouches et les Tatars. Les sionistes travaillistes excipèrent des « expériences positives » qu’avaient été à leurs yeux les expulsions gréco-turques et soviétiques, afin de justifier l’idée du transfert des Palestiniens. Rappelant le « succès » (appréciation signée Churchill) du transfert forcé et de l’échange de population gréco-turc, les Alliés autorisèrent, à la conférence de Postdam (1945), l’expulsion de quelque 13 millions d’Allemands d’Europe centrale et orientale (près de deux millions de civils périrent au cours de cet horrible déracinement). Il ne fut pas jusqu’au parti Travailliste britannique (de gauche), qui ne prétendît, dans sa plate-forme programmatique pour l’année 1944, que « les Arabes devaient être encouragés à se tirer » de Palestine, comme le fit lui-même le philosophe humaniste Bertrand Russell, afin de laisser la place à la colonisation sioniste [16].
En effet, dans l’Occident – cet Occident « éclairé » - nombreux furent ceux qui en vinrent à considérer que le déplacement de la population arabe indigène de Palestine était une conséquence inévitable du progrès de la Civilisation. L’identification des Américains au projet sioniste fut des plus aisées, étant donné que « l’ordre social du Yishuv [= la communauté juive en Palestine} était édifié sur l’éthique de la « société de la frontière », dans laquelle la colonie-implantation de pionniers fournissait l’exemple édifiant à suivre ». Afin d’expliciter l’ « ignorance quasi totale du sort des Arabes » par les Américains, un parlementaire travailliste britannique éminent, Richard Crossman, expliqua, au milieu des années 1940 : « Après tout, le sionisme n’est que la tentative des Juifs européens de bâtir leur vie nationale sur le sol de Palestine, d’une manière tout à fait comparable à celle dont les pionniers américains ont développé l’Ouest (Far West). Ainsi, les Américains vont-ils accorder aux colons juifs en Palestine le bénéfice du doute, et considérer les Arabes comme des aborigènes qui doivent s’incliner devant la marche du progrès. » Opposant les Arabes « débraillés» aux colons juifs intrépides qui avaient « mis en branle des forces révolutionnaires au Moyen-Orient », Crossman lui-même professa son soutien au sionisme au nom du « progrès social ». Le candidat libéral de gauche aux élections présidentielles américaines, en 1948, Henry Wallace, compara la guerre de conquête des sionistes en Palestine à « la lutte menée par les colonies américaines, en 1776. De la même manière que les Anglais avaient ameuté les Iroquois, à l’époque des guerres américaines, dans leur guerre contre les pionniers (républicains américains), ils excitent aujourd’hui les Arabes (contre les sionistes « progressistes ») » [17]
En 1948, le mouvement sioniste tira profit des « circonstances révolutionnaires » offertes par la première guerre israélo-arabe - d’une façon très comparable aux Serbes profitant des bombardements de l’Otan pour procéder au nettoyage ethnique au Kosovo – pour expulser plus de 80 % de la population indigène (750 000 Palestiniens), et du même coup atteindre son objectif, en l’occurrence un Etat presque entièrement peuplé de Juifs, même si cet état ne s’étendait pas encore – provisoirement – sur la totalité de la Palestine [18]. Berl Katznelson, connu pour être la « conscience » du sionisme travailliste, n’en démordait pas : il continuait à affirmer que « jamais auparavant une entreprise coloniale n’a(vait) été à ce point caractérisée par la justice et l’honnêteté à l’égard d’autrui que l’œuvre que nous av(i)ons accomplie, ici, en Eretz Israel. » Dans son épopée consacrée à la dépossession de la population indigène américaine par les colons – The Winning of the West – Theodore Roosevelt, de la même manière, concluait qu’ « aucune autre Nation conquérante n’a jamais traité les sauvage propriétaires du sol avec une telle générosité que l’ont fait les Etats-Unis ». Les récipiendaires de cette bienfaisance auraient vraisemblablement une version bien différente de l’histoire à nous raconter… [19].
Deuxième étape : « la méthode sud-africaine »
La principale crainte des Arabes (et des Britanniques), avant et après la guerre de 1948, était que le mouvement sioniste n’utilise l’Etat juif taillé dans la Palestine comme tremplin pour leur expansion ultérieure [20]. En réalité, les sionistes suivaient depuis bien longtemps une stratégie « par étapes » consistant à conquérir la Palestine par appartements – stratégie qu’ils allaient plus tard vilipender les Palestiniens de suivre. « La vision sioniste ne saurait être accomplie en un seul coup », rapporte le biographe officiel de Ben Gourion, « et singulièrement pas la transformation de la Palestine en un Etat juif. L’approche par étapes, dictée par des circonstances qui n’étaient en rien favorables, requérait la fixation d’objectifs qui eussent l’apparence de « concessions ». Le mouvement sioniste accepta les propositions britanniques et américaines de partage de la Palestine, mais seulement « comme une étape sur la voie d’une implantation sioniste beaucoup plus étendue » (Ben Gourion) [21]. Le principal regret des sionistes, à la suite de la guerre de 1948, fut d’avoir échoué à conquérir l’ensemble de la Palestine. Plus tard, en 1967, Israël exploiterait les « temps révolutionnaires » de la guerre de Juin afin de parachever le travail [22]. Sir Martin Gilbert, dans sa brillante Histoire d’Israël, affirmait que les dirigeants sionistes avaient toujours considéré, dès le début, que les territoires conquis représentaient une « charge indésirable qui pèserait lourdement sur les épaules d’Israël. » Dans une nouvelle étude, unanimement reconnue, Six Days of War, (Six Jours de Guerre), Michael Oren suggère l’idée que l’occupation du Sinaï, des hauteurs du Golan, de la Cisjordanie et de Gaza « résulta dans une très large mesure du facteur chance », « des hasards et de l’impétuosité de la guerre. » A la lumière des impératifs permanents du mouvement sioniste en matière territoriale, Sternhell observe quant à lui, plus sobrement : « Le rôle de l’occupant, qu’Israël dut commencer à assumer quelques mois seulement après sa victoire éclair remportée en juin 1967, n’était pas le résultat de quelque erreur de calcul commise par les dirigeants de l’époque, ni de la conjonction de circonstances fortuites. Non : il s’agissait bien d’un pas supplémentaire vers la réalisation des ambitions supérieures du sionisme. » [23]
Israël fut confronté, après l’occupation de la Cisjordanie et de Gaza, au même dilemme qu’à l’aube du mouvement sioniste : il voulait les territoires - pas leurs habitants. L’expulsion, toutefois, n’était plus envisageable. Après les expériences brutales du nazisme, accompagnées de la mise en application et de la planification d’une véritable ingénierie démographique, l’opinion publique mondiale avait cessé d’accorder une quelconque forme de légitimité aux transferts de population. La Quatrième Convention de Genève, texte fondamental ratifiée en 1949, « prohibait (pour la première fois) d’une manière non équivoque la déportation » de civils soumis à une occupation militaire (articles 49,147) [25]. Il en découle qu’Israël opta, après la guerre de juin 1967, pour la mise en application de la seconde des deux options évoquées plus haut – l’apartheid. Ce choix allait s’avérer la principale pierre d’achoppement sur la voie d’un règlement diplomatique du conflit israélo-palestinien.
Le « processus de paix »
Immédiatement après la guerre de juin 1967, l’ONU délibéra des modalités permettant de réaliser une paix juste et durable. Un très large consensus, tant à l’Assemblée générale qu’au Conseil de Sécurité, appelait au retrait d’Israël des territoires arabes occupés par ce pays au cours de la guerre. La Résolution 242 du Conseil de Sécurité rappela, dans son préambule, le principe fondamental du droit international suivant : « … mettant l’accent sur l’inadmissibilité de l’acquisition de territoires par la force armée. » [26]. En même temps, la Résolution 242 appelait les Etats arabes à reconnaître le droit d’Israël « à vivre en paix, à l’intérieur de frontières sures et reconnues, à l’abri des menaces et des agressions armées. » Afin de satisfaire aux aspirations nationales des Palestiniens, le consensus international finit par prévoir la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, après le retrait d’Israël à l’intérieur de ses frontières antérieures à juin 1967. (La 242, quant à elle, se contentait de mentionner indirectement les Palestiniens, en appelant à « la recherche (et l’obtention) d’une solution équitable au problème des réfugiés. »)
Bien que le ministre de la Défense Moshe Dayan reconnût en privé que la 242 exigeait son retrait total, Israël maintenait sa position officielle, selon laquelle cette résolution autorisait des « révisions territoriales » [27]. Le refus israélien, en février 1971, de se retirer complètement du Sinaï, en échange de l’offre égyptienne d’un accord de paix, conduisit directement à la guerre d’Octobre 1973 [28]. Les paramètres fondamentaux de la politique israélienne relative aux territoires palestiniens avaient été exposés dès la fin des années 1960 dans la proposition d’Yigal Allon, un membre éminent du parti Travailliste, membre du Cabinet. Le « plan Allon » préconisait l’annexion à Israël d’une partie de la Cisjordanie pouvant aller jusqu’à la moitié, tandis que les Palestiniens se verraient confinés dans l’autre moitié, divisés entre deux cantons non reliés entre eux, au nord et au sud. Sasson Sofer aime à relever, généralement, l’ « ambiguïté fertile » de la diplomatie israélienne – on pourrait parler plus justement de « cynisme créatif » - consistant à « mettre en exergue le caractère sui generis de la question juive afin d’asseoir la légitimité (de l’Etat juif, ndt), puis à mettre l’accent sur la normalité de l’existence souveraine d’Israël en tant qu’Etat, auquel devraient être accordés tous les droits et privilèges reconnus par la communauté internationale à toute entité nationale. » Dans le cas d’espèce, Israël demandait, à l’instar de tous les Etats souverains, l’entière reconnaissance – parfois aussi qualifiée de ‘droit’ – à la conquête territoriale, au nom de la souffrance des Juifs - sans équivalent historique - et en dérogation à la loi internationale. Comme nous le montrons par ailleurs, l’invocation de l’holocauste nazi joua un rôle crucial dans ce petit jeu diplomatique [29].
Au début, les Etats-Unis soutinrent l’interprétation consensuelle de la Résolution 242, en ne fermant les yeux que sur des ajustements « mineurs » et « mutuellement consentis » de la frontière - non reconnue - entre Israël et la Cisjordanie sous souveraineté Jordanienne [30]. Au cours d’échanges privés, très vifs, avec les Israéliens, durant des efforts de médiation sponsorisés par l’ONU et menés par Gunnar Jarring, en 1968 [31], les officiels Américains ne démordirent pas de leur position, selon laquelle « les termes [frontières] ‘reconnues et sures’ signifiaient qu’il y avait possibilité d’ « arrangements de sécurité » et d’une « reconnaissance » des nouvelles lignes de front comme frontières internationales » et que ces termes « ne signifiaient en aucune manière qu’Israël pourrait étendre son territoire afin d’y englober la Cisjordanie et Suez, (même) s’il jugeait cette extension indispensable à sa sécurité » et, aussi, qu’ « il n’y aurait jamais de paix aussi longtemps qu’Israël tenterait de s’arroger des superficies importantes des territoires occupés. » En le désignant explicitement par son nom, les Américains déplorèrent le fait que le Plan Allon, même dans sa version la plus minimaliste, « n’apportait aucune ouverture » et était « inacceptable, dans son principe même. » [32]
La politique américaine, toutefois, effectuant un virage crucial (sous l’administration Nixon-Kissinger) se réaligna sur celle d’Israël [33]. Exceptés Israël et les Etats-Unis (et, à l’occasion, tel ou tel Etat client de ceux-ci), la communauté internationale a soutenu, sans défaillir, tout au long du quart de siècle écoulé, la solution « à deux Etats » : retrait total d’Israël des Territoires occupés ; reconnaissance totale de l’Etat d’Israël par les pays arabes ainsi que création d’un Etat palestinien à côté d’Israël. Les Etats-Unis furent le seul pays à opposer leur veto aux résolutions du Conseil de Sécurité adoptées en janvier 1976, puis en avril 1980, confirmant la préconisation de la solution à deux Etats avalisée par l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP) et les pays arabes voisins. Une résolution de l’Assemblée générale, en décembre 1989, sur les mêmes positions, fut adoptée à 151-3 voix (pas d’abstention) : les trois votes négatifs ayant été ceux : d’Israël ; des Etats-Unis et de Saint Domingue [34]. Lorsqu’on prend conscience ce lourd passif de mépris (américano-israélien) total pour l’opinion internationale, il n’est nullement surprenant qu’Israël ait posé sans ambages comme condition préalable à toute négociation que les Palestiniens « abandonnassent leur exigence traditionnelle » d’un « arbitrage international » ou d’un « mécanisme du Conseil de Sécurité. » [35] Le principal obstacle empêchant l’annexion totale des territoires occupés, c’était l’OLP. Mais, celui-ci ayant adopté la solution à deux Etats au milieu des années 1970, il n’était plus possible de l’écarter en l’accusant de n’être qu’une organisation terroriste vouée à la destruction d’Israël. Et en effet, des pressions croissantes s’exercèrent sur Israël, l’exhortant à rechercher un agrément avec l’ « approche du compromis » adoptée par l’OLP. En conséquence de quoi, Israël envahit le Liban, où les dirigeants palestiniens avaient leurs quartiers généraux, afin de tuer dans l’oeuf ce que le spécialiste ès stratégie Avner Yaniv a pu qualifier de manière lapidaire d’ « offensive de paix » ( !) de l’OLP. [36]
En décembre 1987, frustrés par l’impasse diplomatique causée par l’obstructionnisme américano-israélien (à l’ONU), les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza se soulevèrent contre l’occupation : il s’agissait d’une insurrection civile et non-violente - l’Intifada. La répression brutale d’Israël (à laquelle s’ajoutèrent les effets désastreux de la direction inepte et corrompue de l’OLP) finit par aboutir à la défaite du soulèvement. [37] Du fait de l’implosion de l’Union soviétique, de la destruction de l’Irak et de la suspension des financements des pays arabes du Golfe, les Palestiniens connurent un revers de fortune supplémentaire. Les Etats-Unis et Israël saisirent cette opportunité afin de recruter au sein de la direction palestinienne déjà vénale et désormais aux abois – « à la veille de la banqueroute » et « dans une situation extrêmement affaiblie », dira Uri Savir, chef négociateur à Oslo – les supplétifs palestiniens du pouvoir israélien. Telle est la signification des accords d’Oslo signés en septembre 1993 : il s’agissait de créer un bantoustan palestinien en faisant miroiter à Arafat et à la direction de l’OLP les prérogatives et les privilèges du pouvoir, d’une manière très semblable à celle dont avaient usé les Britanniques afin de prendre le contrôle de la Palestine durant les années du Mandat, en utilisant le Mufti de Jérusalem, Amin al-Husayni, et le Conseil Musulman Suprême (aux mêmes fins). [38] Après Oslo, « l’occupation continua », écrit un observateur israélien « ayant de la bouteille », Meron Benvenisti, qui poursuit : « même si c’était avec une télécommande, désormais, et avec le consentement du peuple palestinien, représenté par son « unique représentant » - l’OLP. » Benvenisti poursuit : « Il va sans dire que cette ‘coopération’ basée sur le statu quo du rapport des forces respectives n’était pas autre chose que la continuation - - déguisée - de la domination israélienne et que l’autonomie palestinienne n’était qu’un euphémisme politiquement correct pour désigner la bantoustanisation. » Le « test », pour Arafat et l’OLP, d’après Savir, était de savoir s’ils « utiliseraient leur pouvoir tout neuf afin de démanteler le Hamas et d’autres groupes violents oppositionnels » qui osaient continuer à contester l’apartheid israélien. [39
La politique israélienne de colonisation des Territoires Occupés au cours de la décennie écoulée révèle le contenu réel du « processus de paix » mis en œuvre à Oslo. Les détails sont donnés dans une étude exhaustive réalisée par B’Tselem (Centre Israélien d’Information sur les Droits de l’Homme dans les Territoires Occupés), intitulée : L’accaparement des terres. [40] En raison, en tout premier lieu, de subventions très importantes accordées par le gouvernement israélien, la population des colons juifs est passée de 250 000 à 380 000 au cours des années ‘d’Oslo’, l’activité de colonisation connaissant un rythme plus soutenu sous le mandat du Travailliste Ehud Barak que sous celui de Benjamin Netanyahu, du Likoud. Illégales au regard du droit international, car construites sur des territoires illégalement saisis à des Palestiniens, ces colonies recouvrent aujourd’hui près de la moitié de la superficie de la Cisjordanie. Elles ont été annexées à Israël sous de multiples prétextes (la loi israélienne s’applique non seulement aux Israéliens, mais également aux Juifs non-Israéliens résidant dans les colonies) et interdites aux Palestiniens non munis d’une autorisation spéciale. En fragmentant la Cisjordanie en enclaves disjointes et non viables, les colonies ont empêché tout développement significatif de l’économie palestinienne. Dans certaines parties de la Cisjordanie et de Jérusalem Est, les seuls terrains constructibles sont sous juridiction israélienne, tandis que la consommation d’eau des 5 000 colons de la vallée du Jourdain équivaut à 75 % de la consommation totale des deux millions d’habitants palestiniens de la Cisjordanie. Pas une seule colonie n’a été démantelée durant les années ‘Oslo’, tandis que le nombre de nouvelles unités d’habitation, dans les colonies, croissait de plus de 50 % (sans tenir compte de Jérusalem Est) ; là encore, la plus importante floraison de constructions nouvelles ne s’est pas produite du temps du gouvernement Netanyahu, mais bien durant celui de Barak, précisément en 2000 – exactement à l’époque où Barak prétendait « ne pas avoir laissé une seule pierre sans la retourner » tant était intensive sa quête de la paix !
 « Dans les territoires occupés, Israël a instauré un régime de séparation (apartheid) fondé sur la discrimination, en appliquant deux système juridiques différents dans une même zone territoriale et en faisant dépendre les droits des individus de leur nationalité », conclut l’étude de B’Tselem. « Ce régime est unique en son genre, dans le monde entier, et il rappelle les régimes détestables aujourd’hui disparus, tel le régime d’apartheid de l’Afrique du Sud. »
Durant les dix-huit premiers mois du gouvernement Sharon, au total 44 colonies nouvelles – fustigées par la Commission des Droits de l’Homme de l’ONU comme « des provocations destinées à mettre le feu aux poudres » - ont été construites [41]. Tandis que les colonies se multiplient, Israël cantonne les Palestiniens de Cisjordanie dans huit parcelles de territoire, entourées chacune de fil de fer barbelé, un permis spécial étant requis pour tout déplacement ou pour toute activité commerciale entre elles (les camions doivent décharger leur marchandise à la ‘frontière’ et la marchandise doit être rechargée sur d’autres camions, de l’autre côté, dans un système dit « back-to-back » (litt. : ‘dos à dos’)). Il en résulte une aggravation supplémentaire de la situation d’une économie palestinienne dans laquelle le chômage atteint désormais plus de 70 % dans certaines régions, où la moitié de la population vit au-dessous d’un seul de pauvreté fixé à 2dollars/jour/personne, et où un enfant de moins de cinq ans, sur cinq, souffre de malnutrition, largement causée – d’après un rapport de l’organisme américain USAID – par les entraves mises aux transports. « Ce qui est vraiment terrible », déplorait un journaliste de Ha’Aretz, « c’est la manière complètement blasée avec laquelle les mass media ont traité ces informations… Où est l’indignation de l’opinion publique devant cette tentative de saucissonner les territoires et d’imposer des laissez-passer… et d’humilier et harceler une population qui a les plus grandes difficultés pour gagner de quoi vivre et mener une existence normale ? » [42]
Après sept années, cahin-caha, de négociations, après une succession de nouveaux accords intérimaires qui s’arrangèrent de manière à piquer aux Palestiniens les quelques miettes tombées de la table du maître de maison, à Oslo [43], le moment de vérité arriva, à Camp David, en juillet 2000. Le président américain William (Bill) Clinton et le Premier ministre israélien Barak présentèrent à Arafat un ultimatum lui donnant le ‘choix’ entre accepter de manière formelle le Bantoustan qui lui était offert ou, à défaut, assumer l’entière responsabilité de l’effondrement du « processus de paix ». Arafat, toutefois, refusa de déroger au consensus international sur les moyens de régler le conflit. D’après Robert Malley, un négociateur clé, américain, à Camp David, Arafat persista à en tenir pour un « Etat palestinien édifié dans le cadre des frontières (internationales) du 4 juin 1967, vivant à côté d’Israël », tout en « acceptant l’idée qu’Israël annexât des parties du territoire cisjordanien pour arranger les colonies, bien qu’il insistât sur un échange de territoires fifty-fifty (de territoires ‘de superficie et de valeur identiques’ – ce qui revient exactement aux ajustements frontaliers ‘mineurs’ et ‘mutuels’ de la position originelle des Etats-Unis sur la résolution 242. Le récit fait par Malley de la proposition palestinienne à Camp David – une offre qui fut immédiatement repoussée par Israël, mais rarement décrite – mérite d’être citée in extenso : « un Etat d’Israël incorporant certains territoires conquis en 1967 et comportant une grande majorité de (ses) colons établis sur ces territoires ; la plus grande Jérusalem juive de toute l’Histoire ; la préservation de l’équilibre démographique israélien entre Juifs et Arabes ; la sécurité, garantie par une présence internationale sous la supervision des Etats-Unis. » En face, contrairement au mythe inventé par Barak-Clinton, ainsi que par des médias plus que complaisants, « Barak offrit des apparences de souveraineté palestinienne », observa un conseiller spécial du Foreign Office (Affaires Etrangères britanniques), « tout en perpétuant l’asservissement des Palestiniens ». Bien qu’existent plusieurs versions de la proposition Barak, sensiblement différentes entre elles, tous les observateurs au courant sont unanimes à dire qu’elles auraient abouti à ce que « les territoires annexés par Israël seraient allés très loin à l’intérieur du territoire de l’Etat palestinien » (Malley), divisant la Cisjordanie entre plusieurs enclaves discontinues, de plus, cette proposition offrait des échanges de territoires palestiniens contre des territoires israéliens qui n’étaient ni de la même étendue, ni d’une valeur équivalente. [44]
A cet égard, il est intéressant de se pencher sur la réaction d’Israël au plan de paix proposé par les Saoudiens en mars 2002. Le Prince régnant Abdullah a proposé – et l’ensemble des vingt et un autres membres de la Ligue des Etats arabes ont approuvé – un plan qui offrait des concessions qui allaient, en réalité, au-delà du consensus international. En échange d’un retrait total d’Israël des Territoires, ce plan offrait non seulement une reconnaissance sans réserve d’Israël, mais des « relations normales » avec lui, il appelait non pas au « droit au retour » des réfugiés palestiniens, mais bien plutôt à une « solution équitable » du problème des réfugiés. Un commentateur de Ha’Aretz nota que le plan saoudien « ressemblait de façon frappante à ce que Barak prétendait avoir proposé deux ans auparavant », à Camp David. Israël se serait-il engagé à un retrait total en échange d’une normalisation de ses relations avec le monde arabe, que le plan saoudien, avalisé à l’unanimité par le sommet de la Ligue arabe (à Beyrouth) aurait été accueilli dans l’euphorie. En fait, après un temps éphémère d’évitement et de silence, ce plan fut rapidement déposé dans le ‘trou à mémoire’ d’Orwell. [45] Néanmoins, le faux de Barak et Clinton, selon lequel les Palestiniens auraient rejeté, à Camp David, l’offre la plus généreuse possible jamais faite par Israël offrit une couverture morale décisive pour les horreurs qui allaient s’ensuivre.
Leçons tirées de l’Holocauste nazi
En septembre 2000, les Palestiniens s’embarquèrent pour une deuxième Intifada contre la domination israélienne. Dans le « raisonnement gondolé » des Israéliens, à la suite d’Oslo, écrivit la journaliste Amira Hass, du quotidien Ha’Aretz, immédiatement après la résurgence de la résistance, « les Palestiniens étaient supposés enclins à accepter une situation de coexistence dans laquelle ils étaient sur un pied d’inégalité vis-à-vis des Israéliens et dans laquelle ils étaient catalogués comme des personnes ayant droit à moins, à beaucoup moins, que les Juifs. Toutefois, à la fin des fins, les Palestiniens ne voulaient pas admettre cet arrangement bancal. La nouvelle Intifada… est une ultime tentative de placer un miroir devant la figure des Israéliens et de leur dire : « Regardez-vous une bonne fois, et voyez à quel point vous êtes devenus racistes. » Pendant ce temps, Israël, dont la politique de la carotte initialisée à Camp David venait d’échouer, tendit le bras pour s’emparer du gros bâton. Deux conditions devaient être remplies, toutefois, avant qu’Israël pût étaler son écrasante supériorité militaire : le « feu vert » des Etats-Unis et un prétexte suffisant. Déjà, durant l’été 2001, le Jane’s Information Group, service de renseignements faisant autorité, avait fait état de l’achèvement par Israël de la mise au point d’une invasion massive et sanglante des Territoires Occupés. Mais les Etats-Unis objectèrent à sa mise en œuvre, et l’Europe manifesta son opposition totale. Après les attentats du onze septembre (2001, aux Etats-Unis), toutefois, les Etats-Unis franchirent le pas. Le but de Sharon – écraser les Palestiniens – collait exactement à l’objectif de l’administration américaine – exploiter l’atrocité du World Trade Center afin d’éliminer les dernières poches de résistance arabe à une domination totale des Etats-Unis – ou, pour reprendre la formulation lapidaire de Robert Fisk, « afin de ramener les Arabes sous notre strict contrôle, de nous assurer de leur loyauté. » Grâce à un extraordinaire déploiement de volonté et en dépit d’une direction à la corruption babylonienne, les Palestiniens ont prouvé qu’ils étaient la force populaire la plus résiliente et la plus récalcitrante et tenace dans le monde arabe. Les mettre à genoux nécessiterait désormais d’infliger un traumatisme psychologique dévastateur à l’ensemble de la région moyen-orientale [46].
Ayant reçu le feu vert des Etats-Unis, tout ce dont Israël avait désormais besoin, c’était du prétexte pour déchaîner sa répression. De manière prévisible, il procéda à l’escalade dans les assassinats de dirigeants palestiniens, à chaque accalmie dans les attentats terroristes (afin de relancer le cycle infernal, ndt). « En dépit de destructions de maisons à Rafah et à Jérusalem, les Palestiniens continuèrent à pratiquer une certaine retenue », observe Shulamit Aloni, du parti israélien (de gauche) Meretz. « Sharon et son ministre des armées, craignant apparemment d’être contraints de retourner à la table des négociations, décidèrent de faire quelque chose : ils liquidèrent Ra’ed Karmi. Ils savaient pertinemment qu’il y aurait une riposte, et que nous allions devoir payer le prix de cette « élimination » avec le sang de nos concitoyens. » [47] Effectivement, il est hélas tout à fait authentique qu’Israël a recherché cette riposte terriblement sanglante. Une fois que les attentats terroristes eurent franchi le seuil déterminé à l’avance – et ardemment désiré – Sharon put déclarer la guerre et commencer à annihiler la population civile palestinienne, totalement sans défense.
Seuls les aveugles volontaires peuvent ne pas remarquer que l’invasion par Israël de la Cisjordanie, en mars-avril 2002 (« Opération Bouclier Défensif ») était la répétition, dans une très large mesure, de l’invasion du Liban de 1982. Afin d’écraser l’objectif des Palestiniens (un Etat indépendant vivant à côté d’Israël – vous savez, l’ « offensive de paix » de l’OLP…), Israël avait entrepris de planifier, dès septembre 1981, l’invasion du Liban. Pour lancer cette invasion, toutefois, Israël avait besoin du feu vert de Washington, et d’un prétexte. A son grand dam et en dépit de multiples provocations, Israël était incapable de provoquer une attaque palestinienne à sa frontière Nord. Qu’à cela ne tienne : Israël procéda à l’escalade dans ses raids aériens contre le Sud Liban et après un bombardement particulièrement meurtrier, qui fit deux cent morts, tous des civils – dont soixante petits malades d’un hôpital pédiatrique – l’OLP finit par répliquer, tuant un Israélien. Ayant désormais son prétexte en main, et le feu étant passé au vert du côté de l’administration Reagan, Israël procéda : il envahit… Utilisant le sempiternel slogan « éradiquer la terreur », Israël procéda au massacre d’une population civile sans défense, tuant quelque 20 000 Palestiniens et Libanais entre juin et septembre 1982 – presque tous, des civils. On peut noter, à titre de comparaison que, au mois de mai 2002, le chiffre israélien officiel des « Juifs qui ont donné leur vie pour la création et la sécurité de l’Etat Juif » - c’est-à-dire, le nombre total des Juifs qui ont péri (la plupart d’entre eux) en temps de guerre, au combat, ou dans les attentats terroristes depuis l’aube du mouvement sioniste, c’est-à-dire, voici cent vingt ans de cela, jusqu’à ce jour – s’établit à 21 182 personnes. [48] [Même nombre de victimes en quatre mois (côté arabe… au Liban seulement, et seulement en 1982) et en cent vingt ans (côté israélien)…]
Afin de mieux réprimer la résistance palestinienne, un officier supérieur israélien exhorta, au début de l’année 2002, l’armée à « analyser… la manière dont l’armée allemande avait investi le ghetto de Varsovie, et à en tirer les leçons » ! A en juger au carnage provoqué par l’armée israélienne en Cisjordanie, le summum étant atteint avec l’opération Bouclier de Protection – avec la prise pour cible d’ambulances palestiniennes et de personnel soignant, de journalistes, l’assassinat d’enfants palestiniens « pour se distraire » (Chris Hedges, ancien directeur du bureau du New York Times au Caire), les rafles, les mains menottées et les bandeaux sur les yeux de tous les Palestiniens (de sexe masculin) entre 15 et 50 ans), l’inscription de numéros sur leur poignet, les tortures infligées de manière arbitraire aux Palestiniens arrêtés, les privations de nourriture, d’eau, d’électricité et de soins médicaux aux civils palestiniens, les attaques aériennes contre les quartiers d’habitation palestiniens, l’utilisation de Palestiniens comme boucliers humains, la démolition au bulldozer de maisons palestiniennes, parfois sur leurs habitants qui s’y étaient mis à l’abri – il est évident que l’armée a suivi les conseils de cet officier supérieur. Lorsque l’opération, soutenue par rien moins que 90 % des Israéliens, fut enfin terminée, 500 Palestiniens avaient été tués et 1 500, blessés. {49]
Une enquête de Human Rights Watch (Observatoire des Droits de l’Homme) sur l’attaque israélienne du camp de réfugiés de Jénine, en avril 2002, a constaté que « l’armée israélienne a commis des violations graves du droit humanitaire, dont certaines s’apparentent à première vue à des crimes de guerre ». Quelque 4 000 Palestiniens, soit plus du quart de la population du camp, sont devenus sans domicile à cause de « destructions qui allaient bien au-delà de toute ‘justification’ technique sur les nécessités de creuser un accès jusqu’aux combattants – destructions totalement disproportionnées par rapport aux objectifs militaires recherchés. » Parmi les atrocités israéliennes caractérisées, relevées par Human Rights Watch, celles-ci : « un paralytique âgé de 37 ans a été tué lorsque l’armée israélienne a détruit sa maison au bulldozer (tandis qu’il était chez lui), après avoir refusé à des membres de sa famille de leur laisser le temps de le sortir de la maison » ; « un homme de 57 ans, handicapé, condamné au fauteuil roulant… a été ‘abattu’ et un char a écrasé son cadavre, sur une route importante, en dehors du camp… Bien qu’il y eût un drapeau blanc attaché à son fauteuil roulant » ; des soldats israéliens ont forcé une femme palestinienne, âgée de 65 ans, à rester exposée, sur la terrasse de sa maison, en face d’une position de ‘Tsahal’, au beau milieu d’un combat où étaient engagés des hélicoptères ». Un chercheur chevronné de Human Rights Watch relève, de plus, que ce qui s’est passé à Jénine « ne différait sensiblement pas de l’ensemble des attaques » opérées durant l’opération ‘Bouclier de Défense’, dont les villes de Naplouse et de Ramallah ont souffert plus encore que toutes les autres villes palestiniennes. [50]
Une chose est sûre : Ehud Barak a désapprouvé l’Opération Bouclier de Protection. Mais pour morigéner Sharon, qui aurait dû agir, déclara Barak, « beaucoup plus fortement ». En même temps, en rejetant toute critique d’Israël au prétexte que toute critique ne saurait être que dictée uniquement par l’antisémitisme, le Président Directeur Général de Holocaust Industry & Co, Elie Wiesel, affirmait bruyamment son soutien inconditionnel à Israël – « Israël n’a jamais rien fait d’autre que réagir… Tout ce qu’Israël a fait, Israël devait le faire… Je ne pense pas qu’Israël soit en train de violer la charte des Droits de l’Homme… La guerre, que voulez-vous, a ses règles propres, bien à elle… » - soulignant, inlassablement, « la grande douleur et l’anxiété » subies par les soldats israéliens n’accomplissant que « leur strict devoir ». En se vantant de manière insupportablement cynique « de (‘leur’) avoir laissé (en souvenir) un stade de foot » (en détruisant tout le centre du camp de Jénine), l’un des pauvres soldats éprouvés, selon Wiesel, chargé de manœuvrer au bulldozer à Jénine, racontera plus tard, à la presse : « Je voulais tout détruire. Tout. J’ai supplié les officiers… de me laisser tout bousiller, de fond en comble. De tout araser, de tout niveler… Trois jours durant, je n’ai fait que détruire, détruire, et détruire encore… Je prenais mon pied à chaque fois qu’une maison dégringolait, parce que je savais que cela ne leur fait ni chaud ni froid, de crever, mais que de perdre leur tanière, ça, par contre, ça les fait chier. Si vous butez une maison, c’est comme si vous ‘en’ mettiez une quarantaine ou une cinquantaine (de Palestiniens) au trou pour des générations. S’il y a une seule chose que je regrette, c’est de ne pas avoir réduit toute cette merde de camp en charpie… J’ai pris un panard pas possible. Un vrai trip. » Une enquête de l’organisation (israélienne des droits de l’homme) B’Tselem a relevé que, de manière tout à fait signée, « non seulement les ordinateurs en réseau du Ministère de l’Education ont été emportés, ce fut le cas aussi pour les rétroprojecteurs et les magnétoscopes. D’autres équipements, dont des téléviseurs et des armoires métalliques pleines de documents confidentiels et irremplaçables, comme des dossiers scolaires d’étudiants, furent simplement détruits sur place… Des disques durs d’ordinateur ont été volés à des associations de la société civile qui avaient investi des années de travail et des millions de dollars pour réunir leur documentation. C’était absolument incroyable », a raconté un jeune conscrit israélien, « les types s’acharnaient à casser et à voler… Le sergent major s’occupait de son côté de trouver un camion et d’aider à y charger le ‘butin’. Tout cela, au vu et au su de tout le monde ». Le tableau général, conclut B’Tselem, « est composé d’un assaut vengeur et rageur contre tous les symboles de la société palestinienne et aussi, de l’identité palestinienne. Cela, combiné avec ce qu’on ne peut que qualifier de vandalisme : résultat du déchaînement de dizaines d’adolescents et de jeunes hommes israéliens portant l’uniforme et auxquels on avait donné carte blanche pour se déchaîner dans les villes palestiniennes, avec l’assurance qu’aucun compte ne leur serait jamais demandé ». Le quotidien Ha’Aretz a écrit que les soldats israéliens occupant Ramallah « on détruit même des dessins d’enfants » au Ministère de la Culture… et « pissé et chié absolument partout » dans les bâtiments du Ministère, réussissant même, pour les plus doués d’entre eux, à « chier dans un photocopieur » - nul doute, au prix d’une « douleur » et d’une « anxiété » extrêmes [51]…
En juillet 2002, Israël agit promptement afin de prévenir encore une nouvelle catastrophe politique. Avec l’assistance de diplomates européens, les organisations de la résistance palestinienne, dont le Hamas, parvenaient à un accord aux termes duquel elles sursoyaient à toute attaque à l’intérieur d’Israël, pavant ainsi possiblement la voie du retour vers la table des négociations. Mais les dirigeants israéliens veillaient. Quatre-vingt-dix minutes, à peine, avant l’heure convenue pour l’annonce de cet accord, qu’ils connaissaient dans les moindres détails, ils donnèrent l’ordre à un bombardier F-16 de lâcher une bombe… d’une tonne, sur un quartier d’habitation densément peuplé, à Gaza, tuant, en plus d’un responsable du Hamas, onze enfants et cinq autres adultes, et blessant cent quarante personnes… Comme prévu, la déclaration fut déchirée et les attentats palestiniens recommencèrent de plus belle, car il s’y ajoutait une lourde revanche, quoi que faiblement proportionnée au massacre. « Qu’est devenue la sagesse ? » demanda à la Knesset un dirigeant du parti Meretz. « Au moment précis où il semblait que nous étions sur le point d’obtenir quelque chose qui ressemblait peu ou prou à un cessez-le-feu, ou à une action diplomatique, nous régressons régulièrement de cette manière là – juste quand il y a une période de calme, nous ‘liquidons’ ? ! ? » Toutefois, ayant décapité, tué dans l’œuf une énième infâme « offensive de paix » palestinienne, cet assaut meurtrier d’Israël était parfaitement calculé. Ne soyons nullement étonnés, par conséquent, à l’évocation de l’appréciation – proprement historique - de Sharon : « [ce raid] fut l’un de nos succès les plus éclatants. » [52] Le gouvernement israélien enregistra encore une victoire politique majeure le mois suivant, en empêchant des militants pacifistes israéliens de faire la liaison avec sept cents de leurs homologues palestiniens à Bethléem. Depuis Bethléem, précisément, la journaliste israélienne Amira Hass observait que très nombreux étaient les Palestiniens à œuvrer en vue de l’ « ouverture d’un débat public afin de réduire le soutien des Palestiniens aux attentats à l’intérieur d’Israël, sans même attendre pour ce faire un quelconque changement dans la politique israélienne. » « La manifestation commune, palestino-israélienne », poursuivait-elle, était « un exemple de ce type de mobilisation et d’action. C’est uniquement parce qu’il a été contré par les autorités israéliennes que cet effort a échoué. » [53]
La menace d’expulsion (« transfert »)
Le processus d’Oslo a été conçu, dès le départ, afin de trouver une direction palestinienne crédible qui puisse camoufler l’apartheid israélien : il fallait trouver (difficile…) une sorte de Nelson Mandela qui voulût bien se prêter au jeu en interprétant le rôle du chef zoulou Buthelezi. [54]. Camp David signa l’échec de cette stratégie-stratagème : Arafat refusa -, disons plus exactement, ne put, à cause de la résistance populaire – jouer le rôle qui lui était imparti. Sans une telle façade palestinienne assurant une légitimité factice, la réalité de l’apartheid israélien sauterait aux yeux du monde entier : cet apartheid ferait très rapidement l’objet des mêmes critiques à boulets rouges que son prédécesseur sud-africain. « Si les Palestiniens étaient Noirs, Israël serait un Etat paria, soumis à des sanctions économiques impitoyables imposées par les Etats-Unis », écrivit dans un éditorial le London Observer, après l’éclatement de la seconde Intifada. « Sa façon de développer ses colonies et de créer de nouvelles implantations en Cisjordanie serait considérée comme caractéristique d’un système d’apartheid, dans lequel la population autochtone n’est autorisée à vivre que sur une minuscule portion de son propre pays, dans des « bantoustans », les «Blancs » monopolisant les ressources en eau et les fournitures d’électricité. Et, de la même manière que la population noire n’était admise dans les territoires réservés aux Blancs, en Afrique du Sud, que pour y être cantonnée dans des townships sordides et misérables, ce qui avait soulevé la réprobation internationale, la discrimination d’Israël à l’égard des Arabes israéliens – particulièrement flagrante, en matière d’éducation et de logement – ne tarderait pas à être jugée tout aussi scandaleuse. » Des personnalités consensuelles, appartenant à tout le spectre des tendances politiques modérées, du conseiller du président Carter pour la Sécurité nationale, Zbigniew Brzezinski, à l’archevêque anglican d’Afrique du Sud, prix Nobel de la Paix, Monseigneur Desmond Tutu, ont formulé des dénonciations similaires. « J’ai été très choqué par ma visite récente en Terre sainte », déclara ainsi Desmond Tutu. « Cela m’a tellement rappelé ce qui nous est arrivé, à nous, les Noirs, dans mon pays, l’Afrique du Sud. J’ai vu l’humiliation des Palestiniens aux barrages militaires et aux checkpoints, je les ai vus souffrir, comme nous souffrions, nous aussi, lorsque de jeunes policiers blancs nous empêchaient de nous déplacer et de vaquer à nos affaires. » [55]
Mais, paradoxalement, alors que l’apartheid n’est désormais plus une option tenable pour Israël, l’expulsion peut de nouveau en être une. Israël a adopté une stratégie d’apartheid après que de nouveaux précédents survenus dans le droit international et dans l’opinion publique mondiale eurent rendu impossibles les expulsions ethniques. Récemment, toutefois, ces contraintes juridiques et morales ont connu un relâchement aussi spectaculaire que dramatique. En particulier, depuis le onze septembre 2001 (attentats de New York et Washington), non seulement les Etats-Unis ont carrément cessé de respecter et de défendre le droit international au moment même où il était en train de se défaire, ils l’ont carrément déclaré effectivement nul et non advenu. A la (notable) différence de leur dévastation de l’Irak, en 1991, l’assaut des Etats-Unis contre l’Afghanistan a été lancé sans qu’il y eût de quelconques sanctions de l’ONU explicites – non qu’ils fussent incapables d’en obtenir le vote, mais parce qu’ils mettaient un point d’honneur à s’en passer. A la différence de ses us et coutumes passés de coups tordus et de légitimations de façade, telle l’opération de soutien aux « Contras » du Nicaragua, afin de renverser des gouvernements étrangers exaspérants (pour eux), les Etats-Unis parlent aujourd’hui effrontément de « changements de régime ». De plus, en proclamant la doctrine des guerres préventives, l’administration Bush a porté un « coup mortel » à l’article 51 de la Charte de l’Onu interdisant toute attaque armée, sauf en cas de menace imminente. « Depuis que Bush est aux manettes », observe un journaliste du journal The Guardian, de Londres, « le gouvernement des Etats-Unis a violé plus de traités internationaux et a ignoré plus de conventions de l’ONU que l’ensemble du reste du monde ne l’a fait en vingt ans. »
Ainsi, il a sabordé la convention interdisant les armes biologiques en expérimentant, illégalement, des armes biologiques développées secrètement. Il a refusé de garantir aux inspecteurs en armes chimiques un accès libre à l’ensemble de ses laboratoires, il a coupé court à des tentatives de lancer des inspections des armes chimiques en Irak. Il a déchiré le traité interdisant les missiles balistiques, et il semble être sur le point de violer le traité interdisant les tests nucléaires. Il a autorisé les commandos de choc de la CIA à reprendre leurs opérations secrètes, du genre de celles qui incluaient, par le passé, jusqu’à l’assassinat de chefs d’Etats étrangers. Il a saboté le traité sur les armes conventionnelles, sapé la cour criminelle internationale, refusé de signer le protocole sur le changement climatique et, le mois dernier, il a tenté de bloquer les travaux de la convention des Nations Unies contre la torture, afin de pouvoir continuer à interdire aux observateurs étrangers de se rendre dans son camp d’internement de Guantanamo. Il n’est pas jusqu’à sa mobilisation en vue de faire la guerre à l’Irak sans mandat du Conseil de Sécurité de l’Onu qui ne constitue un défi au droit international bien plus caractérisé que celui que Saddam Hussein, dit-on, lancerait de son côté. [56]
Grâce au soutien inconditionnel et absolument crucial des Etats-Unis, Israël est tout à fait capable de violer les conventions internationales – comme en ont apporté la preuve le traitement méprisant et humiliant qu’il a réservé à la mission d’enquête des Nations Unies qui devait se rendre à Jénine (mais qui ne l’a pas fait car il lui manquait l’ «autorisation » (sic) d’Israël pour ce faire ! (ndt)) et le passage au broyeur de documents les accords d’Oslo, en réoccupant les zones administrés par l’Autorité palestinienne en Cisjordanie. Des décideurs politiques influents, et même le doyen des « nouveaux historiens » israéliens [57], Benny Morris, envisagent à voix haute l’expulsion des Palestiniens. Morris, reprenant à son compte, de manière tout à fait explicite, l’expulsion des Palestiniens – « un peuple malade, psychotique » - dans l’éventualité d’une guerre, est allé jusqu’à proférer : « Ce territoire est si petit qu’il n’y a pas assez de place pour deux peuples. Dans cinquante ans, dans cent ans, il n’y aura qu’un seul Etat entre la mer (Méditerranée) et le Jourdain. Cet Etat, ce ne peut être que l’Etat d’Israël ». D’après un sondage récent de l’Institut israélien Jaffee Center for Strategic Studies, près de la moitié des Israéliens sont partisans de l’expulsion des Palestiniens habitant la Cisjordanie et la bande de Gaza, et près d’un tiers des Israéliens soutiennent l’expulsion des Palestiniens citoyens d’Israël (trois cinquièmes des Israéliens se contenteraient d’ « encourager » les Palestiniens citoyens d’Israël à aller voir ailleurs.) [58]
Mais ce n’est pas tout : une autre menace, majeure, est pendante. Tout au long de son histoire, le mouvement sioniste a fait des paris insensés. La victoire semblait, en permanence, hors de portée. « L’Etat d’Israël doit son existence », écrit Yael Zerubavel, « à ce discours éthique même qui place l’engagement idéologique au-dessus de tous les calculs réalistes. » Et, effectivement, à chaque croisée des chemins, un « miracle » - l’historiographie sioniste est bourrée de « miracles »… - est venu sauver le sionisme : le « miracle » de la Déclaration Balfour (dixit Ben Gourion) ; le « miracle » de la Résolution de Partage de la Palestine (dixit Chaim Weizmann) ; la « miraculeuse simplification des tâches pour Israël » qu’a représenté (aux yeux notamment de Weizmann) la guerre de 1948 (puisque les Arabes ont fui…) (biblique, non ? ndt) ; le « miracle » de la guerre de Juin 1967 ; le « miracle » de la juiverie soviétique. Une lecture attentive de la documentation historique montre, toutefois, qu’il ne s’agissait pas de véritables miracles (en matière de miracles, il faut se méfier des contrefaçons, ndt). Disons plutôt qu’en chacune de ces occurrences, les sionistes ont exploité jusqu’à la corde une opportunité historique ténue, une chance infime – vous vous souvenez, les « conjonctures révolutionnaires » ?… - en mettant dans la bataille tous leurs atouts matériels et humains. Le onze septembre n’a pas encore montré qu’il pouvait être une occasion de ce genre ; cela peut encore venir. Le monde a accordé – soyons honnête : s’est vu contraint d’accorder – aux Etats-Unis une sorte de période de grâce durant laquelle ils peuvent se comporter ouvertement comme un Etat sans foi ni loi. Voilà qui donne à Israël une rare opportunité (un « fenêtre de tir », pourrait-on écrire, à juste titre, si on osait cet humour noir, ndt) pour résoudre la question palestinienne, une bonne fois pour toutes : c’est un « miracle » qui est seulement en train d’attendre son moment… Mis à part un retrait total, le seul choix qui s’offre à Israël est entre : continuer à tolérer les attentats terroristes ; ou expulser les Palestiniens. Il est très difficile d’imaginer, toutefois, qu’Israël pourra absorber ces attaques (palestiniennes, sur son sol, ndt) indéfiniment. La poursuite implacable des attentats pourrait bien, aussi, tempérer la condamnation internationale (d’Israël) qui ne manquerait pas de faire suite à une expulsion des Palestiniens. [59]
Dût Israël essayer l’expulsion, il pourrait sans doute compter sur le soutien de secteurs puissants en Amérique. Le chef de file de la majorité à la chambre des Représentants, Tom DeLay, et le chef de la majorité, Dick Armey, sont à l’origine d’une résolution soutenant la revendication par Israël de la totalité de la « Judée-Samarie » ; Armey soutenant explicitement que « les Palestiniens qui vivent actuellement en Cisjordanie devraient en partir. » Le Sénateur James M. Inhofe (Oklahoma) a clamé que « la raison la plus importante » pour laquelle les Etats-Unis doivent soutenir Israël est que « c’est Dieu qui l’a dit… Voyez la Genèse… Verset (13:14-17)… Il ne s’agit en rien d’une bagarre politique. Il s’agit de savoir si la Parole de Dieu est Véridique ou non ! » Lorsque la Sénatrice Hillary Clinton, démocrate libérale de New York, est venue en visite en Israël, il y a quelques mois, elle a été accueillie à bras ouverts (y compris littéralement) par Benny Elon, le chef du Moledet, parti dont la raison d’être officielle est le « transfert » des Palestiniens. Lorsqu’on se tourne, maintenant, vers la juiverie organisée des Etats-Unis, le tableau s’assombrit encore un peu plus. Un avocat respecté de Washington, qui est aussi le dirigeant de la communauté juive de cette ville, Nathan Lewin, en a appelé à l’exécution de tous les membres de la famille des Palestiniens ayant commis un attentat suicide. Repoussant des critiques exprimées à l’encontre de cette géniale idée humaniste, un éminent professeur de la Faculté de Droit de l’Université Harvard, Alan Dershowitz, ainsi que le directeur national de l’Anti-Defamation League (Association américaine dont la Licra est la succursale, ndt), ont pris la défense de Lewin, qualifiant sa suggestion de « tentative tout à fait légitime de proposer une politique à même de mettre un terme au terrorisme ». Dans une audacieuse envolée que l’on pourrait qualifier de « chantage à la mode de Lidice », Dershowitz en personne recommanda une « nouvelle réponse au terrorisme palestinien » : la « destruction automatique » d’un village palestinien entier après chaque attentat terroriste (ainsi que la légalisation de la torture de suspects de menées terroristes). La proposition Dershowitz, toutefois, manque de nouveauté. Israël a mis en application cette stratégie de représailles meurtrières à l’encontre des civils arabes au début des années 1950. Un massacre perpétré par un certain Ariel Sharon dans le village de Qibya, qui entraîna la mort de quelque 70 villageois (en majorité, des femmes et des enfants), fut comparé, en effet, au massacre de Lidice (par les Nazis, en Tchécoslovaquie, ndt), par des journaux américains. Inspirés par Dershowitz, un groupe d’anciens officiers et colons israéliens soutenus par une association de bienfaisance pro-israélienne de New York a mis sur son site web cette proposition ingénieuse de nature à faciliter le « transfert » : « Israël n’a qu’à diffuser un avertissement disant qu’en riposte à tout attentat terroriste, il nivellera un village arabe, sélectionné, par ordinateur, au hasard, sur une liste préétablie et publique… L’utilisation de l’ordinateur pour sélectionner le village désigné permettra de mettre les Arabes et les Juifs sur un pied d’égalité. En effet, les Juifs ne savent pas à l’avance où les terroristes vont frapper : de la même manière, les Arabes ne sauront pas, eux non plus, lequel de leurs villages ou de leurs quartiers sera supprimé en représailles. Que l’on y prête bien attention : le mot « supprimé » reflète très précisément l’intensité de la riposte israélienne éventuelle. » [60]
Pendant ce temps, le colossal faux propagandiste de Joan Peters, From Time Immemorial, [De toute Eternité], ouvrage qui soutient que la Palestine avait été désertée (par les Palestiniens) avant la colonisation sioniste [61] a été republié en février 2001 : sponsorisé par les organisations et les publications juives américaines, le livre occupa presque immédiatement la première place au classement des bestsellers chez le libraire sur Internet Amazon, place qu’il occupe d’ailleurs toujours. Après s’être évanouie dans la nuit après la dénonciation de sa fraude, Mme Peters est « de nouveau très demandée pour des conférences », et elle reçoit (dit-elle complaisamment elle-même) « une réponse absolument merveilleuse, fantastiquement positive » de son public. En sus de son bréviaire « What palestinian Land ? » (Quelle terre palestinienne ? Où ça, une terre palestinienne ?), les multiples cordes à l’arc d’expertise de Mme Peters se sont enrichies de « Worldwide Islamic Jihad » (Le Djihâd islamiste mondial), « Terrorism » et « Religions Persecution by Muslims » (Les persécutions religieuses musulmanes) ; cependant que son site internet comporte cette sentence définitive extraite d’une de ses interview récentes – « Les menottes et boulets d’Oslo doivent être détruits et jetés dans la poubelle de l’Histoire » [‘The handcuffs ans shakles of Oslo must be destroyed and thrown in the dustbin of history’.] Un film documentaire basé sur From Time Immemorial est en cours de production. Avec une ironie incomparable, il sera intitulé « The Myth »… [62]. Cet investissement sioniste en soutien aux affirmations absurdes de Peters constitue, signalons-le en passant, un aveu bien involontaire de ce que, eût la Palestine été habitée (ce qu’elle était, évidemment), l’entreprise sioniste aurait été moralement indéfendable (…).
En affirmant que Sharon « a toujours affiché un plan très clair – rien moins que débarrasser Israël des Palestiniens », l’historien militaire respecté Martin van Creveld a fourni deux prétextes alternatifs pour l’expulsion : a/ la diversion offerte par une crise mondiale, comme par exemple, « une attaque américaine contre l’Irak ». A cet égard, il convient de rappeler qu’en 1989, Benjamin Netanyahu avait exhorté le gouvernement israélien à exploiter politiquement la conjoncture favorable offerte par le massacre de la place Tiananmen à Pékin afin de mener à bien des expulsions « à grande échelle », « car dans un tel moment, les dommages portés à l’image d’Israël auraient été relativement réduits » ; b/ un attentat terroriste spectaculaire « tuant des centaines de personnes ». Mise à part la regrettable probabilité importante que les Palestiniens commettent une telle atrocité, il n’est pas impossible que Sharon la provoque lui-même, si l’on en juge à ses états de sévices (pardon : de service ! ndt).
Bien que « d’aucuns pensent que la communauté internationale ne permettrait pas un tel nettoyage ethnique », van Creveld conclut, très plausiblement : « Je n’en ferais pas le pari. Si Sharon décide de foncer, le seul pays qui puisse l’arrêter, ce sont les Etats-Unis. Les Etats-Unis, toutefois, se considèrent eux-mêmes en guerre contre des parties du monde musulman qui ont soutenu Oussama Ben Laden. L’Amérique ne trouvera pas nécessairement quelque chose à redire à ce que l’on inflige une bonne leçon au dit monde musulman. » La principale crainte des Américains est que cette expulsion ne déclenche une réaction dans la « rue arabe », qui renverserait leurs régimes arabes clients. Mais, déjà à deux reprises, à la veille des assauts contre l’Irak et l’Afghanistan, l’opinion des élites américaines avait exprimé une crainte similaire. Dans les deux cas, elle s’est avérée infondée. L’administration Bush pourrait tenter à nouveau sa chance, en croisant les doigts, dans l’espoir que la « rue arabe » est bien une chimère. Dans Ha’Aretz, Meron Benvenisti a exorcisé le scénario cauchemardesque que voici : « Un attaque américaine contre l’Irak, malgré l’opposition arabe et mondiale et avec l’engagement d’Israël – fût cet engagement seulement symbolique – entraîne l’effondrement du régime hashémite en Jordanie. Israël met alors en application la vieille « option jordanienne » - en expulsant des centaines de milliers de Palestiniens au-delà du Jourdain. » En soulignant la vraisemblance d’une expulsion profitant de la guerre, dans l’état de « dissolution morale » que connaît actuellement Israël (« il n’y a jamais eu de meilleure opportunité »), il conclut que « Personne ne pourra prétendre qu’il n’avait pas été averti. » [63]
Reste la Question. Que faudrait-il faire afin d’imposer un retrait effectif total à Israël et prévenir la survenue de la catastrophe qui menace ? « La tendance de fond de la politique israélienne, et aussi du peuple israélien… », observe le perspicace écrivain israélien Boas Evron, «… consiste à résoudre les problèmes par la force et de considérer la force comme l’alpha et l’oméga, plutôt que d’essayer, une fois seulement, histoire de voir… une solution diplomatique et politique », et aussi « à ne voir dans les frontières avec les Etats arabes voisins rien d’autre qu’une dimension, parmi d’autres, du rapport de force ». Dans le même état d’esprit, Zev Sternhell avance que la doctrine sioniste est « de ne jamais abandonner une position ou un territoire sans y être contraint par une force supérieure. » A cet égard, il convient aussi de se souvenir de ce que Creveld appelle « la position unique » occupée par les valeurs militaires et martiales dans la société israélienne : « Si une comparaison est possible, ce qui reste à voir, cela est comparable seulement au statut dont jouissait les forces armées en Allemagne entre 1871 et 1945 ». (Le « plus grand compliment que l’on puisse recevoir en Israël est celui d’être un « combattant », et « le plus signalé compliment que puisse recevoir quelqu’un pour un succès est de s’entendre dire : « vous avez mené cette affaire comme une opération militaire » !) [64]. On peut raisonnablement en déduire qu’Israël ne se retirera des Territoires Occupés que si les Palestiniens (et  leurs soutiens) parviennent à rassembler suffisamment de force pour changer le calcul des coûts (de l’occupation), pour Israël : c’est-à-dire, s’ils sont capables de rendre ce prix trop exorbitant à payer, pour les Israéliens. Les précédents historiques étayent cette hypothèse. Israël s’est retiré de territoires occupés, dans le passé, à trois occasions : il s’est retiré du Sinaï égyptien, en 1957, après l’ultimatum d’Eisenhower ; il s’est retiré du Sinaï occupé, en 1979, après la démonstration de force inopinément impressionnante des Egyptiens durant la guerre d’Octobre 1973 ; et enfin, Israël s’est retiré du Liban à deux reprises, en 1985 et en  2000, en raison des pertes que lui infligeait la résistance libanaise (dont les « terroristes » de M. Jospin… ndt). Ajoutons à cela qu’il semble bien que les élites au pouvoir en Israël ont sérieusement envisagé de se retirer des Territoires durant les premières années de la première Intifada (1987-1989), en raison des coûts imposés à Israël par l’insurrection palestinienne, tant sur le plan international qu’au plan interne.
Ni une guerre conventionnelle, ni une guérilla ne semblent des choix possibles, pour les Palestiniens. Le terrorisme – mis à part le fait qu’il est répréhensible (même s’il n’a rien de surprenant) – ne fera pas bouger Israël d’un pouce. Les élites israéliennes acceptent les victimes civiles, dans lesquelles elles voient un prix à payer en contrepartie de leur pouvoir (même si c’est regrettable). Elles ne sont affectées que lorsque l’armée israélienne subit des pertes ou lorsque sa capacité de dissuasion est affaiblie. A cet égard, l’évaluation faite par Sternhell de l’impact sur Israël de la seconde Intifada est éloquente :
« Le nombre de victimes civiles israéliennes, au cours de l’année écoulée, est très supérieur à celui des soldats tués ou blessés. Tout bien examiné, l’armée israélienne est en train de mener une guerre de luxe : elle bombarde des villages et des villes sans défense, et cette situation convient parfaitement tant à elle-même qu’aux colons. Ils ont pleine conscience que, si l’armée connaissait autant de pertes qu’elle en avait eues au Liban, nous serions aujourd’hui en train de nous retirer des Territoires.
Nous percevons la mort de civils lors d’attaques aux armes à feu ou lors d’attentats commis par des kamikazes fous en plein cœur de nos villes, y compris la disparition de familles entières, comme un décret du sort ou comme une sorte de loi de la nature. En revanche, la mort de soldats soulève immédiatement les questions fondamentales suivantes : Quels sont les buts de la guerre ainsi menée ? Pour quel objectif des soldats sont-ils en train de se faire tuer ? Qui les a envoyés à la mort ? Aussi longtemps que les troupes de conscrits ne paient pas un tribut trop lourd, aussi longtemps que les réservistes ne sont pas rappelés massivement afin de protéger l’occupation et de la défendre, la question du « pourquoi » n’est pas déterminante dans le calendrier politique national. » [65]
Les précédents historiques ne manquent pas – depuis les bombardements aveugles des Alliés contre l’Allemagne jusqu’aux bombardements américains impitoyables au Vietnam – qui laissent présumer que la population civile israélienne est peu susceptible de céder face au terrorisme. Le terrorisme juif a certainement catalysé la décision britannique de mettre fin au Mandat en 1947, mais la raison fondamentale en était l’insolvabilité financière de la Grande-Bretagne au sortir de la Seconde guerre mondiale. [66]
A plus d’un égard, le recours actuel des Palestiniens au terrorisme présente une ressemblance troublante avec la campagne terroriste des sionistes contre l’occupation britannique, après la Seconde guerre mondiale. Bien que dénonçant officiellement le terrorisme anti-britannique, Ben Gourion et l’autorité sioniste qu’il présidait – l’Agence Juive – ne coopérèrent jamais avec les Britanniques à l’arrestation de suspects et ils n’appelèrent jamais la communauté juive à respecter la loi. D’un côté, Ben Gourion affirmait que, par principe, il ne pouvait contribuer à mettre en vigueur les décrets d’une occupation injuste. « Sans soutenir le moins du monde les actes (terroristes) commis », écrivit-il aux officiels britanniques, l’ « Exécutif considère la politique menée présentement par le Gouvernement Mandataire… comme étant la première responsable de la situation tragique qui s’est installée en Palestine. L’Exécutif ne saurait envisager tranquillement que l’on puisse lui enjoindre d’apparaître dans la position présentée comme « enviable » d’être convié à participer à l’imposition de cette politique. » De l’autre, Ben Gourion plaidait la perte de contrôle sur une communauté juive qui ne pouvait plus accepter l’occupation britannique… Un rapport d’évaluation britannique de l’époque concluait que les responsables sionistes avaient fomenté le terrorisme juif, mais aussi qu’ils ne parvenaient plus à l’arrêter : « En poussant le Yishuv (la communauté juive en Palestine, ndt) à la rébellion par leur propagande anti-britannique et anti-gouvernementale constante, ils ont à un tel point enflammé les jeunes hommes juifs et les jeunes femmes juives que les organisations terroristes juives ont reçu un coup de fouet, tant en matière de recrutement que de sympathie et de soutien dans la population juive. Aujourd’hui, l’Agence Juive découvre qu’elle n’est plus capable de faire un pas en arrière sans perdre son ascendant sur la communauté juive, et elle est poussée à encore plus d’extrémisme. Jusqu’à quel point coopère-t-elle avec les organisations terroristes, voilà qui n’est pas défini… Il existe toutefois certains indices que l’Agence Juive a eu connaissance préalable des différents incidents qui se sont produits. » Des révélations ultérieures allaient confirmer l’existence d’une telle coopération. Ainsi, par exemple, l’Agence Juive déplora publiquement l’attentat terroriste de grande ampleur contre l’Hôtel King David (à Jérusalem), qui entraîna la mort d’au moins 90 personnes, bien qu’elle eût approuvé la prise pour cible de cet hôtel. La condamnation sioniste officielle (de cet attentat), a écrit un historien, « contenait plus d’une once d’hypocrisie et d’opportunisme ». [67]
« Ce qui était intolérable – et c’est ce qui était déployé, dans les faits – c’était cette tentative de gagner sur les deux tableaux », releva un parlementaire britannique travailliste pro-sioniste venu sur place : « réclamer des droits constitutionnels pour l’Agence Juive, en tant que collaboratrice loyale du Mandat et, en même temps, organiser le sabotage et la résistance. » Tout en veillant à « rester dans le cadre de la légalité en tant que président de l’Agence » en condamnant le terrorisme, Ben Gourion « n’en tolérait pas moins le terrorisme comme méthode pour mettre la pression sur l’administration mandataire. » Les dirigeants sionistes approuvèrent les attentats sanglants pour une autre raison, aussi, d’après ce parlementaire britannique : le terrorisme juif « conquérait le soutien populaire », « des Juifs parfaitement honnêtes, en Palestine, ne pouvant pas s’empêcher d’admirer peu ou prou les terroristes, et même de les aider lorsque ceux-ci leur demandaient de les protéger et de les cacher chez eux. » Ben Gourion et l’Agence Juive ne pouvaient pas faire autre chose que « soutenir le terrorisme », seul moyen pour eux « d’éviter un glissement de l’opinion publique » vers les partis sionistes extrémistes et donc, contre eux-mêmes. La seule manière de lutter contre le terrorisme juif, concluait le parlementaire, consistait « à satisfaire aux récriminations et aux revendications légitimes de tous les Juifs en Palestine » et « d’évaluer objectivement… les causes historiques de l’apparition et de la croissance de ce phénomène bestial chez un peuple civilisé. » Si les Britanniques décidaient de satisfaire aux demandes des Juifs, ils pourraient « compter sur le soutien des éléments modérés qui les aideraient à réduire le terrorisme, et je suis persuadé que la majorité de la population (juive) se retournerait contre les extrémistes. » Si, en revanche, les Britanniques ignoraient les raisons sous-jacentes au soutien apporté par les Juifs au terrorisme et s’ils se contentaient d’exiger « le remplacement de l’Agence Juive par une autre organisation et le désarmement » de la résistance juive, avertissait notre député, « ils ne feraient que provoquer les Juifs et les inciter à apporter un soutien total, fanatique, aux extrémistes ». [68]
Après que les Britanniques eurent imposé la loi martiale en rétorsion contre de multiples attaques terroristes des Sionistes (« Les atrocités perpétrées par ces Nazis ne pouvaient plus durer », allait écrire dans un éditorial, peu après, le morne Times de Londres), Ben Gourion condamna avec passion les mesures draconiennes prises par les Britanniques, les accusant d’infliger une punition collective au peuple juif et de saper, en réalité, la lutte contre le terrorisme. Ne serait-ce qu’en raison de ses échos contemporains, cette dénonciation mérite d’être citée in extenso :
« Deux cent cinquante mille Juifs de Tel Aviv et faubourgs, le noyau dur de la vie sociale et économique du pays, et trente mille Juifs à Jérusalem, (vivant) essentiellement dans des quartiers ouvriers, coupés de tout contact normal avec le monde extérieur, confrontés à l’effondrement complet des mécanismes de la vie civilisée, à l’exception d’un ravitaillement en comestibles de première nécessité et d’un embryon de services médicaux. Une industrie amputée, un commerce paralysé, un chômage en passe de devenir catastrophique. Les matières premières pour l’industrie n’entrent plus, les produits manufacturés et les stocks disponibles ne peuvent être commercialisés à l’extérieur. Des ouvriers renvoyés de leur emploi, des enfants chassés de l’école. Ces restrictions n’ont ni affecté les terroristes ni mis un terme à leurs outrages ; au contraire, elles n’ont fait qu’augmenter le ressentiment des populations durement frappées, créant un terreau fertile pour la propagande terroriste, et tuant dans l’œuf toutes les tentatives déployées par la communauté (juive) elle-même de lutter, seule, contre le terrorisme. La loi martiale (est) absolument futile et n’a aucun sens, à moins qu’elle ne vise en réalité à punir une population entière, à ruiner son économie et à détruire les fondations du Foyer National Juif. » [69]
Il faut aussi rappeler, cependant, que bien que les attentats terroristes juifs (près d’une vingtaine par mois) aient causé des centaines de morts et de blessés parmi les (militaires et administratifs) Britanniques, ceux-ci « n’ont jamais tiré délibérément sur la foule », et « aucun massacre de Juifs à grande échelle ne s’est jamais produit». « Des colonies juives entières n’ont pas non plus été démolies à l’explosif. » La raison de cette retenue relative des Britanniques, d’après van Creveld, était le fait que « les Britanniques reconnaissaient que les Juifs constituaient une ethnie « semi-européenne ». Par contraste, les Palestiniens souffrent du fait d’Israël le sort fatal réservé aux non-Européens. [70]
Une révolte civile palestinienne – non violente – reprenant de manière créatrice les acquis de la première Intifada en synchronisation avec des pressions internationales – en particulier américaines – représente sans doute le moyen le plus prometteur de sortir de la crise actuelle. Cela pourrait désorienter et neutraliser l’armée israélienne. L’une des préoccupations majeures d’Israël, durant la première Intifada, était la perte de moral et d’élan de l’armée, et cela était dû au fait que cette armée était occupée à réprimer par la violence toute une population civile, et que s’amenuisaient les capacités de l’armée à mener une « vraie guerre » pour laquelle on l’avait formée, engagée qu’elle était dans des « opérations de police » (c’est l’original qui souligne) [71]. Une réserve de soutien populaire à une telle stratégie de désobéissance civile existe peut-être déjà. [72] Qu’une direction palestinienne vînt à mobiliser avec succès cette société, il y a de bonnes raisons d’espérer que son message trouvera un écho auprès d’un assez grand nombre d’Israéliens. Le mouvement des refuseniks, parmi les conscrits israéliens, a suscité un débat national en Israël et, bien que manifestant un soutien franc et massif à la répression brutale du général Sharon, les Israéliens soutiennent toujours dans la même proportion le retrait d’Israël de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. [73]
Ce n’est que lorsque leurs intérêts vitaux seront en danger ou lorsque l’opinion publique les aura contraints à le faire que les Etats-Unis imposeront à Israël le retrait total. Pas avant. Il est encore possible d’exercer sur eux des pressions de ce type. Le soutien à Israël parmi les Américains ordinaire a connu un déclin marqué. [74]. Une campagne est en cours – de la taille et de la profondeur du mouvement anti-apartheid en Afrique du Sud – et elle ne fait que gagner en importance sur les campus universitaires américains, qui vise à inciter les universités à désinvestir les capitaux qu’elles ont pu placer dans des institutions israéliennes. Accordant sa stature morale à cette campagne, l’archevêque Desmond Tutu a exhorté « les citoyens ordinaires à se montrer à la hauteur de la responsabilité du moment que nous sommes en train de vivre, les obstacles se dressant devant une action redoublée absolument nécessaire ne le cédant qu’au caractère d’extrême urgence morale de la nécessité de les surmonter. » [76] Et en effet, les Européens envisagent tout un éventail d’actions, depuis le boycott au niveau des consommateurs jusqu’aux embargos sur les armements destinés à Israël, tandis que des dizaines de volontaires internationaux courageux (parmi lesquels de nombreux Juifs) se sont rendus dans les Territoires occupés afin d’y protéger les civils palestiniens contre les attaques de l’armée et des colons israéliens et de porter à la connaissance du public les atrocités israéliennes. Les thuriféraires d’Israël, à l’instar d’Elie Wiesel, déplorent ces initiatives, dans lesquelles ils s’ingénient à voir une preuve de la résurgence d’on ne sait quel antisémitisme. Démolissant des allégations similaires après l’invasion du Liban par Israël, en 1982, l’universitaire israélien respecté Uriel Tal (leur) répondait : « Les hauts cris au sujet de l’antisémitisme qui, soit disant, relèverait sa tête hideuse partout dans le monde, ne sert qu’à dissimuler le fait que ce qui est en train de se désintégrer, dans le monde, c’est la position d’Israël, et absolument pas celle des Juifs. Les accusations d’antisémitisme ne visent qu’à enflammer le public israélien, à lui inculquer la haine et le fanatisme, à cultiver une obsession paranoïde comme si le monde entier était en train de nous persécuter et comme si tous les autres peuples, dans le monde entier, étaient contaminés par ce prétendu antisémitisme, tandis que nous, Israéliens, serions les seuls purs, les seuls immaculés. » Une chose est certaine : la situation des Juifs dans le monde ne fera que se détériorer s’ils ne se désolidarisent pas publiquement des crimes commis par Israël. Dans une dénonciation passionnée de la politique israélienne actuelle qu’il accuse « de souiller de sang l’Etoile de David », un député vétéran du parti Travailliste britannique, parlementaire juif éminent, déplorait que « le peuple juif… est aujourd’hui symbolisé dans le monde entier par le brute épaisse Ariel Sharon, ce criminel de guerre impliqué dans l’assassinat de centaines de Palestiniens dans les camps de réfugiés de Sabra et Chatila, et à nouveau, aujourd’hui, impliqué dans les tueries de Palestiniens. » [77]
« Désormais, chaque matin, je me réveille, tout près de la Méditerranée, à Beyrouth, avec un sentiment de fort mauvais augure », nous confiait l’année dernière Robert Fisk, le correspondant d’un grand quotidien britannique au Moyen-Orient, connu pour y voir clair. « Un ouragan de feu se prépare. Nous en ignorons béatement l’approche ; et même, en réalité, nous la provoquons. » [78] En dehors du fait qu’elle représente une abomination morale, l’expulsion des Palestiniens est susceptible de déclencher une réaction en chaîne dans le monde arabe, à côté de laquelle le 11 Septembre sera de la petite bière. Mais il est encore à portée de notre main de nous emparer de l’opportunité donnée par ces temps éminemment troublés afin d’imposer une paix équitable et durable pour Israël et pour la Palestine.
- NOTES :
[1] Voir Norman G. Finkelstein, Image and Reality of the Israel-Palestine Conflict (New York: 1995) pp.
7-12. (dans la suite du texte : I&R). L’Etat juif envisagé ne tolérerait pas une minorité arabe dépassant 15 % de la population totale. (Simha Flapan, The Birth of Israel (New York: 1987), p. 104.
[2] Pour les répercussions, cruciales, pour le mouvement sioniste, de son pari sur la Grande Bretagne, voir I&R, pp. 16-20. 
[3] Voir I&R, chapitre 2
[4] Zeev Sternhell, The Founding Myths of Israel (Princeton: 1998), pp. 43-4.  Benny Morris, Righteous Victims (New York: 1999), p. 91 (Shertok).  Simha Flapan, Zionism and the Palestinians (London: 1979), p. 143 (Ben-Gurion).  Pour plus de débat et de documentation voir I&R, pp. 98-110.
[5] Walter Laqueur, A History of Zionism (New York: 1976), p. 597 (discussion, voir I&R, p. 198, note
13).   L’annexion totale du territoire conquis avait elle aussi cessé d’être une option possible, en raison essentiellement de la décision de la Grande Bretagne de publier la Déclaration Balfour  (voir Isaiah Friedman, The Question of Palestine (New Brunswick, NJ: 1992), en particulier aux  pp. 175, 188-9, 288).
[6] Benny Morris, "Revisiting the Palestinian exodus of 1948," in Eugene L. Rogan and Avi Shlaim (eds), The War for Palestine (Cambridge: 2001), pp. 39-40.
[7] Yehoshua Porath, The Emergence of the Palestinian-Arab National Movement, 1918-1929 (Frank
Cass: 1974), p. 147 (Congress).  Tom Segev, One Palestine, Complete (New York: 2001), pp.404-5; cf.
pp. 403, 406-7, 508.  Morris, "Revisiting the Palestinian exodus," p. 42 (Ben-Gurion); pour le calendrier des opérations, voir aussi Shabtei Teveth, Ben-Gurion and the Palestinian Arabs (Oxford: 1985), p. 35. Pour plus de discussion et de documentation sur les plans d’expulsion des sionistes, voir I&R, pp. 16, 103-4, et en particulier Morris, Righteous Victims, pp. 139-44, 168-9.
[8] Morris, Righteous Victims, p. 37. Porath, Emergence, pp. 59, 62.
[9] Neville J. Mandel, The Arabs and Zionism (Berkeley: 1976), p. 40. Yehoshua Porath, The Palestinian National Movement: From Riots to Rebellion (London: 1970), pp. 91-2, 165-6, 297.
[10] Voir : I&R, chap. 4.
[11] Yosef Gorny, Zionism and the Arabs, 1882-1948 (Oxford: 1987), p. 176; pour une analyse détaillée de la thèse de Gomy, voir I&R, chap. 1.  Teveth, Ben-Gurion, p. 155. 
[12] Uri Ben-Eliezer, The Making of Israeli Militarism (Bloomington: 1998), p. 89 ("fusion") (cf. p. 62). Martin Gilbert, Israel: A History (New York: 1998), p. 312 (Dayan).  Pour la discussion, voir I&R, p. 106.
[13] David Ben-Gurion, My Talks with Arab Leaders (New York: 1973), p. 3.  (Pour l’aveu privé par Ben Gourion des vrais raisons motivant les attaques arabes, voir I&R, pp. 108, 110.)   Norman G. Finkelstein, The Holocaust Industry (New York: 2000), pp. 49-53, 62-3.
[14] Segev, One Palestine, p. 182.
[15] Saul Friedlander, Nazi Germany and the Jews, vol. I (New York: 1997), p. 219.  Sur les schémas de réinstallation, voir Michael J. Cohen, Churchill and the Jews (London: 1985), pp. 236, 249-51, and Philippe Burrin, Hitler and the Jews (New York: 1989), pp. 59-61.
[16] Pour les transferts de population de l’entre-deux guerres à la période d’après Seconde guerre mondiale, voir Joseph B. Schechtman, European Population Transfers, 1939-1945 (New York: 1946), et Postwar Population Transfers in Europe, 1945-1955 (Philadelphia: 1962), Alfred M. de Zayas, Nemesis at Potsdam (London: 1977),
Andrew Bell-Fialkoff, Ethnic Cleansing (New York: 1996), Norman M. Naimark, Fires of Hatred (Cambridge: 2001).  Segev, One Palestine, pp. 406-7 (Jabotinsky) (voir aussi : Gorny, Zionism, pp. 270-1). Voir : I&R, p. 103 pour « une expérience positive » ; Nur Masalha, Expulsion of the Palestinians (Washington: 1992), pp. 157-61 (Parti Travailliste).  Bertrand Russell, "The Role of the Jewish State in Helping to Create a Better World" (1943), repris in Zionism (1981).
[17] Sasson Sofer, Zionism and the Foundations of Israeli Diplomacy (Cambridge: 1998), p. 367 ("ordre social , social order").  Richard Crossman, Palestine Mission (London: 1947), pp. 33, 152, 167.  Kenneth Ray Bain, The March to Zion (London: 1979), p. 35 (Wallace) (cf. pp. 34-6 pour l’identification par les Américains de la conquête sioniste avec la conquête américaine de l’Ouest). Pour une comparaison détaillée entre l’entreprise sioniste et la conquête de l’Ouest américain, voir I&R, pp. 89-98, et en particulier Norman Finkelstein, The Rise and Fall of Palestine (Minn.: 1996), pp.104-21.  (dans la suite du texte : R&F)
[18] Voir I&R, chap. 3; pour plus de preuves étayant l’argumentation de ce chapitre, voir Laila Parsons, "The Druze and the birth of Israel," in Rogan and Shlaim, War, chap. 3, ainsi que Ben-Eliezer, Making, pp. 170-81.  Pour les comparaisons, évoquées récemment par les Israéliens consensuels avec l’expulsion des Albanais pratiquée par les Serbes (Kosovo), voir Finkelstein, Holocaust, pp. 70-1.
[19] Sternhell, Founding Myths, p. 173 (Katznelson; pour le soutien de Katznelson au transfert forcé, voir p.176).  Theodore Roosevelt, The Winning of the West (New York: 1889), vol. 4, p. 54.  
[20] Wm. Roger Louis, The British Empire in the Middle East, 1945-1951 (Oxford: 1984), pp. 117, 448, 614.  Michael J. Cohen, Palestine and the Great Powers, 1945-1948 (Princeton: 1982), pp. 197-8, 201.
[21] Voir : I&R, pp. 10-11, 15, 102-3. Teveth, Ben-Gurion, p. 101 (cf. pp. 129, 187-90).  Pour d’abondantes preuves que, même en l’absence de toute agression arabe, les dirigeants sionistes n’ont jamais eu l’intention de respecter les frontières fixées par la Résolution de Partage de 1947, voir : Ben-Eliezer, Making, pp. 144, 150-1.
[22] Pour la guerre de Juin (« Guerre des Six Jours », voir : I&R, chap. 5.
[23] Pour les impératifs territoriaux des sionistes, après 1948, voir : I&R, p. 143.  Martin Gilbert, Israel: A History (New York: 1998), p. 393.  Michael Oren, Six Days of War (Oxford: 2002), p. 312.  Sternhell, Founding, p. 330.
[24] Yosef Weitz, officiel sioniste influent au moment de l’expulsion de 1948, mit en garde, de manière très significative, après les conquêtes de la guerre de 1967, sur la nécessité de préserver le caractère juif de l’Etat d’Israël en faisant en sorte de « toujours maintenir la minorité non-juive au-dessous des 15 % de la population » (Nur Masalha, A Land Without A People (London: 1997), p. 79.
[25] M. Cherif Bassiouni, Crimes Against Humanity in International Criminal Law (Boston: 1999), pp. 312 ("de manière non équivoque"), 322 (voir pp. 312-27 pour le développement historique du droit international en matière de déportation).
[26] Voir : I&R, pp. 144-7.
[27] Voir : I&R, pp. 221-2, note 63.
[28] Voir : I&R, chap. 6.
[29] Geoffrey Aronson, Creating Facts (Washington: 1987), pp. 14ff. (Allon plan).  Sofer, Zionism, p. 385. Finkelstein, Holocaust, pp. 47-8.
[30] Voir : I&R, pp. 147-8.
[31] Pour la mission Jarring, voir : I&R, pp. 151ff.
[32] Foreign Relations of the United States, 1964-1968, Volume XX (Washington, DC: 2001), pp. 619, 634-5 ("meant"/"never meant" : ‘signifiait’/’n’a jamais signifié’), 639, 639 ("large chunks"/"non-starter" : ‘de larges parties’/’n’apportait aucune ouverture’), 641, 654 ("unacceptable" : ‘inacceptable’), 655, 699.
[33] Noam Chomsky, The Fateful Triangle (Boston: 1983), pp. 65-6. Pour les mobiles stratégiques derrière ce revirement politique des Etats-Unis et ses répercussions pour les Juifs américains, voir Finkelstein, Holocaust, chap. 1.
[34] Pour une recension exhaustive des vetos isolés des Etats-Unis au Conseil de Sécurité et des votes négatifs israélo-américains à l’Assemblée Générale, sur le conflit du Moyen-Orient, voir : Finkelstein, R&F, pp. 53-7.
[35] Uri Savir, The Process (New York: 1998), p. 6.
[36] Avner Yaniv, Dilemmas of Security (Oxford: 1987), pp. 20 ("approche de compromis"), 70 ("offensive de paix"). Pour discussion plus approfondie et documents, voir R&F, pp. 44-5. 
[37] Pour une documentation détaillée de la répression israélienne, Voir : R&F, chap. 3.
[38] Savir, Process,  pp. 5, 25.   Pour le précédent du gouvernement britannique en Palestine, Voir Baruch Kimmerling et Joel S. Migdal, Palestinians: The Making of a People (Cambridge: 1994), pp. 86, 90-1, ainsi que Porath, Emergence, p. 202. Les Britanniques imposèrent leur gouvernement direct dans leur Empire, pour la première fois, après avoir écrasé brutalement l’insurrection indienne, en 1857. Le commentaire de Victor Kiernan sur cette stratégie des Britanniques pourrait servir aisément d’épitaphe au processus d’Oslo : « Des gouvernant encore la veille stigmatisés sous l’appellation de tyrans orientaux se voyaient du jour au lendemain portés aux nues en qualité de dirigeants naturels de leur peuple. Laisser un tiers du pays sous le gouvernement des maharadjahs pouvait être présenté de manière spécieuse comme une concession aux sentiments des Indiens ; et si – comme c’était de plus en plus le cas – les conditions y étaient pires que dans l’Inde Britannique, les nationalistes pourraient être invités à réfléchir aux conséquences (désastreuses) de l’auto-gouvernement. » (The Lords of Human Kind (Boston: 1969), p. 52).  
[39] Meron Benvenisti, Intimate Enemies (New York: 1995), pp. 218, 232.  Savir, Process, p. 147. Pour une analyse en détail des accords d’Oslo, voir : Norman G. Finkelstein, "Whither the `Peace Process?'" in
New Left Review (July/August 1996). Pour un panorama complet des développements de l’après-Oslo, voir : Nicholas Guyatt, The Absence of Peace (London: 1998).
[40] Mai 2002.
[41] Daniel Williams, "Settlements Expanding Under Sharon," in Washington Post (31 May 2002).  "Les experts de l’ONU disent que les colonies et les démolitions de maisons sont des crimes de guerre », in Haaretz (15 June 2002). Jackson Diehl, "Making a Palestinian state impossible," (« Rendre un Etat palestinien impossible),in Washington Post (23 July 2002).
[42] Amira Hass, "Donors are funding cantonization," [‘Les donateurs financent la cantonalisation’], in Haaretz (22 Mai 2002). Brian Whitaker, "UN to feed 500,000 needy Palestinians," [‘L’ONU va devoir nourrir 500 000 Palestiniens nécessiteux], in Guardian (22 Mai 2002). Karen DeYoung, "Hezbollah Buildup in
Lebanon Cited," [Les concentrations du Hezbollah au Liban mis en accusation], in Washington Post (15 Juin 2002) (unemployment/chômage). Justin Huggler, "Palestinians face disaster, warns US government group," [‘Les Palestiniens sont confrontés à un désastre, averti le groupe (d’émissaires) du gouvernement américain’] in Independent (6 Août 2002) (malnutrition).  Thomas O'Dwyer, "Nothing Personal: Parts and Apartheid," in Haaretz (24 Mai 2002) ("appalling" / (situation) ‘alarmante’).
[43] Voir : Norman G. Finkelstein, "Securing Occupation: The Meaning of the Wye River Memorandum," [‘Garantir la poursuite de l’occupation : la signification du mémorandum de Wye River’], in New Left Review (Novembre/Decembre 1998), et, en particulier : Mouin Rabbani, "A Smorgasbord of Failure," in Roane Carey (ed), The New Intifada (Verso: 2001), chap. 3.
[44] Hussein Agha et Robert Malley, "Camp David: The Tragedy of Errors," "Camp David and After: An Exchange - A Reply to Ehud Barak," "Camp David and After - Continued: Robert Malley and Hussein Agha reply," in New York Review of Books (9 Août 2001, 13 Juin 2002, 27 Juin 2002).  (Citations de Robert Malley tirées du deuxième article)  David Clark, "The brilliant offer Israel never made," [‘L’offre extraordinaire qu’Israël n’a jamais faite’], in Guardian (10 Avril 2002) (David Clark est un diplomate britannique).
[45] Pour le texte du plan de paix saoudien, voir : Guardian (28 Mars 2002) ; pour sa version révisée sur le point du « droit au retour », voir Suzanne Goldenberg, "Arab leaders reach agreement by fudging refugee question," [‘Les dirigeants arabes parviennent à un accord en éludant le problème des réfugiés’], in Guardian, 29 mars 2002. Aviv Lavie, "So what if the Arabs want to make peace?" [‘Les Arabes veulent faire la paix ? Et alors ? Où est le problème ?’], in Haaretz   (5 Avril 2002). Pour un commentaire pénétrant, voir Uri Avnery, « How to Torpedo the Saudis" » (4 March 2002) [‘Comment torpiller les Saoudiens’], sur le site :
http://w.w.w.counterpunch.org/avnerysaudis.html.
[46] Amira Hass, "The mirror does not lie," [‘Le miroir ne ment pas], in Haaretz (1er  Novembre 2000).  Jane's Foreign Report (12 Juillet 2001).  Robert Fisk, "One year on: A view from the Middle East" [‘Un an après : aperçu depuis le Moyen-Orient’], in Independent (11 Septembre 2002). Fisk pointe du doigt, à bon escient, l’ordre impérial imposé au monde arabe par les Britanniques et les Français au lendemain de la Première guerre mondiale, en tant que précédent des projets politiques actuels des Etats-Unis.
[47] Shulamit Aloni, "You can continue with the liquidations," [‘Continuez les liquidations extra-judiciaires : allez-y !’], in Yediot Aharonot (18 Janvier 2002); cf. Tanya Reinhart, "Evil Unleashed" [‘Le Diable déchaîné’](19 Décembre 2001), sur le site
http://www.zmag.org.
[48] Pour le contexte de la guerre au Liban, voir R&F, pp. 44-5 et les sources citées. Les données officielles israéliennes se trouvent sur le site :
http://www.ou.org/yerushalayim/yomhazikaron/default.htm.
[49] Amir Oren, "At the gates of Yassergrad," in Haaretz (25 Janvier 2002), et Uzi Benziman, "Immoral Imperative," in Haaretz (1 Février 2002) (officier israélien).  Chris Hedges, "A Gaza Diary," in Harpers (Octobre 2001) (la phrase citée provient d’une interview sur National Public Radio interview).  Jessica Montell, "Operation Defensive Shield: the Propaganda and the Reality," (‘Opération Bouclier de Protection : entre propagande et réalité) @www.btselem.org (90 %). Editorial, Guardian (2 Août 2002) (tués et blessés). 
[50] Human Rights Watch, "Jenin: IDF Military Operations" (Jénine : opérations militaires de ‘Tsahal’)(Mai 2002).  Suzanne Goldenberg, "Across West Bank, daily tragedies go unseen," (A travers la Cisjordanie : des tragédies quotidiennes passent inaperçues) in Guardian (27 Avril 2002) ("pas si différent").  Edward Cody,
"Unnoticed Nablus May Have Taken West Bank's Worst Hit" (Sans que l’on ne s’en rende compte, c’est Naplouse qui a peut-être le plus souffert, de toute la Cisjordanie) in Washington Post (21 Mai 2002). Naplouse a été la ville la plus touchée, avec 75 Palestiniens tués, dont 50 civils, à comparer avec la mort d’un seul soldat israélien.
[51] "Camp David and After: An Exchange - An Interview with Ehud Barak," (Camp David et la suite : un échange. Interview d’Ehud Barak) in New York Review of Books (13 Juin 2002) (Barak). En ce qui concerne Elie Wiesel, voir Megan Goldin, Reuters (11 Avril 2002), Greer Fay Cushman, "Wiesel: World doesn't understand threat of suicide bombers," (Wiesel : « Le monde ne comprend pas (cet imbécile… ndt) la menace que représentent les attentats suicides ») in Jerusalem Post (12 Avril 2002), CNN (14 Avril 2002), Caroline B. Glick, "We must not let the hater define us," (Nous ne devons pas permettre que le porteur de haine nous dicte notre conduite) in Jerusalem Post (19 Avril 2002), interview d’Elie Wiesel interview par Gabe Pressman au cours de l’émission télévisée "News Forum" (21 Avril 2002).  Tsadok Yeheskeli, "I made them a stadium in the middle of the camp," (Je leur ai dégagé un terrain de foot au milieu du camp…) in Yediot Aharanot (31 Mai 2002). Montell, "Operation Defensive Shield" (B'Tselem).  Amira Hass, "Someone even managed to defecate
into the photocopier," (Quelqu’un a même réussi le tour de force de déféquer dans le photocopieur) in Haaretz (6 Mai 2002).
[52] Justin Huggler, "Ten killed in Israeli air strike on home of Hamas chief," (Dix tués dans un raid aérien israélien contre le domicile d’un responsable du Hamas) in Independent (23 Juillet 2002). Uli Schmetzer, "Israeli strike kills at least 12 in Gaza," (Un raid israélien tue au moins douze Palestiniens à Gaza) in Chicago Tribune (23 Juillet 2002). Bradley Burston, "Background/Shehada `hit' sends shockwaves back to Israel," (Les frappes contre les Martyrs envoie des ondes de choc en retour jusqu’en Israël » in Haaretz (24 Juillet 2002) (dirigeant du parti Meretz). Akiva Eldar, "How to cease from a cease-fire," (Comment en finir avec un cessez-le-feu) in Haaretz (25 Juillet 2002). Gideon Samet, "It's a horror story, period," (C’est une question d’honneur. Point barre) in Haaretz (26 Juillet 2000).  Graham Usher, "Sharon accused of shattering ceasefire," (Sharon accusé de rompre le cessez-le-feu) in Guardian (27 Juillet 2002).  Akiva Eldar, "If there's smoke, there's no cease-fire," (Il n’y a pas de fumée avec un cessez-le-feu !) in Haaretz (30 Juillet 2002). "Letter for an American editor," in Haaretz (30 July 2002) (Texte d’un projet de déclaration publique.) Pour les aspects fondamentaux du contexte et des développements possibles, voir Mouin Rabbani et son analyse très brillante, comme il est de règle avec cet auteur : "The Costs of Chaos in Palestine," (Les coûts du chaos en Palestine) @
www.merip.org.
[53] Amira Hass, "Making life difficult for the Palestinian peace camp," (Comment rendre la situation ingérable au camp de la paix palestinien) in Haaretz (14 Août 2002).
[54] Finkelstein, "Whither the `Peace Process'?" (Où est passé le « processus de paix » ?), p. 148.
[55] "Israel must end the hatred now," (Israël doit mettre fin à la haine. Maintenant) in Observer (15 Octobre 2000).  Haroon Siddiqui, "Tutu likens Israeli actions to apartheid," (Monseigneur Desmond Tutu compare les agissements d’Israël à ceux de l’Afrique du Sud ségrégationniste), in Toronto Star (16 Mai 2002) (Brzezinski). Desmond Tutu, "Apartheid in the Holy Land," (L’Apartheid – en Terre sainte !) in Guardian (29 Avril 2002).
[56] Jonathan Steele, "The Bush doctrine makes nonsense of the UN charter," (La doctrine Bush ignore royalement la charte de l’ONU) in Guardian (6 Juin 2002) (atteinte morale). George Monbiot, "The logic of empire," in Guardian (5 Août 2002). Les Etats-Unis ont fait preuve d’une violence identique sur le front économique. Ainsi, Paul Krugman éditorialiste économique du New York Times, relève, par exemple, que les taxes imposées par l’administration Bush sur les aciers imposés « démontrent un mépris sans aucun précédent pour les lois contradictoires » ("America the Scofflaw" (L’Amérique, cette hors-la-loi) (24 May 2002).
[57] Sur les « Nouveaux Historiens », voir : I&R, chap. 3.
[58] "Many Israelis content to see Palestinians go," (Nombreux sont les Israéliens à se réjouir de voir les Palestiniens partir) in Chicago Sun-Times  (14 Mars 2002) (sondage de l’institut Jaffee).
 Ari Shavit, "Waiting for the sign," in Haaretz (22 Mars 2002).  Tom Segev, "A black flag hangs over the
idea of transfer," (Un drapeau noir flotte au-dessus de l’idée de transfert) in Haaretz  (5 Avril 2002).  Gil Hoffman, "Fight on the right," (Bataille, à droite) in Jerusalem Post (10 Mai 2002).  Lily Galili, "A Jewish demographic state," in Haaretz (28 Juin 2002).  Boaz Evron, "Demography as the enemy of democracy," in Haaretz (11 Septembre 2002).  Cypel Sylvain, "Benny Morris, le nouvel historien, a rejoint le consensus israelien," in Le Monde (30 Mai 2002) (cf. Baudoin Loos, "Interview with Benny Morris," @
http://msanews.mynet.net/Scholars/Loos/morris2001.html (25 Février 2001), "The Arabs Are Responsible," (La faute aux Arabes) in Yediot Ahronot (23 Novembre 2001), "The Arabs Are The Same Arabs," (Les Arabes restent des Arabes !) [voir Point d’Information Palestine N°208] in Between the Lines (Décembre 2001), Benny Morris, "Peace? No chance," in Guardian (21 Février 2002)).  Pour la notion de « transfert » dans le discours politique israélien, depuis la fondation de l’Etat, voir Masalha.
[59] Yael Zerubavel, Recovered Roots (Racines retrouvées) (Chicago: 1995), p. 183; cf. p. 14.  Teveth, Ben-Gurion, p. 36 (Le "miracle" de la Déclaration Balfour).  Louis, British Empire, p. 487 (Le « miracle » de la Résolution de Partage de la Palestine); cf. pp. 395, 445, 460.  James McDonald, My Mission to Israel (New York: 1952), p. 176 (1948 : une « simplification providentielle » ).
[60] "Hardball with Chris Matthews," Transcription (1er  Mai 2002) @
http://www.adc.org/action/2002/02May2002.htm (Delay  et Armey).  "Peace in the Middle East,"
Senate Floor Statement par le sénateur James M. Inhofe (Républicain, Oklahoma), @
http://inhofe.senate.gov/fl030402.html (4 Mars 2002).  Ali Abunimah, "The growing clamor for ethnic
cleansing," (La clameur croissante en faveur de la purification ethnique) in Electronic Intifada (28 Août 2002) (Clinton).  Ami Eden, "Top Lawyer Urges Death For Families of Bombers," (Un haut magistrat recommande la peine de mort pour les familles de kamikazes) in Forward (7 Juin 2002).  Alan Dershowitz, "New response to Palestinian terrorism," in Jerusalem Post (11 Mars 2002).  Alan Dershowitz, Shouting Fire (New York: 2002), p.
476-7.  Benny Morris, Israel's Border Wars, (Les guerres d’Israël pour ses frontières) 1949-1956 (Oxford: 1993), chap. 8 (massacre de Qibya). Ritchie Ovendale, Britain, the United States and the Transfer of Power in the Middle East, 1945-1962 (La Grande-Bretagne, les Etats-Unis et le transfert du pouvoir au Moyen-Orient : 1945-1962) (New York: 1996), p. 97 (Journaux américains).  Boris Shusteff, "The Logistics of Transfer" (3 Juillet 2002) @
www.gamla.org.il/english/article/2002/july/b1.htm  see section "E. Israel's Actions in Yesha
and the relocation itself")(voir la section E : Les actions d’Israël - Yesha et la réinstallation elle-même). Pour le recours du sionisme consensuel aux représailles terroristes durant les dernières années du mandat britannique, voir I&R, pp. 112-4, et Ben-Eliezer, Making, chap. 1-2. 
[61] Voir : I& R, chap. 2.
[62] Les phrases citées et les informations relatives au projet d’un film proviennent de "The Rehabilitation of Joan Peters: Discredited Author Finds a New Audience," (La réhabilitation de Joan Peters : un auteur discrédité trouve un nouveau public) in The Rittenhouse Review (19 Juin 2002) @
http://rittenhouse.blogspot.com/2002_06_16_ritenhouse_archive.html. Pour le site ouèbe de Peters, voir http://www.israelunitycoalition.com/Speakers_Bureau/j_peters.htm
Pour la propagation du mythe de Peters par les organisations sionistes canadiennes, voir Myron Love, "Arab journalist puts lie to Palestinian claims," (Un journaliste arabe dément les allégations palestiniennes) in Canadian Jewish News (21 February 2002).
[63] "Sharon's plan is to drive Palestinians across the Jordan," (Le plan de Sharon est d’expulser les Palestiniens par-delà le Jourdain) in Sunday Telegraph, 28 Avril 2002 (Creveld).  Menachem Shalev, "Netanyahu recommends large-scale expulsions," in Jerusalem Post (19 Novembre 1989).  Meron Benvenisti, "Preemptive warnings of fantastic scenarios," (Premiers prémisses menaçants de scénarios abracadabrants) in Haaretz (15 Août 2002).
[64] Boas Evron, Jewish State Or Israeli Nation? (Etat Juif, ou Nation israélienne ?) (Bloomington, IN: 1995), pp. 169, 237.  Sternhell, Founding Myths, p. 331.  Martin van Creveld, The Sword and the Olive (Le sabre et l’olivier) (New York: 1998), pp. 123-5, 154.
[65] Zeev Sternhell, "Balata has fallen," (Balata est tombé) in Haaretz (8 Mars 2002).
[66] Cohen, Palestine, pp. 247, 249.  Lewis, British Empire, pp. 467, 476. 
[67] Cohen, Palestine, pp. 69, 79, 90-1, 230, 238-9. Pour discussion plus approfondie, notamment le soutien des Juifs américains à la campagne de terreur sioniste, voir David Hirst, The Gun and the Olive Branch (London: 1977), pp. 108-123.
[68] Crossman, Palestine, pp. 129, 169-70, 178-81.
[69] Cohen, Palestine, p. 239, 245 (éditorial du Times).
[70] van Creveld, Sword, pp. 57-61.
[71] van Creveld, Sword, pp. 361-2.
[72] Edward Said, "A New Current in Palestine," in The Nation (4 Février 2002).
[73] Pour plus de détails sur le mouvement des refuseniks et des dissidents israéliens, voir Roane Carey et Jonathan Shainin (ed.), The Other Israel (L’Autre Israël) (New York: 2002). 
[74] Janine Zacharia, "Poll shows Americans' support for Israel in decline," (Un sondage montre un déclin du soutien américain à Israël) in Jerusalem Post (13 Juin 2002).
[75] Alisa Solomon, "Stop American Billions for Jewish Bombs," (Arrêtez les milliards de dollars américains qui financent les bombes juives » in Village Voice (26 Décembre 2001). Liza Featherstone, "The Mideast War Breaks Out On Campus," (‘La guerre au Moyen-Orient éclate en plein campus’), in Nation (17 Juin 2002).
[76] Desmond Tutu, "Build moral pressure to end the occupation," (Il faut faire monter la pression morale pour qu’un terme soit mis à l’occupation) in International Herald Tribune (14 Juin 2002), voir aussi : Desmond Tutu et Ian  Urbina, "Against Israeli Apartheid," (Contre l’apartheid israélien) in Nation (15 Juillet 2002).
[77] Evron, Jewish State, p. 96 (Tal). Nicholas Watt, "MP accuses Sharon of `barbarism,'" (Un député accuse Sharon de « barbarie ») in Guardian (17 Avril 2002).
[78] Robert Fisk, "There is a firestorm coming, and it is being provoked by Mr Bush," « Un ouragan de feu est annoncé. C’est M. Bush qui en est la cause) in Independent (25 Mai 2002).
                                                                   
2. Un racisme "respectable" par Rachad Antonius
paru dans "Les Relations ethniques en question : Ce qui a changé depuis le 11 septembre 2001" ouvrage collectif publié sous la direction de Jean Renaud, Linda Pietrantonio et Guy Bourgeault aux Presses Universitaires de Montréal

[ISBN : 2760618447 - Novembre 2002 - 20,00 euros / 131,19 francs]
(Rachad Antonius est docteur en sociologie et professeur de mathématiques au collège régional Champlain au Québec. Né en Égypte où il a été formé jusqu’au doctorat en mathématiques qu’il a fait à Winnipeg, il est chercheur au Groupe de recherche ethnicité et société de l’Université de Montréal, membre du Groupe de recherche et d'étude sur la sécurité au Moyen-Orient (GRESMO) et membre du Conseil de presse de Télé-Québec. Il vient de publier "Interpreting Quantitative Data with SPSS" chez Sage Publications Ltd.)
Introduction
« Il n'existe aucune cause aux attentats de mardi dernier, il n'y a que de pauvres victimes et de sales meurtriers. […]. Inutile de chercher une logique, une séquence raisonnable à l'événement. Celui-ci s'enracine dans la haine et débouche sur l'«ab-sens» » [1] .
Cette citation est typique des réactions qui ont suivi les événements du 11 septembre, où les notions de haine et de folie revenaient souvent comme seul cadre explicatif de la tragédie. Les motivations attribuées à ses auteurs présumés ont vite débouché sur des caractérisations racistes de l’ensemble des Arabes et des musulmans, érigés en « autre » absolu. Nous proposons ici quelques remarques critiques sur le processus de représentation de cet «autre» qui a suivi ces événements, processus que nous éclairerons à l’aide du concept de racisme «respectable» que nous introduisons dans ce texte.
Le discours scientifique sur l’ethnicité est conditionné tant par les dynamiques productrices d’identification ethnique, que par les paradigmes utilisés pour observer et analyser ces dynamiques. Sur ces deux plans, les événements du 11 septembre et les réactions qui les ont suivis ont révélé et exacerbé des tendances existantes avant cette date. Il faut comprendre comment ces tendances se manifestaient pour comprendre pourquoi ce sont ces tendances-là qui ont pris le dessus après le 11 septembre. Nous en tirerons des conclusions concernant les paradigmes utilisés dans l’étude de l’ethnicité, et la nécessité d’y introduire certaines dimensions trop souvent négligées. Le conflit en Palestine sera notre centre d’attention à cause de son rôle central dans l’émergence du phénomène que nous voulons décrire. Nous montrerons pourquoi les représentations des Arabes et des musulmans qui se sont formées en rapport avec ce conflit sont en lien étroit avec celles qui se sont formées suite aux événements du 11 septembre.
II. Sociologie d’un racisme « respectable »
Nous utiliserons la notion de racisme respectable pour qualifier des discours et des pratiques qui seraient certainement qualifiés de racistes en fonction de n’importe quelle définition raisonnable du racisme, mais qui ne sont pas perçus comme tels par les courants politiques et intellectuels dominants, et qui au contraire sont propagés par des acteurs qui se réclament de la plus haute moralité politique.
Cette notion de respectabilité est fondamentale pour comprendre les manifestations de ce discours raciste et ses conséquences sur les dynamiques d’identification ethnique en Amérique du Nord. Les contours de son objet sont quelque peu flous : tantôt il vise les musulmans, tantôt les Arabes, et tantôt les Palestiniens, et à l’occasion il confond ces groupes entre eux. Sa logique, sa justification et sa dynamique découlent de dynamiques et de processus qui se jouent au niveau international. Et surtout, il n’est pas perçu comme tel, ou, quand il est perçu, il n’est pas nommé, et cet aspect du phénomène en est un aspect constituant. Soulignons aussi que notre analyse se centre sur le discours et non pas sur les pratiques. Le discours peut donner lieu à des pratiques racistes, mais ceci n’est pas l’objet de cette étude.
Les représentations des Arabes et des musulmans qui ont émergé depuis le 11 septembre ne peuvent être uniquement le résultat de la couverture médiatique de ces événements. Elles se rattachent à des tendances à plus long terme qui résultent de la représentation dominante du conflit israélo-palestinien, puisque c’est surtout à travers ce conflit que les élites politiques et le grand public en Occident perçoivent la région et les sociétés arabes et musulmanes [2]  . Le lien entre les représentations qui ont suivi le 11 septembre et les tendances à plus long terme est assuré par un élément qui est fondamental pour la structuration du discours raciste à l’endroit des Arabes et des musulmans : c’est le déni de leur rationalité [3] . Nous allons examiner cette idée de plus près.
La déni de rationalité
Nous identifions les étapes suivantes dans la structuration interne du discours raciste sur les Arabes (ou les musulmans, ou les Palestiniens).
1. Le point de départ, c’est une information sur les sociétés arabes et musulmanes tronquée d’un de ses éléments les plus importants: l’effet désastreux des politiques américaines pour ces peuples, en particulier en ce qui concerne l’appui américain aux politiques israéliennes, et les violations majeures de leurs droits qui en découlent. Viennent ensuite les étapes suivantes : 
2. la mise en évidence, de façon sélective, de la colère face aux résultats de ces politiques;
3. l’explication de cette colère par la haine (puisque les causes réelles sont occultées);
4. l’explication de cette haine par la culture ou la religion;
5. l’émergence, en conséquence, d’une représentation stéréotypée des peuples concernés et la généralisation conséquente des caractéristiques négatives de ces stéréotypes à ceux et celles qui partagent cette culture ou cette religion.
Structuré ainsi, ce discours s’appuie sur une logique interne cohérente qui résiste aux critiques des prémisses sur lequel il est fondé. Car pour être possible, cette critique nécessite une grande familiarité avec les données empiriques du conflit israélo-palestinien, puisque ces données sont occultées en dehors des cercles spécialisés. La démonstration du caractère raciste de ce discours ainsi que la démonstration de sa respectabilité vont donc nécessairement passer par une discussion des faits empiriques sur lesquels il se fonde. On ne pourra donc pas faire l’économie d’une référence, ne serait-ce que brève, aux faits empiriques du conflit.
Quels que soient les auteurs réels des attentats du 11 septembre, ces attentats ont été attribués dès les premières minutes du drame à des réseaux clandestins islamiques ou arabes animés par la haine, ou encore par la folie, c’est-à-dire par des sentiments irrationnels plutôt que par une pensée qui est le résultat d’une analyse politique [4] . Pour que l’explication par la haine soit crédible, une condition est nécessaire : que d’autres explications aient été écartées. Nous illustrerons plus loin les processus par lesquels ces autres explications sont écartées.  Notons en attendant que l’explication des motivations des auteurs par la haine pave la voix à un discours raciste. Car l’antagonisme envers les politiques américaines est ressenti et exprimé par de larges secteurs dans les sociétés arabes et musulmanes, et la perception de cet antagonisme est amplifiée par une couverture médiatique qui a tendance à le mettre en évidence au détriment d’autres aspects de la relation entre ces sociétés et l’Occident. Devant la prédominance de ces images, il devient possible d’expliquer la haine – présentée comme l’explication des attitudes antagonistes – non plus par des caractéristiques psychopathiques individuelles, mais par ce qui est commun à ces milliers ou à ces millions de manifestants que l’on nous montre à la télévision, ou à ces centaines d’adolescents palestiniens qui lancent des pierres : la culture ou la religion. Si c’est la culture qui est la source de la haine, on peut donc présumer que tous ceux et celles qui partagent cette culture partagent aussi la même haine de l’Occident, et il en va de même pour la religion. L’assignation de l’identité ‘arabe’ ou ‘musulmane’ aux individus qui viennent de ces régions est tributaire de ces processus. Voilà donc la mise en place d’un puissant facteur qui prend sa source dans un espace global, et qui va se répercuter au niveau local et même au niveau du quotidien, en renforçant les processus d’assignation, et donc les clivages ethniques en Amérique du Nord. Toutes les précautions linguistiques qui seront prises par la suite par les dirigeants américains pour ne pas faire d’amalgames tomberont à plat, car l’amalgame est inscrit dans la négation de la rationalité aux auteurs présumés de l’attaque du 11 septembre et dans leur représentativité réelle ou supposée. 
L’objet du discours raciste
Le discours fondé sur le déni de rationalité des auteurs présumés des événements du 11 septembre nous amène à faire le lien avec les représentations du conflit israélo-palestinien. En effet les schèmes dominants d’interprétation de ces événements se sont appuyés sur les représentations des Palestiniens, des Arabes et des musulmans qui étaient déjà dominantes avant le 11 septembre, et qui se sont formées essentiellement en rapport avec le conflit israélo-palestinien. Nous devons donc analyser le discours qui a pour objet premier les Palestiniens et les Palestiniennes. Nous avons indiqué au paragraphe précédent comment le déni de rationalité des auteurs des attentats, étant expliqué par la culture ou la religion, a pour conséquence que les représentations négatives débordent nécessairement leur objet premier, et visent soit les Arabes dans leur ensemble, soit les musulmans dans leur ensemble. En ceci, elles convergent vers les représentations découlant des perceptions qu’on se fait des Palestiniens. Ce débordement n’est donc pas une erreur, mais il est inscrit dans la logique même qui fonde le discours raciste, dont la négation de la rationalité est le fondement. Mais ce sont les enjeux entourant le conflit israélo-palestinien qui donnent à ce discours son impulsion, son orientation, et sa cohérence interne, comme nous allons le montrer.
Deux catégories de discours
Nous identifions deux catégories dans le discours dominant sur les Palestiniens en Amérique du Nord, outre les tendances qui sont présentes mais qui ne sont pas dominantes [5] . Il existe un discours qui est ouvertement raciste, et nous en donnerons des exemples. Mais il existe aussi un discours qui n’est pas ouvertement raciste, et qui se veut même objectif et tolérant, mais qui pave la voie au discours raciste, qui le prépare, qui le justifie, qui le défend, qui le rend légitime, et qui, ultimement, lui confère cette respectabilité qui est au centre de notre analyse.  C’est ce deuxième discours qui nous intéresse.
Nous illustrerons les deux discours.  Le premier pour démontrer qu’il existe bel et bien, et pas seulement dans les repères de l’extrême droite, mais aussi dans des tendances politiques qui sont qualifiées de modérées ou de libérales, et le deuxième pour montrer comment il contribue activement à la respectabilité du premier.
La spécificité du discours raciste contre les Palestiniens
Albert Memmi a écrit que "Le racisme est la valorisation, généralisée et définitive de différences, réelles ou imaginaires, au profit de l'accusateur et au détriment de sa victime, afin de légitimer une agression ou des privilèges" [6] . Les privilèges qu’il faut légitimer dans le discours actuel sur les Palestiniens, c’est le contrôle des 22 % qui restent de la Palestine, c’est-à-dire la Cisjordanie et la Bande de Gaza, que la communauté internationale n’a pas reconnue comme faisant partie d’Israël [7] .. L’enjeu de ce rapport de domination est donc un ensemble de privilèges que le groupe dominant veut légitimer au détriment des victimes, privilèges liés au contrôle du territoire palestinien. En cela, le discours raciste sur les Palestiniens ressemble à tous les discours du même type. Cependant, un élément important distingue ce racisme des autres racismes qu’on est habitué à analyser.
Dans les sociétés plurielles d’Europe et d’Amérique du Nord, le groupe dont les privilèges sont défendus par le discours raciste est relativement restreint et bien déterminé, et tous les ‘autres’ sont exclus. Par exemple, le groupe privilégiés peut être les « Français de souche », ou les Européens. Les autres, les exclus, étaient généralement les immigrants (sauf dans l’anti-sémitisme, où les victimes du racisme ne sont pas  des immigrants, mais des citoyens présentés comme ‘autres’ à cause de leur religion).  Dans le cas de la Palestine, c’est un peu le contraire. Ce sont les immigrants (les Juifs européens dans un premier temps, et du monde entier par la suite) qui ont exclu les autochtones (les Palestiniens), un processus contemporain qui ressemble à certains égards aux conquêtes du nouveau monde il y a trois siècles.  Le discours raciste se structure donc différemment : il ne s’agit plus de dévaloriser tous ceux qui sont différents, mais plutôt de dévaloriser un groupe particulier, les autochtones dont on convoite la terre. Dans le cas des sociétés occidentales le groupe valorisé est bien déterminé, et le groupe exclu est composé de tous le ‘autres’. Dans le cas de la Palestine, le groupe valorisé peut provenir du monde entier, de cultures diverses (mais d’une seule religion), et même avoir des couleurs de peau variées (pensez aux Falashas) mais le groupe exclu consiste en un groupe spécifique, les habitants autochtones de la terre convoitée, c’est-à-dire les Palestiniens. Ce racisme ciblé peut donc se combiner avec une valorisation de la différence, avec une grande ouverture envers toutes les cultures qui ne sont pas un obstacle à ce projet colonial précis, et avec un discours en faveur de la tolérance qui est mis de l’avant dans les sociétés occidentales mais qui disparaît dès qu’on parle des Palestiniens. On peut observer alors le phénomène bizarre d’un ‘anti-racisme sélectif’, soit des individus et des institutions qui militent contre le racisme dans les pays d’immigration récente, qui font des alliances anti-racistes avec les exclus des pays d’immigration, mais qui appuient l’exclusion et la dépossession des Palestiniens de leur terre. Ainsi, certains individus vont militer contre toutes les formes de discrimination ici même au Canada et vont prendre des positions de leadership dans la lutte pour l’égalité, mais vont déclarer publiquement que donner aux Palestiniens nés à Jérusalem ou à Haïfa les mêmes droits que les Israéliens juifs nés à Montréal et immigrés en Israël est un euphémisme pour la destruction d’Israël et que cette demande constitue un appel au génocide contre les juifs !!  On peut résumer cette situation de façon sans doute trop schématique en disant que dans les discours racistes habituellement étudiés, l’inclusion est spécifique et l’exclusion universelle, alors que dans le cas du racisme anti-palestinien, l’inclusion est (presque) universelle, et l’exclusion spécifique (avec les contours flous dont nous avons parlé plus haut). Cet élément contribue grandement à la ‘respectabilité’ du racisme que nous analysons.
Les manifestations du discours raciste à l’endroit des Palestiniens
Le discours ouvertement  raciste se retrouve d’abord dans les milieux de la droite israélienne, et il est d’ailleurs vertement dénoncé par une partie de la gauche en Israël.  Mais en Amérique du Nord, il se retrouve dans les courants qui ne sont pas perçus comme étant marginaux ou extrémistes. Dans un éditorial publié au beau milieu de la guerre contre les civils Palestiniens [8]  , par exemple, la chaîne Southam écrivait :
‘Why can’t some Muslims agree that killing innocent non-Muslims is unacceptable? Part of the problem lies with Muslim civilization itself’. Et plus loin : ‘But even by the barbaric standards of the Arab Middle East, Yasser Arafat and the Palestinian terrorist organizations that operate freely under his wit have hit new lows’ (c’est l’auteur qui le souligne).
Pour vérifier le degré de racisme de ces énoncés, considérez l’énoncé hypothétique suivant :
“Why can’t some Jews agree that killing innocent non-Jews is unacceptable? Part of the problem lies with Jewish civilization itself. Even by the barbaric standards of the Jewish West, Ariel Sharon and the Israeli terrorist army that operates under his wit have hit new lows’.
Cette phrase aurait été considérée avec raison comme étant anti-sémite, et aurait peut-être même mérité à l’éditorialiste un blâme outré à l’Assemblée Nationale. Mais avec les mots arabe et musulman, son impact émotif est différent. Elle serait sans doute considérée ‘biaisée’ par beaucoup de lecteurs, mais pas raciste, et elle serait défendue sous couvert de la liberté d’expression.
Le même éditorial explique ensuite que les Palestiniens envoient leurs enfants devant les soldats israéliens dans le but de fournir à la chaîne de télévision Al Jazeera une flot continu de sang…. Il  accuse aussi ‘les Palestiniens’ (dans toute la généralité du terme) d’avoir tué délibérément Muhammad Al Durra dans le seul but d’incriminer Israël. Muhammad Al Durra est cet enfant palestinien que toutes les télévisions du monde on montré pendant que des soldats israéliens lui tiraient dessus alors qu’il tentait de se protéger dans les bras de son père au pied d’un mur, et qui est mort pour ainsi dire en direct.
Une caricature du Philadelpha Enquirer du 4 avril 2002 va même plus loin, prétendant que ce sont des enfants qu’on transforme en bombes humaines.
Même discours au Comité Canada Israël, dont le président, Joseph Wilder, rapportait, ainsi sa rencontre avec le Premier Ministre, M. Jean Chrétien, en présence du B’nai Brith qui se définit comme une organisation des droits de la personne : «I went on to talk about how Arafat insidiously uses children. I told him that Arafat's bullets are stronger than the Israeli bullets because his bullets are the children » [9] . Qualifiés de ‘balles plus fortes que les balles israéliennes’, les enfants palestiniens deviennent dès lors des cibles légitimes.
Ces caractérisations ne sont pas le résultat de l’ignorance où des préjugés, mais elles ont une fonction : légitimer la guerre contre les Palestiniens en vue de leur dépossession, maintenant qu’on les a tous décrit, incluant les enfants, comme des terroristes. Elles donnent d’ailleurs lieu à un discours qui prône ouvertement et directement la violence contre les civils palestiniens. Ainsi, M. Daniel Pipes dont les chroniques sont reprises régulièrement par de grands journaux canadiens et américains écrit :
'If Israel truly wants to end its problem with the Palestinians, it must adopt the opposite approach: Convince Palestinians not of its niceness but its toughness. This means not replanting Arab olive trees but punishing violence so hard its enemies will eventually feel so deep a sense of futility they will despair of further conflict.' 
Une autre chroniqueuse très publiée, Linda Chavez, écrit :
‘Israel must be allowed to defend itself - and if that means a full-scale assault on the West Bank and Gaza, so be it’ [10] . 
Ces appels à la violence contre les civils palestiniens ne sont pas ceux d’intellectuels isolés dans leur tour d’ivoire, mais sont repris par la plus importante chaîne de journaux au pays et transformés en politique éditoriale. L’éditorial de Southam News cité plus haut déclare simplement que des terroristes armés se cachent dans chaque ambulance, ce qui justifie leur destruction, même quand elles transportent des patients. Cette tendance des Palestiniens d’utiliser leurs propres enfants par méchanceté envers les Juifs est ainsi expliquée par Barbara Amiel :
‘But the Arab countries take a somewhat different view of life on this Earth from that of the West. Arab culture appears to put the glory of the tribe or Allah before the individual's suffering or happiness [11] .
On a donc un cas d’école pour illustrer la définition de Memmi : une valorisation de la différence pour légitimer une agression et des privilèges. Ici l’appel à la violence se double d’une falsification des faits : depuis le début des pourparlers d’Oslo, Israël a détruit des milliers d’oliviers centenaires appartenant à des Palestiniens, et n’a pas replanté des oliviers, pour faire la place à des autoroutes réservées exclusivement aux colons juifs ainsi que pour élargir des colonies existantes. Ces oliviers mettent des dizaines d’années à atteindre leur pleine maturité productive.
De nombreux exemples de ce type se retrouvent dans la presse nord-américaine, mais nous n’en ferons pas l’inventaire ici. Ce que nous voulons souligner, ce n’est pas simplement l’existence de ce discours, car il y a des discours similaires de la part de groupes suprématistes ou antisémites, et ces discours sont dénoncés et marginalisés. À l’inverse, le discours raciste contre les Palestiniens, les musulmans ou les Arabes dans la presse nord-américaine provient de groupes et d’individus qui sont au cœur des élites politiques. Il n’est pas marginal. Il est banal. Il est politiquement correct. Il est respectable.
La notion de respectabilité
La plus importante manifestation de la ‘respectabilité’ de ce discours raciste, c’est qu’il n’est pas perçu comme raciste. Il est perçu comme une description exacte de la réalité. Quand Norman Webster (ancien président de l’Institut Nord-Sud, et ancien rédacteur en chef de The Gazette), Barbara Amiel (chroniqueuse imposée au MacLean et à tous les journaux qui appartenaient à Conrad Black), Marcus Gee (chroniqueur régulier au Globe and Mail), Tommy Schnurmacher (chroniqueur à The Gazette et hôte d’une émission de radio populaire) et d’autres disent que les Arabes sont violents et animés par la haine [12] , ils n’ont pas l’impression de faire des déclarations racistes mais de décrire la réalité [13] , de la même façon qu’un certain discours raciste affirmait il n’y a pas si longtemps que les noirs sont inférieurs et moins intelligents que les blancs. Surtout, ils n’ont pas à rendre de comptes à qui que ce soit pour ces déclarations et n’ont pas besoin de les prouver : elles sont considérées comme évidentes. Ce n’est pas un impair de dire que les Arabes sont tous assoiffés de sang (le term ‘bloodlusting’ a été utilisé par plusieurs chroniqueurs pour décrire les Arabes en général). On peut faire ces affirmations ouvertement racistes tout en maintenant une façade de haute moralité politique [14] . L’arrogance avec laquelle ces affirmations racistes sont faites témoigne aussi du sentiment profond de rectitude morale de ceux et celles qui les font, qui ne sentent pas qu’ils violent des normes morales quand ils parlent ainsi des Palestiniens et des Palestiniennes. Cela, c’est aussi une manifestation de la respectabilité de ce racisme.
Une chaîne de journaux puissante peut écrire de telles affirmations qui, si elles étaient faites envers d’autres groupes ethniques, auraient probablement causé des tollés de protestation, et pas seulement de la part des groupes visés, mais des associations de droits, des groupes anti-racistes, etc. Dans le cas des Arabes et des musulmans, personne ne proteste hors les groupes directement concernés [15] . C’est ce qu’on a pas besoin de prouver. C’est ce qu’un conférencier, une animatrice de radio, ou un politicien peuvent dire sans avoir à le démontrer et sans se faire questionner par leurs supérieurs. Pour utiliser une métaphore informatique, on dirait que l’explication par la haine est ce qu’on suppose par défaut, quand on n'a pas d’informations contraires.
Pour que cela soit possible, il faut que l’agression dont parle Memmi dans sa définition ne soit pas perçue comme une agression. Il faut qu’elle soit perçue comme une autodéfense. Il faut aussi que les privilèges dont parle Memmi ne soient pas perçus comme des privilèges, mais comme des droits qui reviennent légitimement au groupe privilégié, et auxquels les exclus n’ont pas droit. L’établissement de ces deux éléments ne nécessite pas le recours à un discours explicitement raciste, mais implique une falsification des données empiriques dans un sens qui légitime les privilèges du groupe dominant. Tout un discours peut donc se mettre en place pour rendre légitime l’agression et les privilèges dont parle Memmi, contribuant ainsi à la respectabilité du discours raciste qui n’apparaît plus comme tel. Ce discours là n’est pas un discours raciste : c’est une représentation des données empiriques, mais une représentation suffisamment falsifiée pour que le discours raciste apparaisse comme crédible. Cela aussi est un aspect de la respectabilité.
La respectabilité se manifeste aussi par le fait que les porteurs de ce discours occupent des positions importantes parmi les élites politiques, économiques et intellectuelles du pays. Ce discours acquiert alors la respectabilité conférée par le pouvoir de ceux et celles qui l’adoptent.
La respectabilité du discours raciste se manifeste enfin par le fait que les représentations empiriques sur lesquelles il se fonde deviennent dominantes. Dans le cas du conflit Palestinien, ces représentations sont fondées sur l’explication du conflit par la haine plutôt que par les politiques de dépossession des Palestiniens. La section Proche-Orient du site web de Radio-Canada, par exemple, porte le titre : La spirale de la haine. [16] 
Contester ces affirmations peut être très coûteux professionnellement parce qu’on est accusé de ‘défendre les terroristes’ et on s’expose alors à une campagne de salissage [17] .
Les processus intellectuels qui produisent ce racisme
Pour que de tels discours soient possibles, il faut que la représentation sociale qu’on se fait du conflit les autorise. La prémisse de départ de notre analyse est que la représentation du conflit est faussée dans le discours dominant. Nous consacrerons cette section du texte à établir cette prémisse. Cela suppose à la fois des mécanismes politiques de contrôle de ce qui se dit dans les média [18]  et sur ce que les politiciens peuvent dire sans se faire huer et sans risquer de perdre leurs élections, et des processus intellectuels qui permettent d’interpréter la réalité dans un sens qui rend ces discours ‘respectables’.  En analysant ces processus intellectuels, nous ne parlerons pas des rapports de pouvoir qui font qu’un individu a peur de dire quelque chose qu’il ou elle voudrait dire. Nous voulons analyser les cas où des gens se veulent objectifs, sont convaincus qu’ils le sont, mais préparent en même temps le racisme ouvert des autres. C’est ce discours là qu’il nous semble intéressant d’analyser. Compte tenu des limitations d’espace, nous proposerons ici des illustrations partielles de ce processus. [19] 
1.  Distorsion des faits
Comme il a été dit plus tôt, le fondement de tout ce discours, c’est au départ une distorsion des faits. Illustrons cela par un exemple. Nous avons entrepris une analyse de contenu des éditoriaux de certains grands journaux canadiens sur la situation au Proche-Orient [20] . Un des résultats préliminaires de notre enquête concerne les éditoriaux de The Gazette (Montréal) publiés entre avril 2000 et mars 2001 sur tout ce qui touche Israël et la Palestine. Le mot ‘occupation’ ou ‘occupé’ n’apparaît que 7 fois en un an : 4 fois pour parler du Liban, 1 fois pour parler du Koweït, et deux fois pour parler des territoires Palestiniens. De ces deux fois, une phrase affirme qu’on peut comprendre que les Palestiniens veuillent mettre fin à l’occupation, et l’autre pour dire qu’Israël pourrait annexer les territoires occupés en représailles à la déclaration d’un État Palestinien. Mais la notion de politiques d’occupation militaire des territoires palestiniens n’y figure aucune fois durant l’année complète et ne fait absolument pas partie du schème d’analyse. Pourtant ces politiques forment un volet important de la stratégie israélienne et elles constituent le nœud du problème [21] . En faisant comme si elles n’existaient pas, le problème est réduit à une dimension psychologique : les Palestiniens luttent contre Israël parce qu’ils n’aiment pas les juifs, et Israël occupe le territoire palestinien uniquement pour se protéger et garantir sa sécurité. Même si le fait d’ignorer les politiques d’occupation militaire et civile des territoires palestiniens n’est pas en soi raciste, il propage une représentation du conflit sur la base de laquelle le discours raciste peut apparaître comme crédible. Cette omission contribue de façon fondamentale à la respectabilité de ce discours.  Il en va de même pour les points suivants.
Un autre élément de distortion des faits, ce sont les termes utilisés pour parler du conflit. Selon le journaliste Robert Fisk [22] , l’un des observateurs les plus informés sur la situation du Proche-Orient, la chaîne CNN a donné elle aussi des instructions très strictes à ses journalistes : les colonies de peuplement autour de Jérusalem, construites sur des terres confisquées aux Palestiniens en violation de la Convention de Genève, ne doivent pas être appelées ‘colonies’ mais ‘quartiers juifs’. Une circulaire en ce sens émanant du siège social à Atlanta était très claire : "We refer to Gilo as 'a Jewish neighbourhood on the outskirts of Jerusalem, built on land occupied by Israel in 1967.  We don't refer to it as a settlement.'' De plus un des correspondants de CNN aurait déclaré à Robert Fisk : “But now there's pressure on us not to use the word 'settler' in any context  but to just refer to the settlers as 'Israelis'." [23]  Il ne faut pas sous-estimer l’importance de ce détail technique dans la représentation des Palestiniens : si Gilo est un quartier juif ordinaire d’Israël, les pierres que lancent les jeunes palestiniens contre ses résidents deviennent l’expression de la haine qu’ils ressentent envers les Juifs et de leur désir de détruire Israël et de jeter les Juifs à la mer, théorie répétée par des citoyens instruits et même par des directeurs de départements de sciences humaines dans les pages du Devoir [24] . Alors que s’il s’agit d’une colonie construite sur des terres confisquées, elle constitue une violation de la IVe Convention de Genève, et l’attitude exprimée par les Palestiniens prend un tout autre sens. Il faut souligner que Gilo a été construite sur des terres palestiniennes pendant qu’on négociait la paix dans le cadre des Accords d’Oslo, et après la signature de ces accords …
2. Négationnisme sélectif
Un des aspects de la falsification de l’histoire, c’est la négation de l’expulsion violente des Palestiniens de leurs terres en 1947-48, négation qui va jusqu’à la négation entière de leur existence comme peuple. Outre la fameuse déclaration de Golda Meir (« There is no such thing as a Palestinian people ») de 1967, on peut citer l’exemple du livre de Joan Peters [25]  dont l’auteur a été invitée avec tous les honneurs dans plusieurs universités montréalaises et même au Parlement du Canada, et qui dit simplement que les Palestiniens n’existent pas et n’ont jamais existé en tant que peuple : il s’agit selon elle d’Arabes des pays avoisinants qui sont venus en Palestine pour profiter des réalisations économiques des immigrants juifs… Pendant deux ans, le livre a reçu une excellente couverture médiatique, et il a été utilisé dans des cours sur le Proche-Orient dans des universités américaines et canadiennes. Ses critiques, qui démontraient les falsifications systématiques du livre, étaient traités d’antisémites ou de ‘self-hating Jews’, jusqu’à ce qu’un historien israélien senior, Yehoshua Porath, écrive dans le New York Times que ce livre était une fraude monumentale (a ‘hoax’). Le livre incluait des citations de documents historiques où les phrases avaient été modifiées sciemment pour leur faire dire le contraire de ce qu’elles disaient. Là encore, ce qui est significatif ce n’est pas l’existence de ces procédés de falsification, c’est leur respectabilité : le livre avait été endossé, sur sa page couverture, par des personnalités publiques telles que Elie Wiesel, par plusieurs historiens, et par le directeur du US Census Bureau  qui avait pris la peine d’écrire une note méthodologique de deux pages pour dire combien le livre était rigoureux. L’importance de ce livre et des publications similaires est cruciale : si les Palestiniens n’ont jamais existé sur la terre de Palestine, leur revendications ne peuvent être expliquées que par la haine des Juifs. La négation du fait historique s’inscrit dans une stratégie de domination et n’est pas le résultat aléatoire des lubies d’une écrivaine.
Conclusions
Nous pouvons résumer les points les plus importants que nous avons présentés de la façon suivante :
1. Il existe un discours ouvertement raciste qui vise les Palestiniens.
2. L’enjeu de ce discours, c’est le contrôle des 22 % de la Palestine historique, que la communauté internationale ne reconnaît pas comme étant territoire israélien.
3. Ce racisme a acquis une certaine ‘respectabilité’ en Amérique du Nord, ce qui rend son étude plus difficile.
4. L’étude de ce racisme nécessite des paradigmes spécifiques, car il se conjugue avec un discours de tolérance et d’ouverture très sélectives envers tous les groupes qui ne sont pas un obstacle à la réalisation de l’enjeu de la relation de domination qui le fonde, ce qui contribue à sa ‘respectabilité’.
5. Ce discours n’est pas marginal, et il est repris par des individus et des institutions qui sont au cœur des élites politiques, économiques ou intellectuelles en Amérique du Nord, ce qui constitue un aspect de sa ‘respectabilité’.
6. Le premier aspect de cette respectabilité est que le racisme de ce discours n’est pas reconnu pour ce qu’il est.
7. Pour maintenir un caractère de respectabilité, ce discours requiert un autre discours, pas nécessairement raciste, qui le prépare et le justifie. Les processus intellectuels par lesquels cette respectabilité se construit ont été ébauchés ici mais nécessitent une élaboration plus approfondie.
8. Le déni de rationalité est un des processus fondamentaux de ce discours, et il entraîne un débordement de l’objet du discours raciste pour inclure l’ensemble des Arabes ou des musulmans. Car si la domination est niée, le refus de cette domination ne s’explique que par la haine, elle-même résultant de la culture ou de la religion, ce qui ouvre la voie aux généralisations à l’ensemble des Arabes ou des musulmans.
9. Les phénomènes d’assignation et d’adhésion à l’identité ethnique qui résultent de cette situation mettent en jeu des transferts de statut (dominant/dominé) à travers l’espace et le temps, dimensions qui n’ont pas été explorées ici.
Plusieurs questions concernant l’étude de l’ethnicité restent à creuser dans cette approche. AU niveau théorique, les phénomènes décrits mettent en rapport des processus qui se déroulent à des niveaux géographiques différents, et dans des espaces différents, et qui se déroulent sur des longueurs de temps différentes. La façon d’intégrer de façon organique le temps et l’espace dans les processus d’assignation et d’adhésion à l’identité ethnique reste à développer.
Les processus par lesquels un certain discours raciste acquiert sa respectabilité méritent aussi d’être étudiés, et nous n’avons fait que les évoquer. Mais cette étude reste un terrain miné car les groupes dominants dans le rapport que nous avons analysé sont étroitement apparentés aux victimes de l’antisémitisme, qui est loin d’avoir été éradiqué. L’étude de rapports de domination où  l’un des groupes dominants est issu de groupes qui étaient dominés il n’y a pas si longtemps pose donc des problèmes à la fois théoriques et politiques qui nécessitent de grandes précautions dans l’analyse, une grande rigueur, et une attention aux sensibilités des divers acteurs. Par ailleurs, ces analyses doivent être faites sans complaisance si le but est de comprendre les dynamiques productrices de clivages ethniques. Nous espérons que les problématiques soulevées ici vont permettre un débat approfondi sur ces questions, et que ce débat saura éviter les démonisations mutuelles si faciles dans le climat de conflit aigu à travers lequel passe la région du Proche-Orient. - Montréal, 6 avril 2002 - [Publié dans le Point d'information Palestine avec l'accord de l'auteur.]
- NOTES :
[1] Jocelyn Létourneau, Titulaire de la chaire de recherche du Canada en histoire et économie politique du Québec contemporain, Université Laval, Le Devoir, 15 septembre 2001.
[2] Ce dernier point a été exploré dans R.Antonius, L'information internationale et les groupes ethniques : Le cas des Arabes, Revue canadienne d’études ethniques, vol XVIII nº2, 1986,  ainsi que dans Catégories politiques, groupes ethniques et distortion des faits dans le discours sur les Arabes, communication présentée au  Colloque annuel de l'ACSALF 1988, Moncton (manuscrit, 1988).
[3] Ce terme a été suggéré par Naïma Bendris lors de discussions sur les représentations sociales des Arabes. Mme Bendris a aussi noté l’importance des représentations bestiales des Arabes dans ce discours raciste.
[4] Rappelons qu’on a pas déterminé avec certitude qui sont les auteurs de la tragédie du 11 septembre, et si il y a eu ou non implication et dérapage de la part des divers services secrets qui ont manipulé dans le passé les réseaux tels que celui d’Al Qa’ïda. Même si beaucoup de signes pointent vers des réseaux clandestins violents qui se réclament de l’Islam, plusieurs questions fondamentales pour la compréhension des événements restent sans réponse et interdisent de nommer les auteurs avec certitude.
[5] Le discours sur ces questions en Europe diffère de façon qualitative. Celui que nous analysons est avant tout celui qui est dominant aux États-Unis, et dans une moindre mesure au Canada y compris au Québec, avec la précision que dans les média francophones et parmi l’élite politique francophone, il nous semble que ce discours est moins dominant, et peut-être même minoritaire.
[6] Albert Memmi, Le Racisme, Gallimard (Collection Idées), Paris, 1982.
[7] Les premiers 78% de la Palestine historique ont été attribués à Israël par les Nations unies en 1947, sans l’accord des Palestiniens.
[8] The Gazette (Montréal), le 2 avril 2002. Le même éditorial a été repris mot pour mot dans une dizaine de journaux à travers le Canada, mais avec des titres différents.
[9] Propos rapportés par le Canadian Jewish News en date du 26 octobre 2000. Il s’agissait d’une réunion entre les représentants d’organismes de la communauté juive et le Premier Ministre, M. Jean Chrétien.
[10] Philadelphia Enquirer, 31 janvier 2002.
[11] Dans le MacLean ainsi que dans une demi-douzaine de journaux dont le Ottawa Citizen, le 11 novembre 2000.
[12] Marcus Gee commence une de ses chroniques dans le Globe and Mail par la phrase : ‘The rock throwers and Jew haters in the Palestinian streets are feeling good these days.” (26 octobre 2000).
[13] C’est du moins ce qui ressort des échanges que nous avons eu avec certains d’entre eux ou avec leurs rédacteurs en chef.
[14] Au sens du concept de la face élaboré par Erwin Goffman. Il y aurait lieu de creuser cette dimension et de lier les analyses de Goffman sur la face à l’arrogance tranquille que prodigue l’appartenance à un groupe dominant.
[15] Cette tendance semble être en voie de changer. Les deux dernières années les séminaires et journées de discussion pour lutter contre l’islamophobie se sont multipliés, avec la participation d’institutions officielles (gouvernementales ou non) telles que la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse et la Ligue des Droits et Libertés.
[16]
http://www.radio-canada.ca
[17] Charles Enderlin, correspondant de la chaîne française France 2 et lui-même citoyen juif israélien, déclare que si les journalistes ne répètent pas la version israélienne officielle et seulement cette version ils sont accusés d’antisémitisme (rapporté par The Gazette à la mi-janvier 2002).
[18] On se rappelera qu’au mois d’août 2001, le propriétaire de la chaîne CanWest, M. Israel Asper, a fait parvenir une circulaire à tous ses journaux indiquant qu’il était interdit de critiquer les politiques israéliennes, et que c’était le siège social de CanWest  qui établirait désormais la politique éditoriale de tous les journaux de la chaîne. La série d’éditoriaux que nous avons cités plus haut est l’une des manifestations de cette politique.
[19] Il s’agit d’une illustration par des exemples, plutôt qu’une analyse véritable. Une analyse plus approfondie sera développée dans un texte subséquent.
[20] Recherche en cours avec la collaboration de M. Béchir Oueslati. La recherche n’est pas terminée.
[21] Même l’ancien président Jimmy Carter déclare dans le Washington Post du 26 novembre 2000: It was clear that Israeli settlements in the occupied territories were a direct violation of this agreement and were, according to the long-stated American position, both "illegal and an obstacle to peace".
[22] The Independent, Londres, 3 septembre 2001.
[23] Idem.
[24] Une autre manifestation de la respectabilité du racisme anti-palestinien.
[25] Joan Peters, From Time Immemorial, Harper & Row, 1984.
                                                           
3. Viva Palestina - Le rêve vivant de l'équipe nationale de football palestinien par le Miftah (The Palestinian Initiative for the Promotion of Global Dialogue & Democratie - http://www.miftah.org) (18 décembre 2002)
[traduit de l'anglais par Monique Barillot]
Au moment où les Palestiniens sont relégués en  touche, négligés et niés, l'équipe nationale palestinienne de football, symbole d'indépendance, est plus décidée que jamais à maintenir l'espoir vivant. Bien qu'il soit devenu de plus en plus difficile de jouer et de rester motivé, les membres de l'équipe réussissent à représenter dignement la Palestine dans les matches de football internationaux. L'équipe nationale palestinienne participe aux rencontres internationales depuis 1992, a été reconnue par la FIFA en 1998 et classée 151ème sur les 203 pays du classement mondial de la FIFA. L'entraîneur polonais de 47 ans, Andrzej Wisniewski a été mis à disposition par la  Fondation asiatique de football de l'ouest pour aider l'équipe palestinienne. Voulant éviter la politique, Wisniewski a fait remarquer : "la vie en Bande de Gaza est difficile." Cependant, fier de son équipe, il a ajouté, "je veux rester avec l'équipe parce que je pense qu'ils sont fantastiques." Wisniewski devait encore rencontrer la moitié de son équipe incapable de voyager en raison des restrictions israéliennes et des couvre-feux imposés aux villes de Cisjordanie aux villes dont ils viennent.
En fait, il est même extrêmement difficile de voyager d'un endroit de la Bande de Gaza à un autre et beaucoup de joueurs locaux sont contraints  de manquer l'entraînement pour cause d'incursions, de points de contrôle et parfois même de mort. Les statistiques montrent aujourd'hui que plus de 130 sportifs palestiniens ont été tués par des troupes israéliennes depuis septembre 2000.
Beaucoup de footballeurs internationaux font partie de la classe  favorisée de la jet set, mais le milieu de terrain palestinien Jamal Al Houly est sans abri depuis le 2 août, après que l'armée israélienne ait démoli sa maison. Al Houly vit dans le Camp de réfugiés de Rafah et sa maison a fait partie des centaines de maisons rasées par des bulldozers israéliens. Décrivant la façon par laquelle les Israéliens s'y sont pris, il a dit, "Ils sont venus à 2h00 et nous ont dit avec un haut-parleur :
"Restez et vous mourrez, fuyez et vous vivrez !  Nous avons fuit en quelques minutes. Ce n'était pas le moment de rechercher mes médailles des tournois internationaux". Juste avant les championnats arabes en décembre, Al Houly - le sans abri - s'exprimait avec optimisme : "j'ai perdu la médaille, mais cela ne m'empêchera pas d'essayer d'en gagner une autre, peut-être même une meilleure."
L'Équipe Nationale palestinienne de Football est sans le sou et elle a aussi perdu des subventions de la FIFA. Le projet de stade que la FIFA voulait construire en Palestine a subi de nombreux retards depuis septembre 2000.
Néanmoins, la FIFA a reconnu que des joueurs de football palestiniens pourraient être recrutés à l'étranger, étant donnée la situation de trouble politique et social en Palestine occupée. Les Palestiniens ayant une double nationalité peuvent pour la Palestine, mais ne peuvent pas jouer pour une autre nation.
Avec une population de plus de 6 millions de réfugiés dans le monde entier, les Palestiniens peuvent facilement être recrutés au Chili, en Argentine, au Pérou, au Honduras et au Mexique. "Certes,  je suis intéressé par l'idée."
C'est aspect international et ce serait une bonne idée d'y participer. Nous savons que les Palestiniens vivants dans une zone de conflit ont besoin de notre aide. C'est une porte qui s'est ouverte," a dit Pablo Abdala milieu de terrain  en Argentine.
Avec des noms comme Pablo Abdala (un Argentin qui joue pour le club Cobreloa),les frères Roberto , Fabian Bishara et Roberto Kettlun,  qui tous jouent pour le club de première de division chilien Palestino, l'équipe palestinienne est colorée et unique.
L'entraîneur Nicola Hadweh, un Chilien de parents palestiniens, a rejoint l'équipe de rêve palestinienne et fait communique son enthousiasme latin et sa passion qui ont dopé le moral de l'équipe.
"Notre but principal objectif est d'aller en finale en Allemagne et de devenir champions du monde," a dit Hadweh plaisantant à demi. "Quel intérêt y aurait-il à relever le défi sans avoir des objectifs ambitieux?
Les joueurs palestiniens d'Amérique latine peuvent nous aider il n'y a aucun doute là dessus", a-t-il ajouté. Cette initiative des Palestiniens est encore un autre exemple de la persévérance palestinienne et de la détermination à ne pas être laminé.
En raison du manque de moyens financiers, les joueurs palestiniens sont en général employés à temps plein, travaillant comme policiers, manœuvres et ouvriers du bâtiment.
Ils sont les Ambassadeurs de la Palestine - une nation, une entité et un rêve. Ils sont fiers, travailleurs et pauvres et c'est pourquoi ils sont déjà vainqueurs.
Ils ont gagné le respect international et, ce qui est plus important, ils sont les vrais héros qui se battent pour maintenir le rêve vivant.
                                                   
4. La Cité du Bien-Aimé ou l’Argument de Persée par Israël Shamir (13 décembre 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
        Leurs trois noms comportent une nuance de mystère du Moyen-Age, mais au lieu d’Espérance, de Pénitence et de Merci, les trois sœurs s’appellent Amal, Thawra et Tahrir (Espoir, Révolution et Libération)… Vêtues comme des collégiennes ordinaires, que sont d’ailleurs deux d’entre elles, elles ne dépareraient pas à Yale, ni à l’Université de Tel-Aviv. Leurs livres et leurs CD sont les mêmes que ceux que j’ai aperçus ce matin sur l’étagère, dans la chambre de mon fiston. Mais leur sourire – leur magnifique sourire heureux – leur esprit enjoué et leur moral au beau fixe… : voilà qui sort tout à fait de l’ordinaire, lorsqu’on connaît leurs conditions d’existence…
        Voilà cinquante ans, leurs parents ont été chassés de leur maison ancestrale, dans le Sud de la Palestine, parce qu’ils n’étaient pas juifs. Ainsi les trois sœurs sont nées dans une famille de réfugiés, à Hébron. Elles sont nées l’une derrière l’autre, avec peu d’écart entre elles, comme pour compenser les nombreuses années perdues en prison par leur père. Elles le connurent près d’elles, mais pas longtemps : il a été gazé à mort après qu’un colon eût balancé une grenade lacrymogène au beau milieu de leur salon. La plus jeune des trois sœurs, Amal, est au collège, tandis que Tahrir est déjà à l’université, en deuxième année d’architecture, ce bel art d’édifier des idées en pierres de taille et de projeter des lieux de vie. Leur maison, en pierres, modeste, avec trois pièces et de grandes fenêtres, est entourée par les rangées de vignes, au fond d’une vallée. Hélas, elle est condamnée.
        Les anges de la dévastation étaient là, dehors, écarquillant les yeux comme pour mieux contempler les ruines de la maison voisine, sa terrasse fendue, au milieu des gravats, et une femme aux cheveux gris, en train de chercher quelque chose parmi les vestiges de ce qui était sa maison, la veille encore.
        « Yalla, ufi kvar ! » crissa à la vieille dame  une grande Juive dépendeuse d’andouilles, une Barbara-ou-quelque-chose-dans-ce-genre-là,: « Disparais ! »
        Un officier qui l’accompagnait intervint, obséquieux. Il répéta en arabe l’ordre de la grande sauterelle juive et, tandis que la femme âgée émergeait péniblement du cratère, il rendit compte à Barbara-ou-je-ne-sais-quoi de ce que cette vieille femme lui avait répondu :
« Sa jambe neuve… » dit-il. « Cinq mille shékels… Plus de mille dollars… L’a achetée y’a tout juste un mois… La portait seulement pour les grandes occases… Hier, quand on lui a pété sa bicoque, l’avait qu’sa vieille jambe de bois… »
        « Non, non… l’a perdu sa jambe enfant, en 48, dans le bombardement de la Vieille Ville de Jérusalem… » répondit l’officier à une question qu’avait dû lui poser un homme grand, imposant, portant un complet gris très élégant et une petite kippa sur la tête. Pendant ce temps, deux bulldozers repoussaient les restes de la maison de la vieille dame, dévorant impitoyablement les restes de la vigne et écrabouillant ses feuilles rouges et pourpres, en les mélangeant à la gadoue.
        A cette époque de l’année, le rouge pourpre recouvre les collines de la campagne hébronite. C’est la terre des vignes, que Bethléem sépare de la terre des oliviers, plus au nord. C’est le pays des vastes terrains en terrasses, de la terre rougeâtre craquelée, des riches troupeaux de moutons, des sources rares, de la foi solide comme le roc et du raisin. Bien que, voici quelques siècles, les gens du coin aient abandonné leur religion orthodoxe pour se convertir à l’islam, ils pressent toujours leur raisin dans leurs pressoirs en pierre millénaires. En automne, vêtues de leurs longues tuniques sombres aux broderies délicates, les femmes d’Hébron vendent, à la Porte de Damas, à Jérusalem, les grappes jaunes, lourdes et sucrées, encore recouvertes de la poussière du vignoble. Lorsque ma femme a accouché de notre premier garçon, je lui ai offert une de ces robes palestiniennes, noire et cramoisi, brodée des semaines durant dans un village tout proche d’Hébron…
        Autant j’aime les paysages de vignobles et les gens d’Hébron, autant ce n’est pas un endroit que je puisse visiter le cœur léger, et je ne suis certainement pas le seul dans ce cas. Comme dans quelque tragédie grecque, une terrible malédiction pèse sur la cité. Si dans l’histoire de Persée c’est un monstre marin qui dévore les vierges de Jaffa, le Monstre d’Hébron, quant à lui, grignote lentement mais inexorablement la ville et ses habitants. Aujourd’hui, Hébron n’est plus que ce genre d’objets à demi digérés que les pêcheurs trouvent parfois dans l’estomac d’un requin hissé sur le pont. Elle conserve certains traits de l’antique et fière cité des hommes, mais elle est à moitié bouffée. Si vous avez quelque moment rendu visite à une belle jeune fille souffrant d’une maladie incurable, et donc condamnée, vous saurez de quoi je veux parler.
        En des temps normaux, la contrée d’Hébron serait à juste titre admirée et célébrée. C’est par excellence le Pays de la Bible : le mode de vie de ses habitants n’a guère changé, depuis ces temps reculés. Ce sont toujours ces mêmes pâtres et ces mêmes vignerons et les noms de leurs villages sont gonflés de mémoire. Le grand bandit palestinien Daud, plus tard Roi David, faisait payer l’impôt du sauf-conduit à Maan ; le prophète Amos grandit à Tukua ; Gad est enterré à Halhul. Khalil fut appelé Hébron, puis Saint Abraham, puis de nouveau Khalil, ce qui signifie le Bien-Aimé, car c’est le surnom d’Abraham, le grand héros culturel du Moyen-Orient. C’est la Judée originelle, celle des rois et des prophètes. Judéens, et non pas (en dépit de la proximité dans la consonance) Juifs, et même tout à fait étrangers aux Juifs d’autrefois, qui ne se sont jamais aventurés aussi loin vers le sud : ils n’ont jamais mis les pieds dans cette province trop aride pour eux. L’historien juif Flavius Josèphe ne connaissait rien de ces lieux ; les livres juifs, le Talmud et la Mishna, ne font presque pas mention d’Hébron ni de Bethléem. Les Juifs appelaient cette région « Idumée », et ses habitants judéens « Iduméens ». (De la même manière, les Juifs appelaient le pays d’Israël « Samarie », et ses habitants israélites « Samaritains », dans leur désir de privatiser et de s’approprier l’héritage biblique). Les Judéens indigènes, les gens d’Hébron, d’Al-Khalil, s’en moquaient bien : ils continuaient à travailler leurs champs et à prier dans les mêmes mausolées que leurs ancêtres, les authentiques héros de la Bible…
        Par-dessus tout, ils chérissent leur Mosquée Ibrahimiyyé, qui commémore Al-Khalil, le Bien-Aimé de Dieu, Ibrahim (ou Abraham), pionnier spirituel de l’humanité. Cet édifice massif en pierres rustiques a été érigé en des temps immémoriaux. Les Croisés bâtirent une belle basilique sur les anciennes fondations, et les gouvernants éclairés du Caire et de Damas, d’Istanbul et de Bagdad, ornèrent ses murailles de versets du Coran calligraphiés. La Mosquée d’Hébron exsude la sainteté et la grâce, c’est une fontaine spirituelle jaillissant au milieu des collines de la Judée. Oui, c’est cela, le caractère unique de la Terre Sainte : tandis que le Tout Puissant donnait de l’huile à leurs voisins, Il donna aux Hébronites un trésor inépuisable d’esprit saint. Au contraire de l’huile, qui finit un beau jour par manquer, plus il est prodigué d’esprit saint, plus il en reste. C’est probablement la raison pour laquelle l’ennemi rend tellement difficile tout déplacement là-bas…
        La Vieille Ville d’Hébron est un dense grouillement de maisons médiévales se pressant autour de la Mosquée Ibrahimiyyé. Les maisons serrées les unes contre les autres ne ménagent que quelques entrées dans ce labyrinthe. Et ces entrées, elles ont été condamnées par des portails en fer et du fil de fer barbelé, ne laissant que deux accès à la ville. Les entrées en sont contrôlées par des checkpoints renforcés. Les soldats vérifièrent une énième fois nos papiers, nous fouillèrent et nous laissèrent entrer, enfin, dans la Cité-du-Bien-Aimé-transformée-en-la-pire-des-prisons dans l’archipel du Goulag de Palestine…
        J’avais pour Virgile, dans cette descente aux Enfers, un homme exceptionnel, Jerry Levin, un Américain originaire de l’Alabama. Ancien directeur du bureau de la CNN au Liban, il a passé pas loin d’une année de son existence otage du Hezbollah. Depuis sa libération, il vit dans la Vieille Ville d’Hébron en compagnie d’une petite équipe de militants pacifistes chrétiens. Les membres de cette équipe, le Christian Peacemakers Team, apportent de la nourriture aux civils assiégés, s’efforcent de protéger les habitants de la ville et souffrent en silence des avanies et de la violence des colons et des militaires de ‘Tsahal’. Né juif, Jerry a choisi de laisser tomber le culte de la vengeance ; il a embrassé le christianisme et opté pour le camp des opprimés de la Terre.
        « Ne soyez pas trop impressionné par ma captivité au Liban », me prévint-il, un sourire forcé aux lèvres. « Tout le monde, ici, pourra vous parler de captivités beaucoup plus longues et beaucoup plus dures que la mienne… »
        Des yeux d’enfants nous épiaient, derrière des barreaux de fer. Les rues étaient désertes : depuis de nombreux mois, les indigènes n’ont pas été autorisés à fouler les voies pavées de leur ville. Un couvre-feu quasi éternel a été imposé, ici, depuis des années. Les échoppes ont été saccagées et brûlées par des pillards colons ; les murs portent des graffiti en lettres cursives hébraïques : « Tuez les Goyim – c’est bon pour les Juifs ! » ; « Kahane avait raison ! » ; « Sois béni, Ô, Docteur Goldstein ! »
        Nous frappâmes à la porte en fer d’une maison, et nous entendîmes des sons de lourdes targettes que l’on tirait. La porte fut entrebâillée, juste de quoi nous permettre de passer et d’entrer. Après avoir monté des escaliers très étroits, nous nous retrouvâmes sur une terrasse. Le grandiose édifice de la Mosquée s’élève haut dans le ciel, juste à deux cent mètres de là, mais les habitants s’aventurent rarement aussi loin. Des planches étroites relient les terrasses de la ville et permettent aux Hébronites assiégés d’aller rendre visite à leurs voisins. Leurs enfants, comme des moineaux, courent de maison en maison, sur des planches suspendues à des hauteurs vertigineuses, ou bien observent la rue, au-dessous de leur fenêtre, en passant la tête entre les barreaux. Les rues ont été privatisées par les colons, à leur usage exclusif, de telle sorte qu’ils peuvent y déambuler en toute quiétude, sans même être gênés par la vue importune des Gentils. Régulièrement, les colons fracassent des portes et attaquent les citoyens, balancent leur literie et leurs meubles par les fenêtres et leur cassent la figure. C’est pourquoi leurs portes sont condamnées par d’épaisses planches clouées et par des serrures impressionnantes, afin de ralentir la progression des soldats et des colons au cours de leurs fréquents pogromes. Les habitants ne peuvent même pas sortir de chez eux pour aller acheter de quoi manger : il faut que des volontaires européens et américains leur apportent du ravitaillement… Beaucoup, s’évadant de cet enfer invivable, abandonnent derrière eux leur maison, leurs vignes et leurs propriétés et partent pour l’exil. Dans cette ville à demi bouffée, seuls les plus solides peuvent rester.
        Une fois, mon ami américain Michael m’a demandé si les Palestiniens pratiquaient une forme quelconque de lutte non-violente. A Hébron, chaque journée, chaque heure, chaque minute de la vie d’un Palestinien est une lutte non-violente pour l’existence. Malheureusement, cette lutte ne remporte pas un grand succès. Apparemment, les monstres d’Hébron, eux aussi, ont bien besoin d’un Persée qui vienne les convaincre…
        Nous ressortons, à découvert. Un colon nous interpelle : il cligne des yeux dans l’obscurité qui emplit l’étroit passage voûté :
        « Sales Arabes ! Foutez le camp ! »
        Un soldat, au carrefour, le calma : « C’est pas des Arabes, c’est des Internationaux ! »
        « Y sont encore pires ! », hurla le colon, un Juif d’Europe de l’Est, âgé. Puis il nous harangua dans son anglais aux fortes consonances est européennes : « Partez ! On ne veut pas de vous dans le coin ! »
        « On ne veut pas de vous non plus ! » répondîmes-nous, prenant la direction de la Mosquée. Elle était entourée de trois rangées de soldats, fraîchement importés d’Ethiopie et d’Ukraine, pour la plupart. On nous fouilla et on nous refouilla, on nous demanda d’où nous venions et pourquoi, nous passâmes sous des portiques détecteurs de métaux et détecteurs de mensonge, sentant vrillés sur nous les regards soupçonneux des troufions, pleins de leur haine infatigable habituelle, et nous pénétrâmes dans le gigantesque cénotaphe d’Abraham. Eh bien, vous me croirez si vous voulez, malgré tout ça, j’ai été saisi par l’émanation de sainteté qui émanait de ce lieu, comme si mon esprit était soulevé et porté par la grande lame d’un tsunami. Haut. Très haut. Je ne sais pas si un lieu saint est saint en raison du saint homme qui y est enterré, ou si, vice-versa, on enterre les hommes saints dans les lieux saints parce que ces lieux sont saints… Mais une chose est sûre : pour un lieu saint, c’était un lieu saint !
        En me retournant, je vis ceux qui ont privatisé la source spirituelle. Ils portaient des châles de prière blancs, avec des rayures noires, sur leurs épaules. Ils me virent.
        « C’est un Arabe ! » dit l’un d’entre eux.
        « Non… C’est un Fritz ! »
        « Non : c’est un Arabe avec un passeport israélien - voilà pourquoi il a l’air tellement arrogant », reprit le premier.
        « Toi y en être Arabe ? » demanda le second.
        « Bien sûr , Monseigneur», répondis-je, posément.
        « Fous le camp d’ici, vermine ! » crièrent-ils, en chœur.
        En réalité, les colons se moquent de la Tombe du Bien Aimé comme de leur première chemise. Ils ont un autre tombeau à honorer, celui d’un meurtrier en gros, originaire de Brooklyn, le Dr. Goldstein. Ce Dr. Goldstein conquit la gloire lors du Pourim de 1994. Le Pourim est la seule fête joyeuse du calendrier des Juif. Cette fête marque en effet l’anniversaire d’un joli massacre perpétré par leurs ancêtres, en Perse, voici quelque vingt quatre siècles, au cours duquel 75 000 Goyim, hommes, femmes et enfants, furent allègrement égorgés par les Juifs – on le voit : une bonne raison, durable, de faire la fête… Cela est décrit dans l’Ancien Testament, et cela fait, par conséquent, partie des Ecritures chrétiennes, aussi. Mais les Chrétiens lisent cela et prennent cette histoire pour une délivrance, alors que pour les Juifs, il n’y a pas de délivrance qui ne soit suivie de vengeance.
        En 1994, donc, aux jours du Pourim, le Dr. Baruch Goldstein fit irruption dans la Mosquée, armé de deux mitraillettes et d’un tas de chargeurs de rechange. Les soldats à l’œil de lynx ne nous auraient pas laissé introduire une lime à ongle, dans la Mosquée, mais lui, ils ne l’arrêtèrent pas… Il entra dans la salle de prières, s’écria « Joyeux Pourim ! », après quoi il ouvrit un feu nourri. Il massacra quelque trente fidèles bien entendu désarmés, avant que les survivants ne parviennent à abattre la bête enragée. Alors qu’ils étaient en train d’évacuer leurs morts et leurs blessés de la mosquée, les soldats ouvrirent le feu et tuèrent une trentaine de fidèles supplémentaire, en s’écriant : « Joyeuses Fêtes de Pourim ! ». Lorsque la nouvelle du massacre parvint à la Knesset, le Parlement israélien, Hanan Porat, chef du Parti Juif National Religieux offrit ses vœux de « Joyeux et Bon Pourim » aux parlementaires…
        Le Dr. Goldstein fut enterré avec les plus grands amour et respect ; son tombeau devint un lieu de pèlerinages de masse pour les colons et leurs admirateurs venus d’Israël, d’Amérique et d’un peu partout à travers le monde. Des jeunes filles juives potelées et respirant la santé viennent déposer sur sa tombe des bouquets de fleurs et des lampions. De jeunes soldats juifs posent leurs flingues M-16 américains sur sa dalle tombale et invoquent  l’assistance et la guidance du saint homme. Devant sa tombe, de jeunes couples échangent des vœux et des hommes âgés récitent le Kaddish pour le repos de l’âme du défunt vénéré…
        Après le massacre, des voix s’élevèrent, en Israël, demandant qu’on évacuât d’Hébron les colons. Mais le gouvernement israélien utilisa le massacre comme prétexte pour punir… les victimes. Une moitié de la mosquée fut investie par les Juifs ; les fidèles du coin se virent interdits de vénérer le Tombeau d’Abraham le Bien-Aimé de Dieu ; les accès à la Vieille Ville furent condamnés ; des dizaines de maisons palestiniennes furent confisquées et rasées ; la rue principale de la ville fut interdite à la circulation des Goys. Au final, la différence est mince : qu’un Juif tue ou soit tué, l’Etat juif utilisera toujours le crime comme prétexte pour voler aux Palestiniens des terres supplémentaires et pour les punir encore plus.
        Bien. Revenons à nos colons. Le vendredi, ils vont au Tombeau d’Abraham, qu’ils vénèrent comme le font les Chrétiens et les Musulmans, mais pour une raison différente. Tandis que pour nous, Abraham est le père spirituel, l’homme qui trouva le moyen de communier avec Dieu et d’en témoigner pour l’humanité, eux le revendiquent pour ancêtre biologique et comme justification de leur appropriation du lieu saint. (Adams, le héros américain de la nouvelle de Mark Twain les coifferait au poteau, lui qui revendique descendre en lignée directe d’Adam). S’ils pouvaient prouver que George Washington était juif, ils s’approprieraient à coup sûr la Maison Blanche. (A y repenser, c’est bel et bien ce qu’ils ont fait, d’ailleurs). Cette lecture perverse est profondément ancrée dans le psychisme juif, et Nathalie, une gentille journaliste israélienne qui nous accompagnait, me demanda :
        «Les Arabes du coin considèrent-ils, eux aussi, qu’Abraham est leur ancêtre ? »
        « Le monde entier le considère comme notre ancêtre spirituel »… Je tentai de lui expliquer la foi non-biologique, spirituelle et universelle d’Abraham. Je lui rappelai qu’Abraham avait rejeté son père, que Mahomet avait rejeté sa tribu, que le Christ avait rejeté ses frères, qui estimaient avoir sur lui des droits, proclamant que ses frères-en-esprit étaient bien plus importants pour lui que ses frères-par-la-chair. Mais mes propos n’avaient visiblement pas de prise sur la vision dont elle était imbue. La privatisation, l’appropriation est une tendance très juive : quand les Palestiniens voient dans une fontaine une source à laquelle tous ceux qui le veulent, tous les assoiffés, peuvent venir s’abreuver, la tradition juive, elle, voit quelque chose à s’approprier, à privatiser.
        Le vendredi, la ville appartient totalement aux colons. L’armée impose un couvre-feu particulièrement sévère et ne permet à aucun goy de sortir de chez lui, ce qui offusquerait la vue d’un Juif. Les soldats tirent sur les gamins qui oseraient jouer dehors. La ville retient son souffle, jusqu’à ce que le dernier Juif disparaisse derrière le quartier hérissé de fil de fer barbelé, strictement réservé aux Juifs. Hébron est un endroit tout à fait idoine pour étudier les intentions véritables des Juifs quant à la façon dont le monde, à leurs yeux, doit être géré – venir ici, cela vaut bien mieux que lire leurs éditoriaux hypocrites édulcorés à la saccharine…
        Mais vendredi dernier, il en alla différemment. Après que l’escorte habituelle, armée jusqu’aux dents, eût raccompagné les colons dans leur ghetto, ayant emprunté le chemin de retour vers ses baraquements, elle fut prise sous les tirs des guérilleros. Les tireurs palestiniens ne voulaient surtout pas copier sur l’assassin industriel juif ; ils laissèrent les fidèles juifs rentrer paisiblement chez eux, et ce n’est qu’après qu’ils ouvrirent le feu. Persée est passé dans le coin ; il est venu rendre une petite visite au monstre…
        On fait subir aux soldats israéliens le lavage de cerveau afin de les persuader de leur supériorité raciale, de la supériorité de leurs armes, de la protection de leur Commandant-En-Chef-Le-Très-Haut, de la soumission des naturels…  Ils étaient absolument certains que l’esprit des Khalilis avait été irrémédiablement laminé. Arrogants et impitoyables, ils se lancèrent à leur poursuite. Les combattants firent retraite dans une sente serpentant au milieu des vignes et, tandis que les soldats ennemis s’y aventuraient, ils leur sautèrent sur le râble, refermant leur piège mortel.
        Les combattants du Jihad utilisèrent l’arme de l’intelligence contre la force - ruse déjà décrite par les historiens romains, et dont on fit bien plus tard une pièce de théâtre, Les Horaces et les Curiaces, écrite par le grand dramaturge allemand Bertolt Brecht. Les deux clans romains ennemis, les Horaces et les Curiaces, s’affrontèrent sur le champ de bataille. Les Horaces, plus faibles, simulèrent la fuite, et lorsque leurs ennemis lourdement armés les suivirent et s’éparpillèrent en route, ils firent volte-face, tuant leurs poursuivants, l’un après l’autre.
        Le résultat de l’opération est rien moins que miraculeux : trois combattants du Jihad, armés de leurs seules carabines, ont réussi à abattre douze Juifs lourdement armés, dont le tourmenteur en chef de la ville d’Hébron, le Colonel Gauleiter de la cité, le Commandant de la Division d’Hébron. Les combattants palestiniens ne purent s’échapper : en prenant la noble décision de ne s’en prendre qu’à des soldats et de laisser passer en paix les colons, ils avaient scellé leur propre destin. Il n’en demeure pas moins qu’ils ont apporté la preuve de leur force d’âme, aussi solide que les fondations de leur grand mausolée.
        Souvent, on entend dire que les Palestiniens devraient faire ceci, ne pas faire cela… Ils ne doivent pas tuer l’ennemi, si l’ennemi a ôté sa vareuse militaire pour partir en week-end. Ils doivent être particulièrement regardants en matière de cibles, parce que sinon, leur action est « contre-productive »… L’embuscade d’Hébron a démontré que tout ça, ce ne sont que billevesées. L’attaque contre ces soldats fut l’une des plus équitables jamais lancées contre l’oppresseur. Cela n’a pas empêché le président des Etats-Unis de la qualifier de « crime haineux » ; ni le Secrétaire Général de l’ONU d’y voir « un horrible acte sanglant » ; ni un Pape égaré d’y faire allusion en évoquant un « massacre de fidèles ». Même le chef d’état-major israélien s’est esclaffé devant ces commentaires : il s’est refusé à qualifier cette embuscade de « massacre ». Nos soldats sont morts au combat, a-t-il déclaré. Néanmoins, fidèle à son habitude, il a quand même ordonné que l’on détruisît les maisons longeant la route sur laquelle l’embuscade avait été dressée…
        Ainsi, on le voit, peu importe ce que font les Palestiniens. Qu’ils tuent des enfants israéliens ou qu’ils combattent des soldats israéliens, voire même qu’ils se fassent tuer par des colons, ils seront toujours déclarés coupables, pour la simple raison qu’ils ne capitulent pas devant les Juifs. Bien sûr, ceux qui se sont rendus sans même combattre (suivez mon regard …) ne vont pas les excuser. Mais les Palestiniens d’Hébron, ces gens les plus maltraités sur Terre, savent bien où est la vérité. Et c’est pourquoi leur large sourire rayonnant ne quitte pas les visages innocents des trois sœurs, Espoir, Révolution et Libération.
        Nathalie, la gentille journaliste israélienne, s’est crue obligée d’équilibrer son reportage pour le rendre acceptable aux yeux de son rédac chef :
        « Mais que dites-vous au sujet des attentats terroristes commis à Tel-Aviv contre des civils israéliens » ? demanda-t-elle aux trois filles dont la maison allait être démolie. Je me demande ce que mon grand-père, qui vivait dans le ghetto de Stanislawow, aurait répondu à la question d’un journaliste allemand sur ses état d’âme devant les victimes civiles allemandes des bombardements alliés ? Il aurait probablement répondu la même chose que l’éditorialiste juif canadien Mordechaï Richler : « Je suis heureux que Dresde ait été bombardée, précisément parce qu’il n’y avait à Dresde aucun objectif militaire ! »… [1].
        Nous étions près de l’endroit où l’embuscade s’était produite, sur la grande véranda des trois sœurs. Sans doute nos regards trahirent-ils nos sentiments, car le groupe de colons et ceux qui étaient avec eux se retournèrent vers nous. Un colon, un Juif maigrichon, nous dit :
        « Vous devriez être de notre côté »… « Vous êtes Juifs, n’est-ce pas ? » « C’est eux, ou nous. Ecoutez la voix du sang ; soutenez votre propre peuple contre ses ennemis ! »
        « Démolir les maisons de gens innocents simplement parce que quelqu’un a tiré sur vos soldats dans le coin, était-ce bien nécessaire ? » demanda Jerry.
        Le grand homme imposant au complet gris nous jaugeait d’un regard sévère.
        « Comment osez-vous parler de vulgaires maisons, alors que des vies humaines ont pris fin, en ces lieux mêmes ? » C’était un Américain, de New York, un certain Rabbin Wise.
        « Démoliriez-vous une maison, à New York, parce qu’un membre de votre peuple aurait été tué à côté ? » demandai-je.
        « Oh, bien sûr ! Ce serait un devoir ! », répondit le Rabbin Wise, tandis que son sourire carnivore, prédateur, trahissait ses sentiments. Il le ferait. Il raserait Harlem si un Noir tuait un Juif. Pour les Rabbins Wise de ce monde, la vie et les biens d’un Goy ne valent pas tripette, les Goys ne sont que des emmerdeurs, une sorte de nid de guêpes à éliminer. S’ils ne passent pas au bulldozer les maisons des Goys à New York, c’est tout simplement parce qu’ils ont à leur disposition des outils plus adaptés : les privatisations, les mises sous séquestre, les expropriations. A Khalil, ou Hébron, comme ils appellent cette ville, en utilisant son ancien nom, ils mettent en actes leurs rêves les plus fous, sans que rien les retienne.
        Dans cette ville pourtant désormais aux mains de colons malfaisants et de militaires brutaux, personne ne saurait être plus vil que ce Rabbin Wise. Les colons ont fait de la vie des habitants palestiniens un enfer, et les soldats protègent les colons : mais c’est exactement ce que le Rabbin Wise veut, et c’est pourquoi il leur apporte des milliards de dollars volés aux Américains, et détournés à leur intention dans les corridors du Congrès et du Sénat. Je ressentis une immense pitié pour les Américains, ce peuple industrieux et généreux, dilapidé et transformé en esclaves de Mordor par ses politiciens.
        « Vous êtes Juifs, n’est-ce pas ? » - insista le colon élancé.
        « Oh, que non ! Gloire au Christ, nous ne sommes pas Juifs ! », répondis-je, tirant pour la première fois un avantage un peu trivial de mon baptême récent. « Si vous, vous êtes Juifs, alors, nous ne le sommes sûrement pas ».
        Le phénomène sans précédent de ces vingt dernières années, j’entends par là l’Ascension météoritique des Juifs dans le monde, a été douloureux pour tout le monde : pour les Palestiniens, qui ont perdu leurs maisons et leur liberté ; pour les Américains, dont le « territoire des hommes libres » connaît le plus fort taux de population carcérale au monde, tout en étant à la pointe en matière d’exécutions capitales et de disparité sociale entre pauvres et riches ; pour les Européens, qui doivent rejeter leurs traditions culturelles ; pour les Musulmans, condamnés à être éternellement bombardés et vilipendés par Cohen et Pipes ; pour les Chinois, qui sont la prochaine victime sacrificielle par eux choisie en offrande à leur dieu vindicatif.
        Paradoxalement, cette ascension nous fut bénéfique, à nous, les enfants des Juifs qui avons rejeté la politique juive. Tant que les Juifs étaient faibles, la conversion, cela vous avait un arrière-goût de désertion. Julian Tuwim, grand poète polonais, chrétien d’origine juive, a dit, après la Seconde guerre mondiale : « Si je suis Juif, ce n’est pas à cause du sang qui coule dans mes veines. Si je suis Juif, c’est à cause du sang qui coule des veines d’autrui ». Aujourd’hui que le sang s’écoule des veines des Gentils, il nous est plus facile – que dis-je – c’est même de toute première urgence – de rejeter le culte victorieux de la haine et de rejoindre la commune humanité. Les Israéliens et les Juifs qui ont le sentiment que manifester contre les politiques de leur gouvernement ne saurait suffire sont désormais de plus en plus nombreux à commettre plus aisément l’impensable - l’horreur de l’abomination.
        Neta Golan, une jeune femme israélienne super, qui est restée aux côtés des villageois palestiniens assiégés à Kufr Harith, a été célébrée à la manière d’une icône de la « bonne Juive ». Mais dès qu’elle a rejeté la foi de la Haine pour la foi de la Miséricorde, son nom a disparu des pages des journaux juifs américains, car elle ne pouvait leur servir qu’en tant qu’alibi pour les tueurs et leurs soutiens. D’une manière totalement inattendue, le rêve des sectateurs (anti)chrétiens sionistes, à savoir la conversion des Juifs au Christ sur les ruines de la Palestine, peut encore se révéler vrai, car de plus en plus de Juifs confrontés au véritable judaïsme - le judaïsme tel qu’il triomphe dans l’enfer d’Hébron - rejettent le paradigme de la Domination et embrassent celui de la Fraternité Humaine. Les (anti)chrétiens sionistes étaient dans le vrai, mais pour la mauvaise raison : le rassemblement des Juifs en Terre Sainte amènera les hommes bons à apercevoir la lumière, confrontés qu’ils seront à cette noirceur absolue dépouillée de ses ornements, qu’ils ne pourront que rejeter avec horreur.
        C’est pourquoi l’Intifada est tellement importante : il pourrait s’agir du début d’une Intifada mondiale, universelle, contre les forces infernales de l’Avidité. Il ne faut pas qu’elle s’arrête aux limites de la Terre Sainte. Je sais bien que cette idée est étrangère aux Palestiniens. Eux combattent pour leurs villages et leurs villes, pour leur égalité et pour leur liberté de vivre et de prier dans leurs sanctuaires. Pour eux, si les colons finissaient par perdre leurs privilèges, le problème serait réglé. Les Palestiniens ne comprennent pas que pour le Rabbin Wise et ses semblables, leur servitude et la possession par les Juifs de la Palestine constituent la preuve terrestre nécessaire de leur « Election », la manifestation ultime de l’Ascension des Juifs. Les Palestiniens ne comprennent pas (encore) que, maintenant que les Juifs tiennent leur victoire, ils ne vont pas lâcher prise facilement.
        Cette idée effraie les amis de la Palestine, qui rejettent avec horreur le Dr. Goldstein, mais qui n’osent pas affronter un Rabbin Wise, de peur de s’aliéner, s’ils l’osaient, leurs camarades juifs. Ils ne comprennent pas (pas encore…) que les Bons Juifs, tout dégoûtés soient-ils par les colons, ne vont pas se battre contre leurs frères dévoyés. Michael Neumann l’exprime avec clarté : lorsque la poussée, devenue plus insistante, deviendra bousculade, « tous ces merveilleux et courageux manifestants juifs, qui pleurent sur les enfants de Palestine, feront leur baluchon, rentreront chez eux et tireront le verrou sur leur porte. On ne les verra plus. On ne les entendra plus. Les pétitions, ils ne les signeront plus. Les articles, ils n’en écriront plus. » Et il est de fait que leurs prises de position n’auraient aucune espèce d’importance si le Discours de l’Occident n’était pas tenu aussi fermement par les mains des Juifs, comme c’est aujourd’hui le cas.
        Tout se résume à la morale de notre pièce du début : Amal, Espoir d’Hébron, n’est autre qu’une des sœurs de Libération du Discours et d’Intifada Mondiale contre les forces de l’Avidité.
- [1] : Cité par le Vancouver Sun, 13.09.1966, p. 5 « Lest We Forget… I Hate the Germans », [Jusqu’à ce que je perde la mémoire, je haïrai les Allemands], par Mordechai Richler du Spectator – extraits d’un article publié dans le supplément « Livres » de la British Weekly Review.
                                                                       
5. Israël : La police des frontières frappe un photographe de l'Agence France-Presse par Reporter sans frontières (19 décembre 2002)
Un photographe palestinien de l'AFP a été frappé, le 19 décembre à Naplouse, par deux gardes-frontières israéliens. Cette agression alourdit un peu plus le bilan des entraves à la liberté de la presse perpétrées dans les Territoires occupés palestiniens en 2002.
La police des frontières frappe un photographe de l'Agence France-Presse  Le 19 décembre, à un barrage militaire dans les environs de Naplouse (Cisjordanie), deux gardes-frontières israéliens ont battu Jaafar Achtiyé, un photographe palestinien travaillant pour l'Agence France-Presse (AFP).
Journalistes dans les Territoires occupés
"Les autorités israéliennes ont beau jeu, sous couvert de lutte contre le terrorisme palestinien, de menacer et d'agresser les journalistes qui résident et travaillent dans les Territoires occupés", a déclaré Robert Ménard, secrétaire général de Reporters sans frontières. "Comme après chaque incident de ce type, nous demandons l'ouverture d'une enquête afin d'identifier et de sanctionner les auteurs de ces entraves à la liberté de la presse. Les engagements pris par l'armée israélienne pour juguler les violences de certains soldats à l'encontre des journalistes n'ont malheureusement que très rarement été tenus", a-t-il ajouté.
Alors qu'il se présente le 19 décembre, vers 10 heures du matin, à un barrage routier entre Naplouse et la localité de Salim, Jaafar Achtiyé a été battu à coups de poing par deux gardes-frontières israéliens. Ceux-ci l'ont pourtant clairement reconnu comme journaliste. Ils ont menacé de confisquer son appareil photographique, puis ont changé d'avis en constatant qu'aucune photo n'avait été prise. Avant de laisser partir le photographe, les gardes-frontières ont menacé de le tuer s'il revenait à cet endroit. Le porte-parole de la police des frontières n'était pas joignable pour commenter l'incident, ni auprès de l'AFP, ni auprès de Reporters sans frontières.
L'organisation tient à souligner qu'au cours de l'année 2002 les entraves au travail des médias couvrant le conflit entre Israéliens et Palestiniens ont atteint des proportions alarmantes :
Trois journalistes ont été tués dans les Territoires occupés, dont Raffaele Ciriello, correspondant du journal italien Corriere della Sera, le 13 mars 2002 à Ramallah. D'après nos informations, et en l'absence des enquêtes promises par les autorités israéliennes, ces drames sont imputables à l'usage excessif de la force par l'armée israélienne.
Huit journalistes, dont deux Français et un Américain, ont été blessés par balles alors qu'ils étaient en reportage dans des villes palestiniennes occupées par l'armée. Dans la majorité des cas, ces journalistes étaient clairement identifiables et ne représentaient aucun danger pour les militaires. Ils ont été blessés par des tirs de sommation ou d'intimidation, qui n'avaient certes pas l'intention de tuer, mais ont entraîné des blessures parfois sérieuses.
Une quinzaine de journalistes palestiniens ont été emprisonnés sans procès ni jugement, selon la procédure de la détention administrative, pendant des périodes allant de un à huit mois. Deux d'entre eux, Khalid Ali Mohammed Zwawi et Nizar Ramadan, sont toujours détenus, respectivement depuis avril et juin 2002, alors que les autorités israéliennes n'ont fourni aucun élément sur les faits qui leur sont reprochés.
Des dizaines de journalistes dans les Territoires occupés ont été menacés, agressés, pris pour cibles à un barrage militaire ou ont vu leur matériel confisqué par l'armée israélienne. Les sanctions contre les auteurs de ces atteintes à la liberté de la presse étant, à notre connaissance, exceptionnelles, un sentiment d'impunité s'est développé au sein de l'armée.
Depuis maintenant deux ans, le Bureau gouvernemental de la presse (GPO) ne renouvelle plus qu'au compte-gouttes les accréditations de presse pour les journalistes palestiniens, parmi lesquels figurent des collaborateurs de longue date des agences de presse internationales telles l'Agence France-Presse, Reuters et Associated Press.
La passivité de l'armée pour remédier à ces nombreuses violations de la liberté de la presse, ainsi que les discours de hauts responsables accusant globalement les médias étrangers de "partialité", de "paresse", voire de profiter de l'hospitalité des Israéliens pour les "sodomiser" (sic), trahissent une hostilité grandissante à l'égard de la presse internationale. En plus d'être particulièrement violente, cette stratégie vise à tarir les sources d'information et à contrôler la couverture du conflit par les médias étrangers.
Les allégations de "massacre" qui ont suivi les combats entre Israéliens et Palestiniens dans le camp de réfugiés de Jénine en avril 2002 sont, de ce point de vue, révélatrices des effets néfastes d'une politique qui vise à limiter l'information et interdire la présence des journalistes.
[Reporters sans frontières défend les journalistes emprisonnés et la liberté de la presse dans le monde, c'est-à-dire le droit d'informer et d'être informé, conformément à l'article 19 de la Déclaration universelle des droits de l'homme. Visitez leur site sur : http://www.rsf.org.]
                                   
6. Elections israéliennes : un test pour la démocratie par Hanan Ashrawi (20 novembre 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le premier ministre (d’Israël) Ariel Sharon semble avoir plus confiance en la démocratie palestinienne qu’en la démocratie israélienne.
Il ne cesse de répéter qu’il fait confiance au peuple palestinien pour changer ses dirigeants élus, et cela, à cause des conditions (pour lui : grâce aux conditions) extrêmement dures qui règnent dans les Territoires palestiniens.
Cependant, il ignore délibérément la responsabilité qui est la sienne dans l’effondrement de la société israélienne, en matière sécuritaire, économique et sociale – effondrement qui résulte de sa politique dangereuse et irresponsable.
Néanmoins, c’est un égal mépris pour l’intelligence des deux entités qu’il affiche, lorsqu’il rejette sur la partie palestinienne (nommément : le président Arafat) la faute de l’effondrement total des relations entre elles, ainsi que celle de la détérioration des conditions de vie des deux côtés, sans procéder le moins du monde à l’évaluation du rôle joué par le principal responsable de cette tragédie : lui.
Une telle présomption d’ignorance et de naïveté ne fait qu’ajouter l’insulte à l’offense faite à l’électorat israélien. Mais, plus sérieusement, elle trahit une déconnexion très préoccupante d’avec la réalité et, par tant, une absence totale des moyens susceptibles de l’améliorer.
Les résultats des primaires du parti Travailliste, tenues hier, indiquent qu’une part significative de l’électorat travailliste manifeste la volonté de tourner le dos à l’héritage sharonien fait de toutes les morts et de toutes les destructions qu’il a infligé à la société israélienne (pour ne rien dire de la victimisation d’un peuple entier : le peuple palestinien).
Même si les Palestiniens se gardent bien de commenter les élections israéliennes – un « sujet d’ordre purement interne » - il est évident que l’impact des résultats de ces élections sera ressenti des deux côtés de la barrière.
La majorité obtenue par Amram Mitzna aux primaires travaillistes traduit de manière claire une rupture décisive d’avec la politique de Sharon et la recherche d’une alternative nette, exempte de tout rapprochement dommageable avec la participation d’hier à un gouvernement aussi extrémiste et désastreux que celui de Sharon.
De plus, Mitzna n’aura pas à réinventer le fil à couper le beurre : il peut bâtir sur les acquis des négociations antérieures, qui s’étaient approchées du but, à Taba, apportant ainsi des résultats rapides et concrets. Les conséquences – calamiteuses pour Israël - de la politique d’escalade militaire et de brutalité de Sharon, ainsi que celles de la faillite politique qui en a résulté, commencent à être ressenties fortement par les Israéliens qui voient dans cette politique la raison de la perte, en Israël, de la sécurité économique et personnelle.
Le pouvoir et la capacité de nuisance – énormes – des colons, leur prise en otage des priorités politiques, économiques, légales et morales d’Israël, sont mieux discernés par l’opinion publique israélienne, en général. Leurs tentatives de continuer à détruire toutes les chances de paix – notamment au moyen du mécanisme autodestructeur qui consiste à rendre impossible la nécessaire séparation (entre les deux pays) qui, seule, peut permettre la mise en œuvre d’une solution à deux Etats - sont tout aussi clairement rejetées par l’opinion publique israéliennes, comme l’indiquent de fréquents sondages.
A cet égard, le « camp de la paix » israélien a un besoin urgent, lui aussi, d’un leadership conséquent, à même d’en réunir les différentes composantes, porteur d’un message non équivoque et audacieux, et de chefs suffisamment charismatiques pour être capables de le sortir du marigot des récriminations réciproques et de l’association entre rejet de la faute sur autrui et la faiblesse interne, héritée de l’ère Barak-Sharon.
Le message de Mitzna trouvera sans nul doute un écho (il semble qu’il ait déjà commencé à en trouver un) chez les Palestiniens, qui ont ressenti durement l’absence de message et de stratégie en faveur de la paix en Israël, en particulier à cause de l’escalade militaire – totalement insensée – et de la violence des colons, et aussi d’une politique folle consistant à nier en bloc tous leurs droits, leur identité, leur humanité et leur sécurité.
La question de savoir comment (et si) ce discours va trouver un écho dans l’opinion publique israélienne reste posée : l’électorat israélien continuera-t-il à soutenir (et à générer) l’extrémisme, fourvoyé par l’idée totalement illusoire et fausse que l’armée peut vaincre la volonté d’un peuple, comme le peuple palestinien, poussé en avant par la liberté, la dignité et l’indépendance ; ou bien les Israéliens vont-ils parvenir à la conclusion – la bonne, la seule – que non seulement la politique de Sharon a échoué, mais qu’elle a été la principale cause de l’escalade et des souffrances de part et d’autre ?
L’extrémisme obsessionnel de Sharon a mis les deux peuples sur le chemin de la destruction mutuelle, en ressuscitant l’équation mortelle du « soit – soit » et en en faisant une question de vie ou de mort, ce qui n’a abouti qu’à porter le conflit à un tel degré d’acharnement qu’il ne pourrait prendre fin, en toute absence de raison, que par la disparition des deux camps à la fois.
Si Mitzna tient sa promesse de mettre fin à l’occupation et de reconnaître l’égalité des droits aux Palestiniens, il aura accompli une bonne partie du chemin vers l’élimination des causes de l’escalade et des souffrances. Peut-être (comme antidote souverain à la politique de haine et de domination) sera-t-il capable d’injecter un peu de responsabilité, de moralité et en définitive, d’espoir, dans la situation désespérée que les gouvernements israéliens précédents ont imposée ?
C’est désormais à Mitzna de faire ses preuves, à lui de prouver s’il sera capable d’apporter l’autorité personnelle nécessaire. C’est aussi un test pour l’opinion publique israélienne : saura-t-elle reconnaître qu’elle a besoin d’un tel charisme politique ?
Les résultats des élections du 28 janvier 2003 seront déterminants pour la vigueur de la démocratie israélienne. Ils traceront, aussi, l’avenir de l’ensemble de la région du Moyen-Orient. En Israël, les élections ne sauraient être une question purement intérieure. [http://www.miftah.org]
                                                       
Revue de presse

                                             
1. Deux écrivains égyptiens racontent une société "cernée de partout et humiliée" par Mouna Naïm
in Le Monde du dimanche 22 décembre 2002
Le Caire de notre envoyée spéciale - Ce sont deux écrivains que bon nombre de Français connaissent, certains de leurs ouvrages ayant été traduits. Etoile d'août (aux éditions Sindbad-Actes Sud), Les Années de Zeth (chez Babel), Le Comité ou encore Warda (chez Actes Sud), pour ne citer que quelques-uns de ses romans, suffiront peut-être à identifier Sonallah Ibrahim. Et ceux qui ont lu l'Epître des destinées (Seuil) ou encore La Mystérieuse Affaire de l'impasse Zaafarani, entre autres, reconnaîtront Gamal Ghitany.
Que les Etats-Unis accusent l'Irak d'avoir commis de graves omissions dans le rapport sur l'état de son désarmement n'a guère surpris Sonallah Ibrahim . Le contraire l'aurait même étonné. Pour lui, les Américains sont déterminés à aller à la guerre. "Sinon, à quoi riment ces impressionnants préparatifs militaires, ces 50 000 hommes déployés je ne sais trop où, ces avions, ces navires ? Croyez-vous qu'ils vont leur dire de rentrer ?", interroge-t-il dans un rire.
"- George - Bush n'a-t-il pas maintes fois répété que les conclusions des experts du désarmement ne l'intéressaient pas et qu'il avait tantôt des preuves et tantôt des soupçons, on ne sait plus, qui incriminent l'Irak ?..." "Le monde arabe est cerné de partout, avec toutes ces bases militaires de la Méditerranée au Yémen, en passant par Israël", un pays, dit-il, avec lequel il n'est plus possible de faire la paix.
"Hier encore, raconte Sonallah Ibrahim, je recevais trois journalistes américains. Lorsque j'ai posé la question : "Pourquoi donc voulez-vous frapper l'Irak ?", l'une d'entre eux a répondu : "Honnêtement, je l'ignore !" L'Irak pas plus que la Palestine ne les intéressaient ; ils voulaient m'interroger sur les islamistes et sur les possibilités de réformes en Egypte, et je leur ai dit : "La première réforme à faire est de nous débarrasser de vous, les Américains !" (...) Vous ne trouverez pas un seul foyer en Egypte dont les membres ne se sentent pas floués, humiliés par les Etats-Unis et Israël. Mais la police veille à empêcher toute expression de mécontentement."
Pas question que Sonallah Ibrahim soutienne Saddam Hussein. Mais qu'on ne s'y méprenne pas, dit-il, "bon nombre d'ouvriers, de paysans, de commerçants et certains hommes d'affaires ont noué des liens d'intérêts avec le pouvoir à Bagdad et exportent nos marchandises. Et, parmi les gens ordinaires, certains sont probablement fascinés par un homme -Saddam Hussein- qui se dresse seul pour défier le monde". Entre la répression israélienne en Palestine, l'affaire irakienne et le comportement des pays occidentaux, qu'il juge fourbe, "les gens ont le sentiment que le monde tout entier est contre eux et ils se demandent pourquoi ! Ils savent que ce qui est en jeu c'est le pétrole et la mainmise d'Israël sur la région, qu'éliminer Saddam Hussein et Yasser Arafat sont les deux faces d'une même médaille".
"C'est aux peuples irakien et palestinien de se débarrasser d'eux s'ils le veulent", pas aux Etats-Unis de le faire. Après avoir longtemps adhéré aux idéaux de nationalisme et d'unité arabes et s'être revendiqué marxiste, Gamal Ghitany, qui "croit toujours au socialisme", affirme n'avoir qu'un seul objectif aujourd'hui : "sauvegarder l'Egypte", dont il "souhaite" qu'elle "ne se laisse entraîner dans aucune action militaire" contre l'Irak.
Rédacteur en chef de l'hebdomadaire littéraire Akhbar Al-Adab ("Nouvelles de la littérature"), Gamal Ghitany, par ailleurs intime de Naguib Mahfouz, Prix Nobel de littérature (1998), clame son hosti- lité à une intervention américaine pour renverser quelque régime que ce soit, y compris l'irakien. Après tout, proteste-t-il, la plupart des régimes arabes sont des régimes autoritaires, et les Etats-Unis appuient depuis plus d'un demi-siècle le pire d'entre eux, l'Arabie saoudite, parangon "de l'alliance entre la puissance économique et la forme la plus dangereuse et minoritaire de l'islam, le wahhabisme".
L'évolution de l'Irak, de toute évidence, a été un vecteur important des illusions perdues de Gamal Ghitany. Un pays qui, dit-il, jusque vers le milieu des années 1970 était riche de promesses mais dont "le régime a pulvérisé le pluralisme politique et l'idée même de nationalisme arabe, et fait du parti Baas la formation d'un homme -Saddam Hussein-, d'une famille, d'un clan". Lui qui a soutenu l'Irak lors de sa guerre contre l'Iran dit avoir découvert un peu tard "que la guerre a été conduite dans l'intérêt des Etats-Unis". Que signifient pour autant, demande-t-il, ces inspections intrusives "humiliantes non seulement pour l'Irak mais pour tout Arabe" menées par les experts internationaux du désarmement, alors même que, aux "frontières de l'Egypte, Israël possède 250 têtes nucléaires" ? "J'approuverais les Etats-Unis s'ils se faisaient les promoteurs d'un plan d'élimination de toutes les armes de destruction massive de la région, dont l'armement israélien, s'ils lançaient un projet de paix réel qui traiterait la question palestinienne avec le même sérieux que le problème irakien". Et voici que les Etats-Unis prétendent, avec moins de 30 millions de dollars, apprendre la démocratie aux Arabes, ironise Gamal Ghitany. "L'histoire nous a appris qu'aucune valeur imposée de l'extérieur n'entraîne des changements positifs." Cela pourrait même avoir un effet contraire.
Le changement lui paraît inévitable. "L'opinion publique internationale est une force de pression bien plus puissante que les B-52. Une information publiée apporte une plus grande protection que la VIe flotte..."
                                       
2. Veto américain à une résolution condamnant Israël par Bernard Estrade (pour AFP)
in Le Soir (quotidien belge) du samedi 21 décembre 2002
Les Etats-Unis ont mis vendredi leur veto à un projet de résolution condamnant Israël pour les meurtres de plusieurs employés des Nations unies dans les territoires palestiniens, un texte qui avait recueilli 12 voix sur 15 au Conseil de sécurité. Le veto américain est le 76ème depuis la création des Nations unies et la plupart d'entre eux ont été mis à des projets de résolution sur le Proche Orient et condamnant Israël.
Seuls le Cameroun et la Bulgarie se sont abstenus dans le vote que la Syrie avait demandé sur ce projet de résolution condamnant Israël à la suite d'incidents survenus ces deux derniers mois au cours desquels plusieurs employés de l'Onu ont trouvé la mort. Tous les autres pays membres du Conseil de sécurité, y compris la Grande-Bretagne habituellement alignée sur les positions des Etats-Unis, ont voté, tard dans la nuit de vendredi à samedi, en faveur de ce texte présenté en début de semaine mais mis vendredi seulement à l'agenda du Conseil. Il était à la fois légitime et justifié, a déclaré après le vote l'ambassadeur de France à l'ONU Jean-Marc de la Sablière, que le Conseil de sécurité engage une nouvelle fois Israël à respecter les obligations qui sont les siennes en vertu du droit international humanitaire et particulièrement en vertu de la Quatrième Convention de Genève. La France, a-t-il souligné, regrette que le Conseil n'ait pas été en mesure de voter ce projet de résolution à l'objet limité mais essentiel.
Le représentant américain, John Negroponte, avait annoncé dès avant le vote qu'il mettrait le veto des Etats-Unis à un texte qui vise plus à condamner l'occupation israélienne qu'à assurer la sécurité du personnel des Nations unies. Il a également reproché à la Syrie d'avoir refusé de considérer une proposition alternative que la délégation américaine avait fait circuler vendredi après-midi. Seuls les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (Chine, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne et Russie) disposent du droit de veto.
Le 22 novembre dernier, le Britannique Iain Hook, 53 ans, de l'Agence des Nations unies pour l'aide aux réfugiés de Palestine (UNRWA), avait été tué dans le camp palestinien de Jenine (Cisjordanie) par un soldat israélien qui, selon la version officielle, avait confondu son téléphone portable avec une arme. Le 6 décembre dernier, deux Palestiniens, également employés de l'UNWRA, avait été tuées ainsi que 8 autres personnes lors d'un raid israélien dans la bande de Gaza. Les soldats israéliens ont aussi détruit avec des charges explosives, également dans le bande de Gaza, un entrepôt du Programme alimentaire mondial (PAM) qui contenait 537 tonnes d'aide alimentaire. Des enquêtes sur ces incidents auxquels le projet de résolution syrien faisaient directement référence, ont été ouvertes, a affirmé vendredi devant le Conseil de sécurité, Aaron Jacob, l'ambassadeur adjoint israélien. Le diplomate, affirmant que son pays veut vraiment la paix, a également critiqué le texte syrien qui est, selon lui, une tentative pour montrer du doigt Israël.
Le représentant de la Palestine, Nasser al Kidwa, a pour sa part estimé que les actes en cause constituaient clairement, selon le droit humanitaire international, des crimes de guerre. La communauté internationale doit prendre des mesures contre ceux qui les ont commis et qui doivent être présentés à la justice, a-t-il déclaré. Israël, a ajouté le diplomate palestinien, peut continuer à montrer un mépris systématique d'Israël pour le droit international car il bénéficie de la protection automatique que lui accorde un membre permanent du Conseil de sécurité.
                                                   
3. Arafat accuse Ben Laden de "se cacher derrière la cause palestinienne"
Dépêche de l'agence Associated Press du dimanche 15 décembre 2002, 23h57
JERUSALEM - Yasser Arafat accuse Oussama Ben Laden de se servir de la cause palestinienne pour justifier ses actions terroristes contre des cibles occidentales et lui demande de ne plus s'en réclamer. "Je lui dis directement de ne pas se cacher derrière la cause palestinienne", déclare le président de l'Autorité palestinienne dans une interview au journal dominical londonien "Sunday Times".
Le dirigeant palestinien reproche également au chef du réseau terroriste Al-Qaïda d'exploiter la souffrance du peuple palestinien pour récupérer de nouveaux soutiens dans le monde arabe.
"Pourquoi Ben Laden parle-t-il aujourd'hui de la Palestine? Jamais, pas une seule fois, Ben Laden n'a mis en avant ce sujet, il ne nous a jamais aidés, il travaillait dans une autre région complètement différente et contre nos intérêts", souligne Yasser Arafat dans cette interview accordée dans son quartier général de Ramallah, en Cisjordanie.
Un proche de Yasser Arafat a confirmé dimanche cette position. "L'Autorité palestinienne et les autres groupes palestiniens déclarent tous qu'ils combattent l'occupation de la terre de Palestine et nulle part ailleurs", a renchéri Ahmed Abdel Rahman, interrogé par l'Associated Press.
"Nous ne luttons pas contre le monde entier, la civilisation et les peuples. Nous ne voulons pas que notre juste cause soit utilisée comme une couverture par (le Premier ministre israélien Ariel) Sharon et son gouvernement pour poursuivre l'escalade et dire que, si les Etats-Unis combattent Al-Qaïda en Afghanistan, Israël combat Al-Qaïda en Palestine", a ajouté ce proche d'Arafat.
                                                                        
4. Jean Brétéché, représentant de la Commission européenne pour la bande de Gaza et la Cisjordanie : "M. Sharon a entre les mains l'organisation ou non des élections palestiniennes" propos recueillis par Stéphanie Le Bars et Gilles Paris
in Le Monde du mercredi 11 décembre 2002
- L'aide financière que la Commission européenne apporte à l'Autorité palestinienne ne cesse de progresser. N'avez-vous pas le sentiment de financer l'occupation militaire israélienne dans les territoires palestiniens ?
- Selon la convention de Genève, l'armée d'occupation est responsable des services minimaux rendus aux populations, éducation, santé, alimentation. On est dans ce cas d'école.
Mais, dans les territoires palestiniens, l'armée israélienne n'assume pas cette responsabilité. On peut donc effectivement se poser la question de savoir si nous ne sommes pas aujourd'hui des supplétifs de l'armée israélienne et si nous ne devrions pas présenter la facture au gouvernement israélien. En outre, il n'est pas acceptable qu'Israël nous crée des difficultés alors même que nous faisons le travail à sa place ; des humanitaires sont refoulés à l'aéroport, les camions d'aides sont bloqués...
- Concrètement, à quoi sert l'argent de la Commission européenne dans les territoires ?
- Les moyens que la Commission alloue aux Palestiniens s'élevaient à 200 millions d'euros en 2001, 252 millions en 2002 ; ils sont de 300 millions pour 2003. Ils couvrent des besoins humanitaires, médicaments, nourriture, créations d'emplois, subventionnent certains secteurs, santé, éducation et aident à la mise en œuvre des réformes. Notre assistance vise à préparer les bases du futur Etat palestinien.
Chaque mois, la Commission verse également 10 millions d'euros à l'Autorité palestinienne. Elle contribue ainsi au paiement des salaires de 120 000 fonctionnaires. L'Autorité palestinienne a besoin d'un budget mensuel de 90 millions d'euros. Or ses ressources domestiques – 15 à 20 millions, contre 40 millions avant l'Intifada –, l'aide des pays arabes – qui est passée de 55 millions il y a un an à 17 millions en novembre – et celle de la Commission ne suffisent même pas à régler les 54 millions nécessaires aux salaires des fonctionnaires.
Le déficit budgétaire est de 600 millions d'euros par an ; l'Autorité affiche aussi 400 millions de factures impayées. Dans le même temps, les Israéliens ne transfèrent rien des 700 millions d'euros qu'ils doivent aux Palestiniens. Sous la pression des Européens et des Américains, ces versements pourraient reprendre prochainement à hauteur de 25 millions par mois. Cela permettrait de revigorer l'économie palestinienne alors que 66 % des habitants de Cisjordanie et de la bande de Gaza vivent sous le seuil de pauvreté et que l'Europe assiste plus de 50 % de la population.
Un salaire de fonctionnaire fait vivre 18 personnes aujourd'hui, au lieu de 9 il y a seulement trois mois. Le produit intérieur brut (PIB) palestinien a été divisé par deux depuis 1999.
- La Commission européenne devait aussi financer l'organisation des élections prévues en janvier dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Qu'en est-il ?
- Nous avons mis de côté 10 millions d'euros pour permettre le recensement des électeurs, la création des bureaux de vote, le financement des campagnes, la venue d'observateurs. Mais nous avons dit à Yasser Arafat -le chef de l'Autorité palestinienne- qu'il nous fallait quatre à cinq mois pour préparer des élections transparentes et irréfutables.
Dans ces conditions, il est clair que les élections ne se tiendront pas en janvier, mais ce n'est pas à nous de le décider. C'est au comité électoral qui a été désigné de dire quand les conditions lui paraîtront propices. Or il n'est pas possible d'organiser des élections sous occupation israélienne et sous couvre-feu. Nous devons obtenir d'Israël que les gens puissent se déplacer et que l'armée ouvre les villes. C'est donc Ariel Sharon -le premier ministre israélien- qui a entre les mains l'organisation ou non des élections palestiniennes. Mais ce serait incongru que ceux-là mêmes qui ont demandé à ce qu'elles aient lieu – Américains, Européens et Israéliens – disent maintenant aux Palestiniens "vous ne pouvez pas les organiser dans les conditions actuelles".
- Quelle est l'ampleur des réformes que la Commission européenne contribue à mettre en œuvre dans les territoires ?
Depuis deux ans, malgré la situation – les sièges des villes, les bouclages –, nous avons mené à bien des réformes, notamment celle du ministère des finances. Les efforts sont assez exemplaires. En ce qui concerne les fonds versés aux forces de sécurité par exemple, la transparence est désormais totale.
Nous travaillons aussi sur l'indépendance entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Il s'agit de rendre le système judiciaire acceptable car la population palestinienne n'a pas confiance en sa justice.
- Périodiquement, les Israéliens affirment que les aides accordées à l'Autorité palestinienne financent des activités terroristes. Avez-vous les moyens de contrôler la destination des fonds que vous versez ?
On a demandé au Fonds monétaire international de procéder à un contrôle sur les 10 millions d'euros mensuels que nous versons à l'Autorité palestinienne. Nous réalisons également des audits sur chaque action engagée. Pour l'instant, nous n'avons aucun début de preuve que l'argent européen est utilisé à d'autres fins que ce pour quoi il est prévu.
                                                                                            
5. Mer jette un froid
in Le Figaro du vendredi 15 novembre 2002
Le ministre de l'Économie, Francis Mer, a jeté un froid en Conseil des ministres, mercredi, en relatant son entretien avec le directeur de la Deutsch Bank : « Il affirme que la seule solution pour relancer l'économie, c'est la guerre. Je pense exactement comme lui. »
                                       
6. Entretien avec Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France propos recueillis par Monique Etienne
in Clara Magazine (bimensuel) N°74 - Novembre 2002 
Pour Clara Magazine, Leïla Shahid, Déléguée générale de Palestine en France, éclaire les rapports de force qui se jouent sur l'échiquier international. Face à la vision des Etats-Unis, l'Europe et les citoyens ont une carte à jouer pour la construction de la paix dans le monde.
- Comment voyez-vous l'évolution du monde depuis le 11 septembre 2001 et dans le contexte des menaces de guerre contre l'Irak ?
- Personnellement je ne pense pas que le 11 septembre ait changé les rapports stratégiques et politiques dans le monde. C'est la chute du mur de Berlin et la disparition du monde bipolaire de Yalta qui ont transformé les relations géo-stratégiques, économiques, commerciales et culturelles. Les Etats-Unis sont devenus la seule force hégémonique du monde, avec une capacité militaire, financière et technologique qui leur permet une politique unilatérale dans tous les domaines. C'est ainsi qu'ils peuvent refuser de signer l'accord de Kyoto sur l'environnement, la convention pour le Tribunal Pénal International ou les accords de I'Organisation Mondiale du Commerce.
La tragédie du 11 septembre est la conséquence de la politique stupide et irresponsable que les Etats-Unis et leurs alliés ont menée en Afghanistan contre l'Union Soviétique lorsqu'ils ont entraîné, financé et armé les mouvements islamistes fondamentalistes contre le régime communiste de Kaboul. Après la chute de celui-ci et la guerre civile en Afghanistan, les Talibans, soutenus par le Pakistan pro-américain, ont pris le pouvoir et ont accueilli le mouvement d'Oussama Ben Laden, lui-même ex-agent des Américains. C'est un cas classique de retournement spectaculaire d'alliances contre-nature. Le tragique dans ce cas particulier, c'est que ce sont les civils américains qui en ont payé le prix, dans une action terroriste qui glace le dos par son désir de traumatiser, de terroriser et de faire mal à une société entière qui jusqu'alors était protégée des guerres du XXème siècle. Ce choc a donné au président Bush et à son administration, la légitimité nécessaire pour lancer de nouvelles guerres, en premier lieu contre l'Afghanistan, mais aussi contre l'Irak et Dieu seul sait contre qui d'autre, demain ? Cette nouvelle stratégie américaine est appelée "guerre préventive" de lutte contre le terrorisme. Personnellement, je crois qu'elle contribue à l'alimenter et non à le combattre parce qu'elle neutralise totalement le travail de consensus politique multilatéral du Conseil de Sécurité et qu'elle sanctionne des populations civiles qui payent la facture de gouvernements qu'ils n'ont pas élus et qu'ils ne soutiennent pas.
- Pensez-vous que l'Europe partage cette vision stratégique ?
- Tout dépend comment on définit l'Europe. La Grande-Bretagne n'a pas l'habitude de remettre en cause les choix de politique étrangère américaine et donc, Tony Blair s'est distingué dans son soutien à la guerre contre l'Irak. L'Allemagne a entrepris une révolution copernicienne depuis que Gérard Schröder a osé remettre en cause son soutien à la politique américaine. Dans ces deux cas, les opinions publiques ont joué un rôle très important. En Grande-Bretagne pour s'opposer à la politique du gouvernement de Tony Blair, en Allemagne, pour soutenir le chancelier et le ré-élire pour un nouveau mandat. En France, il y a une tradition de plus grande autonomie dans la vision politique internationale.
Nous sommes à un moment charnière de l'histoire du monde, où les axes qui doivent définir le nouvel ordre mondial, économique, politique, technologique et militaire se mettent en place. L'Europe doit faire des choix propres, de stratégie militaire ou pacifique, de respect du droit international ou du rapport de force, de renforcement ou pas des institutions multilatérales qui protègent le monde que ce soit pour l'environnement (couche d'ozone), la santé (SIDA) ou la sécurité (Barcelone). En 1995, l'Union Européenne a lancé à Barcelone, le partenariat euro-méditerranéen, basé sur une vision des relations politiques, économiques et culturelles avec les partenaires du Sud. Le partenariat avait l'ambition d'un projet de société pour l'avenir des communautés méditerranéennes. Ce projet, il faut le construire ensemble, non sur des idées morales comme la division du monde en axe du mal et du bien ou des concepts de "clash de civilisations" mais, sur le principe d'un monde de droit et d'interdépendance dans lequel nous devons vivre dans le respect des droits de chaque peuple, de chaque identité culturelle et dans le respect de l'autre et de sa différence. Ce n'est malheureusement pas la vision du Président Bush. Il est temps que les Européens explicitent leur propre vision du monde. Je crois à ce sujet que les citoyens européens, les mouvements sociaux sont en avance, au plan de la réflexion et de l'action, sur leurs partis politiques et leurs institutions gouvernementales.
- Quelle est la situation en Palestine aujourd'hui, à la lumière de ce contexte international ?
- Absolument tragique. Au delà de ce qui peut être exprimé en paroles. Avant tout parce que Sharon a détruit tout ce que les hommes de paix israéliens ou palestiniens, juifs ou arabes, avaient construit depuis Oslo. Mais Bush en donnant à Sharon la légitimité de ce qu'il a appelé "la guerre contre le terrorisme" a permis la destruction systématique des institutions nationales palestiniennes qui devaient permettre la constitution d'un état palestinien. Aujourd'hui, toute l'infrastructure économique est détruite. Le chômage atteint 80% de la population active, principalement à cause du couvre-feu et du bouclage des populations civiles à l'intérieur de leurs villes et villages. Deux tiers de la population vit sous le seuil de la pauvreté, c'est-à-dire avec moins de deux dollars par jour. 50% des enfants souffrent de malnutrition et tous les revenus de l'Autorité palestinienne qui viennent de l'impôt de la TVA sont retenus par Israël. Mais le plus inquiétant, c'est la perspective d'une guerre contre l'Irak qui permettrait à Sharon de finir son travail de destruction de l'Autorité palestinienne pour que tout espoir d'un état en Palestine soit anéanti à jamais.
- Et la solidarité internationale ?
- Sur le plan gouvernemental, le soutien américain à Sharon a malheureusement, paralysé la diplomatie européenne. Depuis plus de deux ans, l'Union Européenne demande l'envoi d'observateurs internationaux pour surveiller l'application de tous les accords, d'Oslo à Charm el-Cheikh. Mais rien n'est mis en œuvre parce que Sharon refuse ce principe et l'Union Européenne n'utilise aucune de ses prérogatives, inscrites dans les traités d'association économique avec Israël, pour exiger le respect des résolutions européennes. La diplomatie européenne est pratiquement paralysée depuis le 11 septembre. Ce n'est pas le cas des opinions publiques en Europe qui sentent la gravité du moment historique et la nécessité de se démarquer des options militaires américaines et israéliennes par une stratégie politique européenne basée sur le droit international et la justice. Ce qui est nouveau dans le mouvement de solidarité, c'est son orientation très citoyenne, au-delà des clivages idéologiques et partisans, son alliance réelle avec les mouvements sociaux en France mais aussi dans le monde entier. Ce mouvement citoyen a décidé de se rendre sur place, en Palestine et en Israël, pour défendre la cause de la justice et de la paix et de ne pas se contenter de le faire à partir d'ici. C'est très important pour soutenir le moral et la foi des Palestiniens et des Israéliens qui continuent avec beaucoup de courage à croire à la coexistence.
Une chose est sûre, la centralité du conflit israélo-palestinien pour la construction de la paix dans le monde devient de plus en plus évidente, même si aux Etats-Unis le discours sur les guerres de religions et de civilisations bat son plein. En Europe, je crois que la réflexion et l'analyse sont fondamentalement justes. Ce qui manque, c'est le courage politique et la détermination à les traduire en actions politiques, en initiative diplomatique qui assure le droit, la justice, la sécurité pour tous.
- Et les femmes palestiniennes dans ce contexte ?
- Les femmes palestiniennes, je dirais même, les femmes arabes en général sont, dans les sociétés civiles méditerranéennes, l'élément le plus dynamique, le plus engagé dans l'action politique. Elles n'ont rien à perdre parce que ce sont elles qui payent en premier la facture de la guerre, de l'absence de démocratie et de l'échec des forces politiques laïques et progressistes. De l'Algérie à l'Afghanistan, en passant par la Palestine, elles réalisent que c'est le soutien américain aux mouvements islamistes qui les ont affaiblies. Alors, aujourd'hui, elles développent leur propre vision de la modernité dans laquelle elles veulent s'inscrire qui s'enracine dans leur culture propre et non dans un mimétisme aveugle avec la culture américaine ; une modernité qui leur assure un statut de citoyenne égal aux hommes où elles peuvent s'épanouir, travailler, créer et contribuer à une société laïque, démocratique, égalitaire, à même de relever le défi du XXIe siècle.