Point d'information Palestine N° 209 du 13/12/2002
Newsletter privée réalisée par l'AMFP - BP 33 - 13191 Marseille Cedex 20 - FRANCE
Phone + Fax : +33 491 089 017 - E-mail :
amfpmarseille@wanadoo.fr
L'AMFP Marseille est une section de l'Association France-Palestine Solidarité
Pierre-Alexandre Orsoni (Président) - Daniel Garnier (Secrétaire) - Daniel Amphoux (Trésorier)
Association loi 1901 - Membre de la Plateforme des ONG françaises pour la Palestine
Rédaction : Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier
 
 
Si vous ne souhaitez plus recevoir nos Points d'information Palestine, ou nous indiquer de nouveaux destinataires, merci de nous adresser un e-mail à l'adresse suivante : amfpmarseille@wanadoo.fr. Ce point d'information est envoyé directement à un réseau privé de 6429 destinataires et n'est adossé à aucun site internet. Les propos publiés dans cette lettre d'information n'engagent que la responsabilité de leurs auteurs.
Consultez régulièrement les sites francophones de référence :
http://www.solidarite-palestine.org - http://www.paix-en-palestine.org - http://www.france-palestine.org
http://www.protection-palestine.org - http://www.paixjusteauprocheorient.com - http://www.palestinet.org
http://acrimed.samizdat.net - http://www.presse-palestine.org
                               
IMPORTANT - Cher(e)s Ami(e)s, comme vous l'avez constaté, depuis 21 jours vous ne recevez plus de Point d'information Palestine. Nous avons encore été l'objet d'une attaque informatique qui cette fois-ci a bien faillit nous être fatale. Durant cette période, nous avons douté, nous avons traversé des moments difficiles, à ce demander si cette acharnement à vouloir nous faire taire ne viendrait pas à bout de notre engagement, car en 38 mois d'existence le Point d'information Palestine a déjà fait l'objet de plusieurs attaques informatiques importantes. Cette dernière a été particulièrement violente et notre société de sécurité informatique l'a qualifié de "ciblée" (ça ne vous rappelle rien…), "délibérée", "déterminée", "aboutie" et "particulièrement étudiée" (!). Et puis, il y a eu ces 184 messages que vous nous avez adressé au cours de ces seuls douze derniers jours… des messages de soutien, d'inquiétude, d'encouragement, qui nous sont allés droit au cœur, et nous on redonné l'énergie pour repartir avec encore plus de détermination. Cette attaque avait pour objectif de nous réduire au silence, et si elle nous a coûté très chère (dans tous les sens du mot), elle aura eu l'effet inverse ! Nous vous remercions encore de votre fidélité. - La rédaction du Point d'information Palestine -
                                           
[ATTENTION - De nombreux virus circulent actuellement via le courrier électronique. Il est très facile pour un pirate de se faire passer pour un de vos correspondants en vous envoyant des messages en son nom. Pour information, deux règles (pour ce qui nous concerne) : nous n'envoyons jamais de messages en anglais, ni de pièces jointes (document attaché) dans nos emails. Soyez donc vigilant !]
                                       
Au sommaire
                              
Témoignages
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
1. Longue vie aux Palestiniens ! par Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
2. Qu'est ce qu'on attend pour faire la fête... par David Torrez, citoyen de Gaza en Palestine
3. Un exercice "à faire pour demain par Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
                                               
Dernières parutions
1. Palestine - Les déchirures de Valérie Féron aux Editions Le Félin (collection poche) [nouvelle édition]
2. Michel Sabbah - Paix sur Jérusalem de Yves Teyssier d'Orfeuil aux éditions Desclée de Brouwer [Prix Palestine - Mahmoud Hamchari 2002]
                           
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG. Ils sont libres de droits, sauf mention particulière.
1. La Ville de la Lune par Israël Shamir le 22 novembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. Vrais mensonges à propos de l’aide américaine à Israël par Richard H. Curtiss - Extraits de l’ouvrage "True Lies About U.S. Aid to Israel" (pp. 43-45, XII - 1997) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                                      
Revue de presse
1. Les alliances douteuses des inconditionnels d’Israël - Au nom du combat contre l’antisémitisme par Dominique Vidal in Le Monde Diplomatique du mois de décembre 2002
2. Un plan pour déstabiliser les Saoud par Jean-Pierre Perrin in Libération du jeudi 5 décembre 2002
3. Moshé Ya'alon, un chef d'état-major en campagne par Pierre Prier in Le Figaro du mercredi 4 décembre 2002
4. Bethléem s'apprête à fêter Noël sous couvre-feu par Valérie Féron in 24 heures (quotidien suisse) du mardi 3 décembre 2002
5. Mombasa : la double instrumentalisation par Richard Labévière éditorial diffusé sur l'antenne de Radio France Internationale (RFI) le lundi 2 décembre 2002
6. Arik est tombé dans le piège : tête baissée, nous l’y suivons… par Robert Fisk in The Independent (quotidien britannique) du dimanche 1er décembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
7. Le jeu de la terreur par Valentino Parlato in Il Manifesto (quotidien italien) du vendredi 29 novembre 2002 [traduit de l'italien par Marcel Charbonnier]
8. Le rêve brisé des pionniers de la Palestine par William Dalrymple in The Guardian (quotidien britannique) traduit dans le Courrier International du jeudi 28 novembre 2002
9. Les hommes politiques israéliens ‘ciblent’ les minorités par  Jonathan Cook in The International Herald Tribune (quotidien international publié à Paris) du mercredi 27 novembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
10. Une source française : Israël brouille l’origine de ses produits d’exportation par David Lipkin in Maariv (quotidien israélien) du lundi 25 novembre 2002 [traduit de l'hébreu par le service de presse de l'ambassade de France en Israël]
11. La ligne de Bush est claire : la guerre par Sami Naïr in Libération du lundi 25 novembre 2002
12. Une bavure de Tsahal fâche Londres par Alexandra Schwartzbrod in Libération du lundi 25 novembre 2002
13. Antisémitisme croissant en Israël par Sergey Borisov in la Pravda (quotidien russe) du dimanche 24 novembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
14. La peur au ventre par Valérie Féron in 24 heures (quotidien suisse) du jeudi 21 novembre 2002
15. Nous sommes des Palestiniens de 1948 par Randa Achmawi in Al Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mecredi 20 novembre 2002
16. La grande peur des Palestiniens de 1948 par Mohamed Moustapha in Al Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mecredi 20 novembre 2002
17. Les heures de gloire de la civilisation musulmane par Mouna Naïm in Le Monde du mercredi 20 novembre 2002
18. Le reporter britannique Robert Fisk pourfend les médias par Jooneed Khan La Presse (quotidien québécois) du mardi 19 novembre 2002
19. Des compagnies occidentales accusées d'avoir participé au régime d'apartheid sur le site du quotidien Le Monde le 12 novembre 2002
20. Israël/Palestine : Comment terminer la guerre de 1948 entretien avec Tanya Reinhart réalisé par ZNet* le vendredi 8 novembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
21. La Nakba de 1948 et l’aspiration sioniste à la parachever par Ilan Pappe in Between the Lines (mensuel palestinien publié à Jérusalem) du mois d'octobre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
22. Contradiction, collusion et controverse par Edward Mortimer in The Times (quotidien britannique) du samedi 11 février 1984 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                   
Témoignages

                                          
1. Longue vie aux Palestiniens ! par Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
Ramallah, le mercredi 27 novembre 2002 - J'étais de surveillance dans la cour de l'école ce matin. Une gamine de la classe de 4eme (équivalent de notre CM1) vient me voir :
- Miss ! Je suis désolée pour l'interro j'étais absente !
La grippe a déferlé en Palestine. Alors, je lui réponds, en toute logique:
- Tu étais malade ?
- Non. Lundi, il y avait couvre-feu là où j'habite (un village près de Ramallah). Je ne pouvais pas venir. Et puis mardi, il n'y avait plus couvre-feu, mais les soldats étaient là quand même et même ils sont venus  chez nous et ils ont fouillé et ils ont pris mon père et mes frères. Dis, Miss, pour l'interro, comment je fais ?
Mardi 26 novembre - Coup de téléphone à mes potes de Deheishe (camp de réfugiés de Bethléem). Depuis vendredi dernier, ils sont sous couvre-feu total. Impossible de sortir. pas une seule "levée" de ce putain de couvre-feu depuis vendredi matin. Depuis lundi, les soldats se concentrent sur Deheishe. Ce mardi, environ 40 arrestations dans le camp. J'ai S. au bout du fil :
- Salut ! Tu sais, ils en ont arrêtés beaucoup aujourd'hui ! Ils ont pris J. et ses frères ! (J. est un de mes grands copains)
- Merde ! j'ai essayé de le joindre, mais son portable ne répondait pas...
- Ils l'ont relâché il y a  une heure environ. Il est près de moi. Je te le passe.
- Salut J. ! Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Ils sont venus chez nous à 3 heures du matin, ils m'ont arrêté avec mes deux frères , tu sais K et D. Ils nous ont emmenés à X (prison israélienne).
- Encore ! Ben décidément, tu y vas souvent là-bas, toi !!"
Un petit rire triste... Oui, il y va souvent, ces derniers temps. En avril
dernier, il y a passé 9 jours. J'ai des photos de lui, les mains attachées,
les yeux bandés. Autour de lui, des soldats armés...
Avec ses deux frères...  En avril dernier, l'un de ses frères était dans l'église de la Nativité. 40 jours. Enfermé. A bouffer les feuilles du citronnier. Un terroriste, me direz-vous... A vos yeux peut-être. Aux miens... C'est un beau jeune homme qui vénère le Che et... c'est un comique ! Je connais assez bien la famille, où j'ai souvent bu du thé brûlant. Et l'on m'a montré la K7 vidéo du mariage du frère aîné : le frère "terroriste" s'était déguisé en vieille femme palestinienne, rebondie de partout, portant la taub [robe palestinienne traditionnelle, ndlr], et qui danse de façon provocante au milieu des hommes... En voyant la K7, j'ai éclaté de rire, ce qui a fait rougir ce beau jeune homme de 25 ans...
J. a été pris à 3 heures du matin et relâché vers 18 heures. Il n'a pas envie de parler. Pas au téléphone... 
Samedi 23 novembre - J'ai la grippe. Une extinction de voix. Faut soigner le mal, alors direction Ramallah centre, chez une amie française. Avec une pizza, et surtout quelques bouteilles, on devrait venir à bout des microbes... Vers 22 heures, un de mes amis, et voisin, m'appelle :
- Je rentre à Betounia. Si tu veux, je te ramène.
- Merci, mais on n'a pas fini de manger. Rentre, toi. Je prendrai un taxi.
- Ok ! Bonne nuit.
Dix minutes plus tard, il me rappelle :
- Rentre vite ! Il y a un check entre Ramallah et Betounia ! (je vous rappelle que Betounia est un village qui jouxte Ramallah, un peu comme St Denis pour Paris quoi)
- Quoi ?
- Oui, un check ! Des jeeps et des transports de troupes ! Au niveau de l'hôpital ! Ils nous ont arrêtés, mais grâce à Dieu, ils n'ont pas vérifié nos papiers ! (Mon ami a eu pas mal de démêlés avec les Israéliens. Il a 25 ans, et vient de passer 2 ans en prison. C'était son troisième séjour là-bas. A son premier séjour, il avait...10 ans.)
- Ok, je rentre !
Je prends un taxi, on file. On tombe sur le barrage. Ils ne nous arrêtent pas. Des jeeps. Le chauffeur prend sa CB :
- Dis aux shebabs de faire attention ! Un barrage pour Betounia !
Quoi ?... Il y en a un autre à Sémiramis ? Bon sang, mais qu'est-ce qu'ils veulent ?
Vendredi 22 novembre - C'est vendredi, jour de prière pour les musulmans. C'est le bazar au check de Qalandia. Seuls les plus de 45 ans sont là. Ce sont, ordinairement, les seuls à être autorisés à aller prier. Mais ce vendredi-là, ils se font refouler. Un blanc-bec en kaki et fusil mitrailleur trop grand pour lui
brandit, pas fier, un carton avec une inscription en arabe : "Aujourd'hui, seuls sont autorisés à entrer à Jérusalem les femmes de plus de 70 ans et les hommes de plus de... 80 ans" ! Croyez-le si vous voulez, quand le blanc bec boutonneux est arrivé avec son panneau, les Palestiniens ont ri...
L'espérance de vie en Cisjordanie est de 73 ans... Longue vie aux Palestiniens !
En bref, c'est toujours la même chose ici. Une date, une dernière : lundi 25 novembre. Ce jour-là c'était le premier anniversaire de la mort de Kifah. [Nathalie Lailliet avait écrit un témoignage bouleversant paru dans le Point d'information Palestine N° 179 du 3 décembre 2001, nous pouvons le renvoyer à ceux qui nous le demanderons par e-mail : amfpmarseille@wanadoo.fr]
                                       
2. Qu'est ce qu'on attend pour faire la fête... par David Torrez, citoyen de Gaza en Palestine
Gaza, le samedi 23 novembre 2002 - Il est 15 heures. Une tension jusque là enfouie sous la fatigue soulève presque insensiblement le sable de la rue. Les écoles ferment, les enfants sont dans la rue ou bien déjà à la maison. La chaleur du soleil se fait moins forte, on commence à sentir la fraîcheur marine de la brise, il faut faire vite. Le marché du camp de Shatti grouille de monde. Toutes les boutiques de la nouvelle halle ne sont pas encore occupées de ce côté-ci de la rue, il reste beaucoup de place entre les marchands de fruits et légumes en haut et les deux bouchers en bas. De l'autre côté c'est la cohue : on se presse pour trouver son poisson, sa viande, les fruits ou les légumes qui finiront en soupes, grillades, fritures. Les étals débordent sur la rue jusqu'au vieux marché en contrebas, après le carrefour. Des hommes, des femmes, des enfants, on avance tous, les uns derrière les autres, faisant attention où l'on met les pieds pour ne pas marcher dans la boue ou l'eau sale qui coule au milieu de la chaussée. Wa'el veut acheter des pommes, on traverse la rue pour marcher au soleil, on descend jusqu'au carrefour, à droite un âne, un étal sur sa charrette, une montagne de pommes vertes. Wa'el demande le prix du kilo, il fait la moue, avise un autre tas de pommes devant sur la gauche, c'est le bon. En plein centre du marché on ne peut faire autrement que d'avoir les pieds dans la boue, il n'y a pas d'égouts, tout reste en surface, il vaut mieux regarder le ciel. De temps en temps une voiture passe entre les pommes, la menthe, les tomates, les dattes, après tout on est en plein milieu du carrefour ! L'animation est la même dans les marchés de Gaza, des vendeurs de tous âges rendent la monnaie aux clients pressés, le temps passe vite, il faudrait déjà être à la maison. Dans les rues du camp et de la ville les marchands de qatayef versent la pâte sur la plaque métallique brûlante, les disques liquides se figent, se bombent, prenant une teinte dorée sous les yeux des passants. Vites décollés de la plaque, d'un geste mécanique, une main d'enfant les jettera sur une feuille de journal, dans la balance, un kilo, non deux, il y en aura aussi pour demain. Une fois rentrés, il faudra les fourrer avec de la crème, un mélange de noix ou des dattes, avant de les plier en deux pour les faire frire. La rue principale est complètement bloquée, de temps en temps on peut voir un coup de volant brusque, une accélération brutale, un coup de frein. Dans les grandes artères de la ville il y a parfois un accrochage, suivit d'un attroupement vite dispersé : il faut rentrer.
Il est bientôt 16 heures 30, les poivrons, oignons et pommes de terre retrouvent le fond du magasin, on va fermer les portes, on range les cageots, les retardataires portent nerveusement des sacs plastiques trop lourds, on devine les tomates, les aubergines, des choux-fleurs. tous se hâtent, il faut rentrer. Le ciel est clair, l'air limpide, le soleil presque froid semble vouloir chuchoter quelque chose à la mer qui lui tend les bras, les enfants jouent dans la rue, une jeune femme couverte de noir s'éloigne, le bruit des voitures se fait plus lointain. Deux étudiants rentrent, les cahiers sous le bras, le barbier retire les serviettes qui séchaient dans la rue. Les oiseaux se retrouvent sur le toit en terrasse de la maison d'en face, derrière le minaret le soleil embrasse le giron flamboyant de la mer. Soudain les rues se vident, les moineaux chantent doucement au loin, l'or embrase l'azur qui l'absorbe, le vent tombe. Minuit vingt, je viens de m'endormir, le téléphone sonne, me tire brutalement de mon premier sommeil. Je mets la main dessus, et de sa voix familière elle m'annonce la nouvelle : "Les chars viennent encore de rentrer dans ma rue, ils sont à Gaza, une trentaine, comme la dernière fois." J'avais bien entendu en fin de soirée, alors que nous terminions notre deuxième partie de Trixx, des tirs, sourds et deux ou trois passages d'avions. Alors ils remettent ça, comme avant-hier. Les tirs sont maintenant tes nets, sourds, forts, répétés, c'est de la mitrailleuse lourde et on entend les hélicoptères que la nuit dissimule. Ils sont à moins de deux kilomètres, mais la nuit la mer silencieuse porte les messages, et le bruit des balles vient ricocher sur mes murs. Deux heures plus tard, tandis que les soldats préparent le viol de la grande ville, le sommeil vient me surprendre, et dans mon rêve les balles israéliennes ricochent, les chars envahissent Gaza, nous fuyons sans but, des rafles, la peur, la révolte.
Quels monstres peuplent les nuits des enfants de Shatti ?
                                                  
3. Un exercice "à faire pour demain par Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
Ramallah, le lundi 18 novembre 2002 - Vous avez sans doute entendu parler de Naplouse, où 150 tanks et quelques  3000 soldats sont stationnés depuis 15 jours, d'Hébron et son flot de sang, et aujourd'hui de Gaza, où l'armée de "défense" (gloups) d'Israël a cassé quelques maisons... Ca, c'est si vous suivez régulièrement l'actu, en gros un peu la radio le  matin et le 20 heures. Si vous êtes un peu plus curieux (d'aucuns diront "fouille-merde"), vous avez sans doute lu les dépêches d'agences parlant d'une quinzaine de palestiniens arrêtés un peu partout en Cisjordanie, et de plusieurs maisons rasées dans le camp de réfugiés de Balata.
Mais alors, ma réalité d'aujourd'hui, j'ai bien lu les dépêches et écouté scrupuleusement TV5, personne n'en a parlé, de la situation à Ramallah aujourd'hui. Alors, au risque de vous lasser, je raconte.
Hier soir tard, coup de fil de copains palestiniens et même français :
- Fais gaffe demain matin, il y a des rumeurs qui disent qu'ils vont rentrer ! (Ah bon, ils sont sortis ?) Attention quand tu vas au boulot !
Hé oui, figurez-vous que je me lève tôt pour aller bosser (6h30)... Donc, ce matin je me lève, je prends une douche, l'oreille aux aguets : Y a-t-il des voitures ou non dans la rue ? Y a-t-il couvre feu ou pas ? Bon apparemment ça circule, donc direction l'école et son lot de copies à corriger... J'arrive là-bas, déjà fatiguée (j'ai la grippe...). Oh là là, mais c'est le branle-bas de combat ! Qu'est-ce qui se passe ici ?
- Ben t'es pas au courant ?
- Ben non...
- Il y a couvre-feu à Tireh ! (quartier de Ramallah). Il y a 4 professeurs qui sont là-bas et qui ne peuvent pas venir ; il manque plein d'élèves. On change le planning pour combler les trous laissés par les profs absents...
Tireh, c'est en gros à 1km de l'école... Les tanks sont là-bas. J'ai cours avec les quatrièmes, pas trop décimés eux : ils ne manquent que deux soeurs. Au bout d'une demie heure de cours, elles arrivent. Elles ne portent pas l'uniforme réglementaire.
- Illamdoulillah a sallame ! Comment vous êtes venues ?
- En ambulance.
Ha ben oui, après tout, à défaut de bus scolaire...
 J'enchaîne avec les neuvième : il en manque la moitié. Du coup, mon cours sur les pronoms COD tombe à l'eau... Allez, Nath, ressaisis toi et trouve un cours intéressant à faire dans les 5 minutes ! (Je vous rappelle que j'ai la grippe...)
Pause....Les gamins sont dans la cour, et nous pendus au téléphone avec nos collègues pour avoir des news : apparemment, ils fouillent toutes les maisons. Ils squattent plusieurs appartements. Difficile d'en savoir plus...
On parle, on parle. Chacun raconte ses astuces pour éviter les "désagréments" d'une visite des glorieux soldats d'Israël. Du coup, j'apprends comment cacher à coup sûr, mes bijoux et mon argent... et ne croyez pas que je vais vous révéler nos secrets, hein ! "Grandes Oreilles" est à l'écoute... Allez, cherchez où vous pourriez les cacher dans un appartement, et on verra si vous êtes aussi ingénieux que mes collègues... J'attends vos suggestions !
Les cours continuent. Mes élèves de huitième éclatent de rire quand je leur donne un exercice "à faire pour demain" :
- Et si on est sous couvre-feu, on ne viendra pas, alors....
Allez, il est 14 heures, j'ai fini, je rentre ! Voilà donc  ce qui se passe ici et que personne ne vous dit...
 Autre petit détail qui date d'hier à savoir dimanche : Il fait chaud, le soleil brille. Du coup j'en profite pour faire sécher une lessive. J'étends tranquillement la lessive sur le balcon qui donne sur une ruelle. D'habitude les gosses du voisins y jouent. Là c'est calme. Un beau dimanche quoi... Un bruit de voiture... Tiens c'est rare ici. Machinalement, je me retourne, et je reste plantée là, une culotte dans une main, une chaussette dans l'autre : des jeeps de l'armée de "défense" (re-gloups) qui patrouillent...
Au début de l'Intifada, une femme est morte alors qu'elle étendait sa lessive. Une balle dans la tête. J'ai une pensée pour elle. Elle a été tuée sur son balcon... à Hébron.
                                                           
Dernières parutions

                                                    
1. Palestine - Les déchirures de Valérie Féron
aux Editions Le Félin (collection poche) [nouvelle édition]
[ISBN : 2866454650 - 9,00 euros / 59,04 francs - 288 pages]
Ce livre, dont la première édition remonte à février 2001, permet de comprendre les événements actuels en Palestine et en Israël. Résultat d'une longue enquête, il tient compte des développements récents de la question palestinienne. Cet ouvrage est fondé sur de nombreux entretiens et reportages que l'auteur, journaliste, a effectués principalement à Nazareth, à Bethléem et à Gaza auprès de la population et particulièrement de la jeunesse palestinienne. Celle-ci exprime ses espoirs, sa révolte et parfois son désarroi. Une histoire en direct et une mise en perspective de l'histoire des cinquante dernières années. A l'occasion de sa sortie en format poche, une postface actualise l'ouvrage dont le fond n'a pas, hélas, pris une ride. 
- Extraits de la postface dans la nouvelle édition (octobre 2002) :
« C’est pire que la Nakba » entend-on souvent en cette année 2002 en Cisjordanie et dans la bande de Gaza en référence à la « catastrophe » de 1948 lorsque les deux tiers du peuple palestinien ont été chassés de la plus grande partie de sa patrie historique démantelée, sur laquelle l’Etat d’Israël a été crée. Un sentiment qui semble faire lugubrement écho aux propos de Ariel Sharon élu Premier Ministre en février 2001 « la guerre d’indépendance n’est pas finie. 1948 n’était qu’un épisode ». Jamais peut être la politique de conquête de la terre et d’éviction du peuple palestinien n’a été aussi clairement affichée que pendant cette « Intifada al Aqsa », visant à créer une  « autre réalité » (chapitre "l'identité palestinienne, p.260), dont la terre tant revendiquée reste la première des victimes.
Comme par le passé, la propagande israélienne est active : un discours pour la Communauté Internationale à laquelle on assure ne vouloir qu’éradiquer « le terrorisme » palestinien,  puis un discours pour les Israéliens auxquelles on présente des plans successifs de démonstrations de force de l’arsenal militaire ultra-sophistiqué de Tsahal comme « le seul langage que les Palestiniens comprennent » et  ensuite un discours pour les Palestiniens : leur anéantissement politique social et moral. Et c’est bien ce dernier  message qui s'affiche pour  quiconque vit sur place en ces années 2001/2002, parfaitement résumé par  les généraux de l’armée israélienne dans leur appel à refuser de servir dans les territoires palestiniens :
«  Nous qui avons été en service de réserve dans tous les territoires et qui avons reçu des ordres et des instructions qui n'ont rien à voir avec la sécurité de l'Etat, mais dont le seul objectif est la domination du peuple palestinien(…) Nous déclarons que nous ne continuerons pas à combattre dans cette guerre pour les  colonies, que nous ne continuerons pas à combattre  au-delà de la ligne verte pour dominer, expulser, affamer et humilier tout un peuple » (Haaretz, 24 janvier 02). […] Certains clichés qui continuent d’être véhiculés sur le conflit semblent n’être qu’une sempiternelle répétition de la déclaration de Lord Balfour cité en début de cet ouvrage annonçant clairement le parti pris occidental pour le sionisme1 (p.13). On ne se gêne par ailleurs pas en Israël pour discuter ouvertement à nouveau du « transfert les Palestiniens » hors du Jourdain, en bref d’une nouvelle déportation. […] Dans le même temps la Communauté Internationale exigera de l’Autorité Palestinienne qu’elle empêche les attaques contre les colons et les attentats sur le territoire israélien, exigeant  ainsi de l’occupé qu’il garantisse la sécurité de l’occupant.
[…]Sur le plan intérieur, Ariel Sharon a mis les institutions au service de sa politique de répression, alors que l’opposition est minoritaire et a du mal à se faire entendre. […] Au sein même de la société, le million de Palestiniens citoyens d’Israël reste perçu comme une cinquième colonne, et les pressions se font de plus en plus fortes sur les députés arabes de la Knesset. […] Mais si l’Histoire semble se répéter la situation n’a rien de comparable avec celle de 1948 : d’abord parce que les Palestiniens ont accédé à une légitimité internationale indéniable. Ensuite parce qu'il y a une évolution des sociétés dans le cadre notamment des mouvements antimondialisation et des médias occidentaux, notamment européens, qui  fait réagir de plus en plus,  à défaut des gouvernants, les sociétés civiles. C’est ainsi que régulièrement des personnes de tout âge et de tout horizon viennent partager la vie des Palestiniens et se faire  témoins de leur quotidien. Ce n’est pas un hasard si les « missions de protection du  peuple palestinien » sont  devenues une des cibles de l’état hébreu qui interdit fréquemment à des étrangers d’entrer sur son territoire alors que de nombreux groupes sont expulsés dans des conditions souvent violentes. […] De là découlent des questions essentielles : que veulent les Israéliens et quel avenir se préparent-ils ? […] Restent pour l’heure, des Palestiniens privés d’un Etat souverain,  mais ancrés dans leur patrie. Quant aux  Israéliens citoyens d’un Etat, ils semblent toujours à la recherche de la leur. (Valérie Féron - Jérusalem-est, le 20 juillet 2002)
                                           
2. Michel Sabbah - Paix sur Jérusalem - Propos d'un évêque palestinien de Yves Teyssier d'Orfeuil
aux éditions Desclée de Brouwer ["Prix Palestine - Mahmoud Hamchari 2002"]
[ISBN : 2220049949 - Avril 2002 - 304 pages - 20,00 euros]

"Ce pays à la quête de Dieu finira-t-il par rencontrer Dieu ?" Cet appel vibrant, c’est Monseigneur Michel Sabbah, évêque palestinien et patriarche latin de Jérusalem qui le lance, renouvelant ainsi son message de paix et l’opposition absolue de l’Eglise à la violence. Car justice et réconciliation sont au cœur des préoccupations de cet enfant de Nazareth, devenu porte-parole des chrétiens palestiniens, vivant au milieu de communautés religieuses différentes dans un contexte politique dramatique.
Retraçant avec passion l’itinéraire et la mission du patriarche de Jérusalem, cet ouvrage resitue aussi les différentes dimensions de sa quête incessante de la paix - une paix qui ne peut se concevoir et se réaliser sans rendre justice au peuple palestinien, trop souvent bafoué dans ses droits. Etre chrétien en Terre sainte aujourd’hui est à la fois une vocation et un combat, spirituel, moral et psychologique. Quel dialogue engager entre les Eglises ? Quel lien entretenir avec l’islam ? Comment trouver un juste équilibre avec le judaïsme, quand Israël est perçu comme l’oppresseur ? Dans son constat, le patriarche rejoint les grandes intuitions de Jean-Paul II sur Jérusalem et la Terre sainte.
A l’heure où le conflit israélo-palestinien se durcit et où de nouvelles vagues de violence s’abattent sur le pays, Mgr Michel Sabbah délivre aussi le meilleur des encouragements : l’espérance. Yves Teyssier d'Orfeuil a écrit ce livre suite à une serie d'entretiens avec Michel Sabbah à Jérusalem. Arabisant, diplômé en Histoire et Science politique, il a enseigné deux ans à l'Université de Bethléem et est l'auteur de "Bethléem - 2000 ans d'histoire" paru en 1999 aux éditions Desclée de Brouwer.
Le jury du "Prix Palestine - Mahmoud Hamchari", du nom du Délégué de l'Organisation de Libération de la Palestine en France, assassiné à Paris en 1972 par le Mossad, s'est réuni le vendredi 22 novembre en vue de désigner son lauréat 2002. Le choix du jury, présidé cette année par le journaliste et écrivain Paul Balta, s'est porté au deuxième tour de scrutin sur ce livre. Premier évêque palestinien (nommé en 1987) depuis le rétablissement du Patriarcat latin, Mgr. Sabbah qui s'est toujours voulu un artisan de la paix (sa devise d'évêque est "Dans la beauté de la Paix") s'y affirme comme un rassembleur des énergies - il a réconcilié les 18 églises divisées de Terre Sainte qui parlent désormais d'une seule voix - au tempérament de feu et à la foi intransigeante. "Redonnant  leur fierté à tous les chrétiens arabes, il plaide pour le respect du droit à la sécurité des Israéliens aussi bien que pour le respect du droit à la justice et à un État de ses compatriotes palestiniens." Le jury unanime s'est plu à souligner par ailleurs les qualités remarquables du second volume de la fresque historique conçue par l'éminent universitaire arabisant Henry Laurens : La question de Palestine, 1922-1947. Une mission de civilisation (Fayard), faisant suite à L'invention de la terre sainte, 1799-1922 ; le troisième volume annoncé : Une terre deux peuples ? de 1948 à nos jours, devant parachever une oeuvre incontournable pour tous ceux qui veulent apprendre et comprendre le monde arabe. Parmi les nombreux ouvrages présentés également cette année - et qui ont tous suscité un vif intérêt et beaucoup d'hésitations au moment du choix - figurent notamment : Le droit au retour. Le problème des réfugiés palestiniens, ensemble de 14 textes de spécialistes de la question rassemblés par Farouk Mardam-Bey  et Elias Sanbar (Sindbad / Actes Sud) ; Les femmes palestiniennes de Cécile Auréjac (L'Hydre) ; Mémoires d'un village palestinien disparu de Mohammed El Assad (Albin Michel) ; J'ai foi en nous . Au-delà du désespoir  du père Elias Chacour (Presses de la Renaissance) ; La porte du soleil, d'Elias Khoury (Sindbad / Actes Sud). Le jury a salué enfin le courage de la jeune lycéenne-écrivain Randa Ghazi, âgée de 15 ans, dont le premier roman Rêver la Palestine (Flammarion) relate avec beaucoup de force, d'émotion et de tendresse, le vécu quotidien de jeunes Palestiniens qui, confrontés à la violence aveugle, à la souffrance et à la mort, puisent dans l'amitié fervente qu'ils partagent la force d'aller au-delà d'eux-mêmes dans le sacrifice.  Le jury du Prix Palestine-Mahmoud Hamchari, créé en 1970 à l'initiative de l'Association de Solidarité Franco-Arabe et de la revue France-Pays Arabes est constitué de dix membres : Mesdames Marie-Claude Hamchari, Kénizé Mourad et Huguette Pérol ; Messieurs Paul Balta, Lucien Bitterlin, Francis Crémieux, Henri Loucel, Jean Rabinovici, Philippe de Saint Robert et Robert Vial, secrétaire permanent du jury.
[Monseigneur Sabbah (sous réserve) et Yves Teyssier d'Orfeuil recevront leur Prix le samedi 14 décembre prochain à 18h15, à l'issue de l'Assemblée générale de l'Association de Solidarité Franco-Arabe au Centre culturel syrien - 12, avenue de Tourville - Paris 7ème.]
                                                       
Réseau

                        
1. La Ville de la Lune par Israël Shamir le 22 novembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Une ogive, c’est un hommage à la Lune : elle est formée de deux croissants affrontés. La pleine Lune, quant à elle, sert de modèle à la voûte parfaitement semi-circulaire, prisée des Romans. Les arches outrepassées des musulmans sont parfois ornées de pointes : c’est qu’elles sont formées de sept croissants de Lune accolés… Un étudiant en architecture avisé pourrait rédiger une somme sur l’Histoire de l’Arcature, en prenant tous ses exemples dans cette ville palestinienne ancestrale : Naplouse.
Dans la Casbah, un passage voûté débouche dans un autre passage voûté, créant des enfilades, et disparaissant dans les ombres épaisses. Près de la Mosquée Salihiyyéh, les passages souterrains forment une rose des vents, qu’on dirait calquée sur quelque antique portulan. Mon regard s’enfonce dans la pupille noire d’une ouverture, il trébuche sur des arcatures semblables aux lames du diaphragme d’un vieil appareil photo. Naplouse ? Une véritable taupinière ! Des générations de petits nains industrieux pourrait creuser tout un labyrinthe de galeries sous les maisons de pierre indestructibles de la Vieille Ville, reliant les bazars, les mosquées et les églises.
Husseïn, imbattable dans l’art de trouver son chemin, me conduit à travers les tunnels. Suscitant partout ailleurs la claustrophobie, à Naplouse, ils vous protègent et vous entourent d’une protection quasi maternelle. Ils nous dissimulent à des yeux malveillants qui épient, aux viseurs des francs tireurs nichés sur le Mont du Blasphème. Nous devons traverser une place, une place à l’italienne, bien proportionnée, avec un mignon terrain de jeu pour les enfants, au milieu. Nous rasons les murs de bâtiments trapus, de style colonial. Les passages étroits et confinés ne nous font pas peur. Les espaces ouverts, si.
Des balles hurlent au-dessus de nous, viennent frapper un mur caché à nos yeux. Une mitrailleuse répond et, très vite, un orchestre nocturne de volées de projectiles et d’éclairs secoue l’air montagnard. La ville est assiégée depuis six mois, depuis Avril, et les Juifs tirent, sporadiquement, sur ses habitants. Les façades donnant sur la place à l’italienne sont rehaussés des portraits vivement colorés des tués : un garçonnet, de cinq ans, une jeune fille, à côté d’un combattant costaud et moustachu. Le dôme doré de la coupole du Rocher, symbole palestinien de la parfaite harmonie, brille derrière leur tête, couronnant les martyrs de gloire. A Naplouse, vous n’êtes jamais seul : les yeux des francs-tireurs et les yeux des martyrs vous suivent, partout.
L’impression, bizarre, d’être une proie, s’empara de moi. Je me souvins de la première fois où on m’avait tiré dessus – c’était parmi les collines grisâtres et jaunes qui dominent l’autoroute Suez-Le Caire. L’artillerie égyptienne avait ouvert le feu contre nous, compagnie de jeunes parachutistes qui venions d’atterrir dans le désert. Les projectiles, en tombant, soulevaient des nuages de sable et de poussière, la terre tremblait sous les impacts, tout proches, tout à fait à la manière dont elle tremblait sous les impacts lors des exercices de l’hiver précédent, lorsque l’artillerie censée nous couvrir avait mal calculé sa hausse et nous avait presque ensevelis sous ses salves. « Qu’est-ce que vous foutez, imbéciles d’artilleurs – pensais-je – regardez un peu : nous sommes là ; vous nous tirez dessus ! Allez-y, continuez comme ça et vous finirez par nous avoir ! » Mais soudain, je réalisai que là, ce n’était pas une erreur. Ce n’était pas les manœuvres d’hiver ; c’était la guerre - la vraie. Et l’artillerie nous visait, pour nous tuer.
Nous nous faufilâmes dans un immeuble moderne, et montâmes au deuxième étage en empruntant un vaste escalier : là, nous entrâmes dans le Café Internet. C’était plein de monde : des jeunes, garçons et filles, défiant les tirs des snipers, étaient venus dans ce lieu de refuge et d’évasion. Certains d’entre eux étaient des combattants ; ils profitaient d’une relative accalmie. Ayant posé leurs fusils AK au-dessus de l’écran de leur micro-ordinateur, ils dialoguaient ‘online’ avec leurs correspondants de Californie, de Bahreïn, de Stockholm ou de Damas…
Je tape un message depuis Naplouse sur un forum israélien et je reçois rapidement une réponse d’un David Silver, de Tel Aviv. « Je n’ai pas pitié d’eux. Je ne suis pas triste pour ce qui leur arrive. Si cela dépendait de moi, je les enverrais TOUS au Diable. Avec leurs gamins, leurs filles, leurs jeunes filles à marier, leurs femmes, leurs grand-mères, leur croyance simplette à leurs propres mensonges, leur ruse bestiale, leur patience et leur désespoir, leur rire, leurs larmes, leur nourriture, leur fierté et leur héroïsme, leur revanche, leur force de travail… : DEHORS ! Leurs pères, leurs époux et leurs grands-pères sont des assassins sanguinaires, des admirateurs de meurtriers, des scélérats, des voleurs, des lâches et des menteurs pathologiques. Après l’expulsion, ils pourront rechercher notre amitié, quoi que je n’en aie rien à cirer ». Voilà réglé le sort de la « pitié et de la douce obstination contre la violence, inhérentes aux Juifs », chères à Jean-Paul Sartre (certes, c’est en 1945 qu’il écrivit cette ineptie.)
Un percolateur italien ultra-moderne brillait de tous ses voyants verts et rouges, laissant échapper sa vapeur dans un sifflement impressionnant. La guerre, dans une ville moderne, a de ces aspects incongrus : les ordinateurs sont connectés au réseau mondial, les télécopieurs crachent leurs rouleaux impeccablement imprimés de nouvelles fraîches, la boulangerie ouvre ses portes, à chaque accalmie dans les bombardements, un cousin arrive du Kentucky et de jeunes combattants potassent leurs cours en vue de leur exam’ du lendemain, à l’université du coin…
Il était bien difficile de comprendre que, juste de l’autre côté de la vallée, des garçons du même âge étaient positionnés sur les collines, venus de petites villes côtières, afin de réduire Naplouse. C’était pourtant la réalité. Un gros boum ! secoua le bâtiment ; les écrans des ordinateurs s’éteignirent, comme dans un clignement. C’était une mine artisanale, dit un jeune combattant. Non : c’était un obus de mortier de 81 mm, corrigea son ami. Ils se précipitèrent vers l’extérieur, par l’escalier imposant, et nous les suivîmes dehors, sous le ciel étoilé. C’est souvent à ces heures là que les Israéliens envoient leurs forces de reconnaissance. Ils entrent dans les maisons, raflent les hommes et les emmènent dans leurs cellules de torture. Pour extraire de l’information, disent-ils, mais il y a un autre objectif : un homme torturé, comme une fille violée, c’est un être brisé et soumis. Plus de cent mille Palestiniens et un nombre incalculable de Libanais ont été torturés par les Israéliens, qui détiennent probablement en la matière un triste record du monde. Les combattants descendent dans les rues afin d’arrêter l’avancée des tortionnaires, ou au moins pour leur faire payer le prix.
Le rapport des forces est incroyablement disproportionné : la troisième (peut-être même est-ce la seconde) armée au monde, soutenue par l’unique superpuissance mondiale, contre ces jeunes hommes et ces jeunes femmes. Si les Israéliens le voulaient, ils pourraient pénétrer dans la Vieille Ville au moment de leur choix ; de nuit comme de jour. Lors du sanglant avril 2002, plus de cent hommes et femmes furent massacrés, à Naplouse. Une famille au complet, de huit personnes, a trouvé la mort lorsque les tanks et les bulldozers blindés israéliens écrabouillèrent leur maison à la limite de la ville : ils étaient à l’intérieur. Une autre maison a été bombardée par un F-16, et les ouvriers de la municipalité ont eu toutes les peines du monde à extraire les cadavres de deux célibataires âgées des gravats.
Mais la ville est vivante. Dès que les bombardements et les tirs s’arrêtent, les citoyens sortent de chez eux et s’aventurent dans l’insécurité des marchés, ignorant le couvre-feu. Des marchands déplient leurs étals de fruits et légumes, l’odeur des épices emplit à nouveau l’atmosphère, de vieilles femmes venues des villages voisins se faufilent et viennent vendre leur huile et leurs olives concassées – ne sommes-nous pas au cœur du pays des oliviers ? Les mosquées sont bondées, bien qu’elles n’offrent aucunement un abri sûr : les Israéliens ne voient aucun inconvénient à tirer sur les mosquées et les églises. En avril, une petite chapelle catholique a été réduite à l’état de ruines ; l’église orthodoxe de Saint Demetrios a par miracle échappé à l’explosion d’un missile qui a dévasté la rue juste en face. La Mosquée Verte, la plus ancienne de la ville, a été défoncée par un tank… Mais elle a été réparée, depuis lors.
La rapidité avec laquelle les bâtiments sont réparés est étonnante. A peine les tanks ont-ils abandonné les gravats, les équipes de la municipalité arrivent : elles retirent les cadavres des morts, extraient les blessés et commencent à consolider les murs. Mais les Israéliens détruisent plus vite que les habitants de Naplouse ne peuvent reconstruire. Les chenilles des tanks ont pulvérisé le sols carrelés des bazars, démolissant le réseau d’eau potable flambant neuf. Les traces de dévastations récentes se fondent parmi les ruines laissées par le tremblement de terre de 1927, et aussi d’un autre, beaucoup plus ancien, au deuxième siècle avant Jésus-Christ : les Juifs avaient rasé au sol l’ancêtre de Naplouse, l’antique Sichem (ses murs cyclopéens, vieux de quatre millénaires, sont encore visibles en bordure du camp de réfugiés de Balata, juste à la sortie de la ville).
Mais la cité ne mourut pas. Le règne juif en Palestine fut sanglant, cruel, mais plutôt bref. Le pays fut conquis par l’envahisseur juif durant la seconde moitié du deuxième siècle avant Jésus-Christ, les villes furent ruinées et la population en fut chassée, réduite en esclavage ou réduite à l’état de « juifs indigènes de seconde catégorie », comme cela fut le cas, aussi, en Galilée. Des impôts exorbitants, le génocide et l’apartheid étaient des calamités rampantes, déjà à l’époque. Soixante ans plus tard, l’empereur Pompée le Grand débarqua sur les côtes de Palestine, et il libéra les Palestiniens du joug juif.
Après que l’armée romaine eût soumis les Juifs rebelles, les soldats romains à la retraite épousèrent de belles femmes du coin et ils reconstruisirent la ville, qu’ils nommèrent Neapolis, ou Naplouse. Elle est encore aujourd’hui digne de son nom de baptême romain, Neapolis ou Naples, par la continuité de ses styles architecturaux et le tempérament ardent de ses habitants. Ses maisons poussent à la manière d’arbres, arborant de douces transitions de ses nombreuses périodes historiques. Les fondations romaines, en douceur, laissent la place aux soubassements byzantins, se transforment là en structure abbasside, là-bas se transmuent en villa citadine d’un Croisé et finissent dans les dernières réparations faites en mai, après le dernier bombardement israélien : c’est un alliage parfait, dans le temps et dans l’espace.
Telle est la maison de Husseïn. La voûte de la cave a probablement été construite par un maçon du coin à l’époque de Titus Flavius, tandis que le toit vient d’être terminé. Debout, sur la terrasse, nous voyons en face de nous la silhouette imposante et sombre du Mont Garizim (du Blasphème), avec sa base militaire israélienne. Le  halo jaune des projecteurs couronne son enceinte de fils de fer barbelés, les moteurs des tanks rugissent comme des dragons attendant le signal de dévaler et de dévorer la ville. En bas, dans la rue, des combattants, un petit groupe, brandissent leurs kalachnis. De l’autre côté de la vallée, le Mont de la Bénédiction s’élève jusqu’à l’église de la Sainte Vierge et le site du temple samaritain. Soudain, les éclairs de départs de tirs éteignent les étoiles, et nous rentrons à l’abri tandis qu’une mitrailleuse lourde commence à balayer la ville.
                           
2. Vrais mensonges à propos de l’aide américaine à Israël par Richard H. Curtiss
Extraits de l’ouvrage "True Lies About U.S. Aid to Israel" (pp. 43-45, XII - 1997)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

(Richard Curtiss, ancien fonctionnaire au Secrétariat d’Etat, est le rédacteur en chef du Washington Report on Middle East Affairs)
Depuis des années, les médias américains nous répètent qu’ « Israël reçoit 1,8 milliards de $ d’aide militaire des Etats-Unis » ou qu’ « Israël perçoit 1,2 milliards de $ d’aide économique ». Ces deux affirmations sont exactes, mais étant donné qu’on ne s’est jamais donné la peine de faire le total des deux, afin de nous donner la valeur totale de l’aide américaine à Israël, elles sont aussi, chacune prise isolément, mensongères. D’authentiques mensonges, en quelque sorte…
Plus récemment, les Américains ont commencé à lire et à entendre qu’ « Israël reçoit 3 milliards de $ d’aide américaine à l’étranger annuellement. » C’est vrai. Mais c’est encore un mensonge. Le problème est que, au titre de la seule année fiscale 1997, Israël a reçu des aides de plusieurs autres budgets fédéraux américains, pour plus de 525,8 millions de $, en sus des 3 milliards de $ reçus au titre de l’aide à l’étranger, et qu’il faut encore ajouter à l’ensemble 2 milliards de $ supplémentaires sous forme de prêts garantis par le gouvernement américain. Ainsi, le montant total des aides économiques (subventions + prêts garantis) américaines à Israël s’est élevé à 5,525,800,000 $, au titre de l’année fiscale 1997.
Les grands médias américains peuvent être à juste titre blâmés de ne jamais exhumer ces chiffres afin de les publier : en effet, aucun ne l’a jamais fait. Ils ont été réunis par le Washington Report on Middle East Affairs. Mais les médias ‘grand public’ ne sont certainement pas les seuls fautifs. Bien que le Congrès vote le montant total de l’aide américaine à l’étranger, le fait que plus d’un tiers de l’ensemble de cette aide soit destiné à un seul pays, plus petit tant en superficie qu’en population que Hong Kong, n’a probablement jamais été évoqué sous les lambris du Sénat ou de la Chambre des Représentants. Cette situation perdure pourtant depuis bien plus longtemps qu’une génération.
Il est probable aussi que les seuls membres du Congrès à avoir jamais soupçonné le montant total des aides américaines perçues par Israël chaque année sont les quelques membres privilégiés des commissions parlementaires qui les ont en réalité votés. Et la quasi totalité des membres de ces commissions concernées sont des Juifs, qui ont bénéficié d’énormes campagnes de dons orchestrées par le lobby israélien à Washington DC, ou par l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), voire par les deux. Si l’on paie les membres de ces commissions du Congrès, c’est afin qu’ils agissent, et non qu’ils se contentent de parler. Aussi, ils agissent, sans rien dire…
La même chose vaut pour le président, le secrétaire d’Etat et l’administrateur de l’aide extérieure. Tous soumettent un projet de budget qui inclut l’aide à Israël, et ce projet de budget, le Congrès l’approuve, voire l’augmente, mais jamais il n’y opère de coupes claires. Personne, toutefois, dans l’exécutif, ne mentionne que parmi les quelques autres pays bénéficiaires de l’aide économique américaine dans le monde entier, tous sont des pays en voie de développement qui soit mettent leurs bases militaires à la disposition des Etats-Unis, soit sont des membres clés d’alliances internationales dans lesquelles les Etats-Unis sont partie prenante, soit ont souffert de quelque terrible catastrophe naturelle qui ait anéanti leur capacité de nourrir leur population ; tels les tremblements de terre, les inondations et les sécheresses.
Israël, dont les problèmes résultent uniquement de son entêtement à ne pas restituer les territoires qu’il a occupés durant la guerre de 1967, en échange de la paix avec les pays voisins, ne remplit pas ces conditions. En réalité, le PIB par habitant en Israël était de 15 800 $/habitant. Cela place ce pays après la Grande-Bretagne (19 500 $) et l’Italie (18 700 $), juste devant l’Irlande (15 400 $) et l’Espagne (14 300 $).
Ces quatre pays européens ont contribué largement à l’immigration aux Etats-Unis. Cependant, aucun d’entre eux n’a créé de groupe ethnique aux Etats-Unis afin de faire du lobbying en vue d’obtenir une aide financière américaine. Bien au contraire, chacun de ces quatre pays finance et envoie des volontaires contribuer au développement économique d’autres parties du monde moins dotées par le sort, et ils y envoient des équipes de secours dans les cas d’urgence humanitaire.
Le lobby mis sur pied par Israël et ses amis aux Etats-Unis afin d’obtenir toute cette aide et d’interdire tout débat à ce sujet dans la vie politique américaine, s’étend bien au-delà de l’Aipac, lequel, avec son budget annuel de 15 milliards de $, ses 150 employés et ses cinq ou six agents parlementaires déclarés, réussit à rendre visite à chaque membre du Congrès individuellement, une fois dans l’année, et parfois – deux.
En retour, l’Aipac peut compter sur les ressources de la Conférence des Présidents (une sorte de Crif à la mode américaine, ndt) des principales organisations juives américaines – il s’agit d’un organisme de façade mis sur pied aux seules fins de coordonner l’action de quelque 52 organisations juives (dans chaque état) dans l’intérêt d’Israël
Parmi ces organisations, mentionnons Hadassah, l’organisation des femmes sionistes, qui cornaque un flot continu de visiteurs juifs américains en Israël ; le Congrès Juif Américain (American Jewish Congress), qui recueille des soutiens à Israël parmi les membres des Juifs consensuels traditionnellement de centre-gauche, et le Comité Juif Américain (American Jewish Committee), qui joue le même rôle dans les milieux juifs du centre (qui prennent de plus en plus d’importance) et du centre-droit. L’American Jewish Committee publie également  Commentary, l’une des principales publications du lobby à l’échelon national.
Sans doute la plus controversée de ces associations est-elle la Anti-Defamation League (ADL) du  B’nai B’rith’ (dont la Licra est comme une succursale en France, ndt). Son objet initial, hautement recommandable, était de protéger les droits civiques des Juifs américains. Toutefois, au cours de la génération précédente, l’ADL a régressé vers un groupe haineux conspirateur, extrêmement bien financé, puisqu’il dispose d’un budget de rien moins que 45 millions de $ annuels.
Dans les années 1980, durant le mandat du président Seymour Rich, qui allait devenir secrétaire de la Conférence des Présidents, l’ADL fut accusée d’avoir mis en circulation deux lettres de sollicitation pour des financements qui mettaient en garde les parents juifs contre de prétendues mauvaises influences pouvant affecter leurs chers petits, émanant d’une présence arabe croissante (et indésirable) sur les campus des universités américaines…
Plus récemment, des perquisitions effectuées par le FBI (Federal Bureau of Investigation = la police nationale américaine, ndt) dans les locaux de l’ADL à Los Angeles et à San Francisco, ont révélé qu’un responsable de cette association avait acheté des fichiers subtilisés dans les bureaux de la police départementale à San Francisco et dont la justice avait exigé la destruction car ils violaient les droits civiques des personnes sur le compte desquelles ces fichiers avaient été réalisés. L’ADL, avait-il été démontré à l’époque, avait versé les informations illégalement recueillies et dont, de surcroît, elle s’était illégalement emparée, dans ses propres fichiers secrets, réunis en infiltrant des taupes dans les associations d’Américains d’origine arabe ou africaine, de pacifistes, défendant la justice ou anti-apartheid.
Les agents infiltrés de l’ADL relevaient les noms des intervenants ainsi que leurs remarques, dans les débats publics organisés par ces associations, ainsi parfois que ceux des personnes de l’assistance. Des agents de l’ADL sont même allés parfois jusqu’à relever les immatriculations des véhicules des personnes participant à ces activités, après quoi ils subornaient des employés de la carte grise ou des officiers de police félons afin d’obtenir l’identité des propriétaires des véhicules ainsi répertoriés.
Bien que l’un des principaux scélérats soit en fuite afin d’échapper aux poursuites judiciaires, aucune sanction pénale significative n’a été diligentée à l’encontre de l’ADL. Le bureau de la Caroline du Nord de cette association a reçu l’injonction de donner suite aux réclamations de plaignants sur le compte desquels des dossiers avaient été établis et qui exigeaient d’y avoir accès, mais personne, à l’ADL, n’est allé en prison et personne n’a encore jamais payé le moindre dollar d’amende pour ces faits.
Un employé qui a fait défection a révélé dans un article publié dans le Washington Report on Middle East Affairs que l’Aipac (American Israeli Public Affairs Committee, LE lobby israélien aux USA) dispose lui aussi de dossiers concernant les « ennemis », du même type, et cela n’est nullement fait pour nous surprendre. Ces dossiers sont réunis à l’usage de journalistes pro-israéliens, tels Steven Emerson et autres soi-disant « experts ès terrorisme », ainsi qu’à celui de professionnels, d’universitaires ou de journalistes concurrents des personnes ‘radiographiées’, à des fins de chantage, de diffamation ou de dénonciation. Ce qui n’a, en revanche, jamais été révélé, est le fait que le département de « recherche sur les opposants » de l’Aipac, placé sous le haut patronage de Michael Lewis, fils du célèbre Bernard Lewis, orientaliste de l’Université de Princeton, est la principale source de ces documents diffamatoires.
Mais, en l’occurrence, ce n’est pas là l’activité la plus discutable de l’Aipac. Dans les années 1970, lorsque le Congrès fixa un plafond aux revenus que ses membres pouvaient percevoir au titre d’émoluments pour des conférences et de droits d’auteur, en sus de leur salaire (que ces ‘à côté’s dépassent allègrement, dans bien des cas), il mit un coup d’arrêt (involontaire) au moyen le plus efficace dont usait abondamment l’Aipac pour remercier les parlementaires de voter conformément à ses recommandations. Les parlementaires membres du bureau directeur de l’Aipac résolurent le problème en rentrant dans leurs Etats respectifs et en y créant des comités d’action politique (Political action committees – PACs).
Ces Pacs ont des centres d’intérêts tout à fait spéciaux, comme la plupart des grandes compagnies, des syndicats, des chambres de commerce et des groupement d’intérêt public. Mais les groupes pro-israéliens se sont multipliés sauvagement. A ce jour, ce ne sont pas moins de 126 Pacs pro-israéliens qui ont été enregistrés (= dont les statuts ont été déposés, dirait-on en France), dont au moins 50 ont poursuivi sans interruption leurs activités à toutes les élections nationales au cours de la génération passée.
Un électeur peut donner jusqu’à concurrence de 2 000 $ au candidat de son choix à une élection donnée, et un PAC peut donner à un candidat qu’il bichonne particulièrement jusqu’à 10 000 $. Toutefois, un seul groupement d’intérêt public comportant jusqu’à 50 PACs peut donner jusqu’à un demi-million de $ à un candidat confronté à un concurrent difficile, et qui a voté conformément à ses recommandations. Cela suffit pour acheter tout le temps de télévision nécessaire afin d’être élu dans la plupart des régions des Etats-Unis. Même des candidats qui n’ont pas besoin de ce genre de fonds douteux ne désirent certainement pas les voir filer dans l’escarcelle d’un concurrent de leur propre parti, dans le cadre d’une primaire, ni dans celle d’un adversaire du parti opposé dans une élection générale. Résultat : pratiquement tous les 535 membres du Sénat et de la Chambre des représentants (ceux qui ne le font pas se comptent sur les doigts de la main) votent comme l’Aipac leur dit de le faire lorsqu’il est question de l’aide économique à Israël ou d’autres aspects de la politique américaine au Moyen-Orient.
Il y a encore autre chose, de très spécial, au sujet du réseau des comités d’action politique (PACs) entretenu par l’Aipac : presque tous se dissimulent derrière des intitulés trompeurs. Qui donc pourrait bien deviner que la Delaware Valley Good Government Association (Association pour la Bonne Gouvernance de la Vallée du Delaware), à San Franciso, ou que San Franciscans for Good Government in California (Association des San Franciscains pour la Bonne Gouvernance en Californie), que le Cactus PAC (Comité d’action politique Cactus) en Arizona, que le Beaver PAC (Comité d’action politique Castor) au Wisconsin, et – encore plus fort ! – le Icepac (Comité d’action politique Glace + jeu de mot avec : ‘ice pack’ : sachet de glace – à se mettre sur la tête en cas de migraine ! ! !, ndt) de New York – sont, en réalité, des prête-noms pour des Comités d’action politique pro-israéliens dans ces différentes localités et Etats des Etats-Unis ?
Comment l’Aipac s’y prend-il pour brouiller les pistes ?
En réalité, les membres du Congrès savent parfaitement tout ça lorsqu’ils déclarent les contributions qu’ils perçoivent, sur les déclarations qu’ils doivent renvoyer à la Commission Electorale Fédérale. Mais les électeurs de leur circonscription ne le savent pas, lorsqu’ils lisent leurs professions de foi. Si bien qu’il n’existe aucun lobby particulier qui puisse investir autant de « gros sous » dans la campagne électorale d’un candidat donné à une élection autre que le lobby israélien. Sans doute est-ce la raison pour laquelle aucun autre groupe d’intérêt n’est allé aussi loin dans l’ingéniosité en matière de brouillage de pistes (on pourrait parler d’ « antitraçabilité », ndt).
Bien que l’Aipac, le lobby et groupe d’intérêts particuliers le plus redouté de Washington, soit capable de dissimuler de quelle manière il utilise tant la carotte que le gros gourdin afin d’acheter ou d’intimider des membres du Congrès américain, il ne peut tout cacher… C’est tout bonnement impossible.
Tout un chacun pour demander à un de ses représentants au Congrès un tableau préparé par le Congressional Research Service (Service de Recherche en matière parlementaire), qui est une des succursales de la Bibliothèque du Congrès (Library of Congress – équivalent de la Bibliothèque Nationale française aux Etats-Unis, ndt) – tableau qui montre clairement qu’Israël a reçu 62,5 milliards de $ d’aide à l’étranger pour la période s’étendant de l’année fiscale (AF) 1949 à l’année fiscale 1996. Les gens qui viennent ou habitent dans les environs de la capitale fédérale, Washington, peuvent également se rendre à la bibliothèque de l’Agence Américaine pour le Développement International (USAID – United States Agency for International Development), située à Rosslyn, en Virginie (Etat voisin, ndt) et y obtenir communication de ces mêmes données ; on leur communiquera, en plus, des tableaux et des graphiques montrant les montants d’aides accordées par les Etats-Unis à d’autres pays. Les visiteurs de ces centres de documentation apprendront que, précisément durant la même période, 1949-1996, le total des aides étrangères américaines à l’ensemble des pays d’Afrique subsaharienne, d’Amérique Latine et des Caraïbes s’élève à 62 497 800 000 $ - soit, approximativement le montant accordé au seul Etat lilliputien d’Israël…
D’après le Population Reference Bureau (équivalent américain de l’INED, ndt) de Washington, DC, au milieu de la décennie 1990, les pays d’Afrique subsaharienne avaient une population totale de 568 millions d’âmes. Les 24 415 700 000 $ qui leur avaient été alloués à cette époque, correspondaient donc à 42,99 $/personne, pour chaque habitant de l’Afrique subsaharienne. De même, avec une population totale de 486 millions de personnes, l’ensemble des pays d’Amérique Latine + les Caraïbes avaient perçu 38 254 400 000 $ d’aides américaines, soit 79 $/personne.
En revanche, l’aide étrangère américaine per capita à destination des 5,8 millions d’habitants d’Israël durant la même période s’élevait à 10 775,48 $. Ceci signifie que, pour chaque $ dépensé par les Etats-Unis pour un Africain, les Etats-Unis en dépensaient 250,65 pour un Israélien et que, pour chaque $ dépensé par les Etats-Unis pour une personne résidant dans l’hémisphère occidentale à l’exception des Etats-Unis, 214 étaient alloués à un Israélien. [Ainsi, chaque Israélien a reçu 214 fois plus d’allocations américaines que chaque ‘Occidental moyen’, ndt.]
Comparaisons choquantes :
Ces comparaisons, déjà choquantes en l’état, sont loin de refléter l’entière vérité. En utilisant des rapports réunis par Clyde Mark du Congressional Research Service et d’autres sources, l’écrivain indépendant Frank Collins a transmis au Washington Report toutes les lignes budgétaires destinées à Israël enfouies dans les budgets du Pentagone et d’autres agences fédérales, pour l’AF 1993. L’éditeur du Washington Report news, Shawn Twing, a fait  la même chose en ce qui concerne les AF 1996 et 1997.
Ils ont découvert 1,271 milliard de $ de ces ‘extras’ pour l’AF 1993 ; 355,3 millions de $ pour l’AF 1996 et 525,8 millions de $ pour l’AF 1997. Ceci représente un supplément de 12,2 % en sus des totaux d’aide à l’étranger officiellement enregistrés pour les AF correspondantes, et ces aides diverses ne sont probablement pas répertoriées de manière exhaustive. Il est par conséquent raisonnable de considérer qu’un supplément similaire, soit de 12,2 %, existait aussi pour toutes les années fiscales au titre desquelles Israël a reçu des aides. Ainsi, au 31 octobre 1997, Israël aura reçu 3,05 milliards de $ d’aide américaine pour l’année 1997 et 3,08 milliards de $ au même titre pour l’année 1998. En ajoutant ces montants au titre de 1997 et 1998 au montant global compilé depuis 1949, on obtient un total de 17 157 600 000 $ d’aides sous forme de subventions et de prêts garantis. En estimant que le supplément total d’aides provenant de budgets divers s’élève en moyenne à 12.2 % de ce montant, cela porte, en ajoutant ces 12,2%, le total général à : 83 204 827 200 $.
Mais ce n’est pas tout. Il s’en faut de beaucoup. Recevant ses allocations d’aide extérieure américaine durant le premier mois de l’année fiscale, et non en versements trimestriels comme tous les autres pays bénéficiaires, Israël jouit, là encore, d’un insigne privilège amoureusement mitonné à son intention par des Congressistes américains aux petits soins. Cela lui permet d’investir cet argent en bons du Trésor américain. [Cher lecteur : cessez de vous frotter les yeux… oui, vous lisez bien ! ndt] Cela signifie, tout simplement, que les Etats-Unis, qui doivent emprunter les ronds qu’ils filent généreusement à Israël, paient des intérêts sur les prêts qu’il ont garanti à ce pays par avance, tandis que, dans le même temps, c’est Israël qui empoche (par-dessus le marché) les intérêts sur les sommes en question ! Ces intérêts empochés par Israël sur les remboursements de traites anticipés viennent s’ajouter (pour un montant de 1,650 milliard de $) au total de tout à l’heure, ce qui nous donne : 84 854 827 200 $… C’est ce chiffre que vous devriez noter, en matière d’aide économique des Etats-Unis à Israël, au total. Cela représente 14 346 $ donnés à chaque homme, chaque femme et chaque enfant, en Israël.
Il convient de noter que ce montant n’inclut pas les garanties de prêts du gouvernement américain à Israël, d’où Israël a retiré 9,8 milliards de $ jusqu’à ce jour. Ces garanties permettent de réduire considérablement les taux des intérêts que le gouvernement israélien doit payer sur des emprunts commerciaux, tout en grevant d’un poids supplémentaire les impôts acquittés par le contribuable américain, en particulier au cas (envisageable) où le gouvernement israélien se trouverait en situation de cessation de paiement sur l’un quelconque de ces emprunts. Mais étant donné que ni les gains, pour Israël, ni les coûts, pour le contribuable américain, ne peuvent être quantifiés de façon fiable, nous les écarterons de nos considérations dans ce papier.
Plus, les amis d’Israël ne se fatiguent jamais de répéter qu’Israël n’a jamais été défaillant dans ses remboursements de prêts gouvernementaux américains. Il serait tout aussi exact de dire qu’il n’a jamais été exigé d’Israël qu’il remboursât un quelconque prêt du gouvernement américain. La vérité, en cette matière, est complexe, et tout a été fait pour qu’elle le soit, par ceux qui s’efforcent, avant tout, de la cacher aux yeux du contribuable américain.
La plupart des prêts américains à Israël sont caducs, et nombreux sont ceux à avoir été contractés avec la notion explicite qu’ils seraient considérés « éteints » avant même que l’on demande à Israël de songer à les rembourser… En déguisant en ‘prêts’ ce qui était en réalité des subventions, des membres coopératifs du Congrès ont exempté pendant des années Israël de la supervision américaine qui aurait dû accompagner des subventions (afin d’en suivre l’affectation, ndt). Pour d’autres de ces prêts, on espérait d’Israël qu’il remboursât les intérêts, et éventuellement, qu’il commençât à rembourser le principal. Mais le Cranston Amendment, qui a été rendu obligatoire par le Congrès pour toute allocation de prêt à l’étranger depuis 1983, prévoit que l’aide économique à Israël ne devra jamais être inférieure au montant qu’Israël est dans l’obligation de rembourser pour ses prêts en cours de recouvrement… Disons, pour être bref, que l’aide américaine à Israël - qu’elle soit allouée sous forme de subventions ou de prêts - ne retrouve jamais le chemin des coffres du Trésor américain.
Israël bénéficie d’autres privilèges encore. Tandis que la plupart des pays allocataires de fonds d’aide militaire américains doivent les utiliser pour acheter des armes, des munitions, et des stages de formation militaire aux Etats-Unis, Israël dépense une partie des fonds de cette nature afin de payer des commandes d’armes passées aux industriels israéliens de l’armement. Et même lorsqu’Israël dépense des fonds américains d’aide militaire en achetant des produits américains, il n’est pas rare qu’il exige de son fournisseur américain qu’il achète des composants ou certains matériels à des industriels israéliens. Ainsi, bien que les hommes politiques israéliens affirment hautement que leurs propres fabricants et exportateurs d’armement rendent Israël progressivement de moins en  moins dépendant de l’aide militaire américaine, en réalité, on le voit, ces fabricants et ces exportateurs d’armes israéliens sont lourdement subventionnés par les Etats-Unis, au titre des ‘aides’…
Bien que cela sorte du cadre de la présente étude, il convient de rappeler qu’Israël reçoit également des aides étrangères de plusieurs autres pays. Après les Etats-Unis, le principal pourvoyeur d’aides tant économiques que militaires à Israël est la République d’Allemagne.
De très loin, la composante la plus importante des aides allemandes est versée sous la forme de paiements en restitutions pour les victimes des atrocités perpétrées par les Nazis. Mais il y a eu aussi une assistance militaire allemande massive à Israël durant (et depuis) la guerre du Golfe, et plusieurs prêts en matière d’éducation et de recherche sont alloués par l’Allemagne à des institutions israéliennes. L’assistance allemande totale dans ces domaines au gouvernement israélien, aux individus israéliens et aux institutions privées israéliennes atteint quelques 31 milliards de dollars (cumulativement), soit 5 345 $/Israélien ; ceci donne une aide combinée américano-allemande de 20 000 $/Israélien. Etant donné que les financements publics alloués aux plus de 20 % de citoyens israéliens de confession chrétienne ou musulmane (en fait : les Arabes israéliens, ndt) sont extrêmement faibles, les subsides nets per capita reçus par les citoyens juifs de l’Etat d’Israël seraient considérablement plus élevés, encore, que ce chiffre (qui représente donc une hypothèse basse, ndt).
Le prix réel, pour le contribuable américain
Aussi généreuse soit-elle, la somme rondelette reçue par les Israéliens en aide américaine est considérablement inférieure à ce qu’il en coûte au contribuable américain pour leur faire cette signalée faveur. La raison principale de cette distorsion réside en ceci qu’aussi longtemps que les Etats-Unis traîneront un déficit budgétaire annuel, chaque dollar donné à Israël dans le cadre des aides extérieures par les Etats-Unis doit être prélevé à travers les emprunts d’Etat américains.
Dans un article du Washington Report (numéro de décembre 1991/janvier 1992), Frank Collins estimait les coûts de ces intérêts, en se basant sur les taux d’intérêts relevés chaque année, depuis 1949. J’ai actualisé ce calcul en appliquant un taux hypothétique – très prudent – de 5% aux années consécutives, en limitant l’assise sur laquelle cet intérêt est calculé aux subventions, à l’exclusion des prêts et des garanties d’emprunts.
Sur cette base, les 84,8 milliards de $ en subventions, prêts et produits en nature reçus par Israël des Etats-Unis depuis 1949 ont coûté aux Etats-Unis un surcoût supplémentaire de 49 936 880 000 $ d’intérêts.
Israël fait supporter encore bien d’autres coûts au contribuable américain, comme la plus grande partie, voire la totalité des 45,6 milliards de $ en aide étrangère américaine à destination de l’Egypte, depuis que ce pays a signé la paix avec Israël, en 1979 (il faut les comparer aux 4,2 milliards de $ d’aide américaine cumulée à l’Egypte, seulement, durant les 26 années précédentes…). L’aide économique des Etats-Unis à l’Egypte, qui est plafonnée aux deux tiers de l’aide allouée à Israël ( !), est d’environ 2,2 milliards de $/an.
Le soutien constamment apporté par les Etats-Unis à Israël durant le demi-siècle d’histoire de ce pays, fait de conflits avec les Palestiniens et l’ensemble de ses voisins arabes, a causé des coûts immenses aux Etats-Unis, sur les plans tant militaire que politique. De plus, il faut tenir compte également d’environ 10 milliards de $ de garanties de prêts et peut-être de 20 milliards de $ de dons exonérés d’impôts faits à Israël par des Juifs américains au cours du demi-siècle écoulé, depuis la création d’Israël.
Même si l’on exclut l’ensemble de ces dépenses annexes, les 84,8 milliards de $ d’aide américaine à Israël allouée de l’AF 1949 à l’AF 1998 (bornes comprises), en tenant compte des intérêts acquittés par les Etats-Unis afin d’emprunter cet argent, ont coûté aux contribuables américains 134,8 milliards de dollars en dollars constants (c’est-à-dire qu’il faudrait encore ajouter les effets annuels, cumulatifs et composés, de l’inflation, ndt). En d’autre termes, les quelque 14 630 $ perçus par chacun des 5,8 millions de citoyens israéliens du gouvernement américain, à la date du 31 octobre 1997, ont coûté aux contribuables américains de l’ordre de 23 240 $/Israélien.
Il serait très intéressant de savoir combien parmi ces contribuables américains pensent qu’eux-mêmes et les membres de leur famille ont reçu autant de subsides de la part du Trésor américain que chacun de ceux qui ont choisi de devenir citoyens israéliens. Mais c’est une question que le public américain ne se posera jamais car, tant que les principaux médias américains, le Congrès et le Président, maintiendront leur vœux de silence perpétuel, très peu nombreux seront les Américains à savoir un jour ce que coûte Israël au cochon de payant américain.
                           
- Allocations américaines à Israël depuis 1949 (au 01.11.1997)
Subventions et prêts au titre de l’aide américaine à l’étranger : 74 157 600 000 $
Autres aides américaines (12,2 % aide à l’étranger) : 9 047 227 200 $
Intérêts avancés à Israël sur des prêts américains garantis : 1 650 000 000 $
TOTAL GENERAL  : 84 854 827 200 $
Total/Israélien : 14 630 $
                   
- Coût de l’aide US à Israël pour les contribuables américains (1949 - 01.11.1997)
Total général (report à nouveau) : 84 854 827 200 $
Intérêts acquittés par les Etats-Unis : 49 936 680 000 $
Coût total pour les contribuables américains : 134 791 507 200 $
Coût total/Israélien pour les contribuables américains : 23 240 $
                                                                                  
Revue de presse

                                                        
1. Les alliances douteuses des inconditionnels d’Israël - Au nom du combat contre l’antisémitisme par Dominique Vidal
in Le Monde Diplomatique du mois de décembre 2002
"Peut-on critiquer la politique palestinienne du gouvernement israélien et lui opposer les principes du droit international sans passer pour antisémite ? C’est la question que pose la campagne de harcèlement des médias menée depuis des mois par les inconditionnels du général Sharon. Une étrange alliance d’intellectuels issus de l’extrême droite et de la gauche recourt à tous les moyens – y compris les procès – pour disqualifier, voire écarter, les journalistes qui s’efforcent de rendre compte honnêtement du conflit israélo-palestinien." Dominique Vidal
Ce devait être un colloque scientifique, au cours duquel des spécialistes israéliens, palestiniens et français débattraient des « Médias entre rationalité et émotion ». En fait, Nice fut, du 9 au 11 novembre 2001, le théâtre d’un procès en sorcellerie. Accusés, deux journalistes de l’Agence France Presse (AFP), un ex-correspondant de Libération à Jérusalem ainsi qu’un journaliste du Monde diplomatique, plus – par contumace – un couple de chercheurs, presque tous d’origine juive. Procureurs, Alexandre Del Valle, les universitaires Frédéric Encel et Jacques Tarnero, et le journaliste Maurice Szafran (Marianne). Les organisations juives assuraient la claque, plus inspirée par le général Ariel Sharon que par feu Itzhak Rabin…
Avec le recul, cet épisode fait figure de banc d’essai de la contre-Intifada que les inconditionnels d’Israël ont développée depuis à grande échelle. Ceci explique sans doute cela : L’Express [1] venait alors de publier un impressionnant sondage de la Sofres. Si les Français y expriment plus de sympathie pour Israël (44 %) que pour la Palestine (32 %), ils ne croient plus que les Palestiniens portent la responsabilité exclusive de l’échec du sommet de Camp David, préférant renvoyer les deux parties dos à dos (75 %). Sur Jérusalem, ils se sentent plus proches des positions israéliennes que des Palestiniens (25 % contre 17 %), mais c’est l’inverse sur les colonies (15 % contre 36 %) et même sur le « retour en Israël des réfugiés » (18 % contre 27 %). Et 83 % se prononcent pour la coexistence de deux Etats. Enfin, 61 % jugent la politique française « équilibrée », 12 % trouvant qu’elle soutient trop les Israéliens et 6 % les Palestiniens. Jamais les sharonistes n’ont été aussi isolés.
« Ce n’est pas Le Pen notre ennemi »
Président de France-Israël, l’amiral Michel Darmon l’affirme ingénument : « Depuis dix ans, la communauté juive s’est trompée de combat. Ce n’est pas Le Pen notre ennemi, mais la politique étrangère de la France [2]. » Peser sur cette dernière implique toutefois de regagner du terrain perdu dans l’opinion. Ce qui suppose la reconquête des médias, car – assure la journaliste Elisabeth Schemla – « en deux ans, Sharon a perdu une bataille quasi-planétaire : celle de la communication [3]. » Mais comment enrégimenter dans cette bataille le maximum de juifs de France ?
« Ces gens misent sur l’idée de la menace existentielle, qui fait directement référence à la Shoah, répond Sylvain Cypel, journaliste au Monde [4]. A l’époque, face à la barbarie nazie, les résistants juifs – sionistes de gauche ou de droite, communistes et bundistes [5] – ne pouvaient que s’unir. Actuellement, la conviction que l’existence même d’Israël est en danger doit amener à resserrer les rangs de la communauté et à délégitimer les voix discordantes. » Cette union sacrée s’enracine dans l’angoisse suscitée par les insupportables attentats-kamikazes en Israël et les non moins odieuses agressions antijuives en France – comme, en arrière-plan, par la crise d’identité du judaïsme [6]. Ces périls, certains prétendent les combattre en forgeant une étrange alliance entre des intellectuels d’extrême droite et d’autres originaires de la gauche – un concubinage contre-nature fondé sur le ralliement des seconds au premiers. Au nom de la lutte contre l’islamisme, assimilé à l’islam et au terrorisme, contre lequel le président George W. Bush a déclenché sa folle croisade.
L’exemple vient de haut. Président du Conseil représentatif des institutions juives de France (CRIF), M. Roger Cukierman qualifia le score de l’extrême droite, lors de l’élection présidentielle, de « message aux musulmans leur indiquant de se tenir tranquilles [7] ». Comme en écho, M. Bruno Mégret déclara cet été : « Face à l’intégrisme islamique, nous partageons des inquiétudes communes avec les organisations représentatives des juifs de France [8]. »
Commentaire d’une revue néofasciste : « Ce repli communautaire [des juifs] s’accompagne inévitablement d’un discours raciste, souvent primaire, à l’encontre des Arabes. Ainsi, de plus en plus de passerelles sont tendues en direction de certains intellectuels proches de la droite radicale, réputés pour leur anti-islamisme, comme Alexandre Del Valle. Ceux-ci, contre un strict alignement sur les positions sionistes, se voient alors conviés à toutes sortes de colloques regroupant les institutions juives (…) et invités à de nombreuses émissions de radio et de télévision. On a même vu apparaître un site web ultraraciste s’intitulant « SOS-racaille » (…) piloté par des organisations sionistes comme le Betar. Après avoir lutté violemment contre tous les mouvements d’extrême droite depuis trente ans, voilà que ces milices sionistes leur font désormais les yeux doux. On croit rêver [9] ! »
Alexandre Del Valle est en effet devenu la coqueluche de certaines organisations juives. Et pourtant, Marc d’Anna – son vrai nom, sous lequel il a signé de nombreux articles – a longtemps écrit et parlé pour les groupes d’extrême droite et catholiques intégristes [10]. Devenu chevènementiste le temps d’une campagne, avant de se porter candidat à la vice-présidence de l’Union pour la majorité présidentielle (UMP), a-t-il vraiment renié les délires de ses mouvances d’origine lorsqu’il écrit : « Nous avons affaire au troisième grand totalitarisme, et à un mouvement de fond mondial et durable, dont l’ambition est de soumettre la planète à l’islamisme, après avoir instauré une guerre des civilisations et des religions [11] » ?
Dans la même veine, M. Jacques Kupfer, président du Likoud-France (sic) et, depuis juin, du Likoud mondial, qualifie les Palestiniens de « horde de barbares » et de « squatters arabes en Eretz Israël ». « On ne peut plus vivre avec eux si tant est qu’ils aient le droit de vivre », ose-t-il affirmer, avant de prôner leur « transfert ». « Encore faut-il, conclut-il, ne pas rater les occasions comme nous l’avons malheureusement fait en 1948 ou en 1967 [12]. »
L’ennemi de mon ennemi est mon ami, dit l’adage. Voilà que Pierre-André Taguieff accuse pêle-mêle de « judéophobie » islamistes, antisionistes, gauchistes, altermondialistes et – air connu – juifs en proie à la haine d’eux-mêmes. Ex-chargé de mission auprès de M. Laurent Fabius à Matignon, Jacques Tarnero brode sur « l’habillage neuf, relooké des mots du progressisme, qui donne à la vieille passion antijuive une saveur acceptable, presque vertueuse [13] ». Et, Alain Finkielkraut lâche : « Autrefois, Sartre disait : ‘Tout anticommuniste est un chien’. Aujourd’hui, de Télérama au Monde diplomatique, on dirait : ‘Tout juif sioniste est un chien », « Tout juif non antisioniste est un chien », ce qui revient à dire : ‘Tout juif est un chien, sauf Rony Brauman’ [14]. »
Pour Staline, la fin justifiait les moyens. Apparemment, il ne manque pas d’émules parmi les fanatiques de M. Sharon, qui ont créé des dizaines de sites Internet, souvent scandaleux. L’un d’eux « rectifie » des dépêches de l’AFP, remplaçant – entre autres – l’expression « territoires occupés » par « Eretz Israël occidentale », qualifiant les Palestiniens de « nuisances » et leur assassinat de « neutralisation »…
Le site la Mena excelle dans la dénonciation de journalistes. A l’extrême droite, outre SOS-racaille, Amisraelhai.org appelait à « boycotter toutes les vermines antijuives », y compris des juifs « renégats » marqués d’une étoile de David et promis à « un bon coup de batte de base-ball sur la mâchoire [15] ». Un conseil que le Betar et la Ligue de défense juive, liée au parti Kach, interdit en Israël, n’avaient pas attendu : la longue liste des agressions qu’on leur impute s’est enrichie lors de la manifestation du CRIF, le 7 avril 2002, quand 400 à 500 personnes – selon le préfet de police – attaquèrent le cortège de La Paix maintenant, poignardèrent un commissaire et ratonnèrent allègrement…
D’autres militants manifestent devant des médias « ennemis », comme l’AFP, Libération ou France 2. Rue Claude-Bernard, ils ont badigeonné Le Monde = antisémite » et « Plantu = nazi ». Certains se spécialisent dans le harcèlement par lettres ou mels : « Après certains articles, j’en reçois de dix à cinquante par jour, dont les deux tiers d’insultes et de menaces, souvent en des termes identiques, dont orchestrés », témoigne Sylvain Cypel. Qui raconte aussi comment, interviewé par la Télévision juive française (TFJ) sur ses révélations concernant un réseau d’espionnage aux Etats-Unis, confirmées depuis par le quotidien Yediot Aharonot, il eut la surprise de voir sa « performance » commentée ensuite, à l’antenne, hors de sa présence, par un psychologue chargé de révéler son « profil » de juif haineux de soi !
Six procès en six mois… tous perdus
Mais le dernier chic, c’est le procès. Champion toute catégorie, Gilles-William Goldanel, président d’Avocats sans frontière (qui, contrairement à l’association éponyme, ne s’intéresse guère au tiers-monde), ne craint pas le grand écart : auteur du Nouveau bréviaire de la haine [16] (antijuive), il n’a pas hésité à défendre le bréviaire de la haine (antimusulmane) d’Oriana Fallaci. Au total, le tableau de chasse des avocats ultrasionistes compte six procès en six mois, tous perdus…
Pourquoi transformer les médias en boucs émissaires, responsables des violences antisémites ? Pour contraindre les journalistes à l’autocensure, et leurs patrons à la censure ? Une étude minutieuse montrerait qu’ici ou là, la prudence tempère désormais la quête de vérité. Ainsi Libération a publié plusieurs enquêtes sur l’antisémitisme des jeunes Beurs, mais aucune sur le racisme anti-arabe parmi certains jeunes juifs français. Cependant, les manipulateurs espèrent plus, cette fois : la tête de certains professionnels, jugés particulièrement dangereux.
« Certains veulent me faire virer, et ils ne s’en cachent pas », confie Charles Enderlin. En Israël, menacés durant la première année de l’Intifada, le correspondant de France 2 et les siens durent déménager. Et voilà qu’à Paris des centaines de manifestants se sont rassemblés devant le siège de France Télévision pour lui remettre le « prix Goebbels ». Son crime ? Avoir témoigné de la mort du petit Mohamed Al-Doura dans les bras de son père. Depuis que le général Giora Eiland a reconnu l’origine israélienne du tir [17], la Mena ne savait qu’inventer : faute d’avoir pu prouver que le feu provenait des positions palestiniennes, elle assure que l’enfant serait… vivant ! « Cette affaire n’est qu’un prétexte, conclut Enderlin. Ces gens ne supportent pas qu’un journaliste franco-israélien fasse son travail honnêtement. D’ailleurs, jamais personne n’ a porté plainte contre moi. »
Producteur et animateur de l’émission « Là-bas si j’y suis », sur France Inter, Daniel Mermet sort blanchi de deux procès intentés par l’association de Me Goldanel, la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) et l’Union des étudiants juifs de France (UEJF). D’abord accusé d’antisémitisme pour des messages d’auditeurs critiquant fortement la politique du gouvernement israélien, Mermet a fait reconnaître au tribunal que les émissions incriminées exprimaient « certaines préférences », mais « indépendamment de toute considération raciale ». La seconde affaire relevait du grotesque : les plaignants poursuivaient pour « provocation à la haine raciale » la rediffusion d’une série d’émissions de 1998… grâce auxquelles, pourtant, l’ancien médecin nazi d’Auschwitz Hans Münch, acquitté après la guerre, avait été enfin condamné !
Victorieux, Mermet s’avoue pourtant blessé – au point d’écrire un livre intitulé Salir un homme. Car il a vécu cette double épreuve comme « une tentative d’assassinat moral. Et professionnel : la première démarche de ces gens auprès de la direction de Radio France atteste qu’ils entendaient me faire virer ». Pourquoi ? « Dans un univers médiatique dépourvu d’esprit critique, mon émission offre un point de repère. Il fallait donc nous tailler un costard « antisémite de gauche ». Mais la justice a tranché. « Même battus, mes persécuteurs intimident les journalistes. A preuve, la toute petite couverture de ces procès. Une attaque aussi carabinée contre la liberté d’expression exigeait une formidable levée de boucliers. » Reste que le site labassijysuis.org a recueilli 22 000 signatures  - plus 5 000 par lettres – au bas de la pétition en faveur de Mermet…
Autre cible privilégiée : Pascal Boniface, le directeur de l’Institut de recherches internationales et stratégiques (IRIS). Dans une note adressée à la direction du Parti socialiste, puis dans une tribune du Monde [18], il met en garde la « communauté juive » contre le risque de voir se créer une « communauté d’origine arabe et/ou musulmane » organisée, sachant que la seconde représenterait dix fois plus de mandants potentiels… « Il serait donc préférable pour chacun de faire respecter des principes universels et non le poids de sa communauté. »
Maladroitement formulée, mais de bon sens, cette réflexion lui vaut une véritable persécution. L’ambassadeur d’Israël en personne le cloue au pilori [19]. Me Goldnadel – toujours lui – et Clément  Weil-Raynal, président de l’Association des journalistes juifs de la presse française (sic), appellent les membres du conseil d’administration de l’IRIS à démissionner, sans guère de succès. Début novembre, certains exigeront même – vainement – sa démission. Jean-François Strouf, du Consistoire de Paris, s’en mêle, attribuant à Boniface la défaite du candidat Jospin ! Dans le droit-fil de sa récente radicalisation, L’Arche consacre trois pages à « Docteur Pascal et Mister Boniface ». Valeurs actuelles voit dans sa démarche la « clé des agressions [20] ». Pour ne rien dire de la tentative de cabale montée contre lui au sein du Parti socialiste, où sa note avait été bien accueillie au plus haut niveau… « Me traiter d’antisémite est ignoble. Et dangereux, ajoute Boniface – allusion aux menaces de mort reçues. Ce qui est incroyable, c’est le décalage entre mes écrits et ces attaques. J’ai l’impression d’être victime d’une fatwa. »
Alexandra Schwartzbrod a pris ses fonctions de correspondante de Libération à Jérusalem juste avant la seconde Intifada. Elle a dû apprendre vite – « et bien », précise Enderlin. Pourtant, elle va regagner Paris ce mois-ci. Gênés, ses collègues font état de « problèmes politiques et professionnels ». Coïncidence ? La Mena l’accusait systématiquement depuis janvier 2002 d’incitation à la haine ethnique » et de « propagande anti-israélienne », jusqu’à ce que, le 14 juillet, une dépêche claironne : « Alexandre Schwartzbrod s’en va ! Ce sont nos amis à Libération qui nous ont confirmé la rumeur avec une satisfaction certaine. » Et de raconter par le menu les discussions internes qui aboutirent au rappel de la correspondante et à son remplacement…
Diffamez, diffamez, il en restera toujours quelque chose. Conformément au vieil adage, le cocktail de calomnies et de propagande dont les organisateurs de cette campagne ont régalé maints journalistes a bien sûr laissé des traces. Sans pourtant tromper l’opinion, au contraire : selon un sondage inédit, d’octobre 2000 à avril 2002, la « sympathie » est passée pour les « positions israéliennes » de 14 % à 16 % et pour les « positions palestiniennes » de 18 % à 30 % [21]. En cas de conflit militaire, 31 % des sondés en attribueraient la responsabilité aux autorités israéliennes (contre 20 % en octobre 2000), et 12 % aux autorités palestiniennes (contre 14 %). Enfin, 47 % jugent l’attitude des médias « objective » (56 % en octobre 2000), 16 % « trop favorable aux positions israéliennes (contre 9 %) et 14 % « aux positions palestiniennes » (contre 9 %).
Cinglant, cet échec provoque d’ailleurs de premières hésitations. Lors de la provocation contre Charles Enderlin, le CRIF s’est démarqué de ses ultras. Dans le nouveau procès, intenté cette fois à Edgar Morin, Danielle Sallenave et Sami Naïr, Me Goldnadel doit se passer de la Licra et de l’UEJF. Un temps en pointe dans la dénonciation des intellectuels juifs critiques [22], Marianne est revenue à plus de raison. Les démocrates, les hommes de gauche juifs auraient-ils enfin compris qu’ils ne peuvent plus, au nom de la lutte contre l’antisémitisme, cautionner l’idéologie et les agitateurs de l’extrême droite ? Il est temps en tout cas d’en finir avec cette situation où – pour citer la Lettre ouverte aux juifs de France [23] de M. Elie Barnavi – « les extrémistes clament leur extrémisme, sans doute parce qu’ils en sont inconscients. Les autres, c’est-à-dire l’immense majorité, chuchotent ».
[Accompagnant une reproduction du tableau du peintre orientaliste anglais Edward Lear : « Masada et la mer Morte » (1885), ainsi légendée : « Sur la colline de Masada, le 3 mai 72 (ou 73) après J. C., 960 hommes, femmes et enfants juifs préférèrent se suicider plutôt que de se rendre aux Romains. », le Monde diplomatique cite cet extrait d’un article de Maxime Rodinson dans le Monde des 4 et 5 juin 1967 :
« S’il est une tradition de l’histoire juive, c’est celle du suicide collectif. Il est permis aux purs esthètes d’en admirer la farouche beauté. Peut-être, comme Jérémie à ceux dont la politique aboutit à la destruction du premier Temple, comme Hohanan Ben Zakkaï à ceux qui causèrent la ruine du deuxième, peut-on rappeler qu’il est une autre voie, si étroite que l’aie rendue la politique passée. Peut-on espérer que ceux qui se proclament avant tout des bâtisseurs et des planteurs choisiront cette voie de la vie ? »]
- Notes :
[1] : 8 novembre 2001.
[2] : Témoignage chrétien, Paris, 6 juin 2002.
[3] : Le Figaro, Paris, 23 septembre 2002.
[4] : Les citations non référencées sont extraites d’entretiens réalisés au cours de cette enquête.
[5] : Le Bund, né en Russie, dans la clandestinité, en 1897, est une formation juive socialiste non sioniste.
[6] : Lire  « Les juifs de France en quête d’identité », Le Monde diplomatique, août 2002.
[7] : Haaretz, Tel-Aviv, 22 avril 2002. Dans le même numéro, Pierre-André Taguieff dit de Jean-Marie Le Pen : « Personne n’a jamais été capable de l’identifier sans équivoque comme un antisémite. »
[8] : Le Parisien, Paris, 28 août 2002.
[9] : Jeune Résistance, Paris, n° 25, hiver 2001.
[10] : Lire René Monzat, « L’étonnant parcours d’Alexandre Del Valle », Ras l’Front, Paris, avril 2002.
[11] : Le Figaro, 16 octobre 2002. Voir Le Totalitarisme islamiste à l’assaut des démocraties, Editions des Syrtes, Paris, 2002.
[12] : Editorial de la radio Arouts 7, 11 août 2002. Consulter le site
www.a7fr.com
[13] : Le Figaro, 16 janvier 2002.
[14] : Intervention à la journée « Le sionisme face à ses détracteurs », Paris, 13 octobre 2002. Alain Finkielkraut a par ailleurs, comme Alexandre Adler, témoigné à charge contre Daniel Mermet.
[15] : Cf. Le Monde, 23 août 2002.
[16] : Ramsay, Paris, 2001.
[17] : Haaretz, 25 janvier 2002.
[18] : Le 4 août 2001.
[19] : Le Monde, 8 août 2001.
[20] : 7 décembre 2001.
[21] : Enquête BVA pour la Revue d’études palestiniennes.
[22] : Voir notamment les numéros du 5 novembre 2001 et du 28 janvier 2002.
[23] : Sock-Bayard, Paris, 2002.

                                               
2. Un plan pour déstabiliser les Saoud par Jean-Pierre Perrin
in Libération du jeudi 5 décembre 2002

Un rapport américain encourage la sécession d'une province pétrolière.
Circulant au plus haut niveau dans les milieux officiels à Washington, un rapport fait peur aux dirigeants saoudiens. Après le renversement de Saddam Hussein et la mise sous tutelle de l'Irak, il prône la sécession de la province du Hasa (est du royaume) qu'il encourage froidement. Cette région n'est pas seulement la plus riche province pétrolière de l'Arabie Saoudite. Elle est aussi très majoritairement peuplée d'Arabes chiites qui ont peu de goût pour la monarchie wahhabite et qui se révoltèrent même contre elle en 1979, à l'instigation de l'Iran. Le démembrement complet de l'Arabie Saoudite est aussi envisagé : les lieux saints de La Mecque et Médine se verraient confiés aux Hachémites ­ qui, en tant que descendants du Prophète, bénéficient d'une légitimité qui fait défaut à la dynastie des Saoud. Poussant très loin l'indélicatesse à l'égard de leur allié saoudien, les Américains n'ont pas hésité à faire travailler sur ce sujet brûlant un... chercheur israélien de l'université Bar Ilan à Tel Aviv.
Don princier. Depuis le 11 septembre 2001, ce n'est pas le seul signe d'hostilité manifeste témoigné par les Etats-Unis à l'égard de Riyad. Le 10 juillet, Laurent Murawiec, expert à la Rand Corporation, un influent institut de recherches, déclarait au beau milieu d'une réunion du Defense Policy Board (Bureau sur la politique de défense) au Pentagone : «Les Saoudiens sont très actifs à tous les niveaux de la chaîne de la terreur, des planificateurs aux financiers, des cadres aux militants, des idéologues aux leaders. [...] L'Arabie Saoudite soutient nos ennemis et attaque nos alliés.» La semaine dernière, Newsweek révélait que des dons charitables, d'un montant de 130 000 dollars (environ autant d'euros), de la princesse Haïfa al-Fayçal, épouse de l'actuel ambassadeur saoudien à Washington, le prince Bandar ben Sultan, avaient échoué dans les mains d'acolytes des deux pirates de l'air saoudiens impliqués dans les attentats du 11 septembre. A Riyad, cette attaque a été jugée particulièrement hostile : la princesse est la fille de l'ex-roi Fayçal et son mari l'homme clé, depuis des années, des relations américano-saoudiennes.
Face à cette campagne de dénigrement sans précédent, menée notamment par Richard Perle, directeur du puissant Defense Policy Board du Pentagone, le royaume s'est trouvé dans l'obligation de lancer une vaste campagne de relations publiques qu'il a confiée au cabinet de lobbying Patton-Bogg. Mardi, il faisait proclamer depuis Washington par Adel al-Joubeir, conseiller diplomatique du prince héritier Abdallah, le renforcement de la réglementation et le contrôle financier des organisations caritatives islamiques. Ont aussi été annoncées la création d'une unité de renseignement financier au sein de la banque centrale et des différentes banques privées saoudiennes, ainsi que la relance de la Commission antiterroriste conjointe avec les Etats-Unis.
Naïveté. Faisant écho aux déclarations de la Maison Blanche, qui jugeait que les dirigeants saoudiens pouvaient faire plus en matière de lutte antiterrorisme, le même conseiller reconnaissait que «par le passé», ils avaient pu être «naïfs» : «Nous n'avions pas de moyens de contrôle adéquats sur toutes nos donations. En conséquence de quoi, certains ont pu profiter de notre charité et de notre générosité.» Il a aussi dénoncé les «critiques sévères et scandaleuses, qui frôlent la haine» lancées contre le royaume, affirmant qu'Oussama ben Laden avait fait exprès d'utiliser une majorité de Saoudiens pour commettre les attentats du 11 septembre afin de nuire à l'image de son pays aux Etats-Unis : «Quand on regarde qui étaient les pilotes, ils venaient du Liban, des Emirats, d'Egypte et d'Arabie Saoudite. Quand on regarde les [pirates] à l'arrière des avions, ils étaient tous Saoudiens [...]. Pourquoi a-t-il fait cela ? Pour donner un visage saoudien à cette opération et créer le doute dans l'esprit des Américains et aussi pour enfoncer un coin entre nos deux pays. Et vous savez quoi, il a presque réussi, a-t-il ajouté. S'il est mort, il doit rire dans sa tombe. S'il est vivant et assis dans une grotte, il doit faire de même.»
Mais ce que le pouvoir saoudien tait, c'est qu'il a dû accepter le retour de centaines de ses ressortissants membres d'Al-Qaeda, fuyant l'Afghanistan et dont il craignait la capacité de nuisance. Ils ont été dispersés aux quatre coins du pays avec l'obligation de se tenir tranquille. En fait, si la famille royale veut tenter de redresser des relations fortement remises en cause, elle n'aura pas la partie facile. Car, si les Etats-Unis estiment qu'elle n'en fait pas assez, la population, viscéralement antiaméricaine, juge qu'elle en fait trop. Une boutade qui circule dans certains milieux proche-orientaux le dit bien : «En Arabie, il n'y a que 50 % du peuple qui soit antiaméricain parce que les cinquante autres sont pour Ben Laden.»
«Aucune assistance». Récemment, les oulémas du royaume ont publié dans la presse une déclaration dans laquelle ils mettent en garde contre l'émiettement de la souveraineté des Etats musulmans. Même si Washington n'est désigné qu'indirectement, une telle initiative a reçu l'aval des autorités. «De plus, souligne Elie Kheir, chercheur à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, il ne se passe guère une semaine sans qu'il y ait un attentat en Arabie, au Yémen ou au Koweït [cinq depuis octobre, ndlr], car c'est le seul moyen d'expression qui existe sur le terrain.»
Dans ce contexte, le régime n'a pas encore décidé s'il permettrait aux Etats-Unis d'utiliser ses bases en cas d'attaque de l'Irak. En octobre, le prince Sultan, ministre de la Défense saoudien, assurait que son pays n'apporterait «aucune assistance» aux forces américaines. Depuis, un débat s'est fait jour au sein de la famille royale et les déclarations sont plus nuancées. On est loin de la Turquie qui, pourtant dirigée par un gouvernement islamiste, a donné, mardi, son accord à l'utilisation de ses bases.
                                               
3. Moshé Ya'alon, un chef d'état-major en campagne par Pierre Prier
in Le Figaro du mercredi 4 décembre 2002
Le chef d'état-major israélien, le général Moshé Ya'alon, semble avoir décidé de peser sur la campagne électorale. Pour le principal responsable militaire, négocier avec les Palestiniens sans un arrêt complet de la violence serait une erreur. Evacuer dans la même condition la plus petite des colonies ressemblerait à une reddition. Le général assure donner un avis purement militaire, mais il condamne ainsi le programme du candidat travailliste aux élections législatives du 28 janvier prochain.
«Procéder vers des négociations alors que le terrorisme est en cours équivaudrait à une victoire des Palestiniens», a déclaré le général Ya'alon devant la conférence annuelle d'Herzliya, qui rassemble hommes politiques et analystes israéliens et étrangers sur le thème du «nouveau paysage stratégique». Le chef d'état-major a rejeté l'idée d'une évacuation de Netzarim, la plus petite et la plus isolée des colonies de la bande de Gaza : «Dans cette hypothèse, nous agirions sous la pression du terrorisme. Et nous devrions ensuite payer un prix très élevé pour cela».
Le candidat travailliste Amram Mitzna, lui-même ancien général, a promis d'évacuer sans condition toutes les colonies de la bande de Gaza, où quelque 7 000 Israéliens vivent retranchés sous la protection de l'armée au milieu de 1,1 million de Palestiniens. Il souhaite offrir aux Palestiniens de reprendre sans condition les négociations.
Le premier ministre sortant, Ariel Sharon, a durci sa campagne électorale en affirmant hier que le terrorisme servait aux Palestiniens d'outil pour faire voter Mitzna. «Le terrorisme est devenu un moyen de la campagne pour inciter des partis à former un gouvernement qui fera des concessions très larges, que pour notre part nous ne ferons jamais», a déclaré Ariel Sharon.
                                                                       
4. Bethléem s'apprête à fêter Noël sous couvre-feu par Valérie Féron
in 24 heures (quotidien suisse) du mardi 3 décembre 2002

BETHLEEM - Dans la ville réoccupée, le moindre geste quotidien prend des allures de dangereux défi pour la population.
«Attention ! ils arrivent», crie mi-apeurée, mi-souriante Hanine à ses camarades en les poussant à l'intérieur de la basilique de la Nativité. «Ils», ce sont les soldats israéliens qui, en ce dimanche matin, patrouillent en char et en jeep, criant «Mamnou at tajawal» (interdiction de sortir). Ces jeunes Palestiniennes ont décidé de braver le couvre-feu pour aller à la messe et en profiter de voir leurs amis, du moins ceux qui auront réussi à sortir de chez eux. Les musulmans, en cette période de ramadan, jouent eux aussi à cache-cache avec l'armée pour se rendre à la mosquée d'Omar, située en face de la basilique, les chars israéliens s'étant réinstallés, comme en avril dernier, sur la place de la Mangeoire qui sépare les deux lieux de culte de nouveau interdits aux fidèles.
Eternel recommencement
Tout en reconnaissant que la tension est moins vive que lors du siège d'avril, les habitants estiment que la «situation est bien plus difficile». Michel Nasser, directeur du Peace Center - construit sur la place de la Mangeoire pendant la période d'Oslo -, explique que, suite au retrait israélien d'août dernier, «nous avons eu un répit, même si l'armée était toujours à nos portes et procédait à des incursions et des arrestations. On pouvait sortir, respirer un peu. Nous sentions que les Israéliens attendaient la moindre occasion pour réoccuper la ville et, là, c'est fait.» Un sentiment d'éternel recommencement qui rend amères les populations dont le moindre geste quotidien est redevenu, comme dans les autres villes palestiniennes, un défi.
Au marché de la vieille ville, Ahmed, marchand de légumes, est l'un des rares commerçants à avoir ouvert son magasin: «Les soldats sont venus me voir, raconte-t-il. Ils voulaient que je ferme. Je leur ai répondu qu'ils pouvaient m'arrêter ou me tuer s'ils le voulaient, mais que je n'avais pas le choix: je dois vivre et mes marchandises ne se conservent pas!»
Désespoir et colère
Désespoir et colère sont accompagnés d'une accoutumance à la situation. C'est ainsi que des enfants, profitant de l'absence de circulation, s'approprient fréquemment une des artères principales de la ville, menant au camp de réfugiés de Deishe, pour faire du vélo entre deux passages de chars. Des amas de détritus envahissent de nouveau les rues et l'on a presque oublié l'allure qu'avait prise la ville de la Nativité pendant la période intérimaire, habillée à neuf en prévision notamment du Jubilé de l'an 2000, l'infrastructure notamment touristique ayant été ravagée par les réoccupations successives.
Déjà privés des fêtes de Pâques, les chrétiens de la ville, comme ceux de l'ensemble des territoires palestiniens, s'attendent à un Noël bien triste. L'an dernier, les festivités avaient été annulées, en dehors des offices religieux, et Israël avait interdit au président Arafat de quitter Ramallah pour assister à la messe de minuit, comme il en avait pris l'habitude depuis 1995, date du premier Noël à Bethléem sous souveraineté palestinienne. Une période qui semble désormais bien lointaine.
                                       
5. Mombasa : la double instrumentalisation par Richard Labévière
éditorial diffusé sur l'antenne de Radio France Internationale (RFI) le lundi 2 décembre 2002

Deux attentats, le même jour, dans deux continents différents. Le double attentat de Mombasa et l'attaque d'un bureau de vote du Likoud sont-ils suffisants pour conclure qu'il s'agit de la même guerre, des mêmes auteurs et de la même menace ?
Pour le premier ministre israélien Ariel Sharon, la réponse ne fait aucun doute. Il a déclaré ce week-end qu'il y a, bel-et-bien, une continuité entre ces différentes attaques qui émanent toutes, selon lui, du «terrorisme arabe» qui ne vise pas les Israéliens mais les Juifs : «jeunes et vieux, femmes et enfants, seulement parce qu'ils sont juifs», a répété Ariel Sharon.
Cet amalgame simpliste n'est pas une première puisqu'au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, le même Ariel Sharon qualifiait Yasser Arafat «de double, d'égal et de frère d'Oussama Ben Laden». Un mois après les attentats anti-américains, une équipe de Radio France Internationale (RFI) rencontrait Yasser Arafat à Gaza. Le vieux chef palestinien racontait, alors, comment Oussama Ben Laden l'avait condamné à mort, au lendemain de la signature des accords d'Oslo.
Par ailleurs, le président palestinien précisait qu'il avait mis en garde, à de multiples reprises, les autorités américaines sur les dangers de la politique menée par Washington en Asie centrale. politique de soutien et d'instrumentalisation d'islamistes internationalistes dont des religieux palestiniens farouchement opposés à l'Autorité palestinienne et à toute espèce de médiation politique dans le conflit proche-oriental.
Cela dit, une «Armée de Palestine» s'est néanmoins attribuée le double attentat de Mombasa. En matière de terrorisme, la revendication, c'est tout un art. Il convient de soigner le libellé, de choisir le média et le médium, et surtout, le lieu.
En choisissant Beyrouth, les vrais responsables de Mombasa poursuivent un double objectif : récupérer les milliers de réfugiés palestiniens qui croupissent dans des camps du Liban-Sud, et impliquer les chi'ites libanais, puisque la revendication est parvenue au siège de la télévision du Hezbollah; une façon habile de jeter le discrédit sur l'organisation du cheikh Nazrallah qui travaille, depuis plusieurs années, à la mutation du Hezbollah en force politique, à l'intégration de ses partisans à la vie parlementaire et nationale libanaise.
Les services israéliens, qui sont installés au Kenya depuis des années, savent parfaitement que le double attentat ne peut, lucidement, être attribué à des organisations palestiniennes, et qu'il faut enquêter en direction des filières affairo-islamistes qui relint la Corne de l'Afrique à l'Asie du Sud-Est.
Les services israéliens savent aussi parfaitement que toutes les tentatives d'intégration d'organisations palestiniennes à la nébuleuse Al-Qaïda, menées par le porte-parole de Ben Laden Khaled al-Fawwhaz, ont échoué.
Actuellement en résidence surveillé à Londres, ce dernier nous disait déjà en avril 1998 «On n'arrivera jamais à rien avec les Palestiniens». Un aveu qui ruine la double instrumentalisation de Mombasa par les partisans de Ben Laden, comme par ceux d'Ariel Sharon. 
                                       
6. Arik est tombé dans le piège : tête baissée, nous l’y suivons… par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britannique) du dimanche 1er décembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Vous me demandez qui est le script de la guerre contre le terrorisme ? Très simple : c’est Oussama Ben Laden !
Il fut un temps où Bali aurait été l’événement de l’année, l’acte le plus violent en douze mois, le genre de choses à vous remémorer avec horreur, au mois de décembre, comme le plus terrible des crimes commis dans l’année écoulée. Mais voilà. Bali ne fut que l’événement du mois. Et bientôt, peut-être, les attentats de Karachi, de Bali et de Monbasa, seront les événements marquants, mais seulement à l’échelle de la semaine écoulée. Vous voyez comment nous nous sommes accoutumés à la mort à grande échelle ? Cette semaine, quel sera le cauchemar, à la une des journaux ? Combien d’innocents auront-ils été tués au moment où vous ouvrirez l’Independent on Sunday, la semaine prochaine ?
Mais la tuerie de la semaine dernière, au Kénya, et la tentative de descendre un avion de ligne israélien, sont des événements beaucoup plus importants que la plupart des gens ne le pensent. En effet, en attirant Israël dans l’œil du cyclone – en faisant qu’Israël devienne un partenaire de la « croisade antiterroriste » asine de Bush, Al-Qa’ida a acquis la certitude que le monde arabo-musulman va désormais accorder sa sympathie, réelle, même si elle est peu voyante, à Oussama Ben Laden. Bien que la plupart des Arabes aient été horrifiés par les crimes contre l’humanité à l’échelle internationale commis le 11 septembre 2001, peu d’entre eux objecteront contre une attaque visant des Israéliens, aussi cruelle soit-elle, tant que l’assassinat en règle des Palestiniens par Israël se poursuivra. S’il s’avère qu’Al-Qa’ida s’en prend désormais à Israël, les Arabes soutiendront Al-Qa’ida.
Avec un prédictibilité extrême, Ariel Sharon est tombé dans le piège d’Al-Qa’ida. Il a juré qu’il se « vengerait ». Ainsi, toute frappe contre Al-Qa’ida, - qu’elle vienne de l’Amérique, de la Grande-Bretagne ou de l’Australie… – sera perçue comme une riposte israélienne. Désormais, l’Amérique, la Grande-Bretagne et Israël sont du même côté de la tranchée. A court terme – à court terme, seulement - dans sa tentative hasardeuse d’établir un lien entre Yasser Arafat et M. Ben Laden, M. Sharon pourrait bien avoir marqué quelque point. Enfin, la guerre d’Israël contre le « terrorisme » palestinien peut être placée sur le même pied que sa nouvelle guerre contre Al-Qa’ida. Les porte-parole horrifiants de M. Sharon n’auront plus, désormais, à s’escrimer à tenter de justifier la brutalité de leur armée contre les Palestiniens. Israël mène, c’est désormais connu, le même combat « du bien contre le mal » que celui que nous a concocté le président Bush, voici tout juste un an…
Mais pour les Israéliens, dans toute cette affaire, il y a un gros hic. En répliquant à l’attaque pernicieuse d’Al-Qa’ida contre ses ressortissants, Israël s’en prend à un adversaire gigantesque et très puissant. En effet, les hommes de M. Ben Laden n’ont rien à voir avec ces kamikazes suicidaires que les Palestiniens produisent dans leurs camps de réfugiés sordides. Les hommes de la légion de M. Ben Laden, entraînés en Afghanistan, ne sortent pas de la déréliction de Gaza ni des concentrations de population sous occupation de la Cisjordanie. Ils sont impitoyables, hautement motivés, intelligents – pour une fois, William Safire a eu les mots qui convenaient en les qualifiant, récemment, de « guerriers retors » - et ils pourraient bien donner du fil à retordre, précisément, aux hommes d’Israël à l’intelligence plus que discutable. L’armée dépenaillée d’Israël peut tuer sans problème des enfants qui lancent des cailloux… Al-Qa’ida, comme adversaire, c’est tout à fait autre chose. Et si M. Sharon veut se mesurer à M. Ben Laden, il peut avoir la certitude qu’il s’apprête à faire la guerre avec son ennemi le plus dangereux en cinquante quatre ans. Il ferait bien mieux – de très loin – de laisser les Américains pourchasser Al-Qa’ida – d’ailleurs, même eux ne donnent pas l’impression d’avoir autant de succès que ça – que de lancer Israël dans ce genre de bataille.
Désormais, cependant, MM. Bush et Blair n’auront plus qu’à regarder – en la fermant – M. Sharon amener les Palestiniens sous occupation à encore un degré supplémentaire de soumission. Israël est désormais engagé dans notre guerre, de notre côté, et quoi qu’il fasse, il aura dorénavant l’imprimatur de la « guerre contre le terrorisme ». Israël est désormais du côté des bons et s’il tue neuf enfants parce que son aviation aura voulu assassiner un dirigeant du Hamas, la Maison Blanche ne pourra même plus lui reprocher d’avoir « eu la main un peu trop lourde… » ( Au passage, il est très instructif de noter que tandis que la tuerie d’enfants, à Gaza, était un peu trop « appuyée », d’après le porte-parole de M. Bush, Ari Fleischer, l’opération qui a abouti récemment à l’élimination [c’est moi qui souligne et assume ce terme, ndt] de 12 soldats et policiers israéliens fut qualifiée – par le même gentleman – de « crime haineux ».)
Mais occupons-nous de notre côté de la tranchée, pour le moment. Quelqu’un a-t-il remarqué que quelque chose clochait, dans le dernier épisode en date de la « guerre contre le terrorisme » ? L’un quelconque des poussins de balbuzard de l’administration américaine ou de Downing Street s’est-il seulement aperçu qu’il a perdu la main ? Y a-t-il eu un pékin pour remarquer que c’est M. Ben Laden, qui écrit le scénario de ce film de guerre ? Al-Qa’ida attaque New York ? – nous attaquons l’Afghanistan… Al-Qa’ida attaque à Bali ? – le gouvernement australien réaffirme son soutien à l’Amérique… Al-Qa’ida menace l’Amérique ?– nous assassinons quatre de ses membres au Yémen… Et nos gouvernements – jusqu’au gouvernement irlandais, la semaine dernière ! – répondent non pas en nous protégeant, non pas en s’unissant afin de former un nouveau système, fiable, de justice internationale… Non : ils répliquent en pondant des lois qui restreignent nos droits et notre liberté. Nous sommes attaqués par Al-Qa’ida ? – Mettons sur écoute les téléphones et les messageries électroniques de nos citoyens innocents ! Asticotons tous les musulmans qui osent encore utiliser nos aéroports ! Espionnons notre propre peuple ! Comme M. Ben Laden – qui n’a pourtant guère le sens de l’humour, je puis personnellement en attester – doit bien se fendre la pêche !
Désormais, les Américains doivent vivre avec le Department of Homeland Security (Département de la sécurité intérieure). Les racines teutoniques de cet intitulé – Homeland, cela se disait Heimat, sous le Reich – sont aujourd’hui oubliées, c’est sans doute tant mieux. Mais d’ores et déjà, les gens qui vont visiter les Etats-Unis se font repérer, dans les aéroports, en raison de la couleur de leur peau, de leur religion, voire de leur profession…
En voici juste un petit exemple. J’ai terminé, récemment, une nouvelle tournée de conférences dans des universités américaines. Les Américains sont un grand peuple ; ce sont des gens brillants, et ils veulent savoir la vérité au sujet du Moyen-Orient, et la moindre de leur motivation n’est pas la conscience aiguë qu’ils ont acquise que leurs journaux et leurs télévisions leur mentent, délibérément et quotidiennement, dans leur traitement des problèmes de cette région du monde. Je donne mes conférences gratuitement. The Independent et Independent on Sunday (supplément hebdomadaire du quotidien britannique, ndt) ont des milliers de lecteurs aux Etats-Unis et nous autres, journalistes, avons le devoir d’aller leur parler. Mais, durant mon dernier voyage là-bas, j’ai bien dû passer pas moins de 20 vérifications de sécurité « aléatoires » au moment de mes divers embarquements. Chaque fois que je prends un avion américain, hop ! : le discret petit numéro de code glissé sur ma carte d’embarquement fait réagir le système, et mes bagages à main sont tellement fouillés qu’ils en ressortent dans un désordre indescriptible…
Remarquez bien, je m’en fous... Les employés de sécurité sont polis, sous-payés et bien souvent très sympas – j’en ai même persuadé un de venir à ma conf’ à Manhattan – mais ma provenance, Beyrouth, ou le nombre de visas de pays parias, dans mon passeport, ou peut-être le simple fait que je sois reporter, m’ont fait ‘coucher’ sur la liste de sécurité américaine. Le code de « sécurité » figurant sur une carte d’embarquement est en fait assez facile à déchiffrer – et si un andouille comme moi peut le faire, alors les méchants garçons le peuvent très certainement – mais le problème, c’est que, là encore, un citoyen parfaitement respectueux des lois doit payer le prix à la place de M. Ben Laden.
Alors, laissez-moi vous livrer quelques réflexions personnelles. Pourquoi faut-il donc que nous laissions Al-Qa’ida écrire le script du film ? Pourquoi ne mettons-nous pas en place la machinerie d’une loi internationale effective ? Pourquoi ne parlons-nous pas plutôt de « justice » que de revanche ? Pourquoi n’avons-nous pas de tribunaux internationaux, afin que ceux qui veulent nous tuer puissent s’éclater devant un jury ? Je ne veux pas que les équipes de tueurs de M. Bush pulvérisent des membres d’Al-Qaida au Yémen (en les ‘éliminant’ à l’israélienne, au moyen d’un missile, ndt). Je veux les voir jugés, équitablement, dans le cadre d’un procès dans les règles de l’art. Bien entendu, les Américains vont tiquer et geindre. Ils vont objecter que des Américains risqueraient d’être jugés à des fins politiques, que des troupes américaines pourraient même être passibles de jugements pour crimes de guerre – et étant donné leur comportement en Afghanistan, je comprends très bien leur inquiétude. Mais je comprends très bien, également, pourquoi M. Sharon aurait toutes les raisons de redouter de finir, lui aussi, devant un tribunal pour répondre d’accusations de crimes de guerre en raison de son active participation aux massacres perpétrés contre des Palestiniens à Sabra et Chatila, en 1982. Je ne sais pas si M. Sharon est coupable. Mais je maintiens qu’il mérite d’être jugé équitablement.
Non. Je n’assimile pas M. Sharon à Al-Qa’ida, pas plus que je ne confonds les innocents avec les coupables. Mais il est grand temps d’écrire nous-mêmes le script de ce terrible conflit. Il est grand temps d’arrêter d’écraser nos propres libertés. Il est plus que temps de parler de loi, d’équité et de justice. Pas seulement pour les criminels. Pour l’ensemble du Moyen-Orient. Et pour tout le monde, au Moyen-Orient.
                                   
7. Le jeu de la terreur par Valentino Parlato
in Il Manifesto (quotidien italien) du vendredi 29 novembre 2002
[traduit de l'italien par Marcel Charbonnier]

Kenya : les attentats constituent une opportunité inespérée de lier la cause palestinienne au terrorisme international. Ce genre de tentatives a déjà échoué, par le passé, un certain 11 septembre 2001…
La journée d’hier, avec les attentats au Kenya et en Israël, a été très pesante, lourde de menaces. Condamner ne saurait suffire, par les temps qui courent : une condamnation sonne creux, ce n’est que de la rhétorique pure. C’est un effort de froid raisonnement – et si possible, de rationalité – qui s’impose. Avant tout, il convient de faire le distinguo entre les attentats palestiniens en Israël et les attentats au Kenya (contre l’hôtel de Mombasa et contre l’avion de la filiale d’El-Al, ndt), pays où le Hamas ne risque pas de commettre le moindre attentat. Les premiers sont l’expression de la tragédie palestinienne, les seconds sont l’instrumentalisation de cette tragédie. Ben Laden et les siens ne sont jamais le moins du monde souciés des Palestiniens : ils ont commencé à se servir d’eux, après le 11 septembre, en les utilisant seulement à la manière d’une sorte de caisse de résonance pour leurs entreprises démentes. Les attentats d’hier, au Kenya, ont pour seul objectif de réduire la question nationale palestinienne afin d’en faire une force d’appoint du fondamentalisme islamique, lequel ne représente pas l’islam, et encore moins les peuples arabes. Ce distinguo nous semble fondamental, il est inutile d’en faire plus.
La nouveauté, pour ainsi dire, dans la mesure où il s’agit de la répétition d’attentats commis précédemment à l’extérieur d’Israël et de la Palestine, réside dans le choix du Kenya. En raisonnant d’après le critère du ‘cui prodest’ (A qui profite le crime ? C’est souvent un procédé fallacieux, attention !…), on en vient rapidement à la conclusion que ces attentats apportent de l’eau au moulin de baby Bush et de sa pulsion de guerre sans fin ; en commençant, bientôt, par l’Irak. Le terrorisme – nous dit Bush, c’est le nouvel empire du mal, c’est le substitut le plus dangereux et le plus insaisissable de l’ennemi aujourd’hui disparu, mais qui était tellement essentiel pour la légitimation de l’empire : dès lors qu’il n’y a plus d’ennemi, pourquoi devrait-il donc y avoir un empire ; pourquoi les Etats-Unis devraient-ils soutenir leur économie et leur pouvoir grâce aux dépenses d’armements et grâce aux armements eux-mêmes ?
Pour Bush et ses partisans, les attentats commis hier au Kenya sont providentiels, tels la manne et le miel du désert. Ils représentent aussi la manne et le miel du désert pour Sharon et la droite israélienne. Dans la perspective des prochaines élections en Israël, les morts de Mombasa et de Beit Shean apportent à Sharon les voix qu’ils font perdre au candidat du parti Travailliste. Nous nous acheminons vers une spirale qui menace d’entraîner la perdition tant de la Palestine que d’Israël, en faisant une réalité des rêves les plus fous des forces les plus réactionnaires du monde arabe – et pas seulement arabe – auxquelles l’identité palestinienne n’a jamais beaucoup agréé.
Mais cette tragédie, paradoxalement, en raison d’une contradiction inhérente à l’état des choses, met en crise, tout au moins devrait-elle le faire, la stratégie de Bush, aussi. Si le terrorisme se manifeste au Kenya et en Indonésie, faudra-t-il porter la guerre y compris au Kenya, ensuite à l’Indonésie, et pourquoi pas aux Philippines et… et… ? Si l’on choisit de combattre le terrorisme par la guerre, la perspective qui s’offre à nous – étant données les capacités des organisations terroristes – est celle d’un monde surarmé, avec des avions prêts à tout instant à décoller pour aller bombarder villes et populations civiles.
Les attentats du Kenya – dans le contexte actuel de la politique américaine – représentent certainement un encouragement, un coup d’accélérateur à la guerre contre l’Irak et ils sont éminemment susceptibles de réduire le travail des inspecteurs de l’ONU dans ce pays à l’état d’activité négligeable et inutile. Dès lors, par voie de conséquence, la guerre contre l’Irak ne serait que le premier acte dans une guerre interminable, une guerre qui non seulement ne déboucherait sur aucune paix, mais même ne connaîtrait jamais une quelconque victoire décisive. Une guerre qui dévasterait la Palestine et Israël (cela, d’autant plus, que Sharon, comme il aime à le répéter, veut se mettre en première ligne), et qui finirait par pulvériser y compris notre Europe tellement confite dans son silence…
                                                           
8. Le rêve brisé des pionniers de la Palestine par William Dalrymple
in The Guardian (quotidien britannique) traduit dans le Courrier International du jeudi 28 novembre 2002

Jours pas si tranquilles en Cisjordanie
Dans les années 90, nombre de Palestiniens, enrichis ou jeunes diplômés, sont rentrés au pays. Pour construire leur patrie, ils ont investi des milliards d’euros. Deux ans d’Intifada et de répression israélienne ont mis fin à leurs espoirs. Certains repartent, d’autres s’accrochent.
Il n’est que 7 heures du soir, mais la musique raï se déverse déjà, le volume poussé à fond, des haut-parleurs du café "Bethléem Radio 2000 Net". La voix de la chanteuse marocaine Samira Saïd couvre le clip d’Eminem que MTV diffuse au même moment sur le large écran qui surplombe le bar. Une quarantaine de jeunes Palestiniennes issues de la classe moyenne, moulées dans des tee-shirts laissant voir leurs ventres plats et dans des pantalons à pattes d’eph dernier cri, leurs cheveux tressés avec art, s’en donnent à coeur joie au milieu des lumières qui virevoltent sur le sol. Elles dansent les mains levées, se balançant au rythme de la musique pendant que leurs petits amis frappent dans leurs mains en les regardant. L’endroit est certainement l’un des pires de toute la Palestine pour faire une interview, mais c’est celui que préfère Reem Abou-Aitah à Bethléem, celui qui lui rappelle le plus sa vie normale, en tout cas la vie qu’elle menait en Europe avant de venir ici, et elle insiste pour poursuivre la conversation coûte que coûte, en couvrant le bruit des danseurs et des basses.
“Regardez ces filles”, dit-elle en les montrant. “Elles subissent le couvre-feu depuis des semaines, et c’est la première fois qu’elles peuvent sortir et fêter la remise de leurs diplômes. Il suffit d’un jour, d’un seul jour où les Israéliens ne nous enferment pas chez nous pour que tout redevienne normal.” Après une pause, elle ajoute : “Enfin, presque tout.”
Reem Abou-Aitah a de bonnes raisons d’hésiter. La ville est encerclée par les nouvelles colonies juives, des villages construits au cours des douze dernières années, en général sur des terres confisquées aux Palestiniens de Bethléem. Les Merkava, les chars de l’armée israélienne, montent la garde recouverts de terre au sommet des collines au nord et au sud de la ville. Leurs canons sont pointés sur les églises, les mosquées, les bazars et les places de la ville. Alors que les colons israéliens sont libres d’aller et venir dans toute la Cisjordanie, l’armée israélienne empêche les Palestiniens non pourvus d’un passeport étranger d’entrer en Israël, voire à Jérusalem. La suppression de la liberté de mouvement, qui transforme les villes et les villages palestiniens en une vaste prison à ciel ouvert, a eu un effet catastrophique sur l’économie. Comme beaucoup de commerçants en Palestine, Reem Abou-Aitah est aujourd’hui au bord de la faillite.
Il n’en a pas toujours été ainsi. En 1989, après dix années passées hors de Cisjordanie, elle et son frère aîné ont vendu le magasin d’informatique qu’ils avaient à Birmingham, contracté un emprunt et ouvert un magasin qui avait pour ambition de devenir l’équivalent palestinien de PC World. “C’était un endroit fantastique. Nous avions retapé le local, et il avait vraiment de l’allure : on l’avait bien aménagé, c’était un lieu agréable, spacieux, éclairé par des projecteurs, où vous pouviez vous promener et choisir votre ordinateur portable ou de bureau, votre imprimante, votre scanner, et tout ce que vous vouliez. Il y avait un coin au fond dédié à la conception de pages web. Le magasin a fait un véritable malheur, il n’y avait rien de tel dans les environs, et nous commencions tout juste à faire des bénéfices lorsque Ariel Sharon a fait sa petite visite à Al Aqsa*”, raconte-t-elle.
Reem Abou-Aitah a les yeux rivés, au-delà de la piste de danse et à travers les fenêtres du café, sur les lumières de la phalange de béton formée par les nouvelles colonies israéliennes, nettement visibles sur les hauteurs. Puis elle continue : “Dix jours plus tard, notre magasin s’est retrouvé au beau milieu d’un tir croisé entre Bethléem et [la colonie juive de] Gilo. Nous avons dû rester couchés sur le sol plusieurs heures d’affilée, à regarder les balles traçantes passer devant les fenêtres. Si nous nous étions levés ou si nous nous étions hasardés à l’extérieur, nous n’en aurions pas réchappé. L’une de nos voisines a été tuée, assise, chez elle. Bien entendu, nous n’avons pas vendu un seul ordinateur depuis. Personne n’a d’argent à mettre dans un nouvel ordinateur portable dans de telles circonstances. Le commerce est mort, et nous sommes criblés de dettes.”
Reem Abou-Aitah est loin d’être la seule dans ce cas. Au début des années 90, dans la vague d’optimisme qui a suivi les accords d’Oslo, des dizaines de milliers d’exilés palestiniens ont liquidé les biens qu’ils possédaient en Occident et sont rentrés au pays pour investir toutes leurs économies dans la “Nouvelle Palestine”. On trouvait parmi eux des jeunes diplômés, comme Reem Abou-Aitah, et même des Palestiniens milliardaires en proie au mal du pays qui avaient fait fortune en travaillant pour les Saoudiens et les Koweïtiens dans le Golfe. Le montant exact des capitaux privés entrés dans les Territoires palestiniens pendant les années 90 n’est pas connu. Il est cependant estimé à plusieurs milliards d’euros, rapatriés au rythme de 300 millions d’euros par an pendant toute la décennie. Le nombre de familles revenues des Etats-Unis avec des enfants ne parlant que l’anglais était si élevé que l’université Bir Zeit et d’autres établissements scolaires palestiniens ont dû mettre en place des cours d’arabe pour l’enseigner aux enfants de la diaspora d’affaires rentrée au bercail.
Le paysage a changé du jour au lendemain. Bethléem, Naplouse et Ramallah accueillent désormais les camps de réfugiés tentaculaires que l’on peut voir dans les journaux télévisés, des lieux où règne un désespoir sans nom et où naît un flot apparemment sans fin d’hommes ayant reçu une éducation minime, prêts à se sacrifier dans un attentat suicide.
Mais il existe, à côté des camps, des quartiers dont on entend moins souvent parler dans les médias : grands, luxueux, où se sont installés dans un grand confort, en tout cas avant la seconde Intifada, de riches émigrés revenus des Etats-Unis et des pays du Golfe, ayant reçu une éducation plus poussée. Ramallah, en particulier, possède une bourgeoisie dynamique qui, à force d’obstination, a survécu aux incursions israéliennes répétées, aux fermetures des frontières, aux sièges, aux barrages routiers et aux autoroutes défoncées, à la confiscation de la majorité des terres arables de la municipalité et à la destruction systématique de ses plantations d’oliviers et d’arbres fruitiers, au bombardement du quartier général de Yasser Arafat et à tout ce que Sharon a mis en oeuvre, selon les Palestiniens, pour faire échouer le processus de paix et rendre la vie aussi insupportable que possible. Même aujourd’hui, entre des poches de réelle pauvreté et de souffrance autour des camps, on passe devant des magasins de CD qui jettent mille feux et des galeries d’art, des clubs de remise en forme et toute une série de bars où l’on sert des cappuccinos. On trouve même un concessionnaire Mercedes. Certaines villas ont été récemment agrandies. Les toits sont surmontés d’antennes satellites, et l’inévitable 4 x 4 est garé dans l’allée.
Bon nombre de ces endroits ont été démolis et systématiquement pillés par l’armée israélienne lors de l’invasion menée au mois d’avril dernier. De nouvelles recrues de Tsahal, dont beaucoup de juifs russes qui venaient de faire la guerre en Tchétchénie, se sont alors comportées de manière particulièrement brutale. Aujourd’hui, à l’exception du quartier général d’Arafat, la plupart des vitres brisées ont été remplacées et les rues défoncées par les lourds blindés israéliens ont été refaites.
“Parfois, explique Reem Abou-Aitah, nos fournisseurs et nos transporteurs de Tel-Aviv nous appellent pour nous demander si nous avons des commandes à leur passer. Ils ne semblent pas comprendre que, la plupart du temps, nous ne pouvons même pas sortir de chez nous et franchir les 500 mètres qui nous séparent du bureau sans nous faire tirer dessus par l’armée israélienne. Le mois dernier, le magasin n’a été ouvert que trois ou quatre jours à cause du couvre-feu. Quelquefois, même souvent, je songe à repartir. Il faut être fou pour vivre ici si on a le choix. Mais le magasin me retient. Nous y avons tout investi. Que pouvons-nous faire d’autre ?”
Tous ne se sont pas retrouvés dans une telle impasse. Un grand nombre des jeunes Palestiniens des classes moyennes et sans attaches que j’ai rencontrés à Bethléem et à Ramallah avaient déjà déposé une demande d’émigration auprès d’une ambassade et beaucoup d’autres, surtout ceux qui venaient de fonder une famille, envisageaient d’en faire autant. Le Canada est à l’heure actuelle la destination privilégiée, les Etats-Unis étant perçus comme trop désespérément arabophobes, même par les Palestiniens chrétiens. Le taux d’émigration augmente chaque mois, en particulier chez les Palestiniens chrétiens, dont les demandes reçoivent un traitement de faveur de la part des ambassades des pays occidentaux. Dans tous les cas, ceux qui partent sont les jeunes, les esprits brillants, les techniciens spécialistes et les modérés : exactement ceux sur qui la Palestine aussi bien qu’Israël voudront compter dans le futur pour apporter la prospérité et la modération à un nouvel Etat éventuel si une solution de paix finit par être trouvée.
De manière ironique, ce qui se passe en Palestine reflète exactement le sentiment des Israéliens sur les orientations du conflit. Israël souffre en effet également d’une hémorragie constante de Juifs libéraux, qui quittent le pays pour fuir le fanatisme. On en arrive parfois à penser que seuls resteront des colons extrémistes qui s’opposeront à leurs équivalents du [mouvement intégriste musulman] Hamas et qu’il y aura de moins en moins de laïcs modérés pour empêcher les fous de s’entre-égorger. Malgré la noirceur apparente de la situation et la conviction croissante dans les deux camps que la partie est perdue pour la Palestine, beaucoup de Palestiniens refusent d’abandonner tout espoir. Zahi Khoury est un financier palestinien, chrétien, âgé de 50 ans et issu d’une famille importante du monde des affaires : son oncle Georges a lancé la marque d’oranges Jaffa dans les années 30, avant de devenir un réfugié et de tout perdre lors de la création de l’Etat d’Israël, en 1948. Après des années passées à la tête d’une multinationale saoudienne, Zahi Khoury a quitté New York en 1992 et a fait ce qu’il dit être un “investissement de plusieurs millions de dollars” dans son pays, le dotant de son premier réseau de téléphonie mobile et achetant une part importante de Palnet, le principal fournisseur d’accès à Internet en Palestine, ainsi que la concession Coca-Cola pour la Palestine. Il m’a fallu plusieurs jours et deux tentatives ratées avant de pouvoir entrer à Ramallah et visiter les entreprises de Zahi Khoury, car Tsahal décide des couvre-feux tard dans la nuit ou tôt le matin, apparemment au hasard. On ne l’apprend généralement qu’en arrivant au bouchon de 3 kilomètres qui s’est formé depuis le poste de contrôle. Au troisième essai, Zahi Khoury a pu me montrer la réalisation dont il tire le plus de fierté : les bureaux flambant neufs de sa compagnie de téléphone, Jawwal.
Bien que situés à cinq minutes à peine des décombres poussiéreux du quartier général de Yasser Arafat, les locaux de Jawwal semblent appartenir à une autre planète. Tout y est chrome et baies vitrées. De nouveaux ordinateurs trônent sur chaque bureau. Comme les membres du personnel ne peuvent pas aller voir leurs collègues à Gaza, ils communiquent par visioconférence sur écran large. Par contraste avec l’Autorité palestinienne, dont les recrues ont un niveau scolaire peu élevé, les jeunes techniciens de Jawwal sont élégants et leurs qualifications sont largement supérieures à celles qu’exige leur travail. “A la minute où les accords d’Oslo ont été signés, j’ai rêvé de quitter les Etats-Unis pour participer à la construction du pays, raconte Zahi Khoury. J’ai risqué le tout pour le tout et j’ai tout investi ici. Certes, de lourds nuages pèsent sur nous et l’éclaircie n’est pas pour maintenant. Un Etat palestinien indépendant est tout aussi important pour les Palestiniens que pour les Israéliens afin de garantir la stabilité et la sûreté de la région. Tous les Israéliens que j’ai rencontrés dans les milieux d’affaires sont d’accord avec moi. Nous devons y arriver si nous voulons que la prochaine génération ait un futur. Alors non, je n’ai pas encore fait une croix sur ce que j’ai investi. C’est hors de question.”
Bon nombre des jeunes techniciens de Ramallah qui travaillent dans des entreprises telles que Jawwal et Palnet partagent cette opinion. Marwan Tarazi, le fils du neurochirurgien le plus célèbre de Palestine, est l’un des webmestres et créateurs de logiciels les plus importants du pays : il a contribué à la conception de la version arabe de MS-DOS. Il y a cinq ans, il est rentré en Palestine après un séjour prolongé au Canada, dans l’intention, comme Zahi Khoury, de reconstruire sa patrie ravagée et occupée. “Mon salaire représente environ le quart de celui que j’avais au Canada, et bien sûr cela m’ennuie de ne pas pouvoir voyager et aller faire de la planche à voile ou du VTT comme j’en avais l’habitude à Montréal, avoue-t-il. Mais ici, c’est chez moi. Mon devoir m’appelle ici.”
Marwan Tarazi développe actuellement un logiciel pour l’université Bir Zeit destiné à permettre aux étudiants de suivre les cours depuis leur domicile, par Internet et de manière interactive, malgré les couvre-feux ou les fermetures des frontières. “L’éducation est la chose la plus importante, c’est ce qui permet de construire une nation. Vous pouvez instaurer tous les couvre-feux du monde, mais si la population a un bon niveau d’éducation, alors, vous avez les bases d’un pays développé. A l’heure actuelle, les Israéliens ont fermé les écoles et empêchent nos enfants de passer leurs examens. L’éducation de générations entières a été compromise, et la conséquence à long terme sur la société va être catastrophique. Grâce à ce programme, des enfants de Ramallah passent la nuit dans les cybercafés pour suivre des cours pendant que Tsahal se déchaîne à l’extérieur. Ça marche et c’est fantastique.”
Marwan Tarazi hausse les épaules avant de conclure : “Il faut comprendre que nous vivons dans l’horreur. Sombrer dans la démence est facile. Il faut continuer à croire au futur. Il faut rêver. C’est lorsqu’on arrête de rêver qu’on meurt.”
* La présence d’Ariel Sharon sur l’esplanade des Mosquées, à Jérusalem, en septembre 2000, a déclenché la seconde Intifada.
                                               
9. Les hommes politiques israéliens ‘ciblent’ les minorités par  Jonathan Cook
in The International Herald Tribune (quotidien international publié à Paris) du mercredi 27 novembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

L’auteur de cet article, reporter couvrant l’actualité en Israël pour le magazine Al-Ahram Weekly du Caire, nous a adressé cette contribution. IHT
La ‘bombe à retardement’ démographique
Jérusalem - L’élection du ‘colombe’ Amram Mitzna à la tête du parti Travailliste israélien découvre la ligne de partage décisive entre la droite et la gauche israélienne, dans la perspective des élections (fin janvier 2003, ndt) : à savoir, la question suivante : Israël doit-il rester dans les territoires palestiniens ou entreprendre un retrait, quelque forme qu’il prenne ?
Bien que cette querelle domine tout le reste – tout du moins dans la couverture médiatique étrangère – en Israël, un autre débat – tout aussi décisif - fait rage, qui jouera lui aussi un rôle dans la détermination des résultats des élections et, par tant, le visage du prochain gouvernement de coalition. Il s’agit de la question urgente de savoir comment préserver la pureté ethnique de l’Etat juif, comment éviter que des non-Juifs ne dominent en Israël…
Cette question est intrinsèquement liée à celle de l’occupation des Territoires palestiniens. Dût Israël décider d’éradiquer, finalement, l’Autorité palestinienne (de Yasser Arafat), il sera obligé d’annexer la Cisjordanie et Gaza, y compris les habitants de ces deux régions. Ces trois millions de Palestiniens seraient dès lors éligibles à la citoyenneté israélienne, y compris au droit de vote et aux mêmes libertés que celles dont jouissent les colons, lesquels choisissent où ils veulent habiter… Cette liberté, pour les Palestiniens, inclurait même, en toute logique, celle de retourner dans leurs foyers d’avant 1948, notamment dans des villes comme Haïfa et Jaffa.
Actuellement – pour le moment – des scénarios dérangeants de ce genre peuvent être ignorés sans dommages. Mais une ‘bombe à retardement démographique’, comme disent les Israéliens, fait d’ores et déjà entendre distinctement son tic-tac : il s’agit de la situation des non-Juifs vivant à l’intérieur de l’Etat d’Israël. Les cinq millions de Juifs citoyens israéliens partagent leur pays avec un million de citoyens arabes, avec 300 000 immigrés non-Juifs venus de l’ex-Union soviétique (ils ont accompagné en Israël leur conjoint(e) juif/ve), ainsi qu’environ 300 000 ouvriers immigrés, provenant de pays du tiers-monde (et dont beaucoup sont des ‘clandestins’).
Beaucoup, parmi les Juifs israéliens, redoutent que leur contrôle de l’Etat ne soit rapidement remis en cause tant par le taux de croissance démographique constaté chez les Arabes(plus élevé que le leur) que par les immigrés non-Juifs et les travailleurs immigrés, lesquels ont tendance à épouser des femmes juives.
Plusieurs des partis qui forment l’épine dorsale du gouvernement actuel – et qui joueront vraisemblablement le même rôle dans le prochain – tirent d’ores et déjà à boulets rouges sur ces groupes vulnérables de la population israélienne, qui se retrouvent placés au centre de la cible des campagnes électorales des dits partis. Le parti Shas (religieux, ultra-orthodoxe), qui occupe actuellement 17 des 120 sièges du parlement israélien (la Knesset) est le plus important des partis de cette mouvance, mais des partis de droite, plus petits, tels le Moledet, le Parti National Religieux et le parti Yisrael Beitenu, jouent également la carte du racisme.
Le programme le plus notoirement extrémiste est celui du Moledet, qui prône, sous la houlette du Rabbin Benni Elon, le « transfert » - euphémisme politiquement correct pour désigner l’expulsion - tant des Palestiniens (des actuels Territoires) que les citoyens arabes (palestiniens) d’Israël. Tandis qu’Elon disserte avec bonheur de la nécessité de rendre la vie tellement invivable aux Arabes qu’ils finiront par partir « de leur plein gré », ses partenaire du bloc national-religieux - conduit par Avigdor Lieberman - préfèrent des circonlocutions plus sournoises, telle la « réinstallation » des Palestiniens dans les pays arabes voisins…
Mais ce racisme est loin de ne prospérer que dans les marges du spectre politique israélien… Tant Elon que Lieberman n’ont été nullement gênés d’afficher leur programme tout en participant au Cabinet israélien, où l’idée du ‘transfert’ a trouvé un terreau fertile auprès de plusieurs ministres appartenant au parti du Premier ministre Ariel Sharon : le Likoud.
Ces idées se sont si profondément imbibées à l’intérieur de la culture politique en Israël que tout non-Juif est désormais considéré comme une cible légitime pour les insinuations racistes, quand il ne s’agit pas carrément de menaces ouvertes, d’une extrémité à l’autre de l’éventail politique israélien.
Les politiques gouvernementales en direction des trois minorités que nous avons mentionnées ont grandement contribué au développement de cette ambiance délétère.
Récemment, les citoyens arabes ont été identifiés comme  posant un « problème », qui a été jugé nécessiter la création du Conseil Démographique, une institution gouvernementale comptant parmi ses membres des universitaires, des gynécologues et des juristes, et chargée de trouver des moyens d’augmenter le taux de natalité chez les Juifs. (Y devraient interdire la pilule ! ndt).
On comprendra aisément que la population arabe d’Israël en ait conclu qu’Israël considère désormais officiellement que les bébés juifs sont de bons bébés, tandis que les bébés arabes, eux, seraient des mauvais bébés… Les milliers d’immigrants qui ont quitté l’URSS et l’ex-URSS durant les années 1990, eux aussi, sont tout, sauf les bienvenus. Depuis leur arrivée, le ministère de l’Intérieur n’a cessé de mener bataille devant les tribunaux afin d’éviter que ces « Russes », comme on les étiquette, n’obtiennent des cartes d’identité israéliennes qui les identifieraient comme des nationaux « Juifs ». Sans ces papiers, ces immigrants restent des citoyens de seconde zone ; ils ne peuvent épouser un(e) conjoint(e) juif/ve, ils ne peuvent être inhumés dans les cimetières de l’Etat… Leurs rejetons sont condamnés d’avance à la même stigmatisation. Mais le traitement le plus cynique est sans doute réservé aux travailleurs immigrés, et sans doute aussi est-ce dû au fait qu’ils n’ont pas le droit de vote (on peut donc tout se permettre, à leur égard, ndt). Sharon a créé une Autorité de l’Immigration, supervisée par la police, dont la tâche est d’expulser du pays des milliers d’entre eux. Des Israéliens ulcérés par ces mesures pointent du doigt la souveraine hypocrisie de Sharon : ses amis du monde des affaires, qui ont empoché (et continuent à empocher) une commission sur chaque nouvel ouvrier immigré qu’ils ‘importent’ en Israël, sont les principaux responsables du gonflement du nombre de ces « indésirables », qui semble tellement l’inquiéter aujourd’hui…
La tonalité raciste de la nouvelle campagne médiatique (payée par le budget de l’Etat) de cette Autorité de l’Immigration scandalise les associations de défense des droits de l’homme, dont le Religious Action Center, qui affirme que ces spots de publicité institutionnelle incitent à la haine à l’égard des ouvriers immigrés. Le titre de cette campagne est un jeu de mots (en hébreu), l’expression « travail étranger » pouvant signifier aussi « adoration des idoles ». De plus, cette campagne de communication accuse les travailleurs étrangers de porter atteinte à l’identité juive de l’Etat juif, car ils ont tendance à « épouser ‘nos’ femmes ».
Le Religious Action Center met en garde Israël, qui devrait être particulièrement soucieux de ne pas retomber dans l’ornière fatale de sociétés qui, par le passé, « ont rejeté leurs problèmes sur l’étranger, sur l’Autre. » Mais ce message de sagesse risque fort de ne pas être entendu durant ces élections…
                               
10. Une source française : Israël brouille l’origine de ses produits d’exportation par David Lipkin
in Maariv (quotidien israélien) du lundi 25 novembre 2002
[traduit de l'hébreu par le service de presse de l'ambassade de France en Israël]

(Paru dans le supplément économique "Assaqim".)
Philippe Carni, directeur-général adjoint des Douanes françaises chargé du département international, a déclaré au Maariv que les Douanes françaises exigent des Douanes israéliennes des explications sur l’origine de toutes sortes de produits exportés d’Israël vers la France. A l’heure actuelle, l’accent est mis sur des envois de figues en provenance des implantations juives des territoires.
Selon Carni, les Douanes françaises ont expédié à leurs homologues israéliens 10 lettres pour demander des éclaircissements sur l’origine de ces figues, mais elles n’ont reçu aucune réponse. Israël a reçu également des demandes d’éclaircissements concernant des produits supplémentaires, comme des vins, des fleurs et les produits de la Mer Morte ; dans ces cas-là aussi, aucune réponse n’est parvenue.
En France, seuls les produits fabriqués dans les limites de la Ligne verte sont exemptés de droits de douane. Les Français attendent toujours les propositions d’Israël pour résoudre le problème de l’exportation des produits en provenance des implantations juives, dans l’esprit de celles qu’a fait l’ex-ministre des Affaires étrangères, Shimon Pérès.
                                                           
11. La ligne de Bush est claire : la guerre par Sami Naïr
in Libération du lundi 25 novembre 2002

On a tout lieu de penser que, quelles que soient les conclusions des inspecteurs envoyés en Irak, la réaction américaine sera la même.
[Sami Naïr est député européen du Mouvement des Citoyens.]
La signification profonde de la nouvelle stratégie diplomatique des Etats-Unis est désormais claire. Elle peut se résumer en une formule, dont le président Bush a énoncé les termes au lendemain du 11 septembre 2001 : «Avec l'Amérique ou contre l'Amérique.» Il n'y a pas de position intermédiaire. Il n'y a pas de jugement objectif. Il n'y a pas d'indépendance. Ou l'on se soumet aux intérêts de Washington, ou l'on est classé parmi ses ennemis. Cette stratégie, qui rappelle le manichéisme stalinien, trouve peu d'écho dans le monde, sauf chez quelques alliés ­ supplétifs de Bush ; le refus français, russe et chinois de se laisser embarquer dans cette vision ignare et potentiellement barbare des relations internationales tempère les ardeurs américaines. Mais l'administration Bush ne renonce pas pour autant. Servie par l'habileté du secrétaire d'Etat Colin Powell, elle tente d'atteindre le même but, en préservant les formes diplomatiques.
Or tout laisse à penser que les provocations ne manqueront pas, y compris et surtout de la part des agents américains qui travaillent dans la mission d'inspection. Scott Ritter, l'ancien membre américain de cette mission, a lui-même raconté que ses déboires avec son pays avaient commencé après qu'il se fut étonné des manipulations et pressions de la CIA sur son travail entre 1991 et 1997. Il a dû démissionner.
Plus grave encore : même si les Irakiens se soumettent à toutes les humiliations et acceptent toutes les conditions posées par les inspecteurs, il y a tout lieu de penser que cela ne servirait à rien, car la machine de guerre américaine est lancée. Que se passerait-il si l'on constatait ­ constat déjà fait d'ailleurs par l'Unscom en 1998 ­ que l'Irak ne détient pas d'armes de destruction massive ? Le droit voudrait qu'on proclame l'Irak désarmé et qu'on lève le cruel embargo qui génocide lentement le peuple irakien. Ce n'est pas l'avis de la conseillère à la sécurité nationale, Condoleezza Rice, qui clame, sur la chaîne américaine NBC : «Si on nous dit que les Irakiens n'ont aucune arme de destruction massive, on saura immédiatement que le régime irakien continue de se comporter comme avant, parce que chacun sait qu'il y a beaucoup de choses qui restent à découvrir depuis les dernières inspections.» C'est franc : les Etats-Unis veulent la guerre à tout prix.
La brutalité effarante des initiatives de George Bush, leur mise en forme gênée mais efficace par Colin Powell, le fanatisme des conseillers ­ et, en arrière-fond, le rôle des lobbies pétroliers et d'armements qui donnent aujourd'hui à l'Amérique le visage d'un impérialisme déchaîné ­ ne témoignent pas d'une position conjoncturelle. Il s'agit bel et bien d'une radicalisation des intentions de l'Amérique face au reste du monde. Le choix américain de faire la guerre à l'Irak s'inscrit dans une stratégie qui a été mise en place dès la guerre du Golfe, en 1991, et dont Margaret Thatcher, aujourd'hui clonée en Tony Blair, a rappelé les termes dans ses Mémoires : «Il faut en finir, disait-elle à Bush père, avec le régime nationaliste révolutionnaire arabe», de Saddam Hussein, car il constitue un obstacle pour l'hégémonie occidentale dans cette région qui regorge de pétrole. C'est avec cette vision que renoue Bush fils : il veut en finir avec le dernier Etat-nation arabe, certes autoritaire, mais non inféodé à l'Amérique.
Que l'Irak laïque ait donné un coup d'arrêt à l'expansion de la révolution islamique iranienne n'a plus d'importance : les Etats-Unis savent bien que l'Iran est rentré dans le rang et qu'il ne pleurera pas le régime de Saddam Hussein. Dans les diverses chancelleries occidentales, on débat déjà de la situation en Irak après la guerre. D'après certains, on s'orienterait à Washington vers un Etat «fédéral» des minorités sous hégémonie sunnite-shiite (ce qui agréerait à Téhéran et atténuerait les velléités d'indépendance de l'Arabie Saoudite). Remplacer cet Etat par des fédérations souples, c'est s'assurer pour l'avenir des clients faibles, minés par leurs contradictions ­ et, par la même occasion, contrôler la route du pétrole jusqu'à la mer Caspienne. Car c'est dans cette région qu'est logé l'avenir énergétique du XXIe siècle.
Placé sous mandat américain ou onusien, un Etat irakien constitué de minorités provoquera un bouleversement de la géopolitique régionale. Il ouvrira peut-être la voie à une négociation avec l'Iran et à une marginalisation plus grande encore de la Syrie et de l'Arabie Saoudite (si cette dernière n'est pas purement et simplement démantelée, comme le prévoient plusieurs documents qui circulent dans les officines américaines). La Turquie trouvera le moyen de s'adapter à cette situation, sachant que les 26 % de Kurdes irakiens continueront à être tenus en laisse. La Russie pourrait bénéficier de quelques avantages pétroliers, l'objectif américain à long terme étant de contrôler l'approvisionnement de la Chine pour le siècle qui s'ouvre. Tous ces calculs impliquent la destruction du régime irakien. Aucune concession ne sera donc suffisante aux yeux de Bush.
La guerre semble malheureusement inévitable. Si elle advient, elle aura pourtant des répercussions terribles. Elle provoquera une confrontation sans merci entre l'Amérique et le monde arabo-musulman, car celui-ci, après tant d'humiliations et de mépris, opposera la haine des désespérés au cynisme des puissants. Ainsi les fondamentalistes américains qui inspirent Bush comme les partisans de Ben Laden auront finalement gagné : le choc des civilisations qu'ils prêchent se répandra en rivières de sang.
                                                      
12. Une bavure de Tsahal fâche Londres par Alexandra Schwartzbrod
in Libération du lundi 25 novembre 2002

Un Britannique de l'ONU a été tué par un soldat israélien, vendredi.
Jérusalem de notre correspondante - L'armée israélienne a admis, hier, avoir commis une nouvelle bavure en tuant, vendredi, dans ses bureaux de Jénine (Cisjordanie), un responsable britannique de l'agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens (Unrwa). La mort de Ian Hook, 54 ans, qui était chargé depuis un mois et demi de coordonner le programme de réhabilitation du camp de réfugiés de Jénine, partiellement détruit en avril par Tsahal, a provoqué la colère des Nations unies et de la Grande-Bretagne, qui ont exigé d'Israël qu'une enquête officielle soit menée sur ce drame. Celui-ci s'est en effet produit dans des circonstances extrêmement controversées. Selon l'armée israélienne, Hook aurait été tué «par accident» au cours d'une fusillade avec des Palestiniens tirant depuis l'intérieur des locaux de l'Unrwa. Un soldat aurait pris Hook pour un Palestinien et son téléphone portable pour un pistolet et l'aurait abattu sans sommation.
Sniper. «A ce stade de l'enquête, ce que nous savons c'est qu'il n'y a eu absolument aucun tir (palestinien) provenant de l'intérieur du complexe de l'Unrwa, contrairement à ce qu'a dit l'armée», a indiqué hier un porte-parole de l'agence, Paul McCann, joint à Jénine au téléphone par l'AFP. Situés à l'entrée du camp, les bureaux de l'Unrwa à Jénine sont constitués de plusieurs baraquements entourés d'un haut mur d'enceinte. Un autre responsable de l'agence de l'ONU a expliqué que le sniper israélien avait tiré d'une fenêtre située au deuxième étage d'un bâtiment donnant sur ces locaux, à environ 20 mètres du Britannique : «Ian Hook était grand et roux, il pouvait difficilement être pris pour un Palestinien. Le soldat lui a par ailleurs tiré dans le dos, d'une balle qui est entrée en dessous de l'omoplate et ressorti par l'abdomen, la thèse du pistolet qui aurait représenté un danger n'est donc pas valable.»
Un enquêteur de l'ONU devait arriver hier de New York pour faire la lumière sur cette affaire qui a d'autant plus choqué le secrétaire général de l'agence que les Israéliens auraient, dans un premier temps, empêché les services d'urgence d'approcher le Britannique. A New York, Kofi Annan s'est dit «profondément troublé par le fait que l'armée israélienne ait refusé à une ambulance l'accès immédiat» à Hook.
Arrestations. Ce drame est survenu au cours d'une vaste opération militaire lancée jeudi par Tsahal dans les territoires palestiniens en représailles à un attentat-suicide qui avait causé la mort de onze Israéliens, jeudi à Jérusalem. Après avoir réinvesti, vendredi, Jénine et Bethléem (où elle a arrêté plus de trente Palestiniens), Tsahal est entrée dans Kalkiliya, au nord de la Cisjordanie, où elle a imposé le couvre-feu.
Vedette. Mais c'est à Gaza que s'est produit, ce week-end, une nouvelle attaque. Deux kamikazes palestiniens ont en effet été tués et quatre militaires israéliens blessés, samedi matin, dans un attentat suicide contre une vedette de la marine israélienne. Cette opération, la première du genre en vingt-six mois d'Intifada, a été revendiquée par le Jihad islamique.
Par ailleurs, la presse israélienne a révélé hier que les services de sécurité préventive de la bande de Gaza préparaient la construction d'une importante usine d'explosifs, ce que les Palestiniens ont démenti. Selon des documents saisis au siège de ces services au cours d'un raid israélien, cette usine aurait été en mesure de produire 15 tonnes d'explosifs par an, dont du TNT.
                                       
13. Antisémitisme croissant en Israël par Sergey Borisov
in la Pravda (quotidien russe) du dimanche 24 novembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Traduit du russe en anglais par Dmitry Sudakov - Les immigrants en Israël de Russie et d’autres pays de l’ex-URSS sont considérés comme la principale raison de la montée de l’antisémitisme en Israël. Ces immigrants ont, pour la plupart, une parenté plutôt éloignée avec des Juifs immigrés avant eux en Israël. La soi-disant « terre promise » envisage en ce moment de restreindre l’immigration en provenance de Russie.
D’après le quotidien anglais Sunday Telegraph, le nombre d’incidents racistes croît de jour en jour dans l’Etat juif. Ces incidents comportent des violences et des insultes, des swastikas peintes sur des maisons, et la profanation de cimetières. En raison d’un antisémitisme croissant en Israël, le gouvernement israélien pourrait remettre en cause sa politique d’immigration.
Yuli Edelstein, le ministre de l’Absorption des nouveaux immigrants, fut l’un des premiers responsables gouvernementaux à avoir évoqué cette mesure. Ce ministre est préoccupé par la montée des sentiments antisémites en Israël. Il a déclaré que la politique des agences juives consistant à attirer toujours plus de nouveaux immigrants en Israël est sans doute trop zélée.
M. Edelstein a déjà eu des rencontres avec d’autres membres de l’administration à ce sujet. Il a suggéré l’idée de procéder à un filtrage afin d’éliminer les indésirables – essentiellement les gens qui sont peu susceptibles d’observer les traditions et coutumes juives. Un sondage d’opinion effectué récemment auprès d’immigrants de Russie a montré que 70 % d’entre eux ne sont pas considérés comme juifs par les lois religieuses juives.
Le problème est aggravé par le fait que la nouvelle loi du retour garantit un droit de retourner dans la « patrie historique » à toute personne dont une des grands-mères est juive ou l’un des grands-pères est juif. Aujourd’hui, la « mère patrie » est en train de se poser la question s’il est vraiment nécessaire d’inviter des gens qui n’ont que des liens de parenté distants avec des Juifs.
Le Rabbin Zalman Gilshensky a étudié les incidents antisémites en terre « promise ». Cinq cent incidents de cette nature ont été relevés durant l’année écoulée. Il n’est donc pas étonnant que le rabbin ait entrepris une campagne en vue de la modification de la loi du retour en Israël. La première manifestation de soutien à cette modification s’est déroulée près du bureau de l’Agence Juive à Jérusalem, la semaine dernière. Le Rabbin a déclaré que le zèle incontrôlable déployé par l’Agence afin d’attirer de nouveaux immigrants devient de plus en plus dommageable pour le pays.
L’Agence est elle-même inquiète face à l’augmentation des incidents antisémites en Israël – en Israël, aussi. toutefois, elle n’entend pas modifier sa politique. D’après elle, cela aurait pour effet de saper le moral de la communauté juive, en général. L’Agence est persuadée que ce problème est susceptible d’être résolu par le moyen de l’éducation.
                                       
14. La peur au ventre par Valérie Féron
in 24 heures (quotidien suisse) du jeudi 21 novembre 2002

HÉBRON La ville est sous couvre-feu depuis l'attaque qui a tué douze militaires et colons israéliens.
La vieille ville de Hébron, sous occupation israélienne depuis 1967, ressemble plus que jamais à un quartier fantôme, hanté par les colons et les soldats israéliens en patrouille. Seuls des internationaux membres des Christian Peacemakers Teams - sur place depuis 1995 suite à la mort de 29 musulmans, tués par le colon Goldstein à l'intérieur du caveau des Patriarches - se risquent dans les ruelles aux échoppes fermées, où les colons ont peint des étoiles de David.
«Les soldats nous connaissent et nous laissent circuler, explique Mary, une Américaine. Mais, depuis vendredi, la tension est extrême et chacun attend avec angoisse de voir ce qui va se passer dans les prochains jours, et ce que les colons vont faire.» Car, bien plus que les soldats, ce sont eux que l'on craint à Hébron, ceux de l'implantation voisine de Kyriat Arba et les quelque 200 autres qui sont installés au coeur de la vieille ville, au milieu de près de 30 000 Palestiniens qui subissent régulièrement leurs agressions.
Maison dynamitée
Depuis vendredi dernier, les familles palestiniennes sont cloîtrées chez elles alors que, dans les quartiers plus éloignés, on brave le couvre-feu après s'être informé de la position des chars. Tout près de là, en ce mercredi matin, de petits groupes se sont formés sur les toits d'immeubles, observant, impuissants, un groupe de soldats israéliens entrer et sortir de la maison des Hanini, dont un des fils faisait partie du commando auteur de l'attaque de vendredi. Parents, frères et soeurs ont dû sortir de chez eux, emportant quelques effets personnels et entreposant quelques meubles dans le jardin. Puis l'attente recommence jusqu'au retentissement, deux heures plus tard, de deux fortes explosions qui détruisent l'intérieur et endommagent en partie l'extérieur de cette demeure traditionnelle, laissant une dizaine de personnes sans toit.
«Il faut comprendre que chacun d'entre nous, jeune ou vieux, homme ou femme, est en permanence une cible potentielle des soldats et des colons, et de leurs violences pour nous prendre toujours plus de terres», commente Youssef, jeune Palestinien de 18 ans habitant la vieille ville
Cohabitation «impossible»
Pas question pour autant de partir, même si de nombreuses familles ont été obligées de se réfugier depuis le début de l'Intifada chez des parents habitant des quartiers moins exposés. Cette situation, l'Association d'échanges culturels Hébron-France, dont le bureau situé dans la vieille ville est inaccessible, la connaît bien: «Depuis le début de cette Intifada, nous avons changé sept fois de bureau», explique Chantal, professeur de français à l'association.
Au-delà des craintes du moment, il est clair pour les quelque 200 000 habitants de Hébron que la «cohabitation» avec les colons, en particulier de la vieille ville, sera impossible: «On ne pourra jamais vivre dans le même espace», conclut Ali, propriétaire d'un magasin de téléphonie.
                                       
15. Nous sommes des Palestiniens de 1948 par Randa Achmawi
in Al Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mecredi 20 novembre 2002

Arabes israéliens. Faisant l'objet de discrimination en Israël, ils souhaitent être mieux entendus par le monde arabe. 
« Arabes israéliens ? Non, nous sommes des Palestiniens de 1948 », disent-ils souvent, lorsqu'on les affuble de cette appellation. Certes, légalement, ils tiennent à garder ce statut de citoyens israéliens pour ne pas encourir de nombreuses formes de discrimination (lire encadré). Mais ils souhaitent aussi démontrer qu'ils sont des Palestiniens à part entière, ceux qui sont restés et leurs descendants, lors de la nakba (catastrophe) de 1948 qui s'est abattue sur leur pays. De plus, le fait de se présenter de la sorte leur permet aussi de combattre en brèche des idées reçues dans le monde arabe où souvent on les traite « tout comme des Israéliens ». Le fait de porter un passeport israélien a compliqué beaucoup les choses pour eux, et notamment le déplacement dans les pays arabes. Ainsi, une sorte de coupure a été pratiquée entre cette population et le reste du monde arabe.
Ceci a justifié d'ailleurs la tenue récemment au Caire d'une conférence intitulée « Les Palestiniens de 1948 frappent à la porte du monde arabe ». Organisée par le Centre du Caire des études sur les droits de l'homme du 31 octobre au 2 novembre derniers, cette manifestation a regroupé les représentants de 70 institutions de la société civile arabe. Elle a constitué une étape importante pour « briser l'isolement historique imposé aux Palestiniens de 1948 et renforcer leur résistance à l'intérieur contre les tentatives visant à effacer leur identité ».
Selon Bahieddine Hassan, directeur de ce centre et militant des droits de l'homme, les Palestiniens de 1948 ressentaient vis-à-vis des gouvernements arabes « des sentiments ambiguës. D'un côté, il y a la nette appartenance à la nation palestinienne en particulier et arabe en général. Certains d'entre eux sont tombés victimes des balles israéliennes lors des manifestations de solidarité avec l'Intifada en octobre 2000. D'un autre, c'est un sentiment d'amertume à l'égard de ces mêmes gouvernements parce qu'ils se sentent négligés », ajoute-t-il.
Une de leurs revendications lors de cette réunion était d'avoir un « statut de Palestiniens de 1948 qui soit intégré au reste du dossier palestinien et soit reconnu par la Ligue arabe ». Ceci afin que leurs associations participent à la réunion des ONG arabes qui devra avoir lieu parallèlement au sommet arabe annuel prévu en mars prochain à Bahreïn. Ils souhaitent que leurs passeports israéliens ne représentent pas une barrière pour leur participation. « Il faut recréer cette continuité perdue entre Arabes et Palestiniens de 1948 », ont-ils revendiqué.
Le communiqué final souligne qu'il ne s'agit pas d'accepter la normalisation, puisque ce mouvement se limiterait à la venue des Arabes de 1948 dans le reste du monde arabe et non le contraire. Cela pourrait prendre la forme d'invitations aux délégations culturelles et artistiques pour qu'ils puissent rencontrer leurs homologues. De cette manière, toutes les œuvres écrites par des écrivains et journalistes palestiniens de 1948 pourraient être diffusées dans les 4 coins du monde arabe. Ce qui n'arrive pas souvent et reste difficile.
A ceci s'ajoute une situation difficile en Israël. Il y a de claires discrimination à leur égard. De plus, les inégalités socioéconomiques en Israël touchent plus particulièrement les Arabes selon le rapport du centre d'études Adva de Tel-Aviv publié en 1998. Le rapport donne quelques chiffres marquants : le revenu moyen des citoyens arabes est des plus bas en Israël. 42 % des Arabes israéliens de 17 ans ont déjà abandonné leurs études. Le taux de mortalité infantile des enfant arabes est le double de celui des enfants juifs : 9,6 pour 1 000 naissances en 1996, contre 5,3. De plus, la plupart d'entre eux exercent des métiers subalternes. « Pour accéder à un poste de direction en Israël, une des conditions est d'avoir effectué le service militaire. Or, les Arabes, pour des raisons évidentes, préfèrent ne pas s'enrôler dans l'armée. Ils restent ainsi marginalisés », souligne un membre d'une ONG palestinienne. Depuis leur manifestation de soutien avec l'Intifada, ils souffrent de nombreuses restrictions, de harcèlement et même de menaces. Un statut dramatique qui résume un des principaux aspects de la question palestinienne.
                                                               
16. La grande peur des Palestiniens de 1948 par Mohamed Moustapha
in Al Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mecredi 20 novembre 2002

Arabes israéliens . A l'heure où Israël est en campagne électorale et militaire, ces Palestiniens de 1948 craignent encore plus de discrimination et d'intimidation, voire la déportation. Leurs représentants appellent donc à l'unité et à une participation politique accrue.
Gaza, de notre correspondant - Droit à la citoyenneté, égalité, suppression de la discrimination contre les Arabes, telles sont les grandes lignes du discours des Arabes de 1948 ou Arabes israéliens, comme ont les nomme, à la veille des élections qui doivent avoir lieu pour élire un nouveau premier ministre en Israël. Au cours des deux dernières années d'Intifada, la campagne menée par l'extrême droite israélienne contre les Arabes israéliens s'est amplifiée. Pour la première fois à la Knesset et dans les milieux officiels, des idées comme celles du « transfert » des Arabes israéliens ou leur interdiction d'accéder au Parlement ont été soulevées. Ils sont accusés par l'extrême droite de double allégeance ou même d'être des agents de l'Autorité palestinienne. Voire, le vieux concept de la pureté de l'Etat juif qu'ils entachent est revenu à l'ordre du jour.
Lors de la création de l'Etat d'Israël en 1948, des centaines de milliers de Palestiniens ont été poussés à l'exode au-delà de la ligne verte, une ligne de démarcation qui sépare les territoires dont les Juifs se sont emparés en 1948 et les territoires occupés en juin 1967. Il n'est resté que 150 000 Palestiniens à l'intérieur de la ligne verte. Un nombre qui atteint aujourd'hui, suite à la croissance démographique et au regroupement de familles, un million en plus des 250 000 Arabes de Jérusalem-Est. Porteurs de cartes israéliennes, les habitants de Jérusalem-Est ne votent cependant pas lors des élections israéliennes pour ne pas conférer de la légitimité à l'occupation et à l'annexion par Israël de leur capitale.
A l'intérieur, ces Palestiniens de 1948 représentent 17 % de la population israélienne estimée à 6,5 millions d'âmes. La plus grande concentration d'Arabes israéliens se trouve en Galilée et dans le triangle contigu des frontières avec la Cisjordanie, d'Oum Al-Fahm et le village de Salem, au nord à Kafr Kassem au sud jusqu'au Néguev et les villes mixtes où vivent les Arabes et les juifs ensemble, à l'exemple de Jaffa, Haifa, Lod et Ramleh.
Trois courants principaux dominent l'opinion arabe en Israël : le mouvement national radical et le mouvement islamique divisé entre le mouvement islamique du nord sous la direction du cheikh Raëd Salah et le mouvement islamique du sud que dirige le cheikh Abdallah Al-Nimr. Ce courant refuse en principe de participer aux élections israéliennes en partant du fait que cela représente « une reconnaissance de l'Etat sioniste ». Le troisième courant est celui du Mouvement démocratique pour la paix et l'égalité.
Les Arabes sont représentés dans la Knesset sortante par 6 partis qui vont prendre part aux élections prévues le 28 janvier prochain. Il s'agit du mouvement arabe pour le changement d'Ahmad Al-Tibi, le Front démocratique pour la paix et l'égalité de Mohamad Baraka, le Rassemblement national démocrate d'Azmi Bichara, et la liste arabe unifiée d'Abdel-Malek Dahmacha. Cette dernière comprend 3 formations : le mouvement islamique, le Parti démocrate arabe et le parti du front de l'unité national. En plus de ces partis purement arabes, des Arabes israéliens sont membres de partis juifs comme le parti du Travail, le Merez et même le Likoud.
Une majorité pour la participation
Selon un sondage organisé par le centre arabo-juif pour la paix et dont les résultats ont été publiés la semaine dernière, 30 % des Arabes d'Israël ont décidé de boycotter les prochaines élections, alors que 55 % ont l'intention de vote et 15 % restent indécis. Pour 78 % des personnes interrogées, le gouvernement Sharon a mal assumé ses responsabilités vis-à-vis des Arabes. Selon les organisateurs du sondage, les citoyens arabes ont perdu confiance dans le système démocratique israélien.
Selon le député arabe à la Knesset, Essam Mokhawal, « il est très important qu'une présence soit maintenue grâce aux députés arabes à l'intérieur du Parlement et que les Arabes participent aux élections quelles qu'en soient les résultats. Car les forces de la droite et de l'extrémisme en Israël tentent depuis un certain temps d'écarter les Arabes de toute participation politique ». Pour le député, la droite et l'extrême droite veulent ainsi appliquer « leurs desseins contre les Arabes ». Il souligne en plus qu'un « prochain gouvernement de droite menacera toute la région, accentuera l'escalade militaire et frayera la voie à davantage de crimes contre le peuple palestinien ».
A la recherche de l'unité
Face à cette situation, Talab Al-Saneh, président du Parti arabe démocrate, invite à l'unité des formations arabes à l'intérieur de la ligne verte en une seule liste pour participer aux élections. « Ceci afin de garantir le maximum de représentation arabe à la Knesset. Cela représentera un obstacle quant à former un gouvernement extrémiste et mettra en échec les tentatives de transfert dirigées contre les Arabes ». Il affirme que les Arabes d'Israël sont « pour la nécessité d'une paix entre les peuples juif et palestinien sur la base d'un retrait israélien des territoires occupés, le démantèlement des colonies et l'établissement d'un Etat palestinien indépendant avec Jérusalem-Est comme capitale ».
Essam Mekhawal souhaite, lui, une vision commune entre Arabes israéliens et palestiniens des territoires autonomes. « Une opération martyre palestinienne à l'intérieur d'Israël à l'heure actuelle est la carte dont a besoin le premier ministre israélien Ariel Sharon et son ministre de la Défense, Shaul Mofaz, pour aggraver l'agression militaire contre le peuple palestinien. Ce qu'il nous faut c'est coincer le gouvernement d'extrême droite sur le plan politique », affirme-t-il. Ceci est d'autant plus vrai que de larges secteurs de la population israélienne commencent aussi à se rendre compte des liens qui existent entre la crise économique, l'accroissement du chômage et la poursuite du mouvement de colonisation et d'occupation des territoires palestiniens. L'Intifada a coûté à l'économie israélienne des pertes estimées à 50 milliards de shekels (quelque 10 milliards de dollars).
Du racisme au transfert
Quant aux affirmations de Sharon selon lesquelles « l'Etat palestinien est un fait accompli », elles sont jugées par Al-Saneh comme une tentative du premier ministre « d'obtenir un nouveau mandat de la société israélienne pour réaliser ses desseins contre les Palestiniens. Parler d'un Etat palestinien n'est pour lui qu'une manœuvre pour couvrir ses véritables objectifs », précise-t-il. Il ajoute que son parti est tout à fait disposé à participer aux élections dans le cadre d'une liste arabe unique. « De nombreuses raisons imposent l'unité entre les partis arabes dont le fait que la droite a le vent en poupe, représentant un tourbillon qui dévastera la région et qui, en plus, imposera des lois racistes aux Arabes israéliens ».
Abdel-Malek Dahmacha lui aussi souhaite l'unité des partis arabes. C'est l'un de ses objectifs. Mais cette idée ne suscite pas l'unanimité. En tous les cas, les trois partis faisant partie de sa formation ont la même vision d'un règlement du conflit arabo-israélien : un Etat palestinien dans les frontières de juin 1967 avec Jérusalem-Est comme capitale. C'est là la question fondamentale. « Pour les autres dossiers comme les réfugiés et l'eau, nous acceptons ce qu'approuvent les Palestiniens ».
Les Arabes israéliens sont pris entre deux sortes d'exigences. Celles concernant le conflit arabo-israélien et celles concernant leurs revendications à l'intérieur. Pour Dahmacha, « c'est l'égalité des droits en matière de citoyenneté qui est la revendication principale à l'intérieur. Nous vivions chez nous, dans nos maisons, villes et villages jusqu'à ce qu'Israël arrive. Il a établi un contrôle sur nous. Pourquoi ne nous accorde-t-il pas l'égalité ? », s'interroge-t-il. Une revendication qui va de pair pour Dahmacha à un « changement par Israël de son drapeau, de la politiqude son armée, et qui implique d'appliquer une égalité absolue entre les citoyens qu'ils soient juifs ou non juifs ».
Il revient à la préoccupation majeure des Arabes israéliens, celle du transfert de plus en plus abordé et discuté. « Autrefois, l'idée de transférer ou de renvoyer les Arabes de 1948 était soulevée à une petite échelle. Les Juifs parlaient soit de l'expulsion des Palestiniens de Cisjordanie, soit d'un départ volontaire des Arabes à l'intérieur de la ligne verte. Aujourd'hui, la question eet largement discutée, de la part de députés de la Knesset, en raison d'un courant raciste contre la minorité arabe qui domine la société israélienne ». Le principe de l'échange territorial entre Israéliens et Palestiniens est le suivant : troquer certains territoires à l'est de la ligne verte, où sont implantées d'importantes localités juives, contre des territoires israéliens à forte population arabe.
Le camp pacifiste ainsi que le Parti travailliste débattaient avec comme prétexte : la « radicalisation » des Arabes israéliens, dont les dirigeants cautionnent en outre l'OLP. La nécessité de trouver, dans le cadre d'un futur accord de paix israélo-palestinien, une solution politique au problème des colonies, tout en les laissant sous souveraineté israélienne. Cette idée d'échange a d'abord été émise en 1996 par le parlementaire travailliste Yossi Beilin. Arnon Sofer, professeur de géographie à l'Université de Haïfa, a formulé une idée de projet similaire l'année dernière, idée qui a ensuite été débattue par le professeur Sergio de la Pergola, spécialiste de la démographie de Jérusalem. Plus récemment, le Dr Ephraïm Sneh, ministre, du Parti travailliste, l'a de nouveau sortie de l'ombre. D'après un rapport d'Haaretz, fruit d'une enquête menée sur le terrain, la perspective d'un échange territorial provoque un violent rejet de la part des Arabes israéliens, éveillant à la fois colère et sentiment d'outrage.
D'ailleurs, l'idée du transfert (déportation des Palestiniens) n'est-elle pas aussi vieille que le sionisme comme l'a reconnu un historien israélien, Benny Morris, regrettant qu'en 1948 Israël n'ait pu déplacer tous les Palestiniens de l'autre côté du Jourdain. Aujourd'hui, les Arabes israéliens ou Palestiniens de 1948 espèrent simplement que l'histoire ne bégayera pas.
[Qui sont les Arabes israéliens ? - Les Arabes israéliens, un terme que nombre d'entre eux n'affectionnent pas, désigne les Palestiniens qui n'ont pas fait partie de l'exode forcée de 1948-1949. Habitant dans les zones attribuées par le plan de partage à l'Etat arabe, mais annexés dès 1949 par Israël, ils sont devenus des citoyens israéliens.
Les Arabes israéliens citoyens d'Israël, dont le nombre est maintenant de plus de 1 million, sont soumis à la loi israélienne et bénéficient à ce titre de droits sociaux et civiques, mais des droits partiels car ils ne sont pas juifs. Dix-sept lois ont été recensées par un rapport aux Nations-Unies comme comportant des discriminations envers les citoyens arabes. Parmi elles, la loi du retour qui accorde systématiquement aux juifs la citoyenneté israélienne alors que les citoyens arabes ayant épousé des non-Israéliens se voient refuser le regroupement familial ; les lois qui interdisent la participation aux élections de tout parti arabe n'ayant pas reconnu le caractère juif de l'Etat ; les lois d'urgence de 1945 qui permettent la confiscation de terres appartenant aux Arabes (ils ne possèdent plus que 10 % de leur propriété foncière d'avant 1948) ; la loi sur l'éducation qui fixe parmi ses objectifs la promotion de la culture juive et l'idéologie sioniste. De plus, la population arabe est discriminée en matière de services publics, les budgets alloués aux villes arabes étant bien inférieurs à ceux alloués aux villes juives.
La mobilisation pour une reconnaissance de leurs droits, la lutte contre la confiscation des terres pour l'installation de colonies juives, est restée forte chez les Arabes israéliens. Ils ont d'ailleurs été soumis à de violentes répressions, notamment lors de la grande manifestation du 30 mars 1976, journée pour la défense de la terre. De même, la sanglante répression des manifestations d'octobre 2000, en solidarité avec les Palestiniens des territoires occupés — durant laquelle 13 Arabes israéliens furent tués — risque de marquer une coupure profonde entre juifs et Arabes en Israël même. Longtemps représentés par les communistes israéliens, les Palestiniens d'Israël sont désormais divisés en plusieurs formations politiques, PC, islamistes, nationalistes, etc...]
                                                                       
17. Les heures de gloire de la civilisation musulmane par Mouna Naïm
in Le Monde du mercredi 20 novembre 2002

Les sciences physiques et humaines ont connu un "âge d'or" sous le califat de Bagdad, qui s'étendait sur tout le Proche-Orient, rappellent opportunément "Les Cahiers de Science & Vie".
À l'heure où, dans beaucoup d'esprits, presque tout ce qui est musulman et/ou arabe est globalement assimilé, au mieux à l'irrationalité, au pis à l'extrémisme religieux, le mensuel Les Cahiers de Science & Vie a eu la bonne idée de consacrer sa dernière livraison à cet "âge d'or" que connut la civilisation arabo-musulmane entre les VIIIe et XIIIe siècles. Bagdad, dont la seule évocation se confond souvent aujourd'hui avec la brutalité de l'homme qui la gouverne, et les souffrances de son peuple, y apparaît pour ce qu'elle fut : la capitale prospère de la dynastie abbasside qui, comme le souligne l'éditorial du rédacteur en chef, Pierre Icikovics, "sera associée aux plus grandes réalisations culturelles et techniques de cet âge d'or".
Qui sont les Abbassides ? Une introduction allant droit à l'essentiel permet au lecteur de remonter dans le temps jusqu'à la mort de Mahomet, en 632, et aux problèmes posés par sa succession en l'absence d'un héritier désigné. Pour aller au plus court, il suffit de rappeler qu'en 750, après de sanglantes luttes intestines – dont l'épisode le plus marquant fut l'élimination d'Ali, le gendre du prophète –, la dynastie des Abbassides, du nom de son fondateur, Al Abbas, oncle du prophète, triomphait de celle des Omeyyades. Elle héritait d'un immense empire s'étendant de l'Atlantique à l'Indus, dont elle transféra la capitale de Damas à Bagdad. Bien que son emprise se rétrécît au fil des années par des mouvements centrifuges et malgré la concurrence d'une autre dynastie, chiite celle-là, celle des Fatimides, son règne s'étendit jusqu'en 1258. C'est avec l'émergence de ce califat que se développèrent toutes sortes de sciences. La clé de ce foisonnement est sans conteste l'enrichissement qu'apporte la diversité des peuples, des langues et des cultures embrassés dans l'empire.
De fait, souligne Floréal Sanagustin, directeur de l'Institut français d'études arabes de Damas, les sciences s'appuient alors "sur un substrat ancien de plusieurs types : grec (...), indien (...), mésopotamien, mais aussi sur le vieux fonds de connaissances empiriques arabiques, et c'est là, sans doute, la principale caractéristique de la science arabe : avoir réussi à réunir en son sein une tradition scientifique très diverse".
"TOUTES CONFESSIONS"
"De toutes les cultures et de toutes les confessions. Musulmans, chrétiens, juifs, sabéens, travaillent ensemble dans un foisonnement d'idées sans précédent depuis des siècles", complète Emmanuel Monnier dans un article sur "L'apogée des sciences arabes". Il a choisi deux figures, symboles de cet esprit universel qui caractérisait les savants de l'époque : le mathématicien, historien et géographe Al Khwarizmi, auteur du grand livre des Tables astronomiques, de nombreux ouvrages sur l'astrolabe et l'astrologie et, surtout, de cette nouvelle discipline, al-jabr (l'algèbre), qu'il développe dans son Kitab al-jabr wa al muqabala. Et Abdel Rayhan Mohammad Al Biruni, auquel aucune discipline n'échappe, à la fois astronome, historien, géographe et physicien.
Fondée par le calife Al Ma'mun, la Maison de la sagesse (Beit Al Hikma), comme son nom l'indique, tient lieu de centre de recherches et de traductions pour toute sorte de travaux, dont la médecine et la pharmacologie ne furent pas en reste. La première profita de l'essor général des sciences pour se développer de manière remarquable, permettant à des médecins tels qu'Avicenne "d'élaborer un système conceptuel que l'on désigna sous le nom de médecine arabe", qui, "bien que largement imprégnée de médecine grecque, présentait plusieurs aspects originaux, et notamment l'émergence d'une science ophtalmologique".
L'éventail des sujets traités est suffisamment éloquent et élégamment illustré pour autoriser le titre de couverture : "Le Monde des Mille et Une Nuits": le génie arabe. Des "mille et une villes d'un empire" et des "règles de l'exquise urbanité", thèmes traités par André Miquel, titulaire de la chaire de langue et littérature arabes du Collège de France, à "l'art culinaire" et aux "mille et une portes sur d'autres mondes", en passant par "la magie, l'autre face de l'univers" ou encore "les techniques de l'eau, Damas, les sources du paradis", le lecteur pourra découvrir certaines des mille et une facettes de cet "âge d'or". Et peut-être avoir envie d'en savoir plus sur une civilisation souvent ignorée. [Les Cahiers de Science & Vie - N° 71 - octobre 2002 - 5 euros]
                               
18. Le reporter britannique Robert Fisk pourfend les médias par Jooneed Khan
La Presse (quotidien québécois) du mardi 19 novembre 2002
«Je sillonne la planète depuis plus de 25 ans comme journaliste, et les attentats du 11 septembre 2001 n'ont pas changé le monde. Ce qui a changé, c'est la démission des médias devant le pouvoir, l'abandon de l'esprit critique, l'hégémonie du discours officiel sur les manchettes; c'est la narration docile qui passe désormais pour du journalisme dans les médias occidentaux.»
Diagnostic sévère, phrases percutantes, ton plein de conviction, Robert Fisk a donné ainsi la charge à l'Université Concordia, où l'Union des étudiants l'avait invité dimanche soir à parler sur le thème : «Le journalisme après le 11 septembre».
«Les médias ont pris pour du cash le discours de La Guerre contre le Mal du président américain George W. Bush. Il y a un an, des reporters en Afghanistan se sont présentés devant les caméras affublés d'uniformes et de casques militaires. Sautant de ben Laden à l'Irak, CNN et la BBC font ces jours-ci dans le règlement de comptes Bush-Saddam. Les grands journaux sont remplis chaque jour de longs articles citant des officiels anonymes. C'est de la complaisance envers la désinformation. On devrait les fusionner en un grand quotidien mondial, intitulé : Les officiels disent».
La veille, le vétéran correspondant du quotidien britannique The Independent au Moyen-Orient avait abordé le sujet devant la NAJ canadienne (Association nationale des journalistes), qui tenait des ateliers d'écriture à Montréal.
Dimanche soir à Concordia, ce fut le happening : l'Université venait de se faire confirmer par la Cour l'interdiction de tout débat sur le Proche-Orient, en obligeant vendredi les députés néo-démocrates Svend Robinson et Libby Davies, et la militante Judy Rebick, à aborder le sujet en dehors du campus; ils poursuivent l'université au nom de la liberté d'expression; et dimanche 5000 Montréalais avaient bravé la tempête de neige pour protester contre une éventuelle guerre américaine en Irak.
Le moratoire frappant tout débat sur le Proche-Orient à Concordia a suivi l'annulation d'une causerie de l'ancien premier d'Israël Benjamin Netanyahu le 9 septembre. «Fisk peut-il éviter de parler du Proche-Orient ? L'université va le surveiller, et le poursuivre si nécessaire pour violation du moratoire et mépris de Cour», a indiqué à La Presse un responsable étudiant - menace reprise hier par Dennis Murphy, un porte-parole de l'Université Concordia.
L'auditorium 110 de l'édifice Hall était pleine à craquer dès 18h30, pour la causerie prévue à 19h00. Des gens étaient assis par terre, sur la scène même, les agents de sécurité prenant des photos des allées bondées pour accabler les organisateurs, qui s'empressaient de les dégager.
Dans ce climat surchauffé, Fisk, en chemise, était présenté par nul autre que Aaron Mate, l'un des deux membres du comité exécutif de l'Union des étudiants accusés dans l'affaire Netanyahu.
«La pauvreté du journalisme après le 11 septembre, a poursuivi Fisk, c'est que les éditeurs utilisent des généralistes, jeunes, et leur demandent de rapporter le quoi, le qui, le où, jamais le pourquoi. On a du sensationnel, mais sans le contexte. Quand j'ai donné le contexte de l'attaque contre moi il y a un an en Afghanistan, le Wall Street Journal m'a accusé d'absoudre les terroristes du 11 septembre !»
Illustrant son analyse avec des projections vidéo, Fisk a accusé les médias dominants d'adopter le discours d'Israël (Territoires disputés, au lieu d'occupés, quartiers juifs au lieu de colonies, etc). Et il a fait sienne la définition du journalisme d'une collègue israélienne, Amira Haas, du Haaretz : «C'est surveiller de près les centres du pouvoir.»
                               
19. Des compagnies occidentales accusées d'avoir participé au régime d'apartheid
sur le site du quotidien Le Monde le 12 novembre 2002

Les victimes de l'apartheid ont désigné mardi à Johannesburg vingt banques et entreprises occidentales qu'elles poursuivent pour coopération avec le gouvernement raciste sud-africain et pour avoir indirectement contribué à un "crime contre l'humanité".
Dans une conférence de presse donnée à Johannesburg, Neville Gabriel, porte-parole de Jubilee 2000, une coalition sud-africaine qui regroupe 4 000 ONG demandant l'indemnisation des victimes du régime d'apartheid, a confirmé qu'une plainte avait été déposée lundi à New York contre ces vingt entreprises pour demander des dédommagements. Il a précisé que "les dommages causés par l'apartheid se chiffrent en milliards de dollars". "Ceci est une action dirigée contre des banques et des corporations spécifiques pour avoir, par leur aide, contribué à un crime contre l'humanité", a souligné Neville Gabriel.
L'action, lancée par les avocats Charles Abrahams et Michael Hausfeld, est distincte d'une première action en justice intentée au nom de victimes de l'apartheid par un avocat new-yorkais, Ed Fagan, et que Jubilee 2000 avait critiquée en la qualifiant de "mal préparée". Ed Fagan demande, notamment à Crédit suisse et l'Union de banques suisses, une indemnisation totalisant 1,25 milliard de dollars. Cette nouvelle action a été annoncée lundi à Berne par une ONG, la Campagne suisse d'annulation des dettes de l'apartheid (Keesa).
"Une plainte collective majeure a été déposée (lundi) à New York", a confirmé Jubilee 2000 lors d'une conférence de presse à Johannesburg, précisant que les entreprises et banques visées étaient américaines, suisses, allemandes, britanniques, françaises et néerlandaises. Ces banques et entreprises ont, par leurs prêts et investissements, financé le régime d'apartheid, "lui permettant de survivre malgré les sanctions de l'ONU", affirme la coalition.
Les sociétés américaines visées sont : Citigroup, J.P. Morgan, ExxonMobil, Caltex Petroleum, Fluor Corporation, Ford Motor Corporation, General Motors et IBM. Les sociétés allemandes sont : Commerzbank, Deutsche Bank, Dresdner Bank, DaimlerChrysler et Rheinmetall. Les banques suisses Crédit suisse et l'Union de banques suisses (UBS) sont également visées, ainsi que les sociétés britanniques Barclays National Bank, British Petroleum (BP) et Fujitsu ICL, et les compagnies pétrolière française TotalFinaElf et anglo-néerlandaise Royal Dutch Shell.
Jubilee 2000 a affirmé à Johannesburg que ces entreprises étaient accusées de s'être faites les complices du régime de l'apartheid accusé de "tortures, meurtres, viols, détentions arbitraires et traitements inhumains". "Mais ceci n'est pas une attaque contre la Suisse ou le peuple suisse, ou l'Allemagne ou tout autre pays", a souligné Neville Gabriel.
Jubilee 2000, fondée en 1998, a aussi demandé l'annulation de toutes les dettes de l'Afrique du Sud datant de l'époque de l'apartheid et que l'organisation a estimées à 25,6 milliards de dollars à la fin 1993, la dernière année du régime de l'apartheid. Neville Gabriel a précisé que l'action était déposée au nom de 85 individus et d'une organisation, le Khulumani Support Group, qui dit représenter 32 000 personnes.
Interrogés sur le montant des indemnisations qui seront demandées, le porte-parole de Jubilee 2000 a indiqué : "Les dommages causés par l'apartheid se chiffrent en milliards de dollars (...) mais nous ne mettons pas de chiffre en face de notre action. Nous demandons que les dommages causés par l'apartheid soit réparés".
Le 8 novembre, l'ancien président Frederik de Klerk, artisan de la fin du régime de séparation des races en Afrique du Sud, s'est prononcé à Johannesburg contre les plaintes collectives à l'égard de l'apartheid, estimant qu'elles créeront des précédents qui "paralyseront l'aptitude des banques et des entreprises de faire des affaires où que ce soit".
                                                   
20. Israël/Palestine : Comment terminer la guerre de 1948 entretien avec Tanya Reinhart réalisé par ZNet* le vendredi 8 novembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
« Avec le soutien américain et le silence du monde occidental, il y a un danger très sérieux que ce que toutes les horreurs que nous avons vues jusqu’ici ne soient qu’un début et que, sous le parapluie d’une guerre en Irak, le peuple palestinien soit condamné à devoir choisir entre l’extermination et un second exil. La description de la situation actuelle en Afghanistan faite par Arundhati Roy semble terriblement transposable au calvaire qu’endurent les Palestiniens : « Voyez l’infinie justice du siècle naissant !… Des civils mourant de faim, tout en attendant d’être tués. » Mon plus grand espoir et ma supplication, c’est : Sauvez les Palestiniens ! Stoppez Israël ! Il s’agit de deux composantes indissociables de toute lutte contre la guerre américaine contre l’Irak. Si les gouvernements du monde ne le font pas, mon espoir est que les peuples du monde, eux, pourront le faire sans eux ». Tanya Reinhart
- ZNet : Pouvez-vous nous dire, Tanya, de quoi traite votre nouveau livre « Israël/Palestine – Comment terminer la guerre de 1948 » ? Que veut-il transmettre ?
- Israël, soutenu par la grande majorité des médias occidentaux, présente sa guerre contre les Palestiniens comme une guerre de défense, une réponse nécessaire à la terreur palestinienne, une contribution noble à la guerre mondiale contre le terrorisme. Il est stupéfiant de voir, aujourd’hui encore, après deux années de destructions massives, par Israël, de la société palestinienne, combien peu de choses sont connues du public sur la réalité des faits au sujet de la manière dont ce conflit s’est enclenché et quel rôle y joue Israël. Le premier objectif de mon livre est de mettre ces faits en lumière.
Le livre suit les développements de la politique israélienne au cours de trois années, de l’élection d’Ehud Barak au poste de Premier ministre, jusqu’à l’été 2002, qui fut la période la plus sombre de toute l’histoire d’Israël jusqu’ici. En nous basant sur des informations publiées en abondance par les médias israéliens, nous pouvons suivre un glissement politique, au tout début de la période sous étude. Il s’agit d’un glissement éloignant la politique israélienne de la conception d’Oslo, qui dominait jusqu’alors, depuis la signature des accords, en 1993. C’est là, bien sûr, une longue histoire, compliquée, sur laquelle je donne beaucoup de détails dans mon bouquin. Mais permettez-moi, si vous voulez bien, de vous en livrer la teneur.
Dès le début de l’occupation des territoires palestiniens, en 1967, l’armée et les élites politiques d’Israël ont délibéré de la question de savoir comment garder un maximum de territoires (et de ressources en eau, c’est très important), tout en gardant le minimum de population palestinienne. La solution, en apparence la plus simple, consistant à annexer les territoires palestiniens très peuplés, aurait créé un « problème démographique », c’est-à-dire la crainte que la majorité juive dans l’Etat d’Israël ainsi agrandi n’aurait pas pu être conservée. C’est pourquoi deux tendances principales se dessinèrent. Le plan Alon, du parti travailliste, proposa l’annexion de 35 % à 40 % des Territoires, avec soit un gouvernement jordanien, ou une forme quelconque d’autonomie pour le reste de ces Territoires, dans lesquels les résidents palestiniens auraient été confinés. Aux yeux de ses partisans, ce plan représentait un compromis ‘réaliste’, nécessaire. Ils pensaient qu’il aurait été inconcevable de répéter la « solution » de la guerre d’Indépendance (d’Israël) de 1948, au cours de laquelle la grande majorité du territoire fut conquis ‘Arabrein’ (débarrassé des Arabes), après l’expulsion massive des résidents palestiniens. L’autre approche, dont le porte-parole le plus en voix était Sharon, plaidait pour obtenir plus. Dans sa réalisation poussée à l’extrême, elle affirmait qu’il serait possible de trouver des moyens plus acceptables et plus sophistiqués de mener à bien une solution « à la mode 1948 ». Il faudrait, ‘simplement’, trouver un pays de rechange, pour y mettre (en les expulsant) autant de Palestiniens que possible. « La Jordanie, c’est la Palestine », était le leit-motiv de Sharon. C’est dans les années 1980 qu’il a trouvé cette formule qui lui plaît tellement…
En 1993, à Oslo, il sembla que le plan Alon l’avait emporté. Cela fut rendu possible, de plus, par la coopération d’Arafat. Par le passé, les Palestiniens s’étaient toujours opposés au plan Alon, qui leur vole la plus grande partie de leur pays. Mais, en 1993, Arafat était sur le point de perdre sa mainmise sur la société palestinienne, qui protestait sans relâche contre son pouvoir personnel et la corruption de ses organisations. Une « victoire écrasante » (en apparence) sembla la seule chose qui lui permettrait de conserver le pouvoir. Dans le dos de l’équipe de négociateurs palestiniens (locaux, de Palestine), dirigée par Haidar Abdel Shafi, Arafat accepta un accord qui laissait intactes toutes les colonies israéliennes, même dans la bande de Gaza, où 6 000 colons israéliens occupent un tiers du territoire, alors qu’un million de Palestiniens doivent s’entasser sur les deux tiers restants (territoire extrêmement exigu à plus forte concentration de population au monde, Ndt). Les années passant, depuis Oslo, Israël étendit les zones « Arabrein » (désarabisées comme on dirait dératisées, ndt), dans les territoires palestiniens occupés, les portant jusqu’à environ la moitié de ces territoires. Les cercles travaillistes commencèrent à parler du plan « Alon Plus », qui consistait, en substance, en plus de territoires pour Israël. Toutefois, il semblait qu’ils accorderaient néanmoins une certaine autodétermination aux Palestiniens, sur la moitié restante, dans des conditions semblables à celles régissant les Bantoustans en Afrique du Sud.
A la veille de la signature d’Oslo, la majorité des Israéliens étaient fatigués de la guerre incessante. A leurs yeux, les combats pour la terre et les ressources (en eau, essentiellement), cette guerre était dépassée. Hantés par le souvenir de l’Holocauste, la plupart des Israéliens pensaient que la guerre d’indépendance de 1948, malgré ses conséquences horribles pour les Palestiniens, était nécessaire afin de créer un Etat pour les Juifs. Mais, maintenant qu’ils ont un Etat, ils n’aspirent qu’à vivre normalement sur le territoire dont ils disposent, quel qu’il soit. Comme la majorité des Palestiniens, la majorité des Israéliens a eu tendance à se laisser embobiner à croire que ce à quoi nous étions en train d’assister n’était que des « accords intérimaires » et qu’un jour ou l’autre, l’occupation allait peu ou prou prendre fin, et que, par conséquent, les colonies seraient démantelées. Avec cette vision de ce qui était devant eux, les deux tiers des Juifs Israéliens soutinrent les accords d’Oslo lors des élections. Il était évident qu’il n’y avait aucune majorité en faveur d’une quelconque nouvelle guerre pour la terre et pour l’eau…
Par contre, au sein de l’armée, ou dans les cercles de généraux influents politiquement, dont les carrières se déroulent alternativement entre l’armée et le gouvernement, l’idéologie de la guerre pour les territoires et pour l’eau n’a jamais disparu. Dès le début du processus d’Oslo, les maximalistes s’opposèrent à ce que des territoires et des droits – aussi réduits fussent-ils – soient accordés aux Palestiniens. Cela était particulièrement visible dans les cercles militaires, dont le porte-parole le plus en voix était à l’époque le chef d’état-major Ehud Barak, qui s’opposa aux accords d’Oslo dès le départ. Un autre phare de l’opposition à Oslo était, bien entendu, Ariel Sharon.
En 1999, l’armée revint au pouvoir, en Israël, à travers l’élection des généraux politisés – d’abord Barak et, après lui, Sharon (mon livre retrace l’histoire de leur longue collaboration). La voie était dès lors ouverte vers le redressement de trajectoire, après ce qu’ils considéraient comme une très grave faute : avoir signé Oslo… A leurs yeux, l’alternative proposée par Sharon de combattre les Palestiniens jusqu’au bout et d’imposer un nouvel ordre régional n’a pu échouer, en 1982, au Liban, qu’à cause de la mollesse d’une « société israélienne ramollo ». Mais aujourd’hui, étant donné la philosophie guerrière établie via les opérations militaires américaines en Irak, au Kosovo et, plus tard, en Afghanistan, les généraux politiques israéliens sont convaincus que, grâce à l’écrasante supériorité aérienne d’Israël, il est encore possible d’imposer cette vision. Toutefois, pour en arriver là, il fallait avant tout, condition sine qua non, convaincre la société israélienne « ramollo » qu’en réalité, les Palestiniens ne désirent pas vivre en paix, et continuent de menacer l’existence même d’Israël. Sans doute, seul, Sharon n’aurait pas pu réussir à imposer cette duperie. Mais Barak allait remarquablement réussir à le faire, lui, avec son mensonge éhonté au sujet de son « offre généreuse »…
Au jour d’aujourd’hui, beaucoup a été écrit, d’ores et déjà, sur la non-offre de Barak à Camp David. Néanmoins, un examen attentif de l’information donnée par les médias israéliens révèle beaucoup plus de choses encore sur l’étendue de la fraude. J’y consacre, dans mon livre, tout un chapitre, avec beaucoup de détails. En réalité, la parodie de Barak à Camp David était le deuxième acte d’une magistrale tromperie de l’opinion publique. Plusieurs mois auparavant, il avait fait la même chose avec la Syrie, en faisant croire aux Israéliens et au monde entier qu’Israël était prêt à se retirer des hauteurs du Golan occupées. Dans les sondages, 60 % des Israéliens étaient favorables, avec enthousiasme, au démantèlement de toutes les colonies sur le plateau du Golan. Mais la fin de cette tournée de négociations de paix fut exactement identique à celle des négociations, ultérieures, avec les Palestiniens. Les Israéliens finirent convaincus que l’intraitable président Asad de Syrie ne voulait pas récupérer ses territoires et ne voulait pas faire la paix avec Israël. Depuis lors, la possibilité d’une guerre avec la Syrie est en permanence dans l’air. Les cercles militaires vous expliquent, ouvertement, que « le Hezbollah, la Syrie et l’Iran complotent afin de faire tomber Israël dans une « embuscade stratégique », et qu’Israël doit esquiver cette embuscade en dressant la sienne… Les circonstances pourraient être crées, au cours, ou vers la fin d’une offensive américaine contre l’Irak (cf. Amir Oren, in Ha’aretz, 09.07.2002).
Le 28 septembre 2000, Sharon, avec l’approbation de Barak, lança l’allumette qui mit le feu à la frustration bouillonnante qui s’était accumulée au sein de la société palestinienne, en procédant à sa visite-provocation sur le Mont du Temple – Haram al-Sharif. Le déploiement massif de forces de sécurité qui l’escortaient tirèrent des balles d’acier enrobées de caoutchouc contre des manifestants palestiniens non armés. Cette répression occasionna des manifestations beaucoup plus importantes le lendemain : Barak escalada la riposte militaire, il y eut beaucoup de tirs à balles réelles et de Palestiniens tués. Barak ordonna alors aux forces armées israéliennes et aux tanks de pénétrer dans des zones palestiniennes densément peuplées. Tout indique que l’escalade de la protestation palestinienne qui a conduit à des affrontements armés aurait pu être évitée, eût été la riposte israélienne plus proportionnée. Même face à une résistance armée, la réaction israélienne fut manifestement disproportionnée, de très loin, comme l’a enregistré l’Assemblée générale de l’ONU, qui a condamné Israël pour « son recours excessif à la force armée » le 26 octobre 2000.
Israël qualifie sa réaction militaire de défense nécessaire contre le terrorisme. Mais, en réalité, la première attaque terroriste palestinienne commise contre des civils israéliens, à l’intérieur d’Israël, ne s’est produite que le 2 novembre 2000. Soit après un mois au cours duquel Israël avait utilisé toute la puissance de son arsenal militaire contre les civils, tirant à balles réelles, utilisant les fusils automatiques, les mitrailleuses, les hélicoptères de combat, les tanks et les missiles. Une chose particulièrement stupéfiante est le fait que le plus gros des plans qui allaient présider aux actions militaires d’Israël au cours des mois suivants, avait déjà été conçu, dès le début, en octobre 2000, y compris la destruction de l’infrastructure palestinienne (plan « Champ de Chardons »). La stratégie politique visant à discréditer Arafat et l’Autorité palestinienne était prête, elle aussi, dès le début. Le cabinet de Barak avait rédigé un document connu sous le nom de « Livre Blanc », qui affirmait déjà à l’époque qu’Arafat n’avait « jamais abandonné l’option de la violence ».
Parmi un flot de propagande, un thème aussi avait émergé dès octobre 2000 : l’analogie établissant le lien entre les circonstances présentes et la guerre de 1948. Le major général Moshe Ya’alon, alors adjoint au chef d’état-major (et actuellement chef d’état-major), expliquait qu’il « s’agissait de la campagne la plus critique de tous les temps contre les Palestiniens, y compris la population arabe d’Israël, depuis la guerre de 1948. Pour lui, en fait, il s’agit de la deuxième moitié de 1948 » (Amir Oren, Ha’aretz, 17.11.2000). Après deux années d’oppression brutale des Palestiniens par Israël, il est bien difficile de ne pas conclure que les cercles dirigeants, politiques et militaires, en Israël, qui ont produit cette analogie, sont toujours convaincus, aujourd’hui, que « la seconde moitié » du boulot – le parachèvement du nettoyage ethnique entrepris en 1948 – est toujours nécessaire, et possible…
Mon deuxième objectif, avec ce livre, est de montrer qu’en dépit des horreurs des deux années écoulées, il y a encore une alternative ouverte, pour mettre un terme à la guerre de 1948, pour trouver la voie de la paix et d’une vraie réconciliation. Il est étonnant de voir combien il serait simple et faisable de réaliser cela. Israël devrait se retirer immédiatement des territoires occupés en 1967. La majorité des colons israéliens (150 000 d’entre eux) sont concentrés dans les grands blocs de colonisation, dans le centre de la Cisjordanie. Ces zones ne peuvent pas être évacuées du jour au lendemain. Mais le reste du territoire (soit environ 90, voire 96 %, de la Cisjordanie, et la totalité de la bande de Gaza) peut être évacué immédiatement. Bien des résidents des colonies israéliennes isolées, qui sont parsemées dans ces zones, parlent ouvertement, aux médias, de leur désir de partir. Il suffirait de leur offrir des compensations financières raisonnables pour les propriétés qu’ils devraient abandonner derrière eux. Le reste, le noyau dur des fanatiques du « rachat (spirituel) de la terre » représentent une minorité négligeable qui devra bien se plier à la volonté de l’écrasante majorité.
Un retrait immédiat de ce type laisserait néanmoins au débat les 6 à 10 % de la Cisjordanie comportant les plus gros blocs de colonies, ainsi que les problèmes de Jérusalem et du droit au retour. Sur ces points, des négociations sérieuses devraient être entamées sans plus attendre. Toutefois, durant ces négociations, la société palestinienne pourrait commencer à récupérer, à s’installer dans les territoires évacués, à édifier des institutions démocratiques, et à développer son économie, basée sur des contacts libres avec qui elle veut. Ces circonstances étant réunies, il serait possible d’étudier le problème central, à savoir la manière correcte permettant à deux peuples qui partagent le même territoire d’édifier conjointement leur futur commun.
En Israël, l’appel à un retrait immédiat des territoires occupés rencontre un certain soutien du public depuis que Amy Ayalon (ancien dirigeant des services de sécurité) a appelé ouvertement à ce retrait. Il a été rejoint, en février 2002, par le Conseil pour la Paix et la Sécurité, qui est une association comptant environ un millier de membres appartenant à l’establishment israélien. A en juger aux sondages, ce plan de retrait recueille le soutien de 60 % des Israéliens. Cela n’est pas surprenant, étant donné que c’est une même majorité, de 60 %, qui a constamment été en faveur du démantèlement des colonies, depuis 1993. Un sondage effectué par l’institut israélien Dahaf, le 6 mai 2002, commandité par le mouvement Peace Now (La Paix Maintenant) a montré que 59 % des sondés étaient en faveur du retrait de l’armée israélienne de la plupart des territoires palestiniens occupés, et du démantèlement de la quasi totalité des colonies. Les répondants en ce sens pensent que cela serait de nature à relancer le processus de paix et que cette solution est la plus favorable des options qui étaient offertes à leur choix, dans ce sondage. Cette majorité n’est pas représentée dans l’ensemble du système politique israélien, bien entendu, mais elle existe bel et bien.
- ZNet : Pouvez-vous nous parler de la manière dont vous avez réalisé cet ouvrage ? D’où proviennent les informations ? Qu’est-ce qui a contribué à en faire l’ouvrage original que vous nous offrez ?
- J’ai commencé à écrire ce livre durant les premiers mois de l’Intifada palestinienne (la seconde, ndt). Cela a commencé par des tribunes libres dans le quotidien israélien Yediot Aharonot, ensuite j’ai écrit des articles plus détaillés pour ZNet et le site israélien Indymedia ; ces articles étaient des commentaires sur les événements, au fur et à mesure qu’ils se produisaient. Mais assez rapidement, j’ai ressenti le besoin d’étendre mes recherches afin d’obtenir une couverture aussi complète que possible de cette période décisive. Le premier projet a abouti en février 2002, et il a été publié en France sous le titre « Détruire la Palestine, ou comment terminer la guerre de 1948 » (Editions La Fabrique, France, 2002). La version anglaise qui vient d’être publiée couvre, en plus de la version française, la période d’avril 2002 à la fin de l’été 2002, qui est la période au cours de laquelle Israël est entrée dans sa phase nouvelle et aussi la plus cruelle de son histoire, de destruction de la Palestine, avec son opération « Bouclier de Protection » et les horreurs perpétrées dans le camp de réfugiés de Jénine.
Les médias israéliens sont ma principale source d’informations. Dans les journaux israéliens, vous pouvez trouver beaucoup plus d’information sur les événements en cours que dans toutes les autres sources d’information étrangères. On entend souvent dire que cela serait dû au fait que les médias israéliens sont plus libéraux et critiques que tous n’importe quel média occidental. Ce n’est pas, en réalité, la vraie raison. A la notable exception de journalistes courageux et consciencieux, comme Amira Hass, Gideon Levy et quelques (rares) autres, la presse israélienne est aussi soumise et obéissante qu’ailleurs, et elle reprend fidèlement et servilement les messages des services de communication de l’armée et du gouvernement. Mais une partie de l’explication du phénomène qui fait que la presse israélienne en dit plus, c’est sans doute son absence d’inhibition. Des choses qui sembleraient totalement scandaleuses ou horrifiantes ailleurs dans le monde sont considérées, chez nous, en Israël, comme relevant de la routine, de la vie de tous les jours…
Ainsi, par exemple, le 12 avril 2002, après les atrocités de Jénine, le quotidien Ha’aretz a écrit innocemment ce que des « sources militaires » lui avaient indiqué : « Les Forces israéliennes de défense (Tsahal) ont l’intention d’enterrer ce jour des Palestiniens tués dans ce camp de Cisjordanie. Les sources ont indiqué que deux bataillons d’infanterie, accompagnées de membres de l’aumônerie rabbinique militaire, entreront dans le camp, aujourd’hui, afin de relever les corps. Ceux qui pourront être identifiés comme civils seront emmenés dans une morgue, l’hôpital de Jénine (ville), puis ils seront inhumés, tandis que les cadavres de terroristes seront enterrés dans un cimetière spécial (israélien), dans la vallée du Jourdain . » Apparemment, personne, en Israël, n’a été très intéressé, à l’époque, par des considérations relatives au droit international, aux crimes de guerres et aux fosses communes. La télévision israélienne avait même montré, la veille au soir, des camions réfrigérés, stationnés à l’extérieur du camp de Jénine, dans l’attente qu’on y charge les cadavres qui devaient être transférés vers le « cimetière des terroristes ». Ce n’est qu’après que l’attention internationale eût commencé à se porter sur Jénine que cette information fut prestement retirée et réinterprétée au moyen de tout ce qu’il est possible d’imaginer en fait de raisonnements par l’absurde, afin d’expliquer que rien de tel ne s’était jamais produit. Voici comment le respectable analyste du Ha’aretz, Ze’ev Schiff (spécialiste des questions militaires, ndt), résuma plus tard les faits : « Vers la fin des combats, l’armée envoya trois grands camions frigorifiques dans la ville (de Jénine). Des réservistes décidèrent de dormir dans ces camions afin de profiter de l’air conditionné de leurs cabines. Certains Palestiniens virent des dizaines de corps étendus dans les camions, recouvert d’une couverture, et des rumeurs commencèrent à circuler, selon lesquelles les Juifs avaient tellement récupéré de cadavres de Palestiniens qu’ils en avaient chargé des pleins camions. » (Ha’aretz, 17 juillet 2002).
- ZNet : Quelles sont vos espoirs pour Israël/Palestine ? Comment mettre un terme effectif, à cette guerre qui dure en réalité depuis 1948 ? Sur quoi cette guerre, d’après vous, peut-elle déboucher, politiquement ? A quoi peut-elle contribuer ? Etant donné les efforts que vous avez déployés pour écrire ce livre, à partir de quelles évolutions considérerez-vous avoir atteint un relatif succès ? Qu’est-ce qui pourrait faire que vous soyez quelque part heureuse de cette entreprise ? Qu’est-ce qui serait susceptible de vous laisser penser que cela en valait et la peine et le temps que vous y avez consacrés ?
- Dans l’atmosphère politique régnant actuellement aux Etats-Unis et en Europe, quiconque ose exprimer une critique d’Israël est immédiatement réduit au silence par l’anathème lancé contre lui d’être antisémite. Une partie de la raison pour laquelle le lobby israélien et le lobby juif ont réussi à un tel point à imposer cette accusation-étouffoir est l’énorme ignorance au sujet de ce qui est réellement en train de se passer. Si l’on ne porte pas les faits à la connaissance du public, le récit dominant restera qu’Israël lutte pour défendre son existence. L’attention (des gens) ne se porte que sur le terrorisme palestinien, horrible et terriblement dommageable, si bien que si vous critiquez Israël, on vous accuse de justifier ou de faire le jeu du terrorisme. Mon espoir, face à cette réalité, est de fournir aux lecteurs les armes qui leur permettent de faire face à ces anathèmes : une connaissance détaillée des faits avérés et prouvés.
Mon second espoir, c’est de ramener l’espoir. Comme je l’ai dit, une solution saine et rationnelle est encore possible. Des peuples ont réussi, dans le passé, à sortir d’une histoire horriblement sanglante pour entrer dans une ère de coexistence pacifique, l’Europe en donne l’exemple le plus connu et le plus évident. Après deux années d’horreur, la majorité des peuples tant israélien que palestinien veut encore ouvrir une nouvelle page. Je le montre, en détail, dans mon livre, que je conclus par des biographies des nombreux militants palestiniens et israéliens qui se battent, ensemble, pour le seul futur qui vaille la peine d’être vécu, un futur basé sur les valeurs humaines fondamentales. Ce dont on a besoin, afin de donner une chance à l’espoir, c’est que les peuples, dans le monde entier, interviennent et arrêtent la junte militaire israélienne qui ne représente absolument pas la majorité du peuple israélien.
Enfin, et c’est sans doute le plus important, je m’efforce de donner une idée – c’est très difficile – de la tragédie que vivent les Palestiniens, autant que je puis le faire depuis ma position privilégiée de membre de la société oppressante. Avec le soutien américain et le silence du monde occidental, il y a un danger très sérieux que ce que toutes les horreurs que nous avons vues jusqu’ici ne soient qu’un début et que, sous le parapluie d’une guerre en Irak, le peuple palestinien soit condamné à devoir choisir entre l’extermination et un second exil. La description de la situation actuelle en Afghanistan faite par Arundhati Roy semble terriblement transposable au calvaire qu’endurent les Palestiniens : « Voyez l’infinie justice du siècle naissant !… Des civils mourant de faim, tout en attendant d’être tués. » Mon plus grand espoir et ma supplication, c’est : Sauvez les Palestiniens ! Stoppez Israël ! Il s’agit de deux composantes indissociables de toute lutte contre la guerre américaine contre l’Irak. Si les gouvernements du monde ne le font pas, mon espoir est que les peuples du monde, eux, pourront le faire sans eux…
[*Le site de Znet :
http://www.zmag.org - Les textes de Tanya Reinhart sont disponibles sur le site : http://www.tau.ac.il/~reinhart]
                                           
21. La Nakba de 1948 et l’aspiration sioniste à la parachever par Ilan Pappe
in Between the Lines (mensuel palestinien publié à Jérusalem) du mois d'octobre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Cet article a pour point de départ des notes prises à une conférence du Dr Pappe devant la Coalition pour le Droit au Retour –Al-Awdah – Royaume-Uni, donnée à l’Ecole des Etudes Orientales et Africaines de Londres, le lundi 16 septembre 2002. Il est publié après relecture, remarques et accord du Dr Pappe.
Je suis venu ici afin de vous présenter l’histoire globale de l’expulsion et de la purification ethnique dont les Palestiniens ont été les victimes en 1948, ainsi que la pertinence de ce récit historique dans le contexte présent et futur d’une solution pacifique en Palestine.
Pour les Israéliens, 1948 est une année où deux choses sont advenues, qui sont totalement antithétiques. D’un côté, c’était l’apex des aspirations des Juifs à un Etat et à la satisfaction d’un long rêve de retour dans un foyer (national) après ce qu’ils considéraient comme deux millénaires d’exil. En d’autres termes, cela était considéré comme un événement miraculeux que seuls des adjectifs dithyrambiques pouvaient dignement qualifier, dont on ne pouvait parler, qu’on ne pouvait évoquer qu’en tant qu’Evénement d’une nature extrêmement exaltante. De l’autre, ce fut le pire des chapitres de toute l’histoire juive. En 1948, des Juifs ont fait, en Palestine, ce qu’aucun Juif n’avait fait avant cette date, tout au long de deux mille ans d’histoire. Le moment le plus monstrueux et le moment le plus glorieux se fondaient entre eux, ne faisant plus qu’un. Que fit la mémoire collective israélienne ? Elle occulta totalement l’un des côtés de l’histoire (le côté monstrueux, cela va de soi) afin de coexister, ou de « pouvoir vivre avec » (comme aiment à le dire les anglo-saxons) le chapitre glorieux et sans tache. Il s’est agi d’un mécanisme qui a permis de résoudre une tension insoluble entre deux mémoires collectives (d’un seul et même peuple : le peuple israélien).
Si nombreux sont les Israéliens actuels à avoir vécu 1948, qu’il ne s’agit certainement pas d’un souvenir lointain : je ne suis pas en train de vous parler, en ce moment, du génocide des Indiens d’Amérique du Nord ! Les gens, (en Israël), savent très bien ce qu’ils ont fait, et ils savent aussi très bien ce que d’autres ont fait. Néanmoins, ils réussissent encore remarquablement bien à éradiquer totalement de leur mémoire le souvenir de ces actes tout en combattant avec une rigueur sans faille quiconque essaierait de présenter l’autre versant de l’histoire de 1948 – le versant horrible – tant en Israël qu’ailleurs qu’en Israël. Si vous ouvrez des ouvrages scolaires israéliens, des curriculum vitae, les médias, le discours politique, que constatez-vous ? Vous constatez à quel point ce chapitre de l’histoire juive – le chapitre de l’expulsion, de la colonisation, des massacres, des viols et des destructions de villages par incendie – en est totalement expurgé. On n’en parle pas, un point c’est tout. Jamais ! En lieu et place, on vous parlera abondamment d’héroïsme, de campagnes (militaires) glorieuses et d’histoires stupéfiantes et remarquables, édifiantes, même, de courage et de supériorité morales, sans précédent dans les récits historiques des libérations de tous les autres peuples, au vingtième siècle. Aussi, lorsque je parle de la purification ethnique de la Palestine, en 1948, il faut garder à l’esprit que ce ne sont pas seulement les expressions de « nettoyage ethnique » et d’ « expulsion » qui sont totalement étrangères à la communauté nationale dont je suis originaire et au sein de laquelle j’ai grandi : c’est l’histoire même, contenue dans ce chapitre, qui est soit totalement occultée, soit, dans le meilleur des cas, déformée au point de la rendre méconnaissable.
La stratégie des dirigeants sionistes : colonisation et expulsion
Bien. Maintenant que vous savez cela, qui est essentiel, passons à la lecture des mémoires des dirigeants sionistes, et étudions leurs idéologies et leurs stratégies depuis la naissance du mouvement sioniste, à la fin du dix-neuvième siècle : vous verrez, dès le tout début, qu’il existait la conscience claire que l’aspiration à la création d’un Etat juif en Palestine entrait en contradiction flagrante avec l’existence d’un peuple indigène qui vivait en Palestine depuis des siècles et dont les aspirations étaient forcément inconciliables avec celles du projet sioniste, tant pour le pays que pour sa population. L’existence d’une société palestinienne et d’une culture locale était connue, bien évidemment, des fondateurs du sionisme, bien avant que les premiers pionniers ne posassent un pataugas en Terre sainte.
On recourut à deux moyens pour changer la réalité en Palestine, et faire ainsi prévaloir la vision sioniste sur la réalité concrète locale : la dépossession de la population indigène de sa terre et la repopulation de celle-ci par des nouveaux venus. Selon l’usage consacré : la colonisation et l’expulsion. La colonisation fut encouragée par un mouvement qui n’avait pas encore acquis de légitimité régionale, et a fortiori, internationale, et qui devait, par conséquent, acheter des terres, et créer des enclaves au milieu de la population indigène. L’Empire britannique fut idoine, pour faire de ce schéma une réalité. Toutefois, dès les prémisses de la mise en œuvre de la stratégie sioniste, les dirigeants du sionisme savaient très bien que la colonisation est un processus très long et progressif, et que ce processus ne suffirait pas, à lui seul, si vous recherchiez à révolutionner la réalité sur le terrain et à imposer votre propre vision des choses. Pour cela, il leur fallait des moyens beaucoup plus radicaux. David Ben Gourion, dirigeant de la communauté juive dans les années 1930 et, plus tard, premier Premier ministre d’Israël, a mentionné à plus d’une reprise, qu’afin d’imposer votre interprétation des choses sur le terrain, vous avez besoin de ce qu’il qualifia de « conditions révolutionnaires ». Il visait par là une situation de guerre – une situation de changement de gouvernement, une zone de pénombre entre une ère révolue et le commencement d’une ère nouvelle. Il n’est par conséquent nullement surprenant de lire, aujourd’hui, dans la presse israélienne, qu’Ariel Sharon se voit en Ben Gourion des temps modernes, sur le point de conduire son peuple vers une nouvelle épopée révolutionnaire – la guerre contre l’Irak – durant laquelle l’expulsion – et non le règlement politique – peut être utilisée afin de poursuivre – en réalité, de parachever – le processus de désarabisation et de judaïsation de la Palestine entamé en 1882…
Un peu avant la fin du Mandat britannique, vint le moment où il fallait faire des idées toutes théoriques et abstraites de l’expulsion un plan concret. J’étudie l’histoire de 1948 depuis 1980, et la plus grande partie de mon temps de recherche a été consacré à résoudre la question de savoir s’il existait – ou non – en 1948 un projet directeur sioniste d’expulsion des Palestiniens. Puis je me suis rendu compte (dans une large mesure à la suite de ce que j’ai découvert au cours des deux années écoulées) que ce n’était pas la bonne piste : ni pour la recherche historique universitaire, ni pour la recherche plus vulgarisée et idéologique sur les événements passés. Beaucoup plus importante, en matière de nettoyage ethnique, est la formulation d’une communauté idéologique, dans laquelle chaque membre – qu’il soit nouvel immigrant ou vétéran – ne sait que trop bien qu’il doit apporter sa contribution à la propagation/pérennisation d’une formule consacrée : il n’existe aucun autre moyen de faire du rêve sioniste une réalité que de ‘vider le territoire de sa population indigène’…
Seul, un endoctrinement idéologique de masse a rendu possible la Nakba de 1948
Des plans directeurs ne sont pas l’élément décisif lorsqu’il s’agit de vous préparer à ce temps, proche, d’une conjoncture révolutionnaire ou pour des plans contingents permettant de faire de l’expulsion une réalité pratique. Vous avez besoin d’autre chose : vous avez besoin d’une ambiance, vous avez besoin de gens endoctrinés, vous avez besoin de commandants à chaque chaînon de la chaîne de commandement, qui sachent exactement que faire, même s’ils n’ont pas reçu d’ordres explicites le Moment grand ‘M’ venu. La plupart des préparatifs, avant la guerre de 1948, ne consistaient pas, pour l’essentiel, en l’élaboration d’un projet directeur (même si je suis convaincu qu’il en existait un). Les chefs militaires étaient très affairés à rassembler des dossiers de renseignement sur chaque village palestinien à l’usage des commandants juifs à tous les niveaux, leur permettant de savoir quelle était la valeur militaire et l’importance stratégique de chacun de ces villages pour leur propre unité armée, etc. Munis de ces informations, ils avaient entière conscience de ce qui était requis d’eux par l’homme qui se tenait au sommet de la pyramide juive en Palestine, David Ben Gourion, et ses collègues. Ces dirigeants ne se préoccupaient que d’une chose : la contribution que chaque opération locale apporterait à la judaïsation de la Palestine. Et ils avaient indiqué très clairement que seul importait cet objectif, et qu’ils ne se préoccupaient pas le moins du monde des moyens mis en œuvre afin de les atteindre. Le plan d’expulsion des Palestiniens fonctionna comme sur des roulettes, précisément, parce qu’il n’était nul besoin d’une chaîne systématique de commandement qui eût à vérifier si un plan général était en bonne voie de réalisation. Quiconque a effectué des recherches sur les opérations de purification ethnique durant la seconde moitié du vingtième siècle sait que c’est exactement ainsi que l’on procède : on crée les systèmes d’éducation, de formation et d’endoctrinement qui garantissent que chaque soldat et chaque commandant, chacun en toute responsabilité personnelle, sait exactement que faire lorsqu’il investit un village, même sans avoir reçu l’ordre exprès d’en expulser les habitants.
Tout à fait récemment, après avoir lu des témoignages non seulement de Palestiniens, mais aussi de soldats israéliens, il devint clair pour moi que le plan général, bien que signifiant en tant que tel, est de peu d’importance si on le compare à l’ensemble de la machinerie d’endoctrinement d’une communauté. En 1948, le Yishuv (la communauté juive en Palestine d’avant 1948) comptait un peu plus d’un demi million d’âmes, il était moins important avant cette date. Ceux qui avaient un rôle actif dans les fonctions militaires de leur communauté savaient précisément que faire lorsque le moment viendrait, et seulement lorsque le moment serait venu, sans précipitation.
Mais il faut rappeler que si le plan fut rempli avec le succès que l’on sait, ce ne fut pas seulement en raison de l’endoctrinement idéologique. Cela fut fait sous les yeux des Nations Unies, qui étaient engagées, depuis la Résolution 181 adoptée en Assemblée générale, à assurer la sécurité et le bien être des « nettoyés » ethniquement. Les Nations unies avaient l’obligation de protéger la vie des Palestiniens qui étaient censés vivre dans les régions dévolues à l’Etat juif (lesquels Palestiniens auraient dû constituer près de la moitié de la population de l’Etat (juif) projeté). Des 900 000 Palestiniens vivant tant dans ces régions que dans d’autres, additionnelles, conquises par Israël sur l’Etat arabe prévu, seuls 100 000 restèrent. En un temps très court, mais néanmoins, il faut encore une fois le préciser, à une époque où les Nations Unies étaient déjà responsables de la Palestine, une opération d’expulsion massive fut menée à bien, en un temps record.
Il nous reste encore à entendre les histoires les plus horribles sur 1948, bien que nous soyons de nombreux historiens professionnels à nous être penchés sur cette question. Nous n’avons pas parlé, encore, des viols. Nous n’avons pas parlé, encore, des trente ou quarante massacres que l’historiographie populaire mentionne. Nous n’avons pas, encore, décidé de la façon dont on va qualifier l’assassinat systématique de plusieurs personnes, qui s’est produit, dans chaque village, afin de créer la panique qui devait produire l’exode des villageois palestiniens. S’agit-il d’un massacre, ou ne s’agit-il pas d’un massacre, quand ces assassinats catalyseurs sont perpétrés dans des dizaines de villages pratiquement en même temps ? Il est fort probable que certains chapitres – particulièrement sombres - ne seront jamais révélés, dont beaucoup ne se trouvent pas dans les archives, mais bien plutôt dans la mémoire de personnes qui emportent dans la tombe leurs témoignages absolument capitaux. Il n’y avait pas d’ordres spécifiques, écrits, il n’y avait qu’une ambiance de mobilisation qu’il est nécessaire de tenter de reconstituer. On peut trouver un aperçu de cette ambiance particulière sur les rayonnages des bibliothèques de presque tous les foyers israéliens – dans les ouvrages officiels écrits à la gloire de l’armée israélienne dans ses actions en 1948. Si vous savez lire ces ouvrages « entre les lignes », vous y découvrirez comment les Palestiniens furent déshumanisés à un degré tel que vous pouviez faire confiance aux troupes, les yeux fermés, car elles sauraient de toute manière ce qu’elles avaient à faire…
Les dirigeants israéliens et palestiniens acceptent le jeu américain : passer la Palestine physiquement et moralement par pertes et profits
Noam Chomsky avait raison lorsqu’il disait que nous, en Israël/Palestine, et plus généralement au Moyen-Orient, jouons allègrement le jeu américain depuis le moment même où les Etats-Unis ont décidé de prendre une part active au processus dit de paix, à partir de 1969, avec le plan Rogers, puis avec les initiatives de Kissinger. Depuis lors, le processus de paix est un jeu purement américain. Les Américains ont inventé le concept de ‘processus de paix’ : dès lors, le processus l’emporte, et de très loin, sur la paix… L’Amérique a des intérêts contradictoires au Moyen-Orient. Ces intérêts comportent la protection de certains régimes dans la région qui assurent en retour la protection des intérêts américains ( ce qui comporte le soutien – en paroles, et en paroles seulement – à la cause palestinienne), tout en étant engagés vis-à-vis d’Israël. Afin de ne pas avoir à se trouver confrontés aux contradictions découlant de cet engagement duplice, il vaut mieux avoir un ‘processus’ interminable qui ne soit ni la guerre, ni la paix, mais quelque chose que l’on peut qualifier d’effort authentique déployé par les Etats-Unis afin de réconcilier les deux parties – et de faire que cette réconciliation fonctionne – ce qu’à Dieu ne plaise !
Si nous jouions à ce petit jeu, ce n’est pas seulement parce que c’est Tonton Sam qui l’a inventé, mais aussi parce que substituer à la paix un ‘processus de paix’ a fini par représenter la principale stratégie du camp de la paix israélien. Dès lors que le camp de la paix du protagoniste le plus fort dans l’équilibre local des forces accepte cette interprétation, le monde entier ne peut que le suivre…
Ce processus, qui peut et doit se prolonger à l’infini (c’est ce qu’on attend de lui : perdurer, indéfiniment), couvé par la superpuissance unique et soutenu par le camp de la paix du protagoniste dominant, on nous le présente comme étant la paix ! La meilleure manière d’éviter, surtout, que le processus aboutisse, c’est précisément d’en écarter tous les points fondamentaux, au cœur du conflit. Ainsi, il a été possible de supprimer les événements de 1948 de l’agenda de la paix et de se focaliser sur ce qui s’est passé en 1967. Le problème numéro un devint dès lors les territoires occupés par Israël au cours de la guerre de 1967. Le concept ‘les territoires contre la paix’ a été inventé simultanément à Tel Aviv, à Londres, à Paris et à New York lors de l’adoption de la résolution 242 de l’ONU. Il concerne une variable très concrète – en fait, 20 % de la Palestine – tout en écartant les 80 % restants de l’équation – qu’elle juxtapose en vis-à-vis de la « paix », qui n’est en réalité que le processus de paix à durée indéterminée. Un processus qui n’a jamais été conçu pour apporter une quelconque solution, ni a fortiori une quelconque réconciliation. En échange d’un processus de paix, les Palestiniens seraient autorisés à évoquer – et peut-être, progressivement, à édifier – quelque chose qui ressemblerait à une sorte d’entité politique, sur 20 % (seulement) de la Palestine !
En 1988 [après que le Congrès National Palestinien ait accepté, à Alger, la résolution 242], et en 1993 [avec les accords d’Oslo], les dirigeants palestiniens eux-mêmes décidèrent de venir jouer à ce petit jeu (américain). Il n’est donc nullement étonnant qu’après la signature d’Oslo, les décideurs politiques américains aient décidé que le temps était venu pour eux d’en finir. Ils avaient à leur disposition des dirigeants palestiniens et israéliens qui acceptaient le nom et les règles du petit jeu américain. C’était le début du ‘processus’, qui atteignit sa perfection avec « l’offre israélienne de paix la plus généreuse qui eût jamais été faite », au sommet de Camp David, durant l’été 2000. Eût ce processus été couronné de succès, l’Histoire aurait non seulement assisté à l’expulsion des Palestiniens de leur patrie en 1948, mais aussi à l’éradication des réfugiés, ainsi que de la minorité palestinienne en Israël, et même peut-être aussi de la Palestine elle-même de notre mémoire collective…
Il s’agissait d’un processus d’élimination, qui a réussi, jusqu’à un certain point et qui eût réussi totalement, sans la seconde Intifada. Je me demande ce qui se serait produit si la seconde Intifada n’avait pas éclaté, in extremis… Si la direction palestinienne avait continué à se prêter au jeu consistant à réduire la Palestine, physiquement et moralement, à sa plus simple expression, elle y serait parvenu. Si la seconde Intifada s’est produite, c’est afin de mettre un terme à cette trahison. Qu’elle réussisse ou qu’elle échoue, nous n’en savons rien ; c’est l’avenir qui le dira.
Des priorités, pour les pacifistes, dans l’ombre menaçante du projet de transfert
Pour nous, pacifistes, le problème est que toute pression coordonnée sur Israël afin d’empêcher la mise à exécution de ses plans, peut, a contrario, conduire les Israéliens à les accélérer et à liquider la Palestine, c’est-à-dire, mot pour mot, à sentir que les circonstances révolutionnaires sont arrivées. C’est ma plus grande crainte, pour la seconde Intifada. Je la soutiens totalement, et je la tiens pour ce qu’elle est : un mouvement populaire déterminé à mettre un terme à un processus dit ‘de paix’ qui aurait abouti à la destruction de la Palestine, à tout jamais. L’Intifada – et, certainement a fortiori, la guerre annoncée contre l’Irak – ont induit dans l’esprit des Israéliens – de tout poil, et pas seulement dans les cercles de la droite – l’idée que « nous sommes aux portes d’une énième conjonction fortuite de l’histoire, dans laquelle les conditions historiques sont réunies afin de résoudre la question palestinienne une bonne fois pour toutes. » Vous pouvez constater, en Israël, que cette assertion est ouvertement débattue : le discours sur le transfert et l’expulsion (des Palestiniens) qui était propre à l’extrême droite est désormais « de bon ton » (en français dans le texte, ndt) dans les formations centristes. Des universitaires de renom l’évoquent, ils écrivent à son sujet, des hommes politiques du centre le prêchent et des officiers de l’armée ne sont que trop contents de laisser entendre que si une guerre était lancée contre l’Irak, le transfert pourrait être mis à l’ordre du jour.
Cela m’amène à indiquer les trois priorités pour la paix, à mon avis, à prendre en compte par toute personne engagée dans le soutien à la paix en Israël et en Palestine, sans quoi nous risquons de rater le train, pour ainsi dire.
La première priorité est la plus urgente : nous devons, tous, prendre très au sérieux le danger d’une répétition du nettoyage ethnique de 1948. Lorsque j’établis un lien direct entre la guerre contre l’Irak et la possibilité d’une nouvelle Nakba, je ne le fais pas par paranoïa.
Il faut prendre cette éventualité très au sérieux, croyez-moi. Il existe une conceptualisation israélienne sérieuse de la situation, selon laquelle les dirigeants israéliens se disent : « nous avons carte blanche des Américains. Les Américains vont non seulement nous autoriser à nettoyer la Palestine, une bonne fois pour toute, il vont même nous aider à créer l’opportunité de mettre notre projet en application. Le monde entier nous condamnera, mais cela passera, rapidement, et cela ne tardera pas à être oublié. Il y a là une rare opportunité de « résoudre » le problème ».
La seconde priorité est la plus immédiate : mettre un terme à l’occupation. Nous devons faire preuve de beaucoup de prudence avant d’adopter le discours sur une solution à deux Etats, qui est celui des Américains, du mouvement israélien Peace Now (La Paix, Maintenant !) et aussi, j’ai le regret de le dire, de l’Autorité palestinienne. En effet, aujourd’hui, la solution à deux Etats ne signifie nullement la fin de l’occupation : c’est la continuation de l’occupation, avec de nouvelles modalités. Cette « solution » vise à mettre un terme au conflit, sans qu’une solution ne soit apportée au problème des réfugiés et en abandonnant totalement la minorité palestinienne en Israël. Quiconque n’a pas encore compris cela, depuis les accords d’Oslo, a un sérieux problème de compréhension et d’interprétation de la réalité. Nous devons veiller à ce que l’idée de paix ne soit pas prise en otage par des gens qui recherchent en réalité des moyens détournés de pérenniser la situation prévalant actuellement en Palestine. Ce n’est pas facile, car les médias occidentaux ont déjà adopté, dans leur vocabulaire, l’idée que quiconque veut se présenter comme un homme de paix ou un partisan de la paix doit défendre la « solution » à deux Etats.
Ce n’est que lorsque l’occupation aura pris fin que nous pourrons dire ce qu’il convient de faire. Il sera, alors, mais pas avant, possible de discuter de la meilleure structure politique nécessaire pour empêcher une réoccupation de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. Mais il doit être clair que la structure politique requise afin de mettre fin au conflit est totalement différente. Il doit s’agir d’une configuration qui nous permette de mettre un terme au problème des réfugiés et aux politiques d’apartheid à l’encontre des Palestiniens vivant en Israël. Nous devons nous assurer de ne pas risquer d’être pris dans le même cul de sac (en français dans le texte, ndt) dans lequel Yasser Arafat s’est retrouvé à Camp David, lorsqu’on a exigé de lui qu’il établisse une équivalence entre la fin de l’occupation (alors même, de plus, qu’on en était très loin) et la fin du conflit.
Enfin, et ce sera notre troisième priorité, nous devons continuer à réfléchir à la manière de préparer des projets permettant au Droit au Retour d’être mis en application, et de rendre possible la fin de la discrimination à l’encontre des Palestiniens en Israël. Ce sont les deux piliers pour un règlement global, il faut travailler à leur définition. Je pense qu’il est très clair que ce travail, nous ne l’avons pas encore mené à bien : nous sommes encore englués dans les slogans des années 1960, prônant un Etat laïc et démocratique. Ces slogans doivent être mis au goût du jour en fonction des réalités de 2002. Ce qu’on visait, dans les années 1960, par un Etat laïc et démocratique, c’était une la vision d’un futur possible, mais lointain. Notre focalisation sur les priorités urgentes et immédiates ne doit pas nous dispenser de réfléchir à des stratégies de long terme. Ce que les gens doivent entendre, de notre part, ce sont des projets concrets, même s’ils semblent utopiques en raison de la situation prévalant sur le terrain. Il s’agit là d’une entreprise délicate, qui implique non seulement que nous créions une culture et une structure politiques qui soient à même de corriger les torts du passé, et d’éviter une nouvelle catastrophe, mais aussi qui n’infligent pas un autre tort, ou qui ne substituent pas à un tort passé un dol nouveau. Nous n’appelons pas à l’expulsion des Juifs. Ce que nous exigeons, c’est le Droit au Retour (pour les réfugiés palestiniens). Nous exigeons l’égalité des droits pour les citoyens palestiniens.
Je pense que nombreux parmi nous, qui pensent ainsi à long terme, désireraient voir un jour un Etat unique ou une structure politique dans laquelle existe un Etat unique. Mais il est impossible de populariser ce genre d’idées en donnant seulement quelques coups de projecteur, quelques échantillons, quelques slogans. Il faut qu’il y ait une présentation sérieuse et circonstanciée d’une solution de ce type, si l’on veut convaincre les gens qu’elle est réalisable.
Enfin, permettez-moi de revenir au point par où j’ai commencé cet exposé. Dans la mémoire collective d’Israël, il y a deux 1948 : l’un est totalement occulté, et l’autre est outrageusement glorifié. Mais il y a, en Israël, une génération montante – et j’ai de nombreuses opportunités de rencontrer de jeunes publics – qui est susceptible d’avoir la capacité de voir la réalité future sous un jour différent. Le fait que vous ayez des générations de jeunes gens qui sont fondamentalement désireux d’écouter des principes universels, nous donne l’opportunité de briser le miroir et de leur montrer ce qui s’est réellement passé en 1948, et ce qui est en train de se passer en 2002. Je pense que nous finirons par trouver des partenaires, même pour nos rêves les plus fous, sur ce à quoi une solution viable devrait ressembler. Le problème, bien entendu, reste que tandis que nous faisons cela – éduquer, diffuser de l’information, etc – le gouvernement d’Israël continue à mettre au point une opération très habile et très sanglante. Si cette opération devait être couronnée de succès, ce sont nos meilleurs rêves et notre précieuse énergie qui auraient été gâchés.
                                               
22. Contradiction, collusion et controverse par Edward Mortimer
in The Times (quotidien britannique) du samedi 11 février 1984
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

A propos de l’ouvrage : Le sionisme à l’ère des dictateurs [Zionism in the Age of the Dictators]*, de Lenni Brenner (éd. Croom Helm)
Qui a dit, au cours d’une conférence publique tenue à Berlin en mars 1912, que « chaque pays ne peut absorber qu’un nombre limité de Juifs, s’il ne veut pas souffrir d’indigestion - l’Allemagne, quant à elle, en a déjà trop. » ?
Non. Ce n’est pas Adolph Hitler.
C’est Chaim Weizmann, ancien président de l’Organisation Sioniste Mondiale et ancien premier président de l’Etat d’Israël…
Et où trouve-t-on l’assertion suivante, formulée à l’origine en 1917, mais encore republiée bien plus tard, en 1936 : « Le Juif est une caricature d’être humain normal, tant physiquement que spirituellement. En société, il est un individu qui sème le trouble et rejette le harnais des obligations sociales et ne connaît ni l’ordre ni la discipline » ?
Non. Ce n’est pas dans Der Stürmer (journal nazi, ndt)
C’est dans l’organe de l’Organisation de la Jeunesse Sioniste, Hashomer Hatzair…
Comme l’illustrent ces deux citations, le sionisme a lui-même encouragé et exploité la haine de soi au sein de la Diaspora juive. Cela a commencé avec le présupposé que l’antisémitisme était inévitable, voire même, en un sens, justifié, aussi longtemps que les Juifs vivraient à l’extérieur de la Terre d’Israël.
Il est exact que seule une frange des sionistes les plus extrêmes et illuminés sont allés aussi loin que de proposer de prendre parti pour l’Allemagne en 1941, dans l’espoir d’établir « l’Etat juif historique sur une base nationaliste et totalitaire, en l’associant par traité au Reich allemand ». Malheureusement, il s’agissait du petit groupe ultra que l’actuel Premier ministre d’Israël avait choisi de rejoindre (Itzhak Shamir, ndt).
Ce fait confère un degré supplémentaire de pertinence à ce qui serait sans cela une étude hautement polémique sur les archives du sionisme à l’époque du fascisme européen, par Lenni Brenner, un écrivain trotskyste américain, qui se trouve être juif. Cette étude est concise (250 pages), vive et très soigneusement étayée. M. Brenner cite de nombreuses occurrences où les sionistes collaborèrent avec des régimes antisémites, dont celui d’Hitler. Il veille aussi, dans chaque cas, à rappeler quelles ont été les oppositions à ces politiques de collusion avec le fascisme, au sein du mouvement sioniste.
Rétrospectivement, ces activités peu reluisantes ont été défendues en les présentant comme un expédient certes dégoûtant mais néanmoins nécessaire pour sauver des Juifs. Mais Brenner démontre que, la plupart du temps, cet objectif n’était que secondaire. L’objectif principal des dirigeants sionistes, c’était d’aider des Juifs - jeunes, formés professionnellement et en bonne forme physique - à émigrer en Palestine. Aucun de ces dirigeants sionistes ne s’est jamais trouvé sur les premières lignes du combat anti-fasciste en Europe.
Cela n’absout absolument en rien les Alliés de la guerre qui ont refusé sans se poser de question de déployer un quelconque effort sérieux afin de sauver les Juifs d’Europe.
Comme l’écrit Lenni Brenner, « Certes, la Grande-Bretagne doit être condamnée pour avoir abandonné les Juifs d’Europe. Mais ce n’est certainement pas aux sionistes de le faire. »
[* Cet ouvrage est disponible (en anglais) en ligne, sur le site web :
http://www.marxists.de/middleast/brenner]