Point d'information Palestine > N°208 du 22/11/2002
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Rédaction : Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier
                                                                                           
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Au sommaire
                              
Témoignage
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
- La fête de l'indépendance... par Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
                                                   
Rendez-vous
Pour retrouver l'ensemble des rendez-vous en Europe, consultez l'agenda sur :
http://www.solidarite-palestine.org/evnt.html
- THEATRE - "La Vita Alessandrina" de Stéphane Olry du 18 novembre au 22 décembre 2002 au Théâtre de la Cité Internationale à Paris
                                           
Dernières parutions
1. Chronique de Ramallah de Danièle Ouanès aux édition L'Harmattan
2. Rêver la Palestine de Randa Ghazy aux éditions Flammarion
                            
                                      
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG. Ils sont libres de droits, sauf mention particulière.
1. Message du refusenik Hagai Matar, emprisonné dans les geoles israéliennes [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. Saddam Hussein a le bras long… par Raja Mattar (29 octobre 2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. La pluie verte de Yassouf par Israël Shamir (27 octobre 2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
4. Le sionisme usurpe l'identité juive (Collectif)
5. Tout cela à cause d'une petite olive par Uri Avnery (2 novembre 2002) [traduit de l’anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
6. Naboth avait une vigne…par Uri Avnery (26 octobre 2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
7. Les crimes de guerre des "Forces de défense d'Israël" doivent faire l’objet d’une enquête par Amnesty International (4 novembre 2002)
                                                  
Revue de presse
1. Peur et haine, à Hébron par Amira Hass in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mercredi 20 novembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. "Les Arabes restent des Arabes !" un entretien avec Benny Morris réalisé par Meron Rappaport in le supplement hebdomadaire de Yediot Ahronot (quotidien israélien) du lundi 11 novembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Benyamin Netanyahou évoque une adhésion d'Israël à l'Union européenne par Eléonore Sulser in Le Temps (quotidien suisse) du lundi 11 novembre 2002
4. La cueillette de tous les dangers par Valérie Féron in 24 heures (quotidien suisse) du samedi 9 novembre 2002
5. Jénine : un crime d'État par Joss Dray in Politis du jeudi 7 novembre 2002
6. Israël accuse de partialité les journalistes étrangers par Alexandra Schwartzbrod in Libération du jeudi 7 novembre 2002
7. Un espace plus réduit chaque jour par Kristen Ess in The Electronic Intifada Diaries (e-magazine palestinien) du mardi 5 novembre 2002 [traduit de l'anglais par Eric Colonna]
8. Accès de fièvre entre la Belgique et Israël par Serge Dumont in Le Soir (quotidien belge) du lundi 4 novembre 2002
9. Seclin - Après la décision du maire de demander à ses services de boycotter les produits israéliens... sur Internet, la polémique enfle... par Jean-Noël Defaut in La Voix du Nord du dimanche 3 novembre 2002
10. Israël : les mystères de Nes Ziona par Patrice Claude in Le Monde du lundi 28 octobre 2002
11. Un sondage indique que les Arabes désapprouvent la politique des Etats-Unis par Sarah El-Deeb Dépêche de l'agence Associated Press du jeudi 31 octobre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
12. Visions apocalyptiques par Azmi Bishara in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 24 octobre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
13. Je n’arrivais pas à croire que j’étais en train de faire des trucs pareils… par Jonathan Steele in The Guardian (quotidien britannique) du mardi 22 octobre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
14. La malhonnêteté du soi-disant "dossier" par Robert Fisk in The Independent  (quotidien britannique) du mercredi 25 septembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
15. "L’Amérique veut nous faire la guerre, à tous" - "Changement de régime" semble être la nouvelle appellation pour un vieil ennemi, archi-connu : la colonisation par David Hirst in The Guardian (quotidien britannique) du vendredi 6 septembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                                               
Témoignage

                                           
- La fête de l'indépendance... par Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
Ramallah, le vendredi 15 novembre 2002 - Déjà neuf jours de Ramadan... Et une impression étrange... En effet, depuis  mercredi 6 novembre, le premier jour du Ramadan, Ramallah n'est plus soumise au couvre-feu. Jusqu'au 6 novembre dernier, et ce depuis le 19 juin, toutes les nuits, j'ai bien dit toutes les nuits, nous les passions sous couvre-feu. Quelquefois, on y avait droit en journée aussi... Jusqu'au 6 novembre, on rentrait tous chez nous avant 19 heures. Après cette heure, quelques personnes seulement s'aventuraient dans les rues, les voitures y étaient peu nombreuses et les boutiques fermées. Et depuis le 6 novembre, je retrouve une Palestine bien différente. On sort le soir à Ramallah ! On fait ses courses ! On va au cinéma ! On fume le narguilé ! On rentre à la maison tard, très tard, dans la nuit, un verre de sahlab [boisson / dessert à base de lait chaud aromatisé à la canelle, ndlr] brûlant aux creux des mains....
Mais les nouvelles sont mauvaises. Et nos copains à Naplouse, eux, n'ont pas notre chance... 150 chars d'assaut dans la ville, 3000 à 4000 soldats déployés là-bas, loin des caméras de télévisions occidentales...
A Naplouse, on ne dort que d'une oreille. On garde son portable près de soi allumé dans la nuit, au cas où... Quand on a de la famille à Naplouse et qu'on habite Ramallah, on fait à peu près la même chose. Au cas où... On attend tous. Mais on ne sait pas ce qu'on attend.
Oh, ils vont sans doute de nouveau entrer dans Ramallah ; le contraire serait étonnant. Non, la question, c'est plutôt : Quand ? Aujourd'hui, demain, cette nuit, ou dans 15 jours ?
En attendant, on vit comme si de rien n'était, ou presque. On profite de ces soirées sans couvre feu. Les rues de Ramallah hier étaient pleines de monde, les cafés et les restaurants aussi.
Justement, hier, je suis allée, accompagnée des filles de 9ème (qui correspond à la classe de 3ème en France), rompre le jeûne à la pizzeria. La majorité de ces filles sont... chrétiennes ! Mais elles avaient décidé de jeûner elles aussi, pour le plaisir d'attendre avec la même impatience que leur copines musulmanes, la pizza tant attendue ! Elles ont 15 ans, mangent des pizzas et boivent du coca. Elles n'ont, dans leur grande majorité, jamais quitté la Palestine où elles sont nées. Elles parlent arabe et anglais parfaitement. Et leur niveau de français est des plus correct : autour de cette fameuse pizza, nous ne parlions qu'en français... après la pizza et le coca, direction "Baladna" le glacier le plus célèbre de Ramallah... Hier c'était presque un jour de fête à Ramallah. On en profitait avant qu'ils ne reviennent.
Côté nouvelles plus personnelles : mon ami Samer de Balata a été libéré mardi dernier. Il est désormais chez lui, après un mois de prison et de traitements plus ou moins dégradants. Il a retrouvé sa femme qui va bientôt accoucher, sa mère et toute sa famille. Il a aussi retrouvé ses vêtements : il avait été arrêté en pyjama...
Aujourd'hui est un jour férié en Palestine : c'est la fête de l'Indépendance, leur 14 juillet quoi...
Comme disait l'amie, secrétaire de l'école où je bosse : "On doit bien être le seul pays au monde à fêter notre indépendance alors que nous vivons sous occupation et même sous couvre-feu !" Elle a ri.
                                                   
Rendez-vous

                                         
- THEATRE - "La Vita Alessandrina" de Stéphane Olry du 18 novembre au 22 décembre 2002
au Théâtre de la Cité Internationale à Paris
[Documentaliste : Corine Miret - Directeur du projet : Xavier Marchand - Architecte : Henry Pillsbury - Design/scénographie : Alexandre Chinon - Eclairage : Sylvie Garot - Images vidéo : Sabine Massenet.  Production : Lanicolacheur - La Revue Eclair. Coréalisation : Théâtre de la Cité internationale - Festival d'Automne à Paris avec l'aide à la création de THECIF - Région Ile-de-France. Spectacle créé au Théâtre Garonne/Toulouse en octobre 2002.]
Un voyage en Orient à travers les souvenirs de ce qui n’est plus. Une traversée du temps. Corine Miret et Stéphane Olry sont des raconteurs d’histoires. Après Nous avons fait un bon voyage mais..., né de la découverte d’une collection de cartes postales, voici La Vita Alessandrina (Avant Projet Définitif), né des souvenirs familiaux de Stéphane Olry, souvenirs qui s’enracinent dans les lieux où vécurent les deux branches de sa famille : Beyrouth et Alexandrie. Xavier Marchand associé à cette exploration a commandé à Stéphane Olry un agenda rempli des 365 souvenirs qu’il garde de ce lien avec cette branche levantine de son enfance. C’est ce carnet qui sera au cœur du voyage proposé aux spectateurs complices de cette projection dans l’imaginaire. Une traversée ludique du temps et de l’espace qui aura le parfum, la saveur, la couleur d’un ailleurs si vivant dans la mémoire de celui qui a gardé en lui la trace et l’émotion.
- C'était la vie à Alexandrie... par Sylvie Roux in La Dépêche du Midi du jeudi 10 octobre 2002
Entre réalité et légende, une plongée dans la société coloniale au Liban et en Egypte. Coiffé d'un chapeau de toile écrue à ruban noir, un châle en soie noué autour du cou, Stéphane Olry ressemble aux personnages exotiques du spectacle dont il est l'auteur, « La Vita Alessandrina ». Une pièce de théâtre dans laquelle il fait évoluer des personnages d'hier et d'aujourd'hui établis au soleil de la Méditerranée, à Alexandrie en Egypte et à Beyrouth au Liban. Ce spectacle, créé à Toulouse avant de partir au Festival d'Automne, à Paris le mois prochain, est le fruit de 365 souvenirs et anecdotes glanés au cours de voyages au Proche-Orient où la famille de ce jeune comédien a ses origines. Ses ancêtres, des négociants qui ont fait fortune dans le coton et l'immobilier étaient de culture française, ils vivaient dans un milieu chic, assez oisif et alcoolisé, en total décalage avec la réalité locale. C'est ce « monde en voie de disparition, un peu comme dans la Cerisaie de Tchekhov » que Stéphane Olry évoque dans « La Vita Alessandrina ». Cette famille est, c'est vrai, moins banale que la moyenne. Exemple, cet artiste vit dans un immeuble de cinq étages dans le Marais à Paris. « A peu près tous les locataires sont des cousins ou parents éloignés. Tout le pâté de maisons appartenait à un arrière grand-père » dit-il. Avec Corine Miret, complice de ses pérégrinations théâtrales, Stéphane Olry a organisé pendant plusieurs années des « thés-vidéos » chez lui, d'abord réservés aux amis, puis élargis au public. Le couple a aussi l'habitude d'aller se faire photographier chaque année chez Ghassan à Damas en Syrie. Des portraits kitchs, en noir et blanc colorisé. L'un d'eux fait l'affiche de « La Vita Alessandrina ».
Grandeur et décadence
Xavier Marchand, le metteur en scène de ce roman familial semble aussi fasciné qu'intrigué par l'univers de Stéphane Olry. Il a cherché à donner à ce conte autobiographique une certaine universalité, afin qu'il trouve écho dans nos propres légendes familiales. Le public-une cinquantaine de spectateurs-sera assis autour de quatre comédiens incarnant une multitude de personnages aidés par des photos et des films d'époque. Invité à pénétrer dans une « tour de Babel de la mémoire » le spectateur est le témoin des derniers feux de la société levantine. On y croise l'oncle Max, la tante Rose, Bernard de Zogheb, un cousin qui composait des opéras dans un mélange d'arabe, français, grec, italien. Ou encore sa mère Mary de Zogheb, jeune fille de la bonne société chrétienne libanaise qui consignait sur ses carnets ses activités quotidiennes. « Une mine, dit l'auteur de « La Vita Alessandrina », sur ce monde en déliquescence qui en perdant tout, a acquis une certaine grandeur ».
[Théâtre de la Cité Internationale 21 boulevard Jourdan - 75014 Paris - Réservations : 01 43 13 50 50 (Station Cité Universitaire-Montsouris de la ligne B du RER) - Représentations du lundi au samedi à 20h, le jeudi à 19h, le dimanche à 17h. Relâche le mercredi et exceptionnellement le dimanche 24 novembre. Durée du spectacle : 1h30 - Plein tarif : 18 euros - Le lundi, tarif unique : 9,50 euros - Tarif jeunes (- 26 ans) : 9,50 euros - Tarif réduit : 12,50 euros]
 
                                               
Dernières parutions

                                                                
1. Chronique de Ramallah de Danièle Ouanès
aux édition L'Harmattan

[ISBN 2747528847 - 10,00 euros / 65,60 francs - 120 pages]
Voici de la poésie de nécessité : les textes de ce recueil ont été écrits au fil des jours de l'Intifada d'Al Aqsa, après avoir entendu le luthiste palestinien Samir Joubran en concert à Montréal à la fin octobre 2000. Sans être une spécialiste du Moyen-Orient, Danièle Ouanès s'est mise à écouter battre le coeur de la Palestine, en suivant les événements sur place sur divers médias et aussi grâce à des témoignages de personnes sur place. Le resultat est ce premier recueil de poésies, sensible et discret.
Le hasard a fait naître Danièle Ouanès en France et le destin l'a fait vivre successivement en Yougoslavie, en Tunisie et au Canada où elle vit actuellement. Elle conserve un grand attachement pour la Méditerranée et ce recueil consacré au peuple le plus opprimé de cette dernière, en est un magnifique témoignage.
                                   
2. Rêver la Palestine de Randa Ghazy
aux éditions Flammarion
[ISBN 2081616262 - 10,00 euros / 65,60 francs]
ISBN :  - EAN13 : 9782081616264 - Parution en octobre 2002 - 10,00 euros / 65,60 FRF
"Elle était en branle la machine. La machine de guerre. Ici aussi. Et voilà des mains, des bras, et les voilà tous qui prennent en main des pierres, des cailloux, Ibrahim s'entendit hurler. Il haïssait ce hurlement. Parce que ce n'était pas un hurlement d'homme. C'était le hurlement de celui qui accepte la guerre, car désormais il a vu trop d'horreurs. La guerre désormais est devenue partie de sa vie. Ibrahim voyait la guerre depuis qu'il était né. Et il la verrai jusqu'à la mort."
Premier roman d'une jeune adolescente de 15 ans, Randa Ghazy, qui aborde un sujet d'actualité que les générations d'aujourd'hui maîtrisent mal, le conflit du Proche-Orient, et ce, vu de l'intérieur. Tout commence par le récit de la vie d'Ibrahim, dont le père, muezzin, passionné par la religion et la guerre, a été abattu par des soldats israéliens. Sa rencontre avec Nedal lui redonnera le goût du bonheur... Mais jusqu'à ce que des troupes israéliennes envahissent son village. Un roman fort, qui ne donne pas des solutions, mais permet de réfléchir sur ce conflit qui semble insoluble et qui pourra parfois déranger par les prises de position. Un récit étonnant par sa maturité. À lire pour essayer de comprendre. 
                                                    
Réseau

                                            
1. Message du refusenik Hagai Matar, emprisonné dans les geoles israéliennes
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Le texte suivant émane du refusenik israélien Hagai Matar qui vient d’être emprisonné par l'administration militaire israélienne, pour le motif de refus de servir dans les territoires palestiniens.
Un message de Hagai Matar - Aujourd’hui, 23 octobre 2002, je vais être envoyé dans une prison militaire, conséquence de mon insistance à faire prévaloir mes opinions politiques, qui sont totalement contraires à mon enrôlement dans l’armée de mon pays.
Malgré mon jeune âge (j’ai à peine dix-huit ans), et bien que je ne sois en rien dépositaire des souvenirs du passé d’Israël, je déclare de tout mon cœur qu’Israël a atteint un étiage moral sans précédent. Cette extrême détérioration a commencé avec les soi-disant « offres généreuses » de Barak, qui n’étaient rien d’autre qu’une énième tentative d’imposer un « accord » unilatéral au peuple palestinien. Aujourd’hui, la caporalisation et le racisme atteignent le niveau du fascisme, dans la population juive. La répression de toute pensée critique, l’acceptation comme allant de soi des crimes de l’occupation, la déification de l’armée et l’acceptation croissante des principes de la « purification ethnique » - tout ces éléments constituent, en partie, car il y en a d’autres, un des aspects de l’effondrement de notre société.
Il faudrait encore, en effet, ajouter à cette liste les mauvais traitements systématiques infligés aux citoyens palestiniens d’Israël, la violence haineuse déversée contre les manifestants pacifistes et une attitude d’indifférence généralisée, une totale absence de sentiments et de cœur, à l’égard de l’anormal et du faible. Pour moi, avec tout cela, il est impensable de coopérer.
La voix de la conscience et les leçons que l’humanité aurait dû tirer d’innombrables situations similaires, par le passé, ne me laissent d’autre choix que de refuser l’enrôlement dans l’armée israélienne, faussement adoubée du titre trompeur de « Forces de Défense ». Mon refus de faire mon service est absolument irrévocable. L’oppression subie par les peuples de cette région, à l’âge des grands Empires, les tourments des esclaves et des Indiens en Amérique du Nord, la guerre d’indépendance de l’Algérie et l’apartheid en Afrique du Sud – tous ces précédents font que mon refus est irrévocable. Les actes (héroïques) de mon grand-père, durant la Seconde guerre mondiale, dans sa lutte contre le fascisme nazi, et son idéal humaniste – voilà ce qui éclaire mon objection. Dans ma famille, j’ai appris ce que sont l’oppression et la justice. Face à un mal tel que quiconque peut le constater ici et maintenant, il n’y a pas d’autre voie.
En ce jour très important dans ma vie, accompagné par ma famille et mes amis, qui me soutiennent tant, je veux rendre hommage à mes compagnons, les héros invisibles de notre lutte : ce Palestinien, qui supporte l’occupation sans pour autant céder à la tentation de la violence contre la population civile israélienne, qui continue à se battre pour la coexistence (entre les deux peuples) en dépit d’humiliations quotidiennes incessantes ; la jeunesse (israélienne) qui fait tout afin de ne pas contribuer à l’occupation, en dépit d’une éducation qui est faite pour l’y pousser ; le militant européen pour la paix, qui défend physiquement les Palestiniens dans les Territoires occupés ; et mon amie, une jeune fille élevée dans une famille de droite, est tombée amoureuse d’un Arabe, à la suite de quoi elle a été exclue de sa famille.
En prison, lorsque je serai contraint de saluer l’Etat et l’Armée (d’Israël), je saluerai, en pensées et de cœur, tous mes amis courageux, auxquels je ne peux prétendre me hausser, en raison de mon identité : tous ceux qui sacrifient beaucoup plus de choses que je ne le fais moi-même – pour la paix, contre l’occupation.
[Pour faire parvenir un message à Haggai Matar, écrire (en anglais de préférence) à l'adresse suivante : Haggai Matar / Shministim - PO Box 70094 - Haïfa 31700 - Israël - E-mail :
Shministim@hotmail.com]
                                                   
2. Saddam Hussein a le bras long… par Raja Mattar (29 octobre 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Nombreux sont les mystères non résolus dans notre monde, tout particulièrement au vingtième siècle. Grâce au génie de George Deubeuliou Bush et de son équipe dévouée, certaines de ces énigmes commencent, heureusement, à être élucidées :
1. Comment se fait-il que le paquebot le plus moderne de son temps, le Titanic, ait pu être coulé par un iceberg tout à fait banal ? George Deubeuliou a finalement trouvé la réponse à cette énigme. C’est le grand-père de Saddam qui avait tracé les plans de l’iceberg meurtrier. Lorsque l’épave du Titanic finit par être repérée, récemment, on trouva parmi les vestiges un petit livret d’instructions – en arabe ! – intitulé : « Comment Piloter un Iceberg en Quarante Leçons », ainsi qu’un passeport irakien. Miraculeusement (ça tombe bien), ces deux documents étaient en excellent état.
2. Comment le Japon a-t-il pu attaquer Pearl Harbor sans que les services de renseignement américains n’aient rien vu venir ? Aujourd’hui – tada ! – grâce à George Deubeuliou et sa fine équipe, nous le savons ! Le père de Saddam avait tout manigancé avec les Japonais et il a réussi à faire tomber les Amerloques dans le panneau. Nous le savons grâce aux preuves transmises à Bush par Sharon, dont l’honnêteté et la fiabilité ne sauraient être mises en doute. Sharon base son information sur des transcriptions de communications téléphoniques entre des gradés japonais et irakiens, lesquelles transcriptions leur ont été remises par un des inspecteurs de l’ONU en Irak. Cet inspecteur en désarmement travaillait, en fait, pour le Mossad. Il tenait ces transcriptions d’écoutes téléphoniques du premier mari, furieux, de l’une des (nombreuses, sinon innombrables) épouses actuelles de Saddam.
3. Finalement, la CIA a découvert que les aviateurs japonais kamikazes avaient été entraîné aux missions suicides en Afghanistan. Cela a été confirmé par des documents retrouvés dans la remise à motos du complexe présidentiel souterrain du Mollah Omar.
4. Harvey Lee Oswald, l’assassin de John Kennedy, n’a pas agi seul. Il avait été entraîné dans des camps d’Al-Qa’ida situés au sud de Bagdhad. Ces camps ont été depuis lors transférés en Afghanistan, après que Saddam Hussein ait exigé d’Al-Qa’ida d’acquitter une location. Cela a été révélé à Ashcroft par l’un des détenus à Guantanamo Bay.
5. Timothy McVeigh, convaincu d’avoir commis l’attentat d’Oklahoma City, est né, en réalité en Irak, à Tikrit, le village natal de Saddam Hussein, dont il est un cousin. Son véritable nom est Tamim MacTikrit. Le prédicateur évangéliste Jerry Falwell sait tout de cette histoire, qui lui a été révélée lors d’une de ses célèbres entrées en transes, qui le mettent en communication directe avec le Dieu des Chrétiens Evangélistes. Pour ceux qui ne le sauraient pas encore, le Dieu de Falwell a plus d’ancienneté que le Dieu auquel nous croyons, nous – c’est Falwell qui le dit – et par conséquent, son Dieu, à lui, a le mot de la fin lors de toutes les disputes célestes.
6. En réalité, la Seconde guerre mondiale a été déclenchée par les manœuvres de la famille de Saddam Hussein. Hitler a étudié la stratégie militaire à Habbaniya, en Irak. Or, Habbaniya, c’est tout proche de Tikrit, le village où vivait le papa de Saddam. C’est là, aussi, qu’Hitler fut initié aux secrets de la bombe atomique. Mais il fut incapable d’en produire une à temps, car le mode d’emploi qu’il avait pu emporter dans sa fuite était rédigé en arabe.
7. Actuellement, Condoleezza Rice mène une enquête (assistée du FBI, de la CIA et, plus important, de la famille Bush), afin de déterminer si un membre de la famille de Saddam Hussein ne serait pas par hasard derrière le déclenchement de la Première guerre mondiale. Ils ont d’ores et déjà trouvé que toute responsabilité de la famille Hussein dans la guerre de Corée était à écarter. Toutefois, des doutes existent, en ce qui concerne la guerre au Vietnam. A la suite de ‘fuites’, des documents secrets sont sortis de Russie, après l’effondrement du communisme. On y voit, notamment, une photographie montrant Ho Chi Minh serrant la main de l’ambassadeur d’Irak, lors d’une réception à Moscou. Aujourd’hui, tout le monde attend, fou d’angoisse, une confirmation de Jerry Falwell, qu’il ne pourra donner que lors de sa prochaine entrée périodique en communication avec les Cieux. Mais William Safire, du New York Times, ne juge pas nécessaire d’attendre la Confirmation Céleste : pour lui, cette photographie constitue en elle-même une Preuve de la complicité irakienne. Il la qualifie de Totalement Accablante.
                                                           
3. La pluie verte de Yassouf par Israël Shamir (27 octobre 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Cueillir les olives, toutes douces, sensuelles et apaisantes, c’est comme égrener les perles d’un chapelet. En Orient, les hommes portent souvent, autour du poignet, un chapelet aux grains de bois, ou de pierre dure. Cela leur rappelle leurs prières. Ca leur sert aussi – surtout – à calmer leurs nerfs, mis à rude épreuve. Mais entre les perles du chapelet et les olives… il n’y a pas photo… Vous savez ; c’est vivant, une olive… Les olives sont tendres, mais pas fragiles pour deux sous – en cela, elles ressemblent aux jeunes paysannes palestiniennes. Les cueillir vous produit une de ces sensations… comment dire ? … De confort ! Oui, de confort, de sérénité… On dirait que rien ne peut aller de travers. Toutes seules, comme des grandes, sans peur et sans reproche, les olives se détachent des branches. En douceur, elles se faufilent entre les paumes de vos mains et se laissent tomber… Après quoi elles se blottissent lestement dans la sécurité des grands draps étendus par terre, prêts à les réceptionner.
La récolte bat son plein. Chaque olivier, solidement arrimé dans sa parcelle en terrasse, est entouré de cueilleurs aux petits soins. Des familles entières sont dehors, sous les oliviers, et même au-dessus, perchées sur des échelles, formant un vaste tableau digne du pinceau de Bruegel l’Ancien. Nous sommes cinq ou six, à cueillir les olives en compagnie de la famille de Hafez. Au moment où je vous parle, là, nous sommes sous les frondaisons fournies d’un vieil arbre au tronc énorme, tourmenté et tout crevassé. Nous égrenons ce rosaire vivant : c’est le rosaire de notre dame la douce terre de Palestine. Des cheveux couleur champ de blé mûr du Minnesota, des yeux bleu ciel – inattendu, pour un étranger, mais rien d’inhabituel pour les personnes familières des traits des habitants de ce pays – des lèvres rieuses… Rowan, sept ans, la fille du vigoureux et sagace Hafez, est montée au sommet de l’arbre. Les olives qu’elle cueille tombent, en une pluie verte et parfumée, sur nos mains, sur nos épaules et sur nos têtes. Avant de passer à l’olivier suivant, nous soulevons les bords des draps. Un riche flot d’olives emplit le sac. Un petit âne gris broute, tout près, regagnant des forces pour la suite… C’est à lui qu’échoira la rude tâche de porter les sacs au village, plus haut, dans la vallée – et visiblement, il le sait.
Ces olives, nous sommes en train de les ramasser à Yassouf, un village miraculeusement inconnu, sur le haut plateau de la Samarie. Ses maisons vastes et hautes de plafond, construite en pierre claire et douce, témoignent d’une prospérité ancestrale, fruit du travail acharné de ses habitants, génération après génération. Des escaliers spacieux conduisent aux terrasses, où les villageois passent les chaudes soirées estivales, adoucies par la brise venue de la Méditerranée, à la fois lointaine et proche. Beaucoup de grenadiers. Dans une description de la Palestine, écrite par un contemporain de Guillaume le Conquérant voici près d’un millénaire, le village de Yassouf est mentionné. L’abondance des grenadiers y est déjà notée. La localité, peut-on y lire, est connue pour avoir donné le jour à un lettré qui se fit un nom, plus tard, dans la lointaine Damas : le sheïkh Al-Yassoufi.
Si ce n’est pas le paradis, cela y ressemble. Nous sommes arrivés à Yassouf  hier. Ce village est construit sur une arrête entre deux vallées. Au-dessus du village, un sanctuaire ancestral (bema) occupe le sommet d’une colline, sans doute un de ces hauts lieux où les ancêtres de Hafez et de Rowan avaient été les témoins de communions miraculeuses entre énergies telluriques et célestes. Les villageois s’y rendent souvent, pour y rechercher un soutien spirituel, comme le faisaient avant eux leurs ancêtres, les habitants de la petite principauté d’Israël. Nous sommes, ici, en Terre Sainte et, pour ses habitants, le miracle quotidien de la foi est indissociable des travaux et des jours. Les rois de la Bible avaient essayé de les brimer et de cantonner la foi au Temple, centralisé et facile-à-taxer-et-à-contrôler… Mais les gens du peuple préféraient aller prier dans leurs sanctuaires locaux. Les paysans conservèrent une combinaison un tiers / deux tiers entre foi locale et foi universelle, très semblable au lien qui peut exister par exemple, au Japon, entre shintoïsme et bouddhisme. Ils sont religieux, mais absolument pas fanatiques. Ils ne portent pas le vêtement islamique. Les femmes ne couvrent pas d’un voile leurs beaux visages. Ces deux aspects de la religion - local et universel – ont survécu aux millénaires et ont fini par fusionner entre eux. Le temple est devenu la splendide mosquée ommeyyade d’Al-Aqsa, tandis que dans le haut lieu de Yassouf, les villageois prient le Dieu du village.
Les vieux arbres vénérables abondent ; ils ont certainement reçu plus d’une confidence et d’un vœu durant leur longue existence. Un puits peu profond, miraculeux, ne se tarit jamais, même au plus fort de la canicule de juillet, et ne déborde pas durant l’hiver, pourtant pluvieux ; une tombe sacrée, qui a probablement changé plusieurs fois de nom depuis des temps immémoriaux, est appelée, de nos jours, Sheikh Abou Zarad. Là se trouvent des ruines remontant aux premiers temps de Yassouf, et donc à bien plus de quatre millénaires avant nous. Depuis sa fondation, le village n’a jamais été abandonné. Aux jours de gloire de la Bible, il appartenait à Joseph, la plus puissante des tribus d’Israël. Lorsque Jérusalem se retrouva sous l’empire des Juifs, ces terres et ces gens conservèrent leur propre identité israélite et finirent par adopter le christianisme. Le temple à coupole, au sommet de la colline, invite toujours à la prière. En février, le sommet de la colline est entièrement blanc, tant il y a d’amandiers en fleurs. Actuellement vert et frais, il offre au visiteur une vue superbe sur le moutonnement des collines de la Samarie.
Quant à nous, nous sommes arrivés un peu trop tard pour bénéficier de cette vue enchanteresse : en effet, en automne, en Orient, le soleil se couche très tôt. En compensation, dans la semi-obscurité crépusculaire, nous nous rendîmes près de la source du village, qui en est le cœur palpitant. D’une faille dans le rocher, paisiblement, l’eau sourdait, puis elle disparaissait dans un tunnel et s’en allait donner vie aux jardins. Nous nous assîmes sous les figuiers, qui déployaient leurs larges feuilles trilobées, à la manière dont les danseurs Noh, au Japon, tiennent dressés leurs éventails, qu’ils agitent d’un mouvement incessant et gracieux. Entre les feuilles, dans la lumière blafarde de la lune, des papillons géants, tout noirs, évoluaient : c’étaient des chauves-souris, pensionnaires de grottes voisines. Une fois la nuit tombée - jamais avant - elles sortent : elles vont s’abreuver à la source et se régaler d’un festin de figues éclatées de s’être trop gorgées de soleil.
Habituellement, autour de la fontaine du village, les conversations vont bon train... Elles s’écoulent, enjouées, comme les eaux abondantes. Il n’est pas d’endroit plus indiqué pour aller s’asseoir et bavarder avec les villageois… de la récolte… ; du bon vieux temps… ; des enfants… Et du dernier article d’Edward Said, repris dans la feuille de chou locale. Les paysans du coin ne sont pas des rustauds : certains ont parcouru le vaste monde, de Bassorah à San Francisco… D’autres ont fait des études dans une petite annexe universitaire, non loin d’ici. Leur éducation politique a été complétée dans les prisons israéliennes – stage pratiquement indispensable pour parfaire son éducation et auquel pratiquement pas un jeune homme ne coupe, par chez nous… Leur hébreu, appris dans ces conditions particulières, ou à travers des années de labeur sur les chantiers de construction israéliens, coule bien. Il est même riche d’expressions recherchées. Ils sont ravis de pouvoir le pratiquer avec un Israélien amical.
Mais nos hôtes étaient sombres, et les soucis ne parvenaient pas à quitter leurs regards tristes. Même durant le dîner, tandis que nous nous régalions de riz aux noix et de yoghourt, ils étaient plutôt ailleurs, pensifs. Nous connaissions la raison : une nouvelle créature monstrueuse avait fait son nid sur le sommet pelé de la colline et elle étendait ses pseudopodes en une toile d’araignée menaçante, au-dessus du village. L’armée avait confisqué les terres de Yassouf pour des « raisons » militaires, et avait refilé l’endroit aux colons. Ils avaient bâti un préfabriqué monstrueux en béton gris, ficelé, comme un rôti, de fil de fer barbelé, entouré de miradors…Et ils s’étaient même arrogé le nom de la source voisine : Le Pommier. La colonie n’avait nullement l’intention de se contenter des terres volées, voici dix ans, aux habitants de Yassouf : elle commençait à gagner toute la contrée, envoyant ses métastases jusque sur des collines voisines, éradiquant sur son passage oliveraies et vignobles.
Les paysans n’osaient plus se rendre dans leurs propres champs, car les colons sont des brutes, avec des flingots, le doigt sur la gâchette, qu’ils ont facile. Ils tiraient sur les villageois. Souvent, ils les kidnappaient et les torturaient, incendiaient leurs champs. Il leur suffit de tenir les paysans en respect pendant cinq ans, après quoi, en vertu de lois ottomanes qu’ils ont fini par dégoter dans de vieux grimoires, la terre en friche tombera dans l’escarcelle de l’Etat. De l’Etat juif. L’Etat donnera ces terres aux colons juifs. Et en même temps, cela leur permet d’affamer les villageois.
Le village était coupé du monde, par des tranchées et des monticules de terre de six pieds de hauteur. Même les petites routes non goudronnées, à peine carrossables, fût-ce en 4x4, avaient été coupées par l’armée. Le village était devenu une île. L’ambassadeur de Grande-Bretagne à Tel Aviv a déclaré, récemment, qu’Israël est en train de faire de la Palestine un camp de détention géant. Il avait tort : ce n’est pas un camp géant, que les Israéliens ont créé. Ce qu’ils ont créé, c’est un Nouvel Archipel du Goulag de Palestine. L’auteur de l’Archipel du Goulag, le prix Nobel de littérature Alexander Solzhehitzyn, a affirmé que le Goulag russe authentique avait été planifié et était géré par des juifs ; cette affirmation a été remise en question et finalement rejetée par les organisations juives. En revanche, aucun doute à avoir en ce qui concerne l’identité du concepteur du Goulag de Palestine...
Les voitures ne peuvent ni entrer dans l’île de Yassouf, ni en sortir, et les visiteurs doivent se garer assez loin, puis terminer à pied. La ville la plus proche, Naplouse – Neapolis, dans l’Antiquité (comme Naples, ndt) – est à vingt kilomètres, seulement, de là ; mais à quatre heures de voiture et à de nombreux checkpoints humiliants de distance. Il nous a fallu un temps infini pour arriver à Yassouf, obligés comme nous l’étions de franchir d’innombrables checkpoints et autres barrages routiers. Bloqués par un barrage de terre totalement inamovible, nous avions dû abandonner notre voiture deux kilomètres avant le village.
Sur notre chemin : la dévastation, partout. Des oliviers, de chaque côté de la route, avaient été brûlés ou arrachés : on aurait dit que cette essence vénérable incarnait l’ennemi le plus honni des Juifs. Et ennemi honni, l’olivier l’était bel et bien, en un sens : l’olivier est le principal pourvoyeur et le principal intercesseur, pour les Palestiniens. Leur plat de résistance se compose de galettes de pain-serviette cuit dans un four en terre, le tannour, arrosées d’huile d’olive, parsemées de thym moulu, le za’atar, et agrémentées d’une grappe de raisins. Leurs rois et leurs prêtres, jadis, étaient oints d’huile d’olive. Les sacrements de l’Eglise – inestimable contribution palestinienne à l’Humanité – ne sont que consécration de l’olivier. Au cours du baptême, les Palestiniens sont oints d’huile d’olive avant leur immersion totale dans les fonts baptismaux, et leur peau conserve le souvenir de la souple douceur de l’huile d’olive. L’huile est utilisée dans les rites de mariage, et pour l’extrême onction, en confirmation du lien indissoluble entre les Palestiniens et leur terre. Le célèbre inventeur des manuscrits de Qumran, John Allegro, a ruiné sa réputation en commettant un opuscule sacrilège identifiant Jésus Christ avec des champignons hallucinogènes. Quand j’aurai décidé de marcher dans ses brisées (si je le décide un jour) je comparerai l’Huile d’Olive Vierge et Notre Dame La Vierge Marie, suprême médiatrice de la Palestine…
Tant qu’il y a des oliviers, les paysans de Palestine sont invincibles. C’est bien  pourquoi leurs adversaires ont fait retomber leur hargne contre ces arbres. Ils les ont coupés partout où ils ont pu le faire. Ces dernières années, huit mille oliviers magnifiques, entre vieux mastodontes et jeunes scions vigoureux et prometteurs, ont été arrachés. Les colons ont interdit aux paysans de cueillir leurs olives, leur dressant des embuscades aux détours des chemins conduisant aux oliveraies et les dévalisant. Quant à nous, Amis Etrangers et Israéliens de la Palestine, nous sommes venus, comme les Sept Samouraïs du vieux péplum à la japonaise de Kurosawa, afin d’aider les paysans à cueillir leurs olives et de les protéger des exactions des colons prédateurs.
De toutes les bonnes choses – innombrables - que l’on peut faire sur notre bonne vieille Terre, aider les Palestiniens est la plus utile et la plus agréable que je connaisse. L’ambiance kibbutz arrive très loin derrière. Les jeunes kibbutzniks sont généralement emmerdants comme la pluie et taciturnes, et les vieux kibbutzniks sont… comment dire… vieux ! Dans un kibbutz, vous êtes entouré d’autres étrangers, parfois même pas. Les Palestiniens sont tellement amicaux, ouverts, désireux de bavarder avec vous… Les militants internationaux venus ici baignent littéralement dans l’amitié…Ils vivent dans des villages enchanteurs, ils voient le ciel bleu, lumineux, chaleureux, au-dessus du paysage incomparable des collines palestiniennes et – surtout - ils sont entourés de l’hospitalité légendaire des paysans. Et si occasionnellement les colons ou les soldats israéliens leur tirent dessus, cela est peu cher payé pour toute la satisfaction et le plaisir qu’ils trouvent à aider les paysans palestiniens. C’est en quelque sorte une animation supplémentaire, offerte par dessus le marché par Tsahal. Après tout, c’est bien pour ça qu’on a besoin de Samouraïs ici, non ?
Les gens qui aident les Palestiniens sont bien différents des volontaires venus travailler dans les kibbutzs. Ils sont beaucoup plus hétérogènes. Les âges, déjà… Cela va de l’étudiant d’Uppsala âgé de dix-neuf printemps à la mère de famille de Brighton, du Révérend venu de Géorgie au prof de Boston, du paysan français au député italien. Ils sont unis par leurs sentiments de compassion, leur sens inné de la justice, et - oui, il faut le dire - par leur courage. Ils travaillent dans l’ombre portée des tanks israéliens, ils protègent oliviers et hommes de leur propre corps. La récolte, dans les montagnes de la Samarie, est une joie, mais ce n’est pas pour les mauviettes. Nous allions devoir en découvrir sans plus tarder la face moins sympa.
Nous étions en train de cueillir les olives, de remplir les sacs de cet or vert, lorsque, soudain, une Jeep descendit la route caillouteuse et raboteuse et s’arrêta près de nous, dans un crissement de freins, en soulevant un nuage de poussière ; derrière, suivait un véhicule plus imposant. C’était un transport de troupes, plein de soldats de Tsahal. Un homme, seul, sauta de la jeep, pointant son fusil automatique M-16 en direction de la fillette, perchée sur notre arbre.
« Foutez le camp, sales Arabes ! » aboya-t-il en brooklinais. Il prit un gadin et le balança sur le groupe de travailleurs le plus proche. Un paysan, qui n’avait pas pu esquiver la pierre, fut touché à la main, et il se mit à se la masser de son autre main…
« Si vous avancez, même d’un pas, je tire ! » cria-t-il dès que Laurie eut tenté de lui parler. Il était baraqué, débraillé, féroce et, visiblement, il faisait tout son possible pour atteindre un haut degré d’hystérie.
« Ne vous amusez pas à toucher ne serait-ce qu’à une olive ! » hurla-t-il aux paysans.
Dans un coude que faisait la route, trois hommes firent leur apparition, au pas de course. Vision d’extraterrestres. Ils avaient des petites boîtes noires attachées à leur front rasé par des lanières étroites de cuir noir ; des lanières noires saucissonnaient leurs bras, aussi. Les Juifs portent des phylactères, car c’est ainsi que cet accoutrement s’appelle, pour leur prière du matin. Mais, sur ces jeunes gaillards, ces phylactères faisaient penser irrésistiblement aux amulettes de quelque tribu guerrière. Ils portaient des pantalons et des tee-shirts de couleur foncée, tandis que leurs châles blancs rayés de noir flottaient derrière leur dos. Leurs flingues étaient pointés sur nous. Ils semblaient possédés par quelque démon étrange, ces jeunes hommes en tenue rituelle juive et aux idées courtes extraites du Livre de Josué. Je ne fus aucunement étonné de voir l’un d’entre eux extirper une longue lame flexible. La scène me rappela un film sorti récemment dans les salles : « La Machine du Temps » (The Time Machine), dans lequel les féroces Morlocks font soudain irruption et prennent d’assaut Eloi, une civilisation bucolique.
Les yeux scintillant de haine, ils bousculèrent les femmes et insultèrent les hommes,. En paysans timides, les Palestiniens firent le dos rond. Samurai désarmé que j’étais, je tentai, pour ma part, de raisonner les assaillants.
« Laissez-donc ces paysans récolter leurs olives », plaidai-je, « Ce sont là leurs arbres ; c’est leur gagne-pain. Soyez gentils avec eux ! »
« Dégage, espèce d’arabophile ! » siffla l’un d’eux. « Tu aides l’ennemi. C’est NOTRE terre. C’est la terre des Juifs. Les goyim n’ont rien à faire ici ! »
Dans des circonstances moins tendues, j’aurais éclaté de rire : ces jeunes hommes un peu zinzins venus de New York voulant chasser les descendants légitimes du peuple d’Israël de leur terre ancestrale… Laissons tomber l’incroyable crétinerie d’une prétention fallacieuse à un pays d’où une absence de cinq millénaires rend toute revendication totalement sans objet. Qu’importe, si leurs ancêtres « juifs » venaient probablement des steppes d’Asie centrale et n’avaient jamais vu la Palestine de toute leur vie. Peu importe que même les Juifs de l’Antiquité n’aient jamais vécu et soient très exceptionnellement venus sur la terre d’Israël, entre Bethel, Carmel et Jezreel. Bientôt les ouvriers roumains invités de Bucarest pourront chasser la population de Florence, en se prévalant de leur descendance directe de la Rome antique. Mais les flingues de ces gars-là n’incitaient pas particulièrement à la rigolade…
« Pourquoi brûlez-vous les oliviers ? Les oliviers sont vos ennemis, aussi ? »
« Ouaip ! Un peu, mon neveu : les oliviers de nos ennemis sont nos ennemis ! Et vous êtes nos ennemis, aussi ! » hurla-t-il d’une voix suraiguë, concluant avec le mot qui tue : « Antisémites ! »
Avec les Américains, ce mot fait merveille. Dès lors qu’un Américain se fait traiter d’ « anti-sémite », il faut vous attendre à le voir tomber et rester prostré sur le sol, jurant amour et fidélité éternels au peuple juif. Je le sais, parce que je reçois quotidiennement des lettres de gens qui se sont fait traiter d’ « antisémites » du seul fait qu’ils soutiennent les Palestiniens : généralement, ils ne peuvent pas s’en remettre. Je leur apporte les premiers soins psychologiques : après avoir été puni, personnellement, au motif d’activités anti-soviétiques, et condamné pour mes opinions anti-américaines, étant, de plus, un amateur anti-normatif d’anti-quité, je peux faire face à la diffamation anti-sémitique. De nos jours, si vous n’êtes pas qualifié d’antisémite, cela veut dire que vous êtes certainement dans le faux, pris en sandwich quelque part entre Sharon et Georges Soros.
Comme « philoarabe » ou « philonoir », « antisémite » est une catégorisation qui salit qui l’utilise, par association. Les colons y ont recours à tout bout de champ, à l’instar de Foxman l’espion en chef, Kahane le raciste, Mort Zuckermann le propriétaire de USA Today, Perle le fomenteur de guerre, Tom Friedman l’avocat véreux, Shylock le requin usurier et Elie Wiesel le pleurnicheur holocaustien « pleure-à-la-commande ». Elle a été lancée contre TS Elliot et Dostoïevski, Genet et Hamsun, Saint Jean et Yeats, Marx et Woody Allen : excellente compagnie ! Toutefois, les Américains qui étaient dans notre groupe hésitèrent un instant. Les braves Israéliens qui étaient avec nous, quant à eux, commencèrent à se lancer dans une longue justification de leur position. Seule Jennifer, une brave jeune femme anglaise, de Manchester, se montra à la hauteur et apporta encore une fois la preuve de la supériorité des Britanniques dans ce genre de situations en lançant un « allez vous faire voir chez les Grecs ! » sans appel.
Le canon du fusil M-16 décrivit un arc de cercle et finit pointé sur elle. Les soldats observaient la scène avec un intérêt évident. Je décidai de m’adresser à eux :
« Arrêtez-les ! Ils pointent leurs armes sur nous ! »
« Y vous z’ont pas encore dégommés, apparemment ! », répondit le sergent.
Les soldats n’allaient visiblement pas intervenir aussi longtemps que les Morlocks feraient leur crise. Mais il était très clair que dès l’instant où nous aurions esquissé un geste contre eux, la terrible puissance armée de l’Etat juif s’abattrait sur nos têtes. Les Morlocks le savaient pertinemment, eux aussi : ils fracassèrent un des appareils photo de Dave, envoyèrent valdinguer Angie, déversèrent un tombereau d’insultes sur les filles, et nous lancèrent force caillasses.
« Mais vous allez les laisser faire, comme ça, sans intervenir ? », en appelai-je à la conscience des soldats…
« Désolé, mon pote. Y’a que les flics qui puissent faire quelque chose avec ces mecs-là… » répondit l’officier. « Mais on peut t’arrêter TOI, mon petit bonhomme, si t’insistes ! »
Ainsi, les Palestiniens, c’est l’armée qui s’en occupe. Pour les colons, il faut voir ça avec la police ! Cette ruse grossière est l’une des plus brillantes inventions du génie juif. Probablement ont-ils emprunté ça aux colonies européennes en Chine, où coexistaient différents services de police et des systèmes légaux différents pour les Européens et les Chinois. C’est en tout cas ce qui permet aux Morlocks de faire absolument tout ce qui leur passe par la tête. Les Palestiniens, visiblement, étaient bouleversés : ils n’étaient pas des combattants déguisés en civils, eux, mais des paysans, venus cueillir leurs olives avec femme et enfants. S’ils étaient venus ici, ce n’était pas pour mourir. Pas encore, en tout cas. Les colons tuent les villageois pour la beauté du geste et en guise de distraction, qu’ils aient été – ou non – provoqués. Pour seulement la semaine passée, ils ont assassiné plusieurs hommes qui avaient osé venir cueillir les olives de leurs oliviers. Si les villageois esquissaient seulement le geste de se défendre, s’ils osaient seulement lever la main sur un Juif, ils seraient tous massacrés, jusqu’au dernier, et leur village serait rayé de la carte.
Mais il fallait cueillir les olives, et le face-à-face continua.
« Tout les problèmes, ce sont ces connards de colons qui les causent », clama Uri, un Israélien progressiste, qui tenait tête aux nervis colons, à ma droite. « Sans eux, on vivrait en paix. On viendrait visiter Yassouf, avec notre passeport, en touristes. Le problème, c’est eux : les colons ! »
De fait, il n’était pas difficile – cela coulait quasiment de source – de haïr des jeunes hommes à l’esprit mal tourné, qui détruisent des récoltes et affament des villages. La colonie à laquelle nous avions affaire est connue pour être un repaire de Kahanistes, que le regretté professeur Leibovitch appelait judéo-nazis. Ils avaient exulté à la nouvelle de l’assassinat du Premier ministre Rabin ; ils adoraient Baruch Goldstein, un criminel de masse venu de Brooklyn ; ils publiaient le livre interdit du Rabbin Alba qui proclame ouvertement qu’exterminer les Gentils est un devoir religieux, pour les vrais Juifs. Ils étaient tellement abominables que les haïr allait de soi, et donc tomber d’accord avec Uri, aussi.
Mais tandis que je scrutais le visage fermé des soldats, un souvenir d’enfance re-émergea dans ma mémoire. Les pickpockets ne dévalisent pas les étrangers eux-mêmes : ils envoient un petit gamin en estafette pour vous délester de votre portefeuille. Si vous repoussez le gamin, ils vous tombent sur le paletot comme une tonne de briques au motif de le sauver, parce que vous seriez en train de le rudoyer. A quoi bon haïr le petit voleur, alors qu’il n’agit qu’à l’instigation des malfrats adultes ?
Les jeunes gens fêlés auxquels nous avions affaire nous avaient été envoyés par les gros mafiosi, eux aussi. C’est pourquoi les soldats les laissent agresser les paysans sans sourciller. C’est la division du travail : les malfrats affament les paysans, l’armée protège les malfrats, et le gouvernement assume le tout. Pendant que les canons et les mitraillettes de l’armée israélienne tiennent les Palestiniens en respect, l’armée américaine tient à sa merci l’Irak, le seul pays de la région susceptible d’assurer un équilibre des pouvoirs, et les diplomates américains, pendant ce temps, continuent à produire leur veto automatique au Conseil de Sécurité. Derrière les colons extrémistes, on peut voir distinctement la main des gros mafiosi, qui se moquent des olives, des paysans palestiniens et des soldats israéliens comme de leur première chemise. A une extrémité de la chaîne de commandement, un colon cinglé brooklynais avec son M-16 ; à l’autre extrémité, Bronfman et Zuckerman, Sulzberger et Wolfowitz, Foxman et Friedman…
Et, quelque part, pris au milieu de tout ça : nous, les Israéliens et les Juifs américains, qui remplissons notre devoir électoral et payons dûment nos impôts - et contribuons, de ce fait, au système. Car, sans notre soutien actif, Wolfowitz devrait aller conquérir Bagdad tout seul et Bronfman devrait brûler les oliviers des Palestiniens tout seul aussi.
N’empêche, comme on dit, chaque homme et chaque animal a ses parasites, et nous devions nous occuper des nôtres. Les paysans de Yassouf et leurs soutiens internationaux – nous – tinrent bon et ne lâchèrent pas. La police arriva et tint conciliabule avec les colons. Ce fut rondement mené : en rien de temps, un grand dépendeur d’andouilles hirsute, officier de liaison, descendit nous parler :
« Vous pouvez ramasser vos olives, mais allez travailler au fond de la vallée, là-bas : les colons ne vous verront plus. Or c’est votre vue qui les dérange… »
C’était une victoire partielle – un compromis – mais, peu importait. Au moins nous allions pouvoir récolter des olives : nous n’en demandions pas plus. Nous descendîmes dans la vallée dont les deux flancs sont renforcés par de nombreuses terrasses, et la cueillette reprit. En bas, les olives étaient plus petites, moins abondantes : depuis trois ans, ont avait empêché les paysans de travailler leurs vergers. Or, les oliviers requièrent beaucoup de travaux d’entretien. Normalement, les paysans labourent entre les arbres chaque année, en utilisant une charrue démodée, tirée par un âne ; les terrasses ne permettent en effet absolument pas l’utilisation du tracteur. Sans cette opération, les pluies hivernales ne pénètrent pas dans le sol et elles n’atteignent pas les racines des oliviers. Les terrasses exigent elles aussi beaucoup de travail d’entretien. Mais cela n’était plus possible, dans la situation que l’on connaît, car les paysans, prudents, évitaient de monter là-haut leurs houes et leurs bêches, qui sont, comme chacun le sait désormais, des armes dangereuses aux yeux de leurs tourmenteurs armés jusqu’aux dents.
A nouveau, les petites cascades d’olives – noires, ou vertes – s’échappaient de nos mains avant d’aller rejoindre les draps étendus sous les arbres. Olives noires et olives vertes poussent sur un même arbre, car Dieu les a créées comme ça : il y en a des vertes, et il y en a des noires – nous a expliqué Husseïn, qui conclut : mais elles donnent la même huile. C’était là un signe adressé par Dieu à nous, les hommes : nous sommes différemment faits, et c’est une bonne chose : cela rend le monde plus beau et varié – si nous savons garder à l’esprit, tous, notre commune humanité.
Nous étendîmes notre déjeuner sous un olivier géant. Umm Tarik la seule femme, vêtue de sa robe palestinienne multicolore, apporta une grosse galette de pain, toute chaude : elle sortait du four. Cette galette fut généreusement arrosée d’huile d’olive, tout comme les boules de fromage de chèvre qui allaient avec. Hassan fit circuler un zir – une amphore palestinienne en terre cuite – rempli d’eau fraîche à la source du Pommier. Le zir était très froid et ses parois étaient humides : à regarder de plus près, elles étaient couvertes de minuscules gouttes de rosée. C’est une propriété de la glaise utilisée pour tourner ces amphores : elle est poreuse, et l’eau transpire abondamment, l’évaporation des minuscules gouttelettes, à l’extérieur du récipient, produisant le froid qui rafraîchit la boisson. Après plusieurs années d’utilisation, les pores du zir se colmatent et il perd sa propriété réfrigérante. Mais il n’est pas hors d’usage pour autant : on l’utilisera pour entreposer du vin, ou de l’huile.
« Ramat Gan me manque (c’est une banlieue de Tel Aviv) », dit Hassan. « Avant l’Intifada, j’y travaillais ; j’étais peintre en bâtiment. C’était un bon travail, et mon patron – un Yéménite – était un homme honnête ; il me traitait comme il l’aurait fait d’un membre de sa famille. Parfois, je passais la nuit, là-bas, et j’allais me balader sur le front de mer de Tel Aviv, l’après-midi. Ça va faire deux ans que je n’ai pas quitté le village… »
Tous avaient de bons souvenirs de l’époque où ils travaillaient dans les grandes villes de l’Ouest de la Palestine et où ils rapportaient un peu d’argent à la maison. C’était un arrangement mutuellement intéressant pour les nouveaux venus et les paysans – un arrangement profondément inégal, mais supportable. Partout dans le monde, villageois et paysans travaillent un moment à la ville quand leur terre n’a ni besoin d’être moissonnée ni d’être plantée. Pour les gens du coin, Tel Aviv et Ramat Gan, ces villes « juives », n’étaient pas plus étrangères que Naplouse ou Jérusalem, ces villes « arabes », le pays ne faisant qu’un. La Palestine est un petit pays, et Yassouf est juste au centre, à quarante kilomètres de la mer, et à quarante kilomètres de la frontière jordanienne. Les villes industrielles de la côte ont été construite bien avant que l’Etat d’Israël ait vu le jour ; elles l’ont été grâce au travail des paysans de Yassouf, et ces villes étaient légitimement à eux. Pas seulement à eux, mais à eux, aussi. L’accord tacite et l’harmonie entre villageois et citadins furent cassés dès lors que les Juifs eurent entrepris leur grignotage.
« Vous voyez la colonie ? », nous demanda Hussein. « Mon père cultivait un champ de blé, sur ce flanc de colline. Au début, ils ont pris la terre. Après, ils nous ont bouclés dans le village. Aujourd’hui, nous n’avons plus que très peu de terres, et pas de travail ».
« L’histoire de la Terre Sainte répète l’histoire de la promesse divine », dit le Révérend. « Le Christ a dit : tout le monde est élu. Les Juifs rétorquèrent : désolés, seuls nous, les Juifs, sommes le peuple élu. Aujourd’hui, que demandent les Palestiniens ? Ils disent : laissez-nous vivre, ensemble, sur ces terres. Et les Juifs de rétorquer : désolés, cette terre est pour nous, pour nous seuls. »
« Il devrait y avoir un Etat palestinien indépendant », intervint Uri, « avec son drapeau, et une vraie frontière. Barak a trompé tout le monde, en offrant en réalité de diviser votre territoire en plusieurs cantons. Il faut revenir aux frontières de 1967, et tout ira bien. »
Savez-vous que le Talmud réglemente le partage ? demandai-je, prenant à mon tour la parole. Deux hommes avaient trouvé un châle, et chacun affirmait que ce châle lui appartenait. Ils allèrent devant un juge, et le juge demanda : « Comment dois-je partager ce châle (entre vous deux) ? » Le premier homme dit au juge : « divise le en deux parties égales, moitié-moitié ». L’autre dit : « Non, ce châle est tout entier à moi ». Le juge dit alors «  Il n’y a pas de désaccord (entre vous) sur une moitié du châle, tous deux vous êtes d’accord pour que cette moitié appartienne à l’autre. Je vais diviser la moitié du châle restante en parts égales. Ainsi, le premier de vous deux, celui qui demande justice, recevra un quart du châle, tandis que le second de vous deux, l’égoïste, en aura les trois quarts ». Telle est l’approche juive en matière de partage. Il faudrait peut-être que les Palestiniens adoptent ces procédés, eux aussi…
Kamal ajouta quelques brindilles au petit feu préparé pour préparer le café. C’était un ancien, respecté des villageois, un homme important dans la vie politique locale et aussi au-delà. En 1967, il avait alors vingt ans, il dût se séparer de sa fille nouvellement née avec le sentiment qu’il ne la reverrait jamais, car il avait été condamné par les Juifs à quarante ans de prison, en raison de son appartenance à la Résistance. Lorsqu’il émergea de l’ombre éternelle des geôles de Ramleh, sa fille avait vingt et un ans.
« Nous aussi, nous avons une histoire de partage », dit Kamal. « C’est l’histoire d’une femme qui avait trouvé un enfant abandonné et l’avait élevé. Puis une autre femme (la mère naturelle de cet enfant) vint le lui réclamer. Les deux femmes vinrent trouver le Sheikh Abu Zarad, afin qu’il les départage, et le sheikh dit : « je vais couper en deux l’enfant, et j’en donnerai une moitié à chacune de vous deux ». Une des femmes dit : « D’accord. Partageons l’enfant en deux. » Mais l’autre femme s’écria, éplorée : « Jamais de la vie. Jamais je ne laisserai dépecer mon enfant !». Et le sheikh remit l’enfant à la deuxième femme, car elle était la vraie mère ».
J’eus les joues en feu. De honte. Kamal ne m’apprenait rien de nouveau, mais, en voulant faire le subtil, j’avais oublié le sens profond du jugement de Salomon, et lui, Kamal, descendant authentique des héros bibliques, me le rappelait. Les Palestiniens, comme la mère légitime, n’ont pas pu choisir le partage. L’Histoire a montré qu’ils avaient raison : la Palestine ne saurait être divisée. Les paysans ont besoin des villes industrieuses pour y travailler aux mortes saisons et y vendre leur huile ; ils ont besoin des côtes de la Méditerranée, où les vagues de la mer viennent se fracasser, à quelques kilomètres seulement de chez eux ; ils ont besoin de la totalité du pays, de la même manière que tout un chacun a besoin de ses deux mains et de ses deux yeux.
Les colons n’étaient pas des monstres, mais des hommes complètement égarés. Comme moi, ils ont trop lu le Talmud de Babylone, et ils n’ont pas assez lu la Bible de Palestine. Ils ont ressenti en eux l’attraction incroyablement puissante de la terre, qui a fini par les attirer sur les collines de la Samarie. Ils aspiraient à l’union avec la terre enchanteresse de Palestine, et ils l’aimèrent d’un amour pervers, comme des nécrophiles. Ils étaient prêts à tuer la terre, simplement pour la posséder. Ils ne comprenaient rien aux us et coutumes locaux, et ils continuaient à vivre en collectant des fonds en Amérique. Plus que de la haine, c’est de la pitié que je ressentais pour les colons. Ils avaient eu une occasion – unique – de faire la paix avec leurs voisins, et avec la terre, et ils l’avaient ratée. En vandalisant la terre, ils préparent de leurs propres mains leur exil prochain. La mère légitime obtiendra l’enfant et, par conséquent, la victoire des Palestiniens est inéluctable, car le jugement de Salomon est la parabole du jugement de Dieu.
« Mais où sont donc passés les Juifs bons ? » – va sans doute demander bientôt le lecteur. « Pour la symétrie, pour l’objectivité, pour notre confort, vite, je vous en prie, montrez-moi des bons Juifs ! ». Il n’y a pas que des colons, chez les Juifs ; il y a aussi les militants de Peace Now et d’autres mouvements amis des Palestiniens.
Oui. Il y a une différence entre les colons brutaux et leurs partisans, d’un côté, et les Israéliens libéraux, électeurs habituels du parti Travailliste, de l’autre. Les chauvinistes Juifs veulent une Palestine sans Palestiniens. Ils sont prêts à faire venir des Chinois pour travailler dans les champs et des Russes pour surveiller ces Chinois.  Ce sont des gens absolument repoussants.
Les Israéliens libéraux peuvent encore envisager une sorte de futur en commun, dans lequel les Palestiniens pourraient quitter leurs bantoustans hyper-surveillés et aller travailler à Tel Aviv, à condition qu’ils possèdent un permis de travail, pour y vivre, harcelés par la police israélienne, sans sécurité sociale, payés au-dessous du SMIC, exploités par leurs employeurs. L’idée d’une égalité fraternelle - non pas une fraternité céleste, mais un comportement correct de tous les jours vis-à-vis des enfants légitimes de la terre - leur était aussi étrangère qu’aux colons. Ils sont prêts à leur donner un drapeau et un hymne national, tout en confisquant leurs terres et leur gagne-pain.
Ces deux sortes d’Israéliens sont unis par leur commun rejet de la Palestine. Ils célèbrent le « nouvel habit de ciment et de macadam offert à la vieille terre d’Israël ». Les libéraux rêvaient de créer une tranche d’Amérique high-tech, et ils n’avaient nul besoin des collines de Samarie. Les chauvins voulaient effacer jusqu’à la mémoire de la Palestine, et recréer le royaume de haine et de vengeance.
Et peu, très peu d’entre nous avons compris que nous avions une occasion unique d’apprendre quelque chose d’essentiel des Palestiniens. Avec notre arrogance est européenne, nous sommes venus leur enseigner et les changer, mais c’est nous qui aurions dû apprendre d’eux et nous changer nous-mêmes. Les aider, cela ne suffisait pas ; il faut que nous, nous les conquérants, nous hissions à la hauteur de la civilisation suprême de ceux que nous avons conquis. Cela a été fait avant nous : les Vikings victorieux s’étaient adaptés aux us et coutumes en vigueur en Angleterre, en France, en Russie et en Sicile ; les Grecs triomphants d’Alexandre le Grand s’étaient faits Egyptiens en Egypte et Syriens en Syrie ; l’Empereur Mandchou s’était sinisé. Cela doit être aussi le cas, pour ce qui nous concerne car, si nous ne nous palestinisons pas, nous sommes condamnés à recréer un ghetto, pour nous ; et un autre ghetto, pour eux.
Prenez une fourmi ; elle vous construira une fourmilière. Prenez un Juif ; il vous créera un ghetto. Prenez un Palestinien… Mon ami Musa avait invité dans le Vermont où il vivait son père âgé, depuis son village de Samarie. Et que fit-il, son père ? Il se mit à maçonner des terrasses et à planter des oliviers… dans le Vermont !
Les Palestiniens ne peuvent s’imaginer sans la terre et le mode de vie unique qui y est attaché. Il y a plusieurs millénaires, après la fin de la Grande Sécheresse Mycénienne, leurs ancêtres formèrent une symbiose avec les oliviers, les vignes, les ânes, les petites sources dans les collines, leurs mausolées, sur les cimes. Ce complexe unique entre paysage, population et esprit divin fut le grand apport des Palestiniens, et ils se le transmirent à travers les siècles, le préservant jusqu’à ce jour. Si on porte atteinte à cet équilibre, l’humanité rompra ses amarres et elle ira se fracasser contre les récifs de l’histoire. Vraiment, qu’ils aient accepté notre aide – tellement modeste - fut pour nous un privilège insigne.
Dans l’après-midi, nous revînmes au village, dans la maison de Hussein, si spacieuse qu’elle ne déparerait pas à Cannes ou à Sonoma. Sur sa grande terrasse, nous nous assîmes dans des fauteuils en rotin fabriqués par les habitants du village voisin, Beidan. Les chats de Hussein, amicaux mais très dignes, vinrent s’installer sur nos genoux, tandis que ses filles, timides, apportaient du thé à la menthe. Des gens entrèrent, pour bavarder un moment avec les étrangers de passage, comme cela se passe, généralement, dans les villages isolés. Sur les tables et sur la balustrade, des petites lampes au kérosène avaient été posées : les suzerains israéliens refusent de connecter le village au réseau électrique. Mais même ça, c’était bel et bon, car nous pouvions contempler la lune d’octobre, flottant lentement dans les cieux qui s’assombrissaient, brillant au-dessus des collines en terrasses, sur les toits, sur le blindage lourdaud d’un tank Merkava, à flanc de colline, ses canons pointés vers le village, et sur les antiques oliviers aux troncs noueux de Yassouf.
                                   
4. Le sionisme usurpe l'identité juive (Collectif)
Il faudrait une fois pour toutes dissocier la question du peuple juif (les juifs constituent-ils un peuple ?) et la question du sionisme.
- La notion de peuple est complexe et ne se résume pas à une définition objective. D'une certaine façon si les Juifs se considèrent comme un peuple, cela suffit pour que l'on puisse parler d'un peuple juif. On peut alors considérer que la définition d'un peuple est une affaire interne à ceux qui se considèrent comme constituant un peuple. On peut tenter de comprendre les raisons historiques, culturelles ou autres qui font qu'un groupe humain se considère comme un peuple et c'est la tâche de l'historien, du sociologue ou de l'anthropologue de tenter d'expliciter ces raisons mais il ne saurait être question de porter un jugement quant au droit de ce groupe humain de se considérer comme un peuple. Cela implique en retour qu'aucun peuple n'a de droits sur un autre peuple.
- La question du sionisme se situe sur un autre registre. Poser la question juive comme question nationale, comme l'a fait Herzl, allait plus loin que la notion de peuple juif. Le sionisme, en posant la question de l'Etat-Nation pour les Juifs comme réponse à l'antisémitisme, s'inscrivait dans le mouvement nationalitaire européen du XIXème siècle et posait la question d'un Etat.
Mais c'est moins la question d'un Etat juif qui pose problème que la décision prise par le mouvement sioniste de construire cet Etat en Palestine, c'est-à-dire sur une terre habitée, ce qui impliquait que l'Etat ne pouvait se construire que contre ses habitants. En ce sens le sionisme se différenciait des mouvements nationalitaires pour devenir un mouvement de conquête dont la réussite signifiait la spoliation et l'expulsion des populations habitant la Palestine. Il ne restait plus au sionisme que la solution guerrière pour conquérir son territoire, ce qu'il a fait au milieu du XXème siècle.
Si le sionisme s'est approprié la notion de peuple juif, c'est au prix d'un détournement de la question et les signataires pensent qu'il est nécessaire, à l'encontre du discours sioniste officiel, de dissocier sionisme et peuple juif.
Cela suppose de penser la notion de peuple indépendamment de l'Etat-Nation. Les Tziganes ont montré l'exemple lorsqu'ils ont demandé d'être reconnus comme nation sans pour autant exiger la constitution d'un Etat-Nation sur un territoire. Pourquoi les Juifs n'en feraient-ils pas autant s'ils veulent se considérer comme un peuple ? Rappelons que le BUND tout en reconnaissant la spécificité d'un peuple juif refusait le principe d'un Etat Juif.
- Cette dissociation est d'autant plus nécessaire que l'influence du sionisme sur les Juifs reste forte, le sionisme s'appuyant sur l'histoire pour se présenter comme la seule solution capable de mettre fin à la souffrance juive et sur une confusion savamment entretenue entre l'antisémitisme européen et l'antisionisme. Il est vrai que la politique israélienne, incapable de se distancier de l'idéologie sioniste, peut conduire à des réactions anti-juives d'autant plus forte que les sionistes insistent sur l'identification du judaïsme et du sionisme, ce qui relève de l'imposture. C'est pourquoi, en tant que juifs, nous devons dénoncer cette imposture ; lutter contre le sionisme, c'est d'abord refuser d'être les complices de l'occupation et de l'oppression contre les Palestiniens, lesquels n'avaient aucune raison d'accepter la création d'un Etat étranger sur leur propre sol. Il se trouve que les Palestiniens, au nom du principe "la paix contre les territoires", ont accepté en 1988 l'existence de deux Etats, l'israélien et le palestinien ; l'Etat d'Israël enfermé dans son sionisme n'a pas voulu faire ce pas de la reconnaissance de deux Etats. Le sionisme devient alors un danger pour les Israéliens eux-mêmes.
- Quitte à heurter, on ne peut éviter la comparaison entre sionisme et nazisme. S'il y a des différences idéologiques, il y a des ressemblances à commencer par cette volonté d'identifier un peuple à une idéologie, nazisme et peuple allemand, y compris les Allemands de l'étranger, sionisme et peuple juif, au-delà d'Israël ; on y retrouve la même forme de chauvinisme ethnique. Autre ressemblance, l'aspect suicidaire que l'on pourrait résumer pour les uns par un "périssent les Allemands plutôt que le nazisme" et pour les autres par un "périssent les Juifs plutôt que le sionisme". Et l'on sait la catastrophe subie par les Allemands.
Nous avons parlé plus haut de la reconnaissance de l'Etat d'Israël par des Palestiniens qui attendaient en retour une reconnaissance de leur droit à un Etat ; les Palestiniens attendent depuis 1988 un retour qui ne vient pas, ce n'est pas la fausse symétrie des Accords d'Oslo, la lettre d'Arafat reconnaissant le droit à l'existence de l'Etat d'Israël et la réponse de Rabin se contentant de reconnaître l'OLP comme interlocuteur, qui pouvait constituer la réponse attendue, sans parler d'un texte qui engageait les Palestiniens bien plus que les Israéliens, lesquels ont pu tranquillement développer la colonisation et renforcer l'occupation.
- Si le sionisme s'est voulu une réponse à l'antisémitisme européen, il apparaît aujourd'hui que le sionisme a besoin de cette nouvelle judéophobie, pour reprendre le terme d'un intellectuel égaré dans la défense inconditionnelle du sionisme, afin de mieux étendre son emprise sur les Juifs et continuer à arguer des malheurs des Juifs pour mieux mobiliser autour de lui. En ce sens le sionisme est devenu aujourd'hui l'un des plus dangereux ennemi des Juifs.
- Parce que nous sommes juifs, nous refusons de nous identifier à une idéologie totalisante qui veut rassembler les Juifs autour de la politique d'un Etat.
- Parce que nous sommes juifs nous refusons la Loi du Retour qui considère tout Juif comme un citoyen israélien en puissance.
[Signataires : Rudolf Bkouche, professeur émérite, Université de Lille 1 - Liliane Cordova-Kaczerginski, conseillère principale d'éducation, Paris - Mark Cramer, écrivain, Paris - Daniel Lartichaux-Ulman, étudiant, Paris - Pierre Stambul, professeur de mathématiques, Marseille - Michel Bilis, professionnel de santé, Paris. NB : Certains des signataires sont fils ou fille de déportés ou de résistants. Les signatures sont à envoyer à
rbkouche@wanadoo.fr ou par courrier à Rudolf Bkouche - 64, rue Négrier - 59800 Lille (France)]
                                                       
5. Tout cela à cause d'une petite olive par Uri Avnery (2 novembre 2002)
[traduit de l’anglais par R. Massuard et S. de Wangen]
Pourquoi le gouvernement Sharon-Ben-Eliezer-Pérès est-il tombé ? A cause d’une petite olive. Cela a commencé comme un conte pour enfants : Il était une fois une petite olive dans un village palestinien. Elle poussait et mûrissait sur la branche d’un vieil arbre dans une plantation au sommet d’une colline. « Ramassez-moi ! Je veux donner mon huile ! » suppliait la petite olive. Mais elle continuait à mûrir et les cueilleurs ne venaient pas. Ils ne pouvaient pas s’approcher d’elle, parce que les colons avaient installé deux mobile homes sur la colline, et toute la zone était devenue « zone de sécurité » de cette colonie illégale. Quand les propriétaires de l’oliveraie sont arrivés, les colons les ont poursuivis, les ont battus et ont commencé à tirer. Ce scénario s’est passé dans des dizaines d’endroits à travers toute la Cisjordanie. Les villageois ont fait appel aux forces israéliennes de défense (F.I.D.) qui contrôlent maintenant tous les territoires palestiniens. Mais l’armée n’est pas venue pour les protéger. De nombreux officiers sont eux-mêmes des colons. L’armée considère que son boulot est de défendre les colons, et elle répugne à l’idée d’avoir à se confronter à eux. Dans les cas où l’armée est intervenue, c’était pour chasser les villageois de leurs plantations qui se trouvaient autour de ces colonies illégales.  En désespoir de cause, les villageois ont fait appel aux organisations pacifistes israéliennes. Ils les ont trouvées prêtes. Le « camp de la paix » israélien se compose de deux parties. L’une, autour de « la Paix Maintenant », est liée au parti travailliste, qui était un pilier du gouvernement. Le chef du parti était ministre de la Défense et, par conséquent, responsable de toutes les injustices commises dans les territoires palestiniens.  L’autre partie du camp de la paix se compose de nombreux groupes radicaux, chacun agissant dans un secteur déterminé. « Gush Shalom » est un centre politique et idéologique. « Taayush », un groupe israélien judéo-arabe, aide la population palestinienne assiégée. « Betselem » rassemble et publie des informations, de même que le « Centre d’informations alternatives ». « Médecins pour les droits de l’homme » fait un travail merveilleux dans le domaine médical, tandis que la « Coalition des femmes pour la paix » et « Bat-Shalom » inscrivent les activités concernant les droits humains dans une perspective féministe. « Le Comité contre la démolition des maisons » entreprend la reconstruction de maisons détruites par l’armée, et « Rabbins pour les droits humains » agit au nom de la communauté religieuse (malheureusement minuscule) qui ne se range pas derrière la bannière nationaliste fanatique.
« Machsom Watch » fait des rapports et essaie d’empêcher les mauvais traitements aux barrages. « Yesh Gvul » soutient les soldats qui refusent de servir dans les territoires occupés. « New Profile » agit dans le même domaine. La liste est longue. Les militants de ces groupes coopèrent fréquemment et beaucoup d’entre eux appartiennent à plusieurs groupes.  Les militants de ces organisations se sont proposés pour aider les villageois. Ils sont venus pour cueillir les olives et défendre les villageois en tant que « bouclier humain ». Ils ont été rejoints par des militants pacifistes européens qui étaient venus en groupes pour aider la population palestinienne occupée. Certains jours, il y avait des dizaines de militants israéliens et internationaux dans les plantations. Le samedi, ils étaient des centaines. Ils ont été répartis dans différents villages, sont montés sur les collines et ont été attaqués par les colons. Au cours de dizaines d’incidents, les colons ont commencé à tirer en l’air et au sol autour des cueilleurs d’olives. Pendant de longues semaines, ces événements sont restés ignorés du public. Il y a une conspiration du silence dans les médias en ce qui concerne l’existence même d’un camp de la paix radical. « La Paix Maintenant » est considéré en quelque sorte comme appartenant au consensus national et ses actions sont (chichement) rendues publiques. Les actions des forces les plus attachées aux principes et les plus énergiques (« La Gauche profonde » comme les appelait l’ancien Premier ministre Ehoud Barak, qui les déteste) n’étaient pas relayées du tout, sauf si le sang coulait. Mais peu à peu des informations sur la Guerre des Olives ont commencé à filtrer dans les médias : sur les colons chassant les Palestiniens et volant les olives qu’ils avaient cueillies ; sur les colons qui ramassaient eux-mêmes les olives dans les plantations après en avoir chassé les propriétaires ; sur les colons mettant le feu aux plantations ; sur le fait que l’ancien grand rabbin avait déclaré que des Juifs avaient le droit de voler les fruits pour lesquels les villageois arabes avaient durement travaillé, parce que Dieu a donné le produit de la Terre aux Juifs. La conspiration du silence a finalement été rompue quand un groupe d’écrivains célèbres ont organisé une cueillette d’olives symbolique. Les médias, qui avaient ignoré le travail généreux de centaines de militants anonymes, étaient heureux de rencontrer des célébrités comme Amos Oz, A.B. Yehoshua, David Grossman et Meir Shalev. La cueillette des olives rejoignait le consensus. Les colons n’ont jamais été populaires dans de larges couches de la population. La colère a monté quand on a appris que les pauvres en Israël étaient privés de fonds importants au profit des colonies. La colère se mêlait à l’anxiété pour les soldats, qui étaient fréquemment battus par les colons alors qu’ils risquaient leur vie pour protéger des colonies éloignées et à moitié vides. Les histoires de harcèlement cruel de cueilleurs d’olives sans défense ont constitué la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Elles ont provoqué rejet et dégoût, même dans la majorité silencieuse.  Elles ont également eu un impact indirect sur Benyamin Ben Eliezer. Il a constaté le changement de l’opinion publique et décidé qu’il était temps, dans son propre intérêt et dans celui du parti, de quitter le gouvernement. Il a fébrilement cherché un prétexte. Les sondages indiquaient que les colons étaient dorénavant le groupe le plus impopulaire du pays. Il a donc décidé de rompre avec le gouvernement sur ce point. Il s’est mis à demander que le gouvernement retire de l’argent des colonies pour le donner aux retraités. Ceci n’était qu’un prétexte, mais il montre qu’une grande partie de l’opinion publique en a marre des colonies. A la longue, elles sont devenues le principal objet de polémique. Puisque Ariel Sharon essaie de former un gouvernement basé sur les colons et leurs alliés d’extrême droite, le parti travailliste, maintenant dans l’opposition, sera contraint de présenter un programme anti-colonies. Ainsi le slogan d’une petite minorité « marginale » est en train de devenir le programme d’une large partie de l’échiquier politique. Ceci est un exemple de la doctrine de la « petite roue » formulée par nous il y a des décennies : une petite roue avec une forte impulsion indépendante fait tourner une roue plus grande, qui à son tour en entraîne une encore plus grande, et ainsi de suite, jusqu’à ce que toute la machine se mette en marche. C’est ainsi qu’un petit groupe politique, avec un programme indépendant et déterminé, peut conduire un processus politique décisif le moment venu. Nous avons encore un long chemin devant nous. Le danger du fascisme plane toujours sur ce pays. Cependant il est devenu évident que les choses peuvent être orientées dans la direction opposée. Peut-être la petite olive sur la colline est-elle plus puissante qu’une bombe d’une tonne.
                                
6. Naboth avait une vigne…par Uri Avnery (26 octobre 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

S’ils avaient été là, samedi dernier, au coucher du soleil, la plupart des Israéliens n’auraient pas pu en croire leurs propres yeux.
Au centre de Havarah, un petit village situé au sud de Naplouse, 63 Israéliens, hommes et femmes, jeunes et âgés, étaient au mêlé à des dizaines de villageois palestiniens. Juifs et Arabes se parlaient, buvaient des jus de fruit offerts par leurs hôtes, échangeaient leurs adresses et leurs numéros de téléphone Les enfants du coin arboraient des autocollants apportés par leurs invités, portant les drapeaux d’Israël et de la Palestine. Personne n’avait d’arme.
Tous semblaient heureux et détendus. Ils avaient une bonne raison à cela : ils venaient de terminer une rude journée de labeur, passée à la cueillette des olives. Ils travaillaient ensemble, sous les oliviers. Ils étaient ensemble lorsque les colons ont ouvert le feu sur eux.
Tout cela se passait bien dans l’intérieur du territoire palestinien, après deux années de confrontation violente. Une fête de fraternisation israélo-palestinienne au beau milieu des attaques sanglantes. Une belle expérience humaine. Un acte politique. Un événement symbolique.
Depuis les temps bibliques, l’olivier a toujours été le symbole de ce pays. Sa culture a permis de faire vivre les paysans (de Palestine) depuis des générations et des générations – les Cananéens, les Israélites, les Arabes. Toute l’année, le paysan (palestinien) travaille dans l’oliveraie qui lui a été transmise par héritage de père en fils : il traite les arbres, il sarcle le terrain. Durant les quelques semaines que dure la récolte, c’est toute la famille qui participe à la cueillette des olives – hommes et femmes, jeunes et vieux. Les olives doivent être ramassée quand elles sont à point (cela n’attend pas), après quoi on les amène au pressoir, où l’or liquide est extrait : l’huile d’olive !… Ce sont des jours de liesse et de réjouissances.
De nos jours, une famille entière peut tirer ses revenus d’une dizaine d’oliviers. Sans eux, elle ne peut pas vivre. Plus l’occupation devient impitoyable, plus elle interdit les déplacements et empêche d’aller travailler à l’extérieur, plus les villageois deviennent dépendants de la monoculture des oliviers.
Par conséquent, les agressions des colons sont ignobles. Ils essaient soit d’empêcher la cueillette, soit de voler les olives, soit de brûler les oliveraies. Leurs méfaits rappellent l’un des agissements les plus peccamineux décrits dans la Bible, pour la honte éternelle de son auteur : l’histoire de la vigne de Naboth (Rois, I, 21) :
« Naboth de Jézréel avait une vigne, à Jézréel, tout près du palais du roi de Samarie, Ahab. Un jour, le roi Ahab s’adressa à Naboth, lui disant : donne-moi ta vigne, je veux en faire un jardin d’herbes aromatiques, puisqu’elle est près de ma maison. A la place, je t’en donnerai une autre, plus belle. Ou, si tu préfères, je t’en donnerai un bon prix. Naboth répondit au roi Ahab : Que le Seigneur me châtie, si je te donne ce que j’ai hérité de mes pères… » Le reste de l’histoire est connu : Jézabel, l’épouse d’Ahab, complota avec de faux témoins, Naboth fut lapidé jusqu’à ce que mort s’ensuive, et Ahab obtint le vignoble. A la fin de cette histoire, il est question des chiens qui lèchent le sang répandu du couple royal : Ahab et Jézabel…
Mais, comparée aux colons d’aujourd’hui, cette rouée de Jézabel était un modèle de rectitude. Les colons s’emparent des oliveraies des paysans palestiniens sans même offrir même verbalement ni alternative, ni paiement. Ils se contentent de tirer dans le tas. Un garçon palestinien a été tué par balle par les colons alors qu’il s’affairait à la cueillette des olives. Des centaines d’autres, mis en joue, ont été tenus à l’écart des oliviers.
Ce sont presque la totalité des villages palestiniens qui ont des oliveraies qui jouxtent quelque colonie ou quelque « avant-poste » et qui sont donc contrôlées, aujourd’hui, dans la pratique, par les colons. Lorsque leurs propriétaires s’y rendent afin de sarcler le terrain ou de cueillir les olives, les colons leur tirent dessus « en coordination avec l’armée ». Le prétexte qu’ils invoquent est tout trouvé : lorsque les villageois cueillent leurs olives, près d’une colonie, (ils montent sur des échelles et, par conséquent), ils peuvent voir ce qui se passe à l’intérieur de la colonie voisine, ce qui représente une menace pour les colons.
Nous sommes donc en présence d’une perversion monstrueuse : on pose une colonie au beau milieu d’une population dense d’agriculteurs palestiniens : ainsi, on leur interdit de cultiver leurs terres, sous le prétexte, précisément, que ces terres sont trop proches de ladite colonie ! ! !
Dans certains cas, les colons ne se contentaient pas de tirer : ils envahissaient les oliveraies physiquement, écartaient les villageois et volaient les olives qu’ils venaient de s’échiner à récolter. Les prophètes d’Israël auraient été horrifiés : un vol en plein jour - sous les yeux de l’armée, qui se contente de les fermer !
Les intentions des colons sont plus pernicieuses que celles de Jézabel et Ahab. Ils veulent faire de la vie des villageois un véritable enfer, afin de les forcer à partir. C’est ce qu’on appelle en langage politiquement correct le « transfert volontaire ». En langage de tous les jours, cela s’appelle nettoyage ethnique.
Pour des Israéliens honnêtes, la conclusion s’impose d’elle-même : ils viennent aider les villageois à cueillir leurs olives, avant qu’elles ne se gâtent sur les arbres ou ne soient volées. Ils forment un « bouclier humain » contre les colons. Durant les dernières semaines, ce sont des centaines d’Israéliens qui ont fait ce geste.
Samedi dernier, 260 Israéliens ont répondu à l’appel de divers mouvements pacifistes (Gush Shalom, Ta’âyush, Coalition des Femmes, section du mouvement La Paix Maintenant, et d’autres). Ils se sont répartis entre les villages palestiniens les plus exposés au danger d’une agression imminente.
Personnellement, j’ai été dirigé vers Havarah, un village blotti dans une vallée, entre deux grandes montagnes. Ses oliveraies sont dispersées sur les pentes escarpées des montagnes, couvertes de rochers et de buissons épineux. Pour aller là-bas, ce n’était déjà pas évident. De-ci, de-là, plusieurs camarades « prirent un billet de parterre », et se relevèrent avec des égratignures. Mais tout le monde finit par arriver à bon port.
Cueilleurs israéliens et palestiniens se répartirent autour de dizaines d’oliviers, et se mirent au travail. Les propriétaires palestiniens des arbres devaient profiter au maximum de la présence (protectrice) de leurs renforts israéliens, et ils travaillaient à un rythme soutenu. Contrairement aux pratiques habituelles, ils tapaient sur les branches avec des bâtons, afin de faire tomber les olives mûres sur les bâches de plastique vert qui avaient été étendues sur le sol, au-dessous des frondaisons. Pour les oliviers, ce n’était pas génial ; mais c’était beaucoup plus rapide. Il fallait sa magner.
Tout le monde mettait du cœur à l’ouvrage, tenant les branches ployant sous les olives et remplissant des seaux ou des sacs, certains ramassant les olives tombées au sol. Chaque olive est précieuse. Les plus sportifs (et sportives) montés dans les arbres, remplissaient sacs et chapeaux.
Les groupes qui avaient atteint le sommet de la montagne se retrouvèrent nez à nez avec les colons de Yitzhar, un nid de fanatique tristement connu. Ils avaient revêtu leur tenue du shabat : pantalon noir, chemise blanche et flingot. Ils menacèrent les cueilleurs, tirèrent en l’air et par terre (l’un des cueilleurs d’olives, un Israélien, fut atteint par une motte de terre). Les tirs, réverbérés par les montagnes, se répondaient en écho. Quarante minutes plus tard, des soldats israéliens apparurent et, après avoir chaleureusement salué les colons, auxquels ils firent de gros câlins, ils demandèrent aux cueilleurs d’olives d’évacuer les lieux, expliquant que les colons étaient dans leurs droits, en ouvrant le feu, parce que « les cueilleurs d’olives mettaient la colonie en danger ». Les cueilleurs poursuivirent leur travail, obstinément, défendus par les « boucliers humains » israéliens. Mais ils furent peu à peu repoussés vers le bas du versant de la montagne par les colons, tandis que les soldats s’étaient placés entre les colons et eux.
Pendant ce temps-là, dans les autres oliveraies, le travail se poursuivait, sans être dérangé. Alors que la cueillette continuait, des cigarettes étaient échangées, les langues se déliaient, les conversations s’engageaient, un peu hésitantes, au début, puis de plus en plus animées, en dépit des difficultés causées par la différence de langues. Certains des villageois parlaient l’hébreu, et ils évoquaient les quartiers de Tel Aviv où ils avaient travaillé naguère.
Avant la tombée de la nuit, les bâches furent rassemblées et repliées, les gens installèrent les sacs pleins jusqu’à la gueule (et très lourds) sur leurs épaules ou sur des ânes, et tous entamèrent la descente des versants escarpés, de terrasse en terrasse. Les jeunes gars du coin sautaient avec l’agilité de cabris, tandis que les papys et les hôtes israéliens se déplaçaient plus précautionneusement, en s’accrochant aux branches et en s’aidant mutuellement.
Beaucoup de monde, donc, et des gens heureux. Ceux qui avaient tenu tête aux hooligans étaient heureux, parce qu’ils n’avaient pas pris peur et n’avaient pas déguerpi. Les cueilleurs israéliens étaient heureux parce qu’ils avaient pu joindre à une manifestation politique la dimension d’un acte concret de solidarité. Les Palestiniens étaient heureux d’avoir pu sauver au moins une partie de leur récolte. Tous ployaient sous le poids des sacs débordants d’olives. Au pied de la montagne, les sacs restants furent installés sur d’autres ânes et sur des camionnettes qui donnaient l’impression d’être sur le point de rendre l’âme d’un instant à l’autre.
A la fin de cette belle journée - intense émotion, au moment des adieux. Plusieurs centaines de Palestiniens, hommes, femmes et enfants, faisaient des signes de la main avec enthousiasme afin de saluer les Israéliens qui prenaient le chemin du retour, sur la place du village, dans les ruelles et depuis les fenêtres et les balcons des maisons. Tout un village. Ce n’était pas le moindre des gains d’une journée bien remplie…
                                                       
7. Les crimes de guerre des "Forces de défense d'Israël" doivent faire l’objet d’une enquête par Amnesty International (4 novembre 2002)
À l’occasion de la publication d’un rapport qui décrit les opérations menées par les Forces de défense d'Israël (FDI) à Jénine et à Naplouse en mars et avril 2002, Amnesty International a déclaré ce jour (4 novembre 2002) que des éléments convaincants donnaient à penser que certaines actions commises par les FDI dans le cadre de l’opération Rempart constituaient des crimes de guerre. Le rapport, intitulé Israël et Territoires occupés. À l’abri des regards : les violations des droits humains commises par les FDI à Jénine et à Naplouse (index AI : MDE 15/143/02), détaille de graves violations des droits humains perpétrées par les forces israéliennes. Il s’agit notamment d’homicides illégaux, d’actes de torture et de mauvais traitements sur la personne de prisonniers, de destruction injustifiée de centaines d’habitations alors que, dans certains cas, les résidents se trouvaient encore à l’intérieur, du blocage des ambulances et de la privation d'aide humanitaire, ainsi que de l’utilisation de civils palestiniens comme boucliers humains. À l’issue de plusieurs réunions tenues en mai 2002 avec les FDI pour discuter de leurs agissements et de leurs stratégies, Amnesty International leur a soumis la plupart des cas individuels qui figurent au rapport, afin qu’elles les commentent. Toutefois, bien qu’elles aient promis de s’expliquer sur ces affaires, les FDI n’ont à ce jour pas envoyé de réponse à l’organisation. Israël a le droit de prendre des mesures pour empêcher les violences illicites mais ne doit pas, ce faisant, enfreindre les règles et principes du droit international. À Jénine comme à Naplouse, les FDI ont empêché pendant plusieurs jours les ambulances et l’aide humanitaire, ainsi que tout représentant du monde extérieur, de pénétrer dans la ville, tandis que des cadavres et des blessés gisaient dans les maisons, ou à même la rue. À Jénine, dans le camp de réfugiés, un quartier d’habitation entier a été détruit, laissant 4 000 personnes sans abri. “ Jusqu’à présent, les autorités israéliennes ont failli à leur responsabilité de traduire en justice les auteurs présumés de graves violations des droits humains. Les crimes de guerre comptent parmi les crimes les plus graves relevant du droit international, et constituent des atteintes à l'humanité dans son ensemble. Il incombe donc à la communauté internationale de traduire en justice les responsables de tels agissements. Toutes les parties contractantes aux Conventions de Genève sont tenues de rechercher les auteurs présumés d'infractions graves aux dites conventions et de les déférer à la justice ”, a déclaré Amnesty International. L’organisation de défense des droits humains a ajouté : “ La paix et la sécurité ne pourront être instaurées dans la région que si les droits humains sont respectés. Toutes les tentatives en vue de mettre un terme aux violations des droits humains et d'installer un système de protection internationale en Israël et dans les Territoires occupés, notamment au moyen d'observateurs dotés d'un mandat clair en matière de droits humains, ont été réduites à néant par le refus du gouvernement israélien. Cette attitude d’Israël a souvent bénéficié du soutien des États-Unis. ” Amnesty International estime que la communauté internationale doit impérativement cesser d'être le témoin inefficace des violations graves qui sont perpétrées en Israël et dans les Territoires occupés et qu'elle doit prendre sans délai des mesures positives et appropriées, qui s’imposent depuis longtemps. Le rapport intitulé Israël et Territoires occupés. À l’abri des regards : les violations des droits humains commises par les FDI à Jénine et à Naplouse décrit en détail les violations résumées ci-dessous.
- Les homicides illégaux
“ Ma famille était à la maison le vendredi 5 avril. Il était environ trois heures, trois heures un quart de l'après-midi. Quelqu'un a frappé à la porte en nous demandant d'ouvrir. Ma sœur Afaf a répondu : "Un moment". Elle l'a dit tout de suite [...] Quand elle est arrivée devant la porte, elle a tendu la main vers la poignée. La porte a explosé en lui arrachant la partie droite du visage [...] Je pense qu'elle a été tuée sur le coup. Nous nous sommes mis à hurler. Les soldats étaient juste derrière la porte, ils ont commencé à tirer sur les murs comme s'ils voulaient nous faire peur. Nous leur avons crié d'appeler une ambulance, mais ils ne nous ont pas répondu. ”
“ J’ai vu que l’un des gros bulldozers venus de l’ouest passait sur la maison de la famille al Shubi, puis le bâtiment s’est effondré. Sans même prendre le temps de réfléchir, j’ai crié au soldat qui manœuvrait l’engin : “Laissez sortir les résidents !”. C’est à ce moment là que le militaire est descendu du bulldozer, a dégainé son arme et a commencé à tirer dans ma direction. ” Dix membres de la famille al Shubi ont été ensevelis sous les décombres de leur maison de Naplouse pendant six jours ; deux seulement en ont réchappé. Ces deux exemples représentent un modeste échantillon des nombreux cas dont Amnesty International a été informée à Jénine et à Naplouse, où des personnes ont été tuées ou blessées dans des circonstances laissant supposer que la loi avait été enfreinte. Des Palestiniens qui ne prenaient pas part aux combats ont trouvé la mort du fait d'une utilisation disproportionnée de la force, ou parce que les FDI n’ont pas pris les mesures adéquates pour protéger les personnes ne participant pas aux affrontements. Dans la ville et dans le camp de réfugiés de Jénine, 54 Palestiniens ont trouvé la mort à la suite de l'incursion des FDI, qui s’est déroulée du 3 au 17 avril. Parmi ces victimes, plus de la moitié n’étaient, semble-t-il, pas impliquées dans les combats. Au nombre des tués figuraient sept femmes, quatre enfants et six hommes âgés de plus de cinquante-cinq ans. Six d'entre eux avaient été ensevelis sous des décombres de maisons. À Naplouse, au moins 80 Palestiniens ont été tués par les FDI entre le 29 mars et le 22 avril. Parmi les victimes, on déplore la mort de sept femmes et de neuf enfants. Aucun de ces homicides n'a fait l'objet d'une enquête approfondie et impartiale, même lorsqu’il y avait de fortes raisons de croire qu’ils étaient illégaux. Le fait que les autorités israéliennes ne mènent pas d'enquête sur les cas d’homicides illégaux a contribué à créer un climat dans lequel certains membres des FDI pensent qu'ils peuvent continuer de commettre de tels homicides en toute impunité.
- L'utilisation de Palestiniens pour des opérations militaires ou comme boucliers humains
“ Nous avons pénétré dans la maison de mes voisins. Les soldats ont commencé à percer un trou dans le mur. Je suis passé par cette ouverture avec trois militaires et le chien, un soldat pointant son arme sur ma tête. Cela s’est produit à six ou sept reprises, et à chaque fois que l’on allait d’un bâtiment à un autre, les militaires me faisaient passer devant eux. La dernière fois, j’ai ouvert la porte du bâtiment où ils m’avaient emmené et, au moment où je sortais, j’ai entendu des coups de feu. Les soldats m’ont fait rentrer de force alors que j’étais déjà dans la ruelle et ils ont répliqué aux tirs. Je me tenais à un mètre derrière eux. ” Tant à Jénine qu'à Naplouse, les FDI ont systématiquement contraint des Palestiniens à participer aux opérations militaires ou à servir de boucliers humains. Des hommes aussi bien que des femmes ont été utilisés à cette fin. Très fréquemment, les FDI détenaient un Palestinien pendant plusieurs jours et l'obligeaient à participer à des perquisitions dans le camp, ce qui le mettait en grand danger.
. Actes de torture ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants infligés à des personnes placées en détention arbitraire
“ Ils ont commencé à nous frapper sur le corps et la poitrine à coups de crosse de fusil [...] Nous étions tous rassemblés en sous-vêtements et il faisait froid. Quand nous avons réclamé des couvertures, ils nous ont battus. Ils ne nous ont pas donné d'eau. ” À Jénine, à l’issue d’une rafle, les hommes de moins de cinquante-cinq ans ont été séparés des femmes, des enfants et des hommes plus âgés. Ils ont été obligés de se déshabiller pour ne garder que leurs sous-vêtements et ont eu les yeux bandés et les mains attachées par des menottes. Beaucoup se sont plaints d'avoir été battus ; un détenu est mort des suites de coups. Les personnes arrêtées lors de rafles massives à Naplouse ont décrit les mêmes actes de torture et mauvais traitements. Immédiatement après leur interpellation, les détenus ont été emmenés au centre de détention temporaire de Shomron. Ceux qui se sont entretenus avec les représentants d'Amnesty International ont affirmé que ce centre de détention était surpeuplé, que la nourriture et l'eau étaient en quantités insuffisantes et qu'on les avait parfois empêchés d'utiliser les toilettes. Ils se sont également plaints d'avoir été battus au moment de leur arrestation et par la suite.
- Le blocage de l'assistance médicale et humanitaire
“ Atiya Hassan Abu Irmaila, quarante-quatre ans, a été abattu d'une balle dans la tête à son domicile le 5 avril par les FDI. Les tentatives désespérées de ses proches pour appeler une ambulance n'ont pas abouti. La famille ne pouvait même pas quitter la maison pour annoncer le décès d'Atiya Hassan Abu Irmaila à ses proches. Le corps de cet homme est resté dans la maison pendant sept jours. “ Suna Hafez Sabreh, trente-cinq ans, a été grièvement blessée par balle le 7 avril alors qu'elle fermait la porte de sa maison. Sa famille a appelé une ambulance qui n'a pas pu se rendre sur place parce qu'elle avait été, au moins une fois, la cible de tirs. Quand une ambulance est enfin arrivée deux jours plus tard, l'état de santé de Suna Sabreh s'était considérablement dégradé. Cette femme a subi par la suite cinq opérations chirurgicales. ” Tant à Jénine qu'à Naplouse, les FDI ont empêché le personnel des organisations médicales et humanitaires de pénétrer dans les zones affectées, même après la fin des combats. Les FDI ont empêché pendant plusieurs jours l’aide médicale de passer ; en outre, ils ont pris des ambulances pour cible ou ont tiré des coups de semonce autour d'elles. Les chauffeurs ont été harcelés ou arrêtés. Pendant ce temps, des blessés sont restés sans soins des heures durant ou ont été soignés au domicile de particuliers ; des cadavres sont demeurés plusieurs jours dans la rue ou à l'intérieur des maisons. Plusieurs personnes seraient mortes dans des circonstances laissant à penser que leur décès résultait de l'absence de soins médicaux ou avait été précipité de ce fait.
- Les démolitions de maisons et les destructions de biens
“ C'est la dévastation totale, il ne reste aucune maison debout ; c’est comme si quelqu'un avait écrasé au bulldozer toute une localité. Si par hasard il y avait des gens à l'intérieur d'une maison, ils n’ont pas pu survivre [...] Il ne reste que des décombres au milieu desquels les gens marchent, hébétés. On sent l'odeur de la mort sous les gravats. ” C'est en ces termes qu'un délégué d'Amnesty International, entré dans le camp de réfugiés de Jénine quelques minutes après la levée du blocus par les FDI le 17 avril 2002, a décrit la situation. Les troupes des FDI qui ont pénétré dans Jénine et Naplouse ont fait passer des chars et des bulldozers dans les rues, arrachant au passage les façades des maisons. À Hawashin et dans des quartiers voisins du camp de réfugiés de Jénine, 169 bâtiments regroupant 374 appartements ont été détruits au moyen de bulldozers, dans la plupart des cas après la fin des combats. Plus de 4 000 personnes se sont retrouvées sans abri. Tant à Jénine qu'à Naplouse, les FDI ont parfois détruit des maisons alors que les habitants se trouvaient toujours à l'intérieur. Les soldats n'ont pas donné d'avertissements suffisants, voire n'ont pas prévenu les habitants, avant de démolir les maisons ; par la suite, ils n'ont pris aucune mesure pour sauver les personnes ensevelies sous les décombres et ont empêché d'autres habitants de les rechercher. Amnesty International a recueilli des informations sur trois cas de démolition ayant entraîné la mort de 10 personnes. Selon les listes de victimes de Jénine dressées par les hôpitaux, six autres personnes sont mortes après avoir été écrasées sous des gravats.
[Pour obtenir de plus amples informations, veuillez contacter le Service de presse d'Amnesty International, à Londres, au +44 20 7413 5566 ou consulter notre site web :
www.amnesty.org.]
                                                   
Revue de presse

                                                
1. Peur et haine, à Hébron par Amira Hass
in Ha’Aretz (quotidien israélien) du mercredi 20 novembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Hébron - Comme tous les week-ends, et donc, aussi, vendredi dernier, à cinq heures de l’après-midi, des soldats ont pris position sur la terrasse de la maison de Hussam Jaber, à Wadi Nasara [ce toponyme signifie ‘la vallée des chrétiens’, ndt], dans les faubourgs est d’Hébron. Cette maison, de trois étages, donne sur une rue étroite, qui se dirige vers le sud, et rejoint l’ « autoroute des fidèles », laquelle relie la colonie juive de Kiryat Arba au Tombeau des Patriarches. Depuis cette terrasse, vous voyez tout : la vallée, les collines qui l’encadrent, les maisons du quartier, les vignobles, les oliveraies, les vergers de pêchers : tout ce beau paysage s’étend sous vos yeux,– cela vous donne l’impression de contempler une carte en relief.
Les soldats (de ‘Tsahal’) ont fixé un projecteur très puissant à la rambarde de la terrasse (« C’est nous qui payons l’électricité… » m’indique un membre de la famille) et ce projecteur illumine la vallée. Et cela se renouvelle, tous les vendredis et tous les samedis, afin d’assurer la sécurité des nombreux fidèles juifs qui parcourent le trajet, long d’environ un kilomètre, entre Kiryat Arba (où ils habitent) et la vieille ville d’Hébron (où ils viennent prier).
« Le vendredi et le samedi, nous ne sortons pas de chez nous », m’a dit un habitant du quartier, vendredi dernier, « à cause des nombreux colons juifs qui empruntent la vallée et aussi des renforts militaires, nous n’osons pas nous aventurer dehors. »
Le poste d’observation hebdomadaire, sur la terrasse des Jaber, n’est pas le seul à dominer la vallée. Trois autres postes militaires permanents d’observation encadrent la vallée et y font régner la lumière du jour en pleine nuit. Les habitants des étages supérieurs, dans ce quartier situé à quelques dizaines de mètres au sud de Kiryat Arba, n’osent pas allumer la lumière chez eux, durant les week-ends, de peur d’attirer l’attention des gens qui passent dans la rue, au pied de leur immeuble : cela pourrait leur donner l’envie de jeter des pierres, voire, pire – ce qu’à Dieu ne plaise – de tirer en l’air. Nombreux sont les habitants du coin à ne plus monter dans les étages supérieurs des immeubles ou de s’approcher des fenêtres. Et lorsqu’ils le font, ils abaissent la voix et ne vous parlent plus qu’en chuchotant.
Aussi, vendredi, à sept heures du soir, environ, lorsque les habitants du quartier entendirent des tirs, ils pensèrent d’abord que c’étaient des soldats ou des colons juifs qui tiraient. Personne n’aurait pu imaginer que là, juste sous les projos et sous le nez de la position militaire voisine, des soldats israéliens étaient en train de se faire tuer par des tirs palestiniens.
H. fut sans doute parmi les rares personnes - et aussi parmi les premières - à réaliser ce qui se passait. Il était venu passer la journée du vendredi chez des parents, dans une des maisons de la vallée, au milieu des cultures. Il me dit avoir vu deux Jeeps de la police des frontières, stationnées au milieu des arbres fruitiers de la vallée, depuis trois heures de l’après-midi. Il a vu aussi quatre soldats patrouillant dans les vergers, autour des maisons et des Jeeps – la patrouille de routine d’un vendredi ordinaire, quoi, destinée à assurer la sécurité de l’ « autoroute des dévots ».
Dans l’après-midi, une des deux Jeeps avait quitté les lieux, raconte-t-il. A environ sept heures du soir, il a vu un groupe de personnes dévaler en courant la rue la plus au sud du quartier, d’est en ouest. Ces gens ouvrirent le feu sur les soldats qui se trouvaient dans la vallée. Il pense que les soldats couraient en remontant à leur rencontre afin de les attaquer, mais il n’en sait pas plus, car lui-même courut se mettre à l’abri chez lui.
Dans la maison de Hussam Jabber, sur la terrasse de laquelle était installé, comme chaque week-end, le poste d’observation, les tirs surprirent les membres de la famille au beau milieu de leurs activités habituelles, après le repas de rupture du Ramadan : qui bavardait, qui se reposait, qui regardait la télévision. Ils se précipitèrent dans le coin d’une des pièces, pour se mettre à l’abri, blottis les uns contre les autres. Ils m’ont dit qu’ils n’osèrent pas s’aventurer à regarder par la fenêtre, si bien qu’ils ne savaient pas d’où les tirs provenaient. Ils avaient l’impression que c’étaient les soldats israéliens, sur leur terrasse, qui tiraient. Ils entendirent aussi des balles s’écraser contre la façade sud de leur maison. Le calme revenu, ils constatèrent que les tuyaux et les réservoirs d’eau, sur la terrasse, avaient été transformés en passoires.
A un moment, les soldats du poste d’observation descendirent de la terrasse et ils les firent se rassembler dans une pièce. Durant toutes ces péripéties, les tirs continuaient, provenant de différents endroits, et dans plusieurs directions. « Des tirs désespérés, désordonnés », pensa un membre de la famille. La confusion et la panique se lisaient sur le visage des soldats de Tsahal. Peut-être, se demandèrent-ils un peu plus tard, les soldats étaient-ils en train de se canarder entre eux ?
Comment auraient-ils pu deviner que, sur ces entrefaites, des soldats avaient fait irruption dans une maison d’un étage, au-dessous de chez eux ? Le long de cette maison passe un sentier qui relie la vallée à la rue où les Palestiniens qui ont ouvert le feu avaient été vus. C’est la maison de Hamad Jaber. La plupart des membres de sa famille n’étaient pas là ; ils étaient en visite chez des parents. A la maison, il n’y avait que Hamad et son fils Najib, le seul à être marié. Les tirs très proches les firent se précipiter, eux aussi, dans un coin sûr de leur maison. Mais de là où ils se trouvaient, ils purent voir que la vallée était éclairée a giorno par les projecteurs…
Les tirs continuaient ; ils entendaient les balles s’écraser sur leur terrasse et sur les réservoirs d’eau. Puis des explosions de grenades incapacitantes leur firent comprendre que les soldats étaient très près de chez eux. Ils ouvrirent la porte et s’entendirent intimer l’ordre de sortir, les mains en l’air et leur chemise relevée. Dehors, Najib vit le corps d’un homme, portant un masque et des gants. Il eut le temps de constater que cet homme avait été achevé d’une balle en pleine tête.
« Ce type, là, c’est qui ? » lui demandèrent les soldats.
« J’sais pas ! » répondit-il..
« Raconte pas de salades : ce type était chez vous ! »
« Mais on était à l’intérieur ! On ne connaît pas cet homme – il n’était pas chez nous ! » répondit Najib.
Après avoir fouillé la maison, les soldats jetèrent les deux hommes dans une Jeep, yeux bandés et mains liées. On les emmena dans un lieu inconnu d’eux - apparemment, une base militaire – , on les tira de la Jeep et on les re-balança dans une autre Jeep qui les emmena loin – on ne leur dit pas où – et qui les lâcha dans la nature. Se retrouvant dans une contrée vallonnée qu’ils ne connaissaient pas, ils se mirent en route, à pied, en essayant de trouver la seule direction qui importait : la maison. Najib dût porter son père, âgé de 71 ans, sur son dos, pendant une partie du périple.
Après plusieurs heures de marche, ils trouvèrent une maison : les habitants leur dirent où ils étaient. De là, ils mirent le cap vers leur maison. Mais lorsqu’ils y parvirent, à neuf heures du soir, elle n’était plus là !
Vers minuit, les habitants du quartier de Wadi Nasara, emprisonnés chez eux à cause de l’intensité des tirs, entendirent le grondement atrocement familier d’un bulldozer. A ce moment-là, Hamad et Najib étaient déjà dans la Jeep qui les emmena vers l’endroit perdu dans la nature. Le reste de la famille regarda, de loin, ce qui suit :
En vingt minutes, la maison fut démolie. Deux autres maisons voisines, aussi. L’une appartenait à un autre fils de la famille, qui n’était pas là, (il était allé rendre visite à des parents à lui, à Jérusalem Est) ; l’autre maison était inoccupée.
A l’aube, les membres de la famille retournèrent sur les ruines, afin de rassembler ce qui pouvait être sauvé. Ils ne trouvèrent ni l’argent ni les bijoux qui se trouvaient chez eux – des économies pour un mariage proche, pour les temps de vaches maigres. La mère, Suheila, 61 ans, retrouva sa précieuse jambe de bois. Elle est native de Jérusalem. A sept ans, durant la guerre de 1948, elle avait été atteinte par des tirs et avait perdu une jambe. Pour marcher sur de brèves distances, elle utilise une autre prothèse, qui n’est pas aussi bien faite que celle qu’elle a retrouvée dans les ruines. Les yeux rougis de larmes, le lendemain, elle montrait sa bonne jambe de bois, dans les gravats : le pied en avait été brisé sous les pierres.
Lorsqu’elle parle de son fils aîné, elle ne peut retenir ses larmes : il y a un an et demi, des soldats tirèrent des bombes lacrymogènes dans le quartier. Terrorisé, son fils étouffa sous l’effet des gaz, et mourut.
Au cours de la démolition de la maison, le bulldozer sectionna plusieurs câbles d’alimentation électrique du quartier, si bien que la plupart des maisons n’eurent plus de courant. Au matin, la plupart des habitants du quartier ne se doutaient toujours pas que douze soldats israéliens et hommes des services de sécurité avaient été tués durant la nuit. Des soldats entrèrent dans l’une des maisons proche de l’ « autoroute des bigots » et firent sortir tout le monde (y compris le grand-père, très âgé et un bébé de six mois), alors que les tirs se poursuivaient de plus belle. Les habitants de cette maison eurent l’impression que les groupes de soldats n’étaient absolument pas coordonnés entre eux, et que les uns ne savaient absolument ce que fabriquaient les autres… Finalement, à huit heures du soir, le fils aîné s’entendit donner l’ordre de sortir, avec les soldats. Un Israélien identifié pour être un officier des services de sécurité Shin Bet, lui demanda d’examiner trois cadavres étendus sur le bas-côté de la route. En dépit de ses protestations, on lui donna l’ordre de les identifier. Horrifié, il les regarda… « J’les connais pas ! », dit-il.
Tandis que les journalistes et les porte-parole de l’armée commençaient à envahir la vallée, les habitants du quartier s’étaient rassemblés autour des maisons démolies et deux bulls de ‘Tsahal’ commençaient à arracher des arbres fruitiers dans la vallée. Et encore un olivier centenaire aux racines grosses comme le bras, et encore un autre pêcher fluet – arrachés ; et encore quelques rangées de vignes – évanouies. Comme si elles n’avaient jamais existé.
Soudain, une main m’arrache mes lunettes…
Samedi après-midi, je reçois un appel urgent de l’Equipe des Amis de la  Paix Chrétiens (Christian Peacemaker Team – CPT) de la Vieille Ville. C’est un groupe de volontaires chrétiens, de différents pays, qui se donnent pour mission d’intervenir pacifiquement dans des lieux de crise et de conflit : la Colombie, New York, l’Irak, Hébron… Les membres de ce groupe, qui vivent dans la Vieille Ville d’Hébron, avaient été priés de venir dans la maison de l’une des familles qui habitent près de l’ « autoroute des croyants ». Les membres de cette famille savaient que les colons juifs de Kiryat Arba et d’Hébron avaient l’intention de venir manifester le samedi sur un vaste terrain situé au nord du quartier de Wadi Nasara, juste à la sortie de Kiryat Arba. D’expérience, disaient-ils, ils savaient que les rassemblements de ce genre dégénéraient toujours en attaques contre les maisons des Palestiniens. Déjà, une famille du voisinage avait déguerpi en toute hâte de sa petite maison isolée, ancienne, en pierres de taille, en face du terrain : ils n’avaient pas d’autre alternative que partir de chez eux et accepter l’hospitalité des voisins.
Ainsi, à huit heures de l’après-midi, les membres du CPT se retrouvèrent au beau milieu d’une foule d’Israéliens, rassemblés là. Ils ne comprenaient pas ce que les orateurs disaient, et il ne comprirent pas non plus ce que le meneur de jeu répétait constamment (en hébreu) : « Nous vous adjurons de ne pas faire justice vous-mêmes. » Ils observèrent, sans intervenir, des dizaines d’enfants des colons juifs qui s’égayaient parmi les ruines de ce qui avait été, encore la veille, un vignoble et des vergers, courir vers les maisons du quartier et balancer des pierres dans les fenêtres des maisons les plus proches. Ils virent certains des soldats qui étaient sur place se mêler à eux et tenter de les arrêter, de les empêcher de s’aventurer trop profondément vers l’intérieur du quartier aux ruelles sombres.
Un peu plus tard, ils virent un groupe de policiers, qui descendaient eux aussi dans la vallée, là où les arbres fruitiers avaient été arrachés. Mais ils ne virent aucun de ces policiers intervenir pour empêcher des adolescents, filles et garçons et quelques femmes, de lancer des pierres dans les fenêtres et de fracasser les vitres d’une dizaine de voitures à coups de bâton.
J’ai demandé à des policiers assis dans une Jeep (immatriculée 80-503) pourquoi ils n’empêchaient pas ces jeunes de casser les vitrines, juste au carrefour, à dix mètres de leur véhicule. « Merci de nous dire ce que nous avons à faire !… », me dirent-ils avec une ironie à couper au couteau. L’un après l’autre, ils sortirent de la Jeep, avec une lenteur étudiée. Plus tard, il s’avéra que leur mission était uniquement d’assurer la protection d’un ‘photographe’ de la police.
Une des femmes qui passaient par là a dû entendre ma question, ou deviner quel en avait été le sens, et elle se mit à vociférer : « La pute ! Elle a appelé les flics ! T’étais où, toi, hier ? »
D’autres femmes mal embouchées arrivèrent en renfort. Un attroupement commença à se former, des adolescents, des femmes, tous hurlant, jouant des poings, bousculant. Les militants du CPT tentèrent de s’interposer, mais la foule grossissait et les cris montaient.
Quelqu’un m’attrapa au col, m’arracha mon bloc-notes et le lança en l’air. D’autres m’empêchèrent de le ramasser. D’autres personnes vinrent s’agglutiner autour de nous et une femme commença à me frapper. Un homme, portant une longue barbe grise tenta de la calmer et de lui faire comprendre qu’elle était à bout, à cause du massacre. Il me suggéra de monter dans la première voiture venue et de me tirer de là vite fait. Une jeune fille me tendit discrètement mon bloc-notes et disparut aussitôt à ma vue.
« Sortons-la d’ici, sinon ça va mal tourner », insista une femme.
On entendit un jeune dire : « Piquons-lui ses lunettes ! ».
Le cercle se resserrait autour de moi. Un vacarme de cris et d’imprécations, avec tous les accents : sabra, russe, américain, français, s’élevait de l’attroupement. Soudain, une main s’avança et m’arracha mes lunettes.
« Sortons-là d’ici », continuait à plaider la femme de tout à l’heure.
« Je ne partirai pas tant qu’on ne m’aura pas rendu mes lunettes », dis-je.
« Tes lunettes ? Pshittt ! Envolées ! Oublie-les… », dit quelqu’un. Il y avait des dizaines de militaires et de policiers, à vingt ou trente mètres de là. Aucun ne vint voir ce qui se passait.
Les gens du CTP faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour calmer la foule. Soudain, un reporter de Channel One, Muki Hadar, fit son apparition. D’une certaine manière, sa taille imposante fit quelque impression et calma un peu le jeu. Le cercle commença à se desserrer. Ce n’est qu’alors que je pus m’approcher d’une Jeep de l’armée, stationnée juste en face. Et ce n’est qu’à cet instant que des représentants de l’armée israélienne se montrèrent, qui me suggérèrent d’attendre que les gens se dispersent. Soudain, un soldat me tendit un sac en plastique noir : l’un des enfants lui avait demandé de le remettre à « cette femme-là ». A l’intérieur : mes lunettes. Cassées.
 « Attendez », me conseillèrent aussi, après la bataille, les policiers, desquels seuls un appel téléphonique direct était parvenu à arracher une promesse de « protection ». Un policier refila la mission à un autre, lequel à son tour – on aurait dit une course de relais – passa la mission de « protection » à un troisième… Finalement, ce troisième policier s’apprêtant à monter dans un bus pour rentrer chez lui, me dit très clairement que « protéger les gens, c’était pas son boulot », ajoutant : « Adressez-vous donc, plutôt, au collègue qui vous a promis de vous protéger… »
Jusqu’à minuit, des dizaines d’habitants de Kiryat Arba restèrent dans la vallée, dont beaucoup de garçons et de filles âgés de moins de dix-huit ans. Quelques adolescentes arrivèrent, portant un seau de peinture. Elles écrivirent les slogans vengeurs « Am Yisrael hai ! » (Le peuple d’Israël vivra !) et « Vengeance ! » sur les rideaux de fer d’une boutique du quartier. Dans les maisons du quartier palestinien, tout le monde avait peur, et personne ne pouvait fermer l’œil. Mais les lumières étaient éteintes.
                                                    
                                           
2. "Les Arabes restent des Arabes !" un entretien avec Benny Morris réalisé par Meron Rappaport
in le supplement hebdomadaire de Yediot Ahronot (quotidien israélien) du lundi 11 novembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
« Oui, les Palestiniens sont coupables. Et pas seulement d’avoir refusé la main qui leur avait été tendue par l’ex Premier ministre Ehud Barak, mais parce qu’ils ne veulent pas admettre notre droit à l’existence ici. Ils veulent nous rejeter à la mer. Quiconque pense différemment [au sujet de la position des Palestiniens] se trompe lourdement.
Benny Morris [un des ‘nouveaux historiens’ israéliens, ndt] met au point une nouvelle édition, augmentée, de son premier ouvrage « L’Origine du problème des réfugiés palestiniens » [The Birth Of the Palestinian Refugees Problem. » Cette nouvelle édition comportera plus d’informations, dans tous les domaines. Il y aura plus de preuves des expulsions pratiquées de manière systématique en 1948. Et aussi plus de preuves sur les tueries. Pas seulement les massacres. Rien qui puisse ressembler à Deir Yassin. Non. Il s’agira de nombreuses « tueries au petit bonheur la chance », comme Morris les qualifie. « Des soldats voient des gens, dont des femmes et des enfants, occupés dans les champs, et ils les « cueillent » et les tuent, comme ça… Cela s’est produit en maint endroit, au cours de cette guerre, en particulier depuis le mois de mars. Morris évoque aussi une norme qui a fini par émerger au sein de certaines des unités de l’armée : expulser les habitants du village, mais y laisser un certain nombre de femmes qui puissent faire la cuisine pour les petits gars. Un soldat a rapporté qu’après l’occupation du village de Dweïma, dans le Sud, les soldats ont tué l’une des femmes qui cuisinaient pour eux.
- Vous semblez ne ressentir ni malaise, ni dégoût, lorsque vous révélez des événements de cette nature ?
- En tant qu’historien, cela me cause beaucoup de joie. Au moins, je suis amené à découvrir des choses que personne d’autre ne savait. Les gens s’attendent peut-être à me voir choqué par ce genre de choses, mais je ne le suis absolument pas. Je n’examine pas l’histoire sous l’angle de la morale. Je ne fais que chercher la Vérité. C’est ce que tout historien devrait rechercher. Récemment, j’ai eu la chance de trouver un certain nombre de documents qui soulèvent la suspicion que des massacres ont été commis à Abu Shûshah, un village près de Ramléh. Le nombre des victimes n’est pas connu : sans doute y en eut-il plusieurs dizaines […].
Egalement [en ce qui concerne les preuves] apportées dans la nouvelle version du livre, on peut dire de façon quasi certaine qu’il n’y avait pas de politique intentionnelle et claire en matière d’expulsion des Palestiniens de leurs villages. L’initiative émanait principalement de commandants sur le terrain qui soit avaient compris soit qu’il était préférable d’évacuer les Arabes afin d’éviter d’avoir une « cinquième colonne » dans leur dos, soit que cela leur serait permis (et aussi parce que c’était ce que l’on attendait d’eux). Une autre mesure, par contre, fut systématique : la décision de ne pas laisser les Arabes revenir. […] Le gouvernement prit cette décision en juillet 1948 et elle fut mise en application immédiatement sur le terrain. Les Israéliens tiraient sur tout villageois tentant de revenir dans son village et ils détruisaient ses récoltes. […] » « Dans la plupart des guerres, la population échappe aux batailles rangées », explique Morris. « Durant la Seconde guerre mondiale, cinq millions de Français fuirent Paris, mais les Allemands ne les laissèrent pas y revenir. Nous, nous n’avons pas laissé rentrer les réfugiés arabes. » Que cette comparaison avec les Allemands ne vous induise pas en erreur. Morris pense qu’il s’agissait d’une politique juste : « Je ne parle pas du point de vue moral. Ce dont il est question, c’est d’efficacité ». […] Morris qualifie ce qui s’est passé ici (en Palestine) en 1948 de « nettoyage ethnique partiel ». Mais ne vous y trompez pas : pour lui, il ne s’agit pas d’un concept négatif. « Ce qui s’est produit en 1948 était inévitable. Si les Juifs voulaient créer un état en Eretz Israël qui recouvrît une superficie un peu plus étendue que celle de Tel Aviv, il fallait (bien) procéder à un déplacement de population… Je ne considère pas cela comme immoral. Sans expulsion de population, l’Etat juif n’aurait jamais été créé. Et, personnellement, j’admets, du point de vue moral, la création d’un Etat juif. Sans expulsion [des Palestiniens, ndt], l’Etat créé aurait comporté une minorité arabe importante, et donc une cinquième colonne importante, comme Moshé Sharet [premier ministre des Affaires étrangères israélien, dans le cabinet de Ben Gourion, considéré ‘colombe’] et d’autres dirigeants qualifiaient judicieusement les Arabes […] Bien que Morris évite soigneusement le mot de « responsabilité » (israélienne) comme s’il s’agît du feu, il convient du fait que son livre sur  le problème des réfugiés a apporté la preuve à beaucoup d’Israéliens qu’Israël endosse une responsabilité écrasante dans cette affaire. […] Morris, toutefois, est inflexible, sur ce sujet : toute allusion au droit au retour est une calamité, une recette de la destruction de l’Etat d’Israël. Même si Arafat se contentait de la reconnaissance par Israël de sa responsabilité dans la création du problème des réfugiés en affirmant qu’il renoncerait, quant à lui, à la mise en œuvre de ce droit, Israël doit rejeter cette proposition. « Dès lors que vous reconnaîtrez le droit [au retour], très rapidement des millions de Palestiniens viendront réclamer leurs terres. S’il y a un jour un droit au retour, les efforts en vue d’en bénéficier vont s’ensuivre, ce qui remettra en cause l’existence d’Israël. Il n’y aura plus d’Etat juif ». […]
- N’est-ce pas vous, pourtant, qui avez révélé aux Israéliens  qu’ils sont responsables du problème des réfugiés ? Et aujourd’hui vous leur demandez d’ignorer ce que vous leur avez révélé ?
- J’ai révélé aux Israéliens la vérité sur ce qui s’est produit en 1948 – les faits historiques. Mais ce sont les Arabes qui ont déclenché le conflit. C’est eux qui ont commencé à tirer. Alors, pourquoi devrais-je, moi, assumer la responsabilité de ce qui s’est passé ? Les Arabes sont ceux qui ont commencé la guerre – les responsables, c’est donc eux ».
- Ainsi, d’après vous, cette question devrait être laissée de côté dans le règlement final ?
- Il faut bien donner un minimum de satisfaction aux Palestiniens, mais nous ne devons jamais reconnaître le droit au retour. […]. Même si Arafat signait un accord, compte tenu de son comportement durant les deux années écoulées [l’Intifada, ndt], il m’est très difficile de croire que lui-même ou ses descendants respecteront cet accord.
- Pourquoi ? Parce que ce sont des Arabes ?
- Non. Pas parce qu’ils sont arabes, mais parce qu’ils ne comprennent pas que justice doit être rendue aussi à la partie opposée. Nous, les Israéliens, nous comprenons que justice doive être rendue à l’autre partie. Avez-vous jamais entendu un responsable palestinien dire que la revendication d’Eretz Israel par les Juifs est légitime ? Moi, jamais !
Au cours de l’année écoulée, Morris en est arrivé à la conclusion que le droit au retour bloquera toute possibilité de rejoindre un accord. Lorsque les pourparlers d’Oslo ont commencé, au début des années 1990, il avait espoir que ces pourparler aboutiraient à un accord et qu’une solution serait trouvée, comportant le droit au retour (pour les réfugiés palestiniens). Aujourd’hui, il a perdu tout espoir en ce sens. Le professeur de Birsheva [Morris enseigne à l’université Ben Gourion de cette ville du Néguev] apparaît plus comme un prophète de malheur que comme un angelot de la gauche. « Nous ne parviendrons pas à un compromis de notre génération », dit-il « et j’ai bien peur que nous ne parvenions même pas à un accord réel et définitif. Dans le cœur de chaque Palestinien est inscrite la volonté que l’Etat d’Israël disparaisse de la carte […].
- Et quand vous entendez des dirigeants palestiniens, comme Abu Mazen et d’autres, dire qu’ils sont prêts à accepter Israël et à vivre avec, vous ne les croyez pas sincères ?
- Pas vraiment […]. Je ne les crois sincères que lorsqu’ils applaudissent Ben Laden…
Morris nourrit une suspicion identique vis-à-vis des Arabes israéliens. En 1948, on les qualifia de « cinquième colonne ». Morris n’est pas loin de reprendre cette accusation à leur endroit. Il ne croit pas les députés arabes à la Knesset lorsqu’ils affirment qu’ils « font partie de l’Etat d’Israël ». « Reconnaissent-ils la légitimité, la justesse du sionisme ? – Non ! La minorité arabe, ici [en Israël] est en proie à un processus de déconnexion d’avec l’Etat d’Israël – processus qui conduit tout droit vers l’autonomie, d’abord culturelle, ensuite politique, et finalement peut-être même territoriale, les régions peuplées majoritairement d’Arabes (palestiniens) se séparant de l’Etat d’Israël. La minorité arabe en expansion démographique constante représente un défi pour l’Etat. La minorité arabe représente un danger existentiel pour Israël. Un petit danger, aujourd’hui, qui peut devenir un danger remettant en cause l’existence d’Israël dans un proche futur. » […] Morris reconnaît que le niveau de vie des Arabes [à l’intérieur d’Israël] devrait être amélioré. Toutefois, cela ne résoudrait pas le problème. […] Pour lui, il existe deux façons de le résoudre. Annexer des blocs des communautés arabes (israéliennes) à l’Etat palestinien, ou à des pays arabes voisins ou bien, autre alternative, « les Arabes pourraient manifester leur désir de quitter l’Etat d’Israël – c’est aussi quelque chose de possible ».
- Et laquelle de ces deux possibilités préférez-vous ?
- La première [que des territoires peuplés d’Arabes israéliens soient annexés à un futur Etat palestinien] est la moins satisfaisante, parce que dans cette hypothèse, l’Etat d’Israël perdrait des territoires, verrait sa superficie diminuée, or, comme vous l’avez sans doute remarqué, Israël est déjà très petit.
La seconde alternative – que les Arabes partent – peut se concrétiser si les relations entre Juifs et Arabes continuent sur leur lancée actuelle. Tout dépend de l’intensité de l’hostilité des Arabes vis-à-vis des Juifs et de l’Etat d’Israël. Si les actes de terrorisme et de désobéissance civile continuent - comme en ces jours d’octobre 2000 où 13 Palestiniens citoyens d’Israël ont été tués - cela pourrait poser un problème stratégique aux forces israéliennes de sécurité et non plus un problème simplement tactique [comme c’est aujourd’hui le cas]…
                                                   
3. Benyamin Netanyahou évoque une adhésion d'Israël à l'Union européenne par Eléonore Sulser
in Le Temps (quotidien suisse) du lundi 11 novembre 2002

Et si Israël rejoignait l'Union européenne? L'idée paraît saugrenue. Elle a pourtant été lancée par Benyamin Netanyahou, tout nouveau ministre israélien des Affaires étrangères. Elle est à replacer dans le contexte de son affrontement avec Ariel Sharon pour tenter d'obtenir le droit d'emmener le parti du Likoud aux élections prochaines. L'ancien premier ministre israélien a sans doute cru trouver ainsi un moyen de se démarquer de son adversaire. Vendredi, en effet, son entourage publiait un communiqué dévoilant le contenu d'une conversation entre l'ancien premier ministre israélien et Silvio Berlusconi, président du Conseil italien. Le nouveau chef de la diplomatie israélienne lui aurait demandé son appui pour faire avancer l'idée d'une adhésion d'Israël à l'Union européenne. L'affaire est passée quasi inaperçue dans l'Etat hébreu. Seule la radio militaire a jugé bon de la répercuter en fin de bulletin d'information et la presse du pays n'a donné qu'un écho marginal à cette proposition.
L'idée surgit toutefois au moment où le débat sur l'adhésion de la Turquie fait rage au sein de l'Union européenne, obligeant Bruxelles à se poser la question des limites territoriales et culturelles de l'ensemble qu'elle est en train de construire. Alors qu'Ankara réclame avec insistance aux Quinze une date pour commencer les négociations qui ouvriraient la voie à son intégration, le président de la Convention sur l'avenir de l'Europe, Valéry Giscard d'Estaing, a exprimé publiquement la semaine passée dans Le Monde ses doutes sur la faisabilité et la pertinence de l'élargissement européen au-delà du Bosphore.
Accord d'association
A Bruxelles, personne ne souhaitait réagir, dimanche, à ce qui n'apparaissait pas comme une demande officielle. «Nous ne pouvons commenter des déclarations répercutées par une radio», soulignait Cristina Gallach, porte-parole de Javier Solana, haut représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère et de sécurité. Elle notait toutefois qu'il était «sans doute très positif que ce genre de message vienne de la part des dirigeants israéliens», rappelant néanmoins qu'Israël ne faisait pas partie du territoire européen. «Nous accueillons favorablement tous les propos de dirigeants israéliens qui visent à approfondir la collaboration avec l'UE», a-t-elle ajouté.
Israël est lié à l'Union européenne par un accord d'association. Le 21 octobre dernier, les ministres des Affaires étrangères des Quinze ont reçu leur homologue israélien d'alors Shimon Peres pour examiner l'état de leurs relations. Si l'UE est le premier partenaire commercial d'Israël, les divergences économiques (en particulier sur la provenance exacte des produits israéliens entrant dans l'UE) et politiques demeurent importantes. Les Quinze ont rappelé leurs inquiétudes quant au développement des colonies de peuplement, souligné l'importance du respect des droits de l'homme et se sont indignés de la destruction des infrastructures palestiniennes – dont certaines ont été financées par l'UE – par l'armée israélienne.
Manifestement, en l'absence de tout progrès vers un Etat palestinien que l'Europe appelle de ses vœux, la proposition de Benyamin Netanyahou relève de l'hypothèse pure. Elle est à mettre en parallèle avec l'insuccès de la demande exprimée, en son temps, par le Maroc d'adhérer à l'Union européenne. Si le but avoué des Quinze reste de créer une zone de libre-échange d'ici à 2010 tout autour de la Méditerranée, une intégration politique demeure pour l'heure pure spéculation, en particulier au moment où l'Europe s'apprête à vivre le choc d'un élargissement sans précédent aux pays de l'Est.
                                   
4. La cueillette de tous les dangers par Valérie Féron
in 24 heures (quotidien suisse) du samedi 9 novembre 2002

Palestine : Trois Suisses aident des cultivateurs palestiniens à récolter des olives. Tout en les protégeant des attaques des colons israéliens.
Jérusalem-Est - En arrivant à Tel-Aviv à la mi-octobre, Sami, jeune Suisse de 28 ans, réalisait un triple objectif: voir pour la première fois la terre natale de son père, un Suisse d'origine palestinienne né à Jaffa (Tel-Aviv), rendre visite à des amis juifs israéliens et, surtout, rencontrer des cultivateurs palestiniens et... ramasser beaucoup d'olives! «J'ai vite compris que, même dans le cadre d'une action pacifique, la situation était bien plus dangereuse que ce que j'imaginais. Nous, en tant que militants internationaux pour la paix, nous avions pour mission d'aider les fermiers à cueillir les olives et de les protéger contre les colons israéliens en étant des boucliers humains.»
Les groupes, encadrés par le Mouvement international de solidarité avec le peuple palestinien (ISM), sont en effet appelés à se rendre dans les villages dont les champs se trouvent tout près des implantations juives. C'est ainsi qu'Alain et Brigitte, un couple suisse habitant Genève, ont vécu pendant neuf jours dans un village palestinien de 5000 habitants de la région de Naplouse, situé à proximité de la colonie d'Itamar. «60% de leurs oliviers sont situés près de la colonie, explique Brigitte; cette partie de leurs terres est quasiment inaccessible. Ce qui veut dire que cueillir leurs propres olives, appartenant à la famille depuis des siècles et ayant valeur de survie économique, devient un délit pour lequel on peut être blessé, voire tué!»
Alain se souvient du jour où un groupe de dix colons armés a attaqué deux familles. «J'étais avec un Britannique. Nous avons dû dévaler la colline en courant, mais nous sommes arrivés trop tard. Une femme et un homme âgé avaient été blessés par des jets de pierres. Leur matériel avait été saccagé, des olives et un de leurs ânes volés. C'est là que j'ai compris la fragilité dans laquelle se trouve le peuple palestinien.»
La peur est omniprésente chez les Palestiniens comme chez les internationaux dont plusieurs se sont retrouvés à l'hôpital. «Sans compter les insultes, car on se fait traiter de nazis», souligne Sami. Les pacifistes israéliens ne sont pas épargnés. «J'ai l'impression que les colons les visent plus particulièrement, car ils les considèrent comme des traîtres», ajoute Sami, qui reste cependant convaincu que «la non-violence est la meilleure forme de résistance, avec le témoignage». Brigitte et Alain espèrent que de plus en plus de leurs concitoyens vont venir constater par eux-mêmes cette réalité. «Lorsque nous avons quitté le village, nous sommes partis soulagés. D'autres internationaux arrivaient. Nous pouvions leur remettre la protection de ces familles.»
                                               
5. Jénine : un crime d'État par Joss Dray
in Politis du jeudi 7 novembre 2002

Nahla Chahal est sociologue et Hala Kodmani est journaliste. Dans « Avril à Jénine », elles recueillent les témoignages de réfugiés de ce camp palestinien, en Cisjordanie. Joss Dray, photographe, s'est rendue elle aussi à Jénine. Elle nous livre sa lecture de ces textes bouleversants.
Aller à Jénine et écouter Jénine, pour savoir ce qui s'est vraiment passé au cours de cette semaine terrible du début du mois d'avril, quand l'armée israélienne est entrée dans ce camp de réfugiés du nord de la Cisjordanie. Si Nahla Chahal et Hala Kodmani se sont ainsi immergées pendant des mois dans la mémoire du camp, ce n'est pas pour nous demander une minute de silence pour les victimes de ce qu'il faut bien appeler un crime de guerre, mais plutôt pour rompre le silence. Comme le font, depuis le mois de juin 2001, les militants des missions civiles pour la protection du peuple palestinien qui se succèdent pour vaincre l'isolement dans lequel on voudrait enfermer tout un peuple.
« Tu as déjà vu Jénine sur le dos courbé de ce vieillard qui aujourd'hui encore sera refoulé au check-point de Ramallah, tu as déjà vu Jénine dans Naplouse éventrée, dans Gaza mouroir à ciel ouvert [...] À Jénine rien de nouveau, on continue de finir 48 », écrit Jérôme Anconina, un membre de la quatorzième mission, en ouverture de ce sobre et bouleversant témoignage collectif patiemment recueilli par Nahla Chahal et Hala Kodmani.
Dès les premières lignes de sa préface, Daniel Bensaïd resitue Jénine et la répression féroce et cruelle de ces derniers mois dans l'histoire de la dépossession du peuple palestinien : « Avril 2002 à Jénine, la date et le lieu d'un crime d'État. Un maillon de plus dans la chaîne des noms propres - Deir Yassine, Tantura, Sabra, Chatila - qui sont autant de stations d'un calvaire historique. » Cet intellectuel juif - l'un de ceux qui ont refusé de cautionner la guerre coloniale - prédit les tourments du remords à ceux qui, par indifférence ou par lâcheté, préfèrent garder le silence : « Que notre dextre se dessèche et que notre langue colle au palais, dit-il, si nous oublions Jenine. »
En somme, il ouvre la voie, et nous invite à écouter la voix de ceux, médecins, secouristes, résistants, habitants, tous témoins directs et victimes qui ont vécu Jénine. Et ces voix se mêlent à celles de tous ces militants anonymes qui sont allés à Jenine, pour témoigner, tandis que le secrétaire général de l'ONU, Kofi Anan, attendait complaisamment à Genève une autorisation du gouvernement israélien qui ne vint évidemment jamais.
Car ce livre dénonce certes le crime commis à Jénine, mais il souligne aussi le contraste entre ceux qui ont agi et une communauté internationale une fois encore tétanisée. Il rend compte d'un combat pour la dignité. C'est le militant pacifiste israélien Uri Avneri qui le dit : « À Jénine, la Nation palestinienne a redressé l'échine. » Mais ce livre est aussi un livre pour l'Histoire. Au jour le jour, du 2 au 13 avril, la tragédie est reconstituée. Au travers de la parole des habitants, des combattants, de tous ces jeunes qui avaient écrit leur journal pour tromper la peur. À les lire, eux qui croyaient que jamais ils ne seraient lus, on comprend l'âpreté de la résistance et la violence de l'offensive israélienne : « Malgré la puissance de leurs blindés (près de deux cents chars) et leur aviation, ils ne parviennent pas à entrer par l'ouest du camp, une zone vallonnée. Ils reculent devant les tirs de nos combattants », note par exemple Zakarya Zebeidi, 25 ans, combattant du camp. Un témoignage parmi tant d'autres qui tous ont en commun leur refus de la victimisation. Mais Avril à Jénine livre aussi d'autres témoignages, d'une tout autre nature, et qui provoquent l'effroi, comme celui de ce soldat israélien préposé à la destruction des maisons qu'il accomplit à grands coups de bulldozer, comme une revanche contre la vie.
[Avril à Jenine de Nahla Chahal et Hala Kodmani, préface de Daniel Bensaïd aux éditions La Découverte, 153 pages, 13 euros.]
                                               
6. Israël accuse de partialité les journalistes étrangers par Alexandra Schwartzbrod
in Libération du jeudi 7 novembre 2002
Le directeur du service de presse du gouvernement Sharon réitère avec violence ses attaques.
Jérusalem de notre correspondante - Déjà difficiles depuis le début de l'Intifada, les relations entre la presse étrangère et les autorités israéliennes menacent de se transformer en affaire d'Etat. Danny Seaman, le directeur du GPO (Government Press Office, le service de presse du gouvernement israélien), a tenu ces derniers temps des propos si violents sur les journalistes étrangers que la presse israélienne elle-même s'en est émue, ainsi que plusieurs députés travaillistes.
L'un d'eux, Tzali Reshef, a présenté lundi à la Knesset un rapport accablant pour le GPO, rappelant les multiples entraves mises par celui-ci au travail des journalistes non israéliens : les équipes de télévision étrangères ont de plus en plus de mal à recevoir un permis de travail, les journalistes palestiniens n'obtiennent plus de carte de presse et se trouvent parfois jetés en prison sans motif et sans jugement, tel ce photographe de l'AFP qui vient de passer six mois en détention... Crispation momentanée d'un Etat qui redoute de perdre la guerre des images ? Politique délibérée visant à limiter la couverture du conflit ? Ou initiative personnelle d'un homme qui a perdu le sens des réalités ?
Haro sur les télévisions. Interrogé mardi par Libération dans son bureau du GPO, Danny Seaman n'hésite pas à renouveler ses accusations. Pour lui, bon nombre de médias étrangers, et notamment les télévisions, sont «tenus» par l'Autorité palestinienne, ce qui expliquerait la couverture selon lui anti-israélienne du conflit. «Quand l'Autorité palestinienne s'est mise en place, les journalistes étrangers ont eu besoin de contacts palestiniens pour y avoir accès, et personne ne pouvait le faire sans avoir de liens avec l'entourage d'Arafat. Certains journalistes palestiniens travaillant pour les étrangers ont alors commencé à coopérer avec l'Autorité palestinienne, considérant que la guerre passait aussi par les médias», affirme-t-il.
Pour étayer sa thèse, Seaman n'hésite pas à porter de très graves accusations contre les journalistes qui ont filmé la mort du petit Mohammed el-Durra, le 30 septembre 2000 à Gaza, deux jours après la visite d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées et l'éclatement de l'Intifada. Les images de cet enfant palestinien tué dans les bras de son père, face à une position israélienne, avaient provoqué une intense émotion dans le monde. Selon de nombreux témoignages, y compris les premières déclarations de Tsahal, l'enfant aurait bien été tué par une balle israélienne. Seaman soutient une tout autre version : «La mort du petit Mohammed était en réalité un coup prémédité par les Palestiniens. Les seuls cameramen étaient des Palestiniens travaillant pour la presse étrangère. Un enquêteur a été embauché par l'armée israélienne pour étudier scientifiquement les films de la scène. Et il y a un moment où l'on voit Mohammed assis tranquillement avec son père, attendant de jouer dans le film de sa propre mort.» Une mise en scène ? L'enfant serait donc encore vivant ? Le directeur du GPO hésite. «Non, je ne le pense pas. Mais les Palestiniens n'auraient aucun problème à tuer leurs propres enfants pour le bien de la cause. Cette opération était préméditée pour qu'Arafat puisse dire : "Regardez, on tire sur nos enfants, je ne peux pas arrêter ce soulèvement..."»
Harcèlement. Charles Enderlin, le correspondant de France 2 à Jérusalem, dont le cameraman a filmé la scène, récuse catégoriquement les affirmations de l'officiel israélien. «M. Seaman sait parfaitement que ce sont des élucubrations mensongères. Lui-même a pu visionner il y a un an tout le matériel vidéo existant sur le sujet avant de déclarer, devant témoins, qu'il n'avait aucune critique... Ses déclarations entrent dans le cadre de sa campagne de harcèlement de la presse étrangère.»
Il est vrai que Seaman n'y va pas de main morte. «J'accuse un certain nombre de journalistes étrangers d'être paresseux et de ne pas assez vérifier leurs sources et leurs traductions. Trop souvent, ils prennent les Palestiniens au pied de la lettre et ensuite les Israéliens doivent se défendre. Depuis deux ans, le droit d'Israël à exister est remis en question et le romantisme des journalistes étrangers qui ont pris fait et cause pour les Palestiniens y est pour beaucoup.» Des propos «irresponsables» selon l'association de la presse étrangère, dont les démêlés avec le responsable du GPO sont fréquents.
«Il y a deux ans, poursuit Seaman, on était hospitaliers avec les journalistes. Mais si quelqu'un utilise votre hospitalité pour vous sodomiser, resterez-vous sympathique ?» Sur ses conflits avec les correspondants étrangers en poste à Jérusalem, il n'est pas moins expéditif : «OK, il y a des journalistes qui ne m'aiment pas. Mais la plupart seront partis dans trois ans et moi je serai toujours là. Leurs successeurs seront plus prudents et Israël s'en portera bien mieux.»
                                           
7. Un espace plus réduit chaque jour par Kristen Ess
in The Electronic Intifada Diaries (e-magazine palestinien) du mardi 5 novembre 2002
[traduit de l'anglais par Eric Colonna]
Kristen Ess est une journaliste free-lance de New-York City. Elle se trouve en Cisjordanie et Gaza depuis mars 2002 où elle écrit entre autre pour le magazine américain LeftTurn <http://www.left-turn.org>, la radio américaine Free Speech Radio <http://www.fsrn.org> et l'e-magazine palestinien The Electronic Intifada Diaries <http://www.electronicintifada.net/v2/diaries.shtml>.
Rafah, Bande de Gaza - Dans la partie la plus au sud de la Bande de Gaza un palestinien est assis près de sa jeune fille et me raconte que l’armée israélienne ne l’a pas prévenu avant de détruire sa maison. Son voisin a frappé à sa porte, criant que les soldats arrivaient.
L’homme dit que la seule chose qu’il pouvait faire, était de rassembler ses enfants et de sortir de la maison. Il était 1h du matin. Il est resté dans la rue avec 75 autres nouveaux sans-abris jusqu’à 5 heures, ne savant pas où aller. Il dit que tous les biens de sa famille sont sous les décombres.ils sont partis sans rien.
Sa femme ne parvenait pas à arrêter les pleurs de sa fille quand des hélicoptères Apache ont envoyé des missiles derrière la maison où il vit maintenant. L’homme dit que ceci est destiné à effrayer les gens. Il m’a dit qu’ils sont aussi terrorisés par " l’avion sans pilote ". Ce sont des drones, qui , continuellement, décrivent des cercles autour des camps et des villes, bourdonnant tel des moustiques harcelant ton oreille ."Nous devenons fous ". Depuis que sa maison a été démolie, il habite pour quelques jours dans ce restaurant, mais ça tire ici si souvent que la famille ne pourrait pas rester. Pour l’instant, il dort dans la cuisine d’une maison d’amis avec sa femme. Les enfants dorment dans un ensemble de bureaux. Sa fille mouille son lit chaque nuit et le plus souvent ne peut pas dormir. C’est un comportement logique, actuellement chez la plupart des jeunes palestiniens, d’après les organisations de droits de l’homme palestiniennes à Rafah et Khan Yunis.
Les soldats israéliens continuent de tirer dans ce quartier de Rafah, le bloc O, pas loin de la porte de Salahadeen, toutes les nuits. Les maisons, encore debout, sont inhabitables. En une seule nuit, 75 d’entre elles ont été détruites, en une autre 6, et une autre 50. D’après la municipalité de Rafah , plus de 50 palestiniens ont été tués ici la semaine dernière.
Le responsable de l’eau à Rafah, m’a raconté, avec ironie, que le nom du quartier signifie paix et rajoute que ça devrait être remplacé par guerre. Une pile de ciment gris, autrefois la demeure d’une famille, se tient à coté de la rue. Une petite tente blanche lui fait face. C’est là que la famille vit maintenant sans mobilier, sans vêtements, sans photos familiales ; tout est quelque part, sous les gravats. Chaque jour, au moins 6 maisons sont détruites, excepté samedi, jour de congé pour les israéliens.
Dans le bloc O du quartier de Rafah, les soldats, démolissent des habitations et labourent la terre, à l’aide de bulldozers blindés, de tanks et de grues. Ils construisent un mur, 8 mètres de hauteur et 10 mètres d’épaisseur, entre Rafah Egypte et Rafah Palestine. En 1982, ce coin fut divisé en deux, conformément aux accords de Camp-David. Un petit groupe d’activistes internationaux est posté entre les tanks et deux palestiniens, afin qu’ils puissent déboucher les bouches d’égout. S’il pleut encore, la zone sera inondée.
Pour les habitants de Rafah, l’eau la plus pure provient d’un puits à Tela Sultan, un quartier dans la partie ouest de la ville, près des colonies israéliennes qui pompent la plupart de l’eau. La zone est dangereuse. Les soldats tirent sur les enfants qui jouent dans le sable. L’eau provenant de l’extérieur, est détournée par Israel pour sa propre agriculture dans le désert du Neguev. Le responsable municipal dit que la politique israélienne est la cause de la grave pénurie d’eau affectant la population de 130 000 âmes à Rafah. " Si ils n’avaient pas pris notre eau, il y en aurait assez pour nous ".
Les palestiniens ont obtenu l’autorisation d’Israel, de réparer quelques bâtiments de l’aéroport, détruit par l’armée israélienne l’année dernière. Autorisation qu’ils n’auront pas pour reconstruire la piste d’atterrissage.
Au checkpoint de Tufah entre le camp de Khan Yunis, où les résidents sont décrits comme des " gens n’ayant rien à perdre " et Mawasi, où je me suis dit que " la vie est morte ", 300 personnes ont attendu le quatrième jour pour passer à coté de soldats israéliens lourdement armés, certains d’entre eux postés dans une tour pendant que d’autres s’amusaient, courant et sautant en plein soleil. Ils n’ont évidemment pas peur des palestiniens portant de lourds sacs de riz et tirant de l’eau. Ceux, embusqués dans les tours à coté du checkpoint ont passé l’après-midi à tirer sur trois immeubles, déjà détruits. La zone fut calme seulement lorsque les soldats ont pris leur pose-déjeuner. J’ai été implorée par une petite fille de 10 ans avec des taches de rousseur, de m’accroupir pour éviter d’être visée.
Le matin, la pluie inonda la terre pendant que les palestiniens devaient attendre au checkpoint avant de rentrer chez eux. L’eau s’évapora, laissant poussière et chaleur intense, les gens attendaient encore. Près d’ici, se trouve la Méditerranée, encadrée par des palmiers. C’est inaccessible pour les palestiniens, même, si finalement, ils traversent le checkpoint. Pour aujourd’hui, 10 femmes en deux groupes de 5 ont été autorisées à passer. Des centaines d’autres personnes, fatiguées, dégoûtées, effrayées, ne sont pas, de nouveau, autorisées à rentrer chez eux, devant repartir et quitter la zone à cause des tirs des soldats israéliens en pleine nuit.
Des familles récoltent leurs olives dans les villages intérieurs de la Bande de Gaza. Tous les arbres proches des soldats et colonies israéliennes ont été arrachés.
Il y a foule, aujourd’hui, dans les rues poussiéreuses de Rafah, les enfants rentrent de l’école, des gens vont et viennent du travail. Entretenir les infrastructures est impossible, alors les rues ne peuvent être que crasseuses, il n’y a aucun endroit où poser les ordures, la plus grande partie de l’eau est imbuvable pour les palestiniens. Ils mènent leur vie, sans autre choix, à l’intérieur d’un espace plus réduit chaque jour, compressé par Israel jusqu’à ce qu’ils n’aient nulle part où aller.
                                                   
8. Accès de fièvre entre la Belgique et Israël par Serge Dumont
in Le Soir (quotidien belge) du lundi 4 novembre 2002
Les propos qu'aurait tenus l'ambassadeur belge à Tel-Aviv provoquent l'indignation du gouvernement israélien
Alors que l'ex-Premier ministre Binyamin Netanyahou a vient d'accepter le poste de ministre des Affaires étrangères dans le gouvernement Sharon, une nouvelle brouille diplomatique belgo-israélienne se profile. En cause, les propos qu'aurait tenu l'ambassadeur de Belgique à Tel-Aviv.
La tension monte de nouveau entre la Belgique et Israël. En cause, une interview accordée par l'ambassadeur de Belgique à Tel-Aviv à l'hebdomadaire « Kol Al Arab », la publication en arabe la plus importante de l'Etat hébreu. En effet, selon ce journal installé à Nazareth et généralement considéré comme sérieux, le diplomate aurait tenu des propos musclés à l'égard de la politique israélienne. Il aurait accusé le ministre des Infrastructures nationales Effie Eytam (le leader du Parti national-religieux représentant les colons) d'être un fasciste avant d'affirmer que les territoires palestiniens sont le plus grand d'internement au monde.
J'ai été touché par les souffrances que vivent les populations bouclées dans leurs villes et dans leurs villages, aurait-il ajouté en dénonçant le comportement des soldats israéliens effectuant des contrôles sur les routes de Cisjordanie.
En outre, M. Geens aurait affirmé qu'Ariel Sharon aurait évité de se rendre en Belgique au cours d'une visite effectuée en Europe l'année dernière parce qu'il aurait eu peur d'y être arrêté (dans le cadre de l'instruction de la plainte déposée par des survivants du massacre des camps de Sabra et de Chatilah, NDLR).
Répercuté dimanche par le « Maariv » (le deuxième journal israélien), le contenu de l'interview a aussitôt été repris dans les bulletins d'information de toutes les chaînes de radio et de télévision. Or, certains journalistes ont cru que ces déclarations avaient été faites par Louis Michel et ils l'ont dit sur antenne, ce qui a ajouté à la dramatisation de l'événement.
Faute de ministre des Affaires étrangères (Shimon Peres, démissionnaire, n'a pas encore été remplacé), c'est à Sharon que revient la tâche de gérer cette nouvelle crise belgo-israélienne. A l'occasion du conseil de cabinet du dimanche, l' « Affaire Geens », comme la surnomment déjà les journaux locaux, figurait d'ailleurs au deuxième point de l'ordre du jour et son examen a été rondement mené. Si Eytam s'est abstenu de toute déclaration, son collègue des Communications Ruby Rivlin s'est emporté contre le diplomate. Qui est ce « Môssieur » pour émettre des jugements publics sur notre politique ?, a-t-il demandé. Il faut le déclarer persona non grata!
Des propos approuvés par les autres poids lourds du Likoud (le parti de Sharon) tels la ministre de l'Education Limor Livnat et celui de la Sécurité intérieure Ouzi Landau mais également par ceux du Shas (orthodoxes) et du Parti national-religieux.
Par un hasard du calendrier, cette crise a éclaté au moment où une délégation de quatre cent cinquante membres de la communauté juive de Belgique effectuait un voyage de quelques jours dans l'Etat hébreu. Sollicité en direct par Kol Israël (la radio publique) au sujet des déclarations du diplomate belge, l'un des responsables du groupe a déclaré que la communauté juive a des problèmes avec le gouvernement belge et avec la presse (du pays, NDLR). Il a également dénoncé la forte remontée de l'antisémitisme qui caractériserait, selon lui, la société belge puis quelques mois. Enfin, il a mis ce phénomène sur le compte de l'influence grandissante dont disposeraient les cinq cent mille Belges de religion musulmane.
De son côté, Geens injoignable hier s'est abstenu de tout commentaire. Convoqué au ministère israélien des Affaires étrangères pour entendre les remontrances de Victor Harel (un ancien ambassadeur de l'Etat hébreu en Belgique chargé depuis lors de gérer les relations avec les pays européens), il a, semble-t-il expliqué que les déclarations incriminées avaient été faites « off the record » (c'est-à-dire non destinée à la publication) et qu'elles ont été mal comprises par un journaliste de « Kol Al Arab » aux connaissances rudimentaires de l'anglais. Ces explications n'ont, en tout cas, pas vraiment convaincu Guidon Saar, le secrétaire général du gouvernement israélien, qui a, à son tour, convoqué l'ambassadeur belge sur l'ordre de Sharon afin de lui montrer combien l'Etat hébreu prend cette affaire au sérieux.·
                                                   
9. Seclin - Après la décision du maire de demander à ses services de boycotter les produits israéliens... sur Internet, la polémique enfle... par Jean-Noël Defaut
in La Voix du Nord du dimanche 3 novembre 2002
[Ndlr du Point d'information Palestine - Située le Nord Pas-de-Calais, Seclin est une petite ville de 12 325 habitants qui s'étend sur 1 742 hectares. Son Maire, Jean-Claude Willem, vice-président de Lille Métropole Communauté Urbaine, journaliste en retraite, a décidé, le jeudi 3 octobre dernier, à l'occasion d'un conseil municipal, le boycott des produits israéliens, par les services de restauration municipaux. Dans un communiqué en date du 11 octobre 2002, Jean-Claude Willem déclare : "L’annonce du boycott des produits israéliens que j’ai faite lors de la dernière réunion du Conseil Municipal, relayée par la Presse locale, a suscité quelques réactions sur Internet. Y compris quelques réactions négatives, émanant de personnes qui se révèlent être des supporters inconditionnels d’Ariel Sharon, de sa politique et du génocide palestinien qu’il a entrepris. Je ne souhaite pas engager la polémique avec ces gens-là. Néanmoins, je tiens à réaffirmer que ma décision est avant tout une réaction contre les massacres et tueries quotidiennes commises contre les enfants, les femmes, les vieillards palestiniens ; elle traduit ma ferme opposition à la politique de destruction massive de maisons, d’équipements publics, y compris hôpitaux, commise par l’armée de l’Etat d’Israël ; elle exprime un soutien actif à ceux qui, nombreux en Israël, se battent pour la Paix au Moyen Orient, à ceux qui refusent de porter des armes dans les territoires occupés. Malgré les attentats perpétrés par les extrémistes palestiniens, contre lesquels Ariel Sharon se garde bien de réagir car ils sont l’alibi de sa politique sanglante, ce n’est pas Israël qui est menacé de disparitions, mais bien l’Autorité Palestinienne et le Peuple palestinien tout entier. C’est pourquoi mon soutien et ma solidarité vont aux victimes et non aux auteurs des massacres. Il y a une continuité dans cette logique de guerre menée par Sharon depuis les massacres de Sabra et Chatila au Liban, la provocation de l’Esplanade des Mosquées et les crimes de Jenine. C’est contre tout cela, pour le droit des Israéliens à vivre en Paix, chez eux, pour le droit des Palestiniens à vivre libres dans leur pays, indépendant, qu’avec la Municipalité de Seclin, nous agissons. Le refus d’aider économiquement le pouvoir militaire de Sharon dans ses pratiques de répression, d’invasion et d’occupation militaires, se traduit donc par cette décision de boycott, au même titre que l’exposition et le débat organisés à Seclin sur la Palestine."
Vous pouvez écrire au Maire de Seclin à l'adresse suivante : cabinet-maire@ville-seclin.fr ou Monsieur Le Maire de Seclin, Jean-Claude Willem - Hôtel de Ville - 89, rue Roger Bouvry - BP 169 - 59471 Seclin Cedex - Fax : +33 (0) 320 629 148]
Pour protester contre les événements en Palestine, lors du dernier conseil municipal, le maire, Jean-Claude Willem, avait demandé à ses services de boycotter les produits d'Israël. Une déclaration, relatée dans nos colonnes et réaffirmée à la télévision, qui a suscité un beau tollé !
Il y a d’abord eu une plainte auprès du procureur de la République pour discrimination, déposée notamment par MM. Bensoussan et Komar, ce dernier étant président de l’Association culturelle israélite de la circonscription du Nord.
La Voix du Nord a aussi reçu plusieurs courriers. L’un d’entre eux, très long, émane de Sammy Ghozlan qui se présente comme le président du Bureau de vigilance contre l’antisémitisme et la désinformation, basée en Ile de France. Lui estime que c’est au procureur lui-même d’engager les poursuites, « sans attendre qu’une plainte soit déposée par la communauté juive, celle-ci n’ayant pas vocation à devenir le gendarme du pays ».
Avalanche sur le site
Internet de la ville
Mais c’est sur le site officiel de la ville de Seclin que la polémique enfle, enfle... Vendredi, vers 16 h 45, par exemple, on ne dénombrait pas moins de 82 messages sur le sujet !
Certains de ces courriers soutiennent l’attitude du maire de Seclin. Ils étaient, au départ, assez nombreux et le plus souvent signés.
Mais, peu à peu, à mesure que la mobilisation s’étend dans certains milieux, semble-t-il, les messages nettement négatifs – et souvent anonymes – deviennent plus nombreux.
Dans cette dernière catégorie, le ton varie beaucoup. Certains vont de la simple réprobation ou se veulent didactiques. Du genre : « Boycottez les produits israéliens, c’est aussi appauvrir les populations impliquées dans ce sinistre conflit, (dont) les Palestiniens qui vivent du travail que leur fournissent les Israéliens. »
D’autres courriers sont nettement plus sévères. Parmi les plus « gentils » : « Ce que nous attendons d’un maire, c’est qu’il se préoccupe du bien-être de sa commune et de ses concitoyens, et pas qu’il se prenne pour un émissaire du Quai d’Orsay : ce n’est pas son rôle. »
On retiendra encore : « Imbécile boycott qui se gargarise d’accents humanistes, persuadé de venir en aide aux Palestiniens opprimés, ignorant les liens qui unissent – qu’on le veuille ou non – les économies israélienne et palestinienne. Les bonnes consciences n’ont cure de réalités complexes. Seuls comptent le clairon imbécile et le torse bombé, annonçant ostensiblement leur engagement dans un combat dont la finalité est aussi floue que les aubes de cette bonne ville de Seclin à l’approche de la Toussaint. » Ce texte-là est signé Jean-Pierre Chemla.
Certains interlocuteurs invitent le maire de Seclin à démissionner... D’autres sont hors sujet en parlant de « discrimination religieuse ».
Il y a aussi une série de messages nettement plus injurieux, et même menaçants ou carrément immondes.
Enfin, on trouve quelques textes au ton plus ironique, voire humoristiques. Ce ne sont pas les plus nombreux.
                                                       
10. Israël : les mystères de Nes Ziona par Patrice Claude
in Le Monde du lundi 28 octobre 2002

OFFICIELLEMENT, l'Institut israélien de recherches biologiques de Nes Ziona n'existe pas. Officiellement, pendant dix longues années, Avraham Marcus Klingberg, son directeur adjoint, n'existait pas non plus. Le scientifique de renommée internationale, auteur de savants ouvrages et conférencier courtisé, s'était volatilisé, un matin de janvier 1983. Il fallut attendre 1993 pour apprendre ce qui lui était arrivé. Arrêté pour espionnage au profit de l'ex-URSS, Marcus Klingberg fut jugé à huis clos, secrètement condamné à vingt ans d'enfermement et embastillé au pénitencier d'Ashkelon sous une fausse identité.     
Il fallut plusieurs appels de la presse israélienne auprès de la Cour suprême de l'Etat juif pour que le secret soit partiellement levé et que commence  l'"affaire Nes Ziona".
C'est une petite ville de banlieue, à 18 km au sud-est de Tel-Aviv. Lorsque Israël décide, quatre ans après sa fondation, en 1952, de se doter d'un centre de recherches sur les armes chimiques et biologiques, Nes Ziona n'est encore qu'un gros bourg de quatre mille habitants. Aujourd'hui, c'est un faubourg, avec trente mille résidents. En 1998, inquiet pour la santé de ses concitoyens, le maire s'est opposé à l'agrandissement du complexe. Sans succès. Le complexe est placé depuis toujours sous le contrôle direct du premier ministre.
Que fabrique-t-on derrière les hauts murs parsemés de projecteurs et de censeurs électroniques qui cernent l'endroit ? Mystère. "Au moins quarante-trois types d'armements non conventionnels, des virus aux toxines de champignons en passant par les bactéries et les poisons de synthèse", affirmait une enquête du Nouvel Observateur en janvier 1994. Signataire, en 1993, de la convention internationale bannissant les armes chimiques, Israël - qui se refuse également à adhérer au traité de non-prolifération nucléaire - ne l'a finalement jamais ratifiée. Le contraire l'obligerait à révéler tous ses programmes et à détruire les armes. Pas question. Les révélations en 1998 du quotidien israélien Maariv, selon lesquelles au moins quatre personnes ont été tuées et vingt-cinq blessées dans des accidents de manipulation à Nes Ziona, sont niées.
Il est pourtant une population qui n'ignore plus, elle, les dangers mortels que recèle Nes Ziona. C'est celle de Bijlmer, un faubourg d'Amsterdam. Au soir du 4 octobre 1992, un avion-cargo de la compagnie israélienne El Al s'écrase sur la ville. Bilan : au moins 42 morts et des centaines de blessés. Israël s'excuse, paie les dommages, jure que l'avion ne contenait que des magnétoscopes et des parfums. Mais plus de 800 survivants de Bijl-mer sont malades, certains perdent leurs cheveux, développent des cancers. Il faudra sept ans d'enquête et l'acharnement de la presse locale pour approcher la vérité.
Le vol El Al LY1862 transportait dix tonnes de produits chimiques divers, dont du diméthyl méthylphosphonate (DMPP), l'un des composants-clefs du gaz sarin. Fourni par une société américaine de Pennsylvanie (Solkatronic Chemicals Inc.), le produit était destiné au complexe de Nes Ziona...
                                                       
11. Un sondage indique que les Arabes désapprouvent la politique des Etats-Unis par Sarah El-Deeb
Dépêche de l'agence Associated Press du jeudi 31 octobre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Le Caire, Egypte (AP) – Un sondage d’opinion effectué dans l’ensemble du monde arabe – chose assez rare pour être signalée – a permis de constater que la plupart des Arabes n’aiment pas les Etats-Unis, mais pas pour les raisons que les responsables américains citent le plus souvent.
Ce sondage, conçu par l’Américain James Zogby, directeur de l’Arab American Institute, de Washington, a montré que la perception négative des américains, dans le monde arabe, est due à la politique des Etats-Unis – en particulier, vis-à-vis de l’Irak, et aussi ce que les Arabes perçoivent comme un parti pris pro-israélien des Etats-Unis – et non pas à une aversion pour la démocratie et les valeurs occidentales. 
Les Arabes voient favorablement certains autres pays occidentaux, et ils mentionnent parmi leurs propres aspirations des notions propres à l’Occident, comme la liberté personnelle et l’égalité des droits entre hommes et femmes, a indiqué M. Zogby, ajoutant que l’étude avait fait un sort à l’idée reçue d’une opinion arabe monolithique, que sous-entend l’expression souvent utilisée : ‘la rue arabe’. En revanche, le sondage montre des différences entre pays, entre catégories d’âge, de sexe, de niveau de formation – et le fait, pour le répondant, d’avoir accès ou non à Internet est perceptible dans ses réponses, a-t-il précisé.
« Ainsi, les Libanais pensent différemment, cela ne sera une surprise pour personne, des Saoudiens. Mais nous n’avions jamais disposé de données chiffrées permettant d’évaluer ces différences », a expliqué M. Zogby, lors de la présentation du rapport « Ce que pensent les Arabes », découlant du sondage, sponsorisé par la Fondation de la Pensée Arabe, basée à Beyrouth.
M. Zogby a expliqué que le sondage a été mené de façon à fournir un « banc d’essai », une sorte de photographie de l’opinion, car peu de sondages ont été réalisés, par le passé, dans le monde arabe. Au cours du sondage, 3 200 personnes ont été interrogées, au Liban, en Jordanie, au Koweït, en Arabie Saoudite, aux Emirats Arabes Unis, au Maroc et en Egypte. Les Arabes d’Israël furent ajoutés, par la suite, constituant un huitième échantillon.
Le sondage comportait 92 questions, comportant notamment les valeurs que les répondants aimeraient enseigner à leurs enfants, ce qu’ils aiment le plus dans leur pays et comment ils définissent leur identité.
Les questions ont été posées au cours d’interviews en face-à-face. La marge d’erreur des résultats, en plus ou en moins, est de 4,5 %.
Sur la question de l’opinion des Arabes sur les autres pays, seuls Israël, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne ont reçus des notes extrêmement négatives, dans un ensemble de treize pays au sujet desquels on leur demandait leur appréciation, dont des pays asiatiques et musulmans.
L’appréciation négative à l’égard des Etats-Unis fut la plus élevée en Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis, avec 87 % d’opinions défavorables. Le chiffre était de 76 % en Egypte et de 61 %, en Jordanie.
Le score le plus favorable aux Etats-Unis fut relevé au Koweït, pays qui a été libéré par l’armée américaine lors de la Guerre du Golfe (et où l’information et l’accès à Internet sont libres), pays où 41 % des sondés ont une vision positive de l’Amérique. A comparer avec les 12 % enregistrés en Arabie Saoudite. Reste que 48 % des Koweïtis interrogés avaient une opinion négative de l’Amérique…
Zogby dit que les opinions exprimées ne reflétaient pas un préjugé globalement anti-occidental, faisant observer que la France et le Canada figurent parmi les pays qui obtinrent les notes les plus élevées .Ainsi, les appréciations positives de la France, de l’ensemble des répondants, s’élevèrent au minimum à 50 % des répondants.
« C’est une question de politique », dit M. Zogby, faisant référence à la position prise récemment par les Etats-Unis au sujet de l’Irak et à ce que les Arabes considèrent depuis très longtemps comme un parti pris américain en faveur d’Israël.
Il a également fait remarquer que les Arabes partagent beaucoup de valeurs en commun avec l’Occident et que le problème des « droits civiques et individuels » remportaient le score le plus élevé lorsqu’on demandait aux répondants de citer leurs priorités personnelles. Entre 90 % et 96 % des répondants citèrent les droits personnels et civiques en première ou en seconde priorité, parmi dix domaines qui comportaient notamment la santé, les critères moraux et les conditions de vie personnelles.
Constatation intéressante, a dit M. Zogby : le problème palestinien a été cité par de nombreux répondants arabes parmi les principaux problèmes politique les affectant personnellement, dépassant dans certains cas les considérations sur la santé publique et l’économie.
« Pour les Arabes, dit M. Zogby, il ne s’agit pas d’un problème de politique extérieure. Pour eux, le problème palestinien définit d’une manière quasi existentielle leur sentiment d’identité. »
Il a ajouté qu’il espérait que cette étude sociologique aiderait les Américains à se débarrasser de certaines idées fausses au sujet des Arabes, qui ont commencé à s’imposer après les attentats du onze septembre.
« Ce que nous avons appris, grâce à ce sondage, c’est que les Arabes, comme tous les gens, partout dans le monde, sont préoccupés par des soucis quotidiens, dans la proximité… Les Arabes ne vont pas se coucher en réfléchissant à la politique. Non. Comme tout le monde, partout dans le monde, ils pensent à leurs enfants et à leur avenir », conclut M. Zogby.
                                                   
12. Visions apocalyptiques par Azmi Bishara
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 24 octobre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Alors qu’il n’y a aucune querelle entre les versions classiques du christianisme et de l’islam, aux Etats-Unis, la chrétienté au sens classique du terme est soumise aux assauts du protestantisme fondamentaliste d’extrême droite, dont le prédicateur télévisuel Jerry Falwell est l’un des représentants les plus hauts en couleurs, écrit Azmi Bishara dans cet article.
Conformément à leur habitude, les médias ont posé les mauvaises questions, au sujet de Jerry Falwell et de ses dernières réflexions racistes sur l’Islam et le Prophète Mahomet. Ce à quoi nous sommes confrontés, ce n’est pas à un dialogue, ni à un conflit entre le christianisme et l’islam, puisque ni l’une de ces religions n’est monocolore et puisque l’une et l’autre existent en de multiples versions. Les chrétiens de Jordanie ou de Syrie sont différents des chrétiens de Pologne ou d’Amérique du Sud, et tous ceux-là sont différents des protestants américains. L’Islam, lui aussi, varie entre ville et campagne, en fonction des classes sociales et de l’époque.
La version du christianisme que prône Jerry Falwell, en revanche, est spécifique et bien particulière. Elle est plus proche, en matière tant de ton que de fond, des versions extrémistes d’autres croyances que des églises chrétiennes reconnues. L’histoire de la variété falwellienne du christianisme remonte au XVIIème siècle, au cours duquel certaines sectes fondamentalistes protestantes sont apparues, aux Etats-Unis, où elles se sont développées, qui prêchaient un « retour » à la lettre sinon à l’esprit des saintes Ecritures…
Le Christ et les Apôtres n’ayant pas fixé de ligne de conduite détaillée à leurs disciples, les premiers chrétiens, cette tâche fut prise à bras le corps par Saint Paul, pour qui le Nouveau Testament est un message universel d’amour du prochain et de tolérance. La novation apportée par les sectes fondamentalistes protestantes américaines consista à mettre l’accent sur le code de comportement moral inscrit dans l’Ancien Testament (~ la Bible), en en extrayant un catéchisme détaillé du type « questions – réponses », « admis – réprouvé » « faites – ne faites pas ». Il en résulte leur insistance constante sur l’austérité d’une morale très stricte et la dénonciation du catholicisme romain, dont elles fustigeaient le clinquant d’une hiérarchie pléthorique et théâtralité des rites.
Ce protestantisme américain, généralement modéré dans la forme, à ses origines, donna naissance à de nombreuses sectes prônant des interprétations de plus en plus extrémistes du christianisme, vétérotestamentaires pour la plupart. Certaines de ces sectes étaient outrageusement antisémites, tandis que d’autres répandaient une forme de judéo-christianisme, partageant une vision commune, apocalyptique, du futur, dans lequel l’arrivée du Messie mettra un terme aux souffrances des croyants et instaurera un ordre céleste sur la Terre. Cette vision apocalyptique de l’Histoire a trouvé également des échos dans l’Islam, religion dont certains des courants fondamentalistes qui s’en réclament recherchent le salut en ce bas monde (dunyâ) et non dans l’au-delà (‘âkhirah).
Ce contexte historique est relativement connu, mais ce qui nous intéresse, aujourd’hui, c’est la façon dont les protestants fondamentalistes américains contemporains, dont le célèbre Jerry Falwell, ont su mobiliser la pop culture et les mass media dans leur prédication, ce qui représente une rupture spectaculaire d’avec les manières compassées du protestantisme consensuel. Falwell et ses collègues prédicateurs télévisuels traitent le christianisme comme un produit de consommation courante (ils le vendent comme ils le feraient de savonnettes), en le commercialisant à travers des mises en scène à grand spectacle et des émissions de variété télévisées d’une navrante débilité.
C’est en réalité une nouvelle forme du christianisme qui est apparue en Amérique, un christianisme qui exploite l’isolement des individus et qui a bénéficié de la désintégrations de la plupart des congrégations et obédiences chrétiennes plus classiques. Cette nouvelle forme de religiosité est l’équivalent spirituel des groupes de soutien mutuel (équivalent des ligues anti-alcooliques, du type « Croix Bleue » ou des clubs Weight Watcher d’amaigrissement, ndt), offrant une direction spirituelle en contrepartie d’un prix à payer, tant financier que politique.
Nous connaissons tous cette façon qu’ont les séries télévisées américaines (les sit-coms) d’accompagner le téléspectateur avec des rires enregistrés diffusés au bon moment, produisant un effet de réjouissance partagée, conviviale, même à l’autre extrémité du tube cathodique… Imaginez maintenant que vous transférez ce procédé à des prédications télévisées, et vous aurez une idée assez fidèle du batelage d’estrade du protestantisme fondamentaliste américain… C’est une sorte de charlatanisme émotionnel qui ferait pâlir d’envie le plus psychédélique des concerts de rock à destination des moins de dix-huit ans. Les prédicateurs américains en vedette, du standing d’un Jerry Falwell, sont récompensés par des revenus et un ascendant totalement démesurés.
Le télé-évangéliste Billy Graham fut le premier à porter les prédications télévisées au niveau d’une véritable démagogie populaire, dans les années 1950 ; il avait découvert que le feu et le soufre se vendent bien lorsqu’ils sont diffusés en direct, si l’on ne lésine pas sur l’émotivité démonstrative. 
Plus tard, les découvertes de Graham furent reprises par d’autres – pas seulement des chrétiens – aux Etats-Unis, et ailleurs dans le monde. Sa théâtralité caricaturale et son message ultra simpliste apportèrent beaucoup à la cause des  fondamentalistes de tout poil.
Pourrait-il y avoir aujourd’hui quelque chose de plus tentant, pour les prédicateurs fondamentalistes basés aux Etats-Unis, que d’attaquer les musulmans ? L’idée d’une lutte apocalyptique entre le Bien et le Mal est depuis toujours centrale pour la cause fondamentaliste, le monde étant perçu dans toutes les croyances de ce type dans les termes d’une lutte à mort qui trouvera son aboutissement avec la victoire des Justes. C’est encore mieux, si cette vision apocalyptique des choses peut être surchargée d’un message politique…
Les premiers colons européens aux Etats-Unis étaient friands de noms bibliques, car leur aventure était quelque part, au moins en partie, une quête de la terre promise et du royaume de Dieu sur la Terre. Ces premiers pionniers n’étaient pas particulièrement attirés par le judaïsme, certains d’entre eux étaient même des antisémites fervents. Toutefois, au vingtième siècle – en particulier qu cours des dernières décennies – Hollywood a réussi à faire de l’obsession américaine pour la Bible quelque chose qui ressemble comme deux gouttes d’eau au sionisme politique et au soutien à Israël…
Tandis que les églises chrétiennes (classiques) des Etats-Unis sont conscientes des dangers du fondamentalisme et des prédications populistes démagogiques, qu’elles respectent les traditions séculières du pays et qu’elles suivent une voie très largement apolitique, les fondamentalistes chrétiens d’extrême droite font un lobbysme constant auprès des membres du Congrès et de la Maison Blanche pour faire passer leur idéologie. Il est grand temps, pour les églises chrétiennes reconnues, aux Etats-Unis, de renverser la tendance, qui est à la prépondérance du fondamentalisme chrétien politisé, tel qu’en font la promotion les Graham Falwell et autres. Les Arabes, de leur côté, devraient prendre conscience des moyens domestiques grâce auxquels les chrétiens fondamentalistes américains s’efforcent d’exercer une influence sur la politique américaine vis-à-vis d’Israël.
Toutefois, le silence des Juifs libéraux sur les tentatives déterminées déployées par l’extrême droite de durcir le libéralisme en Amérique suscite l’étonnement. Ce silence est, aussi, très préoccupant. Le fondamentalisme chrétien d’extrême droite est une menace, non seulement pour les Américains d’origine arabe, mais aussi pour l’ensemble des mouvements démocratiques aux Etats-Unis. En restant cois, les Juifs libéraux permettent à la juiverie américaine de glisser, elle aussi, vers des positions de droite, en perdant le contact avec les autres groupes de défense des minorités en Amérique.
Que devraient faire les Arabes, afin de combattre le racisme propagé par Falwell et autres télévangélistes américains ? Ils devraient nouer des liens plus étroits avec les autres minorités, aux Etats-Unis. A cette fin, ils devraient déployer plus d’efforts afin de convaincre les autres minorités et aussi les églises chrétiennes reconnues, qu’ils sont tout aussi déterminés qu’elles le sont elles-mêmes à se battre pour la démocratie, la tolérance religieuse et la laïcité, face à la menace du fondamentaliste chrétien d’extrême-droite.
[Azmi Bishara est un homme politique palestinien éminent. Il est membre de la Knesset israélienne. Pour plus d'information, il existe un site d'information et de mobilisation en soutien au député palestinien-israélien Azmi Bishara, dont l'immunité parlementaire a été levée par les autorités israélienne suite à l'expression de son soutien à l'Intifada. Son procès a débuté le 27 février 2002 : http://www.comitebishara.org.]
                                                                                           
13. Je n’arrivais pas à croire que j’étais en train de faire des trucs pareils… par Jonathan Steele
in The Guardian (quotidien britannique) du mardi 22 octobre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

L’année dernière, Rami Kaplan était un commandant, loyal, dans l’armée israélienne. Aujourd’hui, il va devant un tribunal pour apporter la preuve que l’occupation des territoires palestiniens est illégale. Il explique ici à notre correspondant, Jonathan Steele, comment la destruction d’une orangeraie à laquelle il se trouvait obligé de participer l’a amené à abaisser sa mitraillette. The Guardian.
C’est à Gaza que le major Rami Kaplan, un « vétéran » (âgé de seulement vingt-neuf ans) de la prestigieuse Brigade Blindée de l’armée israélienne a commencé à prendre conscience de son ras-le-bol. Il ressentait de plus en plus de malaise face aux ordres reçus, et à sa dernière convocation pour sa période militaire annuelle de réserviste, il a dit : « lô ! » (Non, en hébreu, ndt). Aujourd’hui, après un mois passé dans une prison militaire, il passe à l’attaque. Avec sept autres refuseniks, il est le porteur d’une pétition sans précédent, qui sera remise à la Cour Suprême d’Israël. Leur plaidoirie ne consiste pas à dire qu’ils ont le droit d’être objecteurs de conscience. Ils vont plus loin. Ils affirment que l’occupation par Israël des Territoires palestiniens (Cisjordanie et bande de Gaza) est illégale et qu’en tant que soldats, il est de leur devoir de ne pas se rendre complice d’une entreprise illégale.
C’est là une nouvelle avancée dans l’histoire des refuseniks, qui commencèrent à être connus, dans l’opinion publique, au début de cette année, lorsque deux cents officiers de réserve signèrent une lettre ouverte expliquant leur mouvement de protestation. Aujourd’hui, le nombre des signataires approche les cinq cents (491, précisément).
Michael Sfard, l’un des avocats des refuseniks, reconnaît que leur pétition comporte une large mesure de ‘chutzpah’ (culot, provocation). En effet, la Cour Suprême a déjà rendu plusieurs jugements sur la légalité de différentes pratiques de l’armée israélienne, allant de la démolition de maisons (de familles de kamikazes) jusqu’à la déportation de personnes suspectées de menées terroristes. Mais le fait d’utiliser les tribunaux afin de commencer à attaquer la base de l’occupation israélienne de la Cisjordanie et de Gaza, qui se poursuit depuis trente cinq ans, voilà qui est tout à fait sans précédent. Deux choses ont changé, explique Sfard.
D’une part, la réaction militaire d’Israël à l’intifada palestinienne, au cours des deux années écoulées, a occasionné d’innombrables violations des droits de l’homme. Globalement, cette répression est devenue un « mécanisme systématique de punitions collectives ». En droit international, les représailles collectives contre la population de territoires militairement occupés sont délictueuses.
D’autre part, en tant que puissance d’occupation, Israël a certains droits, mais certains devoirs lui incombent, aussi. La pétition argue du fait qu’il est désormais très clair qu’Israël a failli à ses devoirs de protection de la population palestinienne d’une manière tellement grave et générale que c’est l’ensemble de l’occupation elle-même qui a été de ce fait rendue illégale (de ce point de vue, qui n’est pas le seul. Ndt)
Rien ne prédestinait Kaplan à devenir un adepte de la cause refusenik. Au début, il aimait la vie militaire, à tel point qu’il avait rempilé pour trois ans, comme officier professionnel, après ses trois années de service militaire obligatoire, et il avait eu de l’avancement, devenant commandant d’une compagnie de blindés, grade dans lequel il commandait une centaine d’hommes.
Son premier service au front fut au Liban, où il a été chargé, pendant une courte période, d’une base installée dans le château médiéval de Beaufort (remontant aux Croisades). « Jusqu’en 1997, un large consensus existait en Israël sur la nécessité de notre présence au Liban, jugée indispensable à la protection des régions nord d’Israël. J’étais jeune, et je n’avais pas les connaissances qui m’auraient permis de porter un jugement sur ce qui se passait autour de moi. Nos contacts avec la population libanaise étaient réduits au strict minimum », dit Rami Kaplan.
Une courte affectation en Cisjordanie, durant la première Intifada, au début des années 1990, l’amena à commencer à douter. Il trouvait que l’on demandait à l’armée de jouer un rôle policier. « J’ai eu horreur de ça, dès le début. On opérait dans des villes, et c’est nous qui y faisions régner l’ordre et qui dirigions tout. J’avais horreur de pourchasser des gamins qui jetaient des pierres. Une fois, on a envoyé des dizaines de troufions pour aller arrêter un gosse de dix ans, dont le nom était inscrit dans je ne sais quelle foutue liste », dit Kaplan.
Lorsqu’il quitta l’armée pour rentrer à l’université et se préparer à la carrière d’enseignant, ce n’était pas par esprit d’objection, explique-t-il. Il allait faire ses périodes de réserviste (un mois chaque année), très ‘relax’. Pour lui, retrouver ses potes de son unité, qui quittaient comme lui provisoirement leurs divers emplois civils pour un mois de réserve, c’était un peu comme s’il était en congés, en compagnie d’amis, quelque part.
Mais les choses changèrent, pour lui, en avril 2001. La seconde intifada faisait rage, et le bataillon de chars de Kaplan, dont il était le commandant en second, était cantonné à la limite de la bande de Gaza. Une de ses missions consistait à surveiller la barrière qui sépare Gaza d’Israël. Une autre était de protéger la route d’accès (réservée) à Netzarim, un complexe de colonies lourdement fortifié, avec miradors de tir et grillages infranchissables, au centre de la bande de Gaza. « Garder les colonies est devenu l’un des principaux boulots de l’armée. Nous étions plus de soldats, à garder Netzarim, qu’il n’y avait de colons, à l’intérieur », m’explique-t-il.
Kaplan n’a assisté à aucune atrocité, mais ce qu’il a vu a suffi à susciter son trouble. Il en vint à la conclusion qu’Israël menait une entreprise coloniale, dans laquelle les Palestiniens n’avaient pratiquement aucun droit. L’une des taches régulières de l’armée israélienne consistait à couper les arbres fruitiers, les vignes et les palmiers des agriculteurs palestiniens. Il y avait, à cela, une explication tactique. Il ne s’ «agissait pas de punir les Palestiniens », nous disait-on, mais de « rendre plus difficile les infiltrations ».
Parfois, les Palestiniens lançaient des charges explosives ou des roquettes, mais la plupart des gens qui tentaient de s’infiltrer étaient des civils qui voulaient aller travailler en Israël. J’ai refusé de procéder aux missions de destruction de vergers, et mon commandant accepta mon retrait. Une fois, j’ai dû le remplacer, et je le regrette beaucoup. C’était atroce, de voir nos tanks et nos bulldozers ravager les vergers. Moi, il fallait que je surveille les opérations, assis au sommet d’une colline avoisinante. Et il fallait que j’observe tout ça avec des jumelles militaires très puissantes… », m’explique-t-il.
« On voyait des Palestiniens, sortant de petites maisons misérables. Un soldat gueulait : « Y z’ont des flingues ! ». Mais, moi, avec mes jumelles hyper perfectionnées, je voyais qu’ils n’avaient que leur baluchon sur l’épaule. On voyait très nettement que ce n’était pas une courroie de fusil, ce qu’ils tenaient à la main. Ils voulaient aller cueillir autant d’oranges qu’ils le pourraient, avant que leurs orangers soient abattus. Cette scène m’a dévasté. Je ne pouvais pas parvenir à croire que j’étais en train de jouer à ce sale jeu-là. Du côté israélien de la barrière, personne n’aurait eu l’idée de couper un quelconque arbre. Si nous avions dû le faire, nous aurions dû verser des indemnités. Mais l’idée d’indemniser les Palestiniens, vous imaginez bien, n’est encore venue à personne… »
Kaplan trouvait horrifiant que deux officiers subalternes, après un débat oiseux, puissent prendre, l’esprit dégagé la décision de couper les arbres des vergers sur une profondeur de 200 mètres (seulement !) ou de 500 mètres (c’est mieux !) (et de chaque côté, lorsqu’il s’agit d’une route, ndt !). Or cela se produisait souvent, « de manière totalement arbitraire », dit-il.
Il a remarqué aussi que des officiers s’ingéniaient à détourner les règlements militaires au maximum. « Les instructions du chef d’état major vous interdisent de tuer qui que ce soit, sauf dans des circonstances extrêmes. Mais j’avait l’impression qu’au niveau des régiments, les officiers se donnaient une importante marge de sécurité. Ils plaçaient très bas la barre déclenchant les ripostes, afin de protéger leurs hommes. Cela leur permettait de remplir leur mission, avec une certaine aisance. L’esprit de commandement devenait de plus en plus relatif », explique-t-il.
Kaplan a perdu la foi en la justice de la cause. « Si vous êtes commandant, vous devez y croire à fond et il faut que vous ayez un certain charisme aux yeux de ceux que vous commandez. J’avais perdu le sentiment d’avoir la frite. J’étais vidé – je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Je ne pouvais plus me lever le matin ni faire ce qu’on m’ordonnait de faire. Toute la mission semblait stupidité, perte de temps et d’argent », explique-t-il. Son commandant n’avait pas le moral non plus. Mais, comme beaucoup d’autres officiers supérieurs, explique Kaplan, il espérait que le gouvernement trouverait un moyen d’arrêter l’Intifada et retirerait l’armée (des Territoires). Mais en attendant (ils attendent sans doute encore… ndt), il fallait bien qu’ils fassent leur boulot. « Je lui ai demandé : « Que se passera-t-il, si nous devons un jour couper les arbres des vergers sur une profondeur de 5 kilomètres et non plus de 500 mètres, sous prétexte que les Palestiniens commencent à détenir des roquettes à un peu plus longue portée ? » »
De retour à l’université, à la fin de sa dernière période de réserviste, Kaplan décida d’écrire afin de partager les expériences douloureuses qui pesaient sur sa poitrine. Par prudence, il plaça son récit dans un cadre fictionnel. « Aller contre le système, c’était très difficile. Je ne pensais pas encore à l’objection de conscience. Je ne voulais pas laisser tomber mes camarades, officiers et simples soldats », se souvient-t-il.
Son récit, paru dans un quotidien israélien, causa quelques remous, et on l’invita à faire des conférences sur les campus. Puis il y eu la décision prise, cette année, par un groupe d’officiers, de refuser d’aller servir en Cisjordanie et dans la bande de Gaza. Ces officiers lancèrent une pétition. Il fallu dix jours d’hésitation à Kaplan avant de se résoudre à la signer.
Franchir le pas, toutefois, signifiait pour lui qu’il s’engageait dans l’action politique. Israël, à l’instar de la plupart des autres sociétés occidentale, est affecté, depuis quelques décennies, par la culture libérale de la « fin des idéologies » et la culture d’individualisme et de consumérisme qui vont avec, m’explique Kaplan. Mais en Israël, il y a un facteur supplémentaire. Sous le poids des attentats suicides, estime-t-il, la société israélienne a tendance à devenir de plus en plus passive et renfermée. Les gens se replient sur eux-mêmes sur le cocon familial, et pratiquement, beaucoup n’écoutent plus la radio ni ne regardent la téloche.
 « En un sens, les colons et les refuseniks ont bien des points communs. Nos options politiques sont opposées, mais nous sommes les deux seuls groupes, dans la société israélienne, à vouloir agir au nom de quelque chose qui dépasse, quelque part, nos petites personnes », me dit-il. Boostée par la dynamique du mouvement des refuseniks, la prise de position de Kaplan sur l’occupation est aujourd’hui beaucoup plus radicale. « Les gens demandent pourquoi je ne suis pas en train de défendre Israël contre les kamikazes qui commettent les attentats suicides. Mais si j’étais troufion dans les territoires, je ne serais pas en train de protéger les gens, ici à Tel Aviv. Au contraire. C’est le rôle joué par l’armée dans les territoires qui est la cause des attentats à Tel Aviv. En faisant le soldat, je mettrais ma famille en danger, ici », affirme-t-il. « Il faut être complètement aveugle pour penser que des gens soumis à l’oppression ne vont jamais se révolter. Les attentats suicides sont un phénomène nouveau. Il a fallu trente ans, pour que cela arrive. Trente ans… vous vous rendez compte ? Cela vous dit à quel point la situation dans les territoires est catastrophique », conclut Kaplan.
Il se dit encore sioniste et il est fier de la tolérance de la société israélienne. Dans d’autres armées, les réfractaires ne sont pas aussi bien traités (qu’en Israël), dit-il. « Quand j’ai décidé d’objecter, personne, dans ma famille, parmi les voisins ou mes amis ne me l’a reproché. Leurs réactions allèrent du respect de ma position à un soutien affiché. Un officier de mon bataillon, lui-même colon, m’a dit : « Je respecte ta décision, mais ne cesse pas d’aimer les juifs et la nation d’Israël. » Cela m’a surpris, mais heureusement surpris », me dit Kaplan, qui affirme que le mouvement des refuseniks continue à rencontrer chez les Israéliens un soutien bien plus étendu, fût-il silencieux, que ce que les médias laissent paraître. L’armée a admis qu’un tiers, seulement, des réservistes ont rejoint leurs unités, l’an dernier, bien que la majorité d’entre eux aient trouvé des excuses médicales ou autres, au fait qu’ils aient brillé par leur absence. La situation économique continuant à s’aggraver en Israël, Kaplan pense que de plus en plus de gens vont commencer à critiquer l’occupation.
Aujourd’hui, la Cour Suprême va procéder à sa première audition dans le cadre du procès intenté par les refuseniks. Le gouvernement prend l’affaire très au sérieux et prépare une contre plaidoirie très fouillée. Même si la Cour déboute les plaignants – toute autre décision de sa part équivaudrait à un véritable tremblement de terre judiciaire – Kaplan et ses collègues sont confiants : ils sont persuadés qu’en critiquant la légalité même de l’occupation, ils contribueront à en rapprocher la fin.
[Rami Kaplan a donneré une série de conférences en Angleterre, au Red Rose Comedy Club de Londres et à la Synagogue Libérale de St John’s Wood. Pour plus d’information, contact e-mail :
aviel-luz@yahoo.com.]
                                                               
14. La malhonnêteté du soi-disant "dossier" par Robert Fisk
in The Independent  (quotidien britannique) du mercredi 25 septembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Nous avons beau retourner ces pages de casuistique persillée de "probablement", de "si" et de "peut-être" dans tous les sens, nous ne trouvons toujours aucune justification de faire la guerre.
Le "dossier" de Tony Blair sur l’Irak est un document tout simplement choquant. Le lire ne peut qu’emplir de honte et de colère tout être humain digne de ce nom. Ses pages apportent une preuve irréfutable – si ce qu’elles contiennent est vrai, ce qui reste à démontrer – qu’un crime de grande ampleur contre l’humanité a été commis en Irak. En effet, si les détails concernant la construction par Saddam d’armes de destruction massive sont exacts – et j’en viendrai, tout à l’heure, aux "si", aux "mais" et aux "peut-être" – cela signifie tout simplement que notre politique massive, brutale et étouffante de sanctions imposées par l’ONU à ce pays a totalement échoué. En d’autres termes, un demi-million d’enfants irakiens sont morts. Tués, par nous. Pour des prunes !
Remontons en pensée jusqu’au 12 mai 1996. Madeleine Albright, Secrétaire d’Etat américaine, nous avait dit que les sanctions fonctionnaient et empêchaient Saddam de reconstruire des armes de destruction massive. Notre gouvernement acquiesça, bien entendu, et Tony Blair resta fidèlement dans la ligne. Mais, le 12 mai, Mme Albright fit son apparition sur la chaîne télévisée CBS. Leslie Stahl, l’interviewer, lui demanda : "Nous avons entendu dire qu’un demi million d’enfants étaient morts (en Irak). Je veux dire… c’est beaucoup plus que le nombre de victimes à Hiroshima. Et, comment dire… est-ce que ce prix très élevé en vaut la chandelle ?". A la stupéfaction du monde entier, Mme Albright répondit : "Je pense qu’il s’agit là d’un choix très difficile, mais quant au prix… oui, nous pensons que c’est le prix à payer."
Désormais, nous savons – si M. Blair nous dit la vérité – que le prix payé l’a été pour rien. Le prix a été payé en centaines de milliers de vies d’enfants innocents. Mais ce prix incalculable ne valait pas tripette. Le "dossier" Blair nous dit qu’en dépit des sanctions Saddam a pu continuer à fabriquer des armes de destruction massive. Tout le délire à propos de l’usage ‘dual’ de la technologie, l’embargo sur les crayons pour les écoliers – parce que le plomb et le graphite contenus dans leurs mines étaient susceptibles de trouver une utilisation militaire ! – ainsi que notre refus d’autoriser l’Irak à importer des équipements destinés à réparer les usines de traitement de l’eau détruites par les bombardements durant la guerre du Golfe ; tout ça, c’était du bidon.
Cette conclusion – terrible – est la seule conclusion morale que l’on puisse tirer des seize pages censées détailler les horreurs chimiques, biologiques et nucléaires que la Bête de Bagdad est supposée conserver, derrière les fagots, à notre intention. Difficile de décider, après avoir lu l’intégralité du fameux rapport, si l’on doit rire, ou bien pleurer. Le degré de tromperie et de duplicité atteint dans sa rédaction en dit long sur les marlous qui "conseillent" le gouvernement de Blair et sur son absence de considération pour les parlementaires.
Oh, certes, il y a des petits trucs, de-ci, de-là, qui sonnent vrai. La nouvelle usine de perchlorate d’ammonium fournie par une société indienne – laquelle a violé les magnifiques sanctions de l’ONU, bien sûr – est un petit détail qui fait froid dans le dos. Il en va de même du nouveau banc d’essais pour missiles sur le site d’al-Rafah. Mais ces éléments sont tellement perdus au milieu de tant de tromperie et de coquinerie que leur intrusion finit par en perdre tout impact et toute efficacité démonstrative.
Voici un exemple, entre mille, de la malhonnêteté de ce "dossier". A la page 45, on nous dit – dans un long chapitre consacré aux violations des droits de l’homme par Saddam – que, "le 1er mars 1991, à la suite de la Guerre du Golfe, des échauffourées (sic) ont éclaté dans la ville de Bassorah, au sud du pays, lesquelles s’étendirent rapidement à d’autres villes du sud irakien, peuples majoritairement de chiites. Le régime répliqua en faisant des milliers de victimes". Le mensonge, dans ce paragraphe, est contenu dans le mot "échauffourées". Il ne s’agissait en rien d’échauffourées, ni même d’émeutes locales, mais bien d’une rébellion massive à laquelle avait appelé le père du président Bush junior par l’intermédiaire d’une radio de la CIA basée en Arabie Saoudite. Les chiites irakiens répondirent à l’appel à l’émeute lancé par M. Bush senior. A la suite de quoi, il furent abandonnés à leur triste sort par les Américains et les Britanniques, dont on leur avait donné toutes les raisons de croire qu’ils viendraient les aider. Ils moururent, par dizaines de milliers : cela n’a rien d’étonnant. Mais ce n’est pas du tout ce que le "dossier" Blair nous dit.
Et quiconque lit les mots ambigus qui parsèment ce texte ne peut qu’en retirer une profonde préoccupation au sujet des fondements de la décision britannique de partir en guerre. Le programme d’armements irakien cherche "avec une quasi certitude" à enrichir de l’uranium. Il "semble" que l’Irak serait en train de tenter d’acquérir une ligne de production magnétique. Des preuves existent que l’Irak a essayé d’acquérir des tubes en aluminium à usage spécifique dans l’enrichissement de l’uranium, mais "il n’existe aucune preuve absolue" que ces tubes soient destinés à être utilisés dans un programme nucléaire. "Si" l’Irak a pu acquérir des matières fissiles, il pourrait produire des armes nucléaires d’ici un à deux ans. Il est "difficile de juger" si les missiles Al-Hussein sont en état de fonctionnement opérationnel. Des efforts en vue de la reprise du programme irakien de construction de missiles ont "probablement" commencé en 1995. Et le "dossier" de continuer ainsi, dans la même veine…
Maintenant, peut-être bien que Saddam a effectivement repris son programme d’armes de destruction massive. Répétons tous, à haute et intelligible voix, vingt fois : Saddam est un tyran brutal et rusé. Mais tous ces "presque certainement", "il semble que", "probablement" et "si" peuvent-ils sérieusement représenter le cri de ralliement avant l’envoi de nos grenadier dans les déserts de Kut-al-Amara ?
Les inspecteurs en désarmement de l’ONU sont dignes de notre haute estime. Il y a pourtant encore plus de tricherie dans le chapitre les concernant. Le rapport cite le Dr. Hans Blix, secrétaire exécutif de la commission des inspections de l’ONU, qui aurait dit qu’en l’absence d’inspections (depuis 1998), il est impossible de vérifier que  l’Irak respecte bien ses obligations de désarmer. Mais, le 18 août de cette année, le même Dr. Blix déclarait à l’agence Associated Press qu’il ne pouvait affirmer avec certitude que Baghdad possédât des armes de destruction massive. Nulle trace de cette déclaration, bien entendu, dans le "dossier" de Blair.
Donc, c’est tout simple. Si ces pages de "probablement" et de "si" ne servent qu’à nous tromper, nous n’avons rien à faire en Irak – surtout pas la guerre. Si, en revanche, toutes les hypothèses avancées dans ce rapport son vraies, nous aurons assassiné un demi million d’enfants irakiens en vain. Et ça, pour un crime de guerre, c’en est un. Absolument gigantesque.
                       
15. "L’Amérique veut nous faire la guerre, à tous" - "Changement de régime" semble être la nouvelle appellation pour un vieil ennemi, archi-connu : la colonisation par David Hirst
in The Guardian (quotidien britannique) du vendredi 6 septembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Détruire le président Saddam, comme détruire les Taliban, est une chose, bien que pas aussi simple qu’il n’y paraît. Maîtriser ce qui pourrait se passer après en est une autre. Pour la plupart des Arabes, les conditions générales, qui sont largement dictées par un Washington aligné sur Israël à un point encore jamais vu, sont telles que si les Etats-Unis s’embarquent dans l’aventure, leur échec est quasi assuré, ouvrant ainsi la voie au succès de Ben Laden.
[David Hirst depuis le Caire] - Le meilleur endroit d’où prendre le pouls des sentiments des Arabes et des musulmans est sans conteste Le Caire, foyer des deux grands mouvements qui ont balayé la région au cours des dernières décennies : le nationalisme laïque pan-arabe, dont le héraut était le président Nasser, et l’ « islam politique », né des décombres du nassérisme après que celui-ci ait échoué politiquement et décliné dans les esprits.
Aujourd’hui, depuis les « boîtes à idées » (thinktanks) climatisés des rives du Nil jusqu’aux ruelles tortueuses de la décrépite mais néanmoins magnifique cité médiévale d’Al-Qâhirah (la Victorieuse… ndt), la préoccupation pour les deux problèmes les plus décisifs pour le futur – le conflit israélo-palestinien et les projets américains d’une probable guerre contre l’Irak – est omniprésente, quasi palpable…
« Ben Laden a peut-être perdu beaucoup de son charisme », me dit Dia Rashwan, spécialiste ès islamisme radical, « mais cela ne signifie en aucun cas que la haine envers les Etats-Unis soit le moins du monde apaisée. Elle est plus forte que jamais, et beaucoup plus aujourd’hui du point de vue arabe que musulman. »
Dans un atelier de la Cité des Morts, Muhammad Ahmad  continue son travail artisanal de souffleur de verre, repris de génération en génération, par une journée où, même bien à l’écart de la fournaise de son four, la température ambiante est d’environ quarante-cinq degrés Celsius… « Qu’est-ce qui vous fait dire que c’est Ben Laden qui a fait le coup ? » proteste-t-il, reprenant un soupçon largement répandu dans les couches populaires. « Bush utilise juste les attentats comme un prétexte pour nous avoir. » Il ajoute : « le futur est sombre… »
En effet, il est bien plus sombre, pour la plupart des Arabes, qu’il n’y paraissait au lendemain des atrocités apocalyptiques de New York et Washington car, un an après, les conséquences des événements leur semblent beaucoup plus claires. La crise est monumentale, et double : elle est à la fois extérieure et intérieure. Ayant longtemps mûri à bas bruit, les deux versants de la crise sont inextricablement imbriqués l’un à l’autre. Oussama bin Laden les a poussés, tous deux, au paroxysme.
Aux yeux des Arabes, la « guerre contre le terrorisme » lancée par les Etats-Unis en représailles au 11 septembre est en train de retomber en intensité, mais en se focalisant contre eux. En effet, dans l’univers manichéen de Bush (le Bien contre le Mal …) ce sont essentiellement eux, les Arabes, avec l’Iran mis dans le même panier (comme si l’Iran était un pays arabe… ndt), qui sont les Mauvais. Dans la conflagration à venir, les Arabes risquent de voir tous leurs idéaux et aspirations prendre des coups : l’indépendance, la dignité, l’unité et la fondation collective de la grande « nation » arabe, cette nation unifiée que le panarabisme de Nasser incarnait de manière tellement triomphante, bien que déficiente, après des siècles de conquêtes et de contrôle étranger.
Sur le plan interne, ils sont mal équipés pour faire face aux défis extérieurs, affligés qu’ils sont par toutes sortes de handicaps sociaux, économiques, culturels et institutionnels. Ce sont là, disent les Etats-Unis, les conditions mêmes qui produisent le ben ladénisme. Peu d’analystes arabes les contrediraient sur ce point, ou douteraient du besoin désespéré qu’ont leur sociétés de réformes de fond en comble, ouvrant sur la démocratie, les droits de l’homme, la responsabilité des dirigeants devant le peuple. Il n’en existe pas de meilleur indice que le rapport de l’ONU sur le développement humain dans la région arabe, publié récemment. Ce rapport décrit une région qui est restée en arrière de toutes les autres, y compris l’Afrique sud-saharienne, en regard de la plupart des indices de progrès et de développement ; dont les 280 millions d’habitants, en dépit de vastes réserves pétrolières, ont un PIB inférieur à celui de l’Espagne ; dont le nombre d’ouvrages étrangers traduits vers l’arabe est de un cinquième du nombre des ouvrages traduits en grec moderne…
La première cause de ce retard, écrivent les auteurs de ce rapport, tient au fait que les peuples de cette région du monde sont les moins libres du monde et ont les niveaux les plus bas au monde de participation démocratique à la gestion des gouvernements. « Ceux qui s’étonnent des raisons pour lesquelles l’Afghanistan était devenu un mirage (rendez vous compte : l’Afghanistan !) pour certains jeunes hommes arabes et musulmans », écrit l’éditorialiste jordanien Yasser Abu-Hilala, « n’ont qu’à lire ce rapport de l’ONU. Ils y verront expliqué le phénomène d’aliénation, dans nos sociétés arabes, et comprendront comment ceux qui ont le sentiment de n’avoir aucune chance dans leur vie personnelle peuvent s’orienter vers la violence. »
Mais la plupart des régimes arabes ont ignoré royalement (et « présidentiellement ») cet impitoyable verdict, hélas véridique. « Le fait est… », dit Nader Fergany, le principal contributeur au rapport, un Egyptien, «… que ceux des gouvernements qui étaient déjà répressifs le sont devenus encore plus, durant l’année dernière. Ils n’ont rien retenu des leçons du 11 septembre – mais les Etats-Unis non plus… »
Dans quelle mesure les étrangers, mais aussi les Arabes eux-mêmes, sont-ils responsables de leur condition ? Ben Laden a contribué, dans une grande mesure, à pousser au paroxysme ce débat, éternel chez les Arabes… Les péchés de l’Occident semblent avoir commencé avec le dépeçage de la région arabe par les puissances européennes après la Première guerre mondiale et la création d’Israël ; ces trahisons et ces humiliations ont continué avec le soutien et la manipulation par les Américains de régimes répressifs, corrompus et réactionnaires, utilisés comme des bull-terriers contre le communisme ou de complices dans la quête d’un règlement impossible – car foncièrement injuste – du conflit palestinien.
« Pour nous », me dit Muhammad Said, éditorialiste du grand quotidien égyptien Al-Ahram, « l’Occident a toujours fait prévaloir le contrôle sur la démocratie. Aujourd’hui, le problème découle à 90% du conflit israélo-arabe, qui nous remet en mémoire de manière obsédante notre passé de colonisés. »
Jamais auparavant, aux yeux des Arabes, les Etats-Unis ne se sont comportés d’une manière aussi outrecuidante dans leur soutien à leur protégé israélien et, cela, pour des raisons domestiques – la triple alliance du lobby juif, des idéologues néo-conservateurs et de la droite chrétienne fondamentaliste – qui ne se soucie aucunement (ou si peu) des droits ou des torts portés sur le terrain.
Pour Makram Muhammad Ahmad, éditeur du quotidien Al-Musawwar (= L’Illustré, ndt) et confident du président égyptien Mubarak, il s’agit là, chez les Américains, d’une maladie susceptible d’être au moins aussi catastrophique que celle qui affecte les Arabes eux-mêmes. « C’est terrible de voir un homme aussi frustre et ignorant que Bush puisse être utilisé d’une telle manière – on attendrait cela d’un pays du tiers-monde, mais pas de la superpuissance unique mondiale ! »
Immédiatement après le 11 septembre, disent les Arabes, les Etats-Unis semblaient effectivement – avec leur évocation d’un Etat palestinien – avoir appris quelque chose ; ils commençaient à se distancer quelque peu des politiques catastrophiques accumulées dont Ben Laden semblait le fruit ultime et vénéneux.
« La Palestine n’est pas cruciale en tant que telle », me dit Muhammad Sid-Ahmad, un autre commentateur d’Al-Ahram, « elle est symbolique des intentions des Etats-Unis partout ailleurs dans le monde. A travers le cas palestinien, vous pouvez constater, de nos jours, que les Etats-Unis n’ont tout simplement rien à cirer des causes fondamentales des problèmes, où que ce soit dans le monde. Ils ont repris mot pour mot la définition israélienne du « terrorisme », et cela oriente leur politique dans la région arabe toute entière. »
Ces politiques américaines sont aujourd’hui si détestées qu’elles finissent par représenter un danger potentiel     pour les intérêts américains, à un niveau sans précédent dans l’Histoire. Pour pouvoir conserver leur domination sur le Moyen-Orient, les Américains doivent y investir des sommes colossales, proportionnées à la menace. Ils ne peuvent plus désormais s’en remettre à leurs succursales amies, telles l’Arabie Saoudite, la Jordanie et l’Egypte, car ces pays eux-mêmes seront instantanément minés par leur connivence avec eux, ni non plus au simple « confinement » (containment, eng., ndt) de leurs ennemis, tel, notamment, Saddam Hussaïn.
Ainsi, le monde arabe, me dit Said, risque désormais d’être « soumis au colonialisme direct ou indirect ». Et c’est « l’arriération même de l’ordre régnant arabe qui rend la poursuite de tels desseins impériaux (occidentaux) possible ». En effet, les sociétés arabes passent pour être « incapables de se moderniser d’elles-mêmes, ouvrant de ce fait un boulevard devant la colonisation. »
L’idée qui est aujourd’hui dans l’air, dit Said, est de « terminer » la question palestinienne par la guerre, au détriment des Arabes en tant que groupe national. Après le renversement du président Saddam, les Etats-Unis espèrent faire de l’Irak, ce pays doté de grandes possibilités et d’une population cultivée et aux compétences multiples, une sorte de vitrine pour le lancement d’un système géopolitique pro-américain radicalement nouveau. Témoins d’une telle démonstration de volonté et de puissance américaine, les autre régimes (arabes) devraient soit se plier aux projets des Etats-Unis, soit subir le même sort que Saddam, qu’ils soient des opposants traditionnels, « soutenant le terrorisme », comme le régime syrien, ou des amis traditionnels, comme l’Arabie Saoudite, tenue pour encourager le terrorisme de par son impéritie ou une culture « générale » donnant libre cours à l’extrémisme religieux.
Pour les quelques Etats du Golfe originaux qui ne se soumettraient pas, dit Said, « rien ne pourra empêcher que leurs régimes soient changés ou que les dévolutions politiques soient manipulées de la manière dont en avaient usé les Britanniques au dix-neuvième siècle… »
Un mur d’hostilité arabe quasi unanime s’oppose à une agression des Etats-Unis contre l’Irak. Mais il y a aussi, il faut le signaler, une seule, mais très significative, brèche, dans ce mur. Aussi fractionnelle, opportuniste et incompétente puisse sembler au moins une partie de l’opposition irakienne en exil soutenue par les Etats-Unis, on ne saurait l’écarter d’un revers de la main en considérant qu’elle n’est pas représentative du peuple irakien, lequel – à la grande différence des autres Arabes – souffrent dans leur chair, directement, de la monstrueuse tyrannie du président Saddam.
Nous sommes confrontés à un dilemme moral embarrassant. Les faucons américains ont tenté – en vain – d’établir une complicité entre le président Saddam Hussein, Ben Laden et le onze septembre. Mais leur échec ne peut cacher une réelle affinité, profonde, entre les deux : en effet, après Ben Laden, de quelle autre incarnation désastreuse du profond malaise arabe que le dictateur irakien incarne tous les Arabes dotés de raison voudraient-ils se débarrasser, quel pays a-t-il plus terriblement besoin de réformes démocratiques que l’Irak ?
L’analyste égyptien Wahid Abdul-Megid regrette que les objections des Arabes à une intervention militaire américaine « équivaut à la manifestation de leur solidarité avec Saddam contre son propre peuple ». S’il ne s’agissait que de régimes arabes, cela ne serait pas encore trop grave, mais en réalité, les objections sont aussi formulées par des Arabes qui luttent contre leurs propres régimes, fussent ceux-ci moins brutalement despotiques, pour des raisons qui sont, pour l’essentiel, les mêmes qui opposent les Irakiens au leur.
Si les Arabes pensaient réellement qu’en écartant le président Saddam, les Etats-Unis ont l’intention de promouvoir à sa place un système démocratique, ils seraient beaucoup plus enclins à rejoindre l’opposition irakienne et à tolérer, tout au moins, avec elle, une guerre d’une telle nature. Mais ils ne le pensent pas. Ils font valoir que même si la campagne militaire attendue intègre, en principe, quelques bonnes intentions réformistes, c’était déjà le cas des autres campagnes de conquête occidentale dans la région, des conséquences desquelles ils souffrent encore aujourd’hui.
Ils y verront, en tout premier lieu, une agression visant non seulement l’Irak, mais l’ensemble du monde arabe. Et ce qui rendra cette agression suprêmement intolérable, c’est qu’elle sera menée dans l’intérêt d’Israël, dont la détention d’un énorme arsenal d’armes de destruction massive semble aussi admise que la leur est l’horreur de l’abomination.
Ils ne craignent pas seulement qu’Israël devienne – à l’exception notable de la Grande-Bretagne – le seul autre pays, au monde, à se joindre à une agression américaine, mais aussi qu’Ariel Sharon exploite la situation afin de faire d’une pierre deux coups. A la menée à bien de la guerre israélienne « contre la terreur », il combinera une autre percée considérable dans le grand dessein du sionisme, encore inachevé, à savoir une nouvelle expulsion de masse des Palestiniens, expulsion à laquelle la droite israélienne rêve depuis si longtemps…
Détruire le président Saddam Hussein, comme on a détruit les Taliban, est une chose – et ce n’est déjà pas une mince affaire. Gérer la suite en est une toute autre… Pour la plupart des Arabes, le contexte actuel, dominé par un soutien Washington à Israël d’une partialité sans précédent, ne pourrait amener une éventuelle aventure américaine de cette nature qu’à l’échec, assurant le succès au final de Ben Laden.
Après tout, il a toujours représenté quelque chose de plus qu’un simple visionnaire islamiste archaïque dément. L’Irak, la Palestine – et la conduite des Etats-Unis envers ces deux pays – ont toujours occupé la première place dans son programme politique nationaliste anti-colonialiste. C’est pourquoi, dit le commentateur palestinien Abdul Jabbar Adwan, il a aujourd’hui « une énorme dette de gratitude » envers M. Bush, en raison des « services politiques signalés » que celui-ci lui a fournis depuis le onze septembre, et ces services dépassent de très loin les bonnes relations d’affaires entre eux, à l’époque où les Bush et les Ben Laden trafiquaient ensemble dans de juteuses affaires liées au pétrole.
Un échec, dans une région tellement stratégique, complexe et changeante, ferait regretter même le bon vieux temps de l’après-guerre chaotique en Afghanistan, en exacerbant tant la crise interne du monde arabe que ses conséquences internationales. Les Arabes ne seraient sans doute pas les seuls à devoir en payer le prix.
« Les Etats-Unis sont peut-être en train de préparer une énorme surprise pour la région », avertit le commentateur libanais Saad Mehio, « mais le Moyen-Orient risque bien d’en préparer une - tout aussi énorme -pour les Américains. Quoi qu’il en  soit, personne ne devrait oublier que le Moyen-Orient est réputée pour avoir été l’une des principales boîtes de Pandore du monde, à travers les siècles. »