Point d'information Palestine > N°206 du 24/10/2002
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Rédaction : Pierre-Alexandre Orsoni et Marcel Charbonnier
                                                                                           
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À Z. A.
                                           
Au sommaire
                              
Témoignages
Cette rubrique regroupe des textes envoyés par des citoyens de Palestine ou des observateurs. Ils sont libres de droits.
1. Réduction des effectifs scolaires par David Torres, citoyen de Gaza en Palestine
2. "Dis-leur…" par  Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
                                                   
Rendez-vous
Pour retrouver l'ensemble des rendez-vous en Europe, consultez l'agenda sur : http://www.solidarite- palestine.org/evnt.html
1 - Exposition photographique "Chronique palestinienne" de Philippe Conti
> du 17 octobre au 3 novembre 2002 au "Centre de Cultura Contemporania de Barcelona" à Barcelone (Espagne)
> du 30 octobre au 21 novembre 2002 à la "Libreria Mondadori" à Milan (Italie)
2. CE SOIR - Présentation du programme des 9èmes Rencontres d’Averroès ce jeudi 24 octobre 2002 à 19h00 au cinéma Les Variétés - 37, rue Vincent Scotto - Marseille 1er (M° Noailles)
3. CE SOIR - Conférence-débat avec Ilan Halevi ce jeudi 24 octobre 2002 à 18h30 au Gymnase Mermoz - Rue Jean Mermoz à Aubagne (Bouches-du-Rhône)
4. Conférence-débat avec Nafez Assaly le samedi 26 octobre 2002 à 19h00 à Mille Babords - 61, rue Consolat - Marseille 1er (M° Réformés-Canebière)
                                           
Dernière parution
- La Revue d’études palestiniennes n° 85 (automne 2002) aux Editions de Minuit
                                      
Réseau
Cette rubrique regroupe des contributions non publiées dans la presse, ainsi que des communiqués d'ONG. Ils sont libres de droits, sauf mention particulière.
1. Savez-vous que les Palestiniens ont bénéficié de plus d’une "Offre Généreuse" ? par Nashid Abdul-Khaaliq (mercredi 9 octobre 2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
2. Entre Armageddon et la Paix : L’Irak et l’occupation israélienne par Hanan Ashrawi (lundi 14 octobre 2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
3. Arrêtez la Croisade de Bush ! par Frank Fugate (mardi 8 octobre 2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
4. Une paix séparée par Israël Shamir (mercredi 9 octobre 2002) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
5. De fortes paroles, à dire le moins, font tanguer les relations américano-saoudiennes par Massoud Derhally in The Information & Technology Publishing Co, Ltd. (http://www.itp.net) [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                                           
Revue de presse
1. Le "cas" Barghouti par Gilles Paris in Le Monde du mardi 22 octobre 2002
2. Prendre date sur l'Irak par Jean-Pierre Chevènement in Libération du mercredi 16 octobre 2002
3. Combattants éternels d’un côté, terroristes invétérés de l’autre… par Amira Hass in Ha'Aretz (quotidien israélien du jeudi 10 octobre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
4. Ces « petits détails » que le président américain aimerait tant nous voir oublier ! par Robert Fisk in The Independent (quotidien britanique) du mercredi 9 octobre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
5. Enfance sous couvre-feu par Doaa Khalifa in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 9 octobre 2002
6. L'armée israélienne se déchaîne par Françoise Germain-Robin in L'Humanité du mardi 8 octobre 2002
7. Intellectuels médiatiques : Les nouveaux réactionnaires une enquête de Maurice T. Maschino in Le Monde Diplomatique du mois d'octobre 2002
8. L'armée israélienne s'entraîne à expulser Yasser Arafat Dépêche de l'agence Associated Press du jeudi 3 octobre 2002, 16h25
9. Compétition d’endurance : le premier qui cligne des yeux a perdu ! par Azmi Bishara in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 10 octobre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
10. 5 juillet 2002, la «bombe» du vol Air France Paris-Tel-Aviv par Emilie Kercheval in la Revue d’études palestiniennes N° 85 (automne 2002)
11. Manifestation à Marseille pour soutenir les Palestiniens Dépêche de l'Agence France Presse du dimanche 29 septembre 2002, 7h49
12. Sublime impuissance par Edward Said in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du samedi 26 septembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
13. Sabra et Chatila, retour sur un massacre par Pierre Péan in Le Monde diplomatique, septembre 2002
14. Les juifs (américains) utilisent la publicité télévisée pour faire passer la "bonne parole" in The Sidney Morning Herald quotidien australien) du jeudi 19 septembre 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
15. Massacre de Hayy ad-Daraj, à Gaza : un nouveau pas vers la disparition de l’Etat sioniste par Alâ’ Al-Lâmî  in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 29 juillet 2002 [traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
                                                               
Témoignages

                                           
1. Réduction des effectifs scolaires par David Torres, citoyen de Gaza en Palestine
Gaza, le vendredi 4 octobre 2002 - C'est la rentrée ! On se précipite dans septembre, on parcourt fébrilement les rayons des supermarchés, une nouvelle année commence. En Palestine aussi c'est la rentrée. Comme en France les enfants, des sacs pleins sur le dos, retrouvent l'école. Les professeurs sont là eux aussi. On établi l'emploi du temps, on change le programme, certains élèves sont transférés d'une classe à l'autre, on s'organise. Hamza est entré en 11ème littéraire dans son lycée, à Gaza, comme tous les autres élèves en classe de français sont des scientifiques il va falloir changer le programme pour pouvoir lui permettre de continuer. Les enfants de 4ème (CM1) commencent à apprendre notre langue, par paquet de 45 ! Heureusement ils peuvent encore, après l'école, aller se baigner, l'eau est chaude et plus aucune méduse. En Cisjordanie c'est plutôt couvre-feu, patrouilles de l'armée et télévision pour passer le temps. La plupart des enfants sont content de retrouver le chemin de l'école, parfois seulement le chemin, avec les grèves qui se succèdent, on retourne souvent sur ses pas. La rue est aux enfants, qui vont à l'école, qui en reviennent, qui n'y sont pas allés, mais qui chahutent sur la chaussée, des enfants. Enfin cette rentrée est à peu près semblable à la précédente. Sauf bien sur pour le jeune Nihad Al-Hajin, 17 ans. Il devait dormir tranquillement, deux jours avant la rentrée, puis le vrombissement de la machine, la panique le réveil brutal, cette terrible angoisse. Il a été tué par un missile tiré depuis un char israélien. Le missile, interdit par les conventions internationales, a explosé en criblant de milliers de clous le jeune homme, son frère, sa mère, son cousin, mort déchiquetés, blessant en outre huit membres de sa famille, dont un enfant de 3 ans. Abdul-Hadi Hamida, 10 ans ne rentrera pas en 4ème (CM1). Un snipper fou a mitraillé la rue ou il passait. 8 personnes ont été blessés. Le petit garçon lui a été tué. Dans le village de Tubas, dans le nord de la Cisjordanie, village totalement contrôlé par l'armée israélienne, deux garçons, Yazid Daraghmeh, 16 ans, Sari Subuh, 15 ans, la petite Bahira Daraghmeh du haut de ses 8 ans et son cousin Ibrahim, un grand de 10 ans, se préparaient sans doute a passer une nouvelle année scolaire mouvementée, entre les couvre-feus, les humiliations aux barrages israéliens et les rafles. Ils n'auront plus peur le soir avant de s'endormir, plus de ventre serré pour défiler devant les soldats aux check-points. 3 missiles « feu de l'enfer » pour les deux premier, un seul quelques minutes plus tard pour les petits derniers. Ce seul mois d'août 7 enfants de moins de 10 ans et 15 jeunes adolescents de moins de 15 ans ont libéré leur place sur les bancs de leur école. Pour ceux qui restent, le jeu continue.
                                       
2. "Dis-leur…" par  Nathalie Laillet, citoyenne de Ramallah en Palestine
Ramallah, le jeudi 10 octobre 2002 - Désolée de ne pas avoir écrit plus tôt.... La vie ici pour moi suit son cours : après une période de couvre-feu relativement longue, nous avons enfin travaillé une semaine entière... C'était la première semaine complète depuis la rentrée scolaire (qui a eu lieu le 2 septembre...). Quand je pense qu'en France, vous en êtes bientôt aux vacances de la Toussaint. Moi, samedi dernier, j'ai eu cours, pour la première fois, avec les troisièmes... Je connais enfin tous mes élèves !
Je n'avais pas très envie d'écrire ces derniers temps. Toujours la même chose, les checks et les engueulades avec les soldats, les nerfs à vif, le bruit des chenilles sur le goudron, les hélicoptères, le couvre-feu, les balles qui nous passent à 5 mètres... Bref, pas de quoi fouetter un chat.
Vos journaux vous l'ont dit, ou plutôt leur silence vous le crie : "Tout est calme" ici. Quelques morts
palestiniens chaque jour et voilà.
A Ramallah, nous avons beaucoup de chance. La situation est bien meilleure qu'ailleurs en Cisjordanie, bien meilleure notamment qu'à Naplouse, Jénine  ou Tulkarem.
Depuis le 19 juin dernier, Naplouse est sous couvre-feu. Depuis, les habitants ont, tous les 10 jours environ, une "pause" de quelques heures pour se ravitailler. Ces gens sont enfermés chez eux depuis le 19 juin. Mes amis habitent là-bas. Rasha, brillante étudiante en pharmacie et francophone non moins brillante. Rasha ne sort plus de chez elle depuis le 19 juin. Au téléphone, elle tentait de m'expliquer ce que ça fait quand on sort enfin un peu : on doit réapprendre à vivre ensemble, à voir les voisins, à leur dire bonjour, à faire les courses. C'est un peu comme quand on sort de l'hôpital, un peu k.o, et sans repères... Elle devait finir sa fac cette année et peut être continuer l'an prochain à Paris. La fac a réouvert quelques jours la semaine dernière. Malgré les menaces israéliennes. En effet, Israël a promis de bombarder la fac si les cours reprenaient....
Et puis, il y a le camp de Balata, le plus grand camp de réfugiés de Cisjordanie. Ceux qui me connaissent depuis un moment savent sans doute que j'ai là-bas une seconde famille : C'est Saed, mon meilleur ami ici, sa femme, ses parents, ses frères et soeurs. Saed a mon âge, est ingénieur, parle ukrainien, a épousé une Ukrainienne, Natacha. Mes meilleurs amis. Ils habitent à 45 km. Je ne les ai pas vus depuis 10 mois. Trop dangereux d'aller là-bas.
Alors, on se téléphone. On se raconte nos couvre-feu respectifs et nos expériences avec la soldatesque. Ce soir, Saed m'a téléphoné. La voix cassée.
- "Bonsoir, ça va ?
- Oui, et toi ?
-  Bof...
- Quoi ?
- Ils sont venus chez nous.
- Quoi ?! Quand ?! Comment ?!
- La nuit de mardi à mercredi. Les forces spéciales. Dans la nuit. Ils nous ont pris, moi et tous mes frères !
- Mohammad aussi ? [Mohammad a 14 ans]
- Oui, lui aussi. Ils n'ont laissé que mon père à la maison [70 ans passés]
- Mais comment, pourquoi ?
- Ils sont venus. Trois tanks autour de la maison. [la maison est toute petite]. Et puis les soldats. Ils criaient et ils tiraient. Oh, c'était horrible ! Ils ne faisaient que ça, crier et tirer ! Ils avaient des armes partout. Tu sais, c'est les forces spéciales. Ils étaient camouflés. Leurs visages étaient peints. c'était un cauchemar !
- Mais ils sont venus à quelle heure?
- A trois heures du matin.
- En pleine nuit ?
- Oui. On dormait tous. on ne les a pas entendus approcher. Et tout d'un coup ça a hurlé de partout. Ils ont tiré trois balles dans la porte. Ma mère s'est précipitée pour ouvrir..."
Sa mère... une vieille femme toujours belle. Elle se prénomme Shoms, ce qui en arabe signifie "soleil". Il lui va si bien ce nom... Quand je pense à elle, je la vois sourire, je vois ses yeux verts clairs qui pétillent. Je la vois assise par terre en tailleur, berçant un de ses petits-enfants, ou m'apprenant à rouler correctement des feuilles de vigne. La dernière fois que je l'ai vue, elle avait des problèmes avec son genou droit. Je l'imagine, boitant vers la porte pour ouvrir aux forces spéciales de Tsahal....
- "Ma mère s'est précipitée pour ouvrir. On s'est tous levés. j'ai attrapé Ahmad [son fils de 2 ans] et j'ai hurlé à Natacha de prendre Nour [sa fille de 6 mois, que je ne connais toujours pas]. Ils nous ont tous fait sortir. On était tous en pyjama, pied nus. Les hommes d'un côté, les femmes et les enfants de l'autre. Tous dehors, dans la nuit et les lumières aveuglantes des tanks. Un soldat m'a hurlé de lâcher Ahmad, que j'avais dans mes bras. Ahmad s'accrochait à moi, il hurlait presque aussi fort que le soldat. Mes frères et mon père étaient là. Ma mère et les femmes et les enfants de mes frères aussi. Tout le monde ! On était tous dehors ! Même Nour ! En pleine nuit !"
Je les connais tous... Mohammad, 14 ans, et son désir d'apprendre le français ; Raed au chômage depuis bien longtemps et dont le deuxième fils est à peine plus âgé que Nour ; Khaled, l'aîné, qui a fait de nombreux séjours en prison pendant la première Intifada ; Hayed,qui travaillait en Israël avant
l'Intifada et qui est au chômage depuis 2 ans, ce qui a contrarié ses projets de mariage ; Samer, qui lui s'est marié il y a à peine un an. C'est le plus drôle de la famille. Avec lui, on passe des heures à se raconter des blagues, il passe des heures à jouer avec ses neveux [Ahmad est presque autant
attaché à lui qu'à son père] ; Saher est rentré cet été : il était en Ukraine depuis plusieurs années pour ses études qu'il a brillamment réussies. Saher justement...
- "les soldats ont demandé à Saher de prendre tous les téléphones portables de la maison... Après ils les ont confisqués.
- Ils les ont rendus ?
- Non ! On ne les a plus ! On a eu 10 minutes pour tout ça, sortir, ramasser les téléphones et tout. Dix minutes après, ils nous ont bandés les yeux, ligotés les mains et nous ont emmenés au poste militaire de Hiwara [une dizaine de kilomètres de Naplouse]. Ils nous ont interrogés et à l'aube, on est repartis... sans Samer.
- Quoi ?! Il est où, Samer ?
- Toujours avec eux. On ne sait pas ce qu'ils lui font. On n'a pas de nouvelles de lui. Aujourd'hui mon père a essayé de voir si on pouvait en savoir plus, mais rien à faire... On est revenus à pied, à l'aube, en pyjama, pied nus, de Hiwara à Naplouse, les mains ligotés... et on ne sait pas ce qui se passe avec Samer. Maman ne dort plus, Papa non plus. On ne sait plus quoi faire.
- Mais pourquoi Samer ? Qu'est-ce qui se passe avec lui ?
- Rien... le pauvre, il a été blessé par une fusée éclairante juste avant. Une fusée a atterri dans sa chambre, alors qu'il était au lit. Il a reçu des éclats, sa femme aussi. On les a emmenés à l'hôpital. Ils sont blessés tous les 2, mais rien de grave. Sur le coup, on ne s'est pas beaucoup inquiétés.
C'est maintenant qu'on a peur... Ils vont peut être l'accuser d'avoir un atelier de bombes artisanales dans sa maison..." [ce qui est quand même assez drôle : le couple n'a pas assez d'argent pour acheter des meubles, la maison est absolument vide, à l'exception du lit, dans lequel ils étaient quand ils ont été blessés.]
Saed reprend :
- "Je n'ai jamais eu si peur de toute ma vie. Et je ne souhaite à personne de connaître une telle journée ! J'ai cru qu'on allait tous mourir. Et je ne sais même pas ce qui se passe avec mon petit frère !"
Un sanglot.
C'est chez eux que j'ai appris l'arabe, chez eux que j'ai appris à vivre à la palestinienne. Sans me connaître, ils m'ont ouvert leur porte. La maman me sourit, le papa me parle de ses deux orangeraies, là-bas, si loin, à Jaffa. Mohammad n'aime pas l'école parce que dans son école il n'y a pas de français. Samer m'accompagne jusqu'à la station de taxi. Raed me parle de la première Intifada. La fille aînée de Khaled veut que je la coiffe. Natacha me parle dans un mélange de russe, d'arabe et d'anglais. Saher fume un narguilé sous le jasmin.
Je ne  peux pas les imaginer, à l'aube, pieds nus, mains ligotées, sur la route. Comme de vulgaires malfrats.
Je ne peux pas imaginer les parents morts d'angoisse pour leurs 7 fils pendant cette nuit maudite.
Non, je ne peux pas.
Où est Samer ? Que lui ont-ils fait ?
Oui, Saed, je vais leur dire ce qu'ils vous ont fait...
                                                   
Rendez-vous

                                                                                         
1 - Exposition photographique "Chronique palestinienne" de Philippe Conti
> du 17 octobre au 3 novembre 2002 au "Centre de Cultura Contemporania de Barcelona" à Barcelone (Espagne)
[Centre de Cultura Contemporia de Barcelona - Carrer Montalegre, 5 - Barcelone - Informations : www.msf.es et www.cccb.org]
> du 30 octobre au 21 novembre 2002 à la "Libreria Mondadori" à Milan (Italie)
[Libreria Mondadori - Largo Corsia dei Servi, 11 - Milan]
Ce travail documentaire photographique s’est construit au cours de plusieurs séjours effectués dans les Territoires palestiniens entre février 2001 et mai 2002, par le photographe français, Philippe Conti. [CF. Présentation de l'exposition dans le Point d'information Palestine N° 205]
Un visage sur les souffrances palestiniennes par Simon Petite
in Le Courrier (quotidien suisse) du mardi 1er octobre 2002
«Le conflit israélo-palestinien est souvent qualifié de complexe. Mais à mes yeux, la question n’a jamais été uniquement politique. Elle a toujours été avant tout humaine.» C’est fort de ce constat que le photographe marseillais, Philippe Conti, s’est rendu dans les territoires occupés. Les clichés noir et blanc qu’il a rapportés de ses séjours entre février 2001 et mai 2002 sont exposés à la Maison des Arts du Grütli, à Genève, jusqu’au 12 octobre. Un témoignage poignant des violences, des humiliations et de l’enfermement infligés au quotidien à tout un peuple.
L’exposition – intitulée «Chronique palestinienne» – est née de la rencontre sur place du photographe avec les équipes de Médecins sans frontières (MSF), qui apportent des soins médicaux et psychologiques aux populations en première ligne depuis le début de la deuxième Intifada.
NE PAS BANALISER
Fidèle à l’action de MSF, Philippe Conti a choisi de négliger les lanceurs de pierres et les innombrables funérailles. Images vues et revues qui banalisent le conflit, «comme si le temps nous amenait toujours à accepter une normalité évoluant vers le pire».
Au contraire, les portraits dressés par le photographe donnent un visage aux souffrances endurées par une population prise au piège. Un homme tient dans ses bras un agneau, le seul que lui ont laissé les soldats israéliens qui ont dévasté son enclos, mitraillant ses moutons. Avec sa famille, Zina a déjà été chassée en 1948 de ce qui est devenu Beer Sheva (ville israélienne dans le désert du Néguev). Réfugiée dans la bande de Gaza, sa maison a été détruite. Elle nous interpelle: «Aujourd’hui, je finis ma vie comme je l’ai commencée, dans une tente.»
COLONS TOUT-PUISSANTS
Une accumulation de drames personnels en forme de réquisitoire contre l’arbitraire de l’occupant. A Hébron, une poignée de colons extrémistes installés en plein cœur de la ville impose sa loi. Des grillages protègent les demeures palestiniennes des jets d’ordures ou d’objets de toutes sortes par les apôtres du Grand Israël.
Dans la bande de Gaza, les colonies juives font le vide autour d’elles. A coup de bulldozers. «La sécurité des colons, c’est notre insécurité», témoigne un habitant de Tufah, une agglomération qui, parce qu’elle est une cible fréquente des incursions israéliennes, ressemble à la Beyrouth de la guerre civile libanaise.
«S'ÉVADER » PAR LA MER
Seule image de joie, des enfants jouent dans les vagues devant la plage de Gaza. «La mer est la seule fenêtre ouverte pour presque tous les habitants de Gaza.»
                                            
2. CE SOIR - Présentation du programme des 9èmes Rencontres d’Averroès ce jeudi 24 octobre 2002 à 19h00
au cinéma Les Variétés - 37, rue Vincent Scotto - Marseille 1er (M° Noailles)
Prélude à la neuvième édition des Rencontres d'Averroes, conçues par Thierry Fabre et qui se déroulerons cette année, les vendredi 15 et samedi 16 novembre 2002 au Théâtre National de la Criée à Marseille, ce jeudi 24 octobre 2002 à 19h00, au cinéma Les Variétés - 37, rue Vincent Scotto - Marseille 1er (M° Noailles) :
- Présentation publique des 9èmes Rencontres d’Averroès dont le thème sera cette année "Comprendre la violence et surmonter la haine en Méditerranée",
- Projection du film « Chronique d’une disparition » du cinéaste palestinien Elia Suleiman, inédit à Marseille, et en avant-première « Août avant l’explosion » un documentaire de Avi Mograbi.
                                   
3. CE SOIR - Conférence-débat avec Ilan Halevi ce jeudi 24 octobre 2002 à 18h30
au Gymnase Mermoz - Rue Jean Mermoz à Aubagne (Bouches-du-Rhône)
Ilan Halevi est representant du Fatah auprès de l'Internationale Socialiste et conseiller politique du Ministère palestinien de la Coopération Internationale.
Journaliste il écrit régulièrement des chroniques dans la Revue d'études palestiniennes, et a aussi publié plusieurs livres dont "Sous Israël, la Palestine" paru en 1984 aux éditions Le Sycomore (épuisé). [Nous avons publié plusieurs extraits de cet ouvrage essentiel dans les "Points d'information Palestine" nos 185, 186, 187 et 188 entre le 19 janvier et le 8 février 2002] Ilan Halevi était membre de la délégation palestinienne qui a mené les négociations de Madrid et Washington en 1992-1993.
Il est également le représentant permanent de la Palestine à l'Internationale Socialiste.
- Rencontre organisée par le Collectif justice et paix en Palestine d'Aubagne, avec le soutien de l'Association Médicale Franco-Palestinienne, l'Appel des cents, ATTAC Aubagne, Ballon Rouge, GISPA, PCF (section Aubagne), l'Union des Femmes Tunisiennes et les Verts (Aubagne).
                                                   
4. Conférence-débat avec Nafez Assaly le samedi 26 octobre 2002 à 19h00
à Mille Babords - 61, rue Consolat - Marseille 1er (M° Réformés-Canebière)
Nafez Assaly, palestinien, est directeur du Bibliobus pour la non violence et la paix (LOWNP). Le Bibliobus pour la non violence et la paix a été créé en 1986 par le Centre palestinien d’Etudes sur la Non Violence. Le but du bibliobus est avant tout éducatif. Depuis 15 ans, il se donne pour mission d’améliorer la qualité de vie des enfants palestiniens des classes économiques les plus défavorisées, en offrant, des opportunités de lectures aux enfants, en particulier dans les localités isolées, les camps de réfugiés, des communautés bédouines, où l’accés à des bibliothèques publiques est impossible. Il possède également deux bibliothèques sedentaires à Jérusalem et Hébron qui accueillent plus d'un millier d'enfants.
[- Rencontre organisée par VPaixMed.]
                                                    
Dernière parution

                                         
- La Revue d’études palestiniennes n° 85 (automne 2002)
aux Editions de Minuit
[160 pages - 14 euros - ISBN : 2707318086]
AU SOMMAIRE
- Hommage au docteur Daniel Timsit par Elias Sanbar
- Surveiller, punir et faire partir par Richard Labévière - Au regard notamment du livre de Michel Foucault Surveiller et punir, l’auteur analyse la stratégie globale israélienne qui consiste à enfermer les Palestiniens dans un espace hyper surveillé et clôturé – routes dites de contournement aussi bien que le “ mur ” de plusieurs centaines de kilomètres dont la construction a été décidé il y a quelques mois. “ La politique d’Ariel Sharon poursuit inlassablement la réalisation d’une “utopie disciplinaire” dont les rouages pourront rejeter les populations indésirables soit vers la bande de Gaza, soit vers la Jordanie, soit ailleurs. ”
- Une politique d’assassinats par Saleh Abdel Jawad - Malgré les dénégations d’Israël à propos de sa responsabilité dans de nombreux assassinats de dirigeants et de militants palestiniens, Abdel Jawad, professeur d’histoire à Birzeit, montre pourquoi et comment ces assassinats, très justement qualifiés de “ ciblés ” (mais qui font très souvent des victimes innocentes), procèdent tous d’une véritable volonté politique.
- Jinîn par Etel Adnan - La destruction du camp de réfugiés de Jinîn en avril 2002 a inspiré à la poétesse Etel Ednan ce poème où s’expriment à la fois le désespoir et la détermination des Palestiniens.
- Human Rights Watch : Les opérations de l’armée israélienne à Jinîn - Le rapport de l’Organisation mondiale pour les droits de l’homme sur ce qui s’est réellement passé à Jinîn en avril 2002.
- “J’ai eu plein de satisfactions à Jinîn, plein” par Tsadok Yeyeshkeh - Le témoignage hallucinant d’un soldat israélien très content de lui, qui fut l’un des conducteurs des bulldozers chargés de raser le camp de Jinîn. Ce texte accablant a été publié dans la presse israélienne.
- Qui dirige la Palestine ? par Salim Tamari - Au travers de trois ouvrages parus en arabe ou en anglais, une analyse de l’organisation des instances dirigeantes – et économiques – de l’Autorité palestinienne.
- La vie en dessous de zéro par Riad Beidas - La deuxième et dernière partie du récit désenchanté de l’écrivain palestinien, déraciné à Vienne, insatisfait à Haïfa.
CHRONIQUES
- Amérisaël ou l'ivresse de la puissance par Rudolf El-Kareh
- "Il fait couvre-feu" par Véronique Bontemps
- 5 juillet 2002, la "bombe" du vol Air-France Paris-Tel-Aviv par Emilie Kercheval [Retrouvez ce texte dans la rubrique "Revue de presse"]
NOTES DE LECTURE
CHRONOLOGIE du 1er janvier au 31 mars 2002 par Rachid Akel
                                                                
Réseau

                                              
1. Savez-vous que les Palestiniens ont bénéficié de plus d’une "Offre Généreuse" ? par Nashid Abdul-Khaaliq (mercredi 9 octobre 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Voici ce que disait le « Plan de Partage » de la Palestine (des Nations-Unies) aux Palestiniens :
« Vous allez bénéficier de 47 % des 100 % de territoires qui sont à vous depuis toujours… »
Voici ce qu’a dit l’ « Accord d’Oslo » aux Palestiniens :
« Réjouissez-vous, mes frères, car vous allez avoir 22 % des territoires qui étaient les vôtres… »
La fameuse « Offre Généreuse » de Barak aux Palestiniens :
« Nous allons vous donner 80 % des 22 % des 100 % de territoires qui vous appartiennent légitimement… »
Le « Plan de Paix » de Sharon propose, quant à lui, aux Palestiniens :
« Nous allons vous offrir 42 % des 80 % des 22 % des 100 % des territoires qui vous reviennent légitimement… »
Les sionistes américains font, eux aussi, une « offre généreuse » à ces ingrats de Palestiniens :
« Nous avons demandé à Môssieur Sharon de vous concéder 0 % des 42 % des 80 % des 22 % des 100 % des territoires qui étaient les vôtres avant 1947 ».
Le président George Deubeliou Bush n’est pas en reste : lui aussi, il a un « Plan de Paix » dans sa manche, pour les Palestiniens :
« Sharon est un ‘Homme de Paix’, j’ai confiance en son jugement. Mais, bordel de merde : où est passée la Palestine ? ! ? »
N’oublions pas, non plus, le « Plan de Paix » de Tony Blair. Voici ce qu’il propose aux Palestiniens :
« A l’origine, c’est nous qui avons créé ce merdier. Mais là, aujourd’hui, je partage la « Vision Extraordinaire » du président Bush ! »
[Toute nouvelle Offre Généreuse Occidentale sera la bienvenue.]
                                   
2. Entre Armageddon et la Paix : L’Irak et l’occupation israélienne par Hanan Ashrawi (lundi 14 octobre 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Que les avocats les plus véhéments d’une attaque militaire contre l’Irak soient le gouvernement israélien, dirigé par le parti Likoud (droite) et sa machine de propagande, voilà qui n’a rien d’une coïncidence…
En réalité, si Sharon obtient ce qu’il veut, les Etats-Unis conduiront par procuration la guerre d’Israël (et dans l’intérêt d’Israël) contre une longue liste d’objectifs, incluant l’Iran, la Syrie, la Libye, le Soudan, voire même l’Arabie Saoudite (au moins, dans ce dernier cas, sinon une guerre : un éclatement et un « changement de régime » convenables).
La fomentation de la guerre est devenue à un tel point le passe-temps favori de l’establishment israélien que Sharon s’est entendu demander – chose étrange dans sa bouche – à ses cohortes de mettre quelques bémols à leurs diatribes et de réfréner quelque peu leurs roulements de tambours martiaux et allègres.
S’ajoutant au fait que l’Irak est perçu par Israël comme une « menace stratégique », les mobiles [de son impatience d’en découdre] sont variés. Ils comportent notamment l’affaiblissement (souhaitable, pour lui) du monde arabe, la pérennisation de la « supériorité stratégique » d’Israël dans la région et l’imposition à une nation arabe « vaincue »d’une solution plus favorable pour Israël. Ajoutons-y - cerise sur le gâteau - le parachèvement de la débilitation des Palestiniens captifs et de leurs dirigeants.
Le revers de la médaille ? Le souci que pose à Israël la question de savoir « s’il va ou s’il ne va pas… » (le « il » étant Saddam Hussein) attaquer Israël au cours de la guerre, en particulier s’il en venait à la conclusion que « tout est perdu » et qu’il « n’a plus rien à perdre ».
La réponse au « va-t-il ou ne va-t-il pas ? » semble, dans le meilleur des cas, purement rhétorique. En réalité, le débat semble plus tourner autour du « quand ? » et du « comment ? » qu’autour du « oui, ou non ? »…
Si ceux qui se prononcent ouvertement en faveur d’une frappe préventive sont une minorité, en raison essentiellement de la gigantesque clé à molette qu’une telle opération reviendrait à jeter dans les rouages de la machinerie américaine, il y a aussi des gens [en Israël] qui ne diraient pas non : ils viendraient volontiers apporter leur précieux concours à une guerre déjà commencée…
Pour ce faire, ils auraient besoin d’un prétexte évident, comme par exemple une nouvelle piqûre de missile lancé sur Israël afin de justifier son engagement dans le conflit, au motif qu’Israël à le droit d’exercer son « autodéfense » et que, de plus, rester les bras croisés serait pris pour de la faiblesse et porterait atteinte, du même coup, à la capacité de dissuasion d’Israël aux yeux du monde arabe : quelle horreur !
En réalité, une attaque de cette nature apporterait directement de l’eau au moulin de ce gouvernement qui a d’ores et déjà bel et bien brandi la menace de recourir à l’arme nucléaire dans un tel cas, en entraînant par l’ampleur de sa riposte la cessation de l’existence de l’Irak en tant qu’Etat.
De plus, une cause de souci majeur pour les fauteurs de guerre américains est désormais de savoir comment maintenir Israël en dehors du conflit et comment le retenir, bien qu’il tire furieusement sur sa laisse, afin d’éviter qu’il aille vadrouiller sur le champ de bataille au risque de mettre à exécution ses projets de Fin du Monde apocalyptiques
En revanche, pour les Palestiniens, un scénario de Fin du Monde d’une actualité immédiate serait celui qui verrait Israël exploiter la focalisation de l’attention mondiale sur le conflit afin de mener à terme sa propre partie de jeu de pousse-pousse en Palestine.
Des voix anti-guerre, israéliennes, mondiales et palestiniennes mettent en garde depuis longtemps et de manière répétée contre la « solution finale » du « transfert », terme politiquement correct désignant le nettoyage ethnique des Palestiniens, moyennant leur expulsion manu militari [hors de la Palestine, au sens historique de ce terme, ndt].
Etant données la nature du discours dominant en Israël et la « légitimation » du racisme et des préconisations extrêmes des instances militaires et de partenaires soi-disant respectables, au sein du gouvernement et de « boîtes à idée » accoutrées d’un déguisement d’experts « indépendants » à la transparence arachnéenne, une telle entreprise n’a rien d’impensable.
Les pays arabes voisins ont pris la menace suffisamment au sérieux pour fermer leurs frontières avec Israël/la Palestine. C’est en particulier le cas de la Jordanie et de l’Egypte, qui ont jadis signé des traités de paix avec Israël et qui verraient dans une telle expulsion [des Palestiniens] une véritable déclaration de guerre.
Toutefois, Israël pourrait bien être en train d’envisager un ensemble d’options supplémentaires qui lui permettraient [à défaut de « transfert »] de parachever sa destruction de la réalité palestinienne.
Ces options comportent notamment un resserrement supplémentaire du siège d’ores et déjà dévastateur en imposant des couvre-feu à long terme, sans intermittence, ce qui aggraverait encore les souffrances des Palestiniens dans les domaines de la vie économique, de l’éducation, de la santé et de la vie personnelle.
L’expulsion [excusez ce gros mot : le « transfert »… ndt] pourrait prendre un aspect plus limité et plus discriminé en prenant pour cible des personnalités dirigeantes « indésirables » et/ou des populations spécifiques, un peu à la manière de ce que l’on a vu avec la « barrière de sécurité » de triste mémoire.
Des mesures violentes intensifiées pourraient aller jusqu’à des « opérations militaires » massives à l’intérieur des camps de réfugiés, dans les centres urbains et dans des zones rurales isolées, en particulier - dans des villages particulièrement vulnérables.
Un assaut militaire généralisé sur Gaza (par opposition aux attaques quotidiennes ou aux incursions « à tempérament ») est sur les tables à dessin depuis quelque temps déjà. Il est toujours considéré comme une option, en attendant le moment opportun pour sa mise en pratique sur le terrain.
Le moindre incident violent provoqué par un individu palestinien (ou un groupe de Palestiniens) serait amplement suffisant pour fournir un prétexte à des « opérations » militaires aussi drastiques que celles-là. Il suffirait même, à vrai dire, (c’est ce que certains porte-parole israéliens espèrent de tout cœur) d’une démonstration intempestive de soutien à Saddam Hussein de la part d’un Palestinien ou d’un groupe de Palestiniens…
Quoi qu’il en soit, le peuple palestinien sous occupation se sent visé et vulnérable, au cas où par malheur la guerre projetée contre l’Irak se matérialiserait dans les faits.
L’ambiance collective, toutefois, est faite de gens bien droits dans leurs bottes, les talons claqués, prêts à résister à toute tentative d’expulsion. On peut d’ores et déjà discerner la renaissance de cet esprit de longanimité (çumûd), qui a caractérisé la première Intifada.
En plus d’un rejet très conscient de toute réponse dictée par la panique ou la peur, les Palestiniens ont engagé une réévaluation des formes de résistance les plus acceptables et les plus efficaces [ce sont les mêmes], générant du même coup un soutien plus important pour une résistance pacifique et populaire et la désobéissance civile.
Le retour d’une occupation militaire israélienne directe a donné également essor à des formes de résistance plus constructives, notamment à la création de comités populaires de soutien et d’autres formes de prise de pouvoir local, au niveau des communautés citoyennes.
Ces comités populaires seraient certainement appelés à jouer un rôle fondamental dans un scénario de guerre, quelles que soient, par ailleurs, les formes d’action retenues par les forces militaires et les colons armés israéliens.
En ayant tout ces éléments à l’esprit, toutefois, les moyens les plus efficaces de protection [du peuple palestinien] et [donc] susceptibles de dissuader Israël de recourir à de quelconques mesures drastiques risquant de prendre la forme de véritables atrocités - ces moyens sont entre les mains de la communauté internationale.
Il est désormais impératif que les décideurs européens et américains parviennent enfin à la conclusion (à laquelle ils n’échapperont de toute manière pas) qu’une politique d’intervention plus positive et plus engagée de leur part est absolument nécessaire.
Plutôt que de persister dans le traitement « à tempérament » des crises spécifiques et de s’entêter dans un contrôle partiel des dégâts [comme c’est encore aujourd’hui le cas], il est grand temps qu’ils s’engagent totalement dans un programme global de contrôle, sur le terrain.
« Contrôle », cela signifie : envoi de troupes, accompagné d’un envoi d’experts civils et de techniciens, permettant de mener à bien une double tâche : à la fois, établir et maintenir la paix ; et édifier l’Etat [palestinien].
Sharon effectuant une énième visite aux Etats-Unis, afin de ne pas prendre le risque de déroger à son statut de visiteur le plus assidu de la Maison Blanche, il incombe au président américain de délivrer un message urgent et non-équivoque à son hôte criminel de guerre (ce qui, en américain, se traduit par : « homme de paix »).
[Ce message, en voici la teneur :]
Les résolutions de l’ONU sont adoptées pour être appliquées ; la violence contre les civils ne saurait être tolérée ; les derniers vestiges d’occupation militaire [dans le monde] ne devraient pas pouvoir perdurer indéfiniment ; il n’y a pas de solution unilatérale ni militaire aux conflits ; la « vision » onusienne d’une solution à deux Etats, avec la fin de l’occupation découlant de la guerre du 5 juin 1967 sera mise en pratique avec détermination ; les mesures militaires israéliennes (dont la réoccupation des territoires palestiniens, les incursions militaires, les assassinats ciblés, les arrestations de masse, les bouclages, les tueries quotidiennes et toutes les autres violations des droits humains fondamentaux et des libertés économiques) doivent cesser ; un état de droit global implique qu’Israël respecte et applique scrupuleusement le droit international.
Tant Bush que Sharon doivent être exhortés à comprendre que la question n’est pas celle d’une période de calme par définition transitoire et artificiel - avant que se déchaîne à nouveau la tempête sur le Golfe - mais qu’il est impératif de rechercher un règlement général et équitable des raisons profondes du conflit et de l’instabilité, raisons qui auraient dû, bien sûr, être traitées hier, mais qui doivent absolument l’être aujourd’hui si l’on veut éviter un effondrement absolument catastrophique.
Contrairement à ce que les tactiques d’épouvante de la droite idéologique (israélienne et américaine, ndt) veulent nous donner à croire, l’apocalypse, aujourd’hui, n’est pas inévitable. Ni même, à vrai dire, envisageable. [http://www.miftah.org]
                                           
3. Arrêtez la Croisade de Bush ! par Frank Fugate (mardi 8 octobre 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
Cher Monsieur le député ….. au Congrès des Etats-Unis,
Merci pour votre invitation au rally « Arpents Démocrates », qui a eu lieu le 31 août. Etant donné que j’habite à Austin, au Texas, il m’était très difficile d’assister à une manifestation d’une telle importance… Néanmoins, je fais partie de vos soutiens financiers et j’ai l’intention de continuer à vous soutenir. Je possède toujours notre ferme familiale dans le comté de Lee. J’essaie d’aller dans le comté de Lee au moins deux fois dans l’année. J’ai joué un rôle essentiel dans la fondation d’une bourse scolaire richement dotée à Mountain Empire destinée aux étudiants méritants de votre district, en mémoire de mes parents, Thomas B. et Lillian Fugate. En janvier 2000, le fond s’élevait à 169 160 dollars, ce qui est plus du double du fond suivant sur la liste, en importance.
J’ai passé plus de trente-trois années de ma vie en Arabie Saoudite, où je travaillais à la société Aramco (société pétrolière américano-saoudienne). Je suis en retraite de ma fonction de vice-président et de membre du conseil d’administration de cette compagnie.
Je vous ai rencontré pour la première fois à l’occasion de votre discours si éloquent pour l’inauguration d’une partie du Cumberland Gap National Historical Park, qui a été baptisé du nom de mon père. Vous me donnâtes alors votre carte de visite en me disant que si j’avais besoin de votre aide, je n’hésite surtout pas à vous contacter. Plusieurs années ont passé. Je ne vous ai jamais dérangé depuis lors. Et aujourd’hui, je ne vous demande pas grand-chose : juste de m’écouter…
En aucun cas je ne vous demanderai de vous suicider politiquement. Vous êtes bien trop précieux pour les gens, dans votre district. Je veux simplement partager quelques points de vue politique avec vous et, peut-être, peut-être seulement, serez-vous plus à même de discerner qui est qui, dans telle et telle problématique, sans pour cela vous créer des ennuis.
J’imagine que la défaite de Cynthia McKinney a dû faire l’effet d’une douche glaciale dans les couloirs du Congrès. Sans doute les membres du Congrès sont-ils moins enclins que jamais à élever la voix pour dénoncer le génocide délibéré qui est en train d’être méthodiquement perpétré contre les Palestiniens, ou « remettre les compteurs à zéro », une bonne fois pour toute, en diligentant une enquête publique du Congrès sur l’attaque de notre navire, l’USS Liberty. Si vous voulez en savoir plus sur l’affaire de l’USS Liberty, vous pouvez consulter le site ouèbe suivant : http://www.ussliberty.org.
Il est confondant de voir qu’un aussi petit groupe de personnes puisse maintenir nos législateurs en otages et qu’ils soient aussi nombreux à ne pas oser exprimer leurs sentiments réels, si ce n’est dans une pièce sombre et en tournant le dos à la caméra. Un éditorial récent du Wall Street Journal brode autour de l’idée que la mésaventure de McKinney serait essentiellement un effet de l’hypocrisie – c’est un mensonge éhonté. Vous savez aussi bien que moi quelle est la raison de sa défaite.
Aujourd’hui, je suis très gêné d’avouer que j’ai voté pour George Bush. C’était plus un vote contre Al Gore et Bill Clinton qu’un vote d’adhésion. Grosse bévue. J’aurais mieux fait de rester chez moi, car mon vote en sa faveur pouvait être interprété comme un soutien de sa politique. Je ne crois pas que les gens sauront un jour quel est son véritable programme politique en ce qui concerne le Moyen-Orient. Son usage fréquent du mot « croisade » ne semble désormais plus relever du lapsus. Une chose est sure : nous n’avons pas connu une telle frénésie pour démocratiser le peuple russe lorsque leurs brutes de dirigeants avaient – et comment ! – des armes de destruction massive. Je pense que Bush et les fauteurs de guerre de son entourage se préparent un réveil douloureux s’ils croient vraiment que les masses irakiennes accueilleront les soldats américains en libérateurs, sous une pluie de roses. Je me trouvais au Moyen-Orient lorsque des citoyens irakiens traînèrent des cadavres d’Américains dans les rues de Bagdad à cause de notre soutien inconditionnel à Israël. Pouvons-nous imaginer un seul instant que les Irakiens vont radicalement changer d’optique et oublier comme par un coup de baguette magique les années d’occupation et d’oppression endurées par leurs frères palestiniens, qui continueront à les supporter (en continuant à se faire tuer par des armes américaines) lorsque les soldats américains feront leur entrée triomphale à Bagdad ? Après que nous-mêmes, les Américains, ayons tué des milliers d’Irakiens – leurs épouses, leurs enfants, leurs parents et leurs parentèle – avec nos bombes pas-si-intelligentes-que-ça, juste pour éliminer un homme décrété malfaisant ? Je ne le pense pas. De penser que les « Croisés » de Bush se moquent éperdument du nombre d’innocents qu’ils tuent me fait froid dans le dos. Sommes-nous assez naïfs pour croire que Saddam préfèrera mourir les armes à la main et qu’il ne cherchera pas à aller se cacher dans quelque désert inexploré comme Ben Laden a pu le faire, avant lui, en Afghanistan ?
L’explication ahurissante que donne Bush des attentats du onze septembre est totalement aberrante. Dire que c’est la jalousie qui a causé les attentats, c’est stupide. Les tueurs, froids calculateurs, qui ont fait les attentats ne se sont certainement pas suicidés parce qu’ils étaient jaloux de l’Amérique ! Les kamikazes qui se font sauter dans les attentats suicides en Israël ne se tuent pas parce qu’ils sont jaloux d’Israël ! Il le font pour une raison que nos législateurs connaissent mais n’avoueront jamais, parce qu’eux, pour le coup, ne veulent pas commettre un suicide politique assuré ! La plupart des messages électroniques que j’ai reçus après les attentats exprimaient des regrets sincères, en particulier ceux envoyés par des Saoudiens. Ces attentats, c’était une marque d’infamie tracée sur leurs maisons, sur leur pays. Le renard Ben Laden a sélectionné des Saoudiens, parmi un panel de nombreuses nationalités, parce qu’il voulait introduire un coin entre les deux pays. Il voulait chasser les troupes américaines infidèles d’Arabe saoudite, ce qui lui aurait permis, ensuite, de renverser la dynastie saoudienne. Et je vais vous dire : c’est nous qui lui avons permis d’enfoncer le coin entre l’Amérique et l’Arabie saoudite. Nos médias tendancieux et nos lobbies défendant des intérêts particuliers sont tombés d’autant plus volontiers dans le piège que leur tendait Ben Laden que cela servait leurs objectifs – faire que le Moyen-Orient continue à être un baril de poudre…
Je ne comprends pas ce terme d’ « antisémite » qui a fini par prendre une connotation juive. Philip Hitti, professeur émérite de littérature sémitique à l’université de Princeton, écrit dans son ouvrage « Les Arabes » : « Des deux (peuples) survivants et représentatifs de l’ethnie sémite, les Arabes, bien plus que les juifs, ont conservé les caractéristiques physiques et les traits psychologiques de cette famille (humaine). Leur langue (l’arabe), bien que la plus récemment apparue dans la famille des langues sémitiques si l’on prend en compte sa littérature, n’en a pas moins conservé un bien plus grand nombre des caractéristiques de la langue sémitique originelle – notamment les déclinaisons – que l’hébreu et les autres langues sémitiques sœurs. L’Islam lui-même est, dans sa forme originelle, l’incarnation de la perfection logique de la religion sémitique. » Philipp Hitti poursuit : « La raison qui fait des Arabes d’Arabie, et tout particulièrement des bédouins nomades, les meilleurs représentants de la famille humaine sémitique tant biologiquement, psychologiquement et socialement que linguistiquement n’est pas à chercher plus loin que dans leur isolement géographique, au milieu de l’uniformité monotone de la vie au désert. Leur authenticité ethnique est, pourrait-on dire, comme la récompense de leur environnement naturel, des plus ingrats, isolés et difficiles qui soient, comme seule, dans le monde entier, l’Arabie centrale peut en offrir… »
Bon. Maintenant, voyons un peu – comme qui dirait… Si j’étais antisémite, je serais plus anti-arabe et anti-musulman qu’anti-juif… ? !  Mais, pourtant, on n’arrête pas de rabâcher aux Américains que s’ils sont pro-arabes ils sont antisémites ! ? ! ! Alors, quoi ? C’est à n’y rien comprendre !... Ah, ouaip ! Maintenant, finalement, ça y est : j’ai pigé ! Quand mes accusateurs me disent que je suis antisémite, ce qu’ils veulent me dire, en réalité, c’est que je devrais être encore plus pro-arabe !
J’ai écrit (le 29 avril dernier) un article que j’ai intitulé : « Les Arabes que je connais ». Je l’ai envoyé à quelques amis, des Américains qui avaient travaillé avec moi, en Arabie. A partir de ce petit groupe d’anciens collègues, mon article s’est répandu comme un feu de forêt, sur Internet… [La version française de Marcel Charbonnier de "Les Arabes que je connais" par Frank Fugate a été publiée dans le Point d'information Palestine N°204 du 22 août 2002, ndlr] Cela fut pour moi la découverte de la puissance de l’outil de communication qu’est Internet, dont je n’avais pas encore pris conscience. En particulier, lorsque tous les membres d’un groupe ethnique et religieux sont encore sous le choc de la découverte que (le comportement) de quinze individus y ressortissant a fait retomber sur eux l’infamie, et qu’ils sont considérés, tous, globalement « mauvais »… J’étais un peu la voix dans le désert, qui pouvait parler d’expérience. J’ai reçu près de cinq cents messages de remerciement du monde entier, de la part d’Arabes, d’Américains et d’autres, qui me congratulaient d’avoir eu le courage de « dire la vérité »… c’est-à-dire d’oser élever la voix et m’exprimer, dans les temps que nous traversons. Je reçois tous les jours de nouveaux messages allant dans ce sens, et j’aimerais que vous ayez le temps de les lire, tous, ou la plupart d’entre eux. Ce sont des Arabes, des musulmans du peuple, qui s’expriment – ce ne sont pas les politiciens, ni les médias. Pour parler comme les hommes politiques, il s’agit de l’expression « des gens de la base » (‘au niveau des pâquerettes’ – grass roots people, ndt).
Bien que je n’aie proposé mon article (Les Arabes que je connais) à aucun journal, certains l’ont tout de même publié :
Ainsi, Arab News, journal en anglais d’Arabie saoudite, l’a publié le 4 aout :
http://www.arabnews.com/SArticle.asp?ID=17560&sct=Fugate&Web- Track
Gulfwire (le Télégramme du Golfe), - Voices of the Region – l’a repris en page de couverture, le 5 août.
Un nouvel ami, du Canada, l’a soumis à CouterPunch, où il a été publié le 10 août. On m’a dit qu’il avait été consulté par beaucoup de lecteurs.
http://www.counterpunch.org/fugate0810.html
Web- Track m’a envoyé le message électronique suivant : « Nous avons immédiatement perçu la valeur éditoriale (de votre article) et nous avons décidé de maintenir un lien interactif (link) avec votre texte dans notre Reference Library, dans la rubrique Moyen-Orient (Middle East). Il s’y trouve encore :
http://www.web-tracks.org
A la lecture de plusieurs emails, je me suis rendu compte que quelqu’un a inclus pour moi cet article sur le site ouèbe de la Fédération australienne des étudiants musulmans [FAMSY], le 13 août. Il porte aujourd’hui le numéro de Message 597, dans leurs archives :
http://groups.yahoo.com/group/famsy/
Le serveur espagnol HispanicVista m’a demandé de lui envoyer mon article, et il l’a publié dans leur revue hebdomadaire du 9 septembre, en m’informant qu’ils sont consultés en moyenne chaque semaine par plus de 170 000 lecteurs :
http://www.HispanicVista.com
Ainsi, vous pouvez retrouver cet article témoignage sur l’un de ces sites ouèbes, au choix. Peut-être l’avez-vous déjà rencontré et lu. Il a été publié le 14 août dans le journal « The Post » de Big Stone Gap, et repris, le 22 août, par le « Coalfield Progress » de Norton.
Mes collègues et moi-même avons très peur que notre Président ne nous entraîne sur une route dangereuse, avec une bande de tueurs à gage et une attitude « faites-moi confiance, je m’occupe de tout ! ». Des dirigeants clairvoyants comme vous ne doivent pas permettre que cela advienne.
Que Dieu bénisse l’Amérique et les héros de l’équipage de l’USS Liberty !
Avec mes meilleures salutations. Frank Fugate - 11150 Pinehurst Drive - Austin, TX 78747 - USA
                                               
4. Une paix séparée par Israël Shamir (mercredi 9 octobre 2002)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Le dernier massacre en date perpétré en Terre Sainte – cette fois-ci, quatorze victimes, hommes, femmes et enfants, près de Gaza – a été qualifié par notre premier ministre, le Général Sharon, d’ « opération nécessaire et couronnée de succès ». Il en a aussi promis d’autres, similaires, et rien ne permet de mettre sa promesse en doute. Il n’y a aucune raison, non plus, de douter qu’il y aura des représailles, promises par les parents des civils assassinés. Cette guerre ne connaîtra jamais de fin, et un colonel de l’armée israélienne, qui a demandé à conserver l’anonymat, a averti le correspondant du New York Times, au milieu des ruines de Naplouse, que « nous sommes à la mi-temps d’une guerre de Cent ans ». Merci pour cette bonne nouvelle !
Un cultivateur de la Grèce antique, principal personnage de la comédie la plus comique d’Aristophane, Acharnians, s’était trouvé dans une situation similaire. Son pays était dirigé par le Général Lamachus, une sorte de prototype du Général Sharon, totalement dévoué à ses guerres de conquête. Fatigué de combats incessants, d’une économie en ruines, du roulement des tambours en l’absence de toute musique, des funérailles succédant aux funérailles sans jamais le moindre mariage, le héros Dicaeopolis (c’est un paysan) décide de signer un traité de paix séparée avec les Spartiates.
La différence saute aux yeux. Côté cour, le Général exige plus de glaives et, côté jardin, le Paysan demande à grands cris plus de saucisses ! Je veux un nouveau système de missiles air-air ! braille le général. Apportez-moi du vin et des femmes, crie le Paysan. A l’apothéose, Dicaeopolis préside à une grande fête, tandis que Lamachus, lamentablement défait, s’effondre lourdement sur les planches.
Cette solution, suggérée en 425 avant Jésus-Christ, est toujours d’actualité. J’ai signé un traité de paix séparée avec tous mes voisins au Moyen-Orient. En ce qui me concerne, les enfants de Syrie peuvent venir nager dans le Lac de Tibériade et les enfants palestiniens sont les bienvenus dans les parcs d’attractions de Tel Aviv ; pendant que moi-même j’irai siroter un arak libanais au café Bardaouni de Ramallah. Les réfugiés à Gaza peuvent revenir sur les champs qu’ils possédaient avant 1948 et négocier directement avec les quelques Juifs polonais âgés qui ont « privatisé » leurs terres. Si Jerry Falwell veut un Etat juif, qu’il se le construise chez lui, en Alabama ! Ils ont survécu à la Reconstruction : ils s’en tireront très bien…
Ne me mêlez pas à vos histoires. En Israël, il n’y a plus aucune terre qui appartienne à tout le monde. Chaque mètre carré de terrain, chaque goutte d’eau ont été soigneusement privatisés. Bien. Maintenant, laissez donc les heureux nouveaux propriétaire payer pour absolument tout ce dont ils ont besoin, y compris les nouveaux systèmes de défense, les dépenses militaires, les fortifications et autres trucmuches tellement nécessaires. Lorsqu’ils verront la note, ils opteront peut-être pour une nouvelle chaise longue confortable et une paix séparée…
[En Israël], le démantèlement à grande échelle de la propriété collective et le bradage des restes de socialisme doivent être menés à bien. Il est grand temps d’introduire plus de néolibéralisme pointilleux dans notre vie quotidienne. Tandis qu’un nombre croissant d’Israéliens au chômage prennent la mauvaise habitude de voler de la nourriture dans les hôpitaux publics, l’Armée continue à obtenir tout ce qu’elle demande, sur un claquement de doigts. Le socialisme un peu brouillon doit prendre fin. Si les généraux veulent un nouveau supersonique, qu’ils se cotisent et qu’ils aillent s’en payer un, sur le marché libre, sans subventions gouvernementales. Sharon peut échanger ses moutons contre les joujoux dernier cri et sophistiqués de Douglas McDonnell. Si ses moutons ne suffisent pas, puis-je lui donner ce conseil de feue ma grand-mère : « si tu n’as pas d’argent dans ton cochon rose… n’achète pas d’armes, un point, c’est tout ! »
Le même conseil irait très bien aussi à nos amis et alliés américains. Ils ont fait le calcul : la guerre en Irak leur coûtera 800 milliards de dollars. A mon avis, avant que le peuple américain ne découvre que cette guerre va leur rapporter au moins le double en paiement différé de Richard Perle et autres agents d’influence sionistes fauteurs de guerre, ils ne devraient pas se faire de bile. Mais, tout de même, je ne saurais trop leur conseiller de ne pas accepter les chèques !
Un autre conseil, plus judicieux encore : concluez une Paix Séparée, et si Sharon vous convoque, répondez-lui ce que, personnellement, je lui réponds :
« Général, si vraiment vous voulez la guerre, faites-la tout seul. Et ne nous convoquez pas. C’est nous, qui vous convoquerons, lorsque nous aurons besoin de vous ! »
                                                           
5. De fortes paroles, à dire le moins, font tanguer les relations américano-saoudiennes par Massoud Derhally
in The Information & Technology Publishing Co, Ltd. (http://www.itp.net)
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Pour beaucoup de néo-conservateurs américains, le nid de guêpes du Moyen-Orient ne se trouve pas en Irak, mais plus au sud, en Arabie Saoudite. Il n’est donc pas étonnant que le rapport très anti-saoudien remis par Laurent Murawiec au Defense Policy Board ait fait l’objet de fuites dans le Washington Post. Flairant une affaire embarrassante, les médias sont tombés à bras raccourcis sur l’article du Post, mettant à mal les relations américano-saoudiennes, déjà passablement fragilisées par les attentats du 11 septembre. La révélation du rapport Murawiec ne faisait que compléter ce que d’aucuns qualifieraient de conclusion courue d’avance – à savoir que les relations entre les deux pays seraient affectées. Dans le cas de ce nouveau rapport infamant, il y avait effectivement de quoi sursauter. Les commentaires de Murawiec allaient, on peut le dire, droit au but, puisqu’il suggérait de prendre les champs de pétrole saoudiens pour cibles et de geler les capitaux saoudiens à l’étranger. L’analyste, qui est né en France et travaille à la Rand Corporation [institut d’étude des politiques publiques] disait notamment, dans son rapport intitulé « Sortir les Saouds d’Arabie » : « Les Saouds sont actifs à tous les niveaux de la chaîne du terrorisme » ; « l’Arabie saoudite soutient nos ennemis et attaque nos alliés » et, enfin : « l’Arabie saoudite est le noyau du mal, le premier instigateur, le plus dangereux de nos adversaires au Moyen-Orient ».
Le rapport n’a pas été digéré en Arabie Saoudite, ni non plus d’ailleurs dans d’autres parties du monde arabe. Pour nombre d’Arabes, il s’agit là d’un énième exemple des préjugés américains sur le Moyen-Orient, qui est susceptible d’avoir des conséquences négatives pour des relations déjà assez délicates. Les biens américains sont de plus en plus supplantés par des produits japonais et américains, ce qui entraîne un déclin marqué des exportations américaines en Arabie saoudite, dit Besher Bakheet, directeur de la société d’études financières saoudienne Bakheet Financial Advisors.
Mais M. Bakheet pense que le rapport Murawiec n’aura aucun effet aggravant sur les relations américano-saoudiennes déjà dégradées. « Non. Franchement, je ne le pense pas. Mais, visiblement, quelqu’un, aux Etats-Unis est en train de pêcher en eau trouble : lorsqu’on s’arrange pour qu’il y ait des fuites sur un rapport tel que celui-là, qui s’efforce de faire passer l’ensemble des Saoudiens pour les terroristes anti-américains et d’enfoncer un coin entre les deux peuples… »
« Au centre de l’ensemble du problème, il y a la position du gouvernement américain sur le conflit palestino-israélien – position qui est absolument partiale pour Israël. Le seul moyen dont disposent les Saoudiens pour protester contre cette partialité, c’est le boycott des produits américains. Le commerce et les intérêts américains dans notre région n’ont jamais été remis en cause, à aucun moment, depuis 1973, sauf récemment, à cause du parti pris pour Israël de l’administration américaine actuelle. Monter cet état de fait en épingle et prétendre que l’opinion publique saoudienne est anti-américaine est totalement faux », ajoute Bakhit.
Si la tendance actuelle se prolongeait, le problème pourrait s’avérer énorme, pour l’économie saoudienne, qui souffre déjà d’une croissance anémique, d’un dette extérieure atterrante de 170 milliards de dollars – c’est l’équivalent de près de cent fois le produit intérieur brut (PIB) – et un chômage qui frise les vingt pour cent.
Des chiffres du Ministère du commerce américain, montrant une chute des exportations vers le royaume, pour le premier trimestre 2002, à 985.9 millions de dollars, ce qui représente un déficit de 43 % par rapport à l’année précédente, illustrent bien la tension qui affecte ces relations bilatérales. Des analystes et des économistes voient dans ce déclin le résultat du comportement de consommateurs saoudiens réagissant à l’escalade de la violence en Palestine et les conséquences des perceptions de la collusion occidentale avec Israël – en fin de compte, le boycott visant actuellement les produits américains est le reflet d’un sursaut de conscience politique chez les Saoudiens.
« J’ai lu les articles de presse qui ont fait état de ce rapport. Il ne fait que refléter une sorte de sentiment prédominant actuellement aux Etats-Unis au sujet des relations américano-saoudiennes, mais en même temps, je pense que ce rapport est fallacieux – et ne reflète pas d’une manière correcte quel est le problème, maintenant. Du fait que ce rapport a fait l’objet de fuites, je pense qu’il sera rapidement discrédité, afin de sauver la face, entre l’Arabie Saoudite et les Etats-Unis. Mais en même temps, on ne saurait nier qu’il y a bel et bien un problème entre les deux pays », dit Johnny Abedrabbo, économiste en chef à la National Commercial Bank d’Arabie Saoudite.
D’autres analystes pensent que les relations entre l’Arabie et les Etats-Unis risquent de connaître une tension accrue. « Il est très difficile de prophétiser en la matière, mais tout dépend, en réalité, des intentions des Etats-Unis en ce qui concerne l’Irak. Si le conflit avec l’Irak connaît une escalade, nous risquons de nous retrouver avec un énorme problème sur les bras, dans la région. Si le soufflé retombe, les choses pourraient rapidement s’améliorer – mais je redoute que la situation ne fasse qu’empirer », déclare un économiste saoudien sous couvert d’anonymat.
Tout cela nous amène à nous demander quel genre de personne peut bien tirer une conclusion aussi définitive – bien qu’erronée – sur l’Arabie saoudite, l’un des alliés de l’Amérique les plus loyaux de tout le Moyen-Orient…
Tenu au silence, Murawiec n’est pas en mesure de commenter son propre rapport. Néanmoins, il a révélé à Arabian Business ce qui peut être interprété comme les motivations de ses commentaires incendiaires au Pentagone, au cours de deux conversations téléphoniques que j’ai eues avec lui, la semaine dernière.
« Mon expérience de votre région du monde est que la plupart des gens ne peuvent pas voir les Saoudiens en peinture, pour dire les choses simplement. Tout le monde sait que vous êtes une bande de t…s du c.l fainéants, que vous vous prenez pour qui vous n’êtes pas et que vous vous comportez constamment de manière dégoûtante. Cela fait vingt ans que les gens de votre région me répètent cela. Mais je ne vous apprends rien de nouveau… », m’a notamment asséné Murawiec.
En réponse aux propos de Murawiec, Nail Al-Jubeir, vice-directeur de l’information à l’ambassade saoudienne de Washington a déclaré : « Nous ne faisons aucun commentaire sur des propos non professionnels. L’administration américaine a répondu à ses théories, qui ne représentent pas les positions de cette administration ni celles de personnes dotées de sens commun. Il n’a aucune expérience de l’Arabie saoudite, il n’y a jamais mis les pieds – ses opinions sont basées sur ses propres préjugés personnels sur le monde extérieur. »
Mathew Lussenhop de la direction du Proche-Orient au Département d’Etat, à Washington, a déclaré, pour sa part : « Il (Murawiec) ne parle pas au nom du gouvernement américain. Il est un chercheur privé qui a fait une conférence devant un groupe privé d’Américains. Aucune des personnes concernées n’était un représentant du gouvernement américain et le gouvernement américain a énoncé clairement, depuis la Maison Blanche, le Département d’Etat et le Ministère de la Défense (le 5 août) quelle est notre sentiment vis-à-vis de l’Arabie saoudite. »
Les commentaires de Murawiec sur l’Arabie saoudite fournissent quelques explications sur ce portrait caricatural de l’Arabie saoudite présenté à des officiels américains de haut rang. Ce faisant, il a exprimé publiquement son rejet total des soixante-dix années de relations (cordiales) entre les deux pays.
Mais les choses ne s’arrêtent pas là. Murawiec a également des opinions très arrêtées sur l’islam. « Je travaille depuis plusieurs années à un livre qui aura pour titre L’Esprit de l’Islam, et qui commence avec une présentation de la théologie musulmane au Moyen-Age », a-t-il fait savoir.
Un livre sur l’Islam ! C’est bien la dernière chose à laquelle on s’attendrait de la part de Murawiec… « Personnellement, mon intérêt, depuis très longtemps, se focalise sur la question de savoir si l’Islam est compatible – ou non – avec la modernité. Si vous voulez, en un sens, mes opinions sont assez proches de celles d’un Foudad Ajami ou d’un Kanaan Makkiyya [des universitaires arabes, analystes critiques du monde arabe contemporain].
« Nous sommes au beau milieu d’une des questions les plus fondamentales, qui est celle de l’unité, et aussi de la diversité, dans le monde arabo-musulman. Je suis tout à fait d’accord avec l’affirmation selon laquelle il y a d’énormes différences, mais aussi un caractère commun. L’important, pour moi, et c’est une chose que je ne cesse de répéter aux Américains, c’est qu’il y a une différence fondamentale entre l’islam en tant que pratique religieuse privée et l’islam en tant que ce qu’il proclame être – à savoir ; une politique. L’islam est une religion privée et cette religion est compatible avec toutes les autres – mais l’islam, en tant que politique, est un désastre à l’état pur. Je dis les choses très brutalement parce que je pense qu’il vaut mieux ne pas tourner autour du pot, lorsqu’on parle de ce genre de sujets », a ajouté Murawiec.
Les ouvrages polémiques sur l’islam ont une fâcheuse tendance à revenir hanter leur auteur, comme l’a montré la mésaventure de Salman Rushdie. Et ce futur livre de Murawiec semble promettre des points de vue intéressants. La question reste posée de savoir si les 1.2 milliards de musulmans qui suivent cette religion verront les choses de la même façon que lui…
Bien qu’il n’ait jamais vécu dans le monde arabe, Murawiec prétend comprendre comment les gens, au Moyen-Orient, interpréteront son argumentation.
« Je n’ai jamais vécu dans le monde arabe, mais j’y ai passé quelque temps. J’ai grandi avec des Arabes, en France », dit Murawiec.
Ce que l’on sait de Monsieur (en français dans le texte, ndt) Murawiec indique qu’il est un homme qui n’a jamais vécu au Moyen-Orient ni mis les pieds en Arabie saoudite, qu’il semble avoir fondé ses opinions sur le monde arabe sur les relations qu’il a pu avoir avec des Arabes en France et d’après ce que lui ont raconté des connaissances qui avaient eu un rapport, de près ou de loin, avec le monde arabe. On peut aussi légitimement se demander si ses opinions n’ont pas été quelque peu formées par son passage à Wiesbaden, le siège allemand du très controversé Lyndon Larouche.
La Rand Corporation semble sur les nerfs. Alors que c’est Laurent Murawiec, employé de la Rand, qui a préparé le rapport, la compagnie dit qu’il ne s’agit pas d’un rapport de recherche Rand. Les opinions et les conclusions exprimées étaient celles de l’auteur. Dans ce cas, le Pentagone aurait-il commandité lui-même ce (fameux) rapport à Murawiec ? « No comment », répond Murawiec.
Le Defense Policy Board (Bureau d’étude des politiques de défense) est un groupe indépendant réunissant des intellectuels connus, des experts ès sécurité nationale du secteur privé et d’anciens officiers supérieurs, tel l’ancien porte-parole de la Maison des Représentants, Newt Gingrich ou l’ex Secrétaire d’Etat Henry Kissinger, lesquels conseillent le Pentagone en matière de politique de défense.
Si le rapport Murawiec est le genre de conseils que reçoivent d’anciens officiels américains, que devons-nous, dans cette partie du monde, attendre des décideurs politiques actuels ?
                                                                                                                                        
Revue de presse

                                                                                                                 
1. Le "cas" Barghouti par Gilles Paris
in Le Monde du mardi 22 octobre 2002

Populaire, gouailleur, polyglotte et bon connaisseur de la société israélienne, le jeune député palestinien, actuellement jugé pour meurtre, embarrasse les autorités des deux camps.
Ce jour de janvier 2002, à Jérusalem, le colonel des renseignements militaires israéliens hésite une demi-seconde avant de répondre, tout sourire : "Marouane Barghouti ? C'est un terroriste, mais il parle hébreu..." Sanglé dans l'uniforme vert de son unité, le gradé vient de vanter les avantages, incomparables à ses yeux, de l'"assassinat préventif" d'activistes palestiniens par l'armée israélienne. On lui a demandé si cette méthode radicale pourrait un jour être appliquée au jeune secrétaire général du Fatah pour la Cisjordanie ; le colonel s'en est tiré par cette pirouette qui témoigne de la circonspection des autorités israéliennes devant le cas Barghouti.
De longue date, ce dernier revendique certes l'usage de la violence comme arme politique, ce qui en fait une cible potentielle, mais on lui reconnaît aussi une parfaite connaissance de la société israélienne, et on mesure le talent prometteur d'un jeune responsable qui peut se révéler à l'avenir un interlocuteur de choix pour des temps apaisés.
En ce début d'année, les zones palestiniennes restituées en 1994 et en 1995 par les autorités israéliennes sont toujours autonomes, et Marouane Barghouti bat le pavé de Ramallah comme au premier jour de l'Intifada. Depuis le début de l'insurrection palestinienne consécutive à la visite d'Ariel Sharon sur l'esplanade des Mosquées (le mont du Temple pour les juifs) et à la sanglante répression des échauffourées qu'elle avait suscitées, en septembre 2000, il en est la voix et le visage. Cadre turbulent du Fatah, la principale force politique palestinienne que préside Yasser Arafat, il a pris de court sa direction et imposé un mot d'ordre clair et simple : le processus de paix lancé en 1993 a débouché sur une impasse ; les règles du jeu doivent changer ; la lutte armée ira désormais de pair avec la négociation pour mettre fin à l'occupation israélienne des territoires conquis en 1967. L'explosion de septembre 2000, il n'a pas été le seul à la pressentir. En revanche, il a été le plus prompt à en prendre la mesure et à lui donner un contenu politique.
A Gaza, le directeur du Centre palestinien pour les droits de l'homme, Raji Sourani, commente en connaisseur son omniprésence. "Il n'est pas comme son homonyme Moustafa Barghouti [dirigeant de l'ex-Parti communiste palestinien et responsable réputé d'un réseau d'organisations non gouvernementales]. Marouane, lui, a la tripe populaire. Il est toujours au contact des gens, toujours dans la rue, dans la poussière ou la boue des camps de réfugiés, avec ses jeans et ses grosses chaussures. Le Fatah lui doit une fière chandelle. Sans lui, c'est le Hamas [Mouvement de la résistance islamique] qui risquait de ramasser la mise !" Le petit homme rond au visage barré d'une moustache et au regard constamment aux aguets n'a d'ailleurs pas conquis que la seule rue palestinienne. Auprès des journalistes, toujours disponible, glissant sans peine de l'hébreu à l'anglais ou à l'arabe, sa gouaille et sa roublardise ont fait merveille. "Comme je ne suis pas très grand, je pourrai toujours me cacher derrière vous si les Israéliens essaient de m'assassiner", réplique-t-il quand on l'interroge sur les risques de se montrer aussi régulièrement au grand jour. Un matin, dans les studios d'une maison de production de Ramallah, attendu par les journalistes d'une chaîne égyptienne alors que deux autres équipes patientent déjà dans le couloir, il a commencé une interview par téléphone avec une radio canadienne avant de lancer le combiné à son bras droit, sommé en trois clins d'œil de poursuivre l'entretien à sa place, comme si de rien n'était.
En ce mois de janvier, l'Intifada, pourtant, est à un tournant. Depuis quelques mois, l'armée israélienne accuse Marouane Barghouti de diriger, en marge de ses activités politiques, un groupuscule militaire clandestin du Fatah, les Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, qui s'est fait connaître par des opérations perpétrées dans les territoires palestiniens contre des militaires et des colons. Le responsable a multiplié les dénégations, sans convaincre ses accusateurs. Après la mort de l'un de ses chefs, tué par une bombe israélienne, le 14 janvier, le groupuscule bascule dans le terrorisme à outrance et frappe en Israël. L'armée réplique durement. C'est l'escalade, et le dirigeant n'est pas épargné.
Les autorités israéliennes avaient déjà lancé, en octobre 2001, un mandat d'arrêt contre lui. Deux mois plus tard, en décembre, l'armée avait ensuite investi à l'improviste l'appartement confortable mais discret qu'il occupe dans un quartier résidentiel de Ramallah. En vain. Le responsable palestinien était sur ses gardes et évitait depuis longtemps déjà son domicile. Le 16 janvier, le Washington Post publiait une tribune dans laquelle il résumait en quelques lignes ses convictions : "Peut-être serai-je tué, mais je revendique le droit de me défendre. Je ne suis ni un terroriste ni un pacifiste. Je ne veux pas détruire Israël, mais simplement mettre un terme à l'occupation de mon pays." Il n'est pas abattu lorsque l'armée israélienne réoccupe la Cisjordanie, après l'attentat meurtrier de Nétanya organisé par le Hamas le 27 mars, mais sa plongée dans la clandestinité tourne court. Il est arrêté le 15 avril et jeté immédiatement en prison.
La détention n'est pas une nouveauté pour lui. Comme la plupart des cadres palestiniens, il cumule déjà, à 43 ans, un nombre respectable d'années de prison et d'exil. Né en 1959 dans le village de Kober, au nord de Ramallah, il a grandi au sein d'une famille modeste et a dû travailler dans des restaurants de Jérusalem-Est pour pouvoir payer ses études, tout en menant de front des activités politiques qui l'ont rapidement mis en évidence. En 1978, son activisme précoce lui vaut une première condamnation à quatre ans et demi de geôle. Il "visite" alors la plupart des établissements pénitenciers israéliens, selon l'expression de sa femme Fadoua, une cousine éloignée avec laquelle il s'est fiancé depuis sa cellule, et qui deviendra plus tard avocate.
Derrière les barreaux, il apprend l'hébreu et côtoie les grands noms du mouvement national palestinien, dont Jibril Rajoub, le futur chef de la Sécurité préventive palestinienne pour la Cisjordanie. Libéré en 1983, il reprend à l'université de Bir Zeit, près de Ramallah, les études d'histoire et de sciences politiques poursuivies en prison. Auteur d'un mémoire sur l'histoire des relations franco-palestiniennes, président de l'Union des étudiants de l'université, il fonde en même temps la Chebiba, le mouvement de jeunesse du Fatah, interdit par Israël, et grimpe dans l'appareil.
Alternent alors les détentions administratives et les périodes de clandestinité, jusqu'à son bannissement, prononcé en janvier 1988, juste après le début de la première Intifada. "Marouane n'a assisté à aucun de mes quatre accouchements, se souvient Fadoua. Il était soit en fuite, soit en prison, soit en exil." Réfugié à Amman, en Jordanie, il suit de près le soulèvement populaire qui prend de court la direction palestinienne, repliée à Tunis après son éviction du Liban. Il y multiplie les missions pour coordonner le mouvement et compte alors parmi les conseillers de Yasser Arafat. Marouane Barghouti ne fait cependant pas partie du premier cercle du "Vieux", au contraire d'un autre banni, le fondateur de la Chebiba de Gaza, Mohamed Dahlan, promis à un brillant avenir. Malgré l'exil, le jeune homme reste un Palestinien de l'intérieur, propriétaire d'un capital politique acquis par la lutte, qui le rend indépendant de l'establishment tunisien.
Cette relative autonomie, dans un système organisé tout entier autour de Yasser Arafat, a un prix : il n'est membre que du Conseil révolutionnaire du Fatah, une instance qui n'a qu'un rôle secondaire dans le mouvement palestinien.
La difficulté ne bride pourtant pas ses fortes ambitions. De retour d'exil en 1994, grâce à l'amnistie décrétée dans la foulée des accords d'Oslo, c'est contre l'avis de Yasser Arafat qu'il s'efforce de transformer le Fatah en parti politique déconnecté de la toute jeune Autorité palestinienne. Marouane Barghouti échoue, mais les urnes lui sont une nouvelle fois favorables, et le chef de l'OLP ne peut s'opposer ni à son accession au poste de secrétaire général pour la Cisjordanie ni à sa candidature aux élections législatives de janvier 1996. Elu député, le perturbateur redouble d'efforts et ferraille avec d'autres jeunes cadres du parti, Qaddoura Farès et Mohammed Ourani, contre une Autorité qui devient rapidement autocratique et opaque. Il a beau ménager son chef, qui a plaqué son système de pouvoir sur ces institutions intérimaires, son activisme lui assure alors la hargne de certains responsables de la garde rapprochée du dirigeant de l'OLP.
Dès son retour en Cisjordanie, Marouane Barghouti s'est fait également l'avocat du processus de paix qui devait aboutir théoriquement à l'Etat palestinien en 1999. Il est déjà un interlocuteur familier de la presse israélienne, dont il connaît bien les arcanes. Sans jamais chercher à nouer de véritables liens d'amitié, il multiplie également les contacts avec des responsables politiques de la gauche israélienne, comme Chlomo Ben Ami et Yossi Beilin, dont les ouvrages côtoient dans sa bibliothèque personnelle les livres du journaliste américain Thomas Friedman (chroniqueur au New York Times), du chroniqueur militaire de Haaretz Ze'ev Schiff et des ouvrages consacrés aux partis religieux ultra-orthodoxes juifs. "Il ne voulait pas tout mélanger : il ne pouvait pas avoir de véritables amis israéliens tant que l'occupation se poursuivait", explique sa femme.
A la marge du pouvoir, il assiste en observateur au dérèglement du processus de paix. La force de conviction s'est brisée contre la réalité. Sa base le rappelle à l'ordre : au quotidien, la paix est devenue un enfer. Bouclages, confiscations de terres : le niveau de vie des Palestiniens se dégrade, alors que l'horizon de l'Etat ne cesse de s'éloigner.
Selon Fadoua, il revient de ses tournées dans les camps et dans les quartiers populaires de plus en plus pessimiste. Cette crise de confiance que perçoit le secrétaire général du Fatah se double, chez lui, d'interrogations sur la direction palestinienne, même s'il n'est pas question de remettre en cause l'icône Arafat. La deuxième Intifada permet d'ailleurs à Marouane Barghouti de faire sauter certains des verrous politiques qui préservent l'omnipotence des "Tunisiens". Jusqu'à son arrestation, sa popularité enflera, au risque de déplaire, et le chef de l'Autorité palestinienne devra le ménager pour espérer capter à son profit une partie de ce crédit.
Emprisonné depuis déjà six mois, le député palestinien fait face désormais à la justice israélienne, qui a choisi au travers de sa personne de juger l'Intifada. La mort d'une trentaine de personnes lui est reprochée, ce qui pourrait lui valoir une peine de prison à perpétuité. En dépit des précautions prises par ses juges, la partie politique et médiatique n'est pourtant pas perdue d'avance. Le député de Ramallah a déjà mis au point son plan de bataille. Pas question de discuter des charges présentées contre lui. Il ne reconnaît pas au tribunal le droit de le juger et entend bien profiter, au contraire, de la tribune qui lui est indirectement offerte pour instruire le procès de l'occupation israélienne. Prisonnier politique figé dans une posture de combat, il peut ainsi espérer préserver sa place à part auprès des Palestiniens, en pariant sur de nouvelles circonstances politiques qui précipiteraient à terme une libération. Le lutteur a du talent et de l'énergie. Les premières audiences, au cours desquelles il a souvent pris à son compte les débats, en ont apporté la preuve. Il lui en faudra pourtant beaucoup pour échapper à la pire sentence qui puisse jamais le menacer : l'oubli.
                                                           
2. Prendre date sur l'Irak par Jean-Pierre Chevènement
in Libération du mercredi 16 octobre 2002

[Jean-Pierre Chevènement est maire de Belfort et président du Pôle républicain.]
Au Conseil de sécurité, la France doit tenir bon contre la «logique de guerre» américaine.
Il faut savoir gré à Jacques Chirac de ne s'être pas inscrit, jusqu'à présent, dans la «logique de guerre» en Irak, voulue par George Bush. Il faut du courage et de la fermeté pour refuser de donner le sceau de la légalité internationale à une guerre préventive, avant même que les inspecteurs de l'ONU aient pu s'assurer du désarmement de l'Irak, et donc pour maintenir l'exigence de deux résolutions successives au Conseil de sécurité. Ce retour de la France nous change et mérite d'être salué comme il convient. Après le vote du Congrès américain et le triste alignement des sénateurs et représentants démocrates sur les exigences de George Bush, chacun sait cependant que la machine de guerre est lancée. La seule question qui se pose aujourd'hui est de savoir où se trouvent l'intérêt et l'honneur de la France. Se résignera-t-elle à un compromis médiocre au Conseil de sécurité, dans l'espoir illusoire de «passer à travers les gouttes» ? Ou prendra-t-elle date pour l'avenir, en affichant clairement son refus d'une guerre qui ­ n'en doutons pas ­ sera ravageuse ? Considérons d'abord les conséquences probables de la guerre : Nul ne doute que l'armée américaine puisse aller à Bagdad. Mais elle n'apportera pas la démocratie à l'Irak... à moins d'accepter que les chiites, majoritaires, y fassent la loi. Une fédération d'Etats, kurde, sunnite et chiite, serait également déstabilisante et d'abord pour la Turquie. L'analogie entre le Moyen-Orient et l'Allemagne ou le Japon de 1945, pays modernes depuis la fin du XIXe siècle, est stupide. L'armée américaine ne tiendra pas le terrain à partir des airs ou en répandant des dollars à profusion. Elle tiendra encore moins les âmes : énorme erreur que la sous-estimation du poids du facteur religieux !
En réalité, les Américains vont rejeter dans les bras des intégristes ce qui reste du nationalisme arabe laïque, en Irak, en Palestine et plus généralement les forces aspirant à la modernité dans le monde musulman tout entier. Ils ne connaissent des pays qu'ils prétendent transformer que le vernis superficiel d'élites occidentalisées. Ils ignorent l'état d'esprit des masses confites en religion. Après des succès initiaux, ils vont se trouver confrontés à une profonde déstabilisation : en Egypte, en Arabie Saoudite, au Pakistan dont le succès des partis religieux aux dernières élections traduit la fragilité, en Asie du Sud-Est enfin. Ils oublient que la démocratie ne peut procéder, en définitive, que de facteurs endogènes et ne peut s'établir que dans le respect de l'identité et de la dignité de chaque peuple. A terme, la puissance américaine va s'enliser dans la profondeur du monde arabo-musulman. Dans l'immédiat, l'onde du terrorisme se trouvera redoublée et, pour cela, plus que les Etats-Unis, nous sommes aux premières loges ! Déjà la société française est empoisonnée par la montée des communautarismes.
Face à cette perspective, la France doit prendre date, non seulement dans son intérêt mais dans celui de l'Occident tout entier, et j'ajoute des Etats-Unis eux-mêmes, qui n'ont pas les moyens de dominer, dans la durée, le monde musulman. La tentation d'un compromis médiocre au Conseil de sécurité nous tend les bras : si la France se contente de juxtaposer sa position (la réunion du Conseil de sécurité en cas de crise avec l'Irak) avec l'exigence américaine (avertissant l'Irak qu'il s'expose dans ce cas «aux plus graves conséquences»), c'est cette dernière qui l'emportera. En votant une telle résolution, la France donnerait une base légale à l'intervention américaine. Ce serait dramatique pour la suite.
Il y a une autre voie pour la France : c'est de tenir bon sur l'exigence d'une décision formelle du Conseil de sécurité pour tirer les conséquences d'un éventuel refus irakien d'appliquer ses résolutions. Par l'usage éventuel de son droit de veto, la France peut bloquer un texte qui, en autorisant d'emblée le recours à la force, discréditerait pour longtemps les Nations unies. En nous coulant aujourd'hui dans le moule, nous serions entraînés dans un crescendo d'acceptations toujours plus humiliantes : demain les Etats-Unis demanderaient à l'ONU de légitimer leur ordre à Bagdad.
Je n'ignore pas, pour notre diplomatie, la difficulté de l'exercice, tant les pressions des Etats-Unis sont fortes sur les autres membres du Conseil de sécurité, y compris la Russie. Mais la France n'y perdra rien : les Etats-Unis nous considèrent déjà comme des empêcheurs de tourner en rond. Peut-être même nous respecteront-ils davantage. Et à juste titre car, dans la longue durée, nous préserverons la voie d'un dialogue des civilisations, qui leur sera, un jour, à eux aussi, bien utile. Non seulement, la France ne perdra rien, mais elle gagnera la considération des peuples. J'ajoute que seule cette ferme diplomatie nous permettra de réaffirmer sur le territoire national le pacte républicain, et de contenir l'exacerbation des communautarismes.
On nous somme de choisir entre l'Empire et le Moyen Age. Refusons ce choix : il faut les combattre tous les deux, car la démesure américaine fait le jeu de l'intégrisme musulman et du terrorisme qu'il nourrit.
En refusant clairement de se confondre, si peu que ce soit, avec cette guerre, la France retrouverait l'inspiration du général de Gaulle, celle du discours prémonitoire de Phnom-Penh, en 1966, que les Etats-Unis eussent bien fait d'écouter pour s'éviter l'enlisement du Vietnam.
                                                                      
3. Combattants éternels d’un côté, terroristes invétérés de l’autre… par Amira Hass
in Ha'Aretz (quotidien israélien du jeudi 10 octobre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Voici les lois de la guerre, telles que les deux dernières années de conflit les ont édictées :
Un Palestinien est un terroriste dès lors qu’il attaque des civils israéliens, et cela, des deux côtés de la Ligne Verte – que ce soit en Israël ou dans les territoires occupés, peu importe – et même lorsqu’il attaque des soldats israéliens aux portes d’une ville palestinienne. Un Palestinien est un terroriste lorsque les tanks  d’une unité de l’armée israélienne font irruption dans le quartier où il habite, dès lors qu’il tire sur un soldat israélien qui serait sorti un bref instant d’un tank. Un Palestinien est aussi un terroriste lorsqu’il est atteint par un tir d’hélicoptère, le fusil à la main. [C’est pas compliqué] : qu’ils tuent des civils ou des militaires, les Palestiniens sont des terroristes !
Le soldat israélien, lui, reste en permanence un combattant. Même lorsqu’il tire un missile d’hélicoptère ou un obus de tank contre un groupe de personnes rassemblées à Khan Yunis, après que ce combattant lui-même ou un de ses collègues ait tiré un obus ou un missile sur une maison – à partir de laquelle, dit l’armée israélienne, une roquette Qassam aurait été tirée – en ayant tué, ce faisant, un civil, homme ou femme. Le soldat israélien est toujours un combattant, quand il rencontre deux Palestiniens armés dans la campagne. Le soldat israélien tue les gens armés, et il tue aussi les civils. Il tue, sans discernement : les chefs de bataillons de terroristes assassins, certes, mais aussi les enfants dans les écoles maternelles et les vieillards, chez eux. Plus précisément, ces enfants et ces gens âgés sont tués par « les tirs des Forces israéliennes de défense ». Plus précisément encore, « [ces civils] ont été tués, d’après des sources palestiniennes »…
Les responsables de la sécurité et les autorités judiciaires [d’Israël] pourchassent individuellement tous les terroristes palestiniens. Des centaines sont arrêtés et interrogés pour obtenir des information sur un seul individu. C’est la guerre, mais les Palestiniens ne sont pas arrêtés comme des prisonniers de guerre, qui doivent bénéficier [en vertu des conventions de Genève, ndt] de l’immunité, être dispensés de tout interrogatoire et de tout procès. Leurs noms sont connus, tous les éléments d’enquête et les accusations portées contre eux sont accessibles au public et peuvent être publiés. Si (et lorsque) une enquête bâclée identifie un soldat israélien qui aurait commis des infractions (à savoir, au choix : aurait tué, utilisé son arme de manière irrégulière, pillé, humilié des civils à un barrage militaire), son identité reste confidentielle. Dans des centaines de cas similaires, l’armée se contente de répéter : « nous n’avons pas connaissance du dépôt d’une plainte. » Dans des centaines de cas similaires, plus personne ne perd son temps ne serait-ce même à seulement poser la question.
Des milliers de Palestiniens sont en état d’arrestation, dans des centres de détention. Bien qu’étant un pays où règne l’état de droit, Israël inflige à ces prisonniers une punition bien plus sévère que le simple déni de leur liberté individuelle : il refuse que leurs familles puissent venir leur rendre visite, avant leur procès. Des dizaines de terroristes ont été mis en accusation et condamnés à mort, sans même avoir été amenés devant un tribunal et sans procès. Des terroristes [présumés], mais pas seulement : les civils qui sont proches d’eux, également. Voilà comment s’auto-défend un pays de droit, attaqué par une « entité terroriste ». Des centaines d’Israéliens sont impliqués dans ces exécutions extrajudiciaires, et ils sont glorifiés. Durant ces deux dernières années, les Palestiniens ont tué des dizaines de collaborateurs suspectés, sans procès ou après un simulacre de procès. [Là, c’est tout à fait différent] : il s’agit - ni plus ni moins - de meurtres lamentables, commis par des animaux, vivant dans une entité qui ne respecte ni la loi ni les droits humains fondamentaux !
On attend des Palestiniens qu’ils obéissent à des ordres militaires émanant de l’Etat d’Israël, comme s’il s’agît des lois d’un Etat palestinien. Mais l’état qui impose ces ordres et dont l’armée contrôle les territoires, la terre, les ressources en eau, n’est absolument pas responsable du bien-être des Palestiniens qui vivent dans ces territoires. [Israël] n’a nul besoin de se comporter comme un Etat normal, puisque les Palestiniens n’en sont pas des citoyens disposant du droit de vote. Il n’a pas à se comporter comme une puissance occupante, puisque les accords d’Oslo l’ont déchu de ce titre (aux yeux de l’opinion mondiale), lorsqu’ils ont transféré plus de 90 % de la population palestinienne au contrôle administratif de l’Autorité palestinienne. L’Autorité Palestinienne est (ainsi) devenue responsable de sa population, au moment même où on lui déniait toute autorité sur la plus grande partie de la Cisjordanie et où elle ne pouvait pas installer un tuyau d’eau sans l’autorisation de l’Administration Civile [euphémisme désignant l’administration militaire israélienne dans les territoires, ndt.] L’Autorité palestinienne est encore tenue pour responsable du bien-être et de la sécurité des Palestiniens, même après que ses institutions eussent été bombardées et détruites, et que des tanks et des hélicoptères israéliens eussent pris le contrôle de toute l’aire géographique concernée, intérieur et extérieur compris.
Les terroristes mettent en danger la population civile en se cachant au milieu d’elle, si bien que « Tshal » ne saurait être blâmée lorsque des civils palestiniens sont tués dans leurs maisons mêmes. En revanche, les combattants et leurs armes personnelles, et même les tanks israéliens, ne sont que des invités de passage, dans les colonies et dans les positions avancées, et ils tirent seulement sur les civils palestiniens que les terroristes exploitent, [en les mettant délibérément en danger]…
Les Palestiniens sont des gens sanguinaires, qui n’ont d’autre aspiration que se venger. C’est prouvé par toutes les manifestations et les sondages d’opinion, qui montrent que les Palestiniens soutiennent les attentats. Les Israéliens, dont les sondages d’opinion ont montré qu’ils approuvaient l’assassinat de Salah Shehadéh (à Gaza, ndt) bien qu’il ait causé la mort de quatorze civils, ne sont, bien entendu, en aucun cas des gens sanguinaires, pas plus qu’ils ne cherchent à se venger…
Le Palestinien trouble l’ordre public lorsqu’il viole un couvre-feu imposé par des soldats israéliens bien à l’abri dans leurs tanks et leurs jeeps blindées. Un tel Palestinien est coupable et susceptible d’être sanctionné : dans le meilleur des cas, on lui enverra des gaz lacrymogènes ; mais on pourra tout aussi bien lui tirer dessus. Et que font le combattant israélien et sa [glorieuse] armée, lorsqu’ils empêchent des centaines de milliers d’enfants [palestiniens] d’aller à l’école, les enseignants d’aller donner leurs cours, les malades d’aller à l’hôpital, les paysans d’aller dans leurs champs, et les grands-mères, de voir leurs petits-enfants… : ils protègent l’ordre public et la sécurité !
                                               
4. Ces « petits détails » que le président américain aimerait tant nous voir oublier ! par Robert Fisk
in The Independent (quotidien britanique) du mercredi 9 octobre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Ces temps-ci, chaque jour voit quelqu’un déclarer quelque chose d’encore plus incroyable que la veille sur l’obsession de guerre du président Bush. Hier, George Bush, en personne, évoquait devant un auditoire réuni dans la ville américaine de Cincinnati des « combattants de la guerre sainte nucléaire » ! Oubliez donc cinq minutes que nous sommes toujours incapables de prouver que Saddam Hussein a des armes nucléaires. Oubliez donc cinq minutes que le dernier discours de Bush n’était qu’un compilation des « si », des « éventuellement » et des « peut-être » des seize pages d’allégations bidon de Tony Blair, qu’il ose qualifier de « dossier », et qui n’est qu’une grossière duperie historique. Oubliez, je vous prie, que si d’aventure Oussama Ben Laden avait pu acheter une bombe nucléaire, il l’aurait probablement déjà utilisée contre Saddam Hussein. Oubliez tout ça. Aujourd’hui, nous devons nous battre contre « les combattants du djihad nucléaire » ! Voilà à quoi nous en sommes réduits, afin de justifier le délire dans lequel nous sommes entraînés aujourd’hui par la Maison Blanche, Downing Street et autres « experts » ès terrorisme - complètement à la masse - ainsi, hélas, que par de trop nombreux journalistes.
Oubliez ces quatorze Palestiniens, dont un enfant de douze ans, tués par Israël quelques heures avant que M. Bush prenne la parole. Oubliez qu’après que son aviation eût assassiné neuf enfants palestiniens, au mois de juillet dernier, pour ‘éliminer’ un activiste, le premier ministre israélien Ariel Sharon – un « homme de paix », d’après M. Bush – avait qualifié ce massacre de « succès total ». Attention : Israël est dans le bon camp : le nôtre. Ça : prière de ne pas l’oublier !
N’oubliez pas d’utiliser le mot « terrorisme ». Utilisez-le à propos de Saddam Hussein, utilisez-le à propos d’Oussama Ben Laden, utilisez-le en parlant de Yasser Arafat, utilisez-le à propos de quiconque ose s’opposer à Israël ou à l’Amérique. Dans son discours, hier, Bush l’a utilisé trente fois en une demi-heure. Ça nous fait du un « terrorisme » à la minute !
Bien. Maintenant faisons la liste exacte de ce que nous devrons réellement oublier si nous voulons soutenir cette folie.
Avant tout, c’est primordial, nous devons absolument oublier que le président Ronald Reagan avait mandé un envoyé spécial auprès de Saddam Hussein, en décembre 1983. Il est fondamental d’oublier cela pour trois raisons :
Primo : l’horrible Saddam était à l’époque déjà en train d’utiliser des gaz de combat contre les Iraniens – or, c’est l’une des raisons pour lesquelles nous sommes censés lui faire la guerre demain…
Secundo : l’envoyé américain avait été mandé en Irak pour y étudier la réouverture de l’ambassade américaine – afin d’assurer de meilleures relations commerciales et économiques avec le Boucher de Bagdad.
Tertio : l’envoyé en question était – je vous le donne en mille – un certain… (tada !) Donald Rumsfeld ! [‘Rummy’, pour les intimes. « Le seul homme politique, que je connaisse, à être plus à droite que Gengis Khan », a dit de lui Henry Kissinger : une référence ! ndt]
Maintenant, vous êtes fondés à trouver un peu étrange que M. Rumsfeld, au cours d’une de ses inénarrables conférences de presse, ne nous ait pas gratifiés cette anecdote pittoresque… Il est loisible de penser qu’il aurait pu avoir envie de nous éclairer sur la nature diabolique du criminel dont il avait si chaleureusement serré la paluche. Eh ben non : même pas ! C’est étrange, mais M. Rumsfeld est, à ce sujet, d’une discrétion absolue. Il en est de même au sujet de sa rencontre ultérieure - tout aussi cordiale - avec Tariq Aziz – qui se trouva avoir lieu exactement le jour où l’ONU publia son rapport accablant sur l’usage par Saddam de gaz de combat contre l’Iran. Cela se passait en mars 1984. A ce propos, dans les médias américains : silence radio. Ne faut-il pas que l’on oublie ? ! ?
Nous devons oublier, aussi, qu’en 1988, tandis que Saddam massacrait au gaz de combat la population d’Halabja, qui s’ajoutait à des dizaines de milliers d’autres Kurdes – lorsqu’il « utilisa des gaz contre son propre peuple », pour reprendre les termes de MM. Bush-Cheney-Blair-Cook-Straw et alii – le président Bush-Père lui votait un crédit de 500 millions de dollars au budget américain au titre d’avances sur des achats de produits agricoles américains. Nous sommes priés d’oublier que l’année suivante, une fois le génocide saddamien mené à bien, le président Bush-Père doubla cette subvention, la portant à 1 milliard de dollars, avec une petite faveur commerciale sous la forme de germes d’anthrax modifié à des fins militaires, d’hélicoptères de combat et de matériaux à usage notoirement « dual », susceptibles d’être utilisés afin de fabriquer des armes chimiques et biologiques.
Et lorsque le président Baby Bush promet au peuple irakien « une ère de nouvel espoir » et la démocratie après l’élimination de Saddam – comme il l’a encore fait hier soir – nous sommes priés d’oublier de quelle manière les Américains avaient promis au Pakistan et l’Afghanistan une nouvelle ère d’espoir après la défaite de l’armée soviétique, en 1980 – et n’avaient absolument rien fait.
Nous devons oublier comment le président Papy Bush avait exhorté les Irakiens à se révolter contre Saddam en 1991 et avait croisé les bras, une fois qu’ils s’étaient exécutés. Nous devons oublier comment l’Amérique avait promis une nouvelle ère d’espoir à la Somalie, en 1993, puis comment elle avait totalement abandonné ce pays à son lamentable sort, après l’opération « Crépuscule du Faucon Noir » ( !).
Oubliez, voulez-vous, que le président Baby Bush avait promis de « rester aux côtés » de l’Afghanistan, avant de commencer ses bombardements, l’année dernière, et qu’il a laissé aujourd’hui ce pays dans un chaos économique total où dominent les barons de la drogue, les seigneurs de la guerre, l’anarchie et la peur. Hier, il s’est déclaré fier de la « libération » du peuple d’Afghanistan – [il fallait avoir du souffle, tout de même] après avoir été incapable d’arrêter Ben Laden, après avoir laissé filer le Mullah Omar (en Vélo-Solex !) et alors même que ses troupes sont soumises à des attaques quotidiennes ! Il nous faut oublier, tandis que nous écoutons les discours sur la nécessité de renvoyer en Irak des inspecteurs en armements, que la CIA a utilisé les dits inspecteurs de l’ONU afin d’espionner l’Irak…
Et puis, bien sûr – surtout - il faut oublier le pétrole. En effet, le pétrole est bien LA matière première – c’est pourtant l’un des rares sujets sur lesquels George W. Bush touche un peu sa bille, avec ses conseillers anciens ‘pétroliers’, tels Dick Cheney et Condy Rice, ainsi que bien d’autres, dans son administration – à ne jamais être évoquée.
Au total, hier, sur trente minutes de harangue bushienne appelant à la guerre contre l’Irak – joliment ‘équilibrées’ d’à peine deux minutes de « j’espère que cela ne requerra pas une action militaire » - il n’y eut pas une seule allusion au fait que l’Irak détient sans doute des réserves pétrolières plus importantes que celles de l’Arabie Saoudite, ni au fait que les compagnies pétrolières américaines escomptent tirer des milliards de dollars de profits dans l’éventualité d’une invasion américaine de l’Irak et qu’ainsi, une fois à la retraite, Bush et ses petits amis pourraient bien devenir multimilliardaires grâce à cette guerre. Avant de revêtir le treillis, nous devons oublier tout ça.
Encore une fois (on ne le répétera jamais assez), retenez bien l’essentiel : IL  FAUT  OUBLIER !
                                                       
5. Enfance sous couvre-feu par Doaa Khalifa
in Al-Ahram Hebdo (hebdomadaire égyptien) du mercredi 9 octobre 2002
Huit Palestiniennes âgées de 8 à 13 ans sont venues au Caire dans le cadre des célébrations du deuxième anniversaire de l'Intifada. Ces enfants ont connu d'énormes difficultés pour rejoindre l'Egypte, où elles se sont confiées sur le traumatisme de leur vie quotidienne ... Témoignages. 
Layan, Sara et Alaa. Trois Palestiniennes âgées de 12 ans. Derrière des corps frêles qui entrent à peine dans l'adolescence, se cache autre chose que l'innocence et l'insouciance de l'enfance. Dès qu'elles commencent à parler, leurs paroles et l'expression de leurs visages reflètent un âge bien plus mûr et traduisent une souffrance endurée au quotidien.
Ce sont des enfants du camp d'Aïda à Bethléem en Palestine. Elles sont venues au Caire au sein d'un groupe composé de 8 enfants et 3 accompagnateurs, membres du centre Lagë (réfugié) de culture et des arts pour les enfants, pour célébrer le deuxième anniversaire de l'Intifada par leurs témoignages et leurs chants.
Au départ, 11 petites ambassadrices de 8 à 13 ans devraient venir au Caire, mais seules huit d'entre elles ont pu arriver au bout du périple pour enfin rallier la capitale égyptienne, un voyage qui s'apparente à un vrai parcours du combattant. « Nous avons eu recours à beaucoup d'astuces pour fuir les soldats israéliens : nous avons marché de longues distances à pied et escaladé des montagnes en portant nos bagages sur nos épaules. Nous avons été terrorisées pendant de longues heures, mais nous sommes habituées », relativise Sara, tandis que Hanadi raconte qu'elles sont déjà « vaccinées » contre la peur et que le moment le plus difficile a été la séparation avec leurs trois amies Rouanne, Arwa et Safaa, qui espéraient elles aussi arriver au Caire. Les petites aventurières relatent qu'elles ont pu, durant l'année dernière, échapper au couvre-feu et au siège pour se regrouper dans le centre afin de préparer leurs chansons ainsi que leur voyage en Egypte. « Jusqu'au dernier moment, nous n'étions pas sûres de pouvoir partir. La veille de notre voyage, il y avait beaucoup de violences dans le camp et l'on craignait l'invasion de Bethléem », explique Nesrine, jeune brune de 25 ans, l'une des accompagnatrices. Enthousiaste, elle veut raconter tout ce qui se passe sur le territoire de son pays. Cependant, les petites filles ne cessent de l'interrompre, chacune d'elle veut donner son propre témoignage sur les crimes impitoyables commis par les Israéliens contre les enfants, sur le traumatisme imposée par la guerre et la terreur quotidienne. « Nous avons mis 7 heures pour passer de Bethléem jusqu'à Jéricho, une première étape avant de passer la frontière jordanienne. Une distance qui se fait normalement en une heure et demie au maximum », se souvient Layan. « Nous avons été arrêtées une première fois entre Bethléem et le village d'Abou-Dis. Les soldats nous ont ordonné de repartir avant même de voir nos papiers. Nos deux accompagnateurs Maher et Nidal sont sortis de la voiture pour leur expliquer qu'on était un groupe musical, mais ils ont continué à nous barrer la route et ont menacé de nous fusiller si nous insistions pour passer », raconte la belle Layan.
La seule solution pour le groupe était alors de quitter la voiture et de prendre le risque de chercher une autre route au milieu des montagnes pour passer ce poste israélien en terre palestinienne. « Nous avions une volonté de fer pour continuer malgré les risques », assure la petite. Celle-ci parle aussi de l'attaque de son école. « C'était un jour horrible : j'étais à l'école au camp d'Aïda avec 60 autres enfants quand les soldats nous ont encerclés et ont lancé des rafales de balles au hasard en direction de l'école. Les professeurs ne savaient plus quoi faire pour nous protéger. Plusieurs enfants ont été blessés. Une balle a pénétré dans l'estomac de mon amie Amal qui souffre toujours de sa blessure aujourd'hui », raconte la petite d'une voix tremblante. Layan explique que le cauchemar a duré plus de deux heures, jusqu'à ce que les adultes parviennent à contacter le bureau de secours des réfugiés et la Croix-Rouge qui les ont secourus. C'est justement cet incident qui a poussé Layan à supporter les aléas du voyage malgré les risques, elle tenait à venir témoigner en Egypte.
Un périple à haut risque 
Après avoir passé d'Abou-Dis, un autre barrage militaire israélien les a arrêtés à Ezariya. « Ce n'est pas un barrage permanent. Nous avons dû rester deux heures pour attendre qu'ils s'en aillent, mais en vain. Alors nous avons dû penser autrement », raconte Nesrine en ajoutant qu'ils n'étaient pas les seuls dans ce cas. « Un étudiant à l'université a même été battu et humilié par les militaires à ce barrage ». Pour s'en sortir, les accompagnateurs ont dû laisser les filles avec le chauffeur de la voiture, qui avait une carte d'identité israélienne et pouvait donc prendre en charge sans problème des enfants de moins de 16 ans sans que ceux-ci aient besoin de montrer leur carte d'identité. « Nous les trois accompagnateurs avons essayé de passer autrement. Au début, un des soldats nous a vus et nous a lancé une grosse pierre que j'aurais prise en pleine tête si je ne l'avais pas évitée », ajoute Nesrine, qui habite aussi Bethléem et travaille comme professeur de mathématiques et de sciences à Ramallah. Nesrine explique que pour aller à son école, le trajet ne dure qu'une heure en temps normal. « Cependant, il y a longtemps que je dois partir de chez moi à 5 heures et demie du matin pour arriver à mon école à 8h. Parfois, les barrages militaires ne me permettent même pas de le faire. Je dois toujours trouver des itinéraires de rechange », explique Nesrine qui n'oubliera pas les cinquante jours au cours desquels elle n'a pu rentrer chez elle à cause des agressions et le couvre-feu à Ramallah. « C'était pénible, car je ne n'avais aucune nouvelle de mes parents, eux-mêmes étaient très inquiets à mon propos. Par chance, j'ai une sœur mariée qui vit à Ramallah et je suis restée chez elle, raconte Nesrine. Nous devions rester à la maison, n'ouvrir aucune fenêtre. Les coupures d'électricité, le manque de d'eau étaient notre quotidien. En bref, nous vivions dans un état d'alerte permanent ». Un état d'alerte, mais aussi la mort au quotidien. Nesrine relate simplement les mots de son petit neveu de 3 ans, qui quand elle lui avait interdit de sortir a dit : « La petite fille Iman Heggo est sortie et elle a été tuée. Pourquoi ne devrait-il pas m'arriver la même chose ? ».
La mort au quotidien 
Car l'enfance palestinienne n'est pas comme les autres enfances. Les petits Palestiniens prononcent des mots qui dépassent largement son âge, peut-être sans en concevoir l'ampleur. La vie dans les camps est rythmée par le couvre-feu, les violences et le risque. Le plus simplement du monde, ils débitent une liste de noms, ceux de leurs camarades ou voisins morts, parlent du chômage de leurs parents, des maisons démolies ou des derniers détenus parmi leurs voisins. Certaines images restent gravées dans les mémoires ; comme celle d'un frère agonisant 5 heures durant après avoir été touché par une balle israélienne. « Nous étions tranquillement à la maison, mon frère, qui avait alors 11 ans, dormait. Les chars israéliens sont entrés dans le camp et les soldats tiraient au hasard, comme toujours. Une des balles est entrée par la fenêtre et a atteint mon frère. Ils nous ont interdit de sortir pour l'emmener à l'hôpital. Ce n'est qu'après 5 heures qu'une ambulance est venue ; pendant tout ce temps, il perdait son sang, et nous le regardions impuissants », raconte Alaa.
Autre souvenir, même amertume. « Les forces israéliennes ont attaqué la maison de mon grand-père où logeaient 6 familles. C'était horrible, ils ont fouillé la maison à la recherche de mon oncle, recherché par les forces israéliennes. Ils ont insisté pour savoir où il se trouvait, mais personne ne le savait. Alors ils nous ont obligés à quitter la maison et l'ont faite exploser devant nos yeux », se souvient la petite. « Ce n'était pas tout ! Ils ont emmené ma tante en prison en laissant un enfant de 8 mois », s'indigne Alaa.
Pourtant, ce quotidien, ces enfants s'y sont habitués. Ils continuent à défier le couvre-feu, à l'image de nombreux autres enfants, pour poursuivre sa scolarité. « Les professeurs nous donnent la plupart du temps des cours supplémentaires les jours où nous parvenons à arriver à l'école et nous faisons deux ou trois examens par jour pour nous en sortir », explique la petite. Dans les camps, il faut mille et un efforts et mille et une astuces pour le plus simple des droits, vivre dignement, ou même vivre tout court.
« Nous ne pouvons même pas regarder par la fenêtre, notre voisin a été tué dans son jardin pendant le couvre-feu et son frère est devenu handicapé après avoir reçu des balles dans le pied en essayant de le sauver », se souvient Zeina, 13 ans, qui explique qu'elle passe son temps à étudier ses leçons ou suivre les nouvelles de l'occupation à la télévision. Elle ajoute que sa mère ne cesse de pleurer son fils détenu depuis 3 mois par les forces israéliennes. « On ne sait même où il est. Depuis ce jour, mon petit frère de 5 ans vit dans un état de terreur permanent. Il ne cesse de lever ses deux mains dès qu'il entend l'arrivée des soldats dans le camp. Même si je ne cesse de lui répéter qu'il est petit et qu'il ne risque rien, cela ne le soulage pas ».
Des histoires et des terreurs qui n'en finissent pas. Et qu'elles sont venues au Caire spécialement pour extérioriser. Seul regret de ces 8 petites filles, celui d'avoir dû se séparer de leurs 3 amies qui ont fait demi-tour avec un des accompagnateurs. Pour Doha, 11 ans, la tristesse a été double, puisqu'elle n'a pu revoir son père qui a quitté sa famille il y a cinq ans pour travailler en Jordanie. « J'espère que je pourrais le voir au retour », confie la petite fille qui rêve aussi d'être militaire pour défendre son pays. « J'espère que lorsque je serai adulte, il y n'aura plus un seul membre des forces d'occupation israéliennes sur la terre de mon pays ». Si Doha n'a pas encore perdu espoir, d'autres enfants se demandent s'ils connaîtront un jour la paix. Quant à Layan, qui ne supporte plus la douleur, elle n'espère qu'une chose : mourir en martyr. Entre-temps, elle chante son pays.
                                                 
6. L'armée israélienne se déchaîne par Françoise Germain-Robin
in L'Humanité du mardi 8 octobre 2002
Incursion très meurtrière de Tsahal dans la bande de Gaza.
Quelles sont les raisons profondes de l'attaque d'une extrême violence sur Khan Younès qui viole toutes les lois de la guerre et les conventions internationales ? De nombreux Palestiniens sur place y voient le prélude à une réoccupation de tout ou partie de la bande de Gaza elle-même.
Le déchaînement meurtrier auquel s'est livré l'armée israélienne hier matin dans la bande de Gaza est-il le premier acte d'une prochaine réoccupation totale de ce territoire palestinien en principe autonome ? C'est ce que pensent la plupart des habitants et les autorités palestiniennes au vu de la violence et de la sauvagerie de l'agression subie lundi matin à l'aube par les habitants de Khan Younès. Une ville antique dont il ne reste pas grand-chose, à part son nom, tout à fait au sud de la bande de Gaza, auprès de laquelle s'est construit l'un des plus vastes camps de réfugiés.
Il n'était pas cinq heures du matin quand une vingtaine de chars israéliens ont fait irruption à Khan Younès, accompagnant des troupes d'assaut des brigades Givati. Au moins neuf Palestiniens ont été tués et une quarantaine d'autres blessés lors de ce premier assaut, dont l'armée israélienne affirme qu'il a été motivé par le tir d'une roquette artisanale sur une colonie toute proche et d'ailleurs protégée par une haute muraille de béton et des miradors. La roquette, comme c'est généralement le cas, n'avait blessé personne. Du côté palestinien, les premières victimes de ce raid furent Abed Al Fatah Saloud, quarante-quatre ans, Rama Abou Samala, cinquante ans, Assa Abou Naja, vingt-sept ans, Jamal Barabakh, seize ans, Aïman Sakker, vingt-huit ans, Oussama Abdin, vingt ans, Jamal Khalaf, dont l'âge n'a pas été précisé, et deux autres Palestiniens non identifiés.
Mais alors que l'opération semblait terminée et que les habitants sortaient de chez eux pour constater les dégâts, des hélicoptères d'assaut sont revenus et se sont mis à tirer sur la population rassemblée, faisant deux nouvelles victimes. Et comme si cela ne suffisait pas, quelques instant après, des troupes israéliennes se lançaient à l'assaut de l'hôpital de Khan Younis où avaient été conduits de nombreux blessés et arrosaient au fusil mitrailleurs les familles anxieuses venues prendre des nouvelles des leurs, blessant grièvement huit personnes dont un jeune garçon de quatorze ans touché à la nuque.
Comment justifier un tel déchaînement de haine et de violence, de telles violations des lois de la guerre et des conventions internationales de la part de l'armée régulière d'un Etat qui se veut démocratique ? Le commandant militaire de la région de Gaza, le général Yisrael Ziv, interrogé hier par des journalistes israéliens eux-mêmes choqués par tant de violence, s'est justifié en affirmant que " les faubourgs de Gaza sont un nid de terroristes " et une " place forte du Hamas " et qu'il s'agissait de les empêcher de nuire. Il a affirmé qu'" une enquête menée par les services secrets avant l'opération avait prouvé qu'il n'y avait là que des hommes armés ". Un argument que l'on a déjà entendu lorsqu'il s'est agi de justifier le siège et la destruction du camp de réfugiés de Jenine où les pires crimes de guerre avaient été commis au mois d'avril.
Le Hamas a aussitôt appelé les Palestiniens à la vengeance. " Ce massacre s'inscrit parmi d'autres dus à l'occupation sioniste qui vise à détruire tous les Palestiniens, y compris les enfants, les femmes et les vieillards ", a affirmé à l'AFP Abdel Aziz Rantissi, un haut responsable du Hamas.
" Nous demandons à tous les groupes armés palestiniens - les Brigades des martyrs d'Al-Aqsa, les Brigades d'Al-Qods, les Brigades d'Abou Ali Moustapha, le Front démocratique de libération de la Palestine - d'intensifier leurs opérations et de frapper partout en Israël ", a-t-il dit.
A noter que cette incursion sanglante s'est produite au moment précis où le chef de la diplomatie européenne Javier Solana vient de commencer une visite au Proche-Orient pour tenter de convaincre le gouvernement israélien d'accepter la reprise de négociations en vue d'une solution politique. Arrivé en Israël dimanche, il s'est entendu dire par le ministre de la Défense, le travailliste Ben Eliezer, que les Européens feraient mieux de " laisser tomber Yasser Arafat " et de chercher d'autres interlocuteurs.
Sur le terrain politique, le président de l'Autorité palestinienne a obtenu dimanche un délai d'un mois pour former un nouveau gouvernement, chargé d'entamer les réformes promises, que M. Solana est venu encourager. Lors d'une session spéciale à Ramallah, le Conseil législatif palestinien a accepté d'accorder un délai d'un mois à Yasser Arafat pour présenter un nouveau gouvernement, et a adopté une loi proclamant Jérusalem capitale du futur Etat palestinien.
Cette loi, signée la veille par le leader palestinien, répond à la récente décision du Congrès américain de considérer Jérusalem comme capitale d'Israël, qui a provoqué des manifestations de colère dans le monde arabo-musulman.
                                                   
7. Intellectuels médiatiques : Les nouveaux réactionnaires une enquête de Maurice T. Maschino
in Le Monde Diplomatique du mois d'octobre 2002
Que leur est-il arrivé ? Naguère en première ligne pour défendre avec courage, contre les pouvoirs et l’opinion publique, des causes désespérées (affaire Callas, affaire Dreyfus, indépendance de l’Algérie, paix au Vietnam, etc.), beaucoup d’intellectuels français – d’Alain Finkielkraut à Jacques Julliard, de Philippe Sollers à André Glucksmann, de Luc Ferry à Pascal Bruckner et tant d’autres – semblent désormais s’aligner sur les thèses dominantes les plus frileuses et les plus conservatrices. Hérauts de la mondialisation libérale, génuflecteurs transis des Etats-Unis, soutiens inconditionnels du général Sharon, obséquieux complimenteurs des grands patrons, adulateurs de tous les pouvoirs et principalement de celui des grands médias, ces « intellectuels » n’usurpent-ils pas leur fonction et ne trahissent-ils pas Voltaire, Hugo, Zola, Gide, Sartre, Foucault et Bourdieu ?
Quand le peuple est muselé et la démocratie en danger, « l’insurrection est le plus sacré des devoirs ». De Rousseau à Sartre (« On a raison de se révolter ! »), de Voltaire, qui défendit la veuve Callas, à Zola, qui dénonça l’injuste condamnation du capitaine Dreyfus, et Gide, qui s’insurgea contre la guerre du Maroc et contre le colonialisme au Congo, les intellectuels en France – du moins les plus grands d’entre eux – ont été, pendant des siècles, à l’avant-garde du combat pour la justice et la liberté.
Ne craignant pas d’affronter les pouvoirs établis, payant de leur personne (Hugo et Zola durent s’exiler), ils furent de toutes les luttes contre les oppresseurs  et les tyrans. La guerre d’Espagne les mobilisa, et Saint-Exupéry, Georges Bernanos, François Mauriac, André Malraux, parmi tant d’autres, prirent une part active à la dénonciation du fascisme. La guerre d’Algérie les dressa, en majorité, contre la politique de « pacification » : la plupart (François Mauriac, André Mandouze, Pierre-Henri Simon) dénoncèrent la torture et les exactions de l’armée française, et plus de 121 apportèrent leur soutien, dans un manifeste célèbre, aux déserteurs et aux insoumis. A leur tête, bien sûr, Jean-Paul Sartre et sa revue Les Temps modernes, mais aussi des ethnologues (Jean Pouillon), des historiens (Pierre Vidal-Naquet), des orientalistes (Maxime Rodinson), des mathématiciens de réputation internationale (Laurent Schwartz), des écrivains, des artistes, des comédiens, des journalistes… On a du mal, aujourd’hui, à imaginer quel impact eut sur l’opinion, et les pouvoirs en place, pareille mobilisation des plus grands esprits de l’époque.
Car les temps ont changé. Et si mai 1968 a pu encore avoir, pour beaucoup, des airs de révolution, la découverte du goulag et du « socialisme réel », comme l’évolution des pays d’Afrique et d’Asie nouvellement indépendants ont provoqué chez beaucoup d’intellectuels français un véritable traumatisme.
La perte de leurs illusions, ou de leurs espérances, en a conduit beaucoup, dans les années 1970 et 1980, à se réfugier dans un silence gêné et à renier les engagements de leur jeunesse. Ou à intervenir, bruyamment, avec la fougue et la mauvaise conscience de repentis, en sens inverse. En battant leur coulpe, ou celle de leurs aînés, accusés de « s’être trompés ». Ou encore, en se ralliant à grands cris à l’américanisation du monde, à la mondialisation économique et à l’idéologie néolibérale qu’ils dénonçaient si énergiquement auparavant. Certains n’hésitent pas à assumer désormais, sur telle ou telle question (politique, économique ou culturelle), des positions qu’ils auraient eux-mêmes qualifiées, il y a quelques années, de « furieusement réactionnaires ».
D’autres restent marqués par le choc subi dans leur jeunesse. Si le temps des autocritiques est révolu, l’échec de la perestroïka, l’éclatement de l’Union soviétique les ont convaincus que la construction d’un socialisme à visage humain relevait de l’utopie. Loin de les revigorer, la politique que François Mitterrand et la gauche ont mise en œuvre dans les années 1980 les a confortés dans leur scepticisme, et ils restent décidés à ne plus se laisser piéger par les « apparences de l’histoire ».
Tant pis pour les foules !
Le terme même d’ « intellectuel engagé » leur répugne. Repliés dans les universités, confinés dans leurs bureaux et ne s’exprimant que dans des revues destinées à un public restreint, les plus sérieux d’entre eux se consacrent essentiellement à la « recherche de la vérité ».
Pierre Nora en est un exemple. A intervenir dans le présent, toujours équivoque ou trompeur, l’intellectuel risque de se fourvoyer et de tromper les citoyens, estime-t-il. Il doit donc porter sur la société au sein de laquelle il vit le même « regard éloigné » que l’ethnologue sur les Nambikwaras : « Que pensions-nous de De Gaulle en 1958 ? Toute la gauche criait à l’apprenti dictateur et dénonçait un « coup d’Etat fasciste ». Portons-nous  le même jugement aujourd’hui ? Prudence d’abord : « Il faut arracher l’activité intellectuelle à l’activité militante… C’est affreux à dire, mais quand on m’a demandé, il y a vingt ans, quel slogan je voulais pour Le Débat, j’ai répondu en riant : « Les intellectuels parlent aux intellectuels » comme « Les Français parlent aux Français ». Il faut accepter de ne pas être le porte-parole des foules. » Mais qui leur tiendra le langage de vérité si l’intellectuel se terre et se tait ? « Tant pis s’il n’y a pas de relais ! »
Pierre Nora va même plus loin dans ce qui ressemble fort à un mépris d’aristocrate : il n’hésiterait pas, éventuellement, à « dissocier ce qu’il pense de ce qu’il écrit ». Convaincu, par exemple, que l’issue du conflit israélo-palestinien ne peut être que tragique, il ne le dirait pas et laisserait au lecteur quelque espoir. D’ailleurs, « il est inutile d’écrire des articles d’opinion. Qu’un Théo Klein dénonce la politique de Sharon, c’est très bien [1]. Mais moi, à quoi cela servirait-il ? Si le citoyen Pierre Nora est de gauche » (« Bien sûr que j’ai voté Jospin ! »), l’intellectuel est ailleurs.
D’autres, également partisans de la plus grande réserve, ne paraissent pas atteints, à première vue, de schizophrénie. Sans la moindre hésitation, ils affirment que le rôle de l’intellectuel est de « penser le monde pour le transformer » : « L’intellectuel, déclare par exemple Pierre Rosanvallon, historien et professeur au Collège de France, c’est celui qui lie un travail d’analyse à une préoccupation citoyenne. Sinon, c’est un spécialiste. » Mais comme ces intellectuels n’entendent nullement vulgariser leur savoir et qu’ils récusent ces « caricatures » que sont à leurs yeux les « essayistes superficiels » et les « abonnés des médias », ils se condamnent à l’individualisme et au conservatisme des universitaires les plus classiques.
Pierre Rosanvallon le conteste : « Il y a des relais et des médiations : professeurs du secondaire, intellectuels sociétaux, journalistes… Nos travaux sont saisis d’une manière ou d’une autre par la société. » Illusion : cinquante ans après la guerre d’Algérie, de nombreux enseignants, y compris de gauche, passent très vite sur les pages sombres de cette période. Quand ils ne les ignorent pas [2]. Se croire « relayé » lorsqu’on ne touche qu’une fraction infime du public relève du fantasme. Et prétendre que les « livres d’intervention » de Pierre Bourdieu, par exemple, représentent « une chute dans l’exigence de vérité » (Pierre Rosanvallon), c’est adopter une conception élitiste de l’intellectuel, qui fait le jeu du pouvoir.
Face à ces intellectuels qui refusent toute publicité et, qu’ils soient ouvertement de gauche (Daniel Bensaïd, Miguel Benasayag) ou « simplement » démocrates (Clément Rosset, Marcel Gauchet), n’intéressent d’ailleurs pas les médias parce que trop « compliqués », s’en dressent d’autres, qui ont su si bien faire qu’ils occupent toute la scène et se confondent, pour le grand public, avec « les intellectuels ». C’est à leur entregent, comme à la toute-puissance de la télévision, qu’ils doivent leur succès.
Naguère marxistes, ou marxisants, eux aussi, au début de leur « carrière », ils se hâtèrent – ce fut l’un des effets Soljenitsyne – de renier leurs premières amours et de jeter le bébé avec l’eau du bain : dans leur fantasmagorie, les maîtres penseurs devenaient des « mangeurs d’hommes » - du cerveau de Hegel, Marx, Fichte ou Nietzsche étaient sortis tout droit , affirmaient-ils, l’antisémitisme et l’Etat totalitaire. Il était temps de promulguer une « nouvelle philosophie », qui composerait au capitalisme un visage humain : André Glucksmann, Bernard-Henri Lévy, Jean-Paul Dollé et quelques autres s’y employèrent. En toute sincérité, sans doute. Mais sans excessive lucidité.
Il est probable que cette agitation aurait vécu ce que vivent les roses si ces jeunes gens, qui avaient à leur actif plus de relations mondaines que de livres, n’avaient suscité la curiosité, puis l’enthousiasme des médias – entre autres, de la télévision. N’apportaient-ils pas leur caution (« de gauche ») à l’ordre existant, et un peu d’âme à un monde cynique ? N’hésitant pas à condamner les atteintes aux droits de l’homme au Bangladesh ou en Amérique latine, ne contribuaient-ils pas à entretenir la légende d’une France à la pointe du combat pour la liberté ?
Se servir d’une cause
ite poussés sur le devant de la scène médiatique, ils y sont restés. Non à cause de leur « œuvre » - une série d’essais hâtifs ne composent pas une œuvre, quelques idées choc ne font pas une pensée -, mais parce qu’en symbiose avec une époque qui, dans tous les domaines, fait de l’esbroufe et propose, telle l’alchimie du Seizième siècle, du cuivre pour de l’or et du fer blanc pour de l’argent. De cette perversion des valeurs, qui transforme un fait divers, si tragique soit-il, en événement de première importance, fait de « Loft Story » « une sorte de cours d’éducation amoureuse » (Luc Ferry) [3] ou d’un animateur de « débats » télévisuels un professeur de philosophie, ces intellectuels-là sont les premiers bénéficiaires.
L’époque n’est plus, en effet, où un intellectuel se définissait d’abord par son travail d’intellectuel. Par une œuvre qui le faisait connaître et, lorsqu’il intervenait dans les affaires du siècle, fondait sa légitimité. Voltaire, Hugo, Zola, Sartre, Gide, Foucault, Bourdieu …, tous furent d’abord des créateurs, qui ne devaient qu’à eux-mêmes, à leur talent et à la force de leurs écrits, leur célébrité. Aujourd’hui, peu importe la qualité, ou la nullité, d’une production : ce sont les médias, et la télévision d’abord, qui consacrent les intellectuels. Les font exister comme intellectuels. Décident qui l’est, et ne l’est pas. Et, par là même, modifient radicalement leur statut : il ne s’agit plus d’écrire les livres les plus substantiels, les plus profonds, pour être reconnu comme intellectuel, mais d’être le plus visible possible, le plus souvent présent à l’écran, à l’antenne et à la « une » des gazettes. De Libération ou du Monde si possible, et des magazines.
Mieux encore : pour peu qu’on occupe un poste d’éditorialiste dans un grand quotidien national, au Point, au Nouvel Observateur ou à l’Express, sans oublier la direction d’une collection chez un éditeur, on est sûr, grâce au réseau de relations parisiennes que l’on s’est ainsi constitué, de garder sa place au soleil.
Echange de bons services : aux médias les intellectuels rendent le lustre qu’ils en ont reçu, et les médias, qui les sollicitent à tout propos, entretiennent leur réputation. Pareille dépendance servile à l’égard de ceux qui vous font roi et peuvent, du jour au lendemain, vous précipiter dans les oubliettes se répercute sur la nature même de la production intellectuelle : elle doit être soutenue – un livre par an, tous les deux ans au moins, fût-ce un commentaire décousu de l’actualité la plus hétéroclite, baptisé « journal » - et, d’un livre à l’autre, des articles, des conférences, la participation à l’émission d’un confrère ou d’un quelconque directeur de rédaction, dont on encensera bien sûr le nouveau livre (pas toujours lu…). Le tout au détriment de la qualité, du sérieux, de la rigueur, du travail en profondeur, et dans le plus grand mépris des faits.
Jouant volontiers les journalistes, ces « intellectuels de parodie » [4] vont rarement sur le terrain (y vont-ils, ils s’en remettent aux autorités qui contrôlent le territoire, pilotés par elles, protégés par une garde rapprochée, quand ce n’est pas la sécurité militaire du pays qu’ils visitent…), et ne se livrent guère au travail minutieux d’enquête du reporter, qui prend des risques, collecte patiemment des informations, accorde autant d’attention aux simples citoyens qu’aux chefs d’Etat ou de guerre. « Ils ne servent pas une cause, dit d’eux Pierre Nora, ils s’en servent, ils mettent le malheur du monde au service de leur ego. » Et d’un narcissisme exorbitant.
Reporters d’un jour ou auteurs prolixes, tous cultivent leur différence. Et, faute d’innover – de créer – se répètent, pour l’accentuer : bruyante défense des droits humains, de préférence en Croatie, en Bosnie ou au Rwanda, plus « exotiques » que l’Hexagone ; fracassant éloge du néolibéralisme et de la mondialisation économique (forcément « heureuse ») ; incessante apologie des Etats-Unis ; constante critique du « tiers-mondisme » ; permanente dénonciation du « progressisme » et de tout modernisme ; inlassable et inconditionnel soutien au gouvernement d’Israël… A chacun son oriflamme, qui le rend immédiatement reconnaissable. A chacun son fonds de commerce. Pour peu qu’il soit solide, son détenteur peut se permettre n’importe quelle fantaisie.
Par exemple, de soutenir qu’un chat n’est pas un chat, ou qu’un raciste est un humaniste. Tel Alain Finkielkraut, que l’antisémitisme d’un Renaud Camus n’émeut pas outre mesure. Soutenir qu’ « un juif est incapable d’assimiler vraiment la culture française » ne lui paraît pas scandaleux : pour peu qu’on ne refuse pas de méconnaître « la part de l’héritage dans l’identité », ni de reconnaître qu’il existe « des degrés de l’appartenance nationale », ces propos, estime-t-il, « prennent un autre sens [5] ».
Comme n’a rien de raciste, toujours selon Finkielkraut, le récent pamphlet antimusulman d’Oriana Fallaci, La Rage et l’Orgueil [6]. En injuriant « les fils d’Allah », qui « se multiplient comme des rats », elle nous oblige à « regarder la réalité en face » et à voir enfin, en toute bonne conscience, ce que sont vraiment les Arabes. Briseuse de tabous, « elle a l’insigne mérite de ne pas se laisser intimider » et libère la parole [7].
Certes, troublé par les réactions que ces propos ont provoquées, l’ « humaniste » se reprend et décrète que, tout compte fait, le livre d’Oriana Fallaci est « indéfendable ». Après l’avoir défendu. Mais dans l’entretien qu’il nous accorde, il ne peut s’empêcher de lui trouver des vertus et, derechef, de le défendre : « J’ai été saisi par une certaine force. Oriana Fallaci a entrepris de dire ses quatre vérités à l’Europe. Son livre est un livre antieuropéen. » Bref, anti-tout.
Tactique finkielkrautienne : attaqué sur un point précis, il change d’objet, se dérobe, glisse comme une anguille entre les objections. D’où cet emploi constant du mais, qui a pour fonction de nier – et non pas de nuancer – ce que, par soumission apparente au politiquement correct, il vient de concéder. Il n’est pas passéiste, mais « attention au progrès » ( au clonage, au pacs, au divorce par consentement mutuel, à la parité…) ; il se dit de gauche, mais il « n’aime pas du tout cette propension de la gauche à être binaire » ; il n’est pas du côté des dominants, mais « les dominants n’ont pas tous les torts » ; il faut « sortir du discours libéral », mais il ne faut pas s’enfermer, surtout pas ! dans le discours progressiste.
Evoque-t-on le racisme anti-arabe, Finkielkraut enchaîne aussitôt sur l’antisémitisme. Est-il donc plus difficile, en France, d’être juif qu’arabe et, parce que juif, de trouver un logement, un emploi, d’occuper de hautes fonctions… ? Gêné, il biaise : « Il n’est pas facile d’être juif dans un quartier arabe. » Ne lui objectez pas qu’il est peut-être plus difficile d’être arabe en Israël, il s’énerve : « Les Arabes israéliens bénéficient des droits civiques et sociaux communs à tous les Israéliens. » Et surtout, ne lui dites pas qu’Israël mène en Palestine, avec les méthodes qu’on sait, une guerre coloniale : il risque un infarctus.
Partialité, peur haineuse des Arabes, soutien aveugle d’Israël, boursouflure narcissique : Alain Finkielkraut a du moins un mérite. Par ses excès, il permet de saisir, telle une caricature, des traits communs à bien des intellectuels français d’aujourd’hui, si différents soient-ils les uns des autres :
- la morgue aristocratique et le mépris du peuple : Luc Ferry, qui n’a sans doute jamais parlé des masses françaises, n’hésite pas en revanche à parler des « masses arabes ». Il est vrai qu’il ne tient pas en haute estime les premières : « J’ai parfois le sentiment qu’il y a presque trop de programmes intéressants à la télévision [8] » ;
- la disqualification injurieuse de ceux qui pensent autrement : le journaliste Didier Eribon n’est qu’un « pitbull », les pédagogues à la Philippe Mérieux sont « des gardes rouges de la « cuculture » » (Alain Finkielkraut) [9], Pierre Bourdieu était « fou d’orgueil, narcissique, manipulateur, hypocrite, pervers, grandiloquent, ridicule, insupportable » (Alain Minc) [10], « l’antiaméricanisme, c’est le progressisme des cons » (Pascal Bruckner) [11] ;
- l’incohérence : Philippe Sollers dénonce le racisme de Renaud Camus, mais publie dans sa revue L’Infini un article de Marc-Edouard Nabe, qui fulmine contre le « retour de l’anti-antisémitisme. Cette salope de Sinclair se lèche déjà ses épaisses babines… [12] » ;
- une sensibilité beaucoup plus vive à l’antisémitisme qu’à l’islamophobie. Si les réflexions de Renaud Camus sur les juifs ont provoqué une tempête de protestations qui a duré plus de trois mois, les 175 pages d’injures d’Oriana Fallaci contre les musulmans n’ont guère ému le microcosme intellectuel : excepté Bernard-Henri Lévy, qui a aussitôt réagi dans le numéro même du Point qui publiait… les vociférations de la journaliste italienne, et Laurent Joffrin, qui l’a exécutée dans un article du Nouvel Observateur, presque tous les autres se sont tus. A commencer par certains de ceux (Claude Lanzmann) qui avaient vivement protesté contre les propos de Renaud Camus. Deux poids, deux mesures ?
- une certaine indifférence à l’égard des victimes de guerres, embargos, famines et maladies qui ravagent le tiers-monde : quelque 3 000 morts le 11 septembre 2001 à New York, c’est horrible, et « nous sommes tous américains », mais des centaines de milliers de morts au Rwanda, trois millions en trois ans au Congo-Kinshasa, c’est horrible aussi, mais n’émeut personne : Américains si, Africains no ! André Glucksmann, si prompt à dénoncer les crimes des Russes, des Chinois ou des Nord-Coréens, n’a pas « un mot de compassion, observe Gilbert Achcar, pour les victimes des Etats de l’OTAN et assimilés, comme les Kurdes et les Palestiniens [13] ».
Humanisme à la carte ? Ce n’est pas tout.
« Un intellectuel, affirmait Herbert Marcuse, est quelqu’un qui refuse d’établir des compromis avec les dominants. » Et dont la tâche première, dit Pierre Rosanvallon, est de rendre le monde un peu plus intelligible et de produire « une lisibilité sans concessions ». La plupart des intellectuels français d’aujourd’hui ne s’en acquittent pas : au lieu d’inciter à réfléchir, ils brouillent les cartes. Comme les médias. Même quand ils ne méconnaissent pas la réalité.
Tel Pascal Bruckner, qui rappelle, dans les premières pages de son récent essai Misère de la prospérité [14], quelques chiffres effrayants sur les inégalités du monde contemporain : « 20 % des 6 milliards d’habitants sur terre subsistent avec moins d’un dollar par jour et un enfant sur quatre souffre de malnutrition dans le Sud… 10 % de la population du globe produit et consomme 70 % des biens et services… » Logiquement, une seule conclusion s’impose : un mode de production qui affame les deux tiers de la planète et fabrique des exclus par centaines de millions est un scandale et doit être combattu. Ce qui échappe, apparemment, à l’entendement de Pascal Bruckner. Sans transition, il se déchaîne contre les « antimondialistes » - des jaloux qui dénoncent les maîtres du monde parce qu’ils n’en font pas partie ; il regrette que les Etats-Unis interviennent si peu dans les affaires des autres – « Ce n’est pas le leadership américain qui est inquiétant, c’est plutôt sa discrétion » ; frappé d’amnésie, il dit « oui au capitalisme » dont il vient de stigmatiser les méfaits, et suggère à ceux qu’il « obsède » de « ne plus y penser » : « Etre anticapitaliste (…), c’est penser à autre chose. Plutôt que d’être contre, pourquoi ne pas être à côté, se dérober ? » Et, oubliant « l’ordre des utilités », s’adonner à « la poésie , l’amour, l’érotisme, la contemplation de la nature » ?
Ravis par le pouvoir
Parmi les contemporains, Pascal Bruckner est assurément un cas. Mais représentatif d’une attitude très répandue, amour et petites fleurs des champs en moins, chez de nombreux intellectuels.
Avec des nuances, certes. Si la mondialisation libérale rend euphorique Alain Minc, « proche du blairisme » - « lutter contre la mondialisation, c’est (passez-moi l’expression) pisser contre le vent » -, d’autres sont plus nuancés. Mais, même s’ils dénoncent l’interventionnisme américain ou souhaitent une mondialisation plus « humaine » qui respecte « les valeurs non mercantiles : le bonheur, l’amitié, la solidarité » (Jacques Julliard), la plupart estiment que le capitalisme est le moins mauvais des systèmes et qu’il doit être, simplement, « aménagé ». Tous évoquent la nécessité de contre-pouvoirs et comptent, les uns, sur la société civile et la concertation entre « partenaires », les autres, sur les luttes sociales.
« Libéral de gauche », Alain Minc admet bien que « le marché crée de l’inégalité », mais il est convaincu qu’il peut être « régulé » et « encadré ». Quant à Laurent Joffrin, mollement réformiste, partisan d’une social-démocratie « rénovée », il estime nécessaire de « réhabiliter le politique » : « Tout passe par la gauche classique. Les partis de gauche doivent réinventer de nouvelles méthodes d’action et se concerter à l’échelle européenne en vue d’interventions communes. »
Chimères, estime Jean-François Kahn : au moment où de plus en plus d’hommes et de femmes, dans les pays riches, sont condamnés à une vie de plus en plus dure, où les pays du tiers-monde souffrent plus que jamais de la faim et d’une mortalité de plus en plus élevée, au moment donc où le capitalisme tue, directement ou indirectement, des millions d’êtres humains, s’imaginer qu’on peut l’ « humaniser » quand, dans son essence même, il est inhumain, c’est se leurrer – absolument.
Le refuse-t-on, il ne reste pas d’autres solution qu’un front commun des démocrates pour jeter les bases d’un autre type de société : « En mai 1968, poursuit le directeur de Marianne, je trouvais parfaitement dérisoire – le contexte ne s’y prêtait pas – l’agitation « révolutionnaire ». Mais aujourd’hui, je pense qu’il faut faire la révolution. Par rapport à la logique néolibérale – qui est une dynamique folle, qui provoque des dégâts terribles, qui déchire, broie, casse, qui brise l’homme et représente un véritable recul de la civilisation -, il faut donner un coup d’arrêt de type révolutionnaire. Si nous ne le faisons pas, qui le fera ? Ceux qui sont déjà en train de le faire, les intégristes religieux, les islamistes, les populistes, les néofascistes, les nationalistes ethniques… Le choix est clair : ou l’on fonde un projet révolutionnaire pour le meilleur, ou l’on accepte que d’autres le fassent pour le pire. Et cela, la plupart des intellectuels ne le comprennent pas. »
Parce qu’ils se sont embourgeoisés ? Sans doute. « Beaucoup d’ex-soixante-huitards se sont engouffrés dans l’économie de marché pour en modifier le cours, et ils s’y sont pleinement intégrés », constate, en connaissance de cause, Laurent Joffrin. « Le régime libéral paie cher les intellectuels qui se rallient, dénonce Michel Onfray, il sait rendre désirable l’inféodation. Conférences à dix mille euros, intégration du philosophe dans le brain-trust de l’entreprise, participation à des comités de direction, animation de soirées-débats richement dotées, places de choix dans les médias collaborateurs, où leurs livres sont positivement chroniqués : peu résistent à ces sirènes ».
Philippe Sollers, André Glucksmann, Alain Minc, Pascal Bruckner, André Comte-Sponville, Luc Ferry, entre autres, ne résistent pas et se produisent volontiers dans les entreprises. Bernard-Henri Lévy s’en défend, mais, dans ses « bloc-notes » du Point, il n’en célèbre pas moins ceux qui les dirigent, tels Jean-Luc Lagardère – « J’aime en lui ce côté grand condottiere ou Cyrano menant sa propre vie » - et Jean-Marie Messier, qui « s’ouvre au vent du large, force le destin, inverse l’ordre prescrit des choses [15] »…
D’autres, ou les mêmes, n’hésitent pas à courtiser ou à servir le Prince. Il y a trois ans, Luc Ferry se flattait d’avoir partagé un café-croissant avec le secrétaire général de l’Elysée, désormais ministre des affaires étrangères : « J’avais un petit déjeuner avec Dominique de Villepin. Il voulait me voir seul… et devinez qui a passé la tête ? Chirac [16] ! » Pour peu qu’un ministre ou un président leur confie une mission ou un portefeuille, ils exultent, ravis au sens provençal du terme…
Toutefois, leur mode de vie n’explique pas, à lui seul, leur incapacité à prendre une juste mesure du monde. Encore faudrait-il qu’ils aient opéré une véritable révolution intérieure. Ce n’est pas le cas : contrairement à ce qu’ils croient, ils n’ont pas changé. Pas dépouillé le vieil homme. Leurs structures mentales sont demeurées identiques : « Avec la même passion qu’autrefois ils dénonçaient le « socialisme » parce qu’il sacrifiait l’homme à l’Etat, ils célèbrent le néolibéralisme et ne comprennent pas, ou ne veulent pas comprendre, qu’il sacrifie l’homme à l’argent, constate Jean-François Kahn. De la même façon qu’ils étaient staliniens ou maoïstes, ils sont devenus pro-américains. Et de la même manière qu’ils se disaient internationalistes, ils se proclament mondialistes. Ils restent manichéens, comme par-devant. Et ne se rendent pas compte qu’ils ont changé de camp. »
Ardents défenseurs, disent-ils, des droits humains, ils soutiennent un Etat qui ne les respecte pas plus, ni chez lui ni dans les pays qu’il domine, que l’ex-Union soviétique. Aide inconditionnelle aux dictatures les plus sanglantes comme aux politiques les plus aveugles et les plus meurtrières, coups d’Etat, attentats, condamnation à la mort lente (famine, maladies) de centaines de milliers d’êtres humains (Irak, Soudan) : les Etats-Unis sont « un Etat terroriste de premier plan » (Noam Chomsky) [17], et c’est à cet Etat qu’ils disent « démocratique » (Jacques Julliard), que la plupart apportent leur appui, quand ils ne lui vouent pas une admiration sans bornes.
Politiquement soumis, idéologiquement serviles, adulateurs des grands, courtisans flagorneurs, couverts de titres, qu’ils arborent comme des médailles (professeur à l’Ecole polytechnique, agrégés de l’Université, « philosophes »), souvent beau parleurs et parfois stylistes brillants, ils ont, comme on dit, « tout pour plaire ». Il n’est pas étonnant qu’ils aient séduit les médias ni que, en retour, ils s’en servent. Oubliant, par là même, la fonction première d’un intellectuel, « marginale, inutile et essentielle », comme dit Pierre Nora : la fonction critique, le refus total de compromis avec les dominants.
Contrairement à ces esprits chagrins, qui, prenant leurs désirs pour la réalité, annoncent régulièrement la « fin des intellectuels », les intellectuels – les vrais – sont plus que jamais nécessaires : dans une société où l’école se délabre, où la télévision déverse à haute dose ses inepties sur des millions de citoyens, où les journaux s’avilissent et, trop souvent, cultivent le fait divers plutôt que le fait vrai, seuls des intellectuels peuvent inciter à réfléchir. A prendre quelque distance à l’égard de l’événement brut. A voir, lire et entendre autrement.
« Le rôle d’un intellectuel est aujourd’hui le même qu’autrefois, rappelle Michel Onfray : sur le principe de Diogène (ou de Bourdieu), être la mauvaise conscience de son temps, de son époque. Le taon, la mouche du coche, le rebelle avec lequel on ne reproduit pas le système social. L’intellectuel peut penser et fournir des idées aux politiques, peu doués pour la pensée et la réflexion. Il doit dénoncer les injustices, les tares du système, les mécaniques aliénantes… » Sans concession.
[Ont refusé de participer à cette enquête : Pascal Bruckner, Jean-Claude Casanova, André Glucksmann, Serge July, Jorge Semprun. A « réservé » sa réponse : Luc Ferry.]
- Notes :
[1] : Théo Klein, Le Manifeste d’un Juif libre, Liana Lévi, Paris, 2002.
[2] : Cf. « La mémoire expurgée de la guerre d’Algérie », Le Monde diplomatique, février 2001.
[3] : In « Le Monde-Télévision », 12 août 2002.
[4] : Louis Pinto, « Des prophètes pour intellectuels », Le Monde diplomatique, septembre 1997.
[5] : Alain Finkielkraut, L’Imparfait du présent, Gallimard, Paris, 2002.
[6] : Oriana Fallaci, La Rage et l’Orgueil, Plon, Paris, 2002.
[7] : Alain Finkielkraut, Le Point, 24 mai 2002.
[8] : Luc Ferry, in « Le Monde-Télévision », 12 août 2002.
[9] : Marion Van Renterghem, « Entre chiens de garde et pitbulls », Le Monde, 1er mars 1998.
[10] : Alain Minc, Le Fracas du monde, Seuil, Paris, 2002.
[11] : Le Figaro, 22 février 2002.
[12] : Guy Birenbaum et Yvan Gattegno,  « Les obsessions racistes de Renaud Camus », Le Monde, 3 août 2000.
[13] : Gilbert Achcar, Le Choc des barbaries, Complexe, Bruxelles, 2002.
[14] : Pascal Bruckner, Misère de la prospérité, Grasset, Paris, 2002.
[15] : Le Point, 5 mai 2000 et 23 juillet 2002.
[16] : Philippe Lançon, « Le philosophe du président », Libération, 3 mars 1997.
[17] : Noam Chomsky, La loi du plus fort, Le Serpent à plumes, Paris, 2002. 
                                                                           
8. L'armée israélienne s'entraîne à expulser Yasser Arafat
Dépêche de l'agence Associated Press du jeudi 3 octobre 2002, 16h25
JERUSALEM - Des soldats israéliens ont reçu un entraînement les préparant à expulser Yasser Arafat par hélicoptère, ont confirmé jeudi des sources de la sécurité israélienne, le quotidien "Maariv" rapportant dans son édition de jeudi que les commandos de Tsahal ont même visité le lieu de destination du président de l'Autorité palestinienne, une région déserte d'un pays étranger.
S'exprimant sous couvert d'anonymat, ces responsables ont affirmé que les commandos étaient prêts à exécuter ce plan d'expulsion dès qu'ils en recevaient l'ordre.
Le Premier ministre israélien Ariel Sharon tente de pousser Yasser Arafat à l'exil, mais s'est vu opposer la résistance des chefs de la sécurité israélienne et de l'administration américaine.
Selon les informations publiées par "Maariv", Arafat serait transporté par hélicoptère depuis son quartier général de Ramallah en Cisjordanie vers un lieu où "il n'y a ni ville ni population à proximité". Le quotidien ne donne pas le nom du lieu mais la télévision israélienne avait récemment affirmé que Tsahal avait choisi le désert libyen comme destination.
Interrogé sur ces points, Dore Gold, un responsable du gouvernement israélien, s'est refusé à tout commentaire.
A la Moukataa dont un seul bâtiment est encore debout, des conseillers de Yasser Arafat ont démenti par ailleurs les informations selon lesquelles le président de l'Autorité palestinienne aurait l'intention de s'installer à Bethléem. "Le président Arafat restera dans ses bureaux de Ramallah pour poursuivre ses efforts pour mettre un terme à ce siège et cette occupation", a dit le ministre du Plan Nabil Shaath.
Le ministre palestinien Saeb Erekat a considéré que les préparatifs israéliens pour une expulsion de Yasser Arafat dévoilaient le véritable programme d'Ariel Sharon: "Cela montre que le but du gouvernement israélien est de détruire l'Autorité palestinienne, de tuer le président Arafat et de reprendre l'occupation".
Jeudi à Tel Aviv, le procès de Marouan Barghouti, l'un des possibles successeurs de Yasser Arafat et chef du Fatah pour la Cisjordanie, a repris. Au cours de cette deuxième audience d'une juridiction qu'il ne reconnaît pas Barghouti, accusé par l'Etat hébreu d'avoir organisé et financé des attentats qui ont tué 26 Israéliens, a lu une liste de 54 chefs d'inculpation qu'il reproche à Israël, accusant le pays d'être coupable de crimes de guerre au cours des 35 années d'occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza.
A Djénine en Cisjordanie, un vendeur de légumes palestinien de 45 ans a été tué par les soldats israéliens qui ont ouvert le feu pour faire respecter le couvre-feu. Selon des responsables hospitaliers, l'homme a été atteint à la tête alors qu'il se tenait devant son étal. L'armée israélienne a expliqué que ses soldats avaient riposté à des tirs.
                                                                   
9. Compétition d’endurance : le premier qui cligne des yeux a perdu ! par Azmi Bishara
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du jeudi 10 octobre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Azmi Bishara, homme politique palestinien de premier plan, est membre de la Knesset - Parlement israélien.)
Le conflit arabo-israélien ne tourne plus désormais autour de l’Etat palestinien : celui-ci est acquis. Il concerne aujourd’hui les conditions de son établissement. Dans cet article, Azmi Bishara exhorte les Palestiniens à soutenir le regard de Sharon, et surtout à ne pas ciller les premiers !
Dans une énorme manifestation de protestation contre une guerre éventuelle en Irak, organisée à Londres récemment, le drapeau palestinien se distinguait clairement parmi une marée de bannières. De manière plutôt étonnante, cela a peu retenu l’attention, comme s’il était absolument normal, pour le symbole palestinien, d’occuper la première place dans une manifestation de cette nature. En réalité, cela n’avait rien de banal – tout du moins, pas en Europe – si l’on veut bien se souvenir qu’Israël s’est démené frénétiquement depuis le 11 septembre afin d’assimiler la cause palestinienne au terrorisme et que le président George W. Bush prétend que la direction palestinienne est le principal obstacle sur la voie de la paix au Moyen-Orient. Mais peu importe. Ce que nous avons vu, à Londres, c’est une énorme manifestation à propos de l’Irak, dans laquelle le symbole le plus visible fut le drapeau palestinien.
Ceux qui ont tenté de réduire la cause palestinienne à un problème de terrorisme ont échoué sur toute la ligne, pour la simple et bonne raison que la cause palestinienne est une cause juste. Les Palestiniens sont confrontés à un cas patent d’occupation étrangère, rémanence d’une époque coloniale révolue dans les temps modernes. La Palestine est la plaie ouverte des Arabes ; elle fait mal aussi à d’autres nations, tant elle évoque de mauvais souvenirs. Même ceux qui ne voient pas dans la création d’Israël un avatar du colonialisme concèdent que l’occupation de 1967, avec son activité de colonisation permanente et l’apartheid qu’elle génère, porte tous les stigmates du colonialisme. Impossible d’en disconvenir.
Cet aspect moral de la question palestinienne, très largement perçu, lui a donné la force de survivre aux accusations de terrorisme. La dimension morale de la cause palestinienne est le vent qui fait flotter haut les couleurs palestiniennes, au moment même où les drapeaux des autres pays arabes sont absolument invisibles, même dans des manifestations concernant d’autres causes que la cause palestinienne. [A Paris, Azmi Bishara aurait vu des drapeaux irakiens, le samedi 12 octobre, entre République et Nation, ndt]. Le drapeau palestinien est l’oriflamme d’une cause juste, même en fonction de critères européens, et même dans des pays qui sont alliés avec Israël. Ni le Royaume-Uni, ni la France, ni aucun autre pays au passé colonialiste ne peuvent le nier. Et les peuples, dans ces pays, sympathisent [naturellement] avec ceux qui sont contraints à vivre sous occupation.
La question palestinienne est devenue synonyme d’oppression et d’injustice. Cela ne s’est pas produit du jour au lendemain, et cela n’a pas non plus été aisément intégré par la gauche européenne, avec la sympathie pour les juifs qui la caractérise. Néanmoins, depuis la première Intifada, la cause palestinienne est devenue, de plus en plus, un symbole [de lutte contre l’] injustice. Et elle n’a pas cédé un seul pouce du terrain moral conquis.
Les Palestiniens ne mènent pas un combat sécessionniste. La Palestine n’est ni le Kurdistan, ni la Tchétchénie, ni le Cachemire, ni le pays basque. Si nous pouvons avoir des opinions différentes sur ces différentes causes et débattre du caractère approprié et des tenants et aboutissants de l’autodétermination dans chaque situation prise individuellement, aucune d’entre elles n’est caractéristique d’une situation coloniale. Les aspirations nationales et l’identité culturelle des peuples concernés doivent trouver satisfaction et reconnaissance, bien entendu, mais il y a toujours place pour un compromis. Les Palestiniens ne disposent pas d’un tel espace, car leur cause n’est pas une question de séparatisme. Israël n’offre pas la citoyenneté aux Palestiniens de Cisjordanie – il ne leur offre même pas un statut de deuxième catégorie. La structure des relations entre ces Palestiniens et Israël est irrémédiablement de nature coloniale. Personne ne peut prétendre le contraire. Pas même les Américains…
Les Etats-Unis ne vont pas s’amuser à suggérer que les Palestiniens soient massacrés, ou même seulement assimilés dans l’Etat qui a été construit sur les décombres du leur, comme cela a pu être le cas, par exemple, des ‘Indiens’ d’Amérique. Même Washington doit envisager la question palestinienne en termes de colonialisme, de libération et d’indépendance. Des guerres peuvent éclater, des batailles peuvent éventuellement être gagnées, ou perdues, mais rien, jamais, ne changera quoi que ce soit à cette équation.
Actuellement, le conflit tourne autour des conditions permettant de mettre fin à la colonisation. L’Occident, les Etats-Unis, et même Israël, ont assumé l’Etat palestinien, par principe. Il en découle que le conflit concerne aujourd’hui les conditions de l’instauration de cet Etat. Le Premier ministre britannique Tony Blair, qui se prépare à en découdre avec l’Irak en dépit d’une opposition interne quasi unanime, s’est senti obligé, récemment, d’en appeler à la création d’un Etat palestinien dans les plus brefs délais. Laisse tomber, Tony ! D’abord, il n’y a pas de conflit autour de la création de l’Etat palestinien. Ensuite, (tes) « plus brefs délais » n’impressionnent personne, et nous aurons la charité de ne pas rappeler que la Grande-Bretagne n’est absolument pas en position de faire quoi que ce soit susceptible d’accélérer les choses…
Samedi 5 octobre, le quotidien The Guardian écrivait que Bush était fâché contre Blair à cause de ses commentaires sur un Etat palestinien, car pour le président américain la priorité devait aller à la guerre contre l’Irak. De plus, rien n’a le don d’énerver Bush comme le besoin que d’aucuns semblent avoir de s’excuser en permanence au sujet de la Palestine. C’est d’ailleurs, mot pour mot, la position israélienne. Néanmoins, avant que certains Palestiniens ne commettent la bévue de rendre hommage aux observations de Blair, il convient de mentionner que la querelle, depuis Camp David, ne tourne pas autour l’Etat palestinien en tant que tel, mais bien autour de ses frontières, autour du statut de Jérusalem comme capitale de cet Etat, et autour des colonies. Le problème des réfugiés demeure quant à lui, rappelons-le, totalement sans solution. Quoi qu’il en soit, personne ne devrait saluer des déclarations Tonitruantes uniquement destinées à apaiser le public et à détourner l’attention de la guerre contre l’Irak, une guerre qui n’a rien - mais alors ce qui s’appelle strictement rien - à voir avec les souffrances des Irakiens entre les mains de leur bourreau Saddam !
Eût le contexte dans lequel Blair a fait ces commentaires été différent, qu’ils auraient été néanmoins complètement à côté de la plaque. Ce que le Royaume Uni et les autres pays qui ont quelque poids devraient faire, c’est définir leur position sur les frontières de l’Etat palestinien, sur les colonies, sur Jérusalem et sur le [droit au retour de]s réfugiés. C’est là que ça se passe. Tout le reste, c’est du temps perdu.
Les Palestiniens doivent garder cela présent à l’esprit, car il est vraisemblable qu’ils vont s’entendre dire, exactement comme durant la guerre du Golfe, qu’une fois le sort de l’Irak réglé, l’Amérique va leur consacrer toute son attention, et (si tout se passe bien…) leur donner un Etat.
La réalité est que, plus les Arabes sont faibles, plus les Palestiniens le sont. Cette équation est au cœur de la politique américaine. Si la guerre contre l’Irak est couronnée de succès, le camp américain va retrouver sa sincérité. Vous allez les entendre dire : « L’Intifada nous casse la baraque ». « Vous auriez dû accepter ce qui vous avait été offert à Camp David », ajouteront-ils sans doute. Mais le peuple palestinien qui a fait de l’Etat une perspective sûre, par l’action, et non par les discours, continuerait malgré tout à lutter pour obtenir des conditions plus favorables. Le camp américain fera alors miroiter les craintes d’un transfert. Certains tenteraient même sans doute de faire peur aux Palestiniens, et même aux Arabes d’Israël, en agitant l’épouvantail du transfert. Si vous déniez qu’Israël puisse être susceptible de recourir à cette mesure extrême, vous donnez l’impression de défendre Israël. Si, en revanche, vous en admettez la possibilité théorique, la conclusion que d’aucuns en tireront est que les Palestiniens ont intérêt à prendre ce qu’on leur offre…
La question est de savoir jusqu’où certains sont-ils prêts à s’abaisser pour des avantages personnels – cela est-il susceptible d’aller jusqu’à la fin de la résistance ou la capitulation devant les conditions américaines, ce qui serait exactement ce qui ferait plaisir à certains pays arabes. Oubliez la résistance, les Etats-Unis et les marchandages ! Le peuple palestinien n’est pas composé de moutons que l’on mènerait à l’abattoir. La cause palestinienne est solide et juste, à un point tel qu’elle prête son manteau à d’autres, qui ont besoin d’être soutenus. Rappelez-vous : lorsque les extrémistes juifs ont pénétré à Khan Younis, ils ont dû perpétrer un massacre, seul façon pour eux d’en terroriser la population. Maintenant, réfléchissez : que se passerait-il s’ils entraient dans les régions palestiniennes pour en chasser la population ? Le transfert n’est pas chose dont on puisse parler à la légère …
La lutte des Palestiniens pour leurs droits touche à sa fin. Nous en sommes parvenus au point où doivent être définies les conditions d’une solution durable. Et, aussi dur que soit le regard que Sharon nous vrille au fond des yeux, nous ne pouvons pas nous permettre de cligner. N’oubliez pas que les Israéliens sont, eux aussi, confrontés à un dilemme. Eux aussi sont en train de se battre pour des conditions susceptibles de leur convenir. Eux aussi, luttent contre le temps.
                                                           
10. 5 juillet 2002, la «bombe» du vol Air France Paris-Tel-Aviv par Emilie Kercheval
in la Revue d’études palestiniennes N° 85 (automne 2002)
[Emilie Kercheval est un pseudonyme. Mariée à un Palestinien d'Israël, elle craint, elle craint, si elle était identifiée, de se voir refoulée, avec son mari et ses filles, à l'aéroport de Tel-Aviv quand ils se rendent en Israël.]
«Bienvenue en Israël et en Palestine» : c’est l’annonce faite quelques minutes avant l’atterrissage par le commandant de bord du vol Air France Paris-Tel-Aviv du 5 juillet 2002.A la suite de ces chaleureux mots de bienvenue, plusieurs Israéliens ont réagi violemment. Le commandant de bord s’est entendu traiter -en français- de « fils de pute », on l’a menacé de mort ( « Tu ne sortiras pas vivant d’ici !» ) puis ont fusé des propos adressés pêle-mêle aux français et aux Arabes à qui il a été rappelé que la Palestine n’existe pas et qu’elle n’existera jamais, que la Palestine c’est Israël, que les Français sont pro-palestiniens…Une hôtesse a été priée de faire venir le commandant de bord afin qu’il présentât ses excuses. Mon mari est alors intervenu . Il a fait valoir aux Israéliens que c’est à leur premier ministre de faire la paix avec Arafat- ce qui l’a transformé aussitôt, lui aussi, en « fils de pute ». Les Israéliens ont poursuivi leurs litanies, cette fois en hébreu, « les Palestiniens ont été vendus par les pays arabes ! », « les Palestiniens n’ont rien fait pour ce pays ! », etc.. Mon mari leur a demandé de bien vouloir répéter leurs propos racistes en français car, leur a-t-il signalé, il avait oublié l’hébreu et ne pouvait par conséquent pas leur répondre dans cette langue. Mais il avait évidemment compris. Il leur a répondu en français qu’ils ne pouvaient nier l’existence de la Palestine puisque leur Premier ministre et le président des Etats-Unis approuvaient la création d’un Etat palestinien. Quand les étrangers viennent à Ramallah, à Gaza, à Hébron, leur a-t-il rappelé, ils visitent la Palestine, non ?
Très rapidement, une pétition s’est mise à circuler. Il s’agissait de dénoncer auprès du ministère des Transports français, par l’intermédiaire du ministère des Transports israéliens, les tonitruantes paroles de bienvenue du commandant de bord. Une hôtesse a essayé de défendre celui-ci en arguant de sa bonne volonté liée à la présence de passagers arabes sur le vol. J’étais très inquiète. Mon mari et les Israéliens continuaient à échanger des propos violents et personne n’intervenait pour y mettre un terme. Quelques passagers crurent bon de nous conseiller la prudence : nous avions des enfants…L’hôtesse de l’air ne parvenant pas à faire tomber la tension, j’ai dû intervenir de façon très autoritaire pour faire cesse les commentaires, d’autant plus que notre atterrissage était imminent. Nous avons atterri. La porte s’est ouverte. Quelques passagers sont passées devant nous. Un jeune Israélien perspicace a fait remarquer à mon mari que « la guerre, ce n’est pas dans l’avion, c’est en bas ». Un vieille Israélienne nous a conseillé d’oublier et de passer de bonnes vacances. Elle nous a aussi enjoint de penser à nos enfants ! Un homme de la sécurité, jusqu’alors incognito a dû prendre position devant la porte de cockpit afin d’intimider les passagers lors de leur descente.
Dans le bus qui nous conduisait du tarmac jusqu’au hall de l’aéroport, un groupe de femmes, passagères du vol elles aussi, s’en sont pris à mon mari, parlant fort en hébreu. Re-litanies : « la Palestine n’existe pas » (gestes de dédain à l’appui), « où est-ce que vous voyez la Palestine sur la carte ? »,  « les Arabes sont tous des assassins », « vous tuez nos enfants »,etc. Nous n’étions qu ‘une dizaine de personnes dans le bus, mais l’ambiance était irrespirable. En plus je ne comprenais pas du tout ce qu’elles disaient. La tension était extrême. Je suis intervenue : était-ce en réagissant ainsi qu’on pourra arriver à faire la paix ? ai-je demandé. Pour toute réponse, une femme a voulu se jeter sur moi. Un passager l’en a empêché et elles se sont toutes déchaînées. Re-re-litanies, en français cette fois : « les Arabes sont des assassins », « les Arabes tuent nos enfants (moi : « vous aussi vous tuez les enfants des Arabes »), « nos enfants ne peuvent même plus sortir pour aller boire un café au lait », « ( montrant un drapeau israélien) regardez notre drapeau, pour lui on est prêts à mourir »  (moi : « les Palestiniens mourront pour le leur aussi »), «  les Arabes veulent nous voler notre pays », « nous on veut la guerre » ( moi : «  quand vous serez tous à manger les pissenlits par la racine, là vous serez peut-être contents ») etc.
Toutes ces paroles n’ont évidemment pas servi à grand-chose, sauf à faire pleurer l’aîné de nos filles. Nous sommes arrivés devant le tapis roulant pour récupérer nos bagages. Là nous pûmes vérifier que les pétitionnaires n’avaient pas renoncé : un Israélien, circulant parmi nous, annonçait à voix haute qu’il était encore temps de signer la pétition…
Nous avons constaté pendant notre séjour, en lisant la presse que l’incident avait pris des proportions énormes. A notre retour, vol 1993, Tel-Aviv - Paris, nous avons demandé à l’équipage de bien vouloir nous dire s’il allait  y avoir, ou pas, des répercussions pour le commandant de bord du vol 1992. Oui, nous a-t-on répondu. Nous avons demandé à un steward de bien vouloir nous communiquer les coordonnées du responsable du vol A320 afin de pouvoir retrouver le commandant de bord « fautif ».  D’autre part, nous avons utilisé la page réservée aux passagers dans le magazine d’Air France pour relater les faits du vol 1992- surtout pour y préciser que le pilote avait annoncé « bienvenue en Israël et en Palestine », et non pas seulement « en Palestine » comme nous avions eu l’occasion de le lire dans certains journaux israéliens.
Le commandant de bord du vol 1993 est venu se présenter à nous pour entendre notre version des faits. Il était juif, nous précisa-t-il. Son collègue n’aurait pas dû dire ce qu’il avait dit, il fallait comprendre la sensibilité du peuple israélien…Mon mari : « lorsque les Israéliens parlent des Palestiniens, se soucient-ils de leur sensibilité ? » Nous avons continué à échanger quelques propos assez divergents. Mais avec civilité, cette fois. Il nous a appris que le commandant de bord du vol 1992, à son retour à Paris, avait été attendu par ses supérieurs et qu’il devait passer devant une commission disciplinaire d’Air France, mais, d’après lui, il ne risque pas grand chose, juste de ne plus assurer les vols Paris - Tel-Aviv - Paris. De toute façon, selon lui, les autorités israéliennes lui interdiraient sans doute l’accès au sol.
                                                                       
11. Manifestation à Marseille pour soutenir les Palestiniens
Dépêche de l'Agence France Presse du dimanche 29 septembre 2002, 7h49
MARSEILLE - Plusieurs milliers de personnes ont manifesté samedi à Marseille pour soutenir les Palestiniens victimes selon elles de la "politique d'apartheid du gouvernement israélien" et lancer une campagne de boycottage des produits israéliens.
Quelque 5.000 personnes, selon la police, 12.000 selon les organisateurs, ont défilé dans une ambiance détendue à l'occasion de cette manifestation, la plus importante jamais organisée à Marseille sur le thème du soutien aux Palestiniens, selon une source policière.
Temps fort de la journée, le président de l'Autorité palestinienne Yasser Arafat, assiégé dans son quartier général à Ramallah, a joint au téléphone en début de soirée les organisateurs. "Je vous salue de Ramallah, résistant face à l'occupation israélienne et son agression qui se poursuit sur le plan militaire, de la colonisation, des assassinats et des arrestations", a déclaré en arabe le dirigeant palestinien, dont les propos diffusés par haut-parleur étaient traduits par un membre de l'association des jeunes Palestiniens de Gaza, Akram Sakka.
Selon le Collectif local pour le respect des droits du peuple palestinien, initiateur de cette "marche internationale" organisée au deuxième anniversaire de l'Intifada, quelque 150 organisations, dont ATTAC, Droit au logement, SUD, le PCF, la LCR et les "pacifistes" de l'Union juive française pour la paix, ont apporté leur soutien. De nombreux militants européens, notamment italiens, y participaient également.
"Nous voulons dire notre révolte face à la politique d'apartheid et à la colonisation brutale et meurtrière que l'Etat d'Israël impose aux Palestiniens", a déclaré Anne-Marie Camps, une porte-parole du Collectif, expliquant avoir choisi Marseille car "son port est l'un des principaux points d'entrée des fruits et légumes israéliens".
"Parler d'apartheid n'est pas trop fort", a renchéri Alain Castan, autre porte-parole du Collectif, invoquant "la séparation des populations, l'impossibilité de circuler faite aux Palestiniens, le mur de la honte qui fait d'eux des prisonniers dans leur propre terre".
Les organisateurs, qui se défendent de toute intention de nuire à la communauté juive, ont décidé de lancer à cette occasion une campagne de boycottage des produits israéliens, "moyen de lutte pacifique" alors "qu'en Palestine, l'économie est réduite à néant, les oliviers arrachés, les serres détruites, les exportations bloquées".
Le grand mufti de Marseille, Soheib Ben Cheikh, a défilé brièvement aux côtés des manifestants, qui scandaient des slogans tels que "soldats, colons, hors de Palestine", "Sharon t'es foutu, l'Intifada continue".
"La population palestinienne souffre dans sa chair et dans sa dignité par la faute d'un gouvernement sanguinaire", a déclaré le grand mufti, soulignant que sa présence parmi la foule ne "vise nullement la communauté juive, les Israéliens ou la nation juive, mais seulement un gouvernement revanchard et guerrier".
Le leader de la Confédération paysanne, José Bové, dont la venue avait été évoquée par les organisateurs, n'a finalement pas participé à la manifestation.
A Toulouse, quelque 700 personnes ont également défilé pour soutenir les Palestiniens.
                                            
12. Sublime impuissance par Edward Said
in Al-Ahram Weekly (hebdomadaire égyptien) du samedi 26 septembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Tandis que Sharon poursuit son escalade dans sa guerre criminelle contre des Palestiniens sans défense, Arafat a le courage et le culot de résister, nous dit Edward Said. Arafat pousse même l’effronterie jusqu’à bénéficier du soutien de son peuple, dans cette entreprise.
Il y a soixante ans, les juifs d’Europe avaient atteint les profondeurs abyssales de leur existence collective. Chargés dans des wagons à bestiaux comme des bêtes destinées à la boucherie, ils étaient déportés, de partout en Europe, par les soldats nazis, vers des camps de la mort où ils allaient être systématiquement exterminés dans des chambres à gaz. En Pologne, ils avaient opposé une relative résistance, mais dans la plupart des autres pays, ils avaient commencé par perdre leur statut de citoyen, puis ils avaient été chassés de leur emploi, désignés comme des ennemis officiels à détruire et, finalement, éliminés. Mais quelle qu’ait pu être leur résistance ou leur absence de résistance, personne n’était plus impuissants qu’eux ; ils étaient traités comme des ennemis insidieux et potentiellement surpuissants par des dirigeants et des armées dont le pouvoir était de loin, de très loin, supérieur au leur ; et en réalité, l’idée même que les juifs pussent représenter un quelconque danger pour des pays comme l’Allemagne, la France ou l’Italie était totalement absurde. Mais ce n’en était pas moins une idée largement partagée, puisqu’à de très rares exceptions près, la majorité de l’Europe ferma les yeux et tourna la tête tandis qu’on les massacrait. Par une de ces ironies dont l’Histoire a le secret, le mot le plus souvent utilisé à leur sujet par le hideux jargon officiel du fascisme était celui de « terroristes », et ce terme sera repris, plus tard, pour décrire les Algériens et les Vietnamiens, par leurs ennemis respectifs et successifs.
Chaque calamité humaine diffère des tragédies précédentes. Aussi, il est absurde et inutile de tenter de trouver une équivalence entre l’une d’entre elles et les autres, voire même une seule autre. Mais il est une quasi certitude universellement partagée concernant l’Holocauste : non seulement cela ne devrait jamais pouvoir se reproduire, non seulement les Juifs ne devraient plus jamais pouvoir en être les victimes, mais cela devrait être le cas de tous les peuples, sans exception. S’il est vain de rechercher des équivalences, il est par contre salutaire de rechercher des analogies et peut-être même des similarités dissimulées, tout en gardant un sens aigu de la proportionnalité. En faisant totale abstraction de son histoire réelle faite d’erreurs et de mauvaise gouvernance, Yasser Arafat est contraint, sous nos yeux, à devoir se sentir comme un juif pourchassé par l’Etat des juifs. Incontestablement, la plus grande ironie du siège qui lui est imposé par l’armée israélienne dans son quartier général en ruines de Ramallah résulte du fait que cette épreuve a été planifiée et imposée par un dirigeant psychopathe qui prétend représenter le peuple juif. Je me garderai de pousser l’analogie trop loin, mais il n’est nullement exagéré de dire que les Palestiniens sous l’occupation israélienne aujourd’hui sont tout aussi impuissants que l’étaient les juifs dans les années 1940. L’armée israélienne, avec son aviation et sa marine, lourdement subventionnée et équipée par les Etats-Unis, a semé la dévastation parmi la population civile totalement désarmée de la Cisjordanie et de la bande de Gaza occupées. Depuis un demi-siècle, les Palestiniens sont un peuple dépossédé, des millions parmi eux sont des réfugiés, la plupart de ceux qui sont restée sont soumis à l’occupation militaire depuis trente cinq ans ; ils sont à la merci de colons armés qui continuent à voler systématiquement leurs terres et d’une armée qui a tué des milliers d’entre eux. Des milliers ont été emprisonnés, des milliers ont perdu leur gagne-pain, ont été chassés de là où ils se trouvaient pour la deuxième, voire la troisième fois, et aucun d’entre eux ne bénéficie d’une protection de ses droits civiques ou humains les plus élémentaires.
Et néanmoins Sharon continue à prétendre qu’Israël lutte pour sa survie, contre le terrorisme palestinien. Y a-t-il prétention plus grotesque, au moment même où ce tueur d’Arabes envoie ses avions F-16, ses hélicoptères d’assaut et des centaines de chars contre un peuple désarmé, sans aucune forme de défense que ce soit ? Ce sont des terroristes, dit Sharon, et leur dirigeant, emprisonné de manière humiliante dans un bâtiment en ruines cerné de destructions israéliennes, est présenté comme l’archi-terroriste de tous les temps. Arafat a le courage et le culot de résister, et son peuple le soutient, en l’occurrence. Tout Palestinien sent bien que l’humiliation délibérée qui lui est ainsi infligée est une pure cruauté dépourvue d’un quelconque objectif politique ou militaire, et qui ne vise qu’à punir, purement et simplement. De quel droit Israël fait-il cela ?
La symbolique est réellement horrible, si on l’examine froidement, et le fait que Sharon et ses partisans (son armée criminelle, je n’en parle même pas) veulent délibérément ce que cette symbolique illustre d’une manière si brutale est encore plus terrible. Les juifs israéliens sont les puissants. Les Palestiniens sont leurs « Aliens » pourchassés et méprisés. Heureusement, pour Sharon, il dispose d’un Shimon Peres, sans doute le plus grand lâche hypocrite de la politique mondiale contemporaine, qui va partout répétant qu’Israël comprend les difficultés du peuple palestinien, et que « nous » sommes prêts à rendre les bouclages un tout petit peu moins coûteux. Après quoi, non seulement rien ne change en mieux, mais les couvre-feu, les démolitions et les tueries s’aggravent encore. Et, bien entendu, la position israélienne consiste à en appeler à une aide humanitaire internationale massive, appel qui, comme le dit à juste titre Terje-Rod Larsen, revient à inciter les donateurs internationaux à approuver l’occupation israélienne et à y souscrire. Sharon a certainement le sentiment de pouvoir faire absolument n’importe quoi et non seulement de s’en tirer comme si de rien n’était, mais même en se payant le luxe de lancer, par dessus le marché, une campagne visant à présenter Israël dans le rôle de victime.
Les protestations populaires allant en s’amplifiant dans le monde entier, la contre réponse des organisations sionistes consiste à se plaindre d’une montée de l’antisémitisme. Il y a seulement deux jours, le président de l’université de Harvard, Lawrence Summers, a publié un communiqué indiquant qu’une campagne de désinvestissement menée par certains professeurs – il s’agit d’exercer des pressions sur l’université afin qu’elle revende des actions d’entreprises américaines qui vendent du matériel militaire à Israël – était « antisémite ». Le président – juif – de l’une des universités les plus vénérables et richement dotées des Etats-Unis vient se plaindre de l’antisémitisme ! Toute critique formulée à l’encontre de la politique de l’Etat d’Israël est désormais assimilée, de manière routinière, à un antisémitisme identique à celui qui avait entraîné l’Holocauste, même s’il n’existe aucun antisémitisme notable méritant débat. Aux Etats-Unis, un groupe d’universitaires israéliens et américains sont en train de monter une campagne dans le style de McCarthy contre les professeurs qui ont osé lever la langue pour dénoncer les atteintes aux droits de l’homme commises par Israël ; leur campagne a pour objectif principal de demander aux étudiants et aux enseignants d’investiguer sur leurs collègues pro-palestiniens, de procéder à des intimidations au détriment du droit à la libre expression et de limiter très sérieusement les libertés académiques.
Plus ironique encore est le fait que les protestations contre la brutalité israélienne – dont la manifestation la plus récente est l’isolement humiliant imposé à Arafat – se sont déroulées à grande échelle. Par milliers, les Palestiniens ont défié le couvre-feu à Gaza et dans plusieurs villes de Cisjordanie, en descendant dans les rues afin de manifester leur soutien à leur dirigeant engagé dans la bataille. Les dirigeants arabes, quant à eux, sont restés silencieux ou impuissants, voire les deux. Chacun d’entre eux – Arafat, y compris – n’a cessé, depuis des années, de manifester ouvertement son désir de conclure la paix avec Israël ; deux pays arabes majeurs ont d’ores et déjà des traités avec lui. Et tout ce que Sharon donne, en retour, c’est un coup de pied dans leur fondement collectif. Les Arabes, ne cesse-t-il de répéter, ne comprennent que la force, et maintenant que nous avons le pouvoir, nous allons les traiter comme ils le méritent (et comme nous l’avons été nous mêmes si longtemps, par le passé).
Uri Avnery a raison : Arafat est en train d’être assassiné. Et d’après Sharon, les aspirations des Palestiniens mourront avec lui. Il s’agit d’un exercice, qui se situe juste à la limite du génocide, afin de vérifier jusqu’où le pouvoir israélien peut aller dans la brutalité sadique sans être arrêté ou sans qu’on ne l’en empêche. Aujourd’hui, Sharon a déclaré que, dans l’éventualité d’une guerre avec l’Irak – laquelle se rapproche à grands pas, c’est une chose certaine – il exercera contre ce pays des représailles, dût cela causer à Bush et à Rumsfeld les cauchemars qu’ils méritent amplement. La dernière tentative de Sharon pour changer un régime fut celle menée en 1982, au Liban. Il installa Bashir Jemayel sur le fauteuil présidentiel, puis s’entendit dire par le même Jemayel que le Liban n’accepterait jamais d’être le vassal d’Israël, après quoi Jemayel fut assassiné… Puis il y eut les massacres de Sabra et Chatila et, enfin, après vingt années sanglantes et ignominieuses, les Israéliens se retirèrent du Liban, de mauvaise grâce.
Quelle conclusion tirer de tout ceci ? Que la politique d’Israël a été un désastre, pour l’ensemble de la région. Plus Israël est puissant, plus il sème de ruines dans les pays voisins, pour ne rien dire des catastrophes qu’il a infligées au peuple palestinien, et plus il est haï. Il s’agit d’un pouvoir utilisé à des fins iniques, et en aucun cas d’autodéfense. Le rêve sioniste d’un Etat juif qui soit un Etat normal, comme tous les autres Etats, a dû rendre les armes devant la vision du dirigeant du peuple indigène de la Palestine suspendu à la vie comme par un fil, tandis que les tanks et les bulldozers israéliens continuent à tout casser autour de lui. Est-ce là le but pour lequel des centaines de milliers d’être humains sont morts ? Est-il si difficile de voir quelle logique de ressentiment et de violence sous-tend tout cela, et quel puissance surgira de l’impuissance qui ne peut aujourd’hui qu’assister à l’humiliation sans rien faire, mais qui ne manquera pas de se développer plus tard ? Sharon est très fier d’avoir défié le monde entier par son comportement, non pas parce que le monde est antisémite, mais parce que ce qu’il commet au nom du peuple juif est totalement inadmissible. N’est-il pas grand temps, pour ceux qui se rendent compte que les agissements horrifiants de Sharon ne sauraient en rien les représenter, d’en appeler à leur cessation ?
                                                               
13. Sabra et Chatila, retour sur un massacre par Pierre Péan
in Le Monde diplomatique, septembre 2002
[Pierre Péan est écrivain, auteur notamment de "Dernières volontés, derniers combats, dernières souffrances" aux éditions Plon (2002) et de "Manipulations africaines" aux éditions Plon (2001).]
Dans les territoires de Cisjordanie et de Gaza, l’armée israélienne poursuit sa politique d’occupation, de blocus des villes, de destruction des institutions civiles, de chasse aux militants, d’assassinats ciblés. Pour la première fois, elle a reconnu qu’elle utilisait des « boucliers humains » dans ses opérations, un crime de guerre selon les conventions internationales. C’est un long calvaire qui se poursuit ainsi. Le massacre de Sabra et Chatila perpétré il y a vingt ans, en septembre 1982, qui vit l’assassinat de centaines de civils dans les camps du Liban par les milices libanaises de droite, sous l’œil complice des soldats israéliens, est vécu par les Palestiniens comme une étape supplémentaire dans une histoire ponctuée de massacres et d’exactions, de Deir Yassine à l’opération « Rempart », en passant par Qibya. Pour eux, le passé, c’est encore le présent.
Vingt ans après, les mots des livres réouverts [1], comme les paroles recueillies auprès des survivants dans ce qui reste des camps de Sabra et Chatila dégoulinent de sang. Le temps n’a rien lavé. Tout au long de mon enquête, j’ai été tétanisé par ces récits qui charrient, enchevêtrés, enfants égorgés ou empalés, ventres de femmes ouverts avec leurs fœtus, têtes et membres coupés à la hache, monceaux de cadavres… Jusqu’à la nausée.
Je ne suis pas entré dans ce qui reste des camps de Sabra et Chatila par la porte principale, mais par un quartier insalubre, en périphérie, dans lequel vivent les nouveaux arrivants, notamment d’Asie. Je débouche sur la « grande rue » qui reliait l’hôpital Gaza – ajourd’hui disparu – à l’entrée principale située près de l’ambassade du Koweït, au luxe aussi incongru que celui de la nouvelle Cité sportive toute proche, où étaient regroupés et interrogés les adultes palestiniens et libanais ayant échappé au massacre. Les gens s’y faufilent entre les boutiques, les étals de marchands de fruits, de CD, de produits neufs et usagés, entre les voitures et les scooters…
Comment choisir entre tous les témoins directs ou indirects des massacres qui, sans hausser la voix, font revivre pour moi les scènes d’horreur de la mi-septembre 1982 ?
Mme Oum Chawki, 52 ans, a perdu dix-sept personnes de sa famille, dont un fils de 12 ans et son mari. Elle habite dans le quartier de Bir Hassan, près de l’ambassade du Koweït. Après les massacres, elle s’est installée, avec ses douze enfants restants, dans la rue principale de Chatila. Elle vit au quatrième étage d’un bâtiment construit selon des règles d’architecture approximatives. L’intérieur est propre, des bouquets de fleurs artificielles complètent les couleurs des fauteuils et des reproductions collées ou accrochées au mur – Al Qods (Jérusalem) et le drapeau du Hamas. Même si elle n’appartient pas à cette organisation : « Je n’adhère à rien. Je ne m’engagerai que lorsque je serai sûre du résultat. » Et ses enfants ? « Je ne veux pas qu’ils se sacrifient pour rien, mais le jour où je serai sûre d’assouvir ma vengeance, je les encouragerai et je serai avec eux… »
Chaque jour et chaque nuit, elle revoit les images de cadavres, de gens mutilés, de son fils et de son mari qu’elle n’a jamais revus et dont elle ne sait rien. Les couleurs du salon n’arrivent pas à atténuer le noir de sa robe, de ses cheveux et de ses yeux. Mme Oum Chawki ne sourit pas et s’enflamme sans élever la voix quand elle revit la deuxième tragédie de sa famille (la première ayant été le départ en 1948 de Tarshiha, un village près de Haïfa).
- On a frappé à la porte de la maison. Quelqu’un a dit : « Nous sommes libanais, nous venons faire une perquisition pour chercher des armes... » Mon mari a ouvert la porte, pas spécialement inquiet, car il n’appartenait à aucune organisation combattante. Il travaillait au club de golf, près de l’aéroport.
Mme Chawki parle ensuite des trois soldats israéliens et d’un militaire des Forces libanaises, les milices chrétiennes de droite, qui sont entrés dans la maison, ont pris les bracelets de sa fille et arraché ses boucles d’oreille – elle montre le lobe déchiré d’une de ses oreilles – et les ont frappés.
Elle est certaine que ces soldats venaient d’Israël.
- Leurs uniformes étaient différents de ceux des Forces libanaises et ils ne parlaient pas en arabe. Je ne sais pas si c’était de l’hébreu, mais je suis sûre que c’étaient des Israéliens.
Ce n’est pas impossible, car le quartier de Bir Hassan, hors du périmètre des camps, était occupé par l’armée israélienne. Comme d’autres familles palestiniennes, celle d’Oum Chawki avait été transportée à l’intérieur des camps.
- On nous a fait monter dans une camionnette, qui a roulé vers l’entrée du camp de Chatila. Les militaires ont séparé les hommes des femmes et des enfants. Le Libanais a pris les papiers de trois de nos cousins avant de les abattre devant nous. Mon mari, mon fils et d’autres cousins ont été emmenés par les Israéliens.
Les femmes et les enfants sont partis à pied vers la Cité sportive. Sur le bord de la route, des femmes criaient, pleuraient, affirmant que tous les hommes avaient été tués… Le soir, dans la pagaille, Mme Chawki s’est enfuie avec ses enfants vers le quartier de la caserne El Hélou. Au petit matin, elle a laissé ses enfants dans une école avant de repartir à pied vers la Cité sportive pour s’enquérir du sort de son mari et de son fils. Elle n’a pas pu parler à l’un des officiers israéliens présents. Elle a entendu des ordres donnés en arabe pour que les hommes fassent tamponner leurs cartes d’identité, et vu un camion israélien plein d’adultes et de jeunes gens. Une femme en sanglots, qui a perdu toute sa famille, lui a montré l’endroit où étaient déversés les cadavres. Les deux femmes ont alors marché vers le quartier d’Orsal et enjambé des morts libanais, syriens et palestiniens. Mme Chawki dit en avoir vu des centaines. C’est effectivement le quartier d’Orsal qui a compté le plus de victimes.
- Ils étaient méconnaissables. Visages déformés, gonflés… J’ai vu vingt-huit corps d’une même famille libanaise, dont deux femmes éventrées… J’essayais de repérer les vêtements de mon fils et de mon mari. J’ai cherché toute la journée. Je suis revenue encore le lendemain… Je n’ai reconnu aucun cadavre de gens de Bir Hassan.
Mme Chawki a vu des soldats libanais creuser des fosses pour y pousser les cadavres… Elle n’a jamais retrouvé ceux de son mari et de son fils. Elle aborde plus difficilement le cas de sa fille qui a été violée…
- Je pense à tout cela nuit et jour. J’ai élevé seule mes enfants… J’ai été obligée de mendier. Je n’oublierai jamais. Je venger tout cela. Mon cœur est comme la couleur de ma robe. Je transmettrai ce que j’ai vu à mes enfants, à mes petits-enfants…
Sous les injures
Après avoir circulé dans un incroyable dédale de toutes petites ruelles, où pendent partout des fils électriques, où courent au sol des canalisations d’eau, j’arrive enfin dans un local de trois ou quatre bureaux. Dans l’un d’entre eux, tout au fond, Mme Siham Balkis, président de l’Association du retour, est assise, droite, derrière un petit bureau. Egalement assis autour de la pièce, un responsable palestinien et deux autres survivants. Mme Balkis, la quarantaine, est une militante engagée et déterminée. Sa famille est originaire de Kabé, dans la province d’Akka, en Israël. Elle commence son récit recto tono.
- Le massacre a commencé le jeudi soir vers 17 h 30. Nous sommes restés à l’intérieur de notre maison jusqu’au samedi matin et n’avons pas su grand-chose, sinon que, jeudi et vendredi, un petit groupe de Palestiniens et de Libanais ont essayé de se défendre, mais ils n’étaient pas assez nombreux et n’avaient pas assez de munitions. Nous avons vu, la nuit, des fusées éclairantes et entendu des coups de feu. Nous croyions que les Israéliens voulaient seulement s’en prendre aux combattants et trouver leurs armes… Quand tout est redevenu calme, le samedi matin, nous sommes montés sur le balcon et avons aperçu un groupe des Forces libanaises (FL) accompagné d’un officier israélien. Les Libanais nous ont crié de sortir. Ce que nous avons fait, sous les injures. L’Israélien avait un talkie-walkie. Un des Libanais le lui a pris et a dit : « Nous sommes arrivés à la fin de la zone cible. »
Mme Balkis est sûre qu’il s’agissait d’un Israélien car, dit-elle, il avait un badge en hébreu et n’avait pas un visage d’arabe. Il parlait avec les Libanais en français.
Avec d’autres elle a été emmenée vers l’hôpital Gaza. Leurs accompagnateurs ont rassemblé les médecins étrangers et les gens qui s’étaient abrités dans et autour de l’hôpital.
- Ils ont tué une dizaine de combattants. Ils ont repéré un jeune Palestinien qui avait revêtu une blouse blanche au milieu des médecins et infirmiers et ils l’ont tué. Quand tout le monde a été rassemblé – des centaines de personnes -, nous sommes partis vers l’ambassade du Koweït. Il y avait beaucoup de cadavres dans les rues. Des jeunes filles avec les poings liés. Des maisons détruites. Des chars, probablement israéliens. Les restes d’un bébé incrustés dans les chenilles de l’un d’entre eux. Avant d’arriver  à la Cité sportive, les hommes ont été séparés. Des militaires demandaient aux jeunes gens de ramper. Ceux qui rampaient bien étaient abattus par des militaires des Forces libanaises. Les autres recevaient des coups de pied… J’ai vu Saad Haddad [2] avec d’autres devant l’ambassade du Koweït. Puis, en arrivant près de la Cité sportive, un grand nombre de soldats israéliens. Un colonel israélien a dit que les femmes et les enfants pouvaient rentrer chez eux. Plus tard, j’ai aperçu mon frère monter dans une Jeep alors que d’autres montaient dans des camions. J’ai couru vers lui. En vain. J’ai entendu un officier dire en arabe : « On va vous livrer aux FL. Ils sauront mieux vous faire parler que nous. »
Tous les témoins racontent grosso modo les mêmes histoires, les mêmes horreurs. J’ai ainsi rencontré Mme Kemla Mhanna, une épicière libanaise du quartier Orsal :
- Tous les gens de notre quartier qui sont restés ont été assassinés. Quand je suis revenue, un monceau de corps étaient empilés. A côté de chez moi, un Palestinien était accroché à un croc de boucher, découpé en deux comme un mouton. J’ai vu comment, dans la grande fosse, on a déposé une première couche de cadavres sur laquelle on a étalé du sable, puis on a remis une couche de cadavres et ainsi de suite… J’ai vu aussi un autre Libanais du quartier Orsal, Hamad Shamas, un des rares survivants du massacre de ce quartier. Il était dans un abri quand sont arrivés deux Israéliens dans une Jeep et sept ou huit soldats. Je suis sûre que ces soldats étaient israéliens car ils portaient des uniformes israéliens et ne parlaient pas un arabe correct. Les soldats nous ont demandé de sortir de l’abri en nous injuriant. Ils m’ont donné l’ordre de déposer l’enfant que j’avais dans les bras et de me mettre en rang avec les autres. L’un d’entre eux, qui parlait bien arabe, a fouillé tout le monde et pris l’argent d’un des hommes, puis ils ont tous tiré sur nous. J’étais seulement blessée à la tête et à la cuisse, sous une pile de cadavres. Il y a eu vingt-trois morts… Je me suis cachée dans un abri toute la nuit. Au petit matin, il y avait une forte odeur de cadavres partout.
La loi de la mémoire
Rien de nouveau dans ces témoignages. Ils ressemblent à ceux que Mme Leïla Shahid, déléguée générale de la Palestine en France, une des premières à visiter les camps après les massacres, a recueillis seule ou avec Jean Genet. Ils sont – aux accidents de la mémoire près – également conformes à ceux des membres (anglais, norvégiens, suédois, finlandais, allemands, irlandais et américains) de l’équipe médicale de l’hôpital Gaza et à ceux qu’ont enregistrés de nombreux journalistes après les massacres.
Elias Khoury, écrivain libanais et homme de théâtre renommé [3], raconte avec passion le combat impossible pour la mémoire du peuple palestinien en général et pour les massacres de Sabra et Chatila en particulier.
- La loi de la mémoire ne fonctionne pas chez les Palestiniens, car les massacres continuent : Deir Yassine, Qibya [4], Sabra et Chatila, et aujourd’hui Jénine. Il leur est impossible de regarder le passé puisque le passé, c’est encore le présent. Ils sont depuis 1948 dans un mécanisme infernal… Les Palestiniens sont victimes de l’instrumentalisation de la Shoah par le gouvernement israélien. Les normes éthiques s’arrêtent aux frontières d’Israël. Dans ce contexte, l’idée même de la tragédie de Sabra et Chatila devient marginale…
D’autant qu’au Liban la question est taboue : le premier accusé était Elie Hobeika [5], qui a été ministre du gouvernement…
- Les criminels ont pris le pouvoir après la guerre, poursuit Elias Khoury. De plus, les Palestiniens sont devenus les boucs émissaires de la guerre au Liban et ils sont régis dans ce pays par des lois qui n’ont rien à envier à celles de Vichy à l’égard des juifs. Même les chiffres de morts et de disparus demeurent dans le plus grand flou. Ils varient, selon les estimations, de 500 à 5 000. Une historienne, Mme Bayan Hout, essaie depuis vingt ans de combler cette lacune. Née à Jérusalem, où elle a vécu jusqu’à l’âge de neuf ans, professeur à l’université de Beyrouth, cette Libanaise a fait un travail de fourmi auprès des familles des victimes et disparus, analysé des centaines de questionnaires, croisé les listes des organisations humanitaires, de la Croix-Rouge, essayé de retrouver tous les cimetières… Elle est maintenant sûre de ses chiffres : 906 tués de 12 nationalités, dont la moitié de Palestiniens… et 484 disparus, dont 100 ont été sûrement enlevés. Soit un chiffre global de 1 490 victimes identifiées.
Ces massacres et ces disparitions s’inscrivent dans le contexte de la guerre lancée par le gouvernement israélien le 6 juin 1982 pour obtenir la neutralisation de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP). L’invasion du Liban a coûté la vie à plus de 12 000 civils, fait quelque 30 000 blessés et laissé 200 000 personnes sans abri.
Mi-juin 1982, les Israéliens ont commencé le siège de Beyrouth et encerclé les 15 000 combattants de l’OLP et de ses alliés libanais et syriens. Le président des Etats-Unis, M. Ronald Reagan, a envoyé, début juillet, M. Philip Habib – assisté de M. Morris Draper – pour résoudre cette crise risquant d’embraser le Proche-Orient et de menacer les intérêts américains. Il s’avère rapidement que le règlement de la crise passe par le départ des combattants palestiniens et de M. Yasser Arafat de Beyrouth. Ce dernier est bientôt convaincu qu’il n’a pas d’autre solution.
Les négociations vont être compliquées parce que les Israéliens et les Américains ne veulent pas discuter directement avec les Palestiniens [6] : Elias Sarkis, le président chrétien du Liban, et son premier ministre sunnite, Chafiq Wazzan, vont servir d’intermédiaires. Parce que les Israéliens vont poursuivre une pression militaire brutale et exiger de M. Arafat une reddition totale et honteuse.
Celui-ci multiplie les offres et cherche à obtenir des garanties de sécurité pour les familles palestiniennes qui resteront au Liban. Il craint les exactions des soldats israéliens ou de leurs alliés phalangistes. Pour M. Arafat, ces garanties ne peuvent être qu’américaines et internationales.
M. Habib obtient finalement l’assurance du premier ministre israélien que ses soldats n’entreront pas dans Beyrouth-Ouest et ne s’attaqueront pas aux Palestiniens des camps ; l’assurance du futur président libanais, Béchir Gemayel, que les phalangistes ne bougeront pas ; l’assurance du Pentagone que les marines seront les garants ultimes de ces engagements. Fort de ces promesses, le représentant de M. Reagan s’engage par écrit sur la sécurité des civils. Deux lettres sont ainsi adressées au premier ministre libanais. Cet engagement américain se retrouvera dans la quatrième clause de l’accord du départ de l’OLP, publié par les Etats-Unis le 20 août, c’est-à-dire à la veille de l’embarquement des premiers combattants palestiniens [7].
Pourtant, M. Arafat est de plus en plus inquiet du sort des civils palestiniens. M Habib [8] entreprend une nouvelle démarche auprès de Béchir Gemayel, qui renouvelle ses promesses. Il insiste sur le rôle de la force multinationale composée de 800 Français, 500 Italiens et 800 Américains. Le premier contingent – français – arrive le 21 août et doit assurer l’évacuation et la collecte des armes. Cette force doit rester une trentaine de jours, empêcher tout dérapage et protéger les familles palestiniennes. Finalement, M. Arafat accepte de quitter Beyrouth…
Mais personne ne respectera sa parole. A commencer par le gouvernement américain. M. Caspar Weinberger, secrétaire à la défense, donnera l’ordre à ses marines de quitter le Liban alors même que les milices chrétiennes prennent position, le 3 septembre, dans le quartier de Bir Hassan, en bordure des camps de Sabra et Chatila. Le départ des Américains entraîne automatiquement celui des Français et des Italiens. Le 10 septembre, le dernier soldat est parti de Beyrouth, alors que M. Habib avait fondé son plan sur une évacuation entre le 21 et le 26 septembre.
Le 14 septembre, Bechir Gemayel, le nouveau président libanais porté au pouvoir par les Israéliens, est assassiné. M. Ariel Sharon prend ce prétexte pour envahir Beyrouth-Ouest, pour cerner les camps de Sabra et Chatila et encourager les milices libanaises à les nettoyer.
Une « responsabilité personnelle »
A ce jour, une seule enquête officielle a été menée, celle de la commission israélienne dirigée par Itzhak Kahane, le chef de la Cour suprême, rendue publique en février 1983. Elle charge les phalangistes et, dans une moindre mesure, M. Ariel Sharon. Le rapport parle d’abord d’une grave erreur de celui-ci, qui n’a « pris aucune mesure pour surveiller et empêcher les massacres ». Il se dit « perplexe » sur l’attitude de M. Sharon qui n’a pas prévenu Menahem Begin de sa décision de faire entrer les phalangistes dans les camps. Pour finir, il lui reconnaît la « responsabilité de n’avoir pas ordonné que les mesures adéquates soient prises pour empêcher d’éventuels massacres ». M. Sharon porte une « responsabilité personnelle » et « doit en tirer les conclusions personnelles ».
Les journaux israéliens ont publié – en 1994 notamment – de nombreux articles confirmant et amplifiant ces conclusions. Ainsi, Amir Oren, à partir de documents officiels, a, dans Davar du 1er juillet 1994, affirmé que les massacres faisaient partie d’un plan décidé entre M. Ariel Sharon et Béchir Gemayel, qui utilisèrent les services secrets israéliens, dirigés alors par Abraham Shalom, qui avait reçu l’ordre d’exterminer tous les terroristes. Les milices libanaises n’étaient rien moins que des agents dans la ligne de commandement qui conduisait, via les services, aux autorités israéliennes.
L’émission « Panorama » intitulée L’Accusé, qui est passée sur la BBC le 17 juin 2001, a fait progresser la connaissance, notamment grâce au témoignage, difficilement contestable, de M. Morris Draper, l’assistant de M. Habib. Au rappel des affirmations de M. Sharon qu’il ne pouvait prévoir ce qui est arrivé dans les camps, M. Draper s’est contenté de faire un bref commentaire : « Complètement absurde. » Il a raconté sa rencontre, à Tel-Aviv, avec MM. Sharon et Yaron, son chef d’état-major, le jeudi, alors que les Israéliens étaient déjà entrés dans Beyrouth-Ouest malgré leur promesse. M. Amos Yaron a justifié cette décision par la volonté d’empêcher les phalangistes de se retourner contre les Palestiniens après l’assassinat du président Béchir Gemayel. « Notre groupe d’une vingtaine de personnes resta silencieux. Ce fut un moment dramatique. » Précisant que les Etats-Unis avaient refusé la proposition israélienne de déployer les phalangistes dans Beyrouth-Ouest « parce que nous savions que ce serait un massacre si ces gens-là entraient », il ajoute : « Il ne fait aucun doute que Sharon est responsable [des massacres] : c’est le cas même si d’autres Israéliens doivent partager cette responsabilité. »
L’ancien diplomate américain n’a pas été interrogé sur les responsabilités américaines ni sur celles de l’Italie et de la France, qui ont retiré leurs soldats après le départ des marines…
Vingt ans après, les familles des victimes et des disparus des camps de Sabra et Chatila ont droit à la vérité. Pour pouvoir faire enfin le deuil. Cela ne concerne pas que les familles. Tout le monde a le droit de savoir pourquoi, comment et qui a organisé et exécuté des actes d’une telle sauvagerie.
[1] : Les principaux livres sur les massacres de Sabra et Chatila consultés : Rapport de la commission Kahane, Stock, 1983 ; Sabra et Chatila, enquête sur un massacre, d’Amnon Kapeliouk, Seuil, 1982 ; Israël, de la terreur au massacre d’Etat, d’Ilan Halevi, Papyrus, 1984 ; Genet à Chatila, textes réunis par Jérôme Hankins, Babel, 1982 ; Opération boule de neige, de Shimon Shiffer, J.-C. Lattès, 1984 ; Revue d’études palestiniennes, n° 6 et n° 8.
[2] : Le patron de l’Armée du Liban sud qui travaillait avec les Israéliens.
[3] : Lire notamment Les Portes du soleil, publié par Le Monde diplomatique et Actes Sud, qui raconte cinquante ans du drame palestinien. Sa pièce Les Mémoires de Job a eu beaucoup de succès à Paris.
[4] : Deir Yassine est un petit village situé à une dizaine de kilomètres de Jérusalem, où ont été massacrés plus de cent villageois au printemps 1948. A Qibya, en Cisjordanie, en octobre 1953, lors d’opérations de représailles dirigées par Ariel Sharon, l’armée israélienne fit exploser quarante-cinq maisons avec leurs habitants. Soixante-neuf personnes, pour moitié des femmes et des enfants, périrent sous les décombres.
[5] : Elie Hobeika est considéré comme le principal bourreau de Sabra et Chatila. Il a été assassiné le 24 janvier 2002 à Beyrouth, alors qu’il s’apprêtait à venir témoigner à Bruxelles. Selon Me Chebli Mallat, l’avocat libanais des plaignants, ce ne sont pas les révélations de M. Hobeika qui étaient dangereuses pour M. Sharon, mais sa simple venue à Bruxelles. Dès lors qu’il était devant le tribunal et obligatoirement inculpé, le problème de la compétence du tribunal ne se posait plus.
[6] : Pourtant, des discussions directes mais discrètes existaient depuis des années à Beyrouth entre des dirigeants palestiniens et l’ambassade américaine ainsi qu’avec la CIA. En 1979, par exemple, M. Arafat a réussi à faire libérer 13 otages américains à Téhéran.
[7] : In American Foreign Policy, Current Documents, 1982, département d’Etat, Washington. « Les Palestiniens non combattants, respectueux de la loi, restés à Beyrouth, y compris les familles de ceux qui sont partis, seront soumis aux lois et aux règlements libanais. Le gouvernement libanais et les Etats-Unis leur apporteront les garanties de sécurité appropriées. (…) Les Etats-Unis fourniront leurs garanties sur la base des assurances reçues des groupes libanais avec lesquels ils sont en contact. »
[8] : Sur l’histoire des négociations menées par M. Habib, lire Cursed is the Peacemaker, de John Boykin, préfacé par George Shultz, alors secrétaire d’Etat, Applegate Press, Washington, 2002, et The Multinational Force in Beirut 1982-1984, sous la direction d’Anthony McDermott et Kjell Skjelsbaek, Florida International University, Miami, 1991.
                                           
14. Les juifs (américains) utilisent la publicité télévisée pour faire passer la "bonne parole"
in The Sidney Morning Herald quotidien australien) du jeudi 19 septembre 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]

Des associations juives américaines s’apprêtent à lancer une campagne de propagande télévisée pour laquelle elles envisagent de dépenser plus de 3,36 milliards de dollars (américains) afin de faire la promotion de la version israélienne du conflit avec les Palestiniens.
Les spots propagandistes passeront sur les chaînes câblées dans une centaine de grandes villes américaines, véhiculant le message qu’Israël est la seule et unique démocratie au Moyen-Orient, démocratie dans laquelle les Arabes, les juifs et les chrétiens jouissent de la liberté religieuse et d’expression ainsi que du droit de vote.
« Il s’agit réellement d’une campagne au ras des pâquerettes et d’enfoncer les portes ouvertes », a déclaré Davis Harris, directeur exécutif du Comité juif américain (AJC – American Jewish Committee), organisation qui contribue au financement des spots. « La teneur essentielle des messages est qu’Israël est… l’âme sœur des Etats-Unis. »
Bien que les violences au Moyen-Orient n’y soient aucunement évoquées, les promoteurs de cette campagne propagandiste affirment qu’elle a pour objectif de susciter un soutien politique à Israël.
Toutefois, le quotidien New York Post indique que la chaîne CNN refuse de passer ces spots présentant Israël comme la seule démocratie au Moyen-Orient, en invoquant le fait qu’ « elle ne passe pas de publicité institutionnelle relative à des problèmes internationaux concernant des régions en conflit ».
James Zogby, président de l’Arab American Institute, une association de défense de la communauté arabe américaine (et pro-arabe), fustige cette campagne : « Bien sûr que je trouve cette campagne immonde. Ce qu’ils veulent faire, c’est vendre une image susceptible de camoufler les problèmes actuels, hélas bien réels».
                                                   
15. Massacre de Hayy ad-Daraj, à Gaza : un nouveau pas vers la disparition de l’Etat sioniste par Alâ’ Al-Lâmî
in Al-Quds Al-Arabi (quotidien arabe publié à Londres) du lundi 29 juillet 2002
[traduit de l'anglais par Marcel Charbonnier]
(Alâ’ Al-Lâmî est un écrivain irakien résidant en France.)
Le sang des enfants répandus par le criminel de guerre Sharon dans le quartier Al-Daraj de Gaza est la goutte qui fait déborder le vase, plaçant l’Etat sioniste sur la case d’une disparition certaine, et les régimes arabes officiels sur celle de l’infamie éternelle. Depuis quelque temps, l’évocation de la fin, de la ruine, du démantèlement de l’Etat sioniste n’est plus une simple rumeur chuchotée ou la projection de désirs arabes exacerbés sur une réalité implacable, pour rependre les termes des pseudo post-modernes arabes. Il ne s’agit pas non plus de propos tenus par les seuls Palestiniens ou Arabes, dans les tranchées de la résistance. En effet, voici que le penseur juif français Jacques Attali, ancien conseiller de feu le président François Mitterrand, écrit dans l’Express, mot pour mot : « Jamais auparavant Israël n’avait été isolé comme il l’est aujourd’hui, jamais Israël n’a été aussi menacé de disparition qu’il l’est aujourd’hui. » En substance : Israël est menacé de disparaître soit par la guerre, soit par la paix, soit en raison du départ de ses élites redoutant à la fois la guerre et la paix.
De son côté, Latif Dori, dirigeant du parti Meretz, juif d’origine irakienne, a déclaré quelques heures seulement après le nouveau crime de Sharon, sur Al-Jazeerah, chaîne qatarie de télévision, que les menées politiques d’Ariel Sharon entraîneront la catastrophe pour le « peuple israélien » et à la destruction de l’Etat d’Israël. Les exemples similaires abondent, dans les différents médias écrits, radiodiffusés et télévisés, de l’entité (sioniste). En réalité, l’Etat sioniste est depuis longtemps en route vers le suicide. Bien plus, il porte le germe de sa destruction en lui-même, depuis sa gestation, dès sa conception, ce mouvement étant issu du déni du droit d’un autre peuple à la vie et à la liberté, en chassant plus des deux tiers vers les camps de réfugiés et l’exil, à l’intérieur comme à l’extérieur de son pays légitime.  Cet Etat ne cessait de se rapprocher de sa fin à chaque fois qu’il commettait ses crimes et ses agressions sauvages conte les hommes, les arbres, les pierres. Il ne lui restait plus que deux atouts : le soutien militaro-économico-politique américain et occidental  et l’arriération et la pusillanimité des régimes arabes.
En réalité, plusieurs phénomènes sont en résonance. Ainsi, au moment où se multiplient et s’éclaircissent les prémisses et les symptômes de la défaite stratégique de l’Etat sioniste et où s’intensifient tant le rythme que la dureté des affrontements sur le terrain entre une résistance palestinienne (laquelle représente un phénomène historique unique) et les forces d’occupation, la direction sioniste tend à afficher calme et équanimité, ne faisant montre d’aucune intention de faire une quelconque concession, aussi minime soit-elle, en direction de la partie palestinienne. La direction « Sharon-Pérès-Eliezer » suit de façon traditionnelle la tactique du refus de toute concession accompagné d’une escalade permanente, tant elle sait bien que toute concession représenterait la faille espérée dans la muraille israélienne, faille qui serait immanquablement suivie de fissures et de déchirures allant s’élargissant et se multipliant, et finissant par aboutir à son écroulement total. Le talon d’Achille de cette tactique sharono-jabotinskienne réside dans le fait que l’ « escalade » est un exercice historique régi par des nécessités tant matérielles que morales, en ce sens où elle cesse d’être opérante dès lors qu’elle atteint un apex prédéterminé. Il n’existe pas d’escalade sans sommet : une escalade ouverte, indéfinie, perpétuelle, sans que l’on parvienne jamais au sommet - voilà qui n’existe pas dans la réalité. Sharon et son Etat parviendront à ce sommet, tôt ou tard. Après quoi le sionisme opérera sa descente, tandis que la résistance reprendra son ascension vers le sommet de la victoire certaine.
(Les sionistes) savent pertinemment qu’ils ont perdu la guerre face aux Palestiniens, depuis longtemps, et précisément depuis le milieu de la première Intifada. Mais ils ne veulent pas le reconnaître ouvertement, de crainte que débute une émigration juive globale dans le sens contraire, ce qui entraînerait la chute de leur Etat. Qu’il nous suffise pour étayer cette interprétation de rappeler que la résistance libanaise a vaincu l’armée sioniste bien des années avant que celle-ci se retire du Sud-Liban. Lorsqu’ils y réfléchissent un peu, ce n’est pas la seule intuition qui assiste et guide leur réflexion, mais bien les réalités concrètes et les vérités effectives, sur le terrain. Faisons abstraction de l’effondrement économique tout proche et de la poursuite de l’inflation, de la perte de toute valeur du shekel jour après jour, et prenons en considération un autre phénomène, qui est celui qui voit la majorité des colons, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, se déclarer désormais prêts à abandonner les colonies pour aller s’installer à l’intérieur de la ligne verte, à l’exception d’une toute petite minorité d’entre eux, qui ne dépasse pas les six pour cent.
Un sondage d’opinion sioniste, publié il y a quelques jours dans les médias israéliens, montre que 68 % des colons sont prêts à abandonner les colonies et à aller s’installer à l’intérieur de la ligne verte, que 24 % ont déclaré qu’ils auraient recours à la justice afin de tenter de s’opposer à l’évacuation des colonies et que 6 % se sont déclarés prêts à résister par tous les moyens, y compris la violence, à toute tentative de les déloger des colonies. Attendons-nous à ce que la « combativité » de ces six pour cent des colons se transforme en pet de lapin à peine les camions du transfert auront-ils commencé à faire mouvement en avant, et à peine le sifflement des balles des résistants palestiniens se sera-t-il fait entendre à leurs oreilles. Relevons aussi que ces chiffres sont le reflet de la victoire retentissante de la deuxième Intifada palestinienne, et qu’ils augurent d’une victoire effective et assurée. Mais l’administration sioniste terrorisée ainsi que certains simples d’esprit dans les rangs du camp arabe et palestinien de la capitulation considèrent (que l’Intifada) est monomaniaque et qu’elle refuse de reconnaître sa défaite comme les colons ont reconnu la leur. C’est donc la terreur qui paralyse Sharon et son état-major, et non pas l’entêtement et la foi en l’avenir qui les habiteraient. Ils ont compris que les massacres et le recours aux armes internationalement prohibées, le blocus et l’embargo imposés en permanence, les humiliations par les coups de pied et l’exil, les détentions administratives, les camps pénitentiaires dans le désert – rien de tout cela n’est pas parvenu à briser la volonté du peuple palestinien et sa résistance inflexible.
Par ailleurs, les propos sur la défaite de l’entité sioniste et de son démantèlement ne doivent ni prendre ni comporter de manière sous-jacente un contenu revanchard et vengeur qui viserait les civils sans discrimination, vindicte que d’aucuns tenteraient d’utiliser comme moyen pour surenchérir sur les résistants authentiques au projet sioniste. De même, le discours à ce sujet ne doit pas se laisser entraîner dans les nombreuses fantasmagories de coloration communautariste et salafiste (~ intégriste, ndt) susceptibles de nuire à la lutte palestinienne de libération nationale au plan stratégique. Voire plus : l’écroulement de l’édifice sioniste posera aux Palestiniens et en général aux Arabes des problèmes – graves – d’une nature nouvelle.
Nous ne devons pas oublier un seul instant que les dirigeants sionistes extrémistes ont entre leurs mains les armes de destruction non seulement massive, mais absolue, en l’espèce, des centaines de têtes nucléaires, qui leur permettrait, à l’instant de l’effondrement total, de frapper les capitales arabes sous l’invocation de l’exclamation de Samson : « Sur ma tête, mais aussi sur la tête de mes ennemis, ô Seigneur ! » Ce à quoi s’ajouterait une série complexe de problèmes posés par la phase nouvelle, problèmes qui pourraient aller jusqu’à l’autodestruction et au suicide (sioniste) collectif, de dimension messianique, parachevant le placage d’une nature et de dimensions confessionnelles et religieuses au conflit. Les expériences historiques ont répété et ne cessent de réitérer devant tous ceux qui ont des yeux pour voir, que les vainqueurs dans une guerre de religions seront à leur tour immanquablement les victimes d’une autre guerre entre leurs propres composantes internes. Un simple coup d’œil à l’expérience afghane confirme ce principe, puisque à peine la guerre contre les Soviétiques s’était-elle transformée de la guerre de résistance et de libération contre des occupants, qu’elle était, en guerre sainte, en « jihâd » contre des « infidèles » (« kuffâr »), que les résistants condamnaient leur avenir par une chaîne sanglante et interminable de guerres intestines entre des factions et des scissions criant toutes « Allâhu ‘Akbar ! » plus fort les unes que les autres, puis se canardant mutuellement jusqu’à produire ce tas de ruines qu’est l’Afghanistan aujourd’hui !
L’histoire de l’Etat sioniste est une succession de massacres horrifiants qui n’auraient jamais pu se produire sans le soutien, la participation et la protection occidentaux, d’une manière générale, et américains, en particulier. Ce soutien et cette participation n’auraient pu se perpétuer s’il n’y avait eu la lâcheté des régimes arabes officiels et la terreur des pays pétroliers moyenâgeux, aux gouvernements tribaux arriérés, de voir cesser le protectorat américain garantissant leur trône, au cas où ces régimes auraient osé recourir aux cartes maîtresses dans le jeu arabe – cartes qu’ils avaient en main, et Dieu sait en quelle quantité ! Ajoutons que ces régimes n’hésitaient pas à réprimer toutes les manifestations arabes de protestation et de refus, avec une hystérie et un acharnement indescriptibles, puisque aussi bien la répression de la police du régime de Camp David a conduit à l’hôpital, voici quelques semaines, trois cents étudiants qui ont osé manifester leur solidarité avec leurs frères palestiniens, en un seul jour et, cela, pour la seule ville d’Alexandrie !
C’est la bouteille à l’encre, dans sa version moderne. Mais ce sera sans doute la dernière, après que le régime arabe officiel se sera dépouillé de tous ses oripeaux moraux et que ses ministres se seront mis à se livrer à une concurrence entre eux pour rechercher la satisfaction de leur empereur, Bush Second, et sa bénédiction impériale de leurs plans et projets encore plus hostiles et extrémistes que ceux des sionistes eux-mêmes ! Il est regrettable, même si c’est aisément compréhensible, de constater que le dernier massacre en date n’a pas fait réagir la rue arabe, si ce n’est dans quelques cercles restreints qui ne dépassent pas l’enceinte de l’Université de la sainte mosquée d’Al-Azhar (au Caire, ndt) et certains camps de réfugiés palestiniens, puisqu’aussi bien les gens ont commencé à comprendre que l’hypocrisie des régimes arabes officiels n’épargnait aucun sujet, qu’elle les corrompait tous et que même ces actions de solidarité et de protestation auxquelles les gens se joignaient en masses, par le passé, les régimes y ont désormais recours afin de transformer la protestation en soupape de sécurité psychologique et en méthode de catharsis spirituelle. Il est par conséquent naturel que les représentants des régimes arabes au pouvoir, présidents, ministres, princes, hauts responsables, participent à ces manifestations, en occupant même les premiers rangs… Chose qui amène inéluctablement les masses populaires à jeter l’anathème sur ces activités de solidarité de base. En effet, que signifierait notre participation, à nous, les « gens de la société d’en bas » à ce genre de mascarades ? Et pourquoi, de plus, donnerions-nous à ces régimes peu recommandables un blanc-seing totalement immérité ?